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TROISIÈME PARTIE TOME I.
QU’EST-CE QUE L’ISLAM ?
Bref historique de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD. 1)
Le mieux est peut-être de considérer assez paradoxalement il est vrai, que la traduction la plus appropriée de la première partie de la chahada serait « Il n’y a de Dieu qu’Allah » *, mais que ce qui a posé le plus de problèmes fut ce qui a été ajouté à savoir « Mahomet est son prophète » (au lieu de « Jésus est le Messie »).
Peut-être aussi de considérer que c’est cette partie-là de la chahada qui a importé le plus à l’époque, vu ses conséquences concrètes (Pierre de La Crau).
* Là on passe de l’hénothéisme à la monolâtrie.
1) « Humane Imposture » in « Toland, Christianity not mysterious. » La plupart de nos traductions des versets du Coran sont tirées du site internet Le Coran annoté du sceptique.
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TROISIÈME PARTIE TOME I.
QU’EST-CE QUE L’ISLAM ?
Bref historique de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD. 1)
Le mieux est peut-être de considérer assez paradoxalement il est vrai, que la traduction la plus appropriée de la première partie de la chahada serait « Il n’y a de Dieu qu’Allah » *, mais que ce qui a posé le plus de problèmes fut ce qui a été ajouté à savoir « Mahomet est son prophète » (au lieu de « Jésus est le Messie »).
Peut-être aussi de considérer que c’est cette partie-là de la chahada qui a importé le plus à l’époque, vu ses conséquences concrètes (Pierre de La Crau).
* Là on passe de l’hénothéisme à la monolâtrie.
1) « Humane Imposture » in « Toland, Christianity not mysterious. » La plupart de nos traductions des versets du Coran sont tirées du site internet Le Coran annoté du sceptique.
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ODE AUX TRÈS-SACHANTS.
La moitié du malheur de l’Humanité vient du fait que, il y a plusieurs milliers d’années, quelque part au Moyen-Orient, des peuples de par leur langue ont conçu la spiritualité ou la mystique…
— Non comme une quête de sens, d’espoir ou de libération avec les concepts qui s’y rattachent (distinction opposition ou différence entre matière et esprit, éthique, discipline personnelle, philanthropie, vie après la vie, méditation, quête du Graal, pratiques…).
— Mais comme une loi (DIN) gigantesque et protéiforme devant régir la vie quotidienne des hommes avec tout ce que cela implique.
Des obligations ou des interdits que tout un chacun doit respecter jour et nuit. Des infractions ou des contraventions à cette multitude d’interdits quand ils ne sont pas suivis à la lettre. Des jugements quand une ou plusieurs de ces lois sont violées. Des condamnations pour les coupables.
Des non-lieux ou des relaxes pour les innocents APPELÉS JUSTES…CETTE CONFUSION ENTRE LE NUMINEUX ET LE RELIGIEUX PUIS ENTRE LE SACRE ET LE PROFANE NOUS POURRIT LA VIE DEPUIS 4000 ANS VIA ISRAËL ET SURTOUT LES NOUVEAUX ISRAËL QUE VEULENT ÊTRE LE CHRISTIANISME ET L’ISLAM.
Le principe de base de notre Ollotouta nous a été donné, il y a longtemps déjà, par notre maître à tous en ce domaine ; le grand barde gaélique fondateur de la Libre-pensée moderne, que l’on évoque habituellement sous le nom anglicisé de John Toland. Il ne peut pas y avoir par définition de choses contraires à la Raison dans de Saintes Écritures émanant vraiment du Divin.
S’il y en a, il s’agit alors, soit d’erreurs, soit de mensonges !
Ou il n’y a aucun mystère, ou alors il ne s’agit en aucune façon d’une révélation divine !
Il n’y a aucun moyen terme…
Nous ne reconnaissons pas d’autre orthodoxie que celle de la Vérité car, où qu’elle soit en ce monde, doit également se tenir, nous en sommes totalement convaincus, l’Église de Dieu, et pas celle de telle ou telle faction humaine… Nous sommes par conséquent partisans de ne faire aucun quartier à l’erreur sous quelque prétexte que ce soit, chaque fois que nous aurons la possibilité ou l’occasion de l’exposer sous ses vraies couleurs.
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1696. Le christianisme sans mystère.
1702. Vindicius Liberus. Réponse de John Toland aux détracteurs de son « christianisme sans mystère ».
1704. Lettres à Serena contenant l’origine de l’idolâtrie et les raisons du paganisme, l’histoire de la doctrine de l’immortalité de l’âme chez les païens, etc. (Version baron d’Holbach, un philosophe allemand).
1705. Le vrai socinianisme * en tant qu’exemple de débat courtois en matière de théologie *.
Précédé de l’Indifférence dans les disputes, recommandée par un panthéiste à un ami orthodoxe.
1709. Adeisidaemon ou l’homme sans superstition. Les origines juives.
1712. Lettre contre le papisme, et en particulier contre le fait d’admettre l’autorité des Pères ou des Conciles dans les controverses religieuses, par Sophie Charlotte de Prusse.
1714. Défense des juifs, victimes des préjugés antisémites, et plaidoyer pour leur naturalisation.
1718. Le destin de Rome, des papes, et la fameuse prophétie de saint Malachie, archevêque d’Armagh au treizième siècle.
Nazarenus ou le christianisme juif, goy, et mahométan (version d’Holbach), contenant :
I. L’histoire de l’ancien évangile de Barnabé, ainsi que le moderne évangile apocryphe des mahométans, attribué à ce même apôtre.
II. Le projet original du christianisme expliqué par l’histoire des Nazaréens, résolvant du même coup diverses polémiques à propos de cette divine (mais si hautement pervertie) institution.
III. L’analyse d’un manuscrit des quatre Évangiles irlandais avec un résumé de l’ancien christianisme d’Irlande et de ce que fut la réalité des culdées (un ordre mi-laïc, mi-religieux opposé aux deux derniers évêques de Worcester).
1720. Pantheisticon, sive formula celebrandae sodalitatis socraticae.
Tetradymus.
I. Hodegus. La colonne de feu et de nuée qui a guidé les israélites dans le désert n’était pas un miracle, mais, comme le relate précisément l’Exode, une pratique également connue des autres nations ; et dans ces contrées non seulement utile, mais même nécessaire.
Il. Clidophorus.
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III. Hypatie ou l’histoire de la plus belle, de la plus vertueuse, de la plus instruite, de la plus accomplie des femmes ; qui fut lapidée par le clergé d’Alexandrie, afin de satisfaire l’orgueil, l’ambition, voire la cruauté, de l’archevêque Cyrille, communément, mais très improprement, appelé saint Cyrille.
1726. Histoire critique de la religion celte, contenant un aperçu sur les druides, ou les prêtres et les juges, sur les vates, ou les devins et médecins, et enfin sur les bardes, ou les poètes ; des anciens Bretons, Irlandais ou Écossais. Avec en plus l’histoire d’Abaris l’hyperboréen, prêtre du soleil.
Un spécimen de la langue armoricaine (dictionnaire breton, irlandais, latin).
1726. Compte-rendu du livre de Giordano Bruno, sur l’infini de l’univers et la pluralité des mondes, traduit de l’édition italienne.
1751. Le Panthéisticon ou le mode de célébration de la société socratique. S. Paterson Londres. Traduction du livre publié en 1720.
« Le Druidisme » est une revue indépendante (indépendante de toute association religieuse ou politique) et qui n’a qu’un seul but : la recherche théorique ou fondamentale en matière de néopaganisme. La double question à laquelle essaie de répondre cette revue d’études théoriques, pourrait se résumer ainsi :
« Que pourrait être ou que devrait être, un néo-druidisme actuel, moderne et contemporain ? »
Le « Druidisme » est une revue néopaïenne, strictement néopaïenne, héritière de tous les mouvements authentiques (c’est-à-dire non chrétiens) qui se sont succédé depuis deux mille ans, l’héritière indirecte, mais l’héritière, quand même !
À propos de notre tradition de référence ou de notre filiation intellectuelle soulignons que si les « poètes » du royaume de Domnall mac Muirchertach Ua Néill avaient toujours les imbas forosnai, les teimn laegda ainsi que les dichetal do chennaib 1) à leur répertoire (cf. la conclusion de l’histoire du pillage du château de Maelmilscothach, d’Urard Mac Coisé, un poète mort au XIe siècle), ils étaient peut-être déjà chrétiens quand même depuis plusieurs générations. Il est vrai que ces pratiques (imbas forosnai, teimn…) étaient formellement interdites par l’Église, mais qui sait, il y a eu peut-être des accommodements analogues à ceux des astrologues ou alchimistes du Moyen-Age.
Quoi qu’il en soit notre « Druidisme » est aussi une volonté, la volonté de se rapprocher, au maximum, du druidisme antique, tel qu’il fut (scientifiquement parlant). La volonté aussi néanmoins de moderniser ce druidisme, un retour total au druidisme antique étant exclu (il serait de toute façon impossible).
Exemples de modernisation de ce druidisme païen.
— Abandon aux associations laïques du côté culturel (médecine, poésie, mathématique, etc.). Principe de séparation de l’Église et de l’État.
— Spécialisation par contre dans la spiritualité celtique, ou païenne en général, l’histoire de la religion, la philosophie et la métapsychique (dite aujourd’hui parapsychologie).
— Utilisation dans certains cas du vocabulaire actuel (Église, religion, baptême, et ainsi de suite).
Un juste milieu est évidemment à trouver entre un retour total au druidisme antique (fondamentalisme ou intégrisme) et une modernisation radicale trop révolutionnaire (plus de saie).
L’AAP (athée agnostique panthéiste) celte ayant accepté d’être l’avocat du paganisme celtique antique et de cosigner cette petite bibliothèque **, dont il n’est que le rassembleur, le druide Hesunertus (Pierre de La Crau), ne se considère pas comme l’auteur de cet ouvrage collectif. Mais comme le simple porte-parole de l’équipe l’ayant composé. Pour ce qui est des autres sources de cet essai sur le druidisme, voir les remerciements de la bibliographie.
* Les sociniens, puisque c’est ainsi qu’ils furent appelés par la suite, désiraient plus que tout restaurer le vrai christianisme qu’enseigne la Bible. Ils considéraient que la Réforme n’avait fait disparaître qu’une partie de la corruption et du formalisme, présents dans les Églises, tout en laissant subsister le mauvais fond : les enseignements non bibliques (ce qui est très discutable d’ailleurs).
** Ce petit camminus est néanmoins important aussi pour les jeunes… de 7 à 77 ans ! Mantalon siron esi.
1) Do ratath tra do Mael Milscothach iartain cech ni dobrethaigsid suide sin etir ecnaide 7 fileda 7 brithemna la taeb ogaisic a crech 7 is amlaidsin ro ordaigset do tabairt a cach ollamain ina einech 7 ina sa[ru]gad acht cotissad de imus forosnad [di]chetal do chollaib cend 7 tenm laida .i. comenclainn fri rig Temrach do acht co ti de intreide sin FINIT.
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PRÉFACE DU KITAB AL ASNAM PAR NABIH AMIN FARES.
À en croire les traditionistes qui dominaient alors la vie intellectuelle de la communauté musulmane, Mahomet aurait déclaré « L’Islam abolit tout ce qui l’a précédé » (Sahih Muslim, Iman : 53). Mahomet avait sans doute à l’esprit en disant cela les religions païennes de son pays ; mais ses disciples, dans leur zèle à établir la foi nouvelle, se mirent aussi à éradiquer tout ce qui était enraciné dans l’ordre ancien. Les historiens (akhbariyoun), dont le travail était d’enregistrer le passé et de préserver ses gloires, ne furent donc guère en honneur dans la communauté musulmane, en particulier au début de l’Islam. Les grands historiens arabes ne sont apparus qu’ultérieurement. Mais ils ont également mis l’accent sur l’ère musulmane, et ont survolé la période préislamique. Le terme historien (akhbari) finit d’ailleurs par acquérir une connotation négative et devint presque un qualificatif méprisant. Il fut appliqué à ibn-al-Kalbi ainsi qu’à toute personne qui osait s’attarder sur l’histoire arabe avant l’Am al-Fil (année de l’éléphant). Mais aucun historien n’a été attaqué de façon plus virulente que ne le fut ibn-al-Kalbi, sans doute parce qu’il s’attaquait à l’étude de ce que l’Islam avait entrepris d’effacer, à savoir les religions et les pratiques païennes de l’Arabie.
Abou-al-Moundhir Hicham ibn-Muhammad ibn-al-Sa'ib ibn-Bichr al-Kalbi, plus connu sous le nom d’ibn-al-Kalbi (mort en 821-822), appartenait à une honorable famille de lettrés savants résidant à Koufa, qui était alors l’une des deux capitales intellectuelles du monde musulman. Comme son père, abou-al-Nader Mouhammad, il se consacre presque exclusivement à la recherche historique et philosophique à une époque où le hadith était la science par excellence.
Al-Baghdadi nous a transmis un dicton courant parmi les étudiants de hadith à propos du prétendu manque de véracité d’ibn-al-Kalbi. Pour eux, ce n’était qu’un généalogiste amateur et un conteur que personne ne voulait accepter ou citer. Al-Isfahani, lui aussi, malgré ce qu’il devait à Ibn-al-Kalbi, le critique à deux reprises au moins, et affirme que tout ce sur quoi il s’appuyait était faux. Al-Samani est encore plus franc. Dans son Ansab il expédie ibn Al-Kalbi avec la phrase suivante : « Il… rapportait des choses étranges ou curieuses et des événements dont aucun n’avait de fondement ». Un autre écrivain musulman critique d’ibn Al-Kalbi est al-Dhahabi. En plus de le traiter de rapidité (Chiite ?) il ajoute : « Il n’était pas fiable… mais simplement un raconteur d’histoires (akhbari) ». Ahmad ibn-Hanbal jugea même nécessaire de dire de lui : « Je ne pense pas que quelqu’un puisse le citer comme faisant autorité ».
Toutes ces attaques étaient sans aucun doute motivées par le fanatisme des traditionistes et des lecteurs du Coran. Pour sa part, ibn Al-Kalbi avait peu d’estime pour eux et pour leurs études, et n’avait appris le Coran par cœur que sous la pression de la critique.
Mais ibn Al-Kalbi ne fut pas sans avoir ses champions. Au premier rang de ceux-ci figuraient al-Massoudi et Yaqout. Le premier le met au nombre des meilleures autorités en la matière et reconnaît sa dette envers lui. Le dernier le défend contre les diffamations des traditionistes. Lors d’une controverse dans laquelle ibn Al-Kalbi était opposé aux autres autorités en la matière, Yaqout accepte son compte-rendu et déclare : « Ceci confirme donc les dires d’Abou-al-Moundhir Hicham ibn-Mouhammad al-Kalbi. Jamais les savants n’ont été en désaccord sur quelque point que ce soit sans trouver dans ses écrits un argument d’autorité pouvant les départager, mais malgré tout cela, il est injustement traité et vilipendé ».
La recherche scientifique moderne et l’archéologie qui ont confirmé la plupart de ses affirmations et l’ont défendu contre les critiques de ses coreligionnaires lui ont rendu justice.
Le Kitab al-Asnam nous est parvenu dans un unique manuscrit de la Khizanah al-Zakiyah, la bibliothèque privée d’Ahmad Zaki Pacha (1867-1934) du Caire.
Une traduction allemande en a été faite par Rosa K. Rosenberger, Leipzig, 1941, et une traduction partielle, en français, par le père Augustus Sebastianus Marmardji, O.P., a été publiée dans la Revue Biblique, vol. XXXV, 1926, pp.397-420. Elle était basée sur la première édition (1914) d’Ahmad Zaki Pacha. Dans sa traduction Marmardji regroupe les dieux du paganisme arabe en fonction de leur importance et leur rang.
NDLR. Il va de soi que Pierre de La Crau ne prétend pas qu’ibn Kalbi ne se trompe jamais quand il remonte trop loin pour lui, dans le temps, et notamment dans ses généalogies ou quant à son biblisme forcené (Abraham, etc.).
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L’ARABIE DU TEMPS DE LA DJAHILIYA
UN PEUPLE FIER ET LIBRE ÉPRIS DE POÉSIE ET OUVERT AU MONDE.
En matière de religion, les précautions à l’égard des sources musulmanes doivent être extrêmes. Il y a le plus souvent confusion entre le nom de la divinité et celui du sanctuaire ou de la statue qui la représente. La religion traditionnelle se refuse en effet à distinguer la puissance divine, le lieu, le bétyle, le nom divin, l’autel, le sanctuaire. La religion arabe païenne traditionnelle n’a produit aucun document écrit assez long pour en donner une idée suffisante. L’enquête doit donc recourir à des textes étrangers, ou pire encore, sur des textes musulmans, jetant souvent un regard calomnieux sur le système précédent. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls ! Nombre de chercheurs chrétiens ou déistes ont toujours eu un regard condescendant sur ce qu’ils considéraient comme une mentalité dépravée, des rituels simplets, ou des idoles répugnantes. Voir par exemple le cas de l’anglican William Montgomery Watt, membre de l’Eaglais Easbaigeach na h-Alba. Il est évident que l’islam, malgré ses imperfections, lui apparaissait comme un progrès moral et spirituel.
Il nous faut bien sûr repousser vigoureusement de tels préjugés. Ces hommes et ces femmes furent capables d’une religiosité, certes différente, mais digne de respect ou d’intérêt, elle aussi.
La production littéraire de l’islam ayant été considérable, il est possible de reconstituer des pans entiers de la religion arabe primitive, à travers les critiques, les commentaires, ou ses survivances, y compris dans l’islam lui-même. Il faut ainsi rendre hommage au travail exceptionnel d’Ibn Kalbi. Cet auteur du VIIIe siècle a rassemblé une grande quantité d’informations et a fait preuve d’une remarquable ouverture d’esprit, dont il a d’ailleurs subi les conséquences plus tard. Le sujet reste néanmoins tabou dans le monde musulman, mais les « très-sachants » tolandiens que nous sommes, ne peuvent que s’intéresser au système religieux qu’a pratiqué Mahomet pendant la majeure partie de son existence (pour le saccager ensuite).
Note de Pierre de La Crau insérée en cet endroit par ses enfants à propos des hadiths et d’Ibn Kalbi.
IL EST CERTAIN QUE LES HADITHS NE SONT PAS DES DOCUMENTS DUS À MAHOMET LUI-MÊME OU IMMÉDIATEMENT CONTEMPORAINS DE SON ÉPOQUE. UN DOUTE PEUT DONC ET DOIT DONC SUBSISTER. HADITHS OU TEXTES D’IBN KALBI NE CONSTITUENT EN AUCUN CAS DES DOGMES SACRÉS OU DES PAROLES DIVINES. IL N’EN DEMEURE PAS MOINS QUE TOUS CES HADITHS SONT DE TRÈS PRÉCIEUX RÉVÉLATEURS DE LA MENTALITÉ DE L’ÉPOQUE OU DE CELLE AYANT IMMÉDIATEMENT SUIVI ; ET EN TANT QUE TELS ILS MÉRITENT D’ÊTRE PASSÉS AU CRIBLE AFIN DE POUVOIR EN SÉPARER LE BON GRAIN DE LA VÉRITÉ OU DU VRAISEMBLABLE ; DE L’IVRAIE DE L’ERREUR OU DU MENSONGE.
Les musulmans racistes (il y en a) parlent même parfois des « Ténèbres du paganisme » : « Dhouloumat al Djahilyia ».
Assimilés aux « associateurs » et aux « idolâtres », ces païens « ignorants » par définition ont vu au cours des siècles s’ajouter à leurs rangs les athées ou les agnostiques… également réputés « aveugles » ou « ignorants de la vérité » ; mais comme on pourra le constater dans les pages qui suivent, les plus ignorants ne sont peut-être pas là où l’on aurait pu le penser.
Les musulmans présentent donc la période ayant précédé l’islam, la Djahiliya, comme un temps marqué par la terreur et la superstition. Mais finalement, en observant comment les clercs musulmans ont considéré, détourné, ou méprisé, les autres religions, c’est sur l’islam qu’on en apprend le plus… Les religions révélées ont toutes développé, surtout la dernière, un discours tendant à refuser purement et simplement la religiosité de l’autre. À les en croire, le païen n’ayant pas de véritable spiritualité, il était indispensable de lui en fournir une.
Note de la rédaction. Il convient néanmoins de distinguer les Arabes appartenant à des clans qui s’étaient sédentarisés (en s’installant dans des villes caravanières, dans les ports ou du croissant fertile du sud de l’Arabie) ; de ceux qui constituaient des tribus errantes (nomades), autrement dit les Bédouins.
Ce chapitre n’entend prouver qu’une chose : que les populations arabes ont lutté, vécu et prospéré, avant l’Hégire (avant l’Islam). La période appelée Djahiliya en arabe (Ignorance ou Barbarie) ne fut ni barbare ni ignorante. Ce fut une période simplement différente, aux normes différentes, et dans l’ensemble bien plus favorable à l’individu et à l’être humain, mais cela peu de musulmans sont capables de le comprendre ; et peu de nos contemporains capables de l’admettre.
Ibn Khaldoun, Mouqaddima 4, 6.
« Les nations des temps anciens avaient des temples qu’elles vénéraient, à les entendre, dans un esprit de religiosité. Par exemple les temples du feu des Perses, les temples des Grecs, les temples
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des Arabes du Hedjaz, que le prophète fit abattre au cours de ses expéditions. Al Massoudi a mentionné certains d’entre eux, nous n’avons donc pas à en parler ici. En effet, ces temples n’ont pas été institués par la Loi divine. Ils n’ont rien à voir avec la religion. On ne s’en occupera donc pas et l’on ne s’intéressera pas à leur histoire ».
Il est temps de rejeter cette conception raciste avec force, et de soutenir le contraire, avec l’appui de documents pertinents. Dans les études abordant la question de la naissance de l’islam, il manque en général un exposé des conditions générales dans lesquelles apparut ce mouvement. Les auteurs font comme si cette religion était née des sables du désert tout armée, telle Athéna sortant de la cuisse de Jupiter, incomparable et parfaite, et d’emblée universelle. Ce n’est pas sérieux. Il importe au contraire d’insister sur le contexte et le théâtre, dans lesquels l’islam s’est établi, d’autant plus que les sources documentaires sont nombreuses à fournir des renseignements solides.
Il est donc d’abord utile, pour comprendre la manière dont l’empire musulman s’est formé, d’avoir déjà une idée des peuples qui environnaient l’islam naissant. Le cœur en est formé de Sémites, un groupe humain complexe, que l’on peut aborder par les langues, car celles-ci gardent la trace des ethnies d’origine.
Au-delà, l’islam s’est implanté en Espagne, peuplée de Celtibères, en Turquie, peuplée à l’époque de Grecs, d’Arméniens, de descendants de Hittites et de Kurdes, et en Perse, tous membres de la famille indo-européenne ; très éloignés non seulement des Arabes, mais aussi des Berbères et des Égyptiens anciens.
L’Arabie du temps de Mahomet fut donc païenne dans sa conception du cosmos et tribale dans sa structure sociale.
L’opposition entre monothéisme et polythéisme ne suffit pas en général à décrire une religion païenne. En effet, celle-ci combine naturellement l’idée d’une multitude (poly) de divinités peuplant l’univers et la toute-puissance d’une divinité locale (hèna), conçue comme suprême et suffisante dans le ressort de son sanctuaire, par la population environnante. Dans un tel ensemble, depuis les origines, s’est aussi manifestée une tendance privilégiant une puissance divine par rapport aux autres, et ceci parallèlement à l’essor des institutions monarchiques. L’idée de départ est simple : un roi, un dieu. À la centralisation politique correspond une certaine unification religieuse. Mais cela ne fait pas disparaître pour autant la foule des autres divinités. Cela signifie simplement que l’on croit en un dieu dominant. Ce sera le cas de la religion arabe primitive.
Poussée à l’extrême une telle conception du divin peut évidemment déboucher sur l’idée d’un dieu national (iste), d’un caractère d’abord protecteur, puis plus agressif, ce que l’on constatera aussi bien chez les Assyriens que chez les Hébreux. Le dieu de Mahomet ne sera donc que le lointain et brutal résultat de cette évolution.
Avec l’émergence des premières puissances impérialistes, le Moyen-Orient se dotera de divinités qui, de protectrices du peuple qu’elles étaient au départ, deviendront bientôt les soutiens et les guides d’armées conquérantes. Ce sera donc alors comme une guerre des dieux, les plus forts, masculins, aériens, barbus et brutaux, soumettant les autres.
L’Enuma Elish babylonienne.
« Ils érigèrent pour lui un trône princier.
Faisant face à ses pères, il s’assit pour présider.
Tu es le plus honoré des grands dieux,
Tes ordres sont sans rivaux, ton pouvoir est celui d’Anou.
Toi, Mardouk, tu es le plus honoré des grands dieux…
Élever ou abaisser, est dans ta main…
Personne parmi les dieux ne transgressera tes limites… »
L’inscription d’Assarhadon roi d’Assyrie de – 680 à – 669.
Cette inscription exceptionnelle nomme six dieux arabes archaïques. Elle montre que, dès cette époque (– VIIe siècle), l’idée d’un dieu qui s’impose aux autres est déjà fort répandue. Les Assyriens sont polythéistes, mais ne sont nullement hostiles aux dieux de leurs ennemis, ils préfèrent se les concilier. Même attitude dans le monde romain avec le rituel de l’evocatio et lors du débarquement légendaire, en Irlande, des Milésiens, ancêtres prétendus des Gaëls.
« J’ai réparé les statues d’Atarsamayin, Daya, Nouhaya, Roudawou, Abirillou et Atarqurouma, les dieux des Arabes ; et je les lui ai renvoyés après avoir fait graver sur eux une inscription proclamant la supériorité d’Assour mon dieu, mon seigneur, ainsi que mon propre nom ».
L’Arabie n’est pas connue pour ses vertes prairies, ses ruisseaux et ses douces collines, univers que l’on ne retrouve que dans le paradis selon le Coran. Son univers, c’est le désert aride où les chameaux parcourent parfois de vastes distances sans pouvoir se nourrir. Les puits sont si rares que les hommes ou les bêtes peuvent mourir de soif. Ce milieu hostile, les habitants de cette région, les Arabes, le redoutent d’autant plus qu’ils pensent que des génies malfaisants (les djinns) s’y cachent
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un peu partout ; aussi sont-ils particulièrement superstitieux. Les Arabes païens rendent un culte à ces puissances protectrices, dans des endroits « protégés » ou sacralisés (haram). Ils leur sacrifient des chameaux pour se les concilier. Pour ces hommes du désert, les « divinités » qui protègent doivent donc être puissantes. La magie était partout présente et les hommes redoutaient le mauvais œil ou le mauvais sort dont ils se protégeaient par des amulettes.
L’établissement de l’islam n’a laissé que peu de chances de survie à cet Ancien Monde. Il n’est resté du temps d’avant que des vestiges involontaires, de trop longues habitudes, ou de secrets objets d’admiration et de respect.
Jean Damascène (676-749), sur les hérésies 101.
« Ils étaient idolâtres et adoraient l’étoile du matin et Aphrodite, qu’ils appelaient précisément Khabar dans leur langue, ce qui veut dire « grande ». Donc, jusqu’à l’époque d’Héraclius, ils ont ouvertement pratiqué l’idolâtrie ».
Mais en réalité dans ce système de pensée, l’idole n’est que le « miroir » de la divinité, et non le dieu lui-même. Le refus d’opérer cette distinction aboutit nécessairement à une incompréhension totale entre les deux systèmes.
Le géographe perse Abou Zaïd al Balkhi (850 – 934) est un des rares musulmans ayant essayé de comprendre. À une époque où des savants soumis à l’islam tentaient d’appréhender le monde dans lequel ils vivaient, au prix de gros efforts intellectuels, et en prenant de grands risques, certains ont osé observer les systèmes étrangers. Les doctrines sont déformées, soit pour correspondre aux conceptions islamiques, soit par ignorance, soit pour accroître leur ridicule. On en apprend peut-être ainsi plus sur l’islam et ses préjugés que sur le paganisme, car ce ne sont en aucun cas des analyses objectives. Mais il n’en demeure pas moins que ce sont là de précieux témoignages sur ce que fut la religion des Arabes d’avant l’Islam.
Ibn Qayim admet d’ailleurs lui-même : « page 718 Zad al Ma’ad, Préparation à l’au-delà, règles concernant la djizya) : Puisqu’il [Mahomet] n’a pas imposé la djizya [l’impôt spécial] aux polythéistes arabes. Chafi et Ahmad ont pensé que la djizya n’est imposée qu’aux juifs, aux chrétiens, et aux Magiens [zoroastriens].
Les Magiens [zoroastriens] sont des polythéistes sans livre, donc le fait que la djizya leur était imposée prouve qu’elle peut être prélevée sur tous les polythéistes.
Pourtant… l’incroyance des magiens était plus grande que l’incroyance des idolâtres. En fait, les idolâtres reconnaissaient la seigneurie de Dieu. Ils étaient aussi qu’il est le seul créateur, mais ils adoraient d’autres divinités sous prétexte qu’elles les rapprochaient de Dieu.
Néanmoins, ils ne croyaient pas qu’il y ait eu un créateur du bien et un autre créateur source du mal comme le croient les magiens… Ils avaient en fait gardé certains aspects de la religion d’Abraham ».
Abou Zaïd al Balkhi, Réfutation des idolâtres.
Il est évident que ce morceau de bois sculpté n’est pas, concrètement, le créateur du ciel et de la terre, des végétaux et des animaux, et les évidences ne peuvent être discutées par les êtres doués de raison. Mais l’idolâtrie est une religion qui, comme l’indique le présent verset, s’est perpétuée jusqu’à nos jours, elle est professée par la plupart des habitants de la terre. Il faut donc que cette religion ait pris une forme dont l’erreur n’était pas évidente ; sinon, elle n’aurait jamais duré aussi longtemps dans la majeure partie du monde.
1 L’idolâtrie n’est qu’une conséquence de la doctrine selon laquelle Dieu est un être physique localisé.
2 Les serviteurs des astres, comme les astres eux-mêmes, sont des serviteurs du dieu supérieur.
3 Les hommes attribuaient les événements bons ou mauvais aux astres.
4 Quand des hommes de bien mouraient, le peuple leur érigeait des statues à leur image.
5 Quand un roi ou un grand personnage mourait, on faisait une statue à son image pour s’en souvenir.
6 Ceux pour qui Dieu est un être physique… se figurent que le dieu est dans l’idole en question.
7 Peut-être aussi ont-ils pris ces idoles comme mihrab [niche indiquant la direction dans laquelle il faut faire ses prières] et que leur adoration s’adressait alors à Dieu.
Note de la rédaction. L’auteur veut bien sûr s’en prendre aux fondements du paganisme, mais il manifeste une qualité remarquable, car rarissime chez un intellectuel musulman, l’envie sincère de comprendre l’Autre.
Aboul Hassan Ali al-Massoudi (897 – 957) : Les Prairies d’or et les mines de pierres précieuses (Mourouj adh dhahab oua ma’adine al jaouahir) Tome 3 chapitre 47 Traduction Barbier de Meynard et Pavet de Courteille (Paris 1864).
CHAPITRE XLVII.
CROYANCES ET OPINIONS DES ARABES DANS LES ÂGES D’IGNORANCE ; LEURS MIGRATIONS ; HISTOIRE DES COMPAGNONS DE L’ÉLÉPHANT, D’ABD EL-MOTTALIB, ET AUTRES RENSEIGNEMENTS ANALOGUES.
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Les Arabes, dans les âges d’ignorance, étaient partagés dans leurs opinions religieuses. Les uns proclamaient l’unité de Dieu, affirmaient l’existence d’un Créateur, croyaient à la résurrection, et tenaient pour certain qu’un jour le Juge suprême récompenserait les fidèles et punirait les prévaricateurs. Déjà, dans cet ouvrage et dans d’autres de nos écrits, nous avons parlé de ceux qui…… D’autres, parmi les Arabes, confessaient le Créateur, affirmaient la création et soutenaient qu’au jour de la résurrection les hommes seraient ramenés à une autre vie ; mais ils niaient la mission des prophètes et se montraient attachés au culte des idoles. Ce sont ceux-là mêmes dont Dieu a dit : « Nous ne leur rendons de culte que pour qu’ils soient nos intermédiaires auprès de Dieu. » (Coran, 39,3). Ce sont encore eux qui allaient visiter les idoles en pèlerinage et entreprenaient des voyages dans ce but, qui égorgeaient des victimes en leur honneur, leur offraient des sacrifices et établissaient en leur nom des prescriptions canoniques (prise de l’ihram ou retraite ; ihlal, fin de la retraite).
D’autres penchaient vers le judaïsme ou le christianisme. Il y en avait qui, ne suivant d’autre voie que celle de l’orgueil, se laissaient aller à toute la fougue de leurs passions. On trouvait, chez les Arabes, une secte qui rendait un culte aux anges qu’elle prétendait filles de Dieu, et qu’elle adorait pour obtenir leur intercession auprès du Juge suprême. Ce sont ceux dont Dieu parle dans le verset : « Ils donnent des filles à la divinité. Grand Dieu ! ils auront ce qu’ils désirent » (Coran 16, 57).
Et autre part il dit encore : « Avez-vous vu Lat, Ozza et Manât, cette troisième divinité ? Est-ce que le sexe masculin serait votre partage et le sexe féminin celui de Dieu ? Certes voilà une répartition bien inique ! » (Coran, 53, 19.)
D’autres encore croyaient au Créateur ; mais, traitant de mensonges la mission des prophètes ainsi que la résurrection, ils se laissaient aller aux aberrations des hommes du siècle. Ce sont ceux à l’impiété desquels Dieu fait allusion, et dont il signale l’infidélité quand il dit : « Nous ne connaissons pas, prétendent-ils, d’autre vie que celle de ce bas monde ; nous mourons et nous vivons, et le temps seul nous ravit l’existence. » (Coran, 45, 24.)
Il semble en effet avoir existé chez les Arabes d’avant l’Islam un solide bon sens ou scepticisme très philosophique, vis-à-vis des thèmes eschatologiques judéo-chrétiens, notamment celui de la résurrection des morts.
Face à ce matérialisme ou à ces réactions du genre de celles du chrétien saint Thomas, Mahomet devra redoubler de violence verbale, afin d’instiller le doute et la peur, à un auditoire finalement assez peu porté sur le mysticisme. D’une certaine façon, l’état d’esprit arabe était le moins adapté qui soit à la véritable révolution culturelle que fut l’islam.
Le principal argument développé par l’islam contre le polythéisme a été, non pas l’inexistence des dieux d’un point de vue philosophique, mais l’inutilité des statues de bois ou de pierre.
Le procédé ne date pas d’hier.
Psaumes 115, 4-8.
Leurs statues sont d’argent et d’or,
Faites de main d’homme :
Elles ont une bouche, et ne parlent pas ;
Elles ont des yeux, mais ne voient pas ;
Elles ont des oreilles, mais n’entendent pas ;
Elles ont un nez, mais ne sentent pas ;
Des mains, mais ne palpent pas ;
Des pieds, mais ne marchent pas ;
Elles ne sortent aucun son de leur gosier.
Ce qui nous donne dans le Coran.
Chapitre 7 versets 191-192.
Ils lui associent des divinités qui ne créent rien, alors qu’elles sont elles-mêmes créées, qu’elles ne peuvent ni les secourir ni se sauver elles-mêmes.
Chapitre 25 versets 3.
Ils ont en dehors de lui [Dieu], des divinités qui ne créent rien et qui sont elles-mêmes créées ; qui n’ont en elles-mêmes ni la faculté de nuire ni d’être d’une quelconque utilité, qui ne maîtrisent ni la vie ni la mort ni la résurrection.
Honneur aux dames maintenant ! Commençons par dire deux mots du statut de la femme arabe de ce temps-là. Une partie de la littérature musulmane, et certaines inscriptions, permettent à l’historien d’observer d’un œil neuf les structures sociales d’avant l’islam. La place des femmes, par de nombreux indices et dans les situations les plus diverses, semble importante, et la polygamie, si elle existe, reste particulièrement discrète. Il semble même que l’on puisse déceler ici et là des indices de polyandrie. Tout cela, bien évidemment, n’a jamais été scruté en détail.
Il semble, à partir des sources musulmanes ou non musulmanes, que les femmes aient pu jouir d’une large liberté d’action, tout particulièrement en Arabie du Sud. On se souvient de reines arabes, depuis
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les chroniques assyriennes, de la reine de Saba, de Zénobie, parfois même de véritables « chefs » de tribus, ou simplement de femmes au fort tempérament. Dans son article devenu classique, Nabia Abbot ne recense pas moins de vingt-quatre reines, impératrices et princesses arabes. Il est certain qu’il y a en a eu beaucoup plus, mais ce ne sont pas les sources musulmanes qui nous seront d’un quelconque secours en ce domaine.
Mais on les retrouve aussi au combat, comme devineresses, prêtresses, prophétesses, femmes politiques gérant les affaires de la cité, poétesses ou arbitres dans des concours de poésie. Les poèmes des vainqueurs étaient suspendus au mur de la Kaaba : c’est d’ailleurs ainsi qu’ils ont pu subsister dans les mémoires, et dans un recueil demeuré célèbre, les mou’allaqat. Il faudra s’en souvenir, quand le lecteur du Coran abordera le chapitre intitulé « Les femmes », qui, avant de régler leur sort en détail, commence simplement par ces mots révélateurs : « Ô Hommes ! »
Fidèles et prêtresses.
Dans les religions polythéistes, les femmes ont beaucoup plus de place et d’importance que celles qui prétendent remonter à Abraham. Elles sont nécessairement concernées par les rites liés à la fécondité/fertilité, et sont aussi très fortement concernées par l’obsession de la pureté ou de l’impureté, qui se retrouve largement dans le judaïsme et l’islam. Ces préjugés primitifs expliquent l’infériorité de leur condition réelle.
Femmes au combat.
Les Bédouins, surtout au moment des combats contre l’islam, n’hésitent pas à se faire accompagner de leurs femmes, en masse. Celles-ci semblent particulièrement hostiles au nouvel ordre religieux (en cas de défaite, elles constituent le troupeau des captives destinées à devenir, avec leurs enfants, les esclaves des musulmans). Les femmes arabes accompagnaient les troupes, brandissaient l’étendard tribal, et recevaient parfois le titre prestigieux de « Dame de la Victoire ».
Les femmes à la bataille d’Ohoud 625.
À Ehud Ikaria était accompagné de sa femme, Oumm Hakim. Elle ainsi que d’autres femmes se tenaient à l’arrière et battaient le tambour, afin d’exhorter les Couraïchites à la bataille et houspiller tout cavalier enclin à fuir.
Les Bédouins et leurs femmes à la bataille d’Honeïn 630.
Abou Daoud, 14, hadith 2495.
Le jour d’Honeïn… Un cavalier arriva et dit : Apôtre de Dieu, je suis allé en avant et j’ai escaladé une montagne, j’ai vu les Haouazine tous ensemble avec leurs femmes, leur bétail, leurs moutons, rassemblés à Honeïn.
L’apôtre de Dieu sourit et répondit :
— Ce sera le butin des musulmans demain si Dieu le veut…
Mariage et divorce.
Le mariage est un échange commercial, mais justement, cet aspect mercantile en fait un avantage pour les femmes, qui deviennent un enjeu. Leur survie, l’autorité sur les enfants, leur présence constante dans la maison, les remariages et mariages temporaires, permettent aux plus habiles d’avoir une solide place dans la société, même s’il est excessif de parler d’égalité de statut.
Les propos de l’historien-géographe arabe Ali al-Massoudi visent à la dénigrer et à la dévaloriser, mais ce qu’il nous apprend, involontairement, sur la situation de la femme avant l’islam est du plus grand intérêt. Il nous apprend qu’avant l’avènement de l’islam, il existait dans la péninsule arabe quinze formes d’union matrimoniale ; à travers lesquelles les femmes pouvaient choisir le ou les conjoints, décider de la durée de l’union et opter pour sa forme. Les hommes accédaient aux désirs des femmes, car les unions contractées avec elles ne devaient servir que comme moyen pour payer une rançon, nourrir une famille, accroître une part d’héritage, varier les plaisirs… À cette époque, l’union entre l’homme et la femme était basée sur la fécondité et le plaisir tout simplement.
La non-exception Khadidja.
La première épouse de Mahomet demeure emblématique du dernier état des femmes en Arabie. Mahomet ne prendra pas d’autre épouse de son vivant. C’est elle qui dirige le ménage et l’entreprise, qui élève les enfants issus de deux lits différents, et qui prend à Mahomet sa virginité.
La vie de Khadidja avant Mahomet.
Son nom était Khadidja bint Khouwaïlid ibn Assad. Avant que quiconque ne l’épouse, elle fut promise à Ouaraqa ibn Naoufal, mais il n’y eut pas de mariage. Alors, elle épousa ensuite Abou Hala […] Son père était noble. Il s’installa dans la ville de La Mecque et forma une alliance avec les Banou Abdoul Dar ibn Qoussaï. Khadidja donna donc à Abou Hala un fils appelé Hind, et un autre appelé Hada. Après Abou Hala, elle se maria avec Atiq ibn Abid de la tribu des Makhzoum et lui donna une fille appelée Hind.
Khadidja femme d’affaires.
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Tabari… Khadidja était de la parenté de Mahomet, de la tribu des Couraïchites : elle était fille de Khouwaïlid, fils… d’Assad, ibn Abdoul Ouzza, ibn Qoussaï. Elle avait perdu son mari, qui lui avait laissé une fortune considérable, et elle faisait du commerce.
Ibn Sa’d… Ouaqidi, Tabaqat Al-Koubra, Tome 1, Première partie 35,1.
« Khadidja m’envoya (moi Nafissa) discrètement sonder Mahomet après son retour de Syrie avec sa caravane. Je lui demandai donc : Mahomet ! Qu’est-ce qui t’empêche de te marier ?
Il me répondit : je ne possède pas de quoi me marier.
Je lui rétorquai : et si ce souci t’était épargné ? Et si on te conviait à la beauté, à la fortune, à une situation honorable, est-ce que tu accepterais ?
— De qui s’agit-il ?
— De Khadidja.
— Que dois-je faire ?
— C’est moi qui m’en charge ».
Si Dieu, par l’intermédiaire de son dernier prophète, a amélioré la condition féminine, ce fut donc, EN MOYENNE, et uniquement par rapport à la région de La Mecque, mais nullement EN CE QUI CONCERNE LE MONDE ENTIER. Dieu s’est fixé à l’époque un objectif beaucoup trop modeste [faire évoluer en un sens plus favorable la situation moyenne des femmes DE LA RÉGION DE LA MECQUE. Et du coup, ça l’a fait régresser partout dans le monde où elle était meilleure. Était-ce bien ce que voulait Dieu ? Que l’on permette au barbare druide d’Occident, à la John Toland, idolâtre et polythéiste ou pire, que je suis, d’avoir des doutes].
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L’ART DE VIVRE DES BÉDOUINS.
Le combat et la façon dont on s’en vante, font partie, à parts égales, de l’art de vivre des Bédouins ; c’est l’occupation principale et la justification sociale des aristocrates. Entre vengeances et raids de pillage, les occasions de prouver sa valeur sont nombreuses. Mais les combats font souvent plus de bruits que de victimes, les rançons sont monnaie courante, et les massacres rares. En un mot, la guerre est un vol plus qu’un meurtre, un discours autant qu’un acte, et plus ils en parlent, par vantardise et bravade, moins ils la font. Pour le Bédouin, la vie est difficile donc précieuse, et il vaut mieux ne pas la risquer dans des massacres incontrôlés ou des vengeances sans fin. À bien lire les documents, on se rend compte qu’il existe en effet de multiples modalités d’atténuation de cette violence. C’est d’ailleurs cette attitude qui a souvent été considérée comme de la lâcheté par les observateurs étrangers.
L’invention du djihad offensif par les juristes musulmans marquera par conséquent une rupture en ce domaine et presque tout changera donc avec l’institution, par Mahomet, de cette nouvelle forme de guerre, qui procure un avantage matériel à celui qui la pratique. On peut même dire que les succès militaires des musulmans sont fondamentalement dus à une conception de la guerre radicalement différente. Ce qui subsistera chez eux de l’antique façon de faire la guerre ne sera plus que l’appât du butin. Il importe en effet de rappeler, arrivé à ce point de notre exposé que le but du pillage païen était de voler, non de tuer, comme cela se verra par la suite. Quand les guerriers musulmans s’élanceront à l’assaut en hurlant « Tue, Tue ! » alors une page se tournera.
La morale qui se dégage des mou’allaqat est tout à fait semblable à celle qui est prônée par les Teagasc an Riogh Irlandais. Cette conception chevaleresque et noble de la générosité, ou libéralité plutôt, est un signe de noblesse, elle doit s’appliquer avec ostentation et même exubérance, tout en observant un strict idéal de justice. Elle sera remplacée par l’institution de l’aumône légale des musulmans (zakat), au pourcentage fixe, ce qui n’est plus du tout la même chose.
Les chefs, les nobles doivent faire preuve de générosité. La richesse sert à conquérir pacifiquement de l’honneur et non à en jouir égoïstement comme dans la société libérale ou capitaliste admise par nos élites d’aujourd’hui (journalistes, hommes politiques…). Cette attitude est normale dans un milieu rude et aristocratique.
Note de la Rédaction. Nous sommes là aux antipodes de ce qui se passe aujourd’hui où journalistes et intellectuels ou hommes politiques ne connaissent plus la valeur « partage » et ne connaissent que les valeurs boursières.
Coran chapitre 17, verset 26.
Ne sois pas prodigue, les prodigues sont des frères des démons…
L’antique et aristocratique conception de la générosité est remplacée par une autre, très différente dans ses buts : l’aumône, finalement moins « gratuite ».
Mahomet dans le Coran répète à l’intention de ses adeptes maintes promesses paradisiaques qui correspondent à ce que pouvait attendre le public arabe de son temps : vin, banquet, femmes vierges à perpétuité ou jeunes garçons, badinage sans fin. Dans la vie ou dans la mort, comme malgré lui et avec emphase, emporté par le délire, il nous laisse ainsi, finalement, un tableau assez complet des aspirations, somme toute paisibles et compréhensibles, bien humaines, de ces populations d’avant l’islam. La vigne ne pousse pas en Arabie centrale, c’est un produit de luxe et un moyen d’affirmation de la noblesse, il est donc de bon ton d’en consommer le vin sans compter, d’en parler avec talent, et d’en partager les bienfaits.
Chapitre 83 versets 22-27.
Les Justes vivront dans les délices, étendus sur des lits d’apparat…
On leur servira un vin rare au flacon bouché par un cachet de musc, ceux qui en désirent peuvent toujours le convoiter, mélangé à de l’eau de Tasnim.
Chapitre 16, verset 69.
De leurs entrailles sort une liqueur diaprée où les hommes trouvent comme une guérison, il y a vraiment là un signe pour qui veut bien y réfléchir.
Le destin de l’âme/esprit après la mort. Le genre élégiaque a dû être prospère chez les Arabes d’avant l’islam. Il en reste quelques vestiges.
Les traces de conceptions particulières et de rituels appropriés sont rares : on peut juste repérer chez ces peuples une forme de culte des ancêtres et des morts, comme dans de nombreuses autres sociétés.
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À l’époque préislamique, l’arrière-plan religieux des Arabes était fondamentalement animiste. Les morts étaient censés pouvoir survivre sous forme de fantômes. On leur faisait des offrandes et des stèles, des cairns de pierres étaient érigés sur leurs tombes. Les conceptions des anciens Arabes à ce sujet font de la place au thème de la réincarnation, de l’errance, de la vengeance (accomplie par des fantômes). On peut deviner leur existence à partir de la rhétorique terrifiante et morbide que Mahomet développe et des interdictions qu’il promulgue contre les antiques usages funéraires. Mahomet en effet use de l’angoisse comme instrument de conversion, rejette les traditions relatives aux tombes, impose des conceptions de la mort largement inspirées par le christianisme ; et insiste sur une nouvelle notion, qui remplacera celle de la survie dans le désert : la mort au combat comme idéal. La « vie dernière » au lieu de la « vie présente ».
Massoudi se livre à un exposé détaillé des conceptions diverses concernant l’existence de l’âme/esprit, dans la vie et dans la mort. Le tableau qu’il brosse montre une réalité complexe et aussi, de la part de l’auteur, un véritable intérêt ethnologique pour ces populations.
Les Prairies d’or et les mines de pierres précieuses (Mourouj adh dhahab oua ma’adine al jaouahir) tome 3 chapitre 48 Traduction Barbier de Meynard et Pavet de Courteille (Paris 1864).
CHAPITRE XLVIII.
OPINIONS DES ARABES SUR L’ÂME, QU’ILS CROYAIENT RESSEMBLER AU HIBOU ET AU CHAT-HUANT, ET AUTRES SUJETS.
Dans les siècles d’ignorance, les Arabes avaient sur l’âme et sur sa nature des systèmes et des opinions contradictoires. Les uns prétendaient que l’âme (en-nefs) n’était autre chose que le sang, et que l’esprit (er-rouh) était l’air qui circule dans l’intérieur du corps humain et qui produit le souffle (en-nefes) de la respiration. De là vient l’épithète de nefsa qu’ils donnaient à la femme, à cause du sang qui sort de son corps. De là l’emploi de nefs dans les discussions des jurisconsultes des différents pays sur la question de savoir si un corps dont le sang (nefs) coule souille ou ne souille pas l’eau dans laquelle il tombe.
D’après une opinion accréditée chez quelques Arabes, l’âme serait un oiseau qui déploie son vol dans le corps de l’homme. L’homme vient-il à périr, soit de mort naturelle, soit de mort violente, l’âme ne cesse pas de voler autour du défunt sous la forme d’un oiseau qui fait entendre sur sa tombe des cris plaintifs. Le nom qu’ils donnent à cet oiseau funèbre est el-ham, dont le singulier est hameh. L’islamisme (sic) trouva les Arabes entichés de cette superstition, jusqu’à ce que le Prophète eût déclaré qu’il n’y avait ni ham ni safar (chouette, chat-huant ?). Ils prétendaient que cet oiseau, d’abord tout petit, grandissait jusqu’à ce qu’il devînt de la taille d’une espèce de hibou. Toujours fuyant la joie, toujours poussant des gémissements plaintifs, on ne le rencontrait que dans les endroits déserts et dans le voisinage des tombes, là où gisaient les restes de ceux qui avaient péri de mort violente, et où reposaient les morts, ils disaient encore que la chouette (el-hameh) ne cessait pas de se présenter ainsi devant les enfants du défunt et de les visiter, pour lui rapporter des nouvelles de ce qui se passait après lui et lui en rendre compte. De là vient qu’es-Salt, fils d’Omeyyah, dit à ses fils : Mon âme, sous forme de chouette, me fera savoir tout ce que vous pourriez avoir à craindre ; avant tout, rejetez loin de vous les actions honteuses et celles qui inspirent l’aversion.
Au temps de l’islamisme (re-sic) Taubah, parlant de Leïla el – Akhialyah, a dit dans le même sens : Si jamais Leïla el-Akhialyah envoyait un salut à mon adresse, quand bien même s’élèveraient sur moi le monument funèbre et les pierres sépulcrales, certes je lui rendrais à mon tour un salut plein de joie ; ou bien, volant vers elle, d’auprès de mon tombeau, une chouette (sada) la saluerait de ses cris.
Suivant d’autres, ces vers ne sont pas de Taubah et s’appliquent à une autre qu’à Leïla. Quoi qu’il en soit, les allusions à cette croyance se rencontrent fréquemment dans les poésies des Arabes, dans leurs ouvrages écrits en prose ou en style rythmé, dans leurs allocutions publiques et dans leurs allégories. Les Arabes, ainsi que d’autres peuples, parmi les races anciennes ou plus modernes, ont beaucoup de traditions relatives à la transmigration des âmes/esprits.
Le destin du corps après la mort.
Là Mahomet entraînera ses fidèles vers un domaine qui les perturbera beaucoup : le sort du cadavre après les funérailles. Autrement dit le thème judéo-chrétien de la résurrection des morts. De la part des interlocuteurs mecquois, scepticisme et ironie dominent.
Chapitre 11, verset 7.
Si tu dis : vous ressusciterez après votre mort, les mécréants te répondent : alors ça, ça sera vraiment de la magie !
Chapitre 37, verset 16.
Quoi ! Quand nous serons morts, que nous serons devenus poussière et ossements, nous ressusciterons, nous, ainsi que nos pères ?
Le deuil.
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Là encore inversion des valeurs : les Arabes tiennent à exprimer leur tristesse au moment des funérailles. Par souci de cohérence, et comme dans le cas des premiers chrétiens, Mahomet les désapprouvera. Les morts les plus dignes, selon lui, vont directement au paradis et il y a donc lieu de s’en réjouir dans ce cas, bien au contraire.
Boukhari, livre 59, hadith 316.
La personne qui est morte est punie dans la tombe à cause des pleurs et des lamentations de sa famille. […] La personne morte est punie pour ses crimes et ses péchés si sa famille pleure sur lui.
Daoud, livre 20, hadith 3216.
Le prophète a dit également : il n’y a pas de sacrifice à faire sur les tombes en islam.
Mais les morts par contre peuvent toujours entendre. Du moins toujours d’après Mahomet (on ignore ce qu’en pensaient vraiment les Arabes païens).
Tabari, Histoire tome 7. Bataille de Badr.
Quand le Messager de Dieu ordonna que les morts soient jetés dans le puits, tous y furent jetés sauf… le Messager de Dieu se tenait au-dessus d’eux et disait : « Homme dans le puits, as-tu trouvé ce que ton Seigneur t’avait promis qu’il arriverait car moi j’ai eu ce que mon seigneur m’avait promis qu’il arriverait ». Ses compagnons lui demandèrent : « Ô Messager de Dieu, es-tu en train de parler aux morts » ?
Il leur répondit alors : « Ils savent maintenant (laqad 'alimu) que ce que je leur avais promis était vrai… Ils n’entendent pas moins que vous, mais ils ne peuvent pas me répondre. »
Tabari, Histoire tome 7.
Le Messager de Dieu a demandé à qui appartenait le séchoir, et Mou'adh b. Afra lui répondit : « Il appartient à deux orphelins placés sous ma tutelle, que je vais compenser pour cela ».
Le Messager de Dieu ordonna la construction d’une mosquée et resta chez Abou Ayyoub jusqu’à ce que la mosquée ainsi que ses quartiers d’habitation soient terminés… Le site de la mosquée du Prophète appartenait aux Banou al-Najdar et comportait des palmiers, des terres cultivées et des tombes préislamiques… Le Messager de Dieu a alors donné des ordres concernant le site en question ; les palmiers ont été coupés, les terres cultivées nivelées et les corps exhumés.
Commentaire de la version persane abrégée (Hermann Zotenberg, Centre de traduction pour l’Orient, de Grande-Bretagne et d’Irlande, tome 2, page 461, Paris 1869).
Mohammed ben Djarir (Tabari) rapporte un fait qui est fort peu croyable… cela ne peut pas être ; et il ne faut pas croire une telle chose du prophète. Quoique ces morts fussent des infidèles, un lieu d’adoration n’a cependant pas assez d’importance que l’on arrache des morts de leurs tombeaux et pour qu’on détruise un champ cultivé. Les hommes intelligents rejettent une telle allégation.
Commentaire Pierre de La Crau.
Pour la première fois au monde donc peut-être.
Des appartements profanes et privés (ceux de Mahomet et de ses femmes) communiquant avec un lieu de culte public.
Un cimetière encore en activité est rasé pour faire de la place à ces appartements privés et au lieu de culte d’une nouvelle religion.
Ibn Hicham, vie de Mahomet traduction Alfred Guillaume page 387.
… L’envoyé de Dieu alla chercher son oncle Hamza et le trouva au fond de la vallée, le ventre ouvert et sans son foie, le nez ainsi que les oreilles coupés […] L’envoyé dit alors […] : Si Dieu me donne la victoire sur les Couraïchites dans le futur, je mutilerai trente de leurs hommes. Et quand les musulmans virent le chagrin de l’envoyé de Dieu et la colère qu’il éprouvait contre ceux qui avaient ainsi traité son oncle, ils se dirent : si Dieu nous donne la victoire un jour, nous les mutilerons comme aucun Arabe n’a jamais mutilé quelqu’un.
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LES BÉDOUINS DANS LE CORAN.
Mahomet en tant que membre de la tribu des Couraïchites (ex-nomades sédentarisés depuis 150 ans) était citadin et nullement bédouin. Comme tous les Couraïchites, il s’en méfie et n’a donc guère d’estime pour eux. On en trouve de nombreuses traces dans le Coran.
Les Bédouins chez eux.
33/ 20.
Ces gens espèrent que les factions ne sont pas parties et si les factions viennent, ils aimeraient se retirer au désert, avec les Bédouins…
Les Bédouins et leur tribu.
48/11.
Ceux des Bédouins restés en arrière te diront : nos biens et nos familles nous ont préoccupés et nous ont empêchés de te suivre. Pardonne-nous !
La valeur militaire des Bédouins.
48/16.
Dis à ceux des Bédouins restés en arrière : vous êtes appelés contre un peuple plein d’une redoutable vaillance.
Ou bien vous les combattez ou bien ils se convertiront à l’islam.
Si vous obéissez, Dieu vous donnera une belle rétribution, alors que si vous lui tournez le dos, comme vous avez tourné le dos antérieurement, il vous infligera un tourment cruel.
Boukhari, Sahih 61/2, 2.
Abu Massoud rapporte, en faisant remonter la tradition au prophète, que celui-ci a dit :
— De là viendront les troubles – et, ce disant, il désignait l’Orient – (c’est-à-dire) la perversité et la dureté des cœurs parmi les braillards nomades qui arriveront à la queue de leurs chameaux et de leurs bœufs dans les tribus de Rabia et de Mudar.
Il y a enfin les terribles versets de la sourate 9 concernant les Bédouins.
Dans son Dictionnaire élémentaire de l’islam, Tahar Gaid (1929-2019) développe ou résume ainsi le point de vue du Coran sur les Bédouins.
BÉDOUIN
De nombreuses tribus avaient embrassé l’Islam et s’étaient mises à la disposition du Prophète. On distinguait en leur sein trois catégories d’hommes :
— Ceux qui s’étaient convertis sincèrement : « Certains Bédouins croient en Dieu et au Jour dernier. Ils considèrent ce qu’ils dépensent pour le bien comme des obligations offertes à Dieu et un moyen de bénéficier des prières du Prophète. N’est-ce pas une offrande qui leur sera comptée ? Dieu les fera bientôt entrer dans sa miséricorde. Dieu est celui qui pardonne, il est miséricordieux » (9/99).
— Ceux dont la foi n’était qu’apparente : « Plusieurs Bédouins considèrent leurs dépenses pour le bien comme une charge onéreuse ; ils guettent vos revers. Que le malheur retombe sur eux ! – Dieu est celui qui entend et qui sait » (9/98).
— Ceux enfin qui s’opposaient ouvertement à l’Islam, traitant l’Envoyé de Dieu de menteur.
Les membres du second groupe juraient leur attachement à l’Islam comme si leur conversion était un service rendu au Prophète : « Les Bédouins te rappellent leur soumission comme si c’était, de leur part, une faveur. Dis : ne me rappelez pas votre soumission comme une faveur : bien au contraire, c’est Dieu qui vous a accordé la grâce d’être dirigés vers la foi, si vous êtes sincères » (49/17). Ils répugnaient à s’engager dans la lutte au nom de Dieu. À la veille des hostilités, ils se présentaient au Prophète et justifiaient leur non-participation en avançant des excuses fallacieuses : « Ceux des Bédouins qui allèguent des excuses sont venus demander d’être dispensés du combat » (9/ 90).
Ces Bédouins étaient des opportunistes. Ils n’envisageaient, dans leur conversion, que l’aspect politique. Ils attachaient peu d’importance au Prophète et à la croyance en un Dieu unique. Aussi n’hésitaient-ils pas à invoquer des prétextes qui les éloignaient du champ de bataille chaque fois que leurs propres intérêts n’étaient pas en jeu. Ils expliquaient leur défection par de prétendus devoirs familiaux et par la nécessité de s’occuper de leurs affaires qui avaient besoin de fructifier en cette période de l’année : « Ceux des Bédouins qui sont restés en arrière te diront : nos richesses et nos familles nous ont accaparés ; demande pardon pour nous ! Ils prononcent avec leurs langues ce qui n’est pas dans leurs œuvres » (48/11)
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Ce dernier verset fait allusion à un cas précis. Des tribus bédouines des environs de Médine avaient signé un pacte d’entraide mutuelle avec le Prophète. Ils s’étaient engagés à accomplir le pèlerinage de la Mecque aux côtés des autres musulmans. Ils avaient ensuite jugé plus prudent de ne pas entreprendre ce déplacement, craignant qu’un conflit n’éclatât entre les croyants et les païens.
Le Coran fustige leur attitude ambiguë : « Il n’appartient pas aux habitants de Médine ni à ceux des Bédouins qui sont autour d’eux de rester en arrière du Prophète de Dieu ni de préférer leur propre vie à la sienne » (9/120).
Ces Bédouins s’étaient certes soumis, mais la foi n’avait point pénétré leurs cœurs : « Les Bédouins disent : « nous croyons ! » Dis : « vous ne croyez pas, mais dites plutôt : « Nous nous soumettons… La foi n’est pas entrée dans votre cœur ! Si vous obéissez à Dieu et à son Prophète, Dieu ne vous fera rien perdre de vos bonnes actions – Dieu est celui qui pardonne, il est miséricordieux » (49/14).
Quant au troisième groupe, ses membres restaient bien sûr indifférents au déroulement des événements, car ils n’y voyaient aucun avantage immédiat. Ces Bédouins ne prenaient même pas la peine de se déplacer à Médine pour expliquer leur refus à s’intégrer dans l’armée du Prophète : « Ceux qui ont accusé de mensonge Dieu et son Prophète sont restés chez eux » (9/90).
La réticence des Bédouins aux combats est souvent citée dans le Coran, réticence qui se manifestait chaque fois qu’ils constataient que de leur participation ils ne tiraient aucun profit matériel. Leur répugnance à mettre leur vie en danger était encore plus grande dès qu’il s’agissait d’affronter les forces égales ou supérieures aux leurs.
Le livre saint fait allusion à ces guerres que l’Islam projetait de lancer, au lendemain de la conquête de la Mecque, contre des tribus puissantes par leur nombre et leur expérience militaire qu’étaient les tribus des Haouazine, les Ghatafân et des Thaqif. Les Bédouins apparemment islamisés n’éprouvaient aucun enthousiasme à s’attaquer à des hommes aguerris qui, à la veille des hostilités, campaient autour de Honeïn et de Ta'if : « Dis à ceux des Bédouins qui sont restés en arrière : vous serez bientôt appelés à combattre contre un peuple doué d’une force redoutable. Vous les combattrez, ou bien ils se soumettront à Dieu. Si vous obéissez, Dieu vous donnera une belle récompense. Si vous tournez le dos – comme vous l’avez fait auparavant – il vous punira par un douloureux châtiment » (S. 48/16).
Ces mises en garde se justifiaient à cause de ces tribus bédouines qui avaient maintes fois fait montre de trahison et avaient joué le double jeu. D’une façon générale, le Coran se montre d’une très grande sévérité à l’égard des Bédouins. Ceux-ci se distinguaient par la violence verbale, l’orgueil déplacé, les manières frustes, le refus de toute discipline, réfractaires à tout ordre social et religieux. En matière religieuse, ils étaient hypocrites car au fond d’eux-mêmes, ils ne croyaient pas entre autres à la Résurrection, au Jugement dernier : « Les Bédouins sont les plus violents en fait d’incrédulité et d’hypocrisie et les plus enclins à méconnaître les lois contenues dans le Livre que Dieu a fait descendre sur son Prophète – Dieu sait et il est juste » (9/98).
Les Bédouins étaient en outre allergiques au paiement des impôts. C’était certainement la raison fondamentale de leur hostilité à l’Islam. Ils considéraient que ce prélèvement sur les fortunes était une dépense grevant inutilement leurs biens. Orgueilleux, convaincus de la justesse de leurs convictions, ils ne manquaient pas de souhaiter la défaite des musulmans, défaite qui, selon leur opinion, justifierait leur comportement : « Plusieurs Bédouins considèrent leurs dépenses pour le bien comme une charge onéreuse ; ils guettent vos revers. Que le malheur retombe sur eux ! Dieu est celui qui entend et qui sait » (9/ 98).
Cette imposition sur les richesses les rendait méfiants à l’égard de la nouvelle religion. Cependant, ils ne perdaient pas de vue leurs intérêts. Aussi acceptaient-ils de combattre dans le sentier de Dieu dans la mesure où ils trouvaient dans ces batailles un profit matériel appréciable. Cet appât du gain les conduisait à afficher publiquement leur foi d’un côté et à la renier intérieurement d’un autre côté. Le Coran les classait parmi le groupe des hypocrites qui cachaient leur incrédulité et trompaient de la sorte le Prophète : « Parmi les Bédouins qui vous entourent et parmi les habitants de Médine, il y a des hypocrites obstinés. Tu ne les connais pas, nous allons les châtier deux fois, puis ils seront livrés à un terrible châtiment » (9/101).
L’hypocrisie et l’opportunisme des Bédouins se dévoilèrent à la mort du Prophète. Ce fut pour eux l’occasion de clamer ouvertement leur incrédulité. Ils passèrent aux actes en refusant de payer la Zakât.
Note de Pierre de La Crau. Ce fut ce que les communicants de l’Islam appelèrent la guerre de l’apostasie. Mais en réalité il n’y eut pas apostasie, car ces tribus étaient de fait et au fond d’elles-mêmes restées païennes, voire plus ou moins chrétiennes.
Il est bien évidemment très difficile de déterminer le degré de pénétration du christianisme dans chaque tribu arabe au début de l’Islam. En recoupant tous les renseignements éparpillés que nous possédons, on pourrait dire que dans le nord de l’Arabie, les Kalbites et les Banou Joudham étaient
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en majorité chrétiens, les Tayyi ne l’étaient qu’en partie. Dans l’Arabie centrale, les habitants de la Yamama et les Banou Hanifa subissaient l’influence chrétienne et, dans une moindre mesure, les Tamim et les Abd’al-Qays. Les gens du Bahreïn et d’Oman avaient des églises florissantes, ainsi que dans le sud arabique les tribus Banou AI-Harith et Kindah. Sans oublier les habitants de l’île de Socotra (une expédition navale française en rencontrera encore en 1737).
Dès que la mort de Mahomet fut connue, ils se sentirent donc déliés des accords qu’ils avaient conclus avec lui. Ce soulèvement fut impitoyablement réprimé par le premier calife, Abou Bakr.
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LES RELIGIONS DE LA DJAHILIYA.
Le propos de ce chapitre n’est pas de faire une encyclopédie des religions du monde entier avant l’avènement de l’islam, mais d’introduire notre étude de l’islam par quelques mots des religions AYANT PU INFLUENCER D’UNE FAÇON OU D’UNE AUTRE L’ISLAM NAISSANT. Ce qui nous limite donc géographiquement aux Proche et Moyen-Orient (péninsule arabe Jordanie Syrie Irak Iran). Et chronologiquement à l’Antiquité la plus haute ou la plus tardive autrement dit de – 3000 à + 600.
La notion ou le nom d’Allah (la divinité) était présent un peu partout, et de façon presque anonyme. Il s’agissait du dieu que l’on espérait fléchir sans trop savoir son identité, ou du divin en général. La hiérarchie existant dans le panthéon est nettement perceptible dans les rites. Chaque tribu avait son ou ses propre (s) dieu (x), mais admettait que les dieux des autres tribus existaient aussi (cas des premiers Hébreux).
Ainsi que nous le verrons, Mahomet lui-même restera sans doute lui aussi très longtemps hénothéiste, en admettant implicitement l’existence des autres dieux, et en se faisant seulement le champion ou le héraut du dieu de la Kaaba, au détriment des autres puissances divines. Lors d’une célèbre altercation avec Abou Soufiane, il vante seulement la puissance d’Allah par rapport à celle d’Hobal. Autrement dit donc, il reconnaît l’existence de ce dernier…
Le dogme musulman actuel rejette l’idée d’un système religieux fondé sur la prééminence d’une puissance divine par rapport aux autres, mais qui ne les ferait pas disparaître pour autant (une tolérance d’essence divine, en quelque sorte).
C’est pourtant ce que nos sources indiquent de la situation religieuse dans toute l’Arabie antique, de Palmyre au Yémen. Une telle conception du divin que l’on appelle hénothéisme est donc et a donc été, possible. Autrefois, et durant des siècles, une quantité innombrable de puissances divines a été vénérée en Arabie, sans provoquer aucun trouble, sans générer aucune catastrophe, tant pour l’Arabie que pour les régions voisines. Elles n’exhortaient pas à la guerre, et aucune tête ne fut jamais tranchée en leurs noms, ou par les soins de leurs sectateurs. C’est l’Arabie centrale, celle des étendues désertiques, qui a surtout suscité une telle foule. Les Bédouins, confrontés à la solitude et à l’immensité, avaient besoin de peupler leur monde quotidien. Les 360 statues qui s’entassaient autour de la Kaaba mecquoise donnent une petite idée de la taille de ce panthéon méconnu. Mais c’est au Nord et au Sud, au sein de sociétés arabes plus organisées ou matériellement plus avancées, que ce monde des dieux nous a laissé des traces de son exubérance ; les dieux urbains de Palmyre et Pétra, les sanctuaires monumentaux de Saba et d’Himyar. Cet hénothéisme religieux a structuré la vie des êtres humains durant des siècles, et leur a donné par conséquent espoir et moral, jusqu’à la destruction radicale opérée par Mahomet.
Les sources documentaires permettant de reconstituer des pans tout entiers du panthéon arabe sont à la fois nombreuses et variées, mais négligées.
Il y a d’abord les sanctuaires, de mieux en mieux connus, et qui font apparaître que la célèbre Kaaba mecquoise n’était pas un cas isolé, qu’il existait de nombreux autres lieux sacrés de ce type. Il est inutile d’ajouter que ces recherches sont particulièrement délicates à mener, car les autorités les surveillent avec une suspicion redoublée : pour le cas où l’on découvrirait un jour une idole appelée Dieu…
Il y a ensuite les inscriptions. Des graffitis sur les rochers, rédigés par les mains maladroites des pasteurs, aux immenses textes sudarabiques, à l’alphabet si spectaculaire. Sans oublier le Coran.
Il y a enfin les textes musulmans eux-mêmes, qui s’aventurent à mentionner, au détour de leur travail d’érudition, les dieux du paganisme, pour les dénigrer, pour en ridiculiser les cultes, pour en mépriser les fidèles. Mais cette littérature d’essence polémique a paradoxalement permis la survie des dieux dans les mémoires et dans la science. Il n’est pas exclu que les auteurs (et leurs publics) n’aient pas ressenti une inavouable attirance envers ces divinités disparues, qu’on leur avait enlevées. C’est notamment le cas d’Ibn Al Kalbi, dont l’œuvre capitale intitulée le « Kitab al-Asnam » n’a été redécouverte qu’au milieu du XXe siècle.
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam Introduction 5.
Parmi ces pratiques de dévotion il y avait [……] la vénération de la Maison et sa circumambulation, le pèlerinage, le grand pèlerinage ou le petit (al-omra), la veillée (al-wouqoul) sur Arafa et [al-] Mouzdalifa pour y sacrifier des chamelles, y célébrer le nom du divin éternel (tahlil) et le pèlerinage, en y introduisant…… chaque fois que les Nizar récitaient le tahlil, ils disaient par exemple :
« Nous sommes ici, Seigneur, nous voici, nous voici !
Tu n’as pas d’autre associé que celui qui t’appartient
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Tu règnes sur lui et sur ce qu’il possède. »
Ils proclamaient ainsi son unité par le truchement de la talbiyah et, en même temps, lui associaient leurs dieux, en remettant leurs affaires entre ses mains […] En d’autres termes ils ne proclamaient pas son unité (en reconnaissant ses droits légitimes), sans lui associer certaines de ses propres créatures.
La talbiyah des Akk, chaque fois qu’ils partaient en pèlerinage, était la suivante : ils plaçaient à la tête de la caravane deux de leurs esclaves noirs qui dirigeaient la procession en criant : « Nous sommes les deux corbeaux des Akk ! »
Là-dessus, les Akk répondaient : « Les Akk se prosternent devant toi, nous sommes tes serviteurs yéménites [venus] pour effectuer un autre pèlerinage ».
Chaque fois que les Rahi'ah accomplissaient le pèlerinage, observaient les rites sacrés et les cérémonies, et exécutaient les veillées aux endroits désignés, ils avaient l’habitude de repartir avec le premier groupe ayant fini et n’attendaient pas l’Al Tashriq.
Le premier à [……] à mettre en place des images pour le culte, instituer les pratiques de la sa'iba, de la ouasila, de la baïra, de la hamiyah, fut […] le père de la tribu Khouz'ah. Etc. Etc.…
Le système arabe antique est donc aussi clairement polythéiste : une multitude de puissances entourent et assistent l’être humain dans sa vie quotidienne et dans les grands moments de son existence. Les sources musulmanes, dont le Coran lui-même, en portent d’ailleurs la trace indélébile. Coran chapitre 43, verset 15. Ils considèrent les serviteurs de Dieu comme une parcelle de Dieu. L’Homme est vraiment un ingrat.
La lune était la divinité principale de presque tous les royaumes de l’Arabie du Sud antiques, et les cornes du bouquetin de type ibex oualia la symbolisaient. On appréciait en effet tout particulièrement dans cette région la lumière douce et reposante de la lune, par rapport à celle du soleil, aveuglante, et à la chaleur étouffante du jour. Contrairement à beaucoup des religions, mais à l’instar des Germains, le dieu-lune était mâle – le mot arabe pour désigner la lune (kalmar) est du genre masculin – et le dieu-soleil ou ses substituts, féminin (slama). La lune était donc un dieu et le soleil une déesse. La lune étant plus importante pour les nomades, et le soleil plus important pour les sédentaires. « La première inscription préislamique découverte dans la province du Dhofar sur une plaque de bronze, déchiffrée par le docteur Albert Jamme, date des environs du second siècle avant notre ère ; et nous a livré le nom du dieu-lune dans l’Hadramaout, Sin, ainsi que le nom d’une cité aujourd’hui disparue depuis longtemps… Soumhouram (Qataban et Sheba, Wendell Phillips, 1955, p. 227).
En plus du soleil et de la lune, les Arabes vénéraient les planètes Vénus (Al-Zouhara), Saturne, Mercure, et Jupiter, les étoiles Sirius et Canopée, ainsi que les constellations d’Orion, de la Grande et de la Petite Ourse, et les sept pléiades. Le soleil, la lune, et les cinq planètes avaient été assimilés à des êtres vivants, des dieux ou des déesses, dotés chacun de qualités spécifiques. Certaines étoiles ou planètes étaient dotées de caractères très anthropomorphes. À en croire les légendes de ce temps-là par exemple, Aldébaran, une des étoiles du groupe des Hyades, serait un jour tombé amoureux d’AI-Thouraya, la plus séduisante étoile des Pléiades, et avec l’accord de la lune, aurait demandé sa main. Ce qui ne manque pas de poésie.
L’interpretatio graeca des dieux arabes. Hérodote III, 8.
Dionysos est, avec la divine Aphrodite, la seule divinité qu’ils reconnaissent, et ils se coupent les cheveux, disent-ils, à la manière de Dionysos lui-même. Ils ont les cheveux coupés en rond et les tempes rasées. Dionysos s’appelle chez eux Orotalt, et Ourania, Alilat.
Arrien, Anabase, 7, 20, 1.
Il existe une histoire très connue d’après laquelle Alexandre avait entendu que les tribus des Arabes ne vénéraient que deux dieux, Ouranos et Dionysos. Ouranos, parce qu’ils descendaient de lui, et parce qu’il contenait en lui toutes les étoiles et le soleil en particulier, dont les meilleurs avantages et les plus évidents, arrivent de toutes les directions vers les hommes. Dionysos, à cause de son voyage en Inde.
On a souvent cru que les dieux arabes étaient tous le résultat d’une divinisation des astres plus ou moins poussée. C’est une vue excessive ; mais la place des étoiles dans ce panthéon est néanmoins effectivement remarquable.
Jean de Damas, les Hérésies, 99.
Ils vouaient un culte à l’étoile du matin et Aphrodite que dans leur langue ils appellent Khabar, ce qui signifie grand et se prosternent devant.
Jérôme, Vie de saint Hilarion 25.
Il arriva dans Elusa le jour où les gens se réunissent à l’occasion d’une fête du temple de Vénus. Cette déesse, les Sarrasins l’honorent comme l’étoile du matin, à qui est voué le culte de toutes les tribus.
La preuve ultime réside dans le Coran, où se succèdent dans les premiers chapitres par ordre chronologique, de nombreuses invocations astrales. Surtout dans les courts chapitres du début de la
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prédication. Il est en effet remarquable que Mahomet a eu recours à ce caractère très particulier des religions arabes, pour s’adresser à sa divinité.
Chapitre 91 versets 1-6.
Par le soleil et sa clarté !
Par la lune quand elle le suit !
Par le jour quand il éclaire la terre !
Par la nuit quand elle l’enveloppe !
Par le ciel et celui qui l’a édifié !
Par la terre et celui qui l’a étendue !
Note de la rédaction. Cela ressemble un peu à la formule de serment druidique (page 135 Françoise Le Roux et Christian-J. Guyonvarc’h).
Chapitre 37 versets 6-7.
Nous avons décoré le ciel le plus proche d’un ornement, les étoiles, afin de le protéger contre les démons.
Chapitre 53, verset 1.
Par l’étoile quand elle disparaît !
Chapitre 81 versets 15-18.
Je jure par les planètes,
Les étoiles qui apparaissent et disparaissent,
Par la nuit quand elle s’étend !
Par l’aube quand s’exhale son souffle !
Chapitre 85, verset 1.
Par le ciel orné de constellations.
Chapitre 86, verset 1.
Par le ciel et l’étoile du matin.
Et enfin les bien mystérieux :
RABB ASH SHIRA.
Chapitre 53, verset 49.
Celui qui est le seigneur de Sirius.
Et
RABB al FALAQI.
Chapitre 113 versets 1-5.
Je cherche la protection du seigneur de l’aube contre le mal qu’il a créé, contre le mal de l’obscurité lorsqu’elle s’étend ; contre le mal des sorcières ? et contre le mal de l’envieux qui envie.
Ce seigneur de l’aube (rabb al falaqi) est une divinité de type astral, récupérée par Mahomet. Sa présence dans un chapitre coranique très primitif et à fonction magique milite donc en faveur de l’existence, dans la tête des contemporains de Mahomet du moins, de cette divinité.
L’Homme pouvait aussi entrer en contact avec le divin par l’intermédiaire de puits, d’arbres, de grottes, de sources, et d’autres lieux de ce genre habités par des esprits.
« Ar baí cretim in óenDé oc Cormac. ar ro ráidseom na aidérad clocha ná crunnu acht no adérad intí dosroni & ropo chomsid ar cul na uli dúla » (Senchas na relec inso).
« Cormac croyait en un seul dieu. Il disait qu’il n’adorait ni les pierres ni les arbres, mais qu’il adorait seulement celui qui les avait faits et qui est le protecteur de tous les éléments » (Histoire des lieux d’inhumation).
Le culte des arbres est bien compréhensible dans un milieu désertique, la présence d’un arbre y étant toujours considérée comme la preuve d’un quasi-miracle. La piété populaire considère d’ailleurs l’arbre comme la demeure par excellence des saints, et elle suit en cela une très ancienne tradition orientale, celle de l’Arbre de Vie. On y attache encore des rubans d’étoffe en guise d’ex-voto.
Ibn Hichaq, la vie de Mahomet, traduction Alfred Guillaume, page 568.
Les païens Couraïchites et les autres Arabes possédaient un grand arbre vert appelé Dhat Anouat dont ils se servaient chaque année en y accrochant leurs armes, en sacrifiant à côté, et en se vouant à lui pour toute une journée.
Dhat Anouat est le nom de l’arbre consacré à la déesse al Ouzza, support de nombreux ex-voto : c’est « Celui qui supporte les corbeilles ». Mais en Arabie du Sud, il existe carrément une déesse du même nom.
Tabari, Histoire, tome 5, page 198.
À cette époque, les habitants de Nedjran suivaient la religion des Arabes, en adorant un grand palmier. Chaque année, il y avait une fête, durant laquelle ils accrochaient à cet arbre toutes les décorations qu’ils pouvaient trouver, ainsi que des bijoux de femme. Ensuite, ils se mettaient à vénérer l’arbre toute la journée.
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Mahomet se révélera d’ailleurs très sensible à la puissance surnaturelle de certains arbres, soit pour la récupérer, soit pour la détruire.
Un des plus célèbres de ces arbres sacrés dotés de pouvoirs mystérieux est l’Arbre d’Houdeïbiya, connu grâce à un épisode de la conquête de La Mecque, en 628. Mahomet fera en effet halte à cet endroit et reprendra à son compte les rites jadis accomplis en ce lieu, pour bénéficier de son pouvoir magique.
Coran chapitre 48, verset 18.
Dieu fut satisfait des Croyants quand ils te prêtèrent serment d’allégeance, sous l’arbre… Il a fait descendre sur eux sa puissance divine et les a gratifiés d’une prompte victoire.
La puissance divine en question est appelée shakina en arabe, shekinah en hébreu. Les images associées à la Shekina sont la lumière, la Gloire divine, la manifestation de Dieu. Les Rabbins définissent la Sakina [autre orthographe de ce mot qui en possède de nombreuses] comme étant la « gloire de Dieu » ou « l’Esprit de Dieu ». Dans la bible en latin shekinah est traduit par : Gloria in excelsis Deo [gloire à Dieu au plus haut] pour désigner la présence divine en l’homme et in terra Pax hominibus bonae voluntatis [paix sur la Terre aux hommes de bonne volonté] pour désigner la présence de Dieu [sa gloire] dans le monde, entendu comme création. C’est donc un état mystique.
Ibn Sad, Tabaqat.
Les Thaqif demandèrent à l’apôtre de Dieu, Dieu le bénit, de déclarer « haram » (lieu sacré inviolable) la vallée de Ouadj. Il leur répondit aussitôt. Ceci est une lettre de Mahomet, l’apôtre de Dieu, aux croyants.
Ni les bois de la vallée d’Ouadj, ni les arbustes qui poussent en ce lieu ne devront être abattus. Leur gibier ne devra pas être tué. Si quelqu’un passe outre, il devra être arrêté et présenté au prophète. Ordre du prophète Mahomet, apôtre de Dieu.
Par contre, ce dernier a fait abattre l’arbre de Nakhla qui était consacré à la déesse Al Ouzza.
Ibn Kalbi 21.
L’année de la victoire, le prophète convoqua Khaled ibn al Oualid et lui ordonna : Rends-toi dans la vallée de Nakhla auprès de l’arbre et abats-le.
Khaled y alla, saisit Doubaïya, prêtre d’al Ouzza, et le tua.
N’oublions pas enfin le fameux zaqqoum, ultime trace d’un arbre plus ou moins magique, et dont le souvenir nous a été conservé par la topographie infernale du Coran.
Chapitre 37, verset 62.
N’est-ce pas un meilleur lieu de séjour que le zaqqoum ? C’est un arbre qui sort du fond de la Fournaise, ses fruits sont semblables à des têtes de démons.
Chapitre 44, verset 43.
Le fruit du zaqqoum est la nourriture du pécheur.
Chapitre 56, verset 52.
Vous mangerez des fruits du zaqqoum ; vous vous en emplirez le ventre.
La litholâtrie ou culte des pierres. Dans tout le Moyen-Orient antique, la manifestation privilégiée du sacré réside dans les pierres ou rochers, d’apparence ou d’origine extraordinaire, comme les météorites : les bétyles, « maisons du dieu », ou plus souvent ansab, en arabe. Dans les textes les plus anciens de cet immense corpus, on peut repérer des survivances de ce culte, attesté aussi chez les Hébreux. De nombreux historiens rapportent que ces pierres étaient rectangulaires ou plus ou moins anthropomorphes. Elles n’étaient pas adorées pour elles-mêmes comme le voudrait la définition classique de l’idolâtrie depuis le triomphe du judéo-christianisme, mais en tant que demeure d’un être personnel (dieu ou esprit) ou impersonnel (une force, un pouvoir). Note de la rédaction : un peu comme chez les Celtes par conséquent !
« Ar baí cretim in óenDé oc Cormac. ar ro ráidseom na aidérad clocha ná crunnu acht no adérad intí dosroni & ropo chomsid ar cul na uli dúla » (Senchas na relec inso).
« Cormac croyait en un seul dieu. Il disait qu’il n’adorait ni les pierres ni les arbres, mais qu’il adorait seulement celui qui les avait faits et qui est le protecteur de tous les éléments » (Histoire des lieux d’inhumation).
Ces pierres étaient considérées comme des manifestations ou des symboles (chargés de force) de la divinité. La Pierre blanche symbolisait la divinité originelle et la pierre noire représentait son fils. Il s’agissait vraisemblablement d’une roche basaltique – et non pas une météorite comme on le lit souvent – ainsi qu’il s’en trouve en abondance dans cette région de volcanisme éteint. La couleur de ces pierres noires les différencie très nettement de l’environnement désertique, et elles ont toujours été très recherchées par les habitants de ces contrées arides qui leur attribuent des propriétés miraculeuses.
Juges 6, 21-22.
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L’ange de Dieu lui dit : « Prends la viande et les pains sans levain, pose-les sur ce rocher et verse le jus par-dessus. » C’est ce que fit Gédéon.
L’ange de l’Éternel avança le bâton qu’il avait à la main et en toucha la viande et les pains sans levain. Alors un feu s’éleva du rocher, un feu qui brûla la viande et les pains sans levain. Puis l’ange de l’Éternel disparut de la vue de Gédéon.
Genèse 35,14.
Et Dieu s’éleva au-dessus de lui, à l’endroit où il lui avait parlé. Jacob érigea un menhir là où il lui avait parlé, une stèle de pierre, sur laquelle il fit une libation et versa de l’huile. Jacob appela Béthel le lieu où Dieu lui avait ainsi parlé.
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam. Al Ouzza 28.
Ceux qui ne pouvaient faire construire de temple ni ériger de statue, dressaient simplement une pierre devant le temple ou à tout autre endroit de leur choix, et accomplissaient autour d’elle une procession rituelle, comme autour du temple. Ces pierres étaient appelées bétyles (ansab). S’il s’agissait de formes humaines, on les appelait al asnam, sinon, c’étaient des aoutan. Les processions rituelles que l’on exécutait autour d’elles s’appelaient daouar.
Si quelqu’un, au cours d’un voyage, faisait halte quelque part, il ramassait quatre pierres et en choisissait la plus belle pour représenter le dieu auquel adresser ses prières ; les trois autres servaient de trépied à sa marmite. À son départ, il abandonnait la pierre et il agissait de même lors d’une autre halte.
Les Arabes avaient l’habitude de sacrifier ou faire des offrandes devant ces statues bétyles ou pierres.
La pierre noire d’Émèse. Il s’agit de l’actuelle ville d’Homs en Syrie (Hérodien, Histoire de l’Empire romain, livre V, Héliogabale).
Tel est le dieu que vénère la population locale et qui s’appelle en phénicien Elagabal. On avait construit en son honneur un très grand temple orné d’une grande quantité d’or et d’argent et d’un très grand luxe de pierres précieuses. Ce dieu ne reçoit pas seulement un culte des gens du pays. Tous les satrapes et les rois barbares du voisinage rivalisent entre eux pour lui envoyer, chaque année, de magnifiques offrandes. Quant à sa statue cultuelle, elle n’est pas, comme chez les Grecs ou les Romains, sculptée de main d’homme, et ne vise nullement à représenter la divinité. C’est une très grande pierre, circulaire en bas et pointue à l’extrémité supérieure, de forme conique et noire. Les gens du pays en parlent solennellement comme d’une statue tombée du ciel, ils en montrent certaines petites proéminences ou incisions, et veulent que l’on voie en elle l’image inachevée du soleil, parce que dans ce sanctuaire, ils la regardent effectivement ainsi.
L’actuelle « Pierre noire » de La Mecque est le témoin résiduel de cette litholâtrie, particulièrement développée chez les Arabes. Elle a donné naissance à de nombreuses légendes – toutes ignorées du Coran – comme celle qui voit en elle à l’origine une pierre blanche descendue du ciel, mais que les péchés des hommes auraient noircie. Ce culte de la pierre noire n’est pas sans rappeler les aérolithes noirs liés aux cultes du dieu Élagabal ci-dessus mentionné ou de la déesse Cybèle à Pessinonte.
Il existe dans les faits toute une gamme entre le bétyle naturel et la statue anthropomorphe. Une de nos sources mentionne même la présence dans la Kaaba d’une représentation des trois grues, ce qui nous étonne quand même beaucoup (le trigaranos des Galates d’Asie Mineure jusque-là et en plein sixième siècle ? ?).
Techniquement parlant, la Kaaba n’est que le cadre où est enchâssée la « Pierre noire » ; c’est une masse presque cubique de 15 m de haut, avec deux murs de 12 m et deux autres de 10 m, maintes fois reconstruite. Cette pierre noire enchâssée dans les murs du temple immédiatement à gauche de la porte, suscitait diverses craintes plus ou moins superstitieuses et était tenue pour éminemment sacrée. Lui donner un baiser demeure toujours, comme au temps du paganisme arabe, un rite essentiel du pèlerinage dans cette ville.
Faire de cette pierre noire un autel érigé par Abraham et son fils Ismaël est par contre scientifiquement (historiquement) parlant, insoutenable.
Cet acharnement digne de la pire des méthodes Coué à vouloir à tout prix être reconnu comme un héritier légitime et direct de la religion juive et d’Abraham ; alors qu’il est évident que seuls certains détails du vernis islamique le sont, et que le fond est païen (la notion d’homme-dieu dans le christianisme, le rôle de la Kaaba dans l’Islam, etc.) EST PITOYABLE. C’est à la fois la manifestation hors du temps d’un incroyable racisme envers les autres religions doublé d’un TOUT aussi incroyable complexe d’infériorité. Sans parler d’une ignorance crasse de la science historique et des découvertes de l’archéologie (le début de la Bible jusqu’à l’épisode de la tour de Babel est emprunté aux mythes sumériens, Abraham est une légende, Moïse n’a pas existé, l’esclavage en Égypte non plus, etc.).
Soulignons que dans l’angle opposé à celui de la pierre noire il existe une autre pierre, rougeâtre, dite la « pierre heureuse. Contrairement à la « Pierre noire » qui est touchée et baisée par les pèlerins, cette pierre n’est que touchée.
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La pierre noire de la Kaaba vue par un chrétien.
Jean de Damas, Hérésies, 101.
Ils nous accusent d’idolâtrie parce que nous nous prosternons devant la croix qu’ils ont en horreur. Nous leur disons alors.
— Pourquoi donc vous frottez-vous à cette pierre dans votre Kaaba, et l’aimez-vous au point de l’embrasser ?
Certains d’entre eux disent que c’est sur elle qu’Abraham s’est uni à Agar, d’autres qu’il y a attaché sa chamelle au moment de sacrifier Isaac.
Nous leur répondons :
— Il y avait là, selon l’Écriture, une montagne buissonneuse et des arbres ; Abraham en coupa pour l’holocauste et en chargea Isaac, puis il laissa les ânes en arrière avec les serviteurs. Or à cet endroit il n’y a pas de bois provenant d’une forêt, et les ânes n’y passent pas. Pourquoi donc de telles stupidités ?
Ils éprouvent alors de la honte ; et disent que c’est quand même la pierre d’Abraham.
Ensuite nous disons :
— Admettons qu’elle soit d’Abraham, comme vous l’affirmez stupidement ! Vous n’avez pas honte de l’embrasser uniquement parce qu’Abraham s’est uni sur elle à une femme, ou parce qu’il y a aussi attaché sa chamelle ? Et vous nous blâmez parce que nous nous prosternons devant la croix du Christ qui a ruiné la puissance des démons et les séductions du diable !
La pierre dont on parle est la tête de cette Aphrodite qu’ils adoraient et qu’ils appelaient Khabar. De nos jours encore et pour les observateurs attentifs les traces de la sculpture sont visibles sur les observateurs attentifs.
Comme il a été dit, ce Mahomet a écrit de nombreux livres ridicules, auxquels il a donné un titre. Par exemple, il y a la sourate, etc.
Ibn Battouta. Voyages. Chapitre IV La Mecque.
La Pierre noire est placée à six empans * au-dessus du sol. Le pèlerin de haute taille doit se courber pour la baiser et celui qui est petit doit allonger le cou. Elle est encastrée dans l’angle est, et a deux tiers d’empan de large et un empan de long. Mais on ignore de combien elle est enfoncée dans le mur. Elle est en quatre morceaux recollés ensemble, car on dit que les Qarmates ** (que Dieu les maudisse !) l’ont brisée.
La Pierre est enserrée dans une plaque d’argent dont la blancheur souligne le noir de la pierre. Quand on la regarde, on est ébloui par sa splendeur, à l’instar d’un marié qui voit sa femme pour première fois. Le pèlerin qui baise la pierre éprouve une sensation délicieuse qui lui fait souhaiter de ne pas en détacher ses lèvres. C’est là une des particularités inhérentes et la sollicitude divine. Dans la partie intacte de la Pierre noire à droite de celui qui lui donne un baiser se trouve un petit point blanc brillant comme un grain de beauté sur cette face resplendissante. On peut voir les pèlerins, lorsqu’ils accomplissent leurs tours de la Kaaba, s’écrouler les uns sur les autres pour baiser cette pierre, tant l’affluence est grande. D’ailleurs, il est rare que l’on puisse accomplir ce rite sans être bien bousculé. Il en est de même pour entrer dans la noble maison. Les tournées rituelles débutent à partir de la Pierre noire située dans le premier angle que rencontre le pèlerin qui accomplit ses circumambulations. Après avoir baisé la Pierre, il recule un peu, la Kaaba étant à sa gauche, puis il tourne, l’angle irakien au nord, l’angle syrien à l’ouest, l’angle yéménite au sud, et revient enfin à l’est de la pierre noire.
Devant la litholâtrie ou l’idolâtrie obscène de ce rite, Omar lui-même a commencé par avoir un mouvement de recul ou d’hésitation.
Sahih de Boukhari, Tome 2, livre 26, Hadith 679.
« J’ai vu Omar ben Al-Khattab embrasser la pierre noire et il a dit : si je n’avais pas vu l’apôtre de Dieu t’embrasser (pierre), je ne l’aurais pas fait ».
Jami d’at-Tirmizi, Tome 2, livre 4, Hadith 860.
« J’ai vu Omar ben Al-Khattab embrasser la Pierre noire et lui dire : je t’embrasse, mais je sais que tu n’es qu’une pierre, et si je n’avais pas vu le Messager de Dieu t’embrasser avant, je ne le ferais pas ».
Sounan d’Ibn Madjah, tome 4, livre 25, Hadith 2943.
« J’ai vu le front chauve d’Omar ben Khattab quand il a embrassé la Pierre noire et il a dit: « Je t’embrasse, bien que je sache que tu n’es qu’une pierre et que tu ne peux ni faire de mal ni apporter de bienfaits. Si je n’avais pas vu le Messager de Dieu t’embrasser, je ne l’aurais pas fait ».
Mais « Ar baí cretim in óenDé oc Cormac. ar ro ráidseom na aidérad clocha ná crunnu acht no adérad intí dosroni & ropo chomsid ar cul na uli dúla » (Senchas na relec inso).
« Cormac croyait en un seul dieu. Il disait qu’il n’adorait ni les pierres ni les arbres, mais qu’il adorait seulement celui qui les avait faits et qui est le protecteur de tous les éléments » (Histoire des lieux d’inhumation).
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Comme dans le cas des autres religions antiques, le culte païen traditionnel consistait à honorer des objets à forme humaine, qui représentaient ou évoquaient les dieux ou déesses, et recelaient une partie de leur puissance. Mais la rhétorique musulmane contre elles reprend des thèmes juifs et chrétiens. Les statues sont dans le Coran ni plus ni moins qu’une « souillure », on souligne leur inutilité, leur inefficacité ou leur origine strictement humaine ; ce qui démontre d’ailleurs toute l’ampleur du malentendu à leur sujet car, répétons-le encore une fois ; les statues ne sont pas la divinité elle-même, mais une représentation ou un symbole de la divinité, recelant une partie de sa force (appelée mana en Polynésie).
* L’empan est une ancienne unité de longueur. Elle a comme base la largeur d’une main ouverte, du bout du pouce jusqu’au bout du petit doigt, soit environ 20 cm.
**Les Qarmates sont des chiites ismaéliens qui furent actifs surtout au Xe siècle en Irak, en Syrie, en Palestine et dans la région de Bahreïn, où ils fondèrent un État (903-1077) aux prétentions égalitaires. En 890, ils volèrent la pierre noire.
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LE PANTHÉON.
Les païens de La Mecque appelaient leur religion Din al-Aba’i ou « La foi de nos pères ».
Le propos de ce chapitre n’est pas de faire une étude exhaustive du ou des panthéons des pays de langue sémitique de la fin de l’Antiquité tardive (Yémen, Irak, Syrie Jordanie) avant l’avènement de l’islam, mais d’introduire notre étude de l’islam par quelques mots des cultes religions panthéons ou rites AYANT PU INFLUENCER D’UNE FAÇON OU D’UNE AUTRE L’ISLAM NAISSANT. Notre panthéon sera donc limité à quelques noms sans plus. Nous ne dirons donc rien des innombrables dieux ou démons des divers panthéons de la région, Pétra, Palmyre, malgré leur immense intérêt (rien de ce qui est humain ne nous est étranger).
« Ratio est omnis admodum dedita religionibus » écrit César à propos des barbares druides d’extrême occident. Eh bien il en allait exactement de même pour les Arabes d’avant l’islam. Chaque famille élargie avait ses dieux protecteurs, un peu comme les fées de type matres ou les fées de type matronae.
Ibn Kalbi Kitab al-Asnam 28.
Chaque famille mecquoise avait une statuette dans sa maison à qui elle rendait un culte. Quand un membre de la famille était sur le point de partir en voyage, il allait, avant de quitter la maison, toucher la statue afin de faire bon voyage. À son retour, son premier geste, dans la maison, était encore d’aller la toucher afin de la remercier d’avoir fait bon retour. Maqrizi, Histoire universelle. Al-khabar an al-bashar. Traduction Michael Lecker de l’université hébraïque de Jérusalem. Publiée dans le numéro 106 de la revue le Muséon publiée par les éditions Peeters de Louvain, pages 332 à 346.
Chaque clan des Aous et des Khazradj […] avait une statue de divinité dans un local particulier (baït) appartenant à l’ensemble du clan, qu’ils honoraient et vénéraient, à qui donc ils sacrifiaient. […] Chacun de leurs nobles avait une de ces idoles. Dans la maison d’Amir ibn Al Mammouth, il y avait notamment une idole appelée SAV.
Bien entendu, cette tolérance ou cette laïcité ouverte (avant la lettre) a été considérée comme taghoût (pas bien) par Mahomet. Le sens de ce mot est assez incertain : le taghout, ce seraient les divinités prises globalement ou dans leur ensemble. Le terme est mentionné huit fois par le Coran, mais le mot taghout ne signifie rien de précis en arabe et il est peut-être d’origine étrangère. Dans le vocabulaire de l’islam contemporain, le terme taghout désigne tout ce qui est mal, dangereux, novateur ou tentateur.
HOBAL ou HUBAL.
Une des divinités qui, selon la tradition musulmane, faisait l’objet d’un véritable culte à La Mecque au temps préislamique se nommait Hobal ou Hubal. Cette divinité mecquoise est attestée dans une inscription découverte à la frontière entre la Syrie et l’Arabie.
Hobal semble avoir été le grand dieu concurrent d’Allah dans la cité de La Mecque.
Ibn Hicham, Vie de Mahomet, Alfred Guillaume. Page 100.
Dois-je rendre un culte à un seigneur ou à mille ?
S’il y en a autant que vous dites.
Je renonce à la déesse Allat et al Ouzza, toutes les deux
Comme devrait le faire toute personne sensée.
Je ne vénérerai pas al Ouzza ni ses deux sœurs
Ni ne rendrai visite aux deux statues des Banou Amir.
Je ne vénérerai pas Hobal bien qu’il fut notre seigneur
Du temps où j’étais dans l’erreur…
La statue d’Hobal était dressée au-dessus du puits sec de la Kaaba, dans lequel on jetait des offrandes. Sa place à côté de la Pierre noire, qui se trouvait aussi déjà là, laisse supposer que les populations de l’époque avaient établi un lien entre les deux… Mais lequel ? Ce dieu si important à La Mecque est étrangement absent du Coran, ce qui ne manque pas d’intriguer.
Ibn Hicham, Vie de Mahomet, Alfred Guillaume. Page 37.
Les Couraïchites ont une statue sur un puits au centre de la Kaaba, nommée Hobal.
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam 23.
Les Couraïchites avaient également des statues à l’intérieur de la Kaaba et autour d’elle. La plus importante à leurs yeux était celle d’Hobal. C’était, à ce que j’ai appris, une statue à forme humaine en cornaline rouge. Sa main droite était déjà brisée à l’époque où les Couraïchites la connurent. Ils la remplacèrent par une main en or. Le premier qui érigea cette statue fut Khouzaïma ibn Moudrika ibn Al Yas ibn Moudar. C’est pourquoi on l’appelait le Hobal de Khouzaïma.
La statue se dressait à l’intérieur de la Kaaba et avait, devant elle, sept flèches divinatoires. La première portait la mention « pure », la deuxième la mention « appartenant à un autre ». La légitimité
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d’un nouveau-né était-elle mise en doute, on lui faisait une offrande et l’on tirait les flèches de son sort. La flèche « pur » faisait reconnaître l’enfant, l’autre le faisait renier. Une troisième flèche concernait les morts, une quatrième, le mariage. On ne m’a pas expliqué l’usage des trois dernières flèches.
Chaque fois qu’ils étaient en désaccord sur quelque chose, ou se proposaient de se lancer dans un voyage, ou d’entreprendre un projet, ils se rendaient au pied de la statue d’Hobal pour mélanger les flèches divinatoires devant. Quel que soit le résultat obtenu, ils agissaient en conséquence.
C’est devant Hobal qu’Abd-al-Mouttalib avait mélangé les flèches divinatoires [afin de savoir lequel de ses dix enfants il devait sacrifier pour respecter le serment qu’il avait fait], et les flèches avaient pointé vers son fils Abdullah, le père du Prophète. Hobal était aussi le dieu auquel abou-Soufiane ibn-Harb s’est adressée après être sorti victorieux de la bataille d’Ohoud, en disant :
« Gloire à toi Hobal » (c’est-à-dire que ta religion triomphe) !
Ce à quoi le Prophète a répondu : Dieu est plus grand et plus majestueux ».
Les documents indiquent donc qu’Hobal avait la plus grande statue du sanctuaire. Il est à peu près sûr que la statue d’Abraham, mentionnée dans les sources comme étant celle qui était installée dans la Kaaba, était en fait celle d’Hobal, tenant les flèches divinatoires. On ne sait pas si Hobal est à rapprocher d’Allah, el ilah (Dieu), s’il est différent dès le départ ; ou s’il y a eu ensuite distinction du fait de l’agitation de Mahomet, prenant parti pour Allah contre Hobal ; ou encore s’il correspond au rabb (seigneur) du sanctuaire mentionné par d’autres sources.
Ces sources indiquent en tout cas que sa statue dominait le sanctuaire de La Mecque. Hobal possédait un caractère tribal plus net, il pouvait concrétiser le regroupement des tribus Couraïchite et Kinana de La Mecque. Ce Hubal/Hobal était associé au dieu sémite Baal ainsi qu’à Adonis et Tammouz, les dieux du printemps, de la fertilité, de l’agriculture, et de l’abondance… On rendait hommage à cette divinité en lui consacrant des offrandes ou des sacrifices animaux, voire parfois humains.
Certains récits de la sira (biographie) de Mahomet nous montrent des païens de La Mecque priant Dieu debout aux côtés de la statue d’Hubal. En association avec la pierre noire, la représentation du dieu Hobal jouait donc un rôle capital dans l’imaginaire des Arabes païens de La Mecque de cette époque ; et son emplacement d’alors, à l’endroit exact de l’actuelle Kaaba, suggère un rôle clé dans l’élaboration conceptuelle du dieu des musulmans : Allah.
L’exégète allemand Julius Wellhausen rappelle que dans le Coran, Allah est appelé « Seigneur de la région de La Mecque » ou encore « Seigneur de la Kaaba ». Ce dernier qualificatif étant d’une évidence flagrante, Wellhaussen en déduisit que Hubal et Allah ne faisaient qu’un ; et que la facilité avec laquelle les Arabes païens de la région se convertirent à l’islam tient justement à cette confusion originelle entre les deux.
CORAN, CHAPITRE 71, VERSET 23.
N’abandonnez pas vos divinités, n’abandonnez ni Ouadd, ni Souwa, ni Yaghout, ni Yaouq, ni Nasser.
Yaghout avait la forme d’un lion, Yaouq la forme d’un cheval et Nasser la forme d’un aigle ou d’un vautour.
Sahih Boukahri, tome 60, livre 6, hadith 442.
Toutes les divinités ont été vénérées par les peuples de Noé, et par les Arabes plus tard. La statue d’Ouadd était vénérée par la tribu des Kalb à Doumat al Jandal. Celle de Souwa chez les Mourad puis chez les Bann ; Ghoutaif sur la montagne d’al Jourf près de Saba ; Yaouq était la divinité de Hamdane et Nasser la divinité des Himyarites.
OUADD.
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam 49.
J’ai demandé à Malik ibn Harita : décris-moi Ouadd, fais qu’en quelque sorte je le voie.
Il me répondit : c’était la statue d’un vieil homme, le plus grand que puisse être un homme. Il avait deux habits, était vêtu de l’un et drapé de l’autre. Un sabre à la taille, un arc sur l’épaule, il tenait de ses mains une lance ornée d’un fanion et un carquois garni de flèches… Je l’ai vue aussi après que Khaled ibn-al-Oualid l’ait détruite et l’ait brisée en morceaux. Car l’apôtre de Dieu avait, après la bataille de Tabouk, envoyé Khaled ibn-al-Oualid pour la détruire. Mais le Banou Abd-Ouadd et les Banou-Amir al-Ajdar résistèrent à Khaled et tentèrent de protéger la statue. Khalid, par conséquent, les a combattus et les a vaincus, puis a détruit [le temple] et a brisé la statue.
SOUWA.
Cette divinité était très répandue dans les populations arabes autour de La Mecque : Oued Namane, Oued Rouhat, la tribu des Soulaïm, des Houdhaïl, etc. Elle était représentée sous la forme d’une femme. C’était la protectrice des troupeaux, et des animaux perdus.
Ibn Al kalbi.
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Les Houdhaïl avaient Souwa [comme déesse] et l’avaient localisée à Rouhat dans le voisinage de Yanbou, un des villages de Médine. Les gardiens [de son temple] étaient les Banou-Lihyane. Néanmoins je n’en ai pas entendu parler dans les poèmes des Houdhaïlites. Mais j’en ai entendu parler dans le poème d’un Yéménite.
ISAF et NA’ÏLA.
Ibn Al Kalbi, Kitab al-Asnam 8.
Isaf courtisait Naïla au Yémen. Au cours d’un pèlerinage, les deux jeunes gens entrèrent dans la Kaaba et, profitant du sommeil des pèlerins venus à La Mecque, ainsi que de la solitude qui régnait en ce lieu, dans le temple même ils s’unirent. Tous deux furent pétrifiés sur-le-champ. Au lever du jour, on les trouva ainsi transformés en pierre et ils devinrent des miskhs (métamorphosés par Dieu). Leurs deux statues furent mises à leur place respective et, par la suite, adorées par les Khouzaa, les Couraïchites, et par les Arabes qui venaient en pèlerinage à la Kaaba.
Ibn Al Kalbi, Kitab al-Asnam 24.
Dans leurs déités, les Couraïchites avaient aussi Isaf et Na'ilah. Après être devenus des ombres pétrifiées, ils furent placés à côté de la Ka'bah afin que les gens puissent les voir et qu’ils leur servent d’avertissement. Le temps passant et leur histoire ayant donc été oubliée, un véritable culte fut voué à ces idoles, ils furent adorés avec les autres déités. L’une d’entre elles était près de la Ka'bah tandis que l’autre était à côté du puits de Zamzam. Plus tard, les Couraïchites ont déplacé celle qui était près de la Ka'bah pour la mettre à côté de celle dressée à proximité de Zamzam afin de pouvoir sacrifier aux deux ensemble.
Parmi eux, Abou-Talib qui a dit, en jurant sur eux quand les Couraïchites se liguèrent contre les Banou-Hachem à cause de la montée en puissance du Prophète :
« À la maison [de Dieu], j’ai amené mes hommes et mes parents,
Et tenu fermement ses voiles et ses rideaux ;
Oui, je les ai tous amenés là où les Banou-al-Ash'ar s’arrêtent,
là où les vallées se rencontrent et où il y a Isaf et Na'ilah ».
Bichr ibn-Khazim al-Asadi, en parlant d’Isaf, a dit :
Ils se tiennent à distance respectueuse et ne se rapprochent pas de lui,
Mais se tiennent au loin comme les femmes ayant leurs règles devant Isaf.
NDLR. La présence dans le sanctuaire de deux rochers sacrés suggestifs a dû susciter ce mythe étiologique, autour d’une histoire tout à la fois grivoise et moralisatrice. On retrouve également ici les théories évhéméristes qui rassurent les compilateurs musulmans.
BOUWANA.
Statue et site d’un sanctuaire des Couraïchites, près de Yanbou, sur la côte.
Ibn Sad, Tabaqat al-kabir, tome 1, première partie, 40,18.
C’était une statue auprès de laquelle les Couraïchites se rendaient pour l’adorer, et lui offrir des sacrifices ; ils se rasaient la tête auprès d’elle et restaient autour toute une journée, jusqu’à la tombée de la nuit, et cela, une fois par an. Abou Talib [l’oncle de Mahomet] avait l’habitude d’y aller en pèlerinage avec les siens ; il demanda au Messager de Dieu, que Dieu le bénisse, de venir à la fête avec les siens, mais le Messager de dieu, que Dieu le bénisse, refusa. Sur ce j’ai vu Abou Talib se mettre en colère et ses tantes aussi…
AL-FALS.
Ibn Al Kalbi, Kitab al-Asnam 51.
Les Tayyi avaient une statue appelée al-Fals. C’était une [roche] rouge, en forme d’homme, qui se dressait au centre de leur montagne, Aja, qui était noire. Ils vouaient un culte à cette déité, lui apportaient des offrandes et abattaient leurs bêtes avant [d’y monter]. Tout homme craignant pour sa vie et cherchant un refuge s’y trouvait en sécurité, et aucune bête errante ne franchissait ses limites sans y trouver asile. L’animal devenait la propriété du dieu, sacré et tabou.
Sa garde était confiée aux Banou-Baoulane… Le dernier des Banou-Baoulane à en avoir la garde fut un nommé Saïfi… Adi ibn-Hatim avait ce jour-là offert un sacrifice devant al-Fals, et vu ce que Malik avait fait. Assis avec quelques compagnons discutant de l’incident, il en trembla de peur et leur dit : « Voyez ce qui va arriver à Malik aujourd’hui ! ». Mais plusieurs jours passèrent et rien de fâcheux ne se produisit pour à Malik. Adi renonça donc au culte d’al-Fals ainsi que celui des autres dieux et embrassa la foi chrétienne…
Adi fut donc le premier à violer le tabou d’al-Fals. Désormais, chaque fois que son gardien prenait une bête errante [il ne fut plus autorisé à la garder comme la propriété du dieu] ; au contraire, on la lui reprenait. Al-Fals continua d’être adoré jusqu’à l’avènement du Prophète, au moment où Ali ibn-abi-Talib fut envoyé pour détruire sa statue. Ali détruisit l’idole et en emporta deux épées appelées Mikhdham et Rassoub (les mêmes deux épées qu’Alqamah ibn-Abadah a mentionnées dans son poème), qu’al-Harith ibn-abi-Chamir, roi des Ghassanides, avait offertes à al-Fals. Ali les rapporta au
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Prophète qui en porta une et lui rendit l’autre. C’était l’épée qu’Ali avait l’habitude de porter à son côté. Ici se termine le livre des idoles.
CONCLUSION DE MICHAEL LECKER.
1. Il semble que trois différents types d’idoles doivent être discernés dans les courts passages que nous a conservés Maqrizi.
a. Déités objet de culte par tout le clan et servant probablement à un culte public. Elles étaient conservées dans des pièces probablement vouées à leur culte (ce qui doit aussi être vrai des déités des autres catégories).
b. Déités de chaque noble Aous et Khazradj.
Le cas du Salima (ci-dessus, section 3, 2) suggère que les déités de clan forment un sous-groupe des déités des nobles : leur déité clanique Isaf est probablement identique à celle d’Amr b. al-Jamouh : Saf/Manaf. Le noble responsable de la déité du clan devait être le chef reconnu de tout le clan.
c. Les déités mineures du culte familial domestique qui figuraient vraisemblablement dans chaque maison Médine. Les déités des catégories précédentes avaient des noms tandis que celles de cette catégorie (domestique) étaient peut-être anonymes. Les statues des Banou X ou Y qui auraient été détruites par certains Compagnons faisaient surtout partie de ces déités domestiques.
2. L’association de la déité du clan avec les majlis claniques d’une part (voir la fin de la section 3.3) et avec le chef de clan d’autre part (le Salima) suggère que le majlis se tenait à proximité de la demeure du chef. Quand le pouvoir passait à un autre, le Majlis se déplaçait avec lui.
3. Une chose est certaine : les Arabes de Médine à la veille de l’Hégire baignaient dans le culte de déités diverses. La généralisation de cette situation est surprenante, en effet, car on pensait jusque-là que les juifs habitant Médine avaient exercé une immense influence spirituelle sur leurs voisins arabes.
4. Sans surprise, ces déités figurent dans les récits stéréotypés de conversion à l’islam suivant un modèle récurrent : la destruction de la statue par l’ex-païen (ou par son ami) signifie la rupture avec le passé et symbolise la loyauté à la nouvelle foi.
5. Puisque le culte de ces déités était étroitement lié à la direction de la tribu, la destruction des statues (en particulier les statues claniques) constituait un véritable défi pour les anciens dirigeants et sapait leur autorité. En d’autres termes, dans le contexte historique de la lutte de Mahomet contre de nombreux dirigeants de Médine, la destruction de ces statues était un acte politique.
6. Ces pourfendeurs (ou présumés pourfendeurs) de statues appartenaient sans aucun doute au premier cercle des partisans de Mahomet parmi les Ansar. Quelques-uns d’entre eux étaient des délégués ayant participé à la grande réunion d’Aqaba et certains furent récompensés de leur loyauté, par l’attribution de fonctions importantes dans l’État islamique naissant.
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LES TROIS GHARANIQ (la triade de déesses).
AL OUZZA.
Son nom (Al-Ozza, Aloza) signifie « la toute puissante, la très élevée ». Une sorte de Brigindo/Brigitte arabe en quelque sorte. Elle était aussi connue des Couraïchites de La Mecque. Elle passait pour être une déesse de l’amour et elle était adorée avec Vénus. On l’assimilait à la déesse Aphrodite chez les Grecs. On lui offrait des sacrifices humains. Elle représente les forces de la fécondité/fertilité, surtout pour les Couraïchites, qui ont fait le succès de son culte pendant plusieurs siècles. Le temple consacré à la déesse Al Ouzza était situé dans la vallée de Nakhla, sur la route orientale qui mène de nos jours vers Bahreïn et le golfe Persique.
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam.16-29.
Ils ont ensuite pris al-Ouzza comme déesse. Elle est, à l’époque, plus récente qu’Allate ou Manah, puisque j’ai entendu dire que les Arabes donnaient à leurs enfants les noms de ces deux dernières déités avant de leur donner le nom d’al-Ouzza… Le nom d’Abd-al Ouzza ibn-Ka'b est parmi les premiers noms à avoir été fait avec celui d’al Ouzza.
Sa statue se dressait dans une vallée à Nakhlat al-Chamiya, appelée Hourad à côté d’al-Ghoumaïr à droite de la route qui va de la Mecque jusqu’en Irak, au-dessus de Dhat-Irq et à 15 kilomètres d’al-Boustine. Autour d’elle [Zalim] avait construit une maison appelée Bouss dans laquelle les gens venaient prendre connaissance de ses oracles. Les Arabes aussi bien que les Couraïchites avaient l’habitude de nommer leurs enfants Abd-al-Ouzza. Al-Ouzza était la plus grande déité des Couraïchites. Ils avaient l’habitude d’aller dans son sanctuaire, de lui offrir des présents et de chercher ses faveurs au moyen de divers sacrifices.
On nous a rapporté que l’Apôtre de Dieu aurait une fois parlé d’al-Ouzza en disant : « J’ai offert un mouton blanc à al-Ouzza, alors que j’étais encore un fidèle de la religion de mon peuple ».
Les Couraïchites avaient l’habitude de faire le tour de la Kaaba en récitant :
« Par Allate et al-Ouzza,
Et Manah, la troisième déesse.
En vérité, ce sont les plus hautes déesses
Dont l’intercession peut être recherchée ».
Elles étaient aussi appelées « Filles d’Allah », et elles étaient censées intercéder auprès de lui.
NDLR. Un peu comme Marie dans le christianisme, ou Mahomet, lors du Jugement dernier.
Quand l’apôtre de Dieu fut envoyé en mission, Dieu lui a révélé [à leur sujet] ce qui suit :
Avez-vous vu Allat et al-Ouzza, et Manah la troisième déité ?
Eh quoi ? Vous auriez, vous, la progéniture mâle et Dieu les femelles ?
Quelle inique répartition ce serait !
Ce ne sont que de simples noms : que vous et vos pères avez inventés
Dieu n’a rien garanti à leur sujet ».
Les Couraïchites lui avaient consacré, dans la vallée de Hourad, un ravin (chi'b) appelé Souqam et avaient coutume de se rendre en ce lieu concurremment avec celui du territoire sacré de la Ka'ba…
Elle avait aussi un lieu de sacrifice appelé al-Ghabghab où ils apportaient leurs oblations. Houdhali en parle dans une satire qu’il avait composée contre un homme qui avait épousé une belle femme dont le nom était Asmi.
« Asmi a épousé la mâchoire d’une petite vache
Qu’un des Banou-ghanm avait offerte en sacrifice.
Comme il la conduisait à la Ghabghab d’al-Ouzza,
Il a remarqué des défauts dans ses yeux ;
Et quand la vache fut offerte sur l’autel,
Et sa chair découpée, sa part sentit mauvais ».
La coutume voulait en effet qu’on partage la viande résultant du sacrifice entre ceux qui l’avaient offert et ceux qui avaient assisté à la cérémonie.
Qaïs ibn-Mounqidh ibn-Oubayd… en en parlant a dit :
« Nous jurions d’abord par la Maison de Dieu,
Et à défaut, par les bétyles
Qui se trouvent à al-Ghabghab ».
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Les Couraïchites avaient coutume de l’honorer plus que toutes les autres déités. C’est pour cette raison, que Zaïd ibn-Amr ibn-Noufaïl…… a dit :
« J’ai renoncé à la fois à Allat et al – Ouzza,
Car c’est ce que font les hommes forts et braves.
Je n’adore plus al-Ouzza et ses deux filles,
Ni ne rend au pied des deux statues des Banou-Ghanm ;
Je ne rends plus non plus au pied de la statue d’Hobal pour lui rendre un culte,
Bien qu’il ait été notre seigneur quand j’étais enfant ».
La garde d’Al-Ouzza appartenait aux Banou-Chaïban ibn-Jabir ibn-Mourrah… Doubayah ibn-Harami al-Soulami en fut le dernier responsable…
Al – Ouzza fut honorée jusqu’à ce que Dieu ait envoyé son prophète qui l’a ridiculisée elle et les autres déités et a interdit son culte. Une révélation la concernant est également apparue dans le Coran. Cela s’avéra très dur pour les Couraïchites. Sur ce abou-Ohayhah… tomba mortellement malade. Comme il était allongé sur son lit de mort, Abou-Lahab vint lui rendre visite et le trouva en pleurs. Abou-Lahab demanda : « Qu’est-ce qui te fait pleurer, O abou-Ohayhah, est-ce ta mort qui est inévitable ? Abou-Ohayhah répondit : « Non. Mais ce que je crains c’est qu’al-Ouzza ne soit plus adorée après mon départ. » Abou-Lahab répondit : « Par Dieu… son culte ne cessera pas après ton départ du fait de ta mort ». Abou-Ohayhah dit alors : « Maintenant je sais que j’aurai un successeur » et fut très heureux de la loyauté d’Abou-Lahab envers al-Ouzza.
L’année de la victoire (am al-fath) le Prophète fit venir Khaled ibn-al-Oualid et lui dit : « rends-toi auprès de l’arbre situé dans la vallée de Nakhlah et abats-le ». Khaled s’y rendit, s’empara de Doubayah, le gardien d’al-Ouzza, et le tua. Abou-Khirash al-Houdhali en fit l’élégie suivante :
« Qu’est-ce qui ne va pas avec Doubayah ? Ça fait des jours que je ne l’ai pas vu.
Parmi les amateurs de vin ; il n’est pas venu leur tenir compagnie, il n’a pas fait son apparition parmi eux.
S’il vivait encore, je serais venu avec une coupe
Des Banou-Hatif, pleine du sang de Bacchus.
Il était noble et généreux ; ses coupes n’étaient pas plus tôt pleines de vin
Qu’elles se vidaient comme un vieux réservoir plein de trous au milieu de l’hiver.
Souqam est maintenant désolé, déserté par tous ses amis
Sauf par les bêtes sauvages et le vent qui souffle dans ses chambres vides ».
… D’après abou Salih ibn-Abbas a dit : Al-Ouzza était une démone qui hantait trois arbres de la vallée de Nakhlah. Quand le Prophète eut pris La Mecque, il y envoya Khaled ibn-al-Oualid en lui disant : « Rends-toi dans la vallée de Nakhlah, là tu y trouveras trois arbres. Coupe le premier. Khaled partit l’abattre et, à son retour, le Prophète lui demanda : « As-tu vu quelque chose là-bas ? » Khalid répondit : « Non ». Le Prophète lui ordonna de s’y rendre de nouveau afin d’abattre le second. Khaled alla donc le couper et, à son retour, le Prophète lui demanda une seconde fois : « As-tu vu quelque chose ? » Khaled répondit encore : « Non. » Le Prophète lui ordonna derechef de retourner là-bas pour abattre le troisième arbre. Quand Khaled arriva sur les lieux, il y trouva une esclave abyssine aux cheveux échevelés, les mains sur les épaules, grinçant et claquant des dents. Derrière se tenait Doubayah al-Soulami, qui était alors le gardien d’Al-Ouzza. Quand Doubayyah vit Khaled approcher, il s’exclama :
« O toi al-Ouzza, enlève ton voile et relève tes manches ;
Rassemble toutes tes forces et assène à Khaled un coup fatal.
Car si tu ne le tues pas aujourd’hui même,
Tu seras voué à l’ignominie et à la honte ».
Là-dessus, Khaled répondit :
« Ô al – Ouzza, sois maudite et non exaltée !
Car Dieu ne veut plus de toi ».
Il se tourna vers la femme et lui donna un coup qui lui fendit la tête en deux, et elle fut réduite en cendres. Ensuite il abattit l’arbre et tua Doubayah son gardien, après quoi il revint chez le prophète et lui rendit compte. Sur ce le Prophète lui répondit : « C’était Al – Ouzza, mais elle n’est plus : les Arabes n’en auront plus comme elle après ça, on ne l’adorera plus jamais ». Voilà pourquoi abou-Khirach a composé les versets précédents pour faire l’élégie de Doubayah.
NDLR. De cette énième manifestation d’obscurantisme moyenâgeux on peut déduire les 3 choses suivantes.
Mahomet croyait en l’existence réelle d’Al-Ouzza.
Mais l’islam en fait une démone (toute nouvelle religion qui triomphe transforme en démons les dieux de la religion qu’elle supplante).
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Cette manifestation d’intolérance ressemble beaucoup à l’épisode où saint Martin abat un pin sacré au 4e siècle.
« Martin, intrépide, lorsque l’arbre avait déjà craqué, au moment où il tombait et se précipitait sur lui, lui oppose le signe de salut. L’arbre se releva comme si un vent impétueux le repoussait, et alla tomber de l’autre côté, si bien qu’il faillit écraser la foule qui s’était crue à l’abri de tout péril.
Comme il voulait renverser un temple rempli de toutes les superstitions païennes, dans le village de Leprosum (le Loroux), une multitude de païens s’y opposa… Alors deux anges s’offrirent à lui, avec la lance et le bouclier, comme des soldats, etc., etc. » (Histoire de France par G.H. Smith, FGS.)
On oublie en général de préciser que la religion chrétienne étant devenue depuis longtemps la seule religion officielle du pays, la force publique (des légionnaires romains) le secondait, ce qui, comme dans le cas de Saint Khaled, doit expliquer beaucoup de choses dans ces prétendus miracles. Fin de la NDLR.
Abou-al-Moundhir : Les Couraïchites et les autres Arabes qui habitaient La Mecque n’ont jamais eu pour aucune de leurs déités un culte semblable à celui qu’ils vouaient à al – Ouzza. Allate et Manah venaient après. Al-Ouzza seule avait l’honneur de bénéficier d’un pèlerinage et de sacrifices de la part des Couraïchites. Je crois que c’était à cause de sa proximité. Les Thaqif, en revanche, faisaient bénéficier uniquement Manah de l’honneur insigne d’avoir un pèlerinage et d’y recevoir des sacrifices, de la même manière que les Couraïchites en offraient à al-Ouzza, tandis que les Aous et les Khazradj privilégiaient aussi Manah en ce domaine. Tous, cependant, vénéraient al-Ouzza. Ils n’avaient pas les mêmes égards néanmoins, loin, de là, les cinq déités introduites par Amr ibn-Louhaye. Les cinq déités que Dieu a mentionnées dans son glorieux Coran quand il a déclaré : « Les ennemis de Noé ont dit : N’abandonnez pas Ouadd ni Souwa, ni Yaghouth ni Ya'ous ni Nasr ».
À cause de leur éloignement, je pense.
Les Couraïchites avaient coutume d’adorer al-Ouzza. Les Ghani et les Bihilah aussi avaient rejoint les Couraïchites dans son culte. Le Prophète a donc envoyé Khaled ibn-al-Oualid abattre les arbres, détruire sa maison, et briser sa statue.
… Quand Dieu a envoyé son prophète, pour prêcher l’unicité de Dieu et appeler à son adoration exclusive sans lui associer qui que ce soit d’autre, et que les Arabes ont objecté : « Veut-il faire du dieu un dieu célibataire ? Quelle chose étrange que tout cela », ils pensaient à cette déesse.
ALLATE.
Hérodote livre I chapitre 131, 3.
Ils ont appris des Assyriens et des Arabes à sacrifier aussi à l’Aphrodite « céleste » : cette déesse est appelée chez les Assyriens Mylitta, chez les Perses Mitra (???) chez les Arabes Alilat.
À Palmyre dans le temple de Baalshamin (détruit par l’État islamique en 2015) elle était représentée avec une branche de palmier et en compagnie d’un lion. Allate est une divinité féminine également attestée dans le temple de Ouadi Ramm, en Jordanie.
Cette Alilat qu’Hérodote assimile à Uranie correspondait sans doute à la déesse-mère des dieux, l’Astarté des Sémites du Nord. C’était une déesse de la fertilité ainsi que de l’agriculture (le soleil ? ?). Elle était symbolisée par une pierre blanche à laquelle on avait suspendu des ornements divers. Comme Dieu signifie « dieu » tout simplement, Al-Lat doit signifier quelque chose comme « la déesse ». Elle était souvent représentée sous l’aspect de Vénus, l’étoile du matin, l’étoile du berger, bien que les Arabes hellénisés l’aient rapprochée d’Athéna. Il s’agissait d’une grande divinité panarabe, protectrice des troupeaux et des caravanes, c’est-à-dire de la vie économique et sociale, vénérée à La Mecque et à Palmyre. Sous la plume, ou, disons plus précisément sous le calame des commentateurs musulmans, elle deviendra al-Latt, une meule pour broyer les grains, appartenant à un vieux juif. L’âme/esprit de celui-ci passe dans la pierre et décide la population à l’adorer. C’est évidemment aussi fantaisiste que méprisant ou antisémite, et c’est faire preuve de bien peu de compréhension. Nous autres « très-sachants » tolandiens, nous sommes des hommes, rien que des hommes, mais en tant qu’homme justement, rien de ce qui est humain ne doit nous être étranger. Et tout comme le philosophe inconnu rencontré par Lucien de Samosate dans la région de Marseille, nous disons : « Aux Grecs parlons grec, aux Arabes parlons arabe ! ».
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam 14-15.
Allat trônait à Ta'if et était plus récente que Manah. C’était une pierre cubique 1) à côté de laquelle un juif préparait sa bouillie d’orge (saouiq). Sa garde était confiée aux Banou-Attab ibn-Malik des Thaqif qui avaient construit un édifice pour l’abriter. Les Couraïchites et les Arabes adoraient Allat. Ils avaient aussi l’habitude de donner son nom à leurs enfants par exemple en les appelant Zaïd-Allat et Taïm-Allat.
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Elle trônait à la place du minaret situé à gauche de l’actuelle mosquée de Ta'if. C’est elle que Dieu a mentionnée quand il a dit : « As-tu vu Allat et al-Ouzza ? » C’était cette même Allat qu’Amir ibn-al-Jou'aïd avait en tête quand il a dit :
« En renonçant au vin, je me retrouve comme celui qui a abattu Allat,
Bien qu’il ait fait partie de ses fidèles autrefois ».
Et c’est à la même déité qu’al-Mutalammis a fait allusion dans sa satire d’Amr ibn-al-Moundhirt quand il a dit :
« Tu m’as banni par peur des pamphlets ou des satires.
Non ! Par Allat et tous les bétyles sacrés (ansab),
Tu ne m’échapperas pas ».
Allat continua de faire l’objet d’un véritable culte jusqu’à ce que les Thaqif aient embrassé l’Islam, quand l’apôtre de Dieu envoya Moughirah ibn-Chou'bah, qui la fit détruire et fit entièrement brûler son temple.
Et à ce sujet, quand Allat fut détruite et réduite en cendre, Chaddid ibn-Arid al-Jousami fit avertir les Thaqif de ne pas reprendre son culte ni de tenter de venger sa destruction :
« N’allez plus voir Allat, car Dieu l’a condamnée à la destruction ;
Comment pouvez-vous rester fidèle à quelqu’un qui ne triomphe pas ?
Ce qui, après avoir été incendié, n’a pas pu résister aux flammes,
ni sauver ses pierres, est sans gloire et sans valeur.
C’est pourquoi quand l’apôtre arrivera chez vous
Et en repartira, pas un seul de ses partisans ne sera laissé en vie derrière lui. »
En Arabie centrale, Taïf était son principal lieu de vénération et un rocher carré attirait l’attention des pèlerins venus pour voir « La Dame » (ar Rabbah).
Tabari, Histoire (il appelle Allat « Tagiya »).
« Le Messager de Dieu envoya donc Abou Soufiane b. Harb et al-Moughirah b. Chou'bah pour détruire al-Taghiyyah. Les deux firent route avec la députation jusqu’à ce qu’ils soient arrivés non loin d’al-Ta'if, là Moughirah demanda à Abou Soufiane de passer devant. Abou Soufiane refusa en lui disant « Va toi-même chez les tiens », et il s’arrêta dans son domaine de Dhou al-Harm. Après qu’al-Moughirah b. Choubah fut entré [dans Taïf] il monta sur la pierre et lui donna des coups de pioche pendant que son peuple, les Banou Mou'attib se tenait à ses côtés, de peur qu’il soit touché par un projectile ou frappé comme Ourouah l’avait été. Les femmes des Thaqif sortirent la tête découverte et s’écrièrent en déplorant la disparition de la déesse [c’est-à-dire de l’idole] : « Pleurons notre protectrice ! Lâches sont ceux l’ont abandonnée, ceux qui ne savent pas manier l’épée ».
Pendant qu’al-Moughirah frappait la pierre à l’aide de son pic, Abou Soufiane leur disait : « Hélas pour vous, hélas ! »
Quand al-Moughirah l’eut brisée, il a pris son trésor et ses ornements et les fit remettre à Abu Soufiane. Pour ce qui est des ornements il s’agissait d’objets divers et son trésor se composait d’or et d’onyx.
Le Messager de Dieu avait demandé à Abou Soufiane de payer les dettes d’Ourouah et d’Al-Assouad, les fils de Massoud, avec les biens d’al-Lat, c’est ainsi que leur dette fut acquittée [Tabari, tome 9, Les dernières années du Prophète 45-46].
La pierre fut plus tard encastrée dans la mosquée construite sur le site du sanctuaire [NDLR comme Notre-Dame de Paris qui fut construite sur un sanctuaire druidique consacré au grand Cornunnos] pour lui infliger une humiliation symbolique supplémentaire et bien inutile aux fidèles de cette déesse.
Il existait aussi des sanctuaires consacrés à la déesse Allat à Nakhla, Oukaz et à La Mecque donc.
1) C’est-à-dire un autel de pierre sur lequel était gravée en bas-relief comme à Pétra ou Palmyre une représentation de la déesse.
MANATE.
Manate 1) est une divinité féminine attestée à Palmyre, dans la Syrie d’aujourd’hui, à Pétra, en actuelle Jordanie, et dans le nord-ouest de l’Arabie Saoudite.
Aux environs de La Mecque se trouvait aussi un temple sur la côte, dédié à la déesse Manat, la déesse du destin, de la Fortune, et même la « Dame de la Paix ». L’étymologie de son nom se rapproche de l’idée de décompte, de partage. Elle correspond à la Tykhè des Grecs. Elle préside aussi au regroupement tribal des Qaïs Aïlan. Sous la forme Manaf, elle est honorée par les Couraïchites et les Khouzaa. Quoique connue à La Mecque, elle était surtout vénérée dans les tribus avoisinantes. De nombreuses sources signalent aussi que Manat était la divinité la plus vénérée à Yathrib/Médine avant l’arrivée de Mahomet. Elle partage cette gloire avec le Rahman, ou le Yahvé, des tribus juives de la ville (Hobal ? Dieu ?)
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Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam 12-14.
La plus ancienne de toutes ces déités était Manah. Les Arabes avaient l’habitude d’appeler leurs enfants Abd-Manah et Zaïd-Manah. Manah trônait sur le côté dans les environs d’al-Mouchallal à Qudaïd, entre Médine et La Mecque. Tous les Arabes la vénéraient et lui offraient des sacrifices. Les Aous et les Khazradj [en particulier] ainsi que les habitants de Médine et de La Mecque ou leurs environs, avaient l’habitude de vouer un culte à Manah, de faire des sacrifices en son honneur et de lui apporter leurs offrandes […].
Les Aous et les Khazradj, aussi bien que les Arabes de Yathrib/Médine et d’autres endroits ayant le même mode de vie, avaient l’habitude de s’y rendre et de faire une veillée à tous les endroits désignés à cet effet, mais ne se rasaient pas la tête. À la fin du pèlerinage, cependant, quand ils étaient sur le point de rentrer à la maison, ils se rendaient à l’endroit où se tenait Manah, se rasaient la tête, et restaient là un moment. Ils ne considéraient pas leur pèlerinage comme étant terminé tant qu’ils n’étaient pas allés voir Manah. Vu le culte rendu à Manah par les Aous et les Khazradj, Abd-al-Ouzza ibn-Ouadi'ah al-Mouzani, ou un autre Arabe, a déclaré :
« J’ai prêté un juste et véridique serment
Par Manah, dans le sanctuaire des Khazradj ».
Cette Manah est la déité que Dieu a mentionnée quand il a dit : « Et Manah, la troisième ». C’était la [déesse] des Houdhaïl et des Khouza'ah.
Les Couraïchites ainsi que le reste des Arabes continuèrent à honorer Manah jusqu’à ce que l’Apôtre de Dieu quitte Médine en l’an 8 de l’Hégire, l’année où Dieu lui accorda la victoire. Quand il fut à quatre ou cinq nuits de Médine, il envoya Ali pour la détruire. Ali l’a brisée en morceaux, lui a enlevé tous ses trésors et les a rapportés au Prophète. Parmi ces trésors qu’Ali avait enlevés il y avait deux épées qui avaient été offertes [à Manah] par Harith ibn-abi-Chamir al-Ghassani, le roi des Ghassanides. Une des épées s’appelait Mikhdham et l’autre Rasoub.
Le Prophète donna les deux épées à Ali. On raconte donc que dhou-al-Faqar, l’épée d’Ali, était l’une d’entre elles.
On dit aussi qu’Ali trouva ces deux épées dans le temple d’Al-Fals, la divinité des Tayyi, où le Prophète l’avait envoyé et qu’il avait aussi détruite.
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam 27.
Abou-al-Moundhir : Les Couraïchites avaient avait une autre statue appelée Manaf. Ils avaient coutume d’appeler leurs enfants Abd-Manaf, d’après son nom. Mais je ne sais pas où elle se trouvait ni qui l’avait érigée. Les femmes qui avaient leurs règles n’étaient pas autorisées à s’approcher des idoles ni à les toucher. Elles se tenaient au contraire à l’écart.
« … restez à l’écart car les femmes en période de menstruation se tiennent à distance de Manaf ».
CONCLUSION.
Ces trois déesses étaient appelées Allate, Manate, et Al Ouzza. Mais ce n’étaient pas que des noms, comme l’auteur du texte coranique le dira plus tard. Les Arabes considéraient Al-Ouzza, Allate et Manate, comme des hypostases féminines (vyouha) du dieu supérieur dispensateur de pluie (Hobal ???? Dieu ????). Ces divinités étaient connues de tous les Arabes, et ont été honorées par de multiples générations durant des siècles, dans les régions les plus diverses, paisiblement. À La Mecque elles étaient tenues pour des filles d’Allah… et leur intercession auprès de lui, de la part de leurs fidèles, était très recherchée.
1) Manat Manah et Manaf sont sans doute des variantes.
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LES DJINNS.
À en croire Ibn Kalbi, les djinns faisaient aussi l’objet d’un véritable culte.
Les Banou-Moulaïh de la tribu des Khouza'ah (les parents de Talhat a-Talahat ou al-Talhat]) adoraient les djinns. C’est à cause d’eux que le verset suivant a été révélé : « ceux qu’ils adorent en plus de Dieu ne sont, comme vous, que ses serviteurs ».
En arabe littéraire, jin est le pluriel de jinni dont le féminin est jinniyya. Les djinns sont une donnée coranique, mais ils existaient avant l’islam. La tradition veut que chaque poète de la période préislamique ait été possédé par un jinni ou un chaïtane (satan) qui lui donnait son inspiration. On distingue plusieurs couches superposées dans la masse des croyances et pratiques qui règnent en pays musulmans relativement au djinn : il y a celles qui, datant du vieux paganisme arabe, en perpétuent des vestiges ; il y a celles qu’y ajouta la religion nouvelle ; d’autres enfin sont issues, dans les pays où elle se répandit, de croyances et pratiques propres à ces pays et antérieures à la nouvelle religion.
La littérature les concernant est très vaste, mais compliquée et peu claire, ce qui ne me permet pas de donner une définition exacte de leur nature, pour autant que cela soit possible.
Dans la mythologie arabe préislamique, les djinns sont des êtres surnaturels qui personnifient des phénomènes naturels mineurs : les esprits du désert et les forces hostiles de la nature assimilées par les Arabes païens à des divinités de rang inférieur aux dieux (alihah) et aux anges (mala'ikah). Les djinns sont des esprits de la nature censés habiter les pierres ; les arbres ; la terre ; l’espace ; l’air ; le feu ; le ciel, et les plans d’eau, et passent pour aimer les lieux éloignés ou désolés comme le désert. Les djinns jouaient un rôle important dans les croyances des Arabes païens, car ils étaient considérés comme des esprits de la terre intermédiaires entre l’homme et les dieux.
Le culte des djinns, gardiens ou divinités de la nature fut populaire dans toute l’Arabie préislamique durant l’Antiquité ; dans la mesure où certaines tribus telles que les Banou Moulaï du Hedjaz et les Banou Hanifa du Nedjd adoraient exclusivement les djinns et ne cherchaient d’intercession auprès d’aucune autre divinité. Les djinns avaient le pouvoir d’apparaître sous la forme d’animaux sauvages, et les animaux sacrés jouaient un rôle en tant que totems de certaines tribus. Les Bédouins croyaient que les dieux (alihah) s’apparentaient aux djinns, et les djinns aux animaux sauvages : les djinns incarnaient donc finalement le côté impitoyable et hostile de la nature, devant être respecté, adoré et craint.
Les Arabes païens croyaient que le bruit du vent dans désert c’était de la musique ou des voix des djinns, et l’appelaient azif al jinn. Les Arabes nomades d’avant l’islam pensaient que les oasis et les sources du désert étaient gardées par des djinns et leur offraient donc de menus sacrifices afin de les apaiser et les persuader de ne pas diriger leur colère contre les hommes ou les animaux.
Les djinns peuvent être bons ou mauvais, et il n’y a pas de démarcation claire entre les types de djinns.
L’ouvrage intitulé « L’évolution du concept des djinns de l’époque préislamiques à l’islam » d’Amira El-Zein décrit comment ils pouvaient apparaître tels de purs êtres spirituels ou comme des anges ou des démons, ainsi que l’indique Ibn Mansour, dans le Lisan al-Arab : « Les hommes du temps de la Djahiliyah appelaient anges – la paix soit sur eux – les djinns, parce qu’ils étaient invisibles… »
Mais cela pouvait également être des créatures tangibles, dotées en particulier de caractéristiques animales, comme indiqué par l’encyclopédie des religions de James Hastings : « ce n’étaient pas de purs esprits, car ils étaient souvent représentés comme poilus et avec la forme d’une autruche ou d’un serpent ».
Les djinns pouvaient aussi hanter tout particulièrement les ruines des anciennes cités d’après Amira El-Zein.
Ou des cités imaginaires comme Abqar un oued de l’ancienne Arabie réputé comme étant un repaire de djinns.
Dans les Mille et une nuits, les djinns habitent la cité rose de Chadoukiam.
L’ouvrage mentionne 4 types spécifiques de djinns dans le monde préislamique.
1. Ghoul. Les goules étaient des démons du désert censés violer des tombes et dévorer des cadavres.
2. Si'lah. La différence d’avec les premiers n’est pas claire. Ils semblent être plus sournois et plus intelligents.
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3. Shiqq. C’était un homme avec seulement une moitié de corps (une main un pied une jambe) qui battait les humains à mort quand il en rencontrait. Cf. Les fomors irlandais comme Cicolluis.
4. Shaïtan. Passent pour être rusés, puissants et généralement rebelles.
LA SPIRITUALITÉ PRÉISLAMIQUE.
Certains versets du Coran montrent clairement que les païens de La Mecque croyaient bien en Dieu, mais qu’ils n’en faisaient pas le seul dieu existant, qu’ils croyaient en l’existence d’autres dieux à côté de lui ou subordonnés.
— Premier verset du Coran clairement hénothéiste, le verset 91 du chapitre 23. « Dieu ne s’est pas donné de fils ; il n’y a pas de divinité à côté de lui, sinon chaque divinité s’attribuerait ce qu’elle aurait créé, certaines d’entre elles seraient supérieures aux autres, mais gloire à Dieu, il domine ceux qu’ils lui associent ».
— Deuxième verset du Coran clairement hénothéiste, le verset 3 du chapitre 39 : « Il n’y a de vraie religion que le culte d’Allah ? Ceux qui prennent des maîtres en dehors de lui disent :’ nous ne les adorons que pour qu’ils nous rapprochent de Dieu ! ».
— Troisième verset du Coran clairement hénothéiste le verset 38 du chapitre 39. « Si tu leur demandes qui a créé les cieux et la terre, ils répondront : ‘c’est Allah !’… Si Allah veut un mal pour moi, ceux que vous invoquez en dehors d’Allah pourront-ils dissiper ce mal ? S’il veut pour moi une miséricorde, pourront-ils retenir sa miséricorde ? »
— Quatrième verset du Coran clairement hénothéiste, le verset 136 du chapitre 6. « Ils destinent à Dieu une part de la récolte et des troupeaux que Dieu a fait croître. Ils disent : ceci est à Dieu… ceci est pour ses associés. Mais ce qui est destiné à ces associés ne parvient pas à Dieu ; tandis que ce qui est destiné à Dieu parvient à ceux qu’ils lui associent ».
Pour mémoire croire véritablement qu’il n’existe qu’un seul dieu aurait dû faire dire…
« Même ceux qui rendent un culte à d’autres dieux que moi, et qui leur sacrifient avec ferveur, me rendent aussi par là même hommage, ô fils de Kounti, bien que ce soit en dehors des règles. Car je suis le seul véritable bénéficiaire et seul seigneur de tout sacrifice même s’ils l’ignorent en vérité. Qui m’offre avec dévotion ne serait-ce qu’une feuille, une fleur, un fruit, de l’eau, cette offrande faite d’une âme pure eh bien je l’accepte. Car je suis le même pour tous et personne n’est spécialement haï ou élu par moi. Mais ceux qui m’aiment avec dévotion demeurent en moi et moi je suis en eux » (Bhagavad Gita, dialogue entre le dieu Krishna/Vishnou et le prince Arjouna).
— Cinquième verset du Coran qui résonne aussi assez étrangement comme hénothéiste, le verset 108 du chapitre 6 : « N’insultez pas ceux qu’ils invoquent en dehors de Dieu, sinon ils insulteraient Dieu ».
Et enfin les célèbres versets 1 à 6 du chapitre 109, MALHEUREUSEMENT ABROGÉS.
— « O vous les incrédules, je n’adore pas ce que vous adorez, vous n’adorez pas ce que j’adore… à vous votre religion, à moi ma religion ».
Le problème d’Allah c’est que cette appellation n’est pas un nom propre à l’origine, mais un nom commun signifiant quelque chose comme « le divin, la divinité ». On saura donc jamais avec certitude s’il s’agit d’une autre désignation d’Hobal, dieu suprême du panthéon mecquois d’avant l’islam, ou d’un autre dieu, comme Yaweh ou Ahoura Mazda par exemple. Ce qui est curieux et pour tout dire troublant à tout le moins c’est qu’Hobal n’est jamais mentionné dans le Coran, alors que d’autres idoles le sont. Mais ce n’est pas à nous barbares druides d’extrême Occident de départager musulmans et chrétiens à ce sujet. Notre connaissance des légendes irlandaises nous a rendus très méfiants dans ce domaine.
Ethné Aitencaithrech est un nom irlandais qui signifie « aux cheveux couleur d’ajonc ». Cette Ethné Aitencaithrech ne peut qu’être un autre nom de Mugain, l’épouse de Cunocavaros/Conchobar.
Ethnie Inguba ne peut qu’être un autre nom d’Aemer l’épouse (l’épouse légitime et non une maîtresse comme le traduit Eugène O’Curry, abusé par la différence de nom) du Hésus Cuchulainn dont le nom le plus connu apparaît dans la deuxième partie du récit 1), une deuxième partie ayant vraisemblablement constitué un épisode distinct à l’origine, avant d’être réuni sous le même en-tête par on ne sait quel barde ou moine copiste. Ce qui compte ce sont les grandes lignes de l’histoire, pas les détails. Que le roi Cunocavaros/Conchobar et son neveu notre légendaire héros le Hésus Cuchulainn, aient eu des maîtresses, n’est pas un péché mortel chez nous, tout au plus une faute, même si la suite du récit nous montre qu’il vaut peut-être mieux éviter de telles « fautes » justement car dans cette histoire 1), il faut bien le reconnaître, le Hésus Cuchulainn a été plutôt lamentable.
De toute façon une telle variation de noms est moins grave que celles affectant le nom de Dieu dans la Bible ou ses différentes appellations dans le Coran.
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On trouve en effet dans la Bible, par ordre alphabétique, car chronologiquement apparaît d’abord le pluriel Élohim : Adonaï, El, Eloah, El Elyon, El Chaddaï, El Olam, El Haï, El Roi, El Elohe Israël, El Guibbor, Sabbaoth, Yah, Yhwh.
Toutes ces différences de noms signent une pluralité de dieux ou de conceptions de Dieu différentes, ultérieurement synthétisés ou fondus en une seule appellation, le tétragramme ; ce qui n’a pas manqué de donner naissance évidemment à un dieu à la personnalité multiple, assez composite, voire contradictoire.
QUANT À L’ISLAM C’EST ENCORE PLUS SIMPLE il existe une liste officielle de 99 noms de Dieu, la plupart n’étant bien entendu que des attributs, mais d’autres posent plus de problèmes car ils semblent bien désigner une entité sensiblement différente de Dieu.
À l’origine, le Rabb est le seigneur d’un lieu : la puissance qui habite un endroit et en fait un sanctuaire. Ce nom est aussi donné aux prêtres en Arabie du Sud, ce qui confirme l’origine anthropomorphique de la formule. Or rabb est le mot qu’emploie Mahomet au début du Coran, bien plus que le « Dieu » de la suite. D’où toute la série des « raab » ci-dessous.
Rabba hadhal beït : seigneur de la maison.
Rabb al Ka ‘ba : seigneur de la Kaaba.
Rabb al falaq : seigneur de l’aube.
Rabb al alamin : seigneur des mondes.
Etc., etc.
Et enfin le Rahman adoré par un autre prophète, concurrent de Mahomet, Moussaïlima, mort dans des conditions obscures (il a abandonné la forteresse où il était en sécurité pour se réfugier dans sa Kaaba à lui, la hadiqa ar-Rahman).
Il défendait avec conviction une sorte de christianisme monophysite guerrier dans toute l’Arabie centrale (Nedjd).
1) La maladie de langueur de Cuchulainn et l’unique jalousie d’Aemer. En gaélique Serglige Con Culainn ocus Óenét Emire. Dans cette légende deux anges de sexe féminin viennent sous forme d’oiseau contacter le demi-dieu Cuchulainn de la part de la déesse Wanda/Fand. L’adultère finira mal !
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LA MYTHOLOGIE ARABE.
Des traces en sont encore visibles grâce à la survie d’un très long poème épique, la légende d’Antar (Antar est le personnage du plus célèbre roman de chevalerie arabe, il concentre dans sa personne toutes les qualités que devait posséder un individu au cours de la période préislamique) ; et à la reprise de mythes concernant des sages et des prophètes strictement arabes dans le Coran : Choaïb, Salih, Houd et Loqman, qui sont comme des ruines de la mythologie arabe antique.
La sagesse de Loqman. Coran chapitre 31.
Le Coran mentionne une figure légendaire arabe, une figure composite dont on retrouve des traits dans tout le Proche-Orient, dans le monde grec, la Bible voire dans des textes arméniens. Ce sage (il n’est pas prophète) est surtout connu pour sa longévité. Il donne même son nom au chapitre 31, où, par cette fiction, il devient, grâce à Mahomet, un porte-parole du monothéisme musulman.
Salih et la chamelle des Thamoud. Coran chapitre 26 versets 141-159.
Mahomet cite à plusieurs reprises un personnage à peu près inconnu, Salih, qui est présenté comme un très ancien prophète arabe, mal reçu par les Thamoud. Il n’apparaît à aucun moment dans la tradition abrahamique : il s’agit d’un emprunt au fond mythique – ou épique – des populations arabes. Malgré son origine incertaine, le traitement parodique du propos et l’évanescence du personnage, Salih est devenu un saint populaire pour les musulmans, du Yémen au Liban.
Choaïb chez les Madianites. Coran chapitre 11 versets 84-98.
Cet autre « avertisseur » arabe aurait été envoyé, selon l’auteur du Coran, aux peuples de Madian, ou aux « hommes du Fourré » (Aïka), inconnus par ailleurs. Il s’agit exactement du même cas que précédemment. La tradition musulmane a tenté vainement de le rapprocher de personnages bibliques.
Houd. Coran chapitre 11, verset 50.
Ce prophète légendaire est presque inconnu. Mais il suscitera une vive piété populaire dans le monde musulman, qui s’empresse, afin de le vénérer comme un saint, auprès de ses sépultures connues.
On a également pu reconnaître, dans les vestiges de la poésie « païenne », des fragments d’une sagesse traditionnelle et laïque, dont les traces se révèlent aussi dans les sources musulmanes ; il peut s’y trouver des preuves d’un idéalisme élevé, dans le cadre de la tribu. Dans ces textes, l’Homme y est sans cesse la mesure de toute chose, dans sa grandeur comme dans sa misère. Il a le verbe haut, son angoisse est toujours présente, et dans toute sa complexité ou sa finesse, il présente à la postérité une allure absolument contraire à ce que l’islam, dans le Coran notamment, a voulu montrer de lui.
Ci-dessous un exemple. Il s’agit d’un poème des Mouallaqat de la Kaaba attribué à Zouhaïr ibn Rabia.
(Première traduction en langue européenne due à l’orientaliste William Jones en 1799)…
47. Qui est rebelle à la paix doit se plier aux lances de la guerre.
48. Qui se montre fidèle à sa parole n’a rien à craindre des blâmes, et celui dont le cœur est porté vers le bien n’hésite pas à le faire.
49. Celui qui tremble à chaque occasion de mourir succombera un jour même s’il préfère monter au ciel sur une échelle.
50. L’homme de valeur qui marchande ses faveurs à ceux de sa tribu ne s’attire que blâme et dédain.
52. Qui part au loin finit par prendre l’ennemi pour un ami et qui ne se respecte pas lui-même ne saurait être respecté.
53. Qui ne chasse pas les envahisseurs de son puits par la force des armes le verra démoli, et qui s’abstient de blesser autrui même un tant soit peu, ne sera jamais blessé.
54. Qui ne flatte pas abondamment risque d’être déchiré à belles dents puis écrasé comme sous les pieds d’un chameau.
55. Qui défend sa réputation par des actions généreuses l’augmente et qui juge sera lui-même jugé.
56. Je suis las des tourments de la vie, à quatre-vingts ans, comment, diable, ne le serait-on pas ?
57. J’ai vu la mort comme une chamelle aveugle. Celui qu’elle atteint, elle le tue, et celui qu’elle épargne vieillit puis tombe en décrépitude.
58. Quelle que soit la nature d’un homme, il aura beau se croire capable de la cacher, elle se révélera toujours.
59. Je sais de quoi aujourd’hui est fait, de quoi était fait hier, mais je ne peux prévoir ce que sera demain.
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60. La moitié d’un homme c’est sa parole, l’autre moitié son cœur, le reste n’est qu’une image en chair et en os.
61. Qui fait du bien à qui en est indigne, ne récolte qu’injures pour tout éloge, et finit par regretter amèrement son geste.
62. Que de gens, que tu admires tant qu’ils n’ouvrent pas la bouche, expriment, dès qu’ils parlent, leur valeur ou leur médiocrité !
63. La sottise du vieillard est sans appel. Mais le jeune peut encore, malgré une sottise, se montrer digne et magnanime.
64. Nous avons demandé et vous avez donné. Nous vous avons demandé encore et vous avez encore donné. Mais, à trop demander, le risque est de ne plus rien recevoir.
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LITURGIE ET RITUELS.
Le rite est un geste qui possède un sens particulier, qui est accompli en vue d’une efficacité attendue. Il est immuable, répété, régulier, précis. Il peut se combiner avec d’autres et rendre l’individu qui les effectue différent de ce qu’il est dans la vie normale, et différent des autres.
La religion traditionnelle est essentiellement ritualiste : elle met en avant des actes plus que des croyances, des manifestations collectives plus que des comportements mystiques, la tradition plus que la doctrine. La religion musulmane intégrera donc la plupart de ces rituels, collectifs ou individuels : pèlerinage, circumambulations (taouaf), prières et sacrifices, mais en leur conférant d’autres significations.
La plupart des rites islamiques proviennent de rites païens, ce qui facilite leur étude. Le sens nouveau que les musulmans ont voulu leur conférer n’y change rien. Pour la plupart des pratiquants, dans toutes les religions, c’est le geste qui compte, et plus encore, le geste accompli devant les autres. C’est par le biais du rite que Mahomet a réussi à s’assurer la soumission des fidèles : la contrainte quotidienne qui en découle encadre la pratique et fige la réflexion.
Le rituel est un geste que l’on accomplit afin d’obtenir certains avantages. Le récit qui suit confirme l’absence de rupture à cet égard entre l’avant et l’après-islam.
Boukhari, tome 2, livre 24, hadith numéro 517.
Hakim ibn Hizam : Ô envoyé de Dieu, que penses-tu des gestes religieux que j’ai accomplis du temps du paganisme : aumônes, affranchissements d’esclaves, bons offices à l’égard des proches et de la famille ? Serai-je récompensé pour cela ? En adoptant l’islam, répondit le prophète, tu conserves à ton actif les bonnes actions faites auparavant.
Tabari, Histoire, tome 5, page 169.
Toubba demanda : que me conseillez-vous de faire quand je rentrerai dans le temple ? [la Kaaba]
— Quand tu entreras, fais comme tous les gens pieux : accomplis une circumambulation autour, vénère-le et honore-le, rase-toi la tête devant et conduis-toi avec humblement jusqu’à ce que tu aies quitté son enceinte.
Les différentes façons d’honorer une divinité.
Le système dit « polythéiste » est surtout non dogmatique : il n’y a pas de règle absolue régissant les relations entre la puissance et ses fidèles. Chaque sanctuaire a sa tradition. Ces rituels païens ont été en grande partie repris par le système musulman, qui, on le verra, s’appuie largement sur le rite, avant même l’élaboration de sa doctrine. Les sources tentent de deviner qui a pu instituer tel ou tel geste. En fait, il est impossible de le savoir, et c’est justement ça qui fait la force des traditions.
D’après le très documenté et très objectif site internet wathanism.blogspot.com la statue en quartz blanc de Zoul Khalasa était ornée d’une couronne et d’un collier autour du cou, on lui offrait des prémices d’orge et de blé. On l’aspergeait de lait, on lui sacrifiait ou accrochait des œufs d’autruches tout autour d’elle.
Les prières païennes se caractérisent par une grande variété de composition : c’est l’individu ou le groupe qui prend l’initiative de prononcer une parole sacrée destinée à une divinité. Mahomet innovera complètement à cet égard, en instituant un cadre rigide et strict à cet effet. Mais il laissera néanmoins subsister un type de prière privée, informelle et individuelle, proche de la superstition populaire ou de la formule magique, la doa ou doua.
Prière propitiatoire : le cas de la pluie.
Un grand nombre de dieux arabes ou sémites sont justement des dieux masculins de la pluie, comme Dieu.
Quelques cas ont été conservés, qui tous concernent Mahomet lui-même, appelé à pratiquer ce type archaïque de prière. Mahomet s’y pliait de bonne grâce et son oncle aussi.
Sahih Boukhari Tome 2, Livre 17, Hadith 123.
Anas : Chaque fois que la sécheresse les menaçait, Omar ibn Al-Khattab, avait l’habitude de demander à Al-Abbas ibn Abdoul Mouttalib d’invoquer Dieu pour la pluie. Il avait l’habitude de dire : « O Dieu, nous avions l’habitude de demander à notre Prophète de t’invoquer pour avoir de la pluie, et tu nous accorder cette bénédiction, maintenant nous demandons à son oncle de t’invoquer aussi pour avoir de la pluie, Dieu, accorde-nous cette bénédiction ». Et alors il pleuvait.
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Al-Souyouti donne le contexte de cet événement dans son Tarikh al-Khoulafa (Beyrouth, 1992, Ahmad Farès, p.140).
« En l’an 17, Omar a fait agrandir la mosquée du prophète, et il y eut cette année-là une grande sécheresse dans le Hedjaz… Omar demanda qu’il pleuve par l’intermédiaire d’Abbas. Ibn Sa’d a rapporté…… que quand Omar sortit afin de prier pour qu’il pleuve il est sorti en portant le manteau (burd) du Messager de Dieu et que…… Ibn Aoun raconte qu’Omar prit la main d’Abbas et la leva vers le ciel en disant : « Ô Dieu, nous cherchons avec l’oncle de ton Prophète un moyen de te demander de mettre fin à la sécheresse et de nous apporter la pluie… »
Prières archaïques de type contractuel.
Ci-dessous un vestige de l’ancien système, conservé par inadvertance dans la tradition musulmane.
Ibn Ichaq, la vie de Mahomet, page 300 (bataille de Badr).
L’apôtre de Dieu revint vers la cabane et y rentra, personne n’était avec lui sauf Abou Bakr. L’apôtre implorait son Seigneur de lui accorder l’aide qu’il lui avait promise, et parmi ses paroles, il y eut celles-ci : « Ô Dieu, si cette troupe périt aujourd’hui, tu ne seras plus adoré. Mais Abou Bakr lui dit : 'Ô prophète de Dieu, tes supplications incessantes vont finir par irriter ton Seigneur, car Dieu accomplira certainement la promesse qu’il t’a faite ».
Invocations funèbres.
On ne sait presque rien de ces paroles prononcées lors des funérailles.
Boukhari, tome 2, livre 23, hadith 382.
Le prophète s’est exprimé ainsi : ne sont pas des nôtres ceux qui se frappent les joues, qui déchirent les encolures de leurs vêtements, et qui suivent les us et coutumes du temps de l’ignorance.
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam. 29.
Les Arabes avaient l’habitude d’offrir des sacrifices devant toutes ces idoles, bétyles et pierres. Néanmoins, ils étaient conscients de la primauté ou de la supériorité de la Ka'bah, lieu auquel ils se rendaient en pèlerinage. Ce qu’ils faisaient durant leurs pérégrinations n’était qu’une perpétuation de ce qu’ils faisaient à la Ka'ba, à cause de leur dévotion envers elle.
Ils qualifiaient d’oblations (ata'ir, sing. atirah) les moutons qu’ils offraient et abattaient avant leurs statues et bétyles, le lieu où ils les abattaient et les sacrifiaient était qualifié d’autel (itr). Zouhayr ibn-abi-Soulma a dit à ce sujet :
« Il s’en alla et atteignit un sommet,
Tel un grand autel couvert du sang des sacrifices ».
Offrandes et dédicaces.
Ces rites et ces objets devaient concrétiser l’état des relations contractuelles entre les hommes et les divinités. Do ut des. On donne pour recevoir, on donne parce que l’on a reçu. On s’inflige une perte symbolique en espérant recevoir beaucoup plus en retour.
La libation.
Il s’agit de verser un peu de liquide : c’est le sacrifice le plus simple, et le plus économique.
Strabon XVI, 26.
Le soleil est pour les Nabatéens l’objet d’un culte particulier, ils lui dressent des autels sur les terrasses de leurs maisons, et là, chaque jour, pour l’honorer, ils lui offrent des libations et brûlent de l’encens.
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam 48.
Malik ibn-Harithah al-Ajdari m’a dit qu’il avait lui-même vu Ouadd, et que son père avait l’habitude de l’y envoyer avec du lait en disant « Offre à boire à ton dieu ». Malik a ajouté : « Mais c’était moi qui buvais le lait ».
Dédicaces.
Ce sont des offrandes effectuées à l’occasion d’une inauguration et qui sont évoquées par une brève inscription à l’intention du dieu ou des participants ; leur nombre est considérable comme dans tout autre peuple de l’antiquité.
Consécrations.
Pour recevoir un bienfait, ou pour remercier d’un bienfait, il est de coutume d’offrir un bien, animal ou objet, au dieu, en guise d’ex-voto. Pour les Arabes, ce sont surtout des chameaux ou des épées.
Consécration d’armes.
Ibn Al Kalbi, Kitab al-Asnam 51.
Al-Fals continua d’être adoré jusqu’à l’avènement du Prophète, au moment où Ali ibn-abi-Talib fut envoyé pour détruire sa statue. Ali détruisit l’idole et en emporta deux épées appelées Mikhdham et Rassoub (les mêmes deux épées qu’Alqamah ibn-Abadah a mentionnées dans son poème), qu’al-Harith ibn-abi-Chamir, roi des Ghassanides, avait offertes à al-Fals. Ali les rapporta au Prophète qui en porta une et lui rendit l’autre. C’était l’épée qu’Ali avait l’habitude de porter à son côté.
Consécration de nourriture.
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Coran chapitre 28, verset 57.
— Eh quoi !! Ne leur avons-nous pas donné un sanctuaire inviolable où sont apportés des fruits de toute nature ?
Consécration d’objets divers.
Sahih Boukhari, tome 5, livre 58, hadith numéro 187.
Ibn Abbas a dit […] Celui qui veut faire le taouaf autour de la Kaaba doit passer derrière Al Hijr et ne pas l’appeler al Hatim ; parce qu’avant l’islam, si quelqu’un y faisait un vœu, il avait coutume de jeter dedans son fouet, ses chaussures, ou son arc.
L’offrande des cheveux.
Pour sanctifier la trêve conclue avec les Mecquois, Mahomet prendra l’initiative d’accomplir des rites traditionnels dans un sanctuaire païen. C’est un très ancien rituel (universel) qui subsiste dans le fait de se raser la tête à la fin du pèlerinage à La Mecque. Nos textes montrent la perplexité de ses troupes devant la chose.
An 6 de l’hégire, mois de Dhoulqada 628.
Après avoir signé le traité et avoir fait la paix, le Messager de Dieu appela les compagnons en leur disant : « Levez-vous, sacrifiez vos bêtes et faites-vous couper les cheveux »].
Mais malgré le respect et l’amour infinis des Compagnons envers le Prophète, personne ne bougea. Le Prophète dut répéter son ordre une deuxième fois : « Levez-vous, sacrifiez vos bêtes et ensuite faites-vous couper les cheveux ! »
Mais les Compagnons firent comme s’ils n’avaient pas entendu.
Le Messager de Dieu répéta son ordre une troisième fois : « Levez-vous, sacrifiez vos bêtes et ensuite faites-vous couper les cheveux ! ».
Les compagnons ne bougèrent toujours pas.
Quand le Messager de Dieu vit qu’aucun des Compagnons ne bougeait bien qu’il ait répété son ordre trois fois, il alla voir Oumm Salama, une de ses femmes et lui dit : « O Oumm Salama ! Qu’est-ce qui ne va pas avec eux ? Je leur ai dit à plusieurs reprises : « Sacrifiez vos bêtes et faites-vous couper les cheveux, mais ils n’exécutent pas mon ordre ! »].
Oumm Salama, qui était exceptionnellement intelligente et vertueuse, répondit : « O Messager de Dieu ! Fais-le toi-même pour commencer. Sors et ne dis pas un mot à tes compagnons jusqu’à ce que tu ais abattu ta bête et que ton barbier t’ait coupé les cheveux. Si tu abats ta bête et que tu te fais couper les cheveux, ils feront de même ».
Là-dessus le Prophète sortit. Il enleva l’ihram sous son aisselle droite et le mit sur son épaule gauche ; il abattit son chameau et appela son barbier, Khirash b. Omayya ; Omayya lui coupa les cheveux.
Sur ce les Compagnons commencèrent à sacrifier leurs chameaux et à se faire couper les cheveux.
Oumm Salama raconte : « Ils ont couru vers leurs bêtes pour les sacrifier si vite qu’ils se sont presque écrasés les uns les autres ».
Ils pensaient probablement que les articles du traité de paix étaient trop sévères et s’attendaient à ce que le traité soit annulé par révélation ; ils s’attendaient à ce que le Messager de Dieu annule son ordre. Ils pensaient peut – être qu’ils seraient autorisés à entrer dans La Mecque afin d’y achever leur omrah. Quand ils ont vu qu’aucune révélation n’avait été envoyée à ce sujet, que le Messager de Dieu avait sacrifié son chameau et qu’il s’était fait couper les cheveux, ils se mirent aussitôt à sacrifier leurs chameaux et à se faire couper les cheveux pour ne pas s’opposer à la volonté du Messager de Dieu » (Site Internet Questions Islam).
19] Ahmad Ibn Hanbal, ibid., tome 4, p. 326 ; Sahih Boukhari tome 3, p. 182.
[20] Ahmad Ibn Hanbal, ibid., tome 4, p. 326 ; Sahih Boukhari, tome 3, p. 182.
[21] Ouaqidi, Maghazi, tome 2, p. 613.
[22] Ahmad Ibn Hanbal, ibid. tome 4, p. 326 ; Boukhari, ibid, tome 3, p. 182.
[23] Ibn Hicham, ibid., tome 3, p. 333.
[24] Ouaqidi, ibid., tome 2, p. 613.
La circumambulation (taouaf en arabe, deisil en Irlande) est un rituel universel, il s’effectue de diverses façons ; autour de la statue représentant la divinité, à l’intérieur du sanctuaire ou à l’intérieur de tout un territoire (troménie en Armorique) en effectuant alors toujours le même circuit.
Le mot hadj provient d’une racine sémitique évoquant le verbe « tourner ».
L’ethnologie offre plusieurs fonctions à ce rite : appropriation d’un territoire, protection du centre sacré, conditionnement psychologique, soumission à une contrainte aberrante, collective, massive et rythmée, reproduction du mouvement autour d’un axe cosmique. C’est le rite le plus spectaculaire, maintes fois décrit, avant et après l’islam, et qui a subsisté sans véritable transformation.
La circumambulation (taouaf).
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Le cas des Houms semble indiquer qu’initialement il n’y avait que la circumambulation autour de la Kaaba et même pas autour de Safa et Maroua. Quant à l’ascension du mont Arafat situé à 20 km n’en parlons même pas, il s’agissait d’un pèlerinage uniquement bédouin.
Ibn Ichaq, La vie de Mahomet par Alfred Guillaume page 87. LES HOUMS.
« Ils avaient abandonné la halte à Arafa et le fait d’en repartir, alors qu’ils reconnaissaient que c’étaient des institutions du pèlerinage et de la religion d’Abraham. Ils considéraient bien que les autres Arabes devaient faire une halte là et en repartir, mais disaient : « Nous nous sommes le peuple du sanctuaire, donc il ne convient pas que nous sortions du territoire sacré et honorions d’autres lieux comme nous, les Houms, le faisons, car les Houms sont le peuple du sanctuaire. Ils ont ensuite procédé de la même façon avec les Arabes nés de l’intérieur de leurs frontières, mais n’ayant pas de territoire sacré. Kinana et Khouza'a les rejoignirent en ce domaine.
Les Houms ont ensuite introduit des innovations pour lesquelles ils n’avaient aucune justification. Ils pensaient qu’il était mal de manger du fromage fait à partir de lait aigre ou de clarifier le beurre alors qu’ils étaient en état de tabou rituel. Ils n’allaient pas dans des tentes en poil de chameau pour s’abriter du soleil quand ils étaient dans cet état de pureté rituelle, mais dans des tentes en cuir. Ils étaient même allés plus loin et interdisaient aux gens qui n’étaient pas du haram d’amener de la nourriture avec eux quand ils venaient en grand ou petit pèlerinage. Ils ne pouvaient pas non plus tourner autour de la maison [sacrée] sauf dans des habits de Houms. S’ils n’avaient pas de tels vêtements, ils devaient aller nus. Si un homme ou une femme avait des scrupules à le faire alors qu’ils n’avaient pas de vêtements houm, alors ils pouvaient faire les circumambulations dans leurs habits ordinaires ; mais devaient les jeter après pour que ni eux ni personne d’autre ne puissent s’en servir.
Les Arabes appelaient ces vêtements « des fripes ». Ils avaient imposé toutes ces contraintes aux Arabes, qui les acceptaient et s’arrêtaient à Arafat, puis en repartaient en toute hâte afin de tourner nus autour de la maison sacrée. Les hommes allaient nus tandis que les femmes mettaient de côté leurs vêtements et mettaient un pagne. Une femme arabe qui faisait le tour de la maison disait :
Aujourd’hui, tout ou partie peut être vu
Mais ce que l’on peut-on voir n’est pas destiné à tout le monde !
Ceux qui avaient accompli leurs circumambulations avec les vêtements dans lesquels ils étaient arrivés les jetaient afin que ni eux ni personne d’autre ne puissent les utiliser. Les Arabes parlant des vêtements qu’il avait jetés et qu’il ne pouvait plus ni ne voulait plus remettre, disaient :
Ce serait pitié de les remettre
Puisqu’ils ont été traités comme des fripes sacrées devant les pèlerins.
C’est-à-dire qu’on ne pouvait plus y toucher ».
La volonté caractéristique des Houms de limiter la circumambulation à la seule Kaaba est donc évidente, mais confiner les rituels du culte au Haram de la Mecque n’était qu’un des aspects de la règle des Houms. Il y avait aussi des interdits alimentaires et domestiques ainsi que beaucoup d’importance accordée aux vêtements liés au rituel.
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam 36.
Les Arabes avaient aussi des pierres reliques du passé [qu’ils avaient prises dans des ruines antiques] et érigées sur place. Ils avaient l’habitude de faire des circumambulations autour et d’offrir des sacrifices devant. Ces pierres étaient appelées bétyles (ansab), et la circumambulation autour daouar.
Amir ibn-a Toufaïl (qui était tombé sur des Ghani ihn-A'ssour en train de tourner autour de quelques-uns de leurs bétyles, et avait aperçu certaines de leurs filles dans la procession, impressionné par leur beauté) aurait déclaré ce jour-là :
« Puissent les parents de ma mère, les Ghani,
Tourner autour de leurs bétyles tous les soirs ! »
Al-Fazari ayant fait quelque chose qui avait suscité l’ire des Couraïchites, qui lui avaient par conséquent interdit d’entrer à La Mecque, a déclaré :
« Je conduis mes chamelles et transporte mes bétyles avec moi ;
Aussi ai-je toujours le dieu de mon peuple derrière moi !
Sahih al-Boukhari, tome 6, livre 60, hadith numéro 23.
Nous avions d’abord considéré qu’accomplir de telles circumambulations était une coutume de la période d’ignorance (préislamique), et quand l’islam s’est installé, nous avons décidé de l’abandonner. Mais Dieu a révélé que « en vérité Safa et Maroua font aussi partie des symboles de Dieu. Donc, il n’est pas mal pour ceux qui font le pèlerinage de la Maison (de Dieu) ou accomplissent l’Omra d’en faire le tour (taouaf) » (2, 158).
Les pèlerins de Yathrib/Médine.
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam 12.
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Tous les Arabes l’honoraient [Manah] et sacrifiaient devant elle. [En particulier] les Aous et les Khazradj, ainsi que les habitants de Médine et de La Mecque et leurs environs… Les Aous et les Khazradj, ainsi que les Arabes de Yathrib et d’autres endroits qui avaient adopté leur mode de vie, avaient l’habitude de faire un pèlerinage et de faire une veillée aux endroits désignés, mais ne se rasaient pas la tête. À la fin du pèlerinage, cependant, alors qu’ils étaient sur le point de rentrer chez eux, ils se rendaient à l’endroit où [la statue de] Manah se dressait, se rasaient la tête et y restaient un moment. Ils ne considéraient pas leur pèlerinage terminé s’il n’avait pas été voir Manah [la statue de Manah].
Le pèlerinage des Bédouins Haouazines.
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam 42.
Les Qudaa, les Lakhmides, les Joudham, ainsi que les Syriens, avaient une idole appelée al Ouqaïchir. Ils se rendaient en pèlerinage à son sanctuaire et, là, ils se faisaient raser la tête. Le fidèle qui accomplissait ce rite offrait, avec ses cheveux rasés, une poignée de farine. Les Haouazines fréquentaient aussi l’endroit, et, s’ils arrivaient avant que le pèlerin ait mélangé le blé avec ses cheveux, ils disaient : « Donnez-nous ça, nous sommes de pauvres Haouazines ». Mais s’ils arrivaient après ils prenaient le tout, le blé, les cheveux et les poux [le pétrissait pour en faire de la pâte], le faisaient cuire et le mangeaient.
Boukhari, tome 5, livre 58, hadith numéro 179.
Les païens avaient coutume de ne pas quitter Jam (Mouzdalifa) tant que le soleil ne s’était pas levé sur la montagne de Thabir. Le prophète a fait le contraire, en quittant l’endroit (Mouzdalifa) avant que le soleil ne se lève.
Le sacrifice est le rite primordial et fondamental, dans toutes les religions. C’est aussi une façon de tuer les animaux et de les consommer, en communion avec le groupe. Le sacrifice est le moyen de maintenir un contact avec la puissance divine, de se défaire symboliquement d’un bien en espérant néanmoins en recevoir un autre, de réunir des hommes et des femmes, et de s’assurer une alimentation régulière en viande. C’est un rituel central, ici comme ailleurs. Le sang du sacrifice des animaux amenés par les pèlerins était offert aux déités, mais il y avait aussi parfois des sacrifices humains (le propre père de Mahomet, Abdallah, faillit en être victime).
On connaît très précisément les gestes pratiqués, notamment par Mahomet lui-même. Ces gestes sont reproduits par mimétisme depuis des centaines d’années. La boucherie est devenue ainsi une part de la religion. Le sacrifice préislamique autorisait la consommation de viande, à condition de consacrer le sang de la victime à la divinité, en le faisant par exemple couler sur le sol. Telle est l’origine de la boucherie rituelle dite « hallal » chez les musulmans. La religion arabe était de nature chtonienne, liée aux puissances du sol et du sous-sol avant tout. L’essentiel du rituel préislamique est resté intact avec l’islam. Seule son étiologie a changé, avec parfois le choix des animaux ou quelques détails du rite. On prête une attention particulière au choix des victimes : l’espèce, le sexe, la couleur, l’âge. Il faut également que la bête soit sans défaut, et appétissante… Elle est décorée ou mise en valeur pour être digne des dieux. Le rite est l’occasion de manger de la viande, de réunir la communauté, d’intégrer, d’exclure, et de montrer la hiérarchie dans le groupe (par le choix des morceaux, comme chez les Celtes).
On peut sacrifier partout, et particulièrement dans sa maison. Mais les sanctuaires sont les lieux les plus adaptés. À vrai dire, un lieu où l’on pratique ce rite devient sacré lui-même, et en conséquence se transforme en sanctuaire.
À noter. Le sacrifice royal par excellence semble avoir alors été celui des chameaux, celui des moutons ne s’est généralisé qu’après, avec l’expansion de l’islam. D’où le caractère quelque peu étonnant du hadith suivant. Qui de toute façon ne date pas de la période païenne de Mahomet.
Sahih Muslim livre 022 hadith numéro 4845.
L’apôtre de Dieu demanda qu’on lui amène un bélier avec des pattes noires, un ventre noir et des cercles noirs autour des yeux, pour qu’il puisse le sacrifier. Il dit à Aïcha : donne-moi un grand couteau. Puis il ajouta : aiguise-le sur une pierre. Elle le fit. Puis il prit le couteau et le bélier ; le plaqua au sol et le sacrifia en disant : Ô Dieu, accepte [ce sacrifice] de la part de Mahomet, de la famille de Mahomet ainsi que de la communauté de Mahomet.
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam 29.
Les Arabes offraient des sacrifices devant toutes ces statues, bétyles et pierres. Néanmoins, ils étaient conscients de la primauté et de la supériorité de la Kaaba.
L’autel et la fosse rituelle (bothros).
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam 18.
Al Ouzza avait un lieu voué aux sacrifices appelé djabdjab où on lui offrait des oblations. Houdhali en parle dans une de ses satires… Ensuite ils distribuaient la viande à ceux qui avaient offert le sacrifice ou avaient assisté à la cérémonie.
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Les sacrifices d’ovins.
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam 29.
… ils appelaient les moutons qu’ils offraient et égorgeaient devant leurs statues et bétyles des oblations (ata'ir, sing.atirah), le lieu où ils les abattaient et offraient le sacrifice était appelé autel ('itr).
Muslim, livre 10, hadith 3616.
Les gens de la période préislamique avaient coutume de vendre la viande des chameaux sacrifiés lors d’habal al habala. On parle d’Habal al habala quand une chamelle a mis bas et qu’une chamelle qui en est issue a mis bas également. Le messager de Dieu a interdit cette coutume (de vendre la viande en question).
La question des sacrifices humains.
Souligner la présence dans une autre religion de sacrifices humains est un moyen facile de la discréditer. Nous avons pu le voir à propos des sacrifices humains accomplis par des druides celtes (car il n’est pas question de nier qu’il y en a eu). Dans le cas des Arabes, l’élimination des filles dès la naissance semble avérée, dans certaines tribus du moins (l’atroce coutume semble loin d’avoir été généralisée), mais le tout sans rapport assuré avec la religion. C’était une pratique malthusienne, mais qui était déjà combattue, et Mahomet n’a donc pas été le premier à s’élever contre, il n’a fait que reprendre d’anciennes interdictions en la matière.
Inscription de Qutra 1 (l’antique Matirat) au Yémen. Deuxième siècle avant notre ère.
Qu’il soit interdit d’expulser de la cité de Matirat des hsm sans l’ordre ou la permission d’Ibn Soukhaïm ; et interdit de donner en mariage une fille de la cité, en tous lieux, et cités autres que la cité de Matirat, et interdit de tuer sa fille.
Comme toutes les religions antiques, celles d’Arabie étaient faites non point de dogmes, mais d’institutions et de pratiques. Il faut donc étudier les structures et les rites de ce monde religieux en dehors des puissances divines elles-mêmes, puisque nombre de ses éléments ont été repris dans l’islam naissant ; bien que ce soit avec un tout autre type d’explication (des références aux personnages de la Bible). L’absence de dogme aboutit à la constitution d’un système où le geste, le groupe et la tradition, priment sur la conscience ou la subjectivité. Entre les deux systèmes, le dogmatique et le non-dogmatique, le hiatus est total. Le désaccord sur la définition même du terme de « religion » en est la preuve. Mais dans le domaine du rituel, les réemplois de gestes anciens sont très nombreux.
Le calendrier.
Le calendrier païen était un calendrier luni-solaire fondé sur les mois lunaires, mais était également synchronisé avec les saisons par l’insertion d’un mois intercalaire additionnel, si nécessaire comme dans le cas du célèbre calendrier druidique de Coligny.
Que ce mois intercalaire (nasi) ait été ajouté au printemps comme dans le calendrier hébreu ou en automne, est débattu. On a supposé qu’il était inséré entre le douzième mois (mois du Hajj païen) et le premier mois (Muharram) de l’année (païenne).
Il y avait quatre mois de trêve durant lesquels les hostilités, les vendettas, les razzias et les actes de guerre ou les agressions étaient interdits ou suspendus, afin que les tribus puissent se consacrer à leurs dieux en leur offrant des sacrifices, aux pèlerinages sur les lieux saints, au commerce ainsi qu’aux compétitions à la fois physiques et poétiques.
Ces mois étaient ceux de Zou al Qa'dah, Zou al Hidjah, Muharram et Rajab autrement dits les 11e, 12e, 1er, et 2e mois, de l’année. Les trois premiers étaient spécialement voués à des fins religieuses et le dernier au commerce et aux activités profanes.
Mahomet n’avait donc pas d’autre choix que de reprendre ces mois païens en tant que mois les plus importants de son nouveau calendrier, mais avec une lubie en plus : la suppression du mois intercalaire (Dieu était contre) !
Les trêves sacrées.
Dans un monde sans lois nationales, les tribus avaient institué des périodes sacrées, durant lesquelles hommes, bêtes et biens, devaient être respectés. Ces trêves de Dieu étaient en quelque sorte de sanctuaires temporels et immatériels, mais aux bornes précises.
Préalables à tout rassemblement commercial (foires), au commerce des biens et des personnes, et aussi aux rassemblements destinés à la vénération des dieux, ces moments forts étaient strictement réglementés, tout manquement au rituel entraînait une sanction. On le verra par la suite avec les débuts de l’islam.
Le mois de radjab.
Ibn Ichaq. La vie de Mahomet. Par Alfred Guillaume. Page 286.
L’EXPÉDITION D’ABDOULLAH B. JAHCH ET LA VENUE DU « ILS T’INTERROGERONT SUR LE MOIS SACRÉ ».
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L’apôtre envoya Abdoullah b. Jahch b. Ri'ab al-Assadi durant Rajab à son retour du premier Badr. Il envoya avec lui huit émigrés, sans aucun des Ansar. Il lui écrivit une lettre et lui ordonna de ne pas la regarder avant d’avoir fait route pendant deux jours et de faire ce qu’il lui avait ordonné de faire dedans, mais de n’exercer aucune pression pour cela sur ses compagnons…… De retour à Yathrib/Médine, ils allèrent trouver l’apôtre qui leur dit : « je ne vous ai pas demandé de combattre pendant le mois sacré », et il garda la caravane et les deux prisonniers, mais sans leur prendre quoi que ce soit. Après que l’apôtre eut dit cela, les compagnons furent au désespoir et pensèrent qu’ils étaient condamnés à aller en enfer. Leurs frères musulmans leur reprochaient ce qu’ils avaient fait, et les Couraïchites disaient : « Mahomet et ses compagnons ont violé le mois sacré, ont versé du sang durant le mois sacré, pris du butin et fait des prisonniers.
Les musulmans de la Mecque qui n’étaient pas d’accord avec eux disaient que ça s’était passé durant le mois de Cha'bane. Les Juifs firent de cette expédition un mauvais présage pour l’apôtre… mais Dieu retourna cela contre eux, et pas en leur faveur, et après qu’on en eut beaucoup parlé, Dieu révéla à son apôtre : « Ils t’interrogeront sur le mois sacré, et la guerre pendant cette période. Dis, la guerre est une affaire très grave, mais détourner les gens de la voie de Dieu et ne pas croire en lui ni dans la mosquée sacrée et en chasser son peuple est plus grave aux yeux de Dieu… ».
Après que le Coran fut descendu à ce sujet et que Dieu eut soulagé la conscience des musulmans en la matière, l’apôtre saisit la caravane et les prisonniers. Les Couraïchites lui envoyèrent des hommes à eux pour racheter Outhman et al-Hakam, mais l’apôtre leur répondit : « Nous ne vous les rendrons pas tant que nos deux compagnons ne seront pas revenus, à savoir Sa'd et Outba, car nous craignons quelque chose de votre part à leur sujet. Si vous les tuez, nous tuerons vos deux amis. Mais dès que Sa'd et Outba furent de retour, l’apôtre relâcha les prisonniers contre une rançon.
Les fêtes profanes. La foire d’Oukaz (à quelques kilomètres au sud de la Mecque).
Une foire annuelle de vingt et un jours, qui avait lieu entre at-Ta'if et Nakhlah. Elle commençait le premier jour du mois de Zou'l-Qa'dah, début des trois mois sacrés. C’était la foire la plus célèbre. Elle était prétexte à rencontres diplomatiques, religieuses, culturelles. Le petit Mahomet s’y étant rendu durant son enfance, il a dû être marqué par toutes ces influences bigarrées.
Stanley Lane Poole (Sélections du Koran).
« Il y avait un endroit où, avant tout autre on récitait les Qasidas (odes) des anciens Arabes étaient récitées : c’était Okaz (Oukaz), l’Olympia d’Arabie, où se tenait une grande Foire annuelle, que fréquentaient non seulement les marchands de La Mecque et du Sud, mais aussi les champions poètes de tout le pays. La foire d’Okaz avait lieu durant les mois sacrés, une sorte de « trêve de Dieu », où le sang ne pouvait pas être versé sans violer les antiques coutumes et croyances des Bédouins. Les poètes des clans rivaux, qui jetaient aussi souvent des javelots que des malédictions versifiées, se retrouvaient tous là. Personne ne redoutait d’issue sanglante à ces joutes poétiques car ces champions qui pouvaient y croiser des ennemis ou parents de victimes en quête de vengeance, portaient des masques et des voiles, et leurs poèmes étaient récités par un orateur public sous leur dictée. Que ces précautions et le caractère sacré de cette période de l’année n’aient pas pu toujours empêcher les heurts suscités par ces fortes personnalités (des poètes en lice) et finissants en mêlée générale ou bain de sang est prouvé par certains cas qui ont été rapportés ; mais de tels débordements étaient rares et, en règle générale, les coutumes du temps et du lieu étaient respectées. Malgré les embrouilles passagères et les désaccords durables que ces concours poétiques devaient susciter, la foire d’Okaz était une institution célèbre. Elle servait de centre littéraire à toute l’Arabie : tous ceux qui prétendaient avoir le don de la poésie s’y rendaient, et s’ils ne pouvaient pas eux-mêmes y gagner les faveurs du public, ils pouvaient au moins faire partie de l’auditoire et des critiques qui pouvaient faire la renommée ou la honte de tout poète. La foire d’Okaz était un congrès littéraire, sans juges officiels, mais avec une influence démesurée. C’était là que les héros policés du désert décidaient des points de grammaire et de prosodie ; c’est là que les sept poèmes d’or [mou’allaqat] furent récités, même si (tant pis pour la légende !) ils n’ont été suspendus aux murs de la Kaaba que plus tard ; et c’est là qu’une langue magique, la langue du Hedjaz, s’est forgée à partir des différents dialectes d’Arabie, prête à son emploi par la main habile de Mahomet pour qu’il puisse conquérir le monde avec son Coran.
La foire d’Okaz n’était pas seulement un de leurs lieux de rencontre pour les poètes arabes : c’était aussi un examen annuel des vertus des Bédouins, c’est là que la nation arabe faisait son introspection une fois par an, pour ainsi dire, et produisait ou critiquait ses conceptions du noble et du beau dans la vie et dans la poésie, car c’est dans la poésie que l’Arabe – et d’ailleurs tout homme, dans le monde entier – a exprimé ses pensées les plus hautes, et c’est à Okaz que ces pensées ont été mesurées à l’aune des idéaux des Bédouins. Cette foire a non seulement cultivé les plus hauts sommets poétiques que la langue arabe ait jamais atteints, mais elle a aussi exalté les plus nobles idéaux quant à la vie et aux devoirs que la nation arabe ait jamais conçus et suivis. Okaz était tout à la fois la
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presse, la scène, la chaire, le Parlement et l’Académie française * du peuple arabe ; et quand, par peur des poètes mécréants (dont Imrou'l Qaïs devait être le chef de file en enfer), Mahomet a supprimé cette foire, il a par là même détruit la nation arabe… »
* Stanley Lane Poole n’a pas connu la France d’aujourd’hui, qui certes a été une grande nation, mais qui…
Les fêtes religieuses.
La fête est une période consacrée, durant laquelle les règles habituelles de la vie ne sont pas respectées ; elles sont remplacées et sont même parfois inversées. À ce moment, la communication avec les puissances surnaturelles semble possible.
La réunion autour des sanctuaires.
Nonnose. Histoire. Cf la Bibliothèque de Photius. Une collection de 280 notices consacrées à des auteurs antiques et chrétiens antérieurs, dont il cite des extraits ou donne des résumés.
« J’ai lu l’Histoire de Nonnose, contenant la description de son ambassade d’abord vers les Éthiopiens, les Amérites (Himyarites) et les Sarrasins, alors nation très puissante, puis vers les autres peuples de l’Orient……
La plupart des Sarrasins, ceux du Phoenicum et ceux qui sont au-delà de ceux-ci et des montagnes dites Tauréniennes, considèrent comme sacré un endroit consacré à un de leurs dieux, et ils se rassemblent là deux fois par an. La première de leurs assemblées se déroule sur un mois entier et au milieu du printemps, quand le soleil passe à travers le signe du bélier, tandis que l’autre dure deux mois ; elle est consacrée au solstice d’été. Durant ces rassemblements, ils observent une trêve totale, non seulement envers eux-mêmes, mais envers tous ceux qui vivent dans leur pays. On dit aussi que durant ce temps-là les bêtes féroces ne font aucun mal aux hommes, et qu’elles ne s’attaquent même pas entre elles ».
Les interdits religieux de ces fêtes.
Le pèlerin anonyme de Plaisance. Itinerarium. XXXVIII. Sinaï, Horeb, et Fête des Sarrasins.
Les Sarrasins ont érigé une de leurs statues de marbre, aussi blanche que la neige sur la montagne. Un de leurs prêtres y habite, il est vêtu d’une dalmatique et d’un pallium de lin. Quand le moment de leur fête arrive, dès que la lune s’est levée (avant que ses rayons n’aient déserté la fête), ce marbre commence à changer de couleur ; quand les rayons de la lune apparaissent, quand ils commencent à honorer la statue, le marbre devient noir comme la poix. Quand le temps de la fête est terminé, il revient à sa couleur d’origine, ce qui fut un objet d’émerveillement pour nous tous… Et parce que les jours de la fête des Sarrasins tiraient à leur fin, proclamation fut faite que personne ne reste dans le désert que nous avions traversé. Certains revinrent dans la cité sainte par l’Égypte, d’autres en passant par l’Arabie.
Les mois de l’année.
Massoudi (897 – 957) : Les Prairies d’or et les mines de pierres précieuses (Mourouj adh dhahab oua ma’adine al jaouahir) tome 3 chapitre 59 Traduction Barbier de Meynard et Pavet de Courteille (Paris 1864).
CHAPITRE LIX. ANNÉES ET MOIS DES ARABES ; NOMS QU’ILS DONNAIENT AUX JOURS
ET AUX NUITS.
Cette année se compose de trois cent cinquante-quatre jours, soit onze jours et un quart de jour de moins que l’année syriaque, ce qui fait une différence d’une année au bout de trente – trois ans. L’année arabe se termine sans qu’on célèbre (la nouvelle année) par un naurouz. Avant l’islam, les Arabes intercalaient un mois supplémentaire tous les trois ans ; c’est ce qu’ils nommaient naçi ou retard.
Dieu a blâmé cette coutume dans le verset du Coran : « Le naçi n’est qu’un surcroît d’infidélité. » (Chap. IX, 37.) Les Arabes avaient établi un ordre régulier dans leurs mois. Ils partaient de moharrem, qui est le premier mois de l’année ; il fut nommé ainsi parce que, pendant toute sa durée, la guerre et le pillage étaient interdits (haram), etc.…
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LES SANCTUAIRES 1) ET LE DROIT D’ASILE.
Il existe quantité de textes et d’inscription concernant cette institution : la protection de toute chose présente dans une aire sacrée (droit d’asile ou asylie).
Le territoire du sanctuaire de Taïf. Déjà mentionné plus haut, mais il n’est pas inutile arrivés à ce point de notre bref rappel sur la spiritualité écologiste avant la lettre des Arabes du temps de la Djahiliya d’en redonner la preuve.
Ibn Ichaq, la vie de Mahomet, traduction Alfred Guillaume page 617.
Texte du document : « Au nom de Dieu, le Compatissant le Miséricordieux. De Mahomet, le prophète, l’apôtre de Dieu, aux croyants : Les acacias de Ouadj et son gibier ne doivent pas être touchés. Toute personne trouvée en train de faire cela sera flagellée et ses vêtements confisqués. S’il récidive, il sera appréhendé et amené devant le prophète Mahomet. Tel est l’ordre du prophète Mahomet apôtre de Dieu que Khaled b. Saïd a écrit.
NDLR. La lettre de Mahomet permet donc aux habitants de conserver la sacralité de leur territoire, après avoir éliminé des lieux la divinité précédente ; les précisions juridiques permettent de retrouver les usages anciens. Dieu remplace simplement Allat.
Tabari, Histoire, tome 9 page 89.
La délégation de Jourach retourna voir le messager de Dieu et se soumit à l’islam ; il déclara que les environs de leur ville seraient un sanctuaire, avec des bornes bien déterminées, pour les chevaux, les montures, et les bœufs de labour. Mais si quelqu’un laissait paître son bétail hors de ces limites, son troupeau pourrait être saisi et abattu.
Le sanctuaire est l’endroit où un culte se déroule, quel que soit son aspect, son nom ou ses dimensions. En ce sens, n’importe quel espace peut être considéré comme un sanctuaire en Arabie et, selon les conceptions religieuses des Arabes d’alors, un lieu géographique n’avait nul besoin d’être aménagé pour devenir un sanctuaire. Safa et Maroua étaient par exemple deux lieux sacrés à proximité de la Kaaba de La Mecque. C’était de petits reliefs qui avaient plus ou moins été sacralisés avant Mahomet. Ils sont devenus des étapes obligées du pèlerinage musulman, mais la plupart d’entre eux ont dû demeurer dans leur état naturel, et ne seront par conséquent jamais connus des historiens.
Il y avait des sortes d’enclaves sacrées, délimitées par des colonnes de pierre ou des tumulus, entièrement vouées au divin ; où aucun être vivant ne pouvait être tué (à l’exception des serpents ou de certains insectes nuisibles) et où même aucun arbre ou arbuste ne pouvait être coupé. Les haram ou « interdits » (herem dans la Torah ou Bible juive). Ce terme désigne par exemple le périmètre sacré de La Mecque, et, par extension de tout lieu susceptible de comporter une part de sacré.
Il y est interdit de mentir, de jurer… Les tribus qui vivaient à proximité de ces enclaves s’engageaient à les défendre et à les respecter. Les gardiens de ces sanctuaires exerçaient des activités rémunérées ; la garde des clés du temple, la perception de l’impôt destiné à l’achat de nourriture pour les personnes se rendant au pèlerinage annuel en ces lieux sacrés, la fourniture d’eau à leurs animaux. Le temple recevait également des offrandes non dénuées d’intérêt. Les cultes arabes anciens pratiqués dans ces sanctuaires associaient souvent les dieux par couples (syzygies comme le dieu-lune et le dieu-soleil par exemple, Hobal et Sham), mais dans ce cas la déesse était souvent plus grande que le dieu. De tels cultes étaient très répandus dans l’Antiquité, y compris en Occident.
Certains lieux se dégagent pourtant, de par leur situation centrale et la dévotion dont ils font l’objet. Certains sanctuaires étaient l’objet de pèlerinages (hadj) au cours desquels différents rituels étaient accomplis, notamment des circumambulations (taouaf) autour d’objets sacrés. La circumambulation autour du temple de la Kaaba par les païens de La Mecque était sans doute une référence symbolique au mouvement des corps célestes dans l’espace ; car la Kaaba fut vraisemblablement au départ un temple consacré au soleil, à la lune, et aux planètes. Certains interdits caractérisaient ces rituels, notamment dans de nombreux cas l’abstinence sexuelle.
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Un sanctuaire petit ou grand est toujours l’offrande du groupe ou d’un particulier. De nombreuses dédicaces gravées permettent de localiser ou identifier les sanctuaires bâtis en honneur des dieux.
Diodore de Sicile, livre III, 45, 2.
Ensuite, il y a un golfe circulaire, fermé par de grands promontoires. Au milieu de son diamètre s’élève une colline, en forme de table, sur laquelle trois temples d’une hauteur admirable ont été construits en l’honneur de divinités inconnues des Grecs, mais tout particulièrement vénérées par les indigènes.
Diodore de Sicile, livre III, 42, 4 (description du rivage du golfe Arabique).
On voit aussi un autel de pierre dure (dans la palmeraie) ; d’époque ancienne, il porte une inscription en caractères antiques et inconnus. Pour prendre soin du sanctuaire, il y a un homme et une femme, qui exercent le sacerdoce à vie… Dans la palmeraie mentionnée plus haut, on célébrait tous les quatre ans une grande fête et les peuples voisins avaient l’habitude d’y venir de tous côtés ; pour sacrifier aux dieux du sanctuaire des hécatombes de chameaux bien engraissés, ainsi que pour remporter dans leurs patries de l’eau de cet endroit ; car, selon la tradition, cette boisson procurait la santé à ceux qui en absorbaient [NDLR. Ne pourrait-il pas s’agir de La Mecque ?]
La Kaaba de La Mecque.
La Kaaba était pour les anciens Arabes païens un sanctuaire inviolable, un asile, même pour les criminels qui pouvaient y trouver refuge… et elle était surtout au centre d’un carrefour commercial extrêmement important. Durant la période préislamique, l’édifice abritait 360 statues ou représentations de dieux et était devenu le centre d’un important culte païen. Pourquoi 360 ?… Eh bien tout simplement parce que depuis la plus haute antiquité, voire l’époque des civilisations de Mésopotamie, l’année solaire comptait 360 jours ENVIRON !
Il faut noter néanmoins la présence d’autres Kaaba, concurrentes de celle de La Mecque. Les fouilles archéologiques au Yémen ont apporté des informations importantes concernant les sanctuaires préislamiques, en mettant notamment à jour des édifices de type Kaaba.
Le sanctuaire de Houdeïbiya.
Déjà évoqué plus haut à propos du sacrifice des cheveux, mais donnons maintenant la parole à Ibn Ichaq à son sujet.
Ibn Hichaq, La vie de Mahomet par Alfred Guillaume. Page 505.
L’apôtre campait dans un territoire profane, mais il avait coutume de prier dans l’enclave sacrée. Quand la paix fut conclue, il égorgea ses victimes, s’assit et se rasa la tête. J’ai su plus tard que c’était Khirach ibn Ommaya qui lui avait rasé la tête. Quand les hommes virent cela, ils se levèrent et firent de même…
L’apôtre déclara : que Dieu ait pitié de ceux qui se sont fait raser la tête. Ils demandèrent : et de ceux qui leur ont coupé les cheveux aussi O apôtre de Dieu ? Ils durent répéter trois fois la question avant qu’il n’ajoute finalement « et aussi de ceux qui ont coupé les cheveux ». Quand ils lui demandèrent pourquoi il avait à plusieurs reprises limité l’invocation de la miséricorde de Dieu à ceux qui s’étaient fait raser la tête, il répondit : « Parce qu’eux n’ont pas douté… » Dieu fut satisfait des croyants quand ils prêtèrent le serment d’allégeance sous l’arbre car il savait ce qu’il y avait dans leur cœur, et il fit descendre la Sakina ? sur eux ».
Pour ce qui est de la sakina, voir plus haut. Les Rabbins définissent la Sakina [autre orthographe de ce mot qui en possède de nombreuses] comme étant la « gloire de Dieu » ou « l’Esprit de Dieu ». Dans la bible en latin shekinah est traduit par : Gloria in excelsis Deo [gloire à Dieu au plus haut] pour désigner la présence divine en l’homme et in terra Pax hominibus bonae voluntatis [paix sur la Terre aux hommes de bonne volonté] pour désigner la présence de Dieu [sa gloire] dans le monde, entendu comme création. C’est donc un état mystique. Mais ça nous l’avons déjà dit.
La Kaaba de Taïf.
Tabari, Histoire. Tome 5 page 223.
Massoud ibn Mouattib vint avec des gens de Taïf et s’adressa ainsi au général Abraha : Ô roi, nous sommes tes serviteurs, obéissants et soumis, et tu ne nous verras pas opposer de résistance. Notre maison (ils parlaient du temple d’Allât) n’est pas la maison que tu cherches. La maison que tu cherches est à La Mecque (ils parlaient de la Kaaba)…
Ainsi que le dit en l’occurrence Massoud ibn Mouattib, le sanctuaire de la déesse préislamique Allat était situé à Taïf, et la popularité de son culte en faisait un important rival de celui d’Allah (?) dans la Ka'bah de la Mecque durant la période préislamique… jusqu’à ce que son sanctuaire soit dépouillé et détruit lors de la reddition d’al-Ta'if en 630.
Sanctuaires d’Arabie du Sud.
Ils sont de mieux en mieux connus, grâce aux fouilles archéologiques et aux découvertes épigraphiques récentes. C’est là aussi que l’on trouve les ruines les plus impressionnantes.
Le sanctuaire de Souqam.
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Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam 17.
Les Couraïchites lui avaient consacré [à Al-Ouzza], dans la vallée de Hourad, un vallon (shib) appelé Souqam, qui rivalisait avec l’enclave sacrée de la Kaaba.
La Kaaba de Nedjran.
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam 39.
Les Banou al Harith ibn Kab avaient à Nedjran une Kaaba qu’ils honoraient. C’est elle qu’al Acha mentionne dans une de ses odes. On m’a dit qu’il ne s’agissait pas d’une Kaaba cultuelle *, mais seulement d’une salle où se réunissaient les gens dont parle le poète. Cette opinion me paraît vraisemblable, car je n’ai pas entendu de vers faisant mention, chez les Banou al Harith, de cette Kaaba.
La Kaaba du Yémen.
Muslim, livre 031, hadith 6052.
Jabir a dit que, durant les temps préislamiques, il y avait un temple nommé Zoul Khalassah, qui était aussi appelé la Kaaba yéménite ou la Kaaba du Nord. Le Messager de Dieu (que la paix soit sur lui) m’a demandé : Veux-tu me débarrasser de Zoul-Khalasah et je suis donc parti avec 350 cavaliers de la tribu d’Ahmas pour le détruire et tuer tous eux que nous trouverions là.
NDLR. D’après Ibn Kalbi (kitab al Asnam 29) Zoul Khalassa était une divinité représentée par un bloc de quartz blanc sculpté avec quelque chose en forme de couronne sur sa tête. Il se trouvait à Tahalah, entre la Mecque et Sanaa, à sept jours de la Mecque. Sa garde était confiée aux Banou-Omamah des Bahilah ihn-Assour. Les Khath'am, les Bajilah et les Azd d’Al-Sarah ainsi que les sous-tribus arabes des Haouazines qui vivaient dans leur voisinage ou les Arabes résidant à Tabalah, avaient coutume de l’honorer et de venir y sacrifier.
La Kaaba de Sindad.
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam 39.
Les Lyid avaient une Kaaba située à Sindad, située entre Koufa et Bassora. C’est elle que mentionne al Asouad ibn Yafour dans une de ses odes. On m’a rapporté que ce n’était pas un lieu de culte *, mais un monument célèbre. C’est pourquoi al Assouad en a parlé.
* Note de la rédaction. Les formules « On m’a dit qu’il ne s’agissait pas d’une Kaaba cultuelle… » ou « On m’a rapporté que ce n’était pas un lieu de culte… » sont évidemment une preuve de la gêne de l’auteur devant de tels faits. Le sujet reste tabou dans l’historiographie musulmane, et cela depuis ibn Kalbi, car il remet en cause le dogme de l’unicité du sanctuaire de La Mecque.
1) Le personnel des sanctuaires nous est bien connu, mais il ne s’agit pas à proprement parler de prêtres, devant prendre en charge le rituel. En effet, les rites peuvent être pratiqués par tout un chacun, surtout s’il a des animaux à sacrifier. Il existe en revanche quantité de personnes chargées de faciliter, encadrer, ou mettre en valeur, les offrandes. Les prêtres n’ont, dans ce système, qu’une fonction d’encadrement ou d’assistance : aide au sacrifice, police du lieu, accueil des pèlerins, taxes.
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LES ORACLES ET LES DEVINS.
Il existe dans cet univers des personnages hors du commun qui sont capables de deviner l’avenir ou de mobiliser des forces surnaturelles. Ils prophétisent, c’est-à-dire « parlent avant », avant les faits qui surviennent.
Les Arabes semblent avoir été très connus dans le monde antique pour leurs facultés divinatoires.
L’oracle est simplement l’expression de la parole divine, souhaitée, favorisée, attendue par les fidèles. C’est un des piliers les plus solides de l’ancienne religion, il répond aux attentes humaines fondamentales, et Mahomet devra d’ailleurs concentrer ses attaques sur les divinités oraculaires (par bélomancie) comme Hobal (le grand rival d’Allah ?).
N.B. Les augures sont une catégorie spéciale de devins, ceux qui sont inspirés par l’observation de signes naturels, comme le comportement des chevaux ou le vol des oiseaux.
Cicéron, De la Divination 1, 42.
Les Arabes, les Phrygiens, les Ciliciens, parce qu’ils pratiquent le pâturage pour leur bétail, et se promènent parmi les champs et les montagnes, en hiver comme en été, observent plus facilement le chant et le vol des oiseaux.
Philostrate, Vie d’Apollonios de Tyane 1, 20.
Il apprit durant son parcours de la région arabe ce qu’ils savaient le mieux faire. Il est assez courant chez eux d’écouter le chant des oiseaux qui délivrent des oracles, et ils acquièrent la possibilité de les comprendre en les nourrissant…
Ibn Ichaq, La vie de Mahomet, par Alfred Guillaume, page 372.
L’apôtre allait son chemin et passa devant le haras des Banou Haritha. Un cheval donna un coup de queue qui prit le pommeau d’un sabre et le fit sortir du fourreau. L’apôtre, qui aimait les augures, bien qu’il refusât d’observer le vol des oiseaux, dit au propriétaire du sabre : rengaine ton sabre, car je vois que les sabres vont être tirés aujourd’hui.
Les étoiles filantes.
Muslim, tome 26, hadith 5538.
« Ibn Abbas… une nuit qu’ils avaient aperçu une étoile filante. Le prophète leur demanda : que disiez-vous pendant la période d’ignorance, quand une étoile filante apparaissait ? […] Nous disions qu’un grand homme était né, ou était mort, cette nuit-là.
Durant sa jeunesse et le début de son apostolat, Mahomet fut souvent confronté (et confondu) avec des devins, qui étaient ses concurrents directs. Il fut aussi constamment accusé d’être lui-même un devin par ses adversaires ; certains indices vont dans ce sens ainsi que plusieurs passages du Coran.
Chapitre 73.
Ô toi qui es enveloppé d’un manteau !
Ne veille que peu de temps,
La moitié ou un peu moins de la moitié de la nuit,
— ou un peu plus –
Et psalmodie avec soin la récitation.
Chapitre 74.
Ô toi qui es revêtu d’un manteau !
Lève-toi et avertis !
Chapitre 85.
Par le ciel et ses constellations !
Par le jour qui s’annonce !
Par celui qui témoigne et par ce dont il témoigne !
Chapitre 89.
Par l’aube !
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Par les dix nuits !
Par le pair et l’impair !
Par la nuit quand elle s’écoule !
C’était là une question sensible pour Mahomet, puisqu’il était accusé d’être un de ces devins, mais il ne dédaigne pas, tout en les maudissant, d’exercer diverses pratiques extracanoniques, très clairement attestées. Cet attrait pour la maîtrise de domaines ou de pouvoirs mystérieux est une constante du milieu bédouin et arabe en général, y compris jusqu’à nos jours.
Sahih Muslim tome 1 livre 4, hadith 1094.
Messager de Dieu, j’étais naguère encore païen, mais Dieu nous a révélé l’islam ; or parmi nous il y a des gens qui avaient recours aux devins. Il répondit…
— N’ayez plus recours aux devins !
— Il y a des gens qui avaient recours aux augures.
— C’est quelque chose qu’ils trouvent en eux-mêmes en fait, ne laissez pas cela vous détourner de votre chemin.
— Il y a des gens qui dessinent des lignes sur le sable.
— Il y a eu un prophète [Jésus ?] qui traçait des lignes sur le sable, alors s’ils le font, sachez que c’est permis.
Sahih Boukhari, tome 9, livre 93, hadith 650.
Aïcha : certaines personnes ayant interrogé l’envoyé de Dieu à propos des devins, il leur répondit…
— Ils ne représentent rien.
— Mais, ô envoyé de Dieu, reprirent les fidèles, par moments, ils annoncent des choses qui se produisent vraiment.
— Ces paroles vraies, répliqua l’envoyé de Dieu, c’est un djinn qui les a dérobées puis qui vient les caqueter dans les oreilles de son maître (le devin), à la façon des poules. Mais il mêle aussi à tout cela plus de cent mensonges [NDLR tout cela fait irrésistiblement penser aux positions du chrétien Tertullien en la matière. Voir son apologétique].
La divination par les flèches (bélomancie).
C’était une procédure pratiquée par les peuples nomades et archers, avec des flèches spéciales, lancées sur une cible, tirées au sort du carquois ou bien jetées par terre. Le rite aurait été pratiqué à La Mecque, dans la Kaaba. Voir plus haut.
Ibn Ichaq. La vie de Mahomet, traduction Alfred Guillaume page 66. LE VŒU D’ABD AL-MOUTTALIB.
« On dit que lorsqu’ Abd al Mouttalib se heurta à l’opposition des Couraïchites quand il voulut creuser Zemzem, il fit le vœu que s’il avait dix fils, il sacrifierait l’un d’eux à Dieu à la Kaaba. Quand il eut dix fils pouvant le protéger, il les réunit autour de lui et leur parla du vœu qu’il avait fait en leur demandant de garder foi en Dieu. Ils acceptèrent de lui obéir et lui demandèrent ce qu’ils devaient faire.
Il demanda à chacun d’eux de prendre une flèche, d’écrire son nom dessus et la lui apporter, ce qu’ils firent. Ensuite il les conduisit devant (la statue de Hobal) au milieu de la Ka'ba. Hobal étant la plus grande (ou la plus honorée) des idoles des Couraïchites à La Mecque. Elle se dressait là près d’un puits là. C’était dans ce puits que les offrandes faites à la Kaaba étaient conservées.
À côté de Hobal, il y avait sept flèches, chacune avec des mots écrits dessus. Sur l’une était marqué « prix du sang ». Quand on n’était pas d’accord sur qui devait payer le prix du sang, on tirait au sort avec les sept flèches et celui lui sur qui le sort tombait devait verser l’argent. Sur une était marqué « oui », et sur un autre « non », et on agissait en conséquence en ce qui concernait le problème pour lequel l’oracle avait été invoqué. Sur une autre il était écrit « de vous », sur une autre mulsaq (étranger), sur une autre « pas de toi », et sur la dernière il y avait « eau ». Quand on voulait creuser pour trouver de l’eau, on tirait au sort avec cette flèche et partout là où elle tombait on se mettait au travail. Quand on voulait faire circoncire un garçon, ou faire un mariage, ou enterrer un corps, ou quand on avait des doutes à propos de la filiation de quelqu’un, ils l' emmenaient au pied d’Hobal avec une centaine de dirhams et un chameau de boucherie ont les donnait à l’homme qui procédait au tirage au sort, puis on allait voir l’homme à propos duquel on se posait des questions en disant, « Voici A le fils de B avec qui nous avons l’intention de faire ceci ou cela, indiquez nous ce qu’il convient de faire avec lui. Ensuite ils disaient à l’homme qui jetait les flèches « Jette – les ! » et si la flèche marquée « de vous » sortait, alors c’était un vrai membre de leur tribu, et si la flèche sur laquelle était écrit « pas de vous » alors c’était un allié, et si la flèche marquée mulsaq sortait, alors il n’avait aucun lien de parenté et ne faisait pas partie des alliés. Dans les autres affaires si la flèche « oui » sortait on agissait en conséquence, et si la réponse était « non », alors on repoussait l’affaire d’un an avant de faire une nouvelle demande… Abd al-Mouttalib dit à l’homme des flèches : tire au sort pour mes fils avec ces flèches, et il lui expliqua le vœu qu’il avait fait. Chacun lui remit la flèche sur laquelle figurait son nom… Abdullah était le fils favori d’Abd al-Mouttalib et son père pensait que si la flèche le manquait, il serait épargné (c’était le père de l’apôtre de Dieu).
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Quand l’homme prit les flèches pour tirer au sort avec, Abd al-Mouttalib se tenait près de la statue de Hobal en train de prier Dieu. L’homme tira au sort et la flèche d’Abdoullah sortit. Son père le prit par la main saisit un grand couteau et l’emmena jusqu’à Isaf et Naïla (deux statues appartenant aux Couraïchites devant lesquelles ils immolaient leurs victimes) afin de le sacrifier ».
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam 23.
La statue d’Hobal se dressait à l’intérieur de la Kaaba et avait, devant elle, sept flèches divinatoires. La première portait la mention « pur », la deuxième la mention « appartenant à quelqu’un d’autre ». La légitimité d’un nouveau-né était-elle mise en doute, on faisait une offrande [à Hobal] et l’on tirait les flèches au sort. La flèche « pur » faisait reconnaître l’enfant, l’autre le faisait renier. Une troisième flèche concernait les morts, une quatrième, le mariage. On ne m’a pas expliqué l’usage des trois dernières flèches.
À propos d’un litige, d’un voyage ou d’une entreprise, on se rendait auprès de la statue d’Hobal et l’on tirait les flèches au sort devant. Les consultants s’en tenaient à l’arbitrage des flèches divinatoires et s’y conformaient.
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam 41.
Alors qu’Imroul Qaïs ibn Houjr faisait route pour attaquer les Banou Assad, il passa par Zoul Khalasa. (C’était une divinité dont la statue se dressait à Tabala que tous les Arabes honoraient). Devant sa statue, il y avait trois flèches divinatoires : l’impérative, la prohibitive et l’expectative. Imroul Qaïs par trois fois tira les flèches au sort et par trois fois il sortit la flèche de l’interdiction. Il brisa les flèches divinatoires et les jeta donc à la figure de la statue en s’écriant [censuré]…
Ces procédés furent évidemment condamnés avec véhémence par Mahomet, car ils pouvaient saper son autorité.
Mahomet, Coran 5, 3.
Il vous est également interdit de consulter le sort au moyen de flèches, c’est une abomination.
Mahomet, Coran 5, 90.
Ô vous qui croyez ! Les boissons fermentées, les jeux de hasard, les pierres dressées ou les flèches divinatoires, ne sont qu’une souillure œuvre du démon.
Évitez-les !
L’oniromancie.
Autre catégorie mantique, qui, elle, est parfois pratiquée par Mahomet. Grande est en effet la place des songes dans son aventure.
Muslim, livre 029, hadith numéro 5613.
J’ai entendu l’envoyé de Dieu dire : une bonne vision vient de Dieu et un cauchemar vient du démon. Donc si quelqu’un fait un rêve qu’il n’aime pas, il doit cracher trois fois sur son côté gauche et chercher refuge en Dieu contre le démon, de cette façon il ne pourra rien lui arriver de mal.
Muslim, Livre 029, hadith numéro 5647.
D’après Anas b. Malik l’envoyé de Dieu a dit : j’ai vu cette nuit ce qu’une personne voit dans son sommeil, comme si nous étions dans la maison d’Ouqba ibn Rafi. Des dattes fraîches d’Ibn Tab étaient servies. J’ai interprété cela comme un signe de la sublimité du monde pour nous, une fin favorable dans l’au-delà, un signe que notre religion était la bonne……
Bigre ! Rien que cela !
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LA MECQUE.
Jacqueline Chabbi.
— Le Seigneur des Tribus. L’islam de Mahomet (1997).
— Le Coran décrypté : Figures bibliques en Arabie (2008).
— Lecture anthropologique du Coran (2016).
Estime que l’on s’en laisse « un peu trop conter par des textes médiévaux largement postérieurs au début de l’islam ». Il va de soi que la Mecque n’a pas été fondée par Adam et Ève ni par Abraham ni par Ismaël.
Affirmer que la Kaaba a été construite par Adam et Ève ou Abraham ou Ismaël a beaucoup beaucoup, mais alors beaucoup à voir avec la foi, et peu, mais alors peu, très peu, à voir avec la raison. Tout ce qu’on lit dans la Bible sur Abraham relevant de la légende, en rajouter une couche à cette première imposture historique est par conséquent de l’imposture au carré. Cet acharnement digne de la pire des méthodes Coué à vouloir à tout prix être reconnu comme un héritier légitime et direct de la religion juive et d’Abraham ; alors qu’il est évident que seuls certains détails du vernis islamique le sont, et que le fond est païen (la notion d’homme-dieu dans le christianisme, le rôle de la Kaaba dans l’Islam, etc.) EST PITOYABLE. C’est à la fois la manifestation hors du temps d’un incroyable racisme envers les autres religions doublé d’un TOUT aussi incroyable complexe d’infériorité. Sans parler d’une ignorance crasse de la science historique et des découvertes de l’archéologie (le début de la Bible jusqu’à l’épisode de la tour de Babel est emprunté aux mythes sumériens, Abraham est une légende, Moïse n’a pas existé, l’esclavage en Égypte non plus, etc.).
Mais ça nous l’avons déjà dit.
Nous ne discuterons donc pas ici le postulat anti historique du monothéisme primitif des premiers peuples ni de son caractère abrahamique. La référence à Abraham à Adam bref à l’histoire biblique traditionnelle, n’est pas d’origine, et n’est venue se surajouter que tardivement, afin de légitimer le pèlerinage à La Mecque. D’où ce respect zélé des rituels et obligations du pratiquant. N’oublions pas non plus que tous ces premiers livres de la Bible n’ont aucun fondement historique. Ce ne sont que des mythes ou de la propagande au service du royaume de Juda ; pourquoi dans ces conditions ajouter des mensonges ou contrevérités à d’autres mensonges ou contrevérités ?
Aux origines de toute religion, il y a les mythes. L’islam ne présente en cela aucune originalité. Ainsi en va-t-il de la généalogie fictive qui, dans certains milieux musulmans – malheureusement relayés par un certain nombre d’études de vulgarisation en langues occidentales –, fait de Mahomet un descendant direct du patriarche biblique, à supposer d’ailleurs que celui-ci ait existé, ce qui est très douteux. Abraham est certainement un héros de récit mythique. Mais cela n’en fait pas pour autant un personnage historique, même si l’on croit pouvoir visiter son tombeau à Hébron.
Les allégations abrahamiques concernant le site mecquois et la personne de Mahomet lui-même sont donc de l’ordre de la croyance ou de ces sortes d’histoires fictives et merveilleuses que l’on aime à se raconter, pour fonder une origine dans un temps absolu qui échappe à toute perception raisonnée (métahistoire comme la bataille de Mag Tured ou l’Hyperborée des légendes irlandaises). De telles allégations – fussent-elles coraniques – n’ont évidemment rien à voir avec une analyse historique. Elles ne sauraient, en tout cas, contraindre en quoi que ce soit la démarche de l’historien. (Jacqueline Chabbi, Aux origines de La Mecque, le regard de l’historien).
La religion des Arabes de La Mecque au 7e siècle était évidemment un paganisme, arabe, ici et là influencé par le judaïsme ou certaines formes de judéo-christianisme voire de gnosticisme, chrétien. Le prouve le fait historique qu’il y a eu à la même époque en Arabie des tentatives similaires à celle de Mahomet, c’est-à-dire des syncrétismes religieux incluant une dose variable d’éléments théologiques juifs ou chrétiens. Divers autres mystiques s’étaient en effet à l’époque lancés un peu partout dans la même aventure que Mahomet, pour la plus grande gloire de Dieu ; et notamment un certain Assouad
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al Ansi dont le mouvement rivalisa un temps avec celui de l’islam au Yémen ; ainsi qu’un dénommé Toulaïha dans les tribus d’Assad et de Ghatafan. Sans oublier la devineresse et poétesse Sadjah de la tribu des Tamim. Cet aspect des choses est évident dans le cas de la confédération tribale des Banou Hanifa, dirigée par Moussaïlima, dans la région d’Al Yamama, au centre de l’Arabie ; qui regroupe des tribus plus anciennement monothéistes que l’islam, adorant un Dieu qu’elles appellent Al Rahman, le Miséricordieux (les Hanifa, des groupes chrétiens monophysites pré-nicéens ? Ils seront impitoyablement écrasés par le premier calife dans les mois qui suivirent la mort de Mahomet).
Dans tout le Proche-Orient antique, la manifestation privilégiée du sacré résidait dans les pierres ou rochers, d’apparence ou d’origine extraordinaire, comme les météorites : les bétyles, « maisons du dieu », ou plus souvent ansab, en arabe. Dans les textes les plus anciens de cet immense corpus, on peut repérer des survivances de ce culte, attesté aussi chez les Hébreux ou les Celtes et Pré-Celtes. De nombreux historiens rapportent que ces pierres étaient rectangulaires ou plus ou moins anthropomorphes. Elles n’étaient pas adorées pour elles-mêmes comme le voudrait la définition classique de l’idolâtrie depuis Abraham et Moïse, mais en tant que demeure d’un être personnel (dieu ou esprit) ou impersonnel (une force, un pouvoir). Note de la rédaction : un peu comme chez les Celtes par conséquent !
La mère des dieux, Cybèle, était adorée en Phrygie (Asie Mineure). C’était une déesse de la Terre, maîtresse des fauves. Une des plus célèbres pierres noires de l’Antiquité fut celle de son temple situé à Pessinonte.
Ville prise par les Gaulois d’Asie Mineure en -238. Qui virent en elle une déesse de la chasse de type Arduinna.
Pausanias. Attiques. Livre I. Chapitre IV.
5. Les Gaulois s’étant embarqués pour la plupart, passèrent en Asie et en ravagèrent les côtes. Ils furent ensuite repoussés dans l’intérieur, par les habitants de Pergame, pays qu’on appelait jadis la Teuthranie, et ils s’établirent dans la contrée située au – delà du fleuve Sangarius, après avoir pris aux Phrygiens Ancyre, ville fondée jadis par Midas, fils de Gordias ; l’ancre trouvée par Midas, se voyait encore de mon temps dans le temple de Jupiter (Zeus). On y voit aussi la fontaine qui porte le nom de Midas, aux eaux de laquelle il avait, dit-on, mêlé du vin pour prendre Silène. Les Gaulois prirent donc Ancyre ainsi que Pessinonte, ville située au pied de la montagne sur laquelle on dit qu’Agdistis et Atys sont enterrés.
La prise de ces villes eut donc lieu après la victoire remportée sur eux par Attale 1er près des sources du Caïque en -238 car cette victoire du roi de Pergame fut loin de les anéantir ou de les rayer de la carte.
Le simulacre naturel de la déesse phrygienne était une petite pierre noire, raboteuse, de forme irrégulière, et qui, au milieu de ces irrégularités, présentait une apparence de bouche (ou plus certainement de sexe féminin) ; c’était par conséquent une de ces petites pierres noires dont les bords sont anguleux ou inégaux, au milieu desquelles se voit un sillon bien marqué, et que les naturalistes ont nommées hystérolithes.
Le simulacre artificiel de la déesse la représentait comme une femme d’âge mûr, robuste et puissante, assise, la tête couronnée de tours, tenant dans une main, ou des épis de millet, ou des têtes de pavot, de l’autre un tambour. Elle avait un habillement de différentes couleurs et chargé de fleurs. Son char était traîné par des lions. À ce simulacre on joignait un jeune homme : c’était Atys. Un bonnet pointu à la phrygienne, et une double ceinture sur la robe ; des flûtes et des attabales, sorte d’instrument qu’il tenait d’une main ; une houlette ou une crosse qu’il portait dans l’autre, étaient ses vêtements, ses ornements et ses attributs. Ordinairement on mettait un pin auprès de la statue d’Atys.
La déesse et sa pierre noire furent installées à Rome en – 204 si l’on en croit Tite-Live.
« La ville était préoccupée par une question religieuse qui venait de se poser d’une façon imprévue : en consultant les Livres sibyllins à propos de pluie de pierres particulièrement fréquentes cette année-là, on avait trouvé la prophétie suivante : Le jour où un ennemi d’une autre race aura porté la guerre sur le sol de l’Italie, on ne pourra le chasser d’Italie et le battre qu’à condition d’amener de Pessinonte à Rome la Mère des Dieux, déesse de l’Ida. (ennemi = Hannibal, mère des dieux = autre nom de Cybèle)… On se mit donc à songer et à réfléchir aux moyens de transporter la déesse à Rome pour obtenir au plus vite la victoire que les destins, les présages et les oracles annonçaient » (Tite Live, XXIX, 10).
Ce qui troublait le plus les Romains c’est que dans cette équation l’inconnue « ennemi d’une autre race » était facile à identifier puisque le temple de Pessinonte se trouvait depuis – 237 aux mains des Gaulois d’Asie mineure, et plus particulièrement de la tribu des Tolistoboiens.
Dans le cas de la Kaaba, ces pierres étaient considérées comme des manifestations ou des symboles (chargés de force) de la divinité. La Pierre blanche symbolisait la divinité originelle et la pierre noire représentait son fils. Il s’agissait vraisemblablement d’une roche basaltique – et non pas une météorite
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comme on le lit souvent – ainsi qu’il s’en trouve en abondance dans cette région de volcanisme éteint. La couleur de ces pierres noires les différencie très nettement de l’environnement désertique, et elles ont toujours été très recherchées par les habitants de ces contrées arides qui leur attribuaient des propriétés miraculeuses.
Il existe dans les faits toute une gamme entre le bétyle naturel et l’idole anthropomorphique. Une de nos sources mentionne même la présence dans la Kaaba d’une représentation des trois grues, ce qui nous étonne quand même beaucoup (le trigaranos des Galates d’Asie Mineure jusque-là et en plein sixième siècle ? ?).
Comme dans le cas des autres religions antiques, le culte païen traditionnel consistait à honorer des objets à forme humaine, qui représentaient ou évoquaient les dieux ou déesses, et recélaient une partie de leur puissance. La rhétorique musulmane contre elles reprend des thèmes juifs et chrétiens. Les statues de dieu ou de déesse sont dans le Coran ni plus ni moins qu’une « souillure », on souligne leur inutilité, leur inefficacité ou leur origine strictement humaine ; ce qui démontre d’ailleurs toute l’ampleur de l’incompréhension des religions de masse à leur sujet ou leur mépris d’autrui, car, répétons-le encore une fois ; les statues ne sont pas la divinité elle-même, mais une représentation ou un symbole de la divinité, recelant une partie de sa force (appelée mana en Polynésie).
Et à ce sujet, le « vieux druide » que je suis ne résiste pas au plaisir de citer la réponse que faisait le roi Cormac en ce domaine.
« Ar baí cretim in óenDé oc Cormac. ar ro ráidseom na aidérad clocha ná crunnu acht no adérad intí dosroni & ropo chomsid ar cul na uli dúla » (Senchas na relec inso).
« Cormac…… disait qu’il n’adorait ni les pierres ni les arbres, mais qu’il adorait seulement celui qui les avait faits et qui est le protecteur de tous les éléments » (Histoire des lieux d’inhumation).
Ce n’est donc jamais la pierre, l’arbre, et ainsi de suite, que l’on adore, mais la divinité, la puissance qui un jour s’est manifestée dans cette pierre. Dans toute hiérophanie donc, il convient de reconnaître trois éléments.
— L’objet naturel (pierre, arbre…) qui continue à se situer dans son contexte normal.
— La réalité invisible qui donne un autre caractère à l’objet, support de théophanie.
— Le médiateur qui est l’objet naturel revêtu des nouvelles dimensions de la sacralité.
Jésus (Yehoshoua bar Youssef) était apparemment un homme comme les autres ; cependant pour les chrétiens, il était fils de Dieu (ou du Démiurge).
De même le Coran créé est apparemment, à première vue, un livre comme les autres. Cependant, pour les musulmans, il révèle une réalité surnaturelle (Dieu ou le Démiurge).
Le pèlerinage à La Mekke par Gaudefroy-Demonbynes 1923.
« La région mecquoise est un pays aride, brûlé, pelé, aux côtes inhospitalières : qui ne semblait point préparé par la nature à devenir, dans la première moitié du septième siècle, le noyau d’un grand organisme religieux. Alors, comme aujourd’hui, des îlots de sédentaires sont comme perdus parmi des nomades qui les rançonnent et qui se mangent entre eux ; aucun essai durable de groupements politiques ; des agriculteurs, quelques commerçants, des pasteurs surtout, d’imagination violente et courte, de volonté ardente et fragile, plus adroits qu’intelligents, plus habiles que valeureux, mais dressés aux nobles attitudes par l’orgueil de la race et une éducation intensive de la vanité. Ces hommes n’étaient point cependant aussi isolés du monde extérieur que le ferait croire la nature de la péninsule arabique ; des tribus étaient entrées dans l’orbite du monde romain ; d’autres gardaient contre les premières les bords de l’empire sassanide, qui avait un moment débordé sur le Yémen.
Dans cet ensemble complexe, La Mecque jouait un rôle qui, pour ne pas être aussi majestueux que le peignent certaines traditions, n’en était pas moins important. C’était, dans une région relativement fertile de l’Arabie, un nœud de routes vers l’Arabie de Pétra, la Syrie et la marche romaine, vers le Yémen, vers la mer Rouge et l’Abyssinie, aussi vers l’intérieur et par Médine vers le golfe Persique et les croyances comme les hommes s’y mêlaient.
Un sanctuaire, la Ka‘ba, y assemblait des divinités mal connues ; des pierres y étaient l’objet d’un culte primitif ; on les touchait, on s’y frottait, on tournait autour d’elles en une sorte de danse sacrée. Des serviteurs du temple transmettaient des oracles directement ou par l’intermédiaire de flèches sans pointe [azlâm, aqdâh) que l’on tirait au sort 1). Des pierres levées, des tas de pierres (jamra, rajam) 2), marquaient les enceintes divines (haram, hima) et servaient d’étapes aux fidèles ».
1) Cf les prinni loudi de Coligny ou les crann-chur en Irlande.
2) Cf les cairns.
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LA QUESTION DE LA MECQUE.
Le problème de La Mecque c’est que nous ne trouvons aucune trace sûre de l’existence de cette ville au 6e siècle
EN DEHORS DES SOURCES MUSULMANES POSTÉRIEURES.
Et pourtant à cette époque…
— Le phénomène urbain existait déjà depuis longtemps.
— L’écriture existait depuis longtemps.
— Les grandes villes étaient connues et localisées.
— Il existait entre elles tout un réseau de routes commerciales.
— Quand on pense que même un gros village comme Jérusalem est mentionné au 14e siècle avant notre ère avant notre ère (lettre d’Amarna), cette absence de mention de La Mecque est étrange.
Pire même, les premiers documents NON MUSULMANS mentionnant Mahomet…… en font un médinois.
Il n’y a qu’une seule explication à cette bizarrerie : le site de La Mecque n’était vraiment pas grand-chose à l’époque (une halte de nomades s’étant installés autour d’un puits ?)
Ptolémée, géographe grec alexandrin du IIe siècle, connaît PEUT-ÊTRE la ville sous le nom de Macoraba. Ce nom, d’origine sémitique signifie probablement le « lieu du sanctuaire » et indique que s’y trouvait, comme ailleurs en Arabie, un espace sacré, objet de divers « interdits », autrement dit un haram.
Le pèlerinage à La Mekke par Gaudefroy-Demonbynes1923.
« De l’interdiction générale de couper les plantes qui poussent dans le haram, des hadiths anciens exceptent l’izkhir 1) ; mais les auteurs discutent la valeur de cette exception… L’izkhir, plante odorante, mince de tige et de rameaux, à laquelle le terroir serait particulièrement favorable, jouit en effet d’une estime particulière : les anciens Mekkois s’en servaient pour garnir les toitures de leurs maisons, d’une poutre à l’autre ; c’est avec cette plante qu’ils bouchaient les interstices des briques qui fermaient les tombeaux ; elle était employée dans la fabrication des bijoux. Mais ces emplois domestiques ne semblent pas suffisants pour expliquer qu’elle fut dispensée du tabou. Des textes montrent qu’il était recommandé de l’employer pour composer les guirlandes des victimes, dont on parlera plus loin ; cette indication pourrait faire croire que l’izkhir était la plante consacrée à la principale divinité de la Ka‘ba, peut-être à Hobal, et l’on comprendrait la faveur particulière dont elle est l’objet ».
Pour certains auteurs, Macoraba serait une transcription du nom du temple en arabe, Mikrab.
Du fait de son étymologie qui ramène par inversion au mot baraka, le nom rapporté par Ptolémée suggère que ce lieu sacré était associé à la présence d’une eau pérenne, conservée durant les périodes de sécheresse, dans un ou dans plusieurs puits. La baraka combine en effet la notion de bénédiction avec celle de la présence d’une eau pluviale, condition essentielle de survie pour les populations de ces zones arides.
1) Citronnelle.
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LA KAABA.
« La mythologie musulmane affirme que la Kaaba fut construite dans le ciel deux mille ans avant la création du monde, et qu’elle était adorée par les anges… Dix mille anges furent chargés de garder de tout accident le bâtiment ; mais il paraît, d’après l’histoire du saint édifice, qu’ils ont souvent négligé de remplir leur devoir ».
Ensuite ce fut Abraham, ou Adam suivant d’autres traditions, qui, sur ordre de Dieu, érigea la « demeure inviolable », c’est-à-dire la fameuse Kaaba. Ainsi parle le Coran (chapitre 3, versets 96-97, chapitre 2 verset 127).
Bien entendu, il n’en fut rien, et cela relève des affirmations purement gratuites auxquelles les Gens de ce Livre nous ont depuis longtemps habitués. Le point de vue de l’Histoire n’a rien à voir avec ce biblisme forcené, médinois en l’occurrence, qui fait passer la figure abrahamique à plus de mille kilomètres des territoires qu’on la voit parcourir habituellement dans les récits bibliques. L’Histoire, la vraie, celles des hommes de 12 livres et non d’un seul ; nous oblige au contraire à voir l’origine de La Mecque et de la sacralité mecquoise dans un substrat purement local, dans les rites et les croyances présents sur place et antérieurs à l’islam, ou sans aucun lien avec lui. L’Histoire, en effet, n’est pas réversible. L’islam peut s’expliquer par ce qui le précède et par ce qui l’entoure. Mais ce qui le précède ne saurait, en aucun cas, être expliqué par lui. Autrement dit, aucun biblisme subreptice ne doit se mêler à l’histoire pré-musulmane de la cité. L’abrahamisme originel que le Coran prête à La Mecque est une pure invention de la période médinoise. La période mecquoise de la révélation ne connaît rien de ce développement narratif ultérieur, résultante directe du conflit politique, voire idéologique, qui opposera Mahomet aux juifs médinois.
La roche a toujours été perçue comme le lieu où se tient la puissance protectrice surnaturelle dont l’enfermement semble maximaliser l’efficacité pour le groupe humain qu’elle protège, et qui réside lui-même dans son environnement immédiat, sur un même territoire. En ce qui concerne les nomades, il arrivait que ces roches sacrées fussent transportées par eux avec mille précautions durant leurs déplacements. Ainsi pouvait-on croire que le Protecteur voyageait en même temps que ses protégés, où qu’ils aillent [un peu comme l’arche d’alliance chez les Hébreux].
Il n’en était nul besoin à La Mecque, cité caravanière, qui servait de base de départ et de retour fixe à ses habitants. Il leur suffisait de solliciter l’appui de leur protecteur avant leur départ, probablement par des sacrifices de camélidés, puis de lui rendre grâce de la même façon, à l’issue d’un voyage heureux. La Kaaba serait donc en fait non le temple que l’on dit, par assimilation abusive à des édifices sacrés complètement différents dans leur disposition et leur fonctionnement, mais simplement un ensemble de bétyles.
Le caractère païen de cet ensemble est suffisamment prouvé par le fait qu’avant de passer sous le contrôle de Mahomet il abritait 360 représentations divines, une par jour de l’année, presque, et ceci, de l’aveu même des scribes de l’islam.
Vouloir à tout prix en faire une fondation d’Abraham est une attitude ayant tout à voir, mais alors tout à voir avec la foi et rien, mais alors rien avec la raison. Cet abrahamisme forcené n’est que la preuve d’un formidable, MAIS INUTILE ET INJUSTIFIÉ complexe d’infériorité, de l’islam naissant, vis-à-vis du judaïsme et du christianisme, un complexe d’infériorité qui a évolué en ressentiment, ou jalousie et qui pousse encore beaucoup trop de musulmans à se définir PAR RAPPORT AU JUDAÏSME ET PAR RAPPORT AU CHRISTIANISME.
À l’intérieur ou à l’extérieur de ce bâtiment, il y avait donc de nombreuses représentations divines. Outre celle d’Hobal, il y avait une autre statue, celle d’une divinité appelée Shams (le soleil), placée sur le toit. Chaque tribu avait sa divinité à elle… Matériau et style de ces représentations divines étaient accordés aux goûts et couleurs des fidèles.
Les enceintes sacrées sont une pratique religieuse très ancienne et très générale. Dans la Grèce antique, déjà, Olympie était un lieu saint inviolable, un téménos pendant toute la durée des fêtes
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olympiques, cela même en temps de guerre. La Ka'ba de La Mecque, au départ simple enclos de pierre et espace sacré, prend une grande importance pour toutes les tribus au cours de l’époque préislamique, avec sa circumambulation autour du monument qui abritait les représentations divines. Le Kitab al-Asnam d’Ibn Kalbi mentionne même d’autres Kaaba comme celle de Nedjran et Sindad, les pèlerinages étant communs à plusieurs tribus, s’accompagnant de foires commerciales, rassemblements à caractère sacré : durant les mois haram, les tribus s’interdisaient (c’est le sens de h.r.m.) de combattre et d’attaquer les convois de pèlerins et de marchandises.
L’espace sacré mecquois n’était donc qu’un espace sacré arabe parmi d’autres et ne constituait pas une exception. Il ne s’agissait en aucun cas du point focal religieux vers lequel auraient convergé toutes les tribus de l’immense péninsule. C’est l’islam, dans sa réussite terrestre ultérieure, qui a, en fait, assuré la promotion de La Mecque comme lieu sacré par excellence, dans son cadre arabe puis à l’échelle de l’empire musulman.
Le dieu honoré à Pétra, Dhou’l Chara [celui de Chara ou Dusarès], avait une kaabou, un mot grec que l’on peut rapprocher évidemment du nom de Kaaba.
La Kaaba mecquoise fut édifiée à une époque indéterminée, peut-être vers la fin de la période romaine. Ce fut probablement au départ un simple enclos de pierres sèches sans toit, édifié à proximité immédiate du point d’eau salvateur, au fond d’une vallée sèche et non arborée. Cet enclos sacré qui était certainement l’objet d’un rituel de pèlerinage se terminant par un sacrifice, se tenait, comme il l’est encore aujourd’hui, au plus bas de la cité.
Sa construction en ce lieu insolite signalait manifestement déjà une intention cultuelle et confirmait son caractère d’espace sacré. Pointant par ses angles vers les points cardinaux, l’enclos sacré primitif, ébauche du cube actuel, aurait eu pour fonction de servir de support fixe à des roches sacrées. Il s’agissait sans doute de les empêcher d’être emportées par les eaux lors des inondations. Selon le régime bien connu des oueds, ce bas-fond que les textes anciens nommaient de façon significative le « ventre » de La Mecque, était temporairement et périodiquement inondable ; avant que de grands travaux, récents, de canalisation, ne mettent définitivement le site à l’abri de cet inconvénient. Ce n’en était pourtant pas un à l’origine, car l’eau débordante approvisionnait les puits locaux et assurait l’abondance persistante de leur précieux liquide. Le flux submergeant devait donc être plutôt considéré comme une bénédiction.
Le plus célèbre de ces puits est celui de Zemzem. Situé à l’est de la Kaaba, il avait la réputation de n’être jamais à sec. Les pèlerins contemporains vont toujours s’y abreuver. L’eau avait longtemps été vendue par des marchands locaux spécialisés. Le pouvoir séoudien qui considère les pèlerins comme les « hôtes de Dieu » a mis fin à ce trafic ancestral. L’eau de Zemzem est dorénavant gratuite. À l’instar de l’eau de Lourdes, elle est censée avoir des pouvoirs curatifs. Un incident récent a quelque peu mis à mal cette croyance très partagée en milieu musulman. Ramenée d’Arabie par des pèlerins musulmans, de l’eau de Zemzem, probablement mal conditionnée, a été à l’origine d’une épidémie de choléra qui fit plusieurs malades sérieux.
La Kaaba est souvent désignée comme un temple. C’est en fait un terme impropre. L’édifice ne ressemble en rien aux lieux de culte antique du Proche-Orient, de la Grèce ou de Rome, non plus qu’aux temples indiens ou extrême-orientaux. La Kaaba est désignée en arabe par un mot précis, celui de beït, au sens propre « lieu où passer la nuit », et donc résidence.
Ce mot s’applique à la tente bédouine ou à la modeste maison de terre des oasis. Mais il s’applique tout autant à la « demeure » d’un protecteur ou d’une protectrice surnaturelle de tribu, en quelque sorte un dieu ou une déesse des anciennes croyances locales. Dans ce dernier cas, le beït est ce que l’on a coutume de nommer un bétyle, autrement dit une roche sacrée. Celle-ci est alors considérée comme une « demeure », beït en arabe, beth en hébreu, « de dieu », el, dans la plupart des langues sémitiques, ce qui donnera Al-lah, « le Dieu » avec valeur de nom propre en arabe.
L’activité principale de La Mecque était son célèbre pèlerinage autour de la Kaaba. C’était une sorte de Lourdes païenne arabe. Tout dans la ville devait donc tourner autour de la religion.
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HISTOIRE DE L’ENSEMBLE ARCHITECTURAL.
L’historien arabe Abou al-Oualid Mouhammad al-Azraqi, natif de la Mecque (mort vers 837) a couché par écrit dans son Kitab Akhbar Makka les souvenirs de son aïeul sur l’histoire de La Mecque, avant et après l’apparition de l’islam. Le professeur Roberto Tottoli de l’Université de Naples en a fait une remarquable traduction.
Azraqi. Akhbar Makka. Quatrième partie. La construction de la Kaaba par les Couraïchites.
Des Couraïchites étaient assis dans le sanctuaire… ils se souvenaient de la construction de la Kaaba et m’ont dit comment elle était avant. Elle était construite en pierres sèches [sans mortier] et non avec de l’argile. Sa porte était au niveau du sol et il n’y avait ni toit ni plafond. Le rideau (kisoua) était accroché au mur d’un côté et était attaché au sommet du centre du mur. À droite, en entrant dans la Kaaba, il y avait une fosse où étaient déposés des dons en argent ou en nature pour la Kaaba… Les cornes du bélier qu’Abraham l’ami de Dieu avait sacrifié étaient accrochées au mur face à l’entrée. Il y avait aussi des ornements en pendentif qui avaient été donnés comme offrandes.
Abraham ou pas, le caractère fruste et grossier, fait de bric et de broc, de la première Kaaba, est vraisemblable.
Non seulement parce qu’elle est située au fond d’un oued et donc en zone inondable, mais également, si l’on en croit la tradition musulmane elle-même, parce que les gens du cru n’avaient même pas de charpentier (puisqu’ils durent avoir recours aux services d’un étranger pour ce travail, un chrétien copte d’Éthiopie nommé Pacôme.
« Mais cela n’en était pas moins un temple car cela avait toutes les caractéristiques basiques d’un temple : une cella quadrangulaire orientée vers les points cardinaux, un rocher sacré et un territoire sacré, un haram caractéristique avec les privilèges habituels du droit d’asile y afférent et ainsi de suite » (F. E. Peters, Le Hadj, 1994).
La raison de son premier (ré) aménagement aurait été que le trésor que son puits à offrandes contenait avait été volé et que les Couraïchites voulurent rehausser son mur en pierres sèches initial qui n’était guère plus haut qu’un homme.
Car la Kaaba initiale rappelons-le, ne semble pas avoir été la « maison » d’un dieu comme dans les autres civilisations antiques, mais plutôt une tente carrée ou quadrangulaire (cf. la kisoua) tandis que les tentes des nomades étaient plutôt rondes, dissimulant aux yeux des profanes une fosse ou un puits à offrande et lestée par des pierres disposées tout autour, dont certaines sacrées.
Gaudefroy-Demonbynes. Pèlerinage à La Mekke 1923.
Si on s’en tient à la lettre de la tradition, la Ka‘ba fut reconstruite, on ne sait comment, et elle subit une seconde destruction pour les mêmes causes que précédemment. Un détail seul diffère, une femme en pratiquant le rite de l’encensement de la Maison Sainte mit le feu aux étoffes desséchées qui y étaient accumulées ; l’incendie gagna les bois qui entraient dans la construction des murs, qui furent lézardés (Tottoli : i muri furono rovinati, incrinandos su tutti i lati).
Ces événements seraient contemporains de la jeunesse du Prophète, puisqu’on le voit intervenir dans les travaux de reconstruction. Mais le récit de cette intervention, que l’on indique plus loin, est trop nettement apologétique pour qu’il soit possible de lui attribuer une sérieuse confiance.
Quoi qu’il en soit, la Ka‘ba était en ruines, et il était urgent de la reconstruire. Mais, les Coréichites étaient arrêtés par la crainte religieuse qui interdit aux hommes de toucher aux choses saintes, et aussi sans doute par manque de matériaux et par incapacité technique.
Un événement fortuit, qui prit l’aspect d’une intervention divine, vint faciliter la reconstruction projetée. Un navire « grec », qui appartenait à un nommé Pacôme et qui traversait la mer Rouge pour porter des bois en Abyssinie-, fit naufrage en un point de la côte qui était alors le port du Hedjaz et que les traditions confondent en général avec Djedda. Les Coréichites furent aussitôt informés de l’accident :
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à toutes les époques, cette côte de la mer Rouge, hérissée d’écueils, a été fertile en naufrages, et les populations riveraines ont une solide réputation de naufrageurs. Ils prirent possession de la cargaison et emmenèrent avec à La Mekke le capitaine Pacôme, qui se trouva être en outre maçon et charpentier.
Les textes qui rapportent la prise de possession des bois du vaisseau de Pacôme, que ce soit une cargaison ou le navire lui-même, donnent deux versions différentes de ce fait. Suivant l’une, les Coréichites le prirent comme une aubaine ; suivant l’autre, ils l’achetèrent, et même ils emmenèrent à La Mekke les passagers qui purent y vendre leurs marchandises, sans payer la dîme « que l’on exigeait des marchands byzantins, comme les Byzantins l’exigeaient des Mekkois qui venaient dans leur pays » (Azraqi. Akhbar Makka. Quatrième partie. La construction de la Kaaba par les Couraïchites).
Ces étrangers pénètrent donc tout simplement dans le haram mecquois : le hadj lui-même était alors ouvert à tous, sans doute avec les mêmes rites d’ihram que plus tard.
La première version paraît être la bonne : le vaisseau était une épave. Mais la législation musulmane, fondée sur des hadiths, exige que toute dépense faite pour une mosquée provienne d’une source licite, et je ne pense pas que l’« épave » puisse être considérée comme telle, pour un navire ayant encore son équipage. Pour assurer ce caractère licite, on a donc fait intervenir dans la tradition une vente. El Oualid ben el Moghaïra recommande aux Coréichites de n’employer à la construction de la Ka‘ba que de l’argent acquis par des moyens licites, et c’est avec cet argent qu’il va à Djedda (sic) acheter le vaisseau de Pacôme (Qotb ed din p. 49 s.).
C’est là le premier exemple précis de l’emploi de matériaux étrangers au haram, et même plus tard à la terre musulmane, pour des travaux à la Ka'ba.
Désormais la reconstruction était possible, mais qui oserait toucher à la Maison Sainte et aux objets qu’elle renfermait, à « l’argent » et aux parures de sabre (hilya) qui, offertes en dons étaient enfermées dans un puits surmonté de la statue de Hobal, aux deux cornes du bélier d’Abraham ?
NDLR. Yaqûbi I. 286… a montré la généralité et l’importance du rite suivant lequel on offre au dieu la peau et la tête de la victime ; il y voit l’affirmation du lien social qui unit le dieu, le sacrifiant et la victime. Alfred Loisy (sacrifice p. 205 et suiv.) a rappelé les rites des chasseurs rendant à la tête de leur proie des hommages particuliers. – Quoi qu’il en soit, à la Ka'ba, les gazelles de métal sont sans doute une offrande permanente, représentation des victimes vivantes, et les cornes du bélier d’Abraham jouent le même rôle symbolique. Les peaux des victimes dont on recouvrait les murs de la Ka'ba et qui sont l’origine de l’actuelle kisoua sont l’offrande spéciale à la divinité.
Quand on voulut approcher de la Ka‘ba, on se trouva en présence du dragon qui dans tous les pays du monde est le gardien du trésor, serpent au dos noir, au ventre blanc, à la tête de chevreau, dont la vue fit reculer les plus hardis. Mais Dieu qui jadis l’avait chargé de défendre le trésor contre les Jorhom, eut pitié de ses adorateurs, pieusement soucieux de reconstruire sa maison, et envoya un grand aigle au dos blanc, au ventre noir, aux pattes jaunes, qui saisit le dragon dans ses serres et l’emporta assise…… Mais, dit la tradition, les ressources ne furent point suffisantes pour construire sur toute son étendue, le modeste édifice, assise de pierre, puis assise de bois, que l’on consacrait à Dieu ; on dut renoncer à élever le mur sur une distance de six coudées et un empan, au nord de la maison sainte, et l’on se contenta de l’entourer d’un mur peu élevé : le hijr ou hatim. C’est sous cette forme toute naturelle, qui dispense d’une explication et qui ne permet point de tenter une hypothèse sérieuse, qu’est rapporté un fait dont il serait utile de connaître la vraie cause…
Pacôme proposa de construire un toit en dôme (moukabbas) ; les Coréichites préfèrent une terrasse. On peint l’intérieur et les poutres sur lesquelles on met des immagini di profeti, piante e angeli……… l’imagine di Gesu e Maria : des images de prophètes, de plantes et d’anges……… l’image de Jésus et de Marie.
Cette dernière Kaaba aurait donc ressemblé à une église et l’hijr aurait été un sacrarium ou un début d’abside.
Le puits de zem-zem.
Tout près de la Kaaba, il y a un puits d’où on peut tirer de l’eau pour les pèlerins qui recherchent les bénédictions bien attestées favorisant ceux qui en boivent. Si les pèlerins sont attirés par elle, il en est de même pour les historiens, qui voient dans cette source appelée Zemzem une explication plausible au fait qu’il y ait eu en premier lieu un sanctuaire dans l’oued de La Mecque. Au XIXe siècle, Julius Wellhausen déclara que le Zemzem était « la seule source de la Mecque et, probablement donc, l’origine du lieu saint aussi bien que de la ville », et les autres autorités en la matière ont généralement été enclines à le suivre en ce domaine. Il y a néanmoins des problèmes. D’autres puits ont alimenté en eau potable La Mecque, ainsi que nous l’apprend Ibn Ichaq en parlant du puits de Zemzem.
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Zemzem a complètement éclipsé les autres puits où les pèlerins avaient l’habitude de se procurer de l’eau, les visiteurs y allaient parce qu’il était situé dans l’enceinte sacrée et parce que son eau était supérieure à toute autre… (Ibn Ichaq La vie de Mahomet, traduction Alfred Guillaume page 65)
Le puits de Zemzem n’était donc pas unique ; son eau était simplement supérieure… Le Zemzem aurait été caché par les païens Jourhoum… et serait resté inconnu et inutilisé jusqu’au temps d’Abd al-Mouttalib, le grand-père de Mahomet. Abd al-Mouttalib qui était un descendant d’Abd Manaf, le fils à qui Qusaye, l’homme à l’origine de la fortune des Couraïchites et de La Mecque, a confié en tant qu’office héréditaire la fonction de siqaya, à savoir le privilège de fournir l’eau destinée aux pèlerins mecquois.
À première vue, cet honneur sans doute lucratif n’aurait donc rien à voir avec le Zemzem, puisque Qusaye et les membres du clan Abd Manaf ignorèrent l’existence de ce puits jusqu’à ce qu’Abd al-Mouttalib le redécouvre. Le Zemzem a-t-il remplacé les autres puits de la Mecque à un moment donné, peut-être à une date très tardive dans l’histoire de la ville, lorsque l’histoire abrahamique a commencé à circuler ? Il existe des raisons de le penser, la moindre n’étant pas l’absence de tout lien essentiel entre le puits de Zemzem et son eau avec le Hadj pré – ou postislamique » (F. E. Peters, Le Hadj, 1994).
Un aspect du culte des Arabes d’avant l’islam qui a toujours attiré l’attention non seulement des auteurs grecs et latins entrés en contact avec la société arabe, mais aussi des autorités musulmanes plus tard à propos de l’âge de la barbarie était son culte des pierres. Il leur semblait étrange d’adorer des pierres, qu’elles soient brutes ou en forme de statue rudimentaire. Ce n’était pas, bien sûr, les pierres qui étaient adorées en tant que telles, mais un esprit qui demeurait en leur sein. Cette pratique est attestée chez les Arabes sédentaires comme les Nabatéens de Pétra et les prêtres arabes d’Émèse (Homs) en Syrie, qui en conservaient une dans leur temple (que leur grand prêtre Héliogabale emporta avec lui à Rome lorsqu’il devint empereur) ainsi que chez les nomades qui transportaient avec eux des pierres enchâssées dans des sanctuaires portatifs durant les batailles » (F. E. Peters, Le Hadj, 1994).
La pierre noire.
Encastré dans le coin sud-est de la Kaaba, à environ 1,20 mètre du sol, il y a la pierre noire.
La pierre noire faisait-elle partie oui ou non de la construction originelle de la Kaaba ? Les sources sont évidemment incertaines sur la question, et nous aussi, bien que la probabilité semble élevée. D’une part, le rassemblement des idoles locales dans le sanctuaire mecquois remonte à l’époque du prince précouraïchite Amr ibn Louhaye, et en tant que pierre sacrée d’Abou Qubaïs, la pierre noire aurait aussi fait partie du synoecisme religieux d’Amr. Mais si, comme cela semble également probable, la pierre était à l’origine l’un des bétyles portables des premiers nomades sédentarisés à La Mecque, son incorporation dans la structure de la Kaaba… traduirait de la part de ces nomades leur volonté de se sédentariser… Selon la tradition musulmane, elle aurait fait partie dès le début bien que de façon non structurelle de la construction,… Mais la tradition se souvenait aussi que la pierre était venue d’Abou Qubaïs, une montagne surplombant la Mecque. Les deux séries de traditions furent fondues en un récit mentionnant que la pierre avait été cachée sur Abou Qubaïs durant le Déluge, lorsque la Kaaba originelle construite par Adam fut détruite, puis rendue à Abraham afin d’être encastrée dans sa version à lui de la Kaaba.
L’harmonisation ne fut pas complètement réussie. D’autres traditions se souvenaient que la pierre noire, ou du moins son inclusion dans la Ka'ba, était d’origine beaucoup plus récente. Ibn Sa'd écrit que les Couraïchites l’avaient fait venir de la montagne d’Abou Qubaïs quatre ans seulement avant la première révélation faite à Mahomet. Dans un autre récit, tiré d’al-Fakihi, elle date de la première reconstruction de l’édifice par les Couraïchites, peut-être de l’époque de Qusaye » (F. E. Peters, Le Hadj, 1994).
La Maqam Ibrahim.
« La pierre noire n’était pas la seule pierre adorée dans le sanctuaire de la Mecque. À l’époque islamique on en montrait aussi aux visiteurs une portant les empreintes de pas d’Abraham lui-même * et appelée la « station » d’Abraham (maqam Ibrahim). Cette dernière expression apparaît deux fois dans le Coran. Cette mention en 3,97 est liée à un endroit appelé Bakka **, apparemment le site de la Maison et le lieu où se trouvent les signes manifestes de Dieu, y compris la Station d’Abraham, une allusion qui suggère une place dans le Haram. En 2,125 les croyants sont invités à « prendre le maqam Ibrahim comme lieu de prière (moussalla) », ou, plus littéralement, « occuper de la place du maqam Ibrahim pour y prier », une expression qui suggère à certains commentateurs que « station d’Abraham » pourrait se référer à l’ensemble du sanctuaire voire à toute la zone du pèlerinage. Mais finalement, le consensus s’est porté sur la pierre restée à l’air libre qui se trouvait aussi dans le sanctuaire.
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Quoi que veuille dire le verset coranique en question, le fait est qu’il y avait une pierre dans le Haram à la Mecque, mesurant environ 60 centimètres sur 90 ; et comme nous le verrons, elle avait une histoire. Il y avait une inscription dessus… il y en eut un très bon témoin, l’historien de la ville, al-Fakihi, qui a enregistré les événements dans sa Chronique de La Mecque.
Quand la pierre *** a été transportée le 1er de I Rabi (de l’an 870 de notre ère) à la maison du gouverneur… les gens l’ont examiné de près. Et j’ai regardé avec eux… » (F. E. Peters, Le Hadj, 1994.)
* En Belgique on qualifie d’empreintes de Gargantua ou du cheval Bayard ou de saint Martin ce genre de rocher.
** Bakka fait penser à un nom de lieu cité dans la Bible Psaume 84, 7 (le val des mûriers ???), mais ça ne peut évidemment pas être le cas (un emprunt aux rabbins de Médine ?)
*** Une pierre de réemploi venant d’un autre temple ?
Le Hijr.
« Devant le mur nord-ouest de la Kaaba il y a un espace sacré délimité par un muret en forme de demi-cercle (hâtif). La zone est appelée hijr, et la tradition musulmane en fait le lieu de sépulture d’Ismaël et Hagar. On n’en dit pas grand-chose à l’époque préislamique. La zone commencera de prendre de l’importance quand Ibn al-Zubaïr, un gouverneur de la Mecque au septième siècle, l’a incorporée dans la Ka'ba en reliant le hatim au bâtiment. Son travail fut vite défait, et le hatim revint à son état antérieur de mur séparé, comme il l’est aujourd’hui. Il y a peu d’explications plausibles sur la raison d’être de ce muret. Certains ont émis l’hypothèse qu’un muret entourait la Ka'ba de tous les côtés et délimitait la zone à l’intérieur de laquelle les dieux étaient honorés par des sacrifices, ou, de façon plus séduisante, mais moins convaincante, que le hatim représente les restes de l’abside d’une église chrétienne orientée vers Jérusalem, qui, on le verra, était la direction dans laquelle Mahomet priait quand il était encore à La Mecque.
Le mot hijr lui-même signifie « inviolable » ou « tabou », et il apparaît une fois dans ce sens dans le Coran (6, 137-139), en référence non pas au terrain jouxtant la Kaaba, mais aux animaux et aux cultures voués aux dieux, un sens qui conforte l’hypothèse que le hijr, quelle qu’ait été son étendue originelle, a pu servir d’enclos pour les animaux destinés à être sacrifiés aux divinités de la Ka'ba. Qu’il ait été tellement utilisé de cette façon du vivant même de Mahomet semble néanmoins douteux, du moins au témoignage des autorités musulmanes elles-mêmes. Tel que le hijr est présenté à l’époque de Mahomet, c’était un lieu de rassemblement où, semble-t-il, on débattait des questions politiques, où les gens priaient ou dormaient.
Ceux qui dorment dans le hijr sont généralement des gens qui font des rêves, et leurs rêves ont une signification divine : Abd al-Mouttalib y reçoit l’inspiration qui lui permet de découvrir le Zemzem, alors qu’il dormait là, la mère du Prophète y a la vision de la grandeur de son fils et Mahomet y est visité par Gabriel, avant de commencer son célèbre voyage nocturne, des exemples classiques d’inspiration survenant au cours d’un rite d’incubation, c’est-à-dire d’un sommeil effectué dans un lieu sacré » (F. E. Peters, Le Hadj, 1994).
HOBAL.
De tous les dieux adorés par les Couraïchites, le plus grand était Hobal, au dire d’Ibn al-Kalbi (kitab al isnam).
« Les Couraïchites avaient plusieurs statues dans et autour de la Kaaba. La plus grande était celle d’Hobal. Elle était en agate rouge m’a-t-on dit et avait la forme d’un homme à la main droite cassée. Elle était parvenue ainsi entre les mains des Couraïchites et ils lui avaient donc fait faire une main en or… elle se dressait à l’intérieur de la Kaaba et devant il y avait sept flèches divinatoires. Sur l’une d’entre elles était écrit le mot « pur », et sur une autre « étranger associé ». Chaque fois que la lignée d’un nouveau-né était mise en doute, ils offraient un sacrifice à Hobal, puis mélangeaient les flèches et les jetaient. Si les flèches indiquaient le mot « pur », l’enfant était déclaré légitime et la tribu l’acceptait. Si les flèches indiquaient « étranger associé », l’enfant était déclaré illégitime et il était rejeté. La troisième flèche concernait les morts, tandis que la quatrième concernait les mariages.
Le but des trois flèches restantes ne m’a pas été expliqué. Chaque fois qu’ils étaient en désaccord sur quelque chose, ou se proposaient de partir en voyage, ou d’entreprendre quelque chose, ils allaient voir Hobal et mélangeaient les flèches divinatoires devant lui. Quel que soit le résultat obtenu, ils le suivaient et agissaient en conséquence » (Ibn al-Kalbi, le Livre des idoles1952 : 23-24).
Quelques détails supplémentaires sur cette divinité cléromantique, la plus puissante des divinités païennes de la Mecque, nous sont fournis par l’historien mecquois Azraqi… C’est Amr ibn Louhaye qui avait ramené (à La Mecque) une idole appelée Hobal du pays de Hit en Mésopotamie… il la mit près du puits à l’intérieur de la Kaaba et ordonna qu’on lui rende un culte. Toute personne rentrant de voyage allait la voir et tournait autour de la maison avant de retrouver sa famille, et il se rasait les cheveux devant.
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Muhammad ibn Ichaq a écrit qu’Hubal était (fait de) perles de cornaline ayant la forme d’un homme. Sa main droite avait été brisée et les Couraïchites lui avaient fait une main en or pour la remplacer. Il avait une place destinée aux sacrifices et on y jetait sept flèches (pour répondre aux questions relatives à) un mort, à la virginité ou au mariage. Les sacrifices qu’on lui offrait consistaient en une centaine de chameaux. On dit également que l’idole était voilée (Azraqi, Akhbar Makkah, troisième partie page 38 : velato).
Enfin, parmi les images qui décoraient l’intérieur de la Kaaba à l’époque préislamique, il y en avait une, comme dit Azraqi, « d’Abraham en tant que vieil homme ». Mais comme le personnage nous est présenté en train de procéder à une divination par tirage au sort des flèches, il semble probable que c’était plutôt Hobal. Le doute est renforcé par le fait que lorsque Mahomet a pris le contrôle du sanctuaire, il a permis à l’image de Jésus de rester*, mais a fait enlever celle d’Abraham » (F. E. Peters, Le Hadj, 1994).
Azraqi (Akhbar Makkah). Quatrième partie page 56. Traduction Roberto Tottoli.
Le prophète entra dans la Ka'bah le jour de la conquête et y trouva des représentations d’anges et d’autres sujets. En y voyant l’image d’Abraham *, il s’écria : « Dieu les maudisse, ils en ont fait un vieil homme maître dans l’art des flèches (divinatoires ?) ». Il aperçut ensuite la représentation de Marie, mit sa main dessus et ordonna : « Faites-moi disparaître toutes ces représentations sauf celle de Marie ».
Il y a peut-être en effet à La Mecque du temps de Mahomet c’est-à-dire de la Djahiliya, outre des manichéens des judéo-chrétiens et des chrétiens, des magiens ou zoroastriens, des païens arabes tout simplement. Autrement dit des polythéistes dont le dieu principal est dieu lunaire Houbal ou Hobal (voire Allah ?) et qui gèrent le temple de la Kaaba. Une structure cubique objet de divers pèlerinages durant certains mois de l’année (les mois sacrés). La Kaaba de La Mecque abritait alors différentes œuvres d’art, un peu comme les bouddhas de Bamyan ou les temples de Palmyre, ainsi qu’une idole de pierre brute toujours présente d’ailleurs, la pierre noire ; mais rattachée aujourd’hui à la légendaire figure d’Abraham. Cette idole de pierre noire sera en effet la seule à échapper à la fureur destructrice de Mahomet quand il s’emparera de la ville.
Le site internet espagnol http://religion.antropo.es/estudios/origenes/index.html (Documents sur les origines de l’Islam) rappelle à ce sujet que le début de l’apostolat de Mahomet ne contient aucune attaque contre les idoles ; c’est un moment où le nouveau prophète peut espérer une solution de compromis avec l’aristocratie des Couraïchites…
Dans la pratique, idoles, pierres brutes et autels se mêlent, tant par leur apparence que par leurs fonctions rituelles.
Le rejet absolu de ces pratiques consacrera la rupture. Mahomet reprend là un vieux thème biblique, un peu facile d’ailleurs, et l’idolâtrie deviendra ainsi dans sa bouche un mal absolu.
Or en réalité pour les esprits les plus élevés comme le haut roi d’Irlande Cormac l’idole n’est pas le dieu lui-même, mais un miroir de la divinité, un symbole.
« Ar baí cretim in óenDé oc Cormac. ar ro ráidseom na aidérad clocha ná crunnu acht no adérad intí dosroni & ropo chomsid ar cul na uli dúla » (Senchas na relec inso).
« Cormac croyait en un seul dieu. Il disait qu’il n’adorait ni les pierres ni les arbres, mais qu’il adorait seulement celui qui les avait faits et qui est le protecteur de tous les éléments » (Histoire des lieux d’inhumation).
La distinction était néanmoins trop subtile pour certains individus et suscita de leur part des caricatures à l’infini de cette façon de voir les choses. À en croire différents passages du Coran certains Mecquois semblent pourtant avoir été assez instruits ou philosophes ou athées pour se moquer du dogme de la résurrection des morts et du jugement dernier (cf. Mehdi Azaiez Le contre-discours coranique De Gruyter) et An Nader al Harith a refusé de croire au miracle de la Lune scindée en deux. D’après Mouqatil (Tafsir al Quran 3, 226), c’est d’ailleurs cet écrivain qui aurait été à l’origine de la critique frontale du Coran mentionnée dans le chapitre 25 versets 4 et 5.
« Les mécréants disent : ‹Tout ceci n’est qu’un mensonge qu’il (Muhammad) a inventé, et où d’autres gens l’ont aidé›. Or, ils commettent là une injustice et un mensonge. Ils disent : ‹ Ce sont des contes d’anciens qu’il se fait écrire ! On les lui dicte matin et soir !› »
Bref, que ce soit par agnosticisme ou par opportunisme commercial, les dirigeants de La Mecque faisaient preuve de la plus grande tolérance pratique et philosophique, du moment qu’on ne menaçait ni leurs libertés religieuses ni leurs intérêts économiques.
« Dans la plupart des temples antiques, et à rebours évidemment des synagogues, des églises et des mosquées ultérieures, le rituel nécessaire était pratiqué à l’extérieur du bâtiment, généralement sous
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la forme d’un sacrifice effectué sur un autel. On pouvait entrer à l’intérieur des bâtiments, mais comme ils passaient pour être le domicile du dieu, l’entrée était refusée aux profanes, ceux qui devaient rester « devant le sanctuaire ». S’il est vrai que la liturgie de base attachée au bâtiment de La Mecque, la circumambulation rituelle, se déroulait à l’extérieur, il n’y a presque aucune trace, avant ou sous l’Islam, du fait que l’intérieur de la Kaaba était plus sacré que le Haram autour. L’entrée en était contrôlée, ainsi que nous aurons de nombreuses occasions de le voir, mais exclusivement, semble-t-il, en tant que privilège politique. Les fidèles, y compris Mahomet lui-même, priaient à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la Kaaba et y pénétraient chaque fois que ce privilège leur a été accordé. La Ka'ba n’était donc pas un haram plus sacré situé au sein d’un Haram plus grand qui l’aurait entouré » (F. E. Peters, Le Hadj, 1994).
* Du moins d’après ces traditions musulmanes, mais Azraqi a sans doute « judaïsé » ou christianisé des idoles païennes : son Abraham jouant avec des flèches, doit être un Hobal pratiquant la divination, et Marie, une déesse féminine…
La Kaaba n’était donc pas une église, mais un bâtiment de syncrétisme religieux, assemblage de toutes les traditions que les Couraïchites avaient pu rapporter de leurs périples.
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HISTOIRE DES PÈLERINAGES.
Précisions sémantiques préliminaires.
L’omra est actuellement une visite individuelle à La Mecque faite à n’importe quel moment de l’année et qui peut être renouvelée plusieurs fois.
Le hadj ne se fait qu’une fois dans sa vie et à un moment bien précis de l’année. D’où son caractère collectif et même massif.
Pour ce qui est des rituels les différences entre les deux sont assez minimes.
Mais il n’en a pas toujours été ainsi.
Coran chapitre 106. «… à cause du pacte des Couraïchites, de leur pacte concernant la caravane d’hiver et celle d’été, qu’ils adorent le Seigneur de cette maison, il les a nourris, il les a préservés de la faim et délivrés de la peur ».
Telle est la traduction / interprétation actuelle de cette sourate, qui pourrait être paraphrasée comme suit : « Parce que le Seigneur a accordé (ou peut-être garanti) les traités dont jouissent les Couraïchites, traités qui ont rendu possibles leurs voyages commerciaux annuels, les Couraïchites reconnaissent et adorent le Seigneur de la Kaaba, qui a, grâce à ces traités et à leur résultat, fourni aux Couraïchites à la fois nourriture et sécurité ».
Ceci est compréhensible ainsi traduit, mais l’arabe de cette sourate a posé de sérieux problèmes linguistiques et syntaxiques qui ont toujours dérouté les commentateurs. Et tout le monde ne voyait pas les fameuses « deux caravanes » de la sourate 106 comme une opportunité de faire commerce, élargie.
Le commentateur al-Razi (mort en 1209) pensait que ces « caravanes d’hiver et d’été » se référaient au voyage des pèlerins à la Mecque, l’une correspondant à l’Omra du mois de Rajab et l’autre au Hadj du mois de Dhou al-Hidja.
Si c’était une supposition, alors c’était bien deviné. Les commentateurs musulmans, qui vivaient à une époque et dans une société sans mois intercalaire, et donc sans fêtes saisonnières, avaient du mal à imaginer des pèlerinages saisonniers, comme ceux de l’époque préislamique. De tels pèlerinages auraient sûrement été « plus faciles » s’ils s’étaient déroulés sous l’autorité et la protection des Couraïchites désormais ainsi sanctifiés. Si l’on en croit cette lecture de la Sourate 106, chaque année donc, deux fois par an, pendant les mois sacrés, les pèlerins affluaient en pèlerinage à la Mecque, et leurs dépenses pour le culte constituaient les ressources dont vivaient les Couraïchites et les autres Mecquois. Le commerce n’entre nulle part dans cette équation, et surtout pas le commerce à longue distance entrevu par certains des commentateurs dans le deuxième verset de la sourate.
Le commerce a peut-être néanmoins constitué un problème récurrent, ou plutôt la participation des Couraïchites audit commerce. Certains des auditeurs de Mahomet semblent s’y être opposés, ou du moins tel est apparemment le sens de la sourate 2, 198 : il n’y a pas faute pour vous si vous recherchez la bonté du Seigneur ». Des prescriptions détaillées concernant le pèlerinage « en des mois déterminés » figurent immédiatement avant et après ce verset. Les historiens musulmans disposaient de beaucoup d’informations sur les circonstances et les lieux où la « générosité du Seigneur » état moissonnée par les parties intéressées, à savoir, les foires des jours sacrés (maouasim). Qu’une activité commerciale soit liée au pèlerinage devait sembler naturel à la plupart des participants, sauf peut-être aux puritains Houms puritains, qui, ainsi que nous le verrons, avaient une dévotion féroce et exclusive pour la Kaaba. Les populations qui, en raison du danger ou des distances, ne se fréquentaient pas normalement, se réunissaient en profitant de la trêve de Dieu pour adorer et, semble-t-il, pour échanger.
Azraqi.
Le Hadj avait lieu durant le mois de Dhou al-Hidja. Les hommes partaient avec leurs marchandises et se retrouvaient à Okkaz le jour de la nouvelle lune de Dhou al-Qa'da. Ils y restaient vingt nuits durant lesquelles ils tenaient boutique dans de petites maisons à Okkaz un marché haut en couleur où l’on
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trouvait toutes sortes de choses. Les chefs et les représentants de chaque tribu surveillaient les ventes et les achats…
Au bout de vingt jours, ils partent pour Majanna, et passent dix jours sur son marché, et quand ils voient poindre la nouvelle lune de Dhou al-Hidja ils partent pour Dhou al-Majaz, où ils passent huit jours et huit nuits sur le marché. Ils quittent Dhou al-Majaz le « jour du taouarih », ainsi appelé parce qu’ils quittent Dhou al-Majaz pour Ourfa après avoir fait le plein d’eau (pour leurs chameaux) à Dhou al-Majaz. Ils font ça parce qu’il n’y a pas d’eau potable à Ourfa ni à Mouzdalifa.
Le « jour du taouarih » était le dernier jour de leurs marchés. Ceux qui fréquentaient les marchés d’Okkaz de Majanna et de Dhou al-Majaz étaient soit des commerçants, ou ceux qui voulaient commercer, voire même ceux qui n’avaient rien à vendre ni à acheter parce que c’était une occasion de sortir en famille. Les non-commerçants de la Mecque quittaient la Ville le « jour du taouarih ». (F. E. Peters, Mahomet et les origines de l’islam, 1994.)
Il n’est pas facile de donner un sens à cette description, en particulier dans ses rapports avec le pèlerinage. Bien que l’emplacement réel de ces marchés soit sujet à conjecture, les endroits mentionnés semblent tous être proches de La Mecque – mais significativement, pas à La Mecque même – et être en relation avec le Hadj. Et l’enchaînement semble bien étudié, peut-être par les Couraïchites, afin que les deux périodes ne coïncident pas : du premier au vingtième jour de Dhou al-Qa'da c’était la foire d’Okkaz, du vingt-et-unième au vingt-neuvième jour, celle de Majanna, du premier au huitième jour de Dhou al-Hidja, celle de Dhou al-Majaz, le neuvième et le dixième jour, le Hadj avait lieu, et enfin, du onzième au treizième jour, se tenait la foire de Mina.
Les pèlerins du Hadj préislamique s’approvisionnaient donc en divers endroits des environs du site réservé au Hadj et, semble-t-il, à Mina ainsi qu’Arafat, avant d’accomplir leurs rituels, une pratique qui n’incluait pas La Mecque ainsi que nous le verrons. La fortune des Couraïchites préislamique n’avait donc rien à voir, comme ce fut certainement le cas par contre à l’époque islamique, avec les ventes faites aux pèlerins venus à La Mecque pendant la saison du Hadj. Si les Mecquois faisaient du commerce, ils le faisaient ailleurs, dans les foires en dehors de La Mecque – des foires qu’ils ne contrôlaient pas – ou en fonction des réseaux commerciaux régionaux mis en place, conformément aux accords entre les Bédouins et le statut propre des Couraïchites en tant que tribu sacrée, statut qui avait été formalisé peu avant la naissance de Mahomet par la sodalité connue sous le nom de Houms.
Le pèlerinage à La Mekke par Gaudefroy-Demonbynes 1923.
Deux fois par an, au printemps et à l’automne, des groupes de tribus s’assemblaient à La Mekke et dans la région qui l’entoure pour célébrer des cérémonies propitiatoires, qui préparaient deux espoirs dominants, la pluie fécondante et la prospérité des troupeaux ; d’une part l’omra du mois de radjab, d’autre part le hadj ou maousine suivant son ancien nom’. Elles consistaient en cortèges, en stations [wouqouf) devant le dieu, représenté par une pierre ou une montagne ; en déferlement ; enfin en sacrifices ; aussi en rites de circumambulation autour des sanctuaires.
Rendus à la vie laïque après l’accomplissement des cérémonies, les pèlerins se réunissaient en des assemblées où les réjouissances se combinaient avec les affaires ; les Mecquois ont transporté ces foires dans leur ville et à Mina.
Dès avant le septième siècle, des communautés chrétiennes et des groupements juifs avaient en Arabie une vie religieuse active, et les voyages mêlaient les Arabes idolâtres aux populations de la Syrie et de la Chaldée. C’est d’une crise religieuse générale que naquit la prédication de Mohammed, qui, tout pénétré des coutumes de son enfance, voulut en joindre les rites à une religion qui aurait renouvelé et uni le Judaïsme et le Christianisme et qui eût été la vraie religion d’Abraham, ancêtre des Arabes.
On verra que les vieux rites antéislamiques ont été habillés les uns après les autres à la mode du patriarche. Sous ce vêtement d’emprunt, le pèlerinage reste une cérémonie nettement antéislamique : on cherchera ici à préciser ce fait bien connu et à montrer l’adaptation de ses rites à l’adoration du dieu unique…
« Le rituel païen le plus connu à La Mecque était le pèlerinage. Le Coran ne l’a pas qualifié de païen, bien sûr – il a été présenté comme un vestige authentique de la pratique abrahamique – mais il a été suivi, sous une forme ou une autre, par les Mecquois et les visiteurs de leur ville sanctuaire avant que Mahomet ne reçoive les révélations qui devaient l’incorporer dans l’Islam naissant. Ce n’est qu’à une date relativement tardive, lorsque le triomphe de l’Islam fut assuré, que les païens furent empêchés de faire ce pèlerinage » (Coran 9, 17-18).
Le pèlerinage préislamique n’était pas un acte isolé, mais un ensemble de rituels se rejoignant d’une certaine manière, et pour diverses raisons que nous ne pouvons pas facilement discerner. La tradition musulmane ultérieure a « harmonisé » les versions pré – islamiques de l’ensemble en identifiant chacun de ses éléments avec des incidents mentionnés dans la légende d’Abraham, elle-même enrichie par l’association avec des pratiques autrement inexplicables du rituel du Hadj.
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… Mais leur association avec Abraham semble avoir eu lieu bien après que le Hadj eut été adopté comme moyen méritoire pour un musulman d’adorer Dieu (Coran 2,197 ; 3,97).
Sans le thème abrahamique unificateur, le Hadj de la Mecque de Mahomet se décompose en une série obscure d’actes centrés non pas sur La Mecque, mais sur le mont Arafat, situé à une vingtaine de kilomètres à l’est de la ville. Le Hadj, a-t-on soutenu (cf. Jacqueline Chabbi), n’a rien à voir à l’origine avec La Mecque, ainsi qu’en témoigne la version islamique elle-même du rituel : le point culminant du Hadj musulman fut et reste la « station » à Arafat, suivie d’une procession à Mina et de sacrifices en ce lieu, après quoi le pèlerin était libre d’ôter ses vêtements rituels. Mieux même, il était de notoriété publique que ce n’était pas les Couraïchites, mais les Soufa, et plus tard les Tamim, qui assuraient les offices religieux, la soi-disant « permission » (ijaza), à Arafat et à Mina. Et non seulement la Mecque ne faisait pas partie du Hadj originel ; mais il n’y a peut-être jamais eu de commerce en ville en rapport avec leurs rituels. Telle est en tout cas la conclusion que l’on peut tirer du fait que les célèbres foires de pèlerinage – et la Mecque n’est jamais incluse dedans – sont associées à Arafat et à Mina et que les Couraïchites semblent n’y jouer aucun rôle majeur. Le rituel mecquois fut donc adjoint à celui du Hadj probablement par Mahomet lui-même.
Le Coran soulève également la question de savoir si les musulmans, qui concentraient leur sensibilité religieuse sur la Mecque et n’étaient pas habitués à lier affaires et rituel, étaient autorisés à se livrer au commerce à ce moment-là, tout comme les habitués du hadj d’Arafat et de Mina.
La révélation conservée en Coran 2, 198 fut rendue publique dans ce contexte : « Il n’y a pas faute pour vous si vous cherchez la bonté du Seigneur ». Ces versets se réfèrent très vraisemblablement à la saison des pèlerinages. Quelqu’un avait apparemment émis des objections au fait de mélanger les affaires et le rituel du pèlerinage, une pratique à laquelle Mahomet a alors apporté la caution explicite de Dieu. Nous ne savons évidemment pas tout ce qui se cachait derrière cette objection, mais ce qui semble raisonnablement évident, c’est que le commerce lié au pèlerinage se limitait alors aux foires, dont la Mecque ne faisait pas partie apparemment pas.
Après la révélation de ce verset à Médine, La Mecque fut donc reconnue officiellement comme centre commercial du pèlerinage, même si les musulmans ne purent pas profiter pleinement de cette permission divine avant la prise de La Mecque peu avant la mort de Mahomet.
Si le Hadj n’était pas Mecquois, les Couraïchites avaient leurs propres jours sacrés, y compris la fête du printemps appelée Omra et célébrée au mois de Rajab. À l’époque islamique, l’Omra perdit son caractère saisonnier (avec l’interdiction du mois intercalaire) et certains de ses traits distinctifs ; ses sacrifices, par exemple, ont disparu du fait de sa combinaison avec le Hadj. Mais il a conservé son identité particulière, et notamment mecquoise, bien après le commencement des temps islamiques, ainsi que nous le verrons.
Les musulmans ont ensuite soigneusement distingué l’omra – un mot dont la signification exacte n’est pas claire – et hadj ou pèlerinage proprement dit, mais il n’en a pas toujours été ainsi. Sur le modèle des deux haggim juifs du printemps et de l’automne, de la Pâque et de Soukkoth, auxquels les deux fêtes arabes semblent étroitement liées, l’Omra et le Hadj (des musulmans) étaient tous deux à l’origine des hadj. Il est possible que ce soit Mahomet lui-même qui ait décidé que le rituel d’Arafat était le « Grand Hadj » et l’Omra le « petit », une distinction qui n’apparaît nulle part à l’époque préislamique.
La distinction entre Omra et Hadj est déjà présente dans le Coran (2, 197), mais ce dernier rituel, devenu obligatoire pour tout musulman, est peut-être la combinaison de plusieurs activités cultuelles différentes certaines à la Mecque, certaines dans des sanctuaires situés en dehors de la ville, réunis, que ce soit par Mahomet ou par quelqu’un d’autre plus tôt, en un seul et même acte liturgique.
La « course » entre Safa et Maroua, par exemple, n’appartenait à l’origine ni à l’Omra ni au Hadj, et certains musulmans protestèrent contre son inclusion dans l’un ou l’autre de ces rituels, objections qui furent réduites au silence par la révélation 2, 158 du Coran.
Rien n’indique que Mahomet ait substantiellement modifié l’un des rituels de base des pèlerinages mecquois, alors qu’il a modifié le « déferlement » (ifada) anarchique d’Arafat et le moment du départ de Mouzdalifa pour Mina. L’usage de vêtements spéciaux et l’entrée dans un état de sacralité tabou étaient connus de la Mecque préislamique comme ailleurs dans le monde sémitique. Le rituel dans le Haram consistait surtout en une circumambulation de la Kaaba, qui dans les temps islamiques intégra la « salutation de la pierre noire », un effleurement toucher ou baiser ayant de nombreux précédents dans la pratique préislamique, bien que dotés d’une signification très différente, comme nous le verrons : en dehors du Haram, le rituel obligeait le dévot à courir ou revenir en courant, un autre type de « circumambulation », « entre les deux bosses de Safa et de Maroua, emplacements des statues d’Assaf et de Na'ila dans les temps préislamiques. Ce dernier rituel se terminait par un sacrifice à Maroua » (F. E. Peters, Le Hadj, 1994).
Les Houms.
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L’historien mecquois Azraqi donne une définition succincte de la sodalité religieuse préislamique dont les musulmans se souviendront plus tard sous le nom de Houms.
« Nous sommes le peuple du Haram. Nous ne quittons jamais le Haram. Nous sommes les Houms, les Couraïchite sont des Houms ainsi que tous ceux qui sont nés chez les Couraïchites. Les Houms et les tribus qui sont devenues Houms avec eux sont appelés ainsi parce que c’étaient intégristes très stricts dans leur religion, et l’ahmasi (singulier de Houms) est quelqu’un de très scrupuleux en matière de religion » (Azraqi. Akhbar Makkah. Quatrième partie page 59).
Ibn Sa'd (Kitab al-tabaqat al-kabir, tome 1, première partie).
Muhammad Ibn Umar nous a informés sur l’autorité d’Abd Allah Ibn Dja'far, il sur l’autorité de Ya'qub……
« Les Houms (ce mot désigne des personnes qui sont très nerveuses, et qui font très attention au protocole) c’étaient les Couraïchites les Kinanah et les Khouza'ah ainsi que tous les autres Arabes descendants de Couraïch. Mouhammad Ibn Omar a rajouté, sans donner sa chaîne de transmetteurs : ou des alliés des Couraïchites. Le nom de Tahammous (Tahannouth?) se rapporte à des pratiques qu’ils avaient introduites dans leur religion et qu’ils respectaient très strictement, à savoir qu’ils ne sortaient pas du haram après avoir accompli le taouaf et qu’ils écourtaient ainsi le rituel que Dieu avait indiqué à Abraham, faire une halte à Arafah en dehors du haram, qu’ils s’abstenaient de faire cuir leurs aliments dans de la graisse, qu’ils ne vivaient pas sous des tentes en poils (de chameau ?), mais sous des velums de cuir rouge. Ils permettaient aux pèlerins de tourner autour de la Ka'bah dans leurs vêtements ordinaires s’ils n’étaient pas passés par Arafat avant. S’ils venaient d’Arafah, ils ne faisaient pas le tour de la Kaaba, connu sous le nom de taouaf al-ifadah, mais nus ou couvert de deux vêtements ahmasi (des sortes de tissu grossier fabriquées par les Banou Ahmas, une branche des Banou Dubay'ah). Si quelqu’un accomplissait la circumambulation dans ses propres vêtements, il ne lui était plus permis de continuer à les porter après ».
Ibn Ichaq nuance sensiblement le portrait pour ce qui est de l’histoire et des rituels : La vie de Mahomet par Alfred Guillaume page 87. LES HOUMS.
J’ignore si c’est avant ou après l’année de l’éléphant que les Couraïchites ont inventé cette idée de Houms et l’ont mise en pratique. Ils disaient en tout cas : Nous sommes les fils d’Abraham, les gens de l’enclave sacrée, les gardiens du temple et les citoyens de la Mecque. Aucun autre Arabe n’a des droits similaires aux nôtres ou une position comme la nôtre.
Les Arabes ne reconnaissent à personne un rang semblable au nôtre, alors n’attachez pas la même importance au pays alentour qu’au sanctuaire, car si vous le faites les Arabes mépriseront ce qui est tabou chez vous et diront : « Ils ont accordé la même importance à la terre profane extérieure qu’au territoire sacré ».
Aussi abandonnèrent-ils la halte à Arafa et le fait d’en repartir, alors qu’ils reconnaissaient que c’étaient des institutions du pèlerinage et de la religion d’Abraham. Ils considéraient bien que les autres Arabes devaient faire une halte là et en repartir, mais disaient : « Nous nous sommes le peuple du sanctuaire, donc il ne convient pas que nous sortions du territoire sacré et honorions d’autres lieux comme nous, les Homs, le faisons, car les Houms sont le peuple du sanctuaire. Ils ont ensuite procédé de la même façon avec les Arabes nés de l’intérieur de leurs frontières, mais n’ayant pas de territoire sacré. Kinana et Khouza'a les rejoignirent en ce domaine.
Les Houms étaient donc des contribules des Couraïchites, des Kinana, des Khouza'a et des Amir ibn Sassaa. Ils avaient embrassé depuis longtemps, ou peut-être seulement récemment, ce qu’il est convenu d’appeler « la religion d’Abraham », que ses membres identifiaient étroitement au culte de la Kaaba à la Mecque, en excluant même les autres rituels de pèlerinage, et notamment le Hadj. De leur point de vue, et nous n’avons aucune raison d’en douter, le Hadj originel n’avait rien à voir avec la « religion d’Abraham », et les Couraïchites en tant que Houms ne reconnaissaient pas le Hadj puisque certains de ses rituels avaient lieu en dehors du haram. Ce passage d’Ibn Ichaq semble donc faire du haram selon les houms un territoire n’allant pas jusqu’à Arafat.
Les Houms avaient coutume de dire : « Ne respectez rien de profane et ne sortez pas de la zone sacrée pendant le Hadj », c’est pourquoi omettaient les rites du pèlerinage et de la station à Arafat, qui était en territoire profane, et ne s’arrêtaient pas là ni n’en repartaient. Ils ne faisaient halte qu’à la limite du territoire sacré à Namira sur le terrain d’al-Ma'zinan, passaient la nuit à Arafa et s’abritaient dans la journée sous les arbres de Namira pour en repartir vers Mouzdalifa. Ils se remettaient en route quand le soleil apparaissait au-dessus des montagnes. On les appelait Houms en raison de la rigueur de leur religion (Ibn Ichaq 1955 : 89).
Ces sorties cultuelles limitées, en dehors de la Mecque, devaient être des concessions faites à certains des membres bédouins de la sodalité ou à de nouveaux venus trouvant difficile de rompre avec leurs vieilles habitudes. D’autres témoignages comme celui de Mouqatil ibn Souleïman restreignent la zone sacrée des Houms au périmètre de la Kaaba :
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Les Houms – c’étaient des Couraïchites des Kinana des Khouza'a et des Amir ibn Sassa – disaient : « Safa et Maroua ne font pas partie du site sacré ». À l’époque de la barbarie, il y avait en effet sur Safa une idole appelée Na'ila et sur Maroua une idole appelée Asaf. Ils [les Houms] disaient : « Il n’y a pas lieu pour nous de faire d’aller et retour (taouaf) entre eux », et donc ils ne faisaient pas d’aller et retour entre eux (Mouqatil, Tafsir, ms 1.25b9).
À l’en croire les Houms ont donc tenté, peut-être pas entièrement avec succès, d’exclure y compris Safa et Maroua, pourtant situés à deux pas de la Kaaba, de leurs rites à eux. Ou peut-être pas. Les commentateurs musulmans ont toujours à trouver le contexte historique du grand nombre de versets du Coran sans contexte. Un de ces versets vise directement Safa et Maroua et ce qui semble être un groupe de Mecquois hésitant à y pratiquer un rite religieux : Safa et Maroua font partie des prescriptions. En faire le tour n’est donc pas un péché pour celui qui vient en pèlerinage à la maison de Dieu (Coran 2, 158).
Ceci est l’exemple classique d’une réponse coranique donnée sans la question correspondante. Nous, et Mouqatil ibn Suleïman, devons donc le faire à sa place : « Est-ce un péché d’effectuer le taouaf autour de Safa et Maroua ? » avec ses deux implications possibles : est-il ou n’est-il pas permis dans le nouveau système religieux de continuer la pratique actuelle consistant à effectuer « l’aller et retour » entre Safa et Maroua ? Ou, comme un membre des Houms pourrait le demander : devons-nous cesser notre pratique « abrahamique » actuelle et revenir à l’ancienne coutume païenne consistant à courir entre Safa et Maroua ? Le témoignage de Mouqatil fournit clairement le contexte de la question non mentionnée par le Coran : Mahomet a rompu avec la limitation du rituel à la seule Kaaba, caractéristique des Houms.
Confiner les rituels du culte au Haram de la Mecque n’était qu’un des aspects de la religion des Houms. Il y avait aussi des interdits alimentaires et domestiques et beaucoup d’importance accordée aux habits rituels (F. E. Peters, Le Hadj, 1994).
En référence à leur interdiction dans l’enceinte du temple de la nourriture et des vêtements apportés de l’extérieur du territoire sacré Dieu a donc révélé : « Ô Fils d’Adam, porte tes vêtements habituels dans chacune de nos mosquées et mange ou bois, mais ne gaspille rien, car il [Dieu] n’aime pas les prodigues. Dis : qui a interdit les vêtements que Dieu a fournis à ses serviteurs et les bonnes choses qu’il a mises à leur disposition ? Dis : le jour de la résurrection, ils ne seront que pour ceux qui auront été croyants durant la présente vie. C’est ainsi que nous expliquons les signes au peuple qui sait ».
Dieu a donc écarté les restrictions apportées par les Houms et les innovations des Couraïchites contraires aux intérêts des hommes en envoyant son apôtre prêcher l’Islam.
Jacqueline Chabbi distingue elle aussi deux pèlerinages à l’origine de l’actuel pèlerinage musulman de La Mecque.
Le premier l’omra, consistant en des circumambulations sénestrogyres autour du bétyle de la Kaaba dans la Mecque intra-muros (rituel de demande de pluie autour du bétyle de la Kaaba). Et une marche toujours dans La Mecque intra-muros entre les deux petites élévations que sont Safa et Maroua, situées un peu en oblique du côté est de la Ka'ba, avec sacrifice à Maroua.
Sa configuration de type « bétyle » fait de la Kaaba un espace sacré clos sur lui-même. Le rituel des circumambulations consiste à contourner le bâtiment sans jamais y pénétrer. Les pèlerins doivent tourner à sept reprises – chiffre symbolique et magique dans les civilisations sémitiques comme dans beaucoup d’autres – autour de la Kaaba, dans le sens contraire des aiguilles d’une montre, en partant de l’angle sud – est. Ils essaient au passage de s’approcher de la Pierre noire pour la toucher ou l’embrasser. À tout le moins, lui font-ils signe de loin comme pour se faire reconnaître. Ils descendent ensuite vers le nord.
La Pierre bienheureuse (Hajar as-Sa’adah) fichée dans l’angle sud-ouest, dit yéménite, doit, elle aussi, être saluée. Mais la dévotion qu’elle suscite chez les pèlerins est moins frénétique que celle de la Pierre noire. Les pèlerins – qui ne s’en doutent plus évidemment – suivent en quelque sorte un circuit de sens antisolaire, ce qui est rare.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir, à La Mecque, les pèlerins prémusulmans revêtaient déjà un vêtement rituel fourni par les Houms et se rasaient le crâne pour se mettre en état de sacralisation.
Le cas des Houms semble indiquer qu’initialement il n’y avait que la circumambulation autour de la Kaaba et même pas autour de Safa et Maroua. Quant à l’ascension du mont Arafat situé à 20 km n’en parlons même pas, il s’agissait d’un pèlerinage uniquement bédouin.
Bref, pour conclure, le pèlerinage le plus ancien, le pèlerinage mecquois, se déroulait donc certainement tout entier dans le site intra-muros, à proximité immédiate de la Kaaba. Et jusqu’à maintenant d’ailleurs deux roches sacrées demeurent incluses dans ses murs, la fameuse pierre noire et l’autre encastrée dans l’angle yéménite.
Safa et Maroua.
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« Un peu à l’est de la Kaaba se trouvaient deux basses collines qui ont depuis longtemps disparu du fait du nivellement topographique de la Mecque moderne. Celle du sud s’appelait Safa et celle du nord Maroua, et des actes rituels liés à la vie religieuse de La Mecque avaient lieu entre les deux. C’était, en fait, une autre forme de circumambulation, un va-et-vient entre les deux, dont une partie devait être effectuée au pas de course, d’où son nom plus tard, « la course » (sa’i). La pratique a été rattachée plus tard à l’Omra et au Hadj, non sans quelques objections manifestement, comme le prouve l’allusion du Coran à ces deux élévations de terrain : « Safa et Maroua font bien partie des prescriptions de Dieu. Donc, pour ceux qui font le Hadj à la Maison ou l’Omra, il n’y a pas de péché à tourner entre eux » (Coran 2, 158).
C’est tout ce que nous dit le Coran. Mais la tradition musulmane donne deux explications à cette pratique, une « païenne » et une « abrahamique ». Ainsi que nous l’avons déjà vu, cette dernière identifie la course effrénée de Hagar en quête d’eau pour son enfant (Ismaël) avant sa découverte providentielle du puits de Zemzem à la course rituelle entre les collines. Une explication évidemment plus ancienne et plus primitive nous parle de deux êtres humains nommés Asaf et Na'ila, membres de la tribu des Jourhoum : les Couraïchites avaient une statue près d’un puits au milieu de la Ka'ba appelée Hobal. Et ils avaient placé Isaf (ou Asaf) et Na'ila près du puits de Zemzem, afin de faire des sacrifices devant. C’étaient un homme et une femme de la tribu des Jourhoum ; Isaf et Na'ila – qui s’étaient rendus coupables de relations sexuelles dans la Kaaba et Dieu les avait changés en pierres…… Nous avons toujours entendu dire qu’Isaf et Na'ila étaient un homme et une femme des Jourhoum qui avaient copulé dans la Kaaba, et que Dieu avait donc transformés en pierres. Dieu seul sait si c’est la vérité » (Ibn Ichaq 1955 : page 37).
Malgré les réserves formulées par Ibn Ichaq, cette histoire pittoresque est devenue courante chez les auteurs musulmans et a constitué le point de départ de diverses et nombreuses tentatives d’explication de l’anecdote s’il y en a une à l’origine éventuellement de cette l’histoire et de son lien avec le rituel de la « course ». Les noms qui semblent être araméens plutôt qu’arabes et ont donc suggéré une origine étrangère. Ce qui était par définition des pierres sacrées, voire des statues de pierre – l’histoire jourhoum peut être le lointain reflet d’un mythe étiologique ou le lointain écho d’une certaine prostitution sacrée dans la Kaaba ou à proximité – avait fait l’objet d’un véritable culte sur les « hauts lieux » de Safa et Maroua, avant d’en être ramené quelque part dans les environs de la Kaaba par Qusaye en personne. Le rituel de circumambulation continua d’être accompli sur les deux hauteurs en question, mais par la suite des sacrifices furent offerts sur les nouveaux emplacements de ces statues » (F. E. Peters, Le Hadj, 1994).
Les circumambulations autour de la Kaaba étaient donc suivies par un rituel de course entre deux petites élévations, Safa et Maroua, situées un peu en oblique du côté est de la Ka'ba. Le va-et-vient entre les deux éminences de terrain que sont Safa et Maroua, devait se faire primitivement sur une piste rocailleuse, à ciel ouvert, qui était sans doute légèrement ascendante du sud vers le nord. Cette marche rapide qui compte toujours aujourd’hui au nombre des rites du pèlerinage musulman est probablement elle aussi très ancienne. Elle est, en tout cas, largement préislamique et aurait déjà compté à l’époque les sept trajets que font toujours aujourd’hui les pèlerins, avec départ de Safa au sud et arrivée du septième trajet à Maroua au nord.
C’est probablement cette arrivée qui devait servir de moment final au pèlerinage ancien qui se déroulait certainement tout entier dans le site mecquois intra muros, à proximité immédiate de la Ka'ba. De façon très significative, il se terminait par un sacrifice vraisemblablement de camélidés sur le roc de Marwa, qui aurait reçu l’appellation de « nourrisseur des charognards ». Cette dénomination est sans aucune ambiguïté par rapport à sa destination et à sa fonction. Il faut savoir que dans ce type de culte, le sacrifice est toujours l’acte conclusif du rituel.
Ibn Kathir, Tafsir sourate 2, verset 158.
« As-Safa et Al-Maroua font partie des signes de Dieu, ce n’est donc pas un péché que d’accomplir le Hadj ou l’Omra (pèlerinage) en faisant le Taouaf entre eux. Et quiconque le fait volontairement, fait bien, Dieu est reconnaissant et le sait »…
Ce verset a été révélé à propos des Ansar, qui avant l’Islam, avaient l’habitude de se mettre en état d’Ihlal (ou Ihram pour le Hadj) dans la zone de Moushallal à cause de leur déesse appelée Manate… ils hésitaient à effectuer le Taouaf entre As-Safa et Al-Maroua. Alors (à l’époque islamique), ils ont interrogé le Messager de Dieu à ce sujet, en disant : O Messager de Dieu ! À l’époque de la Djahiliyah, nous hésitions à faire le Taouaf entre As-Safa et Al-Maroua.…
Dieu a alors révélé : As-Safa et Al-Maroua font partie des signes de Dieu…………… Ce n’est donc pas pécher que d’accomplit le Hadj ou l’Omra en faisant le va-et-vient (Taouaf) entre eux »…
J’ai néanmoins entendu des hommes instruits déclarer que tout le monde, à l’exception de ceux dont parle Aïcha, disait : « Notre Taouaf entre ces deux élévations de terrain est une pratique de la
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Djahiliya ». D’autres chez les Ansar disaient : « Il nous a été commandé de faire le taouaf autour de la Ka`bah, mais pas entre As-Safa et Al-Maroua. Alors Dieu a révélé, etc. »
Il semble que ce verset a été révélé pour ces deux groupes…
Ach-cha`bi a dit, « Isaf était sur As-Safa tandis que Na'ilah était sur Al-Maroua, et ils avaient l’habitude de les toucher (ou de les embrasser). Après la venue de l’Islam, ils ont hésité à faire le taouaf entre eux…
L’imam Ahmad a rapporté qu’Habibah bint Abou Tajrah a dit : « J’ai vu le Messager de Dieu faire le taouaf entre As-Safa et Al-Maroua… »
Ce Hadith a été utilisé comme une preuve du fait que la sa’i est un passage obligé du Hadj, etc., etc.…
Question maintenant. À quel moment de l’année prenait place le rituel proprement mecquois ? Il est possible, qu’il se soit agi d’un rituel de printemps ayant correspondu à l’offre aux dieux des prémices, la première production agricole ou pastorale de l’année, une pratique bien connue dans les contrées plus septentrionales du Proche-Orient. Certains indices textuels le donnent à penser.
Il ressort du texte même du verset 97 du chapitre 5 que les pèlerins portaient des guirlandes 1) en écorce et leurs animaux également lorsqu’ils se rendaient et revenaient du pèlerinage : « Dieu a institué la Ka'bah une Maison Sacrée, un asile sûr ainsi que le Hadj et l’Omra (pèlerinage) pour l’humanité, le Mois sacré les animaux des offrandes et les guirlandes (des personnes ou des animaux, etc. ornés de guirlandes 1) autour de leur cou faites avec de l’écorce des arbres de la Mecque, pour plus de sécurité), afin que vous sachiez que Dieu sait tout, etc.
À l’époque de Djahiliya, les gens mettaient des guirlandes faites de poils et de peaux de bête lorsqu’ils quittaient leur pays en dehors des mois sacrés. Les idolâtres de la région de la Maison Sacrée mettaient des guirlandes faites avec des fleurs d’arbres poussant sur le territoire sacré, qui leur servaient de sauf-conduits.
Cette déclaration a été recueillie par Ibn Abi Hatem, qui a également noté qu’Ibn Abbas a déclaré : il y a deux versets dans cette sourate (Al-Ma'idah) qui ont été abrogés, le verset à propos des guirlandes 5, 2, et [le verset] 5,42.
LE HADJ BÉDOUIN.
D’autres rites semblent s’être également déroulés à l’époque préislamique sur le plateau du mont Arafat, dont on ignore les détails cérémoniels et la fonction précise : les Arabes païens y honoraient vraisemblablement de multiples divinités dans le but d’obtenir des faveurs ou des réponses de type divinatoire, sacrifiant parfois des animaux.
Mais ni la plaine d’Arafat ni le val de Mina ne faisaient anciennement partie du site mecquois. Il s’agissait de territoires extérieurs à la cité qui relevaient des Bédouins nomadisant alentour. Il y a donc eu, avant l’islam, deux pèlerinages distincts, celui des Mecquois autour de la Kaaba et celui des nomades à l’extérieur, partant du mont Arafat, situé à une vingtaine de kilomètres de La Mecque et finissant à Mina à 5 km de La Mecque. Après une halte à Mouzdalifa. Ce deuxième pèlerinage aurait été à l’origine un rassemblement purement bédouin conclu par la lapidation symbolique de 3 stèles de pierre situées à Mina et un sacrifice.
Ce rituel bédouin que le pèlerinage musulman actuel a intégré et qui se déroule à l’extérieur du site mecquois proprement dit avait vraisemblablement lieu, quant à lui, en automne, à la fin des grandes chaleurs. Il s’agissait en effet et sans aucun doute d’un rituel de demande de pluie. Mais d’autres hypothèses ont été avancées (lithomancie, lapidation du démon soleil opposé au dieu lune, rituel d’alliance, etc.).
La pratique musulmane a évidemment effacé tous ces repères saisonniers. La pratique du mois intercalaire qui stabilisait l’année lunaire tous les trois ans a été abolie par une révélation coranique datant de l’extrême fin de la période médinoise (chapitre 9, verset 37). Il s’agissait, de la part de Mahomet, d’une mesure visant à déposséder les tribus bédouines de leur maîtrise sur le temps et sur le sacré ; dès lors que Mahomet, à la tête de la confédération tribale médinoise, l’avait emporté, du point de vue politique et militaire, en Arabie occidentale. C’étaient en effet ces tribus nomades, et non les citadins de la région, qui décidaient d’intercaler, ou non, le mois supplémentaire en question. De même que c’étaient elles qui dirigeaient le pèlerinage automnal extérieur à La Mecque.
Cet état de choses dura jusqu’à ce que Dieu envoie Mahomet et lui révèle quand il lui donna les lois de sa religion ainsi que les coutumes du pèlerinage : « Alors, déferlez du lieu par où les hommes ont déferlé, et demandez pardon à
Dieu, car Dieu est clément et miséricordieux » (2, 199). Ces paroles s’adressaient aux Couraïchites et les « hommes » c’étaient les Arabes. La règle du hadj voulait donc qu’on s’empresse d’aller jusqu’à Arafat, ordonnait d’y faire halte puis d’en déferler.
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1) Comme plante ou arbre pour la confection de ces guirlandes Gaudefroy-Demonbynes cite la citronnelle (izkhir)et Al-Azraqi l’acacia (samurah).
LES SACRIFICES.
L’objet du sacrifice par excellence était à l’époque le chameau. D’ailleurs où donc aurait-on été chercher un mouton, animal si peu présent dans le désert ? Chacun sait que les éleveurs de moutons vivent à la périphérie des zones désertiques, c’est-à-dire, en l’occurrence, fort loin de La Mecque et de Yathrib /Médine.
À l’instar de leurs compatriotes sémites et arabes ailleurs au Proche-Orient, les Arabes du Hedjaz ont utilisé le sacrifice comme principal moyen de forger et de maintenir une relation avec le royaume du divin. « Pour chaque peuple », dit le Coran, « Nous avons fixé des rites de sacrifice pour qu’ils puissent dire le nom de Dieu sur la nourriture qu’il leur a donnée avec les animaux » (22,34). Ceci est dit de façon clairement approbative, mais immédiatement avant ces versets il y a un passage beaucoup plus obscur, bien qu’apparemment sur le même sujet :
« Quiconque respecte les choses consacrées à Dieu sait que leur observance procède de la crainte de Dieu qui est dans les cœurs. Vous trouverez des avantages dans ces animaux jusqu’à un terme que nous avons fixé, mais le lieu de leur immolation est l’ancienne maison » (Coran 22, 32-33).
Suivent des instructions plus précises sur la bénédiction et la consommation du sacrifice animal, reflétant à nouveau ce qui semble avoir été la pratique actuelle : « Pour votre bénéfice nous avons fait des chameaux sacrificiels l’un des signes de Dieu ; il y a beaucoup de bien pour vous en eux. Alors, prononcez le nom de Dieu sur eux pendant qu’ils s’alignent (pour le sacrifice ?), et après qu’ils sont tombés, mangez-en et nourrissez ceux qui s’en contentent ?? ainsi que les humbles mendiants ??? Nous avons soumis les animaux à votre volonté, afin que vous nous en soyez reconnaissants » (Coran 22, 36).
Les sacrifices animaux, qui disparurent du Haram de la Mecque à l’époque islamique, mais continuèrent à être pratiqués à Mina pendant le Hadj, « n’étaient qu’une des formes de sacrifice connues des Arabes : les auteurs arabes nous parlent d’animaux simplement consacrés aux dieux et gardés dans leur enclos sacré sans être sacrifiés. Le Coran semble se référer à cette pratique des offrandes dans le cadre de son répertoire des pratiques rituelles païennes qu’il condamne :
« Dieu n’a institué ni Bahira, ni Sa’iba, ni Ouassila, ni Hami (Coran 5, 103).
Les fidèles offraient leur propre victime. Bien que les animaux sacrifiés dans le désert aient pu parfois être simplement abandonnés sur place, comme ce fut le cas souvent à Mina durant toute la période islamique, l’animal était généralement cuit ou rôti et consommé dans le cadre d’un repas en commun, une pratique qui faisait problème pour les musulmans tout comme cela avait été le cas auparavant pour les chrétiens. Parmi les choses interdites au croyant par le Coran il y a en effet « l’animal qui a été sacrifié sur une pierre (nousoub) » (5,3). De telles pierres (ansab) sont décrites comme des « abominations » et des « œuvres de Satan » (5, 90). Ce sont des objets familiers en effet, déjà connus par l’histoire du bétyle de Jacob * dans la Genèse (35,14). Les pierres sur lesquelles on versait le sang d’un sacrifice étaient largement répandues parmi les anciens Arabes *, non seulement comme ici dans les environs de la Kaaba, mais même dans le cas des pierres tombales ou des bornes d’enclos sacrés. Avec l’Islam, leur utilisation constitua une forme d’idolâtrie, et les croyants ne pouvaient plus manger de leur viande.
NDLR. Saint Paul dans sa première lettre aux Corinthiens (chapitre 8) a fait litière de cette stupidité.
* Voir aussi les dolmens et menhirs en Europe de l’Ouest (comme le célèbre menhir de Muirthemné sur lequel le demi-dieu irlandais Cuchulainn fut comme crucifié, etc.).
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LE PROBLÈME.
Les chroniques syriaques et byzantines n’évoquent jamais Mahomet en tant que Mecquois d’origine, mais en tant que natif de Yathrib/Médine ce qui n’est qu’à moitié faux car sa mère semble en avoir été originaire.
D’après Théophile d’Édesse, Mahomet est né et a vécu à Yathrib.
Il y a aussi les Chroniques de Zuqnin attribuées à Denys de Tel-Mahré, né vers la fin du VIIIe siècle. Il était patriarche de l’église syriaque jacobite…
« Ceux-ci eurent pour premier roi l’un d’entre eux du nom de Mohammed, celui qu’ils appelaient le Prophète, parce qu’il les avait détournés de cultes divers, leur avait enseigné l’existence d’un seul Dieu, créateur de l’Univers et leur avait donné des lois, tandis qu’ils étaient adonnés au culte des démons et à l’adoration des idoles, surtout des arbres……
Parce qu’il leur enseigna l’unité de Dieu, que sous sa conduite ils triomphèrent des Romains, et qu’il leur donna des lois selon leurs désirs, ils l’appelèrent Prophète, et aussi Envoyé de Dieu. Ce peuple était très sensuel et charnel. Ils méprisèrent et rejetèrent toute loi qui n’avait point pour but la satisfaction de leurs désirs qu’elle leur eût été donnée soit par Mohammed, soit par tout autre homme craignant Dieu ; mais ils reçurent celle qui avait pour but la satisfaction de leur volonté et de leurs convoitises, lors même qu’elle leur était imposée par le plus vil d’entre eux. Ils disaient : « cela a été établi par le Prophète et l’Envoyé de Dieu » et même « Dieu le lui avait prescrit ainsi ».
Mohammed les gouverna pendant sept ans…
Ainsi que nous l’avons vu plus haut il n’y a donc qu’une seule explication possible à cette « erreur » des sources grecques ou byzantines. Le site de La Kaaba à la Mecque n’était vraiment pas grand-chose à l’époque (une halte de nomades s’étant installés autour d’un puits ?).
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LITTÉRATURE ARABE PRÉISLAMIQUE.
La poésie était le mode d’expression par excellence des Arabes : elle renfermait leurs sciences, leur histoire, leur sagesse. Elle était pour les chefs arabes un objet de rivalité. Ceux-ci s’arrêtaient à la foire d’Oukaz pour réciter leurs poèmes. Chacun venait soumettre sa meilleure pièce au jugement de grandes autorités ou des connaisseurs en la matière. Ils en vinrent ainsi, par esprit d’émulation, à suspendre leurs poèmes aux angles du temple sacré, lieu de leur pèlerinage [la Kaaba], mais on ne pouvait prétendre à cet honneur que si l’on avait l’appui de son groupe, de son clan, et que l’on jouissait d’une haute position. C’est ce qui se dégage des explications qui sont données sur la raison pour laquelle ces poèmes furent appelés mou’allaqat.
En abordant cette période de l’histoire littéraire arabe, il faut néanmoins être conscient qu’elle ne nous est connue qu’à travers le regard des lettrés des siècles suivants, qui participèrent à l’idéaliser. Si la Djahiliya fut d’abord pour les théologiens la période de l’ignorance et des ténèbres précédant la révélation de l’islam, les érudits commencèrent à l’identifier, dès la fin du VIIe siècle, à un âge d’or de la langue arabe, berceau de sa forme la plus pure et originelle. Toutes les œuvres de cette période nous sont parvenues par l’intermédiaire d’érudits et de poètes qui collectèrent systématiquement à partir du VIIIe siècle des traditions, des récits et des vers transmis principalement oralement. Il est avéré que plusieurs de ces collecteurs, le plus célèbre étant Hammad le Transmetteur, inventèrent, « améliorèrent » ou « corrigèrent » des vers et des akhbar. En conséquence, une partie de cette littérature est considérée comme apocryphe, même s’il est souvent impossible aujourd’hui de démêler les œuvres authentiques des fausses. De même, il n’y a guère de poète préislamique dont la biographie ne soit pas teintée de légende.
L’écrivain égyptien Taha Hussein a publié en 1927 un remarquable ouvrage sur la poésie préislamique. La poésie, principal mode d’expression de l’Arabie ancienne, permet de comprendre l’imaginaire et la morale des Arabes de cette époque, les valeurs qu’ils respectaient ou qui les distinguaient. Ce genre littéraire est en effet caractérisé par une absolue liberté de ton. Ces valeurs, rarement mises en évidence par la suite, formaient une norme et un idéal de vie. La conformité de l’individu à cet idéal élevé constituait ce que l’on appelait l’honneur, ou la fierté. Tout cela sera remplacé par l’isma (l’imitation, en tout, de Mahomet).
Dans toute la littérature préislamique qui nous est parvenue, le genre le mieux représenté et le plus emblématique est, de très loin, la poésie, avec pour modèle la qasida monomètre et monorime, et pour fleurons les Mou'allaqât. Les grammairiens, philologues et lexicographes des siècles suivants regardèrent en effet la poésie comme l’art littéraire par excellence, et la poésie djahilite comme l’expression la plus authentique du génie linguistique arabe. Néanmoins la prose ne fut pas en reste, avec différents genres qui nous ramènent à une histoire en grande partie perdue, en témoignent la prose rimée des kahana (oracles païens) ou encore les récits de batailles et de guerres.
La langue arabe au VIe siècle
Dans l’antiquité, la péninsule arabe présente une grande variété linguistique, qui a évolué au fil du temps. Sur ses marges septentrionales sont présents l’araméen, l’ougaritique, l’hébreu et le phénicien ; sur ses marges méridionales, on trouve les langues éthiopiennes. Dans la péninsule même, on trouve les langues sudarabiques (sabéen, minéen, qatabanique et hadramaoutique) et nord-arabiques. Les langues nord-arabiques désignent des variétés à la fois très proches entre elles et manifestant une proximité avec l’arabe coranique qui autorise les chercheurs à parler d’arabe.
Les plus anciens témoignages de la langue arabe datent du IIe siècle avant notre ère, mais la langue va évoluer encore longtemps. Du IIIe au VIe siècle, l’arabe ancien se développe et se dote d’un alphabet propre, dérivé du phénicien via la variante nabatéenne (ou, moins probablement, syriaque) de l’alphabet araméen.
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Dans la tradition classique, les premiers Arabes alphabétisés furent le poète chrétien Adi Ibn Zeïd et son père (seconde moitié du VIe siècle). La langue intègre pendant cette période des centaines de mots araméens, sudarabiques et, dans une moindre mesure, persans, grecs et latins – ceux-ci d’ailleurs surtout à travers l’araméen.
La koinè poétique.
Certains critiques contemporains ont prétendu que les Arabes du VIe siècle s’exprimaient couramment dans la langue poétique et qu’il était dès lors facile pour eux de produire des poèmes : il suffisait d’apprendre à rythmer et rimer sa langue quotidienne. Cette idée a été complètement écartée aujourd’hui, et la grande majorité des chercheurs occidentaux et orientaux s’accordent à dire qu’au VIe siècle, la langue poétique était un dialecte exclusivement littéraire, archaïsant du point de vue de son lexique comme de sa syntaxe. On appelle couramment cette langue littéraire « koinè poétique arabe ».
Nous ne savons rien des étapes empruntées par la poésie arabe avant qu’elle atteigne le niveau d’élaboration qui était le sien au VIe siècle. Nous ne disposons d’aucun poème illustrant les premières étapes de son développement. Les spécimens les plus anciens dont nous disposons (censés remonter aux années 500) présentent déjà cette poésie mûrie et développée, avec ses techniques élaborées pour ce qui est des mètres et de la rime, avec ses thèmes conventionnels et ses sujets de prédilection, ses styles et ses modèles. Cette maturité technique et artistique dérobe à notre examen « l’enfance et la croissance de cette poésie ».
Les poètes anciens cités dans les sources classiques sont un peu plus de cent.
Le poète semi-légendaire Al-Mouhalhil (m. vers 530), oncle maternel du prince kindite Imrou'l Qaïs, est traditionnellement considéré comme l’inventeur de la qasida 1). Son neveu, Imrou'l Qaïs, évoque dans un de ses poèmes un certain Ibn Khidham (dont nous ne savons rien par ailleurs), qui passe pour le premier à avoir chanté les vestiges du campement abandonné, le thème d’ouverture par excellence de la qasida préislamique. Louis Cheikho (Kitab Shou`ara' al-Nasraniyah, 1890) pense qu’Imroul était lui aussi chrétien.
Les sa'alik (sing. sou'louk) étaient des poètes-brigands. On utilisait alors le terme sou'louk, qui voulait dire « chemineau, ou voleur de grand chemin, vagabond », pour désigner les coupeurs de route et les pillards du désert. Ils sévissaient au nord du Yémen, et dans les monts Saraouate entre Yathrib et la Mecque, et s’attaquaient aux caravanes de marchands et de pèlerins.
On distingue trois types de sa'alik : les bannis, rejetés par leur tribu à cause des nombreux crimes dont ils se sont rendus coupables (tels Hadjiz al-Azda, ou Qaïs Ibn al-Haddadiya) ; les enfants d’esclaves éthiopiennes, surnommés les « Corbeaux des Arabes », reniés par leurs pères pour l’infamie de leur naissance (tels Soulaïk fils de Soulaka, Ta'abbata Charran, ou Chanfara) ; enfin, des individus qui n’étaient ni des bannis ni des bâtards d’esclaves, mais qui avaient fait du brigandage leur métier – parfois des tribus entières, comme les Houdhaïl et les Fahm (qui nomadisaient dans les environs de la Mecque et de Yathrib).
Leur poésie, sans doute apocryphe, se distingue par un style caractérisé par l’emploi très rare de la première personne du pluriel (“nous”) – fait exceptionnel dans une Djahiliya où le poète est avant tout la voix de sa tribu –, et par la récurrence des thèmes de la faim, de la pauvreté et de la révolte contre les nantis et les pingres. Dans ces pièces de fakhr (jactance), les poètes-brigands chantent leurs exploits, narguent la mort et se dépeignent eux-mêmes comme des braves, courageux dans la bataille, d’une endurance exceptionnelle, capables de marcher pendant des jours ou encore de dépasser un cheval à la course. On les surnommait souvent « les Coureurs », et leur vitesse à la course était devenue proverbiale : on disait par exemple « Untel est plus rapide que Chanfara ». Ils passaient aussi pour d’excellents cavaliers, au point que leurs chevaux étaient connus par leurs noms propres : Soulaïk montait Naham, Chanfara avait un cheval appelé Yahmoum.
Le poème le plus connu des sa'alik est le Lamiyat al-arab, « Le poème L des Arabes », de Chanfara. Collecté au VIIIe siècle par les grands transmetteurs de Koufa, le Lamiyya a fait l’objet de très nombreux commentaires au fil des siècles. Les philologues de Bassora mirent en doute son authenticité, mais les études modernes penchent plutôt en sa faveur.
On appelle sadj (prose rimée) le style d’un discours en prose rimant par segments. Contrairement à la poésie, les phrases ou les segments de phrases rimant entre elles ne sont pas constitués sur la base de mètres, mais constituent des unités rythmiques de quatre à huit syllabes terminées par une clausule rimée. Les rimes sont variées et peuvent alterner, contrairement au modèle monorime de la qasida. On ignore encore largement les mécanismes, les pratiques et les règles présidant à l’utilisation du sadj ? À l’origine, la prose rimée est caractéristique des discours du devin (kahin). Chaque tribu avait un devin, qui occupait des fonctions religieuses et était consulté sur l’opportunité d’une expédition, l’issue d’une bataille, etc. Il livrait ses avis en sadj.
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On raconte qu’à la foire d’Okaz, rendez-vous commercial et littéraire près de la Mecque, les poètes des diverses tribus récitaient publiquement leurs vers, et qu’au plus digne d’entre eux était réservée la récompense de voir sa composition écrite en lettres d’or et suspendue avec des clous d’or aux portes vénérées de la Ka‘ba. De là vient que les sept poésies les plus en vogue avant l’islam sont appelées « Mou’hahabate » (« Les Dorées ») ou plus souvent « Mou‘allaqât » (« Les Suspendues »). Les Arabes du désert excellaient surtout dans la poésie. La langue s’était toujours conservée plus pure et plus correcte sous leurs tentes ; souvent une mère infligeait une correction douloureuse à son enfant coupable de quelque faute de grammaire.
La poésie des Mouallaqat est un vestige écrit de cette poésie orale des Bédouins ; elle est d’inspiration très personnelle, de caractère hédoniste, et portée aux excès. L’inspiration est exacerbée par les angoisses et les appétits qu’occasionnent l’existence, les coups du sort, et la mort. Le panorama est finalement rassurant et sympathique : ces Arabes anciens sont des individus libres et désireux de vivre, en jouissant de la vie, une existence dont ils veulent être fiers et qu’ils chantent. Il y a peu d’exemples, dans la littérature humaine, d’une exaltation aussi débridée de la vie. Élevés à l’école du désert, indépendants, rétifs à supporter un joug quelconque, braves, généreux, mais fiers et vindicatifs, toujours sur la piste d’un ennemi pour venger quelque offense ou sur les pas d’une belle nomade, sceptiques et épicuriens, ces poètes ne furent les premiers à suivre Mahomet. Et cependant, malgré l’anathème lancé contre eux et contre leurs rimes, les « Mou‘allaqât » ne cessèrent pas de charmer les Arabes par l’originalité des idées et par la richesse des expressions.
Les poètes, en particulier, veillaient sur ce dépôt du langage fleuri et des manières distinguées. Ce langage et ces manières avaient toujours chez eux le même caractère d’inaltérable noblesse, tandis que partout dans les villes ils s’étaient viciés : une poésie d’une extrême recherche, une langue qui surpasse en finesse les idiomes les plus élaborés… voilà ce qu’on trouve chez les Arabes du désert, cent ans avant Mahomet.
1)Al-Mouhalhil ben Raba al-Taglibi a été le premier à composer un long poème sur la mort de son frère Koulaïb (Ala al-Din Ahmad Houssaïn. Docteur en Philosophie à l’Université de St Andrews 1983).
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EXEMPLES DE POÈMES PRÉISLAMIQUES.
À tout seigneur tout honneur commençons par le prince des poètes, Imrou’l Qaïs.
(Première traduction en langue européenne due à l’orientaliste William Jones en 1799).
LE POÈME D’AMRIOLKAIS (501 circa 550).
RESTE ! – Pleurons en nous souvenant de notre bien-aimée, en voyant la halte où sa tente a été dressée, là-bas au pied des dunes de sable courbées, entre Dahul et Haumel,
2. Tudam et Mikra, une halte dont les traces ne sont pas encore entièrement effacées, bien que les vents du sud et du nord aient retissé les dunes.
3. Ainsi parlai je, lorsque mes compagnons arrêtèrent leurs coursiers à côté du mien et me dirent : « Ne meurs pas de désespoir, sois seulement patient ».
4. Pleurer à chaudes larmes est mon seul soulagement répondis-je, mais à quoi bon les répandre sur les restes d’un campement abandonné ?
5. Ton sort, me répondirent-ils, n’est pas pire que quand tu as quitté Howaira avant, ainsi que sa voisine Rebaba, sur les collines de Masel.
6. Oui, ai-je répondu, quand ces deux demoiselles sont parties, leurs robes ont laissé flotter derrière elles du musc de la même façon que le vent d’est répand l’odeur des giroflées :
7. Puis les larmes jaillirent de mes yeux et coulèrent le long de mon cou, jusqu’à ce que la ceinture de mon épée soit inondée par leur ruisseau.
8. Tu as pourtant passé plusieurs journées à converser avec la belle, mais aucune ne fut aussi douce que la journée que tu as passée près du bassin de Daratjouljoul.
9. Ce jour-là, j’ai tué mon chameau, afin d’offrir aux vierges un festin ; et il était étrange de les voir porter son harnachement et son équipement !
10. Les demoiselles s’entraidèrent toute la journée pour faire rôtir à viande à la graisse délicate comme une frange de soie blanche finement tissée.
11. En ce jour béni, je suis entré dans le palanquin, le palanquin d’Onaïza, qui m’a dit : « Toi, je vais te forcer à marcher.
12. Elle a ajouté (alors que le palanquin s’était couché nous notre poids) « O Amriolkais descend ou ma bête va aussi en être renversée ! »
13. Je lui ai répondu : « Continue et lâche ses rênes, ne me refuse pas plus longtemps les fruits de ton amour…
…………………
66. Je suis assis à regarder, tandis que mes compagnons se tiennent entre Daaridge et Odhaib ; mais loin est le nuage sur lequel mes yeux sont fixés.
67. Son flanc droit semble déverser sa pluie sur les collines de Katan, et son flanc gauche sur les montagnes de Sitaar ou de Yadboul.
68. Il continue en déversant ses eaux sur Cotaïfa, jusqu’à ce qu’un torrent déracine les bosquets de canahbul.
69. Il passe au-dessus du mont Kenaan, qu’il submerge et force les chèvres sauvages à descendre des falaises.
70. Sur le mont Taïma, il ne laisse pas en place un seul tronc de palmier ni un seul édifice en pierre sèche.
71. Le mont Tebeïr affronte le déluge, comme un vénérable chef drapé dans un manteau rayé.
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72. Le sommet de Mogaïmir, couvert des débris que le torrent a charriés, dans la lumière du matin ressemble à la pointe d’un fuseau entouré de laine.
73. Le nuage décharge son fret sur le désert de Ghabeït, comme un marchand yéménite débarquant ses ballots de riches vêtements.
74. Les petits oiseaux de la vallée chantent dans la lumière de l’aube, comme s’ils avaient pris une première gorgée de vin généreux mêlé d’épices.
75. Les bêtes des bois, noyées dans les flots durant la nuit, flottent comme des racines d’oignons sauvages au milieu du lac.
LE POÈME DE LABID MAINTENANT (560-661).
75. L’hôte et l’étranger qui s’arrêtent chez moi, je leur donne l’impression d’être dans la vallée de Tabala au printemps.
76. Les faibles et les pauvres femmes en haillons restent devant ma tente, comme des chamelles entravées couchées sur la tombe de leur maître.
77. Aux déshérités comme à ceux que nous protégeons, nous distribuons d’énormes plats remplis de sauce et couronnés de quartiers de viande, où les malheureux orphelins peuvent plonger leurs mains, au plus fort de l’hiver et du dénuement.
78. Quand se réunissent les assemblées des tribus pour trancher un litige, c’est toujours l’un des nôtres qui préside et apaise les adversaires et se fait fort de mettre un terme aux querelles.
79. Il distribue le butin d’une main équitable, s’irrite de voir lésés ceux de sa tribu et fait le sacrifice d’une partie de ses droits pour que soient préservés ceux d’autrui.
80. Il agit avec grandeur d’esprit et noblesse de cœur : il répand la rosée bienfaisante de ses libéralités sur ceux qui ont besoin de son aide ; il répand autour de lui ses propres gains et son butin le plus précieux, le prix de sa bravoure.
81. Nous sommes d’une tribu à laquelle ses pères ont imposé comme une loi de faire moisson de hauts faits.
À chaque clan sa règle, et dans chacun d’entre eux est un homme qui veille à la faire respecter.
82. Si on leur demande de l’aide, ils mettent immédiatement leur casque, leurs lances et leurs cuirasses scintillent comme des étoiles.
83. Leur honneur n’est souillé d’aucune tache malgré le temps qui passe et leurs actes sont toujours purs, car nulle basse passion ne les habite.
85. N’exige pas plus que ce que le seigneur t’a donné en partage ; à chacun son lot.
86. Lorsque notre tribu a fait la paix, nous ne la violons pas, et celui qui la respecte fait notre bonheur.
87. Valeureux sont les efforts de nos héros, quand la tribu lutte contre les difficultés : ce sont nos chefs en temps de guerre et les arbitres de nos revendications en temps de paix :
88. Ils sont un printemps vivifiant pour ceux qu’ils protègent autour d’eux et pour les veuves aussi, quand l’année leur est dure et cruelle.
89. C’est une tribu que n’atteignent ni les calomnies ni les injures des envieux ou des ennemis.
AMROU (m.584).
Amr ibn Koulthoum Ibn Malik Ibn A'tab Abou Al-Assouad al-Taghlibi, chef de la tribu des Taghlib
Quatre de ses poèmes seulement sont parvenus jusqu’à nous, dont celui-ci qui commence ainsi.
HOLA ! – Réveille-toi douce demoiselle, et apporte-nous notre boisson du matin dans ta plus grande coupe, ne laisse pas le trésor des vins d’El Andarine dormir plus longtemps :
2. Sers-nous de ce vin bien chambré, qui a la couleur du safran, et qui déborde de la coupe quand on y rajoute de l’eau.
3. C’est la liqueur qui détourne de sa passion l’amoureux qui se languit, car il est tout de suite de meilleure composition quand il en boit.
4. Devant le ballet des coupes à boire, le plus grand des avares, pour son plaisir, y laisse son bien.
5. Quand son feu brûlant a saisi le plus timide de nos jeunes, tu n’imagines pas dans quel état ça le plonge.
6. Tu ne nous sers pas dans le bon sens, ô mère d’Amroun ; car le bon sens d’une coupe qui tourne c’est de gauche à droite :
7. Celui à qui tu n’as pas encore présenté le hanap du matin n’est pas le plus détestable de tes trois compagnons, ô mère d’Amrou.
8. Que de coupes ai-je bues à Baalbeck et combien d’autres à Damas et à Kasserine !
9. Rien n’empêchera notre dernière heure de venir, puisque nous sommes destinés à mourir, puisque la mort est notre destin.
10. Reste encore un moment, avant que nous nous séparions, aimable cavalier…
TARAFA (543-569).
52. Ah ! Toujours boire du vin, jouir, vendre, dissiper ses biens et même son héritage,
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53. Jusqu’au jour où la famille unanime m’en empêchera, en m’isolant comme on isole un chameau goudronné.
54. Je vois néanmoins que les hommes de la terre (les hommes les plus indigents) louent ma bonté, et que les riches habitants de ton camp étendu reconnaissent ma gloire.
63. Un homme à l’esprit généreux comme moi boit tout son saoul dès aujourd’hui, et demain, quand nous serons morts, on verra bien lequel d’entre nous n’aura pas étanché sa soif.
64. Ne vois-tu pas que la tombe du cupide avare de son argent ne diffère en rien de celle du fou, oisif et prodigue ?
65. Rien que deux bosses de terre surmontées de dalles de marbres serrées les unes contre les autres.
66. Je vois la mort prélever sur celui qui est généreux tout autant qu’elle s’arroge le plus précieux des biens du scélérat qui se cramponne.
ANTAR (525-608).
38. Après que se furent apaisées les ardeurs de midi, j’ai donné une pièce d’or polie et finement ciselée ;
39. Afin de boire un vin jailli d’une aiguière éclatante de blancheur et coiffée d’un couvercle, que j’ai versé dans un verre jaune orné de stries.
40. Boire me rend prodigue jusqu’à dilapider mon bien sans que mon honneur en souffre.
41. Mais dégrisé, ma générosité n’est pas moindre, tu connais mes qualités ainsi que mes nobles actions.
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ÉPILOGUE.
Mahomet, Coran 71, 22.
Ils ont perpétré une immense perfidie et se sont écriés : N’abandonnez pas vos dieux ! N’abandonnez ni Ouadd, ni Souwa, ni Yagout, ni Yaouq, ni Nasr !
Ibn Ichaq, la vie de Mahomet, par Alfred Guillaume, page 36.
Ka’b ibn Malik al Ansari a dit : nous avons alors abandonné Al Lat, Al Ouzza et Ouadd. Nous leur avons arraché leurs colliers et leurs boucles d’oreilles.
La brutale et destructrice révolution culturelle qu’a été le mouvement initié par Abou Qassim n’a laissé que des ruines de cet antique art de vivre, et tout est alors allé très vite.
Notons que le discours contre le paganisme philosophique et réfléchi est quasiment absent. Le thème est trop abstrait. Les discours anti-idolâtres sont plus faciles à tenir. Notons aussi que ces discours anti-idolâtres ne valent pas les faits de même nature : les victimes matérielles de cette rage sont
innombrables, et rares les protestations contre la destruction du sacré des autres : les temples et leurs statues.
Le texte coranique regorge d’allusions aux disparitions de peuples anciens, et menace ses contemporains du même destin, voire incite même à la réalisation de ces sinistres desseins. Il suffira de remarquer que Mahomet n’a jamais fait édifier de monument, et n’a jamais soutenu de réalisation artistique, poétique, littéraire. Il n’a pas encouragé l’activité économique, et s’est contenté de parasiter le commerce ou l’agriculture des oasis. Il n’a créé aucune vraie institution politique, se contentant d’imposer sa volonté, ô combien changeante sur certains points ! Et même si son action et sa prédication ont abouti à la naissance d’une nouvelle civilisation, quelques années plus tard, fonder une nouvelle civilisation ne fut jamais son but, ainsi que nous allons le voir dans les quelques pages qui suivent. Un effort de reconstitution et de réhabilitation s’impose donc d’urgence.
On sait les conséquences de cette décision, dans le domaine de l’art, et de la conception du monde ou de l’humain en général. Rejet des représentations humaines, animales, vivantes, et au-delà déficience ou absence de conception de l’être humain autonome et créateur de type « l’Homme est la mesure de toute chose ». Ironiquement, un observateur pourra noter que l’isma ou adoration du personnage d’Abou Qassim dit Mahomet, fils d’Amina sur plus de mille ans, s’apparente néanmoins elle aussi, à une idolâtrie de plus, qui sombre souvent dans le grotesque (Documents sur les origines de l’Islam, sur le site internet espagnol http://religion.antropo.es/estudios/origenes/index.html.)
Il n’est pas (encore) interdit de penser que l’œuvre mahométane a été, fondamentalement, une tentative de destruction de la civilisation arabe, en tant qu’expression supérieure de l’existence humaine dans des sociétés vivant en harmonie avec la Nature.
L’islam des débuts ne s’est pas seulement en effet exprimé en tant qu’antihumanisme, en voulant absolument soumettre l’être humain, sa grandeur, son originalité et sa liberté, à un Dieu démiurge tout puissant ; mais il a aussi renié les traditions, les monuments, l’art, la littérature, le fond légendaire, la morale, l’organisation sociale, du temps de la Djahiliya, bref tout ce qui constituait l’identité des populations précédentes.
Cet obscurantisme destructeur n’était qu’en germe au début, les fiers conquérants arabes des premières générations étant restés profondément hédonistes dans l’âme (le transfert de leur capitale à Damas puis Bagdad en est le symbole), mais la fin du moutazilisme a laissé le champ libre à un nouveau type de musulmans, convaincus cette fois-ci, les traditionnistes comme Hanbal, qui ont brûlé ou crucifié les zindiq hérétiques soufis ou manichéens puis claqué les portes de l’Ijtihad voire de toute bidah. Les droits de l’Homme mesure de toute chose par définition ont alors cédé le pas aux droits de Dieu (Houqouq Allah) et le nihilisme en germe dans l’islam des débuts a alors pu donner toute sa mesure (qui n’était pas celle à laquelle avait pensé Protagoras hélas !).
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On ne soulignera jamais assez à quel point la fermeture des portes de l’Ijtihad moutazilite a entraîné pour l’Humanité une régression intellectuelle sans précédent. Un « credo quia absurdum » ou « extra ecclesiam nulla salus » puissance 10 !
Comme la Science, l’Histoire, et l’Archéologie nous montrent, toutes les trois, que l’animisme ou le polythéisme ont été les premières vraies croyances de l’Humanité, et ce, durant des millénaires, sans contestation (anima naturaliter pagana) il s’est donc agi, pour la religion musulmane des débuts, de démontrer que le monothéisme a été le premier système religieux des êtres humains, et qu’il ne s’est transformé en une adoration de dieux ou de déesses que par la faute des hommes. On ne peut pas exclure totalement évidemment…
a) Qu’Abraham ait vraiment existé.
b) Qu’il soit passé par la Mecque à un moment donné de son existence
c) Qu’il y ait construit la Kaaba.
d) Qu’il y ait répandu à partir de là le monothéisme philosophique et réfléchi le plus pur.
e) Qu’il y ait eu ensuite une chute du niveau religieux telle que l’on peut considérer que succédèrent à ce hanifisme originel toutes sortes de paganisme.
Le plus simple et le plus conforme au principe du rasoir d’Occam est quand même de supposer que la religion originelle de l’humanité s’apparente plus au paganisme (animisme polythéisme hénothéisme, etc.) qu’au monothéisme rebaptisé si l’on peut dire « hanifisme ».
Cet acharnement digne de la pire des méthodes Coué à vouloir à tout prix être reconnu comme un héritier légitime et direct de la religion juive et d’Abraham ; alors qu’il est évident que seuls certains détails du vernis islamique le sont, et que le fond est païen (la notion d’homme-dieu dans le christianisme, le rôle de la Kaaba dans l’Islam, etc.) EST PITOYABLE. C’est à la fois la manifestation hors du temps d’un incroyable racisme envers les autres religions doublé d’un TOUT aussi incroyable complexe d’infériorité. Sans parler d’une ignorance crasse de la science historique et des découvertes de l’archéologie (le début de la Bible jusqu’à l’épisode de la tour de Babel est emprunté aux mythes sumériens, Abraham est une légende, Moïse n’a pas existé, l’esclavage en Égypte non plus, etc.).
Mais ça nous l’avons déjà dit.
L’explication favorite fut de type évhémériste : les dieux sont des êtres humains d’autrefois. Pour le reste, plutôt que d’en affirmer directement l’inexistence pure et simple, le Coran et les hadiths développent des critiques s’appuyant sur l’inefficacité de ces divinités. L’utilisation des sources musulmanes dans l’étude des religions plus anciennes est utile et indispensable, mais elle doit s’accompagner de grandes précautions. La tradition musulmane insiste par exemple sur la responsabilité d’un certain Amir ibn Louhaïe dans le processus. Il est voué par elle au pire sort dans l’au-delà. Mais cet homme n’est cloué au pilori que parce que ce fut un roi des Khouzaa, la tribu primitive de La Mecque, ayant ouvert son royaume à la civilisation hellénistique, vers l’an 200. Ce personnage concentre à lui seul tout le péché de ce méfait, totalement imaginaire au demeurant, et reste connu dans la fantasmagorie musulmane pour le châtiment atroce qu’il aurait reçu en enfer.
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam 6.
Le premier à changer la religion d’Ismaël, à mettre en place des images pour le culte, instituer les pratiques de la sa'ibah de la ouasilah de la baïrah de la hamiyah [des animaux voués aux dieux] fut Amr ibn – Rabi'ah, c’est-à-dire Louhaye ibn-Harithah ibn-Amr ibn-Amir al-Azdi, le père de la tribu Khouz'ah…… al-Harith était le gardien de la Ka'ba. Mais quand Amr ibn-Luhayy vint [à La Mecque] il contesta son droit de garde, et avec l’aide des enfants d’Ismaël, combattit les Jourhoumites, en fut vainqueur et les expulsa de la Ka'ba ; il chassa ensuite de La Mecque et s’occupa de la Maison Sacrée (al Beït) après eux…
Il tomba ensuite malade et on lui conseilla cela : « Il y a une source thermale à Balqa, en Syrie (al-Sha'm), si vous y allez, vous serez guéri ». Il partit alors pour cette source thermale, y prit des bains et fut guéri. Durant son séjour là-bas, il remarqua que les habitants adoraient des statues. Il leur demanda donc : « Qu’est-ce que c’est que ça ? » Ce à quoi on lui répondit : « Nous les prions pour avoir de la pluie, et nous cherchons à vaincre nos ennemis grâce à eux ». Alors il leur demanda de lui donner [quelques-unes de ces statues], ce qu’ils firent. Il les ramena donc avec lui à La Mecque et les mit autour de la Ka'ba.
Sahih al-Bukhari Volume 4, Livre 56, Hadith 723.
Abu Horaïra : Le Prophète a dit « J’ai vu Amr ibn Amir ibn Louhaye Al-Khouzai traînant ses intestins dans le feu (en enfer), car il a été le premier à instaurer la coutume de libérer certains animaux (en l’honneur des faux dieux) »…
Notons que le discours contre le paganisme philosophique et réfléchi est quasiment absent. Le thème est trop abstrait. Les discours anti-idolâtres sont plus faciles à tenir. Notons aussi que ces discours anti-idolâtres ne valent pas les faits de même nature : les victimes matérielles de cette rage sont
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innombrables, et rares les protestations contre la destruction du sacré des autres : les temples et leurs statues.
Le texte coranique regorge d’allusions aux disparitions de peuples anciens, et menace ses contemporains du même destin, voire incite même à la réalisation de ces sinistres desseins. Il suffira de remarquer que Mahomet n’a jamais fait édifier de monument, et n’a jamais soutenu de réalisation artistique, poétique, littéraire. Il n’a pas encouragé l’activité économique, et s’est contenté de parasiter le commerce ou l’agriculture des oasis. Il n’a créé aucune vraie institution politique, se contentant d’imposer sa volonté, ô combien changeante sur certains points ! Et même si son action et sa prédication ont abouti à la naissance d’une nouvelle civilisation, quelques années plus tard, fonder une nouvelle civilisation ne fut jamais son but, ainsi que nous allons le voir dans les quelques pages qui suivent. Un effort de reconstitution et de réhabilitation s’impose donc d’urgence.
On sait les conséquences de cette décision, dans le domaine de l’art, et de la conception du monde ou de l’humain en général. Rejet des représentations humaines, animales, vivantes, et au-delà déficience ou absence de conception de l’être humain autonome et créateur de type « l’Homme est la mesure de toute chose ». Ironiquement, un observateur pourra noter que l’isma ou adoration du personnage d’Abou Qassim dit Mahomet, fils d’Amina sur plus de mille ans, s’apparente néanmoins elle aussi, à une idolâtrie de plus, qui sombre souvent dans le grotesque ((Documents sur les origines de l’Islam, sur le site internet espagnol http://religion.antropo.es/estudios/origenes/index.html.
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LES INTERDITS DE L’ISLAM.
Il est utile de procéder ici à une revue de l’ensemble des interdits rituels présents dans le texte coranique. C’est d’ailleurs également une façon de voir, a contrario, ce qu’ont été les gestes du système religieux précédent, et de se rendre compte ainsi de la brutalité de la révolution culturelle qu’a été l’islam. Notons que de très nombreux rituels ont été néanmoins conservés, quand ils ont pu être intégrés, sans trop de dommage, à la doctrine mahométane, et notamment ceux concernant les abattages de moutons chèvres chameaux voire bovins en l’honneur de l’idée de Dieu appelée Dieu (par millions pour ce qui est des moutons maintenant qu’il y a deux milliards de musulmans) le dixième jour du mois de dhou al hidja. Ce jour-là en effet les familles musulmanes sacrifient un animal (le mouton qui a six mois ou la chèvre ou le bovin qui a deux ans ou le chameau qui a eu cinq ans). Nom de la fête : Aïd al-Adha ou Aïd el-Kebir.
Les versets consacrés à la prohibition des autres sacrifices d’origine païenne, ceux n’ayant pas trouvé grâce aux yeux de Mahomet datent surtout de l’arrivée à Yathrib/Médine et sont dus à l’influence qui s’est alors exercée sur l’islam naissant de Mahomet. Ils concernent essentiellement les rituels pratiqués par les éleveurs, et finalement, des actes assez secondaires.
Grâce aux interdictions mahométanes, on connaît donc très bien les anciennes coutumes.
ÉLÉMENTS SUPPPRIMÉS.
Mahomet, Coran 5, 90.
Ô vous qui croyez ! Les boissons fermentées, les jeux de hasard, les pierres levées ainsi que les flèches divinatoires, ne sont qu’une souillure œuvre du démon. Évitez-les !
Sounan Abou Daoud livre 27, hadith numéro 3791
Les hommes de la période préislamique mangeaient des choses et en rejetaient d’autres, les considérant comme impures. Dieu envoya son prophète et son livre afin d’indiquer les choses qui sont licites et celles qui sont illicites.
Le fara et l’atira.
Hadiths, Boukhari 71, 3.
D’après Abou Horaïra, le prophète a dit : Ne pratiquez plus ni de fara ni d’atira. La fara consistait à sacrifier aux dieux le premier-né (des chameaux ou des moutons). L’atira était un mouton qu’ils abattaient durant le mois de radjab.
Mahomet, Coran 5, 103.
Dieu n’a institué ni bahira, ni saïba, ni ouasila, ni hami.
Sahih Boukhari, tome 6, livre 60, hadith numéro 147.
La bahira est une chamelle dont on garde le lait pour les divinités, personne n’est autorisé à la traire.
La saïba était une chamelle qu’ils laissaient libre pour leurs dieux, elle ne devait rien porter. La ouasila est une chamelle ayant mis bas deux chamelles sans avoir eu de chameau dans l’intervalle. Les gens (du temps de l’ignorance) gardaient pour les dieux la chamelle qui avait mis bas deux chamelles successivement sans naissance de mâle entre les deux. Le hami est un chameau qui sert à la reproduction. Quand il a fini le nombre de saillies qui lui sont assignées, on le consacre aux dieux et on le dispense de tout fardeau.
Mahomet, Coran 8, 35.
Leur culte autour de la (sainte) Maison n’est que sifflements (des youyous ?) et battements de mains.
Un curieux tabou sans doute dû à la confrérie préislamique des Homs : celui qui voulait qu’un homme ayant commencé son pèlerinage ne puisse plus revenir chez lui en passant par la porte normale. S’il
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avait besoin de quelque chose, il devait escalader le mur de derrière pour y revenir. D’où cette réaction de Mahomet, pour une fois !
Azraqite (Akhbar Makkah). 3e partie page 41. Traduction Roberto Tottoli.
Lorsque Dieu envoya l’Islam et mit fin à la Djahiliya, fut révélé : « la piété [al-bir] ne consiste pas à rentrer chez soi par-derrière, mais la vraie piété réside dans la crainte de Dieu » (Chapitre 2, verset 189).
Rasage du crâne et autres rites.
Lucien de Samosate. Sur la déesse syrienne, 55.
Je vais dire ce que font ceux qui se rendent à ces cérémonies. Quand un homme veut aller à Hiérapolis, il se rase la tête, et les sourcils, ensuite, il sacrifie une brebis, en découpe la viande, et la mange. Après quoi il étend la peau à terre, se met à genoux dessus, et relève sur sa tête la tête ainsi que les pieds de l’animal ; et en même temps il fait une prière, dans laquelle il demande aux dieux de recevoir favorablement son sacrifice, puis leur en promet un plus magnifique encore, par la suite.
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam 33.
Zouhaïr ibn Abou Soulma a dit : je jure solennellement par les pierres dressées d’al Ouqaïbir, et par le sanctuaire où les têtes, avec leur vermine, sont rasées.
La nudité rituelle.
Les textes musulmans ont été particulièrement enclins à décrire cet aspect du culte ancien, non sans une certaine et malsaine hypocrisie.
Ibn Ichaq, La vie de Mahomet par Alfred Guillaume page 619.
Aucun mécréant n’entrera au paradis, aucun polythéiste n’accomplira de pèlerinage l’année prochaine, et plus personne ne fera nu le tour du temple (?)
Sahih Boukhari, tome 2, livre 26, hadith numéro 726.
Durant la période préislamique de l’ignorance, les gens avaient l’habitude de faire le taouaf de la Ka`ba complètement nus sauf les Houms ; les Houms c’étaient les Couraïchites et leurs descendants. Les Houms avaient l’habitude de donner des vêtements aux hommes qui allaient faire le Taouaf ; et les femmes (des Houms) donnaient des vêtements aux femmes qui allaient faire le Taouaf. Ceux à qui les Houms ne donnaient pas de vêtements effectuaient nus le taouaf autour de la Ka`ba.
At-Tabari 12, 37.
Ceux qui n’avaient pas de vêtements neufs, ou qui n’en avaient pas reçu des Houms, faisaient alors le taouaf complètement nus. Même les femmes accomplissaient la circumambulation du Taouaf complètement nues, couvraient leur sexe avec quelque chose et disaient : « Aujourd’hui, une partie ou la totalité apparaîtra, mais ce qui en sera visible je ne permettrai pas qu’on y touche. Les femmes avaient coutume d’effectuer le taouaf nues, mais généralement durant la nuit. C’était une pratique que les païens avaient inventée, d’après l’exemple de leurs prédécesseurs à cet égard. Ils prétendaient que leurs pères n’avaient fait que suivre les ordres et les lois de Dieu en ce domaine.
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LA MONOLÂTRIE EN ARABIE AU 6e SIÈCLE.
Nous ne dirons rien ici de la notion musulmane de hanif ou de hanifiya ni de monothéisme primitif de l’Humanité révélé à Adam et Ève qui ne sont que des mythes fantaisistes relevant d’une théologie simpliste n’ayant rien d’historique, mais nous dirons par contre quelques mots des juifs des judéo-chrétiens ou des chrétiens vivant à cette époque dans le pays.
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LE JUDAÏSME.
Nous sommes assez bien documentés sur l’histoire du judaïsme dans le sud de l’Arabie, au Yémen, nous en reparlerons ; beaucoup moins sur son implantation dans le nord, où nous en sommes réduits aux légendes juives, voire à la documentation musulmane (à manier avec précaution car largement postérieure aux faits qu’elle prétend relater) ; cas du grand historien allemand Heinrich Graetz (1817-1891) à qui nous cèderons volontiers la parole en ce domaine néanmoins. En attendant, rappelons qu’il n’existe pas en fait de famille plus ancienne ou plus vieille que les autres, mais seulement des familles CONNUES DEPUIS PLUS LONGTEMPS, car pour le reste, nous avons tous pour ancêtres non Adam et Ève, mais l’homo sapiens sapiens (sapiens deux fois, quel orgueil !).
Nous avons eu l’occasion plus haut, d’aborder l’hypothèse de l’hagarisme (de Patricia Crone et Michael Cook), qui s’appuie sur la présence dans cette région du monde de fortes communautés juives orthodoxes ou chrétiennes, voire de tribus arabes judaïsantes.
D’après la Sira d’Ibn Hicham, et ainsi que nous allons le voir dans quelques instants, Mahomet aurait massacré ou éliminé trois tribus juives à Yathrib/Médine, les Qouraïza, les Banou Nadir et les Qaïnouqa.
Ces trois tribus « juives » sont mentionnées dans l’Histoire de Tabari, rédigée 250 ans après les faits, dans la biographie d’Ibn Hicham, plus de 200 ans après (Ibn Hicham emprunte cette information à Ibn Ichaq) ; et dans le « Kitab al-Tarikh oua al-Maghazi (« Livre des expéditions ») de Ouaqidi, 180 ans après.
Or il n’existe aucune source non musulmane, ni littéraire, ni archéologique, ni épigraphique, qui fasse état de ces trois tribus, et les documents judaïques de l’époque qui détaillent les implantations juives au Proche-Orient ne mentionnent jamais Yathrib/Médine. Le juriste Malik traite Ibn Ichaq de « menteur » et d’« imposteur » pour avoir évoqué les assassinats en question. Il cite également d’autres traditions qui contredisent ces massacres. La chronique de Sébéos date de 40 ans après les faits, et tous ces documents sont indépendants du pouvoir des califes. Les documents qui conduisent à contester l’existence de ces tribus ont donc plus d’ancienneté que ceux qui affirment leur existence.
Reste à savoir si ces tribus existaient, mais n’ont pas été massacrées ; ou si elles n’ont pas été massacrées parce qu’elles n’existaient pas.
Si l’on admet qu’il y avait bien des « juifs » à Yathrib/Médine, mais que les rabbins ne les reconnaissaient pas comme tels, peut-être faut-il en conclure que ce n’étaient pas de véritables juifs au sens strict du terme ? Pour les rabbins en effet, judaïser ne suffisait pas à faire un juif.
La chronique de l’évêque arménien Sébéos est pourtant catégorique : elle ne fait aucune allusion à l’éviction, par moments sanglante, des tribus juives et parle des habitants de Yathrib/Médine comme ayant tous la même religion.
L’Histoire d’Héraclius, chapitre XXX, nous raconte en effet qu’en 625 ou 627, des juifs d’Édesse, chassés par ledit Héraclius, tentèrent de se réfugier en Arabie, où ils pensaient trouver d’autres juifs.
« À cette époque, des juifs des douze tribus vinrent et se rassemblèrent dans la ville d’Édesse. Lorsqu’ils virent que l’armée perse s’était retirée, mais avait laissé la ville en paix, ils fermèrent les portes, s’y fortifièrent, et n’y laissèrent pas entrer les troupes du royaume romain. L’empereur byzantin Héraclius donna donc l’ordre de l’assiéger. [Les juifs] reconnaissant qu’ils ne pouvaient pas résister, firent des propositions de paix à [l’empereur], ouvrirent les portes de la ville, et vinrent se présenter devant lui. Héraclius leur ordonna de repartir et de rentrer chacun chez soi. Ils se mirent en route, prirent le chemin du désert et arrivèrent en Arabie ? chez les enfants d’Ismaël. Ils les appelèrent à leur secours et leur firent savoir qu’ils étaient parents, d’après la Bible. Bien que ceux-ci crussent
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volontiers à cette parenté rapprochée [les juifs] néanmoins ne purent pas convaincre la masse du peuple, parce que leur culte était différent ».
Les habitants de Yathrib/Médine avaient donc une religion différente de celle des Juifs d’Édesse. Des observateurs peu attentifs l’avaient confondue avec le judaïsme traditionnel, et avaient donné aux juifs d’Édesse une information erronée, qui avait conduit ces derniers à tenter de se réfugier à Yathrib/Médine. Mais les « juifs » de cette ville-oasis n’appartenaient nullement à l’ethnie juive, car c’étaient des Ismaélites, c’est-à-dire des Arabes. Il s’agissait probablement d’un groupe d’Arabes convertis au judéo-christianisme. Comme les judéo-chrétiens « judaïsaient » par définition, la confusion était possible.
La charte de Yathrib/Médine, le plus ancien document islamique connu, ne comporte aucune mention des trois tribus juives dont parlent Ibn Hicham et Graetz : les Quraïza les Banou Nadir les Qaïnouqa. Si elles avaient existé, la charte en aurait fait mention puisqu’elle concernait tous les habitants de la cité. Les « juifs » dont la Constitution fait état, et qui sont membres de l’alliance, ne forment pas une communauté unie. Ils se répartissent entre plusieurs tribus arabes dont ils sont les protégés. Cette bizarrerie demeure inexpliquée dans la tradition musulmane officielle, et reste un mystère pour les commentateurs actuels.
Les noms des « juifs » de Yathrib/Médine sont arabes, ainsi que leur généalogie. Les mariages mixtes entre ces « juifs » et les « Arabes » étaient fréquents, et les poèmes en arabe attribués à des poètes « juifs » de Yathrib/Médine sont identiques, par la forme et le contenu, aux poèmes des Arabes du désert. Ces « juifs » étaient peut-être tout simplement des Arabes convertis, qui continuaient à faire partie de leur tribu d’origine.
Reste la question de savoir s’ils s’étaient convertis au judaïsme ou au judéo-christianisme.
Comme ces juifs portent essentiellement des noms arabes, on peut donc penser que ce ne sont sans doute pas des groupes issus de tribus d’Israël, mais plutôt, comme au Yémen, des indigènes judaïsés.
Ce n’est pas à nous, barbares druides d’Occident à la John Toland, de trancher un tel débat ; mais pour ce qui est du reste de cet opuscule, nous adopterons néanmoins la thèse plus traditionnelle de l’existence, à Yathrib/Médine, de trois tribus pouvant plus ou moins être considérées comme juives. Faute de mieux, et sans en faire un article de foi.
N.B. Le plus grave de toute façon, si ces tribus juives n’ont pas existé, c’est qu’il s’est trouvé quand même des musulmans pour justifier ou présenter de façon positive leur assassinat. Même problème avec les pseudo-massacres commis par les Hébreux de Josué lors de la conquête de la Terre promise. Ils n’ont peut-être pas eu lieu, mais ce qui est atterrant, c’est qu’il s’est trouvé des commentateurs pour les justifier, les relativiser, voire les ignorer.
Ci-dessous maintenant quelques lignes à propos de ces tribus juives tirées de l’ouvrage d’Hirsch Graetz, sous toutes réserves. Graetz a en effet un peu trop tendance à développer une conception assez nationaliste de l’histoire biblique ou juive.
HEINRICH GRAETZ HISTOIRE DU PEUPLE JUIF 1919 TOME 2 CHAPITRE X. LES JUIFS EN ARABIE ET MAHOMET (500-640).
Une légende raconte que les israélites que Josué avait envoyés pour combattre les Amalécites se sont installés à Yathrib (plus tard Médine) dans le pays de Khaïbar, et une autre qu’une colonie juive s’implanta dans le nord de l’Arabie sous le roi David. Il est possible que des israélites marins, sous les puissants rois de Juda, qui traversaient la mer Rouge jusqu’à l’eldorado appelé Ophir, aient installé des comptoirs pour faire du commerce entre l’Inde et le sud de l’Arabie () en profitant des foires d’Hariba et Sanaa, et qu’ils y aient fondé des colonies. Une des traditions des Juifs arabes ultérieurs voulait que des juifs se soient enfuis dans le nord de l’Arabie après la destruction du premier Temple par Nabuchodonosor.
Il est certain par contre que les guerres entre Juifs et Romains ont poussé des juifs à s’installer dans la péninsule arabique. Des groupes épars de zélotes trompe – la mort qui avaient fui en Égypte et en Cyrénaïque après la destruction du second Temple, afin de poursuivre leur résistance désespérée contre le joug romain, ont également atteint l’Arabie. Des fugitifs des guerres d’Hadrien ont sans doute trouvé refuge en Arabie. Les tribus arabes juives des Banou-Nadir, des Banou-Quraïza et des Banou Nakdal étaient les descendants de ces exilés, les deux premières prétendaient être issues d’une lignée sacerdotale et se présentaient comme étant des Cohenim (Al-Kahinani). Une autre tribu juive, les Banou-Qaïnouqa, dont les mœurs différaient de celle des Nadir et des Qouraïza, vivait dans le nord de l’Arabie. Ces tribus, y compris une autre de moindre importance, avaient comme capitale la ville de Yathrib, dans le Hedjaz, une région productrice de dattes et de riz, arrosée par de petits ruisseaux. Comme les tribus juives étaient souvent inquiétées par les Bédouins, elles construisirent en ville et dans les environs des tours et des châteaux forts sur des hauteurs et sauvegardèrent ainsi leur indépendance. Bien que d’abord seuls maîtres de cette région, les tribus juives eurent ensuite à
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partager leur territoire avec les tribus arabes des Banou-Aous et de Khazradj (toutes deux dites Kaïla) avec lesquelles les tribus juives entretenaient des relations tantôt amicales tantôt hostiles.
Au nord de Yathrib, le territoire de Khaïbar était entièrement occupé par des Juifs qui formaient une sorte de république indépendante et qui possédaient toute une série de forteresses ou de châteaux semblables à ceux des chevaliers chrétiens. Leur plus puissant bastion était Qamous, une forteresse située sur une hauteur difficile d’accès.
Ces châteaux forts les protégeaient des attaques des guerriers bédouins et leur permettaient d’offrir l’asile aux victimes de mauvais traitements. Ouadi-al-Qura (la vallée des villages), une vallée fertile située à une journée de marche de Khaïbar, était aussi habitée par des Juifs.
Par contre il y en avait peu à La Mecque, où se trouvait le sanctuaire des Arabes.
En Arabie méridionale (Yémen, Himyar), la terre dont les habitants disaient que « sa poussière est d’or, elle produit une race héroïque, et ses femmes portent sans peine » les Juifs étaient présents en grand nombre. Mais les Juifs d’Arabia Félix, contrairement à ceux du Hedjaz, ne formaient pas une communauté plus ou moins unie ou compacte au point de vue tribal ou politique, mais étaient disséminés parmi les Arabes. Ils purent néanmoins acquérir une telle influence sur les tribus et les rois du Yémen au cours des âges qu’ils réussirent à empêcher la propagation du christianisme dans cette région. Ce n’est qu’à la fin du cinquième ou au début du sixième siècle que des missionnaires chrétiens réussirent à convertir au christianisme un chef arabe et sa tribu demeurant dans la ville commerciale de Nedjran.
En raison de leur origine sémite, les Juifs arabes avaient de nombreux points communs avec les indigènes du pays. Leur langue s’apparentait à l’arabe, et leurs coutumes, à l’exception de celles d’origine religieuse, ne différaient guère de celles des enfants d’Arabie. Les Juifs s’étaient si bien assimilés à la vie arabe qu’ils ne se distinguaient plus des autres arabes que par leur religion. Les mariages mixtes favorisaient l’assimilation des deux nationalités. Les juifs de l’Arabie méridionale, tout comme les Yéménites en général, s’adonnaient davantage au commerce international entre l’Inde, Byzance et la Perse, tandis que les Juifs du nord suivaient plutôt la vie des Bédouins et se consacraient à l’agriculture à l’élevage du bétail, au commerce caravanier intérieur, à la fabrication d’armes, et parfois aussi aux razzias.
Les Juifs arabes vivaient sous le régime du système patriarcal, réunissant plusieurs familles sous l’autorité d’un chef (cheikh) qui, en temps de paix, réglait les différends et agissait en tant que juge, et, en temps de guerre, menait les guerriers au combat et formait des alliances avec les tribus voisines. Comme les Arabes, les Juifs observaient les lois de l’hospitalité envers tous ceux qui entraient sous leurs tentes, et ils étaient d’une loyauté indéfectible envers leurs alliés ; mais ils avaient aussi les mêmes défauts que les indigènes, vengeaient l’assassinat des leurs avec une sévérité impitoyable et tendaient des embuscades à leurs ennemis. Il arrivait parfois qu’une tribu juive alliée à une tribu arabe devienne l’ennemie jurée d’une tribu sœur appartenant à une confédération différente. Mais quoique les tribus juives se soient livrées à diverses incursions les unes sur les autres, leur vertu native tempérait la cruauté des Bédouins, qui ne faisaient aucun quartier. Ils rachetaient à leurs alliés les prisonniers des tribus sœurs avec laquelle ils venaient d’être en guerre, et empêchaient qu’ils deviennent esclaves des païens car, disaient-ils, « le paiement de la rançon de ses coreligionnaires est un devoir religieux ». De même que les Juifs égalaient les Arabes en valeur, ils rivalisaient aussi avec eux pour ce qui est de la palme de la poésie, dont l’art avec la virilité ou le courage constituait un élément essentiel de l’éducation d’un noble arabe.
Les connaissances religieuses que les juifs arabes apportèrent avec eux quand ils fuirent la Judée et qui furent ensuite complétées par les académies leur donnèrent un certain ascendant sur les tribus païennes qui en fit presque leurs maîtres spirituels. Alors que, jusqu’au VIIe siècle, peu d’Arabes connaissaient l’art de l’écriture, il était devenu courant chez les Juifs, raison pour laquelle les Arabes les appelaient d’ailleurs « les gens du livre ».
Le judaïsme, dans ses formes traditionnelles et avec son empreinte talmudique, était tenu dans la plus grande estime par les Juifs arabes. Ils respectaient scrupuleusement les interdits alimentaires, les fêtes, et la journée de jeûne du Jour de l’Expiation. Ils observaient si strictement le sabbat qu’ils ne sortaient pas leur épée du fourreau ce jour-là, malgré leur amour des prouesses guerrières. Même s’ils considéraient et aimaient ce pays hospitalier comme leur patrie, ils aspiraient au retour en Terre Sainte ; ils attendaient la venue du Messie tous les jours, et par conséquent, comme tous leurs coreligionnaires, se tournaient vers Jérusalem pour prier. Ils étaient en communication avec les Juifs de Palestine et reconnurent l’autorité des savants de Tibériade même après la chute du patriarcat. Yathrib était le siège de l’enseignement des juifs : les maîtres (akhbar) d’une académie (Midras) y interprétaient les Écritures. Mais la connaissance biblique des Juifs arabes était assez limitée. Ils ne connaissaient la Bible qu’à travers les spectacles de l’interprétation haggadique, qu’ils avaient appris à l’occasion de leurs voyages et qu’ils tenaient de coreligionnaires de passage.
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La glorieuse histoire du passé fut tellement auréolée d’ajouts légendaires qu’ils furent incapables de séparer le bon grain de l’ivraie chez eux.
Dotés d’une imagination très poétique, les Juifs arabes ont enrichi les événements historiques de la Bible d’inventions de leur cru qui ont ensuite passé pour des faits réels. Comme les Juifs d’Arabie jouissaient d’une totale liberté, ils furent en mesure de communiquer leurs vues en matière de religion à leurs voisins arabes. L’âme sensible des Arabes fut favorablement influencée par le contenu poétique et religieux mi-enfantin, mi-sublime des Écritures et des légendes forgées autour, et certaines idées ou conceptions religieuses juives se répandirent peu à peu chez les Arabes bien avant Mahomet. Les Arabes qui mesuraient le temps en mois lunaires et dont le calendrier était arbitraire puisqu’il ne permettait pas de faire la différence entre l’année lunaire et l’année solaire adoptèrent le cycle de dix-neuf ans des Juifs et ses sept mois intercalaires… Il était utile au plus haut point pour les Juifs d’être considérés et reconnus par les Arabes comme des parents. La Mecque, la ville sainte située au centre du pays, construit autour d’un ancien temple (la Kaaba) ou plutôt autour d’une pierre noire, était une terre d’asile pour les Arabes où l’épée n’était jamais tirée. Les cinq foires dont la plus grande se tenait à Okaz ne pouvaient avoir lieu que durant les quatre mois sacrés de l’année où régnait une paix sainte. Seuls ceux qui pouvaient prouver leur parenté avec les Arabes pouvaient prétendre à la paix ou sécurité conférée par ces jours sacrés ; les étrangers étaient exclus de ce privilège. Les Juifs arabes se souvinrent heureusement de la généalogie des peuples arabes telle qu’elle figure dans la Genèse, et se convainquirent qu’ils étaient ainsi apparentés aux Arabes par Yoctan et Ismaël. Cet enseignement fut transmis aux Arabes qui l’acceptèrent, et les deux principales tribus arabes en firent leur généalogie, elles devinrent convaincues que les Arabes du Sud étaient les descendants de Yoctan (Kahtan) et les Arabes du nord d’Ismaël. De cette façon, les Juifs réussirent à convaincre les Arabes de leur parenté ; et les Arabes, heureux de la possibilité de faire remonter leurs origines aux patriarches juifs, puisque leurs mémoires ne remontaient pas aussi loin, ne demandèrent aucune autre preuve de cette parenté. Les Arabes du Sud s’appelaient Kahtanites, et les Arabes du Nord Ismaélites, ils acceptaient volontiers que les Juifs aient les mêmes droits et privilèges tribaux. Du fait de cette intimité entre Juifs et Arabes, et de la supériorité du message religieux des premiers, il était inévitable que des chefs arabes aient une certaine inclination pour le Judaïsme et finissent par l’embrasser. Dans la mesure où la circoncision était aussi pratiquée par les Arabes, même païens, leur acceptation du judaïsme en fut facilitée. Dans un système patriarcal, la conversion d’un chef, homme le plus sage de la tribu, impliquait de facto la conversion de tous les siens. Les Banou-Kinanah, une tribu guerrière, apparentée aux très respectés Couraïchites de La Mecque, plusieurs familles des tribus Aous et Khazradj de Yathrib, et enfin une tribu Ghassanide, qui a donné le célèbre poète juif arabe Samuel ben Adia, embrassèrent le Judaïsme.
La conversion au judaïsme d’un des plus puissants rois du Yémen fut un événement marquant dans l’histoire arabe. Abou-Karib Assad-Toban, un des princes ou rois du Yémen qui portaient le titre générique de Toban, était un homme doué d’une grande perspicacité, de talents poétiques, et d’une grande valeur. Il mena une expédition contre le roi Cavad de Perse (vers 500) et contre les provinces arabes du royaume byzantin. À l’occasion de sa campagne, il s’empara de Yathrib, la capitale du Hedjaz, et en nomma son fils gouverneur. Mais à peine Abou-Karib avait-il quitté la ville que ses habitants se soulevèrent et mirent à mort son fils. Abou-Karib fit le siège de Yathrib à l’aide de sa nombreuse cavalerie, et ordonna la destruction des palmiers qui constituaient la principale source de nourriture de ses habitants. Les Juifs rivalisèrent avec les Arabes dans leur lutte contre Abou-Karib et ils épuisèrent son armée. Le roi tomba gravement malade et ne put obtenir d’eau fraîche pour étancher sa soif qui était ardente.
Deux sages juifs de Yathrib, Kaab et Asdad profitèrent de l’état d’épuisement du roi pour aller le voir sous sa tente et le convaincre de pardonner aux habitants de Yathrib et de lever le siège. Les Arabes ont enrichi cet entretien de nombreuses et merveilleuses légendes : il est certain que les sages juifs ont eu alors l’occasion de discuter du judaïsme avec Abou-Karib et d’éveiller son intérêt à cet égard. Il décida donc de se convertir au judaïsme et incita son armée à faire de même.
À sa demande, les deux sages juifs de Yathtrib l’accompagnèrent également au Yémen afin d’aider à la conversion de son peuple. Ce qui ne fut pas chose facile néanmoins car un peuple ne change pas aussi aisément sur simple demande de son roi, ses habitudes de vie et de pensée. Les païens furent plus nombreux que les convertis. Même le judaïsme du roi ne fut que superficiel, et ne pénétra jamais profondément ses habitudes de vie. Un chef de la noble tribu des Kindites, Harith ibn Amrou, neveu du roi du Yémen, qui avait accepté le judaïsme et avait incité une partie de sa tribu à suivre son exemple, fut nommé par Abou-Karib vice-roi des Maaddites de la mer Rouge, et gouverneur de Yathrib ainsi que de la Mecque. La nouvelle de la naissance d’un royaume juif dans la région la plus belle et la plus fertile de l’Arabie fut répandue par les nombreux marchands étrangers qui voyageaient dans e pays et atteignit même les Juifs des pays les plus éloignés.
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Le fils cadet ou petit fils d’Abu-Karib, Zourah Dhou-Nouwas (520-530) fut le premier des rois nouvellement convertis du Yémen à prendre au sérieux sa religion d’adoption, et prit le nom hébreu de Youssouf (Joseph) en plus de son nom arabe.
Mais son zèle pour le judaïsme eut de fâcheuses conséquences. Après avoir appris les nombreuses indignités auxquelles étaient soumis ses coreligionnaires de l’Empire byzantin, il décida de forcer l’empereur byzantin à traiter avec plus de justice les Juifs. Il ordonna donc un jour la saisie et l’exécution de marchands romains (Byzantins) qui étaient pour affaires dans le royaume d’Himyar. Ces représailles répandirent la terreur chez les marchands chrétiens qui importaient des épices, et le trafic indo-arabe s’arrêta. Dhou-Nouwas se retrouva donc entraîné dans une guerre sans concession et ses vassaux chrétiens se révoltèrent. Dhou-Nouwas assiégea la ville de Nedjran qui était chrétienne, s’en empara et ne traita certainement pas les vaincus avec beaucoup de considération. La rumeur amplifia les événements de Nedjran, en exagérant le nombre de victimes, présenta le châtiment des rebelles comme une persécution antichrétienne venant de la part d’un roi juif, et inventa de toute pièce un grand martyrologe. Un évêque syrien en voyage dans le nord de l’Arabie, Siméon de Betarsham, accorda pleine créance à ces rumeurs très exagérées, adressa un vibrant appel à un autre évêque qui officiait dans une province voisine de l’Arabie et le pressa d’inciter les chrétiens et surtout le roi d’Éthiopie à faire la guerre au roi juif.
Il suggéra aussi que les dirigeants juifs de Tibériade soient saisis de l’affaire et forcés de demander à Dhou – Nouwas d’arrêter ses persécutions antichrétiennes dans leur intérêt. L’empereur byzantin Justin Ier fut également appelé à les venger du roi juif-arabe. Mais ce vieux roi, dont l’armée était alors engagée dans une guerre contre la Perse, refusa de se laisser entraîner dans une nouvelle guerre, par contre insista auprès du roi d’Éthiopie pour qu’il envoie des troupes dans le royaume d’Himyar. Elesbaa, roi d’Éthiopie, chrétien zélé, qui tenait dans le plus grand mépris le roi et le royaume juifs, n’avait guère besoin de tous ces efforts pour attaquer Dhou-Nouwas : il arma une flotte considérable, à laquelle se joignirent des navires égyptiens envoyés par l’empereur byzantin, ou plutôt par son corégent Justinien, et traversa le mince détroit de la mer Rouge jusqu’au Yémen. Cette grande armée fut renforcée par des chrétiens d’Arabie ivres de vengeance. Dhou-Nouwas échoua dans ses efforts pour amener les autres chefs arabes à venir à son aide, et ne dut compter que sur sa cavalerie qui lui était restée fidèle ainsi que sur son courage. La bataille qui s’ensuivit s’avéra désastreuse pour Dhou-Nouwas. Sa capitale Zafora, ainsi que la reine et ses trésors, tombèrent entre les mains de l’ennemi. Les guerriers d’Himyar furent découragés. Quand tout fut perdu, Youssouf Dhou-Nouwas mourut comme un roi en se jetant avec son cheval du haut d’une falaise et la mer emporta son corps. Les Éthiopiens victorieux ravagèrent le royaume d’Himyar, le mirent à feu et à sang, et déchaînèrent leur fureur tout particulièrement sur les Juifs qui tombèrent par milliers en guise de représailles pour les très controversés martyrs chrétiens de Najran. Telle fut la fin du royaume judéo-himyarite.
À peu près au même moment, de violentes querelles éclatèrent entre les juifs de Yathrib et leurs voisins arabes. Les tribus juives, en vertu de leur relation plus étroite avec le roi juif, suzerain de cette région, l’avaient emporté sur leur les tribus païennes et arabes, et un chef juif, Alghitigoun, tenaient les rênes du pouvoir. Mais les Arabes des tribus Aous et Khazradj se soumettaient aux Juifs de mauvais gré ; aussi, quand ils réalisèrent que leurs maîtres ne pouvaient plus attendre de soutien d’Himyar, décidèrent-ils de se débarrasser du joug juif. Harith ibn Abi-Chamir, un chef plus aventurier que les autres de la tribu des Ghassanides, lié par le sang aux tribus arabes de Yathrib, et qui était au service de l’Empire byzantin, fut invité à venir à Yathrib avec ses hordes guerrières, et il accepta sans hésiter cette invitation. Pour détourner leurs soupçons, il invita également les chefs juifs à venir en amis dans son camp près de Yathrib, et plusieurs d’entre eux se présentèrent afin de recevoir des cadeaux du généreux prince, comme le voulait la coutume. Mais dès qu’ils eurent pénétré sous la tente du prince des Ghassanides, ils furent assaillis et assassinés un par un. Harith ibn Abi-Chamir s’adressa ensuite aux Arabes de Yathrib et leur déclara : « Je vous ai débarrassé de la plupart de vos ennemis, et il vous sera donc facile de vaincre le reste si vous faites preuve d’un peu de force et de courage », puis il s’en alla. Néanmoins les tribus arabes n’osèrent pas s’en prendre aux Juifs ouvertement, mais recourent à la ruse et à un stratagème, et ils massacrèrent les chefs juifs lors d’un banquet *. Privés de leurs chefs, les Juifs de Yathrib furent facilement vaincus par les Arabes.
Les Juifs ne purent oublier de sitôt leur ancienne suprématie et l’humiliation qui s’ensuivit. Mais l’incertitude de leur existence leur avait appris à ne pas céder à la haine. Ils se placèrent donc de plus en plus sous la protection de l’une ou l’autre tribu et devinrent des alliés des tribus Aous ou Khazradj.
Harith ibn Abi-Chamir, le prince des Ghassanides qui avait durablement affaibli les tribus juives, fut plus impliqué dans une querelle avec un poète juif et de ce fait acquit une grande renommée chez les Arabes. Ce poète s’appelait Samuel ibn-Adiya (vécut vers 500-560), c’était le seigneur du château d’Al-Ablak (ainsi nommé d’après ses couleurs bigarrées) que son père Adiya avait fait bâtir dans la
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région de Taïma, située à huit jours de voyage au sud de Yathrib. Samuel, bien que chef d’une petite tribu, était très respecté à cause de son caractère chevaleresque, et les petites tribus arabes de la région recherchaient sa protection. Ceux qui étaient persécutés ou opprimés trouvaient asile à Al-Ablak car son propriétaire était prêt à répondre sur sa vie de leur sécurité. Quand l’aventureux prince kindite Amrou al-Qais, le célèbre guerrier-poète arabe, se retrouva entouré d’ennemis secrets ou déclarés et sans nulle part où aller, il partit se réfugier à AI-Ablak.
Le poète juif seigneur du château, fier d’avoir offert l’asile au célèbre poète d’Arabie dont la renommée ainsi que les aventures résonnaient dans toute la péninsule, reçut Amrou al-Qaïs, sa fille et sa suite, à AI-Ablak, et leur accorda son hospitalité pendant un certain temps. Comme le prince kindite n’avait aucune chance d’obtenir l’aide des tribus arabes pour venger le meurtre de son père et reprendre possession de son héritage, il résolut d’aller chercher le soutien de l’empereur byzantin Justinien.
Avant son départ, il confia à Samuel cinq lourdes cottes de mailles ainsi que d’autres armes, et ce dernier promit de protéger à tout prix les personnes et les objets de valeur qui lui étaient ainsi confiés en dépôt. Mais la loyauté de Samuel lui valut un terrible malheur.
Harith, le prince des Ghassanides, ennemi juré du prince fugitif, arriva sous les murs d’Al-Ablak et demanda la restitution des armes d’Amrou-al-Qaïs. Samuel ayant refusé, Harith fit le siège d’Al-Ablak. Comme la forteresse était imprenable, il s’empara un jour d’un fils de Samuel que sa nourrice avait emmené en promenade en dehors de la forteresse même, et menaça de le tuer si son père refusait d’accéder à ses exigences. Le malheureux père hésita un instant entre son devoir d’hôte et son amour pour son fils, puis répondit que son fils avait des frères, mais que son honneur une fois perdu ne saurait être retrouvé. Le monstre, indifférent à une telle noblesse, fit assassiner l’enfant sous les yeux de son père, mais dut lever sans avoir obtenu ce qu’il voulait. La loyauté de Samuel devint proverbiale en Arabie, et quand les Arabes veulent parler du plus haut degré de loyauté pouvant, ils disent « plus loyal que Samuel ».
Shouraih, le fils de Samuel, suivit l’exemple de son père. Lorsque le célèbre poète arabe Maïmoun Acha, qui s’était fait beaucoup d’ennemis à cause de sa langue bien pendue, fut un jour amené comme prisonnier, anonyme, en compagnie d’autres captifs dans la forteresse de Chouraih à Taïma, il a fut relâché après avoir composé et chanté un éloge funèbre en mémoire de Samuel…… Schoraïch reconnut le poète et le fit remettre en liberté (le poème est donné en français dans la traduction du texte allemand faite par Lazare Wogue et Moïse Bloch. A. Lévy, 1888, Tome 3, pp. 279-296).
Mais vers la fin du VIe siècle, les juifs de Yathrib s’étaient presque complètement remis des durs coups que les tribus arabes leur avaient infligés. Leurs maîtres, les tribus Aous et Khazradj, s’étaient épuisés en querelles sanglantes qui avaient duré vingt ans, alors que leurs vassaux juifs avaient beaucoup moins souffert. Suite à une deuxième guerre entre les mêmes tribus, les Juifs revinrent même au premier plan à Yathrib.
* Même chose avec le chef saxon Hengistus qui fit égorger 300 seigneurs bretons (Eu nimet saxas) lors du banquet qu’il organisa à Ambrius près de Salisbury en 472 (cf. la célèbre nuit des longs couteaux).
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LE JUDÉO-CHRISTIANISME.
Par judéo-chrétiens nous désignerons dans ce chapitre les juifs ayant reconnu en Jésus le messie annoncé par les écritures dans l’Ancien Testament, mais sans aller néanmoins jusqu’à en faire une personne divine (le deuxième membre de la Sainte Trinité, la troisième personne étant le Saint-Esprit). La nuance est d’importance puisque ce sont peut-être eux qui apparaissent sous le nom de Nassara (Nazaréens) dans le coran ET QUI ATTENDENT LE RETOUR DE JÉSUS EN TANT QUE MESSIE VAINQUEUR ET GUERRIER CETTE FOIS-CI POUR INSTAURER LE ROYAUME DE DIEU… SUR TERRE (=Parousie chez les chrétiens trinitaires orthodoxes catholiques réformés, etc.)
Nous avons eu l’occasion de voir à maintes reprises que l’Empire byzantin ne fut pas tendre avec les juifs. Dans un tel contexte, les Perses païens furent parfois considérés comme des libérateurs. Ce qui n’empêchera pas l’empereur Héraclius dans lancer une grande offensive contre eux en 622 c’est-à-dire la première année du calendrier musulman.
Ébionites et Nazaréens.
L’Empire romain ne fut pas tendre non plus (litote à la Heinrich Graetz) avec ce qu’il considérait être des hérésies. Si être juif rabbinique ou chrétien monophysite n’était pas chose aisée à l’époque en terre byzantine, que dire alors de ceux qui n’étaient ni juifs ni chrétiens c’est-à-dire les Nazaréens ? Ces judéo-chrétiens descendant des ébionites n’avaient d’autre choix que de se réfugier plus au sud, à savoir dans le nord de l’Arabie où ils retrouvèrent peut-être des juifs juifs déjà installés sur place.
Le nazarénisme ne peut se comprendre si l’on ignore que le judaïsme était très divers avant le Ier siècle. En effet, le pharisaïsme ne donnera pas naissance au judaïsme rabbinique avant le IIe siècle, et son hégémonie ne sera pas vraiment établie avant le VIIe siècle. Il y eut dans cet intervalle un intense foisonnement d’idées, chacune faisant plus ou moins d’adeptes.
Cette doctrine, messianique, s’étend chronologiquement parlant du IIe siècle avant notre ère (crise du sacerdoce du Temple) au VIIe siècle. La doctrine du judéo-nazarénisme apparaît dans l’opposition de certains prêtres au Culte du Temple au IIe siècle avant notre ère. Ce culte leur paraît impur. Le « maître de Justice » sera d’ailleurs persécuté par le Temple pour s’y être opposé…
………… Note des héritiers de Pierre de La Crau. Manque ici une page apparemment…
Le Coran et la langue arabe désignent aujourd’hui les chrétiens sous le nom de nassara. Pourquoi ce terme ? On sait que « nazaréen » fut un des premiers qualificatifs de cette nouvelle religion, très tôt remplacé par celui de « chrestianoi » au fur et à mesure de son acculturation au paganisme hellénistique, notamment à Antioche, vers l’an 50 de notre ère.
Et tout d’abord d’où vient l’appellation de « nazaréen » ?
Il ne faut pas confondre les Nazaréens (????) avec les naziréens, c’est-à-dire ceux qui faisaient vœu de naziréat, bien que Jésus et Jacques fussent à la fois nazaréens et nazirs.
Il semble bien acquis en effet que Jésus lui-même fut initialement considéré comme nazôréen (ou nazaréen). Cela n’était pas dû à un hypothétique village de Nazareth (car ce n’est que beaucoup plus tard, au IIIe siècle, que Nazareth commença réellement d’exister), mais à ses liens avec un mouvement religieux marginal messianique qui était surtout établi dans le nord du pays, c’est-à-dire en Galilée, en Décapole et en Pérée. C’est chez les nazôréens du Nord que l’on utilisait l’expression de « Fils de l’Homme », que Jésus a reprise pour lui. Cette secte constituait en quelque sorte le pendant des esséniens de Judée. La famille de Jésus, et en particulier son frère Jacques, était aussi des sympathisants de ce mouvement. C’est pourquoi les premiers judéo-chrétiens, dirigés par ce Jacques, furent longtemps assimilés à des Nazaréens. Le judaïsme du IIe siècle appelait d’ailleurs les premiers chrétiens des notsrim.
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Jésus s’est ensuite fortement démarqué des Nazaréens (même si le nom lui est resté). Il mangeait de la viande et buvait du vin, alors que beaucoup de Nazaréens étaient végétariens (d’où sa caractérisation comme mangeur et buveur). C’est pourquoi également il ne fut pas compris au début par ses frères.
Quant à la ville de Nazareth, il est possible qu’il se soit agi simplement à l’époque d’une communauté de Nazaréens (comme Qumran, mais en beaucoup plus simple) appelée Nazara (cf. Luc 4, 16-30). Jésus y aurait été formé 1).
Si la tradition pagano-chrétienne dont témoignent les Évangiles canoniques soutient que le royaume du Christ « n’est pas de ce monde » et, de ce fait, s’avère uniquement spirituel ; qu’il doit se mettre en place par un changement de conduite personnelle ; les mêmes Évangiles témoignent également que certains « chrétiens », dans le droit-fil de la tradition nazaréenne et se référant à l’Évangile de Matthieu 2), pouvaient croire en un royaume à venir très politique et terrestre, dirigé par Jésus. C’est ainsi qu’émergea une opposition marquée, entre la conception d’un salut individuel, d’une part, et celle d’un salut collectif, d’autre part, dans les premiers cercles judéo-chrétiens.
Jésus s’est ensuite un temps rapproché du mouvement baptiste avant de le quitter pour fonder son propre mouvement 3). Sa prédication conduisit une partie des juifs à reconnaître en lui le Messie attendu. Autour de Jacques, évêque de Jérusalem, « frère du Seigneur », et chef des judéo-chrétiens attachés à la continuation du rite juif relu selon à la lumière de son enseignement, se constitua une communauté diverse attendant son retour glorieux qui devait chasser définitivement l’occupant romain et fonder enfin le Royaume attendu, royaume de perfection et de justice annoncé par Isaïe.
La persécution des judéo-chrétiens, puis la révolte juive et la destruction du Temple dispersèrent les chrétiens qui avaient quitté Jérusalem peu avant le désastre (en 70).
Certains judéo-chrétiens, réfugiés à Pella de l’autre côté du Jourdain, refusèrent de rentrer à Jérusalem occupée par les païens ou les Juifs. Se radicalisant, vénérant la mémoire de Jacques, l’évêque de Jérusalem (comme en témoignent plusieurs Apocryphes dans l’esprit apocalyptique du temps), ils décidèrent de s’isoler, de se « réfugier au désert », dans la plus pure tradition juive, en attendant des jours meilleurs. Ils se dénommèrent « les pauvres » (ébionites) ou nazaréens. Ces judéo-nazaréens voyaient dans les événements en question les signes de la fin des temps et l’imminence du retour glorieux du Christ (parousie).
La mouvance nazaréenne est difficile à cerner, car nombre de ses écrits sont considérés comme « chrétiens » tout simplement, dans la mesure où ils parlent de Jésus ; cependant bien des auteurs ont pu remarquer que ce christianisme prétendait à une observance judaïque stricte (même s’ils refusaient les sacrifices et le culte du Temple), en rejetant les autres chrétiens désormais tournés vers le monde païen, et à ce titre donc considérés par eux comme renégats. Le nazaréisme, refusant de voir en Jésus un dieu, se définit donc à la fois contre les pagano-chrétiens (du fait de leur attachement à l’idée de continuité avec l’Ancienne Alliance et de leur foi en Jésus en tant que prophète seulement, par opposition avec Paul et sa conception du salut) ; contre le judaïsme désormais unifié autour du rabbinisme, et enfin contre l’occupant romain bientôt devenu chrétien, mais considéré comme païen.
Longtemps confondu avec le judéo-christianisme, ou mal interprété sous le nom d’ébionisme par les Pères de l’Église, qui accusaient cette doctrine de « se vouloir juive et chrétienne, mais de n’être ni l’un ni l’autre », le judéo-nazaréisme est aujourd’hui redécouvert, en particulier dans le rôle qu’il joua dans la naissance du proto-islam.
Les idées de ces sectes ont en effet traversé les siècles en évoluant progressivement, et ont engendré de très nombreux descendants spirituels, formant une sorte de buisson aux branches multiples et ramifiées.
Une division apparue dès le premier siècle a formé deux groupes de croyances.
Le premier, individualiste et pacifique, a totalement abandonné l’idée de Messie politique ou guerrier, tout en gardant beaucoup d’idées venues du tronc commun judéo-chrétien. Ce sont les croyances dites gnostiques.
Le second, moins individualiste et plus guerrier, a donné le rôle central au Messie, tout en conservant également bien d’autres idées judéo-chrétiennes : ce furent les messianistes.
Les messianismes se sont plus tard scindés en deux, les laïcs politiques et les religieux.
Le présent opuscule n’a pas pour objet d’étudier l’histoire et le développement des branches devenues laïques.
L’autre ramification du messianisme est formée de l’ensemble des branches qui ont conservé la composante religieuse. Dans cet ensemble, la branche qui nous intéresse est celle des judéo-chrétiens.
Cette mouvance religieuse est en effet un véritable concentré des idées des sectes palestiniennes. On la trouve attestée de façon épisodique depuis un peu avant le début de notre ère, jusqu’à la fin du septième siècle (soit quatre-vingts ans après la naissance de l’islam).
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Le nazaréisme alimenta donc pendant plusieurs siècles un esprit de révolte messianique et apocalyptique. Paul de Samosate, conseiller de la reine Zénobie, qui se révolta contre Rome, a sans doute été un judéo-nazaréen ayant endoctriné la reine. Cet esprit messianique resta très présent dans la région jusqu’au VIIe siècle.
L’étude du judéo-nazaréisme a conduit à envisager avec un nouveau regard la question des origines de l’islam. Divers spécialistes en proposent aujourd’hui cette explication (récusée par les musulmans pieux évidemment).
L’archéologie en Syrie témoigne en effet de la présence de ces communautés en terre arabe ; les noms de lieux ayant pour racine le terme « nasara », très fréquents, trahissent la présence de ces groupes dont l’idéologie, variant dans le temps et l’espace, ne fut jamais unifiée : on doit donc parler de mouvance plutôt que de secte proprement dite.
Mahomet lui-même épousa une dénommée Khadidja, dite parfois juive ou chrétienne, mais qui est plus probablement judéo-nazaréenne dans la mesure où son oncle, Ouaraqa, est dit être un « chrétien » (en fait un « nasrani ») converti (aux idées politico-religieuses des ébionites ?) et très versé dans les Écritures hébraïques. Un hadith rapporte même que quand Ouaraqa mourut, la Révélation faite à Mahomet s’interrompit pendant un certain temps. Ce fait, rapproché de bien d’autres, porte à conclure que Ouaraqa fut sans doute un des principaux vecteurs du judéo-nazaréisme auprès des Arabes et de Mahomet, auquel il transmit sa doctrine d’un « Jésus-Messie » (expression qui figure d’ailleurs dans le Coran) devant revenir à la fin des temps.
À noter que si d’autres sources, plus classiques, font de Ouaraqa un chrétien nestorien, le Messie qu’il professe a cependant peu de choses à voir avec celui des chrétiens au sens habituel et plus moderne du terme. Pour le nazaréisme comme pour l’islam, Jésus n’est qu’un Roi-Messie attendu pour instaurer sur terre un royaume parfait en régnant pendant quarante ans. Le judéo-nazaréisme rallia donc apparemment autour de ses idées, plusieurs tribus ou fractions de tribu arabes, se constituant ainsi une force armée redoutable, dont on trouve un ultime écho dans les divers épisodes de la guerre (civile) qui suivit la mort de Mahomet (cf. notamment la prophétesse Sadja et le concurrent de Mahomet qui était à la tête de la confédération des Banou Hanifa : Moussailima).
Bref, ce qui semble assuré c’est qu’il y a eu, dans cette partie du monde, à l’époque…… :
— Des messianistes juifs au sens strict du terme (le messie est en effet une des croyances de base de l’idéologie religieuse juive).
— Des messianistes judéo-chrétiens (des chrétiens attendant le retour imminent du Christ venant libérer les Justes et juger le monde).
Pour toutes ces sectes, le Christ est un grand prophète, mais pas un Dieu. Après avoir échappé à la crucifixion, il serait remonté au Ciel, en attendant de revenir pour mener une guerre de conquête mondiale (cf. l’apocalypse ?) visant à établir une société parfaite, où les justes seraient récompensés ; tandis que les non-justes, les non-juifs, ou les nations païennes deviendraient des serviteurs, au service desdits justes.
L’idée la plus importante de ces sectes réunit l’élément juif qui voyait dans le Messie un guerrier venant rétablir par la force l’indépendance politique de la Palestine ; et l’idée chrétienne qui voyait dans ce Messie un sauveur spirituel à vocation universelle.
Les sectes judéo-chrétiennes de type messianiste ont synthétisé ces idées en imaginant que le Christ reviendrait prendre la tête de l’armée des Justes ; et imposerait sa société idéale à la terre entière par la force des armes, ce qui donnerait le royaume devant durer mille ans.
L’idée de conquête mondiale semble en effet avoir été présente de façon marginale chez certains combattants des guerres juives. Ces sectes judéo-chrétiennes la firent passer au premier plan.
Après que les Justes auront conquis la terre entière et soumis tous les hommes à leur doctrine, par l’emploi combiné de la force et de la prédication ; les Justes vivront dans la paix, l’abondance et le bonheur, au sein d’une société rendue enfin idéale par une application rigoureuse de la théorie. Quant aux non-justes, ceux qui ne voudront jamais accepter le pouvoir des premiers, ainsi que l’application de leur théorie religieuse à la société, ils seront soit mis à mort, soit transformés en éléments subalternes, serviteurs ou esclaves des Justes. Après leur mort, ils seront voués à l’enfer, tandis que les Justes iront au paradis.
Dans la plupart des versions, ce paradis terrestre doit durer mille ans, d’où le nom de millénarisme. Dans certaines variantes, moins fréquentes, il durera quatre cents ans, ou jusqu’à la fin du monde.
Le paradis céleste où les Justes devaient aller après leur mort eut tendance à être décrit comme une continuation du royaume terrestre des Justes. On y trouvait surtout les plaisirs de la table et de la chair.
Le millénarisme a toujours été lié au messianisme, car les combats des guerres messianiques provoquaient beaucoup de morts et de souffrances dans l’armée des Justes. La notion de royaume devant durer mille ans était donc utilisée pour les convaincre d’accepter les souffrances et la mort qui
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ne manqueraient pas de frapper nombre d’entre eux. Un bonheur immense était en revanche promis aux survivants, qui entreraient dans le royaume ; ils auraient en outre la satisfaction morale d’avoir amené l’espèce humaine tout entière à ce même bonheur.
Alors que pour les chrétiens de langue arabe, le nom de Jésus est normalement Yéshou, ces judéo-chrétiens de type messianiste appelaient le Christ Issa, comme les musulmans. Dans l’islam en effet, le Christ porte le nom d’Issa, sans qu’aucune explication soit donnée sur la signification de ce vocable.
On peut donc présumer qu’il appartient à une tradition qui fut présente dans l’islam, mais sous une forme plus ou moins résiduelle. Or il semble bien que la branche guerrière et communautaire du messianisme judéo-chrétien se soit rassemblée dans une tendance qui donnait au Christ le nom d’Issa.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le voir dans nos 3 essais consacrés au christianise, ce mouvement a en fait commencé au second siècle avant notre ère, et sa théologie a évolué dans les siècles qui suivirent, en intégrant le personnage Jésus-Christ. Les judéo-chrétiens de type messianiste considéraient que Jésus était le Messie, un grand prophète, mais non le Fils de Dieu. Ils soutenaient que le Christ avait échappé à la crucifixion, qu’un homme lui ressemblant avait été crucifié à sa place, que Dieu avait mis le Christ en attente au Ciel ; et qu’il reviendrait un jour pour prendre la tête de l’armée des Justes afin de soumettre la terre à sa volonté.
Les judéo-chrétiens de type messianiste « judaïsaient », c’est-à-dire pratiquaient un certain nombre des 613 observances juives (mitsvoth). Ces judéo-chrétiens pratiquaient la circoncision, la polygamie limitée à quatre épouses, imaginaient un paradis où les élus trouveraient des aliments délicieux, des boissons agréables, du vin et des femmes, toutes idées présentes dans l’islam.
Cette mouvance s’est développée progressivement, au cours des siècles, en partant d’une base juive, modifiée ensuite par des apports chrétiens. Sa théologie s’est formée au milieu du foisonnement de doctrines et de mouvements qui, au cours des trois premiers siècles de notre ère, se sont efforcés de combiner le judaïsme, le christianisme ; ainsi que les idées populaires des juifs et des chrétiens, souvent très différentes de celles de leurs élites.
Ils enseignaient que, lorsqu’ils auraient tous émigré au désert, réussi la conquête de Jérusalem et la reconstruction du Temple, le Christ reviendrait alors du ciel, pour prendre la tête de ladite armée des Justes et conquérir le monde.
Les preuves de la continuité de cette mouvance se trouvent dispersées dans de nombreux textes. Elles ont été retrouvées aujourd’hui en raison de l’ampleur des moyens de recherche mis en œuvre à notre époque, en tous les domaines ; notamment dans ceux qui concernent l’islam et les mouvements qui l’ont précédé dans la même région. L’histoire, l’exégèse, l’archéologie… ont été mises à contribution……………
Autre texte isolé sur le même sujet et retrouvé par les héritiers de Pierre de La Crau.
Le projet initial des judéo-chrétiens de type messianiste était de libérer la Palestine juive de l’occupation étrangère. Dès l’origine cependant, certains des leurs rêvèrent à une conquête mondiale plutôt qu’à la seule libération d’Israël. Ces universalistes devinrent majoritaires au bout d’un certain temps, difficile à préciser (deux ou trois siècles ?).
Les idées judéo-chrétiennes de type messianiste se sont formées non seulement à la suite de maints débats d’idées, mais également au cours de nombreuses guerres engendrées par leurs tentatives de mise en application de ces prescriptions théologiques. Ces guerres, et leurs résultats ont fini par séparer le judéo-christianisme de type messianiste du judaïsme et du christianisme.
Assez rapidement donc, une fraction des adeptes considéra que l’armée des Justes ne devait pas se borner à libérer la Palestine, mais devait aussi conquérir le monde ; et que tout humain devait soit devenir un Juste en adhérant à cette théologie, soit un esclave au service des Justes.
Après la chute de Jérusalem en 70 et la destruction du Temple, les judéo-chrétiens de type messianiste ajoutèrent à leurs objectifs sa reconstruction dès que la ville serait libérée. La théologie changea : ce ne fut plus le Messie qui devait conduire l’exode, puis la conquête de Jérusalem et la reconstruction du Temple, mais un précurseur guerrier. Le Messie ne se manifesterait que quand ces étapes auraient été préalablement accomplies. La raison de ce changement est peut-être que la prétention de beaucoup de ces chefs à être le Messie avait entraîné leurs fidèles à de sanglantes catastrophes.
Les textes historiques qui nous sont parvenus décrivent les batailles, les noms des participants, les dates de leurs victoires ou de leur chute. Ils sont presque toujours muets sur les convictions et l’idéologie religieuse des combattants. Comme les auteurs de l’époque ne faisaient pas de différence entre les divers courants du judaïsme, les textes n’indiquent pas le rôle de chacun.
Ce que l’on sait, c’est que les judéo-chrétiens de type messianiste se considéraient comme des juifs, et que leur théologie les portait à mener de telles guerres. C’est pourquoi il est probable qu’ils y ont participé, en portant personnellement les armes, mais sans doute aussi comme inspirateurs.
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Cette déduction est confortée par des textes montrant que deux guerres religieuses au moins ont été inspirées par le judéo-christianisme de type messianiste.
Theudas. Voici ce qu’écrit Flavius Josèphe sur cet homme.
« Il advint, alors que Cuspius Fadus était procurateur de Judée, qu’un charlatan nommé Theudas persuada une grande partie du peuple de prendre avec eux leurs effets personnels et de le suivre jusqu’au Jourdain. Car il leur avait assuré qu’il était prophète, et que sur son ordre, le fleuve se diviserait pour les laisser passer. Beaucoup furent trompés par ses paroles. Fadus ne leur permit pas de tirer profit de cette folle tentative, et envoya une troupe de cavaliers à leur poursuite. Ils tombèrent sur eux à l’improviste, en tuèrent beaucoup, et firent les autres prisonniers. Ils prirent notamment Theudas vivant, le décapitèrent, puis ramenèrent sa tête à Jérusalem » (Guerres des juifs 20, 97-97).
Hippolyte de Rome en dit aussi quelques mots dans son commentaire sur Daniel.
« Un chef de l’Église de là-bas (en Syrie ????)… se mit à divaguer… Il persuada bon nombre de frères de venir dans le désert avec femmes et enfants, à la rencontre du Christ ».
Hippolyte, qui était chrétien, note que ce sont des « frères », et précise que Theudas était le chef d’une Église.
Flavius Josèphe écrit que les personnes qui suivirent Theudas formaient « une large partie du peuple juif ».
Cuspius Fadus fut procurateur de Judée de 42 à 46, la tentative de Theudas intervint donc après la crucifixion de Jésus.
À cette époque, les chrétiens se considéraient encore comme juifs. Ce sont donc à la fois des juifs et des chrétiens, mais ils sont particuliers à la fois comme juifs et comme chrétiens. Comme juifs, ils n’appartiennent pas au courant traditionnel, puisqu’ils reconnaissaient le Christ et pensaient aller à sa rencontre. Et comme chrétiens ils n’appartenaient pas non plus au courant principal qui a donné le christianisme que nous connaissons aujourd’hui.
Les partisans de Theudas sont à la fois juifs et chrétiens sans être ni vraiment juifs ni vraiment chrétiens : ce sont des judéo-chrétiens de type messianiste.
Theudas se présente comme un nouveau Moïse, et aussi un nouveau Jean-Baptiste, puisqu’il était l’annonciateur du Christ. Il était persuadé que le Christ viendrait prendre la tête de son armée, et a donc joué sa vie sur cette conviction, car sans cette aide, il n’avait aucune chance contre les légions romaines. Il reproduisait ainsi le comportement de Joseph ben Yo’ezer à Zerada, avec la même conséquence.
Nous ignorons en général tout des motivations de ces juifs, car ce ne sont pas les vaincus qui écrivent l’Histoire. Mais le silence habituel des sources sur les convictions des combattants ne signifie pas pour autant qu’ils n’avaient pas de motivation théologique. Disons que les partisans de Theudas avaient une autre idée du retour du Christ que celle des actuels chrétiens (la parousie).
L’idéologie judéo-chrétienne de type messianiste était largement répandue à cette époque : Flavius Josèphe écrit qu’elle avait rallié « une grande partie du peuple ». Ses fidèles étaient massivement présents non seulement à l’intérieur de la Palestine, mais aussi dans les régions voisines, puisque Theudas venait d’une « Église lointaine » ; et que la Syrie et les provinces romaines d’Arabie, d’Arménie et de Perse, se rallièrent sans combattre à Zénobie et Paul de Samosate, ce qui peut nous laisser présumer que leurs idées, vraisemblablement, étaient les mêmes. Une conclusion identique peut être tirée du fait que, grâce à leur appui, Paul de Samosate put défier trois conciles pendant sept ans.
La majorité des graffitis arabes coufiques du Néguev, mis au jour, étudiés, présentés par Yehuda Nevo et Judith Koren, est clairement d’époque islamique. Mais un certain nombre d’entre eux sont antérieurs ou contemporains des tout débuts de l’islam. Ce sont donc ceux-ci qui ont attiré l’attention d’Ibn Ouarraq (que dit réellement le Coran?)
« Ce sont des inscriptions du milieu du sixième siècle. Les textes de ce groupe ont une langue et un contenu caractéristiques, et beaucoup d’entre eux ont été écrits par, ou pour le compte d’un petit nombre d’individus dont les noms reviennent sans cesse. Ils contiennent des références à Moïse et à Jésus, mais rien de spécialement musulman. Ce sous-groupe se distingue par des références à Dieu comme « Seigneur de Moïse et Jésus » (Rabb Moussa oua Issa) dans leur première phrase, et/ou par un certain nombre de phrases et d’allusions dans le corps même du texte, comme haïyane oua-mayitane, et gaïr halik oua-la mafqoud. Bien que quelques phrases et formules figurent également dans le Coran, ces textes ne me semblent pas coraniques ; ils semblent plutôt appartenir à un corps de littérature particulier ayant développé des conceptions judéo-chrétiennes dans un style littéraire spécifique. Le credo qui en résulte, un monothéisme basique indéterminé avec addition d’éléments judéo-chrétiens, peut difficilement être rattaché à une secte précise, mais semble être plutôt l’expression des croyances d’une communauté monothéiste indéterminée parmi beaucoup d’autres ».
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Les auteurs de ces inscriptions sont des Arabes, par la langue et l’onomastique, mais ils prient Jésus, ce qui les rapproche des chrétiens ; ils se réfèrent à Moïse et à la Bible, ce qui les place dans la mouvance juive. Ce sont là des indices tendant à montrer qu’il s’agissait peut-être de judéo-chrétiens de type messianiste ; mais il y a plus, une preuve formelle : dans ces inscriptions, le nom de Jésus est en effet transcrit sous la forme Issa.
Ainsi que nous avons pu le voir, pour les chrétiens de langue arabe, le nom de Jésus se dit Yéshou. Ce n’étaient donc pas des chrétiens comme les autres.
Comme il s’agit d’Arabes, cela implique qu’un certain nombre d’Arabes, vivant au nord de l’Arabie, étaient devenus judéo-chrétiens de type messianiste à l’époque. Vers 560, cinquante ans avant le début de l’islam, il existait par conséquent une communauté arabe judéo-chrétienne de type messianiste dans cette région du monde.
Cette communauté a participé à la naissance de l’islam, car un certain nombre d’expressions présentes dans ces inscriptions se retrouvent dans le Coran, près d’un siècle plus tard.
Une autre attestation montre que les judéo-chrétiens existaient toujours quatre-vingts ans après le début de l’islam.
L’auteur des Questions au prince Antiochus vers la fin du septième siècle (le pseudo-Athanase d’Alexandrie) répond ce qui suit à la question numéro 38 : « Nous savons pertinemment que tous ceux qui sont circoncis, qu’ils soient croyants ou incroyants, juifs ou non juifs, même s’ils glorifient la loi de Moïse, ne sont pas des disciples du Christ ».
On peut donc en déduire a contrario qu’il existait à l’époque des non-juifs circoncis, glorifiant la loi de Moïse, et se prétendant disciples du Christ.
À cette époque et en ce lieu, seuls les judéo-chrétiens étaient à la fois judaïsants sans être juifs, et disciples déclarés du Christ sans être reconnus comme tels par les chrétiens.
La mouvance judéo-chrétienne de type messianiste a donc participé à la naissance de l’islam, et quelques judéo-chrétiens de type messianiste au moins subsistaient encore quatre-vingts ans après la naissance de l’islam.
Idéologie de base des judéo-chrétiens de type messianiste : la conquête armée du monde entier, voulue par Dieu.
Cette thèse est si complètement passée dans l’islam qu’une métaphore était très répandue chez les premiers musulmans. Pour exprimer que c’est pour leur bien que les infidèles devaient être contraints par la force à rallier l’islam, les musulmans disaient « qu’ils amèneraient les infidèles enchaînés au paradis ».
Dans le judéo-christianisme de type messianiste, quand l’armée des Justes aura conquis la terre et imposé sa vision du monde ainsi que le schéma de société de sa théologie, la terre deviendra un paradis, mais pour les Justes seulement.
Le statut inférieur prévu par les judéo-chrétiens de type messianiste pour les non-justes qui refusent de se convertir est passé dans l’islam.
Les judéo-chrétiens de type messianiste n’ont jamais gagné une seule de leurs nombreuses guerres messianiques, et n’ont donc pas eu à constater l’effet qu’aurait eu l’application de leurs conceptions religieuses à toute une société. L’islam, lui, par contre, a gagné de nombreuses guerres, et a établi sa domination en de nombreux pays. Dans tous les États où la religion officielle est l’islam, les non-musulmans sont donc des dhimmis, au mieux des citoyens de seconde zone. Ils sont privés de pratiquement tous les droits politiques et d’une large part des droits civils.
Le retard des États musulmans est dû, selon les islamistes, à l’application imparfaite de la charia. L’universalité ainsi que la profondeur d’enracinement de cette croyance, sont sans doute une des raisons majeures du retard des pays musulmans 4). L’idée millénariste des judéo-chrétiens de type messianiste, le paradis sur terre après la victoire des Justes, est intégralement passée dans l’islam.
On trouve chez les judéo-chrétiens (et les gnostiques aussi d’ailleurs) l’idée que Dieu est un être rusé qui trompe son monde.
John Toland. Nazarenus ou le christianisme judaïque et mahométan. Chapitre VI. « Photius nous avertit qu’il avoit lu un livre intitulé Les voyages des Apôtres, rapportant les actions de Pierre, de Jean, d’André, de Thomas, et de Paul ; et parmi les choses qui y étoient contenues voici une, que le Christ n’avoit pas été crucifié, mais un autre en sa place ; et que pour cela il se mocquoit de ceux, qui pensoit l’avoir crucifié… Combien grande (soit dit en passant) est l’ignorance de ceux, qui font passer ceci pour l’invention originaire des Turcs ! car les Basilidiens au premier commencement du Christianisme 5) nioient que le Christ eut souffert, mais que Simon le Cyrénien avoit été crucifié en sa place. Les Cerinthiens avant eux, et les Carpocratiens apres (pour ne pas nommer davantage de ceux, qui affirmoient que Christ n’avoit été qu’un simple homme) croyoient la même chose ; assavoir, que ce n’étoit pas lui, mais un de ses disciples qui lui ressembloit fort, qui avoit été crucifié… »
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Ce qui traduit dans notre langue à nous aujourd’hui (car John Toland a écrit ça en français du 18e siècle) nous donne à peu près ceci : « Photius nous avertit qu’il avait lu un livre intitulé Les voyages des Apôtres, rapportant les actes de Pierre, de Jean, d’André, de Thomas, et de Paul ; et parmi les choses qui y étaient contenues il y avait que le Christ n’avait pas été crucifié, mais un autre à sa place ; et qu’ en cela ils se moquaient de ceux, qui pensaient l’avoir crucifié… Combien grande (soit dit en passant) est donc l’ignorance de ceux qui font passer ceci pour l’invention originelle des Turcs ! car les Basilidiens au tout début du Christianisme 5) niaient que le Christ eut souffert, mais que Simon de Cyrène avait été crucifié à sa place. Les Cérinthiens avant eux, et les Carpocratiens après (pour ne pas nommer davantage de ceux, qui affirmaient que Christ n’avait été qu’un simple homme) croyaient la même chose ; à savoir, que ce n’était pas lui, mais un de ses disciples qui lui ressemblait fort, qui avait été crucifié… »
Le Christ changea donc volontairement de forme : lors de sa crucifixion, il prit l’apparence de Simon, et c’est ce Simon de Cyrène qui fut crucifié à sa place, trompant ainsi tous ceux qui avaient voulu ruser pour se saisir de lui.
Le Coran reprend à la lettre cette formulation judéo-chrétienne ou gnostique 6) : « Ils se servirent de la ruse [contre Jésus], mais Dieu sait ruser lui aussi. Dieu est le plus fort de tous ceux qui rusent ».
Voir aussi 7) : « Ils ont dit : « Oui, nous avons tué le Messie, Jésus, fils de Marie, le prophète de Dieu ». Mais en réalité ils ne l’ont pas tué. Ils ne l’ont pas crucifié, cela leur est seulement apparu ainsi ».
Si l’on ne connaît pas les textes gnostiques ou judéo-chrétiens, il est difficile de comprendre ce que signifie cette phrase : « cela leur est seulement apparu ainsi ». Par contre tout devient clair dès que l’on connaît la théologie judéo-chrétienne ou gnostique qui l’a inspirée.
L’enfance de Marie. Voici ce qu’écrit un texte de la mouvance judéo-chrétienne de type messianiste (le Protévangile de Jacques, 1, 4). « Anne (la mère de Marie) répondit : Aussi vrai que vit le Seigneur Dieu, je ferai don de mon enfant, garçon ou fille, au Seigneur mon Dieu, et il le servira tous les jours de sa vie ».
Et voici ce qu’en dit le Coran 8) : « L’épouse d’Imran dit : Mon Seigneur ! Je te consacre ce qui est dans mon sein ; accepte-le de ma part… ». Après avoir mis sa fille au monde, elle dit : Mon Seigneur ! J’ai mis au monde une fille. – Dieu savait ce qu’elle avait enfanté : un garçon n’est pas semblable à une fille – « Je l’appellerai Marie ».
On retrouve le même texte dans l’Évangile des Hébreux, qui était un des principaux livres sacrés des judéo-chrétiens.
Une autre légende judéo-chrétienne de cette mouvance raconte que Marie avait été installée dans le Temple de Jérusalem, et qu’elle y était miraculeusement nourrie par les anges 9). « Marie demeurait dans le temple du Seigneur, telle une colombe, et elle recevait sa nourriture de la main d’un ange ».
En voici la transcription dans le Coran 10) : « Chaque fois que Zacharie allait la voir dans le temple, il trouvait auprès d’elle la nourriture nécessaire, et lui demandait : Ô Marie ! D’où cela vient-il ? Et elle répondait : cela vient de Dieu ».
Un texte judéo-chrétien (évangile du pseudo Mathieu) fait état d’un palmier qui se penche de lui-même pour nourrir Marie et Jésus enfant 11).
« Chapitre 20. Or il advint que le troisième jour de leur déplacement, Marie se trouva fatiguée par l’ardeur du soleil dans le désert. Apercevant un palmier, elle dit à Joseph : « Je me reposerai un peu sous son ombre. » Joseph s’empressa de la conduire auprès du palmier et la fit descendre de l’ânesse. Quand Marie fut assise, elle regarda vers la cime du palmier et la vit chargée de fruits. « Je voudrais, s’il est possible, dit-elle à Joseph, goûter des fruits de ce palmier. » Joseph lui répondit : « Je m’étonne que tu parles ainsi : tu vois à quelle hauteur sont les palmes, et tu te proposes de manger de leurs fruits ! Quant à moi, c’est bien davantage le manque d’eau qui m’intéresse, car il n’y en a plus dans nos outres, et nous n’avons pas de quoi nous abreuver, nous et nos montures. »
Alors le petit enfant Jésus qui reposait calmement sur sein de sa mère, dit au palmier :"Penche-toi, arbre, et nourris ma mère de tes fruits ! » Et obéissant à ces mots, le palmier inclina aussitôt sa cime jusqu’aux pieds de Marie, pour qu’on y cueillît des fruits dont tous se rassasièrent. Quand tous les fruits eurent été cueillis, l’arbre demeurait incliné, attendant l’ordre de celui qui lui avait commandé de s’incliner. Alors, Jésus lui dit : « Redresse-toi, palmier, reprends ta force ! Tu partageras désormais le sort de mes arbres qui sont au Paradis de mon Père. Ouvre de tes racines la source cachée au fond de la terre et que des eaux en jaillissent pour notre soif ! » Aussitôt le palmier se redressa, et d’entre ses racines se mirent à jaillir des sources d’eaux très limpides, très fraîches et très douces. Et voyant ces sources, ils furent pleins d’une grande joie ; ils se désaltérèrent eux, leurs gens et toutes leurs bêtes et ils rendirent grâces à Dieu ».
Le Coran situe cette histoire à la naissance de Jésus. Le palmier en question devait d’ailleurs être connu des auditeurs, car le texte ne dit pas « d’un palmier », mais « du palmier » 12) : « Les douleurs
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la surprirent auprès du tronc du palmier. Elle dit : « Malheur à moi ! Que ne suis-je déjà morte, totalement oubliée ! » L’enfant qui se trouvait à ses pieds l’appela : « Ne t’attriste pas… Secoue vers toi le tronc du palmier. Il fera tomber sur toi des dattes fraîches et bien mûres ».
La transposition n’est pas directe, mais, compte tenu des précédentes, quasi littérales, il est concevable que le premier texte ait inspiré le second.
Le miracle des oiseaux. Le passage ci-dessous vient d’un apocryphe appelé « Histoire de l’enfance de Jésus ». Certains exégètes l’ont jadis appelé « l’Évangile de l’enfance de Thomas », par erreur, à la suite d’une interpolation qui n’avait pas été identifiée. Cet évangile est considéré comme judéo-chrétien ou gnostique parce qu’il déclare que Jésus s’est fait remplacer par un autre sur la croix. Le voici.
« Le petit Jésus, à l’âge de cinq ans, joua dans le gué d’un ruisseau. Il fit passer l’eau qui s’écoulait dans un bassin (de décantation ?) et la rendit propre immédiatement car l’eau faisait tout ce qu’il demandait. Avec l’argile ainsi obtenue, il modela douze moineaux. C’était un jour de sabbat et il y avait aussi beaucoup d’autres petits enfants qui jouaient avec lui.
Un Juif, voyant ce que faisait Jésus, à savoir jouer le jour du sabbat, s’en alla aussitôt dire à son père Joseph : ton enfant est au bord du ruisseau, il a pris de l’argile, a façonné douze petits oiseaux avec et il a donc violé le Jour de sabbat. Joseph se rendit sur place, l’aperçut de loin et lui demanda en criant : pourquoi fais-tu ça le jour du sabbat, ce qui est interdit ? Mais Jésus frappa dans ses mains et cria aux moineaux d’argile : Allez ! Envolez-vous ! Et les moineaux s’envolèrent en pépiant. Les Juifs, en voyant cela, furent étonnés et s’en allèrent dire à leurs chefs ce qu’ils avaient vu ».
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Ci-dessous les échos de cette belle histoire dans le Coran 13) : « Je suis venu à vous avec un Signe de votre Seigneur : je vais, pour vous, créer avec de l’argile comme une forme d’oiseau. Je souffle en elle, et avec la permission de Dieu cette argile devient oiseau ».
Voir également 14) : « Tu (Jésus) crées, avec de la terre, une forme d’oiseau – avec ma permission – tu souffles en elle, et cette ébauche d’oiseau se transforme en véritable oiseau ».
Reste à savoir pourquoi cette partie de la théologie judéo-chrétienne a été ensuite occultée, ou quels événements ont donné au passage des idées judéo-chrétiennes dans l’islam ses caractéristiques particulières. Un certain nombre d’éléments sont passés dans l’islam, alors que d’autres ont en été exclus, bien qu’ils y aient été initialement présents.
1) Comme cette dénomination de Nazaréen était gênante ou ne signifiait plus grand-chose, les pagano-chrétiens ont imaginé, à partir de la communauté de Nazara, la ville de Nazareth, et transformé Nazaréen en « de Nazareth ».
2) Beaucoup pensent que les actuels mandéens d’Irak sont des lointains descendants de ces Nazôréens ayant rallié le mouvement baptiste. Ils se désignent d’ailleurs eux-mêmes comme tels. Ils honorent Jean le baptiste et rejettent Jésus.
3) Le premier évangile paraît en effet s’adresser avant tout aux juifs et aux rabbins, pour leur démontrer à l’aide des Écritures, l’Ancien Testament, que Jésus est réellement le Fils de Dieu et l’Emmanuel, Dieu avec nous depuis le début, fils de David, héritier de tous les rois d’Israël, donc le Messie qu’ils attendaient.
4. Aucun des 57 pays de l’Organisation de la Conférence islamique ne respecte les droits de l’Homme.
5. Cf. Irénée, Contre les hérésies, Épiphane, Panarion.
6. Chapitre 3, verset 54.
7. Chapitre 4, verset 157. Il s’agit de la thèse docète.
8. Chapitre 3, versets 35 et 36.
9. Protévangile de Jacques, 8, 1.
10. Chapitre 3, verset 37.
11. Livre de la naissance de la bienheureuse Marie et de l’enfance du Sauveur, Évangile du pseudo-Matthieu chapitre 20.
12. Chapitre 19, versets 23 à 25.
13. Chapitre 3, verset 49.
14. Chapitre 5, verset 110.
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DOCUMENT : JUIFS ET CHRÉTIENS SELON LE SAINT CORAN CHAPITRE 9, VERSET 30.
« Les Juifs disent : Esdras est le fils de Dieu, et les chrétiens disent : Le Messie est le fils de Dieu. C’est ce qu’ils disent de leur propre bouche. Ils disent la même chose que les incroyants d’avant. Dieu (en personne) est contre eux. Ils sont youfakouna »
Précisions sémantiques.
Esdras. Ce sont les traducteurs ou musulmans actuels qui transcrivent le nom arabe Ouzaïr, Esdras. Rien ne prouve qu’il s’agisse du secrétaire aux affaires juives de l’Empire perse mentionné dans le livre de la Bible portant son nom.
Si c’est le cas, il faut rappeler ici que les juifs n’en ont jamais fait un fils de Dieu. La bible n’en fait même pas un prophète. C’est un juif pieux envoyé à Jérusalem en – 458 avec un premier groupe de volontaires pour réorganiser l’État juif ayant pour capitale Jérusalem. Ensuite il disparaît pour réapparaître en -448 à l’occasion d’une première lecture de la nouvelle loi juive (différente de celle des Samaritains restés sur place).
Seuls quelques courants spéculatifs juifs en font un nouveau Moïse.
À propos du mot arabe « youfakouna » qui essentialise ou caractérise donc, les juifs et les chrétiens, d’après la sourate 9, verset 30 et qui est souvent rendu dans les traductions comme quelque chose du genre « les juifs et les chrétiens… ne comprennent rien ».
Ils sont…
— Ensorcelés.
— Pervertis.
— Pervers.
— Dans l’erreur.
— Aberrants.
C’est un dérivé du verbe afaka, du moins si l’on en croit le tome 1 du livre de Muhammad Mohar Ali intitulé « traduction mot à mot du Coran ».
Mais le terme youfakouna n’implique pas une simple ignorance, il suggère plutôt une intelligence dévoyée, ou qu’on empêche de fonctionner normalement.
Et le « on » en question est à prendre au sens fort : cela peut être aussi bien Dieu que le diable.
Étant athées nous écarterons néanmoins cette hypothèse et nous opterons pour un empêchement plus naturel.
« Les juifs et les chrétiens… sont naturellement dans l’incapacité de voir, de savoir, de comprendre ! »
Comme le dit le verset 171 du chapitre 2, « ils sont comme le bétail qui n’entend que confusément les sons et les cris qu’on leur adresse et qui, sourd, muet et aveugle, est incapable d’en comprendre le sens ».
Philosophiquement parlant « La foi des juifs et des chrétiens… n’a rien à voir avec la raison ! »
Plus crûment « les juifs et les chrétiens sont cons ! »
Bref en résumé « Les juifs et les chrétiens… sont mongoliens ». Ou aliénés.
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LE CHRISTIANISME.
Le terme arabe couramment utilisé pour désigner les chrétiens est « NASARA ». Ce qui correspond bien évidemment à « Nazaréens ». Or nous avons eu l’occasion de voir dans nos cahiers de notes précédents à quel point cette appellation pouvait être ambigüe (christologie basse ou christologie haute).
Il faut donc recourir au contexte pour déterminer la christologie, haute ou basse, des chrétiens mentionnés par le Coran.
En l’occurrence et dans le verset cité plus haut, il s’agit bien de chrétiens au sens où on l’entend aujourd’hui puisque Mahomet leur reproche de considérer Jésus comme Fils de Dieu.
Il y avait donc aussi des chrétiens de ce type en Arabie ou dans les pays limitrophes au 7e siècle. Des chrétiens pas très catholiques, pas très orthodoxes, et pas encore réformés, mais des chrétiens au sens classique du terme néanmoins en Orient (nestoriens, monophysites, melkites, jacobites, etc.)
Le christianisme en tant que tel est donc implanté en Arabie centrale, mais davantage au Nord et au Sud, régions plus favorisées et plus avancées ; autour de grands centres urbains tels que Hira (capitale des Lakhmides d’Irak) ou Nedjran à la frontière du Yémen et de l’Arabie saoudite. À en croire les documents chrétiens, la conversion des Arabes n’a pas été difficile : elle a connu de grands succès. On dit même que le premier roi converti fut arabe : Abgar d’Osrhoène (Édesse), au début du IIIe siècle. Plus tard, des régions (Syrie), des tribus entières, passèrent au christianisme, comme les Ghassanides (Syrie-Jordanie) et les Lakhmides (Sud-Ouest de l’Irak). Sur un plan strictement démographique, les Arabes étaient sans doute majoritairement chrétiens au VIe siècle.
On peut en un sens dire que l’Arabie entière était entourée ou traversée d’éléments chrétiens. Il s’agit d’un christianisme influencé par Byzance, ou sous sa forme nestorienne et monophysite, très populaire en Orient. Ses idées circulent dans tout l’orient. Mais du montanisme jusqu’aux plus obscures hérésies arabes, le christianisme s’était émietté en une multitude de communautés plus ou moins durables. Avec le recul, cette floraison peut être considérée positivement : un signe de vitalité, mais aussi un facteur d’enrichissement culturel. Le christianisme s’est divisé avant tout sur des points de doctrine et d’après des ambitions politiques, comme dans le cas de l’islam. Notons par exemple que pour Jean de Damas, l’islam n’est qu’une hérésie chrétienne poussée à l’extrême.
En Orient il y avait trois tendances principales que l’on peine à nommer « hérésies » tant elles ont eu d’importance, par les soutiens populaires ou politiques qu’elles ont obtenus, et par leur influence sur le christianisme orthodoxe voire l’islam. La plupart des chrétiens n’y comprennent rien, et les musulmans, encore moins, ce qui ne les empêche pas de s’exprimer sur le sujet. Les textes musulmans laissent apparaître une forme d’admiration pour le luxe, le prestige et l’allure de leurs dignitaires, et dans un tout autre domaine, pour l’austérité ou la solitude de leurs ermites.
Si la présence de communautés juives en Arabie, au Yémen, est bien attestée ; celle du christianisme, religion de l’empire des Roum (Romano-Byzantins), l’est encore plus chez les Arabes des confins syriens que fréquentaient les marchands mecquois. Le nord-ouest de l’Arabie (Égypte, Palestine, Syrie) était de toute évidence massivement chrétien depuis longtemps à l’époque de Mahomet, ce point ne souffre aucune discussion. Prêché dans la province voisine de Palestine dont le territoire s’étendait aussi en Pérée à l’est du fleuve Jourdain, et de la mer Morte ; région fréquentée, selon le récit évangélique, par Jean-Baptiste et par Jésus (Évangile de Jean 1, 28 ; 10, 40-42) ; le christianisme commença sa pénétration dans ces régions dès le premier siècle de l’ère chrétienne. Les premières communautés chrétiennes en Arabie abritaient en leur sein divers groupes qui sont mentionnés par les auteurs ecclésiastiques du IVe et du Ve siècle. Épiphane évêque de Salamine, le Panarion. « 19. Les Osséens. Après cette secte en vint une autre étroitement liée à la précédente, les
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Osséens. Ce sont des Juifs comme les autres, hypocrites dans leur comportement et horribles dans leur façon de penser. On m’a dit qu’ils étaient originaires de Nabatée, d’Iturée, de Moab et d’Ariélitide, les terres situées au-delà de ce que les saintes Écriture appellent la « mer salée » et qu’on appelle aujourd’hui la « Mer Morte »………… Le dénommé Elkasaï les rejoignit plus tard, sous le règne de l’empereur Trajan… Elkasaï était lié à la secte que j’ai mentionnée, celle dite des Osséens. Aujourd’hui encore il en existe des restes en Nabatée, qu’on appelle aussi la Pérée près de Moab ; ce groupe est aujourd’hui connu sous le nom de Sampséens ».
De nombreux Arabes se convertirent donc au christianisme et une communauté s’organisa même à Bosra (au sud de Damas en Syrie) autour de l’évêque Bérylle. L’historien Eusèbe de Césarée écrit que le plus célèbre théologien chrétien de l’époque, Origène, y fut un jour invité par le gouverneur de la province. Origène y fut appelé une seconde fois pour résoudre une question doctrinale qui était débattue avec cet évêque, qu’Eusèbe jugeait être « d’esprit noble » et que saint Jérôme classait parmi « les hommes illustres ». Il y retourna une troisième fois pour participer à un concile sur la doctrine et donner un avis. À l’époque de l’empereur Aurélien, Maxime, un autre évêque théologien de Bosra, participa même activement aux conciles ecclésiastiques qui se tinrent en 263/264 et en 268. Le premier village de la province entièrement chrétien est mentionné par Eusèbe au début du IVe siècle sur le territoire de Madaba : Coraiatha, aujourd’hui Al-Qurayat en Jordanie. En ce qui concerne la diffusion du christianisme parmi les populations, Eusèbe se contente d’affirmations générales en commentant le psaume 60, 9-10. Ceux qui traversent la région arabe pourront constater la réalisation de ces prophéties en voyant les Moabites et les Ammonites convertis en grand nombre, au point de remplir l’Église de Dieu…
Les évêques de la province d’Arabie – Nicomaque de Bosra, Sopatros de Berétanée, Sévère de Dionysias, Cyr de Philadelphie (aujourd’hui Amman en Jordanie), Gennade d’Esbus – participèrent au concile de Nicée convoqué par l’empereur Constantin en 325.
Le premier évêque précisément arabe ayant participé à un concile est apparemment un dénommé Théotime qui assista au synode d’Antioche en 363 ; mais on peut lui donner comme précurseur l’évêque des Tayenoi, Pamphile, qui participa lui aussi au premier concile de Nicée de 325, si ce terme (tayenoi) désigne bien des fédérés arabes comme le pense Irfan Shahîd (Byzance et les Arabes au 4e siècle, Université de Georgetown, Dumbarton, 1984).
L’Arabie, qui faisait partie du diocèse d’Orient, fut réduite au sud avec la création de la province de Palestina Salutaris, ou Palestine Troisième, qui s’étendait jusqu’à la vallée de l’Arnon, l’actuel Oued Moujib. Du point de vue de l’Église, la situation fut fixée au concile de Chalcédoine en 451, qui créa le patriarcat de Jérusalem (Aelia capitolina, Ilya en arabe). Le métropolite de Bosra, et ses évêques, resta dépendant du patriarcat d’Antioche au nord de la Syrie. Le nombre élevé d’évêques en fit médire quelques-uns, qui partageaient l’avis de Sozomène : « En Scythie, malgré le nombre élevé de villes, il n’y a qu’un seul évêque. À l’inverse, je me suis rendu compte que dans d’autres provinces, comme, en Arabie et à Chypre il y a même des villages qui ont leur évêque… ».
Parmi les évêques théologiens de Bosra qui contribuèrent à la renommée du siège métropolite ou archiépiscopal, il faut mentionner, au temps de Julien, l’archevêque Tite ; que l’empereur considéra comme un agitateur dangereux et voulut chasser de la ville, ainsi que l’archevêque Antipatros qui était tenu en haute estime par ses contemporains, civils et ecclésiastiques. Il est mis au rang des auteurs ecclésiastiques faisant autorité par les Pères du septième Concile œcuménique (787). L’œuvre d’Antipater était considérée une composition magistrale, et, jusqu’à 540 et sa lecture dans les églises d’Orient servit d’antidote à la propagation des hérésies origénistes. Il a également écrit un traité contre les Apollinaristes, connu seulement par de brefs fragments, ainsi que plusieurs homélies, dont deux nous sont parvenues dans leur intégralité.
Du Ve au VIe siècle, il y eut donc des conversions massives d’Arabes ghassanides, lakhmides, kindites ou appartenant à des tribus arabes de la Syrie mésopotamienne. Des millions d’Arabes furent catéchisés (selon le christianisme de l’époque). Ils avaient intégré les conceptions chrétiennes de ce temps-là, la prière, le jeûne, l’aumône, l’aide aux missionnaires. Un moine dénommé Marouta (565-649) à l’exemple de saint Paul avait même déjà encouragé le port du voile chez la femme, tout particulièrement dans les lieux publics. Les récits que nous avons de cette période montrent que de nombreuses personnes se rendaient dans certains lieux en pèlerinage, si bien que cela suscitait des foules immenses, comme en 566 dans les environs d’Alep. À tel point que certains moines recherchaient de nouveaux lieux désertiques pour se recueillir, et y creusaient des puits. Un prédicateur chrétien arabe nommé Ahoudemmeh de Tikrit, mort en 575, alla évangéliser de nombreux peuples vivant sous des tentes (donc nomades) entre le Tigre et l’Euphrate. Il brisait les idoles et enseignait par de nombreux discours. Il fonda même des congrégations. Mais ces chrétiens installés dans le nord de l’Arabie étaient surtout des judéo-chrétiens à la christologie « basse », en particulier des chrétiens monophysites. Cette doctrine, déclarée hérétique par le concile de Chalcédoine en 451
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ne reconnaissait qu’une seule nature à Jésus-Christ, la nature humaine, et ne voyait pas en lui Dieu incarné.
ORGANISATION POLITIQUE.
ROYAUME GHASSANIDE. Capitale Jabiyah dans le Golan (220-638). Syrie Jordanie Nord-ouest de l’Arabie saoudite et nord-ouest de l’Irak.
Les Ghassanides (en arabe al-Ghasssinah ou Banou Ghassanne « Fils de Ghassanne ») étaient une tribu arabe dont la première vague en provenance du Yémen était arrivée dans la région au début du 3e siècle. Certains de ses membres avaient été assimilés par les communautés chrétiennes hellénisées locales après conversion au christianisme alors que d’autres étaient peut-être déjà chrétiens, mais avaient migré vers le nord ensuite (pour échapper aux persécutions religieuses antichrétiennes au Yémen ???).
Après s’être installés au Levant, les Ghassanides formèrent un État client de l’Empire romain d’Orient et combattirent avec lui les Sassanides perses ainsi que leurs vassaux arabes, les Lakhmides. Le royaume des Ghassanides servait aussi de zone tampon protégeant contre les raids des tribus bédouines les terres annexées par les Romains.
La date de leur arrivée au Levant n’est pas évidente, mais on pense qu’ils sont arrivés en Syrie entre 250-300 de notre ère, mais avec des vagues plus tardives vers l’an 400. Leur première apparition dans l’histoire écrite date de 473, quand leur chef signe avec l’Empire romain d’Orient un traité reconnaissant leur statut de foederati gouvernant certaines parties de la Palestine. Il est apparemment devenu chrétien chalcédonien à cette époque. En 510 en tout cas les Ghassanides n’étaient plus monophysites, mais chalcédoniens. C’était la principale tribu des foederati arabes, avec les Banou Amela et les Banou Joudham.
Après s’être installés dans le pays du Levant, les Ghassanides constituèrent donc un état client de l’Empire romain d’Orient. Les Romains ont trouvé en eux de puissants alliés qui servaient aussi de zone tampon contre les Lakhmides alliés des Perses. En outre, en tant que rois de leur propre peuple, c’étaient aussi des phylarques, dirigeants indigènes des États clients frontaliers. Leur capitale se trouvait à Jabiyah, sur les hauteurs du Golan. Géographiquement parlant leur royaume occupait une grande partie de l’est du Levant, et son autorité s’étendait via diverses alliances avec d’autres tribus jusqu’au nord du Hedjaz, voire plus au sud jusqu’à Yathrib (Médine).
Sahih Muslim Livre 009, hadith numéro 3511.
« J’avais un ami Ansar et, nous avions l’habitude de rester en compagnie du Messager (que la paix soit sur lui) à tour de rôle… nous discutions de la nouvelle que les Ghassanides étaient en train de ferrer leurs chevaux pour nous attaquer…………… Mon ami partit un soir chez l’apôtre et revint dès que la nuit fut tombée frapper à ma porte en m’appelant affolé. Je suis donc sorti voir ce qui se passait et il s’est exclamé : une chose très grave vient d’arriver. Quoi ? lui ai-je demandé. Les Ghassanides sont arrivés ? Il me répondit : Non, c’est beaucoup plus grave : le Saint Prophète (que la paix soit sur lui) vient de divorcer de toutes ses femmes. Je lui ai alors répondu : c’est bien ce que je craignais, Hafsa n’a pas été à la hauteur et maintenant elle a tout perdu… Bref pour finir Omar va voir sa fille en larmes afin de lui demander ce qui s’est passé puis va voir Mahomet qui s’est retiré dans sa chambre et ne veut plus voir personne, etc. »
Saint Serge et saint Bacchus étaient deux officiers de l’armée romaine secrètement chrétiens. Après avoir persisté dans leur refus d’adorer les dieux romains, ils furent torturés puis mis à mort sur ordre de l’empereur Maximien ; en un endroit appelé Resafa, dans le désert syrien, non loin de l’Euphrate (au sud-ouest de Raqqa sur la route de Damas).
NDLR. Sur la réalité des persécutions antichrétiennes voir notre essai sur, ou plus exactement contre, le christianisme.
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Les Arabes nomades considéraient ce Serge comme leur saint patron particulier. Beaucoup d’églises furent placées sous sa protection. Le grand sanctuaire placé sous la protection du clan ghassanide, et fondé entre 491 et 518, sans doute avant l’installation des Taghlibites, devint rapidement une étape incontournable entre le croissant fertile et le désert. Procope, dans son De Aedeficatione, nous informe que Justinien prit sur lui d’en financer la réfection et la fortification, afin, nous dit-il, « de mieux protéger les trésors entreposés par les nomades ».
Le lieu fut par la suite rebaptisé Sergiopolis et devint l’un des plus grands centres de pèlerinage de l’Orient antique. La grande cérémonie en l’honneur du martyr arabe avait lieu le 15e jour du mois de hatour (novembre), et coïncidait avec le retour de la transhumance estivale dans les plaines du nord de la Djézire (actuels nord-est de la Syrie ou nord-ouest de l’Irak, ou haute Mésopotamie).
Le sanctuaire de Resafa/Sergiopolis reçut des offrandes aussi bien du roi lakhmide que du monarque ghassanide qui fit construire en ce lieu une salle d’audience récemment découverte.
L’Empire romain d’Orient était surtout tourné vers l’Est et une longue guerre contre les Perses était toujours leur principale préoccupation. Les Ghassanides assuraient leur domination en contrôlant les routes commerciales, ils surveillaient les tribus Lakhmides et constituaient une réserve de soldats utiles à l’armée romaine.
Le roi ghassanide al-Harith ibn Jabalah (qui régna de 529 à 569) soutint activement les Byzantins contre la Perse Sassanide et se vit donc conférer en 529 par l’empereur Justinien Ier, le plus haut titre impérial jamais décerné à un dirigeant étranger ; le statut de patrice. Al-Harith ibn Jabalah reçut en outre le gouvernement de tous les alliés arabes de l’Empire (byzantin). Al-Harith était chrétien miaphysite ; il contribua donc au renouveau de l’église miaphysite (jacobite) syrienne et soutint son essor en dépit du fait que la Byzance orthodoxe des empereurs la tenait pour hérétique. La méfiance de Byzance à son égard et les persécutions dirigées contre cette religion non orthodoxe, provoqueront d’ailleurs plus tard la chute de ses successeurs, al-Moundhir (qui règnera de 569 à 582) et Nou'man.
Des historiens ont vu dans cette rupture de l’alliance conclue entre les Romains et la confédération des Banou Ghassan, la cause principale de l’affaiblissement dramatique de la sécurité de la province byzantine d’Arabie ; qui perdit ainsi son bouclier arabe sur les frontières. Ce serait la raison pour laquelle, à 22 ans d’intervalle, l’Empire subit une double défaite : en 614, de la part des Perses qui envahirent la Syrie et la Palestine jusqu’à Jérusalem où ils mirent le feu à la basilique du Saint Sépulcre ; et en 636 de la part des Arabes musulmans sur le Yarmouk.
Les affaires des Ghassanides, qui s’étaient opposés avec succès aux alliés perses les Lakhmides d’Al-Hirah (Sud-ouest de l’actuel Irak), ayant ils s’étaient donc engagés dans la construction de nombreux édifices religieux et publics ; ils furent également de généreux mécènes et ont même entretenu à un moment donné les poètes arabes Nafīshah adh-Dhoubyani et Hassan ibn Thabit.
Ces Arabes chrétiens ont donc parfaitement tenu leur rôle de défenseurs de l’Empire byzantin sur sa frontière orientale, au niveau de la Syrie et de la Palestine, et n’ont cédé que face à l’islam après 632. Ils ont d’ailleurs encouru la haine des premiers musulmans et de Mahomet, du fait de cette obstruction. Peu de Ghassanides sont devenus musulmans immédiatement après la conquête musulmane ; la plupart des Ghassanides sont restés chrétiens et se sont fondus dans les communautés melkites ou syriaques de ce qui est maintenant la Jordanie, la Palestine, Israël, la Syrie et le Liban.
LES LAKHMIDES.
Capitale Al-Hirah. 18 km au sud d’An – Najaf sur l’Euphrate. Fondée vers 300, annexée par l’Empire sassanide en 602. En gros le sud-ouest de l’actuel Irak.
Les Lakhmides ou Banou Lakhm constituèrent un royaume avec al-Hirah comme capitale, de 300 à 602 de notre ère. Ils étaient généralement, mais pas toujours les alliés et les clients de l’Empire sassanide, et participèrent donc aux guerres romano-perses.
Le royaume avait été fondé par la tribu Lakhoum venue du Yémen au IIe siècle et il était gouverné par les Banou Lakhm, d’où son nom. Le fondateur de la dynastie fut un certain Amr, dont le fils Imrou' al-Qaïs (à ne pas confondre avec le poète Imrou 'al-Qaïs qui vécut au sixième siècle) se serait converti au christianisme.
Imrou 'al-Qaïs rêvait d’un grand royaume arabe unifié et indépendant et, suite à ce rêve donc, s’empara de nombreuses villes de la péninsule arabique. Il forme alors une grande armée et fait de son royaume une puissance navale, ayant toute une flotte opérant le long de la côte bahreïnie au sens large. De là il s’en prit aux villes côtières de l’empire sassanide – qui était à cette époque en pleine guerre civile, en raison d’une querelle de succession – attaquant même la région natale des rois sassanides, le Fars.
En 325, les Perses, menés par Chapour II, lancèrent une campagne contre les royaumes arabes. Lorsque Imrou 'al-Qaïs réalisa qu’une puissante armée perse composée de 60 000 hommes
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approchait de son royaume, il demanda l’aide de l’Empire byzantin. Constance promit de l’aider, mais ne fut pas en mesure de lui fournir cette aide en temps voulu. Les Perses avancèrent donc vers Hira et toute une série de batailles acharnées eut lieu autour de Hira et dans Hira ainsi que dans les cités environnantes.
L’armée de Chapour II l’emporta sur l’armée Lakhmide et prit la ville de Hira. Le jeune Chapour II fit massacrer tous les hommes de la ville et réduisit en esclavage les femmes et les enfants. Il mit ensuite sur le trône Aous ibn Qallam et rappela son armée.
Imrou 'al-Qaïs se retira dans le Bahreïn, emportant avec lui son rêve d’une nation arabe unifiée, puis en Syrie afin d’y chercher l’aide promise par Constance II (qui ne se matérialisa jamais). Il y resta jusqu’à sa mort. Il fut ensuite inhumé à Namara dans le sud de la Syrie.
L’inscription funéraire d’Imru 'al-Qaïs est écrite dans un type d’écriture très difficile à lire. Récemment, il y a eu un regain d’intérêt pour cette inscription, et une controverse s’en est ensuivie sur ses implications. Il est maintenant certain qu’Imrou 'al-Qaïs y a revendiqué le titre de « Roi des Arabes » et que l’inscription affirme qu’il a fait campagne avec succès dans tout le nord et le centre de la péninsule, jusqu’à la frontière de Nedjran.
Deux ans après sa mort, en 330, une révolte eut lieu à Hira, Aous ibn Qallam fut tué et le fils d’Imrou 'al-Qaïs, Amr, lui succéda. À noter : l’empereur sassanide Vahram V vécut à Hira et fut élevé à la cour d’al-Moundhir I, dont le soutien lui permit d’accéder au trône après l’assassinat de son père. Par la suite, les principaux rivaux des Lakhmides furent les Ghassanides, vassaux de l’ennemi juré des Sassanides, l’Empire byzantin. L’armée de l’Empire sassanide, avec l’aide d’al-Moundhir III lui-même et de ses troupes, a d’ailleurs triomphé du célèbre général byzantin Bélisaire lors de la bataille de Callinicum en 531.
Le royaume Lakhmide fut un foyer majeur de l’Église d’Orient, soutenu par les Sassanides dans la mesure où elle s’opposait à l’Église orthodoxe orientale des Byzantins. La ville a également été un centre important pour la diffusion du manichéisme.
Littérature.
Al-Hirah fut le berceau de l’alphabet arabe. Parmi les poètes nés dans le royaume il y eut al-Nabigha, Laqete ibn Ya'amour al-Ayadi, Alqama ibn' Abada et Adi ibn Zayd.
Ces poètes ont décrit al-Hira comme le paradis sur terre ; un poète arabe décrit ainsi le climat et la beauté de la ville : « Un jour à al-Hirah vaut mieux qu’une année de cure ».
Les Lakhmides furent très influents tout au long du sixième siècle, mais en 602, le dernier roi lakhmide, al-Nou'man III ibn al-Moundhir, fut mis à mort par l’empereur sassanide Chosroês II sous prétexte de trahison, et le royaume lakhmide fut annexé. Il est maintenant largement admis que l’annexion du royaume Lakhmide fut une des principales causes de la chute de l’Empire sassanide et de la conquête musulmane de la Perse.
Après sa conquête en 633 par les musulmans du célèbre Khaled, la ville tomba rapidement en ruines. Les restes de la cité ont beaucoup impressionné les voyageurs musulmans, partagés entre la fierté de voir une ville chrétienne dans cet état et la nostalgie qui inévitablement saisit les esprits raffinés à la vue d’un tel spectacle. Les ruines d’Al-Hirah sont situées à 3 kilomètres au sud de Koufa, sur la rive ouest de l’Euphrate.
LES BANOU TAGHLIB.
Les Banou Taghlib, également connus sous le nom de Taghlib ibn Oua'il, était une tribu arabe qui était originaire du Nejd, mais qui vivait en Haute Mésopotamie (Djézire) depuis la fin du 6e siècle. Les Taghlibites figuraient parmi les tribus nomades les plus puissantes de la période préislamique et s’étaient illustrés par leurs guerres sans pitié contre leurs parents les Banou Bakr, ainsi que par leurs luttes contre les rois Lakhmides d’al-Hira en Irak.
La tribu adopta le christianisme monophysite et était encore largement chrétienne même longtemps après l’avènement de l’Islam au milieu du 7e siècle.
Après une première phase d’opposition aux musulmans, les Taghlibites firent alliance avec les Omeyyades et se lancèrent dans de nombreuses batailles contre les tribus rebelles Qaïssi à la fin du 7e siècle.
Vers le milieu du IXe siècle, la majeure partie des Taghlibites se convertit à l’islam, à l’instigation du gouverneur Taghlibite de Diyar Rabi'a et du fondateur d’Al-Rahba, Malik ibn Taouk.
Les Banu Taghlib étaient à l’origine une tribu bédouine (Arabes nomades) qui vivait dans le Nedjd (Centre de l’Arabie). Ainsi appelée du nom de son ancêtre Taghlib ibn Wa'il, également connu sous le nom de Dithar ibn Oua'il. La tribu appartenait à la confédération des Rabi'ah.
Les Taghlib comptaient parmi les plus fortes et les plus grandes tribus bédouines d’Arabie. Leur haut degré de solidarité tribale apparaissait dans les grandes formations au sein desquelles ils se regroupaient durant les batailles. À partir du IVe siècle de notre ère, les Taghlib firent partie de la
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sphère d’influence de l’Empire perse sassanide et de leurs clients arabes, les rois Lakhmides d’al-Hira.
À la fin du 5e siècle, le chef Taghlibite Koulaïb ibn Rabi'a fut assassiné par son beau-frère, Jassas ibn Mourra al-Chaïbani des Banou Bakr. Ce qui déclencha un long conflit, connu sous le nom de Guerre de Bassous 1), entre les Taghlib et les Banou Bakr. Le frère de Koulaïb, Mouhalhil, prit la tête des Taghlibites, mais perdit sa place après la bataille de Yaoum al-Tahalouq, après quoi la majorité des Taghlib quitta le Nedjd pour gagner la région du Bas-Euphrate. Une fraction des Taghlib y vivait apparemment déjà.
Parallèlement à la guerre de Bassous se produisit la montée en puissance du royaume kindite en Arabie centrale et septentrionale. Les Taghlib et les Bakr devinrent des sujets de ce royaume sous le règne d’al-Harith ibn Amr ibn Houjr (début du 6e siècle). La guerre de Bassous prit fin au milieu du 6e siècle lorsque les Taghlib et les Bakr signèrent un traité de paix à la foire de Dhou al-Majaz près de La Mecque.
Les Taghlib ont ensuite émigré plus au nord le long de l’Euphrate en Haute Mésopotamie (Djézire) après que leur chef Amr ibn Koulthoum eut assassiné le roi Lakhmide Amr ibn al-Hind en 568.
En 605, les Taghlib et les Bakr se retrouvèrent dans des camps opposés lors de la Bataille de Dhi Qar, les Taghlib soutenant les Sassanides contre les Lakhmides.
L’achèvement de l’évangélisation des Taghlibites eut sans doute lieu entre l’apostolat du premier métropolitain de Tikrit, Ahoudemmeh (mort en 575) et celui de son successeur Marouta (mort en 649).
Ahoudemmeh venait d’une famille assyrienne nestorienne. Religieusement parlant il avait été formé par les nestoriens et avait même été fait évêque de leur Église. Ahoudemmeh se convertit ensuite au monophysisme, rompit tout lien avec sa famille et commença de critiquer le nestorianisme.
D’après Bar Hebraeus, Ahoudemmeh a été consacré évêque de Beït Arbayé (des pays arabes) par le Catholicos arménien Christophe Ier en 540. Il prêcha parmi les tribus arabes nomades du Beït Arbayé et en converti beaucoup au monophysisme. Il construisit également une église dédiée à Saint-Serge au cœur du Beït Arbayé, connu sous le nom d’Aïnqenia, afin que les Arabes n’aient pas à se rendre en territoire byzantin pour le prier. Mais le monastère fut détruit par les nestoriens peu de temps après.
Les monophysites subirent beaucoup de persécution de la part des Sassanides à cette époque car, comme ils obéissaient à un chef spirituel installé en territoire byzantin, on les soupçonnait donc d’être enclins à soutenir lesdits Byzantins. Chosroês Ier décida d’organiser un débat entre les monophysites et les nestoriens dans son palais pour voir lesquels étaient les plus convaincants.
La délégation nestorienne était dirigée par le Catholicos d’Orient, Joseph et la délégation monophysite par Ahoudemmeh. Jean d’Éphèse affirme que Chosroês I trouva que les monophysites étaient meilleurs et les autorisa par conséquent à construire des lieux de culte dans tout l’empire. Jean affirme également que le résultat de cette conférence incita Jacques Baradée à consacrer en 559 Ahoudemmeh en tant que métropolite d’Orient.
En tant que métropolite, Ahoudemmeh fit reconstruire Aïnqenia et a également fondé le monastère de Ga'tanî près de Tikrit. Là, en 573, il baptisa un fils de Chosroês Ier, qui fut ensuite contraint de s’enfuir en territoire byzantin. Chosroês Ier, indigné, ordonna l’arrestation d’Ahoudemmeh. On le conduisit à Ctésiphon où il fut emprisonné. Il y resta jusqu’à son exécution le 2 août 575.
Les monastères fréquentés par les Arabes chrétiens fondés par Ahoudemmeh, Mar Matta, Mar Sarkis, sont situés, l’un à 40 km au nord de Mossoul, l’autre à 20 km au nord-est de Tall Afar (Qasr Serij). On est dans l’incertitude pour les autres.
Certaines sources orthodoxes syriennes associent le nom d’Ahoudemmeh au siège épiscopal de Tikrit. Une liste des évêques de Tikrit du huitième ou du neuvième siècle, découverte par I. Rahmani, commence par exemple par le nom d’Ahoudemmeh Ier. Il n’est pas certain néanmoins qu’il ait jamais occupé le siège épiscopal de Tikrit. Jean d’Éphèse le qualifie de « chef des orthodoxes », Michel le Syrien « d’évêque du pays perse » et Bar Hebraeus de « métropolite d’Orient ». Sa biographie publiée en français par R. Graffin et F. Nau, ne l’associe pas à Tikrit, mais dit simplement : « Il fut consacré évêque du Beït Arbayê et nommé métropolitain d’Orient par Jacques Baradée en 559 ». On ne sait donc pas avec certitude s’il fut ordonné personnellement évêque du Beit Arbayé. Ce qui est certain par contre c’est qu’il a joué un rôle important dans la réorganisation des communautés syriennes orthodoxes de Perse.
En Perse, les millets chrétiens (millet = communauté) étaient tous placés sous la juridiction du patriarche nestorien, qu’ils reconnaissent ou non son autorité. Le nestorianisme était donc la seule forme officielle du christianisme en Perse.
Sous le règne de Chosroês II (589-629), l’Église orthodoxe syrienne tenta de prendre l’avantage car le médecin du roi, Gabriel de Sindjar, et la Reine Sirine étaient non-chalcédoniens. Les nestoriens craignirent donc que le médecin du roi et la reine Sirine finissent par convaincre le Shah de nommer
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un patriarche non chalcédonien. Les évêques nestoriens se réunirent et une délégation fut envoyée à la cour. Le Shah demanda qu’un débat religieux ait lieu entre les deux confessions. Mais ce débat ne fut pas concluant (sans doute d’ailleurs parce que le Shah était en faveur du statu quo). Il devint clair néanmoins après, pour la cour perse, que les chrétiens du pays ne formaient plus un seul millet, mais deux.
À Beit Lapat, le Shah avait fait construire un monastère en l’honneur de Saint Sergius (Sargis ou Sarkis) pour faire plaisir à son épouse la reine Sirine. Comme la reine était à l’origine nestorienne (avant sa conversion au christianisme jacobite), le monastère était resté entre les mains des nestoriens. Gabriel demanda qu’il soit remis aux non-chalcédoniens mais quand il vint en prendre possession, une foule de nestoriens en colère l’en empêcha. Gabriel se plaignit au Shah que les nestoriens avaient tenté de le tuer. Il dénonça le chef de file des nestoriens, le moine Guiwerguisse, comme un apostat du zoroastrisme. Guiwerguisse fut donc jeté en prison et admit s’être converti. Il fut crucifié en 615 dans la banlieue de Séleucie-Ctésiphon. Les non-chalcédoniens comprirent alors que le Shah n’était pas très favorable à l’élection d’un nouveau patriarche et n’insistèrent pas. Les nestoriens redoutèrent même une persécution et attendirent la suite patiemment… un métropolite orthodoxe syrien, Samuel (614-624) fut consacré à Séleucie-Ctésiphon et l’Église orthodoxe syrienne constitua dès lors en pratique une communauté ou millet distinct. Jusque-là l’évêque de Tikrit, Qam Ishou (578-609), avait agi en tant que chef des chrétiens orthodoxes syriens de Perse. Il avait ordonné des évêques, notamment un dénommé Toubana du monastère de Mar Matta. Son successeur Marouta fut consacré en 629.
Les premières décennies du septième siècle constituèrent donc une période relativement paisible pour l’Église orthodoxe syrienne en Perse. Le médecin royal Gabriel et la reine Sirine la protégèrent efficacement. Chosroes II toléra ses sujets non-chalcédoniens (qui par contre étaient persécutés dans l’Empire romain). En 602, l’empereur romain Maurice fut assassiné par Phocas. Chosroès II, sous prétexte de venger le meurtre de son ami, envahit alors le territoire romain. Il put conquérir Dara (604), puis Édesse (609), Césarée de Cappadoce (611), Damas (613), Jérusalem (614) et même Alexandrie. Mais en 610, Héraclius remplaça sur le trône l’inefficace Phocas et put reconquérir les territoires perdus. Il pénétra dans la vallée du Tigre et en 627/8 et occupa l’Adiabène ainsi que le Beït Garmai sur la rive gauche du Tigre puis finalement Dastagerd près de Bagdad, la résidence préférée de Chosroês II.
C’est à cette époque que Marouta, futur évêque de Tikrit et chef de l’Église orthodoxe syrienne en Perse, entre en scène. Il était de Sourzaq, près de Balad (dans les environs de Ninive). Il avait fait ses études au monastère de Mar Samuel Touraya et était devenu plus tard moine au monastère de Mardas. Profitant de la paix qui régnait à l’époque entre Chosroes II et l’empereur Maurice, Marouta passa quelques années sur le territoire romain afin d’y poursuivre ses études. Vers l’an 605, il retourna en Perse et s’installa au monastère de Mar Matta. Il y enseigna pendant un certain temps et réorganisa la vie de sa communauté. Nous pouvons à juste titre supposer qu’il y travailla au rapprochement qui eut lieu en 629 entre les moines de Mar Matta et le patriarcat orthodoxe syrien d’Antioche. Vers 615 (?), Marouta prit en charge le monastère fondé par la reine Sirine à Séleucie-Ctésiphon. Qu’elle eût fait construire à l’origine en fait pour les nestoriens, vers 598. Mais après sa conversion à l’Église orthodoxe syrienne, sous l’influence du médecin Gabriel, le monastère en question avait été retiré aux nestoriens. Les nestoriens, sans doute avec l’accord tacite de l’évêque syrien orthodoxe Samuel (614-24) continuaient néanmoins à y recevoir la communion. Marouta mit fin à cette situation. Samuel voulut le faire évêque de Tikrit, mais il refusa. Il n’en reste pas moins que Marouta fut un très actif moine (non chalcédonien) de Perse et ce fait explique donc pourquoi il fut nommé primat (métropolite de Tikrit et d’Orient) des Syriens orthodoxes de Perse et pourquoi le monastère de Mar Matta accepta sa primatie.
Zone d’implantation des Taghlibites donc au moment de la conquête musulmane : la région située en Irak entre Sindjar, Mossoul et Tikrit (Takrit, Tekrit) d’une part, le moyen Euphrate et son affluent le Khabour en Syrie, d’autre part. En nord-est du haut Khabour se situait le chef-lieu épiscopal de Dara (Turquie actuelle au sud de Mardin), qui à en croire les auteurs syriaques, était à la tête du diocèse formé par les villages de cette rivière. Mais on trouve aussi des Taghlibites au nord de Tikrit (une centaine de kilomètres au sud de Mossoul), dans la montagne de Makhoul. Les Taghlibites vivent aussi à cette époque sur le Tharthar, une rivière intermittente, parallèle au Tigre à une quarantaine de kilomètres et qui se jette dans l’Oumm Rahal, ce vaste réservoir naturel à l’entrée de la Mésopotamie irakienne. À la confluence du Khabour et de l’Euphrate, il y avait Circesium (aujourd’hui Al-Bousaïrah) qui était un évêché suffragant dépendant d’Édesse.
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Durant les Guerres de Ridda (632-633) entre les musulmans et les tribus arabes rebelles, les Taghlibites combattirent aux côtés de ces dernières. Des Taghlibites ont aussi combattu les armées musulmanes en Irak et en Haute-Mésopotamie pendant la conquête de l’empire sassanide.
Les forces byzantines semblent en effet avoir (ré) occupé la région située entre la rivière Khabour et le cours moyen du Tigre à l’ouest de Dahouk Mossoul et Tikrit.
Lors de l’invasion musulmane dans la région, les Banou Taghlib prirent la tête d’une coalition des « Arabes de la Djézire » (Haute Mésopotamie) regroupant Rabia et Lyad. Le front se constitua au moyen d’une alliance de différents chefs de clans convoqués à une sâda (un majlis ? Une assemblée ?) par un « roi » nommé dans nos sources Shah-al-Riad ben Quraïboun. Sans doute le gouverneur sassanide de la région d’Anbar, que nos auteurs assimilent à un « roi » (shah). Ses troupes furent placées sous le commandement d’un dénommé Naoufil ben Mazine. Ce dernier, dans ses harangues, insiste sur la terre qu’ils ont à défendre, et qui est la leur : « le Sham [le Sud de la Syrie] et ses places fortes ». Il martèle que les envahisseurs doivent être nettement repoussés, car ils ne s’arrêteront pas tant qu’ils « n’auront pas établi leur Dîn ». La première signification de ce terme, comme dans la formule « Dîn Ibrahim oua Ishaq oua Moussa », est celle de Loi sacrée, c’est-à-dire aussi d’obédience politique et militaire.
Certaines traditions, reprises essentiellement par Tabari, nous présentent les Tangibilités, ainsi que les Namir d’Anbar et les Lyad de Tikrit ; tous unis derrière le général Antiochus (al-Antaq), pour défendre la capitale de la basse Djézire (Tikrit), mais aussi leur soumission finale à la religion des envahisseurs.
Walter E. Kaegi. Professeur d’histoire à l’Université de Chicago… Byzance et les premières conquêtes musulmanes1995. Page 154. « Le commandant byzantin de Tikrit s’appelait nous dit-on, Antaq, très probablement Antiochos de son vrai nom, il avait pris position à Tikrit avec des hommes de Mossoul. Ce général avait avec lui, outre son contingent de soldats byzantins, quelques membres des tribus des tribus Iyad, Taghlib et Namir, ainsi que quelques dignitaires locaux. On n’en sait pas plus sur son identité. Antaq et le reste de ses forces byzantines à Tikrit succombèrent après quarante jours de siège. Beaucoup de membres des tribus arabes ci-dessus changèrent alors d’allégeance ; certains servirent d’espions aux musulmans qui furent en outre aidés par Marouta, le métropolite monophysite de Tikrit. Mar Emmeh, l’évêque nestorien, aurait aussi livré la ville et la citadelle de Mossoul aux musulmans. D’autres forces byzantines, encore une fois composées majoritairement d’Arabes de haute Mésopotamie qu’Héraclius avait dépêchées sur place, furent écrasées après avoir défendu sans succès Hit nord-ouest Ramadi, sur l’Euphrate).
Les musulmans poursuivront leur offensive sur les pâturages situés autour des principaux villages du Khabour, et un chef local, Naouafil, tout d’abord vainqueur, profitera de ses captifs, pour impressionner les conquérants. Mais ensuite, isolé lors de combats où il apparaît associé aux armées arméniennes et romaines dans la place forte de Ras Al Aïn sur le haut Khabour, il aurait alors capitulé. L’histoire de la bataille de Ras Al Aïn de Ouaqidi, précise qu’il y avait parmi les Taghlibites des soumis (muslim) et des incroyants (kafir) ce qui montre bien qu’un certain nombre de Taghlibites avaient dû se rallier très tôt au camp musulman ; et que dans les sources que consulte cet auteur, les chrétiens des tribus arabes pouvaient fort bien être considérés comme des soumis (muslim) bien que toujours chrétiens.
Peu de Taghlibites se sont convertis à l’Islam durant l’époque omeyyade (668-750) ni même au début de la période abbasside (8e siècle) : la petite communauté Taghlibite de Koufa, certains membres de la tribu de Qinnasrine et des personnalités telles que les poètes de cour Ka ' b ibn Jou'aïl et, Omaïr ibn Chiyaïm. La grande majorité resta chrétienne durant cette période. Apparemment, la conversion en masse des Taghlib à l’Islam ne se produisit que dans la seconde moitié du 9e siècle durant le règne d’al-Mou'tassim (833-842).
Les Taghlibites sont restés dans la mémoire des deux premiers siècles de l’islam comme le type même de la tribu arabe chrétienne. Elle fut en effet une des dernières à se convertir, mais demanda au calife Omar que l’on appelle sadaqa et non djizya l’impôt qu’elle devait payer en tant que dhimmi. Ce que le calife Omar accepta, mais en doublant son montant, après une tentative de fuite des Taghlibites, au-delà des monts Madran et Taurus, en « Ard al-Roum » autrement dit en territoire byzantin.
Chafi et Ibn Hanbal reviendront sur les traditions juridiques concernant la sadaqa des Taghlibites ; et à la même époque, le hadith concernant le mariage et la consommation des bêtes des Taghlibites sera aussi utilisé dans les tafsir, comme cas jurisprudentiel potentiellement extensible à tous les gens du Livre.
Il semble bien que parmi les trois groupes que l’historiographie arabe classique associe comme étant les « Arabes de la Djézire » (haute Mésopotamie, actuels nord-est de la Syrie nord-ouest de l’Irak) on puisse donc tenter la répartition spatiale suivante. Les Taghlibites sont principalement installés sur le
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Khabour en Syrie et sur l’Euphrate Moyen, les Lyad dans la zone intermédiaire entre Tikrit et Anbar, et enfin les Namir, manifestement de fidèles vassaux des Taghlibites, plutôt installés autour d’Anbar ; où se situerait leur évêque, mentionné parmi les suffragants jacobites de Takrit, dans les années 650.
NDLR. Il ne faut pas pour autant réduire la question des Arabes chrétiens Moyen-Orient aux seuls Taghlibites ; en effet, le cas des Nedjranites, ce groupe de Yéménites implantés sur les bords de l’Euphrate à la suite de la conquête musulmane ; ou encore celui des Tanoukh, entre Alep et Raqqa, et des Ghassanides dans le Sham méridional (en Syrie) ; sont autant de cas évidents de persistance du christianisme.
LES KINDITES.
De 450 à plus ou moins 600, une puissante confédération s’était mise en place au centre de l’Arabie, dans le Nedjd, autour de la tribu des Kinda. Le royaume a contrôlé une grande partie du centre et du nord de la péninsule arabique aux IVe et Ve siècles, bien avant l’arrivée de l’Islam. Sa capitale était située à Qariate Al Faw, actuelle Arabie saoudite.
Bien au-delà de leur influence politique, qui resta très fluctuante, cette tentative d’unification arabe par les Kinda est un peu une préfiguration de ce que va réussir Mahomet sur le plan religieux. Mais les Kinda ne consolident pas leur puissance en se servant d’une croyance particulière, vigoureuse et rigoureuse. Ils sont seulement plus ou moins chrétiens, au contact d’Hira, mais se révèlent aussi sur le plan culturel. Le plus célèbre des poètes arabes, Imrou’l Qaïs, est issu de leurs rangs. Ils seront islamisés de force et tenteront furieusement de recouvrer leur indépendance, notamment sous Osman.
LES CHRÉTIENS DE NEDJRAN.
Cette grosse ville, située au sud de La Mecque, sur la frontière avec le Yémen, est une étape importante de commerce des caravanes. Elle se distingue surtout par son peuplement chrétien. Ses habitants semblent en contact constant avec l’islam naissant, et pour Mahomet, ce sont apparemment les chrétiens les plus proches. Ils parviennent à faire respecter leur condition, en échange d’un statut équivalent à une sorte de protectorat, du moins avant leur expulsion définitive par Omar en 640.
LE YÉMEN.
Ainsi que nous l’avons vu un peu plus haut dans cette étude, un roi du Yémen appelé Dhou-Nowas ou Joseph s’était converti au judaïsme en 520.
Nous ne reviendrons pas sur l’histoire des persécutions, elles sont attestées, seule leur ampleur (combien de martyrs chrétiens à Nedjran ? Pour parler crûment) a été discutée.
Le roi chrétien d’Éthiopie, Caleb ayant organisé une riposte, il rassemble soixante-dix navires et, après la Pentecôte 525, traverse la mer Rouge. La flotte éthiopienne se présente à l’entrée de la rade de Cheikh Saïd, débarque, l’emporte sur le roi Joseph. Puis Kaleb s’empare de l’ensemble du Yémen, impose le christianisme, fonde partout des églises, crée une hiérarchie ecclésiastique, et se retire en Éthiopie où il se fait moine. Un roi himyarite chrétien est installé sur le trône, bientôt renversé par le général éthiopien Abraha et ses éléphants, ainsi que nous l’avons déjà vu. Pour affirmer sa puissance, Abraha fait édifier vers 550 une superbe cathédrale, appelée al-Qalis – nom qui dérive du grec ekklésia – par les historiens musulmans de langue arabe. Le bâtiment avait une longueur de cent cinquante coudées sur quarante environ. Les murs étaient construits en pierres de diverses couleurs et surmontés d’une frise de blocs d’albâtre. La porte de cuivre donnait sur une nef de quatre-vingts coudées sur quarante, dont le plafond était supporté par des colonnes de bois, décoré de clous d’or et d’argent. De là on passait dans une salle mesurant quarante coudées à droite et autant à gauche, décorée de mosaïques aux motifs végétaux, et d’étoiles d’or ; enfin, on accédait à la chaire d’ébène et d’ivoire, sous une coupole de trente coudées sur trente, couverte d’or, d’argent et de mosaïques représentant des croix. Ce même Abraha, auteur de la dernière restauration de la digue de Ma’rib en 558, règne jusque vers 560. Deux de ses fils lui succèdent. Mais le Yémen supporte de plus en plus difficilement la tutelle éthiopienne. Des princes juifs font appel aux Perses qui occupent le pays vers 570. Dès lors le christianisme restera confiné à la périphérie du Yémen, l’oasis de Nedjran, Maarib, l’Hadramaout, le littoral face à l’Éthiopie et l’île de Socotra, où il était encore vivace à l’arrivée des Portugais au début du XVIe siècle.
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CONCLUSION DE CHAHRASTANI.
KITAB AL-MILAL OUA AL-NIHAL. LIVRE DES SECTES RELIGIEUSES.
« Les chrétiens. (C’est) la communauté (oumma) du Christ Jésus, fils de Marie (la paix soit sure elle) qui a été envoyé (comme prophète, mab’outh) après Moïse (la paix soit sur lui) et qui avait été annoncé dans la Torah. Il lui fut accordé de nombreux miracles, tels que rendre la vie à des morts, guérir des aveugles de naissance et des lépreux. Son existence même et sa nature (fitra)) furent le signe de sa véracité, puisqu’il ne vint pas au monde à partir d’une goutte de sperme, et qu’il a parlé avant même qu’on le lui ait appris. Alors que tous les prophètes ont reçu leur révélation à quarante ans, dans le cas de Jésus la révélation lui vint alors qu’il était encore au berceau puis alors qu’il était âgé de trente (ans). La durée de sa prédication (da’oua) fut de trois ans, trois mois et trois jours…
Ils affirment que Dieu a trois hypostases (aqanim). Ils affirment que le Créateur (loué soit-il) est d’une seule substance (jawhar), en parlant ainsi d’un être qui se suffit à lui-même (al-qa'im bi-n-nafs), et non quelque chose (caractérisé par) la localisation spatiale et l’étendue ; qu’il est donc un du point de vue de la substance, mais trois pour ce qui est des personnes (uqnumiyya). Par personnes ils entendent ses attributs (sifat), comme l’existence, la vie et la science, c’est-à-dire le père, le fils et l’Esprit saint (rouh al-qoudous). Seule la (personne) qu’est la connaissance a revêtu un corps et s’est incarnée, mais pas les autres personnes……
— Les melkites (Al-Malkaniyah). Les melkites viennent de Rome. C’est le rite religieux des empereurs chrétiens et de leurs peuples dans toute la chrétienté sauf en Éthiopie et en Nubie. Les chrétiens d’Afrique, de Sicile, d’Andalousie et de Syrie appartiennent à ce groupe. Leur croyance est que Dieu signifie trois choses : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Tous trois éternels. Marie donne naissance au dieu éternel qui est à la fois dieu et homme. Par conséquent, Jésus Issa) est vraiment Dieu et vraiment homme. Leur croyance est que le verbe de Dieu s’est uni au corps de Jésus et que sa divinité a été en lui comme du lait dans de l’eau. C’est l’homme en lui qui a été crucifié et assassiné, mais rien n’est arrivé au divin qui était en lui. Les membres de cette secte ont aussi leurs propres points de vue sur le Jour du Jugement dernier. Ils croient que le jour du jugement dernier l’homme sera ressuscité, mais seulement avec son âme et non avec son corps. La punition pour les hommes ayant mal agi sera une misère abjecte alors que pour les bons ce sera le bonheur et la joie. Ils réfutent aussi toute existence de nourriture de boissons ou de mariage au paradis.
— Les nestoriens (Al-Nastouriyah). Appelés ainsi du nom de Nestorius, l’évêque de Constantinople. Ils interprètent l’Évangile en se servant de leur esprit. Leur croyance est que Dieu est un et se compose de trois substances.
Ces trois substances sont « l’existence », « la science et « vie ». Le verbe de Dieu s’est incarné dans le corps de Jésus, mais non plus comme un mélange du genre de celui revendiqué par les melkites ni en restant visible comme l’affirment les jacobites. Au contraire, il s’est à son corps comme les rayons du soleil qui brillent et illuminent le cristal.
Les membres de la secte soutiennent également que Dieu a engendré la divinité, mais pas l’homme. Cette divinité s’est ensuite incarnée dans le corps d’Issa quand il est venu au monde. Issa possède donc à la fois la nature divine et la nature humaine. Son corps est constitué des deux éléments que sont la substance éternelle et la substance mortelle. Il est vrai dieu et vrai homme et ces deux caractéristiques sont unies dans son corps. Ils diffèrent aussi des melkites et des jacobites sur le
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problème de sa crucifixion. Ils disent que Jésus a été crucifié dans sa nature humaine et non dans sa nature divine, car c’est une divinité et une divinité ne ressent pas la douleur.
Certains d’entre eux pensent aussi que Dieu est un. Jésus est né de la Vierge Marie. C’était un homme pieux et mortel.
Du fait de son obéissance, Dieu lui a accordé sa grâce et l’a adopté. Il est donc dit Fils de Dieu, non par droit d’aînesse ou par incarnation, mais en raison de son obéissance à Dieu. Les nestoriens ont aussi leur propre opinion sur les pratiques religieuses. Ils disent que si un homme s’efforce d’adorer Dieu, d’éviter de manger de la viande et refuse d’avoir des rapports sexuels, alors son essence sera purifiée. Il ira au ciel et verra Dieu. Tous les secrets de la terre et du ciel lui seront révélés. Il y a aussi des témoignages indiquant que certains des nestoriens refusent de croire aux allégories et qu’ils sont d’accord avec la notion de décret divin telle qu’est comprise par les qadarites. Ce groupe se trouve surtout en Syrie, en Irak et en Iran d’aujourd’hui.
— Les jacobites (Al-Ya'qoubiyah). Ainsi appelés d’après Ya'qoub al-Bardha'ani, (Jacques Baradée), un évêque de Constantinople. Ils affirment que Jésus était surtout Dieu et que Dieu a donc été tué avec sa crucifixion et sa mise à mort. Après cet assassinat, l’univers entier s’est retrouvé sans principe moteur ni mainteneur durant trois jours. Alors Dieu a ressuscité puis repris sa place. Dieu a donc eu alors une origine et cette origine est devenue éternelle. C’est ainsi que Dieu a été conçu et porté dans le ventre de Marie ?????????????
Par conséquent, Jésus est vraiment un dieu dont l’apparition a eu lieu à la fois sur le plan divin et sur le plan humain. Du fait de cette association, il possède ainsi ce qui fait de lui à la fois un vrai dieu et un vrai homme ??????????
Ce processus n’arrive ni au moyen de l’incarnation ni par une partie de cette dernière. Il est Dieu et il est homme et tous les deux ne font qu’un d’après eux. Ils vivent surtout en Éthiopie, au Soudan et dans une partie de l’Égypte ».
1) Bassous était la propriétaire d’une chamelle qui était partie rejoindre le troupeau d’un éleveur de la tribu des Banou Taghlib.
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LE HEDJAZ ET LES COURAÏCHITES
(LA TRIBU DE MAHOMET) AU 6e SIÈCLE.
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LA SITUATION DANS LA PATRIE DE MAHOMET.
Le nord-ouest littoral de la péninsule, peu hospitalier, n’entra dans l’Histoire que très tardivement. Le Hedjaz, région d’origine de l’islam, est un plateau désertique d’Arabie occidentale. Les Bédouins arabes y mènent une vie nomade, hormis quelques groupes sédentarisés dans les oasis.
La vie des Arabes d’avant l’Islam, spécialement dans le Hedjaz, dépendait du commerce et cela avait eu d’importantes conséquences dans leur religion. Notamment parce que cela les avait mis en contact avec d’autres religions que la leur.
Du temps de Mahomet, le Hedjaz se situait au carrefour de routes commerciales importantes situé entre le Yémen (= l’océan indien) et la Syrie (= la Méditerranée), mais aussi entre l’Arabie et l’Abyssinie chrétienne (l’actuelle Éthiopie).
L’oasis de La Mecque et celle de Yathrib/Médine, sa grande rivale du Nord (à 400 kilomètres) contrôlent la route des caravanes entre le Yémen et la Syrie ou l’Irak. Elles ne sont donc pas totalement coupées des religions monolâtres, mais ne sont pas soumises non plus à l’autorité politique des empires, byzantin ou sassanide.
Sur le plan politique, cette région est à la frontière de l’influence des deux puissances du moment : la Byzance chrétienne, et la Perse sassanide, qui pratique la religion de Zoroastre. En ce qui concerne la religion, la proximité du Sinaï de Moïse et de la Jérusalem de Jésus se concrétise par la présence de chrétiens nestoriens ou coptes et de tribus juives voire même de manichéens (à Hira en Irak).
Les pasteurs arabes, quant à eux, pratiquent une sorte de polythéisme à base tribale. L’un de leurs sanctuaires les plus réputés se trouve précisément à La Mecque ou ses environs (le mont Arafat).
Du temps de Mahomet, il n’y avait que trois villes dans le Hedjaz : Yathrib/Médine, Taïf et La Mecque.
Les juifs se concentrent pour la plupart dans les villes (Yathrib est une ville aux deux tiers juive) et font vivre le commerce. À cette époque, s’il y avait des influences chrétiennes en Arabie du Nord, du Centre, ou du Sud, il y en avait aussi dans le Hedjaz.
Taïf était une ville sanctuaire consacrée au culte de la déesse Al-Latte et La Mecque une ville sanctuaire consacrée d’abord au culte de Hobal (ou d’Allah, mais comme dieu principal ayant de nombreuses hypostases, qualifiées d’associées par l’islam).
La vallée de La Mecque (Mekka en arabe) en réalité une gorge au sein d’une chaîne montagneuse, dans un monde désert de 300 000 km2 où les hommes sont rares et les conditions d’existence périlleuses ; n’était pas aussi riche en eau que sa grande rivale du Nord, Yathrib/Médine, et ne pouvait donc être aussi agricole. Il ne restait que le commerce. La Mecque, proche de la mer Rouge, à mi-chemin de l’Arabie du Sud (le Yémen actuel) et de la Palestine byzantine, était alors l’une des rares villes de la péninsule ; quoique très modeste si on la compare aux métropoles du temps, Constantinople, Alexandrie, Antioche ou Ctésiphon/Madaïn, capitale de l’Empire perse des Sassanides. 3 000 habitants permanents. D’où son absence dans la liste des villes de l’époque.
À l’origine, la ville n’est qu’une tribu fixée, avec, aux alentours, ses vassaux ; mais La Mecque du temps de Mahomet fait déjà figure de grande étape caravanière, environnée de tribus qui élèvent notamment des chameaux pour le transport des hommes et des marchandises. Elle est bien située, à 80 km de la mer. Par son histoire et sa position, elle se distinguait, déjà comme centre commercial et comme sanctuaire.
Lieu d’entrepôt et de transbordement de marchandises, La Mecque avait commencé, à la fin du Ve siècle, à affréter elle-même les caravanes ; des caravanes qui, à travers de multiples territoires de
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tribus, sur près de 2 000 km, parcouraient d’un bout à l’autre l’ancienne route de l’encens. Cette évolution semble avoir été à l’origine de mutations sociales et économiques accélérées que certaines fractions de la tribu surent maîtriser, tandis que d’autres, de fait exclues du grand trafic caravanier, étaient marginalisées. Cas du clan des Hachémites auquel appartenait Mahomet.
Bien défendue et incontournable, La Mecque est un lieu de passage obligé, donc une étape privilégiée. Sur le chemin du Yémen à la Palestine, de l’Éthiopie au Golfe Persique, la ville voit passer les caravanes et leurs précieux chargements : épices, encens, soieries, bois précieux, armes, perles, ivoire et esclaves. Elle spécule sur des trésors qui voyagent depuis la Chine, le Soudan, les Indes, et jusqu’en Méditerranée, où l’on en fait grand usage et où ils seront âprement renégociés. Il faut imaginer les fièvres, les fortunes engagées, les impatiences, mais également les réseaux de relations et d’échanges qu’engendrent ces activités. Bien qu’il n’y eût pas encore, à l’époque, de traduction complète de la Bible en arabe, les récits de l’Ancien comme du Nouveau Testament circulaient, mais aussi des fables talmudiques et des légendes tirées d’écrits chrétiens apocryphes.
La Mecque d’avant l’islam est déjà un haut lieu de vénération, un sanctuaire, où se croisent juifs et chrétiens, païens, mazdéens, manichéens… Le christianisme et le judaïsme de ce siècle sont loin de présenter les belles unanimités d’aujourd’hui. Les sectes pullulent au sein de chaque religion, elles se connaissent, se font la guerre, se reconnaissent, se comparent, s’empruntent quelques idées au passage et au besoin. Ce pluriel traduit à peine le foisonnement des croyances. Les païens ne sont pas en reste et les syncrétismes sont à l’œuvre : le bricolage religieux bat son plein. La Mecque est une foire pour les choses et une féerie pour les doctrines. Un havre de paix où plusieurs fois l’an, la trêve autorisait tous les bénéfices matériels et toutes les controverses religieuses.
Lors de la foire d’Oukaz qui se tient non loin de La Mecque, les orateurs et les poètes s’affrontent, par l’éloquence. Les joutes oratoires affinent les propagandes : on vante sa tribu dans la rime que choisit l’adversaire et il faut le terrasser par la réplique, la hauteur des sentiments, l’éloquence.
À La Mecque, le panorama religieux et ethnique, la quête du sens de l’existence, le foisonnement des réponses, invitent à comparer toutes ces spiritualités, et à défaut d’être convaincu par l’une d’entre elles, d’en adopter plusieurs ou aucune. Le voyageur avait le choix entre 360 représentations divines. Certaines rappellent étrangement les dieux de l’Antiquité classique (les trois gharaniq ou grues font penser au trigaranos galate), d’autres les divinités perses… l’une s’appelait Allât, l’autre Allah (littéralement, Dieu) l’autre Hobal. Car il n’y a pas qu’un dieu à La Mecque ni un seul sanctuaire : ce sont de multiples lieux de culte qui sont regroupés, se chevauchent, se concurrencent.
La Kaaba.
Le mot signifie « cube ». Le bâtiment cultuel mesure 10 x 12 mètres et 15 mètres de haut, il est recouvert d’un voile. La Kaaba d’aujourd’hui n’a sans doute plus rien de l’original, après vingt siècles de modifications. Mais l’édifice actuel n’est ni l’original ni celui qui fut réparé par le charpentier chrétien copte Pacôme (Bâqûm) en l’an 600. La Kaaba d’alors n’était qu’un temple de terre crue et de bois, aux assises de pierre, d’un modèle que l’on connaît ailleurs en Arabie. Ses angles correspondent, comme souvent dans le cas de bâtiments religieux, aux points cardinaux, mais décalés.
L’islam veut y voir le premier temple de l’Humanité, un centre du monde, fréquenté par Adam, Abraham et ainsi de suite. C’est bien entendu complètement faux ! C’est tout simplement la maison d’un dieu très anthropomorphe : la « Beït Hobal » (ou « Beït Allah » ???). À moins qu’Allah ne soit pas un nom propre, mais un nom commun désignant la divinité des dieux, en général.
Plus un sanctuaire est ancien, plus il est vénérable ; moins ses rituels sont compris, plus ils sont respectés. Le but de tous les récits est alors de faire remonter le plus loin possible la fondation du sanctuaire, en dépit du bon sens. Pour La Mecque, certaines traditions musulmanes le font remonter aux mythiques Adam et Ève. Peut-on faire mieux ? (Oui : le faire remonter aux extraterrestres comme dans le cas de Stonehenge.)
Soutenir que la Mecque fut jadis fréquentée par Adam et Ève et les siens a beaucoup beaucoup, mais alors beaucoup à voir avec la foi, et très peu très peu mais alors très peu, avec la raison.
Les traditions musulmanes alternatives, sans doute pour essayer de convaincre les rabbins de Yathrib/Médine, mentionnent Abraham à la place d’Adam. Dans les deux cas, cela n’a aucun rapport avec la réalité historique, cela relève du mythe au mauvais sens du terme.
Affirmer que la Kaaba de La Mecque fut jadis bâtie par Adam ou Abraham c’est faire preuve de beaucoup d’ignorance (crasse dirait John Toland) volontaire ou involontaire des autres civilisations dans le monde (comme la civilisation chinoise par exemple, celle de la vallée de l’Indus, ou Sumer, voire l’Égypte).
Repetere = ars docendi. Anima naturaliter pagana.
On ne peut pas exclure totalement évidemment
a) Qu’Abraham ait vraiment existé.
b) Qu’il soit passé par la Mecque à un moment donné de son existence
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c) Qu’il y ait construit la Kaaba.
d) Qu’il y ait répandu à partir de là le monothéisme philosophique et réfléchi le plus pur.
e) Qu’il y ait eu ensuite une chute du niveau religieux telle que l’on peut considérer que succédèrent à ce hanifisme originel toutes sortes de paganisme.
Le plus simple et le plus conforme au principe du rasoir d’Occam est quand même de supposer que la religion originelle de l’humanité s’apparente plus au paganisme (animisme polythéisme hénothéisme, etc.) qu’au monothéisme rebaptisé si l’on peut dire « hanifisme ».
Cet acharnement digne de la pire des méthodes Coué à vouloir à tout prix être reconnu comme un héritier légitime et direct de la religion juive et d’Abraham ; alors qu’il est évident que seuls certains détails du vernis islamique le sont, et que le fond est païen (la notion d’homme-dieu dans le christianisme, le rôle de la Kaaba dans l’Islam, etc.) EST PITOYABLE. C’est à la fois la manifestation hors du temps d’un incroyable racisme envers les autres religions doublé d’un TOUT aussi incroyable complexe d’infériorité. Sans parler d’une ignorance crasse de la science historique et des découvertes de l’archéologie (le début de la Bible jusqu’à l’épisode de la tour de Babel est emprunté aux mythes sumériens, Abraham est une légende, Moïse n’a pas existé, l’esclavage en Égypte non plus, etc.).
Mais ça nous l’avons déjà dit.
L’histoire de ce bâtiment est en réalité très mal connue tant par les musulmans que par les non-musulmans : les premiers dont la croyance obscurcit le jugement et les seconds effarés par la foi aveugle des premiers. L’origine du bâtiment et sa décoration sont un sujet particulièrement dérangeant pour tous. Certains ont considéré que les preuves étaient assez importantes pour conclure que l’édifice avait été une église. Une voie moyenne consiste à le considérer comme un bâtiment syncrétique, assemblage de toutes les traditions que les Couraïchites ont pu rapporter de leurs périples. Il est aussi probable que les sources, notamment Azraqi (Akhbar Makka), ont « judaïsé » ou christianisé des idoles païennes : ainsi, son Abraham jouant avec des flèches, doit être un Hobal pratiquant la divination, et Marie, une déesse féminine…
Observons d’abord le bâtiment lui-même. Même s’il ne possède rien de spectaculaire, ni même de monumental. La littérature qui lui a été consacrée demeure sans commune mesure avec son apparence véritable.
Surtout si on le compare aux énormes temples sudarabiques comme celui d’Awouam ou de Mahram Bilqis près de Marib, Sirouah, etc. la Kaaba de La Mecque est vraiment un édifice de second ordre, sommaire et fragile. Les réparations y sont constantes.
La décoration extérieure est bien connue : un dais, qui rappelle la tente du Bédouin. Al-Oualid ibn al-Moghira, le père de celui qui deviendra le plus grand des guerriers musulmans (Khaled) fut surnommé l’Unique, le seul « al-Ouahid » ; car il habilla un jour à lui seul la Kaaba en changeant le dais qui l’entourait, tellement il était riche. L’année suivante tout Couraïchite se crut obligé de faire de même. Al Oualid était le plus riche et le plus prestigieux des habitants de la cité, il possédait des biens importants, des chameaux, des chevaux, des troupeaux de moutons, et des champs entre La Mecque et Taïf.
L’intérieur offre plus de surprises. Il a été largement décrit, mais – c’est presque surprenant – aucun écho de ces descriptions n’est arrivé jusqu’à la littérature contemporaine.
Le temple a été décoré selon les considérations syncrétiques des Mecquois de l’époque, et de ce qu’ils ont ramené comme influences culturelles, de leurs périples. On ne sera donc pas étonné d’y découvrir des fresques chrétiennes, d’autres objets rappelant le culte chrétien, et des statues (voir Azraqi, Akhbar Makka, cité dans la première partie de cet opuscule).
Ainsi que nous l’avons déjà dit, cet Abraham pratiquant la bélomancie (tirant au sort avec des flèches) est plus que suspect, il doit plutôt s’agir du Hobal mentionné par d’autres documents. L’historien étant tributaire des sources originales, on ne saura sans doute jamais avec certitude en quoi consistait le mobilier ou la décoration de l’édifice.
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LA TRIBU DE MAHOMET : UNE ARISTOCRATIE RELIGIEUSE (ET MARCHANDE).
AVERTISSEMENT AU LECTEUR : NOUS ENTRONS AVEC CE CHAPITRE DANS LE DOMAINE DES SIMPLES HYPOTHÈSES DE TRAVAIL ET TOUJOURS PAS DANS CELUI DES CERTITUDES. LA FAMILLE DE MAHOMET NE NOUS EST CONNUE QUE PAR LE CORAN LA SIRA D’IBN ICHAQ PUIS D’IBN HICHAM, ET ENFIN CERTAINS HADITHS… AUTREMENT DIT DES DOCUMENTS TRÈS CONTESTABLES.
Les sources, aussi bien les musulmanes que les non-musulmanes, indiquent que la tribu des Couraïchites a joué un rôle fondamental dans la vie de Mahomet. Pour comprendre le cadre dans lequel ce dernier a pu agir, il faut donc savoir ce qu’était cette tribu, ce qu’elle a fait, où elle habitait.
Selon l’histoire musulmane traditionnelle, la tribu des Couraïchites était basée à La Mecque, et Mahomet en faisait partie. Cette tribu vivait du commerce. La plupart des Couraïchites se sont violemment opposés à Mahomet, puis l’ont rejoint quand son succès fut avéré.
Les sources musulmanes donnent aussi des indications qui, sans être diamétralement opposées à l’histoire musulmane traditionnelle, ne tendent pourtant pas à la confirmer.
Le père Édouard-Marie Gallez les a résumées dans sa thèse intitulée « Le Messie et son prophète », publiée en 2005. Les quelques notes qui suivent ne font que résumer son hypothèse de travail. En espérant que nous l’avons bien comprise car nous reconnaissons bien volontiers ne pas maîtriser la langue de Molière et de Voltaire aussi bien que nous l’aurions souhaité (fautes d’orthographe, lourdeurs, etc.).
Les Arabes sont un très vieux peuple du Proche et Moyen-Orient. Divisés en de nombreuses tribus nomades ou sédentaires, ils formaient déjà une des composantes de l’Empire perse de Darius Ier à la fin du Ve siècle avant notre ère. Les textes bibliques en parlent comme de riches négociants faisant le commerce des aromates, de l’or et des pierres précieuses, ou des pasteurs nomades vivant de brigandage. La razzia leur permettait de compléter leur ordinaire par l’appropriation de biens divers et d’esclaves. Ils peuplaient les confins de la Mésopotamie, le long de l’Euphrate, et à l’est de la Syrie.
Ces nomades étaient devenus partiellement sédentaires. Au IVe siècle, une première tribu, celle des Saracènes (Saraceni) 1), sous la direction de la « reine » Mauvia (Mawiyya) tentera de secouer la tutelle de Rome : après avoir battu les troupes de l’empereur arien Valens (373), elle finit par s’entendre avec les Romains. C’est à partir de cette date que les Arabes commencèrent à prendre conscience de leur force militaire : au VIe siècle, ils se mirent, comme mercenaires, au service des deux grands empires qui se disputaient la suprématie au Proche-Orient, Byzance et les Perses. Les Ghassanides seront vassaux de Byzance, les Lakhmides de la Perse et formeront à partir de la fin du IIIe siècle, deux royaumes, celui des Lakhmides autour de Hira (en Mésopotamie, sur l’Euphrate), et celui des Ghassanides avec trois lieux de résidence aux confins du désert de Syrie et dans le Golan2). En raison de leur mobilité et de leurs capacités guerrières, les Ghassan étaient pour Byzance des alliés indispensables, qu’il lui fallait ménager. Aussi jouaient-ils, comme les Lakhmides leurs ennemis du côté perse, un rôle important sur l’échiquier politique.
Mais parmi les différentes tribus arabes, il y en a une autre qui va prendre une importance considérable dans l’histoire, celle des Couraïchites, dont est issu Mahomet. Bien avant l’époque du Prophète, les Couraïchites s’étaient mêlés aux chrétiens, et vers 485 un écrivain syrien bien connu, Narsai, le fondateur de l’Université de Nisibe, mentionne les terribles raids que les ancêtres de
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Mahomet avaient l’habitude de faire dans la région de Beïth Arabayé en Assyrie occidentale 3) : « La razzia des fils d’Agar fut plus cruelle que la famine, et le coup qu’ils donnèrent fut plus douloureux que la maladie : la blessure des fils d’Abram est comme le venin d’un serpent, et il y a peut-être un remède contre le poison de ces reptiles, mais pas pour le leur… Blâmons donc ce mauvais instinct des fils d’Agar, et spécialement du peuple (de la tribu) des Couraïchites qui sont comme des bêtes ».
Il semble qu’au VIe siècle, ils se soient reconvertis dans le commerce, peut-être à cause d’une christianisation, au moins superficielle 4).
cf. le pacte des Couraïchites (chapitre 106). Cette sourate est très allusive et possède un sens relativement obscur.
« … À cause du pacte des Couraïchites, de leur pacte à propos de la caravane d’hiver et d’été ; Qu’ils adorent le seigneur de cette maison, Il les a nourris, Il les a préservés de la famine, Il les a délivrés de la peur ».
Ce mystérieux fragment qui figure dans le Coran est tout ce qui nous reste d’une prière d’Action de grâce prononcée après le passage sans encombre d’une caravane. Elle appartient à la première période mecquoise. Certains auteurs et une partie des exégètes musulmans ont considéré que cette sourate et la précédente n’en formaient qu’une seule. Alfred-Louis de Prémare exclut cette hypothèse.
Pour Esma Hind Tengour, cette sourate fait partie du plus ancien substrat coranique (en contradiction avec l’ordre majoritairement accepté par les commentateurs musulmans) qui s’adresse, dans un style succinct et homogène, aux hommes de la tribu de Mahomet (les Couraïchites) à qui est demandé de se soumettre au Rabb al-Baït, « Seigneur de la Demeure mecquoise » où ils s’étaient installés quelque cent cinquante ans avant la révélation et qui leur assuraient nourriture et protection, fonctions caractéristiques des Rabb(s) dans les vielles sociétés tribales locales.
Pour Guillaume Dye, l’expression unique dans le Coran « le seigneur de ce temple » est présente dans le Nord de l’Arabie à l’époque préislamique.
Alfred-Louis de Prémare précise que c’est une expression typique de l’époque préislamique, en particulier de Pétra, d’Hegra et du Nord de l’Arabie. Cette expression de la sourate 106 doit se lire dans ce contexte, « même si cette survivance de l’hénothéisme arabe ancien fut assumée ultérieurement par la tradition islamique au nom d’une divinité unique, comme fut assumé le bétyle du sanctuaire représente par la ka'ba, la pierre noire qui s’y trouvait ».
Dans le cadre de ses recherches sur les incohérences entre langue orale et écrite dans le Coran, Jacques Langhade cite le cas de la sourate 106 comme exemple de mot lu d’une certaine manière en contradiction avec le rasm. Le rasm est l’écriture arabe primitive sans les signes diacritiques inventés par la suite et qui permettent d’éviter de nombreuses erreurs ou ambiguïtés. Certaines éditions ont rajouté une lettre plus petite ou une lettre en rouge au rasm, artifice permettant de présenter cette distorsion. « L’exemple de la sourate 106 relativise beaucoup l’idée d’un respect absolu du rasm. »
Mais revenons au Couraïchites. De nombreux noms de lieux portent leur nom en Syrie, et non dans le Hedjaz, comme on pourrait s’y attendre. Le géographe René Dussaud 5) a relevé le nom d’une rivière qui porte leur nom (nar al quraysiy) qui traverse les ruines d’un village d’Arabes semi-nomades (un caravansérail, centre de commerce et halte pour les caravanes) appelé Khan el-Qourashiyé, situé à 30 kilomètres au nord-est de Lattaquié. D’autres traditions mentionnées par ce même chercheur situent autour de Gaza le lieu de l’activité commerciale de Mahomet et la tombe de son arrière-grand-père 6). À en croire Idris Imad al din, il mourut après être tombé malade sur le chemin du retour d’un voyage d’affaires en Syrie à Gaza, en Palestine en 497. D’après la tradition, le tombeau d’Hachem est situé sous le dôme de la mosquée Sayed al-Hashim. À Al-Daraj, un quartier de Gaza ainsi nommé en son honneur.
Ainsi que nous l’avons vu, la position du Hedjaz, sur la route des caravanes, allant de l’Inde vers l’Occident par Aden puis le désert, allait permettre à La Mecque de se développer. La localité fut longtemps sous la domination de la tribu des Djourhoum puis de celle des Khouzaa ensuite avant de devenir le fief des Couraïchites. Les Couraïchites étaient ainsi appelés du nom de leur fondateur plus ou moins légendaire ou mythique, un dénommé Couraïch. Les sources indiquent que la tribu des Couraïchites prend de plus en plus d’importance dans la gestion de La Mecque, avec ses clans, au détriment des autres tribus, au cours du VIe siècle.
Elle a fondé sa puissance sur l’accaparement des privilèges sacerdotaux dans le sanctuaire de la ville (la Kaaba), s’assurant ainsi peu à peu le contrôle de toute la cité, au détriment des Khouzaa. Les « Petits Requins » (q-r-sh, nom totémique possible) ont alors le monopole du commerce longeant la mer Rouge et ils constituent donc une aristocratie caravanière.
Au début du VIIe siècle, le clan des Abd Chams domine celui des Hachem.
Cette époque sera marquée en Arabie, ainsi que nous l’avons vu, par de terribles rivalités entre chrétiens, et juifs : en 523 par exemple, des tribus juives s’emparèrent du royaume du Yémen. Dhou Nowas (le roi Joseph) monte sur le trône et persécute les chrétiens si durement que les Abyssins
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interviennent à la requête de l’empereur byzantin. Le chef du corps expéditionnaire abyssin, Abraha, se proclame roi. Le christianisme devient la religion officielle du Yémen. Vers l’an 560, Abraha décide de faire construire une cathédrale à Sanaa, la capitale. Les portes sont en or massif et des pierres précieuses y sont incrustées. De magnifiques icônes sont peintes à l’intérieur. On s’attend à des conversions de Bédouins. Des pèlerins affluent de partout pour l’admirer. C’est la prospérité pour la ville.
Le problème de l’opposition des Couraïchites à l’islam naissant.
Cette opposition est traditionnelle dans l’histoire musulmane officielle, mais assez paradoxale : presque tous les chefs et plus célèbres généraux de l’islam naissant ont été des Couraïchites, tels Abou Soufiane, son fils Yazid, Khaled ibn Oualid ou Amr ibn Al-As. Abou Soufiane, un homme supposé avoir été un opposant radical, a été en effet, non seulement un général de l’armée musulmane, mais aussi un dirigeant d’un prestige tel que son fils est devenu calife.
À en croire la tradition musulmane officielle, Abou Soufiane aurait été polythéiste, comme tous les Mecquois d’avant l’islam. Or Mouhammad ibn Habib (Kitab al-mouhabbar, Hyderabad, 1942, p. 161) s’inscrit en faux contre cette assertion, car il le place dans une liste de « manichéens – Zindiq – de la tribu couraïchite ». Comme Abou Soufiane a été un des principaux chefs Couraïchites et, que son fils Mouawyia devint calife par la suite, que d’autres membres de la tribu couraïchite étaient aussi manichéens ; il n’est donc d’ailleurs pas impossible que le manichéisme ait joué un certain rôle dans l’élaboration de l’islam.
Bref, cette domination quasi exclusive de l’islam initial par les Couraïchites les désigne comme des pères fondateurs plutôt que comme des ennemis. De plus, la charte de Médine ne les mentionne pas comme ennemis dans la version d’Abou Obeïda ; et une seule fois dans celle d’Ibn Ichaq, peu sûre, car rédigée sur l’ordre et sous le contrôle du calife, plus de deux cents ans après les faits (d’après Alfred-Louis de Prémare, c’est une interpolation). Si les Couraïchites avaient été les ennemis acharnés que décrit l’histoire musulmane officielle, ils devraient être souvent mentionnés dans un document qui organise la défense des premiers musulmans. Nous reviendrons sur le sujet dans un autre chapitre.
En résumé. L’islam est né dans un bouillon culturel qui englobait polythéisme et hénothéisme, judaïsme et christianisme, mais aussi zoroastrisme, voire manichéisme. Dans ce paysage communautaire accidenté, une tribu plus puissante que les autres contrôle, par la ruse et par la force, La Mecque. Elle monnaie la sécurité des voyageurs et le « calme » des tribus voisines. Cette tribu est celle des Couraïchites, dont les privilèges sont nombreux, et à laquelle Mahomet appartient par un modeste lignage paternel.
1) Saint Jérôme précise que ces tribus « vivant sous la tente » nomadisaient dans le désert de Syrie, et Ammien Marcellin ajoute : le Sinaï. C’est en réalité un synonyme assez vague d’ailleurs, d’Arabes.
2) Le plus important de ces centres était Jabiya dans le Golan, Djlliq, à une douzaine de kilomètres au sud-est de Damas, sans doute pour le campement des troupes, et Doumaïr à 30 kilomètres au nord-est de Damas, vers Palmyre.
3) Alphonse Mingana, Leaves from the ancient Qurans possibly pre-othmanic, Cambridge University Press, 1914, p. XIII.
4) Dans l’Empire byzantin, à partir de 380 (édit de Théodose), le christianisme est devenu religion d’État. Ce qui n’empêcha pas les églises nestorienne et monophysite de prospérer avec ou sans la protection de l’empereur.
5) René Dussaud, Topographie historique de la Syrie antique et médiévale, Paris, Geuthner, 1927.
6) A-L. de Prémare, Les fondations de l’islam, 2002.
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LA MECQUE DU TEMPS DE L’ENFANCE DE MAHOMET. FIN DU 6ÈME SIÈCLE.
La Tradition, dont les plus anciens témoignages écrits apparaissent en Irak dans la seconde moitié du VIIIe siècle, situe la naissance de Mahomet en 570 dans la ville de La Mecque.
Rappelons néanmoins que les chroniques syriaques et byzantines n’évoquent jamais Mahomet en tant que Mecquois, mais en tant que natif de Yathrib/Médine ce qui n’est qu’à moitié faux car sa mère semble en avoir été originaire.
D’après Théophile d’Édesse, Mahomet est né et a vécu à Yathrib.
Il y a aussi les Chroniques de Zuqnin attribuées à Denys de Tel-Mahré, né vers la fin du VIIIe siècle. Il était patriarche de l’église syriaque jacobite…
« Ceux-ci eurent pour premier roi l’un d’entre eux du nom de Mohammed, celui qu’ils appelaient le Prophète, parce qu’il les avait détournés de cultes divers, leur avait enseigné l’existence d’un seul Dieu, créateur de l’Univers et leur avait donné des lois, tandis qu’ils étaient adonnés au culte des démons et à l’adoration des idoles, surtout des arbres……
Parce qu’il leur enseigna l’unité de Dieu, que sous sa conduite ils triomphèrent des Romains, et qu’il leur donna des lois selon leurs désirs, ils l’appelèrent Prophète, et aussi Envoyé de Dieu. Ce peuple était très sensuel et charnel. Ils méprisèrent et rejetèrent toute loi qui n’avait point pour but la satisfaction de leurs désirs, qu’elle leur eût été donnée soit par Mohammed, soit par tout autre homme craignant Dieu ; mais ils reçurent celle qui avait pour but la satisfaction de leur volonté et de leurs convoitises, lors même qu’elle leur était imposée par le plus vil d’entre eux. Ils disaient : « cela a été établi par le Prophète et l’Envoyé de Dieu » et même « Dieu le lui avait prescrit ainsi ».
Mohammed les gouverna pendant sept ans…
Le vrai problème des « très sachants » est l’absence de sources concernant La Mecque avant la fin du VIIe siècle, contrairement aux autres villes de l’Arabie, telle Médine. Ni les Couraïchites ni le carrefour commercial de La Mecque ne sont mentionnés la littérature grecque et latine de l’époque.
Les sources concernant l’histoire de La Mecque sont donc entièrement dépendantes du matériau islamique et sont tardives. Faute de données externes estimées suffisantes, et faute de vouloir considérer celles qui existent, bien des chercheurs se limitent au matériel islamique traditionnel tel qu’il se présente à eux. Ils sont contraints d’entrer dans le jeu des clercs musulmans d’autrefois ; qui en ont sélectionné et compilé les éléments selon l’idée qu’ils voulaient donner des origines de leur communauté et de la vie de leur prophète.
Dan Gibson, dans « La cité sacrée » soutient la thèse que La Mecque de l’époque de Mahomet serait Pétra en Jordanie…… Il fonde sa thèse sur le constat archéologique que les premières mosquées construites ont leur direction de prière (qibla) orientée vers Pétra et non vers La Mecque (le changement de qibla vers La Mecque actuelle est postérieur à la mort de Mahomet). Dan Gibson observe de plus que les descriptions de La Mecque dans la littérature musulmane ne correspondent pas à La Mecque actuelle. Les hadiths de Boukhari, Mouslim ou encore Tabari, décrivent La Mecque comme une ville antique (mère de toutes les cités) alors qu’aucune trace archéologique n’est antérieure au 9e et 10e siècle, comme une terre agricole (présence de limon, d’arbres et de plantes absents de La Mecque actuelle), etc.
R. Simon, dans son étude intitulée « L’inscription RY 506 et la préhistoire de la Mecque », Acta Orientalia Academiae Scientiarum Hungaricae, tome 20, N° 3, 1967, pages 325-337, pense qu’à
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l’époque de la campagne [d’Abraha] en 570, la Mecque n’était encore qu’une agglomération insignifiante contrôlée par les Lakhmides. Pour lui, la Mecque n’avait pas de commerce indépendant et se trouvait sous la tutelle des marchands de Hira. L’importance ainsi que le poids commercial et économique de la ville à cette époque ont été revus à la baisse depuis les travaux de Patricia Crone. Cette historienne a montré la limitation des ressources et la modestie relative de la taille de cette cité dont on ne trouve d’ailleurs pas, pour cette période, d’attestation dans la littérature non musulmane.
Selon la sourate 105 (al-Fil, « L’Éléphant ») des individus appelés « les Compagnons de l’Éléphant (Ahl al-Fil?) » auraient tenté un coup de main qui aurait échoué, contre la Kaaba. Dieu les punit en envoyant contre eux des oiseaux qui les bombardent de pierres d’argile.
Pour Michel Cuypers, cette sourate est un des nombreux récits légendaire ou semi-légendaire conservés dans la mémoire collective arabe, que le Coran utilise à des fins diverses.
Outre le fait que La Mecque était alors un site sans aucun intérêt stratégique, Alfred-Louis de Prémare souligne que rien dans le texte n’indique qu’il s’agit d’une référence au général éthiopien Abraha, que rien ne prouve d’ailleurs qu’il y ait eu des éléphants dans les véritables expéditions menées par ce général et que cette interprétation provient peut-être tout simplement des écrits des exégètes musulmans postérieurs. Pour lui ce texte est une forme de midrash sur la légende des éléphants de Ptolémée. IV d’Égypte rapportée par le troisième livre des Maccabées 6,17 (à propos des juifs d’Alexandrie), ce qui explique un certain nombre de détails. La « horde d’oiseaux de proie » pourrait évoquer des anges, en particulier des chérubins, conformément au texte de ce livre qui mentionne en effet l’intervention de deux anges.
La tradition musulmane, elle, voit les choses différemment et fait de l’année correspondant selon eux à cette sourate l’année (570) de naissance de Mahomet, et l’interprète de deux façons différentes.
Selon la première, des Mecquois ayant tenté de détruire par le feu la nouvelle cathédrale de Sanaa qui risquait de ruiner leurs intérêts commerciaux, Abraha qui gouverne le Yémen, marche sur La Mecque avec des éléphants de guerre. Après un long voyage, il entre dans la ville. La foule accourt pour voir ses éléphants. Des hirondelles attirées par le crottin des pachydermes volent et virevoltent. Il y a comme un air de fête. L’éléphant d’Abraha s’agenouille devant la Kaaba, le vice-roi en descend et entre dans le temple pour prier devant l’effigie de la Vierge (une icône conservée dans ce sanctuaire). Puis aussitôt, il retourne avec son armée, pratiquement sans livrer combat, à Sanaa. Les Mecquois sont humiliés.
Selon la deuxième version, les assaillants se dirigèrent effectivement vers La Mecque, précédés par leur phalange éléphantine, mais le grand éléphant qui servait de meneur à tout le troupeau s’arrêta tout d’un coup. On avait beau le forcer à marcher vers la Kaaba, il ne bougeait plus. Dès qu’on le détournait du sanctuaire, il se relevait… Face à ce contretemps, Abraha ordonna d’avancer sans les éléphants. C’est alors que le temps se gâta, le ciel se chargea de nuages et une nuée d’oiseaux apparut dans le ciel. Ces oiseaux bombardèrent les assaillants avec des milliers de petites pierres brûlantes et eurent ainsi raison des troupes d’Abraha !!
Conclusion.
L’épigraphie yéménite a montré qu’à une date mal connue, au cours du sixième siècle, une armée peut-être renforcée de quelques éléphants, conduite par Abraha, gouverneur du Yémen sous les ordres du Négus (l’empereur d’Abyssinie) ; a mené une expédition au nord du Yémen.
L’histoire musulmane officielle prétend que l’armée d’Abraha aurait ensuite attaqué La Mecque, que le grand-père du petit Mahomet y aurait mené une défense héroïque et victorieuse ; et que Mahomet, ou son père suivant les traditions, serait né cette année-là.
Mais l’expédition d’Abraha semble néanmoins être restée très au sud de La Mecque.
Sa date a été fixée vers 580, pour donner un âge vraisemblable à Mahomet, mais en fait, on ne sait rien sur la date réelle de ladite incursion.
La date de naissance de Mahomet n’est donc que conjecturale.
Il s’agit peut-être en réalité seulement d’un souvenir d’enfance de Mahomet en fait. Une belle histoire racontée par son grand-père Abd el-Mouttalib puis son oncle à ce sujet. Dieu (s’il existe) ne peut pas avoir ordonné de réciter une telle énormité, aussi grosse qu’une maison (ou qu’un éléphant plutôt en l’occurrence). Retenons de cette fable consignée dans le Coran qu’un raid chrétien copte yéménite a peut-être eu lieu sur La Mecque cette année-là, et qu’il échoua ou ne se termina que par une victoire sans lendemain. Malgré la présence d’éléphants dans ses rangs, à cause peut-être de différents phénomènes climatiques (de très violents orages ??)
LA SITUATION RELIGIEUSE À LA MECQUE DURANT L’ENFANCE DE MAHOMET.
Le grand absent est évidemment le monothéisme philosophique et réfléchi.
« Et même ceux qui, fermes dans leur croyance, adorent d’autres dieux, par là même m’honorent aussi involontairement, ô fils de Kounti, bien qu’ils soient dans l’ignorance. Je suis le Seigneur de tous
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les sacrifices et celui qui en jouit. J’accepte avec joie les offrandes de l’âme humble qui, dans son adoration, m’offre d’un esprit pur une feuille, une fleur, un fruit, ou de l’eau claire. Je suis le même pour toutes les créatures ; je ne connais ni haine ni préférence ; mais ceux qui me servent avec amour demeurent en moi et moi en eux » (Bhagavad Gita, 9, 23-29, Colloque entre le dieu Krishna/Vichnou et le prince Arjouna, ce dernier hésitant à déclencher une grande bataille fratricide).
Le polythéisme hiérarchisé ou pour certains, l’hénothéisme, appelé chirk par la théologie musulmane.
Par contre nous avons à La Mecque une situation de polythéisme hiérarchisé c’est-à-dire un univers divin composé de sphères d’influence (domaines de compétence) où règnent différentes divinités. Outre les divinités plus importantes, on trouve des dieux liés aux phénomènes naturels et de nombreuses divinités secondaires type anges, génies (djinns), etc.
On considère souvent qu’il n’existe de choix qu’entre le polythéisme (la croyance en plusieurs dieux) et le monothéisme (la croyance en un dieu unique). Une troisième démarche est pourtant possible, bien que moins connue : l’hénothéisme.
L’hénothéisme est une forme particulière du polythéisme, où un dieu joue un rôle prédominant par rapport aux autres, ce qui lui vaut un culte préférentiel. Mais contrairement à la monolâtrie, qui en est un cas particulier, l’hénothéisme n’exclut pas nécessairement la vénération des autres dieux.
L’hénothéisme ne nie pas l’existence de plusieurs dieux, mais propose aux humains de ne s’attacher qu’à un seul d’entre eux. Dans la démarche hénothéiste, il n’y a pas l’idée que ce seul dieu est supérieur ou meilleur que les autres, mais l’idée que ce dieu a été choisi par ses croyants parmi tous les dieux existants. L’hénothéisme admet donc implicitement que chaque peuple choisisse son dieu dans le panthéon, que chaque peuple puisse donc avoir un dieu différent, sans qu’aucun ait une suprématie sur les autres.
Ajoutons qu’il existe une autre proposition que ces trois solutions que sont le polythéisme, le monothéisme et l’hénothéisme, et qui s’est avérée être représentative des religions dites « polythéistes » (outre celles des civilisations gréco-romaines). Le druidisme ayant été oublié depuis bien longtemps, il a fallu la découverte de l’hindouisme en Occident pour comprendre que la pluralité de ce que nous pensons être des dieux n’est en fait que l’expression multiple de l’unité divine ; l’expression de ses multiples attributs. Cette unité finalement est plus absolue que celle qui fut proposée tardivement par la doctrine monolâtre des traditions judéo-chrétiennes, qui dissocie le divin du monde tangible, donnant lieu à une dualité séparant « Dieu » de sa création.
Le Coran est encore notre plus sûr témoignage en ce qui concerne la vie religieuse à La Mecque avant l’apparition de l’Islam. Mahomet au début ne se préoccupait pas de réglementer la vie d’une communauté de croyants, comme il le fut plus tard à Médine, mais plutôt de réformer les croyances et les pratiques de ses contribules mecquois.
Il y avait dit-on 360 statues de divinités dans ou autour de la Kaaba, presque une par jour de l’année ; dont Hobal bien sûr, le plus grand des dieux de La Mecque, et le couple Naïla et Issaf à l’extérieur.
Même si leurs principaux sanctuaires se situaient au nord et à l’est de la Mecque, al-Latte, al-Ouzza et Manate étaient aussi adorées par les Couraïchites de La Mecque, et Al-Ouzza ne comptait pas moins que Mahomet lui-même parmi ses fidèles si l’on en croit certains hadiths (voir notre chapitre intitulé « LA PRATIQUE RELIGIEUSE DE MAHOMET AVANTLA PREMIÈRE RÉVÉLATION (TANZIL) DE 610 ? ». Les trois déesses apparaissent et disparaissent, dans un passage très curieux et très discuté du chapitre 53 du Coran. Le contexte exact nous en est inconnu, mais apparemment Mahomet vivait encore à La Mecque à ce moment-là.
L’affaire des versets sataniques.
Tabari tome 6, page 108 : « Quand le messager de Dieu vit que sa tribu lui tournait le dos et qu’ils rejetaient le message qu’il leur avait apporté de la part de Dieu, il désira de toute son âme que quelque chose survienne de la part de Dieu qui le réconcilierait lui et sa tribu avec sa tribu. Vu son amour pour sa tribu et son empressement à œuvrer pour leur bien-être, il aurait été ravi si certaines des objections qu’ils lui avaient faites avaient pu être surmontées, il en débattait en son for intérieur et souhaitait ardemment y arriver.
C’est alors que Dieu a révélé : « Par l’étoile quand elle disparaît, votre contribule n’est pas égaré, il n’a pas été ; il ne parle pas non plus de (sa propre) initiative désir… (Coran 53, 1-3) et quand il est arrivé aux paroles suivantes : avez-vous considéré al-Latte et al-Ouzza et Manate, la troisième, l’autre ? Satan a mis alors dans sa bouche, à cause de ses débats intérieurs et de ce qu’il voulait pour son peuple, les mots : ce sont des grues de haut vol ; leur intercession est assurément reçue favorablement.
Les Couraïchites furent enchantés de cette mention de leurs dieux et ils l’écoutèrent, tandis que les musulmans, ayant entièrement confiance en leur Prophète, respectaient le message qu’il avait délivré de la part de Dieu, ne le soupçonnaient pas de s’être trompé, d’avoir été victime d’une illusion ou d’une erreur. Quand vint le moment de se prosterner après avoir fini cette sourate Mahomet se
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prosterna donc lui-même et les musulmans firent de même… Les polythéistes de la tribu Couraïchite ainsi que d’autres qui se trouvaient dans la mosquée [c’est-à-dire, La Kaaba de La Mecque] se prosternèrent eux aussi du fait de cette mention de leurs dieux qu’ils venaient d’entendre, de sorte qu’il n’y eut plus personne dans la mosquée, croyant ou non-croyant, qui soit resté debout… ensuite ils sortirent de la Kaaba et se séparèrent.
C’est l’histoire vraisemblablement authentique 1) – il est difficile d’imaginer un musulman inventant une telle histoire – des célèbres « versets sataniques » ; elle a eu d’importantes conséquences dans la théologie et la jurisprudence musulmanes, mais ce qui nous importe ici, c’est ce qu’elle révèle de la façon de voir ces trois déesses à l’époque. Ce qui a été accordé, puis abrogé, par Dieu ou Mahomet, ce fut la permission d’honorer ces trois déesses en tant qu’intercesseurs auprès de Dieu. Ce fut un moment clé dans l’évolution des conceptions théologiques de Mahomet : la distinction entre Dieu simple « dieu suprême » chef du panthéon arabe ou mecquois, conception dans laquelle les moindres dieux et déesses pouvaient être invoqués comme intermédiaires 2), et la conception qui a finalement prévalu, Allah est le seul Dieu qui existe, sans associés ni compagnons ni « filles ». Ces déesses n’étaient, comme le dit le texte revu et corrigé (Coran 53, 23) « que des noms », inventés par les Couraïchites et leurs ancêtres.
Mais qu’entend-on précisément par « grues de haut vol » ? Les autorités musulmanes restent partagées quant à la signification du mot gharaniq, tout comme nous. Mais ce qu’ils savaient, c’était que c’était là l’antienne que les Couraïchites psalmodiaient lors de leurs circumambulations autour de la Ka'ba : « Al-Latte, al-Ouzza et Manate, la troisième, l’autre, sont des gharaniq al oula, nous implorons leur intercession » 3).
1) Même cas de figure avec la crucifixion du grand rabbi nazaréen Jésus.
2) Même cas de figure avec Jésus ou la Vierge Marie.
3) Les grues font en fait partie des oiseaux de haut vol, ce qui est très symbolique : elles sont plus près du soleil.
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LES HANIFS ET LA HANIFIYA.
Repetere = ars docendi. Anima naturaliter pagana.
On ne peut pas exclure totalement évidemment
a) Qu’Abraham ait vraiment existé.
b) Qu’il soit passé par la Mecque à un moment donné de son existence
c) Qu’il y ait construit la Kaaba.
d) Qu’il y ait répandu à partir de là le monothéisme philosophique et réfléchi le plus pur.
e) Qu’il y ait eu ensuite une chute du niveau religieux telle que l’on peut considérer que succédèrent à ce hanafisme originel toutes sortes de paganisme.
Le plus simple et le plus conforme au principe du rasoir d’Occam est quand même de supposer que la religion originelle de l’humanité s’apparente plus au paganisme (animisme polythéisme hénothéisme, etc.) qu’au monothéisme.
Cet acharnement digne de la pire des méthodes Coué à vouloir à tout prix être reconnu comme un héritier légitime et direct de la religion juive et d’Abraham ; alors qu’il est évident que seuls certains détails du vernis islamique le sont, et que le fond est païen (la notion d’homme-dieu dans le christianisme, le rôle de la Kaaba dans l’Islam, etc.) EST PITOYABLE. C’est à la fois la manifestation hors du temps d’un incroyable racisme envers les autres religions doublé d’un TOUT aussi incroyable complexe d’infériorité. Sans parler d’une ignorance crasse de la science historique et des découvertes de l’archéologie (le début de la Bible jusqu’à l’épisode de la tour de Babel est emprunté aux mythes sumériens, Abraham est une légende, Moïse n’a pas existé, l’esclavage en Égypte non plus, etc.).
Mais ça nous l’avons déjà dit.
Les théologiens musulmans utilisent par contre le mot hanif et son substantif dérivé hanifiya, dans deux sens.
— Une sorte de monothéisme « naturel » dont Abraham aurait été le principal pratiquant.
— En tant que synonyme de l’Islam historique, la religion révélée à Mahomet et pratiquée par les musulmans.
La « religion d’Abraham », pour utiliser une notion que Mahomet ne commencera d’invoquer que plus tard à Yathrib/Médine, dans ses controverses avec les juifs y habitant, ne devait pas être un concept inconnu à La Mecque. La tradition musulmane souligne en effet la présence à La Mecque, avant les visions et révélations de Mahomet, de personnages pratiquant déjà une forme de monothéisme ; tout en essayant de masquer leur appartenance à la mouvance judéo-chrétienne.
Ibn Ichaq les présente ainsi, dans ce qui est évidemment un cadre biaisé ou extrêmement tendancieux, voire contenant pas mal de contrevérités.
LES QUATRE HOMMES QUI AVAIENT ROMPU AVEC LE POLYTHÉISME.
« Un jour où les Couraïchites s’étaient réunis pour fêter honorer et faire le tour de la statue devant laquelle ils offraient des sacrifices, ce qui arrivait une fois par an, quatre hommes se réunirent à part secrètement. C’était Ouaraqa ibn Naoufal… Obeïdallah ibn Jahsh… Osman ibn Al Houwarith… et Zeïd ibn Amr…
Ils étaient d’accord pour considérer que leur peuple avait corrompu la religion d’Abraham, et que la pierre autour de laquelle ils tournaient n’avait aucune importance ; elle ne pouvait ni voir, ni entendre, ni blesser, ni aider. « Trouvez-vous une religion », disaient-ils « car par Dieu vous n’en avez pas ».
Ils suivirent alors divers chemins en quête de la hanifiya, la religion d’Abraham.
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— Ouaraqa s’intéressa au christianisme et donc étudia ses Écritures jusqu’à ce qu’il finisse par les connaître parfaitement.
— Obeïdallah continua de chercher jusqu’à ce que l’Islam survienne ; il émigra ensuite avec les musulmans en Abyssinie, avec sa femme qui était devenue musulmane, Oumm Habiba, la fille d’Abou Soufiane. Quand il fut arrivé là, il se convertit au christianisme, rompit avec l’islam et mourut chrétien en Abyssinie…
— Osman ibn Houwarith se rendit à la cour de l’empereur byzantin et devint chrétien. Il y exerça de hautes fonctions.
— Zeïd ibn Amr demeura tel qu’il était : il n’accepta ni le judaïsme ni le christianisme. Il avait abandonné la religion de son peuple et il évitait les idoles, les animaux morts, le sang et les offrandes faites aux idoles. Il interdisait l’infanticide des filles en disant qu’il adorait le Dieu d’Abraham, et il dénonçait publiquement les pratiques de son peuple (Ibn Ishaq, la vie de Mahomet, traduction Alfred Guillaume.1955, pages 98-99).
Remarques de Pierre de La Crau sur ce morceau de bravoure d’Ibn Ichaq.
a) Par contre, sacrifier son fils (Isaac) c’est mieux (si nous comprenons bien).
b) À propos de la viande sacrifiée aux idoles, on retourne en arrière : saint Paul dans sa première lettre aux Corinthiens (chapitre 8) a fait litière de cette stupidité. Qui pourrait laisser supposer qu’Ibn Amr était alors plus judéo-chrétien que chrétien.
c) D’autres traditions le voient néanmoins lui aussi finir ses jours à Byzance. Comprenne qui pourra Ibn Ichaq.
Des hadiths datant de deux siècles après les faits, rappelons-le, nous retracent en détail la carrière de chacun de ces précurseurs, ainsi que leurs errances doctrinales.
Le seul problème c’est que, comme nous allons le voir, tous ces hanifs mentionnés par Ibn Ichaq et la tradition musulmane semblent avoir eu des accointances avec le christianisme.
Ce récit et d’autres semblables mettant en scène des monothéistes « naturels » n’ont guère été acceptés par les historiens modernes. Certains sont sans aucun doute des sortes de plaidoyers pro domo, par exemple, les histoires relatives à Ouaraqa ibn Naoufal, cousin de Khadidja, qui font de lui une sorte de Jean-Baptiste témoin des premières visions/révélations de Mahomet.
Mais d’autres sonnent tout à fait juste, en particulier lorsqu’il s’agit de personnes connues pour s’être opposées à Mahomet jusqu’à la fin.
Nous avons là en l’occurrence la preuve de l’existence à l’époque à La Mecque de ce que Johann Fuck appelle un monothéisme national arabe.
Le même Ibn Amir ou un autre (difficile de dire) était peut-être aussi un éminent dirigeant Aous de Yathrib/Médine, sans doute à l’origine de la mystérieuse affaire – mystérieuse pour nous, bien que sans doute bien connue des auditeurs du Coran primitif – dite de la « mosquée schismatique » (une église) construite à Yathrib/Médine « au profit de ceux qui luttaient auparavant contre Dieu et son prophète » (Coran 9, 107). D’après Ibn Ichaq, Ibn Amir du fait qu’il pratiquait le tahannouth était appelé al-rahib, ce qui fait penser à une sorte d’ascétisme chrétien. D’autres témoignages il est vrai relient plutôt sa hanifiya à des croyances ou pratiques juives.
Ce qui rapprochait ces hanifs et Mahomet en tout cas c’était leur refus d’associer à Dieu une autre entité quelle qu’elle soit (ces hanifs étaient peut-être plus judéo-chrétiens que chrétiens trinitaires), mais ce qui les sépara ce fut sans doute l’attitude à avoir vis-à-vis des Couraichites et de la Kaaba. Les hanifs y étaient indifférents alors que Mahomet était visiblement obsédé par la Kaaba et par son amour/haine des Couraichites.
Ce qui saute aux yeux dans tous ces récits néanmoins c’est que ces quatre hanifs eurent tous des liens avec le christianisme.
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QUELQUES HANIFS ARABES SÛRS D’AVANT L’ISLAM.
Les Banou Hanifa étaient une ancienne tribu arabe habitant la Yamama dans le centre de l’Arabie Saoudite moderne. La tribu appartenait à la grande branche ou Rabi'ah des tribus du nord de l’Arabie, qui comprenait aussi les Abdoul Qaïs, les Bakr et les Taghlibites. Bien que considérés par les généalogistes arabes traditionnels comme étant une branche chrétienne de Bani Bakr, ils en étaient indépendants.
Les membres de la tribu semblent avoir été surtout des agriculteurs sédentaires, vivant dans de petits établissements le long des oueds de l’est du Nejd (connu à l’époque sous le nom d’al-Yamama), en particulier dans la vallée d’Al-Irh qui sera plus tard appelée de leur nom (Ouadi Hanifa). Des sources telles que l’encyclopédie du 13e siècle de Yaqut leur attribuent la fondation des villes de Hadjr (l’actuelle Riyad) et de Manfouha, ainsi que les greniers d’Al-Kharj. À en croire les légendes serait venue s’installer dans la Yamamah en provenance du Hedjaz après que ses habitants d’origine, les Tasm et Jadis, eurent été décimés par une guerre.
Avant même la mort de Mahomet, la tribu des Banou Hanifa fut entraînée dans un conflit armé avec les musulmans en juillet 627. Un détachement de trente musulmans fut envoyé en mission dans le village d’un clan des Banou Bakr. Les musulmans fondirent sur ce clan et dispersèrent ses membres dans toutes les directions. Il y eut beaucoup de butin de fait et les musulmans revinrent avec le chef de la tribu des Banou Hanifa : Thoumamah ibn Outhal Al-Hanifi.
Les compagnons de Mahomet l’attachèrent au pilier d’une mosquée. Aux questions posées par Mahomet, Thoumamah répondait invariablement : « Si tu dois tuer quelqu’un, alors autant que ce soit un noble seigneur, si tu dois faire preuve de clémence, alors autant que ce soit pour un homme qui sait être reconnaissant et si c’est pour demander de l’argent, il vaudrait mieux le demander à un homme généreux. Il répéta cela trois fois en trois occasions différentes. La troisième fois, Mahomet ordonna qu’on le relâche et plus tard il s’est converti à l’Islam (comme tout le monde).
En raison de leur rôle dans les guerres de la Ridda, les membres de la tribu des Banou Hanifa furent d’abord exclus des conquêtes effectuées par le premier calife, Abou Bakr. Cette interdiction fut levée par le successeur d’Abou Bakr, Omar, et des membres de la tribu des Banou Hanifa rejoignirent ensuite les forces musulmanes en Irak, où ils s’installèrent dans des villes de garnison comme Koufa.
Beaucoup des membres de cette tribu allèrent ensuite grossir les rangs des mouvements rebelles tels que les Kharidjites ce qui montre bien la profondeur de l’enracinement de la monolâtrie ou du judéo-christianisme de type messie guerrier dans leurs traditions. Un membre de la tribu du nom de Nadjdah ibn Amir, forma même un état Kharidjite (éphémère il est vrai) dans la Yamama durant l’ère omeyyade.
MOUSSAÏLIMAH.
Le vrai nom de Mousaïlimah était Maslama ibn Habib (le nom a été déformé par les musulmans qui en ont fait Moussaïlimah, ce qui veut dire Mini-Maslamah) ce qui indique donc que c’était le fils d’Habib, de la tribu des Banou Hanifa.
Maslamah ibn Habib était un des nombreux Arabes qui se disaient prophète dans cette région du monde au 7e siècle. Il est bien sûr considéré par les musulmans comme un faux prophète, et fut toujours appelé par eux « le grand menteur » (arabe al-Kadhab).
Ses enseignements ont été perdus, mais il en existe un compte-rendu objectif dans le Dabestan-e Mazaheb un livre anonyme écrit en perse au 17e. Maslama interdisait le porc et le vin, prônait de faire trois prières par jour, sans orientation particulière, le jeûne du carême la nuit, mais pas la circoncision.
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Maslama, qu’on nous décrit comme un grand magicien, éblouissait les badauds avec ses « miracles ». Il pouvait mettre un œuf dans une bouteille ; il pouvait couper les plumes d’un oiseau et les recoller dessus pour qu’il vole encore ; et il se servait de cette habileté pour persuader le public qu’il avait des dos divins.
Maslama faisait circuler des poèmes en assurant qu’il s’agissait de révélations divines et qualifiait son Dieu de Rahman.
La plupart de ces vers exaltaient aussi la supériorité de sa tribu, les Banou Hanifa, sur les Couraïchites.
En 631 il écrivit à Mahomet la lettre suivante : « De Maslama, Messager de Dieu, à Mahomet, Messager de Dieu. Salutations à toi. La moitié de la terre nous appartient et la moitié appartient aux Couraïchites ».
Mahomet répondit aussi sec : « De Mahomet, le Messager de Dieu, à Moussaïlimah, le roi des menteurs, que la paix soit sur celui qui suit la voie de Dieu, la terre appartient à Dieu, qui la lègue à qui bon lui semble parmi ses serviteurs ». Mahomet mourut peu de temps après et les Banou Hanifa renoncèrent à leur projet d’alliance.
Les musulmans de Médine ne réussirent à l’emporter sur les Banou Hanifa qu’au troisième essai : en vainquant Maslama lors de la bataille d’Aqraba, à environ 30 km au nord de l’actuelle Riyad et les Banou Hanifa survivants se convertirent à l’Islam.
SADJAH.
Sadjah bint al-Harith ibn Souaïd de la tribu des Banou Tamim était une chrétienne arabe d’abord protégée par sa tribu ensuite cause d’une scission chez les Banou Tamim puis finalement alliée des Banou Hanifa. Son père, Al-Haris, appartenait au clan Bani Yarbou de la tribu des Banu Tamim. Sa mère était de la tribu des Banu Taghlib, une tribu chrétienne d’Irak. Voir plus haut. Elle se proclama prophétesse elle aussi et 4000 hommes se rassemblèrent autour d’elle pour venir en aide aux Banou Hanifa et s’opposer à la menace que faisait peser sur eux le général musulman Khaled, qui venait de vaincre Toulahiha al-Assadi (un autre prophète). Khaled écrasa les éléments rebelles regroupés autour de Sadjah qui se convertit ensuite à l’Islam [citation nécessaire].
OUARAQA.
Vu l’importance du personnage un de mes correspondants parisiens me demande d’en parler encore un peu, ce que je fais volontiers vu le rôle qu’il a joué dans la naissance de l’islam, celui d’un Jean-Baptiste.
Ouaraqa (ou Ouaraqah) ibn Naufal ibn Assad ibn Abd-al-Ouzza ibn Qousaye Al-Coouraïchi était le cousin germain paternel de Khadidja, la première femme de Mahomet.
C’était le fils de Naoufal ibn. Assad ibn Abd al-Ouzza ibn Qoussaye et d’Hind bt. Abi Kathia.
C’était un prêtre nestorien et il est dit dans la tradition musulmane avoir été l’un des premiers hanifs à croire aux dons de prophètes de Mahomet.
Ouaraqa aurait étudié la Bible avec des Juifs et les chrétiens. Il aurait aussi « écrit le Nouveau Testament en arabe », mais on ne sait pas trop si cela signifie qu’il l’avait traduit du grec ou simplement recopié la traduction de quelqu’un d’autre afin d’avoir son propre texte.
Hadiths.
Aïcha : « Le Prophète est parti retrouver Khadidja le cœur battant à tout rompre [il venait d’avoir sa première hallucination vision ou révélation]. Elle le conduisit chez Ouaraqa bin Naoufal qui était un chrétien converti et versé dans la lecture de l’Évangile en arabe. Ouaraqa demanda : « Que vois-tu ? ». Après qu’il le lui ait dit, Ouaraqa s’exclama : « C’est l’ange que Dieu a envoyé à Moïse. Si je vis jusqu’à ce que tu aies reçu le Message divin, je te soutiendrai ».
À mesure que Mahomet grandissait, la science des Saintes Écritures de Ouaraqa croissait elle aussi. Plusieurs années plus tard, lorsqu’il apprit que Mahomet avait eu sa première révélation (Dieu est grand, il a créé l’homme, qui lui a désobéi et donc sera puni) Ouaraqa la reconnut comme authentique. La tradition musulmane rapporte que Ouaraqa se serait exclamé : « Il lui est venu la plus grande loi jamais révélée à Moïse, c’est bien le prophète destiné à ce peuple ».
Une variante de hadith d’Aïcha fournit les précisions suivantes.
Khadidja l’a ensuite conduit chez son cousin Ouaraqa ibn Naoufal ben Assad ben Abdoul Ouzza, qui, avant que l’islam n’apparaisse, était devenu chrétien et avait l’habitude d’écrire avec des lettres hébraïques. Il recopiait de l’évangile rédigé en hébreu autant que Dieu voulait qu’il en écrive. C’était un vieil homme et il avait perdu la vue. Khadidja dit à Ouaraqa, « Écoute l’histoire de ton neveu, O mon cousin ! »
Ouaraqa demanda : « Et qu’as-tu vu mon neveu » ?
L’apôtre de Dieu décrivit sa vision.
Ouaraqa a dit : « C’était le gardien des secrets que Dieu avait confiés à Moïse.
Je voudrais être plus jeune afin de pouvoir vivre jusqu’au moment où ton peuple te chassera.
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L’apôtre de Dieu demanda : « Parce qu’ils vont me chasser ? »
Ouaraqa répondit oui et ajouta : « Tout homme venu avec quelque chose de semblable à ce que tu ramènes a été traité avec hostilité, si je suis encore en vie le jour où tu seras expulsé, alors je t’aiderai ».
ZEÏD IBN AMIR.
Zeïd ibn Amir était le fils d’Amir ibn Noufaïl, un membre du clan Adi de la tribu Couraïchite. La mère de Zeïd avait déjà été mariée à son grand-père, Noufaïl ibn Abdoulouzza, de sorte que le fils né de ce mariage, al-Khattab ibn Noufaïl, était à la fois le demi-frère maternel et le demi-oncle paternel de Zeïd.
Zeïd épousa Fatima bint Baaja de la tribu Khouzaa, et leur fils fut Sa'id ibn Zeïd. Une autre femme, Oumm Kourz Safiya bint al-Hadrami lui donna une fille, Atiqa.
Zeïd avait perdu toute illusion sur la religion traditionnelle des Arabes, car la pierre que les gens adoraient « ne pouvait ni entendre, ni voir, ni blesser, ni aider » et « le culte de la pierre ou du bois sculpté n’est rien ». Il s’engagea donc avec trois amis à rechercher la vraie religion d’Abraham, qu’ils appelaient la Hanafiya. Mais les trois autres hommes se sont finalement convertis au christianisme.
Zeïd se rendit en Syrie afin de se renseigner sur les croyances des juifs et de chrétiens, mais ne fut guère satisfait par les réponses qu’apportaient ces deux religions. Les historiens musulmans postérieurs affirment « qu’il suivait la religion d’Abraham dans sa forme naturelle » et « adorait Dieu sans lui associer personne ».
Il aurait même composé le poème suivant :
« Dois-je adorer un dieu ou des milliers
S’il y en a autant que vous le prétendez ?
Je renonce à al-Lat et al-Ouzza, à toutes les deux
Comme toute personne saine d’esprit le ferait.
Je n’adorerai pas al-Ouzza ni ses deux filles…
Je n’adorerai pas Hobal non plus, même si c’était notre dieu
Du temps où j’avais peu de sens ».
En 605, en revenant d’un voyage en Syrie, et avant d’arriver à la Mecque, il fut assassiné. On dit que Ouaraqa ibn Naoufal a composé pour lui l’élégie suivante.
« Vous étiez tout à fait sur le bon chemin, Ibn Amr ;
Vous avez échappé au feu brûlant de l’enfer
En servant le seul et unique Dieu
Après avoir abandonné les vaines idoles…
Car la miséricorde de Dieu atteint les hommes
Même à soixante-dix vallées sous terre ».
Certains historiens ont rapproché ce personnage d’un autre homme connu sous un nom très proche : Abu Amir Ar-Rahib
Ce qui est certain c’est que lui aussi était un hanif.
ABU AMIR AR-RAHIB.
Abu Amir Ar Rahib était un Hanif plus proche du christianisme que du judaïsme. Il voulait maintenir le statu quo à Yathrib/Médine, qui lui permettait de pratiquer sa religion comme il l’entendait. Il fut du côté des Couraïchites lors de la bataille d’Ohoud en 625. La majorité des auteurs musulmans affirment qu’Abou Amir aurait demandé à l’empereur byzantin de l’aide pour lutter contre Mahomet. En tout cas Abu Amir est mort en 630 ou 631 à la cour d’Héraclius.
Affaire de la mosquée de la discorde (Coran chapitre 9 versets 107-108) en fait une église puisqu’Abou Amir était chrétien, que Mahomet a fait raser immédiatement.
Ahmad ibn Yahya al-Baladhuri explique que le bâtiment fut construit par des hommes qui refusaient d’aller prier dans la mosquée de Quba parce qu’elle avait été bâtie en un lieu où un âne était attaché ????
Alors que Mahomet revenait de Tabouk où il était parti affronter une armée byzantine fantôme, les musulmans s’arrêtèrent à Dhou Aouan. Des hommes y construisirent un bâtiment ? en prétendant que c’était pour les malades et les nécessiteux, mais Mahomet s’étant convaincu que c’était une mosquée d’opposition, il y envoya des combattants musulmans pour la brûler. Les hommes entrèrent dans la mosquée et y mirent le feu avec ses gens à l’intérieur.
Muhammad ibn Abd al-Ouahhab at-Tamimi a utilisé cet événement pour justifier son idée que brûler des lieux de perdition est permis dans l’Islam.
OSMAN IBN AL HOUWARÎRITH.
Osman ibn al-Houwaïrith était un Arabe était né dans le clan des Assad ibn Abd-al-Ozza qui appartenait à la tribu Couraïchite de La Mecque. Il se serait converti au hanifisme durant sa jeunesse – au cours d’une fête religieuse païenne.
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En 590, il aurait sollicité l’intervention de l’Empire byzantin pour le faire roi de La Mecque et convertir ses habitants au christianisme. Dans sa supplique à l’empereur, il aurait tenté de convaincre ce dernier qu’avec le soutien de Byzance, il pourrait l’aider à faire reculer l’Empire sassanide avec lequel les Byzantins étaient en guerre. L’empereur aurait accepté sa demande et lui aurait décerné le titre d’al-Bitriq (patrice), une appellation réservée à ceux qui avaient accompli des prouesses militaires. Osman se serait converti au christianisme durant son séjour à la cour de l’empereur.
Bien que son plan ait été initialement couronné de succès, l’ascension d’Osman s’arrêta brutalement quand les Mecquois décidèrent finalement de rejeter sa proposition.
Muhammad ibn Habib, un historien musulman du 9e siècle, cite Osman comme l’un des deux seuls chrétiens pratiquants à La Mecque du temps de Mahomet. Un autre historien du 9e siècle, Ya'qubi, a compilé une liste allant dans le même sens plusieurs années plus tard. Le fils d’Osman était polythéiste et rejoignit la tribu Couraïchite dans sa campagne contre les musulmans lors la bataille de Badr en 624.
OBEÏD ALLAH IBN JAHCH.
Obeïd-Allah ibn Jahch (c.588-627) était le fils de Jahch ibn Riyab et d’Oumama bint Abdoulmouttalib (donc un frère d’Abd Allah ibn Jahch, de Zeïnab bint Jahch, d’Abou Ahmad ibn Jahch, d’Habiba bint Jahch et d’Hammanah bint Jahch), c’était un cousin germain de Mahomet ainsi que d’Ali, et un neveu de Hamza ibn Abd al-Mouttalib. Il avait épousé Ramlah bint Abi Soufiane (également connue sous le nom d’Oumm Habiba), d’où une fille, Habibah bint Obeïd-Allah.
Lui et sa femme devinrent musulmans et partirent en Abyssinie. Son roi très chrétien, Ashama ibn Abjar, y accorda aux musulmans un sanctuaire dans la ville d’Aksoum, capitale de l’empire aksoumite. Mais Obeïd-Allah finalement s’y convertira au christianisme et a témoigna de sa nouvelle foi auprès des autres émigrés musulmans.
Sa femme le quitta du fait de cette conversion et il mourut en Abyssinie en 627. Plus tard, Mahomet épousera sa veuve, Ramlah. Mahomet a également épousé la sœur d’Obeïd-Allah, Zeïnab.
LES HOUMS.
Il y avait à la Mecque du temps de la jeunesse de Mahomet une confrérie religieuse appelée Houms (singulier Ahmasi), caractérisée par son intransigeance et son culte exclusif de la Kaaba. Voir ce que nous avons déjà dit précédemment.
Nous ne rappellerons ici que ce propos de l’historien musulman Ibn Sa'd (Kitab al-tabaqat al-kabir, tome 1, première partie) déjà mentionné.
« Muhammad Ibn Umar nous a informés sur l’autorité d’Abd Allah Ibn Dja'far, il sur l’autorité de Ya'qub……
Les Houms (ce mot désigne des personnes qui sont très sensibles, et qui font très attention au protocole) c’étaient les Couraïchites les Kinanah et les Khouza'ah ainsi que tous les autres Arabes descendants de Couraïch. Mouhammad Ibn Omar a rajouté, sans donner sa chaîne de transmetteurs : ou des alliés des Couraïchites. Le nom de Tahammous (Tahannouth?) se rapporte à des pratiques qu’ils avaient introduites dans leur religion et qu’ils respectaient très strictement, à savoir qu’ils ne sortaient pas du haram après avoir accompli le taouaf et qu’ils écourtaient ainsi le rituel que Dieu avait indiqué à Abraham, c’est-à-dire faire une halte à Arafah en dehors du haram, qu’ils s’abstenaient de faire leurs aliments dans de la graisse, qu’ils ne vivaient pas sous des tentes en poils (de chameau ?), mais sous des velums de cuir rouge. Ils permettaient aux pèlerins de tourner autour de la Ka'bah dans leurs vêtements ordinaires s’ils n’étaient pas passés par Arafat avant. S’ils venaient d’Arafah, ils ne faisaient pas le tour de la Kaaba, connu sous le nom de taouaf al-ifadah, mais nus ou couvert de deux vêtements ahmasi (des sortes de tissu grossier fabriquées par les Banou Ahmas, une branche des Banou Dubay'ah). Si quelqu’un accomplissait la circumambulation dans ses propres vêtements, il ne lui était plus permis de continuer à les porter après ».
Or Mahomet semble avoir fait partie de cette confrérie religieuse si l’on en croit F. F. Peters (Mahomet et les origines de l’islam page 97).
« L’année d’Houdeïbiya, comme le prophète rentrait chez lui, une des Ansars (de Médine) avec lui s’arrêta net devant la porte en lui disant qu’il était ahmasi. L’apôtre lui répondit : mais moi aussi je suis ahmasi, ma religion est la même que la tienne, le ansar entra donc dans la maison par la porte comme il le vit faire par l’apôtre ».
Azraqi (Akhbar Makkah). Traduction Roberto Tottoli. Quatrième partie. Le pèlerinage des païens du temps de la Djahiliya (pages 59).
La tradition dans leur religion voulait que les Houms, une fois en état sacral, ne puissent plus entrer dans une maison ou rentrer chez eux que par-derrière… Il leur était en effet interdit de franchir la porte en passant sous le linteau : s’ils avaient besoin de manger ou d’autre chose, ils escaladaient leurs maisons par l’arrière jusqu’à ce qu’ils soient sur le toit, puis descendaient dedans.
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Le seul problème est que dans l’exemple donné par Peters l’ansar en question n’était pas mecquois, mais de Yathrib/Médine.
LE PROBLÈME DE LA PRATIQUE RELIGIEUSE DE MAHOMET
AVANT LA PREMIÈRE RÉVÉLATION (TANZIL) DE 610 ?
Commençons pour trancher la question par laisser la parole au Coran parlant de Mahomet.
Chapitre 4, verset 113.
Dieu a fait descendre sur toi l’Écriture et la sagesse.
Il t’a enseigné CE QUE TU NE SAVAIS PAS, la grâce de Dieu envers toi, aura été immense.
Chapitre 42, verset 52.
Tu ne connaissais ni l’Écriture ni la Croyance, avant.
Chapitre 93, verset 7.
Il t’a trouvé dans l’errance et il t’a guidé.
Certains textes de la tradition musulmane relatent qu’en diverses occasions, Mahomet a plus ou moins habilement refusé tout contact avec la vie religieuse traditionnelle, ou la vie sociale tout court, si des éléments semblaient contraires à la future doctrine musulmane. À d’autres moments, des miracles, ou des astuces l’auraient protégé de cet environnement impur.
Ces procédés puérils, signes d’un grand embarras, ne peuvent pas empêcher de penser que, durant quarante ans, Mahomet a vécu pleinement parmi les siens. Il n’a pu en être autrement, dans un milieu aussi structuré que celui des tribus arabes, aux relations personnelles si affirmées.
Mahomet, avant la première des expériences mystiques qu’il finira par attribuer longtemps après à l’ange Gabriel, ne peut, en toute logique, être déjà musulman. Il n’est pas non plus considéré comme ayant été alors un hanif (un protomusulman) par nos sources.
L’examen des sources en question permet de distinguer : – soit de véritables preuves de sa participation y compris au culte des divinités païennes, – soit de la transformation par la tradition musulmane de rituels païens, – soit des rituels exécutés tels quels, mais avec une intention différente.
Les textes qui ont échappé à la censure sont rares et difficiles d’accès (des millions de hadiths). Le Coran, pourtant, reconnaît cette évidence, malgré l’isma de son héros. La question de la conformité ou de l’adéquation de cet homme avec son milieu – au demeurant sans importance sur le plan théologique en réalité – continue de tracasser les pieux savants musulmans. Et pourtant, tout l’activisme religieux de Mahomet tendra bien à confirmer puis renforcer la domination du sanctuaire mecquois sur les autres sanctuaires arabes.
Tabari, Tafsir 93, 7.
« Ne t’a-t-il pas trouvé orphelin et donné un refuge ? » Cela se réfère au fait que son père est mort alors que sa mère était encore enceinte de lui, et que sa mère est morte quand il n’avait que six ans. Après ça il fut sous la tutelle de son grand-père, Abd al-Mouttalib jusqu’à sa mort, quand il avait huit ans. Ensuite son oncle, Abou Talib a pris soin de lui et a continué à le protéger, l’aider, renforcer son statut, l’honorer, et même empêcher son peuple de lui nuire quand il eut quarante ans et que Dieu lui confie la mission d’être prophète. Mais même avec tout cela, Abou Talib a continué à suivre la religion de son peuple et d’adorer des idoles.
Ibn Al Kalbi, Kitab al-Asnam 17 d.
Nous avons appris que l’envoyé de Dieu, en parlant un jour d’al Ouzza, rapporta le détail suivant.
— J’ai sacrifié à Ouzza, dit-il, une brebis blanche, au temps où je pratiquais encore la religion de ma tribu.
Ce témoignage exceptionnel a valu à son auteur de grandes difficultés, puisqu’il contredisait toute la doctrine. Il est suivi d’un autre, qui mêle deux traditions.
La consommation de la viande impure.
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Ces extraits, très importants, montrent Mahomet à nouveau en pleine pratique de la religion de sa tribu. Il montre aussi qu’il n’est absolument pas un hanif, un précurseur de la religion monothéiste, à ce moment-là.
La seule histoire authentique des premières années de Mahomet figure dans un manuscrit inédit de son premier biographe, Ibn Ichaq. Il se lit comme suit d’après l’essai publié en 1960 par Alfred Guillaume dans le bulletin des études sémitiques (Presses universitaires de Manchester) et portant sur la version Younous ibn Boukair de la vie de Mahomet selon Ibn Ichaq.
« On m’a dit que l’apôtre de Dieu, alors qu’il parlait de Zeïd, fils d’Amir, fils de Noufaïl, a dit : il fut le premier à me critiquer à cause de mon idolâtrie et à m’interdire d’adorer les idoles. J’étais venu d’Al-Ta'if avec Zeïd, fils d’Haritha, lorsque nous avons croisé Zeïd, le fils d’Amir qui était dans les hautes terres de La Mecque. Les Couraïchites l’avaient sanctionné pour l’exemple à cause de son abandon de leur religion, de sorte qu’il ne fréquentait plus. Je me suis assis avec lui. J’avais un sac contenant de la viande que nous avions offerte en sacrifice à nos dieux – Zeïd ibn Haritha le portait – et j’en ai offert à Zeïd ibn Amir – je n’étais qu’un garçon à l’époque – et je lui ai dit :« Prends-en mon oncle ». Il me répondit : « cela fait sûrement partie des sacrifices que les tiens ont offerts à leurs idoles ? » Quand j’eus répondu que c’était bien le cas, il ajouta « mon neveu, si tu avais demandé aux filles d’Abd al-Mouttalib, elles t’auraient dit que je ne mange jamais de la viande de ces sacrifices, que je n’en ai nulle envie. Puis il me réprimanda pour mon idolâtrie et parla avec mépris de ceux qui adorent des idoles ainsi que des sacrifices qu’on leur offre en ajoutant : « ces dieux ne valent rien : ils ne peuvent ni nuire ni profiter à qui que ce soit » ou quelque chose comme ça. L’apôtre ajouta : après cela je n’ai plus jamais touché sciemment une de leurs idoles, et je ne les ai plus rien sacrifié tant que Dieu ne m’eut pas honoré de son apostolat.
Cette tradition montre clairement comment le jeune Mahomet a été influencé par un monothéiste dont nous connaissons peu de choses. L’interdiction de manger de la viande offerte aux dieux est bien sûr d’origine juive, mais comme elle a été reprise dans le christianisme, il est impossible de dire si Zeïd était un prosélyte juif ou chrétien. La tradition arabe le représente comme un homme mécontent du judaïsme et du christianisme et totalement hostile au paganisme.
Alfred Guillaume ajoute (Nouvelle lumière sur la vie de Mahomet, Presse Universitaire de Manchester) : cette tradition a été complètement supprimée de la recension d’Ibn Hicham, mais il y en a des traces dans la S. (p.146) et Boukhari (K. P. 63, bab 24) où figure une imposante isnad remontant à Abdullah ibn Omar disant que le prophète a rencontré Zéïd dans la vallée de Baldah avant son apostolat. « Un sac fut apporté au prophète (ou le prophète le lui apporta) et il refusa en disant : « Je ne mange jamais ce que vous sacrifiez devant vos idoles. Je ne mange que ce sur quoi le nom de Dieu a été mentionné. Il blâma les Couraïchites pour leurs sacrifices, etc... »
Souhaïli discute la question de savoir comment il est possible de penser que Dieu a permis à Zéïd de renoncer à la viande offerte aux idoles alors que l'apôtre avait plus droit que lui à un tel privilège.
Il rappelle que le hadith ne dit pas que l'apôtre a effectivement mangé de cette viande ; simplement que Zéïd a refusé de le faire. Deuxièmement que Zéïd a simplement suivi sa propre opinion en l’espèce, et n'a pas obéi à une loi antérieure, car la loi d'Abraham interdisait de manger de la chair des animaux morts, et non de celle des animaux qui avaient été sacrifiés aux idoles. Avant que l'Islam ne vienne interdire cette pratique, rien ne s'y opposait, de sorte que si l'apôtre a effectivement mangé de cette viande, il a fait quelque chose qui était permis, et s'il ne l'a pas fait, alors il n’y a aucun problème. La vérité est qu'elle n'était ni expressément permise ni expressément interdite.
I.K. (p.239) mentionne également une partie de la tradition originale que notre MS a conservée. Il stipule : « Zéïd ibn Amr retrouva l'apôtre qui était avec Zéïd ibn Haritha alors qu'ils mangeaient quelque chose qui était dans un sac qu'ils avaient. Mais quand ils lui proposèrent d’en manger avec eux, il répondit : « Hé mon neveu, je ne mange jamais de ce qui a été offert aux idoles » (Ibid. pp. 27-28.)
NDLR. Ce qui précède provient vient d’un manuscrit figurant dans la bibliothèque de la mosquée de Qaraouiyoun à Fès au Maroc, qui contient un compte-rendu de lectures du livre d’Ibn Ichaq sur la vie de Mahomet. Y figurent également plus de 200 traditions (hadiths) provenant d’autres sources. Un musulman qui a assisté à ces lectures d’Ibn Ishaq a rédigé le document en question. Il s’agit pour la plupart du même matériau qu’Ibn Hicham, mais il inclut également des informations qu’Ibn Hicham a supprimées. Il s’agit donc d’une tradition rapportée par Ibn Ichaq, mais qui a été omise par Ibn Hicham dans sa version de la Sira !
Quant au hadith rapport par Boukhari le voici.
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Sahih Boukhari, tome 5, livre 58, hadith numéro 169.
« Le Prophète a rencontré Zeïd ibn Amir ibn Noufaïl au fond de (la vallée de) Baldah avant que l’inspiration divine ne lui vienne. À manger fut présenté au Prophète, mais il refusa d’en prendre. On en présenta à Zeïd qui répondit : « Je ne mange rien de ce que vous abattez en l’honneur vos idoles, je ne mange que les choses sur lesquelles le nom de Dieu a été mentionné au moment de les abattre ». Zeïd ibn Amir avait l’habitude de critiquer la façon dont les Couraïchites abattaient leurs animaux en disant… »
Avec ce hadith on ignore la raison pour laquelle Mahomet ne s’est pas servi en premier. Par politesse peut-être tout simplement. En tout cas ce qui est certain c’est que…
Premièrement il s’agissait de viande sacrifiée aux dieux.
Deuxièmement que le premier si ce n’est le seul à avoir motivé son refus d’en prendre pour des raisons religieuses sera Zeïd.
La circumambulation (taouaf) autour de la Kaaba.
Quand Mahomet revient de ses retraites mystiques dans la grotte de Hira (il n’abandonne pas pour autant la religion traditionnelle et collective : en d’autres termes, il tourne aussi avec les autres autour de la Kaaba.
Ibn Ichaq, Vie de Mahomet, Alfred Guillaume page 105.
« L’apôtre priait seul à Hira chaque année pendant un mois pour faire le tahannouth comme c’était la coutume chez les Couraichites du temps du paganisme. Le tahannouth est une pratique religieuse. L’apôtre priait retiré dans sa solitude et donnait de la nourriture aux pauvres qui venaient. Et quand il avait terminé son mois de tahannouth et qu’il avait quitté sa retraite, avant de rentrer à la maison il se rendait à la Kaaba pour y tourner autour sept fois ou autant de fois qu’il plaisait à Dieu, jusqu’au jour où Dieu l’a envoyé… l’apôtre se rendait à Hira comme il avait coutume de le faire et sa famille avec lui ».
Mahomet avec les siens en prière à la Kaaba.
Le témoignage est important : il montre que Mahomet pratiquait toujours des rituels collectifs, dans le sanctuaire commun, bien qu’ayant déjà commencé d’avoir des crises mystiques. Les conséquences de celles-ci ont dû être lentes à se concrétiser au niveau du rite et du comportement social. Pour le public des fidèles du sanctuaire, rien ne devait donc différencier ces fidèles pèlerins [Mahomet ainsi que sa famille] des autres.
Ibn Ichaq Vie de Mahomet A. Guillaume page 113.
« J’ai un jour rencontré Al Abbas pendant le pèlerinage, à l’époque où j’étais commerçant, et alors que nous étions ensemble, un homme sortit prier et se tint pour cela face à la Kaaba, puis une femme sortit également pria aussi avec lui, enfin il y eut également un jeune homme qui sortit et se mit à prier avec lui. J’ai alors demandé à Abbas : « Quelle est leur religion, c’est quelque chose de nouveau pour moi ». Il me répondit : c’est Mahomet ben Abdallah qui prétend que Dieu l’a envoyé en mission et que les trésors de Chosroês et César lui appartiendront un jour. La femme est son épouse Khadidja, elle croit en lui, et ce jeune homme est son neveu Ali qui croit en lui également ».
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, mais repetere ars docendi, ces procédés puérils, signes d’un grand embarras, ne peuvent empêcher de penser que, durant quarante ans, Mahomet a vécu pleinement parmi les siens. Il n’a pu en être autrement, dans un milieu aussi structuré que celui des tribus arabes, aux relations personnelles si affirmées.
Avant la césure de ses apparitions, le comportement de Mahomet fut donc strictement païen. L’auteur du Coran a vécu les quarante premières années de sa vie en acceptant les règles de la spiritualité dite « païenne » (circumambulation, tahannouth et ainsi de suite…) dans laquelle il a puisé les éléments de sa doctrine initiale, il ne s’est dressé contre elles que quelques années plus tard.
C’est pour ces raisons que l’on retrouve dans son Coran l’essentiel des croyances et des rituels précédents, modifié de façon si minime que l’on y reconnaît sans peine les bases du système précédent. La chose est indiscutable quant aux rites. Mais il faut avoir le courage de l’affirmer ou de l’admettre aussi à propos des conceptions du divin.
Estimer que l’islam, tel que Mahomet l’a constitué dès La Mecque, et même à Yathrib/ Médine, est d’emblée un monothéisme, c’est faire preuve d’un suivisme sans courage. De nombreuses divinités honnies comme dans la Bible juive sont citées dans le Coran, et il est évident que tout l’effort de Mahomet consistera ensuite à les fondre sous un même nom dans la figure traditionnelle retenue par lui en dernier ressort pour les synthétiser : Allah. Cet effort d’unicité transparaît dans la longue énumération des attributs ou des épiclèses, les délégations de pouvoir à d’autres entités les anges les djinns les démons), les détails de son apparence matérielle ; voire même pour finir la longue hésitation, qui durera plusieurs années sans doute, entre les noms d’Allah, Rabb ou Rahman.
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Mahomet, Coran 17,110. Invoquez Allah ou invoquez le Clément (Rahman), quel que soit le nom sous lequel vous invoquez Dieu, les plus beaux noms lui appartiennent.
La tentative de créer un monothéisme exclusif et abstrait ou purement théorique, est toujours vite rébarbative, autant pour l’esprit que pour les sens. La réaffirmation forcenée du dogme de l’unicité n’empêche jamais une fragmentation inévitable de la conception du divin ; et la tentation de distinguer différents attributs de Dieu reste toujours puissante dans les esprits. La prédication de Mahomet en garde la trace.
Coran 59, 22-24.
Il est celui qui connaît ce qui est caché comme ce qui est apparent, il est celui qui fait miséricorde, le miséricordieux.
Il est… le Roi, le Saint, la Paix, celui qui témoigne de sa propre véridicité. Le Vigilant, le Tout-Puissant, le Très Fort, le Très Grand… Les noms les plus beaux lui appartiennent.
Le meilleur exemple en est la sacralisation très rapide de la série des « Cent Noms » ou « Beaux Noms » de Dieu. Ces Noms de Dieu ont connu ensuite un très grand succès : ils seront récités de façon quasi automatique. Ce sont des adjectifs laudatifs, des attributs, des épiclèses, ou des mots utilisés dans les cultes anciens. Bien entendu, l’étude de ce sujet demeurera un tabou. Les deux premiers Beaux Noms, les plus populaires, Rahman et Rahim, sont en effet ceux de dieux païens arabes parfaitement attestés. Ci-dessous donc, la liste des noms de Dieu que conservera Mahomet.
2 Al Rahman (Le Clément).
3 Ar Rahim (Le Miséricordieux).
4 Al Malik (Le Souverain du Monde, Le Suzerain).
5 Al Qouddous (Le Très Saint, La Sainteté).
6 As Salam (Le Pacifique).
7 Al Mou ’min (Le Fidèle, Le Confiant).
8 Al Mouhaïmine (Le Paisible, Le Témoin).
9 Al Aziz (le Tout-Puissant).
Etc., Etc. Le centième est considéré par l’islam comme inconnu, ce qui permet d’alimenter toutes les spéculations ; cf. le nom secret du dieu de l’Ancien Testament. Le secret à ce propos est le reste d’une vieille pratique visant à protéger un nom des malédictions des ennemis.
Note de Krzysztof Koscielniak, Université Jagellon de Cracovie.
Certains auteurs soutiennent que l’épithète Rahmane (« le Miséricordieux ») n’a rien à voir avec le paganisme arabe – en particulier aucun lien avec une divinité lunaire quelconque. Ils affirment que l’étymologie et l’utilisation du terme Rahmane sont exclusivement judéo-chrétiennes. C’est l’explication musulmane typique, mais elle ne semble guère être pertinente.
Le premier exemple connu du nom de Rahmane (rhmn) est l’inscription bilingue écrite en akkadien et en araméen et trouvée à Tell Fekherye au nord-est de la Syrie. Cette inscription était dédiée au dieu araméen Hadad et contenait la phrase suivante : lh. rhmn zy. tthlth. hbh « dieu miséricordieux à qui la prière est douce ».
Dans la version akkadienne, Adad est qualifié de remenou (épithète du dieu Mardouk).
Mahomet a sans doute emprunté ce nom à trois sources différentes figurant dans son environnement.
RHMNN – Ar-Rahmane était compris par les Juifs et les chrétiens comme signifiant « le Seigneur, le Miséricordieux, le Maître du Ciel », mais RHMNN en Arabie du Sud évoquait aussi le dieu-lune, que Mahomet assimilait à « Dieu » ou utilisait comme substitut.
Il existe des preuves de la présence d’un Rahmane dans les religions préislamiques d’Arabie et ce vocable était utilisé dans les trois milieux religieux différents qu’étaient l’ancien paganisme arabe, le judaïsme et le christianisme.
Il est possible que Mahomet ait emprunté le nom de Rahmane directement aux juifs ou aux chrétiens, mais nous ne pouvons pas oublier qu’en même temps, les habitants du Yémen adoraient entre autres dieux une divinité dont le nom était en sabéen (hymiarite) Rahmane.
André Vargo estime que Mahomet a sans doute pensé qu’utiliser ar-Rahmane comme nom de Dieu, était « une bonne idée ». En reprenant le nom d’ar-Rahmane il pouvait séduire à la fois les Juifs et certains païens.
L’épithète RHMNN est bien attestée dans les inscriptions en particulier celles de la période dite « Sabéenne tardive » (après 380) qui sont associées au monothéisme.
À cette époque, le judaïsme et le christianisme ont en effet tenté de prendre la place de la religion traditionnelle sudarabique.
Dans ce contexte, le vocable RHMNN était donc utilisé à la fois par les polythéistes arabes, les juifs et les chrétiens.
Pour expliquer l’apparition du nom d’Al-Rahman dans le Coran, nous devons donc examiner attentivement l’utilisation du dérivé rhmnn dans les inscriptions sudarabiques.
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Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir, une religion polythéiste très élaborée régnait en Arabie du Sud. Les divers royaumes qui se succédaient ainsi que les groupes tribaux avaient tous des dieux et des déesses différents.
D’après Ryckmans les formules païennes disparaissent des textes sudarabiques (ne subsiste plus qu’un seul texte païen) au cours de la deuxième moitié du 4e siècle. À leur place on a des formules d’invocation monothéistes contenant les vocables : « Seigneur du Ciel » ou « Seigneur du Ciel et de la Terre » et « Le Miséricordieux » (Rahmanane). Le christianisme et le judaïsme supplantèrent ainsi le paganisme (en utilisant la même terminologie).
Ce culte monothéisant du “Miséricordieux” (rhmnn) constituera un aspect important de la dernière phase de la religion préislamique.
Les inscriptions sabéennes chrétiennes les plus connues sont deux textes de l’époque d’Abraha (mort vers 553, également orthographié Abreha), un vice-roi chrétien du sud de l’Arabie pour le compte du royaume d’Aksoum.
L’inscription d’Abraha trouvée à Mouraïghane (Ry 506).
« Par le pouvoir du Miséricordieux et de Son Messie, le roi Abraha… et Abraha revint de Haliban par le pouvoir du Miséricordieux ».
Inscription d’Abraha trouvée à l’emplacement du barrage de Ma'arib (CIH 541).
1. Par le pouvoir et la faveur
2. du Miséricordieux et de son Mes-
3. – sie et le Saint-Esprit. Ils ont fait
4. graver l’inscription …
Le Coran mentionne parfois Ar-Rahmane, par exemple dans le chapitre 43,19, que la plupart des traducteurs ont rebaptisé Dieu ou Dieu, puisqu’à l’instar de Mahomet ils n’ont vu aucune différence.
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CE QUE L’ON PEUT DONC AVANCER RAISONNABLEMENT.
Il va de soi que faire de Mahomet un descendant direct d’Adam via Abraham est une légende fantaisiste ayant beaucoup beaucoup, mais alors vraiment beaucoup, à voir avec la foi, et très peu, mais alors vraiment très peu avec la raison.
Note des enfants de Pierre de La Crau. « Des conneries », nous disait notre père sur la fin de sa vie
Tout ce que l’on peut dire avec certitude de Mahomet enfant ou jeune homme c’est ceci.
Il est né à la fin du 6e siècle (vers 570) dans la tribu arabe des Couraïchites dont le centre religieux politique ou économique était la Kaaba et l’agglomération autour : la Mecque.
Dans un clan pauvre et secondaire de cette puissante tribu : les Hachémites.
Sans père ou orphelin de père très tôt.
Sa mère Amina assume donc seule son éducation jusqu’à ce qu’elle meure elle aussi relativement tôt (vers 577).
Le grand-père paternel (Abd al-Mouttalib) s’occupe ensuite de l’enfant.
Puis son oncle Abou Talib qui le fait travailler comme chamelier.
Mahomet aurait donc été commerçant, et dans ses voyages en Palestine ou en Syrie, aurait donc aussi rencontré diverses personnes avec lesquelles il aurait discuté de certaines problématiques religieuses.
Entre ensuite au service d’une riche veuve nommée Khadidja comme chef caravanier.
Une riche veuve qui l’épouse, vers 595, malgré la différence d’âge (elle a 15 ans de plus que lui).
À sans doute alors formé avec Khadidja une famille arabe standard de l’époque.
Semble ensuite lui avoir été fidèle jusqu’à sa mort sans doute survenue en 619 (par peur de tout perdre en cas de séparation à l’initiative de Khadidja).
Mahomet perd également la même année (619) son oncle Abou Talib, resté païen toute sa vie.
N’était pas complètement analphabète.
Savait au moins lire et compter voire signer de son nom.
L’épithète oummi qualifiant parfois Mahomet ne signifie pas en effet « qui ne sait pas lire », mais « qui ne fait pas partie des gens du Livre ».
A peut-être fait partie de la mystérieuse confrérie religieuse des Houms dont parlent Ibn Ichaq et quelques autres.
Le reste n’est que conjecture.
Note des enfants de Pierre de La Crau : « voire du pipeau » ajoutait notre père sur la fin de sa vie.
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Remarquons tout d’abord que le nom de Mahomet ne figure que quatre fois dans le Coran : chapitre 3, verset 144, chapitre 33 verset 40, chapitre 47, verset 2, chapitre 48, verset 39 (plus peut-être, peut-être, Ahmad, chapitre 61, verset 6). L’exégèse moderne démontre que ces quatre mentions sont des ajouts postérieurs à la première rédaction, fondée sur les textes collectés sur ordre des califes. La tradition musulmane pallie cette absence en déclarant que les termes de prophète, annonciateur, avertisseur, apôtre, etc., présents 405 fois dans le Coran, sont des mentions indirectes de Mahomet.
Les personnages les plus cités dans le Coran sont : Zacharie 12 fois, Adam 16, Salomon 22, Aaron 26, Loth 27, Marie 32, Noé, 44, Abraham 60. Le Christ est mentionné 12 fois sous la forme coranique Issa, 13 fois sous la forme Issa, fils de Marie, 2 fois Messie, Issa, fils de Marie. De plus, il est mentionné 3 fois sous le nom Messie, 5 fois Messie, fils de Marie, une fois nouveau-né, 4 fois enfant, 7 fois prophète, 2 fois Verbe, au total donc 49 fois. Parmi ces personnages, seuls Zacharie et Marie
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ne sont pas déclarés prophètes. Aucune de ces personnes ne peut être celle à laquelle se réfèrent les 405 mentions non spécifiques concernant prétendument Mahomet, car il n’y a pas entre elles de différences telles qu’un auditeur non prévenu puisse comprendre sans hésitation qui est concerné.
Il reste un personnage qui, dans le Coran, se détache de tous les autres : Moïse. Non seulement il est nommé 170 fois, mais de plus il est appelé dix fois prophète, premier des croyants, confident de Dieu, aimé de Dieu, choisi de préférence à tous les hommes, doué de sagesse et de science. Il n’est donc pas impossible qu’une plus ou moins grande partie des 405 termes « annonciateurs, apôtre, envoyé », etc. soit en fait attribuable à ce même Moïse qui se détache si nettement ; et non à Mahomet, dont le nom a dû être ajouté ultérieurement.
L’affirmation que les termes de prophète, annonciateur, avertisseur, apôtre, etc., présents 405 fois dans le Coran, sont des mentions indirectes de Mahomet, semble par conséquent des plus improbables. Celui qui est désigné 405 fois dans le Coran sans indication de son nom doit aussi être désigné par son nom à de multiples reprises, comme cela se fait dans ce genre de situation. Suétone, dans l’Histoire des douze empereurs, dans chacun des douze chapitres, écrit par exemple tantôt l’empereur, tantôt le désigne par son nom.
Mahomet ne peut donc être l’homme auquel se réfèrent les termes de prophète, annonciateur, avertisseur, apôtre, etc. : les quatre mentions de son nom sont toutes des ajouts postérieurs. Mahomet même était donc totalement absent du Coran primitif, la forme Ahmad faisant partie d’une prophétie controversée 1).
Il existe cependant quelques mentions non spécifiques attribuables à Mahomet d’après le contexte. Ce sont celles qui concernent la part de butin qui lui revient, le droit de prendre pour épouse la femme de son fils adoptif, ses démêlés avec son harem. L’exégèse moderne montre que plusieurs de ces versets sont des ajouts postérieurs, et qu’il existe des présomptions sérieuses pour que les autres le soient aussi.
D’après Joseph Azzi, les trois autres mentions de Mahomet dans le Coran sont aussi des interpolations de cette nature. Ces interpolations qui introduisent le nom de Mahomet dans le Coran sont la preuve que le Coran a été rédigé par strates successives, une première strate où son nom était absent du Coran, et une seconde où des interpolations introduisent Mahomet. Elles adaptent à un nouveau cadre des textes qui à l’origine exprimaient une théologie partiellement semblable.
Ces mentions tardivement ajoutées sont postérieures à 686, puisqu’avant cette date Mahomet n’était pas encore considéré comme un prophète, et ne pouvait pas être le transmetteur de la parole divine.
1) Note de la rédaction. Cette affirmation est peut-être à nuancer. Mais encore une fois, ce n’est pas à nous, barbares druides d’Occident, qu’il appartient de le faire.
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LES CONJECTURES DE LA TRADITION MUSULMANE.
Mahomet, Mohammed ou Mouhammad, « le loué », « celui qui est l’objet de louanges » ; fils d’Abdallah, fils d’Abdel-Mouttalib, fils d’Hachem, fils de… (la généalogie peut évidemment remonter jusqu’à Adam, et Ève, via Abraham et Ismaël comme nous l’avons vu) ; et fils d’Amina (sa mère) fille d’Ouabh… est né à La Mecque au sein du clan des Banou Hachem, de la tribu des Couraïchites. Une communauté d’Arabes sédentaires dont l’influence commençait à se faire sentir dans toute la péninsule et qui cherchaient à l’étendre sur le maximum de territoires habités par des Arabes.
La date exacte de la naissance de Mahomet nous est en réalité inconnue avec certitude. La fourchette pour sa naissance va de 567 à 572.
Beaucoup d’experts penchent pour 570, « l’année de l’Éléphant » quand la ville fut attaquée (et prise ?) par le général chrétien éthiopien yéménite nommé Abraha (m). Mais cette année de l’éléphant (570, ou 571) n’est qu’une possibilité, ou si l’on veut, une hypothèse. Ce qui est certain, c’est que cette fameuse année a servi de point de repère pour la tradition musulmane : il y aurait eu synchronisme entre une attaque éthiopienne contre la ville et la naissance de Mahomet.
Les historiens contestent bien sûr ce rapprochement. Mais la protection quasiment « miraculeuse » du sanctuaire de la Kaaba contre l’attaque éthiopienne a fourni un contexte symbolique séduisant. L’événement a laissé une impression profonde sur les esprits. On connaît donc l’affaire dans un grand luxe de détails, par des développements héroïques, comiques et fantastiques. Elle permet de montrer les Couraïchites dans la posture de défenseurs de la Kaaba, contre les Yéménites chrétiens. L’éléphant, au service d’un roi chrétien, se soumet devant le dieu de la Kaaba, dans une scène frappante : il accomplit ainsi, lui, l’éléphant chrétien, en s’agenouillant, des rites qui font de lui…… le premier des musulmans… Il est pourtant permis de douter de la présence réelle d’un tel animal durant l’événement.
Chapitre 43 « Al Zoukhorouf » (L’Ornement) verset 31. « Si seulement on avait fait descendre ce message sur un personnage important d’une de ces deux cités ».
Nous sommes d’accord avec les musulmans, ceci ne prouve rien en ce qui concerne la famille de Mahomet, ce ne sont que des propos de ses adversaires. Leur objectivité reste à démontrer. Ce qui est certain par contre, c’est que les Banou Hachem, le clan de Mahomet, au moment de sa naissance, étaient loin d’être aussi importants à La Mecque que les Makhzoum ou les Banou Ommeya. La tribu de Mahomet en tant que telle était influente puisqu’elle comptait une dizaine de clans, mais sa famille à lui était des plus modestes.
Le père de Mahomet lui-même est une personnalité difficile à cerner, son nom, Abdallah (serviteur d’Allah) est peut-être tout simplement la transformation ou la réécriture postérieure d’un autre nom plus païen (Abd Hobal ? ? ?). Le grand-père de Mahomet apparemment est appelé Chaïba ou Abd al-Mouttalib. Deux noms différents donc selon les sources musulmanes, ce qui ne laisse pas d’intriguer. Le rapport entre les Banou Chaïba et la famille Mouttalib n’est pas clair. L’explication apportée par les musulmans pieux à cette étrange dualité reste néanmoins possible : « l’homme fut appelé Chaïba lors de sa naissance, mais on lui donna ensuite le surnom (kounia) d’Abd al-Mouttalib. Comme ce surnom (kounia) était plus fréquemment utilisé, il aurait par conséquent fini par l’emporter sur le nom ».
Pour mémoire la kounia est un surnom composé de deux parties comme suit : Abou + prénom ou qualificatif pour un homme, Oum + prénom ou qualificatif pour une femme. Abou signifie « père de » et Oum « mère de ».
En général, la kounia fait référence au fils aîné de la personne en question.
Par exemple, si AbdAllah a un fils nommé Omar sa kounia sera Abou Omar, père d’Omar. Si Abdallah a un fils nommé Amir, sa kounia sera Abou Amir. Père d’Amir.
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Mahomet lui-même ayant souvent été appelé Amin dans sa jeunesse, pour certains chercheurs cela tendrait à prouver que ce fut peut-être là initialement son véritable nom (voir celui de sa mère, Amina) ; et que Mouhammad ne fut qu’une épithète ou un surnom décerné au cours de sa vie. Le mot mouhammad dans ce cas, est pour le grammairien un participe passé à sens d’adjectif : « loué ».
Certains se sont demandé s’il ne s’agirait pas d’un surnom ou d’une expression, d’une formule rituelle, en usage en araméen par exemple, c’est-à-dire dans le monde chrétien. Le nom de Mouhammad ne serait qu’une épithète qui aurait fait oublier le vrai nom du chef conquérant. Le nom était assez rare dans le monde arabe, avant l’islam : des formules dans les inscriptions ; quelques cas bien antérieurs dans la tradition et un autre, contemporain. C’est un participe passé, qui apparaît seulement dans les derniers chapitres.
Son père étant mort prématurément, ce fut donc le grand-père qui commença par s’occuper de l’enfant et de sa mère. Le septième jour après sa naissance, il donne un nom à son petit-fils. Comme le nom intrigue, puisque ce n’est pas vraiment un nom, les sources musulmanes l’expliqueront, dans des récits joliment inventés.
La consécration du père de Mahomet.
Ibn Ichaq. La vie de Mahomet, traduction Alfred Guillaume page 66. LE VŒU D’ABD AL-MOUTTALIB.
« On dit que lorsqu’ Abd al Mouttalib se heurta à l’opposition des Couraïchites quand il voulut creuser Zemzem, il fit le vœu que s’il avait dix fils, il sacrifierait l’un d’eux à Dieu à la Kaaba. Quand il eut dix fils pouvant le protéger, il les réunit autour de lui et leur parla du vœu qu’il avait fait en leur demandant de garder foi en Dieu. Ils acceptèrent de lui obéir et lui demandèrent ce qu’ils devaient faire.
Il demanda à chacun d’eux de prendre une flèche, d’écrire son nom dessus et la lui apporter, ce qu’ils firent. Ensuite il les conduisit devant (la statue de Hobal) au milieu de la Ka'ba. Hobal étant la plus grande (ou la plus honorée) des idoles des Couraïchites à La Mecque. Elle se dressait là près d’un puits là. C’était dans ce puits que les offrandes faites à la Kaaba étaient conservées.
À côté de Hobal, il y avait sept flèches, chacune avec des mots écrits dessus. Sur l’une était marqué « prix du sang ». Quand on n’était pas d’accord sur qui devait payer le prix du sang, on tirait au sort avec les sept flèches et celui sur qui le sort tombait devait verser l’argent. Sur une était marqué « oui », et sur une autre « non », et on agissait en conséquence en ce qui concernait le problème pour lequel l’oracle avait été invoqué. Sur une autre était écrit « de vous », sur une autre mulsaq (étranger), sur une autre « pas de toi », et sur la dernière il y avait « eau ». Quand on voulait creuser pour trouver de l’eau, on tirait au sort avec cette flèche et partout là où elle tombait on se mettait au travail. Quand on voulait faire circoncire un garçon, ou faire un mariage, ou enterrer un corps, ou quand on avait des doutes à propos de la filiation de quelqu’un, ils l' emmenaient au pied d’Hobal avec une centaine de dirhams et un chameau de boucherie, on les donnait à l’homme qui procédait au tirage au sort, puis on allait voir l’homme à propos duquel on se posait des questions en disant, « Voici A le fils de B avec qui nous avons l’intention de faire ceci ou cela, indiquez nous ce qu’il convient de faire avec lui. Ensuite ils disaient à l’homme qui jetait les flèches « Jette – les ! » et si la flèche marquée « de vous » sortait, alors c’était un vrai membre de leur tribu, et si c’était la flèche sur laquelle était écrit « pas de vous » alors c’était un allié, et si la flèche marquée mulsaq sortait, alors il n’avait aucun lien de parenté et ne faisait pas partie des alliés. Dans les autres affaires si la flèche « oui » sortait on agissait en conséquence, et si la réponse était « non », alors on repoussait l’affaire d’un an avant de faire une nouvelle demande… Abd al-Mouttalib dit à l’homme des flèches : tire au sort pour mes fils avec ces flèches, et il lui expliqua le vœu qu’il avait fait. Chacun lui remit la flèche sur laquelle figurait son nom… Abdullah était le fils favori d’Abd al-Mouttalib et son père pensait que si la flèche le manquait, il serait épargné (c’était le père de l’apôtre de Dieu).
Quand l’homme prit les flèches pour tirer au sort avec, Abd al-Mouttalib se tenait près de la statue de Hobal en train de prier Dieu. L’homme tira au sort et la flèche d’Abdoullah sortit. Son père le prit par la main saisit un grand couteau et l’emmena jusqu’à Isaf et Naïla (deux statues appartenant aux Couraïchites devant lesquelles ils immolaient leurs victimes) afin de le sacrifier, mais les Couraïchites interrompirent leur réunion et vinrent lui demander ce qu’il avait l’intention de faire. Quand il leur eut répondu qu’il allait le sacrifier, les Couraïchites et ses autres fils s’exclamèrent : « Par Dieu ! tu ne le sacrifieras pas, mais offrira pour lui le plus grand des sacrifices compensatoires. Si tu fais ça (le sacrifier) personne ne pourra empêcher les gens de venir sacrifier leurs fils, et qu’adviendra-t-il alors de notre peuple ? Les Couraïchites et ses autres fils lui dirent qu’il ne devait pas faire ça, mais partir avec lui dans le Hedjaz car il y avait là-bas une sorcière qui avait un esprit familier, afin de la consulter, ensuite il ferait ce qu’il voudrait. Si elle lui disait de le sacrifier, ça ne serait pas pire, et si elle lui donnait une réponse favorable, il pourrait l’accepter. Ils se mirent alors en route pour Médine et là on leur expliqua qu’elle demeurait à Khaïbar. Ils chevauchèrent de nouveau afin d’arriver chez elle et là, quand Abd al-Mouttalib lui eut expliqué la situation, elle leur demanda de revenir une fois que son esprit familier serait venu la visiter afin qu’elle puisse le consulter à ce sujet.
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Après s’en être allé, Abd al-Mouttalib pria Dieu, et quand ils revinrent le lendemain, elle leur dit : mes voix m’ont parlé. À combien s’élève le prix du sang chez vous ? Ils lui répondirent que c’était dix chameaux, comme c’était en effet le cas. Elle dit ensuite à Abd al-Mouttalib de rentrer chez lui, de prendre avec lui le jeune homme et dix chameaux puis de tirer au sort entre eux et lui ; si le sort désigne ton fils, rajoute des chameaux, jusqu’à ce que ton seigneur soit satisfait. Si le sort tombe sur les chameaux, sacrifie-les à sa place, car ton seigneur sera alors satisfait et ton fils échappera à la mort.
Ils repartirent donc à la Mecque, et quand ils furent tombés d’accord pour suivre ces instructions, Abd al-Mouttalib pria Dieu. Puis ils revinrent [à la Kaaba donc] avec Abdoullah et dix chameaux. Abd al-Mouttalib se tenait près de la statue d’Hobal en priant Dieu. Ensuite ils procédèrent au tirage au sort et la flèche désigna de nouveau Abdoullah. Ils rajoutèrent dix autres chameaux et le sort désigna encore Abdoullah, ils continuèrent ainsi en ajoutant dix chameaux à chaque fois, jusqu’à ce qu’il y en ait cent, alors finalement le sort tomba sur eux. Les Couraïchites et ceux qui étaient là s’exclamèrent « Ton seigneur est enfin satisfait, Abd al-Mouttalib.
« Non, par Dieu », répondit-il (à ce qu’on dit), « pas avant de tirer au sort trois fois ».
Ce qu’ils firent et chaque fois la flèche désigna les chameaux. Ils furent abattus dans les règles, laissés sur place et tout le monde put en manger.
La naissance de tout personnage important de l’Histoire suscite en général la production d’une abondante tradition mythique, plus ou moins naïve, et parfois puérile, conformément d’ailleurs à l’exemple chrétien, alors partout présent dans les esprits à l’époque. La tradition comble le silence du Coran à ce sujet, et s’adresse au public musulman féminin, en inventant de belles, édifiantes, et lénifiantes, histoires.
La consécration de Mahomet.
Ibn Ichaq, la vie de Mahomet, traduction A. Guillaume page 70.
Après sa naissance sa mère fit dire à son grand-père Abd al-Mouttalib qu’elle avait donné mit au monde un garçon et lui demanda de venir le voir.
Quand il fut là elle lui raconta ce qu’elle avait vu au moment de sa conception, ce qui lui avait été dit et comment on lui avait ordonné de l’appeler. On dit qu’Abd al-Mouttalib l’emmena ensuite (au pied de la statue d’Hobal) au centre de la Kaaba où il pria en remerciant Dieu de ce don du ciel.
Après il s’en alla le rendre à sa mère et lui chercher des nourrices.
Les sources sont plus avares de détails quant à cet épisode, mais c’est toujours le même problème, Hobal ou Allah ?
N.B. Ces rites païens ne sont pas considérés comme embarrassants par la tradition musulmane.
Une esclave éthiopienne de son père nommée Baraka (ou bien Oumm Aïmane) s’occupe de lui. Sa mère Amina n’étant plus en état d’allaiter, le confie d’abord à Taoueïba, une esclave de son oncle, puis à la dénommée Halima de la tribu bédouine des Saadites (des Banou Saad) qui emmène le nourrisson (dans le désert).
À en croire la tradition musulmane un premier miracle se serait produit alors qu’il avait deux ou trois ans : le chaqq al-sadr.
Halima et son mari Harith ibn abdoul retrouvent un jour Mahomet étendu par terre, le corps couvert de sueur, les yeux révulsés, les vêtements déchirés. L’enfant leur expliquera que deux hommes grands et robustes étaient venus et l’avaient obligé à lutter contre eux ; que malgré la faiblesse de son âge, il avait longtemps combattu, mais qu’enfin ils l’avaient terrassé, et lui avaient ouvert la poitrine.
À ce propos deux théories opposées s’affrontent.
a) Cet épisode est le développement d’un verset du Coran.
b) Le verset du Coran a au contraire été inventé pour justifier cette légende.
Développement de l’hypothèse a).
L’anecdote n’est qu’un récit postérieur destiné à illustrer littéralement le premier verset du chapitre 94 (l’ouverture) et qui énonce « n’avons-nous pas ouvert ton cœur ? »
De pieux musulmans ont dû prendre cela au pied de la lettre et inventer cette incroyable histoire pour l’illustrer.
Point de vue des musulmans pieux (les musulmans adultes dont la foi n’a rien à voir, mais alors rien à voir avec la déesse Raison car elle soulève des montagnes).
« Ce miracle est un fait extraordinaire qui n’obéit pas aux lois de la nature, comme tant d’autres que Dieu a suscités dans la vie des prophètes pour servir à son dessein. Ne dit-on pas la même chose de l’Immaculée Conception (sourate 3) ? Les conditions de son enfance et toute sa vie ne constituent-elles pas un miracle, alors qu’il vint au monde sans avoir été conçu par un géniteur et que dès son berceau *, il parla aux hommes ? De même, la vie de Moïse fut parsemée d’événements
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extraordinaires. Autant d’actes et d’événements dans la vie des prophètes que les sciences exactes ignorent, parce qu’ils ne relèvent pas du domaine de la pensée matérialiste et positiviste ».
Effectivement effectivement !!!!!!!!!!!!!!!!!!
* Note de la rédaction. Jésus s’adressant aux hommes dès son berceau est une très belle idée certes, mais en aucune façon un fait historique pour deux raisons.
La première est que tout ce qui concerne la vie de Jésus est plus que douteux ou controversé. Voir les auteurs chrétiens eux-mêmes à ce sujet.
La seconde est qu’il n’existe aucune mention d’un tel épisode dans les plus anciens textes relatant la vie de Jésus.
Il faudra attendre le VIIe ou le VIIIe siècle avec le Coran pour voir apparaître cette anecdote. Peut-on soutenir que les musulmans connaissent mieux la vie de Jésus que les chrétiens eux-mêmes ?? Après tout pourquoi pas ?
Développement de l’hypothèse b).
Cet épisode, largement repris par la tradition, a été diversement analysé. Il est à rapprocher du bien étrange récit postérieur nous montrant Mahomet montant au Ciel, sur un cheval ailé appelé Bouraq, à partir de Jérusalem, et intitulé : le voyage céleste (miraj, sourate 17). Récit dont l’historicité est plus que douteuse : elle est impossible et seuls les musulmans pieux, mais alors très pieux, y croient ! Ce n’est qu’un mirage !
Tout comme dans le cas du pseudo-miracle précédent qui n’est qu’un mirage, la légende de l’ouverture de la poitrine ou du cœur de Mahomet, n’est que le développement populaire d’un verset du Coran, sans doute issu d’un fond légendaire chrétien. C’est pour la tradition islamique un moyen bien commode de se débarrasser de la notion gênante de péché originel ; justifiant ainsi le dogme musulman de l’isma ou impeccabilité du prophète. Les petits musulmans ont dû être fortement impressionnés par cet épisode, inventé sans doute à leur intention.
Quoi qu’il en soit, la nourrice Halima se hâte de rendre Mahomet à sa mère, qui meurt trois ans après. Il a tout juste six ans. On ne sait pas grand-chose sur sa vie durant la dizaine d’années qui suivirent. Son grand-père paternel Abd El Mouttalib le prit d’abord avec lui. Deux ans après il chargera Abou Talib, l’aîné de ses enfants, frère d’Abdallah et père d’Ali, de veiller sur lui.
Mahomet vécut donc d’abord très pauvrement. Si l’on en croit la tradition musulmane, son oncle Abou Talib l’aurait employé à garder les troupeaux, une besogne alors méprisée. Ainsi que nous l’avons dit, son oncle avait un fils nommé Ali. Les deux jeunes enfants sympathisèrent.
Ibn Sad nous rapporte que les Mecquois avaient en ce temps-là une fête annuelle, à laquelle tout le monde prenait part. Mahomet n’ayant pas voulu s’y rendre, ses tantes l’y obligèrent. Mahomet les accompagna donc, contraint et forcé, mais, en pleine fête, il rentra sous la tente de ses parents, tout blanc et tout tremblant, mais en racontant qu’il avait vu d’étranges personnages, qui lui défendaient d’y assister. Les années qui suivirent, Abou Talib et les tantes ne l’obligèrent plus à participer à pareilles cérémonies. Ouaqidi complète le récit par le témoignage d’Oumm Aïman, l’esclave noire qui avait aussi élevé Mahomet, mais précise qu’il s’agissait de la fête de Bouwana ; que, lors de cette fête, on se faisait raser la tête et que l’on sacrifiait des animaux.
Ibn Sad. Kitab al-Tabaqat al-Kabir. Volume 1, partie 1.40.18.
« Oumm Aïmane m’a dit : Bouwana était une statue auprès de laquelle les Couraïchites se rendaient en pèlerinage et envers laquelle ils montraient le plus grand respect. Ils avaient l’habitude d’y faire des sacrifices, de se raser la tête et d’y passer une nuit par an. Abou Talib y allait aussi en pèlerinage avec ses gens ; il demanda donc un jour à l’apôtre de Dieu, que Dieu le bénisse, d’assister à cette fête avec les siens, mais le Messager de Dieu, que Dieu le bénisse, refusa.
J’ai vu alors Abou Talib se mettre en colère et ses tantes aussi… L’apôtre de Dieu s’en alla puis revint effrayé. Ses tantes lui demandèrent : qu’est-ce qui t’a effrayé à ce point ? Il leur répondit : j’ai peur d’être devenu fou… Qu’as-tu vu ? Quand je suis arrivé devant la statue, quelqu’un à la peau toute blanche et de grande taille est apparu devant moi pour me dire en pleurant : O Mahomet ! Ne la touche – pas. Elle a ensuite ajouté (Oumm Aïmane) : après ça il n’assista plus jamais à leur fête ».
Mais revenons aux faits qui découlent de l’Histoire, et non aux fables pour enfants justement.
Ibn Saïyid an-Nas (Lumière des yeux).
« À l’âge de douze ans, deux mois et dix jours – il partit avec son oncle Abou Talib au Levant. Quand ils arrivèrent à Bosra en Syrie romaine, le moine appelé Bahira l’aperçut et le reconnut à ses attributs et ses marques distinctives. Bahira alla le trouver, lui serra la main et s’exclama : « c’est le Messager du Seigneur des mondes, que Dieu enverra pour les sauver ».
Ne nous appesantissons pas sur les prétendus voyages en Syrie qu’il aurait soi-disant effectués quand il était enfant avec son oncle Abou Talib, et plus tard au service de sa future épouse Khadidja ; le but de ces récits étant simplement de montrer que des moines chrétiens avaient annoncé que Mahomet serait un grand prophète.
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Les chrétiens comme Ahoudemmeh de Tikrit (mort en 575) qui prêchaient aux Arabes nomades s’installaient là où ils pouvaient les rencontrer, c’est-à-dire dans les caravansérails ou à proximité des ressources en eau. Ces points d’eau constituaient des lieux de rassemblement connus, de nombreuses caravanes venaient y chercher de l’eau, et les conditions pour effectuer un baptême y étaient réunies (car ne l’oublions pas, à l’époque, le baptême se faisait par immersion complète).
Notes de Pierre de La Crau retrouvées par ses héritiers puis insérées par eux à cet endroit.
Bostra était située en plein territoire romain byzantin (sud de l’actuelle Syrie) et la caravane d’Abou Talib aurait fait halte près d’un monastère chrétien nestorien (monastère avec lequel des contacts avaient sans doute été pris depuis longtemps par des membres de la tribu). Le voyage de Mahomet enfant jusqu’en Syrie, à Bosra, en compagnie de son oncle Abou Talib, lors duquel se produisit sa rencontre avec le moine chrétien appelé Bahira ou Sergius est un thème commun aux propagandes chrétienne et musulmane, les uns pour démontrer que l’Islam n’est qu’une hérésie du christianisme (Jean de Damas), les autres pour corroborer l’authenticité de l’apostolat de Mahomet.
Il ne s’agit peut-être aussi que d’une fable inventée après sa mort par des musulmans désireux d’améliorer l’image de leur « prophète » auprès des chrétiens orientaux et repris par le Damascène.
La vie de Mahomet, de cette époque jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de vingt-cinq ans, de même que ses actions, sont inconnues, même des docteurs de l’islam. On peut supposer qu’il s’est alors intéressé aux religions venues de Palestine : il apprend des bribes d’histoire biblique que sa mémoire conservera plus ou moins bien, en côtoyant les minorités chrétiennes de La Mecque, qui sont pauvres ; ainsi que les minorités juives d’ailleurs, qui sont plus nombreuses et possèdent des savants.
Ibn Saïyid an-Nas (Lumière des yeux).
« Le Prophète se rendit une seconde fois au Levant en compagnie de Maïssara, un serviteur de Khadidja, son chargé d’affaires, avant de l’épouser. Quand il eut atteint le Levant, il s’assit sous un arbre près d’un monastère. Le moine (un dénommé Nastoura ?) s’exclama : personne hormis un prophète ne s’est jamais assis sous cet arbre ».
Maïssara avait l’habitude de répéter : « Pendant le voyage, quand le soleil était très chaud, je voyais deux anges descendre du ciel et lui faire de l’ombre ».
Cet ermite, par ses discussions avec le jeune Mahomet, aurait (le conditionnel est de rigueur) contribué à la formation de l’idée « musulmane ». C’est cet étrange nuage, accompagnant Mahomet partout où il allait pour le protéger du soleil, qui aurait suscité la curiosité du moine. Légende bien sûr ! Et peut-être tout simplement un doublon de l’épisode avec le moine nommé Bahira.
À son retour en tout cas Mahomet entrera définitivement au service direct de Khadidja, qu’il épousera peu de temps après (en 596).
Khadidja est la figure majeure et dominante, pour ainsi dire maternelle, de la deuxième partie de la vie de Mahomet. Elle fut sa première et seule épouse durant une quinzaine d’années. Elle est remarquablement représentative de la condition féminine dans l’Arabie préislamique, infiniment plus favorable aux femmes qu’on ne le verra par la suite.
Cette grande dame de la tribu des Couraïchites, patronne d’entreprise caravanière, veuve bien plus âgée que lui, assure à Mahomet une protection, un niveau de vie et une position sociale indispensable, mais qui n’atténue pas son infériorité sociale. De plus, sa position d’employé au service d’une femme n’est guère enviable dans un milieu arabe fondamentalement marqué par les valeurs viriles, et volontiers sarcastique envers ceux qui ne peuvent avoir d’enfants.
Expérimentée, responsable, énergique, ce n’est pas seulement dans les affaires qu’elle se révèle entreprenante. Elle a bien vécu, avant Mahomet, profitant de toutes les opportunités (des veuvages, n’ayons pas peur des mots), non pas en femme libre, mais au moins en femme autonome. Elle a réussi à accumuler des richesses et à obtenir un réel pouvoir économique. Les sources musulmanes, pourtant très peu favorables aux femmes, ne peuvent le dissimuler.
D’autres récits s’amusent à broder sur le sujet, avec une légèreté qu’on ne reverra pas de sitôt dans la vie de Mahomet. C’est sans doute aussi une façon, paradoxalement, de camoufler la brutale réalité de l’épisode : l’union d’un jeune sans-le-sou avec une vieille bourgeoise friquée. Après il ne sera plus question de plaisanter avec le sujet.
Ibn Sad ose par exemple développer les circonstances du mariage, ce que ne fait pas la biographie officielle : il présente d’une façon comique les ruses de Khadidja pour arriver à ses fins.
Ibn Sad, Tabaqat tome 1, première partie, 35.
HISTOIRE DU MARIAGE DE L’APÔTRE DE DIEU (PUISSE DIEU LE BÉNIR), AVEC KHADIDJAH BINT KHOUWAÏLID :
« Khadidja Bint Khouwaïlid Ibn Assad Ibn Abd al-Ouzza Ibn Qusayi était une femme prudente et tolérante qui était destinée à obtenir ce que Dieu voulait. Elle était de la plus noble des familles, la plus haute en dignité et la plus riche des Couraïchites. Tous les membres de sa tribu désiraient l’avoir en mariage. Ils lui avaient fait des propositions et dépensé de l’argent à cette fin…
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Khadidja m’envoya discrètement (moi Nafissah) voir Mahomet, après son retour de Syrie avec la caravane.
Je lui ai demandé : Ô Mahomet ! Qu’est-ce qui t’empêche de te marier ?
Il répondit : je n’ai pas les moyens de me marier.
Je lui ai rétorqué : si tu avais les moyens, et si on te proposait (une dame) de toute beauté, riche, digne et de noble condition, accepterais-tu ?
Qui ?
Khadidja lui ai-je répondu.
Comment cela pourrait-il se faire ?
Je vais arranger ça.
Alors je suis d’accord me répondit-il.
Je suis allé le dire (à Khadidjah).
Elle le fit venir à un moment et fit venir aussi son oncle à elle Amr Ibn Assad afin qu’il accorde sa main à Mahomet. Il arriva et le Messager de Dieu, que Dieu le bénisse, arriva aussi avec ses oncles, et l’un d’entre eux donna son accord au mariage. L’apôtre de Dieu, que Dieu le bénisse, avait vingt-cinq ans, et Khadîdja quarante, puisqu’elle était née quinze ans avant l’année de l’Éléphant ».
Vers l’an 600, un événement important se produisit à La Mecque : un jour où l’on parfumait avec de l’encens la Kaaba ; une étincelle mit le feu aux riches étoffes qui avaient habillé les animaux conduits au sacrifice et à leurs peaux séchées précieusement conservées dans le sanctuaire et le bâtiment tout entier brûla. [Note de la rédaction : certains historiens pensent que ce fut suite à un assaut contre la ville].
Peu de temps après, des pluies diluviennes causèrent aussi une inondation catastrophique, et la construction, déjà affaiblie par le feu, ne put y résister. Comme c’était la saison des pluies, il y eut également une tempête ; et un navire romain byzantin, transportant des matériaux de construction de l’Égypte au Yémen, afin d’y bâtir une église, échoua sur la côte. Les Mecquois recueillirent les survivants, et en profitèrent pour leur acheter une certaine quantité de marbre, de fer ou de bois. Un des naufragés, Pacôme (Baqoum) un charpentier copte, décida même de s’installer à La Mecque. Les matériaux réunis ne suffisant pas à ériger un bâtiment semblable à celui d’avant, on décida d’en couvrir seulement une partie et d’en laisser une autre sans toit. On décida aussi d’augmenter la hauteur et de placer la porte d’entrée de telle façon que l’accès exigeât une « échelle », ce qui devait rapporter de l’argent à celui qui détiendrait la clé de ladite porte. Dans la partie sans toit, l’accès fut laissé libre, et on l’utilisera dès lors pour prêter serment ou accomplir d’autres rituels de ce genre. Lorsque les murs commencèrent à s’élever suffisamment et que vint l’heure de poser la fameuse pierre noire (el hajr el assouad) représentant Manat, la déesse du Destin, objet d’une grande vénération, dans l’un des angles du bâtiment ; tous les clans de la tribu Couraïchite briguèrent cet honneur. D’aucuns allèrent même jusqu’à rapporter un récipient plein de sang, et à en boire en jurant de ne jamais céder. Le travail s’arrêta donc, jusqu’à ce qu’un vieux notable suggère de s’en remettre au sort en disant : « Laissons le soin de choisir à Dieu, et acceptons comme arbitre la première personne qui viendra ici ». Ce fut bien entendu, Mahomet. Il travaillait, lui aussi, à la réparation du temple, mais il s’était absenté quelques heures auparavant. Il revient, est pris pour arbitre, fait mettre la pierre noire sur un manteau (le sien) dont un membre de chaque tribu doit tenir le bout, et la pose de ses propres mains dans l’angle sud-est du bâtiment.
Du moins, telle est la légende et encore une fois rien ne prouve que l’anecdote soit vraie. On ne doit accorder qu’une confiance limitée à cette histoire du rôle joué par Mahomet dans la reconstruction de la Kaaba.
Le Français Jean-Louis Castillon, lui, dans son célèbre « Essai sur les erreurs et les superstitions », pense que Mahomet a tout simplement été informé de cette querelle par des amis ; et qu’il en a profité pour tenter sa chance en essayant de se faire connaître. « Il fit mettre la pierre noire sur un riche tapis, qu’il fit élever ensuite par deux Arabes de chaque tribu, & il la plaça lui-même, au bruit des applaudissements de tous les habitants de La Mecque ; trop enchantés de la noblesse de cette action, pour deviner l’orgueil qui en avait été le motif » (Jean L. Castillon. Essai sur les erreurs et les superstitions). À chacun de se faire sa propre opinion !
La construction terminée (vers 601, ou 605) on la décora de statues et de fresques, à l’intérieur comme à l’extérieur. Sur ses murs furent peintes des icônes représentant des anges, des prophètes, des saints, Abraham (El Khalil ou l’ami de Dieu représenté avec des flèches divinatoires) et même la Vierge Marie tenant Jésus dans ses bras d’après Al Azraqi, Akhbar Makkah. En fait évidemment Hobal et une déesse-mère.
Mahomet devient donc enfin un notable. Il lui arrivait déjà de remplacer son grand-père Abou Talib à la Kaaba, son mariage avec Khadidja, une des plus grandes et des plus influentes fortunes de la ville, lui vaut également de participer au conseil municipal.
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Bref, ce nouveau statut fait enfin de Mahomet une personnalité qui compte dans le milieu tribal. Mais il lui manque un héritier mâle, ce qui constitue un grave handicap dans ce genre de société : pour les autres Mecquois, c’est donc un impuissant (sourate 108, verset 3 : abtar). C’était d’ailleurs aussi sans doute cet héritier qu’attendait Khadidja, pour lui transmettre son entreprise.
Faute de mieux, les pieux musulmans détaillent sa progéniture féminine et son destin contrasté : certaines filles disparaîtront bien vite au gré de leurs mariages arrangés, d’autres auront une renommée plus importante, comme Fatima. Mais aucune ne sera une grande figure. La petite Aïcha ne l’aurait pas supporté ! Quant aux fils, ils n’apparaissent quasiment pas, et leur nombre même reste incertain. Mais un seul suffira de toute façon à fournir aux Mecquois la kounya de Mahomet, Qassim, en 598.
La kounia est un surnom généralement composé d’Abou (père de) ou bien Oumm (mère de). Dès qu’on a un enfant on devient un Abou quelque chose ou une Oumm quelque chose. Mahomet recevra donc le nom d’Abou Qassim, à la naissance du fils ainsi prénommé par lui, mais mort en bas âge. Cette « kounia » lui restera néanmoins, et à plusieurs reprises, notamment lors des négociations avec ses adversaires, ce surnom réapparaîtra.
Le nom complet de Mahomet serait donc dans ce cas de figure et depuis la naissance de premier fils en 598, Abou al-Qasim Mahomet ibn Abdallah ibn Abd al-Mouttalib ibn Hachem. Le nom proprement dit précédé par la kounia marquant la paternité (abou al-Qasim = père d’al-Qasim), et suivi par le nassab indiquant la relation à ses ascendants (fils d’Abdallah, petit-fils d’Abd al-Mouttalib, arrière-petit-fils d’Hachem).
Sahih Boukhari tome 3, livre 41, hadith numéro 595.
« Alors que le Messager de Dieu était assis, un Juif arriva et lui dit : O Aboul Qassim ! Un de tes compagnons m’a giflé.
Le Prophète demanda ce qui s’était passé.
Il répondit que c’était un des Ansar.
Le Prophète le fit venir et qu’il fut arrivé lui demanda s’il avait bien frappé ce Juif.
Il répondit que oui et ajouta : je l’avais entendu prêter serment sur le marché en disant « Par celui qui a donné à Moïse la supériorité sur tous les êtres humains » et je lui ai dit : méchant homme, même sur Mahomet ? Je suis devenu furieux et l’ai giflé ».
De toute façon, ce qui est certain, c’est que de son vivant Mahomet n’est presque jamais appelé par sa kounia semble-t-il : seuls les adversaires l’interpellent ainsi.
Devenu un riche marchand, Mahomet à son tour organisera des caravanes vers la Syrie et peut-être s’y rendra-t-il lui-même encore. Il aura donc de nouveau ainsi maintes occasions de dialoguer avec les juifs et les chrétiens des régions traversées, en plus de ceux de passage ou installés à La Mecque ; ce qui lui donnera quelques notions bibliques (à propos du judaïsme et du christianisme) supplémentaires. Il affranchit un de ses esclaves, Zeïd ben Haritha, et fait du jeune homme son fils adoptif.
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LA VOCATION DE MAHOMET : LE PROBLÈME MÉTHODOLOGIQUE.
En 610 (à peu près. Toutes ces dates sont approximatives) Mahomet donc est âgé d’environ quarante ans. Le chiffre d’un peu moins de quarante ans fait l’objet d’un quasi-consensus, ne serait-ce que par son sens symbolique. Certaines sources avancent néanmoins le chiffre de trente ans, mais elles sont très minoritaires.
L’approche historique de la personne et de l’action de Mahomet se heurte toujours à une très grande difficulté, celle du traitement des sources disponibles. Le problème posé par les récits à ce propos est le suivant : quel fut l’événement déclencheur de la carrière religieuse de Mahomet, accessoirement quel fut le chapitre du Coran qui « descendit » du Ciel le premier ?
Comme le Coran n’en dit rien, il y a donc eu plusieurs propositions. Au moins trois. En y ajoutant l’option de certains pour le : « On n’en sait rien », cela fait donc quatre possibilités.
Première série de versions : tout se passe dans la maison de Khadija sous forme de rêves ou de cauchemars.
Deuxième série de versions : Mahomet n’entend rien, mais a deux visions (voir le Coran le chapitre de l’étoile, le chapitre 53 versets 1 à 8).
Troisième série de versions : l’ange Gabriel donne à Mahomet l’ordre de réciter une partie du livre divin (les 5 premiers versets du chapitre 96).
Certains auteurs modernes ont rassemblé ces trois versions de la première expérience de Mahomet avec une grande ingéniosité, adaptant chaque détail à une histoire unique et cohérente. C’est la méthode dite du concordisme, elle part du principe que chaque détail différent de chaque récit a bien eu lieu en tant qu’événement séparé.
Mais si nous admettons que l’histoire a été modifiée ou transformée par les témoins, il est plus probable que ceux-ci soient en fait tous en train de décrire le même événement, mais en des termes différents.
Certains auteurs font des chapitres 73 et 74 du Coran les premières révélations faites à Mahomet, mais une version a fini par dominer dans l’opinion consacrée par l’orthodoxie sunnite : le premier chapitre descendu du Ciel aurait été le chapitre 96 ou, à tout le moins, disent les plus prudents, les cinq premiers versets de ce chapitre. On trouva donc, pour ces versets, un récit-cadre dont on attribua la paternité à Mahomet lui-même, et sa transmission fut attribuée à l’une de ses épouses, Aïcha. C’est le récit consacré de la grotte de Hira, tellement connu qu’il a même pris place dans certains manuels scolaires français. On y donne même parfois la date de 610.
Mais bien qu’il soit en principe attribué à Mahomet lui-même par l’intermédiaire de l’une de ses épouses, Aïcha, ce récit a été en fait composé longtemps après l’événement ; et même longtemps après la mort de Mahomet : il y a donc déjà un énorme décalage dans le temps. De plus, c’est un récit de synthèse, une composition littéraire réalisée à partir d’éléments disparates. On retrouve dans différents corpus de traditions chacun de ces éléments, disjoints et isolés, sans même parfois qu’Aïcha y soit mentionnée comme informatrice. Ou bien on en a l’écho dans des récits de synthèse agencés différemment, mais qui ne s’accordent aucunement avec celui qui est attribué à Aïcha. La grotte de Hira n’y figure pas et ce n’est pas le chapitre 96 qui est concerné, mais un autre.
Enfin, on peut remarquer que ce récit-cadre est directement inspiré d’un passage du livre biblique d’Isaïe (40,6) : une voix dit : « Proclame ! » et je répondis : « Que proclamerai-je » ?
Ce récit devenu canonique est donc le produit d’une composition combinée. Inspiré du modèle biblique, c’est à partir d’une sélection effectuée dans des données disparates qu’il s’est organisé en un savoir catéchétique de consensus, lequel est devenu un « dogme ». On aurait pu espérer, pour en avoir le cœur net, qu’une information ou une allusion à la grotte de Hira, soit donnée dans le Coran,
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au moins dans le chapitre 96 lui-même. Il n’en est rien, et pas davantage dans le reste du corpus coranique.
Il s’agit donc d’un récit du genre littéraire des « Circonstances de la Révélation » (asbab al-nouzoul), reposant sur des « on-dit » (hadiths) des VIIIe et IXe siècles, à l’exclusion d’autres « on-dit ». Rien n’en subsiste même dans le plus ancien commentaire coranique que nous avons en entier.
Celui de Mouqatil ibn Souleïmane (mort en 767), pour les cinq premiers versets du chapitre 96, fournit de tout autres « circonstances », dans un cadre polémique mettant en scène un oncle du prophète réfractaire à la prédication de son neveu. Chaque fois que l’oncle païen présente une objection, un verset descend pour le contredire.
Le commentaire du Coran par Mouqatil fait partie des plus vieux tafsirs qui nous soient parvenus dans son intégralité ou presque. C’est un historien très décrié, mais John Wansbrough (1928-2002) en dit le plus grand bien dans son ouvrage intitulé « Études coraniques ».
Les détails diffèrent donc selon les récits traditionnels. Certains récits précisent que ceci se produisit durant son sommeil (et qu’il s’agissait donc d’un songe ou d’un cauchemar). C’est d’ailleurs également ce que disent certains chrétiens presque contemporains.
JEAN DE DAMAS OU LE DAMASCÈNE. Sur les Hérésies 100, 3.
Rappelons ici que, bien que chrétien, Jean de Damas (676-749) était arabe DONC PARLAIT L’ARABE.
« Beaucoup d’autres absurdités risibles sont rapportées dans cet Écrit [Le Coran], mais il se vante qu’il soit descendu sur lui venant de Dieu. Ce à quoi nous répondons :
— Qui témoigne que Dieu lui a confié ce message, ou qui, parmi les prophètes, a bien annoncé qu’un tel prophète devait venir ?
Et nous les mettons dans l’embarras quand nous leur faisons remarquer :
— Moïse a reçu la Loi sur le Sinaï, à la vue de tout le peuple, quand Dieu apparut dans la nuée, le feu, les ténèbres et la tempête ; et tous les prophètes, depuis Moïse, avaient tour à tour annoncé que le Christ devait venir, que le Christ est Dieu et que le fils de Dieu arriverait en prenant chair, serait crucifié, qu’il mourrait et ressusciterait ; et que c’est lui qui jugerait les vivants et les morts.
Mais quand nous disons :
— Pourquoi votre prophète n’est-il pas venu de la même façon, avec d’autres pour lui servir de témoin, et pourquoi Dieu, qui a donné la Loi ainsi à Moïse, aux yeux de tout le peuple, sur une montagne fumante ; ne lui a-t-il pas transmis de même le message dont vous parlez, en votre présence, pour asseoir votre certitude ?
Ils répondent que Dieu fait ce qu’il lui plaît.
— Cela, disons-nous, nous le savons bien nous aussi, mais nous vous demandons seulement comment l’Écriture a été révélée à votre prophète.
Ils répondent alors que c’est durant son sommeil que cette Écriture est descendue sur lui.
Pour nous moquer d’eux, nous leur répondons alors :
— Puisqu’il a reçu l’Écriture durant son sommeil, sans s’en rendre compte, l’adage populaire lui convient parfaitement (qui stipule…
Et nous leur demandons alors à nouveau :
— Puisque lui-même vous a ordonné, dans vos Écritures, de ne rien faire ou de ne rien recevoir sans témoins ; pourquoi ne lui avez-vous pas demandé, toi le premier : prouve à l’aide de témoins que tu es prophète, et que tu es bien envoyé de Dieu ; et quel Écrit témoigne en ta faveur ?
Gênés, ils restent alors silencieux, et avec raison nous leur rétorquons :
— Puisqu’il ne vous est pas permis d’épouser une femme, ni d’acheter, ni d’acquérir, sans témoins, et que vous n’admettez pas de posséder, ne fût-ce que des ânes, ou du bétail, sans un témoin ; vous ne prenez donc femme, biens, ânes, et le reste, que devant témoins ; mais la vérité d’une croyance et la sainteté d’un message par contre, vous les acceptez sans un seul témoin ! Car celui qui vous a transmis ce message ne possède de garant d’aucun côté, et l’on ne connaît aucun prophète qui ait témoigné en sa faveur par avance. Pire encore, ce message, il l’a reçu durant son sommeil ! »
Si nous comprenons bien saint Jean Mansour dit le Damascène, le Coran aurait donc été révélé à Mahomet à l’occasion d’un ou plusieurs rêves…
On peut ajouter à ce témoignage certains de ceux qui concernent les signes précurseurs ayant alors affecté Mahomet selon la tradition musulmane elle-même, dont on voit mal ce qui permet de les séparer du reste, et notamment ceux qui concernent les songes prémonitoires, que les érudits de l’islam appellent « les songes véridiques » (rou’ya sadiqa).
Les songes véridiques c’est un quarante-sixième de la prophétie (al-Boukhari, 6472 ; Muslim, 4201).
Tout ce que Mahomet voyait en songe se réalisait ensuite ou s’expliquait avec une clarté semblable à celle de l’aurore.
Sahih Boukhari tome 9, livre 87, hadith numéro 111.
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Aïcha : « La révélation débuta chez le Messager de Dieu par des songes véridiques pendant son sommeil. Chacune de ces visions se réalisait avec une clarté semblable à celle de l’aurore… »
Et l’on présume que ceci avait eu lieu chez lui à La Mecque.
Ibn Ichaq. Vie de Mahomet. Guillaume. Page 107.
Un affranchi de la famille d’al-Zoubeïr, m’a raconté d’après Khadidja qu’elle a dit un jour à l’apôtre de Dieu : fils de mon oncle, peux-tu me parler de ton visiteur, quand il t’apparaît ?… Quand Gabriel lui apparut ainsi qu’à l’accoutumée, l’apôtre dit à Khadija : Gabriel vient de m’apparaître.
« Lève-toi, fils de mon oncle, dit-elle, et assieds-toi près de ma cuisse gauche. L’apôtre s’exécuta et elle ajouta : « peux-tu le voir ? Oui, répondit-il.
Alors, tourne-toi et assieds-toi sur ma cuisse droite. Ce qu’il fit et elle demanda encore une fois : « Peux-tu le voir ? Quand il eut répondu oui, elle lui demanda de s’asseoir sur ses genoux. Quand il l’eut fait, elle lui demanda de nouveau s’il pouvait le voir, et quand il eut répondu oui, elle dévoila ses formes et jeta son voile pendant que l’apôtre était assis sur ses genoux. Puis elle lui demanda : « Peux-tu encore le voir ? Non. Elle lui dit alors : O fils de mon oncle, réjouis-toi et vas-y de bon cœur, par Dieu, c’est un ange et non un satan ».
Lacune dans le manuscrit……………………………………………………………………………………
Ci-dessous donc ce qui ressort de la masse des traditions musulmanes en ce domaine et que l’on peut raisonnablement affirmer vu la suite.
1) Mahomet était depuis toujours intéressé par les questions philosophico religieuses, il y réfléchissait parfois, en discutait, souvent. Pas comme tout le monde, mais comme beaucoup. Jusque-là rien de vraiment hors-norme.
2) Des idées lui venaient à ce sujet. Comme cela peut arriver à tout un chacun.
3) Il en rêvait parfois.
LE TOUT DANS LE CADRE D’UN COMPORTEMENT SOMME TOUTE NORMAL.
DANS LE CADRE D’UN COMPORTEMENT HORS NORME…
4) Il avait parfois des transes, mais pas toujours, beaucoup étant jeune, moins vers la fin de sa vie (ou alors il simulait ?) durant lesquelles il…
— délirait selon ses opposants
— répétait des paroles divines selon les fidèles prêtant foi à ses paroles a).
NB. Différence avec le cas de la célèbre pythie de Delphes : dans le cas de Mahomet ce genre de transe pouvait survenir n’importe où alors que pour la pythie c’était toujours au même endroit, l’adyton du temple, assise sur un trépied disposé au-dessus d’une faille géologique d’où sortaient des gaz toxiques b).
DANS LE CADRE D’UN COMPORTEMENT EXCEPTIONNEL.
5) Il eut même des visions ou des hallucinations spectaculaires, dont la première fut l’élément déclencheur de sa prédication publique.
NOTES CONCERNANT LE CAS OÙ IL N’Y AVAIT PAS SIMULATION.
a) Précisons néanmoins deux choses.
Premier point : les versets du Coran ayant une telle origine sont une infime minorité. On peut citer les versets 53, 1-18, 17-1, et quelques autres. Ces versets correspondent bien à des visions ou hallucinations qu’a eues Mahomet, notamment les premiers (pour l’isra et le miraj, le voyage éclair à Jérusalem et l’ascension, il s’agit peut-être par contre de simples rêves de Mahomet, incompris, déformés ou amplifiés par son entourage et par leur postérité : les hadiths). Le miraj ne semble d’ailleurs avoir été qu’un mirage, une ascension de type chrétien, empruntée au christianisme, qui fut par conséquent jugée impossible sur le plan corporel ou physique par certains musulmans de la première heure et auquel donc ils se refusèrent de croire, sinon en un sens allégorique.
L’immense majorité du Coran est venue à l’esprit de Mahomet tout à fait normalement (réminiscence inspiration ou idée jaillissant soudainement, mais après une longue réflexion inconsciente, etc. rien que de très banal jusque-là).
Seuls les remaniements ou manipulations de texte, ultérieurs, du Coran, parfois du fait de Mahomet lui-même, ont compliqué la donne.
Deuxième point : ces révélations comme par hasard (comprenne qui pourra) allaient toutes et fort opportunément, dans le sens des intérêts personnels de Mahomet. Comme dans le cas des phénomènes hypnotiques. Car contrairement à l’idée popularisée par certains films hollywoodiens, on ne peut pas faire faire à un sujet hypnotisé des actes heurtant profondément sa conscience ou ses intérêts.
Milton Erickson a fait de nombreuses expériences pour étudier la question. Il a par exemple placé en hypnose profonde une femme qui fumait beaucoup, après avoir pris des dispositions pour qu’elle soit en état de manque. Il s’était également arrangé pour qu’une amie du sujet, fumeuse elle aussi, « oublie » son sac juste à côté de la fumeuse, et a suggéré à cette dernière de prendre une cigarette
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dans le sac de son amie, en lui disant que son amie lui en aurait volontiers donné une, qu’elle pouvait très bien prendre une cigarette et restituer tout un paquet, et d’autres arguments de ce genre. Or rien n’a pu persuader la fumeuse en question… Ceci est assez général. Lorsqu’un acte est « immoral » dans le système de valeurs d’un sujet, même si cette immoralité est très relative, ou lorsqu’il porterait préjudice au sujet, il est impossible d’obtenir qu’il soit fait sous hypnose, ou, au réveil par une suggestion post hypnotique.
Nous en avons a contrario l’exemple avec la fameuse affaire des versets sataniques.
Tabari tome 6 page 108 : « Quand le messager de Dieu vit que sa tribu lui tournait le dos et qu’ils rejetaient le message qu’il leur avait apporté de la part de Dieu, il désira de toute son âme que quelque chose survienne de la part de Dieu qui le réconcilierait lui et sa tribu avec sa tribu. Vu son amour pour sa tribu et son empressement à œuvrer pour leur bien-être, il aurait été ravi si certaines des objections qu’ils lui avaient faites avaient pu être surmontées, il en débattait en son for intérieur et souhaitait ardemment y arriver.
C’est alors que Dieu a révélé : « Par l’étoile quand elle disparaît, votre contribule n’est pas égaré, il n’a pas été ; il ne parle pas non plus de (sa propre) initiative désir… (Coran 53, 1-3) et quand il est arrivé aux paroles suivantes : avez-vous considéré al-Latte et al-Ouzza et Manate, la troisième, l’autre ? Satan a mis alors dans sa bouche, à cause de ses débats intérieurs et de ce qu’il voulait pour son peuple, les mots : ce sont des grues de haut vol ; leur intercession est assurément reçue favorablement.
b) Devait alors se poser comme aujourd’hui d’ailleurs, le problème de l’interprétation de ces paroles divines.
— Premier cas de figure : il n’y avait pas eu de témoins. Il est évident alors que l’interprétation de ces révélations ne pouvait être faite que par Mahomet lui-même et en fonction de ce dont il se souvenait de ladite révélation.
— Deuxième cas de figure : il y avait des témoins (excluons d’office le cas fort improbable où ils aient eu sous la main à ce moment-là de quoi noter par écrit). L’interprétation de ces paroles devait alors être effectuée par lesdits témoins de concert avec Mahomet bien évidemment. Dans le cas de la pythie de Delphes, ses oracles étaient incompréhensibles pour le commun des mortels, et devaient être interprétés par des prêtres qualifiés, présents lors de la séance et qui remettent ensuite au consultant une réponse écrite.
— Troisième cas de figure : en cas de désaccord immédiat ou au bout d’un certain temps, ou de difficulté dans l’application, une autre révélation de ce genre pouvait fort opportunément venir abroger celle qui posait problème, comme dans le cas des célèbres versets sataniques à propos des déesses Al Latte Al Ouzza et Manate – versets 53,19-20- ce qui nous renvoie au deuxième point précédent.
Lacune dans le manuscrit…………………………………………………………………………………………………
Les premières « vraies » visions de Mahomet eurent donc lieu chez lui : il s’agit de ce qu’Aïcha appelle les rêves véridiques ou rou’ya sadiqa.
Boukhari tome 1 livre 1 hadith numéro 3.
Aïcha (la mère des fidèles croyants) a rapporté ceci : le commencement de l’inspiration divine pour l’Apôtre de Dieu eut la forme de rêves qui devenaient lumineux et véridiques comme la lumière du jour, ensuite l’amour de la solitude lui fut conféré.
Boukhari tome 4, livre 54, hadith numéro 429.
Malik bin Sasaa a rapporté ce qui suit : Le Prophète a dit : « J’étais à la Maison à mi-chemin entre le sommeil et l’éveil (un ange me reconnut) comme l’homme allongé entre deux hommes. Une vasque d’or pleine de sagesse et de foi me fut apportée et mon corps fut ouvert de la gorge jusqu’à la partie basse de l’abdomen et mon ventre fut lavé avec l’eau de Zem-Zem et (mon cœur) rempli de sagesse et de foi. Al-Bouras, un animal blanc, plus petit qu’une mule et plus grand qu’un âne me fut apporté et je partis avec Gabriel… » (voir sourate 17).
Bouhkari tome 1 livre 8, hadith numéro 450.
Rapporté par Abou Horaïra : Le Prophète a dit : « La nuit dernière un ifrite de la race des djinns est venu et a essayé d’interrompre mes prières, mais Dieu n’a permis de le vaincre au combat. Je voulais l’attacher à un des piliers de la mosquée pour que chacun d’entre vous puisse le voir le lendemain matin, mais je me suis rappelé la phrase de mon frère Salomon (comme il est dit dans le Coran) : « Mon Seigneur ! Pardonne-moi et accorde-moi un royaume tel qu’il n’appartienne à personne d’autre après moi (38,35) ». Le sous-narrateur Rauh a ajouté : « ce démon fut renvoyé humilié ».
Boukhari tome 1 livre 1 hadith numéro 2.
Aïcha (la mère des fidèles croyants fidèles) a rapporté ce qui suit :
Al-Harith bin Hicham a demandé à l’Apôtre de Dieu « O Apôtre de Dieu ! Comment la Divine Inspiration t’est-elle révélée ? » L’Apôtre de Dieu répondit, « Parfois cela me vient comme la sonnerie
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d’une cloche, cette forme d’inspiration est la plus dure de toutes et ensuite ça passe une fois que j’ai compris ce que signifie cette inspiration. Parfois l’Ange apparaît sous la forme d’un homme et me parle et je le comprends quoi qu’il me dise » « Aïcha ajouta : j’ai vu le Prophète inspiré de la sorte par Dieu un jour où il faisait très froid et j’ai remarqué que de la sueur qui coulait de son front ».
Sahih Muslim tome 5, livre 26, hadith numéro 5395.
Aïcha rapporte que Saouda est sorti un jour (dans les champs) afin de satisfaire un besoin naturel après que le voile eut été prescrit pour les femmes. C’était une grosse femme, de grande taille, et ceux qui la connaissaient la reconnaissaient facilement.
Omar Ibn Khattab l’aperçut et lui dit : Saouda, par Dieu, tu ne peux pas nous échapper, fais donc attention quand tu sors. Elle (Aïcha) a poursuivi en disant : alors elle est repartie. À cette époque, le Messager de Dieu était chez moi pour prendre son repas du soir et il avait un os dans la main. Elle (Saouda) est venue et a dit : Messager de Dieu. Je suis sorti et Omar m’a dit, etc.… Elle (Aïcha) a ajouté : alors lui est venue une révélation et quand ce fut fini il avait encore l’os dans la main, il ne l’avait pas laissé tomber. Puis il a dit : « Permission t’a été accordée de sortir pour faire tes besoins naturels ».
NDLR. Après une éclipse de quelques années, ce mode de révélation (le rêve) redeviendra de nouveau prépondérant. Dans les dernières années de sa vie, les révélations seront supposées se faire le plus simplement du monde : pendant son sommeil.
Ibn Ichaq. Vie de Mahomet traduction A. Guillaume page 496.
« L’apôtre est alors venu chez moi. Mes parents et une femme des Ansar étaient avec moi et nous pleurions toutes les deux. Il s’assit et, après avoir loué Dieu, me dit : « Aïcha, tu sais ce que les gens disent de toi. Crains Dieu et si comme ces hommes le disent tu as mal agi alors repends-toi devant Dieu, car il accepte la repentance de ses serviteurs ».
Après qu’il eut dit cela, mes larmes cessèrent et je ne les sentis plus couler sur mes joues. J’ai attendu que mes parents répondent à l’apôtre, mais ils n’ont rien dit. Par dieu, je croyais être trop insignifiante pour que Dieu fasse descendre à mon sujet des versets du Coran qui pourraient être lus dans les mosquées ou utilisé dans les prières, MAIS J’ESPÉRAIS BIEN PAR CONTRE QUE L’APÔTRE VERRAIT EN RÊVE QUELQUE CHOSE PAR LEQUEL DIEU me disculperait puisqu’il savait que j’étais innocente, ou qu’il y aurait au moins quelque chose à ce sujet. Quant à une révélation coranique descendant à mon sujet, par Dieu, je ne pensais pas assez de bien de moi-même pour estimer que j’en valais la peine. Quand j’ai vu que mes parents ne disaient rien, je leur ai demandé pourquoi, et ils m’ont répondu qu’ils ne savaient pas quoi dire…
L’apôtre était toujours là où il était assis quand s’abattit sur lui venant de Dieu ce qui avait l’habitude de le saisir (quand lui venait une révélation).
On le couvrit de son manteau et un coussin de cuir fut placé sous sa tête. Quant à moi, quand je vis cela, je n’en ressentis aucune peur ni crainte car je savais que j’étais innocente et que Dieu ne me traiterait pas injustement. Pour ce qui est de mes parents, j’ai cru qu’ils allaient mourir de peur que la révélation divine ne vienne confirmer ce que ces hommes avaient dit. Puis l’apôtre revint à lui et se redressa pour être assis à son aise. Il ruisselait sur lui comme des gouttes d’eau un jour d’hiver, et il commença d’essuyer la sueur de son front, en disant : « Bonne nouvelle, Aïcha, Dieu a fait descendre (une révélation) confirmant ton innocence » [NDLR. Le verset 4 du chapitre 24].
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LES VISIONS.
Le plus vraisemblable est que Mahomet a vécu une expérience très traumatisante ce jour-là, qu’il a eu des hallucinations ; et qu’il lui a été alors suggéré de réciter quelques mots ou quelques phrases entendues de-ci de-là, qui commençaient à résonner dans sa tête. De cette vision sans doute passablement terrifiante pour lui, on trouve des échos dans le Coran lui-même, exprimés avec une grande force poétique.
Chapitre 53, versets 1-18.
« Par l’étoile quand elle disparaît ! Votre contribule n’est pas égaré ! Il n’est pas dans l’erreur.
Il ne parle pas de sa propre initiative. C’est seulement une révélation qui lui a été transmise, le puissant, le fort, la lui a fait connaître ; celui qui possède la force s’est tenu majestueusement alors qu’il se trouvait à l’horizon supérieur, puis il s’approcha et demeura là comme suspendu dans les airs. Il était à une distance de deux portées d’arc ou moins, et il révéla donc à son serviteur ce qu’il lui a révélé. Son cœur n’a rien inventé, il l’a vu ; allez-vous donc élever des doutes sur ce qu’il vu de ses propres yeux ?
Il avait déjà vu le même être près du jujubier qui borne le séjour des délices, auprès duquel se trouve le jardin de la demeure éternelle, au moment où le jujubier était enveloppé par ce qui le couvrait.
Sa vue a soutenu l’éclat de la magnificence divine.
Il a vu les plus grands signes de son Seigneur. Avez-vous considéré al Latte et al-Ouzza, et l’autre, Manate, la troisième ? ».
Si nous comprenons bien, Mahomet a, ce jour-là, eu la vision de quatre entités surnaturelles différentes : al Latte, al-Ouzza, Manate, et une autre, inconnue et non nommée par le texte (Dieu ?? L’archange Gabriel ??) Le « Jujubier de la Limite », également appelé le « Jujubier du Terme Suprême » (sidrat al-mountaha) est une expression pouvant désigner le Septième Ciel. On dirait la navigation de saint Brendan ou d’autres aislingi/visions irlandaises de ce genre ! Surtout vu cette histoire de déesses « sataniques ».
Mahomet, Coran 81, 15-23.
Non ! Je le jure par les planètes ! […]
Votre contribule n’est pas possédé !
Il l’a vu à l’horizon lumineux, il n’est pas avare de l’inconnaissable, ce n’est pas la parole d’un démon maudit, où allez-vous donc ? Ceci n’est qu’un rappel adressé aux mondes pour celui d’entre vous qui veut suivre le droit chemin. Mais vous ne le voudrez que si Dieu le veut, lui, le seigneur des mondes.
Tous s’accordent à dire que Mahomet en a éprouvé alors un grand sentiment d’angoisse et de solitude.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le dire, la tradition musulmane fait précéder cette « révélation » d’une grande variété de signes, intérieurs à la conscience de Mahomet ou clairement extérieurs, voire fabuleux. Ces détails sont issus des traditions populaires et de la magie, mais ont été largement acceptés. Mahomet entendait parfois une voix étrange venant des rochers ou des arbres, qui l’appelait par son nom : il tournait la tête de tous côtés, mais, ne voyant personne, s’en effrayait. La voix de l’Invisible devint peu à peu plus fréquente, et prit un sens.
Au dire de Mahomet lui-même, ou du moins de certains hadiths, la créature inconnue lui apparaissait sous des formes différentes selon les occasions : quelquefois comme un homme, quelquefois comme un être volant (avec des ailes), et quelquefois sous d’autres formes.
D’après certains auteurs, Mahomet aurait eu un jour une aisling ou vision encore plus étrange et plus effrayante : la créature était assise dans les airs. Il en resta cloué sur place de stupeur, jusqu’à ce que les gens dépêchés par sa femme qui était présente avec lui ce jour-là arrivent pour le ramener à la maison.
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On ne peut s’empêcher de rapprocher le témoignage ci-dessus et qui fait un peu film d’épouvante de troisième zone, de la première crise d’épilepsie qui terrassa un jour Mahomet enfant, alors qu’il était chez sa nourrice Halima. Mais la question qui se pose est : qui parle, qui apparaît ? La tradition musulmane mentionne l’archange Gabriel, mais rien n’est moins sûr ! Le nom de Gabriel n’apparaît que dans des chapitres du Coran bien tardifs (puisque médinois).
Chapitre 2, 97-98. « Qui est l’ennemi de Gabriel – c’est lui qui a fait descendre sur ton cœur avec la permission de Dieu le Livre qui confirme ce qui était avant lui… Celui qui est l’ennemi de Dieu, de ses anges, de ses prophètes, de Gabriel et de Michel ».
Il s’agit d’un chapitre médinois, donc ne datant pas des débuts, chronologiquement parlant.
Coran 66, 4. « Sachez que Dieu est son maître, qu’il a pour soutien Gabriel et tout croyant sincère ».
Mais il s’agit là aussi d’un chapitre médinois et ne datant donc pas des débuts de l’islam.
NDLR. L’accumulation de références au nom de Gabriel dans la tradition musulmane, ULTÉRIEURE, n’est peut-être là que pour mieux nous convaincre (la méthode d’autosuggestion du docteur Coué en quelque sorte).
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LES HOUMS ET LE TAHANNOUTH.
Une troisième série de traditions ou hadiths donne comme cadre aux visions de Mahomet une grotte du djebel El Nour, Hira, située à 5 km de La Mecque.
En compagnie de membres de sa famille (sa femme Khadidja par exemple), et suivant à cet égard une coutume bien établie chez ses compatriotes (tahannout en arabe) ; il se retirait aussi en ce lieu comme certains ermites chrétiens, sur les hauteurs surplombant la ville.
Les musulmans s’ils parlent volontiers de ces visions ayant pour cadre la caverne appelée Hira, n’insistent guère par contre sur le caractère éminemment païen (ou chrétien ?) de ces retraites du type Tahannout.
Ibn Sa’d (Kitab al-tabaqat al-kabir, tome 1, première partie.
« Les Houms (ce mot désigne des gens qui sont particulièrement nerveux, et qui font très attention au protocole) c’étaient les Couraïchites les Kinanah et les Khouza'ah ainsi que tous les autres Arabes descendants de Couraïch. Mouhammad Ibn Omar a rajouté, sans donner sa chaîne de transmetteurs : ou des alliés des Couraïchites. Le nom de Tahammous (Tahannouth?) se rapporte à des pratiques qu’ils avaient introduites dans leur religion et qu’ils respectaient très strictement, à savoir qu’ils ne sortaient pas du haram après avoir accompli le taouaf et qu’ils écourtaient ainsi le rituel que Dieu avait indiqué à Abraham, faire une halte à Arafah en dehors du haram, qu’ils s’abstenaient de faire cuir leurs aliments dans de la graisse, qu’ils ne vivaient pas sous des tentes en poils (de chameau ?), mais sous des velums de cuir rouge. Ils permettaient aux pèlerins de tourner autour de la Ka'bah dans leurs vêtements ordinaires s’ils n’étaient pas passés par Arafat avant. S’ils venaient d’Arafah, ils ne faisaient pas le tour de la Kaaba, connu sous le nom de taouaf al-ifadah, mais nus ou couvert de deux vêtements ahmasi (des sortes de tissu grossier fabriqués par les Banou Ahmas, une branche des Banou Dubay'ah). Si quelqu’un accomplissait la circumambulation dans ses propres vêtements, il ne lui était plus permis de continuer à les porter après ».
Boukhari tome 1 livre 1 hadith numéro 3.
Il prit l’habitude de s’isoler dans la grotte de Hira pour prier de façon continue plusieurs jours de suite tant que ne lui était pas revenu le désir de revoir sa famille. Il prenait avec lui de la nourriture pour son séjour puis revenait chez Khadidja se réapprovisionner. La Vérité descendit soudain sur lui alors qu’il était dans cette caverne d’Hira. L’ange lui apparut et lui demanda de lire. Le Prophète répondit : « Je ne sais pas lire ». Le Prophète ajouta ensuite : « Alors l’ange me saisit à bras le corps et me serra si fort que je crus en mourir. Puis il me relâcha et me demanda de nouveau de lire et je répondis encore : « Je ne sais pas lire ». Il m’attrapa de nouveau et me serra de nouveau si fort que je n’en pouvais plus. Puis il me relâcha et me demanda à nouveau de lire et je répondis encore une fois : « Je ne sais pas comment lire (ou que dois-je lire) ? » Alors il m’attrapa pour la troisième fois et me serra encore plus fort puis me relâcha en disant : « Lis au nom de ton Seigneur, qui a créé (tout ce qui existe) et a créé l’homme à partir d’un caillot de sang. Lis ! Ton Seigneur est le Plus Généreux. » (Coran, Sourate 96, versets 1,2,3.)
Note de la rédaction. On remarquera que la troisième fois Mahomet ne prétend plus ne pas savoir lire, mais demande seulement QUOI LIRE.
Ensuite l’Apôtre de Dieu rentra ainsi inspiré par Dieu et le cœur battant très fort. Ses muscles entre le cou et les épaules tremblèrent [détail omis par certaines versions] jusqu’à ce qu’il retrouve Khadidja bint Khouwaïlid et lui dise : « Couvre-moi ! Couvre-moi ! » Ils le recouvrirent alors (d’une couverture) jusqu’à ce que sa peur soit passée et alors il lui raconta ce qui s’était passé en ajoutant : « Tout ça me fait très peur ! »
(Khadidja conduisit Mahomet chez son cousin Ouaraqa bin Naoufal bin Assad bin Abdoul Ouzza qui…… reconnut alors l’ange Gabriel ajoute la tradition musulmane. Les spécialistes relèvent que le nom de Gabriel n’apparaît que rarement et tardivement dans le Coran, et donc que la créature qui apparut initialement à Mahomet reste à déterminer (un djinn ?)].
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Et ensuite Dieu révéla les Saints Versets suivants : (Coran 74.1-5) « Ô toi ! Qui est emmitouflé dans un manteau ! Lève-toi et avertis… et fuit les idoles. »
Après cela les révélations commencèrent d’arriver avec force, fréquemment et régulièrement tant que Ouaraqua fut en vie (à sa mort il y eut une pause (fatrah) de plusieurs années selon certains témoignages
Sahih Boukhari tome 9, livre 87, hadith numéro 111.
Rapporté par Aïcha. « L’inspiration divine de l’apôtre de Dieu vint d’abord sous la forme de bons rêves (des rêves véridiques qui survenaient dans son sommeil. C’était toujours des rêves aussi éclatant et lumineux que la lumière du jour. Il avait l’habitude de se retirer dans sa solitude (la grotte de) Hira où il adorait (Dieu) continuellement des nuits durant. Il prenait avec lui des provisions de voyage pour plusieurs jours et ensuite revenait chez (son épouse) Khadidja pour se ravitailler et il y repartait pour y continuer sa retraite jusqu’à ce que soudainement la Vérité descende sur lui…
L’apôtre de Dieu revint alors, les muscles du cou tordus de terreur jusqu’à ce qu’il soit revenu chez Khadidja afin de lui demander : une couverture, une couverture ! » On lui donna une couverture pour apaiser sa terreur et ensuite il demanda : « Khadidja, qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? » Et il lui raconta ce qui s’était passé……
J’ai peur d’être en train de devenir un possédé (madjnoun).
Pourquoi ? lui demanda-t-elle.
Parce que j’ai tous les symptômes des madjnoun (des possédés), j’entends des voix, qui sortent de chaque pierre de chaque colline ; et, la nuit, je vois en songe un être de lumière immense qui se présente à moi, une créature dont la tête touche le sommet du ciel et les pieds, la terre ; je ne sais pas ce que c’est, mais ça vient sur moi chaque fois.
(Au dire de Mahomet lui-même, cet esprit lui apparaissait sous des formes différentes selon les occasions : quelquefois comme un homme, quelquefois comme un être céleste avec des ailes, et quelquefois encore sous d’autres formes plus ou moins étranges)…
Mais après quelques jours, Ouaraqa mourut et l’Inspiration divine fut également suspendue pendant un moment (fatras) et le Prophète devint si triste que nous avons entendu dire qu’il avait l’intention à plusieurs reprises de se jeter du haut des hautes montagnes »…………………………………………………………………………………………………
Les traditions mentionnant Gabriel en tant que transmetteur du message divin, sont suspectes, car son nom ne figurera dans le Coran que bien plus tard, dans les chapitres médinois ; mais dans cette deuxième série de versions, c’est lui qui donne l’ordre à Mahomet de réciter une partie du Livre divin.
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LA LÉGENDE DE LA NUIT DU DESTIN (LEÏLAT AL QADR).
Situé à quelques kilomètres à peine de l’emplacement de la maison de Khadija, le mont Nour présente un aspect très singulier ; on l’aperçoit de très loin parmi les nombreuses montagnes qui l’entourent. La caverne de Hira est construite avec des rochers entassés, qui en forment trois côtés ainsi que la voûte. Elle est assez haute pour permettre à un homme de rester debout, sans que sa tête touche la voûte ; et elle est assez allongée pour qu’il puisse s’y coucher. Le roc du sol est assez plat, et l’on peut facilement s’y étendre pour dormir. L’entrée de la caverne est constituée par une petite ouverture placée assez haut, ce qui oblige à monter plusieurs marches, faites de rochers, avant d’y pénétrer. On ne sait pas exactement pourquoi ce sommet est appelé le Mont Lumière (Nour). Il est situé près de la route qui va de La Mecque à l’esplanade de Mina, où les pèlerins vont passer plusieurs jours. Il se peut que l’on ait jadis allumé du feu sur cette montagne, pour guider les voyageurs la nuit ; pratique assez répandue à cette époque dans la région, ainsi que nous avons pu le voir suite à l’étude de John Toland sur la colonne de feu ayant guidé les Hébreux dans le désert.
Point de vue des musulmans pieux à propos de la vocation de Mahomet.
« Nul ne dispose de preuve que Mahomet pratiquait ces exercices (tahannouth) avant son envoi en mission pour rétablir la vraie religion (hanifiya). Car ceci n’est pas une question d’entraînement ou d’aptitude personnelle, mais une grâce et une sagesse que Dieu dispense à qui lui plaît. En alléguant que la réflexion du Prophète s’est faite progressivement, on laisse à penser que les idées de Mahomet ne sont que le résultat psychique de méditations qui s’achevèrent par des états extatiques. Rappelons donc à ces ignorants faisant preuve de bien peu de vraie sagesse voire même d’esprit scientifique que le phénomène de la Révélation est un prodige, un miracle sans relation avec l’inspiration, l’introspection, ni une quelconque préparation psychologique. La Révélation vint à Mahomet de l’extérieur : il fut un simple « récepteur », n’intervenant nullement dans l’élaboration ou la formulation des idées ».
N’en déplaise au pieux musulman que nous venons de citer, les états mystiques sont souvent le résultat de l’éloignement, de la solitude, de la faim, de la fatigue : transe et hallucination sont alors favorisées
Les Fénianes modernes pensent néanmoins que Mahomet a eu ces visions que parce qu’il s’adonnait aux pratiques ou aux techniques employées alors par les devins (tahannouth). Ce qui leur donne cette impression, ce sont les versets du chapitre Nº 73 et ceux du chapitre Nº 74 : il s’agit de règles de conduite pour Mahomet, pourtant elles font beaucoup penser aux devins ou kahins de l’époque.
« Ô toi qui t’es emmitouflé
Tiens-toi debout en prière
Une partie de la nuit
La moitié
Ou un peu moins
Ou davantage
Et récite avec soin le Coran
Nous allons t’adresser
Une parole de poids.
La prière du début de la nuit
Laisse toujours une plus forte empreinte
Et permet une attention plus soutenue ».
On traduit généralement les mots arabes al-mouzzamil et al mouddathir en question par « emmitouflé », mais il ne faut pas oublier que c’était alors une des caractéristiques des devins possédés par les djinns, les madjnoun (littéralement les endjinnés). Le mot « madjnoun » vient de « djinn » (esprit), le terme signifie « possédé par un djinn » et non pas fou, car « fou » en langue arabe se dit « maboul ». Les madjnoun s’évanouissaient, transpiraient, voire se tordaient, quand enfin
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ils se ressaisissaient, ils étaient capables de faire des déclamations en vers ou en prose, de prédire, voire de faire sortir un djinn (ou un esprit) du corps, etc.
Beaucoup de traditions soutiennent que l’événement se serait produit non au domicile de Mahomet à La Mecque, mais sur le mont Hira, en dehors de La Mecque. Mahomet aurait eu l’habitude de se rendre là-bas un mois par an, pour s’y adonner à la pratique païenne arabe, appelée tahannouth ; c’est-à-dire pour se livrer à la pratique de l’adoration divine durant un certain nombre de nuits consécutives, sans rentrer chez soi. À l’exemple d’un certain nombre de Mecquois de l’époque, et peut-être même de son oncle Abou Talib lui-même, ou alors de certains ermites chrétiens ; Mahomet se retirait donc dans la grotte de Hira, afin de méditer sur Dieu, et aussi sur sa vie personnelle ou la situation socioreligieuse de son peuple. Son expérience avec les moines chrétiens a pu également lui donner le goût de la prière et la de solitude.
Le texte d’Ibn Ichaq semble exclure la pratique du jeûne puisqu’il précise qu’il faisait cette retraite en compagnie de sa femme Khadidja, aussi se munissaient-ils alors de provisions. Quand elle n’était pas avec lui, elle lui en faisait porter, ou alors il redescendait lui-même à la maison chercher ce qui lui manquait. Ou alors encore, elle venait le voir de temps en temps pour lui en apporter. À moins qu’il ne s’agisse d’une interpolation destinée à gommer le caractère volontairement recherché de ces visions.
Bref, à en croire cette version des faits, le mois de ramadan de l’année 610 arrive, et (apparemment pour la cinquième fois) Mahomet se rendit à la caverne de Hira. Plusieurs jours passèrent sans incident ; puis, la nuit qui précéda le 27e jour de ce mois-là, une nuit que la tradition musulmane appelle la nuit du destin ou du décret (Leïlat al qadr), alors qu’il était allongé, absorbé dans ses rêves ou dans ses méditations ; une créature vêtue de blanc et tout auréolée de lumière apparut à Mahomet puis lui adressa la parole.
Ibn Ichaq, Vie de Mahomet traduction Alfred Guillaume page 106.
« L’apôtre se mit en route comme à son habitude, et sa famille avec lui. Quand vint la nuit où Dieu l’honora de sa mission et fit preuve de miséricorde envers ses serviteurs, Gabriel lui apporta le commandement de Dieu. Il vint à moi, dit l’apôtre de Dieu, pendant que je dormais, avec un tissu de brocart sur lequel quelque chose était écrit, et me dit : « Lis ! J’ai demandé : que dois-je lire ?
Alors il m’a serré entre ses bras si fort que j’ai cru que j’allais mourir, puis m’a relâché en me disant : « Lis ! » J’ai redemandé : que dois-je lire ?
Il m’a serré de nouveau si fort entre ses bras que j’ai cru ma dernière heure venue, puis m’a relâché en disant « Lis ! J’ai demandé encore une fois : que dois-je lire ?
Il m’a serré de nouveau une troisième fois entre ses bras si fort que je crus mourir en me disant : Lis ! Mais que dois-je lire ?
Lis : au nom de ton Seigneur qui a tout créé,
Qui a créé l’homme à partir d’une goutte de sang coagulé.
Lis ! Ton Seigneur est Généreux,
Qui a enseigné par le calame,
Qui a enseigné aux hommes ce qu’ils ignoraient.
Alors je l’ai lu, et il s’en est allé.
Je suis alors sorti de mon sommeil, et c’était comme si ces mots avaient été gravés dans mon cœur. Aucune des créatures de Dieu ne m’était alors plus odieuse qu’un poète (extatique) ou un possédé : je ne pouvais même pas les voir. Je me disais : malheur à moi, je suis devenu maintenant un poète ou un possédé, mais les Couraïchites n’auront jamais l’occasion de dire ça de moi ! Je vais aller me précipiter du haut de la montagne afin de mourir et reposer en paix.
Je suis donc parti pour le faire, mais quand je fus arrivé à mi-hauteur j’entendis une voix venant du ciel qui me disait :
Ô Mahomet, tu es l’apôtre de Dieu et je suis Gabriel.
Je levai la tête pour voir (qui parlait), et je vis Gabriel sous la forme d’un homme avec des pieds, assis sur l’horizon, qui me répétait : Ô, Mahomet, tu es l’apôtre de Dieu et je suis Gabriel.
Je demeurai là un instant figé sur place à le regarder (ce qui me détourna de mon but) puis j’ai voulu alors tourner mon regard ailleurs mais, quel que soit l’endroit du ciel vers lequel je tournais les yeux je le voyais quand même.
Je suis resté là tétanisé sur place jusqu’à ce que Khadidja envoie ses gens à ma recherche dans les hauteurs au-dessus de la Mecque puis revinrent lui dire où j’étais en me laissant cloué sur place. Alors il s’en alla et je suis revenu chez moi.
Je suis allé trouver Khadija, et je me suis assis à côté d’elle.
Khadidja m’a demandé : « O Abou'l Qassim, où étais-tu ? Par Dieu, j’ai envoyé mes gens à ta recherche, ils sont allés jusque dans les hautes – terres au-dessus de La Mecque et sont revenus à moi.
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(Je lui ai dit alors, malheur à moi, je suis devenu un poète ou un possédé. Elle me répondit : Faisons confiance à Dieu pour nous en garder O Abou'l Qassim. Dieu ne te fera pas ça puisqu’il connaît ta sincérité, ta foi, ta douceur de caractère et ta gentillesse. Cela ne se peut pas mon ami. Tu as dû voir quelque chose. Oui répondis-je).
Je lui ai alors raconté ce que j’avais vu et elle me rétorqua : « Réjouis-toi, fils de mon oncle, et haut les cœurs. En vérité, par Celui dans la main Duquel se trouve l’âme de Khadija, j’ai bon espoir que tu pourras être un jour le prophète de ce peuple.
Puis elle se leva, s’habilla et se rendit chez son cousin Ouaraqa ibn Naoufal ibn Assad ibn Abdou'l Ouzza ibn Qousaye, qui était devenu chrétien et qui lisait les Saintes Écritures et avait comme maîtres ceux qui suivaient la Torah et l’Évangile. Quand elle lui raconta ce que l’apôtre de Dieu lui avait dit avoir vu et entendu, Ouaraqa s’écria : « Alléluia Alléluia !… par Celui dans les mains duquel se trouve l’âme de Ouaraqa, si tu m’as dit la vérité, ô Khadija, c’est le grand Namous qui est apparu à Moïse avant lui, le voici maintenant prophète de ce peuple, qu’il y aille de bon cœur. Khadidja se retourna vers l’apôtre de Dieu et lui rapporta les paroles de Ouaraqa (ce qui apaisa quelque peu ses craintes). Après que l’apôtre de Dieu eut achevé sa retraite et fut revenu (à La Mecque), il fit d’abord le tour de la Ka'ba, comme à son habitude. Ouaraqa l’y a rencontré et dit : O fils de mon frère, dis-moi……, etc., etc.… ».
Notes sur feuille volante retrouvées par les héritiers de Pierre de La Crau et insérées par eux à cet endroit.
Le texte lui-même (que dois-je lire ?) affirme donc que Mahomet pouvait ou savait lire, puisque l’ange Gabriel a ordonné à Mahomet de lire les versets qu’il lui montrait. Pour les musulmans, il s’agit simplement d’un miracle : avant chaque rencontre avec l’archange Gabriel, Mahomet ne savait pas lire, et après chaque rencontre, il ne savait plus lire. Raisonnement à la façon des Témoins de Jéhovah (le miracle de Gabaon, la femme d’Abraham et le Pharaon, etc.).
La question qui se pose à la lecture de ces versets du Coran et de ce hadith assez surprenant est néanmoins la suivante : Mahomet dans sa vie courante était-il analphabète ou savait-il lire ?
Si l’on examine les écrits non musulmans, la réponse ne fait pas de doute. Sébéos, un évêque arménien a écrit vers 660 une Histoire d’Héraclius, trente ans après les faits donc, et non pas plus de deux cents, comme les textes musulmans qui font état de l’analphabétisme de leur prophète ; et cette histoire contient la phrase suivante : « Survint à ce moment-là un homme issu de ces mêmes fils d’Ismaël, dont le nom était Mahmet [c’est-à-dire Mahomet], un marchand, comme si par ordre de Dieu leur apparaissaient un prédicateur et le chemin de la vérité. Il leur apprit à reconnaître le Dieu d’Abraham, notamment parce qu’il avait été instruit et informé de l’histoire de Moïse ».
Or un homme peut difficilement être analphabète alors qu’il est très bien instruit et familier de l’histoire de Moïse, c’est-à-dire de la Torah. Cette idée n’est défendable que pour les musulmans qui se limitent à un cadre auto référentiel. Dès que l’on sort de ce cadre, il devient évident que l’analphabétisme de Mahomet à l’époque est une idée tardive, inventée à l’imitation des chrétiens par divers commentateurs, pour crédibiliser le Coran. Elle n’est qu’une aberration de plus dans l’histoire musulmane traditionnelle 1).
Autres versets du Coran troublants. Chapitre 44, versets 1-5.
« H. M. Cette écriture explicite, nous l’avons révélée lors d’une nuit bénie ».
Ce chapitre commence donc par deux lettres ne voulant apparemment rien dire, la lettre H (a) et la lettre M (im), qui ne font sans doute pas partie de la récitation supposée ; mais impliquent un texte déjà écrit (des lettres inscrites sur un feuillet pour servir à le classer ?).
L’épithète d’oummi, attribuée à Mahomet dans le Coran (verset 157 du chapitre Nº 7, Al Araf) : « Le prophète oummi qu’ils trouvent mentionné chez eux dans la Torah et l’Évangile » ne signifie nullement « qui ne sait pas lire », mais « qui ne fait pas partie des gens du Livre ». En tant que commerçant Mahomet devait quand même savoir lire et écrire, au moins quelques mots, et signer. Prophète oummi veut donc dire tout simplement « Prophète envoyé aux oummiyin » (pluriel de « oummi ») c’est-à-dire aux Arabes qui ne connaissent pas les saintes Écritures.
À partir de là, la tradition brode (on le ferait à moins).
Encore sous le choc, Mahomet serait rentré précipitamment chez lui en tremblant, et aurait dû s’envelopper d’une couverture avec l’aide de sa femme, avant d’arriver à se calmer, puis de tout lui raconter. Khadidja calma Mahomet puis le conduisit – selon Baladhuri, l’envoya en compagnie d’Abou Bakr – chez Ouaraqa ibn Naoufal ibn Assad ibn Abd Al-Ouzza. Cet homme, qui était le cousin paternel de Khadidja, savait écrire et avait même traduit en arabe des passages de la Bible. C’était donc sans doute un évêque chrétien (nestorien ? ?)
À cette époque, il était devenu aveugle car déjà très âgé : « Cousin, lui aurait dit Khadidja, écoute ce que va te dire ton neveu ». Et Mahomet lui aurait donc tout raconté. Ouaraqa aurait répondu…
Sahih Boukhari tome 1 livre 1 hadith 3.
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« C’est le même Namous gardien des secrets que Dieu a envoyés à Moïse, je voudrais être jeune et pouvoir vivre jusqu’au moment où ton peuple te chassera. L’apôtre de Dieu demanda : « Parce qu’ils vont me chasser ? » Ouaraqa répondit oui et ajouta : quiconque est venu avec quelque chose de semblable à ce que tu rapportes a été traité avec hostilité, et si je suis encore en vie le jour où tu seras expulsé, je te soutiendrai. Mais après quelque temps Ouaraqa mourut et l’Inspiration divine s’arrêta aussi un moment (sic ?), etc., etc. ».
Le mot arabe « namous » est généralement pris comme voulant dire Gabriel, chez les musulmans pieux, mais le mot provient du grec nomos, qui veut dire « loi », et fait donc allusion à la Loi de Moïse ou à la Torah sans plus. Encore une fois, répétons-le, le nom de Gabriel n’apparaîtra que bien plus tard (dans deux chapitres médinois : 2,97 et 66,4).
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le dire, certains indices font penser à un Ouaraqa évêque nestorien ou manichéen. Il y avait en effet des manichéens à La Mecque en ce temps-là. À en croire la tradition musulmane officielle, par exemple, un des principaux adversaires de l’islam naissant, Abou Soufiane aurait été polythéiste, comme tous les Mecquois d’avant l’islam.
Or Ibn Habib (Kitab al Mouhabbar) s’inscrit en faux contre cette assertion, car il le place dans une liste de « zindiq (= manichéens) de la tribu couraïchite ». Comme Abou Soufiane a été un des principaux chefs Couraïchites et, que son fils Mouawyia devint calife par la suite, que d’autres membres de la tribu couraïchite étaient aussi manichéens ; il n’est pas impossible que le manichéisme ait joué un certain rôle dans l’élaboration de l’islam.
Par chance pour la nouvelle doctrine, le personnage d’Ouaraqa ibn Naoufal disparaît très vite de la tradition, au point qu’on peut s’interroger sur sa réalité. La tradition a tout fait pour l’occulter rapidement et de nos jours peu de musulmans connaissent Ouaraqa. À en croire ces légendes, ce fut pourtant un « prodromos », un éclaireur, comme Jean le baptiste dans la naissance du christianisme.
Tout ce que l’on peut retenir de cet ensemble de légendes aussi primaire ou confus que le texte d’Ibn Ichaq, c’est qu’il y avait donc vraisemblablement des chrétiens dans la propre famille de Mahomet par alliance. Et que l’inventeur du dernier prophète de Dieu a été sa femme, puisque c’est elle qui a identifié la première, avec certitude, l’être surnaturel apparu à son mari, comme étant l’archange Gabriel (du moins, à en croire la tradition musulmane, apocryphe, encore une fois répétons-le !) Comme elle avait des parents judéo-chrétiens, elle a été rapidement convaincue que la créature était un ange et non un djinn, ainsi que Mahomet l’envisageait pourtant lui-même au début. Si Khadidja n’avait pas été plus ou moins chrétienne, Mahomet n’aurait donc été qu’un devin arabe de plus, un kahin adepte du culte des djinns, et en aucune façon un nouveau prophète du Dieu d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob.
1) Cette épithète (oummi) est l’exact équivalent des goïm ou « Gentils » de la Bible, les oummiyoun ce sont non pas les peuples qui ne savent pas lire, mais les peuples qui n’ont pas de textes sacrés, dénués de saintes Écritures, et qui, comme les druides de jadis, craignaient de fixer par écrit et pour l’éternité leur tradition religieuse car (disaient-ils) « l’esprit vivifie, mais la lettre tue ».
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ESSAI D’ANALYSE RATIONNELLE DE LA PART D’UN FÉNIANE
AYANT LU PLUSIEURS LIVRES ET NON UN SEUL.
Nous n’insisterons jamais assez en effet sur notre volonté de ne pas être les hommes d’un livre (du Livre), mais d’au moins douze livres comme les Fénianes d’Irlande, pour d’évidentes raisons d’ouverture d’esprit, la vérité étant notre seule religion. Nous nous permettrons donc ici d’en évoquer d’autres. Mahomet apparemment sait ce que c’est qu’un madjnoun ou « endjinné ». Il a sans doute aussi déjà eu l’occasion d’en voir et il en connaît les caractéristiques. Voilà pourquoi il croit voir un djinn comparable à ceux des Mille et une nuits. Ceci évidemment était impensable pour son épouse, la respectable Khadidja, et elle fera tout pour faire évoluer cette situation dans un autre sens ; en répétant partout, aux voisins, aux proches, et bien sûr à Mahomet lui-même, qu’il ne pouvait s’agir que de l’archange Gabriel envoyé par le Dieu d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob.
D’où ce chapitre du futur Coran, dû probablement à son influence, le chapitre 68 : « Noun ! Par la plume et par ce qu’ils écrivent, grâce à Dieu, tu n’es pas un possédé ! »
Bref, en résumé : Mahomet se croit madjnoun, endjinné ou possédé, et tout le monde ou presque à part Khadidja, pense la même chose à La Mecque (chapitre 68, verset 51 : « Il est sûrement possédé ! »)
Il importe en effet à ce sujet de souligner que, selon Tabari également, Mahomet fut si déstabilisé, voire traumatisé, par ces premières visions, qu’il monta plusieurs fois sur des rochers pour tenter de se suicider ; mais à chaque fois, l’apparition l’en empêchait puis répétait son message. Cela le rassérénait quelque peu, et il reprenait alors ses activités quotidiennes. Il dormait parfois dans la cour de la Kaaba, et lorsqu’on lui fit remarquer, non sans insistance, que son esprit familier semblait l’avoir abandonné 1), la mystérieuse puissance surnaturelle semble alors être revenue à la charge, avec un nouveau message.
« Par la clarté diurne !
Par la nuit quand elle règne !
Ton Seigneur ne t’a pas abandonné
Il ne te haït point ! »
(Coran 93, 1-4.)
Quelque temps passa donc, cependant sans que l’être de lumière se manifeste de nouveau, et Mahomet recommença ses retraites à Hira. Mais la mystérieuse créature lui apparut de nouveau, et une autre révélation éclata dans sa conscience.
« Ô toi qui t’es couvert d’un manteau
Lève-toi pour donner l’alarme
Glorifie Ton Seigneur
Purifie tes vêtements
Fuis toute souillure
Ne donne pas seulement pour obtenir
Sois fidèle à ton Seigneur ».
(Coran chapitre 74 versets 1 à 7.)
Ne pouvant pas plus supporter cette nouvelle vision que la première, Mahomet se précipita une deuxième fois auprès de sa femme, en grelottant de froid ou de fièvre et lui demanda une couverture.
Lorsqu’il eut repris ses esprits, et conformément à ce que la voix lui demandait, du moins selon lui (Dieu sait que nous avons toujours beaucoup respecté ces cas pathologiques à la façon de Jeanne d’Arc, mais que l’on nous permette néanmoins d’avoir des doutes sur la divinité de l’origine de ces voix et de ces aislingi ou visions ; qui étaient peut-être seulement dues, selon certains druides d’aujourd’hui, à des crises d’épilepsie, comme dans le cas des madjnoun possédés par les djinns) ; il commencera dès lors à raconter ses visions à des proches.
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Bref, pour conclure et en résumé. Les chroniqueurs de la légende mahométane signalent donc une interruption momentanée (fatrah) de la révélation, après le premier, ou les premiers messages ; et il n’y aurait donc eu pendant quelque temps que cinq musulmans. Le cercle familial (Khadidja sa femme, Ali ben Abou Talib, son cousin, le futur quatrième calife, son bras droit Zeïd ben Haritha, un esclave chrétien d’Éthiopie qu’il avait affranchi, et le cousin de Khadidja connaissant les écritures juives ou chrétiennes appelé Ouaraqa Ibn Naoufal ainsi que nous l’avons vu). À ce stade, l’islam n’était donc encore qu’une affaire de famille (Ali le cousin et fils adoptif de Mahomet, avait dix ans à l’époque) ; et son message était essentiellement mystique (les visions de Mahomet) ou théologique (des discussions sur Dieu avec les chrétiens de la famille de sa femme).
Car dans les chapitres les plus anciens du Coran, rien n’indique qui prend la parole ni quelle est l’origine de ces révélations. La question qui se pose est donc : qui parle quand Mahomet entend cette voix résonner en lui (même dilemme avec Abraham ou Jeanne d’Arc) ?
La figure de l’ange Gabriel, messager de la révélation, si présent dans la tradition musulmane, est en effet presque absente du Coran où elle ne fait l’objet que de trois mentions, dans des passages tardifs (chapitres 2, versets 97-98 ; chapitre 66, verset 4 ; chapitre 81, versets 19 à 21).
Mais après discussions avec sa femme, Mahomet se présentera néanmoins ensuite comme envoyé du Dieu [d’Abraham, d’Isaac, etc.]
1) Sahih Boukhari Tome 6, livre 60, hadith numéro 475. Rapporté par Joundoub ibn Soufiane : le Messager de Dieu tomba un jour malade et se retrouva dans l’impossibilité de faire la prière de la nuit (tahadjoud) durant deux ou trois jours. Une femme (l’épouse d’Abou Lahab) vint alors le voir pour lui dire : « Ô, Mahomet, je pense que ton Satan t’a abandonné, car je ne l’ai pas vu sur toi depuis deux ou trois nuits ! Sur ce Dieu a révélé : « Par la clarté du jour et par la nuit quand elle tombe, ton Seigneur (Ô Mahomet) ne t’a ni abandonné ni haï (93.1-3).
Afin de prouver que l’apparition en question était sans nul doute l’ange Gabriel et non un démon la tradition musulmane recourt à la preuve puérile et enfantine ou pornographique suivante que nous avons déjà mentionnée ci-dessus.
Ibn Ichaq. Vie de Mahomet. Guillaume. Page 107.
Un affranchi de la famille d’al – Zoubeïr, m’a raconté d’après Khadidja qu’elle a dit un jour à l’apôtre de Dieu : fils de mon oncle, peux-tu me parler de ton visiteur, quand il t’apparaît ?… Quand Gabriel lui apparut ainsi qu’à l’accoutumée, l’apôtre dit à Khadidja : Gabriel vient de m’apparaître.
« Lève-toi, fils de mon oncle, dit-elle, et assieds-toi près de ma cuisse gauche. L’apôtre s’exécuta et elle ajouta : « peux-tu le voir ? Oui, répondit-il.
Alors, tourne-toi et assieds-toi sur ma cuisse droite. Ce qu’il fit et elle demanda encore une fois : « Peux-tu le voir ? Quand il eut répondu oui, elle lui demanda de s’asseoir sur ses genoux. Quand il l’eut fait, elle lui demanda de nouveau s’il pouvait le voir, et quand il eut répondu oui, elle dévoila ses formes et jeta son voile pendant que l’apôtre était assis sur ses genoux. Puis elle lui demanda : « Peux-tu encore le voir ? Non. Elle lui dit alors : « O fils de mon oncle, réjouis-toi et vas-y de bon cœur, par Dieu, c’est un ange et non un satan ».
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ESSAI D’ANALYSE RATIONNELLE PAR ALI SINA DE LA LFI.
Les effets physiques des expériences extatiques de Mahomet :
Ci-dessous comment Mahomet a lui-même décrit ses expériences mystiques :
« Les révélations m’ont toujours été faites par un ange : elles résonnaient dans mes oreilles comme une sonnerie de cloches parfois – et c’est ça le plus dure pour moi, mais l’ange m’apparaissait aussi parfois sous une forme humaine et me parlait ».
Lors de la première révélation, il n’y avait personne avec Mahomet, mais plus tard, quand les mêmes faits se répétèrent, il y eut des témoins ; et pendant les vingt-trois ans qui suivirent, un nombre plus ou moins grand de ses fidèles purent l’observer à ce moment-là.
Il restait parfois sans bouger comme si une charge terriblement lourde pesait sur lui et, même par grand froid des gouttes de sueur lui tombaient du front. À d’autres moments ses lèvres tremblaient.
Ibn Sa'd : « quand l’inspiration lui venait l’angoisse le saisissait et son visage en était altéré » [1]
« Il s’affalait par terre comme s’il était ivre mort ou terrassé par le sommeil ; et même les jours les plus froids, son front se couvrait de grosses gouttes de sueur. L’inspiration venait de manière totalement inattendue, et sans aucun avertissement préalable » [2]
« L’apôtre de Dieu est revenu, les muscles entre son cou et ses épaules tremblaient, jusqu’à ce qu’il tombe sur Khadidja (sa femme) et lui dise : « Couvre-moi ! » (On lui donna une couverture) et que la peur se soit dissipée » [3] et [4].
Il s’agit des symptômes d’une épilepsie du lobe temporal. Ci-dessous une liste non exhaustive des symptômes et des signes d’une attaque du lobe temporal.
Des visions ou des hallucinations : entendre des voix alors que personne ne parle, voir des motifs lumineux, des lumières, des êtres ou des objets qui n’existent pas.
Des contractions musculaires. Les crampes musculaires sont des contractions involontaires et souvent douloureuses des muscles qui gonflent et durcissent le muscle.
Douleurs abdominales ou malaise.
Émotions soudaines et intenses telles que la peur.
Mouvements anormaux de la bouche.
Mouvements anormaux de la tête.
Transpiration.
Rougeur du visage.
Fréquence cardiaque et pouls rapides.
Changements dans la vision, la parole, la pensée, la conscience, la personnalité.
Perte de mémoire (amnésie) concernant les événements précédant la crise.
Ces symptômes affectaient tous Mahomet quand les révélations se produisaient.
Il voyait (hallucinations) un ange ou une lumière et entendait des voix.
Il avait des spasmes physiques et des douleurs abdominales atroces ainsi que des malaises.
Il a été submergé par des émotions soudaines d’anxiété et de peur
Il avait les muscles du cou qui se contractaient.
Il avait des mouvements des lèvres incontrôlables.
Il transpirait même pendant les journées de grand froid.
Son visage devenait tout rouge.
Il avait des palpitations du cœur.
Il avait des pertes de mémoire.
Il est aussi intéressant de noter que les hallucinations de Mahomet ne se limitaient pas à voir l’ange Gabriel, mais qu’il prétendait voir des djinns et même qu’une nuit où il priait dans la mosquée il commença de se battre contre un adversaire imaginaire et qu’il déclara plus tard : « La nuit dernière un ifrite de la race des djinns est venu et a essayé d’interrompre mes prières, mais Dieu n’a permis de
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le vaincre au combat. Je voulais l’attacher à un des piliers de la mosquée pour que chacun d’entre vous puisse le voir le lendemain matin, mais je me suis rappelé la phrase de mon frère Salomon (comme il est dit dans le Coran) : « Mon Seigneur ! Pardonne-moi et accorde-moi un royaume tel qu’il n’appartienne à personne d’autre après moi (38,35) ». Le sous-narrateur Rauh a ajouté : « ce démon fut renvoyé humilié » (Boukhari tome 1 livre 8, hadith numéro 450).
La croyance de Mahomet en Satan était telle qu’il semblait penser que même lui pouvait entendre ses chuchotements.
Affaire dite des versets sataniques.
Un des événements les plus embarrassants de la carrière de prophète de Mahomet fut en effet que Satan mit dans sa bouche certaines paroles.
Tabari tome 6, page 108 : « Quand le messager de Dieu vit que sa tribu lui tournait le dos et qu’ils rejetaient le message qu’il leur avait apporté de la part de Dieu, il désira de toute son âme que quelque chose survienne de la part de Dieu qui le réconcilierait lui et sa tribu avec sa tribu. Vu son amour pour sa tribu et son empressement à œuvrer pour leur bien-être, il aurait été ravi si certaines des objections qu’ils lui avaient faites avaient pu être surmontées, il en débattait en son for intérieur et souhaitait ardemment y arriver.
C’est alors que Dieu a révélé : « Par l’étoile quand elle disparaît, votre contribule n’est pas égaré, il n’a pas été ; il ne parle pas non plus de (sa propre) initiative… (Coran 53, 1-3) et quand il est arrivé aux paroles suivantes : avez-vous considéré al-Latte et al-Ouzza et Manate, la troisième, l’autre ? Satan a mis alors dans sa bouche, à cause de ses débats intérieurs et de ce qu’il voulait pour son peuple, les mots : ce sont des grues de haut vol ; leur intercession est assurément reçue favorablement.
Les Couraïchites furent enchantés de cette mention de leurs dieux. L’amitié fut rétablie et la nouvelle parvint même aux disciples de Mahomet qui, à sa demande, étaient partis en Abyssinie, certains d’entre eux revinrent. Mahomet après avoir réalisé que ces paroles revenaient à un abandon pur et simple du monopole divin et les contradictions que cela entraînait, regretta ces versets et son Dieu le consola en lui disant : Jamais nous n’avons envoyé de messager ni de prophète avant toi sans que, quand ils en avaient le profond désir, Satan n’y projette un peu de vanité, mais Dieu annulera tout ce que Satan a pu inspirer (de vain) et Dieu confirmera Ses Signes car Dieu est Connaissance et Sagesse » (22 : 52).
Les djinns sont mentionnés à plusieurs reprises dans le Coran. La sourate 72 relate une conversation entre djinns où ils commentent le Coran, l’appellent « un merveilleux récital » et se convertissent à l’islam. Leur rôle consiste à tenter de percer les secrets du paradis en écoutant les conversations de l’assemblée céleste. Qui, depuis l’apparition de Mahomet déborde de sévères gardiens et de feux brûlants. « Nous étions assis (dans l’ombre) pour en glaner des échos ». Et le Coran de citer un djinn qui dit aux autres « mais quiconque écoute se heurte désormais à un feu brûlant tapi en embuscade. Et nous ne savons pas si le mal est destiné à ceux qui sont sur la terre, ou si leur Seigneur a (vraiment) l’intention de les garder dans le droit chemin ».
Il n’est donc pas difficile de voir que Mahomet a souffert d’épilepsie du lobe temporal. En fait cette ELT n’était qu’une des maladies dont il souffrait. Mahomet souffrait d’autres troubles mentaux ainsi que de diverses complications physiques. J’y reviendrai dans un proche avenir ; le vrai miracle réside dans le fait qu’un milliard de personnes puissent encore suivre un homme qui était malade depuis si longtemps.
[1] Kita al Ouaqidi p. 37. Voir aussi Boukhari 1, 1, 2.
[2] Boukhari 7, 71, 660.
[3] Boukhari 6, 60, 478.
[4] Boukhari 9,78.111.
[5] Cf aussi Boukhari 2, 22, 301.
[6] Tabari volume 6, page 107
[7] Ce qui fait un peu penser à la fois aux Élohim entourant le dieu père suprême El et aux chérubins (keroubim) montant la garde autour du Jardin d’Éden.
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L’HYPOTHÈSE ALLAH.
Pour ce qui est d’Allah il n’y a que deux solutions possibles, et une troisième combinant plus ou moins les deux précédentes comme toujours.
Étant bien entendu que nous excluons d’office à La Mecque à cette époque un culte organisé du dieu d’Abraham d’Isaac et de Jacob.
À Yathrib/Médine peut-être, à La Mecque non !
Première solution ou hypothèse C : il existait bien à La Mecque une entité divine de ce nom ou connue sous un autre nom, mais correspondant à ce concept.
Problème alors : la divinité la plus connue à La Mecque à l’époque semble avoir été le dieu lune Hobal.
Et elle avait ce que l’islam appelle assez dédaigneusement « des associés ».
Cette notion de partage de la divinité, du culte, voire même d’un sanctuaire était assez répandue d’ailleurs puisqu’on la trouve également évoquée à propos d’Allah, à moins bien sûr qu’il s’agisse d’une interpolation (le nom d’Hobal remplacé par celui d’Allah ?)
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam Introduction 5.
Parmi ces pratiques de dévotion il y avait [……] la vénération de la Maison et sa circumambulation, le pèlerinage, le grand pèlerinage ou le petit (al-omra), la veillée (al-wouqoul) sur Arafa et [al-] Mouzdalifa pour y sacrifier des chamelles, y célébrer le nom du divin éternel (tahlil) et le pèlerinage, en y introduisant…… chaque fois que les Nizar récitaient le tahlil, ils disaient par exemple :
« Nous sommes ici, Seigneur, nous voici, nous voici !
Tu n’as pas d’autre associé que celui qui t’appartient
Tu règnes sur lui et sur ce qu’il possède ».
Ils proclamaient ainsi son unité par le truchement de la talbiyah et, en même temps, lui associaient leurs dieux, en remettant leurs affaires entre ses mains […] En d’autres termes ils ne proclamaient pas son unité (en reconnaissant ses droits légitimes), sans lui associer certaines de ses propres créatures. Il s’agit au moins d’une incontestable tendance à l’hénothéisme.
Allah aurait donc été un dieu très secondaire, partout présent, mais inférieur, perdu parmi les 360 idoles de la Kaaba, hypothèse B.
Et justement un tel dieu existe. Ce que l’on ignore généralement c’est qu’Allah est (aussi) un dieu des marins, car La Mecque est proche de la mer (Djeddah est son port) ses habitants peuvent naviguer tout autant qu’ils chevauchent leurs chameaux. Les marins, de par les dangers qu’ils encourent, constituent souvent une population très sujette aux attentes de nature religieuse. Hors de leur cité, ils sont détachés de leurs divinités habituelles, et plus enclins à concevoir ce genre d’idées. Mahomet utilise donc des images appropriées.
Mahomet, Coran 29, 65.
Quand ils montent à bord d’un navire, ils prient Allah, et lui vouent un vrai culte.
(Mais dès qu’Allah les a menés à bon port, ils lui associent d’autres divinités.)
Mahomet, Coran 17, 66-67.
Votre seigneur est celui qui, pour vous, fait voguer le navire sur la mer pour que vous recherchiez sa faveur… quand un malheur vous touche en mer, bien loin de vous sont alors les divinités que vous priez habituellement. À part lui ! Mais quand il vous a sauvés du danger puis ramenés sur la terre ferme, vous vous en détournez : vous êtes des ingrats.
Le Coran présente néanmoins, dans plusieurs versets, rarement mentionnés, une autre conception d’Allah, un dieu traditionnel, lié aux éléments atmosphériques, commun à l’ensemble du Proche-Orient.
Ibn Ishaq Vie de Mahomet Alfred Guillaume page 36.
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Les Khaoulan avaient un dieu appelé Ammanas… ils divisaient leurs troupeaux entre cet Ammanas et Allah. Si une portion qu’ils avaient réservée pour Allah entrait dans la partie d’Ammanas, ils lui laissaient. Si une portion d’Ammanas allait dans la partie d’Allah, ils lui rendaient.
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam 38.
Il y avait un clan des Khaoulanes appelé… C’est à leur intention que fut révélé le verset suivant :
« Ils mettaient de côté une partie de ce que Dieu avait fait croître des troupeaux en disant ceci est pour Dieu ; et ça pour ceux que nous lui avons associés. Or, ce qui était pour ses associés ne parvenait jamais à Dieu, tandis que ce qui était pour Dieu pouvait parvenir à ses associés ! »
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam 37.
Ils répartissaient entre cette idole et Allah les produits de leur bétail. Toute offrande à Ammanas qui partait vers Allah était restituée à cette idole ; mais si une offrande réservée à Allah partait du côté de ce qui était réservé à leur idole, elle lui était laissée.
Pour mémoire ci-dessous ce qu’inspire le véritable monothéisme philosophique et réfléchi. « Et même ceux qui, fermes dans leur croyance, adorent d’autres dieux, par là même m’honorent aussi involontairement, ô fils de Kounti, bien qu’ils soient dans l’ignorance. Je suis le Seigneur de tous les sacrifices et celui qui en jouit, mais ils ne me comprennent pas en vérité… J’accepte en me réjouissant les offrandes de l’âme humble qui, dans son adoration, m’offre d’un esprit pur une feuille, une fleur, un fruit, ou de l’eau claire. Je suis le même pour toutes les créatures ; je ne connais ni haine ni préférence ; mais ceux qui me servent avec amour demeurent en moi et moi en eux » (Baghavad-Gita, 9, 23-29, colloque entre Krishna/Vichnou et le prince Arjouna)…
EN RÉSUMÉ ALLAH ÉTAIT UNE DIVINITÉ CONNUE DE CES TRIBUS, MAIS CE N’ÉTAIT PAS LEUR DIEU PRINCIPAL.
L’ASSOCIÉ C’ÉTAIT ALLAH.
Ce qui placerait donc Mahomet sans le savoir dans les pas de saint Paul et de l’Agnostos Theos d’Athènes.
Actes des Apôtres 17, 22-31.
« Alors Paul, debout au milieu de l’Aréopage, fit ce discours : « Athéniens, je peux observer que vous êtes, en toutes choses, des hommes particulièrement religieux. En effet, en me promenant et en observant vos monuments sacrés, j’ai même trouvé un autel avec cette inscription : « AU DIEU INCONNU ». Or, ce que vous vénérez sans le connaître, voilà ce que, moi, je viens vous annoncer.
Le Dieu qui a fait le monde et tout ce qu’il contient, lui qui est Seigneur du ciel et de la terre, n’habite pas des sanctuaires faits de main d’homme ; il n’est pas non plus servi par des mains humaines, comme s’il avait besoin de quoi que ce soit, lui qui donne à tous la vie, le souffle et tout le nécessaire. À partir d’un seul homme, il a fait tous les peuples pour qu’ils habitent sur toute la surface de la Terre, fixant les moments de leur histoire et les limites de leur habitat ; Dieu les a faits pour qu’ils le cherchent et, si possible, l’atteignent et le trouvent, lui qui, en fait, n’est pas loin de chacun de nous. Car c’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être. Ainsi l’ont également dit certains de vos poètes : nous sommes de sa descendance, etc. etc. »
Si Allah n’a été au départ qu’un dieu très mineur et quasi anonyme du panthéon mecquois, cela explique le vaste mouvement de rejet hostile à son érection en dieu au-dessus de tous les autres dieux VOIRE À LA PLACE DE TOUS LES AUTRES DIEUX, de la part des contribules du prophète de l’islam.
Ibn Kalbi, Kitab al-Asnam 28.
Lorsque Dieu envoya son prophète qui leur prêcha le monothéisme et les exhorta vivement à n’adorer que Dieu, sans aucune autre divinité avec lui, les Arabes s’écrièrent : « Il a réduit tous les dieux à un seul ; quelle chose étonnante ! »
Il s’agissait, dans leur esprit, des divinités qu’ils avaient l’habitude d’associer à Dieu.
Deuxième solution hypothèse A : c’est une divinité de synthèse peu à peu élaborée par Mahomet suite à ses réflexions personnelles ou à ses emprunts à d’autres cultes, païens ou judéo-chrétiens.
N’oublions pas que le nom arabe pour « Dieu » est le mot « Al-Ilah ». C’était un titre générique pour tout dieu considéré comme étant le plus élevé. Différentes tribus arabes utilisaient le mot « Allah » pour parler de leur dieu suprême à elles.
Allah ne semble donc pas être un nom propre au départ, mais un nom commun signifiant « ce qui est divin, la divinité, la nature commune à tous les dieux ».
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LA TENTATIVE DE SYNTHÈSE A (COMME ALLAH).
Pour bien comprendre le caractère véritable de cette divinité, il faut recourir à un recensement géographique des occurrences de ce nom commun hors de tout contexte islamique, donc ne devant rien à la prédication de Mahomet.
La plus vieille attestation du nom d’Allah est peut-être celle trouvée à Qaryat al Faw (la capitale des Kinda) dans l’inscription d’Igl (1er siècle).
« Igl fils de Haf'am a construit pour son frère Rabibil fils de Haf'am le tombeau : pour lui et pour son enfant et sa femme, et ses enfants et les enfants de leurs enfants et les femmes libres du peuple Ghalouane. Et il l’a placé sous la protection de [les dieux] Kahl, Lah et Athtar al-Shariq contre quiconque, fort ou faible, et contre quiconque tenterait de le vendre ou de l’engager, pour toujours, sans aucune dérogation, aussi longtemps que le ciel produira de la pluie ou la terre de l’herbe ».
Quand Mahomet s’adressait à ses adversaires en utilisant le nom d’Allah, il le faisait tout simplement parce qu’Allah signifiait aussi quelque chose, et quelque chose d’important pour eux. Si cela n’avait pas été le cas, aucun dialogue, même conflictuel n’aurait pu être possible entre eux, et leur attention n’aurait pas été attirée par les idées de Mahomet sur la question.
Ayons bien toujours à l’esprit que, quand Mahomet commença d’utiliser le nom d’Allah ; il y eut immédiatement d’âpres débats parmi les habitants de La Mecque à ce sujet. L’utilisation de ce vocable par Mahomet provoqua maintes querelles orageuses à propos de la nature de ce dieu, entre son prophète et les mécréants incroyants ou non croyants (kouffar), ainsi que l’on peut le voir amplement dans le Coran lui-même.
C’est pour ces raisons que l’on retrouve dans son Coran l’essentiel des croyances et des rituels précédents, modifié de façon si minime que l’on y reconnaît sans peine les bases du système précédent. La chose est indiscutable quant aux rites. Mais il faut avoir le courage de l’affirmer, ou de l’admettre aussi à propos des conceptions du divin.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le voir, mais vu l’importance de la chose, on ne le répètera jamais assez ; avant la césure de ses apparitions, le comportement de Mahomet fut donc strictement païen. L’auteur du Coran a vécu les quarante premières années de sa vie en acceptant les normes du système dit « païen », dans lequel il a puisé les éléments de sa doctrine initiale, il ne s’est dressé contre lui que quelques années plus tard.
Ainsi que nous avons pu le voir également dans nos premiers livres (la légende irlandaise du demi-dieu hésus Cuchulainn, le dodécaèdre, etc.), les païens hypostasiaient (hypostasiaient et non apostasiaient) les attributs de la divinité en les personnalisant. Ce qu’a très bien reconnu (à sa manière) Tabari en commentant ainsi le verset 180 du chapitre 7 (Tabari, Tafsir 7/180). « Leur blasphème, en ce qui concerne les noms de Dieu, consistait en ce qu’ils les détournaient de l’emploi qui était le leur et les appliquaient à une divinité ou à leurs idoles en y ajoutant ou en y retranchant quelque chose. Ainsi donnaient-ils à l’une d’entre elles le nom d’al-Latte qu’ils faisaient venir du nom d’Allah (réservé à Dieu) ; à une autre le nom d’Ouzza qu’ils faisaient venir de cet autre nom de Dieu qu’est al Aziz ».
Pour ce qui est des rapports du Un et du Multiple, le mouvement naturel de l’âme païenne était donc descendant et centrifuge, il partait de l’unité ou du centre pour aller vers la multiplicité des manifestations de l’être. Ce qui était à l’œuvre dans leurs constructions intellectuelles c’étaient les dieux personnels, les particularismes.
Mahomet essaiera de faire tout le contraire, sans y réussir totalement néanmoins. Voir les différentes conceptions du taouhid chez les théologiens moutazilites : unicité de la seigneurie unicité de l’adoration unicité des noms et attributs (qui ne vont pas tous automatiquement et forcément très bien
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ensemble par définition, il peut par exemple y avoir unité de la seigneurie sans unité des noms et attributs, sans unicité d’adoration, etc.)
Maintenant quelles sont les conséquences ou les implications du fait que le nom d’Allah, non seulement était connu des deux parties en présence (Mahomet ainsi que les Mecquois ne partageant pas ses idées), mais qu’il était aussi utilisé par elles dans leurs polémiques réciproques ? Le seul fait que le nom d’Allah était commun à la fois aux Arabes païens et aux musulmans, et que cela donnait fréquemment naissance à de nombreuses controverses sur l’idée que l’on pouvait se faire de ce dieu ; semble suggérer qu’il y avait au départ une grille d’interprétation commune rendant possible, bien que pas très facile, un minimum de dialogue entre les deux parties. Autrement il n’y aurait pu avoir ni débat ni discussion à ce sujet.
Avant l’islam, chaque tribu avait son dieu, mais la liste des êtres divins, et surtout l’importance qu’ils pouvaient avoir, variait beaucoup d’une tribu à l’autre. Les plus importants d’entre eux devaient être connus un peu partout dans la péninsule.
Le culte d’une déité désignée simplement par un terme signifiant « le dieu » (al-ilah) était répandu du sud de la Syrie au nord de l’Arabie à l’époque préislamique. La chahada islamique (il n’y a de dieu que Dieu) le prouve indirectement.
Le théonyme Allah vient d’al-ilah, un terme devenu le titre générique de tout dieu considéré comme localement supérieur. El Illah est partout présent, dans de nombreux sanctuaires, comme dieu local, ou terme générique et presque anonyme désignant la divinité.
On retrouve des équivalents du dieu Allah dans les différents polythéismes sémitiques, Il chez les Assyro-babyloniens, El chez les Phéniciens et les Cananéens, Élohim ou Eloah chez les Hébreux. Ce qui permet de reconstituer un dieu sémitique commun, L, probablement adoré il y a plus de 5 000 ans. Les rapports entre ce nom, qui à Babylone et en Assyrie devint un nom générique signifiant simplement « dieu » ; et le mot arabe ilah qui nous est devenu plus familier sous la forme Allah, composé de l’article défini « al » et de ilah, par élision de la voyelle « i » ; ne sont pas clairs. Certains érudits font venir ce nom de l’illah de l’Arabie du Sud, un titre du dieu-lune, mais c’est un point de vue archéologique sujet à caution. Ce qui est certain, c’est que dans certaines inscriptions, nabatéennes ou autres, Allah signifie tout simplement « Dieu ».
C’est un dieu connu de toutes les tribus, qui le considèrent chaque fois comme spécifique et particulier, familier et quotidien. Dans des régions très diverses, unifiées par un peuplement et souvent la langue arabe, c’est le dieu « topique » qui est honoré : celui du sanctuaire, du village, de l’endroit, ou celui que l’on voudrait y trouver. Mais il est aussi couramment associé à d’autres divinités. Chaque tribu arabe utilisait aussi ce terme pour qualifier son dieu. Voilà pourquoi Houbal/Hobal était aussi qualifié du titre d’Allah dans la ville de La Mecque.
Cet aspect de la conception du divin chez les Arabes n’est pas contesté par Mahomet dans ses premières « révélations ». Il n’aborde que bien plus tard la question de l’unicité divine, sous l’influence des doctrines juive et chrétienne, et pour asseoir théologiquement son message.
Maintenant puisque c’est un dieu de la Kaaba de La Mecque (Hobal, Allah ?) que Mahomet adore à la façon du polythéisme hiérarchisé ou de l’hénothéisme, au début de sa prédication, examinons un peu plus longuement ses attributs divins, épithètes ou épiclèses. L’importance ultérieure d’Allah dans la conception musulmane du divin nous impose un traitement détaillé du sujet.
Il n’est pas difficile de suivre le Coran pour trouver toutes les caractéristiques de la divinité adorée autrefois par les Mecquois. La rhétorique de Mahomet s’appuie sur les acquis : d’abord, rappeler aux Mecquois leur croyance traditionnelle, pour ensuite la faire évoluer à son avantage et presque à leur insu. On possède ainsi un tableau très complet de la divinité mecquoise ancestrale et de ses diverses attributions. Rabb est le mot qu’emploie Mahomet au début de sa prédication, bien plus que le vocable « Allah » par la suite. Pour un Mecquois ce terme évoquait mieux en effet l’idée de puissance surnaturelle que celui d’Allah, trop abstrait ou général. À l’origine, le Rabb est le seigneur d’un lieu : la puissance qui domine un endroit et en fait un sanctuaire. LE DIEU DE MAHOMET EST DONC…
RABB HAZILHIL BALADAT.
« Le seigneur de la ville » : la divinité poliade de La Mecque antique.
Mahomet, Coran 27, 91.
« J’ai seulement reçu l’ordre d’adorer le seigneur de cette cité qu’il a déclaré sacrée ».
RABB al HADHAL BEÏT.
« Le seigneur de la Maison » : ce titre topique est sans doute le plus proche de la réalité cultuelle du temps de Mahomet. On peut en trouver la confirmation dans le chapitre 106, 3 dit des Couraïchites.
« Qu’ils adorent le Seigneur de cette Maison ! Il les a fait vivre ; il les a préservés de la famine ; il les a délivrés de la peur ».
RABB al KAABA.
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Les documents prouvent que le dieu de la Kaaba sera encore honoré par les Arabes sous sa dénomination originelle, longtemps après le début de la prédication de Mahomet.
RABB AL ALAMINA.
« Le seigneur des Mondes ». Le seigneur DES mondes et non le seigneur DU monde.
Mahomet, Coran 26, 77.
« Ce sont tous des ennemis pour moi, hormis le seigneur des mondes qui m’a créé ».
Mahomet, Coran 44, 7.
« Il n’y a de Dieu que lui !
Il fait vivre et fait mourir.
Il est votre seigneur (rabb) le seigneur (rabb) de vos aïeux ».
Tout l’effort idéologique de Mahomet consistera donc à fusionner sous une seule et même bannière, sous une seule et même dénomination, vague à souhait (à l’origine, Allah est la simple contraction d’El illah : la divinité ; dans les langues sémitiques, « celui à qui un culte est rendu », notamment pour que la pluie tombe, en ces milieux arides) les multiples divinités du polythéisme hiérarchisé de La Mecque.
Les versets 39 et 40 du chapitre sur le pèlerinage (le chapitre N° 22) sont d’ailleurs explicites à ce sujet ; ils nous montrent l’assimilation que fait Mahomet entre le dieu seigneur de la Kaaba (rabb al Kaaba) et la divinité supérieure en général (Dieu). « L’autorisation de se défendre est donnée à ceux qui ont été attaqués parce qu’ils ont été injustement traités, Dieu a la puissance de les secourir ; et à ceux qui ont été chassés injustement de leur maison pour avoir seulement dit : Notre Seigneur est Dieu ».
Réponse des musulmans pieux. « L’islam n’a jamais subi l’influence de son milieu d’origine puisqu’il est une religion dont Dieu lui-même a déterminé les règles aptes à réformer la condition humaine, fixé les principes, le dogme et les objectifs ».
Réponse des fénianes ou hommes de douze livres et pas seulement d’un seul.
1. Le plus important n’est pas de croire que Dieu est Un, mais la conception que l’on se fait de son caractère.
2. La conception coranique de Dieu est-elle la continuation de l’idée que s’en faisaient les Arabes d’avant l’islam ou représente-t-elle au contraire une rupture complète avec le passé ? Y a-t-il des liens essentiels ou fondamentaux et non simplement accidentels, entre les deux conceptions divines évoquées par le même nom ou Dieu est-il simplement un nom commun évoquant des choses différentes ?
3. Estimer que l’islam, tel que Mahomet l’a constitué, fut d’emblée un monothéisme, c’est faire preuve d’un suivisme consternant qui est une véritable insulte à l’intelligence humaine…………
De nombreuses divinités honnies comme dans la Bible juive sont citées dans le Coran, et il est évident que tout l’effort de Mahomet consistera ensuite à les fondre dans le nom et la figure traditionnelle retenue par lui en dernier ressort.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, mais la répétition est la plus forte des figures de rhétorique ; cet effort d’unicité transparaît dans la longue énumération des attributs ou des épiclèses, les délégations de pouvoir à d’autres entités, les détails de son apparence matérielle ; voire même pour finir la longue hésitation, qui durera plusieurs années sans doute, entre les noms d’Allah, Rabb ou Rahman.
1 Rabb : le seigneur. Le seigneur de la Maison, autrement dit de la Kaaba. Ce titre topique est sans doute le plus proche de la réalité cultuelle d’alors. Le seigneur est le dieu avec lequel le fidèle entretient une relation privilégiée, sinon mystique. Ce n’est pas à ce moment une manifestation de monothéisme philosophique et réfléchi : dans le système traditionnel hénothéiste, il est normal que certains choisissent de privilégier telle ou telle puissance.
2 Le Rahman.
Le Miséricordieux est l’appellation traditionnelle de Yahvé pour les Juifs d’Arabie. Il n’est donc pas populaire à La Mecque. Un des chapitres du Coran montre que Mahomet n’a pas encore définitivement choisi entre les deux dieux à l’époque. Coran 17, 110. Invoquez Allah ou bien invoquez le Clément (Rahman), quel que soit le nom sous lequel vous l’invoquez, les plus beaux lui appartiennent.
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LES DÉBUTS DU MOUVEMENT.
La partie qui suit traitera du début de la prédication de Mahomet, dans le cadre de sa petite patrie, La Mecque, au sein de sa tribu et de son clan. Son activité religieuse aboutira peu à peu à la constitution d’une secte au sens étymologique du terme. Les documents montrent bien que son apostolat se limite alors strictement aux frontières de sa cité ; l’ambition universelle inspirée de la figure d’Abraham ne survenant que bien plus tard, à la faveur d’un concours de circonstances : sa rencontre avec les juifs de Yathrib/Médine.
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PORTRAIT DE QUELQUES CONVERTIS DE LA PREMIÈRE HEURE
ET DONC PAS DU GENRE ABOU SOUFIANE PÈRE DU 5e CALIFE MOU’AWYA.
Rappelons pour mémoire que le héros du roman initiatique intitulé évangile le grand rabbi nazaréen Jésus, en ce qui le concerne, n’a pas réussi à convaincre un seul membre de sa famille (même son frère Jacques de Jérusalem n’y a cru qu’à moitié) et qu’il nous est présenté commençant directement sa prédication publique (à Capharnaüm en Galilée vers l’an 30) qui s’achèvera environ 2 ans plus tard à Jérusalem.
Il importe aussi pour commencer de rappeler que le début de l’apostolat de Mahomet ne contient aucune attaque contre les idoles ; c’est une période de sa vie où le nouveau prophète peut encore espérer une solution de compromis avec l’aristocratie des Couraïchites.
Outre sa femme Khadidja et son cousin Ali cela va de soi on peut donc citer…
Hamza.
Cet oncle paternel de Mahomet lui-même est déjà un personnage bien connu à La Mecque pour son courage, son habileté ainsi que son goût immodéré pour le vin : c’est un personnage tout à fait dans l’esprit de la Djahiliya. Il mettra ensuite son caractère emporté au service de Mahomet, dont il assure la protection, par solidarité tribale et par esprit d’aventure. C’est le chahid le plus célèbre de l’islam : sa mort à la bataille d’Ohoud en fera un véritable héros pour toutes les générations à venir de musulmans. Le plus piquant est qu’il n’est pas véritablement musulman, et ce n’est que par sa mort héroïque finalement qu’il s’islamisera un petit peu, et pour de bon. S’il n’avait pas été aussi efficace sur le plan militaire, nul doute qu’il aurait fini par grossir les rangs des « hypocrites » les opposants à Mahomet). En un mot un personnage héroïque, stupide, mais sympathique, du genre qui est utile à toutes les causes, bonnes ou mauvaises, et qui s’y plonge totalement, sans réfléchir.
Abou Bakr, de deux ans plus âgé que Mahomet. Il sera surnommé as-siddiq (le très sincère). Sa fille Aïcha deviendra l’épouse préférée de Mahomet. Il lui succédera en tant que premier calife. La fortune d’Abou Bakr, qui s’avère également immense, sera souvent bien utile à Mahomet (c’est par exemple sur un chameau lui appartenant qu’il pourra partir se réfugier à Yathrib/Médine). Que serait devenu l’islam sans les moyens financiers d’Abou Bakr, nul ne le sait ?
Conversion suivie de quelques dizaines d’autres, dont ses futurs successeurs au califat, Osman ibn Affane, petit-fils d’Abd al Mouttalib, également beau-père de Mahomet (lequel épousa sa fille Hafça).
Saad ibn Abi Ouaqqas : un autre parent de Mahomet. Il fut des tout premiers musulmans (peut-être même le troisième, s’il a bien adhéré en même temps qu’Abou Bakr). Sa mère le menaça de ne plus rien manger tant qu’il ne serait pas revenu à la religion de ses ancêtres, qu’il venait d’apostasier, mais en vain.
Je me suis vu troisième dans l’islam ; personne n’accepta l’islam avant moi, et pendant sept jours, je fus le tiers de l’islam. Saad ibn Abi Ouaqqas fut le premier à décocher une flèche lors d’un djihad (Boukhari, Muslim). Ce sera lui qui commandera les troupes musulmanes lors de la bataille qui aura lieu quelques années plus tard à Cadesia contre l’Empire perse sassanide en 637.
Zeïd.
C’est un esclave de Khadidja, de la tribu chrétienne des Banou Kalb. Khadidja l’avait offert à Mahomet. Tout au début de la prédication, il se convertit et il est alors affranchi, puis adopté. Il restera cependant son serviteur et son secrétaire : s’occupant aussi bien de la transcription des révélations coraniques que de la répartition du butin, fonctions qu’il remplira jusque sous le califat. Son
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personnage a été ridiculisé par le Toland français qu’est Voltaire, dans son « Mahomet » : il en a fait le type même du serviteur fanatique et borné. D’où le terme français de séide.
Bilal.
Il y aura aussi le chrétien Bilal Ibn Rebah, plus connu sous le nom de Bilal Al-Habachi (l’Abyssin). Un esclave noir d’Éthiopie qui deviendra le premier muezzin de l’islam. Curieux personnage d’ailleurs que ce Bilal. N’est pas muezzin en effet qui veut ! Seconde personnalité du sacerdoce musulman, le muezzin est toujours choisi pour sa grande connaissance du culte ; voilà pourquoi, il peut, à tout moment remplacer l’imam pour diriger la prière. Si Bilal a réellement occupé cette fonction, surtout durant les premières années de l’islam, c’est, sans nul doute, parce qu’il était plus instruit et plus lettré que les autres compagnons et futurs successeurs de Mohamed. Les voies de Dieu sont peut-être impénétrables, mais elles ne peuvent expliquer à elles seules par quel miracle un esclave peut avoir acquis une telle instruction ! Son père Rabah était esclave dans le clan des Banou Djoumouh. Sa mère, Hamamah, était une captive éthiopienne donc chrétienne, de haut rang. Rabah n’était pas n’importe qui par conséquent. Il se démarquait nettement des autres par sa haute moralité, sa conduite irréprochable, et son intégrité inégalable. Aussi lui avait-on confié la supervision de la propriété de la tribu. Il était sans doute lui aussi chrétien et plus ou moins lettré.
Bilal fut racheté par Abou Bakr, qui l’avait affranchi au moment de sa conversion. Il devient ensuite le serviteur personnel de Mahomet. Du fait de ses origines, il n’obtiendra jamais aucun poste de responsabilité, malgré son intimité avec le prophète.
Abd Ar – Rahman ibn Aouf. Avant sa conversion, il s’appelait Abdou Amrou. Il fut parmi les huit premières personnes à se convertir à l’islam. Lorsqu’il arriva, lui aussi, à Yathrib/Médine, Mahomet lui donna comme frère en religion Saad ibn Al Rabi, qui lui offrit la moitié de ses biens ; et une de ses épouses (oui, en ce temps les femmes étaient quelque chose que l’on trouvait naturel de donner ou d’échanger). Mais Abd Ar-Rahmân déclina l’offre (la femme en question n’était peut-être pas très séduisante) et il demanda simplement où se trouvait le marché de la ville. Il s’y rendit et s’y installa. En peu de temps, il devint le commerçant le plus riche de Yathrib/Médine. À sa mort, il laissa 1000 chameaux, 1000 chevaux, et 3000 chèvres. À chacun des survivants de la bataille de Badr alors encore en vie, il attribua 400 dinars.
Abou Obeïda Bin AI Jarrah : le neuvième à suivre Mahomet. Son père était resté païen, mais Dieu « guida » sa mère. Il émigra deux fois, en Abyssinie puis à Yathrib/Médine, et participa personnellement à toutes les expéditions commandées par Mahomet. Lors de la bataille de Badr en 6224, il se battit contre son propre père. Il perdit deux de ses incisives en voulant arracher le casque de Mahomet blessé par un coup de sabre.
Quand Omar le nomma en remplacement de Khaled ibn Oualid, celui-ci dit aux Syriens « voici le gardien de l’Oumma » ; se référant sans doute ainsi au propos de Mahomet rapporté par Anas : « Chaque communauté a son homme de confiance ; et l’homme de confiance de ma communauté, c’est Abou Obeïda » (Muslim).
Sous le règne des deux premiers Califes, il commandera les armées musulmanes de Syrie, d’Irak, et de Palestine.
Ces premières conversions à titre individuel, pacifique et privé, ne causent aucun problème aux habitants de La Mecque, mais tout changera en 612.
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LA PRÉDICATION PUBLIQUE (612-613).
L’année 612 ou 613 est une année cruciale dans le développement de l’islam, un véritable tournant.
Toutes ces idées qu’il a empruntées aux juifs et aux chrétiens, voire aux manichéens ou aux mages du zoroastrisme Mahomet va désormais les ressortir ou les régurgiter en se proclamant publiquement et sans le cacher, envoyé de Dieu ! Après trois ans de semi-clandestinité, trois longues années de conciliabules ou d’initiatives secrètes, les révélations reprennent, et se suivent désormais (tout en se ressemblant néanmoins fortement, classique phénomène de répétition). Le tout sur au moins vingt ans.
Une trentaine de fidèles assistent alors aux réunions organisées dans la maison de l’un d’entre eux, Al-Argam, pour écouter ou commenter les visions de Mahomet, ou pour prier. L’adoration fut, dès le début en effet, un trait distinctif de la communauté musulmane. Voir les divers ordres adressés dans les plus anciens passages du Coran à Mahomet, notamment le deuxième (« Glorifie le Seigneur ! Purifie tes vêtements ! » 74, 3-4) ou à l’Humanité (87,15). Les musulmans veillaient même une partie de la nuit à cet effet, au début (Chapitre 73, 1-4).
Ces réunions plus ou moins secrètes étaient fondées sur le bouche-à-oreille, à quelques exceptions près naturellement.
En 612 donc une révélation ordonne à Mahomet : « Avertis ta tribu et tes proches » (Coran 26, 214). Enfin, du moins d’après les docteurs de la foi musulmane eux-mêmes, encore une fois répétons-le !
Mahomet aurait alors rassemblé tous les membres de son clan, et les aurait invités à le reconnaître en tant qu’envoyé de Dieu. Mais Abou Lahab, un de ses oncles, lui aurait coupé la parole en lui criant : « Est-ce pour cela que tu nous as fait venir ? ». Et la réunion se serait achevée de la sorte aussitôt.
Note de la rédaction. On a très peu étudié en général le cas des opposants à Mahomet. Il faut dire que ceux qui ne se sont pas soumis à lui ont souvent mal fini.
Deux personnages se distingueront néanmoins dans cette foule dès le début :
— Abou Lahab, « le père de la flamme », devenu le chef du clan des Hachémites à la mort d’Abou Talib, qui a l’honneur d’être maudit par Mahomet jusque dans le texte coranique.
— Amir ibn Hicham surnommé Abou Jahl, « le père de l’Ignorance » qui dirige le clan couraïchite des Makhzoum (il sera tué à la bataille de Badr en 624).
N.B. On peut douter de l’existence réelle en chair et en os de tels individus, et notamment d’Abou Jahl, dont le surnom est un peu trop beau pour être vrai (Djahilyia = ignorance).
En 613 Mahomet a une nouvelle hallucination : « Annonce à voix haute ce qui t’a été ordonné de faire et détourne-toi des idolâtres » (Coran 15, 94). Il décide donc de faire proclamer partout en ville par ces premiers musulmans (30 ou 40 personnes) le contenu desdites révélations (voir plus tard, par-delà les siècles, les 95 thèses de Luther, en 1517).
À ce niveau de sa prédication, ainsi que nous l’avons écrit, la divinité invoquée n’est pas « Dieu » au sens monothéiste du terme ; il n’y a pas de proclamation de l’unicité, pas de rejet des autres dieux, pas d’universalisme non plus.
Au contraire, les mentions du « Seigneur » et de La Mecque, conduisent à la plus évidente constatation, qu’il faudra répéter inlassablement : il ne peut s’agir à ce stade de la révélation, que du Seigneur de la Kaaba de La Mecque.
Le chapitre 28 montre bien que Mahomet, au début du moins, ne se sentait envoyé qu’aux Arabes. « Tu n’étais pas sur le flanc du mont [Sinaï, avec Moïse] quand nous avons appelé [les hommes à nous obéir], mais une grâce du Seigneur te permet aujourd’hui de prévenir un peuple auquel aucun prophète n’avait été envoyé avant toi, peut-être alors réfléchiront-ils ? »
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Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le voir, mais vu l’importance du fait, nous le répéterons ; l’épithète d’oummi, attribuée à Mahomet dans le Coran (verset 157 du chapitre Nº 7, Al Araf : « Le prophète oummi qu’ils trouvent mentionné chez eux dans la Torah et l’Évangile ») ne signifie nullement « qui ne sait pas lire » ; mais « qui ne fait pas partie des gens du Livre ». En tant que commerçant, Mahomet devait quand même savoir lire et écrire, au moins quelques mots. Prophète oummi veut donc dire tout simplement « Prophète envoyé aux oummiyin (pluriel de « oummi ») » c’est-à-dire aux Arabes qui ne connaissent pas les saintes Écritures.
Outre le fait qu’il est évident dans ce cas, que le Seigneur en question est le dieu protecteur de la Kaaba de La Mecque, et pas le dieu du général chrétien Abraha ; ce qui ressort à l’évidence de tout cela, c’est que ces premiers versets révélés sont très courts, rythmés, incantatoires. Les thèmes sont peu nombreux : l’autosuffisance de la prédication, la supériorité absolue de Dieu par rapport à la condition misérable de l’homme, et la création ou la fin du monde.
Ici surgit le premier des problèmes de fond.
L’hagiographie musulmane traditionnelle nous présente la prédication de Mahomet comme ayant immédiatement suscité de vives réactions de rejet de la part des païens de La Mecque. Mais est-ce bien exact ? Il n’y a pas, au début, mention dans le Coran de l’unicité de Dieu. L’insistance à condamner l’idolâtrie ne viendra que dans un deuxième temps. Et ce qui est certain, c’est que les versets médinois ne postulent pas que l’existence de Dieu est ignorée, que ce soit de Mahomet ou de son auditoire. Ils prennent au contraire comme point de départ la croyance en un dieu appelé Dieu.
À en croire William Montgomery Watt, le message originel de Mahomet à La Mecque ne fut pas une critique si radicale que cela du paganisme, et ne constitua en aucun cas une irruption brutale et inattendue du culte de Dieu dans sa tribu. Mahomet s’adressa vraisemblablement à un peuple qui croyait déjà en un dieu nommé Allah ou Al-Ilah. Il ne fit que focaliser l’attention sur ce vocable et son culte. Selon Watt, le nom d’Allah ne fut pas une invention, ni une révélation apportée par Mahomet, car il existait depuis déjà très longtemps, avant même que Mahomet ne le mette en avant. Mais il est vrai qu’il faisait surtout partie de la langue des Arabes chrétiens. Mahomet le leur a peut-être emprunté, notamment lors de ses voyages en Syrie ou de ses discussions avec eux (ou plus tard avec sa femme et son cousin Ouaraqa ibn Naoufal).
N.B. Les chrétiens utilisaient aussi le terme grec kyrios, seigneur ; rendu par rabb en arabe ou par d’autres noms tels le Miséricordieux, le Compatissant, le Bon (le Bon Dieu), etc.
Le slogan de Mahomet : « Il n’y a de Dieu qu’Allah » est sans doute plus hénothéiste que monothéiste au départ, en tout cas dans la tête de ceux qui l’écoutaient. Il veut peut-être tout simplement dire initialement, pour Mahomet ou ceux auxquels il s’adresse, les habitants de La Mecque : « De tous les dieux que vous adorez, Allah est de loin le principal ». Ce slogan ne se rapporte donc pas à la nature d’Allah, mais à sa place dans le panthéon.
La Mecque était un havre de paix pour toutes sortes de religions, ses habitants étaient tolérants. Le prouvent les 360 symboles ou représentations divines exposés dans leur panthéon (la Kaaba). Comme laïcité ouverte ou positive, on ne peut pas faire mieux ! Voir aussi la qissatou el gharaniq. Ces versets controversés (ce qui est sûr, c’est qu’ils ne figurent pas dans le canon coranique actuel) sont évoqués par Tabari. Mahomet semble avoir plus ou moins accepté au début les trois déesses principales du panthéon arabe mentionnées dans le Coran, chapitre 53, versets 19 à 20. cf. également le chapitre 6, verset 100, le chapitre 37, versets 149 à 153. C’est-à-dire Ouzza, Late et Manat ou Manaf. Mahomet s’était bien gardé en outre de toucher aux traditions ancestrales, sinon son entreprise eût été immédiatement vouée à l’échec : circoncision, polygamie, culte de la pierre noire, calendrier lunaire, sacrifices, immolations, talismans, amulettes…, etc., etc.
Vu ce qui s’est passé ensuite, il est incontestable que le choix du nom d’Allah pour signifier Dieu a été un moyen efficace de rallier à sa cause toutes les tribus arabes vivant autour de La Mecque.
Le Coran parole d’Allah, prêchera l’inaccessible mystère de ce Dieu, énumérera ses noms et attributs, décrira ses actions. Il est créateur, juge et rédempteur. Il n’engendre pas et n’est pas engendré. Il est omnipotent, omniscient et seigneur des Mondes. Bref ! Sur les nombreux pouvoirs d’Allah selon Mahomet (dispensateur de pluie, créateur, etc.), voir le bilan que nous en ferons après Yathrib/Médine.
À Yathrib/Médine, Mahomet se contentera par conséquent de faire passer Dieu du statut de dieu secondaire d’un panthéon, à celui de Dieu unique d’un culte monolâtre. Il est extrêmement significatif que Mahomet n’ait pas jugé nécessaire de fabriquer une divinité entièrement nouvelle ; et qu’il se soit plus ou moins contenté de débarrasser le dieu païen Dieu de ses associés (les autres divinités païennes), en le soumettant à une sorte de purification dogmatique. Le « plus ou moins » est de rigueur, car les chapitres de l’archange Gabriel sur le sujet ne sont pas très clairs. Il en ressort en effet une seule chose de sûr : pour Mahomet les djinns existaient bien, ils émanent de Dieu, mais ne lui sont pas agréables. (Chapitre 37, verset 158 et chapitre 6, verset 100).
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Ainsi que nous avons pu le voir, un rejet violent à ce point du message initial de Mahomet est donc incompréhensible de la part des Couraïchites.
À moins que l’objet de ce rejet ait été moins le message lui-même, que la personne du messager. La personnalité de Mahomet sera donc évoquée dans nos prochains essais sur l’islam.
En fait, tout se passe comme si la tradition avait volontairement dramatisé les faits A POSTERIORI, afin de les couler dans le moule de l’idée reçue qui veut que tout prophète judéo-chrétien soit persécuté.
Argument à l’appui de cette hypothèse : la pseudo prophétie attribuée au cousin de Khadidja (Ouaraqa) prévenant Mahomet qu’il serait chassé de La Mecque par ses propres compatriotes (cela ne vous rappelle-t-il rien ? ? ?) et qui fait vraiment prophétie post eventum (après coup).
À en croire le Nouveau Testament, Jésus ne fut pas très chanceux dans son entreprise de conversion des foules, les Évangiles soulignent maintes fois le faible nombre des convertis. Mahomet n’eut pas plus de succès, le Coran ne cesse de le déplorer. Il ne subit que moqueries dans ses prêches (4, 140) : « Lorsque vous écoutez les versets divins, certains n’y croient pas et s’en moquent ». Les incroyants sont sourds à toute parole, à tout miracle (10, 97) : « Quand bien même tous les miracles seraient accomplis sous leurs yeux, ils ne croiront pas ; jusqu’à ce qu’ils subissent l’ultime châtiment ». Mais Dieu l’affirme lui-même (11, 17) : « N’aie aucun doute sur ce livre : il est la vérité même venant de ton Seigneur ; mais la plupart n’y croient pas ». Voir également le chapitre 16 verset 24 : « Quand on leur demande ce que Dieu leur a envoyé d’en haut, ils répondent : ce sont des fables des Anciens » ; et aussi le chapitre 37, versets 14 et 15 : « Quand ils voient un signe, ils s’en moquent. Ce n’est que de la magie, disent-ils ».
L’enseignement du Coran a donc, paradoxalement, l’effet contraire de celui qui était recherché (17, 41) : « Nous avons exposé clairement tout cela dans ce Coran, afin que les hommes réfléchissent ; mais cela ne fait qu’augmenter leur répulsion ». Les hommes restent désespérément insensibles à tout message (26, 5 à 8) : « Aucun nouveau rappel du miséricordieux ne leur parvient sans qu’ils s’en détournent, ils croient au mensonge… Il y a des signes évidents, mais la plupart ne croient pas ». On trouve dans 43, 88, un aveu de Mahomet à ce sujet : « Le prophète a dit, ô mon Seigneur, le peuple ne croit pas ».
Ce qui choquait surtout les habitants de la ville, ce n’était pas tant l’idée qu’il y ait un dieu supérieur au-dessus de tous les autres dieux, saints, anges ou démons (Dieu) voire le monothéisme ; mais les notions de résurrection des morts, puis de jugement ou d’enfer, empruntées aux chrétiens par Mahomet. Ce dernier annonçait en effet lui aussi un Jugement auquel tous les hommes, passés, présents et à venir, seraient un jour soumis, et qui vouait par conséquent à l’enfer, ancêtres ou parents morts dans l’erreur.
Saïd al-Andalusi lui-même (un cadi/juge de Tolède au XIe siècle), a rappelé en son temps que la nouveauté du message de Mahomet ne tenait pas dans la Révélation d’un Dieu supérieur, Dieu ; dont l’existence lointaine incluait déjà, dans la sensibilité préislamique des Arabes, la multiplicité des dieux et des déesses. Elle résidait surtout dans « la promesse et la menace » d’un Jugement dernier imminent, d’un jugement personnel, qui rompait avec la notion de destinée collective des peuples. « Le jour de la Résurrection, nous les rassemblerons tous face à face, aveugles, sourds et muets. Leur demeure sera l’enfer. Chaque fois que le feu s’éteindra, nous en ranimerons la flamme ». (Chapitre 17 versets 97-98). Mahomet avait en effet souvent des accents que la tradition chrétienne appellerait « apocalyptiques ».
Cette insistance de Mahomet sur le thème de la résurrection des morts, et la notion de Jugement dernier soulèvera donc les plus vives réticences.
On trouve dans le Coran des échos de ce hiatus initial entre Mahomet et les Mecquois qu’il veut convaincre. Le débat tourne autour de la question de la résurrection (36, 77-79 ; 37, 16-18 ; 56, 47-50) et de la Dernière Heure (quand viendra-t-elle ? 21, 38-40).
Ce qui heurtait les Mecquois était le caractère exclusif de son monothéisme qui n’était nullement de type monothéisme philosophique et réfléchi comme celui décrit dans le célèbre passage de la Baghavad-Gita ci-dessous.
Et même ceux qui, fermes dans leur croyance, adorent d’autres dieux, par là même m’honorent aussi involontairement, ô fils de Kounti, bien qu’ils soient dans l’ignorance. Je suis le Seigneur de tous les sacrifices et celui qui en jouit, mais ils ne me comprennent pas en vérité… J’accepte en me réjouissant les offrandes de l’âme humble qui, dans son adoration, m’offre d’un esprit pur une feuille, une fleur, un fruit, ou de l’eau claire. Je suis le même pour toutes les créatures ; je ne connais ni haine ni préférence ; mais ceux qui me servent avec amour demeurent en moi et moi en eux » (Baghavad-Gita, 9, 23-29, colloque entre Krishna/Vichnou et le prince Arjouna)…
Ce qui heurtait sans doute également les Mecquois, c’était le caractère iconoclaste de son hénothéisme.
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ON RETROUVERA EXACTEMENT LE MÊME PROBLÈME QUELQUES DÉCENNIES PLUS TARD DANS L’EMPIRE BYZANTIN. CE QUI S’EST PASSÉ À LA MECQUE AU DÉBUT DU VIIE SIÈCLE EST DONC PEUT-ÊTRE TOUT SIMPLEMENT UNE RÉPÉTITION GÉNÉRALE DE LA GRANDE QUERELLE DES IMAGES ENTRE ICONOCLASTES ET ICONOPHILES ; AVEC CETTE DIFFÉRENCE QU’EN TERRES D’ISLAM, CE SONT LES ICONOCLASTES QUI L’ONT EMPORTÉ.
Il est évident qu’un morceau de pierre, de bois, de métal, ou de tissu, ne saurait être Dieu, dans sa totalité (ne saurait être la totalité divine).
Il est non moins évident qu’un morceau de pierre, de bois, de métal, ou de tissu, peut cependant…
a) Contenir une force ou une puissance, dangereuse ou bénéfique (exemple la radioactivité qui peut guérir ou tuer) ; bien que cette force ou puissance ne soit nullement dotée d’une volonté propre. Exemple islamique : l’eau du puits sacré de la Kaaba, l’eau de Zem Zem, l’eau qui murmure.
b) Contenir plus subjectivement, mais comme toute chose en ce monde, une parcelle de Dieu, ou une étincelle divine.
c) Aider les esprits à s’élever vers Dieu, en servant de support à leur méditation (à condition évidemment de ne confondre en aucun cas la fin, LA TOTALITÉ DIVINE, et le moyen (l’image, la statue, la représentation).
Point de vue explicite des intellectuels mecquois, de l’aveu même du Coran.
N.B. Ce n’est pas une invention de l’auteur compilateur de ce modeste essai qui n’a qu’un seul but : apprendre à ses lecteurs à penser. Cela figure en toutes lettres dans le Coran, chapitre 39, verset 3 : ceux qui prennent des maîtres en dehors de Dieu disent : nous les adorons uniquement afin qu’ils nous rapprochent de Dieu.
Ce qui rebutait donc surtout les Mecquois, c’était que l’iconoclastie de Mahomet bien évidemment était, par définition, incompatible avec la présence dans la Kaaba de 360 statues, icônes, ou autres représentations divines ; dont Abraham, El Khalil ou l’Ami de Dieu, représenté avec des flèches divinatoires – ce qui est sans doute une erreur des chroniqueurs comme Azraqi— ; une icône représentant Jésus porté par sa mère Marie ; le groupe de trois grues (?) et enfin Manate, la déesse du destin, sous forme de pierre noire ; celle que l’on peut voir encore de nos jours enchâssée dans la Kaaba de La Mecque, non loin de l’entrée, à l’angle sud-est. Il y en avait donc pour tous les goûts et cela en faisait une par jour de l’année ou presque (les Couraïchites ne pouvaient imaginer alors que, grâce au triomphe de l’islam, leur ville drainerait un jour encore plus de pèlerins).
Sa prédication par ailleurs très « sociale » (Mahomet ne pouvait en effet que demander avec insistance que l’on traite mieux les pauvres et les orphelins semblables à celui qu’il avait donc été) ; lui permit d’accroître peu à peu son audience sur les mouhadjiroun au sens traditionnel du terme (chapitre 26, verset 111 : ce sont les plus misérables qui te suivent). La plupart vinrent des autres tribus et certains étaient même esclaves.
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PERSÉCUTION OU PAS PERSÉCUTION ?
Le mot persécution est un terme qui vient du latin persecutio signifiant poursuite judiciaire. Ce qui exclut donc…
— Les violences ou réactions individuelles.
— Les violences collectives non officielles du type pogrom.
— Les violences hors cadre judiciaire et limitées à une décision du monarque, de type Néron faisant brûler Rome puis en rejetant la faute sur les chrétiens.
Pour qu’il y ait véritablement persécution au sens strict du terme il faut……
— Un cadre législatif.
— Mis en œuvre par la puissance publique.
— Des chefs d’accusation de droit commun prévus par la loi (du genre impiété blasphème cannibalisme infanticide lèse-majesté haute-trahison, etc.).
— Un procès en règle (avec témoins preuves accusation défense juge verdict, etc.).
Précisons donc tout de suite arrivés à ce point de notre exposé que les Romains n’ont jamais persécuté qui que ce soit parce qu’il adorait un dieu ou un fils de dieu étranger.
Le chef d’accusation le plus fréquent était le non-respect des décisions de l’empereur, le manque de respect à son égard, le manque de civisme (le fait de refuser de brûler quelques grains d’encens devant une effigie de l’empereur ou devant une représentation des dieux de Rome).
Même ce que Dèce décida en 249 ne fut pas une persécution ! Ce fut une supplication générale qui vira à la persécution anti-chrétienne étant donné que de nombreux membres de cette religion refusèrent de prier pour le salut de l’Empire alors en crise.
Venons-en maintenant tout de suite au nombre de martyrs tombés au cours de ces persécutions.
Point de vue des chrétiens pieux (AmourdeJesus.com. site internet catholique traditionaliste d’évangélisation).
« Quel est le nombre des martyrs ? Les uns l’évaluent à dix millions, d’autres à treize. Si l’on ne peut le fixer d’une façon certaine, on doit reconnaître pourtant qu’il fut très élevé.
Nous le prouvons par le témoignage des écrivains chrétiens et païens des trois premiers siècles. Tacite (Annales XV, 44) nous apprend que, sous Néron, on brûla vifs une multitude énorme (multitudo ingens) de chrétiens. Eusèbe affirme que, sous Marc-Aurèle, l’animosité et la fureur des peuples firent un nombre presque infini de victimes (deux millions). Lactance rapporte que, sous Dioclétien, les disciples du Christ furent suppliciés en troupes. « Toute la terre, dit-il, était cruellement tourmentée ; si vous en exceptez les Gaules, l’Orient et l’Occident étaient ravagés, dévorés par trois monstres ». Dioclétien et Maximien se vantèrent d’avoir exterminé le nom chrétien. Or, à leur avènement, le Christianisme florissait dans tout l’empire : il faut donc qu’ils aient versé des flots de sang.
Nous le prouvons également par les circonstances dans lesquelles se sont produites les persécutions : la durée. De l’an 64, où commença la persécution de Néron, à 313, date de l’Édit de Milan, l’Église fut persécutée durant 129 ans. Pendant les 120 années de repos dont elle jouit alors, elle put réparer ses pertes et se préparer à de nouveaux combats. L’universalité des persécutions : la lutte entre le paganisme et le Christianisme naissant, sévit jusqu’aux extrémités de l’Empire romain. Les dispositions des empereurs, avides de popularité et manifestement hostiles aux chrétiens, les goûts sanguinaires de la populace romaine, dont les fêtes elles-mêmes n’étaient que des scènes de carnage ».
Le plus drastique des révisionnismes s’impose donc à cet égard.
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— Les mesures de Septime-Sévère (191-211) ne visèrent que les conversions au christianisme. Les Actes du martyre de sainte Perpétue montrent que ceux qui étaient nés dans cette religion n’étaient pas inquiétés.
— Les mesures de Dèce (249–251, brèves, mais violentes. Obligation de sacrifier aux dieux. Visèrent à la fin uniquement le christianisme et les chrétiens en tant que tels.
— Les mesures de Valérien (253–260). Passe de la plus grande indulgence dans l’application des instructions de Dèce à la plus grande cruauté.
— Les mesures de Dioclétien (284–305), les dernières et les plus graves. Visent d’abord les manichéens d’ailleurs. But : restaurer la pax deorum.
NOTRE CONCLUSION SERA DONC LA SUIVANTE : IL N’Y A RIEN EU DE COMPARABLE CONTRE L’ISLAM ET LES MUSULMANS DANS LA MECQUE DES ANNÉES 613-622.
ET C’EST MENTIR QUE DE LE DIRE OU INDUIRE EN ERREUR QUE DE LAISSER ENTENDRE.
Il n’y a eu
a). Que des échauffourées individuelles, des cris des insultes ou des moqueries.
b). Rien de physique contre la personne même de Mahomet. Il n’a donc pas été crucifié comme le disent certains de mes correspondants suite à mauvaise interprétation de je ne sais quel article. Par contre il est vrai qu’il est mort à Médine dans d’atroces souffrances des suites de son empoisonnement par une jeune juive de Khaïbar.
c). Une mise en quarantaine des adeptes décidée ou encouragée par les autorités de la ville. Pas un vrai blocus puisque certains pourront émigrer en Abyssinie (aujourd’hui l’Éthiopie). Bon débarras durent se dire certains Mecquois.
d). De mauvais traitements exceptionnellement mortels infligés à des esclaves par leurs maîtres conformément à la morale de l’époque, des maîtres n’ayant rien contre la nouvelle religion, mais ulcérés de voir leurs esclaves se consacrer à autre chose que le travail et l’obéissance à leur maître.
Le martyre le plus souvent mentionné comme exemple est celui de Bilal.
Note de la rédaction. On se demande bien comment la tradition musulmane a pu avoir autant de renseignements sur cet esclave alors qu’en réalité on en a beaucoup moins sur Mahomet lui-même à cette époque-là.
Ibn Ichaq Vie de Mahomet Guillaume page 143.
Bilal appartenait à l’époque à B. Joumah, puisqu’il était né esclave ! Son père s’appelait Ribah et sa mère Hamama. Omeyya ibn Khalaf b. Ouahb b. Houdhafa b. Jumah le faisait sortir au moment le plus chaud de la journée, se coucher sur le dos dans la vallée à découvert et lui mettait un gros rocher sur la poitrine puis il lui disait : « Tu resteras ici jusqu’à ce que tu meures ou renies Mahomet et adores Al-Latte ainsi qu’al-Ouzza. Il avait l’habitude de clamer pendant qu’il endurait son supplice : « le Seigneur est un, le Seigneur est un !
Ouaraqa b. Naufal tomba sur lui pendant qu’il était torturé de la sorte et proclamait : « le Seigneur est un, le Seigneur est un » et lui dit : « par Dieu, Bilal, oui, le seigneur est Un ». Ensuite il alla voir Omeyya et à ceux des B. Joumah qui l’avait ainsi maltraité pour lui dire : « Je jure par Dieu que si tu le tues ainsi, je ferai de sa tombe un sanctuaire. Omeyyah ignora son avis.
Ibn Kathir doute de cette tradition parce que le rejet des musulmans ne commença que plusieurs années après la mort de Ouaraka (Ismail ibn Omar ibn Kathir, Al-Sira al-Nabaouiya, traduit par Le Gassick, T. (1998), La vie du prophète Mahomet, tome 1, page 357. Reading, Royaume-Uni).
Sprenger, A. (1851). La vie de Mahomet, d’après les sources originales, pp. 161-162. Allahabad. Sprenger souligne que Bilal, étant d’origine éthiopienne, était probablement chrétien avant de devenir musulman, et il se peut qu’Omeyyah l’ait maltraité pour cette raison avant 610. Dans ce cas l’histoire comme quoi Ouaraka aurait essayé de venir en aide à son coreligionnaire peut être vraie.
Que pouvons-nous tirer comme enseignement de l’histoire de Bilal maintenant ?
Omeyya ibn Khalaf son maître résolut d’en faire un exemple (pour ses autres esclaves) et le fit s’allonger sur le sable brûlant du désert, avec une grosse pierre sur la poitrine. Il est indéniable qu’il aurait très bien pu en mourir, mais les esclaves robustes coûtaient très cher, et abîmer un tel investissement aurait été contreproductif.
Vu sa valeur son propriétaire préféra donc ne pas abîmer plus longtemps la marchandise et arrêta le supplice avant qu’il soit trop tard pour le sauver. La preuve : il a survécu puisqu’on le retrouve muezzin à Médine.
Les païens de La Mecque ne seront donc pas aussi radicaux que Mahomet, ou les musulmans après lui, vis-à-vis de ceux qui ne partageaient pas leurs conceptions du divin. Qu’il y ait eu alors mort d’hommes, durant cette période, semble par conséquent à peine possible. Certains hadiths citent cependant un nommé Yassir et sa femme Soumaya.
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Yassir était un étranger sans attache à la Mecque et pauvre, Soumaya était comme Bilal une esclave noire d’origine éthiopienne donc chrétienne. Tabari cite quelques anecdotes suggérant qu’il y a peut-être eu confusion entre deux Mecquoises également nommées Soumaya.
Sur la réalité du martyre, dans la religion chrétienne, voir notre étude précédente. Édouard Gibbon, Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain. Chapitre 16. 8e partie. Nombre des martyrs.
« Nous terminerons ce chapitre par une vérité triste, que, malgré notre répugnance, nous sommes forcés de reconnaître ; c’est que, même en admettant, sans hésiter ou sans aucun examen, tout ce que l’histoire a rapporté, ou bien tout ce que la dévotion a inventé au sujet des martyrs, on doit encore l’avouer, les chrétiens, dans le cours de leurs dissensions intestines, se sont causé les uns aux autres de bien plus grands maux que ne leur en avait fait éprouver le zèle des païens ».
Le nombre de victimes fut sans doute assez élevé… Mais ne parlons pas de centaines de milliers de morts. Ce ne fut pas la Shoah par balles, loin de là ! L’historien de l’Église Eusèbe de Césarée dit que, dans l’ensemble de l’Empire, neuf évêques seulement trouvèrent la mort. D’autre part, comme il parle d’un total de 72 victimes pour la Palestine, une projection (calcul de Gibbon, Histoire du Déclin et de la chute de l’Empire romain) sur base de ce dernier chiffre permet d’estimer à deux mille, au maximum, le nombre total de fanatiques ayant préféré la mort à un petit geste symbolique en l’honneur de l’Empereur (de 303 à 313).
615 : L’ANNÉE DU COMPROMIS SATANIQUE.
Satanique est le terme retenu par les musulmans. Pour ce qui est de l’auteur de cette compilation, ce serait plutôt (au choix).
— Du pluralisme religieux.
— De la laïcité ouverte.
— Une traduction concrète du principe des différents niveaux de vérité.
— Une traduction concrète des rapports du Un et du Multiple.
— Un élargissement de la notion d’intercesseur, appliquée à la Vierge Marie par les chrétiens et à Mahomet lui-même par les musulmans (lors du jugement dernier, Mahomet interviendra auprès de Dieu en faveur des membres de sa communauté).
En 614 se produit un événement doublement dramatique.
Une marche arrière de Mahomet suivie d’un durcissement des sanctions économiques prises par les autorités de La Mecque.
Premier temps, Mahomet fait un compromis connu sous le nom de qissat al-gharaniq ou histoire des grues.
Un compte-rendu détaillé figure dans l’histoire d’al-Tabari.
« Le prophète était avide du bien-être de son peuple, et désireux de le lui être agréable par tous les moyens possibles. Il a été rapporté qu’il désirait trouver un moyen de les gagner à sa cause, et une partie de ce qu’il a fait pour cela est ce qu’Ibn Houmaïd a dit…………………
Quand le prophète vit son peuple se détourner de lui et souffrit de les voir tourner le dos à ce qu’il leur avait apporté de la part de Dieu, il désira intensément que quelque chose vienne de la part de Dieu pour s’en rapprocher. Étant donné l’amour qu’il portait à son peuple et son zèle pour eux, il aurait été heureux si certaines des difficultés qu’il avait rencontrées dans ses rapports avec eux avaient pu être éliminées. Il méditait là-dessus jour et nuit, le désirait, y aspirait.
Alors Dieu envoya la révélation. « Par l’étoile quand elle disparaît ! Votre contribule n’est égaré, et ne parle pas de sa propre initiative… » « [C.53,1] Quand il fut arrivé aux paroles divines « Avez-vous vu al-Latte et al-Ouzza et Manate, la troisième, l’autre ? » [C.53,19-20] Satan lui mit alors dans la bouche, à cause de ce à quoi il avait réfléchi en son for intérieur et qu’il désirait ardemment faire pour son peuple : « Ce sont des grues de haut vol et leur intercession peut être demandée ».
Quand les Couraïchites entendirent ça, ils en furent tout heureux. Ce qu’il avait dit de leurs dieux leur plaisait et les enchantait, et ils l’écoutèrent. Les croyants faisaient confiance à leur prophète pour ce qu’il leur apportait de la part de leur Seigneur : ils n’y virent aucun lapsus, aucune illusion, aucune erreur. Quand il en fut venu au moment de se prosterner après avoir terminé ce chapitre, il se prosterna et les musulmans suivirent l’exemple de leur prophète… Les mouchriqoun 1) couraïchites et d’autres qui étaient dans la Kaaba se prosternèrent aussi, à cause de ce qu’ils l’avaient entendu dire à propos de leurs dieux. Tous les croyants et kafir 2) de la mosquée se prosternèrent donc. Seul al-Oualid ibn al-Moughira, qui était un vieux monsieur qui ne pouvait plus se prosterner, ramassa dans sa main une partie du sol de la vallée de La Mecque [et la pressa sur son front en disant « cela suffit pour moi »]. Puis tout le monde sortit de la Kaaba.
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Les Couraïchites rentrèrent chez eux enchantés de ce qu’ils avaient entendu et de la façon dont le prophète parlait de leurs dieux. Ils disaient : « Mahomet a enfin dit du bien de nos dieux. Il a dit que c’étaient des « grues de haut vol dont on peut implorer l’intercession ».
Les disciples du Prophète ayant émigré en Abyssinie 3) entendirent parler de l’affaire de la prosternation de la façon suivante : on leur rapporta que les Couraïchites avaient accepté l’Islam. Certains décidèrent d’autres attendirent.
L’ange Gabriel apparut alors au Prophète et lui dit : « Ô, Mahomet, qu’as-tu fait ? Tu as récité aux gens quelque chose que je ne t’avais pas rapporté de la part Dieu, et tu leur as dit ce qu’il ne t’avait pas demandé de dire ».
Le prophète fut alors bouleversé et eut peur de Dieu. Mais Dieu, dans Sa miséricorde, lui envoya une révélation destinée à le réconforter. Dieu lui fit savoir qu’il n’y avait jamais eu de prophète ni d’apôtre avant lui qui n’ait désiré semblable chose, qui n’ait eu le même désir, sans que Satan s’en mêle exactement comme il l’avait fait avec lui en plaçant de telles paroles dans sa bouche. Mais que Dieu abroge les paroles que Satan a suggérées et corrige ses versets…
Dieu dissipa donc toute tristesse de l’esprit son prophète et le rassura. Il abrogea ce que Satan avait placé dans sa bouche à propos de leurs dieux : « Ce sont des grues de haut vol dont l’intercession est valable [sic] ». En remplaçant ces mots par les paroles divines suivantes après la mention d’Allate, d’al-Ouzza et de Manate la troisième, l’autre : « Les garçons seraient donc pour vous et lui n’aurait que des filles ! Quel partage inique ce serait ! Ce ne sont que des noms que vous et vos pères avez inventés… tout comme dans le cas des anges des cieux, leur intercession n’a aucune valeur tant que Dieu n’y a pas consenti, pour ceux qu’il agrée [C. 53, 21-26].
Après qu’eurent été révélées les paroles divines qui abrogeaient ce que Satan avait mis dans la bouche du prophète, les Couraïchites s’écrièrent : Mahomet est revenu sur ce qu’il avait dit du statut de nos dieux par rapport à Dieu, il l’a changé du tout au tout en y mettant autre chose », car les deux phrases que Satan avait mises dans la bouche du Prophète avaient trouvé leur place dans les esprits des polythéistes. Ils ont donc remis en vigueur et plus que jamais ses sanctions qu’ils avaient décidées à l’encontre de ceux qui avaient accepté l’Islam et suivi le Prophète.
Sur ce les disciples du prophète qui revenaient d’Abyssinie 3) en croyant que les habitants de La Mecque avaient accepté l’Islam, en se prosternant avec Prophète, débarquèrent. Mais en approchant de la cité, ils apprirent que ce qu’on leur avait dit à propos de cette acceptation de l’islam par les habitants de La Mecque était faux. Ils ne rentrèrent donc à La Mecque que secrètement ou après avoir obtenu des garanties ».
NDLR. Les tentatives de rapprochement, de compromis, et l’acharnement que les Couraïchites montrent à les mettre en œuvre, en pure perte ; sont donc la preuve du malentendu fondamental existant alors entre les tenants de la religion traditionnelle et les membres de la nouvelle secte (le mot étant ici utilisé en son sens étymologique l’islam n’étant pas encore devenu la religion de masse que nous connaissons aujourd’hui). Tous les efforts sans exception proviennent des Couraïchites. Face à ce déploiement de veulerie, Mahomet apparaît incorruptible et intransigeant. C’est du moins l’image que l’hagiographie musulmane officielle nous en donne ; mais la réalité semble plus contrastée à en croire certaines traditions, et cette vision des choses nous en apprend finalement plus sur les musulmans des générations postérieures, que sur la situation sur le terrain à La Mecque en 615.
Muir est le premier à avoir utilisé la formule « versets sataniques » en 1858. Le pluriel « versets » est généralement employé même si le passage en question ne comporte que six mots en arabe.
La première biographie de Mahomet, celle d’Ibn Ichaq (761-767) est perdue, mais sa collection de traditions ou hadiths se retrouve dans Ibn Hicham (833) et al-Tabari (915). L’histoire est mentionnée par al-Tabari, qui inclut Ibn Ichaq dans sa chaîne de transmetteurs, mais pas par Ibn Hicham, qui admet dans la préface de son texte qu’il a volontairement omis des éléments de la biographie rédigée par Ibn Ichaq « pouvant heurter certaines personnes ».
La majorité des savants musulmans a rejeté l’historicité de cet incident à cause de la faiblesse de ses isnads (chaînes de transmetteurs) et de son incompatibilité avec le dogme de l’isma (infaillibilité prophétique, protection divine de Muhammad contre les erreurs). Mais la doctrine de l’infaillibilité et de l’impeccabilité de Mahomet (la doctrine concernant son isma) n’est apparue que progressivement.
Le sens de “gharaniq” est difficile à discerner car c’est un hapax (c’est-à-dire un mot n’apparaissant qu’une fois dans le texte). Les commentateurs ont tous compris qu’il signifiait les grues.
Les auteurs de tafsir des deux premiers siècles de l’ère islamique ne semblent pas avoir considéré cette tradition comme gênante ou honteuse pour Mahomet, elle semble n’avoir été universellement rejetée qu’après le 13e siècle de notre ère, et la plupart des musulmans modernes la considèrent également comme problématique, en ce sens qu’elle est « complètement hérétique » puisqu’en validant l’intercession de ces trois divinités païennes, elle sape l’autorité et la toute-puissance de Dieu.
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Et a des conséquences néfastes sur la révélation dans son ensemble, puisque la révélation de Mahomet dans ce cas semble avoir été biaisée par son désir d’adoucir le rejet des divinités populaires.
William Montgomery Watt et Alfred Guillaume sont d’avis qu’il est impensable que l’histoire ait pu être inventée par des musulmans, ou imposée par des non-musulmans.
D’après Uri Rubin l’évocation de la participation des mouchriqoun à la prosternation montre à quel point l’effet de cette révélation fut immédiat sur ceux qui étaient présents dans la Kaaba ce jour-là.
La concession battait en brèche la menace du Jugement dernier en permettant aux trois déesses d’intercéder pour les pécheurs et de les sauver de la damnation éternelle. Elle sapait l’autorité même de Mahomet en conférant aux prêtres d’Ouzza, de Manate et d’Allate le pouvoir de délivrer des oracles contredisant son message. Le rejet des chrétiens et des juifs qui faisaient remarquer que Mahomet revenait à ses origines païennes ainsi que la rébellion et l’indignation de certains de ses propres disciples comme Omar a dû pousser Mahomet à faire machine arrière. Ce faisant il rejetait tout ce qui concernait la religion traditionnelle et vouait aux enfers les ancêtres et les parents des Mecquois. Ce fut donc la rupture définitive avec les Couraïchites.
La situation changea donc du tout au tout à La Mecque vers 614-615 quand les premiers proches de Mahomet parmi les riches familles accèdent à des postes importants. Amr ibn Hicham al-Makhzoumi, que les musulmans appelleront Abou Jahl (le père de l’ignorance/barbarie), un jeune homme d’une grande famille, d’abord sensible à son discours, se retourne par exemple contre lui et mobilise plusieurs membres des clans dominants.
1) Associateurs : polythéistes ou trithéistes ou chrétiens trinitaristes.
2) Incroyants ou sous-hommes.
3) Actuelle Éthiopie.
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615 TOUJOURS : LA MISE EN QUARANTAINE DES CLANS BANOU HACHEM ET MOUTTALIB
SANS DISTINCTION DE RELIGION, MUSULMANS ET NON-MUSULMANS CONFONDUS.
Ce retour à la situation antérieure semble avoir consommé la rupture entre les premiers musulmans et les Mecquois ; en obligeant Mahomet à désormais abandonner toute ambiguïté dans sa démarche. Les notables de la ville eurent l’impression d’avoir été trahis par ce dernier, ils ne voulurent plus en entendre parler. Ce sera donc un pas de plus vers l’isolement de la secte dans la ville, et un pas de plus dans la séparation de la communauté du reste de l’Humanité dit kouffar ou « infidèle ».
Les Mecquois ayant eu l’impression à juste titre d’ailleurs que Mahomet état revenu sur sa parole ils allèrent trouver Abou Talib, l’oncle de Mahomet qui le protégeait bien que n’adhérant pas à son message, et lui demandèrent de raisonner son neveu. Abou Talib les calme avec les mots appropriés, mais quelques jours après ils reviennent de nouveau trouver ce dernier, en menaçant cette fois de le mettre lui et son clan au ban de la société mecquoise, s’il ne fait rien. Abou Talib convoque son neveu et lui demande d’arrêter, mais refuse de lui retirer sa protection. Hamza, un de ses oncles, s’impliqua même au contraire de plus en plus à ses côtés.
Les Mecquois durcissent donc les sanctions économiques (l’embargo visant le clan des Banou Hachem et des Banou Mouttalib musulmans et non musulmans confondus) et décident même d’employer ce qui pour eux est une mesure extrême : la mise en quarantaine. Le moyen de pression est en fait considérable en milieu tribal, mais il a l’avantage de rester non violent. Le procédé implique néanmoins que tout le groupe est solidaire de la décision, ce qui montre bien l’inquiétude de la cité ou de ses dirigeants.
Les Banou Hachem durent se regrouper et s’installer en un endroit de La Mecque facile à défendre, une sorte de ghetto un peu comme celui de Venise, mais avec le désert à la place de la mer. Cette situation durera deux ou trois ans, mais fut sans réelle incidence sur les affaires des deux clans visés par cette mesure.
Les bourgeois et les lettrés de La Mecque (les poètes, etc.) recoururent aussi évidemment aux plus odieuses persécutions contre Mahomet lui-même. Toutes nos sources concordent sur un point, ces persécutions ont été réelles (mais relatives). On fit courir auprès de ses sympathisants le bruit que c’était un madjnoun. C’est-à-dire un homme possédé par les esprits ou les djinns (25, 8 : « vous ne faites que suivre un homme ensorcelé ») ou un devin. (69, 38-43). On reproche aussi à ses révélations d’être purement humaines, ce qui était vrai, bien sûr. (Chapitre 25, 4-5). On lui demande des preuves, des signes ou des miracles (17, 90-95).
Mais quant à Mahomet lui-même, personne n’osa mettre sa vie en danger, vu son rang dans la société (et, donc, le prix du sang qu’il aurait fallu payer pour sa mort).
Or si la tension semble effectivement extrême dans la ville à ce moment-là, du fait de la prédication de Mahomet, on ne voit pas de véritables combats, comme dans une guerre civile « normale ». Ce sont surtout de mauvaises farces, ou des traitements humiliants. Mais Mahomet n’essuie pas de coups : les agressions sont superficielles, et visent surtout à l’humilier… Le martyrologe concernera donc surtout les compagnons de Mahomet, notamment les plus humbles. Les pressions de toutes sortes s’abattirent apparemment sur les membres de la communauté musulmane qui n’avaient aucun lien avec un clan et ne disposaient pas de protection comme al Mout'im ibn Adly, Abou 'l Bakhtari ou Hicham ibn Amr parmi les notables. D’où leur émigration en Éthiopie. Les bourgeois de La Mecque
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espéraient ainsi couper Mahomet « de sa base » (comme on dirait aujourd’hui), autrement dit du noyau dur de ses partisans.
Cette émigration en Éthiopie est néanmoins un fait historique difficile à analyser. Certains de ces émigrés n’étant pas rentrés lorsque l’occasion s’en fut présentée (ils attendirent 629), on peut se demander si cela ne signifie pas que certains des premiers adeptes n’avaient pas de plus en plus de mal à supporter la personnalité du fondateur. Enfin, bref passons et revenons aux sanctions commerciales proprement dites.
Ibn Ichaq. Vie de Mahomet par Guillaume. Page 159.
LE DOCUMENT PROCLAMANT LA QUARANTAINE ET L’EMBARGO.
Les Couraïchites tinrent conseil et décidèrent de rédiger un document par lequel ils s’engageaient à mettre les B. Hachem et les B. Mouttalib sous embargo à savoir qu’ils n’épouseraient pas leurs femmes ni ne leur en donneraient en mariage, et qu’ils ne leur achèteraient ni ne leur vendraient quoi que ce soit… Ensuite ils suspendirent le document au milieu de la Kaaba. Son auteur était Mansour ibn Ikrima… l’apôtre invoqua Dieu à son propos et certains de ses doigts se desséchèrent.
Après que les Couraïchites eurent fait ça, les clans B. Hachem et B. al-Mouttalib allèrent voir Abou Talib… Abou Lahab Abdou'l Ouzza se désolidarisa des B. Hachem a préféra aider les Couraïchites… On m’a dit que parmi les choses qu’il a dites à ce moment-là figuraient celles-ci : Mahomet me promet des choses que je ne peux pas voir. Il dit qu’elles arriveront après ma mort… Ils restèrent ainsi pendant deux ou trois ans jusqu’à ce qu’ils soient épuisés, rien ne leur parvenait, excepté de la part leurs amis inconnus des Couraïchites.
On dit qu’Abou Jahl [de son vrai nom Amr ibn Hicham, Abou Jahl ou père de l’ignorance n’est qu’un sobriquet donné par les musulmans] rencontra en jour Hakim ibn Hizam ibn Khouwaïlid ibn Assad un esclave portant la farine destinée à sa tante Khadidja, la femme du prophète. Il lui tomba dessus en lui hurlant à l’oreille : « es-tu en train d’amener de la nourriture aux B. Hachem ? Par Dieu, avant que toi et ta nourriture ne bougent d’ici, je te dénoncerai à La Mecque.
Abou'l-Bakhtari s’approcha et lui demanda « Qu’est-ce qui se passe entre vous deux ?
Quand il eut répondu que Hakim apportait de la nourriture au B. Hachem, il lui rétorqua : « Et alors, la nourriture qu’il a ici appartient à sa tante, elle l’a envoyé pour qu’il la lui ramène. Essaies-tu de l’empêcher de lui rapporter sa propre nourriture ? Laisse-le tranquille !
Amr ibn Hicham (Abou Jahl) refusa tant et si bien qu’ils en vinrent aux coups. Abou'l-Bakhtari prit une mâchoire de chameau, l’assomma et le foula au pied tandis qu’Hamza observait la scène…
Ibn Ichaq. Vie de Mahomet par Guillaume page 172.
LA LEVÉE DE L’EMBARGO.
Le B. Hachem et le B. al-Mouttalib demeuraient confinés dans les quartiers sur lesquels les Couraïchites s’étaient mis d’accord dans le document qu’ils avaient rédigé, lorsqu’un certain nombre de Courïchites prirent des mesures pour lever l’embargo décrété contre eux. Celui qui s’en préoccupa le plus fut Hicham ibn Amr… pour la bonne raison que c’était le fils d’un frère de Nadla ibn Hachem ibn Abdou Manaf par sa mère et qu’il était donc très attaché au B. Hachem. Il était très estimé par son peuple. On m’a dit que lorsque les deux clans vivaient confinés dans leur quartier, il leur amenait un chameau chargé de nourriture la nuit… Il aurait fait la même chose une autre nuit, avec des habits.
Il alla trouver Zouhaïr ibn Abou Omeyya ibn al-Mughira dont la mère était Atika bint Abdou 'l-Mouttalib et lui demanda : « Es-tu heureux d’avoir à manger de beaux habits et de pouvoir vous marier alors que vous connaissez dans quelle situation se trouvent tes oncles maternels ? Ils ne peuvent ni acheter, ni vendre, ni se marier, ni marier leurs filles. Par Dieu je jure que si c’étaient les oncles d’Abou'l-Hakam ibn Hicham et que tu lui avais demandé de faire ce qu’il t’a demandé de faire, jamais il n’y aurait consenti.
Zouhaïr répondit : « que puis-je faire ? Je ne suis qu’un homme. Par Dieu, si j’avais quelqu’un d’autre avec moi, j’aurais vite fait d’annuler tout ça ! ».
Hicham ibn Amr lui rétorqua : « Je t’ai trouvé un autre homme : moi ! »
Trouve quelqu’un d’autre, répondit Zouhaïr.
Hicham s’en alla chez al-Mout'im ibn Adly et lui demanda : Es-tu heureux que les deux clans Banou Abdou Manaf soient en train de mourir à petit feu puisque tu consens à suivre les Couraïchites ? Tu verras qu’ils feront bientôt de même avec toi.
Al Mout’im fit la même réponse que Zuhayr et demanda un quatrième homme.
Hicham s’en alla voir Abou’l-Bakhtari ibn Hicham qui demanda un cinquième homme, puis il alla chez Zama'a ibn al-Assouad ibn al-Mouttalib ibn Assad et lui rappela leur parenté et leurs devoirs. Ce dernier demanda si d’autres étaient aussi disposés à coopérer et Hicham lui donna leur nom.
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Ils s’arrangèrent tous pour se réunir nuitamment… et là ils s’engagèrent à s’occuper de ce décret jusqu’à ce qu’ils aient obtenu son annulation. Zouhaïr revendiqua le droit d’agir et de parler en premier.
Le lendemain donc…
Abou Talib était alors assis à côté de la Kaaba. Quand Al Mout'im s’approcha du document pour le déchirer, il s’aperçut que les vers l’avaient déjà mangé, à l’exception des mots « Au nom d’Allah (c’était la formule habituelle par laquelle les Couraïchites commençaient leurs écrits). L’auteur du décret en question était Mansour ibn Ikrima. On prétend que sa main droite s’est alors retrouvée paralysée puis qu’elle s’est desséchée. Après que le document eut été déchiré en mille morceaux et donc annulé, Abu Talib a composé en l’honneur de ceux qui avaient œuvré à cette annulation le poème suivant…
619 fut par contre une année noire. Mahomet perd successivement son oncle, le vieux chef de clan Abou Talib (il avait près de quatre-vingt-dix ans) et Khadidja, son épouse (soixante-cinq ans).
Il importe de remarquer qu’Abou Talib est mort sans s’être converti à l’islam. Le fait, aberrant, est développé dans le détail par la tradition : c’est un homme bon, mais païen, chose difficile à concevoir pour un musulman, qui se demande bien quel a pu être le destin post mortem du personnage (enfer ou paradis ?)
La mort de Khadidja par contre ne semble guère avoir longtemps perturbé Mahomet. Elle est d’ailleurs très peu évoquée dans nos sources et sera très vite remplacée. Même si elle est considérée comme la première convertie, si elle a été son soutien au début de la prédication, elle n’aura pas su lui donner un fils. Et puis, ce n’est plus qu’une vieille femme sans utilité. La première à combler le vide sera une veuve sans attrait, mais bonne cuisinière, Saouda (la deuxième, une jeunesse, Aïcha, jouera un rôle considérable).
Abou Talib disparu, les Mecquois ont les mains libres pour faire ce qu’ils veulent. Son successeur à la tête du clan des Banou Hachem, Abou Lahab, un autre oncle de Mahomet, cesse de le protéger (voir le chapitre 111 qui le maudit). Les Mecquois néanmoins hésitent toujours à éliminer physiquement le gêneur (Mahomet n’aura pas ce genre de scrupule avec les intellectuels juifs ou pas juifs de Médine).
Mais privé du soutien de son clan, Mahomet lui-même et son petit groupe de fidèles ne se sentaient quand même plus en sécurité à La Mecque.
Premiers actes de violence : une bagarre à coups de pierre et d’os de chameau entre musulmans et non musulmans. Les tout premiers musulmans se retrouvaient en effet, parfois, dans des vallons à l’extérieur de La Mecque, pour se livrer aux activités de toute secte dans ce cas-là (car à 80 ou à 100, on n’est encore qu’une secte et pas une religion de masse). Un groupe de Mecquois les aperçut et se moqua d’eux. Une bagarre s’ensuivit. Saad ibn Abi Ouaqqas frappa un des Couraïchites avec une mâchoire de chameau, et le blessa.
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L’ÉMIGRATION EN ÉTHIOPIE ?
William Montgomery Watt. Mahomet, prophète et homme d’État (1961).
Les deux questions les plus importantes sont : pourquoi ces musulmans sont-ils allés en Abyssinie, et pourquoi certains d’entre eux sont restés là-bas si longtemps. Une question subalterne est de savoir si l’initiative de cette migration vint des émigrés ou de Mahomet.
Les difficultés de la situation après l’abrogation des « versets sataniques » doivent avoir quelque chose à voir avec cette migration. Une fois la politique d’opposition à Mahomet adoptée, les principaux commerçants et leurs amis ont dû faire ce qu’il fallait pour rendre la vie difficile à leurs jeunes frères et cousins ?? Ou autres membres de leurs familles et clans qui avaient été attirés par le mouvement de Mahomet. C’était d’une certaine façon une forme bénigne de persécution, mais d’un autre côté c’était pénible et très frustrant. Cela se passait surtout à l’intérieur des familles ou des clans. Il n’y avait pas de système judiciaire ou de police publique à La Mecque. Les crimes étaient punis par des vendettas. Cela signifiait que chaque clan exigeait une vengeance ou le prix du sang pour les blessures infligées à ses membres. En dehors de cela, il était dangereux pour quelqu’un de porter la main sur le membre d’un autre clan. Au sein des clans néanmoins l’autorité des chefs était presque incontestée. Si le chef de famille décidait que des mesures devaient être prises contre un de ses membres musulmans, elles étaient prises, et aucun recours n’était possible puisqu’il n’y avait personne auprès de qui faire appel.
Un fait curieux corrobore ce que nos sources affirment à savoir que ce fut la difficulté de la situation qui poussa certains musulmans à émigrer. À deux exceptions près tous les premiers musulmans que nous connaissons restés à la Mecque appartenaient à un groupe de cinq clans, dirigé par le clan de Mahomet. Ce groupe semble avoir été une sorte de reconstitution de la Ligue des Vertueux (foudoul)…
Cela ne signifie pas qu’ils sont tous devenus musulmans, mais cela signifie que ce groupe de clans n’a pas fait de difficultés à ceux des leurs qui suivaient Mahomet. Cela expliquerait l’attachement clanique des musulmans restés à la Mecque. C’étaient ceux qui n’étaient en aucune façon « persécutés » par leur clan. Parmi les deux musulmans appartenant à des clans « persécuteurs », il y avait un poète aveugle, et donc dans une position spéciale ; et l’autre était Al-Arqam, qui, avec une grande maison à lui, était suffisamment indépendant pour ne pas être inquiété par des mesures hostiles.
Il y a donc de bonnes raisons de penser que ces musulmans sont allés en Abyssinie pour fuir une telle situation, mais cela ne peut expliquer à soi seul ladite émigration puisque cela n’explique pas pourquoi certains sont restés là-bas bien après que les musulmans se soient installés à Médine… Y eut-il d’autres raisons à cette émigration ?
Peut-être y sont-ils allés pour faire du commerce. C’était l’occupation normale des Mecquois, et il devait y avoir des occasions à saisir en Abyssinie. Ceux qui gagnaient bien leur vie jusqu’en 628 y réussissaient sans doute en faisant du commerce et il y avait des relations commerciales entre la Mecque et l’Abyssinie. Mais cela ne dut pas être la seule raison de partir de La Mecque. Fuir ainsi leur
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ville natale à ce point critique du développement du mouvement équivalait à une trahison ; et les principaux membres de cette émigration n’étaient pas des velléitaires de ce type.
Se pourrait-il que Mahomet à ce moment-là ait eu alors une idée en tête et les ait envoyés en Abyssinie…
Quoi qu’il ait pu avoir en tête les Mecquois ont pu contrecarrer les objectifs de Mahomet en informant le Négus de la faiblesse de sa position à La Mecque.
Reste une autre possibilité et très importante. Y a-t-il eu un schisme au sein du mouvement islamique naissant ? Parmi les musulmans restés à La Mecque, le plus important après Mahomet était Abu-Bakr ; mais il venait d’un petit clan. Les musulmans des clans influents étaient-ils prêts à suivre Mahomet et à soutenir la politique qu’il privilégiait ? Il y a des traces de rivalité entre son groupe et celui mené par Uthman ibn-Maz'oun. Ce dernier appartenait à la même génération que Mahomet et Abu-Bakr.
Avant que Mahomet ne commence à prêcher, il avait mené une vie d’ascète et ne buvait pas de vin… Peut-être aussi que ceux qui ont émigré n’aimaient pas l’attitude adoptée par Mahomet pour répondre à la véhémence croissante de l’opposition… Mahomet aurait rapidement pris conscience du schisme naissant et pris des mesures pour le guérir. Par exemple en suggérant d’aller en Abyssinie pour y promouvoir les intérêts de l’Islam. Mais Uthman ibn Maz'oun et les autres qui revinrent à la Mecque avant 622 se réconcilièrent vite avec Mahomet ainsi qu’avec Abou-Bakr, ce qui montre que la rupture ne fut jamais achevée. Cette émigration en Abyssinie, qui est un fait avéré, reste donc obscure dans son interprétation, mais nous fournit un aperçu fascinant de la situation au sein du petit groupe musulman après l’apparition d’une première opposition vigoureuse à leur mouvement ».
Les sources musulmanes nous parlent donc à ce moment-là d’une ou deux ou trois émigrations des premiers musulmans en Abyssinie actuelle Éthiopie. Outre l’exil du clan des Banou Hachem et des Banou al-Mouttalib dans le ghetto d’Abou Talib (shi’b Abu Talib) situé à quelque distance du centre-ville. Les divers témoignages les concernant sont contradictoires et ne cadrent guère avec un contexte de persécution globale (qui n’a d’ailleurs été qu’un embargo généralisé).
Constat.
En l’an 5 de la nouvelle prophétie – 8 de l’hégire + 615 A.D. une partie des musulmans quitte la Mecque et part s’installer en Éthiopie,
12 000000 hommes 4 000000 femmes traversent la Mer et s’installent de l’autre côté. Ils s’y déclarent vaguement monothéistes, et la religion des Éthiopiens, un christianisme monophysite fortement lié au judaïsme, est le meilleur contexte d’accueil qui se puisse trouver.
Les détails fourmillent (nous avons la liste complète des noms et prénoms), mais ce n’est pas bon signe : tout paraît inventé dans le récit de ce refuge loin des ennuis certes, mais loin aussi de l’autorité du chef, de plus en plus lourde et certainement contestée. Le schéma se retrouve souvent dans le développement sectaire.
Il serait utile de savoir à quel titre ces « proto-musulmans » ont été reçus en Éthiopie : mais de cela nos sources ne disent rien.
Certains historiens ont proposé de voir dans cet exil éthiopien une première scission dans la communauté musulmane supportant mal l’autoritarisme du chef, dans un contexte sectaire.
De fait, les sources semblent embarrassées pour expliquer les retards dans les retours des exils, et l’apostasie de quelques autres.
Le souverain les accueille généreusement et bénéficie donc d’un traitement de faveur dans les sources musulmanes, qui inventent la fable de sa conversion secrète à l’islam. Il est remarquable qu’elles n’aient jamais vraiment compris pourquoi les musulmans avaient été correctement reçus par les Abyssins. Raison pour laquelle le mythe de la conversion du Négus, qui seule peut expliquer cet accueil, a pris corps. Présenter le Négus comme un converti à l’islam est aussi un moyen de détourner l’attention du public des problèmes que soulève cette émigration et de nourrir son sentiment de supériorité.
LES EFFECTIFS MAINTENANT : QUELQUES DIZAINES D’HOMMES ET DE FEMMES À CHAQUE FOIS ce qui là encore ne correspond à un contexte de persécution globale et systématique même en tenant compte de la faiblesse des effectifs.
Dans le schéma qui suit nous désignerons par la lettre A les musulmans restés à La Mecque et par la lettre B les musulmans partis en Abyssinie/Éthiopie.
Environ 15 musulmans (dont 4 femmes).
— En 615 certains des émigrés rentrent à La Mecque (il s’agit du groupe que nous appellerons « B.A »).
— D’autres demeurent quand même en Abyssinie (« B.B »).
Ceux qui rentrent d’Abyssinie au pays (« B.A ») apprennent très rapidement que la rumeur était fausse et que les choses ont, au contraire empiré.
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-- Certains d’entre eux entrent quand même à la Mecque (« B.A.A »).
-- D’autres (« B.A.B ») retournent immédiatement en Abyssinie, sans entrer à la Mecque ; ceci se passe toujours en 615.
Parmi ceux qui sont alors entrés à la Mecque (« B.A.A »).
— Il en est (« B.A.A.B ») qui y demeurent très peu de temps et reprennent rapidement le chemin de l’Abyssinie,
— Et il en est (« B.A.A.A ») qui y demeurent, du moins un certain temps.
En l’an 617a lieu la seconde émigration vers l’Abyssinie. Y participent… :
— Des musulmans qui n’avaient pas émigré la première fois, mais étaient demeurés à la Mecque (« A.B »).
— Des musulmans qui avaient émigré en Abyssinie, mais étaient retournés en l’an 615 (« B.A.A.A »). Nous ne savons pas si tous les musulmans du groupe « B.A.A.A » participeront à la seconde émigration, ou si seulement certains parmi eux le feront (ceux-ci formeraient alors le groupe « B.A.A.A.B », tandis que ceux d’entre eux qui resteraient à la Mecque seraient les « B.A.A.A.A »).
Quoi qu’il en soit après cette seconde émigration, il y aura donc… :
— Des musulmans se trouvant à la Mecque (« A.A ») (et peut-être « B.A.A.A.A », comme nous venons de le dire).
— Et des musulmans se trouvant en Abyssinie : (« B » ; « B.A.B » ; « B.A.A.B » ; « B.A.A.A » ; « A.B » (il s’agit de ceux qui n’avaient pas émigré la première fois).
……………
Mais c’est au total en trois groupes que les musulmans sont rentrés d’Abyssinie.
— Il y eut donc un groupe qui rentra à la Mecque alors que Mahomet y habitait encore et n’avait pas encore émigré à Médine et qui donc y demeura jusqu’à l’émigration à Yathrib/Médine de tous les musulmans en 622 (« B.A.A.A », et « A »).
— Mais il y eut aussi, d’après Ibn Sa'd (Zad ul-ma'ad 3/26), un second groupe, composé de 41 personnes, qui retourna en Arabie quand ils surent que le Prophète de l’Islam avait aussi émigré à Yathrib/Médine. Parmi eux… :
-- Certains furent retenus contre leur gré à la Mecque et ne purent émigrer à Yathrib/Médine immédiatement.
-- 32 d’entre eux purent gagner Yathrib/Médine (parmi ces 32 personnes, 24 participèrent plus tard à la bataille de Badr en 624).
— Il y eut, enfin, un troisième groupe qui, sous la direction de Dja'far, ne rentra que l’année de Khaïbar, c’est-à-dire en 629. D’après Ibn Ichaq, ce furent 16 des musulmans ayant quitté la Mecque pour l’Abyssinie en 615.
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620 LA CONVERSION DES DJINNS DE TAÏF (NAKHLA).
En 620 eut lieu un grand tournant dans l’histoire de l’islam et pour le contenu de son message : la découverte par Mahomet du monde des djinns. En plus de celui des anges et des démons. Cette découverte fondamentale (en plus des anges et des démons, il existe aussi des djinns, ce que les chrétiens ignorent) eut lieu au retour d’une tentative de prédication à Taïf, ayant complètement échoué.
Oasis de vergers et de jardins 1650 m d’altitude Taïf était l’un des greniers de la région, une cité prospère située à 65 km à l’est de La Mecque et abritant une statue miraculeuse de la déesse Allate.
La sourate les djinns a été révélée après la sourate A'raf et avant la sourate Yassine et constitue la quarantième sourate à avoir été révélée. Cette sourate est la sourate soixante-douze de la présente édition du Coran et compte vingt-huit versets.
Cette sourate contient 285 mots, ou, comme l’ont dit certains érudits, 235. Le nombre de lettres dans la sourate est également discutable. Certains disent qu’il y en a 870, tandis que d’autres disent qu’il y en a 759.
Pour expliquer les versets 29 à 32 de la sourate Ahqaf (46), divers incidents ont été rapports, qui sont les mêmes que ceux qui ont été mentionnés pour cette sourate. Cela signifie que ces deux sourates sont donc liées à un événement particulier.
Les versets de la sourate Ahqaf (46) qui traitent des djinns sont les suivants :
« Lorsque nous avons amené devant toi une troupe de djinns pour qu’ils écoutent le Coran et qu’ils furent arrivés, ils dirent : « Écoutons en silence ! » et quand ce fut terminé, ils retournèrent prévenir les leurs en disant : compatriotes, nous venons d’entendre la lecture d’un livre révélé après Moïse. Il confirme les précédents, guide vers la vérité et met sur le droit chemin. Compatriotes, répondez à l’apôtre de Dieu ! Croyez en lui ! Dieu vous pardonnera une partie de vos péchés et il vous préservera d’un châtiment douloureux ».
L’importance de l’événement (les premières conversions de djinns) justifie qu’on s’y attarde.
ASBAB AL NOUZOUL OU CIRCONSTANCES DE CETTE RÉVÉLATION.
L’année 619 avait été particulièrement éprouvante pour Mahomet. Il voit mourir Khadija, son épouse, Abou Talib, son oncle, chef du clan des Banou Hachem et père d’Ali, son futur gendre. Abou Lahab, un autre oncle, qui prend la tête du clan, est son ennemi juré. Fin mai ou début juin 620, accompagné de son affranchi Zeïd ibn Haritha, Mahomet se rend donc à pied dans la petite ville de Taïf. Il entre en contact avec toutes les tribus qu’il croise sur son chemin, mais aucune ne lui répondit favorablement.
Ibn Ichaq La vie de Mahomet par Alfred Guillaume page 192.
L’APÔTRE DE DIEU VA VOIR LES THAQIF.
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« Quand l’apôtre de Dieu fut arrivé Ta'if il alla voir un certain nombre des dirigeants et chefs Thaqif de l’époque, à savoir trois frères : Abdou Yalaïl, Massoud, et Hablb, fils d’Amr ibn Oumaïr ibn Aouf ibn Ouqda ibn Ghiyara ibn Aouf ibn Thaqif. L’un d’eux avait une épouse du clan Couraïchite des B. Joumah.
L’apôtre s’assit avec eux et les invita à accepter l’Islam puis leur demanda de l’aide contre ses adversaires à la Mecque.
— Un des frères jura qu’il déchirerait le dais de la Kaaba si Dieu l’avait vraiment fait son envoyé.
— L’autre s’exclama : « Dieu n’aurait-il pas pu trouver quelqu’un de mieux que vous à envoyer ? »
— Le troisième s’écria :« Par Dieu, puissé-je ne plus jamais te parler. Si tu es vraiment un apôtre de Dieu ainsi que tu le prétends, je ne suis pas un homme assez important pour te répondre, et si tu es en train de blasphémer, je n’ai pas à te parler ».
Alors l’apôtre se leva et s’en alla, en désespérant de tirer quelque chose des Thaqif.
On m’a rapporté qu’il leur avait dit :« Puisque vous jugez bon d’agir ainsi, au moins gardez tout cela secret » car il ne voulait surtout pas que son peuple en entende parler, et lui soit encore plus hostile. Mais ils n’en firent rien et envoyèrent contre lui leurs hommes de main et leurs esclaves afin de l’insulter ou de crier après lui pour ameuter la foule et l’obliger à se réfugier dans un verger appartenant à Outba ibn Rabi'a et son frère Chaïba qui étaient dedans à ce moment-là. Les brutes qui l’avaient suivi rebroussèrent chemin, et il se dirigea vers l’ombre d’une treille de vigne pour s’y asseoir pendant que les deux hommes le regardaient être harcelé par ces voyous. On m’a dit que l’apôtre……
[Mahomet semble alors avoir été sur le point d’abandonner si l’on en croit ce que nous rapporte ici le texte d’Ibn Ichaq]… Quand Outba et Chaïba comprirent ce qui s’est passé, ils furent pris de compassion pour lui et demandèrent à un jeune esclave chrétien de chez eux, Addas, de lui apporter une grappe de raisin sur un plateau afin de lui donner à manger.
Addas s’exécuta quand l’apôtre mit sa main dans le plat il ajouta « Au nom de Dieu » avant de manger.
Addas le dévisagea et s’exclama : « Par Dieu, ce n’est pas la façon de parler des gens de ce pays ».
L’apôtre lui demanda : de quel pays es-tu Addas et quelle est ta religion ? ».
Il répondit qu’il était chrétien et qu’il venait de Ninive.
« De la ville du Juste Jonas, fils de Mattai » remarqua l’apôtre.
« Mais comment sais-tu cela ? Demanda donc alors Adda.
« C’était un prophète et je suis un prophète », répondit l’apôtre.
Adda se pencha et lui couvrit de baisers la tête, les mains et les pieds.
Les deux frères observaient la scène et l’un des deux fit remarquer à l’autre : « Il a déjà corrompu ton esclave ! ».
Quand Addas fut de retour, ils lui dirent : « espèce de maraud, pourquoi donc as-tu embrassé la tête, les mains et les pieds de cet homme ?
Addas répondit que c’était le meilleur homme du pays qui lui avait dit des choses que seul un prophète pouvait savoir.
Ils lui rétorquèrent : tu n’es qu’un sot, ne te le laisses pas séduire par sa religion, car la tienne est meilleure que la sienne ».
Puis l’apôtre rentra de Taïf après avoir renoncé à tirer quelque chose des Thaqif.
Quand il eut atteint Nakhla il se leva pour prier au milieu de la nuit, et un certain nombre des djinns mentionnés par Dieu passèrent par là. C’étaient à ce qu’on m’a dit sept djinns de Nisine. Ils l’écoutèrent attentivement et quand le prophète eut fini de prier ils s’en retournèrent chez pour les mettre en garde après s’être convertis et avoir obéi à l’appel qu’ils avaient entendu. Dieu l’a mentionné dans les paroles suivantes « Lorsque nous avons amené devant des djinns pour qu’ils écoutent le Coran » jusqu’à « il vous protégera d’un châtiment douloureux » (chapitre 46) et « Il m’a été révélé qu’un groupe de djinns écoutaient » (chapitre 72).
Point de vue des musulmans pieux.
Sur le chemin du retour, le Prophète (paix et bénédictions de Dieu soient sur lui et sa famille) atteignit une place appelée la Vallée des djinns. Il y passa la soirée et s’absorba dans la récitation du Saint Coran. Un groupe de djinns, qui étaient là et l’écoutaient, fut immédiatement converti à l’Islam. Ils revinrent après ça dans leur communauté pour répandre et diffuser les enseignements auxquels ils avaient adhéré.
Ibn Abbas (que Dieu soit satisfait de lui) rapporte que le Prophète était occupé à réciter la Salat al-Fajr… Un groupe de djinns qui cherchait à savoir pourquoi les informations qu’ils avaient l’habitude de recevoir du ciel s’étaient taries entendit Mahomet réciter le Coran. Ils se dirent : « Voilà la raison pour laquelle nous ‘avons plus de nouvelles des cieux. Ils s’en retournèrent chez eux et commencèrent à inviter les leurs à se convertir à l’islam.
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Certains auteurs mentionnent d’autres circonstances pour ce qui de la révélation de ce chapitre du Coran. Au retour de sa retraite de Tahannouth à Hira Mahomet aurait déclaré : « La nuit dernière des djinns m’ont invité à venir et je suis donc allé chez eux afin de pouvoir leur réciter le Coran ».
Quand Mahomet fut arrivé non loin de La Mecque, il réalisa qu’il ne pouvait plus réintégrer sa ville natale maintenant que son oncle Abou Talib n’était plus là pour le protéger. L’hostilité à son égard avait atteint son comble. Mahomet ne pouvait plus revenir dans sa ville natale, mais il n’avait pas d’autre endroit où aller, alors que faire ?
Mahomet se résolut à faire porte à trois des nobles de la ville un petit mot demandant à chacun de le prendre sous sa protection. Deux d’entre eux refusèrent, mais le troisième – le vaillant Moutim ibn Adiy – répondit à son appel au secours. C’était ce même Moutim qui avait auparavant bravé les chefs Couraïchites en déchirant leur pacte destiné à mettre en quarantaine les Banou Hachem, et avait fait revenir en ville les clans Banou Hachem et Banou al-Mouttalib exilés dans la vallée d’Abou Talib.
Moutim demanda donc à ses fils, neveux et autres jeunes gens de son clan de revêtir leur tenue de combat. Il sortit ensuite armé de pied en cap à leur tête et il escorta Mahomet, d’abord dans le périmètre de la Kaaba où celui-ci fit les sept circuits habituels, puis chez lui.
Ali Asgher Razoui, un auteur chiite du 20e siècle, dans son livre intitulé « Histoire de l’Islam et des musulmans ».
« Cet épisode [la demande de protection de Mahomet adressée à Moutim ibn Adiy un non-musulman à l’occasion de son retour de Taïf] soulève une fois de plus la question très gênante de l’attitude ou de la conduite des musulmans concernant Mahomet.
Pourquoi l’Apôtre n’a-t-il pas demandé à l’un d’entre eux de le prendre sous sa protection puisque que certains d’entre eux étaient riches et influents nous dit-on, et même décrits comme étant redoutés des païens ? Pourquoi l’apôtre a-t-il cherché la protection d’un non-musulman, et n’a même pas daigné informer les musulmans qu’il voulait rentrer à La Mecque et avait besoin de protection pour cela ?
Pourquoi les musulmans ne se sont-ils pas rendus eux-mêmes à la porte de la ville pour escorter leur prophète ? Ils avaient là une magnifique occasion de lui montrer qu’ils étaient dignes de sa confiance même s’il les en avait considérés comme indignes. Mais ils ont laissé passer cette occasion. Ils n’ont rien fait qui ait montré qu’ils se préoccupaient de sa sécurité.
L’Arabie païenne heureusement n’était pas dépourvue de chevalerie et d’héroïsme. Ces qualités se sont incarnées dans Moutim ibn Adiy, Aboul Bukhtari et quelques autres. Après tout ce sont eux qui ont osé défier les Couraïchites à certains des moments les plus critiques de la vie du Prophète de l’Islam. Ce faisant, ils n’étaient mus que par leurs propres idéaux. Ils ont estimé qu’il était de leur devoir de défendre les plus démunis. C’étaient des chevaliers arabes et ce fut cet esprit chevaleresque qui rendit leur pays célèbre au cours des siècles suivants. L’Arabie païenne n’a jamais produit de figures plus nobles que celles-là. Les musulmans devraient leur en être reconnaissants ».
Une telle solution (le protectorat de Mahomet par un petit clan mineur de La Mecque) ne pouvait néanmoins qu’être temporaire c’est pourquoi Mahomet chercha dès lors à s’installer ailleurs, d’où ses négociations avec des sympathisants habitant la ville de Yathrib (future Médine) puisqu’apparemment il y avait un problème à La Mecque.
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LE PREMIER SERMENT D’AQABA (621).
DIT BAYAT AL NISA OU SERMENT DE FEMME (parce que n’envisageant pas le cas où il y aurait nécessité de recourir aux armes pour défendre Mahomet)
Ouadi Qura (l’oued de Qura) était la grande route commerciale reliant le Yémen à la Syrie. Après avoir longé La Mecque, les caravanes commerciales du Yémen pénétraient dans cette longue vallée où se trouvaient quelques oasis verdoyantes, dont la ville de Yathrib, connue plus tard sous le nom de Madinat our Rassoul (la ville du Prophète).
Deux tribus connues sous les noms d’Aous et Khazradj, des Arabes originaires du Yémen (Qehtani) s’étaient installées dans cette région depuis que les tribus juives (Banou Quraïza, Banou Nadir et Banou Qaïnouqa), originaires du nord de la péninsule, s’y étaient aussi installées.
Yathrib (aujourd’hui connue sous le nom de Médine) était une ville située à plus de 300 kilomètres de la Mecque. Elle était sise dans une agréable oasis, reconnue de nos jours encore pour l’excellence de ses dattes. Cette oasis, cependant, avait été la scène de conflits tribaux incessants. Des juifs se battaient contre d’autres juifs, et des Arabes contre d’autres Arabes ; des Arabes s’alliaient parfois à des juifs contre d’autres Arabes qui étaient alliés à d’autres juifs.
Chaque année donc, un groupe d’Arabes de Yathrib se rendait à La Mecque pour y accomplir les cérémonies du pèlerinage et Mahomet s’adressait à eux. Beaucoup de ces contacts furent infructueux. Certains pèlerins de Yathrib néanmoins, séduits par la non-judéité de son message (les maximes de Luqman), discutèrent avec lui. C’étaient des Khazradj, des Arabes judaïsants ou des juifs arabisés, déjà familiarisés avec les notions de Révélation, de prophètes, d’anges, et, surtout, ayant maintes fois entendu leurs compatriotes juifs de Médine évoquer l’imminence du retour du messie. Ces hommes retournent à Yathrib/Médine où bientôt, dans chaque foyer, on parle du Mecquois Mahomet.
La tradition mentionne plusieurs rencontres qui s’échelonnent de 617 à 622. Les témoignages sont assez confus, voire contradictoires, mais essayons quand même d’en démêler le fil conducteur (ci-dessous et sous toutes réserves).
Mahomet apprit un jour qu’une importante personnalité arabe Souwaïd ibn Samit était arrivée à la Mecque, il la contacta immédiatement et lui présenta sa réforme religieuse. Souwaïd pensa qu’il s’agissait peut-être effectivement de la sagesse de Luqman 1) qui se retrouvait en lui. Il repartit ensuite à Yathrib, mais y fut tué par les Khazradj avant la fameuse bataille de Bou'ath (617).
Il y eut aussi un dénommé Anas ibn Rafi.
Ibn Ichaq. La vie de Mahomet A. Guillaume page 197.
Quand Abou' l Haïssar Anas ibn Rafi vint à La Mecque avec des membres du clan des B. Abdou'l Acchal dont Lyas Ibn Mou'az afin de conclure une alliance avec Couraïchites dirigée contre leur tribu sœur les Khazradj, l’apôtre en entendit parler. Il vint s’asseoir parmi eux et leur demanda s’ils aimeraient obtenir quelque chose de plus sûr que leur vaine quête d’une alliance avec les Couraïchites. Quand ils lui eurent demandé ce que cela pouvait être, il leur répondit qu’il était l’apôtre de Dieu envoyé à l’humanité pour les inviter les hommes à servir Dieu et ne lui en associer personne d’autre, qu’un livre lui avait été révélé, puis il leu parla et leur lut des extraits du Coran. Lyas, qui était
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jeune, s’exclama : « Par Dieu, c’est quelque chose de mieux que ce qu’on est venu chercher ! » Abou'l-Haïssar prit alors une poignée de terre de la vallée et lui jeta en pleine figure en disant : « Tais-toi ! Nous ne sommes pas venus ici pour ça » et Lyas se tut immédiatement. Ils rentrèrent à Médine et la bataille de Bou'ath entre Aous et Khazradj eut lieu.
Lyas mourut presque aussitôt. Mahmiid a déclaré : « Ceux de son peuple qui ont été témoins de sa mort m’ont dit qu’ils l’avaient entendu louer et glorifier Dieu constamment. Ils n’avaient aucun doute quant au fait qu’il était mort musulman.
Un jour de l’an 620 Mahomet entendit six hommes discuter à Aqaba, un lieu situé à l’extérieur de la Mecque. Ils étaient venus de Yathrib accomplir le pèlerinage (Hadj). À Yathrib, il y avait des tribus juives dont les rabbins, versés dans les écritures, avaient souvent parlé aux païens de la venue d’un prophète grâce auquel les juifs pourraient anéantir les Arabes, tout comme les tribus Aad et Thamoud avaient jadis été détruites à cause de leur idolâtrie.
Mahomet leur demanda la permission de s’asseoir avec eux et ils acceptèrent volontiers. Il leur demanda s’ils avaient conclu un pacte avec les Juifs et ils répondirent que oui. Là-dessus il leur dit : « Veuillez-vous asseoir que je vous dise quelque chose ». Mahomet leur a lu la sourate 31. Ce qui les avait incités à écouter ce discours était qu’ils entendaient les Juifs dire qu’un Prophète d’origine arabe, qui introduirait la religion du Dieu unique et qui balaierait le culte des idoles, serait bientôt désigné par le Tout-Puissant et ils espéraient donc ainsi avoir l’occasion de triompher de leurs ennemis avant que les juifs ne les prennent de vitesse.
Ils pensèrent également sans doute que Mahomet, avec sa nouvelle religion, serait l’homme qui pourrait enfin les aider à faire la paix avec la tribu des Aous, l’autre grande tribu arabe de Yathrib.
Les tractations furent secrètes et eurent lieu sous couvert de pèlerinage dans la ville sacrée.
À La Mecque, la nouvelle religion et son porte-parole étaient plus que contestés. À Yathrib/Médine, Mahomet compte bien trouver des conditions plus favorables. Il met donc au point avec cette poignée d’hommes une alliance conforme aux mœurs de l’époque, une alliance de nature tribale d’autant plus naturelle que Mahomet leur était apparenté par son grand-père Abd-el-Mouttalib ; né d’un mariage temporaire, ou mout’a, avec une femme du clan médinois des Nadjar, de la tribu des Khazradj justement.
À Yathrib/Médine, les Khazradj avaient perdu le pouvoir au profit de la tribu des Aous, devenue plus puissante qu’eux, à la suite de cette fameuse bataille de Bouath en 617 au cours de laquelle ils avaient incendié leurs palmeraies mutuelles. Ensuite guerre et paix avaient alterné. Abdoullah ibn Oubaye qui était l’un des chefs des Banou Khazradj, mais n’avait pas pris part aux combats y était tenu en haute estime par les deux tribus.
Les deux parties s’avéraient épuisées et, par conséquent, enclines à faire la paix. Les deux tribus insistaient donc pour qu’Abdoullah devienne leur roi. Ils avaient même déjà fabriqué une couronne pour lui afin qu’il puisse la porter le moment venu.
Mahomet ainsi que ses partisans représentaient donc un appui potentiel appréciable pour ceux qui n’étaient pas d’accord avec ça, et en ce qui les concerne ce fut peut-être là une raison suffisante pour conclure un accord avec lui et demander son installation à Yathrib, sans qu’interviennent d’autres considérations, de nature religieuse.
Les six hommes en question retournent donc à Yathrib/Médine où bientôt, dans chaque foyer, on parlera tellement du Mecquois Mahomet qu’il n’y eut bientôt plus une seule maison dans la cité, om l’on n’eût pas entendu parler du prophète de l’islam.
EXPLICATION DE CE SUCCÈS. Le Judaïsme de l’Arabie antique, Collection Judaïsme ancien et origines du christianisme, 3, Turnhout, Brepols, 2015, 1 vol., 568 pages.
Notre auteur a en effet voulu répondre aux deux questions suivantes.
La première : comment se fait-il que plus du tiers du Coran contienne des allusions à des récits des personnages bibliques, alors que le contexte était celui de l’idolâtrie mecquoise ?
Et la deuxième : comment ces auditeurs mecquois païens pouvaient-ils comprendre les multiples allusions bibliques de ces récits, puisque le Coran ne les explicite pas du tout – exception faite de la sourate Youssouf – et donne au contraire l’impression que les auditeurs connaissent ces récits en détail ?
Depuis plus d’une vingtaine d’années, de nombreuses inscriptions d’Arabie ont été étudiées, à tel point que les découvertes épigraphiques permettent désormais d’avoir une image beaucoup plus claire des courants religieux en Arabie avant l’Islam et qu’on peut avancer des hypothèses plausibles en réponse aux questions posées.
Il faut tout d’abord prendre en compte les événements qui se sont produits au royaume de Himyar vers la fin du quatrième siècle et le règne de Malkikarib Youhanim (de 375 à 400 environ).
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Vers 380, le royaume délaisse le paganisme ancien déjà en déclin durant le règne de son père Tharane Youhanim (324 à environ 375), pour adopter un judéo-monothéisme qui n’est affilié directement à aucune autre communauté juive structurée. Le judaïsme de Himyar va donc et pour une assez longue période avoir un statut semi-officiel. Et cette décision aura un impact considérable sur l’ensemble de la péninsule arabique, suite à l’expansion de Himyar et de sa conquête de l’Arabie déserte.
On ne peut donc sous-estimer l’influence considérable de ce type de judaïsme qui rayonne jusqu’à environ 500 à partir du Yémen. Mais il y a aussi, en lien avec ce judaïsme au Yémen, la présence très importante des juifs du Hedjaz, où l’enracinement du judaïsme reste dispersé, et n’est pas unifié par le fait que le pouvoir politique est favorable aux juifs, comme à Himyar. Durant cette période d’environ cent-cinquante ans, le monothéisme judaïsant a donc tout le temps d’imprégner les esprits dans l’ensemble de la péninsule.
Dès 485, le royaume de Himyar entre en crise ; le christianisme, soutenu par le pouvoir éthiopien d’Aksoum, s’infiltre peu à peu, gagnant du terrain à partir de la périphérie du pays, de telle sorte qu’entre 500 et 522, le pays est peu à peu mis sous tutelle aksoumite : vers la fin 518-début 519, c’est Aksoum qui installe sur le trône de Himyar un prince chrétien, Madikarib Yafour. Quant à l’Arabie Nord occidentale, c’est l’influence de Byzance qui s’impose entre 500 et 560.
Cette évolution sera brusquement interrompue quand une révolte judaïsante anti-aksoumite éclatera sous la direction du roi de Himyar Yousuf As’ar Yath’ar (appelé aussi Youssouf Dhou Nouwas), qui avait été intronisé en juin 522.
Il massacre la garnison aksoumite de la capitale Zafar, incendie l’église et s’en prend aux chrétiens de la ville de Nedjran qui sont martyrisés. Mais le roi éthiopien réagit : il entame une expédition de représailles qui a lieu entre 525 et 530, et rétablit la domination aksoumite sur le Yémen. Le roi Youssouf est mis à mort et un nouveau roi Himyarite, Soumouyafa Ashoua, est mis sur le trône. Le christianisme devient religion officielle de Himyar. Cette situation durera jusque vers 570-575, quand les Perses réussiront à s’imposer. Mais entretemps, un événement majeur se produira, qui aura des répercussions importantes et nous ramène directement aux questions posées par rapport au Coran.
Entre 531 et 535 en effet, un des généraux du roi éthiopien, du nom d’Abraha – bien connu des sources musulmanes – va se révolter contre le Négus et le roi que celui-ci a mis sur le trône ; il prend le pouvoir. Vers 550, il entame des expéditions vers le nord et diverses tribus se soumettent à son autorité. Abraha s’empare d’ailleurs aussi de l’oasis de Yathrib et bâtit une grande église à Sanaa, al-Qalis, mentionnée d’ailleurs dans la Sira nabawiyya (vie de Mahomet).
Une inscription du temps d’Abraha précise l’année : 559-560 ; elle est extrêmement importante, car d’après le professeur Robin, les inscriptions de cette période nous dévoilent aussi une évolution interne majeure dans le christianisme d’Abraha. Les inscriptions datant du temps du roi Himyarite précédent, Soumouyafa Ashoua, contenaient les invocations trinitaires chrétiennes classiques, mentionnant Rahmane, et ensuite la seconde personne divine, son Fils, le Christ vainqueur, ainsi que l’Esprit saint.
Christian Robin remarque dans les inscriptions du temps d’Abraha un changement important : « La dévotion d’Abraha se limite à Rahmane (éventuellement Seigneur du Ciel) et à son Messie. La disparition du terme « fils » dans les invocations religieuses d’Abraha pourrait indiquer que la croyance en la filiation divine de Jésus n’est plus considérée comme essentielle. Jésus n’est plus une entité divine, mais seulement le Messie. Ainsi, dans une autre inscription datant de 548 : « Avec la puissance, l’aide et la clémence de Rahmane, de son Messie, et de l’Esprit de sainteté ». D’après Robin, l’absence du terme « fils » et l’appellation « Messie » s’accordent avec la christologie des judéo-chrétiens les plus radicaux. Plus remarquable encore, elles reflètent une doctrine qui pourrait avoir inspiré le Coran qui reconnaît en Jésus un personnage d’exception à la naissance miraculeuse puisqu’il est appelé « Jésus fils de Marie » (Issa ben Maryam, et non « Jésus fils de Joseph ») et l’appellent le « Messie » (al-Masih) ».
Une des explications avancées par le professeur Robin pour expliquer ce glissement dogmatique est que le roi Abraha, qui est aksoumite d’origine, et chrétien, et qui s’est emparé du pouvoir dans le royaume de Himyar dont les élites inclinent vers le judaïsme depuis près de deux siècles, ne pouvait plus s’appuyer sur Aksoum.
Il devait donc trouver un moyen de se concilier au moins en partie la population locale. Sur le plan religieux, ce fut une forme de christianisme qui ne heurtait pas trop les juifs.
Ente les mains de Mahomet ce genre de compromis échouera néanmoins très vite pour ce qui est de juifs, mais séduira beaucoup d’Arabes dont un certain nombre d’habitants de Yathrib/Médine pour commencer puisque l’année suivante, c’est-à-dire en 621, quand vint le temps du pèlerinage, une délégation vint de Yathrib pour rencontrer Mahomet.
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Cette délégation était composée de douze hommes dont cinq faisaient partie du groupe de l’année précédente, et de deux membres de la tribu des Aous. Ils retrouvèrent de nouveau Mahomet à Aqaba et lui prêtèrent un serment d’allégeance, d’abord en leur nom propre et en celui de leur épouse, en promettant de n’associer personne à Dieu dans leur culte, de ne pas voler, de ne pas commettre d’adultère ni d’infanticide, même dans la misère la plus totale. Et ils promirent également d’obéir au Prophète de l’islam dans tout ce qu’il leur ordonnerait de faire de juste et de bien. Ce serment est connu sous le nom de premier serment d’Aqaba, mais il est aussi appelé le « Serment de femme ». Tous ses signataires sont évidemment des hommes, mais la paix à l’époque était vue comme un état indigne des hommes, et plus conforme à la nature des femmes. D’où le nom pour ce pacte qui ne prévoyait pas encore de combat puisqu’il n’était que défensif.
Ibn Ichaq. Vie de Mahomet Guillaume page 198.
LA MISSION DE MOUSSAB (avril 621).
L’année suivante, douze auxiliaires se rendirent à la foire et se retrouvèrent dans al-Aqaba – ce fut le premier « Aqaba » – où ils prêtèrent à l’apôtre un serment de femmes. C’était avant que le devoir de faire la guerre le cas échéant leur soit imposé.
Ces hommes étaient…
Oubada b. al Samit m’a dit : « J’étais présent lors du premier Aqaba. Nous étions douze et nous nous sommes engagés envers le prophète à la manière des femmes car c’était avant qu’on nous enjoigne de faire la guerre, cet engagement consistait à n’associer personne à Dieu, à ne pas voler, ne pas forniquer ni commettre d’infanticide, ne pas calomnier nos voisins, ne pas lui désobéir dans ce qu’il est juste de faire. Si nous respections cet engagement, nous irions au paradis sinon il appartiendrait à Dieu de nous punir ou de nous pardonner comme il lui plairait…
Quand ces hommes furent repartis, l’apôtre envoya aussi avec eux Mouss'ab ibn Oumeïr… en lui confiant la tâche de leur lire le Coran de leur enseigner l’Islam et de les instruire dans la religion. À Yathrib Mouss'ab fut appelé « Le Lecteur », il logeait chez Ass'ad b. Zourara.
Assim b. Oumar m’a dit qu’il avait l’habitude de diriger les prières parce qu’Aous et Khazradj ne pouvaient pas supporter de voir un de leurs rivaux le faire. Il fut le premier musulman de la Mecque à arriver à Yathrib. Il prêcha jusqu’à ce que presque toutes les familles de Yathrib aient au minimum un sympathisant parmi ses membres. Et, avant le pèlerinage de l’année suivante, c’est-à-dire de l’année 622, il retourna voir Mahomet pour lui rendre compte de sa mission.
1) Luqman est le nom d’une figure mythique arabe ayant vécu bien avant le Coran. Il y a eu beaucoup de débats et de discussions, théologiques et historiques, sur la relation pouvant exister entre les deux personnages. Certains soutiennent que c’est le même individu, d’autres qu’ils ont simplement le même nom *. Les recueils de proverbes arabes mêlent les deux personnages, en puisant à la fois dans le Coran et dans les histoires d’avant l’islam, et en le dotant d’une force et d’une longévité surhumaines. Le Luqman préislamique appartenait au peuple des Ad, qui vivait à Al-Ahqaf dans la péninsule arabique, près de l’actuel Yémen moderne.
* Même raisonnement chez les témoins de Jéhovah pour expliquer les deux Goliaths de la Bible.
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LE DEUXIÈME SERMENT D’AQABA 23 juin 622.
DIT BAYAT AL HARAB OU SERMENT VIRIL.
Viril à cause de son explicite référence à la force pour se défendre, si nécessaire.
Apparition des Ansars ou Auxiliaires.
Toujours à l’occasion du pèlerinage annuel à La Mecque, 73 hommes et 2 femmes de Yathrib/Médine, notamment douze de leurs responsables ; issus des tribus Khazradj, et même Aous cette fois-ci, d’après certains auteurs, ce qui est plus difficile à croire ; acquis à la cause de Mahomet, jurent obéissance et fidélité à Mahomet dans ce même défilé rocheux, situé près de Mina * (5 ou 6 km de La Mecque) et s’engagent donc à l’accueillir ou à le protéger contre tous ceux qui voudraient s’en prendre à sa personne. Ils s’engagent aussi à venir en aide si nécessaire à ses disciples, à n’associer aucun autre dieu au culte qu’ils rendaient déjà plus ou moins au dieu appelé Allah, et à respecter certaines règles morales minimales. Ces sympathisants de Yathrib/Médine seront dès lors appelés les ansar (« les auxiliaires, les alliés, les assistants »).
Selon Ibn Ichaq Dieu n’avait pas encore donné à l’Envoyé de Dieu la permission de faire la guerre lors du premier serment d’Aqaba en 621, mais là « Il la lui donna ».
Ibn Ichaq, Vie de Mahomet, Alfred Guillaume page 221.
L’APÔTRE REÇOIT L’ORDRE DE SE BATTRE.
Jusque-là l’apôtre n’avait pas été autorisé à se battre ni à faire couleur le sang avant la seconde Aqaba. Il avait simplement reçu l’ordre d’appeler les hommes sur la voie de Dieu et de supporter l’insulte ou de pardonner aux ignorants. Les Couraïchites avaient persécuté ses disciples, en incitant certains à abandonner de leur religion ou en en poussant d’autres à l’exil. Ils étaient placés devant le choix suivant : abandonner leur religion, être maltraité chez eux, ou fuir le pays, les uns en Abyssinie, les autres à Yathrib.
Ibn Ichaq, Vie de Mahomet, Alfred Guillaume page 208.
CLAUSES DU SERMENT DU DEUXIÈME AQABA.
Le second serment d’Aqaba contint des clauses impliquant la guerre, qui ne figuraient pas dans le premier serment de fidélité. Ils s’obligeaient désormais à lutter pour Dieu et son apôtre, qui de son côté promettait de les servir fidèlement et les assurait du paradis.
Oubada b. al-Oualid b. Oubada b. al-Samit…… m’a dit : « Nous nous sommes engagés à lutter dans la plus totale obéissance à l’apôtre que ce soit dans le bonheur ou le malheur, dans la facilité ou dans des circonstances plus difficiles, voire contraires, à ne pas faire de tort à autrui, à toujours dire la vérité et à ne craindre la censure de personne lorsque que nous servirions Dieu ».
Oubada était l’un des douze qui avaient prêté serment lors du premier Aqaba.
NOMS DES PERSONNES PRÉSENTÉS LORS DE SECOND AQABA.
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Il y avait soixante-treize hommes et deux femmes… qui prêtèrent également serment d’obéissance. L’apôtre ne serrait les mains des femmes et se contentait de leur énoncer les clauses du serment et si elles les acceptaient il disait : « Va en paix, j’ai conclu un pacte avec toi ».
Ayatollah Jafar Soubhani. La vie du Saint Prophète de l’Islam (2014).
« Les Banou Hachem, qu’ils croient en sa religion ou non, sont responsables de sa protection. Mais Mahomet tourne maintenant ses regards vers vous et désire vivre parmi vous. Si vous êtes certains que vous respecterez votre accord et le protégerez de tout mal venant de ses ennemis, alors nous sommes prêts à le laisser partir chez vous. Par contre si vous ne vous sentez pas capable de le défendre dans l’adversité, vous êtes libre de le laisser ici et de le laisser passer le reste de sa vie parmi les siens entouré de dignité et de respect ».
Boura ibn Ma'rour se mit debout et dit alors : « Par Dieu, s’il y avait eu autre chose dans nos cœurs que ce que nous avons dit avec notre langue, nous l’aurions dit, nous n’avons pas d’autre intention que de respecter sincèrement cet accord et de mourir au service du Prophète ». Ensuite les Khazradj se tournèrent vers le Prophète et lui demandèrent de dire quelque chose. Le Prophète leur récita des versets pour attirer leur attention sur l’Islam.
Puis il leur dit : « J’accepte votre serment de me défendre de la même manière que vous défendez vos enfants ou les membres de votre famille ». Sur ce Boura se leva de nouveau et dit : « Nous sommes des enfants de troupe et nous avons été entraînés comme des guerriers, nous avons hérité ces qualités de nos ancêtres ».
Certains auteurs pensent que les versets 39-40 du chapitre 22 du Coran seraient un lointain écho de ce deuxième serment d’Aqaba.
Mahomet, Coran 22, 39-40. « L’autorisation de se défendre est donnée à ceux qui ont été attaqués, parce qu’ils ont été injustement traités ; Dieu a la puissance nécessaire pour les secourir ; et à ceux qui ont été chassés injustement de leur maison pour avoir seulement dit : notre Seigneur est Allah ».
La permission d’user de la violence dans l’islam est donc intervenue très tôt, lors de ce deuxième serment, et non après l’Hégire à Yathrib/Médine.
Ces accords sont importants : les serments sont des actes religieux, mais ce sont aussi des contrats entre deux parties, un programme et des obligations réciproques. On passe ainsi peu à peu du modèle sectaire au modèle théocratique, où les fonctions religieuses, économiques, sociales, militaires, et politiques, sont mêlées. Ces serments font passer Mahomet ou les siens au niveau de la politique « interarabe ». Par ce contrat d’allégeance, émigrés mecquois et alliés de Yathrib, s’ils ne rompent pas tous les liens avec leurs groupes d’origine, leur en superposent un autre, celui d’une croyance commune représentée par un chef unique.
Mahomet envoie ensuite quelques-uns de ses fidèles à Yathrib/Médine, sous la conduite d’un dénommé Massat ben Omaïr, afin de concrétiser l’alliance avec les Khazradj et de susciter là-bas éventuellement d’autres ralliements à sa cause.
Yathrib, la ville dans laquelle Mahomet décide donc d’émigrer et qui va devenir Médine, se trouve à 350 km au nord-ouest de La Mecque
L’explication définitive d’un tel ralliement à la personne et à la cause de Mahomet reste à déterminer, la première étant qu’apparemment on avait commencé à parler de lui à Yathrib, avant même qu’elle devienne Médine.
Les explications les plus couramment avancées sont :
— la présence à Yathrib d’une importante communauté juive.
— la guerre de Hathib survenue quarante ans plus tôt (583) entre les deux principales tribus arabes de Yathrib, les Aous et les Khazradj.
* D’après Tabari.
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L’HÉGIRE* (622).
* Hégire signifie émigration en arabe.
Mahomet en tant que tel était avant tout un Mecquois parlant à d’autres Mecquois. Son message était destiné aux seuls Mecquois, aux fidèles de leur sanctuaire, et il ne parlait que du dieu des Mecquois.
Mais les habitants de La Mecque tenaient alors Mahomet pour quelqu’un qui « déraillait » complètement (égaré disent nos textes) ils ne sympathisaient guère avec les idées de Mahomet. Ils se moquaient des premiers musulmans et les ridiculisaient, mais jamais à quelques exceptions près ils ne tuèrent qui que ce soit uniquement en raison de son adhésion à l’islam. L’explication d’un tel déficit d’enthousiasme de la part des Mecquois fut vraisemblablement, ainsi que nous l’avons dit, que Mahomet manquait totalement de respect envers leurs croyances et leur philosophie de la vie (la laïcité ouverte). Bref, ce qui fut en cause, ce fut la personnalité de Mahomet et non son message.
L’hagiographie musulmane postérieure a, certes, essayé de faire croire que ce fut à cause du strict monothéisme abrahamique de Mahomet, mais rien n’est plus faux pour deux raisons…
— La première est que l’abrahamisme de Mahomet date surtout d’après sa rupture avec les juifs ou judaïsants de Médine et non de sa période mecquoise.
— La deuxième est qu’Abraham est une figure légendaire ou mythique n’ayant que peu de vraisemblance historique.
Il est certain que les Hébreux de ce temps-là étaient encore polythéistes ou hénothéistes. Il vaut donc mieux ne pas parler du dieu d’Abraham d’Isaac et de Jacob, mais DES dieux d’Abraham d’Isaac et de Jacob. Voir notre précédente étude sur le judaïsme. Cela prouve bien au passage, et si besoin était que ce que Mahomet a repris à propos d’Abraham ne fut en aucune façon une révélation divine ou le fruit de recherches historiques personnelles très fouillées… Mais simplement diverses idées reçues à son sujet dans les communautés juives ou chrétiennes. Le personnage d’Abraham étant une imposture tout cela revint à en rajouter une couche, à ajouter de l’imposture à l’imposture, bref de l’imposture puissance 2. L’Abraham de la tradition musulmane n’est que de l’imposture au carré.
La principale source de tensions ou de conflits avec les autres membres de la tribu couraïchite était, non pas le fait que Mahomet affirmait être le dépositaire d’une révélation divine ; (il n’était pas le premier dans ce cas-là, car à l’époque tout le monde croyait plus ou moins aux djinns et aux devins : kahin) ; mais son iconoclastie. C’est-à-dire son intolérance religieuse au bénéfice du seul Allah et au détriment des autres dieux. Les principaux personnages de La Mecque, comme Abou Lahab et son beau-frère Abou Soufiane, voyaient en lui un épileptique endjinné (un madjnoun) dont les idées pouvaient gravement nuire aux intérêts matériels et moraux – sa réputation – de la cité. L’attitude de la bourgeoisie mecquoise à l’encontre de Mahomet n’était donc motivée qu’en partie, par le contenu de ses prétendues révélations divines. Au début, ainsi que nous l’avons vu, Mahomet ne s’était guère
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attaqué aux divinités qu’il était de bon ton d’honorer à La Mecque puisqu’il avait même admis le culte des déesses Late, Ouzza et Manate (53, 19-20).
Sur un plan plus personnel par contre, les choses s’étaient arrangées et un mois ou presque après la mort de Khadidja (à 65 ans) Mahomet s’était remarié. Deux fois ! Il avait épousé d’une part une bonne et forte ménagère du nom de Saouda, rentrée d’Abyssinie après la conversion de son mari, Sakrane ibn Amr, au christianisme copte (ou sa mort suivant d’autres versions) ; et d’autre part la fille de son disciple Abou Bakr, Aïcha (6 ans).
« Le messager de Dieu épousa Saouda au mois de ramadan, la dixième année de la prophétie, après la mort de Khadidja. Ce fut la première femme que le messager de Dieu épousa juste après Khadidja ».
Au-delà de la nature très bourgeoise ou scandaleuse de ces épisodes, il faut souligner que Mahomet a ainsi promu mondialement la polygamie, un phénomène aux très importantes conséquences sociales, économiques et militaires, tant pour les musulmans eux-mêmes que pour les autres. Il faut être un homme particulièrement égoïste pour ne pas comprendre qu’il est inhumain d’imposer à des femmes de vivre tous les jours à plusieurs avec un seul homme sous le même toit.
L’Hégire est le début du calendrier musulman, constitue le début de l’ère musulmane, parce qu’elle constitue un événement capital. Dans l’histoire musulmane, c’est le tournant décisif de la vie de Mahomet. Avant, c’était un prophète tourné en dérision par ses concitoyens, mis en quarantaine, ostracisé, après, il devient le chef de Yathrib/Médine, lève une armée, organise des razzias pour faire du butin puis des guerres de conquête (des guerres toujours défensives dans la présentation musulmane des choses *) et parvient à fonder un empire.
Un événement aussi important n’a pourtant laissé qu’une trace infime dans le texte de référence : le Coran.
Mahomet, Coran 8, 30. « Lorsque les mécréants usaient de stratagèmes contre toi, pour s’emparer de toi, pour te tuer ou pour t’expulser ; mais s’ils usent de stratagèmes, Dieu aussi peut user de stratagèmes ».
À La Mecque, Mahomet qui est plus ou moins assigné à résidence en ville avec interdiction de la quitter, prépare désormais son départ, et encourage les siens à faire de même.
On ne sait presque rien du départ de ces quelques dizaines de familles (100 personnes ???). Toute l’attention des musulmans s’est concentrée sur la figure du chef charismatique et son aventure.
La quantité de précisions à ce propos est d’ailleurs suspecte. Par exemple le récit du complot contre Mahomet des Couraïchites, devenus d’un seul coup de sanguinaires Nérons – après dix ans d’ostracisme, ils décident soudainement de le tuer alors que même les Allemands ont laissé Lénine parvenir à Saint-Pétersbourg en Russie en 1917, trop heureux de faire d’une pierre deux coups, se débarrasser d’un agitateur idéologiquement dangereux et de l’expédier au diable chez un ennemi dont ils espéraient bien que cela désorganiserait ou affaiblirait les défenses. Dans le cas de Lénine leurs vœux furent comblés par la signature de la capitulation de Brest-Litovsk en 1918, mais pour ce qui est de Yathrib c’était sans compter avec l’incontestable habileté politique de Mahomet.
Ce récit arrive à point nommé pour masquer le fait que la prédication était à bout de souffle à La Mecque, et que le déménagement à Yathrib avait déjà été décidé lors du deuxième serment d’Aqaba quelques mois plus tôt.
Les premiers adeptes de Mahomet (80 hommes environ, les mouhadjiroun) commencent donc à sortir discrètement de la Mecque par petits groupes pour se rendre à Yathrib/Médine où se trouvaient désormais des amis dévoués à leur cause. Ils y constitueront une sorte d’élite, du moins aux yeux des musulmans des générations postérieures, secondés par leurs auxiliaires de la ville (les ansar).
Mahomet lui-même enfin se décidera aussi à tenter sa chance là-bas quelques semaines plus tard. La hijrah (ou émigration) était commencée.
Des aspects très techniques sont évoqués au moment du départ, qui en augmentent le vraisemblable : les affaires financières de Mahomet, l’imprévoyance d’Abou Bakr, le choix du guide, etc.
À en croire certains hadiths, le matin même de son départ, Mahomet aurait alors échappé de peu à un assassinat.
Ali ayant pris la place de Mahomet dans son lit, c’est lui que les Mecquois venus pour le tuer auraient trouvé à sa place, à leur grand désappointement.
Le caractère artificiel de l’épisode est patent, il est visiblement destiné à souligner l’importance symbolique du personnage d’Ali, remplaçant de Mahomet avant la lettre. Ce qui est également important ici, c’est qu’Ali se retrouve là en position de martyr, c’est-à-dire dans la posture quasiment innée du chiite.
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On ne peut guère demander d’autres services à ce pauvre Ali, étant donné ses très faibles capacités de raisonnement. C’est aussi un ressort romanesque facile, même s’il a pu servir de support à une théologie passablement échevelée.
Abou Bakr et Mahomet, après s’être recueillis une dernière fois à la Kaaba, parviennent à quitter La Mecque le 20 juin selon les uns, le 16 juillet, ou le 14 septembre, selon les autres, de l’année 622 ; avec leur guide Abdoullah Ibn Ouraïqit et un serviteur d’Abou Bakr appelé Amr Ibn Fouhaïrah.
Des Couraïchites auraient alors tenté une dernière fois de l’éliminer physiquement. Avec ses compagnons, Mahomet se réfugie dans une caverne. Selon la légende, une araignée se met alors à tisser sa toile devant l’entrée de la grotte, pendant qu’une colombe y couve tranquillement ses œufs. Les Mecquois, persuadés qu’il n’y a personne dans ladite grotte, passent leur chemin et ne se donnent pas la peine de la fouiller.
C’est l’épisode qui est resté le plus populaire dans la tradition musulmane, alors qu’il n’apporte strictement rien sur le fond. Mais on aime, en terres d’islam, les histoires simples. L’épisode en tout cas met en valeur le personnage d’Abou Bakr comme compagnon principal de Mahomet (ce qui légitimera par conséquent qu’il assure l’intérim en 632).
Rappelons pour mémoire que le héros du roman initiatique intitulé évangile, le grand rabbi nazaréen appelé Jésus, ne réussit pas en ce qui le concerne à échapper à ses ennemis et qu’il n’est pas mort dans son lit à 60 ans, mais crucifié comme un voleur. L’événement est assez embarrassant quand on y pense pour qu’il ait de bonnes chances de ne pas avoir été inventé.
Afin de compenser le manque d’épisodes miraculeux, surtout en comparaison avec la vie du Christ ; la tradition musulmane insère à cet endroit de la geste mahométane quelques récits relevant du miraculeux ; et dont la date véritable n’a donc, en réalité, aucune importance.
ISRA ET MIRAJ.
Il faut bien distinguer le voyage nocturne, de La Mecque à Jérusalem (isra) de l’ascension céleste à partir de Jérusalem (miraj) qui s’en serait ensuivie.
L’ISRA.
Une nuit, l’ange Gabriel vint trouver Mahomet pendant son sommeil. Il entra dans la chambre en pratiquant un trou dans le toit, ordonna ensuite à Mahomet d’enfourcher une monture inconnue de taille intermédiaire entre l’âne et la mule. La monture avait une queue de paon ainsi qu’une tête de femme et s’appelait Bouraq.
La monture amenée par Gabriel avait des ailes et, à une vitesse fabuleuse, comme le Pégase de la mythologie grecque, conduisit Mahomet de La Mecque, où il était censé habiter, jusqu’à une mosquée lointaine située à ??????????
Jérusalem.
Après avoir prié, Mahomet se rendit au Paradis, approcha Dieu de si près qu’il l’entendit faire grincer son calame sur le parchemin en écrivant lui-même ses décrets.
Puis Mahomet revint à ?????? Jérusalem, reprit l’animal volant, revint à La Mecque, se mit au lit et s’endormit. Gabriel reboucha le trou dans le toit de si merveilleuse façon que le lendemain personne n’en vit la moindre trace.
N.B. Ce voyage miraculeux ou incroyable a fait de Jérusalem une ville sacrée pour les musulmans, la troisième en importance après La Mecque et Médine.
Deux sources seulement évoquent ce Voyage nocturne : le chapitre Nº 17, verset 1 du Coran et la Sira (la biographie légendaire de Mahomet). La première de ces sources, le Coran, est d’une sécheresse lapidaire à ce sujet.
Chapitre 17, verset 1.
« Loué soit Celui qui a emporté Son serviteur de nuit de la mosquée sainte jusqu’à la mosquée lointaine, dont Nous avons béni l’enceinte ; afin de lui montrer certains de Nos signes, car II est Celui qui entend tout et qui voit tout ».
Le terme « Isra » signifie se réfugier (« aller secrètement d’un lieu dangereux où l’on n’est pas en sécurité en un lieu sûr »). Il pourrait donc s’agir simplement d’une préfiguration du départ de Mahomet pour Yathrib/Médine, d’un rêve ou d’une vision de Mahomet, lui ordonnant de s’enfuir à YathribMédine.
Tout ce que ce texte nous dit en tout cas c’est que Dieu a pris Mahomet dans une mosquée appelée Al-Haram pour le déposer dans une mosquée qualifiée d’Al-Aqsa (la plus éloignée).
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Ce texte évoque par conséquent deux lieux saints, le premier appelé Al-Haram qui ne peut être que la Kaaba de La Mecque, le deuxième une mosquée inconnue qualifiée d’Al-Aqsa. Mais en Palestine à cette époque, il n’existait aucune mosquée. À cette époque, à Jérusalem, personne ne croyait en Mahomet. La plupart des habitants étaient chrétiens, ou juifs. La première mosquée n’y fut aménagée qu’à la fin du VIIe siècle, vraisemblablement lors de la conquête de Jérusalem par Omar. C’est sans doute plus tard, peut-être sous le Califat des Omeyyades de Damas, quand on chercha à déposséder La Mecque de sa prérogative de métropole religieuse unique de l’islam ; que l’expression « Mosquée très éloignée » ne désigna plus la « Jérusalem Céleste », mais la capitale de la Judée. Or répétons-le, rien ne dit dans le texte coranique que cette mosquée très éloignée était une mosquée située à Jérusalem. Vu les dates, ce serait même impossible. La Mosquée très éloignée est peut-être tout simplement une métaphore des cieux (ainsi que le pensent les chiites) analogue à la Jérusalem céleste.
LE MIRAJ.
Le verset en question du Coran précise que ce voyage fut effectué afin de montrer certains « signes ». Si l’on en croit la légende, Mahomet serait donc alors allé au Ciel, et ce, bien avant sa mort. En s’élançant vers le ciel, il aurait d’ailleurs laissé l’empreinte de son pied sur le rocher d’Abraham (Qubbat el-Sakhra) qu’abrite la grotte située sous le Dôme de la Mosquée d’Omar ; là où la tradition rapporte qu’Abraham aurait tenté de pratiquer un sacrifice humain sur la personne de son fils.
Le pavement de marbre de cette mosquée est interrompu au centre du bâtiment, sous le dôme, et laisse affleurer le rocher. D’après la tradition musulmane officielle, sa monture aurait laissé Mahomet sur l’esplanade, en cet endroit, et, prenant appui sur ledit rocher, Mahomet aurait bondi jusqu’au paradis. La preuve de ce fait, toujours d’après la tradition musulmane, est que le pied de Mahomet a laissé sur le rocher une empreinte que l’on peut voir encore aujourd’hui.
Or, on peut constater qu’aucune inscription ne fait mention de ce voyage nocturne, ni sur les parois de la mosquée ni sur le pourtour du dôme. Si la légende du voyage nocturne avait existé en 691, lors de la construction de cette mosquée, elle aurait été mentionnée dans les inscriptions. Cette légende (analogue aux innombrables contes identiques en Occident : empreinte du pied de Gurgunt = Gargant, du diable, ou d’un saint quelconque…) est donc nécessairement postérieure à 691. Et de fait, ce miraj miraculeux ne nous est connu que par des hadiths, autrement dit uniquement par des traditions légendaires très nettement postérieures à la date prétendue des événements.
De telles ascensions du vivant de quelqu’un sont impossibles en ce monde et cette ascension purement légendaire doit donc être comprise comme une métaphore ou un symbole (à moins évidemment que la nature physique de Mahomet n’ait alors subi des changements lui ayant permis de véritablement voir le Paradis et l’Enfer en chair et en os).
Ces mythes directement inspirés du christianisme populaire avaient deux buts : renforcer l’influence des Omeyyades en Palestine, au moment où le Hedjaz et La Mecque se révoltaient contre eux ; et affirmer la domination de l’islam sur les deux monolâtries de masse précédentes, la juive et la chrétienne, sur le lieu même de leur constitution.
Redescendons sur terre ! Les Couraïchites de La Mecque se moquèrent d’un tel rêve évidemment, malgré les détails rapportés par Mahomet le lendemain matin (la description très précise d’une caravane devant arriver à La Mecque dans la journée).
* L’empire musulman du 8e siècle été le seul exemple au monde d’empire uniquement constitué à la suite de guerres défensives ou de guerres faites pour cause de légitime défense.
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L’ARRIVÉE À YATHRIB/MÉDINE (septembre 622).
Les fugitifs mettent environ un mois pour parcourir les 400 km séparant La Mecque de Yathrib/Médine. Ils parviennent à Qba un de ses faubourgs, dans la nuit du douzième jour du mois de rabil, soit le 16 juillet ou le 24 septembre 622.
L’arrivée des quatre hommes (Mahomet Abou Bakr, son serviteur Amir, et leur guide Abdoullah ibn Arqat) fait sensation et constitue un des grands moments de la geste musulmane.
C’était le jour de la fête de Yom Kippour chez les juifs de la ville et Mahomet en fera une des fêtes de l’islam sous le nom d’Achoura.
Ibn Ichaq. La vie de Mahomet par A. Guillaume page 227.
Quand nous avons appris que l’apôtre avait quitté La Mecque, nous attendîmes avec impatience son arrivée, nous prîmes l’habitude de sortir après les prières du matin pour l’attendre.
Le premier à le voir fut un Juif. Il avait remarqué ce que nous avions l’habitude de faire et que nous attendions l’arrivée de l’apôtre, aussi s’écria-t-il à pleine voix : « Ô, Banou Qaïla, votre bonne étoile est arrivée ».
Nous sommes donc allés saluer l’apôtre qui se tenait à l’ombre d’un palmier avec Abou Bakr qui avait le même âge. Comme la plupart d’entre nous n’avaient jamais vu l’apôtre et comme les gens se pressaient autour de lui, on ne sut pas qui des deux était le prophète jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’ombre et qu’Abbou Bakr se lève avec son manteau afin de le protéger du soleil, alors nous sûmes qui était le prophète…
Ali resta à la Mecque trois jours et trois nuits jusqu’à ce qu’il ait réalisé les créances que l’apôtre détenait. Cela fait, il rejoignit l’apôtre et logea chez Koulthoum avec lui. Il n’est resté à Qba qu’une nuit ou deux.
Il avait l’habitude de dire qu’à Qba il y avait une musulmane célibataire et qu’il avait remarqué qu’un homme venait en pleine nuit frapper à sa porte. Elle sortait et il lui donnait quelque chose. Il lui demanda ce que signifiaient ces sorties nocturnes car c’était musulmane célibataire. Elle lui répondit que l’homme s’appelait Sahl b. Hounaïf b. Ouahib et que, comme il savait qu’elle vivait seule il avait l’habitude de briser les idoles de sa tribu la nuit et de lui en apporter les morceaux pour faire du feu…
L’apôtre est resté à Quba chez les B. Amr b. Aouf du lundi au jeudi, puis il a posé la première pierre de sa mosquée…
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Quand vint l’heure de la prière du vendredi l’apôtre était chez B. Salim b. Aouf et il pria dans la mosquée qui se trouve au fond de l’oued Raniina. Ce fut la première prière du vendredi qu’il fit à Médine.
Itbane b. Malik et Abbas b. Oubada b. Nadla et une partie des B. Salim b. Aouf lui demandèrent de venir s’installer chez eux et de profiter de leur richesse et de leur protection, mais il leur répondit : « Laissez-la trouver son chemin » car sa chamelle obéissait à Dieu ; alors ils la laissèrent aller où elle voulait jusqu’à ce qu’elle parvienne au domicile de B. Balada, où il fut reçu par Ziyad b. Labid et Faroua b. Amr avec certains des membres de leur clan…………… Finalement, le chameau se rendit chez B. Malik b. al Nadjar et baraqua devant la porte de la mosquée, qui servait alors de lieu de séchage pour les dattes, et appartenait à deux jeunes orphelins des B. al Nadjar 1) du clan des B. Malik…
L’apôtre ne mit pas tout de suite pied à terre après qu’il eut baraqué c’est pourquoi le chameau se redressa et poursuivit sur quelques mètres. L’apôtre lui laissa le champ libre sans tenir les rênes, mais il se retourna et revint à l’endroit où il avait baraqué une première et baraqua de nouveau. Il s’ébroua et resta le poitrail coulé au sol épuisé de fatigue. L’apôtre descendit et Abou Ayyoub Khalid b. Zeïd emmena ses bagages dans la maison…
L’apôtre demanda ensuite à qui appartenait le séchoir à dattes et Mou'adh b. Afra lui répondit que ses propriétaires étaient Sahl et Souhaïl, les fils d’Amr, des orphelins à sa charge, et qu’il pouvait le prendre pour y bâtir une mosquée, qu’il dédommagerait les jeunes gens pour cela.
L’apôtre ordonna donc la construction d’une mosquée en ce lieu et il demeura chez Abou Ayyoub jusqu’à ce que la mosquée ainsi ses appartements soient terminés.
L’apôtre participa personnellement à cette tâche afin d’encourager les musulmans à travailler de bon cœur et les mouhadjirun et les ansars travaillèrent dur. Un des musulmans a composa l’hémistiche suivant…
Si nous nous étions assis pendant que le prophète travaillait
On aurait pu dire alors que nous tirions au flanc.
En travaillant, les musulmans chantaient :
Il n’y a de vrai que dans le monde à venir.
Ô Dieu, aie pitié des Ansar et des Mouhadjiroun.
L’apôtre lui chantait :
Il n’y a de vraie vie que dans le monde à venir.
Ô Dieu, aie pitié des Mouhadjiroun et des Ansar.
Dernière trace de l’esprit mecquois, la fraternisation entre les Émigrés et les Ansars.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir plus haut, une fraternité morale entre premiers musulmans (mouhadjiroun) et assistants ou aides (ansar) est instituée. Mahomet procéda d’ailleurs à une sorte de jumelage entre mouhadjiroun et ansar afin de renforcer les liens entre eux. Chacun des ansar dut se choisir un ami parmi les nouveaux venus et ils purent même hériter les uns des autres. Cette institution fut néanmoins rapidement abandonnée, surtout en ce qui concerne la possibilité d’un héritage fondé sur une fraternité non biologique (ou ne résultant pas d’une adoption).
Ibn Ichaq, Vie de Mahomet Alfred Guillaume page 234.
LA FRATERNISATION DES IMMIGRÉS ET DES AUXILIAIRES.
L’apôtre encouragea la fraternité entre ses compatriotes émigrés et les auxiliaires en disant : « Que chacun de vous prenne un frère en Dieu. Lui-même prit Ali par la main et déclara : voici mon frère…
Hamza, le lion de Dieu et le lion de son apôtre et son oncle, devint le frère de Zeïd b. Haritha l’affranchi de l’apôtre. C’est à lui qu’Hamza légua ses biens le jour d’Ohoud, alors que la bataille était imminente, dans l’éventualité où il devrait y trouver la mort.
Dja'far b. Abou Talib et Mou'adh b. Jabal, frère de B. Salama, devinrent frères.
Les autres musulmans ainsi appariés furent :
Abou Bakr et Kharija b. Zouheïr frère de B. Harith b. al Kharadj.
Omar et Itbane b. Malik frère de B. Salim…
Salman le Perse et Aboul Darda Ouwaïmir b. Tha'laba frère de B. al Harith. Certains disent qu’Ouwaïmir était le fils d’Amir ou de Zeïdd.
Bilal affranchi d’Abou Bakr et muezzin de l’apôtre, et Abou Rouwaïha Abdoullah b. Abdou'l Rahman al Khath'aml, un des Faza.
Tels sont les noms de ceux que l’apôtre a fait compagnons et frères à ce qu’on nous a dit.
1) De lointains parents de Mahomet, comme quoi le hasard fait bien les choses.
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BONJOUR MR HYDE.
Yathrib n’est pas un centre urbain, mais plutôt un agrégat de palmeraies, de collines, de villages, de marchés ou de forteresses. Sa population ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le voir, est complexe : deux tribus arabes, trois tribus juives ou judéo-chrétiennes, qui pratiquent l’élevage, l’agriculture et l’artisanat. Mahomet se retrouvera donc alors dans un cas de figure totalement différent de celui de La Mecque. Ce sera pour lui l’occasion de se confronter à d’autres types de populations, d’autres dieux, et même d’autres conceptions de Dieu ; de se frotter à des juifs et des chrétiens assez organisés, semble-t-il, pour qui le dieu de La Kaaba de la Mecque n’est rien ; et qui contribueront donc ainsi à construire une autre figure divine que celle du dieu Seigneur de la Kaaba des débuts de la prédication, à vocation plus universelle cette fois. La cité devient une sorte de nouvelle Mecque semblable à celle des débuts de la prédication, où la petite secte se reconstitue.
Après avoir évoqué les grandes responsabilités politiques, militaires, administratives et sociales qui attendaient le prophète (PSL) à Médine, l’Encyclopédie de l’islam écrit néanmoins : « Nous sommes confrontés à l’un des problèmes les plus délicats de la biographie du prophète ; la double personnalité qu’il présente clairement selon les sources. Le visionnaire religieux inspiré, dont la pensée se préoccupait surtout du Jugement dernier imminent ; qui avait supporté avec patience toutes les attaques et toutes les humiliations, que n’effleurait que timidement la possibilité d’une résistance active, et qui préférait s’en remettre entièrement à l’intervention de Dieu ; après son installation à Médine apparaît sur un théâtre profane et se révèle d’un coup un génie politique de premier rang ».
À Yathrib/Médine, et malgré ses prétentions contraires, Mahomet deviendra en effet peu à peu « le chef » et « la chaîne de commandement » sera même la plus courte possible : Dieu, l’archange Gabriel, Mahomet. Le totalitarisme, c’est-à-dire l’intervention dans la vie privée, n’en deviendra que plus éclatant. Et ce totalitarisme, malgré son insistance à prétendre l’inverse, ne se fondera pas sur un passé réel, mais sur un passé recomposé à travers le prisme déformant de la personnalité de Mahomet. Mahomet sera en fait sa propre référence ; et ce, contrairement à ce qu’il affirmera constamment, avons-nous souligné ; immédiate et progressive, comme une tautologie ; ce qui pourrait faire sourire si ce totalitarisme ne s’était pas appliqué durant huit ans à une société humaine.
La Loi musulmane, la célèbre Charia, est une loi globale, totale, qui régit comme un seul bloc l’ensemble de la communauté. Elle a pour origine les prescriptions du Coran, qui sont confirmées,
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voire complétées par la tradition : les hadiths. Mais c’est à Yathrib/Médine que sera promulgué l’essentiel de cette législation, sous la forme de révélations coraniques. C’est là aussi qu’elle s’appliquera pour la première fois au monde, dans sa rigueur originelle. Il serait intéressant de comparer cette structure à la fois archaïque et totalitaire, au Code Justinien, antérieur d’un siècle.
À propos de la Charia par contre, nous ferons quelques remarques.
— Cette législation prétend n’avoir d’autre source que la volonté divine transmise au chef de la communauté.
— Elle ne prend jamais en compte l’être humain en tant que tel, et ne considère jamais ses propres intérêts, elle n’obéit à aucun grand principe directeur en dehors de celui de la soumission à la divinité ou aux décisions du chef religieux. La morale individuelle et autonome n’existe pas.
— Elle est suscitée de façon quasiment exclusive par les événements qui affectent la communauté, ou la vie de Mahomet.
— Elle ne forme pas un ensemble cohérent et organisé : ce sont les circonstances qui la construisent. Les véritables codes n’apparaîtront que beaucoup plus tard, lors du contact avec les mondes romain ou perse.
— Elle privilégie, comme toute loi archaïque, les intérêts du groupe, au détriment de celui de l’individu. Il serait donc vain de penser y trouver une quelconque forme d’humanisme.
— Elle distingue fondamentalement le musulman du non-musulman, des règles différentes s’appliquent à ces deux catégories d’êtres humains.
— À l’intérieur du groupe des musulmans, elle consacre la distinction entre plusieurs catégories d’êtres humains au statut inégal.
— Enfin, elle ne connaît aucune limite dans son champ d’action et ne comporte aucune explication.
Une telle attitude suscitera vite des oppositions, de la part de ceux qui se retrouvent en travers de son chemin : les judaïsants et tous ceux qui n’avaient pas compris au premier abord, ce qu’impliquerait l’arrivée des musulmans. Mais c’est pourtant grâce à ces opposants, à la suite de longues luttes, d’âpres invectives, voire de crimes, que la théocratie musulmane se mettra en place, et trouvera sa forme idéalisée à jamais. Cas exceptionnel, voire unique, dans l’Histoire de l’Humanité.
Il y aura dès lors dans Yathrib/Médine 4 communautés ou catégories d’habitants.
Les Médinois de confession juive.
Les Médinois de souche restés païens (voire chrétiens pour certains). Souvent qualifiés d’hypocrites (mounafiqoun) dans nos textes.
Les Médinois de souche convertis à l’islam ou sympathisant depuis un certain temps, appelés Ansars (les aides, les auxiliaires).
Les musulmans venus de La Mecque, appelés Mouhadjiroun. Le nom de Mouhadjir est un nom au sens incertain. Sa traduction par « Émigré » ne rend qu’imparfaitement le sens. L’émigration en question est certainement à prendre en un sens symbolique. Quoi qu’il en soit, le prestige de ces mouhadjiroun leur vaudra d’être toujours mentionnés séparément, et de recevoir des parts de butin par la suite.
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LA VIE À YATHRIB/MÉDINE.
Une nouvelle période de la vie de Mahomet commence donc. L’émigration à Yathrib ne ressembla en rien à celle qui eut lieu quelques années ou quelques mois plus tôt en Éthiopie, avec la bénédiction du Négus, car Mahomet, cette fois, en fit partie lui aussi personnellement ; et ce ne fut pas en pays chrétien qu’arrivèrent les musulmans, mais dans une région à moitié juive. Les juifs vont d’ailleurs jouer un rôle non négligeable dans la vie de la nouvelle communauté. Il faut dire que Mahomet n’avait pas encore alors la prétention de professer une religion « nouvelle ». En outre, autre différence avec l’Éthiopie, Mahomet avait déjà sur place des sympathisants (les ansar, qui lui avaient prêté serment de fidélité quelques mois plus tôt, dans le vallon d’Aqaba ainsi que nous l’avons vu).
La chronique nous relate des aspects pittoresques de son arrivée. Autant de façons de masquer l’attitude du reste de la population de l’oasis. Ces récits sont aussi marqués par l’influence a posteriori des familles de Médine, soucieuses du prestige qui découlait de telle ou telle relation ancienne et privilégiée avec le fondateur de leur religion.
Mahomet demande à son fidèle Abou Bakr de lui vendre la chamelle sur laquelle il a voyagé, car il tient à pénétrer dans Yathrib sur sa propre monture. Cette chamelle entrera dans la légende musulmane sous le nom de « Qasoua » (celle qui a un quart d’oreille coupée).
Le premier problème à résoudre fut « où s’installer ? » Accepter l’hospitalité de quelqu’un, c’était susciter des jalousies et restreindre sa liberté de mouvement. Mahomet choisira donc d’avoir son lieu de résidence propre. Il s’agit sans doute aussi pour lui de ne pas s’imposer brutalement au beau milieu de la localité. Bref, n’insistons pas, le fait est banal et nullement miraculeux !
L’arrivée des musulmans provoquera donc des changements matériels dans la communauté médinoise. Ces documents, trop prosaïques, sont rarement présentés. Il s’agit d’abord bien entendu d’opérations foncières, les nouveaux venus acquièrent des maisons ou des terrains à bâtir.
Un de premiers actes de Mahomet sera donc la construction de ce qui sera vite appelé la Mosquée (mais en fait, ce ne fut au départ que la maison de Mahomet lui-même et de sa famille). Occasion de voir des musulmans travailler, en commun et dans la joie. Le tableau est donc populaire et naïf.
En deux mois, et dans l’allégresse générale, tout fut terminé. La maison de Mahomet à Yathrib/Médine était composée d’une simple rangée de petites chambres pour ses femmes, ouvrant chacune sur une vaste cour d’environ cinquante mètres de côté. Il y a aussi quelques pièces pour les
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filles qu’il avait eues de Khadidja, et notamment bien sûr Fatima. Mahomet n’a pas d’appartement à lui en particulier, il séjourne à tour de rôle chez ses femmes.
La qibla est la direction vers laquelle se tournent les musulmans pour prier. Ce fut d’abord vers Jérusalem, la direction de la prière pour les juifs et pour les judéo-chrétiens.
Pour désigner le mur nord comme étant la qibla, en face de laquelle les fidèles doivent se ranger pour prier, puisque l’on n’avait pas encore inventé le mihrab ; et aussi parce que la prière principale et l’assemblée de la communauté se faisaient le vendredi à midi, donc en pleine chaleur ; Mahomet fit construire un simple toit en feuilles de palmier. Un toit qui reposait sur deux rangées de troncs parallèles au mur nord, pour se protéger des ardeurs du soleil, délimitant ainsi la partie de la mosquée appelée mouçala (ou moussala).
Mahomet fit aussi construire un abri contre le soleil le long du mur sud. Il servit à recevoir les fidèles de passage et peut-être aussi de parloir.
Lorsque à la suite de sa rupture avec les judaïsants de Médine ; Mahomet changea l’orientation de la qibla, de Jérusalem à La Mecque, afin de désigner le mur sud et assurer la même zone ombragée pour lui-même et ses fidèles durant la prière ; il inversa le dispositif. Cette partie couverte joua le rôle d’une sorte de salle d’audience, avec un trône en son milieu, ancêtre du minbar (sorte de chaire).
Aussi sommaire que soit le domicile de Mahomet, bien en accord avec la rusticité des mœurs arabes du temps, il possédait tout de même une disposition générale ; dictée directement par les fonctions à satisfaire et par les moyens à la portée des Arabes d’alors. Cette première mosquée correspondait aussi à ce que l’on attendait d’un bâtiment public dans la Médine du VIIe siècle. Mais, à bien observer sa description, ainsi que nous l’avons déjà dit, c’était bien plus qu’un lieu de culte. Il s’agissait d’un monument de type nouveau, mêlant religion, administration, représentation et vie familiale du chef.
Cette première mosquée fut donc également utilisée pour des affaires purement politiques puisqu’elle était aussi la cour (dar) habitée par Mahomet ou sa famille, les réunions cultuelles et les prières se faisant dans la mouçala. Elle devint par conséquent ipso facto le prototype même de toute mosquée par la suite et servit de modèle aux musulmans.
Le plan général des premières mosquées fut donc très simple. Une cour rectangulaire avec une fontaine pour les ablutions, un minaret, une grande salle de prière dans laquelle on trouve le mihrab (niche axiale indiquant la direction de La Mecque) et le minbar (chaire réservée à l’imam). Le minbar devint rapidement dans les mosquées principales des grandes villes un meuble indispensable, car il symbolise pour le musulman l’aspect théocratique de l’islam, le syncrétisme des pouvoirs politique, militaire et financier, avec la religion.
Mais revenons à l’installation des premiers musulmans, les mouhadjiroun, à Yathrib/Médine. Mahomet fera venir ensuite, par petits groupes, le restant de ses fidèles demeurés à La Mecque.
Les débuts sont difficiles. Les quatre ou cinq centaines de nouveaux arrivants s’installent difficilement dans une oasis déjà très peuplée. Mahomet doit donc assurer la survie de la petite communauté, en se conciliant les autochtones, et en organisant l’hébergement, l’approvisionnement, ainsi que les occupations de ses fidèles, qui supportent mal un climat trop humide. Les allusions aux maladies des émigrés sont un écho de cette situation précaire. Les cas ne sont pas décrits précisément, mais on ne peut s’empêcher de penser à la malaria.
Médine est une oasis prospère, mais l’irruption de centaines de personnes, militants religieux accompagnés de leurs familles, ne peut que bouleverser l’équilibre social, économique, et démographique de l’endroit.
En attendant la mise en place des expéditions de pillage, dont l’idée ne viendra que plus tard, la communauté se retrouve donc en position délicate pour ce qui est de l’économie, et fait un peu figure de parasite. Mahomet exhortera par conséquent ses fidèles autochtones, les ansar, à les aider financièrement. Des allusions à la chose sont perceptibles dans le Coran.
Mahomet, Coran 2, 272.
Ce que vous dépensez en aumônes est à votre avantage ; donnez, mus par le désir de voir un jour la face de Dieu, ce que vous donnez en aumônes vous sera exactement rendu : vous ne serez pas lésés. Aux pauvres et aux besogneux qui ont été réduits à la misère par leur zèle dans le chemin de Dieu, qui ne peuvent aller ailleurs. L’ignorant les croit riches à cause de leur modestie, tu les reconnais à leur aspect ; ils ne demandent pas l’aumône ouvertement, mais Dieu les connaît parfaitement.
Mahomet, Coran 9, 79.
Certains critiquent et raillent les croyants qui font spontanément des aumônes et ceux qui, ne possédant que le strict nécessaire [font de maigres dons]. Dieu se moquera d’eux dans l’au-delà et ils iront en enfer.
Selon l’exégèse, c’est au soutien financier d’un dénommé Abd al Rahman ibn Aouf que ferait allusion l’extrait suivant.
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Mahomet, Coran 3,180.
Que ceux qui sont avares de ce que la faveur de Dieu leur accorde ne considèrent pas cela comme un bien personnel, ce serait là mal agir.
Les mentions d’activités économiques auxquelles se consacrent les musulmans installés dans leur nouvelle patrie sont très rares, hormis bien sûr les expéditions de pillage.
Voici une de ces rares allusions, parmi d’autres qui insistent plutôt sur la domination des juifs en ce domaine. Fondamentalement, cet islam primitif reste donc très méprisant pour les activités agricoles, qui sont laissées aux inférieurs.
Sahih Boukhari, tome 3, Livre 34, hadith numéro 263.
Vous trouvez qu’Abou Horaïra raconte beaucoup d’anecdotes de l’apôtre de Dieu vous vous demandez aussi pourquoi les émigrés et les Ansar n’en racontent pas autant à propos de l’apôtre de Dieu que ne le fait Abou Horaïra. C’est que mes frères émigrés s’affairaient sur le marché alors que moi j’étais toujours avec l’Apôtre de Dieu en me contentant de ce qui pouvait remplir mon estomac ; aussi étais-je présent quand eux étaient absents et je me rappelais toujours très bien alors qu’eux avaient tendance à oublier, quant à mes frères Ansari ils étaient occupés par leurs propriétés……………
Le problème de la subsistance physique du groupe imposera d’ailleurs les premières décisions, notamment celle de pratiquer le pillage des caravanes ou des campements nomades. Il existe peu de témoignages concernant d’autres activités pratiquées par les premiers musulmans que celles de la guerre et du partage du butin. Celui que nous venons de voir en est un des rares.
Les disciples de La Mecque ayant émigré à Yathrib/Médine (premiers musulmans appelés en arabe mouhadjiroun) et ceux des tribus locales ayant accepté de les aider, les Aous, ainsi que les Khazradj (appelés ansar) fusionnent et forment une communauté unique appelée mouslimoun. Terme arabe dont dérive notre moderne « musulmans ». Mouslimoun est un nom commun signifiant quelque chose comme ceux qui obéissent, ceux qui acceptent, ceux qui se soumettent (sous-entendu à Dieu ou à son prophète).
L’image que les hadiths nous renvoient des premiers musulmans de Yathrib/Médine est donc celle d’un groupe d’hommes (et de femmes) débordants d’initiative et de confiance, voire de fanatisme ou d’intolérance dans leurs actions de prosélytes. Mais il ne faut pas oublier que ces textes ont été composés par des familles médinoises en quête de renom, et se voulant les contemporains des premiers musulmans mecquois.
En arrivant à Médine, la secte des musulmans est donc devenue une religion, mais ce n’est pas encore l’islam : c’est la hanifiya, la Religion avec un grand « R » ou la Religion d’Abraham. Le jeûne a pour but de renforcer la cohésion d’un groupe par la contrainte d’une commune obligation. La religion musulmane usera sans restriction de la méthode, efficace puisqu’elle implique le corps en l’asservissant à une rude discipline. Le rite sera copié sur les usages juifs, et développé. Mahomet fuyant La Mecque était arrivé à Yathrib/Médine pendant la fête de Kippour, et comme les juifs jeûnaient ce jour-là, il demanda donc à ses fidèles d’en faire autant (« Dieu remet les péchés d’une année passée à quiconque jeûne le jour d’Achoura »).
Le niveau culturel de ces juifs ou judaïsants est en effet supérieur à celui des Arabes, selon les sources musulmanes elles-mêmes ; ils maîtrisent notamment l’écriture. À Yathrib/Médine, la société est donc plus diversifiée qu’à La Mecque, l’autorité politique moins forte, et l’influence juive semble préparer les esprits à une forme de monolâtrie. La production poétique de ces « juifs » a été conservée dans des ouvrages arabes : c’est qu’on ne peut pas distinguer de traits spécifiquement juifs dans le genre littéraire en question ; au contraire, ils paraissent avoir intégré pour l’essentiel les caractères culturels arabes. Seul le domaine religieux les distingue. La vigueur de leurs institutions religieuses est remarquable. Ils sont donc considérés par Mahomet dans un premier temps, comme supérieurs en science religieuse.
Mahomet eut d’ailleurs pendant longtemps un secrétaire juif et ses amis juifs des ansar continuèrent à observer toutes les pratiques juives, sans que Mahomet s’en formalise. Il s’en inspirera d’ailleurs dans ses recommandations sur les interdits alimentaires, notamment ceux qui sont relatifs au porc.
Les espèces porcines (sangliers, etc.) sont considérées comme sacrées dans nombre de traditions notamment indo-européennes (dans la tradition druidique où la viande de porc est considérée comme « nourriture divine », dans la tradition indienne où l’on voit l’un des avatars du dieu Vichnou, Varaha, prendre la forme d’un sanglier) ; mais sont perçues comme des animaux impurs dans le judaïsme et dans la religion musulmane. La révulsion provoquée par la seule pensée de manger du porc est pour le moins irraisonnée, elle relève sans doute plus de la psychose que de la vraie spiritualité.
Autres usages juifs repris par Mahomet lors de son arrivée à Yathrib/Médine.
— Se tourner vers Jérusalem pendant la prière alors que normalement c’est vers La Mecque que tout bon musulman doit se tourner.
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— La salat al-wousta (la prière de la mi-journée).
— La prière en commun du vendredi.
On ne le soulignera jamais assez, les pratiques juives seront, après celles du paganisme, à la base de la nouvelle conception du rituel chez Mahomet. Soit il intègre l’essentiel du fond et de la forme, soit il adapte, soit il en prend le contre-pied. Mais le ritualisme juif, contraignant au possible, reste la référence.
Mahomet adoptera aussi le calendrier lunaire des juifs, avec des mois de 28 jours réglés sur les cycles de la lune.
Comme l’a très bien vu John Toland dans son livre intitulé Nazarenus, Mahomet fut donc, durant la première partie de sa vie, nourri d’esprit juif, que ce soit par le truchement des juifs orthodoxes ou des juifs chrétiens.
Mahomet s’emparera aussi à Yathrib/Médine du thème immense des prophètes du peuple hébreu. Pour convaincre et sans doute dans un sincère effort de sa part, il se référera aux grandes figures d’Abraham puis de Moïse. Il était convaincu au départ de prêcher un message substantiellement identique à celui que les juifs avaient reçu depuis longtemps au Sinaï. En partant pour Yathrib/Médine, il comptait obtenir leur appui et même l’appui complet de tous les monolâtres de la région. Mahomet tablait sur la constitution d’un ensemble uni et cohérent alliant les juifs et ses fidèles pour faire pièce à la laïcité ouverte ou positive des couraïchite (360 dieux différents, on ne pouvait être plus ouvert) ; car il croyait encore possible de réunir dans une même confédération, ou dans un même œcuménisme, les juifs, les chrétiens et ses propres fidèles.
Le tour de force idéologique de la doctrine islamique consistera donc à détourner la Bible en faisant aussi passer Abraham par La Mecque, dont il aurait été le fondateur. Le Coran l’affirme, puis la Sunna, dans un récit mythologique étonnant.
D’où le verset 62 du chapitre 2, qui pose le principe de l’égalité religieuse de l’islam avec le judaïsme, le christianisme, et même le sabéisme. Dommage que ce beau verset du Coran ait été abrogé par des versets postérieurs, nettement moins tolérants.
En d’autres termes, ce qu’a voulu fonder Mahomet à l’époque, ce n’est pas une nouvelle religion, mais une nouvelle communauté : une communauté pratiquant avec zèle une religion ayant déjà été révélée, la hanifiya.
Point de vue des musulmans pieux : « Il y a identité entre le Coran et la Torah, mais la Torah dans sa forme originale, pas dans la version que lui ont imprimée les juifs suite à maintes altérations ».
Pour se concilier des juifs qui attendent toujours le Messie, Mahomet tente donc de récupérer les grands thèmes présents dans la Torah. C’est d’abord une façon de montrer sa connaissance des textes – mais elle reste très superficielle – et donc de rivaliser avec le public exigeant ou suspicieux des rabbins. Il s’attarde sur la présentation des deux prophètes emblématiques du judaïsme, d’abord Abraham, ensuite Moïse, auquel visiblement il s’identifie, puisqu’à Médine, c’est la nouvelle fonction qu’il tente d’occuper. Il ressort clairement du Coran que Mahomet réécrit l’histoire du peuple juif à partir de ses connaissances du Pentateuque. Or celles-ci étant très limitées, c’est le moins que l’on puisse dire, ces propos ne convainquent donc nullement les rabbins de Médine.
Mahomet n’a rien d’un théologien. Et il n’a jamais été rabbin, semble-t-il. Dans les premiers temps, lors de la phase de séduction, où un accord peut se faire, sur la base d’un malentendu ; se dessine par conséquent clairement une frontière entre les bons juifs, ceux qui acceptent Mahomet comme prophète, et les autres, les mauvais juifs, beaucoup plus nombreux ; qui n’acceptent pas son discours et ses arguments.
Ibn Ichaq dans sa vie de Mahomet traduite par Alfred Guillaume page 239, rapporte sur plusieurs pages des listes de rabbins réfractaires, ou « hypocrites », c’est-à-dire considérés comme s’étant convertis, mais ne faisant guère de zèle envers la nouvelle religion. Le procédé surprend et met mal à l’aise. L’auteur des listes veut les dénoncer à la postérité. On remarquera la proportion considérable de rabbins, pour une population somme toute assez réduite. D’une certaine façon, dans ces communautés, tout homme capable de lire était considéré comme rabbin.
Ibn Ichaq nous rapporte des scènes très vivantes dans lesquelles musulmans et juifs s’affrontent oralement d’abord puis physiquement. Les combats ont lieu dans les sites communautaires de chacun, et l’impression générale est celle d’une tension permanente entretenue par des provocations.
Le débat théologique reste limité, voire dégénère très vite en coups. Il faut néanmoins se méfier de ces sources, tout à fait partiales, quoique vraisemblables.
Les principaux adversaires juifs de Mahomet furent Pinhas ibn Azaria, Kaab ibn Achraf, le poète Abou Afak, plus que centenaire, qui cherchait à le rendre ridicule aux yeux des Arabes ; et enfin, Abdoullah ibn Surya, considéré comme le juif le plus savant du Hedjaz. Tous raillaient Mahomet, tournaient en ridicule ses révélations et ses prédications (par Dieu ! Il n’est jamais rassasié, les femmes absorbent
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tous ses soins. S’il est réellement prophète, qu’il s’occupe de sa mission et non de toutes ces histoires de bonnes femmes jalouses).
Car le fait est que les juifs de Médine resteront en réalité insensibles à ses manœuvres ou à ses assertions. Un chef arabe se proclamant prophète des juifs, ignorant l’hébreu, mais exaltant Abraham comme caution de son message, ça ne passait pas chez eux.
Le principe mahométan à ce propos était pourtant simple.
Mahomet, Coran 3, 67.
La Torah, la vraie, a été falsifiée. Abraham n’était ni un juif, ni un chrétien, mais un hanif.
Note de la rédaction. Hanif. Ce mot étrange est utilisé dans le Coran, surtout pour qualifier la foi d’Abraham, dépouillé de sa judaïté, mais pas encore vraiment musulman.
Les références artificielles et forcées de Mahomet à la Bible juive ne rencontrent donc presque aucun succès auprès des judaïsants concernés. Bien qu’assez fortement arabisées, ces populations connaissent toujours bien leurs textes fondateurs et pratiquent un judaïsme encore vivace. Il ne saurait être question pour eux de reconnaître un messie d’origine arabe, qui ne connaît pas la langue liturgique et qui n’apparaît pas dans les textes.
Les conversions resteront par conséquent exceptionnelles, du fait des énormes bourdes commises par Mahomet à propos des textes de la Bible juive. Chacune est présentée avec émotion et emphase. Les informations les concernant sont par conséquent très suspectes. Le seul moyen de conversion important reste la violence et l’intimidation. L’échec global de l’entreprise aboutira donc à l’élimination totale de la présence juive à Yathrib/Médine.
Une fois bien installé dans ses nouvelles fonctions, Mahomet n’eut de cesse en effet de convertir, par la parole ou la contrainte, le restant de la population de cette cité-oasis. Ce militantisme haletant soumet donc une foule d’habitants de Médine à la nouvelle foi. Mais ces gens se sont convertis sans véritable conviction. Il y a tant d’allusions aux « hypocrites » ou « mounafiqoun » dans le Coran, que l’on peut dresser un véritable portrait-robot de cet adversaire partout présent. Ces Médinois qualifiés d’hypocrites ou de « mounafiqoun » (singulier « mounafiq ») sont vilipendés à outrance dans le Coran et la tradition musulmane ; qui regroupent sous cette appellation des croyants jugés trop mous et pas assez agressifs (notamment au moment des combats), de simples opportunistes ou supposés tels, des suivistes sans énergie qui ne veulent pas rompre avec les infidèles, des traîtres ; ou des gens sincères qui déplaisent au chef, voire tout simplement supportent mal l’autocratie. Un chapitre porte d’ailleurs leur nom, le chapitre N° 63, le chapitre dit des « mounafiqoun ». Il est souvent récité le vendredi et fait partie des cinq chapitres les plus populaires. C’est là une chose grave, en ce qui concerne l’idéologie, car cette pression permet, pour l’éternité, de pointer du doigt toute attitude déviante ou simplement suspecte dans la communauté musulmane. Cette sourate est aussi particulièrement violente, puisqu’un appel au meurtre y est lancé, sans ambiguïté. Verset 4 : ce sont vos ennemis, méfiez-vous d’eux, que Dieu les confonde, ils sont stupides.
Les mounafiqoun, même s’ils n’agissent pas ouvertement contre l’islam, constituent donc une menace par leur seule existence. Les musulmans craignent surtout leur alliance avec les juifs, et la défection en cas de guerre.
Les complots évoqués par la tradition musulmane ont peut-être effectivement existé, mais rien ne permet de le confirmer. En revanche, ce que l’on sait, c’est que ces accusations servirent à Mahomet pour lancer des purges staliniennes avant la lettre (assassinat de certains poètes juifs ou pas juifs, etc.).
La Tradition, islamique précise la description, et accentue encore la description du châtiment. Cela en dit long sur l’ambiance de suspicion et d’obséquiosité qui régnait alors à Médine. Cette sourde opposition est perçue par les musulmans comme un danger pour leur communauté, ce qui explique la violence extrême des extraits du Coran concernant les hommes et les femmes pratiquant ladite « hypocrisie ». En fin de compte, il semble que ces mounafiqoun seront simplement ceux qui ne font pas partie de la petite troupe de musulmans belliqueux et fanatisés, regroupée autour du chef. En tant que païens récemment convertis les malheureux ont en commun de ne pas encore avoir saisi le véritable caractère de l’islam (l’amour), mais face aux hommes de Mahomet, ils n’osent ouvertement faire marche arrière, et risquer la mort. Pour résister, il semble qu’ils aient dû s’associer aux juifs, eux aussi en position difficile. On aperçoit ici et là des indices de protection réciproque, de solidarité, à travers les accusations musulmanes à leur encontre. Ce sera seulement après l’élimination de toute présence juive à Yathrib/Médine, que Mahomet concentrera ses attaques et ses diatribes contre eux. Contre ce parti qui résiste à son autorité, il sera sans pitié ; il les accuse de tout et les menaces sont terribles, dans la vie réelle ou dans l’enfer qui leur est promis. Note de la rédaction. L’apostasie est le fait de quitter une religion révélée, quelle qu’elle soit. L’islam est clair et définitif à ce sujet, qui ne conçoit pas que l’on puisse ne plus croire en lui, et la sanction ne peut être que la mort, il y a treize cents ans, comme maintenant. Ici également pointe le totalitarisme, celui qui musèle toutes les
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oppositions. Le Coran abonde en imprécations et fulminations diverses contre ces hommes et ces femmes, à un moment où nombreux sont ceux qui, à Yathrib/Médine et ailleurs, se sont soumis à son autorité ; sans véritablement bien en comprendre tout le sens et la portée, ou qui ont simplement été forcés de le faire.
Quelques exemples de mounafiqoun passés à la postérité (ils ne furent certainement pas les monstres décrits avec complaisance, et voués aux pires atrocités, que nous présentent le Coran et la Tradition musulmane).
À tout seigneur tout honneur, commençons par celui qui est présenté comme leur chef : Abdallah ibn Oubaye ibn Saloul, une personnalité qui aurait pu sans doute continuer à occuper la première place à Yathrib/Médine, si Mahomet n’était pas arrivé. De fait, au-delà du filtre de la tradition musulmane, la période de huit années à Médine apparaît comme un duel sans fin entre les deux chefs de clan rivaux que sont Abdallah ibn Oubaye et Mahomet. Il sera quand même assez habile et assez puissant pour échapper aux assassinats politiques et sera un des rares à ne pas mourir de mortes violentes.
La puissance d’ibn Oubaye a dû être grande, et ceci jusqu’à sa mort survenue en 631 ; puisque Mahomet lui-même fut contraint de lui rendre un hommage funèbre, n’ayant pu s’en débarrasser par un assassinat très politique, comme pour d’autres, moins puissants.
Mahomet, Coran 9, 84. Ne prie jamais pour l’un d’entre eux quand il est mort, ne t’arrête pas devant sa tombe, ils ont fait partie des mécréants vis-à-vis de Dieu ainsi que de son prophète, et ils sont morts pervers.
Abou Amir, l’ermite résistant.
Étrange personnage, entouré de silences et d’embarras. Il représente une opposition solide et de nature religieuse, ce qui explique les non-dits à son sujet. Il est décrit comme chrétien, un opposant acharné à Mahomet, contraint à la fuite, accompagné de ses disciples. Il se serait réfugié chez les Byzantins, et son nom ressurgira au moment de l’hérésie dite « de la mosquée de la discorde » (une église ?). Chapitre 9, versets 107 à 110.
Ibn Ichaq La vie de Mahomet A. Guillaume page 278.
Avec lui se trouvait un homme des Aous à qui ces derniers obéissaient : Abou Amir…… C’était un ascète, du temps du paganisme. Il portait des vêtements de laine grossière, et il était appelé le moine. Ces deux hommes furent maudits en dépit de leur haute position, et……
Abou Amir refusa obstinément de croire et abandonna son peuple quand ils se soumirent à l’islam : il partit pour La Mecque avec dix disciples…
Avant de partir pour La Mecque, Abou Amir était venu voir l’apôtre à Médine pour lui demander quelle religion il prêchait.
— La hanifiya, la religion d’Abraham.
— C’est ce que je fais aussi.
— En vérité tu ne le fais pas.
— Mais si je le fais ! Mais toi, Mahomet, tu as introduit dans la hanifiya des choses qui n’y étaient pas.
— C’est faux ! Je la prêche telle qu’elle a été.
— Fasse Dieu que celui de nous deux qui ment meure solitaire, vagabond et fugitif ! 1)
1) Fausse prophétie ou prophétie après coup. Abou Amir n’a évidemment jamais dit ça !
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623 LES PREMIERS RAIDS.
En 623, quelques mois tout juste après s’être installée à Yathrib/Médine, la communauté constituée autour de Mahomet entamera donc une longue guérilla contre les Mecquois, un conflit qui se prolongera jusqu’en 628 en fait.
Mahomet entreprit alors de négocier avec certaines tribus, afin d’avoir de quoi vivre tout en mettant sur pied une sorte de blocus économique contre La Mecque : les Ghafar, une tribu ayant la réputation de s’attaquer un peu trop souvent aux caravanes, les Banou Damrah et les Banou Madlidj. Les Banou Madlidj n’acceptèrent que pour participer au pillage des caravanes couraïchites, et en aucune façon pour des raisons religieuses. Pour les Ghafar, par contre, ce fut peut-être différent, vu le rôle qu’y joua un nommé Abou Zarr. Abou Zarr croyait en l’unicité de l’Être supérieur et refusait d’adorer d’autres dieux avant même l’avènement de l’islam (enfin, d’après les auteurs que nous avons consultés, mais il était peut-être simplement hénothéiste, comme beaucoup de Mecquois). Après son ralliement à Mahomet, ce dernier l’avait rebaptisé Abdoullah puis lui avait demandé de retourner dans sa tribu pour y prêcher son message, et il avait réussi à convaincre aussi bien sa famille que sa tribu et son chef. La première prière collective musulmane (Salat al-djamaa) fut peut-être d’ailleurs récitée chez eux. Quand Mahomet s’était installé à Yathrib/Médine, Abou Zarr avait alors quitté sa maison et sa tribu pour le suivre.
Précision sémantique.
Sariya pluriel saraya. Expédition ou raid ordonné par Mahomet, mais auquel lui-même ne participe pas.
Ghazoua pluriel ghazouat. Expédition à laquelle Mahomet participe personnellement. Habituellement traduit par « bataille » en anglais, même quand cela ne ressemble guère à une bataille rangée comme à Honeïn en 630. La fin d’un monde ! Équivalents en Extrême Occident bataille de Culdreimhe en 561 ou d’Arfderydd en 573.
Leur nombre varie suivant les auteurs certaines saraya étant qualifiées de ghazouat et inversement.
La différence entre sariya et brigandage est celle existant entre corsaires et pirates. Voir la célèbre citation de Surcouf : « on se bat toujours pour ce qu’on n’a pas » !
Les saraya au départ n’étaient nullement un petit djihad, et n’avaient pas pour but de combattre au nom de Dieu. Elles répondaient à des nécessités purement économiques, et ne visaient qu’à se procurer des ressources au détriment des Mecquois, en interceptant leurs caravanes. Ces
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commandos étaient composés chacun d’une poignée d’hommes très peu armés. Ce fut Hamza, l’oncle de Mahomet, qui fut chargé, avec 30 cavaliers, de mener ces premières opérations de brigandage entre Yathrib/Médine et La Mecque. Ils partirent en direction de la côte et à Sali al Bahr rencontrèrent un détachement de 300 cavaliers bédouins ou mecquois, commandés par Amr ibn Hicham (= Abou Jahl) en train de bivouaquer. Un dénommé Majdy ibn Omar al-Jouhany évita de justesse l’affrontement, et les musulmans, commandés par Hamza, se replièrent. Mahomet fit un nouvel essai avec son oncle ou cousin Saad Ibn Abi Ouaqqas, sans beaucoup plus de succès. Un peu de butin pris à l’ennemi, mais aucune caravane.
NAISSANCE DU PETIT DJIHAD.
Tout cela changea néanmoins lorsqu’une sariya conduite par Abdallah bin Jahsh, à la fin du mois de radjab, un des mois sacrés où il était interdit de combattre, se termina en accrochage, à Nakhla, un vallon situé entre La Mecque et Taïf.
Décembre 623 donc, à Nakhlah, douze musulmans attaquent une caravane de La Mecque. Ils abattent un homme d’une flèche, font deux prisonniers, et ramènent un butin consistant, dont ils remettent un cinquième à Mahomet.
L’affaire fait grand bruit à Yathrib/Médine voire dans toute la région, car cette attaque a eu lieu durant une période de trêve sacrée.
Mahomet désapprouve dans un premier temps ses disciples. Ils sont consternés… mais une révélation divine viendra fort opportunément les réconforter (chapitre 2, verset 217). Ce chapitre précise qu’il est, certes, répréhensible de combattre pendant les périodes de trêve religieuse, mais qu’il l’est encore plus de se tenir en dehors du droit chemin de Dieu, comme les polythéistes de La Mecque.
En d’autres termes, la guerre destinée à étendre le domaine de l’islam (dar al islam) peut excuser le meurtre dans les périodes sacrées.
Note rajoutée par l’auteur de cette compilation.
Cette forme de guerre est l’aspect le plus brutal du djihad, mais il est parfaitement vrai que le terme n’a au départ que le sens d’effort sur soi. Cet effort doit se comprendre dans le sens d’une « lutte » ou d’un « combat », mais il n’implique pas nécessairement, ni d’ailleurs prioritairement, une action physique.
Mahomet semble avoir clairement distingué deux formes de djihad.
— Le grand djihad ou djihad al-akbar, littéralement « La grande guerre ». Cette guerre est celle que le musulman s’applique à lui-même en vue de s’améliorer. Le vrai combattant (al-moudjahid) dans ce cas est celui qui se livre combat à lui-même, qui mène une lutte intérieure, spirituelle, contre ses propres travers en vue d’un perfectionnement dans la voie de Dieu.
— Le petit djihad ou djihad al-asghar, littéralement « la guerre » (contre les ennemis de l’islam).
Fin de la note rajoutée par l’auteur de cette compilation.
Mais que l’on ne s’y trompe pas : ce « petit djihad » temporel n’en est pas moins authentiquement islamique que le grand djihad. Il ne s’agit pas d’une mauvaise interprétation du texte coranique, même si elle peut apparaître comme une démarche inférieure à la démarche spirituelle. Ce petit djihad est simplement du prosélytisme.
Le djihad est surtout spirituel dans le Dar al-islam c’est-à-dire en terre d’islam, mais temporel et violent dans le Dar al-harb. Le dar al-harb désigne le monde non musulman, où il est licite de mener la guerre sainte, par opposition au dar al-islam, ou domaine de l’islam. Le sabre est d’ailleurs un symbole de cette version agressive du djihad accompli au nom de Dieu.
Coran 2, 190.
« Combattez vos ennemis dans les guerres faites au nom de Dieu ; mais n’attaquez pas les premiers. Dieu hait les agresseurs. Tuez-les partout où vous les trouverez ; chassez-les des lieux d’où ils vous auront chassés. La fitna (apostasie ?) est pire que le meurtre. Ne les combattez pas auprès du lieu de culte sacré (la Kaaba) à moins qu’ils ne vous attaquent les premiers. Mais s’ils vous attaquent, tuez-les : telle doit être la récompense des incroyants ».
Les conséquences de ce revirement par rapport au pacifisme intégral de la période mecquoise ont été très graves au point de vue théologique car cela revient à dire (horresco referens) que Dieu a légitimé les djihads non pas destinés à la conversion des âmes, mais à des fins économiques.
Il y eut donc désormais intérêt, même matériellement parlant, à devenir musulman. Les conversions augmenteront par conséquent rapidement et l’appât du butin attirera dans le camp de l’Islam les plus combatifs. Il n’est pas question ici de mettre en doute la sincérité d’une chrétienne comme Khadidja, d’un intellectuel également chrétien comme Ouaraqa voire Bilal dans la naissance du tout premier islam. Mais qu’on nous permette de douter de la pureté des intentions de ceux qui, comme le prince de Yathrib/Médine, Abdallah ibn Oubaye ibn Saloul, et les mounafiqoun 1) voire Abou Soufiane, se rallièrent à Mahomet après ses premières victoires. L’appât du gain et des belles esclaves sexuelles
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juives, chrétiennes, coptes d’Éthiopie, ou byzantines, romaines, perses, babyloniennes, syriennes, etc. (la soif de l’or et la concupiscence sont innées chez l’homme, le Coran le reconnaît d’ailleurs lui-même) sera même attisé par les fréquentes déclarations de Mahomet sur le paradis (du vin, et des houris éternellement vierges ?…) Partout en effet où les musulmans pourront s’installer après l’avoir emporté, ils se partageront les femmes, les enfants, et les biens des vaincus, et certains d’entre eux restaient même sur place en tant que nouveaux seigneurs ou propriétaires des lieux.
Du coup, on ne parlera d’ailleurs plus désormais de saraya (razzias), mais de ghazouat et de maghazi ainsi que de butin de guerre. Le changement de vocabulaire implique un changement de conception. Celui qui meurt au combat est un chahid, un « martyr » 2), et le butin est partagé, 1/5 revenant à Mahomet, qui participera personnellement à 63 d’entre eux.
N.B. La tradition mentionne 3 autres tentatives n’ayant pas donné de résultats concrets.
Bouwate. Aucune trace de la caravane couraïchite visée.
Ab-Aboua. Résultat : un pacte de non-agression.
Al Ouchaïra. La caravane couraïchite était déjà passée. Traité d’alliance avec la tribu locale.
1) Musulmans hésitants ou tièdes
2) Héros serait une meilleure traduction.
ANNÉES 623 ET SUIVANTES : LES DIFFÉRENTS PACTES DE MÉDINE.
Rappelons la situation de départ.
Quelque 200 familles de convertis mecquois invités et aidés par des monothéistes arabes (des « craignant Dieu » quand on parle des premiers chrétiens) de l’oasis de Yathrib, sympathisants de la première heure, se sont installées dans cette principauté en crise qui n’était pas une terre vierge. Mais Mahomet se révéla être un génie de la politique, un véritable Talleyrand au premier congrès de Vienne en 1815 disent mes correspondants parisiens et, au moyen de toute une série d’accords il réussira à passer de simple responsable des nouveaux venus et de leurs soutiens locaux, à maître absolu de l’oasis, via des pactes d’alliance empreints d’une grande habileté politique lui accordant à chaque fois une place grandissante dans la principauté.
Un examen plus précis des documents montre qu’il existait en effet des institutions à Yathrib/Médine, un chef (Abdallah ibn Oubaye Ibn Saloul), qui semble même avoir eu les attributs d’un véritable petit roi, et qui restera donc jusqu’à sa mort l’adversaire acharné de Mahomet. Yathrib/Médine est une ville prospère, mais divisée entre tribus et clans. Mahomet ne doit pas négliger ces données. La ville n’est d’ailleurs pas au mieux, elle sort d’une guerre civile ayant eu lieu quelques années auparavant (bataille de Buath, 617).
Ibn Ichaq La Vie de Mahomet par Guillaume page 253.
Il y avait deux camps : les Banou Qaïnouqa et leurs vassaux, alliés aux Khazradj ; et les Banou al Nadir, les Banou Qouraïza et leurs vassaux, alliés aux Aous. Quand il y eut la guerre entre les Aous et les Khazradj, les Banou Qaïnouqa se rangèrent du côté des Khazradj et les Banou al Nadir ainsi que les Banou Qouraïza du côté des Aous, chacun aidant ses alliés, nonobstant ses origines ; de telle façon qu’ils versèrent leur sang les uns les autres, alors qu’ils avaient la Torah, par laquelle ils savaient ce qui leur était permis et interdit. Les Aous et les Khazradj étaient polythéistes, adoraient des dieux et déesses, et ne connaissant rien au paradis ni à l’enfer, la résurrection, les Écritures, le licite et l’illicite […] À la bataille de Buath, les Aous et les Khazradj s’affrontèrent et la victoire resta aux Aous.
Nos textes passent pourtant très brièvement sur le fait que la ville, malgré son instabilité, était dirigée. Ce n’était pas la situation d’anarchie, de vide politique, que l’on nous présente habituellement.
Ibn Ichaq Vie de Mahomet Guillaume page 277.
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Quand l’apôtre est venu à Yathrib/Médine, son chef était Abdallah ibn Oubaye ibn Saloul al-Aoufi du clan des Banou al-Hubla. Personne dans sa tribu ne contestait sn autorité. Jamais, ni avant ni après l’avènement de l’islam, les Aous et les Khazradj ne s’étaient unis sous l’égide d’un homme qui ne soit pas d’un de leurs deux groupes.
Quelque temps après son arrivée, Mahomet profitera d’un premier coup du sort (un véritable coup de chance) pour commencer à prendre l’ascendant politique sur au moins une petite tribu (ou un clan) dont on ne sait trop si elle était juive ou arabe. Ce sera une répétition à petite échelle de ce qui adviendra un peu plus tard. Il s’agit de la tribu avec laquelle il avait de lointains liens familiaux, remontant à son grand-père.
Ibn Ichaq Vie de Mahomet par Alfred Guillaume page 235.
Au cours des mois de la construction de la mosquée, Abou Oumama Assad ibn Zourara mourut ; il fut pris par la diphtérie et des raclements de gorge.
… L’apôtre a dit :
— Quel malheur que la mort d’Abou Oumama ! Les juifs et les Arabes mounafiqoun vont encore dire : « s’il était vraiment prophète, son compagnon ne serait pas mort », mais il est vrai que je n’ai aucun pouvoir divin sur mes compagnons et moi-même (en ce qui concerne la mort).
Les Banou al Nadjar vinrent voir l’apôtre, parce qu’Abou Oumama était leur chef, qu’il tenait un rang élevé, que l’apôtre connaissait bien, et qu’il pouvait désigner quelqu’un parmi eux pour le remplacer. À cela, l’apôtre qui ne voulait pas se résoudre à choisir entre eux répondit :
— Vous êtes mes oncles maternels, nous sommes de la même famille, donc c’est moi qui serai désormais votre chef (l’apôtre ne voulait pas dire qui était le meilleur d’entre eux).
Et les Banou Nadjar se considérèrent comme très honorés d’avoir l’apôtre de Dieu comme chef de leur clan.
La Constitution de Médine n’est sans doute qu’un mythe auquel il convient de substituer l’idée d’une série de modus vivendi (8 ?) consciemment élaborés et acceptés (les noms des participants figurent), mais implicitement seulement, par les différentes tribus et sous-tribus de Yathrib/Médine (arabes, juives, et musulmanes, etc.) sans plus.
La philosophie du tout pouvant se résumer aux trois points suivants.
— Les musulmans constituent une nouvelle communauté autonome par rapport aux autres dont Mahomet est le chef.
— En cas d’attaque front commun de tous contre l’assaillant.
— Les conflits n’impliquant que des musulmans seront de la seule compétence de Mahomet.
— En cas de conflit n’impliquant pas les musulmans, l’arbitrage de Mahomet pourra être également sollicité pour trancher le conflit.
Ce fut-là d’ailleurs là la grande habileté de Mahomet.
Si l’on excepte le Coran, ce texte dit « Charte de Médine, Pacte de Médine, Constitution de Médine », etc.
EST LE PREMIER DOCUMENT MUSULMAN CONNU. Nous le qualifions de « musulman » parce qu’il a été rédigé par un musulman ayant autorité pour le faire (Mahomet lui-même) et pour des musulmans ou des tiers ayant accepté d’y souscrire, le tout destiné à organiser un modus vivendi entre tous ces groupes habitant la ville de Yathrib.
Mais nous n’en avons pas le texte original, que des copies, fragmentaires et comportant des variantes.
Ainsi que nous l’avons signalé pour commencer, ce document porte de nombreux noms : kitab (livre), sahifah (document), ouathiqah (accord), souhl (traité), mithaq (charte), doustour (constitution).
Les historiens médiévaux musulmans comme Al-Tabari ou Ibn Khaldoun ne le connaissaient que partiellement et n’en comprenaient plus la nature. Pour ceux qui le connaissaient, il était considéré comme un traité entre tribus médinoises.
Le document est connu par l’intermédiaire de deux auteurs médiévaux arabes Ibn Ichaq dans sa « Vie de Mahomet » et Abou Obeïd dans son Kitab al-Amoual ou « livre des finances ». Tous les deux l’ont rapporté deux siècles après la mort de Mahomet.
La date estimée à laquelle aurait été élaboré le document de Médine ou ses différentes parties varie selon les auteurs.
William Montgomery Watt estime que l’élaboration du document a démarré en 622 ou 624. Il a ensuite atteint sa forme finale en 627 après que des articles aient été modifiés, supprimés ou rajoutés. Cette dernière date est estimée à partir de l’omission des trois principaux clans juifs dans l’accord (Banou Qaïnouqa Banou Nadir Banou Quraïza).
Le nombre même de documents composant le texte de ce modus vivendi est incertain. Wellhausen pense que le document est constitué d’un seul texte. Watt estime qu’il y aurait au minimum deux
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documents différents étant donné la répétition ou quasi-répétition de plusieurs articles. Serjeant pense qu’il y aurait huit parties.
Au final, le document de Médine est probablement authentique vu les arguments produits. Mais les zones d’obscurités liées à la mise par écrit du document rendent toujours incertain le contexte précis de son élaboration. De même ces ambiguïtés et le manque de clarté de la constitution permettent aux auteurs l’analysant d’y projeter leur propre vision de la Constitution.
Ce document est par exemple qualifié par certains auteurs musulmans jamais avares de superlatifs dès qu’il s’agit d’islam, de plus ancienne constitution du monde, ce qui est doublement faux (ce n’est pas une constitution et ce n’est pas le plus ancien document de ce genre 1).
Abdourrahman Badaoui précise en note que ce n’est pas un traité, ni un pacte, mais plutôt un modus vivendi, que Guillaume a raison de traduire par « accord à l’amiable ». Bernard Lewis estime qu’on ne doit pas considérer la « charte de Médine » comme un traité, mais comme une proclamation unilatérale de Mahomet. Julius Welhausen lui parlait de « Gemeindeordnung », de statuts municipaux.
Le document commence par affirmer que les différentes parties prenantes font partie d’une seule communauté basée sur la religion (oumma) distincte des autres peuples. « Document régissant les relations entre les croyants Couraïchites et Yathribites et ceux qui les suivent et joignent à eux et luttent avec eux. ILS FORMENT UNE SEULE ET MÊME COMMUNAUTÉ DISTINCTE DU RESTE DES HOMMES ».
À travers cet accord Mahomet tente donc de dépasser les affiliations tribales.
Ce document organise également les divers aspects de la communauté, comme la défense commune par exemple, entre les Ansar, les Mouhadjiroun et les tribus juives. Ce document établit un traité politico-militaire visant à sécuriser Yathrib et les contractants du document.
Certains articles traitent de questions mineures tandis que d’autres articles sont des quasi-répétitions. Ces répétitions sont des indications d’après Watt que les articles ont été rédigés à plusieurs dates différentes. Les articles les plus anciens iraient jusqu’aux numéros 15 ou 16, voire 23, et ont été élaborés peu de temps après l’hégire. Ils traitent des problèmes relatifs à la cohésion des clans.
La communauté avait non seulement une base religieuse, mais aussi une base locale sans distinction de la parenté. C’est pourquoi le territoire de Médine est considéré comme sacré selon les articles 39 et 44.
§ 39. La vallée de Yathrib sera sacrée pour les signataires de ce document.
§ 44. Les parties prenantes à ce pacte s’obligent à s’entraider en cas d’attaque soudaine sur Yathrib.
La sécurité de la communauté était maintenue grâce à un degré élevé de solidarité sociale. Mahomet n’étant pas un théoricien politique, les concepts employés sont empruntés aux mœurs et mentalités tribales préislamiques. D’après celles-ci, les alliances entre les clans prenaient la forme de confédération où toutes les parties contractantes étaient égales. Cette notion est introduite dans l’article 15 avec l’expression « la dhimmah de Dieu ».
§ 15. La protection (dhimma) accordée à son prochain (ou à son voisin) au nom de Dieu, par le plus petit des croyants, oblige tous les autres croyants. Les croyants seront patrons (ou vassaux) les uns des autres et en aucune façon de non-croyants.
En disant que la « dhimma de Dieu est une », il est signifié que tous les membres de l’oumma se protègent mutuellement. Chacun reçoit la protection de la communauté et chacun protège la communauté. Il ne peut donc plus y avoir de confédération de type hilf entre deux tribus car si deux tribus de la communauté établissent des relations spéciales (hilf) entre elles, cela voudrait dire que la « dhimmah de Dieu » est insuffisante.
En résumé, les points essentiels d’après la Constitution de Médine sont que la communauté de Médine forme une communauté unique ou oumma. Ce sont des clans et non des individus qui sont contractants de l’accord. Et chaque clan de cette communauté est responsable de ses membres selon les articles 2 à 11. Par la suite, selon les articles 13 à 21, les membres de la communauté sont solidaires entre eux contre les criminels. De même, ils sont unis contre les incroyants en tout temps selon les articles 14, 17, 19 et 44. Enfin, les musulmans et les juifs se doivent mutuellement assistance et ces derniers conservent leur religion selon les articles 24 à 35, 37, 38, et 46.20.
Le document ne mentionne pas de système de police, d’armée ou de taxation, laissant les clans gérer leur dépense. Le mode de gouvernance ou les institutions avec leurs compétences et pouvoirs sont absents. Et le système de justice se limite à la qissas, ou talion. Au final, la Constitution de Médine ne dit rien concernant la gestion d’un État. Pire encore, le sens même de certains articles est parfois ambigu et fait donc problème.
Le concept d’oumma est un terme dont le sens est ambigu dans ce document. Le terme oumma inventé par Mahomet désignerait la tribu basée sur la religion et non la tribu basée sur la parenté (qaoum).
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Se pose néanmoins la question de l’intégration des juifs dans l’oumma avec les musulmans. Dans l’article 1, les contractants, donc y compris les juifs, sont dits former une communauté unique distincte des autres peuples. Mais l’article 25 stipule néanmoins que les juifs forment une communauté (oumma) semblable à celle des croyants.
§ 25. Les juifs des Banou Aouf seront considérés comme constituant une seule et même communauté avec les croyants. Ces juifs auront leur religion et les croyants la leur ; cela s’appliquera aussi bien à leurs vassaux qu’à eux-mêmes ; à l’exception de celui qui aura mal agi ou qui se sera conduit en traître, car en agissant de la sorte il attire le mal sur lui-même et sur sa famille.
Par conséquent, chacun a sa religion et sa communauté. Cette ambiguïté rend incertaine l’inclusion ou non des juifs dans la même oumma que les musulmans.
La fonction politique de Mahomet.
Les pouvoirs politiques de Mahomet iront en augmentant progressivement. Selon l’article 42 de la Constitution de Médine, les différends doivent être soumis à Dieu et à Mahomet.
§ 42. En cas de conflit ou de controverse pouvant dégénérer gravement, on s’en remettra à Dieu et à Mahomet son prophète. Dieu est le plus sûr garant de ce qui est stipulé dans ce document.
Soumettre ses différends à Dieu et à Mahomet peut laisser supposer soit que les arbitrages devaient être fondés sur le Coran, soit qu’une intervention divine aidait Mahomet dans son arbitrage. Mahomet chef du clan des immigrés mecquois, n’est pourtant pas supérieur aux huit autres chefs de clans, malgré son statut d’arbitre ou hakam.
Au sein de l’oummah, les chefs de tribus forment un conseil de notables. Cette organisation politique est fondée sur les concepts de la vie tribale préislamique. Chaque tribu a son chef ou sayyid qui est un primus inter pares parmi les notables de sa tribu. Et chaque tribu a un chef de guerre ou ca’id. Mahomet n’est donc pas le chef de l’oumma, même s’il lui est reconnu des attributions supérieures. Chaque chef de clan concerné par ces pactes reconnaît en effet Mahomet en tant que Prophète. Pour être plus précis, les chefs de clan acceptent la révélation, mais ils n’acceptent pas forcément les opinions personnelles de Mahomet.
Cette séparation des pouvoirs ne laisse donc à Mahomet qu’un faible pouvoir politique loin d’être autocratique, surtout durant les premières années de la période médinoise.
Lors de « l’affaire du ifk » par exemple, le principal opposant de Mahomet, Abdullah Ibn Oubaye s’emparera de la rumeur d’adultère concernant Aïcha pour le discréditer. Une révélation disculpera ensuite Aïcha, mais Mahomet ne disposera pas néanmoins d’un pouvoir politique suffisant pour ordonner la punition de son adversaire. Il devra faire appel aux chefs de clans pour leur demander de faire pression sur ceux qui calomniaient son mariage.
D’après Watt, les musulmans de Médine se joignent aux expéditions de Mahomet et du clan des Émigrés « luttant dans le chemin de Dieu ». La force militaire de Mahomet se renforcera au fil de ses expéditions militaires victorieuses. Le prestige de ses victoires encourage les tribus les plus faibles à rejoindre le clan des Émigrés, développant ainsi son système d’alliance. L’autorité de Mahomet se renforçant, il se retrouvera finalement seul à décider des affaires extérieures de son embryon d’État.
Conclusion
Au début Mahomet ne devait être que le chef religieux de l’oumma et le chef du clan des Immigrés. Mais après la victoire de Badr en mars 624, il gagnera une force politique qui deviendra immense après l’échec du siège de Médine en avril 627. En plus de sayyid 2) et de hakam 3), Mahomet finira donc aussi par cumuler la fonction de ca’id 4). Mahomet a renforcé son pouvoir par des victoires militaires et non par des accords institutionnels.
LE POINT DE VUE DE RB SERJEANT IN LA SOUNNAH JAMI'AH : LES PACTES AVEC LES JUIFS ET LES TAHRIM DE YATHRIB. ANALYSE ET TRADUCTION DES DOCUMENTS COMPRIS DANS LA SOI-DISANT CONSTITUTION DE MÉDINE. Bulletin de l’École d’études orientales et africaines, Université de Londres, tome 41, N° 1, 1978.
RB Serjeant considère que les références à Dieu comme garant (Dieu sera le plus juste et le plus fidèle des exécuteurs du contenu de ce document) sont des formules finales et distingue en conséquence 8 pactes différents, dont un (G) aurait été intercalé. La proclamation de Yathrib/Médine comme enclave sacrée (haram) 39 à 42, serait en fait à mettre après 47 b, ce qui nous donnerait la chronologie suivante.
Ensemble A, B, C et D, Traité de la confédération, Umma (trois tribus juives).
A. Le traité de la confédération (oumma). 1 à 20 a.
B. Complément au traité de confédération. 20 b à 23.
C. Traité définissant le statut des tribus juives dans la confédération. 24 à 33.
D. Complément au traité définissant le statut des tribus juives. 34à 36.
625-627 : un nouveau document, E, est signé, qui réaffirme le statut des juifs et le paiement de l’impôt nafaqah comme l’avait fait le traité de l’Oumma. Il semble que, après la bataille de Badr (en 624), les
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Juifs aient éprouvé quelque appréhension et se soient rapprochés des Couraïchites de La Mecque. Le harcèlement des caravanes mecquoises que mène Muhammad, afin d’affaiblir La Mecque et aussi de financer ses activités, a peut-être touché des commerçants juifs. L’assassinat de Ka'b 5) et l’inquiétude des juifs, dont on trouve l’écho dans Ibn Ichaq, étant postérieurs à l’élimination des Banou Qaïnouqa, au moins une tribu juive a déjà été éliminée lors de la signature de ce document.
Document E donc : Réaffirmation du statut des Juifs de Médine, document G, nouveau traité avec les Banou Quraïza, (au minimum une tribu juive en moins pour E, une seule tribu juive restante pour G).
E. Réaffirmation du statut des Juifs. 37 à 38
G. Le traité conclu avant la bataille de Khandaq (627) entre les Arabes de Yathrib et les juifs Quraïza pour défendre Yathrib contre les Couraïchites de la Mecque et leurs alliés.43 à 47 b.
628-629 : ensemble F et H, Proclamation de Yathrib/Médine enclave sacrée, haram (plus aucune tribu juive).
F. Proclamation de Yathrib enclave sacrée (haram). 39 à 42.
§ 39. La vallée de Yathrib sera sacrée pour les signataires de ce document.
§ 40. Le voisin protégé, tiendra lieu de protecteur lui-même, à condition qu’il ne fasse aucun mal et qu’il n’agisse pas traîtreusement.
§ 41. Aucune femme ne pourra obtenir la protection au titre de voisin sans le consentement des siens.
§ 42. En cas de conflit ou de controverse pouvant dégénérer gravement, on s’en remettra à Dieu et à Mahomet son prophète. Dieu est le plus sûr garant de ce qui est stipulé dans ce document.
H. Codicille à la protection de Yathrib enclave sacrée. 47 c à fin.
Assez curieusement, l’accord ne réapparaîtra plus dans le cours des événements ultérieurs, mais il a pu justifier par la suite l’élimination des tribus juives accusées de ne pas avoir respecté ses engagements.
Ce modus vivendi sera en effet rompu une première fois en 625 en ce qui concerne les Banou Qaïnouqa.
Il sera ensuite rompu en ce qui concerne les Banou Nadir en 626.
Il sera enfin rompu en ce qui concerne les Banou Qouraïza en 627.
Rappel sur les juifs ou judéo-chrétiens de Yathrib/Médine. Les trois plus importantes tribus judaïsantes apparaissent régulièrement dans nos sources ; mais il en existe d’autres, plus modestes. Les noms des trois premières sont étrangement absents de la « Constitution de Médine ». Il faut néanmoins prendre garde à ce sujet aux reconstructions a posteriori. Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le voir, le caractère ethniquement juif de ces tribus a été mis en doute. Pour certains auteurs, il ne s’agirait que de judaïsants ou d’Arabes convertis à une certaine forme de judaïsme, voire de judéo-christianisme.
La prudence conseille donc de se limiter aux faits certains, comme l’arabité de leurs noms, leur emprise sur l’oasis, et leur politique d’alliance avec les tribus arabes. Ces « juifs » participent au combat, mais les uns contre les autres, avec leurs alliés arabes. C’est un fait remarquable, qui se confirmera lors des éliminations successives de ces tribus par les musulmans : il n’y a aucune trace de solidarité interreligieuse. Bien au contraire, ce sont leurs alliés arabes qui les assistent, à chaque fois.
1) Une constitution démocratique écrite existait déjà à Athènes au Ve siècle avant notre ère, donc plus d’un millénaire avant la Charte de Médine. Et la plus ancienne Constitution du Nouveau Monde est celle des Indiens iroquois appelée GAYANASHAGOWA The Great Binding Law, 117 articles datant du 14e siècle.
2) Sayyid représentant ou porte-parole.
3) Hakam arbitre.
4) Caïd chef de guerre (voir le Cid en Espagne).
5) Ka'b était un poète juif apparenté aux Nadir, coupable d’avoir raillé Mahomet. L’énigmatique formule de 37 (« Nul ne pourra être tenu responsable des crimes de son allié ») renvoie probablement à Mahomet lui-même.
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DEUXIÈME PARTIE.
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BATAILLE DE BADR 17 MARS 624.
17 mars 624, victoire musulmane de Badr. Badr est en fait un puits situé à 110 km au sud-ouest de Médine en direction de La Mecque. NDLR. Les chiffres qui suivent sont évidemment donnés sous toute réserve.
Au printemps 624 donc, à l’approche d’une grosse caravane mecquoise venant de Syrie et faisant route vers La Mecque (mille chameaux conduits par quelques dizaines d’hommes) ; Mahomet décide de passer à l’attaque avec 300 hommes (90 mouhadjiroun de La Mecque, 210 ansar de Yathrib/Médine) deux cavaliers ainsi que 70 chameaux (chacun portant trois hommes à tour de rôle). Ses plans sont déjoués par un espion.
Le responsable de la caravane, Abou Soufiane, prévenu par des éclaireurs réussit à éviter l’affrontement en passant par Yanbou au lieu de Badr (Martin Lings, Muhammad : His Life Based on the Earliest Sources, p. 140).
Les Mecquois apprenant par leurs espions à eux que leur caravane court le risque d’être interceptée à Badr par les musulmans ils décident en toute hâte d’envoyer 600 hommes sous le commandement d’Amir Ibn Hicham pour l’escorter.
Prévenus par Abou Soufiane que la caravane est intacte et qu’elle est sur le point d’arriver à La Mecque certains font aussitôt demi-tour et les autres décident de poursuivre sur Badr.
Le 1er mars, après avoir beaucoup hésité, Mahomet décide d’affronter Amir Ibn Hicham et ces renforts devenus dangereux. La stratégie adoptée par les musulmans fut de combler ou tarir tous les puits de la région, et de n’en laisser qu’un seul en bon état, le puits de Badr, autour duquel ils s’embusquèrent.
Tabari fournit un compte-rendu très précis et très détaillé.
Il y avait du côté musulman 79 Couraïchites installés à Médine (les fameux Mouhadjiroun) émigrés et 236 Médinois de souche, les Ansars. Quelques-uns ayant des chevaux, d’autres, plus nombreux, ayant des chameaux, la plupart étant à pied. Ibn Ichaq donne la liste complète des trois cent quatorze musulmans qui ont participé à cette bataille. Cette liste est classée par clans, 74 clans étant cités, les clans étant regroupés par tribus : 15 clans sont nommés pour les Émigrés (83 hommes engagés dans le combat), 12 clans sont nommés pour la tribu des Banou Aous (61 hommes engagés dans le
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combat), 47 clans sont nommés pour la tribu des Banou Khazradj (170 hommes engagés). Ce fut presque une guerre civile, car des parents ou des proches s’y affrontèrent : le père tira l’épée sur le fils, le fils sur le père, ou l’esclave sur le maître… Les chefs musulmans se distingueront par la suite selon qu’ils ont ou non participé à la bataille de Badr.
Comme toujours la bataille commence par quelques combats singuliers qui prennent la forme de règlements de compte entre Couraïchites (musulmans ou restés païens). L’avantage reste aux Couraïchites musulmans.
Les deux armées s’affrontent ensuite à coups de flèches.
Mahomet donne enfin à ses hommes l’ordre de charger en jetant une poignée de sable (geste sans doute magique) en direction des rangs mecquois épuisés par leur longue marche sur Badr qui se débandent presque aussitôt.
Pertes : 70 hommes du côté mecquois, 14 du côté des musulmans.
Mahomet s’adressa aux morts mecquois en leur disant : « Ô untel, untel et untel… Vous auriez dû écouter Dieu et son prophète. Nous, nous avons eu ce que Dieu nous avait promis ! Et vous ? »
« Tu t’adresses à des corps sans vie ! » lui fit remarquer Omar. Mais Mahomet lui rétorqua : « Par celui qui tient mon âme, ils m’entendent aussi bien que toi ». Puis il cria ensuite à ses hommes : « Si vous rencontrez Abou Jahl (Amr ibn Hicham), ne le laissez pas s’échapper. Si vous ne le trouvez pas, cherchez-le parmi les morts ; car Dieu m’a promis qu’il serait tué aujourd’hui. Si vous ne le reconnaissez pas au vu de son visage, qui peut être couvert de poussière, vous le reconnaîtrez à la cicatrice qu’il a au pied… alors coupez-lui la tête et rapportez-la-moi ! »… Ce qui fut fait.
Le butin fut de 115 chameaux, 14 chevaux, une grande quantité de vêtements et de tapis, d’articles de cuir, d’équipements et d’armures. La fameuse épée d’Amr ibn Hicham, connue sous le nom de Zou Fikr revint à Mahomet.
Le premier grand bénéficiaire de cette Bataille fut Abou Soufiane, épargné par la bataille, car occupé à conduire la caravane loin du lieu de l’affrontement. La mort d’Amr ibn Hicham, ainsi que de nombreux autres nobles Coraïschites, affaiblira du coup pour longtemps la capacité de réaction de la cité et donnera audit Abou Soufiane l’occasion de devenir presque par défaut chef des Couraïchites. Lorsque Mahomet pénétrera en vainqueur à La Mecque six ans plus tard, c’est donc Abou Soufiane qui jouera le rôle décisif dans la négociation de sa reddition. Abou Soufiane deviendra par la suite un haut dignitaire de l’Empire musulman et son fils Mouaouiya sera le premier calife omeyyade.
Restait à régler le sort des 40 prisonniers. Certains proposèrent qu’ils soient exécutés, d’autres qu’ils soient libérés contre rançon. Mahomet commença par privilégier la dernière solution afin de gagner un peu d’argent, mais avant de retourner à Médine, il ordonnera quand même l’exécution de deux d’entre eux, début des assassinats politiques donc, qui avaient eu naguère l’audace de lui poser des questions embarrassantes. Notamment un conteur appelé Nader Ibn al-Harith, qui avait l’habitude de raconter aux Mecquois des contes du Grand Rustem, d’Isfandiyar, et du roi de Perse ; en se vantant que les versets du Coran rapportés par Mahomet n’étaient pas meilleurs que les siens. Cet opposant à Mahomet trop divertissant, capturé pendant la bataille, paya ses histoires de sa vie, car Mahomet en profita pour le faire exécuter. Deux jours plus tard sur le chemin du retour à Yathrib/Médine, ce fut le tour d’un dénommé Ouqba ibn Abi Mou’aït. Mahomet lui avait dit plusieurs mois auparavant : « Je fais à Dieu le serment que si je t’attrape un jour en dehors de La Mecque, je te ferai couper la tête ». Ordre fut donc également donné de l’exécuter. Le malheureux demanda pourquoi lui. « À cause de ton inimitié pour Dieu et son prophète », répondit Mahomet. Ouqba lui avait en effet jadis posé des questions gênantes.
Ibn Ichaq Vie de Mahomet, Guillaume, page 308.
« Al-Nadr fut tué par Ali, d’après ce que m’a dit un savant mecquois. Quand ils furent arrivés à Irqou'l Zabya Ouqba fut tué. Il avait été fait prisonnier par Abdullah b. Salima, l’un des B. al-Ajlan. Quand l’apôtre ordonna qu’il soit tué, Ouqba demanda : « Mais qui va s’occupera de mes enfants maintenant, O Mahomet ? L’Enfer répondit Mahomet ».
Ouqba n’avait pourtant pas beaucoup persécuté les premiers musulmans 1).
Cette interprétation toute personnelle de la volonté de Dieu clément et miséricordieux troubla néanmoins quelques âmes sensibles, et notamment un intellectuel appelé Ka’b ibn al-Achraf, ainsi que nous allons le voir ; mais un nouveau chapitre bien opportun (!) tomba rapidement de la bouche même de l’entité surnaturelle identifiée plus tard à l’archange Gabriel. « II n’appartient pas à un prophète de faire des captifs, tant que, sur Terre, il y aura encore des incroyants ». (Chapitre 8, 67.)
Ce qui rassura tout le monde ! Les autres prisonniers seront bien traités et seront relâchés contre rançon conformément à l’usage d’avant l’islam.
Les musulmans, eux, n’ayant eu que 14 ou 15 morts à la suite de cette première victoire, ils en conclurent évidemment que « Dieu était avec eux » (Gott mit uns en allemand * chapitre 3, verset 123 et chapitre 8 verset 17 : Dieu les a tués). Cela fut ressenti par eux comme une grande délivrance et la
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victoire de Badr est depuis lors considérée comme la première vraie guerre sainte (djihad) contre des non-musulmans.
La légende qui veut que des milliers d’anges soient intervenus militairement contre les Mecquois achèvera de convaincre les musulmans que Dieu est bien de leur côté (en fait des rafales de vent chargées de sable que les esprits simples ont pris pour des anges).
CE QUE LES THÉOLOGIENS MUSULMANS DÉDUISENT DE LA BATAILLE DE BADR.
a) L’aide des anges. Cette aide ne fut pas spirituelle ou morale comme certains l’imaginent, car il y eut réellement 1000 anges pour participer concrètement au combat aux côtés des musulmans. Ce fait a été rapporté dans les deux recueils de hadiths Sahih.
b) Les morts ont une vie spirituelle propre dont nous ne connaissons ni les modalités ni la nature, et leurs âmes volent autour de leurs corps ; puisque Mahomet s’est adressé aux païens défunts et a même assuré au futur calife Omar qui s’en étonnait : « Par celui qui tient mon âme, ils m’entendent aussi bien que toi ! »
c) Enfin plus concrètement, il est permis de recourir à des espions et à des observateurs que les musulmans peuvent dépêcher en territoire ennemi afin de découvrir ses positions ou ses plans et connaître ses armes et ses effectifs.
La bataille de Badr n’est donc à l’origine qu’une simple razzia organisée par Mahomet contre une caravane mecquoise revenant de Syrie, au niveau d’un point d’eau. L’interception échoue, mais dégénère en petite bataille rangée du fait de l’intervention d’une colonne de secours. Peu habitués au combat, les commerçants mecquois cèdent devant un adversaire moins nombreux, mais très motivé on s’en doute, et organisé. Les musulmans font un butin relativement important (mais pas la caravane proprement dite) et des prisonniers dont ils pourront tirer une grosse rançon.
Cette bataille constitue néanmoins une étape essentielle de la naissance de l’islam, qui va conditionner ses rapports avec les infidèles pour plusieurs siècles, et qui a même eu des répercussions doctrinales. Au cours de cette bataille, Mahomet laissera percer son conditionnement par le système religieux précédent (qu’il a suivi durant quarante années, il faut le rappeler, tout comme ses ancêtres durant des siècles).
La tradition laisse en effet transparaître dans cet épisode quelques traits propres au paganisme, y compris dans l’attitude de Mahomet. Dans l’extrait de hadith ci-dessous par exemple, Mahomet menace son dieu de ne plus être honoré, si ses hommes connaissent la défaite. Le plus remarquable est la réaction d’Abou Bakr, qui s’est rendu compte de ce quasi-blasphème.
Sahih Boukhari tome 5, livre 59, hadith numéro 289.
Rapporté par Ibn Abbas : le jour de la bataille de Badr, le Prophète a dit : « Ô Dieu, je t’appelle à tenir ton engagement et ta promesse. Ô Dieu, si tu veux que plus personne ne te voue un culte (alors, donne la victoire aux païens) ». Abou Bakr le prit par la main et lui dit : « tu en as assez fait comme ça ».
1) D’après certains auteurs musulmans, il aurait quand même un jour jeté les viscères d’un animal sur Mahomet ou enroulé l’habit de Mahomet autour de son cou pendant qu’il priait. Ces musulmans pieux estiment donc que cela méritait la peine de mort (quelques coups de pied au derrière auraient suffi).
* Dieu n’est donc pas toujours du côté des gros bataillons comme disait Voltaire, mais du côté de ceux qui tirent le mieux.
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LE DÉBUT DES ASSASSINATS POLITIQUES.
(But : faire taire les autres critiques, les autres opposants, ou les obliger à partir).
Ce combat livré à Badr, médiocre par l’importance des effectifs en présence, aura un retentissement énorme dans la culture islamique, puisqu’il constitue la première victoire musulmane sur les infidèles, miraculeuse puisque inespérée, due à l’intervention de Dieu, et de ses anges. De nombreux versets du Coran font référence à l’épisode. La victoire de Badr ne fut qu’un coup de main réussi, mais elle eut un grand retentissement chez les Arabes de Yathrib/Médine, et même chez les juifs, voire dans tout le Hedjaz.
La multiplication des assassinats politiques qui s’ensuivit ne peut être due au seul hasard. Car à Yathrib/Médine, c’est en effet de cette façon que Mahomet va désormais peu à peu installer son (contre) pouvoir. (Il ne pouvait pas faire autrement d’ailleurs étant donné qu’il n’était alors encore qu’un immigré à Médine et non son chef légitime.) Il est évident que ce terrorisme fut une stratégie délibérée pour conquérir le pouvoir. L’assassinat « politique » fera partie des moyens utilisés par Mahomet pour arriver à émerger ou à être suffisamment puissant afin que l’on ne songe plus à tirer vengeance de lui ou de ses fidèles.
Faire peur, si peur que personne n’osera plus rien tenter contre lui, telle sera donc la stratégie de Mahomet pour prendre le pouvoir à Yathrib/Médine. Les attentats terroristes en question ne furent évidemment perpétrés que parce que tel était son bon plaisir. « Lorsque Dieu et son prophète ont pris une décision, il ne convient ni à un croyant ni à une croyante de maintenir son choix sur cette affaire. Celui qui désobéit à Dieu et à son prophète s’égare manifestement »(Chapitre 33, verset 36.)
Les meurtres politiques ordonnés par Mahomet, recensés par Ibn Ichaq, furent nombreux, et occupent une partie importante de la troisième partie de son livre (le meurtre de Sallam, page 482, Abou Afak et Asma, page 675, etc.). Ces assassinats sont classés par les chroniqueurs dans la catégorie « expéditions (maghazi) du Prophète ». Ces premiers attentats terroristes, à la demande de Mahomet, furent perpétrés par certains de ses proches sur des chefs ou des intellectuels non convaincus par son message, et notamment des juifs évidemment, car la rupture avec eux avait commencé.
En 624, Mahomet ayant pris conscience de l’échec de sa tentative en direction des juifs, le ton change, et les méthodes aussi. Les contacts sont rompus, les menaces et les insultes apparaissent, y compris dans le Coran. Le temps de la conviction est passé, celui des pressions commence : des appels au meurtre évidents surgissent alors dans les discours de Mahomet.
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Cinq personnalités de Yathrib/Médine seront assassinées par les séides de Mahomet avec sa bénédiction, son approbation explicite, voire à sa demande. Mahomet n’aime ni la poésie ni les critiques. Cela le conduira donc à pratiquer à Médine une très efficace politique d’élimination des opposants. La technique sera celle du commando, du petit groupe attaquant par surprise et de nuit. Les victimes en seront des personnages importants. Au-delà de la simple élimination, l’effet recherché sera d’inspirer la peur, c’est clairement mentionné dans les sources (voir plus loin la conclusion de l’assassinat d’Asma bint Marouane).
Il s’agit des intellectuels nommés Abou Afak, de la poétesse Asma Bint Marouane, de Kab ibn al-Achraf, d’Ibn Sounaïna et enfin de Sallam Abou Rafi.
Le premier de la liste fut vraisemblablement le poète Abou Afak, un vieux juif centenaire, qui avait osé composer un poème satirique s’en prenant à Mahomet. Mahomet, ordonna son assassinat, mais de manière détournée, comme un parrain de la mafia lançant un contrat sur quelqu’un : « Qui me fera justice de cette crapule ? » Et quelqu’un se chargea effectivement de cet attentat : un dénommé Salim ibn Oumaïr. Abou Afak fut tué durant son sommeil, à cause de quatre malheureux vers.
Ibn Ichaq : vie de Mahomet traduction A. Guillaume page 675.
L’EXPÉDITION DE SALIM IBN OUMAÏR POUR TUER ABOU AFAK.
Abou Afak faisait partie des B. Amr ibn Aouf du clan des B. Obaïda. Il exprima de la désapprobation après que l’apôtre eut fait tuer al Harith ibn. Souwaïd b. Samit et déclara :
Je suis bien vieux et je n’avais jamais vu jusqu’ici…
… Un homme est venu qui les a divisés
En autorisant ou interdisant toutes sortes de choses…
L’apôtre demanda : « Qui s’occupera de ce coquin pour moi ? »
Salim Ibn Oumaïr, frère des B. Amr ibn Aouf l’un des « pleureurs » alla aussitôt le tuer. Oumama ibn Mouzaïriya se serait alors exclamé à ce sujet :
Tu as calomnié la religion de Dieu et le loué !
Sur la tête de ton père, maudit soit ce qu’il a engendré !
Un Hanif t’a donné un coup d’épée en pleine nuit en disant
« Prends ça, Abou Afak, malgré ton âge !
Bien que je ne sache si c’est un homme ou un djinn
Qui t’a tué au beau milieu de la nuit ».
L’assassinat d’Asma Bint Marouane. L’épisode est occulté dans tous les ouvrages consacrés aux origines de l’islam destinés à l’Occident, ad usum delphini, mais les sources abondent en détails sur le meurtre de cette personnalité. C’est une exception à la règle de Mahomet interdisant de tuer les femmes.
Ibn Sa’d, Kitab al-Tabaqat al-Kabir, traduction S. Moinul Haq, tome 2, pages 30-31.
LA SARIAH (EXPÉDITION) D’OUMAÎR IBN ADI.
Il y eut ensuite la saria d’Oumaïr ibn Adi Ibn Kharashah al-Khatmi contre Asma Bint Marouane, des Banou Omayya Ibn Zeïd… au début du dix-neuvième mois de l’hégire de l’apôtre de Dieu.
Asma était l’épouse de Yazid Ibn Zeïd Ibn Hisn al-Khatmi. Elle critiquait l’Islam, le prophète, et montait les siens contre lui. Elle composait des poèmes. Une nuit Oumaïr ibn Adi se rendit chez elle et entra dans sa maison. Ses enfants dormaient autour d’elle. Il y en avait un qu’elle allaitait. Il la chercha en se servant de ses mains car il ne voyait rien et arracha l’enfant de son sein. Ensuite il enfonça son épée dans sa poitrine jusqu’à ce qu’elle lui ressorte du dos. Après ça il alla faire la prière du matin avec le prophète à Médine. L’apôtre de Dieu lui demanda : « est-ce que tu as tué la fille de Marouane ? » Il répondit que oui et ajouta « y a-t-il quelque chose d’autre à faire pour moi maintenant ? »
Il [Mahomet] répondit : « Non, il n’y aura que deux chèvres pour se battre à son sujet ». Telle fut la première réaction de l’apôtre de Dieu.
Ibn Ichaq, Vie de Mahomet, traduction Alfred Guillaume page 675.
LE VOYAGE D’OUMAÏR IBN ADIY POUR TUER ASMA FILLE DE MAROUANE.
Elle faisait partie des B. Omayya ibn Zeïd. Quand Abou Afak fut tué, elle afficha sa réprobation… elle était mariée à un homme des B. Khatma appelé Yazid ibn Zeïd.
À propos de l’islam et des fidèles, elle déclara :
« Vous obéissez à un étranger qui n’est pas des vôtres,
Qui n’est ni des Mourad ni des Madhij.
Qu’espérez-vous de lui après qu’il ait fait assassiner vos chefs ?
Comme un homme affamé attendant qu’on lui serve la soupe ?
N’y a-t-il pas d’homme assez fier pour l’attaquer à l’improviste
Et couper les espoirs de ceux qui attendent tout de lui ?
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Quand l’apôtre eut appris ce qu’elle avait déclaré, il s’exclama : « Qui donc me débarrassera de la fille de Marouane ?
Oumaïr ibn Adiy al Khatmi qui était avec lui l’entendit et cette nuit-là il se rendit chez elle pour la tuer.
Le lendemain matin il alla chez l’apôtre pour lui dire ce qu’il avait fait. Il répondit : tu as aidé Dieu et Son apôtre, O Oumaïr !
Et quand il demanda s’il aurait à en supporter des conséquences, l’apôtre lui répondit : même deux chèvres ne se prendraient pas la tête à son sujet !…
On s’agita beaucoup ce jour-là chez les B. Khatma au sujet du cas de Bint Marouane. Elle avait cinq fils, et quand Oumaïr alla les voir de la part de l’apôtre pour leur dire : « j’ai tué Bint Marouane, O fils de Khatma. Et maintenant, vengez-la si vous pouvez, mais ne me faites pas attendre ! ».
Ce fut le premier jour où l’Islam commença de monter en puissance chez les B. Khatma, avant ceux qui étaient musulmans s’en cachaient. Le premier d’entre eux à se convertir à l’islam avait été Oumaïr ibn Adiy… Le lendemain de la mort de Bint Marouane, les hommes des B. Khatma ayant pu ainsi voir la puissance de l’islam en action devinrent musulmans.
L’assassinat de Kab ibn al-Achraf. L’autre assassinat politique de l’époque le plus connu est sans conteste celui de Kaab Ibn Achraf, car il légitime le principe de la dissimulation dans l’intérêt de l’islam appelé taqiya. À en croire Ibn Ichaq en effet, Mahomet a autorisé le recours au mensonge pour éliminer cet opposant. La poésie a toujours été en effet une des plus redoutables armes de l’esprit humain. Achraf était un homme de la tribu de Taïyi, sa mère une Banou Nadir. Il était donc à demi juif. C’était sans doute le plus frondeur de tous les poètes. Lorsqu’il entendit parler de la victoire des musulmans à Badr, il commença par en douter ; mais quand la nouvelle fut confirmée, il partit à La Mecque pour y réciter une ode à la mémoire des malheureux tués par les musulmans. Il désapprouvait en outre l’exécution d’une partie des prisonniers après la bataille de Badr, et adressait des poèmes érotiques ou galants aux femmes de certains des disciples de Mahomet. Car le vrai crime de Kaab fut peut-être d’avoir accompagné quelques-unes de ses satires par des vers taquinant les femmes en question (dont celles de Mahomet ? ??). Les non-musulmans de Yathrib/Médine se délectaient de ses poèmes répandus dans toute la ville. Un travers propre aux hommes pas toujours très fin et que l’on peut qualifier de quasiment naturel chez eux dans la mesure où l’habitude est une seconde nature ; mais à propos duquel il n’y a jamais eu de quoi fouetter un chat, en tout cas ne méritant nullement la mort).
Mahomet ordonna néanmoins son assassinat, mais là aussi de manière détournée, en s’exclamant : « Qui donc me délivrera de Kaab Ibn Achraf ? » Le désir exprimé par Mahomet fut reçu comme un ordre par plusieurs musulmans, dont le propre frère de lait du poète.
Ibn Ichaq, la vie de Mahomet, A. Guillaume, page 364.
L’ASSASSINAT DE KA'B IBN AL-ACHRAF.
Après la défaite des Couraïchites à Badr, l’apôtre avait envoyé Zaïd ibn Haritha… Ka'b ibn Al Achraf, qui était l’un des Taiyi de la sous-tribu des B. Nabhan dont la mère appartenait aux B. al Nadir, quand il entendit la nouvelle, demanda : « Est-ce vrai ? Mahomet a vraiment tué tous ceux que ces deux hommes (c’est-à-dire Zaïd et Abdullah ibn Raouaha) mentionnent ? Ce sont les plus nobles des Arabes, de grands seigneurs, par Dieu, si Mahomet a vraiment tué ces hommes « mieux vaut être mort que vif ». Quand l’ennemi de Dieu devint certain que la nouvelle était vraie, il quitta la ville et partit pour La Mecque pour aller chez…………… Elle le reçut chez elle et l’y accueillit avec hospitalité. Là il commença d’invectiver l’apôtre et de réciter des vers dans lesquels il pleurait les Couraïchites qui avaient été jetés dans le puits après avoir été tués à Badr. Il disait :
La meule de Badr a broyé le sang des siens.
Les meilleurs des hommes ont péri autour de leurs puits,
Ne trouvez-vous pas étrange que ces princes soient restés couchés.
Combien d’hommes prestigieux et nobles,
Refuge des sans-abris, ont-ils été tués là-bas,
Ils savaient se montrer généreux quand les étoiles ne donnaient pas de pluie,
Porter le fardeau des autres…
On m’a dit qu’al Harith ibn Hicham
Se porte bien et rassemble des troupes
Pour visiter Yathrib avec toute une armée
Etc.
Ka'b ibn Al Achraf lui répondit :
Me raillez-vous parce que je verse des larmes
Sur des hommes qui m’aimaient ?
Tant que je vivrai je pleurerai et me souviendrai.
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Puis Ka'b revint à Médine et composa un poème d’amour sur Oummou 'l Fadl la fille d’Al Harith, disant :
Elle est une des B. Amir qui envoûte les cœurs,
Et si elle voulait, elle pourrait guérir ma maladie.
La gloire des femmes et d’un peuple est leur père,
Jamais je n’avais vu le soleil se lever la nuit avant de la voir.
Ensuite il composa des vers licencieux à propos des musulmanes. Alors l’apôtre demanda… : « Qui me débarrassera d’Ibnou 'l Achraf ? »
Muhammad ibn Maslama répondit : Je traiterai avec lui pour vous, O apôtre de Dieu, je vais le tuer.
« Faites-le si vous le pouvez ».
Muhammad ibn Maslama rentra donc chez lui et resta trois jours sans manger ni boire sauf le strict nécessaire.
Quand l’apôtre en fut informé, il le fit venir et lui demanda pourquoi il avait cessé de boire et de manger.
Il répondit qu’il s’était vu confier une mission, mais qu’il ne savait pas s’il pourrait en venir à bout.
L’apôtre lui répondit : « Tout ce qui t’incombe c’est d’au moins essayer ! »
« Nous devrons alors dire des mensonges ô apôtre de Dieu ».
Il répondit : « Dis ce que tu veux, tu es libre en la matière ».
Là-dessus lui et…… envoyèrent Silkan b. Salama frère de lait de Ka’b voir l’ennemi de Dieu, Ka'b b. Achraf, avant de se rendre chez lui. Silkan lui fit la conversation quelque temps et ils se récitaient mutuellement des vers car Silkan aimait la poésie. Puis il lui dit : 'O Ibn Achraf, je suis venu te voir afin de te parler de quelque chose sur lequel je voudrais que tu gardes le plus grand secret. « Très bien », répondit-il. Silkan poursuivit : « La venue de cet homme a été une catastrophe pour nous. Il a provoqué l’hostilité des Arabes qui sont tous ligués contre nous maintenant. Les routes sont devenues impraticables, de sorte que nous et nos familles sommes dans la plus grande détresse ».
Ka'b répondit : « Par Dieu, je n’arrêtais pas de te le dire, ô Ibn Salama, que ces choses contre lesquelles je te mettais en garde finiraient par arriver ! »
Silkan poursuivit : « Je voudrais que tu nous vendes de la nourriture, nous te donnerons des gages et tu traiteras généreusement en la matière ».
Ka’b répondit : « Voulez-vous me donner vos fils en gage ?
Silkan répliqua : « Tu veux nous insulter ? J’ai des amis qui partagent mes idées et je voudrais te les présenter afin que tu leur vendes aussi de la nourriture et agisses généreusement, et nous te donnerons assez d’armes pour que cela soit un gage suffisant. Le but de la manœuvre était que Ka’b ne s’inquiète pas en voyant les armes qu’ils auraient avec eux.
Ka'b répondit : « Les armes seront une bonne garantie ! ».
Alors Silkan s’en alla retrouver ses compagnons, leur raconta ce qui s’était passé et leur demanda de prendre des armes. Ensuite ils se mirent en route derrière lui et allèrent voir l’apôtre… qui les accompagna jusqu’à Baqfou'l Gharqad. Puis il les laissa continuer sans lui en leur disant : « Allez au nom de Dieu, O Dieu, aide-les ». Puis il rentra chez lui.
C’était une nuit de pleine lune, ils poursuivirent jusqu’à ce qu’ils soient parvenus au château de Ka’b et là Abou Na'ila l’appela.
Ka’b venait juste de se marier, il passa une couverture autour de lui, mais sa femme en prit un bout pour le retenir en lui disant : « Nous sommes en guerre et ceux qui sont en guerre ne sortent pas à cette heure-ci ».
Ka’b répondit : « C’est Abou Na'ila. S’il avait pensé que je dormais, il ne m’aurait pas réveillé ».
Elle lui répondit : « Par Dieu, je peux sentir le mal dans sa voix ».
Ka'b répondit : « Même si on l’appelle pour le poignarder un homme courageux se doit de répondre ».
Il descendit donc les retrouver dehors et leur parla pendant quelque temps alors qu’ils conversaient avec lui.
Puis Abou Na'ila lui demanda : Veux-tu aller avec nous à Chi'b al'Ajiiz, afin que nous puissions y parler le reste de la nuit ?
« Si tu veux » répondit Ka’b, et ils partirent ensemble. Au bout d’un moment, Abou Na'ila passa la main dans les cheveux de Ka’b et lui dit : je n’ai jamais senti un parfum plus subtil que celui-là. Ils continuèrent de marcher encore un peu et Abou Na’ila fit de même pour que Ka'b ne soupçonne rien. Puis après quelque temps il refit la même chose une troisième fois, mais en criant : « Frappez l’ennemi de Dieu ! »
Et tous de se ruer sur lui l’épée à la main, mais en vain.
Muhammad ibn Maslama : « Quand j’ai vu que nos épées ne servaient à rien je me suis alors souvenu de mon poignard et je l’ai saisi. L’ennemi de Dieu avait fait un tel bruit pendant tout ce temps-là que
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de la lumière avait été allumée dans tous les forts environnants. Je lui ai enfoncé dans le bas-ventre puis j’ai appuyé dessus jusqu’à ce que j’atteigne les parties génitales, et l’ennemi de Dieu est tombé à terre. Al Harith fut blessé à la tête ou au pied par un de nos coups d’épée… Nous l’avons transporté et conduit chez l’apôtre à la fin de la nuit. Nous l’avons salué alors qu’il était en prière et il est venu à notre rencontre. Nous lui avons alors dit que nous venions de tuer l’ennemi de Dieu et il a craché sur les blessures de notre camarade, ensuite nous sommes tous rentrés chez nous. Notre attaque contre l’ennemi de Dieu sema la terreur chez les Juifs, et il n’y avait plus de Juifs à Médine qui ne craignit pour sa vie.
L’HISTOIRE DE MOUHAÏSSA ET HOUWAÏSSA.
L’apôtre a dit : « Tuez tout Juif qui tombe en votre pouvoir ». Mouhaïssa ibn Mass'oud sauta donc sur Ibn Sounaïna, un commerçant juif avec lequel ils étaient en relations sociales et commerciales, et le tua. Houwaïssa n’était pas encore musulman à l’époque, bien qu’étant le frère aîné. Quand Mouhaïssa l’eut tué, Houwaïssa commença de le battre en criant : « Espèce d’ennemi de Dieu, tu l’as tué alors qu’une bonne partie de la graisse de ton ventre vient de ses richesses ?
Mouhaïssa lui répondit : « Si celui qui m’a ordonné de le tuer m’avait demandé de te tuer toi aussi je t’aurais coupé la tête ». Ce fut le début de l’acceptation de l’Islam par Houwaïssa. Il s’est exclamé : « Par Dieu, une religion qui peut vous conduire à faire ça est prodigieuse ! » et il devint musulman.
Dans certains pays d’aujourd’hui quand un homme ou un parti politico-religieux se retrouve à l’origine de tels faits (par exemple Monsieur Yahya Maryam – Jean-Marie – Le Pen en Gaule) il est immédiatement inculpé et jugé, par la rue par les intellectuels (les journalistes) par les religieux et enfin par les tribunaux.
Note de la rédaction. Des amis parisiens sortant d’une visite hebdomadaire chez le recteur de la grande mosquée de Paris m’ont expliqué que ce n’était pas pareil, et que j’avais mal compris. Dont acte !
GESCHICHTE DER JUDEN/ HISTOIRE DES JUIFS DE MÉDINE
PAR HEINRICH GRAETZ 1853.
« Lors de son arrivée à Yathrib (622, de notre ère), Mahomet prit grand soin de se ménager le soutien des Juifs, en leur donnant l’impression de vouloir faire du judaïsme la religion universelle de l’Arabie ». Introduction figurant dans la traduction Abraham Benedict Rhine New York 1919 du livre d’Heinrich Graetz et pas dans la traduction française de Moïse Wogue publiée en1882.
« Il arriva pendant la fête du grand pardon (Yom Kippour), et comme il vit que les Juifs jeûnent en ce jour, il établit le jeûne Aschura, disant qu’il appartenait plus aux Arabes qu’aux Juifs de jeûner. Pour gagner les bonnes grâces des Juifs, il ordonna de tourner la face (quibla) pendant la prière, vers Jérusalem, et, dans les différends qu’il avait à juger entre Juifs et Arabes, il se montrait toujours favorable aux premiers. Il eut pendant longtemps un secrétaire juif. Ces prévenances de la part d’un homme si célèbre flattèrent les Juifs de Médine – c’est ainsi que s’appelait Yathrib depuis que Mahomet s’y était établi, – et plusieurs d’entre eux, parmi lesquels se trouvait un savant de la tribu de Kainukaa, Abdallah ibn Salam, montrèrent un profond attachement pour celui qui, à leurs yeux, était presque un prosélyte juif et qu’ils croyaient appelé à propager le judaïsme en Arabie. Ces amis, qui lui fournirent une partie de ses révélations, furent appelés Anzar (aides) ; ils continuèrent à observer toutes les pratiques juives, sans que Mahomet s’en formalisât.
Mahomet ne trouva cependant que peu d’adhérents parmi les Juifs ; son égoïsme, son orgueil et ses passions sensuelles éloignaient de lui des hommes auxquels leurs prophètes avaient donné une conception plus élevée d’un envoyé de Dieu. « Regardez-le, disaient les Juifs ; par Dieu ! il n’est jamais rassasié, et les femmes absorbent tous ses soins. S’il est réellement prophète, qu’il s’occupe de sa mission et non des femmes. » Les Juifs disaient encore : « Dieu n’apparaît à ses élus qu’en Palestine, c’est donc là que Mahomet, s’il est prophète, doit accomplir sa mission. » Ou bien : « Tu te vantes d’être de la religion d’Abraham, qui ne mangeait, cependant, ni de viande de chameau, ni du fromage fait avec du lait de chamelle. » Les principaux adversaires juifs de Mahomet étaient : Pinhas ibn Azoura, esprit caustique, qui ne manquait pas une occasion de se moquer de lui ; Kaab ibn Ascharaf ; le poète Abou-Afak, plus que centenaire, qui cherchait à le rendre odieux aux yeux des Arabes ; enfin, Abdallah, fils de Saurah, considéré comme le Juif le plus savant du Hedjaz. Ils raillaient « l’envoyé de Dieu, » tournaient en ridicule ses révélations et ses prédications, et le traitaient avec dédain ; ils ne supposaient pas que le pauvre fugitif de La Mecque, qui était venu implorer du secours
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à Médine, soumettrait ou exterminerait bientôt leurs tribus ; ils oubliaient que l’ennemi le plus dédaigné est souvent le plus redoutable.
Au commencement, Mahomet parut se montrer indifférent aux attaques des Juifs. « Soyez convenables, dit-il à ses partisans, dans vos discussions avec les gens de l’Écriture (Juifs), et dites-leur : Nous croyons et à ce qui vous a été révélé et à ce qui nous a été a révélé. Notre Dieu est le même que le vôtre et nous lui sommes entièrement soumis. » Peu à peu, leurs relations se tendirent. D’un côté, les Juifs s’efforcèrent de provoquer des défections parmi ses adhérents, et ils parvinrent à exciter contre lui l’homme le plus considérable de Médine, le khazradj Abdallah ibn Oubey, qui était sur le point d’être élu chef de la ville et que l’arrivée de Mahomet avait remis dans l’ombre ; jusqu’à ses derniers jours, il resta l’adversaire implacable de Mahomet. D’autre part, les partisans du prophète lui demandèrent avec instance de se prononcer nettement au sujet du judaïsme. Voyant que ses amis juifs continuaient à s’abstenir de manger de la chair de chameau et à suivre les autres pratiques juives, ils lui dirent : « Si la Tora est un livre divin, pourquoi ne nous obliges-tu pas à en observer les prescriptions ? » Mahomet était trop imprégné des sentiments et des idées arabes pour embrasser la religion juive, il savait aussi que les Arabes ne se soumettraient que très difficilement aux pratiques sévères du judaïsme. Il se décida donc à rompre avec les Juifs. Pour bien marquer cette rupture, il les invectiva dans une longue sourate (la sourate de la vache), et il décida qu’à l’avenir les musulmans ne se tourneraient plus, pendant la prière, comme auparavant, vers Jérusalem, mais vers La Mecque et le temple de la Kaaba. Le jeûne d’Ashura qu’il avait établi à la fête juive de l’Expiation fut aboli et remplacé par le jeûne du Ramadhan, mois qui, de temps immémorial, était sacré pour les Arabes. Mahomet supprima encore d’autres usages juifs qu’il avait recommandés précédemment. Les Juifs n’étaient plus pour lui de vrais croyants, adorateurs du Dieu-Un, mais des incrédules qui vénéraient Ezra (Ozaïr) comme fils de Dieu, et des menteurs qui avaient effacé de la Tora les passages qui annonçaient la venue de Mahomet comme prophète.
Mahomet craignit cependant de traduire déjà sa haine en actes, son influence n’était pas encore considérable, et les Juifs, alliés à quelques tribus arabes, étaient bien supérieurs en nombre à ses partisans. Son audace augmenta après la bataille de Bedr (hiver 624), où il défit la puissante tribu des Koréïschites. L’humble apôtre se transforma alors en un violent despote qui ne reculait devant aucun moyen, fût-ce le guet-apens et le meurtre, pour triompher de ses ennemis. Confiant dans la solidité et le courage de ses compagnons, il commença à faire la guerre aux Juifs. Ce fut la petite tribu de Kainukaa qui eut à supporter ses premiers coups. Voici le fait qui servit de prétexte aux hostilités. Un musulman, irrité d’une mauvaise plaisanterie d’un Juif, le tua ; les Kainukaa tirèrent vengeance de ce meurtre. Mahomet les plaça alors dans l’alternative d’embrasser l’islamisme ou d’accepter la guerre ; ils prirent les armes.
Comptant sur l’appui des Nadhir et des Kuraïza, leurs coreligionnaires, ils se retirèrent dans leurs châteaux forts, près de Médine. Mahomet vint les y assiéger. Plus avisés, les nombreux Juifs du nord de l’Arabie auraient prévu qu’un jour ou l’autre ils seraient attaqués à leur tour par Mahomet, et ils se seraient alliés tous ensemble contre lui ; il leur eût été alors bien facile d’écraser sa petite armée. Mais, pour leur malheur, ils étaient divisés entre eux, et chaque tribu se désintéressait de ses voisins.
Pendant quinze jours, les Katinka repoussèrent vaillamment les attaques des Arabes. Épuisés et désespérant d’être secourus, ils ouvrirent les portes de leurs forts. Mahomet les fit enchaîner et donna ordre de les égorger. Abdallah ibn Oubey, leur allié, saisit le prophète par sa cuirasse : « Je ne te lâcherai, lui dit-il, que lorsque tu m’auras donné la promesse formelle de remettre les prisonniers en liberté ; ils ont été mon appui, ils m’ont défendu contre les rouges et les noirs. » N’osant repousser cette demande, Mahomet dit : « Qu’on les délivre, et que Dieu les damne, eux et Abdallah ! » Dépouillés de tous leurs biens, les Kainukaa partirent alors, au nombre de sept cents, pour se rendre en Palestine ; là, ils s’établirent dans la Batanée, dont la capitale était Adraat.
Après sa victoire sur les Kainukaa, Mahomet engagea les musulmans, dans une révélation, à refuser toute protection aux Juifs : « Ô vous qui croyez, ne prenez point pour amis les Juifs et les chrétiens ; qu’ils se protègent eux-mêmes. Celui qui les prend pour amis leur ressemble ; Dieu n’est pas le guide des pervers. » Les chrétiens étaient en petit nombre dans le nord de l’Arabie et n’y jouissaient que d’une situation précaire, ils souffrirent donc peu de cette exclusion. Il n’en fut pas de même des Juifs. Habitués à mener une existence indépendante et à guerroyer de côté et d’autre, ils avaient souvent besoin de l’appui de leurs voisins arabes. Quand ceux-ci, sur l’ordre de Mahomet, ne voulurent plus contracter d’alliance avec eux, ils restèrent seuls exposés aux coups de leurs ennemis ».
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CE QUE LES THÉOLOGIENS MUSULMANS DÉDUISENT DE LA VICTOIRE DE BADR
ET DE L’ATTITUDE DE LA TRIBU JUIVE DES BANOU QUAÏNOUQA.
Il est évident que les juifs ont commencé par penser que le prophète, paix et bénédictions de Dieu sur lui, serait un simple chef ; qui se contenterait de passer un accord politique avec eux, et qui ne s’occuperait que des intérêts terrestres de sa communauté. Lorsque le prophète, paix et bénédiction de Dieu sur lui, et les musulmans, remportèrent une victoire décisive contre les Couraïchites, à Badr, ils furent désappointés. En fait, ils s’attendaient à ce que les Couraïchites fassent beaucoup de morts parmi les musulmans. C’est la raison pour laquelle, avant même que la nouvelle de la victoire n’arrive à Médine, ils avaient déjà répandu la rumeur que le prophète, paix et bénédiction de Dieu sur lui, avait péri dans les combats ; que les musulmans avaient été battus, et que l’armée d’Abou Jahl était en train de marcher sur la ville. Mais quand la bataille tourna mal pour eux, ils éclatèrent de colère. Kaab Ibn Al-Achraf s’est par exemple alors écrié : « Par Dieu, si Mahomet a effectivement tué tous ces nobles arabes, le ventre de la terre est meilleur pour nous que son dos ». Ensuite il était parti à La Mecque et avait incité ses habitants à la vengeance en écrivant et en récitant des élégies provocatrices, en l’honneur des chefs couraïchites tombés à Badr. Revenu ensuite à Médine, il avait composé des vers lyriques de nature insultante envers les musulmanes. Le prophète, paix et bénédiction de Dieu sur lui, était ulcéré par tant de méchanceté. À tel point, qu’il envoya Mouhammad Ibn Maslamah Al-Ansari le tuer.
Après la victoire de Badr, les Banou Qainouqa furent donc si dépités qu’ils se mirent à harceler les musulmans se rendant dans leurs boutiques, et en particulier les femmes. Les choses s’envenimèrent à un tel point qu’une musulmane se retrouva un jour complètement nue devant tout le monde, après avoir été dépouillée de ses vêtements.
« Quelque temps après, une musulmane se rendit chez un joaillier, les hommes voulurent la dévoiler, mais elle refusa, alors, le joaillier releva secrètement l’extrémité de sa tunique sur son dos et la noua. Elle se leva découvrant ses parties intimes et poussa un cri. Un musulman se jeta sur le joaillier juif et le tua… »
Cet épisode nous montre que le voile imposé à la femme par l’islam doit couvrir non seulement son corps, mais aussi son visage. Sinon, les juifs n’auraient pas été tentés de la dévoiler. Ils voulaient narguer ses sentiments religieux qui étaient apparents, et bien sûr défier les musulmans, car ils
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n’hésitèrent pas à menacer alors ouvertement le prophète en disant : « Voici venue pour toi l’occasion de te mesurer à nous ».
Note de la rédaction. Nous sommes quand même un peu étonnés par le libellé de cette remarque, car à en croire le site Internet en question lui-même, ce sont les parties « intimes » de la dame assise en train d’essayer des bijoux qui furent soudain découvertes. Et c’est cette plaisanterie, incontestablement de mauvais goût (mais qui ne méritait pas la mort quand même, tout juste une paire de claques) du joaillier juif (ou d’un de ses proches) qui mit le feu aux poudres ; et non le dévoilement de son visage qui n’eut pas lieu. Fin de la NDLR.
Cet incident provoqué par les juifs Qainouqa montre bien la haine qu’ils vouaient en secret aux musulmans. S’ils avaient respecté le pacte conclu avec les croyants, ces derniers n’auraient jamais proféré une seule parole contre eux ni touché à leurs maisons. Mais leurs mauvaises intentions se retournèrent contre eux.
Le prophète, paix et bénédictions de Dieu sur lui, se rendit sur place, les rassembla, et leur demanda un peu de retenue. Mais les juifs répliquèrent : « Ô Mahomet, penses-tu vraiment que ton peuple est de notre trempe ? Ne te fie pas à tes propres partisans, ils ignorent tout de l’art de la guerre. Mesure-toi plutôt à nous, et tu verras bien qui est le plus fort ».
Lorsque le Prophète (pbsl) avait rassemblé les Banou Qainouqa, il leur avait rappelé que sa venue était annoncée dans leurs propres livres [NDLR. Ce qui est bien entendu inexact !]
Les juifs savaient donc très bien qu’un prophète (pbsl) devait venir dans un pays à palmiers comme Yathrib, mais après s’être rendu compte que Dieu avait choisi un prophète issu du peuple arabe, ils refusèrent de le reconnaître.
Les musulmans qui s’étaient alliés avec le clan Qaïnouqa résilièrent donc leurs engagements. Dieu interdit en effet aux croyants d’avoir comme amis des non-croyants. Les versets précédents pouvant aller en sens contraire sont abrogés par ceux-ci : « Ô vous qui croyez ! Ne prenez pas pour amis les juifs et les chrétiens, ils sont amis les uns des autres. Celui qui parmi vous, les prend pour amis est des leurs. Or Dieu ne dirige pas un peuple injuste » (chapitre 5, verset 51).
Le vrai musulman ressent toujours de la colère envers les non-croyants, une colère provoquée par leur désobéissance à Dieu. Mais ce sentiment ne fait que refléter l’immense pitié qu’il ressent à l’égard du non-croyant, tout comme l’on pourrait considérer la colère d’un père agissant dans l’intérêt de son fils ; car il ne fait nullement plaisir au musulman de savoir qu’un non-croyant ira en enfer. Un vrai musulman se doit de souhaiter pour tous ce qu’il souhaite pour lui-même. Cela n’interdit pas néanmoins de se montrer parfois indulgents envers les non-croyants si la justice l’exige ni de respecter les conventions conclues avec eux.
En conséquence de quoi, le prophète – paix et bénédictions sur lui – investit leur quartier à la fin du mois de chaoual (ou selon certains de Dhoul Qidah) an 2 de l’Hégire. Le siège dura une quinzaine de jours, puis ils furent vaincus et leurs combattants faits prisonniers. Mais Abdoullah Ibn Oubaye vint leur apporter son soutien et insista pour qu’ils soient pardonnés. Abdallah ibn Oubaye ibn Saloul s’était converti à l’islam par pure hypocrisie. Avant l’arrivée des musulmans, cet hypocrite devait être proclamé roi de Yathrib/Médine. Il avait accueilli par conséquent l’Hégire des musulmans avec haine et nous verrons dans d’autres récits qu’il ne laissait passer aucune occasion susceptible de nuire aux musulmans. Ce fut la raison pour laquelle l’envoyé de Dieu (pbsl) accepta l’exil des Banou Qaïnouqa. Le prophète lui accorda cette requête et décida qu’ils seraient exilés hors de Yathrib/Médine, mais laisseraient derrière eux leurs biens, leurs armures, leurs outils, et tous leurs commerces. Les croyants continuèrent néanmoins à tenir les hypocrites à l’œil en observant attentivement leurs comportements, car c’est un devoir certain et constant de tout musulman » (sur l’hisba musulmane, voir le cahier suivant).
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POINT DE VUE D’UN SPIRITUALISTE ATHÉE, PANTHÉISTE OU AGNOSTIQUE.
NI JUIF NI ARABO-MUSULMAN.
Ainsi que nous l’avons vu, à son arrivée à Yathrib/Médine, Mahomet avait été confronté à des juifs bien organisés et encadrés, plusieurs tribus, trois principales, et beaucoup de clans. Ils formaient, de l’aveu des textes, la partie la plus active de la population. Mahomet aurait donc pu s’attendre à ce que l’on y fasse un accueil favorable à ses idées, qu’il prétend identiques à leur doctrine religieuse ; mais la confrontation sera brutale, ponctuée d’assassinats individuels ou collectifs. Et à la fin de cette période, plus rien ne restera des communautés juives de la ville.
Dans leur immense majorité en effet, les juifs refusaient la « nouvelle » religion que leur proposait Mahomet. Les sources musulmanes s’étendent fort peu sur les raisons de ce refus ; mais l’on peut supposer que c’est tout simplement parce qu’ils ne se retrouvaient nullement dans la façon dont Mahomet déformait, ou interprétait à sa façon, les histoires de Noé, d’Abraham, de Joseph, et des autres personnages du Pentateuque. Il est vrai que l’on ne voit pas très bien comment des rabbins médinois auraient pu adhérer à des récits coraniques si différents de ce que leur rapportaient leurs propres rouleaux sacrés. Il n’est que de comparer les textes actuels du Pentateuque et du Coran pour s’en rendre compte.
Sur le plan doctrinal, la rupture sera donc franche elle aussi. Mahomet, Coran 3, 119. « Voilà comment vous vous comportez : on vous aime, et vous ne nous aimez pas, bien que croyant dans le Livre tout entier. Ils disent lorsqu’ils vous croisent : nous sommes des croyants ! Mais lorsqu’ils se retrouvent entre eux, ils se mordent les doigts de rage contre vous ».
Le Coran attaque les juifs d’une manière inusitée. Ils sont accusés, comme les chrétiens, d’avoir donné un fils à leur dieu. L’amalgame s’appuie sur……, sur quoi au fait ? Mais Mahomet l’utilise pour mettre les deux religions dans le même sac.
Mahomet, Coran 9, 30.
Les juifs disent : Ozaïr est fils de Dieu.
Les chrétiens disent : le messie est fils de Dieu.
Tel est ce qu’ils disent, de leur propre bouche.
Ils suivent en cela les mécréants de jadis.
Que Dieu les anéantisse ! Ils sont tellement youfakounna.
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Ce qui semble évident, c’est qu’après Badr, Mahomet commencera d’adopter la même façon de raisonner que les chrétiens avec leur notion de Verus Israël, et qu’il se considérera dès lors comme le seul véritable héritier d’Abraham et de Moïse. Abraham n’était ni juif ni chrétien – il était hanif ou musulman parce que musulman signifie quiconque se soumet à la loi de Dieu, à la souveraineté de Dieu comme un hanif. L’islam ou Hanifiya en tant que véritable religion donnée par Dieu aux hommes est donc beaucoup plus ancien que le judaïsme ou le christianisme. Tel est peut-être d’ailleurs en définitive le sens des chapitres 2 et 4 du Coran. Abraham et les patriarches n’étaient pas juifs, ils étaient tous hanifs ou musulmans. Isaac, Jacob, Moïse, David, Salomon. Les personnages et les prophètes de la Bible ont toujours été musulmans (hanifs) ! Mieux même, Mahomet considérera que son message n’est que la religion naturelle de l’Humanité, un rappel de la religion naturelle de l’Humanité. Chapitre 30, 30. L’islam est la religion naturelle de l’Homme. L’Homme a été créé hanif ou musulman et Dieu essaie de révéler à chacun qu’il est hanif ou musulman. Adam était hanif ou musulman, Noé était hanif ou musulman… En d’autres termes, Dieu a choisi les juifs pour apporter l’islam au monde, mais ils ont failli à leur mission, ils ont tué les prophètes, ils ont persécuté les prophètes. Dieu les a donc rejetés. Le résultat de ce rejet ou de ce fossé qui se creusera entre Mahomet ou ses fidèles et le judaïsme médinois, fut que la communauté islamique naissante eut dès lors un caractère arabe de plus en plus prononcé.
La religion musulmane se construira en s’opposant aux usages juifs et cette rupture est le véritable acte de naissance de l’islam. Le terme apparaît d’ailleurs à cette époque, pour désigner les fidèles suivant le nouveau message, les mouslimoun, d’après l’infinitif islam « suivre, se soumettre ».
Diverses institutions, datant de cette année-là, tendront donc à séparer extérieurement les musulmans des populations les entourant.
L’AFFAIRE DU CHANGEMENT DE QIBLA.
Exposé des faits. Au début, à leur arrivée à Yathrib/Médine, Mahomet ainsi que les musulmans, mouhadjiroun et ansar, priaient comme les juifs en direction de Jérusalem.
Mars 624, une révélation divine enjoignit à Mahomet ainsi qu’à ses disciples de prier désormais en se tournant non plus vers Jérusalem, mais vers la pierre noire de la Kaaba, le sanctuaire des idolâtres de La Mecque. Coran 2, 142-143 : « Les insensés demanderont : qui les a détournés de la qibla vers laquelle ils s’orientaient ? Réponds : L’Orient et l’Occident appartiennent à Dieu, il guide qui lui plaît… Nous n’avions établi la qibla vers laquelle vous vous tourniez pour prier que pour distinguer ceux qui suivent le prophète de ceux qui retournent sur leurs pas. Ce changement n’est péché que pour celui que Dieu ne dirige pas. Dieu ne laissera pas votre croyance sans récompense. Il est clément et miséricordieux… Nous t’orienterons vers une qibla qui te plaira. Tourne-toi donc dans la direction du lieu de culte sacré » (la Kaaba de La Mecque).
Le point de vue des musulmans pieux. L’orientation vers Jérusalem répondit à un ordre divin, alors que le prophète (PBSL) lui, aurait aimé s’orienter vers la Kaaba, comme nous en informe le Saint Coran. « Nous t’avons vu souvent interroger le ciel du regard. Aussi t’orientons-nous dorénavant vers une direction que tu agréeras sûrement… » [Chapitre Al Baqara/La Vache.]
Nous ne pouvons percer le secret de Dieu en ce domaine. Était-ce une tentative divine pour gagner les juifs à l’islam ? Était-ce pour que les juifs ne nuisent pas aux premiers musulmans de Médine ? (Fin de l’exposé des musulmans pieux sur la question.)
Le changement de Qibla est donc la traduction rituelle de la rupture avec les juifs et de la victoire de Badr, qui redonne confiance aux musulmans. La prière dans la direction de Jérusalem, de concert avec les juifs, ne s’était effectuée qu’en vue d’un rapprochement avec ceux-ci. La rupture étant consommée, les musulmans peuvent se singulariser et procéder à une modification radicale : se tourner dans la direction opposée, la Kaaba de La Mecque. Le plus embarrassant fut alors de présenter le temple païen de La Mecque comme le centre et l’origine du monothéisme, car c’était à l’époque un temple païen comme un autre, continuant d’être honoré comme tel par les populations arabes. Des légendes et traditions nouvelles surgirent alors dans la communauté musulmane et notamment le verset 96 du chapitre trois du Coran.
« La première Maison de Dieu établie pour les hommes fut celle de Bakka (= ? Makka), elle est bénie et sert de direction aux hommes » 1).
Selon les exégètes musulmans, ce verset serait descendu lors d’un débat entre les musulmans et les juifs, mais le débat en question a sans doute eu lieu entre musulmans.
Mahomet prit aussi l’habitude de se revendiquer désormais directement de la filiation abrahamique et d’attribuer systématiquement à Abraham la construction de la Kaaba (ce qui est bien sûr totalement inexact). Il est néanmoins difficile de dire si Mahomet fut le premier Arabe à se référer à cet exemple ou s’il s’agissait d’une légende déjà connue, et que Mahomet n’aurait fait alors que reprendre à son compte. Ce qui semble certain en tout cas c’est que cette idée est absente des versets mecquois du Coran sur le sujet.
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La légende dite du « voyage nocturne » (isra) fournira une autre explication au premier choix, celui de Jérusalem, mais sans dire cependant pourquoi il a un jour cessé d’être bon. Une partie de cette histoire se passe sur l’Esplanade du Temple. Or le Dôme du Rocher, bâti en 691 sur cette Esplanade, n’en fait pas état : cette histoire expliquant le choix en question est donc apparue après 691.
N.B. De toute façon, ce changement ne fut généralisé que bien plus tard, plusieurs éléments précis en font foi. Le premier est une lettre de Jacques d’Édesse montrant que le changement de qibla, en 660, n’était réalisé ni à Alexandrie ni en Babylonie, plus d’un quart de siècle après la mort de Mahomet. En voyage, à cette date, il écrit en effet (cf. Patricia Crone et Michael Cook).
« Ce n’est pas vers le sud que prient les juifs ; ni les Mahgrayé. Les juifs qui vivent en Égypte, de même que les Mahgrayés là-bas, comme je le vis de mes propres yeux et vais vous l’exposer maintenant, prient vers l’est ; et ces deux peuples continuent à faire ainsi : les juifs vers Jérusalem et les Mahgrayés vers la Kaaba. Les juifs qui sont au sud de Jérusalem prient vers le nord ; et ceux qui sont en Babylonie prient vers l’ouest. Et de même, les Mahgrayés qui sont là prient vers l’ouest, vers la Kaaba ; ceux qui sont au sud de la Kaaba prient vers le nord, en direction de ce lieu ».
Jacques d’Édesse se trompe en parlant de la Kaaba (qui n’est peut-être dans sa lettre qu’un nom commun), mais sa phrase indique bien l’essentiel, que les Mahgrayés – que l’on n’appelait pas encore musulmans en 660 –, en Égypte et en Babylonie, prient dans la même direction que les juifs, qui, eux, prient vers Jérusalem.
Le vendredi et non plus le jour de shabbat (samedi) fut retenu pour être le jour de la grande prière hebdomadaire solennelle, les fidèles y furent appelés par la voix du célèbre Bilal (le premier muezzin) ; et non plus par les shofars (trompettes) juifs ou les crécelles chrétiennes. De nouvelles révélations divines conduisirent aussi à remodeler le calendrier. Elles précisaient en particulier que le jeûne musulman devait se pratiquer pendant le mois de ramadan, celui durant lequel se déroula la bataille du puits de Badr. Le jeûne du ramadan remplacera donc celui de l’Achoura ou plus exactement jeûner le jour d’Achoura restera recommandé, mais non obligatoire, et à condition de jeûner deux jours – la veille et le jour d’Achoura proprement dit – afin de ne pas faire comme dans le judaïsme.
L’Achoura est donc devenue une sorte de 31 décembre ou de 1er janvier musulman. Ce que commémore cette fête est variable, selon les hadiths qui furent inventés pour expliquer ou justifier ce jeûne : l’accostage de l’Arche de Noé, Abraham épargné par le feu du bûcher, Adam quittant le paradis céleste…
Certains des hadiths inventés pour les besoins de la cause insistèrent aussi sur l’origine arabe et non juive de cette pratique.
Mouwatta de l’imam Malik. Chapitre 18, hadith numéro 33.
Le jour Achoura était un jour où les Couraïchites avaient l’habitude de jeûner du temps de la Djahiliya, et le messager de Dieu […] avait aussi coutume de le faire à cette époque. Ensuite, le messager de Dieu […] est venu à Médine, et il a ordonné que ce jour soit aussi jeûné. Ensuite il y eut l’institution du Ramadan, etc.…
Sahih Muslim, tome 3, livre 6, hadith numéro 2499.
Aïcha rapporte que les Couraïchites jeûnaient le jour d’Achoura durant l’époque d’avant l’islam et que l’envoyé de Dieu faisait de même. Quand il a émigré à Médine, il a observé, lui aussi, ce jeûne, et il a ordonné aux autres de le suivre également. Quand le jeûne est devenu obligatoire au moment du ramadan, il a dit : « celui qui désire observer le jeûne de l’Achoura peut le faire, mais celui qui veut l’abandonner peut le faire également ».
Sahih Muslim, tome 3, livre 6, hadith numéro 2509.
D’après Abdoullah ibn Omar le jour de l’Achoura fut un jour mentionné devant le messager de Dieu, et il dit : « c’était un jour durant lequel les gens d’avant l’islam jeûnaient, mais de telle façon que celui qui voulait observer le jeûne le faisait, et que celui qui ne voulait pas ne le faisait pas » [il était donc facultatif !].
L’Aïd al-adha.
La communauté nouvelle avait besoin d’une fête, à l’image des juifs, qui en possédaient plusieurs, grandes et vénérables. Le tristement célèbre épisode du sacrifice d’Isaac par Abraham en fournira un prétexte idéal. La fête du sacrifice faisait à l’origine partie des rites de pèlerinage du hadj (d’où le nom du mois de Zoul Hidjah). Mahomet le sortira de ce contexte trop mecquois à son goût, mais le rite demeurera néanmoins inchangé, pour ce qui est de la façon de l’accomplir. Il n’y a aucune différence entre le rituel précédent et celui que reprend la communauté réunie par Mahomet à cet égard. Comme dans tout système religieux, notamment les plus archaïques, le sacrifice reste en effet l’acte fondamental et fondateur. Il constitue le lien entre les hommes et le surnaturel, et regroupe les individus dans la consommation des viandes.
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N.B. Le judaïsme, qui reste la référence en ce domaine, propose plusieurs types de sacrifices, mais tend peu à peu à les rejeter comme point secondaire de sa doctrine. Le christianisme, pour sa part, préfère l’exclure complètement, et le remplacer par des substituts symboliques.
1) Psaume 84, 7 : « En traversant la vallée de la Bakka, ils en ont fait un pays de sources, qu’en outre, une pluie précoce couvre de bénédictions ». Mais sur ce qu’il faut penser des tas de pierres comme la Kaaba voir les propos de saint Étienne sur le Temple de Jérusalem, Actes des apôtres 7, 48-50.
L’EXPULSION DES BANOU QAINOUQA (AVRIL 624).
Ce premier groupe de juifs est le plus faible des trois, et le plus proche de Yathrib/Médine : de simples artisans, mais qui ont le tort d’être riches, de contrôler le commerce, et de fabriquer des armes. Les Banou Qaïnouqa étaient surtout réputés pour être une tribu d’orfèvres. Ce sont eux qui tenaient le principal marché de la ville de Yathrib/Médine, qui était d’ailleurs connu sous le nom de « Marché des Banou Qaïnouqa ». Ils avaient quelques forteresses au nord de l’agglomération.
Mahomet apprit alors, selon Tabari, que dans une des tribus juives de Médine, les Qainouqa, on se moquait des Couraïchites vaincus ; que les Qainouqa accusaient d’avoir été de bien piètres guerriers pour s’être ainsi laissés battre par une armée musulmane pourtant très mal préparée. Le tout accompagné de vantardises aussi stupides qu’imprudentes du genre : « Nous autres, les Qainouqa, on sait se battre, si les Mecquois nous avaient un tant soit peu écoutés, ils auraient gagné, etc. ».
Les Banou Qaïnouqa étaient fiers de leur bravoure et de leur valeur. Étant forgerons ou orfèvres de profession, même leurs enfants étaient armés. Ils pouvaient mobiliser immédiatement plus de 700 combattants. Ils jouissaient également de bonnes relations avec les Khazradj et avec Abdallah Ibn Oubaye ibn Saloul, le prince de Yathrib/Médine. Ces rodomontades de leur part ne constituaient pas une agression en soi, et ne rompaient pas le contrat de défense mutuelle passé avec les musulmans quelques mois plus tôt ; mais une nouvelle vision divine tomba du Ciel pour inciter Mahomet à prendre les devants : « Si tu appréhendes quelque trahison de la part d’un peuple, rejette son alliance ; Dieu n’aime pas les traîtres » (Coran, 8, 58). Mahomet qui, jusqu’alors, avait quand même été disposé à composer avec eux répudiera donc violemment ces juifs par le chapitre de la Vache (chapitre 2, verset 40 : ô fils d’Israël, souvenez-vous des bienfaits dont je vous ai comblés, soyez fidèles à mon alliance, et je serai fidèle à votre alliance craignez-moi, etc., etc.).
Les Banou Qaïnouqa vivaient dans un quartier particulier de Médine. Comme ils pratiquaient les métiers d’orfèvres, de forgerons ou d’artisans, ainsi que nous l’avons dit, les habitants de la ville avaient souvent l’occasion de se rendre dans leurs échoppes. Or, quelque temps après, une musulmane se rendit chez un joaillier Qaïnouqa. Il voulut la dévoiler (pour lui faire essayer les bijoux ?), mais elle refusa.
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Ci-après la version musulmane pieuse de l’incident.
Le joaillier retroussa ensuite à son insu l’extrémité de sa robe sur son dos tandis qu’elle était assise, et en fit un nœud. Lorsqu’elle se leva, du coup, elle découvrit ses fesses et poussa un grand cri. Un musulman (son mari ?) se jeta sur le bijoutier et le tua, mais fut abattu à son tour par le personnel de la boutique.
Mahomet se rendit sur place en personne, rassembla les Banou Qainouqa et leur demanda des explications (paroles rapportées sous toutes réserves). « Ô peuple des juifs, redoute que Dieu (Gloire à Lui le Très-Haut) ne se venge de toi comme il s’est vengé des Couraïchites, puisque tu sais maintenant, depuis ma victoire à Badr, que je suis vraiment l’Envoyé de Dieu. Mon avènement est même annoncé dans ton livre ». Mais leur réponse fut quelque chose du genre : « Ô Mahomet, tu crois peut-être que nous sommes comme les Couraïchites, qui ne savaient pas se défendre. Viens te frotter à nous, et tu verras comment de vrais hommes se battent ».
Encore une fois, répétons-le, ces bien imprudentes paroles sont rapportées sous toutes réserves. Ce qui est certain, c’est que toutes ces vantardises coûtèrent finalement très cher aux malheureux Banou Qaïnouqa.
Grâce à toute une série de négociations, plus ou moins secrètes, appuyées sur sa stratégie de la terreur, Mahomet réussira donc à priver les Banou Qaïnouqa de leurs soutiens locaux, et même à les couper des autres clans juifs. Certains des Médinois qui avaient contracté alliance avec eux, déclarèrent qu’ils ne se considéraient plus désormais comme leurs amis. Contraints de se réfugier dans leur forteresse au nord de l’agglomération, non secourus par les autres juifs, les Qaïnouqa durent par conséquent se rendre au bout de quinze jours et payèrent donc au prix fort leurs vantardises.
Certains chroniqueurs disent que Mahomet, lui, aurait préféré tous les tuer, mais que le roi de Médine, Abdallah ibn Oubaye ibn Saloul (encore lui) leur allié, converti sans conviction à l’islam (ou encore païen tout simplement) s’y serait opposé ; et aurait menacé Mahomet de représailles s’il les attaquait. Tabari a donc peut-être voulu escamoter cet épisode en inventant « un fait d’armes » imaginaire. Les Banou Qaïnouqa se réfugièrent plus au nord dans l’Oued al-Qoura ainsi que dans la ville d’Adhrat (en Syrie), mais beaucoup d’entre eux ne purent y survivre et y moururent. Le partage du butin suscitera quelques versets coraniques adaptés aux circonstances comme d’habitude. Mahomet s’empare de trois sabres, trois lances, trois arcs, trois cottes de mailles, pour son usage personnel. Les autres tribus juives, les Banou Qouraïza et les Banou Nadir, ne bougèrent pas, et ne furent donc pas inquiétées.
LA BATAILLE D’OHOUD (23 mars ? ? ? 625).
POINT DE VUE DES MUSULMANS PIEUX.
Coran chapitre 3, verset 166. « Ce qui vous est arrivé le jour de la rencontre des deux armées a eu lieu par la volonté de Dieu, afin qu’il reconnût les fidèles et les hypocrites ».
En 625, les musulmans affrontèrent à nouveau les Mecquois, venus en masse, accompagnés de leurs femmes, au nord de Médine, sur les flancs de la montagne d’Ohoud.
Cette bataille tire son nom du lieu où elle s’est déroulée. Située à six kilomètres au nord de Médine, d’une altitude de 121 mètres, cette hauteur se compose de pierres de granit rouge. La vallée de Kanat sépare ce mont de la petite colline qui sera connue après la bataille sous le nom de « colline des archers ».
Les Mecquois étaient bien décidés à se venger de la défaite qu’ils avaient subie à Badr, et porter le deuil fut même interdit par leur nouveau chef Abou Soufiane tant que les morts n’auraient pas tous été vengés.
Abou Soufiane dirigeait la caravane qui avait été attaquée quelques mois plus tôt par les musulmans au puits de Badr, et il avait promis aux Couraïchites de laver cet affront. Comme Mahomet menaçait la route de leurs caravanes vers le nord, les commerçants de la ville acceptèrent d’engager les dépenses nécessaires, et lancèrent leur contre-attaque au printemps de l’année suivante (en mars 625).
Abou Soufiane enrôla sous sa bannière les tribus de Kinana et de Sakif, en leur promettant armes et provisions nécessaires. Un grand nombre d’esclaves se joignirent également à l’expédition, dans l’espoir d’acquérir leur liberté, notamment Ouachi, un esclave éthiopien. Il maniait la lance à la perfection et on lui avait promis qu’il serait affranchi s’il arrivait à tuer Mahomet, Ali ou Hamza.
Abou Soufiane rassemble donc une armée composée de 3000 hommes, dont 700 dotés de cuirasses, et 200 cavaliers, répartis en deux corps, l’aile droite commandée par Khaled ibn al-Oualid, l’aile gauche par Ikrimah, le fils d’Amr ibn Hicham (mort à Badr). Cette armée se mit en marche et campa au pied des collines d’Ouhoud en avril 625.
Mahomet avait été informé des intentions des Couraïchites par son oncle Abbas.
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La ville de Yathrib/Médine et le conseil de guerre qui s’ensuivit furent aussitôt divisés en deux camps : les partisans d’un choc frontal à l’extérieur et ceux qui préféraient se retrancher dans la cité pour y livrer un combat défensif. Les Médinois de souche, menés par Abdoullah ibn Oubaye, penchaient plutôt en faveur de la deuxième option, la défensive dans les rues de Yathrib/Médine (comme lors de la bataille de la tranchée deux ans plus tard finalement) et les jeunes musulmans, eux, plutôt en faveur de la première : l’offensive.
Mahomet, lui, était partagé. De partisan de la défensive qu’il était au début, il devint, lui aussi, un ardent soutien du camp de ceux qui voulaient marcher à la rencontre des Mecquois, afin de les affronter sur un terrain judicieusement choisi. Un très bon plan et qui aurait pu réussir si… car il y a toujours des si, dans la vie.
À moins que l’insistance sur la prudence initiale de Mahomet ainsi que sur son comportement démocratique ne soit due qu’à la volonté de l’exonérer de toute responsabilité dans le désastre qui s’ensuivit.
Quoi qu’il en soit, ce qui est certain, c’est que Mahomet décida finalement d’affronter les Mecquois en dehors de Médine. Certains musulmans l’engagèrent à demander de l’aide aux juifs, conformément à la convention signée avec eux lors de l’arrivée à Yathrib/Médine. Mahomet leur aurait répondu : « Nous ne devons pas nous faire aider par des idolâtres contre d’autres idolâtres ».
Mahomet prit donc sa cuirasse, son sabre et son casque, et se prépara en personne au combat. Les musulmans ayant entre-temps changé d’avis, Mahomet répondit à son oncle Hamza venu le lui annoncer : « Quand un prophète a revêtu sa cuirasse de guerre, il ne convient pas qu’il la dépose avant d’avoir combattu ».
L’armée de Mahomet, forte de son millier d’hommes, s’arrêta ensuite à Chaïkhan, à mi-chemin du mont Ouhoud. Le soleil avait entamé sa descente vers l’horizon. Mahomet descendit de son cheval et mit pied à terre. Un turban de couleur claire entourait son casque. Il portait un pectoral sous lequel se trouvait une cotte de mailles attachée par la sangle de cuir d’un glaive. Un bouclier protégeait son dos et à son flanc pendait une épée. Lorsque le soleil fut couché, Bilal appela aussitôt à la prière. Mahomet passa une dernière fois ses troupes en revue. C’est alors qu’il remarqua la présence au milieu des hommes de huit jeunes garçons qui, malgré leur âge, aspiraient visiblement à prendre part au combat. Il y avait parmi eux Oussouri ibn Saïd et Abdoullah ibn Omar, âgés de treize ans. Les deux garçons montrèrent qu’ils étaient des combattants accomplis et furent autorisés à rester, alors que les autres étaient renvoyés dans leurs foyers.
Abdoullah Ibn Oubaye, qui était de l’avis premier de Mahomet (rester en défensive à Médine comme pour la bataille de la Tranchée deux ans plus tard) refusa de poursuivre plus avant et retourna se retrancher dans Médine avec ses 300 hommes ; arguant du fait que Mahomet avait écouté les plus jeunes, plutôt que d’écouter la voix de la sagesse. Il ne resta donc dans le camp musulman que 700 hommes, dont 100 équipés d’une cuirasse, 50 archers, 2 cavaliers.
Arrivé à Ohoud, Mahomet disposa son armée en quatre bataillons :
— L’avant-garde commandée par Abou-Obeïda ibn al-Djarrah.
— L’aile droite commandée par Okachah ibn Mohssine
— L’aile gauche commandée par Abou-Salama ibn Abdoulassad
Tournant le dos au mont Ohoud, pour protéger ses arrières « médinois », Mahomet détacha un corps de cinquante archers placés sous le commandement d’Abdallah ibn Djobaïr. En position sur la colline d’Aïnaïn en face d’Ohoud, d’où ils pouvaient arrêter les éventuelles contre-attaques de la cavalerie couraïchite. Les ordres qu’il leur donna étaient les suivants : « Gardez vos positions et couvrez-nous. Si vous nous voyez triompher, ne venez pas, et si vous nous voyez taillés en pièces, ne venez pas nous prêter main forte ».
Une stratégie mûrement réfléchie !
Mahomet encouragea le reste de ses troupes en leur criant des propos du genre : souvenez-vous que Dieu est avec ceux qui obéissent, et que Satan est le compagnon de ceux qui désobéissent. Restez fermes dans ce djihad et profitez des bénédictions promises par Dieu aux martyrs tombés au champ d’honneur. Nul ne mourra tant que Dieu ne l’aura pas décidé…
Abou Soufiane de son côté, ainsi que nous l’avons vu, avait divisé son armée en 3, les fantassins étant placés au centre, et il fit avancer ses hommes en ordre de bataille, avec Khaled à l’aile droite, Ikrimah sur l’aile gauche.
Le premier à engager les hostilités fut un Mecquois appelé Talha ibn Abi Talha, un grand guerrier de l’armée d’Abou Soufiane, porte-étendard des Couraïchites. Il s’avança sur le champ de bataille et mit les musulmans de la première ligne en demeure de l’affronter en combat singulier. Le défi fut relevé par Ali qui en vint à bout très rapidement. L’étendard mecquois fut ensuite repris par deux des frères de Talha, mais ils furent abattus par les archers musulmans. Neuf Mecquois relevèrent l’étendard couraïchite, l’un après l’autre, mais tous succombèrent sous les flèches. Un Éthiopien du nom de
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Saouaab s’avança ensuite sur le champ de bataille. Il avait un visage qui faisait peur. En le voyant, aucun musulman n’osa plus avancer, mais il fut abattu par Ali.
Agacé par ces préliminaires, Abou Soufiane ordonna une attaque générale. Les deux armées coururent l’une vers l’autre. Durant ce temps-là, Khaled et ses cavaliers tentaient de trouver une faille dans la défense musulmane, essayant à trois reprises de les attaquer sur leurs arrières ; mais à chaque fois les archers les repoussèrent de leurs flèches, et la mêlée tourna donc à l’avantage des musulmans.
L’esclave éthiopien nommé Ouachi arriva ensuite à se glisser derrière Hamza et l’abattit d’un coup de lance à l’abdomen. L’hagiographie musulmane ajoute qu’Hind, la femme d’Abou Soufiane, en profita pour lui arracher le foie et le mangea, mais est-ce bien vraisemblable ?) L’étendard fut confié à Mossab ben Omaïr, les musulmans continuèrent leur assaut, et Abou Soufiane ordonna donc à ses hommes de reculer.
Les combattants musulmans déposèrent alors leurs armes et se mirent à courir sur le butin.
Pensant que la bataille était finie, la majorité des archers bloquant le passage vers les collines quitta aussitôt son poste, elle aussi, afin de courir sus au butin. Seuls quelques musulmans demeurèrent sur leurs positions, exhortant les autres à garder leurs places.
De là où il était, le commandant de la cavalerie mecquoise, Khaled ben Oualid, remarqua la chose. Il contourna le mont Ohoud avec ses cavaliers, prit à revers les archers restés sur la colline, les réduisit, puis à son tour lança une violente contre-attaque sur l’aile gauche de l’armée musulmane. Les fidèles de Mahomet furent pris « entre deux feux » à savoir la cavalerie dans leur dos et l’armée couraïchite en face. Ils furent tellement surpris qu’ils ne surent plus que faire. Un certain flottement s’installa dans leurs rangs.
Abou Soufiane s’en aperçut. L’étendard des Couraïchites, qui était à terre depuis un moment, fut alors relevé par une sorte de Jeanne d’Arc arabe, et les Mecquois en profitèrent pour se regrouper, puis repartir à l’attaque.
La confusion la plus totale s’installa donc dans les rangs musulmans et ils perdirent le contact avec leurs chefs. Le porte-étendard musulman, Mossab ben Omaïr, fut tué. Comme il ressemblait beaucoup à Mahomet, les Mecquois se mirent à crier qu’il était mort, et la rumeur que Mahomet lui-même avait été tué se répandit. Quelques-uns furent abattus par les leurs. Croyant Mahomet mort, eux aussi, beaucoup perdirent tout courage. Une partie se tint à l’écart en attendant les ordres, une autre prit la fuite. Certains comme Abou Bakr et Omar ben Khattab, jetèrent même leur épée. Osman, lui, s’enfuit si loin, qu’il ne put rentrer à Médine qu’au bout de trois jours.
Mahomet s’étant fait reconnaître des siens les combats reprirent avec acharnement. Un coup d’épée le blessa et lui brisa les dents du haut. Il roula dans un fossé très mal en point et n’échappa aux archers mecquois que grâce à l’intervention d’Ali, d’une certaine Oumm Ammarah, et de quelques autres anonymes. La rumeur de sa mort se répandit une deuxième fois, dans un camp comme dans l’autre, et les combats baissèrent d’intensité. Croyant Mahomet réellement mort cette fois-ci, Abou Soufiane se retira sans tenter de prendre d’assaut Médine. D’après Montgomery Watt, les Mecquois auraient, eux aussi, subi des pertes assez importantes, et c’est pourquoi ils auraient préféré renoncer à prendre la ville, mais ils rentrèrent néanmoins en vainqueurs à La Mecque. Ils avaient vengé Badr, ce qui était leur objectif.
Quant aux musulmans par contre, ce fut pour eux la débâcle la plus complète, et ils pleurèrent les leurs : Mossab ben Omaïr et bien d’autres. Il y eut en effet 75 morts du côté musulman et 70 blessés. 22 morts du côté mecquois, dont 12 tués par Ali en personne. Mahomet eut même à déplorer la perte de son oncle Hamza (mutilé par les Mecquois ?) Il donna l’ordre de les enterrer sans nettoyer leurs blessures, ni embaumer leurs corps, ni faire la prière funèbre, deux par deux dans des linceuls, les meilleurs connaisseurs du Coran les premiers. La fille du prophète, Fatima, et plusieurs de ses compagnes, durent soigner les blessés.
Note de la rédaction. Ces chiffres, relativement faibles, ne contribuent pas vraiment à faire d’Ohoud le carnage de Mecquois, ou de musulmans, décrit par la légende islamique.
Certains passages du chapitre 3 du Coran (versets 152 à 158) semblent faire allusion à cette bataille (autocritique ? ? Excuses ? ? ?).
D’où la révélation des versets 165 à 174, sans doute aussi intercalés a posteriori : les malheurs des fidèles sont rendus possibles par Dieu pour éprouver leur constance ou comme punition pour leurs désobéissances. Argutie classique des croyants du judaïsme et du christianisme.
L’hagiographie musulmane fait aussi état plus prosaïquement, juste après, de diverses actions de guérilla de la part des musulmans, lancées contre l’arrière-garde de l’armée mecquoise victorieuse rentrant dans ses foyers.
Première version. Après avoir fêté leur victoire, les Mecquois voulurent prendre la ville, mais Mahomet quitta de nouveau Yathrib/Médine malgré ses blessures, fit halte à une vingtaine de kilomètres et fit
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allumer de grands feux de camp ; afin de faire croire aux Mecquois qu’ils étaient très nombreux. Un Couraïchite se rendit à Ohoud où festoyait l’armée mecquoise et leur dit en substance (en substance, car encore une fois on peut avoir un doute raisonnable sur l’exactitude des propos) ; « Mahomet a pris la tête d’une armée dont l’effectif dépasse tout ce que j’ai connu jusqu’à présent, ils sont mus par une haine terrible…, etc., etc. ».
Deuxième version. Le jour même le noble prophète appela les fervents serviteurs de l’islam à l’accompagner dans la poursuite des païens, afin de les dissuader d’attaquer la ville une nouvelle fois. Les calculs du noble prophète (paix et bénédiction de Dieu sur lui) étaient absolument justes. Il savait bien que les Couraïchites allaient rapidement regretter d’être partis aussi vite, sans tirer profit de leur victoire, et qu’ils allaient vouloir revenir sur leurs pas.
Aussi décida-t-il de partir à leur poursuite et, immédiatement, six cent trente musulmans proposèrent de l’accompagner. Quand ils atteignirent Hamra Al-Assad, sur la route de La Mecque, ils campèrent en ces lieux pendant trois jours, le temps que le noble prophète (paix et bénédiction de Dieu sur lui) ait des renseignements. Il apprit d’un non-musulman sympathisant qu’Abou Soufiane était resté à Rawha, à 80 km de Yathrib/Médine, avec une armée forte de 2 978 hommes, qu’ils regrettaient leur erreur, et projetaient effectivement de retourner attaquer la ville. Toutefois, quand ils entendirent que le noble prophète (paix et bénédiction de Dieu sur lui) s’était lancé à leur poursuite avec toute une armée, ils y renoncèrent.
À chacun de se faire une opinion ! Une guérilla ou une démonstration de force sur l’arrière-garde mecquoise est évidemment toujours possible.
Conséquences sociales à Yathrib/Médine.
Le nombre important des victimes de guerre oblige à improviser une législation spéciale (de la charia donc) sur les héritages et les orphelins. Les musulmans ont commencé à amasser du bien, dans les circonstances que l’on sait, et il faut donc régler leur transmission.
Mahomet, Coran 4, 2-11.
Donnez leurs biens aux orphelins !
Ne substituez pas ce qui est mauvais à ce qui est bon !
Ne mangez pas leurs biens en plus des vôtres !
Le faire est un grand péché.
Mahomet, Coran 4, 7-18.
Remettez aux hommes une part de ce que leurs parents et leurs proches ont laissé, et aux femmes une part de ce que leurs parents et leurs proches ont laissé, que cela représente peu ou beaucoup.
Le combat livré à Ohoud, a entraîné de nombreuses pertes humaines, et le chef lui-même a été bousculé ou blessé : occasion d’exalter la beauté du martyre au combat, dans une surenchère rhétorique sans égale ; mais l’importance de la bataille tient aussi à ce que c’est une défaite, qu’il est indispensable d’expliquer théologiquement, au-delà du thème classique de la défaillance humaine. Si la victoire de Badr était un signe de Dieu, la défaite d’Ohoud devait l’être aussi. Mahomet dut donc trouver une explication au fait que Dieu permettait que de tels malheurs tombent sur ses fidèles. La tribu juive des Banou Nadir fut par conséquent accusée d’avoir provoqué cette défaite en refusant de prendre part aux combats.
Le découragement s’installa dans l’oumma. De retour, à Médine, Abdallah ibn Oubaye in Saloul et les siens (les mounafiqoun) ne s’étaient pas privés de répéter aux musulmans : « Vous auriez dû rester avec nous, si vous nous aviez écoutés, alors vous n’auriez pas perdu tous ces hommes ; vous n’auriez pas dû aller au-devant de l’ennemi, mais au contraire les attendre à Yathrib/Médine… Etc. Etc. ».
ANNÉE 625 TOUJOURS, À MÉDINE.
Ibn Ichaq, vie de Mahomet, traduction Alfred Guillaume, page 426, intitulée « le jour d’Al-Raji ».
Le blocus économique de la ville, organisé à l’initiative des Mecquois, menaça même un temps la survie des habitants, et il y eut aussi des projets d’attaque de la part de la tribu des Banou Assad du Nedjd (centre de l’Arabie). Mais Mahomet en fut informé par des espions, et il envoya un bataillon de 150 hommes, sous le commandement d’Abou Salamah, pour les en dissuader. Pris au dépourvu, les Banou Assad durent s’enfuir, en laissant tous leurs biens sur place.
Une délégation des tribus d’Adal et d’Al Qara, ennemies jurées des Couraïchites de La Mecque, se présenta néanmoins chez Mahomet afin de prendre contact avec lui. Mahomet leur envoya quelques-uns des siens pour négocier avec eux. Il s’agissait de Marthad ibn Abou Marthab, Khaled ibn Al Bouqayr, Qoubaïb ibn Adiy, Zeïd ibn Al Dathinna et Abdoullah ibn Tariq. La délégation était conduite par un dénommé Assem Ibn Thabet, mais à Radji (entre Rabigh et Djeddah, à mi-chemin entre Asfan et La Mecque) ils furent repérés par la tribu des Banou Lihyane. Un certain Houdhaïl leur promit la vie sauve s’ils se rendaient.
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Assem lui répondit quelque chose comme : « Je ne me fierai jamais à la parole d’un mécréant, ô Dieu, fais savoir à ton Prophète ce qui nous est arrivé » ; (en bref, le mot de Cambronne dirait-on en France, ou : « La garde meurt, mais ne se rend pas ! ») ; et le combat s’engagea. Il y avait cent archers du côté des Banou Lehane (un chiffre peut être légèrement exagéré), quatre des émissaires de Mahomet furent donc tués. Qoubaïb et Zeïd furent par contre ramenés vivants à La Mecque.
Il existe deux versions de leur fin.
Dans la première, ils sont vendus comme esclaves (c’est la plus vraisemblable).
Dans la deuxième, ils finissent en martyrs, torturés avant d’être exécutés. Cette deuxième version ajoute même qu’avant de mourir, Khoubaïb aurait demandé à prier, ce qui lui aurait été accordé.
Ibidem page 433 : Bi’r Ma’ouna.
Mahomet envoya également plusieurs dizaines d’hommes chez les Banou Amr du Nedjd (centre de la péninsule) pour les gagner à sa cause. Un autre ambassadeur nommé Abou Bara Amir ibn Malik vint alors à Yathrib/Médine pour voir si sa tribu, qui habitait aussi le Nedjd, avait ou non intérêt à se rallier à lui. Mahomet lui proposa de se convertir à l’islam, mais Amir ibn Malik déclina l’offre, tout en ne s’y montrant pas hostile. Il répondit au contraire : « Envoie quelques-uns de tes hommes dans ma tribu, et je demanderai à ses membres de leur répondre favorablement ». Mahomet par contre ayant exprimé quelques craintes à propos de leur sécurité, Amir lui rétorqua : « Je les protégerai ». Par précaution néanmoins, Mahomet décida d’envoyer 70 de ses meilleurs guerriers. [NDLR Du coup cela commença de ressembler plus à une petite expédition militaire qu’à une ambassade, ou qu’à un envoi de missionnaires]. La petite troupe campa près du puits de Ma’ouna et envoya un des siens rencontrer le chef du clan local, un dénommé Al Toufaïl, qui refusa de le recevoir, et le fit au contraire exécuter. Al Toufaïl ne s’en tint pas là et décida même d’attaquer le reste de la délégation, en demandant de l’aide aux Banou Amir. Ces derniers refusèrent en lui rétorquant : « Nous ne voulons pas embarrasser Abou Bara ». Al Toufaïl se tourna donc vers d’autres tribus, les gens d’Oussaya, Ril et Dhakouane, des tribus Banou Soulaïm, qui acceptèrent de lui prêter main-forte, et les musulmans furent pris au piège autour du puits (Bi’r) de Ma’ouna. Toute la délégation, excepté Amr ibn Omeyya Al Damri, fut par conséquent exterminée. Sur le chemin du retour à Yathrib/Médine, ce dernier rencontra deux hommes de la tribu des Banou Amr, qu’il prit pour des ennemis, et les tua. Or il s’agissait aussi d’émissaires envoyés en mission par Mahomet [Commentaire en forme de question : comment une telle erreur a-t-elle pu être possible ? ?] car les Banou Amr venaient juste de se rallier à la cause musulmane. Les musulmans furent donc dans l’obligation d’indemniser les familles des victimes. Les tribus de Ril, de Dhakouane, de Lihyane, et d’Oussaya, qui n’avaient pas voulu se rallier à l’islam, furent par contre maudites par Mahomet ; ensuite, puisque les Banou Nadir étaient, eux aussi, en principe des alliés des Banou Amr, Mahomet s’en alla les trouver avec quelques-uns de ses compagnons afin de leur demander de participer à l’indemnisation des familles.
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LA DÉPORTATION DES BANOU NADIR (AOÛT 625).
La tribu juive des Banou Nadir était plus puissante que la précédente. Nos sources suggèrent la thèse d’un complot juif pour justifier l’attaque ; mais en réalité, après leur défaite d’Ouhoud, les troupes musulmanes étaient tout simplement à la recherche d’un succès facile, et Mahomet soucieux de se débarrasser d’un possible foyer de résistance, en faisant un exemple qui plus est.
Après avoir longuement prié pour le salut de leur âme dans la mosquée de Qba (sa demeure située dans les faubourgs de Yathrib/Médine comme nous avons déjà eu l’occasion de le voir) ; Mahomet alla donc un samedi chez les Banou Nadir et leur demanda une contribution financière à ce sujet (les indemnisations dues aux familles des morts de Ohoud), conformément au pacte signé quelques mois plus tôt. On imagine l’embarras de ces derniers. Il est vrai qu’on se demande bien pourquoi les juifs auraient dû payer pour des morts dans lesquelles ils n’avaient rien, mais alors rien, à voir. La discussion fut houleuse, et s’orienta rapidement vers une réponse négative. Il y eut même des gestes d’hostilité envers Mahomet qui attendait à l’extérieur leur réponse. Furieux de ce refus, Mahomet dut rentrer chez lui sans rien avoir obtenu. Le prince de Médine, Abdallah ibn Oubaye, conseilla aux Banou Nadir de se barricader chez eux et promit de leur venir en aide.
On a des allusions à ces événements dans le Coran (chapitre 59 versets 11 à 17) :
Ne vois-tu pas les hypocrites, ils disent à leurs frères des gens du Livre qui ne croient pas : « Si vous êtes expulsés, nous partirons avec vous ! Nous n’obéirons à personne en ce qui vous concerne. Si l’on vous attaque, nous vous porterons secours ». Dieu m’est témoin qu’ils mentent. Si les Gens du Livre sont expulsés, les hypocrites ne partiront pas avec eux. Si on les attaque, ils ne leur porteront pas secours. Et de toute façon, même s’ils leur portaient secours, ils leur tourneraient ensuite le dos… Ils ne vous combattront que retranchés dans des cités bien fortifiées ou derrière des murailles. Leur vaillance n’est grande que quand ils sont entre eux. Vous les croyez unis, mais leurs cœurs sont divisés. Il en est ainsi parce que ces gens ne raisonnent pas, etc.
Mahomet rassembla une petite armée pour aller assiéger les Banou Nadir et leur lança l’ultimatum suivant : « Vous avez trahi ma confiance, je vous somme de quitter le territoire, vous avez dix jours pour le faire, ceux qui n’obtempéreront pas seront tués ». Durant ce nouveau siège, il ordonna d’abattre un certain nombre de dattiers appartenant aux Nadir. Les juifs, du haut de leurs remparts, s’indignèrent de ce qu’ils considéraient comme un crime, mais une révélation fit bientôt cesser
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l’abattage desdits arbres fruitiers : « Vous avez coupé quantité de leurs palmiers, ou vous en avez laissé un certain nombre debout. Ce fut avec la permission de Dieu, pour confondre les impies » (Coran, 59, versets 2 et suivants). Vu la situation, la démonstration de force et les menaces sur leurs palmiers, les juifs demandèrent donc à s’en aller. Mahomet accepta, mais à condition qu’ils déposent les armes et ne prennent avec eux que ce que pouvaient emporter leurs chameaux. Ce qui fut fait ! Les Banou Nadir chargèrent leurs montures du mieux qu’ils purent, et quittèrent l’oasis afin de s’installer entre Khaïbar et la Syrie. Le quartier de la ville qu’ils habitaient, leurs jardins, leurs forteresses, ainsi que d’autres propriétés leur appartenant, passèrent aux mains des musulmans, et les biens restants furent donnés aux immigrés Mecquois, ainsi qu’à deux pauvres des ansar (musulmans de Yathrib). Seuls deux d’entre eux restèrent à Médine et acceptèrent de se convertir. Mais une fois parvenus à Khaïbar, les Banou Nadir se retournèrent vers les Couraïchites de La Mecque et leurs alliés, la tribu de Gatafan, ainsi que quelques autres, pour leur demander de les aider à reconquérir leurs biens.
CE QUE HIRSCH GRAETZ EN DÉDUIT ???? (GESCHICHTE DER JUDEN 1853.)
Dans leur haine pour Mahomet, les Benou-Nadhir cherchèrent à le tuer par ruse. Un jour, ils l’invitèrent à venir les voir dans leur fort de Zouhara, avec l’intention de le précipiter du haut des remparts ; leur chef était alors Houyey ibn Akhtab. Mahomet accepta leur invitation, mais il devina à temps les mauvais desseins de ses hôtes et s’enfuit à Médine. Il ne tarda pas à se venger cruellement des Benou-Nadhir. Placés dans l’alternative de se convertir à l’islamisme ou d’émigrer en masse, ils se décidèrent, sur l’instigation d’Abdallah ibn Oubey, qui leur promit de venir à leur aide, à accepter la lutte, et se retirèrent dans leurs châteaux. Les secours annoncés n’arrivant pas, ils durent capituler. Mahomet leur laissa la vie sauve, mais à condition de lui livrer leurs armes, de quitter leurs forts et de n’emporter de leurs biens que ce qu’ils pouvaient charger sur un chameau. Ils partirent au nombre de six cents et allèrent s’établir, les uns au milieu de leurs frères de Khaïbar, les autres près de Jéricho et à Adraat (juin-juillet 625).
Conclusion figurant dans la version française 1882 de la Geschichte et pas dans la version anglaise de 1919.
Plus tard, Mahomet justifia cette guerre dans la révélation suivante : « Tout ce qui est dans les cieux et sur la terre chante les louanges de Dieu ; il est le Puissant, le Sage. C’est lui qui a fait sortir de leurs demeures les infidèles parmi les gens de l’Écriture pour rejoindre ceux qui ont déjà émigré (les Kainukaa). Vous ne croyiez pas qu’ils partiraient, eux-mêmes pensaient que leurs forteresses les protégeraient contre Dieu. Mais Dieu les a attaqués du côté où ils ne s’y attendaient pas ; il a jeté la terreur dans leur cœur, et ils ont contribué autant que les croyants à la destruction de leurs maisons. »
CE QUE LES THÉOLOGIENS MUSULMANS DÉDUISENT DE CETTE DÉPORTATION.
Dieu a prévenu son messager du complot des juifs. C’est l’un des nombreux miracles dont Dieu l’a honoré avant et après la révélation sa vocation, et qui servent à raffermir notre croyance en la mission du prophète (pbsl). Le Seigneur n’a-t-il pas tenu sa promesse lorsqu’il a dit dans le Coran : « Dieu te protégera contre les hommes » (chapitre 5, verset 67).
Chapitre 59. Le thème de ce chapitre est le jugement à porter sur la bataille menée contre les Banou Nadir.
Cinq points principaux seront traités.
Les quatre premiers versets contiennent un avertissement et une exhortation à méditer attentivement le sort des Banou Nadir. Une tribu importante, aussi forte en nombre que les musulmans, dont les membres disposaient de plus de richesses et de biens, qui étaient bien équipés militairement et qui ont pu soutenir le siège mené par les musulmans pendant plusieurs jours. Certains biographes n’ont pas hésité à dire que le messager (pbsl), par intuition, avait deviné le complot. Le Coran dit que ceci est arrivé, non pas grâce à un mystérieux pouvoir possédé par les musulmans, mais parce que les juifs avaient voulu résister ou combattre Dieu et son Messager, paix et bénédiction de Dieu sur lui. Ceux qui osent résister au pouvoir de Dieu finissent toujours de la même façon.
Les savants permettent l’abattage des arbres fruitiers de l’ennemi et leur destruction si cela peut l’amener à se rendre. Les docteurs de la Loi en déduisent également que le butin que prennent les musulmans sur l’ennemi, sans qu’il y ait eu combat, doit être utilisé à ce que l’imam juge être dans l’intérêt des musulmans ; et ne doit pas être réparti entre les combattants comme le simple butin fait après la bataille. Dans les versets 6-10, il est affirmé que les terres et les biens qui tombent sous le contrôle des musulmans suite à une guerre, doivent être utilisés. Comme il s’agissait de la première occasion où les musulmans prenaient le contrôle d’un territoire étranger, la loi divine correspondante leur fut donc révélée. Le butin que prennent les musulmans sur leurs ennemis sans qu’il y ait combat ne doit pas être partagé entre les guerriers ou les soldats du djihad, mais affecté aux usages jugés les plus appropriés.
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L’attitude que les mounafiqoun ou non-musulmans ont adoptée, à l’occasion de cette bataille contre les Banou Nadir, est évoquée dans les versets 11-17, et les causes en sont soulignées.
La dernière partie de ce chapitre 59 (versets 18-24) constitue un avertissement pour tous ceux qui ont rejoint la communauté musulmane, mais qui ont dévié de la véritable foi. Il leur est montré ce qu’est la vraie croyance, quelle est la différence entre la piété ou la perversité, quelles sont la place et l’importance du Coran, et quels sont les attributs de Dieu.
La tribu juive des Banou Nadir continuait de violer le pacte de Médine ; à tel point que, durant le mois de rabi al awoual, de l’an 4 de l’Hégire, ils complotèrent même contre la vie du saint Prophète en personne (Paix et Bénédiction de Dieu sur lui). Ils avaient accepté en principe de contribuer à l’indemnisation des familles de leurs alliés tués par erreur par un musulman ; pourtant ils complotèrent pour que l’un d’entre eux monte sur le mur contre lequel le prophète s’appuyait, et fasse tomber sur lui une pierre pour le tuer. Mais avant qu’ils ne mettent leur plan à exécution, Dieu en avertit son prophète, paix et bénédiction de Dieu sur lui. Il se leva donc aussitôt et retourna ans sa demeure. Il n’était désormais plus question de faire des concessions aux Banou Nadir. Le prophète leur lança au contraire un ultimatum en leur annonçant que leur ruse était parvenue à sa connaissance, et qu’en conséquence, ils devaient quitter Médine dans les dix jours ; si l’un d’entre eux était trouvé dans leur quartier au-delà de ce délai, il pourrait être tué. Abdoullah Ibn Oubaye, le chef des hypocrites de Médine, les encouragea néanmoins à défier cet ordre et à refuser de partir. Il leur promit de les soutenir avec 2000 de ses hommes, et leur assura que les Banou Ghatafan du Nedjd les soutiendraient aussi. Convaincus par ces promesses, les Banou Nadir firent donc savoir qu’ils ne partiraient pas, et ce, quoi que fasse le noble prophète (paix et bénédiction de Dieu sur lui). C’est pourquoi il les assiégea quelques jours plus tard (6 jours selon certains récits, 15 selon d’autres) dès que le délai fixé fut arrivé à échéance. Mais comme aucun de leurs partisans n’eut le courage de venir en réalité à leur secours, ils finirent par se rendre à condition qu’on leur permette, par groupes de trois, de charger un chameau avec ce qu’ils pourraient emporter avec eux, et de partir (en laissant le reste de leurs biens). Les membres de cette tribu déloyale se dispersèrent à Khaïbar, dans l’Oued d’al Qoura et en Syrie.
LA DRÔLE DE GUERRE D’AL-KHANDAK (DES TRANCHÉES OU DU FOSSÉ) MARS 627.
LE POINT DE VUE MUSULMAN.
Ibn Ichaq Vie de Mahomet par A. Guillaume page 450.
Quelques juifs, parmi lesquels il y avait (…), avec un certain nombre de Banou al-Nadir et de Banou Oua’il (…) allèrent à La Mecque pour demander aux Couraïchites de se joindre à eux pour attaquer l’apôtre afin de pouvoir ainsi tous ensemble s’en débarrasser. Les Couraïchites leur répondirent : « Vous êtes les hommes du premier Livre sacré et vous connaissez la nature de votre désaccord avec Mahomet. Dites-nous quelle est la meilleure : notre religion ou la sienne ? » Ils répondirent : « Votre religion est certainement meilleure que la sienne, et vous êtes plus proches de la vérité que lui » (…)
Lorsque les juifs eurent dit ça aux Couraïchites ceux-ci s’en réjouirent grandement et se mirent avec zèle à répondre à leur demande, à savoir : faire la guerre à l’envoyé de Dieu. Ils se réunirent à cette fin et s’y préparèrent. Puis ces juifs-là partirent et vinrent à la tribu Ghatafane et les invitèrent à faire la guerre contre l’Envoyé, ils les informèrent qu’ils seraient avec eux, contre l’Envoyé de Dieu, et que les Couraïchites avaient accepté de lui faire la guerre, les Ghatafane se joignirent à eux (…)
Lorsque l’Envoyé de Dieu apprit ce qu’ils avaient l’intention de faire et de ce pour quoi ils se rassemblaient, il fit creuser un fossé autour de Médine (…)
Lorsque l’Apôtre eut terminé de faire creuser le fossé, les Couraïchites descendirent là où les lits du torrent de Rouma font leur jonction entre al-Jourouf et Zoughaba, avec dix mille de leurs mercenaires noirs, leurs alliés de la tribu des Banou Kinana et des hommes de Tihamah. Les Ghatafane vinrent également avec leurs alliés (…)
Lorsque la situation empira, l’apôtre envoya des émissaires prendre langue avec Ouyaïna b. Hisn b. Houdhaïfa b. Badr et à al Harith b. Aouf b. Abou Haritha al Mourri les chefs Ghatafanes pour leur proposer un tiers des dattes de Médine à condition qu’ils repartent avec leurs partisans et le laissent lui et ses hommes, mais (…) Sa'd prit le papier et il effaça ce qui était écrit dessus en disant : « Laissons-les faire de leur mieux contre nous ! » (…)
Ainsi que Dieu l’a dit, l’apôtre et ses compagnons s’étaient retrouvés dans la plus grande des craintes et des difficultés après que l’ennemi soit venu de toutes parts pour les attaquer. C’est alors que
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Nou'aïm b. Massoud b. Ghatafan alla trouver l’apôtre pour lui dire qu’il était devenu musulman dans le plus grand secret, et lui demander ce qu’il devait faire. L’apôtre lui répondit : « Tu ne serais qu’un homme de plus chez nous, mais repars chez les tiens et attises les méfiances chez l’ennemi afin qu’il se retire si tu le peux, car la guerre n’est que tromperie ».
Là-dessus Nou'aïm alla trouver les Banou Qurayza dont il avait été un bon ami du temps du paganisme et leur rappela son affection pour eux ainsi que leurs liens privilégiés (……) puis il leur dit : « Les Couraïchites et les Ghatafanes ne sont pas comme vous : cette terre est votre terre, c’est là que se trouvent vos biens, vos femmes et vos enfants, vous ne pouvez pas la quitter et aller ailleurs. Les Couraïchites et les Ghatafanes sont venus pour combattre Mahomet ainsi que ses compagnons et vous les avez aidés en cela, mais leur terre, leurs biens et leurs femmes ne sont pas ici, ce qui fait qu’ils ne sont pas dans la même situation que vous. Si les choses tournent mal, ils retourneront dans leur pays et vous laisseront seuls pour affronter cet homme dans votre propre pays, mais vous ne serez pas capable de le faire si vous êtes seuls. Donc, ne vous battez pas aux côtés de ces gens tant que vous n’aurez pas obtenu des otages de leurs chefs, des otages qui resteront entre vos mains comme gages qu’ils combattront Mahomet avec vous jusqu’à ce que vous en veniez à bout. Les Juifs lui répondirent que c’était là un excellent conseil.
Ensuite Nou’aïm alla trouver les Couraïchites et dit à Abou Soufiane b. Harb et aux siens : « Vous savez mon affection pour vous et que j’ai quitté Mahomet. J’ai entendu quelque chose que je crois devoir vous rapporter pour vous mettre en garde, mais ça doit rester entre nous. Les Juifs regrettent de s’être opposés à Mahomet et lui ont envoyé des émissaires pour le signifier en lui faisant la proposition suivante : « Veux-tu que nous nous emparions des chefs des tribus couraïchites et ghatafanes et que nous te les livrions afin que tu les fasses décapiter ? Après ça nous pourrons unir nos forces pour exterminer les autres ». Mahomet a envoyé un mot pour leur faire savoir qu’il acceptait leur offre, donc si les Juifs vous demandent des otages, surtout ne leur envoyez personne.
Ensuite il alla voir les Ghatafanes et leur dit : vous êtes les miens et ma famille, les plus chers des hommes à mes yeux, et je ne pense pas qu’on puisse raisonnablement dire le contraire. Et il leur raconta la même histoire qu’aux Couraïchites.
(…) Or il arriva grâce à l’intervention de Dieu en faveur de Son apôtre qu’Abou Soufiane et les chefs des Ghatafanes envoyèrent Ikrima chez les B. Quraïza pour leur faire dire qu’ils n’avaient pas de camp permanent, que leurs chevaux et chameaux étaient en train de mourir, et que par conséquent ils devaient se préparer à la bataille afin d’en finir une bonne fois pour toutes avec Mahomet.
Ils répondirent que c’était le jour du sabbat, un jour où ils n’entreprennent rien, et que tout le monde savait ce qui était arrivé à ceux des leurs qui ne l’avaient pas respecté. « En outre nous ne combattrons pas Mahomet à vos côtés tant que vous ne nous aurez pas donné des otages que nous pourrons garder comme garants de notre accord jusqu’à ce que nous en ayons fini avec lui. Nous craignons en effet que si la bataille tourne mal pour toi tu ne rentres aussitôt dans ton pays en nous abandonnant sur place alors que lui est ici et que nous ne pouvons pas l’affronter seul.
Quand les messagers revinrent avec cette réponse les Couraïchites et les Ghatafanes se dirent que l’information que Nou'aïm leur avait confiée sous le sceau du secret était bien la vérité, et que négocier avec les B. Quraïza ne leur vaudrait pas un seul homme de plus, que s’ils voulaient se battre alors ils n’avaient qu’à sortir et livrer bataille.
Les B. Quraïza ayant reçu ce message s’exclamèrent donc : « Ce que Nou'aïm nous avait dit était donc bien vrai. Ces hommes sont bien déterminés à se battre et s’ils en ont l’occasion, ils la saisiront. Sinon ils repartiront dans leur pays et nous laisserons seuls face à cet homme ici.
Sur ce les vents glacés qui soufflent lors des longues nuits d’hiver renversèrent leurs chaudrons et jetèrent à bas leurs tentes (…) Abou Soufiane déclara donc : « Couraïchites, nous ne sommes pas dans un camp permanent, les chevaux et les chameaux meurent, les B. Quraïza ont rompu leur pacte et nous avons entendu des rapports inquiétants à leur sujet. Vous pouvez constater la violence du vent qui ne nous laisse ni chaudron, ni feu, ni tentes sur lesquelles compter. Allez-vous-en car moi je m’en vais ! ». Ensuite il se dirigea vers son chameau qui était là, entravé, l’enfourcha et le cravacha pour qu’il se mette debout sur ses trois pattes, car par Dieu son entrave ne fut pas enlevée avant qu’il ne soit mis complètement debout. Si l’apôtre ne m’avait pas enjoint de ne rien faire d’autre si j’avais voulu j’aurais pu le tuer avec une flèche… Quand les Ghatafanes entendirent ce que les Couraïchites avaient fait, ils levèrent le camp eux aussi et retournèrent dans leur pays.
Le lendemain matin l’apôtre et les musulmans quittèrent la tranchée pour revenir à Médine et mirent leurs armes de côté.
LE POINT DE VUE D’UN HOMME DE DOUZE LIVRES ET NON D’UN SEUL.
Disons-le tout de suite, l’auteur de cette compilation pense bien qu’il y a eu…
a) de la part de Mahomet une tentative de paix séparée (avec certains des assiégeants)
b) de la part des responsables politiques de la tribu juive des Quraïza…
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— Non-respect du pacte défensif connu sous le nom (erroné) de Constitution de Médine.
— Mais en aucun cas passage avec armes et bagages dans le camp adverse.
— Non-participation active à la défense de Médine.
— Mais une sorte de neutralité.
— Ce qui était donc effectivement un non-respect du pacte défensif signé avec les musulmans de Mahomet (voir notre chapitre sur le sujet).
— Mais en aucun cas méritant une telle sanction collective : une Shoah par le sabre. Le procès pour haute trahison de quelques responsables de la tribu avec éventuellement peine de mort à la clé évidemment, aurait pu suffire.
Ainsi que nous avons pu le voir, la tradition islamique insiste donc sur les manœuvres des deux dernières tribus juives, les Banou Nadir et les Banou Qouraïza, mais cela ressemble un peu trop à une justification a posteriori de leur élimination. Un « Protocole des Sages de Médine » en quelque sorte, élaboré bien après les faits.
Pour le reste tout est étrange dans cette histoire (les heureuses coïncidences, les aléas de la météo, etc.)
Les notables de la tribu des Banou Nadir se rendirent à La Mecque où ils demandèrent aux Couraïchites de les aider à reconquérir Médine, allant même jusqu’à leur déclarer : « Votre religion est meilleure que celle de Mahomet ». Il est vrai que le paganisme philosophique et réfléchi (hénothéisme, hypostases, vyuha…) des Mecquois était très éloigné des caricatures bibliques à propos de cette spiritualité écologique avant la lettre, mais de tels propos dans la bouche de judaïsants sont quand même passablement étonnants. Enfin, bref passons ! D’autres tribus et notamment celle des Ghatafanes décidèrent également d’entrer dans la coalition.
Au mois de mars 627, les Mecquois, encouragés par leur victoire d’Ohoud, décident donc d’en finir une bonne fois et lancent toutes leurs forces (celles de la cité de La Mecque + celles de leurs alliés bédouins) à l’assaut ; soit près de 10 000 hommes (9000 fantassins et 600 cavaliers selon la Sira). Toujours dirigées par le maître de La Mecque à l’époque, Abou Soufiane.
Lorsque Mahomet apprit que toutes ces tribus se préparaient à marcher sur lui et que leur armée avait quitté La Mecque, il en fit part aux musulmans et les consulta. Un esclave persan, appelé Salman Al-Farisi, lui conseilla de creuser des tranchées. Cette technique militaire, ignorée jusque-là des Arabes, plut aux musulmans. Le côté nord était le passage obligé pour prendre la ville, les autres secteurs étant déjà fortifiés par des obstacles naturels comme les palmiers (qui empêchaient les charges de cavalerie). Les musulmans, au nombre de 3000, quittèrent donc Médine et campèrent au pied du mont Sal, tournant ainsi le dos à la montagne. Là, ils creusèrent la tranchée (khandaq) préconisée par le Persan.
Le fossé fut achevé en une semaine et Mahomet lui-même donna l’exemple en participant aux travaux. Les Médinois qui n’étaient pas très enthousiasmés par la situation, hésitaient ou rejoignaient leurs familles dès qu’ils pouvaient ; mais les musulmans convaincus, eux, demandaient d’abord l’autorisation à Mahomet, avant de s’absenter puis de reprendre le travail le plus tôt possible (Coran Chapitre 24, verset 62).
Les musulmans construisirent toute une série de fortins en plus du fossé. La défense de ceux qui étaient situés sur le flanc sud fut confiée aux juifs de la tribu des Qouraiza.
Les assaillants furent surpris par le fossé. Le premier qui essaya de le franchir avec son cheval tomba dedans, et fut immédiatement tué. Toute charge de cavalerie étant bloquée grâce au stratagème du Persan, les deux camps s’installent face à face, et s’affrontent à coups d’injures et de projectiles. Le siège est sévère et dure vingt jours.
Les coalisés mecquois, pendant ce temps-là, envoyèrent un juif dénommé Houyaye ibn Akhtab prendre contact avec le chef du clan des Banou Qouraïza, Kaab ibn Assad. Houyaye insista et finit par convaincre le chef qouraïzite de s’abstenir de participer activement aux combats. Cette défection fut évidemment un coup dur pour les musulmans. Les Banou Qouraiza ne se rallièrent pas aux Mecquois, mais acceptèrent une sorte d’armistice séparé. La situation devint si désespérée, suite à cette neutralité des derniers juifs de Yathrib/Médine, que Mahomet envisagea même un instant d’acheter la défection d’une partie des assiégeants, la tribu de Gatafane ; en leur accordant secrètement un tiers de la récolte de dattes appartenant aux habitants de l’oasis.
Un Ghatafane nommé Nouaïm ibn Massoud fit alors savoir à Mahomet qu’il désirait depuis longtemps se rallier à sa cause, et lui demanda ce qu’il voulait qu’il fasse. Mahomet lui répondit : « Que peut faire un homme seul ? Mais tu pourras recourir à la ruse, la guerre elle-même n’étant que tromperie ». Nouaïm se rendit donc chez les Banou Qouraïza, qui ignoraient sa conversion (effectuée en secret, il est vrai), puis les persuada de ne pas s’engager au côté des Mecquois sans avoir obtenu d’eux des garanties ou des otages ; suivant la coutume de l’époque dans ce genre de situation (les otages servaient de garants). Les Qouraïzites approuvèrent pleinement Nouaïm. Celui-ci se rendit ensuite
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chez les coalisés mecquois pour leur dire : « Prenez garde, les Banou Qouraïza sont revenus sur leur accord, ils projettent maintenant de livrer quelques-uns des vôtres à Mahomet pour regagner sa confiance. Si des membres du clan des Banou Qouraïza viennent vous demander des otages, ne leur en donnez donc surtout aucun ! » Les choses s’étant passées ainsi, et conformément à ce plan assez machiavélique, la zizanie s’installa entre les Mecquois et les Banou Qouraïza. Les coalisés voyaient des traîtres partout et comme une température exceptionnellement froide s’était aussi installée sur la région, la coalition se désagrégea au bout de 15 jours. Les assiégeants regagnèrent l’un après l’autre leurs foyers, pratiquement sans avoir combattu, à l’exception d’un de leurs chefs qui fut tué par Ali. Abou Soufiane mit fin aux opérations et Mahomet s’exclama en le voyant se retirer ainsi (du moins d’après la légende) : « La prochaine fois, ce sera nous qui les envahirons ».
LA SHOAH PAR L’ÉPÉE (AVRIL 627).
La fin des derniers juifs de Médine est racontée dans plusieurs textes, qui ont tous en commun un grand sens dramatique.
GESCHICHTE DER JUDEN/ HISTOIRE DES JUIFS PAR HEINRICH GRAETZ 1853. Chapitre XII.
Ceux des Benou-Nadhir qui étaient restés en Arabie essayèrent d’organiser une coalition contre Mahomet. Trois d’entre eux, Houruyey, Kinanah ibn-ar-Rabia et Sallam ibn Mirchkam, s’efforcèrent de décider les Koraïschites de La Mecque, la puissante tribu des Ghatafan et d’autres Arabes à unir leurs forces contre l’orgueilleux prophète ; ils réussirent dans leur entreprise. Il leur fut plus difficile de faire entrer la tribu juive des Kouraïza dans cette ligue. Le chef des Benou-Kouraïza, Kaab ibn Assad, refusa même d’abord d’accorder un asile à Houyey, parce que sa tribu avait conclu une alliance avec les musulmans. Mais, éclairé sur les dangers communs qui menaçaient tous les Juifs arabes, il consentit enfin à prendre part à la guerre contre le prophète. Dix mille alliés entrèrent en campagne et marchèrent sur Médine, dont ils crurent pouvoir s’emparer sans coup férir ; ils se heurtèrent contre de solides retranchements que Mahomet, averti par un traître, avait fait élever à la hâte. Les assaillants s’épuisèrent en vains efforts pour s’emparer de la ville. À la fin, Mahomet réussit à semer la discorde parmi les confédérés, qui retournèrent chez eux.
La guerre des tranchées, comme on l’appela, fut donc un nouveau succès pour Mahomet ; ce furent les Juifs qui supportèrent les fâcheuses conséquences de l’échec des confédérés. Dès que ces derniers se furent éloignés de Médine, le prophète marcha immédiatement avec trois mille hommes contre les Kouraïza. Ceux-ci, trop faibles pour livrer bataille en rase campagne, se retranchèrent derrière les remparts de leurs châteaux forts. Après un siège de vingt-cinq jours (février-mars 627), ils n’eurent plus de vivres et songèrent à capituler. Ils demandèrent au prophète de les traiter comme les Nadhir, c’est-à-dire de les laisser émigrer avec leurs femmes, leurs enfants et une partie de leurs biens. Mahomet refusa ; il voulut qu’ils se rendissent à discrétion. Près de sept cents Juifs, et parmi eux les chefs Kaab et Houyey, furent égorgés sur une place publique de Médine, et leurs cadavres entassés dans une seule et même fosse. L’endroit où cette exécution eut lieu fut nommé le marché des Kouraïza. Ce forfait fut accompli au nom de Dieu, voici ce qu’en dit le Coran : Dieu a expulsé de leurs forts ceux des gens de l’Écriture qui aidaient les alliés et a jeté la terreur dans leurs cœurs ; vous
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avez tué les uns, vous avez réduit les autres en captivité. Il vous a donné en partage leurs maisons, leurs richesses et leur pays, que vous n’aviez jamais foulé jusqu’alors de vos pieds. Dieu est tout-puissant. Les femmes furent échangées contre des armes et des chevaux. Mahomet se choisit comme concubine, parmi les captives, une jeune fille juive d’une grande beauté, nommée Rihâna ; celle-ci repoussa fièrement les faveurs du prophète.
LE POINT DE VUE DU FÉNIANE.
De retour en ville Mahomet décida d’en finir avec cette troisième et dernière tribu juive, et déclencha contre elle plus qu’un pogrom, un véritable génocide. L’affaire est très bien connue, par des sources prolixes, mais les exposés actuels sur les débuts de l’islam s’efforcent en général de minimiser ou d’occulter l’épisode, qui est très rarement évoqué, du moins pour ce qui est du public occidental, on se demande bien pourquoi. Les auteurs anciens poussaient d’ailleurs déjà dans le même sens, car eux-mêmes étaient gênés par le comportement de Mahomet dans cette affaire.
— La crainte de la trahison semble motiver ce dernier assaut contre les Juifs de Yathrib/Médine.
— On sent aussi la volonté d’éliminer définitivement la présence juive dans l’oasis.
— Le jugement des captifs donnera lieu à une procédure particulière, qui n’a pas souvent été comprise.
— Mahomet leur affecte comme juge leur ancien chef selon le droit coutumier tribal, mais entre-temps devenu musulman, qui plus est mourant : Sa’d ibn Moua’dh, le chef du clan des Aous.
Celui-ci les condamne à mort, mais c’est Mahomet qui fait exécuter la sentence.
On peut comprendre l’affaire de deux façons.
— Subterfuge de la tradition, qui répugne à donner à Mahomet un rôle direct dans ce génocide.
— Habileté de Mahomet qui en fait porter la responsabilité sur un mourant, et ainsi évite le risque d’une vengeance, toujours possible en milieu tribal.
Le massacre sera perpétré, soit par Mahomet lui-même, soit par des proches (Ali, etc.). Les corps sont entassés dans des fosses communes creusées sous le marché, à l’encontre de toutes les règles habituelles (c’est une humiliation supplémentaire infligée aux victimes). Les femmes et les enfants sont partagés entre musulmans, et Mahomet lui-même s’appropriera l’une des veuves les plus séduisantes. Le butin consiste surtout en armes.
Ainsi que mentionné plus haut le massacre a suscité quelques versets limpides dans le Coran (33, 26) : « Dieu a fait descendre de leurs forteresses ceux des gens du Livre ralliés aux factions, il a jeté l’effroi dans leurs cœurs. Vous avez alors tué une partie d’entre eux et vous avez réduit les autres en esclavage. Il vous a donné en héritage leur pays, leurs habitations, leurs biens et une terre que vos pieds n’avaient jamais foulée ».
Repetere = ars docendi. Les multiples variantes et additions concernant cette atroce affaire indiquent que le récit a été très populaire dans le public musulman, tandis que pour les non-musulmans, il a été complètement occulté…
Voici comment les choses sont présentées par l’hagiographie musulmane.
La manœuvre ne sauva pas les juifs des conséquences de leur trahison. Ils pensaient que le contingent dirigé par Ali n’était qu’une mesure d’intimidation. Ils ne réalisèrent l’ampleur de la menace qu’en voyant arriver l’armée islamique sous le commandement du saint prophète lui-même (paix et bénédiction de Dieu sur lui). Un siège de deux ou trois semaines suffit à la reddition des juifs. Ils acceptèrent de se rendre aux conditions de Sa’d Ibn Moua’dh, le chef des Aous. Ils l’avaient fait juge de leur affaire, car à l’époque préislamique, les Aous et les Qouraïza étaient alliés. Aussi espéraient-ils qu’en mémoire de cela, S’d les aiderait à quitter Médine, comme les Banou Qaïnouqa et les Banou Nadir quelques mois plus tôt. Les Aous eux-mêmes comptaient sur un jugement laxiste de la part de Sa’d en faveur de leurs anciens alliés. Or Sa’d savait très bien ce qu’avaient fait les deux tribus qui avaient déjà été autorisées à quitter la ville. À peine les portes de Yathrib/Médine passées, elles s’étaient empressées d’ameuter les hommes des clans environnants contre les musulmans. Il connaissait aussi la perfidie dont les Qouraïzites avaient fait preuve au moment de l’attaque contre la ville : un armistice séparé avec les gens de La Mecque, qui avait mis en danger tous les Médinois. Au vu de ces éléments à charge, Sa’d Ibn Moua’dh décida donc que tous les hommes des Banou Qouraïza seraient mis à mort, et que leurs biens, mais aussi leurs femmes et leurs enfants, seraient distribués aux musulmans. Son jugement fut appliqué à la lettre. En pénétrant dans la citadelle, les musulmans y trouvèrent tout un attirail de guerre préparé par ces traîtres : 1500 épées, 300 cottes de mailles, 2000 lances et 1500 boucliers. Ce matériel de guerre devait servir à prendre Médine à revers après le franchissement du fossé par les polythéistes.
La version de Tabari (assez pathétique au demeurant).
En avril 627, après avoir quitté la tranchée, rangé ses armes et enduit son corps de lotion, Mahomet eut alors une hallucination lui ordonnant d’attaquer les Banou Qouraïza.
Tome 8 page 27 l’expédition contre les Banou Qouraïza (une véritable dramaturgie).
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« À midi, Gabriel, un turban fait de tissu en fil d’or sur la tête, alla voir le Messager de Dieu sur une mule avec une selle de brocart. Il lui demanda : « As-tu déposé les armes, Messager de Dieu ? » « Oui » répondit-il. Gabriel répliqua : « Mais les anges eux n’ont pas déposé leurs armes ! Je viens de poursuivre l’ennemi. Dieu t’ordonne, Mahomet, de marcher sur les Quraïza. Moi aussi, je vais marcher sus à cette bande de Quraïza…
Ali ibn abou Talib se mit en marche et arrivé non loin des forteresses entendit leurs grossièretés sur le Messager de Dieu. Il s’en alla le retrouver et lui dit : « Messager de Dieu, il vaudrait mieux pour toi ne pas t’approcher plus près de ces misérables ». » Pourquoi ? » demanda-t-il, je suppose que tu les as entendus m’insulter. » Ali répondit : « Oui, Messager de Dieu »…
Quand le Messager de Dieu se fut approché de leurs forteresses, il leur cria : « espèces de singes, avez-vous eu ce que vous méritez de la part de Dieu ? » Ils lui répondirent : « Abou al-Qassim, tu n’as jamais agi de façon aussi présomptueuse ».
Avant d’arriver chez les Banou Quraïza, le Messager de Dieu avait retrouvé ses compagnons à al-Saouan. « Avez-vous aperçu quelqu’un vous dépasser ? » leur demanda-t-il. « Oui, Messager de Dieu », répondirent-ils. « Dihyah ben Khalifah al-Kalbi nous a dépassés, monté sur une mule blanche avec une selle couverte de brocart ». Le Messager de Dieu leur répondit : « C’était Gabriel, envoyé par Dieu chez les Banou Quraïza pour secouer leurs forteresses et jeter la terreur dans leurs cœurs »… Ka'b b. Assad leur dit : « Peuple juif, vous voyez ce qui vous est arrivé, je vous proposerai trois solutions : choisissez celle que vous voudrez. « Quelles sont-elles ? » demandèrent-ils.
Ka’ba leur répondit : « Que l’on suive cet homme et qu’on le croie car, par Dieu, il est devenu clair que c’est vraiment un prophète envoyé [de Dieu] et que c’est lui qui est [annoncé] dans nos Écritures. Et alors vos vies, vos biens, vos enfants et vos femmes, seront préservés.
Ils répondirent : « Nous ne nous détournerons jamais de la Torah ni ne l’échangerons contre quelque chose d’autre ».
« Puisque vous rejetez cette proposition » leur dit Ka’b « alors, tuons nos enfants et nos femmes et faisons une sortie, armés de nos épées, contre Mahomet et ses compagnons en ne laissant derrière nous rien qui puisse nous retenir jusqu’à ce que Dieu décide entre nous et Mahomet. Si nous mourons, nous mourrons en n’ayant laissé derrière nous rien pour lequel on puisse s’inquiéter, par contre si nous remportons la victoire, par ma vie nous aurons d’autres femmes et d’autres enfants ».
Ils lui rétorquèrent : « Tuer ces malheureux, à quoi bon vivre sans eux ? »
Ka’b leur répliqua : « Puisque vous avez rejeté mes propositions, comme ce soir c’est la nuit de sabbat, Mahomet ainsi que ses compagnons penseront peut-être qu’ils n’ont rien à craindre et peut-être pourrons-nous alors les surprendre ».
Ils répondirent : « Profaner notre sabbat et faire ce qu’aucun de nos prédécesseurs avant nous n’a jamais fait, à l’exception de ceux dont tu as entendu parler, et qui ont été métamorphosés en ce que tu sais ? »
Ka’ba leur dit alors : « personne parmi vous n’a jamais fait preuve de bon sens depuis qu’il a été mis au monde ».
Ils envoyèrent alors des émissaires au Messager de Dieu pour lui dire : « Envoie-nous Abou Loubabah b. Abd al-Moundhir, un des Banou Amr b. Aouf – c’étaient des alliés des Aous, « afin que nous puissions lui demander conseil ».
Le Messager de Dieu le leur envoya.
Quand ils l’aperçurent, les hommes se levèrent pour aller à sa rencontre et les femmes et les enfants se précipitèrent pour s’accrocher à lui en pleurant, de sorte qu’il eut pitié d’eux.
Ils lui demandèrent : « Abou Loubaba, penses-tu que nous devrions nous soumettre au jugement de Mahomet ? »
« Si oui » répondit-il en faisant signe avec sa main sur sa gorge que ce serait un massacre. (Abou Loubabah [plus tard] a déclaré, « Par Dieu, dès que mes pieds ont commencé bouger j’ai réalisé que je venais de trahir Dieu et Son Messager » en disant cela)
Ensuite Abou Loubabah se précipita dehors éperdu et ne sachant que faire. Avant d’aller retrouver le Messager de Dieu, il s’attacha donc à l’un des piliers de la mosquée, en disant : « je ne quitterai pas cet endroit tant que Dieu ne m’aura pas pardonné ce que j’ai fait »…
Le lendemain matin ils se soumirent au jugement du Messager de Dieu. Alors les al-Aouls bondirent et s’exclamèrent : « Messager de Dieu, ce sont nos clients (maouli), pas des clients des al-Khazradj… quand les al-Aous lui eurent parlé, le Messager de Dieu leur répondit : « ne serez-vous pas satisfaits si un de vos hommes les juge ?
« Si » répondirent-ils. Alors il leur déclara : « Ce sera donc confié à Sa'd b. Mou'adh ».
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Le Messager de Dieu avait fait mettre Sa'd b. Mou'adh dans la tente d’une musulmane nommée Roufaïdah. Elle soignait les blessés…
Quand le Messager de Dieu l’eut fait juge de cette bande de juifs Quraïza, les hommes de sa tribu allèrent le chercher pour le mettre sur un âne qu’ils avaient sellé avec un coussin de cuir, car c’était un homme corpulent. Ils le conduisirent ainsi auprès du Messager de Dieu en lui disant : « Abou Amr, traite bien tes clients, car le Messager de Dieu t’a chargé de cette affaire uniquement afin que tu les traites bien ». Après qu’ils l’aient assailli de nombreuses autres requêtes de ce genre, il leur répondit : « Pour l’amour de Dieu le temps est venu pour Sa'd de ne se laisser influencer par personne »…
Quand Sa'd fit son apparition, le Messager de Dieu demanda : « Levez-vous pour aller saluer votre chef (ou le meilleur d’entre vous) et l’aider à descendre de sa monture ». Le Messager de Dieu dit alors [à Sa'd] : « Juge-les ».
Sa’d répondit : « mon jugement est que leurs combattants soient exécutés, leurs enfants faits prisonniers, et leurs biens partagés ».
Le Messager de Dieu lui dit alors : « Tu as rendu le jugement de Dieu et de Son Messager. »
Quant à nous, hommes de douze livres, voici ce que nous pouvons en dire.
Les règles tribales qui prévalaient dans la cité furent donc sauvegardées en apparence. Les prisonniers furent exécutés par leurs alliés locaux pour crime de haute trahison, et non par Mahomet lui-même, qui n’appartenait pas à leur fédération. Ce fut un carnage auquel Mahomet assista du haut du monticule de terre qui surmontait la fosse commune, dans laquelle les cadavres étaient précipités.
On épargna néanmoins quelques-uns d’entre eux, à la demande d’ansars musulmans qui les connaissaient personnellement. Mais un des juifs ainsi sauvés, apprenant que tous ses proches avaient péri, préféra être, lui aussi, décapité. Cela lui fut accordé. Par contre, après, Mahomet prit pour concubine la belle Rayhana fille d’Amr b. Khounafa, veuve de l’un des suppliciés.
Le Hadith 362 du livre 59 volume 5 du Sahih Boukhari précise : « Il tua leurs hommes et répartit leurs femmes, leurs enfants et leurs propriétés entre les musulmans ; mais certains d’entre eux vinrent le trouver et il leur accorda la vie sauve, ils embrassèrent alors l’islam ».
Ibn Ichaq a écrit à la page 466 de sa Vie de Mahomet : « L’apôtre a réparti la propriété des épouses et des enfants des Banou Qouraïza entre les musulmans ; il a fait connaître les lots de chevaux et d’hommes, et en a pris le cinquième. Puis l’apôtre envoya Sa’d ibn Zeïd al Ansar avec certaines des captives Banou Qurayza dans le Nedjd, pour qu’il les échange contre des chevaux et des armes. L’apôtre avait choisi une de leurs femmes pour lui-même, Rayhana f. d’Amr b. Khounafa, une des femmes des B. Amr b. Qurayza, et elle resta donc avec lui en son pouvoir jusqu’à sa mort. L’apôtre proposa de l’épouser et de lui faire porter le voile, mais elle répondit : « Non, laisse-moi être en ton pouvoir (ton esclave), car ce sera plus facile pour moi et pour toi ». Elle avait montré de la répugnance envers l’islam au moment de sa capture et resta fidèle au judaïsme. L’apôtre la mit donc de côté et en fut très mécontent » (le pauvre !).
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L’ASSASSINAT CIBLÉ DU CHEF DE LA COMMUNAUTÉ JUIVE DE KHAÏBAR (MAI 626).
Le thème du meurtre d’Abou Rafi est devenu populaire parce qu’il concernait une question d’importance : peut-on tuer un infidèle durant la nuit, à l’encontre des coutumes ? Le film est dramatique.
Ibn Ichaq Vie de Mahomet traduction Alfred Guillaume page 482.
L’ASSASSINAT DE SALLAM IBN ABOU’L HOUQAÏQ.
Quand la guerre de la tranchée ainsi que l’affaire des Banou Qouraïza furent terminées, le problème de Sallam ibn Abou Houqaïq, connu sous le nom d’Abou Rafi, apparut : il avait contribué à la coalition des tribus contre l’apôtre de Dieu. Les Aous avaient tué Kaab ibn Al-Achraf avant Ouhoud, à cause de son aversion contre l’apôtre de Dieu et parce qu’il complotait contre lui, les Khazradj demandèrent donc et obtinrent, la permission de tuer Sallam qui était à Khaïbar (oasis située à 150 km au nord de Médine)……
Cinq Banou Salima des Khazradj, s’en occupèrent. L’apôtre de Dieu choisit Abdoullah ibn Atik comme leur chef, tout en leur interdisant de tuer des femmes et des enfants. Ils arrivèrent à Khaïbar et se rendirent à la maison de Sallam en pleine nuit. Il était alors en train de dormir dans une pièce à l’étage, mais une échelle permettait d’y monter. Ils montèrent donc par cette échelle, arrivèrent à la porte et demandèrent qu’on leur ouvre.
Sa femme vint et leur demanda qui donc ils étaient. Ils lui racontèrent qu’ils étaient des Arabes à la recherche de ravitaillement. Elle leur répondit donc que leur homme était là, et qu’ils pouvaient entrer. Nous avons refermé la porte de la chambre sur elle, une fois entrés, de peur qu’elle ne nous fasse des difficultés. Elle hurla et le mit en garde contre nous, alors nous nous sommes rués sur lui, avec nos sabres, alors même qu’il était encore au lit. La seule chose qui nous guidait dans le noir, c’était le blanc de son visage, comme un linge égyptien. Sa femme hurla, et l’un de nous voulut la frapper, mais il se souvint à temps de l’ordre de l’apôtre de Dieu (de ne pas tuer de femme) et il se contenta de la repousser… Nous l’avons frappé avec nos sabres, et Abdoullah ibn Ounaïs l’a transpercé avec le sien
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alors qu’il implorait en gémissant : « Qatni, Qatni », ce qui signifie « assez… assez… » puis nous sommes sortis…
Ensuite nous nous sommes chacun demandé comment savoir si l’ennemi de Dieu était mort, l’un d’entre nous proposa de retourner voir et il revint en nous disant :
— J’ai trouvé sa femme et des juifs tout autour de lui. La femme avait une lanterne à la main et scrutait son visage. Puis elle a crié :
— Par le dieu des juifs (sic), il est mort !
Jamais je n’ai entendu de plus douces paroles… Ensuite nous nous sommes disputés pour savoir qui l’avait tué. L’apôtre de Dieu demanda donc à voir nos sabres et quand il les eut examinés, il déclara :
— C’est le sabre d’Abdoullah ibn Ounaïs qui l’a tué, car j’y ai vu des traces de nourriture dessus.
Tabari tome 7 Fondation de la Communauté page 101.
Cette expédition lancée par le Messager de Dieu contre Abou Rafi Sallam b. Abi al-Houqaïq eut lieu la quatrième année de l’Hégire dans le courant du mois de Dhou al-IIijjah (mai 626)… Une des faveurs que Dieu avait conférées à son Prophète était que les tribus Ansar al-Aous et al-Khazradj rivalisaient comme des étalons en ce qui concerne le Messager de Dieu ; les Al-Aous ne pouvaient rien faire pour lui sans que les Khazradj ne se récrient en disant : « Par Dieu, ils ne deviendront pas supérieurs à nous en Islam aux yeux du Messager de Dieu après avoir fait ça » et ils ne cessaient pas de récriminer tant qu’ils n’avaient pas fait quelque chose de semblable. Aussi, après que les al-Aous eurent tué Ka'b b. al-Achraf à cause de son hostilité envers le Messager de Dieu, les al-Khazradj se dirent donc : « Ils ne nous prendront jamais la première place en faisant ça » et ils se concertèrent pour trouver un homme comparable à Ibn al-Achraf pour ce qui est de l’hostilité au Messager de Dieu. Ils se souvinrent alors d’ibn Abi al-Hougaïq et ils demandèrent au Messager de Dieu la permission de le tuer. Etc. Etc.…
Sahih Boukhari tome 5, livre 59, hadith numéro 371.
Rapporté par Al-Bara bin Azib : Le Messager de Dieu envoya un jour des hommes des Ansar pour (tuer) le juif Abou Rafi, et nomma Abdoullah ibn Atik pour être leur chef. Abou Rafi offensait le Messager de Dieu et complotait avec ses ennemis. Il était dans son château fort du Hedjaz, quand ces hommes en approchèrent après que le soleil se soit couché et que le bétail ait été rentré. Abdoullah (ibn Atika) dit à ses compagnons : restez assis, je vais essayer de tromper la vigilance du gardien des portes afin de pouvoir pénétrer dans le château. Il s’approcha de la porte en se cachant dans ses habits et fit semblant d’être allé satisfaire un besoin naturel. Comme tout le monde était rentré, le gardien des portes (ayant pris Abdoullah pour l’un des serviteurs) s’adressa donc à lui en disant : « Ô Serviteur de Dieu, rentre si tu le souhaites car je vais fermer la porte pour la nuit ».
Abdullah précise : « Alors je suis entré (dans le château) et je m’y suis caché. Lorsque tout le monde fut rentré à l’intérieur, le gardien ferma la porte et accrocha les clés à une cheville de bois. Je me suis levé j’ai pris les clés et j’ai ouvert la porte.
Certaines personnes restaient tard le soir avec Abou Rafi afin de passer la nuit à discuter agréablement avec lui dans une de ses chambres. Quand ses invités furent partis je suis alors monté à lui, et chaque fois que j’ouvrai une porte je la fermai de l’intérieur en me disant : « Si ses gens s’aperçoivent de ma présence, ils ne pourront pas m’attraper avant que je ne l’aie tué ».
Puis j’ai fini par le trouver en train de dormir dans une maison plongée dans l’obscurité avec les siens, mais je ne pouvais pas voir où il était. Alors j’ai crié « O Abou Rafi ! » Et Abou Rafi a demandé : qui est-ce ?
Je me suis dirigé vers l’endroit d’où venait cette voix et j’ai frappé à l’aveuglette avec mon épée, mais comme je ne voyais rien je ne pouvais pas le tuer. Alors il a poussé de hauts cris et je suis sorti de la maison pour attendre un moment dehors puis je suis revenu en demandant : « Que se passe-t-il, O Abou Rafi ? » Il me répondit : « Quelqu’un vient de me donner un coup d’épée ! »
Alors je l’ai encore frappé gravement, toujours sans réussir à le tuer. Mais j’ai enfoncé la pointe de mon épée dans son ventre (et j’ai appuyé dessus) jusqu’à ce qu’elle ressorte de son dos, j’ai alors réalisé que je l’avais enfin tué. J’ai ensuite ouvert les portes une par une jusqu’à l’escalier, et comme je croyais être arrivé là au niveau du sol je suis sorti, et je suis tombé dans le vide. Je me suis cassé la jambe et j’ai dû me l’attacher avec un turban puis j’ai continué jusqu’à ce que je puisse m’asseoir à la porte où je me suis dit : « je ne sortirai pas de la nuit tant que je ne saurai pas si je l’ai bien tué ».
Mais quand (de bonne heure le lendemain matin donc) le coq chanta, le héraut de la victime arriva sur la terrasse pour dire : « J’annonce la mort d’Abou Rafi », le marchand, du Hedjaz.
Sur ce je suis allé retrouver mes compagnons et leur ai dit : « Sauvons-nous, car Dieu a tué Abou Rafi ». Nous sommes alors partis (mes compagnons et moi) retrouver le Prophète (Pbsl) et je lui ai raconté toute l’histoire ». Il m’a demandé ensuite de tendre ma jambe (cassée). Je l’ai fait. Ensuite il l’a massée un peu et elle est redevenue absolument comme avant.
NDLR. Est-ce possible ? En tout cas il s’agit d’un récit différent de celui d’Ibn Ichaq et donc de Tabari.
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L’EXPÉDITION CONTRE LES BANOU AL MOUSTALIQ
OU BATAILLE D’AL MOURAÏSSI.
Du nom d’un puits situé dans la vallée de Qadid, entre Djeddah et Rabigh sur la mer Rouge.
JANVIER 627.
Les historiens placent ici en général une série d’expéditions tous azimuts destinées à mater les velléités d’indépendance des tribus avoisinantes. Ces expéditions ont fait l’objet d’études et de recensements, de la part d’érudits musulmans. Mais il règne dans ce domaine une grande confusion. La précision même des informations est d’ailleurs souvent sujette à caution.
Nous ferons donc l’impasse sur le sujet, à l’exception d’un cas, l’expédition contre les Banou Moustaliq, car elle donna lieu à un scandale qui divisa la communauté musulmane ; l’affaire de l’adultère (supposé) d’Aïcha, l’épouse favorite de Mahomet.
Ce lamentable épisode (butin 200 prisonniers 200 chameaux et des ustensiles ménagers, on est loin de la fortune de César ou de Chosroês) n’a donc d’intérêt que par les deux femmes de Mahomet qu’il va mettre en cause, la belle et noble princesse moustalique Jouwaïriya et la petite Aïcha (qui sera soupçonnée d’adultère, voir chapitre suivant).
L’événement (sic) a été mentionné dans de nombreuses collections de Hadiths.
Sahih Boukhari tome 3, livre 46 numéro 717.
Ibn Aoun a rapporté ce qui suit : j’ai envoyé une lettre à Nafi et Nafi m’a répondu que le Prophète avait attaqué les Bani Moustaliq par surprise et sans prévenir alors qu’ils ne se doutaient de rien et que leur bétail s’abreuvait au point d’eau. Leurs combattants furent tués et leurs femmes ainsi que leurs enfants capturés ; le prophète a eu Jouwaïriya ce jour-là.
Sahih Muslim Livre 19, hadith 4292.
Ibn Aoun a rapporté ceci : j’ai écrit à Nafi pour lui demander s’il était nécessaire d’étendre (aux mécréants) une invitation à accepter (l’islam) avant de les attaquer. Il m’a écrit (dans sa réponse) qu’il le fallait lors des premiers temps de l’Islam. Le Messager de Dieu a lancé une expédition contre les
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Banou Moustaliq alors qu’ils n’avaient pas été prévenus et que leur bétail était en train de s’abreuver. Il a tué ceux qui ont résisté et fait prisonniers les autres. Le même jour, il a pris Jouwaïriya bint al-Harith. Nafi a déclaré que ce hadith lui venait d’Abdoullah ibn Omar.
Le commandement des Mouhadjiroun (immigrés) avait été confié à Abou Bakr et celui des Ansar (auxiliaires) à Sa'd ibn Oubada.
En entendant les musulmans arriver, la tribu fut prise de panique et les autres bédouins qui étaient avec eux s’enfuirent.
Il y eut des tirs de flèches pendant une heure puis les musulmans chargèrent, encerclèrent les al-Moustaliq et capturèrent toute la tribu.
Ali ibn Abi Talib acheva quelques Banou al-Moustaliq blessés dont Malik et son fils. Deux cents familles furent faites prisonnières, deux cents chameaux, cinq mille moutons, des chèvres, ainsi qu’une énorme quantité d’ustensiles ménagers. Les articles ménagers furent vendus aux enchères et les femmes violées, mais avec contraception quand même ainsi que l’indiquent certains hadiths.
Sahih Muslim tome 2, livre 8, hadith numéro 3371.
Chapitre Al-Azl (rapport sexuel non achevé) : Coitus Interruptus.
« Abou Saïd, as-tu entendu le messager de Dieu mentionner l’al-azl (le coitus interruptus) ? » « Oui » et il ajouta : « Nous étions partis avec le messager de Dieu en expédition chez les Moustaliq et en avions emmené d’excellentes femmes arabes. Nous les désirions car nous souffrions de l’absence de nos femmes. Nous avons donc décidé d’avoir des rapports sexuels avec elles, mais en pratiquant l’azl "(retrait de l’organe sexuel masculin avant l’émission de sperme pour éviter la conception). Mais nous nous sommes alors dit : « Nous faisons quelque chose sans savoir alors que le messager de Dieu est avec nous, pourquoi ne pas lui demander ? » Nous avons alors demandé au messager de Dieu et il nous a répondu : « Peu importe que vous le fassiez ou pas, car toute âme qui doit venir au monde avant le Jour de la Résurrection naîtra ».
Commentaire de Pierre de La Crau. Ces soudards ne veulent pas abîmer « la marchandise » (sic) et Mahomet répond « spiritualité ! ».
Un seul musulman fut tué (par un auxiliaire et par erreur). Jouwayriya bint al-Harith, la fille du chef des Banou al-Moustaliq (20 ans), fut l’une des captives et accepta d’épouser Mahomet (58 ans) en échange de la libération de 100 prisonniers convertis à l’islam (d’après l’historien musulman Saïfour Rahman al Moubarakpouri).
Les musulmans restèrent sur place durant plusieurs jours durant lesquels une altercation éclata entre les Mouhadjiroun et les Ansars. Un des Mouhadjiroun, appelé Jahja, s’en prit à un des Ansars et les deux groupes s’affrontèrent aussitôt.
CONTEXTE.
Mahomet a toujours détesté les Bédouins, lui qui est un Arabe des villes. Les Bédouins se distinguent par leur liberté de pensée ou d’action, et par leur humanisme pragmatique : ils ont donc tout pour lui déplaire. Le Coran leur assène les coups les plus rudes.
Mahomet, Coran 9, 97-107.
De tous les hommes les Bédouins sont ceux qui sont les plus marqués par l’impiété ou l’hypocrisie, et les plus enclins à méconnaître les lois contenues dans le livre que Dieu a fait descendre sur son apôtre.
Dieu est omniscient et juste.
Parmi les Bédouins, il en est qui considèrent comme une charge ce qu’ils dépensent (pour Dieu), et qui attendent que vous essuyiez des revers de fortune.
Que ces revers de fortune soient pour eux !
Dieu entend tout et sait tout !
Parmi les Bédouins, il en est toutefois qui croient en Dieu et à la fin du monde ; et qui considèrent ce qu’ils dépensent (pour Dieu) comme un sacrifice agréable aux yeux de Dieu, un moyen de bénéficier des prières de l’apôtre.
Dieu leur fera miséricorde.
Dieu est celui qui pardonne, il est miséricordieux.
………………
Parmi les Bédouins qui vous entourent et parmi les habitants de Médine, il y a des hypocrites obstinés.
Vous ne les connaissez point, mais nous, nous les connaissons.
Nous les tourmenterons deux fois, puis ils seront livrés à un terrible châtiment.
D’autres, au contraire, ont reconnu leurs péchés, mais ont mêlé œuvres pies et mauvaises actions.
Il se peut que Dieu revienne de sa rigueur contre eux. Dieu est celui qui pardonne, il est miséricordieux.
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Prélève sur leurs biens une aumône par laquelle tu les purifieras et les rendras sans tache et prie pour eux !
Ta prière est pour eux apaisement.
Dieu entend tout et sait tout.
Ne savent-ils point que Dieu peut agréer le repentir de ses serviteurs, ainsi que leurs aumônes ? Dieu est celui qui revient sans cesse vers le pécheur repentant. Il est miséricordieux !
Dis-leur : agissez !
Dieu verra vos actions, ainsi que l’apôtre et les croyants.
L’attaque contre les Bédouins est un phénomène relativement tardif dans l’islam : ils ne sont les cibles des musulmans qu’en tant qu’alliés potentiels des Mecquois, en tant que possesseurs de troupeaux, et réservoirs démographiques. Mais on décèle aussi derrière ces affrontements des phénomènes traditionnels : vols de bétail, lutte pour les points d’eau, rapt de femmes et vengeances. Le poids de Médine, et la nouvelle politique de Mahomet changent le rapport de force.
DÉBUT DES PROBLÈMES DOMESTIQUES DE MAHOMET.
I L’AFFAIRE DU COLLIER OU LE POSSIBLE ADULTÈRE D’AÏCHA (AL IFK).
Ne voulant nullement avoir l’air de nous moquer de Mahomet…
— Vu l’application actuelle des lois sur la liberté d’opinion ou d’expression…
— Vu l’application tout aussi actuelle des lois anti racistes… ; nous laisserons à cet effet la parole à un site internet tout le contraire d’islamophobe, puisqu’il s’intitule « islamophilie » ; avec juste quelques aménagements mineurs pour une meilleure compréhension du lecteur ne connaissant rien à l’islam et à sa grandeur, en bref pour une bonne traduction. « Paix et bénédictions de Dieu sur lui » à chaque énonciation du nom du prophète, remplacé par PSL (PSL : paix sur lui, c’est plus court), harmonisation de certains noms propres, rajout des numéros de chapitre, rappel de quelques précisions utiles entre crochets, style, sous-titres, etc. Nous avons, en revanche, laissé certaines choses en l’état, car sinon il faudrait retraduire entièrement un texte pourtant déjà traduit dans notre langue. Enfin, du moins, en principe…
Ainsi que nous avons eu déjà l’occasion de le dire, un des problèmes de l’islam est son extranéité ; le fait qu’il vient littéralement d’une autre façon de penser (ou de parler plus exactement), d’une autre planète, d’un autre monde, celui d’une certaine conception de Dieu.
Ses opinions sur le sujet sont donc mises à la portée de nos lecteurs, à fins d’information, de connaissance et de respect mutuel entre les différentes cultures et religions du monde.
Bref rappel des faits déjà exposés ci-dessus, l’expédition contre les Banou Al Moustaliq, afin de permettre au lecteur de comprendre à quel point les ennemis de l’islam peuvent être méchants.
Aïcha, la fille d’Abou Bakr, l’homme qui finança l’islam à ses débuts, avait épousé Mahomet à six ans. Elle en avait maintenant quinze et avait participé à l’expédition contre les Banou al Moustaliq. C’est au retour de l’expédition, sur la route de Médine, que se produisit la célèbre aventure qui aurait pu lui coûter sa situation d’épouse du prophète ; si Mahomet n’avait pas reçu alors une révélation (versets 4-
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5, 11-20, chapitre 24) la disculpant fort opportunément de tout soupçon (jointe au fait qu’elle ne fut pas enceinte, d’où le délai mis par Dieu pour faire descendre sa révélation : il fallait attendre pour voir si Aïcha avait de nouveau ou pas, ses règles).
Au cours d’une halte, elle descend de son palanquin et s’éloigne derrière une dune pour satisfaire un besoin naturel. Puis, elle revient vers les chameaux et s’aperçoit qu’elle a perdu son collier ; elle retourne le chercher. Mais les caravaniers l’ayant déjà vu revenir une première fois pensent qu’elle se trouve maintenant dans le palanquin, et remettent celui-ci sur le bât de son chameau. (Remarque : ce qui est curieux, c’est qu’ils ne se soient pas rendu compte de la différence de poids.) Bref, les chiens aboient et la caravane repart, en oubliant la malheureuse… Quand celle-ci revient sur les lieux de la halte, l’armée musulmane a disparu, et elle se met à pleurer sur son sort. Elle sait que dans le désert, seule, c’est une mort atroce qui l’attend… Mais arrive alors un beau jeune homme sur son chameau qui, lui aussi, est en retard. Il prend Aïcha sur son chameau et ils rentrent tous les deux à Yathrib/Médine.
Les juifs et les Arabes qui sont « mauvaises langues » font alors courir le bruit que le prophète est cocu. L’accusation est grave, les deux jeunes gens risquent la lapidation, comme c’est l’usage à cette époque. Plus important pour l’histoire de l’islam est que cette affaire donna naissance, dans les rangs des chefs des Mouhadjiroun et des Ansar, Aous ou Khazradj, à un grave conflit, qui se poursuivit bien après la mort de Mahomet. Ce dernier donc est la risée de tout Médine et fait intervenir l’archange Gabriel qui déclare Aïcha innocente, mais Ali ayant fait partie de ceux qui la jugeaient coupable, elle lui en voudra toute sa vie ; et cette rupture entre Aïcha et Ali ne fut pas sans conséquence politique ultérieure (naissance du chiisme ?)
Du haut de son minbar (chaire), le Prophète (PSL) déclara en substance (voir ci-dessous le texte d’Ibn Ichaq) : mes frères… mon épouse n’a agi qu’en tout bien tout honneur, et l’homme * que l’on accuse est hors de soupçon. De plus, il n’entrait chez moi qu’en ma compagnie ». Oussaïd b. Houdaïr lui dit alors : « Ô Prophète, sache que s’il s’agit d’Aous, nous règlerons ça nous-même, mais s’il s’agit de Khazradj, tu décideras toi-même du jugement, et nous, nous l’exécuterons ». Ce à quoi Sa’d b. Oubada Al Ansari, le chef des Khazradj, qui était aussi un homme pieux, répondit à Ibn Mou’adh : « Tu es un hypocrite ! »
Les esprits s’échauffèrent donc dans les clans aous et khazradj, au point qu’ils faillirent s’entretuer sous les yeux du prophète qui, du haut du minbar, n’avait cessé d’intervenir pour les calmer ; avant de réussir enfin à ramener l’ordre et la sérénité dans les esprits.
Cette polémique a été rapportée dans le corpus des hadiths, et dans la Sira (la biographie de Mahomet). Ce fut effectivement une des premières conséquences néfastes de cet incident dit de l’ifq, et elle ne manqua pas d’envenimer, de façon épisodique, les relations entre les Aous et les Khazradj, menaçant ainsi l’unité des musulmans.
Mais laissons Aïcha en parler avec ses mots à elle.
Ibn Ichaq. Vie de Mahomet traduction A. Guillaume page 494.
« Quand l’apôtre avait l’intention de partir en expédition, il tirait au sort entre ses femmes laquelle devrait l’accompagner, ce qu’il a fait pour l’expédition contre les B. al Moustaliq et comme le sort m’a désignée l’apôtre m’a donc emmenée avec lui. Les femmes avaient alors l’habitude de manger peu et de s’abstenir de viande pour rester vives et légères. Quand le chameau fut bâté pour moi, je pris place dans mon palanquin et les hommes qui l’avaient sellé vinrent me chercher. Ils prirent la partie inférieure du palanquin le soulevèrent et le placèrent sur le dos du chameau et l’attachèrent avec une corde. Ensuite ils prisent prient la bride fixée sur la tête du chameau et se mirent en marche avec lui.
Quand l’apôtre eut terminé, il repartit et fit halte sur le chemin du retour pour bivouaquer non loin de Médine et passer la nuit à cet endroit. Ensuite il donna l’ordre de repartir et les hommes se remirent en route. Je suis alors sortie pour faire quelque chose avec un collier de perles autour du cou. Il tomba par terre après que j’en eus fini, sans que je m’en aperçoive et en revenant vers mon chameau je ne l’ai plus senti autour de mon cou. La plus grande partie de la caravane était déjà repartie. Je suis revenue sur mes pas pour chercher le collier. Mais les hommes qui s’occupaient du chameau ayant fini de le bâter attrapèrent le palanquin en pensant que j’y étais encore comme à l’accoutumée et l’attachèrent sur le chameau sans penser un seul instant que je n’étais plus à l’intérieur.
Puis ils prirent le chameau par la bride et repartirent avec. Quand je suis revenue, il n’y avait plus âme qui vive sur place, tout le monde était reparti. Je me suis alors enveloppée dans mon sarrau et je me suis couchée là où j’étais, en pensant bien que dès qu’ils s’apercevraient que je n’étais plus avec eux ils reviendraient me reprendre et par Dieu je venais juste de m’allonger quand Safouane b. al Mou'attal al Soulami est arrivé, il avait fait halte à l’écart du gros de la caravane pour faire quelque chose et n’avait pas passé la nuit avec eux. Il a vu ma silhouette par terre et s’est approché pour regarder. Il m’avait croisée avant que le port du voile nous fût prescrit, et quand il m’aperçut il
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s’exclama avec étonnement « La femme de l’apôtre » alors que j’étais encore tout engoncée dans mes vêtements. Il me demanda ce qui m’avait retenu, mais je ne lui ai pas répondu.
Il a ensuite amené son chameau et m’a dit de monter dessus pendant qu’il restait derrière. Je suis alors montée dessus et il a pris le chameau par la bride pour les rejoindre, mais par Dieu nous ne les avons pas rattrapés et personne ne remarqua mon absence avant le lendemain matin.
NDLR. Mahomet était en effet trop occupé à interroger sa nouvelle prisonnière la belle princesse moustalique Jouwaïriya.
Les hommes avaient fait halte pour se reposer un peu et quand ils eurent fini l’homme qui avait la charge de me conduire et des menteurs en parlèrent et l’armée s’en émut. Mais par Dieu je n’en sus rien.
Puis nous sommes rentrés à Médine et je suis aussitôt tombée malade aussi n’ai-je rien entendu de ces rumeurs.
NDLR. Malaise sans doute dû à une insolation, mais les mauvaises langues ont dû aussi penser qu’Aïcha était tombée enceinte.
L’histoire était parvenue aux oreilles de l’apôtre et de mes parents, mais ils ne m’en dirent rien bien que l’apôtre ait accusé le coup. Quand j’étais malade, il avait généralement l’habitude de faire preuve de compassion et de prévenance envers moi, mais là ce ne fut pas le cas et je n’ai pas eu droit cette fois-ci à ses attentions. Quand il vint me voir alors que ma mère était arrivée pour me soigner, tout ce qu’il trouva à dire fut : « Comment va-t-elle ? ». J’en fus alors si peinée que je lui ai demandé de laisser ma mère me reprendre chez elle afin qu’elle puisse s’occuper de moi. « Fais ce que tu veux », répondit-il, et je suis donc revenu chez ma mère, en ignorant tout de ce qui s’était passé jusqu’à ce que je sois guérie vingt jours plus tard.
Comme nous étions des Arabes nous n’avions pas ces latrines que les étrangers ont dans leurs maisons, nous les haïssions et ne les aimions pas. Pour satisfaire nos besoins naturels, nous sortions pour nous rendre en terrain découvert quelque part dans Médine. Les femmes sortaient tous les soirs, et une nuit je suis allé avec… Alors qu’elle marchait avec moi, elle a trébuché sur sa robe et s’est exclamée, « Que Mistah trébuche, » Mistah étant le surnom d’un Aouf. Je lui ai rétorqué : « ce n’est pas bien de dire une telle chose à propos de l’un des immigrés qui ont combattu à Badr ». Elle me répondit : « N’as-tu donc pas entendu ce qui se dit, O fille d’Abou Bakr ? » Et quand je lui eus répondu que non, elle poursuivit en me rapportant ce que les menteurs disaient de moi. Comme j’en étais très surprise, elle me confirma que c’était bien vrai. Par Dieu je fus alors incapable de faire ce que j’avais à faire et je suis revenue sur mes pas. Je ne pus m’arrêter de pleurer que quand je craignis d’en avoir le foie malade. J’ai dit alors à ma mère : « Que Dieu te pardonne ! Les gens ont dit du mal de moi et tu ne m’en as pas parlé ». Elle m’a répondu : « Ma petite fille, ne t’en fais pas. Il est rare que des femmes jalouses ne disent pas du mal d’une belle femme mariée à un homme qui l’aime et les hommes font la même chose ».
L’apôtre s’était levé pour prendre la parole et s’était adressé aux hommes, et je n’en savais rien. Après avoir loué Dieu, il avait demandé : « Que faire ? Certaines personnes veulent me faire douter de ma famille en colportant des choses fausses à son sujet ? Mais par Dieu je n’ai que du bien à dire d’eux, ils racontent des choses à propos d’un homme dont je n’ai qu’à me féliciter et qui en outre n’entre jamais dans ma maison sans que je sois aussi avec lui ».
Les plus grands menteurs étaient Abdullah b. Oubaye chez les Khazradj et Mistah ainsi qu’Hamna f. Jahsh, pour la raison que sa sœur Zenob f. Jahsh était de toutes les autres femmes de l’apôtre la seule qui pouvait rivaliser avec moi. En ce qui concernait Zenob, Dieu la protégeait à cause de sa religion et elle ne parlait de moi qu’en bien. Mais Hamna colportait ces ragots pour me nuire par amour de sa sœur, et j’en ai beaucoup.
Quand l’apôtre eut tenu le discours en question, Oussaïd b. Houdaïr lui répondit : « Si ce sont des Aous, laisse-nous régler ça nous-mêmes et si ce sont des Khazradj dis-nous ce qu’il faut faire car ils méritent qu’on leur coupe la tête ». Sa'd b. Oubada se leva – tout le monde le prenait pour un homme pieux avant ça – et cria : « Par Dieu, tu mens, ils ne seront pas décapités, tu n’aurais certainement pas dit ça si tu n’avais pas su que c’étaient des Khazradj. S’ils avaient été des tiens, tu n’aurais pas dit ça » Oussaïd lui répondit, « Menteur toi-même tu es un jaloux parlant au nom de tous les jaloux ». Les esprits étaient si échauffés que des affrontements faillirent éclater entre les clans Aous et Khazradj.
L’apôtre s’en alla et vint me voir. Il fit venir Ali et Oussama b. Zeïd et leur demanda leur avis.
— Oussama dit beaucoup de bien de moi et ajouta : « c’est ta famille et il n’y a que du bien à en dire, tout cela n’est que mensonge et mensonge ».
— Ali lui dit : « Tu as beaucoup de femmes et tu peux en changer facilement. Demandez à l’esclave de nous dire la vérité ». L’apôtre fit donc venir Bouraïra pour l’interroger et Ali se leva pour la battre en disant : « Dis la vérité à l’apôtre », ce à quoi elle répondit :« Je n’ai que du bien à dire d’elle. La seule
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chose que je peux reprocher à Aïcha est que quand je pétris la pâte et lui demande de la surveiller elle ne le fait pas, mais s’endort et alors son mouton ('de compagnie') vient et la mange ! »
L’apôtre est alors venu vers moi. Mes parents et une femme des Ansar étaient avec moi et nous pleurions toutes les deux. Il s’assit et, après avoir loué Dieu, me dit : « Aïcha, tu sais ce que les gens disent de toi. Crains Dieu et si comme ces hommes le disent tu as mal agi alors repends-toi devant Dieu, car il accepte la repentance de ses serviteurs ».
Après qu’il eut dit cela, mes larmes cessèrent et je ne les sentis plus couler sur mes joues. J’ai attendu que mes parents répondent à l’apôtre, mais ils n’ont rien dit. Par dieu, je croyais être trop insignifiante pour que Dieu fasse descendre à mon sujet des versets du Coran qui pourraient être lus dans les mosquées ou utilisé dans les prières, mais j’espérais bien par contre que l’apôtre verrait en rêve quelque chose par lequel Dieu me disculperait puisqu’il savait que j’étais innocente, ou qu’il y aurait au moins quelque chose à ce sujet. Quant à une révélation coranique descendant à mon sujet, par Dieu, je ne pensais pas assez de bien de moi-même pour estimer que j’en valais la peine. Quand j’ai vu que mes parents ne disaient rien, je leur ai demandé pourquoi, et ils m’ont répondu qu’ils ne savaient pas quoi dire…
L’apôtre était toujours là où il était assis quand s’abattit sur lui venant de Dieu ce qui avait l’habitude de le saisir (quand lui venait une révélation).
On le couvrit de son manteau et un coussin de cuir fut placé sous sa tête. Quant à moi, quand je vis cela, je n’en ressentis aucune peur ni crainte car je savais que j’étais innocente et que Dieu ne me traiterait pas injustement. Pour ce qui est de mes parents, j’ai cru qu’ils allaient mourir de peur que la révélation divine ne vienne confirmer ce que ces hommes avaient dit. Puis l’apôtre revint à lui et se redressa pour être assis à son aise. Il ruisselait sur ui comme des gouttes d’eau un jour d’hiver, et il commença d’essuyer la sueur de son front, en disant : « Bonne nouvelle, Aïcha, Dieu a fait descendre (une révélation) confirmant ton innocence » [NDLR. Le verset 11 du chapitre 24].
Je lui répondis : « Dieu soit loué ! »
Il sortit adresser la parole aux hommes qui étaient dehors et leur réciter ce que Dieu avait envoyé à ce sujet, puis il donna des ordres à propos de Mistah b. Outhatha, Hassan B. Thabit et Hamna f. Jahsh qui étaient les plus explicites dans leur calomnie et ils reçurent le nombre de coups de fouet prescrit.
NDLR. cf. chapitre 24 verset 4. C’est-à-dire quatre-vingts coups de fouet. Autrement dit presque autant que l’adultère lui-même.
* Le jeune homme accusé à tort d’avoir eu cette brève aventure amoureuse avec Aïcha, s’appelait Safouane ben al-Mouattal, et c’était un honnête serviteur du Prophète. Les versets de l’ifq qui affirment l’innocence d’Aïcha, lavent donc aussi, indirectement, Safouane, de l’accusation portée contre lui par la bande de mounafiqoun obéissants aux ordres d’Abdallah ibn Oubaye. (NDLR le plus vraisemblable est qu’il suivait la caravane de loin en espérant trouver quelque chose qui serait tombé de son chargement de butin.
II LES AUTRES PROBLÈMES DOMESTIQUES DE MAHOMET.
À cette même époque donc, il fallut examiner de plus près deux autres problèmes. En apparence, ils touchaient surtout la vie domestique du saint prophète (PSL), mais il devint nécessaire d’y remédier afin de garantir la paix à celui qui s’employait à promouvoir l’islam. Dieu lui-même traita des deux questions.
Le premier problème était la situation économique précaire du saint prophète. Durant les quatre premières années, il ne disposa en effet d’aucune ressource propre. En l’an quatre de l’Hégire, après le bannissement des Banou Nadir, Dieu ordonna qu’une partie de leurs terres lui soit réservée, mais cela ne couvrait toujours pas les besoins de sa nombreuse famille. La mission du prophète était d’autre part si lourde qu’elle exigeait de lui toute son énergie. Donc, il ne pouvait pas travailler pour gagner sa vie, et ses épouses finirent par troubler la paix de son ménage à quatre, en se plaignant constamment de difficultés économiques.
Note de Pierre de La Crau. Il y avait bien sûr une autre solution. Que ce pauvre Mahomet reste célibataire ou n’ait qu’une seule femme, afin de consacrer toute son énergie, y compris sexuelle, qui était considérable, à son apostolat. Mais ça Dieu apparemment n’y a pas pensé !
A) Le mariage avec Zenob.
Avant de se marier avec Zenob, le Prophète (PSL) avait déjà quatre épouses : Saouda, Aïcha, Hafsa et Oumm Salama. Les non-musulmans s’interrogèrent (et parvinrent à faire douter quelques musulmans) sur le fait que le saint prophète puisse avoir cinq épouses, alors que pour les autres musulmans, c’était limité à quatre. Telles étaient les dramatiques questions qui préoccupaient le saint Prophète (paix et bénédiction de Dieu sur lui) et les musulmans, quand le chapitre 33 (les factions/al-Ahzab) fut révélé.
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Les thèmes et le contexte démontrent que ce chapitre n’a pas été révélé en une seule fois. Il consiste plutôt en une succession d’injonctions et de commandements, révélés au fur et à mesure des événements.
1. Les versets 1 à 8 semblent avoir été révélés avant la bataille [du fossé ou de la tranchée] livrée en mars 627. En les lisant et en ayant à l’esprit le contexte historique, on voit bien que Zeïd [le fils adoptif de Mahomet] avait déjà divorcé de Zenob. La mise au point sur les coutumes et les superstitions concernant l’adoption devenait donc indispensable (sic). Le prophète (PSL) savait par ailleurs que les sentiments profonds et délicats éprouvés à l’égard des enfants adoptifs ne pouvaient être éradiqués (re-sic) tant qu’il n’appliquerait pas lui-même le commandement à ce sujet. Mais il hésitait. Il anticipait déjà la riposte des hypocrites, des juifs, et des mouchriqoun, s’il épousait la femme de Zeïd. Leur méchanceté ainsi que leur espièglerie (???) se saisiraient de cette occasion pour discréditer l’islam.
2. Les versets 9 à 27 reviennent sur la bataille des Tranchées, ainsi que sur l’attaque contre les Banou al Moustaliq. C’est pourquoi ces versets n’ont pu être révélés qu’après ces événements.
3. On peut diviser les versets 28 à 35 en deux parties. Dans la première, Dieu s’adresse aux épouses du saint prophète (paix et bénédictions de Dieu sur lui) qui s’impatientaient de la situation : Ô Prophète ! Dis à tes épouses : « Si c’est la vie présente que vous désirez avec toute sa parure, alors venez ! Je vous donnerai [les moyens] d’en jouir et vous libérerai [par une répudiation] sans préjudice. Mais si c’est Dieu que vous recherchez vraiment et son messager ainsi que le paradis dans l’autre monde, sachez que Dieu a préparé une récompense sans limites pour celles d’entre vous qui agiront bien. Par contre, ô vous les femmes du prophète, celle d’entre vous qui se rendra coupable d’une turpitude manifeste, recevra deux fois le double du châtiment prévu [en cas d’adultère]. Ceci est facile à faire pour Dieu. Nous accorderons par contre une double récompense à celle d’entre vous qui sera dévouée envers Dieu et son prophète, à celle qui agira bien » (versets 28 à 31).
La seconde partie édicte certaines règles sociales adaptées au modèle islamique. Dans la mesure où ces versets s’adressent aux épouses du prophète, la réforme fut d’abord mise en œuvre dans son foyer. Par opposition aux jours de l’ignorance [du paganisme, la fameuse Djahiliya], les épouses furent invitées à rester chez elles et à user d’un langage retenu avec les autres hommes. Ce fut le début des commandements du Purdah (NDLR Terme ourdou venant du persan et signifiant grosso modo bienséance, mais aussi réclusion).
a) Les versets 36 à 48 traitent du mariage du saint prophète et de Zenob. Ils répondent aux objections des opposants à l’islam, chassant par la même occasion les doutes qui troublaient encore l’esprit des musulmans. Ces versets rappellent également au croyant la position et le statut du saint prophète (PSL).
b) Le verset 49 expose une clause concernant la législation du divorce [erreur de traduction ? Répudiation serait plus juste. Les femmes font en général ET ELLES ONT RAISON une grande différence entre divorce et répudiation]. Ce verset vient seul, car il fut certainement révélé par rapport à ces événements.
c) Dans les versets 50 à 52, Dieu explique que, en raison de son statut particulier, le prophète (paix et bénédiction de Dieu sur lui) peut déroger à certaines restrictions concernant la vie conjugale, imposées aux autres musulmans.
d) Les versets 53 à 55 s’engagent plus avant dans la réforme sociale : l’étiquette islamique à propos des visites et des invitations ; les visites aux saintes épouses sont limitées aux proches parents [sur la sainteté des femmes de Mahomet, voir nos notes à propos du catéchisme des Français musulmans de l’île de la Réunion] ; quant aux autres hommes, ils ne purent désormais leur parler qu’à travers un rideau ; l’interdiction pour les épouses du prophète (PSL) d’épouser d’autres musulmans [et non-musulmans. Nous préférons en effet supposer que l’auteur de ce site internet a oublié les quelques milliards de non-musulmans peuplant cette planète et nous ne pensons pas qu’il prône l’interdiction du mariage d’une musulmane avec un non-musulman, ce qui serait du racisme].
e) Les versets 56 et 57 mettent en garde ceux qui critiquaient le mariage du prophète et sa vie domestique. Ils invitent les musulmans à ne pas copier les ennemis de l’islam en s’adonnant à la critique, mais plutôt à invoquer les bénédictions de Dieu sur le Prophète. Le chapitre 33 recommande également d’éviter toute accusation mensongère entre eux et de ne pas médire de la personne du prophète. [Pauvre Mahomet !]
f) Le verset 59 passe à la troisième mesure de la réforme sociale. Les femmes musulmanes ne doivent sortir que complètement couvertes et dans un but précis. [Voilà, comme ça au moins c’est clair, et ce n’est pas un roumi comme moi qui le dit].
Les versets suivants réprimandent [oh, les vilains !] les hypocrites et autres méchantes langues pour les rumeurs qu’ils ont colportées contre l’islam et les musulmans.
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Note de la rédaction. « Réprimandent » n’est peut-être pas le mot juste. Voici en effet ce que dit exactement le verset en question, le verset 60 du chapitre 33 : « Maudits en quelque lieu qu’ils se trouvent, ils seront pris et tués, selon la coutume, etc. »
« Réprimer » aurait peut-être été un mot plus juste. Toujours cette fichue extranéité de l’islam qui nuit tant à sa juste compréhension par les non-musulmans, vu toutes ces erreurs de traduction à répétition.
La conclusion du contrat de mariage avec Zenob déclencha une tempête à l’encontre du saint prophète (PSL). Les polythéistes, les hypocrites, et les juifs, brûlaient tous de jalousie en raison de la succession de ses triomphes, l’humiliation subie par eux durant la bataille des tranchées, ainsi que l’affaire des juifs Qouraïza, continuaient à les toucher en plein cœur. Ils avaient longtemps espéré soumettre le prophète (PSL) sur les champs de bataille, mais vu leurs échecs, ils se rabattaient sur cette affaire de mariage. C’était pour eux l’occasion de remettre en cause la supériorité morale (isma) du saint prophète (PSL). Ils prétendaient que le prophète (PSL) était tombé amoureux de la femme de son fils [adoptif], que ce dernier l’avait appris, et avait décidé de divorcer de sa femme, afin que le prophète (PSL) puisse l’épouser. Zenob n’était pas non plus d’accord, mais c’était l’ordre du saint Prophète (PSL). Les noces furent célébrées. Si le saint prophète (PSL) avait réellement désiré Zenob, il ne l’aurait certainement pas d’abord mariée à Zeïd, et l’aurait lui-même épousée tout de suite. En dépit de cela, les détracteurs de l’islam inventèrent toutes sortes de romances à ce sujet ou diffusèrent tellement de rumeurs, que certains musulmans y crurent. [Note de la rédaction : de toute façon cette Zenob, bien qu’ayant le même nom qu’une célèbre reine de Palmyre, était très laide, et c’est uniquement pour cela que Mahomet l’a épousée, par esprit de sacrifice, et pour obéir à Dieu.] Il se soumit à cet ordre durant le siège des Banou Qouraïza.
Le délai qui semble avoir alors été observé s’explique certainement par le fait que la période d’attente prescrite n’était pas révolue, et que le prophète (PSL) était entièrement absorbé par ses préparatifs de guerre [pogrom aurait peut été un mot plus juste. Diable ! Toujours ces maudits problèmes de traduction !!] Le fait que des légendes inventées par leurs ennemis deviennent des sujets de conversation parmi les musulmans montre bien que ces problèmes de sensualité avaient dépassé toutes les limites. Si le mal n’avait pas été déjà présent dans les cœurs, les esprits n’auraient certainement pas accordé autant d’importance à ces histoires absurdes et dégoûtantes concernant la personne du prophète (PSL).
C’est donc à cette occasion que les audacieuses innovations réformatrices de la loi [on croirait entendre un homme politique de la droite républicaine en France] du hidjab ou du purdah, furent mises en place dans la société islamique. Elles complétèrent celles de la directive divine N° 24, diffusée après les ragots sur l’attitude équivoque d’Aïcha, la jeune épouse favorite du prophète, dans le désert. Incident évoqué dans le Coran, la Sira et les annales, sous le vocable arabe al-ifk (c’est-à-dire le mensonge calomnieux). Voir extraits du Coran, chapitre 24, la lumière, versets 1 à 17.
B) La grève ou le complot des femmes de Mahomet dans son dos.
Circonstances de cette révélation (asbab al nouzoul).
La coucherie 1) avec négresse (une esclave éthiopienne chrétienne copte : Marie.
Il s’agissait d’une esclave égyptienne donnée à Mahomet par le gouverneur sassanide d’Égypte en 628.
D’après le célèbre exégète du Coran Ibn Katir, Mahomet était alors dans la chambre de son épouse Hafsa, fille d’Omar, quand cette dernière sortit rendre visite à ses parents. Mahomet amena peu après Marie dans la chambre d’Hafsa et coucha avec elle. Lorsque Hafsa rentra chez elle et apprit la nouvelle, elle lui fit une violente scène de ménage ou de jalousie en lui reprochant d’avoir couché, dans sa chambre, et durant sa nuit, avec une esclave noire, et qui sentait mauvais… Mahomet se serait excusé et aurait supplié Hafsa de ne pas en parler aux autres épouses. En revanche, il s’interdit désormais Marie et l’offrit à Abou Bakr.
Mais Hafsa raconta tout aux autres épouses légitimes qui se révoltèrent contre Mahomet. D’où les versets qui suivent (chapitre 66 versets 1-5)
« Ô Prophète ! Pourquoi, en recherchant l’agrément de tes femmes, t’interdis-tu ce que Dieu t’a rendu licite ? Dieu vous a prescrit de vous libérer de vos serments… Lorsque le Prophète confia un secret à l’une de ses épouses et qu’elle l’eut divulgué et que Dieu l’en eut informé, celui-ci en fit connaître une partie et passa sur une partie. Puis, quand il l’en eut informée, elle demanda : « Qui t’a dit ça ? » Il répondit : ‘C’est l’Omniscient, le grand sachant qui me l’a dit’.
Si vous vous repentez toutes deux devant Dieu, ce sera la preuve que vos cœurs se seront amendés. Mais si vous vous soutenez mutuellement contre lui (Mahomet), alors ses alliés seront Dieu, Gabriel et les plus vertueux d’entre les croyants, et les Anges aussi seront ses alliés. Et s’il vous répudie, il se peut que son Seigneur lui donne en échange des épouses meilleures que vous, musulmanes, croyantes, obéissantes, repentantes, adoratrices, jeûneuses, déjà mariées ou vierges ».
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Nos amis musulmans nous expliquent qu’il fallait bien que Dieu intervienne pour venir en aide à son malheureux prophète victime de la fureur de ces mégères ?????????????????????????????????????????????
Notre position. Nous condamnons fermement les propos racistes indignes des femmes de Mahomet, mais notre avis aussi est que l’être des êtres ou taouhid ne doit pas s’occuper directement des choses subalternes. Destin justice immanente causes secondes ou divine providence sont là pour ça. De minimis non curat praetor. Dieu ne s’occupe pas des détails.
N.B. Le héros du roman initiatique spirituel appelé « les quatre évangiles » lui au moins n’a jamais donné dans un tel ridicule. Il a estimé préférable de consacrer toute son énergie humaine y compris physique, à sa mission. Ce qui lui a évité le ridicule de ce genre de situation dont ci-dessous quelques autres exemples.
Yahiya Emerick, Muhammad 2002, page 263.la tâche
… La vie personnelle et familiale de Mahomet n’était pas toujours rose. Ses femmes se querellaient parfois et se liguèrent même une fois contre lui. Aïcha par exemple, détestait sa coépouse juive, Safiyah, et l’insultait périodiquement. Mahomet dut défendre son statut et l’honorer un certain nombre de fois voire réprimander la jeune Aïcha. Hafça devint jalouse de sa co-épouse, Maria, quand elle la trouva un jour, elle et Mahomet, couchés (sic) dans son appartement, à elle. Pour ce qui est du complot, Aïcha se mit d’accord avec deux autres coépouses pour convaincre le Prophète que manger du miel le rendait désagréable à fréquenter. Lorsque Mahomet lui eut promis de ne plus jamais manger de miel, elle le regretta auprès de ses deux co-inspiratrices. Bien que ces incidents n’aient pas été la norme, ils démontrent que les femmes de Mahomet étaient aussi humaines que nous…
Muhammad Husayn Haykal (Haykal, La Vie de Mahomet, trad. Isma'il Raji al-Farouqi, 1976, chapitre 26 : Ibrahim et les épouses du prophète, « La Rébellion », p.437.
… Un jour, alors que le Prophète était resté chez Aïcha, ses autres épouses déléguèrent à Zenob, la fille de Jahch, la tâche d’aller en leur nom à toutes l’accuser d’injustice et d’inégalité, en faisant valoir que sa préférence pour Aïcha constituait une violation de la règle qu’il avait lui-même édictée d’un jour et une nuit chez chacune de ses épouses. D’un autre côté, bien consciente que le Prophète ne se souciait plus beaucoup de ses charmes, et n’étant plus soucieuse de lui plaire, Saouda avait abandonné son jour et sa nuit à Aïcha…
NDLR. Dans le texte coranique ci-dessous, au lieu de conseiller aux hommes de ne pas maltraiter leurs épouses, on conseille aux femmes qui craignent d’être maltraitées ou délaissées de chercher un moyen de rester. Ce que beaucoup ne réalisent pas, c’est que la sourate 4,128 a été révélée pour Saouda bint Zamah (parce qu’elle était devenue vieille et peu attirante).
« Quand une femme redoute l’abandon ou l’indifférence de son mari, nul péché ne leur sera imputé s’ils se réconcilient par un compromis quelconque car la réconciliation est un bien ».
Circonstances de cette révélation (asbab al nouzoul).
Mahomet pensait en effet à se séparer d’une de ses premières épouses, Saouda, car celle-ci était devenue trop vieille. Saouda donc accepta de céder ses nuits (son tour de lit) à la toute jeune Aïcha, mais à condition de rester une des épouses officielles de Mahomet. Mahomet fut enchanté de ce marché.
Abou Daoud At-Tayalisi a rapporté qu’Ibn Abbas a déclaré : « Saouda craignait que le Messager de Dieu ne la répudie et elle lui a dit : Ô Messager de Dieu, ne me répudie pas, donne mes nuits Aïcha. Ce qu’il fit…
Les deux sahihs rapportent également (d’après Aïcha) que quand Saouda bint Zama fut devenue vieille elle abandonna ses nuits à Aïcha et le Prophète prit donc l’habitude de passer les nuits de Saouda avec Aïcha…
L’exégète sunnite Ibn Kathir a écrit : faire la paix vaut mieux que se séparer. On en trouve un bon exemple dans l’histoire de Saouda bint Zama dont le prophète voulut divorcer (sic) quand elle fut devenue vieille, mais elle conclut un accord avec lui en cédant à Aïcha la nuit qu’il avait l’habitude de passer avec elle afin qu’il la garde. Le Prophète accepta un tel accord et la garda.
« Faire la paix vaut mieux » se réfère au cas de la femme qui renonce à certains de ses droits conjugaux. Un tel compromis vaut mieux que la répudiation totale, comme l’a fait le Prophète quand il a gardé Saouda bint Zama. Ce faisant, le Prophète a donné l’exemple à son Oumma, car il s’agit de quelque chose de licite, etc.
Dieu est tout puissant, mais quand même ! Comment peut-on penser que l’être des êtres quel que soit le nom qu’on lui donne (le Taouhid Dieu ou Allah) puisse s’abaisser au point de s’occuper directement des problèmes conjugaux de Mahomet ?? Tel est bien d’ailleurs le sens d’un des propos de l’épouse favorite de Mahomet, Aïcha, tel qu’il est rapporté par le hadith 48, tome 7, livre 62 du Sahih Boukhari.
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« Quand le verset (Ô Mahomet) tu peux reporter à ta guise (le tour de) chacune d’entre elles (tes épouses) (Coran 33,51) fut révélé, Aïcha s’exclama : O Apôtre de Dieu je ne peux que constater à quel point ton Seigneur s’est empressé de t’exaucer » (Sahih Boukhari tome 7, livre 62, hadith 48).
De minimis non curat praetor. Dieu ne s’occupe pas directement des choses secondaires ou subalternes. Le destin les causes secondes ou la divine providence cela sert à cela. Comment peut-on se faire de l’être des êtres ou du Taouhid, de Dieu ou d’Allah, une idée aussi basse ???
C’est là vraiment avoir une conception bien schizoïde du Taouhid ou de Dieu en tant qu’être des êtres que de l’abaisser à prendre parti dans toutes ces lamentables histoires (voir aussi par exemple le chapitre 111 du Coran).
Comment peut-on se faire de l’être des êtres ou du Taouhid, de Dieu ou d’Allah, une idée aussi basse ???
C’est blasphémer l’idée même de Dieu et faire insulte à l’intelligence humaine.
1) Maintenant comment savons-nous tout cela me direz-vous ? Parce que Dieu dans le Coran intervient constamment pour défendre Mahomet. Si le grand rabbi nazaréen Jésus avait été aussi bien défendu jamais il n’aurait fini crucifié pour tentative de rébellion zélote contre les autorités romaines (il est vrai que pour le Coran qui se fait ici l’écho de diverses doctrines gnostiques ou judéo-chrétiennes, il n’a pas vraiment été crucifié).
MARS 628 SERMENT ET ARMISTICE D’HOUDEÏBIYA.
Armistice conclu avec La Mecque en principe pour 10 ans, mais qui sera rompu deux ans plus tard par Is Fecit Cui Prodest 1), la suite des événements montrera, le rapport de force ayant changé, qui avait intérêt à le rompre, ou avait intérêt à tout faire pour le maintenir en vigueur, les Mecquois ou Mahomet.
Houdeïbiya était une oasis située à la limite du « haram » ou « territoire sacré » de la ville de La Mecque, un puits situé à 22 km au nord-ouest de la cité. Ibn Ichaq précise page 505 : « L’envoyé de Dieu avait son camp dans la partie non sacrée, mais il priait dans la partie sacrée ».
Il y a en réalité deux pactes bien distincts : le premier en fait est celui de 1400 hommes environ, envers Mahomet, « sous l’arbre » : ils manifestent ainsi leur volonté d’accomplir le pèlerinage à La Mecque, et renforcent sa position.
Deuxième pacte d’Houdeïbiya. Fort de ce soutien affiché, Mahomet peut alors rencontrer des représentants de La Mecque.
Mais commençons par le commencement.
En 628 et suite à un rêve (ou une révélation divine non enregistrée dans le Coran) Mahomet voulut profiter de la trêve sacrée des pèlerinages païens à La Mecque, pour tenter d’y retourner (omra). Il se prépara dans cette intention (Ihram), se purifia et prit avec lui des offrandes. 1400 émigrés de La Mecque ou Médinois de souche l’accompagnèrent, vêtus de blanc et armés de leur seule épée. Dès
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que les Mecquois eurent entendu parler de l’affaire, de ces 1400 hommes qui faisaient mouvement vers La Mecque, ils envoyèrent aussitôt des éclaireurs, avec Khaled ibn al-Oualid à leur tête, pour repérer la colonne de musulmans et lui interdire l’entrée dans la cité. En cours de route, Mahomet demanda de son côté à Bichr ibn Soufiane de lui avoir des nouvelles des Mecquois. Celui-ci lui rapporta quelques jours plus tard que les Couraïchites avaient l’intention de les empêcher d’entrer en ville. Mahomet demanda si quelqu’un connaissait une autre route pour aller à La Mecque sans que les Couraïchites s’en aperçoivent. « Oui ! » répondit un guerrier de la tribu d’Aslam.
Les musulmans donc empruntèrent un autre chemin, plus difficile, mais à l’insu des Mecquois. En cours de route, la vieille chamelle de Mahomet, la fameuse « Qassoua », s’arrêta, et ne voulut plus repartir. « Elle est vieille et elle est fatiguée » pensèrent les musulmans, mais Mahomet leur répondit : « Celui qui l’a immobilisée ainsi est celui qui a jadis pareillement immobilisé l’éléphant ». [NDLR Allusion de Mahomet à l’attaque lancée contre La Mecque par les forces éthiopiennes venues du Yémen en 570 sous le commandement du général chrétien Abraha. Dieu aurait alors sauvé la cité en arrêtant miraculeusement l’éléphant qui était à la tête de leurs troupes. Voir chapitre 105 du Coran. Mais ce ne fut en réalité qu’une belle histoire racontée par le grand-père Abd al Mouttalib à ses petits-enfants le soir à la veillée].
Mahomet cravacha sa chamelle, qui se releva, mais pour s’arrêter finalement près d’une petite mare située à l’extérieur d’Houdeïbiya. Comme elle ne pouvait pas donner assez d’eau, Mahomet prit une flèche dans son carquois et demanda ensuite à l’un des siens de creuser un trou dans la mare avec. Celle-ci se mit alors à déborder d’eau fraîche, et il y en eut assez pour tout le monde [cette légende ressemble évidemment beaucoup à celle de Moïse frappant un rocher de son bâton pour en faire jaillir une source. Exode 17, 6]. Mahomet envoya ensuite son gendre Osman ibn Affane proposer une trêve. Il se rendit auprès des Couraïchites pour discuter, mais les négociations durèrent si longtemps que Mahomet crut qu’il avait été tué. Il jura donc de le venger puis demanda aux siens de lui promettre de combattre jusqu’à la mort, ce qu’ils firent, sous un arbre, en un lieu appelé Radouane. Les compagnons lui serrèrent la main à tour de rôle en lui jurant qu’ils n’abandonneraient jamais. Puis Mahomet se serra lui-même la main en déclarant « Ça, c’est pour Osman ».
NDLR. Cette halte dans ce qui était sûrement un ancien sanctuaire païen donnera donc lieu à des cérémonies originales. Le serment est toujours un grand moment dans l’histoire du totalitarisme. Il s’y trouve des exemples remarquables de démence collective ou d’un incroyable culte de la personnalité, qui franchit les bornes de l’idolâtrie, sans parler du fanatisme, qui s’y exprime avec emphase (cf. Gustave le Bon).
Mahomet, Coran 48,18. Dieu a été satisfait des Croyants quand ils te prêtèrent serment d’allégeance sous l’arbre. Il a reconnu alors ce qui est en leurs cœurs. Il a fait descendre sur eux la force divine (Chakina) et les a ainsi assurés d’un prochain succès, mais aussi d’abondantes masses de butin. NDLR. Drôle de pèlerinage !
1) Appliquer ce vieil adage romain est le seul moyen d’éviter une approche bêtifiante de l’histoire de l’islam.
LE TRAITÉ D’HOUDEÏBIYA PROPREMENT DIT.
Les Couraïchites, voyant les musulmans à leur porte, acceptèrent à leur tour d’entamer des négociations, et dépêchèrent Souhaïl ben Amr à cet effet.
Ibn Ichaq est très précis et s’étend longuement sur les circonstances du pacte et sur son contenu en ne faisant aucune allusion au pacte précédent (le serment). Les négociations sont longues, et s’achèvent en apparence sur un équilibre : une trêve de dix ans est conclue, et les musulmans reportent d’un an leur pèlerinage, dans une ville qui sera pour trois jours et par précaution, vidée de ses habitants. Cet accord est marqué par une grande habileté de Mahomet, qui, sûr de sa force, et conscient des avantages qu’il va en tirer, acceptera ce traité en apparence humiliant pour lui et ses compagnons. Il saura profiter de cette très légère concession pour finalement, remporter la partie.
Ibn Ichaq Vie de Mahomet traduction Alfred Guillaume page 504.
L’ARMISTICE
Les Couraïchites ont alors délégué auprès de l’apôtre Souhaïl b. Amr le frère de b. Amir b. Lou'aye avec des instructions pour faire la paix avec lui à condition qu’il rentre chez lui cette année-là pour qu’aucun Arabe ne puisse dire qu’il avait fait une entrée en force [dans la Mecque].
Quand l’apôtre le vit arriver, il s’exclama : « Ils veulent faire la paix vu qu’ils ont envoyé cet homme » [pour négocier].
La paix fut conclue après une longue discussion et il ne resta plus qu’à rédiger l’accord.
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Omar bondit sur ses pieds pour aller dire à Abou Bakr : « N’est-il pas l’apôtre de Dieu, ne sommes-nous pas des musulmans, et eux des polythéistes ? » Abou Bakr étant d’accord il continua : « Alors pourquoi devrions-nous consentir à ce qui rabaisse notre religion ? Abou Bakr lui rétorqua : « tiens t’en à ce qu’il dit, car il est bien l’apôtre de Dieu j’en suis témoin. Omar répondit : « Et moi aussi ». Ensuite il alla trouver l’apôtre et lui posa la même question à laquelle l’apôtre répondit : « Je suis l’esclave de Dieu et son apôtre. Je n’irai pas contre sa volonté car il ne fera rien perdre ».
Omar avait coutume de dire : « Depuis je n’ai pas cessé de faire l’aumône, de jeûner, de prier et d’affranchir des esclaves à cause de ce que j’ai fait ce jour-là par peur de ce que j’avais dit en pensant que (mon plan) était meilleur.
Alors l’apôtre fit venir Ali lui dit d’écrire : « Au nom de Dieu le Compatissant, le Miséricordieux ». Souhaïl s’exclama : je ne suis pas d’accord avec ça, mets plutôt « Au nom de Dieu ». L’apôtre lui demanda d’écrire ça et Ali le fit. Ensuite il ajouta : mets « voici ce que Mahomet l’apôtre de Dieu, a conclu avec Souhaïl b. Amr ».
Souhaïl a dit : « Si j’étais témoin que tu es bien l’apôtre de Dieu, je ne t’aurais pas combattu. Mets ton nom et le nom de ton père ».
L’apôtre dit à Ali : « Écris : ci-dessous ce que Mahomet ben Abdallah a décidé avec Souhaïl ibn Amr : ils ont accepté d’arrêter la guerre et de s’abstenir de toute hostilité pendant dix ans. Nous ne manifesterons pas d’inimitié les uns envers autres et il n’y aura pas de clause secrète ni de mauvaise foi. Celui qui voudra conclure une alliance ou un accord avec Mahomet pourra le faire et celui qui souhaitera conclure une alliance ou un accord avec les Couraïchites pourra le faire.
Arrivé à ce point du pacte les Khouza'a bondirent et s’exclamèrent : « mais nous sommes liés à Mahomet par un accord ! ».
Les B. Bakr bondirent et déclarèrent la même chose vis-à-vis des Couraïchites en ajoutant: « Vous devez vous retirer de chez nous et ne pas entrer à La Mecque contre notre volonté, mais l’année prochaine, nous vous laisserons de la place et vous pourrez entrer avec vos compagnons et y rester trois nuits. Vous pourrez avoir les armes d’un cavalier, les épées dans leurs fourreaux, mais rien de plus ! »
Ces conditions furent jugées humiliantes par les compagnons qui, comme Omar, appartenaient à des familles importantes de La Mecque.
Il vint donc trouver Mahomet pour lui demander : « Nos morts ne vont-ils pas au Paradis et leurs morts à eux ne vont-ils pas en enfer ? »
Si répliqua Mahomet !
« Dans ce cas, pourquoi déshonorer notre religion en acceptant un tel traité ? Ne nous as-tu pas promis que nous pourrions aller accomplir enfin nos circumambulations rituelles autour de la Kaaba » ?
Si, répondit Mahomet, mais ai-je précisé que ce serait cette année ?
Ibn Ichaq précise page 505 : « L’envoyé de Dieu avait son camp dans la partie non sacrée, mais il priait dans la partie sacrée. Après que la paix eut été signée, il abattit ses victimes sacrificielles et s’assit pour se raser la tête. On m’a dit que ce fut Khirach b. Omayya b. al Fadl al Khouza'I qui la lui rasa ce jour-là. Quand les hommes virent ce que l’apôtre avait fait, ils bondirent sur leurs pieds et firent de même ».
Tabari a une version des choses un peu plus laborieuse.
Tabari Tome 8, page 88.
Quand le Messager de Dieu eut conclu son pacte, il dit à ses compagnons : « Levez-vous, sacrifiez et rasez-vous la tête ». Mais personne ne se leva, par Dieu, avant qu’il ne l’ait dit trois fois. Voyant que personne ne se levait il se mit debout et entra sous la tente d’Oum Salamah et lui a raconta comment les hommes avaient réagi. Oumm Salama lui répondit : « Prophète de Dieu, es-tu d’accord avec ça ? Sors et ne dis pas un mot tant que tu n’auras pas égorgé ton chameau gras et fait venir ton coiffeur pour te raser le crâne ». Il se leva donc, sortit et ne dit mot à personne avant d’avoir fait ça. Il égorgea son chameau gras et appela son barbier pour qu’il lui rase le crâne. Quand les hommes eurent vu cela tous se levèrent aussitôt pour abattre (leur bête) et ils commencèrent à se raser mutuellement le crâne avec acharnement, morts de honte ou presque.
Avec le recul, on peut donc dire que ce fut une victoire pour Mahomet, qui négocie à égalité avec ses anciens compatriotes, conforté dans son rôle de dirigeant politico-religieux. Il respectera en partie la trêve, et justifiera le non-respect du reste par des révélations divines, explicitées au mieux des intérêts de son camp. Le traité d’Houdeïbiya est littéralement l’acte de naissance du premier État musulman au monde, puisque les Mecquois, pour la première fois, ont traité d’égal à égal, ou presque, avec Mahomet. Celui-ci profitera donc du répit qui s’ensuivra pour affermir définitivement son autorité sur toute la région de Médine. Les Mecquois lui ont, en fait, laissé les mains libres pour se renforcer et les étouffer plus encore.
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Comme une des principales dispositions de ce traité consistait en l’arrêt immédiat de tout acte d’hostilité pendant dix ans, et le libre choix pour les tribus arabes ; la tribu des Kouzaa rallia aussitôt le camp de Mahomet ; alors que les Banou Bakr, eux, préférèrent rester fidèles à leur alliance avec les Couraïchites. Le Traité signé par Mahomet obligeait aussi les musulmans à renvoyer à La Mecque tous ceux d’entre eux qui voudraient se rallier à leur camp après cela, une clause qui avait d’ailleurs irrité nombre des musulmans d’alors. Quand les termes de cette trêve furent connus, quelques habitants de La Mecque partirent quand même pour Yathrib/Médine, et notamment un dénommé Abou Hassir. Mais il est rattrapé par des Mecquois. Il en tue un et s’enfuit dans la région d’al Is, d’où, rejoint par d’autres transfuges, il pille au nom de l’islam toutes les caravanes mecquoises passant par là. La situation tourne donc à l’avantage de Mahomet. Les sympathisants de sa nouvelle religion, sachant qu’ils ne pouvaient se rendre à Yathrib/Médine sans violer ouvertement les engagements pris par Mahomet, affluaient dans la région du littoral. Et comme ces nouveaux musulmans n’étaient plus liés par quoi que ce soit, qu’ils étaient devenus incontrôlables, ils attaquaient toutes les caravanes qui passaient dans le secteur. Les Mecquois demandèrent donc eux-mêmes à Mahomet de considérer comme nulle et non avenue la clause du traité en question et Mahomet fit donc venir à Yathrib/Médine Abou Hassir et les siens. Première entorse à la trêve, mais sur demande des Mecquois eux-mêmes.
D’autres habitants de la ville avaient d’ailleurs, eux aussi, préféré quitter La Mecque, notamment des femmes, dont Oum Koulthoum, la fille d’Ouqba. Mahomet eut alors une vision lui ordonnant de ne pas respecter sa parole à leur égard. Chapitre 60, verset 10. « Ô vous les croyants ! Lorsque des croyantes viennent à vous, éprouvez-les. Dieu connaît parfaitement leur foi. Et si vous les considérez comme de vraies croyantes, alors ne les renvoyez pas vers les mécréants, elles ne sont plus permises pour eux, et ils ne sont plus licites pour elles ».
Deuxième entorse à la trêve et pas à la demande des Mecquois cette fois-ci.
[N.D.L.R. Ouqba était le malheureux que Mahomet avait fait naguère exécuter, sommairement, après sa victoire à Badr, et qui lui avait demandé qui allait s’occuper de sa fille après sa mort. L’anecdote semble donc très suspecte et peut-être destinée à corriger la pénible impression laissée par la réponse de Mahomet à l’époque : l’enfer ! À moins bien sûr de considérer que vivre en musulman en terre d’islam constitue en soi un véritable enfer].
Pour la première dans l’Histoire des Arabes, un homme a donc créé un nouveau peuple, ex nihilo, différent de tous les autres, et se considérant comme supérieur : les musulmans (Coran 3,110). Après la bataille du Fossé, le rapport de force avec La Mecque commence à pencher en faveur de ces derniers. Les opérations de pillage ne cessent pas. Le traité n’est vu que dans une logique d’affrontement, comme un répit nécessaire, mais pas comme une conclusion définitive. Mahomet se lancera dès lors à l’assaut d’objectifs un peu plus gros que les tribus des environs : d’autres oasis, équivalentes à celle de Yathrib/Médine. Les populations seront différentes, par le niveau de leur richesse et par leur religion. cf. Khaïbar, un Massada juif situé à 150 km au nord de Médine.
Résumé du film.
1 À la suite d’un rêve, Mahomet décide de faire le pèlerinage à La Mecque.
2 Il demande aux Bédouins résidant autour de Yathrib/Médine de l’accompagner, mais ceux-ci refusent.
3 Mahomet décide de partir à la tête de 700 à 1400 hommes, selon les estimations.
4 À Dhoul Khoulaïfa, il se met en état de pureté rituelle pour accomplir le pèlerinage.
5 Ayant appris les préparatifs de Mahomet, les Mecquois envoient 200 cavaliers sous les ordres de Khaled, à Koura al Ghanim.
6 Mahomet décide alors de suivre une autre route. À Al Houdeïbiya, sa chamelle s’arrête fort opportunément. Houdeïbiya est une petite oasis située juste à la limite du territoire sacré (haram) de La Mecque. Mahomet ordonne donc que le camp soit installé à cet endroit.
7 Confronté à l’aridité de l’endroit, Mahomet aurait ensuite effectué un miracle, en remettant alors en eau, à l’aide d’une flèche, un puits asséché.
8 Des délégués couraïchites arrivent pour négocier avec Mahomet.
9 Osman est envoyé à La Mecque pour poursuivre les négociations ; il est toujours resté en retrait dans les attaques contre la ville et a encore de bons contacts là-bas.
10 Une rumeur se propage selon laquelle Osman a été tué à La Mecque.
11 Devant la tournure dramatique des événements, Mahomet fait prêter serment de fidélité à ses troupes sous un acacia doté de pouvoirs divins (48, 18, la chakina).
12 La rumeur de la mort d’Osman se révèle être fausse.
13 Les Couraïchites envoient Souhaïl pour négocier un armistice. Son texte stipule que :
–-Il y aura une trêve de dix ans.
— Les musulmans doivent se retirer de l’oasis et rentrer à Yathrib/Médine.
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— Les musulmans pourront revenir l’année suivante et faire le pèlerinage durant trois jours à leur façon.
— Les tribus voisines peuvent se rallier librement à Mahomet, ou aux Couraïchites.
— Les musulmans doivent rendre aux Couraïchites toute personne qui s’est réfugiée à Yathrib/Médine en se convertissant à l’islam sans l’accord de son responsable légal.
14 Abou Jandal, fils du négociateur Souhaïl, sera ainsi renvoyé chez son père, en application de cet accord.
15 Mahomet renonce donc à entrer à la Mecque pour y terminer son pèlerinage et ordonne à ses troupes de faire de même en se rasant la tête et en sacrifiant leurs animaux sur place, ce qu’elles acceptent avec difficulté.
16 Sur le chemin du retour, le chapitre coranique 48 dit sourate de la Victoire est « révélé ».
17 Abou Hassir s’enfuit à Yathrib/Médine, mais il est rattrapé avant par des mecquois. Il en tue un et se réfugie en un lieu appelé al Is, d’où, rejoint par d’autres transfuges, il pille, toujours au nom de l’islam, les caravanes mecquoises. Mahomet les fait venir à Yathrib/Médine, mais sur demande des Mecquois : première entorse à la trêve.
18 Poursuivant dans sa politique de non-respect de l’accord, Mahomet accueille aussi à Yathrib/Médine un groupe de femmes venant de La Mecque ; mais une révélation divine vient fort à propos confirmer cette nouvelle option.
LES DERNIERS RETOURS D’ÉTHIOPIE.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir, la question des va-et-vient entre la Mecque et l’Éthiopie de certains des premiers musulmans est assez embrouillée. L’un des derniers retours semblant s’être produit après la conclusion de cet armistice (ce qui rappelle un peu l’affaire des versets sataniques) essayons une nouvelle fois de démêler cet écheveau.
William Montgomery Watt. Mahomet, prophète et homme d’État (1961).
Le début de l’émigration en Abyssinie doit probablement dater d’après l’abrogation des « versets sataniques », peut-être vers 615. Les faits majeurs sont assez clairs, mais les raisons sous-jacentes sont obscures. La version largement acceptée de l’histoire chez les musulmans est contredite par de nombreux détails des sources primaires. À savoir qu’il y aurait eu deux émigrations distinctes, puisque la première à être partie serait revenue en ayant entendu parler des « versets sataniques » et de la réconciliation de Mahomet avec ses adversaires, mais aurait trouvé à son retour un conflit encore plus dur lesdits versets ayant été abrogés. Ce qui suit est une tentative de reconstruction critique des événements.
Les faits universellement admis sont qu’un certain nombre de musulmans sont partis en Abyssinie vers 615. Certains d’entre eux sont revenus à La Mecque et sont allés à Médine avec Mahomet en
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622, tandis que d’autres sont restés en Abyssinie jusqu’en 628. Des listes avec les noms de ceux qui sont allés en Abyssinie, de ceux qui sont retournés à la Mecque et de ceux du groupe qui est rentré directement à Médine en 628 ont été conservées. Il y a quelques divergences dans les listes, principalement pour ce qui est des personnalités mineures ; mais il n’y a aucun doute sur les principaux participants.
Ibn Ichaq Vie de Mahomet traduction A. Guillaume page 526.
LE RETOUR DE CEUX QUI ÉTAIENT PARTIS EN ABYSSINIE.
Ci-dessous les noms des compagnons du prophète qui sont restés en Abyssinie jusqu’à ce qu’il envoie Amr b. Omeyya al Damri chez le Négus pour les ramener à bord de deux bateaux et qui finalement l’ont rejoint à Khaïbar après al Houdeïbiya……
Les veuves de ceux qui étaient morts en Abyssinie furent également rapatriées sur ces deux bateaux.
Il y eut en tout 16 hommes que le Négus renvoya sur ces deux navires, avec Amr b. Omeyya.
Au nombre de ceux qui ont émigré en Abyssinie et ne sont pas revenus avant Badr et avant que le Négus n’affrète ces deux navires pour l’apôtre, et de ceux qui sont venus après et de ceux qui sont morts en Abyssinie il y avait : des B. Omeyya b. Abdou Shams : Obeïdallah b. Jahch, un allié d’Assad des Khouzaïma ainsi que sa femme Oumm Habiba f. d’Abou Soufiane et sa fille Habiba dont la fille d’Abou Soufiane tenait son nom (kounia), son propre nom à elle étant Ramla.
Obeïdallah était parti avec les musulmans, mais après être arrivé en Abyssinie il devint chrétien et mourut là-bas en tant que tel après avoir abandonné l’Islam. L’apôtre épousa ensuite sa femme.
Muhammad b. Dja'far b. al Zoubeïr des Ouroua m’a parlé de la conversion d’Obeïdallah au christianisme et m’a dit : Quand il croisait des compagnons de l’apôtre, il répétait : « Nos yeux sont grand ouverts, mais les vôtres sont voilés, c’est-à-dire que nous, nous pouvons voir clairement, mais que vous, vous êtes seulement encore en train d’essayer de voir, vous ne pouvez pas encore discerner les choses. La métaphore étant celle du chiot qui essaie d’ouvrir les yeux et les écarquille avant d’y réussir. Autrement dit : nous, nous avons ouvert les yeux et nous voyons, mais vous, vous n’avez pas encore ouvert les yeux pour bien discerner les choses et vous êtes encore en train d’essayer de le faire.
… Adiy avait un fils appelé al Nou'man qui revint avec les musulmans. Durant le califat d’Omar, il commit les vers suivants :
Al Hasna n’a-t-elle pas entendu dire que son mari à Maïssane
Buvait des verres et des bouteilles ?
Si je le voulais, les hommes les plus importants de la ville me chanteraient des chansons
Et les ballerines feraient des pirouettes sur la pointe des pieds pour moi.
Si tu es mon ami, donne-moi donc à boire dans la plus grande de tes coupes,
Ne me donne pas la plus petite à moitié cassée !
Mais le commandeur des croyants prendra peut-être mal
Que nous buvions ensemble dans un château qui tombe en ruines !
Quand Omar entendit parler de ces versets, il s’exclama : « par Dieu il a raison, je le prends très mal ! Quiconque le voit peut lui dire qu’il est limogé. Après son limogeage il alla voir Omar pour plaider sa cause en disant qu’il ne s’était jamais personnellement comporté comme ces vers pouvaient le laisser penser, mais qu’en tant que poète il écrivait des choses qui dépassaient sa pensée. Omar lui répondit que, lui vivant, il ne serait plus jamais un de ses gouverneurs après avoir commis de tels vers…
LE PÈLERINAGE, A.H. 7
Quand l’apôtre fut revenu de Khaïbar, etc., etc.…
— C’est donc en trois groupes distincts que les musulmans sont rentrés définitivement d’Abyssinie ou d’Éthiopie…
— Il y eut un groupe qui rentra à la Mecque alors que le Prophète y habitait encore et n’avait pas encore émigré à Médine et qui demeura donc là jusqu’en 622.
— Il y eut, d’après Ibn Sa'd (Zâd ul-ma'âd 3/26), un second groupe, composé de 41 personnes, qui retourna en Arabie quand ils surent que Mahomet avait émigré à Médine. Parmi eux…
-- Certains furent retenus contre leur gré à la Mecque et ne purent émigrer à Médine immédiatement.
-- 32 d’entre eux purent rejoindre Mahomet à Médine (parmi ces 32 personnes, 24 devaient plus tard participer à Badr).
— Il y eut, enfin, un troisième groupe qui, sous la conduite de Dja'far, ne rentrèrent que l’année de Khaïbar (629), c’est-à-dire 7 ans après l’émigration à Médine. D’après Ibn Ichaq ce fut 16 des personnes ayant quitté la Mecque pour l’Abyssinie qui revinrent ce jour-là.
Même si on tient compte du nombre des musulmans qui sont morts au pays du Négus, on ne trouve cependant pas le compte des 80 personnes de la seconde émigration pour la Corne d’Afrique. Peut-être que le second groupe était un peu plus important, numériquement, que ce qu’Ibn Sa'd a trouvé : Aïcha a parlé de « la plupart de ceux qui avaient émigré en Abyssinie »…
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629 KHAÏBAR LE MASSADA D’ARABIE.
Oasis fortifiée à 150 km au nord de Médine, dernier refuge des juifs du Hedjaz.
Au Nord de Médine se trouvait une terre fertile appelée la vallée de Khaïbar. Elle était peuplée de 20 000 Juifs, fermiers et guerriers très compétents. Ils avaient construit sept forts pour se protéger de toute attaque.
Khaïbar (en hébreu h’aybar) signifie « forteresse » ou plutôt « vie dans la nature ». Située à 150 km au nord de Médine, Khaïbar était en réalité une série de forteresses surplombant des marécages asséchés, sur les hauts plateaux montagneux du nord-ouest de l’Arabie. Leurs pitons élevés servaient de phares la nuit pour les caravanes qui s’acheminaient vers le Hedjaz. Les Juifs assainirent ces marécages et cultivèrent les terres pierreuses. Ils travaillaient dans les vallées le jour et se réfugiaient dans leurs forteresses la nuit. Ils étaient réputés pour leur technicité en agriculture (les meilleures dattes d’Arabie, la vigne, les arbres fruitiers et les légumes) et dans l’élevage des chevaux et des chameaux. Ils étaient spécialisés dans le tissage et la confection de vêtements en soie qui étaient exportés par les caravanes jusqu’en Syrie. Certains étaient bijoutiers ou fabricants d’armes et d’armures. Ils étaient aisés, d’une grande hospitalité, ouvrant leurs portes même la nuit.
GESCHICHTE DER JUDEN /HISTOIRE DES JUIFS 1853. Chapitre XII.
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L’année suivante arriva le tour des Juifs de Khaïbar. Mais la campagne que Mahomet entreprit contre eux fut autrement difficile que les précédentes guerres. La région était couverte d’une série de forts défendus par de vaillants et solides guerriers ; des tribus arabes, les Ghatafane et les Fezara, avaient promis leur aide. L’âme de la résistance était l’exilé nadirhite Kinanah ibn-ar-Rabia, homme d’une volonté tenace et d’une bravoure indomptable, surnommé le roi des Juifs. Il avait comme lieutenant Marhab, un vrai géant, d’origine himyarite. Mahomet commença par adresser des prières solennelles à Dieu pour lui demander la victoire. Cet acte de piété accompli (sic), il marcha contre les Juifs de Khaibar avec une armée de quatorze mille hommes. Selon son habitude, il signala son entrée en campagne par la destruction des palmiers pour couper les vivres à l’ennemi ; ensuite, il s’empara assez facilement de quelques fortins. Le château fort Camouss, qui s’élevait sur un rocher abrupt, opposa une plus longue résistance ; il repoussa plusieurs assauts tentés par les meilleurs capitaines de Mahomet, Abou-Bekr et Omar. Un des défenseurs de Camouss était Marhab, qui avait à venger la mort de son frère Harith ; il fit des prodiges de valeur. Quand Ali, un autre lieutenant de Mahomet, s’approcha du fort, Marhab lui cria : Khaibar connaît ma vaillance, je suis Marhab le héros, et il provoqua Ali en combat singulier ; il fut tué. Avec Marhab tomba également la forteresse de Camouss. On ne sait pas ce qui advint des prisonniers. Kinanah fut mis à la torture pour qu’il indiquât l’endroit où étaient cachés les trésors des vaincus ; il mourut sans avoir parlé. La chute de cette forteresse amena la reddition des autres châteaux forts ; Fadak, Ouadi-l-Kora et Taïma se soumirent également. Les Juifs purent rester dans le pays et conserver leurs terres, à condition de remettre à Mahomet, comme tribut, la moitié de leurs revenus. Cette campagne dura près de deux mois (printemps 628).
LE POINT DE VUE D’HIRSCH GRAETZ GESCHICHTE DER JUDEN/HISTOIRE DES JUIFS 1919. Chapitre X.
Mahomet ramena de cette guerre deux belles captives, Safia, la fille de son ennemi implacable Houyey, et Zaïnab, la sœur de Marhab. Cette dernière essaya de se venger de celui qu’elle regardait comme le meurtrier de son frère et de ses coreligionnaires. Dissimulant ses sentiments de haine, elle feignit un profond attachement pour Mahomet et gagna ainsi sa confiance. Un jour, elle servit de la viande empoisonnée ; un des convives en mourut. Mahomet, trouvant au mets un goût désagréable, le rejeta. Interrogée par le prophète sur le motif de ce crime, Zaïnab lui répondit : tu as fait endurer de cruelles souffrances à mon peuple ; je me suis dit que si tu n’étais qu’un vulgaire despote, ta mort serait une délivrance pour mon peuple ; serais-tu, au contraire, prophète, alors mon poison n’aurait aucune action sur toi. Elle fut exécutée. À la suite de cet incident, Mahomet ordonna à ses soldats de ne se servir de la vaisselle enlevée aux Juifs qu’après l’avoir trempée dans de l’eau bouillante. – Ces défaites successives ne découragèrent pas les Juifs ; ils cherchèrent à s’allier avec les mécontents des tribus arabes pour essayer de nouveau d’abattre la puissance naissante de Mahomet. Les pourparlers avaient lieu dans la maison d’un juif, Souwaïlim, à Médine. Souwaïlim fut dénoncé et sa maison livrée aux flammes.
FADAK.
Du fait des circonstances de sa prise, le sort de Fadak sera particulier : son appropriation suscite une nouveauté juridique, abondamment commentée. En effet, soumise par la simple terreur, et non par la violence, il n’y a donc pas de butin à faire par définition, et l’oasis échoit directement au chef des musulmans, qui n’a pas à la partager.
CE QUE LES THÉOLOGIENS MUSULMANS EN DÉDUISENT.
Les contrats dits d’arrosage (fermage, métayage) puisque Mahomet a laissé les terres aux juifs de Khaïbar, en contrepartie de leur culture et du partage des produits.
Fadak était une oasis bien mise en valeur et très fertile située près de Khayber et elle était considérée comme la dernière place forte des Juifs du Hedjaz, après Khaïbar. Après avoir anéanti la force militaire des Juifs de Khaïbar, de l’Oued al Qoura et de Taïma, et comblé le vide politique qui s’était creusé au nord de Médine en y faisant prévaloir le pouvoir de l’islam, le Prophète pensa aussi à réduire la force des Juifs de cette région qu’il considérait comme une menace pour l’Islam et les musulmans.
Il envoya donc un émissaire appelé Mouhit aux anciens de Fadak. Yoush'a bin Noun, qui était le chef du village, préféra se rendre sans combat. Les habitants acceptèrent de mettre chaque année à la disposition du Prophète la moitié du produit, de vivre sous la protection de l’Islam et de ne pas conspirer contre les musulmans. En contrepartie le gouvernement musulman garantissait la sécurité de leur territoire.
D’après l’Islam, les régions conquises suite à une guerre et par l’usage de la force militaire appartiennent aux musulmans et leur administration revient au souverain musulman. Mais les terres qui tombent entre les mains des musulmans, sans aucune opération militaire, appartiennent à la personne du Prophète et après lui de l’Imam.
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Il (c’est-à-dire le Prophète ou l’Imam) exerce une autorité complète sur ces terres et a le droit de les donner ou de les donner en location. Ce fut pourquoi le Prophète fit don de Fadak à sa chère fille, Dame Fatimah Zahrah.
Les exégètes chiites et certains savants sunnites pensent que le verset « Donne à tes proches parents ce qui leur est dû, ainsi qu’aux pauvres et aux voyageurs » (17,6) a été révélé au Prophète à ce moment-là.
L’usage était que les terres conquises par la force fassent partie du butin à partager entre les fidèles ; mais les terres cédées aux musulmans sans opposer aucune résistance, comme ce fut le cas de Fadak, devaient appartenir à l’imam de l’époque qui avait le droit d’en faire ce qu’il voulait. Chapitre 59 versets 6 à 10. L’oasis de Fadak devint donc la propriété personnelle de Mahomet. Djafar Ben Abou Talib vint l’y retrouver avec seize hommes et femmes revenant d’Éthiopie via le Yémen (voir chapitre précédent sur les derniers retours d’Abyssinie). Mahomet lui attribua à lui aussi une partie du butin, avec l’accord des soldats.
Résumé du film catégorie drame.
En 625, après sa défaite à la bataille d’Ohoud Mahomet expulsa la tribu juive des Banou Nadir de Médine qui, selon les sources musulmanes, auraient tenté de l’assassiner. La plupart des Banou Nadir trouvèrent refuge à Khaïbar.
En 627, Houyayine ibn Akhtab, le chef des Banou Nadir, s’allie aux Couraïchites et aux Ghatafanes pour attaquer les musulmans de Médine. Après la Bataille du fossé remportée par Mahomet et ses fidèles, ceux-ci assiégèrent les Banou Quraïza, la dernière tribu juive de Médine. Akhtab et son fils se joignirent aux Banou Quraïza. Les adultes mâles des Banu Qurayza, ainsi qu’Akhtab et son fils furent exécutés. Quant aux femmes et aux enfants, ils furent faits prisonniers et plus tard échangés contre des chevaux et des armes.
— La bataille de Khaybar est relatée comme une réponse à la bataille du fossé dans toutes les biographies classiques de Mahomet. Shibli Nomani voit l’alliance de Khaïbar avec la tribu des Ghatafanes, qui avait attaqué Mahomet lors de la Bataille du fossé, comme la raison principale de la bataille. Il attire aussi l’attention sur l’action du chef des Banou Nadir, Houyaye ibn Akhtab, qui s’était joint aux Banou Qouraïza et les avait poussés à attaquer Mahomet. Watt voit les intrigues des Banou Nadir à Khaïbar comme motif principal de l’attaque. D’après Watt, les Banou Nadir avaient payé des tribus arabes pour combattre Mahomet, ne lui laissant donc que la solution d’attaquer le premier.
— Interprétation de Stillman et Vaglieri.
Certains historiens modernes, tels que Norman Stillman et Laura Veccia Vaglieri pensent qu’une des raisons de la décision de Mahomet d’attaquer Khaïbar, fut la nécessité pour lui de remonter le moral de ses troupes et d’accroître son prestige qui avait été entamé par l’armistice d’Houdaïbiya, en mars 628. Mais cet accord d’Houdaïbiya donnait stratégiquement à Mahomet l’assurance qu’il ne serait pas attaqué par les habitants de la Mecque pendant son expédition. Vaglieri soutient aussi que les Juifs furent bien responsables de la coalition qui assiégea les musulmans lors de la Bataille du fossé, mais suggère que l’histoire des attaques musulmanes peut avoir des raisons économiques similaires à d’autres attaques, tout au long de l’histoire. La conquête de Khaïbar, permettait à Mahomet d’offrir un ample butin à ses compagnons qui espéraient conquérir la Mecque et qui étaient désappointés par l’armistice conclu avec les Couraïchites. Stillman ajoute que Mahomet avait besoin d’une victoire pour montrer aux bédouins, qui n’étaient pas étroitement liés à la communauté musulmane, que l’alliance avec lui était payante.
LE POINT DE VUE DU FÉNIANE DE SERVICE.
Tabari ne dit pas quel fut le casus belli, mais de leur côté, comme une guerre avec Mahomet semblait imminente, les Juifs de Khaïbar signèrent une alliance avec les Juifs de l’oasis de Fadak. Ils réussirent aussi à persuader les Arabes de la tribu des Ghatafanes de se joindre à eux en cas de guerre, avec la promesse de recevoir la moitié de leur récolte. Cependant, le manque d’autorité centrale à Khaïbar empêcha toutes préparations défensives supplémentaires, et les querelles entre les différentes familles laissèrent les Juifs désorganisés. Les Banou Fazara, apparentés aux Ghatafanes, offrirent aussi leur assistance à Khaïbar, après leurs négociations infructueuses avec les musulmans.
Les musulmans marchèrent sur Khaïbar en mai 628, Mouharram 7 AH. Selon différentes sources, l’armée de Mahomet comptait entre 1 400 et 1 800 hommes avec 100 à 200 chevaux. Quelques femmes musulmanes (dont Oumm Salama, l’une des épouses de Mahomet) s’étaient jointes à la troupe, afin de prendre soin des blessés.
Les habitants de Khaybar n’avaient aucun doute quant à l’imminence de la guerre, mais la marche rapide des musulmans les prit par surprise. Cela empêcha les Juifs d’organiser une défense centralisée, laissant ainsi à chaque famille le soin de défendre sa propre redoute fortifiée.
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La prise de Khaïbar est particulièrement mise en valeur par nos documents : elle est l’exemple, ou le prototype même du traitement des ennemis vaincus par l’islam. Les juifs, soumis à une pression éprouvante, accepteront de se rendre, selon des termes précis qui serviront ensuite de base juridique pour la domination des infidèles.
La prise de Khaïbar livra entre les mains des musulmans un grand nombre de prisonniers (les hommes furent exécutés – 600 morts – les femmes et les enfants réduits en esclavage).
La prise de Khaïbar par les musulmans fut en effet marquée par diverses atrocités, notamment le meurtre de Kinanah ben al Rabi son chef, un personnage important de Khaïbar. C’était chez lui qu’était censé se trouver le trésor des Banou Nadir. Tabari, la victoire de l’islam, page 122.
« Après que le Messager de Dieu eut conquis al-Qamousse, la forteresse d’Ibn Abi al-Houqaïq, Safiya bint Houyaye b. Akhtab (17 ans) fut traînée devant lui ainsi qu’une autre femme Bilal, qui était celui qui les avait amenées, les avait fait passer devant quelques-uns des Juifs tués. Quand la femme qui était avec Safiya les vit, elle cria, se frappa le visage et se mit de la poussière sur sa tête. Quand le Messager de Dieu l’aperçut en train de faire ça il ordonna qu’on éloigne de sa vue « cette diablesse ! » Il demanda que l’on garde Safiya derrière lui et que l’on jette son manteau sur elle. Les musulmans surent ainsi que le Messager de Dieu l’avait choisie pour lui-même. Le Messager de Dieu dit à Bilal quand il vit la femme juive faire ce qu’il avait vu : « Es-tu à ce point dépourvu de miséricorde, Bilal, que tu fais passer deux femmes au-delà de leurs hommes morts ? » [NDLR : quel galant homme que ce Mahomet quand même……]
Kinana b. al-Rabi b. Abi al-Hougaïq, qui avait le trésor de la bande des al-Nadir, fut amené sans ménagement devant le Messager de Dieu, qui l’interrogea ; mais il nia savoir où il était. On amena ensuite devant le Messager de Dieu un Juif qui lui dit : « J’ai vu Kinana se rendre dans cette ruine tous les matins ». Le Messager de Dieu dit à Kinanah : « Qu’en dis-tu maintenant ? Si nous le trouvons en ta possession, je te tuerai ». « Très bien » répondit-il. Le Messager de Dieu ordonna que l’on fouille cette ruine soit déterrée, et une partie du trésor en fut extraite.
Puis il lui demanda où était le reste. Kinana refusa de le dire ; aussi le Messager de Dieu donna-t-il des ordres à son sujet à al Zoubaïr b. al-Awouam, en lui disant : « Torturez-le jusqu’à ce que vous lui fassiez cracher tout ce qu’il sait ». Al-Zoubaïr ne cessa de faire passer le feu de son briquet d’amadou et silex autour de sa poitrine jusqu’à ce que Kinana en soit presque mort, puis le Messager de Dieu l’abandonna ensuite à Muhammad b. Maslama qui l’égorgea pour venger son frère Mahmoud b. Maslama……
Quand les habitants de Khaïbar se furent rendus dans ces conditions, ils demandèrent au Messager de Dieu de les garder sur ces propriétés comme métayers. Ils lui dirent : « Nous en savons plus à ce sujet que vous et nous sommes de meilleurs cultivateurs ». Aussi le Messager de Dieu fit-il donc la paix avec eux en échange de la moitié des récoltes, et à condition « de pouvoir les en faire partir dès qu’il le voudrait ». Les habitants de Fadak firent la paix avec lui à des conditions similaires. Khaïbar fut donc traité comme butin de guerre des musulmans ; mais Fadak appartint exclusivement au Messager de Dieu, parce que les musulmans n’avaient pas attaqué ses habitants montés sur des chevaux ou des chameaux. Quand le Messager de Dieu se reposa de sa tâche, Zaynab bint Al Harith, l’épouse de Sallam b. Michkam, lui servit un rôti de mouton.
Elle avait demandé quelle partie le Messager de Dieu préférait et on lui avait répondu que c’était l’épaule. Alors elle empoisonna cette partie de l’animal et mit du poison aussi dans le reste du mouton. Puis elle l’apporta. Quand elle eut servi le Messager de Dieu, ce dernier prit l’épaule et en mâcha un peu, mais n’avala rien. À côté de lui se trouvait Bichr b. al-Bara b. Ma'rour, qui, comme le Messager de Dieu, en prit une partie. Mais Bichr, lui, l’avala, tandis que le Messager de Dieu lui la recracha en s’écriant « Cet os me dit qu’il a été empoisonné ». Puis il fit venir la femme qui avoua tout. Il lui demanda : « Qu’est-ce qui t’a poussé à faire ça ? » Elle répondit : « Tu n’ignores pas comment on a traité mon peuple. Aussi me suis-je dit, si c’est vraiment un prophète, il en sera donc averti ; mais si c’est un simple tyran, je serai débarrassé de lui… Selon… Le Messager de Dieu a dit à la fin de la maladie qui l’a emporté, à la mère de Bichr b. Al-Bara qui était venue lui rendre visite : « Oumm Bichr, je sens maintenant que j’ai fait une rupture d’anévrisme à cause de ce que j’ai mangé avec ton fils à Khaïbar ». Les musulmans crurent qu’en plus de lui avoir fait l’honneur de la prophétie Dieu fit à son Messager la grâce suprême de mourir en martyr ».
NDLR À l’intention de Michael Fishbein. Tout cela est écœurant quand on pense au sort des malheureuses victimes de cet homme ! Un chahid n’est pas un martyr au sens étymologique du terme. Le véritable sens du mot martyr apparaît par exemple dans les actes du martyre de saint Polycarpe à Smyrne, ou de sainte Perpétue à Carthage. Traduire chahid par martyr est une honte ! Quant à la malheureuse Safiya (17 ans), on imagine sans peine l’état d’esprit qui fut celui de cette malheureuse Deirdre juive.
Longes mac nUislenn (anonyme traduit du gaélique).
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Que me veux-tu encore ô, Conchobar ?
Chagrin et tristesse ont étendu leurs ailes sur ma vie :
Le mal que tu m’as fait vivra aussi longtemps que moi ;
Ton amour pour moi durera moins longtemps.
Ce qu’il y avait de plus beau pour moi sur cette terre
Ce qui m’était le plus cher
Tu me l’as enlevé par la plus vile des trahisons
Et maintenant je ne le verrai plus.
Son absence n’est que douleur pour moi désormais,
Le fils d’Uisliu, je n’ai pu le revoir qu’ainsi :
Un petit tas de cailloux sur son corps blanc comme de la neige.
Tout le monde l’aimait ou le respectait.
Il avait des joues rouges plus belles
Qu’une vallée semée de digitales
Des lèvres rouges aussi
Et des sourcils de la couleur du scarabée.
Ses dents brillaient comme deux rangées de perles nacrées.
Son équipement de guerrier
Était connu et redouté partout en Écosse
Il portait un beau manteau pourpre
Orné d’une frange d’or rouge
Lui allant à merveille.
Sa tunique était tout en soie, un véritable trésor
Et cent pierres précieuses étaient cousues dessus,
Pour la faire il avait fallu
Au moins 50 onces d’or blanc (findruine).
Il avait une épée à pommeau d’or à la main
Deux lances vertes aux pointes semblables
À celles d’un javelot
Un bouclier à la bordure dorée
Et un umbo d’argent.
Le beau Fergus a causé notre malheur
En nous ramenant sur son navire
Il a perdu son honneur pour un repas
La postérité s’en souviendra.
Même si tous les hommes d’Ulster
Étaient là autour de Conchobar
Je n’hésiterai pas un seul instant à tous les céder
Pour être de nouveau avec le seul Noisé.
Ne me brise pas le cœur plus avant
Car j’ai déjà un pied dans la tombe
Le chagrin est plus fort que la mer
Ne le sais-tu pas, ô Conchobar ?
Le chagrin est plus fort que la mer !
INTERMÈDE MÉDINOIS.
Mais revenons à Médine.
Mahomet fit agrandir la mosquée qui lui servait de résidence, et fit exécuter divers travaux rendus nécessaires par la croissance de son mouvement. Il fit construire une chaire ou une estrade (minbar) avec deux marches et un siège (maq’ad) afin d’être mieux entendu par les fidèles.
D’après la légende Mahomet aurait alors envoyé des ambassadeurs aux grands dirigeants politiques de la région afin de les inviter à se rallier à sa cause et à sa conception de la divinité. Six hommes auraient quitté la ville de Médine pour cela, chargés de missives, portant son sceau, et parlant couramment la langue du peuple auquel ils étaient envoyés.
Ibn Sa'd, Kitab al-Tabaqat al-Kabir Tome 1, 2e Partie 73.
Compte-rendu de l’envoi de lettres par l’apôtre de Dieu, que Dieu le bénisse, aux chefs, les invitant à rejoindre la maison de l’Islam et que l’apôtre de Dieu, que Dieu le bénisse, fit parvenir au peuple d’Arabie et aux autres.
Quand le Messager de Dieu, que Dieu le bénisse, revint d’al Houdeïbiya durant (le mois de) Dhou al-Hijdjah, an 6 H. (avril-mai 628), il envoya des messagers aux chefs d’État pour les inviter à rejoindre la
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maison de l’Islam, et il leur écrivit des lettres. On lui dit alors : Ô Apôtre de Dieu, les souverains ne lisent que des lettres portant un sceau. Le Messager de Dieu, que Dieu le bénisse fit préparer une chevalière en argent sur le chaton également en argent de laquelle était gravé Mouhammad Rassoul Allah (Mahomet, Messager de Dieu) en trois lignes. Puis il scella les lettres avec. Six messagers partirent le même jour, et durant Mouharram, à 7 heures (mai 628). Tous parlaient la langue du peuple auprès de qui donc ils étaient envoyés.
— Le premier messager que l’Apôtre de Dieu, que Dieu le bénisse, a dépêché, fut Amr Ibn Omeyyah al-Damri, il fut envoyé au Najachi (Négus). Il lui écrivit deux épîtres, dans l’une il l’invita donc à revenir au bercail de l’Islam ; elle contenait les versets du Coran. Le Négus prit la lettre de l’Apôtre de Dieu, que Dieu le bénisse, la parcourut du regard puis descendit de son trône humblement. Ensuite il embrassa l’Islam et rendit témoignage à la vérité, puis il ajouta : Je serais allé le retrouver si je pouvais.
Il répondit au Messager de Dieu, que Dieu le bénisse, à propos de son acceptation, de sa foi et de sa conversion à l’Islam dans une lettre qu’il confia ensuite à Dja’far Ibn Abi Talib.
Dans une autre lettre, il lui demanda la main d’Oumm Habibah Bint Abi Soufiane. Elle avait émigré en Abyssinie avec son mari Obeïd Allah Ibn Jahch al-Assadi. Là, il avait embrassé le christianisme et était décédé. Le Messager de Dieu, que Dieu le bénisse, lui avait demandé dans cette lettre de renvoyer ceux de ses Compagnons qui étaient chez lui. Ce qu’il fit en conséquence et il prit donc comme épouse Oumm Habibah Bint Abi Soufiane après lui avoir versé un douaire de quatre cents dinars en son nom. Le Négus ordonna que les musulmans soient munis de tout le nécessaire et les fit repartir sur deux navires avec Amr Ibn Omeyyah al Damri. Il fit ensuite quérir un vase d’ivoire et y a mis les lettres du Messager de Dieu, que Dieu le garde, en disant : L’Abyssinie sera bénie tant que ces lettres seront.
Tafsir (commentaire) de Pierre de La Crau : « Mon Dieu, comment peut-on avoir tant de foi et si peu de raison ! »
— Le Messager de Dieu, que Dieu le bénisse, envoya Abd Allah Ibn Houdhafah al-Sahmi, un des six messagers à Chosroês pour l’inviter à se convertir l’Islam ; il lui envoya aussi une lettre. Abd Allah a rapporté : je lui ai remis l’épître de l’apôtre de Dieu, que Dieu le bénisse. Elle lui a été lue. Alors il l’a prise et l’a déchirée (en morceaux). Quand le Messager de Dieu, que Dieu le bénisse, apprit la chose, il s’exclama : que Dieu déchire son royaume (en morceaux).
Chosroês écrivit à Badhane, qui était son gouverneur (amil) pour le Yémen, en lui demandant d’envoyer deux personnes robustes auprès de cet homme dans le Hedjaz pour lui rapporter des informations à son sujet. Badhane envoya donc là-bas Qahramanah et quelqu’un d’autre avec une lettre. Ils parvinrent à Médine remirent en tremblant la lettre de Badhane au Prophète, que Dieu le bénisse. Le Messager de Dieu, que Dieu le bénisse, a souri et les a invités à embrasser l’Islam. Puis il leur a dit : retirez-vous et revenez demain, je vous donnerai ma réponse. Ils revinrent donc le lendemain et il leur dit alors : faites savoir à votre maître que mon Seigneur a fait périr Chosroês la nuit dernière à la septième heure (manque les minutes et les secondes). On était mardi, le 10e jour du premier Joumada, an 7 H. (13 septembre 628).
Or Dieu a fait que son fils Chahriyar l’a vaincu et tué ce jour-là. Ils sont repartis avec cette nouvelle et lui et ses fils, qui étaient au Yémen, ont rejoint la maison de l’Islam.
Tafsir (commentaire) de Pierre de La Crau : « Mon Dieu, comment peut-on avoir tant de foi et si peu de raison ! »
— Le Messager de Dieu, que Dieu le bénisse, a dépêché Hatib Ibn Abi Balta’ah al-Lakhmi auprès de Mouqaouqès, le chef d’Alexandrie, le chef des Coptes, pour l’inviter à se convertir à l’Islam ; il lui a également écrit une lettre. Il lui a remis la lettre du Messager de Dieu, que Dieu le bénisse. Il l’a lue, l’a bénie et l’a mise dans un vase d’ivoire, qu’il a scellé puis remis à sa servante. Il a envoyé la réponse suivante au Prophète, que Dieu le bénisse : « Je savais qu’un prophète devait encore apparaître, mais je pensais que ce serait plutôt en Syrie. J’ai néanmoins reçu avec tous les honneurs qui lui étaient dus ton messager et je t’envoie deux esclaves respectées par tous les Coptes, ainsi qu’un manteau et une mule de monte, comme cadeau. Il n’y eut rien d’autre et il n’embrassa pas l’islam. Le Messager de Dieu, que Dieu le bénisse, accepta ses cadeaux, les deux esclaves, Marie, qui devint par la suite la mère d’Ibrahim, le fils du Messager de Dieu, que Dieu le bénisse, et sa sœur Chirine, ainsi que la mule blanche, unique en Arabie à cette époque, Duldul……
Tafsir (commentaire) de Pierre de La Crau : « Mon Dieu, comment peut-on avoir tant de foi et si peu de raison ! »
— Le Messager de Dieu, que Dieu le bénisse, a écrit à l’évêque des Banou al-Harith Ibn Ka'b et aux évêques et prêtres de Nedjran, ainsi qu’à leurs fidèles et à leurs moines que tout, que ce soit de petites choses ou de grandes chose, appartenant à leurs églises, chapelles et monastères, resterait en leur possession, que Dieu et Son Apôtre garantissaient qu’aucun évêque ne serait déposé, ni
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aucun moine chassé de son monastère, ni aucun prêtre privé de son office religieux et qu’aucun de leurs droits ou pouvoirs ne serait changé aussi longtemps qu’ils seraient bons et loyaux, etc.
— Le Messager de Dieu, que Dieu le bénisse, a envoyé Dahiyah Ibn Khalifah al-Kalbi, un des six (messagers) à César (Héraclius), l’invitant à embrasser l’Islam, et il écrivit (et envoya) une autre lettre au gouverneur (azim) de Bosra en Syrie pour qu’il la remettre à César (Héraclius). Le gouverneur de Bosra la remit à César qui se trouvait alors à Homs (Émèse), alors qu’il se rendait en pèlerinage à pied de Constantinople à Iliya (Jérusalem) pour accomplir un vœu qu’il avait fait. À savoir qu’au cas où les Romains l’emporteraient sur les Perses, il irait à pied jusqu’à Iliya (Jérusalem). Il prit donc connaissance de la lettre et parla ensuite aux grands dignitaires romains dans une église d’Homs (Émèse). Il leur dit : Romains, aimerez-vous un bon gouvernement et la prospérité, afin que votre royaume soit stable et que vous suiviez ce que Jésus fils de Marie a dit ? Les Romains lui répondirent : de quoi s’agit-il, Votre Majesté ? Il leur répondit : suivez le prophète arabe. Note narrateur ajouta : ils se sont alors tous enfuis comme des ânes sauvages qui braient en brandissant leurs croix. Quand César Héraclius vit ça, il ne se fit plus aucune illusion quant à leur adhésion à la foi musulmane et il craignit pour sa personne et son autorité. Il leur dit alors pour les rassurer : c’était pour mesurer votre fermeté dans notre religion et j’ai vu ce que je voulais voir. Et tous alors de se prosterner devant lui……
Si l’on excepte la prise de contact avec les chrétiens de Nedjran à la frontière de Yémen, tous ces documents soulèvent de sérieux problèmes d’authenticité aussi bien quant à leur existence (passée) que quant à leur contenu voire à leur forme. Sous la forme dans laquelle ces lettres nous sont parvenues, elles ne peuvent être admises comme authentiques, car elles contiennent des détails qui reflètent une période postérieure de l’islam. Ce qui est raconté au sujet de ces écrits ne mérite guère la créance que la plupart des musulmans leur accordent.
Leur teneur et leur forme reflètent l’époque de la puissance de l’islam, alors qu’elles sont datées d’avant la conquête de La Mecque. L’identification du gouverneur égyptien d’Alexandrie appelé Mouqaouqès dans notre texte (Makaukos ?) pose également problème (vu l’époque cela n’aurait pu être qu’un Perse au service de l’empire sassanide et non un patriarche copte). Et il y a aussi la prophétie annonçant à l’avance la mort de Chosroes sans que rien ne le laisse présager, qui est manifestement une fausse prophétie, faite après coup, post eventum comme on dit en latin. Comment les pieux musulmans peuvent-ils avoir tant de foi et si peu de raison ?
Une lettre aurait donc été envoyée au gouverneur de Bosra en Syrie, afin qu’il la fasse parvenir à l’empereur romain byzantin Héraclius. Le porteur chargé du message fut un dénommé Dahyah Ibn Khalifah al-Kalbi. Mais comme Héraclius était alors occupé en Arménie, ce dernier n’a pu en prendre connaissance au mieux que dans la ville d’Aelia Capitolina (Jérusalem) en 629.
La lettre à Héraclius selon l’évêque arménien Sébéos (Histoire d’Héraclius, chapitre XXX).
Comme la chronique de Sébéos date de 660, une trentaine d’années après la date de la lettre en question, et qu’elle n’a pas été filtrée par les autorités islamiques nouvellement mises en place ; elle rend compte de l’état d’esprit des hommes de l’époque mieux que les traditions ultérieures ; dont les plus anciennes datent de plus d’un siècle après cet événement, et les plus nombreuses de plus de deux siècles après.
« Tout ce qui restait des peuples enfants d’Israël vint s’unir à eux et ils formèrent une grande armée. Puis ils envoyèrent une ambassade à l’empereur des Grecs, disant : « Dieu a donné en héritage [i kaluats zharhangut'ean] ce pays, à notre père Abraham et à sa postérité après lui ; nous sommes les enfants d’Abraham ; tu as depuis assez longtemps possédé notre pays ; rends-le-nous pacifiquement, et nous n’envahirons pas ton royaume ; sinon, nous te reprendrons avec intérêt ce dont tu t’es emparé ».
L’empereur refusa et, sans leur donner de réponse satisfaisante, leur fit savoir : « Ce pays est à moi ; votre héritage à vous c’est le désert ; retournez-y en paix ». Puis il se mit à lever des troupes, environ 70 000 hommes, qu’il plaça sous le commandement d’un de ses fidèles eunuques, et leur ordonna de se rendre en Arabie ; tout en leur demandant de ne pas livrer bataille contre ceux-ci (les Arabes), mais de se tenir sur la défensive, jusqu’à ce qu’il eût réuni d’autres troupes pour les renforcer ».
L’élément remarquable de la lettre prétendument adressée à Héraclius selon Sebeos et plus sûrement pour commencer à un de ses représentants locaux ; est que les « juifs » et les « Arabes » semblaient alors combattre ensemble dans la même armée (conformément à la Constitution de Médine d’ailleurs) ; et que les Arabes se considéraient aussi « juifs » que leurs partenaires, donc à ce titre autant héritiers d’Abraham et de la Palestine qu’eux.
Note de la rédaction. Quand on sait que Bosra tombera finalement entre les mains des musulmans suite à la trahison du gouverneur de la ville, un certain Romanus ; on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a peut-être quand même un fond de vérité dans les légendes concernant ce deuxième type de
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correspondance ; la correspondance avec les évêques ou les responsables de secteurs immédiatement limitrophes de l’empire musulman naissant.
BATAILLE DE MOU’TA 629.
Sourate 30 versets 1-5. A.L.M. Les « Romains » * ont vaincu aux confins de notre terre [mais] eux, après leur victoire, seront vaincus dans quelques années ; à Dieu appartient le Sort, dans le passé comme dans le futur. Alors les croyants se réjouiront… » (Traduction Régis Blachère.)
* Byzantins.
PREMIÈRE TENTATIVE CONTRE L’EMPIRE BYZANTIN ou PREMIÈRE TENTATIVE DE PRENDRE JÉRUSALEM.
C’est la première attaque hors de l’Arabie proprement dite, dans ce qui sera plus tard considéré comme le « pays de la guerre », celui des infidèles (Dar el harb). Ce sera une défaite cuisante et l’affaire tournera au désastre.
Les historiens musulmans ont souvent passé sous silence la date et les circonstances de la défaite de Mahomet à Mouta en 629. Les documents byzantins attestent néanmoins cette défaite. À Mou’ta, poste-frontière romain byzantin situé en Jordanie, à l’est de la Mer Morte, près de l’actuelle Al Karak, les Byzantins l’ont emporté, incontestablement, et leurs historiens ont donc pu interroger les vainqueurs à leur retour, mais les érudits arabes y font néanmoins aussi quelques vagues allusions.
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CONTEXTE.
Héraclius était devenu empereur en 610, en pleine guerre entre l’Empire perse et l’Empire byzantin, après avoir renversé son prédécesseur Phocas. Les Perses sassanides conquièrent la Mésopotamie et en 611 envahissent la Syrie et puis l’Anatolie où ils occupent Césarée de Cappadoce (aujourd’hui Kayseri). Héraclius, en 612, réussit à expulser les Perses d’Anatolie, mais il est incontestablement vaincu en 613 après avoir lancé une grande offensive contre les Perses de Syrie. La décennie suivante, les Perses purent conquérir la Palestine et l’Égypte. Pendant ce temps, Héraclius prépare une contre-attaque et reconstruit son armée. Neuf ans plus tard, en 622, Héraclius lance son offensive. Après ses victoires écrasantes sur les Perses et leurs alliés dans le Caucase et l’Arménie, Héraclius, en 627, lance également une grande offensive hivernale contre les Perses en Mésopotamie où il remporte une victoire décisive lors de la bataille de Ninive, menaçant ainsi la capitale perse Ctésiphon. Discrédité par cette série de désastres, Chosroês II est renversé et tué lors d’un coup d’État mené par son fils Kavadh II qui entame immédiatement des négociations acceptant de se retirer de tous les territoires de l’Empire byzantin occupés par les Perses.
Après la conclusion de la paix avec Kavadh II en 628, Théodore, frère ou demi-frère d’Héraclius est envoyé comme émissaire impérial pour superviser le retrait perse de Syrie et du nord de la Mésopotamie. Selon les chroniqueurs, les garnisons perses rechignent à quitter les territoires occupés, en dépit des ordres de Kavadh. C’est notamment le cas à Édesse en 629-630, où la communauté juive locale aurait encouragé les Perses à rester. Les Byzantins doivent mettre le siège devant la ville qu’ils bombardent avec des engins de siège avant que les Perses n’acceptent de se retirer. Quand les troupes de Théodore entrent dans la cité, elles attaquent et tuent les Juifs, jusqu’à ce qu’Héraclius, prévenu par un Juif qui est parvenu à s’enfuir, ordonne d’y mettre fin. Héraclius laisse Théodore comme une sorte de « vice-roi » en Orient. Il lui confie le commandement des forces byzantines de la région avec pour fonction d’y rétablir l’autorité impériale. C’est à ce poste que Théodore fait face aux premières attaques musulmanes contre les provinces byzantines.
BYZANCE ET LES PREMIÈRES CONQUÊTES ISLAMIQUES. WALTER E. KAEGI. Université de Chicago.1992.
La bataille de Mou'ta fit partie des reconnaissances effectuées par les Byzantins dans des régions d’où ils avaient été absents depuis plus de deux décennies. Théodore tentait de rétablir leur autorité dans la zone après son évacuation par les Perses. Ils s’étendaient vers le sud, avec l’aide de tribus alliées, et les musulmans faisaient des reconnaissances vers le nord. Le choc eut lieu à Mou’ta……
Il aurait été risqué pour Théodore d’envoyer un nombre important de soldats dans les régions à l’est du Jourdain alors qu’il n’était pas encore sûr que les Perses évacuaient bien d’autres zones occupées autrement plus névralgiques.
La plupart des soldats et commandants byzantins, à moins d’avoir été recrutés localement ou simplement désignés comme représentants de l’empereur, n’avaient pas eu le temps de se familiariser avec la situation locale et ses besoins militaires. À l’exception des hommes recrutés sur place, ils ne pouvaient pas avoir beaucoup d’expérience du terrain et ils n’avaient eu que peu de temps pour construire ou réparer les structures, les routes, les ponts, les entrepôts, les magasins ou tours de guet. La présence militaire byzantine à l’est de la mer Morte était donc très faible si peu de temps après la fin des hostilités contre les Perses. Ils avaient à peine eu le temps de réoccuper des camps et des postes probablement désaffectés. Dans ces circonstances, le mieux que les Byzantins avaient pu faire avait été, dans la mesure où leurs moyens budgétaires et leurs effectifs le permettaient, de réoccuper les anciennes positions byzantines jusqu’à ce que de nouveaux choix stratégiques puissent être faits…
À Mou’ta les Byzantins ne semblent pas avoir mis en ligne beaucoup de soldats grecs, arméniens ou autres non arabes, même si le commandant en chef fut le vicaire Théodore lui-même.
Les tribus arabes amies parmi lesquelles les Byzantins levèrent des troupes étaient les Bahra, les Kalb, les Salih, les Tanoukh, les Lakhmides, les Joudham, les Ghassanides, et les Banou Irasha.
À Mou ‘ta précisément Théodore aligna des soldats venant des tribus Lakhmides, des Joudham, des Banou al-Qaïn, des Bahra et des Bali. Leur commandant était Bali, de la sous-tribu des B. Irasha.
D’autres traditions affirment que c’était un Ghassanide, Ibn Abi Sabra al-Ghassan. À moins qu’il n’y ait pas eu de généralissime arabe en général, mais seulement le Byzantin Théodore.
Les effectifs engagés sont bien sûr sujets à caution, mais il est peu probable qu’ils aient dépassé les 10 000 hommes.
Les chiffres de 100 000 ou 200 000 hommes avancés par certains auteurs musulmans pour l’armée byzantine et de 12 morts seulement du côté du corps expéditionnaire venu de Médine SONT ÉVIDEMMENT HAUTEMENT FANTAISISTES.
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De toute façon, les 300 Grecs de Sparte ont fait plus fort : à 1 contre 200 au défilé des Thermopyles. Certains auteurs avancent même le chiffre de trois millions de Perses. Mais pour l’ensemble de la campagne, pas dans le défilé.
Il existe une brève allusion à cette bataille dans les sources byzantines, qu’a exhumée Walter Kaegi : un passage des chroniques rédigées par un moine byzantin du 9e siècle. En voici le texte (traduction Harry Turtledove Philadelphie 1982).
« Mahomet était déjà mort, mais avait nommé quatre émirs pour attaquer les chrétiens de race arabe, car ils voulaient attaquer les Arabes le jour de leur propre sacrifice aux idoles. Ils vinrent dans un pays appelé Moukheon, où se trouvait le vicaire Théodore. Quand le vicaire apprit cela de son serviteur Koutabas, qui était de la tribu des Couraïchites, il rassembla les gardes du désert, il trouva le jour et l’heure à laquelle les émirs avaient l’intention d’attaquer, et les affronta en un lieu appelé Mothous. Il en tua trois ainsi que la plupart de leurs hommes, mais un émir nommé Khalid (qu’ils appellent l’épée de Dieu), parvint à s’enfuir ».
Le seul problème de ce texte est que le mot grec utilisé pour désigner la fête religieuse en question fait plus païen que chrétien, mais le christianisme de ces tribus arabes n’était peut-être que superficiel.
Les précisions données par la chronique montrent que Mahomet a organisé lui-même cette expédition et les bizarreries de la version musulmane vont dans ce sens (Mahomet décrit ce qui se passe comme s’il y était en personne, et il approuve la retraite qui s’ensuivit).
BYZANCE ET LES PREMIÈRES CONQUÊTES ISLAMIQUES. WALTER E. KAEGI. Université de Chicago.1992.
La bataille ou l’escarmouche de Mou'ta fut le premier affrontement armé qui eut lieu entre les forces militaires musulmanes et byzantines, et elle se produisit donc du vivant de Mahomet. Il en résulta une défaite musulmane évidente. Le vicaire byzantin Théodore avait pris ses quartiers dans la ville de Moucheai et il y avait appris d’un membre de la tribu Couraïchite le moment prévu pour l’attaque.
Sa localisation est incertaine. Peut-être le village d’Al-Mihna, qui surplombe la plaine de Mou'ta, à environ 19 kilomètres au sud de la forteresse jordanienne de Karak.
Elle a peut-être eu lieu le 10 avril (10 Dhou'l Hidja), mais plus probablement durant le 1er Joumada, an 8 de l’Hégire, c’est-à-dire en septembre 629. Les troupes que le vicaire Théodore mobilisa contre les musulmans étaient des gardes du désert, donc eux-mêmes des Arabes. Les détails tactiques sont fascinants. Ce ne fut pas un simple affrontement de bandes armées.
Les textes musulmans présentent cette défaite comme un combat héroïque, où les musulmans déployèrent un héroïsme tel que cette défaite est presque une victoire, du genre Malplaquet en 1709 pour la France ou Napoléon à Waterloo. Khaled Ibn al-Oualid, fut si courageux qu’il brisa neuf sabres, le dixième, un sabre yéménite, étant seul capable de soutenir sa vigueur. Et selon Boukhari la bataille finit par une victoire musulmane. Baladhuri donne des indications voisines. Djafar aurait reçu 72 blessures avant de tomber, puis Khaled conduisit la retraite.
Mais il est douteux qu’un soldat puisse continuer à se battre après avoir reçu plusieurs dizaines de coups d’épées ou de lance, en ne tombant qu’au cinquantième ou au quatre-vingt-dixième. Il est aussi évident que personne ne va au combat muni dans le dos d’une hotte pleine de sabres de rechange ; et qu’une bataille suivie d’une retraite est une défaite (cas par exemple de la bataille de Borodino ou de la Moskova pour l’armée russe au XIXe siècle).
Les hadiths de ce chapitre de Boukhari sont donc visiblement fabriqués ou exagérés, mais pas nécessairement par lui.
Ce qui semble acquis c’est un très net avantage numérique en faveur des forces romaines (des soldats professionnels encadrant une milice recrutée sur place) qui étaient peut-être deux ou trois fois plus nombreuses que l’armée musulmane.
À Médine pendant ce temps-là, Mahomet décrivait en direct à ses compagnons tout ce qui se passait sur le champ de bataille situé à des centaines de kilomètres. Il leur annonça même le martyre des trois généraux en leur disant : « Ils sont morts tous les trois, l’un après l’autre. L’étendard est ensuite passé entre les mains d’une épée (Khaled) qui mènera les musulmans à la victoire, avec l’aide de Dieu ».
Telle est la légende islamique ! Nous disons bien la légende. Je me suis renseigné, on a le droit de ne pas être d’accord, ce n’est pas encore considéré comme de l’islamophobie nazie ou démoniaque par notre cher président.
Bref, à Mou’ta des Arabes, chrétiens et vassaux de Byzance, ont facilement repoussé un coup de main des Arabes du désert. La tradition musulmane préfère masquer cette dure réalité par le récit de scènes héroïques, la mort pathétique du fils adoptif de Mahomet, Zeïd, par exemple, et une magnifique retraite effectuée sous le commandement du futur Napoléon musulman, connu sous le nom d’Épée de Dieu (Séif Allah) *.
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Le professeur Régis Blachère a néanmoins trouvé une trace de cette première défaite dans les versets de tête du chapitre intitulé « les Romains » justement. Dans sa traduction du Coran (Paris 1966), le chapitre commentant la sourate 30 il remarque que les versets 1 à 4 n’ont aucun rapport avec la suite et constituent donc une unité de sens en soi. Il pense en outre que le terme « Romains » désigne bien entendu les Grecs du Bas-Empire et que ces versets n’ont aucun rapport avec l’invasion de La Syrie Palestine par les Perses en 613-614, mais plutôt avec la défaite des troupes musulmanes (conduites par Mahomet ?) devant le poste-frontière arabe chrétien byzantin de Mou’ta en 629.
Blachère note que la traduction couramment admise actuellement par nos amis musulmans n’a en effet aucun sens, en tout cas avec les voyelles que l’on trouve aujourd’hui :
« Goulibati alroumou : Les Romains [c’est-à-dire les Byzantins] ont été vaincus (goulibati) au plus proche de notre Terre.
Eux, après leur défaite seront le contraire (sayaglibouna) dans quelques années.
À Dieu appartient le Sort dans le passé comme dans le futur.
Alors les Croyants se réjouiront ».
Mais qui donc se réjouit jamais de la victoire de ses ennemis, et cela « dans quelques années » ? L’absurdité de cette lecture n’échappe pas aux commentateurs musulmans, qui préfèrent passer à autre chose. Où est l’erreur ?
Une autre lecture est possible, basée sur une voyellisation différente des trois mots importants de même racine : avoir été vaincus, victoire, et vainqueurs.
La question est légitime car les voyelles n’ont été ajoutées que très tardivement au texte coranique. Or, ce sont justement ces voyelles qui déterminent la forme soit passive, soit active du mot. Et si on lit un actif à la place du passif et inversement, on obtient les versets suivants… :
« Les Romains ont vaincu (galabati) au plus proche de la Terre.
Eux, après leur victoire, seront le contraire (sayaglibouna) dans quelques années.
À Dieu appartient le Sort dans le passé comme dans le futur.
Alors les Croyants se réjouiront ».
Le texte redevient parfaitement clair et logique – ce qu’il était à l’origine. Il ne s’agit pas d’une prophétie, mais d’un retour sur un événement récent et désastreux qui s’est produit « au plus proche de notre Terre » – c’est-à-dire à Mou’ta en 629. Ce passage veut relever le courage des vaincus, en leur promettant qu’ils seront vainqueurs « dans quelques années » et qu’alors ils « se réjouiront » (ce qui fut fait cinq ans plus tard effectivement, mais après la mort de Mahomet).
Le sens exact de cette sourate avant l’ajout des signes diacritiques était donc selon Blachère…
1. Alif, Lam, Mim.
2-Les Romains ont vaincu,
3-Dans le pays voisin, mais après ils seront vaincus,
4-Dans quelques années. À Dieu appartient le commandement, du début à la fin, et ce jour-là les Croyants se réjouiront.
Là le verset devient plus logique, il date de l’année 630 et non de 613 car il permet de consoler les premiers musulmans après leur défaite face aux « Romains ». En fait des Arabes chrétiens encadrés par quelques Byzantins.
À noter.
a) Le sens de ces versets demeure controversé, de nombreux exégètes y voyant exactement le contraire.
b) Ce chapitre commence par trois lettres ne voulant apparemment rien dire : la lettre A (lif), la lettre L (am), et la lettre M (im), qui ne font sans doute pas partie de la récitation ; mais impliquent vraisemblablement un texte écrit (lettres inscrites sur un feuillet pour servir à le classer ?)
Ce n’est pas nous, barbares druides d’Occident, spécialistes en rien du tout, de trancher cette controverse. Que les experts le fassent !
* Waterloo, la plus belle des victoires de Napoléon À PART LE DERNIER QUART D’HEURE.
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630 LA MECQUE VILLE OUVERTE… ET AUSSITÔT REFERMÉE.
Cet épisode est rangé dans la catégorie « conquête » par la tradition musulmane.
Montgomery Watt situe en janvier 630 la prise de la ville. Précisons tout de suite que, contrairement à la légende répandue chez les intellectuels occidentaux (journalistes évêques sportifs antiracistes, etc.), mais bien conformément au classement dans la rubrique « conquête » des premiers témoignages musulmans pour une fois, la prise de La Mecque ne s’est pas faite sans coup férir car il y eut des irréductibles qui luttèrent jusqu’au bout, mais ce ne furent que des escarmouches et il y n’eut pas d’assaut frontal de type Stalingrad. Notons également qu’une liste de proscrits comportant une dizaine de noms circulait aussi parallèlement dans la cité. Il y eut donc alors des règlements de comptes.
Tabari tome 8, page 181.
« D’après Ouaqidi : Le Messager de Dieu avait ordonné que six hommes et quatre femmes soient tués. Parmi les hommes [que Ouaagidi] a mentionnés il y avait ceux dont Ibn Ichaq donne les noms. Parmi les femmes qu’il a mentionnées il y avait Hind bt. Outah b. Rabi'ah, qui est devenue musulmane et fit le serment d’allégeance ; Sarah, la maoulie (affranchie) d’Amr b. Hachem b. Abd al-Moulttalib b.
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Abd Manaf, qui fut exécutée ce jour-là ; Qouraïba, qui fut exécutée ce jour-là ; et Fartana, qui vécut jusqu’au califat d’Osman ».
Nous reviendrons sur l’identité des hommes car elle est révélatrice (il s’agit surtout d’intellectuels)…
Mahomet en 629 était parfaitement conscient du fait que le mieux pour lui était de frapper un coup décisif et de se rendre maître de La Mecque. La trêve de dix ans conclue avec les Couraïchites semblait reculer ce moment ; et les musulmans, admis, sur la foi de cette trêve, dans l’enceinte sacrée de La Mecque, pour s’acquitter des cérémonies du pèlerinage, n’avaient pas osé ou voulu en profiter pour s’emparer de la ville. Quoi qu’il en soit les faits avérés semblent les suivants.
— Les Mecquois n’ont pas essayé de profiter de la trêve pour renforcer leurs positions. Peut-être attendaient-ils la mort de Mahomet, peut-être attendaient-ils la fin des dix années en question.
— Mahomet a profité de la trêve pour nouer des contacts tous azimuts.
On ne saura sans doute jamais qui a le premier vraiment rompu l’accord passé à Hodeïbiya deux ans plus tôt. Les sources musulmanes nous disent que ce furent les Mecquois. Le prétexte à cette attaque de la cité nous est en effet donné par Tabari dans son chapitre intitulé LA CONQUÊTE DE LA MECQUE (tome 8 page 160).
« Alors que la trêve avait été signée, les Banou al-Dil des Banou Bakr en profitèrent au détriment des Khouza'a. Afin de venger les fils d’al-Assouad b. Razn ils voulurent tuer ceux des Khouza'a qui avaient assassiné les leurs……
D’après Ouagidi parmi les Couraïchites qui aidèrent les Banou Bakr à se venger des Khouza'a cette nuit-là, en dissimulant leur identité, il y avait Safouane b. Omeyyah, Ikrimah b. Abi Jahl (sic) Suhaïll b. Amr, et d’autres, avec leurs esclaves… Ce fut l’une des choses qui conduisirent à la conquête de La Mecque ».
Notons au passage que les Khouzaa étaient encore païens. Bref une sombre histoire de vendetta entre alliés des uns et des autres à laquelle Ikrima le fils d’Amr Ibn Hicham, la bête noire de Mahomet surnommé Abou Jahl par les musulmans, aurait participé en secret (sic).
Ce qui est certain par contre c’est que les autorités officielles firent leur possible pour éviter le conflit en proposant d’indemniser la famille de la « victime » de cette vendetta.
« Abou Soufiane partit alors à Médine pour y rencontrer le Messager de Dieu à Médine. Il rendit [d’abord] visite à sa fille, Oumm Habiba bt. Abi Soufiane. Quand il fut sur le point de s’asseoir sur le tapis du Messager de Dieu, elle le replia pour l’en empêcher : « Ma fille, par Dieu, je me demande si c’est parce que tu penses que je suis trop bien pour mériter ce tapis ou si tu penses que ce tapis est trop bien pour moi » ». Elle lui répondit : « C’est le tapis du Messager de Dieu, et tu es un polythéiste impur… » Il lui rétorqua : « par Dieu ma fille, ma fille, par Dieu, tu as bien mal tourné depuis que tu m’as quitté ».
Puis il sortit et se rendit chez le Messager de Dieu. Il lui parla longuement, mais le Messager de Dieu ne lui répondit pas…
Quand Abou Soufiane fut de retour chez les Couraïchites, ils lui demandèrent : « Quelles nouvelles nous apportes-tu ? » Je suis allé voir Mahomet pour lui parler, mais, par Dieu, il ne m’a rien répondu… » Malheur à toi ! » répondirent-ils. Ce que tu lui as dit ne nous a servi à rien ! » Abou Soufiane leur répondit : « Par Dieu, je n’ai rien trouvé d’autre à faire »…
Le Messager de Dieu ordonna donc à ses gens de se préparer à partir et il ordonna aussi à sa famille de sortir ses affaires ».
LE POINT DE VUE DE SIRIUS.
Les faits. Des troubles divers à La Mecque. Un conflit éclate entre la tribu des Banou Bakr, alliés des Couraïchites de La Mecque, leurs proches voisins, et la tribu des Kouzaa (il y avait un lourd contentieux entre eux) alliée de Mahomet. Un certain nombre de Banou Bakr attaquèrent les Banou Kouzaa, endormis : 20 morts ? Les Couraïchites déplorèrent cette tuerie et envoyèrent Abou Soufiane pour proposer un dédommagement aux Banou Kouzaa, mais il ne put obtenir gain de cause, et revint bredouille. À souligner : la tribu des Banou Kouzaa n’était pas encore convertie à l’islam et elle était donc toujours païenne.
Mahomet considéra le manque de réaction plus énergique de la part des Couraïchites, comme une violation de l’armistice d’Hodeïbiya ; et afin de défendre ou de venger ces païens (Kouzaa) auxquels il est plus ou moins lié, il décide d’attaquer La Mecque, et s’y prépare donc, dans le plus grand secret.
Deviner quel sort Mahomet réservait aux Mecquois est difficile. Les ouvrages de vulgarisation musulmane nous présentent une apothéose irénique, marquée par un pardon général (toulaqa) et un comportement quasiment christique de la part de Mahomet. C’est oublier un peu vite que la prise de la ville est considérée dans ces chroniques comme une opération diplomatique et militaire. Une chose est sûre : la partie musulmane se réserve le droit d’user de violence, si les circonstances l’exigent.
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Les cyniques tergiversations sur le sort de la ville et de sa tribu dirigeante doivent être replacées dans le contexte des luttes ultérieures, où l’on débat par les armes et par le verbe, de leurs statuts respectifs.
La conversion, forcée ou du bout des lèvres, de l’ennemi juré de Mahomet, Abou Soufiane, père d’un futur calife, a donné lieu à plusieurs versions ; chaque auteur voulant donner à cette pièce de choix une tonalité personnelle. Le fait qu’Abou Soufiane soit à l’origine de la future dynastie régnante musulmane, les Omeyyades, n’y est sûrement pas étranger.
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CE QUE LES THÉOLOGIENS MUSULMANS EN DÉDUISENT.
Dieu a frayé la voie de la sorte, à la conversion d’Abou Soufiane, afin qu’il retourne à La Mecque demander à ses habitants de cesser le combat [la difficulté consiste à savoir quelle est la valeur d’une conversion accomplie sous la menace d’un partisan du paganisme philosophique et réfléchi ou de la laïcité la plus ouverte]. Abou Soufiane a commencé par affirmer qu’il doutait avant, un instant après, de prononcer une double profession de foi (chahada). Il n’est pas demandé au musulman au cours du combat de juger de l’authenticité de la conversion des infidèles en l’attribuant à la peur ou à la convoitise du butin, ou en lui reprochant d’être une simple simulation. Car ce que l’islam recommande ce n’est pas de sonder les cœurs et les consciences, mais seulement de corriger les erreurs apparentes ???????????????
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À la demande d’Al Abbas, Abou Soufiane revint donc en ville avertir les Mecquois que la vie sauve serait accordée à quiconque resterait chez lui ce jour-là ; mais il se fit injurier par sa femme et certains autres Couraïchites.
Mahomet marcha ensuite sur La Mecque avec ses dix mille hommes regroupés en quatre bataillons. L’aile droite commandée par Khaled Ibn al-Oualid, eut comme mission d’entrer dans la ville par le sud. L’aile gauche commandée par al-Zoubaïr Ibn al-Awouam eut comme mission d’entrer par le nord-est. Les Ansar (Médinois), commandés par Saad Ibn Obada, eurent comme mission d’entrer par l’ouest. Le quatrième bataillon, composé de mouhadjiroun c’est-à-dire de Mecquois partis à Médine, commandée par Abou-Obeïda, eut comme mission d’entrer par le nord-ouest. C’est avec elle que Mahomet fit route. Il ordonna néanmoins à ses troupes de ne faire usage de la force qu’en cas de nécessité absolue, et contre ceux qui se montreraient hostiles, à l’exception de dix personnes (dont quatre femmes) dont il donna les noms et dressa la liste.
Mahomet ordonna d’entrer par les différentes portes de la ville afin de disperser les éventuelles troupes mecquoises hostiles. Seul Khaled rencontra un peu de résistance, et dut par conséquent faire usage de la force. 28 morts. Mahomet put donc entrer ainsi dans La Mecque, sans rencontrer de réelle opposition et presque sans effusion de sang le 11 janvier 630.
CONTEXTE.
Avec la trêve d’Hodeïbiya Mahomet s’était fait négociateur et avait assuré effectivement deux ans de répit aux Couraïchites. Ce délai ne fut pas mis à profit par les Mecquois qui crurent bon de respecter le traité, mais il permit à Mahomet d’engranger les ralliements, dont celui de Khaled ibn al-Oualid – le vainqueur de la bataille de Ouhoud, et Amr b. al-As, le négociateur envoyé chez Négus [citation nécessaire]. Mahomet poursuit donc plus que jamais dans une dialectique qui désigne des ennemis, les dépossède, et nourrit ses loyautés à partir de cette dépossession.
Le pogrom avant la lettre de Khaïbar est perçu comme une marque de sa puissance, celle d’un roi du Hedjaz, qui partage le butin avec ses compagnons de Médine, ainsi qu’avec les Arabes des tribus qui participent au siège.
Mahomet rallie donc massivement à sa cause des éléments bédouins divers : Aslam minés par la famine, Mouzaïna, Jouhaïna, Soulaïm, Ghifar, Khouzaa, qui forment un deuxième cercle. D’autres éléments bédouins Tamine, Qaïs et Assad, viennent gonfler les rangs d’une armée, forte de dix mille hommes au moment du siège de La Mecque en l’an VI, de l’Hégire, parfaitement organisée avec des ailes et un centre.
Devant un tel déploiement de force, La Mecque tombera comme un fruit mûr et Mahomet deviendra le maître de la Ka'ba, du pèlerinage, du commerce mecquois, le maître de la puissance Couraïchite. Dans le même temps, ces derniers se rallient définitivement à l’Islam, dont le chef se trouve être de leur propre tribu. Lors de la défaite des Haouazines et de la ville de Taïf qui s’ensuivra quelques jours plus tard, une partie importante de l’immense butin réalisé à cette occasion reviendra d’ailleurs aux nouveaux venus couraïchites, liés au prophète de l’islam par les liens du sang, et diminuant d’autant la part des Médinois, liés au prophète de l’islam par l’antériorité des liens idéologiques. D’où une stratification en trois cercles de l’islam naissant.
Le premier cercle était le noyau des Émigrés mecquois et des Ansars médinois, au sein desquels se distinguaient ceux qui avaient combattu à Badr.
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Le second cercle, se formera donc avant la prise de La Mecque, et sera constitué soit de Bédouins des alentours de Médine, anciennement alliés aux Khazradj et aux Aous, soit des alentours de La Mecque, anciennement alliés aux Couraïchites et dont beaucoup avaient émigré à Médine.
Avec le ralliement massif des Couraïchites apparaîtra donc un troisième et dernier cercle fondé sur les liens du sang. Le résultat en sera un conflit de valeurs autour duquel toute l’histoire de l’État islamique naissant s’articulera.
Dans la Sira d’Ibn Ichaq, le récit de l’occupation de La Mecque fait une vingtaine de pages (540-561 de la traduction d’Alfred Guillaume) essentiellement constituées d’anecdotes, les opérations militaires étant brièvement décrites.
Ibn Ichaq La vie de Mahomet Alfred Guillaume page 550.
« L’apôtre avait demandé à ses généraux de n’affronter que ceux qui leur résisteraient, à part quelques-uns qui devaient être exécutés même cachés derrière le dais de la Kaaba.
— Parmi eux il y avait Abdoullah b. Sa'd. La raison pour laquelle il ordonna son exécution était qu’il avait été musulman et employé à mettre par écrit les révélations, mais qu’il avait ensuite apostasié puis s’en était retourné les Couraïchites se réfugier chez Outhmane b. Affane dont il était le frère de lait. Celui-ci le cacha jusqu’à ce que la situation à La Mecque soit stabilisée puis l’amena voir l’Apôtre afin de demander qu’on lui accorde l’immunité. On prétend que l’apôtre garda longtemps le silence avant de finalement dire oui. Quand Osman fut dehors, il dit à ses compagnons qui étaient assis autour de lui : « je ne disais rien car j’attendais que l’un d’entre vous se lève et lui coupe la tête ! » L’un des Ansar lui répondit : « Alors pourquoi ne m’as-tu pas fait signe, ô apôtre de Dieu ! » Il répondit qu’un prophète ne tue pas quelqu’un en le désignant du doigt.
— Il y avait aussi Abdoullah b. Khatal des B. Taïm b. Ghalib. Il était devenu, etc.…
Puis le prophète se rendit à Khandama avec Safouane, Souhaïl, et Ikrima et quand les musulmans commandés par Khaled arrivèrent une escarmouche s’ensuivit dans laquelle Kourz b. Jabir, des B. Mouharib b. Fihr et Khounaïs b. Khalid b. Rabi'a b. Asram, un allié des B. Mounqidh, qui était dans la cavalerie de Khaled, furent tués. Ils n’étaient pas venus avec Khaled et furent tués tous les deux. Khounaïs fut tué le premier ensuite Kourz a enjambé son corps pour le défendre jusqu’à ce qu’il soit tué lui aussi après avoir dit…
Salama b. al-Mayla, un des cavaliers de Khaled, mourut aussi, et les polythéistes perdirent environ 12 ou 13 hommes, et prirent la fuite……
Quant aux deux chanteuses d’Ibn Khatal, l’une fut tuée et l’autre prit la fuite jusqu’à ce que l’Apôtre sollicité en ce sens lui accorde son immunité. Idem pour Sara, qui vécut jusqu’à l’époque d’Omar. Un soldat monté à cheval la piétina un jour dans la vallée de la Mecque et la tua ainsi. Al-Houwaïrith fut tué par Ali, etc.… »
L’ARRIVÉE TRIOMPHALE DE MAHOMET À LA KAABA.
C’est officiellement afin de participer au pèlerinage de la Ka'ba que Mahomet entre à La Mecque et le sacrifice de soixante-dix bêtes rituellement préparées (des chameaux gras) impressionnera favorablement la population par la reconnaissance qu’il implique de la prééminence de la Ka'ba de La Mecque.
Il se rendit, comme convenu avec les Mecquois l’année précédente, au sanctuaire de la Kaaba, et se dirigea vers le temple en psalmodiant le chapitre N° 110 (le chapitre du secours), monté sur sa chamelle. Arrivé non loin il mit pied à terre, s’enveloppa de son vêtement de pèlerin et tendit la main droite en déclarant : « Puisse Dieu faire miséricorde à celui qui montre aujourd’hui sa force ». Puis, il prit la pierre noire comme point de repère et commença les sept circumambulations rituelles (taouaf) en la touchant de son bâton, et en lançant son cri de guerre habituel : « Allahou Akbar ! » Un peu comme si le Pape venait honorer Dieu en se prosternant au pied des menhirs de Stonehenge. Il effectua ses trois premières circumambulations d’un pas rapide, et les quatre autres à un rythme plus ordinaire, afin de faire taire les rumeurs qui couraient sur l’état de santé des musulmans (le bruit circulait en effet qu’ils étaient malades ou affaiblis par des fièvres).
Ibn Ichaq toujours page 552.
« L’Apôtre, après être entré dans la Mecque, lorsque la population se fut calmée, se rendit au temple et en fit sept fois le tour sur sa chamelle en touchant la pierre noire de son bâton. Cela fait, il appela Uthman b. Talha qui lui remit la clé de la Kaaba, et quand la porte lui fut ouverte, il y entra. Il y trouva une colombe en bois la broya entre ses mains et la jeta. Puis il se tint à la porte de la Kaaba pendant que les hommes de la mosquée se rassemblaient autour de lui…
D’après Abdoullah b. Abou Bakr qui le tenait d’Ali b. Abdoullah b. Abbas, l’apôtre est entré dans la Mecque le jour de sa conquête et il y avait dedans 360 statues qu’Iblis (Satan) avait lestées avec plomb. L’apôtre passa devant son bâton dans la main, en disant : « La vérité est venue le mensonge s’en est allé car le mensonge doit disparaître » (Sourate 17, 82).
Puis il pointa son bâton dessus et elles tombèrent à la renverse l’une après l’autre 1).
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Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, le début de l’apostolat de Mahomet ne contient aucune attaque contre les idoles ; c’est un moment où le nouveau prophète peut espérer une solution de compromis avec l’aristocratie des Couraïchites.
Dans la pratique, idoles, pierres brutes et autels se mêlent, tant par leur apparence que par leurs fonctions rituelles.
Le rejet absolu de ces pratiques consacrera la rupture. Mahomet reprend là un vieux thème biblique, un peu facile d’ailleurs, et l’idolâtrie deviendra ainsi dans sa bouche un mal absolu.
Or en réalité pour les esprits les plus élevés comme le haut roi d’Irlande Cormac l’idole n’est pas le dieu lui-même, mais un miroir de la divinité, un symbole. « Ar baí cretim in óen Dé oc Cormac. ar ro ráidseom na aidérad clocha ná crunnu acht no adérad intí dosroni & ropo chomsid ar cul na uli dúla » (Senchas na relec inso).
« Cormac croyait en un seul dieu. Il disait qu’il n’adorait ni les pierres ni les arbres, mais qu’il adorait seulement celui qui les avait faits et qui est le protecteur de tous les éléments » (Histoire des lieux d’inhumation).
La distinction était néanmoins trop subtile pour certains individus et suscita de leur part des caricatures à l’infini de cette façon de voir les choses. À en croire différents passages du Coran certains Mecquois semblent pourtant avoir été assez instruits ou philosophes ou athées pour se moquer du dogme de la résurrection des morts et du jugement dernier (cf. Mehdi Aziz Le contre-discours coranique De Gruyter) et An Nader al Harith a refusé de croire au miracle de la Lune scindée en deux. D’après Mouqatil (Tafsir al Quran 3, 226), c’est d’ailleurs cet écrivain qui aurait été à l’origine de la critique frontale du Coran mentionnée dans le chapitre 25 versets 4 et 5.
« Les mécréants disent : ‹ Tout ceci n’est qu’un mensonge qu’il (Muhammad) a inventé, et où d’autres gens l’ont aidé ›. Or, ils commettent là une injustice et un mensonge. Ils disent : ‹ Ce sont des contes d’anciens qu’il se fait écrire ! On les lui dicte matin et soir !› »
Après que l’apôtre eut dit la prière de la mi-journée, il ordonna que toutes les idoles qui étaient autour de la Kaaba soient rassemblées et brûlées, brisées…
Cette guerre des images avant l’heure (dans l’Empire byzantin ce sera de 723 à 843) aura de graves conséquences au point de vue artistique donc philosophique : difficultés à concevoir l’homme et les droits de l’homme face aux droits de Dieu (Houqouq Allah), ou d’admettre que l’homme est la seule mesure de toute chose (Protagoras).
D’après Hakim b. Abbad b. Hanif et d’autres traditionistes les Couraïchites avait mis des images dans la Kaaba, y compris deux icônes de Jésus fils de Marie et Marie (que la paix soit avec eux !)…… L’apôtre ordonna que les images soient enlevées à part celles de Jésus et de Marie.
Un traditioniste m’a rapporté que l’apôtre se tenait à la porte de la Kaaba et disait : « Il n’y a pas d’autre Dieu qu’Allah, il n’a aucun associé. Il a tenu sa promesse et il est venu en aide à son serviteur. À lui seul il a mis en fuite les confédérés. Tous les privilèges dus au sang ou à la propriété sont abolis à part la garde du temple et la fourniture d’eau potable aux pèlerins… »
Ensuite l’apôtre les laissa partir bien que Dieu lui ait donné tout pouvoir sur leurs vies et qu’ils soient devenus son butin. Voilà la raison pour laquelle les Mecquois ont été appelés « les affranchis » (Toulaqa). Ensuite tout le monde vint à La Mecque pour rendre hommage à l’apôtre de l’Islam. On m’a dit qu’il les attendait assis sur Al Safa et qu’Omar se tenait plus bas pour indiquer les clauses du serment aux personnes qui rendaient hommage à l’apôtre, en promettant d’entendre et d’obéir à Dieu ainsi qu’à son apôtre du mieux qu’ils pourraient 2)………
Ensuite l’apôtre s’assit dans la mosquée et Ali est venu lui remettre la clé de la Ka'ba en lui demandant d’accorder à sa famille le droit de s’occuper de son entretien ainsi que de l’approvisionnement en eau des pèlerins, mais l’apôtre fit venir Outhman b. Talha et lui dit : « Voici la clé… ».
LA MECQUE À L’HEURE DE MÉDINE.
Ensuite ce fut l’heure des règlements de compte. En ville Mahomet fait appliquer sa loi. Il n’a rien oublié ! Et surtout pas la période mecquoise de sa prédication, au développement dramatique et à la conclusion catastrophique. Des gens doivent payer, de manière spectaculaire, en expiant pour le compte du reste de la population. Mahomet procède donc à une épuration ciblée, mais amplement suffisante. Sa politique précédente, dans Médine, faite de manœuvres diplomatiques et de terreur, rend inutiles d’autres violences, qui auraient terni l’éclat de son triomphe. Le plus intéressant est la nature des crimes imputés aux proscrits, dont la liste est dûment consignée : ils sont surtout coupables de paroles et discours contre la personne même de Mahomet. Ce ne sont pas les responsables politiques, les aristocrates qui sont visés, mais plutôt ceux qui se sont exprimés, ceux qui chantent ou savent écrire, et se sont moqués de lui. Mais cette épuration connaîtra des ratés. Un certain nombre en réchappent, par la fuite, par hasard, ou par la conversion, d’autres mourront,
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presque comme par erreur. Car si certains échappent à la mort en se convertissant officiellement, d’autres, parmi ceux dont Mahomet avait demandé l’exécution, furent effectivement tués, et notamment les poètes ou les poétesses (chanteuses) qui l’avaient brocardé. Abdallah ibn Khatal, un poète satiriste qui s’était moqué de lui, Abdallah ibn Abou Sahr, un ex-secrétaire de Mahomet, ainsi qu’Al-Houwaïrith, furent décapités.
Exécution également de Sarah, une esclave affranchie, ainsi que de Qaribah et de Fartana, des chanteuses qui s’étaient aussi moquées de Mahomet. Condamnation à mort par contumace d’Ikrima, et même de Hind, la propre femme d’Abou Soufiane (obligée de fuir de La Mecque).
Le point de vue des musulmans pieux sur ces événements. Mohamed Al Bouti (1929-2013) : « Fiqh As Sira » (leçon de la vie du prophète).
« Voilà les Compagnons revenus à leur patrie, à leurs familles et à leurs biens, ayant multiplié leur nombre et raffermi leurs forces. Ceux-là mêmes qui les avaient chassés il y a huit ans les recevaient la tête basse, humiliés, soumis. Bilal Ben Rabah, l’Abyssin, que les polythéistes avaient persécuté, monta sur le toit de la Kaaba et déclara d’une voix retentissante : Allahou Akbar ! Allahou Akbar ! Cette même voix qui, affaiblie par les souffrances, murmurait sous les coups de ses tortionnaires : Allahou Ahad [allusion aux persécutions dont il aurait été victime de la part des Mecquois quelques années plus tôt] ; la voici aujourd’hui qui retentit du haut de la Kaaba en proclamant : « La illaha illa Allah Mouhammad Rassoul Allah » et toute La Mecque l’écoute avec recueillement et soumission ».
L’INSTITUTIONNALISATION DE LA TERREUR (POUR CAUSE DE REFUS DE LA LIBERTÉ, EN MATIÈRE DE RELIGION).
Tabari tome 8, page 187. La destruction des sanctuaires idolâtres.
Cette année-là, cinq nuits avant la fin du Ramadan, Khaled b. Al-Oualid détruisit al-Ouzza dans la plaine de Nakhlah. Al-Ouzza était une déesse des Banou Chaïbanes, une sous-tribu des Soulaïm, alliés des Banou Hachem. Les Banou Assad b. Abd al – Ouzza disaient que c’était leur déesse. Khaled partit pour ce faire puis déclara : « Je l’ai brisée ». [Le Messager de Dieu] lui demanda : « Est-ce que tu as vu quelque chose ? ». « Non » répondit Khaled. « Alors », dit-il, « retourne là-bas et détruis-la ». Khaled repartit là-bas, détruisit le temple et brisa l’idole. Son gardien s’exclama : « Déchaîne ta colère, O al-Ouzza ! », juste après quoi une Éthiopienne nue et se lamentant apparut devant lui. Khaled la tua et prit les bijoux qu’elle avait. Ensuite il retourna voir le Messager de Dieu et lui raconta ce qui s’était passé. « C’était al-Ouzza », répondit-il, « elle ne sera plus jamais adorée [maintenant] ».
NDLR. Il n’y a pas 36 solutions.
Première solution : il s’agissait bien d’une déesse, et alors il n’y a pas trop à s’en faire pour elle. Elle est toujours vivante dans le cœur de nos amies de la Wicca.
Ou alors il s’agissait vraiment d’une malheureuse femme d’origine éthiopienne qui passait par là et que Khaled a tuée afin de la dépouiller de ses bijoux.
Mahomet ne laissera donc subsister que la pierre noire, laquelle, bien que n’ayant ni forme humaine ni animale, était bien une « idole » ou un « fétiche ». Peut-être faut-il voir dans cette « incorporation », une dernière tentative de Mahomet pour amadouer les habitants de La Mecque. Ayant renoncé à laisser les divinités païennes à côté de Dieu en tant qu’intermédiaires entre lui et les hommes, il contourne le problème en plaçant la pierre noire au centre du culte qu’il voulait imposer.
Boukhari a rapporté, d’après Ibn Abbas, que Mahomet passa dix-neuf jours en tout à La Mecque, avant de rentrer à Yathrib/Médine ; mais qu’il en profita pour épouser Oumm Habiba 3) la fille du puissant Abou Soufiane, devenant ainsi le gendre de l’homme le plus riche de la cité. Il ne fera pas néanmoins de La Mecque sa nouvelle capitale. Il n’y restera que le temps qu’il faut et pas davantage.
Au cours de cette brève visite à La Mecque, il épousa également Meïmouna Bint Al Hareth, la sœur de la femme de son oncle Abbas, par contrat de mariage ; alors qu’il était encore en état de sacralisation pour son pèlerinage (ihram, ou en état de désacralisation pour d’autres). Mahomet consomma son mariage avec Meïmouna sur le chemin du retour à Yathrib/Médine.
Pour les Médinois, il devient celui qui leur a ouvert à nouveau l’accès au sanctuaire. Renforcé théologiquement par la possession de la Kaaba, et militairement par la masse des nouveaux convertis mecquois ; il se lancera dès lors à la conquête de nouveaux territoires en Arabie, au sud vers le Yémen, au nord vers la Palestine, et à l’est vers le golfe Persique. Par une combinaison typiquement messianique de prédication et de combats.
1) La statue s’écroulait parce que derrière il y avait de solides gaillards, convertis à l’islam, chargés de les déboulonner ; qui n’attendaient que ce signal – le fait que Mahomet pointe son bâton dessus en récitant ce verset du Coran – pour entrer en action).
2) La prestation de serment fait partie de toute cérémonie totalitaire qui se respecte.
3) D’après Ibn Ichaq le mariage avait déjà eu lieu à ce moment-là.
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630 BATAILLE DE HONEÏN ET SIÈGE DE TAÏF.
LA FIN D’UN MONDE.
(Équivalent extrême occidental la bataille d’Arfderydd 579.)
Honeïn est une vallée située au sud de Taïf. C’est une des rares batailles (deux) livrées par Mahomet qui soit mentionnée dans le Coran (9,25).
« Dieu vous a secourus en de nombreuses occasions et le jour de Honeïn quand vous étiez fiers de votre grand nombre, celui-ci ne vous a servi à rien, quand la terre, toute vaste qu’elle est, vous paraissait étroite et que vous avez tourné le dos en fuyant ».
Elle a également donné lieu à une autre révélation divine, le verset 24 du chapitre 4 : « Vous sont interdites les femmes mariées, à moins qu’elles ne soient vos captives de guerre ».
Ainsi qu’à un certain nombre de hadiths comme celui qui suit.
Sahih Muslim Livre 8, hadith 3432.
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Chapitre : Il est permis d’avoir des rapports sexuels avec une prisonnière (après les menstruations ou un accouchement) même au cas où elle aurait un mari ; son mariage est en effet abrogé si elle devient prisonnière. « Abou Sa'id al-Khoudri a rapporté qu’à la bataille de Honeïn le Messager de Dieu (la paix soit sur lui) a envoyé une armée à Autas pour y rencontrer l’ennemi et l’affronter. Après les avoir vaincus et les avoir faits prisonniers, les Compagnons du Messager de Dieu (que la paix soit sur lui) semblaient vouloir s’abstenir d’avoir des rapports sexuels avec des prisonnières parce que leurs maris étaient des polythéistes. Alors Dieu le Très Haut, a envoyé à ce sujet : « Et les femmes déjà mariées, à l’exception de celles tombées entre vos mains (IV, 24) ».
Le commentaire de ce hadith précise que « Après le partage du butin de guerre, un homme peut avoir des relations sexuelles avec l’esclave après qu’elle a eu ses règles si elle n’est pas enceinte ». Si elle est enceinte, il faut attendre qu’elle accouche. Telle est la position de Malik, al-Chafi et d’Abou Thawr. Abou Hanifa estime que si le mari et la femme sont faits prisonniers ensemble, les liens de leur mariage subsistent, ils ne seront pas séparés. Mais d’après la majorité des savants, ils seront séparés. Al-Aouzai soutient que les liens de leur mariage ne subsistent que jusqu’au partage du butin de guerre. Si un homme les achète, il peut les séparer s’il le désire, et cohabiter avec l’esclave après ses règles.
L’épisode est difficile à cerner car nous ne disposons que de sources…
— Musulmanes donc recueillies plusieurs générations après les faits (100 ou 200 ans).
— Musulmanes donc affaires de foi et non de raison.
— Musulmanes donc dénuées d’esprit critique (multiples contradictions).
— Musulmanes donc non objectives, mais au contraire puissamment subjectives.
Tentative personnelle de reconstitution.
Les Haouazines et leurs alliés se regroupent à Aoutas au sud de Taïf dans la vallée de Honeïn.
Leur chef Malik Ben Aouf apprenant qu’une immense armée musulmane (qu’il prend pour une armée mecquoise, c’est-à-dire des ennemis héréditaires tout simplement) approche, désespéré, prend les devants et lui tend un piège.
Premier affrontement donc à Honeïn. Mahomet tombe dans le piège (un combat dans un défilé ?), mais après une vigoureuse contre-attaque musulmane les Bédouins se dispersent et s’enfuient.
Un deuxième affrontement à Aoutas où les musulmans s’emparent du camp des Haouazines. Énorme butin comparable à celui de la prise de la smala d’Abd El Kader en 1843 en Algérie.
Un troisième et dernier affrontement à Taïf ou les derniers Haouazines se sont réfugiés sous le commandement de leur chef Malik ben Aouf.
C’est un épisode important : le dernier danger menaçant l’islam disparaît, au cours de la plus grande bataille que l’Arabie a jamais connue jusqu’alors. C’est elle qui décide du contrôle définitif de la péninsule.
Après la prise de La Mecque, la confédération tribale des Haouazine peut être inquiète : le rapport de force a changé en leur défaveur. Leurs ennemis mecquois sont renforcés par les Médinois, certes appauvris par la rupture du commerce, mais animés par une nouvelle idéologie dont l’agressivité s’est avérée très efficace. Avec Mahomet la vieille opposition entre nomades et sédentaires prend donc un tour nouveau. Ce dernier peut avec l’apport mecquois compter sur des forces redoublées.
Après la prise de La Mecque, ainsi que nous avons pu le voir, Mahomet avait envoyé divers détachements de cavalerie pour soumettre les tribus alentour, et détruire leurs lieux de culte. Les Banou Haouazines et les habitants de Taïf décident alors de se préparer à résister sous la direction de Malik Ben Aouf.
Mahomet se dirigea vers eux le 6e jour du mois de Chaoual, à la tête de 10 000 Médinois et de 2 000 Mecquois. Il envoya aussi Abdallah ben Abou Hadrad al Aslami les espionner. Lorsque Malik Ben Aouf fut averti de la venue de l’armée musulmane, il demanda donc à ses hommes de se rassembler dans la vallée de Honeïn.
Sahih Muslim livre 19, hadith 4385.
« Al Abbas : J’étais avec le Messager de Dieu (que la paix soit avec lui) le jour de Honeïn. Moi et Abd Soufiane b. Harith b. Abd al-Mouttalib, accrochés au Messager de Dieu (que la paix soit avec lui) et nous ne l’avons pas lâché d’une semelle. Le Messager de Dieu (que la paix soit avec lui) chevauchait la mule blanche qui lui avait été offerte par Faroua b. Noufitha al-Joudhami. Quand les musulmans eurent rencontré les mécréants, ils s’enfuirent et furent culbutés, mais le Messager de Dieu (que la paix soit sur lui) éperonna sa mule pour foncer sur les mécréants. Je tenais la bride de la mule du Messager de Dieu (que la paix soit avec lui) en l’empêchant d’aller trop vite, et Abou Soufiane tenait l’étrier de la (mule du) Messager de Dieu (que la paix soit sur lui)), qui s’est alors exclamé : Abbas, appelle les hommes d’al-Samoura. Abbas (qui était un homme à la voix forte) s’est alors écrié de toutes ses forces : « Où sont les hommes de Samoura ? (Abbas a précisé ensuite:) Et par Dieu, quand ils ont entendu ma voix, ils sont revenus (vers nous) comme des vaches vers leur veau et se
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sont écriés : nous voici, nous sommes là ! Puis il a rajouté ensuite : et ils ont commencé à se battre contre les infidèles. Puis il y eut un appel aux Ansars. Ceux (qui les appelaient) criaient : bataillon des Ansars ! bataillon des Ansars ! Les Banou al-Harith b. al-Khazradj furent les derniers à être appelés. Ceux (qui les appelaient) criaient : O Banou Al-Harith b. al-Khazradj ! O Banou Harith b. al-Khazradj ! Et le Messager de Dieu (que la paix soit avec lui) qui était toujours sur sa mule observait leur combat penché en avant et s’est exclamé : maintenant au moins le combat fait rage. Puis le messager de Dieu (que la paix soit avec lui) a pris (quelques) cailloux et les a jetés en direction des infidèles en disant : ‘Par le Seigneur de Mahomet, que les infidèles soient vaincus’.… et leurs forces s’évanouirent ensuite ils commencèrent à battre en retraite ».
Malik Ben Aouf et les siens retournèrent donc à Taïf où ils se barricadèrent après avoir abandonné leurs biens et leurs familles aux mains des musulmans. Mahomet déposa le butin à Jirana, où il le fit garder par Massoud Ben Amr Al Ghifari. Les musulmans décidèrent de passer à l’attaque. Ils subirent de lourdes pertes sans réussir à prendre la ville 1). Mahomet décida donc de rentrer à Yathrib/Médine.
Sur le chemin du retour, Mahomet s’arrêta dans Jirana pour procéder au partage du butin. Il reçut d’abord une délégation d’Haouazines ayant accepté de rejoindre le camp musulman, qui lui demanda la restitution de leurs biens et des membres de leurs familles capturés. Mahomet leur demanda de choisir entre leurs biens et leurs familles. Les Haouazines choisirent leurs familles. Mahomet s’informa du sort de Malik Ben Aouf et lui fit savoir que s’il embrassait l’islam, il lui rendrait les siens, et ses richesses, et qu’il lui donnerait en plus cent chameaux. Ce qui fut fait. Malik quitta Taïf, rejoignit Mahomet entre Jourana et La Mecque, puis rallia le camp musulman.
Boukhari, Muslim, Ibn Massoud. Des nomades demandèrent alors à Mahomet une plus grande part de butin. Ils l’acculèrent même à un arbuste épineux qui déchira son habit. Mahomet leur répondit : « Si vous aviez droit effectivement à autant de biens que les arbres de Touhama, je les aurais déjà répartis entre vous depuis longtemps, afin que vous ne me traitiez ni d’avare, ni de menteur, ni de poltron ». L’un des Bédouins saisit alors si violemment Mahomet par un pan de son manteau, que son cou en fut marqué, il lui cria : « Donne-moi une partie des biens de Dieu que tu as eus toi ». Mahomet lui abandonna sa part. Il accorda aussi une grande part aux Mecquois encore hésitants. Il remit par exemple cent chameaux à un dénommé Al Aqra Ibn Halaïs. Il donna la même chose à Ouyaïna Ibn Hisn. Il donna aussi plus à certains autres membres de la noblesse arabe, en les favorisant dans le partage. Quelques ansar (Médinois) s’en plaignirent alors : « Que Dieu pardonne à notre Prophète ! Il donne notre part de butin aux Couraïchites et nous oublie, alors que nos épées sont encore toutes tachées de sang frais ! C’est une répartition du butin qui manque vraiment de justice et où l’on n’a pas cherché à plaire à Dieu ».
Mahomet rassembla donc les ansar et leur dit :
« Ô ansar ! Qu’est-ce que j’apprends ?
Vous étiez perdus et Dieu m’a permis de vous remettre dans le droit chemin,
Vous étiez divisés, mais Dieu vous a rassemblés par mon intermédiaire,
Vous étiez pauvres et Dieu vous a enrichis,
Vous ne me répondez donc pas ? »
Que pourrions-nous te dire ô prophète !
Vous pourriez me dire, que je suis venu à vous alors qu’on me traitait de menteur et que pourtant vous m’avez cru, que j’étais vaincu et que vous m’avez alors aidé à vaincre, que j’étais traqué, mais que vous m’avez donné refuge, que j’étais sans ressources et que vous m’avez secouru !
Vous vous croyez lésés, ô ansar, à cause d’un simple bien matériel éphémère relevant de ce bas monde, que j’ai accordé à des mécréants pour qu’ils se convertissent. Les Couraïchites auront des moutons et des chameaux, mais vous, vous retournerez dans vos maisons avec moi. Votre butin ne sera-t-il pas préférable au leur ? J’en jure par celui qui tient le salut de mon âme entre ses mains, si je n’avais pas quitté La Mecque pour venir à Médine, j’aurais aimé être l’un des vôtres. Si les hommes empruntaient un chemin et les ansar un autre, alors je suivrais plutôt celui des ansar.
Tous pleurèrent d’émotion et déclarèrent qu’ils étaient contents d’avoir pour seul butin Dieu et son prophète.
RETENONS DE CET ÉPISODE PLUTÔT HAGIOGRAPHIQUE OU LÉGENDAIRE, QUE L’APPÂT DU BUTIN A JOUÉ UN TRÈS GRAND RÔLE DANS LES DÉBUTS DE L’ISLAM ; MAIS QUE MAHOMET SAVAIT PARLER AUX HOMMES PUISQUE LES ANSAR FURENT COMPLÈTEMENT RETOURNÉS PAR CES BELLES PAROLES ; ET QU’ILS SE CONTENTÈRENT ENSUITE DE LA PORTION CONGRUE, NON DE LA PART DU LION, DANS LE PARTAGE DU BUTIN DE CE JOUR-LÀ… SAUF LE RESPECT DÛ À LA PERSONNE MÊME DU SAINT PROPHÈTE BIEN ENTENDU.
Lors de la bataille d’Honeïn, les combats auront été l’occasion involontaire d’une remontée de comportements réflexes ancestraux, y compris de la part de Mahomet lui-même. L’effort de guerre des musulmans aura été sans précédent, mais montrera néanmoins de graves faiblesses, dont le
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Coran se fait l’écho (9,25). Le camp musulman n’est pas aussi uni qu’il n’y paraît, beaucoup n’ont pas encore compris l’avantage que l’on peut tirer, à la guerre, du ralliement des anciens ennemis. La masse des combattants a encore grossi, et l’arithmétique inquiète ces musulmans qui savent que les parts de butin iront en s’amenuisant. Les Médinois commencent à gronder face aux nouveaux convertis et l’opposition va croissant.
La bataille est longue, acharnée, pénible, et les troupes musulmanes loin d’être exemplaires. La victoire sera pourtant au bout de l’épreuve. Les Haouazines sont défaits, seul comptera finalement le partage de leur immense butin, ainsi que de nombreuses captives qui réconfortent les vainqueurs. Ces questions de butin peuvent sembler à certains de scandaleux problèmes de comptabilité : il n’en est rien ! C’est le moteur de l’expansion de tous les impérialismes. Ceux qui ont été pillés puis qui se sont convertis sont en effet poussés, à leur tour, à légitimer une idéologie encourageant le pillage. Dans la société musulmane qui se construit, le montant des parts de butin classe les individus et les clans dans la hiérarchie des honneurs et de la puissance. En l’occurrence les tout nouveaux convertis de La Mecque seront favorisés au détriment des anciens combattants de la cause, les ansars, d’où des grognements assez cocasses. Cet acte d’autorité, strictement arbitraire, et habile pour ce qui est de la politique, de la part de Mahomet, est resté dans la tradition musulmane sous le nom d’épisode du « Ralliement des cœurs » (des anciens ennemis Couraïchites).
CE QUE LES THÉOLOGIENS MUSULMANS DÉDUISENT DU COMPORTEMENT DE MAHOMET À CETTE OCCASION.
1° À Honeïn, les musulmans étaient plus nombreux que jamais, mais cela ne leur a servi à rien ; car parmi eux, se trouvaient des hommes dont les croyances n’étaient pas assez solides, et qui n’avaient rejoint l’armée musulmane que pour faire du butin. La victoire ne dépend jamais de l’importance des effectifs. Deux cents guerriers redonnèrent néanmoins la victoire aux musulmans. Ils mirent l’ennemi en déroute, réussissant là où une troupe hétéroclite de 12 000 guerriers avait échoué.
2 ° Un chef musulman peut emprunter ou louer des armes à des païens, et tout ce dont il peut avoir besoin pour le combat. Ceci rentre sous la rubrique du recours à l’aide des infidèles en temps de guerre. Les mécréants peuvent être d’un double secours.
3 ° Le combattant peut à chaque fois s’approprier les dépouilles de l’ennemi qu’il vient de tuer sur le champ de bataille et n’a pas besoin pour cela d’avoir l’autorisation de l’imam ou de son chef. Abou Hanifa et l’imam Malik considèrent néanmoins cette règle comme une simple loi juridique ne dépendant que de l’imam ; les combattants devraient obtenir à chaque fois l’autorisation de leur imam avant de s’approprier les dépouilles des vaincus. Au cas, où ils n’auraient pas obtenu cette autorisation, les dépouilles des morts doivent être ajoutées au butin et soumises aux lois réglant ce type de partage.
4 ° II est permis à l’imam d’augmenter ses dons aux nouveaux convertis, dans la mesure où leur conversion présente des avantages pour les musulmans. Il peut prélever ce surcroît de dons sur le butin.
1) Commencent alors de longues et tragiques négociations, où ce peuple tentera de sauvegarder son identité, mais en vain.
CRISE ET REPRISE EN MAIN.
LE PROBLÈME DE LA BATAILLE DE TABOUK.
 en croire l’historiographie musulmane en 630 Mahomet, prévenu d’une invasion imminente des forces Romano-byzantines aurait pris les devants à la tête d’une armée de 30 000 hommes venue les arrêter dans la région de Tabouk c’est-à-dire dans le Nord-ouest de l’actuelle Arabie Saoudite.
Le problème est que nous n’avons aucun élément du côté byzantin pouvant indiquer qu’un tel affrontement a eu lieu.
El-Cheikh, Nadia Maria. Byzance vue par les Arabes (2004, Presses universitaires de Harvard p. 5). « Un des défis majeurs de l’étude des premiers contacts entre Byzance et l’Oumma musulmane réside dans les controverses autour du récit islamique traditionnel… les sources ne sont pas contemporaines des événements qu’elles prétendent rapporter et ont parfois été écrites plusieurs siècles après. Elles sont très complexes, et il y a dedans des anachronismes, des divergences et des
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contradictions. Beaucoup d’entre elles ont manifestement été enjolivées ou alors y figurent des inventions introduites à des fins d’apologie politique ou religieuse ».
Hypothèse A donc : c’est un épisode inventé de A jusqu’à Z ou presque pour effacer la défaite de Mou’ta l’année d’avant. Un peu comme dans le cas de la deuxième « bataille » de Badr 1).
Hypothèse B : Mahomet a vraiment reçu des rapports laissant penser à un début de préparatifs militaires inquiétants de la part des Byzantins à l’est de la Mer morte, dans la ville d'Areopolis (Ma’ab).
Hypothèse C : il s’agit d’un énième exemple de la psychologie ou posture victimaire des musulmans militants comme Safiur Rahman Mubarakpuri (voir son livre intitulé le nectar cacheté). Chacun sait en effet que les musulmans dans l’Histoire à commencer par Mahomet lui-même n’ont jamais attaqué ni tué, qu’un musulman convaincu ne fait que se défendre (victorieusement il est vrai) ou châtier (durement il est vrai) des coupables de crimes méritant bien la mort comme les caricatures ou critiques virulentes de Mahomet, ou de sa conception de Dieu.
[Note de Jean-Loup de La Crau : notre père disait « ce sont des Bakka'in autrement dit des Caliméro échappés du pays des Bisounours ».]
L’Empire musulman du 8e siècle est le seul exemple au monde (pour une fois le superlatif s’impose) d’empire résultant uniquement de guerres défensives.
Bref rappel de la situation du côté romano-byzantin. En 622, deux débarquements, sur les côtes de la Méditerranée et de la mer Noire, avaient permis à Héraclius de prendre en tenaille les forces perses d’Anatolie et en 627 il effectue donc une percée décisive en Mésopotamie : en s’emparant de Ctésiphon, la capitale des Sassanides. Héraclius se contentera d’un retour aux frontières d’avant 609. Il estime sans doute qu’une campagne prolongée à l’intérieur de la Perse serait trop risquée, alors que la paix – que semble lui garantir une anarchie grandissante en Perse, où plusieurs prétendants se disputent le pouvoir – lui donne la possibilité de réorganiser ses États et donc de reconstituer ses forces.
Le contexte sera donc le même que celui qui aura prévalu pour Mout’a un an auparavant. Un empire romain d’Orient qui réoccupe lentement un territoire qui a été perdu au profit de l’Empire perse pendant 25 ans. Un empire perse dont certains généraux refusent d’appliquer le traité de paix conclu par leur nouvel empereur. La différence majeure avec Mou’ta sera qu’à Mout’a les Byzantins avaient eu vent des projets de Mahomet alors qu’à Tabouk ce ne sera pas le cas.
Pour les historiens, le chiffre de 30 000 combattants aux côtés de Mahomet est peu vraisemblable, tout comme la cohabitation de quelque 30 000 chevaux et dromadaires, alors qu’il est connu que ces animaux ne se supportent pas entre eux. Le chiffre de 3000 à 5000 combattants est beaucoup plus plausible, partagés en deux groupes, voire plusieurs : l’un avec des chevaux, les autres avec des dromadaires. Les chevaux étaient certainement moins nombreux, car à l’époque, ils étaient chers, et au contraire des chameaux, en plein désert, ils devaient boire beaucoup d’eau.
Du côté musulman il semble y avoir eu en fait deux camps établis en territoire ghassanide (des vassaux de Byzance), un à Tabouk dans le nord du Hedjaz et un à Doumatte al Jandal (actuelle oasis de Jaouf en Arabie saoudite) avec des expéditions à partir de ces deux premières bases.
Le fait qui semble acquis est qu’un certain nombre de localités situées au sud-est du Limes romain, Aïla (al-Aqaba sur la mer Rouge), Jarba, et Adroa/Adhruh -25 km à l’est de Pétra actuelle Jordanie-) ont négocié en ordre dispersé le retrait de l’armée musulmane occupant leur territoire.
On peut enfin présumer que, ne voyant venir aucune armée byzantine conséquente, mais plus le temps passait, craignant que cela ne se produise enfin, Mahomet, fin tacticien, a préféré se replier (sur sa base de départ, où d’autres problèmes couvaient (voir le mystérieux épisode de la mosquée de la discorde ou Masjid al-Dirar, sourate 9 versets 107-108 du Coran).
Soit la tentative de construction d’une église (son promoteur Abu Amir al-Rahib étant manifestement un moine chrétien) soit une première hérésie.
Mais venons-en à l’historiographie musulmane proprement dite maintenant.
Khaled ibn al-Oualid partit avec un détachement au nord-ouest à Doumatte al-Jandal, une halte importante sur la route commerciale du désert reliant le sud de la Syrie au nord de l’Arabie, et Mahomet commanda lui-même le gros de la troupe en marchant plein nord. Il passa par Mada'in Salih, la capitale du sud de l’ancien royaume nabatéen, et atteignit Tabouk, oasis située dans l’extrême nord-ouest de l’Arabie saoudite moderne.
Cela se passait au mois de radjab de la 9e année après l’Hégire, en plein été. La chaleur était à son comble. Un certain nombre de Médinois refusèrent d’ailleurs de se lancer dans cette expédition à cause de la chaleur. Les musulmans les plus zélés [ou les plus intéressés par le butin] accoururent par contre de toutes parts. Les plus riches avancèrent aux pauvres tout ce dont ils pouvaient se passer comme argent ou armement. Osman prêta trois cents chameaux sellés et 1000 dinars. Abou Bakr y investit tout son argent. Omar engagea la moitié de ses richesses. Quelques-uns, que l’on appela plus tard « Les Pleureurs », vinrent même demander des montures à Mahomet, afin de pouvoir
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participer à cette expédition. L’armée musulmane s’éleva donc rapidement à 30 000 combattants, dont 10 000 cavaliers. Ils se relayaient pour être sur les montures, et allèrent même jusqu’à sacrifier des chameaux pour en boire l’eau emmagasinée dans les bosses. La légende mahométane place d’ailleurs à cet endroit un autre miracle de type multiplication des pains, comme dans les évangiles.
Baladhuri, Kitab Futuh Al-Buldan page 92.
Chapitre XII : Tabuk, Ailah, Adhruh, Makna et al-Jarba.
Tabouk conclut un accord. Quand le Prophète marcha sur Tabouk en Syrie (sic) en l’an 9 pour arrêter l’invasion des Grecs, Amilah, Lakhm, Joudham et autres dont il avait appris qu’ils se mobilisaient contre lui, et il ne rencontra aucune résistance.
Il passa donc quelques jours à Tabouk, dont les habitants acceptèrent de payer une taxe.
Aïla conclut un accord. Pendant qu’il était à Tabouk, Youhanna ibn-Rou'ba, le responsable d’Aïla, conclut un accord et accepta de payer pour chaque adulte de son pays un dinar par an, soit un total de 300 dinars. Le Prophète leur imposa en plus de pourvoir à la nourriture et au logement de tous les musulmans. Il leur écrivit une lettre afin qu’ils soient en sécurité et protégés.
Adhrouh conclut un accord. Le Prophète conclut un accord avec la population d’Adhrouh stipulant qu’ils paieraient 100 dinars au mois de Rajab chaque année.
Al-Jaba conclut en accord. Les habitants d’Al-Jarba conclurent un arrangement et acceptèrent de payer une taxe. Le Prophète leur écrivit une lettre en ce sens.
Makna conclut un accord. Les habitants de Makna s’entendirent avec le Prophète, en acceptant d’offrir un quart de ce qu’ils pêchaient et filaient, un quart de leurs chevaux et de leurs cottes de mailles, et un quart de leurs récoltes. Les habitants de Makna étaient juifs. Un Égyptien m’a dit qu’il avait vu de ses propres yeux la lettre que le Prophète leur avait écrite sur un parchemin rouge, dont l’écriture était en partie effacée, et qu’il avait recopiée…
« Au nom d’Allah, le clément, le miséricordieux………… Écrit par Ali-ibn-abou-Talib en l’an 9 ».
Ibn Sa'd, Kitab al-tabaqat al-kabir, volume 2 page 205.
Le Messager de Dieu, que Dieu le bénisse, envoya aussi Khaled Ibn al-Oualid à la tête de quatre cent vingt cavaliers durant le mois de Rajab de la neuvième année, dans une sariya (expédition) contre Oukaïdir Ibn Abd al-Malik, à Doumatte al-Jandal. (La distance) entre cette ville et Médine est de quinze nuits. Oukaïdir était de la tribu Kinda sur laquelle il régnait et il était chrétien.
Khaled arriva sur place alors qu’il était sorti de sa forteresse au clair de lune avec son frère Hassan pour chasser une vache sauvage. Les cavaliers de Khaled lbn al-Oualid les attaquèrent. Il (Khaled) captura Oukaïdir. Son frère Hassan résista et se battit jusqu’à sa mort. Ceux qui étaient avec eux s’enfuirent. Puis il est entré dans le fort et Khaled épargna sa vie afin de le conduire devant l’apôtre de Dieu, que Dieu le bénisse, pour qu’il signe la reddition de Doumatte al-Jandal. Il s’exécuta et il (Khaled) conclut la paix avec lui en échange de deux mille chameaux, huit cents têtes de bétail, quatre cents cottes de mailles et quatre cents lances. Il mit de côté la part du Prophète, que Dieu le bénisse. Puis il partagea le butin après avoir mis à part le quint (le cinquième en fait) et ce qui était réservé au Prophète, que Dieu le bénisse. Ensuite il répartit le reste du butin entre ses compagnons puis Khaled Ibn al-Oualid repartit pour Médine avec Oukaïdir et son frère Moussad qui était dans le fort, et avec lequel il avait conclu un accord de paix… »
À Tabouk les musulmans ne rencontrèrent donc aucune résistance, l’armée ennemie semblait s’être volatilisée (avait-elle d’ailleurs jamais existé ?). Il n’existe pas de frontière naturelle entre la péninsule arabique et les terres situées au nord de celle-ci ; on passe de l’Arabie Séoudite moderne à la Jordanie sans observer de changement dans le paysage – les mêmes imposantes montagnes de grès, affleurements volcaniques et mornes dunes de sable continuent un moment alors qu’on se dirige vers le nord. C’est donc tout à fait naturellement que Mahomet, ne rencontrant aucune résistance à Tabouk même, continua sur Aïla, l’Aqaba moderne, le port le plus septentrional de la Mer Rouge, et sur Oudhrouh, non loin de Pétra, la capitale du royaume nabatéen.
L’affaire tourne à la simple démonstration de force contraignant à la soumission quelques seigneurs ou grands propriétaires chrétiens.
L’évêque ou gouverneur d’Aïla (Aqaba), Yahna bin Rawbah (Youhanna b. Rou’ba) serait allé à Tabouk pour négocier une sorte de statut de ville ouverte, idem pour les autorités de Jarba et d’Adhrouh un peu plus au nord car il n’y avait pas de garnison byzantine dans ces localités. D’où l’absence de combat. Même chose pour Ma’an située à 40 km au sud-est de Pétra. À chacun de penser ce qu’il veut de ce non-événement, de cette non-bataille, de cette non-rencontre. Les conditions figurant dans ces accords de paix conclus par Mahomet avec ces localités ou les localités voisines diffèrent beaucoup, ce qui laisse à penser qu’il n’y avait pas de négociation collective chapeautée par un fonctionnaire du gouvernement byzantin, mais que ces villes avaient été laissées à elles-mêmes et que leurs responsables ont essayé de négocier du mieux qu’ils pouvaient.
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CE QUE LES GENS DE PLUSIEURS LIVRES EN DÉDUISENT.
30 000 hommes, 80 réfractaires, une ville (Tabouk) prise sans combat. Tout cela est quand même bizarre !!!!!
L’expédition ne ressemble à rien : il n’y a pas de grand combat, et l’armée tourne à vide. La puissance musulmane a grandi trop vite, elle n’est unie que par l’appât du gain, le charisme d’un chef, et des malentendus. Tabouk est l’occasion d’observer un début de désagrégation, et les troupes traînent des pieds. Le plus grave pour les Byzantins est que leurs alliés Ghassanides aussi.
CE QUE LES THÉOLOGIENS MUSULMANS DÉDUISENT DE CETTE EXPÉDITION.
Le djihad contre les ennemis de l’islam ne se limite pas à la guerre préventive, voire ne doit pas se réduire à cela. Le djihad implique beaucoup de dépenses en matériel de guerre, il est donc impérieux que les musulmans y participent, en fonction de leurs moyens, si l’État musulman ne peut y suffire lui-même.
Légitimité, normalité, ainsi que légalité, du paiement d’un tribut de la part des chrétiens ou des juifs, en échange de leur vie et de leurs biens. Ceux qui acceptent de payer cet impôt (djizya) s’engagent aussi à obéir aux lois islamiques, bien que n’étant pas musulmans. Pour les gens du Livre (satané livre), il peut y avoir (à la différence des païens ou des athées) intégration dans une société musulmane ainsi que dans son système d’organisation, tout en demeurant fidèles à leur propre religion. Ils ne doivent pas transgresser les lois islamiques, mais il leur est permis par contre, bien entendu, de désobéir à leurs propres coutumes ou à leurs propres lois… religieuses. [NDLR La contradiction n’est qu’apparente. Ce que veulent dire ces théologiens musulmans, c’est que les juifs et les chrétiens peuvent rester fidèles à leur religion en terre d’islam, MAIS QU’ILS N’Y SONT PAS OBLIGÉS ! Quant aux athées, aux païens, et aux autres communautés semblables, ils n’ont rien qui leur permette d’être intégrés ; car il est impossible que l’athéisme ou le paganisme puisse s’accorder avec la législation islamique sur quoi que ce soit, étant donné qu’ils sont radicalement opposés dans leurs bases et leurs racines].
Remarque des gens de plusieurs livres ! Quand on sait que les onze premiers chapitres de la Bible sont des mythes païens sumériens ; et qu’une grande partie des lois ou des conceptions religieuses musulmanes ne sont en aucune façon « abrahamiques », mais d’origine païenne, à commencer par le pèlerinage à La Mecque ; cette opposition si « radicale » entre paganisme et islam laisse songeur (ignorance – attribuable non aux païens d’avant l’islam, mais aux pieux musulmans ? – Schizophrénie ? Psychose ?).
LA PREMIÈRE HÉRÉSIE MUSULMANE (Masjid ad-Dirar. Coran chapitre 9, versets 107-110).
Les sources musulmanes nous donnent des informations très superficielles sur cet incident assez étrange, qui a pourtant laissé des traces dans le Coran : la destruction par Mahomet d’une mosquée dite « de l’opposition », construite également à Qba, dans les faubourgs de Yathrib/Médine, et la dispersion de ses fidèles. On ne saura sans doute jamais ce qui s’est réellement passé : hérésie, schisme, rébellion, église chrétienne ?
Les événements qui suivront immédiatement la mort de Mahomet montrent bien que cette première communauté musulmane était déjà parcourue de tensions ou de lignes de fractures diverses. Certains veulent y voir l’influence d’Abou Amir, l’ermite chrétien ayant été obligé de quitter l’oasis quelques années plus tôt. Cette mosquée « hérétique » aurait été alors tout simplement une église.
Quoi qu’il en soit, et avant même d’être de retour dans sa bonne ville de Yathrib/Médine, Mahomet envoya une avant-garde détruire la mosquée construite par des Médinois, en son absence.
Il existe une allusion à cette première hérésie de l’islam dans le Coran : chapitre 9, verset 107.
« Ceux qui ont édifié un lieu de culte malfaisant et impie pour semer la division entre les croyants, et pour en faire un repaire de ceux qui luttaient contre Dieu et son prophète, jurent la main sur le cœur : « Nous n’avons voulu que le bien ! », mais Dieu est témoin qu’ils mentent ».
Notons néanmoins que c’est le fondateur de l’islam lui-même qui a pris sur lui de faire détruire cette mosquée ; la deuxième de Yathrib/Médine pour ce qui est de l’ordre chronologique (à moins qu’il ne se soit agi d’une église bien entendu).
COMMENTAIRE (TAFSIR) D’UN HOMME DE PLUSIEURS LIVRES.
Nous n’insisterons jamais sur notre volonté de ne pas être les hommes d’un livre (du Livre), mais d’au moins douze livres, comme les Fénianes d’Irlande, pour d’évidentes raisons d’ouverture d’esprit, la vérité toute nue étant notre seule religion. C’est pourquoi, disons-le tout net, NOUS N’AVONS AUCUNE IDÉE DE CE QUE PUT ÊTRE LE CONTENU DE CETTE PREMIÈRE HÉRÉSIE DE L’ISLAM, DU VIVANT MÊME DE MAHOMET. Peut-être était-elle en rapport avec ce que l’islamologue Siyavash AVESTA écrit sur le sujet.
1) À la fin de la bataille d’Ohoud, Abou Soufiane avait en effet défié le noble Prophète (psl) et les musulmans, en lui disant : « Retrouvons-nous l’année prochaine, à Badr ». Et en guise de réponse le noble prophète lui avait lancé, par l’intermédiaire d’un messager : « D’accord, nous relevons le défi ! »
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Aussi, quand le moment fut venu, il vint donc à Badr avec 1 500 musulmans. De son côté, Abou Soufiane, lui, partit de La Mecque à la tête d’une armée de 2000 hommes, qui n’eut néanmoins pas le courage d’aller au-delà de Marr-az-Zahran (actuellement l’oued Fatimah). Le noble Prophète les attendit à Badr pendant huit jours et les musulmans pendant ce temps-là firent des affaires avec une caravane de marchandises (quelles affaires ???? Du pillage ???).
LE DÉBUT DES RECONNAISSANCES OFFICIELLES (SANAT AL WOUFOUD).
Mahomet fut de retour à Médine le mois de Ramadan de la même année, après deux mois d’absence. Les musulmans qui avaient refusé de participer au raid sur Tabouk sans raison valable vinrent demander pardon. Ils étaient plus de 80. Mahomet n’accepta pas leurs excuses (Coran chapitre 9 versets 93-96), à l’exception de Kaab ben Malik, Mourara ben Ar Rabi, et Hilal ben Ommeya, mais après (ou avant ?) la révélation du verset 118 en ce sens (voir commentaire d’Ibn Khatir à ce sujet. C’est à la fois édifiant et terrifiant !!)
Bataille de Tabouk.
« Ce verset a été révélé à propos de la bataille de Tabouk. Ils étaient partis dans un moment difficile. C’était une année avec peu de pluie, beaucoup de chaleur et des pénuries en nourriture ainsi qu’en eau… Le Prophète leva les mains et les garda levées jusqu’à ce que la pluie tombe du ciel en
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abondance. La pluie s’arrêta de tomber, mais il se mit de nouveau à pleuvoir et ils remplirent leurs gourdes. Nous sommes sortis pour voir où la pluie tombait et nous nous sommes aperçus qu’il ne pleuvait pas au-delà de notre camp … »
Les trois hommes pour lesquels la décision fut différée (par le Messager de Dieu). L’imam Ahmad a noté que…
Nous sommes restés dans cet état dix nuits de plus, jusqu’à ce que cinquante nuits se soient écoulées après que le Messager de Dieu eut interdit qu’on nous parle. Après avoir fini de réciter la prière d’al Fajr à l’aube du cinquantième jour, sur le toit de l’une de nos maisons, tout en restant assis dans l’état que Dieu a décrit (dans le Coran) le cœur serré… quand j’entendis la voix d’un homme qui était monté sur la montagne de Sal crier de toutes ses forces : O Ka’b ben Malik ! Réjouis-toi (de la bonne nouvelle). Je me suis alors abîmé en prosternation devant Dieu en comprenant que notre peine était finie du fait de son pardon. Le Messager de Dieu avait annoncé l’acceptation par Dieu de notre repentir après la prière. Tout le monde sortit pour nous féliciter. Quelques hommes allèrent porter la bonne nouvelle à mes deux compagnons, un cavalier vint me trouver en toute hâte, mais un homme des Banou Aslam était monté en courant sur la montagne car le son d’une voix est (évidemment) plus rapide que la vitesse d’un cheval. Quand l’homme dont j’avais entendu la voix fut arrivé chez pour m’annoncer la bonne nouvelle, j’ai ôté mes vêtements et l’en ai revêtu ; et par Dieu, je n’en avais pas d’autres ce jour-là. Puis j’ai emprunté deux habits, je les ai enfilés sur moi et je suis allé voir le Messager de Dieu. Les gens ont commencé à me recevoir à tour de rôle pour me féliciter de l’acceptation de mon repentir par Dieu, en me disant : « Nous te félicitons pour cette acceptation de ton repentir par Dieu ». Ka'b a ajouté : « En entrant dans la mosquée, j’ai vu le Messager de Dieu assis avec des gens autour de lui. Talhah ben Obeidallah est vite venu me serrer la main et me féliciter. Mais par Dieu aucun des Mouhadjiroun ne s’est levé pour moi à part Talhah, je n’oublierai jamais Talhah pour ça ». Ka’b a rajouté enfin ceci : « Quand j’ai salué le Messager de Dieu, son visage rayonnait de joie. Il m’a dit : « Réjouis-toi comme jamais tu ne t’es réjoui depuis que ta mère t’a mis au monde ». J’ai alors demandé au Prophète : « Est-ce un pardon de ta part ou de la part de Dieu ? » et il m’a répondu (non, c’est de la part de Dieu). Quand le Messager de Dieu était heureux, son visage rayonnait comme s’il s’était agi d’un morceau de lune, et nous connaissions tous cette caractéristique. Après m’être assis devant lui, je lui ai dit : « Ô Messager de Dieu ! Puisque mon repentir a été accepté, je vais abandonner toutes mes richesses comme aumône à dieu et à son Messager. Le Messager de Dieu m’a dit : (Garde quand même une partie de tes biens ça vaudra mieux pour toi). Je lui ai répondu : « Alors je garderai ma part du butin de Khaïbar par-devers moi »…
Alors Dieu a révélé le verset (Dieu a pardonné le Prophète, les Mouhadjiroun et les Ansars qui l’ont suivi dans ce moment difficile, après que le cœur d’une partie d’entre eux ait failli s’en détacher, mais il a accepté leur repentance…
Abdoullah le fils de Ka’b ben Malik, qui guidait Ka’b après qu’il soit devenu aveugle, a rapporté qu’il a entendu Ka’b en Malik raconter cette histoire (qu’il n’avait pas participé à la bataille de Tabouk avec le Messager de Dieu). Ka’b ben Malik répétait : « J’ai toujours suivi le Messager de Dieu dans les batailles qu’il a livrées, sauf pour celle de Tabouk… Quand le Messager de Dieu envisageait de livrer bataille, il cachait généralement ses intentions en se référant à différentes autres batailles, jusqu’à ce que vienne le tour cette bataille (de Tabouk)…, le Prophète avait clairement annoncé la destination aux musulmans, afin qu’ils puissent se préparer, et il leur avait part de son intention. Le Messager de Dieu fut donc suivi d’un si grand nombre de musulmans qu’il fut impossible d’inscrire leurs noms dans un registre. Quelqu’un qui avait l’intention de ne pas participer à cette bataille pouvait donc penser que cela ne se remarquerait pas, sauf révélation divine contraire… ». Fin de cet édifiant et terrifiant tafsir d’Ibn Khatir sur les versets 93 à 96 du chapitre 9 du Coran.
Cette reprise en main dans son propre camp ayant été ainsi effectuée, et la cuisante défaite de Mou’ta suivie du coup d’épée dans l’eau de Tabouk ayant montré que l’heure d’aller au-delà n’était pas encore venue, Mahomet se recentra sur la politique « arabe ». L’an 630 fut donc aussi la grande année des reconnaissances officielles (Sanat al woufoud).
Selon l’historien tunisien Hichem Djaït (la grande discorde Paris 1989), des tribus de toute l’Arabie « embrassèrent la religion d’Allah par multitudes », en venant faire allégeance à Médine. L’ampleur du ralliement de ces « tribus fières et guerrières » qui viennent « tout d’un coup offrir leur loyauté sans combat » reste « inexpliquée » pour Hichem Djaït et pour nous itou.
L’auteur de la présente compilation est tout aussi perplexe vis-à-vis de l’expansion du christianisme. Pierre de La Crau comprend très bien
A) La diffusion du premier christianisme parmi les juifs de Palestine au premier siècle de notre ère : une contestation de l’intérieur ou une tentative de réforme du judaïsme de l’époque.
B) La diffusion de ce premier christianisme dans la Diaspora juive du 2e siècle et chez les prosélytes ou craignant Dieu toujours incirconcis.
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D) La diffusion au 4e siècle du christianisme devenu religion d’État suite aux choix de Constantin 1er.
Ce que l’auteur de cette compilation ne s’explique pas c’est la phase C) de ce tableau, le miracle de l’explosion du christianisme hors de la Diaspora et du cercle des prosélytes gravitant autour, au 3e siècle (10 % de la population de l’empire) avant même son acculturation au monde de la philosophie grecque, vu ses manifestations aberrantes. Le christianisme n’étant en aucun cas la vraie religion de Dieu, concept dépourvu de sens, cela devait correspondre dans les mentalités collectives ou populaires, à un besoin que ne remplissait pas les autres religions à mystères, mais lequel ?
Rappelons tout d’abord que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, on se déplaçait beaucoup en Arabie. Certains, les nomades, les Tayayé, ne faisaient même que ça. Les échanges de messages et de délégations pour les remettre étaient donc monnaie courante, mais le contenu de ces lettres relevait surtout de la pure diplomatie. Les sentiments réels de leurs auteurs pouvaient en être très éloignés.
Et précisons aussi qu’à l’époque très peu de chefs arabes (ou byzantins d’ailleurs) avaient perçu la dimension proprement religieuse et plus précisément théocratique de l’aventure mahométane. Mahomet était perçu comme le nouveau roi du Hedjaz, la puissance montante en Arabie, née de l’union des état médinois et mecquois, un point c’est tout. Et le caractère obligatoire de ses aumônes (zakat) en faisait tout simplement un tribut comme un autre, sans compter le fait apparemment connu jusqu’au Yémen (chrétiens du Nadjran) que les populations avaient toujours la possibilité de ne pas devenir musulman moyennant paiement d’un tribut spécifique appelé djizya. Dans l’esprit de nombre de ces ambassadeurs arabes, il s’agissait donc surtout de négocier des rapports de force politico-militaires, des alliances ou des allégeances quasiment de type féodal ; « de type Barrois mouvant », disent mes correspondants parisiens pour expliquer la personnalité de Jeanne d’Arc 1).
Ibn Khaldoun fut le plus grand des historiens, des géographes et des philosophes de l’histoire en terre musulmane. Né en Espagne en 1332, il vécut essentiellement à Tunis où il mourut en 1406. Dans ses Prolégomènes (Mouqaddimah) introduction philosophique à son ouvrage principal, l’Histoire des Berbères, il cite l’ouvrage perdu d’Ibn Ichaq, le premier biographe de Mahomet. Ibn Ichaq écrivit un siècle après la mort de Mahomet. Ibn Khaldoun a eu entre les mains un exemplaire, qui subsistait à cette époque, du livre d’Ibn Ichaq. Il a donc lu ce livre et en cite le passage suivant (traduction Franz Rosenthal) :
« Lorsque les Couraïchites furent bien organisés, grâce au fait qu’ils avaient unifié l’ensemble des Arabes Moudarites 2), tous les Arabes leur obéirent… et leurs armées parcoururent les pays lointains, ce qui se produisit à l’époque des conquêtes. Celui qui s’est familiarisé avec l’histoire des Arabes et leur geste glorieuse (Siyar) et qui a constaté cela au travers de leurs manières d’être ; sait bien que les Couraïchites avaient en leur faveur le nombre et la capacité de s’imposer aux clans Moudarites 2) Ibn Ichaq, dans son Kitab as-siyar, l’a souligné, comme bien d’autres ».
De nombreuses tribus demandèrent donc à faire partie des alliés de Mahomet, en masse, par flots, ou en troupeaux, le succès appelant le succès, et le butin le butin comme l’a bien vu Hichem Djaït (il ne faut pas négliger l’appât du gain dans ces expéditions) ; personne en outre n’imaginant alors ce qui allait advenir de l’islam par la suite ; et tout le monde ou presque voyant l’aventure de Mahomet comme une conquête guerrière classique.
La première des délégations à ouvrir le bal ou à venir prendre langue fut celle des malheureux habitants de Taïf victimes d’un implacable blocus ayant succédé au siège qu’ils avaient victorieusement repoussé quelques semaines plus tôt.
Comme ils n’étaient pas « des gens du Livre », il ne fut pas question pour eux de garder leur liberté religieuse.
Ibn Ichaq la vie de Mahomet traduction Alfred Guillaume page 614.
LES ENVOYÉS DE TAÏF ACCEPTENT L’ISLAM, A.H. 9
L’apôtre revint de Tabouk durant le mois de Ramadan et c’est durant ce mois-là que vint la délégation de Taïf.
Quand l’apôtre les avait laissés Ouroua b. Mass'oud al-Thaqafi était parti à sa suite et l’avait rejoint avant qu’il n’arrive à Médine où il s’était converti à l’Islam. Il avait demandé à pouvoir revenir chez les siens en tant que musulman, mais l’apôtre lui avait dit – ainsi qu’on le dit chez lui – « Ils te tueront » car il connaissait leur fier esprit de contradiction… Les Thaqif attendirent quelques mois (après l’assassinat d’Ouroua) ensuite ils tinrent conseil et admirent qu’ils ne pourraient pas résister longtemps aux Arabes autour d’eux, qui avaient rendu hommage et accepté l’Islam…… Nous sommes dans une impasse. Vous avez vu comment les affaires de cet homme se sont développées. Tous les Arabes ont accepté l’Islam et vous n’avez pas le pouvoir de les combattre, alors réfléchissons un peu.
Sur ce les Thaqif se dirent les uns aux autres : « Ne voyez-vous pas que vos troupeaux ne sont pas en sécurité, qu’aucun de vous ne peut sortir sans risquer d’être égorgé ? Après s’être concertés, ils
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décidèrent donc d’envoyer quelqu’un voir l’apôtre de la même façon qu’ils avaient envoyé Ouroua. Ils en parlèrent à Abdou Yalil, qui était un ami d’enfance d’Ouroua, et lui exposèrent leur plan, mais il refusa d’y aller par peur de subir le même sort qu’Ouroua en revenant. Il leur répondit qu’il n’irait pas à Médine à moins que quelques hommes ne l’y accompagnent. Ils déléguèrent pour cela…………… Abdou Yalil partit avec eux en tant que responsable chargé de toute l’affaire, mais il ne les prit avec lui que par peur de subir le même sort qu’Ouroua et afin que chacun d’entre eux soit écouté par son clan une fois revenu.
Arrivés non loin de Médine ils s’arrêtèrent à Qanat et y rencontrèrent al-Moughira b. Shou'ba, dont c’était le tour de faire paître les chameaux des compagnons de l’apôtre, car les compagnons de l’Apôtre assumaient cette tâche à tour de rôle. Dès qu’il les aperçut, il laissa les chameaux avec les Thaqif et courut annoncer à l’apôtre la bonne nouvelle. Abou Bakr le vit avant qu’il n’arrive chez et il lui apprit que des cavaliers de Taïf étaient venus faire leur soumission et accepter l’Islam aux conditions de l’apôtre en échange d’un document garantissant la sécurité de leur peuple et de leurs terres. Abou Bakr implora Moughira de le laisser être le premier à annoncer la nouvelle à l’apôtre et il accepta. Abou Bakr entra et dit à l’apôtre pendant qu’Al Moughira rejoignait ses compagnons et les chameaux. Il leur apprit comment saluer l’apôtre, car ils étaient habitués aux salutations du temps du paganisme. Quand ils partirent retrouver l’apôtre, il monta une tente pour eux près de sa mosquée. Khaled b. Sa'id b. al-As leur servit d’intermédiaire entre eux et l’apôtre jusqu’à ce qu’ils obtiennent ce document, c’est lui qui l’a écrit en fait. Ils ne touchèrent pas à la nourriture qui leur venait de l’apôtre tant que Khaled n’en eut pas mangé, et ce jusqu’à ce qu’ils aient accepté l’Islam et obtenu ledit document.
Parmi les choses qu’ils demandèrent à l’apôtre, il y avait l’autorisation de conserver leur statue d’Al-Lat intacte pendant au moins trois ans… Ils demandèrent aussi à être exemptés de la prière et ne pas avoir à briser la statue de leurs propres mains. L’apôtre répondit : « Nous vous accordons de ne pas avoir à briser vos statues vous-mêmes, mais quant à la prière, il n’y a pas de vraie religion sans prière, etc., etc.
La délégation des Banou Tamim.
La grande tribu des Banou Tamim se soumet aussi, mais pour peu de temps : elle participera au tout premier plan à la révolte générale contre l’islam en suivant le mouvement judaïsant ou christianisant de la prophétesse Sadja, et plus tard, se rangera du côté des hérétiques kharidjites.
Le christianisme ne constitue en aucune façon à ce moment-là une priorité pour Mahomet. Mais nos sources mentionnent néanmoins l’arrivée cette année aussi, à Médine, d’une copieuse délégation de chrétiens de la tribu des Balharith, venue du Nadjran (nord du Yémen. Aujourd’hui Arabie saoudite).
Première occasion d’aborder un sujet toujours passionnant : le contact entre deux systèmes religieux, et les comportements souvent surprenants qui en résultent.
La délégation arriva donc en janvier 631. Son arrivée à Médine fit sensation. Ils frayent avec la population musulmane et échangent avec elle des propos amicaux. Mahomet les autorise même à célébrer une messe à l’intérieur de la mosquée. À l’audience qu’il leur accorde le lendemain, la discussion devient théologique. Mahomet reproche aux chrétiens de croire en la divinité de Jésus. Les Nadjranites défendent leurs croyances avec énergie. Les entretiens durèrent trois jours. Pour mettre fin à la controverse, Mahomet proposa de s’en remettre au jugement de Dieu, et qu’il y ait une sorte d’ordalie (moubahala) au cours de laquelle un serment serait prêté des deux côtés : « Si je mens, que Dieu me punisse ». On trouve une allusion à ce genre de jugement de Dieu dans le Coran, chapitre 3, verset 61. Mahomet en fixe la date au jour suivant, le 4 chaoual de l’an 10 de l’hégire (15 janvier 631). Chaque partie devait se présenter au vu et au su de tout le monde, accompagnée des êtres qui lui étaient particulièrement chers ; et invoquer Dieu pour qu’il foudroie celui qui ment, dans sa personne et dans ses proches, présents sur les lieux. Les chrétiens passent la nuit à délibérer.
Leur conclusion fut sans doute qu’une telle ordalie ne servirait à rien, que rien ne se produirait et que chacun en serait réduit à interpréter le moindre signe qu’il aurait cru apercevoir. Que le plus raisonnable était donc de négocier habilement.
Mahomet lui vint avec ses « enfants » (en fait ses petits-fils Hassan et Hussein), ses « femmes » (en fait sa fille Fatima leur mère), et Ali son gendre, leur père. Il était vêtu d’une tunique noire en poil de chèvre, galonnée de soie.
Les Nadjranites renoncèrent à cette moubahala (ordalie) qui à leur avis ne servirait à rien et sollicitèrent un traité d’alliance. Une négociation en règle se déroula immédiatement.
Il va de soi que le texte original de l’accord a disparu depuis belle lurette et qu’il n’en reste que des copies très suspectes. Tout ce que l’on peut en dire c’est que d’après Ibn Itcha et sa vie de Mahomet, le traité fut négocié à égalité entre deux puissances, l’une militaire (Médine) et l’autre industrielle ou plus exactement artisanale (Nadjran). Mais peut-on vraiment parler d’égalité quand une seule des deux parties a une armée. La suite des événements le prouvera. Quelques mois plus tard les naïfs
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ayant cru bon d’ignorer le vieil adage romain « si vis pacem para bellum » seront expulsés, en application des dernières volontés de Mahomet.
Al-Baladhouri, Kitab foutouh al-bouldan, page 101 : Quand Omar ibn-al-Khattab est devenu calife, ils ont commencé à pratiquer l’usure, et ils devinrent si nombreux qu’il les considéra comme une menace pour l’Islam. Il les a donc expulsés et leur a écrit la proclamation suivante… les habitants de Najran furent donc ainsi dispersés, certains s’installèrent en Syrie et d’autres à An-Nadjraniyah dans le district d’al-Koufah (en Irak), qui fut appelé ainsi à cause d’eux. Cette décision concerna aussi les juifs de Nadjran ».
Voir aussi le hadith 4366 du livre 19 du sahih Muslim.
Sahih Muslim livre 19, chapitre 21 : Expulsion des Juifs et des chrétiens de la péninsule arabique.
« Il a été rapporté par Omar b. al-Khattib qu’il a entendu le Messager de Dieu dire : J’expulserai les juifs et les chrétiens de la péninsule arabique et n’y laisserai que des musulmans ».
Le point de vue chrétien sur ce traité figure dans la chronique ecclésiastique de Bar Hebraeus (13e siècle) tome 3.
Eo tempore innotuit Mohammed Arabum propheta ; eratque tunc princeps christianorum Nigranensium deserti quidam nomine Said : hic, assumptis muneribus ac donis, una cum Jesu episcopo illorum Mohammedem adiit ilia oblaturus, accepitque ab eo diploma praecclarum, nimirum decretum ad Christianos pertinens, ut Arabes ab omni vexa illos tuerentur, non cogerent ipsos ut secum procederent ad bellum neque mores legesque illorum immutarent cum Christiani ; vellent collapsae ecclesiae aedificium instaurare, eos in hujusmodi aedificatione Arabes adjuvarent porro tributum egenororum, qui non essent sacerdotes aut monachi, quatuor zuzas non excederet, mercatorum autem et divitum esset zuzarum duodecim ; cumque mulier Christiana versaretur in domo cujusdam Arabis, is eam haud compelleret ad fidem ejus deserendam, neque a jejunio precibus ac ipsius fidei disciplina minime prohiberet ; atque id genus alia.
À cette époque s’éleva Mahomet, le prophète des Arabes. Il y avait alors un homme du nom de Saïd, chef des croyants nadjranites, ceux qui habitent le désert. Il prit avec lui des offrandes et des cadeaux et vint vers Mahomet accompagné de l’évêque Jésus. Il obtint de lui un écrit qui commandait aux Arabes de protéger les chrétiens de tout dommage (vexa), etc.…
Le compte-rendu d’Ibn Ichaq, la vie de Mahomet, page 270.
LA DÉLÉGATION DES CHRÉTIENS DE NADJRAN.
« Une députation des chrétiens de Nadjran vint voir l’apôtre. Il y avait soixante cavaliers, quatorze d’entre eux faisaient partie de leur noblesse dont trois de leurs responsables, à savoir a) l’Aqib ou chef de leur peuple, un homme d’affaires qui était le chef conseiller dont les avis déterminaient leur politique, un nommé Abdou'l-Masih b) le Sayyid, ou administrateur qui veillait au transport et à l’aménagement, dont le nom était al-Aïham, et c) leur évêque, un fin lettré qui dirigeait leurs écoles, Abou Haritha b. Alqama, un Banou Bakr b. Oua’il.
Abou Haritha occupait une place de choix chez, c’était un grand savant qui connaissait très bien leur religion, et les rois chrétiens de Byzance l’avaient même distingué en lui fournissant des subventions ainsi que des serviteurs, ils lui construisaient des églises et le couvraient d’honneurs, à cause de son savoir et de son zèle pour leur religion……
Muhammad b. Ja’far b. al-Zoubaïr m’a dit qu’après être arrivés à Médine, ils sont entrés dans la mosquée de l’apôtre alors qu’il faisait sa prière de l’après-midi, habillés de vêtements, de capes et de manteaux du Yémen, élégants comme le sont les Banou Al-Harith b. Ka'b. Les compagnons du prophète qui les ont vus ce jour-là ont dit qu’ils ne virent jamais ça dans aucune autre délégation venue ensuite. Comme le temps de leurs prières était venu, ils se sont levés et ont prié dans la mosquée de l’apôtre, qui a dit qu’il fallait les laisser faire. Ils ont prié tournés vers l’est.
Les noms des quatorze principaux hommes parmi les soixante cavaliers étaient : Abdoul Masi leur Aqib, al Aïham leur Sayyid ; Abou Haritha b. Alqama……
Les trois premiers ont parlé à l’apôtre. C’étaient des chrétiens de rite byzantin, bien qu’ils aient différé entre eux sur certains points, en disant qu’il est Dieu, qu’il est le fils de Dieu ; et qu’il est la troisième personne de la Trinité, ce qui est la doctrine du Christianisme… Quand les deux théologiens eurent fini de parler, l’apôtre leur répondit : « Soumettez-vous à Dieu ! » Ils répliquèrent « Mais nous obéissons déjà à Dieu ». Il leur rétorqua : « Non, vous n’obéissez pas à Dieu, soumettez-vous à lui ». Ils lui répondirent : « Mais nous nous sommes soumis à lui avant toi ! » Il leur rétorqua : « Vous mentez. Vous affirmez que Dieu a un fils, et votre culte de la croix, ainsi que le fait que vous mangez du porc, c’est tout le contraire de la soumission à Dieu. Ils lui répondirent : « Mais qui est son père, alors ? » L’apôtre resta silencieux et ne leur rétorqua rien. Aussi Dieu fit-il la révélation suivante à propos de ce qu’ils avaient dit, etc., etc. »
Mahomet reçut même des ambassadeurs de la confédération rivale des Banou Hanifa, dirigée par son concurrent Moussaïlima, qui regroupait des tribus plus anciennement monothéistes et adorant un Dieu
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qu’elles n’appelaient pas Allah, comme Mahomet, mais Al Rahman, le Miséricordieux. Cette appellation d’étymologie araméenne conduit d’ailleurs nombre de chercheurs à penser qu’il s’agissait peut-être de groupes chrétiens monophysites pré-nicéens.
NDLR. Début 632, Mahomet commençant à ressentir les effets de sa maladie ou de son empoisonnement, se fera soigner par sa jeune épouse, Aïcha, qu’il chargera également de monter une expédition contre son concurrent le prophète de la Yamama envoyé de Rahman.
Bref, de nombreuses délégations ou personnalités se rendirent à Yathrib/Médine auprès de Mahomet, pour nouer avec lui des alliances (ou pour tout simplement venir aux nouvelles et prendre contact, à tout hasard) ; à tel point que l’on appelle cette année-là : l’année des délégations (sanat al woufoud).
La plupart des tribus arabes ont donc reconnu la quête de pouvoir de Mahomet et ont sagement promis leur allégeance politique sans se battre. Ce qui a rapidement posé un problème pour son groupe de disciples, car ils avaient été habitués à vivre du butin obtenu dans des expéditions ou des combats (économie de prédation).
Comme il était contre les règles pour attaquer les autres musulmans, Mahomet a commencé à exiger l’hommage de ses nouveaux « convertis » à la place, mais cela s’est avéré moins profitable que la djizya, sans oublier qu’il risquait le ressentiment et les conflits internes.
Khaïbar, qui avait été transformée en une colonie de métayers travaillant pour des musulmans, était un modèle économique préférable pour un empire islamique fondé sur une économie de prédation justifiée par la supériorité religieuse.
1) « Ah, le Barrois mouvant et le Barrois non mouvant, vaste problème ! » disait souvent notre père pour plaisanter, avec son terrible accent (pointu).
2) Arabes du Nord.
LE PROBLÈME DE L’INTERDICTION DE LA MECQUE AUX NON-MUSULMANS.
Il ne faut pas confondre interdiction de La Mecque aux non-musulmans et interdiction de La Mecque aux païens ou polythéistes.
Le pèlerinage mecquois de l’époque est demeuré pluriconfessionnel presque jusqu’à la fin de la période dite prophétique, c’est-à-dire durant la quasi-totalité de la vie de Mahomet.
On présume souvent aujourd’hui en milieu musulman que cette période avait été un exemple de pureté et de perfection et appartenait à l’âge fondateur par excellence de l’islam ; néanmoins, il faut savoir que les sectateurs des divinités tribales masculines ou féminines du cru continuaient à accomplir leurs rituels propres au cœur de La Mecque, parallèlement au rituel musulman qui commençait à se mettre en place.
Premier problème donc l’interdiction de la Mecque aux païens polythéistes athées, etc. bref à tous ceux qui ne font pas partie « des gens du livre ».
Mahomet, conforté par une révélation à ce sujet, envoya Abou Bakr et Ali sur place, avec pour mission d’interdire désormais aux païens l’accès à la Kaaba, et de leur accorder un délai pour se convertir ou mourir. Cette déclaration de guerre (et en même temps de victoire) totale, contre le paganisme,
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mentionnée dans le Coran (cf. chapitre 9 verset 28), clôt la phase de purification religieuse proprement dite, du sanctuaire.
Sahih Boukhari tome 1, livre 8, Hadith 365.
Le jour de Nahr (le 10e de Dhoul-Hijda, l’année précédant le dernier Hadj du Prophète quand Abou Bakr guida les pèlerins de ce grand pèlerinage) Abou Bakr m’a envoyé avec d’autres à Mina pour rendre publique l’annonce suivante : « Aucun païen n’est autorisé à accomplir le grand pèlerinage l’année prochaine et personne de nu n’a le droit d’accomplir le Tatoua (les 7 circumambulations) autour de la Ka'ba ». Alors l’Apôtre de dieu a envoyé Ali pour lire la sourate 9 aux gens ».
Ibn Ichaq la vie de Muhammad Alfred Guillaume page 617.
ABU BAKR MÈNE LE PÈLERINAGE, A.H. 9
L’apôtre est resté là [dans Médine] durant le reste du mois de Ramadan de Chawoual et de Dhou’l Qa'da. Puis il a envoyé Abou Bakr prendre la tête du grand pèlerinage de l’an 9 afin de permettre aux musulmans d’effectuer leur hadj alors qu’il y avait des polythéistes sur leurs lieux de pèlerinage. Après qu’Abou Bakr et les musulmans étaient se furent mis en route une tomba du ciel une révélation permettant la rupture de l’accord entre l’apôtre et les polythéistes comme quoi personne ne serait tenu à l’écart du temple et que tout le monde serait en sécurité durant le mois sacré. C’était un accord général entre lui et les polythéistes, mais il y avait aussi des accords particuliers entre l’apôtre et les tribus arabes ayant des clauses spécifiques… Une révélation divine de la part de Dieu et de son apôtre concernant les polythéistes avec lesquels vous avez conclu un traité c’est-à-dire les polythéistes avec lesquels vous avez conclu l’accord général suivant : « parcourez la terre durant quatre mois, mais sachez que vous n’échapperez pas à Dieu… Chapitre 9 du Coran versets 2 à 7…
Il reçut donc l’ordre de respecter l’accord avec les Banou Bakr qui ne l’avaient pas encore violé, jusqu’à la date d’échéance qui avait été fixée. « Tant qu’ils seront loyaux envers vous, soyez loyaux envers eux. Dieu aime les hommes pieux »… Ali m’a dit que quand l’apôtre eut reçu cette révélation après avoir envoyé Abou Bakr superviser le grand pèlerinage, quelqu’un exprima l’idée qu’il en informe Abou Bakr. Le prophète a répondu : « Personne ne transmettra quoi que ce soit de ma part hormis quelqu’un de ma propre maison ». Puis il appela Ali et lui dit : « Note ce passage de la révélation et proclame-la aux gens le jour du sacrifice quand ils seront rassemblés à Mina. Aucun incroyant n’entrera au Paradis, et aucun polythéiste ne fera le pèlerinage l’année prochaine, et personne de nu ne fera de circumambulations autour du temple. Celui qui a un accord avec l’apôtre n’en bénéficiera que pour le temps convenu (et seulement pour le temps convenu) ». Ali partit sur la chamelle à l’oreille fendue de l’apôtre (Qassoua) et rattrapa Abou Bakr en chemin. Quand Abou Bakr l’aperçut, il lui demanda s’il était venu pour donner des ordres ou pour les transmettre. Ali répondit « pour les transmettre ».
CE QUE LES GENS DE PLUSIEURS LIVRES ET NON D’UN SEUL EN DÉDUISENT. (Il vaut toujours mieux, comme les Fénianes, être les hommes de 12 livres, plutôt que d’un seul écrit).
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le voir, contrairement à ce que l’on croit généralement, Mahomet a donc laissé un délai aux Arabes qui voulaient se rendre à la Kaaba en pèlerinage avant de le réserver aux seuls musulmans ; sans doute pour ne pas provoquer de révolte chez les Bédouins, ni une perte financière trop grande pour les Mecquois. Des rituels pratiqués au même endroit par deux religions différentes ont donc pu cohabiter encore quelques mois autour de la Kaaba en l’an 9 de l’hégire soit à l’occasion du pèlerinage de l’an 631. Situation surréaliste par définition.
Ibn Kalbi, Kitab al Asnam, Introduction (3).
Ils (les Nizar) disaient :
« Nous voici Seigneur, nous voici, nous voici !
Tu n’as pas d’associé sauf celui qui est à toi
Tu règnes sur lui et sur ce qu’il a ».
On ne le répétera jamais assez, les fidèles des antiques divinités tribales masculines ou féminines de La Mecque ont pu continuer pendant un certain temps à pratiquer leurs propres rites au cœur même de la cité, parallèlement au rituel musulman qui commençait tout juste à se mettre en place. Mais il est vrai par contre que cette concession, bien sûr, n’était pas faite pour durer.
Le seul enjeu était local : la rivalité pour le contrôle du sacré subsistant donc entre les musulmans déjà « acquis à l’alliance » de Mahomet – le terme de « converti » n’étant pas très approprié dans ce milieu sociologique — ; et les païens locaux qui résidaient sur place ou qui, venus des alentours, se rendaient dans la ville pour leur pèlerinage annuel. En dehors de la période du pèlerinage, la coexistence entre musulmans et non-musulmans demeurait d’ailleurs la règle sur le territoire mecquois aussi bien qu’à Yathrib/Médine. Personne ne se trouvait interdit d’entrée, du moins pour des raisons de croyance et de religion ! Quant à Yathrib/Médine, elle n’est devenue territoire interdit et ville sainte que dans un contexte musulman largement post-coranique. Cela ne fut pas le cas du temps de
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Mahomet. D’ailleurs, contrairement à La Mecque avec sa Kaaba, l’oasis de Yathrib/Médine n’avait jamais auparavant constitué un lieu tabou (haram) comme il en existait un certain nombre en Arabie.
Le verset 28 du chapitre 9 du Coran n’a donc pas eu à l’époque le sens et la portée qu’on lui prête généralement aujourd’hui. Et il ne s’agissait nullement comme aujourd’hui d’interdire de visite ou de séjour les sectateurs des deux autres religions de masse d’origine proche-orientale, judaïsme et christianisme. Il est vrai que la question du tourisme culturel ou celle des voyages d’affaires ne se posait guère au début du VIIe siècle !
Le (deuxième) problème néanmoins c’est que cette interdiction a fini par être étendue à tous les non-musulmans à une date indéterminée dont on peut seulement dire qu’elle est postérieure au règne du premier calife.
Pour preuve cette anecdote rapportée par Muhammad Hamidullah dans son livre « Le Prophète de l’islam sa vie son œuvre » : Omar reçut un jour un chrétien à la Mosquée de la Mecque lors de son sermon de l’office du vendredi. Le chrétien était venu se plaindre des douaniers musulmans à la frontière et Omar lui rendit justice. Ou ce hadith : « Le Prophète a dit : aucun polythéiste n’entrera dans cette Mosquée qui est la nôtre, après cette année-ci, à part les Gens du Livre et leurs domestiques » (Bachar Awouad, Musnad al-jami, tome 4, n° 2408, p.21).
Ces témoignages prouvent que la sourate 9, verset 28 ne concernait pas à l’origine les « gens du Livre ». L’interdiction de la Mecque et de Médine aux non-musulmans même juifs ou chrétiens est une décision postérieure au moins au règne du calife Omar (en vérité aux 4 premiers califes). Cette interdiction ne repose pas sur le Coran ni sur les hadiths.
Reste qu’on ne voit pas pourquoi un moine bouddhiste ou un Gandhi ou le pape n’aurait pas le droit d’y aller À CONDITION DE RESPECTER SES LIEUX DE CULTE. Cela va de soi.
Ce n’est donc que plusieurs décennies après la mort de Mahomet que l’interdiction d’accès à Médine et à la Mecque aux non-musulmans a été décidée ; cette interdiction difficile à définir avec certitude remonte probablement à l’époque du calife omeyyade Umar ibn Abd al-Aziz (682-720), dont la politique fut caractérisée par une hostilité marquée à, l’encontre des juifs, des chrétiens et des non-musulmans en général. C’est a posteriori que les exégètes musulmans ont justifié cette pratique à partir du Coran (9, 28), en déclarant les non musulmans impurs par nature et leur présence sur dans haram comme une souillure. Néanmoins, jusqu’au VIIe siècle, voire au-delà, un certain nombre témoignages attestent de la présence de non-musulmans à Médine et à la Mecque.
10 MARS 632 L’APOTHÉOSE (HIDJAT AL OUADA).
Réponse de Pierre de La Crau à ceux qui critiquent le choix du titre de ce chapitre de son cahier de notes sur l’islam.
Apothéose est un terme d’origine grecque désignant à l’origine l’admission au rang des dieux, de héros comme Hercule (ou Cuchulainn en Irlande, sur son char fantôme) et leur montée au ciel.
Alors certes dans le cas de Mahomet cette montée au ciel sur sa monture magique Bouraq avait déjà eu lieu de son vivant quelques années plus tôt (cf isra et miraj), mais on peut dire que c’est bien ce jour-là que commença dans l’esprit des musulmans pieux (dans le cœur des croyants diront les musulmans pieux) le règne de la plus choquante des caractéristiques de l’islam : l’isma.
Cette idolâtrie de la personne même de Mahomet est une véritable insulte à la dignité humaine (les chrétiens ont au moins la très païenne pudeur de faire de Jésus plus qu’un simple mortel, une personne divine) cette isma, justifie donc le terme d’apothéose. Et de toute façon l’heure de la mort de Mahomet approchait (quelques mois plus tard en 632 selon la tradition musulmane).
LE CONTEXTE.
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La reprise en main de son propre camp ayant pu être effectuée, Mahomet s’était de nouveau penché sur la question du pèlerinage à la Kaaba. D’après la tradition musulmane donc au début du mois de Dou-l-hidja de l’an 10 de l’ère hégirienne (= 10 mars 632 ?) Mahomet se rendit à la Mecque pour y accomplir le grand pèlerinage. Il était accompagné de plusieurs de ses femmes et d’un grand nombre de fidèles. Ce grand pèlerinage qui pour Mahomet fut le seul et dernier à être complet fut appelé Hidja al-ouada ou « Pèlerinage d’Adieu » soit par la génération contemporaine de Mahomet, soit par celle qui suivit.
On peut présumer qu’il n’a pas manqué de profiter des cérémonies du Pèlerinage pour adresser à la foule des fidèles des allocutions d’une solennité particulière. Une à Arafa et une à Mina par exemple. Peut-être une certaine prescience de sa fin possible – voire prochaine – lui inspira-t-elle des accents plus pathétiques et un choix de thèmes plus essentiels. Peut-être aussi, l’ensemble des Croyants l’écouta-t-il avec d’autant plus de ferveur que c’était le premier Pèlerinage Majeur accompli par Mahomet, depuis dix ans, et que ce Pèlerinage consacrait la défaite du paganisme philosophique et réfléchi ou de la laïcité ouverte d’un Abou Soufiane. On peut également penser que mort a conféré à des paroles de circonstance une portée une importance ou une signification qu’elles n’avaient pas à l’origine. D’où la stupidité d’en faire un nec plus ultra philosophique et théologique à suivre à la lettre encore aujourd’hui comme au 7e siècle.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de la voir dans la première partie de notre cahier sur l’islam, il y avait avant Mahomet deux pèlerinages bien distincts ; celui intra-muros des Mecquois autour de la Kaaba, l’omra, consistant en des circumambulations sénestrogyres ou antihoraires autour du bétyle de la Kaaba et une marche toujours dans La Mecque intra-muros entre les deux petites élévations que sont Safa et Maroua, situées un peu en oblique du côté est de la Ka'ba, avec sacrifice à Maroua ; et enfin celui des Bédouins autour du mont Arafat.
Mahomet décidera d’unir les deux pèlerinages, comme pour afficher son ascendant sur l’espace nomade autant que sur l’espace sédentaire. Il y accomplira donc un pèlerinage de trois jours, le même pèlerinage que celui du temps du paganisme, mais avec un sanctuaire vidé cette fois-ci de toute représentation divine, hormis la pierre noire. Le pèlerinage dit « de l’adieu » (hadjas al-ouada), dont le circuit et le déroulement rituel serviront de modèle au hadj ou grand pèlerinage, obligation canonique de l’actuelle religion musulmane. Les rituels païens seront conservés, mais en étant désormais justifiés par des légendes mettant en scène des personnages de la Bible juive. Ces décisions sont toujours strictement respectées, sans aucune réflexion, par des fidèles qui ne savent pas qu’ils suivent en fait des rituels d’origine païenne à peine modifiés.
Ces rituels n’ayant guère changé dans leur forme (archaïque) avant et après Mahomet on peut donc présumer qu’il y eut ce jour-là…………
1 Purification du pèlerin (Ihram).
2 Entrée dans le sanctuaire (haram).
3 Prière et invocation vers la Kaaba.
4 Contact direct ou geste vers la pierre noire.
5 Sept tours de l’édifice, trois rapides et quatre lents (taouaf)
6 Sept tours rapides autour des rochers de Safa et Maroua (Sa’i).
7 Absorption de l’eau du puits de Zemzem.
8 Marche vers Mina.
9 Campement à Mina.
10 Marche vers le mont Arafat.
11 Station debout devant le mont de la Miséricorde (Ar Rahma).
12 Marche et campement à Mouzdalifa.
13 Ramassage de 49 cailloux à Mouzdalifa.
14 Marche vers Mina.
15 Jet des pierres contre des piliers (ramyou’r rijam).
16 Sacrifice.
17 Coupe ou rasage des cheveux.
18 Deuxième jet de pierres.
19 Troisième jet de pierres.
20 Retour à la Kaaba.
21 Sept tours de l’édifice, trois rapides et quatre lents.
22 Quatrième et dernier jet de pierres (facultatif).
Fin de notre tentative de reconstitution du grand pèlerinage de l’an X de l’Hégire.
Gaudefroy-Demonbynes (Le pèlerinage à La Mekke 1923) pense néanmoins que la période la moins bien éclairée de l’histoire du pèlerinage « est comprise entre la mort du Prophète et le règne des
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grands imams orthodoxes ; c’est celle de la constitution de la cérémonie, celle précisément qu’il faudrait le mieux connaître ».
Comme Mahomet avait annoncé à l’avance son intention de se rendre en pèlerinage à la Kaaba ce jour-là, une foule énorme de plusieurs milliers de personnes se rendit également à La Mecque pour le voir et y participer avec lui. Le prophète fit son entrée dans la ville par la partie haute et s’arrêta devant la porte des Banou Chem ; puis il continua son chemin en prodiguant des conseils à ceux qui l’accompagnaient, un peu lourds d’ailleurs, en ce qui concerne la condition féminine.
LES SERMONS D’ADIEU.
Le ou les discours que l’on trouve généralement à cet endroit du récit dans les ouvrages des musulmans pieux n’est pas celui ou eux réellement prononcés par Mahomet ce jour-là. Ce ne sont que des reconstitutions a posteriori, faites d’une série de commentaires de versets coraniques agencés à ce propos, et qui datent sans doute du IXe siècle, du temps de la dynastie abbasside.
Il va donc de soi que ce qui nous est actuellement présenté comme le sermon d’adieu du prophète de l’islam n’a rien d’un texte original, mais tout d’une synthèse quasiment chimique ou d’une composition littéraire 1), voire artificielle, regroupant des thèmes pratico-pratiques possibles (et peut-être même vraisemblables) ; ainsi que des thèmes plus théoriques, plus philosophico-politique (également vraisemblables puisque l’auteur anonyme qui les a placés dans la bouche de Mahomet ce jour-là, a pris grand soin, par souci de crédibilité plus que de vraisemblance sans doute, de les prendre dans le Coran).
Il est difficile d’établir quelles parties, dans ce testament religieux du Prophète de l’islam, peuvent être considérées comme authentiques. Le témoignage d’Amr ibn Haridja nous est par exemple parvenu par deux voies différentes (Ibn Hicham et Ibn Sa‘d) deux canaux différents qui nous donnent deux résultats…… très différents. Il s’agit donc dans l’ensemble d’un travail d’époque postérieure. Autour d’un noyau authentique se sont organisés, au cours du temps, différents éléments dont le tout s’est fondu plus tard, dans le « Discours d’Adieu ».
C’était d’ailleurs déjà l’avis de Goldziher et de Snouck-Hurgronje.
En deux mots, rien ne prouve que Mahomet a tenu ce ou ces discours, ce jour-là. Voire même qu’il ait tenu un quelconque discours. Il s’agit d’une masse fluide, en perpétuel regroupement, dont le « Discours d’Adieu » est une forme parmi plusieurs autres. Le professeur Régis Blachère a distingué dans ce « discours »16 thèmes récurrents et cinq grandes versions les développant.
Selon qu’on les trouve dans des recueils de traditions (hadiths), des écrits biographiques ou des livres d’adab, les harangues mises dans la bouche de Mahomet, au cours de son « Pèlerinage d’Adieu », revêtent un aspect assez divers. Parfois simples allocutions de quelques phrases portant sur un thème unique, parfois courtes harangues où se juxtaposent deux ou plusieurs thèmes plus ou moins liés, ces « dits » se présentent aussi sous la forme d’un discours assez long où est regroupée la quasi-totalité des thèmes déjà rencontrés à l’état isolé ou partiellement combinés. De l’examen rapide des « dits » conservés sous cet aspect hétérogène découlent plusieurs constatations : le nombre des « points » traités dans ces allocutions est limité ; ceux-ci sont énoncés avec des variantes d’importance inégale ; ils tendent à s’organiser en un discours devenu célèbre sous le nom de Khoutbat al-ouada ou « Discours d’Adieu ».
Ci-dessous la liste des thèmes traités dans ces différents derniers sermons.
L’allocution de Mahomet lors du Pèlerinage d’Adieu par Régis Blachère, professeur à la Sorbonne. Analecta p. 121-143.
1) Ce pèlerinage est peut-être le dernier.
2) Dialogue entre Mahomet et l’assistance : « Quel est ce jour ? » – « C’est un jour sacré ! », etc.
3) Le sang, les biens, l’honneur des musulmans sont aussi sacrés que le Jour du Sacrifice.
4) Interdiction du prêt usuraire, abrogation de l’exercice du talion pour des faits datant du paganisme (Djahiliya).
5) Impuissance partielle de Satan vis-à-vis du Croyant.
6) Interdiction du mois intercalaire ; rappel des stipulations coraniques sur le calendrier ; mois sacrés.
7) Dépendance de la femme envers son époux.
8) Le Coran et la Tradition, guides du Croyant.
9) Fraternité entre musulmans.
10) Crainte de futures dissensions.
11) Le pécheur pèche contre lui-même.
12) Devoirs envers l’esclave.
13) Obéissance à qui est investi du commandement.
14) Égalité des Hommes.
15) Dévolution de l’héritage.
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16) Dialogue entre Mahomet et l’assistance qui témoigne qu’il a bien accompli sa mission ; adieux de Mahomet.
NDLR. Liste non exhaustive.
Et voici les 5 grandes versions identifiées par Régis Blachère.
Ibn Ichaq la vie de Mahomet traduction Alfred Guillaume page 651 (11 des 16 thèmes recensés ci-dessus) ; la version bassorienne placée sous l’autorité d’Abou Bakra, mort à Bassora en 672, la version d’Ibn Hicham, Ouaqidi et Tabari 2), la version de Muslim et Abou Daoud, la version d’al Djahiz (mort vers 866) figurant dans son Kitab al-bayan oua-t-tabyin. Cette dernière version, très travaillée, fut bien accueillie dans les milieux littéraires, moins chez les traditionistes de hadiths. Son non-racisme souligné 3) en fait un texte souvent cité aujourd’hui par nos amis musulmans qui le présument d’origine.
Ci-dessous enfin quelques remarques de ce grand spécialiste français du Coran sur les sources pouvant éclairer la genèse de ce morceau de bravoure.
Malgré le nombre des assistants, la qualité de certains d’entre eux, la solennité des circonstances, les paroles prononcées par Mahomet à Arafa puis à Mina, ne paraissent pas avoir laissé souvenir dans beaucoup d’esprits. Dans nos textes, tout se borne au témoignage d’une demi-douzaine de personnes, pas davantage, mais répété de telle manière qu’il procure le sentiment d’une diffusion plus générale. Parmi ces témoins, on relève le nom d’adultes telle Oumm al-Housseïn ou tel Amr ibn Haridja. En général, le témoignage provient de personnages qui, encore enfants ou adolescents, effectuèrent le Pèlerinage en compagnie de leur père. Les données se trouvent à la fois dans les recueils de traditions (hadiths) et dans les compilations biographiques ou annalistiques constituées au 9e siècle et dans les livres d’adab. Dans ces « sources », les « dits » mis dans la bouche du Prophète de l’islam sont de deux sortes.
— Certains sont des propos familiers, des réponses faites à des interlocuteurs, des indications en rapport plus ou moins net avec l’accomplissement du Pèlerinage.
— D’autres, au contraire, ont l’allure d’allocutions, de harangues qui traitent de problèmes généraux, déjà posés et résolus dans le Coran.
Le dogme de l’isma (vous avez dans l’Apôtre de Dieu un bel exemple – chapitre 33, verset 21-) est déjà en germe dans ces deux types de propos prêtés à Mahomet. Les « dits » et gestes du Prophète de l’Islam servent à marquer la caducité de certaines pratiques antérieures et à définir les cérémonies conservées et consacrées par l’Islam.
1) Il est généralement admis qu’en dehors de ses moments d’inspiration divine Mahomet n’avait aucun don oratoire particulier, il faut avoir l’âme d’un exégète comme Ibn Sa’d (Kitab al-tabaqat al-kabir) pour affirmer le contraire et les rares autres discours que nous connaissons de Mahomet sont en fait uniquement des questions-réponses directes au style et au ton familiers.
2) La présence du mot « ensuite » à trois reprises dans nos textes prouve qu’il s’agit d’une mosaïque faite d’éléments à l’origine distincts.
3) L’auteur de cette version ajoute à la notion de fraternité entre musulmans l’idée non raciste d’égalité entre les hommes et de non-distinction entre Arabes et non-Arabes.
CE QU’EN DÉDUISENT LES THÉOLOGIENS MUSULMANS.
CE QU’EN DÉDUISENT LES PIEUX MUSULMANS.
« Dieu que ces mots prononcés sur le mont Arafat sont sublimes ! Le saint prophète s’y adressa aux différentes générations à venir et à l’Histoire, après avoir dirigé toute la communauté, mais aussi lutté pour la cause de sa mission sacrée sans répit durant vingt-trois ans. Le Messager de Dieu vit à travers la foule les générations à venir, de l’empire musulman qui allait s’étendre à l’est et à l’ouest de la Terre et leur adressa son sermon d’adieu en ces termes. Tout l’univers se tut pour écouter le prophète (saw), la pierre, le désert, les villages, tout était attentif à ce discours d’adieu que prononçait le prophète (saw) ; après que le monde eut le bonheur de le connaître durant soixante-trois ans [y compris les juifs qu’il a fait assassiner]. « J’interdis tout ce qui se rapporte à l’ère préislamique ; la vengeance propre à cette période est désormais interdite, à commencer par celle d’Ibn Rabia Ben Al
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Hareth ; l’usure des prêts à intérêt du temps de la Djahiliya (ère de l’ignorance) est également interdite, à commencer par celle d’Al Abbas ben Abd el Mouttalib ».
Le prophète (saw) a écarté toutes les traditions néfastes de la Djahiliya [de la religion païenne antéislamique] et proclamé qu’elles étaient pour toujours enterrées, afin de prouver au monde entier, et de faire entendre à toutes les générations à venir ; que désormais nul ne peut prétendre au progrès spirituel s’il essaie de déterrer le moindre élément de ce cadavre enfoui sous terre pour l’éternité. « Le mois intercalaire (nassi) n’est qu’un surcroît d’impiété. Les non-musulmans sont dans l’erreur ; une année sur deux, ils le déclarent profane, afin de se mettre en accord avec le nombre de mois que Dieu a déclarés sacrés. Ils déclarent donc ainsi profane ce que Dieu a déclaré saint ». Le temps a effectué un cycle complet, comme au jour où Dieu a créé les Cieux et la Terre. L’année compte douze mois. Quatre de ces mois, dont trois successifs, Dhou al Qada, Dhou al Hidja, Al Mouharram, et le mois situé entre Joumada et Chaaban, sont sacrés. Le Prophète (saw) a donc insisté sur la question des mois du calendrier ainsi que sur le fait qu’il n’est pas permis d’en modifier à sa guise leur valeur, pour des raisons cultuelles ou autres, comme le faisaient les polythéistes. Par conséquent les mois de l’année ne pouvaient plus être avancés ou retardés et le pèlerinage ne devait désormais être accompli qu’au mois de Dhou al Hidja.
[NDLR Que vient faire Dieu dans toutes ces histoires de calendrier, solaire, lunaire, luni-solaire ? Ce mois intercalaire avait au moins l’avantage de stabiliser tous les trois ans l’année lunaire en la faisant concorder avec l’année solaire. Était-il judicieux que Dieu supprime cette institution ?]
« Craignez Dieu en vos femmes […]. Elles ont des droits sur vous, et vous avez des droits sur elles. Elles ne doivent accueillir personne chez vous sans votre accord. Si elles s’avisent de le faire, frappez-les modérément […] Ce principe consolide la situation des femmes. Le prophète (saw) confirma en quelques mots concis la disparition de l’oppression qui sévissait durant l’ère de l’ignorance, ainsi que la préservation des droits de la femme et de sa dignité dans la législation islamique. Le prophète (saw) insista sur ce point, à cause des nombreux musulmans qui n’avaient cessé de suivre les traditions préislamiques à ce propos, en négligeant la femme et ne lui reconnaissant aucun droit. Cette recommandation visait aussi à apprendre aux musulmans à faire la différence entre le fait de sauvegarder la dignité de la femme et ses droits naturels, au moyen de la loi islamique ; et celui de recourir à différents moyens leur permettant d’en jouir davantage ou de ne la considérer que comme un objet de plaisir 1)
« Réfléchissez bien à ce message que je vous ai communiqué, ô musulmans. Je vous laisse deux guides qui vous empêcheront de vous perdre, si vous vous y conformez : le Livre de Dieu et la Tradition de son prophète ».
Ce principe incite les musulmans, dans les épreuves qu’ils peuvent rencontrer au cours de leur vie, à se référer à deux sources sûres qui les empêcheront toujours de s’égarer ou de souffrir : le Coran et la Tradition (Sounna). Le prophète (saw) signale ce double guide à toutes les générations à venir, car le Coran et la tradition ne s’adressent pas qu’à leur époque, et ils ne doivent jamais céder la place à une autre tradition ou à une culture différente.
« Ô musulmans, écoutez bien et obéissez, même si vous êtes gouvernés par un esclave éthiopien au nez camus, qu’il vous dirige en se conformant au Livre de Dieu. Quant à vos gens de maison (domestiques), nourrissez-les de vos plats et habillez-les de vos vêtements. S’ils commettent une faute que vous ne leur pardonnez pas, vendez-les, ô serviteurs de Dieu, mais ne les faites pas souffrir ».
Ce principe définit les relations du gouvernant, du calife ou du chef, avec le peuple ou ses subalternes. Le peuple doit obéir à son chef, quelles que soient son origine, son importance, et son apparence, du moment qu’il gouverne suivant les préceptes du Coran et de la Tradition du prophète. Au cas où il s’en écarterait, nul ne doit plus lui obéir.
Le prophète (saw) voulut aussi se convaincre que sa communauté témoignerait pour lui devant Dieu, le Jour de la Résurrection des morts et du Jugement dernier, il leur demanda donc : « Si l’on vous interroge à mon sujet, que direz-vous ? »
La foule lui répondit : « Nous certifions que tu as rempli ta mission et que tu nous as prodigué tes conseils ». Ceci rassura le prophète (saw) qui eut dès lors la certitude de bientôt pouvoir affronter Dieu, fort de ce témoignage. Ses yeux brillèrent de satisfaction. Le prophète (saw) leva l’index vers le ciel puis le pointa dans la direction de la foule en déclarant à trois reprises : « Ô Mon Dieu, sois en témoin ». Le prophète (saw) éprouvait une joie immense d’avoir sacrifié sa jeunesse et sa vie [après je ne sais plus combien de femmes quand même] pour la cause de Dieu ; il contemplait le fruit de ses efforts : la foule [de toulaqa mecquois comme Abou Soufiane et de soumis puisque tel est le sens du mot islam] proclamant d’une seule voix l’unicité de Dieu, en se prosternant devant sa religion, débordante d’amour et de ferveur. Le prophète (saw) se remémora ainsi avec délices la soif des longues marches dans le désert, l’humiliation des moqueries, et la souffrance de l’oppression pour la
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cause de cette religion qu’il avait confortée sur la terre que Dieu a faite. Que Dieu te bénisse ! ô notre prophète, et que Dieu remplisse ton cœur d’une joie infinie ».
1) Ô vous musulmanes mes sœurs en Dieu,
Euh non, en Humanité,
Ne vous comportez pas en petites têtes de linotte
Ou en fragiles oiseaux des îles
Enfermés dans des cages dorées,
Soyez plutôt de nobles Khadidja
Sauf en ce qui concerne le choix de vos hommes
N’acceptez jamais qu’on vous traite en femme-objet.
Cantonnée seulement aux trois K,
Pas les trois « K » de Ku Klux Klan certes
Mais les trois « K » de Kinder, Küche, und Kirche,
Les enfants, la cuisine, et la religion.
Précision : ces quelques vers
Libres… Très libres
Ne m’ont pas été révélés par Dieu
Par le truchement de l’archange Gabriel
Mais me sont venus tout naturellement à l’esprit
En marchant d’un bon pas chaque matin
Pour me rendre à mon travail quotidien
Celui que j’accomplis pour gagner ma vie
Et payer la prestation compensatoire forcée
Versée à ma très catholique d’ex-femme
Demandeuse de ce divorce
Pour les fautes à la mode actuellement (H. Umour).
CE QU’EN DÉDUISENT LES GENS DE PLUSIEURS LIVRES OU AYANT UN PEU DE CULTURE (GÉNÉRALE).
Tout cela est atterrant ! Que des peuples entiers, de Samarcande à Cordoue, quelques générations après la mort de cet homme (en 750) ; aient pu idolâtrer à ce point (isma) un être humain, est incroyable ! Tant de servilité à son égard est terrifiant. Où sont intelligence, réflexion, esprit scientifique, philosophie, culture générale, et liberté ou tolérance, dans cet islam dont on nous rebat les oreilles ??? Quelle régression pour l’Humanité !
Deux exemples.
Le point numéro 6) de la liste de Régis Blachère ci-dessus : interdiction du mois intercalaire ; rappel des stipulations coraniques sur le calendrier ; mois sacrés.
Le plus massivement utile des calendriers est le calendrier solaire car il met la vie de l’Homme en harmonie avec le cycle des raisons.
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Celui qui est le plus pratique pour le décompte des jours de la semaine, ou de la quinzaine plus exactement, est le calendrier lunaire, à cause des différentes phases de la lune, clairement observables dans le ciel nocturne (sauf exception évidemment).
Le seul problème, le seul ennui, du calendrier lunaire, est qu’il est en léger décalage avec le rythme des saisons, et par conséquent qu’au bout de quelques années l’hiver tombe en été ou vice versa.
Une année lunaire compte environ 11 jours de moins qu’une année solaire. La période qui s’écoule durant l’accomplissement d’un cycle complet des phases de la lune s’appelle lunaison, et dure en moyenne 29,530588861 jours, soit 29 jours, 12 heures, 44 minutes et 2,878 secondes. Étant donné qu’un calendrier ne peut comporter qu’un nombre entier de jours, dans la pratique, on divise l’année en mois comptant alternativement 29 ou 30 jours. Comme douze mois lunaires constituent 354 jours, il manque à chaque année lunaire environ 11 jours pour rester en phase avec le changement des saisons (le calendrier devrait pour cela compter un peu moins de 365 jours).
Pour rester en phase avec les saisons la manière la plus adaptée est d’ajouter tous les deux ou trois ans un mois intercalaire, le plus souvent donc en début ou fin d’année. C’est la méthode que les très-sachants de la druidiaction avaient par exemple adoptée si l’on en croit le calendrier retrouvé à Coligny : un cycle (lustre) de cinq ans au cours duquel on intercalait deux fois un mois, une première fois en début de cycle (Qvimon), une deuxième fois au milieu (Ciallos). Le compte des jours de l’année et du lustre est essentiel pour apprécier la façon dont le calendrier réussit à maintenir l’accord, tant avec le cours de la lune – pour lui, primordial – qu’avec celui du soleil. Eóin Mac Neill a proposé dès 1924 une hypothèse séduisante. Si, un peu comme pour notre mois de février, on comptait 28 jours pour Equos les deuxième et quatrième années, en alternance avec les 30 jours des trois autres années ; on aurait un lustre de 1831 jours, très proche des 1830,891 jours que comptent en moyenne ses 62 lunaisons. L’accord avec le soleil, par contre, ne peut être qu’approximatif dans la mesure où cinq années solaires vraies ne font qu’environ 1826 jours (365,2422 x 5 = 1826,211) ; soit un écart de plus de quatre jours sur cinq ans par rapport à la lune et de cinq jours par rapport au lustre de Mac Neill. C’est là qu’intervient le « siècle » trentenaire évoqué par Pline. En effet, trente années solaires correspondent en durée à 371 lunaisons (365,2422 x 30 = 10.957,266 : 29,5305 = 371) alors que six lustres de 62 lunaisons en font 372. Il suffisait donc, tous les trente ans, de commencer le nouveau lustre directement, sans faire intervenir le mois intercalaire qui l’introduit habituellement, pour retrouver un accord bien meilleur avec le soleil (1,266 jour seulement de décalage) ; sans perdre pour autant l’ajustement essentiel avec la course de la lune qui, au bout de trente ans, est quasiment parfait (0,152 jour par rapport au retour du premier quartier marquant le début du nouveau « siècle »).
En résumé deux mois intercalaires et rien qu’un (Sonnocingos) tous les trente ans. Ce qui n’est pas si bête !
Chez les Babyloniens, il s’agissait d’un cycle de dix-neuf ans au cours duquel on intercalait sept fois un mois, ce cycle est d’ailleurs toujours en usage dans le calendrier juif. Dans l’ancien calendrier arabe, il était plutôt d’usage d’ajouter un mois tous les deux ou trois ans. On ne voit pas l’intérêt de la suppression du mois intercalaire (qui était une bonne idée des très-sachants arabes, mais même aussi des juifs pour tenter de faire coïncider calendrier lunaire et calendrier solaire) décidée par Gabriel/Dieu/Mahomet. Mais voilà, en terres d’islam Dieu s’est aussi mêlé des histoires de calendriers en rappelant vigoureusement qu’il était contre le calendrier solaire et par extension contre le calendrier lunisolaire, on se demande bien pourquoi.
Le point numéro 7) de la liste de Régis Blachère : Dépendance de la femme envers son époux.
Le chapitre 65, verset 6, stipule : faites habiter vos femmes là où vous demeurez, suivant vos moyens. Ne leur causez pas de peine en les mettant trop à l’étroit.
Dieu est bien gentil, mais existe-t-il un chapitre similaire conseillant les femmes sur la manière de traiter leurs hommes du style, « faites habiter vos hommes là où vous demeurez ou suivant vos moyens. Ne leur causez pas de peine en les parquant trop à l’étroit ». Non ! Alors ??
Tout cela fait un peu éleveur de bestiaux : ne laissez pas votre bétail trop à l’étroit, donnez-lui bien à manger, etc. Etc.
Qu’on le veuille ou non, le logion attribué au Nazaréen Jésus à ce sujet (dans le roman de sa vie : Jean, 7, 53 – 8,11) est quand même d’une morale incomparablement supérieure et sa grandeur tient en deux mots :
— Que celui qui n’a jamais péché lance la première pierre (sans commentaire).
— Va et ne pèche plus ! (Le Nazaréen n’approuve quand même pas le comportement de cette femme au point de lui conseiller de continuer, il réaffirme donc qu’à ses yeux il y a eu faute)
— Mais, retour à la case départ : que celui qui n’a jamais péché lance la première pierre (sans commentaire). Là au moins il y a vraiment religion d’amour, d’une si grande élévation morale que l’on peut se demander si c’est vraiment bien en milieu juif orthodoxe que ce logion a pu apparaître. Le moins que l’on puisse dire en effet c’est qu’il ne fait pas très orthodoxe (Jean, 7, 53 – 8,11).
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L’équivalent chez les très-sachants de la druidiaction est leur réaction à propos de l’adultère de la femme de Partholon.
On ne laisse pas un petit chat
Devant du lait juste sorti du pis des bêtes à cornes
One ne confie pas la garde d’une hache bien aiguisée
À un bûcheron
Quand le coffre dans lequel cette hache est rangée
Ne ferme pas à clé.
N’oublions pas non plus de signaler que les très-sachants de la druidiaction condamnaient plus sévèrement le meurtre d’un étranger, donc du fidèle d’une autre religion, que l’assassinat d’un des leurs. Du moins à en croire Nicolas de Damas : « Chez eux on est frappé d’une peine plus rigoureuse pour le meurtre d’un étranger que pour celui d’un concitoyen : dans le premier cas la mort, dans le second l’exil seulement » (Fragment Nº XLIV, 41, d’après Stobée).
Et ne parlons même pas de la parabole du bon Samaritain (Luc 10, 29-37). L’islam recommande-t-il aussi clairement bonté ou charité envers les incroyants, envers les polythéistes, envers les mécréants, les athées, ou les adeptes d’autres religions ??? À notre connaissance non ! II n’y a en effet, du moins à notre connaissance, aucun équivalent musulman de hadith du bon samaritain ou de la coutume rapportée par Nicolas de Damas, le hadith du bon samaritain ou son équivalent l’extraordinaire coutume rapportée par Nicolas de Damas n’existe pas en terres d’islam. Car c’est sans conteste, avec le hadith sur la femme adultère, une des indépassables, vraiment indépassables ; (un tel idéal est même presque impossible à atteindre par les pauvres humains englués dans leurs préjugés que nous sommes) supériorité morale du christianisme (authentique) sur l’islam. Répétons-le encore une fois, car repetere ars docendi : il n’y a pas d’équivalent de la parabole du bon Samaritain ou de la femme adultère dans le Coran ni dans les hadiths non plus d’ailleurs.
Les deux autres supériorités (morales) du christianisme théorique voire des très-sachants de la druidiaction théorique par rapport à l’islam lui aussi théorique, étant la fidélité à l’esprit plutôt qu’à la lettre d’un précepte divin, et la nécessaire distinction à faire entre spiritualité privée ou personnelle et vie sociale ou politique.
Pour ce qui est du fait de privilégier l’esprit à la lettre, la méfiance des très-sachants de la druidiaction envers toute mise par écrit des choses importantes étant bien connue (« Ils estiment qu’il serait sacrilège de consigner leur enseignement par écrit, alors que pour tout le reste en général, pour les comptes privés ainsi que publics, ils utilisent les caractères grecs » d’après César, B.G., VI, 14) ; nous nous contenterons ici de donner les références de la formulation de ce principe dans les quatre évangiles.
Évangile selon Saint Marc 2, 23-28. Un jour de sabbat, Jésus marchait à travers les champs de blé ; ses disciples, chemin faisant, se mirent à cueillir des épis. Les pharisiens lui disaient : « Regarde ce qu’ils font le jour du sabbat ! Cela n’est pas permis ». Jésus leur répond : « N’avez-vous jamais lu ce que fit David, lorsqu’il fut dans le besoin et qu’il eut faim, lui et ses compagnons ? Au temps du grand prêtre Abiathar, il entra dans la maison de Dieu et mangea les pains de l’offrande que seuls les prêtres peuvent manger, ensuite il en donna aussi à ses compagnons. » Il leur disait encore : « C’est le sabbat qui a été fait pour l’Homme, et non pas l’Homme pour le sabbat ».
Quant à la nécessaire distinction à faire entre spiritualité privée ou personnelle et vie sociale ou politique, nous pourrions ici évidemment, arrivés à ce point de notre exposé, pasticher les quatre évangiles en écrivant : il faut rendre à César ce qui est à César, et à Boadicée (ou Ambiorix ou Vercingétorix voire Arminius…) ce qui est à Boadicée ou Ambiorix ou Vercingétorix ou Arminius…
Plus sérieusement et plus modestement nous nous contenterons de rappeler que les très-sachants de la druidiaction d’alors faisaient bien la distinction entre les sacrifices publics qui n’étaient que rarement à participation obligatoire, ou de type oenach (en Irlande) et les sacrifices privés, qui devaient être fort nombreux puisque ces barbares étaient admodum dedita religionibus : très adonnés aux choses de la religion. N.B. La phrase exacte de César est « Illi rebus diuinis intersunt, sacrificia publica ac priuata procurant » (B.G. Livre VI, 13).
Pour ce qui est de la formulation de ce principe dans le christianisme, en voici les références : Évangile selon Matthieu, 22, 21. « Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu ».
C’est là une des incontestables supériorités morales du christianisme théorique, par rapport à l’islam, même théorique (fin du tafsir à ce sujet de Pierre de La Crau).
CAR LA RÉALITÉ FUT TOUT AUTRE ! LA VÉRITÉ LA VOICI ! CAR LA RÉALITÉ FUT TOUT AUTRE ! LA VÉRITÉ LA VOICI ! CAR LA RÉALITÉ FUT TOUT AUTRE ! LA VÉRITÉ LA VOICI ! CAR LA RÉALITÉ FUT TOUT AUTRE ! (Comme dirait une célèbre série télévisée).
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MARS 632 TOUJOURS : L’EXHORTATION DE GHADIR KHOUMM.
Ghadir Khoumm, ou marais de Khoumm, est un point d’eau qui apparaît au printemps dans l’oued Rabigh à mi-chemin entre La Mecque et Médine.
Le 18 du mois de Dhou al-hijda an 10 du calendrier hégirien – soit en mars 632 du calendrier grégorien – au cours d’une halte sur le chemin du retour à Médine, Mahomet y prononça quelques paroles qui depuis ne cessent de susciter des polémiques entre sunnites et chiites.
Les propos concernant le pèlerinage à La Mecque font l’unanimité chez les tous les musulmans, mais pas ceux concernant son cousin et gendre Ali et notamment le sens à donner au terme arabe maoula pour désigner Ali. Et ce n’est pas à nous, barbares druides d’extrême occident, hommes de douze livres et non d’un seul, de les départager.
Ci-dessous texte du hadith 950 du tome 1 du Musnad d’Ahmad bin Hanbal ; qui le considère comme sahih c’est-à-dire assurément authentique.
« Sa'id ben Ouahb et Zaïd ben Youthai. Ali a exhorté le peuple à ar-Rahbah, en disant : Que celui qui a entendu le Messager de Dieu le jour de Ghadir Khoumm, se lève. Et six hommes se levèrent autour
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de Saïd, six hommes autour de Zaïd et ils attestèrent qu’ils avaient entendu le Messager de Dieu dire à Ali ce jour-là : « N’est-ce pas Dieu qui est le plus proche des croyants ? ». » Si ! » répondirent-ils. Alors il a rajouté : « O Dieu, si je suis le maoula de quelqu’un alors Ali est aussi son maoula ; O Dieu, aime ceux qui le prennent comme ami, et prends comme ennemis ceux qui le prennent comme ennemi ». Commentaires : [sahih à cause de preuves allant dans ce sens].
Ci-dessous texte du hadith No 5920 du livre 31 du Sahih Muslim.
Chapitre : les mérites d’Ali b. Abi Talib.
Zaïd… a dit : un jour, le Messager de Dieu s’est levé pour prononcer un sermon autour d’un point d’eau connu sous le nom de Khoumm situé entre La Mecque et Médine. Il a loué Dieu, l’a exalté, a prononcé un sermon et nous a exhortés en disant : maintenant, allons droit au but. Je ne suis qu’un être humain. Je suis sur le point de recevoir un messager (l’ange de la mort) de mon Seigneur et moi, en réponse à cet appel de Dieu (je vous dis au revoir), mais je laisse parmi vous deux choses primordiales : l’une est le Livre de Dieu dans lequel figurent le droit chemin à suivre et la lumière qui vous éclairera, aussi accrochez-vous fermement à ce Livre de Dieu et adhérez-y. Il nous a exhortés (à nous en tenir fermement) au Livre de Dieu et a ensuite ajouté : La deuxième chose ce sont les membres de ma famille. Je vous rappelle (à vos devoirs) envers les membres de ma famille. Il (Hussein) a demandé à Zaïd : et qui sont les membres de sa famille ? Ses femmes ne sont-elles pas les membres de sa famille ? Là-dessus il a répondu : ses épouses sont certes les membres de sa famille (mais là) les membres de sa famille c’étaient ceux qui étaient exemptés de Zakat (aumône obligatoire =impôt). Qui ? Ali et les enfants d’Ali, Aqil et les enfants d’Aqil ainsi que les enfants de Dja'far et ceux d’Abbas. Hussein a demandé : ce sont eux de qui il est interdit d’exiger la zakat ? Oui ! »
Les auteurs chiites affirment également que plusieurs versets du Coran ont été révélés juste après.
Le verset 3 du chapitre 5 : « Aujourd’hui j’ai rendu votre religion parfaite, et j’ai parachevé ma grâce sur vous, je vous laisse l’islam comme religion ».
Ou pour l’occasion.
Le verset 67 du même chapitre 5 : « Ô prophète, fais connaître ce qui t’a été révélé par ton Seigneur. Si tu ne le fais pas, tu n’auras pas fini de faire connaître son message. Dieu te protègera contre les hommes ; Dieu ne dirige pas les incroyants ».
Les sunnites ne remettent pas en question l’événement, mais affirment que ce n’était rien de plus qu’une exhortation à accorder le respect et l’honneur dus à son cousin et gendre Ali, car ce dernier devait faire face au mécontentement de certains de ses hommes suite à la façon dont l’avait réparti le butin (encore une histoire de butin) au retour d’une expédition au Yémen.
8 JUIN 632 MORT DE MAHOMET (À 63 ANS ?).
Comme d’habitude les sources musulmanes CONTEMPORAINES manquent, ce qui permet toutes les hypothèses, et notamment celles qui le voient mourir en Palestine en 634.
— Laissant de côté la Sira, qui en fait un personnage aussi peu crédible que le sont de nos jours les biographies officielles d’un Staline ou d’un Mao ; Edouard-Marie Gallez 1), s’appuyant principalement sur les (trop) rares témoignages des chroniques du temps, nous peint un de ces grands hommes qui ont marqué l’histoire de leur forte personnalité, mais très différent des idées reçues à son sujet.
La fin de vie de Mahomet sera difficile. Il ne meurt pas en héros sur le champ de bataille, mais après avoir subi un grave échec militaire à Mou’ta en 629, infligé par des vassaux de l’Empire byzantin, après avoir été contesté dans son propre camp (affaire de la Mosquée de l’opposition), et après une plus ou moins longue agonie, sans héritier mâle.
— Stephen J. Shoemaker 2) a étudié plusieurs sources non musulmanes en parlant. Il cite la Doctrina Jacobi, l’Apocalypse du rabbin Siméon bar Yochai, la chronique de Khouzistan (660), celle de Jacques d’Édesse (691/692), l’Histoire des patriarches d’Alexandrie (avant 717), la « source orientale
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espagnole » (741), la « source commune syriaque », la chronique syriaque de 775, la chronique de Zouqnine (775), la chronique samaritaine (compilée au plus tard au XIVe).
— De son côté la chercheuse tunisienne Hela Ouardi 3) met en lumière la multiplicité des traditions musulmanes liées à la mort de Mahomet. Selon certaines, il serait mort d’une courte maladie, peut-être une pleurésie, pour d’autres, il serait mort empoisonné par une juive de Khaïbar. Le crédit historique à apporter à ces textes fait débat.
— Ce n’est pas à nous, barbares druidisants panthéistes de l’extrême ouest, de trancher………………
Après la reddition de La Mecque et le calme relatif qui s’était installé dans les régions conquises, les musulmans soufflaient un peu et beaucoup avaient mis à profit ce repos du guerrier bien mérité pour s’occuper de leurs affaires personnelles. Chacun s’attendait de toute façon à une mort prochaine de Mahomet, certains complotaient même déjà pour lui succéder. Les plus proches de Mahomet ne l’écoutaient plus et n’obéissaient plus à ses ordres, qu’ils soient militaires politiques, ou relevant de la vie quotidienne. Lorsqu’il demanda par exemple aux musulmans de préparer une expédition sur le Balqa (l’actuelle Jordanie) et le Daroum (Gaza) donc contre l’Empire byzantin, avec un jeune nommé Oussama ben Zaïd comme commandant ; peu de musulmans jugèrent nécessaire de s’y opposer, persuadés que Mahomet mourrait avant.
Certains se moquaient même de lui et faisaient de grossières plaisanteries sur ses femmes, ou se les partageaient d’avance. Les derniers jours de mai 632, Mahomet tomba plus sérieusement malade, et c’est le crâne bandé (à cause des maux de tête) qu’il dut adresser ces quelques mots à la troupe en question. « En me reprochant aujourd’hui d’avoir confié le commandement de l’armée à Oussama, vous me reprochez de l’avoir autrefois confié à son père, qui en était digne, par Dieu ; je l’aimais par-dessus tout et je l’estime encore digne de cet honneur. Le fils, que j’estime tout autant, le sera également. Je vous le recommande, il fait partie des meilleurs ».
Oussama quitta donc Yathrib/Médine suivi des mouhadjiroun (les premiers musulmans, originaires de La Mecque) et des ansar (Médinois de souche) puis campa en un lieu appelé Jad, à une lieue de la ville.
L’état de Mahomet empirant, Oussama ne poursuivit pas sa route, s’attendant au pire.
La guerre de succession est donc ouverte, alors qu’auparavant, elle couvait seulement. Une décision du prophète est contestée en public, ce qui est inouï, de la part de musulmans. Ils songent surtout à leur sécurité personnelle, et sur un plan strictement hiérarchique, ils refusent d’obéir à un blanc-bec, métis de surcroît. L’erreur psychologique a sans doute été de lui adjoindre les vétérans de la vieille garde mahométane. Mais la raison profonde du malaise est que le chef est affaibli, et qu’en l’absence d’institutions reconnues, son pouvoir est déjà contesté.
4 juin 632 donc DÉBUT DE L’AGONIE (d’après les théologiens musulmans), MAIS IL EXISTE DES DIVERGENCES SUR LES DATES QUI SONT PAR CONSÉQUENT DONNÉES SOUS TOUTE RÉSERVE.
Ayant été victime de plusieurs attentats il se méfie de son entourage. Il existait des médecins à Médine à l’époque, mais nos sources n’en mentionnent aucun. Par contre, chaque fois qu’on lui donne un remède, Mahomet force également ses proches à en boire, sans doute par crainte d’un empoisonnement, ce qui en dit long sur l’atmosphère de fin de règne qui devait alors régner à Médine. On lui administrera donc des médicaments à son insu.
Ce qui n’empêche pas le prophète de l’islam d’avoir d’ultimes révélations divines et certains hadiths le créditent de diverses prémonitions quant à l’unité de la communauté musulmane et de trouver la force de diriger une dernière fois la prière du vendredi ou de délivrer un dernier sermon.
Dont le texte a toutes les chances d’être aussi authentique que celui du sermon d’adieu prononcé à La Mecque. Voir chapitre précédent.
Mahomet ne donnera aucune instruction concernant sa succession, mais selon certaines sources sunnites et chiites, il en aurait été volontairement empêché entre autres par Abou Bakr et Omar. La Tunisienne Hela Ouardi dans son ouvrage intitulé les derniers jours de Muhammad nous dépeint un vieux prophète manipulé par ses femmes et ses meilleurs amis. Aujourd’hui, on dirait qu’il a été victime d’un abus de faiblesse. Hela Ouardi relève de nombreux faits étranges, cités par les traditions, après la mort de Mahomet, dans la description du comportement d’Abou-Bakr et d’Omar. Il pourrait s’agir de premières manœuvres en vue de prendre le pouvoir.
Le jeudi 4 juin 632 par exemple il aurait demandé de quoi écrire son testament, mais son entourage et principalement Omar, aurait tout fait pour qu’il ne puisse l’écrire. Les textes sunnites rapportent aussi cet épisode, ce qui n’est pourtant pas dans leur intérêt. On peut penser qu’il y a là un début de vérité, même si l’historien doit toujours garder une distance critique, évidemment. Certaines traditions sunnites rapportent aussi l’existence de commandements ou d’objets importants, comme son sabre, confiés à Ali par Mahomet juste avant sa mort.
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Récit. Abou Mouwaïhiba : le prophète me fit demander au milieu de la nuit et me dit : « j’ai reçu l’ordre d’obtenir de Dieu de prier pour les morts, viens avec moi ». Je le suivis donc au cimetière. Voici, d’après la Sira quelles furent ses paroles.
Ibn Ichaq, Vie de Mahomet, Alfred Guillaume, page 678.
« La paix soit sur vous, ô peuple des tombes ! Réjouissez-vous de ne plus être où sont les vivants. ! Comme les lambeaux sombres de la nuit, les dissensions approchent, les unes après les autres, la dernière pire que la première… J’ai le choix entre les clés des trésors de ce monde suivi du Paradis après une vie bien remplie, ou bien rejoindre sans plus tarder mon Seigneur en son royaume ». J’ai alors insisté pour qu’il choisisse la première solution, mais il me répondit qu’il avait déjà retenu la dernière. Ensuite il pria Dieu de pardonner aux morts enterrés là et quitta les lieux ».
C’est alors que la douleur commença de le tenailler atrocement. Il éprouva tout d’abord un affreux mal de tête. Sa migraine devint rapidement insupportable et il fut pris de violents accès de fièvre. Cela se passait vers la fin du mois. Il déménagea de chez son épouse Meïmouna, soutenu par Al Fadl Ben Al Abbas et Ali Ben Abou Talib, afin de s’installer chez Aïcha, mais son mal alla en s’aggravant. Aïcha s’efforça de le soigner en récitant des versets coraniques. Elle soufflait ensuite dans ses deux mains et les passait sur son corps, mais en vain.
Ibn Ichaq Vie de Mahomet Alfred Guillaume page 679.
L’apôtre sortit en marchant soutenu par deux hommes de sa famille, dont l’un était al Fadl b. Al Abbas. Sa tête était enserrée dans un linge et ses pieds traînaient…
Puis la maladie de l’apôtre s’est aggravée… Il leur a demandé : « Versez sur moi sept outres d’eaux venant de différents puits que je puisse aller instruire nos hommes. Nous l’avons fait asseoir dans une baignoire appartenant à Hafça f. Omar et nous avons versé de l’eau sur lui jusqu’à ce qu’il crie : « Assez, assez ! »…… L’apôtre est sorti la tête bandée puis s’est assis dans la chaire. La première chose qu’il a dite fut alors une prière sur les hommes d’Ouhud demandant le pardon de Dieu pour eux… puis il déclara : « Dieu a donné à l’un de ses serviteurs le choix entre ce monde et celui de Dieu et il a choisi ce dernier ». Abou Bakr comprenant qu’il voulait parler de lui-même se mit à pleurer en disant : « Non, nous et nos enfants serons ta rançon ». Il lui dit : « Calme-toi Abou Bakr », et ajouta : « Que l’on ferme les portes qui donnent sur la mosquée à part une de la maison d’Abou Bakr, car je ne connais personne qui soit un meilleur ami pour moi…… si j’avais à choisir un ami en ce monde, je prendrais Abou Bakr… Mouhadjiroun, soyez bons avec les Ansar, car le nombre des autres musulmans ira en augmentant, mais cela ne pourra pas être le cas du leur. Ils m’ont constamment soutenu et conforté. Soyez bons avec leurs hommes qui sont bien et pardonnez ceux d’entre eux qui sont parfois négligents. Puis il descendit et rentra dans sa maison où la douleur le reprit jusqu’à ce qu’il soit épuisé. Alors certaines de ses femmes tinrent conseil, Oumm Salama et Meïmouna ainsi que certaines épouses des musulmans, dont Asma f. Oumaïs pendant que son oncle Abbas était avec lui, et elles se mirent d’accord pour le forcer à prendre des médicaments. Abbas leur dit : « Laissez-moi m’en occuper », mais ce sont elles qui s’en sont chargées. Quand il fut remis sur pied, il demanda qui l’avait ainsi soigné. Après qu’on lui eut répondu que c’était son oncle, il leur rétorqua : « C’est un médicament que des femmes ont ramené de ce pays », et il indiqua du doigt la direction de l’Abyssinie. Quand il demanda pourquoi on avait fait ça, son oncle lui répondit : « Nous avions peur que tu n’aies attrapé une pleurésie ». Il leur rétorqua : « C’est une maladie dont Dieu ne m’affligerait pas. Que personne ne parte de cette maison sans avoir pris également de ce médicament, à part mon oncle. Meïmouna fut donc obligée d’en prendre à cause du serment de l’apôtre, comme punition pour ce qu’elles lui avaient fait………… lorsque la maladie de l’apôtre eut empiré II (Oussama) est revenu à Médine et il est allé voir l’apôtre qui était incapable de parler. Il commença de lever la main en direction du ciel avant de la rabattre sur lui, pour le bénir…
Quand le prophète tomba gravement malade, il ordonna que l’on demande à Abou Bakr de diriger les prières. Aïcha lui répondit qu’Abou Bakr était un homme fragile doté d’une voix qui n’était pas forte et qui pleurait beaucoup quand il lisait le Coran. Il réitéra néanmoins son ordre, et je répétai mon objection. Il a rétorqué : « Vous êtes comme les compagnons de Joseph, dites-lui de présider aux prières ». Je n’avais dit ça que pour épargner cette tâche à Abou Bakr car je savais que les gens n’aimeraient jamais un homme qui occupait la place de l’apôtre, et l’accuseraient de tous leurs malheurs… Bilal nous a appelés à la prière, et nous a demandé de dire à quelqu’un de la diriger. Alors je suis sorti et dehors il y avait Omar avec des gens, mais Abou Bakr n’était pas là. J’ai dit à Omar de se lever et de diriger la prière, et il l’a fait, mais quand il en est venu à proclamer Dieu est le plus grand l’apôtre entendit sa voix, car il avait une voix puissante, et il demandé où était passé Abou Bakr en répétant : « Dieu et les musulmans interdisent ça ». Aussi m’envoya-t-il chercher Abou Bakr qui arriva, mais après qu’Omar eut fini de diriger la prière…… Anas b. Malik a rapporté que le lundi où Dieu a rappelé à lui son apôtre, il se montra aux gens alors qu’ils faisaient la prière du matin. Le rideau se leva et la porte s’ouvrit puis l’Apôtre sortit et se tint devant la porte de chez Aïcha. La joie des
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musulmans les détourna presque de leurs prières quand ils le virent ainsi, et il leur fit signe (de la main) de continuer. L’apôtre a souri… et ils sont repartis en pensant que l’apôtre était guéri…
Ali sortit de chez l’Apôtre ce jour-là et les gens lui demandèrent comment il allait. Ali répondit que grâce à Dieu il était guéri. Abbas le prit par la main et lui dit : « Ali, dans trois nuits tu seras maudit. Je jure par Dieu que j’ai vu la mort dans les yeux de l’apôtre comme je l’avais vue sur les visages des fils d’Abd el Mouttalib : allons chez l’apôtre, si l’autorité suprême doit revenir à l’un d’entre nous, nous le saurons, et si elle doit revenir à d’autres, nous lui demanderons d’enjoindre au peuple de bien nous traiter.
Ali répondit : « Par Dieu, je ne le ferai pas. Si elle nous est refusée, personne après nous ne nous la donnera ». L’apôtre mourut à midi ce jour-là… Quand l’apôtre fut mort, Omar se leva et dit : « Certains des mécontents prétendent que l’apôtre est mort, mais par Dieu il n’est pas mort : il est seulement allé trouver son Seigneur comme Moïse et il reviendra dans quarante jours pour…, etc. etc. »
Sahin Boukari, tome 1, livre 8, Numéro 427.
Au dernier moment, Mahomet se voila la face avec son « khamis », puis quand la douleur devint vraiment insupportable, il se découvrit le visage et murmura : « Que Dieu maudisse les juifs et les chrétiens car ils ont construit des lieux de prière sur les tombes de leurs prophètes ».
Plus sérieusement ! Reconnaissons quand même que les dernières paroles attribuées, même fictivement, au Jésus des quatre Évangiles : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23, 34) ONT QUAND MÊME PLUS DE NOBLESSE ET DE GRANDEUR !
CAUSE DE LA MORT.
Ni crucifixion ni mort au combat, mais dans son lit !
Pleurésie ou fièvre de Médine selon les uns, séquelles d’un empoisonnement ayant eu lieu 3 ans plus tôt. Ayant eu lieu beaucoup plus tard selon certains auteurs chiites qui pointent du doigt Aïcha, Hafça, voire Abou Bakr et Omar.
FUNÉRAILLES.
Il fallut trois jours pour que Mahomet soit inhumé ce qui en dit long sur le degré d’affection ou le respect que lui portaient certains des membres de son entourage comme Omar ou Abou Soufiane. Certains textes évoquent même la décomposition du corps.
Deux hypothèses majeures peuvent expliquer cette situation : d’abord le déni. On ne veut pas croire qu’il est mort et l’on pense qu’il va revenir comme Moïse (ou Jésus, ce grand rival qu’il faut dépasser en tout point.
La deuxième raison est plus politique, et c’est celle défendue notamment par les chiites : ces trois jours ont permis à Abou Bakr et Omar d’écarter la famille de Mahomet (Ali, Abbas) et de s’organiser pour lui succéder. Il leur fallait du temps pour mettre en place ce qu’on pourrait appeler un « coup d’État ».
Les traditions sont contradictoires sur la date de l’inhumation, mais sont unanimes sur un enterrement nocturne contraire aux habitudes et règles religieuses et en l’absence d’Abou Bakr, d’Omar et d’Aïcha, sur les lieux mêmes de son décès, à savoir dans sa maison mosquée de Médine, dans les appartements d’Aïcha.
Les imprécisions entre les descriptions semblent attester d’une méconnaissance, jusqu’au début du VIIIe siècle, de l’emplacement exact de la tombe de Mahomet. Elle sera fixée lors de la construction d’un tombeau en 707 par les Omeyyades. Comme tous les descendants du Prophète ont alors été éliminés, il n’y a plus de risque que s’instaure une dynastie de droit divin. La nouvelle dynastie, qui est originaire de la Mecque elle aussi, mais qui pourtant s’est opposée au Prophète au début de la Révélation, va pouvoir l’utiliser pour asseoir sa légitimité.
ÉPITAPHE.
Laissons les mots de son épitaphe au père Edouard-Marie Gallez « Le Messie et son prophète, aux origines de l’islam », publiée en 2005 car le grand mérite de la thèse d’É.-M. Gallez est de donner enfin son vrai relief au personnage de Mahomet.
Il fut successivement négociant, prédicateur, conquérant et chef d’État, plus exactement « Seigneur des Arabes ».
— Négociant, grâce à son appartenance à la tribu des Couraïchites et son mariage avec Khadidja, la riche cousine d’un des « prêtres » judéo-nazaréens, Mahomet se déplaçait pour son commerce à travers la Palestine, la Mésopotamie, le Liban-Sud, et La Mecque.
— Prédicateur « instruit et à l’aise avec l’histoire de Moïse », Mahomet laissait dire (sans l’affirmer) qu’il était un prophète annonçant le retour du Messie-Jésus qui devait être précédé par la « libération de la Terre Promise [la Palestine] » et « la restauration de la Maison de Dieu [reconstruction du Temple] ».
— Conquérant, Mahomet l’est par son « charisme » de chef de guerre, sa capacité à fédérer les tribus arabes et à leur imposer une idéologie guerrière.
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— Chef d’État enfin, Mahomet l’est par sa vision de la communauté des croyants (oumma) transcendant les nations et les empires, qui doit s’imposer au monde entier divisé en territoires soumis (dar al islam) et zones de guerre (dar al harb). Des projets qu’il n’aura pas le temps de mettre en œuvre, mais qui seront réalisés et développés par les califes qui lui succéderont.
1) Le Messie et son prophète, aux origines de l’islam 2005.
2) The Death of a Prophet. The End of Muhammad’s Life and the Beginning of Islam, University of Pennsylvania Press, 2012.
3) Les derniers jours de Muhammad, Albin Michel, Paris.
LA SUCCESSION « PRIVÉE » DE MAHOMET :
LE SORT DE FATIMA.
Le problème de l’héritage personnel de Mahomet est un sujet bien documenté, mais polémique aujourd’hui comme alors.
Les sources chiites nous disent que la fille de Mahomet, Fatima, mourut de chagrin ou suite à divers mauvais traitements, matériels ou moraux, de la part d’Abou Bakr et de son entourage (Sahih Muslim livre 019, hadith 4354) avant de mettre au monde un enfant qui devait être prénommé Mouhssine.
Ce qui est sûr c’est qu’elle fut déshéritée et notamment de Fadak (propriété personnelle de Mahomet) par le nouveau calife.
Les mystères de la succession privée de Mahomet.
Après la prise de Khaïbar en 628, Mahomet était devenu l’homme le plus riche du Hedjaz et pourtant à sa mort il ne laissera rien comme héritage ; d’après certaines traditions en effet il ne possédait au moment de sa mort qu’une tunique, un pagne de tissu grossier et avait gagé son armure contre un boisseau d’orge chez un juif.
Le fait est que la succession privée de Mahomet n’a pas eu lieu comme prévu dans le Coran.
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La dévolution à Fatima de l’oasis de Fadak située à 150 km au nord-est de Médine fut en effet contestée par Abou Bakr qui confisquera l’oasis au profit du trésor public en s’appuyant sur ces paroles de Mahomet lui-même : « Nous autres les prophètes, nous n’héritons pas et nous ne laissons rien en héritage. Tout ce que nous laissons est à distribuer en aumônes ». Malgré la restitution du bien, opérée par le même Abou Bakr quelque temps après, Fatima ne lui pardonnera jamais cette première décision. Elle ne lui adressa plus la parole de son vivant. De toute façon, le futur second calife, Omar, fit annuler cette restitution pour vice de forme (un des témoins était aussi partie prenante, l’autre étant une femme) ; et confisquera de nouveau ces terres au profit du trésor public musulman, ce qui lui valut donc bien évidemment lui aussi une solide inimitié de la part de Fatima et des siens.
Outre ses propriétés foncières comme celle de Fadak et un grand nombre de servantes ou d’esclaves, Mahomet laissa derrière lui vingt-deux chevaux, cinq mules, dont la plus connue s’appelait Douldoul ; deux ânes, Oufaïr et Yafour ; quatre chamelles à monter, sans compter vingt autres pour le lait ; cent brebis et quelques chèvres. Des neuf sabres qu’il possédait, le plus connu, celui qui passa ensuite à son cousin et gendre Ali, est le Dhoul fikar, qui était bifide ; il y avait en outre, trois lances, trois arcs, sept cuirasses, trois boucliers, un étendard blanc, et une bannière noire, appelée Okab (l’aigle noir), conservée jusqu’à nos jours à Istamboul. Son cachet en argent portait les mots suivants : « Mahomet, apôtre de Dieu ». Quelques-uns des objets qui lui appartenaient ; comme son manteau et son bâton, furent longtemps conservés dans le garde-meuble des califes abbassides.
À chacun de voir si cela faisait de lui un pauvre parmi les pauvres ou pas, comme du temps de son enfance ou de sa jeunesse, comparé par exemple au prince Siddharta Gautama (Bouddha).
L’héritage de Muhammad n’a pas eu lieu comme cela est prescrit dans le Coran puisqu’ Abou Bakr, un des compagnons les plus éminents de Mahomet a déclaré qu’il avait entendu Mahomet dire : « Nous autres prophètes nous ne laissons pas d’héritage, ce que nous laissons derrière nous est aumônes pour les pauvres ».
Plusieurs membres de la famille de Mahomet ne furent pas convaincus et cela déboucha sur une polémique qui se poursuivit jusque sous le règne d’Omar II, une centaine d’années plus tard.
Les personnes impliquées furent…
— Ali, le cousin et gendre de Mahomet, futur quatrième calife sunnite et premier imam chiite.
— Fatima, la fille de Mahomet, mariée à Ali.
— Abbas ibn Abd el-Mouttalib, également connu sous le nom d’Al-Abbas, un oncle paternel de Mahomet.
— Abdallah ibn Abbas, également connu sous le nom d’Ibn Abbas, cousin de Mahomet.
— Abou Bakr, l’un des compagnons de Mahomet et le premier calife sunnite.
— Omar, un des compagnons, deuxième calife sunnite.
— Osman le troisième calife sunnite.
— Aïcha, la fille d’Abou Bakr et l’épouse favorite de Mahomet.
— Les autres femmes de Mahomet.
L’interprétation actuelle des sources relatant cette péripétie est bien entendu également sujette à controverse. Chiites et sunnites ne sont pas d’accord sur Fadak.
Cette querelle a éclaté dès le lendemain de la mort de Mahomet survenue en l’an 10 (632).
Ibn Sa'd, un érudit islamique sunnite du 9e siècle a écrit ce qui suit.
Fatima vint trouver Abou Bakr pour exiger sa part d’héritage. Al-Abbas est allé le voir et a exigé sa part d’héritage. Ali vint avec eux. Abou Bakr leur a répondu : « L’Apôtre de Dieu a dit : « Nous autres prophètes ne laissons aucun héritage, ce que nous laissons derrière nous est aumône pour les pauvres ». Je prendrai des dispositions pour ceux à qui le prophète pensait ».
Ce à quoi Ali a rétorqué, « Salomon a hérité de David) [Coran 27, 16] et Zacharie a dit : il peut être mon héritier et l’héritier des enfants de Jacob (Zacharie au sujet de Jean-Baptiste) » [Coran 19, 6].
Abou Bakr a répliqué : « C’est comme ça, par Dieu, tu le sais comme moi ».
Alors Ali lui a rétorqué : « Mais c’est le livre de Dieu qui le dit ». Puis ils se sont tus et se sont retirés.
Fatimah a demandé à Abou Bakr : « quand tu mourras, qui héritera de toi ? »
Il a répondu : « Mes enfants et mes proches ».
Elle lui a ensuite demandé : « Quelle est ta justification pour le fait d’hériter du Prophète en nous écartant de sa succession ? »
Il lui a répondu : « Ô fille de l’Apôtre de Dieu, je n’ai pas hérité des terres de ton père, de son or, de son argent, de ses esclaves ni de ses propriétés ».
« Tu retiens entre tes mains le quint, la part de Dieu (Khoums, c’est-à-dire un cinquième) qu’il nous a attribuée et qui n’est qu’à nous ».
Il lui a répondu : j’ai entendu l’apôtre de Dieu dire : « C’est ce que Dieu me laisse pour manger quand je mourrai, qu’on le donne aux musulmans ».
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Et Abou Bakr d’ajouter, l’apôtre de Dieu a bien dit : « Nous ne laissons pas d’héritage, ce que nous laissons va aux pauvres ». Les membres de la famille de Mahomet bénéficieront donc eux aussi de cet argent. Par Dieu, je ne changerai pas le mode de répartition de la sadaqa (aumône) de l’Apôtre de Dieu par rapport à ce qu’elle était du vivant de l’Apôtre de Dieu. Je continuerai à la dépenser pour les mêmes hommes qui en bénéficiaient de la part de l’apôtre de Dieu ».
Abou Bakr a donc catégoriquement refusé de donner quelque chose à Fatima qui en a conçu par conséquent une vive rancune contre lui et ne lui a plus jamais parlé du reste de sa vie. Elle a vécu six mois après l’apôtre de Dieu (Sahih Muslim livre 019, hadith 4354).
Un témoignage attribué à Aïcha relate ce qui suit : quand le Messager de Dieu est mort, ses femmes décidèrent d’envoyer Outhman ibn Affane (comme porte-parole) chez Abou Bakr afin de lui demander leur part de l’héritage du Saint Prophète. (À ce moment-là), Aïcha leur a répondu : Le Messager de Dieu n’a-t-il pas dit : « Nous (les Prophètes) n’avons pas d’héritiers, ce que nous laissons derrière nous est destiné à (faire) la charité » ?
Les sunnites considèrent généralement ce hadith comme sahih (sûr) et l’ont donc inclus dans le Sahih Muslim.
Abou Bakr mourut deux ans plus tard, en l’an 13 AH (634/635), et ces revendications d’héritage furent alors renouvelées auprès d’Omar devenu calife après le calife.
Une narration attribuée à Aïcha par Ouroua ibn Zoubaïr rapporte ce qui suit : en ce qui concerne les dotations caritatives de Médine, Omar les remit à Ali et Abbas, mais Ali l’emporta sur lui (et les garda en sa possession). Par contre en ce qui concerne Khaïbar et Fadak, Omar les garda pour lui en disant : ce sont les dotations du Messager de Dieu (destinées à l’Oumma). Leurs revenus furent utilisés en raison des urgences auxquelles il devait faire face. Et leur gestion confiée à quelqu’un ayant en charge les affaires (de l’État islamique). Et le narrateur d’ajouter : c’est comme ça que Khaïbar et Fadak ont été gérés jusqu’à aujourd’hui.
Note des théologiens musulmans (sunnites ?)
Pour bien comprendre le problème du désaccord ayant surgi entre la fille bien-aimée du prophète Mahomet (sallallâhou alayhi oua sallam), Fatima (radhia allâhou anha) et le premier calife bien guidé, Abou Bakr (radhia allâhou anhou) ; il faut revenir sur les circonstances à l’origine de ce différend.
Les hadiths nous apprennent, qu’après le départ de ce monde du prophète Mahomet (sallallahou alayhi oua sallam) ; Fatima (radhia allahou anha) vint réclamer à Abou Bakr (radhia allâhou anhou) un certain nombre de terres (dont celle de « Fadak », situées dans la région du « Hedjaz » et cultivée par des juifs) en tant qu’héritage de la part de son père. Abou Bakr (radhia allahou anhou) refusa, et lui rappela le hadith qu’il avait personnellement entendu de la bouche même du prophète (sallallâhou alayhi oua sallam) : « Nous autres les prophètes nous ne laissons jamais de biens en héritage. Tout ce que nous laissons derrière nous est aumône pour les pauvres ». Il est à noter qu’Abou Bakr (radhia Allahou anhou) ne fut pas le seul à en l’occurrence avoir entendu le prophète Mahomet (sallallahou alayhi oua sallam) dire cela. De tels propos sont également rapportés par Aïcha elle-même (Boukhari – tome 2, page 996) et par Abou Horaïra (Boukhari – tome 2, page 996). Ils ont également été entendus par Omar (radhia Allahou anhou), Osman (radhia Allahou anhou), mais surtout Ali (radhia allahou anhou) et Abbas (radhia allahou anhou) ; tous deux membres reconnus de la famille du Prophète Mahomet (« Ahl oul Baït »). (Voir Boukhari – tome 1, page 435, tome 2, pages 575 et 596, Muslim – tome 2, page 90 et Tirmizi – tome1, page 194, entre autres…). À la suite de ce refus, qui était donc tout à fait justifié, comme on vient de le voir, Fatima (radhia allâhou anha) ne fut pas très contente d’Abou Bakr (radhia allahou anhou) ; et ne lui adressa donc plus la parole.
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LE VÉRITABLE HÉRITAGE DE MAHOMET.
L’ISMA.
Bien que né sur le territoire étroit et retiré d’une vallée aride, auprès d’un puits improbable, l’islam n’échappe pas au sort commun des religions de masse mondiales. Il est le fils de son passé autant que de son avenir, bien que le plus souvent les croyants n’en sachent rien, perdus qu’ils sont dans l’illusion du retour purificateur à un passé qui ne fut jamais vécu. On en a fait récemment la tragique expérience. C’est probablement le privilège et le risque de l’historien que de s’attacher à relire autrement les légendes sacrées, autant que de chercher à déchiffrer un paysage, au-delà de son apparence actuelle.
Six indices marquent le début de l’islam et du Coran pour l’Occident : l’apparition dans les sources byzantines d’un terme arabe à côté du mot araméen pour désigner les compagnons de Mahomet (mouhadjiroun au lieu de mahgrayé) ; la fin du travail en commun entre « juifs » et Arabes (au début les musulmans furent accueillis en libérateurs) et la collecte ou mise en forme des matériaux du Coran.
Il y a en plus les trois indices indiqués par Patricia Crone.
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Ces indices sont la destruction et la reconstruction de mosquées pour changer leur qibla, des conflits politiques centrés sur les thèmes du madhi et de l’imamat, les tentatives pour imposer un texte standard du Coran. Puisqu’à l’époque du premier islam, le mahdi était le Christ, ces conflits politiques devaient concerner le rôle du christ, et, donc, l’effacement du rôle joué par le judéo-christianisme. Le changement de qibla relève de la même catégorie, ainsi que l’imposition d’un texte standard pour le Coran. Les trois premiers indices donnent sensiblement la même date, vers 645 ou 650. Les trois suivants sont quelque peu postérieurs, et traduisent le développement de l’entreprise de remplacement du judéo-christianisme de type messianiste par l’islam en création. L’intervalle de temps écoulé entre la mort de Mahomet en 632 et la date indiquée par les trois premiers indices, soit 10 à 15 ans, a été le délai nécessaire pour accepter l’évidence : le Christ armé ne viendrait pas et Mahomet n’était plus là.
L’évolution de la profession de foi musulmane. La chahada porte d’ailleurs les traces d’une formulation qui a changé avec le temps.
Les homélies pseudo-clémentines sont un long texte, écrit pour l’essentiel vers 135, en vingt livres, qui relatent les controverses d’alors du point de vue des judéo-chrétiens et des gnostiques. Il présente une version primitive de la profession de foi des judéo-chrétiens et des gnostiques. La voici 1) :
« Je (Pierre) témoigne que Dieu est un, et il n’y a pas de Dieu excepté lui ».
La formule est identique à la chahada initiale de l’islam.
Les premiers disciples de Mahomet témoignaient en effet de leur croyance en disant : « Je témoigne qu’il n’y a de Dieu que Dieu, et qu’il n’a pas d’associé ». Cette formule a pu être reconstituée à partir de graffiti et des premières épigraphes arabes non officielles, presque toujours gravées sur pierre. Cette formule vient donc directement de la Bible 2). Elle a été formulée à une époque où n’existaient ni le terme de musulman ni celui d’islam, et où Mahomet n’était pas présenté comme un prophète.
La chahada de 690 à 735 environ.
Le Dôme du Rocher, célèbre mosquée construite sur l’esplanade du Temple, à Jérusalem, en 691 sous le règne du calife Abdi al-Malik, porte, sur la face sud à l’extérieur, la mention suivante : « Il n’y a de Dieu que Dieu. Il n’a pas d’associé. Il est l’unique, l’éternel, il n’engendre pas et n’est pas engendré, nul n’est son égal. Mahomet est le messager de Dieu ».
Bet Shean est une ville très ancienne, fondée probablement vers 3000 avant notre ère, dans la vallée du Jourdain, à vingt-cinq kilomètres au sud du lac de Tibériade. Elle contient une mosaïque, datée de 738 ou 739, qui porte le même texte que celui du Dôme du Rocher : « Il n’y a de Dieu que Dieu, il n’a pas d’associé, Mahomet est son prophète ».
Mais entre 690 et 735, il y a eu deux professions de foi ou deux types de chahada : « Je témoigne qu’il n’y a de Dieu que Dieu, et qu’il n’a pas d’associé. Mahomet est son prophète » ; mais aussi : « Je témoigne qu’il n’y a de Dieu que Dieu, et qu’il n’a pas d’associé. Le Christ est son prophète ».
Sur le même Dôme du Rocher, d’autres inscriptions figurent en effet à l’intérieur.
— Sur la face sud, c’est : « Mahomet est le messager de Dieu et son serviteur ».
— Sur la face nord, il y a : « Ô Dieu, bénis ton messager ainsi que ton serviteur Jésus, fils de Marie ».
— Sur la face est, il s’agit d’une citation du chapitre 4, versets 170 et 171 : « Le Messie, Jésus, fils de Marie, est seulement le Prophète de Dieu ».
La précision « seulement » est une récusation du christianisme. Il y a ainsi deux affirmations, « Jésus est son prophète et son serviteur ». « Mahomet est son prophète et son serviteur ».
À cette époque il y a donc eu deux chahadas, l’une fondée sur Jésus, l’autre sur Mahomet.
N.B. La forme actuelle de la chahada est : « Il n’y a de Dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète ».
Ainsi, entre la chahada primitive, sans référence à Mahomet, identique à celle des judéo-chrétiens ou des gnostiques, et celle d’aujourd’hui, il y en a eu apparemment une formule intermédiaire, en trois propositions, qui ajoutait Mahomet à la forme primitive.
Sur les papyrus, les pièces de monnaie, les tombes, les inscriptions et les textes musulmans, les mentions de Mahomet comme prophète se font donc progressivement plus nombreuses, alors que celles qui concernent Jésus comme Messie se raréfient et disparaissent. Après 735, un siècle après sa mort, Mahomet seul est mentionné.
Le passage de la chahada à trois termes à l’actuelle chahada à deux termes. En une cinquantaine d’années, de 690 à 740 environ donc, en même temps que l’effacement de Jésus ; l’attestation de croyance musulmane à trois propositions s’est simplifiée pour n’en retenir que deux : « il n’y a de Dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète ».
La raison probable en est que la pensée arabe s’exprime volontiers en des termes binaires, soit symétriques ou opposés, soit conséquences l’un de l’autre, soit complémentaires. La chahada intermédiaire était une formule ternaire, forme étrangère à la culture traditionnelle, et donc peu apte à devenir un kérygme ou un slogan. L’affirmation du dieu unique, fondamentale, devait être conservée. Mahomet messager de Dieu et transmetteur du Coran, était le cœur de la nouvelle version. Le
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troisième terme pouvait donc être éliminé. La précision « Il n’a pas d’associé » n’était plus aussi indispensable, d’autant plus que cette formule pouvait être considérée comme une conséquence de l’affirmation de l’unicité divine. C’est donc ce terme qui a été occulté, donnant ainsi naissance à la chahada que nous connaissons aujourd’hui.
1. Homélies pseudo-clémentines, 17, 15 et 16.
2. Deutéronome, 32, 39. Isaïe, 44, 6.
LE PÈLERINAGE À LA MECQUE.
Nous n’insisterons jamais assez sur notre volonté de ne pas être les hommes d’un livre (du Livre), mais d’au moins douze, comme les Fénianes d’Irlande, pour d’évidentes raisons d’ouverture d’esprit, la vérité restant notre seule religion. Nous nous permettrons donc de faire un peu de publicité pour Djalal ad-Din Roumi et Aboul Ala Al-Ma’arri sur le sujet.
Djalal ad-Din Roumi (1207-1273).
Je cherche le chemin, mais pas celui de la Kaaba ni du temple,
Car je ne vois dans le premier qu’une troupe d’idolâtres,
Et dans le second une bande d’auto adorateurs.
Aboul Ala Al-Ma’arri (973-1057).
Quoi de plus étrange que de voir ces musulmans venus des contrées les plus lointaines
Pour embrasser une pierre noire prétendument divine.
Dieu tout-puissant, l’Humanité tout entière
Devient-elle aveugle à la vérité ?
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Ho imbéciles, réveillez-vous ! Les rites que tu crois sacrés
Ne sont qu’imposture inventée par des anciens
Avides de pouvoir, qui vécurent dans la luxure
Et moururent dans la bassesse,
Leur loi n’est que poussière.
Que voit-on en effet lors du pèlerinage à La Mecque : des fanatiques qui lapident des créatures imaginaires, embrassent une pierre, font sept fois le tour d’un temple païen dans le sens contraire des aiguilles d’une montre et se livrent à des rites absurdes. Le pèlerinage à La Mecque, avec ses superstitions et ses rites enfantins, est une insulte au monothéisme philosophique et réfléchi. Que l’on nous comprenne bien ! Nous respectons à notre façon toutes les religions pouvant exister ; il n’est donc nullement dans nos intentions de dénigrer ou caricaturer systématiquement le paganisme ancestral des Arabes ; mais il importe de rappeler que les rituels musulmans de La Mecque ne sont qu’un fragment de paganisme devenu incompréhensible, incorporé dans l’islam sans avoir été digéré.
Il existe trois façons différentes d’accomplir le pèlerinage de La Mecque.
Une simple visite (omra) au lieu sacré. L’omra est une version abrégée du hadj. Il ne faut qu’une heure et demie pour l’accomplir et il peut être fait à n’importe quel moment de l’année, sauf aux huitième, neuvième et dixième jours du mois réservé au Grand Pèlerinage (hadj) justement.
Directement le hadj sans omra : c’est le mode « ifrade ».
Ou alors l’omra et le hadj cumulés : c’est le mode « quirane ».
Le pèlerin arrive au miqate ou point de rassemblement correspondant à son pays (une des cinq portes d’accès au territoire sacré de La Mecque).
Avant de pénétrer dans le territoire sacré en vue du pèlerinage, il est recommandé au pèlerin de procéder à une grande purification, à une toilette générale du corps, et de se parfumer.
Il est conseillé de se couper les cheveux ; de se couper les ongles, de se débarrasser des poils du pubis, de prendre un bain. Au miqate le pèlerin quitte ses vêtements ordinaires pour se vêtir de deux pièces de tissu blanc, une autour du rein et l’autre sur l’épaule, et se chausser de simples sandales.
Le pèlerin prononce la formule : « Me voici ô mon Dieu pour une omra… ou pour le hadj… ou bien encore : pour une omra et le hadj »…
Et à partir de ce moment-là, il est en état de sacralisation : Ihram.
À haute voix, il répète alors la Talbiya.
« Je réponds à Ton appel, Ô Seigneur, oui je réponds à Ton appel.
Je réponds à Ton appel, Tu n’as pas d’associés,
À toi les louanges et les bienfaits, ainsi que la Royauté. Tu n’as pas d’associés ».
Le pèlerin pénètre ensuite dans l’enceinte sacrée de La Mecque (haram) où il est supposé s’abstenir de tuer des animaux, d’arracher des plantes, de toute violence, et de tout acte sexuel.
Dans la mosquée, il renouvelle ses ablutions et fait d’autres prières. Il doit ensuite tourner sept fois autour de la Kaaba, la construction cubique qui se trouve au centre de la cour ouverte de la Mosquée sacrée ; dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, trois tours à pas rapides et quatre à pas lents 1). À chaque passage, il embrasse la Pierre noire qui est enchâssée dans l’angle le plus oriental de la Kaaba, mais l’affluence interdit le plus souvent de le faire. Pour compenser, il effectue un geste symbolique en direction de la pierre. Ensuite il touche la Pierre de la Félicité qui se trouve à l’angle opposé ou compense de la même façon. Il va ensuite à la Maqam Ibrahim 2), où Abraham aurait prié en se tournant vers la Kaaba. Le pèlerin dit une prière et retourne à la Pierre noire qu’il embrasse à nouveau. Tout proche se trouve le puits sacré de Zam Zam 3) où, selon la tradition musulmane, Hagar, la femme d’Abraham, et Ismaël son fils, se sont désaltérés.
NDLR. Il faut bien insister sur ce « selon la tradition musulmane », car c’est bien entendu inexact et inventé de toutes pièces !
Le pèlerin boit ensuite un peu d’eau de Zem Zem et déambule dans une enceinte connue sous le nom d’al hijr, où les musulmans croient que sont inhumés Hagar et Ismaël ; et où l’on dit que Mahomet aurait dormi la nuit de son voyage miraculeux de La Mecque à Jérusalem (isra).
Ensuite le pèlerin quitte la mosquée sacrée par l’une de ses vingt-quatre portes. Dehors, il monte la pente de Safa, une élévation de terrain située dans l’enceinte sacrée à une distance de 300 mètres environ, en récitant des versets du Coran. De là il court jusqu’au sommet de l’élévation de terrain répondant au nom de Maroua, également située dans l’enceinte sacrée qui se trouve à peu près à la même distance, tout en récitant diverses prières. Il recommence cet aller et retour sept fois. Ce rituel absurde, appelé Sa’i, est censé symboliser le cheminement d’Hagar dans le désert à la recherche d’eau.
Les sept parcours de cette procession ayant été effectués, il se rase la tête ou se raccourcit la chevelure, s’il est seulement venu pour accomplir l’omra selon le mode tamatou, le pèlerin pourra
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reprendre ensuite son rythme de vie normal. (Sinon il ne se coupera les cheveux qu’à la fin du grand pèlerinage ou hadj).
1) La Kaaba est située au centre de la Grande Mosquée de La Mecque. Il s’agit d’un bâtiment de forme approximativement cubique (d’où son nom) de 15 m de haut et de 10 à 12 m de côté. La porte est située dans le mur faisant face à l’est et elle se trouve à 2,10 m du sol. Elle permet d’accéder à l’intérieur du bâtiment à condition d’utiliser une échelle qui n’est mise en place que pendant le Grand Pèlerinage. Les battants de la porte seraient couverts d’or. Dans l’angle sud-est de la construction est enchâssée la fameuse Pierre noire. La Kaaba est recouverte d’un dais de brocart noir (la kisoua) brodé de versets coraniques. La partie du voile située entre la Pierre noire et la porte se nomme al-Moultazam et l’on dit que si l’on fait une prière en touchant cet endroit du tissu, ladite prière est toujours exaucée.
La Pierre noire. Depuis longtemps des pierres noires avaient fait l’objet d’un culte dans diverses parties du monde arabe. Faisant allusion à la pierre noire de Dusarès à Pétra, Clément d’Alexandrie mentionnait déjà, vers 190 « que les Arabes adoraient des pierres ».
Deux « explications » sont proposées quant à sa nature.
— La plus « simple » consiste à dire qu’il s’agirait d’un bloc de basalte.
— La plus « belle » en ferait une météorite tombée du ciel.
— La plus invraisemblable en fait une pierre venue du Paradis.
De nos jours, la Pierre noire, qui mesure une quarantaine de centimètres de haut, est enchâssée dans un anneau d’argent et se trouve située à environ 1,40 m du sol, c’est-à-dire à portée de lèvres des pèlerins. Normalement, tous les pèlerins devraient l’embrasser à chacun de leurs sept tours, mais ils sont maintenant si nombreux qu’il est matériellement impossible que cela puisse se faire. Pour sacrée qu’elle soit, cette pierre a néanmoins connu quelques vicissitudes. En 684, la Kaaba fut victime d’un incendie et la Pierre noire aurait alors éclaté sous l’action de la chaleur (notons que cela ne se serait pas produit s’il s’était vraiment agi d’une météorite).
En 938, lors d’une révolte, La Mecque fut assaillie par les Qarmates, et la Pierre noire volée par les insurgés qui ne la restituèrent que des années plus tard, en 950, et encore, contre une forte rançon. Son authenticité donc est douteuse. On peut légitimement se demander si la pierre que les Qarmates ont rendue est bien la même que celle qu’ils avaient prise. Même problème avec la fameuse pierre du Destin (de Scone) des rois d’Écosse.
2) « Maqam Ibrahim » (Station d’Abraham), c’est un espace sacré lui aussi où l’on peut/pouvait voir l’empreinte du ou des pied (s) d’Abraham.
3) Le puits de Zemzem (l’eau qui murmure). La tradition veut que ce puits ait été creusé par Abd el Mouttalib, le propre grand-père de Mahomet ; son eau, comme celle de Lourdes pour les catholiques, a la réputation de guérir de tous les maux.
LE HADJ OU GRAND PÈLERINAGE.
Il est obligatoire au moins une fois dans leur vie, pour tous les musulmans qui en sont capables financièrement et physiquement. Il se déroule du 8e au 12e jour du mois de Dhou-al-Hidjah (le douzième mois du calendrier lunaire musulman).
Premier jour : les pèlerins accomplissent les rites de l’omra s’ils ne les ont pas déjà faits. Le pèlerin se rend à Mina, lieu situé à huit kilomètres, en prenant avec lui ce qui va lui être nécessaire. C’est le jour de tarouiya, c’est-à-dire le jour de la provision d’eau pour la route.
Au matin du 9e jour, il se rend dans la plaine d’Arafat, distante de 16 km. Depuis cette plaine, on peut voir le mont Arafat ou « Ar Rahma », le « Mont de la Miséricorde », sur lequel Adam aurait prié (ce qui est faux bien sûr !) et où Mahomet fit son sermon d’adieu en 632 (ce qui est possible). Les Pèlerins y passent la journée à méditer.
À la nuit tombante, après le coucher du soleil, les pèlerins refluent vers Mouzdalifa. Là, ils récitent la prière du coucher ainsi que celle du soir ; puis vont ramasser plusieurs dizaines de petits cailloux de la taille d’un pois chiche, qui leur serviront pour la lapidation devant être effectuée à Mina ; et passent la nuit sur place.
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Le 10, avant le lever du soleil, ils se mettent en route pour Mina, afin d’y célébrer la fête du sacrifice. Chaque pèlerin arrivant à Mina y lapide les trois stèles qui s’y trouvent, d’abord la plus petite, puis la moyenne, et enfin la plus grande, celle d’Aqaba (Djamarate el Aqaba). Sur chacune il jette sept cailloux en disant : Allahou Akbar (Dieu est le plus grand) juste entre deux stèles, il fait face à la Qibla c’est-à-dire face à la Kaaba de La Mecque, et récite quelques invocations. Les musulmans expliquent que cette cérémonie représente Abraham rejetant le diable qui essayait de l’empêcher de sacrifier son fils Ismaël ainsi que (son) Dieu le lui avait ordonné 1). Les trois stèles de pierre sont censées marquer le lieu où Abraham lapida le démon qui tentait de le convaincre de désobéir à Dieu. Une autre tradition prétend que le Démon aurait essayé de faire avouer audit Abraham qu’il n’avait pas réellement eu l’intention d’immoler son fils, et qu’il n’aurait que fait semblant d’accomplir le sacrifice. Cette cérémonie s’appelle « rambour rijam » (la lapidation). Tenant un caillou entre le pouce et l’index de la main droite, le pèlerin le jette d’une distance qui ne doit pas être inférieure à quinze pas ; et dit : « Au nom de Dieu, le Tout-Puissant, je fais cela en haïssant le diable et sa honte ». Difficile d’être plus puéril ! Les cailloux qui restent sont jetés de la même façon.
Il faut avoir quitté les lieux avant le coucher du soleil.
Après cette première lapidation, symbolique, le pèlerin qui doit une offrande s’occupe alors du sacrifice de sa bête 2). Ce sacrifice peut se faire dans les trois jours qui suivent et que l’on appelle les jours de Tachreq.
Les 11, 12, et 13, durant les trois jours de Tachreq donc, le pèlerin accomplissant le hadj, lapide encore ces trois stèles érigées à Mina.
Après le deuxième ou troisième jour de Tachreq, le pèlerin a donc accompli tous les rites nécessaires au pèlerinage.
Une fois qu’il a terminé ses préparatifs de départ, il effectue alors une dernière circumambulation, le taouaf d’adieu, le taouaf ifada (obligatoire). Ensuite il repart et doit par conséquent sacrifier un animal : mouton, chameau, bélier ou tout autre bête licite 2), en souvenir d’Abraham à qui le bélier apparut au moment où il allait donc égorger son fils. Ce sacrifice animal est censé commémorer la substitution miraculeuse du bélier au fils d’Abraham.
Après cela le pèlerinage est fini, mais avant de reprendre ses habits de tous les jours, le pèlerin se coupe une mèche de cheveux. Certains se rasent entièrement la tête.
1) Sur la question des sacrifices humains voir notre cahier de notes sur le druidisme. En ce qui concerne les 3 grandes monolâtries de masse, on ne redira jamais assez la profonde et criminogène bêtise de ce « modèle » d’obéissance aveugle.
2) Le gouvernement séoudien d’aujourd’hui importe des milliers de moutons des principaux pays producteurs, notamment d’Australie et de Nouvelle-Zélande, afin de pourvoir à la demande d’animaux à sacrifier par les pèlerins venus du monde entier. Certains Bédouins locaux n’ont cependant toujours pas renoncé à leur ancestral sacrifice de camélidés. Mais personne n’y prend plus garde. Ils ne sont plus qu’une goutte d’eau dans la marée humaine des pèlerins. Le passage du grand bétail du désert au mouton est d’ailleurs heureux, car on ne voit pas où l’on aurait trouvé suffisamment d’animaux pour répondre à la frénésie de sacrifice des pèlerins ; même si beaucoup admettent de ne plus sacrifier eux-mêmes, et payent pour cela une somme compensatoire. L’animal va ainsi directement de l’abattoir aux espaces de congélation. Car il n’est plus question de laisser faire les vautours de jadis.
On eût cependant sans doute beaucoup étonné un converti à l’islam de la première heure, si on lui avait proposé de clore son pèlerinage par le sacrifice d’un mouton. D’ailleurs où donc aurait-il été chercher cet animal, si peu présent dans le désert ? Chacun sait que les éleveurs de moutons vivent à la périphérie des zones désertiques, c’est-à-dire, en l’occurrence, fort loin de La Mecque et de Médine, les deux villes fondatrices de la civilisation musulmane. Les éleveurs ovins l’ont emporté sur les chameliers, dans une opération aussi fondamentale mettant en jeu le culte, cela montre bien que ce sont donc eux qui ont pris l’ascendant sur les musulmans natifs en matière de religion.
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LA DISTINCTION ENTRE DAR AL-ISLAM ET DAR AL-HARB.
Selon la terminologie de la Charia, le Dar al-Islam est défini comme étant le domaine régi par les lois de l’Islam et dont la sécurité est assurée par la charia même si la majorité de ses habitants sont non-musulmans.
Pour ce qui est du Dar al Harb il convient de distinguer entre les nations considérées comme relevant du Dar al-Harb Fi'lan (domaine de la vraie guerre), tels l’État d’Israël qui occupe des terres musulmanes et les pays relevant du simple Dar al-Harb Hukman (domaine de la guerre possible), c’est-à-dire les États qui n’occupent pas de terres musulmanes ou qui ne sont pas engagés dans une guerre directe contre des pays musulmans. Mais que penser dans ce cas du rôle de notre pays en Afghanistan ?
Autre élément lourd de conséquences entrant dans la psychologie collective 1) de l’islam en tant que foule structurée, le principe du djihad.
Tout comme la Tradition juive enseigne que le monde non juif est fondamentalement impur et un (les non-juifs formant un tout confus et indistinct ne méritant pas qu’on y distingue quoi que ce soit) ; l’islam orthodoxe enseigne que le monde non musulman est fondamentalement mauvais et un, face à l’islam. « Al Koufrou millatoun ouahida » : « l’Incroyance est une seule et même nation », enseigne la
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Tradition musulmane. Même principe donc qu’avec la notion de goïm pour le judaïsme ultra-orthodoxe (Haredi).
L’islam compte quatre types de djihads : par le cœur, par la langue, par la main et par l’épée. Le djihad par le cœur, aussi nommé « Grand Djihad », invite les musulmans à combattre afin de s’améliorer ou d’améliorer la société. De nombreux savants musulmans d’aujourd’hui interprètent le djihad comme une lutte dans un sens spirituel. Qualifier la lutte armée offensive de djihad mineur ne signifie pas pour autant sa condamnation ou sa disqualification morale, et l’histoire islamique a connu nombre de soufis s’adonnant au service militaire dans les ermitages forteresses appelés ribates.
Certains savants sunnites (une minorité) considèrent d’ailleurs le djihad par l’épée comme le sixième pilier de l’islam quoique le djihad n’en ait pas le statut officiel. Dans le chiisme duodécimain, il est considéré comme une des dix pratiques religieuses du culte.
Al-Châfi'i le premier a exposé la doctrine selon laquelle le djihad doit être une guerre permanente contre les non-croyants et non pas seulement lorsque ceux-ci entrent en conflit avec l’islam. En se fondant sur le verset : « Tuez les polythéistes partout là où vous les trouverez » (Coran chapitre 9, verset 5).
Le plus connu des sens du mot djihad est donc le djihad par l’épée ou « petit djihad ».
Coran, chapitre 8, verset 39. « Combattez-les [les infidèles] jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’hérésie (fitna) et qu’il n’y ait plus qu’un culte rendu à Dieu ».
Coran chapitre 47, verset 35. « Ne recourez jamais à la paix quand c’est vous qui êtes les plus forts ».
Le devoir de djihad (de petit djihad ou djihad mineur) demeure tant que la domination universelle de l’islam n’a pas été obtenue. La paix avec les nations non musulmanes ne peut dans ce cas qu’être qu’une situation provisoire.
Autrement dit, lorsque les musulmans sont faibles et en position de minorité, ils doivent se comporter conformément à l’esprit des versets révélés à La Mecque (paix, tolérance) ; mais quand ils sont forts, en revanche, ils doivent passer à l’offensive et se fonder sur les ordres formulés dans les versets révélés à Médine (guerre et conquête).
Le djihad mineur ou petit djihad, c’est lorsque les musulmans font la guerre aux infidèles, après qu’ils les ont appelés à embrasser l’islam et à payer l’impôt des dhimmis après s’être humiliés (ce qu’exige en résumé le verset 29 du chapitre 9), mais qu’ils ont refusé.
Coran 9, 73 et 66, 9, excluent de considérer que le djihad puisse être uniquement spirituel.
Chapitre 9, verset 73. « Combats les incroyants et les hypocrites, sois dur envers eux !
Chapitre 66, verset 9. « Combats les incroyants et les hypocrites, sois dur envers eux !
La répétition est peut-être involontaire, mais elle n’a pu que contribuer à souligner l’importance de ce commandement divin.
En revanche, on peut effectivement considérer que dans les versets de la période mecquoise, l’emploi du terme djihad et ses dérivés, semble bien plutôt désigner une guerre spirituelle, c’est-à-dire résister à l’impiété environnante.
Le caractère obligatoire du djihad s’exprime dans la vision dichotomique du monde vu par la théologie musulmane, qui oppose le royaume de l’islam au royaume de la guerre. Le premier, dar al-Islam, est le « royaume de la soumission à Dieu », le monde où la charia régit la vie sociale ; le second, dar al-Harb (le royaume de la guerre), est le monde non islamique.
La lutte doit continuer jusqu’à ce que le royaume de l’islam soumette le monde non islamique – et c’est une situation perpétuelle qui persiste encore aujourd’hui. Ibn Khaldoun exprime clairement cette division. Le djihad d’expansion tourné vers l’extérieur (le petit djihad) est un devoir religieux en raison du caractère universel de la mission des musulmans.
Le monde non musulman, quel que soit son système de gouvernement, vit dans le péché par définition, puisque le bien de l’Humanité ne réside que dans le fait de vivre selon la loi de Dieu. Est donc bien ce qui est conforme aux normes de l’islam, est mal ce qui lui est contraire ou en diffère.
Comme l’a très bien résumé le juriste saoudien Bassem Alem en mars 2009 : « En tant que membre de la vraie religion, j’ai davantage le droit d’envahir [les autres] pour imposer un certain mode de vie [conforme à la charia], dont l’histoire a montré que c’est la meilleure et la plus juste de toutes les civilisations. Telle est la vraie signification du djihad offensif. Lorsque nous lançons le djihad, ce n’est pas pour convertir les gens à l’islam, mais pour les libérer du sombre esclavage dans lequel ils vivent ».
En résumé, la condition nécessaire pour qu’il y ait paix ou réconciliation est donc que les musulmans aient l’avantage. C’est formulé de manière très claire dans un texte sunnite de droit islamique, Oumdate as-Salik, écrit au quatorzième siècle par un savant égyptien nommé Ahmad Ibn Naqib al-Misri : « Il faut qu’il y ait quelque avantage [maslaha] accordé en cas de trêve, en plus du statu quo ».
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Bref, ainsi que nous venons de le voir ci-dessus, pour l’islam, le monde est donc divisé en deux, les musulmans et les non-musulmans. Les premiers composent la communauté islamique, l’Oumma islamiya, « la meilleure communauté suscitée pour les Hommes » (chapitre 3, verset 110), détenant les territoires du « Dar al-Islam » (demeure de l’islam) et régis par la loi islamique. Mais n’étant limitée ni dans le temps ni dans l’espace, l’Oumma englobe également toute communauté musulmane établie en terre infidèle et conservant son identité islamique.
Les non-musulmans, quant à eux, sont des « harbiyoun », habitants du « Dar al-Harb », pays de la guerre, ainsi dénommés parce qu’ils doivent passer un jour ou l’autre sous la juridiction islamique, soit par la guerre (harb), soit par la conversion. Dans le Dar al-Islam, le non-musulman est « toléré » s’il est monothéiste ou adepte d’une religion abrahamique (AhI al Kitab « Gens du Livre », juifs, chrétiens, sabéens, zoroastriens). Mais les « Gens du Livre » ne peuvent être que soumis (saghiroun, en arabe) à la Loi islamique, la Charia. Ils sont contraints de payer un impôt spécifique (djizya) leur permettant d’être « protégés », « protégés », mais pas citoyens. L’islam interdit formellement à des non-musulmans d’occuper des fonctions politico-administratives leur donnant un droit d’injonction sur le croyant. Le musulman qui accepte une telle situation commet un péché, même si l’infidèle est un indigène (maronites du Liban ; coptes d’Égypte ; hindous du Cachemire, chrétiens des Philippines, etc.).
INNOVATION MÉDIÉVALE.
Le terme Dar al Koufr (domaine de la mécréance) est synonyme de Dar al-Harb (domaine de la guerre) car à l’origine, le but de l’Islam est de s’étendre à tous les pays du monde jusqu’à ce que l’État islamique englobe la terre entière.
Le Dar al-Koufr est la partie du globe qui est régie par les lois du Koufr c’est-à-dire de la mécréance, et dont la sécurité n’est pas assurée par la charia, même si la majorité de ses habitants sont musulmans.
Le Dar al-Koufr, « domaine des infidèles » ou « domaine de l’incroyance ») est une expression apparue longtemps après la mort de Mahomet qui sert AUSSI à désigner les territoires où la charia s’est appliquée, mais ne s’applique plus, comme dans le cas de la Péninsule ibérique ou de la Septimanie (Narbonne Carcassonne et Nîmes).
Le « Dar al-Koufr » est donc un territoire qui a fait partie (ou devrait faire partie) du « Dar al-Islam », mais a rejoint le « Dar al-Harb ».
IRRÉDENTISME ISLAMIQUE.
Les musulmans sont autorisés à mener la guerre pour récupérer leurs biens et leurs propriétés puisque : « Autorisation est donnée à ceux qui sont attaqués [de se défendre] parce que vraiment ils sont lésés ; et Dieu est certes capable de les secourir. Ceux qui ont été expulsés de leurs demeures, contre toute justice, simplement parce qu’ils disaient « Dieu est notre Seigneur » (Coran, sourate 22, versets 39, 40).
Ces versets ne concernaient au départ que la situation mecquoise d’avant 630, mais on peut très bien considérer qu’ils sont toujours valables.
L’obligation qui pèse sur les musulmans de secourir leurs coreligionnaires opprimés par une puissance étrangère est fondée à la fois sur le Coran et sur la sunna.
Sourate 49verset 10. « Les croyants ne sont que des frères. Établissez la concorde entre vos frères ».
Sourate 9, verset 71. « Les croyants et les croyantes sont alliés * les uns des autres. Ils commandent le convenable, interdisent le blâmable, accomplissent la salât, acquittent la Zakat et obéissent à Dieu et à son messager. Voilà ceux auxquels Dieu fera miséricorde, car Dieu est Puissant et Sage ».
Cette obligation découle aussi de la sunna, puisque de nombreux hadiths vont dans ce sens.
« Le musulman est le frère du musulman. Il ne lui fait pas d’injustice et ne le trahit point. Celui qui aide son frère à satisfaire ses besoins, Dieu l’aide à satisfaire les siens. Celui qui dissipe une situation affligeante à un musulman, Dieu lui en dissipe une le jour de la résurrection. Celui qui couvre les défauts d’un musulman, Dieu lui recouvre les siens le jour de la résurrection. » (Boukhari et Muslim).
« Le musulman est le frère du musulman. Il ne le trahit pas, ne lui ment pas et ne se refuse jamais à le secourir. Tout musulman est sacré pour tout autre musulman : son honneur, ses biens et son sang. La piété est ici. Il suffit à quelqu’un pour être mauvais de mépriser son frère musulman ». (Rapporté par Tirmizi).
N.B. Nous pouvons aussi faire remonter à Mahomet la police des mœurs appelée Hisba destinée à ordonner le bien ou interdire le mal selon l’islam c’est-à-dire à sanctionner toute violation de la morale musulmane (essentiellement pour ce qui est du commerce au début, puis des mœurs par la suite).
À ne pas confondre avec la Mihna qui, de 833 à 847 (ou plus ?) fut une deuxième Inquisition, mais destinée à lutter contre les hérésies cette fois-ci.
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* Les exégètes du Coran sont unanimes pour dire que l’alliance dont il s’agit ici est une alliance POUVANT ALLER JUSQU’AU SECOURS MILIITAIRE (Ibn Kathir).
1) Dans certaines circonstances données, mais seulement dans ces circonstances, toute agglomération d’hommes possède des caractères nouveaux fort différents de ceux de chacun des individus qui la composent. La personnalité consciente s’évanouit, les sentiments et les idées de toutes les unités sont orientés dans une même direction. Il se forme alors une âme collective, transitoire sans doute, mais présentant des caractères très nets. Elle forme un seul être » (Gustave Le Bon, Psychologie des foules). Il existe donc des psychologies collectives, celle des foules organisées, structurées, mais il importe de distinguer. La psychologie collective du nazisme en tant que foule organisée ou structurée n’était pas celle du nazisme, la psychologie collective du judaïsme n’est pas celle du christianisme et les deux diffèrent de la psychologie collective du paganisme d’il y a deux mille ans dans cette partie du monde.
LE CORAN.
Contrairement aux idées reçues, il semble bien que ce que nous appelons actuellement le Coran, c’est-à-dire le texte fixé en 1924 sous le gouvernement du roi Fouad 1er, AIT UNE HISTOIRE. Il est loin de contenir tout ce qui a été un moment considéré comme faisant partie de la révélation divine, et il contient peut-être aussi des textes postérieurs à Mahomet. Le troisième calife Osman n’ayant pas été le premier à procéder à ce genre de manipulations d’ailleurs. Le corpus osmanien est néanmoins aujourd’hui le point de départ obligé de toute étude du Coran, le reste ayant été brûlé à sa demande.
Études de l’Histoire et de la Culture du Moyen-Orient tome 30. Mehdi Azaiez.
Il existe 37 chapitres dénués de tout contre discours et donc de toute riposte de la part de Mahomet. Le Coran témoigne en effet aussi de croyances communes, partagées : par exemple, Dieu envoie des envoyés, Dieu est l’auteur de miracles ou de signes probants, Dieu peut mettre à l’épreuve et châtier, Dieu ordonne, gratifie et peut se manifester ostensiblement.
Il existe par contre des contre-discours au présent. Les formules du type yaqoulouna… fa-qoul (ils disent… dis-leur). 277 en tout, des contre discours du passé, et des contre-discours placés dans le futur (à l’occasion du jugement dernier par exemple). Certains exprimés en quelques mots, d’autres
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étant doubles (deux phrases différentes encadrant un élément classique du discours coranique, en l’occurrence une menace.
Exemple. Sourate 46, verset 17 : « Quant à celui qui dit à ses père et mère : ‹ Fi de vous deux ! Me promettez-vous qu’on me fera sortir de terre alors que des générations avant moi ont passé ?› Et les deux, implorant le secours de Dieu [lui dirent] : ‹ Malheur à toi ! Crois. Car la promesse de Dieu est véridique ›. Mais il (répond) : ‹ Ce ne sont que des contes d’anciens ›. »
Le verbe qala apparaît 1700 fois dans le coran. L’islamologue Mehdi Azaiez a particulièrement étudié ces critiques objections plaintes ou accusations émanant des opposants de Mahomet, que ce soient des opposants ayant réellement existé ou des figures de style. Un dixième du corpus coranique leur est consacré, soit 588 versets, ce qui, compte tenu du fait que nombre de versets ne se prêtent pas à la polémique, EST CONSIDÉRABLE ET CONFÈRE AU CORAN UNE TONALITÉ UNIQUE AU MONDE. Mahomet consacre une grande partie de son temps à leur répondre ce qui fait du livre saint tout entier une incessante polémique.
Il y a là matière à paradoxe puisque, comme l’expose Azaiez, « donner la parole à l’adversaire, n’est-ce pas affaiblir son propre discours ? Réfuter l’adversaire, n’est-ce pas également renforcer les thèses que l’on souhaite en l’occurrence combattre ? »
Les contre-discours au présent embrassent l’ensemble du spectre énonciatif du Coran et l’auteur remarque que les polémiques vont en s’intensifiant, comme si l’accroissement de ce contre-discours était le signe d’une opposition croissante au Coran lui-même.
Il définit et analyse ensuite les thématiques : il s’agit des discours concernant Dieu, Mahomet, les croyants musulmans et l’eschatologie, ainsi que les affirmations ou négations qui leur sont couramment associées (91 prédicats).
Exemple Dieu est… ou n’est pas… ceci cela.
Dieu a… ou n’a pas…… ceci cela.
— Concernant Dieu Mehdi Azaiez compte 26 prédicats.
Exemple chapitre 36, verset 47 : « Et quand on leur dit : « Dépensez de ce que Dieu vous a attribué », ceux qui ont mécru disent à ceux qui ont cru : « Nourrirons-nous quelqu’un que Dieu aurait nourri s’il l’avait voulu ? Vous êtes dans un égarement évident. » Et ils disent : « À quand cette promesse si vous êtes véridiques ? »
— Mahomet 7 prédicats : homme comme tout le monde donc un faux prophète, possédé, menteur, poète (au mauvais sens du terme) sorcier, il n’est pas comme Moïse, etc.
Exemple chapitre 21, verset :5. Mais ils dirent : « Voilà plutôt un amas de rêves ! Ou bien il l’a inventé. Ou, c’est plutôt un poète. Qu’il nous apporte donc un signe [identique] à celui dont furent chargés les premiers envoyés. »
— Le Coran 26 prédicats dont certains neutres ou positifs même dans la bouche des non croyants, mais d’autres, plus dévastateurs : discours d’anciens, fabriqué, d’origine étrangère, mensonger, etc.…
Exemple : chapitre 41, verset 44. Si nous en avions fait un Coran en une langue autre que l’arabe, ils auraient dit : ‹ Pourquoi ses versets n’ont-ils pas été exposés clairement ? Quoi ? Un [Coran] non arabe et [un Messager] arabe ?›
— L’eschatologie 18 prédicats.
Exemple chapitre 27, verset 67. Et ceux qui ne croient pas disent : « Est-ce que, quand nous serons poussière, nous et nos pères, est-ce que vraiment on nous fera sortir (de nos tombes) ? Certes, on nous l’a promis à nous et à nos pères, auparavant. Ce ne sont que des contes d’anciens ! »
— Les croyants 5 prédicats. Ils sont insensés, bernés, soutenus seulement du bout des lèvres.
Mehdi Azaiez nous brosse ensuite le portrait des croyances et des attitudes de ces opposants à Mahomet telles qu’elles sont rapportées par le Coran.
Il n’y a que 3 affirmations indubitablement polythéistes dans ce contre discours : 6/136 ; 21/29 ; 38/5.
Leur première affirmation sur Dieu par contre est qu’il a engendré un ou plusieurs enfants.
Pour ce qui est du Contre-Coran eschatologique, notre auteur distingue trois phases. Mais évidemment tout dépend de la chronologie adoptée.
Première phase. D’abord et essentiellement descriptif, le Coran aurait proclamé un message de croyance sans biblisme marqué. La référence à l’arbre d’al-zaqqoum en attesterait.
Deuxième phase. Suite à l’hostilité croissante face aux messages délivrés par Mahomet, les éléments bibliques sont sollicités comme point d’appui et arguments de persuasion.
Troisième phase. Face à une hostilité toujours croissante, le locuteur coranique, tout en préservant son biblisme, semblerait accroître significativement son intervention pour soutenir son allocutaire et renforcer sa croyance.
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Le travail coranique de persuasion s’amplifie et s’adapte donc à des circonstances et un contexte qu’il demeure néanmoins impossible de cerner plus judicieusement.
En l’occurrence, on peut supposer que le Coran s’adresse tant aux opposants qu’aux convertis qu’il s’agit de conforter dans leurs nouvelles croyances.
Pour ce qui est des opposants la liste suivante se dessine : les Arabes les chrétiens (nassara) les juifs les Couraïchites les magiens les sabéens. Le chapitre 22, verset 17 en mentionne 4 catégories. Le texte coranique les met en scène en leur attribuant des attitudes diverses :
Exemple chapitre 4, verset 51. N’as-tu pas vu ceux-là, à qui une partie du Livre a été donnée, ajouter foi à la magie (gibt) et au taghout, et dire en faveur de ceux qui ne croient pas : ‹ Ceux-là sont mieux guidés (sur le chemin) que ceux qui ont cru› ? Voilà ceux que Dieu a maudits ».
Pour avoir un récapitulatif des 277 exemples de contre-discours, voir la troisième et dernière partie du livre intitulé « Le contre discours coranique ».
Certains auteurs évoquent l’hypothèse selon laquelle le Coran aurait été au départ plusieurs livres, Osman n’en ayant conservé qu’un. Nous avons par exemple le témoignage d’un moine chrétien qui distingue entre le Coran et le premier chapitre révélé à Médine, le chapitre de la vache, al baqara, comme sources de droit.
Dans d’autres documents, on nous dit que Hadjaj (661 – 714), le gouverneur d’Irak, avait recueilli et détruit tous les écrits des premiers musulmans. Comme Wansbrough, ces auteurs concluent que le Coran manque cruellement de structure d’ensemble, et qu’il est fréquemment obscur ou sans pertinence, aussi bien dans la langue que dans le contenu, superficiel dans sa façon de relier des matériaux disparates ; et coutumier de la répétition de passages entiers dans de différentes versions. Sur ce fondement, on peut donc soutenir de façon plausible qu’il est le produit de l’édition tardive et imparfaite de matériaux provenant d’une pluralité de traditions.
Ainsi que nous l’avons vu, des preuves abondantes, tirées des hadiths et des commentaires musulmans, attestent qu’il existait de nombreuses variantes de lecture entre les copies du Coran faites par les compagnons de Mahomet. Ce qui va à l’encontre de l’affirmation fréquemment avancée par les musulmans selon laquelle le texte actuel du Coran ne serait en quelque sorte que la fidèle photocopie d’un original divin.
Coran et hadiths sont par conséquent des textes suspects, des textes qui furent « adaptés » aux ambitions des califes et des imams. Les califes préconisèrent par exemple très tôt d’avoir recours à des « lectures » du Coran se fondant sur la tradition orale plutôt que sur le texte écrit. Comme le Nouveau Testament chrétien, le Coran que nous connaissons actuellement n’est qu’une construction purement humaine, bâtie au fur et à mesure des besoins, épurée ou modifiée selon les circonstances. Par exemple par l’invention des versets dits nassikh ou abrogeant (abrogeant des versets dits mansoukh ou abrogés).
Même en scriptio plena 1), le sens du Coran est souvent obscur. L’introduction des signes diacritiques, des voyelles, et les interprétations qui s’efforcent de donner un sens au texte ainsi complété ont été proposées par des grammairiens, des commentateurs et des lexicographes perses, plus de deux siècles après la mort de Mahomet. Ces érudits n’avaient qu’une connaissance indirecte de la langue arabe, et ne connaissaient rien du milieu ni de la culture dans lesquels les textes du Coran avaient été formés.
Les érudits perses ont fondé leurs travaux sur des réflexions et des conjectures, sans se référer à une tradition venue des origines : ils ne disposaient pas d’une telle tradition. Il y a eu par conséquent une rupture dans la transmission. Les conjectures qui proposent un sens ont été formées essentiellement par Tabari, en 896, près de trois cents ans après la mort de Mahomet.
Mais le fondement de toutes les aberrations de l’islam (traditionnel) ce sont surtout les 1 600 000 hadiths recueillis par la tradition (d’après un ex-recteur de l’Université de Téhéran, seuls 40 seraient en fait authentiques). Le hadith, peut-être plus encore que le Coran, est la brique fondamentale de la théologie et de la pensée islamiques. On trouvera donc non seulement des hadiths dans les recueils de hadiths, mais dans tout ouvrage à caractère religieux musulman : théologie spéculative (kalam), mystique (tassawouf), éthique et droit (fiqh), savoir-vivre (adab). Ces hadiths apocryphes ont été recueillis par un certain nombre d’imams ou d’érudits appelés traditionistes, dans des collections dont les plus connues sont appelées « sahih » ou « sounnan ».
1) Écriture ayant recours aux signes diacritiques.
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POINT DE VUE CHRÉTIEN MÉDIÉVAL.
Le monde byzantin et l’Église chrétienne d’Orient ont établi des liens avec l’islam dès son apparition. Et contrairement à ce que l’on peut penser, les lettrés byzantins contemporains des débuts de l’islam acquirent assez rapidement large connaissance du contenu de la religion musulmane, en tirant leurs informations directement ou indirectement des sources mêmes de l’enseignement de l’islam (Coran, Sira *, Hadith). Dans le même temps, se révèle leur incapacité à reconnaître l’islam comme une nouvelle religion. Persuadés de la vérité absolue de la révélation chrétienne, ils approfondissent ainsi leur connaissance de l’islam pour en dévoiler les points faibles qui permettront de le combattre et de réfuter son enseignement.
Sur la base de cette thématique, nous pouvons distinguer trois phases principales des écrits sur l’islam à l’époque byzantine.
— La première commence peu avant le milieu du VIIIe siècle et s’étend jusqu’aux premières décennies du IXe siècle. Les premiers écrits de cette période proviennent de Syrie et sont rédigés par des Pères hellénisés, tels Jean damascène (+755) et Théodore Abû Qurra, évêque d’Harrân en Mésopotamie (+825), avant de connaître un important développement à Constantinople.
— La seconde phase de la confrontation des lettrés byzantins avec l’islam débute au cours des premières décennies du IXe siècle et s’achève vers le milieu du XIVe siècle. Constantinople, siège de
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l’Empire byzantin, devient le centre de la production de ces écrits, à la différence de la phase précédente, inaugurée à Damas, centre hellénistique important des lettres et des arts, qui deviendra la capitale du premier califat islamique des Omeyyades (661-750).
— La troisième phase de communication sur l’islam débute au milieu du XIVe siècle et s’achève avec la chute de l’Empire byzantin (1453). Dans le présent chapitre nous allons étudier les principaux auteurs et leurs écrits de deux premières phases car ce sont des témoignages d’époque, contrairement aux traditions musulmanes.
Ce sont des témoignages libres de la contrainte califale, ce que ne sont pas les traditions musulmanes.
Homélies de Sophrone, 634.
Lettre de Théodore, 637.
Doctrina Jacobi, 640.
Chronique de Thomas le Presbytre, 634
Chronique du Khouzistan, dite aussi chronique anonyme de Guidi. Milieu du 7e siècle.
Controverse de 644 entre le patriarche jacobite de Syrie Jean 1er et l’émir Saïd ibn Amir, 644.
Témoignage d’Arculfe, 670.
Jacques d’Édesse 640-708.
Pseudo Sebeos, fin 7e.
Jean de Damas, 676-749.
Chronique de Théophane – 811.
Théophane le Confesseur (760-818 environ) descendait d’une illustre famille de l’Empire byzantin. Né à Constantinople, il entra très tôt dans un monastère et lutta pour le rétablissement du culte des images, ce qui lui valut d’être emprisonné sous Léon V (813-820), puis exilé dans l’île de Samothrace où il mourut en 818. Sa Chronographie, qui est la suite de la Chronographie de son ami Georges le Syncelle, s’ouvre sur l’accession au trône à Rome de Dioclétien (248) et s’achève avec la fin du règne de Michel 1er Ranghabé (811-813). Dans sa Chronographie, Théophane consacre un petit chapitre à l’islam et à Mahomet. Il traite de manière étendue de la vie de Mahomet et plus brièvement du Coran. Il ne s’agit là ni d’une apologie du christianisme tournée contre l’islam ni d’un traité sur l’enseignement du Coran. Théophane s’intéresse principalement aux conditions dans lesquelles s’est développée la conscience prophétique de Mahomet ainsi qu’à l’apparition de l’islam, afin d’expliquer les affrontements qui opposent les Byzantins et les musulmans. Il débute avec l’annonce de la mort de Mahomet auquel succède Abou-Bakr sous lequel commence l’attaque par les Arabes musulmans des pays entourant l’Arabie. Il poursuit ensuite avec une brève mention de la généalogie, de la vie et de l’apparition de Mahomet en tant que prophète. Théophane est le premier à mentionner l’épilepsie de Mahomet, sujet favori des écrits byzantins ultérieurs sur l’islam, et suppose que les difficultés dans son mariage avec Khadidja, en raison de son épilepsie, ses rencontres avec des juifs et des chrétiens au cours de ses voyages en Palestine, ainsi que les enseignements erronés qu’il recueillit auprès d’un moine chrétien hérétique exilé en Arabie, expliquent les conditions dans lesquelles se développa la conscience prophétique de Mahomet donc la naissance de l’islam. Il écrit qu’après leur mariage, Khadidja fut très contrariée par la découverte de l’état (épileptique) de Mahomet. Ce dernier, pour la consoler, lui raconta que, visité par l’ange Gabriel dont il ne pouvait supporter la vue, il tombait à terre évanoui. Fortement troublée, elle alla chercher conseil auprès d’un moine exilé en raison de sa foi hérétique (Ouaraqa ibn Naoufal). Celui-ci l’assura que l’ange Gabriel se manifestait de la même manière auprès de tous les prophètes. Un grand nombre des points de vue de Théophane seront repris ultérieurement par les historiens byzantins.
Cette Chronographie de Théophane constitue donc une source fondamentale pour les événements survenus aux VIIe et VIIIe siècles, ainsi que la principale source grecque pour la datation des premiers affrontements entre les Arabes et les Byzantins. Le récit des guerres arabo-byzantines est succinct, mais précis. Les spécialistes du monde arabe ont commencé par méconnaître ou interpréter de manière erronée les informations qu’il donnait et qui rétablissent, jusqu’à un certain point, la véritable succession des événements.
Au cours de cette première phase, les théologiens de Syrie qui vivaient déjà sous domination islamique avaient acquis une connaissance immédiate et vivante de la religion islamique et avaient saisi les points fondamentaux des rapports et des différences entre les enseignements chrétien et musulman, tout en refusant d’accepter l’islam comme une nouvelle religion.
1. Jean le Damascène ou Jean de Damas.
Ce grand théologien du christianisme en Orient (680-755), à qui l’on doit une synthèse de l’enseignement dogmatique de l’Église orthodoxe d’Orient, connaissait parfaitement le grec, outre sa langue maternelle, l’arabe. Avant de devenir moine, il avait servi, comme son père Serge, à la cour
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des Omeyyades à Damas, vraisemblablement en tant que haut conseiller financier de l’empire musulman.
Pour Jean le Damascène, qui a lu le Coran dans l’original et s’est pénétré de son esprit, l’islam est avant tout une hérésie chrétienne ou judéo-chrétienne et n’a par conséquent aucune légitimité. Parmi les nombreux ouvrages qu’il rédigea, on distingue sa grande œuvre dogmatique « Source de la Connaissance » conçue en trois parties, sous forme de trilogie :
a) Dialectique ou chapitres philosophiques.
b) Des hérésies.
c) Exposé de la foi orthodoxe.
Dans le « Des hérésies » qui constitue la seconde partie de cette trilogie, Jean de Damas a inclus un chapitre sur l’islam qu’il analyse comme une « hérésie chrétienne », la 101e. La réfutation des enseignements de l’islam, qui révèle une connaissance approfondie de la religion musulmane, est également développée dans deux dialogues qui portent le titre Dialogue entre un Sarrasin et un chrétien. Dans cette œuvre, le père de l’Église d’Orient développe les points de vue chrétiens sur le Verbe de Dieu, c’est-à-dire Jésus-Christ, Fils de Dieu et Verbe de Dieu incarné, la seconde personne de la Sainte-Trinité, en opposition à l’enseignement musulman pour lequel le Coran est le Verbe de Dieu éternel et incréé.
L’opinion de Jean le Damascène sur l’islam fut déterminante pour la théologie du christianisme oriental. L’autorité spirituelle de Jean de Damas au sein de l’Église chrétienne d’Orient, ainsi que la haute charge qu’il avait occupée à la cour des Omeyyades, conféraient une autorité déterminante à son jugement sur l’islam. Le Damascène rapporte le premier une tradition appelée à prendre de l’ampleur par la suite, à savoir que Mahomet aurait rencontré un moine de l’hérésie arienne, qui lui aurait transmis sa doctrine, sur la base de laquelle il aurait développé sa propre hérésie.
* Vie de Mahomet.
LA SUPERSTITION DES ISMAÉLITES 1).
Il y a aussi la superstition des Ismaélites qui domine encore de nos jours, égare les peuples, et annonce la venue de l’antéchrist. Elle tire son origine d’Ismaël, le fils d’Abraham et d’Agar. Pour cette raison on les nomme Agarène et Ismaélites ; on les appelle aussi Sarrasins, ce qui signifie dépouillés par Sara. Agar répondit, en effet, à l’Ange : « Sara m’a renvoyée dépouillée ».
Ils étaient donc idolâtres et adoraient l’Étoile du Matin et Aphrodite, qu’ils ont appelée précisément Khabar dans leur langue, ce qui veut dire grande.
Jusqu’à l’époque d’Héraclius, ils ont ouvertement pratiqué l’idolâtrie. À partir de cette époque et jusqu’à nos jours, un faux prophète, du nom de Mahomet, s’est levé parmi eux, qui, après avoir pris connaissance, par hasard, de l’Ancien et du Nouveau Testament, et, de même, fréquenté vraisemblablement un moine arien, fonda sa propre hérésie. Après s’être concilié la faveur du peuple en simulant la piété, il insinue qu’une Écriture venue du ciel lui a été révélée par Dieu. Ayant rédigé dans son livre quelques doctrines risibles, il leur transmet cette façon d’adorer Dieu.
Il dit qu’il y a un seul Dieu, créateur de toutes choses, qu’il n’a pas été engendré et qu’il n’a pas engendré. Selon ses dires, le Christ est le Verbe de Dieu et son Esprit, mais il est créé et c’est un serviteur ; il est né sans semence de Marie, la sœur de Moïse et d’Aaron. En effet dit-il, le Verbe et l’Esprit de Dieu sont entrés en Marie et ont engendré Jésus, qui fut un prophète et un serviteur de
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Dieu. Et, selon lui, les juifs, au mépris de la Loi, voulurent le mettre en croix, et, après s’être emparés de lui, ils n’ont crucifié que son ombre. Le Christ lui – même, dit-il, ne subit ni la croix ni la mort. En effet Dieu l’a pris près de lui dans le ciel, parce qu’il l’aimait. Et il dit également qu’une fois le Christ monté aux cieux, Dieu l’a interrogé en disant ? : « Jésus ! as-tu dit : je suis le fils de Dieu et Dieu ? » Jésus d’après lui, a répondu : « Sois miséricordieux envers moi, Seigneur ! Tu sais que je n’ai pas dit cela et que je ne dédaigne pas d’être ton serviteur. Mais les hommes mauvais ont écrit que j’avais fait cette déclaration ; ils ont menti à mon égard, et ils sont dans l’erreur ». Dieu, dit-il, lui a répondu : « Je sais que tu n’as pas fait cette déclaration ».
Beaucoup d’autres absurdités dignes de rire sont rapportées dans cet Écrit, et il se vante qu’il est descendu sur lui venant de Dieu. Mais nous disons : qui témoigne que Dieu lui a donné une Écriture, ou qui, parmi les prophètes, a annoncé qu’un tel prophète devait venir ? Nous les mettons dans l’embarras quand nous leur disons : Moïse avait reçu la Loi sur le Sinaï, à la vue de tout le peuple, quand Dieu apparut dans la nuée, le feu, les ténèbres et la tempête ; et tous les prophètes depuis Moïse, ont tour à tour annoncé que le Christ viendra, que le Christ est Dieu et que le fils de Dieu arrivera en prenant chair, sera crucifié, qu’il mourra et ressuscitera, et que c’est lui qui jugera les vivants et les morts. Et quand nous disons : pourquoi votre prophète n’est-il pas venu de la même façon, avec d’autre pour lui porter témoignage, et pourquoi Dieu, qui a donné la Loi à Moïse aux yeux de tout le peuple, sur une montagne fumante, ne lui a-t-il pas transmis l’Écriture dont vous parlez, en votre présence, pour asseoir votre certitude ? Ils répondent que Dieu fait ce qu’il veut. Cela, disons-nous, nous le savons bien nous aussi, mais nous demandons comment l’Écriture a été révélée à votre prophète. Ils répondent que c’est pendant son sommeil que l’Écriture est descendue sur lui. Pour nous moquer d’eux nous disons : puisqu’il reçut l’Écriture pendant son sommeil, sans se rendre compte de cette activité, l’adage populaire lui convient parfaitement – vous me débitez des songes–.
Nous leur demandons à nouveau : Puisque lui-même vous a ordonné, dans votre Écriture, de ne rien faire ou de ne rien recevoir sans témoins, pourquoi ne lui avez-vous pas demandé, toi le premier, prouve à l’aide de témoins que tu es prophète et que tu es envoyé de Dieu ; et quelle Écriture témoigne en ta faveur ? Honteux, ils gardent le silence. Avec raison nous leur disons : il ne vous est pas permis d’épouser une femme, ni d’acheter, ni d’acquérir sans témoins ; mais la foi et l’Écriture vous les acceptez sans un témoin ! Car celui qui vous a transmis cette Écriture ne possède de garants d’aucun côté, et on ne connaît personne qui ait témoigné en sa faveur par avance. Bien plus, il l’a reçue pendant son sommeil !
Ils nous appellent hétériastes ou associateurs parce que, disent-ils, nous introduisons à côté de Dieu un associé lorsque nous disons que le Christ est le fils de Dieu et Dieu. Nous leur disons : c’est ce que les prophètes et l’Écriture nous ont transmis. Vous aussi, ainsi que vous l’affirmez, vous acceptez les prophètes. Et si nous disons à tort que le Christ est le fils de Dieu, ce sont eux qui nous l’ont enseigné et qui nous l’ont transmis. Certains d’entre eux disent que nous avons ajouté cela aux prophètes, en les interprétant de façon allégorique, et d’autres que les Hébreux, par haine, nous ont égarés en attribuant ces textes aux prophètes, pour nous perdre.
À nouveau nous leur disons : vous qui dites que le Christ est Verbe et Esprit de Dieu, pourquoi nous injuriez-vous en nous traitant d’« associateurs » ? Car le Verbe et l’Esprit sont des choses inséparables de celui dans lequel ils se trouvent naturellement. Si donc il est en Dieu comme Verbe de Dieu, il est évidemment Dieu lui aussi. Mais s’il est hors de Dieu, Dieu est selon vous sans Verbe et sans Esprit. Donc en évitant d’associer quelqu’un à Dieu, vous le mutilez. Il serait préférable pour vous, en effet, de dire qu’il a un associé, plutôt que de le mutiler et de le rendre semblable à une pierre, à du bois, ou à quelque objet inanimé. C’est pourquoi, en nous appelant « associateurs », vous dies des mensonges ; nous, en retour nous vous appelons « mutilateur » de Dieu.
Ils nous accusent aussi d’idolâtrie parce que nous nous prosternons devant la croix qu’ils ont en horreur. Nous leur disons alors : pourquoi donc vous frottez-vous à cette pierre dans votre Ka’ba, et aimez-vous la pierre au point de l’embrasser ? Certains d’entre eux disent que c’est sur elle qu’Abraham s’est uni à Agar, d’autres qu’il y a attaché la chamelle au moment de sacrifier Isaac. Nous leur répondons : il y avait là, selon l’Écriture, une montagne buissonneuse et des arbres ; Abraham en coupa pour l’holocauste et en chargea Isaac, et il laissa les ânes en arrière avec les serviteurs. Pourquoi alors ces stupidités ? À cet endroit, en effet, il n’y a pas de bois provenant d’une forêt, et les ânes n’y passent pas. Ils éprouvent alors de la honte ; ils disent cependant que c’est la pierre d’Abraham. Ensuite nous disons : qu’elle soit d’Abraham, comme vous l’affirmez stupidement ! Vous n’avez pas honte de l’embrasser uniquement parce qu’Abraham s’est uni sur elle à une femme, ou parce qu’il y a attaché une chamelle, mais vous nous blâmez parce que nous nous prosternons devant la Croix du Christ qui a ruiné la puissance des démons et les séductions du diable ! On raconte d’ailleurs que cette pierre est la tête d’Aphrodite, devant laquelle ils se prosternaient et qu’ils
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appelaient Khaibar. Et de nos jours encore, la trace d’une effigie apparaît à ceux qui observent minutieusement.
Ce Mahomet, comme il a été dit, a composé de nombreux écrits stupides et donné un titre à chacun d’eux. Ainsi l’écrit de la Femme, où il est prescrit clairement à chacun de prendre quatre femmes et mille concubines, si c’est possible, autant que sa main en retient soumises en dehors des quatre femmes ; et il peut répudier une, s’il le veut, et en prendre une autre. Il a établi cette loi pour la raison suivante : Mahomet avait un compagnon appelé Zéïd. Cet homme avait une belle femme dont Mahomet s’éprit. Alors qu’ils étaient assis ensemble, Mahomet dit : Ami, Dieu m’a donné l’ordre de prendre ta femme. Zéïd répondit : tu es un envoyé, fais comme Dieu t’a dit, prend ma femme. Ou plus exactement, pour prendre le récit par le commencement, il lui dit : Dieu m’a donné l’ordre que tu répudies ta femme. Celui-ci la répudia. Quelques jours plus tard, il dit : Dieu m’a donné l’ordre de la prendre moi-même. Après l’avoir prise et commis l’adultère avec elle, il promulgua cette loi : que celui qui le désire répudie sa femme. Mais si après l’avoir répudiée, il revient vers elle, qu’un autre l’épouse. Il n’est pas permis, en effet de la prendre si elle n’a pas été épousée par un autre. Et si c’est un frère qui répudie, que son frère l’épouse s’il le désire. Dans le même écrit, il donne des recommandations de ce genre : « Laboure la terre que Dieu t’a donnée, et mets-y tout ton soin ; fais cela, et de telle façon » – pour ne pas dire comme lui des obscénités.
Il y a encore l’écrit de la chamelle de Dieu. À son sujet il dit qu’une chamelle avait été envoyée par Dieu, qu’elle buvait le fleuve entier et ne pouvait plus passer entre deux montagnes, faute d’espace suffisant. Il y avait, dit-il, un peuple à cet endroit : un jour c’est lui qui buvait l’eau et ensuite, c’était la chamelle. Quand elle buvait l’eau, elle les nourrissait en leur donnant du lait à la place de l’eau. Mais ces hommes qui, dit-il, étaient méchants, se levèrent et tuèrent la chamelle. Or elle avait eu une petite chamelle qui, selon lui, cria vers Dieu après la mort de sa mère, et il la prit auprès de Lui. Nous leur disons : d’où venait cette chamelle ? De Dieu disent-ils. Et nous disons : un autre chameau s’est-il accouplé avec elle ? Ils disent que non. Alors, disons, comment a-t-elle eu un petit ? Nous voyons, en effet, que votre chamelle n’avait ni père, ni mère, ni ascendance, et qu’après avoir eu une petite il lui est arrivé malheur. Mais le mâle n’apparaît pas, et la petite chamelle a été élevée (auprès de Dieu). Alors pourquoi votre prophète à qui Dieu a parlé, ainsi que vous le dites, n’a-t-il pas appris, au sujet de cette chamelle, où elle paît et quels sont ceux qui la traient pour en boire le lait ? Peut-être qu’ayant-elle aussi rencontré un jour des méchants, comme sa mère, a-t-elle été tuée, ou vous a-t-elle précédés dans le paradis, et c’est d’elle que provient votre fleuve de lait au sujet duquel vous dites des sottises ? Vous dites, en effet, que trois fleuves coulent dans votre paradis : un d’eau, un de vin, un de lait. Si la chamelle qui vous a précédés est hors du paradis, elle est évidemment desséchée de faim et de soif, ou d’autres profitent de son lait, et c’est en vain que votre prophète s’enorgueillit d’avoir été en relation avec Dieu, puisque le mystère de la chamelle ne lui a pas été dévoilé. Mais si elle est dans le paradis, elle boit l’eau de nouveau, et vous vous desséchez de soif au milieu des délices du paradis. Et si vous désirez du vin du fleuve qui passe à proximité, le buvant pur par manque d’eau – puisque la chamelle aura tout bu-, vous êtes enflammés, l’ivresse vous fait divaguer et vous endort. La tête alourdie par le sommeil et rendus complètement ivre par le vin, vous oubliez les agréments du paradis. Comment donc votre prophète n’a-t-il pas pensé à ces éventualités, pour qu’elles ne vous arrivent pas dans le paradis des délices, et comment ne s’est-il pas préoccupé de la chamelle, de savoir où elle vit maintenant ? Mais vous ne l’avez même pas interrogé quand, en état de rêve, il vous a renseignés en détail sur les trois fleuves. Quant à vous, nous vous annonçons clairement que votre chamelle prodigieuse vous a précédés dans les âmes des ânes, où vous êtes sur le point de pénétrer à votre tour, comme des bêtes. Là sont les ténèbres extérieures, la peine éternelle, le feu bruyant, le ver qui ne dort point, et les démons de l’enfer.
Mahomet dit encore l’écrit de La Table. Il dit que le Christ avait demandé une table et qu’elle lui fut donnée. Selon lui, Dieu lui répondit ; je t’ai donné, ainsi qu’aux tiens, une table incorruptible.
Il dit encore l’écrit de La Vache et d’autres paroles risibles, que je crois devoir passer sous silence, à cause de leur nombre.
Il leur a prescrit, ainsi qu’à leurs femmes, de se faire circoncire. Il a ordonné de ne pas observer le sabbat et de ne pas se faire baptiser, concédant de manger certaines nourritures interdites par la Loi, mais de s’abstenir des autres. Il a aussi interdit absolument de boire du vin.
CONCLUSION.
Le second grand docteur des chrétiens syriens, Théodore Abou Qourra (750-825), comprit mieux l’esprit de l’islam et l’aborda de manière plus méthodique (Théodore Abou Qourra, réfutation des juifs et des Sarrasins). Postérieur à Jean damascène, Abou Qourra, évêque d’Harrane dans le nord de la Mésopotamie (vers 750-825), entra au monastère Saint-Sabbas où il se consacra à la prière et à l’étude des œuvres et de l’enseignement spirituel de Jean le Damascène, dont le souvenir était encore
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particulièrement vif au monastère. C’est en ce sens qu’il est considéré comme un disciple de Jean de Damas. Fervent défenseur de la foi orthodoxe, Abou Qourra fut en outre une figure importante des lettres. Sa profonde connaissance de l’arabe, du grec et du latin, lui permit de développer une intense activité de traducteur et de transmettre aux Arabes une partie importante des lettres grecques. Il est le premier à avoir traduit en arabe les Premiers Analytiques d’Aristote. Ses écrits conservés, principalement théologiques, sont rédigés en arabe, et quelques fragments en grec. Sa « Réfutation des Sarrasins », écrite sous forme de dialogue, constitue la première tentative de compréhension de la nature de l’islam, qu’il aborde comme un enseignement totalement nouveau.
La contribution de Jean le Damascène et de Théodore Abou Qourra, d’Harrane, à cette première relation avec l’islam, apparaît particulièrement importante, non seulement pour les chrétiens, mais aussi pour les musulmans. Ces défenseurs de la croyance chrétienne, en réfutant systématiquement les doctrines de l’islam, provoquèrent les théologiens musulmans, et les obligèrent à développer de manière méthodique leur propre théologie, en adoptant la méthode et la logique argumentative de la théologie chrétienne, ainsi que le discours grec, et notamment aristotélicien qui, à partir de la fin du VIIIe siècle, se répandit par des traductions en arabe dans le monde islamique.
Cette première phase de confrontation avec l’islam se déroula donc à Damas, et au monastère Saint-Sabbas en Palestine, c’est-à-dire au cœur du pouvoir islamique omeyyade. Bien que le monde islamique à cette époque se trouvât sur le pied de guerre et dans une phase d’expansion, un esprit libéral dominait dans les échanges spirituels. Si l’on considère en outre la liberté et l’audace de la langue qu’emploient les deux écrivains mentionnés (impensables aujourd’hui), on peut estimer que les relations entre chrétiens et musulmans, même sous domination islamique, connaissaient une période de détente. Alors que les frontières des deux empires byzantin et islamique étaient périodiquement le théâtre de vives tensions, les chrétiens sous domination islamique, placés sous la protection du calife, jouissaient de la relative liberté que leur offrait leur statut de dhimmi (protégés), permettant ainsi aux lettrés d’entreprendre la traduction des œuvres des philosophes et des écrivains grecs en arabe.
1)Le fait pour l’auteur de cette compilation de citer Théodore Qurra et Jean damascène à cet endroit de son essai sur ou plus exactement, contre, l’islam, en tant qu’idéologie religieuse, ne signifie nullement qu’il est chrétien. Il a certes été catholique dans sa prime jeunesse (toujours premier au catéchisme, appris par cœur en sortant de l’école), mais sa pensée évolue maintenant et depuis longtemps dans un triangle isocèle dont les angles sont l’athéisme (formel vis-à-vis du dieu d’Abraham d’Isaac et de Jacob) l’agnosticisme et le panthéisme (nous irons tous au paradis).
LE CORAN ET L’EXÉGÈSE MODERNE.
Le Coran contient un grand nombre de mots incompréhensibles ou de sens incertain. Au total, environ 20 % du Coran est incompréhensible, et 10 % obscur ou incertain. Le Coran lui-même prend acte de ses propres difficultés, et déclare que les conjectures interprétatives sont incertaines : « Nul autre que Dieu ne connaît l’interprétation du Livre » (saint Coran. Chapitre 3. Verset 7).
Ces obscurités ne viennent pas seulement de l’absence initiale de signes diacritiques et de voyelles, elles ont aussi une autre source : beaucoup de mots et de tournures grammaticales du Coran sont inconnus de l’arabe classique. Les érudits se sont efforcés de former des conjectures raisonnables. Pour certaines tournures, il y a jusqu’à douze conjectures différentes, dont aucune ne s’impose. Pour justifier ces conjectures, il y a parfois plus de trente propositions d’explications, incompatibles entre elles. La tradition musulmane a fait la plupart du temps un choix parmi les conjectures, pour des motifs de convenance plutôt que de raison. Mais les commentateurs musulmans, débordés par les obscurités incompréhensibles, finissent souvent leurs commentaires par un aveu d’ignorance : oua Allahou a’lam : Dieu seul sait !
Les érudits islamiques ont cherché à comprendre l’existence de si nombreuses obscurités irrémédiables.
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Une des explications est qu’elles viennent du dialecte de La Mecque, aujourd’hui perdu.
Une autre explication, aussi officielle que l’oubli du dialecte de La Mecque, est que le Coran a été écrit par Dieu dans l’arabe parfait du paradis. Sur terre, les hommes étant par nature imparfaits, ils parlent un arabe terrestre imparfait. La différence entre l’arabe parfait et l’arabe imparfait explique à la fois que le Coran soit inimitable, et qu’il contienne des mots et des tournures grammaticales incompréhensibles.
Pour les érudits modernes, une explication souvent proposée serait que le Coran utilise un arabe archaïque aujourd’hui oublié.
Ces trois explications ont beaucoup en commun.
Toutes donnent acte de ce que les obscurités du Coran viennent d’une langue étrangère présente dans ce livre. C’est une évidence, car 30 % des versets du Coran contiennent des mots et des suffixes grammaticaux qui n’appartiennent pas à l’arabe classique (ce chiffre est donné par Christophe Luxenberg).
Toutes tentent de concilier cette évidence avec la tradition islamique selon laquelle le Coran est en pur arabe. Elles imaginent pour cela que la langue étrangère en question est une variante de l’arabe, celui de La Mecque, ou du paradis, ou d’avant l’islam.
Dans les trois cas, ces variantes d’arabe sont totalement inconnues : il n’existe pas un seul document, pas une seule tradition orale, ni dans les pays arabophones ni dans ceux qui les entourent, qui donnent un seul mot de ces hypothétiques variantes. Notamment, les poésies arabes préislamiques qui ne donnent pas un seul mot ni un seul suffixe grammatical permettant d’éclairer les obscurités du Coran.
Enfin, toutes ont encore en commun d’éluder le problème principal : comment la connaissance de cette langue étrangère aurait-elle pu disparaître ? Cette langue était en principe connue des premiers auditeurs du Coran. Comment se fait-il qu’elle se soit perdue, alors que le Coran est, depuis l’origine de l’islam, le texte sacré des musulmans ? La transmission de la langue du Coran a été continue, comme pour le latin. Or le latin ne s’est pas perdu, bien qu’aucun peuple ne le parle plus depuis un millénaire et demi, parce que c’est une langue religieuse. Le guèze, l’hébreu, le mandéen, le slavon, et bien d’autres langues religieuses ont traversé les siècles en restant intacts. La langue du Coran ne peut donc pas s’être perdue, même partiellement, parce qu’elle a fait l’objet d’un usage religieux depuis l’origine. Qu’un nombre important de mots et de tournures grammaticales soient aujourd’hui incompréhensibles ou incertains est un problème. Vu l’histoire des autres langues religieuses, l’hypothèse de l’oubli ou des aléas de l’Histoire n’a aucune vraisemblance.
Or cette connaissance a disparu très tôt, car Tabari ne la possédait pas en 896 quand il s’efforçait de comprendre les obscurités du Coran ; ni les grammairiens qui ont ajouté les voyelles peu après 800, ni non plus Hadjaj le gouverneur irakien qui a introduit les signes diacritiques en 694.
La situation des langues au Proche-Orient au septième siècle.
À l’époque de Mahomet, l’arabe n’était pas une langue de culture ni une langue internationale. Depuis plus de mille ans, dans tout le Proche-Orient, la langue de culture était l’araméen. Les relations internationales, en particulier le commerce, se faisaient en araméen, et Mahomet, commerçant, le parlait sans doute à ce titre. Les lettrés arabes, peu nombreux, parlaient en arabe et écrivaient en araméen. Même situation que les lettrés européens du septième siècle, qui parlaient dans leur langue vernaculaire locale, mais qui écrivaient en latin. D’où la présence de mots d’origine latine non seulement dans les langues latines, mais aussi dans les langues germaniques, comme l’allemand ou l’anglais, et même dans les langues slaves. Si l’on perdait le sens de tous les mots d’origine latine, la totalité des textes anglais d’aujourd’hui deviendrait incompréhensible, ainsi qu’une bonne partie de ceux en allemand, et aussi un certain nombre de phrases dans les textes russes. La langue du Coran contient autant d’araméen que l’allemand contient de latin.
Plusieurs érudits se sont rendu compte de la présence de l’araméen dans le Coran. Ainsi, pour ne citer que les plus connus, Sigmund Frankel, Theodor Nodelke, Alphonse Mingana. Toutefois, dans le cadre de la tradition admise, eux-mêmes et leurs contemporains ont alors considéré que les aramaïsmes repérés n’avaient pas de signification générale. Or cette conclusion est contraire aux faits qu’ils ont eux-mêmes mis en évidence, et compte tenu du rôle de l’araméen à l’époque, contraire à la vraisemblance. La tradition islamique sur le Coran écrit en arabe exerce le même effet d’aveuglement que celui qu’a pointé Patricia Crone à propos des traditions sur La Mecque.
L’élargissement du cadre de référence.
Pour un non-arabe, il est déjà difficile d’apprendre l’arabe, avec toutes ses subtilités et ses formes anciennes, afin de pouvoir étudier le Coran dans son texte. Apprendre en plus l’araméen, avec toute sa complexité grammaticale, ses formes archaïques et ses variantes, est-syrien et ouest-syrien, est un effort supplémentaire énorme, dont on ne peut savoir à l’avance à quel point il sera utile. C’est la raison pour laquelle l’étude des langues voisines, bien que répandue parmi les exégètes modernes
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d’autres livres anciens, notamment la Bible, n’a pas encore été systématiquement appliquée au Coran.
Un linguiste allemand, Christophe Luxenberg, a pourtant suivi cette voie de façon méthodique, et beaucoup plus complète que ses devanciers. Il en a montré la fécondité : de nombreuses obscurités et non-sens du Coran s’éclairent de la sorte si l’on recherche le sens des mots et des tournures grammaticales non pas dans la langue arabe, mais dans l’araméen parlé en Syrie.
Des fragments d’un très ancien Coran ont récemment été retrouvés à Sanaa, au Yémen. Ils datent de cinquante ans après la mort de Mahomet. Ils sont sans signes diacritiques ni voyelles. Ils comportent des aramaïsmes massifs, qui ont été ôtés des versions ultérieures. Ceci confirme que le Coran initial a été rédigé sous une forte influence araméenne, et que les aramaïsmes les plus voyants ont été ensuite délibérément éliminés. Les mots et les formes incompréhensibles ont été non pas perdus, mais délibérément exclus. C’est la raison pour laquelle la tradition islamique insiste tant sur le fait que le Coran serait en pur arabe.
Les mots et les formes grammaticales d’une langue passent dans une autre lorsqu’ils désignent des objets ou des idées qu’un peuple emprunte à un autre. Le grand nombre de termes et de formes venus du syro-araméen dans la langue du Coran, alors que ces termes et ces formes sont absents de l’arabe usuel ; signifie que les rédacteurs du Coran ont emprunté un grand nombre d’idées et de récits à un système présent chez les Syro-Araméens. Les caravaniers et les voyageurs auraient introduit des mots et des formes grammaticales d’origine syro-araméenne dans l’arabe usuel, et non dans le seul Coran.
D’après l’analyse avancée par Christophe Luxenberg, qui s’appuie sur les hymnes d’Éphrem le Syrien ; il y aurait par exemple au paradis islamique « des raisins blancs », « clairs comme le jour », plutôt que des vierges aux yeux de biche toujours consentantes (les houris). Pour Luxenberg, le contexte est clair : ce sont de la nourriture et des boissons qui sont offertes, et non de jeunes filles.
En syriaque, le mot « hour » est un adjectif féminin pluriel qui signifie blanc, dans lequel le mot « raisin » est implicite. Les éphèbes immortels ou les jeunes filles semblables à des perles décrites par des chapitres, comme le 56, seraient nés d’une interprétation erronée d’une expression syriaque signifiant « des raisins frais » (ou « des boissons ») ; que ceux qui ont mérité le Paradis auront le plaisir de goûter, par opposition aux breuvages bouillants réservés aux infidèles et aux damnés. Le verset qui promet 70 vierges aux martyrs arrivant au paradis ne parlerait par exemple, en fait que de « fruits blancs comme le cristal » au lieu de « vierges aux grands yeux » ! Ce qui change tout effectivement ! Mais une telle erreur est-elle possible ? Le sens traditionnel accordé à ce verset est bien plus vraisemblable (rude psychologie de soudards qui plus est issus de tribus au machisme exacerbé, prenant à la lettre la notion de « repos du guerrier »).
De toute façon, ce n’est pas à nous, barbares druides d’Extrême-Occident, de trancher de telles querelles entre spécialistes.
Tout ce que l’on peut dire c’est que la méthode de Luxenberg est purement philologique, elle consiste à expliquer les passages obscurs du Coran sans faire confiance aux commentateurs, grammairiens et lexicographes. Cela ne veut pas dire qu’il les ignore, car il y renvoie constamment. Cela veut dire qu’il les utilise à rebrousse-poil. Tout dépend de savoir en effet en quelle langue le Coran est écrit. En arabe, comme il le dit lui-même ? Certes. Mais quel arabe ? S’agit-il de la langue commune qui rendait possibles les joutes littéraires des poètes antéislamiques aux foires d’Oukaz ? Ou d’une langue métisse avec une forte proportion d’éléments du dialecte mecquois ? Pour Luxenberg, l’arabe du Coran n’est certainement pas l’arabe officiel, tel qu’il sera constitué par les grammairiens des siècles suivants. Il s’agit d’une langue intermédiaire, résultat d’un mélange entre l’arabe et le syriaque qui, depuis plusieurs siècles, constituait la langue de culture de l’espace syro-irakien (la Djézire). Les grammairiens raisonnaient à partir de l’arabe classique dont le Coran était d’ailleurs supposé constituer le chef-d’œuvre inimitable. Ils cherchaient donc à expliquer des tournures qui sont en fait, non pas du mauvais arabe, mais du bon syriaque. L’application de cette méthode confère aux textes un sens plus convaincant. Les phrases se coulent plus harmonieusement dans leur contexte. Bien des détails bizarres venant comme des cheveux sur la soupe s’évanouissent. Tout le monde connaît les houris, ces vierges du paradis musulman qui alimentent tant de fantasmes. Ainsi que nous l’avons vu plus haut, leur existence n’est d’ailleurs pas sans poser quelques difficultés. Les textes eux-mêmes ne sont pas clairs, à commencer par le mot « houri » lui-même. Il vient de hour, communément compris comme signifiant « blanches » quant aux « yeux ». Or, de beaux yeux ne sauraient être blancs. Les chrétiens tirent souvent argument des houris pour reprocher aux musulmans leur paradis grossièrement matérialiste. Certains musulmans s’en tirent en allégorisant discrètement. D’autres, comme Avicenne, rétorquent que le paradis promis aux chrétiens – la vision de Dieu – pourrait, certes, convenir à un peuple de philosophes, mais qu’il est trop fade pour motiver de rudes combattants et
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qu’il faut bien au peuple du tangible. Avec Luxenberg exit les houris par conséquent et place aux grappes de raisin blanc. Dommage ! En fait de joies paradisiaques, le Coran ne connaîtrait donc que le boire et le manger, rien de plus. Il ne s’écarte pas sur ce point de la symbolique du festin eschatologique, présent dans les Écritures antérieures. Voire, il reprend avec précision une imagerie courante dans l’Orient chrétien, en particulier dans les hymnes sur le paradis d’un auteur qui était très lu dans le milieu d’origine du Coran, le père de l’Église syriaque, saint Éphrem de Nisibe. Le Coran tel que le restitue Luxenberg s’avère donc contenir des allusions à des prières chrétiennes, pour ne pas dire des citations de celles-ci.
D’autres chapitres, comme le 73 et le 74, rendent un son analogue. On peut les lire comme des exhortations à la prière, en particulier à la prière du soir, qui constitueraient ainsi une sorte de règle monastique. Voir à ce sujet les travaux de Gerd R. Puin.
II s’ensuit une conséquence capitale quant à la nature même du Coran, pris dans son ensemble.
Le Coran ORIGINEL DES DÉBUTS était ce que son nom dit très précisément, une fois qu’on le comprend à partir du syriaque : un lectionnaire ; c’est-à-dire une anthologie, AU MOINS PARTIELLEMENT, de passages tirés de livres saints préexistants et adaptés en langue vernaculaire, anthologie faite pour la lecture liturgique. C’est ce qu’affirme le début du chapitre 12, qui raconte l’histoire de Joseph « A.L.R. Voici les versets de l’Écriture clarifiée ; nous les avons fait descendre sur toi en arabe, afin que vous puissiez comprendre » (versets 1-2).
Le Coran ne prétendait pas remplacer la Bible, mais en fournir une version intelligible aux Arabes de l’époque. Il ne se présentait donc pas comme une révélation toute récente.
Mais bien que simple lectionnaire à l’origine, le Coran est néanmoins devenu autre chose.
Le Coran actuel contient en effet, par exemple, des préceptes juridiques ; tels ceux qui enjoignent de couper la main des voleurs (5,33) d’humilier les non-musulmans vivant dans le Dar al islam (en terre d’islam) au moment du paiement de leur impôt spécifique (9,29) ; il indique la manière de partager le butin des pillages (8, 41), il exhorte, polémique, incite à la guerre (9,73 ; 66, 9), etc. C’est donc maintenant beaucoup plus qu’un lectionnaire.
Autre problème, celui du rapport des textes coraniques avec la personne de Mahomet ou les événements racontés dans sa biographie traditionnelle. Ce rapport, qui semble massif a priori, a en réalité dans le Coran lui-même des bases textuelles fort ténues. Rappelons par exemple que les noms autour desquels tourne la biographie de Mahomet, n’y figurent que rarement : La Mecque une seule fois (48, 24). Yathrib (plus tard Médine) une seule fois (33, 13), les Couraïchites une seule fois (106, 1) le nom même de Mahomet deux fois (3, 144 ; 47, 2). Toutes les autres identifications relèvent de la tradition postérieure.
Il se pourrait que certains textes soient en fait antérieurs à Mahomet, qui les aurait simplement repris. On l’avait déjà soupçonné pour certains textes brefs, comme les deux derniers chapitres, qui sont des formules magiques.
Les sourates de la fin du Coran (69 à 114) sont généralement considérées comme appartenant aux plus anciennes. Elles se caractérisent par des particularités propres. Elles sont brèves, semblent issues de proclamations oraculaires (ce qui ne signifie pas, pour autant, qu’elles en sont des enregistrements), elles contiennent de nombreux hapax.
Bien que reconnaissant leur ancienneté, certains auteurs refusent de les qualifier de « mecquoise », car cela présuppose un contexte et une version de la genèse du corpus coranique qui n’est pas tranchée. Cette approche est spéculative.
En effet, ces textes ne sont pas une simple transcription sténographique de proclamations, mais sont des textes écrits, souvent opaques, possédant des strates de composition et des réécritures. Cela n’empêche pas ces sourates de fournir des éléments contextuels (comme l’attente d’une Fin des Temps imminente chez les partisans de Mahomet). Ces textes sont marqués par une forme de piété tributaire du christianisme oriental.
Ces sourates constituent la partie la plus ancienne du Coran (en contradiction avec l’ordre majoritairement accepté par les commentateurs musulmans) qui s’adresse, dans un style succinct et homogène, aux hommes de la tribu de Mahomet (les Couraïchites) à qui est demandé de se soumettre au Rabb al-Baït, « Seigneur de la Demeure mecquoise » où ils s’étaient installés quelque cent cinquante ans avant la révélation et qui leur assuraient nourriture et protection, fonctions caractéristiques des Rabb (s) dans les vielles sociétés tribales locales.
Plus généralement comment ne pas rester pensif face à la décision du calife Osman (644 – 654 ou 656) d’élaborer un texte officiel destiné à supplanter tous les autres textes répandus parmi les premiers groupes musulmans ? Et comment ne pas se poser de questions lorsque l’on apprend que les manuscrits les plus anciens du Coran seraient ceux du musée de Topkapi à Istamboul, datés du IXe siècle seulement, soit deux siècles après Mahomet ?
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Tout cela incite à penser que le Coran, tel que nous le connaissons aujourd’hui, n’est pas une source suffisante pour la connaissance de l’islam, et que l’islam lui est antérieur ; il est évident d’ailleurs que nombre de rites musulmans sont d’origine païenne.
La tradition fait état de variantes, d’omissions ou d’interpolations, dans la rédaction du Coran, et cela déjà du vivant de Mahomet. Un hadith mentionné par le célèbre commentateur Boukhari rapporte l’anecdote suivante. « Le prophète, après avoir entendu quelqu’un réciter le Coran à la mosquée, dit : Dieu fera miséricorde à cet homme, car il m’a rappelé tel et tel verset que j’avais oublié dans tel et tel chapitre » (Sahih Boukhari, tome 6, livre 61, hadith 556).
Mais il y a eu d’autres interpolations.
Un exemple. Le chapitre « la table est servie » : le chapitre Nº 5.
Comment se fait-il que, dans un même chapitre, d’un côté, on encourage les croyants à se faire des amis parmi les chrétiens (verset 82) ; et que, de l’autre, on mette en garde ces mêmes croyants contre tout lien avec ces mêmes chrétiens (verset 51) ?
La psalmodie du texte coranique fournit la solution du problème.
Lorsque l’on chante le verset 51, on se rend compte immédiatement que la mention des chrétiens (oua-n-nassara, « et les nasara ») vient rompre complètement le rythme du phrasé. Il s’agit d’un ajout pur et simple, le texte primitif devait sans doute se contenter de signaler les juifs (al-yahouda). La phrase en question devait par conséquent s’énoncer ainsi : « Ne vous faites pas d’amis parmi les juifs », sans plus. Cet ajout n’est certes pas un cas unique ; mais c’est un des plus évidents. Le texte coranique a certainement été repris, remanié, manipulé, à plusieurs reprises. Le Coran a subi une évolution et des variations dans le temps, et cette histoire a été possible parce que la rédaction du texte, qui deviendra le Coran ; a emprunté les voies de l’élaboration, de la composition, de la stylisation, et de la rectification.
La première difficulté de ce livre est tout d’abord son sens, même pour des arabophones. Les interprétations des Persans convertis à l’islam continuent de guider celles des contemporains, mais un fait massif demeure. Les plus anciennes sources musulmanes datées que nous possédions sur l’histoire des débuts de l’islam, ne remontent pas à moins de deux siècles des événements qu’elles prétendent raconter. Les commentateurs prétendent éclairer les versets à partir du contexte dans lequel ils auraient été révélés (asbab al-nouzoul). Mais nous ne savons rien, de ce qui s’appelle savoir, des circonstances en question. Il se peut fort bien qu’elles aient été inventées justement pour rendre compte de textes devenus incompréhensibles : les ouvrages islamiques ont pour une large part, bâti la biographie [de Mahomet] afin d’expliquer différents passages du Coran. Ce sont les bizarreries du texte coranique qui sont à l’origine de ces précisions biographiques, et non l’inverse.
Il faut à tout prix, pour comprendre le sens original, éviter les anachronismes, et se méfier comme de la peste du sens que les commentateurs ultérieurs ont donné, ou donnent encore, à ces versets. En revanche, les quelques sources non musulmanes (chrétiennes ou juives) contemporaines des faits nous en présentent une vue assez différente.
Les œuvres des poètes antérieurs à l’islam constituent aussi une référence obligée des commentateurs non arabes, et postérieurs de deux siècles, dont nous avons parlé. Ceux-là essaient d’expliquer des termes coraniques par leur usage chez les anciens poètes païens ou chrétiens. Mais il arrive alors souvent que l’on explique de l’obscur par du plus obscur encore. On interprète un passage d’un poème antéislamique à la lumière du texte du Coran que l’on veut élucider.
Il importe de retrouver le sens réel de certains mots. Le terme arabe nassara que nous avons évoqué un peu plus haut est systématiquement traduit par « chrétien », mais a-t-on bien raison de le faire ? Ainsi que nous avons pu le voir dans notre essai sur le judaïsme, les Nazaréens étaient une secte juive bien identifiée, qui ne fut que plus tard rattachée au personnage de Jésus. Certains traducteurs, et non des moindres, se contentent d’une simple translittération du terme en « nazaréens », afin de signifier aussi la secte judéo-chrétienne en question. Le judéo-christianisme, s’il a disparu de l’Église chrétienne, s’est donc peut-être en partie maintenu dans l’islam.
Les chrétiens au sens actuel du terme étaient désignés par l’appellation de « Roum », qui est politico-religieuse, puisqu’elle signifie Romains (Byzantins). Mais il y a surtout l’appellation très péjorative de mouchrikoun, qui signifie « associateurs » (hétériastes chez Jean de Damas). Présenter la croyance trinitaire comme une association de trois divinités, c’est-à-dire comme un genre de polythéisme, était, en fait, une manière de penser ou de parler courante dans le judaïsme rabbinique, et certainement aussi dans la mouvance « judéo-chrétienne ». On y assimilait caricaturalement les chrétiens adeptes de la notion de Sainte-Trinité, aux païens (goïm), puisqu’ils donnaient à Dieu des associés (Jésus et l’Esprit) : or n’est-ce pas là une sorte de polythéisme (du trithéisme plus exactement) ? Le Coran ne dit pas autre chose, non sans ironie souvent, une ironie qui trahit une origine bien humaine. Là où il est question de mouchrikoun (« associeurs »), ce sont les chrétiens assimilés à des païens qui sont visés, pas seulement les polythéistes.
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Jean de Damas vers 746 et Barthélemy d’Édesse plus tard encore, l’indiquaient très clairement.
Dans son Livre des hérésies, le premier précisait : « Ils (les musulmans) nous appellent hétériastes ou associateurs parce que, disent-ils, nous introduisons à côté de Dieu un associé lorsque nous disons que le Christ est fils de Dieu et Dieu » ; puis, s’adressant fictivement à eux, il ajoutait : « Pourquoi nous injuriez-vous en nous traitant d’associateurs ? ».
C’est très précisément ce qu’on lit par exemple dans le chapitre 4 au verset 48.
« Traduttore tradittore », dit-on souvent. Il existe dans le Coran des chapitres bien difficiles à rendre pour un esprit d’aujourd’hui. Voici un bref exemple de la traduction d’Albert Biberstein – Kasimirski 1869 : le chapitre appelé Al-Roum en arabe. Ce mot se traduit par Romains. Mais Kasimirski, lui, l’a rendu par Grec, car la partie de l’Empire romain concernée en ce temps-là était l’Empire byzantin. A-t-il eu tort ?? Bien que la traduction du Coran pose problème, comme toute traduction, avons-nous dit, ce dernier a très tôt été traduit, au moins partiellement. Le premier chapitre, la Fatiha, fut traduit du vivant même de Mahomet, par un de ses compagnons, Salman, afin d’être récité comme prière par les Perses.
Il n’est pas impossible d’ailleurs que certains textes du Coran ne soient déjà que les traductions en koinè arabe de textes en syriaque ou araméen, la grande langue de la communication écrite à l’époque en Orient. Qaryana veut d’ailleurs dire « lectionnaire » en syriaque et la fatiha pourrait très bien être une prière judéo-chrétienne au départ.
Mais revenons au problème des traductions du Coran.
Une traduction complète en persan fut établie en 956. Jafar ibn Abi Talib, frère d’Ali, a traduit quelques versets parlant de Jésus et de Marie en langue guèze (éthiopien classique), à l’occasion d’une ambassade auprès du souverain chrétien d’Éthiopie, le Négus. Enfin, l’abbé de Cluny, Pierre le Vénérable, l’a fait traduire en latin en 1141, lors d’un séjour à Tolède.
Du côté francophone, on peut citer aussi la traduction et les travaux de Régis Blachère en 1949, même si nous avouons avoir eu quelque difficulté à nous y retrouver. Nous ne sommes pas professeurs de français loin de là.
Nous nous devons de mettre en garde nos lecteurs contre l’incroyable cécité affligeant nombre des traducteurs du Coran, même quand ils rendent assez bien compte du sens général du texte. L’homme étant ce qu’il est, c’est-à-dire fait pour être schizophrène, illogique ou hémiplégique du cerveau (même les hommes intelligents et instruits ont souvent un domaine où instruction et intelligence cessent de fonctionner : la tache aveugle de Mariotte) ; ces traducteurs trouvent donc souvent le moyen de tirer de leur lecture du Coran de très surprenantes et paradoxales conclusions à propos de Dieu.
Exemple, le chapitre de Jonas (10, 27) : « Une rétribution égale au mal qu’ils ont commis est destinée à ceux qui auront accompli de mauvaises actions. Ils seront couverts d’ignominie et ils n’auront personne pour les protéger de Dieu. Leurs mines seront noires comme les ténèbres nocturnes. Ils seront jetés au feu et y demeureront éternellement ». Dans une note de bas de page, un traducteur que nous préférons ne pas nommer y voit pourtant un signe de la bonté de DIEU. « Ce n’est pas le seul passage du Coran où, pour mettre en relief la bonté de Dieu, les récompenses des justes seront plus généreuses que ne seront sévères les châtiments des méchants ». Le politiquement ou théologiquement correct du traducteur se heurte là au bon sens issu de la simple lecture.
N.B. Les musulmans qui contestent les études du Coran faites par des personnes qui, comme nous, ne parlant pas arabe, lisent le Coran dans une traduction devraient s’abstenir eux-mêmes de parler du Coran ; ils sont incapables de le lire dans le texte original, sans voyelles ni points diacritiques, et sans l’aide des conjectures. L’édition du Coran utilisée aujourd’hui est celle du Caire, publiée en 1926 par l’université Al Azhar. Il a fallu treize siècles pour y arriver. Les 30 % du texte incompréhensibles ou incertains sont « interprétés » par des méthodes dont quelques exemples ont été indiqués, « les houris aux yeux noirs », « les houris adolescentes », ou « les jeunes filles blanches quant au blanc des yeux ». Les musulmans qui croient lire un texte proclamé par Mahomet lisent en fait une traduction conjecturale en arabe classique.
Dire que les intégristes, les terroristes, Ben Laden et ses hommes, interprètent mal le Coran, est inutile. Ceux-ci peuvent en effet y trouver toutes les justifications à leurs actes. L’islam ne pourra devenir une religion de tolérance et de paix que lorsque les musulmans eux-mêmes auront définitivement effacé du Coran les versets indignes qui s’y trouvent en quantité. Le problème, c’est que le Coran est censé être la parole de Dieu, dictée au prophète Mahomet par l’ange Gabriel. Ceci en fait un livre « incréé », éternel et intangible ? « Ce n’est pas la parole d’un poète ni d’un devin. Combien peu y réfléchissent ! C’est la révélation du maître de l’Univers. Si Mahomet avait forgé quelque discours mensonger, nous l’aurions saisi par la main droite, et nous lui aurions coupé l’aorte » (Chapitre 69. Versets 41-46). L’Humanité se trouve donc devant une impasse. Le miracle, on peut toujours rêver, ce serait qu’un beau matin l’islam se révèle n’être plus qu’une coquille vide, avec des musulmans se disant musulmans par habitude, mais ne croyant plus ni au Coran, ni aux Prophètes.
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C’est d’ailleurs ce que redoutent les fondamentalistes qui ont peur de voir leurs coreligionnaires quitter la mosquée sur la pointe des pieds pour rejoindre les valeurs du siècle des Lumières.
LA SUCCESSION DE MAHOMET
La nouvelle de la mort de Mahomet s’étant répandue comme une traînée de poudre, Abou Bakr se rendit à cheval à la mosquée qui lui avait servi de quartier général. Il n’adressa la parole à personne et alla directement trouver Aïcha. En sortant il vit Omar qui racontait que Mahomet n’était pas mort, mais qu’il était allé vers le Seigneur, comme jadis Moïse, et qu’il reviendra dans quarante jours, qu’il ne pouvait mourir avant que Dieu ne fasse périr tous les faux musulmans (les mounafiqoun), etc., etc. Abou Bakr lui dit : « Calme-toi, Omar. Écoute-moi ! » Mais comme Omar continuait à crier sous le coup de l’émotion, Abou Bakr s’adressa directement aux fidèles qui l’entouraient : « Que celui qui vénérait Mahomet sache que le Prophète est mort ! Et que celui qui adore Dieu sache que Dieu est vivant, qu’il ne mourra jamais ! »
Dieu a dit : « Mahomet n’est qu’un messager avant qui d’autres messagers ont déjà été envoyés. Retomberez-vous dans l’erreur s’il meurt ou s’il est tué ? Celui qui apostasie n’atteint Dieu en rien, mais Dieu récompensera ceux qui lui rendent grâce » (chapitre 3, verset 144).
Un certain nombre de fidèles n’avaient jamais entendu ces versets, ou alors ne les avaient pas retenus.
Omar : « Quand j’entendis Abou Bakr réciter ce verset, mes jambes se dérobèrent sous moi et je réalisai que le Prophète était bien mort. »
Les rivalités de clans ressurgirent alors avec une violence inouïe, et les tractations commencèrent pour savoir qui lui succéderait. Elles durèrent toute la nuit.
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LES CONCILIABULES ENTRE MECQUOIS.
Au final, ce sera le vieil Abou Bakr qui sera choisi. Il prendra le nom de calife, d’un mot arabe qui veut dire remplaçant. L’institution du califat naissait donc tout d’un coup. Aucune mention n’en avait été faite ni dans le Coran ni dans la Sounna, relative à cette institution qui demeurait vague dans ses fonctions, dans ses attributions et sans sa formule d’élection et de nomination. Il n’est donc pas étrange par conséquent que son histoire soit une suite de discordes et de guerres civiles. Selon une phrase de Chahrastani, aucune institution n’a coûté à l’islam plus de sang que le califat.
Abou Bakr était un fidèle de la première heure, membre de la même tribu que Mahomet, les Couraïchites. Abou Bakr n’appartient à aucune des grandes familles de La Mecque, et c’est sans doute ce qui lui a valu d’être accepté par toutes. Le fait que Mahomet, malade et diminué, l’avait choisi dans les derniers temps de sa vie pour diriger le pèlerinage à La Mecque, et pour conduire la prière, a sans doute aussi joué un rôle. Sans compter que, vu son âge, tout le monde pensa qu’il n’en avait plus pour très longtemps non plus. Omar avancera donc lui-même le nom d’Abou Bakr pour succéder à Mahomet. Abou Bakr était l’un des beaux-pères de Mohammed (c’était le père d’Aïcha, l’épouse favorite du Prophète). Avec lui, ce sont donc les belles-familles du Prophète qui prennent le pouvoir.
Les tractations aboutissent donc à la marginalisation d’Ali, le cousin et gendre de Mahomet. Il était toujours assis au chevet du défunt. On dit que, lorsqu’il apprit la nomination d’Abou-Bakr, il se leva, et alla aussitôt trouver Abou Bakr pour lui prêter serment. Mais d’après d’autres traditions, il ne lui rendit hommage que quarante jours après ; d’autres mêmes disent deux mois ; d’autres encore, après six mois. [Note de la rédaction. La marge est néanmoins énorme entre le jour même et six mois. Tabari montre son honnêteté, ou sa prudence, en la mentionnant].
Abou-Soufiane dit à Ali : pourquoi donc abandonnes-tu le pouvoir entre les mains d’Abou-Bakr, qui est du clan des Banou-Temim, le plus insignifiant d’entre tous les clans Couraïchites ? Quant à moi, je n’y consens pas. Je vais faire venir de La Mecque une armée si nombreuse, que tout le monde en sera épouvanté. Je ne veux pas que le pouvoir revienne à d’autres qu’aux Banou-Ommeyya…
Lorsque Abou-Bakr fut informé des propos tenus par Abou-Soufiane et de son refus de prêter serment ; il fit appeler immédiatement le fils aîné d’Abou-Soufiane, Yézid, et lui offrit le gouvernement de la Syrie ainsi que des contrées voisines, qui étaient passées sous la loi musulmane. [NDLR. Oui, mais la Syrie n’était pas encore conquise à l’époque, alors que penser d’une telle « information » ??]
Ayant appris cette nomination de son fils, Abou-Soufiane vint le soir même et prêta serment.
LA RÉUNION DANS LE PATIO (SAQIFA) DES BANOU SA’IDA.
Ibn Ichaq, Vie de Mahomet Guillaume page 683.
« Quand l’apôtre fut enlevé, ce clan des Ansar se rassembla autour de Sa'd ben Oubada dans la salle des Banou Sa'ida, et Ali ainsi qu’al Zoubeïr ben al-Awouam et Talha ben Obeïdallah se retirèrent dans la maison de Fatima tandis que le reste des Mouhadjiroun se réunissait autour d’Abou Bakr et d’Ousaïd ben Houdaïr avec les Banou Abdou'l Achal. Puis quelqu’un vint trouver Abou Bakr et Omar pour leur dire que ce clan des Ansar s’était réuni autour de Sa'd dans la salle des B. Sa'ida. « Si tu veux avoir le commandement alors prends-le, avant que leur initiative ne devienne grave ». L’apôtre gisait encore dans sa maison, les préparatifs de l’enterrement n’étaient pas terminés, et sa famille s’était enfermée dans a maison. Omar a déclaré : alors j’ai dit à Abou Bakr, allons trouver nos frères Ansar pour voir ce qu’ils font ».
Tabari, Histoire tome IX, les dernières années du prophète.
« Les Ansar s’étaient réunis dans un bâtiment (sagifah) des Banou Sa'idah pour jurer allégeance à Sa'd b. Oubadah.
Quand Abou Bakr eut appris ça, il alla les trouver avec Omar et Abou Obeïdah b. al-Jarrah afin de leur demander pourquoi [ils s’étaient réunis].
Ils répondirent : « Le mieux est que nous ayons un chef (amir) issu de nos rangs et un autre issu des vôtres ».
Abu Bakr leur répondit : « Les chefs (umara) seront de chez nous, et les vizirs (wouzara) de chez vous ».
Abou Bakr a ensuite ajouté : « J’ai le plaisir [de vous proposer] un de ces deux hommes : Omar ou Abou Obeïdah. Des gens sont venus un jour demander au prophète de leur envoyer un homme digne de confiance et il leur a dépêché Abou Obeïda ben Jarrah. Je suis donc heureux [de vous suggérer] Abou Obeïdah ».
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Alors Omar se leva en s’exclamant : « Qui d’entre vous serait d’accord pour renier Abou Bakr, alors que le Prophète lui a donné la préséance ? » Et il lui prêta le serment d’allégeance. Les autres suivirent [l’exemple d’Omar]. Mais les Ansar ou du moins certains d’entre eux leur répondirent : « nous ne jurerons allégeance à personne excepté Ali ».
Tabari, Histoire, tome IX, les dernières années du prophète.
« Un homme arriva soudain en courant et leur dit : « Les Ansar se sont réunis dans un bâtiment des Banou Sa'idah pour prêter serment d’allégeance à l’un des leurs.
Ils disent : Ayons un chef de chez nous et que les Couraïchites en aient un à eux ». Abou Bakr et Omar se précipitèrent alors comme un seul homme pour aller les voir. Omar voulut parler, mais Abou Bakr l’arrêta et il s’exclama donc : « Je ne désobéirai pas deux fois au successeur du Prophète (Khalifa) en une seule journée ».
Abou Bakr prit donc la parole et n’omit rien de ce qui avait été révélé à propos des Ansar ou avait été dit de leurs qualités par le Messager de Dieu. Il leur dit : « Vous savez que le Messager de Dieu a dit : si les gens devaient suivre une voie et les Ansar une autre, alors je suivrai le chemin des Ansar……… les justes suivent leur chemin et les pervers suivent la leur. Sa'd a lui répondit : « Tu as dit vrai, nous sommes les ministres et vous êtes les souverains ».
Omar dit alors : « Tends la main, Abou Bakr, afin que je te prête serment d’allégeance ». Abou Bakr lui répondit : « Non, il vaut mieux que ce soit toi, Omar, tu es plus fort que moi ».
Umar était en effet le plus fort des deux. Chacun d’eux voulait que l’autre lui tende la main afin de conclure le marché avec lui. Omar prit la main d’Abou Bakr et la tendit en disant : « Ma puissance est à toi et sera unie à la tienne », alors le peuple lui jura aussi allégeance. Ils demandèrent que ce serment soit réitéré, mais Ali et al-Zoubaïr s’en abstinrent. Al-Zoubaïr tira son épée (du fourreau) en disant : « Je ne le remettrai pas dans son fourreau tant que le serment d’allégeance ne sera pas plutôt prêté à Ali. [Quand] Abou Bakr et Umar apprirent la chose, ce dernier s’exclama : « Qu’on le cogne avec une pierre et qu’on lui prenne son épée ». On dit qu’Omar courut ensuite les chercher afin de les traîner sur place en leur disant qu’ils devaient jurer allégeance que cela leur plaise ou non aussi prêtèrent-ils eux aussi serment d’allégeance ».
Lorsque la nouvelle s’en répandit à Médine, toute la population accourut, et, dans le tumulte, Saad faillit être foulé aux pieds.
Un homme s’écria :
— Attention, vous écrasez Saad !
Omar rétorqua…
— Que l’on tue donc cet hypocrite, qui a voulu semer la discorde parmi les musulmans !
Tabari, Histoire, volume 10, la conquête de l’Arabie, les événements de l’an 11.
Omar et Abou Obéïda s’avancèrent pour prêter serment à Abou Bakr. Mais Bachir Ibn Saad (Bachir appartenait à la tribu Khazradj des Médinois de souche) les devança et fut le premier à faire allégeance. Al-Habbab ibn al-Moundhir s’exclama alors : « O Bachir pourquoi t’es-tu désolidarisé de ta propre communauté ? Étais-tu jaloux de Saad ibn Ibada et ne voulais-tu pas qu’il prenne la tête de la communauté ? Bachir répondit : « Non, par Dieu, mais je ne voulais pas avoir à disputer la chose à ceux que Dieu en a rendus méritants ».
Tabari, Histoire, volume 10, la conquête de l’Arabie, les événements de l’an 11 : « Les Aslam arrivèrent en masse en remplissant toutes les rues alentour et prêtèrent serment de fidélité à Abou Bakr. Omar disait souvent « ce ne fut que quand je vis les Aslam que je sus que nous avions gagné la partie ».
LES FAITS SAILLANTS émergeant de toutes ces anecdotes à propos des quelques heures qui ont suivi la mort de Mahomet.
1. La présence d’agents et d’espions du parti d’Omar chez les Ansar (Médinois de souche).
2. Le fait qu’Omar commença par nier la mort du Prophète alors que l’homme choisi par son parti pour être calife (Abou Bakr) n’était pas encore revenu du « marché ».
3.L’arrivée d’Abu Bakr, la reconnaissance par Omar du fait que le prophète était mort et sa condamnation du deuil comme équivalent au fait de l’adorer (de peur qu’une telle adoration rejaillisse sur ses proches et leurs enfants ?).
4.L’attente de nouvelles des Ansar, leur transmission en secret à Omar qui ne les communique à personne d’autre qu’Abou Bakr, avec qui il part pour aller au patio des Banou Saïda.
5. Leur rencontre en chemin d’autres intervenants.
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6. Les facteurs décisifs sont : le ralliement de certains Ansar (Médinois de souche) l’arrivée en masse d’hommes armés qui coupe court à toute discussion en mettant tout le monde devant le fait accompli.
Discussion.
Il est évident, à la lecture des faits relatés ci-dessus, qu’il s’agissait d’une affaire arrangée d’avance ; et que tout s’est déroulé au moment et à l’endroit appropriés, comme prévu.
À en croire la présentation justifiant le (double) coup d’État, les Ansar auraient été les premiers à passer à l’action, car les Médinois, chez qui Mahomet était venu se réfugier avec ses premiers fidèles après avoir quitté la Mecque en 622, ne voulaient plus des Mecquois qui les tenaient pour inférieurs. Ils voulaient désigner eux-mêmes leur chef ce qui aurait obligé le front anti Ali à réagir promptement. Mais d’après Shiavault ce serait totalement faux. Ibn Ichaq laisse entendre clairement que les Médinois de souche ou Ansar et la majorité des immigrés Mouhadjiroun ne doutaient en aucun cas qu’Ali succèderait au Prophète puisque cela allait de soi et ils n’auraient jamais présenté un candidat à la succession autre qu’Ali si un petit, mais puissant parti animé par des personnes influentes n’avait pas déjà prétendu le faire.
Mais comme indiqué ci-dessus des hommes en armes de la tribu des Aslam finirent par arriver et prêter serment de fidélité à Abou Bakr. On ne sait pas avec certitude s’ils sont arrivés avant la prestation de serment du premier des Ansars à avoir lâché son camp (les Médinois de souche), Bachir ben Saad, car il y a visiblement des doublons dans tout ça, mais ce qui est certain c’est qu’ils sont arrivés à un moment où Omar n’était pas encore sûr de l’emporter. Vu leur nombre et le fait qu’ils demeuraient à l’extérieur de Médine il est certain que quelqu’un ayant de l’ascendant sur eux avait dû leur demander d’intervenir. Toute la question est de savoir qui, mais comme on disait à l’époque à Rome : IS FECIT CUI PRODEST.
La victoire des Anti-Ali peut donc être attribuée à la division, à la défection, à la trahison, à la jalousie, à l’inimitié et la force. Il n’y avait aucun des éléments nécessaires à une élection équitable. Les immigrés Mouhadjiroun à l’exception d’Omar Abou Baker et Abou Obéïda ne disposaient d’aucune information et n’étaient pas présents, les noms des candidats n’avaient pas été communiqués et leurs qualifications respectives n’avaient pas été discutées (à quel titre prétendaient-ils succéder au prophète). Aucun vote n’eut et la question était toujours en suspens lorsque la force mit fin à la crise.
C’est dans ces conditions que le « Royaume de Dieu » fut transféré du Prophète à son « Calife », et ce fut sur une telle « élection » que tout l’édifice de la « démocratie » islamique a été érigé.
Le cheikh al Moufid pense que ce n’est que par hasard que la tribu d’Aslam se trouvait ce jour-là à Médine : elle était venue acheter des provisions. Mais que des partisans d’Abou Baker avaient profité de l’occasion pour leur demander d’aller prêter serment d’allégeance au successeur du prophète avant qu’on leur vende ce qu’ils voulaient. Ce qu’ils ont fait.
L’ALLÉGEANCE GÉNÉRALE À LA MOSQUÉE.
Le lendemain eut lieu une grande prestation de serment générale au vu et au su de tout le monde, Umar ayant fait remarquer qu’il y avait encore beaucoup de gens qui ne l’avaient pas fait. Les partisans d’Abou Baker, Omar en tête, l’escortèrent donc en grande pompe à la mosquée. Le peuple s’assembla, Abou-Bakr s’assit dans la chaire, et Omar, se tenant au-dessous, prit le premier la parole en ces termes (sans doute pour mettre le point final à ce double putsch).
Ibn Ichaq Vie de Mahomet, traduction Guillaume, page 686.
Le lendemain de l’acceptation du califat par Abou Bakr dans la cour (des Banou Saïda), il monta en chaire et Omar se leva pour prendre la parole avant lui. Après avoir loué Dieu comme il se doit il déclara « Hier j’ai dit quelque chose fondé sur ma propre opinion et qui ne se trouve pas dans le Livre de Dieu ni dans ce que l’apôtre m’a confié, car j’étais convaincu qu’il nous dirigerait jusqu’ à la mort du dernier d’entre nous ».
Dieu vous a laissé son livre, celui avec lequel il a guidé son apôtre, et si vous vous y tenez Dieu vous guidera comme il l’a guidé, Dieu a remis vos affaires entre les mains du meilleur d’entre vous, le compagnon de l’apôtre, « le second des deux qui étaient dans la caverne » aussi levez-vous et prêtez-lui serment de fidélité ».
La première partie est soit une habile explication de ses mensonges de la veille (habile car ce qu’elle met en avant c’est une croyance religieuse de type eschatologique) soit la preuve que certains musulmans, comme certains chrétiens au début d’ailleurs, avaient la conviction que la fin des temps l’apocalypses et la parousie du Christ étaient imminentes. A tout le moins la survenue d’un grand
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renouvellement du monde. Marc 9,1 ; Matthieu 16,28 ; Lc 9,27. Thème déjà connu des païens si l’on en croit le petit-fils de druide Virgile (voir la quatrième églogue des Bucoliques).
Ultima Cumaei venit jam carminis aetas ; Magnus ab integro saeclorum nascitur ordo. Jam redit et Virgo, redeunt Saturnia regna ; Jam nova progenies caelo demittitur alto.
NB. C’est quatre fois plus long en anglais d’ailleurs. Et mes correspondants parisiens me disent la même chose. Omar avait peut-être de bons conseillers en communication. Mais de la part d’Omar ça surprend quand même !
Bref, sur ce tout le monde se leva comme un seul homme et ceux qui n’avaient pas prêter serment la veille le firent ce jour-là, qui est appelé depuis lors la Journée du serment.
Ensuite Abou-Bakr descendit de la chaire et entra dans la maison du prophète, pour faire procéder à sa toilette funéraire et le faire enterrer.
Le corps couvert d’un manteau gisait toujours dans la maison et personne n’avait songé à la toilette funéraire ni à son enterrement.
Note de la rédaction. Ceci est le point de vue chiite sur la question. Un kafir ou mouchrik comme moi ne saurait prendre parti dans le débat avec les sunnites à ce propos. Il n’est pas question pour nous de nier qu’il y a eu aussi réellement de forts liens affectifs unissant Mahomet à certains de ses compagnons, une sorte de fraternité d’armes, ou familiale, bien naturelle. Il nous semble tout aussi évident, l’homme étant ce qu’il est, qu’il y a dû avoir aussi de fortes rivalités, entre hommes justement, à ce moment-là, pour succéder à Mahomet. Quoi qu’il en soit, quoi que l’on fasse, on vient au monde nécessairement à deux, mais on meurt toujours seul par contre ! Car personne ne peut mourir à notre place. Mais quelle importance face à l’éternité ? L’important est d’avoir le sentiment du devoir accompli, la certitude honnête d’avoir fait tout ce que l’on pouvait jusqu’au bout, humblement et sans orgueil.
CONCLUSION DU SITE SHIAVAULT.
Le coup d’État le plus audacieux de l’histoire a été ourdi dans le patio des Banou Saïda le 9 juin 632 et il a été lourd de conséquences pour l’Islam. Le succès de ce coup d’État est dû à l’habileté consommée avec laquelle il a été planifié et exécuté. Ses organisateurs ont fait preuve d’une connaissance approfondie du caractère arabe, ainsi que de leur capacité à tirer parti des situations les plus diverses. Ci-dessous par souci de neutralité (ni sunnite ni chiite) comment le professeur Carl Heinrich Becker (1876-1933) a vu les choses en 1913.
« La personnalité du prophète avait réussi à contenir jusque-là les vieilles rancœurs dans les rangs des alliés de Médine (Ansar) et les petites jalousies continuelles entre ceux-ci et les Mouhadjiroun, compagnons de sa fuite de la Mecque. Mais à sa mort, qui fut soudaine et inattendue pour la grande majorité, ces deux groupes s’affrontèrent, chacun revendiquant le droit de prendre la tête du mouvement. Dès que la nouvelle de la mort leur parvint, les Khazradj, la tribu la plus nombreuse des Ansar, se rassembla dans la salle (sakifa) des Banou Sa'ida. Informés par les Aous… Abou Bakr, Omar et Abou Obéïda s'y rendirent immédiatement et arrivèrent juste à temps pour empêcher une scission de la communauté. Le fougueux Omar voulait y mettre fin rapidement et par des moyens énergiques, et aurait certainement tout gâché, mais le vénérable et impressionnant Abou Bakr, le plus ancien compagnon du prophète, intervint alors et, tout en reconnaissant pleinement les mérites des Ansar, insista pour que l'un des compagnons couraïchites du prophète soit élu chef de la communauté. Il proposa Omar ou Abou Obéida. La proposition ne rencontra pas de succès et la discussion devint de plus en plus houleuse ; alors Omar prit la main d'Abou Bakr pour lui prêter serment et d'autres suivirent son exemple. Entre-temps, la salle et les pièces adjacentes s'étaient remplies de personnes appartenant, non pas à l'un ou l'autre des principaux groupes, mais à la population fluctuante des Arabes musulmans du voisinage, devenus particulièrement nombreux à Médine au cours des années précédentes, et dont le principal intérêt était que les choses restent en l’état. Ces personnes ont de facto fait pencher la balance, et c'est ainsi qu'Abou Bakr fut élu par une minorité puis reconnu le lendemain par la communauté, bien qu'à contrecœur, comme la tradition ne peut le cacher, de la part de beaucoup de ses membres. Ils lui prêtèrent serment en tant que représentant (khalifa) du prophète. À cette époque, le terme calife n'était pas considéré comme un titre, mais simplement comme la désignation d’une fonction ; Omar, le successeur d'Abou Bakr, aurait été le premier à porter le titre distinctif de « Commandeur des Croyants » Amir al-Mou’minin…
Cette élection d'Abou Bakr fut sans doute une bonne chose, mais elle fut considérée dans les milieux concernés comme un coup d’État inexcusable. Outre le fait que les Ansar n'avaient pas réussi à faire valoir leur point de vue et qu'ils se sentaient donc frustrés, les proches du prophète et leurs
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compagnons semblent avoir mené une politique d'obstruction qui ne céda que devant la force » (Cambridge Medieval History, tome II, Chapitre XI, l’ascension des Sarrasins et la fondation de l’empire d’Occident, l’élection d’Abou Bakr. Macmillan Compagnie 1913, page 333).
Note de Pierre de La Crau.
J’ignore si Al Moufid était Arabe ou Persan, mais cette conclusion n’est pas à 100 % la mienne. Mon opinion est que c’est Omar qui a tout manigancé.
L’islam, si efficace en bien des domaines, n’avait pas effacé les solidarités ancestrales et n’avait pas complètement uni les Médinois autochtones (ansar) et les immigrés mecquois (mouhadjiroun). Le meneur, Saad, semble à première vue un nouveau venu, mais il est issu en fait de l’entourage d’Ibn Oubaye, l’ex-prince de Médine. Son héritier ou successeur, Saad est en effet déjà très âgé (il avait notamment osé défendre ceux qui avaient été accusés de calomnie dans l’affaire de l’adultère supposé d’Aïcha).
Les ansar sont donc en faveur d’une dyarchie, d’un double pouvoir, un chef pour les musulmans qui sont ansar, un pour les musulmans mouhadjiroun. Ce qui entraînerait immédiatement bien sûr un éclatement de fait de la communauté. La théocratie musulmane est alors une pratique politique, mais pas encore un État, la disparition du fondateur le prouve cruellement. Abou Bakr et Omar agissent rapidement, de concert avec Abou Obeïda. Chacun agit à sa façon, avec son caractère et ses objectifs propres. On ne saura jamais réellement ce qu’il est advenu entre les deux compagnons pour décider du choix du successeur. Le fait que les deux hommes ne sont pas de Médine se révélera finalement être un avantage pour eux, cela leur conférera une neutralité qu’ils n’auraient pu revendiquer autrement s’ils avaient été natifs de la cité.
Les proches de Mahomet se sentirent par conséquent lésés, en particulier Fatima, sa fille, et son époux Ali, également cousin du Prophète. Ali s’opposa à cette nomination, estimant que la succession devait lui revenir. Il était soutenu par certains compagnons du Prophète, qui constituèrent ainsi la chi’ate Ali, les chiites.
La tradition musulmane insiste sur le fait que tout désignait Abou Bakr pour succéder à Mahomet, y compris les dernières volontés de ce dernier. En réalité rien n’est moins sûr et plusieurs solutions étaient possibles. Retour à la case départ ou à la situation d’avant l’hégire, les Médinois reviennent à leur système princier, succession d’Ali, seul parent mâle par le sang de Mahomet, etc.…
Ce qui frappe dans la mort de Mahomet, c’est ce qui se passe juste après. Il connaît le destin d’autres grands personnages historiques, qui ont transformé le monde, concentré le pouvoir, et accumulé les richesses. Dès leur mort, leur pouvoir est contesté, les adjoints s’affrontent. Dans le cas de Mahomet, il n’y aura rien d’étonnant à cela. Les épisodes qui suivent prouveront simplement que la révolution culturelle qu’il avait entreprise était plus politique que religieuse : il n’y aura plus aucune allusion à la doctrine, aucune tentation mystique ou métaphysique. Tout ce qui se passe est humain, trop humain, et pourtant fascinant. Mais c’est sans doute le propre des grands hommes que d’être encore plus intéressants morts que vivants. Et s’ils ne sont pas plus intéressants, ils sont moins dangereux. L’essentiel de ce qui se passe alors est la lutte entre les ambitions, et certains récits sont particulièrement cruels pour la personne même du défunt, abandonné à son sort.
À la mort de Mahomet, les premiers musulmans se déchirèrent donc. Entre Médinois de souche (ansars) et immigrés mecquois (mouhadjiroun) venus s’installer dans Médine avec Mahomet.
Et à l’intérieur même de la famille de Mahomet entre d’une part son épouse favorite Aïcha et d’autre part sa fille préférée Fatima mariée à Ali le jeune cousin de Mahomet. Conflit qui donnera les sunnites d’un côté et les chiites de l’autre.
L’héritier le plus naturel de Mahomet, depuis la mort de son fils Ibrahim quelques mois plus tôt (né de l’esclave éthiopienne Marie la Copte), était bien entendu son cousin et gendre Ali. Ce qu’Abou Bakr ne pouvait envisager car les deux hommes ne s’aimaient pas du tout.
D’un autre côté les Médinois de souche, eux, les ansars, n’avaient pas compris qu’avec Mahomet une page avait été tournée et s’apprêtaient à revenir à leur système politique d’avant : l’élection d’un nouveau chef pour Médine, d’un nouveau chef pour Médine issu de leurs rangs. Ils ne voulaient plus des Mecquois qui les considéraient comme inférieurs.
Contre ces deux menaces, Abou Bakr Omar et Abou Obeïda firent front commun et se mirent d’accord pour évincer Ali. Omar ferait tout pour soutenir Abou Bakr qui en revanche le prendrait comme dauphin.
Les récits de la lutte d’influence qui s’est déclenchée avant même la mort du chef de la communauté ont été remaniés pour des raisons politiques évidentes ; mais les traditions postérieures nous montrent bien qu’une véritable course au trône (au minbar) s’était engagée dans l’entourage immédiat de Mahomet.
Assez curieusement, Ali est à la fois présent et inactif, au point d’essuyer des sarcasmes à ce sujet.
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Le personnage représente la légitimité du cercle familial, et son attitude est présentée comme exemplaire par sa dignité ou sa sincérité, aux yeux des lecteurs chiites de ces textes. Il est le grand perdant de la succession, étant peu à l’aise dans les intrigues : ce n’est pas un politique, comme le prouvera la suite (désastreuse) de sa carrière.
Cette comédie humaine shakespearienne fut un prélude aux innombrables et atroces luttes de pouvoir qui éclateront entre les successeurs. On peut distinguer plusieurs phases et plusieurs faits très intéressants, particulièrement réalistes.
Bien qu’il ait eu plus de dix femmes officielles et plusieurs concubines, Mahomet mourut sans héritier mâle. Le seul garçon qu’il avait eu, avec sa concubine chrétienne Marie, étant mort à 16 mois, le jour d’une éclipse de Lune, le 17 janvier 632 très précisément.
Compte-rendu byzantin (Chronique arabo-byzantine de 741, § 17).
« Mahomet, le chef des Sarrasins mentionné ci-dessus, au bout de dix années de règne, atteignit la fin de sa vie. C’est celui qu’ils tiennent en si grand honneur et respect, au point qu’ils disent qu’il est l’apôtre et le prophète de Dieu dans tous leurs serments, et tous leurs écrits. À sa place, Habubeccar, qui provenait de la même tribu de Sarrasins, fut choisi (praelectus) par eux comme son successeur ».
Les musulmans chiites pensent que Mahomet voulait choisir Ali comme successeur, mais qu’il en a été empêché par Omar et Abou Bakr.
« On retrouve les mêmes faits dans des écrits de sources très différentes et ces textes qui pourraient pratiquer la langue de bois n’hésitent pas à dire des choses étonnantes, parfois même contraires aux intérêts des partis qu’ils défendent. Les textes sunnites rapportent aussi cet épisode en effet, ce qui n’est pourtant pas dans leur intérêt. On peut penser qu’il y a là un début de vérité, même si le véritable historien doit toujours garder une distance critique, évidemment » (Hela Ouardi).
Le problème était que Mahomet n’avait pas eu de fils ayant vécu assez longtemps pour lui succéder, que des petits-enfants par les femmes, des gendres ou des beaux-pères, Abou Bakr, Omar, Ali et Osman. C’est donc entre eux que va se jouer la succession.
Les chiites (10 % des musulmans) affirment qu’Ali ibn Abou Talib, le cousin et gendre de Mahomet, avait été désigné quelques mois plus tôt, en mars, lors du discours de Ghadir Khoumm, pour lui succéder. Les sunnites rétorquent que c’est faux, et que Mahomet a laissé à sa jeune communauté le soin de se trouver elle-même le meilleur des continuateurs de son action.
IL NE NOUS APPARTIENT PAS DE NOUS PRONONCER SUR LA QUESTION !
La seule chose de sûre est que Mahomet avait sans doute confié à son vieux compagnon Abou Bakr le soin de diriger la prière communautaire.
Voir chapitre précédent sur la mort de Mahomet et Ibn Ichaq la vie de Mahomet Alfred Guillaume page 679.
Après une rapide, mais sanglante reprise en main de la capitale : mutilation d’une chanteuse qui avait brocardé Mahomet (mains coupées dents cassées), décapitation du dénommé Foujda pour apostasie, exécution de Saad pour hypocrisie (mounafiq), en réalité pour avoir pensé à succéder à Mahomet, à la tête des Ansar ; Abou Bakr sera définitivement reconnu comme chef et s’imposera en écrasant dans le sang les diverses révoltes contre le nouvel État médinois, qui éclatèrent aussitôt après.
L’ÉLABORATION DU CANON.
Il n’existe pas UNE MAIS PLUSIEURS traditions à ce sujet.
Mahomet a énoncé la parole de Dieu (Dieu) au fil de nombreuses « révélations » qui se traduisaient par une agitation de tout son corps (des crises d’épilepsie ?) Les premiers fidèles avaient appris ces paroles ou les avaient transcrites tant bien que mal dans un alphabet archaïque permettant une pluralité de lectures, sur des supports variés : tessons de poterie, morceaux de cuir, omoplates de chameau…
Il n’était pas prévu que ces enseignements oraux (des reprises de la Bible mêlées de superstitions et de coutumes païennes) soient réunis par écrit. Khatabi : « Le prophète n’a pas fait de livre, car il attendait toujours d’éventuelles abrogations de certains ordres ». D’ailleurs, Coran (du moins si l’on en croit la racine arabe, Qr) signifie « récitation » 1) et jamais Mahomet n’emploie le mot « lecture » pour parler de son enseignement : il parle de « rappel » (rappel du « Livre », la Bible).
La question de savoir dans quelle mesure le Coran a été couché par écrit avant la mort même de Mahomet n’est pas complètement éclaircie. Mahomet a sans doute diffusé lui-même de son vivant les chapitres les plus longs ou ceux qu’il jugeait les plus importants ; mais ce qui semble également probable c’est qu’il n’y ait pas eu de manuscrit unique dans lequel le prophète aurait lui-même compilé toutes les révélations. Il n’y a eu que des mises par écrit… partielles !
Il y a eu des versets notés par écrit et donc ayant déjà fait l’objet d’un début, même modeste, de diffusion sous cette forme.
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Il y a eu des recueils partiels de plusieurs versets, plus ou moins longs, mis à la disposition de certains fidèles.
Il y a même eu des chapitres entiers de mis par écrit (exemple le chapitre 20 dont la lecture avait amené Omar à se convertir en 615).
Lorsque Mahomet mourut, plusieurs personnes connaissaient par cœur la totalité des versets. Par contre, il n’existait pas de texte écrit complet d’un seul tenant, du Coran. Sur le coup, personne ne s’en préoccupa. Chacun racontait une parole ou une légende concernant le prophète.
Puis un certain nombre de ses fidèles essayèrent de réunir toutes les révélations connues, et de les conserver sous forme d’un codex écrit. Très vite on eut les codex de plusieurs personnalités telles qu’Ibn Massoud, Oubaï ibn Kaab, Ali, Abou Bakr, al-Assouad, et d’autres (le grand islamologue Arthur Jeffery a répertorié quinze codex primaires, et un grand nombre de codex secondaires).
Ainsi que nous l’avons déjà vu précédemment, le problème était aggravé par le fait que le texte consonantique était sans signe diacritique, c’est-à-dire que les points qui distinguent, par exemple, un « b » d’un « t » ou un « th » manquaient. Plusieurs autres lettres (f et q, j et kh, s et d, r et z, s et sh, d et dh, t et z) étaient impossibles à distinguer. En conséquence, une grande variété de lectures était possible, selon la manière dont les points étaient ajoutés.
Les voyelles constituent un problème encore pire. Originellement, les Arabes n’avaient pas de signes pour les voyelles courtes : l’écriture arabe étant consonantique. Bien que les voyelles courtes soient parfois omises, elles peuvent être représentées par des signes orthographiques placés au-dessus ou en dessous des lettres – trois signes en tout, prenant la forme d’un trait légèrement incliné ou d’une virgule. Après avoir fixé les consonnes, les musulmans devaient toujours décider quelles voyelles employer : utiliser des voyelles différentes, bien sûr, aboutissait à des lectures différentes. La scriptio plena 2), qui permettait à un texte de comporter tous les points et voyelles, n’était pas achevée avant la fin du neuvième siècle. Les problèmes posés par la scriptio defectiva 3) conduisirent inévitablement au développement de différentes Écoles avec leurs propres traditions variant sur la façon dont les points et les voyelles devaient s’insérer dans les textes.
1) D’après Christophe Luxenberg QR serait une racine araméenne induisant le sens de « lectionnaire » c’est-à-dire d’anthologie de morceaux choisis pour dire la messe évangéliser catéchiser ou méditer.
2) Écriture comportant tous les signes diacritiques nécessaires.
3) Écriture ne comportant pas de signes diacritiques donc ambiguë car incomplète.
L’ÉDITION DU CORAN.
À la mort du Mahomet en 632, la Tradition est unanime là-dessus, il n’existait donc pas de livre appelé Coran. Il n’existait aucun manuscrit complet dûment autorisé par l’Envoyé de Dieu. Ce qui existait, c’était des fragments d’écrits, qui auraient été fixés sur divers supports : sur des tessons, sur des pierres plates, sur des omoplates de chameau, sur des pétioles de palme.
Pire, il n’y avait aucune instance déléguée par Mahomet pour assurer et contrôler la transmission du texte révélé.
Il y avait bien entendu la mémoire des compagnons qui avaient appris par cœur des morceaux plus ou moins longs de la Révélation et quelques-uns auraient même su l’ensemble. Sur les conseils d’Omar le nouveau calife par intérim se mit au travail…
Il existe différentes versions de cette tradition sur la compilation et la transmission jusqu’à nous du Coran ; dans certaines on suggère que ce fut Abou Bakr qui eut le premier l’idée de faire la compilation et non Omar ; dans d’autres l’idée de ce recueil est d’abord attribuée au futur quatrième calife à l’origine du chiisme, Ali ; et certaines versions fournissent encore d’autres schémas, mais excluent toujours totalement un quelconque rôle d’Abou Bakr dans le processus.
Cette divergence des versions à ce sujet amène plusieurs remarques.
Certains font tout d’abord observer qu’il est peu vraisemblable qu’une tâche aussi complexe ait pu être menée en seulement deux ans.
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Il semble également improbable que les nombreux morts de la guerre contre le prophète de la Yamama (Moussaïlima) aient été d’aussi bons connaisseurs que ça du Coran ; car il devait s’agir dans la plupart des cas de convertis récents, voire tout simplement d’opportunistes en quête de butin.
Mais ce que l’on considère généralement comme l’élément le plus décisif mettant à mal cette vision des choses ; est qu’une fois que la compilation fut réalisée, elle ne semble nullement avoir été traitée en code officiel, mais en simple propriété privée d’Hafça la fille d’Abou Bakr et accessoirement une des veuves de Mahomet.
En d’autres termes, aucune autorité particulière ne fut attribuée au mouchaf (Coran) d’Abou Bakr.
Certains ont suggéré que l’histoire a été inventée de toutes pièces pour priver Osman (qui était un calife très impopulaire) de tout rôle décisif dans la transmission du Coran.
D’autres auteurs ont suggéré que cette histoire n’a été inventée que pour placer cette compilation du Coran aussi près que possible de la mort de Mahomet.
D’après certains auteurs, chiites évidemment, le premier à s’être préoccupé de recueillir les versets du futur Coran aurait été en réalité Ali.
« Il y a unanimité chez les savants musulmans, qu’ils soient sunnites ou chiites, sur le fait que le commandeur des croyants, Ali, possédait une transcription spéciale du texte du Coran, qu’il avait lui-même recueillie, et qu’il fut LE PREMIER à avoir compilé le Coran. Un grand nombre de traditions sunnites et chiites stipulent qu’après la mort de Mahomet, Ali s’est assis dans sa maison et a juré de ne pas s’habiller pour sortir ni de quitter sa maison tant qu’il n’aurait pas réuni le Coran.
Cette transcription du Coran compilée par Ali avait les caractéristiques suivantes.
a) Elle avait été notée dans l’ordre de sa révélation, c’est-à-dire dans l’ordre dans lequel il avait été envoyé. C’est la raison pour laquelle Muhammad Ibn Sireen (33/653 – 110/729), le célèbre érudit et Tabi'i regrettait tant que cette transcription ne soit pas parvenue entre les mains des musulmans.
b) Cette transcription contenait des commentaires ainsi que leur interprétation herméneutique (Tafsir et Ta'ouil), dont certains avaient été envoyés comme révélation, mais PAS comme partie du texte du Coran. On retrouve quelques-uns de ces textes dans certaines traditions d’Oussoul al-Kafi. Il s’agissait de commentaires divins du texte du Coran qui avait été révélé avec les versets coraniques correspondants. Ces commentaires et ces versets coraniques pouvaient faire au total 17 000 versets. Comme les sunnites le savent, les Hadith al-Qudsi (les hadiths dans lesquels le locuteur est Dieu) constituent aussi une révélation, mais ils ne font pas partie du Coran. Interprétation et commentaire font partie de la révélation.
En outre, cette transcription unique contenait des informations à propos des versets qui étaient abrogés et des versets qui étaient abrogeant, quels versets étaient clairs (mouhkam) et quels versets étaient ambigus (moutachabih), quels versets étaient d’ordre général et lesquels étaient spécifiques.
c) Cette transcription unique contenait aussi des références aux personnes, lieux, etc., à propos desquels les versets avaient été révélés, ce qu’on appelle « Asbab al-Nouzoul ». Pour approfondir la question de l’exhaustivité du Coran et l’opinion des chiites sur le sujet, se reporter au livre intitulé « al-Bayane », d’Aboul Qassim al-Khoei, pp. 214-278 » (http://www.alseraj.net/maktaba/kotob).
D’après les auteurs chiites, s’il n’y eut aucune mise par écrit du Coran immédiatement après la mort de Mahomet, mais seulement quelques années après sous Osman ; ce fut parce que la présence sur place à Médine du gendre et cousin de Mahomet, Ali, rendait impossible la manipulation du texte.
Une autre des traditions à ce sujet présente les choses ainsi. Au cours du bref califat d’Abou Bakr (632-634), Omar (qui devait lui-même succéder au vieil Abou Bakr en 634) s’inquiéta de ce qu’un grand nombre de musulmans connaissant le Coran par cœur ; avaient péri dans les combats de la Yamama (en Arabie Centrale) livrés contre le prophète nommé Moussaïlima.
La guerre civile ayant suivi la mort de Mahomet causa en effet la perte de 70 des membres du groupe « Al Qurra », selon les uns ; ou de 700 hommes d’un groupe de trois mille musulmans de la première heure et comptant parmi les plus connaisseurs, selon les autres ; (dont Zaïd Ibn Al-Khattab le propre frère d’Omar, et Al-Bara Ibn Malik le frère d’Anas Ibn Malik).
Omar prit alors conscience du danger qui menaçait la transmission du Coran et s’en alla trouver le calife par intérim (Abou Bakr).
« Les compagnons de l’envoyé de Dieu sont tombés en Yamama à la façon des papillons dans le feu. S’ils continuent comme ça, le Coran sera bientôt perdu et oublié. Pourquoi ne pas en réunir les textes et les faire mettre par écrit » ?
Dans les dernières années de sa vie, Mahomet avait employé de manière tout à fait officielle différents secrétaires, les uns pour les tâches courantes, d’autres pour la transcription de ses hallucinations, visions ou révélations. Le jeune Zeïd ibn Thabet faisait partie de ce dernier groupe. Il en était même devenu le scribe principal et comptait parmi les personnes qui connaissaient très bien le Coran.
Sahih Boukhari. Tome 6, livre 61, hadith Nº 509. Témoignage de Zaïd ibn Thabit.
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Abou Bakr me dit alors : « Tu es un jeune homme intelligent et nous avons pleine confiance en toi, car tu avais l’habitude de noter par écrit pour l’Envoyé de Dieu ses révélations. Classe les différents chapitres et versets du Coran, et rassemble-les en un seul livre.
Par Dieu, s’il avait ordonné à l’une des montagnes de se poser sur ma tête, je n’en aurais pas éprouvé plus de poids, car comment réaliser ce que le prophète lui-même n’avait pas fait ? objectai-je à Abou Bakr.
Abou Bakr ne cessa de me harceler jusqu’à ce que j’accepte, et je me mis donc à chercher ».
Depuis la mort de Mahomet, le Coran figurait sur des supports divers et dispersés (pierre, feuille de palmier, cuivre, os, cuir et peau). Les textes n’ayant pas été conservés dans l’ordre chronologique, il était plus pratique de classer les versets par support distinct afin de s’y retrouver, mais des divergences apparurent très rapidement au sein de la communauté sur la chronologie des chapitres.
Zaïd avait pour instruction de trouver au moins deux témoignages écrits de chaque verset avant de les inclure dans son travail. Le calife demanda donc aux habitants de Médine de lui apporter tous les fragments déjà écrits, du Coran qu’ils pouvaient posséder.
« Je rassemblai les textes écrits sur les nervures médianes des palmes, sur des pierres blanches plates, ou conservés dans la mémoire de ceux qui le savaient par cœur ; jusqu’à ce que j’aie trouvé le dernier verset du chapitre de l’immunité (le chapitre 9 versets 128-129) chez Abi Khouzaïma l’ansar 1). Ce n’est que par lui que j’eus ce verset : « Un apôtre choisi parmi vous, etc., etc. ».
Les feuillets (souhouf en arabe) réunis en mouchaf par Zaïd, seront conservées par le calife Abou Bakr jusqu’à sa mort ; ces feuillets furent ensuite gardés par Omar, puis par Hafça, sa fille, qui savait lire.
L’entreprise de recension et de collecte (djam’) fut donc confiée à un homme de premier plan, Zeïd Ibn Thabit, bien qualifié pour une telle tâche. Il avait en effet appris lui-même la totalité des chapitres par cœur et il avait été un scribe du Mahomet, maîtrisant en plus l’hébreu et l’araméen. Qui donc mieux que lui pouvait connaître le texte révélé ? Or, sa réaction est significative : il avait dans un premier temps refusé d’assumer la mission qui lui avait été confiée, arguant qu’Omar et Abou Bakr n’avaient pas à faire ce que le prophète de l’islam n’avait pas fait de son vivant (voir plus haut le hadith 509 de Boukhari). Zéïd signifiait-il par-là que l’Envoyé de Dieu voulait que son message reste oral ? Quand il fut enfin convaincu de la nécessité de ce travail, il convoqua une commission composée de compagnons de Mahomet connaissant par cœur les sourates et il fit appel également aux fragments écrits. Mais si ce scribe connaissait par cœur le texte, il n’avait qu’à l’écrire ! Pourquoi une commission ? Le Coran que l’on connaît est-il le résultat d’une réunion de travail, ou même de plusieurs ? Le fait est que Zeïd convoqua un conseil, ce qui laisse à penser qu’il y avait des divergences et que le texte sacré avait été dès les premiers temps objet d’un consensus entre les compagnons. Toujours est-il que Zeïd travailla avec son équipe et remit le résultat à Abou Bakr lui-même. À sa mort, cet exemplaire unique, appelé par les commentateurs de la Tradition mouchaf (« le codex [qui se trouve] entre les deux couvertures », passa entre les mains de sa fille Hafsa, une des veuves de Mahomet. Pourquoi ce codex n’échut-il pas au Calife Omar ibn Al Khattab après la mort d’Abu Bakr ? Pourquoi celui-ci ne l’a-t-il pas promu au rang de Coran officiel ? Tout se passe comme si ce codex était destiné à un usage privé et non étatique.
Pendant ses dix ans de règne, Omar n’éprouva pas le besoin de compiler le Coran. L’exemplaire de Hafça, dit aussi souhouf « les feuillets » de Hafça, semble lui suffire.
La collecte d’Osman (vers 650-655)
Au fur et à mesure que l’islam se répandait, on finit par avoir ce qui devint connu sous le nom de codes métropolitains dans les centres urbains de La Mecque, Médine, Damas, Koufa, et Bassora.
Osman essaya de mettre un peu d’ordre dans cette situation plutôt chaotique en officialisant le codex de Médine, dont des copies furent envoyées à tous les autres centres métropolitains, avec ordre de détruire les autres codes. Le codex d’Osman était censé standardiser le texte consonantique, et pourtant bien des traditions différentes de ce texte consonantique survécurent jusqu’au XVIIIe siècle.
Il faut donc attendre Osman ibn Affane pour voir se déployer un travail califal d’envergure en matière de rédaction et de compilation du Coran. Le Calife décida de se lancer dans la même entreprise que celle d’Abou Bakr. Pourquoi ? N’avait-on pas déjà l’exemplaire de Hafça, qu’il aurait suffi de faire dupliquer en d’innombrables copies ? En d’autres termes, pourquoi ce Calife crut-il nécessaire non pas de faire copier le Coran, dont on avait un exemplaire établi par les soins d’Abou Bakr, mais de le soumettre de nouveau à l’approbation d’un conseil ? Et s’il en avait besoin à des fins de légitimation politique ?
Osman fit donc appel au même Zeïd ibn Thabet et lui demanda de composer une nouvelle commission dont l’identité des membres n’est pas toujours certaine. On demanda son exemplaire à Hafça, mais on ne s’en est pas contenté. Encore une fois, la mémoire des compagnons et les fragments sont amplement sollicités. Zéïd, en acceptant la même mission que celle qu’il a menée à
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peu près 25 ans auparavant, doutait-il de son premier travail au service d’Abou Bakr ? Le Coran qu’il avait collecté en ce moment-là avait-il changé depuis pour nécessiter une deuxième collecte ?
Deux hypothèses peuvent expliquer cette attitude : ou bien Zeïd n’était pas satisfait du premier travail de collecte, considérant par exemple que des morceaux entiers du Coran n’étaient pas recensés, ce qui rendait nécessaire une nouvelle recension. Ou bien, l’état Osmanien avait besoin d’une légitimité face à ses nombreux opposants et comptait la tirer de l’entreprise même de l’établissement du texte coranique.
Toujours est-il que cette commission se réunit de nouveau, statua et jugea. Le résultat de ses délibérations fut le codex dit mouchaf al Osmani (codex d’Osman).
1) Note de la rédaction. La sous-secte musulmane des coranistes, fondée par l’Égyptien Rachad Khalifa (1935 – 1990) elle, ne retient pas pour son édition du Coran justement cette fin du chapitre de l’immunité (le chapitre 9 versets 128 – 129) ; qu’elle considère comme fausse et inventée par Abi Khouzaïma.
LE PREMIER CALIFE PAR INTÉRIM : ABOU BAKR (27 oct. 573-23 août 634). CAPITALE MÉDINE.
Officiellement, le premier successeur de Mahomet fut Abou Bakr, censé gouverner de 632 à 634 les 70 000 musulmans peuplant la moitié ouest de la péninsule arabique. Ne s’est jamais dit Amir al Mouminine c’est-à-dire Commandeur des croyants.
Ses actes comme calife ne sont connus que par des sources musulmanes tardives, notamment la Sira d’Ibn Hicham, et ne sont jamais mentionnés dans des documents non islamiques, au contraire des califes suivants, Omar, Osman, Ali et ses successeurs. Ce contraste a conduit certains historiens à se demander si Abou Bakr, compagnon et beau-père de Mahomet, avait bien été calife. Les historiens mandatés par les califes ultérieurs pour rédiger l’histoire de l’empire ont peut-être dû trouver un moyen de combler l’intervalle allant de la mort de Mahomet à l’élection d’Omar comme calife. Le plus simple était de prendre un proche, et de lui attribuer une sorte de califat intérimaire.
Une raison supplémentaire de penser qu’Abou Bakr n’a jamais été calife est que son histoire est différente de celle des treize suivants : tous ont été assassinés, alors qu’Abou Bakr, lui, serait mort de
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mort naturelle. L’instabilité de l’islam primitif, que manifestent non seulement cette longue série d’assassinats ; mais aussi les guerres de religion qui ont fait des centaines de milliers de morts parmi les musulmans durant les premiers siècles ; rendent pour le moins peu probable un tel califat.
Ceci est le point de vue des grands spécialistes que sont Patricia Crone et Michael Cook. Nous sommes néanmoins quelque peu sceptiques même s’il ne nous appartient pas à nous, barbares druides d’Occident, de trancher en ce domaine. Nous nous en tiendrons donc pour la suite de ce livre à la thèse musulmane traditionnelle : Abou Bakr a bien été calife.
Ce premier calife (par intérim) a cinquante-neuf ans. C’est aussi le père d’Aïcha. Il figure parmi les plus anciens compagnons de Mahomet et, ainsi que nous avons eu l’occasion de le dire, sera le seul des dix premiers califes, à mourir de mort naturelle. Il ne régnera que deux courtes années, mais ce fut quand même lui qui acheva la conquête définitive de l’Est de l’Arabie.
La disparition de Mahomet, après avoir posé le problème du maintien de l’unité entre Mecquois et Médinois, suscitera la résistance d’une large part de l’Est et du sud de la péninsule.
Contrairement aux affirmations des musulmans pieux qui soutiennent que toutes ces tribus s’étaient SPONTANÉMENT ET SINCÈREMENT converties à l’islam, il est évident qu’il ne s’était agi à l’époque que d’accords politiques d’allégeance À UN INDIVIDU PARTICULIER : L’HOMME MAHOMET. ACCORDS DONC VALABLES UNIQUEMENT VIS-À-VIS DE MAHOMET ET PRENANT FIN À SA MORT.
LES GUERRES DE LA RIDDA.
Il ne faut pas s’imaginer qu’à la mort de Mohammed l’Arabie était entièrement soumise et encore moins islamisée. Seules l’étaient les tribus immédiatement voisines de La Mecque et de Médine, et, à mesure qu’on s’éloignait du centre, on rencontrait des tribus islamisées en partie, d’autres qui pour éviter les pires calamités s’étaient résignées à payer le tribut (zakat), et n’étaient musulmanes que de nom, d’autres enfin étaient complètement indépendante. Presque toutes, à la mort du Prophète, s’empressèrent de recouvrer leur liberté, d’autant plus qu’à l’époque, la mort d’un homme mettait fin aux traités conclus avec lui.
La prise de La Mecque avait, certes, contribué à la soumission d’une grande partie de l’Arabie, mais ces ralliements étaient plus politiques que religieux. Les Arabes, voyant le sanctuaire de La Mecque tomber aux mains des musulmans, avaient envoyé des ambassadeurs négocier des traités d’alliance avec l’État médinois naissant. Ce faisant, ils n’avaient agi que par politique et nullement pour des raisons relevant de la plus haute spiritualité. La mort de Mahomet eut donc des conséquences immédiates. Les tribus bédouines ou sédentaires qui avaient été plus ou moins contraintes de se rallier à sa personne ne s’estimèrent en aucune façon engagées envers son successeur, puisqu’elles n’avaient juré fidélité qu’à Mahomet. Elles tentèrent presque toutes de reprendre leur liberté ou de continuer à pratiquer leur culte, chrétien, voire païen ; notamment au Yémen et dans l’Est de l’Arabie, où les ponts furent complètement rompus pendant plusieurs mois. Cette première guerre de sécession, ou de religion, cruciale pour les débuts de l’islam, est appelée guerre de la Ridda par les musulmans, mais de façon quelque peu abusive, car un certain nombre de tribus étaient restées chrétiennes au moyen d’accord de type dhimma, ou même n’avaient jamais signé d’accord avec Mahomet, préférant suivre d’autres chefs charismatiques comme Moussaïlima ibn Thimama ibn Bani Hanifa ou Moussaïlima ibn Habib al-Hanafi, mort dans des conditions obscures (il a abandonné la forteresse où il était en sécurité pour se réfugier dans sa Kaaba à lui, le hadiqa ar-Rahman). Ce chef charismatique défendait avec conviction une sorte de christianisme monophysite guerrier dans toute l’Arabie centrale (Nejd). Ou comme Abhala al-Ansi surnommé Al-Assouade au Yémen, voire Toulaïha pour ce qui est des tribus Assade et Gatafane. Et enfin une femme, nommée Sadjah.
Aucune de ces fortes personnalités n’a copié Mahomet.
Le monothéisme d’Al-Assouade était vraisemblablement inspiré du christianisme ou du judaïsme étant donné qu’il était yéménite.
Celui de Toulaïha venait plutôt du judaïsme étant donné qu’il était qualifié de « seigneur de Khaïbar ».
Sadjah était ou chrétienne ou proche du christianisme puisque sa mère était Taghlibite.
Quant à Moussaïlima si l’on en croit le livre intitulé Thimar al-qouloub d’Abd al Malik b. Mouhammad al-Tha’alibi, « Quand le prophète arriva à Médine, il trouva les gens parlant de Moussaïlima, citant ses paroles et se référant à ce que les Banou Hanifa disaient de lui » (page 146 n° 207). Traduction Jacob Kister qui ajoute…
Al Baghawi, Tafsir sourate 25 verset 60.
(Et quand on leur dit) aux gens de La Mecque (Prosternez-vous devant le Tout Miséricordieux) soumettez-vous au Tout Miséricordieux en professant l’unicité divine (ils disent : « Qui est donc ce Tout Miséricordieux ? nous ne connaissons personne de ce nom à part Moussaïlima le menteur ».
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Le tableau que les sources musulmanes en font est évidemment grotesque et méprisant. Tout est fait pour dénigrer ces hommes et cette femme dont la seule existence bat en brèche le dogme du caractère exceptionnel de l’aventure mahométane. Leur terrain de prédilection était les régions soumises aux influences chrétiennes, perses, et surtout juives. La violence de la répression qui s’ensuivra montre bien que ces tentatives ont été considérées comme de sérieux dangers par l’islam naissant.
Cette première guerre de conquête menée par Abou Bakr causa de lourdes pertes dans les deux camps. L’ampleur de ces pertes sera même indirectement à l’origine de la première mise par écrit du Coran. Enfin du moins à en croire la légende musulmane.
À la mort de Mahomet donc de nombreuses tribus refusèrent de payer la zakat ou aumône OBLIGATOIRE à l’État Médinois et Abou Bakr entreprit donc immédiatement de les faire rentrer dans le rang voire d’en soumettre de nouvelles.
Juifs, chrétiens, et musulmans utilisent constamment le terme « apostat ou apostasie » pour parler des hommes ou des femmes plus très motivés ou plus très convaincus par leurs dogmes. Et sanctionnent de diverses façons cette situation : condamnation à mort par lapidation ou autodafé. Rappelons donc à ce sujet que changer de religion est un des droits LES PLUS ABSOLUS de tout être humain, et que ce droit ne doit pas rester qu’un vœu pieux. Comme l’a dit je ne sais plus qui : « Nulle contrainte en matière de religion ! ». Et heureusement qu’il y a eu un jour des hommes ou des femmes pour changer de religion, sinon l’Humanité en serait encore au chamanisme préhistorique, voire néanderthalien.
Ceci dit, reste à savoir ce que rejetaient ceux qui furent victimes des guerres de la Ridda racontées dans la littérature musulmane.
Lors de négociations avec Mahomet une certaine confusion s’établissait toujours dans les esprits entre conversion sincère à sa religion et alliance (ou soumission) uniquement politique avec cet homme.
Ainsi que nous avons pu le voir avec le cas d’Abou Soufiane ou des habitants de Taïf, beaucoup de ceux qui avaient fait allégeance à Mahomet, ne l’avaient nullement fait par spiritualité, mais plutôt par nécessité « politique ».
Selon Abou Miknaf mort en 774, une partie des tribus confédérées refusa donc de payer l’impôt islamique, qu’il s’agisse de la zakat (dîme) ou de la sadaqat (aumône). Voici par exemple le genre de propos attribués aux Yéménites par Ouaqidi : « Nous voici devenus les esclaves des Couraïchites. Ils prennent ce qu’ils veulent de nos biens. Par Dieu ! Que plus jamais les Couraïchites ne puissent convoiter désormais nos propriétés ».
L’interprétation en apostasie du rejet de l’impôt (qui est plutôt une revendication sociopolitique) est une reconstruction a posteriori de l’histoire musulmane, destinée à justifier cette guerre. L’aspect « lutte contre une tentative de sécession » se rencontre par contre dans les guerres faites par Abou Bakr, qui furent systématiquement menées contre des chefs charismatiques d’autres tribus : devins et poètes, comme la poétesse et prophétesse Sadjah de la tribu des Tamim. Cet aspect des choses est aussi évident dans le cas de la confédération tribale des Banou Hanifa, dirigée par Moussaïlima, dans la région d’Al Yamama, au centre de l’Arabie ; qui regroupe des tribus plus anciennement monothéistes que l’islam, adorant un Dieu qu’elles appellent Al Rahman, le Miséricordieux (les Hanifa, des groupes chrétiens monophysites pré nicéens ? ?)
L’essor de l’islam, dans l’Arabie du VIIe siècle, est assurément un phénomène historique unique, mais qui en laisse un deuxième dans l’ombre, celui des autres prophètes existant à l’époque. Le sujet a été très peu abordé en Occident (il est à peu près inconnu). Il faut noter que nos sources là encore sont musulmanes, donc très partiales, et même caricaturales. En passant outre leur point de vue pour le moins unilatéral, il est possible d’émettre l’idée que ces mouvements prophétiques étaient de toute façon présents, sur la scène arabe, avant même l’arrivée de Mahomet.
Divers autres mystiques s’étaient en effet à l’époque lancés un peu partout dans la même aventure que Mahomet, pour la plus grande gloire de Dieu ; et notamment un certain Assouad al Ansi dont le mouvement rivalisa un temps avec celui de l’islam au Yémen ; ainsi qu’un dénommé Toulaïha dans les tribus Assade et Ghatafane.
Probablement des dirigeants de coalitions aussi ouvertes que celle qui régissait La Mecque à l’époque, ou que celle qui avait été mise en place à Médine par Mahomet, au début (voir sa célèbre « constitution »).
À la mort de Mahomet, son premier successeur, Abou Bakr, devra par conséquent les affronter afin de les soumettre, au prix de lourdes pertes, et cette guerre sera donc en réalité une guerre menée contre des confédérations rivales.
La présentation de ces massacres comme une lutte contre l’apostasie est une réécriture de l’Histoire visant à justifier cette guerre civile. C’est un phénomène continu dans l’histoire des tribus arabes
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soumises à l’islam, qui se révoltent contre toute autorité politique extérieure, d’où qu’elle vienne. Les motivations en sont multiples : nostalgie des anciens dieux, banditisme, rejet de la fiscalité, ou plus simplement résultat d’un immense malentendu, les tribus s’étaient soumises à un nouvel ordre politique, sans réaliser sa dimension religieuse et totalitaire.
Les sources musulmanes n’ont pas insisté sur le phénomène, qui met à mal l’idée reçue d’une soumission inconditionnelle à l’islam dès le départ. On ne peut que survoler ce phénomène protéiforme et incontestable. Certaines tribus se divisèrent même en deux à cette occasion. Une partie de ses membres restant fidèles à leur nouvelle alliance, l’autre voulant maintenir sa liberté de culte ancestrale.
LA PRÉTENDUE GUERRE DE SÉCESSION « RELIGIEUSE » 1).
HURUB AL-RIDDA.
Ce début de guerre civile (il y eut des brûlés vifs ou des malheureux précipités du haut de certains rochers) s’étendit à toute l’Arabie, à l’exception des régions de La Mecque, de Médine, et de Taïf.
Ali Mouhammad As-Sallabi, Biographie d’Abou Bakr As-Siddiq.
« Les diverses tribus qui ne voulaient plus payer le Zakat dépêchèrent des envoyés à Médine afin de prendre langue avec Abou Bakr et négocier avec lui. Ils voulaient faire la paix, mais refusaient catégoriquement de payer la Zakat. Mais après avoir été témoin de l’intransigeance d’Abou Bakr à ce propos, ils réalisèrent qu’il était inutile de continuer à négocier. Avant de repartir, néanmoins, ils tirèrent de tout cela les deux conclusions suivantes concernant leur situation. Premièrement…
Deuxièmement, il fallait profiter de la faiblesse – ou de la faiblesse apparente – des Médinois qui, à cause de l’expédition d’Oussama, étaient moins nombreux ».
Toujours musulmans ou « apostats » ?
« Le point qui a besoin d’être clarifié est le suivant : les délégations qui vinrent trouver Abou Bakr, émanaient-elles d’apostats au vrai sens du terme, autrement dit de tribus ayant vraiment renoncé à leur foi musulmane ? La réponse est non. Même si certains d’entre eux avaient réellement renoncé à
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leur foi musulmane et avaient apostasié, la grande majorité d’entre eux étaient encore musulmans, la seule chose était qu’ils ne voulaient plus payer de Zakat.
Dans son livre intitulé Sharh Nahj al-Balaghah, Ibn Abi Hadid (1190 – 1258) écrit que cette notion d’apostasie a été utilisée « métaphoriquement ».
« Pourquoi dites-vous que ceux que combattit Abou Bakr étaient des apostats ? L’apostat est celui qui a vraiment renoncé à la foi islamique après l’avoir embrassée. Mais ceux qui refusaient de payer la Zakah ne reniaient pas la foi musulmane. Ils se sont seulement trompés dans leur interprétation (du Coran). Ils ont mal interprété la parole de Dieu (qui dit) : « De leurs biens, prends l’aumône, afin de pouvoir les purifier et les sanctifier. Et prie pour eux, car tes prières les apaiseront ».
NDLR. Il s’agit du verset 103 du chapitre 9).
Ils ont dit (à Abou Bakr et aux autorités médinoises : « Nous ne pouvons donner notre Zakah qu’à celui dont les prières sont source de sécurité pour nous. Maintenant que le Prophète est mort, plus personne n’est qualifié pour la recevoir. Notre obligation de payer la Zakah n’a plus lieu d’être ». Ceci n’a rien à voir avec une apostasie.
Les Compagnons d’alors ont parlé d’ahl ar-riddah (de peuples d’apostats) uniquement pour décrire métaphoriquement parlant l’énormité de leur parole et de leur erreur d’interprétation ». Ibn Abi Hadid, Sharh Nahj al-Balaghah (Le Caire 1959-1964.)
Ouael Hallaq, dans la section « Apostasie » de l’Encyclopédie du Coran, écrit qu’à l’exception des villes de Médine et de La Mecque, et des environs immédiats de la région, pratiquement toutes les tribus arabes se sont alors révoltées contre la domination musulmane… Les spécialistes ne sont pas d’accord sur les causes de la révolte, certains défendent l’idée qu’elle fut provoquée par un rejet de l’impôt que le Prophète de l’islam levait sur les tribus « islamisées », avec ce que cela impliquait en termes de domination politique. D’autres la voient comme traduisant une révolte religieuse (une contestation de la religion du nouvel état Médinois)… Les Banou Hanifa, menés par Moussaïlima en Yamama, n’avaient jamais été soumis à l’État médinois ni signé de traité avec Mahomet. Ils ne furent soumis à Médine et pour la première fois qu’après avoir été vaincus par le général musulman Khaled b. al-Oualid en 633.
À l’appui de sa thèse, Hallaq souligne la situation dans laquelle se trouvaient les Banou Hanifa et qui explique pourquoi il ne saurait être question d’apostasie dans leur cas. Ils n’avaient pas commencé par se convertir à l’islam et on ne peut donc à juste titre les qualifier d’apostats. On peut déduire de son complément d’information qu’une situation très similaire existait aussi sur la côte d’Oman, au Bahreïn, au Yémen et en Hadramaout. Dans ces régions d’Arabie, Mahomet avait seulement conclu des accords et signé des « traités de paix » avec les chefs militaires locaux, dont certains auraient même été des « officiers perses », débordés ou vaincus ensuite par les tribus locales. La résistance de ces tribus à Médine ne présuppose pas une situation préalable d’allégeance à l’État musulman. Leur soulèvement ne constitue donc pas une apostasie à proprement parler… pour les autres ce n’est pas l’apostasie de ces tribus qui déclencha la guerre contre elles, mais bien plutôt les ambitions religieuses, politiques et territoriales de Médine.
Ramener les rebelles indépendantistes dans le giron de l’État médinois fut par conséquent la nouvelle préoccupation d’Abou Bakr.
Une fois l’armée d’Oussama rentrée à Médine après une expédition dans le Nord n’ayant servi à rien (sinon accumuler diverses ruines ?) Abou Bakr fit parvenir un ultimatum à toutes ces tribus (une lettre leur promettant la vie sauve s’ils se soumettaient, sinon ils seraient massacrés, brûlés vivants, et leurs biens confisqués) ; puis il prépara une vaste offensive afin d’étouffer cette rébellion.
Le plan était simple, mais son exécution ne se passa pas comme prévu. Voir par exemple la « bavure » qui coûta la vie au célèbre poète musulman Malik Ibn Nouweïra, un poète à la beauté réputée. Il faisait partie des premiers compagnons de Mahomet qui lui avait confié la tâche de collecter la zakat, l’aumône légale obligatoire, au sein de sa tribu, les Banou Yarbou. Il fut tué « par erreur » par Khaled Ibn Oualid, qui lui prit également par erreur sa femme Oumm Moutamim. L’affaire fit grand bruit à l’époque, et le futur deuxième calife, Omar demandera même, mais en vain, que Khaled soit sanctionné pour ce crime. D’où en tout cas la révolte de leur fille Selma, noyée dans le sang par Khaled.
Après la prise de La Mecque par les musulmans, les tribus du Yémen étaient aussi venues faire alliance avec Mahomet ; celui-ci avait envoyé auprès d’elles des missionnaires, également collecteurs d’impôts (en arabe amil, quelle drôle d’idée), mais l’attitude parfois brutale de ces missionnaires percepteurs avait déclenché une insurrection. Un autre prophète (encore) avait alors émergé de tout ce chaos, un certain al-Assouad, le noir, surnommé Dhou al-Khimar (celui qui est voilé) ou même « L’homme sur l’âne », des surnoms qui avaient pour but évidemment de le rabaisser.
AL-ASSOUADE.
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Si l’on en croit les informations passablement chaotiques de Tabari sur le sujet, l’homme dut avoir une grande importance au Yémen à un moment donné. Au milieu du flot d’insultes habituelles aux pieux musulmans dès qu’on en parle figure en effet la phrase suivante.
Tabari, tome 10, page 34.
« Al-Assouade était un devin habité par Satan et qui le suivait. Il entra en rébellion, tomba sur le roi du Yémen, tua son fils et prit sa femme puis régna sur le Yémen. Badham était mort avant cela, en laissant à son fils la charge des affaires du royaume, c’est pourquoi il (al-Assaouade) il le tua puis épousa [sa femme]. Sur ce Dadhaouaih et Qaïs b. Machouh al-Mouradi ainsi que moi-même nous nous sommes concertés avec Ouabr b. Youhannis, l’envoyé du Prophète de Dieu, afin de tuer al-Assouade. Par la suite, al-Assouade a ordonné au peuple de se rassembler sur une place de Sanaa ; puis il est apparu au milieu d’eux, en portant avec lui le javelot du roi. Ensuite il a fait venir le cheval du roi, etc., etc. »
Un certain Qaïs continua sa lutte contre les musulmans quelque part entre le Yamama, l’Hadramaout et Oman. En vain évidemment ! Sa tribu, les Abdoul Qaïs, n’eut que le choix de se soumettre ou d’être décimée.
Abou Bakr donna également l’ordre d’anéantir la tribu chrétienne des Kinda installées dans l’oued Dohan. Les survivants répandront dans la région la doctrine kharidjite ibadite, qui donnera le premier schisme du monde musulman, et deviendra d’ailleurs la toujours actuelle religion officielle du Sultanat d’Oman.
TOULAÏHA AL-ASSADE.
Eva-Maria Lika, docteur en philosophie de l’université libre de Berlin a noté dans son livre consacré au Kitab Ithbat noubouwouat al-nabi (Confirmation de la prophétie du prophète) par l’imam zaïdite Abou l-Houssein al-Mou'ayad bi-Ilah al-Harouni (944-1020), qu’on ne connaissait pratiquement rien de ce personnage à part un des versets de son coran à lui.
La figure historique de Toulaïha al-Assade est le deuxième cas discuté dans le cadre des prétendues imitations du Coran. Toulaïha b. Khouwaïlide ben Naoufal de la tribu Assade, du nord-ouest de la péninsule arabique, était un chef de clan… Certaines sources rapportent qu’il fut écrasé du temps d’Abou Bakr.
Et voici le verset que discute al-Mou'ayad bi-Ilah al-Harouni pour traiter du caractère inimitable du Coran (idjaz).
« Qu’est-ce que cela peut faire à Dieu que tu couvres les joues de poussière ou que tu montres ton derrière ? Mais pense à lui chastement et debout [droitement].
Ibn Ichaq lui attribue néanmoins aussi l’étrange poème suivant.
Page 305 Vie de Mahomet traduction Alfred Guillaume.
LES COURAÏCHITES SE PRÉPARENT À PARTIR POUR BADR.
« Que penses-tu des gens quand tu les tues ?
Ne sont-ils pas des hommes bien qu’ils ne soient pas musulmans ?
Si les chameaux et les femmes ont été capturés
Tu ne t’en tireras pas sans avoir tué Hibal.
Je leur ai opposé le poitrail d’Himala – une jument bien habituée aux cris des guerriers tombés au combat !
(Il faut la voir avec son caparaçon et bien protégée,
Ou se ruer à découvert dans la mêlée)
La nuit venue j’ai laissé Ibn Aram mort sur le terrain
Et Oukkasha le Ghanmite tombé à terre ».
Comme à son habitude Khaled ne fit pas dans le détail. Les troupes placées sous son commandement, soumirent rapidement les Assades et les Ghatafanes, ainsi que leur prophète (Toulaïha) qui fut évidemment exécuté (d’autres versions nous rapportent qu’il partit se réfugier en Syrie pour se convertir ensuite à l’islam, à l’époque d’Omar).
SADJA.
Sadja, si l’on en croit, serait née à Mossoul, et aurait grandi dans la tribu des Taghlibites entre Ana et Anbar. Elle appartenait au clan des Namir ben Qasit qui étaient chrétiens, comme en général les habitants de Mossoul, de la Mésopotamie, de l’Irak et de la Syrie. Tabari note qu’elle avait abandonné la « nasrania » c’est-à-dire le christianisme, en se déclarant prophétesse. C’était donc bien une apostate, MAIS DU CHRISTIANISME.
Apparemment Sadja double sa volonté politique, et sans doute aussi économique (une telle mission s’assimile nettement à une razzia occasionnelle), d’un message spirituel ; ce qui corrobore l’impression d’un début de VIIe siècle très agité sur le plan de la religion et des idées dans cette région du monde.
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Sadja professait donc, elle aussi, un message christique et piétiste tendant vers le syncrétisme. Les détails de son discours ne sont malheureusement connus que dans la caricature qu’en font les auteurs musulmans du IXe siècle, et personne du côté chrétien, évidemment, ne s’est soucié de rappeler les hauts faits d’une nouvelle hérésie originale DU CHRISTIANISME.
Sadja en tout cas entreprit de déferler avec une importante cavalerie composée de guerriers des deux tribus christianisées, plus des Lyades, sur la péninsule Arabe.
Ce mouvement inquiète autant le prophète Moussaïlima que le général musulman qui se trouvait, lui aussi, dans les parages. Les armées musulmanes se retirèrent donc à deux jours de marche pour éviter l’affrontement.
Moussaïlima, retranché dans sa forteresse, fit installer une tente en dehors de la ville pour y recevoir l’ambassade de Sadja. Forte de la promesse de recevoir la moitié des revenus de la région, elle consentit à repartir vers Mossoul.
MOUSSAÏLIMA MAINTENANT.
Le nom reste problématique. Il ressemble au Maslama (sans doute l’original) arabe, et rappelle aussi Moïse (le petit Maslama ? Le petit Moïse ?).
NB. Nos frères musulmans pardonneront j’espère que nous nous n’accordions guère de crédit aux insultes dont ils abreuvent le malheureux vaincu (depuis Brennus c’est le B-A BA du métier d’historien objectif) et que nous nous efforcions au contraire de redresser toutes les informations partiales ou biaisées dont il a été victime depuis sa défaite (malheur aux vaincus), notre seule religion à nous n’étant pas celle du dieu unique, mais de la vérité, factuelle au moins. Ce qu’il y a dans le cœur des hommes ses créatures, Dieu seul le sait à notre avis, et on le lui laisse d’ailleurs.
Mais gageons que si Moussaïlima l’avait emporté, le nombre des hadiths à la gloire de sa personne égalerait celui des hadiths idolâtrant Mahomet (isma), il n’en manquerait pas pour présenter Mahomet comme un pauvre menteur jaloux prêt à tout pour établir sa suprématie, et que sa Kaaba à lui (son haqiqat ar-Rahman) ne serait pas devenu un enclos de la mort (haqiqat al-maout), mais au contraire un grand centre de pèlerinage mondial.
Ce qui nous frappe néanmoins et de prime abord c’est la ressemblance des carrières ainsi qu’un grand nombre de points communs entre leurs pratiques religieuses… la réception de la révélation par l’intermédiaire de l’archange Gabriel, des pouvoirs miraculeux, la guérison de malades, et surtout l’usage du langage du sadj (prose arabe rimée utilisée depuis toujours par les devins et autres personnages sacrés de l’Arabie afin d’exprimer les révélations reçues de manière surnaturelle). Notons enfin par ailleurs qu’al Rahman, le Dieu de Moussaïlima, est devenu un des noms les plus utilisés pour désigner Dieu dans le Coran. Quelle étrange revanche du vaincu ! Ce qui nous ramène à notre point de départ.
Ce qui incline à penser en effet que Moussaïlima avait commencé sa prédication avant Mahomet outre le fait qu’il appartenait à une tribu touchée depuis longtemps par le christianisme, c’est le chapitre 25, verset 60 du Coran.
« Lorsqu’on leur dit : prosternez-vous devant le Miséricordieux (Ar Rahman) ils répondent, qui est le Miséricordieux ?… Et cela ne fait qu’augmenter leur répulsion ».
Commentaire d’Al Baghaoui Tafsir sourate 25, verset 60 : [les Mecquois répondirent à Mahomet] que le seul Rahman dont on ait entendu parler était le Rahman de la Yamama c’est-à-dire Moussaïlimah.
Moussaïlima était donc prophète lui aussi, mais prêchait au nom d’un dieu appelé ar-Rahman (le Clément). Lui-même d’ailleurs se voulait être la voix d’ar-Rahman (vraisemblablement un dieu de la pluie, qui lui aussi avait son haram). Sa doctrine prônait la chasteté, l’ascétisme, et elle était plus ou moins teintée de christianisme, vu le degré de pénétration de cette religion à l’époque en Arabie.
« Les données spécifiques concernant les enseignements religieux de Moussaïlima figurent en nombre très limité dans les sources primaires. « Il insistait sur la droiture et prêchait la doctrine de la résurrection ainsi que celle du jugement divin sur la base de ce que l’homme a fait durant sa vie »… en prônant pour ses disciples trois prières officielles par jour, le jeûne et la reconnaissance d’un sanctuaire ou d’un territoire sacré à al-Yamima… Tabari rapporte que durant les années de bonne récolte, les nomades B. Assades attaquaient les villages d’al-Yamima et se retiraient ensuite dans l’enclave sacrée (haram) instaurée par Moussaïlima, en s’en servant comme d’un sanctuaire.
Cela se produisit à plusieurs reprises, même après maintes mises en garde, jusqu’à ce que les habitants d’al-Yamama s’apprêtent à poursuivre les B. Assades jusque dans l’enclave sacrée. Moussaïlima les arrêta en disant : « Attendez celui qui descend du ciel pour me parler » puis leur fit part de la révélation suivante : « Par la nuit sombre et par le loup rusé, les B. Assades n’ont pas souillé le haram ».
Les habitants d’al-Yamima lui rétorquèrent : Est-ce que haram veut dire permission de faire ce qui est interdit et de détruire [nos] biens ?
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À en croire le même récit, les B. Assades attaquèrent de nouveau al-Yamama et Moussaïlima empêcha encore une fois ses disciples de pénétrer sur le territoire sacré, avec une révélation de « celui qui lui apparaît » : « Par la nuit ténébreuse et par le loup noir ! Les Assades ne vous ont pas privés [de dattes] fraîches ou séchées »…
Les influences qui s’étaient exercées sur lui, selon Watt, étaient principalement chrétiennes, puisque Moussaïlima utilisait certaines expressions telles que « royaume des cieux » (mulk as-samdi '). La déduction de Watt est d’autant plus probable, qu’al-Yamama était une région très marquée par le christianisme. En outre les nomades B. Tamim, qui vivaient à côté des B. Hanifa, étaient en grande partie chrétiens » (Dale F. Eickelman : Moussaïlima, une approche de l’anthropologie sociale du septième siècle en Arabie).
Le personnage peut donc paraît pittoresque, mais derrière les apparences quasi satiriques, on voit bien qu’il a été le concurrent le plus sérieux de Mahomet. Le dénigrement commence avec la rencontre entre Moussaïlima et Mahomet justement. Moussaïlima est présenté comme un anti-Mahomet, prenant le contre-pied de la doctrine musulmane dans tous ses aspects.
Il serait plus judicieux de reconnaître dans sa doctrine des influences chrétiennes, tout comme dans le cas de Sadja, qui le remplacera en tant que prophétesse après sa mort.
La courte correspondance entre les deux hommes est un document exceptionnel, et remarquable par le contraste très fort entre les deux, sur le fond comme dans la forme. La présence de vin autour de lui est compatible avec le christianisme et les prières ne devaient pas avoir lieu 5 fois par jour. Quant au mot forniquer il pouvait signifier beaucoup de choses à l’époque (épouser un cousin par exemple). N’oublions pas que le but exclusif de ces documents est de démontrer l’imposture du personnage (Moussaïlima bien sûr) son artificialité, voire son ridicule.
Tabari tome 9, page 95.
Une délégation des Banou Hanifah vint rencontrer le Messager de Dieu et parmi eux se trouvait Moussaïlimah b. Habib le super menteur. Ils descendirent chez la fille d’al-Harith, une femme des Ansar…
Ibn Houmaïd-Salamah-Ibn Ichaq, un cheikh des Banu Hanifah de la Yamamah : L’histoire de Moussaïlimah diffère de celle mentionnée précédemment. [Ce cheikh] a prétendu que quand la délégation des Banou Hanifah rencontra le Messager de Dieu ils laissèrent Moussaïlimah dehors avec leurs bagages… ensuite il [Moussaïlima] commença de parler en vers rimés (sadj) et en plagiant le Coran… il ne leur imposait pas de prier (5 fois par jour) et leur permettait de boire du vin voire de forniquer et ainsi de suite. Les Bani Hanifah le suivaient en ces domaines.
Tabari tome 9, page 107.
Il [Mahomet] a écrit à Moussaïlimah : « Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux, de la part de Mahomet le Messager de Dieu, à Moussaïlimah, l’archimenteur ». Que la paix soit avec celui qui suit la voie de Dieu. « La terre appartient à Dieu, qui la lègue à qui Il veut parmi Ses serviteurs… ».
NOTES DE GUILLAUME.
647. Moussaïlimah, diminutif de Maslamah (qui était son vrai nom), était le prince religieux d’un haram sacré. D’après certains témoignages il avait mis en place cette enclave sacrée au Yamamah avant la venue à Médine du Prophète. Il contrôlait ainsi une vaste zone de l’est de l’Arabie.
655. Il suivait le style kahin (la prose rimée) et levait les yeux au ciel pour ses révélations, puis parlait au nom d’al-Rahman.
Ci-dessous quelques fragments du Coran de Moussaïlima.
Un éléphant, qu’est-ce qu’un éléphant, qui peut dire ce qu’est un éléphant ?
Il a une pauvre queue et une longue trompe, mais est une partie insignifiante des créations de ton Dieu.
Ne vois-tu pas comment ton Seigneur a traité la femme enceinte ?
Dieu a accordé ses faveurs à la femme enceinte
Il a mis en elle un être vivant et qui bouge
Entre son nombril et les intestins
Et lui a permis de commettre l’adultère ????
Les B. Tamm sont de sang noble ; ne faites rien qui puisse les déshonorer.
Restons de bons voisins pour eux tant que nous vivrons
Et défendons – les contre leurs ennemis.
Que Rahman s’occuper d’eux après notre mort.
Par les semeurs et les moissonneurs de moisson
Et les vanneurs et les meuniers du blé,
Et les boulangers du pain…
Vous êtes meilleurs que les nomades (ah al-ouabar)
Et pas pire que les gens de la ville (ahl al-madar).
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Défendez vos champs, abritez les pauvres et chassez les assaillants.
Nous t’avons donné ces joyaux en vérité, mais saisis-les donc et vite ;
Et garde-toi de ne pas être trop avare ni trop avide.
Grenouille, fille de deux grenouilles, croasse autant que tu peux
Le haut de ton corps baigne dans l’eau et le bas dans la boue
N’interdis donc pas de boire et ne rends pas l’eau impure
À nous la moitié du pays, et [l’autre] moitié aux Couraïchites
Mais les Couraïchites sont une tribu qui ne respecte personne.
Ils vous ont interdit de rester et le requin (les Couraïchites ?) a cherché où demeurer, ils ont combattu le tyran.
NDLR. Ces derniers vers visent clairement le prophète de l’islam qui lui fait concurrence.
L’expédition contre Moussaïlima : la bataille d’Aqraba ou d’Haqiqat al-Maout (le Clos de la mort). Octobre 632.
Abou Bakr avait attribué à Ikrima le commandement de la première armée, afin de laisser les mains libres à Khaled pour ses propres opérations, et fixer les forces de Moussaïlima dans le centre de la péninsule.
Ikrima était un bon cavalier. Il avait commandé l’aile gauche des Couraïchites lors de la bataille d’Ohoud. Il suivit les instructions d’Abou Bakr et arriva donc à contenir Moussaïlima dans le Yamama, sans engager de combat. Mais, lorsque la nouvelle de la victoire de Khaled sur Tolaïha lui parvint, en même temps que l’annonce des renforts que devait lui amener prochainement Shorahbil Ibn Hassanah (commandant de la huitième armée), sans plus attendre il se précipita contre Moussaïlima, et fut écrasé. Shorahbil commit la même erreur que son homologue, et fut mis en déroute à son tour, à la plus grande joie des partisans de Moussaïlima évidemment.
Khaled était alors à al-Boutah, où il venait d’achever sa campagne contre Malik Ibn Nouweira. Il reçut par conséquent une lettre d’Abou Bakr lui ordonnant de se porter à la rencontre des Banou Hanifa le plus tôt possible. Après l’arrivée des renforts, composés de mouhadjiroun (de Mecquois installés à Médine) et d’ansar (de Médinois de souche), Khaled réorganisa son armée (qui comptait treize mille hommes) et se dirigea vers la Yamama. Parvenue à une journée de marche de sa capitale (Al Hadjr près de l’actuelle Riyad), son avant-garde rencontra six hommes parmi lesquels un dénommé Majaa, un des adjoints de Moussaïlima, très influent dans sa tribu. Khaled fit exécuter les cinq autres et garda Majaa prisonnier.
Moussaïlima décida d’aller à la rencontre de Khaled et installa son camp du côté d’Aqraba, juste à l’extrémité des champs cultivés ainsi des plantations de dattiers, situés aux abords de la ville.
Khaled établit le sien face à celui de Moussaïlima et confia le commandement de l’aile droite à Zaïd Ibn al-Khattab (le frère aîné d’Omar, le futur deuxième calife) et celui de l’aile gauche à Abou-Hothaïfa.
L’armée musulmane ne fut pas organisée pour la circonstance en fonction des appartenances claniques ou tribales, mais en régiments ou compagnies composées d’hommes venant de toutes les tribus.
Bien que le rapport de force soit favorable à Moussaïlima (trois contre un), Khaled décida d’attaquer le premier. Le combat commença en décembre 632, par une attaque générale des musulmans.
Moussaïlima repoussa les musulmans dans leur camp et pénétra même jusque sous la tente de Khaled, où se trouvaient sa femme et Madjaa enchaîné. Un partisan de Moussaïlima voulut tuer la femme de Khaled, mais Madjaa lui dit alors : « Laisse-la tranquille, et occupe-toi plutôt des hommes ».
Khaled réorganisa son armée de nouveau sur une base tribale, et à partir de ce moment, chacun se battit aussi pour l’honneur (de sa tribu). Le combat fut acharné.
Khaled essaya ensuite de tendre un piège à Moussaïlima, sous prétexte de négociations, mais ce dernier réussit à échapper in extremis au traquenard, et rejoignit ses troupes.
Non loin du camp des fidèles de Moussaïlima, il y avait un grand jardin entouré d’un mur épais, muni d’une porte très solide, appelé al-Haqiqat. Le commandant de l’aile droite de Moussaïlima, voyant que la situation devenait désespérée, cria de nouveaux ordres à ses soldats : « Au jardin, au jardin, je couvrirai vos arrières ».
Tous se précipitèrent donc vers la porte de l’enclos, mais leur arrière-garde ne put résister longtemps aux musulmans : une partie de l’armée de Moussaïlima prit la fuite, ou fut tuée.
Les musulmans arrivèrent à forcer la porte du jardin en escaladant le mur et y pénétrèrent, massacrant tous ceux qui s’y trouvaient. Moussaïlima fut tué.
Sahih Boukhari tome 5 livre 59 hadith numéro 399.
« Es-tu Ouahchi ? » J’ai répondu oui… je suis parti quand le Messager de Dieu mourut. C’est alors qu’apparut Moussaïlamah Al-Kadhdhab (qui prétendait être prophète). Je me suis : je vais me mettre à la recherche de ce Moussaïlamah pour le tuer aussi et compenser ainsi la mort de Hamza. Je suis
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alors parti (pour combattre Moussaïlamah et ses partisans) et des événements restés célèbres se produisirent durant cette bataille. J’ai vu tout d’un coup un homme (Moussïlamah) près d’une brèche dans un mur. Il ressemblait à un chameau gris et ses cheveux étaient tout ébouriffés. Alors je lui ai donné un coup de lance, en l’enfonçant dans sa poitrine jusqu’à ce qu’elle ressorte d’entre ses épaules, ensuite un des Ansar l’a attaqué et l’a frappé à la tête avec son épée… Une esclave sur le toit de la maison s’est alors exclamée : malheur à nous, le commandeur des croyants (c’est-à-dire Moussaiïamah) a été tué par un esclave noir ».
Il ne fallut donc pas moins de trois armées pour venir à bout de ces Banou Hanifa, qui seront finalement massacrés en même temps que leur prophète.
Selon Ibn al-Athir il y aurait eu 21 000 morts chez les fidèles de Moussaïlima, et 600 pour les guerriers de Mahomet.
Chiffres difficilement compatibles avec l’âpreté initiale des combats et le fait que beaucoup de mémoires vivantes du Coran moururent lors de cette première vraie guerre de conquête 1) apparemment (d’où la nécessité de le mettre par écrit ensuite du moins d’après la tradition musulmane).
À la tombée de la nuit, Khaled fit bivouaquer ses hommes sur le champ de bataille, et dès le lendemain, il envoya des cavaliers aux alentours à la poursuite des fuyards. Ensuite il envoya une lettre à Abou Bakr pour lui annoncer la nouvelle. En raison de ses pertes et de la fatigue de ses hommes, Khaled préféra conclure un traité de paix. Il libéra Madjaa pour qu’il négocie une reddition avec les habitants. Madjaa voyant qu’il n’y avait plus de soldats en mesure de défendre la ville demanda aux femmes de revêtir des armures et de venir sur les remparts pour le conspuer lorsqu’il en ressortirait.
Khaled, voyant toutes ces armures briller au soleil, crut avoir en face de lui une armée encore importante. Il demanda aussi à Madjaa qui était venu le retrouver, à qui s’adressaient les injures qu’il entendait. Madjaa répondit que c’était à lui, car les gens n’étaient pas satisfaits des conditions de reddition qui leur étaient proposées. C’est ainsi qu’il parvint à obtenir de Khaled des conditions moins dures. La population devrait livrer au vainqueur un quart de ses richesses (Khaïbar 629 la moitié), et Khaled pourrait choisir la maison qui lui plairait comme résidence personnelle, mais en retour il s’engageait à leur restituer la moitié des prisonniers qu’il détenait.
Le traité conclu, Khaled entra dans la citadelle et fut donc très étonné de ne voir devant lui que des vieillards, des femmes et des enfants. Il se tourna vers Madjaa et lui demanda : « Où sont les combattants ? » Madjaa répondit en lui montrant du doigt les femmes et les vieillards : « Les voilà, je leur avais fait endosser des cuirasses et je les avais fait monter sur les remparts ».
Khaled reçut ensuite un message du calife Abou Bakr lui enjoignant de tuer tous les hommes en âge de porter les armes et de réduire en esclavage femmes et enfants.
Khaled répondit qu’il ne pouvait plus exécuter cet ordre vu le traité qu’il venait de signer avec les Hanifa, et Abou Bakr entérina la situation. Ce coup de génie de Madjaa sauva donc la ville.
Mais tous les fidèles de Moussaïlimah ne devinrent pas aussitôt de « bons » musulmans. Dix ou vingt ans plus tard, l’homme qui avait porté son message à Mahomet ainsi que quelques autres d’ailleurs, furent dénoncés comme étant toujours de ses disciples et donc mis à mort.
Sounnane Abou Daoud livre 14, hadith numéro 2756.
Rapporté par Abdoullah ibn Massoude : Harithah ibn Moudarrib a déclaré dit qu’il est venu un jour chez Abdoullah ibn Massoude et (lui) a dit : Il n’y a aucune inimitié entre moi et les Arabes. Je suis passé dans une mosquée des Banou Hanifa. Ils croyaient encore en Moussaïlima. Abdoullah (ibn Massoude) les fit venir. Ils furent amenés devant lui et il leur demanda de se repentir, sauf à Ibn an-Nawouahah. Il lui dit : J’ai entendu le Messager de Dieu dire, si tu n’étais pas un messager, je te ferais décapiter. Mais aujourd’hui tu n’es plus un messager. Il ordonna ensuite à Qarazah ibn Ka'b (de le tuer). Il fut décapité sur la place du marché.
À la suite de cette victoire, Khaled put soumettre les populations de Bahreïn et du golfe Persique, menées par un descendant des anciens souverains de Hira.
Après cette victoire (février – mars 633), et à l’exception de quelques zones situées aux confins du pays, la plus grande partie de l’Arabie fut intégrée dans l’empire musulman naissant et Khaled se retourna dès lors contre les Taghlibites et les Banou Tamim qui, au nord-est de la péninsule, suivaient toujours la prophétesse Sadjah, ainsi que nous l’avons dit. Ayant échoué dans ses tentatives de regroupement des adversaires de l’islam, elle était repartie dans son pays natal, la région de Mossoul en Irak.
CONCLUSION.
Les batailles de cette gigantesque guerre de Sécession religieuse eurent pour résultat d’aguerrir les musulmans. Ce fut leur première manœuvre militaire à grande échelle, un entraînement sur tous les plans : la mobilisation, les mouvements, la reconnaissance, l’encerclement, l’attaque, et l’organisation
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administrative. Il y eut de nombreux morts de part et d’autre. Presque tous les foyers furent touchés. Certaines tribus furent même décimées. Le défi à relever après cela fut « comment apaiser les rancœurs ».
La tribu des Hanifa fut par exemple massacrée par Khaled ibn al-Oualid, dont les sanglants exploits avaient déjà soulevé l’indignation de Mahomet lui-même.
L’expansion par la force de l’islam se fera ensuite sur tous les fronts du Nord de la péninsule, le Centre et le Sud ayant été soumis par les armes. Mais les premières expéditions organisées au temps d’Abou Bakr, vers l’Irak et la Syrie, ressembleront encore beaucoup à des razzias sur les frontières des empires perse ou byzantin, épuisés par une longue guerre ayant duré 25 ans (de 602 à 628) et pour ce qui est de l’Empire perse par toute une série de coups d’État.
L’Empire byzantin commençait tout juste à réoccuper lentement (faute de moyens) les positions abandonnées une génération plus tôt, au sein d’une population assez méfiante pour diverses raisons religieuses, et l’empire sassanide était désorganisé par le chaos dynastique qui avait plongé le pays dans l’anarchie.
1) En réalité une première guerre de conquête car ces tribus n’avaient jamais accepté jusque-là de se soumettre à l’État médinois.
LE LIMES ARABICUS.
Le Limes Arabicus était une frontière de l’Empire romain, située principalement dans la province d’Arabie Pétrée. Elle courait, à partir du nord-est du golfe d’Aqaba, sur environ 1 500 kilomètres, jusqu’au nord de la Syrie et comportait plusieurs forts ainsi que des tours de guet.
Derrière ce Limes Arabicus Trajan avait fait construire une importante route, la Via Nova Traiana, qui allait de Bosra à Aïla sur la Mer Rouge, (430 kilomètres). Construite entre 111 et 114, son principal objectif était aussi de fournir un moyen de transport efficace pour les mouvements de troupes et les fonctionnaires du gouvernement, et de protéger les caravanes commerciales venant de la péninsule arabique. Elle fut terminée sous l’empereur Hadrien.
Il y avait des castra (forts) tous les 100 kilomètres. Dans le sud il y avait une fortification de légion dans Adrou (Oudrouh), juste à l’est de Pétra. Elle abritait probablement la Legio VI Ferrata, qui avait été retirée de Ladjoun (actuel Israël) par Dioclétien. Elle est semblable à celle de Betthorous (al-Ladjoun en actuelle Jordanie) située dans la plaine de Moab, au sud de Ouadi Moudib) pour ce qui est de la superficie (4,9 ha) et de la conception. Alistair Killick, qui a fouillé le site, le date du début du 2e siècle, mais Parker suggère la fin du 3e ou le début du 4e.
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Un camp de légionnaires a peut-être aussi existé à Aila (moderne Aqaba). La ville était située à l’extrémité nord du golfe d’Aqaba dont elle constituait le débouché pour ce qui est du commerce maritime. Plusieurs routes terrestres y aboutissaient. La Legio X Fretensis, initialement cantonnée à Jérusalem, y fut transférée. Les troupes furent progressivement retirées du Limes Arabicus dans la première moitié du 6e siècle et remplacées par des foederati (alliés) arabes, principalement des Ghassanides.
Au 7e siècle la frontière ou Limes Arabicus de l’Empire romain d’Orient était donc une ligne frontière fortifiée allant grosso modo de l’est de Resafa ou Palmyre en Syrie jusqu’au golfe d’Aqaba en passant par l’est de Pétra en Jordanie. Ce « limes de désert » comprenait deux éléments. À l’ouest, l’ancienne route royale, rebaptisée via nova Traiana, en constituait l’épine dorsale. Elle était complétée par tout un réseau de fortifications, de tours de guet ainsi que de forts (castra) bâtis à Bostra/Bosra, Gérase (Jerash), Philadelphie (Amman), Pétra, Rabbath Moab et Aila (Eilath).
À l’est, de petites enceintes fortifiées permettaient de contrôler les oasis, c’est-à-dire l’approvisionnement en eau des nomades, et d’envoyer des hommes patrouiller dans le désert.
À l’ouest c’était l’Empire romain d’Orient et la Pax Romana (rétablie).
Mais l’empereur Héraclius, après avoir repris la Syrie aux Sassanides, fit construire une nouvelle ligne de défense allant de Gaza jusqu’à l’extrémité sud de la mer Morte. Ces nouvelles dispositions eurent pour inconvénient de permettre aux musulmans, sortis du désert dans le sud, d’avancer jusqu’au nord de Gaza avant de rencontrer les troupes byzantines régulières. En d’autres termes Héraclius commit l’erreur de dégarnir son flanc sud.
Ci-dessous ce que l’on peut lire dans le remarquable ouvrage de Walter E. Kaegi consacré au sujet (Byzance et la première conquête musulmane. Presse universitaire de Chicago 1992).
« Les armées d’Héraclius, à la veille des conquêtes musulmanes, étaient probablement fortes d’environ 10 000 à 20 000 hommes des forces expéditionnaires impériales (latin praesentales) d’élite stationnées à Constantinople et dans ses environs. Ces troupes étaient capables de se battre dans des campagnes ayant un objectif ciblé. C’étaient les meilleures troupes qui pouvaient être envoyées contre les musulmans ou contre tout autre envahisseur. Il y avait aussi troupes, de qualité variable, mais généralement moins fiable… 10 000 hommes en Syrie, en particulier au nord de la Syrie, dont certainement 5 000 ou moins, y compris les milices arabes alliées enrôlées sur place et ne faisant pas partie de l’armée régulière, étaient stationnés dans les trois provinces palestiniennes ainsi que dans la province d’Arabie 2). La chaîne de commandement exacte de ces troupes n’est pas claire… La protection des lignes d’approvisionnement et les garnisons réduisaient probablement la force maximale potentielle de cette armée régulière à 20 000 ou 30 000 hommes, sans compter les contingents arabes alliés. Il est néanmoins possible que les difficultés financières consécutives à la fin des guerres contre la Perse aient entraîné une réduction encore plus drastique du total des effectifs, mais cela reste à prouver.
Ces troupes sont de qualité très variable. En tout état de cause, ces effectifs ne suffisaient pas à la sécurité intérieure et à la défense des frontières de l’empire d’après 630. Et même le problème du soutien logistique de ces effectifs insuffisants était un vrai défi… Les plus grosses garnisons ne se trouvaient dans aucune des trois provinces palestiniennes, mais dans le nord de la Syrie et en haute Mésopotamie, faisant face aux grandes menaces traditionnelles pour l’Empire, à savoir, les Perses. Une garnison substantielle existait à ou près d’Antioche, probablement 1.500 hommes ou moins, et une garnison beaucoup plus petite, mais encore importante à Chalkis (Qinnasrine) peut-être quelques centaines d’hommes… plus au sud il n’y avait probablement plus que de petits détachements d’unités régulières locales positionnés en divers endroits des rois provinces palestiniennes, la Palestine I, la Palestine II, la Palestine III et dans la province d’Arabie autour de Bosra. Le plus gros détachement était probablement stationné à Césarée (peut-être 200 ou 300 hommes immédiatement disponibles). De petites garnisons de cent à deux cents hommes voire moins, composées de Byzantins, mais assimilés depuis longtemps, et dont beaucoup devaient exercer aussi d’autres activités, étaient réparties de part et d’autre de la mer Morte et de la vallée du Jourdain. La qualité de ces troupes était médiocre, mais pas catastrophique. Certaines d’entre avaient un certain entraînement. Il était difficile de coordonner ces garnisons dispersées en cas de grave danger. Ces troupes de garnison n’avaient aucune expérience en matière de guerre ouverte, de manœuvres ou de bataille rangée. Elles étaient plus adaptées à une garde statique défensive de faible intensité ou à la défense de positions bien fortifiées. Il se peut que certaines villes aient entretenu une garnison de la taille d’un numerus, c’est-à-dire allant de 100 à 500 hommes ».
Contre les empires comme la Perse, les Byzantins avaient une stratégie offensive recherchant l’affrontement en rase campagne.
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Contre les Arabes, les Byzantins par contre n’eurent aucune stratégie préétablie car les Arabo-Musulmans n’avaient jamais représenté une menace auparavant.
Au Levant, c’est-à-dire en Syrie et en Palestine, les Byzantins ont dont souvent appliqués une stratégie défensive, en comptant sur de lourdes murailles pour ralentir l’ennemi et l’obliger à faire de longs sièges, permettant ainsi à Constantinople de pouvoir envoyer de grosses armées de secours. Mais cette stratégie ne va pas fonctionner car les villes byzantines comme Bosra vont se rendre, les populations ne voulant pas être assiégées de nouveau après la longue occupation perse qui avait suivi la guerre précédente.
Une conquête du Levant Romain (Byzantin) était donc possible, du fait de la lassitude des habitants qui subissaient des guerres incessantes contre l’empire sassanide (iranien), de lourds prélèvements d’impôts, ou agricoles. Le blé égyptien était par exemple purement et simplement confisqué par les Byzantins, ce qui entraînait des famines chez les habitants voire des épidémies (peste, choléra). Ainsi, entre 630 et 649, dates des conquêtes du Moyen-Orient (Palestine, Syrie, Haute Mésopotamie et Égypte), par les troupes arabo-musulmanes, ces dernières furent elles PARFOIS reçues et acclamées, en vainqueurs, RAREMENT le contraire. L’attitude dominante fut l’attentisme, le fameux wait and see des Britanniques.
LE PROBLÈME DES SOURCES PRIMAIRES… ET SECONDAIRES.
« Avant d’entrer dans le détail des batailles elles-mêmes, il convient de préciser que nous n’avons aucune bonne description des tactiques ou des armes employées par l’une ou l’autre des parties impliquées. Les hommes qui ont traité des affaires militaires étaient pour la plupart des ecclésiastiques du côté chrétien et des conteurs ou des érudits religieux de différentes sortes du côté musulman. Leur but en écrivant était de montrer l’action de Dieu dans les affaires humaines, pas les machinations des hommes. Les conteurs, ou peut-être devrions-nous dire les prédicateurs, ont œuvré dans les armées arabo-musulmanes dès le début, pour encourager les hommes en rappelant les gloires du passé et les exploits héroïques, et ainsi une dimension humaine aux faits. Ils nous donnent un aperçu, par exemple, des caractères de ces premiers guerriers (Abou Obeida est un homme prudent, Khaled ibn al-Oualid impétueux, Amr ibn Al-As rusé), et de l’image de soi que veut donner le conquérant : « soldats le jour et moines la nuit, en soulignant leur amour du djihad et de la zouhd (vie simple). Nous n’avons presque jamais chez ces écrivains néanmoins de détails fiables sur les forces et les mouvements des troupes en présence, leurs plans de bataille, les armes utilisées, le site, et ainsi de suite. Les chiffres donnés par nos sources sont notamment très erratiques, et le lecteur doit bien avoir présent à l’esprit que l’approvisionnement d’un nombre important de soldats était très difficile avant la mécanisation de l’agriculture et des transports. Une armée de 5.000 à10.000 hommes est déjà très importante, et de 30.000 à 40.000 à la limite du possible, notamment dans les zones moins fertiles (Robert G. Hoyland, sur le sentier de Dieu).
Les sources musulmanes ont néanmoins toutes en commun…
— De faire état d’une phénoménale disproportion des effectifs (en faveur des Byzantins).
— De nous présenter les musulmans comme des saints héroïques admirables et leurs adversaires comme des hommes sans foi ni loi, lâches bêtes et méchants.
— De nous fournir très peu de renseignements précis et personnels (noms propres – Romanus n’est évidemment pas le véritable nom du gouverneur de la cité de Bosra – nationalités, etc.) sur les hommes du camp d’en face ; mais de regorger de détails y compris sans grand intérêt ou n’expliquant pas grand-chose sur les combattants de leur camp.
Un manichéisme grossier injurieux pour les vaincus donc d’où il ressort bien évidemment que Dieu était avec les musulmans (attitude commune aux deux camps rappelons-le, les victoires sont dues à Dieu et les défaites des punitions de nos péchés).
Comme le dit très bien Nadia Maria El-Cheikh dans Byzance vue par les Arabes (2004, Presses universitaires de Harvard) p. 5 : « Notre grand problème dans l’étude des premiers contacts entre Byzance et l’Oumma musulmane primitive découle de la controverse entourant le récit musulman traditionnel […] Les sources ne sont pas contemporaines des événements qu’elles prétendent relater et ont été parfois écrites plusieurs siècles après. Ces sources font état d’éléments difficiles à concilier : des anachronismes, des divergences et des contradictions. En outre, beaucoup d’entre elles laissent apparaître des inventions et des enjolivements évidents, introduits à des fins d’apologétique politique ou religieuse ».
Comme nous ne saurions en aucun cas souscrire à un racisme aussi exacerbé nous nous en tiendrons donc au vraisemblable en ce domaine et nous efforcerons de cerner au mieux les problèmes de logistique ou de stratégie, de tactique et d’effectifs, pouvant rendre compte ces victoires ou de ces désastres, et renverrons à un chapitre ultérieur les questions politico-religieuses pouvant peut-être aussi les expliquer, et de façon plus convaincante d’ailleurs. Sans nous faire d’illusion pour
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autant sur les motivations réelles de beaucoup des conquérants (le butin, la gloire, les fonctions lucratives, l’appât du gain).
Rappelons qu’il fallut néanmoins plusieurs années (4) et de nombreuses péripéties, de nombreux va et vient, de nombreuses avancées ou maints reculs, pour que cette partie de l’empire romano byzantin échappe définitivement à Byzance et nous ne parlerons donc ici que des principales batailles sans trop insister sur les détails des effectifs qui sont toujours sujets à controverse (certaines sources musulmanes parlent de 400 000 hommes pour l’armée byzantine au secours !), mais il semble bien effectivement qu’à chaque fois les musulmans aient été très inférieurs en nombre, à part à Dathin en 634.
1) Praesentales, terme latin désignant les unités d’élite entourant l’empereur Héraclius lors des guerres contre la Perse, donc la partie de l’armée régulière placée sous ses ordres immédiats et disponible de suite.
2) Petite subdivision de l’Empire romain dont la capitale était Bosra en actuelle Syrie. Ce nom propre ne désignait donc pas la péninsule arabique dans son ensemble, mais une infime partie de sa périphérie nord-ouest.
LES PREMIERS RECULS BYZANTINS.
En bref, à l’automne 633, le calife par intérim fait appel aux tribus des environs de La Mecque, Médine et Taïf pour lever des troupes (il se méfiait des autres, qu’il venait juste d’écraser) et nomme trois commandants.
On ne sait pas précisément pour quelles raisons l’armée fut divisée en trois colonnes. Peut-être que le manque d’eau dans le désert les obligeait à se déplacer en détachements séparés. En l’absence d’approvisionnement régulier cela rendait en tout cas plus facile de vivre sur le pays.
Diviser l’armée pouvait aussi vouloir dire du harcèlement plutôt qu’une invasion, mais l’évolution de la guerre arabo-musulmane était imprévisible à ce moment-là.
La première colonne placée sous le commandement d’Amr ibn Al As eut comme mission de pénétrer dans le sud de la Palestina Salutaris par Aila (Aqaba) puis d’avancer en direction de Gaza.
La deuxième colonne sous Yézid ibn abi Soufiane devait remonter vers le nord en suivant une route située à l’est de la mer Morte.
La troisième colonne placée sous le commandement de Shourahbil ibn Hasana devait marcher encore plus à l’est en direction de Bosra et de Damas.
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Si une colonne rencontrait une forte opposition, les deux autres devaient lui venir en aide.
BATAILLES RESTÉES CÉLÈBRES (chronologie donnée sous toutes réserves).
BOSRA ou BOSTRA. Fin de l’année 633. Traditionnellement première ville DURABLEMENT conquise. Capitale de la province romaine d’Arabie.
La vanité romaine avait décoré du nom d’Arabie celle des quinze provinces de la Syrie qui comprenait les terres cultivées à l’orient du Jourdain. Le pays était riche des fruits d’un commerce varié ; les empereurs avaient eu soin de la couvrir d’une ligne de forts, et la solidité des murs de Gérase, Philadelphie ou Bosra, les garantissait au moins d’une surprise. La dernière formait la dix-huitième station depuis Médine. La route en était bien connue des caravanes du Hedjaz et de l’Irak ; qui se rendaient chaque année à ce marché abondamment approvisionné des productions de la province et de celles du désert.
Bosra avait conservé son double rôle de ville frontière et de centre administratif sous les Byzantins. La ville s’était rapidement convertie au christianisme et ses évêques avaient occupé une place importante dans les controverses théologiques de l’époque. Nous ne disposons que de sources musulmanes postérieures à son propos, rien du côté byzantin. Le tableau qui en résulte est donc totalement manichéen : net déséquilibre des forces en faveur du camp byzantin, conversion du gouverneur de la ville, un certain Romanus (tout un symbole), etc.
D’autres sources musulmanes peut-être plus intellectuellement honnêtes font donc état d’un siège en règle mené par les 4 généraux musulmans : Abou Obeïda, Shourahbil, Yézid, et enfin Khaled ibn Oualid venu spécialement du front nord-est (confins irakiens de l’Empire perse) par le désert afin de leur prêter mainforte.
AREOPOLIS/MA’AB. Ville située à l’est de la Mer morte. Rabba dans l’actuelle Jordanie. D’après Baladhuri serait tombée avant Bosra ce qui peut sembler assez logique puisque située plus au sud.
La ville semble avoir abrité une petite garnison (fustet). Quelques combats eurent lieu autour du cantonnement puis la ville se rendit (fin 633 ?).
Nous avons par contre un compte-rendu du côté byzantin, par Sébéos.
« Ils atteignirent Rabbath Moab, à la frontière [du pays] de Ruben, l’armée byzantine était en Arabie, les Arabes tombèrent subitement sur eux, ils attaquèrent à l’épée T’eodos le frère de l’empereur Héraclius ».
DATHIN. Village situé au nord-est de Gaza. 4 février 634.
Le Duc Sergius, stationné à 125 kilomètres à Césarée entendit parler de la première colonne arabo musulmane d’Amr ibn As et mobilisa les troupes qu’il put trouver dans les environs immédiats puis marcha vers le sud. Combien d’hommes avait-il avec lui nous l’ignorons. Nous pouvons supposer que ses forces réunies à la hâte étaient nettement inférieures en nombre. Sa marche forcée de 125 kilomètres épuisa ses hommes et leurs chevaux. Les deux armées se rencontrèrent dans le village de Dathin le 4 février 634. Les Byzantins furent vaincus et le candidatus Sergius lui-même, avec 300 de ses soldats.
Si l’on en croit la Doctrina Jacobi nuper baptizati, la victoire musulmane fut saluée par les Juifs du lieu. Les Arabo-Musulmans se répandirent dans le sud de la Palestine, jusqu’à Lydda et Jaffa plus au nord.
Thomas le presbytre. Ce prêtre jacobite vivait en Haute Mésopotamie dans ce qui est aujourd’hui l’Irak. Il écrivait en 640, six ans seulement après les événements qu’il relate
« En l’année 945 [= 634] Indiction 7, vendredi 4 février à neuf heures ; eut lieu le combat des Romains (les Byzantins) contre les Tayyayé (les Arabes) de Mahomet, en Palestine, à 20 km à l’est de Gaza. Les Romains s’enfuirent, en abandonnant le patrice Bryrdn que les Tayyayé tuèrent. Furent tués aussi ce jour-là environ 4000 pauvres villageois de Palestine, chrétiens, juifs et samaritains. Les Tayyayé (Arabes) ravagèrent la région ».
Thomas évoque une population locale formée de chrétiens, de juifs et de samaritains, ce qui est exact : Gaza était le siège d’un évêché, mais la présence de juifs et de samaritains est indiquée par d’autres sources. Thomas montre ainsi qu’il connaît la réalité locale de cette époque, contrairement aux textes musulmans sur le même sujet.
AJNADAÏN à 37 km au sud-est de Jérusalem ? 30 Juillet 634.
Les sources musulmanes confondent cette bataille avec celle du Yarmouk 2 ans plus tard.
L’historien N. A. Miednikoff a suggéré que la bataille se serait déroulée sur la rivière Ouadi al-Samt, où se trouve le village double d’al-Jannaba. Selon l’hypothèse avancée par Miednikoff c’est de la forme double (al-Jannabatayn) du village que le nom historique de la bataille serait issu, par confusion avec le pluriel du mot armée : ajnad.
En ce qui concerne les effectifs, H.A.R. Gibb dans l’Encyclopédie de l’Islam soutient qu’au mieux, les deux forces étaient composées de 10 000 hommes chacune, et que les chiffres figurant dans les
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sources musulmanes sont « très exagérés », notamment pour ce qui est des Byzantins. David Morray estime les deux armées à environ 20 000 hommes chacune.
Les Byzantins étaient dirigés par le frère d’Héraclius, Théodore, ainsi que par un personnage appelé « Artaboun » ou « Ouardan » dans les sources musulmanes, évidemment une corruption du nom arménien Vardan. Les sources musulmanes en font le patrice (commandant) d’Émèse (Homs) qui était la base d’opérations majeure des Byzantins en Syrie lors de la première période des conquêtes musulmanes. Selon Kaegi, il commandait peut-être de nouveaux renforts venus du nord, avec des Arméniens, ou de l’armée qui avait accompagné Héraclius en Syrie. Cette armée pouvait aussi inclure des levées d’hommes issues des tribus arabes locales. L’armée arabe se composait de trois contingents distincts, sous le commandement de Khaled ou d’Amr.
Les Byzantins subirent une lourde défaite et furent forcés de se replier sur Damas. Les Arabo-Musulmans subirent également de lourdes pertes, et la tradition musulmane connaît plusieurs listes de compagnons de Mahomet, dont plusieurs membres de la première aristocratie musulmane, tombés au combat et considérés comme « chahides ». Le nombre élevé des morts a servi à raviver le sens du martyre religieux dans la communauté musulmane naissante, tandis que la forte proportion de décès mecquois a servi de contrepoids à l’influence des Ansars médinois. Du côté byzantin, les sources musulmanes rapportent que l’un des deux commandants, probablement Vardan, fut tué dans la bataille, mais que Théodore put s’échapper puis se replier dans le nord où Héraclius le remplaça par Vahan et Théodore Trithyrios, avant de l’envoyer en prison à Constantinople. Héraclius lui-même se retira d’Émèse (Homs) pour Antioche considérée comme plus sûre, tandis que les unités byzantines survivantes se retirèrent en toute hâte dans des villes fortifiées en laissant les campagnes sans défense face aux incursions musulmanes. La Palestine tout entière fut donc livrée aux coups de main musulmans, notamment l’intérieur du pays éloigné des villes côtières. La panique se répandit donc dans toute la région, et une grande partie de la population rurale se réfugia également derrière les remparts des villes. Après sa victoire, l’armée arabo-musulmane se divisa de nouveau en plusieurs colonnes pour multiplier les incursions jusqu’à ce qu’ils réunissent de nouveau leurs forces afin d’affronter une nouvelle tentative byzantine d’arrêter l’invasion musulmane à l’occasion de la bataille de Pella / Fahl six mois plus tard.
ARRIVÉ À CE POINT DE NOTRE OPUSCULE LA QUESTION EST :
DE QUEL CÔTÉ SE TROUVAIT VRAIMENT DIEU CE JOUR-LÀ ?
Car chrétiens et musulmans sont d’accord sur un point : Dieu est derrière toute défaite ou toute victoire. Les défaites sont des châtiments ou des épreuves, envoyés par Dieu. Voir les explications fournies par Mahomet après la bataille d’Ouhoud en 625. Quant aux victoires elles sont bien entendu la preuve que Dieu est avec vous.
L’équipement des troupes califales n’est pas meilleur que celui des Grecs et des Perses. Les Arabes ne possèdent pas de cavalerie lourde, à l’inverse notamment des Sassanides et de leurs éléphants (décisifs à la bataille du Pont ou d’al-Jasr en 634). Certains historiens pensent même que les musulmans n’avaient pas à proprement parler de cavalerie : les chevaux amenaient les combattants sur le champ de bataille, les chameaux servaient à transporter toute la logistique. En revanche, les armées musulmanes ont pour elles la mobilité et la connaissance du désert, ce qui leur permet de rapidement se déplacer, ou de fuir et de se mettre à l’abri pour ne pas être exterminées suite à une
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défaite dans une bataille rangée. Quant à la poliorcétique, c’est le point faible des Arabes, ce qui explique leur volonté de prendre les villes par des traités plutôt que par la force.
Il reste donc difficile d’expliquer les victoires arabo-musulmanes si l’on s’en tient uniquement à l’aspect militaire. L’usure des armées ennemies a probablement pesé, mais il faut peut-être également se tourner vers les réactions des populations locales.
À partir du milieu du VIe siècle, tous les malheurs du monde semblent donc s’abattre sur la Syrie et la Palestine. Dès 527, les guerres des Perses contre l’empire reprennent. Bien qu’elles soient interrompues par des trêves, elles n’en constituent pas moins un danger constant et donnent lieu à des invasions accompagnées de prises de villes, de pillages et même de déportations : en 573, la prise d’Apamée est suivie de la déportation de 292 000 hommes en territoire perse. Au début du VIIe siècle, la Syrie et la Palestine sont occupées par les Perses durant vingt-cinq ans ; s’accentuent alors les divergences qui opposent l’Église jacobite, fondée par Jacques Baradée sous Justinien, qui suit le credo monophysite, et l’Église chalcédonienne. À la guerre et aux dissensions internes s’ajoutent les catastrophes naturelles, comme les tremblements de terre, les épidémies, avec la peste de 540, et les disettes consécutives à de mauvaises récoltes, dans un nouveau contexte économique marqué par la récession. C’est donc un Levant épuisé, voire exsangue, qui va succomber devant les conquérants arabo-musulmans…
Le 31 mai 632, l’empereur Héraclius prit une initiative sans précédent, sous l’influence de certains hommes d’église, semble-t-il, en publiant un décret qui obligeait tous ses sujets juifs à se convertir au christianisme. Cet édit concernait les régions de l’Asie Mineure (la Turquie d’aujourd’hui), la Syrie, la Palestine, la Grèce, l’Égypte et les Balkans. Bien qu’il n’ait pas été mis à exécution, le décret lui aliéna les Juifs qui avaient été nombreux à s’allier aux Perses au début du siècle. Les politiques et des lois discriminatoires qui existaient de longue date poussaient les Samaritains et les chrétiens non orthodoxes dans les bras des envahisseurs arabes en même temps que les juifs.
En outre, en 633-34, Maxime le Confesseur 1) et Sophrone 2) de Jérusalem accordèrent une attention excessive aux polémiques anti-juives où les violences verbales n’étaient pas absentes.
Au même moment, Maxime décrivait les Arabes comme « coriaces et étrangers ». Il les vit d’abord comme un mal passager, puis il considéra leur conquête de Jérusalem comme une malédiction divine contre les pécheurs chrétiens.
Quant à Sophrone, ses complaintes sur la prise de Jérusalem éreintaient plus sévèrement les Juifs que les conquérants arabes. Selon le spécialiste belge en patristique grecque Carl Laga, cette fixation sur le problème juif tournait visiblement à l’obsession, ce qui empêchait [les chrétiens] de mesurer l’importance historique réelle de l’attaque arabo-musulmane. Elle n’était, selon eux, qu’une nouvelle expression, actualisée, de la punition des chrétiens pour leurs péchés, mais surtout des Juifs pour leur éternelle Apistia (incroyance). Pourquoi Byzance fut-elle incapable d’affronter le véritable ennemi qui menaçait la chrétienté de destruction physique et de conséquences funestes, pourquoi préféra-t-elle se lancer dans une longue période d’effervescence anti-juive ?
Laga souligne que les Juifs retrouvaient naturellement leur situation de cible des anathèmes ecclésiastiques qui leur imputaient la situation catastrophique de l’Empire. Selon Averil Cameron, autre grand spécialiste de Byzance, les facteurs de l’agressivité anti-juive durant le septième siècle se sont additionnés les uns aux autres. Il s’agissait des dommages durables causés par les écrits des pères de l’Église, des activités soutenues et de la législation de l’empereur Justinien contre les hérétiques du milieu du sixième siècle, du fait que les Juifs étaient considérés comme les suppôts de certaines factions ou de certains prétendants au trône à la fin du sixième siècle, et de leur réputation de sympathisants des Perses.
Les débats entre athées font donc rage pour expliquer autrement que par une intervention divine dans les affaires humaines de type Gott mit Uns la relative rapidité (4 ans) de la conquête des pays du Levant (Syrie Palestine) par les armées musulmanes.
On cite pêle-mêle l’importance de la ferveur religieuse, l’appât du butin, une éventuelle supériorité militaire, ou encore l’accueil favorable de populations locales opprimées par les deux empires rivaux, notamment Byzance.
Lorsque l’islam apparut, au VIIe siècle, le Proche-Orient était largement christianisé, même si le judaïsme y était encore bien représenté. Outre l’Asie Mineure et l’Arménie, le christianisme était implanté en Palestine, dans le Croissant fertile (Syrie et Mésopotamie), dans la province romaine d’Arabie (Bosra), où saint Paul avait séjourné après son baptême (Ga 1, 15-17), au Yémen, en Égypte et dans le Sinaï. Les Actes des Apôtres signalent la présence d’Arabes à Jérusalem le jour de la Pentecôte (2, 11). L’évangélisation était le fruit du travail missionnaire de plusieurs apôtres : Pierre, Jean, Thomas, Marc, Barthélemy et Paul, bien sûr. L’Église du Levant était organisée en éparchies (diocèses) dépendant de quatre patriarcats : Jérusalem, Antioche, Alexandrie et Constantinople.
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Mais la chrétienté orientale était très affaiblie à cause de ses divisions internes et des rivalités politiques qui opposaient notamment les deux grands empires du moment dans cette région, Byzance et la Perse. Cette double instabilité favorisa la conquête islamique, sans que l’on doive pour autant s’en tenir à l’affirmation trop simpliste, souvent émise, selon laquelle les musulmans auraient été accueillis partout en libérateurs.
La division institutionnelle de la chrétienté universelle avait commencé en 395 lors du partage par Théodose Ier de l’Empire romain entre ses deux fils, Honorius, qui reçut l’Occident, et Arcadius, à qui échut l’Orient. Cette séparation entraîna une disparité culturelle entre les deux « poumons » chrétiens, même si le latin resta langue officielle de toute l’Église jusqu’en 535, date à laquelle l’Orient adopta le grec, qui cohabitait déjà là-bas difficilement avec trois idiomes sémitiques (araméen, syriaque et arabe), plus l’arménien et le copte. Greffés sur des divergences exégétiques et dogmatiques, des querelles de préséance patriarcales, des calculs politiques, les malentendus sémantiques entraînèrent des schismes.
L’ARIANISME.
Le IVe siècle fut d’abord marqué par la crise provoquée par un prêtre d’Alexandrie, Arius, qui niait la divinité du Christ. Bien qu’ayant été condamné par le premier concile œcuménique, tenu à Nicée en 325, au cours duquel fut définie la consubstantialité du Fils avec le Père, l’arianisme connut une expansion prodigieuse en Orient ainsi qu’en Occident, du fait de l’empereur Constantin qui réhabilita Arius et exila Athanase, l’évêque d’Alexandrie, principal opposant à l’arianisme3).
LE NESTORIANISME
Un siècle après, une nouvelle crise survint à l’initiative de Nestorius. Ce moine syrien, devenu patriarche de Constantinople en 428, formé par l’exégèse dualiste en vigueur à la Didascalée (École théologique d’Antioche) il privilégiait l’humanité de Jésus au détriment de sa divinité, d’où son refus d’admettre que Marie est mère de Dieu, comme on le croyait à la Didascalée d’Alexandrie où l’on insistait sur l’unité substantielle entre les deux natures du Christ. En 431, le concile d’Éphèse proclama la Vierge Marie Theotokos (en grec « qui enfante Dieu ») et déposa Nestorius pour hérésie.
Mais le nestorianisme se répandit jusqu’en Mésopotamie et en Perse, territoires alors dominés par les Sassanides, où l’Église locale, qui avait déjà rompu son lien avec le patriarcat d’Antioche, situé en terre byzantine, dans l’espoir d’échapper aux persécutions, en fit sa doctrine officielle. Des tribus arabes chrétiennes, également vassales des Perses, notamment celle des Lakhmides, établie à Hira, devinrent elles aussi nestoriennes, entraînant sur cette voie les riverains du golfe Persique. La suppression de leur royaume par les Sassanides les laissera sans défense lors de la conquête islamique. En 433, un accord conclu entre Jean et Cyrille, respectivement patriarches d’Antioche et d’Alexandrie, stipula la distinction entre les natures divine et humaine du Christ et leur union sans confusion. Cette définition ne reçut pas l’assentiment de tous les anti-nestoriens. Certains crurent qu’elle sous-entendait une séparation absolue entre les deux natures et revenait donc à nier l’unicité christique. Ils suivirent alors la thèse monophysite (du grec monos = seul et physis = nature) d’un moine syrien, Eutychès, pour qui la nature humaine du Christ était absorbée par sa nature divine.
EXTENSION DU MONOPHYSISME.
Malgré l’excommunication d’Eutychès par le patriarche de Constantinople, Flavien, soutenu théologiquement dans cette démarche par le pape Léon le Grand, le monophysisme fut cautionné par le patriarche d’Alexandrie, Dioscore. La déposition de ce dernier par le concile de Chalcédoine (451) entraîna l’adoption de cette doctrine par l’Église d’Égypte qui trouvait là le moyen de se dégager de la tutelle politique de Constantinople. Il faut dire que Justinien, en vue d’unifier l’Empire byzantin sous l’égide de l’orthodoxie chalcédonienne, exerça une sévère répression contre les monophysites. En 536, l’Église copte s’organisa alors de manière indépendante. À partir de 617, elle eut à subir les ravages des envahisseurs perses. À leur départ, dix ans après, le souverain byzantin, Héraclius, nomma un certain Cyrus, venu du Caucase 4), à la fois vice-roi d’Égypte et évêque d’Alexandrie. Lui aussi s’efforça de contraindre les Coptes d’adopter la foi melkite de Chalcédoine.
Le monophysisme se diffusa par ailleurs parmi les chrétiens de la Syrie intérieure où, contrairement aux cités hellénisées du rivage méditerranéen, les populations étaient de culture syriaque. Cela se fit sous l’impulsion du moine Jacques Baradée. Évêque d’Édesse, ayant rejeté les canons de Chalcédoine, ce dernier voulait aussi se soustraire au césaropapisme byzantin. Avant sa mort, survenue en 578, il nomma et ordonna un patriarche monophysite, Paul le Noir, ainsi que des évêques et des prêtres, fondant ainsi l’Église jacobite ou « syrienne » dont le siège était à Antioche. Ses fidèles furent plutôt bien traités par les Perses qui avaient envahi la Syrie au début du VIIe siècle. La conquête arabo-musulmane (634-638) les débarrassa des deux empires ennemis, mais il y eut de nombreux passages à l’islam. Car, malgré sa « tolérance dédaigneuse » prémisse de la dhimmitude, le califat installé à Damas sut, dans un premier temps, séduire et rassurer les baptisés en les enrôlant dans son administration.
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Enfin, le monophysisme s’implanta dans les régions méridionales, centrales et occidentales de la péninsule Arabique, en particulier au sein de la tribu des Banou Ghassan, originaire de l’« Arabie heureuse » (l’actuel Yémen), territoire très tôt évangélisé grâce au voisinage de l’Abyssinie chrétienne, ce dont témoignent notamment les vestiges d’une cathédrale à Sanaa.
Ce christianisme perméable aux évangiles apocryphes dont le Coran s’inspirera était aussi teinté de paganisme ou de superstitions diverses. Le mode de vie des Arabes bédouins conférait aussi à leur pratique sacramentelle une nature assez aléatoire. Ce caractère encore fragile des chrétientés arabes les empêcha de voir les profondes différences qu’il pouvait y avoir entre islam et christianisme 5).
Les musulmans pieux insistent souvent également sur la foi des principaux généraux arabes, et de leurs troupes, mais elle ne peut expliquer à elle seule les victoires. L’appât du butin a sans doute été un facteur non négligeable puisque du côté musulman il ne s’agissait pas d’armées régulières touchant une solde.
Mahomet parlait d’ailleurs souvent des richesses des autres nations, qui les attendaient.
Ibn Ichaq Vie de Mahomet traduction Alfred Guillaume page 113.
« J’ai demandé à Abbas : quelle est leur religion ? C’est quelque chose de nouveau pour moi. Il s’agit de Mahomet fils d’Abdoullah qui prétend que Dieu l’a mandaté pour parler en son nom et que les trésors de Chosroês ou de César lui seront bientôt ouverts ».
Ibn Ichaq Vie de Mahomet traduction Alfred Guillaume page 243
« Mahomet nous promet que nous goûterons bientôt aux trésors de Chosroês et César alors que nous ne pouvons même y aller aux toilettes en toute sécurité ! ».
Les caliméros du pays des bisounours ou de Winny l’ourson nous présentent cette campagne du Levant comme une guerre défensive, à peine une guerre préventive, destinée à contrer à l’avance une attaque combinée des forces byzantines et perses unies (comme lors de la bataille de Firaz en 634) par une commune volonté d’étouffer dans l’œuf l’islam naissant. L’empire musulman du 7e siècle serait donc le seul exemple au monde d’empire bâti uniquement à coups de guerres défensives…
Disons donc tout de suite que nous ne croyons guère à ce traité d’alliance secret entre Héraclius et Yezdgherd III pour une raison simple : l’islam est à l’époque un phénomène trop neuf, trop récent, pour être clairement cerné.
La chose sur laquelle il nous faut donc insister, c’est l’ignorance réciproque, en particulier sur la religion, et ce malgré les contacts commerciaux. Pour les populations byzantines ou perses (elles-mêmes très diverses), les Arabes ne sont pas des « musulmans », mais des « Agarènes », nom qui vient d’Agar, la servante d’Abraham ; des « Ismaélites », issus d’Ismaël, le fils d’Abraham et d’Agar ; et des « Sarrasins ».
La religion musulmane est inconnue. Les Arabes sont désignés comme des fléaux envoyés par Dieu afin de châtier les mauvais chrétiens de leurs péchés, notamment l’Église byzantine officielle vue par beaucoup de chrétiens orientaux comme une institution corrompue (melkite). Le châtiment est toutefois considéré comme temporaire, et nul ne craint une conversion forcée, car ce n’est pas la volonté des conquérants. Les Sarrasins ne sont pas vus comme les pratiquants d’une religion concurrente du christianisme, mais le plus souvent comme des païens pratiquant une religion démoniaque et idolâtre.
À tout cela, il faut ajouter les tensions au sein des deux empires attaqués, et singulièrement de l’Empire byzantin. Si, chez les Sassanides, la religion principale et officielle est le zoroastrisme, les autres religions ne sont que peu persécutées. En revanche, à Byzance, les divisions des chrétiens d’Orient pèsent lourd. L’autorité religieuse et politique de Byzance est contestée, notamment en Syrie et en Égypte. Depuis le concile de Chalcédoine (451), les empereurs soutiennent la cause chalcédonienne, qui défend le dogme de l’unité des deux natures du Christ, divine et humaine. Ils s’opposent au monophysisme (et au miaphysisme), qui croit en la nature uniquement divine du Christ, et au nestorianisme, qui sépare strictement nature divine et humaine. L’organisation religieuse de l’empire, constituée de cinq patriarcats (Rome, Alexandrie, Antioche, Constantinople, Jérusalem) ne permet pas de véritablement dépasser ces antagonismes, qui s’aggravent durant la guerre contre les Perses. Néanmoins, ce sont surtout les persécutions ordonnées par Héraclius après la reconquête, qui provoquent une certaine hostilité envers le pouvoir impérial, plutôt que des querelles théologiques de fond.
Les populations locales sont également frappées par la hausse des impôts, et le fait que les Arabes les baissent à leur arrivée n’est pas anodin, même s’ils le font d’abord parce qu’ils ne peuvent pas gérer efficacement la lourde administration qu’ils trouvent, ce qui les conduit à garder en poste la majorité des fonctionnaires locaux.
La dernière explication avancée, très souvent, pour comprendre la réussite arabo-musulmane, est sa tolérance religieuse INITIALE, À L’ÉPOQUE. Il est vrai qu’ils ne poussent en rien à la conversion à
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l’islam pour commencer, ce n’est pas dans leur intérêt, car les non-musulmans doivent payer des taxes et accepter la soumission au nouveau pouvoir pour continuer à exercer leur religion.
Il faut malgré tout nuancer l’accueil réservé par les populations locales aux conquérants. Pendant longtemps, une vision idéalisée a répandu l’idée que les Arabo-Musulmans avaient été accueillis en libérateurs. Les réactions ont été pourtant très diverses, partagées entre la négociation, la résistance ou l’indifférence.
Pour ces populations, qui pour beaucoup contestent l’autorité de Byzance, l’arrivée des Arabo-Musulmans ne change finalement pas grand-chose, si ce n’est l’identité des nouveaux dirigeants.
1) Maxime le confesseur. 580-662. Moine et théologien byzantin.
2) Sophrone. 560-638. Moine et théologien puis patriarche de Jérusalem à partir de 634.
3) Compte tenu de l’ampleur des emprunts du Coran à la doctrine arienne et sa négation de la Trinité, il ne sera pas étonnant de lire sous la plume de l’Égyptien Sayyed Qotb (1906-1966), idéologue des Frères musulmans, qu’« Arius est le représentant le plus valable du christianisme ».
4) Cet étrange personnage qui fait problème est connu de la tradition musulmane sous le nom de Mouqawqis.
5) Un phénomène semblable se produira ensuite dans l’Afrique du Nord berbère, romanisée, minée par les divergences religieuses.
LE FRONT NORD-EST.
Autrement dit les confins d’un empire sassanide épuisé par 25 ans de guerre, finalement perdue, contre l’empire byzantin, et livré à l’anarchie, à l’autorité centrale contestée. Une rive droite de l’Euphrate habitée non par des Perses ou futurs Iraniens, mais par des Arabes futurs Irakiens majoritairement chrétiens alors que la religion officielle de l’empire était une forme de zoroastrisme, d’où parfois des accrochages. Notons néanmoins que la situation de ces chrétiens d’Orient était meilleure que celle des chrétiens non-melkites (c’est-à-dire en opposition à l’empereur) dans l’Empire byzantin. Ce qui suit, à savoir la geste de Khaled ibn Oualid, et notamment la bataille de Firaz (actuel Abu Kamal) à la frontière entre les deux empires, perse et romain byzantin, mais du côté empire sassanide, sur l’Euphrate, est plus que suspect en ce qui concerne les effectifs, la nationalité des opposants à l’islam, et leurs motivations. Quelles raisons en effet auraient eu les forces byzantines locales (de l’autre côté de la frontière) de faire cause commune avec leurs ennemis héréditaires
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contre ce qu’ils prenaient pour une simple expédition de nomades venus du désert ? Nous reviendrons à la fin de ce chapitre sur le problème général de la fiabilité à accorder aux sources musulmanes traitant du sujet.
Il n’en reste pas moins, comme signalé plus haut, que les spécialistes s’accordent pour dire que les armées arabes n’étaient pas des bandes désordonnées fondant sur l’ennemi, mais bien des troupes commandées et structurées, n’ayant au bout du compte rien à envier aux armées byzantines et sassanides.
L’équipement des troupes califales n’est pas non plus meilleur que celui des Grecs et des Perses. Les Arabes ne possèdent pas de cavalerie lourde, à l’inverse notamment des Sassanides et de leurs éléphants (décisifs à la bataille du Pont ou d’al-Jasr en 634). Certains historiens pensent même que les musulmans n’avaient pas à proprement parler de cavalerie : les chevaux amenaient les combattants sur le champ de bataille, les chameaux servaient à transporter toute la logistique. En revanche, les armées musulmanes ont pour elles la mobilité et la connaissance du désert, ce qui leur permet de rapidement se déplacer, ou de fuir et de se mettre à l’abri pour ne pas être exterminées suite à une défaite dans une bataille rangée. Quant à la poliorcétique, c’est le point faible des Arabes, ce qui explique leur volonté de prendre les villes par des traités plutôt que par la force. Il reste donc difficile d’expliquer les victoires arabo-musulmanes si l’on s’en tient uniquement à l’aspect militaire, mais essayons quand même.
Depuis le 1er siècle avant notre ère, la frontière entre l’Empire romain (plus tard empire byzantin) et l’empire parthe (plus tard sassanide) était l’Euphrate. Cette frontière était continuellement contestée. La plupart des batailles, et donc la plupart des fortifications, étaient concentrées dans les régions de collines du Nord, le vaste désert arabe ou désert syrien séparant ces empires du reste du monde au sud. Les seuls dangers venant de cette contrée inconnue étaient donc les coups de main occasionnels de tribus arabes. Les deux empires avaient chacun de son côté conclu des alliances avec de petites principautés arabes semi-indépendantes leur servant d’États tampons, et protégeant donc qui Byzance, qui la Perse, des attaques des Bédouins.
Les vassaux des Byzantins étaient les Ghassanides, ceux des Perses les Lakhmides.
Les Ghassanides et les Lakhmides se battaient constamment, ce qui les occupait beaucoup, mais n’affectait guère les Romains de l’Empire byzantin ni les Perses de l’empire sassanide.
Mais au VIe et au VIIe siècle de notre ère, tout changea.
L’empereur perse sassanide Chosroês II avait maté une dangereuse rébellion au sein de son propre empire, et avait ensuite consacré toute son énergie aux problèmes extérieurs, en particulier à ses ennemis héréditaires traditionnels, les Byzantins. Il y réussit relativement bien pendant quelques années. De 613 à 614, il étendit les frontières iraniennes aussi loin à l’ouest que les villes d’Antioche, Damas et Jérusalem. Mais les Byzantins se ressaisirent et Chosroês fut battu par Héraclius à la bataille de Ninive en 627. Les Byzantins reprirent toute la Syrie et pénétrèrent loin dans les provinces perses de Mésopotamie.
Les Lakhmides en profitèrent pour se révolter contre l’empereur sassanide, mais Al-Nou ’man III (fils d’Al-Moundher IV, le premier roi lakhmide chrétien) fut déposé puis exécuté.
En 628 par contre, Chosroês II est à son tour assassiné. De 628 à 632, il n’y aura pas moins de dix souverains perses à la tête de l’empire sassanide. Ce fut là une fameuse occasion pour les Lakhmides de reprendre leur indépendance.
Le moment était aussi propice aux entreprises de l’islam pour trois raisons.
Les Sassanides sortaient très fragilisés d’une guerre récente contre l’Empire byzantin.
Les mages aryens (zoroastriens ou parsis) de Perse étaient obligés de se défendre avec acharnement contre la progression continue du christianisme dans leur empire (l’évêque nestorien de Suse par exemple, avait fait détruire en 418 un de leurs temples du feu).
Les Arabes chrétiens « nestoriens » aideront effectivement les musulmans à s’emparer de l’empire sassanide en ne se battant guère pour le sauver.
Face au danger, les Perses se ressaisirent. Leurs mages et leurs grands seigneurs firent déposer la reine Arzema et sa tiare (sa couronne) fut placée sur la tête de Yezdegherd Ill, petit fils de Chosroès II. Vu la jeunesse et l’inexpérience du jeune prince (il n’avait alors que quinze ans), l’étendard royal et la direction des armées furent confiés au général Rostom.
Ci-dessous donc maintenant un bref résumé de cette geste khaledienne sur la rive droite de l’Euphrate.
En 633 Al Mouthanna, chef de la tribu bédouine des Bakr, frontalière de l’Irak, et conquérant pour le compte d’Abou Bakr de la région de Bahreïn, lors des opérations menées dans le cadre de la lutte contre les indépendantistes anti-médinois, l’année précédente ; persuada le calife par intérim de l’intérêt d’une attaque sur les confins de l’Empire perse. La cible initiale était la région de Bassora
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(ancienne Chaldée au sud de l’Irak) dirigée par Hormouz, un marzaban (gouverneur) perse peu apprécié de ses sujets.
Après la défaite et la mort de Moussaïlima dans la Yamama en Mai-Juin 633, Khaled ibn al-Oualid marcha vers le nord à travers l’est de l’Arabie pour rejoindre les éléments musulmans des Banou Ejl et Banou Chaïbanes d’Al-Moutanna ibn Haritha qui razziaient déjà le sud de l’Irak. Lors de la bataille des Chaînes 1) à Kazima, au nord de l’actuel Koweït, l’armée de Khaled affronta et battit les gardes-frontière sassanides commandés par Hormouzd.
Les Perses étaient habitués aux razzias des tribus nomades arabes et les avaient toujours facilement repoussées jusque-là. Ils sous-estimèrent donc la menace.
Hormouz répondit en rassemblant une armée de 30 000 hommes (?) composée de milices provenant des tribus chrétiennes de la région et des quelques troupes régulières sassanides disponibles sur place. Il attendit Khaled à Kazima.
Khaled, arrivant de la Yamama, choisit de manœuvrer par le désert où son armée, entièrement montée sur des chameaux ou des chevaux, pouvait se déplacer facilement. L’armée d’Hormouz, moins mobile, était composée en grande partie d’infanterie lourdement armée.
Khaled fit avancer la sienne en trois colonnes à travers le désert, en évitant soigneusement Kazima évidemment, mais en s’arrêtant devant Hofeïr.
En apprenant cela, Hormuz fit revenir son armée à marche forcée sur Hofeïr, qu’il atteignit deux jours plus tard. En vain, puisque dans le même temps Khaled avait fait marche arrière sur Kazima.
Les Perses refirent le trajet en sens inverse et arrivèrent à Kazima, fatigués, exactement ce que voulait Khaled.
Cette victoire permit à Khaled de percer la ligne sud (ouest) des défenses frontalières sassanides situées près de la côte et d’atteindre le Chatt el Arab où il battit les survivants de l’armée d’Hormouzd et les renforts venus de Ctésiphon à la bataille d’Ouballa en mars-avril 633. Là Khaled rebroussa chemin et remonta vers le nord en direction de Hira la capitale du royaume chrétien lakhmide située aux confins de l’empire sassanide (toujours en longeant la rive droite de l’Euphrate). Les sources musulmanes font état de trois autres batailles livrées durant sa marche sur Hira : la bataille de Mazar, la bataille de Waladja, la Bataille de Lys 2).
La population locale, principalement araméenne (Beth Aramayè), comporte bien avant l’islam de bonnes proportions d’Arabes. Elle devient la capitale des Lakhmides aux Ve et VIe siècles.
Al-Hira a longtemps été manichéenne, et serait même à l’origine de l’expansion de cette doctrine dans la péninsule arabique. La tradition raconte que l’écriture arabe s’y est développée. Les rois Lakhmides ne sont pas chrétiens, sauf exception. Ils deviennent chrétiens nestoriens vers 594, et construisent un monastère à proximité, puis d’autres (jusqu’à vingt), lieux de dévotion et d’écriture, qui ont beaucoup fait rêver, et écrire des livres, aujourd’hui disparus.
À l’époque elle est depuis, au moins fortement christianisée, par l’activité missionnaire. Elle a ses anachorètes et des saints. Elle est le siège d’un évêché de l’Église de l’Orient.
La chute de la région de Hira eut de très importantes conséquences stratégiques. De par sa position entre le désert et Ctésiphon/Madaïn (la capitale des Sassanides) cette cité constituait un tremplin idéal pour partir à l’assaut de l’Empire perse proprement dit. En outre, comme elle était très riche, elle put ravitailler l’armée musulmane en vivres pour les soldats et en fourrage pour les chevaux.
Lorsque les seigneurs des villages proches apprirent la nouvelle, ils préférèrent, eux aussi, conclure un traité de paix avec les musulmans et acquitter la djizya. Khaled installa son quartier général dans la cité puis envoya des agents dans les villages soumis pour percevoir ledit tribut.
Khaled se lança ensuite dans une guerre d’usure systématique contre l’empire sassanide en le harcelant continuellement afin de l’affaiblir, et en prenant une par une les forteresses de ses vassaux arabes chrétiens nestoriens.
Al-Anba ou Anbar était une ville importante sur la rive gauche de l’Euphrate (les ruines de la cité se trouvent à cinq kilomètres au nord-ouest de Falloudja et ont donné son nom à la province).
À l’origine Anbar s’appelait d’ailleurs Firouz Chapour ou Perisapora, et avait été fondée aux environs de 350 de notre ère, par l’empereur sassanide Chapour II.
En 634, Anbar, après avoir été un temps romaine, ou indépendante, était redevenue Sassanide. Ses environs accueillaient bon nombre des tribus arabes fuyant les troupes musulmanes, et notamment des Banou Taghlib qui avaient suivi leur prophétesse nommée Sadja.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le voir, les Banou Taghlib avaient pris la tête d’une coalition regroupant Rabia et Lyad sous l’égide du gouverneur perse de la région. Le Shah-al-Riad ben Quraïboun de nos sources. Le commandant en chef fut un dénommé Naoufil ben Mazine. Ce dernier, dans les harangues qui nous ont été transmises, répète que les envahisseurs doivent être nettement repoussés ; car ils n’arrêteront pas « tant que nous n’aurons pas été obligés de rejoindre
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leur Dine » c’est-à-dire de se soumettre à l’islam ; conformément à la signification première du terme d’ailleurs.
Toutes ces tribus affrontèrent les troupes musulmanes, mais en vain ! Le gouverneur persan les voyant fuir s’empressa de quitter la ville à son tour, et de laisser les habitants d’Anabar se défendre comme ils le pouvaient. Khaled fut inflexible, et ne voulut admettre qu’une reddition sans condition. L’hostilité des Bédouins chrétiens l’amena néanmoins à prendre des mesures de plus en plus dures. Les chefs furent décapités devant les murs de la ville, et tous les hommes de la garnison furent mis à mort. Quant aux femmes et aux enfants, ils furent donnés aux soldats ou vendus comme esclaves.
Au sud-ouest d’Anbar, par contre, l’avance musulmane avait été arrêtée net par la première vraie forteresse rencontrée, Doumate-al Djandal 3). Cette ville forteresse se trouvait au carrefour des routes menant à la péninsule Arabique, à l’Irak et à la Syrie (actuelle oasis de Jaouf en Arabie saoudite). Son importance stratégique obligeait le général musulman responsable de ce front, Lyadh, à ne pas oser passer outre. D’après Tabari Khaled décida donc d’en finir avec elle.
Doumate avait deux rois, Okaïdir et al-Djaoudi qui, lorsqu’ils apprirent que Khaled marchait sur eux, débattirent avec les autres tribus de la tactique à suivre, soit lui résister, soit lui proposer une conciliation. Leurs avis divergèrent.
Arrivé à Doumatte, Khaled décida d’attaquer la forteresse en deux endroits différents. La garnison s’y opposa vigoureusement, mais fut bientôt obligée de se replier à l’intérieur, laissant nombre de ses alliés entre les mains des forces musulmanes. Ils furent tous tués, à l’exception des hommes de la tribu de Kalb, qui furent graciés par les Tamimites de l’armée de Khaled, en raison d’une ancienne alliance entre les deux tribus.
C’est à ce moment de la geste Khaledienne que la tradition musulmane place la mystérieuse bataille de Firaz (non loin l’actuel Abu Kamal aujourd’hui en Syrie). Khaled et une poignée de musulmans, mais avec l’aide de Dieu toujours bien sûr aurait triomphé d’une immense coalition internationale regroupant Arabes chrétiens (des tribus Taghlib ou Nimr), Byzantins, et Perses, bien décidés à étouffer dans l’œuf l’islam naissant (les vilains !). L’intervention officielle de forces byzantines régulières aux côtés de la garnison perse est mise en doute par certains historiens comme Peter Crawford (La guerre des trois dieux 2013) malgré la proximité de la frontière officielle 2).
Walter E. Kaegi de l’Université de Chicago pense néanmoins que la région a peut-être été occupée par des troupes byzantines et alliées après la signature du traité de paix avec la Perse vaincue par Héraclius, soit de 630 à 637. Voir la carte page 49 de son ouvrage intitulé « Byzance et les premières conquêtes musulmanes » Cambridge 1992).
Quoi qu’il en soit ce qui semble certain c’est que lors de cette bataille (qui se déroula en janvier 634 ?), Khaled utilisera sa cavalerie afin d’encercler les forces ennemies qui furent ensuite taillées en pièces par l’infanterie ; ensuite, ayant ainsi fini d’assurer ses arrières, il se prépara donc à s’avancer plus avant dans l’Empire perse, mais le destin en décida autrement.
Une lettre du calife par intérim (Abou Bakr) lui parvint qui lui disait en substance : « Dès que tu recevras ma lettre, si tu es debout ne t’assieds pas, et si tu es à cheval, ne descends pas. Rends-toi en Syrie aussitôt en laissant derrière toi sous le commandement d’Al Mouthanna, une partie de tes troupes. Prends avec toi ceux qui t’ont suivi depuis la Yamama et le Hedjaz ».
1) La présence de chaînes est mentionnée à plusieurs reprises dans les batailles contre les Perses et les Byzantins. Ce dispositif servait soit à montrer que les soldats combattraient jusqu’à la mort, soit à les empêcher de fuir. Il permettait une plus grande résistance, en particulier face à la cavalerie, mais aux dépens de la vitesse (surtout si un des hommes enchaînés se retrouvait hors de combat) et ne laissait guère de chances de survie en cas de défaite. Il semble néanmoins que tout ceci vienne en fait d’une erreur de traduction. Les hommes enchaînés sont peut-être tout simplement des hommes regroupés en formation serrée. La foi peut faire dire des bêtises et une grande foi beaucoup de bêtises.
2) « Il existe de nombreuses sources primaires sur les premières conquêtes de l’Islam. La plupart sont des sources musulmanes qui ont été écrites aux IXe-Xe siècles longtemps après, mais il y a aussi d’autres sources primaires comme les sources pahlavi, arménienne, chrétienne et syriaque, qui seraient plus qu’utiles. Il existe également des sources non littéraires, telles que la numismatique, l’épigraphique et l’archéologie, qui permettent de vérifier ces sources. Un des principaux problèmes dans l’étude des toutes premières conquêtes musulmanes est que nos principales sources arabes ont été écrites environ 200 ans après les événements et qu’elles sont parfois contradictoires pour ce qui est de l’enchaînement des événements et les dates… Il est très difficile de lire et de comprendre la première historiographie musulmane. La plupart des récits de conquête ont été écrits pour traiter de questions politiques post-conquête comme le montant des impôts, le tribut des villes, la répartition du
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butin et des terres, ou la situation administrative des terres nouvellement conquises. Les récits sont souvent contradictoires et le cours exact des événements n’est pas clair, en outre les dates précises sont plutôt évasives et les effectifs difficiles à déterminer » (Saeid Jalal pour, la conquête arabe de la Perse. Université d’État de Californie, Fuller ton, 2013).
3) Nous n’avons pratiquement aucune source nous parlant de Doumate al-Jandal durant cette période. D’après al-Tabari, le roi de Douma nommé Oukaïdir était un Kindite chrétien. Le plus difficile est de distinguer les références à Doumate al-Jandal de celles à Doumate al-Hira, car seul le nom de « Douma » est mentionné. Shahid préférait souvent la première option, mais cela reste très discutable dans la plupart des cas. Il pensait que le pouvoir perse s’était implanté dans la région et donc à Doumate al-Jandal au 4e siècle. Il a également mentionné l’existence de deux inscriptions ghassanides grecques d’un certain Silvanus et d’une dénommée Mayia découvertes à Anasartha, l’une d’entre elles datant de 425. Maya pourrait être la fille d’un roi foederatus de la tribu de Kalb, ce qui impliquerait des relations entre Byzance et la région de Doumate al-Jandal.
OMAR IBN EL KHATTAB (634-644) CAPITALE MÉDINE EN ARABIE.
LE VRAI PREMIER CALIFE (puisque le premier à s’être fait appeler Amir al Mouminine c’est-à-dire Commandeur des Croyants).
Omar, personnage brutal et vindicatif, fut l’un des premiers disciples de Mahomet ainsi que son conseiller occulte 1).
Cet homme de l’ombre qui avait si habilement manipulé le prophète de l’islam (ou Dieu ?) pendant de nombreuses années 1), mais qui avait présenté la candidature du vieil Abou Bakr juste après sa mort, fit alors valoir ses droits au califat. L’ancien esclave issu d’une famille obscure, qui avait jadis été chargé de tuer Mahomet, puis qui l’avait violemment combattu avant de s’y rallier (comme jadis saint Paul au christianisme) était un monument de contradictions. Très violent et imbu de sa personne, il avait la « folie des grandeurs », mais il aimait afficher des goûts simples et des manières frugales. Ses colères étaient terribles, et l’on affirme qu’il avait battu à mort son propre fils, qu’il accusait d’ivrognerie
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ou d’immoralité. Cet énergique quadragénaire s’octroya donc le titre de « Commandeur des Croyants » Amir al-Mouminine, (ce qui en fit le premier vrai calife) et jeta les bases de la théocratie musulmane, en faisant commencer le décompte des années au départ de La Mecque, de Mahomet (l’Hégire). La zakate ou aumône obligatoire sera versée à une sorte de trésor public appelé Beït al-Mal (la maison des richesses).
1) Ses suggestions sont reprises dans le Coran à trois reprises.
— Prendre la station d’Abraham comme lieu pour prier près de la Kaaba (2,125).
— Le verset sur le voile.
— Et celui sur le fait que Dieu pouvait fournir de meilleures épouses à Mahomet (66, 5).
Sahih Boukhari Tome 6, Livre 60, Hadith numéro10. Rapporté par Anas.
Omar a déclaré : « Je fus d’accord avec Dieu sur trois choses », ou « Mon Seigneur a été d’accord avec moi sur trois choses.
— J’ai dit : Ô Messager de Dieu, veux-tu prendre la place d’Abraham comme lieu de prière ?
— J’ai dit également : Ô Messager de Dieu, toutes sortes de gens, bien et moins bien te rendent visite, ne veux-tu pas ordonner aux Mères des croyants (les femmes de Mahomet) de se couvrir d’un voile ? Alors les versets divins du hijab ont été révélés.
— Comme j’avais fini par savoir que le Prophète avait blâmé certaines de ses femmes, je leur ai dit : « Vous devriez arrêter (d’embêter le Prophète) ou Dieu donnera à Son Apôtre de meilleures épouses que vous ».
Une de ses épouses m’a alors répondu : Omar ! Le Messager de Dieu n’a pas besoin de tes conseils en ce qui concerne ses femmes. Alors Dieu a révélé : – « Il se peut, s’il vous a divorcé (tout) son Seigneur le donnera à la place de vous, les femmes mieux que vous les musulmans (qui se soumettent à Dieu) »
Sahih Muslim tome 5, livre 26, hadith numéro 5395.
Aïcha rapporte que Saouda est sorti un jour (dans les champs) afin de satisfaire un besoin naturel après que le voile eut été prescrit pour les femmes. C’était une grosse femme, de grande taille, et ceux qui la connaissaient la reconnaissaient facilement.
Omar Ibn Khattab l’aperçut et lui dit : Saouda, par Dieu, tu ne peux pas nous échapper, fais donc attention quand tu sors. Elle (Aïcha) a poursuivi en disant : alors elle est repartie. À cette époque, le Messager de Dieu était chez moi pour prendre son repas du soir et il avait un os dans la main. Elle (Saouda) est venue et a dit : Messager de Dieu. Je suis sorti et Omar m’a dit, etc.… Elle (Aïcha) a ajouté : alors lui est venue une révélation et quand ce fut fini il avait encore l’os dans la main, il ne l’avait pas laissé tomber. Puis il a dit : « Permission t’a été accordée de sortir pour faire tes besoins naturels ».
FRONT NORD-OUEST : ACHÈVEMENT DE LA CONQUÊTE DE LA GRANDE SYRIE.
AVERTISSEMENT AU LECTEUR. LES RÉCITS QUI SUIVENT INSISTENT TOUS SUR LE FAIT QUE LES CHRÉTIENS ARABES AURAIENT JUSQU’AU BOUT COMBATTU LES MUSULMANS AUX CÔTÉS DES TROUPES DE BYZANCE. RIEN N’EST MOINS SÛR, ET NOUS REVIENDRONS D’AILLEURS SUR LE SUJET. LES CHRÉTIENS DE CETTE RÉGION DU MONDE ÉTAIENT POUR LA PLUPART MONOPHYSITES OU NESTORIENS ET HAÏSSAIENT L’EMPIRE BYZANTIN DONT LA RELIGION D’ÉTAT, LE CHRISTIANISME CATHOLIQUE OU ORTHODOXE (EN BREF MELKITE), LEUR ÉTAIT IMPOSÉE.
Lorsque le concile de Chalcédoine (451) condamna les thèses monophysites (ne reconnaissant qu’une seule nature dans le Christ), une violente opposition religieuse, et même politique, en résulta, bien que les concepts de « Nature » et « Personne » n’eussent pas été nettement définis.
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Très vite, le monophysisme gagna la Syrie et se propagea surtout dans les campagnes ; les monophysites parvinrent même à installer sur le siège d’Antioche un patriarche de leur obédience. L’indécision des empereurs romains, qui désiraient apaiser les Syriens, fit que, durant soixante-dix ans, patriarches melkites (futurs catholiques et orthodoxes) et monophysites dirigèrent alternativement d’Antioche, l’Église de Syrie.
La chrétienté non chalcédonienne de Syrie Palestine fut renforcée puis organisée par Jacques Baradai au sixième siècle. Elle était implantée depuis longtemps dans les tribus ghassanides qui gardaient la frontière désertique pour le compte de Byzance. Il faut rappeler aussi que de nombreuses tribus arabes nomadisaient dans la région, et y jouaient un rôle bien avant l’arrivée des musulmans, comme les Banou Kalb de Syrie orientale ou les Banou Thaqif de haute Mésopotamie.
Les guerres entre l’Empire romain et la Perse, qui reprennent à partir de 527, se déroulent par tribus arabes interposées, mais il arrive aussi que ces dernières prennent des initiatives propres, sans en référer à leurs protecteurs. C’est ainsi que Moundhir le Lakhmide effectua une expédition, en 529, qui arriva presque sous les murs d’Antioche. En 531 encore, sur les conseils de Moundhir, l’armée d’invasion perse abandonna l’Euphrate au niveau de Callinicum pour s’enfoncer dans la steppe et atteindre directement Gabboula sur la route d’Antioche, après avoir évité les armées romaines. Les exploits des Ghassanides furent même brillants. Ils jouèrent un rôle considérable dans les affaires intérieures de l’Empire. C’est par exemple Harith qui obtint de Justinien, en 542, que deux évêques monophysites soient sacrés par le patriarche d’Antioche. C’est ainsi que naquit une église syrienne monophysite, rivale de l’Église syrienne chalcédonienne, qui devint à la longue hostile au gouvernement de Byzance.
Cette collusion entre monophysites et Ghassanides constituait un danger que l’empereur Maurice crut conjurer en faisant capturer Moundhir en 581, mais il était déjà trop tard ; et cette arrestation déclencha au contraire un mouvement général de soulèvements ou d’attaques dirigées contre le territoire romain byzantin. Il y eut donc, désormais, deux Églises en Syrie : l’Église monophysite des Jacobites et la minorité catholique ou orthodoxe des melkites (restés fidèles au patriarche romain byzantin d’Antioche).
L’empereur Héraclius n’imaginait pas avoir beaucoup à craindre de la part d’un empire naissant, tel qu’était celui des Arabes, qu’il croyait d’ailleurs déchiré par des luttes intestines. Les conquêtes qu’il venait de faire sur un peuple aussi formidable que celui des Perses, semblaient lui promettre qu’aucune autre nation ne serait assez hardie pour venir l’attaquer dans ses États. Cette malheureuse confiance lui fit négliger les précautions que la prudence aurait dû lui inspirer, de sorte que ses frontières se trouvèrent sans défense, principalement du côté du sud de la Syrie, où il n’y avait aucune grosse place forte.
Les armées byzantines étaient principalement cantonnées à Damas et à Émèse (Homs), où l’empereur Héraclius se tenait en retrait. Les premières conquêtes musulmanes effectuées (Bosra, Areopolis/Ma’ab) l’objectif de l’Empire byzantin fut alors de regagner le terrain perdu, alors que les musulmans, eux, se livraient à une guerre de mouvement, acceptant sans état d’âme d’abandonner du terrain.
« Les Byzantins avaient subi une lourde défaite à Ajnadaïn et furent contraints de se retirer à Damas. Les Arabes eux aussi avaient subi de lourdes pertes, et la tradition musulmane a gardé la trace de plusieurs listes de compagnons de Mahomet, dont des membres de la première aristocratie musulmane, tombés au combat et considérés comme des chahids. Le nombre élevé de morts servit à raviver le sens du martyre religieux dans la communauté musulmane naissante, tandis que la forte proportion de décès mecquois servit de contrepoids bienvenu à l’influence des Ansars médinois. Du côté byzantin, les sources musulmanes rapportent que l’un des deux commandants, probablement Vardan, tomba dans la bataille, mais que Théodore lui s’échappa et se retira plus au nord où Héraclius le remplaça par Vahan et Théodore Trithurius. Héraclius lui-même se retira d’Émèse/Homs pour être plus en sécurité à Antioche, tandis que les unités byzantines survivantes se repliaient dans les villes, en laissant les campagnes sans défense face aux expéditions musulmanes. La totalité de la Palestine fut donc exposée aux coups de main musulmans, en particulier dans les régions de l’intérieur du pays loin des villes côtières. La panique gagna donc toute la région, et une grande partie de la population rurale chercha également refuge derrière les remparts des villes » (Walter E. Kaegi).
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BATAILLES RESTÉES CÉLÈBRES.
PELLA/FAHL sur la rive orientale du Jourdain, 23 janvier 635.
La première décision d’Omar fut de confirmer ou renommer Abou Obeïda ibn Al-Jarrah nouveau commandant en chef de l’armée musulmane. La conquête de la Syrie se poursuivit. Abou Obeïda décida de marcher vers le nord. Après une brève bataille contre la maigre garnison de la ville de Pella/Fahl et son détachement de cavalerie sortie livrer un baroud d’honneur, les rescapés se réfugièrent sur l’autre rive dans la ville de Scythopolis.
SCYTHOPOLIS. Début 635 toujours. Aujourd’hui Beth Shean/ Baysan en Israël. 4e ville définitivement conquise.
La ville ne fut pas ravagée et les nouveaux arrivants musulmans vécurent aux côtés de la population chrétienne jusqu’au 8e siècle. Abou Obeïd al-Andalousi a noté que le vin de son pays était délicieux.
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DAMAS ET ÉMÉSE (HOMS).
Au cours de l’année 635, les villes de Damas et d’Émèse se rendirent également aux musulmans.
Héraclius regroupa les forces dont il pouvait disposer sous le commandement de ses deux nouveaux généraux, Théodore Trithurius (qualifié de sacellaire c’est-à-dire de trésorier ?) et le général arménien Vahan, et début 636 les Byzantins parvinrent à reprendre le contrôle de ces deux villes.
YARMOUK (18,19 et 20 août 636)
Rappelons néanmoins avant de commencer à nous pencher sur le déroulé de cette bataille que les champions olympiques toute catégorie de victoire remportée contre un ennemi beaucoup plus nombreux sont les Grecs des Thermopyles en – 480. 300 Grecs venus de Sparte ont réussi à bloquer l’ennemi pendant le temps nécessaire à l’organisation de la contre-attaque, à 1 contre 200. Certains auteurs avancent même le chiffre de trois millions de Perses. Mais pour l’ensemble de la campagne, pas dans le défilé…
Ci-dessous la version donnée par l’évêque arménien Sébéos (7e siècle) dans le chapitre 30 de son Histoire d’Héraclius.
« Ils formèrent une grande armée puis ils envoyèrent une ambassade à l’empereur des Grecs, disant : « Dieu a donné en héritage ce pays à notre père Abraham et à sa postérité après lui ; nous sommes les enfants d’Abraham ; tu as assez longtemps possédé notre pays ; cède-le-nous pacifiquement, et nous n’envahirons pas ton territoire ; sinon, nous te reprendrons avec intérêt ce dont tu t’es emparé ».
L’empereur refusa et, sans leur donner de réponse satisfaisante, dit : « Ce pays est à moi ; ton héritage, c’est le désert ; va en paix dans ton pays ».
Il se mit à lever des troupes, environ 70.000 [hommes], qu’il plaça sous le commandement d’un de ses fidèles eunuques et leur ordonna de se rendre en Arabie. Il leur commanda de ne pas leur livrer bataille contre, mais de se tenir sur la défensive, jusqu’à ce qu’il eût réuni d’autres troupes pour les envoyer à leur secours.
Arrivés au Jourdain [les Grecs) le franchirent et pénétrèrent en Arabie ; laissant leur campement au bord du fleuve, ils allèrent à pied contre l’armée [ennemie]. [Les Ismaélites] postèrent une partie de leur armée en embuscade, de-ci, de-là, et disposèrent la masse de leurs tentes tout autour du campement. Puis ils placèrent les troupeaux de chameaux autour du camp et des tentes, et ils leur lièrent les pieds avec des cordes. Tel était le retranchement de leur campement. Quant aux Grecs, fatigués par la marche, ils ne purent qu’avec peine entamer le retranchement du camp ; ils commençaient à tomber sur [les Ismaélites], lorsque ceux qui étaient embusqués sortirent subitement de leur retraite et fondirent sur eux. Une frayeur inspirée par le Seigneur s’empara de l’armée des Grecs ; ils tournèrent le dos pour fuir devant eux. Mais ils ne pouvaient fuir à cause de l’épaisseur du sable, dans lequel ils enfonçaient jusqu’au genou, tandis que l’ennemi les poursuivait l’épée dans les reins et qu’ils étaient fort incommodés par l’ardeur du soleil. Tous les officiers tombèrent et succombèrent. Le nombre des morts dépassa 2.000 [hommes]. Quelques-uns seulement réussirent à se sauver par la fuite et à trouver quelque refuge.
Les [Ismaélites], après avoir franchi le Jourdain, campèrent à Jéricho. La terreur qu’ils inspiraient gagna les habitants du pays, qui firent tous leur soumission. Cette nuit-là les habitants de Jérusalem mirent à l’abri la croix du Seigneur et tous les ustensiles des églises de Dieu ; ils les embarquèrent et les emmenèrent sur des vaisseaux au palais de Constantinople, etc., etc.… »
Essayons d’y voir plus clair.
Les préparatifs byzantins commencent à la fin de l’année 635 et en mai 636, Héraclius dispose d’une importante armée concentrée à Antioche, au nord de la Syrie. Elle est formée de contingents grecs, slaves, francs, géorgiens, arméniens et arabes chrétiens. Cette force est divisée en cinq armées dont le commandement conjoint est confié au Sacellaire Théodore Trithurius. Vahan, un Arménien et l’ancien commandant de la garnison d’Émèse, dirige le contingent arménien. Buccinator, un prince slave dirige les Slaves et Jabalah ibn al-Aiham, le roi des Ghassanides, est à la tête d’une force uniquement composée d’Arabes chrétiens. Les autres contingents originaires d’Europe sont placés sous l’autorité de Grégoire et Dairjan. Quant à Héraclius, il supervise les opérations depuis Antioche.
Nous emprunterons les grandes lignes de cette bataille décisive au plus grand spécialiste connu actuellement : Walter E. Kaegi de l’Université de Chicago.
Les forces byzantines commandées par Théodore Trithurius avancent à travers la vallée de la Bekaa, puis traversent les hauteurs du Golan et campent à ou non loin de Jilliq, notre moderne Al Kissoua (13 kilomètres au sud de Damas).
Les forces musulmanes se sont retirées de la région de Jabiya pour se positionner sur une ligne allant de Deïr Ayoub à Adhri'ate (aujourd’hui Deraa).
Ce mouvement a très bien positionné les musulmans du point de vue de la topographie et de la stratégie, c’est une position à partir de laquelle ils peuvent tenter de bloquer les Byzantins qui avancent et résister à leur descente vers le sud.
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Le commandant en chef des forces musulmanes était Abou Obeïda ibn Al Jarrah.
Les musulmans ont attendu deux ou trois mois avant que ne commence la bataille décisive.
Les Byzantins ont retardé l’affrontement sans doute en partie pour permettre à leurs soldats de se familiariser avec le terrain. Autres raisons possibles : des tentatives de leur part de diviser les musulmans par la diplomatie et l’intrigue ou leur désir d’obtenir plus d’informations à leur sujet.
Mais pendant ce temps-là au contraire des heurts se produisaient entre les troupes byzantines (composées surtout de Grecs de Slaves de Francs de Géorgiens et d’Arméniens) et la population syrienne locale. La tension montait
Mansour, le principal administrateur byzantin de Damas, refusa de fournir au général Vahan la totalité de l’approvisionnement qu’il voulait sous prétexte que la réquisition excédait les ressources disponibles à Damas. Mansour en voulut à Héraclius et Vahan. Il fomenta de retentissantes manifestations de protestation qui semèrent le doute et causèrent la fuite de quelques soldats byzantins durant la nuit.
Il y a eu un premier affrontement dans les environs de Jabiya, qui contraignit les musulmans à se retirer, mais les forces de Théodore Trithurios furent vaincues près de Jabiya, peut-être le 23 juillet 636.
La tradition comme quoi les troupes byzantines mécontentes se seraient mutinées et auraient proclamé empereur Vahan fait problème…
18 août. Mou'az ibn Jabal commande l’aile droite musulmane, Qubatha ibn Oussama l’aile gauche, Hachim ibn Outba l’infanterie et Khaled ibn al-Oualid la cavalerie. Premier jour de cette bataille qui dura trois jours ou plus.
Les Byzantins positionnent certaines de leurs forces entre l’oued al Rouqqade et l’oued al Harir et enregistrent quelques désertions. Ils n’arrivent pas à couvrir tout le terrain situé entre Deïr Ayoub et leur camp, qui permet aux musulmans de s’y avancer et de contourner le flanc gauche byzantin pour leur couper toute retraite.
Des négociations s’ouvrent entre les Byzantins commandés par Vahan et les musulmans.
Ces derniers tendent un piège aux Byzantins en se retirant sur Adhri'ate.
Les Byzantins font mouvement pour occuper les positions que les musulmans ont évacuées, sans prendre en garde les musulmans dissimulés dans les replis de terrain.
Le « drungarios » 1) commande alors l’aile gauche byzantine, tandis que Grégoire d’Arménie commande l’aile droite.
L’aile gauche byzantine repousse l’aile droite musulmane et s’approche du camp musulman, que même les femmes défendent. De même façon l’aile droite byzantine contraint l’aile gauche musulmane à se replier sur son centre et sur le camp musulman, mais les musulmans ont contre-attaqué.
Les Byzantins rompent les rangs et fuient dans toutes les directions.
La cavalerie byzantine a perdu le contact avec l’infanterie byzantine, probablement en tentant l’une des complexes manœuvres byzantines appelées « formation mixte » ou « formation convexe ».
Un des commandants musulmans, Khaled ibn al-Oualid, remarqué cette brèche dans les forces byzantines et réussit à interposer sa cavalerie entre la cavalerie byzantine et l’infanterie byzantine, que ses cavaliers entreprennent de massacrer. Une tempête de sable [DIEU ÉTAIT AVEC LES MUSULMANS ALORS ?????] s’abat sur les Byzantins et les forces musulmanes en tirent parti. De nombreux Arabes chrétiens qui soutenaient les Byzantins s’enfuient.
La cavalerie musulmane commandée par Khaled ibn al-Oualid réussit dans la soirée à capturer le seul pont existant sur l’oued al Rouqqade.
Ce coup d’éclat coince une grande partie des forces byzantines entre les falaises escarpées et dangereuses de l’oued al Rouqqade et de l’oued al Allan, tous deux situés à l’ouest de l’oued al Harir. Les musulmans passent ensuite à l’attaque et prennent d’assaut le camp byzantin.
Le corps principal des Byzantins est ainsi coupé en deux par les musulmans et ne peut se dégager.
Le camp byzantin de Yaqoussa (situé peut-être à un kilomètre à l’est du Fiq, sur les hauteurs du Golan, sur le flanc sud de l’oued al Rouqqade) à son tour pris d’assaut.
Le 20 août, la bataille arrive à un tournant. La panique s’empare des rangs byzantins quand les soldats apprennent que certains Arabes chrétiens se sont enfuis ou sont même carrément passés du côté musulman et que la prise par les musulmans de leur seule possibilité de faire retraite, le pont, leur a enlevé cette option. Certaines forces byzantines ont alors simplement cessé le combat et ont été massacrées sans résistance par les musulmans le lendemain. D’autres soldats byzantins et des chevaux périrent aussi en tombant des falaises abruptes de l’oued, en essayant de s’échapper. Le résultat final de tout ceci fut donc l’anéantissement de la plus importante des forces byzantines et la poursuite effrénée un peu partout de ceux qui avaient réussi à s’échapper (Walter E. Kaegi. Byzance et les premières conquêtes musulmanes. Cambridge 1992. Pages 119-122).
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En ce qui concerne le déroulement de la bataille, les récits varient quant à sa durée (de un jour à plusieurs jours).
Sur l’exagération du nombre des combattants, cf. H. Hübschmann, Zur Geschichte p. 13, n. 1.
Certains historiens évaluent à 70 000 ou à 120 000 morts les pertes byzantines contre trois ou quatre mille musulmans tués.
D’après Tabari par exemple, plus de 120 000 Byzantins périrent dans la vallée de Yaquoussa et se noyèrent dans la rivière. Qui peut le croire hormis les vrais musulmans (les musulmans pieux) ?? Ce qui est certain, c’est que la défaite de l’armée romano-byzantine fut complète. Théodore, le propre frère de l’empereur Héraclius, fut tué. L’infanterie fut anéantie, et il ne resta que des cavaliers (dont les Ghassanides ayant déserté ? ?) qui s’éparpillèrent dans toutes les directions, vers Damas, vers Césarée, vers Jérusalem et même vers Antioche.
Héraclius prit alors des mesures pour assurer la défense de l’Égypte, et quitta l’Orient pour Byzance après avoir ordonné que la relique de la Vraie Croix soit à nouveau transférée dans la capitale. Un escadron arabe lancé à sa poursuite ayant atteint Mélitène et y ayant été reçu par les habitants, l’empereur ordonna que la ville soit entièrement détruite.
Héraclius fit donc aussi cette année-là une vraie croix sur la partie syrienne de son empire pour mieux se consacrer à la défense de sa partie anatolienne voire même à la défense de sa capitale (Constantinople) qui avait failli être prise par les Avars 10 ans plus tôt. Ce sacrifice de la Syrie donna 800 ans de durée de vie de plus à l’Empire romain d’Orient.
N.B. Au cours de l’année 637, les Arabes s’emparèrent d’Antioche et d’Alep, dans le nord de la Syrie.
LA BATAILLE DU YARMOUK VUE PAR LES AUTEURS MUSULMANS.
Les musulmans combattirent pendant toute une journée contre ces formidables forces romaines de Syrie. La nuit venue, les guerriers musulmans se rassemblèrent dans leur campement pour discuter de la situation. À la fin Khaled se leva et leur adressa la parole d’une voix résolue : « Mes frères ! Dieu est avec nous. Nous combattons pour le rétablissement d’un régime basé sur l’égalité, la fraternité ainsi que la justice (sic). Demain il faut donner une leçon aux hordes romaines ».
« Quoi ? » demanda une voix.
« Je propose d’affronter les 60 000 hommes de Djabala, le roi des Ghassanides, avec seulement 30 musulmans ». « Es-tu sérieux, Abou Souleïman ? » Demanda le vieil Abou Soufiane.
« Oui », répondit Khaled Ibn Oualid (dont le surnom était Abou Souleïman).
« En agissant ainsi tu exposeras de précieuses vies musulmanes », rétorqua Abou Soufiane.
« Non, pas du tout. Ce que je veux en réalité c’est sauver des vies musulmanes. De cette façon, nous pourrons impressionner cet ennemi qui est trop fier de sa supériorité numérique, de sa force, et de son équipement militaire », répondit Khaled Ibn Oualid.
À la fin, Abou Obeïda, le commandant des forces musulmanes, intervint, et il fut accepté que Khaled Ibn Oualid, l’indomptable guerrier au cœur de lion, affronterait les 60 000 féroces guerriers du roi ghassanide Djabala avec 60 musulmans au lieu de 30. Le lendemain donc Khaled et ses 59 compagnons participèrent à une gigantesque bataille sans équivalent dans l’histoire de l’Humanité, contre les 60 000 féroces chrétiens ghassanides bien équipés de Djabala. La bataille fit rage toute la journée, les 60 musulmans étaient perdus dans une mer d’hommes armés, pourtant ils se battaient comme des lions contre les vagues déferlantes de ces forces ennemies bien décidées à les écraser. De temps en temps le cri d’Allahou Akbar (Dieu est grand) s’élevait au-dessus du tumulte de la bataille, attestant ainsi qu’ils étaient toujours en vie. À la fin, dans un ultime effort, Khaled Ibn Oualid remporta la victoire, et les chrétiens furent mis en déroute !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
COMMENTAIRE DES GENS DE PLUSIEURS LIVRES.
Malheureusement le ridicule ne tue plus, depuis longtemps ! Le spectacle dantesque qui nous est ainsi décrit, c’est Roland à Roncevaux du temps de Charlemagne. Et pourtant…
Léonidas et ses 300 hoplites moururent aux Thermopyles en – 480. Le répit ainsi gagné par ce sacrifice permit aux Grecs de s’organiser puis d’affronter l’année suivante, avec 4 000 hommes, les trois millions d’envahisseurs. Ils enterrèrent leurs morts à la place où étaient tombés les Spartiates. Une inscription rappela que quatre mille Péloponnésiens avaient combattu contre trois millions de Barbares. Une autre inscription se rapporta spécialement aux 300 hoplites de Léonidas : « Passant, va dire à Sparte que nous sommes morts ici pour obéir à ses lois ». On peut s’interroger sur ces chiffres : 4 000 Grecs contre trois millions de Perses, 60 musulmans contre 240 000 chrétiens. Dans le cas de la bataille du Yarmouk, ce qui semble certain, c’est que l’avantage du nombre fut effectivement du côté de la coalition romaine byzantine (du moins pour commencer) ; mais que cette défaite n’affecta pas outre mesure les dirigeants de Constantinople, qui s’inquiétaient bien davantage
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du péril perse ou encore bulgare. Ainsi que nous l’avons vu plus haut, ce sacrifice de la Syrie donna donc 800 ans de durée de vie de plus à l’Empire romain d’Orient.
« Les villes, les cités ainsi que les campagnes de Syrie et de Palestine passèrent des accords avec les musulmans. Certaines villes, comme Damas, tombèrent très vite. D’autres, comme Ascalon, Gaza et Césarée Maritime, ont résisté un moment. Les villes de l’intérieur du pays sont tombées les premières entre les mains des musulmans. Aucune innovation stratégique ou tactique n’apparaît. Il n’y eut pas de défense byzantine cohérente en Syrie ou en Palestine après Jabiya-Yarmouk… et à un moment donné de l’année 638 le calife Omar visita les lieux pour régler sort des propriétés nouvellement conquises et réorganiser les structures administratives musulmanes de la Syrie ». (Walter E. Kaegi.).
JÉRUSALEM.
Les Arabo-Musulmans occuperont Jérusalem entre 635 et 638. La ville était déjà coupée du monde depuis plusieurs mois.
Sophrone, Patriarche de Jérusalem (décédé en 639)
[Dans une lettre synodale non datée, Sophrone demande]… « un sceptre fort et vigoureux pour briser l’orgueil de tous les barbares, et surtout des Sarrasins qui, à cause de nos péchés, se sont dressés contre nous de façon inattendue et ravagent tout… Plus que jamais, par conséquent, nous supplions Votre Sainteté de demander instamment… réprimer leur insolence folle et livrer ces viles créatures…, etc., etc. »
[Sermon de Noël. Les commentaires sont datés de décembre 634]…
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« À cause de nos péchés innombrables et de nos très graves fautes, nous sommes néanmoins dans l’incapacité de voir ces choses, et sommes empêchés d’entrer à Bethléem par la route… par peur des Sarrasins ».
« L’armée des Sarrasins sans Dieu a pris Bethléem et empêche notre passage, nous menaçant de massacre et de destruction si nous quittons la ville sainte [Jérusalem] ».
[Ce qui suit date du 6 décembre 636 ou 637.]
« Mais les circonstances actuelles me forcent à penser différemment… pourquoi tant de guerres sont-elles menées parmi nous ? Pourquoi les incursions barbares abondent-elles ? Pourquoi les troupes des Sarrasins nous attaquent-elles ? Pourquoi y a-t-il eu tant de destruction et de pillages ? Pourquoi y a-t-il des flots incessants de sang humain ? Pourquoi les oiseaux du ciel dévorent-ils les cadavres ? Pourquoi les églises ont-elles été démolies ? Pourquoi la croix est-elle raillée ? Pourquoi le Christ, qui est le dispensateur de toutes les bonnes choses et la source de notre joie, est-il blasphémé par les païens (ethnikois tois stomasi) au point qu’il nous crie à juste titre : « à cause de vous, mon nom est couvert de blasphèmes chez les païens »et c’est la pire des choses qui puissent nous arriver. C’est pourquoi ces Sarrasins qui ont la haine de Dieu, cette abomination et cette désolation que les prophètes nous avaient clairement annoncées, envahissent les lieux qui ne leur sont pas ouverts, pillent les villes, dévastent les campagnes, incendient les villages, incendient les saintes églises, saccages les saints monastères, s’opposer aux armées byzantines qui se lèvent contre eux, et, au combat, amassent les trophées [de la guerre] ou les victoires. En outre ils sont de plus en plus remontés contre nous et multiplient leurs blasphèmes contre le Christ et l’Église, et blasphèment Dieu outrageusement. Ces hommes qui s’élèvent contre de Dieu se vantent de l’emporter en tous les domaines, ils imitent assidûment et sans retenue leur chef, qui est le diable, en imitant la vanité qui lui a valu d’être expulsé du ciel et assigné au royaume des ombres… ces vils individus pu accomplir de telles choses ni arriver à un tel degré de puissance… si nous n’avions pas commencé par… Nous sommes nous-mêmes, en vérité, responsables de tous ces malheurs ».
[Plus intéressant. Dans un écrit composé à l’origine par Jean Moschus (mort en 619), mais développé par Sophrone (mort aussi vers 639), le pré spirituel, figure l’entrée suivante à propos d’une construction datée de 638, soit, peu de temps après la prise de Jérusalem].
Les Sarrasins sans Dieu sont entrés dans la sainte cité du Christ notre Seigneur, Jérusalem, avec la permission de Dieu et en punition de nos fautes, qui sont incommensurables, et se sont rendus en toute hâte au lieu dit Capitole. Ils ont pris avec eux des hommes, certains de force, d’autres agissant de leur propre volonté, afin de nettoyer cet endroit et d’y construire cette chose maudite, destinée à leur prière, qu’ils appellent une mosquée (midzgitha)………………
Tout ce que l’on sait c’est que ce n’est pas le calife Omar qui a pris la ville et qui a fait construire la mosquée qui porte son nom. On ne sait même pas s’il y a eu un baroud d’honneur, car l’histoire de Sophrone exigeant de ne remettre les clés de la ville qu’au calife en personne EST INVRAISEMBLABLE. On n’imagine pas un chef musulman vainqueur se laisser ainsi tenir la dragée haute par un roumi vaincu, fût-il évêque. La ville n’avait d’ailleurs à l’époque aucune importance économique ni stratégique.
La visite postérieure du calife (Omar) n’est même pas assurée non plus.
Le seul changement notable fut apparemment l’autorisation donnée aux Juifs, chassés en 630 par Héraclius, de se réinstaller à Jérusalem.
Nos traditions font état d’une trêve de quelques mois achetée très cher par les Byzantins pour qu’il n’y ait pas d’invasion immédiate de la Djézire (Haute-Mésopotamie) ni de l’Égypte.
L’expansion musulmane à partir de la Syrie se poursuivit néanmoins dès 640 dans ces deux directions opposées.
— Vers l’est dans la Djézire (Haute Mésopotamie).
— Vers l’ouest en Égypte.
LE PASSAGE EN ÉGYPTE.
Amr ibn Al As dut donc contourner el Arich (nord du Sinaï) avec 3.500 ou 4.000 hommes pour commencer (c’est le chiffre que donnent tous les auteurs arabes) et fit le siège de la ville de Péluse, sur la côte, mais ne put s’en emparer qu’au bout d’un mois. D’après Strabon, Péluse avait des murailles ; il devait donc y avoir une garnison. Peut-être y eut-il une autre raison pour rendre le siège de cette ville nécessaire : c’est là qu’aboutissait la grande muraille élevée pendant la XIXe dynastie contre les incursions des nomades, et cette muraille devait, sans le moindre doute, avoir été réparée par Cyrus1).
Ensuite Amir eut la sagesse d’éviter Alexandrie et préféra remonter le Nil.
Les Arabo-Musulmans gagnèrent donc l’ancienne ville de Phelbès, c’est-à-dire l’actuelle Belbeis, située à l’orée du désert. Cette ville arrêta encore Amr, au témoignage de Yaqoute, et cela pendant un
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mois, ce qui semble très exagéré. De Belbeis il était très facile de se diriger vers Héliopolis, toujours en suivant le désert, et c’est donc dans la plaine entre Héliopolis et l’actuel Le Caire qu’eut lieu la première vraie bataille rangée entre l’armée byzantine et l’armée arabo-musulmane.
Selon les historiens arabes, il y eut près du village plusieurs combats qui restèrent indécis, jusqu’à ce qu’enfin Amr y put entrer et s’y établir. Après cette victoire, qui sans doute lui coûta cher, Amr se vit dans une position qui pouvait vite s’avérer dangereuse : ses troupes n’étaient pas assez fortes pour attaquer la forteresse de Memphis (dite la Babylone d’Égypte) où s’était retranchée une nombreuse garnison.
Pour éviter tout danger, il eut recours à un moyen qu’il avait déjà employé : il prit le parti de disparaître un moment pour revenir quand les renforts demandés seraient sur le point d’arriver. Il employa donc la plus grande partie de son armée à faire une expédition que nous connaissons seulement par Jean de Nikiou 2).
Amir fit passer le Nil à ses soldats sur des barques trouvées à Tendounyas et, par la rive gauche, il remonta jusque vers Oxyrhynque (aujourd’hui el-Behneseh), et redescendit ensuite vers le Fayoum en suivant le Bahr-Youssouf ou fleuve de Joseph. Jean de Nikiou parle d’un ou de plusieurs combats livrés entre les deux armées et dans lesquels les Arabes ne furent pas toujours victorieux, quoique dans l’un d’eux ils aient réussi à massacrer une compagnie de cinquante hommes, sous le commandement d’un certain Jean et chargée de surveiller les mouvements des Arabes. Les soldats et leur chef s’étaient cachés dans des vignes et des palmiers, mais leur présence ayant été dénoncée par un traître, ils furent surpris.et le détachement fut massacré. La nouvelle de ce massacre se répandit avec une grande rapidité, et de la forteresse de Memphis les Byzantins envoyèrent un autre général nommé Léonce, homme d’une grande corpulence et n’entendant rien aux choses de la guerre pour épauler le gouverneur du Fayoum, nommé Théodore, qui avait entrepris de harceler les Arabo-Musulmans.
De retour à Tendounyas Amr fut renforcé par 4000 ou 12 000 hommes dépêchés en tout hâte par le calife Omar.
De l’autre côté, des renforts byzantins arrivèrent aussi à Héliopolis.
La collision des deux armées eut lieu dans la plaine prédestinée d’Héliopolis. Les Grecs réalisèrent alors combien ils avaient été mal inspirés d’accepter la bataille dans une plaine où les chevaux pouvaient manœuvrer à l’aise, sans être arrêtés par des digues et des canaux.
La bataille d’Héliopolis avait été livrée vers le commencement du mois de juin 640. Le premier souci du vainqueur fut de pousser sa victoire aussi loin qu’il le pouvait, d’assiéger et de prendre d’abord la ville, puis la forteresse de cette Babylone d’Égypte où les Byzantins s’étaient réfugiés.
Le siège n’offrit rien de particulier au point de vue militaire et nous en ignorons les vicissitudes ; nous savons que celui de la ville durait encore au commencement de décembre. L’homme à qui l’empereur Héraclius avait confié les pleins pouvoirs, Cyrus (ou Mokoukos ?) y était allé organiser la défense. Il n’avait pu voir ce qui s’était passé en Égypte depuis l’arrivée des Arabo-Musulmans sans en concevoir les plus noirs pressentiments. Il avait constaté la jalousie des chefs militaires, leur peu d’habileté technique, l’anarchie à peu près complète qui régnait dans l’administration, la résistance sourde qu’opposait la population et l’assistance qu’en recevaient les Arabes ; quoiqu’il eût fait son possible pour exalter dans les cœurs l’amour du pays et l’ardeur de la lutte, il était bien forcé de s’avouer à lui-même qu’il avait échoué dans son dessein, que toutes les occasions se retournaient contre lui et qu’il serait vaincu dans la lutte engagée. Il commença donc par préparer les assiégés retranchés à Héliopolis à l’idée de la capitulation. Il n’avait pas à demander l’autorisation de négocier, car en sa qualité de gouverneur, il était le maître absolu de tout ce qui regardait l’Égypte. De l’île de Ruondah où il s’était retiré, il dépêcha au général arabe des envoyés qui présentèrent la position des Arabes comme très risquée ; ils firent observer que la crue du Nil entourait leur armée d’eau comme dans un filet et que le mieux était pour eux de se retirer dans leur pays ; quant au gouvernement, il était disposé à faciliter cette retraite avant que les armées égyptiennes fussent accourues.
Sa feinte était habile ; mais ses envoyés avaient affaire a un homme qui ne manquait ni d’esprit ni de jugement, qui voyait bien dans quel état se trouvait l’Égypte et qui, bien que son armée fût peu nombreuse, voyait sûrement quelle serait l’issue de la lutte, pourvu qu’il eût la ténacité nécessaire. N’avait-il pas des relations avec la population égyptienne dont les sympathies allaient aux Arabes et non aux Grecs ? Il y eut ensuite un combat qui tourna à l’avantage des musulmans et Cyrus (ou Makaukas ?) parvint alors à faire accepter des assiégés retranchés dans Héliopolis ce qu’ils avaient refusé d’abord : une capitulation avec tribut. Il présida à la capitulation. Cyrus/Makoukos dut se rendre à Constantinople pour se justifier.
Amir divisa son armée en un certain nombre de corps et les envoya dans la Haute et la Basse-Égypte s’assurer des villes principales. Il dirigea une petite troupe vers Antinoé pour s’assurer de la capitale
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de la Haute-Égypte, et le duc Jean qui la commandait, ne voulant pas se défendre, s’enfuit en emportant le montant des impôts afin de se réfugier à Alexandrie.
Amr fut libre dès lors de marcher vers de nouveaux succès ; il décida d’aller investir et assiéger Alexandrie même avec une armée affaiblie par les garnisons qu’il avait fallu mettre dans les villes conquises. Mais comme la victoire lui avait amené des partisans, même en assez grand nombre, comme la population se déclarait de plus en plus en sa faveur, il se disait avec raison que le siège d’Alexandrie lui serait beaucoup plus facile que celui de la forteresse de Memphis, mais il fut déçu dans son attente et l’artillerie des Alexandrins le força d’établir son camp hors de la portée des machines qui criblaient son armée de projectiles. On a évalué l’armée d’Amr à 15.000 ou 20.000 hommes, et la garnison d’Alexandrie à 50.000 combattants ; ces chiffres semblent exagérés. Amr ne devait avoir que 12.000 hommes au plus sous ses ordres, puisqu’il avait dû laisser une partie de son armée, peut-être la moitié, dans les diverses villes qu’il avait occupées, Péluse, Belbeis, Héliopolis, Memphis, Nikiou, Saïs, les villes de la Pentapole ; en admettant même que les soldats indigènes enrôlés dans son armée eussent comblé les vides obligatoires de la conquête, il est impossible de supposer un chiffre plus élevé, et la garnison d’Alexandrie devait avoir le même effectif.
Les événements qui se passaient en Égypte n’étaient pas demeurés ignorés à Constantinople, de même que la mort d’Héraclius avait été connue en Égypte et était parvenue à l’armée qui assiégeait alors la forteresse de Memphis. L’empereur mourut pendant l’exil de Cyrus ; après sa mort, on fit sans doute la réflexion qu’il fallait secourir la ville d’Alexandrie et l’on décida d’y renvoyer celui que toute la cour avait accusé de trahison. On plaça donc de nouveau Cyrus à la tête du gouvernement d’Égypte pour conduire les négociations de cette paix qu’il avait proposée. Il était de retour dans Alexandrie à la fête de l’Exaltation de la Sainte-Croix, 14 septembre 641.
Pendant le siège, quoiqu’Alexandrie fût approvisionnée en abondance et que l’armée arabe pût lui fermer seulement les communications avec le reste de l’Égypte, le commerce avait dû cesser presque complètement : si les navires byzantins pouvaient ravitailler le port, ils ne pouvaient exporter des marchandises qui n’arrivaient plus dans la ville. La population était donc gênée par le blocus des Arabes du côté de la terre ; en outre, elle était en butte aux luttes de factions, comme le reste de l’Égypte, et tout y allait fort mal. Dès l’arrivée de Cyrus (ou Makaukas), il lui avait fallu chasser Domentianus, ancien général-gouverneur de Nikiou, qui avait lâchement abandonné sa ville et s’était réfugié dans Alexandrie où il était à la tête de la faction bleue, opposée à la faction verte emmenée par un certain Ménas, car les deux factions se livraient des combats de rue féroces dans la ville même. Ce Domentianus était cependant le beau-frère de Cyrus Makoukos ; mais il détestait le gouverneur-évêque autant qu’il le pouvait et se montrait son adversaire acharné.
Cyrus résolut alors d’aller trouver Amr au camp musulman et signa avec lui un traité qui était la perte de l’Égypte. Puis il retourna dans Alexandrie et en fit connaître les conditions aux généraux et aux officiers civils ; il les pressa vivement de les accepter et dépêcha vers Constantinople le gouverneur d’Alexandrie, Théodore, et le général Constantin, pour expliquer au nouvel empereur que rien autre n’avait été possible.
Cyrus (ou Makoukos ?) qui était resté en Égypte et qui vit les premiers effets de l’administration arabe, Cyrus, qui avait rêvé peut-être, lui aussi, une conduite tout autre de la part des conquérants, fut frappé au cœur en voyant combien il s’était trompé : il mourut, à ce qu’assure Jean de Nikiou, avant même la date fixée pour l’évacuation d’Alexandrie et de l’Égypte par les soldats byzantins.
Les musulmans ne rentreront dans la ville qu’en 642. La bibliothèque avait déjà eu à souffrir de plusieurs incendies, notamment lors d’une bataille entre Jules César et les partisans du pharaon Ptolémée XIII. Une légende datant du 13e siècle, reprise de la destruction bien réelle de la bibliothèque de la capitale de l’Empire perse Ctésiphon ayant eu lieu en 637 rapporte que, lorsque les musulmans pénétrèrent à Alexandrie, ils auraient sciemment incendié de nouveau la bibliothèque de la ville, riche de très nombreux ouvrages hérités de l’Antiquité hellénistique. Le calife Omar aurait même dit en substance à leur sujet : « S’ils disent la même chose que le Coran, ils sont inutiles ; s’ils le contredisent, ils sont nuisibles ; dans les deux cas, il faut donc les détruire ». Ces précieux manuscrits auraient alimenté les chaudières des bains de la ville.
Ci-dessous le récit d’Ibn Khaldoun concernant la bibliothèque de Ctésiphon. « Quand les musulmans eurent conquis la Perse et mis la main sur une quantité innombrable de livres et d’écrits scientifiques, Sa'd Ibn Abi Ouaqqas écrivit à Omar Ibn al-Khattab pour lui demander la permission de les partager entre musulmans, en tant que butin. Omar lui répondit : « Jette-les à l’eau. Si leur contenu indique la bonne voie, Dieu nous a donné une direction meilleure. S’il indique la voie de l’erreur, Dieu nous en a préservés. » Ces livres furent donc jetés à l’eau ou au feu, et c’est ainsi que la science des Perses fut perdue et ne put parvenir jusqu’à nous » (Ibn Khaldoun, Mouqaddima).
Note de la rédaction. Alexandrie fut brièvement reprise par les Byzantins en 645 (pour quelques mois), mais ceux-ci, après quelques succès initiaux, échouèrent à rétablir leur position dans la région, et
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l’épisode resta isolé. La même année Alexandrie fut reprise par les musulmans, et définitivement cette fois.
1) Personnage clé de cette tragédie, mais qui fait doublement problème. Les sources grecques l’appellent Cyrus et les sources musulmanes Mokoukos ou Makaukas, mais est-ce bien le même homme ? Ses fonctions ensuite. Qu’Héraclius l’ait nommé gouverneur d’Alexandrie est évidemment fort possible. Mais qu’il l’ait aussi fait patriarche de l’Église, par définition melkite, semble plus étrange.
2) Jean de Nikiou est un chroniqueur de la fin du 7e siècle, évêque de Nikiou (aujourd’hui Zawyat Razin) dans le delta du Nil et administrateur général des monastères de Haute-Égypte en 696. Il est l’auteur d’une chronique universelle (d’Adam et Ève à la conquête musulmane) écrite à l’origine, pour l’essentiel, en grec.
REMARQUES SUR LA SITUATION MILITAIRE DE L’ÉGYPTE À L’ÉPOQUE.
Jean Maspéro (Organisation militaire de l’Égypte byzantine. Paris, 1914) a démontré que l’armée grecque n’était pas redoutable, non seulement, sous le rapport du nombre, mais aussi dans son commandement, où régnait une anarchie presque complète.
L’Égypte était alors soumise à l’empereur de Byzance qui la faisait gouverner par des officiers nommés par lui. Pour mettre ces quatre hauts fonctionnaires à même de remplir respectivement leur charge, il avait bien fallu leur donner des soldats. Justinien avait admis dans ses légions des auxiliaires, barbares ou non. Les papyrus nous montrent qu’en Égypte il avait placé de semblables troupes dans certaines garnisons, des Daces à Théodosiopolis, des Maures à Hermopolis, à Antaiopolis des Scythes, etc.
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D’où une première cause d’infériorité : cette armée égyptienne manquait d’homogénéité ; comment des soldats étrangers au pays, n’ayant aucun lien qui les rattachât à lui, auraient-ils pu combattre hardiment pour sa défense ? Les Égyptiens eux-mêmes étaient enrôlés dans les légions romaines ; le fait de l’enrôlement de saint Pacôme, au moment où Constantin eut à lutter contre Licinius, en est une preuve, et il n’y a nulle raison de penser que l’empereur Justinien et ses successeurs s’étaient privés de ce recrutement. Mais on doit bien penser que, si jamais les soldats égyptiens étaient mis en face d’une armée qui, à tort ou à raison, passerait pour favorable à leur pays et à leurs proches, ils n’auraient pas grand courage à se battre contre elle, et c’est bien ce qui arriva, comme nous le verrons bientôt.
De plus, la disposition des troupes dispersées dans l’Égypte entière et la façon dont on s’en servait pour faire rentrer les impôts que la population n’était guère disposée à payer étaient une cause d’affaiblissement autant que d’indiscipline.
Jean Maspero a très bien montré d’après les données des papyrus gréco-égyptiens que le chiffre des soldats présents en Égypte, sous l’administration de Justinien, ne pouvait pas être supérieur à 25.000 ou 30.000 hommes. Il a fait ses calculs d’après le chiffre officiel des bataillons présents en Égypte à cette époque ; il a étudié une par une les villes où il y avait des garnisons et il a montré que la force de l’armée égyptienne n’était environ que le double de celle d’Amr au moment où il reçut les renforts que lui envoya le calife Omar Ibn Khattab, c’est-à-dire 15.000 hommes, selon la plupart des auteurs arabes qu’il faut bien citer malgré tout, ou tout au moins 12.500 hommes. Ainsi 15.000 hommes, ayant contre eux une armée dispersée de 25.000 ou 30.000 hommes, réussirent à conquérir un pays de deux ou trois millions d’habitants.
Il est vrai de dire que Justinien, dans son décret de répartition de l’armée en Égypte, avait préparé la défaite, autant qu’il le pouvait faire, en morcelant le commandement entre les divers généraux, qu’il avait rendus en quelque sorte indépendants les uns des autres. Ces généraux étaient plus habitués aux cérémonies de la cour byzantine qu’à l’art de la guerre ; le but qu’ils poursuivaient était leur enrichissement particulier et non la défense du pays dans lequel ils avaient été envoyés ; ils se montreront lâches devant le danger, n’ayant même pas la force physique pour combattre (exemple ci-dessus le général nommé Léonce)), et il en sera de même pour leurs soldats. Isolés au milieu d’une population qui les haïssait d’instinct parce qu’ils étaient les envoyés de la cour de Byzance, parce qu’elle leur avait infligé des vexations innombrables, ils ne pouvaient guère, en fin de compte, avoir une autre attitude que celles qu’ils tinrent : céder non à des forces supérieures, mais à des forces mieux commandées, secondées par la population, pleines de ce fanatisme religieux et de cet enthousiasme guerrier qui sont le gage du succès.
L’armée arabo-musulmane quant à elle ne comprenait encore, après les premiers renforts reçus, qu’environ 8.000 combattants, et, à quelque chiffre qu’on fasse descendre le nombre des soldats de Byzance qui occupaient l’Égypte, on ne peut nier que leur chiffre ne dépassât ce nombre et sans doute de beaucoup. Quand même l’armée arabe fût montée au chiffre de 15.000 hommes, comment une population qui, d’après les auteurs arabes, comptait 2.500.000 personnes, devant payer le tribut, n’aurait-elle pu trouver plus de 20.000 soldats pour résister à l’invasion et à la conquête ?
REMARQUES SUR LA SITUATION RELIGIEUSE.
L’Égypte, du gouvernement de Constantin jusqu’à la conquête arabe, fut pendant trois siècles la terre d’élection de toutes les disputes religieuses. Tour à tour à la tête de l’orthodoxie ou de l’hétérodoxie, elle suivit aveuglément ses patriarches : catholique et orthodoxe quand ses patriarches furent Athanase, Cyrille, Théophile, malgré les crimes de ce dernier ; schismatique, mais se disant toujours orthodoxe, quand le patriarche Dioscorée n’adopta pas la foi du concile de Chalcédoine, et depuis lors résistant à toutes les persécutions, à toutes les tentatives pour la faire changer d’opinion sur une question religieuse où les moines d’Égypte, c’est-à-dire la partie la plus béatement et la plus orgueilleusement ignorante de la population, donnaient le ton et décidaient de ce qu’il fallait croire.
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Notre religion à nous n’est que la religion de la vérité. Comme nous ne sommes pas des gens d’un seul livre ; nous nous permettrons donc quelques remarques à ce propos, car nous n’insisterons assez jamais sur notre volonté de ne pas être les hommes d’un livre (du Livre) ; mais d’au moins douze, comme chez les Fénianes d’Irlande par exemple, pour d’évidentes raisons d’ouverture d’esprit.
Deux exemples entre mille.
a) Les persécutions subies par les chrétiens d’avant Constantin sont en grande partie un mythe ou une fable (nous écrivons bien « en partie », et non « en totalité »).
b) Certains empereurs byzantins ont été de monstrueux criminels faisant mille fois pire que Mahomet (par exemple Théodose).
Dans les années 370, à Antioche, une vague de répression s’abattit sur les anciens amis de feu l’empereur Julien. Si le célèbre rhéteur Libanios ne fut qu’inquiété, d’autres s’en tirèrent moins bien : Maxime d’Éphèse, le célèbre « gourou » de l’empereur apostat, son ami, son conseiller, son confident, fut par exemple étranglé. Simonidès, jeune philosophe, mourut sur le bûcher, brûlé vif au milieu de ses œuvres.
Lui et ses infortunés amis furent-ils exécutés à cause de leur paganisme ? Officiellement, non ! Bien qu’il fût un fanatique chrétien arien de la pire espèce, l’empereur Valens, qui régnait sur l’Orient à cette époque, était soucieux de passer pour le protecteur de tous les cultes de son empire.
Ces intellectuels, fort actifs du temps de Julien, et qui avaient sans doute vu d’un œil assez favorable l’usurpation de Procope, furent donc accusés de sorcellerie, une accusation d’autant plus commode qu’elle faisait peur au peuple tout en étant parfaitement invérifiable. La sorcellerie, l’éternel subterfuge judiciaire du pouvoir pour justifier ses crimes politiques ! Les sorcières de Salem, les Anglais avec Jeanne d’Arc. Quand on veut se débarrasser de son chien, on l’accuse de la rage !
Bien que n’évoquant pas précisément Simonidès, ces documents nous fournissent nombre de détails fort intéressants sur cette persécution des intellectuels de l’époque par les chrétiens.
À la fin de 371, Valens passait son premier hiver à Antioche. Le préfet du prétoire d’Orient était l’Arabe Domitius Modestus. Comte d’Orient sous Constance, il avait présidé avec cruauté la commission de Scythopolis (359), chargée d’une enquête sur des crimes de haute trahison. Il avait apostasié sous Julien, puis était redevenu chrétien. Cet ami de Libanius, bon juriste, était pourtant un homme dur et sauvage.
Valens, comme Constance, avait une peur panique de la magie, et il avait interdit en 370 d’étudier la science des mathematici. Or, à la fin de 371, un simple notaire, appelé Théodore, fut dénoncé à ce sujet par un chambellan, Héliodore, lui-même mathematicus. Cet Héliodore raconta que certaines personnes avaient consulté un trépied pour connaître le nom du successeur de Valens. Sur un plateau étaient inscrites les lettres de l’alphabet ; au-dessus, on accrochait un pendule et l’on retenait les lettres vers lesquelles il se dirigeait. On avait ainsi épelé THEOD. Libanios et un descendant de Jamblique auraient procédé autrement, par alektromanteia : on écrit des lettres sur le sable, on pose sur chacune un grain de blé, on lâche un coq, on note l’ordre des lettres qui l’attirent ; cela aussi avait donné « THEOD ». Le notaire (Théodore) par ailleurs un homme plutôt méritant, avait donc été informé de la chose et se prenait pour l’homme choisi par les dieux pour devenir empereur à la place de Valens.
Modestus, chargé de l’enquête, la conduisit atrocement. Il s’attaqua aux personnages du plus haut rang. Même le proconsul d’Asie, Eutrope, fut en danger, et même les deux consuls de l’année 359, Eusebius et Hypatius, parents de l’impératrice Eusébie. Rien n’avait encore égalé l’horreur des tortures auxquelles on soumit les suspects. « C’était partout comme si l’on abattait du bétail ». On choisit comme proconsul d’Asie Festus, parce que l’on savait qu’il ne laisserait survivre aucun homme cultivé. Maxime, qui était redevenu très riche, avoua qu’il avait eu également connaissance de l’oracle, et fut étranglé à Éphèse. Libanios fut de nouveau lui aussi en grand péril ; de nombreux philosophes néo-platoniciens furent massacrés. On s’en prit aussi aux livres et l’on condamna au bûcher, non seulement les livres de magie, mais une foule d’ouvrages inoffensifs. À travers tout l’Orient, les riches épouvantés se hâtaient de brûler leurs bibliothèques. Modestus fut récompensé en 372 par le consulat. Il est probable que c’est à la suite de cette affaire que fut édictée l’interdiction des sacrifices sanglants, et que l’on n’autorisa plus que l’encens. Thémistius essaya en vain de convertir ce prince brutal à la philosophie.
Valens trembla tout son règne et il avait d’ailleurs raison de le faire, car il était toujours en danger de mort. En vain tenait-il les prisons pleines.
Vivus ardeat Valens ! « Puisse-t-il brûler vif ! » Tel était le souhait que répétait la plèbe d’Antioche et que les Goths allaient exaucer.
LE SUCCESSEUR DE VALENS NE S’APPELA PAS EN RÉALITÉ THÉODORE, MAIS THÉODOSE, plus précisément FLAVIUS THEODOSIUS dit Théodose 1er (né en 347, mort en 395).
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Le 27 février 380, par l’Édit de Thessalonique, il reconnut pour la 1re fois de manière officielle la primauté « catholique ». Farouche partisan des thèses du concile de Nicée, Théodose 1er imposa autoritairement les canons nicéens et combattit systématiquement l’arianisme. À peine arrivé dans sa capitale de Constantinople, il convoqua le patriarche arien et le somma de choisir entre une conversion à l’orthodoxie ou l’exil. Théodose, qui venait tout juste d’être baptisé, intronisa ensuite Grégoire de Naziance, un taliban chrétien fanatique, à la place de l’évêque exilé. Puis il envoya l’armée soumettre les ariens sous peine de mort. [N.D.L.R. Cromwell saura s’en souvenir à Drogheda] les églises hérétiques furent détruites ainsi que leurs livres sacrés. En 381, pour célébrer le triomphe de l’orthodoxie nicéenne, Théodose 1er convoqua (sans l’accord du pape) à Constantinople, un concile œcuménique, qui confirma le dogme Nicéen et reconnut la suprématie du pontife romain ; tout en accordant une primauté honorifique au patriarche de Constantinople. Théodose 1er assurait ainsi l’unité religieuse de l’Empire, en donnant la primauté à l’évêque d’Occident au détriment de l’évêque de Constantinople. En 15 années de règne, Théodose 1er allait promulguer pas moins de 15 édits de persécution des hérétiques, au rythme d’un par an. Il publia en 390 un édit qui interdisait définitivement les cultes païens dans tout l’Empire romain et faisait du christianisme la seule religion officielle. Cette énième persécution anti païenne et anti laïque avant la lettre, de la part des chrétiens, provoqua une émeute à Thessalonique. Le général en chef fut tué dans le cirque de la ville par une foule surexcitée. Théodose, sous l’emprise de la colère, ordonna un châtiment exemplaire des laïcs et des païens, ce qui se traduisit par un bain de sang dans le cirque, où les soldats se vengèrent en exterminant sept mille personnes. La haine des chrétiens pour l’ancienne civilisation se manifesta dans tout l’Empire et permit de remplir les trésors épiscopaux locaux. La magnifique bibliothèque d’Alexandrie fut mise à sac et tous ses livres brûlés. À Rome, à l’instigation du Pape Sirice, Théodose 1er imposa un serment solennel aux sénateurs romains : ils devaient renoncer à Jupiter et jurer fidélité au Christ. Le 15 mai 392, le chef des armées romaines d’Occident, le général Arbogast, assassina Valentinien II, auquel Théodose 1er avait abandonné le gouvernement. Arbogast fit ensuite proclamer empereur un dénommé Eugène, qui était un chrétien modéré (ou partisan de la laïcité, voire tout simplement raisonnable). Confrontés à l’hostilité de Théodose 1er, le général Arbogast et Eugène n’eurent d’autre recours que de s’appuyer sur le parti païen. En 392, la restauration du culte des anciens dieux fut donc proclamée à Rome. Mais les armées de Théodose 1er, composées de Barbares de langue gothique, écrasèrent les Franco-Romains d’Arbogast et d’Eugène sous les murs d’Aquilée, en 394. Arbogast vaincu préféra se suicider, tandis qu’Eugène, livré à Théodose 1er, eut la tête tranchée. Théodose 1er avait (pour la dernière fois) rétabli l’unité de l’Empire romain.
Au 5e siècle les croyances religieuses passèrent au premier plan de l’histoire et tout s’effaça devant la question de savoir si Jésus-Christ était ou non le fils de Dieu en tant qu’homme, si Marie était vraiment la mère de Dieu, si le Christ avait deux natures ou n’en avait qu’une seule. Les controverses théologiques, où personne n’entendait son adversaire, dominèrent toutes les autres questions. Un vent de folie religieuse semblait secouer l’Empire romain tout entier, et la religion chrétienne, après son triomphe, ne produisit que divisions, troubles et morts. À la pression fiscale émanant du centre (l’Empire romain byzantin) s’ajoutera donc aussi la querelle entre le monophysisme et le diophysisme, et ses implications religieuses (sur la nature du Christ), mais aussi politiques, qui provoqueront même des émeutes.
398 : L’évêque Porphyre réclama de l’empereur romain d’Orient Arcadius la fin du culte de Marnas à Gaza.
399 : Ordre est donné au préfet de Damas de raser les temples des campagnes avoisinantes. Vague de destructions de temples en Afrique avec la bénédiction d’Augustin. Répression des révoltes qui en sont la conséquence.
402 : Destruction des derniers temples de Gaza et répression de la révolte qui en découle.
405 : Saccage des temples de Phénicie.
408 : Confiscation des revenus des derniers temples.
408 : Édit fermant la haute administration aux non – chrétiens.
410 : Siège de Rome par Alaric dont les hommes sont chrétiens. Le pape refuse les prières païennes pour protéger la Ville. Après le sac, les païens sont dénoncés aux barbares par les chrétiens…
415 : Assignation des prêtres païens à résidence, confiscation des biens des collèges sacerdotaux en Afrique. Assassinat d’Hypatie d’Alexandrie.
416 : Les païens sont exclus de l’armée, de l’administration et de la justice.
431 : Concile d’Éphèse qui décide d’y fixer le lieu d’enterrement de la mère de Jésus de Nazareth. Les temples de cette ville sainte vouée à Artémis sont détruits pour faire place aux églises.
435 : Édit renouvelant la peine de mort pour les païens pratiquants. Nouvel édit ordonnant la destruction des temples encore intacts.
438 : Confirmation de la loi prévoyant la peine de mort pour les païens.
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451 : La peine de mort prévue pour les païens pratiquants est étendue aux propriétaires du local où a lieu le culte.
485 : À Athènes, mort du philosophe grec Proclus, dernier grand philosophe non chrétien.
486 : Chasse aux temples clandestins d’Isis en Égypte.
515 : L’empereur Justinien rend le baptême obligatoire et renouvelle la peine de mort prévue pour les non-chrétiens.
529 : L’empereur romain d’Orient Justinien Ier ayant fermé l’École d’Athènes et interdit son enseignement philosophique, en 529 ; Damascius et Simplicius de Cilicie, accompagnés de cinq autres philosophes, préférèrent partir à Ctésiphon en Perse (aujourd’hui l’Irak), afin de se placer sous la protection de l’empereur perse Chosroes 1er, qui avait aussi attiré déjà, dans sa capitale, divers savants indiens. Les thèmes fondamentaux de cette École de pensée néo-platonicienne étaient la théorie de l’émanation (ou procession) de toutes choses à partir de l’Un (ou du Bien) ; celles des trois hypostases (ou triades) – l’Un, l’Esprit et l’Âme – et le mouvement de retour de l’Âme vers l’Un (ou conversion).
Le traité de paix signé en 532 entre les chrétiens de l’Empire byzantin et les païens de l’Empire perse, les autorisa officiellement à rentrer. Mais quelques-uns d’entre eux, regroupés sous l’égide de Simplicius, choisirent de s’installer à Carrhae (en araméen Harrân), près de la frontière (on ne sait jamais), à huit heures de marche au sud d’Édesse ; où ils fondèrent une École néo-platonicienne qui sauvegarda pendant quelques siècles encore le flambeau de la Sagesse antique, et permit ainsi sa transmission ultérieure à l’Occident, via des traductions en arabe.
Simplicius de Cilicie était un disciple d’Ammonius et de Damascius. Son œuvre la plus connue est un commentaire du traité d’Aristote sur le ciel, le soleil, la terre, la lune, et les étoiles (d’où l’accusation d’astrolâtrie avancée plus tard par les docteurs de la Loi musulmans). Cette école néoplatonicienne d’Harrane (aujourd’hui en Turquie) a été l’incontestable cause du développement de l’hermétisme et du pythagorisme hellénistiques en terres d’islam, par le biais d’une doctrine syncrétique originale1).
537 : Fermeture officielle du temple d’Isis à Philae dans le sud de l’Égypte, ultime vestige du paganisme antique, où se pratiquaient toujours les vieux cultes, en particulier celui d’Isis.
639. L’Égypte n’était défendue que par quelques milliers d’hommes, puisque depuis des siècles aucun envahisseur ne l’avait sérieusement menacée et elle était en outre divisée par des querelles religieuses incessantes entre chrétiens melkites (partisans du christianisme officiel diophysite) et chrétiens monophysites ou jacobites. Le monophysisme finit par être vaincu, mais les monophysites se regroupèrent alors en une nouvelle Église indigène et nationale : l’Église copte. Presque la totalité de la population égyptienne.
N.B. Les Coptes ne représentent plus néanmoins que 10 % de la population égyptienne d’aujourd’hui. Dans un premier temps tout s’est très bien passé avec l’islam qui a même constitué un progrès pour eux par rapport à la période byzantine, mais les conversions de convenance ou intéressées dues à leur statut de sujets de seconde zone ont été en s’accélérant à partir du 9e siècle. Les Coptes étaient encore majoritaires au XIVe siècle et leur élimination par l’islam a donc été progressive, a commencé très lentement ou de façon presque invisible, mais fut après de plus en plus massive. Au 16e siècle ils furent persécutés par les Fatimides et les Turcs.
1) Un passage du Ghayat al hakim, du But du sage ou « Picatrix » en latin, comporte une prière présentée comme appartenant à la liturgie astrale des sabéens d’Harrane. Elle invoque Hermès en précisant qu’en arabe on l’appelle Otared, en persan Tir, en romaïque Harous, et en indien Bouddha (sic). Ce qui est incontestablement la preuve d’une certaine confusion si ce témoignage a quelque valeur.
REMARQUES SUR LA SITUATION POLITIQUE.
La conquête de l’Égypte par l’armée arabe d’Amr ibn Al As, en 641, va incorporer ce pays dans un monde nouveau, celui de l’empire arabo-musulman naissant. La nouvelle capitale, Foustate (Le Caire), sera dans un premier temps peuplée de familles et tribus venues d’Arabie qui seront réparties dans des quartiers ou « lotissements » [hitta, hitat).
Au moment de la conquête, deux langues sont utilisées en Égypte : le copte, dernière forme de l’égyptien ancien, et le grec, langue administrative officielle de l’Égypte byzantine.
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L’Arabe deviendra progressivement la langue de l’administration centrale tout en étant la langue quotidienne des nouveaux arrivants. Le copte et le grec continueront d’être utilisés couramment pendant les premiers siècles qui suivront l’arrivée des Arabes. Mais l’arabe, d’une langue utilisée uniquement par les conquérants, deviendra graduellement la langue parlée par l’ensemble de la population, chrétienne ou musulmane.
En Égypte, d’une façon générale, la reconnaissance du nouveau régime fut plus résignée et attentiste qu’enthousiaste. Lorsque Jean de Nikiou, qui est monophysite, parle de la conquête du pays par les musulmans, il ne présente jamais les envahisseurs sous un jour favorable, mais la domination musulmane ne changea rien dans l’immédiat en réalité. Les musulmans laissèrent les fonctionnaires en place continuer à lever l’impôt (à leur profit) et le grec ne fut progressivement remplacé par l’arabe dans les documents officiels qu’après un demi-siècle. Les chrétiens, encadrés par leurs évêques et leurs moines, purent conserver leur religion au début, ce qui explique la survie d’une majorité 1) devenue minorité copte, jusqu’à nos jours.
Les papyrus égypto-grecs découverts en Haute-Égypte ou dans le Fayoum montrent tout d’abord que les Arabes des 7e et 8e siècles avaient entièrement conservé l’administration grecque, que la langue grecque était demeurée la langue officielle, que les premiers temps de l’occupation furent des temps relativement paisibles, où le contribuable égyptien n’était pas pressuré plus que de raison ; ils nous montrent aussi que, si ce contribuable souffrit des injustices, il ne les souffrit que de ses compatriotes, et non par le fait du gouvernement central, car nous avons encore les circulaires que ce gouvernement envoyait à ses fonctionnaires et rien n’y révèle la moindre injustice, tout au contraire y prouve que les gouverneurs arabes apportaient le plus grand soin à veiller sur l’administration des finances, la seule chose qui touchât les Égyptiens.
Un de ces gouverneurs est resté célèbre par l’arbitraire avec lequel, disait-on et dit-on encore, il exigeait des contribuables tout l’argent qu’il pouvait en tirer.
Dans les papyrus découverts sur les ruines d’Aphroditopolis, nous avons les lettres mêmes écrites par ce gouverneur, Qorrah, fils de Scharikh.
Or ces lettres nous montrent qu’il fut un homme juste, qu’il s’occupait des plus petits détails de l’administration financière afin qu’elle fût intègre et régulière, qu’il avait l’œil sur les fonctionnaires remplissant mal leur charge et se servant de leurs fonctions officielles pour s’enrichir per fas et nefas (bon an mal an), qu’il les punissait sévèrement dans leurs personnes et dans leurs biens, s’ils se conduisaient de manière à susciter des plaintes reconnues fondées.
Et cependant les historiens arabes se sont plu à représenter Qorrah comme un homme sans foi ni loi, courant après des plaisirs honteux défendus par sa religion, et les historiens occidentaux se sont fait l’écho de ces accusations injustifiées, même les plus sérieux et les plus célèbres, comme Wüstenfeld (Die Slatthalter von Aegypten zur Zeit der Chalifen, p. 39-40). Ce qui ne veut pas dire que l’administration de Qorrah fut sans défaut. Mais ses lettres nous montrent que ses vices, s’il en eut, ne concernèrent pas son administration et qu’il eut soin de s’entourer de fonctionnaires fidèles, diligents et intègres. Le gouverneur avait sous les yeux ces fonctionnaires et, par un système habile et très développé de courriers qui, à chaque instant, remontaient et descendaient le Nil, il pouvait diriger l’administration selon ses vues. Cette administration avait conservé au complet son organisme grec. Le gouverneur général veillait à la tenue d’assemblées locales pour la répartition des innombrables impôts qui pesaient sur l’Égypte non du fait de la conquête, mais par le fait des gouvernements qui avaient précédé les Arabes, y compris le gouvernement des Pharaons, dès les plus anciens temps.
Les historiens arabes ou coptes ont prétendu que tous les Égyptiens mâles parvenus à l’âge nubile devaient payer le tribut imposé par le conquérant (Amr). C’est une contrevérité manifeste, comme le montrent les papyrus d’Aphroditopolis. Ce tribut frappa seulement une certaine catégorie de vaincus, les riches, et il ne fut pas uniforme pour tous : il était proportionné à la fortune, variant selon les lieux et les années depuis un demi-dinar, jusqu’à deux ou même trois dinars. L’Égypte, étant soumise à des conditions particulières sous le rapport de l’irrigation, ne pouvait en effet être taxée partout d’une manière fixe et les Arabes le comprirent parfaitement. Le texte du traité passé entre Amr et les chefs des Coptes lors de la conquête prouve même qu’il y avait non seulement échelle, mais échelle mobile dans les impôts dus au gouvernement. Ce sont là des faits acquis et, s’ils ne sont pas à la gloire des Arabes plus qu’à celle des autres gouvernements de l’Égypte, ils ne se tournent pas non plus contre eux. Si les Arabes, en arrivant en Égypte, se trouvèrent dépaysés au milieu de l’administration compliquée de la vallée du Nil, ils eurent au moins l’intelligence politique de voir qu’ils n’y entendaient rien, qu’ils devaient s’y adapter ; aussi, quand les auteurs de leur propre nation, à l’unisson des auteurs coptes, nous disent que l’administration arabe fut tyrannique, injuste, cruelle, tracassière, nous pouvons leur opposer le témoignage authentique de pièces officielles.
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1) En 640 les chrétiens (coptes) constituaient la quasi-totalité de la population. Aujourd’hui ils ne sont plus qu’une minorité persécutée d’environ 10 % de la population.
REMARQUES DIVERSES.
En fin de compte, ce fait considérable, celui qui seul a permis à l’Islam de se procurer les ressources nécessaires au fonctionnement régulier de l’empire musulman, n’a presque pas laissé de traces certaines.
Chez les auteurs grecs, on trouvera des souvenirs historiques en petit nombre et tout à fait incertains.
Chez les auteurs coptes ayant écrit en copte ou dont les œuvres nous sont parvenues en arabe ou dans une autre langue, bien qu’ayant été primitivement écrites en copte, nous ferons une plus grande
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moisson de faits historiques, mais ces faits sont dans le plus grand désordre ; ils sont détournés de leur sens primitif, accompagnés d’un merveilleux qu’on ne saurait un seul instant prendre au sérieux. Quand on examine un peu les Chroniques de Jean de Nikiou, on s’aperçoit que son intelligence des situations n’était guère différente de celle des autres auteurs de la même religion, qu’il était tout aussi crédule, tout aussi dénué d’esprit critique, qu’il écrivait plus pour servir à l’édification de ses lecteurs que pour les instruire. Il a la prétention d’écrire une histoire universelle, mais son récit commence avec celui de la création selon la Bible c’est-à-dire conformément aux mythes suméro-babyloniens sur le sujet. Il nous affirme sans rire que ce fut Dieu lui-même qui donna leur nom à Adam et à Ève, mais que ce fut Adam qui donna leurs noms à ses enfants et à toutes les créatures (chapitre 1i), que Seth, le troisième fils d’Adam, donna leurs noms aux fleuves (chapitre 2), que Kronos ou Saturne était un géant de la race de Cham (chapitre 3). À propos de l’histoire d’Égypte, il dit qu’un homme nommé Héphaïstos régna sur l’Égypte et fut élevé au rang des dieux, que c’était le soleil, et qu’après lui son fils, un autre soleil, fonda la ville d’Héliopolis (chapitres 11 et 12). Et quand un historien se laisse aller à écrire des calomnies comme celles qu’il relate contre Pulchérie, on ne peut plus compter sur son impartialité. Toutefois, on ne saurait nier qu’il avait l’esprit curieux, qu’il s’était efforcé de lire des livres instructifs et, si sa chronique a des défauts, ces défauts sont imputables avant tout à son siècle, à son pays et au milieu dans lequel il vivait.
Cyrus dit le Mouqoqis dans la tradition musulmane maintenant. Quel fut son rôle exact dans tout ceci ? A-t-il été le traître que certains auteurs païens ou athées nous décrivent ? La tradition musulmane nous le présente comme déjà en place en 628 et faisant cadeau à Mahomet de deux esclaves à la beauté remarquable, Marie et Sérine. Tout en remplissant les deux missions si différentes de gouverneur et de patriarche de l’Église melkite, Cyrus entretint-il des relations avec les armées arabes de la Syrie pour les détourner de l’Égypte ? Le fait n’aurait rien d’invraisemblable en lui-même, quoiqu’on soit en droit de s’étonner que le gouverneur d’un pays soumis à l’empereur ait ainsi négocié une telle reddition. Le raisonnement, la psychologie, et le degré d’intelligence du personnage interrogent et font problème.
Pour retracer cette conquête, l’historien trouvera enfin chez les auteurs arabes certaines circonstances en petit nombre qu’ils pouvaient seuls connaître et qu’effectivement seuls ils connaissaient ; à condition que ces événements ne soient nullement légendaires ou merveilleux, il pourra s’en servir en toute sûreté ; pour le reste, il est inutile de leur rien demander.
Les musulmans, forts de leurs succès obtenus en Syrie et en Palestine, en étaient venus à croire que la chose avait été écrite, et qu’ils n’étaient que les ministres de Dieu. Ils ne se disaient pas que la faiblesse de leurs adversaires provenait de leurs divisions, de leur corruption, de leur manque de courage, de leur égoïsme et qu’en présence de telles causes débilitantes, leur vigueur et leur fanatisme pouvaient facilement être regardés comme la raison suffisante de leur succès.
Il est particulièrement naïf et irresponsable de présenter les conquérants arabes comme des gens simples, mus seulement par le désir de faire du prosélytisme religieux ; ils n’étaient pas inaccessibles aux autres passions, aux autres appétits qui sont souvent les mobiles des actes humains.
Les conducteurs de l’invasion musulmane étaient des gens intelligents, réfléchis, susceptibles d’instruction, sinon instruits, avides d’apprendre ce qui leur manquait, comme ils le firent bien voir aussitôt après la conquête ; ils avaient aussi tout l’égoïsme nécessaire aux conquérants, et la cruauté dont ils firent preuve ne différa pas sensiblement de celle que les Perses avaient montrée lors de l’invasion qui venait à peine de finir lorsque Cyrus arriva en Égypte. Qui dit conquête dit guerre, tyrannie et cruautés ; le sens de la conservation personnelle l’emporte nécessairement sur les sentiments d’humanité.
Les Arabo-Musulmans pouvaient donc penser non sans raison qu’ils étaient supérieurs à leurs adversaires ; mais ils savaient aussi qu’ils étaient moins bien outillés qu’eux, qu’ils ne savaient pas se servir des armes perfectionnées que la pratique de la guerre avait données aux soldats romains et grecs, surtout qu’ils ne connaissaient pas le maniement des armes de l’artillerie contemporaine. De là la nécessité, perdus comme ils étaient dans une mer d’hommes, de se montrer plus particulièrement sévères, durs et partout cruels ; d’ailleurs la cruauté était alors regardée comme un héroïsme si elle était exercée contre un ennemi. Il est donc puéril d’exempter les musulmans de toutes les horreurs qu’ils étaient amenés à commettre pendant une conquête à main armée ; ils ont été cruels, cela est certain ; mais leurs chefs comprirent admirablement qu’ils ne devaient pas penser à s’installer dans la vallée du Nil de manière à en tirer profit pour eux, s’ils n’en confiaient pas l’administration à ceux mêmes qui l’administraient avant leur arrivée, tout en les surveillant de près ; ce fut le grand mérite du chef de la conquête, Amir ibn Al As, que de prévoir ainsi les résultats, de les décider de la meilleure manière par avance et de savoir s’en tenir à sa décision.
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LA CIVILISATION PERSE OU SASSANIDE.
Les Sassanides règnent sur l’Iran de 224 jusqu’à l’invasion arabo-musulmane en 651. Cette période constitue un âge d’or pour l’Iran tant sur le plan artistique que politique et religieux.
Ce fut l’une des deux grandes puissances en Asie occidentale pendant plus de quatre cents ans. Fondée par Arrachoir qui mit en déroute le dernier roi parthe, Artaban V, elle prit fin lors de la défaite
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du dernier Roi des Rois Yazdgard III (632-651). Ce dernier, après quatorze ans de luttes, ne parvint jamais à repousser le califat.
Le territoire de l’Empire sassanide englobait en totalité l’Iran, l’Irak, l’Arménie, le Caucase du Sud (y compris le Daghestan du Sud), l’Asie Centrale du Sud-ouest, l’Afghanistan occidental, des fragments de Turquie, de Syrie, une partie de la côte de la péninsule Arabe 1), la région du golfe Persique et des fragments du Pakistan occidental.
On considère l’ère sassanide comme l’une des périodes les plus importantes de l’histoire de l’Iran. Sous bien des aspects, elle représente l’accomplissement au plus haut degré de la civilisation perse et fut le dernier grand empire iranien avant la conquête arabe et l’adoption de la religion musulmane. La Perse sassanide eut un impact certain sur la civilisation romaine et les Romains considéraient les Perses sassanides comme leurs égaux ; en témoignent les lettres de l’empereur romain au Chahinchah qui commencent par la formule : « À mon frère… » Leur influence culturelle s’étendit bien au-delà des frontières de l’empire pour atteindre l’Europe de l’Ouest, l’Afrique, la Chine et l’Inde, et joua un rôle dans la formation de l’art médiéval européen et asiatique. Cette influence se perçoit aussi dès l’apparition du monde islamique et lors de la conquête de l’Iran par les musulmans. La culture aristocratique et unique de la dynastie en est la preuve. Abdolhossein Zarrinkoub 2) de l’Université de Téhéran va même jusqu’à soutenir que ce que l’on appelle la culture, l’architecture, ou l’écriture islamique, doit beaucoup aux Perses sassanides, avant de se répandre ensuite dans les autres pays conquis à l’islam.
À partir du règne de Khosrau Anouchirouwane (« à l’âme immortelle »), appelé Chosroês 1er par les Grecs (501-579), des réformes mettent en place un nouveau système d’impôts, qui fut plus tard repris par les Arabes. Le pouvoir est désormais confié à la petite noblesse, plutôt qu’aux grands propriétaires. L’empire s’étend sur l’Arabie méridionale, permettant le contrôle du commerce entre Byzance et l’Extrême-Orient (l’Inde, la Chine). Les victoires qui mettent fin à la domination des Huns Hephtalites entraînent également une expansion importante vers l’est, jusqu’à l’Oxus (actuel Amou-Daria).
Chosroes 1er Anouchirouwane est resté très célèbre en Iran : de nombreuses paroles et de nombreux faits lui sont attribués. Il réalise de grands travaux publics, comme des canaux d’irrigation, ou la fondation à Goundichapour d’une école médicale fondée sur les théories grecques 3). C’est également sous son règne que sont accueillis à la cour des philosophes et savants grecs expatriés après la fermeture de l’École néoplatonicienne d’Athènes en 529.
Sous Chosroês II Parouiz (le triomphant), l’expansion territoriale se poursuit, avec l’annexion de la Syrie, de l’Égypte et de la Palestine. Mais la contre-offensive d’Héraclius mène finalement au pillage de la résidence royale de Dastagerd, puis à l’assassinat de Chosroês à Ctésiphon lors d’une fronde de la noblesse en 628. Ce règne reste associé toutefois à une période de luxe, avec la construction des palais de Qasr-e Chirine et Dastagerd, et la vogue que connurent la poésie et la musique.
La dynastie sassanide montre un grand sens de l’administration, des échanges internationaux et de l’exploitation agricole (irrigation et barrages). Il s’agit d’une civilisation orale, avec un pouvoir fort et centralisé ainsi qu’un vaste réseau de communication. Les guerres incessantes qui secouent l’Empire sont aussi un facteur important à prendre en compte.
La société s’avère divisée en trois catégories, conformément à la structure indo-européenne, chacune ayant à sa tête un chef (salar).
— Les prêtres.
— Les guerriers
— Les cultivateurs.
Les artisans font tout d’abord partie de la classe des cultivateurs, avant d’être reconnus comme catégorie à part entière. Ce système de type féodal s’avère en général assez stable, mais nécessite cependant un bon équilibre entre noblesse et religion. Le mouvement de révolte qui voit le jour sous Kavadh Ier, le mazdakisme, qui se rebelle contre la religion mazdéenne et demande la mise en communauté des femmes et des biens, montre que la rupture de cet équilibre entraîne toujours des troubles. Un second grand mouvement de révolte, plus lié à une situation géopolitique difficile, verra aussi le jour à la fin du VIe siècle.
Le roi est le chef de l’État sassanide. Chapour Ier fut l’initiateur de la titulature royale sassanide, en se nommant « Roi des Iraniens et des Non iraniens » (chahinchah eran oud aneran). Il exerçait les principales fonctions politiques, militaires, judiciaires et administratives.
La construction de barrages, de grands canaux et de ponts permet d’augmenter le domaine cultivé, notamment dans le Khouzistan, dans le bassin de la Diyala et dans le Fars. Les cultures (céréales, riz, canne à sucre et à partir du VIe siècle, sériciculture) peuvent ainsi être exportées. La sélection de races de chevaux servira plus tard aux conquérants arabes pour la création des chevaux dits arabes qui étonneront tant les premiers croisés par leur agilité.
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Outre les produits d’agriculture, les Sassanides exportent aussi des produits manufacturés, notamment des soieries. En effet, à partir de la fin du IVe siècle se mettent en place des relations avec la Chine pour l’export notamment de soie brute. C’est l’Iran sassanide qui a le contrôle de la partie occidentale de cette route de la soie, et détient donc le monopole du commerce, vers Byzance et l’Europe en particulier. Des Iraniens s’installent même en Chine à partir du VIe siècle, les relations se développant en particulier grâce aux caravanes et aux missionnaires nestoriens.
Un commerce a lieu vers l’Inde par voie maritime c’est-à-dire le port de la Mésène 4) et vers la Syrie (Doura Europos et Palmyre) par voie terrestre. Les produits du Zagros acheminés par voie fluviale, sur le Tigre et le Khabour, un affluent de l’Euphrate (qui lui n’est pas navigable). Les Sassanides utilisent des radeaux de bois sur des outres gonflées d’air comme le faisaient déjà les Assyriens et qui continueront d’être utilisées au XIXe siècle. Ces radeaux peuvent transporter plusieurs tonnes de marchandises. Un commerce également florissant a lieu avec l’Asie Centrale.
La dynastie sassanide marque la période de gloire du zoroastrisme, qui est alors promu au rang de religion d’État.
Un trait particulier sera le trilinguisme : le pahlavi (moyen persan), le grec et le parthe sont trois langues couramment parlées par un grand nombre d’Iraniens à cette époque. On retrouve notamment cette caractéristique dans les inscriptions rupestres, pour la plupart bilingues et trilingues.
Une relation étroite existe entre philosophie, médecine, astronomie, foi et sciences. L’académie de Goundichapour, fondée par Chapour Ier, est un élément remarquable de la culture sassanide. Elle abrite notamment une faculté de médecine, les enseignements s’appuient sur les principes grecs d’Aristote et de Gallien, apportés en Iran par le biais des chrétiens nestoriens. La médecine notamment se développe par le biais des médecins étrangers (grecs en particulier), en raison des problèmes de souillures rituelles liées à la religion mazdéenne. De nombreux philosophes byzantins trouvent aussi refuge dans cette académie après la fermeture des écoles d’Athènes (l’Académie entre autres) par l’empereur byzantin, au cours du mouvement appelé Translatio studiorum.
Des sources arabes font référence à une littérature en moyen persan et attestent ainsi son existence. Plusieurs œuvres sont conservées, parmi lesquelles on peut citer…
L’Avesta, mis par écrit et complété à cette période.
Les hymnes manichéens, dont certains existaient déjà avant les Sassanides.
Les traductions en arabe de textes étrangers comme les fables de Kalila et Dimna, venues d’Inde, ou encore le livre des aventures de Sinbad, traduit à la période sassanide tardive.
Le Kouatay-namaq, une épopée nationale qui inspirera Firdousi au Xe siècle pour son Livre des rois (shanameh).
La musique sassanide est une base de la musique traditionnelle iranienne. On peut y noter l’importance donnée au chant, à la fois à travers des hymnes religieux (Ghatas), encore chantés en Inde de nos jours, des chants exaltant la grandeur des monarques, les hauts faits des héros ou la beauté de la nature et des sentiments humains. Certains de ces chants correspondent à des fêtes saisonnières. Mais la musique instrumentale tient aussi un rôle prépondérant. La musique sassanide sera exportée vers l’Europe et l’Espagne. Elle est le point de départ de la musique arabo-andalouse, et les instruments utilisés actuellement dans la musique classique ont lentement évolué à partir des modèles orientaux eux-mêmes très proches de ceux des Sassanides.
La période sassanide constitue aussi un apogée pour les arts plastiques. Des objets sont réalisés dans des matériaux les plus divers : verre, argent, cristal de roche, tissus… L’urbanisme et l’architecture connaissent également un essor considérable, avec la création de formes nouvelles comme les chahar taq 5), ou l’utilisation de techniques et de motifs romains.
1) Les recherches historiques actuelles modifient la vision d’une Arabie autonome, rejetant avec dédain les influences extérieures. La civilisation perse, d’importance mondiale, écrase aussi culturellement parlant un vaste espace vide tel que l’Arabie. Tous les documents témoignent de cette influence, jusque dans la vie quotidienne.
Ibn Khordadbeh.
Du temps de la Djahiliya, Yathrib/Médine et Tihama dépendaient d’un officier choisi (amil) par le marzban al Badiya (le marzban du désert) qui levait des taxes sur Médine. Les tribus juives Qouraïza et Nadir exerçaient alors la suprématie sur les Aous et les Khazradj. Un poète des ansar a fait allusion à ces circonstances en s’exclamant : « Nous avons payé tribut à Khosroês, nous avons payé tribut aux Qouraïza et aux Nadir, et voilà qu’on nous rançonne encore ! »
Une telle situation de dépendance explique le très fort et très ancien ressentiment des Arabes à l’égard des Perses au VIe et au VIIe siècle.
Sahih Muslim 28, 5612.
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L’apôtre de Dieu a dit : celui qui joue aux échecs est comme celui qui trempe sa main dans la chair ou le sang du porc.
2) 1923-1999. Auteur de la conquête arabe de l’Iran.
3) Pour différentes raisons liées aux questions d’impureté dans la religion zoroastrienne, la médecine proprement perse était peu développée.
4) La Mésène est la région correspondant aux actuels Chatt al-Arab et Maysan du sud de l’Irak.
5) 4 arches.
LA SITUATION DE L’EMPIRE SASSANIDE POUR CE QUI EST DE LA RELIGION.
AVERTISSEMENT AU LECTEUR. LES RÉCITS QUI SUIVENT INSISTENT TOUS SUR LE FAIT QUE LES CHRÉTIENS ARABES AURAIENT JUSQU’AU BOUT COMBATTU LES MUSULMANS AUX CÔTÉS DES TROUPES SASSANIDES. RIEN N’EST MOINS SÛR ET NOUS REVIENDRONS D’AILLEURS SUR LE SUJET !
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Au préalable, il nous faut éclaircir une question de vocabulaire. Le terme de « nestorien » est impropre. Il vaut mieux parler d’Église chrétienne de Perse ou, pour reprendre le terme actuellement retenu, d’Église syrienne orientale.
Les premières communautés syriaques.
On peut penser que ces premières communautés chrétiennes se sont constituées ici encore plus qu’ailleurs, à partir de communautés juives. Cette région, en effet, fut, vers le VIIIe siècle avant notre ère, l’un des foyers des empires assyrien puis babylonien, époque à laquelle, on le sait, eurent lieu d’importantes déportations de juifs vers la Mésopotamie. Beaucoup (la majorité peut-être) ne revinrent pas et firent souche sur place. Il y avait donc en Mésopotamie à l’époque, y compris dans la boucle de l’Euphrate (Djézire ou Haute Mésopotamie), d’importantes communautés juives ; à tel point d’ailleurs que c’est là que se constituera le Talmud « de Babylone », considéré par les juifs comme le plus important livre de leur religion.
Un certain nombre de ces juifs ont dû reconnaître Jésus comme Messie, et cela extrêmement tôt ; c’est donc là que, dès le 1er siècle, on va trouver cette forme d’expression chrétienne qui se différencie de celles qui nous sont familières aujourd’hui.
Passons à la seconde moitié du deuxième siècle. L’Histoire nous apprend que, dans ces régions frontalières entre l’Empire romain et la Perse, alors dominées par les Parthes, il y eut un petit royaume appelé l’Osroène, centré sur Édesse, avec pour monarque Abgar VII. Ce royaume avait accepté puis reconnu chez lui l’existence de communautés judéo-chrétiennes. Restons encore un instant à Édesse. À cette époque y apparaît un personnage qui s’appelle Bardesane (ou Bar-Daïssan) (154 – 222). Que signifie ce nom ? Littéralement « le Fils du torrent » le « torrentueux ». Or le Daïssan est précisément le torrent dont les crues ravageaient de temps à autre Édesse. Il s’agit donc de quelqu’un qui est originaire des bords du Daïssan, mais dont le nom indique aussi un caractère torrentueux. De fait, il l’est ! Nous n’avons pas de textes de Bardesane/Bar-Daïssan, sauf quelques fragments, notamment des vers, cités entre autres par saint Éphrem. Bardesane/Bar-Daissan se situe dans le sillage des mouvements gnostiques qui se développent dans cette région au cours du IIe siècle. Le texte le plus important à son sujet a été rédigé par un de ses disciples. C’est le Livre des lois des pays, qui nous donne en quelque sorte une géographie sociologique et ethnologique de toute la région, allant, au-delà de l’Empire perse, jusqu’en Inde. Si l’on veut connaître Éphrem, on peut lire le livre de Sébastien Brock, un des meilleurs connaisseurs du monde syriaque. On est vraiment dans un monde qui reste étranger à tout ce qui se développe dans l’Empire romain byzantin.
Il y a trois langues aux origines du christianisme, l’araméen ou syro-palestinien, le grec (Paul), et le latin, langue de l’administration à l’époque de Jésus. Cela souligne l’importance de la tradition syriaque, qu’il faut considérer comme l’égale de la tradition gréco-latine, et selon laquelle se développèrent, à partir de milieux juifs, ces premières communautés chrétiennes d’Osroène ou de Mésopotamie.
L’Église syriaque orientale dite « nestorienne ».
Nous venons de voir comment des communautés chrétiennes se développèrent très tôt dans le Nord de la Syrie ainsi qu’en Mésopotamie. Or, aux premiers siècles de notre ère, ces régions étaient sous l’influence des Parthes, certes, adversaires acharnés des Romains, mais qui se montraient très tolérants, très « œcuméniques ». Ils ne semblent pas en effet avoir eu de religion officielle, ce qui avait permis dans la région le développement de ces premières communautés chrétiennes. Tout changea lorsque survint, en 226, une grande rupture : succédant aux Parthes, les Sassanides prennent le pouvoir. Venus de l’Orient iranien, de Bactriane (actuellement l’Afghanistan), les Sassanides avaient une religion bien précise, le mazdéisme, en fait une réforme des anciennes traditions iraniennes.
Cet empire sassanide fut extrêmement étendu. Dans sa plus grande extension, il ira de l’est de la Turquie actuelle jusqu’à proximité de la Chine. Son importance égalait celle de l’Empire romain. Il englobait notamment la Mésopotamie, sa capitale étant d’ailleurs située sur le Tigre, à Séleucie Ctésiphon, une ville double située sur les deux rives du fleuve, non loin de l’ancienne Babylone ; toute proche de ce qui deviendra plus tard (à partir de 751) la ville de Bagdad.
Cet empire, faut-il le rappeler à nos lecteurs, était riche, brillant, et bien organisé. Sa langue de communication était l’araméen, dont nous avons déjà dit deux mots, et dont on mesure ainsi toute l’importance. Or c’est durant cette période que va véritablement se constituer, dans cet immense espace perse, une Église chrétienne qui sera d’une grande importance, bien qu’elle ait connu des périodes difficiles.
Au cours du IVe siècle, vers 345, environ un siècle après l’avènement des Sassanides, au temps de l’empereur Chapour II (Sapor II), il y eut de la part des autorités une très nette politique antichrétienne ; puisque le christianisme était devenu la religion officielle du grand concurrent, l’Empire romain byzantin.
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Au début du siècle suivant, le Ve, survint une époque de coexistence pacifique entre l’Empire romain d’Orient et l’empire sassanide. En 410 Byzance put donc envoyer une mission diplomatique à Séleucie Ctésiphon, qui obtint que les communautés chrétiennes existant dans l’Empire perse puissent désormais s’organiser, voire se constituer en Église.
Les premiers synodes officiels de cette Église chrétienne de Perse prennent deux sortes de décisions.
— Le premier synode déclare en 410 : nous avons la même croyance que les chrétiens « d’Occident » (les chrétiens byzantins en fait), nous acceptons la confession de foi de Nicée ainsi que l’interprétation qu’en donnent les Pères « occidentaux ».
— Mais, quinze ans plus tard, en 424, afin de pouvoir se défendre contre les attaques des mazdéens, qui leur reprochaient de sympathiser avec Rome, un deuxième synode confirmera le précédent ; tout en ajoutant : « c’est l’évêque des villes impériales de Séleucie Ctésiphon qui est Pierre parmi nous, qui est le gardien de la croyance. Nous n’avons aucune relation avec les habitants de l’Empire romain ».
Le cinquième siècle est donc celui où cette Église de Perse s’érigea en Église indépendante. Son chef, désigné du nom de Catholicos, ou encore de Patriarche, siégera donc à Séleucie Ctésiphon. Quelle a été l’importance de cette Église de Perse dans l’empire sassanide ? Il est extrêmement difficile de le dire. Certains auteurs estiment qu’au moment de son apogée, vers l’an 800 (donc, en fait, aux premiers temps de la domination musulmane), elle pourrait avoir été plus importante que la chrétienté occidentale, à la même époque ; avec une centaine d’évêques et des millions de fidèles.
Tout au long de la période sassanide, cette Église aura néanmoins à soutenir d’importantes controverses théologiques, tant avec les manichéens qu’avec le clergé mazdéen.
Extrait du Skand Gumanik Vicar, la solution décisive des doutes.
46. Ils (les chrétiens) disent que le père et le fils et le pur esprit sont trois entités qui ne sont pas séparables l’une de l’autre (47) et donc aucune n’est antérieure à l’autre (48) et aussi, bien que ce soit un fils, qu’il n’est pas moins que le père, mais en toute chose égal au père. Pourquoi donc dans ces conditions l’appeler d’un nom différent ? (49). S’il convient de dire que trois font un, cela implique qu’il est possible que trois fassent neuf et que neuf soient trois ; (50) et il est possible de faire de même pour d’autres nombres, à l’infini. (51). En outre si un fils n’est pas moins qu’un père, ce père n’est pas plus grand que le fils. (52). Dans ce cas doit-on dire que le père vient du fils, ou que le fils ne vient pas du père ? (53). Car quiconque vient de quelqu’un d’autre est moins que celui dont il procède, qui constitue son essence originelle ; (54) s’il peut être ainsi au point de vue temporel, il en est de même du point de vue de la relation. (55). Si le fils n’est pas moins que le père, cela implique que le créateur n’existe pas avant sa création ni ne lui est supérieur ; (56) les deux doivent être des principes originels (57) et la création n’est pas moins que son créateur ni le créateur plus grand que sa création (58).
(59). Remarquons en outre que si le fils est égal au père en toute connaissance, ce père est aussi ignorant que son fils qui ignorait tout de sa propre mort et de son exécution sur l’arbre (60) jusqu’à ce qu’il meure du fait de son arrestation et de la mort misérable, du traitement brutal, et de la disgrâce, qu’ils lui ont infligés. (61). Il ne le savait pas parce que quand on lui a demandé : « Quand viendra le jour de la résurrection ? » Il a répondu : cela personne ne le sait hormis le Père 1).
Parmi les disciples de Théodore de Mopsueste, il y avait un certain Nestorius. Un moine d’Antioche, d’origine persane, qui en raison de ses brillantes qualités d’orateur, sera choisi pour être l’archevêque de Constantinople (plus tard on dira le patriarche). Nestorius tira toutes les conséquences des positions christologiques de l’École d’Antioche, et notamment celle-ci. En raison de la dualité des natures, on ne peut dire que Marie est mère de Dieu (théotokos) ou plutôt, si on le dit, alors il faut également dire que Marie est mère de l’homme, mère du vrai homme en Jésus. Il est alors plus simple de dire tout simplement que Marie est mère du Christ (sermon de Nestorius à Constantinople, Noël 426). Cette prédication fit scandale, surtout en Égypte où l’on était très attaché à cette idée de théotokos, pour des raisons qui remontaient peut-être à son lointain passé païen. En 431 donc, un concile fut convoqué à Éphèse, dans lequel les Alexandrins l’emportèrent. Nestorius fut condamné ; ses écrits brûlés ; il fut exilé à Pétra [et peut-être même à La Mecque] puis en Libye et, comme on vient de le dire, la christologie de Théodore de Mopsueste fut rejetée. Une cinquantaine d’années après, vers 485, l’Église de Perse, ou encore Église syriaque orientale refusa les conclusions du concile d’Éphèse et la condamnation de Nestorius. Les disciples de ce dernier rejoignirent donc l’Église de Perse. Un peu plus d’un siècle plus tard, en 612, une profession de foi rédigée par un théologien appelé Babai donna son expression définitive à la doctrine de l’Église syriaque orientale.
Faut-il pour autant qualifier cette Église de « nestorienne », alors qu’elle existait bien avant Nestorius et que celui-ci ne vint jamais à l’est de l’Euphrate ? Pourquoi, en Occident, a-t-on appelé cette Église « nestorienne » ? C’est sans doute une appellation trouvée pour rejeter cette Église qui se voulait indépendante, et pour la marquer du sceau de l’hérésie, puisque Nestorius avait été condamné comme tel.
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1) Mt 24, 36 ; Marc 13, 32.
L’EMPIRE SASSANIDE À LA VEILLE DE LA CONQUÊTE MUSULMANE.
La Perse était donc alors gouvernée par une puissante dynastie, celle des Sassanides, remarquable par son organisation administrative et militaire. Elle se distinguait aussi par le renouveau de la doctrine mazdéenne, fortement associée au pouvoir. Mais l’empire était aussi peuplé de minorités chrétiennes, juives, et de mouvements religieux hétérodoxes (manichéisme). Ce fut là une fameuse occasion pour les Lakhmides de reprendre leur indépendance. Le roi Chosroês II est celui qui apparaît le plus
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souvent dans les sources musulmanes : c’est un réformateur qui redonne sa puissance à la Perse. Il avait maté une dangereuse rébellion au sein de son propre empire, annexé le royaume lakhmide devenu indépendant (Al-Noumane III, fils d’Al-Moundher IV, le premier roi lakhmide chrétien, est déposé puis exécuté) et avait ensuite consacré toute son énergie aux problèmes extérieurs, en particulier à ses ennemis héréditaires traditionnels, les Byzantins. Il y réussit relativement bien pendant quelques années. De 613 à 614, il étendit les frontières iraniennes aussi loin à l’ouest que les villes d’Antioche, Damas et Jérusalem. Mais les Byzantins se ressaisirent et Chosroês fut battu à la bataille de Ninive en 627. Les Byzantins reprirent toute la Syrie et pénétrèrent loin dans les provinces perses de Mésopotamie. Héraclius assiège Ctésiphon. Chosroês s’enfuit, mais sera assassiné par les siens, car il refuse de signer la paix avec Héraclius. Son fils Kavadh le fera à sa place. Le règne de Kavadh II, marqué par ce traité de paix avec Byzance, qui induit un repli sur le territoire de Chosroes Ier, marque la fin de l’apogée des Sassanides, et le début d’une anarchie qui ne s’achève qu’avec la conquête arabe. Pendant quatre ans, une dizaine de rois va se succéder sur le trône : des membres de la famille royale ou des usurpateurs, dont deux femmes, Bourandoukht qui signe la paix définitive avec l’Empire byzantin vers 630 et Azarmedoukht qui ne règne que quelques mois (décembre 631, mars 632), filles de Chosroês II. Puis un prince sassanide sera découvert à Istakhr où il se cachait et couronné dans cette ville sous le nom de Yazdgard III. C’était un petit-fils de Khosro II et Chirine, fils du prince Shahriar et d’une concubine noire.
Il avait été sauvé de la mort par sa grand-mère et caché en province dans le Fars lors du massacre des princes royaux perpétré par Kavadh II. Avec l’aide du général Rostom, il s’emparera de la capitale Ctésiphon à l’âge de 16 ans, en 632. Il règnera concurremment avec son cousin Hormizd VI jusqu’à l’assassinat de celui-ci en janvier 633.
L’armée sassanide.
L’armée sassanide, surtout fondée sur l’emploi d’armes lourdes comme les éléphants de guerre et la cavalerie cuirassée, a été l’une des plus efficaces de la fin de l’Antiquité.
La principale force de cette armée est la cavalerie lourde. Composée de nobles, elle est cuirassée, bien protégée par des plaques de fer et particulièrement bien entraînée. La monture est également protégée. Chapour II est intervenu pour que la cavalerie soit plus minutieusement protégée. Ainsi n’étaient-ils exposés aux flèches que par de toutes petites ouvertures nécessaires à la vue par exemple. Ils utilisent la lance (cataphractaires), mais aussi l’arc, l’épée, la hache de bataille et la masse (clibanari). Les archers de cavalerie sont capables de tirer en arrière pendant leur retraite. L’élite de cette cavalerie est nommée les Immortels comme chez les Achéménides et les Arméniens sont aussi de bons cavaliers. Une partie de cette cavalerie sassanide est légèrement armée, elle sert d’éclaireurs et se recrute principalement chez les mercenaires Kouchans, Khazars ou même Hephtalites. Même s’il existe des armées sassanides entièrement montées, la cavalerie représente en moyenne le tiers de l’armée. L’infanterie comprend des archers, des frondeurs et des javeliniers, ainsi que des fantassins lourds, armés de lances ou d’épée, dont la Sogdiane fournit de bonnes unités. Les archers tiraient une grande quantité de flèches derrière un rideau de boucliers. L’armée sassanide emploie davantage d’éléphants que ses prédécesseurs les Parthes. Ils soutiennent les cavaliers et viennent de l’Inde. Une autre évolution par rapport à leurs prédécesseurs se manifeste dans la poliorcétique (art des sièges) où les scorpions et balistes romains sont imités et en défense des liquides bouillants sont versés sur les assaillants.
Depuis le 1er siècle avant notre ère, la frontière entre l’Empire romain (plus tard empire byzantin) et l’empire parthe (plus tard sassanide) était l’Euphrate. Cette frontière était continuellement contestée. La plupart des batailles, et donc la plupart des fortifications, étaient concentrées dans les régions de collines du Nord, le vaste désert arabe ou désert syrien séparant ces empires du reste du monde au sud. Les seuls dangers venant de cette contrée inconnue étaient donc les occasionnels coups de main des tribus arabes. Les deux empires avaient chacun de son côté conclu des alliances avec de petites principautés arabes semi-indépendantes leur servant d’États tampons, et protégeant donc qui Byzance, qui la Perse, des attaques des Bédouins.
Les vassaux des Byzantins étaient les Ghassanides, ceux des Perses les Lakhmides.
Les Ghassanides et les Lakhmides se battaient constamment, ce qui les occupait beaucoup, mais n’affectait guère les Romains de l’Empire byzantin, ou les Perses de l’empire sassanide.
Mais au VIe et au VIIe siècle de notre ère, tout changea.
Les Sassanides sortirent très fragilisés d’une dernière guerre contre l’Empire byzantin.
Les mages aryens (zoroastriens ou parsis) de Perse étaient obligés de se défendre avec acharnement contre la progression continue du christianisme dans leur empire (l’évêque nestorien de Suse par exemple, avait fait détruire en 418 un de leurs temples du feu ou pyrée).
L’Empire sassanide, très nettement affaibli, résistera pourtant quelques années aux attaques musulmanes.
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L’invasion musulmane vue par les chrétiens de l’empire sassanide (Chronique du Khouzistan, vers 660-670).
« Alors Dieu suscita contre eux une invasion des fils d’Ismaël, innombrables comme les grains de sable sur le rivage. Leur chef (mdabbrana) était Mahomet (mhmd), et ni rempart ni porte, ni arme ni bouclier ne pouvait leur résister. Ils s’emparèrent de toute la terre des Perses. Yazdgard envoya contre eux d’innombrables troupes, mais les Arabes les mirent toutes en fuite et tuèrent même Rostom. Yazdgard se réfugia derrière les murs de Mahozé et prit la fuite. Il atteignit les pays de Huzaye et Mrwnaye où il finit ses jours ».
Bref, en 637 la prise de Ctésiphon puis en 642 la défaite de Nahavand marqueront donc la fin de l’Empire. Yazdgard III s’enfuit à Merv et finira par y être assassiné en 651. Son fils Pérôz III se réfugiera ensuite à la cour de Chine et la dynastie sassanide survivra quelque temps comme gouverneur d’un petit territoire chinois.
BATAILLES RESTÉES CÉLÈBRES.
BATAILLE DU PONT (AL JISR) EN 634 PRÈS DE HIRA.
La Bataille du Pont eut lieu en 631 ou 632 ou en 634 entre les Arabes musulmans menés par Abou Obeïd et les forces de l’empire sassanide qui en sont sorties victorieuses.
Abou Obeid, qui était cantonné à Hira, ayant eu des informations sur les mouvements de l’armée perse, envoie ses troupes dans le village de Marauha sur la rive ouest de l’Euphrate. Puis il ordonne
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qu’un pont fait de barques soit jeté sur la rivière et l’armée musulmane la traverse (le 28 novembre 634 au matin ?).
La cavalerie musulmane se déploie, mais face aux éléphants les chevaux paniquent et les Perses contre-attaquent. Abou Obeïd et son second sont tués. Seuls 3 000 musulmans sur un total de 9 000 peuvent se retirer en bon ordre de l’autre côté de l’Euphrate, sous le commandement de Mouthanna. Environ 2 000 sont morts en combattant, 2 000 sont morts noyés et 2 000 se sont éparpillés dans toutes les directions.
Mais le commandant perse Bahman Jadhouyih ne peut poursuivre les musulmans de l’autre côté de l’Euphrate, car une révolte éclate dans la capitale perse Ctésiphon et il doit y revenir immédiatement pour aider Rostom Farroukhzad à la circonscrire.
BATAILLE DE BOUWAÏB 635.
Après la bataille du pont, Umar envoya des contingents de plusieurs tribus arabes commandés par Jarir ibn Abdallah en renfort. Des Arabes chrétiens locaux des tribus Namer et Taghlib rejoignirent également Al Mouthanna. Mehrane, fils de Mehrbande d’Hamadan, envoyé à Hira pour s’occuper de cette concentration de forces arabes sur la frontière, traverse l’Euphrate sur un pont de bateaux et attaque leur camp à Noukaïla sur le canal de Bouwaïb, probablement à l’automne 635. Al-Mouthanna et Jarir battent les Perses et leur infligent de lourdes pertes, dont Mehrane. Cette victoire arabe de Noukaïla / Bouwaïb laissa la plaine de Mésopotamie située entre les deux fleuves pratiquement sans défense ; les postes frontaliers perses restants le long de la frontière du désert furent pris les uns après les autres, et les coups de main musulmans se multiplièrent. Des coups de main ravageurs effectués par al-Mouthanna et ses lieutenants pillèrent des villages, des marchés et des campements de nomades, de Kaskar à Anbar.
Pour empêcher les Perses d’envoyer de l’aide ou de monter une contre-attaque à partir de la Messène et du Khûzistân, Omar envoya Otba b. Gazouane avec quelques centaines d’hommes pour faire diversion dans le bas Irak vers la fin de 635. De son camp du poste frontalier déserté de Koraïba, au printemps 636, Otba attaque et conquiert Obolla, puis tue son marzban à l’occasion de la bataille de Mazar plus au nord. Comme de tels succès attiraient à cet endroit de nombreux membres de certaines tribus arabes, le campement de Koraïba devint la ville de garnison de Bassora.
BATAILLE DE CADÉSIA (636) ACTUELLE HILLA EN IRAK.
Pour mémoire, effectifs d’Alexandre le Grand (Dhou al Quarnaïn) à Gaugameles en – 331.
35 000 fantassins et 5000 cavaliers. Estimations anciennes 230 000 fantassins 15 000 cavaliers 15 éléphants de guerre 200 chars à faux. Estimations modernes : de 50 à 100 000 hommes.
Médaille d’argent olympique dans la catégorie victoire contre un ennemi supérieur en nombre (après les Thermopyles).
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Ci-dessous maintenant la version la bataille de Cadésia vue par l’évêque arménien Sébéos (Histoire d’Héraclius, chapitre XXX).
« L’armée des Ismaélites qui avait été rassemblée en Orient vint assiéger Tizbon [Ctésiphon/Madaïn], où résidait le roi des Perses. Les troupes mèdes, qui s’élevaient à 80 000 hommes armés commandés par le général Rostom, marchèrent contre [les Ismaélites]. [Les Perses] quittèrent donc la ville et passèrent de l’autre côté du Tigre. À leur tour [les Ismaélites] traversèrent le fleuve, les poursuivirent en toute hâte, et ne s’arrêtèrent pas avant d’avoir atteint leurs frontières dans un village nommé Herthian. [Les Perses] les poursuivirent et campèrent dans la plaine. Là se trouvaient Muchel, Mamikonien, fils de David, commandant 3000 Arméniens armés de pied en cap, et le prince Grégoire, seigneur de Siounie, avec 1000 hommes. L’action s’engagea et l’armée des Perses prit la fuite devant les Ismaélites, qui les poursuivirent et les massacrèrent à coups d’épée. Là périrent les naxarars [nobles ou chefs de famille] les plus importants, ainsi que le général Rostom, Muchel avec ses deux neveux, et Grégoire, seigneur de Siounie, avec un de ses fils. Les autres échappèrent et s’enfuirent dans leur pays. Lorsque les débris de l’armée perse furent arrivés dans l’Atrpatakan, ils se rassemblèrent et se donnèrent pour chef Xoroxazat. Celui-ci se hâta de courir à Tizbon [Ctésiphon/Madaïn], fit rassembler tous les trésors du royaume et des habitants de la ville, ainsi que leur roi, et s’empressa de les conduire en lieu sûr vers l’Atrpatakan. Ils s’étaient à peine mis en route et éloignés, que l’armée des Ismaélites fondit sur eux à l’improviste. Épouvantés [les Perses] abandonnèrent leurs trésors et les habitants de la cité puis s’enfuirent. À son tour, leur roi s’enfuit et courut se réfugier auprès de l’armée du sud. Mais les Ismaélites s’emparèrent de tous les trésors, retournèrent à Tizbon [Ctésiphon/Madaïn], firent prisonniers les habitants, et dévastèrent tout le pays ».
Essayons d’y voir plus clair.
Les estimations modernes suggèrent que les effectifs des forces sassanides s’élevaient à environ 50 000 ou 80 000 hommes et les musulmans à environ 30 000 hommes (après avoir reçu le renfort d’un contingent venu du front syrien le deuxième jour).
L’armée perse atteignit Cadésia / Qadisiyyah en juillet 636 et y établit son camp fortifié sur la rive orientale de l’Atiq.
L’armée sassanide était forte d’environ 80 000 hommes, de l’infanterie, de la cavalerie lourde et des éléphants. Le corps des éléphants était aussi appelé le corps indien, car les éléphants venaient des provinces perses de l’Inde.
Le 16 novembre 636, l’armée sassanide passe sur la rive ouest de l’Ati et Rostom déploie ses 45 000 fantassins répartis en quatre divisions, distantes l’une de l’autre d’environ 150 mètres. 15 000 cavaliers répartis entre quatre divisions devaient servir de réserve aux contre-attaques et aux offensives. Il y avait aussi une trentaine d’éléphants, huit dans chacune des quatre divisions de fantassins. Le front faisait environ 4 km de long. L’aile droite des Sassanides était commandée par Hormuzane, le centre par Jalinous, la réserve par Pirouzane et l’aile gauche par Mihrane.
Rostom lui-même était assis sur un siège surélevé, à l’ombre d’un baldaquin, près de la rive ouest de la rivière et derrière le centre, d’où il jouissait d’une vue étendue sur le champ de bataille. À ses côtés flottait le Derafsh-e-Kaveyane, le « drapeau de Kavadh »), le drapeau des Perses sassanides. Rostom avait placé des hommes à intervalles réguliers entre le champ de bataille et la capitale sassanide, Ctésiphon, pour transmettre les informations.
Comme lors de la bataille du Pont la cavalerie arabe fut mise en déroute par les éléphants de guerre perses dès le premier jour. Mais le troisième jour, l’infanterie musulmane ayant reçu des renforts parvint à renverser la situation. Le général perse Rostom Farroukhzade fut capturé et eut la tête tranchée. Le fait que les Arabes ont gagné cette bataille est indiscutable. Une des conséquences directes en fut la chute de la capitale de l’empire, Ctésiphon, dès l’année suivante.
Les tournants de la bataille furent l’arrivée des renforts venus de Syrie et la mort de Rostom. Ce fut une victoire décisive pour les musulmans et un désastre pour les Perses. Ils furent mis en déroute et les fugitifs poursuivis ou tués jusque dans les villages et roseaux le long de la rivière.
4 000 soldats nord iraniens, les Hamra 1) qui avaient rallié l’armée musulmane à Cadésia eurent aussi leur part du butin (Encyclopaedia iranica en ligne).
Les survivants de Cadésia se réfugièrent à Ctésiphon, les garnisons sassanides de l’est de la Djézire (de l’est de la Haute Mésopotamie) furent évacuées. Les éléments avancés du gros de l’armée musulmane se répandirent dans toute la plaine mésopotamienne afin d’y traquer systématiquement les restes de l’armée perse, qu’ils empêchèrent ainsi de se regrouper. Des notables locaux comme Bestam, le dehqane de Bors, collaborèrent avec les vainqueurs (Encyclopaedia iranica en ligne). N.B. Après Cadésia les soldats musulmans commencèrent à s’équiper avec les armes, les armures et les chevaux des Perses morts au combat.
Essayons d’y voir encore plus clair !
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Aux alentours de l’an 636, le conseiller et généralissime du jeune empereur sassanide Yazdgarde III mène une immense armée au-delà de l’Euphrate dans la région de Cadésia (centre de l’actuel Irak). Certains auteurs pensent que choisir d’affronter les musulmans arabes sur leur propre terrain – les abords du désert – fut une erreur stratégique fatale et que les Perses auraient pu tenir aussi longtemps que l’Empire romain d’Orient s’ils étaient restés sur la rive opposée (de l’Euphrate).
Les musulmans, d’abord au nombre de douze mille, ayant rapidement reçu des renforts, déploient une armée de trente mille combattants sous le commandement de Saad ibn Abi Ouaqqas, dans la plaine.
L’armée perse, deux ou trois fois plus nombreuse, dont la moitié de cavaliers, est accompagnée par un redoutable corps d’éléphants, les chars de l’époque.
Les Perses commencèrent par dominer, mais le troisième jour l’avantage revint aux musulmans.
Des dénominations particulières distinguent les diverses périodes de la bataille de Cadésia.
La première a été appelée la journée du secours, à cause des six mille hommes venus de Syrie qui vinrent opportunément prêter main-forte aux musulmans ; la journée de l’ébranlement désigne sans doute le désordre de l’une des armées ou peut-être des deux ; la troisième, durant laquelle les charges se firent de nuit, a reçu le nom bizarre de nuit du rugissement, en raison des clameurs des guerriers.
La matinée du lendemain décida du sort de l’empire sassanide. La mort d’un des éléphants sema la panique chez les autres qui se retournèrent alors contre leur propre camp, si tant est que des éléphants puissent en avoir, en piétinant tout sur leur passage. C’est ainsi que contre toute attente, Saad mit en déroute les Perses zoroastriens et leurs alliés arabes païens ou chrétiens et arméniens (des alliés guère motivés, il est vrai).
Le généralissime persan fut capturé puis décapité.
D’après les sources musulmanes, les pertes iraniennes auraient été énormes. Les musulmans, eux, reconnaissent la perte de sept mille cinq cents hommes, et représentent avec raison la bataille de Cadésia comme ayant été opiniâtre et atroce. Mais l’importance des forces en présence et la disparité des pertes ont peut-être été un peu exagérées.
PRISE DE CTÉSIPHON 636.
À partir de là, tout s’enchaîna rapidement. Les musulmans marchèrent sur la capitale perse, Ctésiphon (Tisphoune en persan, Madaïn en arabe par la suite), qui fut rapidement évacuée par Yazdgard III.
La bataille de Ctésiphon/Madaïn a lieu deux mois après celle de Cadesia. Saad donna l’ordre à son armée de franchir le Tigre et trouva un gué pour cela. La capitale sassanide est investie et les musulmans s’emparent du palais de l’empereur Chosroês, voire de sa couronne. Le butin fut immense (certains l’ont estimé à neuf milliards de pièces d’argent). Les monnaies d’argent circulant, parmi les premiers musulmans, furent donc des dirhams perses, et, par conséquent, ornées d’autels du feu mazdéens ou parsis (les pyrées), autrement dit d’un symbole particulièrement païen.
Certains musulmans y découvrirent même des choses inconnues pour eux : l’or (qu’ils appelèrent de l’argent jaune) le camphre (qu’ils prirent pour du sel). Les nobles captives perses furent vendues comme esclaves à des prix ridiculement bas et la ville tomba en ruine rapidement.
Ci-dessous le récit d’Ibn Khaldoun concernant la bibliothèque de Ctésiphon. « Quand les musulmans eurent conquis la Perse et mis la main sur une quantité innombrable de livres et d’écrits scientifiques, Sa'd Ibn Abi Ouaqqas écrivit à Omar Ibn al-Khattab pour lui demander la permission de les partager entre musulmans, en tant que butin. Omar lui répondit : « Jette-les à l’eau. Si leur contenu indique la bonne voie, Dieu nous a donné une direction meilleure. S’il indique la voie de l’erreur, Dieu nous en a préservés. » Ces livres furent donc jetés à l’eau ou au feu, et c’est ainsi que la science des Perses fut perdue et ne put parvenir jusqu’à nous » (Ibn Khaldoun, Mouqaddima).
BATAILLE DE JALOULA 637 (centre – est de l’actuel Irak).
D’après Parvaneh Pourshariati, Déclin et chute de l’empire sassanide. Londres 2008.
Vers la fin de l’année 635, deux colonnes musulmanes avancèrent au nord et à l’est de Ctésiphon. L’une remonta le Tigre commandée par Abdallah b. Mo'tamm et prit Takrit avec l’aide des tribus arabes Ejl et Namer de la ville qui passèrent du côté musulman pendant le siège. L’autre commandée par Hachem b. Otba, traqua les fuyards et les soldats perses le long de la route menant à Holouane avec 12 000 hommes, dont des Hamra 1). L’arrière-garde sassanide commandée par Korrazad, le frère de Rostom, mit ses bagages et son personnel à charge à l’abri à Kaneqhine et tenta de couvrir la retraite, mais Hachem les repoussa au prix de lourdes pertes à Jaloula. Une colonne volante formée de Hamra 1) placés sous le commandement d’ibn Amr poursuivit les survivants jusqu’à Kaneqhine, où tous les combattants qui purent être pris furent tués, leurs femmes, leurs enfants et leurs biens capturés. Après avoir appris la défaite et la mort de Mihrane à Kaneqhine, Yazdgarde quitta Holouane pour aller à Ray, en laissant une arrière-garde à Holouane placée sous le commandement de
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Kosrowchonoum. Dans le dernier engagement majeur de cette campagne, Ibn Amr mit en déroute les forces de Kosrowchonoum à Qasr-e Chirine et occupa Holouane où il laissa une garnison de Hamra
1) Peu de temps après, les Perses qui avaient fui Ctésiphon furent autorisés à y revenir après avoir accepté de payer un tribut, et l’armée musulmane partit s’installer à Koufa.
BATAILLE DE NEHAVAND OUEST DE L’ACTUEL IRAN (642).
Le Shah tentera une ultime contre-offensive à Nehavand près d’Ecbatane, en 642, avec 50 000 hommes (si ces chiffres ne sont pas exagérés). En vain ! Les Persans et les Arméniens se font bêtement encercler par 30 000 musulmans, puis prendre au piège dans une vallée très étroite, et perdent près de 20 000 hommes.
En 643 eut lieu sa dernière bataille, celle de Faht-al-Foutouh (pour les musulmans « la victoire des victoires »).
L’empire sassanide éclata donc en un certain nombre de provinces peu ou prou indépendantes et le malheureux Yazdgard III se retira donc encore plus en Asie.
Cet ultime recul du shah l’entraînera au-delà de l’Oxus, jusqu’à Merv dans la province de Ferghana, mais il ne fut plus jamais capable de lever une armée comparable. Le khan des Turcs lui envoya plus tard des soldats, mais ceux-ci se mutinèrent et assassinèrent Yazdgard en 652. Le fils du shah défunt parvint néanmoins à fuir en Chine, et l’on dit que les Séfévides en seraient les lointains descendants.
1) Les Hamra ou Daïlamites étaient de redoutables guerriers du nord de la Perse. Les Arabes pensaient le plus grand bien de ces hommes qu’ils appelaient « Al-Hamra » (Visages rouges) et en recrutaient pour leurs propres armées. La grande majorité des Daïlamites a cependant refusé de s’incliner devant l’autorité des califes, même après l’effondrement des Sassanides.
CONCLUSION.
La conquête arabo-musulmane ne modifiera pas forcément beaucoup les conditions de vie des chrétiens d’Orient DANS UN PREMIER TEMPS. Les nestoriens de Mésopotamie étaient habitués à vivre sous la domination d’un pouvoir non chrétien : l’empire musulman remplace l’Empire perse, tout simplement. Les différentes Églises du Proche-Orient accueillent généralement assez bien le nouveau pouvoir, qui leur permet de continuer à pratiquer leur foi. Les maronites et les jacobites sont même
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plus libres que sous le pouvoir byzantin, puisque les nouveaux maîtres sont indifférents à leurs obscures querelles théologiques et liturgiques. En Égypte, les Coptes accueillent presque avec soulagement l’arrivée du nouveau pouvoir, qui les libère d’un pouvoir byzantin devenu oppresseur : pour la première fois depuis une génération, le patriarche d’Antioche peut voyager dans le pays et visiter les monastères. Les différents monastères se rallient volontiers aux conquérants et obtiennent en récompense un taux de kharadj (l’impôt foncier) très faible. Au contraire, les auteurs melkites, fidèles à Byzance et donc privilégiés sous l’ancien régime, sont généralement les plus opposés au nouveau pouvoir, tout comme les Arméniens, qui perdent leur autonomie, l’évêque Sebeos allant jusqu’à comparer l’islam à la « quatrième bête de l’Apocalypse ». Mais c’est là une attitude isolée.
Il faut dire que les conquérants musulmans n’engagent pas de politique d’islamisation forcée, et ne persécutent pas les chrétiens. Ceux-ci, tout comme les juifs et les zoroastriens, sont reconnus comme des Gens du Livre (Ahl al-kitâb), et se voient offrir un statut spécial, la dhimma (protection). Le pouvoir s’engage à protéger les dhimmis, à respecter leurs droits religieux, mais aussi judiciaires, et à reconnaître leurs chefs 1). Ainsi, lorsque la nouvelle dynastie abbasside s’installe à Bagdad au milieu du VIIIe siècle, le chef de l’Église nestorienne (le catholicos-patriarche) devient un interlocuteur du calife et un personnage important de la cour. Au XIe siècle, le patriarche d’Antioche, pour se rapprocher du pouvoir, s’installe au Caire, la nouvelle capitale fondée par les musulmans. C’est dans la dhimma qu’il faut chercher la clé de la « tolérance » souvent invoquée pour parler du statut des chrétiens et des juifs en terre d’islam. Il s’agit en fait d’une coexistence soigneusement réglée. Mais évidemment, cette protection ne va pas sans rien : la contrepartie de la dhimma est la capitation (la djizya), un impôt qui pèse lourdement sur les chrétiens. Tellement lourdement que les conversions à l’islam vont se multiplier, au point que les Fatimides, au XIe siècle, devront les interdire pour ne pas perdre de précieuses ressources fiscales.
Apogée et déclin
Les Églises chrétiennes d’Orient atteignent leur apogée sous la domination islamique : activité missionnaire très importante, fondation de nombreux monastères, production littéraire et artistique dont témoignent aujourd’hui encore les églises du quartier copte du Caire. La dhimma est censée limiter leur visibilité dans l’espace public (distinctions vestimentaires, interdiction de fonder de nouvelles églises ou de réparer les existantes…), mais dans les faits ces mesures ne sont pas appliquées. Car les chrétiens d’Orient ont su très tôt investir le nouveau pouvoir, et occupent souvent une place importante dans l’appareil étatique, ce qui leur permet de compenser leur statut d’infériorité dans la société. En Égypte par exemple, l’appareil fiscal est entièrement aux mains des Coptes, qui prennent grand soin de ne transmettre leurs compétences techniques qu’à des membres de leur communauté ; et on connaît le cas de Maïmonide, grand philosophe, chef des communautés juives et médecin personnel du sultan égyptien au XIIe siècle. De nombreux médecins de la cour sont d’ailleurs chrétiens ou juifs : les Arabes pensaient qu’ils étaient moins susceptibles d’empoisonner leurs clients, car ils étaient moins impliqués dans les querelles politiques. Exemple emblématique du statut de ces populations, à la fois partie intégrante du monde arabe et soigneusement tenues en marge.
Néanmoins, les communautés chrétiennes sont secouées par plusieurs évolutions, dont l’arabisation est sans doute la plus importante. Cette arabisation part de Bagdad, où l’on traduit la Bible en arabe dès le IXe siècle, et rayonne dans tout le Dar al-Islam, jusqu’à la lointaine Andalousie. Dès le Xe siècle, l’arabe a remplacé le copte en Égypte ; le syriaque résistera jusqu’au XIIIe siècle avec Bar Hébraeus. Cette arabisation va souvent de pair avec une islamisation, plus ou moins rapide. Le déclin – démographique et culturel – de ces communautés, aggravé par des persécutions épisodiques (en particulier sous le calife fatimide Al-Hakim au début du XIe siècle, qui fait, entre autres vexations, détruire le Saint Sépulcre de Jérusalem), apparaît dès lors comme inévitable.
1) Nous reviendrons plus en détail dans notre prochain cahier de notes sur les effets pervers à long terme de cette dhimma, la dhimmitude, QUI EST DONC TOTALEMENT CONTRAIRE AUX DROITS DE L’HOMME.
OSMANE IBN AFFANE (11 nov. 644- 17 juil. 656) CAPITALE MÉDINE EN ARABIE.
La mort brutale du calife Omar, à cinquante-cinq ans, compromettra un temps les succès des musulmans. Il fut assassiné dans la mosquée de Médine par un esclave chrétien d’origine persane, le 4 novembre 644. En dix ans de règne, il avait propulsé l’islam à la conquête de l’Orient méditerranéen et jeté les bases d’un nouvel empire. Vu la très nette préférence de Mahomet pour les membres de
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son clan, les Couraïchites, il était inévitable que le califat revienne tôt ou tard au clan le plus puissant de sa tribu, à ces Omeyyades qui l’avaient pourtant combattu jusqu’au bout. Comme Omar de son vivant avait voulu en revenir au principe électif qui avait abouti à la désignation d’Abou Bakr, après sa mort une « commission » de six sages fut donc chargée de pourvoir à son remplacement. Pour succéder à Omar, le parti des Couraïchites, avec à sa tête Mouawiya, un ancien secrétaire de Mahomet ; parvint à faire élire un autre gendre de Mahomet (il avait épousé deux de ses filles) qui était aussi en même temps un neveu d’Abou Soufiane, son plus implacable ennemi : Osman. Ali avait été une fois de plus évincé. C’est qu’il avait un handicap majeur : il s’était mis Aïcha à dos ; or la veuve de Mahomet avait un poids politique considérable. Ali avait autrefois pris position contre Aïcha lors d’une campagne l’accusant d’adultère. Les conditions de cette nomination méritent d’être mentionnées : en fait l’un des membres du conseil désigna Osman et les autres avalisèrent la décision. Ça sentait la magouille à plein nez. L’homme était néanmoins irréprochable : il avait suivi Mahomet dans son exil à Médine. Il n’en était pas moins omeyyade.
Osman étendit le règne de l’islam vers le nord en direction du Caucase et vers l’est en direction des Indes. C’est sous son règne que fut publiée la première édition canonique du Coran, une édition « expurgée » apparemment et pour le moins curieuse (voir l’étude analytique qui suit), mais c’est celle qui a subsisté jusqu’à nos jours. Ce calife très peu rachid (« très peu orthodoxe ») adapta le Coran à sa politique et non le contraire. C’est pour cette raison qu’il fit disparaître toutes les autres versions du « livre révélé ». Ce n’est pas là le moindre paradoxe de l’islam d’aujourd’hui. La foudroyante expansion des cavaliers musulmans au Moyen-Orient et en Afrique du Nord lui rapportera de considérables tributs, qu’il mit en bonne partie au service de sa famille (népotisme). Les ex-Compagnons de Mahomet qui critiquaient la gestion d’Osman se voyaient exilés ou molestés. La population se plaignait de la tyrannie des gouverneurs.
Osman dut faire face à une opposition grandissante. Elle se concentra particulièrement à Médine autour d’Aïcha, la veuve de Mahomet, de deux parmi les plus anciens convertis, Talha et Zoubaïr, et surtout d’Ali, gendre et cousin de Mahomet.
Scandalisé par la confiscation de l’État islamique au profit de ceux qui l’avaient d’abord combattu ; un camp d’opposants se rassembla donc autour de lui, le meilleur des musulmans pour les uns ; le légitime héritier de Mahomet, dont il était le cousin, le gendre et le père des petits-enfants, pour les autres.
LA DEUXIÈME ÉTAPE DE L’ÉLABORATION DU TEXTE CANONIQUE.
La tradition islamique affirme qu’Osman a voulu fixer le texte afin d’éviter les divergences dans sa récitation. Les Arabes de chaque tribu ou région de l’époque avaient en effet leur dialecte et récitaient le Coran avec leur accent. Cette multitude de dialectes engendrait des différences considérables sur la signification de certains mots.
La principale étape dans la diffusion du Coran fut donc officiellement franchie sous le règne d’Osman.
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De sérieux différends avaient éclaté parmi les troupes de diverses provinces à propos des lectures du Coran.
Osman fit donc de nouveaux appels à Zaïd Ibn Thabet pour élaborer son texte officiel. Zaïd, avec l’aide de trois familles mecquoises, relut le Coran avec attention, comparant les textes avec les « feuillets » gardés par Hafça la fille d’Omar. Ainsi qu’il en avait été instruit, en cas de difficulté dans la lecture, Zaïd suivit le dialecte des Couraïchites (la tribu de Mahomet) ; puis révisa plus ou moins l’orthographe dans le sens d’une plus grande lisibilité du texte, en particulier pour les non-arabophones. Après lecture publique de la nouvelle édition devant tous ceux qui connaissaient déjà le Coran par cœur à Médine, des copies (? ?) de la nouvelle version, réalisées entre 655 et la mort d’Osman en 656, furent envoyées à Koufa, Bassora, Damas, et peut-être aussi à La Mecque. L’une d’entre elles fut, bien sûr, gardée à Médine. Ordre fut donné de détruire tous les supports d’origine, ainsi que toutes les autres versions ayant circulé jusque-là (certains prétendent qu’il en existait à l’époque une soixantaine).
Le groupe de recherche animé par Zaïd fit un travail de sélection remarquable (qui pourrait d’ailleurs prétendre le contraire puisque tout ce qui n’était pas conforme à leurs idées ou à celles d’Osman fut détruit).
Il y a quand même eu par contre des doublons lors de cette mise par écrit, puisque les versets 48 et 116 du chapitre 4 sont identiques.
Osman appartenait à un clan « ennemi » de celui de Mahomet : il est donc plus que vraisemblable que sa version diffère des récitations d’origine du prophète, qui de toute façon, avaient déjà subi des altérations, comme en témoigne l’existence même des différentes versions.
Le nombre de personnes ayant travaillé dans la commission avec Zaïd varie suivant les versions ; dans certaines sont incluses des personnes ennemies jurées d’Osman, l’une d’entre elles mentionne même le nom d’une personne dont on sait qu’elle était déjà morte à l’époque ! Cette version de l’histoire ne mentionne pas non plus la part déjà prise par Zaïd dans la compilation du Coran faite du temps d’Abou Bakr. De toute façon, l’arabe de ce texte n’est pas le dialecte couraïchite.
Nous pouvons en outre utiliser, pour écarter cette version osmanienne des choses, les mêmes arguments que ceux qui ont été utilisés pour écarter le récit faisant jouer le premier rôle au fidèle Abou Bakr. On peut objecter que le récit osmanien a été inventé par des ennemis d’Abou Bakr (donc des amis d’Osman) ; les polémiques politiques peuvent, là aussi, être considérées comme ayant joué un rôle dans la fabrication du récit. En outre, ceci laisse également sans réponse beaucoup de questions gênantes. Quels étaient ces « feuillets » en possession d’Hafça ? Si la version datant d’Abou Bakr est un faux, d’où Hafça les tenait-elle ? Quid des versions qui semblaient alors, à en croire ce récit, se trouver dans les différentes provinces ?
Quand ces textes alternatifs ont-ils été compilés pour la première fois, et par qui ?
Il n’y a aucune raison péremptoire d’accepter la version osmanienne des choses, et pas celle qui accorde le premier rôle au fidèle Abou Bakr ; elles émanent toutes deux des mêmes sources, qui sont tendancieuses à l’extrême, et de fabrication tardive, ainsi que nous le verrons.
On n’a jusqu’à présent découvert aucun de ces six Corans « osmaniens », aucune copie du Coran remontant à cette époque, car il n’existe aucun manuscrit ne datant pas d’au moins une bonne cinquantaine d’années après la mort de Mahomet.
Le plus ancien exemplaire connu du Coran d’Osman date en effet de 776, soit cent trente-six ans après la mort de Mahomet. On n’a donc aucune preuve archéologique indubitable que le Coran existait dès cette époque, tranche Gerd Puin, qui situe, lui, la mise en forme du Coran « après Osman ».
Répétons-le encore une fois : il ne reste de nos jours aucune version antérieure à celle d’Osman, ni même aucune version contemporaine d’Osman (il n’en reste que des copies). Et il n’a bien entendu jamais eu de version contemporaine de Mahomet.
La recension du calife Osman est la seule trace physique restant de la « révélation » primitive de Mahomet. Or elle ne peut avoir été qu’arbitraire. Le Coran actuel n’est donc peut-être que le reflet des préférences personnelles du calife Osman dont le règne ne fut qu’une longue crise ?
Que choisir de toute façon parmi les milliers de témoignages hésitants ou déformés alors en circulation ? Sans oublier que, selon l’ordre choisi, l’interprétation de certains passages pouvait aussi varier.
Si l’on observe la répartition des chapitres dans le Coran, on voit bien en effet qu’ils n’ont pas obéi à un quelconque critère de composition. Cela se sent dans l’extrême disparité qui existe entre les chapitres longs – une cinquantaine de pages pour « la Vache » – et les chapitres courts – une ligne et demie pour le plus bref. Le chapitre 2 comporte 286 versets cependant que les derniers n’en comportent que quatre à six. À lui seul, ce long chapitre équivaut donc en longueur aux soixante-quinze derniers chapitres, sur un total de cent quatorze. Le chapitre 112 est la profession de foi
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musulmane et ne comporte que quatre versets. « Dis : Dieu est Un ; c’est le dieu éternel ; il n’a pas engendré et n’a pas été engendré ; il n’a pas d’égal ». (Il s’agit en fait d’une réponse au paganisme et au christianisme.)
Ce classement a ses partisans : ils soutiennent qu’il faut y voir l’affirmation de l’unité profonde du Coran dont aucune partie ne peut être envisagée indépendamment du tout. Il a aussi ses détracteurs qui dénoncent une altération grave du sens initialement donné à la révélation et la rendant définitivement incompréhensible.
Cette version définitive du Coran figea donc les consonnes du texte. Ainsi que nous l’avons vu, elle était destinée à remplacer les différentes éditions qui avaient vu le jour au cours des vingt années séparant la première collection, celle d’Abou Bakr, de cette édition « plus officielle ». Les éditions primitives en effet différaient toutes les unes des autres, ce qui était pour le moins gênant. Osman imposa donc « sa » version.
Rien ne prouve, cependant, que celle qu’il approuva était la meilleure. Musulman « opportuniste », Osman n’avait, semble-t-il, adhéré à la nouvelle religion, que pour en retirer des avantages pour son clan et lui-même. Cette politique le conduisit sans doute à faire rédiger un Coran à la mesure de ses ambitions, un Coran « arrangé » selon sa volonté.
Cette politique, jugée scandaleuse par les musulmans « purs et durs », conduisit d’ailleurs à son assassinat, en l’an 655 ; et c’est « son » Coran à la main qu’il fut poignardé par des coreligionnaires (qui l’accusaient, sans doute avec quelques raisons, de s’être beaucoup trop écarté du Coran véritable, ainsi que de la politique de ses deux prédécesseurs). Les chiites l’ont toujours accusé d’avoir supprimé de nombreux passages concernant Ali. Osman fut donc assassiné par des musulmans qui considéraient sa version du Coran comme « impie » et pourtant, aujourd’hui encore, c’est elle qui demeure la référence officielle de l’islam. Un peu comme si les chrétiens se référaient à un Nouveau Testament revu et corrigé par Judas !
Malgré les difficultés liées aux récits traditionnels, on ne peut pas mettre en cause l’importance de ce codex préparé sous Osman. Nulle part cependant, n’est prouvé indubitablement que c’est bien sous son règne que le Coran a été établi dans sa forme finale.
Les experts en la matière admettent une première mise en forme du texte coranique sous le calife Abou Bakr, mais ils mettent en doute la réalité d’une fixation définitive sous Osman, pour des raisons qui tiennent à la graphie des manuscrits.
Les musulmans formalistes (aussi appelés intégristes ou islamistes) prétendent que la piété commande une lecture littérale de ce texte sacré. Eux-mêmes portent la barbe et s’habillent pour ressembler à l’image qu’ils se font de Mahomet ! Ils imposent à leurs femmes de se voiler.
D’autres, mais très minoritaires, recommencent le même combat que les juifs ou les chrétiens de naguère pour sortir du Moyen Âge et revendiquent une adaptation à notre époque des pratiques religieuses. Ce n’est pas parce qu’Aïcha partagea le lit du prophète à neuf ans que l’on doit, comme le demandent les antiracistes en France, légaliser le mariage des fillettes à cet âge ! Ce n’est pas parce que le Coran légitime l’esclavage que l’on doit le maintenir au XXIe siècle !
ANALYSE DU CODEX OSMANIEN.
À défaut de convaincre par des arguments réfléchis, ce Coran osmanien assène donc ses interdits.
« Vous êtes les meilleurs… Vous ordonnez le bien et interdisez le mal » (chapitre 3, verset 110 du saint Coran).
Afin de mieux asseoir leur autorité en stigmatisant des comportements quotidiens, les religions brandissent toutes plus ou moins ce fléau, en jouant sur l’équilibre malsain : sanction – récompense.
Le Coran n’échappe pas à la règle et dès le 2e chapitre (verset 168) : « Mangez de ce qui est licite, ne suivez pas la trace des démons ». La période de jeûne du ramadan est définie un peu plus loin (2,
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185) : « Quiconque d’entre vous verra [la nouvelle lune], jeûnera le mois entier ». Le pèlerinage à La Mecque est réglementé assez sévèrement et n’a rien d’un chemin spirituel répondant aux seules angoisses métaphysiques du croyant. Les versets 196 et 197 du chapitre 2 en donnent le menu et l’on retiendra surtout que le pèlerin qui ne peut venir en personne est tenu d’y faire apporter une offrande.
Le vin et le jeu sont condamnés : « Ils t’interrogeront sur le vin et les jeux de hasard. Dis-leur : ils comportent tous les deux du mal et du bien, mais le mal y est plus grave que le bien » (2, 219).
Voir aussi le chapitre Nº 5, versets 90. La consommation d’alcool est par contre considérée comme divine quand elle a lieu dans l’Autre-Monde. Comprenne qui pourra : « Des éphèbes immortels circuleront autour d’eux, portant des cratères, des aiguières et des coupes remplies d’un breuvage limpide, dont ils ne seront jamais ni lassés ni enivrés » (56, 17).
Voir aussi chapitre 76, verset 5 : « Les justes boiront à une coupe dont le mélange sera de camphre ».
Le chapitre 5 donne de plus amples précisions sur les aliments impropres à la consommation : « Les animaux morts, le sang, la viande de porc, tout ce qui a été offert en sacrifice à un autre que Dieu, les animaux étouffés, morts à la suite d’un coup, tués par quelque chute ou d’un coup de corne ; ceux qui ont été attaqués par un fauve (sauf si vous avez eu le temps de l’égorger) ainsi que tout ce qui a été offert en sacrifice sur les autels dédiés aux idoles » (5, 3). Des interdits que l’on retrouve aussi dans le chapitre 6, versets 145 et 146, et dans le chapitre 16, verset 115.
Il y a bien sûr aussi les interdits sexuels, en voici un exemple entre cent : Le débauché ainsi que la débauchée, fouettez-les chacun de cent coups de fouet (24, 2-4). Encore que l’on puisse se demander ce qu’est précisément la débauche en ce domaine (l’adultère ? ? ? Les relations sexuelles hors mariage ? ?)
« Que les croyants ne prennent pas pour amis des infidèles de préférence aux croyants » (3, 28).
Voir aussi le chapitre 3 verset 118 : « Ô croyants ! N’établissez de liens d’amitié qu’entre vous, les infidèles ne manqueraient pas de vous nuire ».
Et pour que le message soit sans ambiguïté, les répétitions sont là pour marteler le cerveau du croyant.
« Croyants ! Ne prenez pas les infidèles pour amis, de préférence aux croyants » (4, 144).
« Croyants, ne prenez pas comme alliés mes ennemis et les vôtres en leur manifestant de l’amitié alors qu’ils ne croient pas en la vérité qui vous est parvenue » (60, 1).
Mais les appels à massacrer les « mécréants » (avec l’aide de Dieu, qui fait surgir des anges « invisibles ») ne sont pas compatibles avec l’idée de Jugement dernier. Pourquoi donc abréger la vie des êtres humains avant qu’ils ne soient jugés ? Pourquoi fermer la porte à un repentir possible ? Pourquoi Dieu aurait-il besoin que des humains faibles et ignorants tuent pour lui ?
Dans certains passages du Coran, Dieu explique même que les musulmans ne doivent pas se désoler si certains « hommes injustes » ont quand même la belle vie en fait. Il faut seulement patienter, et attendre le Jugement dernier.
« Nous accordons ainsi à certains hommes pourtant injustes, de l’autorité sur d’autres, à cause de ce qu’ils ont accompli » (6, 129).
Il existe néanmoins dans le Coran de nombreux versets incitant les fidèles à la guerre. Les guerriers qui tuent ne sont que les bras armés de Dieu (qui pourtant, théoriquement, ne devrait pas avoir besoin d’aide pour supprimer les êtres humains qui lui déplaisent, non ?) et les combattants sont placés au-dessus des non-combattants ! La guerre sainte si souvent invoquée et mise en pratique actuellement ne trouve pas son origine dans la folie de certains cerveaux, mais dans le texte fondateur de la religion musulmane lui-même. Dès le chapitre 2, verset 190, un appel à la guerre exhorte le croyant à l’action : « Combattez dans la voie de Dieu contre ceux qui vous feront la guerre ». Afin d’éviter une trop grande latitude d’interprétation du mot « combattez », le verset suivant se montre plus explicite : « Tuez-les partout là où vous les trouverez, et chassez-les d’où ils vous auront chassés ».
La guerre vise à l’imposition des croyances par la force : « Combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’impiété (fitna) et que tout culte soit celui de Dieu » (2,193). Le Coran ne se manifeste pas par un style particulièrement métaphorique, mais montre beaucoup de clarté dans ses intentions : « Soyez hostile envers quiconque vous est hostile dans la mesure où il vous est hostile » (2, 194) *. Le chapitre 2 se termine par ce cri : « Donne-nous la victoire sur les infidèles » (2, 286).
Habilement, le rédacteur résout le cas des croyants morts au combat en leur délivrant un billet direct pour le paradis (3, 157) : « Si vous mourez ou si vous êtes tués en combattant dans le sentier de Dieu, l’indulgence et la miséricorde de Dieu vaudront mieux pour vous que les trésors qu’ils amassent » ; et, plus explicitement (3,169) : « Ne croyez pas que ceux qui ont succombé en combattant dans le sentier de Dieu soient morts : ils sont toujours vivants, auprès de Dieu, et sont comblés de bienfaits par lui ». Le chapitre suivant insiste encore sur ce sacrifice à la gloire de Dieu (4, 74) : « Que ceux qui sacrifient la vie dans ce bas monde à la vie future combattent dans la voie de Dieu ; nous accorderons une récompense sans limites à celui qui combat dans le chemin de Dieu,
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qu’il soit tué ou victorieux ». Voir aussi le chapitre 4, verset 95 : « Les croyants qui s’abstiennent de combattre, à l’exception des infirmes, et ceux qui combattent (avec leurs biens ou leurs personnes) ne sont pas égaux. Dieu préfère ceux qui combattent (avec leurs biens ou leurs personnes) à ceux qui s’abstiennent de combattre ». Et aussi le chapitre 8, verset 7 : « (Rappelez-vous), quand Dieu vous promettait qu’un des deux groupes se rendrait. Vous, vous désiriez vous emparer de celui qui était sans arme, alors que Dieu, lui, voulait manifester la vérité en anéantissant les mécréants jusqu’au dernier ». Apparemment donc les premiers musulmans ne souhaitaient pas un véritable affrontement armé, il a fallu que Dieu et Mahomet les y poussent.
« Quand tu vois ceux qui pataugent dans des discussions à propos de Nos versets, éloigne-toi d’eux jusqu’à ce qu’ils entament une autre discussion. Et si le Diable te fait oublier, alors, dès que tu te rappelles, ne reste pas avec les injustes » (chapitre 6, verset 68).
Un de mes correspondants albertivillarien me fait remarquer qu’il y a le même genre de refus de tout dialogue dans le Nouveau Testament, plus précisément dans la deuxième épitre de Jean, premier chapitre versets 10 et 11.
« Quiconque va au-delà et ne demeure pas dans la doctrine du Christ, ne possède point Dieu ; celui qui demeure dans cette doctrine possède le Père et le Fils. Si quelqu’un vient à vous et n’apporte point cette doctrine, ne le recevez pas dans votre maison, et ne lui dites pas : Salut ! Car celui qui lui dit : Salut ! participe à ses œuvres mauvaises ».
Dont acte !
Nous faisons néanmoins remarquer…
Premièrement que cela ne vise pas tous les critiques (athées agnostiques ou membre d’une autre religion), mais les membres de la même religion en désaccord sur certains points (les hérétiques les gnostiques).
Deuxièmement qu’il n’est pas demandé au vrai croyant de s’éloigner si ce genre d’individus vient discuter, MAIS DE NE PAS LE RECEVOIR CHEZ SOI (passons sur les salutations qui ne sont qu’anecdotiques).
Le tout mentionné une fois et dans une partie relativement secondaire du Nouveau Testament. Alors que l’interdiction musulmane figure dans le Coran et à 2 reprises.
Chapitre 6, verset 68.
Chapitre 4, verset 140.
Comme dans tout système totalitaire où l’obéissance aveugle prime sur le jugement personnel, le croyant doit se soumettre aux ordres ; le temps utilisé dans le Coran étant systématiquement l’impératif (4, 84) : « Combats dans le sentier de Dieu, tu n’es responsable que de toi-même. Encourage les croyants au combat ».
Cette idéologie guerrière * répand sa haine sans interruption (4, 91) : « S’ils [les infidèles] ne se retirent pas loin de vous ; s’ils ne vous offrent pas la paix, s’ils ne déposent pas leurs armes ; saisissez-les, tuez-les partout là où vous les trouverez, nous vous donnons tout pouvoir sur eux ». Le Coran n’est pas avare de termes pour désigner les légions de Dieu et emploie la notion de milice à ce sujet (5, 56) : « Ceux qui prennent pour protecteur Dieu, son apôtre, et les croyants, sont comme la milice de Dieu ; la victoire leur appartient ». Aucune accalmie dans la violence des propos répandus, l’issue de la guerre est claire. Le mode d’exécution est précisé un peu après (8, 12) : « Frappez-les au cou et frappez-les aux jointures ». Même les anges s’y mettent (8, 50) : « Quel spectacle quand les anges ôtent la vie aux infidèles ! Ils frappent leurs visages et leurs reins, et leur crient : allez goûter le feu éternel ». Mais attention dans ce cas (8, 17) ainsi que nous l’avons déjà vu : « Ce n’est pas vous qui les tuez, c’est Dieu ! »
Le discours typiquement militaire de l’exaltation du combat, jusqu’à la mort, apparaît immanquablement dans cet ouvrage, assez primaire dans son ensemble au demeurant (ce n’est pas du bouddhisme ni du Jaïnisme !). Nous avons déjà eu l’occasion de voir le chapitre 8, verset 65 : « Ô prophète ! Exhorte les croyants à combattre. Vingt combattants croyants vaincront deux cents infidèles. S’il s’en trouve cent, ils en vaincront mille ». Le verset suivant ramène les estimations à des performances plus modestes (8, 66) : « Dieu allège votre tâche, car il connaît votre faiblesse. S’il se trouve parmi vous cent hommes endurants, ils en vaincront deux cents. S’il s’en trouve mille, ils en vaincront deux mille ».
La stratégie d’attaque reste néanmoins assez simple, ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le voir, mais repetere ars docendi comme disait mon professeur de latin. (9, 5-6) : « Les mois sacrés une fois passés, tuez les polythéistes partout là où vous les trouverez, capturez-les, assiégez-les, dressez-leur des embuscades ».
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Le Coran n’échappe pas non plus à des considérations plus économiques (9,34) : « Annonce un châtiment douloureux à ceux qui amassent l’or et l’argent, et ne le dépensent pas dans le sentier de Dieu ».
Au fur et à mesure de la lecture de l’ouvrage, les chapitres passent, mais la barbarie reste identique (47, 4). « Quand vous rencontrez les infidèles, frappez-les à la nuque jusqu’à ce que vous les ayez abattus, attachez-les solidement, puis vous choisirez entre leur libération et leur rançon afin que cesse la guerre ».
La fin du texte approchant, le général félicite ses soldats (61, 4) : « Dieu aime ceux qui combattent pour sa cause en rangs serrés comme une forteresse ». Il rappelle (61, 11) : « Vous combattrez dans le sentier de Dieu, avec vos biens et vos personnes ; cela sera un bien pour vous, savez-vous ? » Et (66, 9) : « Ô Prophète ! Fais la guerre aux infidèles et aux hypocrites, sois dur envers eux. La géhenne [le feu] sera leur dernière demeure. Quelle fin détestable ! ».
Le Coran n’est donc qu’un mélange désordonné de haine, de violence, d’appels au meurtre. La structure du texte n’est qu’une inlassable répétition, un déchaînement autoritariste et coléreux où la guerre est sacralisée.
Versets 47 à 49, chapitre 5.
« Que les gens de l’Évangile jugent les hommes d’après ce que Dieu y a révélé… juge entre ces gens d’après ce que Dieu a révélé, ne te conforme pas à leurs désirs en te détournant de ce que tu as reçu de la vérité… prends garde qu’ils n’essaient de t’écarter d’une partie de ce que Dieu t’a révélé. S’ils se détournent, sache que Dieu veut les frapper ».
Un État véritablement musulman est un État régi par la charia c’est-à-dire la loi islamique tirée du Coran et de la Sounna des hadiths. Une corporation d’érudits spécialisés (les oulémas) interprète leurs données et les applique à toutes les circonstances de la vie sociale culturelle et politique. Les volontés individuelles ne peuvent pas prévaloir sur le Coran et la sounna des hadiths pas plus qu’elles ne sauraient s’opposer à Dieu. Le célèbre « L’homme est la mesure de toute chose » de Protagoras n’a aucun sens en terres d’Islam. Ou alors un sens clairement blasphématoire. Comme pour Platon d’ailleurs, assez paradoxalement.
Verset 8, chapitre 63. « La puissance appartient à Dieu à son prophète et aux croyants ».
Verset 59, chapitre 4. “Ô vous qui croyez ! Obéissez à Dieu ! Obéissez au Prophète et à ceux d’entre vous qui détiennent l’autorité ! »
Ces versets semblent exclure la démocratie à l’occidentale (égalité des droits entre hommes et femmes, laïcité, élections, etc. …)
* Attitude qui peut se comprendre et se justifier, question de réciprocité. Mais d’autres philosophies sont concevables comme la non-violence absolue ou ahimsa du jaïnisme de Gandhi ou du grand rabbi nazaréen Jésus qui en plus nous demande d’aimer nos ennemis (là c’est trop !).
ALI IBN ABOU TALIB (17 juil. 656-28 janv. 661)
CAPITALE MÉDINE PUIS QUELQUE PART EN IRAK.
(QUATRIÈME ET DERNIER CALIFE RACHID PREMIER IMAM CHIITE.)
Cousin de Mahomet né aux alentours de l’an 600, Ali avait entretenu avec lui une relation particulièrement proche. C’est celui de ses nombreux cousins qui le fréquentera le plus. Il avait fait
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partie des mouhadjiroun qui avaient suivi Mahomet à Médine en 622. La même année il épousera Fatima, fille de Mahomet et de Khadidja devenant ainsi également le gendre de ce dernier.
La mort de Mahomet avait vu Ali écarté du pouvoir puisque sa succession avait été rapidement confiée à Abou Bakr. Sous les trois premiers califes, il n’exercera pratiquement aucune fonction ni politique ni militaire ; il se distinguera toutefois, selon la tradition, par sa compétence en matière de Sounna – c’est-à-dire de déclarations ou d’actions de Mahomet pour contredire le calife Osman lorsqu’il tentera de changer certaines choses en matière religieuse ou sociale.
En 656 le calife Osman avait dû affronter un début de révolte. Pendant trois mois, d’avril à juin 656, il réussit à contenir les insurgés, mais fut finalement tué le 17 juillet. La mort de ce vieillard de plus de quatre-vingts ans sera à l’origine de la plus grave crise de l’islam.
La confusion qui suit voit en effet Ali choisi comme calife par une partie seulement des Médinois, alors que le mode d’élection au califat exige, depuis Abou Bakr, le consensus des élites de la ville. Deux groupes puissants s’opposent à lui, d’une part les Omeyyades, et d’autre part une fraction des Ahl oul-beït ou famille de Mahomet regroupée autour de sa troisième épouse Aïcha 1), et de Talha et al-Zoubaïr, deux parents d’Abou Bakr qui revendiquent aussi le califat. Ces derniers quittent immédiatement Médine pour Bassora où ils lèvent une armée.
À Médine même, malgré leur départ, Ali reste en position de faiblesse 2).
Lorsque Osman avait été assassiné, Ali n’avait pas pris position, et ce refus de désavouer le meurtre d’un calife du parti des Omeyyades lui fut reproché. Les Omeyyades refusent donc de lui prêter allégeance tant que le meurtre d’Osman demeure impuni, et la coalition même qui l’a porté au pouvoir est formée de personnalités ayant chacune ses propres ambitions et intérêts à préserver.
Affaibli par les dissensions internes et l’insubordination des « Arabes », Ali gagne Koufa en Mésopotamie et fin 656, l’armée d’Ali vainc ses opposants rassemblés autour d’Aïcha dans un grand affrontement près de Bassora, qui verra la mort ou la disparition de Talha et d’al-Zoubeir. Ce combat passera dans l’histoire sous le nom de « Bataille du Chameau », par référence à l’animal sur lequel Aïcha montera pour exhorter les troupes. Et toujours d’après la tradition, rapportée notamment par Tabari – ce n’est qu’après avoir fait couper les jarrets du chameau, dont la vue exaltait les combattants adverses, qu’Ali put emporter la victoire.
La position du calife n’est toutefois pas assurée pour autant, puisque reste encore l’opposition du clan omeyyade. Celle-ci sera renforcée par la dissidence de Mou‘aouiya, un des gouverneurs nommés par Osman (népotisme ?). Craignant de perdre son prestigieux et riche gouvernorat de Syrie, Mou‘aouiya prend donc la tête de l’opposition à Ali et rassemble donc à son tour une armée. Ce dernier se sent d’autant plus fort qu’il réclame le châtiment des meurtriers d’Osman.
La première guerre civile entre musulmans, appelée en arabe « al-Fitna al-Koubra » (« la Grande Discorde »), continue donc de plus belle.
Un débat de fond s’engagea sur les conditions permettant d’accéder au titre de calife ; chacune des deux tendances en présence développant des idées conformes à ses intérêts. Les partisans de Mou’aouiya fondèrent ce qui allait devenir le sunnisme, dont la doctrine stipule que le calife devait être élu ou désigné dans la tribu Couraïchite – la tribu de Mahomet. Ainsi les prébendes iraient prioritairement aux membres de cette tribu. En outre, les sujets du calife lui devaient une obéissance inconditionnelle, quelles que soient ses fautes. On protégeait de la sorte ses arrières, c’est-à-dire la pérennité de la transmission.
Les partisans d’Ali estimaient que le califat revenait aux seuls descendants du Prophète (ce que n’était pas Ali) ou aux gens de sa Maison, Ahl ouhl-beït (ce qu’il était, puisque c’était son gendre).
Les rivaux se rencontrent à Siffine le 26 juillet 657. Ali engage son armée, mais alors qu’il commence à prendre le dessus, les troupes de Mou’aouiya mettent le Coran à la pointe de leurs lances en s’écriant : « Que Dieu décide ! » Impossible dans ces conditions aux soldats d’Ali de les attaquer ! Cette ruse l’obligera donc à négocier : deux hommes, représentant chacun un camp, furent chargés de trouver une issue au conflit. Mais l’homme qui représentait Ali le trahit et l’arbitrage se fit en faveur de Mouaouiya. Ali conserva le titre de calife, mais son adversaire fit main basse sur les territoires du califat, ne laissant à Ali que l’Irak et se fait proclamer calife par ses fidèles, à Jérusalem, en mai 660.
De son côté Ali, après avoir réduit ses opposants kharidjites à Nahraouane, veut marcher sur la Syrie afin d’éliminer Mouaouiya, mais il sera assassiné avant, le 24 janvier 661, à la sortie de la mosquée de Koufa, d’un coup d’épée empoisonnée, par des kharidjites justement.
Avec le gendre de Mahomet disparaît le dernier des quatre califes dits orthodoxes, ou « bien guidés » (rachidoun) après les défunts Abou Bakr, Omar et Osman.
Le nouveau calife et ses partisans (futurs chiites) prônaient une grande rigueur dans la mise en pratique de l’islam, et l’assimilation des populations conquises. Il recommandait aussi que le califat revienne aux descendants du prophète en ligne directe. Ils s’opposaient donc sur ces points aux sunnites, adeptes d’une application différente et plus arabe de la doctrine musulmane (la sunna).
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La mort d’Ali signera aussi le triomphe des prestigieux clans de La Mecque, lesquels n’ont que mépris pour la famille proche de Mahomet, trop pauvre à leurs yeux pour avoir du poids.
Ali avait eu de Fatima deux fils : Hassane et Husseïne. Mouaouiya obtient du fils aîné, Hassane, qu’il renonce à ses droits, en échange de biens considérables, et il se retire donc à Médine. Fin des califes compagnons et ayant connu le prophète. Une « royauté » temporelle, mais toujours dite califat, s’installe, avec Mouaouiya sur son trône. C’EST UN PEU JUDAS 5e DES PAPES OU LE TRIOMPHE POSTHUME D’ABOU SOUFIANE.
Abou Soufiane, le chef des Mecquois, qui avait été littéralement forcé « d’embrasser » l’islam sous la menace d’une épée, aurait vraiment eu de quoi en rire. Son fils Mouaouiya hérita ainsi de l’empire de Mahomet au détriment de la propre famille du prophète. Abou Soufiane a en effet vécu presque assez longtemps pour voir son fils devenir calife à la place du calife et son petit-fils Yézid faire assassiner les petits-enfants de Mahomet (à Kerbala en Irak en 680).
KHARIDJITES ET CHIITES.
Pratiquement dès le début donc, suite à une lutte pour le pouvoir bien plus que pour des divergences théologiques comme dans le cas du christianisme, l’islam se divise en deux courants. Trois courants même plus exactement puisque certains partisans d’Ali avaient refusé l’arbitrage : selon eux, c’était une erreur de cesser le combat, car le jugement de Dieu sur cette question se serait révélé à l’issue de celle-ci. Ils quittèrent donc l’armée d’Ali et, rejoints par d’autres, formèrent le troisième grand groupe de l’islam, les « sortants », c’est-à-dire les kharidjites.
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Les kharidjites en voulaient à Osman, bien sûr, mais aussi à Ali qui n’avait pas su défendre son droit. Ils développèrent une conception originale du pouvoir politique, c’est-à-dire du califat. Le calife devait être élu par la communauté musulmane, et pouvait être n’importe qui, même un esclave noir. De telles positions leur valurent de nombreux adeptes parmi les musulmans non arabes.
Certains chiites extrémistes par contre sont même allés jusqu’à considérer Ali comme supérieur à Mahomet – ce qui est inacceptable en islam, Mahomet étant l’homme le plus parfait qui ait jamais vécu (dogme de l’isma) – voire comme une incarnation de la divinité. Ce qui va de pair avec le millénarisme chiite, qui attend le retour du mahdi (messie) censé instaurer un règne d’ordre et de justice à la fin des temps. Ce mahdi est généralement présenté comme un descendant plus ou moins lointain d’Ali ; voire dans de rares cas comme Ali lui-même. À l’inverse, il est arrivé que des imams sunnites particulièrement virulents aient maudit Ali à l’occasion de certains de leurs sermons.
Le kharidjisme ou terrorisme islamique première mouture est apparu suite au refus de l’arbitrage entre Ali et son adversaire Mouaouiya en 657.
Cette bataille entre musulmans avait été meurtrière et Ali avait accepté l’idée d’un arbitrage pour arrêter le bain de sang. En principe partisans d’Ali, les kharidjites s’étaient néanmoins désolidarisés de son camp au motif que c’était à Dieu de décider et non aux hommes.
Cette formule valut un autre nom au kharidjisme celui de mouhakkima, terme arabe qui désigne la communauté de ceux qui prononcent la formule « L’arbitrage n’appartient qu’à Dieu ». Selon eux, une fois choisi et admis par la communauté des croyants, le calife avait pour devoir de combattre les séditions, afin de préserver l’unité du groupe dont il était responsable.
Ils se fondaient pour cela sur ce verset du Coran :
« Si deux partis de croyants se combattent
Rétablissez la paix entre eux.
Si l’un se rebelle encore contre l’autre,
Luttez contre celui qui se rebelle
Jusqu’à ce qu’il s’incline devant l’ordre de Dieu » (verset 9, chapitre 49).
Le clan rebelle était, du point de vue kharidjite, celui de Mouaouiya qui aurait dû s’incliner devant Ali.
Après l’arbitrage avorté de la bataille de Siffine, en 657 – qui n’avait donc pu aboutir à aucun compromis, une partie des combattants d’Ali, firent sécession et retirèrent leur soutien à Ali qui les appellera désormais les kharidjites (en arabe « ceux qui sont sortis » « les sortants »).
Alors que son intention était de se diriger vers la Syrie pour combattre de nouveau Mouaouiya, Ali dut affronter les kharidjites à la bataille de Nahraouane près de l’actuelle ville de Bagdad en 658. Les kharidjites furent mis en déroute et beaucoup furent tués, mais après cette victoire l’armée d’Ali refusa de repartir au combat contre Mouaouiya et Ali rentra donc à Koufa.
Décidés à venger leurs morts, les kharidjites firent alors assassiner Ali par un certain Abd-al-Rahman ibn Mouljam, alors qu’il se prosternait pour dire la prière d’Al-Fajr.
Entre 658 et 680, les kharidjites ils se soulevèrent une vingtaine de fois. Ils se dispersèrent, mais se fixèrent surtout à Bassorah en Irak. De nombreuses sectes sont issues de ce courant, qui s’implanta solidement au Maghreb, en Tunisie notamment, à Zanzibar et à Oman.
Les kharidjites se divisèrent, par la suite, en une multitude de groupes (près d’une vingtaine). Sept d’entre eux ont été recensés : les ibadites, les azraqites, les najdites, les soufrites, etc. Tous partagent des fondements communs comme l’excommunication (tafkir) des musulmans commettant de grands péchés, l’obligation de se révolter contre le dirigeant injuste ou débauché, ou encore l’excommunication de certains compagnons de Mahomet. Bref, ce furent les premiers terroristes islamiques.
Le chiisme.
On imagine bien qu’un simple affrontement politique n’aurait pas pu donner naissance à une scission aussi importante au sein de l’islam que celle qui sépare sunnites et chiites. L’aspiration d’Ali au califat devient rapidement un objet théologique – d’autant plus que la fondation d’une communauté de croyants juste et droite, ce qui implique le choix d’un chef juste et droit, est inscrite dans le Coran. Une trahison ou une défection politique a donc, dans ces premiers temps de l’islam, une dimension religieuse irréductible qui l’aggrave profondément. Cette revendication du califat – c’est-à-dire cette prétention à succéder à Muhammad à la tête de l’Oumma – se fonde sur une parole de Mahomet, qui, face aux plaintes d’Ali qui lui reprochait de l’avoir tenu à l’écart en lui confiant Médine pendant la bataille de Tabouk, lui aurait déclaré : « N’es-tu pas satisfait d’être envers moi ce qu’Aaron était pour Moïse, excepté qu’il n’y aura pas de Prophète après moi ? » Malgré la restriction contenue dans ces paroles – Mahomet étant le Sceau des Prophètes, le dernier de la lignée abrahamique 3) – la comparaison entre Ali et Aaron par rapport à Mahomet et Moïse est interprétée par les chiites comme la preuve qu’Ali, à l’instar d’Aaron, doit succéder à son mentor à la mort de ce dernier et guider la communauté de croyants pour fonder une entité politique. Les chiites reconnaissent également un
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hadith considéré comme faux par les sunnites, où Mahomet désigne explicitement Ali comme son successeur. À la mort de ce dernier, Ali, fort de cette conviction d’être l’héritier légitime du Prophète, refuse de reconnaître Abou Bakr lorsque celui-ci est désigné comme calife par les élites médinoises ; ce n’est qu’après la mort de sa femme Fatima, six mois plus tard, qu’il se rend à la raison du plus grand nombre. Sa force, qui explique aussi la violence de la guerre civile, est d’être soutenu par un certain nombre de personnes – pour des raisons diverses, allant de la « foi » en sa personne à la simple opposition au pouvoir omeyyade d’Omar (634-644) et Osman (644-656). Après son assassinat par un kharidjite en 661, les partisans d’Ali conserveront la conviction qu’il était le premier successeur légitime de Mahomet, et que désormais doivent lui succéder ses héritiers : ils deviennent alors les chiites, de l’arabe « shi‘a » (« parti »). Le rôle fondamental de cette lignée dans le chiisme s’explique aussi par la conviction que Mahomet aurait confié à Ali le sens « caché » du Coran et de la révélation, secrets que seuls peuvent désormais transmettre les descendants directs du calife.
1) Qu’Ali avait naguère accusée d’adultère, lors de la fameuse affaire du collier ou du chameau (ifk)
2) La responsabilité d’Ali dans l’assassinat d’Osman n’a jamais été démontrée, mais son rôle assez trouble dans cette affaire lui aliéna quand même un certain nombre de croyants. D’un autre côté la suite des événements a bien montré que se lancer dans une nouvelle guerre, pour venger Osmane, n’était pas sans risque (des milliers de morts et plusieurs défaites).
3) Sceau signifiait seulement en réalité au début « confirmation ». D’après Christoph Luxenberg l’expression syriaque « sceau des prophètes » signifie « témoin », témoin des prophètes venus avant lui, et rien de plus.
ET JUDAS DEVINT PAPE : LA DYNASTIE DES OMEYYADES (661 – 750).
Du nom de leur famille ou de leur clan, un clan de la tribu arabe des Couraïchites de La Mecque, la ville d’origine de Mahomet, appelé les Omeyyades. C’est celui de Mouaouiya, fils d’Abou Soufiane, l’ennemi juré de l’islam et de Mahomet.
Mouaouiya s’installera donc à Damas en Syrie, au lieu de prendre Médine en Arabie comme capitale politique. Nommé gouverneur de la riche province byzantine après sa conquête, il en avait apprécié la
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douceur de vivre et la magnificence artistique. Ce transfert vers le Proche-Orient constituera une première « rupture » avec l’islam des origines.
Le 10 octobre 680 Hussein, le deuxième fils d’Ali, escorté d’une petite troupe de 73 personnes, dont les membres de sa propre famille ; partit rejoindre ses partisans de Koufa, qui l’avaient appelé à l’aide et lui avaient promis obéissance. Ils furent interceptés en route à Kerbala par les soldats du calife Yazid 1er, fils de Mouaouiya. Une drôle de bataille alors opposa la puissante armée du calife omeyyade (30 000 hommes ?), à ce qu’il y avait des partisans d’Hussein sur place à ce moment-là ; c’est-à-dire 72 personnes en tout et pour tout, hommes et enfants compris. Un vrai massacre par conséquent. L’armée de Yézid était conduite par Oubeïdallah. Il exigea qu’Hussein prête serment d’allégeance à Yazid. Il s’y refusa. Le premier tué fut Qassim, fils d’Hassan, le frère d’Hussein, 10 ans. Il fut pourfendu d’un coup de sabre. Le cheval d’Hussein tomba, touché par une flèche. Hussein s’assit par terre, mais les soldats n’osèrent pas le tuer, ne voulant pas être tenus pour responsables de la mort d’un petit-fils du Prophète. Abdallah, un des fils d’Hussein, âgé d’un an, pleurait. Hussein le prit dans ses bras, mais une flèche atteignit l’enfant à l’oreille et celui-ci fut tué sur le coup. Affaibli par la soif, Hussein voulut boire dans l’Euphrate, mais une flèche l’atteignit alors à la bouche. Sept ou huit hommes se jetèrent ensuite sur lui. L’un d’entre eux le transperça de sa lance par-derrière, et un autre l’égorgea lorsqu’il fut tombé à terre. D’autres le dépouillèrent de ses vêtements et de ses armes. On pilla la tente d’Hussein, on déchira les vêtements des femmes, mais on épargna quand même Ali, le fils d’Hussein, qui était resté sous sa tente parce qu’il était malade. L’enfant était né en 658 à Médine, sa mère était une des filles du dernier empereur sassanide de Perse Yazdgard III (il deviendra le quatrième imam chiite en 680). La tête d’Hussein fut envoyée à Yézid. Le divorce entre les sunnites et les chiites était donc désormais consommé, il n’y eut plus de réconciliation envisageable.
N.B. La commémoration de cette bataille est la fête chiite d’Achoura.
N.B. Yézid, redoutant une révolte populaire, désavouera cet assassinat et renverra les survivants sous bonne escorte à Médine.
Omar avait imposé aux juifs et aux chrétiens des lois spéciales. La législation musulmane leur défendit de construire de nouvelles synagogues ou de nouvelles églises, mais leur laissa celles déjà existantes ; les « autorisa » aussi à porter des vêtements d’une couleur spéciale, mais leur interdit par contre de monter à cheval, privilège réservé aux gens de guerre, des guerres dont ils étaient bien sûr exemptés ; mais remplaça cette obligation par un impôt foncier spécifique en plus de la djizya, le kharadj.
La différence entre la djizya et le kharadj est que la djizya est une capitation ou impôt personnel prélevé sur les non-musulmans, tandis que le kharadj est un impôt foncier ne portant que sur la terre. Quand quelqu’un se convertit et devient musulman, il cesse de s’acquitter de la djizya, mais continue d’être assujetti au paiement du kharadj. Les conversions massives ne furent donc nullement recherchées, au moins durant les premiers siècles.
L’Église perse ou syriaque, elle-même, dont nous avons vu l’importance avec les Taghlibites (Marouta, Tikrit) ne souffrira guère des débuts dans la région de la domination musulmane ; on estime au contraire que c’est vers 781, sous le patriarche Timothée 1er, qu’elle atteignit son apogée, avec le transfert du siège du patriarcat de Ctésiphon/Madaïn à Bagdad.
Il y eut néanmoins un lent, mais inexorable progrès de l’islamisation dans le pays, notamment auprès des nobles ou des habitants des villes. L’islam fut plus lent à se répandre dans la paysannerie et la petite noblesse terrienne. À la fin du Xe siècle, la majorité des Persans étaient devenus musulmans sunnites (le chiisme ne s’est développé que plus tard, à partir de certains éléments de la culture perse).
Sous les Omeyyades, l’arabe fut imposé, mais la langue perse réussit à se maintenir, d’où le farsi moderne (en Iran). Le persan a néanmoins incorporé à son vocabulaire un certain nombre de termes provenant de l’arabe, surtout dans le domaine de la religion évidemment ; et a aussi abandonné l’alphabet pahlavi araméen, au profit d’une version modifiée de l’alphabet arabe. Les Perses adoptèrent donc la graphie arabe, mais leur langue fut la première à s’imposer dans le monde musulman comme langue écrite à côté de celle du Coran. Pour la première fois aussi, à Damas, les Arabes musulmans rencontrèrent la pensée chrétienne, avec des théologiens comme saint Jean damascène.
Pour mieux tenir en main les territoires conquis, les califes utilisèrent deux moyens : la création de villes nouvelles, peuplées d’Arabes, qui furent les centres politiques et militaires des provinces, et la distribution de terres, hors d’Arabie, aux musulmans.
Ces villes nouvelles furent à l’origine essentiellement des bases militaires. Dans cet empire en formation, l’armée jouera en effet un rôle important. Composée de musulmans exclusivement, placée sous le commandement des gouverneurs de provinces, et répartie en groupes correspondant aux
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cadres naturels des Bédouins ; elle constitue des milices ou garnisons dispersées dans les provinces, ou installées dans les nouvelles bases militaires. Avec ces soldats musulmans – dont le calife est le premier – les propriétaires fonciers ainsi que les hauts fonctionnaires arabes, forment la communauté musulmane ; privilégiée par son adhésion à l’islam, mais aussi par les avantages issus de la conquête, et par un traitement particulier en matière d’impôt. Ils ne sont pas assujettis à la djizya. Chez ces musulmans « d’origine », islamisme et arabisme se confondent, et ils ont le sentiment ou la très nette impression de représenter l’élite que Dieu a choisie pour diriger le monde. Leur suprématie sociale, ils l’imposent aux non-musulmans, qui sont administrés localement par leurs propres chefs religieux ou leurs magistrats. Mais avec le temps apparaît une nouvelle catégorie de population : celle des Non-Arabes convertis. Théoriquement, ils devraient jouir des mêmes droits et des mêmes avantages que les Arabes, mais les musulmans « d’origine » les maintiennent dans une condition inférieure et les considèrent comme des « vassaux », des obligés ou des vassaux (maouali ou mouladi en Espagne), des tribus arabes. Ils ne sont pas inscrits sur les listes de musulmans locaux et ne perçoivent rien des revenus générés par la conquête. Ils ne sont donc pas totalement assimilés à la communauté musulmane, et cette condition les poussera plus tard à s’insurger contre les pouvoirs en place ou les notables. Les tensions furent donc nombreuses, car la dynastie omeyyade, purement arabe, traitait tous les convertis non arabes d’origine, en sujets de seconde zone.
Toute une série de troubles internes faillit néanmoins mettre prématurément fin à cette dynastie. Les adversaires du régime l’accusaient d’impiété pour diverses raisons : il avait usurpé la place et versé le sang de la famille de Mahomet ; il était trop indifférent à l’islam et à ses règles, par exemple en négligeant de convertir les populations conquises. Les kharidjites suscitèrent des désordres en Arabie méridionale, en Iran central, et en Haute-Mésopotamie. En 683, un notable couraïchite, Abdallah ibn al-Zoubaïr, souleva les deux villes saintes de La Mecque et Médine. Les habitants de Médine destituèrent le gouverneur et ses collaborateurs d’origine omeyyade, c’est-à-dire Marouane ibn Al-Hakam, Outhman ibn Muhammad ibn Abi Soufiane, et d’autres, qui s’échappèrent de justesse ; puis le remplacèrent par un certain Abdoullah Ibn Handhalah.
Lorsque Yézid apprit la nouvelle, il envoya toute une armée à Médine (12 000 hommes) pour mater la révolte. Un dénommé Muslim ibn Okqa en était le commandant en chef. La bataille se déroula dans le faubourg d’Al-Harra et Médine fut mise à sac. D’après Ibn Kathir il y eut 7 000 notables tués plus 10 000 autres victimes au sein de la population. Les filles des compagnons de Mahomet ou des membres de sa famille furent violées. Ensuite Muslim prit la direction de La Mecque à la recherche d’Abdallah ibn Al Zoubaïr, mais il reçut un coup de lance et céda le commandement à Hussein ibn Noumaïr, qui reprit sa marche en avant jusqu’à La Mecque. On assiégea les rebelles réfugiés dans la Kaaba où ils persistaient à vivre selon les préceptes du Coran originel. Des machines de guerre furent même utilisées pour pratiquer une brèche dans le sanctuaire. Ce qui fera écrire à Renan que : « Ce fut un étrange scandale que ce dernier siège de La Mecque ; où l’on vit des musulmans de Syrie mettre le feu au dais de la Kaaba et le faire crouler sous les pierres de leurs balistes » (Études d’histoire religieuse/Mahomet et les origines de l’islamisme).
Au même moment, disent certains, onze jours après affirment d’autres, Yézid s’éteignit, terrassé par une crise cardiaque. Il mourut alors que son armée était encore à La Mecque.
Son fils lui succéda, mais ne régna que 40 jours, avant de mourir empoisonné puis poignardé à son tour, on ne sait trop par qui, à l’âge de vingt et un ans. Heureusement pour les Omeyyades, les divers groupes insurgés n’avaient aucun lien entre eux. Les kharidjites ne s’étendirent pas hors des déserts ; Abdallah fut vaincu par le calife Abd al-Malik, tandis que Mokhtar était écrasé par le frère d’Abdallah, qui gouvernait Bassora.
La théologie chiite va dès lors développer une martyrologie complètement étrangère au sunnisme. Une forme de mortification qui peut être rapprochée de certaines formes d’ascèse catholique : auto flagellation, souffrances. La rébellion ouverte durera jusqu’en 687, date à laquelle le petit-fils d’Ali, Mohammed ibn Al-hanafiya, reconnaîtra, lui aussi, en principe, Abd Al-Malik, comme nouveau calife.
Officiellement ralliés au califat, les chiites resteront toutefois fidèles aux descendants d’Ali auxquels ils donnent le titre d’imam (guide). En outre, ils développent une doctrine qui diffère de l’orthodoxie traditionnelle sunnite, plus attachée à la lettre de la révélation coranique. Les chiites développent l’exégèse du texte, et nourrissent ainsi leur foi. Ils insistent par exemple sur l’épisode de la montée de Mahomet au Paradis à partir de Jérusalem (le miraj). Sur ces bases, se développera donc une théologie propre au chiisme, dans laquelle la souffrance comme moyen de rédemption tiendra une place importante.
Pour la majorité des musulmans, les sunnites, le calife doit descendre de la tribu de Mahomet, au sens large.
Pour les chiites (100 millions : Iran), il ne peut être que de la famille du prophète.
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Les chiites attendent le retour de l’imam caché. Le jour du Jugement dernier, Mohammed al-Mahdi, en réserve du monde depuis 874, reviendra pour juger l’Humanité. Cette notion d’Imam caché n’est pas sans rappeler celle du souverain endormi que l’on retrouve dans le monde celtique (Arthur) et germanique (Frédéric 1er de Hohenstaufen), ces grands souverains en dormition devant également s’éveiller pour nettoyer le monde de tout mal.
Sous l’impulsion des Omeyyades, la théologie musulmane ou kalam s’élaborera peu à peu, et prendra d’ailleurs un aspect défensif ou apologétique par rapport aux juifs et aux chrétiens. Ce qui importe néanmoins visiblement pour les Omeyyades, c’est la noblesse et la fierté arabes ; à ce titre, il faut donc noter l’indulgence de Mouaouiya envers les Arabes chrétiens de Syrie. Les élites locales seront maintenues en place. Pour le calife, le fait d’être Arabe est plus important que la conversion à l’islam qui, loin d’être obligatoire, n’est même pas souhaitée.
Les convertis étrangers (maouali ou mouladi en Espagne) sont issus de grandes civilisations – persane en particulier – mais en devenant musulmans ils n’acquièrent qu’un statut analogue à celui des esclaves affranchis ! Ce qui explique sans doute leur haine viscérale envers les Omeyyades.
Guidés par l’opportunisme et le pragmatisme, les Omeyyades entreprendront diverses conquêtes, pour le butin et non par conviction religieuse. Cette politique d’expansion portera les frontières de leur empire colonial de l’Atlantique aux confins de l’Inde. Vers l’est, la Transoxiane, avec Boukhara et Samarcande, sera conquise entre 705 et 714. Mais si l’Indus est atteint en 710, les troupes omeyyades devront alors toutefois se replier (légèrement).
L’objectif majeur restera longtemps la prise de Constantinople : plusieurs expéditions maritimes auront lieu, mais en vain, avant le grand siège de 716-717. Les Byzantins avaient une arme secrète redoutable : le feu grégeois. Il s’agissait d’une mixture de produits chimiques qui s’enflammait au contact de l’air. Elle était projetée par des tuyaux sur les bateaux ennemis, ou incluse dans des projectiles avec lesquels on bombardait l’adversaire. C’était une arme redoutablement efficace contre les navires en bois, et elle fut particulièrement utile aux Byzantins lors des batailles navales contre les Arabes. L’Empire d’Orient, grâce à Léon Ill, empereur impitoyable et iconoclaste, général brillantissime, préservera son indépendance au terme de cette bataille acharnée, qui durera du mois d’août 717 au mois d’août 718. Cette bataille a engagé les destins de l’Europe et ceux de la Chrétienté. Si les Califes l’avaient emporté, l’Empire romain d’Orient n’aurait pas survécu, et les Balkans auraient subi dès le VIIIe siècle la domination musulmane. Vaincus par les Byzantins, les Arabes devront renoncer à cette conquête, qui restera néanmoins pour eux un rêve (réalisé en 1453 par les Ottomans).
Le mépris des Omeyyades envers les musulmans non arabes conduira ces derniers à fomenter une rébellion. En juin 747, sous le règne du calife Marouane II, une révolte éclatera dans le Khorassan perse, à l’instigation d’un meneur iranien du nom d’Abou Muslim, indigné par le laxisme du califat. Le soulèvement sera récupéré par Abdoullah Abou-al-Abbas. Abdoullah Abou-al-Abbas (trente ans) descend d’Abbas, un oncle de Mahomet, d’où le nom d’Abbassides donné à ses partisans.
Ses troupes, qui arborent la bannière noire de la révolte, défont à Koufa les troupes du calife en place, qui arborent, elles, une bannière blanche. Le 30 octobre 749, dans la mosquée de Koufa, en Irak, il est proclamé calife par ses lieutenants. L’année suivante, le 25 janvier 750, les troupes omeyyades sont une nouvelle fois défaites sur le Grand Zab. Quelques mois plus tard, Abdoullah Abou-al – Abbas s’empare de Damas.
Le 25 juin 750, toute la famille du calife omeyyade est massacrée. Un prince, un seul, en réchappe. Il s’enfuira en Espagne où il fondera l’émirat omeyyade dissident de Cordoue. Marouane II est tué en Égypte à la tête de ses derniers fidèles le 5 août 750. Le vainqueur, Abdoullah Abou-al-Abbas, gagne dans l’opération le surnom de Saffah (ce qui signifie : le Sanguinaire).
AFRIQUE DU NORD (7e 8e siècle).
Au début du 7e siècle, l’Afrique du Nord fait donc encore partie intégrante de l’Empire byzantin. Cet empire, ainsi que nous l’avons vu tout au long de ces quelques notes, est très affaibli, suite aux coups portés par les troupes musulmanes depuis 632, lesquels ont déjà entraîné la perte de deux provinces,
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la Syrie et l’Égypte. L’empereur de Constantinople se trouve donc en fait dans l’impossibilité de défendre ses possessions en Afrique du Nord. De plus, les Gréco-Byzantins ne contrôlent qu’une infime partie du territoire nord-africain. Concentrés dans les villes de la côte, ils vivent du commerce maritime et s’entendent mal avec les tribus berbères de l’intérieur des terres.
Avant l’arrivée des musulmans, l’Afrique du Nord était multiconfessionnelle : aux côtés de communautés berbères chrétiennes (saint Augustin, saint Cyprien, Donat) vivaient des communautés berbères juives ; et une grande majorité de Berbères animistes et païens, comme d’ailleurs dans de nombreuses autres contrées d’Afrique. La langue berbère était partout présente en dehors des grands centres urbains, où elle coexistait avec le latin et le punique, comme en témoignent les écrits de saint Augustin ou de Salluste. Quelques siècles plus tard, toutes les communautés juives et chrétiennes auront disparu.
À partir de la fin du VIIe siècle, l’Afrique du Nord va donc voir s’affronter trois forces : les Byzantins tout d’abord, solidement implantés sur les côtes, avec Carthage surtout et Septem (Ceuta) comme points d’appui ; les Berbères habitants des lieux, un groupe ethniquement homogène, mais profondément divisé selon qu’ils étaient nomades ou sédentaires, agriculteurs ou citadins commerçants ; enfin les Arabes, qui arrivaient de l’est et tentaient de pénétrer en Ifriqiya (l’actuelle Tunisie).
Les sources relatives à l’irruption des musulmans en Afrique du Nord-ouest sont rares et postérieures d’un ou deux siècles aux événements qu’elles relatent. Il convient donc de tenir compte du caractère légendaire de certains épisodes, et de la volonté de donner à divers personnages une dimension héroïque, sans doute bien éloignée de la réalité historique. La proximité des riches terroirs de l’Africa/Ifriqiya (l’actuelle Tunisie et la région de Constantine en Algérie) ainsi que les perspectives de butin qu’offraient ses nombreuses et opulentes cités ; ne pouvaient néanmoins que susciter la convoitise des nouveaux maîtres de l’Égypte.
Le calife Omar était résolument hostile à toute nouvelle poussée vers l’ouest, mais son successeur Osman autorisa le gouverneur d’Égypte, Abdallah ibn Saad, à tenter l’aventure, en 647.
Une petite armée, composée de contingents fournis par la plupart des tribus arabes, partit de Médine en octobre. Cette troupe ne devait pas initialement dépasser les 5 000 hommes, mais en Égypte, Ibn Saad, qui en prit le commandement, lui adjoignit un corps levé sur place, ce qui porta donc à 20 000 hommes le nombre de combattants musulmans.
Le choc décisif contre les « Roms » (Byzantins) commandés par le patrice Grégoire eut lieu près de Sufetula (Sbeïtla), en Tunisie. Grégoire fut tué au cours de l’affrontement. Le pillage de Sufetula et les razzias opérées dans le sud de la Byzacène – l’actuelle Tunisie centrale – permirent d’accumuler un énorme butin ; et quand les Byzantins proposèrent de verser une grosse somme pour acheter le repli des envahisseurs, ceux-ci – qui ne disposaient pas des moyens nécessaires pour assiéger les villes du nord de l’Ifriqiya – acceptèrent de bonne grâce.
En 661, une seconde expédition fut lancée, qui se termina par la prise de Bizerte.
Cette défaite byzantine et les possibilités de razzia qu’offrait la province d’Africa/Ifriqiya auraient dû entraîner de nouvelles expéditions ; mais les difficultés liées à la succession du calife Osman, ainsi que la rupture entre les partisans de l’Omeyyade Mouaouiiya, et ceux d’Ali, gendre du Prophète ; offrirent un sursis quasiment inespéré à l’Afrique byzantine et berbère.
Les musulmans organisent en 667 une nouvelle incursion dans le pays, mais se heurtent pendant trois ans à une âpre résistance ; et il faudra donc attendre Oqba ibn Nafi, qui avait déjà réalisé une razzia fructueuse dans le Fezzan, pour que les musulmans s’établissent de manière permanente dans la région.
La troisième expédition donc, menée en 670 par Oqba Ibn Nafi, à partir de l’Égypte, sera la bonne. Ibn Nafi fonde, au cœur de la Byzacène, une place forte, Qaïraouane, appelée à devenir la grande cité de Kairouan, place forte chargée de tenir en respect les Byzantins toujours présents dans les villes côtières ; mais aussi les Berbères, capables de menacer, à partir de leur bastion des Aurès, les voies de communication avec la Cyrénaïque et l’Égypte. Mal récompensé des services rendus, Oqba est remplacé par Abou al Mouhadjir qui, plus politique que son prédécesseur, recherche l’alliance de certaines tribus berbères. Rentré en grâce quelques années plus tard, Oqba reçoit en 681 le commandement suprême des forces musulmanes du Maghreb. D’après les récits, transmis avec de nombreuses variantes par les auteurs musulmans, Oqba aurait alors multiplié les expéditions vers l’ouest, en s’emparant de villes importantes ; comme Lambèse qui avait été le siège de la IIIe Légion et la capitale de la Numidie romaine. Il se serait ensuite dirigé vers Tahert, près de la moderne Tiaret, puis aurait même atteint Tanger au Maroc, où un certain Julien (exarque byzantin de Septem/Ceuta) lui aurait ainsi décrit les Berbères du Sud marocain. « C’est un peuple sans religion, ils mangent des cadavres, boivent le sang de leurs bestiaux, et vivent comme des animaux, car ils ne croient pas en
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Dieu et ne le connaissent même pas ». Oqba en aurait fait un massacre, en s’emparant néanmoins au passage de leurs femmes, qui étaient d’une beauté sans égale, puis aurait pénétré à cheval dans l’Atlantique ; prenant Dieu à témoin « qu’il n’y avait plus d’ennemis de la religion à combattre ni d’infidèles à tuer » de ce côté-ci de la Méditerranée.
Mais l’étude des textes montre que cette expédition n’a pas dû dépasser en réalité la vallée du Chélif ; et que la mer devant laquelle son chef prit Dieu à témoin qu’il ne pouvait avancer au-delà, ne serait que la Méditerranée, en aucune façon le détroit de Gibraltar.
LA RÉSISTANCE DU CHRÉTIEN CÉCILIEN, OU AKSEL
ET DE LA REINE DIHYA (683-704).
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En 683, devant la brutalité inouïe d’Oqba et de ses troupes (qui effraie même le Calife à Damas !) les citadins gréco-byzantins oublient leur méfiance vis-à-vis des Berbères, et décident de faire front commun avec eux. De leur côté, les différentes tribus et principautés berbères acceptent de s’unir pour la circonstance. Le chef choisi pour diriger cette coalition anti musulmane est un prince berbère chrétien, Cécilien, qui gouverne un vaste royaume semi-indépendant dans les Aurès. Son nom est orthographié de différentes façons par les auteurs musulmans : Kosaïla, Qosayla, Kousila. On l’a rapproché du nom latin Caecilius. C’est une hypothèse vraisemblable quand on sait que Koceila était chrétien, mais son nom peut aussi provenir du berbère. Les dialectes amazighs de l’Aurès connaissent encore une racine KSL dont dérive le nom du guépard.
Dirigeant respecté, mais aussi habile tacticien, Cécilien voue une véritable haine à Oqba ibn Naafi. Ce dernier en effet l’avait retenu prisonnier plusieurs années auparavant, et l’avait humilié publiquement.
Cécilien était le chef de la puissante tribu des Auraba qui occupait toute une partie des Aurès. Il avait d’abord combattu les Arabes, mais ayant été vaincu à la bataille d’Al Alourit, aux sources de Tlemcen, il s’était converti à l’islam (en 675). Il avait gagné la confiance du chef musulman Abou el Mouhadjir Dinar et il était même devenu l’un de ses proches collaborateurs (même cas de figure donc que le célèbre Vercingétorix, qui a un temps servi dans les légions de César).
Lors de son retour sur scène en 681, Oqba s’était vengé de celui qui avait assuré en quelque sorte son intérim, Abou al Mouhadjir, et avait traité aussi durement son protégé Cécilien, que l’on devait donc déjà commencer d’appeler Koceila. Il l’avait fait couvrir de chaines et le traînait ainsi où il allait, comme un trophée personnel. Parmi les traits insultants qu’il se permit envers lui, on raconte le suivant. Comme il venait de recevoir des moutons et qu’il voulait en manger un, il ordonna donc à Koceila de l’égorger.
« Que Dieu dirige le prince vers le bien », répondit le noble chef amazigh, « j’ai ici de jeunes gens et des serviteurs qui pourront m’éviter cette peine ».
Oqba aurait en l’occurrence répondu par des paroles offensantes à son égard, et lui aurait ordonné de s’occuper du mouton. Koceila se serait alors retiré avec colère et, après avoir égorgé l’animal, aurait donc essuyé sa main encore toute sanglante sur sa barbe.
Quelques Arabes s’approchèrent et lui demandèrent : « Que fais-tu Amazigh ? »
Ce à quoi il aurait répondu : « C’est bon pour les poils ! »
Mais un vieil Arabe musulman qui passait par là se serait écrié : « Ce n’est pas ce que cela signifie, c’est une menace de mort ! »
Abou Mouhadjir Dinar aurait alors dit à Oqba : « Que viens-tu de faire ? Voilà un homme des plus distingués parmi les siens, un homme qui naguère encore était incroyant, et tu fais tout pour susciter de la haine dans son cœur ! Je te conseille maintenant de bien lui faire attacher les mains derrière le dos ».
Tel est du moins ce que nous raconte l’historien musulman Al-Nowaïri, mais on peut se demander s’il ne s’agit pas d’une des innombrables légendes colportées à propos de ce grand prince berbère.
Ce qui est certain, c’est que Koceila aurait apparemment réussi à s’échapper puis à rejoindre sa tribu en abandonnant l’islam par la même occasion, vu la façon dont Oqba l’avait traité. Après avoir obtenu de l’aide et des renforts des Byzantins, il prit la tête d’une petite armée bien décidée à en découdre avec l’envahisseur. La révolte balaye complètement les musulmans. Les garnisons sont massacrées dans les villes où elles stationnent. Oqba est forcé de se replier vers l’est. Il commet alors une grossière erreur : il sépare ses troupes en deux, renvoyant vers l’Égypte le gros de son armée, chargée d’escorter le fruit de leurs pillages en Afrique du Nord, et gardant le reste avec lui.
Oqba et son arrière-garde se dirigent alors vers le sud-est. Mais ils rencontrent l’armée berbère de Cécilien à la sortie de l’Oued el Abiod, au lieu-dit Tehouda, non loin de Vescera (Biskra), et il périt dans la bataille avec la plupart de ses hommes. Nous sommes en l’an 683.
La mort de ce général qui avait dirigé l’invasion d’une poigne de fer depuis 670 signe la fin des premières incursions musulmanes en Afrique du Nord. L’échec était de taille pour les Arabes, qui abandonnent toutes leurs conquêtes à l’ouest de la Cyrénaïque et Cécilien ou Koceila, comme l’appelle la tradition musulmane, entre en vainqueur à Kairouan. Il berbérise le nom de la forteresse en Taqirouant et en fait sa capitale. De 683 jusqu’à 688, son autorité fut reconnue par tout le monde dans les Aurès et une large partie de l’Est algérien actuel. De l’avis même des auteurs musulmans, il traita tous ses sujets avec justice, qu’ils soient amazighs ou arabes, et laissa même ces derniers pratiquer librement leur religion. Cécilien ne parvint pas néanmoins à regrouper tous les Amazighs ni à créer un véritable État.
En 688, le calife Omeyyade Abd al Malik envoya des renforts, avec pour mission de reprendre Kairouan. Devant l’importance des forces musulmanes, Cécilien/Koceila se replia, tout en appelant à l’aide les tribus de l’Aurès et les Byzantins, mais en vain. À la fin, les musulmans, qui étaient plus
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nombreux, l’emportèrent. Koceïla fut tué à la bataille de Mems, une localité située à l’est de Kairouan, les Amazighs ou les Byzantins qui avaient échappé au massacre se dispersèrent.
Note de la rédaction. Si, pour les populations arabisées d’Afrique du Nord, Oqba ibn Naafi est devenu un saint (une ville, Sidi Oqba, ayant même été fondée près du lieu de sa mort à Tehouda, dans les environs de l’actuelle Biskra) ; la mémoire de Koceïla, elle, est encore vive chez les berbérophones.
L’armée musulmane l’emporte donc, mais provisoirement, et ne laisse qu’une simple garnison à Kairouan. Surprise par un corps byzantin débarqué à Barca, elle sera massacrée sur le chemin du retour. Le calife Abd el-Malik ne s’avoue pas vaincu pour autant, et envoie en Afrique une nouvelle armée, qui réussit à vaincre l’exarque byzantin d’Afrique, et Hassane ibn Al-Nou’mane al-Ghassani, nouveau gouverneur de l’Ifriqiya, prend Carthage en 695. Les Byzantins, profitant de leur supériorité navale, débarquent une armée qui reprendra la ville en 696, mais pour trois ans seulement.
À l’intérieur des terres la résistance est alors conduite par une femme appelée Dihya, plus connue sous le sobriquet de Kahina (la sorcière) que les musulmans lui donnèrent, suite à plusieurs défaites essuyées par eux devant ses troupes.
On ne sait presque rien de son origine. Nous ignorons sa date de naissance. On ne sait pas précisément sa religion. Peut-être fut-elle chrétienne ou juive, mais elle a pu également être animiste. Ibn Khaldoun émet l’hypothèse qu’elle fût de religion juive, ou peut-être chrétienne. Ceci est tout à fait possible, vu que l’on ne sait que très peu de choses sur la religion des Imazighen à cette époque. Si l’on considère qu’un de ses fils est dit « younani », c’est-à-dire grec, on peut alors penser qu’ils étaient hellénisés, donc chrétiens. Ce qui est certain par contre, c’est qu’elle était originaire de la tribu Djaraoua, donc Zénète, dont le mode de vie était pastoral et semi-nomade. On ignore comment elle parvint à la royauté. Il semble que son pouvoir lui fut accordé par un conseil de tribus, mais il est très abusif d’évoquer un sénat amazigh, qui n’a peut-être jamais existé. Ce conseil reconnut son intelligence et la mit à la tête d’une confédération, regroupant plusieurs tribus de l’Aurès, dont la sienne, de 685 environ à 704 ou 705. La légende ajoute qu’elle était d’une grande beauté. Il est fort probable qu’elle succéda dès lors à Koceila dans la lutte contre les musulmans, mais c’est à un âge assez avancé qu’elle fut amenée à lutter contre ces derniers.
Les Berbères sont d’abord divisés sur la conduite à tenir. La reine Dihya parvient à les rassembler, grâce à sa force de persuasion et à sa grande intelligence, afin de lutter contre l’invasion musulmane. 40 000 combattants se dirigent alors vers les Aurès sous le commandement d’Hassane ibn Al-Nou’mane al-Ghassani. On ne sait rien ou à peu près à ce sujet, si ce n’est que la reine Dihya réussit à écraser l’armée arabe sur les rives de la Meskiana, entre Aïn Beïda et Tébessa. Les troupes imazighen font tant de victimes que les musulmans appelèrent le lieu « Nahr Al Bala », ce qui peut se traduire par « la rivière des souffrances ». La légende ajoute que la rivière devint alors rouge du sang des combattants arabes. Après cette première victoire, les Imazighen poursuivent les musulmans, et leur imposent une seconde défaite, les contraignant ainsi à battre en retraite. Le calife Malik rappelle ses troupes en Tripolitaine (l’actuel nord de la Libye). Mais ce ne fut que partie remise, et les musulmans revinrent aussitôt en force à partir de la Libye ; mais ils décidèrent alors de concentrer leur effort de guerre contre les chrétiens byzantins. En 698, ils reprennent Carthage. La même année, ibn Al-Nou’mane fonde Tunis. Précaution superflue dans la mesure où les flottes musulmanes commencent à cette époque à surclasser les flottes byzantines en Méditerranée. La fameuse formule d’Ibn Khaldoun selon laquelle « à cette époque, les chrétiens ne pouvaient faire flotter une planche sur la mer » est en effet sur le point de devenir une réalité. Les Byzantins ne maintiendront plus leur présence que pendant quelques années à Septem (Ceuta) ainsi que dans l’archipel des Baléares. En fait, ils seront obligés de lâcher prise, préoccupés par les tensions régnant au nord de leur empire. La montée en puissance des royaumes chrétiens européens constitue pour eux une menace encore plus grave que l’invasion musulmane. Le royaume de Dihya restera donc le seul obstacle à la progression des musulmans vers l’ouest, et Hassane ibn Al Nou’mane reprend l’offensive contre les Imazighen. Conscient de la forte résistance qu’il va rencontrer, il entreprend une conquête systématique du pays. Ibn Al-Nou’mane obtiendra des renforts du calife Abd al-Malik en 702. Son armée alors comptera probablement plus de 50 000 hommes. Comme il a en sa possession Carthage et la nouvelle ville de Tunis, il dispose ainsi de solides bases arrière. Ces 50 000 hommes envahissent donc de nouveau les Aurès, à partir de Gabès et Gafsa.
Dihya se trouve ainsi contrainte d’appliquer la politique de la terre brûlée [même tactique donc que celle qui fut mise en œuvre par Vercingétorix devant César] et devant eux les musulmans ne trouveront qu’un pays détruit. Cette guerre dure deux ans, mais une partie de la population n’apprécie pas cette politique [encore que ceci ne soit pas historiquement prouvé].
Selon certains historiens, Dihya aurait choisi de pratiquer la stratégie de la terre brûlée, persuadée que c’était le seul moyen de faire reculer les musulmans qui attaquaient le pays. Soutenue par les
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nomades, la Kahina se serait alors aliéné le soutien des sédentaires et des citadins attachés à un retour rapide de la paix, même au prix de la soumission à l’islam.
Les musulmans n’en auront pas pour autant fini avec les Berbères, mais il est vraisemblable que la division de ces derniers leur a facilité la tâche.
La bataille finale aura lieu en 704, à Tabarqa. Ici la légende fait intervenir un épisode assez difficile à interpréter, s’il est bien vrai. Dihya envoie ses deux fils rejoindre le camp musulman juste avant le déclenchement des hostilités, en leur ordonnant de se convertir à l’islam. Il est probable qu’elle savait son combat perdu d’avance, et qu’elle cherchait ainsi à sauvegarder ses enfants. La bataille de Tabarqa sera donc effectivement gagnée par les musulmans, mais avec beaucoup de difficultés. Les Imazighen, bien que très inférieurs en nombre, opposent une farouche résistance. La Reine Dihya sera finalement capturée puis décapitée au lieu-dit Bir al Kahina (le puits de la Kahina). Sa tête est ensuite envoyée au calife Malik selon certains, jetée dans le puits selon d’autres. L’envoi de sa tête au calife, qui fait penser ainsi à une sorte de Méduse, donc maléfique, est probablement une invention de commentateurs. La deuxième version semble la plus crédible, vu ce que l’on sait des usages guerriers de l’Arabie préislamique. Comme chez les druides, la puissance de l’individu est censée résider non dans le cœur, mais dans le cerveau.
Hassane Ibn al Nou’mane fait preuve d’un grand respect pour le peuple amazigh après sa victoire. Il ne fait pas de prisonnier, mais relâche tous les combattants et ne commet aucun pillage. Cette grande tolérance en fera d’ailleurs l’un des artisans de l’islamisation des Imazighen. Ainsi que nous l’avons dit, les deux fils de Dihya (Ifrane et Yezdia) avaient rejoint le camp musulman avant la bataille. Certains auteurs ont vu là une trahison de leur part. C’est à notre avis une erreur, puisqu’il est clairement établi qu’ils ne rejoignirent le camp adverse qu’à la demande formelle de leur mère, et qu’ils ne participèrent pas à la bataille. En outre, ils n’obtinrent un commandement militaire dans l’armée musulmane qu’après, lorsque Hassane ibn Al Nou’mane décida de conquérir le Maroc.
On ne sait rien sur le père de ces enfants (il devait sans doute être, lui aussi, d’un rang élevé), mais si l’on tient compte du fait qu’ils obtinrent un commandement dans l’armée musulmane assez rapidement ; ce n’était certainement plus de tout jeunes enfants à ce moment-là.
Note de la Rédaction. Dihya et ses fils ont suscité beaucoup de légendes. Elle est devenue le symbole des femmes imazighen, le symbole de leur culture, à l’égal des Massinissa et des Jugurtha. Chef politique hors pair, ce fut aussi apparemment une femme qui sut protéger ses enfants.
La mort de la Kahina peut être considérée comme la fin de toute résistance armée des Berbères contre les musulmans. Rappelé à Damas, Hassane est remplacé par Moussa ibn Nosaïr qui reçoit, sans doute en 705, le gouvernement de l’Ifriqiya, désormais indépendant de celui de l’Égypte. Moussa poussera les conquêtes jusqu’aux rivages atlantiques et soumettra le Maghreb occidental.
Bref, les conquérants musulmans, peu nombreux, mais motivés, ne trouvèrent pas en face d’eux un État prêt à résister à une invasion. Ils durent seulement affronter des opposants successifs : le patrice byzantin, puis les chefs berbères, principautés après royaumes, tribus après confédérations. Quant à la population romaine africaine, enfermée dans les murs de ses villes, bien que fort nombreuse, elle n’eut ni la possibilité ni la volonté de résister longtemps à ces nouveaux maîtres envoyés par Dieu.
La capitation imposée par les musulmans, la djizya, n’est guère plus lourde que les exigences du fisc byzantin, et, au début du moins, sa perception apparaissait plus comme une contribution exceptionnelle aux malheurs de la guerre que comme une imposition permanente. Quant aux pillages et aux prises de butin opérés par les cavaliers musulmans, ils n’étaient ni plus ni moins exécrables que ceux qui étaient pratiqués par les Maures depuis des siècles.
La conversion des tribus ne se déroule pas uniformément et connaît des résistances, des apostasies ponctuelles, ou l’adoption de syncrétismes. L’arabisation se fera de manière plus lente encore. Des formations religieuses furent alors organisées, comme à Kairouan, au sein de sortes de monastères guerriers appelés ribates en arabe. Il est difficile d’estimer l’ampleur et la vitesse de ce mouvement d’adhésion à l’islam. D’ailleurs, refusant l’assimilation, nombreux furent ceux qui rejetèrent la religion dominante et préférèrent adhérer au kharidjisme, une hérésie musulmane née en Orient, et qui proclamait l’égalité de tous les musulmans, sans distinction de races ni de classes.
L’islamisation et la toute première arabisation furent d’abord citadines. La religion des conquérants s’implanta dans les villes anciennes que visitaient des missionnaires guerriers, puis des docteurs voyageurs, rompus aux discussions théologiques. La création de villes nouvelles, en même temps centres religieux, comme Kairouan et Fez (création d’Idriss II en 809), contribua ainsi à implanter l’islam aux deux extrémités du pays. Quant aux contingents berbères, conduits par leurs chefs dans de fructueuses conquêtes faites au nom de cette nouvelle religion, il est bien évident qu’eux aussi furent amenés à soutenir le message mahométan de leurs nouveaux employeurs. La conversion des Berbères des campagnes, sanhadja ou zénètes, se fit plus mystérieusement (on manque de document sur le sujet), mais ils étaient sans doute déjà préparés à la monolâtrie ; par le
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développement récent du christianisme, ainsi que par un certain prosélytisme juif dans les tribus nomades du Sud.
De toute façon, comme dans le cas des chrétiens orientaux, l’islam devait leur sembler être une hérésie chrétienne de plus (il y en avait tant !) plutôt qu’une nouvelle religion ; et cette relative indifférence expliquera sans doute bien des apostasies, également liées aux fluctuations politiques.
La conversion des chefs de fédération, souvent plus pour des raisons politiques que par conviction donc, avons-nous dit, contribua beaucoup à répandre répandit l’islam dans le petit peuple. Il y eut cependant des parties de la Berbérie où l’islam ne pénétra que fort tardivement : les nomades du lointain Hoggar et du Sahara méridional. Il semble qu’il y eut, chez les Touaregs, si l’on en croit leur tradition, une islamisation très précoce, œuvre de compagnons de Mahomet ; mais cette islamisation, si elle n’est pas légendaire, n’eut guère de conséquences, et le paganisme subsista chez eux jusqu’à ce que des missionnaires (les anbiya) tentent, au Xe siècle, de réintroduire l’islam au Hoggar, sans grand succès néanmoins. La véritable islamisation ne semble guère antérieure en fait au XVe siècle. Et il y eut même un pays berbérophone qui ne fut jamais islamisé, auquel on ne pense jamais : les îles Canaries (ses habitants primitifs, les Guanches, étaient encore païens au moment de la conquête espagnole, au XIVe et au XVe siècle).
LA CONQUÊTE DE LA PÉNINSULE IBÉRIQUE (711-726).
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Comme dans le cas de l’Afrique du Nord, les sources relatives à la conquête musulmane de l’Espagne sont rares et tardives. La Chronique mozarabe date de 754, et les Chroniques asturiennes ont été rédigées à la fin du IXe siècle.
Le royaume wisigoth avait rencontré de nombreuses difficultés depuis la fin du VIIe siècle. Problèmes de succession au trône, crise économique, épidémies de peste, hostilité de la minorité juive régulièrement visée par les législations promulguées lors des conciles de Tolède, mauvaises récoltes liées à des sécheresses catastrophiques. Celles-ci ont sans doute pesé lourd, et il convient aussi de rappeler qu’à la différence des Francs dans le nord de la Gaule ; les Wisigoths ne constituent qu’une minorité dominante qui ne s’est pas fondue dans la masse ibéro-romaine, naturellement conduite à voir en eux des occupants étrangers.
En 710 le roi wisigoth de Tolède Witiza meurt en laissant un fils, Akhila, qui fut bientôt renversé par le gouverneur de la Bétique, Rodéric ou Rodrigue. Akhila se réfugie à Septem (Ceuta), mais conserve néanmoins des partisans dans la péninsule. Ce fut alors la guerre civile. En 711, Julien, exarque ou comte byzantin de Septem (Ceuta), mais aussi gouverneur d’Algésiras, partisan d’Akhila, entre donc en guerre contre le roi Rodrigue qui aurait violé sa fille. L’identité de ce Julien est très obscure : s’il est fort probable qu’il fut bien un exarque byzantin, certaines sources en font aussi un seigneur berbère indépendant qui aurait échappé à la conquête arabo-musulmane.
Julien (en arabe Yulyan) prend contact avec le gouverneur musulman de l’Ifriqiya : Moussa ibn Noussaïr. Le gouverneur musulman de l’Afrique du Nord avait dû affronter une très violente et farouche résistance berbère au Maroc. Pour ramener le calme et détourner l’ardeur combative des populations de son fief, il eut l’idée d’accepter une telle aventure, et il s’empressa de saisir l’occasion pour se débarrasser des Berbères les plus remuants.
Après une première reconnaissance conduite en 710 de Tarifa jusqu’à Algésiras, Tarik ibn Ziyad franchit le détroit au printemps de 711 avec sept mille hommes ; et s’installe sur les flancs du rocher auquel il a donné son nom, le Djebel al-Tariq, devenu Gibraltar. Composée essentiellement de contingents berbères islamisés, l’armée d’invasion, qui a reçu des renforts, affrontera celle du roi Rodrigue.
Le combat décisif a lieu le 19 juillet 711sur le Guadalete. C’est en quelque sorte un « pré-Poitiers », car le sort de toute la Péninsule va se jouer en une journée. D’un côté, Rodrigue, le roi wisigoth et son armée, de l’autre, des guerriers aguerris. La bataille dure sept jours. La trahison des deux chefs wisigoths commandant les ailes, et acquis à ses rivaux, permet aux musulmans de l’emporter.
Face à ce succès inattendu, Moussa s’empressa de venir rejoindre Tariq pour transformer ce qui n’était au départ qu’une simple expédition 1) ; en une campagne d’annexion. Il voulait aussi surtout imposer son autorité sur Tariq, et l’empêcher de se tailler un royaume personnel. Les deux commandants purent ainsi conquérir Tolède dès novembre 711 sans rencontrer d’opposition.
Moussa s’était entre-temps de son côté emparé de Séville et de Mérida, qui lui avaient opposé une farouche résistance, alors qu’un lieutenant de Tariq s’assurait pour sa part le contrôle de Cordoue, appelée à devenir bientôt la capitale de l’Espagne musulmane. Chargé de briser une première révolte de Séville, Abd el-Aziz, le fils de Moussa, prend Malaga et Illiberis – Grenade – avant de pousser jusqu’à la région de l’actuelle Murcie, alors gouvernée par le prince wisigoth Théodemir. Ce dernier conclut avec les vainqueurs un accord lui permettant, contre le paiement d’un tribut, de conserver le contrôle de la région. L’année suivante, Abd el Aziz prend Huelva et Lisbonne, pendant que Moussa et Tariq marchent sur Saragosse, qui tombe en 714 avec toutes les villes de la moyenne vallée de l’Èbre. Remontant la vallée du fleuve, Moussa soumet le comte ibéro-romain Cassius – qui, une fois converti, sera donc à l’origine de la lignée des Banou Qassi – puis, poussant vers l’ouest, va obtenir la soumission du Léon, d’Astorga, et de la Galice. Reparti vers le sud, il s’empare de Salamanque alors que Tariq, au nord-est du pays, a pris Tarragone et Barcelone.
La foudroyante avancée musulmane se poursuivit avec des accords de terrain signés entre les musulmans et les chefs locaux qui, en échange d’une grande autonomie et d’une grande liberté d’action, reconnurent la souveraineté de Moussa. Les fils de Witiza, hostiles à Rodrigue, s’accommodèrent très bien de la victoire musulmane. En échange de leur renonciation au trône, ils purent conserver le patrimoine foncier des rois de Tolède. Leurs partisans suivirent cet exemple et se sont surtout préoccupés de sauvegarder leurs domaines, qu’un ralliement intéressé aux vainqueurs leur permit souvent d’accroître, au détriment du clan des vaincus.
Les habitants de la péninsule n’eurent sans doute pas conscience de ce que pouvait représenter à terme cette occupation islamique ; et l’implantation de l’islam en Espagne fut largement facilitée par l’existence, dans ce pays, de profondes divisions religieuses (comme en Orient).
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Les juifs, particulièrement maltraités lors des règnes précédents (conversions forcées en 617, quasi-réduction en esclavage en 694) savent qu’avec l’islam ils seront traités à égalité avec les chrétiens et accueillent donc presque en libérateurs les musulmans (ce qui leur sera reproché en 1492).
En outre les minorités chrétiennes ariennes ou monophysites étaient proches des idées de Mahomet sur Jésus.
Les envahisseurs musulmans ne furent au départ qu’une minorité infime et il n’y eut jamais de conversions massives par la force, plutôt un long processus d’islamisation, progressive, de la société.
Quand l’Hispania wisigothique fut rattachée au califat de Damas, cela fut sans doute perçu par beaucoup comme un simple changement de dynastie, au profit d’un souverain omeyyade, aussi lointain que l’avait été, quelques décennies plus tôt, le basileus byzantin. La nouvelle religion est, de plus, à l’époque, très peu connue, et n’est pas perçue comme l’ennemie jurée du christianisme. Les musulmans s’inscrivaient au contraire dans une tradition familière aux juifs et aux chrétiens, et leur religion était souvent considérée comme une nouvelle hérésie orientale ; un phénomène familier dans une Espagne où l’arianisme et le catholicisme romain s’étaient trouvés en concurrence jusqu’au rétablissement par le roi Reccarède – en 587, un peu plus d’un siècle auparavant – de l’unité religieuse du pays. Enfin, les Berbères, qui fournissaient le gros des premières troupes d’envahisseurs, étaient longtemps demeurés chrétiens au sein du même espace impérial romain ; et n’apparaissaient pas aussi radicalement étrangers ou hostiles que ne le seront les musulmans d’Al-Andalous vis-à-vis des royaumes chrétiens quelques siècles plus tard.
Vainqueurs de l’Hispania wisigothique au début du VIIIe siècle, les musulmans vont donc contrôler la majeure partie de la péninsule ibérique jusqu’au XIe siècle. Fortement implantés dans la vallée du Guadalquivir, dans le Levant valencien et dans la vallée de l’Èbre, ils considèrent les régions du Nord-Ouest situées au nord de la cordillère centrale, comme des terres de razzia ; et n’accordent que peu d’intérêt aux petits royaumes chrétiens qui ont réussi à se maintenir dans la région cantabrique, d’où partira le lent et patient effort de reconquête (qui ne portera vraiment ses fruits qu’après l’an mil). Jusque-là, le rapport des forces demeurera favorable à l’émirat puis au califat de Cordoue ; et à la fin du Xe siècle, les expéditions dévastatrices menées par Al-Mansour jusqu’à Barcelone, ou jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle, témoignent de la supériorité militaire que conservent encore les musulmans de Gibraltar aux Pyrénées.
La nostalgie de l’unité hispanique réalisée par la monarchie wisigothique n’apparaîtra que plus tard, autour du petit noyau de résistance que constituèrent les régions montagneuses du Nord-Ouest, future base de la Reconquista des siècles suivants. Le royaume wisigoth s’était écroulé, mais les lambeaux survivants, relégués sur les contreforts des Pyrénées méridionales, formèrent en effet le royaume chrétien des Asturies. En échange d’un tribut régulier, il ne fut pas inquiété.
En 716 une nouvelle province de l’empire colonial musulman fut donc constituée, Al Andalous, l’Andalousie.
Après avoir balayé l’Afrique du Nord et l’Espagne, la vague islamique viendra néanmoins se briser au nord des Pyrénées sur la résistance franque ; mais pendant près de trois siècles, des bandes de pirates sarrasins feront régner l’insécurité sur les côtes provençales et italiennes, tout en réalisant des incursions profondes et dévastatrices à l’intérieur des terres. Mais il s’agira désormais davantage de raids de pillage que d’un projet conquérant mis en œuvre au nom de l’expansion ou du triomphe de la foi nouvelle.
1) Le Calife de Bagdad, qui sait que les deux précédentes tentatives ont échoué, avait fait parvenir le message suivant à Moussa : « Fais explorer l’Espagne par des détachements de petite importance, mais garde-toi bien d’exposer les Fidèles à des périls inconnus ».
LA CONQUÊTE DU NORD DES PYRÉNÉES (719).
LA SEPTIMANIE MUSULMANE.
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En 714-716, Al-Hourr s’empare de Barcelone.
En 716, la conquête musulmane de la péninsule Ibérique est achevée, seule la Septimanie reste libre.
En 717, les Omeyyades d’al-Hourr ibn Abd al-Rahman al-Thaqafi commencent à traverser les Pyrénées orientales en territoire aquitain et en Septimanie dans la suite de leur conquête ibérique, mais le commandant ne réussit pas à s’étendre plus loin.
Al-Hourr est remplacé en 719 par l’Émir al-Samh qui entre en Septimanie, met le siège à Narbonne (Arbouna pour les Arabes), capitale de la dernière province wisigothique.
Au VIIIe siècle Narbonne dispose toujours des murailles héritées de l’époque romaine, chantées par l’évêque Sidoine Apollinaire en 465. Selon une histoire locale connue des Narbonnais, les Sarrasins seraient entrés dans la ville par surprise en automne 719, profitant de l’ouverture des portes en cette période de vendanges. Ceci expliquerait pourquoi la ville, en dépit de ses ouvrages défensifs, fut si facilement conquise et si longue à reprendre. Le chef musulman fit mettre à mort les hommes ayant tenté de défendre la cité, déporter leurs femmes et enfants en Espagne. Les Omeyyades en font la capitale d’une province qui durera 40 ans. Sous la domination musulmane, Narbonne devint Arbouna le siège d’un ouali, capitale d’une des cinq provinces d’al-Andalus, aux côtés de Cordoue, Tolède, Mérida et Saragosse.
Les vainqueurs firent venir d’Afrique du Nord des familles entières avec femmes et enfants afin d’élargir les bases de leur domination, chrétiens et juifs devinrent des dhimmis (la dhimmah est une sorte de protectorat).
Le port de Narbonne leur permet d’acheminer des troupes et des vivres directement sur la côte languedocienne sans avoir à passer les montagnes des Pyrénées. La cité est utilisée comme base pour les razzias. Une mosquée est établie à l’intérieur de l’église de Saint-Rustique de Narbonne.
Les gouverneurs militaires lancent alors des expéditions en Aquitaine et Septimanie pour s’emparer de butins : en 725, le successeur de feu Al-Samh, Anbasa ibn Souhaïm Al-Kalbi assiège la ville de Carcassonne, qui doit accepter de donner la moitié de son territoire, de rendre hommage, et de faire une alliance offensive et défensive avec les forces musulmanes. Les armées arabes conquièrent ensuite Agde, Béziers, Nîmes et toutes les autres villes septimaniennes.
En 731, Uthman ibn Naïssa (Mounouza), le seigneur berbère souverain des Pyrénées orientales, se sépare de Cordoue, et fonde sa principauté reposant sur une hégémonie berbère en Cerdagne (731).
Le dirigeant berbère s’allie avec le duc Eudes d’Aquitaine, qui est alors désireux de stabiliser ses frontières.
Le gouverneur omeyyade de Cordoue, Abd al-Rahman ibn Abd Allah al-Rhafiqi, nommé depuis 730, rassemble alors une expédition pour punir le commandant berbère de son insubordination. Abd al-Rahman dirige l’expédition, encercle Mounouza en Cerdagne et le fait exécuter.
Enhardi par son succès, Abd al-Rahman attaque alors l’allié de feu Osman ibn Naissa, le duc Eudes d’Aquitaine, qui venait tout juste de subir l’offensive dévastatrice de Charles Martel sur Bourges et le nord de l’Aquitaine (731).
Abd el Rahman envahit le sud de l’Aquitaine et pille le pays. Eudes réunit une armée pour s’y opposer, mais il est battu entre la Dordogne et la Garonne (bataille parfois dite de Bordeaux).
Abd el Rahman continue son avancée, marche sur Poitiers, met à sac et incendie l’abbaye Saint-Hilaire. Il se dirige ensuite vers Tours, dans l’intention de piller l’abbaye Saint-Martin. Cependant, Charles Martel, à qui Eudes a fait appel après sa défaite, marche lui aussi vers Tours après avoir réuni une armée de fantassins francs.
ÉTANT TOTALEMENT NON-RACISTE ET MÊME PAS UN VRAI FRANÇAIS PUISQUE LA VRAIE FRANCE C’EST mettre ici ce qui convient : la fille aînée de l’Église*, les droits de l’Homme*, une Terre d’accueil *
ET QU’IL NE SUFFIT PAS, OU PLUS, POUR ÊTRE UN VRAI FRANÇAIS, QUE SES ANCÊTRES (EXEMPLE SÉBASTIEN, PIERRE) AIENT EU POUR ROI LOUIS LE XIIIe, SOUVERAIN DU CANADA (tiens tiens… découvert sur internet !) AU DÉBUT DU XVIIe SIÈCLE, À ATTANCOURT ; PRÉS DU PAYS DES CAISSES.
NOUS INSÉRONS À CET ENDROIT DE NOTRE EXPOSÉ LA VERSION SOS RACISME DE CETTE HISTOIRE.
*Depuis les martyrs de Lyon en 177.
* Et le 1er amendement à la Constitution vous en avez entendu parler ??
* Comme si bien d’autres pays sur cette Terre n’étaient pas eux aussi des terres d’accueil, des pays libres, etc.
Personnage adulé dans les milieux d’extrême droite française, Charles Martel était le père de Pépin le Bref et le grand-père de Charles le grand, aussi appelé Charlemagne par les contemporains. Le nom vient de Carolus Magnus en latin. En Allemagne, Charlemagne est appelé Karl Der Grosse (Charles le
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Grand) comme en Belgique néerlandophone et aux Pays-Bas (Karl De Grote). Charles Martel était maire du palais, une sorte de ministre.
La mythologie historique forgée au XIXe siècle veut que Charles Martel ait sauvé la Gaule franque et la Chrétienté entière, d’une invasion arabo-musulmane. Cette affirmation est à nuancer pour plusieurs raisons.
— Les guerriers battus à Poitiers en 732 n’étaient pas tous Arabes. Venus de l’Espagne musulmane, il y a bien sûr des chances qu’ils aient été en majorité musulmans, mais, à côté des Arabes de Syrie, l’Espagne musulmane du VIIIe siècle comptait aussi beaucoup de Berbères. Par ailleurs, ceux-ci ne constituaient que les cadres d’une armée dont une bonne partie était d’origine ibéro-wisigothique tout simplement. Il apparaît en effet que l’hostilité aux Francs a pu favoriser localement la collaboration avec les musulmans, de certains éléments demeurés attachés à la tradition wisigothique.
— Cette razzia fut empêchée par l’intervention de Charles Martel, mais son arrêt ne constitue pas une date importante dans l’histoire de l’expansion de l’islam.
— Et il ne faut surtout pas y voir une victoire du Bien sur le Mal, Charles Martel ayant lui-même été un des pires pillards qu’ait connus le Poitou.
— La manœuvre de Charles Martel était surtout liée à une lutte d’influence entre la dynastie franque du Nord et le duc Eudes d’Aquitaine ; qui fut en un sens le premier vaincu de la bataille de Poitiers (il devint l’obligé de Charles Martel). Cette bataille consacra en effet l’influence du Nord sur le Sud-ouest et la puissance de ceux que l’on n’appelait pas encore les Carolingiens. Ce succès permit d’accroître l’influence politique de la famille de Charles Martel. Cette dynastie ne fut jamais une dynastie française ; et n’appartient pas plus à l’histoire de la France qu’à celle de la Belgique, du Luxembourg, de la Suisse, de la Hollande, de l’Italie du Nord, du Liechtenstein, de l’Autriche ou de l’Allemagne.
--Et enfin d’un point de vue historique et militaire le véritable coup d’arrêt de l’expansion musulmane au nord des Pyrénées ce fut la prise de la ville de Narbonne par les troupes de Pépin le Bref en 759.
En octobre 732 donc, les deux armées se rencontrent en un lieu situé entre Tours et Poitiers, au confluent de la Vienne et du Clain. Pendant plusieurs jours Charles Martel observa l’ennemi, qui avait adopté une attitude résolument offensive et cherchait à engager la bataille.
— La puissante infanterie franque se déploya dans la plaine : c’était une muraille de cuir et de fer, hérissée de lames et de pointes.
— La lourde cavalerie d’Eudes que venait secourir Charles Martel, montée sur des chevaux ardennais, beaucoup plus grands que les rapides destriers arabes, protégeait les flancs.
— Un important contingent se tenait en retrait, prêt à effectuer des manœuvres de diversion.
Abd ar-Rahman donna le signal de la première attaque. Galopant impétueusement, et au cri de guerre d’Allahou Akhbar, des milliers de cavaliers foncèrent sur les lignes franques. Les fantassins de Charles Martel ne cédèrent pas. Son infanterie et celle des Aquitains se maintinrent « comme un rempart de glace » face aux évolutions des cavaliers musulmans. Eudes, avec un groupe important de cavaliers, entreprit de s’éloigner du camp pour attirer les ennemis et alléger la pression que l’infanterie devait subir.
Vers quatre heures de l’après-midi, les musulmans des premières lignes entendirent des cris venant de l’arrière. Eudes et ses cavaliers avaient contourné le champ de bataille, détruisant leur campement et massacrant l’arrière-garde.
Ils se précipitèrent donc pour parer à ce danger imprévu, et Charles Martel en profita pour donner le signal de l’attaque. Le « mur de fer » commença d’avancer, compact, irrésistible. Il mit tout en déroute : Abd al-Rahman lui-même fut tué. La mort du chef raviva les dissensions qui existaient parmi les musulmans et ils battirent en retraite à la faveur de la nuit, qui contraignit les Francs à s’arrêter.
À l’aube, après avoir franchi un terrain couvert de milliers de cadavres, les Francs pénétrèrent dans le camp arabo-musulman désert : tous les survivants avaient fui à la faveur de l’obscurité.
La vague de l’islam ne dépassa donc pas la Loire. À Poitiers, l’élan arabo-musulman était déjà en réalité à bout de course. Le rêve nourri par les Arabes de prendre Byzance à revers ne se réalisa pas.
On pense que c’est en souvenir de cet accrochage que Charles aurait été surnommé « Martel », c’est-à-dire « marteau ».
Les musulmans pour leur part, ont donné un nom à la région où eut lieu la confrontation. Bien que leurs pertes aient été peu importantes, ils la nomment « la chaussée des martyrs » : Balat ash-Shouhada.
Il est difficile de situer avec précision l’endroit où eut lieu ce fait historique. Les sources concordent pour placer la rencontre sur le territoire de la cité de Poitiers, donc dans le Nord du Poitou. Le nom arabe de la bataille, d’après une source du XIe siècle, Chaussée des Martyrs, permet de la situer sur l’ancienne voie romaine entre Tours et Poitiers, donc sur la rive droite du Clain. Tous les historiens sont d’accord pour ne pas la situer à proximité immédiate de Poitiers, car la forêt de Moulière aurait
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alors gêné les cavaliers arabes. Une partie des historiens s’accordent pour placer l’emplacement de la bataille à proximité du hameau de Moussais, sur l’actuelle commune française de Vouneuil-sur-Vienne. Les nombreux détails donnés par les chroniqueurs permettent de la dater avec précision.
L’importance réelle de cette bataille a donné lieu à un débat typiquement français (ou plus exactement franco-français) bien sympathique, mais dans lequel nous sommes bien sûr TOTALEMENT NEUTRES pour les différentes raisons exposées ci-dessus. Nous préférons laisser aux vrais Français d’aujourd’hui (nous qui sommes des faux Français) le soin de se pencher sur le passé d’un peuple qui a été une grande nation.
Les historiens qui tendent à minorer son importance avancent que l’expédition d’Abd el Rahman avait pour but essentiel le butin, et non la conquête. En outre, le contexte général semble indiquer un essoufflement de la conquête musulmane, après un siècle ininterrompu de victoires. Les musulmans échouent dans leur troisième siège de Constantinople (717 – 718), et sont vaincus en Orient également. La taille même de l’Empire soulève des difficultés.
Des révoltes kharidjites éclatent en Mésopotamie et en Syrie (724 – 743), et provoquent l’abandon de Damas par le calife pour Resafa/Sergiopolis (toujours en Syrie).
Les Omeyyades sont renversés en 750.
Mais cet échec de 718 devant Constantinople n’a pas empêché la conquête des grandes îles de la Méditerranée occidentale en 720 – 724. Elle n’a pas empêché non plus la tentative de conquête du Sud au moins de la Gaule en 721, puisque les chroniqueurs indiquent que les Arabes avaient amené avec eux des machines de siège pour prendre Toulouse.
Sur la tactique des razzias, plusieurs auteurs rappellent que celles-ci étaient à la fois un moyen de reconnaître le terrain, et que plusieurs années de razzias réussies aboutissaient toujours à une annexion durable. Cas de la conquête espagnole (711 – 720), mais aussi de l’Irak et de la Perse auparavant.
Sur l’importance de l’expédition de 732, le spécialiste de la civilisation mérovingienne Jean Deviosse signale qu’il s’agit d’une opération combinée entre la marine et la cavalerie arabes. Une flotte débarque une armée arabe en Camargue, qui remonte la vallée du Rhône et va jusqu’à prendre Sens non loin de Paris.
Abd Ar Rahman escomptait visiblement obliger ses adversaires diviser leurs forces puis parcourir de longues distances pour l’arrêter. Jean Deviosse rappelle également qu’Abd Ar Rahman avait demandé aux siens d’abandonner une partie du butin pour être plus efficaces lors de la bataille (demande rejetée par ses hommes) ; et surtout, qu’il accepta la bataille, ce qu’il aurait pu refuser s’il ne venait que pour le butin, qui était déjà considérable.
La victoire a dû être importante, car…
— Le corps expéditionnaire arabo-musulman abandonne son butin.
— Aucune autre expédition d’envergure n’a pu atteindre le cœur de la Gaule par la suite.
Cette victoire n’est donc pas le mythe qu’on en a fait, mais si Charles Martel ne sauve pas la France qui n’existe pas encore, il change bien le destin de la Gaule. Pourchassés par l’armée du roi des Francs, les musulmans et leurs alliés chrétiens furent obligés de repasser les Pyrénées.
LA FIN DE LA SEPTIMANIE MUSULMANE.
On connaît un certain nombre de oualis, gouverneurs de la province narbonnaise. Le premier fut donc Abd al-Rahman ibn Abd Dieu al-Ghafiqi nommé en 720. Youssouf ibn 'Abd al-Râhman al-Fihri arriva en poste à Narbonne en 734 et en 735, conquiert Arles grâce au ralliement de Mauronte, duc de Marseille.
En 737, les Wisigoths qui résistent toujours dans les environs de Narbonne (Minervois, Razès) indiquent aux troupes de Charles Martel comment couper en deux l’armée arabe en marche qui va se porter au secours de Narbonne assiégée, en empruntant le défilé de la Berre qui débouche des Corbières entre Portel et Sigean. Le gros de l’armée arabe est mis en pièces, pris en tenaille par les Francs et Wisigoths aux alentours de Portel-des-Corbières. D’autres Sarrasins tentent de rejoindre Sigean et la flotte musulmane ancrée à Port Mahon, et connaîtront un nouveau désastre militaire. Les fuyards et colons musulmans postés en bord de mer, notamment dans la Clape, seront massacrés.
En 752, le roi Pépin le Bref, nouvellement proclamé, mène une nouvelle campagne en Septimanie. Pépin conquiert Nîmes et soumet une partie de la région jusqu’aux portes de Narbonne, ville devant laquelle il met le siège.
Le duc d’Aquitaine, Waïfre, conscient des ambitions de Pépin, attaque alors l’arrière-garde franque avec une armée de Vascons et oblige les Francs à lever le siège de la ville.
En 756, suite à la chute des Omeyyades à Damas devant les Abbassides, le gouverneur Yousouf al-Fihri est battu par Abd al-Rahman Ier devant Cordoue. Ce dernier prend possession de toutes les dépendances arabo-musulmanes en Europe en créant un nouvel État, l’émirat de Cordoue.
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Le siège reprend avec plus de vigueur en 756. La ville est finalement reprise après une négociation entre Pépin le Bref et les représentants de la population wisigothe locale qui finalement se révolte contre la garnison arabe et ouvre les portes de la ville en 759. Cette prise de la ville de Narbonne entraîne la conquête de toute la Septimanie musulmane qui aura donc duré 40 ans. Cette lutte fut difficile dans des régions dont les campagnes ont été désertées par les populations et où « un peuple innombrable » a été enlevé par les envahisseurs.
Il est difficile d’apprécier la réalité du peuplement musulman au nord des Pyrénées. Toutefois, d’un point de vue historique et militaire, on peut dire que Narbonne (et non Poitiers) fut le coup d’arrêt de la conquête musulmane en Occident chrétien, car Narbonne était la première base de peuplement et d’installation en Gaule. La victoire précoce des Francs sur la Berre a donc évité une trop longue installation musulmane, à l’inverse de ce qu’a connu l’Espagne. Ensuite, toutes les expéditions au nord de Narbonne furent des razzias sans lendemain et non des entreprises de soumission ou de peuplement.
Le dernier gouverneur musulman de Narbonne, Abd-er-Rahman ben Ocba (756-759), ne conservera donc que les territoires ibériques, des Pyrénées à l’Èbre.
LA RECONQUISTA SUD-PYRÉNÉENNE.
(À ne pas confondre avec la Reconquista partie des Asturies).
Contexte.
En 759 une nouvelle dynastie prend le pouvoir, les Abbassides. L’ancienne dynastie califale, les Omeyyades, garde néanmoins tout l’ouest de l’empire musulman, et notamment le sud de la péninsule ibérique. La nouvelle dynastie abbasside négocie alors avec la dynastie carolingienne afin d’encercler ou déstabiliser l’émirat de Cordoue.
En 777, les souverains pro-abbassides du nord de l’Espagne entrèrent donc en contact avec les Carolingiens pour leur demander de l’aide contre le puissant émirat omeyyade dans le sud de l’Espagne, dirigé par Abd al-Rahman Ier.
Souleyman al-Arabi, le gouverneur (wali) pro-abbasside de Barcelone et de Gérone, envoya une délégation à Charlemagne à Paderborn, offrant sa soumission, ainsi que l’allégeance de Hussein de Saragosse et Abou Taur de Huesca en contrepartie d’une aide militaire. Le calife de Bagdad pendant ce temps-là, Muhammad al-Mahdi, préparait de son côté une force d’invasion contre l’émir de Cordoue.
Charlemagne traverse les Pyrénées avec deux armées : l’une, à l’Est, composée de Bavarois, Bourguignons, Austrasiens, Provençaux, Septimaniens et Lombards traverse au col du Perthus. L’armée de l’Ouest, dirigée par Charlemagne lui-même est composée de Neustriens, Bretons, Aquitains (territoire nouvellement organisé entre la Loire et la Garonne) et Gascons (du Sud garonnais)..
Comme convenu les portes de Pampelune s’ouvrent devant l’armée franque de l’ouest, Abou Taur fait sa soumission et remet à Charlemagne son fils ainsi que son frère Abou Talama en otage comme promis. Puis Souleiman al-Arb conduit Charlemagne devant Saragosse où la jonction se fait avec l’armée orientale qui vient de prendre possession de Gérone, Barcelone et Huesca.
Mais à Saragosse, Hussein, qui dirigeait la ville avec Souleiman, refuse d’ouvrir les portes de la ville aux Francs, affirmant qu’il n’avait jamais été question pour lui de faire allégeance à Charlemagne.
Charlemagne ne veut pas perdre de temps à élucider la situation au risque d’affaiblir son armée, d’autant plus qu’il a reçu des nouvelles inquiétantes de Saxe. Il garde donc Souleiman en otage et renvoie l’armée de l’est.
Ayant appris en outre que les Banou Qassi ont évincé Abou Taur et pris Pampelune et en agitent la population. Charlemagne avant de traverser les Pyrénées revient alors à Pampelune. Mais les Banou Qassi s’attendaient vraisemblablement à la destruction – du moins l’affaiblissement – de l’armée franque à l’occasion du siège de Saragosse. Surpris de constater qu’elle est intacte, ils lâchent prise. Charlemagne convainc les Navarii – défenseurs de Pampelune – de ne plus leur obéir. Les Navarii lui prêtent serment. Pour éviter que Pampelune ne soit de nouveau la cible de coups de main audacieux vu le caractère stratégique de ses défenses, Charlemagne fait raser les murs de la ville.
BATAILLE DE RONCEVAUX.
Les annales de l’époque sont muettes sur la bataille de Roncevaux qui suivit. Celles des années postérieures commencent à en dire quelques mots. Le lieu de la bataille reste en réalité inconnu aucune trace archéologique n’ayant été retrouvée.
Il y a consensus sur le fait que quelque part dans les Pyrénées l’arrière-garde de l’armée franque a été anéantie en 778.
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Il n’y a pas consensus sur l’identité des attaquants ; des Montagnards des Basques ou des musulmans (Chronique d’Ibn al-Athir du XIIIe siècle) d’Abd ar-Rahman de Cordoue, voire le duc de Gascogne Loup II (il sera pendu par Charlemagne en 778).
Le mieux est de s’en souvenir comme d’une grande chanson de geste (4000 vers), à la fin émouvante et bien mise en scène.
Laisse 66.
Hauts sont les monts et ténébreux les vaux, les roches bises, sinistres les défilés. Ce jour-là même, les Français les passent à grande douleur. De quinze lieues on entend leur marche. Quand ils parviennent à la Terre des Aïeux et voient la Gascogne, domaine de leur seigneur, il leur souvient que…
Mais qui en ce qui concerne l’islam fait preuve d’une grande ignorance. Si l’on en croit notre texte les musulmans adorent en effet une trinité dont Apollin et Termagant.
Laisse 188.
« Avec elle plus de vingt mille hommes, qui maudissent Charles et douce France. Vers Apollin ils courent, dans une crypte, le querellent, l’outragent laidement : « Ah ! mauvais dieu ! Pourquoi nous fais-tu pareille honte ? Pourquoi as-tu souffert la ruine de notre roi ? Qui te sert bien, tu lui donnes un mauvais salaire ! » Puis ils lui enlèvent son sceptre et sa couronne […], le renversent par terre à leurs pieds, le battent et le brisent à coups de forts bâtons. Puis à Tervagan, ils arrachent son escarboucle ; Mahomet, ils le jettent dans un fossé, et porcs et chiens le mordent et le foulent ».
Confusion qui n’a d’égale que celle de la sourate 19, verset 28 du Coran, confondant Marie mère de Jésus et Marie sœur d’Aaron. À cette différence près que le Coran est parole de Dieu et que la chanson de Roland n’est qu’une œuvre humaine.
Les Carolingiens restèrent cependant présents au sud des Pyrénées, et la ville de Gérone fut capturée en 785, mais en 793 une puissante razzia sera encore menée en Septimanie par Abd al-Malik ibn Abd al – Ouahid, qui put incendier les faubourgs de Narbonne avant d’être vaincu près du confluent de l’Orbieu et de l’Aude ; par le comte Guillaume de Toulouse, le Guillaume au Court Nez des chansons de geste, le saint Guillaume de Gellone de l’hagiographie catholique.
Louis d’Aquitaine, le fils de l’empereur Charlemagne, s’emparera en 801 de Barcelone et créera ainsi la Marche d’Espagne – la future Catalogne – repoussant désormais sur le cours du Llobregat la frontière méridionale de l’empire franc.
Note de la Rédaction. Les Français demeurant toujours fâchés avec la géographie, même celle de leur pays, rappelons-leur que Septimanie est l’ancien nom de la région de « doulce France » dont la métropole est Narbonne ; et que si la belle et noble langue catalane chère à notre cœur d’ancien citoyen d’Argelès est plus proche du français (d’oc ou d’oïl) que du castillan espagnol ; c’est parce que le comté de Barcelone a pendant longtemps fait partie du royaume de France.
Le danger musulman pour les Européens se présente désormais sous une autre forme, celui de l’Islam de Cordoue.
En 978 Al-Mansour devient vizir (Premier ministre) du nouveau calife de Cordoue, Hicham II, et prend ainsi la réalité du pouvoir. Contrairement à ses prédécesseurs, il brille par sa violence et son intolérance religieuse. De nombreux juifs et mozarabes 1) se réfugient dans les États de la marche espagnole. Leurs connaissances vont enrichir celles qui sont conservées dans les monastères catalans.
En 985, Al-Mansour attaque et pille Barcelone, puis ramène avec lui de nombreux esclaves. Le comte Borrell II demande alors de l’aide à son suzerain Hugues Capet. Ce dernier ne daignant pas lui répondre, le comte devient de fait indépendant. Cet événement marque paradoxalement le début d’une phase de développement de la Catalogne qui entraînera les autres États de la marche espagnole. Borrell sécurise le territoire, même si dans un premier temps, il doit négocier.
1) Chrétiens de langue arabe, chrétiens devenus arabophones.
LA CONQUÊTE DE LA MÉDITERRANÉE.
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Au IXe et au Xe siècle, il y aura aussi des raids navals lancés contre les côtes chrétiennes. Pechina, près d’Almeria, puis Dénia au sud-est de l’Espagne, se transforment en bases arrière d’une piraterie de grande envergure ; mais ce sont davantage des navires affrétés par de véritables entrepreneurs corsaires que les flottes officielles de l’émir ou du calife omeyyade de Cordoue. Elles font néanmoins régner une insécurité permanente entre le delta du Rhône et le sud de l’Italie. L’occupation de la Sicile à partir de 827, celle de Malte en 870, enfin celle des Baléares en 902, aggraveront encore ce danger, alors que la Corse et la Sardaigne se retrouvent dangereusement isolées ; leurs populations se voyant contraintes de se replier dans l’intérieur des terres pour y mener une vie pastorale. Le pape Léon III et Charlemagne mesurent le danger, mais ne peuvent empêcher les attaques lancées en 812, au large de Naples, contre les îles de Ponza et d’Ischia ; et la razzia effectuée l’année suivante sur la côte de Toscane, contre Centum Cellae/Civitavecchia.
Les rivalités des ducs chrétiens facilitent par ailleurs la tâche de ceux que les chroniques du temps désignent sous le nom de Sarrasins, de Maures, de « basanés » ou, tout simplement de païens (sic). Ils peuvent ainsi s’emparer en 840 de Tarente et de l’île de Ponza puis établir une base au cap Licosa, près de Salerne.
Survenue en 841, la chute de Bari précède l’attaque lancée en 846 contre Ostie et Rome, où sont pillées les églises Saint-Pierre et Saint-Paul-hors-les-Murs. Si l’on en croit les annales de Bertiniani et le Liber Pontificalis, le pape fut même obligé un temps de payer tribut aux assaillants. Vers 852, le pape Jean VIII (dont on a dit qu’il s’agissait d’une « papesse ») appelle les chrétiens à combattre les « infidèles ». Il ou elle restaure les défenses de Rome, mais Bari n’est reprise, avec l’aide des Byzantins, qu’en 871, après avoir subi trente ans de domination musulmane. En 880, ce sera le tour de Tarente et la dernière place musulmane de la région, celle de Santo Severino proche de Crotone, tombera en 886.
Il faudra encore attendre 890 et 916 pour voir reprises les bases musulmanes établies à Agropoli près de Salerne et à l’embouchure du Liri.
Les pirates musulmans établis sur la côte campanienne furent responsables d’un lourd bilan. À chaque fois, les musulmans crucifiaient ou emmuraient les chrétiens capturés. En 883 ils avaient massacré les moines du Mont Cassin, et ce n’est qu’au bout d’une quarantaine d’années que des monastères évacués par lesdits moines purent être réoccupés en toute sécurité. La disparition de ces bases d’opérations n’écarte pas totalement le danger puisque Gênes est prise par surprise et pillée en 932, et que saint Nil le Jeune doit quitter la Calabre pour se réfugier au Mont Cassin en 980. Seule l’intervention des marines pisane et normande permettra de nettoyer définitivement la région des pirates ou des corsaires musulmans. Face à la menace qui se précisait d’année en année, les Pisans et les Génois lancèrent en effet les premières « croisades », en se rassemblant sous la bannière de saint Pierre, patron des pêcheurs, et par extension des gens de mer.
Le cas de la Sicile est particulier dans la mesure où les musulmans réussirent à s’y installer durablement à partir de 827. Dès 652 ils avaient opéré dans l’île, alors byzantine, de fructueuses razzias. En 669, ils récidivent et pillent Syracuse qui doit consentir à leur payer tribut à partir de 740. La rébellion fomentée contre l’autorité impériale byzantine par un certain Euphémios, le conduit à solliciter l’aide du prince aghlabide de Kairouan, mais la conquête de la Sicile se révélera difficile. Palerme sera prise en 830, puis ce sera le tour de Messine en 842. À l’intérieur des terres, la citadelle de Castrogiovanni tombera en 859, mais Syracuse, soutenue par l’empereur byzantin Basile Ier, résistera jusqu’en 878. Dernière place à poursuivre la lutte, Taormine tombe en 902 et voit sa population massacrée. La présence arabo-musulmane sera plus importante dans l’Ouest de l’île, alors que le Val Demone au Nord-est demeurera un foyer de rébellion jamais totalement éteint. Passée de l’autorité des princes aghlabides à celle des califes fatimides du Caire, la Sicile fut dotée en la personne d’Al-Hassane d’un gouverneur énergique, premier représentant de la dynastie kalbide appelée à gouverner l’île jusqu’en 1040 ; ce qui correspond à une période de grande prospérité ou d’épanouissement de la civilisation insulaire. Menacés en 1038-1040 par une tentative de reconquête byzantine, les musulmans de Sicile se diviseront et commettront l’erreur d’impliquer dans leurs querelles les Normands installés en Italie du Sud depuis le début du XIe siècle. Reconnu « duc de Pouilles et de Calabre et futur duc de Sicile » par le pape Nicolas II, Robert Guiscard reçut mandat de reprendre l’île aux musulmans. Dès 1061, son plus jeune frère, Roger, s’empare de Messine. La chute de Catane en 1071, suivie de celles de Palerme en 1072, de Taormine en 1079, et de Syracuse en 1085, scella le sort de l’île, ainsi rendue à la chrétienté par les armes normandes.
Malte, qui était devenue au Xe et au XIe siècle, une base d’opérations précieuse pour les pirates musulmans, et que les Byzantins n’étaient pas parvenus à reconquérir, tombe en 1090 aux mains de Roger ; mais la population y demeure en majorité musulmane, ce qui explique les nombreuses traces sémitiques relevées dans la toponymie et la langue maltaises. Un siècle et demi après la reconquête
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de l’archipel par les Normands, l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen en expulsera en 1240 les derniers musulmans, contraints de choisir entre la conversion ou l’exil.
L’EXPANSION VERS LE NORD.
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L’Empire ottoman a conquis Gallipoli, son premier territoire européen, en 1347. Il s’étendra ensuite à travers les Balkans. Il remporte en 1389 une victoire décisive à la bataille de Kosovo Polje en Serbie (bataille du champ des merles), mettant ainsi fin à l’existence du royaume du prince Lazar Hrebeljanovic (canonisé par l’Église orthodoxe). La Serbie est définitivement annexée par les Ottomans après la chute de Smederevo, en 1459. En 1453, commandés par le sultan Mehmet II, les Turcs musulmans s’emparent de Constantinople et mettent fin à l’Empire byzantin. L’Empire turc établira ensuite progressivement sa suzeraineté sur toute la partie musulmane du monde méditerranéen.
Les sultans ottomans voient leur titulature s’enrichir au XVe siècle du vieux titre turc de khan, puis de celui de calife au XVIe siècle, c’est-à-dire de successeur de Mahomet ainsi que de chef de la communauté musulmane (Oumma). Le contrôle qu’ils exercent sur leurs terres est variable ; les provinces lointaines de Tunis et d’Alger par exemple, ne reconnaissent que formellement son pouvoir. D’autres, comme les principautés roumaines de Valachie, Moldavie et pour un temps la Transylvanie, sont autonomes depuis le XVe ou XVIe siècle, et payent juste un tribut. L’Empire compte aussi d’importantes populations chrétiennes dans les Balkans et en Anatolie. Il y recrute d’ailleurs par la force son principal corps d’armée, celui des janissaires (altération du turc yeniceri « nouveau soldat »), institué au XIVe siècle par le sultan Mourad I. Mais de très nombreux chrétiens pauvres (slaves, grecs, arméniens, etc.) passent à l’islam pour ne plus avoir à payer ni djizya * (cizye en turc) ni kharadj * (haraç) et deviennent ainsi « des Turcs ». Beaucoup de Turcs de Turquie ont donc une ascendance européenne que n’ont pas les turcophones d’Asie centrale. L’Empire connaît son apogée au XVIe siècle, sous le règne de Soliman le Magnifique, dont les armées parviennent jusqu’à Vienne en 1529 et en 1532, mais dont elles feront en vain le siège. Inversement, cette avancée marquera donc la limite de l’expansion de l’Empire en Occident (comme Aden en fixera la limite au sud). L’Empire développe une flotte militaire, tente de s’imposer en Méditerranée au détriment des cités italiennes, et y parvient même un moment. La défaite navale de Lépante en 1571, devant les flottes espagnole et vénitienne, met fin à sa suprématie. Réorganisée par le grand vizir Sokollu Mehmet pacha, la flotte ottomane restera, certes, ensuite, une puissance importante, et les possessions vénitiennes (Chypre ainsi que certaines îles en mer Égée) rejoindront progressivement l’Empire, mais le commerce en Méditerranée demeurera aux mains des Européens de l’Ouest. L’Empire ottoman décline lentement à partir du XVIIIe siècle, car il ne parvient plus à suivre la croissance rapide des pays européens. En 1683, l’échec de l’ultime siège de Vienne sonnera le glas de ses ambitions en Europe. En 1782, la Russie de Catherine II s’empare de la Crimée ; sans que la Sublime Porte (ainsi que l’on désigne parfois l’Empire ottoman, d’après le nom de la porte d’honneur monumentale du Grand Vizirat d’Istamboul, siège du gouvernement du Sultan) réagisse. En 1798, les Français de Bonaparte prennent pied en Égypte et y restent trois ans tout en se réclamant d’une « amitié » avec la Sublime Porte. Cette attitude en demi-teinte étonnera beaucoup le khédive (vice-roi) d’Égypte (Mehmet Ali) qui mentionnera toujours son admiration pour Bonaparte. Au XIXe siècle, l’Empire ottoman – surnommé « l’homme malade de l’Europe » (par la Russie) – se désagrégera. En 1922, le maréchal Moustafa Kemal Ataturk abolira l’Empire ottoman et fondera en 1923, sur le territoire restant, l’Anatolie et la Thrace Orientale, la Turquie moderne ou République de Turquie. En 1924, il mettra fin au califat, effaçant ainsi la dernière trace des institutions religieuses musulmanes d’origine, le dernier symbole de la puissance de l’islam ! Et les Congrès du Caire, en 1926, et de Jérusalem en 1931, n’ont pas réussi à désigner un autre Calife. Une institution qui, rappelons-le, ne concerne pas le monde chiite, mais uniquement les sunnites.
* Djizya et kharadj sont des impôts pesant uniquement sur les non-musulmans et plus précisément sur les juifs et les chrétiens. La djyzia est un impôt portant sur les personnes (adultes mâles, les femmes n’étant pas censées avoir des ressources propres) et le kharadj un impôt foncier portant sur les terres ayant été possédées par des non-musulmans.
L’EXPANSION VERS L’EST (8e-16e siècle).
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LA CONQUÊTE DU SIND (actuel Pakistan).
Le gouverneur de l’Irak, Al-Hajjaj ben Youssef, envoie en 711 deux mille cavaliers et chameliers à la conquête du Sind (basse vallée de l’Indus). Commandés par Muhammad ibn-Qassim, alors très jeune, ils défont l’armée du radja Dahir. Le radja est tué, les soldats décapités et la région livrée au pillage.
Bien que la guerre menée par Muhammad ait été clairement parfois très brutale, il passe pour avoir dit de l’hindouisme que « le temple des idoles est semblable aux églises des chrétiens (aux synagogues) des juifs et aux temples du feu des zoroastriens » (ma al-boudd illa ka-kana’is al-nassara wa 'l-yahoud oua-bouyout niran al-madjous). Ce qui est peut-être la première déclaration justifiant l’inclusion des hindous dans la catégorie des ahl al-dhimma (dhimmi).
Après la conquête, la tâche de Muhammad bin Qasim fut de mettre en place une structure administrative apte à fonder un État musulman stable qui intégrait une terre étrangère nouvellement conquise, habitée par des non-musulmans. Il adopta pour cela une politique de conciliation, demandant aux populations locales d’accepter la domination musulmane en échange d’une non-ingérence dans leur pratique religieuse, tant qu’elles payaient leurs impôts et leur tribut. En retour, l’État musulman assura la protection des non-musulmans contre toute attaque et tout ennemi étrangers. Il fit régner la charia sur la région, mais les hindous furent autorisés à administrer eux-mêmes leurs villages et à régler leurs différends selon leurs propres lois. Les institutions hiérarchiques traditionnelles y compris les chefs de village (rais) et les hobereaux (dihqans) furent maintenues. Des officiers musulmans appelés amil et disposants d’une petite troupe de cavalerie furent mis en place afin de gérer les villes de façon héréditaire.
Des taxes (mal) et des tributs (kharadj) furent institués un peu partout et des personnalités retenues en otages – parfois même des gardiens de temple – les indigènes non musulmans furent exemptés du service militaire et du paiement du système d’impôt religieux obligatoire prélevé sur les musulmans appelé Zakat, l’impôt prélevé sur eux étant plutôt la djizya.
Qu’est-ce qu’une djizyah ? Du point de vue de l’école communautariste, la djizya ce sont les frais correspondants à la dhimmah (protection), dont les premiers effets sont le droit à l’inviolabilité de sa personne (içma), et de résider dans l’État musulman (soukna). Mais les juristes universalistes soutiennent le contraire. Pour eux, la dhimmah et l’içma ne sont pas soumises à contrepartie financière ; ce sont des droits universels inaliénables que tout un chacun a dès la naissance. De ce point de vue, comme les musulmans sont tenus de payer la zakat et d’autres bonnes œuvres ou impôts chaque année, les non-musulmans doivent également payer des impôts (sous forme d’une djizya). Pour l’école hanafite, la djizya doit être reçue de tous les non-musulmans, y compris des gens du Livre et des païens non arabes, les seules exceptions étant les païens et les polythéistes arabes. Pour l’école Chaféite, la djizya n’est recevable que des gens du Livre et des zoroastriens, et non de la part des adeptes d’autres religions, car le Coran et les hadiths ne les ont pas incus au nombre de ceux qui sont autorisés à faire la paix avec les musulmans et à payer la djizya. Les Moghols et les Ottomans, qui ont suivi l’école Hanafite, ont prélevé la djizya sur adeptes de toutes les religions (autres que l’Islam) sans faire de distinction.
Lane-Poole écrit qu’en règle générale, les gouvernements musulmans étaient à la fois tolérants et pragmatiques. La préférence allait plutôt à la perception d’une djizya qu’à la conversion à l’Islam, c’était une préoccupation économique majeure. Les hindous et les bouddhistes classés comme Dhimmis devaient payer la djizya or la djizya est normalement plus élevée que la zakat que doivent payer les musulmans.
Bien qu’il y ait eu prosélytisme, étant donné la dynamique sociale des régions du Sind conquises par les musulmans, la diffusion de l’Islam fut lente et prit des siècles. Aucune conversion massive à l’Islam n’eut lieu et certains temples échappèrent à la destruction, comme le Temple du Soleil de Multan, en échange du paiement de la djizya. Dans les régions du Sind et de Multan contrôlées par les colons arabes, la conversion à l’Islam n’a eu lieu que lentement, et non à grande échelle. La majorité de la population est restée hindoue et a dû payer la djizya imposée par l’État musulman.
Le grand savant musulman Al Birouni (973-1050 environ) a consacré tout un livre à l’Inde (il avait appris le sanscrit) terminé en 1032.
Il y distingue les croyances du peuple de la religion des élites à qui il attribue la croyance en un seul Dieu et une révélation les Védas. Ce qui en fait presque des Gens du Livre.
Sharastani (1086-1153) un siècle plus tard y verra des Sabéens, de Gens du Livre certes, mais déviants. Ce qui ne simplifia pas les choses.
TAMERLAN.
Tamerlan ou Timour le Boiteux, Timour le Grand (né le 8 avril 1336 dans l’actuel Ouzbékistan, et mort le 18 février 1405 à Otrar/Farab dans l’actuel Kazakhstan), est un guerrier turco-mongol du XIVe
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siècle, conquérant d’une grande partie de l’Asie centrale et occidentale, fondateur de la dynastie des Timourides qui a existé jusqu’en 1507.
Devenu émir de Transoxiane, Tamerlan se révèle un redoutable chef de guerre, qui bâtira un immense empire reposant sur la puissance militaire et sur la terreur. Les historiens parlent souvent de « catastrophe timouride » tant ses destructions et massacres ont été spectaculaires. Les estimations du nombre de morts de ses campagnes militaires vont de 1 million 5 à 17 millions de personnes (soit environ 5 % de la population mondiale de l’époque). Lors de ses conquêtes, il n’hésite pas à massacrer la totalité de la population des villes qui lui résistent, à l’exception des artisans qu’il déporte à Samarcande, sa capitale. D’où sa réputation chez les musulmans pieux de protecteur des arts et des lettres qui firent la grandeur de Samarcande.
Ses apologistes lui attribuent un destin d’exception bien avant sa naissance. En effet, son père, Taragaï, vieux chef turc, fervent musulman, à la tête du clan Barlas, qui attendait un héritier, aurait eu un rêve prémonitoire. Un ange, sous les traits d’un beau jeune homme, lui apparaissait, lui tendant une épée. Ce rêve fut interprété par l’émir comme l’annonce que son fils allait conquérir le monde à la pointe de son épée.
Il est également dit que l’enfant serait né les mains pleines de sang, rappelant ainsi la naissance de Gengis Khan, telle qu’elle est contée dans l’Histoire secrète des Mongols.
Son père, Taragaï, était à la tête des tribus Barlas. Il était l’arrière-petit-fils de Karachar Noyan et se distingua parmi les autres membres de son clan comme étant le premier à se convertir à l’islam. Taragaï aurait pu assumer les hautes charges militaires qui lui revenaient de droit, mais comme son père Burkul, il préféra se consacrer à ses études.
Sous la gouverne paternelle, l’éducation du jeune Tamerlan faisait de lui à la fois un adepte des exercices virils en extérieur et un lecteur attentif du Coran 1). À ce moment de sa vie, si on peut se fier à ses Mémoires (Malfouzdt), il était d’une nature tendre et sympathique.
À seize ans, Timour entre au service de Kazghan, un Turc qui a assassiné le dernier khan djaghataïde, Qazan. Montant vite en grade, il devient chef militaire sous ses ordres. Toutefois, l’assassinat de Kazghan en 1357 retarde ses rêves d’ascension.
Réagissant à la mort de l’émir, le khan du Mogholistan, Tughlugh Tmour envahit la Transoxiane et tente la réunification du khanat djaghataïde. Timour décide alors de le soutenir et est nommé conseiller du nouveau gouverneur, Ilyas Khodja, fils du khan, en 1361. Mais Ilyas ne parvient pas à rallier les populations turques musulmanes ni l’aristocratie, et Timour craignant une révolte, quitte Samarcande pour rejoindre son beau-frère Hussein, le petit-fils de Kazghan. Ainsi entama-t-il sa lutte pour l’accession au trône.
La mort de Tughlugh facilita la reconquête ainsi que l’ajout d’un vaste territoire. Mais Tamerlan et son beau-frère Hussein, dans un premier temps associés, devinrent rivaux. Hussein ayant été assassiné fin 1369 et Tamerlan, ayant été proclamé officiellement souverain à Balkh, monta sur le trône de Samarcande, la capitale de ses possessions.
Il est à noter que Tamerlan ne se décerna jamais le titre de Khan, se dénommant lui-même « émir el-kébir » (« grand chef » en arabe). De plus, il plaça sur le trône de Transoxiane un « khan fainéant » qui régnait certes, MAIS NE GOUVERNAIT PAS, Suyurgatmich, descendant de Gengis Khan, afin de rester en conformité avec la loi mongole. Enfin, il prit pour épouse une veuve de Husseïn, Saray Mulk Khanum, à qui il dédiera plus tard une mosquée. Cette veuve est la fille du khan gengiskhanide Qazan. Timour devient donc « gendre impérial », güregen en mongol ou kurgen en turc, et peut se réclamer de la lignée de Gengis Khan.
Il passe les trente années suivantes à faire la guerre ou des expéditions diverses. Non seulement Tamerlan consolide son pouvoir chez lui en subjuguant ses ennemis, mais il cherche aussi à étendre son territoire en mordant sur les terres des princes alentour. Ses conquêtes au sud et au sud-ouest inclurent à peu près toutes les provinces de Perse (Iran), y compris Bagdad, Karbala et le Kurdistan.
Un de ses plus redoutables opposants fut Tokhtamych qui, après s’être réfugié à la cour de Tamerlan, devint roi de l’est du Kipchak et de la Horde d’or et disputa à Tamerlan la possession du Khouarizm. Tamerlan soutint Tokhtamych lorsqu’il envahit la Russie et prit Moscou en 1382, mais Tokhtamych se retourna ensuite contre lui et envahit l’Azerbaïdjan en 1385. Ce ne fut qu’en 1395 lors de la bataille de la rivière Terek qu’il fut finalement vaincu.
En 1383 Tamerlan prit Herat, en Perse (dans l’actuel Afghanistan), qui après la mort d’Abou Saïd (1335), roi de la dynastie d’Ilkhanat, n’était plus assujettie à personne.
En 1398, alors que Tamerlan était âgé de plus de soixante ans, Farichta nous apprend qu’« informé des troubles et guerres civiles en Inde », il « commença une expédition dans ce pays » et le 12 septembre 1398, « arriva sur les bords de l’Indus ». Il fait 100 000 prisonniers, aussitôt abattus (ses soldats faisaient avec des pyramides de têtes ennemies)… Son passage du fleuve et sa marche le long de sa rive gauche, les renforts qu’il fournit à son petit-fils Pir Muhammad (qui fut investi à Multan),
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la prise de villes et villages, probablement accompagnée de la destruction des maisons et du massacre des habitants, la bataille avant Delhi et les victoires faciles, l’entrée triomphale dans la ville maudite, avec son cortège d’horreurs, font partie de l’histoire de l’Inde.
En avril 1399, quelque trois mois après avoir quitté la capitale de Mahmoud Tughluq (Dehli), Tamerlan fut de retour dans sa capitale au-delà l’Oxus (Amou-Daria).
La guerre contre les Turcs et les Mamelouks, qui survint après son retour des Indes, est restée célèbre par la prise d’Alep et de Damas. Il envahit Bagdad en juin 1401 ; après la prise de la ville, vingt mille citadins furent massacrés. Tamerlan ordonna que chaque soldat revienne avec au moins deux têtes humaines à montrer, même celle de leur propre femme si nécessaire. En 1402, il envahit l’Anatolie et défait le sultan ottoman Bajazet Ier lors de la bataille d’Ankara. L’histoire raconte que lorsque Bajazet fut amené enchaîné dans la tente de Tamerlan, celui-ci éclata de rire. « Tu as tort de te moquer de moi, regarde ce qui m’est arrivé, cela pourrait aussi bien t’arriver ! ». Ce à quoi Tamerlan répondit « Je ne me moque pas de toi, mais de l’ironie de Dieu qui a partagé le destin du monde entre un borgne et un boiteux ! ».
La légende selon laquelle Bajazet Ier aurait été mis en cage paraît douteuse, mais il est probable que Tamerlan l’ait gardé auprès de lui. Sa femme et ses filles furent transférées dans le harem de Tamerlan. Bajazet mourut plus tard en captivité, probablement en se suicidant par empoisonnement. Cette victoire sauva vraisemblablement temporairement (c’est-à-dire pour une cinquantaine d’années) l’Empire byzantin moribond, en décimant les forces turques qui projetaient alors de prendre Constantinople. Après avoir conquis Ayasoluk (Éphèse) à l’automne 1402, Tamerlan prit également Smyrne aux Hospitaliers et massacra ses habitants. En 1403, il dévasta la Géorgie, détruisant 700 bourgs, massacrant les populations et abattant toutes les églises de Tbilissi.
En décembre 1404, Tamerlan entreprit une expédition militaire contre la Chine, mais le vieux guerrier fut attaqué par la fièvre et la peste en campant sur la rive la plus éloignée du Sihon (Syr-Daria) et il mourut à Otrar mi-février 1405.
Markham, dans son introduction au récit de l’ambassade de Ruy Gonzalez de Clavijo, raconte que « le corps de Timour fut embaumé à l’aide de musc et d’eau de rose, entouré de linge, couché dans un cercueil d’ébène et envoyé à Samarcande où il fut enterré ».
1) La question est, qu’en a-t-il retenu (de cette lecture attentive du Coran) ? Conquérant exceptionnel, qui transporta ses armes victorieuses, d’un côté de l’Irtych et de la Volga jusqu’au golfe Persique et de l’autre côté de l’Hellespont (donc des Dardanelles à l’ouest de l’Asie Mineure) jusqu’au Gange, Tamerlan fut d’une férocité extrême. Selon René Grousset, « il représente la synthèse de la barbarie mongole, et de cette étape supérieure du besoin ancestral de meurtre qu’est le meurtre perpétré au service d’une idéologie abstraite, par devoir et mission sacrée ».
LES AUTRES EXPANSIONS.
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La dernière vague islamique sera celle qui partira enfin à la conquête de l’Afrique noire et de l’Extrême-Orient. Percée spectaculaire, du Nigeria aux Philippines. L’architecture est, certes, nouvelle, mais elle est militaire et religieuse : c’est le règne de l’art du savoir-faire, plus que de la pensée ! On assiste à une multiplication des mosquées-medersa (mosquée en même temps école), mais l’enseignement s’y réduit de plus en plus à une théologie étroite qui rejette l’humanisme de Protagoras et la science, surtout historique. Ce sera le triomphe de la foi et de ses dogmes sur la raison.
L’EXPANSION MUSULMANE AUJOURD’HUI SELON ISLAMWEB 2008.
Citons par exemple le cas d’Élisabeth L. (qui nous a demandé de ne pas divulguer son vrai nom, car elle n’a pas encore mis ses parents au courant), titulaire d’une licence en sciences politiques, fille de notables britanniques de race blanche ; et ferme opposante au terrorisme sous toutes ses formes. Elle a gravi le mont Sinaï de nuit pour contempler le lever du soleil de son sommet : « C’est l’endroit le plus calme et le plus apaisant où je me sois jamais trouvée », dit-elle.
« Je pouvais entendre mes sentiments monter en moi, et à un moment, proche de l’irréel, il m’a semblé qu’ils ont tous convergé en même temps ».
Le 4 janvier 2002, à 16 h 45, elle se rendit par conséquent à la mosquée de Regent’s Park au centre de Londres, et se convertit à l’islam. Cela lui fut facile. Deux hommes (musulmans) lui servirent de témoins. Neuf de ses amis étaient également présents, serrés dans le bureau de l’imam ; elle prononça en arabe les mots appris la veille à partir d’une cassette, mots qu’elle répétera 5 fois par jour inlassablement jusqu’à la fin de sa vie. « Il n’y a de Dieu que Dieu et Mahomet donc est Son Prophète ». Il y eut ensuite une fête toute simple, à Ad-Dar, dans Edgware Road. Élisabeth et ses amis les plus proches y burent du thé à la menthe.
Pourquoi donc a-t-elle fait cela ? « Je sais que ceci a l’air d’un cliché, mais Dieu est venu frapper à la porte de mon cœur. C’est vraiment ce que j’ai ressenti. À beaucoup d’égards, c’est trop difficile à expliquer ; c’est un peu comme trouver l’amour ».
C’était, en d’autres termes, extrêmement personnel. Alors qu’elle lisait le noble Coran et se préparait à se convertir, les attentats du 11 septembre faillirent faire dévier son cheminement spirituel, en dépit du fait qu’il fut prouvé qu’ils étaient l’œuvre d’un réseau terroriste. Autant qu’elle puisse se le rappeler, ces événements ont même suscité en elle une certaine sympathie. « Tout acte de terrorisme est lâche », dit-elle. Mais je peux comprendre pourquoi tant d’hommes et de femmes sont las de l’Occident. Le capitalisme est une vraie oppression.
Élisabeth n’est pas une marginale, et elle n’est certainement pas la seule. Il y a beaucoup de gens comme elle, comme Lucy Bushmill-Matthews, licenciée de l’université de Newham, Cambridge, qui avait frayé avec l’islam lorsqu’elle était encore étudiante, dans le but de le critiquer ; mais qui l’a trouvé « si simple et si logique que je n’ai pas pu le rejeter ». Elle a épousé, après sa conversion, un musulman britannique d’origine iranienne.
Aux États unis également, la visibilité de l’islam est un phénomène récent. Il est en bonne partie lié au dynamisme religieux des immigrés. En dépit de la présence attestée de musulmans parmi les esclaves noirs ; l’histoire de l’islam aux États-Unis ne commence vraiment qu’avec les vagues migratoires qui se succèdent tout au long du XXe siècle, avec une intensité toute particulière depuis les années 1960 ; où les musulmans venus des Indes, du Pakistan, d’Indonésie et d’Afghanistan, supplantent dorénavant les musulmans venus du Moyen-Orient. Depuis la décennie 1970, ces nouveaux arrivants se sont lancés dans la fondation de mosquées, d’écoles, de revues et journaux en tout genre ; ce qui témoigne d’un dynamisme religieux sans comparaison avec la tendance assimilationniste des migrants arabes (qui étaient d’ailleurs souvent chrétiens) du début du 20e siècle. Les recensements effectués aux États-Unis ne mentionnent pas les appartenances religieuses. C’est pourquoi les estimations concernant la taille de la communauté musulmane varient énormément. Le nombre total de musulmans dans la société américaine est le plus souvent estimé à 6 millions de personnes environ. Près de la moitié de la population musulmane provient de conversions ayant eu lieu au sein de la communauté noire.
Hillary Rodham Clinton : « L’islam est la religion dont l’expansion est la plus rapide en Amérique, c’est un guide et un pilier de stabilité pour beaucoup de nos citoyens ». Larry B. Stammer, « La Première dame déblaie le terrain avec les musulmans », Los Angeles Times, 31 mai 1996, p. 3.
Commentaire de Pierre de La Crau.
Se convertir à l’islam n’est pas faire preuve de beaucoup d’intelligence, mais de beaucoup de foi, donc rien à voir avec la raison, et de même que la foi fait dire des bêtises, beaucoup de foi fait dire beaucoup de bêtises.
En Fran ce dès qu’il est question de conversion d’intellectuels à l’islam on pense immédiatement à René Guénon et Roger Garaudy. Et pourtant, osons le dire avec Montaigne ! Il ne faut pas confondre intelligence et instruction, tête bien faite et tête bien pleine. Même un berger corse ou un marin
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pêcheur breton peuvent avoir la tête bien faite à défaut d’être bien pleine, surtout face aux forces de la nature, au cycle des saisons, car l’âme est naturellement païenne.
Se convertir à l’islam n’est donc pas une preuve d’intelligence ! Même si par intelligence, nous entendons signifier non pas ce qu’elle permet, c’est-à-dire la faculté d’adaptation, mais la culture générale et la réflexion… critique ; c’est-à-dire l’ensemble des facultés mentales permettant de découvrir les relations entre les choses et les faits. Notons enfin que la conversion de René Guénon ne s’est pas faite au profit de l’islam orthodoxe (sunnite) ; mais en faveur d’une mouvance bien particulière, d’ailleurs jugée hérétique par les sunnites, celle du soufisme, qui a aussi des racines chrétiennes, voire païennes. Le soufisme a en effet partie liée avec l’ascétisme monastique chrétien, la religion zoroastrienne, voire bouddhiste ou hindoue, et même certaines idées platoniciennes.
ET DEMAIN ?
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Quand contre les Grecs une épée barbare sera levée,
Quand les Titans du dernier âge se précipiteront sur nous comme de la neige,
Aussi nombreux que les étoiles quand leurs constellations paissent dans les prairies célestes.
Ahmad Chamlou (1925-2000).
Quelle étrange époque vivons-nous
Celui qui, nuitamment, martèle à notre porte
Est venu en meurtrier de la lampe,
La lumière, on l’enfouit au fond d’une arrière-cour
Et voici que viennent les bouchers
Veillant à tout passage.
Ils apportent la planche et les hachoirs en sang.
Et ils équarrissent le sourire sur les lèvres
Et les chants sur la bouche.
La joie, on l’enfouit au fond d’une arrière-cour
Les canaris sont couchés sur la braise,
Brûlante de jasmin et de lys,
Quelle étrange époque vivons-nous, ma toute gracieuse
lblis est triomphant,
Ivre, attablé au banquet de nos deuils,
Dieu on l’enfouit au fond d’une arrière-cour.
La plupart des crimes se soldent ainsi : nous connaissons la victime, mais le criminel reste inconnu.
Le phénomène est souvent dû à des biais cognitifs qui sont à notre cerveau ce que les taches de Mariotte sont à l’œil.
Proverbe chinois.
Il y a longtemps, très longtemps, un célèbre poète de la dynastie des Song, Sou Shi (1037-1101) escalada le mont Lushan. Il en découvrit toutes les splendeurs sauf une fois arrivé au sommet, à cause du brouillard. D’où son célèbre poème.
La montagne apparaît sous différents angles,
De loin ou de près, haut et bas varient.
Le vrai visage du mont Lu reste inconnu
À celui qui s’y trouve.
Conclusion : Se tenir proche d’une montagne vous empêche de voir la montagne. Dit autrement quand on est sur une montagne, on ne peut la voir en entier, et on passe à côté de sa beauté.
Enfin quand la montagne est belle évidemment aurait pu préciser Jean Ferrat (une chanson admirable des années 1960), mais le même raisonnement marche si elle est moche, couverte de détritus laissés par les touristes, défigurée par le béton les routes inutiles et les stations de ski.
Plus près de chez nous, il y a aussi le proverbe qui nous parle de L’ARBRE QUI CACHE LA FORÊT. Une métaphore qui rappelle que, dans la vie, il arrive parfois qu’un détail capte notre attention et nous empêche de voir quelque chose de plus ample, de plus global. Les détails font perdre de vue l’ensemble. Si on colle à un arbre précis (les détails) on ne voit plus les autres arbres de la forêt (l’ensemble).
La victimologie primaire est une discipline multidisciplinaire où l’analyse de la victime s’étudie dans sa globalité, mais aussi dans ses dimensions individuelles afin de comprendre, prévenir, favoriser le rétablissement de la victime, tout comme de son entourage.
La victimologie secondaire a pour but d’identifier le ou les agresseurs afin de les mettre le plus rapidement possible hors d’état de nuire, le soigner ou le punir, faire ce qu’il faut pour que cela ne se reproduise pas.
En matière criminelle les détails n’ont alors qu’un seul intérêt, dresser un portrait-robot du criminel afin de pouvoir le mettre le plus rapidement possible hors d’état de nuire et l’arsenal technique employé par la police scientifique a pour but de répondre à trois questions principales :
Que s’est-il passé sur la scène de crime ?
Pourquoi ces événements se sont-ils produits ?
Quel type de personnes a pu commettre de tels gestes ?
Benjamin Mendelsohn (1900-1998) dans un article publié en 1937 dans la Revue de droit pénal et de criminologie, a classé les victimes en 6 catégories dont seule la première a fait l’unanimité, de l’innocente, définie comme étant vraiment innocente ou s’étant trouvée à la mauvaise place au mauvais moment à 5 autres catégories, englobant la plupart des victimes, celles qui auraient
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contribuées à leur propre victimisation. Cette notion a été très controversée et a mené à l’état statique dans lequel se trouve la victimologie aujourd’hui.
Pourquoi donc vouloir recueillir des données personnelles sur la victime si ce n’est pour tenter de majorer la responsabilité de la victime et minorer la culpabilité de l’agresseur dans le passage à l’acte ?
Mais il ne faut pas oublier qu’à la différence de la victimologie primaire, la victimologie secondaire, elle, en liaison avec la méthode de profilage déductive n’a de sens et d’utilité que dans la perspective d’une rapide mise hors d’état de nuire de l’agresseur et de son traitement afin d’éviter toute récidive.
Et pour cela évidemment la typologie des victimes (qui sont les premières victimes ? Les mécréants les chrétiens les musulmans eux-mêmes) a certes de l’importance ; mais cette empathie pour les premières victimes ne doit pas faire oublier aux spécialistes du profilage des idéologies religieuses criminelles que nous sommes ; que ce qui importe en fin de compte au bout du bout : C’EST D’IDENTIFIER ET DE METTRE HORS D’ÉTAT DE NUIRE… le coupable !
Faire appel à l’émotion en ne parlant que des victimes (musulmanes chrétiennes ou tout simplement athées ?) et jamais du coupable par peur de stigmatiser ou de faire de l’amalgame, déclencher des chasses à l’homme déplacées ou se trompant de cibles ; est certes un louable souci, mais ce sophisme NE PEUT…
— Que rendre impossible l’arrestation du coupable ou du moins la retarder considérablement ; et donc lui laisser le temps de faire encore d’autres victimes. Or les victimes ne devraient être que le doigt vengeur ou accusateur pointant dans la direction du coupable.
Ci-dessous pour mémoire ce que devrait être la position véritablement monothéiste, exempte de toute hargne de tout ressentiment de tout complexe d’infériorité de toute jalousie de tout besoin de revanche, bref philosophique et réfléchie.
« Même ceux qui rendent un culte à d’autres dieux que moi, et qui leur sacrifient avec ferveur, me rendent aussi par là même hommage, ô fils de Kounti, bien que ce soit en dehors des règles. Car je suis le seul véritable bénéficiaire et seul seigneur de tout sacrifice même s’ils l’ignorent en vérité. Qui m’offre avec dévotion ne serait-ce qu’une feuille, une fleur, un fruit, de l’eau, cette offrande faite d’une âme pure eh bien je l’accepte. Car je suis le même pour tous et personne n’est spécialement haï ou élu par moi. Mais ceux qui m’aiment avec dévotion demeurent en moi et moi je suis en eux » (Bhagavad Gita, dialogue entre le dieu Krishna/Vishnou et le prince Arjouna).
Pierre de La Crau n’a rien découvert d’inédit ni d’inouï à propos des origines de ce mal. Dieu, ou plus exactement une certaine idée de Dieu, a toujours été le plus grand des communs diviseurs de l’Humanité
Plus précisément certains versets du Coran suivis littéralement pour ne pas dire aveuglément, en tout cas sans interprétation nous amenant loin du sens initial ou traditionnel ; le tout systématisé explicité et justifié par les nouveaux kharidjites, certains théoriciens du Djihad ou certains takfiristes (salafisme d’action).
Le danger extrême de tous ces islams politiques c’est que, comme leur ancêtre kharidjite, ils peuvent avoir un aspect séduisant, un idéal révolutionnaire bien en phase avec les idées qui travaillent nos sociétés (contestation des pouvoirs bourgeois en place, refus des compromis, anti racisme, etc.) pouvant attirer la jeunesse. Pour le kharidjisme en effet tous les hommes sont égaux et le chef de la communauté doit être le meilleur, « fût-il un esclave noir ». Si ce n’est pas le cas il doit être éliminé, comme Ali en 661.
Le livre de Pierre de La Crau ne contient donc aucun fait nouveau.
Tout est connu depuis longtemps, à part certains détails.
L’existence à l’époque de millions de chrétiens arabes dans ce qui allait devenir la Jordanie la Syrie ou l’Irak (ce sont même les chrétiens d’Hira qui ont mis au point l’écriture arabe) a permis de comprendre et d’apprécier sans équivoque dès cette époque les divers versets du Coran.
Les raisons pour lesquelles à de rares lucides et courageuses exceptions près, qui vont évidemment heureusement maintenant… se multiplier ; l’immense majorité de ceux qui savent (cocher la case : évêques journalistes hommes politiques abbés auteurs de livres curés sportifs artistes, etc.…) et qui n’ont qu’un seul défaut, leur pauvreté ou leur dénuement (car ils donnent tout aux SDF), mais à qui la volonté de résister avec courage comme en 1940, ne manque pas, n’a rien dit, ou dit le contraire, sont les suivantes……
Or l’immense et ultra dangereuse différence entre l’islam originel ou salafisme et les autres religions, et qui change tout, c’est que l’islam salafiste touche beaucoup plus d’aspects de la vie privée ou personnelle (nourriture hygiène adoptions mariages héritage métiers finances, etc.) que les autres religions (à l’exception du judaïsme ultra-orthodoxe qui lui ressemble beaucoup du fait de l’arrivée à Yathrib/Médine de Mahomet en 622).
L’islam salafiste est en quelque sorte le plus abouti des systèmes totalitaires.
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Pour ce qui est des musulmans très pieux très croyants très pratiquants (nous ne parlons pas ici donc des « mauvais » musulmans, c’est-à-dire de ceux qui mangent et boivent un peu de tout, qui ne font pas leur prière tous les jours, etc., etc. en bref de l’équivalent des juifs de Kippour ou des chrétiens qui ne vont à l’église que pour se marier faire baptiser leurs rejetons ou enterrer leurs morts) IL Y LIEU DE DISTINGUER LES QUIÉTISTES DES TAKFIRISTES OU DJIHADISTES.
Tous deux sont des branches du SALAFISME c’est-à-dire de la mouvance la plus rigoriste de l’Islam sunnite.
Cette famille religieuse issue du sunnisme (la principale branche de l’islam) prône une pratique rigoriste de la religion, proche de ses premiers fidèles (le terme salafi désigne, en arabe, les « ancêtres », en l’occurrence les premiers compagnons de Mahomet).
Obéissance à la loi islamique (charia), refus de la mixité homme-femme et port du niqab (voile intégral) ou de l’abaya (manteau noir couvrant le corps) pour les femmes sont quelques-unes des caractéristiques communes au salafisme quiétiste et au takfiriste.
MAIS LES QUIÉTISTES sont pacifistes et ne cherchent pas à changer la loi, même s’ils n’en reconnaissent pas la légitimité.
Le problème est le salafisme peut constituer un sas vers le takfirisme. Un sas, parce que l’ultra-orthodoxie salafiste offre un terreau idéologique idéal pour une radicalisation de ses fidèles, et c’est souvent dans les cercles salafistes que les recruteurs takfiris opèrent. Certains imams sont par ailleurs susceptibles de jouer un double jeu, d’autant que la pratique de la taqiya (ruse, dissimulation) fait partie de l’arsenal takfiri.
LES TAKFIRISTES (ainsi appelés à cause de leur propension à jeter l’anathème, takfir, contre les autres musulmans) se distinguent par contre clairement des quiétistes par leur idéologie messianique (celle de l’avènement d’un nouveau califat et d’une apocalypse née d’une nouvelle guerre entre croisés et musulmans sur leur terre sainte) et donc leur appel aux armes.
C’est un islam à la fois fondamentaliste, non légaliste et violent. Les takfiris se réclament d’un islam ultra-orthodoxe dont les lois primeraient sur celles des pays laïques. Seule prévaut la charia, ou du moins une interprétation orientée des règles édictées dans le Coran.
Idéologie ultra-violente, le takfirisme ne distingue pas soldats et civils : seuls existent deux mondes, le dar al-Islam (la terre islamique, le califat) et le dar al-Harb (la terre en guerre, ou à conquérir). Le takfiri se décrit volontiers comme un « lion » (la métaphore date au moins de la fin des années 1990) et la communication des organisations takfiristes, comme Al-Qaida ou l’État islamique, repose sur la diffusion d’exécutions sanglantes, l’esthétisation de la guerre et l’intimidation des ennemis. Le concept historique de dar al-Sulh (la terre de la trêve, de la cohabitation) est écarté de la pensée takfirie qui par contre considère toute terre où l’on a jadis prié vers La Mecque comme terre de mécréance (dar al kufr) devant être reconquise en vertu du principe que ce qui a été acquis par l’Islam reste acquis à l’Islam (irrédentisme islamique). La trêve dont elle bénéficie ne saurait donc être que temporaire, le but ultime restant que ce pays rebascule un jour et définitivement cette fois-ci dans le Dar al Islam.
Le takfiriste n’a pas pour seules cibles les chrétiens et les juifs. Il s’en prend également aux chiites et aux soufis, perçus comme des musulmans déviants. L’idéologie takfirie autorise également à prendre les armes contre d’autres musulmans sunnites si ceux-ci refusent la hijra (l’émigration en terre islamique) ou ne se soumettent pas à une certaine interprétation de la charia.
Le takfirisme idéalise la mort sacrificielle de celui qui s’est fondu parmi l’ennemi. Appelé inghimasi (« l’infiltré »), il porte une ceinture d’explosif sur lui et combat jusqu’à (se donner) la mort, « en martyr » (chahid).
Le père « spirituel » du takfirisme est Saïd Qotb (1906-1966). Ce militant des Frères musulmans * est celui qui théorise lors d’un séjour en prison l’obligation du djihad armé contre les pouvoirs installés, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, marquant un schisme au sein du salafisme.
C’est à lui que l’on doit l’idée que « le passage à la violence radicale peut être une obligation religieuse pour lutter contre l’autorité politique quand cette dernière a perdu ses racines musulmanes »,
Son idéologie s’est construite par strates à partir d’une relecture de plusieurs théologiens musulmans historiques radicaux, et notamment Ibn Tamiyya (1263-1328), un théologien syrien hanbalite radical, qui dans le contexte historique particulier des croisades, avait théorisé l’appel à la guerre sainte contre les non-musulmans. Grâce à ses prêches violents et simplistes, il avait rencontré un véritable succès auprès des masses populaires.
Nous ne dénonçons donc et nous n’appelons donc à combattre ici que ces Takfiristes que nous stigmatisons ; mais pour ce qui est des quiétistes nous appelons à dialoguer, directement ou indirectement, mais fermement par le biais des contenus de notre enseignement du fait religieux DONT L’OBJECTIVITÉ ET LE CARACTÈRE SCIENTIFIQUES DOIVENT ÊTRE SANS CONCESSION. Quand j’étais enfant dans les années 1950 notre instituteur de campagne nous avait
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bien demandé de corriger la phrase « Jeanne d’Arc entendait des voix » par la phrase « Jeanne d’Arc croyait entendre des voix ».
Avec ceux qui pratiquent la taqiya (qui est aussi connue du sunnisme) comme les Frères musulmans, nous appelons à la plus grande prudence et à la plus grande méfiance ou lucidité dans les débats.
Et de même avec les musulmans chiites mutatis mutandis, car pour ce qui est des chiites, puisqu’ils ont un clergé, un compromis du même type que celui imposé aux juifs par Napoléon en 1806 pourrait être trouvé.
Réactions conseillées à nos lecteurs suivant les cas.
Mauvais musulmans (musulmans pas très croyants pas très pratiquants). No problem !
Salafistes. Dialogues directs ou indirects (via l’enseignement) fondés sur l’objectivité la science et l’histoire !
Takfiri. No pasaran !
Frères musulmans. Méfiance de Sioux et lucidité dans les débats. Or on en est loin vu l’abyssale médiocrité intellectuelle et morale des journalistes ou de la classe médiatico-politique d’aujourd’hui. Plutôt que d’apprendre à lutter contre le bon sens ou la révolte des peuples contre l’Empire les écoles de journalisme feraient mieux d’apprendre à combattre et débusquer la taqiya.
* La Société des Frères musulmans, raccourcie en Frères musulmans, est une organisation transnationale islamique sunnite fondée en 1928 par Hassan el-Banna à Ismaïlia, dans le nord-est de l’Égypte. Composée d’un appareil militaire et d’une organisation ouverte, son objectif officiel est la renaissance islamique et la lutte non violente, contre « l’emprise laïque occidentale » et « l’imitation aveugle du modèle européen » en terre d’Islam.
Le corpus doctrinal des Frères musulmans s’est constitué principalement avec les écrits de Sayyid Qutb (1906-1966), considéré comme l’un des penseurs les plus importants de l’islamisme radical.
Les écrits de Sayyid Qutb continuent d’avoir une forte influence sur les Frères musulmans – influence d’ailleurs croissante depuis la nouvelle donne géopolitique et la radicalisation islamiste du début du 21e siècle. Qutb passe pour l’un des inspirateurs idéologiques d’Al-Qaida : il est décrit comme « le père de l’extrémisme musulman », « le père du salafisme combattant ».
À bon entendeur, salut !
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POSTFACE À LA JOHN TOLAND.
Les pseudo-druides à la filiation initiatique mirobolante (la fameuse et inénarrable tradition primordiale) s’étant multipliés depuis quelque temps ; il nous a paru nécessaire de mettre à la disposition de tout un chacun ces quelques notes, hâtivement rédigées un soir de novembre, afin de donner à nos lecteurs envie d’en savoir plus sur le vrai druidisme. Ce travail se veut honnête, mais en aucune façon neutre. Il s’est donné pour objectif de défendre ou de réhabiliter la cluto (renommée) de cette antique religion.
Rien ne remplace la méditation personnelle y compris sur les lais obscurs ou incompréhensibles parsemant ces livres et qui ont été insérés à dessein afin de vous obliger à réfléchir pour trouver votre propre voie. Ces livres ne sont pas des dogmes à suivre aveuglément et à la lettre. Ainsi que vous le savez sans doute, il faut se méfier comme de la peste de la lettre. La lettre tue, seul l’esprit vivifie. Rien ne remplace non plus l’expérience personnelle et c’est en cheminant que l’on trouve le chemin. Ne comptez donc que sur vos propres forces pour cette quête du Graal. Ce qui compte c’est l’attitude à adopter dans la vie et non les détails du dogme. Le druidisme a moins d’importance que la druidiaction. (Jean-Pierre Martin).
Ces quelques feuillets griffonnés à la va-vite ne sont néanmoins en aucune façon LES LIVRES À LIRE SUR LE SUJET, ils n’en sont qu’un pâle reflet. La seule bibliothèque druidique digne de ce nom n’est pas en effet composée de seulement 12 (ou 27) livres, mais de plusieurs centaines.
Les quelques opuscules constituant cette mini-bibliothèque ne constituent pas un approfondissement et ne sont que quelques manuels destinés aux écoliers du druidisme. Ces résumés simplifiés destinés aux cours primaires de druidisme seront remplacés par des cours d’un niveau quelque peu supérieur, pour ceux qui voudront vraiment l’étudier de façon plus pertinente.
Cette petite bibliothèque est par conséquent un premier essai d’adaptation (destinée aux jeunes adultes) des diverses réflexions sur le savoir et la vérité druidiques, auxquelles ont abouti les premiers résultats de la nouvelle laïcité positive et ouverte, mondiale, en train de s’instaurer.
À la différence du judaïsme, du christianisme, et de l’islam, qui fourmillent littéralement, à propos de l’Être supérieur, d’anthropomorphismes puérils pris au pied de la lettre (fondamentalisme) ; notre druidisme, lui, n’en utilisera que très peu, et s’en tiendra, en ce domaine, au minimum absolu.
Mais pour parler de Dieu-ou-Diable nous allons bien être obligés, nous aussi, d’utiliser un langage, et donc un certain nombre de ces anthropomorphismes. Ou alors il faudrait totalement renoncer à en discuter.
Ce premier rayon de notre future bibliothèque consacrée au sujet a pour objet de montrer avec précision l’harmonieuse authenticité de la volonté et du savoir néo-druidiques. De montrer à quel point ses grandes thèses actuelles ont des racines anciennes, car la Mythologie, c’est notre Bible à nous. Les adaptations de ce bref exposé, exigées par les différences de culture, d’âge, de maturité spirituelle, de situation sociale, etc. seront à faire par les druides concernés (les vellèdes et les autres ?).
À noter cependant. Important ! Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, ne sont pas (en vrac).
Une révélation divine. Une loi (toujours aussi divine). Une loi (profane ou laïque). Une loi (scientifique). Un dogme. Un Ordre ? Ce que je cherche surtout à faire partager c’est un état d’esprit, rien de plus. Ainsi que l’a très bien dit un jour notre vieux maître :
« NOTRE CIVILISATION N’A PAS LE CHOIX : CE SERA LE CELTISME OU CE SERA LA MORT » (P. Lance).
Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, sont. Du rêve. Une aventure. Un voyage. Une évasion. Un cri de révolte contre la laideur morale et matérielle de cette société.
Une tentative d’atteindre à l’universel en partant du particulier. Un défi. Un obstacle fécond à surmonter. Une incitation à la réflexion. Un guide pour l’action. Une carte. Un plan. Une boussole. Une étoile polaire ou l’étoile du berger là-haut dans la montagne. Un feu la nuit dans une clairière ?
Ce que le rassembleur de ce noyau de bibliothèque, Pierre de La Crau, n’est pas.
— Un dieu.
— Un demi-dieu.
— Un quart de dieu.
— Un petit saint.
— Un philosophe (reconnu, officiel, et breveté ou patenté, comme ceux qui passent à la télévision. Sauf évidemment à prendre le terme en son sens originel, qui est celui d’amateur de sagesse et de savoir).
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Ce qu’il est : un homme, et rien de ce qui est humain ne lui est donc étranger. Pierre de la Crau n’a aucun pouvoir surhumain ou exceptionnel. Rien de ce qu’il a dit écrit ou fait ne saurait avoir de valeur intemporelle. Tout au plus espère-t-il que son extrême lucidité à propos de notre société et de son idéologie dominante (voir ses philosophes officiels, ses journalistes, ses masses médias et le politiquement correct des bien-pensants) ; ainsi que son non-conformisme, et son franc-parler, alliés à un solide esprit de contradiction (qui lui ont d’ailleurs valu pas mal de déboires ou d’avanies) ; pourront être utiles.
La présente petite bibliothèque pour débutant « contient la dose d’humanité exigée par l’état actuel de la civilisation » (Henri Lizeray). Elle n’est d’ailleurs qu’un rassemblement de matériau attendant l’architecte ou le maçon ad hoc.
Prochainement paraîtra toute une série de fascicules approfondissant ces éléments de base. Cette présentation différente du savoir druidique préservera néanmoins l’unité et la profonde harmonie entre ces divers exposés d’une seule et même philosophie.
Cas des traductions dans une langue étrangère (espagnol, allemand, italien, polonais, etc.)
Les fautes d’orthographe de grammaire de style, ainsi que l’écriture des noms propres, pourront être corrigées. Toute autre amélioration du texte pourra également être apportée si nécessaire (par ajout suppression ou modification, de détails) ; Pierre de La Crau ayant toujours regretté de ne pouvoir atteindre à la perfection en ce domaine. Mais à condition de n’altérer ni trahir en rien la pensée de l’auteur de cette compilation raisonnée. Toute illustration sans légende peut être changée. De nouvelles illustrations peuvent être apportées. Mais les illustrations ayant une légende ne devront être qu’améliorées (par substitution d’une bonne photo à un mauvais croquis par exemple ?).
Il va de soi que le coordonnateur de cette rapide et sommaire compilation raisonnée, Pierre de La Crau, ne prétend nullement avoir inventé (ou découvert) lui-même, tout ceci ; qu’il ne prétend en aucune façon que ceci est le fruit de ses recherches personnelles (sur le terrain ou en bibliothèque). Ce qui suit est en effet essentiellement issu des excellents ouvrages ou sites internet référencés en bibliographie et dont la consultation directe est fortement recommandée. Nous n’insisterons jamais assez sur notre volonté de ne pas être les hommes d’un livre (du Livre), mais d’au moins douze, comme les Fianna d’Irlande, pour d’évidentes raisons d’ouverture d’esprit, la vérité étant notre seule religion.
Encore une fois, répétons-le ; le coordonnateur de la mise par écrit de ces quelques notes hâtivement jetées sur le papier ne prétend nullement avoir passé sa vie dans la poussière des bibliothèques ; ou sur le terrain, dans la boue des fouilles archéologiques de sauvetage ; afin d’exhumer des témoignages inédits sur le passé de l’Irlande (ou du Pays de Galles ou des Indes ou de la Chine ?)
PIERRE DE LA CRAU NE SE VEUT DONC EN AUCUNE FAÇON L’AUTEUR DES TEXTES QUI PRÉCÈDENT.
IL N’ESSAIE NULLEMENT DE S’EN ATTRIBUER LES MÉRITES. Il n’en est que l’éditeur ou le compilateur. Il s’agit pour la plupart de documents diffusés sur internet à quelques exceptions près. IL EN REVENDIQUE PAR CONTRE TOUS LES DÉFAUTS ET TOUTES LES INSUFFISANCES. Pierre de La Crau ne revendique qu’une chose, les fautes erreurs ou imperfections diverses de ce livre. Lui seul est à blâmer dans ce cas. Mais il fait confiance à ses contemporains (la nature humaine étant ce qu’elle est) pour les lui signaler avec vigueur.
Note retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau et insérée par eux à cet endroit.
Par respect pour l’Humanité, afin de gagner du temps, et ne pas lui en faire perdre, je vais faciliter le travail de ceux qui tiennent absolument à être du bon côté de la barrière en combattant (héroïquement bien sûr) afin de sauver le monde de mes griffes (mes idées ou mes penchants, mes tendances).
À ces courageux et implacables détracteurs, dont la profondeur de réflexion digne d’un marquis de Vauvenargues n’a d’égale que l’ampleur de la culture générale, digne d’un Pic de la Mirandole, je dis…
Prenez une feuille de papier, de traitement de texte si vous préférez, mettez-y par ordre d’importance les 20 caractéristiques qui vous semblent les plus graves, les plus odieuses, les plus haïssables, dans l’histoire de l’Humanité, depuis les hommes préhistoriques et Nabuchodonosor, selon vous… ET DITES-VOUS BIEN QUE JE SUIS TOUT LE CONTRAIRE DE VOUS, CAR JE LES AI TOUTES !
On a toujours besoin de boucs émissaires ! Hérétique au Moyen âge, sorcière à Salem au 17siècle, raciste au 20e siècle, lézard extraterrestre au 21e, je suis l’homme que vous aimerez haïr pour vous sentir supérieur.
Je suis au choix et dans l’ordre d’importance que vous voulez : athée, sataniste, stupide, mongolien, raciste, bestial, homosexuel, pervers, communiste, nazi, menteur pathologique, voleur, suffisant, psychopathe, un monstre d’orgueil faussement modeste, et que sais-je encore, à vous de voir.
Voilà, je ne peux pas faire mieux (pour vous aider à sauver le monde).
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[À la différence de mes contempteurs qui sont tous des gens bien, c’est-à-dire jeunes ou modernes et dynamiques, courageux, positifs, gentils, intelligents, instruits, ou du moins qui savent ; faisant preuve de beaucoup de recul dans leur méditation en profondeur sur les tendances lourdes de l’Histoire ; et sur le plan moral ou éthique : généreux, altruistes, mais pauvres évidemment, car donnant tout aux autres ; en outre profondément respectueux de la volonté de Dieu et de la Constitution…
Moi je suis un vieux réactionnaire ankylosé, conformiste, déconnecté de son temps, parano, schizophrène, incohérent, capricieux, jamais content, méchant, bête, n’ayant fait aucune étude ou du moins ignorant tout sur le sujet en question ; coutumier des jugements à l’emporte-pièce fondés sur des préjugés dénués de toute réflexion ; égoïste et riche ; suppôt de Satan et nazo-bolchévick ou stalino-hitlérien de nature. On disait hitléro-trotskiste quand j’étais jeune. En bref un criminel psychopathe dès le petit-déjeuner… ce qui me permet donc de penser ce que je veux, mes critiques aussi d’ailleurs, et d’essayer de le faire savoir à la cantonade].
Signé : le coordonnateur des travaux, Pierre de La Crau, dit Hésunertus, chercheur en druidisme. Un homme à qui rien de ce qui est humain ne fut étranger. Chômeur, facteur, divorcé, sans domicile fixe, vagabond, contribuable, justiciable, électeur cocufié ? Un des huit milliards d’êtres humains ayant transité sur ce vaisseau spatial donc. Né sur la planète Terre le 13 janvier 1952.
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TABLE DES MATIÈRES.
Préface de Nabih Amin Farès 1952.
PREMIÈRE PARTIE.
L’Arabie du temps de la Djahiliya
L’art de vivre des Bédouins
Les Bédouins dans le Coran
Les religions de la Djahiliya
Le panthéon
Les trois gharaniq
— Al-Ouzza
— Allate
— Manate
Les djinns
La spiritualité préislamique
La mythologie arabe
Liturgie et rituels
Les sanctuaires et le droit d’asile
Les oracles et les devins
La Mecque
La question de La Mecque
La Kaaba
Histoire de l’ensemble architectural
Histoire des pèlerinages
Les sacrifices
Le problème
La littérature arabe préislamique
Exemples de poèmes
Épilogue
Les interdits de l’Islam
-------------------- ----------------------------------------------------- ------------------- -------
La monolâtrie en Arabie au 6e siècle
Le judaïsme
Le judéo-christianisme
Document : juifs et chrétiens dans le saint Coran
Le christianisme
Organisation politique
Conclusion de Chahrastani
----------------- ------------------------------------------------------------------------------------
Le Hedjaz et les Couraïchites (la tribu de Mahomet) au 6e siècle
La situation dans la patrie de Mahomet
La tribu de Mahomet
Les Mecquois du temps de l’enfance de Mahomet
Les hanifs et la hanifiya
Quelques hanifs
Le problème de la pratique religieuse de Mahomet AVANT la révélation
Ce que l’on peut en penser
Les conjectures de la tradition musulmane
La vocation de Mahomet, le problème méthodologique
Les visions
Les Houms et le tahannouth
La légende de la nuit du destin
Essai d’analyse rationnelle par un Féniane
Essai d’analyse rationnelle par Ali Sina de la LFI
L’hypothèse Allah
La tentative de synthèse
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610 Les débuts du mouvement
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611 Portrait de quelques convertis de la 1re heure
612 La prédication publique (612-613)
613 Le problème des persécutions
615 L’année du compromis satanique
La mise en quarantaine
615 L’émigration en Éthiopie
620 La conversion des djinns
621 Le premier serment d’Aqaba
622 Le deuxième serment d’Aqaba
L’Hégire
Isra et Miraj
L’arrivée à Yathrib/Médine
Bonjour Mr Hyde
La vie à Yathrib/Médine
623 Les premiers raids
Les différents pactes de Médine
-------------------------- --------------------------------------------- -----------------------------
DEUXIÈME PARTIE
624 Bataille de Badr
Début des assassinats politiques
Heinrich Graetz histoire des juifs de Médine
Ce que les théologiens musulmans en déduisent
Point de vue d’un observateur neutre
L’expulsion des Banou Quaïnouqa (624)
625 La bataille d’Ouhoud
La déportation des Banou Nadir (625 toujours)
627 La drôle de guerre des tranchées
La Shoah par l’épée
L’assassinat ciblé de Sallam ibn Aboul Houqaïq
L’expédition contre les Banou al Moustaliq (627)
L’adultère d’Aïcha ?
Les autres problèmes domestiques de Mahomet
628 Serment et armistice d’Houdeïbiya
Le traité avec La Mecque
629 Les derniers retours d’Éthiopie
Le massacre de Khaïbar (629)
Le point de vue du Féniane de service
Intermède médinois
Bataille de Mou’ta (629)
La Mecque ville ouverte (630)
Bataille de Honeïn et siège de Taïf (630)
Crise et reprise (en main)
Le début des reconnaissances
Le problème de l’interdiction de La Mecque aux non-musulmans
L’apothéose de Mahomet 10 mars 632
Ce qu’en déduisent les musulmans
Ce qu’en déduisent les gens de plusieurs livres
Mars 632 toujours le testament de Ghadir Khoumm
Juin 632 Mort de Mahomet
La succession privée de Mahomet
LE VÉRITABLE HÉRITAGE DE MAHOMET
L’isma
Le pèlerinage à La Mecque
Le grand pèlerinage
La distinction entre Dar al Islam et Dar al Harb
Le Coran
Le point de vue chrétien médiéval
Une superstition de plus
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Exégèse moderne
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TROISIÈME PARTIE
8 juin 632 La succession de Mahomet
L’élaboration du canon coranique
L’édition du Coran
---------- ---------------------- --------------------------------------------------------------------
QUATRIÈME PARTIE
Le premier calife (632-634)
La prétendue guerre de Sécession « religieuse » (633)
Le limes arabicus
Les premiers reculs byzantins (633)
De quel côté se trouvait vraiment Dieu ce jour-là ? (634)
Le front nord-est
Le 2e calife (634-644)
Le front nord-ouest
Batailles restées célèbres
Le sort de Jérusalem
Le passage en Égypte (640)
Remarques sur la situation militaire de l’Égypte à l’époque
Sur la situation religieuse
Sur la situation politique
Remarques diverses
La civilisation perse ou sassanide
La religion
L’empire sassanide à la veille de la conquête musulmane
Batailles restées célèbres (634-635)
Bataille de Cadésia (636)
Conclusion
3e calife (644-656)
2e étape de l’élaboration du Coran
Analyse du Codex osmanien
Quatrième calife ou premier imam chiite (656-661)
Kharidjites et chiites
Et Judas devint pape (661)
Afrique du Nord
La résistance du chrétien Cécilien et de la reine Dihya (683-704)
La conquête de la péninsule ibérique (711-726)
La conquête du nord des Pyrénées (719)
La conquête de la Méditerranée
L’expansion vers le nord (1347)
L’expansion vers l’est (8e-16e siècle)
Les autres expansions
Et demain ?
Postface à la John Toland
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DU MÊME AUTEUR.
1. Citations des auteurs antiques parlant des Celtes ou des druides.
2. Généralités liminaires diverses sur les Celtes.
3. Histoire du pacte avec les dieux tome 1.
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4. La Bible du druidisme : histoire du pacte avec les dieux tome 2.
5. Histoire du pacte avec les dieux tome 3.
6. Histoire de la paix avec les dieux tome 4.
7. Histoire de la paix avec les dieux tome 5.
8. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande science qui illumine » tome 1.
9. Textes apocryphes irlandais.
10. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande science qui illumine » tome 2.
11. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande Science qui illumine » tome 3.
12. Les cent voies du paganisme. Science et philosophie tome 1 (mythologie druidique).
13. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 2 (mythologie druidique).
14. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 3 (mythologie druidique).
15. Le grand Camminus : éléments de théologie druidique tome 1.
16. Le grand catéchisme : éléments de théologie druidique tome 2.
17. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 1.
18. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 2.
19. Mystagogie ou théâtre sacré des Celtes antiques.
20. Poèmes celtes.
21. Le génie du paganisme celte tome 1.
22. Le complexe de Roland.
23. Au pied de la lanterne des morts.
24. Les secrets du vieux druide de la forêt ménapienne.
25. Le génie du paganisme celte tome 2 (liberté réciprocité simplicité).
26. Rhétorique : la trahison des clercs).
27. Petit dictionnaire de théologie druidique tome 1.
28. Des philosophes antiques au druide irlandais.
29. Judaïsme christianisme et islam : première partie.
30. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 1.
31. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome2.
32. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 3.
33. Troisième partie tome 1 : Qu’est-ce que l’Islam ? Bref historique de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
34. Troisième partie tome 2 : Qu’est-ce que l’Islam ? Premières approches de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
35. Troisième partie tome 3 : Qu’est-ce que l’Islam ? Les 5 vrais piliers de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
36. Troisième partie tome 4 : Qu’est-ce que l’Islam ? Coups de sonde dans l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
37. Couiro anmenion ou Petit dictionnaire de théologie druidique tome 2.