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JUDAÏSME CHRISTIANISME ET ISLAM
LES TROIS IMPOSTURES HUMAINES *
QUI ONT ABUSÉ LE MONDE
(Notes sur Moïse Jésus et Mahomet.)
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DEUXIÈME PARTIE : LE CHRISTIANISME.
Tome III
« Notre propos ici n’est donc absolument pas de démolir le Christianisme… mais de lui redonner son vrai sens » (René Bouchet. Druidisme et Christianisme. Éditions de l’Aurore. Liège 1979).
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ODE AUX TRÈS-SACHANTS.
La moitié du malheur de l’Humanité vient du fait que, il y a plusieurs milliers d’années, quelque part au Moyen-Orient, des peuples de par leur langue ont conçu la spiritualité ou la mystique…
— Non comme une quête de sens, d’espoir ou de libération avec les concepts qui s’y rattachent (distinction opposition ou différence entre matière et esprit, éthique, discipline personnelle, philanthropie, vie après la vie, méditation, quête du Graal, pratiques…)
— Mais comme une loi (DIN) gigantesque et protéiforme devant régir la vie quotidienne des hommes avec tout ce que cela implique.
Des obligations ou des interdits que tout un chacun doit respecter jour et nuit.
Des infractions ou des contraventions à cette multitude d’interdits quand ils ne sont pas suivis à la lettre. Des jugements quand une ou plusieurs de ces lois sont violées. Des condamnations. Pour les coupables. Des non-lieux ou des relaxes pour les innocents APPELÉS JUSTES…
CETTE CONFUSION ENTRE LE NUMINEUX ET LE RELIGIEUX PUIS ENTRE LE SACRÉ ET LE PROFANE NOUS POURRIT LA VIE DEPUIS 4000 ANS VIA ISRAËL ET SURTOUT LES NOUVEAUX ISRAËL QUE VEULENT ÊTRE LE CHRISTIANISME ET L’ISLAM.
Le principe de base de notre Ollotouta nous a été donné, il y a longtemps déjà, par notre maître
à tous en ce domaine ; le grand barde gaélique fondateur de la Libre-pensée moderne, que l’on évoque habituellement sous le nom anglicisé de John Toland. Il ne peut pas y avoir par définition de choses contraires à la Raison dans de Saintes Écritures émanant vraiment du Divin.
S’il y en a, il s’agit alors, soit d’erreurs, soit de mensonges !
Ou il n’y a aucun mystère, ou alors il ne s’agit en aucune façon d’une révélation divine !
Il n’y a aucun moyen terme…Nous ne reconnaissons pas d’autre orthodoxie que celle de la Vérité car, où qu’elle soit en ce monde, doit également se tenir, nous en sommes totalement convaincus, l’Église de Dieu, et pas celle de telle ou telle faction humaine… Nous sommes par conséquent partisans de ne faire aucun quartier à l’erreur sous quelque prétexte que ce soit, chaque fois que nous aurons la possibilité ou l’occasion de l’exposer sous ses vraies couleurs.
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1696. Le christianisme sans mystère.
1702. Vindicius Liberus. Réponse de John Toland aux détracteurs de son « christianisme sans mystère ».
1704. Lettres à Serena contenant l’origine de l’idolâtrie et les raisons du paganisme, l’histoire de la doctrine de l’immortalité de l’âme chez les païens, etc. (Version baron d’Holbach, un philosophe allemand).
1705. Le vrai socinianisme * en tant qu’exemple de débat courtois en matière de théologie *.
Précédé de l’Indifférence dans les disputes, recommandée par un panthéiste à un ami orthodoxe.
1709. Adeisidaemon ou l’homme sans superstition. Les origines juives.
1712. Lettre contre le papisme, et en particulier contre le fait d’admettre l’autorité des Pères ou des Conciles dans les controverses religieuses, par Sophie Charlotte de Prusse.
1714. Défense des juifs, victimes des préjugés antisémites, et plaidoyer pour leur naturalisation.
1718. Le destin de Rome, des papes, et la fameuse prophétie de saint Malachie, archevêque d’Armagh au treizième siècle.
Nazarenus ou le christianisme juif, goy, et mahométan (version d’Holbach), contenant :
I.L’histoire de l’ancien évangile de Barnabé, ainsi que le moderne évangile apocryphe des mahométans, attribué à ce même apôtre.
II. Le projet original du christianisme expliqué par l’histoire des nazaréens, résolvant du même coup diverses polémiques à propos de cette divine (mais si hautement pervertie) institution.
III. L’analyse d’un manuscrit des quatre Évangiles irlandais avec un résumé de l’ancien christianisme d’Irlande et de ce que fut la réalité des culdées (un ordre mi-laïc, mi-religieux) opposé aux deux derniers évêques de Worcester).
1720. Pantheisticon, sive formula celebrandae sodalitatis socraticae.
Tetradymus.
I. Hodegus. La colonne de feu et de nuée qui a guidé les israélites dans le désert n’était pas un miracle, mais, comme le relate précisément l’Exode, une pratique également connue des autres nations ; et dans ces contrées non seulement utile, mais même nécessaire.
Il. Clidophorus.
III. Hypatie ou l’histoire de la plus belle, de la plus vertueuse, de la plus instruite, de la plus accomplie des femmes ; qui fut lapidée par le clergé d’Alexandrie, afin de satisfaire l’orgueil, l’ambition, voire la cruauté, de l’archevêque Cyrille, communément, mais très improprement, appelé saint Cyrille.
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1726. Histoire critique de la religion celte, contenant un aperçu sur les druides, ou les prêtres et les juges, sur les vates, ou les devins et médecins, et enfin sur les bardes, ou les poètes ; des anciens Bretons, Irlandais ou Écossais. Avec en plus l’histoire d’Abaris l’Hyperboréen, prêtre du soleil.
Un spécimen de la langue armoricaine (dictionnaire breton, irlandais, latin).
1726. Compte-rendu du livre de Giordano Bruno, sur l’infini de l’univers et la pluralité des mondes, traduit de l’édition italienne.
1751. Le Panthéisticon ou le mode de célébration de la société socratique. S. Paterson Londres. Traduction du livre publié en 1720.
« Le Druidisme » est une revue indépendante (indépendante de toute association religieuse ou politique) et qui n’a qu’un seul but : la recherche théorique ou fondamentale en matière de néopaganisme. La double question à laquelle essaie de répondre cette revue d’études théoriques, pourrait se résumer ainsi :
« Que pourrait être ou que devrait être, un néo-druidisme actuel, moderne et contemporain ? »
Le « Druidisme » est une revue néopaïenne, strictement néopaïenne, héritière de tous les mouvements authentiques (c’est-à-dire non chrétiens) qui se sont succédé depuis deux mille ans, l’héritière indirecte, mais l’héritière, quand même !
À propos de notre tradition de référence ou de notre filiation intellectuelle soulignons que si les « poètes » du royaume de Domnall mac Muirchertach Ua Néill avaient toujours les imbas forosnai, les teimn laegda ainsi que les dichetal do chennaib 1) à leur répertoire (cf. la conclusion de l’histoire du pillage du château de Maelmilscothach, d’Urard Mac Coisé, un poète mort au XIe siècle), ils étaient peut-être déjà chrétiens quand même depuis plusieurs générations. Il est vrai que ces pratiques (imbas forosnai, teimn…) étaient formellement interdites par l’Église, mais qui sait, il y a eu peut-être des accommodements analogues à ceux des astrologues ou alchimistes du Moyen Âge.
Quoi qu’il en soit notre « Druidisme » est aussi une volonté, la volonté de se rapprocher, au maximum, du druidisme antique, tel qu’il fut (scientifiquement parlant). La volonté aussi néanmoins de moderniser ce druidisme, un retour total au druidisme antique étant exclu (il serait de toute façon impossible).
Exemples de modernisation de ce druidisme païen.
— Abandon aux associations laïques du côté culturel (médecine, poésie, mathématique, etc.). Principe de séparation de l’Église et de l’État.
— Spécialisation par contre dans la spiritualité celtique, ou païenne en général, l’histoire de la religion, la philosophie et la métapsychique (dite aujourd’hui parapsychologie).
— Utilisation dans certains cas du vocabulaire actuel (Église, religion, baptême, et ainsi de suite).
Un juste milieu est évidemment à trouver entre un retour total au druidisme antique (fondamentalisme ou intégrisme) et une modernisation radicale trop révolutionnaire (plus de saie).
L’AAP (athée agnostique panthéiste) celte ayant accepté d’être l’avocat du paganisme celtique antique et de cosigner cette petite bibliothèque **, dont il n’est que le rassembleur, le druide Hesunertus (Pierre de La Crau), ne se considère pas comme l’auteur de cet ouvrage collectif. Mais comme le simple porte-parole de l’équipe l’ayant composé. Pour ce qui est des autres sources de cet essai sur le druidisme, voir les remerciements de la bibliographie.
* Les sociniens, puisque c’est ainsi qu’ils furent appelés par la suite, désiraient plus que tout restaurer le vrai christianisme qu’enseigne la Bible. Ils considéraient que la Réforme n’avait fait disparaître qu’une partie de la corruption et du formalisme, présents dans les Églises, tout en laissant subsister le mauvais fond : les enseignements non bibliques (ce qui est très discutable d’ailleurs).
** Ce petit camminus est néanmoins important aussi pour les jeunes… de 7 à 77 ans ! Mantalon siron esi.
1) Do ratath tra do Mael Milscothach iartain cech ni dobrethaigsid suide sin etir ecnaide 7 fileda 7 brithemna la taeb ogaisic a crech 7 is amlaidsin ro ordaigset do tabairt a cach ollamain ina einech 7 ina sa[ru]gad acht cotissad de imus forosnad [di]chetal do chollaib cend 7 tenm laida .i. comenclainn fri rig Temrach do acht co ti de intreide sin FINIT.
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L’ANCIEN TESTAMENT 1) ET LES PROCÉDÉS MYTHOLOGIQUES.
L’allégorie consiste essentiellement dans l’opposition d’un sens littéral et de diverses interprétations possibles, ces dernières pouvant elles-mêmes s’opposer entre elles.
Prenons un exemple : les fables d’Ésope. Tout le monde s’accorde aujourd’hui pour dire que ces fables présentent un sens second, caché sous le sens littéral. Mais lorsqu’il s’agit d’interpréter ces fables, d’en dégager le sens second, la tâche, pour nous, est loin d’être simple. En effet, d’une part, l’interprétation de ces fables est tributaire du contexte historique et politique du VIIe siècle avant notre ère ; dans lequel nous ne vivons plus, et que nous ne pouvons plus connaître que par l’intermédiaire d’œuvres historiques ou de cours d’histoire. Mais, d’autre part, l’ignorance ou la méconnaissance de ce contexte n’interdit pas de proposer de ces fables des interprétations nouvelles plus en rapport avec notre époque.
Ainsi que nous avons pu le voir, l’allégorie est donc une des constantes de la mythologie, et donc de toute religion. Il nous a semblé intéressant à nous, druides ou très sachants d’aujourd’hui, de voir un peu ce qu’a été le plus souvent la réaction de chrétiens face à cette approche de l’esprit humain et de la religion.
Les diverses attitudes chrétiennes en face de l’allégorie.
Saint Paul. L’expression allégorique n’est pas le fait de saint Paul. Bien que son message soit souvent difficile, il ne lui arrive guère, même pour mieux le faire comprendre, de l’habiller d’images. Mais s’il récuse ce procédé pour son propre usage, Paul affirme avec force que les auteurs de l’Ancien Testament ont exprimé leurs révélations par des allégories, et que leurs écrits, par conséquent, doivent faire l’objet d’une interprétation allégorique. Si l’Ancien Testament apparaît ainsi comme une immense allégorie, sous la plume de saint Paul, c’est parce qu’il s’adresse en réalité [selon saint Paul toujours] aux chrétiens, et non pas aux juifs, qui n’étaient pas à même de l’entendre. Son message revêt donc une présentation déguisée, à laquelle les juifs se sont arrêtés, alors que les vrais chrétiens, eux, ont bien percé, du moins toujours selon cet auteur, cette écorce, afin d’en recueillir le fruit spirituel. Paul nous offre donc l’exemple d’une lecture allégorique de la Bible, dans laquelle il découvre, sous le déguisement des figures, l’annonce du Christ, la description de la vraie croyance chrétienne, ou encore tout un ensemble de prescriptions morales destinées aux chrétiens. On ne saurait nier, dans cette démarche, une certaine influence grecque sur la substance et le langage des Épîtres, que cette influence ait été recherchée ou simplement subie, que l’on doive l’étendre à l’essentiel ou la limiter à l’accessoire.
Les autres écrivains chrétiens des premiers siècles peuvent être répartis en quatre catégories d’après leur attitude vis-à-vis de l’interprétation allégorique.
La première catégorie regroupe les auteurs qui développent une interprétation allégorique sans rien devoir d’important à l’exégèse figurée du paganisme.
D’autres apparaissent au contraire fort avertis des procédés de l’allégorie païenne et en utilisent largement les procédés ou les leçons dans leur propre explication de la Bible.
Un troisième groupe rassemble les écrivains qui, sans beaucoup user eux-mêmes d’une interprétation allégorique de la Bible, montrent une hostilité souvent vigoureuse à l’endroit de l’allégorie païenne.
La quatrième catégorie regroupe les auteurs chrétiens chez qui la pratique parfois outrancière de l’allégorie biblique s’allie à un effort tout aussi important pour disqualifier le même procédé d’exégèse dès lors que ce sont les païens qui l’appliquent à leurs propres textes.
La simple fidélité à l’allégorie néotestamentaire, dans l’Épître de Barnabé ou chez Hippolyte de Rome.
La pseudo-épître de Barnabé remonte à la première moitié du IIe siècle. Son objet principal est de dépouiller de leur signification littérale les prescriptions rituelles de l’Ancien Testament, pour voir en chacune d’elles une préfiguration allégorique du Messie. C’est une exégèse allégorique analogue, étroitement inspirée de saint Paul dans sa méthode, sinon dans son contenu, qu’a pratiquée Hippolyte, prêtre romain du début du IIIe siècle. On peut remarquer combien cette technique reste fidèle, dans ses procédés comme dans son vocabulaire, à l’exemple de saint Paul, et préservée de la contamination de l’allégorie païenne, qu’elle ne semble même pas connaître. Mais cette interprétation figurée spécifiquement néotestamentaire ne devait guère se maintenir ni l’allégorisme païen demeurer longtemps étranger aux préoccupations chrétiennes.
L’utilisation paisible de l’allégorie païenne par un Père de l’Église, Clément d’Alexandrie.
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Clément d’Alexandrie, à la fin du IIe et au début du IIIe siècle, appliqua largement à l’Écriture biblique l’interprétation allégorique. Mais l’exemple paulinien n’est plus, chez lui, sa seule source. Il recourt également ouvertement à l’allégorie pratiquée dans les civilisations païennes. Il insiste même sur la continuité de l’allégorie païenne et de l’allégorie chrétienne. L’allégorie lui apparaît comme la Loi même de toute religion. Le Ve Stromate contient un véritable traité de l’allégorie, considérée comme phénomène religieux universel, et Clément s’y montre comme le premier historien des religions au sens moderne du terme. Pour Clément, l’allégorie s’étend à toute forme d’expression en réalité. Ce sont les avantages qui en résultent pour chacun, aussi bien pour l’auteur que pour le lecteur et même pour la divinité dont il est traité, qui ont assuré à l’allégorie un tel succès.
Certains auteurs chrétiens adoptèrent une attitude plus habituelle : ils dénigrèrent avec acharnement l’allégorie païenne tout en appliquant ce même procédé à leurs Écritures. Tertullien raille par exemple l’interprétation allégorique que Varron avait donnée de Saturne. L’encyclopédiste romain considérait en effet ce dernier, à la fois comme un personnage historique et comme la personnification du temps. Tertullien, dans son apologétique, s’y oppose : on ne peut assigner à un personnage humain une nature à la fois corporelle et incorporelle. Soit Saturne est un humain divinisé, soit il est le temps, mais pas les deux. Ce qui montre bien son étroitesse d’esprit.
« Passerai-je donc maintenant tous vos dieux en revue, si nombreux et si divers, dieux nouveaux et anciens, barbares ou grecs, romains ou étrangers, captifs ou adoptifs, particuliers ou communs, mâles ou femelles, des champs ou de la ville, marins ou guerriers ? Il serait oiseux d’énumérer même leurs noms. Pour résumer donc brièvement – et je le ferai, non pas pour vous les faire connaître, mais pour vous les rappeler, car vous feignez de les avoir oubliés –, je vous dirai qu’avant Saturne, il n’existe chez vous aucun dieu. C’est à lui que remonte l’origine de tout ce qu’il y a de meilleur et de plus connu en fait de divinités. Donc, ce qui aura été établi pour l’auteur de vos dieux s’appliquera aussi à ses descendants. Saturne donc, si je m’en rapporte à ce que disent les documents écrits, n’est pas autrement mentionné que comme étant un homme ; ni par Diodore le Grec, ni par Thallus, ni par Cassius Severus, ni par Cornélius Népos, ni par aucun des auteurs qui ont traité des antiquités religieuses. C’est lui qui inventa les tablettes à écrire et la monnaie frappée d’une effigie ; voilà pourquoi il préside au trésor public. Et pourtant, si Saturne est un homme, il est à coup sûr né d’un homme, il n’est à coup sûr pas né du ciel et de la terre. Mais, comme ses parents étaient inconnus, on a pu facilement le dire fils de ceux dont nous pouvons tous paraître être les fils. Qui, en effet, ne donnerait pas au Ciel et à la Terre les noms de père et de mère, pour montrer par là son respect et sa vénération ; ou bien pour se conformer à une coutume générale, qui nous fait dire des inconnus et de ceux qui se montrent à l’improviste devant nous qu’ils sont tombés du ciel ? Donc, comme Saturne paraissait à l’improviste partout, il lui arriva d’être appelé « fils du Ciel », comme le vulgaire appelle aussi « fils de la Terre » ceux dont il ignore l’origine. Je m’abstiens de dire qu’alors les hommes menaient une vie si grossière, que l’apparition de n’importe quel inconnu les frappait à l’égal d’une apparition divine ; puisqu’aujourd’hui, devenus civilisés, ils consacrent et mettent au nombre des dieux des hommes dont ils ont attesté la mort en les enterrant, à l’occasion d’un grand deuil public, quelques jours auparavant. J’en ai dit assez de Saturne, bien que je l’aie fait en peu de mots. On démontrera de même que Jupiter aussi est un homme, étant fils d’un homme, et que tout l’essaim des dieux issus de cette famille est mortel, étant semblable à son auteur » (Apologétique chapitre X).
Augustin se montre très dur vis-à-vis des cultes païens. Pour lui, l’allégorie ne saurait supprimer la contradiction entre les prescriptions morales du paganisme et le fait que des crimes interdits sont imputés aux dieux et magnifiés par leur culte. Augustin envisage donc, comme le faisait aussi Tertullien, les dieu-ou-démons du paganisme, dans une perspective évhémériste : ce ne sont que des hommes.
Augustin avait pourtant accueilli favorablement l’allégorie néoplatonicienne développée par Plotin dans ses Ennéades.
L’attitude paradoxale d’Origène.
Origène se pose en ennemi de l’allégorie païenne. Selon lui, celle-ci, pour être acceptable, devrait répondre à une double condition : non seulement l’allégorie devrait elle-même être correcte, mais les mythes devraient, eux aussi, avoir un sens littéral recevable. Origène s’attache donc à prouver que l’allégorie païenne ne répond à aucune de ces deux conditions. La critique d’Origène ne disqualifie pas l’interprétation allégorique en elle-même, mais seulement son application à la mythologie grecque.
Pour Origène en effet, l’interprétation symbolique des mythes grecs demeure une démarche de second temps, qui, loin d’être requise explicitement par son objet, doit le plus souvent lui faire violence ; alors que selon lui l’exégèse allégorique va naturellement de soi en ce qui concerne la Bible, puisque c’est un auteur sacré, saint Paul, qui est le garant et l’initiateur de cette interprétation de l’Ancien Testament. De plus, l’allégorie biblique remplit la double condition posée par Origène. L’interprétation symbolique pratiquée par les chrétiens est donc raisonnable, mais l’auteur des récits
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bibliques s’est toujours aussi préoccupé de donner à son œuvre une valeur littérale de bon aloi, en même temps qu’une portée allégorique. Mais Origène, pour les besoins de ses controverses, en vient souvent à exiger de ses adversaires [comme Celse] des garanties sur la signification littérale des mythes ; qu’il ne donne jamais lui-même lorsqu’il traite de la Bible évidemment. C’est donc comme toujours avec les chrétiens l’éternelle histoire de l’hôpital qui se moque de la charité.
L’empereur Julien et Grégoire de Nazianze.
« J’avais imaginé que les prêtres des chrétiens se sentiraient plus obligés envers moi qu’envers mon prédécesseur. Car, pendant son règne, beaucoup d’entre eux furent bannis, persécutés ou emprisonnés, et beaucoup des prétendus hérétiques exécutés… or tout ceci a été annulé sous mon règne ; Les bannis ont été autorisés à revenir, et les biens confisqués rendus à leurs propriétaires ».
L’attitude de l’empereur Julien apparaît donc très équilibrée. Il exige que le caractère mythique soit reconnu aussi bien aux récits de la Bible qu’aux légendes grecques, et laisse entendre que l’interprétation allégorique peut être pratiquée sur celles-ci comme sur ceux-là. Les narrations de Moïse et d’Homère lui apparaissent comme l’émanation d’une identique mentalité mythique. Par conséquent, ni l’une ni l’autre ne peut revendiquer l’exclusivité de l’interprétation allégorique. La critique que le talibanus ou parabolanus du christianisme appelé Grégoire de Nazianze lui oppose, aboutit finalement à une position assez proche de celle d’Origène : le célèbre « deux poids, deux mesures ».
EN RÉSUMÉ.
Parmi tous ces auteurs, il en est un dont les positions semblent séduisantes, il s’agit de Clément d’Alexandrie (la première mention d’Orphée par un chrétien se trouve par exemple dans l’hymne d’ouverture de son Protreptique). Clément estime en effet que ce phénomène (l’opposition d’un sens littéral et de diverses interprétations possibles) n’est pas lié uniquement aux mythes ou aux Écritures, mais qu’il est propre à toute forme d’expression.
Depuis que l’homme communique, ce phénomène a toujours existé. D’où les diverses interprétations possibles d’une même pièce de théâtre, d’un même roman, d’un tableau, la possibilité de réaliser des jeux de mots… Il est donc plus que probable que les mythes ont subi un traitement assez semblable. Et si l’on se rappelle que les mythes étaient considérés comme une parole sans auteur, venue du fond des âges ; qu’ils nourrissaient la vie des hommes de l’Antiquité qui en avaient certainement une connaissance plus importante que la nôtre, qui pouvaient en voir des adaptations dans les tragédies ; on ne s’étonnera plus guère de l’ampleur qu’a connue ce traitement allégorique des mythes.
Mais divers courants d’interprétation vont apparaître, et il est frappant de constater combien ces courants s’opposent entre eux. Rares seront les tentatives de synthèse entre des éléments appartenant à deux mondes si différents et on verra même apparaître des attitudes consistant à admettre l’interprétation allégorique des Écritures tout en refusant son application aux mythes païens (cas de Tertullien ou d’Augustin par exemple). Voir ci-dessus.
1) L’allégorie est bien présente dans les évangiles synoptiques. Mais, à l’inverse de ce que l’on observe chez saint Paul, elle n’y apparaît pas sous la forme de l’interprétation allégorique de l’Ancien Testament ; elle y apparaît quasi exclusivement au titre de l’expression allégorique, qui traduit en images un enseignement abstrait, de ce fait dérobé aux indignes et réservé à une élite, et qui se manifeste dans les paraboles. Ces paraboles sont en effet d’authentiques allégories au sens le plus classique du terme. Elles rassemblent tous les éléments nécessaires et suffisants à la définition de l’expression allégorique, dans quelque civilisation qu’on la rencontre. En ce qui concerne l’origine de ces allégories dans les évangiles, il faut, semble-t-il, songer à un emprunt au judaïsme palestinien ; ou mieux, à la manifestation d’un procédé naturel à l’esprit humain, lorsque la vérité à exprimer est ardue, et que les auditeurs sont rudes.
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L’ÉLABORATION DE L’IDÉOLOGIE CHRÉTIENNE.
Confrontés à une multitude de contradictions, les premiers chrétiens lisent et relisent les Écritures juives pour comprendre et expliquer ; et trouvent dans celles-ci des titres, des noms et des prophéties pouvant s’appliquer à leur Maître disparu : non seulement « Messie » (en grec « Christ »), mais aussi « Fils de Dieu », « Fils de l’Homme », « Fils de David », « Seigneur », etc. ; non seulement de nombreux psaumes, mais encore beaucoup de passages empruntés aux Prophètes, à commencer par Esaïe, etc. D’anciens midrashim (commentaires de la Bible juive) sont remis en circulation et de nouveaux sont élaborés, afin de diffuser dans la communauté juive tout entière le résultat de ces recherches. Les discours de Pierre en Actes 2 à 4 en sont un premier exemple, même si leur contenu a peut-être été retouché par l’auteur de l’ouvrage « à Théophile ». Ces spéculations ou ces convictions constituent le début d’un long processus de réécriture de l’Histoire qui s’étalera sur plusieurs dizaines d’années, voire plusieurs siècles.
Il en sortira la synthèse suivante.
— a) Jésus était bien le messie (le christ) envoyé par Dieu ou le Démiurge. b) Il est même dieu.
— Mais son royaume n’était pas de ce monde. Par contre il est déjà en secret à l’œuvre ici-bas * et se réalisera pleinement quand tous les hommes seront devenus chrétiens **.
— Jésus est mort non pas conformément aux prophéties parlant du Messie, mais conformément aux prophéties sur le serviteur souffrant,
— Pour les péchés de tous les hommes, et pas seulement des juifs.
— Il apporte le salut (la vie éternelle) à tous ceux qui croient en lui.
— Il est était aussi le fils de l’Homme qui doit revenir juger les vivants et les morts à la fin des temps.
— Sa gloire totale sera révélée à ce moment-là, car elle a été volontairement occultée durant sa vie sur Terre (cela fait un peu schizophrène).
— Il y aura alors résurrection des corps pour que chacun puisse subir physiquement son châtiment, ou être récompensé (idée empruntée aux pharisiens).
Tels sont, vraisemblablement, les éléments constitutifs de la première catéchèse chrétienne. Cette réforme hellénisante du judaïsme se donnera comme kérygme un slogan du type « bonne nouvelle (évangile en grec) le Sauveur est arrivé ! ».
On peut néanmoins distinguer trois grandes tendances.au début.
— Pour la première, Jésus n’est qu’un prophète d’Israël, le dernier, mais rien qu’un homme. C’est grosso modo la tendance des premiers chrétiens qui étaient tous d’origine juive et ce sera peut-être même celle du premier pape, à Jérusalem, Jacques le frère de Jésus. C’est la tendance que l’on retrouve actuellement dans l’islam (christologie basse et pauvre).
— Pour la seconde, Jésus fut un homme ordinaire, né de Marie et de Joseph, mais en raison de sa piété, de ses actions méritoires, de sa justice, Dieu l’a adopté comme Messie lors de son baptême dans le Jourdain. Il s’agit des ébionites (ébion = pauvre) ; pour eux, Jésus est le plus grand des prophètes, mais il n’est pas « le Fils de Dieu ». Il est né de Joseph et de Marie, et fut « adopté » par Dieu lors du Baptême par Jean, dans le Jourdain. Monothéistes farouches, ils ne peuvent admettre la notion de Trinité. Cette idée sera plus tard considérée comme une hérésie par les chrétiens d’origine païenne (adoptianisme).
— Pour la troisième enfin, Jésus est né de la Vierge Marie par l’opération du Saint-Esprit, c’est un messie exceptionnel, presque divin, mais sans être néanmoins de nature divine au sens strict du terme (christologie plus riche et plus élevée). Les nazôréens décrits par Épiphane et Jérôme seraient les premiers chrétiens restés fidèles aux héritiers de Jésus et de Jacques à Jérusalem (ils n’iront jamais cependant jusqu’à accepter les écrits des hellénistes et de Paul).
La rédaction finale de l’histoire romancée de la vie de Jésus est issue d’un compromis entre les deux principales conceptions de son rôle. Celle qui est défendue par Jacques et Simon-Pierre (tradition encore soutenue par les elchasaïtes au IIe siècle) qui ne voyait en Jésus qu’un homme.
Celle qui est développée par le courant esséno-helléniste, fondée sur le témoignage d’un certain Saül/Paul prétendant avoir eu la révélation de l’être surnaturel qu’il appelle le Christ, et assimile à ce Jésus dont s’était emparée la rumeur.
Entre les deux courants naîtra une querelle de filiation, chacun se revendiquant du Maître par apôtres interposés. La multitude de traditions orales alors en circulation sur Jésus, toutes plus riches en détails les unes que les autres sur sa vie, authentiques ou supposés, ne facilita pas les choses. Mais
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l’utilisation d’une biographie largement artificielle permit de faire coïncider la date, le lieu de naissance, le père, la mère, de Jésus, avec les prophéties de l’Ancien Testament, et d’obtenir ainsi le messie parfait.
Si l’on en croit les Écritures, le messie devait naître à Bethléem dans la Maison de David. Michée 5, 1 « Et toi (Bethléem) Ephrata, le plus petit des clans de Juda, c’est de toi que me naîtra celui qui doit régner sur Israël ». Il en fut donc fait ainsi et Matthieu 1, 6, suit ce portrait-robot à la lettre, au besoin en inventant ou en se greffant sur une légende locale (à Bethléem, des non-juifs célébraient encore la naissance du dieu-ou-démon des céréales, Tammouz-Adonis, dans une grotte, au 3e siècle, d’après saint Jérôme (lettre No 58 à saint Paulin de Nole). C’est sur cette grotte que l’impératrice Hélène fera construire la basilique de la Nativité au 4e siècle.
Ce sauveur devait naître d’une mère vierge (Esdras 7, 14). Cela fut fait. Matthieu (1, 23).
La date de naissance de Jésus-Christ a été choisie par les auteurs des évangiles pour répondre à la prophétie : « Le sceptre ne sera pas ôté de Juda ni le bâton de commandement d’entre ses pieds ; jusqu’à ce que vienne Shiloh (l’Envoyé ?), à qui tous les peuples obéiront » (Genèse, 49,10).
Si l’on en croit les Écritures, le messie devait aussi se manifester en Galilée (Esdras 8, 23), annoncer la bonne nouvelle aux pauvres, libérer les opprimés, guérir les malades, et rendre la vue aux aveugles ; annoncer le pardon de Dieu ou du démiurge (Esdras 61), enseigner par paraboles (Psaumes 78, 2), monter à Jérusalem comme héritier de la royauté davidique (Zacharie 9, 9).
Cela fut fait, voir Matthieu 4, 14, Luc 14, 18, Matthieu 13, 35, Matthieu 21, 4.
Ci-dessous le texte un tantinet illuminé (prophétique) de Zacharie 9, 9-10, que l’on a plaqué plus ou moins artificiellement sur la véritable biographie de Jésus, au besoin en déformant les faits.
« Sois transportée d’allégresse, fille de Sion ! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ! Voici, ton roi vient à toi ; il est juste et victorieux, il est humble et monté sur un âne, sur un âne, le petit d’une ânesse. Je détruirai les chars d’Ephraïm, et les chevaux de Jérusalem ; et les arcs de guerre seront anéantis. Il annoncera la paix aux nations, et il dominera d’une mer à l’autre, depuis le fleuve jusqu’aux extrémités de la terre ».
Si l’on en croit les Écritures, le messie enfin devait être haï (psaume 35, 19 ; 69, 5), trahi (Psaume 41, 10) mis à mort comme un malfaiteur (Esdras 53, 22). On devait partager ses vêtements et tirer au sort sa tunique (psaume 22, 19). Il devait être transpercé (Zacharie 12, 10). Dans la sépulture son corps ne devait pas subir la corruption (psaume 16, 8). Dieu ou le démiurge devait enfin le ressusciter (Deutéronome 18,15).
Cela fut fait. Les premiers chrétiens inventeront ou supprimeront ou modifieront ce qu’il faut pour cela. D’où le travail de type midrash (misdrah = commentaire) opéré sur la réalité de la vie de Jésus, afin de la faire correspondre au maximum avec le portrait-robot du messie, d’après les Écritures. Voir Jean 15, 25 ; 19, 18, Marc 15, 28, Matthieu 27, 36, Jean 18, 19, Actes 2, 27, Actes 3, 22.
Cette contradiction intrinsèque de base (le rapprochement forcé ou à tout prix avec des données antérieures des Écritures juives, à valeur annonciatrice ou prophétique) a donné à l’ensemble la tournure d’un film fantastique. Le crucifié mis au tombeau sort trois jours après, résurrection du corps du Christ, promesse d’une résurrection des corps pour les fidèles, etc.
Ainsi que l’a très bien vu l’ami Henri Lizeray en son temps : « La fatalité d’être conçu d’une vierge est prescrite, exigée à l’avance et, à ce titre, doit nécessairement faire partie de la biographie de toute personne présentée comme messie. Ce qui ôte toute valeur réelle au récit qui ne peut plus être considéré comme constatant un fait, mais arrangé pour les besoins de la cause ». (« La Doctrine Secrète »).
1) Nom sous lequel on désigne généralement l’ensemble formé par l’évangile de Luc suivi des Actes des apôtres, lesquels apparemment ne constituaient à l’origine qu’un seul ouvrage, dédié à un certain Théophile justement.
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RAPPEL DE QUELQUES FAITS EN CE QUI CONCERNE L’ÉLABORATION DU MESSAGE.
Les premiers chrétiens (même de base) étaient plus partagés ou plus nuancés à propos de Jésus-Christ que ceux d’aujourd’hui.
— Certains voyaient le nouveau Josué comme un ange (voir Épître aux Hébreux) qui n’avait eu que l’apparence d’un homme, prise par lui afin de descendre sur Terre : les docétistes.
— D’autres n’adhéraient aucunement à cette idée gnostique docétiste de l’ange christ, et croyaient en un Jésus vrai homme à la façon d’un prophète ou d’un messie, mais n’accordaient pas beaucoup d’importance aux détails de sa mort. L’insistance sur la passion du Christ n’apparaîtra que tardivement.
— D’autres encore rapprochèrent alors la descente sur Terre et la remontée au Ciel de cet esprit ou ange christ, de la vie et de la passion d’un Jésus ayant réellement vécu, tout en développant fortement certains traits de sa biographie. La passion réelle du Jésus historique fut par exemple peu à peu rapprochée de la passion du Maître des Justes, essénien, ayant eu lieu quelques années auparavant, ou de la fin que connurent nombre de zélotes, crucifiés par les Romains.
— Mais on retrouve aussi dans sa relation actuelle des bribes d’influence du cérémonial de mise à mort rituelle de dieu-ou-démons comme Osiris ou Attis.
— Un grand nombre des écrits les plus anciens du christianisme ignorent le nom de Jésus et se contentent de parler du Messie, du Seigneur, ou du Christ (terme grec signifiant messie).
Les arguments et les raisonnements de base du Nouveau Testament sont issus d’un judaïsme dissident où s’affrontaient diverses sectes, ou communautés, notamment de l’esséno-baptisme.
La notion d’ange christ, d’esprit ou ange messie, apparaît avant l’ère chrétienne et dominera toute la pensée du premier christianisme (voir Épître aux Hébreux) ; jusqu’à l’apparition, au IIe siècle, d’un courant hostile au gnosticisme (cf. le montaniste Tertullien et le protocatholique Irénée). L’histoire officielle du christianisme a évidemment le plus souvent gardé sous silence le grand nombre de ces mouvements spiritualistes qui, au 1er siècle, annoncent ou attendent un sauveur, envoyé par un Dieu supérieur, quel que soit son nom.
Les lettres ont été la première des littératures chrétiennes. Un des exemples de la prédication ayant précédé les quatre évangiles est celui du prêcheur itinérant appelé Saül, de Tarse, puis Paul.
Ses lettres sont mentionnées pour la première fois par le gnostique chrétien Marcion, vers 140. Cet « hérétique » fils de l’évêque judéo-chrétien de Sinope sur le Pont-Euxin (95 – 160) les a vraisemblablement réécrites ou remaniées, en les amalgamant sous des titres de son invention.
Tatien, partisan lui aussi, et comme Marcion, d’une version unique des 4 évangiles (en grec le Diatessaron) a dû faire de même. Nombre de ces textes sont donc très sujets à caution (additions, interpolations…). Le premier d’entre eux, pour ne citer que lui, datant de l’an 50, est un enseignement à propos de la résurrection des morts (1 Thessaloniciens 4,15-17) ; introduit par les mots « voici ce que nous disons d’après une parole du Seigneur » ; parole dont on ne retrouve aucune trace par ailleurs.
L’HOMME JÉSUS ET SA FAMILLE.
Les rapports sont tendus, voire mauvais. Nous en avons des témoignages dans les Évangiles synoptiques (surtout chez Marc, les deux autres atténuent les oppositions). À deux reprises chez Marc, on voit en effet leur opposition à son action, lorsqu’il chasse les mauvais esprits et attire les foules, lors de son passage à la synagogue de Nazareth. Le texte originel de Marc a probablement été rédigé à la fin des années cinquante dans la région de Césarée, peut-être par Philippe ou un proche. Le texte actuel est une réédition pour un public païen avec des rajouts en fin de texte.
Comme Marc est issu d’un milieu qui connaît l’Église primitive de Jérusalem, mais ne l’apprécie guère, car trop encline aux compromissions pour se faire tolérer des autorités ; ces passages (montrant des ruptures entre Jésus et sa famille) sont donc peut-être en fait des mises en garde déguisées contre Jacques et sa communauté. Mais il existe aussi d’autres témoignages.
— Luc : 11, 27-28 : « Une femme lui dit : heureuses les entrailles qui t’ont porté ainsi que les seins que tu as sucés ! Jésus répondit : heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et l’observent ».
— Chez Jean, à trois occasions, le lecteur peut constater l’opposition entre la famille et Jésus. Lors des noces de Cana « Femme que me veux-tu ?? » au retour de Cana et lors de la montée à Jérusalem pour la fête des Tentes (7, 35) : « Ses frères eux-mêmes ne croyaient pas en lui ». Le groupe « famille » ne reconnaît pas Jésus dans sa mission.
En Marc 10, 18, Jésus invite au respect des commandements « Ne tue pas, ne vole pas, honore ton père et ta mère ».
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Mais on trouve aussi dans Luc 14, 26 « Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs et jusqu’à sa propre vie, alors il ne peut être mon disciple ».
LES DISCIPLES JUSTEMENT.
Les évangiles synoptiques affirment que les disciples se sont enfuis à l’arrestation de Jésus : Matthieu 26, 56 « Tous les disciples l’abandonnèrent et prirent la fuite ».
Les femmes n’arrivent qu’après la mort de Jésus et se tiennent à distance (différence avec Jean où elles se trouvent au pied de la croix). Ces femmes – proches ou à distance – ne sont pas les mêmes d’un texte à l’autre, selon Marc, il n’y a pas Marie mère de Jésus.
En fait chacun a organisé à sa façon les rumeurs circulant sur Jésus, car aucun des évangélistes n’a été personnellement témoin des faits rapportés. Ils avaient entendu parler de Jésus et ils ont composé à l’intention de leur communauté (par exemple les chrétiens d’Antioche, etc.) de très longs et très théâtraux plaidoyers à partir des matériaux hérités de prédications les ayant précédés.
Le résultat final de tout cela fut donc une œuvre de fiction, un plaidoyer d’avocat marron, une construction médiatico-politique (donc matériellement et intellectuellement malhonnête), ou au mieux une histoire romancée de Jésus, que les futurs chrétiens orthodoxes présenteront ensuite comme entièrement historique. Afin de contrer l’influence grandissante de l’Église marcionite, l’aile modérée de la mouvance paulinienne (la tendance chrétienne à l’origine de nos Églises actuelles) décidera d’adjoindre à l’évangile de Marcion 3 autres récits lui ressemblant, mais ayant chacun leur public. En ce sens, on peut donc considérer Marcion (95 – 160), le premier vrai exégète de la Bible juive, comme le fondateur (involontaire) du courant à l’origine du christianisme que l’on connaît. Après avoir joué un rôle considérable, le mouvement de Marcion sera ensuite peu à peu marginalisé pour deux raisons.
— Son maintien d’un certain gnosticisme (dualisme mitigé, assimilation du créateur de ce monde, raté, à un mauvais dieu).
— Son ascétisme trop rigoureux.
Le futur christianisme d’État officiel finira donc par ne retenir que quatre évangiles, composés en gros dans la période allant de l’an 65 à l’an 100.
Les contradictions intrinsèques de cette pseudobiographie ont néanmoins conféré à l’ensemble une tournure assez fantastique (le crucifié mis au tombeau en sort trois jours après, promesse d’une résurrection des corps pour les fidèles, etc.).
Topographie et chronologie des quatre Évangiles constituent un véritable embrouillamini. Pour les trois premiers évangiles, ceux qui sont dits synoptiques, tout se passe dans le même cadre chronologique et géographique : le ministère de Jésus s’étend sur une année, il commence en Galilée puis se termine en Judée par la Passion. Jean, au contraire, étend ce ministère sur deux ou trois ans et le place d’emblée en Judée ou en Galilée par moments. Certains des lieux en question n’étant d’ailleurs que des erreurs de traduction ou de compréhension. Nazareth et Arimathie n’étaient pas des localités ou des lieux-dits, à l’époque du moins. Les auteurs hellénophones du IIe siècle ne comprenant plus le sens du mot « nazoraios » ont cru que cela signifiait « de Nazareth », et ont donc fait d’un village appelé Nazareth le lieu d’origine de leur Messie. Or un tel village n’existait pas encore ! Nazoraios était plutôt un terme de la famille du mot hébreu nazir et signifiant « consacré », autrement dit un nazoréen.
Des penseurs comme Noël Journet, ou Giordano Bruno, ont d’ailleurs payé de leur vie le fait d’avoir relevé ces éléments CONTRADICTOIRES, ABSURDES, ILLOGIQUES, OU À TOUT LE MOINS VRAIMENT TRÈS ÉTONNANTS.
Ces récits sont plus des plaidoiries d’avocat (en faveur de la divinité de Jésus) que des récits de témoins (ayant juré de dire la vérité toute la vérité rien que la vérité).
Les responsables de la rédaction finale des quatre évangiles n’ont pas été des témoins oculaires de la vie de Jésus, mais des chrétiens de la seconde génération, et leur témoignage n’est donc qu’un témoignage de seconde main. Comment Jean, témoin oculaire, aurait-il pu, par exemple, placer le célèbre épisode des vendeurs chassés du temple (chapitre 2) au début du ministère public de Jésus, et le témoin oculaire Matthieu le mettre à la fin (chapitre 21) ? Pour expliquer une telle bizarrerie, les chrétiens soutiennent que cette purification violente et à coups de fouet, du Temple, a eu lieu deux fois, et que chacun des deux évangélistes a choisi de ne rapporter qu’une seule de ces deux occasions. Cela est bien invraisemblable ! C’est un raisonnement de témoin de Jéhovah. Comme
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celui par exemple tenu à propos du géant philistin Goliath, tué par David, ou par un homme du roi David appelé Elhanan, suivant les passages de la Bible auxquels on se réfère (2 Samuel 21, 19).
Autres exemples de raisonnements « à la façon des témoins de Jéhovah » chez les chrétiens.
Parce que Matthieu parle d’un sermon sur la Montagne et Luc d’un semblable sermon sur le plateau (Matthieu 5,1 ; Luc 6,17) il doit y avoir eu une plaine sur le flanc de la montagne. Parce que chez Matthieu la prière du « Notre Père » est enseignée durant ce sermon, et que chez Luc cela se situe plus tard sur une route de Jérusalem (Matthieu 6, 9-13 Luc 11, 2-4) ; les disciples doivent l’avoir oublié, forçant Jésus à la leur répéter. Marc 10, 46, situe la guérison de l’aveugle après que Jésus a quitté Jéricho, alors que Luc 18, 35 ; 19, 1, la situe avant son entrée dans cette ville.
Explication de nos modernes témoins de Jéhovah : c’est parce que Jésus quittait le site de la Jéricho de l’Ancien Testament pour entrer dans la Jéricho du Nouveau Testament. De qui se moque-t-on ?
L’explication est bien plus simple si l’on admet que ni Jean ni Mathieu ne furent des témoins oculaires, et que chacun donc a reçu un récit de la purification au Temple par une source intermédiaire. Un seul des deux savait (ou aucun) quand la scène avait eu lieu exactement.
Idem pour les autres exemples d’absurdité relevés dans les quatre Évangiles.
Dans le récit de Matthieu, Joseph et Marie vivent à Bethléem et y possèdent une maison (2,11). Ils y demeurent jusqu’à ce que l’enfant ait près de deux ans (2,16) et la seule chose qui les empêche d’y retourner après la fuite en Égypte est la peur qu’ils ont du fils d’Hérode. Ils se rendent donc dans une ville appelée Nazareth, ce qui implique clairement qu’ils n’y sont pas allés auparavant (2, 22-23).
En Luc, Marie et Joseph vivent à Nazareth et ne se rendent à Bethléem qu’en raison du recensement (1, 26 et 2, 4). Après la naissance de l’enfant, et après s’être arrêtés brièvement à Jérusalem en chemin, ils retournent vite à Nazareth et y demeurent (2,39). Il n’y a chez Luc aucune allusion à un séjour de la famille à Bethléem durant près de deux ans, après la naissance de l’enfant ; il ne mentionne absolument pas la venue des mages à Jérusalem puis à Bethléem, avec tout l’éclat que cela aurait dû comporter, ni le massacre des enfants à Bethléem, ni la fuite en Égypte. En fait, dans son récit d’un retour pacifique de Bethléem à Nazareth en passant par Jérusalem, Luc n’a pas de place pour des événements aussi terribles ni pour un tel crochet par l’Égypte. Dans l’évangile de Matthieu, il n’y a pas d’allusion à un recensement et l’atmosphère y est totalement différente de celle qui nous est dépeinte par Luc… Matthieu raconte une annonce faite à Joseph tandis que Luc rapporte une annonce faite à Marie. Matthieu parle de mages venus après la naissance de Jésus pour l’encenser, tandis que Luc évoque des bergers accourus pour adorer le nouveau-né… On a bien du mal à penser que les deux évangélistes sont exacts dans leur relation d’événements marquants. Ce qui est probable, c’est que la naissance de Jésus aura été associée postfactum comme on dit en latin (après la Résurrection) à de vagues souvenirs de phénomènes s’étant produits un peu avant, ou après, la Nativité…
Matthieu et Luc rapportent l’un et l’autre des faits qui devraient avoir laissé des traces dans les chroniques du temps. Le premier parle d’un phénomène astronomique inhabituel : une étoile qui s’est levée à l’est semblerait avoir conduit les mages à Jérusalem, puis aurait reparu pour venir s’arrêter au-dessus du lieu où Jésus est né à Bethléem (2, 9). D’après Matthieu chapitre 2, quand les mages arrivent auprès d’Hérode le grand et que celui-ci, avec les grands-prêtres et les scribes, apprend la naissance du roi des juifs, toute la ville de Jérusalem se trouve bouleversée par cet événement. Mais quand Jésus apparaît pour son ministère public, personne ne semble savoir quelque chose à son sujet ni en attendre quoi que ce soit (Matthieu 13, 54-56). En particulier le fils d’Hérode, Hérode Antipas, qui ignore tout de lui (Luc 9, 7-9). Selon Luc, la mère de Jean-Baptiste, Élisabeth, était apparentée à celle de Jésus, Marie : les deux enfants étaient donc parents. Mais lors du ministère public, il n’y a pas le moindre indice que Jean-Baptiste soit de la famille de Jésus ; et en Jean 1, 33 le baptiste dit explicitement : « Je ne le connais pas ».
Il n’y a pas que le problème général de fidélité à l’Histoire, il y a aussi celui de l’exactitude de la description des coutumes et du comportement de Marie quand elle amène l’enfant à Jérusalem. En 2, 22 sqq. les lois juives sur la présentation des premiers-nés ainsi que la purification de la mère, sont décrites de façon confuse, et l’on paraît supposer, à tort, que Marie n’était pas seule visée par la purification. Cela ne donne pas l’impression de souvenirs familiaux précis.
Le récit de l’Enfance chez Matthieu est un « catéchisme » du message essentiel des Écritures d’Israël, c’est-à-dire de ce que nous appellerions l’Ancien Testament… C’est ainsi que, par une espèce de superposition, les deux évangélistes nous parlent de scènes et de personnages de l’Ancien Testament qui sont autant de préparations à la venue de Jésus.
Dans les récits de l’Enfance trouvés chez Matthieu, les passages prophétiques sont autant d’efforts pour rattacher à l’annonce de la naissance de Jésus, les témoignages d’Isaïe, de Jérémie, d’Osée, etc. Chez Matthieu, l’histoire de Joseph, avec ses songes et le voyage en Égypte, évoque celle de son homonyme de l’Ancien Testament ; de même que l’apparition du méchant roi Hérode, assassin
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d’enfants, rappelle le souvenir du Pharaon qui essaya de supprimer Moïse. En bref, ce que Matthieu est en train de raconter, ce n’est pas l’enfance de Jésus, c’est l’histoire d’Israël, car elle constitue une introduction essentielle à l’Évangile proprement dit, qui commence avec le baptême de Jésus par Jean.
De tels récits attestent chez leurs auteurs une grande méconnaissance de la Palestine et de l’époque assignée à la vie de Jésus ; le sanhédrin ne disposait pas du droit de justice, l’usage de gracier un criminel à la Pâque n’existait pas chez les juifs, et les légionnaires romains (censés assister au supplice) ne feront leur apparition qu’en 66 (la legio XII fulminata commandée par Cestius Gallus, défaite à Beth Horon). Au moment de la mort de Jésus, il s’agissait encore simplement de supplétifs indigènes, autrement dit d’auxiliaires recrutés dans le pays (quoique non-juifs), vraisemblablement de la plaine de Césarée, ou de Sébaste en Samarie et commandés par des officiers. Peut-être un escadron de cavalerie (l’Ala I gemina Sebastenorum, représentant environ un régiment) et cinq cohortes d’infanterie, recrutées sur place (mais non parmi les Juifs, exemptés de service militaire), sous les ordres d’officiers d’origine orientale. Ces troupes étaient en grande partie cantonnées à Césarée. D’ordinaire, à Jérusalem, dans l’imposante forteresse Antonia adossée au Temple, se trouvait seulement une cohorte appuyée par un petit détachement de cavalerie commandé par un tribun, chargée du maintien de l’ordre. Il est possible que quelques unités supplémentaires aient été déployées en ville lorsque le gouverneur y séjournait, basées dans le palais d’Hérode et dans son voisinage immédiat, mais toujours en petit nombre.
Le corps de Jésus ressuscité peut franchir une porte fermée, se déplacer d’un lieu à un autre, avec une incroyable rapidité, et apparaître tout à coup.
Luc 24, 42-43 attribue au corps du ressuscité, des propriétés physiques. Jésus avait besoin de manger. Saint Paul (1 Corinthiens 15,42-50) lui, par contre, soutient que le corps ressuscité doit être spirituel et non physique.
En Marc (10, 38), le nouveau Josué met les fils de Zébédée, ses disciples, au défi de toucher à la coupe qu’il va boire ; mais il demande quand même après à Dieu, à Gethsémani (Marc 14,36-39) d’éloigner cette coupe de ses lèvres.
Dans Marc et Matthieu, Simon de Cyrène est réquisitionné pour porter la croix de Jésus À SA PLACE (Simon de Cyrène la porte seul) ; dans Luc, il porte la croix « derrière » Jésus – c’est-à-dire que Jésus et Simon de Cyrène portent ensemble la croix… mais comment comprendre alors ensuite, dans le récit, la disparition immédiate de celui qui paraissait devoir être le témoin par excellence du supplice et de la mort de Jésus ?
Si l’un d’entre vous veut être mon disciple, qu’il porte sa croix lui-même et qu’il me suive… Cette parole n’a plus de sens dans ce cas !
Dès le début, certains chrétiens (les gnostiques et les docètes) verront donc en Simon de Cyrène, non pas ou non seulement quelqu’un qui a porté la croix de Jésus, mais carrément quelqu’un qui a été crucifié… à sa place. Ainsi que l’a très bien vu John Toland à propos des méthodes et du style du Nouveau Testament (le christianisme sans mystère. Section II chapitre III paragraphe 22) les évangiles ne sont pas des témoignages bruts livrés dans le désordre par des illettrés transportés d’enthousiasme, mais des œuvres obéissant à un plan précis, et agencées avec talent, afin d’obtenir l’adhésion du lecteur. Ce que reconnaissent d’ailleurs aujourd’hui tous les exégètes chrétiens sérieux.
La vérité, c’est que, n’étant pas en mesure de s’appuyer sur un souvenir personnel des événements pour peindre Jésus ; chaque évangéliste a dû aménager le matériau hérité afin de répondre aux besoins spirituels de la communauté à laquelle il destinait son travail. Les Évangiles ont donc été aménagés dans un ordre thématique et pas nécessairement chronologique. Les évangélistes ne sont pas des témoins, mais des auteurs, façonnant, développant, élaguant, les matériaux reçus sur Jésus, et des théologiens orientant ces matériaux vers une fin particulière, non des historiens objectifs. Les évangiles ne sont pas des procès-verbaux du ministère de Jésus. Des décennies de développement et d’adaptation de traditions christologiques sur Jésus, sont passées par là.
Mais la question qui se pose alors dans ce cas est la suivante : s’il y a eu des développements et des adaptations, comment savoir si les évangiles reflètent bien le vrai message de Jésus ?
Un exemple rien qu’un seul : en 1 Corinthiens 15, Paul rappelle le contenu de son évangile de la mort, de l’ensevelissement et de la résurrection du Christ, en précisant après chaque terme : « Selon les Écritures » ; puis il énumère tous ceux qui ont bénéficié d’une apparition du Christ en faisant appel à la mémoire des témoins. Là encore, il déclare : « Je vous ai transmis ce que j’avais reçu moi-même » (1 Corinthiens 15, 3-8). La lettre est datable de l’an 56. C’est, de par sa forme, un texte déjà traditionnel. Or des témoins encore vivants y sont mentionnés qu’ignorent les évangiles et réciproquement (Paul ignore plusieurs récits d’apparitions que connaissent les Évangiles). Notons au
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passage, ce qui est très très curieux, c’est que saint Paul dans ce texte de 1 Corinthiens 15, 3-8, compte toujours Judas au nombre des 12 ; (il n’a en effet été remplacé qu’après ces apparitions, voir le tirage au sort de Matthias en Actes des apôtres 1-26). Peut-on imaginer, entre Jérusalem et Paul, une telle rupture dans la transmission de traditions aussi déterminantes pour la croyance chrétienne ? Paul est-il à ce point inconnu des documents qu’ont utilisés les évangélistes ? Certains récits d’apparitions ne seraient-ils que des constructions littéraires ?
La dernière et fondamentale partie de l’évangile selon saint Marc sur les apparitions de Jésus ressuscité (16, 9-20) ne figure pas dans le codex vaticanus. Elle provient d’un ajout au texte primitif, mais le Pasteur d’Hermas et l’épître à Barnabé, eux, bien que non inclus dans la liste officielle des textes composant aujourd’hui le Nouveau Testament, figurent dans ledit codex sinaïticus. Alors, qui croire ?
Quoi qu’il en soit, encore une fois répétons-le, les évangiles qui se forment au cours du IIe siècle, qu’ils soient canoniques, c’est-à-dire officiels, ou apocryphes ; ne sont ni des reportages, ni des textes historiques, ni des biographies, ce ne sont que des catéchèses, ou des histoires romancées.
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AUTOPSIE DU MYSTÈRE DE LA SAINTE TRINITÉ.
« Même ma propre Bethléem, telle qu’elle est aujourd’hui, ce lieu le plus vénérable du monde dont le psalmiste a chanté : « la vérité sortira de sa terre » a été éclipsée par un bosquet sacré voué à Tammouz, c’est-à-dire Adonis ; et dans la grotte même où le Christ enfant a poussé ses premiers cris, les lamentations funèbres ont été chantées pour le compagnon de Vénus (Ezéchiel 8:14)». Lettre de saint Jérôme à saint Paulin de Nole.
Deux mots maintenant sur la situation en Palestine au début du premier siècle de notre ère. Ce qui était attendu par Israël ne n’était pas un dieu un fils de Dieu ni un dieu incarné, mais le Messie c’est-à-dire un homme extraordinaire qui avec l’aide de Dieu viendrait rendre à Israël sa gloire terrestre de jadis (enfin d’après les Bibles) autrement dit un super roi David. La bonne nouvelle (évangile) attendue était donc : « ça y est, le messie est apparu, on l’a vu à… tel endroit ! Il est en route, et les…… s’enfuient devant lui ! Il arrive et le peuple tout entier se lève derrière lui pour le suivre ! ». Or quelques générations plus tard un homme nommé Jésus était adoré par des milliers ou millions de personnes. Que s’est-il donc passé pour que l’on en arrive là ?
Rappelons tout d’abord que le nazoréen Jésus n’apparaît pas dans les premiers écrits chrétiens : Pasteur d’Hermas, Épître de Barnabé, Évangile de Pierre, nombreux apocryphes, textes gnostiques (Évangile de Thomas) ; et il est totalement ignoré de toutes les tendances juives de l’époque, pharisiens, sadducéens, zélotes, esséniens voire, poussons la fouille : séthiens, caïnites, naassènes… Rien ! Les chroniqueurs, rédacteurs, ou historiographes du temps, ne citent jamais ce nom, il n’est signalé sur aucun registre, dans aucune gazette des faits divers, et, pourtant, chaque agitateur, prophète, magicien, provocateur, était signalé et surveillé, car tout le monde attendait le Messie ! Étrange… Comment un homme dont la renommée s’étendait si loin ; qui aurait ameuté les foules, arpenté le pays (un pays restreint), prêché dans les synagogues, stupéfié les plus grands sages juifs, accompli de nombreux miracles devant des foules de milliers de personnes, chassé les démons, fustigé les grands prêtres du Temple ; comment cet homme acclamé par le peuple à Jérusalem comme David sur son âne, et finissant sur la croix hué comme un malfaiteur ; aurait-il pu échapper à l’attention perspicace des Romains ? Et comment le judaïsme aurait-il pu l’ignorer puisque tout le monde attendait le Messie à l’époque ? Or il n’y a aucune trace du nouveau Josué dans l’énorme quantité de documents laissés par les esséniens dont les derniers datent de l’an 68, découverts à cinq kilomètres de l’endroit supposé du baptême du Christ !
Philon d’Alexandrie (-20 + 45) qui nous mentionne pourtant à deux reprises les esséniens ne dit pas un mot de Jésus.
« Les esséniens vivent dans un certain nombre de villes en Judée, ainsi que dans de nombreux villages, et en grandes communautés. Ils ne recrutent pas d’après la race, mais des volontaires amoureux de la droiture et des hommes. C’est pourquoi il n’y a pas d’enfants parmi les esséniens. Pas même des adolescents ni des jeunes gens. Ce sont plutôt des hommes mûrs ou âgés qui ont appris à contrôler leurs passions physiques. Ils n’ont rien en propre… »
« Ils n’offrent pas de sacrifices animaux, jugeant plus approprié de sanctifier leur esprit. Ils fuient les villes et vivent dans des villages où…… ».
Vers l’an 100, Juste de Tibériade écrivit « L’histoire des Hébreux ». Tous les exemplaires de ce livre compromettant ont été détruits. Mais Photius, patriarche de Constantinople (810 – 895) qui l’a lu vers 860 ; écrira néanmoins : « Juste souffrant de la tare commune à tous les Juifs, race à laquelle il appartenait, ne mentionne même pas la venue du Christ, les événements de sa vie, ni les miracles accomplis par lui ».
Une seule explication possible : si l’homme Jésus a vraiment existé, alors c’est que sa vie et son œuvre ont dû avoir un rayonnement microscopique.
Ces textes chrétiens qui ne citent pas Jésus de Nazareth ou Bethléem seront donc plus tard prudemment rejetés par les Pères de l’Église.
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MYTHOLOGIE COMPARÉE.
« Ce qui se nomme aujourd’hui religion chrétienne, existait dans l’antiquité et dès l’origine du genre humain jusqu’à ce que le Christ s’incarnât, et c’est de lui que la vraie religion qui existait déjà, commença à s’appeler chrétienne » (Saint Augustin. Rétractation. Livre 1. Chapitre 13).
Saint Augustin raisonne ici comme tout bon musulman, la religion défendue par son prophète n’a été ni inventée ni créée ni développée ni élaborée, elle n’est pas le résultat d’une histoire, elle n’a pas d’âge, elle a toujours existé, de façon immuable ; et son prophète n’a fait que la rappeler dans son intégralité, telle qu’elle fut donnée aux hommes par Dieu en personne.
L’évêque manichéen Fauste de Milève reprochait pourtant clairement à Saint Augustin, lui-même ancien manichéen, exactement le contraire.
« Tu aurais pu jusqu’à un certain point m’appeler un schisme du judaïsme, puisque j’adore le Dieu tout-puissant (ce que tout Juif prétend aussi dans son audace), pourvu toutefois que tu ne fisses pas attention à la différence des rites par lesquels les Juifs et moi adorons le Tout-Puissant, si tant est que les Juifs l’adorent réellement. Mais il ne s’agit pour le moment que de l’erreur qui a entraîné les païens au culte du soleil et les Juifs au culte du Tout-Puissant. Si tu disais que je suis un schisme de votre religion, tu te tromperais encore, bien que je vénère et adore le Christ ; mais avec un autre rite et une autre foi que les vôtres. Or, un schisme ne doit rien changer à la religion dont il se sépare, ou n’y changer que peu de chose : comme vous, par exemple, qui, en vous séparant des Gentils, avez d’abord emporté avec vous l’idée de l’unité monarchique, c’est-à-dire la foi que tout vient de Dieu ; puis qui avez converti leurs sacrifices en agapes, leurs idoles en martyrs à qui vous offrez les mêmes hommages ; qui apaisez les ombres des morts avec du vin et des aliments, célébrez les mêmes fêtes que les Gentils, comme les calendes et les solstices par exemple, mais qui n’avez certainement rien changé à la manière de vivre. Vous êtes évidemment un schisme, qui ne différez du culte d’origine que par vos réunions à part. Du reste les Juifs, vos prédécesseurs, en se séparant ainsi des Gentils, ne leur avaient laissé que les figures taillées ; mais les temples, les immolations, les autels, le sacerdoce, tout le ministère sacré, ils les avaient conservés avec le même rite et plus de superstitions encore que les Gentils. Quant à l’idée de l’unité monarchique, ils sont encore là-dessus parfaitement d’accord avec les païens ; d’où il résulte que vous et les Juifs n’êtes que des schismes de la gentilité, que vous en avez la foi et les rites quoique légèrement modifiés, et que vous n’avez d’autres raisons que vos réunions à part pour vous regarder comme des sectes. Or, si vous cherchez quelles sont les sectes, vous n’en trouverez pas plus de deux : celle des Gentils et la nôtre, qui a des opinions si éloignées des leurs. Nous sommes opposés les uns aux autres, comme la vérité et le mensonge, le jour et la nuit, la pauvreté et la richesse, la maladie et la santé. Mais vous, vous n’êtes une secte ni de l’erreur ni de la vérité, mais un simple schisme, et un schisme de l’erreur encore, et non de la vérité » (Saint Augustin, contre Fauste. Livre 20. Chapitre 4).
LES DIEUX QUI MEURENT ET QUI RESSUSCITENT.
On trouve chez les historiens des religions et les ethnologues deux conceptions différentes relatives aux dieux qui meurent et ressuscitent.
D’abord celle de Frazer. Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, personne plus que lui n’a insisté, dans le Rameau d’or sur les divinités de la végétation qui, comme elles, meurent en hiver pour reprendre vie au printemps, Osiris, Tammouz, Attis, Adonis, Déméter et Perséphone, Dionysos, dont la mort et la renaissance deviennent les symboles, à la l’intérieur des mystères ou des cultes initiatiques, d’une doctrine du salut et de l’immortalité. Frazer a lié la passion du Christ à l’ensemble de ces cultes, car souvent le dieu qui meurt peut servir de bouc émissaire sur lequel on projette, avant de le tuer, les impuretés de la collectivité, ce qui serait le point de départ de l’idée du dieu, qui, en mourant, se charge des péchés du monde.
L’argumentation de Frazer repose néanmoins surtout sur les données d’une certaine aire culturelle, celle de la Méditerranée, tout en s’appuyant également sur le folklore européen (mort de Carnaval, élection du roi et de la reine de Mai), et il englobe, dans un même système, deux sortes de mythologies différentes : celle du dieu assassiné, dépecé, comme Osiris ou Dionysos – celle de la
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descente aux enfers, comme le grain de blé qui doit être mis en terre pour germer (Demeter, Perséphone). Ce qui ferait l’unité du système, ce serait dans les deux cas l’imitation de la végétation (l’arbre qui reverdit, la graine que l’on enterre).
Mais il y a aussi le cas du soleil qui meurt tous les soirs pour ressusciter le lendemain à l’aube. Le rapprochement avec le cas du Christ est si évident QU’IL A DÉJÀ ÉTÉ FAIT. Notamment quand il s’est agi de commémorer la naissance de Jésus Christ (Noel) ou de le représenter. Jeune et imberbe, nimbé de lumière et vêtu d’or, debout sur un char solaire. Cette iconographie montre le Christ comme l’empereur céleste et comme la lumière apportée au monde.
Reconnaissons néanmoins que les représentations du Christ en Sol Invictus dans l’art paléochrétien sont beaucoup plus rares que celles le représentant en bon berger ou bon pasteur.
Si la caractéristique principale de Jésus-Christ est d’être un dieu qui meurt et qui ressuscite, alors il y en a quantité d’autres exemples dans l’Histoire.
Le problème d’auteurs comme E.J. Clark et B. Alexander Agnew, Joseph P. Macchio, voire S. Acharya (DM Murdock) par contre, c’est que leurs intuitions ne sont pas étayées par des témoignages comme celui de saint Jérôme sur la grotte de la nativité à Bethléem (ancien lieu de culte de Tammouz-Adonis). Macchio mentionne par exemple le demi-dieu celtique Hesus, qualifié d’Hesus Mars dans certains documents, d’Hesus-Cuchulainn dans d’autres, comme le mythe occidental sur lequel se serait greffé le culte du Christ.
Même en admettant des ressemblances entre les miracles de leur naissance et de leur mort (entre la naissance et la mort du Hesus Cuchulainn et celle de Jésus Christ), il n’en demeure pas moins qu’en l’état actuel de nos connaissances c’est beaucoup moins évident que le choix du dimanche à la place du samedi comme jour sacré de la semaine et que le choix du solstice d’hiver comme jour anniversaire de la naissance de Jésus Christ.
Et que tout ce que nous pouvons avancer avec prudence c’est que, vu l’absence de vrais témoignages sur le Jésus de l’Histoire, le personnage de « Jésus-Christ » semble essentiellement une compilation d’éléments issus de légendes, héros, dieu-ou-démons et hommes-dieux-ou-démons, divers. La légende de Jésus-Christ au sens strict du terme (ce qu’il faut lire à son sujet) a incorporé des éléments de récits d’autres dieu-ou-démons par exemple ceux des sauveurs du monde et « fils de Dieu » ; dont un bon nombre furent eux aussi suppliciés. La figure de Jésus-Christ correspond clairement à un thème mythologique, celui des divinités humanisées, sumériennes, grecques, ou perses.
Beaucoup de dieu-ou-démons humanisés puis suppliciés, sont en effet traditionnellement fêtés le 25 décembre, jour du soleil invaincu.
Et à cet égard, avant de nous perdre dans les détails, passons la parole comme toujours, pour bien définir ce que nous entendons par figure christique, à notre ami Will Durant (notre héritage oriental).
Le sacrifice humain, dont nous avons ici seulement un des nombreux exemples, semble avoir été pratiqué à un moment ou un autre par presque tous les peuples du monde. Sur l’île de Caroline dans le Golfe du Mexique, la grande statue en métal creux d’une vieille divinité mexicaine a été trouvée, au sein de laquelle se trouvaient encore les restes d’êtres humains apparemment brûlés vifs en tant qu’offrande au dieu. Et tout le monde a entendu parler du Moloch auquel les Phéniciens, les Carthaginois et parfois d’autres Sémites, offraient des victimes humaines.
Ici et là, comme chez les Pawnees ou les Indiens du Guayaquil, les rites de la croissance de la végétation avaient un aspect moins séduisant. Un homme – par la suite et en de meilleures époques, un animal – était sacrifié à la terre au moment des semailles afin qu’elle puisse être fertilisée par son sang. La récolte était interprétée comme la preuve de la résurrection du mort et l’on vénérait la victime, avant et après le sacrifice, comme un dieu. C’est de là que naquit évidemment le mythe à peu près universel d’un dieu mourant pour son peuple, puis renaissant à la vie. La poésie vint ensuite broder sur la magie et la transformer en théologie (Will Durant, Histoire de notre civilisation, chapitre IV, page 66).
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SYNCRÉTISMES LOCAUX POSSIBLES CONSÉQUENCES OU NON D’UNE INCULTURATION VOLONTAIRE.
Acculturation inculturation et syncrétismes religieux, quelques définitions pour commencer.
L’acculturation est l’ensemble des phénomènes qui résultent d’un contact continu et direct entre des groupes d’individus de cultures différentes et qui entraîne des modifications dans les modèles culturels initiaux de l’un ou des deux groupes.
Il ne s’agit donc pas seulement de décrire la perte d’une culture d’origine, mais aussi, et peut-être surtout, l’appropriation d’une nouvelle culture. Le phénomène concerne l’immigré confronté à une nouvelle culture et non les influences subies par une culture confrontée à l’immigration.
L’inculturation est un terme chrétien utilisé pour désigner la manière d’adapter l’annonce de l’Évangile dans une culture donnée. Cette notion est proche, mais sensiblement différente, de l’acculturation en sociologie. En effet, l’acculturation concerne le contact et la relation entre deux cultures, tandis que l’inculturation concerne la rencontre de l’Évangile avec les différentes cultures.
On peut la faire remonter au discours de Saint Paul aux Grecs, au milieu de l’Aréopage d’Athènes (Ac 17,22-33), qui peut être considéré comme le premier essai d’inculturation. Le succès en fut mitigé, si l’on en juge par la réaction des auditeurs : la plupart se moquèrent de lui : « Nous t’entendrons là-dessus une autre fois » (v33). Quelques-uns s’attachèrent à lui (v34).
Parmi les premiers praticiens de l’inculturation dans l’histoire des missions figurent saints Cyrille et Méthode pour les peuples slaves d’Europe de l’Est. Après le concile de Trente, le mouvement devint plus systématique.
Dans d’autres christianismes, l’inculturation se manifeste d’une autre manière que dans les rites et la liturgie. La traduction de la Bible en langue vernaculaire est l’une des premières tâches auxquelles s’attelèrent les missionnaires protestants ouvrant le champ à des études de linguistique. Les effets secondaires de ces traductions furent généralement la production de dictionnaires entre les langues vernaculaires et les langues européennes.
Le syncrétisme est le résultat d’un processus d’adaptation endogène généralement imposé par une culture exogène. Il implique, au sein de la structure d’accueil, une certaine réinterprétation des mythes et des croyances, l’emprunt de rites ou de pratiques et l’association de marquages symboliques et identitaires.
Les Romains avaient pour politique d’incorporer les dieux locaux des pays qu’ils conquéraient au panthéon romain. Ce choix leur évitait ainsi au moins toute opposition d’ordre religieux dans les pays polythéistes.
Une situation semblable s’est développée, mais involontairement, lorsque des missionnaires ont introduit la religion catholique en Amérique du Sud. Ils ont converti la majeure partie de la population, mais, à l’image des Samaritains de l’Antiquité, la population n’a pas oublié pour autant ses anciens rites. Ainsi, au Brésil, des chrétiens pratiquent toujours les rites vaudou et célèbrent des fêtes en l’honneur d’anciennes divinités, telle la déesse Lemanja. On observe le même phénomène dans d’autres pays d’Amérique du Sud.
La cohabitation du bouddhisme et du shintoïsme au Japon depuis le VIIIe siècle est un excellent exemple de syncrétisme, toujours observable aujourd’hui, et appelé shinboutsou shugo. Dans les faits, la plupart des Japonais fêtent les mariages et les naissances suivant les rites shintoïstes et les funérailles suivant les rites bouddhistes. De plus, on peut trouver dans la plupart des temples bouddhistes japonais un petit sanctuaire shinto et un petit autel bouddhiste dans de nombreux sanctuaires shinto.
Un autre exemple de syncrétisme est la situation indonésienne, dans laquelle les gens, tout en se déclarant adeptes des religions de masse (bouddhisme, christianisme, hindouisme, islam), continuent d’adhérer à des croyances et à observer des rituels relevant des religions traditionnelles.
Parmi les religions syncrétiques, le sikhisme, né au Pendjab à la fin du XVe siècle, conserve de l’hindouisme la croyance en la réincarnation de l’âme/esprit, mais est un monothéisme influencé par l’islam. Le yézidisme est une religion syncrétique à la croisée du zoroastrisme venu de la Perse antique et de l’islam de type soufi ; ses adeptes vivent aujourd’hui dans le Kurdistan irakien et dans la région du Caucase.
« Dorénavant, nous ne connaissons plus le Christ en tant qu’homme » (Paul. 2 Corinthiens 5, 16).
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Rappelons donc ici encore une fois qu’il ne s’agit pas ici de traiter du Jésus historique qui a peut-être existé, mais dont on ne sait finalement pas grand-chose à part une poignée de truismes.
1) il est né un jour quelque part en Palestine au début de notre ère.
2) Il est mort (vraisemblablement crucifié).
3) C’était un juif de la classe moyenne inférieure.
4) Il a eu pendant quelques années une activité politico-religieuse (les deux étant liés dans ce pays à l’époque).
5) Il a fait une forte impression sur un certain nombre de personnes.
En l’absence de preuves irréfutables du contraire, il est en effet possible de croire que Jésus-Christ fut un « mythe fait homme », c’est-à-dire un homme inventé et construit peu à peu rétrospectivement par l’imaginaire collectif de l’époque.
Les récits évangéliques ne peuvent en effet en aucun cas être tenus pour des relations historiques décrivant avec précision un fils de charpentier juif, qui aurait eu ainsi une existence réelle en Orient, il y a deux millénaires.
Les premiers responsables chrétiens ont mis en circulation une vie de Jésus incomplète, en grande partie fausse ou erronée, le coup de pouce final ayant été donné par saint Jérôme dans sa Vulgate (la version latine du Nouveau Testament, vers l’an 385).
Nous parlerons donc plutôt ci-dessous de la figure christique, qui a très rapidement dépassé celle du simple messie libérant son peuple avec l’aide de Dieu, pour devenir le cœur des réflexes conditionnés de ce qu’il est convenu d’appeler le christianisme.
Dans certains pays en effet, localement, la prédication chrétienne a pu rencontrer les mythes relatifs aux divinités suivantes et contribuer ainsi à son enracinement sur place, puis éventuellement à son essor au-delà.
Le passage du christianisme judaïque au christianisme hellénique, du fait historique de l’homme nommé Jésus au fait mystique du Christ, se fera surtout grâce à l’orphisme, la christologie de Paul ayant été très influencée par ce dernier. Qu’il s’agisse en effet du Serviteur de Dieu, du Maître des Justes (le messie des esséniens) ou de sa version nazoréenne-ébionite désignée sous le nom de Josué (Jésus) ; l’envoyé de Dieu est toujours assimilé à un ange de lumière descendant volontairement dans les ténèbres de la terre et ses souffrances, pour ressurgir dans la gloire solaire, à la droite du Père. Dans Esaïe, le Serviteur du Seigneur offre d’ailleurs la même image transcendante : il est martyrisé puis, ayant dédié son sacrifice aux hommes, il s’élève dans la lumière céleste où il siège désormais à la droite de Dieu.
La place manque ici pour entrer dans le détail à propos de chaque dieu-ou-démon qui a contribué à la formation du personnage de Jésus Christ dans les consciences populaires ; il suffit de dire qu’il y a pléthore de documents pour prouver que ce sujet n’est pas une question de « foi » ou de « croyance ». La confusion est partout présente, car, au cours des siècles, des auteurs chrétiens ont essayé d’amalgamer ou de fusionner pratiquement tous les mythes, contes de fées, légendes, doctrines voire fragments de sagesse, qu’ils pouvaient trouver. Tous ces auteurs ont ainsi contrefait, interpolé, mutilé, changé ou réécrit, les textes, pendant des siècles.
En Orient, pour mieux se faire comprendre et admettre, pour les besoins de la prédication, afin de faciliter la conversion des esprits, bref par acculturation/inculturation, seront donc utilisées les figures christiques suivantes.
— Orphée.
La Descente du christ aux enfers reprend le mythe d’Orphée et du phénix, joint peut-être à celui de la descente de l’esprit dans la matière, si l’on va jusqu’au bout de cette logique gnostique.
Orphée, apparu treize siècles avant Jésus-Christ, fut un grand réformateur religieux. Si l’on en croit l’historien latin Horace, il fut l’interprète des dieu-ou-démons. Il était le fils d’un roi de Thrace, mais selon les légendes, il serait fils d’Apollon, dieu-ou-démon solaire, et de la muse Calliope. D’ailleurs, il était lui-même musicien et poète. Orphée nous est connu surtout par la légende de sa descente aux enfers. L’orphisme était une sorte de religion secrète à caractère initiatique, au sein même de l’ensemble de la religion grecque et de son panthéon. Sans qu’aucun auteur ancien n’en fasse mention, il quitta très jeune son pays pour l’Égypte, où il fut accueilli par les prêtres de Memphis. Après vingt ans passés dans les écoles de ce pays, Orphée retourna en Thrace et entreprit de
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profondes transformations dans l’organisation religieuse de son peuple. Prélude au christianisme, l’orphisme constitue à la fois une religion et une philosophie : l’âme, prisonnière du corps, porte le fardeau d’un crime originel ; elle ne sera libérée qu’au terme de nombreuses incarnations, en se purifiant par les jeûnes, l’ascétisme et l’initiation spirituelle.
— Prométhée.
Certains ont affirmé que le dieu-ou-démon grec Prométhée venait d’Égypte ; mais son drame se déroula en fait dans les montagnes du Caucase. Prométhée partage avec le Christ de nombreux points communs. Prométhée descendit du ciel comme un dieu-ou-démon pour s’incarner en homme afin de sauver l’Humanité. Il fut mis à mort, souffrit et ressuscita. Cinq siècles avant l’ère chrétienne, le célèbre poète grec Eschyle écrivit son « Prométhée enchaîné ».
Contrairement au mythe de Prométhée proposé par Hésiode dans sa Théogonie, Prométhée n’apparaît pas comme un coupable, mais comme un héros auquel va toute la sympathie d’Eschyle. Le mythe de Prométhée est admis comme métaphore de l’apport de la connaissance aux hommes. C’est un des mythes récurrents dans le monde proto-indo-européen, mais on le retrouve également chez d’autres peuples.
— Horus.
On peut dire la même chose du mythe de la résurrection d’Horus, qui précède la version chrétienne de ce thème de plusieurs milliers d’années (– 2500 avant Jésus-Christ ? ?).
Ce mythe, introduit dans le livre des Morts égyptien, symbolise la victoire de la lumière sur les ténèbres, ou bien le retour du soleil libérant des terreurs de la nuit. Horus faisait des miracles, et ressuscita un homme d’entre les morts. Ce n’est évidemment pas une histoire vraie ! Ce conte constitue plus vraisemblablement une allégorie évoquant la course du soleil au travers de la constellation de Sirius, lui apportant la lumière et la vie.
— Osiris.
La légende d’Osiris est multiforme. Ce dieu-ou-démon défunt est le souverain juge qui préside le tribunal du Jugement dernier (scène de la pesée de l’âme/esprit). Thot sert de médiateur. En bien des points, la religion égyptienne de la haute époque a eu des répercussions sur la religion des peuples environnants. Elle inspira aussi sans doute indirectement la religion chrétienne vu l’importance du judéo-christianisme alexandrin (voir Philon, Athanase et la trinité…). On y trouve en effet des idées analogues, celui de la pesée des âmes par exemple.
— Sérapis.
Ce dieu-ou-démon composite (Zeus-Osiris-Apis) qui promet le salut et qui soulage les affligés, devait unir les Grecs et les Égyptiens dans un même culte. On peut voir une ressemblance flagrante avec le visage du Christ en regardant la statue de Sérapis sortie des eaux à Alexandrie, récemment. Son aspect barbu avec de longs cheveux a été en effet adopté pour représenter Jésus.
On comprend donc aisément la haine et la jalousie fanatiques des premiers chrétiens à l’égard du culte voué à ce dieu. La deuxième bibliothèque d’Alexandrie avait été reconstituée en partie dans les locaux du temple de Sérapis. Mettant à exécution l’édit de l’empereur Théodose, Théophile et son neveu, le futur Patriarche orthodoxe d’Alexandrie, Saint Cyrille, exigèrent la fermeture du temple ; et ils exhortèrent la foule des talibans chrétiens (les parabolani), en 391, à brûler ses quatre millions de livres, pour faire à jamais disparaître les racines de l’impiété… (selon eux).
En Occident, également pour mieux se faire comprendre et admettre, pour les besoins de la prédication afin de faciliter la conversion des esprits, bref par acculturation/inculturation mais à un moindre degré, seront également utilisées les figures mythiques suivantes.
— Zalmolxis (Thrace).
— Odin (Scandinavie). Mythe analogue à celui de Hesus et donc vraisemblablement emprunté par les Germains aux Celtes à une date très reculée.
— Hesus/Mars ou Cuchulainn (Europe de l’Ouest).
Cerise sur le gâteau, nous trouvons en effet en Occident, un dieu-ou-démon ayant aussi beaucoup de choses en commun avec le nouveau Josué nazoréen des Évangiles ; voire même une certaine ressemblance dans le nom, ce qui a dû beaucoup faciliter les choses aux missionnaires envoyés en terre celte, malgré leur mépris pour tout ce qui n’était pas latinophone. (Irénée. Contre les hérésies. I. Préface. Le malheureux évêque a été obligé d’apprendre la langue celtique…). Hesus/Mars ou
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Cuchulainn a en commun avec Jésus Christ le fait d’avoir eu aussi une naissance miraculeuse, d’avoir eu un père adoptif (Sualtam) et d’être mort pour sauver les siens, mais également d’être monté au ciel (ressuscité, sur son char) ; si l’on croit les textes concernant son parallèle irlandais nommé Sétanta ou Chien de Culann. C’était également un grand guérisseur qui pouvait soigner même son pire ennemi (la fée Morgane/Morrigain). Il semble associé à une sorte d’autocrucifixion par pendaison à un chêne, la tête en bas, après cueillette du gui ; qui a été transférée à Llew Llaw Gyffes dans la quatrième branche du mabinogi gallois, Math fils de Mathonwy.
À la biographie authentique de l’homme Jésus (dont on ne sait quasiment rien, de sûr, en fait) se sont donc incorporés beaucoup d’éléments de récits relatifs à d’autres divinités ; concernant des sauveurs du monde, souffrants ou exécutés pour leurs actes, tous antérieurs à l’élaboration du mythe chrétien.
L’un des premiers pères de l’Église, le montaniste Tertullien (160-220) ex-païen, mais évêque de Carthage, admettra même (ironiquement) cette vérité sur origines du mythe du Christ, et de toutes les autres divinités humanisées de la même famille.
« D’autres, avec plus de vraisemblance et de raison, s’imaginent que le soleil est notre Dieu. Ainsi, nous voilà rangés parmi les Perses, quoique nous n’adorions pas comme eux l’image du soleil peinte sur une toile ou représentée sur nos boucliers. Ce qui a fait naître ce soupçon, c’est sans doute parce que nous nous tournons vers l’orient pour prier. Mais ne voit-on pas la plupart d’entre vous tournés vers le soleil levant, affecter d’adorer le ciel en remuant les lèvres ? » (Apologétique XVI).
Or le fait même que les chrétiens adorent leur dieu ou leur démiurge le dimanche [Sun-day, Son-tag en allemand, etc.] en trahit les origines véritables. Leur « sauveur » EN TANT QUE FIGURE CHRISTIQUE POUVANT ÊTRE SYMBOLISÉ est effectivement le Soleil, la lumière du monde que chaque œil peut voir. Le soleil a été universellement vu dans l’Histoire en tant que sauveur de l’Humanité pour une raison évidente : sans le soleil, la vie sur la planète ne durerait pas une journée.
Ce qu’écrit ensuite Tertullien montre qu’il n’a rien compris au symbole de l’onocéphale chez les gnostiques chrétiens séthiens mais on peut aussi appliquer à Jésus exactement, et presque mot à mot, ce que Tertullien, dans le chapitre XI de son Apologétique toujours, a écrit des dieu-ou-démons païens, dans la droite ligne de l’hôpital se moquant de la charité (toujours cette inénarrable schizophrénie ou double personnalité chrétienne) :
« N’osant pas nier que ces dieux étaient des hommes, vous avez pris le parti d’affirmer qu’ils sont devenus dieux après leur mort. Examinons donc les causes qui ont amené cette apothéose.
Tout d’abord, il faut que vous admettiez l’existence d’un dieu supérieur, en quelque sorte propriétaire de la divinité, lequel a pu changer ces hommes en dieux. En effet, vos dieux n’auraient pu s’attribuer eux-mêmes la divinité qu’ils n’avaient pas, et nul autre n’aurait pu la fournir à ceux qui ne l’avaient pas, s’il ne la possédait pas personnellement déjà lui-même. S’il n’existait personne qui eût pu les faire dieux, c’est en vain que vous prétendez que vos dieux sont devenus dieux, car vous supprimez leur auteur. S’ils avaient pu se faire dieux par eux-mêmes, jamais ils n’auraient revêtu la condition humaine, ayant le pouvoir d’en prendre une meilleure. S’il existe donc un être qui peut faire des dieux, je reviens à l’examen des raisons qu’il avait de changer ces hommes en dieux ; et je n’en vois aucune, à moins que ce grand dieu n’ait eu besoin de serviteurs et d’aides pour accomplir ses fonctions divines.
Or, en premier lieu, il serait indigne de lui qu’il eût besoin du concours de quelqu’un, et surtout d’un mort ; car il eût été plus digne de lui de créer un dieu dès le commencement. En outre, je ne vois pas qu’il y ait nécessité d’agir ainsi. En effet, supposez que le vaste corps du monde que nous avons sous les yeux ne soit pas né ni n’ait été fait, suivant l’opinion de Pythagore ; ou qu’il soit né voire qu’il ait été fait, suivant celle de Platon. Ce qui est certain, c’est que, après sa formation, il s’est trouvé, une fois pour toutes, disposé, pourvu du nécessaire, ordonné suivant les règles de la raison. Le principe qui a donné la perfection ne saurait être imparfait. Il n’attendait nullement Saturne et la race de Saturne. Bien simples d’esprit seront les hommes, s’ils ne croient pas que, dès l’origine, les pluies sont tombées du ciel, que les astres ont répandu leurs rayons, que la lumière a brillé, que le tonnerre a grondé ; que Jupiter lui-même a craint les foudres que vous lui mettez dans la main ; et encore, que tous les fruits sont sortis en abondance du sein de la terre avant Liber, Cérès et Minerve, que dis-je ? Avant le premier homme, parce que rien de ce qui est destiné à la conservation et à l’entretien de l’homme n’a pu être introduit après lui. Cela manquerait de logique. Enfin, on ne dit pas que ces dieux ont créé, mais qu’ils ont découvert les choses nécessaires à la vie. Or, une chose que l’on découvre existait déjà, et une chose qui existait déjà ne doit pas être attribuée à celui qui l’a découverte, mais à
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celui qui l’a créée ; car elle existait avant d’être découverte. Au reste, si Liber est un dieu pour le motif qu’il a fait connaître la vigne ; alors on a mal agi envers Lucullus, qui le premier introduisit les cerises du Pont et en répandit l’usage en Italie, de ne pas l’avoir divinisé en tant qu’auteur d’un nouveau fruit, ou pour l’avoir fait connaître. Par conséquent, si dès l’origine l’univers s’est maintenu, étant pourvu du nécessaire et définitivement ordonné de telle façon qu’il pouvait remplir ses fonctions, il n’existe à cet égard aucune raison d’associer l’humanité à la divinité. Les emplois et les pouvoirs que vous avez répartis entre vos dieux existaient en effet dès l’origine, aussi bien que si vous n’aviez pas inventé ces dieux ».
Commentaire de Pierre de La Crau.
La Science actuelle nous apprend pourtant que la Terre, il y a quelques milliards d’années, se présentait ou fonctionnait de façon très différente de ce que nous connaissons aujourd’hui (climat, continent, océans, etc.). Ce que Tertullien ignore c’est la notion d’évolution au cours des siècles, des milliers d’années, des millions ou des milliards d’années. Le monde n’a pas toujours été comme nous le voyons.
N’en déplaise à Tertullien, son raisonnement peut également s’appliquer au Jésus des chrétiens. Que Jésus fut Dieu-ou-Diable fait homme relève de la croyance.
L’affirmation selon laquelle Jésus-Christ n’est qu’une figure mythique à l’instar des dieu-ou-démons ci-dessus peut être établie ; non seulement sur la base des travaux des chrétiens dissidents et des « païens » ayant connu la vérité du christianisme, et qui ont ensuite été malhonnêtement réfutés, voire assassinés pour leur opposition aux « Pères de l’Église » ; mais également par les écrits des chrétiens orthodoxes eux-mêmes.
Il faudra d’ailleurs attendre le Moyen Âge pour que cette biographie soit achevée, avec un luxe de détails souvent contradictoires, qui donnent pas mal de fil à retordre aux exégètes chrétiens, par exemple les ultimes précisions sur les Rois mages.
L’histoire de Jésus-Christ n’est pas apparue du jour au lendemain. La bonne nouvelle ou évangile en grec c’était tout simplement une information du genre : « ça y est, le messie est arrivé, on l’a vu à……(tel endroit) et Dieu est avec lui… les nôtres…
Au départ, les protochrétiens d’avant Jésus n’attendaient que la venue d’un Messie ainsi que nous l’avons vu. Les fondements de la mythologie chrétienne doivent donc être recherchés dans les polémiques, les spéculations, et les rapprochements plus ou moins forcés avec l’Ancien Testament (les midrashim), qui agitent les diverses communautés ou églises esséno-baptistes de l’époque. On peut trouver aussi une grande partie du mythe de « Jésus-Christ » dans le Livre d’Enoch, antérieur de plusieurs siècles à l’apparition supposée du nouveau Josué nazoréen.
Le souvenir de la persécution et de la mort du Maître des Justes, essénien, donne aux protochrétiens l’idée d’en faire autant pour leur messie à eux. Mais on attend aussi le Fils de l’Homme, dont parle Daniel, c’est-à-dire le fils d’Adam, voire Adam lui-même (un nouvel Adam).
Il existe en effet en Palestine à cette époque tout un courant de pensée pour lequel le sauveur ne devait pas être le Fils de l’Homme ; mais Adam lui-même volontairement revenu sur terre afin de sauver les âmes de ses descendants et les mener vers la lumière. Cette idée sera récupérée par le courant helléniste : les hellénistes tiennent en effet Jésus pour un second Adam, venu par son expiation exemplaire, refonder l’Humanité. Saint Paul n’appellera-t-il pas son christ le nouvel Adam ?
La littérature paulinienne ne fait nulle part mention de Pilate ; ni des Romains, ni de Caïphe, ni du Sanhédrin, ni d’Hérode, ni de Judas, ni des « saintes » femmes, ni d’aucun des personnages du récit évangélique de la passion, et à ce sujet elle ne fait jamais la moindre allusion ; en définitive, elle ne mentionne absolument aucun des « événements » de la Passion, directement ou par allusion. Paul ne cite jamais les prétendus sermons, prêches, paraboles et prières de Jésus, et ne fait pas plus mention de sa naissance surnaturelle que de ses prétendues merveilles ou miracles.
Les documents chrétiens les plus anciens, les épîtres attribuées à Paul, ne se rapportent pas en effet à un Jésus historique, mais à une figure spirituelle connue de toutes les sectes gnostiques. « Dorénavant, nous ne connaissons plus le Christ en tant qu’homme » (2 Corinthiens 5, 16). Paul décrit le Messie, un peu comme un être immatériel. Au premier temps du christianisme (jusqu’au IIe siècle de notre ère), le Christ sera un dieu-ou-démon du Ciel et non un homme nommé Jésus. Paul ne parle jamais de la naissance, de la vie, des miracles, des paraboles, de la mort (par crucifixion) et de la résurrection du nazoréen Jésus. Paul n’a jamais entendu parler du nazoréen Jésus. Paul parle d’un Christ intemporel et surnaturel, pas du Jésus nazoréen, auteur de miracles devant des milliers de personnes et crucifié par Pilate.
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En arrivant à Corinthe, Paul, premier des missionnaires à pratiquer une inculturation systématique, eut simplement à remplacer un dieu-ou-démon-soleil, Apollon, par un dieu-ou-démon lumière, le Christ. En Actes 19, 27, l’auteur admet l’existence et la popularité de la grande déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Artémis, adorée à Éphèse. Ensuite ce fut Aphrodite qui laissa la place à la mère du nouveau dieu-ou-démon, devenue « Reine du Ciel ». Cela est particulièrement visible à Chypre… (la liste est loin d’être exhaustive)…
Depuis Will Durant la mythologie comparée a mis en évidence un certain nombre de faits significatifs, parmi lesquels ceux-ci.
— L’idée conception d’une renaissance possible de l’être, est commune à tous les cultes à mystères de l’Empire romain : Mithra, Isis, Attis, Apollon [sans oublier Cornunnos et même Hésus/Mars].
— L’acte de manger le dieu-ou-démon au cours d’une célébration pratiquée déjà dans le culte mithriaque (le repas de commensalité devogdonion entre les hommes et les dieu-ou-démons) correspond au thème de l’eucharistie.
— L’histoire de Mithra, le « Dieu-ou-démon Soleil » de Perse, précède le mythe chrétien d’au moins 600 ans.
— Mithra est né dans une grotte d’une vierge un 25 décembre.
Le principal rival du christianisme toutes tendances confondues (gnosticisme grec, juif, judéo-christianisme, etc.) fut en effet le culte de Mithra, le Dieu-ou-démon Soleil de Perse, répandu dans toute l’armée, et donc dans les allées du pouvoir (l’empereur, etc.).
Certains auteurs ont même reconnu (pour les critiquer ou les dénigrer) de troublantes ressemblances entre les deux religions.
Justin au deuxième siècle oppose au contraire la communion de l’initiation mithriaque et l’eucharistie « que les mauvais démons ont imité dans les mystères de Mithra : on présente du pain et une coupe d’eau dans les cérémonies de l’initiation et on prononce certaines formules que vous savez ou que vous pouvez savoir » (Première apologie 66).
Et le montaniste Tertullien lui en ce qui le concerne a même élargi le champ de ces troublantes ressemblances tout en les attribuant bien entendu également à l’action du démon.
« Si l’on demande qui inspire les hérésiarques, je répondrai que c’est le démon, dont l’office est de dérober aux hommes la vérité, et qui prend à tâche d’imiter dans les mystères des faux dieux les saintes cérémonies de la religion chrétienne. Il plonge aussi dans l’eau ses adorateurs, et leur fait croire qu’ils trouveront dans ce bain l’expiation de leurs crimes ; il marque au front les soldats de Mithra lorsqu’on les initie ; il célèbre l’oblation du pain ; il offre une image de la résurrection, et présente à la fois la couronne et le glaive ; il défend à son souverain pontife les secondes noces ; il a même ses vierges. Au reste, si nous examinons les superstitions que Numa a instituées, les fonctions des prêtres, leurs ornements, leurs privilèges, les cérémonies, les vases, et généralement tout ce qui est nécessaire pour les sacrifices, ce qui regarde les expiations et les vœux, nous ne pourrons douter que le démon n’ait voulu copier les rites de la loi mosaïque. Or, celui qui a affecté d’appliquer au culte des idoles tout ce que nous pratiquons dans la célébration de nos mystères, n’a pas manqué de faire aussi servir nos livres saints à établir une doctrine sacrilège et ennemie de la nôtre : il a pour cela altéré et le sens, et les termes, et les figures. Il est donc certain que c’est le démon qui a inspiré tous les hérésiarques, et que l’hérésie ne diffère pas au fond de l’idolâtrie, puisqu’elles ont le même auteur qui les a formées toutes les deux sur le même dessin. Si toutes les hérésies ne supposent pas un dieu ennemi du Créateur, du moins elles représentent celui-ci tout autre qu’il n’est. Or, tout mensonge, toute fausseté qui a pour objet la Divinité, est une espèce d’idolâtrie ».
(De la prescription des hérétiques. XL).
Il faut dire que le mithraïsme a même failli un moment l’emporter sur le christianisme. Ce qui est certain, c’est que sa liturgie et sa philosophie ont considérablement influencé le christianisme naissant (exemple entre mille, le choix du 25 décembre pour célébrer la nativité du Christ).
En 1993, le pape Jean-Paul II a d’ailleurs reconnu que Noël était une fête d’origine païenne.
Il a déclaré : « Chez les païens de l’Antiquité, on célébrait l’anniversaire du soleil invincible, ce jour-là pour qu’il coïncide avec le solstice d’hiver.… Il a donc semblé logique et naturel pour les premiers chrétiens de remplacer cette fête par celle du seul Soleil véritable selon eux : Jésus-Christ ».
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Sol Invictus, mais aussi Osiris, Tammouz, Attis, Adonis, Déméter et Perséphone, Dionysos, et tant d’autres…
À cela les chrétiens objectent généralement deux choses.
Première objection : « oui, mais nous ce n’est pas pareil, Jésus a vraiment existé.
C’était un vrai homme et pas un dieu ayant une apparence d’homme comme dans les cas précités ».
À cela nous répondons
a) Connaissez-vous l’histoire de l’hôpital qui se moque de la charité ?
b) Évhémérisme. Un argument que vos apologistes ou polémistes ne se privent pas d’utiliser contre nos « dieux » d’ailleurs.
Deuxième objection : oui, mais dans notre cas ce n’est pas comme chez vous, ça ne se reproduit pas chaque année, ça s’est produit une fois et il n’y en aura pas d’autres !
OBJECTION RETENUE, MAIS ALORS DANS CE CAS ELLE EST LOURDE DE CONSÉQUENCES QU’IL VA VOUS FALLOIR GÉRER.
Comme vous ne distinguez pas l’être suprême du dieu créateur prince de ce monde, cela implique que pour vous l’être suprême omnipotent omniscient tout de bonté, etc.……… a créé ce monde (pour quelle raison d’ailleurs, en avait-il besoin ?) EX NIHILO, ensuite qu’il y mettra fin un jour en n’en sauvant que quelques heureux élus.
Une telle conception du monde et de l’histoire soulève une montagne de questions.
Pour mémoire notre conception du Monde et de l’Histoire à nous génère moins de questions puisqu’elle du type « Rien ne se perd rien ne se crée tout se transforme ».
La seule aporie de notre raisonnement ne concerne que le premier surgissement originel de l’être hors du néant. Après ça roule tout seul (voir le raisonnement déiste du type grand horloger de l’univers).
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LES PROBLÈMES DE TRADUCTION ET DE VARIANTES.
Quatre langues différentes sont nécessaires quand on parle du christianisme : l’hébreu pour l’Ancien Testament, l’araméen (la langue qu’utilisait Jésus pour ses paraboles ou pour prêcher, et parler à ses disciples, le grec pour le Nouveau Testament, puis le latin (ainsi que quelques autres).
Le mieux est peut-être ici d’introduire ce chapitre par ce que dit Jérôme de Stridon le saint patron des traducteurs à propos des textes en circulation dans les communautés chrétiennes de son temps.
Ci-dessous d’ailleurs le texte in extenso ou presque de sa lettre à l’évêque de Rome à ce propos.
« Au Très Saint-Père Damase lettre de la part de Jérôme……………………… Vous voulez qu’avec les matériaux d’un ancien ouvrage j’en refasse un nouveau ; que je me pose en arbitre dans l’examen des textes de l’Écriture répandus dans le monde entier ; vous voulez, en un mot, que j’explique les variantes qu’on y trouve, et que je signale les passages concordants avec la version grecque la plus authentique. C’est une pieuse entreprise, mais une dangereuse présomption que de s’établir juge des autres, quand soi-même on doit avoir pour juge l’opinion générale ; que de prétendre changer la langue des anciens, ramener un monde, déjà bien vieux, au balbutiement de l’enfance. En effet, quel est l’homme qui, de nos jours, lettré ou non lettré, après avoir ouvert notre ouvrage, et y voyant discrédité le texte dont il se sert habituellement, dans lequel il a appris à lire, ne se récrierait pas aussitôt, en me traitant de faussaire, de sacrilège, dont l’audace impie n’a point reculé devant des additions, des changements et des corrections apportées à des textes consacrés par le temps ? Contre de semblables reproches une double consolation m’est offerte ; la première, c’est que cette mission m’a été confiée par vous ; la seconde, c’est que, d’après le témoignage même de ceux qui nous attaquent, il ne pourrait y avoir de vérité complète dans les ouvrages où on ne peut signaler des variantes. En effet, si nos adversaires pensent que les exemplaires latins sont dignes de confiance, qu’ils me disent lesquels ; car il existe presque autant d’originaux que d’exemplaires. S’ils pensent, au contraire, que la vérité ne saurait être découverte que par la comparaison des différents textes, pourquoi trouvent – ils mauvais que j’aie la prétention de corriger, tout en remontant aux sources grecques, les parties du texte qui ont été ou mal comprises par des interprètes ignorants, ou tronquées, dans de mauvaises intentions, par des correcteurs inhabiles et présomptueux, ou surchargées d’additions et altérées par de paresseux copistes ? Ma polémique ne touche en rien l’Ancien-Testament traduit en grec par les Septante, et qui ne nous est arrivé qu’après trois traductions successives. Je ne veux point chercher en quoi Symmaque et Aquila ont fait preuve de discernement, pourquoi Théodotien a cru devoir prendre un terme moyen entre les nouveaux et les anciens interprètes. Ainsi, tenons pour authentique la version qui a pour elle le témoignage des apôtres.
J’aborde maintenant le Nouveau-Testament qui a été écrit tout entier en grec, à l’exception de l’évangile selon saint Mathieu, qui se servit de la langue hébraïque pour répandre en Judée la parole de Jésus-Christ. Or, comme dans notre idiome cet évangile est rempli d’incontestables variantes résultant de la variété des sources auxquelles on a puisé pour le composer, il nous a semblé convenable de remonter à une seule et même source. Je ne veux point recourir aux versions employées par Lucien et Hesychius et que quelques hommes ont prises pour texte de leurs querelles impies. Il ne m’a point convenu de revoir ces versions dans leur ancien idiome, après la traduction des Septante.
En conséquence de quoi je ne m’engage ici qu’à l’examen des quatre évangiles, dont voici l’ordre nominal : saint Mathieu, saint Marc, saint Luc et saint Jean ; je ne prétends me servir que de la collection épurée des anciens textes grecs. D’ailleurs, afin que notre travail ne s’écartât pas trop de la teneur des exemplaires latins, nous n’avons corrigé que les passages qui nous ont paru s’écarter du véritable sens, laissant les autres tels que nous les avons reçus de la rédaction primitive.
Quant aux canons qu’Eusèbe, évêque de Césarée, a partagés en dix livres, d’après Ammonius d’Alexandrie, nous nous sommes contentés de les traduire dans notre langue, en nous conformant sans restriction au sens du texte grec. Pour qui voudra connaître les passages curieux renfermés dans les quatre évangiles, soit que ces passages concordent entre eux, soit qu’ils diffèrent en quelques points, soit qu’une dissemblance totale les sépare, il sera nécessaire de recourir à la distinction que nous avons établie entre eux. Quant à certaines erreurs assez notables qu’on pourra signaler dans nos livres, elles résultent d’abord de ce qu’un évangéliste s’étant étendu plus qu’un autre sur un même sujet, les commentateurs se sont crus dans l’obligation de compléter le récit de l’autre ; elles résultent, en second lieu, de ce qu’un évangéliste avant raconté en termes différents un fait identique rapporté par les autres, chaque commentateur prit pour modèle le premier qui lui tomba sous la main, et se mit à corriger les autres d’après lui.
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Il résulte de là que dans notre ouvrage tout est mêlé ; que dans l’évangile selon saint Jean, par exemple, on peut signaler plusieurs passages qu’on trouve aussi dans saint Luc et dans saint Mathieu, de même que dans l’évangile selon saint Mathieu on rencontre souvent des pages qui appartiennent à saint Jean et à saint Marc ; qu’en un mot, dans chaque évangile on peut trouver quelques fragments des autres. Ainsi, quand vous entreprendrez la lecture des canons qui suivent, vous sera-t-il facile, prémuni que vous êtes maintenant contre une erreur dont la cause n’existera plus, de reconnaître les passages identiques dans les quatre évangiles, et de restituer à chacun d’eux, dans votre pensée, ce qui lui revient……………
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L’ANCIEN TESTAMENT.
Fils de Dieu… quel était le sens de ce titre pour les auditeurs/lecteurs de Paul qui avaient rendu un culte public à des dieu-ou-démons, à des déesse-ou-démones, ou fées si l’on préfère ce terme, et à leurs enfants divins… ? Jusqu’à quel point les publics de chaque auteur du Nouveau Testament comprenaient-ils le terme… ou les écrits sacrés des juifs de la période antérieure à Jésus, auxquels les évangélistes se référaient fréquemment ? Les publics visés étaient-ils à même de comprendre des allusions subtiles ? Devant un passage cité en une ligne, étaient-ils assez informés du contexte de l’Ancien Testament pour qu’au-delà de cette seule ligne, une partie plus importante du message, leur vienne à l’esprit ?
Comme le judaïsme, le christianisme se veut une religion fondée sur des textes transmis ou inspirés, par Dieu ou le Démiurge ; mais les incohérences de tels écrits, leurs invraisemblances, les propos déduits de façon erronée de l’hébreu ou du grec, suite à des erreurs de traduction, ne peuvent que nourrir doutes et polémiques.
Ainsi que l’a très bien vu John Toland, ces problèmes de traduction sont fondamentaux, et il est absolument nécessaire de comprendre ce que cela pouvait bien vouloir signifier dans la langue et le contexte originels (Christianisme sans mystère, section II, chapitre III, paragraphe 23).
Lorsque le christianisme se répand, la langue commune du monde méditerranéen est le grec. Les chrétiens utilisent donc la Bible juive selon la Septante, et le Nouveau Testament écrit en grec, sa langue d’origine.
Or dans la Septante il y a aussi, volontairement et parfois discrètement, de la part des docteurs alexandrins, des écarts destinés à quelque peu atténuer des expressions choquantes, ou bien à s’adapter à la culture grecque ; ou bien à montrer des préoccupations théologiques de l’époque, qui n’étaient pas celles du livre primitif.
Prenons un exemple. Exode 15,3. La phrase en hébreu peut être ainsi translittérée : Yahweh ish milhama, Yahweh shmo.
Yahweh shmo ne pose aucun problème et signifie « Yahweh (Yahweh et pas Seigneur) est son nom (shmo). Mais Yahweh ish milhama, littéralement et mot à mot Yahweh-est – guerre ? Ce qui fait problème c’est le mot « milhama » qui est en rapport avec la notion de guerre, car les langues sémitiques sont en général moins analytiques ou moins précises que les langues indo-européennes.
Nous pouvons ainsi remarquer que YHWH « homme de guerre » ou « guerrier » (Exode 15, 3) fut également traduit par « le Seigneur qui porte la guerre » dans la Septante et que « YHWH des armées » sera traduit par « le Seigneur tout puissant (Kyrios pantocrator) ».
Autrement dit, soyons clairs, il s’agit de traductions mensongères, induisant en erreur, ne donnant pas une vision exacte de la réalité.
Sous la seconde rubrique, notons que la stérilité, qui est présentée comme une malédiction dans les Proverbes, est remplacée par la passion des femmes, car la stérilité n’est pas aussi dramatique en milieu grec qu’en milieu juif. Autre détail amusant : le vent d’est qui apporte des sauterelles est remplacé par le vent du sud, car en Égypte ce vent-là vient du sud.
La troisième rubrique est plus conséquente. Elle renforce l’attente messianique, qui était bien plus précise à l’époque grecque que quelques siècles plus tôt. Alors que la Genèse écrit en 49, 10 « Le sceptre ne s’éloignera pas de Judas, ni le bâton de commandement d’entre ses pieds », nos septante docteurs alexandrins traduisent : « Un chef issu de Judas ne manquera pas, ni un prince issu de ses cuisses ». De même, les Nombres (24, 17) écrivent : « d’Israël se lève un sceptre » qui devient dans la Septante « d’Israël surgira un homme ».
Dans un autre ordre d’idées, le judaïsme tardif intégrant progressivement dans sa pensée l’idée d’une résurrection des morts, on en voit aussi les effets dans la traduction en grec. Le livre d’Esaïe (26,19) écrit par exemple : « Tes morts vivront », mais la Septante traduit « les morts ressusciteront », ce qui n’a pas tout à fait le même sens.
Autre exemple, le mot « vierge » dans les différents textes devant caractériser la mère du messie à venir.
Les traducteurs de la Bible ont rendu le mot hébreu almah par celui de parthenos dans la Septante en grec, puis virgo en latin. Or au départ, il ne s’agit pas dans le passage d’Esaïe 7, 14 d’une vierge, mais d’une jeune femme (almah). Almah désigne toute femme assez jeune pour enfanter, même si elle est déjà mère.
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On comprend facilement que les Pères de l’Église aient préféré cette Bible traduite en Grec (la septante comme diraient nos amis belges ou suisses, au point d’en oublier progressivement la version d’origine en hébreu. Il a fallu saint Jérôme, à la fin du IVe siècle pour redécouvrir que le texte hébreu est bien différent du texte grec, et il s’en inspirera pour établir sa traduction latine de la Bible appelée la Vulgate.
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LE NOUVEAU TESTAMENT.
Si Jésus était un juif galiléen du premier tiers du 1er siècle qui parlait araméen ; au milieu du siècle son Évangile fut prêché dans la diaspora aux juifs et aux « non-juifs » (Gentils= païens) de milieu urbain, en grec ; langue qu’il ne parlait normalement pas (peut-être même pas du tout). Ce changement de langue impliqua une traduction au sens le plus large du terme, c’est-à-dire une reformulation dans un vocabulaire et des modèles qui rendraient le message intelligible et vivant pour de nouveaux publics.
Cette entreprise (qui a laissé des traces visibles dans les évangiles) affecta parfois des détails mineurs, par exemple, un type de toit, mais dans d’autres cas, il ne s’agit plus de détails.
Un intérêt capital de la Septante est qu’elle établit une correspondance entre les concepts, souvent d’inspiration grecque, utilisés par le Nouveau Testament, et les concepts d’inspiration plus sémitique, utilisés par la Bible juive. Cette correspondance permet de mieux comprendre le sens des mots.
Prenons l’exemple de l’âme, psyché. C’est typiquement une notion grecque.
Que voulaient donc dire les premiers chrétiens lorsqu’ils parlaient de l’âme dans le Nouveau Testament ?
Dans la Septante, ce mot est la traduction du mot hébreu nèfèsh qui signifie plutôt la respiration, et par extension le souffle de vie, la personne vivante, la vie. De sorte qu’aimer Dieu ou le Démiurge de toute son âme, c’est aimer Dieu ou le démiurge de toute sa personne, de toute sa vie. La phrase de Mt 10, 28 : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent pas tuer l’âme » devrait se traduire par « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent pas tuer la vie ». Un autre exemple est la foi, pistis en grec, mais âman en hébreu, qui veut plutôt dire « confiance ». De sorte que la foi qui sauve, c’est plutôt la confiance qui sauve.
Les tout premiers matériaux ayant servi à rédiger les évangiles, y compris celui de Marcion, l’ont été en araméen, éventuellement additionné de quelques citations en hébreu. Ce n’est que plus tard qu’ils ont été traduits en grec.
Le lecteur du Nouveau Testament tombant – à chaque instant ! – sur des mots de ce genre (des emprunts faits au grec) doit donc les lire non pas avec leur sens grec, mais avec celui qu’ils possédaient pour leurs utilisateurs originaux.
Pour comprendre le sens exact d’un passage du Nouveau Testament ou de l’ensemble des livres qui le composent, en particulier des Évangiles, mieux vaut – et c’est une litote – disposer aussi d’une grammaire et d’un dictionnaire hébraïques.
Un texte hébreu a d’ailleurs toujours deux sens, un sens exotérique normal et un sens ésotérique fondé sur la kabbale.
Chez les juifs, la notarique est la méthode par laquelle on groupe les initiales, les médiales ou les finales, de plusieurs mots, afin d’en former un ou plusieurs autres.
La thémoura, sur la base d’une table de permutation, permet de remplacer une lettre hébraïque par une autre, afin de faire apparaître un deuxième sens.
La gématrie met en jeu les chiffres attribués aux lettres de l’alphabet (hébreu).
Chaque lettre étant en hébreu à la fois un signe alphabétique et un chiffre (ou un nombre), cela rend possible le fait de calculer la somme des lettres/chiffres de ce mot ou de ce groupe de mots.
Le Nouveau Testament, bien avant de devenir, hélas, paroles d’Évangile, ne fut d’abord que de la littérature juive : alliance, messie, paraboles, midrashim, et autres procédés littéraires ou mystiques de ce genre. Les jeux de mots que contenaient ces textes ont été perdus lorsque leur original sémite passa, corps et biens, en Indo-Européen.
Exemple.
Matthieu 1, 21 à propos de Marie : elle enfantera un fils et tu li donnera le nom de Jésus, car il sauvera (sozein) son peuple, de leurs fautes.
Quel est le lien pouvant réunir le mot grec sozein qui signifie sauver ainsi que Jésus, puisque la conjonction de coordination « car » les associe dans le texte ?
En grec aucun, mais en hébreu il y en a pourtant un ! Yehoshoua (Jésus) signifie exactement « dieu sauve » en hébreu.
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Les jeux de mots que contenaient ces textes ont donc été perdus lorsque leur original sémite est passé, corps et biens en Grec.
Ancien Testament et noyaux primitifs du Nouveau Testament n’étaient destinés ni à l’Occident en général ni en particulier au Pape ou à ses partisans (la catholicité) ou opposants (les Réformés de tous bords). Ni à Rome, ni à Moscou, ni à Wittenberg, ni à Genève, ni à Cantorbéry ! Traduits en langues indo-européennes ces midrashim sont devenus autant de contresens.
Tout dans les Évangiles, la syntaxe, le style, les tournures, les concepts, la mentalité, l’usage de certains verbes, relève de la mise en grec de pacotille (parce que littéral) de textes pensés en une autre langue.
Au IVe siècle, Origène sera le seul Père de l’Église à sentir le problème, lorsqu’il osera distinguer, dans les Évangiles mêmes, certains récits qui ne se sont pas passés comme il est écrit.
« Les différences entre les manuscrits sont devenues considérables, soit du fait de la négligence de certains copistes, soit du fait de l’audace impie des autres ; ils négligent de relire ce qu’ils ont recopié ou, à l’occasion de cette vérification, ajoutent ou suppriment à leur guise « (Origène commentaire sur Matthieu. 15, 4).
La question de la langue se posait : un langage imagé de caractère sémite – par exemple dans le récit des trois tentations de Jésus – insiste d’abord sur la signification de l’événement sans guère se préoccuper des détails de l’Histoire.
De toute façon en hébreu les verbes ne se conjuguent pas selon la ligne de temps indo-européenne allant du passé, au présent, puis au futur, mais selon la distinction entre état verbal inaccompli ou état verbal accompli. Les déductions que l’on peut tirer des passés ou des futurs des textes grecs sont donc très sujettes à caution, le temps des Hébreux n’étant pas celui des Indo-Européens.
Répétons-le encore une fois (repetere = ars docendi) les textes fondateurs du christianisme ont été rédigés dans un épouvantable sabir.
La syntaxe des Évangiles (et du Nouveau Testament dans son ensemble) est non grecque pour ce qui est des tours propres ou des idiotismes.
Tout exégète sait en effet que, sauf rarissimes exceptions, le grec du Nouveau Testament est une langue tordue, dont la syntaxe (et le vocabulaire ?) n’a aucune des beautés des monuments hellénistiques contemporains… Qui peut prétendre que l’Apocalypse dite de Jean est lisible ? Ni Philon le juif d’Alexandrie, ni Flavius Josèphe – des contemporains ou presque – n’auraient osé présenter à leurs lecteurs des narrations aussi mal ficelées.
Les propositions y sont courtes, ridiculement courtes par rapport à celles que l’on rencontre dans les textes grecs de toute époque ; les phrases complexes y sont rarissimes (elles résultent, le plus souvent, de gloses ou d’ajouts : comme le début de l’évangile de Luc), les kai – « et » en grec – y fourmillent. Dans Luc, seul le prologue (ajouté dans le texte pour changer l’optique de l’évangile selon Marcion) a l’air « grec de souche ». Certains noyaux du texte des Quatre Évangiles ont donc été vraisemblablement pensés puis écrits en araméen, voire en hébreu, avant d’être (très mal) traduits en grec. Une traduction mot à mot, littéralement versée du sémite dans l’indo-européen, qui a laissé de côté la plupart des jeux de mots des textes de base originels, et, donc, leur sens exact.
Il y a aussi le problème bien connu de tout professeur de langue dit des « faux amis ».
L’hébreu de cette époque utilisait (par emprunt) des mots grecs dont le sens avait complètement changé en s’acclimatant dans cette nouvelle culture. Bon nombre de notions et d’actions, parmi les plus significatives de celles qui ornent les textes fondateurs du christianisme, sont pourtant amenées par des termes de ce genre.
Exemples.
La mort de Jean-Baptiste.
Salomé demande qu’on lui apporte la tête du baptiste sur un « pinax ».
En grec « grec » le terme signifie « plateau, planche », mais dans la bouche des juifs de ce temps-là, qui l’avaient emprunté aux Grecs, le mot existait aussi sous la forme pnqs ou pynqs ; avec toutefois un sens devenu différent, celui de registre ou de tablette. Ce qui ne veut pas du tout dire la même chose ! Salomé voulait simplement voir l’ordre d’exécution du baptiste dûment signé. Elle voulait « sa tête » au sens symbolique du terme (c’est-à-dire peut – être sa mort, mais pas sa tête encore sanglante sur un plateau d’argent).
Des faux-amis de ce genre il doit y en avoir plus d’un dans le nouveau testament car les traducteurs, lorsque plusieurs mots grecs étaient virtuellement possibles pour désigner ou qualifier tel personnage, telle action, telle notion, ont vraisemblablement choisi celui qui figurait déjà à titre d’emprunt tardif dans leur propre langue : l’araméen. Ce faisant, tout en conservant au mieux la syntaxe de leur original, ils ont perdu, au niveau du vocabulaire, du choix des mots de leurs traductions, la saveur et le
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sens des assonances, des sous-entendus, des anagrammes et des calembours primitifs ; car il ne s’est plus agi alors d’une traduction, mais d’une simple translittération, lourde de contresens.
Le schématisme de ces textes n’existe que dans les traductions (indo-européennes), aux yeux du lecteur n’ayant aucune idée des ressources en sous-entendus de l’araméen ou de l’hébreu.
Est-il sérieux d’analyser le sens des mots « paraclet » et « scandale » sur la seule base de l’étymologie grecque, en oubliant que ces deux termes ; d’ailleurs employés de même dans la Septante, ne sont que des équivalents approximatifs pour les traducteurs anciens, des termes hébraïques MNHM et KLS (la racine MNH peut impliquer la notion de consolation la racine KLS peut impliquer la mort).
Les Septante eux-mêmes, quelques siècles avant notre ère, en traduisant (en grec) la Bible hébraïque, tout en préservant un grand nombre de sémitismes ; n’ont jamais poussé leur souci du littéral jusqu’à l’aberration dont fait preuve le Nouveau Testament dans son ensemble. Un étudiant qui apprendrait le grec ancien dans le Cantique des Cantiques, ou dans le Lévitique, grecs, atteindrait à une connaissance passable de la langue. Mais à ce même étudiant, on ne peut guère conseiller de prendre le Nouveau Testament pour référence : ce serait un suicide pédagogique. Répétons-le encore une fois, le grec des Quatre Évangiles n’est le plus souvent qu’une très mauvaise traduction, littérale et mot à mot, d’un texte pensé dans une autre langue.
Il existe aussi un relativement grand nombre d’hapax c’est-à-dire de termes ou d’expressions n’apparaissant qu’une seule fois dans une langue. Ce qui n’en rend pas la compréhension très facile. Exemple le mot kôrban. En Marc 7, 11-12, il est écrit « si un homme dit à son père ou à sa mère : je déclare kôrban (c’est-à-dire offrande sacrée, en araméen) les biens avec lesquels j’aurais pu t’aider ; vous ne le laisserez plus rien faire pour son père ou pour sa mère ? ».
Qu’est-ce que cela pouvait vouloir dire exactement pour le public visé par Marc ? ? ?
Voilà, du coup, remise en cause la compréhension de pans tout entiers du corpus canonique… fondée sur la base de la seule sémantique grecque !
Même le terme nazoréen, pourtant extrêmement important (voir Jean 19,19), car il montre la filiation baptiste du courant chrétien (Jésus a été un temps disciple de Jean-Baptiste avant de faire scission de son mouvement) ; fut traduit peu à peu par nazaréen et compris comme « originaire de Nazareth », ce qui ne signifiait plus rien.
Dans l’Afrique romaine où l’on parlait latin, la version du grec en latin s’est faite assez vite. On peut fixer vers 150 le début de cette traduction appelée par la suite Vetus Latina, « Vieille Latine »… ou encore Itala.
Les manuscrits et les citations patristiques de la Vieille Latine révèlent une grande variété dans la tradition textuelle. Malgré son caractère peu uniforme, la Vieille Latine a été faite sur des copies de la Bible grecque (Septante et Nouveau Testament) antérieures aux grands codex onciaux du IVe siècle. Elle peut offrir dans bien des cas une leçon plus proche de l’original.
Au temps de Tertullien (155 ? – 220), on sait qu’il existe en Afrique un Psautier latin traduit de la Septante. Trop fidèle au texte grec, sa rudesse fait sentir le besoin de le réaménager. Mais c’est au IIIe siècle seulement, que l’existence d’une Bible latine complète est assurée, lorsque saint Cyprien (200/210 – 258) évêque de Carthage, cite abondamment l’Écriture dans ses écrits.
L’Église n’eut pas, tout d’abord, de texte officiel pour le Nouveau Testament, et le plus grand désaccord régnait entre les manuscrits existants. C’est pourquoi l’évêque de Rome, Damase – que l’empereur Valentinien venait de promouvoir comme juge des autres évêques (369) – chargea Jérôme de faire une dernière « traduction » latine du Nouveau Testament. Cette version, achevée en 384, est connue sous le nom de Vulgate ; c’est elle qui est utilisée dans la pratique quotidienne et la liturgie officielle de l’Église, même quand elle est retraduite à son tour dans une langue moderne.
Le passage du grec au latin entraîna, lui aussi, son lot d’erreur ou de contresens.
Le terme grec logos appliqué au nouveau Josué est aussi par exemple bien ambigu. Il peut faire du Christ soit la parole de Dieu ou du Démiurge, soit un modèle divin de l’homme (à venir ?). Parole ou archétype, ce n’est pas du tout la même chose !
Pour les Grecs, le Logos était l’esprit créateur, ou l’Intelligence universelle, donnant forme à chacun des objets du monde formés à partir de la matière primordiale.
Logos en grec avait trois sens précis : calcul mathématique, raison rationnelle, et parole ou langage.
Or les chrétiens ont préféré traduire le mot grec logos par le terme latin verbum (verbe) qui signifiait seulement parole, et ne rendait donc qu’un des trois sens du mot grec logos…
Autre exemple, Tertullien a diffusé le terme latin sacramentum – signifiant serment – pour rendre le mot grec mysterion, etc., etc.
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Les partisans des nombreuses versions latines déjà existantes quand Jérôme se mit au travail, critiquèrent violemment ce dernier ; ils lui reprochèrent de mépriser la tradition, de rejeter ce qui était admis par tout le monde, d’oser corriger jusqu’aux paroles du Christ. Rufin le traitera même d’hérétique et de faussaire.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, mais la répétition n’est-elle pas la plus forte des figures de rhétorique, l’adjectif nazaréen dans le sens « homme du village de Nazareth » résulte d’une erreur de traduction des compilateurs tardifs. « De Nazareth » se serait traduit en grec par Nazarethenos, Nazarethanos, voire Nazarethaios et non par Nazarenos, Nazôraios ni même Nazarénos, comme on le trouve dans les Évangiles (= « nazaréen »). Nazarenos, Nazôraios, Nazarénos, sont plutôt des termes à rapprocher du mot hébreu nazir, qui désigne « le saint homme » comme Jean le baptiste, comme Jacques peut-être. Le terme apparaît 22 fois dans le Nouveau Testament avec sa double orthographe nazôraios/nazarènos. Le passage le plus connu est Jean 19, 19, à propos du titulus INRI : Jésus le Nazôréen, roi des juifs (l’inscription sur la croix).
Aucun auteur du 1er siècle, juifs y compris, ne mentionne la bourgade de Nazareth. Son nom (nous disons bien son nom) n’apparaît dans les textes qu’à la fin du IIe siècle. La Nazareth biblique ne sera donc en réalité « fondée » qu’au XIIIe siècle, par assimilation de ce lieu-dit des textes du Nouveau Testament, au village arabe bien réel de Nacira… Les croisés y construiront l’église Saint-Gabriel, les thermes, et le puits où l’ange Gabriel serait apparu à Marie pour lui annoncer qu’elle allait enfanter Jésus.
Situation donc sensiblement différente de celle de Bethléem où il existait bien une grotte sac rée, mais censée avoir abrité la naissance du grand dieu oriental Tammouz avec celle de Jésus, toujours si l’on en croit une lettre de Saint Jérôme à saint Paulin de Nole.
« Même ma propre Bethléem, telle qu’elle est aujourd’hui, ce lieu le plus vénérable du monde dont le psalmiste a chanté : « la vérité sortira de sa terre » a été éclipsée par un bosquet sacré voué à Tammouz, c’est-à-dire Adonis ; et dans la grotte même où le Christ enfant a poussé ses premiers cris, les lamentations funèbres ont été chantées pour le compagnon de Vénus (Ezéchiel 8:14)».
D’autres « erreurs » de traduction eurent des répercussions théologiques immenses, par exemple le choix du terme soma « corps », pour signifier l’élément eucharistique dans les évangiles synoptiques et en 1 Corinthien 11, 24. Distinct de la traduction plus littérale sarx, « chair » en Jean 6, 51 et Ignace, Lettre aux Romains, 7, 37.
Ce choix peut en effet avoir facilité l’usage figuratif du corps, dans la théologie du corps du Christ, dont les chrétiens sont membres :1 Corinthiens 12,12-27. (Raymond E. Brown).
Comme les contresens sur la signification exacte du mot « chair » dans le Nouveau Testament, datent des premiers Pères de l’Église (voir par exemple, Tertullien et son traité intitulé en latin « De carne Christi »), ils furent lourds de conséquences.
Les prétendus écrits « canoniques » du Nouveau Testament constituent un texte confus, qui se contredit lui-même, l’estimation présente étant d’au moins 150 000 lectures possibles, ce fait étant connu et admis. Cela fait beaucoup pour « l’infaillible Parole de Dieu ».
D’où les incohérences de tous ces textes sacrés, les invraisemblances, les propos déduits de façon erronée de l’hébreu (incompris des communautés ayant procédé à leur rédaction finale) ou du grec.
Ainsi que l’a bien fait remarquer John Toland, il est inutile d’insister sur les lectures variées de ces mots et de déterminer de façon critique ce qui a été ajouté ou ce qui est d’origine.
Ainsi que le reconnaît saint Jérôme lui-même (voir plus haut), la grande source d’erreurs de nos manuscrits vient de ce qu’ils ont complété les récits des évangélistes les uns par les autres ; elle vient aussi de ce que, prenant pour type ou modèle, tel récit d’un évangéliste, ils ont voulu ramener à lui les récits parallèles. Il résulte de là que tout est brouillé. Marc s’est enrichi de ce qui appartient à Matthieu et à Luc ; Matthieu a empiété sur le terrain de Jean et de Marc et ainsi de suite.
Le corollaire est celui de l’homonymie généralisée, qui amène à multiplier les mots à double sens ou les glissements de sens, générateurs de contre-sens.
Certains critiques se sont demandé si les textes (grecs) de Marcion n’avaient pas influencé les textes, grecs, du Nouveau Testament.
Il est en effet hors de doute, par exemple, que la Bible marcionite a influencé le texte actuel de saint Paul… nous retrouvons dans le texte de Marcion une bonne partie des variantes du texte occidental… Cette influence de Marcion se rencontre aussi dans l’Évangile, et cela, dans le même groupe de textes témoins, c’est-à-dire les occidentaux… Aucun manuscrit n’est plus rapproché du texte marcionite que le manuscrit de l’Ancienne Latine, ce qui prouve une certaine influence de Marcion. Évidemment ! L’Apostolicon et l’Evangelion édités par Marcion étaient antérieurs au Nouveau Testament qui devait devenir officiel.
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Parallèlement aux anciennes versions latines du Nouveau Testament – et très probablement avant elles – il exista donc aussi une traduction latine des Écritures marcionites. Harnack a même prouvé que Tertullien avait eu sous les yeux une version latine de l’œuvre de Marcion, quand il entreprit de combattre sa doctrine.
Il est par conséquent aberrant de faire reposer une religion sur des écrits aussi douteux quant à leur authenticité historique. Des millions d’hommes en tirent pourtant chaque jour des conclusions définitives sur la morale ou le sort de l’âme/esprit des défunts après la mort.
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LA PRÉHISTOIRE DU TEXTE ÉLU.
Le contenu historique du Nouveau Testament, des apocryphes et des autres textes « intertestamentaires », est nul.
Exemple. Actes 10 mentionne la présence à Césarée de la « cohorte italique » (dans l’épisode de la conversion du centurion Corneille daté de + 35 + 40). Or cette cohorte de fera son apparition dans la région qu’à partir de 69. Il s’agit donc là d’un anachronisme de la part de l’auteur des Actes des apôtres, à savoir Luc. Il a entendu parler de son temps d’une cohorte appelée « italique » à Césarée, et il a donc supposé que c’était le nom de l’unité de l’armée romaine à laquelle appartenait le centurion de son récit.
Rappelons encore une fois que les légions au sens strict du terme ne firent leur apparition en Judée qu’à l’occasion de la première guerre Judéo – romaine (66-73) et qu’avant elles étaient stationnées beaucoup plus au nord, face à l’empire parthe.
En Judée à cette époque il n’y avait à Césarée un escadron de cavalerie et 5 cohortes soit au maximum 3000 hommes, alors qu’une légion avait environ 6000 hommes. Recrutés dans la région autour de Césarée et en Samarie (Sébaste) parmi les population non juives (les juifs étant exemptés de service militaire). Le tout commandé par des officiers romains, mais originaires du Moyen Orient. Ces troupes auxiliaires recrutées sur place devaient entretenir une petite garnison à Jérusalem (Forteresse Antonia et Palais d’Hérode) renforcée durant les fêtes peut-être.
Contenu historique nul donc, tout comme, disons-le, dans le cas des livres de Ruth ou de Jonas. Ces fables, à l’instar de celles d’Ésope, ne rapportent aucun événement réel.
Encore une fois, répétons-le, les Évangiles ne sont pas des reportages pris sur le vif, et ne sont même plus de la simple mise par écrit d’une rumeur orale.
Ce sont des textes issus de commentaires rédigés en araméen ou partiellement en hébreu, maintes fois remaniés selon les Écoles, en raison des polémiques du temps ; avant d’être traduits, par des intellectuels comme Marcion, hostiles aux judéo-chrétiens, qui en étaient pourtant les inspirateurs ; dans une langue, le grec, qui ignore les jeux de mots et les subtilités symboliques dont était coutumière la langue hébraïque ou araméenne.
Ces récits composites seront peu à peu unifiés au sein du courant de pensée qui donnera le christianisme officiel que nous connaissons aujourd’hui. Car ces textes en effet ne furent définitivement stabilisés que très tard. Ce sont les polémiques des IIIe ou IVe siècle qui achèveront de déterminer la rédaction d’un dogme présenté aux fidèles comme une révélation (venant du Christ lui-même, de ses paroles, de ses actions) ou du travail du Saint-Esprit dans les consciences. Et les idéologues bien-pensants qui auront forgé cette doctrine officielle, se prévaudront de ceux qui, dans le passé, auront été les plus proches de leurs propres positions (en pratiquant, au besoin, de judicieuses coupes dans leurs ouvrages. Voir le cas d’Irénée de Lyon et de son millénarisme ou de ses sympathies montanistes).
La contrefaçon des textes de référence durant les deux premiers siècles d’existence du christianisme, fut à ce point effrénée et communément répandue, qu’une nouvelle expression fut inventée pour la décrire, celle de « fraude pieuse ».
Un des plus magnifiques exemples de cette fraude « pieuse » est Eusèbe de Césarée, « le plus malhonnête des panégyristes » d’après le suisse Jacob Burckhardt, auteur de « Die Zeit Constantins des Grossen ». D’après lui on peut lire dans la Vita Constantini que cet empereur serait devenu chrétien ce qui est faux. Constantin a juste arrêté les persécutions contre diverses communautés dont les chrétiens par l’édit de Milan. Sa mère, Ste Hélène, était chrétienne, mais c’était loin d’être le cas pour Constantin. On doit également à ce drôle d’Eusèbe une liste des douze premiers papes (qu’il attribue à Saint Irénée) ainsi que de myriades de martyrs. Entrant dans le détail, il estime qu’en Égypte dix mille hommes, sans compter les femmes et les enfants, périrent. La Thébaïde aurait vu des exécutions en masse : « Tantôt dix victimes, et davantage, quelquefois vingt, une autre fois non moins de trente, tantôt près de soixante, souvent même jusqu’à cent en un jour, hommes, femmes et enfants… Moi-même, étant sur les lieux, j’ai vu périr en un même jour un grand nombre, les uns par le fer, les autres par le leu. Les épées s’émoussaient, ne coupaient plus, se brisaient, et les bourreaux, succombant à la fatigue, étaient obligés de se remplacer les uns les autres (Hist. ecclés. Livre VIII. Chapitre IX). Plus que des pogroms, une shoah par le glaive en quelque sorte…
La méthode d’Eusèbe est très particulière. Son récit est constamment entrecoupé d’extraits d’œuvres de ses devanciers et de copies de pièces officielles. Son Histoire est donc largement faite d’emprunts,
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mais qui sont toujours avoués et qui ont le mérite de nous avoir transmis bien des textes disparus par ailleurs. Mais on notera aussi que l’auteur manque parfois de lucidité et de sens critique : un certain nombre de documents cités sont manifestement des faux, par exemple la correspondance Abgar-Jésus ou la lettre d’Antonin au Conseil d’Asie interdisant les poursuites contre les chrétiens (IV, 13). Il y a aussi de la naïveté dans des récits de miracles qui ne sont que des doublets de ce qu’on lit dans le Nouveau Testament. Inversement, Eusèbe est très préoccupé par l’authenticité des textes sacrés ; il revient à plus d’une reprise sur le canon des Écritures. Eusèbe ne manque pas de s’interroger sur les causes des événements, mais, en homme de foi, il considère que Dieu est l’acteur principal dans l’histoire. C’est lui, par exemple, qui provoque le suicide de Pilate et qui châtie même les fidèles quand ceux-ci, bénéficiant de la « petite paix » des années 260 et suivantes, se laissent aller à la mollesse, mais se déchirent au sein des communautés : c’est Dieu qui est à l’origine de la « grande » persécution de Dioclétien (303-305-311). Un autre acteur est identifié, Satan. Les hommes, en définitive, ne jouent qu’un rôle secondaire.
Les Évangiles officiels sont donc des textes tardifs, nullement contemporains de Jésus en tout cas, dont les premières versions datent du IIe siècle même si, bien sûr, certains des matériaux qu’ils utilisent sont plus anciens. Ils seront soumis, jusqu’au IVe siècle, à un grand nombre de modifications (par exemple, des ajouts) au gré des polémiques et des controverses.
Il y a eu en effet remaniements incessants opérés sur les textes, et ces remaniements incessants, associés à des censures tout aussi incessantes, constituent autant de falsifications de la vérité factuelle, LA SEULE QUI SOIT OBJECTIVEMENT MESURABLE VOIRE QUANTIFIABLE. La vérité d’ordre supérieur, indépendante des faits, des lieux, et des chronologies, souvent mise en avant par les thuriféraires du christianisme afin de justifier ces impostures, restant de l’ordre de l’indémontrable.
« Qu’est-ce que la Vérité ? » demande Pilate dans et selon les quatre Évangiles ?
La vérité, à ne pas confondre avec la vérité, c’est ce qui sert à désigner une chose objectivement conforme aux faits, ou du moins à un principe scientifique certain, genre 2 + 2 = 4. Ce qui caractérise ce genre de vérités, les vérités factuelles ou scientifiques, c’est leur caractère objectif. Quand il s’agit de choses plus subjectives, par exemple des sentiments éprouvés, on parle alors de sincérité, mais cela est, bien sûr, beaucoup plus difficile à vérifier. Quand un responsable d’accident reconnaît les faits, mais déclare : « je ne l’ai pas fait consciemment exprès », lui seul le sait. Il existe d’ailleurs des sincérités successives.
On admet généralement que les mots « vrais » et « vérité » puissent être également employés pour autre chose que des relations objectives, fidèles, complètes, et exhaustives, des faits (et dits). Une image ou une œuvre de fiction peut, par exemple, contenir une part de vérité, ou peut, à sa façon, exprimer une vérité (au sens large du terme). Il n’en reste pas moins que ces vérités, non factuelles et non scientifiques, sont extrêmement subjectives, et ne sont en aucune façon assimilables à des vérités objectives. Elles ne sont pas conformes à la réalité au sens strict du terme, et les auteurs de ces œuvres de fiction destinées à promouvoir des vérités si subjectives, ont le devoir moral de le reconnaître d’emblée. Ils ont la responsabilité de ne laisser subsister à ce sujet aucune ambiguïté, quant aux faits, ou aux détails de la réalité matérielle, à laquelle ils se réfèrent pour en dégager leur vérité.
Laisser entendre qu’une chose est objectivement conforme à la réalité factuelle même tronquée, alors qu’il ne s’agit que d’une image, ou que cela fut écrit uniquement afin de faire le lien avec autre chose (midrash) ; c’est abuser des notions de vrai ou de vérité, et c’est induire en erreur, au moyen d’une attitude s’apparentant à celle du mensonge.
Les quatre Évangiles officiels, et même les cinq si l’on tient compte de celui de Marcion, ont été rédigés à partir de midrashim ou d’autres recueils de matériaux datant du IIe siècle ; recueils de matériaux sur Jésus très proches de certains que le christianisme a ensuite qualifié d’apocryphes (ils en avaient toutes les caractéristiques, et s’ils étaient retrouvés, les exégètes officiels les qualifieraient certainement d’apocryphes).
Il est impossible d’appréhender la réalité du Jésus historique décrit dans ces textes.
Répétons-le encore une fois, ces évangiles sont des contrefaçons cléricales postérieures de plusieurs années à la date alléguée des faits censés leur avoir donné naissance. La figure du Jésus historique est donc une « fraude émanant de la tradition », élaborée au second siècle avec force dogmes.
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Ainsi que nous avons déjà eu maintes occasions de le dire, les plus anciens documents chrétiens connus ne sont pas les évangiles, mais les lettres de saint Paul.
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Convaincus que la fin du monde et le jugement dernier devant le suivre, étaient proches, les premiers chrétiens ne se préoccupèrent en effet que fort tardivement (avec Marcion) de l’élaboration d’un corpus de textes cohérents.
Les lettres de Paul ignorent la plupart des apôtres cités dans les Évangiles qui, à leur tour, ignorent les disciples dont Paul fait état, et même Paul lui-même ; car ce qui est curieux c’est qu’aucun de nos 4 évangiles officiels d’aujourd’hui ne parle de Paul. Ils ont été pourtant écrits bien après les épîtres, ce que plus personne ne conteste aujourd’hui.
Les chrétiens actuels ne connaissent que quatre évangiles, mais ces textes ont une histoire. N’oublions pas que nous sommes à une époque sans imprimerie, où tout repose sur les copistes, et où de plus les communications sont lentes. La diffusion d’un écrit pouvait donc demander beaucoup de temps.
La rédaction d’un évangile est une chose ; sa circulation en est une autre, et la circulation commune de plusieurs évangiles, une troisième. Ces quatre textes ont donc vraisemblablement tous été précédés par un autre, unique : l’Evangelion de Marcion.
Saint Paul, le premier en date des écrivains chrétiens, ne parlait que d’un seul évangile ; cet évangile unique lui avait été révélé et il le prêchait. Peut-être à l’origine n’était-ce qu’une rumeur (un homme est mort et ressuscité, en Palestine, il accomplissait des miracles, certains disent que c’était plus que le messie attendu, un fils de Dieu voire dieu lui-même…) ; en tout cas vint aussi un moment où cette rumeur fut couchée par écrit. Ce premier évangile était peut-être à la base de l’enseignement de disciples comme Valentin, Basilide, Cerdon, ou Marcion, lequel en aurait possédé le manuscrit avant l’an 140.
Mais que représente pour Paul le mot « évangile » ? Quel était pour lui le contenu de ce message ? Ça y est le messie est arrivé, on l’a vu à Capharnaüm, moi-même je l’ai vu sur le chemin de Damas ou La Bonne Nouvelle du Salut pour tous les hommes ? Un mystère révélé ? L’enseignement du Christ ? Cet évangile avait-il été mis par écrit dans les communautés pauliniennes du Proche-Orient, notamment à Sinope sur la mer Noire ? Ce n’est pas impossible. Les lettres de Paul nous parlent d’un christ cosmique et surnaturel, mais ne parlent jamais ou presque de l’homme Jésus, de ses miracles, de sa mort et de sa résurrection ! Quand Paul parle des miracles du Christ, pourquoi ne cite-t-il jamais la multiplication des pains ou la transformation de l’eau en vin pour appuyer ses propos ? Quand Paul parle de la crucifixion du Christ, pourquoi ne donne-t-il jamais de détails : le lieu, la date, Pilate, le Sanhédrin ? Quand Paul dit que la fin des temps est proche, pourquoi ne cite-t-il pas les mêmes prédictions de Jésus (Marc 13, 30, Matthieu 24, 42…) Les rares fois où Paul parle de Pilate (1 Timothée 6, 13) sont universellement reconnues par les spécialistes comme faisant partie des passages rajoutés au IIe siècle. Les écrits « de Paul » ne sont donc pas toujours de lui.
Paul, comme les évangiles d’ailleurs, n’exprime jamais le désir de voir, par exemple, l’endroit où est né Jésus, sa prétendue ville natale de Nazareth, les endroits où il a prêché, la pièce où il a pris son dernier repas, sa tombe, le calvaire… Incroyable ! Il a fallu trois années (après sa conversion) pour que Paul fasse une courte visite à Jérusalem, et uniquement pour voir Pierre, de toute évidence les autres quartiers ne l’intéressent pas de toute évidence… bizarre… !
Et les vêtements, les reliques de Jésus, les objets de sa vie de tous les jours qu’il avait touchés ? Sa croix ? Sans intérêt pour Paul… Il faudra attendre le IVe siècle et la mère de l’empereur romain Constantin, Hélène, pour qu’apparaissent des morceaux de la « vraie croix » (assez pour construire la charpente d’une église) et le Moyen Âge pour avoir d’autres reliques…
………… AVERTISSEMENT AU LECTEUR : ce que l’on entend généralement par Evangelion ou Évangile de Marcion et dont il va être longuement question désormais c’est (très approximativement) L’ÉVANGILE SELON SAINT LUC MOINS LA PREMIÈRE PARTIE.……………………
Tertullien accuse Marcion à deux reprises (De Praesc. haer. 30 ; Adv. Marc. J, 19) d’avoir séparé le Nouveau Testament de l’Ancien. Ce serait intéressant si c’était vrai ; or personne n’a jamais connu un livre contenant à la fois l’Ancien et le Nouveau Testament à l’époque de Marcion ; celui-ci n’a donc pas eu à séparer des choses qui n’avaient jamais été réunies.
Ce qui est probable, c’est que la distinction opérée par Marcion entre les écritures à vraiment suivre et méditer et les autres issues de la mouvance juive, a contraint les autres mouvements chrétiens à distinguer, eux aussi, un Ancien et un Nouveau Testament. Tertullien lui-même, souvent très changeant dans ses affirmations successives, l’avoue ; il écrit au chapitre 36 du De Praescriptione que c’est l’Église romaine qui a réuni la Loi et les Prophètes aux évangélistes et aux apôtres ! Cet aveu est d’une extrême importance.
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En outre, quel texte avait sous les yeux Tertullien pour dire ça ? Il ne possédait certainement pas le texte primitif de l’Évangile de Paul ni celui de l’Evangelion de Marcion ; ces textes avaient déjà dû, à son époque, être profondément modifiés. Avait-il même à sa disposition l’évangile de Luc dans son texte primitif ?
Épiphane et Tertullien travaillaient souvent de mémoire, même quand ils comparaient Marcion à Luc ; cette méthode est fort critiquable. Ainsi reprochaient-ils à Marcion d’avoir supprimé certains passages de l’Évangile de Luc que celui-ci, en réalité, ne contenait pas, mais qui se trouvaient dans Matthieu. Ce dernier paraît avoir été leur auteur préféré. En tout cas, on peut difficilement concevoir que Marcion ait délibérément choisi, pour sa prédication, un évangile (Luc) qui, si l’on considère son texte actuel (la première partie dans nos versions actuelles traite de la naissance de Jésus et de sa vie « cachée ») commençait d’une façon aussi choquante pour lui – il lui aurait fallu éliminer les 132 premiers versets ainsi qu’une part considérable du reste. Il lui était plus facile d’en faire un nouveau ; or, il n’en fut jamais accusé.
Semler est le premier (en 1783) à avoir refusé de considérer que l’Evangelion de Marcion était un texte de Luc mutilé, ce qui n’empêcha nullement la suite imposante des spécialistes orthodoxes de suivre aveuglément Tertullien sur ce point.
D’autres spécialistes (Harnack, Couchoud) ont tenté, à partir de ce qu’en disent les adversaires de Marcion, de reconstituer son Evangelion. Ils semblent néanmoins n’avoir disposé pour cela que d’une version déjà modifiée, ou ayant déjà évolué, de son texte. Il vaut donc mieux rester très prudent à ce propos. Quand on lit par exemple Irénée, on peut seulement se rendre compte de l’importance des documents ou des conceptions dont nous sommes privés.
Rappelons-le encore une fois, le récit évangélique est un ensemble composite fait de bric et de broc.
La rumeur originelle (le messie est enfin apparu en Palestine, il faisait des miracles, a ressuscité des morts, ressuscité lui-même…) n’a pas cessé d’évoluer au cours des trois premiers siècles de notre ère. Ses noyaux datent de la fin du 1er siècle, mais certains points, non dénués d’importance, ne furent finalisés qu’au IVe siècle.
Les différentes histoires romancées du nouveau Josué nazoréen ont été composées à l’aide de matériaux ayant une origine différente.
Les premiers éléments de base, les midrashim, viennent bien évidemment des milieux juifs, classiquement messianistes ou marginaux. La notion de Fils de l’Homme, autrement dit de nouvel Adam, vient par exemple des séthiens, mais il y a eu aussi l’influence essénienne, et d’autres. Ce sont ce que l’on appelle des midrashim, autrement dit les éléments d’une sorte de portrait-robot de ce que devait être, ou faire, le messie des juifs, d’après leurs saintes Écritures ; et que l’on appliquera donc à Jésus le nazoréen, en les plaquant artificiellement sur sa véritable biographie ; à la place des éléments authentiques, mais n’intéressant personne, ou alors déjà oubliés pour la même raison.
« La fatalité d’être conçu d’une vierge est prescrite, exigée à l’avance et, à ce titre, doit nécessairement faire partie de la biographie de toute personne présentée comme messie ; ce qui ôte toute valeur réelle au récit qui ne peut plus être considéré comme constatant un fait, mais arrangé pour les besoins de la cause » (« Henri Lizeray. La Doctrine Secrète »).
Un des principaux problèmes des tout premiers chrétiens, ceux qui étaient d’origine juive, est que Jésus n’avait en aucune façon le profil-type du messie attendu. Il était Galiléen, mort comme un misérable, abandonné de tous, ou presque, etc. Ils durent donc inventer quantité de détails, ou torturer les textes, en abusant de l’interprétation allégorique, pour les faire coller à la réalité, et montrer ainsi qu’il était bien le Messie attendu par les juifs. Exemple les différentes généalogies de Jésus, destinées à faire croire qu’il était descendant du roi David. Mais Porphyre a quand même remarqué que ce qu’ont annoncé les prophètes hébreux pouvait s’appliquer au moins à une douzaine d’autres cas que celui de Jésus.
Un des champions toute catégorie de l’allégorie pouvant symboliser n’importe quoi est sans doute en ce domaine Saint Justin.
Ce Père de l’Église affirme par exemple, dans son Dialogue avec le juif Tryphon, que le nom de Josué était un mystère annonçant le nom de Jésus ; et que les bras en croix de Moïse, lors de la bataille contre les Amalécites à Réfidim, sont comme l’archétype, ou le signe de la Croix, sur laquelle le Christ triomphera de la mort, tout comme les israélites le firent de leurs ennemis.
« Lors de la guerre du peuple hébreu contre Amalec, tandis que le fils de Nave, nommé Jésus (Josué), était à la tête de l’armée, Moïse priait les bras étendus ; Or et Aaron les soutinrent dans cette
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position pendant tout le jour, de peur qu’ils ne vinssent à tomber de lassitude. Si la position de Moïse gardait quelque chose de la forme d’une croix, le peuple était vainqueur, ainsi que nous l’apprenons des livres mêmes de ce saint prophète ; et tant qu’il persévérait dans cette attitude, Amalec perdait l’avantage : ainsi la victoire se trouvait du côté de la croix. Mais ce n’est pas tant cette position de Moïse, pendant sa prière, qui faisait triompher le peuple hébreu, que le nom de Jésus qui se trouvait à la tête de l’armée, lorsque Moïse représentait sa croix sur la montagne. Qui ne sait que la prière la plus efficace est celle qui se fait avec larmes et gémissements, le genou en terre et le corps incliné ! Dans la suite, ni Moïse, ni aucun autre, ne prit sur la pierre cette attitude en forme de croix pendant sa prière ! Et la pierre ici n’est-elle pas encore un signe qui représente le Christ et ne convient qu’à lui ? (chapitre 90).
On peut comprendre qu’un tel délire n’ait guère convaincu le malheureux Tryphon que le vrai peuple élu (verus Israël en latin, israelitikon to alethinon genos en grec) c’étaient désormais les chrétiens (chapitre 135).
« A-t-on besoin d’ajouter ce qu’Origène dit notamment des écrits des prophètes, de la vision d’Ezéchiel, ou de l’Apocalypse ; car il est reconnu unanimement comme celui qui a porté au plus haut point de la perfection cette façon mystique ou allégorique d’interpréter l’Ancien testament ; elle a fourni matière à réflexion à tous ceux qui ont emprunté le même chemin après lui » (Résumé de la thèse de Toland sur le sujet).
D’après Papias (évêque d’Hiérapolis en petite Phrygie vers 125), il aurait existé des midrashim sur Jésus, dont l’Évangile de Matthieu aurait été un écho, adapté aux exigences idéologiques des générations chrétiennes ultérieures (du IIe au IVe siècle). « Matthieu mit par écrit les sentences en langue hébraïque, et chacun les interpréta comme il en était capable ».
Cet évangile au moins s’est donc inspiré de midrashim antérieurs, c’est-à-dire de commentaires, ou de rapprochements, plus ou moins libres ou forcés, avec des textes de la Torah, concernant le messie devant arriver. Par hébraïque Papias veut certainement dire « araméenne ». Les premiers chrétiens qui étaient de langue araméenne, insérèrent donc dans la littérature orale à son sujet, des détails ou des paragraphes entiers ; tendant à prouver que leur héros correspondait bien au portrait-robot du messie, que l’on pouvait tirer d’un examen attentif de la Torah.
« La fatalité d’être conçu d’une vierge est prescrite, exigée à l’avance et, à ce titre, doit nécessairement faire partie de la biographie de toute personne présentée comme messie ; ce qui ôte toute valeur réelle au récit qui ne peut plus être considéré comme constatant un fait, mais arrangé pour les besoins de la cause ». Avons-nous dit.
Relève de ce genre de matériau, tout ce qui concerne la naissance de Jésus. Sa naissance et son enfance sont mentionnées chez Marc, et bien que « Matthieu » et « Luc » affirment qu’il est né d’une vierge, ils font remonter sa lignée à la maison de David via Joseph ; de façon à ce qu’il corresponde à la prophétie et afin de donner plus de poids donc à sa candidature au statut de Messie sorti de la famille davidique. Bien qu’il soit Galiléen, on le fait naître en Judée, à Bethléem, toujours pour la même raison. De telles pirouettes verbales alimentent ce que l’on appelle les midrashim.
Exception faite du cas cité par Papias, Orthodoxie juive et christianisme officiel ne se sont évidemment pas souciés de conserver les premiers matériaux évangéliques, composés en araméen (ou en hébreu ?).
On peut néanmoins en retrouver la trace, le reflet, ou l’écho, dans les quatre Évangiles officiels, ainsi que dans un certain nombre d’autres documents, comme l’Évangile des ébionites. Les textes du Nouveau Testament tirent leur source d’un judaïsme dissident, où s’affrontent diverses sectes, ou communautés, du gnosticisme, ou de l’esséno-baptisme. Les communautés ou Églises esséno-baptistes, qui sont à la base du christianisme originel, accordaient en effet une grande importance aux commentaires des textes bibliques.
Des écrits se propageaient où étaient traitées les questions soulevées par l’espérance de la fin des temps, et par le retour du messie, ou d’un autre sauveur. Chaque tendance exprimait notamment son opinion sur le nom que devait prendre le rédempteur. Serait-ce un nouvel Adam, un nouveau Seth, un nouveau Josué, un nouvel Isaïe ?
La narration évangélique n’est donc nullement historique. C’est un plaidoyer ou une démonstration, fondée sur des textes antérieurs. Ces récits évangéliques, au départ, n’étaient pas faits pour les non-juifs, pas destinés aux Grecs, aux Galates, ou aux Romains, pas destinés à l’Église ; ils étaient
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uniquement destinés à des lecteurs juifs, ou d’origine juive, assez lettrés pour avoir des notions d’hébreu 1), et ils faisaient donc appel pour cela par conséquent à tous les procédés possibles et imaginables en hébreu, ou en araméen.
Certains midrashim esséniens entreront donc dans la formation de la base hébraïque des évangiles, et donneront, en passant dans la langue grecque, sous l’influence de Marcion, des masses de phrases incompréhensibles, ou incohérentes, sur lesquels des générations d’exégètes seront ensuite obligées de se pencher.
1) La bonne nouvelle (évangile) c’était alors quelque chose du genre : « ça y est, le messie est arrivé, on l’a vu à tel endroit … il est en marche, il vient sur nous, nos ennemis s’enfuient devant lui, les nôtres les suivent par milliers, etc. »
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DOCUMENTS.
L’ÉVANGILE DU SEIGNEUR.
Le récit de la vie de Jésus-Christ, retranscrit dans son texte original grec par Marcion, fils de Philologue, évêque de Sinope. An de grâce 130.
Le texte est basé sur « L’Evangile du Seigneur » de James Hamlyn Hill (1891), lui-même basé sur la reconstitution faite en 1823 par August Hahn. Version également révisée par Daniel Mahar pour tenir compte de la reconstitution opérée par Théodore Zahn (« Geschichte des Neutestamentlichen Kanons », vol. II, 1888), qui met en doute certains des matériaux retenus par Hahn et Hill pour leurs versions.
Avec lien hypertexte renvoyant aux deux principales (et hostiles) sources patristiques utilisées pour ladite reconstitution : Ephiphane, le Panarion, section 42, « contre les marcionites » et Tertullien, Contre Marcion (Adversus Marcionem) Livre IV.
L’ÉVANGILE DU SEIGNEUR.
Récit de la vie de Jésus-Christ, conservé dans son original grec par Marcion, fils de Philologue, évêque de Sinope. An de grâce 130.
LUC 3.
Dans la quinzième année du règne du César Tibère, Ponce Pilate étant gouverneur de Judée……
LUC 4.
31 Jésus descendit [du ciel] à Caphanaüm, ville de Galilée, et il les enseignait dans la synagogue le jour de sabbat ;
Et chacun en était frappé, car il parlait avec autorité.
33 Il y avait dans la synagogue un homme possédé par un esprit démoniaque impur, qui se mit à vociférer d’une voix forte :
34 Laissez-nous tranquille ; qu’avons-nous à voir avec toi, toi, Jésus ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es ; le Saint de Dieu.
35, Mais Jésus le reprit, en disant : Tais-toi, et sors de lui. Et quand le diable l’eut jeté à terre devant tout le monde, il sortit hors de lui sans lui faire aucun mal.
36 La frayeur les saisit et ils se demandèrent les uns les autres : Quelle est cette parole ! Car il commande avec autorité et puissance aux esprits impurs, et ils sortent.
37 Sa renommée se répandit dans tous les coins du pays.
[38-39 non attesté].
LUC 4.
16 Il vint à Nazara, entra dans la synagogue le jour du sabbat, et……
21 Et il se mit à leur parler, et tous furent étonnés par les paroles qui sortaient de sa bouche.
23, mais il leur répondit : vous allez m’objecter le dicton, médecin, guéris-toi toi-même ; tout ce qu’on nous a dit qu’il s’est passé à Capharnaüm, faites-le de même ici dans ton pays.
Omis par Zahn.
25, Mais je vous le dis en vérité, il y avait beaucoup de veuves en Israël au temps d’Elie, quand le ciel demeura fermé trois ans et six mois, et qu’une grande famine sévit sur tout le pays ;
26 Pourtant Elie ne fut envoyé à aucune d’elle, mais à une veuve de Sarepta, ville du pays de Sidon.
27 Et il y avait aussi beaucoup de lépreux en Israël, au temps du prophète Élisée ; pourtant aucun d’entre eux ne fut guéri à part Naaman le Syrien.
28 À ces mots tous dans la synagogue éclatèrent de fureur.
29 Ils se levèrent et le chassèrent hors de la ville pour le conduire sur un escarpement de la colline sur laquelle était bâtie leur ville, pour le précipiter du haut de la falaise.
30, Mais il passa son chemin.
40 Au coucher du soleil, tous ceux qui avaient des malades atteints de maux divers les amenèrent à lui ; il imposa les mains à chacun d’eux, et les guérit.
41 Et des démons sortirent de beaucoup d’entre eux en criant et s’exclamant : Tu es le Fils de Dieu.
[41c], Mais il leur intima l’ordre de ne pas parler.
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42 Le jour venu il partit, et se rendit en un lieu désert ; mais les gens finirent par le retrouver quand même et ils essayèrent de le retenir.
43, Mais il leur dit : Je dois aussi prêcher le royaume de Dieu dans les autres villes ; c’est pourquoi j’ai été envoyé.
44 Et il prêcha dans les synagogues de Galilée.
LUC 5.
1 Un jour qu’il était sur les rives du lac de Gennésareth,
2 Il aperçut deux bateaux à l’amarrage ; mais les pêcheurs en étaient descendus et nettoyaient leurs filets.
3 Et monta dans l’une des barques, qui appartenait à Simon, et il le pria de s’éloigna quelque peu de la terre ferme. Il s’assit et enseigna les foules à partir du bateau.
4 Quand il eut fini de parler il dit à Simon : va-t’en au large et lance tes filets pour pêcher des poissons.
5, Mais Simon lui répondit : Maître, nous avons travaillé toute la nuit, et nous n’avons rien pris ; mais puisque tu le demande je vais lancer le filet.
6 Et quand ils eurent fait cela, ils prirent une si grande quantité de poissons que leurs filets se rompirent.
7 Ils firent alors signe à leurs compagnons, qui étaient dans l’autre barque, afin qu’ils viennent les aider. Ils arrivèrent et les deux barques furent tellement remplies de poissons qu’elles commencèrent à couler…
LUC 24.
6 Il est ressuscité ; souvenez-vous comment il vous a parlé quand il était encore en Galilée, en disant :
7 Le Fils de l’homme doit être livré entre les mains des pécheurs, être crucifié, et ressusciter le troisième jour.
8 Et elles se rappelèrent ses paroles,
9 À leur retour du tombeau elles rapportèrent tout cela aux onze ainsi qu’aux autres.
10 Marie-Madeleine, Jeanne, Marie, mère de Jacques, et d’autres femmes avec elles, dirent tout cela aux apôtres.
11, Mais leurs déclarations leur semblèrent invraisemblables et ils ne les crurent pas.
12 Pierre se leva néanmoins et courut au sépulcre ; en se baissant, il ne vit que les bandelettes de lin par terre et s’en alla, en se demandant ce qui s’était passé.
13 Or deux d’entre eux se mirent en route ce jour-là pour un village appelé Emmaüs, situé à soixante stades de Jérusalem.
14 Et ils parlèrent entre eux de ce qui s’était passé.
15 Or il arriva que, tandis qu’ils devisaient ou s’interrogeaient à ce sujet, Jésus lui-même s’approcha et fit route un moment avec eux.
16, Mais leurs yeux ne purent le reconnaître.
17 Alors il leur demanda : de quoi parlez-vous en marchant et pourquoi donc avez-vous l’air triste ?
18 L’un d’eux, qui s’appelait Cléophas, lui répondit : Es-tu donc le seul à Jérusalem à ne pas savoir ce qui vient d’arriver ces derniers jours ?
19 Quoi donc leur demanda-t-il ? Et ils lui répondirent : Ce qui est arrivé à Jésus le nazoréen, grand prophète en parole et en acte devant Dieu et tout le peuple :
20 Et comment les grands prêtres et nos chefs l’ont livré pour être condamné à mort, et l’ont crucifié.
21 Nous espérions que c’était lui qui rachèterait Israël ; oui, mais cela fait deux jours que c’est arrivé.
22 Certaines des femmes de notre groupe qui se sont rendues à son tombeau nous ont néanmoins bouleversés ;
23 Elles n’ont pas trouvé le corps, mais sont revenues en disant qu’elles avaient vu des anges qui leur avaient dit qu’il était toujours vivant.
24 Quelques-uns d’entre nous sont allés eux aussi au tombeau, et l’ont trouvé comme les femmes avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas trouvé.
25 Il leur répondit alors : Hommes stupides, et lents à croire ce qu’il vous a enseigné !
26 Ne fallait-il pas que le Christ souffre tout cela pour entrer dans sa gloire ?
[27]
28 Comme ils arrivaient non loin du village où ils allaient, il fit comme s’il allait plus loin.
29, Mais ils le retinrent en disant : Reste avec nous, car le soir arrive, et le jour est déjà bien bas. Il entra donc avec eux.
30 Et comme il s’était mis à table avec eux, il prit le pain, le bénit, le rompit ; et leur distribua.
31 Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent ; mais ensuite il disparut.
32 Ils se dirent l’un l’autre : Notre cœur ne brûlait-il pas dans notre poitrine,
[32c] alors qu’il s’entretenait avec nous en chemin ?
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33 Et ils se levèrent aussitôt et retournèrent à Jérusalem. Là ils trouvèrent les onze et ceux qui étaient avec eux, réunis et disant :
34 Le Seigneur est ressuscité, il est apparu à Simon.
35 Et ils répétèrent ce qui s’était produit en chemin, et comment il s’était fait reconnaître d’eux par la fraction du pain.
36 Or comme ils disaient cela, Jésus lui-même se tint au milieu d’eux, et leur dit : Que la paix soit avec vous.
37, Mais ils furent épouvantés ou effrayés, car ils crurent avoir vu un fantôme.
38 Alors il leur demanda : Pourquoi êtes-vous à ce point troublés ? Et pourquoi tous ces doutes dans vos cœurs ?
39 Voyez à mes mains et à mes pieds que c’est bien moi ; car un esprit n’a pas de chair ni d’os comme ceux-là.
[40]
41 Et comme la joie les rendait incrédule et qu’ils restaient perplexes, il leur dit : Avez-vous ici quelque chose à manger ?
42 Alors ils lui donnèrent un morceau de poisson grillé, et du miel en rayon.
43 Il les prit, et les mangea devant eux.
44 Ensuite il leur dit :
[45] Voici les paroles que je vous ai dites, pendant que j’étais encore avec vous,
46 Il fallait que le Christ souffre et ressuscite d’entre les morts le troisième jour :
47 Et que la repentance et la rémission des péchés soient prêchées en son nom parmi toutes les nations.
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L’EVANGILE DE MARCION.
L’Evangelion de Marcion devait donc débuter ainsi.
La quinzième année du règne de César Tibère, Ponce Pilate étant gouverneur de Judée, (Jésus) le Christ fils de Dieu descendit du Ciel à Capharnaüm, une ville de Galilée, et il enseigna, etc. (Luc 4, 3).
Le long passage de Luc qui va de 3, 2 à 4, 30 (68 versets) a sans doute été rajouté au milieu de la première phrase de l’évangelion de Marcion. Le verset initial « il descendit du ciel » a peut-être été modifié en « il descendit alors à Capharnaüm ville de Galilée » (Luc 4 ; 31).
L’évangelion de Marcion faisait en effet directement descendre le Christ du ciel sur terre (d’après Tertullien. C. M. 4, 7). Ce Christ étant une pure créature surnaturelle, il ne pouvait par conséquent apparaître que sous la forme d’un esprit éthéré. S’agissant d’un personnage uniquement céleste, Marcion ne lui prêtait donc pas de naissance humaine, et il s’accordait sur ce point avec Marc 1, 9 ; qui montre un Jésus déjà adulte, mais sans naissance, donc sans passé. Un fils de Dieu qui se manifeste aux hommes sous la forme humaine.
Par conséquent, on ne saurait s’étonner que son Christ descendait du ciel incréé, supérieur à celui du Créateur de ce monde raté ; qu’il prenait une apparence humaine, et qu’il apparaissait non pas né d’une vierge, mais en homme âgé de trente ans. Hippolyte (Réfutation de toutes les hérésies VII, 19), écrit que selon Marcion le Logos, en l’an 15 du règne de Tibère, « descendit du ciel sans avoir été engendré ».
Le contenu de l’évangelion – confirmé par ces divers témoins – différait donc de nos actuels Luc et Matthieu qui ; suite à diverses manipulations de texte opérées par des chrétiens restés très judaïsants ; y ajoutèrent des récits, des détails, présentant Jésus comme un enfant venu au monde d’une manière normale ; et imaginèrent de lui fournir une généalogie. Malheureusement, le roman qu’ils rédigèrent indépendamment l’un de l’autre, sur l’ascendance et la naissance de Jésus, revêtit deux formes différentes, dont les contradictions montrent le véritable caractère.
L’AN QUINZE DU RÈGNE DE TIBÈRE.
Pourquoi Marcion a-t-il placé au commencement de son évangile une date ? On ne comprend pas comment un événement mythique comme la descente d’un dieu-ou-démon sur terre, événement généralement intemporel dans toutes les mythologies, a pu être daté, c’est-à-dire devenir historique. Une seule explication nous paraît possible ; ce fait mythologique n’a pu être transposé en épisode d’histoire que lorsqu’il a été lié à l’existence d’un homme qui en aurait soi-disant été le témoin. La descente du Christ n’aurait pas été rejetée dans l’intemporalité, (il était une fois), la date serait celle du moment où un « saint homme » aurait cru y assister, recevoir ainsi un message divin, en être le témoin privilégié, et en devenir le missionnaire. Nous aurions ainsi la date, non pas d’un épisode mythologique « in illo tempore », mais celle de l’illumination d’un ascète, du début de son apostolat. Autrement dit le Jésus historique peut-être ! L’hypothèse vaut ce qu’elle vaut.
Les judéo-chrétiens ayant retravaillé l’évangelion de Marcion dont nous venons de parler, ont alors introduit dans le verset 3, 1, les noms de Ponce Pilate, Hérode, Philippe, Lysanias, Anne et Caïphe, Jean fils de Zacharie, détails inconnus de Marc et Matthieu. Afin de transformer un événement mythique en fait d’histoire juive, cette liaison ou correspondance entre le mythe et l’Histoire vécue étant ressentie comme nécessaire.
L’insertion dans Luc seul de ces personnages « historiques », devait en outre préparer leur entrée en scène pour plus tard, au moment où la Passion fut ajoutée au texte primitif. De toute façon, si jamais Marcion, comme cela est possible, a donné des détails sur la descente du Christ et sur son apparition ici-bas, ses explications ont disparu et ont été remplacées par un récit concernant Jean-Baptiste que Marcion ignorait. Ce qui est sûr, c’est que le dieu-ou-démon descendu du ciel n’était pas Yahvé, le Dieu ou Démiurge des juifs. Tertullien lui-même en convient (C. M., 1, 15) ; s’adressant à Marcion, il s’écrie : « Comment se fait-il que ton dieu a été révélé la douzième année du César Tibère… ».
À CAPHARNAÜM.
Luc continue en 4, 31 sa phrase commencée et interrompue en 3, 1. Il écrit « (Jésus) DESCENDIT à Capharnaüm, ville de Galilée ». Il a conservé le verbe descendre utilisé par Marcion pour indiquer une descente du ciel, mais il précise « ville de Galilée » afin de localiser sur terre l’événement. Et Jésus ne
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DESCEND point à Capharnaüm, en venant du Ciel, comme dans le texte de l’évangélion de Marcion, il y pénètre, normalement et humainement, à pied, accompagné de Jacques et de Jean. Matthieu n’a pas de passage correspondant.
Quelle est donc cette ville de Capharnaüm qui n’apparaît, et pour la première fois, que dans le Nouveau Testament ? Ce nom est symbolique, il désigne, comme l’indique plus tard Héracléon (un gnostique) « les bas-fonds du monde », le dernier ciel ; celui qui correspond à notre terre, et qui a été créé par l’auteur de ce monde mauvais ou à tout le moins raté.
En français capharnaüm est d’ailleurs toujours synonyme de bric-à-brac ou désordre.
Sous la plume des judéo-chrétiens ayant modifié la version primitive de l’évangelion, cela devient donc une véritable ville, qu’ils situent en Galilée ; mais cette Galilée ne serait-elle pas elle-même symbolique, et ne représenterait-elle pas en réalité les régions païennes ? Cette précision (Galilée) est inconnue de Marc et elle ne se trouve dans Marcion qu’à cet endroit de son texte.
Quand Luc cite Capharnaüm en 4, 23, Marcion l’ignore comme Marc et Matthieu. Marcion et Marc ne connaissent pas la Capharnaüm des versets de Luc 7,1b et 10,15. Marcion et Luc ne contiennent pas la Capharnaüm des versets 2,1 de Marc, et 17, 24 de Matthieu.
Tout se passe comme si Capharnaüm avait été ajouté ici et là (très tôt d’ailleurs, puisque le gnostique Héracléon en étudiait le sens) ou, au contraire, comme si elle avait été supprimée de certains passages. La première hypothèse est cependant la plus probable. Cette ville aurait été conçue symboliquement, à mi-chemin du mythe et d’une géographie métaphorique, pour suggérer l’endroit où s’était effectuée la descente du Christ, d’une manière analogue à celle qui avait daté l’événement.
Si nous revenons au texte attribué à Marcion, nous lisons que Jésus enseigne dans la synagogue, ce que confirme Marc. Par contre, Luc ne sait pas que la scène a lieu dans une synagogue ; il déclare seulement qu’elle se passe un jour de sabbat. Matthieu ignore tout de la question. Le mot « synagogue » n’ayant pu être retranché du texte primitif de Marc par Luc et Matthieu, il aurait donc été ajouté à Marc et à Marcion.
Nous savons par Tertullien que son Jésus-Christ n’était pas celui de Marcion et que ni ce dernier, ni Tertullien, n’ont confondu les deux. L’un était un homme, un juif nommé Jésus, qui devait être, ou aurait dû être, le messie d’Israël. L’autre était le Dieu bon, ou son émanation, et son Royaume n’était pas de ce monde.
Nous savons également que le premier évangile prêché aux chrétiens fut celui de Paul, l’apôtre des hérétiques, et que cet évangile fut recueilli et publié par Marcion. Irénée a avoué comment les quatre évangiles canoniques vinrent remplacer l’évangile « hérétique » en le modifiant gravement, ce qui ne l’empêcha pas d’accuser sans raison Marcion d’avoir corrigé et mutilé l’un de ces quatre évangiles (celui de Luc). Or ce sont ces quatre évangiles secondaires – fabriqués par différents milieux chrétiens pour remplacer celui de Paul et de Marcion, et pour combattre les gnostiques – qui finirent par constituer la base primordiale des déclarations des Pères de l’Église ; et constituent donc encore le terrain privilégié des exégètes modernes.
La réunion en un seul livre de la Bible juive, des nouveaux évangiles et des Épîtres pauliniennes expurgées, constitua le Nouveau Testament ; expression qui ne put apparaître qu’après la publication à Rome du corpus paulinien s’opposant à la Bible juive, c’est-à-dire à l’Ancien Testament. Auparavant l’expression n’aurait eu aucun sens.
Cette expression « Livres de l’Ancien Testament » est employée pour la première fois par Méliton de Sardes vers 180 (Eusèbe, H, E., livre 4 chapitres 26, 12 et 14). D’autre part, Tertullien a admis que c’était l’Église romaine qui avait réuni la Loi et les Prophètes aux évangiles et aux apôtres, preuve irréfutable de la judaïsation de ceux-ci par ceux-là. C’est d’ailleurs l’évidence même, puisqu’aucun de nos évangiles canoniques n’est antérieur – quoi qu’on dise – au dernier tiers du second siècle ; tandis que les épîtres pauliniennes datent du premier siècle, et que Marcion les publia entre 135 et 140, soit une génération avant les évangiles canoniques.
L’initiative de ces chrétiens avait pour but de réduire à néant l’opposition entre la Bible juive et le Nouveau Testament proclamée par Marcion. Cette réunion contre nature de deux œuvres inconciliables ne fut rendue possible que par la destruction d’une partie des écrits marcionites, et la falsification de ce qui en fut conservé.
Malgré ces faits, Irénée accusa Marcion d’avoir emprunté l’évangile de Luc, et corrigé ce texte à sa convenance. Malheureusement, Irénée n’est qu’un témoin unique, tendancieux et tardif, et c’est sur son seul témoignage que Tertullien, Épiphane et bien d’autres, entretinrent contre Marcion une polémique qui dure encore et qui, comme toute polémique, ne fut jamais objective. Il ne s’agissait pas,
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en l’espèce, de découvrir la vérité (puisque l’on croyait la posséder), il fallait défendre à tout prix et par n’importe quel moyen, la cause que l’on estimait être la bonne.
Or ils ne disposaient pas des textes authentiques provenant de Marcion. À la fin du IIe siècle, l’Evangelion – tel que Marcion l’avait édité – n’existait plus à l’état d’ouvrage indépendant ; il avait été transformé en « évangile de Luc » après avoir subi de graves amputations et reçu de nombreux compléments.
Lorsque les détracteurs de Marcion lui reprochent certaines inconséquences, ils soulignent en réalité des incompatibilités d’idées ou de langage entre la doctrine de Marcion et les croyances que ses correcteurs lui ont abusivement prêtées, en les insérant dans les textes pauliniens et marcionites.
Les matériaux ajoutés à l’Evangelion primitif de Marcion, pour en faire l’Évangile selon Luc et les trois autres, ont des origines diverses.
Il est possible, nous disons bien « possible », que l’homme ayant cristallisé sur son nom tous ces mythes messianistes ou christiques (Jésus) ait vraiment existé.
Ce qui est évident alors dans ce cas, c’est que bon nombre des éléments de sa biographie « officielle » ont été inventés par la suite.
95 % de ces éléments de sa vie prétendue ont été rajoutés.
a) Afin d’historiciser au maximum les mythes ou les propos intemporels que l’on voulait rattacher à sa personne.
b) Afin de prouver au public juif qu’il correspondait bien au portrait-robot du messie annoncé par les prophéties de la Torah (procédé dit du midrash).
c) Afin de séduire et de convertir d’autres milieux plus larges, de l’époque (les païens de culture grecque par exemple).
d) Afin de justifier certaines pratiques, certaines décisions, ou certaines positions.
Car nombre d’éléments de la biographie de Jésus sont également à la fois anciens et tardifs, c’est-à-dire correspondant étroitement à des textes beaucoup plus anciens, mais mentionnés beaucoup plus tard seulement, en tant que caractérisant aussi Jésus. Ce qui est la définition même du midrash.
On trouve par exemple déjà dans le livre de Michée (5,1-2) que le messie devait naître à Bethléem, cité de David.
Ignace, évêque d’Antioche : « Bouchez-vous les oreilles si quelqu’un prêche sans parler comme il faut du Christ de la lignée de David. C’était le fils de Marie, il est réellement né, il a été persécuté sous Ponce Pilate, a été réellement crucifié… et aussi ressuscité » (Lettre aux Tralliens chapitre 9). On croirait entendre la sourate du Coran déconseillant aux croyants de discuter avec des infidèles.
Saint Coran chapitre VI verset 68. « Si tu vois des gens plongés dans une discussion à propos de nos signes, écarte-toi d’eux jusqu’à ce qu’ils en soient venus à discuter d’autre chose. Le démon te fera certainement oublier ceci, mais dès que tu t’en souviendras, éloigne-toi d’eux ».
Au fil des conversions, les auteurs donnent corps au récit, et commencent par construire ce qui deviendra le plus grand mensonge de tous les temps. Et plus tard on rajoutera encore des détails, comme le traître Judas, la vierge Marie… (Jésus serait né d’une vierge comme, avant lui, Horus et ainsi de suite). Les évangélistes construisent donc peu à peu l’histoire d’un Christ « homme » en ajoutant, au fur et à mesure, des récits mélangeant contexte historique et personnages fictifs. Le christ y est de plus en plus présenté comme un homme ayant vraiment vécu. Il a eu par conséquent une mère, une enfance, un père, une éducation, une existence mouvementée et une mort dramatique.
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PRINCIPALES SOURCES DE LA MYTHOLOGIE CHRÉTIENNE
(LES MIRACLES).
AVERTISSEMENT AU LECTEUR. LE TEXTE DE RÉFÉRENCE DE NOTRE ANALYSE SERA LE TEXTE DE L’ÉVANGILE (EVANGELION) DU DÉNOMMÉ MARCION ; TEL QU’IL A PU ÊTRE RECONSTITUÉ PAR AUGUSTE HAHN ET THÉODORE ZAHN EN INVENTORIANT TOUS LES VERSETS PRÊTÉS À CET ÉVÊQUE PAR SES DÉTRACTEURS. QUE NOTRE LECTEUR N’EN SOIT DONC PAS SURPRIS, C’EST UN CHOIX DÉLIBÉRÉ, UN PARTI PRIS, ASSUMÉ.
Certains miracles des quatre évangiles ne sont que des midrashim ou des logia illustrés par une anecdote, une image valant souvent plus qu’un long discours. Tout comme le célèbre épisode de la pièce d’argent trouvée par Pierre dans la gueule d’un poisson, sur injonction de notre héros, pour acquitter la dîme due au Temple. « Va pêcher un poisson, tu y trouveras un statère » (Matthieu 17, 27). Or des histoires de poissons ayant dans leur gueule une pièce ou un anneau d’or, on en retrouve partout sur les bords de la Méditerranée.
Mais il va de soi que, comme dans le cas des logia, nous sommes dans l’incapacité de distinguer entre les miracles vraiment attribués dès le début au Christ ; et ceux qui ne lui ont été attribués que plus tard, comme dans le cas d’Apollonius de Tyane.
LES NOCES DE CANA.
Il est évident que ce texte est au départ un texte gnostique symbolique, une fable, et non le récit d’un fait s’étant réellement passé.
Le fameux épisode des noces de Cana (Jean 2,1-12) qui n’a rien d’historique n’est qu’une fable historicisée dans le cadre de cette pseudo-biographie. Notons au passage que le nouveau Josué y est présenté comme quelqu’un sans aucun respect pour sa mère, et que ce n’est pas là un exemple que nous saurions conseiller d’imiter.
Ceux qui croient encore aujourd’hui à la réalité objective et matérielle des faits avancent l’explication suivante.
Le vin de l’époque, comme celui que l’on boit aux noces de Cana, est riche en moût et en lie, qui se déposent au fond des amphores. En ajoutant de l’eau et en mélangeant, ça devient un breuvage râpeux, pauvre en arôme, mais satisfaisant dans l’ensemble, un petit vin clairet. Et quand ça fait trois jours que l’on boit, on ne fait pas la différence.
Il s’agit néanmoins plus vraisemblablement d’un récit intemporel, du genre fable, parabole, apologue ou conte moralisateur, transformé par la suite, après manipulation du texte, en fait authentique de la biographie du nouveau Josué.
LES FEMMES DÉVOUÉES À JÉSUS (Luc 8, 2-3).
Ce passage, isolé, est commun à Marcion et à Luc, mais n’a aucun parallèle dans les autres évangiles. Un correcteur a ajouté au verset 1 de Luc : « Les Douze ».
Nous apprenons que des femmes riches s’attachaient au Christ ; trois noms sont cités, mais il y en avait « beaucoup d’autres », nous dit-on. L’une de ces femmes s’appelait Marie-Madeleine. Le verset 8, 2 nous apprend que ces femmes qui suivaient Jésus « avaient été guéries d’esprits mauvais et de maladies ». Autrement dit, elles avaient été ainsi exorcisées puis converties. Mais cette Marie-Madeleine s’apparente aussi à l’Hélène, compagne de Simon « le magicien ». Voir ce que nous avons écrit à propos de ce grand philosophe gnostique de Samarie.
Marie-Madeleine avait été délivrée de sept démons nous dit-on. Ne s’agirait-il pas des « péchés » dont elle aurait été recouverte dans sa traversée des cieux du mauvais dieu créateur de ce monde (en provenance du ciel du dieu bon) afin de descendre sur terre ? cf. l’idéologie gnostique à ce sujet. L’allusion à la femme d’un intendant d’Hérode n’a peut-être pour but que de préciser un peu plus le cadre prétendument historique dans lequel les correcteurs judéo-chrétiens veulent ramener le mythe gnostique. Ou alors, il s’agit d’un reste de l’authentique vie du Jésus historique.
[Ce n’est pas à nous, barbares druides d’Occident, qu’il appartient de trancher ce genre de querelles entre exégètes chrétiens. Nous n’avons qu’un seul but, fournir à nos frères humains de quoi être des personnes ou des penseurs… LIBRES ! Et donc de fournir un aperçu d’une religion qui concerne des milliards de femmes d’hommes ou d’enfants].
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Les femmes qui suivaient Jésus, assistaient les apôtres de leurs biens, et elles étaient chargées de certaines missions. Le rôle des femmes dans nos évangiles se remarque surtout lors de la mort et de la résurrection de Jésus et de Lazare. Sans doute administraient-elles le baptême pour la résurrection des morts dont parle saint Paul (1 Cor. 15, 26-29). Paul, dans son Épître aux Romains (16, 1), recommande Phébée, diaconesse de l’Église de Cenchrées (une pratique que l’Église catholique, ou orthodoxe, a abandonnée). Pline parle des diaconesses des églises de Bithynie dans sa fameuse lettre à Trajan, et les femmes faisaient aussi partie intégrante des communautés marcionites (les évêques y étant souvent accompagnés de femmes) ou montanistes.
MULTIPLICATION DES PAINS ET DES POISSONS (Jean 6,1-13).
Jésus se retire en barque de l’autre côté du lac de Tibériade. En ce lieu quasi désertique, la foule s’assoit sur l’herbe. Car la foule l’a suivi, on ne sait comment, d’autant plus qu’en cette période de la Pâque, c’est la route de Jérusalem qu’elle devait prendre. Peu importe qu’ils soient 4 000 ou 5 000 hommes, sans compter les femmes et les enfants, à l’échelle du pays, c’est un chiffre considérable.
On y retrouve un assemblage bigarré de familles éplorées traînant un malade, un handicapé ou un débile, dans l’espoir d’une guérison ou d’un exorcisme ; des volontaires costauds et dévoués portant des fiévreux et des paralytiques, de simples badauds, des agents des pouvoirs politiques ou religieux, de fervents disciples et ainsi de suite. Comment vont-ils se nourrir ? Comment l’apôtre André a-t-il repéré, dans cette foule, un garçon qui avait cinq pains et deux poissons ? Jésus prend les pains et, « ayant rendu grâce », les distribue dans la foule. Quand tous furent rassasiés, on remplit douze grands paniers avec les restes. D’où viennent ces paniers ? Qui les a emportés ? Le lendemain, dit Jean, la foule continue à rechercher Jésus et monte dans des barques pour le rejoindre. Cette foule doit être bien réduite par rapport à la veille, car on imagine mal qu’il y ait à Tibériade suffisamment de barques pour transporter quatre ou cinq mille hommes, plus les femmes et les enfants.
Il doit sûrement y avoir eu un événement réel à la base du récit, mais il a été tellement transformé, qu’il nous est aujourd’hui impossible de dire ce qui s’est vraiment passé.
Gerd Theissen relève l’existence de Jeanne, épouse de Chouza, l’intendant d’Hérode, que Luc (8,1-3) cite parmi les femmes qui assistent Jésus et ses disciples « de leurs biens ».
C’est elle qui aurait fait apporter les provisions, et cette apparition soudaine et imprévue, de tant de nourriture, aurait été considérée comme un miracle par ces pauvres gens, qui n’en avaient jamais vu autant d’un seul coup.
Possible !
Notons néanmoins que les évangiles de Marc et de Matthieu donnent deux récits de la multiplication des pains ; un récit long (Mc 6, 36-46, Mt 14, 15-23) qui prend pour point de départ du miracle cinq pains ; et un récit court (Mc 8, 1-10, Mt 15, 32-39) qui fait état de sept pains. Autre différence, le premier récit parle de douze corbeilles de restes, tandis que le second n’en compte que sept.
Il est évident que ces deux récits font double emploi ; l’un est le décalque de l’autre, et n’a pour but que de modifier le nombre des pains qui, comme celui des corbeilles, est symbolique. Le récit de Marc 6 illustre sans doute la présentation de l’évangile aux juifs, grâce aux douze apôtres, celui de Marc 8 figurant la communication du salut aux non-juifs, grâce aux sept diacres hellénistes.
Une question se pose inévitablement : quel est le récit qui, chronologiquement, a précédé l’autre ? Autrement dit, le premier rédacteur est-il celui qui réservait aux juifs ce prototype de la Cène chrétienne ou, au contraire, celui qui la destinait aux païens ?
La répétition du miracle est inconcevable. S’il avait déjà eu lieu une fois, les disciples en auraient gardé le souvenir, et n’auraient pas posé la question « d’où nous viendra dans ce désert assez de pains pour rassasier tant de monde ? ». L’arrangeur du miracle de Marc 8, 4 (Mat. 15, 33) paraît ignorer le miracle semblable de Marc 6 et Matthieu 14. À première vue, le chiffre de 12 couffins (Mc 6, Mt 14) opposé à celui des 7 corbeilles (Mc 8, Mt 15) paraît suspect. Il correspond à celui des 12 apôtres qui, nous l’avons vu, sont des intrus dans le récit. D’autre part, l’emploi de mots différents dans le grec pour désigner les corbeilles à la fin de l’épisode (Mc 6, Mt 14) invite à admettre l’existence de deux auteurs successifs ; car on n’aperçoit pas la raison qui aurait pu conduire le premier auteur à changer de vocabulaire d’un chapitre à l’autre. À noter parallèlement que le nombre 7 (celui des pains et des corbeilles) est celui des diacres préposés au service des repas chrétiens selon Actes 6, 3, et qu’il se justifie parfaitement ici.
Nous rappellerons également que la multiplication des pains représentée sur les anciens monuments est toujours la seconde avec ses sept corbeilles, tandis que la première, celle des douze, est inconnue de l’art chrétien des premiers temps. Dans les catacombes de Rome, la représentation du banquet eucharistique figure invariablement sur sept hommes assis devant des pains et des poissons.
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La priorité en Marc et Matthieu du second récit (celui des sept pains) est donc très vraisemblable, le récit de Marc 6 et Matthieu 14 étant alors considéré comme une adjonction. Il nous reste maintenant à chercher comment cet épisode se présente dans l’Évangile de Luc et dans l’Evangelion de Marcion.
La situation est ici très claire. Luc ignore le miracle de Mc 8, 4 et Mt 15, 32 qui, dans notre hypothèse, est chronologiquement la première. Il ne connaît que la seconde, c’est-à-dire le récit de Mc 6 et Mt 14, qui n’est qu’un doublet.
On en vient alors à supposer que le texte de Luc fut augmenté de ce second récit, quand ce dernier prit place dans Marc et Matthieu, lesquels étaient déjà nantis de la première version de l’épisode.
Si l’on compare les versets 16, 9 et 10 de Matthieu, ou 8,19 de Marc, avec le texte de Luc ; on constate que ces deux évangélistes rappellent dans ces passages les deux miracles des pains, alors que Luc n’en dit mot ; ce qui tend à confirmer qu’il ne les connaissait pas.
Contrairement à l’institution de la Cène au pain et au vin, le repas champêtre aux pains et aux poissons (autre prototype de l’eucharistie) concerne une foule, et non pas seulement quelques disciples. Aucune allusion n’y est faite à la mort et à la résurrection du Christ. Il s’agit d’un rite tout différent.
Quels étaient les éléments de l’eucharistie symbolisée par le miracle des pains et du poisson ? À lire les textes, on devrait répondre « le pain et les poissons ». Mais ne peut-on sérieusement douter de la présence des poissons à l’origine de cette communion ?
Ils sont effectivement placés dans le texte d’une manière si maladroite qu’ils paraissent y avoir été ajoutés. Exemples.
— En Mt 15, 34 et 36, alors qu’ils ne figurent pas aux versets parallèles de Mc 8, 5 et 6 ; un correcteur dut insérer un verset 7 pour les mentionner.
— En Mt 14, 19 et Mc 6, 41, où les poissons, tout d’abord cités, ne sont pas distribués à la foule ; seuls les pains sont rompus, mais, ici encore, un scribe crut nécessaire de modifier in fine le verset 41 de Marc, pour mentionner les poissons absents du texte primitif.
— En Mc 6, 38, où la question « Combien avez-vous de pains ? » ignore les poissons, ce qui ne les empêchera pas d’être présents dans la réponse.
— Matthieu, Luc et Jean, écrivent qu’il resta sept ou douze corbeilles de morceaux de pain. Aucune allusion aux poissons. Un copiste remédia à cet « oubli » en surchargeant le verset 6, 43 de Marc des poissons, sans s’apercevoir que le verset 44 parlait de « ceux qui avaient mangé les pains » et gardait le silence sur lesdits poissons.
Si l’on voit très bien Jésus rompre le pain, on l’imagine difficilement en train de rompre les poissons ; on pourrait donc avancer que les poissons étaient déjà préparés, sans arêtes et même frits, et que le miracle a porté sur une nourriture sommairement cuisinée, mais ce serait aller très imprudemment au-delà de nos textes.
En conséquence, nous estimons que l’insertion des poissons dans le miracle des pains est à peu près certaine et même qu’elle a été progressive. Des poissons l’on passa à quelques petits poissons, puis on précisa leur nombre : deux. Les évangélistes ne nous disent pas combien le miracle en avait produit ni combien il en était resté dans les corbeilles.
On peut supposer que l’insertion du récit du miracle des sept pains a pu être une réponse au nouveau compte rendu évangélique de la Cène, apparu dans certains manuscrits. On aurait ainsi opposé le banquet collectif, servi par les sept diacres, au repas intime réservé aux douze apôtres juifs ; le pain du ciel au pain terrestre lié à la coupe de vin, une simple bénédiction aux paroles de consécration, une communion sans sacrifice au mémorial d’une crucifixion.
D’autre part, on sait que, selon la Bible juive, Élisée a multiplié vingt pains d’orge, et rassasié ainsi cent personnes. N’était-il pas tentant, et opportun, de montrer aux juifs que le Christ avait fait beaucoup mieux puisque, avec cinq pains seulement, il avait nourri à satiété cinq mille personnes ? La réaction judéo-chrétienne anti-marcionite aurait ainsi consisté à composer un second récit du miracle.
NDLR sur les guérisons soudaines de maladies psychosomatiques.
Notons tout d’abord que le rabbi Yehoshoua Bar Yosef n’a pu accomplir aucun de ces miracles chez lui dans son village d’origine ; ce qui montre bien le caractère psychosomatique de ces guérisons (les gens de son pays le connaissaient trop, foi et confiance leur faisaient donc défaut).
Notons aussi que l’évangile de Jean ne rapporte aucun cas de possession démoniaque.
En Marc 9,14-27, il s’agit simplement d’une crise d’épilepsie bien entendu.
Se peut-il que l’homme-dieu Jésus ait été à ce point ignorant de ladite maladie ?
Ou cette ignorance est-elle à attribuer aux « témoins » ayant rapporté la scène ?
Peut-on vraiment croire en ces histoires fantastiques genre maisons hantées ?
Luc 11, 24 : un démon erre dans le désert pour y chercher le repos.
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Marc 5, 12 : des démons quittent un possédé pour se réfugier dans un troupeau de porcs.
L’histoire de ces guérisons psychosomatiques soudaines, tourne au film fantastique style Apollonius de Tyane.
Ces récits légendaires et la rumeur (un homme extraordinaire vient de ressusciter des morts, il guérissait même les maladies les plus graves, accomplissait des miracles et ainsi de suite…) ; ont dû vraisemblablement exister dès avant 70 (vu l’allusion de Jean 5-2 à la piscine de Bethesda, puisqu’elle fut détruite par les Romains à cette date). L’usage d’un seul mot grec « séméia » pour désigner ces miracles, en est l’indice. Il s’agit donc d’un recueil, non plus des dits ou des paroles de Jésus, mais des faits et gestes plus ou moins miraculeux de ce nouveau Josué. Recueil utilisé à sa façon par chacun des évangélistes, qui amplifient et multiplient les actes de puissance.
Si ces miracles sont vrais, le christianisme doit quand même être compréhensible, mais s’ils sont faux, ils ne peuvent servir de preuves évidemment ainsi que l’a fait remarquer John Toland.
Or les auteurs des quatre Évangiles ont multiplié les miracles de ce genre, la guérison d’un aveugle et d’un possédé, chez Marc, devient par exemple celle de deux aveugles et de deux possédés chez Matthieu ; qui de toute façon affirme carrément à propos des miracles de Jésus (8, 16) : « Il guérit tous les malades afin que s’accomplît ce qui avait été annoncé par Isaïe : il a pris nos infirmités, et a enlevé nos maladies » (tiré d’Esaïe 53) et ce, afin de faire en sorte que le maximum de prophéties puisse se rapporter au nouveau Josué (midrash, mais on n’avait jamais osé déifier ainsi quelqu’un auparavant, dans la religion juive officielle, ou para-officielle ; même le serpent tentateur du jardin d’Éden, malgré tout ce qu’il a fait de positif pour l’Homme : lui offrir le fruit de la connaissance). Le procédé est bien connu, il a été utilisé comme nous avons pu le voir par Philostrate au IIIe siècle quand il a écrit son livre sur Apollonius de Tyane.
LA GUÉRISON DU PARALYTIQUE (Matthieu 9, 1-8, Marc 2,1-13, Luc 5, 17-26).
Le Nouveau Testament n’est pas de l’Histoire ; c’est un récit « édifiant », destiné à construire une croyance et qui ne cesse de vouloir démontrer que le Christ est venu « accomplir les Écritures ».
Le problème central des midrashim du Nouveau Testament est la conversion des non-juifs « à la fin des temps », autrement dit « aux temps messianiques » (dont l’arrivée du Messie n’est qu’un élément parmi d’autres) ; comment les Goim, les non-juifs, les païens, accepteront-ils la Torah, la Loi ? Comment seront-ils accueillis par le peuple d’Israël, porteur de la Loi ? Et que deviendra alors ce dernier, s’il perd l’exclusivité de la Loi ?
Une des complications, qui nourrissait, comme aujourd’hui, les discussions entre juifs plus ou moins « assimilés » et païens plus ou moins « judaïsants », devait concerner la possibilité d’une loi « légère », faite par exemple des seuls sept commandements donnés à Noé ou Dix Commandements de Moïse ; par opposition à la loi « lourde » des 613 mitsvoth institués par la Torah, dont font partie la circoncision, la nourriture cachère, la pureté conjugale et le strict respect du shabbat. L’épisode le plus significatif à cet égard est celui de la guérison du paralytique rapportée par Marc 2,4. Ne pouvant s’approcher de lui, à cause de la foule, ils découvrirent le toit de la maison où il se trouvait ; puis ils descendirent le grabat sur lequel gisait le paralytique devant Jésus.
Il s’agit bien évidemment d’une des plus belles et plus poétiques allégories jamais utilisées pour illustrer la puissance de la foi des simples, mais cette métaphore du paralytique était aussi une des plus connues de la littérature des midrashim (singulier midrash). C’est que la pratique de la Loi est aussi appelée halakha, ce qui veut dire d’ailleurs au sens strict « marche ». Le païen qui ne connaît pas la Loi est logiquement un handicapé qui ne peut pas marcher.
GUÉRISON D’UN AVEUGLE (Luc 18,35-43).
On peut douter que ce miracle, plus symbolique que réel, ait eu lieu à Jéricho ; il se serait produit – d’après Luc et Marc, en arrivant à Jéricho – d’après Matthieu, en quittant la ville.
Selon 9, 52, Jésus paraît faire route à travers la Samarie, mais, en 18,35 et 19,1, il passe par Jéricho, ce qui est incompatible avec un itinéraire direct par la Samarie.
Une addition dans Marc 10, 46 donne même le nom du mendiant aveugle ; il ne manque plus que la date pour nous faire croire à l’historicité de l’épisode. Quant à Matthieu (20, 30), il n’hésite pas à doubler la mise ; un seul aveugle ne suffisant pas sans doute à son souci d’édification, ce sont deux aveugles qui recouvrent la vue.
Selon Luc 18, 38-39, Marc 10, 47-48, et Matthieu 20, 30-31, l’aveugle croit que Jésus est le messie davidique. On ne trouve jamais cette expression dans le 4e Évangile.
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GUÉRISON D’UN LÉPREUX (Luc 5,12-14).
Marcion et les synoptiques sont d’accord sur ces trois versets, mais certains détails méritent d’être mis en valeur. Le lépreux, ayant vu Jésus, s’agenouilla (Mc 1, 40), l’adora (Mt 8, 2), tomba face contre terre (Luc et Marcion) et il l’appela « Seigneur », ce qui montre qu’il le considérait comme un dieu. Après l’avoir guéri, Jésus lui recommanda de n’en rien dire à personne (14 a) ; mais un copiste judéo-chrétien, ecclésiastique sans doute, ne put s’empêcher de le contredire en ajoutant « et va-t’en te montrer au prêtre en lui donnant l’offrande pour ta guérison comme Moïse l’a prescrit ». Cette correction maladroite figure dans les trois synoptiques.
Tertullien, rappelant à ce sujet le passage biblique de 2 Rois (5, 9-14) analyse très bien (C. M. 8, 4) la pensée marcionite que ce miracle recèle. Si Élisée, prophète du dieu ayant créé ce monde, purifia Naaman le Syrien, c’est en le faisant se baigner sept fois dans le Jourdain ; or le Christ de Marcion, lui, n’a besoin pour cela ni du Jourdain, ni d’eau quelconque, ni de faire réitérer sept fois la plongée dans l’eau. Il prononce une parole une seule fois et la guérison a lieu aussitôt. (Les mots « étendant la main, il le toucha » sont peut-être une addition judéo-chrétienne destinée à prouver que Jésus avait bien un corps de chair et non pas seulement une apparence d’homme ; ou un reste de pensée magique sympathique, de magie par contact).
JÉSUS GUÉRIT UN DÉMONIAQUE (Luc 4, 33-35).
Marcion raconte la guérison du démoniaque en trois versets tandis que Luc a besoin de cinq versets (33-37) et Marc de six (1, 23-28). Matthieu ne possède pas ce récit.
À la lecture de ces trois passages, il est évident que Marc et Luc ont mêlé des versets. Il semblerait même que la guérison du démoniaque soit une adjonction au récit primitif, qui ne parlait que de l’enseignement de Jésus. En Marc, le verset 27 serait la suite naturelle du verset 22, et en Luc le verset 36 celle du verset 32.
Il stipule : « Et ils étaient frappés de son enseignement, car il les enseignait comme s’il avait autorité pour cela et non comme les scribes […] si frappés qu’ils s’interrogeaient en se disant : qu’est-ce que cela ? Un enseignement nouveau par une autorité ? » le verset 27 ressemblant fort à un doublet du verset 22.
En réalité, les auditeurs sont stupéfaits, voire apeurés, non pas de l’exorcisme pratiqué par Jésus, mais de son enseignement qui rejette la Loi et les Prophètes. Les discours ou déclarations de Jésus ont été supprimés dans les trois synoptiques et dans Marcion puis remplacés par ce récit assez maladroit.
Comment admettre que Matthieu n’aurait pas reproduit ce récit édifiant s’il l’avait trouvé dans Marc ? Comment ne pas s’étonner de la présence d’un esprit impur dans une synagogue ?
Mentionner un esprit impur ou un démon dans une synagogue (un comble quand même pour une maison de Dieu !) revient peut-être à souligner la perversion de la Loi religieuse juive et donc la nécessité absolue de l’abolir. Cette anecdote ne serait par conséquent qu’une fable destinée à illustrer une mise en pratique immédiate de ce principe.
Tertullien abonde sans le vouloir dans ce sens quand il écrit : « Comment (Jésus) aurait-il pu être admis dans une synagogue en apparaissant brusquement et comme quelqu’un dont personne ne savait la tribu, la nation, la famille ; ni enfin son inscription sur (les listes du) recensement d’Auguste, ce témoignage le plus frappant de la naissance de Notre Seigneur gardé dans les archives de Rome ? On se serait certainement rappelé que, s’il n’était pas circoncis, il ne pouvait pas être admis dans leurs lieux les plus saints. Et, même s’il avait comme tout juif le droit d’entrer dans la synagogue ; la fonction d’enseignement n’était permise qu’à celui qui était « parfaitement connu, capable et ayant déjà eu le privilège de faire ses preuves ailleurs » (C. M. 4/7).
Donc si nous comprenons bien a contrario Tertullien, le Christ du dieu bon de Marcion n’a pas pu figurer sur les listes de recensement de Quirinus ; s’il a connu les versets 2,1-5 de Luc, il les applique au Jésus fils de David et serviteur de Yahvé ; il ne croit pas à la circoncision du Christ, créature céleste. Et il a raison d’ailleurs puisque la circoncision du Jésus juif ne résulte que d’un passage de Luc (2, 21-22) dont l’interpolation reste inconnue des autres synoptiques.
On peut encore être d’accord avec Tertullien au sujet de la présence de Jésus dans les synagogues. Le Christ se rendait au « Temple » non dans les « synagogues ». Ce mot a été ajouté à certains versets, par exemple en Marc 1, 21 ; 5, 38 ; Luc 4, 20, 28, 38 ; 7, 5 ; 13,10 ; Jean 12, 42 ; 18, 20 ; et Matthieu ne le mentionne qu’au pluriel en parlant des synagogues des juifs. Luc cite « la » synagogue au verset 38, mais Marcion l’ignore. Nous rencontrons encore le mot en 6,6 et 13,10, mais les versets 8, 41 ou 49 et 13,10 qui le contiennent dans Luc, ne le donnent pas dans l’Evangelion.
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EXPULSION DES DÉMONS PAR BEELZÉBOUL (Luc 11,14-22).
Toute cette péricope est composite. Les versets 17 et 18 sont hors du sujet. Marc, Matthieu et Marcion ne connaissent pas le verset 16. Marc ignore les versets 18 b à 20, et 22. La réponse de Jésus aux versets 19-20 contient une interpolation avec reprise sur l’expression : « J’expulse les démons ». Le Christ reconnaît qu’il se sert de Beelzéboul pour expulser les démons des juifs. Or, qui est ce Beelzéboul ? Il faut sans doute voir en lui le Cosmocrator (ou Prince de ce Monde) de certains gnostiques, le chef du chaos qu’est ce monde ; il est confondu avec Yahvé Sabaoth dans les papyrus magiques. La Pistis Sophia le mentionne. Selon Hippolyte, Valentin enseignait que Beelzéboul était « le prince des démons » et qu’il était aidé par Sophia (Livre 6 chapitre 29). On pourrait donc penser que le Christ des gnostiques, descendu du Ciel à Capharnaüm, c’est-à-dire (comme l’a précisé Héracléon) dans les bas-fonds du Cosmos (autrement dit la matière ou le chaos de notre monde) ; commence par chasser les démons (du démiurge juif de l’Ancien Testament) qui s’y sont installés. Et il charge de cette expulsion leur propre chef Beelzéboul.
LES EXORCISMES (Luc 10, 1-20).
Cette mission des 70 (ou des 72 selon certains manuscrits) est inconnue des autres évangiles et du reste du Nouveau Testament. Elle n’est pas d’ordre matériel comme en 9, 52, mais spirituel. On remarquera qu’en 9, 1-2, Jésus n’avait convoqué que les « Douze » pour les envoyer proclamer le Royaume de Dieu, et guérir. En 9, 52, ce sont des messagers qu’il envoie devant lui pour préparer logis et nourriture. En 10, 1, il envoie devant lui 70 disciples pour lui servir de précurseurs spirituels.
L’inventeur de ces 70 disciples avait peut-être dans l’esprit le souvenir des 70 membres de la famille de Jacob qui vinrent en Égypte (Gen. 46, 27 ; Exode 1, 5), ou des 70 Anciens d’Israël qui se prosternent devant Dieu (Exode 24,1-9), mais le chiffre 7 indique la mission chez les Gentils ou Païens. En remplaçant 70 par 72, le correcteur a voulu mettre l’accent sur le chiffre 12, symbole des tribus juives.
Ces 70 sont envoyés deux par deux (10, 1) comme les apôtres de Marc (6, 7), mais ils reviennent tous ensemble (10, 17) vers Jésus, ce qui montre une inconséquence du rédacteur. Autre inadvertance, ces messagers, chargés d’une importante mission, reviennent presque immédiatement sans qu’on apprenne les résultats de leur activité, et ils rejoignent Jésus à l’endroit même où ils l’avaient laissé au moment de leur départ.
Un récit primitif concernant la mission chez les païens et se trouvant à l’origine en cet endroit du texte a donc pu être radicalement supprimé.
C’est le « Seigneur » qui désigne les envoyés. Ce titre ne se rencontre pas dans Marc et Matthieu comme désignation de Jésus. Par contre, on le trouve en Luc 7, 13, 19 ; 10, 1 ; 11, 3-9 ; 12, 42 ; 13, 15 ; 17, 5-6 ; 18, 6 ; 19, 8, dans les récits antérieurs à la résurrection. Marcion ne l’utilise qu’en 7, 13, 10, 1 ; 13, 15. Les deux synoptiques remplacent le « Seigneur » par « Jésus ».
Matthieu les connaît, mais dans un autre contexte, et il ignore les versets 7, 8, 9, 11 b, 17-20. Sauf ces derniers versets, les omissions ou précisions de Luc n’ont pas une signification importante.
Si l’expression « en avant », que l’on trouve en 9, 52 et 10, 1, marque le début et la fin d’une interpolation, ainsi que nous l’avons suggéré, il n’y a plus de disciples, mais de simples envoyés ; et il n’est plus question de Jérusalem ni de Jacques et Jean.
Il nous faut maintenant examiner le passage 17-18 de Luc.
Dans Luc, les disciples se réjouissent de dominer les démons au nom de Jésus ; c’était plus qu’ils n’espéraient, car ils n’avaient été chargés (en 10, 9) que de guérir les malades et d’annoncer le Royaume de Dieu. L’exorcisme des démons n’avait été confié qu’aux Douze (9, 1), mais le correcteur a pensé que ce n’était pas suffisant. Les 70 ont l’air d’apprécier beaucoup plus ce don pour l’exorcisme, que leur succès dans la proclamation du Royaume.
Or, les exorcismes avaient lieu au nom d’un dieu, non d’un homme vivant. C’est donc au dieu Jésus que parlent les disciples, et il leur répond : « Ne vous réjouissez pas tant de soumettre les esprits, réjouissez-vous d’avoir votre nom inscrit dans les Cieux ». En Marc 16, 15-18, c’est le Jésus ressuscité, donc l’être céleste, qui donne à onze apôtres le pouvoir de chasser les démons et de guérir. Une autre allusion aux exorcismes était donnée par Luc (9, 49-50). Tertullien (C. M. 4, 24) admet qu’il est absurde de supposer que le Christ de Marcion pouvait donner le pouvoir de fouler aux pieds les scorpions et les serpents (Luc 10,19).
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LES RÉSURRECTIONS OPÉRÉES PAR LE NOUVEAU JOSUÉ.
« Il la réveilla d’une mort apparente… avait-il trouvé en elle une étincelle de vie qui avait échappé à ceux qui la soignaient, ou avait-il réchauffé et rappelé la vie qui s’était éteinte ? La compréhension de ce fait est restée un mystère non seulement pour moi, mais pour tous ceux qui étaient présents ».
Ces très prudentes paroles de Philostrate à propos d’Apollonios de Tyane (IV, 45) sont de rigueur dans le cas de la résurrection du fils de la veuve de Naïn (Luc, 7,11-17) et de la fille de Jaïre (Marc 5, 21-42). Il est évident que les jeunes gens avaient été en fait victimes d’une syncope passagère, d’une catalepsie, ou encore d’une cataplexie.
Le sommeil cataleptique peut durer des jours, des mois, voire des années. Il s’agit donc plus d’une réanimation que d’une résurrection dans ce cas.
Le cas de Lazare (Jean 11) est un peu plus complexe puisque, si l’on en croit ce mythe, le cadavre commençait à sentir mauvais.
La solution est sans doute à chercher du côté des accusations dont se fait écho le texte évangélique lui-même, immédiatement après (le complot contre Jésus). L’épisode aurait été inventé afin de convaincre les lecteurs/auditeurs de ce genre de texte, de la réalité de la messianité de Jésus, et annoncer, préparer, expliquer ou justifier, la suite des événements.
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AUTRES MATÉRIAUX AYANT SERVI À L’ÉLABORATION DES ÉVANGILES.
LA MYTHOLOGIE PAÏENNE.
Mais très tôt également, ont été insérés dans cette rumeur initiale, des éléments non-juifs d’origine, et plutôt issus des milieux hellénistes style Septante, Philon d’Alexandrie… ou autres.
Le Nouveau Testament a en effet pioché dans l’histoire et la culture de l’époque, et la rédaction définitive, tardive, de la majeure partie de son texte, explique les nombreuses erreurs, ou contradictions historiques, émaillant ses récits. Ainsi que le prouve la lettre de saint Jérôme à Saint Paulin de Nole à propos de la grotte de Bethléem,
Au cours des premiers temps de l’évangélisation, les chrétiens se sont en effet trouvés en concurrence avec d’autres religions, où le dieu-ou-démon était déjà né d’une vierge, où l’on fêtait « Noël », où une étoile signalait la naissance d’un illustre personnage… Ils ont donc dû par conséquent, pour appuyer leur action, modifier les évangiles, et faire des emprunts, à gauche et à droite, pour convertir les masses. C’est d’ailleurs encore ce qu’ils font aujourd’hui, en adaptant constamment leur discours aux cultures qu’ils veulent inséminer (inculturation).
D’où l’élaboration, ainsi que nous avons pu le voir, d’écrits très composites.
Voir par exemple le faux massacre d’enfants innocents par Hérode que mentionne Matthieu (2,16-17). Or la Palestine de cette époque n’était pas un désert préhistorique, on y savait lire et écrire, et un tel crime aurait laissé des traces. On trouverait des échos d’une vigoureuse polémique à ce sujet.
Virginité perpétuelle… La Vierge Marie. Son histoire a beaucoup évolué au fil des siècles et selon les auteurs… Elle apparaît une fois chez Luc, Matthieu ne la mentionne pas, Marc non plus, et Paul n’en a jamais entendu parler… L’histoire de la Vierge Marie sera fixée en 431 (saint Célestin 1er) et le point final mis en 1950 avec le dogme de l’assomption.
Fabriquer une réalité « historique » au mythique Christ, à partir des récits et légendes en vogue à l’époque, s’avérera un puissant instrument de prise du pouvoir, que l’Église n’aura de cesse de perfectionner au cours des siècles. Le dogme de l’Immaculée Conception ne date que de 1854.
Relève de ce genre de matériau l’incroyable histoire des mages et des bergers venus adorer le divin enfant dans sa grotte de Bethléem. Que signifie en effet l’allusion aux mages venus des rives du Golfe Persique, du sud de l’Irak, du très ancien pays du mythique Abraham, pour rendre hommage au petit Jésus ?
Les magi (devenus mages) sont considérés, dans toute la littérature de l’époque, comme les introducteurs du culte de Mithra, de l’Inde en Perse, vers le VIIIe siècle avant notre ère. Ils sont des prêtres de Mithra, à la fois astrologues, magiciens, alchimistes. Ils constituent les figures types de leur civilisation ; adorateurs du dieu-ou-démon Soleil, en même temps dieu-ou-démon de la Fécondité ou du Courage. Ils s’engagent donc dans un voyage d’au moins un mois et demi, long d’environ 1 200 km, à travers des régions quelquefois désertiques, au rythme lent de leur caravane ; non pas pour échanger avec Hérode quelques propos irréalistes sur le « roi des juifs », mais pour adorer leur Dieu ou Démiurge dans sa nouvelle manifestation. Leur itinéraire est tracé par la course dans le ciel d’une étoile visible en plein jour. L’Enfant divin est ainsi désigné sans ambiguïté comme étant le nouveau Mithra, d’autant que ces magi devenus mages sont les seuls à venir se prosterner devant lui et à lui faire des offrandes ; seuls, avec les bergers. Le choix des bergers dénote une intention bien précise, celle de confirmer la signification de la visite des mages/magi. Les bergers, en effet, dans la mythologie de Mithra, sont les compagnons du dieu-ou-démon. Les deux évangiles, dits de Matthieu et de Luc, sont donc, sur ce point, complémentaires, et proclament sans ambiguïté, pour qui n’est pas conditionné par des présupposés conventionnels ; que l’enfant divin né à Bethléem est le nouveau Mithra, le nouveau Soleil, le Sol Invictus de l’empereur Constantin.
Origène rapporte (Contre Celse, 2, 27) que, d’après Celse justement, les chrétiens ont tiré d’un premier récit l’évangile sous ses quatre formes. Ce qui revient à dire qu’ils ont altéré ce premier message. « Certains des chrétiens ont altéré le contenu original de l’Évangile, à trois, quatre, ou plusieurs reprises, et l’ont réécrit, afin qu’ils puissent répondre aux objections ».
Les Homélies clémentines nous fournissent, sans le vouloir, un renseignement précieux à ce sujet (XVII) : « Ainsi que le vrai Prophète nous l’a dit, un faux prophète doit d’abord [Paul] et ensuite, de la même manière, après la disparition du Lieu Saint [le Temple de Jérusalem], le vrai Évangile [celui de Pierre] doit être secrètement envoyé à l’étranger pour rectifier les hérésies qui ne manqueront pas d’apparaître ».
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Nous apprenons ainsi, ce que nous savions déjà, mais la confirmation est importante, que le premier évangile en date est celui de Paul ; et qu’il n’a été corrigé qu’après l’an 70 ou même l’an 135 (la destruction du temple de Jérusalem).
Après la diffusion de l’Evangelion de Marcion à Rome vers 140, furent donc également diffusés dans la capitale de l’Empire quatre autres évangiles, venant d’Orient, où ils avaient été mis au point vers la fin du premier siècle ; malgré les graves contradictions qu’ils présentaient, d’une part entre eux, d’autre part à l’intérieur de chacun de leur texte.
Pourquoi maintenant plusieurs évangiles alors que, primitivement, il n’en existait qu’un seul qui suffisait aux chrétiens de Paul ?
Parce qu’il y avait de nombreuses sensibilités différentes dans le christianisme originel, et que chacune comprenait « la bonne nouvelle » à sa façon.
Afin de fédérer un certain nombre de ces courants autour de lui, le futur christianisme officiel fut donc obligé de composer avec les principales tendances chrétiennes de l’époque ; et le moyen retenu pour cela fut de garder chacun de leurs évangiles particuliers, tout en les harmonisant dans la mesure du possible.
L’opération n’eut pas lieu avant la seconde moitié du deuxième siècle puisque, les quatre évangiles, en tant qu’écrits distincts, semblent ignorés des auteurs antérieurs à saint Justin. Quand Justin cite les évangiles, ses citations ne concordent pas avec les textes canoniques connus de nos jours.
C’est ainsi que fut constitué le « corpus » orthodoxe tendant à rejeter comme hérétiques les autres écritures, même si elles lui étaient antérieures. Moyennant remaniement de ces quatre variantes de l’Évangile primitif.
Nous sommes très bien renseignés à ce sujet par Irénée. Il déclare (Contr. Heres. III, 11, 8) que les grandes hérésies « sont au nombre de quatre, l’hérésie ébionite, l’hérésie de Marcion, l’hérésie de Cérinthe et l’hérésie des Valentiniens ». À ces prétendues erreurs, il oppose l’évangile de Matthieu, puis l’évangile de Luc, puis l’évangile de Marc, enfin l’évangile de Jean.
« La doctrine des évangiles est si ferme que les hérétiques eux-mêmes leur rendent témoignage, et que chaque hérésie met sa doctrine sous leur patronage. Les ébionites, en effet, qui ne se servent que de l’évangile de Matthieu, sont convaincus par Matthieu de leur erreur sur le Seigneur. Marcion, qui mutile l’évangile de Luc, est convaincu du crime de blasphème contre le dieu unique par les textes qu’il conserve. Ceux qui séparent Jésus du Christ (Cérinthe) et qui donnent la préférence à l’évangile de Marc, peuvent être redressés par cet évangile, s’ils le lisent avec l’amour de la vérité qu’il faut. Ceux qui suivent Valentin se servent de l’évangile de Jean, et cet évangile même dévoile leur erreur. Donc, puisque ceux qui nous contredisent nous rendent indirectement témoignage en se servant de ces évangiles, la démonstration que nous établissons contre eux est solide et vraie ».
Ces déclarations sont révélatrices. Traduites en langage moderne, ces révélations, naïves, quoique triomphantes, permettent de supposer que – pour contredire les hérétiques par leurs propres écrits – on modifia par conséquent ceux-ci.
Jamais des hérétiques, quels qu’ils soient, n’ont pu être convertis à une doctrine différente de la leur par l’évangile habituel qu’ils tenaient de leurs maîtres, qu’ils lisaient et commentaient fréquemment.
Pour qu’il en soit ainsi dans les faits il fallut substituer progressivement à leurs évangiles à eux, des textes peu à peu modifiés, tout en retirant progressivement leurs livres authentiques de la circulation.
Cette conversion, plus ou moins réussie suivant les régions, dut prendre un certain temps, près d’un siècle.
Il est incontestable en tout cas, et c’est paraphraser Irénée que de le dire ; que l’évangile de Matthieu fut fait sur mesure pour les ébionites, que l’évangile de Luc fut fait pour les marcionites, que l’évangile de Marc fut mis au point pour les cérinthiens ; et que l’évangile de Jean fut destiné à séduire les valentiniens.
Nous apprenons d’Irénée aussi (Contr. Heres., III 1, § 2 et 2, § 2) que l’évangile fut prêché avant d’être mis par écrit. Et que les apôtres n’entreprirent leur prédication qu’après avoir été investis de cette mission, et de ce pouvoir, par le Saint-Esprit ; c’est-à-dire après la résurrection du Christ, et non point par Jésus lui-même de son vivant. Que les apôtres ne parlent pas du mystère caché auquel saint Paul fait de nombreuses allusions (notamment donc en Rom. 16, 25, 1 Cor. 2, 7, Eph. 3, 3-10, Col. 1, 26, 2, 2-3), et sur lequel nos évangiles ne sont pas renseignés. Enfin qu’ils furent accusés de mélanger des récits de la Bible juive à l’enseignement du Christ.
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« Les apôtres ne commencèrent pas à prêcher l’Évangile ni à mettre par écrit quoi que ce soit avant d’avoir été gratifiés des dons et du pouvoir du Saint-Esprit »…
« Ils disent que les apôtres ont mêlé des choses de la Loi avec les paroles du Sauveur ; et que non seulement les apôtres, mais aussi le Seigneur lui-même, ont eu des paroles venant tantôt du Démiurge, tantôt d’un autre intermédiaire, tantôt du Plérôme, mais qu’eux connaissent indubitablement le mystère caché, etc., etc. »
Tout cela est très important. L’évangile destiné à contrer l’Evangelion de Marcion fut mis sous le nom de Luc. Or, ce Luc avoue, dès le commencement de son texte, qu’il a décidé de composer à son tour, après beaucoup d’autres auteurs, un exposé suivi « des événements qui ont eu lieu parmi nous ». Nous sommes ainsi informés ainsi du caractère tardif, et indirect, de son récit, lequel répond au besoin de présenter d’une manière continue, des événements qui, jusque-là, étaient racontés en ordre dispersé, et n’avaient aucun lien entre eux.
Ainsi que nous l’avons, vu le christianisme n’est donc pas né d’un coup de baguette magique sous l’égide d’un maître au discours radicalement nouveau, et divinement inspiré. Le passage du judaïsme au christianisme a été progressif. Près de la moitié des textes les plus anciens du christianisme (les lettres de Paul par exemple) ignorent le nom de Jésus.
Les Évangiles ou autres livres du Nouveau Testament, écrits en grec et citant 300 fois la Septante ou plusieurs auteurs païens grecs, comme Aratos et Cléanthe ; furent écrits, non par des paysans juifs parlant uniquement araméen, mais par des Pères et des prêtres (ex-païens) de langue grecque, loin de la Terre Sainte des juifs. Les quatre Évangiles ne sont donc pas des documents « d’époque ». Ils n’ont pas été dictés par des témoins oculaires, ou des apôtres, mais procèdent de plusieurs rédacteurs les accommodant selon les querelles et les problèmes de leur temps. C’est le moins que l’on puisse dire.
D’après Mead les premiers embryons d’évangiles furent probablement écrits en Égypte, sous le règne d’Hadrien sans doute à Alexandrie, carrefour des religions. Des versions gnostiques de ces textes y furent d’ailleurs découvertes en 1945, à Nag Hammadi, en Haute-Égypte.
La rédaction du noyau primitif ou des matériaux de base de ces futurs quatre évangiles par contre, ne commence pas vraiment avant les alentours de l’an 60. Ils sont d’ailleurs à I’époque anonymes. Les attributions à Matthieu, Marc, Luc et Jean, qui apparaissent dans les titres actuels, remontent seulement au IIe siècle, et ne font pas partie des ouvrages d’origine.
Au 19e siècle Adolf von Harnack a entrepris une tâche minutieuse et utile en inventoriant tous les versets prêtés à Marcion (85-160) par ses contempteurs, et en reconstituant l’évangelion que ceux-ci utilisaient pour leur critique. Nous ne pouvons trier, dans cet assemblage de textes judéo-chrétiens des IIe et IIIe siècles, que quelques passages qui peuvent provenir de Marcion, ou qui sont d’accord avec sa doctrine. Ces vestiges établissent qu’il y a eu un monument primitif dont les assaillants n’ont gardé que quelques pierres de remploi. C’était là une habitude courante du christianisme triomphant. Combien d’églises chrétiennes n’ont-elles pas été construites sur les ruines de temples païens, avec les pierres et les colonnes de ces temples ?
L’évangile de Marcion, c’était tout simplement l’évangile de Luc (Luc disciple de Paul), mais sans les récits de l’enfance, rajoutés ultérieurement pour contrer Marcion. L’évangile selon Luc qu’avait entre les mains Marcion devait donc commencer au chapitre III, tout ce qui figure avant ayant été rajouté ; et comporter quelques différences avec celui que nous connaissons actuellement pour ce qui est du Dieu de l’Ancien Testament créateur de ce monde. Marcion l’avait réuni à certaines « Lettres de Paul » pour en faire la partie « évangélique » d’un ensemble apostolique. Marcion a sans aucun doute aussi profité de l’occasion pour retoucher quelque peu le contenu de la rumeur initiale parvenue à sa connaissance : un fils de Dieu, un ange, est descendu sur Terre quelque part en Palestine, il enseignait et faisait des miracles puis il est remonté au Ciel et ainsi de suite…
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POINTS-CLÉ DU RÉCIT.
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LA VIE CACHÉE DE JÉSUS (NAISSANCE ET ENFANCE).
Nous ne le répéterons jamais assez. « La fatalité d’être conçu d’une vierge est prescrite, exigée à l’avance et, à ce titre, doit nécessairement faire partie de la biographie de toute personne présentée comme messie ; ce qui ôte toute valeur réelle au récit qui ne peut plus être considéré comme constatant un fait, mais arrangé pour les besoins de la cause ».
Comme l’avait déjà remarqué Henri Lizeray en son temps, plus le document est tardif, plus il contient d’éléments de la biographie terrestre de l’homme Jésus, ce qui est quand même un peu paradoxal.
Il est impossible en effet d’admettre que les générations successives se souvenaient de mieux en mieux de ce que les précédentes ignoraient.
Ce qui s’est passé c’est que la chrétienté d’Étienne, de Paul, ou de Marcion, gagnant sans cesse du terrain, les autres prédicateurs chrétiens éprouvèrent alors le besoin de donner un peu plus de consistance humaine à ce personnage (le Christ), pour lequel ils commencèrent alors à construire toute une histoire.
Le protévangile de Jacques qui est, au plus tôt, de la fin du IIe siècle, en est l’exemple type. Les légendes sur l’enfance du Christ y apparaissent pour la première fois.
Pour contrer la mouvance chrétienne paulinienne apparaîtront donc, d’abord dans le sillage des judéo-chrétiens de Jérusalem (nazoréens, ébionites…) et ensuite à Antioche, des histoires romancées de la vie du nouveau messie, riches en détail biographique de toutes sortes.
Afin de mieux combattre dans les esprits, l’influence de celui que les Homélies attribuées à Clément appellent le faux prophète, Paul, qui n’a pas connu le Christ, mais qui prétend en avoir eu la révélation.
Les chrétiens de cette tendance-là se réclament de fondateurs qui, eux, ont connu le Sauveur dans son incarnation terrestre.
Mais deux des quatre évangiles (ceux qui sont attribués à Marc et à Jean) ne nous disent rien de l’origine, ou de l’enfance, de Jésus, et ne commencent que par sa rencontre avec Jean-Baptiste.
Marc ne mentionne pas le nom du père biologique ou adoptif de Jésus (Joseph) et Jean ne cite jamais celui de sa mère.
Le Luc officiel, lui, par contre, a beaucoup brodé sur le sujet.
Les apôtres auteurs prétendus des Évangiles donnent des récits parlant du Christ et de sa généalogie des versions qui se contredisent entre elles en plusieurs endroits.
Les auteurs de la rédaction finale des évangiles selon saint Luc et saint Matthieu ont ajouté à la version de saint Marc des détails non historiques (contes et légendes de type midrash juif. Voir ci-dessus) destinés à montrer clairement que ce Jésus fut bien fils de Dieu dès sa conception, et non seulement après son baptême. L’annonce par l’archange Gabriel à Marie, qu’elle porte l’Esprit du Seigneur en elle, et qu’il s’appellera Jésus ; est mentionnée dans l’évangile placé sous le nom de Luc, uniquement afin d’opposer l’existence d’un Jésus historique au christ de Marcion, sans heurter totalement de front pour autant cette idée. Les gnostiques chrétiens considéraient en effet que le Jésus mort sur la croix était un pur esprit, un ange, descendu sur terre en l’an 15 du règne de Tibère, afin de montrer aux hommes les voies du salut.
Ces récits de la Nativité ou de l’enfance de Jésus furent donc ajoutés, a posteriori, à des textes ne faisant commencer la vie du Christ sur terre qu’à l’âge d’environ trente ans. D’où ce trou donc dans la biographie de Jésus, entre sa naissance et le début de sa vie publique.
De toute façon ce qui est sûr, dans ce récit, c’est que la réaction de Marie aux paroles de son fils, et sa perplexité ; sont vraiment bien difficiles à comprendre (était-elle à ce point dénuée de toute mémoire ?) si l’on admet comme authentiques les révélations qu’elle est déjà censée avoir eues auparavant à son sujet (l’Annonciation par un ange, la conception virginale…).
Et à ce sujet d’ailleurs, soyons un peu monganiens, c’est-à-dire résolument iconoclastes, que diable ! Ce n’est quand même pas Marie elle-même qui a proclamé à tout vent qu’elle était toujours vierge. Cette idée, celle de la conception virginale, est une invention au sens étymologique du terme (« découverte ») ultérieure.
Matthieu, lui, s’est inspiré d’une source populaire, peut-être orale, consistant surtout en des traditions folkloriques sur Jésus (qui ont pu avoir un noyau historique désormais indécelable). Mais ce matériel a
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été tellement mis en forme que nous ne pouvons plus qu’en détecter l’intention, et non la formulation originelle.
Au IIIe siècle, Origène (185-250) sera le seul Père de l’Église à reconnaître le problème, lorsqu’il osera distinguer, dans les Évangiles mêmes, certains récits qui ne se sont pas passés selon la manière dite.
« Les différences entre les manuscrits sont devenues considérables, soit du fait de la négligence de certains copistes, soit du fait de l’audace impie des autres ; ils négligent de relire ce qu’ils ont recopié ou, à l’occasion de cette vérification, ajoutent ou suppriment à leur guise « (Origène commentaire sur Matthieu. 15, 4).
Origène s’opposait notamment à toutes les histoires de Nativité parce qu’il considérait que célébrer un anniversaire est une coutume païenne. « Aucun des saints n’a jamais donné une fête ni organisé un grand festin pour le jour anniversaire de sa naissance. On ne trouve personne ayant fêté le jour de la naissance de son fils ou de sa fille. Seuls les pécheurs se réjouissent de ce genre d’anniversaire. Dans l’Ancien Testament par contre nous voyons le Pharaon, roi d’Égypte, célébrer le jour de sa naissance en donnant une fête, et dans le Nouveau Testament, Hérode… les saints eux, non seulement ne donnent pas de fête pour leur anniversaire, mais au contraire, remplis du Saint-Esprit, maudissent ce jour-là » (Homélie sur le Lévitique, 1,16).
Par contre certains dieu-ou-démons sauveurs du paganisme passaient en effet pour être nés le 25 décembre, comme Tammouz, Adonis, Mithra et le Soleil invaincu (Sol invictus).
À ce moment-là dans le ciel figurent à l’est la constellation dite de la Vierge ; non loin de là celle qui est appelée Praesaepe, c’est-à-dire la crèche en latin ; près de la Voie lactée, les Bergers ; enfin à l’ouest la constellation du bélier, encore au stade de l’agneau.
Notons à ce sujet qu’une des grottes de Qumran a livré un horoscope du Messie, preuve aussi de l’importance de l’astrologie dans l’attente messianique.
Quant au célèbre épisode de Jésus à douze ans dans le Temple, et parlant pour la première fois afin de manifester que Dieu est son Père (Luc 2, 49) ; c’est évidemment, ainsi que nous l’avons vu plus haut, une histoire inventée, ou à tout le moins vraisemblablement un épisode indépendant, rattaché après coup par cet auteur, à la biographie du nouveau Josué nazoréen.
Les Évangiles sont des catéchèses, pas des reportages, des textes historiques ou des biographies. Les plus évolués des chrétiens actuels le reconnaissent d’ailleurs à demi-mot. Les récits d’enfance de Jésus, et certains récits de miracle, maniant la langue du merveilleux, ne sont en aucune façon à situer historiquement au même niveau que les paroles mêmes de Jésus (les logia).
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JÉSUS ET JEAN LE BAPTISTE.
Arrivés à ce point de notre exposé, précisons bien une chose : il nous est totalement impossible d’établir avec certitude si ce qui concerne Jean-Baptiste dans les quatre Évangiles a été :
a) ou totalement inventé puis ajouté au texte primitif ;
b) ou en partie seulement inventé, mais toujours rajouté au texte primitif… afin d’établir un lien avec Jésus, par exemple en développant des éléments déjà présents dans le texte d’origine.
Nombre des détails fournis par le Nouveau Testament ne constituent en aucune façon des descriptions objectives ou conformes à la réalité factuelle, mais constituent autant de références à l’Ancien Testament, auquel ses auteurs veulent le raccrocher à tout prix. Il s’agit du procédé mystique et littéraire bien connu du midrash, c’est-à-dire des sortes de portraits-robots revus et corrigés après les événements, afin de mieux les faire coller à la théorie.
Autre exemple donc de rajouts ou de manipulations qui changent tout dans les quatre évangiles, ceux qui concernent les débuts de la vie publique de Jésus en tant que membre du mouvement de son cousin Jean-Baptiste, et son baptême ; car le procédé dit du midrash, n’a pas été appliqué qu’à la personne de Jésus le nazoréen. Il a également été utilisé pour faire le portrait de Jean le baptiste, à qui l’on a aussi artificiellement attribué, dans ces textes, des caractéristiques typiques du prophète de l’Ancien Testament.
Marc (1, 2-3) nous offre à ce propos un mélange de plusieurs textes bibliques : à la prophétie de Malachie 3,1 (voici, j’envoie mon messager. Il aplanira le chemin devant moi…) sont jointes une réminiscence d’Exode 23, 20 (je vais envoyer un ange devant toi pour te garder en chemin) ; et une citation d’Esaïe 40,3 (une voix proclame : dans le désert, dégagez un chemin pour le Seigneur…).
Le Messager dont la voix retentit dans le désert n’est autre que Jean-Baptiste annonçant le Messie et préparant sa venue. Le cadre géographique est celui où, de mémoire israélite, Dieu rencontre son peuple pour le mener en Terre promise. La nourriture de Jean (aliments de Bédouins) nous maintient dans la même perspective.
En Marc 6, 22, les propos prêtés à Hérode sont exactement ceux qui sont prêtés au roi perse Assuérus dans Esther 5, 3 ; 5, 6 et 7, 2 (quelle est ta demande ? Elle te sera accordée jusqu’à la moitié de mon royaume).
Nous écrivons bien « prêtés » à ce roi perse, car il s’agissait déjà, non de la relation d’un fait historique, mais d’une œuvre d’imagination destinée à expliquer la fête de Pourim.
En Matthieu 3, 4, Jean le baptiste est dit porteur « d’un vêtement fait de poils de chameau » et « ceint d’une ceinture de cuir ». Sa tenue est donc bien celle des prophètes et elle évoque en particulier le vêtement d’Élie. Ce n’est pas un procès-verbal de policier ou un constat de journaliste, c’est une citation, littérale, à un mot près, de 2 Rois 1, 8, et de Zacharie 13, 4. Le passage de Luc 3,1-22 où Jean-Baptiste se voit attribuer, lui aussi une sorte d’adoption divine, n’est pas le seul qui ait essayé de faire jouer au baptiste un rôle considérable. Déjà, le premier chapitre nous entretient longuement de la naissance de Jean et de sa prédestination royale. Or, Luc est le seul évangéliste à donner le récit qui va de 1,1 à 2, 40, ce qui montre que ce passage provient d’une source inconnue des autres synoptiques. En outre, en l’analysant, on s’aperçoit qu’il y a dans ce texte deux histoires différentes, qui ont été artificiellement liées : la naissance de Jean et celle de Jésus. La première histoire qui a été ajoutée en préambule à l’évangile de Luc, est celle de Jean, la nativité de Jésus ayant été insérée plus tard.
Le baptême de Jésus. Un des plus curieux épisodes de ce récit. Le fils de Dieu étant le fils de Dieu, on voit mal pourquoi le baptiser (la fête du baptême du Christ a d’ailleurs été supprimée au VIe siècle).
La réalité c’est que des judéo-chrétiens ont substitué à la descente du Christ sur Terre selon Marcion, un message de Jean le Baptiste présentant Jésus comme le Messie attendu, et illustré par la descente d’une colombe. Cette invention avait en outre l’avantage de pouvoir être interprétée comme s’il s’était agi d’une adoption. Jésus était un homme ordinaire que Dieu adoptait désormais comme son fils, et qu’il dotait de la puissance divine. Le silence sur le « quand » de cette filiation divine, des seuls autres textes connus alors, allait en ce sens. J. Marcus, lui, pense que Jésus eut tout simplement une vision ce jour-là et qu’il en parla aux premiers de ses disciples, un peu comme Mahomet…
Ce qui est vraisemblable, c’est que Jésus commença par adhérer au mouvement de Jean-Baptiste et le quitta ensuite afin de prêcher lui-même de son côté la bonne parole.
Certains des premiers disciples de Jésus ont donc commencé par faire partie du mouvement de Jean-Baptiste. Mais cette concurrence entre les deux tendances a suscité diverses réactions négatives visant (par la suite) à minimiser le rôle de Jean-Baptiste. Les évangélistes ne cachent pas cette
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tension entre Jean et Jésus quant à leurs conceptions respectives de l’avènement du règne de Dieu (cf. Mt 11, 2 sqq.). L’équilibre que Marc et Luc prennent soin de maintenir entre les privilèges incommunicables du Christ et le rôle du baptiste n’est pas rompu chez Matthieu. Celui-ci renforce même les poste-frontière entre les deux personnages et leur mission respective. Alors que, selon Marc et Luc, le baptême de Jean obtient le pardon des péchés, Matthieu l’ampute de cette finalité pour en faire seulement un baptême « de repentance » (3, 11).
Seul le sang du christ a le pouvoir de remettre les péchés, comme Matthieu le précise en modifiant les paroles de l’institution eucharistique selon Marc (cf. Matthieu 26, 28 ; Mc 14, 24). L’infériorité du baptême de Jean, et même celle de sa personne, sont soulignées, au besoin en insérant une fois de plus dans le texte original un élément qui n’y figurait nullement à l’origine. En témoigne la phrase : « Celui qui vient après moi est plus fort que moi » où Matthieu réécrit Marc 1, 7. Encore plus éloquente, la liberté avec laquelle Matthieu a traité la scène du baptême en y introduisant un dialogue on ne peut plus significatif. Jean proteste de son indignité… Ce qui est peu vraisemblable !
Toutefois, paradoxalement, c’est chez Matthieu que la « christianisation » de Jean-Baptiste est la plus sensible. Car ici le précurseur prêche déjà le « Royaume des Cieux » (3, 2) et dans les mêmes termes que Jésus (4, 17 b), mais, alors que, d’après Marc 1,15, Jésus déclare que « le temps est accompli », Matthieu omet cette phrase ; pour lui, l’aube du salut s’est déjà levée avec l’œuvre du baptiste, quoique la pleine lumière ne rayonne qu’avec Jésus (Matthieu 4,14-16). Nous avons ici un exemple intéressant de « télescopage » de textes. Au verset 16, Luc envoie les disciples de Jean au Seigneur ; mais selon Marcion, c’est au Christ qu’ils s’adressent alors.
De toute manière, les paroles et les actes de ce Jésus ne correspondent nullement à la terrible figure que Jean-Baptiste annonce en Luc 3,16-17 et en Matthieu 3,11-12.
Matthieu commence son récit (11, 2-6) en nous apprenant que Jean était en prison et avait entendu parler de l’activité du Christ. Luc ne dit pas que Jean était en prison, mais il sait qu’il était informé par ses disciples des œuvres du Christ. Dans le texte actuel (qui est certainement secondaire et modifié), l’épisode est devenu historique ; dans l’évangile selon Marcion (verset 18) Jean est scandalisé des miracles du Christ peut-être parce que, selon lui, ils ne viennent pas du dieu de l’Ancien Testament.
D’après Origène en effet le baptiste était lui aussi un aggelos (ange) incarné envoyé sur terre, mais envoyé sur terre par qui ?
« 24. Jean-Baptiste a été envoyé. Mais d’où ? Son âme vient d’une région plus élevée. « Il y avait un homme envoyé de Dieu, dont le nom était Jean ». Celui qui est envoyé vient de quelque part pour aller quelque part, et l’exégète prudent cherche donc à savoir de quelle partie de l’univers Jean a été envoyé et pour aller où ? Ce « où » est évident au regard de l’Histoire, il a été envoyé à Israël » (Commentaire sur Jean, Livre II, chapitre 24).
On ne peut donc que trouver logique la réponse de Jésus consignée dans Marcion 7, 23 : « Heureux qui [Jean ?] n’est pas offensé par ce que je fais ! ».
Dit autrement, Jésus désapprouve Jean.
En revanche, ce verset, même modifié, ne se comprend pas chez Luc et Matthieu, qui ont supprimé l’irritation du baptiste. On s’étonne en outre que Jean, s’il est scandalisé, envoie ses disciples au Christ, non pour lui faire des reproches, mais pour lui demander s’il est le vrai Christ ; alors qu’il aurait dû le savoir s’il l’avait réellement baptisé. Plusieurs notions sont ici entremêlées : l’opposition des disciples de Jean au Christ, l’attente anxieuse de Jean-Baptiste, l’affirmation des miracles et – nous allons le voir – le jugement que porte Jésus sur Jean.
Au verset 7, 24 de Luc, commence le récit qui donne le témoignage de Jésus sur Jean-Baptiste, mais ce témoignage est assez ambigu. Quoique donné plus loin comme le dernier de la lignée des prophètes, Jean est ici plus qu’un prophète et il n’y a pas plus grand que lui parmi les hommes ; toutefois, il est inférieur dans le Royaume de Dieu au plus petit des élus.
Matthieu a beau ajouter un verset pour laisser entendre que Jean est une incarnation d’Élie, on aperçoit deux opinions en lutte à son sujet. L’adjonction d’Élie dans le texte de Matthieu seul (11, 14-15) laisse présumer que les allusions à ce prophète dans Luc (1, 17 ; 4, 25-26) et dans Marcion (9, 8 et 30) ne sont pas primitives. Jean est juif, il est de la terre, Jésus est du ciel (Jn 3, 31 ; 8, 23). Il y a incompatibilité entre ces deux personnages malgré les efforts faits par la suite pour les lier l’un à l’autre.
L’épisode de la décollation de Jean-Baptiste, comprenant le récit de la danse de Salomé, n’est mentionné que par deux des quatre évangélistes, Matthieu et Marc. Le nom de Salomé n’est pas mentionné dans le récit de Matthieu.
Cet épisode semble avoir partiellement été inspiré par les récits des chroniqueurs romains.
Flavius Josèphe, l’historien du peuple juif, qui sera le premier à nommer Salomé, évoquera l’exécution en la présentant comme un crime politique.
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Les historiens estiment improbable qu’une princesse juive ait pu danser seule devant un banquet d’hommes. Les usages de la cour de Galilée devaient proscrire de telles pratiques. Le mythe de Salomé semble plutôt être l’œuvre des Pères et des Docteurs de l’Église, afin de mettre en garde les croyants contre les effets pervers de la danse et de la séduction féminine. Saint Ambroise, l’un des grands moralistes chrétiens du IVe siècle, précisera d’ailleurs que la danse dévoilait « les parties de son corps que les mœurs apprennent à cacher » (Des vierges. Livre 3. Chapitre 6.27).
Les auteurs germaniques enrichiront le mythe, au XIXe siècle, de l’amour de Salomé pour le Baptiste, et du scandaleux baiser à la tête coupée.
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APPEL DES PREMIERS DISCIPLES.
Luc insère dans le texte qu’il a emprunté à Marc un succédané de l’appel des disciples ; son récit est beaucoup plus long que les récits parallèles de Marc (1,16-20) et de Matthieu (4,18-22) ; ceux-là ignorent les versets 2 à 9, et Marcion ne contient pas les versets 5 et 7 qui sont visiblement des amplifications du texte. Toutefois, quoique le récit de la pêche miraculeuse soit plus développé chez Luc que chez les autres synoptiques, Luc garde le souvenir d’un appel adressé par le Christ à Simon seul ; le verset 10 a, qui cite Jacques et Jean les fils de Zébédée, a été ajouté à la fin de l’épisode pour « harmoniser » Luc avec les autres synoptiques, une correction incomplète puisque la mention « André le frère de Simon » reste absente du texte de Luc. Quelques autres inconséquences sont à relever dans Luc. Au verset 3, Jésus monte dans la barque de Simon ; il demande à celui-ci de s’éloigner du rivage, puis il s’assoit et parle à la foule ; le copiste a mal reproduit son texte ; Jésus ne pouvait pas s’éloigner de la foule s’il voulait justement l’enseigner. Dans ce verset, la phrase « et il pria celui-ci de s’éloigner du rivage » est donc à supprimer ; elle est, à juste titre, absente de Marcion et fait double emploi avec le verset 4 b : « Avance en eau profonde », ce qui établit également le caractère adventice du verset 4 a. Marcion n’a rien supprimé ; c’est Luc qui a au contraire ajouté, inutilement d’ailleurs.
Primitivement le texte devait rapporter que Jésus s’avançait en eau profonde pour procéder à une pêche. Pour mieux comprendre le sens de cette pêche miraculeuse, il est intéressant de se reporter au chapitre 21 de l’Évangile de Jean. D’après ce texte, le miracle est dû à l’apparition du Christ ressuscité. Lorsqu’ils reconnaissent Jésus, les disciples l’appellent « Seigneur ». Or, dans le récit de Luc (5, 5), Simon qui appelle Jésus « Maître », tombe à genoux après le miracle et lui dit « éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un pécheur ». Simon donc reconnaît le Seigneur divin qu’il a renié, le Christ céleste qui lui apparaît, sous la forme d’un homme ; et il confesse qu’il n’est pas digne d’être honoré d’une telle présence.
La mission de pêcheur d’hommes est donc confiée à Simon et à lui seul tandis qu’en Marc elle s’étend également à André. Les judéo-chrétiens verront naturellement dans cette image un rappel de Jérémie (16,16) « J’envoie une multitude de pêcheurs, et ils les pêcheront (les enfants d’Israël) ». Cependant, Tertullien soupçonne ici une intention marcionite ; pourquoi, en effet, Jésus choisit-il ses apôtres parmi les pêcheurs au lieu de les prendre parmi les paysans, les bergers ou les charpentiers ? Parce que Marcion était un armateur, un marin, et que ce Simon pouvait symboliser Marcion, le pêcheur choisi comme apôtre du Christ ? Au verset 10, en Luc comme en Marcion, Jacques et Jean viennent en surcharge et Jésus dit à Simon « Rassure-toi ! » Peut-être parce qu’il s’agit d’un être surnaturel devant lequel ces hommes sont évidemment effrayés. Le correcteur de Luc a transformé en récit de vocation de Pierre, Jacques et Jean, un récit d’apparition du Christ ressuscité. Leur vocation n’est donc pas due à un saint homme, mais à l’apparition d’un esprit ou d’un être divin. Le récit de la pêche – qui est inconnu de Marc et de Matthieu – n’a par conséquent rien à voir avec l’appel des premiers apôtres ; il raconte simplement une manifestation du Christ céleste ; succinctement indiquée dans Marcion, et développée de deux manières différentes par Luc et Jean.
Une autre conception de la pêche « religieuse » est à rappeler ; c’est celle de l’Évangile selon Thomas. Jésus compare l’homme à un vieux pêcheur qui remonte son filet plein de petits poissons au milieu desquels se trouve un poisson plus grand et excellent. Il rejette donc le menu fretin dans la mer et garde le grand. Là nous ne sommes plus très loin du mystérieux roi pêcheur de la quête du Graal.
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LES APÔTRES.
Leurs noms et leur nombre varient selon les textes.
L’institution du collège apostolique des Douze remonte bien évidemment aux premiers temps de l'Église ; mais il est difficile d’admettre qu’elle vient de Jésus lui-même. On comprend volontiers qu’il se soit entouré d’un petit groupe de disciples intimes ; on conçoit moins qu’il en ait limité le nombre à un chiffre fixé à l’avance.
Luc (10 :1-24) est d’ailleurs fort clair à ce sujet.
« Après cela, le Seigneur désigna encore 70 autres… et les envoya devant lui deux par deux dans toutes les villes et dans tous les endroits où lui-même devait aller ».
La tradition chrétienne occidentale les désigne le plus souvent sous le nom de « disciples » tandis que les chrétiens orientaux les appellent volontiers « apôtres ». Si l’on se réfère au lexique grec, un « apôtre » est en effet quelqu’un que l’on envoie en mission tandis qu’un « disciple » n’est qu’un élève.
De toute façon les récits concernant les 12 ne font certainement pas partie de l’Evangelion primitif de Marcion. Le personnage central de Marcion est saint Paul, le grand apôtre qu’il vénérait, et dont nous savons effectivement qu’il vit et entendit le Christ à défaut d’avoir rencontré l’homme Jésus en chair et en os. Saint Paul annonçait qu’il avait été « choisi par Dieu dès le sein maternel pour porter son Fils en lui et prêcher son évangile » (Gal. 1,15) ; phrase qui aurait pu inspirer un beau récit de la nativité à Paul ! Il disait aussi, « ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Gal. 2,20). Dans son Épître aux Philippiens (1, 20), il écrivait : « Maintenant comme toujours le Christ sera glorifié dans mon corps ». Il confiait de même à ses adeptes : « Je connais un homme dans le Christ qui voici quatorze ans fut ravi jusqu’au troisième ciel » (2 Cor. 12, 2). Ciel qui vraisemblablement était le ciel du dieu bon et du Christ de Marcion. Ainsi que le dit Irénée (3, 13, 1) d’après les marcionites : « Seul Paul connaissait la vérité, car le mystère lui avait été révélé par manifestation ». Quoique le récit des Actes (22, 6-11) ait été déformé par un correcteur judaïsant, il témoigne de la croyance en l’apparition du Christ à Paul sur la route de Damas.
Ce qui résulte avec évidence du livre des Actes des Apôtres en tout cas c’est qu’il se forma de bonne heure à Jérusalem un groupe de disciples immédiats de Jésus, qui s’attachèrent à porter aux juifs leur bonne nouvelle, tandis que Paul et quelques autres, qui n’avaient pas connu Jésus, inauguraient parmi les païens une œuvre de propagande, que les apôtres de Jérusalem envisagèrent d’abord avec méfiance. Le qualificatif d’apôtre fut également donné par extension à saint Paul (« l’apôtre des Gentils ») et à quelques autres comme Barnabé.
« Paul, Sylvain et Timothée à l’Église des Thessaloniciens, réunie en Dieu le Père et en Jésus-Christ le Seigneur : à vous, grâce et paix… » (Première épître de Saint Paul aux Thessaloniciens.)
Aux cas de Paul et Barnabé, nous pouvons donc ajouter Sylvain et Timothée.
Et peut-être aussi Apollos, Jacques le frère du seigneur, etc.
Puisqu’il y avait douze tribus d’Israël, douze patriarches ; les correcteurs judéo-chrétiens, mais hellénophones, de la rumeur initiale (un homme est mort et ressuscité en Palestine, il était peut-être le messie promis par les prophètes, etc.) ; décidèrent de mettre en avant, parmi les disciples, douze d’entre eux, appelés apôtres, inventés au IIe siècle à Antioche par des exégètes grecs ignorant l’hébreu et l’histoire juive. La plus grande confusion règne à leur sujet dans les textes canoniques qui constituent le Nouveau Testament et dans les apocryphes qui sont des ensembles de récits évangéliques, actes, apocalypses et logia ou maximes, dont Jésus serait l’auteur. Les chrétiens eux-mêmes ont eu le plus grand mal à distinguer entre Jacques le frère du Seigneur et Jacques de Zébédée, Simon-Pierre et Simon le zélote, Judas et Thomas, Jean et Jean de Zébédée.
Marc qui parle des apôtres en 6, 30 les oublie aux versets 35 et 41 pour mentionner les disciples ; dans cet épisode, Matthieu ne connaît que des disciples.
Se référer aux apôtres servira néanmoins aux évêques à fonder leur légitimité ; Paul à Corinthe, Thomas à Édesse, Jacques à Jérusalem, Pierre à Antioche.
Ce Pierre plus ou moins légendaire, qui s’appelait tout d’abord Simon, fut converti dans nos textes en disciple plus ou moins compréhensif du Jésus terrestre, ensuite en prince des apôtres, en attendant d’être reconnu ou proclamé premier pape beaucoup plus tard.
Au singulier, le titre d’apôtre fut d’abord celui de saint Paul. Au pluriel, il n’apparaît qu’une dizaine de fois dans les évangiles en des passages douteux, alors que le terme « disciple » y figure plus de 230
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fois. Tout se passe comme si le mot apôtres était venu s’introduire dans des textes qui ne connaissaient que les disciples.
On lit en Luc 6,13 « il en choisit douze qu’il nomma aussi apôtres… ». Ceci montre que le rédacteur du passage savait bien qu’il existait d’autres apôtres avant ceux qu’il introduisait dans le texte. À noter en outre que le mot « apôtres » constitue un anachronisme en cet endroit (Marc l’emploie plus tard, en 6, 7 et 30), et qu’il n’a été en usage qu’une fois l’Église établie ; c’est-à-dire au plus tôt dans la seconde moitié du IIe siècle.
Matthieu ne mentionne les apôtres qu’une seule fois, ce qui peut paraître extraordinaire ; après avoir parlé des disciples (10,1 a), il donne immédiatement les noms des douze apôtres. Aux versets correspondants, Marc ignore aussi bien les disciples que les apôtres, mais il cite les « Douze » ; mot qui ne put être utilisé que lorsque l’on eut pris l’habitude de se servir de ce terme pour désigner les apôtres constitués en aréopage dont la fondation fut attribuée au Christ. Marc ne parle des apôtres qu’une fois, en 6,30.
Dans le récit primitif, Jésus s’entourait de disciples ; ces disciples devinrent des apôtres sous la plume des scribes judéo-chrétiens ; puis, on en choisit douze, sans doute pour des raisons symboliques ; ces douze apôtres devinrent « les Douze » enfin, on en donna les noms. Jean, qui mentionne les Douze, n’en contient pas la liste. Quand on examine le récit de Marc (3,13-19), on est frappé par l’irrégularité de sa syntaxe, plus apparente en grec que dans notre langue évidemment. Ce sont des morceaux mis bout à bout. Il n’y avait pas de choix des Douze dans l’Évangile de Marc. On observe, en Matthieu (10,1) qu’il n’a pas été question de ces Douze auparavant et en Luc (6,14-16) que la liste des Douze est visiblement un ajout.
Il s’agit donc vraisemblablement d’une interpolation dans les trois synoptiques et dans Marcion, interpolation qui fut elle-même retouchée plus tard, car Marcion est le seul à dire que Jésus priait, et que son Père l’écoutait. On remarquera également que cette insertion ne se trouve pas au même endroit dans les évangiles.
Dans Luc, elle suit l’épisode de la main desséchée et précède le discours « sur un plateau ». Dans Marc, elle vient après une retraite de Jésus au bord du lac et avant l’allusion à Bélzéboul, que l’on ne trouvera que plus tard en Luc (11, 15). Dans Matthieu, elle succède au récit concernant la guérison du démoniaque, et se trouve placée avant un voyage de Jésus à travers la Galilée. L’essentiel, pour les correcteurs, était de placer le choix des Douze quelque part dans les évangiles ; ils l’ont mis n’importe où, mais le résultat est là, il y est.
Marc, à la suite du choix des Douze (3,14) ne contient pas les « Béatitudes » que donne Luc, ce qui suggère que les deux récits ont une origine différente et ont été réunis dans Luc. Constatation que confirme Matthieu (5,1…) Quand Jésus récite à ses disciples les « Béatitudes », le choix des apôtres n’y est pas associé ; pour le trouver il faudra lire cinq chapitres de plus, c’est-à-dire atteindre 10, 2.
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LA PASSION LA CRUCIFIXION ET LA MORT.
Le récit exploite chrétiennement la donnée commune du personnage divin qui prend forme humaine pour traiter avec les hommes sans être reconnu, et qui disparaît à l’instant même où son identité a été manifestée. Rien n’était plus facile que d’adapter ce thème à celui du Christ ressuscité. Quand on lit ce récit, on ne peut en effet s’empêcher de constater qu’il est une combinaison artificielle de textes divers qui, parfois, n’ont rien de commun entre eux. L’histoire de la trahison de Judas en fournit la preuve et l’exemple même, car elle est découpée en plusieurs tronçons éparpillés dans le texte.
Le récit de cet événement fondateur du christianisme rapporte des faits dont la crédibilité relève de la foi. Il s’agit de textes à caractère religieux, dont l’intention des auteurs initiaux n’a toujours pas pu être identifiée. Ils expriment la foi des rédacteurs. L’exégèse permet d’évaluer et de comparer les textes entre eux et éventuellement de détecter les différentes strates de rédactions successives. Les historiens se servent de ce travail d’exégèse, mais accompagnés de multiples autres sources et informations fournies par exemple par l’archéologie et l’épigraphie. Les croyants eux ont tendance à se limiter à ce travail d’exégèse pour faire la part entre les éléments qu’ils estiment historiques et d’autres qu’ils estiment uniquement « théologiques », légendaires, amplifiés ou embellis.
Afin de souligner que le récit de la passion et de la mort du héros de ce roman initiatique, semble avoir été greffé ou rajouté artificiellement des années plus tard au déroulé primitif des événements QUI LE PRÉCÉDENT THÉORIQUEMENT IMMÉDIATEMENT DANS LE RÉCIT OFFICIEL DES 4 ÉVANGILES AU POINT DE VUE CHRONOLOGIQUE, nous l’examinerons dès maintenant à cet endroit de notre exposé ; car une très grave question se pose en effet à son sujet.
Ce récit de la mort du héros de ce roman initiatique n’est-il pas en réalité secondaire ? N’est-il pas un complément ajouté postérieurement au contenu primitif des rumeurs qui allaient donner les quatre évangiles tels qu’on les connaît ?
Quelques critiques l’ont pensé. Si évidente est l’influence sur nos évangiles de quelques-unes des Écritures (l’Ancien Testament), par exemple celle du psaume XXII ; que l’on a pu se demander sérieusement si la tradition primitive… connaissait vraiment un récit de la Passion et de la Résurrection ; si l’ensemble de ce récit, tel qu’il se trouve aujourd’hui dans nos synoptiques, ne fut pas composé simplement au moyen de textes de l’Ancien Testament en dehors de toute réalité (ce qui est la définition même du midrash).
Un autre critique, observe que, quand Jésus annonce sa mort, aucune allusion n’est faite à la crucifixion ou au procès devant Pilate ; les chapitres XIV à XVI de Marc apparaissent comme une sorte d’appendice, comparable au chapitre XXI de Jean ; ils déséquilibrent le plan de Marc. Et ce critique de se demander : un récit de la Passion était-il nécessaire à un auteur qui traitait de la Bonne Nouvelle (ça y est le messie est arrivé, les gens de Capharnaüm l’ont vu, il a fait des miracles chez eux, certains disent même que……) et de sa propagation, mais qui n’a pas ressenti le besoin de raconter la Résurrection ? Le récit de la Résurrection n’existe pas chez Marc et le récit de la Passion n’y représente qu’un appendice perturbateur… Les chapitres XIV à XVI de Marc véhiculent certaines idées théologiques et ecclésiologiques peu compatibles avec les sentiments propres à l’auteur de la partie de l’évangile de Marc qui va de I à XIV.
Bien avant cette critique, un autre auteur avait écrit au sujet de la partie de l’Évangile de Marc qui nous préoccupe qu’il s’agissait d’un groupe cohérent de récits constitué par la narration de la Passion. Cette partie de l’Évangile s’ouvre par une péricope (le complot des juifs contre Jésus, 14, 1-2) qui ne se relie aucunement à ce qui précède, mais constitue un commencement absolu qui a parfaitement pu se suffire à lui-même. De toute évidence, la même question se pose pour les deux autres Évangiles synoptiques, qui reproduisent en grande partie le texte de Marc.
On remarquera que les Actes des Apôtres, qui sont donnés comme la suite de l’Évangile de Luc, commencent par la phrase suivante : « J’ai raconté dans mon premier livre tout ce que Jésus a fait et enseigné ; jusqu’au jour où, ayant donné ses ordres aux apôtres, il fut enlevé au ciel ».
Ainsi, selon ce texte, il n’était question dans Luc ni de la Passion, ni de la mort, ni de la Résurrection, de Jésus. Le Christ divin, une fois sa mission terrestre accomplie, remontait au ciel d’où il était descendu, ce qui est confirmé par l’Épître aux Éphésiens (4, 8-10). « Celui-là qui est monté au plus haut des cieux est celui qui en était descendu », ainsi que par l’Évangile de Jean (3, 13) : « Nul n’est monté au ciel que celui qui en était descendu ». L’Évangile de Basilide ne contient pas la crucifixion de Jésus et le Pasteur d’Hermas ne parlait ni de Crucifixion ni de mort du Fils de l’Homme.
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Il est certain qu’à l’origine l’Evangelion ne connaissait pas, et ne pouvait pas connaître, un Christ de chair et de sang, persécuté, jugé, immolé, et ressuscité. Marcion, qui ne donnait pas un récit de la naissance de Jésus, n’avait pas à en fournir un sur sa mort. Le Christ qui retournait au Ciel n’était pas et n’avait jamais été un homme pour lui ; c’était un pur esprit qui avait pris forme humaine pour être vu et entendu, pour transmettre un message divin de salut à l’Humanité. Ce n’est que plus tard que certains voulurent que cet « esprit » soit celui d’un homme exécuté par crucifixion, répondant au nom de Jésus, et l’on construisit autour de ce postulat le roman de la Passion (voir également actes 1, 22 où le mot « résurrection » peut signifier la remontée au ciel du « Seigneur »).
La vie de Jésus en tant que telle étant bien peu messianique, comme nous avons pu le voir, ce fut par conséquent surtout sa mort que les premiers chrétiens utilisèrent, non sans peine d’ailleurs, pour prouver sa messianité. Un récit de la passion repris par les trois derniers chapitres de l’Évangile selon Marc (et donc antérieur à ce dernier) a donc dû circuler tout de suite après la mort du nouveau Josué. C’est surtout Luc qui a été surchargé de ce petit roman. Il raconte la Passion en 180 versets alors que Matthieu n’en comprend que 160, Jean 136, Marc 133 et Marcion 88 qui, de toute évidence, ne peuvent venir de l’Evangelion primitif.
Dans le récit de la passion, Matthieu a donc ajouté du matériau source à ce qu’il a repris de Marc. Judas qui va se pendre (27, 3-10), le rêve de la femme de Pilate (27,19), Pilate se lavant les mains du sang de Jésus (27, 24-25) ; un quatrain poétique sur les événements extraordinaires qui suivirent la mort de Jésus (27, 51 b-53) et le récit de la garde au tombeau (27, 62-66 ; 28, 2-4, 11-15). Ce matériel relatif à la naissance et à la passion a comme traits caractéristiques une vive imagination (rêves, meurtre d’enfants, sang innocent, suicide, complot, mensonges) ; des phénomènes célestes et terrestres extraordinaires (interventions angéliques, étoile qui se déplace vers l’ouest et s’arrête au-dessus de Bethléem, tremblement de terre, résurrection des morts) ; une dose inhabituelle d’influence scripturaire (comme si les récits avaient été composés sur la base de l’Ancien Testament, ce qui est la définition même du midrash, plutôt que simplement commentés par des références à l’Ancien Testament) ; et une vive hostilité à l’encontre des juifs qui ne crurent pas en Jésus, hostilité à laquelle correspond une présentation empreinte de sympathie à l’égard de certains « non-juifs » (les mages, la femme de Pilate). Ces caractéristiques reflètent l’imagination, les centres d’intérêt, et les préjugés, des chrétiens de l’époque de cette rédaction, et elles sont en grande partie absentes ailleurs en Matthieu. (Nous empruntons tous ces détails à Raymond E. Brown, que sait-on du Nouveau Testament.)
À noter aussi que la fin du « selon Marc » (16, 9-20) ne figure pas dans le recueil manuscrit appelé codex vaticanus. Et ce n’est pas un détail, puisqu’elle est censée prouver la résurrection.
Les récits de la découverte du tombeau vide sont tardifs (Paul n’en parle pas) et les détails donnés ne coïncident pas entre eux. Un ange ou deux, assis ou debout, tombeau déjà ouvert ou pierre écartée par un ange qui descend, propos des anges qui divergent. En Jean 20 Marie-Madeleine commence par suggérer que quelqu’un a emporté le corps et Matthieu 28,13-15, abonde dans le même sens.
Les témoignages divergent aussi sur les caractéristiques du corps du ressuscité.
Rappelons donc pour conclure sur ce point que les récits de la Passion et de la Résurrection diffèrent totalement les uns des autres, et qu’aucun n’indique à quel âge Jésus serait mort.
LA TRAHISON DE JUDAS.
D’abord, elle n’est pas placée aux mêmes endroits dans les synoptiques. Dans Luc, elle suit l’institution de l’eucharistie ; dans Marc et Matthieu, elle la précède. En Luc, le récit commence en 22,3-6 ; il se continue en 21-22, en sautant par-dessus quinze versets ; il reprend et se termine en 47-48 après une interruption de vingt-six versets. Autrement dit, la succession des faits se présente ainsi : trahison de Judas, préparation du repas pascal, institution de l’eucharistie, annonce de la trahison de Judas, annonce du reniement de Pierre, livraison de Jésus par Judas.
Au verset 22, 3 de l’évangile de Luc, c’est le Prince du mal qui se sert de Judas pour faire mourir Jésus – événement important ignoré de Marc et Matthieu – tandis que, selon 1 Corinthien, 2, 8, ce sont les esprits du mal qui provoquent la crucifixion. Marcion, appuyé par Matthieu, ne fait nullement allusion aux Azymes, contrairement à Marc et à Luc ; il dit comme Luc que la fête est proche tandis que Marc précise « dans deux jours ». Marcion ne donne pas le verset 2 (grands prêtres et scribes conspirant contre Jésus), incident que Matthieu est seul à localiser dans le Palais de Caïphe, ceci afin de rendre la scène plus réelle ; nous avons déjà suggéré que ce verset 22, 2 pourrait être la suite du verset 19, 47. Au verset 3, Marcion – confirmé par Marc et Matthieu – ne dit pas (malgré Luc) que Satan est entré en Judas ; par contre, le copiste lui fait dire, comme Luc, que Judas était l’un des
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Douze. Le verset 3 est une addition dans le texte de Luc. De même, le verset 6 est ignoré de l’Evangelion. Luc ne dit pas comment Satan est entré en Judas, mais le 4e Évangile nous le révèle, c’est grâce à la bouchée de pain donnée par Jésus à Judas. En outre Matthieu (26, 50) rapporte que Jésus aurait dit à Judas « Fais ce que tu dois faire mon ami ».
N’aurait-il pas gardé le souvenir d’un récit tout à fait différent de celui que nous lisons aujourd’hui ? On trouve, en effet, dans nos évangiles et ailleurs, une tout autre conception du rôle de Judas. Selon Jean 6, 70-71, Jésus avait choisi les Douze, y compris Judas, en sachant que celui-ci était un démon et qu’il serait « livré » par lui ; Jésus savait d’avance quel rôle il confiait à Judas dans la perspective de sa propre mort, donc du salut des hommes, et – de son côté – Judas savait qu’il devait être l’instrument de ces desseins. Dans cette optique Judas était donc chargé d’accomplir le mystère de la « trahison » (Irénée, Adv. Haer. I, 31, à propos de la doctrine des Cainites). « Il a livré Jésus même si ce dernier était un homme bon… Car les archontes savaient que si Christ était crucifié………… Et nous devons l’en remercier et le porter à son crédit, puisqu’il a ainsi accompli pour nous le salut de la croix, et par la même la révélation des choses d’en haut » (Epiph., Haer., 38. Toujours à propos des Cainites).
Jésus ne lui avait-il pas recommandé après lui avoir donné la bouchée de pain fatale « Ce que tu as maintenant à faire, fais-le vite » ? (Jn, 13, 27.) Et quand Judas fut sorti, Jésus n’ajouta-t-il pas (31-32) « Le Fils de l’Homme a été glorifié maintenant et Dieu a été glorifié en lui… ». Cela fait plutôt penser à l’exécution d’un plan préconçu et accepté qu’à une véritable trahison.
Les caïnites considéraient en effet Caïn, Ésaü, Korah et Judas, comme des champions de la liberté spirituelle ; ils avaient même un Évangile (l’évangile de Judas). De son côté, Marcion proclamait que seuls ceux qui avaient été rejetés par le dieu-ou-démon créateur de ce monde raté, notamment Caïn, avaient été délivrés par le Christ, tandis qu’Abel et Abraham n’avaient pas été rachetés.
JÉSUS ENSEIGNE DANS LE TEMPLE (Luc 21, 37-38).
Ce leitmotiv évangélique est donné ici dans un passage très court qui ressemble à une adjonction ; pourquoi cette précision supplémentaire ? Si l’on compare nos textes, on voit que Marc (11, 19) dit simplement que Jésus sortait de la ville quand le soir venait ; et c’est plus loin – en 14, 26 – que l’on apprend que Jésus se rend le soir au Jardin des Oliviers. Cette allusion est une insertion ; comparer au passage parallèle de Luc 19, 48 b où le mont des Oliviers n’est nullement mentionné. Mais ce mont est en rapport direct avec David et, si Jésus est Fils de David, il est naturel qu’il imite son ancêtre. Luc est le seul à préciser ici que Jésus y passait ses nuits, peut-être parce que David en faisait autant (2 Sam. 15, 30-32) et accomplissait ainsi Zacharie (14, 3-4).
LA PÂQUE.
Rappelons ici pour commencer que certains détails du récit reconstruit, comme l’utilisation de branches de palmier pour saluer l’entrée de Jésus dans Jérusalem (Matthieu 21, 8, Jean 12,13), font plus penser à une fête juive comme celle des cabanes (Soukkot) qu’à la fête de Pâque proprement dite. Pour le reste…
Sur 28 versets de Luc, le texte marcionite n’en connaît que 9 et, cependant, l’essentiel est dit. Brièveté et simplicité sont du côté de Marcion. Marc ignore douze des versets de Luc, Matthieu onze. Les versets manquants dans Marcion sont les suivants.
7, mention du jour des Azymes où il faut immoler la Pâque. Le 14e jour du mois de Nizan n’était pas, à proprement parler, l’un des « jours de pain sans levain ». Matthieu cite la Pâque, mais ne parle pas de l’immolation de l’agneau. Dans le récit des faits imaginés par les judéo-chrétiens, le prétendu dernier repas fut un repas pascal, mais nous n’avons qu’à lire ce récit pour nous rendre compte de l’erreur commise par eux, volontairement ou non. L’agneau pascal devait être mangé tout entier pendant la nuit ; on le servait avec des herbes amères et des pains azymes ; chaque participant buvait quatre coupes ; or, aucun de ces traits ne se retrouve dans la Cène chrétienne.
Au temps de Jésus, le mot « Pascha » ne désignait pas une fête, mais l’agneau pascal (1 Cor., 5-7 ; Jn 18, 28) ; c’est à une époque plus tardive que ce mot a désigné la fête des azymes. Ces azymes ne figurent pas en Mat. 26, 2.
Luc 16-18. Marc et Matthieu ne connaissent pas ces versets où il est question d’une première coupe qui, indiscutablement, vient en surcharge dans le texte de Luc. Mais ces trois versets constituent un récit complet d’une Pâque symbolique où d’avance Jésus représente l’agneau pascal. Que contient,
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en effet, le plat où les disciples plongent la main ? Certainement pas du pain puisque le Christ va le rompre et le distribuer. Certainement pas du vin puisqu’il est dans la coupe. La Didaché 9,1-4 nous apprend que ce breuvage provient « de la sainte vigne de David » et que le pain rompu représente « la vie et la connaissance » révélées par Jésus. Cette Cène « avant la lettre » comporte donc simplement du pain et du jus de raisin ; elle anticipe le banquet céleste que Jésus offrira un jour à ses heureux élus. Notons que le verset 18 de Luc sera ajouté par Marc et Matthieu en conclusion de leur propre récit, qui ne le comportait pas primitivement.
Ces versets 16-18 sont une interpolation dans Luc ; Marcion ne l’a pas connue. Ce récit sur la Pâque et la coupe s’interrompt en Luc 22,14, mais reprend tout naturellement au verset 19.
LE RÉCIT ÉTIOLOGIQUE JUSTIFIANT LA PRATIQUE DE L’EUCHARISTIE.
19. L’Evangelion ne contient pas la dernière phrase de ce verset « Faites ceci en mémoire de moi ». Il est d’accord avec Marc et Matthieu qui ne connaissent pas ce mémorial. Il s’agit donc ici d’un ajout ultérieur destiné à légitimer l’eucharistie.
Les versets 19 b et 20 sont empruntés à I Cor. 11, 23-25. Le « fruit de la vigne » du verset 18 de Luc est incompatible avec le « sang » de la coupe du verset 20 b. Selon Luc, en 23 les disciples se demandent lequel trahira. De 24 à 27, le récit est interrompu par une péricope sans intérêt que l’on ne retrouve pas dans Marc et Matthieu aux passages correspondants, ce qui confirme le texte de Marcion. Les versets 28 à 32 sont ignorés de Marc ; quant à Matthieu, il comprime les trois versets 28, 29, 30 en un seul (19, 28) où il trouve moyen de substituer le Fils de l’Homme à Jésus.
35-38. Ces quatre versets manquent également dans Marc et dans Matthieu. L’achat de l’épée est une adjonction dans Luc.
Les versets communs à Marcion et à Luc sont les suivants.
8. Ce verset est une addition dans Marcion-Luc. « Pierre et Jean » ne sont pas cités par les deux autres synoptiques.
14. Jésus est à table avec les douze apôtres, mais Luc écrit les apôtres. Marc parle des Douze tandis que pour Matthieu il s’agit des « douze disciples ». On voit la progression, les disciples, les apôtres, les Douze.
Marcion ne connaissait pas les douze ; cependant ils ont été insérés dans son texte, au verset 14, comme ils l’ont été en 9,1 et 12.
15. Verset absent du récit de Marc et Matthieu. Un correcteur a voulu introduire dans l’Evangelion la « pâque » juive, c’est-à-dire le souvenir symbolique de l’agneau pascal. Parallèlement, au verset 18, la coupe contenant « le fruit de la vigne » a été insérée dans le texte de Luc, mais on ne la retrouve pas dans les autres synoptiques.
19. Marc et Matthieu ne disent pas : « Mon corps qui doit être livré pour vous », phrase qui fut ajoutée au texte de Marcion-Luc. D’accord avec Marcion, ils ignorent la phrase « Faites ceci en mémoire de moi ». Enfin, si l’on fit dire à Marcion que le corps sera « livré », on ne corrigea pas Luc qui continue de déclarer que le corps fut « donné ». Ici s’exprime sans doute un marcionisme dégénéré qui avait fini par admettre l’incarnation du Christ spirituel dans le corps d’un Jésus bien humain.
20. Pour Marcion, la coupe est – dans le texte qui lui est attribué à tort – « l’alliance par mon sang », pour Luc, « la nouvelle alliance dans mon sang » ; pour Marc et Matthieu, « mon sang de l’alliance ».
Contrairement aux synoptiques, Marcion ne dit pas que le sang « est répandu pour la multitude » ou « en rémission des péchés » ; il n’aurait pu admettre que son envoyé céleste ait eu un véritable sang humain puisque pour lui ce n’était qu’un esprit ayant l’apparence d’un homme. Le texte des versets 16-20 nous a été transmis sous cinq ou six formes différentes ; la plupart mentionnent, comme Marcion, une seule coupe au lieu des deux coupes de Luc.
N’oublions pas que Marcion utilisait l’eau et non pas le vin dans l’eucharistie et que – selon Ignace (Smyrn. 7,1) « Ils (les marcionites) se séparent de l’eucharistie et de la prière ; en ce qu’ils ne professent pas que l’eucharistie est la chair de notre sauveur Jésus-Christ… » On sait d’autre part qu’ils ne mangeaient pas de viande.
21. Ce verset se retrouve à peu près en Marc et en Matthieu, mais ceux-ci parlent d’un plat unique ; or, s’il s’était agi d’un repas pascal, chaque convive aurait eu son propre plat.
22. Fils de l’Homme – qui vient interrompre le cours du récit – a été ajouté au texte primitif.
33-34. Chant du coq et annonce par Jésus d’un triple reniement de Pierre. Ces versets sont inconnus de Marc et Matthieu.
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JÉSUS LIVRÉ AUX AUTORITÉS.
Marc et Matthieu ont brodé sur ce récit, mais Marcion ne l’a pas connu, car il s’agit d’une interpolation dont le début et la fin, c’est-à-dire les deux bords de la suture, se signalent en Luc 40 et 46 par la même phrase : « Priez pour ne pas entrer en tentation ». Les versets de l’Evangelion constituent un résumé de la scène destiné à être en harmonie avec un Luc corrigé.
Le baiser de Judas peut s’interpréter autrement qu’il n’est dit aux versets 47-48 ; les disciples juifs de l’époque saluaient leur maître (rabbi) en lui donnant un baiser.
La comparaison des synoptiques permet des remarques importantes.
Biekell a découvert en 1885, dans un papyrus du IIe siècle provenant du Fayoum, un fragment de texte évangélique de sept lignes, en grec, correspondant à Marc 14, 26-30 et à Matthieu 26, 30-34 ; mais rédigé sous une forme plus brève, plus naïve, et plus originale, que dans le premier et le second évangile. Or, ce qu’il faut souligner, c’est l’omission dans ce fragment du verset 28 de Marc et 32 de Matthieu qui précisait : « Après être ressuscité, je vous précéderai en Galilée ».
Il n’était donc pas question, dans la tradition que représente ce fragment, d’une résurrection de Jésus suivie de son retour en Galilée. Mais c’est précisément cette tradition que suit le verset 22/39 de Marcion-Luc ; il ne fait mention ni de la Résurrection ni de la Galilée.
D’autre part, en 43-44, versets ignorés aussi bien des autres synoptiques que de Marcion, Luc fait allusion à la sueur de sang provoquée par l’angoisse de Jésus. Cet incident est inconnu de plusieurs manuscrits. Certes, Hilaire (De trinitate, X, 41) suggère bien qu’on a essayé d’effacer cette sueur de sang.
« Dans de nombreux manuscrits, en latin ou en grec, on ne dit rien de l’arrivée de l’ange ou de la sueur de sang. Mais en attendant de savoir s’il s’agit d’une omission là où cela manque ou d’une interpolation là où on le trouve (car la non-concordance des copies laisse la question pendante), ne laissons pas les hérétiques, etc. »
Mais Hilaire aurait dû plutôt suggérer le contraire, c’est-à-dire qu’il s’agissait d’une addition au texte généralement connu. Dans le même ordre d’idées, Épiphane écrit dans son Ancoratus que l’on a effacé dans Luc le passage où Jésus pleura dans son agonie ; mais on ne l’y avait mis que pour prouver (contre lesdits hérétiques justement) que Jésus avait bien eu un corps de chair.
Le verset 48 contient le « Fils de l’Homme » qui n’a rien à faire dans cette arrestation ; c’est un intrus qui, d’ailleurs, n’a pas pénétré dans les autres synoptiques à cet endroit. Marc ne commente pas le baiser de Judas ; Matthieu fait dire à Jésus « Ami, accomplis ta besogne », paroles incompatibles avec la notion de « trahison ».
RENIEMENT DE PIERRE.
Incontestablement, c’est le récit marcionite qui est le plus simple et le plus ancien. Sur 9 versets de Luc, Marcion n’en donne que 4. Les synoptiques l’ont complété chacun à sa manière. Luc et Marc ne donnent pas le nom du grand prêtre ; Matthieu assure que c’était Caïphe ; Jean précise que Jésus fut d’abord amené chez Anne, beau-père de Caïphe. Parlant de Jésus, Marc dit « le Nazaréen », Matthieu « le Galiléen », Jean « cet homme ».
Les manipulateurs du texte ont voulu montrer :
1) Que Jésus était un homme connu de Pierre.
2) Que Pierre, quoique disciple de Jésus, le reniait, nous conservant ainsi la trace d’un Pierre négateur du messie juif.
3) Que Jésus savait très bien d’avance qu’il ne serait pas reconnu comme messie par Pierre.
DEVANT LE SANHÉDRIN ET DEVANT PILATE.
Aux versets 67-68 de Luc, à la question « Es-tu le Christ ? » Jésus répond : « Si je vous le dis, vous ne le croirez pas ». Or, au verset 69, il s’assimile au Fils de l’Homme, ce qui est différent et hors du sujet, alors que selon Marc (14, 62) il répond : « Je le suis (le Christ) », confirmant ainsi Marcion au verset 70. À ce même verset, Luc écrit non pas « le Christ », mais « le Fils de Dieu ». Il supprime l’accusation d’avoir « aboli la Loi et les prophètes » comme il l’a déjà fait en 4, 31.
Le verset 69, retouché en faveur du Fils de l’Homme, a gardé le souvenir de la « Puissance Divine » qui accueille (verset 70) le Fils de Dieu ou le Christ-Roi selon 23, 2.
Or, l’expression « Christ-Roi » du verset 23, 2 n’avait pas de sens en grec ; elle équivalait à Malka Meshiha en hébreu, et n’apparaît nulle part ailleurs dans le Nouveau Testament.
Marcion, au verset 23, 3, confirme « le Christ », mais Luc, Marc et Matthieu, lui substituent le « roi des Juifs ».
La comparution devant Hérode (6-12), absente de Marc et Matthieu, est sans doute une insertion (elle interrompt le récit de la comparution devant Pilate), mais elle contient une idée intéressante. Luc a conservé le verset 23, 11 que l’Evangelion aurait pu accueillir et selon lequel Hérode revêtit Jésus
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d’un magnifique manteau. Il s’agit là peut-être d’un symbole du gnosticisme. Le vêtement de lumière qui est donné à l’âme, notamment par les mandéens, pour qu’elle monte au Ciel une fois débarrassée de son corps.
JÉSUS EST LIVRÉ AUX JUIFS.
Les versets 17 à 22 de Luc constituent une interpolation qui commence après la phrase : « Je vais donc le relâcher après l’avoir fait punir » et se termine sur un redoublement de la même phrase au verset 22.
Le fameux épisode de Barabbas n’est pas primitif en Luc-Marcion ; il interrompt visiblement le récit concernant la condamnation de Jésus par acclamation de la foule. Primitivement, l’épisode ne comportait, semble-t-il, en Luc, que les versets 13 à 16 et 23-24. On doit cependant tenir compte du fait que les versets 13 à 16 sont inconnus des deux autres synoptiques, mais figurent dans Marcion tandis que les versets 23-24, absents de l’Evangelion, se retrouvent à peu près en Marc et en Matthieu.
Marcion ne dit rien d’une coutume annuelle concernant la mise en liberté d’un condamné.
Un fait apparaît néanmoins certain : il n’y eut pas de « procès » proprement dit, intenté par Pilate à Jésus, ni de condamnation à mort.
IL MEURT CRUCIFIÉ ENTRE DEUX AUTRES CONDAMNÉS.
Le texte marcionite ignore les versets 35 à 43 ; Marc et Matthieu n’ont pas l’équivalent des versets 32, 34, 35 a, 37, 40-43, et suggèrent que les versets 35-36, 38-39 de Luc, appartenaient à un autre contexte.
Le célèbre verset 34 « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » est ignoré par certains manuscrits et omis par les autres évangélistes. L’insertion est plus probable que l’omission. Dans Luc, le verset 35 est la suite du verset 33 tandis que le verset 34 est une interruption ; Tatien plaçait ce verset en 46.
La mort de Jésus comporte les paroles suivantes.
— Selon Marcion-Luc « Père, je remets mon esprit entre tes mains ».
— Selon Matthieu « il rendit l’esprit ».
— Selon Marc « il expira ».
— Selon Jean « il remit son Esprit ».
Le mot esprit figure par conséquent dans trois des quatre évangiles officiels.
Les évangélistes pensaient donc que l’Esprit, libéré de sa prison charnelle, retournait au Ciel qui était sa patrie d’origine, tandis que le corps était destiné à rester sur terre. Telle est du moins l’idée exprimée dans ce bref épisode. Tertullien croit cependant pertinent de ridiculiser cette notion marcionite (Contre Marcion. IV, XLII). « Si au lieu de la chair (sur la croix), le Christ n’eut jamais que le fantôme de la chair (si le fantôme fut un esprit ; si l’esprit s’exhala de lui-même et se retira en s’exhalant), sans nul doute le fantôme se retira aussi lorsque se relira l’esprit qui était un fantôme ; et le fantôme ne reparut plus nulle part avec l’esprit. Il ne resta donc rien sur la croix ! Rien ne demeura suspendu à ses bras après qu’il eut rendu l’esprit ! Rien ne fut redemandé à Pilate ! Rien ne fut détaché du gibet ! Rien ne fut enveloppé dans un suaire ! Rien ne fut enfermé dans un sépulcre neuf ! »
Mais tel était bien justement ce que pensaient les marcionites de son temps. L’inhumation et la résurrection du corps avaient été, selon eux, une impossibilité.
Certains détails sont absents de l’Evangelion, d’aucuns sont pourtant très importants au regard de l’événement qui nous est raconté. Le rôle de Simon de Cyrène, le partage des vêtements, la présence du peuple, les outrages, l’inscription de la croix (qui varie selon les évangiles), le dialogue entre Jésus et le bon larron (dialogue également inconnu des autres synoptiques). Pour Paul (1 Cor. 2, 8), ce « Seigneur de la Gloire » (c’est-à-dire Dieu) est crucifié par les « Princes de ce Monde ». La scène était céleste. L’Épître aux Colossiens (2,14) déclare que le Christ a cloué la Loi juive sur la croix (ce ne fut donc pas en s’y laissant clouer lui-même), que cette croix était son char triomphal ; enfin que les « autorités » (régnant sur cet univers) furent désarmées puis ridiculisées aux yeux du monde entier. Nous sommes très loin de Pilate et des grands prêtres.
Luc, au verset 23, 42, fait dire par l’un des larrons : « Souviens-toi de moi, Seigneur Jésus, dans ton Royaume », ce qui est confirmé par Tatien. Il s’agit là, soit d’un élément d’origine gardant un lointain souvenir de la nature profondément politique du mouvement initial ; (une énième révolte messianiste contre les Romains, avec un des complices crucifiés, qui croit encore en la messianité de Jésus, et
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l’autre non) ; soit d’un ajout des chrétiens marcionites concernant leur christ céleste. Il semblerait en effet qu’il ait quand même existé, chez les marcionites, un récit de la crucifixion.
Mais la Didaché, elle, ignore carrément cette crucifixion de Jésus.
D’après l’apocryphe Évangile de Pierre (35-41), deux anges lumineux descendirent du ciel, entrèrent dans le tombeau d’où ils sortirent, soutenant Jésus et suivis de la croix : leur tête atteignait le ciel, mais celle du troisième personnage dépassait les cieux.
LA RÉSURRECTION.
Cette résurrection ne figure pas dans l’Evangelion d’origine et le récit primitif a été gravement altéré. Le verset 24, 7 concernant le Fils de l’Homme est absent de Marc et Matthieu ; il interrompt le récit. Nous rencontrons ici pour la dernière fois ce Fils de l’Homme qui a déjà figuré en Luc dans plusieurs versets absents de l’Evangelion (7, 34 ; 11, 30 ; 18,31 ; 21,36). Marcion parle de deux anges lumineux, Luc de deux hommes en habit éclatant, Matthieu de l’ange du Seigneur, Marc d’un jeune homme en robe blanche.
La Résurrection concerne « Le Vivant » pour Marcion et Luc, « Jésus » pour Matthieu, « Jésus le Nazaréen » pour Marc. Selon ce dernier, les femmes ont peur et ne disent rien à personne. Selon Matthieu et Marcion, elles annoncent la nouvelle aux disciples ; selon Luc, aux Onze et à tous les autres. Tertullien ne se souvient pas que les disciples eux-mêmes ne croyaient pas à la Résurrection.
JÉSUS APPARAÎT À DEUX DISCIPLES ET AUX ONZE.
Que penser de la partie finale des Évangiles canoniques concernant les apparitions de Jésus ressuscité (versets 9-20 chez Marc)… qui n’apparaît qu’à la fin du IVe siècle, voire après ; car elle ne figure ni dans le codex Sinaïticus ni dans le codex vaticanus. Il ne s’agit pourtant pas d’un détail, car Marc est peut-être la source des deux autres Évangiles synoptiques, il ne s’agit pas d’un détail puisqu’elle concerne la résurrection.
Les 23 versets de Luc sont réduits à 16 chez Marcion, mais le plus étonnant, c’est qu’on les y trouve quand même. Le texte primitif de l’Evangelion a donc lui aussi été profondément remanié par des judéo-chrétiens. Pour les deux disciples qui vont à Emmaüs, le Jésus mort et crucifié était un prétendant au rôle de messie des juifs. Le Christ dont il est question est un fantôme, un esprit, que les deux disciples prennent tout d’abord pour un homme de chair et d’os. Cet épisode a nécessairement été déplacé puisque l’Esprit de Jésus fait son apparition alors qu’il est déjà retourné au ciel près de son Père.
On lit dans Marcion « Hommes insensibles et lents de cœur qui ne croyez pas en ce qu’il a dit… », mais Luc corrige ce texte et le remplace par « Hommes sans intelligence et lents à croire tout ce qu’ont annoncé les prophètes… » ; et il ajoute un verset 27 « En commençant par Moïse et les prophètes, il interpréta pour eux dans toutes les Écritures ce qui le concernait ». Ce verset n’est pas dans l’Evangelion et l’on devine qu’un correcteur judéo-chrétien a voulu, une fois de plus, insister sur le rôle des prophètes de l’Ancien Testament, qui pourtant ici est un élément aberrant. Il y fera encore allusion – ainsi qu’à la Loi de Moïse et aux Psaumes – dans le verset 44 de Luc que Marcion ne contient pas. Cette insistance, quasi fanatique, sur la Loi et les Prophètes, qui s’exerce presque constamment contre l’enseignement du Christ, révèle dans quel esprit les premières écritures chrétiennes ont été révisées et dénaturées.
Le récit a aussi pour but de confirmer le rite de la fraction du pain. Or, quoique n’ayant pas participé à la Cène, les disciples d’Emmaüs reconnaissent Jésus à cette fraction du pain, ce qui suggère que ce rite existait avant la Cène ou était fort répandu même en dehors du cercle restreint des premiers apôtres. Cette hypothèse est renforcée par la Didaché qui, tout en rappelant la bénédiction de la coupe et du pain dans l’ordre de Luc, ainsi que les prières, ne fait aucune allusion au dernier repas, ou à la mort du Christ. Le récit de la Cène est celui de la justification d’un rite par l’invention de son institution. cf. ce qu’on appelle l’étiologie, car il s’agit bien là d’un conte étiologique.
Ce pain rompu et distribué par Jésus qui prononce une bénédiction est un pain sacré. C’est l’eucharistie d’où dérive la communion chrétienne. Il n’est nullement le symbole du corps et du sang de Jésus ; c’est le pain de la connaissance du Christ, il ouvre les yeux des disciples et leur permet de reconnaître leur sauveur à la façon gnostique.
Une suite a été donnée à ce récit. Jésus apparaît au milieu des Onze et des autres. Marcion dit : « parmi eux ».
À cet Esprit, un correcteur a voulu donner des mains et des pieds (et même des os, évidemment invisibles) ; puis, jugeant cette transformation insuffisante et peu probante, il fit manger à son fantôme un morceau de poisson grillé de même qu’auparavant le revenant avait rompu (et sans doute mangé)
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du pain avec les deux disciples d’Emmaüs. Notre manipulateur de texte a voulu prouver ainsi, contre Marcion, la résurrection matérielle du corps tout en laissant entendre que Jésus passait à travers les murs et pouvait apparaître et disparaître à son gré, ce qui affaiblit considérablement sa thèse. Dans les apparitions rapportées par Luc et par Jean (20,14-16 ; 19-23 ; 26-27) ; les disciples ne reconnaissent pas immédiatement Jésus, ce qui prouve que son aspect a changé, ou qu’ils ne l’ont pas connu comme Esprit ; il leur faut un signe ou une parole.
LA TRANSFIGURATION (Luc 9, 28-36).
Le texte marcionite parle de trois disciples, sans donner leurs noms. Les synoptiques croient les connaître et les ajoutent. Les versets 31, 32, 33 sont absents du texte de Marc et de Matthieu. Si Marcion contient cependant les versets 30, 32, 33, c’est parce qu’ils lui ont été ajoutés. Le verset 31 est une addition postérieure dans le texte de Luc. Dans Luc, l’apôtre Jean est nommé deux fois avant Jacques (8, 51 et 9, 28). Marcion ignore ce récit. Par contre, l’ordre traditionnel est suivi dans les autres passages 5, 20 ; 6,14 ; 9, 54, dont le premier n’est pas dans Marcion. Il y a dualité de sources dans Luc ; Marcion n’a été complété que par la plus ancienne. Le récit nous paraît pouvoir se dissocier en plusieurs épisodes.
Premier épisode : sur la montagne.
28. Jésus sur sa montagne.
34. Survient une nuée, les disciples ont peur.
35. De la nuée sort une voix : « Voici mon fils bien-aimé ». La voix de la nuée intervenant dans cet épisode est celle qui prononça les mêmes paroles lors du baptême d’eau donné par Jean-Baptiste selon les synoptiques.
Deuxième épisode : la transfiguration proprement dite.
Cet épisode n’a rien à voir avec ce qui précède et ce qui suit. Il n’est nécessaire ni à la prière ni à l’apparition de Moïse et d’Élie. Cette transfiguration du Christ ressemble étonnamment à la crémation d’un corps « son visage changea d’apparence comme le soleil, ses vêtements devinrent blancs comme la lumière », précisent Matthieu (17, 3), Marc (9, 3) et Luc (9, 29). Mais on peut aussi voir dans les versets 29 et 34 a, les vestiges d’un récit concernant l’ascension au ciel du christ des gnostiques, dans son vêtement de lumière.
Troisième épisode : Moïse et Élie.
L’apparition de ces deux personnages est due à une interpolation dans les trois synoptiques. Elle comprend, chez Luc, les versets 30 à 33 a. La fin du récit au sujet d’Élie que l’on trouve dans Marc (9, 9-13) et Matthieu (17, 9-13) n’existe pas dans le texte de Luc.
On observera que Luc, au verset 30, ne montre tout d’abord que deux hommes dont il reparlera au verset 32. L’explication de 30 b-31 (« C’étaient Moïse ainsi qu’Élie en pleine gloire qui parlaient de son départ à Jérusalem ») est une glose secondaire. Primitivement les deux personnages n’étaient pas nommés. Il s’agissait de deux anges (Luc 24, 4, et 23) ; Act. 1, 10). Marc et Matthieu ne connaissent pas le verset 31 relatif à Jérusalem.
La 2e Épître de Pierre (1, 17), qui fait allusion à cet épisode, ignore que Moïse et Élie s’y trouvent associés. « Lorsque la gloire pleine de majesté lui transmit une telle parole « celui-ci est mon Fils bien-aimé… cette voix, nous l’avons entendue, elle venait du ciel, nous étions avec lui sur la montagne sainte ».
Si, primitivement, l’Evangelion ne parlait pas de Moïse et d’Élie, l’épisode a peut-être cependant une origine marcionite tardive. Il rappelle que le Christ spirituel a donné congé à Moïse ainsi qu’à Élie, qui n’ont rien eu à répliquer. Il montre que c’est Jésus qu’il faut écouter, non les prophètes juifs. Et Pierre nous est présenté, encore victime de son aveuglement judaïque quand il propose étourdiment de « dresser une tente » (= un autel) aussi bien à Moïse ou Élie, qu’à Jésus (verset 9, 33). La voix du ciel répond à cette proposition absurde, en présentant Jésus comme son Fils bien aimé, en indiquant que c’est le Christ seul qu’il faut écouter, puis en faisant disparaître purement et simplement les prophètes juifs.
Ces observations nous fournissent l’occasion de rappeler que, dans l’évangile de Luc, les mentions d’Élie apparaissent dans des passages interpolés ou ajoutés, notamment en 1, 17 ; 4, 25-26 ; 9, 8 ; 19, 30-33. De même, Moïse est inséré en Luc 5, 14 ; 16, 29-31 et 24,27, alors qu’il est absent des versets parallèles de Marc et Matthieu. L’épisode est suivi en Marc 9,1-9 et Matthieu 17,1-9, d’un commentaire ignoré de Luc, selon lequel Jean-Baptiste s’identifie à Élie.
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Les trois annonces par Jésus lui-même, de sa propre mort (Marc, 8, 31 ; 9, 31 ; 10, 33-34) sont évidemment de fausses prophéties ; c’est-à-dire des phrases introduites après coup, après que les événements ainsi évoqués se sont déjà réalisés, post eventum comme on dit (en latin).
MISSION DES APÔTRES.
Matthieu 9,35-11,1 ; Matthieu 28 : 16-20. Versets ignorés des autres évangélistes. Des dix versets (44-53) de Luc, l’Evangelion n’en connaît que trois (47, 50, 51). Il s’agit d’une construction faite après coup.
Le texte de Marcion ne contient pas les formules de liaison que constituent les versets 44, 45 et 46 de Luc. Or, ces versets sont intéressants à plus d’un titre.
D’une part en montrant qu’ils constituent une addition dans Luc. En effet, après avoir demandé quelque chose à manger (41), Jésus dit : « C’est là ce que je vous annonçais lorsque j’étais parmi vous », ce qui est à la fois inexact et hors du sujet (44).
D’autre part en faisant dire à Jésus (toujours selon Luc seul) « Il faut que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes… ».
Nous avons ici une répétition de ce qu’il disait déjà aux versets 24, 25, 26, 27 « En commençant par Moïse et les prophètes, il interpréta pour eux dans toutes les Écritures ce qui le concernait ». Entre les versets 27 et 44, le passage intercalaire ressemble beaucoup à une pièce rapportée.
Un scribe a voulu, à partir du verset 47, donner aux apôtres une mission qu’il imagina comme venant du Christ lui-même, mais Marcion ne connaissait ni l’allusion à Jérusalem ni la mission confiée aux Onze. Puis Jésus s’élève vers le ciel où il était déjà remonté une première fois.
NDLR. On jugea donc utile après coup de l’en faire descendre encore une fois pour justifier le rôle que l’Église récemment constituée s’était attribué.
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DOCUMENT.
ÉVANGILE DE THOMAS.
Ne doit pas être confondu avec Actes de Thomas, Livre de Thomas ou Évangile de l’enfance selon Thomas.
Découvert en décembre 1945 à Nag Hammadi, en Haute-Égypte, associé dans le même codex à d’autres textes également rédigés en copte, le manuscrit date du IVe siècle, mais a probablement été rédigé sur base d’un original grec dont on a retrouvé des traces dans des papyri d’Oxyrhynque N1 datés du IIIe siècle.
Cet « évangile » pourrait provenir d’un milieu syriaque ou palestinien, rédigé par une série de rédacteurs entre le Ier et le IIe siècle. Certains chercheurs y détectent des éléments présynoptiques. Toutefois, ce point de vue ne fait pas consensus.
Il s’agit d’un recueil de sentences – des logia – qui, selon l’incipit du texte, auraient été prononcées par Jésus et transcrites par « Didyme Jude Thomas », c’est-à-dire l’apôtre Thomas. Ces 114 logia sont ainsi le plus souvent précédés de la mention « Jésus a dit ». Bon nombre ont leur parallèle dans les évangiles selon Matthieu et selon Luc ainsi que, dans une moindre mesure, dans l’évangile selon Marc. Ces parallèles ayant souvent une rédaction et une conclusion différentes de ce que l’on trouve dans les synoptiques. Les fragments que l’on a retrouvés en grec datant du IIe siècle présentant eux-mêmes des différences avec la version copte.
Avant cette découverte on ne connaissait que moins de dix logia de ce texte grâce à des fragments en grec datant de la fin du IIe ou du début du IIIe siècle, notamment ceux retrouvés dans des fouilles à Oxyrhynque N° 3, N° 4.
Il n’y est pas fait mention de la naissance de Jésus, de sa mort ou de sa résurrection. Dans le logion N° 12, les disciples interrogent simplement Jésus, pour savoir qui sera leur chef lorsqu’il les aura quittés. Jésus désigne alors Jacques le Juste.
Le titre original du texte est non pas l’Évangile de Thomas évidemment – expression qui reprend une formulation secondaire figurant à la fin du texte, probablement calqué sur l’intitulé des titres des évangiles canoniques – mais, suivant l’incipit, les paroles secrètes de Jésus retranscrites par Thomas. Certains auteurs ont insisté sur l’aspect ésotérique du texte, et de sa théologie, mais celui-ci est néanmoins à relativiser : le terme « secret » ou « caché » renvoie davantage au caractère mystérieux des paroles de Jésus qu’à une transmission entre initiés. Au-delà de leur sens manifeste, les paroles de Jésus ont un sens plus profond qui ne se révèle qu’au prix d’un effort d’interprétation dont, dans le logion N° 1 qui suit l’incipit, Jésus semble donner la clef herméneutique. La suite du texte insiste sur la nécessité d’approfondir certaines paroles, en répétant à plusieurs reprises : « Que celui qui a des oreilles entende ».
La datation est débattue, car la nature même du texte le rend difficile à dater avec précision : constitué d’un assemblage de citations, son corpus est évidemment plus malléable que les évangiles canoniques les plus connus et, par conséquent, la genèse de sa formation doit être abordée de manière singulière. La question qui se pose est plutôt de savoir quand la compilation a débuté, comment elle s’est poursuivie et quand elle a été arrêtée, si elle l’a été.
La collection de citations est un genre littéraire qui appartient à la première période de l’activité littéraire chrétienne, à rapprocher de la source Q, une collection de proverbes et paraboles utilisées pour la composition des évangiles selon Matthieu et Luc. Le fait que le nom de Jésus ne soit accompagné d’aucun des titres christologiques dont l’apparition est plus tardive est également à prendre en considération.
ÉVANGILE SELON THOMAS.
Voici les paroles cachées que Jésus le Vivant a dites et que Didyme Jude Thomas a retranscrites.
1. Jésus a dit : « Quiconque trouve le sens de ces paroles ne goûtera pas la mort. »
2. Jésus a dit : « Celui qui cherche ne devrait pas s’arrêter de chercher avant d’avoir trouvé. Et quand il trouvera, il sera surpris. Et après avoir été surpris, il sera stupéfait. Et il régnera sur le Tout. »
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3. Jésus a dit : « Si ceux qui vous dirigent vous disent : « Regardez, le royaume (du Père) est dans le ciel », alors les oiseaux vous précéderont. S’ils vous disent : « Il est dans la mer », alors les poissons vous précéderont. Au contraire, le royaume (du Père) est au-dedans de vous et au-dehors de vous. » « Lorsque vous vous connaîtrez vous-mêmes, alors vous serez connus, et vous réaliserez que vous êtes les enfants du Père vivant. Mais si vous n’arrivez pas à vous connaître vous-mêmes, alors vous existez dans la pauvreté et vous êtes la pauvreté. »
4. Jésus a dit : « L’homme dans ses vieux jours n’hésitera pas à interroger un enfant de sept jours sur le sens de la vie, et il vivra. Car beaucoup qui sont premiers deviendront derniers, et ils ne formeront qu’un. »
5. Jésus a dit : « Apprends à connaître ce qui est en face de toi et ce qui t’est caché te deviendra clair. Car il n’est rien de caché qui ne sera manifesté. »
6. Ses disciples l’ont interrogé, et lui ont dit : « Veux-tu que nous jeûnions ? Et de quelle manière devrions-nous prier et donner l’aumône ? Et quel régime alimentaire devrions-nous suivre ? »
Jésus a dit : « Ne mentez pas. Et ne faites pas ce que vous haïssez. Car tout est dévoilé face à la vérité. Car il n’est rien de caché qui ne sera pas révélé. Et il n’y a rien de dissimulé qui ne sera pas divulgué. »
7. Jésus a dit : « Heureux est le lion qu’un homme mangera et le lion deviendra humain. Et anathème est la personne que le lion mangera et le lion deviendra humain. »
8. Et il a dit : « L’être humain est comme un pêcheur intelligent, qui a jeté son filet à la mer et l’a retiré de la mer rempli de petits poissons. Parmi eux, le pêcheur intelligent a trouvé un grand, beau poisson. Il a rejeté le menu fretin à la mer, et a choisi le grand poisson sans problème. Que celui qui a des oreilles entende ».
9. Jésus a dit : « Écoutez, un semeur est sorti. Il a rempli sa main de semences, et les a semées à la volée. Certaines sont tombées sur le chemin, et les oiseaux sont venus et les ont picorées. D’autres sont tombées sur la pierre, et n’ont pas pris racine dans le sol, et elles n’ont pas produit d’épi. Et d’autres sont tombées parmi les épines, elles étouffèrent les semences, et le ver les mangea. Et d’autres sont tombées sur de la bonne terre, et elles ont produit du bon fruit. La récolte a été de soixante par mesure et cent vingt par mesure. »
10. Jésus a dit : « J’ai mis le feu au monde, et voilà que je le protège (le monde) jusqu’à ce qu’il s’enflamme. »
11. Jésus a dit : « Ce ciel passera, et le ciel au-dessus de lui passera. Et les morts ne sont pas vivants, et les vivants ne mourront pas. Lorsque vous mangiez ce qui était mort, vous en faisiez du vivant. Lorsque vous serez dans la lumière, que ferez-vous ? Le jour que vous étiez un, vous êtes devenu deux. Mais quand vous deviendrez deux, que ferez-vous ? »
12. Les disciples ont dit à Jésus : « Nous savons que tu nous quitteras. Qui alors nous dirigera ? »
Jésus leur dit : « D’où que vous veniez, vous devriez vous rendre chez Jacques le Juste, pour qui le ciel et la terre sont nés. »
13. Jésus dit à ses disciples : « Comparez-moi et dites-moi à qui je ressemble. »
Simon Pierre lui dit : « Tu es un messager juste. »
Matthieu lui dit : « Tu es comme un très sage philosophe. »
Thomas lui dit : « Maître, ma bouche ne saurait dire à qui tu ressembles. »
Jésus a dit : « Je ne suis pas ton maître. Car tu as bu et t’es enivré à la source bouillonnante que j’ai partagée. »
Et il le prit, et se retira avec lui, et il lui dit trois mots.
Mais lorsque Thomas est revenu chez ses compagnons, ils lui ont demandé : « Que t’a dit Jésus ? »
Thomas leur répondit : « Si je vous dis une seule des paroles qu’il m’a dites, vous ramasserez des pierres et les jetterez sur moi, et du feu sortira des pierres et vous brûlera. »
14. Jésus leur dit : « Si vous jeûnez, vous allez pêcher contre vous-mêmes. Et si vous priez, vous serez condamnés. Et si vous donnez l’aumône, vous ferez du mal à vos esprits. » « Et si vous allez dans n’importe quel pays et errez ici et là, et s’ils vous reçoivent, alors mangez ce qu’ils mettent devant vous. Guérissez les malades parmi eux. Car ce qui va dans votre bouche ne vous souillera pas. Plutôt, ce qui sortira de votre bouche vous souillera. »
……………………………………
91. Ils lui ont dit : « Dis-nous qui tu es afin que nous puissions croire en toi. »
Il leur a dit : « Vous étudiez l’aspect du ciel et de la terre ; mais celui qui est devant vous, vous ne l’avez pas reconnu, et vous ne savez pas comment tirer parti de cette opportunité. »
92. Jésus a dit : « Cherchez et vous trouverez. Mais les choses que vous m’avez demandées dans le passé, et que je ne vous ai pas dites ce jour-là, je veux maintenant vous les dire, mais vous ne les cherchez pas. »
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93. « Ne donnez pas ce qui est sacré aux chiens, de peur qu’ils ne le jettent dans le fumier. Ne jetez pas de perles aux pourceaux, de peur qu’ils ne les transforment en…… »
94. Jésus [a dit] : « Celui qui cherche trouvera. [À celui qui frappe], on lui ouvrira. »
95.[Jésus a dit :] « Si vous avez de l’argent, ne le prêtez pas à intérêt. Donnez-le plutôt à celui qui ne vous le rendra pas. ».
96. Jésus [a dit] : « Le royaume du Père est comme [une] femme. Elle a pris un peu de levain. [Elle] le cacha dans de la pâte et en fit d’énormes miches de pain. Que celui qui a des oreilles entende ».
97. Jésus dit : « Le royaume du [Père] est comme une femme qui transporte une jarre pleine de farine. Pendant qu’elle marchait sur [le] long chemin, l’anse de la jarre s’est cassée et la farine s’est répandue progressivement [sur] le chemin. Mais elle ne le savait pas ; elle n’avait rien remarqué pendant qu’elle peinait. Quand elle est arrivée chez elle, elle a déposé la jarre sur le sol et l’a trouvée vide. »
98. Jésus a dit : « Le royaume du Père est comme un homme qui voulait tuer un puissant. Il a dégainé l’épée dans sa maison et l’a plantée dans le mur afin de s’assurer que sa main serait assez forte. Alors il a tué le puissant. »
99. Les disciples lui ont dit : « Tes frères et ta mère se tiennent dehors. » Il leur a répondu : « Ceux ici, qui font la volonté de mon Père, ils sont mes frères et ma mère. Ils sont ceux qui entreront le royaume de mon Père. »
100. Ils ont montré à Jésus une pièce d’or et lui ont dit : « Les hommes de César nous demandent de payer des taxes. » Il leur a dit : « Rendez à César les choses qui sont de César. Donnez à Dieu les choses qui sont de Dieu. Et ce qui est à moi, donnez-le-moi. »
101. « Quiconque ne hait pas son [père] et sa mère comme moi, ne pourra pas devenir un de mes [disciples]. Et quiconque n’aime [pas] son [père et] sa mère comme moi ne pourra pas devenir mon disciple. Car ma mère […], mais ma vraie [mère] me donna la vie. »
102. Jésus a dit : « Malheur à eux, les Pharisiens, car ils sont comme le chien dormant dans la mangeoire du bétail, car il ne mange pas ni ne laisse le bétail manger. »
103. Jésus a dit : « Heureux est l’homme qui sait à quel endroit de la maison les voleurs entreront, car il pourra se lever et rassembler son [domaine] et se ceindre les reins avant qu’ils n’entrent. »
104. Ils ont dit à Jésus : « Viens, prions et jeûnons aujourd’hui ! »
Jésus a répondu : « Quel péché ai-je commis, ou en quoi ai-je été vaincu ? Mais quand l’époux sort de la chambre nuptiale, alors jeûnons et prions. »
105. Jésus a dit : « Quiconque ne connaîtra pas [son] père et [sa] mère, on l’appellera fils de prostituée. »
106. Jésus dit : « Lorsque de deux vous ne ferez plus qu’un vous deviendrez les fils d’Adam. Et quand vous direz « Montagne, déplace-toi », elle se déplacera. »
107. Jésus a dit : « Le royaume est comme un berger qui avait cent brebis. L’une d’elles s’est égarée, la plus grande. Il a laissé les quatre-vingt-dix-neuf autres, et il a cherché jusqu’à ce qu’il la trouve. Après avoir peiné, il dit à la brebis : « Je t’aime plus que les quatre-vingt-dix-neuf autres ». »
108. Jésus a dit : « Quiconque boira de ma bouche deviendra comme moi. Moi-même je deviendrai comme lui et ce qui est caché lui sera révélé. »
109. Jésus a dit : « Le royaume est comme un homme qui a un trésor caché dans son champ [dont] il ignore tout. Et [après] qu’il soit mort, il l’a laissé à son fils. Mais le fils ne savait rien du trésor non plus. Il a pris le champ et [l’]a vendu. Et celui qui l’avait acheté vint, et commença à labourer, et [il trouva] le trésor. Il a commencé à prêter de l’argent à intérêt à qui il voulait. »
110. Jésus a dit : « Celui qui a trouvé le monde et est devenu riche devrait renoncer au monde. »
111. Jésus dit : « Les cieux se retireront, et la terre. Et quiconque est vivant du Vivant Unique ne verra pas la mort. » Jésus ne dit-il pas : « Quiconque s’est trouvé lui-même, le monde n’est pas digne de lui ? »
112. Jésus a dit : « Malheur à la chair qui dépend de l’âme. Malheur à l’âme qui dépend de la chair. »
113. Ses disciples lui ont demandé : « Le royaume – quel jour viendra-t-il ? » « Il ne viendra pas suite à notre veille et à notre attente. On ne dira pas : « le voici ! » ou « le voilà ! » En fait le royaume du Père s’est répandu sur terre, et on ne le voit pas. »
[Logion probablement rajouté au recueil primitif à une date ultérieure.]
114. Simon Pierre leur dit : « Que Marie nous quitte, car les femmes ne sont pas dignes de la vie. »
Jésus a répondu : « Écoutez, je l’attirerai pour la rendre mâle, afin qu’elle aussi puisse devenir un esprit mâle vivant, être semblable à vous. Car toute femme qui se fait homme entrera elle-même dans le royaume des cieux. »
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HABILLAGE DES PROPOS SAPIENTIAUX OU LOGIA DES ÉVANGILES.
Certains des plus anciens recueils de matériaux sur Jésus devaient donc consister en recueils de logia mis dans la bouche du Christ.
Les propos sapientiaux viennent de la tradition des « Sagesses » genre Sagesse de Salomon, Sagesse de Jésus Ben Sira, etc., mais il peut s’agir aussi de préceptes tirés de midrashim juifs.
De tels logia ne s’intéressent donc guère à la vie humaine du christ, c’est le moins que l’on puisse dire.
Il peut s’agir aussi, bien entendu, de propos réellement tenus par le Jésus historique ayant vraiment existé, mais on ne pourra jamais en avoir la preuve ; et ce qui importe en l’occurrence, pour cette brève étude sur la mythologie chrétienne, c’est que ces enseignements furent de toute façon mis dans la bouche du messie assimilé au nazoréen Jésus. Ce sont de tels propos de sagesse que reprendront les différents rédacteurs des évangiles, au besoin en les remaniant.
Certains logia ont pu évidemment, être mis en scène et transformés en fables appelées paraboles.
Ce recueil de matériaux circulant librement ici et là devait être assez proche de cet évangile apocryphe de Thomas que nous venons d’examiner brièvement et dont nous rappellerons ici que c’est un regroupement de 114 logia ou fables attribuées à Jésus, parfois dans le cadre d’un bref dialogue avec un disciple, découvert en 1945 à Nag Hammadi (en Haute-Égypte).
La moitié de ces logia ou paroles, environ, figure dans les Évangiles officiels que nous connaissons aujourd’hui, sous une forme proche ou légèrement différente.
Cet apocryphe n’est pas le recueil de matériaux évoqués ci-dessus sous le nom de Source Q et qui a servi à composer les Évangiles canoniques de Matthieu et Luc (l’évangile de Marc étant antérieur), puisque sa rédaction finale semble dater des années 125-130 ; mais il donne une assez bonne idée de ce à quoi il devait ressembler.
Ces matériaux de base circulèrent librement ici ou là, mais surtout dans le courant judéo-chrétien gnostique, et dans le courant pagano-chrétien lui aussi gnostique, jusqu’à Marcion et Tatien.
Lors de la traduction en grec, beaucoup de logia perdirent leur sens initial, ou devinrent difficilement compréhensibles (sémitismes). Ces logia qui étaient attribués à Jésus seront ensuite, au cours du IIe siècle, mêlés à des histoires romancées et organisées en documents à forte connotation de catéchèse : les Proto-Évangiles (comme le protévangile de Jacques).
Au fur et à mesure du passage de l’élitisme essénien ou gnostique des débuts, à l’exotérisme païen gréco-romain qui suivit ; les propos sapientiaux furent en effet mis en scène et cédèrent la place à des anecdotes.
Étant donné qu’il est strictement impossible de faire le tri entre les logia, fables, ou paraboles, qui peuvent appartenir en propre à Jésus, et celles qui ont d’autres auteurs ou sont… anonymes ; nous nous contenterons d’en passer en revue quelques-uns, à titre d’exemple.
Certaines de ces fables, mises dans la bouche de Jésus, ont été évidemment réécrites par les évangélistes.
Un exemple de ces manipulations de textes opérées par les premiers chrétiens, par réécritures successives, nous est fourni par les trois variantes connues de la fable des deux fils.
L’histoire est simple. Matthieu (21, 28 -32). Un père qui a deux fils leur demande successivement d’aller travailler à sa vigne.
Puis Jésus demande à ses interlocuteurs de lui dire lequel des deux fils, selon eux, a bien accompli la volonté du père.
Suivant les versions, le comportement des fils et la réponse faite à Jésus diffèrent.
1. Première version. Codex Bezae.
2. La parabole est ensuite réécrite vers le IIe siècle. Codex vaticanus.
3. Vers le IVe siècle, nouvelle modification du texte, conseillée par Origène et opérée sans doute par son disciple Pamphile.
Autre exemple (le logion originel se trouve en Luc 13,6-9). Un homme avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint y chercher des fruits et n’en trouva pas. Il dit alors au vigneron…
« Voilà trois ans que je viens chercher des fruits sur ce figuier, et je n’en trouve pas. Coupe-le ; pourquoi donc épuise-t-il le sol ? » Mais lui de répondre : « Maître, laisse-le cette année encore, le temps que je creuse tout autour et que j’y mette du fumier. Peut-être donnera-t-il des fruits à l’avenir. Sinon tu le couperas ».
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Ce logion plein de sagesse a été transformé en Marc 11, 12-14, et en Matthieu 21,18-19, en considérations ridicules sur un figuier poussant aux portes de Béthanie ; et tout à fait logiquement dénué de fruits puisque ce n’était pas encore la saison. L’histoire du figuier stérile n’est donc qu’une fable historicisée dans le cadre de la pseudo-biographie du Christ.
Notons au passage que le nouveau Josué y est présenté comme quelqu’un de pas très intelligent. Il était en effet tout à fait normal que ce figuier soit sans fruit à cette époque de l’année dans le récit, puisque ce n’était pas encore la saison. La colère qu’on prête à Jésus est donc vraiment ridicule.
La fable authentique se trouve en Luc 13, 6-9 ainsi que nous l’avons signalé plus haut.
On se demande bien à la suite de quel processus elle a pu se transformer en Marc 11, 12-14, et en Matthieu 21,18-19, en considérations déplacées sur ce malheureux figuier de Béthanie. Cette grosse colère de Jésus contre le figuier stérile qu’il maudit est en tout cas digne d’un enfant qui fait des caprices.
SOYEZ BONS.
L’origine marcionite de ces préceptes de bonté est plus que probable ; Matthieu les a légèrement modifiés tandis que Luc les développait. Certaines retouches sont intéressantes. Ainsi, les versets 6, 32 et 33 de Luc évoquent les pécheurs ; or, Matthieu emploie dans un cas le mot « publicain », dans l’autre le mot « païens ». En 35, les « fils de Dieu » sont judaïsés dans Luc ; ils deviennent des « fils du Très-Haut ». Toutefois, Matthieu remplacera « car il est bon aussi pour les ingrats et les méchants » par « il fait aussi lever son soleil sur les méchants et sur les bons », de manière à substituer le créateur de l’univers de l’Ancien Testament au dieu bon des marcionites.
La bonté réservée aux chrétiens est symbolisée par celle du lait et du miel qu’ils absorbent lors de leur conversion au « marcionisme ».
Les versets 27 b et 35 répètent chacun l’expression « aimez vos ennemis, faites du bien ». Signalent-ils une reprise après insertion ?
Les conseils de charité (versets 27, 28, 31) sont donnés à la deuxième personne du pluriel, les conseils de patience à la deuxième personne du singulier (versets 29, 30). Ces derniers paraissent avoir été ajoutés aux autres. Selon Tertullien, Marcion aurait ajouté après le verset 28 les versets 5, 38 et 39 de Matthieu, que ni Luc ni Marc ne contiennent, c’est-à-dire le rappel de la fameuse maxime juive « œil pour œil, dent pour dent ». Ce qui est peu vraisemblable.
LE RICHE ET LAZARE (Luc 16,19-31).
Luc est le seul évangéliste à rapporter ce célèbre récit. Les personnages et les notions mis en évidence sont essentiellement juifs : Abraham, Lazare, Moïse et les Prophètes, le Shéol, l’abîme infranchissable, la résurrection des morts. L’auteur de ce conte édifiant n’a pas hésité à insérer sa prose révélatrice dans un évangile où elle n’était pas vraiment à sa place ; certains critiques ont observé que la langue de ce passage n’était pas celle de Luc. En 22, il n’est point parlé de l’enterrement du pauvre, mais de son transport par les anges du Royaume céleste auprès d’Abraham qui siège au banquet des heureux élus. Par contre, le riche est enseveli parce qu’il est destiné au séjour des morts, qui se trouve sous terre (Shéol ou Géhenne). En 23, le rédacteur croit que de l’Hadès (il emploie ce mot grec), on aperçoit le lieu où reposent Abraham, Isaac et Jacob, lieu qu’il ne faut pas confondre avec le Royaume des cieux. Notons que l’homme riche n’a commis aucun autre crime que le fait de ne pas avoir partagé ses biens.
Cette critique des riches provient sans doute de certaines sectes judéo-chrétiennes. Au verset 24, on notera que ce n’est pas l’eau vive du 4e Évangile qui est demandée, mais une eau proche de l’endroit où se trouve Abraham. La théologie de ce récit diffère de l’ancienne théologie des Hébreux qui, tout en attribuant aux morts une survie dans le Shéol, ne prévoyait ni récompense ni châtiment. Toutefois, on doit souligner qu’Abraham se trouve au séjour des morts, et non dans le Royaume céleste ; l’homme riche aussi, puisqu’il lui parle. Au verset 30, là où le riche (selon Marcion) dit : « Père », Luc corrige en « Père Abraham ». Le nom de ce patriarche est une addition dans Luc. De même, le verset 31 avec son « Moïse ». Le verset 27 « Je te prie donc, Père, d’envoyer Lazare dans la maison de mon père » reste incompréhensible. D’après Adolf von Harnack, autre spécialiste de Marcion, tout ce passage fut extrait d’un ouvrage antimarcionite intitulé le Dialogue d’Adamantios.
LE PUBLICAIN ZACCHÉE (Luc 19, 1-10).
Ce récit est ignoré de Marc et Matthieu. Le récit primitif a été tellement dénaturé par Luc, qu’il en est devenu absurde, alors que le texte de Marcion est logique et limpide. L’Evangelion ne comportait pas la précision que Zachée était petit et il ne contenait ni l’escalade du sycomore ni la mention
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d’Abraham. Il fut modifié ; on lui ajouta un verset 10 pour faire une place au Fils de l’Homme et l’on relativisa sa charité aussi bien que l’idéal du Christ. Alors qu’il devait sans doute, à titre d’exemple, donner tous ses biens, le correcteur lui en laissa la moitié. Retenons-en que Zachée est présenté comme un riche publicain, non juif, pécheur, que Jésus vient voir en déclarant que le salut est entré dans sa maison. Or Zachée (selon Épiphane, Haer. 37,1) était le nom d’une secte gnostique. Le sycomore était un arbre sacré en Égypte ; les âmes venaient se placer sur ses branches. Monter sur un sycomore signifiait donc que l’on se détachait des choses de ce monde.
LA PARABOLE DES MINES (Luc 19, 11-27, Matthieu 25, 14-30).
Un des logia les plus ambigus. Certains commentateurs pensent qu’il s’agit d’un vestige de la vie du véritable Jésus, qui n’aurait été qu’un agitateur juif parmi tant d’autres, en lutte contre les Romains.
Marc ne connaît pas ce récit ; Matthieu le donne sous une forme quelconque peu différente. Marcion ignore les versets 14, 22, 23, 25, 27, 28-48.
« Celui qui est fidèle pour une petite chose est fidèle aussi pour une grande », telle est l’idée du verset 17. Elle n’est pas nécessairement exacte d’ailleurs.
Luc parle de mines, Matthieu (25, 14) de talents. Le récit est paradoxal. Cette âpreté du maître qui veut faire fructifier son argent est contraire au conseil de pauvreté ou d’abandon des biens matériels ; ce n’est certainement pas le dieu bon de Marcion qui a inspiré ce passage ni – non plus – le verset 27 de Luc, où Jésus veut faire égorger en sa présence ses ennemis, verset qui n’a aucune relation avec l’histoire des mines. On voit ici à l’œuvre un correcteur fanatique et violent.
Dans sa conception primitive, le récit devait se rapprocher de celui que l’on trouve en Luc 16, 1-10, mais un correcteur résolu a voulu identifier le maître des serviteurs à un prétendant royal décidé à conquérir un trône terrestre par la force. En conséquence, il a surchargé le premier récit du verset 14 « Ses concitoyens le haïssaient » ; ajouté au verset 15 la précision « ayant reçu la royauté », affirmé au verset 27 qu’il voulait tuer les « ennemis qui ne voulaient pas l’avoir pour roi », rappelé en 28 qu’il « marchait en tête d’un cortège en route pour Jérusalem » ; enfin (en 45), qu’il entra dans le temple de cette ville où il provoqua des troubles graves. On comprend alors les prêtres lui demandant de quel droit il agissait ainsi et leur désir de se débarrasser de lui.
On observera que le verset de Luc 19, 47 b (« les grands prêtres et les scribes cherchaient à le faire périr ») est reproduit textuellement en 22, 2 ; ne serait-ce pas la marque de l’interpolation ? S’il ne constitue pas un ultime vestige de l’engagement politique du vrai Jésus en tant que messie prétendant au trône du roi David ; ce passage de Luc peut très bien aussi évoquer un épisode historique analogue à la révolte de Bar-Kochba en 132. Un scribe zélote a glissé son prétendant messianique dans un récit de Luc.
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RESTE DU TEXTE.
JÉSUS EST REJETÉ DE NAZARETH (OU NAZARA ?) : Luc 4,16-30.
Constatons tout d’abord que notre texte dit « Nazara » et non « Nazareth ». Nazareth a été rajouté (avec le titre, qui n’est pas d’origine, première manipulation des esprits opérée par le christianisme).
On sait que Jésus déclarait n’avoir pas d’endroit où reposer sa tête (Matthieu 8, 20). Pour les gnostiques en effet il n’en avait pas besoin, puisque son corps était « spirituel, fantomatique » et n’avait d’homme que l’apparence.
Le village de Nazareth a donc été inséré dans un texte qui ne le comportait pas à l’origine, pour la raison que l’on connaît (erreur sur la signification du terme « nazoréen »). Le fait est confirmé indirectement par les passages synoptiques parallèles à Luc 4, 16. Ni Marc 6, 1, ni Matthieu 13, 53, ne font allusion à cette bourgade, ils disent que Jésus vint dans son propre pays. Pour le 4e Évangile, c’est à Capharnaüm que descendit Jésus. En maint endroit des synoptiques, Jésus se retire sur « sa » montagne et y passe même ses nuits. L’homme Jésus, différent de l’ange Christ, savait donc où « reposer sa tête ». On retiendra en outre que la mention de Nazareth se trouve presque exclusivement dans les textes préliminaires des évangiles ; c’est-à-dire dans ceux qui, par la suite, furent placés avant le début des textes primitifs, soit avant Luc 4, 31, Marc 1, 21, Matthieu 4/23. Dans le texte le plus ancien (celui qui commence à ces versets), les citations de Nazareth ne sont jamais attestées au même verset par les trois synoptiques ; et elles ne le sont qu’une ou deux fois, à un même verset, par deux de ces évangiles.
Il semble donc bien que « Nazaréen » soit un état premier ou un qualificatif du personnage Christ, et que la ville de Nazareth ait été inventée pour expliquer ce terme dont on avait oublié le sens (nazir), ou dont on voulait cacher l’origine.
Les judéo-chrétiens ayant remanié la rumeur gnostique originelle, ont par conséquent peut-être remplacé le symbole qu’était Capharnaüm, par le nom de la bourgade où leur Jésus-Christ était censé, selon eux, avoir passé sa jeunesse. L’auteur de ce remaniement a disposé son texte dans un désordre remarquable, par rapport à la suite des versets de Luc. Des quinze versets de Luc (16-30), on n’en retrouve que huit dans Marcion. Par chance, les deux autres synoptiques contiennent ce même épisode (Mc 6, 1-6 a ; Mt 13, 53-58). Une comparaison des textes est donc possible. Or, on s’aperçoit que – contrairement à Marc et à Matthieu – Luc a été surchargé des versets 16 b à 21, 22 b – 23 et 25 à 30.
Marcion ne peut donc pas être accusé d’avoir supprimé les versets 17 à 21. Bien au contraire, son texte s’est vu encombré des versets 23-26 et 28.
L’histoire d’une veuve de Sarepta visitée par Élie n’était d’aucun intérêt pour Marcion ; pas plus que celle de Naaman le Syrien pour Luc au passage correspondant, et qui concernerait plutôt l’épisode du lépreux que nous lisons en 5,12-14. Le récit ajouté de 17-21 a pour but de mettre Jésus en accord avec les écritures juives (Midrash).
La fin de cet épisode est plus intéressante. La façon dont Jésus peut échapper aux gens de son village qui veulent le lapider. Tout se passe dans cette partie du récit comme si Jésus n’avait pas eu de corps matériel et humain (un reste des conceptions christiques de Marcion ?)
La théorie de l’ange envoyé sur terre pour prêcher était alors fort répandue aux débuts du christianisme puisque Origène l’applique même au personnage de Jean-Baptiste (Commentaire sur Jean, Livre II, chapitre 24).
JÉSUS ABSOUT UNE PÉCHERESSE (Luc 7, 36-50).
Cette péricope comporte quinze versets dans Luc et seulement neuf dans Marcion. Ces deux relations sont des variantes des récits de Marc 14, 3-9, de Matthieu 26, 6, et de Jean 12, 1. Le récit est complètement dénaturé dans Luc. Il comporte deux histoires : celle de la prostituée pardonnée, celle de l’onction. La parabole des versets 40 b-44 a appartient à une couche littéraire différente du reste du récit.
Telle qu’elle nous est contée, la scène manque de vraisemblance. L’attitude de ce pharisien qui invite Jésus à sa table et néglige les rites de l’hospitalité, la réprimande de Jésus à son hôte, ne peuvent qu’étonner. Le texte a été remanié parce que le sens profond de l’épisode n’était plus compris. La femme procède à l’onction parce qu’elle aime Jésus, et c’est en fonction de son amour (47 a) et de sa foi (50) qu’elle est pardonnée.…
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Au contraire, dans la parabole des deux débiteurs (40-43), l’amour n’est plus la condition du pardon, mais sa conséquence. Jésus n’est aimé qu’en fonction de la grâce qu’il accorde, ce qui suggère que l’amour de la femme ne vient qu’après le pardon…
Cette antithèse est bien marquée par l’opposition des deux phrases qui constituent le verset 47.
Marcion ne connaît que l’idée de l’amour couronné, il ignore l’interprétation plus matérielle de 40 b-44 a (histoire d’un créancier généreux et de ses débiteurs) et de 47-1, versets qui sont de toute évidence une interpolation dans Luc. Marcion n’admet pas que l’on puisse douter que l’amour soit une réhabilitation du pécheur, et son texte ne contient pas le verset 49 d’après lequel les gens peuvent s’étonner d’une telle rémission des péchés.
En réalité, le fond du récit primitif devait porter sur l’onction du corps de Jésus. Il devait être en rapport direct avec l’épisode concernant Marthe et Marie (Luc 10, 38-42) et celui des femmes au tombeau (Luc 23, 35 à 24, 2). Pour Luc, ce Simon est un pharisien de Samarie, et la femme est « une pécheresse », mais, pour Marc et Matthieu, Simon est un lépreux vivant à Béthanie. Ce récit n’est pas d’origine juive. Alors qu’un Grec ou un Syrien était habitué à associer les femmes à certains rituels, un juif ne l’aurait pas toléré, surtout si la scène se déroulait chez un lépreux.
Si l’on consulte les autres évangélistes, on s’aperçoit que – dans le déroulé des événements – cet épisode devrait se placer dans le texte beaucoup plus loin. Le récit décrit la scène de l’onction du corps de Jésus en vue de sa résurrection. La femme pleure parce que c’est un mort qu’elle baptise, et c’est le dieu rituellement mort, mais éternellement vivant, qui lui parle. Matthieu (26,12) fait dire à Jésus : « Elle a répandu ce parfum sur mon corps pour m’ensevelir ». Ce que confirme Marc en 14, 8. Il s’agit probablement du vestige païen d’un mythe de la résurrection. Saint Paul connaissait bien aussi lui-même un baptême des morts (1 Corinthiens 15:29). La scène est mystique, rituelle. Les évangélistes ont voulu « l’historiciser ». On peut, dans nos textes, suivre cette transformation progressive d’un mythe en récit historique. Luc ne donne ni le nom de la localité, ni celui de la femme qu’il désigne simplement comme une pécheresse, mot qui signifie peut-être « païenne » ou « gnostique ». La femme représente donc peut-être une secte religieuse.
Or, Marc (14) et Jean (12) croient pouvoir préciser que la scène se passe à Béthanie, dans la maison de Simon dit le « lépreux », sans doute parce qu’il appartient à une secte « hérétique ». Enfin, le 4e évangile est à même de nous livrer le nom de la femme : elle s’appelle Marie.
Ne peut-on apercevoir dans cet épisode le rappel du sacerdoce confié à une prophétesse, par exemple montaniste, qui pratiquait un rite que les chrétiens ayant procédé à ces remaniements ne comprenaient plus, ou n’admettaient plus ?
LE TITRE DE MAÎTRE (Matthieu 23, 8-10).
Ces versets sont attribués à l’Evangelion par Éphrem le Syrien. Ils ne figurent ni dans Luc ni dans Marc. Seul, Matthieu les connaît. Toutefois, Matthieu a substitué au premier « maître » du verset 8, le mot « rabbi ». On lit que les chrétiens ne doivent donner, en ce monde, le titre de Maître ou de Père, à personne. Si donc ils appellent le Christ « maître », ne serait-ce pas parce qu’il n’est pas un homme, mais une émanation divine ?
Ce que rapporte Matthieu est tout à fait conforme à ce qu’écrivait Flavius Josèphe dans son Histoire des juifs (Livre 18, ch. 1) au sujet de la secte de Judas de Gamala, qui se refusait à donner à un homme le nom de Seigneur et de Maître.
JÉSUS = DIEU.
Autre exemple de conception ayant échappé aux manipulations ultérieures de style stalinien (retouche de photos) : le nouveau Josué ne s’est jamais dit Dieu lui-même.
En Marc 10,17-18, à un homme qui s’adresse à lui en l’appelant « bon maître » Jésus répond : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? » Personne n’est bon sauf Dieu seul ! »
Ce qui prouve bien qu’il ne s’identifiait pas lui-même à Dieu.
Le passage de Jean 20,28, allant exactement dans le sens contraire, a donc dû être inventé bien après (vers 90 au minimum si ce fut au moment de la rédaction du noyau primitif de cet évangile).
Mais il s’agit là aussi peut-être d’un vestige des conceptions gnostiques sur le dieu bon et supérieur, considéré comme différent du dieu créateur de ce monde selon l’Ancien Testament, par les gnostiques.
Tertullien (Contra Marcionem 3, 2) rapporte que, pour Marcion, la naissance, comme un homme, d’un dieu, eût été chose honteuse. Chrysostome précise que, selon Marcion, Dieu ne pouvait pas s’incarner tout en restant pur. “Dieu, s’il s’incarnait, ne saurait rester pur” (Homélie 23 sur l’épître aux Éphésiens). Le Christ de Marcion n’avait qu’en apparence une forme humaine. On trouve d’ailleurs
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encore des traces de cette conception dans les trois synoptiques : il marche sur l’eau (Mt. 14, 26 ; Mc 6, 49 et Jn 6,19), il apparaît aux disciples après sa mort (Luc 24, 37) et passe à travers les portes fermées. Jérôme nous rapporte que « du temps même des apôtres, alors que le sang du Christ n’était pas encore sec en Judée, on assurait que le corps du Seigneur n’était qu’un fantôme » (Adv. Lucif. 23).
FILS DE DIEU.
Dans l’Ancien Testament, l’expression « fils de Dieu » en hébreu Béné Élohim est aussi, parfois, traduite par le mot « anges » ; par exemple en Genèse 6, Job 1.6 ; 2.1 ; 38.7.
Or bon nombre des premiers chrétiens assimilaient volontiers leur messie à un Messager de Dieu.
Dans son dialogue avec Tryphon (chapitre 126), Justin l’appelle par exemple « Ange du Grand Conseil ».
« Si vous saviez Tryphon quel est celui qui est appelé ange du grand conseil et homme par Ezéchiel, comme le Fils de l’homme par Daniel, petit enfant par Isaïe, Christ et Dieu adorable par David, Christ et pierre par un grand nombre de prophètes, sagesse par Salomon, Joseph, Juda, étoile par Moïse, orient par Zacharie, et, de nouveau par Isaïe Passible, Jacob, Israël, sceptre, fleur, grande pierre angulaire ; oui, dis-je, si vous le connaissiez, vous ne le poursuivriez pas de vos blasphèmes comme vous le faites depuis qu’il est venu, qu’il est né, qu’il a souffert, qu’il est monté aux cieux, lui qui doit revenir un jour. Quels gémissements feront entendre alors vos douze tribus ! Car, si vous aviez l’intelligence de toutes les paroles des prophètes, vous ne pourriez refuser de le connaître comme Dieu et fils du Dieu unique, incréé, inénarrable. N’est-ce pas lui que Moïse fait parler en ces termes quelque part dans l’Exode, etc. »
Et Tertullien lui-même dans sa médiocre polémique avec les gnostiques concèdera que : « Il a, certes, été nommé l’ange du grand conseil de Dieu, c’est-à-dire son ambassadeur, nom qui n’exprime pas ce qu’il est par sa nature, mais ce qu’il fait dans les fonctions de sa charge et en qualité de rédempteur du monde, parce qu’il devait annoncer sur la terre cette profonde pensée et ce grand et incompréhensible dessein du Père éternel sur le salut de l’homme. Mais le nom d’ange qu’il reçoit ne se doit pas entendre comme l’on entend le nom de l’ange Michel ou de l’ange Gabriel, car… Je dirai donc peut-être plutôt que le Fils de Dieu est l’ange, c’est-à-dire l’ambassadeur du Père, que je ne dirai que c’est un ange qui a paru parmi les hommes en la personne du Fils de Dieu. Mais puisqu’il a été dit du Fils de Dieu : « Vous l’avez abaissé un peu au-dessous des anges » comment se peut-il faire qu’étant abaissé au-dessous des anges il en ait pris la nature ? Cet abaissement ne se peut concevoir qu’en ce qu’il est homme, qu’il a une chair et une âme, et qu’il est le Fils de l’homme ; car en tant qu’il est l’esprit de Dieu et la vertu du Très-Haut, il ne peut être estimé inférieur aux anges, parce qu’en cet état il est Dieu et Fils de Dieu. Autant qu’il a été fait inférieur aux anges, portant la nature de l’homme, il ne leur a point été inférieur, de la même distance, portant, comme l’on dit, celle d’un ange, etc. » (Traité de la chair de Jésus-Christ, chapitre 14).
NDLR. Toute cette polémique vient peut-être d’une mauvaise traduction en grec (aggelos) du terme élohim ou malakh qui désigne une sorte de créature céleste influencée par l’idée que les Babyloniens se faisaient des dieux.
FILS DE L’HOMME.
Les premiers chrétiens ayant entendu parler de la rumeur qui circulait à propos de Jésus, ont systématiquement rapproché ses prétentions messianiques du symbole juif gnostique qu’était la notion de fils de l’Homme. Titre emprunté aux gnostiques séthiens, qui se référaient au 3e fils d’Adam et Ève.
Tout en le rapprochant également du thème du serviteur souffrant d’Esaïe.
Dans Esaïe, le Serviteur du Seigneur, ayant dédié son sacrifice aux hommes, s’élève dans la lumière céleste où il siège à la droite de Dieu.
Or Messie et fils de l’Homme sont deux choses très différentes, car si le fils de l’Homme devait effectivement, selon les Écritures juives, être trahi et assassiné, ce n’était nullement le cas du messie qui, lui, devait triompher.
Ce personnage se trouve, soit dans des passages communs aux trois synoptiques, soit à deux seulement d’entre eux, soit dans des versets propres à un seul.
Mc 2,10, Mt 9, 6, Luc 5, 24.
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Dans ce verset, la mention du Fils de l’Homme fait partie de la guérison du paralytique, avec laquelle elle n’a aucun rapport. Elle constitue donc une interpolation avec reprise sur les mots « Lève-toi ». Ce Fils de l’Homme est ici un être à la fois céleste et terrestre.
Mc 2, 29, Mt 12, 8, Luc 6, 5.
Simple glose explicative ; le personnage est ici un homme tout simplement.
Mc 8, 38, Mt 16, 27, Luc 9, 26.
Insertion sans autre utilité que d’annoncer un Fils de l’Homme céleste et futur, donc différent de l’homme Jésus. Dans un passage parallèle Mt 10, 23, et Luc 12, 9, il n’est question que de Jésus.
Mc 9, 31, Mt 17, 22-23, Luc 9, 44.
Les circonstances ne sont pas les mêmes chez nos trois synoptiques. Luc ne dit pas que Jésus faisait route à travers la Galilée ni que le Fils de l’Homme serait mis à mort et ressusciterait. En revanche, il précise que les disciples ne comprirent rien aux paroles de leur Maître. Marc le sait également, mais Matthieu l’ignore. Ce verset a pour but de prédire une « passion » jusque-là inconnue, du Fils de l’Homme.
Mc 10, 33, Mt 20, 18, Luc 18,31.
Le texte n’est pas le même dans les trois synoptiques. Luc ne dit pas tout d’abord que la scène a lieu sur le chemin de Jérusalem, mais il est seul à prétendre que les Prophètes ont annoncé le Fils de l’Homme. Bien plus, là où les deux autres prévoient que ce personnage sera livré aux grands prêtres et aux scribes, Luc le voit livré aux païens. Il répète que les disciples ne comprennent pas Jésus, précision qui manque en Marc et en Matthieu. Mc 13, 26, Mt 24, 30, Luc 21, 27.
Textes différents, mais, de toute manière, le Fils de l’Homme est ici un être céleste.
Mc 14, 21, Mt 26, 24, Luc 22, 22.
L’interpolation s’aperçoit surtout en Matthieu. Chez Luc, elle est décalée de sept versets. En tout cas, Jésus est confondu avec le Fils de l’Homme. Ce qu’il y a de curieux, dans ces additions, c’est que leurs divers auteurs n’en ont pas la même conception. Observons d’autre part que Jésus ne dit jamais qu’il est le Fils de l’Homme. Il parle toujours de celui-ci à la troisième personne. En outre, personne – s’adressant à lui – ne lui donne ce titre.
Mc 9, 9, 12 ; 10, 45 ; 14, 21b, 41 b.
Ces versets ajoutés au manuscrit de Marc qu’utilisait Matthieu ne figuraient probablement pas dans le manuscrit de Marc que possédait Luc. Celui-ci n’avait aucune raison de ne pas les reproduire.
Mt 8, 31.
Par contre, Matthieu ne lisait pas dans son manuscrit de Marc ce verset que Luc a reproduit en 9, 22.
Pour les mentions communes à Matthieu et à Luc – donc ignorées de Marc –, nous citerons simplement Luc.
En Luc 7, 34, l’addition ne se relie pas du tout à ce qui précède, et nous apprend que le Fils de l’Homme est déjà venu. En 9, 58, l’insertion coupe le sens du texte. Le verset 11, 30 s’intercale dans un passage confus qui vise Jonas en 29 et en 32. Le verset 12, 10 a fait partie d’un discours sur les oiseaux qui s’interrompt en 8, et continue en 22. Le passage 12, 40 interrompt le fil de la pensée exprimée, et se trouve démenti par le verset 41.
Nous laisserons de côté les neuf mentions du « Fils de l’Homme » que Matthieu possède en exclusivité, de même que les huit allusions que Luc est le seul à faire à ce sujet. Dans les deux cas, l’évangile de Marc, qui est le plus ancien, plaide contre ces passages qui lui sont postérieurs.
LA VENUE DU FILS DE L’HOMME (Luc 21, 5-34).
Tout ce passage est un conglomérat de prédictions et de recommandations diverses.
Marc et Matthieu ne donnent pas les versets correspondant aux versets 11 b, 12, 15, 18-20, 22, 24, 26, 28, 34-36 de Luc. Par contre, ils contiennent des versets qui ne sont pas dans Luc.
Dans le texte de Luc, le passage qui va de 12 b à 17 apparaît comme une insertion avec reprise sur les mots « à cause de mon nom ». Ce récit de menaces et persécutions est en contradiction avec le verset 18 de Luc. Ce n’est pas Marcion – ni Marc, ni Matthieu, – qui a raccourci Luc, c’est Luc qui a été considérablement amplifié. Marc et Matthieu l’ont été également, mais d’une autre manière. C’est ainsi qu’ils font discourir Jésus sur le mont des Oliviers, précision ignorée de Luc et de Marcion.
En réalité, le texte primitif – si diversement corrigé – ne devait mentionner ni le mont des Oliviers ; ni Pierre, Jacques, Jean, André, ni le verset 10 emprunté à Esaïe 19, 2, ni l’imposition des mains du verset 12, ni la Jérusalem encerclée, ni les versets 22, 24, 25 b, 26, ni le Fils de l’Homme, qui fait double emploi avec le Christ, ni le verset 28 ; ni la parabole de 29-30 qui interrompt le récit et trouve sa place ailleurs, ni le verset 35. Le texte d’origine supposait en outre des faits que Luc n’a pas reproduits, notamment l’évangile prêché au préalable à toutes les nations païennes (Marc 13, 10). Ce qui était gênant pour le réviseur judéo-chrétien, car cela plaçait logiquement cette parole de Jésus après la prédication de Paul, ainsi que l’indiquent les écritures clémentines.
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La longueur même du développement, sa mentalité juive, sa tendance à dater les événements aux environs d’une chute de Jérusalem, son esprit apocalyptique et nationaliste, tout cela plaide en faveur d’un remaniement judaïsant et tardif.
Notons cependant, au sujet du verset 21, 29, que dans le système docète, Dieu est la semence du figuier qui contient d’immenses potentialités ; la tige, les feuilles et les fruits, sont le symbole des trois éons qui seront les principes du développement de l’univers (Hipp. Réf., VI. 9). Cette doctrine se retrouve dans les systèmes de Simon, des naassènes, des pérates, des ophites, des séthiens. Le correcteur de Marcion a ajouté au verset 29 « tous les arbres », pour dissimuler l’importance de ce figuier pas très catholique.
SATAN.
Selon Marc 1,13, Jésus est tenté par « Satan ». D’après Mt 4,1 et Luc 4, 2, le tentateur est le « diable ». Cette différence de vocabulaire doit marquer une différence de rédacteur. La scène tient en un verset dans Marc, elle se développe en 10 versets dans Mt et en 12 dans Luc. Marcion ignore ce récit.
En Marc 3, 23-26, « Satan » est cité trois fois ; Mt 12, 26 ne le nomme que deux fois, Luc 11,18 une fois, comme Marcion.
Marc 4,15 mentionne « Satan » ; le parallèle de Mt 13, 19 porte « le Mauvais » ; Luc 8, 11 remplace ce mot par « diable » ; Marcion l’ignore.
On lit dans Mt 4, 10 « Retire-toi Satan ». Marc n’a pas de verset correspondant. Luc 4, 8 mentionne le diable, mais ne connaît pas cette exclamation provoquée par Satan. Matthieu lui-même avait parlé précédemment du diable, non de Satan.
Selon Mt 16, 23, Jésus aurait traité Pierre de Satan ; si Mc 8, 33 contient cet épisode, Luc ne le donne pas ni Marcion non plus.
Luc 10, 18 parle de Satan qui tombe du ciel ; les autres synoptiques, ainsi que Marcion, ignorent ce passage.
En 13, 16, Luc est encore le seul à prétendre que Satan « a lié voici dix-huit ans une fille d’Abraham ». Ce passage, absent des autres synoptiques, a cependant forcé l’entrée de l’Evangelion de Marcion.
Luc 22, 3 nous informe aussi que Satan pénétra dans Judas et que, par lui, Simon sera « criblé comme le froment » (22, 31). Les deux autres synoptiques et Marcion ne connaissent pas ces versets, qui sont des interpolations dans Luc.
Un rapprochement s’impose avec l’Évangile de Jean, qui ne contient en 13, 27 qu’un Satan, mais ce Satan est remarquable. Il entre dans Judas grâce à la bouchée de pain que lui donne Jésus. Luc confirme donc le fait, mais il se garde bien de dire que Jésus est responsable de cette possession de Judas par le diable. Marcion et les autres synoptiques ignorent ce fait qui est cependant extraordinaire.
L’ÉVANGILE DURERA TOUJOURS (Luc 16,16 et 17).
Nous avons ici un bel exemple de l’acharnement avec lequel les scribes judéo-chrétiens ont manipulé le texte de l’Evangélion primitif. Le verset 16 annonce que Jean-Baptiste a marqué la fin du règne de la Loi et des Prophètes, et que c’est ensuite seulement que le Royaume de Dieu a été annoncé. Certains ont même voulu se l’approprier par la violence (parallèle en Matthieu 11, 13-12). Le rédacteur initial de l’évangelion (Marcion ?) devait donc fort logiquement écrire au verset suivant : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas ». Prédiction que répéteront Marc (13, 31), Matthieu (24, 35) et même Luc en 21, 33.
Or un correcteur judéo-chrétien a remplacé le verset 17 de Luc et le verset 5, 18 de Matthieu, par une affirmation contraire, totalement incompatible avec le verset 16. « Il est plus facile au ciel et la terre de passer qu’à un seul trait de la Loi de tomber ». L’Écriture de Dieu qui devait durer, ce n’était plus l’Évangile du Christ, c’était la Loi juive. Staline n’a pas fait mieux en faisant éliminer de certaines photos les adversaires politiques dont il ne voulait plus que l’on parle.
LA LOI RELIGIEUSE JUIVE ET LES PROPHÈTES.
Le christ de Marcion était « venu pour abolir la Loi et les Prophètes ». On comprend alors pourquoi « tous étaient stupéfaits de son enseignement » (Luc 4, 32). Il y avait de quoi ! En Marc et Luc, ce passage très gênant a donc été supprimé, mais l’étonnement de l’auditoire a été conservé, il est en revanche expliqué par l’autorité avec laquelle parlait Jésus, ce qui n’est pas une justification très crédible.
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On peut objecter que Marc et Luc n’ont pas connu ce passage de Marcion, et que cette partie du verset 31 a été ajoutée par un disciple. Toutefois, il semble bien que Luc l’ait connue, car il exprimait la même idée avec des mots moins agressifs en 16,16 : « Jusqu’à Jean, ce furent la Loi et les Prophètes ; depuis lors, c’est l’évangile du Royaume de Dieu qui est prêché… » Mais, même sous cette forme modérée, la vérité n’était pas bonne à dire ; et un correcteur judaïsant l’atténua en ajoutant le verset 17 : « cependant il est plus facile au ciel et à la terre de passer qu’à un seul trait de la Loi de tomber ».
Matthieu (11,13) connaissait également les paroles de Marcion, et répondait, lui aussi, que pas un seul trait ou iota de la Loi ne tomberait (5,18). Il prenait le contre-pied de l’affirmation marcionite en osant faire déclarer par le Christ : « N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi et les Prophètes ; je ne suis pas venu l’abolir, mais l’accomplir ». Or, non seulement les paroles de Marcion sont antérieures à leur dénégation par ses adversaires, mais ceux-ci, pour les combattre, n’ont pas hésité à falsifier une sentence de Jésus qui disait le contraire ; « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas ». Cette phrase se trouve en Marc 13, 31, Luc 21, 33 et dans Matthieu lui-même (24, 35).
Les trois lignes de Marcion sur l’abolition de la Loi et des Prophètes ont été supprimées par des copistes ultérieurs.
Adamantios (11, 15) l’affirmait au IVe siècle dans les termes suivants : les judaïsants ont écrit, « Je ne suis pas venu abroger la Loi, mais l’accomplir » – alors que le Christ ne pouvait en aucune façon avoir dit cela. Il a dit : « Je ne suis pas venu accomplir la Loi, mais l’abolir ».
Les propos du genre : « N’allez pas croire que je suis venu abolir la Loi ou les Prophètes, je ne suis pas venu l’abolir, mais l’accomplir » (Matthieu 5, 17) ; ont été insérés dans le texte primitif, uniquement pour contrer Marcion et son courant.
Leur contradiction intrinsèque n’en demeure pas moins, qu’est-ce que cela peut bien signifier, concrètement ? On croirait entendre un intellectuel ou journaliste français du clan au pouvoir. D’où, dans les évangiles actuels, des explications embarrassées EN BAS DE PAGE du genre : cela veut dire : « Non pas exécuter toute la loi ancienne en son détail, mais la parfaire en la renouvelant ». Une subtilité qui peut justifier n’importe quoi comme en politique.
LE BAPTÊME.
Les premiers baptêmes chrétiens étaient tout simples et destinés à purifier le pécheur dans de l’eau, à l’instar de celui de Jean-Baptiste ou des esséniens. Le baptême chrétien, proposé à tous ceux qui reconnaissaient Jésus comme le Messie, est bien évidemment la continuation de celui que Jean (le Baptiste) dispensait au gué de Bethabarra (à Aenon selon l’évangéliste). Il s’agissait non d’un acte magique unique genre sacrement du baptême des nouveau-nés, mais d’un simple rite de purification renouvelable à l’infini.
Bien que respectueux de la Loi mosaïque à l’origine, les premiers chrétiens ont, semblent-ils, en effet, ajouté assez tôt le baptême à la circoncision. Des textes judéo-chrétiens, repris dans la Didaché, parlent même de la « circoncision du cœur », mais différents ajouts ultérieurs en modifièrent le sens.
Paul baptisa au nom du Fils et du Saint-Esprit, et par imposition des mains. « Apollos, un juif originaire d’Alexandrie, était arrivé à Éphèse. Il était éloquent, grand connaisseur des Écritures, initié dans la voie du Seigneur. D’esprit bouillant, il parlait de Jésus et enseignait avec justesse à son propos, bien que connaissant seulement le baptême de Jean… Paul a dit… et ils l’ont écouté puis ont été baptisés au nom du Seigneur Jésus. Paul posait les mains sur eux et le Saint-Esprit venait sur eux ». (Actes des Apôtres. 18, 24 à 19). Pratique également attribuée à Jean et à Pierre, par le rédacteur des Actes, lors du baptême de Simon le Magicien (Actes 8, 16).
Le compromis trouvé à la fin du IIe siècle entre ces deux conceptions du baptême conserva dans les Évangiles le rituel de l’immersion dans l’eau de Jean-Baptiste, mais l’expliqua par la descente de l’Esprit (appelé pneuma en grec). D’où les ajouts dans le récit du baptême de Jésus par Jean, de l’épisode de la colombe symbolisant l’Esprit saint descendant sur lui, et de la propre voix de Dieu proclamant du haut des cieux : « Tu es mon fils bien-aimé » (Luc 3, 22-23). Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir, Marcus J. Borg, lui, pense que le nouveau Josué eut réellement une vision ce jour-là, mais ce qui est certain, c’est que cet épisode fut interprété dans une optique adoptianiste. Jésus n’avait été jusque-là qu’un homme ordinaire, que Dieu adoptait désormais comme fils, et qu’il dotait de la puissance divine (ce qui allait très bien avec les conceptions gnostiques de beaucoup des chrétiens de l’époque). Il s’agit là sans doute d’une des raisons pour laquelle les auteurs de la rédaction finale de nos modernes évangiles selon saint Luc, et saint Matthieu ; ajoutèrent plus tard à la version de saint Marc : un récit d’enfance (destiné à faire croire, plus clairement, que Jésus fut bien fils de Dieu dès sa conception).
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LE BAPTÊME DES MORTS. Il a existé aussi un baptême pour la résurrection des morts dont parle saint Paul (1 Cor. 15, 26-29) et que pratiquaient les marcionites ainsi que les mandéens. Luc fait peut-être allusion à ce type de baptême en 12, 49-50.
LE CHRIST PREND POUR DISCIPLE UN PÉCHEUR (Luc 5, 27-32).
Ce pécheur, un agent des douanes (profession haïe de la population) s’appelle Lévi, fils d’Alphée selon Marc (2, 14), simplement Lévi, selon Luc et Marcion, mais il se nomme Matthieu dans l’Évangile de Matthieu (9, 9). S’agit-il du même homme qui aurait porté deux noms ? Marc (3, 18) mentionne, dans sa liste des Douze, Matthieu et non pas Lévi. L’épisode a-t-il quelque consistance ?
Selon Matthieu (9,10) et Marc (2,15), le repas en question a lieu chez Jésus (qui aurait donc trouvé enfin à se loger) et à qui tiennent compagnie de nombreux publicains et pécheurs. Par contre, d’après Luc, c’est Lévi qui organise chez lui un banquet en l’honneur de Jésus.
Nos textes rapportent que les scribes et les pharisiens se scandalisent de voir Jésus manger ou boire avec les pécheurs ; on ne sait pas d’ailleurs d’où viennent ces protestataires introduits brusquement dans le récit. Jésus répond alors que le médecin ne doit traiter que les malades, réponse qui correspond à l’allusion au médecin déjà rencontrée en Luc 4, 23, là où elle n’est pas à sa place, mais on en devine maintenant la signification.
Quand, en 4, 23, les juifs pensent que Jésus devrait se guérir lui-même, c’est parce qu’ils sont furieux de le voir « convertir » les païens, et agir comme un païen. Expliquons ce passage.
Le dernier verset de Luc 5, 32 montre que Jésus est venu appeler les pécheurs au repentir. Or, Marcion, appuyé par Marc et par Matthieu, ne fait pas d’allusion au repentir. Jésus est venu appeler les hommes, surtout les pécheurs, à suivre sa doctrine, il s’agit d’une conversion. Ce dernier verset éclaire tout l’épisode dont la signification était oubliée ou rejetée du temps des évangélistes.
Il s’agit là de l’eucharistie ou de la Cène primitive des chrétiens, comprise comme un banquet ; elle a lieu soit dans la maison du culte, soit dans celle d’un chrétien non juif, et le Christ divin est censé y présider. Le Christ est en train de convertir les païens, non les juifs.
Il y avait là, nous dit Marcion, une foule de païens et de publicains. Marc et Matthieu disent « de publicains et de pécheurs » ; « Ces pécheurs de païens » précise l’Épître aux Galates 2,15. Les païens sont désignés sous le nom de pécheurs. Contrairement à Marc et Matthieu, Luc ne dit pas que les disciples de Jésus sont là.
La salle de réunion devait être grande pour contenir tout ce monde. Marc est le seul à rapporter la question des scribes sous la forme « pourquoi mange-t-il et boit-il avec les publicains et les pécheurs ? » Matthieu et Luc font poser la question aux disciples « pourquoi mangez-vous et buvez-vous… ? », mais partout la réponse est prêtée à Jésus. Il s’agit du repas mystique présidé par le Seigneur qui appelle à lui les païens et même certains pharisiens (Luc 7, 36 ; 11, 37 ; 14, 1). Les Juifs, mécontents, traitent Jésus de glouton et d’ivrogne (Mt. 11, 19, Luc 7, 34). Même genre de critique placée sous l’autorité de Paul en 1 Corinthiens 11, 21.
Ni Luc ni Marcion ne mentionnent que l’épisode se place au bord de la mer, et que des foules suivent Jésus qui les enseigne ; ces précisions ont été ajoutées en Marc (2,13). C’est seulement dans Luc que Lévi abandonne tout pour suivre Jésus ; il répond d’avance à ce que dira Jésus en Luc 14, 33, mais que les autres synoptiques ignorent.
LA FOI D’UN PAÏEN (Luc 7, 2-10).
Ce récit raconte la guérison par Jésus du serviteur d’un centurion. La scène se passe à Capharnaüm, le verset qui nous l’apprend dans l’évangile de Luc a subsisté en Matthieu 8, 5. Matthieu ignore les versets 3 à 6 de Luc, et nous découvrons ainsi une nouvelle correction judéo-chrétienne du récit de Luc. Un manipulateur de texte a introduit dans un épisode, purement païen, Abraham Isaac et Jacob, pour leur faire jouer un rôle et neutraliser ainsi le verset 9, où le Christ déclare qu’il n’a « pas trouvé une foi aussi grande en Israël ». La critique était d’autant plus grave que l’exemple choisi portait, non pas sur un païen quelconque, mais sur un officier de l’armée romaine. L’épisode enseignait peut-être autre chose, ce qui expliquerait pourquoi il a été tellement bouleversé. Les versets 8-9 constituent une digression inutile. En tout cas, tout se résume en trois versets de Matthieu 8, 5 à 7.
VOICI LE ROYAUME DE DIEU (Luc 17, 20-37).
Aucun parallèle en Marc et en Matthieu. Les versets 21 b-22 constituent une interpolation avec reprise sur les mots « le voici, le voilà » (23). La phrase « le Royaume de Dieu est au-dedans de (ou parmi) vous » (21) ainsi que l’allusion au Fils de l’Homme (22) ne sont pas primitives. Il y a d’ailleurs contradiction. Si la venue du Royaume n’est pas observable, on ne saurait dire que ce Royaume est proche, ni qu’il est en nous-mêmes ou parmi nous, ni qu’il faut y courir ou même (23) ne pas y aller.
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Le jour du Fils de l’Homme est interpolé ; le verset 23 se rattache à 21 a. La recommandation « n’y allez pas » concerne le Royaume-espace, non un jour ou une durée. Le Fils de l’Homme a été substitué au Christ. Comparer à Marc 8, 31 ; 13, 21, et à Matthieu 16, 21, 24, 23. Dans son premier état, le texte ne devait pas parler du Royaume ou du Fils de l’Homme. « Le voici, le voilà » concernait le Christ. On engageait les chrétiens à se méfier des « faux Christs qui feraient des signes et des prodiges pour égarer les élus » (Mc 13, 21-23, Mt 24, 23-25) ; recommandation qui pouvait d’ailleurs viser aussi le faux messie juif Jésus, qui ne cessait de faire des miracles.
Le verset 25 de Luc est considéré comme une interpolation par certains ; il ressemble fort, en effet, à une glose explicative, et nettement tendancieuse, sortie de la même plume que celle qui a inséré le verset 9, 22. Le récit chez Luc est composé au moins de deux tronçons 20-25 et 26-37, qui n’ont rien de commun, et qui sont d’inspiration biblique. On les retrouve en diverses parties de Marc et surtout de Matthieu (24).
D’autre part, il y a contradiction entre les jours de Noé en question et les jours de Loth. Le Fils de l’Homme ne peut à la fois déclencher le déluge et une pluie de feu et de soufre. Il y a contradiction parce que – encore une fois – il y a eu interpolation. La reprise s’aperçoit aux versets 27 et 28 avec le redoublement des mots « On mangeait, on buvait ».
ROYAUME DE DIEU ET GRAIN DE SÉNEVÉ (Luc 13, 18-20).
La parabole du grain de sénevé, primitive dans Marcion, devait revêtir une autre forme ; les synoptiques la lui ont empruntée en la transposant du plan spirituel sur le plan matériel.
La parabole sur le levain ne se retrouve pas dans Marc. L’idée qu’un peu de levain fait lever la pâte, c’est-à-dire que l’on peut modifier le judaïsme, provient sans doute de milieux juifs marginaux. Selon Hippolyte, les naassènes commentaient ainsi cette parabole (Réfutation de toutes les hérésies Livre 5, 4) :
« L’Esprit est là où se trouvent le Père et le Fils né du Père. C’est l’être unique incompréhensible aux multiples noms et aux myriades d’yeux, dont… c’est la parole de Dieu qui révèle la Grande puissance (notion déjà connue du grand philosophe de Samarie Simon). Elle sera donc scellée, cachée et dissimulée, là où demeurent et reposent les éléments constitutifs de l’univers, à savoir les Éons, les Puissances, les Intelligences, les Dieux, les Anges, les Esprits………… le Point Invisible à partir duquel ce qui est infime commence à croître graduellement. Ce qui n’est rien, et qui ne consiste en rien, un point, prend de par son propre pouvoir une ampleur incompréhensible. Voilà le royaume des cieux, le grain de sénevé, le point d’appui indivisible dans le corps ; et personne ne le connaît (ce point) à part les pneumatiques ».
Ce passage qui se trouve dans les synoptiques en trois endroits différents, est emprunté par eux. L’insertion dans Luc est évidente, grâce à la répétition des mêmes mots en 18-19 et en 20.
L’INTENDANT VIGILANT (Luc 12, 41-48).
Le verset 41 de Marcion-Luc ressemble à une addition destinée à faire intervenir Pierre. Celui-ci ne figure pas en Marc 13, 37. Toute cette histoire vient sans doute de l’un des disciples de Marcion qui polémiquait contre les Douze. Il a pensé que les versets précédents pouvaient s’appliquer aux apôtres.
« Est-ce pour nous que tu dis cela ? » demande Pierre au Christ et – pour suggérer à celui-ci une réponse satisfaisante – il ajoute « ou pour tout le monde ? ». Or, le Seigneur répond à Pierre : « Qui est donc l’intendant fidèle et avisé que le Maître a établi (ou établira) sur ses gens ? » Ce qui peut s’entendre : « À qui d’autre qu’à toi, qui te prétends le chef, pourrais-je répondre ? » Et Jésus ne blâme-t-il pas indirectement Pierre quand il exprime une mise en garde envers tout intendant qui, ne voyant pas revenir son Maître, en profiterait pour battre les autres serviteurs de Dieu et pour s’enivrer ? « Celui-là sera excommunié et placé avec les infidèles (46) ». Jésus paraît s’adresser à une secte mal dirigée et intervient pour remettre Pierre sur le droit chemin. De toute façon, la question de Pierre était inutile puisque Marc rapportait (13, 37) : « Ce que je vous dis à vous, je le dis à tous ; veillez » ! Le texte de Marc est antérieur à Luc 41-47, et il n’a pas été harmonisé.
Matthieu 16,18. « Tu es pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon Église ».
Justification a posteriori et en quelque sorte rétroactive du rôle de l’évêque de Rome par rapport aux autres. Cette idée se trouve déjà dans un manuscrit des esséniens où, en parlant de sa communauté, le Maître des Justes dit : « Tu as fondé ma communauté sur un rocher ».
Ce qui a peut-être poussé les premiers auteurs des évangiles à reprendre ce jeu de mots dans leurs textes, c’est que Simon était chauve, et que son crâne ressemblait donc en quelque sorte à un caillou. D’où son surnom de Képhas.
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Cette même version des quatre Évangiles confère également aux successeurs des apôtres des pouvoirs magiques exorbitants et bien commodes, dont même un druide n’aurait pu rêver.
L’Évangile selon Matthieu (16,19) confie en effet à Pierre le pouvoir de lier et de délier.
« Je te donne les clés du royaume des Cieux.
Ce que tu lies sur terre est lié dans les Cieux.
Ce que tu délies sur terre est délié dans les Cieux ».
L’Évangile selon Jean (20, 23) confie le même pouvoir à l’ensemble des disciples.
« Ceux à qui vous remettrez les fautes, elles leur seront remises, ceux à qui vous les retiendrez, elles leur seront retenues ».
Ces deux passages sont évidemment des interpolations : le Jésus historique n’a jamais dit ça.
20 lignes plus loin ledit Simon sera d’ailleurs traité de grand Satan par Jésus lui-même, mais enfin, passons, il ne pouvait pas tout savoir ! Errare humanum est !
En revanche, c’est vraisemblablement pour contrer Montanus, qui prétendait être un nouveau Christ habité par le Saint-Esprit, que les communautés chrétiennes à l’origine de nos actuels Évangiles de Marc (13, 21-23) de Matthieu (24, 23-25) ; ont ajouté au texte original des propos du genre : si l’on vous dit : « Tenez, voici le Christ », ou : « Le voilà », n’en croyez rien ! Il surgira, en effet, des faux Messies et des faux prophètes, qui produiront des signes et des prodiges considérables, capables d’abuser même les élus.
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RESTES DE CONCEPTIONS GNOSTIQUES.
Un certain nombre d’éléments de nos quatre évangiles officiels sont, par contre, tout le contraire. Ils ont échappé à la censure ou à la réécriture ultérieure par les judaïsants, et témoignent toujours des premières conceptions de ceux qui ont mis en forme la rumeur circulant à propos de Jésus.
Il s’agit donc encore de remaniements, mais de remaniements précoces ou de première génération, à la différence de ceux qui ont suivi, et qui ont consisté en une re-judaïsation de cette première littérature orale.
La division en trois de l’humanité comme chez les gnostiques, les matériels (hyliques), les psychiques, les spirituels (pneumatiques), se retrouve dans les versets 9, 57-62 de Luc.
Trois hommes veulent suivre Jésus. Le récit est symbolique, ainsi que nous l’apprend Irénée (apud Epiphane, Haer. 31, 25). Le premier genre d’homme est matériel à en croire la réponse : « Le Fils de l’Homme n’a pas où reposer sa tête » ; le second (passé au troisième rang dans notre texte) est psychique à en croire la réponse « personne regardant en arrière n’est apte au Royaume de Dieu ». Le troisième (second dans notre passage) est spirituel si l’on se fie à la parole « Laisse les morts enterrer leurs morts et pars annoncer le Royaume de Dieu ».
Clément d’Alexandrie nous apprend (Strom. 3/4/25) que c’est à Philippe que Jésus avait dit « Laisse les morts… et suis-moi ». Il s’agirait des trois degrés d’une initiation chrétienne. Mais le récit évangélique lui-même ressemble à un commentaire de sentences séparées prêtées à Jésus. Matthieu (8,19-22) ne connaît que deux sentences et il place l’épisode lors de la traversée du pays des Gadaréniens, tandis que Luc le met en relation avec le départ final pour la Galilée et la mission des 70. Quant à Marc, il ne reproduit pas cet épisode.
Ce passage 57-62 fait partie de l’interpolation qui va de 9,52 à 10,1, la reprise du texte ayant lieu sur les mots « Il envoya devant lui » des messagers ou disciples.
LE RENONCEMENT AU MONDE (Luc 14, 26-33).
L’idée première du récit a été incomprise ou travestie. Marc ignore cet enseignement tandis que Matthieu (10, 37) le présente sous forme modérée : « Qui aime père ou mère plus que moi, n’est pas digne de moi ». Il s’agit d’une renonciation au monde telle que la pratiquent encore de nos jours certains ordres religieux. Cette renonciation est de type gnostique. On peut, par exemple, lire dans la Pistis Sophia ou Livre de la fidèle sagesse (Livre 5, chapitre 138) ces paroles attribuées à Jésus : « Mes frères et mes bien-aimés, qui avez quitté votre père et votre mère à cause de mon nom, je vous donnerai toute connaissance et vous révélerai tous les mystères… »
LES JOURS DE JEÛNE (Luc 5, 33-35).
Ces trois versets constituent un court épisode qui n’a aucun rapport avec ce qui précède et ce qui suit. Il commence et se termine sur des formules de transition (« Ils lui dirent alors… » et « Il leur dit encore… ») qui n’ont pour but que de lier des épisodes qui étaient primitivement séparés.
Nos trois versets devaient faire partie d’un récit beaucoup plus détaillé et très important sur le mariage mystique exigé de certains chrétiens. Mais le manipulateur de Luc a écarté ce récit pour des raisons doctrinales, non sans lui emprunter les versets qui conservaient un logion (une parole) de Jésus.
Pour introduire cette déclaration de Jésus, une question lui est posée par les scribes et les pharisiens. Marc y ajoute (2,18) les disciples de Jean. Matthieu (9,14) ne connaît que les disciples de Jean, à qui il a voulu donner un rôle. Leur présence est insolite dans ce récit, car, quels que soient les questionneurs, il s’agit seulement de savoir pourquoi – alors que les disciples de Jean et ceux des pharisiens jeûnent et prient – ceux de Jésus mangent et boivent. À première vue, la question est étonnante, car, si l’on a lu les Actes des Apôtres (13, 2-3 et 14, 23), on pourrait croire que les premiers chrétiens pratiquaient le jeûne fréquemment.
On remarquera que l’objection adressée à Jésus reçoit de sa part deux réponses contradictoires.
1. « Quand l’époux leur sera enlevé, ils jeûneront », c’est-à-dire que le jeûne aura lieu après la mort de Jésus (verset 34).
2. « On ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres » (verset 37), ce qui signifie que le jeûne est une institution caduque, incompatible avec la nouvelle ère apportée par le Christ.
Ces deux réponses ne viennent pas des mêmes milieux intellectuels ; seule la seconde est marcionite.
Toutefois, la réponse de Jésus fait pressentir un arrière-fond gnostique. « Peut-on faire jeûner des invités à une noce lorsque l’époux est avec eux ? » Ce qui revient à dire : « Peut-on jeûner lors d’un mariage ? »
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Nous apprenons ainsi que c’est à l’occasion d’un mariage que Jésus est questionné.
Cet exemple permet de supposer qu’un épisode de l’évangelion sur le mariage spirituel a été (en grande partie) modifié par un correcteur anonyme ultérieur.
ACTION DE GRÂCE DE JÉSUS (Luc 10, 21-22).
Deux versets n’ayant pas la même origine ont été réunis. Le premier est une Action de grâce, le second un commentaire. En 21, c’est le Père qui révèle ; en 22, c’est le Fils. Marc ignore ces versets que Matthieu reproduit. La comparaison des mots, entre Marcion et Luc, souligne une opposition remarquable des conceptions de l’un et de l’autre. Le premier s’adresse au Seigneur du Ciel, le second au Seigneur du Ciel et de la Terre, c’est-à-dire au Créateur de ce monde raté, et non plus au dieu bon infiniment au-dessus de tout cela. Tertullien (C. M. 4, 25) lisait simplement « Seigneur du Ciel » ; de même Clément d’Alexandrie (Exhort. 1,10 ; Pedag. 1. 5. 20 et 9 ; Strom. 1. 28,178). L’antériorité du texte de Marcion sur celui de Luc est certaine.
ADDENDUM. AUTRES APERÇUS et non des moindres, de la pratique des premiers chrétiens, rétroactivement justifiés par insertion ultérieure dans le texte évangélique d’origine, de diverses anecdotes.
La croix. (Luc 9, 23).
Le verset 23 nous apporte une révélation intéressante. Jésus déclare que, pour devenir son disciple, il faut porter chaque jour une croix. Jésus n’ayant pas encore été à ce moment-là déjà crucifié, et la croix devenue le symbole du christianisme, que penser d’un tel conseil ?
Il ne peut qu’être un ajout au texte primitif afin de justifier le port de la croix en pendentif ou en sautoir.
La phrase rapportée en Matthieu (28,19) « allez donc, de toutes les nations, faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » ; a été rajoutée très tardivement, afin évidemment de légitimer l’ouverture du christianisme aux non-juifs, et afin de contrer la tendance au repli sur soi des judéo-chrétiens de Jérusalem, regroupés autour de Jacques le frère du Seigneur.
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CONCLUSION.
Le texte attribué à Marcion est en grande partie non marcionite. Il a été modifié par des correcteurs judéo-chrétiens. Ce résultat est extrêmement décevant pour tous ceux qui espéraient pouvoir enfin disposer d’un texte provenant du plus grand des disciples de saint Paul. Il en est de même, bien entendu, sur le plan historique. Néanmoins, notre étonnement s’efface quand on se rappelle que les éléments de cette reconstitution ne sont que des citations et des critiques provenant des adversaires de Marcion, qui écrivaient plus d’un demi-siècle après lui. Nous nous apercevons ainsi que ces polémistes ne travaillaient même pas sur un texte authentique de l’évangelion ; ils n’avaient sous les yeux qu’un texte provenant prétendument de Luc, où se trouvaient incorporés des éléments divers, notamment plusieurs péricopes de Matthieu.
Un bon exemple de cette utilisation tendancieuse de renseignements puisés dans l’évangelion est la présence, dans l’évangile de Luc, des versets 3,1 a et 4,31. Qui sont séparés par un long développement que nous avons signalé alors que – primitivement – ils se suivaient pour nous dire : « En l’an 15 du principat de Tibère César, le Christ descendit du Ciel et apparut à Capharnaüm ».
Une autre constatation saute aux yeux. Luc a avoué lui-même qu’il avait arrangé en récit continu, en « exposé suivi », les nombreux récits dont il disposait, ce qui constitue une indication précieuse. Elle suggère, en effet, que l’évangelion de Marcion était composé de petits récits indépendants ou isolés, d’épisodes divers sans lien entre eux. Et c’est bien ce que l’on vérifie quand on lit l’Evangelion. Ce texte peut se diviser en 106 épisodes, le plus souvent indépendants les uns des autres.
Et l’on en arrive irrésistiblement à penser aux fameux oracles du Seigneur, aux logia, qui furent, ici et là, réunis en collections diverses, après avoir été transmis aux initiés de bouche à oreille. C’est ainsi que l’évangile de Thomas – retrouvé dans les sables d’Égypte en 1945 – contient cent dix-huit sentences commençant presque toutes par l’expression « Jésus a dit ». Les évangélistes n’ont d’ailleurs pas connu ou utilisé tous ces logia, qui ne sont qu’une faible partie de l’immense littérature qui existait aux premiers temps du christianisme.
L’évangile primitif, c’était la bonne nouvelle du salut apporté au peuple de Dieu ; elle était enseignée par le Christ et fut d’abord confiée en secret, ensuite prêchée en public. On composa ensuite des collections de ces sentences du « Seigneur » et il semble bien que l’évangelion de Marcion ait lui aussi appartenu à ce genre de recueils.
Après lui, des scribes comme Luc entourèrent chaque logion d’un cadre historique ; et chaque déclaration du Christ devenu Jésus donna naissance à un épisode. Ensuite, les rédacteurs ou les copistes rassemblèrent ces épisodes et, grâce à des formules de liaison, en firent une histoire continue qui n’avait plus rien de la « bonne nouvelle » annoncée par son titre grec.
Les équipes ayant composé les quatre Évangiles ; ont également inséré a posteriori, au gré des polémiques ou des controverses, et des dizaines d’années après, dans le noyau primitif des quatre évangiles, les principes qui ont présidé à la naissance et au devenir du futur courant chrétien officiel ; et ce processus d’ajout ou de remaniement a duré au moins jusqu’au IVe siècle.
De nombreux passages des quatre Évangiles ne sont que des gloses initialement marginales, mais ayant fini par être incorporées volontairement, ou par erreur, dans le corps même du texte (interpolation). Exemple le début de l’évangile « Selon Luc », la fin du « Selon Marc » (16, 9-20). Ils ne figurent pas en effet dans le codex vaticanus.
C’est ainsi que les légendes d’origine (au sens strict de « texte comportant un fond de vérité ») s’enrichiront aussi, petit à petit, de prises de position destinées à faire pièce aux courants marcionite et montaniste. Ces mises au point diverses, rajoutées au cours des années, dans le corps même des textes en circulation, prendront la forme de détails anecdotiques et à caractère biographique, ou de mises en garde (contre les faux prophètes par exemple).
Lorsque l’ange christ (aggelos christos) des gnostiques originels, fut assimilé au Jésus que l’on connaît (voir Épître aux Hébreux), après avoir été assimilé à Jean-Baptiste par Origène (Commentaire sur Jean, Livre II, chapitre 24) on mit aussi dans la bouche du Maître, ou Messie, les préceptes et les paroles justifiant les règles de vie des communautés ; afin de les fonder sur un argument d’autorité, et de trancher les problèmes qui divisaient les Églises.
Plusieurs de ces logia tentent en effet visiblement de répondre aux questions qui se posaient aux premiers chrétiens.
La pénitence, la fin des sacrifices prescrits par le rituel juif, l’antijudaïsme ou l’antisémitisme, l’adultère, le pardon de la femme adultère, le statut de la femme, l’ascétisme et la chasteté ; la voie du salut et
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les règles à suivre pour y accéder, etc. Mais certains ajouts à la rumeur initiale (celle qui circulait en Judée ou dans la Diaspora à propos du nazoréen nommé Jésus… c’est peut-être lui le messie, cet homme faisait des miracles et ainsi de suite) sont sans doute déjà dus à Marcion en personne.
Luc 23, 29 « Heureuses les femmes stériles, heureuses les entrailles qui n’ont pas enfanté, les seins qui n’ont pas nourri ! ». Ce genre d’appréciation est en effet typiquement marcionite.
D’autres éléments ont en effet contribué à la formation des évangiles. Par exemple, la liturgie ou le culte comme on le voit dans les formules baptismales et eucharistiques des évangiles. Le remaniement du matériau, par la catéchèse, peut être détecté en Matthieu. Enfin d’après Raymond E. Brown.
Certaines pratiques pour différentes raisons (voir ci-dessus : communauté d’origine des premiers disciples – la plupart étaient des dissidents du mouvement de Jean le baptiste, lui-même dissident du mouvement essénien – phénomènes de mode, influence des autres religions) se sont en effet très tôt répandues chez les premiers chrétiens ; et ont eu, évidemment, un effet rétroactif. Elles ont été incorporées a posteriori, et après coup, dans les quatre évangiles.
Voir par exemple le récit du dernier repas de Jésus (la Cène).
La phrase « Faites ceci en mémoire de moi » ne figure ni chez Marc ni chez Matthieu. Il s’agit, sans aucun doute, d’une directive liturgique du temps de la prédication (vers 60 ?) et introduite après coup dans les récits de Luc 22,19.
On en trouve la première formulation sous la plume de saint Paul en 1 Corinthien 11,23-25. Paul la fait précéder de la mention : « Voici ce que j’ai reçu du Seigneur, et ce que je vous ai transmis », phrase qu’il faut comprendre comme suit. J’ai reçu une tradition qui remonte au temps du Seigneur, et je vous l’ai transmise.
Or ce n’est qu’après, par définition, que cette conception de la Cène sera incorporée dans l’Évangile selon saint Luc, puisque ce dernier est POSTÉRIEUR aux lettres de saint Paul.
La conception, quelque peu magique, de l’eucharistie, est empruntée aux religions païennes orientales comme le culte de Cybèle, peut-être par l’intermédiaire de Montan, qui fut l’un de ses prêtres avant de passer, avec tout son acquis culturel, au christianisme. Avec le succès que l’on sait. Ce nouveau prophète, soi-disant inspiré par le Saint-Esprit, eut en effet une influence considérable sur les rites du christianisme naissant.
Les marcosiens mentionnés par Irénée à la fin du second siècle de notre ère se servaient par exemple de philtres et de potions magiques lors de l’eucharistie (d’après Irénée. Adversus Haereses. 1,13) et Ignace d’Antioche lui-même, quelques années auparavant, considérait aussi l’eucharistie comme un médicament d’immortalité : pharmakon tes zoes en grec (au début du second siècle de notre ère).
D’autres controverses communautaires apportèrent aussi de la couleur, par exemple les luttes avec les chefs des synagogues (en Matthieu et Jean) et, parmi les disciples, avec certains qui crient « Seigneur, Seigneur » en Matthieu 7, 21 (des spirituels enthousiastes ?) Du moins toujours si l’on peut suivre Raymond E. Brown sur le sujet.
Il s’agit donc des règles et des coutumes des premiers chrétiens, attribuées a posteriori à Jésus, mais répondant bien sûr en fait à la volonté des diverses communautés, ou Églises, d’accréditer leur pratique.
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LES ACTES DES APÔTRES.
Date de composition finale : vers l’an 80 de notre ère. Rappelons tout d’abord que les Actes des apôtres sont si étroitement liés à l’évangile selon Luc que certains spécialistes pensent qu’il s’agissait au départ d’une seule et même œuvre, l’œuvre à Théophile. Lorsque Luc écrivit son Évangile, cet homme éminent s’intéressait vivement au christianisme, sans être encore chrétien ; mais quand Luc lui envoya les Actes, Théophile s’était converti.
Il s’agit en réalité d’un ouvrage anonyme et il n’existe aucune référence à ce livre avant la fin du IIe siècle. Dans son intention comme dans sa forme, cet écrit n’est pas différent des évangiles. L’Évangile de Luc et les Actes des Apôtres ne formaient d’ailleurs primitivement que les deux tomes d’un même ouvrage. Celui-ci n’a peut-être été scindé que plus tard, par l’insertion du quatrième évangile, l’Évangile gnostique de Jean.
Le contenu du livre ne correspond pas à son titre, car il ne s’agit pas de tous les apôtres, mais seulement de Pierre (Jean n’y est qu’un figurant) et de Paul.
Le récit débute avec l’Ascension, suivie de la Pentecôte, après quelques épisodes consacrés à la Geste de Pierre, il relate essentiellement la prédication de Paul de Tarse qui est son héros principal. L’action se termine à Rome au début des années 60.
Sa composition complexe, arrangeant l’histoire en fonction de partis pris théologiques et écartant la relation de certains épisodes essentiels, soulève de nombreux problèmes qui ont conduit certains chercheurs à lui dénier toute valeur historique.
Dans les manuscrits anciens, les Actes des Apôtres existent en deux grandes versions – avec des variantes – auxquelles la critique a donné les noms de « Texte occidental » et « Texte alexandrin ».
Les Actes des Apôtres ont fait l’objet d’une critique dévastatrice depuis quelques décennies, au point de se voir dénier par certains toute valeur historique. Tout usage documentaire impose donc un choix critique préalable. En effet, un ensemble de problèmes se posent et d’abord la question des sources, car l’auteur des Actes n’indique pas dans son œuvre les sources qu’il a utilisées.
La première mention de l’œuvre apparaît chez Irénée de Lyon (deuxième partie du IIe siècle). C’est aussi le premier témoin littéraire du titre « Actes d’Apôtres ». D’autres titres existaient : Actes des Apôtres, Actes des saints Apôtres. Ce titre s’inscrit dans le cadre des écrits gréco-romains qui magnifient la vie des grands hommes en narrant leurs actes.
Mais en réalité ce ne sont pas les « actes » de ces apôtres que nous trouvons dans ce livre, c’est plutôt l’histoire de la diffusion de l’Évangile dans le monde.
Cette ultime mise au point des derniers détails de l’œuvre de Dieu sur Terre (l’action de l’Esprit saint, etc.) est issue d’une tentative de conciliation entre deux conceptions de son rôle.
Celle qui est défendue par Jacques et Simon Pierre à Jérusalem (tradition encore soutenue par les elchasaïtes au IIe siècle).
Celle qui est développée par le courant helléniste d’Étienne et appuyée sur le témoignage d’un certain Saül/Paul prétendant avoir eu la révélation de celui qu’il appelle le Christ.
Entre les deux courants, il y avait une querelle de filiation, chacun se revendiquant du Christ par apôtres différents interposés ; et la multitude de rumeurs sur Jésus, alors en circulation, plus riches les unes que les autres en détails sur sa vie, authentiques ou supposés, n’arrangea pas les choses.
Les récits des Actes sont chronologiquement et géographiquement très sélectifs. Selon une estimation raisonnable, les chapitres 1 à 8 couvrent une période d’environ trois ans et les chapitres 9 à 28 presque 25 ans. Les événements racontés durant cette période sont vraiment peu nombreux…
Après la mise au tombeau de Jésus il n’y eut pour commencer qu’une centaine de premiers chrétiens concentrés à Jérusalem. Il ne fait pas de doute par exemple que l’on a embelli le tableau de l’Église primitive de Jérusalem, quant à la rapidité et au nombre des conversions, à la sainteté de sa vie, à la générosité du partage, ou à l’unité des cœurs.
L’auteur admet d’ailleurs lui-même implicitement le caractère passablement simplifié de cette description quand il nous raconte les histoires des « fraudeurs » Ananie et Sapphire, et la division entre Hébreux et Hellénistes…
Les Actes des Apôtres sont loin d’être objectifs, ils ont la mémoire sélective et sont très tendancieux.
N’oublions pas qu’ils ont été écrits pour convaincre un certain Théophile d’adhérer au mouvement (à moins que Théophile ne soit qu’un nom symbolisant les craignant Dieu-ou-Diable du judaïsme).
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Le but de ce deuxième tome est de montrer l’action de l’Esprit saint dans la première communauté chrétienne, et par elle dans le monde environnant.
Cela par conséquent a déterminé le choix des matériaux historiques : l’auteur, qui était un chrétien de la mouvance ultra paulinienne, autrement dit un marcionite, n’a pas retenu ce qui était contraire à sa thèse ou ce qui ne l’intéressait pas. C’est ainsi sans doute qu’il faut s’expliquer la fin abrupte de l’histoire de Pierre : il sortit et s’en alla dans un autre lieu (12, 17).
En tout cas ce qui est évident, c’est que les Actes des Apôtres ont bien été écrits ou réécrits pour le courant paulinien, auquel se réfère constamment Marcion.
Le récit de la Pentecôte le prouve. On peut supposer que le cadre initial en fut peut-être un pèlerinage au Temple, avec ses énormes foules. On voit bien que Pierre s’adresse à des juifs…
La rédaction actuelle suggère néanmoins un rassemblement à Jérusalem de toutes les langues et de toutes les nations. En réalité, il s’agit si non d’un mensonge, au minimum d’un anachronisme anticipant sur quelques étapes. Un indice en ce sens est fourni par la mention des trois mille nouveaux baptisés, qui paraissent très volatils, car on les perd de vue aussitôt après. Le récit relatant le miracle de la Pentecôte (actes 2, 3) est donc vraisemblablement un ajout du IIe siècle destiné à donner plus de poids au rôle des apôtres (leur illumination divine par des langues de feu, etc.) De là aussi des lacunes et des déformations. Les discours de Pierre, d’Étienne et de Paul, tout en retenant les idées maîtresses de chacun de ces personnages, reflètent bien évidemment la théologie de l’auteur de cet écrit.
Bien des faits racontés par le livre des Actes se retrouvent dans les épîtres de Paul, mais avec parfois des divergences. Par exemple lorsque l’on compare Actes 15, 1-29 et l’épître aux Galates 2, 1-10 qui, très probablement, rapportent un même événement : la conférence de Jérusalem.
Ces divergences concernant le premier concile de l’histoire du christianisme, le « concile » de Jérusalem, tenu sous l’arbitrage de Jacques, ainsi que les autres d’ailleurs ; sont dues au fait que (ou sont la preuve que) les témoignages à l’origine de ces passages des Actes, ont été écrits ou réécrits par l’auteur marcionite de ce livre, afin de les rapprocher de ceux des épîtres de Paul. Mais sans oser aller jusqu’au bout de cette logique falsificatrice néanmoins.
Si l’on en croit la rédaction actuelle des Actes, Jacques donne apparemment tort aux judaïsants : la circoncision n’est pas nécessaire à l’entrée dans la communauté par le baptême, et le cas de Corneille est agréé. Cependant, si l’on isole la réponse de Jacques de son contexte, un autre sens apparaît… Quand viendra la fin des temps, qui est d’ailleurs imminente, Dieu relèvera la maison de David, et il s’est choisi aussi pour cela un peuple parmi les gentils/païens ; voici pour eux quelques préceptes, qui se rattachent à l’alliance de Noé, mais qui n’incluent pas la circoncision ; quant à nous, nous avons Moïse.
Il n’y a donc pas de commensalité (de partage d’une même table), et finalement Jacques est assez proche de l’état d’esprit des disciples lors de l’Ascension : il maintient une sorte d’apartheid entre juifs et païens.
D’ailleurs, lorsque Paul fut arrêté à Jérusalem et accusé d’être un agitateur, Jacques ne le défendit nullement, bien au contraire.
D’autres incohérences des Actes s’expliquent par le fait que le texte a été par la suite réécrit en sens contraire par la future tendance officielle du christianisme, afin de le démarcioniser quelque peu, et de le rapprocher du judéo-christianisme.
Quelques extraits glanés ici ou là.
1,18. Judas meurt en tombant, se rompant ainsi le cou et répandant ses entrailles. Contradiction avec les récits des évangiles (Matthieu 17, 5) où Judas se pend.
9, 7. Lors de la vision du Seigneur, les compagnons de Paul l’entendent, mais ne le voient pas. En complète contradiction avec 22, 9 où ils le voient, mais ne l’entendent pas ! Il faudrait savoir !
13, 16-17. L’auteur fait tenir à Paul des propos jamais mentionnés dans ses épîtres.
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LES ÉPÎTRES DE PAUL DIFFUSÉES PAR MARCION.
À l’exception peut-être de Pierre et de Thomas (mort en Inde en l’an 70 ?), les douze apôtres voyageaient peu. Aussi communiquaient-ils, sans doute oralement, avec des auditoires locaux… Les premières générations chrétiennes vivaient dans un climat fortement teinté d’eschatologie : pour elles les derniers temps étaient imminents et elles ne doutaient pas que Jésus allait revenir bientôt : « Marana tha » (1 Corinthiens 16, 22). « Viens Seigneur Jésus » (Apocalypse 22, 20). Cette attente de la fin des temps n’encourageait pas les chrétiens à écrire pour des générations futures qui ne verraient sans doute jamais le jour… La seule littérature qui leur importait par conséquent était la littérature immédiate traitant de problèmes présents. Les premiers écrits chrétiens furent donc des lettres. Telle est en résumé la thèse de notre plus célèbre exégète actuel, Raymond E. Brown.
Le premier témoignage d’une telle collection d’écrits date de l’an 200 environ. Il s’agit du Papyrus numéroté 46 (de la collection Chester Beatty). Il contient toutes les épîtres pauliniennes à l’exception de celles qui sont adressées à Tite ou à Timothée. Notons néanmoins d’emblée que nombre de ces épîtres sont peut-être fausses, ou alors ont été rallongées ultérieurement.
Les lettres attribuées à Paul n’apparaissent point avant 140, même si l’état de la langue permet de faire remonter assurément certains passages d’entre elles à environ 100 ans auparavant.
Les dix premières ont été publiées par le grand exégète de la Bible, dont les prises de position en matière de christologie ont obligé les autres à se définir, c’est-à-dire Marcion ; qui les fit connaître à Rome en 144. Elles avaient été vraisemblablement remaniées par lui au passage (il a par exemple été le premier à leur donner un titre, comme dans le cas de la lettre aux Éphésiens. Or un titre, c’est très important, car cela peut influencer la lecture de ce qui suit). Il semble bien en outre que Marcion ait amalgamé plusieurs fragments de Paul sous un même titre, exemple la deuxième lettre aux Corinthiens ; ou qu’il ait inséré dans ces lettres certains passages dus à sa plume et non à celle de Paul, autrement dit des additions ou des interpolations. Nombre des passages de ces lettres sont par conséquent sujets à caution. De toute façon, il devait exister d’autres missives de Paul ; et Marcion, de toutes les lettres que les différentes communautés qu’il connaissait avaient gardées dans leurs archives, n’a évidemment retenu que celles qui l’intéressaient.
Ce fait doit nous inciter à la plus grande prudence pour ce qui est de la théologie paulinienne. Paul n’était pas un théologien systématique, mais un prêcheur itinérant, ex-élève du rabbi Gamaliel, converti au christianisme à Damas, par des sympathisants du christianisme issus de l’esséno-baptisme.
Ainsi que nous l’avons dit, l’état de la langue permet de faire remonter certains passages de ces lettres aux environs de l’an 50. Ce qui en fait donc effectivement des documents plus anciens que les évangiles, ce qui est d’ailleurs assez embarrassant, car ces lettres de Paul ignorent en effet la plupart des apôtres cités dans les Évangiles ; qui à leur tour d’ailleurs méconnaissent apparemment les disciples dont Paul fait état.
D’autres passages sont par contre plus tardifs et remontent peut-être seulement à l’an 160 (des passages rajoutés dans ces lettres par des disciples de Marcion comme Tatien ou par des adversaires ?).
Un certain nombre de ces lettres (si ce n’est la totalité) ont été composées à l’aide de divers textes, dus effectivement à la plume de saint Paul, ou empruntés à d’anciens textes juifs et chrétiens (esséniens ?) traduits en grec.
Assez curieusement, ces documents ne sont guère prolixes à propos de la vie du Jésus « historique ». Il est « né d’une femme » ; il a été assujetti à la Loi juive (Galates 4, 4), il vient du peuple d’Israël (Romains 9, 5), de la semence d’Abraham (Galates 3, 18) de la maison de David (Romains 1, 3) ; il est mort sur la croix (Philippiens 2, 8 ; 1 Corinthiens 1, 23). Ce qui fait bien peu !
Que l’on nous permette ici d’être un peu plus net, ou incisif, que notre ami Raymond E. Brown, n’étant en aucune façon, nous autres, liés au Vatican.
Paul croyait surtout en un Christ mystique et ignorait l’homme Jésus visiblement. Il est clair que ses lettres considèrent le Christ surtout comme un ange ou esprit descendu sur terre, envoyé par le Père, et remonté à sa droite, comme Esaïe (ou les différents sauveurs gnostiques mentionnés à l’époque) ; après un certain nombre de souffrances inhérentes à sa matérialisation humaine et à sa mort.
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Le courant chrétien à l’origine de nos modernes Églises (catholique, orthodoxes, réformées) qui émergera à la fin du IIe siècle ; combattra Marcion (voir saint Irénée en 180) et Tatien… mais gardera ses lettres « pauliniennes » ; tout en les expurgeant des éléments contraires à ses vues. On décèle d’ailleurs encore dans le texte actuel d’un certain nombre de ces épîtres attribuées à l’ex-élève du rabbi Gamaliel ; des échos de la polémique engagée alors par les premiers fidèles de cette tendance, qui allait devenir celle que l’on connaît aujourd’hui ; contre le christianisme gnostique de Marcion. Mais elles ont néanmoins conservé en leur sein bon nombre d’expressions typiquement gnostiques (plérôme devenu « totalité », éon traduit par « siècle », etc.) témoignant bien de la forme de christianisme ayant présidé à leur naissance, du temps de Paul.
Les ajouts et les manipulations destinés à truquer les évangiles existent aussi évidemment dans les lettres ou épîtres. Quels sont les critères pour déterminer l’authenticité ou la pseudépigraphie d’un texte ? Les données internes, la forme, le style, le vocabulaire, et la pensée, la théologie. On utilise pour cela les statistiques et les ordinateurs.
L’exégète allemand Bornkamm qualifie par exemple de pseudo-pauliniennes 2 Thessaloniciens, 1 Colossiens et aussi Éphésiens… Pour A. O. Morton et J. McLeman, il n’y aurait que cinq lettres proto-pauliniennes c’est-à-dire authentiques, et constituant probablement les premiers ouvrages rédigés du Nouveau Testament. La moitié (si l’on ne considère comme authentiquement pauliniennes que les 5 premières) ou à tout le moins donc un tiers (si l’on ne considère comme authentiques que les dix premières seulement) des lettres de Saint-Paul ; seraient donc des faux tardifs (deutéro-pauliniens), datant d’avant, ou d’après, Marcion, c’est-à-dire des IIe, IIIe, ou IVe, siècles ; même si ces faux ont pu être composés avec des morceaux de textes plus anciens évidemment.
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ANALYSE SUCCINCTE DES LETTRES DU NOUVEAU TESTAMENT
(les titres sont de Marcion.)
Épître aux Romains (56 ou 57 ?)
Plusieurs phrases sont inachevées, mais la singularité de ce texte vient surtout de sa composition : une longue instruction apostolique insérée au milieu d’une vraie lettre avec un post-scriptum récapitulatif. L’instruction apostolique en question est composée de cinq blocs rédactionnels plus ou moins autonomes. Leur articulation entre eux n’est pas très claire.
Il s’agit peut-être là d’une épître composée par Marcion et sous un titre à lui, avec plusieurs petits textes ou fragments de textes de saint Paul, glanés ici ou là. Renan y distingue quatre ou cinq finales, ce qui suppose autant de rallonges…
8,19 « Car la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu ». De quels fils de Dieu s’agit-il si ce n’est Jésus ?
1re épître aux Corinthiens (56 ou 57 ?)
Sans doute également une épître composée par Marcion et sous un titre à lui, à l’aide de plusieurs écrits de Paul.
4, 5. C’est pourquoi ne jugez de rien avant le temps, jusqu’à ce que vienne le Seigneur, qui mettra en lumière ce qui est caché dans les ténèbres, et qui manifestera le dessein des cœurs. Alors, chacun recevra de Dieu la louange qui lui sera due.
Pour l’auteur de ce passage visiblement, fin des temps et jugement dernier sont proches.
11, 3-16. Je veux que vous sachiez ceci ; le chef de la femme, c’est l’homme… mais si la femme ne porte pas de voile qu’elle se fasse tondre… la femme est la gloire de l’homme ; car ce n’est pas l’homme qui a été tiré de la femme, mais la femme de l’homme, et l’homme n’a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme. Voilà pourquoi la femme doit porter sur la tête la marque de sa dépendance, à cause des anges (sic) ????????????????
16, 21. Si quelqu’un n’aime pas le Seigneur, qu’il soit anathème ! Marana tha (sur la traduction de ces termes araméens, voir plus haut).
2e épître aux Corinthiens (56 ou 57 ?)
Il s’agit de trois ou quatre lettres de Paul réunies par Marcion, sous un même titre.
11, 4. « Car, si quelqu’un vient vous prêcher un autre Jésus que celui que nous avons prêché, ou si vous recevez un autre Esprit que celui que vous avez reçu, ou un autre évangile que celui que vous avez embrassé… ces hommes-là sont de faux apôtres, des ouvriers trompeurs, déguisés en apôtres du Christ ».
Se pourrait-il qu’il s’agisse des évangiles de Matthieu, Marc Luc et Jean ?
Épître aux Galates (54 ou 55 ?)
Saint Jérôme, dans son commentaire de cette épître, note que les Galates parlaient plus ou moins la même langue que les Trévires, actuelle région de Trèves en Allemagne. Et la vie de saint Euthyme (5e siècle) mentionne encore un moine nommé Procope dont la première langue était le celte. Il s’agit du paragraphe LV (page 77 de l’édition d’Édouard Schwartz, Kyrillos von Skythopolis, Leipzig, 1939).
La phrase exacte est « Sa langue était liée, il ne pouvait plus nous parler. S’il y était forcé, il s’exprimait dans la langue des Galates ».
1, 6-9. Je m’étonne de la rapidité avec laquelle vous vous détournez de celui qui vous a prêchés par la grâce du Christ, afin de passer à un autre évangile… [Note de la rédaction : lequel ?] Si quelqu’un, même nous et même un ange du Ciel, vous annonçait un évangile différent de celui que nous vous avons annoncé, qu’il soit anathème ! Nous l’avons déjà dit, et je le redis : si quelqu’un vous annonce un évangile différent de celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème !
1, 13. Vous avez su, en effet, quelle fut autrefois ma conduite dans le judaïsme, comment je persécutais à outrance et ravageais l’Église de Dieu. [NDLR Ce récit contredit donc quelque peu les Actes des apôtres.]
3,1. Stupides Galates *, qui vous a envoûtés, alors que vous a été enseigné Jésus-Christ crucifié.
3, 28. Il n’y a plus ni juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave ni homme libre ; il n’y a plus ni homme ni femme.
* Racisme anti-celte ! La vie de saint Euthyme mentionnée plus haut associe en tout cas cette langue à un cas de possession démoniaque.
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Épître à Philémon (58 ou 59 ?)
Apparemment une des rares vraies lettres de saint Paul. Comme d’habitude, Paul n’y condamne toujours pas l’esclavage, mais demande au maître chrétien de voir aussi en son esclave… un frère.
Épître aux Éphésiens (années 90 ?)
80 % des spécialistes estiment que cette lettre n’est pas de saint Paul, mais d’un de ses premiers disciples, s’étant inspiré de la lettre aux Colossiens, et de quelques autres.
2. 15-19. Car c’est le Christ lui-même qui nous a apporté la paix, en faisant des deux [Juifs et non-juifs] un seul peuple. En donnant son corps, il a abattu le mur qui les séparait et en faisait des ennemis. Il a annulé la loi juive avec ses commandements et ses règlements, pour former avec les uns et les autres un seul peuple.
Épître aux Philippiens (58 ou 59 ?)
Deux ou trois lettres (voir par exemple le chapitre III) combinées par Marcion sous un titre à lui.
Épître aux Colossiens (années 80 ?)
60 % des spécialistes estiment que cette lettre n’est pas de saint Paul mais d’un de ses premiers disciples (Timothée ?) s’étant inspiré de la lettre à Philémon.
3, 11. Il n’y a plus ni Grec, ni juif, circoncis ou incirconcis, Barbare, Scythe, esclave, homme libre, mais le Christ.
1re Épître aux Thessaloniciens (50 ou 51 ?)
Le plus ancien document chrétien connu donc, si nous avons bien compris le Père Brown.
Certains pensent qu’il s’agit de deux lettres de Paul assemblées par Marcion sous un titre de son cru.
4, 14. Drôle de raisonnement ! Où est la foi dans tout ça ? Pourquoi Paul n’évoque-t-il pas Pilate, Judas, le Golgotha ?
4,15. Dit autrement, il sera vivant au moment du retour du Christ dans toute sa gloire ! Encore une prophétie ratée !
2e Épître aux Thessaloniciens (50 ou 51 ?)
Sans doute également un faux écrit par un illuminé persuadé de l’imminence de la fin des temps.
2, 2. « En ce qui concerne l’avènement de Notre Seigneur Jésus-Christ et notre réunion avec lui, nous vous prions, frères, de ne pas vous départir aussi rapidement de votre bon sens, et de ne pas vous laisser troubler ; soit par quelque inspiration, soit par quelque parole, ou par quelque lettre que l’on dira venir de nous, comme si le Jour du Seigneur était déjà là ».
Il doit s’agir d’une allusion au fameux Jour de colère de YHWH en tant que fin des temps prélude au Jugement dernier.
Paul ou son correcteur change d’avis à ce sujet, et précise maintenant que ce « Jour du Seigneur » n’est pas près d’arriver !
Trois autres lettres, faussement pauliniennes, ont été ajoutées aux dix publiées par Marcion et son disciple Tatien, et une quatrième ajoutée en Orient pour faire le lien avec les évangiles (la lettre aux Hébreux). Cette dernière sera également considérée comme authentique en Occident jusqu’au IVe siècle. Il s’agit pourtant d’un faux grossier qui n’est pas de saint Paul, et dont le titre même (aux Hébreux) est une imposture.
1re épître de Paul à Timothée (98 ou 99 ? ?)
Ainsi que nous l’avons dit donc, un faux manifeste rédigé par un disciple de l’École paulinienne.
1, 19-20. Leur croyance a fait naufrage. Parmi eux se trouvent Alexandre et Hyménée ; je les ai voués à Satan, afin qu’ils apprennent à ne plus blasphémer. (Ah religion d’amour, toujours, quand tu nous tiens !)
2, 9-15. Pendant l’instruction, la femme doit garder le silence, en toute soumission. Je ne permets pas à la femme d’enseigner ni de dominer l’homme. Qu’elle se tienne en silence. C’est Adam qui fut formé le premier. Ève ensuite. Et ce n’est pas Adam qui fut séduit, mais c’est la femme qui, séduite, tomba dans la transgression [signé Mahomet fils d’Amina.]
6, 1-4. Ceux qui sont sous le joug de l’esclavage doivent considérer leur maître comme digne d’un entier respect, afin que le nom de Dieu et la doctrine ne soient pas blasphémés. Ceux qui ont des maîtres croyants (sic) qu’ils ne leur manquent pas de considération sous prétexte qu’ils sont frères. Au contraire, qu’ils les servent encore mieux, puisque ce sont des croyants et frères bien-aimés (re-sic : signé Mahomet fils d’Amina).
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2e Épître de Paul à Timothée (98 ou 99 ?)
Autre faux manifeste rédigé par un commentateur de l’École paulinienne.
4, 1-4. Je t’adjure en présence de Dieu et du Christ Jésus, qui viendra juger les vivants et les morts, au nom de sa manifestation et de son règne : proclame la Parole, insiste à temps et à contretemps, reprends, menace, afin d’enseigner. Viendra un temps en effet où certains… se détourneront de la vérité pour en revenir aux fables.
Épître à Tite.
Autre faux grossier rédigé par un disciple de l’École paulinienne.
1, 10-14. Nombreux sont les insoumis, vains discoureurs et trompeurs, surtout parmi les incirconcis. Il faut leur fermer la bouche… L’un d’entre eux, leur propre prophète, a dit « les Crétois mentent tout le temps, sont comme des bêtes féroces, des ventres voraces. Et sont fainéants * ». CE TÉMOIGNAGE EST VRAI.
C’est pourquoi reprends-les sévèrement. Qu’ils ne s’attachent pas non plus aux fables juives et à des préceptes de gens se détournant de la Vérité (sans commentaire).
* Remplaçons Crétois par Arabes, Nègres, ou juifs, et nous avons là une déclaration typiquement raciste de plus !
Épître aux Hébreux.
L’Épître aux Hébreux, contemporaine de l’Apocalypse, émanant d’un auteur ou d’un groupe juif christianisé, a été tardivement insérée dans la collection de lettres. Ce texte était sans doute au départ destiné à des juifs fraîchement convertis au christianisme (des judéo-chrétiens donc). Cette épître connaît un Fils de Dieu qu’elle situe au-dessus des anges, un Jésus grand prêtre éternel sans généalogie, mais ignore l’homme qui aurait été le fondateur du christianisme, qui aurait accompli des miracles, et souffert une Passion. Son adresse ou son titre (épître aux Hébreux) a été inventée bien longtemps après, mais pas par Marcion…
L’introduction de l’Épître « Aux Hébreux » affirme la supériorité du Christ sur tout ce qui s’est passé en Israël auparavant. Le contraste principal concerne les deux révélations divines : l’une par les prophètes et l’autre par un Fils préexistant, par qui Dieu a créé le monde et qui nous a parlé. La description, en un langage peut-être emprunté à un hymne, montre que l’écrivain interprète le christ à partir du portrait de la Sagesse divine brossé dans l’Ancien Testament. De même que la Sagesse était l’effusion de la gloire de Dieu, le miroir immaculé de la puissance de Dieu ou du démiurge, qui peut faire toutes choses (Sagesse de Salomon 7, 25 -27) ; le Fils de Dieu est le reflet de la gloire divine et l’empreinte de l’être de Dieu, soutenant l’univers par sa parole (Hébreux 1,3). Dépassant le modèle de la Sagesse, le Fils, toutefois, est une personne réelle, qui apporte la purification des péchés.
Depuis 1914, l’Église n’accorde plus qu’une « authenticité indirecte » à cette « Épître aux Hébreux ».
Traduction en langage clair : l’Église a été obligée de reconnaître qu’il s’agissait d’un faux manifeste dans une sainte Bible pourtant « directement inspirée par Dieu »…
Même si elle n’est pas de Paul, l’Épître aux Hébreux n’en demeure pas moins une œuvre spirituelle et littéraire d’envergure, reconnue. On peut l’attribuer à un personnage éminent ayant l’autorité d’un Pierre ou d’un Paul, non à un disciple de « seconde main » ou de « seconde génération ». Elle a pu être écrite dans la tourmente qui suivit la mort d’Étienne, à l’intention d’une communauté dispersée, forcément éloignée du Temple, à la recherche de nouveaux repères.
Auteur de cette lettre.
Arguments pour l’attribution au dénommé Apollos.
Il est significatif que le personnage le plus souvent envisagé par la critique comme auteur de l’épître aux Hébreux soit Apollos qui offre certains points de comparaison avec Barnabé ; notamment le suivant : il connut l’entourage de Paul après que celui-ci se fut séparé de Barnabé. C’était comme lui un juif de la Diaspora. Originaire d’Alexandrie, Apollos pouvait donc avoir également sur le Temple des idées abolitionnistes ou Philoniennes.
Il n’avait connu que le baptême de Jean et il fut renseigné sur Jésus par Priscille et Aquilas, qui lui firent part des différentes rumeurs circulant à propos de ce dernier.
Si c’est bien le cas, l’Épître aux Hébreux serait donc quand même plus ou moins redevable à Paul. Resterait à justifier dans ce cas qu’Apollos ait proposé de renoncer à la liturgie du Temple et n’ait pas
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intégré les païens à son enseignement sur l’ancienne ou la nouvelle alliance ; tout en étant plus abolitionniste que Paul, qui, lui, remonta plusieurs fois sacrifier à Jérusalem. Hypothèse : en héritant de son auditoire de Corinthe, il se serait mis à parler comme s’il avait devant lui des « Hébreux » interpellés par la liturgie du Temple…
Arguments pour l’attribution à Barnabé.
Juif de la Diaspora, Barnabé n’en était pas moins un circoncis fidèle observant de la Loi juive. L’Épître aux Hébreux ne s’intéresse pas aux païens, mais à des croyants issus du judaïsme et qui ont connu les sacrifices offerts au Temple. Même si elle est en rupture par rapport à ces derniers, elle n’est pas antijuive. Barnabé, qui était lévite de naissance, fut le seul disciple de classe sacerdotale à nous avoir laissé un nom dans les écrits néotestamentaires. Or l’épître aux Hébreux manifeste une certaine proximité avec la liturgie du Temple, sinon un intérêt significatif pour elle, et une connaissance des livres saints, notamment les Psaumes et les Prophètes. Certains auteurs ont donc été amenés à penser qu’elle s’adressait « normalement » à des mentalités sacerdotales.
Vivant au désert avec Jean, Barnabé devait connaître Qumran et les communautés issues du mouvement essénien. Après les généreuses bienfaitrices, il fut le premier à faire don du prix d’un domaine aux Apôtres (Actes IV, 35) s’inscrivant ainsi dans le droit fil de la mouvance essénienne pour ce qui est de la mise en commun des biens. Or l’auteur de l’épître exhorte justement à une mise en commun des ressources (13,16) en des termes rappelant le début des Actes (2, 42), mais qui ne se reverra plus par la suite, sinon de manière épisodique (Romains15, 26). Barnabé était connu des Apôtres et des anciens de l’Église de Jérusalem, qui l’envoyèrent à Antioche entre 35 et 40, où il devint chef de file des « Prophètes et des Docteurs » (Actes XIII, 1).
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Épître de Jacques (80 à 90).
Composée en fait après la mort de Jacques le frère du Seigneur, par un de ses disciples. Écrit fortement marqué par le judaïsme. Le seul véritable intérêt de cette épître est qu’un de ses passages (les versets 13 à 20 du chapitre 5) sert à justifier l’existence du sacrement des malades chez les catholiques. Voir donc ci-après notre chapitre consacré c’est le cas de dire, aux sacrements.
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Première lettre de Pierre (70 à 90).
N’est pas de saint Pierre, mais d’un de ses disciples à Rome.
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Deuxième lettre de Pierre (vers 130).
Là aussi un faux. Cette lettre n’est pas de saint Pierre.
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Première lettre de Jean (vers l’an 100).
N’est pas de l’auteur de l’Évangile du même nom.
Deuxième lettre de Jean. Également un faux !
Troisième lettre de Jean. Idem.
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Lettre de Jude (90 à 100).
Un faux émanant sans doute de la communauté judéo-chrétienne de Palestine, où être un frère de Jésus était une référence.
17 « Mais vous, bien-aimés, souvenez-vous des choses annoncées par les apôtres de Notre Seigneur Jésus-Christ ».
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NDLR. Bornkamm affirme que la première épître de Pierre n’est pas de Pierre, que l’Épître de Jacques n’est pas de Jacques ; et que l’épître de Jude n’est pas de Jude (mais qu’en fait c’est Jude qui recopie 2 Pierre). Au secours !
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L’APOCALYPSE DE JEAN.
La violence de ce texte, un véritable brûlot, explique la vague de destructions et d’arrestations ordonnée en 303 par Dioclétien à l’instigation du tétrarque Galère et que l’historiographie chrétienne a considérée comme une persécution religieuse, la dernière et la plus grave !
Dioclétien avait longtemps tergiversé avant de prendre des mesures contre les chrétiens : mais ceux-ci sont de mauvais soldats, toujours prêts à abandonner l’armée de peur de trahir la milice du Christ. L’empereur les considère comme des impies, à l’égal des magiciens et des manichéens, qu’il combat également.
Il s’agit d’une chrétienté inégalement répartie d’ailleurs : dense dans les villes d’Asie ; absente, au contraire, des campagnes gauloises.
L’édit qui est promulgué à Nicomédie en 303 interdit les assemblées chrétiennes, envisage la destruction des églises et des livres sacrés, condamne les chrétiens à la perte de leurs droits civiques, de leurs privilèges, dignités et honneurs ainsi que de leur liberté. La peine de mort n’est pas envisagée.
C’est alors qu’intervient Galère : un incendie éclate au palais impérial de Nicomédie ; les chrétiens accuseront Galère d’avoir mis le feu pour leur en attribuer la responsabilité. Dioclétien prend peur et laisse faire. Galère préconise les mines ou le bûcher. Les poursuites dureront huit ans et seront surtout le fait de Galère, puis de son neveu Maximin Daïa.
Les martyrs sont relativement peu nombreux. La persécution porte plutôt sur les édifices : destruction d’églises qui s’étaient construites partout, telle celle de Nicomédie, qui jouxtait le palais impérial…
La vogue des apocalypses se situe entre – 200 et + 150 de notre ère. Elles expriment une conception pessimiste de l’Histoire qu’expliquent les revers successifs de l’État juif, annexé tour à tour par les Perses, les Grecs, et les Romains. Sa troisième phase (celle du triomphe des Justes) ne se produisant évidemment jamais, le sens du mot apocalypse est donc passé peu à peu de celui de révélation à celui de cataclysme.
La censure chrétienne n’a retenu pour seule apocalypse que celle-ci qui était attribuée à Jean. Et encore… Gaius de Rome essaya un temps de l’éliminer en soutenant que ce texte était de l’hérétique gnostique nommé Cérinthe.
Cette apocalypse ne sera donc considérée officiellement comme un texte saint qu’en 633, au concile de Tolède (afin de compenser le rejet des autres apocalypses et notamment celles – gnostiques chrétiennes – dites de Pierre et de Paul).
L’ouvrage n’a pas été écrit par l’évangéliste du même nom, mais probablement repris d’une tradition plus ancienne. En 18, 20 et 21,14, l’auteur parle des apôtres sans qu’il paraisse se compter lui-même parmi eux. Il a une vision de la Jérusalem nouvelle descendant des Cieux avec les noms des douze apôtres de l’Agneau sur les murs de fondation (21,14) formant donc implicitement un groupe distinct de sa propre personne. Le vocabulaire et la langue diffèrent aussi de l’Évangile du même nom. Cet ouvrage, rédigé vers l’an 70, et juif à l’origine, fut remanié par un auteur chrétien anonyme vers les années 130-140.
L’Apocalypse de Jean est un amalgame de différents textes. Jésus n’est mentionné nulle part dans ce livre soi-disant écrit après sa « mort » par ses serviteurs : les auteurs, sans doute des nazoréens, y parlent d’un Christ mythique. Jésus n’a pas encore d’existence terrestre. Aucune allusion à l’histoire relatée par les évangiles. La mère du Christ n’est pas encore Marie, mais la Vierge céleste. Ce qui est en effet étonnant dans cette œuvre composite, c’est que les chrétiens qui la complétèrent pour l’adapter à leurs croyances ignoraient l’homme Jésus ; et assimilaient leur Christ à un agneau céleste ou à un cavalier surnaturel monté sur un cheval blanc (ou bien encore à un enfant divin échappant au dragon). Dans ce livre, Jésus est donc considéré comme un personnage purement céleste (un peu comme dans les écrits de Paul) siégeant près du trône de Dieu ou du Démiurge. Il s’agit vraisemblablement d’un texte originellement écrit en hébreu (le chiffre 666 désigne l’Abaddon, l’ange exterminateur) ; adapté et remanié en grec par un judéo-chrétien ; dont cette langue n’était pas la langue maternelle, vu le nombre de fautes que l’on peut y trouver. D’où aussi le rapprochement effectué entre cet Abaddon et notre pauvre Apollon, l’auteur final de ce texte ne semblant pas douter de l’existence de ce dieu-ou-démon solaire dont il conteste seulement le caractère (négatif au lieu de positif).
Ce fut là d’ailleurs une des constantes de la pensée des premiers « intellectuels » chrétiens ; qui, comme tout le monde ou presque à l’époque, ne remettaient pas en cause l’existence même de ces
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entités, mais en faisaient seulement des démons. On ne saurait être plus raciste ! Les dieux des autres sont des démons ! Ben voyons ! Voir aussi à ce sujet pour mémoire l’Apologétique de Tertullien.
Quelques perles glanées au hasard.
1, 3. « Heureux celui qui lit et ceux qui entendent les paroles de la prophétie, et qui gardent les choses que l’on peut y voir ! Car le temps est proche » [Flûte ! Encore raté !]
2, 6 à 15. Les nicolaïtes.
On retrouve dans cette apocalypse attribuée à Jean des échos de la polémique engagée par les futurs chrétiens officiels contre le christianisme gnostique (qui fait du dieu créateur de la Bible juive un dieu mauvais, et du serpent un « dieu » bon, ayant voulu révéler à l’Homme la connaissance).
9,11. Ce qui est intéressant à noter dans ce texte, ainsi que nous l’avons dit, c’est le rapprochement conscient ou inconscient du dieu-ou-démon solaire et guérisseur des Hyperboréens ; Apollon, Abello voire Abellio… (comme on le trouve écrit dans certaines inscriptions de la vallée de la Garonne en France voire du Lugdunum situé dans les Pyrénées, le Lugdunum des Convènes, où il est associé au pommier) avec le dieu-ou-démon suméro-babylonien appelé Abaddôn en hébreu. Toute religion a en effet tendance à assimiler à des démons les dieux ou anges des autres religions. Bonjour, la tolérance ou le non-racisme (le respect des autres).
22,18. Le rédacteur voue aux gémonies de Dieu ou du Démiurge celui qui modifiera son livre. Ce qui prouve qu’à cette époque la « fraude pieuse » consistant à modifier des textes pour les besoins du moment était déjà très répandue.
L’Apocalypse de Jean est le dernier des livres du Nouveau Testament. Dans cet ensemble d’ouvrages considérés comme « canoniques » par l’Église chrétienne, elle apparaît comme un bloc erratique complètement à part.
Le contraste est d’abord dans la forme. À côté des Évangiles, des Actes des Apôtres, et des Épîtres, elle représente un genre littéraire absolument différent. Le caractère étrange des visions qu’elle contient, le symbolisme poussé, parfois même incohérent, qui les exprime, l’allure dramatique des scènes grandioses qui sont évoquées, contribuent à faire de cet ouvrage une véritable énigme. Cet aspect mystérieux est encore renforcé par le contraste doctrinal existant entre le contenu de l’Apocalypse et le reste du Nouveau Testament. Bien que l’on puisse discerner certains liens étroits avec d’autres écrits canoniques, spécialement avec l’Épître aux Hébreux, la comparaison avec les Évangiles fait apparaître une différence fondamentale. L’aspect « historique » du message chrétien est presque entièrement passé sous silence.
Le verset 8 du chapitre 11 a été ajouté par la suite dans le corps du texte. À propos de Jérusalem : « C’est là où leur Seigneur lui aussi fut crucifié ». De l’avis même de plusieurs auteurs catholiques, il semble que l’on soit là en présence d’une glose postérieure et incluse ensuite « par erreur » dans le corps même du texte. En revanche, le contenu « théologique » du message de l’Apocalypse est extrêmement riche dans les domaines où celui des Évangiles est au contraire particulièrement sobre. Et notamment pour ce qui est de l’eschatologie, c’est-à-dire de la doctrine sur la fin des temps, qui occupe ici une place primordiale.
Ce caractère énigmatique et singulier de l’Apocalypse de Jean la rend d’autant plus intéressante. Son étude est indispensable à quiconque cherche à connaître le christianisme sous sa forme primitive. Loin de constituer le couronnement ou l’achèvement ultime de la « révélation chrétienne », elle apparaît plutôt comme une des formes les plus anciennes ou les plus primitives du message, chrétien. L’auteur y décrit les visions qu’il a eues à Patmos, petite île située au large de l’Asie Mineure. Et c’est d’ailleurs à sept Églises d’Asie Mineure qu’il destine son œuvre : Éphèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie et Laodicée. Sept lettres, pleines d’encouragements ou de reproches, et adressées à l’ange de chacune d’entre elles, forment une sorte d’introduction.
Pendant mille ans, les Justes, seuls ressuscités, règnent avec le Christ (19-20). Alors vient le temps de l’ultime combat. Le Diable, relâché un instant, est jeté dans l’étang de feu, où il rejoint pour toujours les deux Bêtes. Dieu ou le Démiurge a vaincu, son règne est définitif. Les morts ressuscitent et sont jugés. Un ciel nouveau et une terre nouvelle remplacent le monde ancien. Alors descend du ciel « la Jérusalem nouvelle, vêtue comme une mariée parée pour son époux ». Ce sont les « noces de l’Agneau ». Dieu ou le Démiurge habite désormais parmi les hommes (21-22).
Ce livre étrange eut beaucoup de mal à se faire admettre parmi les Livres sacrés du christianisme. Bien que cité avec respect par plusieurs auteurs anciens, il rencontra même à Rome, vers la fin du second siècle, des adversaires, qui virent en lui un ouvrage de Cérinthe. Plus tard, en Égypte, on mit en doute son origine apostolique. L’ensemble de l’Église d’Orient manifesta donc à son égard une
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grande réserve, au point qu’il fut positivement exclu de son catalogue de Livres saints à méditer. Si, finalement, l’Apocalypse a réussi à s’imposer, ce fut seulement parce qu’on la considéra comme une œuvre de l’apôtre Jean, rédigée vers la fin du règne de Domitien ; conformément aux données fournies par Irénée de Lyon (Adversus haereses, V, 33, 3), dont l’autorité dissipa les doutes si répandus et si tenaces. La critique moderne partage d’ailleurs toujours ces doutes et admet difficilement que le même personnage puisse être l’auteur de deux ouvrages aussi dissemblables que l’Apocalypse et l’Évangile (de Jean). Elle considère comme peu vraisemblable que le voyant de l’Apocalypse soit un apôtre, et surtout l’apôtre Jean, si, comme beaucoup l’admettent, il était déjà mort bien avant la date traditionnelle que l’on attribue à cet événement.
L’hésitation des autorités chrétiennes était d’ailleurs entretenue par le contenu même du livre. L’annonce de la fin du monde, la description de ses étranges péripéties, l’idée du règne de mille ans, tout cela nourrissait la ferveur des premiers chrétiens, mais parut incompréhensible aux fidèles des siècles suivants. Le retard dans la venue de la fin des temps, l’évolution intérieure de l’Église, avaient modifié l’optique. Surtout, les penseurs alexandrins, Origène en particulier, avaient « spiritualisé » le message chrétien. Le « millenium » n’était plus à venir, il était déjà réalisé (avec la venue de l’Église). Cette idée se répandit très vite chez les Grecs, puis chez les Romains, par l’intermédiaire d’Augustin. Elle prévalut durant des siècles.
C’est donc seulement vers la fin du XIXe que, peu à peu, se dégagea la véritable solution. Elle consistait à revenir à l’interprétation la plus ancienne, en considérant l’ouvrage comme une « apocalypse » parmi d’autres, qui annonçait l’imminence de la fin des temps, et la décrivait selon les méthodes habituelles du genre et de l’époque. Ce qui avait manqué pour aboutir plus tôt à cette solution, c’était la possibilité de trouver des points de comparaison. On les avait cherchés en vain dans le Nouveau Testament, où les textes eschatologiques étaient peu importants. On en avait trouvé dans certains textes prophétiques de la Bible, dans Ezéchiel et Zacharie, surtout dans Daniel. Mais un long intervalle de temps les séparait de l’Apocalypse de Jean, selon les vues traditionnelles. La critique vint, au XIXe siècle, modifier cette optique. Le livre de Daniel apparut comme la première des apocalypses, rédigée vers l’époque de l’insurrection maccabéenne (– 167). La découverte d’ouvrages du même genre, tels que Hénoch, le Baruch syriaque… put d’ailleurs aussi fournir aux savants tout un corpus d’apocalypses juives.
Cette perspective éclaire la forme littéraire de l’ouvrage. Rédigé par un voyant, il est entièrement conçu selon les règles du genre apocalyptique. Le symbolisme des images et des chiffres, les personnages et les réalités qui participent au drame, constituent autant d’emprunts au matériau et aux usages de ce genre littéraire, tel qu’il se manifeste dans l’ensemble des apocalypses juives. Il y a là un style ; où les descriptions sont stéréotypées, où les catastrophes se décomposent selon des schémas numériques ; où les réalités revêtent des formes empruntées à des mythes du passé, celui du paradis perdu, pour décrire le bonheur des heureux élus ; celui des plaies d’Égypte pour détailler les malheurs des impies.
L’appréciation du sens profond de l’œuvre bénéficie de cette perspective nouvelle. Elle met en scène des personnages symboliques qui jouent les premiers rôles dans le déroulement du drame. Les deux grands protagonistes sont évidemment l’Agneau et le Dragon. L’Agneau, c’est le Verbe triomphant, le Fils de l’Homme, le Grand Ange moissonneur. Il concentre en sa personne les courants si variés dans lesquels s’était exprimée l’apocalypse juive et spécialement le Livre d’Hénoch. En face de lui, le Dragon, c’est Satan, le Serpent, qui s’oppose à lui jusqu’au bout. Mais ces deux géants sont eux-mêmes appuyés par deux êtres extraordinaires : l’Agneau par les deux Témoins, le Dragon par les deux Bêtes. Les Témoins sont empruntés à Zacharie (4, 2), mais quelle réalité cachent-ils ? Deux apôtres ? Deux prophètes ? Aucune explication définitive n’a pu être apportée. Pour les deux Bêtes, manifestement inspirées de Béhémoth et de Léviathan (Hénoch, LX, 7), on pense connaître la solution. La Bête de la mer serait l’Empire romain persécuteur. Mais il faut remarquer qu’elle est liée étroitement à la « Grande Prostituée », à la « Grande Ville », dont le symbolisme s’oppose à celui de la Femme céleste, et de la Jérusalem nouvelle. Il est d’ailleurs étrange que l’auteur, ou plus probablement un glossateur, puisse voir dans cette « Grande Ville » la Jérusalem terrestre, puisqu’il précise à son sujet : « C’est là où leur Seigneur a été crucifié » (11, 8). Quant à la Bête de la terre, elle est appelée aussi « Faux Prophète » (16, 13 ; 19, 20), ce qui évoque un fait proprement juif.
On peut donc se demander si les personnages dont il s’agit dans les deux cas n’appartiennent pas au domaine des réalités juives. Les liens sont tellement étroits que l’on pourrait croire à un ouvrage juif, auquel quelques versets interpolés çà et là auraient donné une couleur chrétienne. Certains l’ont pensé, mais c’était à une époque où l’on considérait l’eschatologie comme un « défaut » juif, dont le christianisme s’était « débarrassé ». On a redécouvert depuis lors le caractère eschatologique du
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christianisme primitif. Mieux encore, on admet désormais l’existence d’une forme de christianisme qui s’exprime dans les termes et selon les concepts propres au « judaïsme tardif ». C’est le judéo-christianisme dont l’influence apparaît comme déterminante dans la naissance du christianisme, et qui a pour première caractéristique d’être une eschatologie. Si l’Apocalypse de Jean sonne « juive », c’est qu’elle appartient à ce milieu. Elle en est la représentante presque unique parmi les livres du Nouveau Testament. Cela explique le contraste que l’on sent de façon assez nette entre elle et le groupe des évangiles et des épîtres, qui représentent une autre forme du christianisme, dont le triomphe a entraîné la disparition progressive du judéo-christianisme.
C’est donc ce milieu judéo-chrétien qu’il faut prendre comme cadre pour étudier l’Apocalypse. On peut alors la comparer à une abondante littérature, qui n’eut pas l’honneur d’être admise parmi les Livres saints, mais fut au contraire reléguée dans l’humble catégorie des « apocryphes ». On y trouve tout un groupe d’ouvrages chrétiens dont les analogies sont évidentes avec les apocalypses juives. C’est le cas en particulier de la partie chrétienne de l’Ascension d’Esaïe, qui se révèle très proche du livre de l’apocalypse de Jean. Celui-ci se trouve donc au point de contact de deux groupes importants d’ouvrages, qui sont qualifiés d’apocryphes. Si le terme a pris aujourd’hui un sens péjoratif, il s’applique en réalité à l’origine au caractère « caché » de la doctrine qui est contenue dans ces livres. Cet aspect « ésotérique » est évident, quand il s’agit de l’Apocalypse de Jean ; mais les apocryphes juifs et chrétiens dont nous disposons nous procurent la « clef » qui permet d’en déchiffrer les énigmes.
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LES ÉCRITS PRESQUE CANONIQUES.
Un certain nombre d’écrits, bien que non inclus dans la liste officielle d’aujourd’hui, n’en ont pourtant jamais été officiellement exclus (jamais déclarés officiellement apocryphes) bien que n’y figurant plus depuis des siècles et des siècles. Ils sont donc dans la situation assez curieuse de faire partie du Nouveau Testament tout en n’y étant pas, mais certains ont joué (et jouent encore ? Par exemple pour les exégètes) un grand rôle dans le christianisme.
Plusieurs de ces textes tentent de répondre aux questions que se posaient les chrétiens d’alors. La pénitence, la fin des sacrifices prescrits par le rituel juif, le pardon de la femme adultère, l’ascétisme et la chasteté, la voie du salut et les règles à suivre pour y accéder. On retrouve ces polémiques dans des textes que le christianisme officiel n’a pu détruire ou occulter, parce qu’ils continuaient d’être lus dans des communautés pourtant ralliées à sa « Grande » Église. Le substrat ancien des lettres de saint Paul (son noyau primitif) l’épître attribuée à Barnabé, la Didaché, les Homélies faussement attribuées à Clément (composées originellement en grec vers le IVe siècle, mais à partir d’un matériau plus ancien datant de la fin du IIe siècle).
LA DIDACHÉ OU DOCTRINE DES DOUZE APÔTRES (vers 90 à 120).
Figure dans le Codex Hierosolymitanus.
Pour la Didaché, l’Écriture sainte, c’est l’Ancien Testament ; elle parle de l’Évangile (au singulier), ce qui permet de penser qu’elle ne connaissait ni nos quatre évangiles canoniques actuels ni les évangiles apocryphes. Elle se présente comme un ouvrage préchrétien, né en milieu juif vers 90, modifié plus tard vers 120, par une secte juive christianisante, et contredit les quatre évangiles officiels sur de nombreux points.
Dans ce texte qui en fait ignore la crucifixion de Jésus et qui ne recèle aucune allusion à la vie de ce personnage ; les apôtres ne sont pas encore assimilés à des disciples du Christ, mais à de simples messagers itinérants des premières communautés chrétiennes en cours de constitution. Les chapitres XI et XII conseillent les communautés à propos de l’accueil de ces prédicateurs itinérants. « Que tout apôtre qui se présente à vous soit reçu comme le Seigneur ; mais il ne restera qu’un seul jour, et, s’il en est besoin le jour suivant. S’il reste trois jours, c’est un faux prophète… C’est à son style de vie que vous reconnaîtrez donc le faux du vrai prophète » (Didaché 11,4-8). Ce texte contient aussi des conseils sur la vie et sur la liturgie.
LA LITTÉRATURE PSEUDO-CLÉMENTINE.
Ces deux textes furent admis au début dans la liste des écrits officiels reconnus par l’Église puisqu’ils figurent dans le Codex Alexandrinus du début du Ve siècle.
Ils furent ensuite exclus ultérieurement du canon officiel, sans doute à cause de leur caractère gnostique, mais jamais officiellement.
Les écrits pseudoclémentins comprennent deux ouvrages probablement indépendants au départ, les Reconnaissances et les Homélies.
Les Reconnaissances, divisées en dix livres dans la traduction latine due à Rufin, existaient en grec.
Les Homélies, qui nous sont parvenues en grec, sont réparties en vingt livres et sont précédées de trois documents : la lettre de Pierre à Jacques, l’engagement solennel de Jacques, et la lettre de Clément à Jacques.
Cette compilation intègre les Kérygmes de Pierre, les Actes et l’odyssée de Pierre (Tyr, Sidon, Beyrouth) ainsi qu’un traité juif d’apologétique.
Les divergences doctrinales y sont inévitables.
Les deux ouvrages qui contiennent beaucoup de matériaux parallèles ont une origine grecque.
Si leur rédaction est datée du quatrième siècle, leurs traditions orales remontent au troisième, voire au second siècle, et proviennent de Syrie selon toute vraisemblance.
Le livre qui relate la prédication de Pierre dans les villes de la côte méditerranéenne est censé avoir été écrit par Clément de Rome à l’attention de Jacques, avant que Clément ne succède à Pierre à la tête de l’Église romaine. La prédication de Pierre aurait été remaniée plus tard sous la forme d’un Itinéraire de Pierre pour délivrer son enseignement secret. La traduction de Rufin, qui a élagué certains traits choquants pour l’idéologie dominante d’alors, a été appelée les « Reconnaissances » (recognitiones) ; par référence à un genre littéraire répandu à l’époque et qui voulait qu’un individu, après maintes pérégrinations, retrouve les membres de sa famille.
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Il s’agit d’un ensemble de variantes d’un même texte de base, souvent remanié et faussement attribué au pape (évêque de Rome) mythique appelé Clément. Il n’existe en effet aucune trace d’un pape ou d’un évêque de Rome du nom de Clément, et qui aurait succédé à saint Pierre, en dehors de l’auteur prétendu de ces homélies et reconnaissances ; qui sont des textes judéo-chrétiens accordant plutôt la primauté à Jacques de Jérusalem, le frère du Seigneur, et à Pierre dans une moindre mesure, considérés comme les seuls vrais apôtres dignes de foi (au contraire de saint Paul).
Le noyau initial de ce corpus se référant souvent au frère de Jésus (Jacques de Jérusalem) a sans doute été élaboré par des judéo-chrétiens ayant fui Jérusalem après sa destruction par les Romains en 70 (ébionites ou elkasaïtes).
La Première Épître de Clément aux Corinthiens (années 80 à 140).
Bien que nombre de détails restent obscurs, il est généralement admis que cette lettre-traité a été envoyée vers l’an 100 à l’Église de Corinthe, à l’occasion d’un schisme.
Les premières communautés chrétiennes mettront presque cette lettre au rang des écritures officielles, comme le souligne Eusèbe de Césarée : en beaucoup d’Églises, depuis longtemps et encore de nos jours, on la lit publiquement dans les réunions communes.
L’Épître attribuée à ce Clément vivant à Rome s’inspire principalement de l’Ancien Testament ; elle évoque cependant « Notre Seigneur Jésus-Christ » et son sang, tout en omettant de parler de sa Passion et de citer les évangiles. Son Christ est présenté comme le Fils du Créateur de l’Univers.
La deuxième épître de Clément (années 130 à 160) est sans doute issue des réactions nées de la diffusion de la première.
Le système des clémentines (des textes attribués à Clément) est une combinaison du théisme juif et du panthéisme stoïcien, dirigée tout aussi bien contre le dogme chrétien de la Trinité que contre le polythéisme et la gnose pagano-chrétienne. Saint Pierre y apparaît comme le représentant du vrai christianisme, qui s’identifie, pour l’auteur, avec le vrai judaïsme ; Simon le Magicien, son grand rival, est le représentant de toutes les doctrines erronées, d’abord de l’erreur qui porte son propre nom, ensuite de celle de Paul, enfin de celle de Marcion… Le monde selon lui, n’a pas été fait de rien, mais d’une matière éternelle, émanant substantiellement de Dieu ou du Démiurge dans ses quatre éléments…, etc.
LES ÉPÎTRES D’IGNACE D’ANTIOCHE (120 à 200).
Après avoir dirigé pendant au moins trois décennies, l’Église de Syrie et de Cilicie, saint Ignace fut arrêté, dans des circonstances assez étranges, puisque l’Église bénéficiait alors d’une grande période de paix. Il fut apparemment l’objet d’une plainte émanant de certains citoyens d’Antioche (des juifs ?) et, donc, arrêté puis transféré à Rome afin d’y être jugé. Il fut autorisé à écrire des lettres pendant sa détention, et ces lettres constituent d’ailleurs l’un des plus anciens témoignages sur le fanatisme de ces premiers chrétiens, ou leur intolérance initiale, digne des kamikazes de nos modernes djihads. Il y avait beaucoup de moines appelés parabolans parmi eux. Évêque de la première métropole païenne touchée par le christianisme après Césarée, Ignace exhorte en effet sans se lasser ses fidèles à fuir les autres chrétiens. Nous l’avons déjà dit, mais il est toujours bon de répéter ce genre de propos ; qui donne une bien meilleure idée de ce que fut vraiment le christianisme originel (but de ce livre) que la foule des discours convenus à son sujet qui induisent tous peu ou prou en erreur. Il est plutôt à comparer à l’islam des talibans. « Il faut les éviter, comme des bêtes sauvages. Ce sont des chiens enragés qui mordent furtivement. Vous devez vous en garder, car leurs morsures sont difficiles à guérir. Il n’y a qu’un seul médecin, charnel et spirituel, engendré et non créé, venu dans la chair ; vie véritable dans la mort, né de Marie et né de Dieu, d’abord susceptible de souffrir et maintenant non, Jésus-Christ notre Seigneur ». « Soyez donc sourds quand on vous parle d’autre chose que de Jésus-Christ ; de la lignée de David, né de Marie, qui est vraiment né, qui a mangé et qui a bu, qui a vraiment été persécuté sous Ponce Pilate, qui a vraiment été crucifié, et qui est mort, devant le ciel, la terre et les enfers ; et puis qui fut vraiment ressuscité d’entre les morts […] Car si, comme le soutiennent certains athées, c’est-à-dire des infidèles, il n’a souffert qu’en apparence […] C’est pour rien que je me livre à la mort. […] Fuyez ces mauvaises plantes parasites [de Satan] : elles donnent un fruit qui tue… »
Note de la rédaction N° 1. C’est la première fois que l’Église chrétienne naissante essaie de donner une réalité historique au personnage du Christ qui, au fil des années, deviendra le Christ Jésus. Si de telles interpolations plaident en faveur d’un Christ fait homme, on ne saurait méconnaître que les textes primitifs ne mentionnaient qu’un Christ spirituel, une sorte d’ange.
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Note de la rédaction N° 2. Nous ne résistons pas au plaisir de rappeler ici la position de l’islam à propos de ceux qui ne partagent pas sa vision du monde. Saint Coran chapitre 6, verset 68. « Si tu vois des gens plongés dans une discussion à propos de nos signes, écarte-toi d’eux jusqu’à ce qu’ils en soient venus à discuter d’autre chose. Le démon te fera certainement oublier ceci, mais dès que tu t’en souviendras, éloigne-toi d’eux ».
Les Épîtres d’Ignace d’Antioche ont été en réalité rédigées vers 120-130 par un évêque marcionite de Syrie, et remaniées profondément entre 190 et 210 par un correcteur proto-catholique ou proto- orthodoxe.
L’ÉPÎTRE DU PSEUDO-BARNABÉ (80-120).
Le texte figurait encore dans le Codex sinaïticus du IVe siècle.
Très proche du dualisme essénien, entre voie de la lumière et voie des ténèbres. Elle a été écrite au début du règne d’Hadrien, donc vers 118-120. Son chapitre 15 constitue un des principaux arguments des millénaristes.
L’Épître attribuée à Barnabé que l’on trouve dans le codex sinaïticus au IVe siècle est visiblement issue de milieux judéo-chrétiens déjà en rupture avec l’orthodoxie juive. Ce texte, dont la première version date de la fin du 1er siècle, montre que le christianisme a rapidement rompu avec cette orthodoxie juive (il propose de remplacer la circoncision du pénis par la circoncision du cœur) ; pour passer à un christianisme hellénisé (qui demeurera majoritairement gnostique jusqu’à Marcion). L’épître attribuée à Barnabé nous donne une bonne idée du glissement d’un christianisme encore juif à un pagano-christianisme gréco-romain : refus des sacrifices, de la circoncision, des rites sadducéens et pharisiens. Son auteur (dont Barnabé n’était évidemment pas le vrai nom) ne connaît visiblement pas l’homme Jésus des évangiles et ne connaît que le Christ ou le Seigneur, ce qui n’est pas la même chose. Quant aux apôtres, il ne les nomme même pas. L’épître cite souvent l’Ancien Testament, ainsi que des œuvres apocryphes, mais ne mentionne nulle part nos 4 évangiles. Son auteur parle 84 fois d’un « Seigneur », il fait souvent allusion à ses souffrances, mais ne parle pas de sa crucifixion ; la croix qu’il cite n’est pas un instrument de supplice. Il compare son Jésus aux deux boucs du jeûne juif (l’un sacrifié à l’autel et mangé par les prêtres, l’autre chassé dans le désert) et au taurillon égorgé puis brûlé (Lévitique 16, 8 à 10) comparaisons qui ne concordent pas avec les thèmes évangéliques à ce sujet.
LE PASTEUR D’HERMAS (100-160). Ce texte figurait encore dans le Codex sinaïticus du IVe siècle.
Le livre date sans doute du milieu du deuxième siècle (140-155). Ensemble de cinq visions, douze préceptes et dix paraboles, écrit par Hermas, un chrétien de Rome. Ce texte semble ignorer la notion de papauté ou de primauté de l’évêque de Rome dans ses remarques à propos de l’organisation des chrétiens. Cette œuvre était citée comme Écriture sainte par les Pères de l’Église et tenue comme d’inspiration divine. Elle était lue publiquement dans les églises, mais n’a pas trouvé place dans le canon. Son Fils de Dieu est antérieur à la création et ne se nomme pas Jésus ou Christ. Ce texte ignore en effet le nom de Jésus, il ne connaît pas nos évangiles et ne révèle aucune trace de judaïsme. Il s’agit donc d’un christianisme sans Jésus et sans Messie.
LES TESTAMENTS DES DOUZE PATRIARCHES (70 à 200).
Autre pur produit du IIe siècle de notre ère, prétendant contenir les dernières volontés des douze fils de Jacob à leurs enfants, chacun racontant l’histoire de sa vie et les leçons qu’il en tire. Certains passages sont indubitablement chrétiens. Il s’agit donc sans doute d’un texte émanant des milieux juifs, mais convertis au christianisme. Composé avant l’an 200.
LE DIATESSARON (170-175).
Tatien est l’auteur, comme Marcion, d’une version unique des Évangiles appelée le Diatessaron, enrichie de quelques autres éléments non canoniques.
Le texte nous en est connu à partir de différentes harmonisations plus tardives, et du commentaire de saint Éphrem.
L’ouvrage eut une énorme influence et fut utilisé pendant des siècles dans l’Église syriaque.
Il s’agissait d’un effort audacieux pour trouver une solution aux divergences ou aux différences qui apparaissaient dans les quatre Évangiles que nous connaissons à propos de la vie et des paroles de Jésus, et tenter de les harmoniser dans un écrit unique. Il est impossible de savoir si Tatien a composé son ouvrage en Occident ou vers 175-180 après son retour en Orient. Nous ne savons pas non plus s’il l’a composé en grec ou en syriaque, même si le syriaque est le plus probable. Un fragment du Diatessaron grec a été retrouvé lors des fouilles de Doura-Europos. Aucun manuscrit de
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la version syriaque n’a été conservé, mais nous savons, grâce au commentaire qu’il en a rédigé, que saint Éphrem (306 ? 373 ?) utilisait ordinairement le Diatessaron ; qui, au milieu du IVe siècle, était d’ailleurs le seul texte utilisé à Édesse et dans la région. Nous savons par Théodoret, évêque de Cyr de 422 à 458, qui mit fin à cet état de fait, qu’il était encore utilisé à son époque dans deux cents des quelque huit cents églises de son diocèse.
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LA DATE D’APPARITION DE CHAQUE ÉVANGILE OFFICIEL PRIS SÉPARÉMENT.
Les écrits du Nouveau Testament, ainsi que nous avons pu le voir, peuvent se répartir en genres littéraires différents : la lettre, la monographie historique, l’apocalypse, et enfin un genre littéraire nouveau, l’évangile.
Les évangiles sont des textes narratifs qui racontent la venue la mort et la résurrection de l’homme-dieu Jésus dans une perspective théologique bien précise. À la différence des lettres par exemple, les évangiles ne s’adressent pas à des destinataires précis et sont d’abord et avant tout une proclamation, salvifique.
Il n’existe aucune trace certaine d’un usage de l’un quelconque de nos évangiles canoniques avant la première moitié du second siècle de notre ère.
Quand saint Justin écrit sa « Vie du Christ » vers 160, il n’en a encore visiblement jamais entendu parler.
Les Évangiles ne sont pas des « premières mains » émanant de témoins oculaires ayant directement assisté à tous ces événements.
Le texte des Évangiles que nous lisons aujourd’hui n’est pas une « première main » qui nous serait parvenue ne varietur. Ce texte est au contraire l’aboutissement d’un effort rédactionnel de longue haleine, le résultat final de l’accumulation de nombreuses couches successives.
De plus en plus d’exégètes avancent que les Évangiles se sont constitués à partir de sources lointaines, au moyen de petites unités rassemblées peu à peu, parfois sans lien. Des clercs auraient rassemblé les prétendus « mémoires » glanés dans les églises, puis les collections ainsi faites se sont retrouvées dans les Évangiles.
Mais de quand datent les plus anciennes unités, les couches les plus proches des événements qu’elles sont censées relater ?
Il apparaît qu’entre la rédaction initiale des plus vieilles unités, leur rassemblement et leur composition définitive, les étapes se multiplient – et le temps s’allonge. De nombreux passages ont un caractère trop théologique pour être d’origine : la formule trinitaire de Matthieu, par exemple, suppose une élaboration doctrinale invraisemblable dans les premières communautés chrétiennes.
Note de la rédaction. Le seul exemple connu d’emploi par Jésus lui-même du mot Église, disons avec une majuscule, en Matthieu 16,18, comme nous venons de le voir, est très suspect, car cette déclaration est AU MINIMUM à situer… après la résurrection. Le « Tu es Pierre et sur cette Pierre je bâtirai mon Église » ignoré au IIe siècle par les docteurs et les apologistes comme Clément d’Alexandrie ou Irénée de Lyon, implique un important développement de l’institution ecclésiale, etc., etc.
Toutes ces phrases ou tous ces éléments de phrase, ont donc dû être rajoutés bien longtemps après.
Les remaniements se comptent par centaines. S’ils varient parfois d’un exégète à l’autre, il est absurde d’en nier la réalité, eux seuls permettant d’expliquer les innombrables contradictions contenues dans les Évangiles, les multiples Jésus que l’on a pu y trouver. Ils suffisent à interdire d’attribuer à chaque évangile une date fixe. Chaque verset a son âge et il paraît vain de chercher à suivre leur évolution pas à pas. 36 de notre ère, 50, 70, ou 90, de telles fourchettes ne peuvent jamais que situer la rédaction des quelques premières bribes évoquées plus haut, mais leur importance ne doit pas être sous-estimée pour autant.
D’après Mead les premiers embryons d’évangiles furent probablement écrits en Égypte, sous le règne d’Hadrien notamment dans la ville d’Alexandrie, carrefour des religions. Des versions gnostiques de ces textes y furent d’ailleurs découvertes en 1945 (à Nag Hammadi).
D’après Massey, ce sont d’ailleurs ces gnostiques qui diffusèrent dans l’Empire romain les textes sur lesquels se fondèrent les différents évangiles, canoniques ou non.
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LA DATE DE LA COLLECTION.
La plupart des gens s’imaginent que les chrétiens ont toujours eu des bibles comme nous en avons aujourd’hui, ou que les écrits chrétiens existaient dès le début. En fait, ainsi que nous avons déjà pu le voir, la formation du Nouveau Testament… fut une affaire assez compliquée.
Au troisième siècle, nos évangiles, ainsi que le portrait qu’ils donnent du Christ, étaient encore inconnus d’un certain nombre d’écrivains chrétiens ou de sectes chrétiennes. Nous n’en donnerons comme exemple que l’Octavius de Minucius Félix au IIIe siècle : la façon détournée, ambiguë, presque équivoque, dont Octavius fait allusion au Christ : « Vous attribuez, dit-il, à notre religion, le culte d’un malfaiteur et de sa croix ; mais vous errez bien loin de la vérité en supposant qu’un malfaiteur ait mérité de passer pour un dieu et qu’un être terrestre ait mérité de passer pour tel. Assurément, celui-là est digne de pitié dont tout l’espoir repose sur un homme sujet à la mort… »
La question est : comment peut-il se faire que, dans une apologie du christianisme, ce Minucius Félix n’ait pas voulu (ou pu) prononcer une seule fois le nom du Christ ?
Quelques repères chronologiques donc.
140. L’Evangélion de Marcion les ignore et ne connaît qu’un seul évangile.
150. Papias ne connaît encore que Marc et Matthieu.
160. Saint Justin n’utilise que des logia pour bâtir sa Vie du Christ. Ce qui ne signifie pas, naturellement, que tout a été inventé après lui, mais que la construction de l’édifice évangélique n’était pas encore achevée lorsqu’il écrivait.
185. Saint Irénée connaît bien quatre évangiles (pour lui l’évangile est « tétramorphe »).
Quel que soit le texte que l’on met en avant, il n’y a en aucune façon à revenir sur la certitude (autant que l’on puisse en avoir en Histoire) ; qu’à partir de cette période l’Église primitive connaît les récits de Matthieu, Marc, Luc et Jean ; et leur porte assez de considération pour les préférer à la soixantaine « d’apocryphes » qui jusque-là leur étaient concurrents, et que l’Église citait régulièrement au cours du IIe siècle.
Néanmoins est-on assuré du contenu des Évangiles de cette époque ? Non ! Si le nom de quelques évangélistes est attesté, nous ne savons rien ou presque du contenu des textes qui leur sont attribués. Papias a lu deux Évangiles différents de ceux que nous connaissons, jugeant par exemple Marc « désordonné », alors qu’il est reconnu que celui-ci pèche au contraire par excès d’organisation. Les polémistes païens comme Celse et Porphyre, dans des controverses acerbes, n’ont-ils pas rejoint les craintes des chrétiens tels que Denys de Corinthe ou Irénée de Lyon, en évoquant une manipulation des textes ? Ils nous incitent à penser que, pendant assez longtemps, de « pieux auteurs » ont remanié ces récits à leur convenance. Ainsi que nous avons eu l’occasion de le dire d’ailleurs saint Jérôme, au IVe siècle, se plaindra d’ailleurs encore de la falsification et du mélange des Écritures (le pape le chargera de les « harmoniser » en une seule version latine).
« … Pour qui voudra connaître les passages curieux renfermés dans les quatre évangiles, soit que ces passages concordent entre eux, soit qu’ils diffèrent en quelques points, soit qu’une dissemblance totale les sépare, il sera nécessaire de recourir à la distinction que nous avons établie entre eux. Quant à certaines erreurs assez notables qu’on pourra signaler dans nos livres, elles résultent d’abord de ce qu’un évangéliste s’étant étendu plus qu’un autre sur un même sujet, les commentateurs se sont crus dans l’obligation de compléter le récit de l’autre ; elles résultent, en second lieu, de ce qu’un évangéliste avant raconté en termes différents un fait identique rapporté par les autres, chaque commentateur prit pour modèle le premier qui lui tomba sous la main, et se mit à corriger les autres d’après lui ».
Il est donc très vraisemblable qu’au cours du IIe siècle, si des bribes d’Évangiles existent certainement, si le nom de certains auteurs leur est déjà accolé ; les quatre Évangiles tels que nous les connaissons actuellement ne sont pas encore définitivement constitués. Cette étape ne sera franchie, au mieux, que vers 170.
Ce n’est toutefois qu’au IIIe concile de Carthage, en 397, que le Nouveau Testament prendra sa forme définitive (sans l’Apocalypse). Soit au IVe siècle.
36 de notre ère, 65, 70, ou 90, de telles dates ne peuvent que situer la rédaction des quelques premières bribes évoquées plus haut. La rédaction définitive des Évangiles est à chercher beaucoup plus tard, plus de 100 ans après les événements qu’ils entendent relater. Elle a été précipitée pour
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supplanter les autres tendances chrétiennes qui se répandaient, ce dont convient saint Irénée. Il fallait faire coïncider les Écritures avec les croyances des premières communautés. Ces Évangiles sont rédigés pour la formation des néophytes, la réfutation des hérétiques, la confusion des juifs endurcis, les besoins de la liturgie. Il fallait fournir au message le cadre narratif qui lui manquait cruellement, et pouvoir dire que c’était en telle et telle circonstance que tel ou tel de ses aspects avait donc été révélé. En terre d’islam, on appelle un tel procédé asbab al-nouzoul, autrement dit littéralement les « causes occasionnelles de la descente » (des versets coraniques), autrement dit les « circonstances de la révélation ».
Comme ils n’ont été formés qu’en vertu de critères théologiques, en reprenant à leur compte un ensemble de traditions écrites et orales, dont le genre veut que la dominante soit hagiographique ; les Évangiles nous renseignent davantage sur la foi des premiers chrétiens (ils en sont l’expression) que sur Jésus lui-même ; si toutefois il a existé, ce dont nous sommes en droit de douter sérieusement, comme nous allons le voir. Se frayer un chemin à travers les amplifications de la catéchèse opérées par les correcteurs au cours des deux premiers siècles, et les erreurs des copistes (on écrivait alors sans séparer les mots) relève de la gageure.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de la voir, il paraît difficile d’admettre que Marcion se soit livré au travail inutile de supprimer dans des proportions importantes des passages particuliers de Luc, ce dont l’accuse le christianisme actuellement dominant ; surtout s’il avait pu prendre comme base de travail un autre synoptique, Marc par exemple, avec lequel il présente tant de points communs.
Les accords textuels de Marcion avec Marc (ou Matthieu) contre Luc tendent à établir la priorité de Marcion sur Luc. Si le « selon Luc » actuel est une composition plus tardive que l’évangile de Marcion, ou s’il est une seconde mouture d’un évangile marcionite ; dans ce cas, le matériau qui lui est propre est chronologiquement secondaire par rapport au reste du texte, ce qui veut dire que Marcion ne le connaissait pas (pas plus que ne le connaissaient les autres synoptiques d’ailleurs).
On donc peut estimer que c’est l’évangile de Marc, dans un état antérieur à celui que nous lui connaissons, qui a été le moins éloigné du texte primitif de l’Evangelion ; et donc que c’est l’évangile de Marc qui s’est ajouté en premier à l’évangile unique prêché par Paul et publié par Marcion.
L’équipe rédactionnelle ayant mis au point l’évangile dit « de Marc » a utilisé pour composer son œuvre un recueil de logia ; comportant cinq controverses, relatées de 2,1 à 3, 6, mais aussi divers matériaux couchés par écrit antérieurement (le récit de la Passion par exemple). Cette première mise par écrit des paroles de Jésus a vraisemblablement eu lieu vers l’an 50. On appelle ce premier document la Source, en allemand « die Quelle » (= sigle Q). Jésus y était présenté comme un sage.
Ce premier document écrit devait sans doute beaucoup ressembler à l’évangile apocryphe de Thomas découvert dans les sables du désert égyptien à Nag Hammadi en 1945. Ce texte n’a pas de structure narrative. C’est seulement un recueil de logia c’est-à-dire de paroles de Jésus, au nombre de cent quatorze, le plus souvent précédées de la mention « Jésus a dit ». Les trois quarts ont leur parallèle dans les textes canoniques, à la différence qu’aucun d’eux ne met Jésus en situation par des références de temps ou de lieu. Il n’est pas fait mention de sa mort ni de sa résurrection.
La seconde étape de la rédaction des évangiles fut donc peut-être l’évangile de Marc, aux alentours de l’an 70. La grande nouveauté fut d’y présenter Jésus comme un « homme divin » (theios anèr), à l’imitation des héros de la mythologie grecque, et non plus comme un ange ou pur esprit : le christ. De nombreux miracles lui furent alors attribués.
La troisième étape fut la composition des évangiles de Matthieu et de Luc, vers 80-90. Ces évangiles auraient paraphrasé Marc (triple tradition), et inséré dans sa trame diverses paraboles, ainsi que la matière contenue en Q (double tradition). Rédigés sensiblement à la même époque, en des aires géographiques différentes. La croyance en la divinité de Jésus s’étant développée, ces évangiles ont fait précéder l’histoire de son ministère, de récits en grande partie légendaires, relatant son enfance merveilleuse.
Une dernière étape fut la rédaction du quatrième évangile, celui que l’on dit habituellement « selon Jean », à la fin du 1er siècle ou au début du IIe. Ce nouveau recueil utilise une tradition originale, différente de celle des synoptiques. La première forme de cette tradition était un recueil de « signes » (Sèmeiaquelle), enrichi postérieurement par un recueil de « révélations » (Offenbarungsquelle, toujours en allemand) ; présentant le christ comme un être céleste, venu d’en haut et retournant là où il était auparavant (christologie « haute » contrastant avec la christologie « basse » des synoptiques).
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DOCUMENT.
LE CANON DE MURATORI.
On appelle « canon » la liste officielle des livres sacrés d’une religion. Le canon du judaïsme actuel a par exemple été élaboré après la dramatique prise de Jérusalem en l’an 70 et l’installation à Jamniah d’une poignée de rabbins pharisiens survivants. Le canon de l’Église catholique n’a été définitivement arrêté que par un décret du Concile de Trente (1546).
Le canon de Muratori ne fut qu’une des phases du processus ayant abouti à ce résultat.
Cette liste des textes canoniques du Nouveau Testament porte le nom de son inventeur, Louis Antoine Muratori (1672-1750), et fut découverte au XVIIIe siècle dans un manuscrit latin (du VIIe ?) de la Bibliothèque Ambrosienne de Milan. Ce texte, qui date peut-être de la fin du IIe siècle, a circulé et a été transmis pendant plusieurs siècles. Écrit avec de nombreuses fautes d’orthographe, le texte recopié par les scribes n’a pas toujours été compris, et remonte sans doute à un original grec. Le début du texte est mutilé et devait comporter une notice sur l’Évangile de Matthieu ainsi que sur celui de Marc.
« ……… Il était avec eux et a donc consigné tout ceci.
Le troisième livre de l’Évangile [est celui] selon Luc. Luc, le médecin, après que le christ est monté au Ciel, quand Paul l’eut pris avec lui comme compagnon de voyage, et après qu’il eut fait des recherches ; l’a écrit et signé de son nom, mais il n’a jamais vu non plus le Seigneur en chair et en os. Comme il pouvait se renseigner à bonnes sources ? il a néanmoins commencé à en écrire l’histoire en partant de la Nativité de Jean.
Le quatrième [livre] des Évangiles est celui de Jean un des disciples. Quand ses condisciples et ses évêques l’eurent pressé [de le faire], il leur répondit : Restez avec moi dès aujourd’hui et pour trois jours, et que chacun raconte aux autres ce qui lui viendra spontanément à l’esprit. Sur ce, la même nuit, il fut révélé à André, un des Apôtres, que Jean devrait signer de son nom seul ce qu’ils lui diraient. Voilà pourquoi même si ces quatre livres ne commencent en aucune façon leur récit de la même façon, cela ne fait aucune différence pour ce qui est de la foi des croyants ; puisque tout ce qui concerne sa nativité, sa passion, sa résurrection, son apparition aux disciples, et son deuxième avènement ; le premier ayant eu lieu dans l’humilité ou le mépris, le deuxième devant se dérouler dans la puissance et la gloire la plus royale ; leur a été inspiré par le même Esprit souverain.
Quoi de plus merveilleux dans ce cas que Jean rapporte aussi dans ses Épîtres maints détails particuliers ; accompagnés de remarque du genre : « nous avons vu de nos yeux, entendu de nos propres oreilles, et fait de nos propres mains toutes ces choses, que nous avons couchées par écrit pour vous ». Il proclame ainsi qu’il fut non seulement un témoin oculaire et un auditeur, mais aussi, afin que cela nous soit profitable, le scribe notant toutes ces merveilles accomplies par le Seigneur.
Les Actes des Apôtres constituent un seul volume. Luc y décrit brièvement pour Théophile, le plus excellent des hommes, un certain nombre de choses survenues en sa présence. Il relate de la même façon aussi, évidemment, la mort de Pierre, ainsi, que le départ de Paul [de Rome] pour l’Espagne.
Les Épîtres de Paul montrent à ceux qui veulent en savoir plus [ce qu’ils sont], d’où ils viennent, et ce pour quoi ils ont été envoyés. Il commence par écrire aux Corinthiens, afin de les mettre en garde contre les risques de schisme provoqué par l’hérésie ; ensuite aux Galates pour les mettre en garde contre la circoncision ; puis aux Romains à qui Paul parle beaucoup du Christ avec force citations des Écritures.
Il est néanmoins nécessaire ici d’en débattre puisque le saint apôtre Paul lui-même, conformément à l’exemple de son prédécesseur Jean, a écrit à sept églises, seulement connues par leur nom, et dans cet ordre ; la première épître aux Corinthiens, la deuxième aux Éphésiens, la troisième aux Philippiens, la quatrième aux Colossiens, la cinquième aux Galates, la sixième aux Thessaloniciens et la septième aux Romains.
Mais, bien qu’il ait écrit deux fois aux Corinthiens et aux Thessaloniciens, pour les sermonner, il est néanmoins évident que l’Église est faite pour être connue et répandue aussi ailleurs sur la terre entière. Jean de même, bien qu’il ait écrit à sept églises seulement dans son Apocalypse, s’adresse néanmoins à tous en écrivant.
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Paul n’a écrit qu’une lettre à Philémon et qu’une à Tite, mais il en a écrit deux à Timothée à cause de son affection et de ses affinités pour lui. Ils sont honorés dans l’Église Universelle et ont été consacrés selon la discipline ecclésiastique.
Il existe aussi [une épître] aux Laodicéens et une épître aux Alexandrins [toutes deux] faussement attribuée à Paul par l’hérésie de Marcion. Il y en a aussi beaucoup d’autres qui ne peuvent pas être reçues dans l’Église Universelle, car on ne peut mélanger le fiel avec le miel.
L’Épître de Jude, ainsi que les deux dites « de Jean », sont bien sûr acceptées par l’Église universelle, ainsi que la Sagesse de Salomon, texte écrit par des amis en son honneur. Nous n’acceptons que l’Apocalypse de Jean et l’Apocalypse de Pierre, bien que certains d’entre nous n’en veuillent pas pour l’Église.
Hermas a composé son Pasteur tout récemment à Rome, durant l’épiscopat de son frère Pius, et on peut donc le lire ; mais il ne doit pas être rangé parmi les prophètes, puisque leur lignée en fait est terminée, ni parmi les apôtres, car bien trop tardif. Nous n’acceptons rien d’Arsinoé, ni de Valentin, ni de Meltiades. Sont aussi à rejeter ceux qui ont composé un nouveau livre de psaumes marcionites, ainsi que Basilide, et les cataphrygiens d’Asie (NDLR. Les montanistes)… »
FIN DU FRAGMENT.
Ce manuscrit latin du septième siècle, mais peut-être écrit vers 180, et publié par Louis Antoine Muratori en 1740, est donc un précieux témoin du début de censure ou de réécriture de l’histoire opéré par les futurs chrétiens officiels (vers 180) ; malheureusement tronqué (il manque le début et ce qui concerne le premier évangile ainsi que le second).
Il accepte encore les écrits intitulés la Sagesse de Salomon, le Pasteur d’Hermas, ainsi que l’Apocalypse de Pierre. Mais il rejette deux lettres de saint Paul, une aux Laodicéens et une aux Alexandrins, sous prétexte de marcionisme ; ainsi que beaucoup d’autres écrits notamment ceux d’Arsinoé, de Valentin, de Miltiade, le nouveau livre de psaumes marcionites, ainsi que les écrits de Basilide, et les montanistes (les cataphrygiens d’Asie…) La datation de cette première liste officielle est encore sujette à discussions. Si certains cherchent à la faire remonter à la grande période de constitution des listes de textes canoniques (IVe siècle), il existe des éléments permettant de la dater de la fin du IIe siècle ou du début du IIIe siècle. Il s’agit notamment :
1) De la référence au caractère récent du Pasteur d’Hermas, qui plaide pour une élaboration de la liste au IIe siècle.
2) De l’allusion à la lignée, close, des prophètes et des apôtres, qui sous-entend que la crise montaniste a déjà eu lieu, ce qui plaide donc aussi pour une élaboration à la fin du IIe siècle, au plus tôt.
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L’ÉLABORATION DU CANON ACTUEL.
Les évangiles ne sont pas les premières productions écrites du christianisme. Les premiers textes écrits du christianisme furent sans doute des prières, le kérygme, des professions de foi pour répondre aux interrogatoires, des formules liturgiques pour l’exécution de certains rites, des recueils d’enseignements ou de paroles, des lettres, pastorales ou non.
Les textes plus longs, mais très structurés appelés évangiles ne furent élaborés qu’après ces premiers écrits. Et sans doute en commençant par la fin. La résurrection, la passion… puis l’enfance. Les parties concernant l’enfance voire la nativité sont en effet parmi les dernières à avoir été insérées dans le canevas initial. Plus aucun théologien expert du Nouveau Testament ne défend aujourd’hui l’idée que les auteurs des évangiles seraient des apôtres de Jésus (comme Matthieu, Jean… qui, s’ils ont existé, étaient morts depuis longtemps).
La Bible que nous connaissons actuellement est donc le résultat d’un tri… humain. Marcion a été le premier à faire pour son Église un choix dans la multitude de textes circulant dans les communautés chrétiennes. À en retenir certains ou à en laisser d’autres.
Le futur christianisme officiel en fit autant, et il élabora, lui aussi, peu à peu, une liste officielle des textes à retenir pour ses fidèles. Cette première liste officielle d’écrits à utiliser ou à exclure, fut donc une réaction essentiellement négative de rejet, des autres courants chrétiens, notamment face à Marcion et face à la tentative de Tatien de composer un texte synthétisant les évangiles (le Diatessaron). Sans oublier les montanistes qui produisaient de nouveaux écrits à partir des « oracles » de leurs prophètes (situation que l’on vit pourtant de nouveau depuis la proclamation de l’infaillibilité pontificale en matière de dogme) ; et la profusion d’écrits (les fameux apocryphes) développant tels ou tels aspects particuliers de la croyance chrétienne.
Dates clés pour l’apparition des quatre évangiles en tant que collection de quatre textes différents. Rappel.
140. L’Evangélion de Marcion, écrit vers 140, les ignore et ne connaît qu’un seul évangile.
150. Papias ne connaît encore que Marc et Matthieu.
160. Saint Justin n’utilise que des logia pour bâtir sa Vie du Christ. Ce qui ne signifie pas, naturellement, que tout a été inventé après lui, mais que la construction de l’édifice évangélique n’était pas encore achevée lorsqu’il écrivait.
Les premières traces littéraires précises permettant de montrer que plusieurs évangiles circulent en même temps (vraisemblablement Matthieu et Jean ; peut-être Matthieu, Jean et Luc) datent de la période de Justin, au milieu du IIe siècle, encore qu’il soit difficile de penser que Justin lui-même connaissait plusieurs évangiles, lus couramment à l’office du dimanche matin.
Vers 170 les choses deviennent différentes : on a des citations de textes présentées comme appartenant à un ensemble canonique.
En 180, pour Irénée, l’évangile est à quatre « formes » (tétramorphe). Les quatre vivants de l’Apocalypse sont pour lui les figures des quatre évangélistes.
L’existence d’Évangiles différents attribués à Luc, Marc, Matthieu et Jean, n’est donc attestée qu’à la fin du IIe siècle ; car c’est à la fin du IIe siècle seulement, comme nous l’avons vu, que seront diffusés pour la première fois ces textes explicitement attribués à ces derniers.
Reste à savoir ce qui circulait, lorsque ces évangiles commencèrent à se répandre. S’agissait-il des textes tels que nous les connaissons ? La question se pose.
Circulaient en effet dans la deuxième moitié du IIe siècle des évangiles assez différents de ceux que l’on connaît aujourd’hui ; par exemple Marc sans la fin du chapitre 16 (absente du codex vaticanus et du codex sinaïticus), Jean sans le chapitre 21, Luc sans les chapitres 1 et 2 (pour les marcionites), etc.
IIIe siècle : rédaction du papyrus Chester Beatty qui contient les quatre Évangiles (dans l’ordre Matthieu – Jean – Luc – Marc), et les Actes des apôtres. Découvert dans le Fayoum en Égypte, il est actuellement détenu à la Chester Beatty Library de Dublin.
Les manuscrits complets ou presque les plus anciens que nous possédons, le codex vaticanus et le codex sinaïticus, sont du IVe siècle seulement.
Le codex est l’ancêtre du livre actuel. Il se composait de feuilles que l’on pliait, assemblait puis reliait ensemble comme un cahier. On écrivait sur les deux côtés des feuilles, l’ensemble des feuilles étant protégé par une couverture. Le premier codex ressemblait très peu aux livres d’aujourd’hui, mais, comme la plupart des autres inventions, il a évolué et s’est transformé en fonction des besoins et des préférences de ses utilisateurs.
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Au dire de certains, la facilité avec laquelle on trouvait des passages précis dans le codex a joué un rôle déterminant dans l’accueil favorable que lui ont réservé les chrétiens et des professionnels, comme les avocats. Les chrétiens trouvaient très utile, pour l’œuvre de prédication, de disposer de textes peu encombrants, ou simplement d’une liste pratique de citations bibliques. De plus, le codex avait une couverture, souvent faite de bois, lui assurant une durabilité supérieure à celle du rouleau.
Les codex se prêtaient bien à la lecture individuelle. À la fin du IIIe siècle, des parchemins des Évangiles, en format de poche, étaient en circulation parmi ceux qui se réclamaient du christianisme. Depuis lors, des milliards de bibles complètes ou partielles ont été produites sous forme de codex.
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CODEX SINAITICUS ET CODEX VATICANUS.
AVERTISSEMENT AU LECTEUR. Il ne faut pas confondre les œuvres anonymes (ouvrages dont on ne peut identifier nommément l’auteur) et les œuvres pseudonymes ou pseudépigraphiques (ouvrages qui prétendent avoir été composés par quelqu’un qui ne les a pas écrits). Les évangiles par exemple sont anonymes en fait ; ils n’identifient pas leurs auteurs. Les attributions à Matthieu, Marc, Luc et Jean, qui apparaissent dans leur titre, remontent au IIe siècle seulement, ces titres ne font pas partie des ouvrages originaux. Également anonymes sont les Actes, Hébreux et 1 Jean (2 et 3 prétendent avoir été rédigés par « l’Ancien »).
Les ouvrages pseudonymes ou pseudépigraphiques du Nouveau Testament sont ceux dont la formulation même identifie un auteur qui ne peut pas les avoir composés, ce sont les lettres ou épîtres suivantes ci-dessous.
La deuxième lettre aux Thessaloniciens, la lettre aux Colossiens, la lettre aux Éphésiens, la première et la deuxième lettre à Timothée, la lettre à Tite, la lettre de Jacques, la première et la deuxième lettre de Pierre, enfin la lettre de Jude.
Ce qui fait quand même beaucoup ! Mais il s’agissait de composer un écrit en l’attribuant fictivement, dans le texte même, à un personnage plus célèbre que soi-même ; soit pour se réclamer de son héritage, soit pour utiliser son prestige dans le but de diffuser des idées qui n’étaient pas les siennes.
Maintenant, au lieu d’emboîter bêtement le pas aux chrétiens d’aujourd’hui et d’expliquer Paul par les évangiles, c’est-à-dire le commencement par la suite ou par la fin ; demandons-nous donc plutôt comment la religion prêchée par Paul aux païens a pu devenir le christianisme d’aujourd’hui. Chercher comment Paul, récemment converti à un judaïsme marginal, a pu et voulu transformer en quelques années la religion qu’il adoptait, constitue un non-sens et un faux problème. C’est la question contraire qu’il faut poser : comment et pourquoi le futur christianisme dominant a-t-il réuni dans son « Nouveau Testament » les Épîtres de Paul et une partie de l’Evangelion de Marcion, après en avoir dénaturé le sens ? car ce qui est sûr en tout cas, c’est que c’est par réaction au marcionisme que la future Église catholique orthodoxe ou Réformée, décidera d’adjoindre à son évangile 3 autres récits lui ressemblant, puisqu’ayant grosso modo la même origine ; des communautés non pas judéo-chrétiennes, mais pagano-chrétiennes, hellénophones.
Et c’est probablement à l’empereur Constantin 1er, suite à sa « conversion » * au christianisme, que nous devons l’ambition de réunir sous un même format l’ensemble des textes constituant les Saintes Écritures. Auparavant les textes « sacrés » n’étaient pas compilés, mais copiés séparément sur des rouleaux ou des parchemins.
Le Codex sinaïticus est un manuscrit en onciales complet du Nouveau Testament datant du IVe siècle (rédigé entre 330 et 350). Il contient également des parties de la Septante.
Écrit en onciales grecques sur du vélin. Le codex se compose de 346 folios et 1/2, soit : 199 pour l’Ancien Testament et 147 et 1/2 pour le Nouveau Testament.
L’ensemble du Nouveau Testament est repris, dans l’ordre : Évangiles – Épîtres de Paul – Actes des Apôtres – Épîtres catholiques – Apocalypse. Suivent aussi l’Épître de Barnabé et le Pasteur d’Hermas.
À l’origine vraisemblablement une des cinquante copies des Saintes Écritures envoyées par Eusèbe de Césarée à l’empereur Constantin 1er et payées par lui, au IVe siècle.
Le Sinaïticus est l’un des deux plus anciens manuscrits (avec le Codex Vaticanus) reprenant l’ensemble du canon biblique tel que nous le connaissons actuellement. Il représente donc une étape cruciale dans le développement de la chrétienté.
Le codex vaticanus.
Conservé à la Bibliothèque vaticane, le Codex vaticanus est un manuscrit sur vélin en écriture grecque onciale daté du IVe siècle. Il s’agit du plus ancien manuscrit complet conservé de l’Ancien et une grande partie du Nouveau Testament.
Il est composé de 759 feuilles, écrites sur trois colonnes, avec 42 lignes par colonne, excepté les livres poétiques, écrits sur deux colonnes.
Peut-être un des 50 exemplaires de la Bible commandés par l’empereur Constantin 1er à Eusèbe de Césarée ? Peut-être la Bible commandée par l’empereur Constant 1er en 340 à Athanase d’Alexandrie, alors en exil à Rome ? On hésite sur son origine exacte, mais il date du milieu du IVe siècle.
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Les quatre évangiles, et les épîtres de Paul (retenues dès 120) feront donc partie de cette première liste officielle du christianisme. L’épître aux Hébreux, l’apocalypse (de Jean) et les épîtres de Jacques, Pierre, Jean ou Jude, ne seront incluses dans cette liste que plus tard. Les lettres de Clément de Rome, la Didaché, l’apocalypse de Pierre et l’épître de Barnabé, manqueront de peu d’y être incluses. L’évangile de Jean faillit ne pas être retenu, car son petit côté mystique faisait très gnostique.
Parallèlement, et toujours pour contrer le marcionisme, on retint aussi dans cette liste les traditions attestées par la Torah (fixées par les juifs) et qui donneront donc la première partie de la Bible : l’Ancien Testament.
Le canon découvert par Muratori en est la plus ancienne trace.
Et puisqu’il est question de canon, n’oublions pas ici que John Toland a écrit dans son réquisitoire de 1697 contre les Pères de l’Église, qu’il leur arrive de dire en certains endroits le contraire de ce qu’ils ont affirmé ailleurs (ils sont coutumiers du fait) ; qu’ils ne sauraient donc servir de règle constante pour les autres, que ce sont des hommes sujets à l’oubli, etc., etc.
Le propos est un peu propos excessif. Ce qui est certain, par contre, c’est que la formation du Nouveau Testament… fut effectivement une affaire assez compliquée…
Car le fait est que l’Église a finalement retenu non pas un, mais quatre évangiles, composés en gros dans la période 65 – 100. Pourquoi quatre et pas un ? Bien que Paul ne fasse aucune allusion à un exposé écrit, sa mise en garde dans Galates 1, 8-9 contre « un évangile différent de celui que nous avons prêché » suggère bien que l’idée d’un seul évangile était alors la plus naturelle. L’Évangile de Marc, que la plupart des biblistes estiment le plus ancien se donne à lui-même ce titre solennel : « l’Évangile de Jésus, Christ, fils de Dieu » ; ce qui ne suggère pas qu’il puisse y avoir une autre version de ladite proclamation. Répétons-le encore une fois, le plus simple, le plus logique, eut-été qu’il n’y ait qu’un seul évangile, et pas quatre…
Mais utiliser un seul évangile pouvait être gênant pour un mouvement de masse comme la Grande Église, qui se voulait universel, la focalisation sur un seul évangile pouvait en effet aboutir à soutenir une théologie rejetée par beaucoup d’autres chrétiens.
Afin d’avoir aussi quelque chose à proposer aux judéo-chrétiens, aux gnostiques, ou aux marcionites, l’acceptation de plus d’un évangile devint donc la pratique de la « Grande Église »…
Saint Irénée le reconnaît d’ailleurs lui-même.
« La doctrine des évangiles est si ferme que les hérétiques eux-mêmes leur rendent témoignage, et que chaque hérésie met sa doctrine sous leur patronage. Les ébionites, en effet, qui ne se servent que de l’évangile de Matthieu, sont convaincus par Matthieu de leur erreur sur le Seigneur. Marcion, qui mutile l’évangile de Luc, est convaincu du crime de blasphème contre le dieu unique par les textes qu’il conserve. Ceux qui séparent Jésus du Christ (Cérinthe) et qui donnent la préférence à l’évangile de Marc, peuvent être redressés par cet évangile, s’ils le lisent avec l’amour de la vérité qu’il faut. Ceux qui suivent Valentin se servent de l’évangile de Jean, et cet évangile même dévoile leur erreur. Donc, puisque ceux qui nous contredisent, nous rendent indirectement témoignage en se servant de ces évangiles, la démonstration que nous établissons contre eux est solide et vraie ».
On se demande bien néanmoins pourquoi certains textes ont été déclarés canoniques et d’autres apocryphes. La dernière partie des quatre Évangiles par exemple, n’est pas dans le codex vaticanus, mais le Pasteur d’Hermas et l’Épître à Barnabé, eux, y figurent à égalité avec les autres, dans le codex sinaïticus.
Bref, après s’être dépouillé du judaïsme et du gnosticisme hellénisé, le courant à l’origine du christianisme officiel mit peu à peu au point un compromis ; entre les tenants de la Bible juive, rebaptisée Ancien Testament, et les hérétiques marcionites partisans de textes consacrant la rupture, s’adressant surtout à un public grec ou romain, appelés par Marcion le Nouveau Testament justement. Un compromis où le Christ apparut comme un personnage de plus en plus historique au sens strict du terme ; et où fut soulignée l’importance des deux apôtres Pierre et Paul, symboles des deux courants réconciliés d’office et quelque peu arbitrairement d’ailleurs, pour la circonstance.
Un corpus de textes sera donc rassemblé, dont l’autorité ne devra plus être sujette à aucune contestation, puisque censés venir de Dieu ou du Démiurge et de ses prophètes en ce qui concerne les textes de l’Ancien Testament ; du Messie et de ses apôtres pour les écrits de ce que Marcion, traduisant l’expression essénienne « nouvelle alliance » avait appelé (le premier) « le Nouveau Testament ».
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Ce courant idéologique, ancêtre direct du christianisme actuel (dont les maîtres à penser Tertullien et Irénée, entre autres, se déterminèrent par rapport à Marcion ou à Montan : que faut-il en retenir, que faut-il en rejeter ?)
1) Garde les ouvrages du courant paulinien ou marcionite : l’Évangile attribué à Luc, mais remanié (ajout des chapitres 1 et 3) les Actes des Apôtres (remaniés également eux aussi, afin d’atténuer l’opposition entre la pensée de Paul et celle des autres apôtres) ; ainsi que les épîtres pauliniennes auxquelles il ajoute les épîtres pastorales, qui ne sont pas de Paul évidemment, sinon Marcion les aurait publiées.
2) Mais reprend la plupart des livres sacrés des juifs constituant la Torah (le rejet par Marcion de l’Ancien Testament ayant désorienté nombre des premiers chrétiens).
3) Écarte les évangiles du vieux courant judéo-chrétien (l’Évangile des ébionites ou les textes pseudo-clémentins, intitulés en latin Recognitiones, Homiliae, etc.) ainsi que divers autres.
4) Tout en reprenant certains de leurs éléments.
5) Généralise également l’usage des Évangiles de Marc et Matthieu.
6) Annexe à son corpus officiel l’Évangile attribué à Jean, qui comporte encore des traces de gnosticisme. Voir chez Jean les déclarations de Jésus selon lesquelles il est venu d’en haut, que ni lui ni ses disciples ne sont de ce monde (8, 23 ; 17,16) et qu’il les prendra aussi avec lui dans un autre (14, 23).
7) NDLR L’apocalypse de Jean ne sera décrétée texte saint qu’en 633, au concile de Tolède, afin de justifier le rejet d’autres apocalypses comme celles – gnostiques chrétiennes – de Pierre et de Paul.
D’une façon générale, le canon du Nouveau Testament ne s’est donc pas formé par addition, comme on pourrait le croire, mais par élimination. Pour constituer le Nouveau Testament, les Pères de l’Église si justement stigmatisés par Jean Toland ont par exemple inclus dedans l’évangile de Marc… mais rejeté d’autres écrits (l’évangile de Thomas) qu’ils ont déclarés « hérétiques ». Idem pour l’évangile de Pierre. Cet évangile fut éliminé de la liste officielle des écrits à utiliser par Sérapion, évêque d’Antioche vers 190.
Sérapion trouva un jour l’assemblée de Rhossus, une localité proche, en train de lire un ouvrage qui ne lui était pas familier… Apprenant par la suite que cet évangile était aussi utilisé par les docètes (une tendance chrétienne en concurrence avec la sienne) il fit interdire l’usage de ce livre dans les communautés dépendant de son autorité.
Au début du IIe siècle, furent encore composés non seulement des évangiles (et des actes) apocryphes, mais aussi un grand nombre d’autres écrits chrétiens (comme les écrits des Pères apostoliques) ; qui, sans pouvoir prétendre remonter aux origines, n’avaient pourtant pas, en principe, une autorité inférieure à celle des écrits qui font aujourd’hui partie du Nouveau Testament…
Le fait décisif est donc l’apparition de l’idée de canon. Le premier canon a été l’œuvre de Marcion, vers 150. Ce canon contient seulement l’Évangile de Luc et 10 épîtres pauliniennes (ni la lettre à Tite, ni les deux lettres à Timothée, ni l’épître aux Hébreux). Les livres admis plus tard se sont donc imposés d’eux-mêmes aux membres de l’Église. Ces débats, sans aboutir définitivement, furent clos grosso modo, en Orient (à l’exception de la Syrie) et en Occident, vers la fin du IVe siècle. Les dates décisives sont, pour l’Orient la 39e lettre pascale d’Athanase en 367, et, pour l’Occident, le synode de Rome de 382, avec le pape Damase 1er et les conciles africains d’Hippone (393) ou de Carthage (397).
Bien plus tard néanmoins, Luther en retranchera encore certains textes et notamment l’épître de Jacques (qui met en balance la foi et les œuvres), mais ceci est une autre histoire.
Eusèbe de Césarée, le grand manipulateur de l’histoire du christianisme officiel, qu’il a littéralement fondé, en profitant de sa place privilégiée auprès des autorités politiques, nous a laissé des traces du débat suscité par l’incorporation dans la liste officielle balbutiante ; de la dernière lettre que l’on a (faussement) attribuée à saint Paul, l’épître aux Hébreux.
« Il [Caius] était tellement désireux de contrer l’impudence et l’audace de ces adversaires dans leur élaboration de nouvelles Écritures saintes, qu’il ne retient que treize épîtres du saint apôtre et oublie l’Épître aux Hébreux ; ainsi que le font d’ailleurs aussi à ce jour certains Romains. (H. E. Livre 6 chapitre 20, 3).
CONCLUSION. Les évangiles officiels, les lettres attribuées à Pierre, Paul, ou Jacques, sont le résultat d’incessants remaniements (tout comme leur illustre modèle les saintes Écritures juives d’ailleurs). N’oublions pas que la moitié des lettres de Paul sont des faux tardifs. Les « authentiques » ayant été produites par Marcion vers 140, remaniées par lui, puis par Tatien. Mais les tenants du courant devenu majoritaire ont sans doute remanié aussi à leur tour ces textes, pour les
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démarcioniser ; ce qui a donné nos manuscrits du IVe siècle (codex vaticanus et codex sinaïticus), présentés par les chrétiens comme s’ils étaient sortis tels quels des décennies ayant immédiatement suivi la mort de Jésus. Or ce ne sont pas des récits vraiment historiques de témoins oculaires, mais de l’histoire romancée, ou des plaidoyers juridico-théologiques, à la mémoire très sélective. Bref de la catéchèse !
Réécrits de génération en génération, les Évangiles synoptiques ou canoniques ne seront fixés qu’au IVe siècle, et deviendront alors synonymes de vérité absolue témoignant d’une inspiration divine.
L’assimilation inconsciente du texte de ces quatre évangiles à des paroles de vérité continuera d’empêcher un examen critique qui rende enfin bien compte de la formation d’une mythologie devenue orthodoxie catholique, réformée, ou byzantine (pour les pays slaves).
À l’exception des quelques esprits libres qui ont payé de leur vie le relevé des incohérences évangéliques – Thomas Scotto, exécuté au XIVe siècle, Noël Journet, brûlé au XVIe siècle, Giordano Bruno, brûlé en 1600 (après sept ans de tortures) — ; la dénonciation des absurdités ou contradictions des évangiles canoniques a néanmoins surtout été le fait d’exégètes chrétiens ; que ce soit Rudolph Bultmann, Charles-Harold Dodd, ou encore Günther Bornkamm.
Tout historien des religions un tant soit peu sérieux ne peut que reconnaître que Jésus n’est pas un personnage historique ayant réellement existé ainsi, et il faut être particulièrement aveugle pour considérer les Écritures comme des textes historiques. Cet aveuglement s’appelle la Foi ** et comme toute foi cela n’a rien à voir avec l’intelligence ou la raison. Pour qui n’est pas aveuglé par cette Foi, la Bible n’est qu’un livre comme « Le Comte de Monte-Cristo ». L’histoire que l’on nous y raconte est supposée vraie, mais reste à prouver. Par exemple par une confirmation dans des écrits non chrétiens. Or on ne trouve malheureusement nulle part trace de Jésus de Nazareth, de sa naissance, de ses miracles devant des milliers de personnes, de sa crucifixion et de sa résurrection, dans la littérature (très importante) de l’époque.
Le cas de Flavius Josèphe étant à part. Il ne fut pas contemporain des faits en question, puisqu’il vécut de 37 à 100, et son œuvre en dit plus sur les premiers chrétiens ainsi que sur leurs croyances que sur Jésus lui-même.
Voir notamment sa version des faits conservée en langue arabe par l’évêque appelé Agapios de Hiérapolis : « Il y eut à l’époque un homme sage appelé Jésus… ceux qui s’étaient faits ses disciples prêchèrent sa doctrine… il était considéré par eux comme le Messie ».
L’Ancien Testament est un syncrétisme plus ou moins bien réussi (des mythes suméro-babyloniens comme celui du péché originel, à ce sujet voir Pélage, aux mythes perses, en passant par ceux de l’Égypte, du pays de Madian ou d’ailleurs). Le Nouveau également (des éléments hellénistiques païens sur un socle juif).
* En fait Constantin n’a jamais été baptisé de son vivant, mais il s’est très tôt intéressé au christianisme en qui il a vu un excellent moyen d’affermir son autorité.
** Ou réflexe conditionné à la Pavlov.
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LES ÉVANGILES SYNOPTIQUES
(Synoptiques, c’est-à-dire comparables, ou que l’on peut mettre en parallèle.)
L’ÉVANGILE OFFICIEL SELON SAINT LUC.
Date de composition finale vers 80-85.
Église d’origine : les églises pauliniennes d’Antioche.
Vers 80 (après la séparation entre judaïsme et christianisme) rédaction du proto-évangile de Luc, un homme généralement considéré comme étant le disciple de Pierre et de Paul mentionné trois fois dans les épîtres. Mais il s’agit là d’une présomption qui n’est pas admise par tous les critiques. Le ou les auteurs reprennent en partie l’histoire de Marc et reconnaissent n’avoir pas assisté personnellement à ce qu’ils racontent. L’équipe paroissiale ayant composé le proto-Luc, mais aussi les Actes des Apôtres (qui initialement ne formaient qu’une seule et même œuvre) ; a repris le texte de Marc, mais a également utilisé le recueil de logia dit « source q » par les exégètes allemands. Au début des années 80, à Antioche en Syrie, dans une communauté majoritairement composée de chrétiens issus du paganisme. Ainsi que nous avons pu le voir, l’Evangelion de Marcion, correspondant sans doute à l’évangile primitif de Luc ; a dû être concurrencé par un évangile de Luc, mutilé et systématiquement déformé, pour convaincre les marcionites, que le christianisme en passe de devenir dominant voulait convertir et récupérer. Le début (prologue) du « Selon Luc » est par exemple une glose antimarcionite, initialement marginale, mais qui aura fini par être incorporée (par erreur ?) dans le corps même du texte (interpolation).
Cette glose antimarcionite a dû être rédigée par un Grec de souche, à la différence de certaines autres parties du texte, et elle est donc très tardive.
L’auteur de la rédaction finale anti-marcionite était sans doute un hellénophone cultivé, mais pas un Grec de souche, qui connaissait les Écritures juives, en grec, et qui ne fut pas témoin oculaire du ministère de Jésus. Cet écrivain, qui n’a jamais appelé Évangile son évangile, s’inspire de Marc et d’une collection de paroles du Seigneur ainsi que d’autres rumeurs de ce genre, orales ou écrites. Peut-être converti au judaïsme avant de devenir chrétien. En tout cas, ce n’est pas un Palestinien.
Il ne fut pas l’un des Douze mais… connaît bien l’Évangile de Marc, qu’il inclut presque totalement dans le sien ; et il dispose d’une source importante de paroles diverses du maître que Matthieu utilise aussi [le recueil de logia désigné sous l’appellation de « source Q »]. Il a fait des recherches, s’est bien informé, a recueilli tout ce que la tradition a déposé dans la communauté au sujet de Jésus.
Quelques extraits prélevés au hasard.
2, 1. Jésus est né pendant le recensement général ordonné par l’empereur Auguste. Or il n’y a eu aucun recensement général ordonné par Auguste ! Un recensement pour impôts a été ordonné en Judée par Quirinus en l’an + 6. Ce recensement ne nécessitait pas de déplacement sur son lieu de naissance.
2, 2. Jésus est né sous Hérode et sous Quirinus (selon Luc 2, 2). Pourtant, Hérode est mort en – 4 et Quirinus a été nommé en + 6 ! Un sacré problème pour les chrétiens ! La pierre découverte à Antioche en 1912 indique que Quirinus a joué un rôle militaire, mais ne résout pas le problème.
2, 46. Jésus et les docteurs de la Loi. Les parents sont ébahis de voir leur enfant de douze ans discuter avec les docteurs. Pourtant, ils savent déjà qu’il s’agit du Messie doté de pouvoirs extraordinaires. Pourquoi sont-ils donc si étonnés ?
3, 23. La généalogie de Jésus contredit totalement celle de Matthieu 1,1.
4, 29. « S’étant levés, ils le chassèrent de la ville, et le menèrent jusqu’au sommet de la montagne sur laquelle leur ville était bâtie, afin de le précipiter dans le vide ». La bourgade palestinienne d’En Nacira choisie par les Croisés pour correspondre à Nazareth, est pourtant située dans une vallée.
6,13. « Quand le jour parut, il appela ses disciples, et il en choisit douze, auxquels il donna le nom d’apôtres. Simon (qu’il appela Pierre), André son frère, Jacques, Jean, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Thomas, Jacques fils d’Alphée, Simon appelé le zélote, Jude fils de Jacques, et Judas Iscariote, qui devint le traître ». Ce qui contredit Matthieu 10, 2.
19, 36. La foule acclame Jésus, loue ses prodiges et ses miracles et ensuite est pressée de le voir crucifié puis mis à mort : pourquoi un tel revirement ?
21, 8-9. Luc fait allusion à la défaite de Bar-Kokhba en 135 ! Pourtant, d’après l’Église, l’évangile « de Luc » date des années 60…
23, 44. « II y eut des ténèbres sur toute la Terre, jusqu’à la sixième heure ».
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L’obscurité s’est donc abattue sur toute notre planète au moment de la mort de Jésus… Pourtant aucun observateur de l’époque ne l’a remarqué. Cela devait être aussi localisé qu’un microclimat.
Bref, comme pour l’évangile selon Jean, le fond primitif de Luc est antérieur à Marc et à Matthieu. Le texte recrépi, leur ressemble beaucoup, mais il n’en est pas de même de l’édifice lui-même. Quant à la couche de textes ajoutée à ce fonds initial, voici ce que l’exégète catholique Alfred Loisy a pu écrire : « Sa préférence pour l’Ancien Testament… atteste une réaction contre ceux des gnostiques qui, comme Marcion, répudiaient et la Bible et le Dieu ou Démiurge des juifs… La matérialisation des apparitions du Christ ressuscité vise un certain docétisme, dont on veut ruiner l’influence ».
Le gnosticisme combattu par ces ajouts insérés dans le selon Luc initial est celui de Marcion, mais aussi celui du selon Jean. Il n’est pas impossible de trouver dans Luc des cas de polémique ouverte contre Jean. Nous ne citerons ici que la résurrection de Lazare.
Il est bien étrange en effet que le plus éclatant miracle de Jésus, la résurrection d’un mort après trois jours, ne soit pas mentionné par les synoptiques. Quand on lit le selon Luc actuel de près, on voit que ce silence est volontaire. Le selon Luc actuel connaît Lazare, mais il nie que Lazare ait été ressuscité. Après la mort de Lazare, le riche demande que Lazare ressuscite pour convertir les juifs.
« Mais Abraham lui rétorqua : ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent !
— Non, père Abraham, mais si quelqu’un des morts va vers eux, ils se convertiront.
— Non, s’ils n’écoutent pas Moïse et les prophètes, quand bien même quelqu’un ressusciterait d’entre les morts, ils n’en seront pas persuadés pour autant » (Luc 16, 29-31).
Rapporté au récit johannique, le sens de ce passage est très clair. Pour Jean seul le miracle crée la foi, non les prophètes. Pour le selon Luc actuel, au contraire, la foi repose sur Moïse et les prophètes. Le selon Luc actuel se prive volontairement du plus grand miracle de Jésus, afin de ne pas atténuer l’argument qu’il veut tirer des prophètes et de tout l’Ancien Testament.
C’est dans ce courant anti-johannique et anti-marcionite que se place l’invention de l’histoire de Bar-Abbas. Elle témoigne de la profonde aversion que suscita d’abord la conception, plus païenne que juive, de l’homme Jésus Fils de Dieu le Père. Cette aversion devait disparaître. Jésus Fils de Dieu le Père et Jésus Messie d’Israël finirent par se confondre. Mais l’histoire du brigand Barabbas est le témoin de l’époque où cette fusion paraissait impossible.
L’ÉVANGILE OFFICIEL DE SAINT MARC.
Date de composition globale ou générale : 66 – 67.
Église d’origine : Alexandrie.
Le texte complet de l’Évangile selon saint Marc a peut-être été censuré ou expurgé de ses passages les plus controversés, par la tendance puritaine du christianisme (Clément d’Alexandrie) ; afin de combattre et/ou récupérer les fidèles de Carpocrate, mais aussi de Cérinthe.
Cet évangile de Marc ainsi remanié a été construit en trois couches : miracles, prières, paraboles. Nota : l’auteur fait allusion à la défaite de Bar-Kokhba de 135, ce qui prouve que certains passages de cet évangile sont peut-être postérieurs.
Rédacteur final : un hellénophone, mais pas Grec de souche, qui ne fut pas un témoin oculaire du ministère de Jésus, et a commis des erreurs quant à la géographie de la Palestine. Il puisa ses informations dans des traditions sur Jésus préétablies (orales et probablement écrites).
Quelques extraits prélevés au hasard.
6,14 ; 6,17 : Avec tous ces miracles, Jésus devient célèbre, des foules nombreuses le suivent, « le roi Hérode entendit parler de lui ». Mais alors, si Jésus était si célèbre, pourquoi n’y a-t-il pas eu un seul historien pour en parler, même brièvement ? Philon, un contemporain qui habitait à quelques kilomètres et qui a rédigé cinquante volumes pour relater l’histoire de la région, n’a pas écrit une seule ligne sur notre homme ! Bizarre non ?
6, 30. Multiplication des pains.
8, 1. Jésus multiplie les pains pour nourrir 4000 personnes. Soit ! Ses disciples sont ébahis ! Pourquoi donc ? Quelque temps plus tôt (Marc 6, 30), Jésus avait déjà multiplié les pains pour nourrir 5 000 personnes. Dans ces conditions, ses disciples ne devraient pas être surpris outre mesure… Pourtant, ils redemandent à Jésus comment il a fait !
9, 1. « Je vous le dis en vérité, quelques-uns de ceux qui sont ici ne mourront point, qu’ils n’aient vu le royaume de Dieu venir ». 2000 ans plus tard, toujours rien !
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13, 7-8. Marc fait allusion à la défaite de Bar-Kokhba en 135 ! Pourtant, d’après l’Église, l’évangile « de Marc » date des années 60… Ce passage au moins a dû être rajouté.
16,19. « Le Seigneur, après leur avoir parlé, fut enlevé au Ciel, et il s’assit à la droite de Dieu ». Ce verset est en contradiction avec Matthieu 28, 20. Eusèbe a reconnu qu’il manquait dans les premières versions. La fin du chapitre 16 (les versets 9 à 20) est de toute façon absente du codex vaticanus et du codex sinaïticus. Il s’agit d’un ajout tardif datant du IVe siècle, époque où le christianisme finit de travailler ses textes. Et il est crucial !
L’ÉVANGILE OFFICIEL SELON SAINT MATTHIEU.
Date de composition globale ou générale : 80 – 85.
Église d’origine : Antioche.
L’équipe paroissiale ayant composé l’évangile dit de « Matthieu » a repris le texte de Marc, mais a également utilisé le recueil de logia dit « source q » par les exégètes allemands.
On admet généralement que l’Évangile de Matthieu fut écrit vers les années 80 – 85. Il pourrait avoir vu le jour en Syrie (voir 4, 24) dans une ville cosmopolite comme Antioche. Si l’on en croit Papias (évêque d’Hiérapolis en petite Phrygie vers 125), « Matthieu réunit les phrases en langue hébraïque les sentences et chacun les interpréta comme il put ».
Matthieu a donc utilisé, si l’on en croit ce témoignage, des sortes de florilèges de textes de l’Ancien Testament appliqués au Christ (procédé dit « du midrash »). D’après certains il y aurait plutôt lieu d’ailleurs de parler à son sujet d’une École rabbinique chrétienne de Matthieu ; ayant mis tout son soin à scruter l’Ancien Testament pour y découvrir des annonces du Christ afin de se rapprocher des judéo-chrétiens.
Rédacteur final en tout cas un hellénophone, mais pas Grec de souche, sans doute judéo-chrétien, qui connaissait l’araméen ou l’hébreu, ou les deux, mais qui ne fut pas témoin oculaire du ministère de Jésus.
Scribe inconnu, versé dans les Écritures, écrivain minutieux qui rédige soigneusement, il dispose de deux grandes sources : l’Évangile de Marc, à peu près dans l’état où nous le connaissons actuellement ; et une compilation de paroles attribuées à Jésus que l’auteur de l’Évangile de Luc connaissait également, dans une version apparentée. Il se sert aussi de traditions qu’il est seul à rapporter. En se servant de ces traditions qu’il retravaille savamment, cet homme fait prononcer au Galiléen des paroles que, croit-il, son Christ des années 80 voudrait voir adresser à sa communauté.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, mais repetitere = ars docendi, Matthieu s’est inspiré d’une source populaire, peut-être orale, consistant surtout en traditions folkloriques sur Jésus (qui ont pu avoir un noyau historique, certes, mais désormais indécelable). Ce matériau a été tellement mis en forme que nous ne pouvons plus qu’en détecter le contenu, non la formulation originelle. Dans le récit de la passion, Matthieu a aussi ajouté du matériau source à ce qu’il a repris de Marc. Judas qui va se pendre (27, 3-10), le rêve de la femme de Pilate (27,19), Pilate se lavant les mains du sang de Jésus (27, 24-25) ; un quatrain poétique sur les événements extraordinaires qui suivirent la mort de Jésus (27, 51 b – 53) ; et le récit de la garde au tombeau (27, 62-66 ; 28, 2-4).
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, ce matériau relatif à la naissance et à la passion a comme caractéristiques : une vive imagination (rêves, meurtre d’enfants, sang innocent, suicide, complot, mensonges) ; des phénomènes célestes et terrestres extraordinaires (interventions angéliques, étoile qui se déplace vers l’ouest et s’arrête au-dessus de Bethléem, tremblement de terre, résurrection des morts) ; une dose inhabituelle d’influence scripturaire (comme si les récits avaient été composés sur la base de l’Ancien Testament, ce qui est la définition même du midrash, plutôt que simplement commentés par des références à l’Ancien Testament) ; et une vive hostilité à l’encontre des juifs qui ne crurent pas en Jésus, hostilité à laquelle correspond une présentation empreinte de sympathie à l’égard de certains « non-juifs » (les mages, la femme de Pilate). Ces caractéristiques reflètent l’imagination, les centres d’intérêt, ainsi que les préjugés, des gens ordinaires, et sont en grande partie absentes ailleurs en Matthieu. Exemples glanés au hasard.
2,16. En apprenant la naissance du messie, Hérode fait massacrer les enfants de moins de deux ans. Or il n’y a jamais eu de massacre sous Hérode ! Flavius Josèphe ni aucun historien de l’époque n’en ont jamais entendu parler, et d’ailleurs Luc non plus, qui n’est pourtant pas avare de détails sur le sujet. Au fait, comment Jean le Baptiste, qui a le même âge que Jésus, aurait-il pu survivre dans ce cas-là ? Si Hérode avait fait massacrer des enfants, autrement dit appliqué la peine de mort sans suivre la stricte procédure romaine, il aurait aussitôt été convoqué par les autorités d’occupation, qui l’auraient destitué puis exilé…
2,14. Le voyage de Joseph, Jésus et Marie en Égypte : un récit qui laisse sceptique, dont les autres évangiles n’ont jamais entendu parler, et qui est en parfaite contradiction avec le récit de la
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présentation au Temple de Luc 2, 23. Ce récit légendaire n’est qu’un midrash destiné à répondre à une prophétie de l’Ancien Testament : Osée 11,1 « Et j’appelai mon fils hors d’Égypte ».
2, 23. Joseph et Marie s’installent à Nazareth à leur retour d’Égypte, en contradiction avec Luc chez qui, en fait, ils sont partis de Nazareth pour aller à Bethléem. « Et vint demeurer dans une ville appelée Nazareth, afin que s’accomplît ce qui avait été annoncé par les prophètes : il sera appelé le Nazaréen ».
Le passage est comique et démontre bien trois choses. :
Un : l’auteur n’a rien compris.
Deux : le Nouveau Testament a été bâti avec l’ancien (midrash).
Trois : il l’avoue (midrash).
L’auteur fait naître Jésus à Nazareth (qui n’existe pas encore à cette époque) pour faire écho à Juges 13, 5 : « Le jeune garçon sera un naziréen voué à Dieu dès le ventre de sa mère ». Ce qui ne veut pas dire qu’il habitera un village répondant au nom de Nazareth ! Cela signifie simplement qu’il doit être un naziréen consacré à Dieu (de « nazir », saint, consacré à Dieu).
3, 13. Baptême de Jésus : pourquoi Jésus est-il baptisé puisqu’il est fils de Dieu ? (L’anniversaire du baptême du Christ, le six janvier, a donc rapidement été supprimé par l’Église).
9,1 à 8. Le récit de l’Évangile attribué à Matthieu où le Messie absout les péchés du paralytique et suscite les protestations des pharisiens, pour qui seul Dieu ou le Démiurge peut agir de la sorte ; signifie clairement que le prêtre représentant le christ dispose du pouvoir d’absoudre les fautes. Un tel pouvoir reconnu à Dieu seul (chez les Réformés) ou à ses prêtres (comme dans le catholicisme) implique un système totalitaire de culpabilité perpétuelle où le pardon accroît l’assujettissement du coupable. Cette transformation (par ajout ou manipulation du texte) d’une anecdote relative à l’activité de guérisseur de Jésus, répond sans doute à une triple préoccupation polémique ultérieure.
Cette façon de raconter l’événement en effet… :
— Rejette le judaïsme.
— Impose le privilège du prêtre.
— Met en garde quiconque remettrait les péchés sans posséder l’autorisation officielle de l’Église naissante.
Le christianisme officiel a toujours mis l’accent sur le pouvoir du confesseur qui contrôle personnellement ses ouailles et déclare : « Je t’absous ».
9, 9 et 10, 2. « Voici les noms des douze apôtres. Simon appelé Pierre, et André, son frère ; Jacques, fils de Zébédée, et Jean, son frère ; Philippe, et Barthélemy ; Thomas, et Matthieu, le publicain ; Jacques, fils d’Alphée, et Thaddée ; Simon le Zélote, et Judas Iscariote, celui qui livra Jésus ». Ce qui contredit Luc 6, 13.
10, 7. « Le royaume des Cieux est proche ». On attend toujours…
14, 25. Jésus marche sur les eaux. Voir la légende de Bouddha marchant lui aussi sur les eaux.
14, 31. Jésus demande à Pierre de marcher sur les eaux. Idem. Bouddha demande à son disciple Sharipoutra de marcher sur les eaux.
19, 24. «… Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche, etc. ». Une erreur de traduction de l’hébreu (entre « corde » et « chameau ») à une lettre près, explique cette étrange comparaison.
23, 9. « N’appelez personne sur Terre votre père ; car un seul est votre Père, celui qui est dans les Cieux. Ne vous faites pas appeler maître ; car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ ». Encore une prédiction ratée puisque le pape (papa ou très Saint-Père) est le chef (infaillible en matière de dogmes) de l’Église catholique.
24, 1. « Comme Jésus s’en allait, au sortir du Temple, ses disciples s’approchèrent pour lui en faire remarquer les constructions. Mais il leur dit : voyez-vous tout cela ? Je vous le dis en vérité, il ne restera pas ici pierre sur pierre qui ne soit renversée ». Enfin une prophétie réalisée, et pour cause : le Temple de Jérusalem a été détruit en 70 et les évangiles terminés après ! Largement après, le temps d’y insérer une prophétie faite « après coup ».
24, 14. « La fin des temps surviendra après que l’évangile aura été proclamé dans le monde entier ». Aujourd’hui, toujours rien !
24, 34. « Cette génération ne passera pas que tout cela ne soit réalisé. » Encore une prédiction ratée !
26, 59. La condamnation de Jésus-Christ. À cette époque, la région était une colonie où s’appliquait le droit romain. Et en matière de peine de mort, Ponce Pilate n’avait absolument pas le pouvoir d’agir comme il est censé l’avoir fait. Jamais un magistrat romain n’aurait permis que l’on applique un supplice romain en exécution d’une condamnation prononcée par une juridiction locale. La convocation du Sanhédrin et la condamnation de Jésus sont des énormités historiques reflétant la méconnaissance des rédacteurs des évangiles. Le Sanhédrin ne pouvait siéger valablement qu’au
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Temple, de jour et en dehors des fêtes et veilles de fêtes religieuses. Il était hors de question de monter un procès la nuit, la veille de la Pâque. Les innombrables contradictions historiques montrent que le récit du procès et les évangiles sont imaginaires. La volonté des rédacteurs de faire porter la responsabilité de la mort de Jésus sur les juifs est patente.
27, 7. « Ils achetèrent avec cet argent le champ du potier ». Matthieu a écrit cela pour répondre à la prophétie de Zacharie 11, 13, mais malheureusement il n’a visiblement pas compris ce que voulait dire ce prophète : « Jeter l’argent au potier » signifie dans sa langue : « Repousser avec dédain ». Ceci montre bien que le Nouveau Testament n’a aucune réalité historique et a souvent été construit et pensé pour correspondre à l’Ancien Testament (procédé appelé midrash).
27, 35. Jésus est mort crucifié. Fort bien ! La crucifixion romaine est un supplice où le condamné est debout, attaché à une poutre horizontale soutenue par deux pieux fourchus (crux) et ensuite, épuisé, meurt par étouffement. Ce n’est que sous Constantin, au IVe siècle que l’Église adoptera la croix telle que nous la connaissons *. En cas de mort par crucifixion, le supplicié épuisé plie les genoux puis ne tient plus sa tête droite et meurt étouffé : le supplice dure plusieurs jours et non pas trois heures. Mais les auteurs des évangiles ont essayé de faire coïncider l’histoire avec les prophéties, ce qui a engendré pas mal d’absurdités.
27, 57. La ville d’Arimathie n’a jamais existé : son nom a été fabriqué pour les besoins de la cause, et constitue sans doute une nouvelle « erreur de traduction » du type Nazareth ou Iscarioth.
* Et de toute façon avant le symbole du christianisme était plutôt le poisson.
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L’ÉVANGILE NON SYNOPTIQUE ET FAISANT QUELQUE PEU BANDE À PART, MAIS OFFICIEL, DE SAINT JEAN.
Date de composition globale ou générale : 80 à 110.
(Papias n’en a pas entendu parler.)
Église d’origine : des chrétiens proches des gnostiques valentiniens. Sans doute à Alexandrie, en Égypte.
Reste profondément juif, même s’il s’agit d’un judaïsme quelque peu marginal, peut être daté des premières années du IIe siècle. Il provient d’un milieu qui a connu l’exclusion de la synagogue et n’espère plus gagner à la cause du Crucifié un nombre important de membres de cette institution (9, 22 ; 12, 42 ; 16, 2). Même si les disciples chrétiens sont aussi des juifs, à ses yeux comme à ceux des autres évangélistes, « les juifs » sont, dans son langage, les adversaires du Maître, ou en tout cas des gens incapables de croire en lui authentiquement. Le groupe des disciples chrétiens, qu’il n’appelle jamais « Église », est un élargissement du noyau initial. Il s’agit d’une communauté qui a pris conscience de son indépendance à l’égard du judaïsme, tout en gardant le souvenir de ses racines juives.
Il est amusant de noter que l’évangile « de Jean » ne parle pas de l’apôtre Jean… Il porte de très nettes traces de réécriture. Les corrections et les retouches seront en effet nombreuses au fil des siècles. Le plus ancien manuscrit complet que l’on en possède date du IVe. Les auteurs compilent diverses légendes ou divers mythes des religions connues à l’époque, notamment la légende de Dionysos qui transforme l’eau en vin (cf. les Noces de Cana). Cet évangile a certainement une histoire compliquée. Il puise ses informations dans des sources très archaïques qu’il partage pour une part avec les trois autres Évangiles. On peut le vérifier par exemple dans le récit de la Passion, le plus ancien des récits évangéliques. Mais Jean dispose aussi de nombreuses données qui lui sont personnelles… On peut penser que cet Évangile a été rédigé entre 80 et 110 pour des hommes et des femmes assaillis par de multiples questions sur le salut, et attirés, pour certains, par des voies ésotériques. L’Évangile selon saint Jean est un texte gnostique, enrichi tardivement d’anecdotes sur l’homme Jésus.
Rédacteur final : un homme qui provient d’un judaïsme marginal et appartient à un milieu théologique différent de celui des autres évangélistes, peut-être celui des hellénistes de Palestine ou de Syrie. Qui ne fait pas nécessairement partie du groupe des Douze Apôtres qui, comme tel, ne joue pas de rôle dans cet évangile, alors que celui-ci mentionne d’autres disciples de Jésus.
Qui ne semble pas appartenir au même milieu social que les autres disciples de Jésus (il était connu du grand prêtre ? Voir Jean, 18, 15-16). Qui est probablement originaire de Jérusalem (historiquement, il est bien renseigné sur les traditions relatives à la Judée). Quelques extraits prélevés au hasard.
Jean 1, 1-2 est illisible en grec et en langue vernaculaire.
Ce fameux prologue s’écrivait peut-être comme suit en runes hébraïques d’après Bernard Dubourg… :
Beréshit hayéh haDabar
VehaDabar hayéh leAdonaï
VeAdonaï hayéh haDabar
Hou hayéh Beréshit leAdonaï
Etc.
2, 1 à 11. L’eau transformée en vin : une légende plagiée sur le miracle que Dionysos accomplissait chaque année dans l’île de Naxos.
5, 31. Si c’est moi qui témoigne pour même mon témoignage ne vaut pas ! En totale contradiction avec 8, 13 qui affirme l’inverse.
11,1. Jésus-Christ ressuscite Lazare : une légende directement recopiée sur celle d’Horus qui ressuscite la momie d’Osiris ?
Gaius de Rome essaya de contrer cet Évangile en l’attribuant à Cérinthe (Pseudo Tertullien, 10).
Ce Gaius était si anti-montaniste en effet, qu’il rejetait pêle-mêle et l’Évangile et l’Apocalypse de Jean. Il considérait que ce quatrième Évangile différait trop des Évangiles synoptiques, et que l’Apocalypse ne concordait pas avec l’eschatologie des Écritures saintes authentiques.
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Notes de Pierre de La Crau retrouvées sur une feuille de papier par ses héritiers.
DIALOGUE AVEC PROCLUS.
« Cérinthe aussi, au moyen de révélations supposées avoir été faites par un grand apôtre, nous présente faussement ses merveilleuses histoires, comme si des anges les lui avaient montrées. Il dit que, après la résurrection, le royaume de Dieu sera sur la Terre et que la chair, à Jérusalem, éprouvera de nouveau la soif et le plaisir. Comme c’est un ennemi des saintes Écritures de Dieu, afin de nous tromper, il raconte que ce règne de Dieu durera mille ans, mille ans de fête et de noces » (H. E. III 28, 2).
LES ALOGI ((Épiphane, Haer. lI, Anacephalaeosis IV, 51).
Les arguments employés contre les écritures johanniques par le groupe des Alogi sont si semblables à ceux de Gaius qu’il est probable que l’un et l’autre appartenaient à la même mouvance.
« Ils disent que ces livres ne sont pas de Jean, mais de Cérinthe et qu’ils ne sont pas dignes d’être lus dans les églises ».
« Ils disent que les livres de Jean ne concordent pas avec ceux des autres apôtres ».
« L’évangile écrit sous le nom de Jean est faux. Car après la phrase « le verbe s’est fait chair et il a résidé parmi nous » et quelques autres sentences de ce genre, il enchaîne immédiatement sur les noces de Cana en Galilée ».
« Ils disent que, puisque l’évangile selon Jean ne raconte pas les choses comme les autres évangiles, il est non canonique, et qu’ils ne l’accepteront pas ».
Le christianisme officiel de la « Grande » Église toléra néanmoins son utilisation, afin de mieux combattre, ou récupérer, les gnostiques d’obédience valentinienne et cérinthienne.
Dans son fonds primitif, ce quatrième évangile est violemment hostile au judaïsme et à l’Ancien Testament. Loin de se confondre avec le Messie d’Israël, le Fils déclare formellement n’avoir rien de commun avec lui : « Dieu n’a pas envoyé le Fils dans le monde pour juger le monde », ce qui était la fonction du Messie (3, 17). Il nie le fameux Jugement dernier attendu par les apocalypses : « Celui qui croit en le Fils n’est pas jugé. Celui qui ne croit pas est déjà jugé » (3, 18).
Si le Fils n’a rien de commun avec le Messie d’Israël, le Père n’a rien de commun lui non plus avec le Dieu ou Démon d’Israël.
Le Fils dit nettement aux juifs : « Celui qui m’a envoyé, vous ne le connaissez pas » (7, 29). C’est un Dieu tout nouveau, inouï, étranger au monde, que le Fils révèle : « Personne n’a jamais vu Dieu : le Fils unique (monogène) qui est sur le sein du Père l’a fait connaître » (1 :18). Par-là sont donc niées toutes les théophanies que mentionne l’Ancien Testament. Niée, l’ascension au ciel du prophète Élie, et toutes les autres : « Personne n’est monté au ciel » (3, 13). Niée, la mission de tous les prophètes d’Israël : « Tous ceux qui sont venus avant moi étaient des voleurs et des brigands » (10, 8).
Le caractère très antijudaïque de ce quatrième évangile est dissimulé aujourd’hui parce que, par voie d’interpolations et de gloses, les idées les plus opposées à l’esprit primitif du livre se sont installées dans la rédaction dernière. La dualité de rédaction est pourtant criante (elle a été soulignée par Schwartz et Wellhausen). Contrairement à l’opinion courante, le fond de l’évangile johannique est donc antérieur aux synoptiques. Ainsi que l’a écrit Rudolf Bultmann : nous devons donc « accepter la possibilité que le christianisme johannique représente un type de christianisme plus ancien que le christianisme synoptique ».
Mais s’il est facile de voir que le badigeon actuel du quatrième évangile, le texte recrépi, est postérieur aux trois synoptiques. Mais il n’en est pas de même de l’édifice lui-même.
Jean diffère des synoptiques en ce qu’il ne contient ni le baptême de Jésus ni l’institution du repas de commensalité avec Dieu ou le Démiurge (l’eucharistie). Il est facile de comprendre que pour faire instituer par Jésus lui-même les deux grands rituels chrétiens, on a vraisemblablement ajouté ces deux récits à un thème primitif qui ne les comportait pas. Il serait difficile par contre de supposer qu’on les aurait retranchés, s’ils en avaient fait partie. Là encore, la présomption d’antériorité milite en faveur DU FONDS PRIMITIF de l’évangile de Jean.
On est ainsi amené à concevoir que les synoptiques ont pu être écrits en réaction contre certaines des premières tendances du christianisme d’alors ; les tendances gnostiques comme celles de l’évangile johannique primitif ou de l’évangélion de Marcion, pour ne citer que celles-là, mais il y en avait d’autres (Cérinthe, et alii). R. Bultmann n’est pas très éloigné de cette conception du problème quand
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il dit de la tradition synoptique qu’elle doit être comprise peut-être comme un phénomène de réaction judaïsante.
VALEUR GLOBALE DES ÉVANGILES ET NOTAMMENT DU QUATRIЀME?
Question préliminaire: quel est l’intérêt de l’Ancien Testament, de tout dériver de l’Ancien Testament?
Réponse à cette question.On permettra au vieil AAP que je suis, AAP mais néanmoins avocat de la défense de ces Barbares, de commencer à la façon du vieux druide de la forêt des environs de Marseille mis en scène par Lucien de Samosate.
En rappelant tout d’abord une citation de Christian-Joseph Guyonvarc’h et peut-être surtout de Françoise Le Roux, puis en enchaînant sur quelques extraits des textes des sarcophages égyptiens.Un féniane qui se respecte ne saurait être en effet l’homme d’un seul livre.
N.B. Les Textes des Sarcophages regroupent des compositions funéraires donnant des indications sur l'au-delà et précisant ce qui est nécessaire au mort pour y vivre, des formules théologiques et magiques (puisque c’est bien du pouvoir de la parole qu’il est question dans le quatrième et dernier évangile). La parole y engendre un échange information-énergie. Chaque mot possède un sens exotérique, et un sens caché dit ésotérique. Mais bien prononcer les mots demeure essentiel à leur pouvoir. La parole magique est supposée être efficace à condition de connaître l'intonation correcte et les mots qu’il faut.
Il est question, dans le De Bello Gallico VIII, 38, d’un prêtre carnute que César envoie au supplice parce qu’il avait joué le rôle de «va-t-en-guerre» (concitator belli) contre les Romains. César s’offre même le luxe de le faire dénoncer et arrêter par ses propres compatriotes pour lui infliger un terrible supplice.
Le nom apparaît deux fois, à l’accusatif Gutuatrum et à l’ablatif Gutuatro....
Le thème gutu- est celui du nom de la parole en celtique (irlandais guth «voix», apparenté de très près au neutre *ghu-tô-n qui a donné le nom «Dieu» dans toutes les langues germaniques, allemand Gott, anglais God, etc.).
Allons plus loin. Jean Haudry a beaucoup écrit sur la triade pensée, parole, action. D’abord localisée en Iran, où elle occupe une place de première importance, cette triade pensée, parole, action est vue par les spécialistes comme étant la triade avestique par excellence. Or Jean Haudry a démontré de manière définitive que cette triade n’était pas seulement « avestique », puisqu’elle n’est nullement propre à l’Iran et il en fournit des exemples dans toutes les littératures anciennes de langue indo-européenne.
Venons-en maintenant aux textes des sarcophages présentés par Laurent Coulon.
«Le premier point que nous souhaiterions établir est la proximité fondamentale qui existe en Égypte ancienne entre l'art du discours magique, et notamment celui qui recouvre la conception et la récitation des formules des grands corpus funéraires, et !'art rhétorique que !'on baptisera plus tard - faute d'autre terme plus approprié - de profane.
Dans la documentation de l'Ancien Empire, à quelques exceptions près, les pouvoirs du verbe ne font l'objet d'un discours technique que dans le cadre des activités du prêtre-lecteur, qui joue alors un role essentiel dans les rites funéraires. D'après les textes que nous possédons, cet art du prêtre-lecteur soit se pratique en corrélation étroite avec les rites d'embaumement qui précèdent les funérailles, soit accompagne celles-ci; soit, enfin, s’exerce après l'inhumation du défunt...La caractéristique de cette parole est d’être créatrice, protectrice, et de posséder un principe actif . Le prêtre-lecteur accomplit le rite par ses formules. Pour ce faire, il doit respecter un rituel détailllé et utilise donc à cet effet un texte qu'il lit. Mais son art ne se réduit pas à cette seule récitation ou lecture: il implique aussi tout un jeu d’acteur, incluant une gestuelle et une mise en scène très précises...» (Laurent Coulon).
OR QUE NOUS DIT PRECISEMENT LE KATA IOANNAN ?
«Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu.
Elle était au commencement avec Dieu.
Tout a été fait par elle ; et rien de ce qui a été fait ne l’a été sans elle.
En elle était la vie et la vie était la lumière des hommes».
Suit une application de ce principe au cas de Yehoshoua Bar Yosef dit le nazoréen.
«Un jour la lumière vint dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point engloutie.
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....C'était la véritable lumière qui éclaire tout homme venant au monde.
Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui, mais le monde ne l'a pas reconnu.
Il est venu chez lui ; et les siens ne l'ont point accueilli.
Mais à tous ceux qui l'ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu ; à ceux qui croient en son nom,
lesquels ne sont point nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu.
Car la Parole est devenue chair, elle a habité parmi nous (et nous avons contemplé sa gloire, celle du Fils unique, venu du Père) pleine de grâce et de vérité (ALETHEIA en grec).
De sa plénitude, nous avons tous reçu, et grâce pour grâce.
Car la loi a été donnée par Moïse ; mais la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ.
Personne n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, est celui qui nous l'a fait connaître».
L’exégèse suggère que ce magnifique texte est le résumé très élaboré d’une réflexion en profondeur sur ce que devrait être la quintessence du christianisme (christologie haute), du moins aux yeux d’un certain nombre de chrétiens chrétiens (pour ne pas dire judéo-chrétiens) à la limite de antisémitisme, et du gnosticisme, de la fin du premier siècle de notre ère, dans cette région du monde.
L’AAP que je suis se permettra plus simplement d’écrire noir sur blanc qu’il s’agit là de la sublimation ou du raffinement d’un des principes de base de la pensée magique la plus ancienne, celui de la puissance de la parole, bien exprimé par les quatre premières lignes du prologue. La suite n’en étant que l’application au cas de Jésus le nazaréen.
L’auteur ou les auteurs du quatrième évangile utilisent our cela le terme grec LOGOS.
Ses diverses significations peuvent se résumer en deux types de paroles selon Marcel Detienne.
La parole dialogue : la plus tardive, laïcisée, complémentaire de l’action, inscrite dans le temps, pourvue d’une autonomie propre élargie aux dimensions du groupe social, du domaine de la raison….
Mais aussi surtout et avant tout la parole magico religieuse : la plus ancienne, efficace, intemporelle, inséparable de conduites et de valeurs symboliques, privilège d’un type d’homme exceptionnel, et relevant du domaine du mythe. L’auteur ou les auteurs du dernier évangile (vers l’an 100?) utilise (nt) également le terme grec aletheia. Langue de la Muse et de la Mémoire, l’aletheia est chez Homère associée au «muthos», une variété de l’épos (parole proférée), ainsi qu’aux personnages mythiques de l’Iliade et l’Odyssée qui ne trompent pas, qui ne mentent pas, qui sont véritables, réels. Le mythe a sa vérité que nul ne conteste, que nul ne démontre. Le poète du mythe est un «maître de vérité» dont la parole, l’Aletheia, concept empirique n’est pas l’accord de la proposition et de son objet ou l’accord d’un jugement avec les autres jugements ; il n’y a pas de «vrai» en face du «faux», pas de tiers exclu, de concept hypothético déductif ou transcendantal. C’est la parole d’un homme exceptionnel, doué d’un pouvoir religieux. Etymologiquement parlant elle s’oppose à «Lethe» (l’oubli) pour produire du sens.
Ces paroles personnifiées par la déesse grecque Aletheia, sont antérieures au temps, n’ont pas d’auteur individualisé, ne sollicitent aucune référence particulière. Elles ne sont pas la manifestation d’une volonté ou d’une pensée individuelle ni d’un moi. Elles coïncident avec l’action qu’elles instituent dans un monde de forces et de puissances en devenir, en les transcendant.
On en trouve des traces antérieurement au VIème siècle avant notre ère, siècle de l’apparition des religions dites révélées par opposition aux religions dites mythiques, et de la parole dialogue de la philosophie grecque dont nous avons parlé. en la personne des Hyperboréens Olenos et Abaris.
P.S.Un peu de terminologie maintenant.
LA CONCEPTION JUIVE TRADITIONNELLE.
Le messie ou christ attendu par les juifs du premier siècle de notre ère et annoncé par certaines écritures croyait-on à l’époque , devait être une sorte de super héros arrivant à chasser les Romains et à restaurer la grandeur (fantasmée) du royaume davidique des origines. Un super héros mais pas un dieu, un homme exceptionnel, en quelque sorte adopté par Dieu mais toujours uniquement homme. Telle était et telle est peut-être encore la conception juive du rôle du messie. On utilise le terme «judéo-christianisme» pour en parler.
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LA CONCEPTION CHRETIENNE DU MESSIE (christologie haute) telle qu’elle a été définie par le Concile convoqué à Nicée en 325 par l’empereur Constantin et placé sous l’égide de son labarum ou labaron.
Une profession de foi qui se définit surtout négativement par rapport à l’arianisme d’ailleurs.
Ceux qui disent : « il y a un temps où il n’était pas...
avant de naître, il n’était pas...
il a été fait comme les êtres tirés du néant...
il est d’une substance (
hypostasis
), d’une essence (
ousia
) différente….
il a été créé...
le Fils de Dieu est sujet au changement »
Sont anathèmes...
Soyons intellectuellement honnêtes: on ne peut donc parler de chrétiens au sens plein du terme (christologie haute) que pour désigner les croyants qui adhèrent à cette définition anti-arienne du rôle du messie: de la même substance que Dieu mais aussi vrai homme.
Or il y avait dans cette partie du monde en ce temps-là des femmes et des hommes ou des «ni l’un ni l’autre» (des Galles, des Galles pas forcément gaulois) déjà mentalement rompus à ce genre d’exercice mental, et capables d’y souscrire s’ils ne le faisaient pas déjà...mais ce n’étaient pas des juifs….
C’étaient les adeptes de cultes à mystères comme celui d’Attis par exemple ou des adeptes de la philosophie du theios aner, ce qui nous ramène par conséquent à la question de la puissance magique de la parole du prologue de l’Ecole johannique.
On pardonnera donc aussi au vieil AAP que je suis de finir également à la façon du vieux druide de la forêt des environs de Marseille (de la Sainte-Baume? ) mis en scène par Lucien de Samosate c’est à dire en évoquant les cas des Hyperboréens Abarix ou Olénos qui sont les prototypes mêmes de ces theioi andres ou chamanes que l’on pouvait croiser jadis sur les rives de la mer Noire.
La conclusion qui s’impose à nous à la manière d’une définition sera donc la suivante.
La christologie haute ou christianisme au sens plein du terme n’a pu se développer que dans des cerveaux païens et non dans des cervelles juives, en Asie Mineure en Galatie * voire dans la région d’Antioche plus précisément, à la fin du premier siècle de notre ère. D’où le nom de PAGANO-CHRISTIANISME que nous lui donnerons. Avant il ne s’agissait que de judéo-christianisme ou d’une christologie basse. Voir l’étude de Renan à ce sujet publiée en 1881. La spiritualité de l’évangile dit de Jean mérite donc d’être étudiée dans cette optique ce qui n’est pas le cas de celle de l’Ancien Testament.
Mais elle implique comme dans ses sources païennes (égyptiennes, iraniennes, gallo-grecques) une pensée magique ou créationniste incompatible avec le grands principe de base de l’éternité des âmes et de l’univers attribué par Strabon à nos clients: «Aphthartous de legousi cae houtoe cae hoe alloe tas psychas cae ton cosmon».
A vous donc de procéder à votre propre quête du Graal dans tout ce mic mac.
Hormis le problème insoluble que constitue le surgissement de l’être du néant voici en tout cas les quelques propositions que notre paganisme celtique philosophique et réfléchi peut affirmer sans crainte de se tromper car ces maximes parlent pour ainsi dire la langue des dieux (homophonon chez Diodore de Sicile).
CONCILE DE BIBRACTE - 52 **
Principe numéro 1. Le divin le sacré et le numineux n’ont jamais cessé de parler aux hommes***
Principe numéro 2. La vérité est Une
Principe numéro 3. La Vérité est une mais elle est vécue sentie et ressentie différemment suivant les individus les lieux et les époques.
Principe numéro 4. Il n’existe donc pas de vérité unique révélée une fois pour toutes à un individu ou un peuple et en un lieu précis à une date précise (ou à peu près). De cela nous pouvons être sûr.
Principe numéro 5. Dieu (ou plus exactement la conception monolâtre de Dieu ) est le plus grand commun diviseur de l’Humanité. De cela aussi nous pouvons être sûrs.
Principe numéro 6. La vérité est une mais l’erreur, elle, en revanche, est multiple, et il existe donc différents niveaux de vérité (panenthéisme panthéisme hénothéisme athéisme agnosticisme....).
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Principe numéro 7. Sans tomber dans le relativisme généralisé nous pouvons également affirmer sans peur de nous tromper (polythéisme bien compris) qu’il n’existe pas de civilisation n’ayant rien à offrir à l’Humanité, n’ayant aucun exemple à lui donner, n’ayant aucune leçon à lui inspirer ou suggérer (positivement parlant).
Principe numéro 8. L’enfer n’existe pas (ça c’est donc la bonne nouvelle qui compense ou rachète tout ce qu’il peut y avoir de négatif en ce bas monde).
Principe numéro 9. Ce qui compte c’est d’être bien dans sa peau.
Principe numéro 10.L’enfer ce sont les autres, le racisme ce sont les autres (ça par contre c’est la mauvaise nouvelle).
A ces 10 principes de base du paganisme celtique philosophique et réfléchi nous pouvons ajouter les principes, non, les exemples, ou les conseils, suivants.
Premier exemple à méditer: Arrien. Moi et mes compagnons, nous suivons cette loi des Celtes, car je déclare qu’aucune entreprise humaine ne peut avoir d’issue heureuse sans l’intervention des dieux…
Deuxième exemple à méditer: la parabole d’Ogmios chez Lucien de Samosate.Parlez en grec aux Grecs en chinois aux Chinois en allemand aux Allemands et ainsi de suite.
Traduction moderne: acculturation/incarnation.
Troisième exemple à méditer Diogène Laërce. Respectez les dieux ne faites rien de bas et soyez des hommes des vrais.
Traduction moderne: laïcité ouverte noblesse de coeur et courage.
Quatrième exemple à méditer. Mieux vaut canaliser les forces de la nature humaine ou autre pour en faire des moteurs allant dans le bon sens plutôt que que de s’y attaquer de front en y faisant barrage....
Conseil de vieux, souvenir du passage où Diodore de Sicile explique que les druides se servaient des criminels ou condamnés à mort pour leurs sacrifices **** et du passage du Senchus Mor irlandais parlant de la façon de rendre la justice: [ Inin tin ] tud [i.e.nertad and] ngeindtlechta gnim olc mad indechur.....
Moi j’aurais mis recht aicnid plutôt que ngeindtlechta mais c ‘est comme ça, il y a des gens qui ne peuvent s’empêcher de tout personnaliser.
Car il n’y avait pas de sacrifice de vierges innocentes chez les Celtes genre Iphigénie en Aulide mais plutôt des exécutions rituelles de condamnés à mort genre Yehoshoua Bar Yossef et.....non ? C’est pas bon?
Genre agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde alors....? non, pas bon non plus!
Genre «Ils pensent que la vie d’un homme est nécessaire pour racheter celle d’un autre homme et que les dieux immortels ne peuvent être apaisés qu’à ce prix...».
Oui mais Jéhovah c’est pas pareil, il n’a pas besoin d’être apaisé car ce n’est pas un élohim (sic) comme les autres!
Bon et ben flûte, genre sacrifice de la fille de Jephté en Aulide (sic) si vous voulez.
AAP HESUNERTUS.
PS. Si on retire les principes 9 et 10 qui sont un peu tirés par les cheveux ça nous fait 12, donc le dodécaèdre sacré!
* La vie de saint Euthyme écrite par Cyril de Scythopolis (aujourd’hui Bet Shéan en Israël) mentionne d’ailleurs encore un moine contemporain du saint, donc vivant au 6e siècle, nommé Procope, qui parfois s’exprimait encore en Galate. Il s’agit du paragraphe LV (page 77 de l’édition d’Édouard Schwartz, Kyrillos von Skythopolis, Leipzig, 1939).
La phrase exacte est « Sa langue était liée, il ne pouvait plus nous parler. S’il y était forcé, il s’exprimait dans la langue des Galates ».
** Humour!
*** C’est d’ailleurs le propre de l’homme, les animaux n’ont ni dieux ni religion ni peur de l’au-delà.
****Ils considèrent que le sacrifice de ceux qui ont été pris en flagrant délit de vol, de brigandage, ou de tout autre crime, peut être plus facilement agréé par les dieux.... Ils font preuve de la plus étrange impiété aussi en ce qui concerne leurs sacrifices, car ils gardent prisonniers leurs criminels pendant cinq ans, et ensuite les empalent [le terme grec est ambigu et il peut faire penser à la simple exposition du corps des suppliciés sur une palissade ou à l’entrée d’un temple nemeton] en l’honneur des dieux, en leur sacrifiant avec de nombreuses autres offrandes de prémices, après avoir édifié de grands bûchers pour cela [ce qui contredit le fait de les avoir empalés vivants].
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LES ÉVANGILES OFFICIELLEMENT APOCRYPHES.
C’est-à-dire ceux qui ont été l’objet d’un rejet officiel de la part du christianisme devenu religion d’État ; notamment la soixantaine d’autres évangiles qui n’ont pas été retenus par l’Église officielle ; et qui ont donc été appelés ainsi par ce christianisme devenu dominant.
Ces écrits ont été rédigés par différentes communautés, aux sensibilités variées. Ce qu’ils rapportent du nouveau Josué nazoréen est souvent aussi crédible * que certains des détails figurant dans les évangiles officiels ; et il est vraisemblable qu’ils contiennent des paroles ou des propos faisant bien partie de ceux qui furent attribués à Jésus par la rumeur initiale ayant commencé à circuler en Palestine à son sujet ; bien que non retenus par la tradition orale qui lui a succédé. Il est aussi fort probable qu’ils contiennent, eux également, tout comme les autres évangiles devenus officiels, des propos ajoutés par la suite, à des fins bien précises.
Leur influence sur le christianisme naissant a néanmoins été indubitable. C’est à EUX que l’on doit le bœuf et l’âne de la crèche, nombre de détails sur Marie, les noms des mages, etc.
* Aussi crédible… ou incroyable ! Voir par exemple Matthieu 27, 51 à 53. Tremblements de terre, morts sortant des tombeaux… On croirait lire le scénario d’un très mauvais film d’horreur.
L’ÉVANGILE APOCRYPHE DE JEAN (120 – 180).
Le système présenté dans l’Apocryphe de Jean est proche de celui des gnostiques barbéliens ou valentiniens.
Ce texte présente donc la divinité selon un schéma classique chez les gnostiques. Plérome = paradis. Éon = ange ou démon. Nous nous contenterons par conséquent ici de répéter ce que nous avons déjà dit du sujet, en étudiant le traité d’Irénée consacré à la question.
Préexistant à tous les temps, il y a dans les hauteurs invisibles et incréées, un Éon parfait, Être sans mélange, et Principe Premier, radicalement transcendant et ineffable. De cet Être supérieur sont issus des éons ou émanations divines fonctionnant par couples. Ce que les hindous appellent vyouha et les musulmans du chirk (pour le condamner).
Le premier éon venu à l’existence, réplique spontanée du Principe par réflexion dans sa propre lumière, est appelé Barbélo. De ce premier couple émanent deux autres éons, formant une Tétrade. Quatre émanations supplémentaires donnent une Ogdoade. L’Ogdoade produit ensuite des émanations à la gloire du Père, complétant le Plérôme qui compte trente éons.
Le dernier éon produit, Sophia (Achamoth en hébreu), est à l’origine d’une chute dans la matière relativement complexe. Cette Sophia aura un jour avec le Père une relation quasi incestueuse, qui donnera naissance à un avorton nommé Ialdabaoth, le premier Archonte, qui sera ensuite expulsé hors du Plérôme. Avec les sept Archontes dont il s’entoure, issus comme lui de l’ignorance, ce Démiurge (identifié au Dieu de l’Ancien Testament) crée l’homme psychique, d’après un reflet du Père dans les eaux. Mais cet homme psychique sera incapable de se mouvoir. Le Christ (né de Barbélo lors de la constitution du Plérôme, après que cet éon a intensément contemplé le Père) suggère alors à Ialdabaoth de souffler sur l’Homme, ce qui l’anime : ainsi naîtra l’humain de type pneumatique (de pneuma qui signifie âme).
Réalisant que leur création les dépasse en connaissance, les Archontes précipitent alors l’Homme au plus profond de la matière. Là le Père intervient, donnant à l’Homme « la Vie », qui se cache au fond de lui et l’informe sur l’origine de son infirmité, lui montrant ainsi le chemin de l’élévation. En guise de représailles, les Archontes emprisonnent l’homme dans un corps de matière et l’installent après dans le jardin d’Éden. L’Apocryphe de Jean continue ensuite avec une relecture de la chute d’Adam et Ève.
L’ÉVANGILE ORIGINAL (OU SECRET) DE MARC (70 – 255).
Nous est connu par une lettre de Clément d’Alexandrie, trouvée dans le Monastère de Mar Saba près de Jérusalem en 1958, par Morton Smith. Ses rapports avec l’Évangile selon Marc « officiel » d’aujourd’hui sont controversés. Il s’agit…
— Soit de l’évangile original de Marc au grand complet (version de Clément d’Alexandrie. N’oublions pas en effet que certains enseignements de Jésus ne furent délivrés qu’en petit comité. Marc 4,11, confirmé par Matthieu 13,10, et Luc 8, 9). Dans ce cas, l’Évangile selon Marc « canonique » résulterait d’une censure de certains passages.
— Soit d’une version augmentée de l’évangile de Marc originel.
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Ce qui est sûr en tout cas c’est que c’était l’évangile de référence des gnostiques carpocratiens.
L’ÉVANGILE DES NAZORÉENS (100 à 160).
Nous est connu par Origène, Eusèbe, Jérôme.
Judéo-chrétien. Sans doute un développement de l’évangile de Matthieu, traduit du grec en araméen ou en syriaque.
L’ÉVANGILE DES ÉBIONITES (100 – 160).
L’Évangile des ébionites a disparu, mais on en a des traces dans la littérature pseudoclémentine.
Ainsi qu’à l’état de citations (très subjectives évidemment) chez un certain nombre de Pères de l’Église (saint Jérôme, Origène, Épiphane…). Judéo-chrétien. Nous présente Jésus comme végétarien.
L’ÉVANGILE DES HÉBREUX (80 – 150).
Nous est connu par Clément d’Alexandrie, Origène, Cyrille et Jérôme.
Évangile probablement écrit par et pour des judéo-chrétiens fidèles à la mémoire de Jacques le frère du Seigneur.
L’ÉVANGILE DES ÉGYPTIENS (80 – 150).
Nous est connu par Clément d’Alexandrie, mais également par des citations (critiques bien sûr) d’Hippolyte et d’Épiphane. Un certain Salomé y joue un grand rôle, même si cet évangile prône surtout l’abstinence et l’ascétisme sexuel.
L’ÉVANGILE DE VÉRITÉ (140 – 180).
Longue réflexion sur Jésus, en grec, également trouvée à Nag Hammadi en Égypte, en 1945.
Sans doute un texte émanant du courant chrétien valentinien (du nom de son fondateur, le philosophe gnostique Valentin).
L’ÉVANGILE DU PAPYRUS EGERTON No 2 (70-120).
Ces quatre premiers fragments provenant d’un codex sur papyrus plus ancien ont été découverts en 1934, parmi d’autres objets achetés chez un vendeur d’antiquités.
Leur provenance est inconnue, mais peut être Oxyrhynque en Égypte. Un cinquième fragment a été découvert parmi les papyrus de Cologne 255. Ils font partie d’un évangile inconnu.
Leur texte n’est pas exactement celui des quatre Évangiles officiels que nous connaissons aujourd’hui.
On dispose également d’autres fragments de ce genre.
Le fragment Nº 1224, découvert en 1897, date peut-être de 50 à 150 de notre ère.
Là aussi, son texte n’est pas exactement celui des quatre Évangiles que nous connaissons.
Le fragment Nº 840, découvert en 1905.
Une page entière qui date peut-être de 110 à 160, et qui est conforme au Nouveau Testament pour ce qui est du style et du ton.
Il s’agit du récit d’une altercation survenue dans le Temple entre le Christ et un pharisien, à propos des purifications rituelles, mais qui contient de nombreux détails fort discutés.
À noter : le terme sauveur est surtout utilisé pour parler du nouveau Josué, qui n’est donc jamais explicitement désigné sous le nom de Jésus-Christ.
« Les prenants avec lui, le Sauveur se rendit sur le parvis des purs et se promena dans le temple. Un pharisien, prêtre en chef, du nom de Lévi, s’avança au-devant d’eux et lui demanda : « Qui t’a permis de marcher dans cette salle des purifications et de regarder ces vases sacrés ; alors que tu n’as pas pris de bain et que tes disciples n’ont même pas jeté d’eau sur leurs pieds ?? Tes pas ont souillé ce sanctuaire, ce lieu pur, que nul ne peut fouler s’il n’a pris un bain rituel et n’a changé ses vêtements, et dont on n’ose regarder les meubles sacrés ».
Le Sauveur s’arrêta aussitôt avec ses disciples et lui répondit : « Et toi, qui es ici dans ce temple, es-tu pur » ? L’autre lui répondit : « Je suis pur. Je me suis baigné dans la piscine de David, où je suis descendu par une échelle et d’où je suis remonté par une autre. J’ai revêtu ensuite des habits blancs ; c’est ainsi que je suis entré et que j’ai regardé ces meubles sacrés ».
Le Seigneur lui dit alors : « Malheur à vous, aveugles qui ne comprenez pas ! Tu t’es baigné dans ces eaux courantes où nuit et jour on jette des chiens et des porcs ; et ta toilette a nettoyé cette peau extérieure que prostituées ou joueuses de flûte parfument de myrrhe, lavent, fourbissent, et ornent,
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pour exciter les passions des hommes. Mais l’intérieur est plein de scorpions et de tous les vices. Quant à mes disciples et à moi-même, qui à te croire, n’avons pas pris de bain, nous nous sommes immergés dans les eaux de la vie éternelle… »
LE PROTÉVANGILE DE JACQUES (140 à 160 ?)
Il s’agit d’un des premiers écrits élaborés par le courant qui donnera plus tard le christianisme tel que nous le connaissons aujourd’hui. Des légendes sur l’enfance de Jésus y apparaissent. C’est une œuvre composite rassemblant sur le personnage central de Jésus plusieurs allégories ou légendes issues de milieux juifs, mais ayant perdu leur signification première. Les auteurs ignorent tout de la Palestine. On attribua ce protévangile à Jacques parce qu’en sa qualité de « frère » du Seigneur, il était le mieux placé pour accréditer des légendes sur sa famille.
Il est évident que l’auteur de ce récit se débat entre la nécessité de montrer que la naissance de Jésus est à la fois réelle, et non pas virtuelle, mais aussi merveilleuse.
Il doit, en effet, montrer que Jésus est né comme tous les hommes, mais qu’il est né aussi de façon surnaturelle, seule manière d’attester son caractère divin.
On y trouve racontés la naissance de Marie, son mariage avec Joseph, que survole une colombe, l’Annonciation, la naissance de Jésus, l’attestation miraculeuse de la virginité de sa mère, le voyage à Bethléem, Jean-Baptiste et le roi Hérode.
L’ÉVANGILE DE PIERRE (140 à 160 ?)
Cet évangile fut éliminé de la liste officielle des écrits à utiliser par Sérapion, évêque d’Antioche, vers 190. On se demande bien pourquoi ? Parce qu’il y a dedans des éléments manifestement non historiques ? ? Mais les Évangiles officiels en regorgent. Voir par exemple le très mauvais film « d’horreur » de Matthieu 27, 51 à 54, à propos des morts-vivants sortant des tombeaux ouverts par le tremblement de terre et répandant la terreur en ville. Qu’est-ce qui est le plus invraisemblable dans l’épisode du tombeau vide ? La croix qui sort et qui parle pour expliquer la résurrection ? Ou des créatures lumineuses non humaines (des anges) comme dans les évangiles canoniques officiels ?
On serait bien en peine de les classer sur l’échelle de Richter de l’invraisemblance, les deux visions étant toutes deux également non historiques, et relevant plus de la rumeur que d’autre chose. Elles témoignent en tout cas non d’un fait objectif et qui aurait pu être visible d’une foule, ou filmé s’il avait déjà existé des caméras en ce temps-là ; mais d’une conviction intérieure, ou d’une croyance solidement chevillée au corps.
L’ÉVANGILE ATTRIBUÉ À THOMAS (150).
Nous en avons déjà dit deux mots pour introduire notre étude du message des évangiles, mais vu son importance il ne sera pas inutile de revenir quelque peu sur le sujet.
Ce texte est très proche de ce que devaient être les premiers recueils de matériaux circulant sur Jésus, et contient plus de 100 logia (très exactement 114) lui étant attribués.
Dans sa forme actuelle il est donc constitué de 114 logia (paroles) de Jésus, tous introduits par la formule « Jésus a dit… ». L’Évangile selon Thomas est très difficile à dater en fait, et reproduirait pour l’essentiel des « paroles secrètes de Jésus » transmises par une tradition autonome, remontant assez haut dans le 1er siècle. Son texte intégral ne nous a été connu que depuis la découverte de la bibliothèque gnostique de Nag-Hammadi, et a soulevé la controverse dès sa découverte.
Son contenu, bien que remarquablement propre à inspirer des spéculations gnostiques, n’offre que peu de traces d’un gnosticisme authentique.
Il s’agit de la collection intégrale des logia dont des fragments grecs précédemment retrouvés n’avaient offert que des lambeaux malaisément compréhensibles. L’influence gnostique n’est donc pas si évidente que cela dans ce texte.
On retrouve nombre de ces logia dans la littérature patristique la plus orthodoxe des premiers siècles. C’est donc l’utilisation qu’en ont faite les gnostiques, plus que son contenu, qui a été responsable du rejet de ce texte par l’Église. Le royaume de Dieu ou du Démiurge y est non eschatologique. Plus classique, on y trouve également un net rejet des pratiques juives de piété (jeûne, prière ou circoncision).
On pense maintenant qu’il a été écrit en copte au second siècle et qu’il a deux sources différentes, l’une étant incontestablement gnostique, mais plus tardive.
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Certains de ces logia (du grec logion, propos prêté à) sont plus anciens que les équivalents que l’on peut trouver dans les quatre évangiles officiels. Et sont vraisemblablement plus proches de ce que Jésus a réellement pu dire (s’il a existé).
Plus que d’autres ouvrages ce texte mérite le nom d’évangile. Certes, c’est un évangile différent de nos synoptiques ; il lui manque en particulier toute référence à la Passion et cela pose question. Comment expliquer qu’un évangile élaboré un demi-siècle à peine après les autres et une centaine d’années après les lettres de Paul, puisse méconnaître complètement le temps de la Passion, ou les références au crucifié ? Cela voudrait dire qu’il a subi, moins que les évangiles officiels, la relecture de l’Église. Il transmettrait à l’état brut une parole non commentée, tandis que les autres évangiles contiendraient, mêlés aux enseignements de Jésus, les apports des Églises, et les influences des rédacteurs successifs. Etc. Etc. (ce n’est quand même pas à nous barbares druides d’Occident d’étudier plus attentivement tous ces apocryphes CHRÉTIENS ! Il appartient aux exégètes, chrétiens, de le faire, et en leur appliquant les mêmes méthodes qu’aux évangiles canoniques : les sources, les différentes strates, et ainsi de suite.)
Quant à nous, nous avons aussi d’autres mythologies tout aussi intéressantes à étudier (la mythologie irlandaise, certains textes scandinaves d’origine bardique, etc.).
L’ÉVANGILE DE NICODÈME.
« Justin, Première Apologie, 35, 8-9. Et après l’avoir crucifié, ils tirèrent au sort son vêtement, et ceux qui l’avaient crucifié se (le) partagèrent. Vous pouvez voir tout ce récit dans les Actes de Ponce Pilate ».
Ainsi que nous avons pu le voir, une grande partie de la légende du Graal en tant que coupe ayant servi à recueillir le sang du christ, est issue de l’évangile apocryphe dit « de Nicodème » rebaptisé plus tard « Actes de Pilate ».
Il n’est donc pas sans intérêt de se pencher un peu sur la genèse d’un aussi curieux document.
Le 30 avril 311, un des maîtres de l’Empire romain d’alors, le César Galère, signa dans la ville de Sardique (aujourd’hui Sofia en Bulgarie) un édit de Tolérance, destiné à contrecarrer les manœuvres déployées par son rival Constantin pour séduire les chrétiens. Lactance nous en a transmis le texte. Mais en Orient Maximin ne fit pas publier l’édit de Galère. Afin de lutter contre cette aberration, hélas en train de se répandre, il impose au contraire dans les écoles de tout l’Empire une autre version, plus plausible, des quatre évangiles, mais en vain, encore une fois hélas !
Bref, comme Justin 1) et Tertullien mentionnaient déjà des « Actes de Pilate » au second siècle de notre ère ; afin de mettre un frein à la christianisation rampante des esprits, les services de Maximin allèrent donc jusqu’à diffuser une version des Actes de Pilate relatant de façon plus vraisemblable le procès de Jésus.
Pour contourner cette tentative de Maximin destinée à contrer le christianisme, certains chrétiens firent alors circuler d’autres Actes de Pilate, rebaptisés d’ailleurs plus tard « Évangile de Nicodème ».
Les Actes de Pilate, ou Évangile de Nicodème donc, se composent de deux parties tardivement rattachées l’une à l’autre. L’ensemble a vraisemblablement été écrit au IVe siècle, ou du moins une forme ancienne dont dérive la présente. Le texte qui nous est parvenu, daté du Ve siècle, reproduirait en grande partie la version du IVe siècle, mais utilise aussi des traditions très anciennes, puisque Justin et Tertullien font déjà mention d’Actes de Pilate au second siècle ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le voir.
Les recensions sont nombreuses, en syriaque, arménien, éthiopien, latin, et grec. L’intention apologétique est évidente : Pilate devient le témoin privilégié de l’innocence et de la divinité de Jésus. Même rôle du côté juif chez Nicodème et Joseph d’Arimathie : tous les personnages de cet évangile finissent par se convertir.
La seconde partie, de caractère apocalyptique, raconte par la plume de deux fils jumeaux de Syméon, la descente de Jésus aux enfers. Elle comble la curiosité des chrétiens et développe la sobre évocation de 1 Pierre 3, 18. Cette partie, composée à la fin du IVe siècle, utilise une source du second siècle.
Nous suivrons pour la première partie, la recension grecque (A), plus ancienne. Pour la seconde, l’une des deux recensions latines (B) qui nous sont parvenues.
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MÉMOIRES DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST RÉDIGÉES SOUS PONCE PILATE.
PROLOGUE.
Je suis Ananias, garde du corps, de rang prétorien, et jurisconsulte. J’ai connu notre Seigneur Jésus-Christ par les divines Écritures et je me suis converti. J’ai reçu l’honneur du saint baptême et je me suis mis en quête des mémoires qui avaient été rédigés, à l’époque, sur notre Seigneur Jésus-Christ.
Des juifs les avaient consignés sous Ponce Pilate. J’ai donc retrouvé ces documents en langue hébraïque, et selon la volonté de Dieu, je les ai traduits en grec, pour les diffuser parmi tous ceux qui invoquent le nom de notre Seigneur Jésus-Christ…
PREMIÈRE PARTIE.
Après s’être réunis en conseil, les grands-prêtres et les scribes, Anne, Caïphe, Sémès, Datha, Gamaliel, Juda, Lévi, Nephtali, Alexandre, Jaïre, etc. survint alors un homme, appelé Joseph, membre du Conseil. Il était d’Arimathie et il croyait dans le Royaume de Dieu. Il s’approcha de Pilate 2) et lui demanda le corps de Jésus. Puis il le descendit de la croix, le roula dans un linceul tout blanc, et le plaça dans une tombe taillée dans le roc…
DEUXIÈME PARTIE.
DESCENTE DE JÉSUS AUX ENFERS.
Joseph prit la parole et dit : « Pourquoi vous étonner de la résurrection de Jésus ? Étonnons-nous plutôt qu’il ne soit pas ressuscité seul. Il a relevé un grand nombre de morts, que beaucoup ont vus à Jérusalem. Vous ne les connaissez pas tous. Mais au moins connaissez-vous Syméon……………………………………………………………………………………
Ils se signèrent et dirent tous deux aux grands prêtres : « Donnez-nous du papier, de l’encre et une plume afin que nous puissions vous décrire ce que nous avons vu et entendu ». On leur apporta ces objets. Ils s’assirent et écrivirent ce qui suit.
« Seigneur Jésus-Christ, vie et résurrection des morts, permets-nous de parler des mystères de ta majesté, que tu as manifestée en enfer. Alors que nous étions là tous ensemble avec nos pères dans les profondeurs, dans l’obscurité des ténèbres, il y eut soudainement comme un soleil d’or et une lumière de pourpre royale au-dessus de nous… Et tandis que les saints s’en réjouissaient, voilà ce que Satan, le prince et roi de la mort, a dit aux enfers : « Prépare-toi à recevoir un certain Jésus qui s’est vanté d’être le Fils de Dieu, alors qu’il n’était qu’un homme qui craignait le trépas au point de s’écrier : Mon âme est triste à en mourir. Cet homme a été mon plus grand ennemi et m’a beaucoup combattu, car il a guéri d’une seule parole beaucoup de ceux que j’avais rendus aveugles, boiteux, sourds, lépreux ou possédés, et ceux que j’amenais aux portes de la mort ton royaume, il les en éloignait… »
Voilà ce que le Seigneur nous a ordonné de vous déclarer : rendez-lui honneur et grâce, et repentez-vous pour qu’il ait pitié de vous.
Que la paix soit de notre Seigneur Jésus-Christ soit sur vous, il est le sauveur du monde. Amen.
Et quand ils ont fini d’écrire toutes les choses sur leurs papiers, ils se levèrent. Karinus remit ce qu’il avait écrit entre les mains d’Anne Caïphe et Gamaliel. De la même façon, Leucius remit ce qu’il avait écrit entre les mains de Nicodème et de Joseph. Ensuite ils furent transfigurés, devinrent tout d’un coup comme chauffés à blanc et disparurent.
Notes.
1) Justin, Première Apologie, 35, 8-9. « Et après l’avoir crucifié, ils tirèrent au sort son vêtement, et ceux qui l’avaient crucifié se (le) partagèrent. Vous pouvez voir tout ce récit dans les Actes de Ponce Pilate ».
Le texte de cette première version des Actes de Pilate ne nous a évidemment pas été conservé, ce qui est bien dommage ! Il devait sans doute contenir force détails de nature à troubler la croyance des premiers adeptes de la nouvelle secte. Tout ce que l’on peut en dire est qu’un écho de ces Actes de Pilate figure certainement dans la relation évangélique du procès puis de la mort de Jésus ; soit la
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partie du cycle de la Passion qui se déroule sans témoin chrétien ; et qui pose donc la question de sa transmission narrative dans les communautés chrétiennes.
2) Ponce Pilate, né en 10 avant notre ère, était préfet (procurateur selon Flavius Josèphe) de la province romaine de Judée au 1er siècle (de 26 à 36) ; c’est-à-dire, selon le Nouveau Testament, au moment de la crucifixion de Jésus. Il fut renvoyé à Rome et mourut vers 39 en exil à Vienne en France, ou à Lucerne en Suisse. Une inscription trouvée en 1961 à Césarée ainsi que les textes de Flavius Josèphe (Guerre des juifs, livre II, IX, 2-4) attestent son existence !
D’après les évangiles (et nous soulignons bien D’APRÈS LES ÉVANGILES), Jésus aurait été conduit devant Pilate par les responsables religieux juifs pour qu’il le juge et le condamne. En effet, la nuit précédente, il avait été arrêté à Gethsémani, par la police du grand-prêtre.
On le traîne alors devant l’ancien grand-prêtre Anne, chef du clan sacerdotal, puis devant son gendre, le grand-prêtre Caïphe, qui a convoqué de toute urgence le Grand Conseil ou Sanhédrin. On lui fait ensuite un simulacre de procès autour d’une accusation de blasphème. Mais, le pays étant occupé par les Romains, il faut obtenir un autre jugement, cette fois-ci devant le tribunal du préfet, Ponce Pilate, pour parvenir à une réelle condamnation à mort.
On présente donc Jésus à Pilate comme un dangereux rebelle galiléen, dont les prétentions à la royauté menacent le pouvoir de l’empereur Tibère.
L’ayant interrogé, Ponce Pilate ne voit aucun motif de condamnation. Croyant sans doute avoir trouvé le moyen d’épargner Jésus, il propose à la foule de libérer un prisonnier à l’occasion de la Pâque, comme le voulait la coutume. Mais, contrairement à ce qu’il attendait, la foule crie « Libérez Barabbas », nom d’un autre prévenu dont Pilate instruisait le procès au même moment, et présenté par les Évangiles comme un émeutier ou un meurtrier.
Évangile selon Matthieu (27, 24).
Et Pilate, voyant qu’il ne gagnait rien, mais qu’il s’élevait plutôt un grand tumulte, prit de l’eau et se lava les mains devant la foule, en disant : « Je suis innocent du sang de cet homme ».
Les textes de Flavius Josèphe rapportent que Ponce Pilate avait déjà réprimé de manière sanglante deux révoltes juives *. Pilate avait donc quelques raisons de vouloir éviter un nouveau « tumulte ». Sa réflexion pathétique « Qu’est-ce que la vérité ? » le rapproche assez curieusement des humanistes ou des philosophes sceptiques.
Le personnage de Ponce Pilate est l’une des figures centrales du roman « Le Maître et Marguerite » de Mikhaïl Boulgakov, où il apparaît comme un homme triste, profondément humain, accablé par sa charge, et laissant crucifier Jésus à contrecœur. L’Église copte commémore d’ailleurs Ponce Pilate comme un saint. Selon cette tradition, il se convertit en secret au christianisme, sous l’influence de sa femme Claudia. Ils sont tous les deux fêtés le 25 juin. L’Église orthodoxe, elle, par contre, honore seulement Claudia, jugeant Pilate indigne de ce titre puisqu’il se contenta de ne rien avoir à faire avec Jésus.
Il faut dire que cette histoire est bizarre.
Si vous ouvrez les Annales de Tacite, vous constaterez que manquent les livres qui couvrent le règne de Caligula et les premières années de celui de Claude. Le texte s’arrête avec la mort du vieux Tibère (livre VI, 37 de notre ère) pour ne reprendre qu’avec le meurtre de Messaline (livre XI, 47 de notre ère). Cette importante lacune n’est certainement pas le fruit du hasard ! Il est plus que probable que Tacite y énonçait quelques « vérités » choquantes pour les copistes chrétiens du haut Moyen Âge. Entre autres choses, l’historien latin y parlait sans doute de Ponce Pilate et de sa condamnation par Caligula.
Les Évangiles donnant peu de détails sur Pilate, des légendes sont nées autour de ce personnage clé des épisodes dramatiques de la Passion. Eusèbe de Césarée (in Historia Ecclesiae), cite des récits apocryphes évoquant les malheurs de Pilate sous le règne de Caligula (37-41). Exilé en Gaule, il se serait finalement suicidé dans le Rhône à Vienne. Un monument de la ville (la tombe de Pilate) évoque d’ailleurs cet épisode.
Notes sur feuille volante retrouvées par les héritiers de Pierre de La Crau.
* Ponce Pilate et l’affaire des Samaritains. À l’instigation d’un homme « qui ne craignait pas de mentir et qui usait de toutes sortes de manigances pour séduire le peuple », une foule de Samaritains prennent les armes et se réfugient sur leur montagne sacrée, le mont Garizim. Voyant cela, le sang de l’irascible Ponce Pilate ne fait qu’un tour ! Il rassemble ses troupes, fonce sur les émeutiers, en extermine une partie, et disperse le reste. Là-dessus, le conseil des juifs (ou des Samaritains, on ne sait trop) s’en va trouver Vitellius, le gouverneur de Syrie, pour se plaindre d’une telle brutalité. Vitellius écoute attentivement cette ambassade judéo-samaritaine puis, indigné, ordonne à Pilate de se précipiter à Rome pour se justifier devant l’empereur. Le préfet se hâte d’obéir, mais quand il arrive à Rome, Tibère est mort et son successeur Caligula l’envoie pourrir en exil, à Vienne près de Lyon.
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Lucien J. Heldé, le génial animateur du site belge consacré aux empereurs romains, à qui encore une fois nous empruntons tous ces détails, est d’un avis radicalement différent pour ce qui est des causes de l’exil de Pilate. À cause de la maladresse insigne de Pilate, proche de la haute trahison, Hérode Agrippa, un ami de l’empereur, avait eu un rival de plus (Jésus) sur les bras ; un concurrent supplémentaire soutenu, qui plus est, par une faction d’exaltés (les premiers chrétiens) qui croyaient dur comme fer que leur chef avait échappé à la mort grâce à une intervention divine ! Et c’est sans doute pour cette raison, non pour une énigmatique répression en Samarie, que Ponce Pilate fut exilé à Vienne. L’année suivante (38 de notre ère), Hérode Antipas, ex-tétrarque de Galilée, rejoignit Pilate au bord du Rhône. On prétend que son épouse Hérodiade (celle-là même qui avait exigé la tête de saint Jean-Baptiste), jalouse de la faveur de son frère Hérode Agrippa ; l’avait incité à se rendre à Rome pour demander à l’empereur d’agrandir ses domaines et de lui conférer le titre royal. Mal lui en avait pris ! L’empereur avait trouvé que ce prince hérodien était décidément par trop « insatiable ». Il l’avait donc dépossédé de sa tétrarchie de Galilée au profit de son ami Hérode Agrippa et l’avait envoyé croupir en Gaule auprès de Ponce Pilate.
On estime généralement que ce petit cercle d’exilés (Ponce Pilate, Claudia Procula, Hérode Antipas et son épouse Hérodiade), derniers témoins non chrétiens de « l’Affaire Jésus » ; disparut (suicide, exécution) dans le courant de l’an 39, après une énigmatique visite du futur empereur Claude.
On dit aussi que si le Mont Pilat, sur les contreforts de l’Ardèche, en France, porte ce nom, c’est parce que l’ancien préfet de Judée, bourrelé de remords, s’y serait donné la mort en se jetant dans le Giers… Mais tout cela reste vraiment très hypothétique et relève plus vraisemblablement de la manie qu’ont les Français de se vouloir le centre du monde. Exit donc les Actes de Pilate, antique texte français écrit sur les bords du Rhône.
Ce qui est certain, par contre, c’est qu’Hérode Antipas, l’autre protagoniste de cet imbroglio, a fini ses jours en exil à Lugdunum Convenarum, littéralement « la colline du dieu-ou-démon Lug des Convènes », important site urbain des Pyrénées. Connue par les textes de Strabon, de Flavius Josèphe, de saint Jérôme, cette ville romaine a été révélée à partir de 1913 par diverses fouilles archéologiques. Et n’allons pas imaginer que cet Hérode était dépositaire d’un formidable secret ou d’un quelconque Graal, par la suite entre les mains des cathares. Arrêtons ce délire très « franco-français » !
L’ÉVANGILE DE JUDAS (220 – 340).
L’Évangile de Judas est un manuscrit en papyrus de 26 pages, écrit en copte dialectal, datant du IIIe siècle ou du IVe siècle (220 – 340 ? ?). Il fait partie d’un codex d’une soixantaine de feuillets (entre 62 et 66 suivant les sources) appelé « Codex Tchacos », contenant aussi deux textes apocryphes. L’Épître de Pierre à Philippe et la Première Apocalypse de Jacques, qui se trouvent aussi dans les manuscrits de Nag Hammadi. Ce codex a été vraisemblablement découvert en 1978, dans les sables du désert égyptien, près d’El Minya.
L’existence de cet évangile selon Judas n’est pas une découverte récente, puisque ce texte était déjà connu par la réfutation qu’en avait faite Irénée de Lyon dans son traité intitulé « Contre les hérésies ». Cet évangile est en fait une traduction copte d’un texte grec plus vieux encore. Irénée l’attribue à la secte gnostique des Caïnites.
Le manuscrit demeura dans un coffre-fort de la Citybank de Long Island pendant plus de seize ans, ce qui en détériora l’état de conservation. Il fut ensuite acquis par une fondation suisse en 2001, la Fondation Maecenas pour l’art ancien, qui le restaura et le fit traduire. L’originalité de ce texte est qu’il remet en cause l’idée reçue depuis presque 2000 ans… que Judas a été un « traître » vis-à-vis de Jésus, au point de devenir le « prototype de la trahison » même en dehors de l’Église… Notre texte affirme au contraire que Judas n’a fait… qu’obéir à Jésus qui attendait de lui qu’il l’aide à réaliser son destin, c’est-à-dire abandonner son enveloppe charnelle pour retrouver sa « divinité »… Et l’on doit reconnaître que l’Évangile de Jean (13, 27) prête à Jésus les paroles : « Ce qu’il te reste à faire, fais-le vite »… Bien entendu, Judas n’est pas l’auteur de « son » évangile, a fortiori si, conformément aux évangiles canoniques, il s’est suicidé juste après. Le texte a seulement été mis sous son « égide », conformément à la tradition de l’époque.
Épiphane de Salamine, à la suite d’Irénée, affirme lui aussi que cet « évangile » faisait partie des écritures de la secte gnostique des caïnites. Il réagit à l’apologie que cet écrit fait de Judas, en s’appuyant sur le texte des évangiles canoniques, eux-mêmes fondés sur une lecture prophétique de l’Ancien Testament. Cependant, il ne faut pas oublier que Judas, d’après tous les évangiles canoniques et apocryphes, a joué un rôle décisif dans le déroulement de la Crucifixion ; et donc, en ce qui concerne la réflexion théologique, qu’il est légitime de se poser la question de la sanction de sa participation à cet événement fondamental du christianisme.
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Le texte débute par ces mots : « Voici la révélation que Jésus a faite à Judas trois jours avant la Pâque ». Le récit commence par montrer Jésus qui rejoint ses disciples en train de préparer la cérémonie. Jésus rit de leur attitude, mais ils ne comprennent pas, sauf Judas qui lui dit : « Je sais qui tu es ainsi que d’où tu viens, du royaume immortel de Barbélo ». Voyant ainsi que Judas était prêt à être initié, Jésus le prend à part. Il lui enseigne les mystères du Royaume et lui annonce qu’il sera maudit par les chrétiens. Il révèle ensuite à Judas des secrets sur l’origine du monde.
Un ange lumineux et divin appelé Adamas est sorti d’un nuage lumineux, et a créé à son tour des myriades d’anges. De ce nuage sont sortis également un ange appelé Nébro, nom qui signifie le rebelle, et un autre nommé Saklas, qui a créé Adam et Ève. Il ne faut pas offrir de sacrifice à Saklas.
Le récit s’achève par une parole de Jésus : « Tu surpasseras tous les autres, car tu sacrifieras l’homme qui me sert d’habit ». Enfin, Judas livre Jésus aux grands prêtres et reçoit d’eux la somme promise.
Notes de la rédaction.
1) Il va de soi que la diffusion récente de cet Évangile ne modifie en aucun cas notre point de vue sur la façon dont s’est diffusé le christianisme. L’Évangile de Judas est un évangile, comme les autres pourrait-on dire, et en tant que tel on peut lui appliquer les mêmes critiques que celles que l’on fait généralement aux quatre évangiles canoniques.
Ce n’est pas un reportage objectif contemporain des faits, mais une reconstruction ultérieure, mise au point par une sensibilité religieuse particulière, comme il y en avait tant alors au sein du christianisme naissant. L’Évangile de Jean est fortement marqué par un certain gnosticisme, disons que celui de Judas l’est encore plus, mais d’une autre tendance.
2) Histoire de Judas. Selon les évangiles synoptiques, Judas l’Iscariote, dernier des douze Apôtres, assurait le rôle de trésorier. Il vendit Jésus pour 30 pièces d’argent aux grands prêtres de Jérusalem. Jésus se trouvait dans les jardins de Gethsémani. Judas le désigne aux gardes en lui donnant un baiser (d’où l’expression « baiser de Judas » qui désigne aujourd’hui un baiser de traître). Les prêtres menèrent ensuite Jésus devant Ponce Pilate, gouverneur romain de Judée. Le Nouveau Testament fait mourir Judas peu de temps après, mais selon deux versions différentes ; la version la plus souvent citée est celle de l’Évangile selon Matthieu : « jetant alors les pièces dans le sanctuaire, il se retira et s’en alla se pendre » (Matthieu 27, 5).
L’autre version, Actes des Apôtres 1 (18), indique : « Judas ayant acquis un champ avec le salaire du crime, est tombé la tête la première, s’est rompu l’échine et toutes ses entrailles se répandirent ».
Critique des textes.
Il n’existe pas de ville du nom de Karioth, donc il est plus probable que l’adjectif iscariote vient du mot sicaire (du latin sicarius, porteur de dagues), les sicaires étant un autre nom des zélotes.
Il est admis en théologie catholique que Judas aura joué un rôle essentiel dans le processus de la rédemption : sans lui, pas de crucifixion, et, donc, pas de rachat des péchés des hommes. Le problème est donc de savoir quelle a été la sanction de sa participation à cet acte essentiel.
S’il se trouve désormais en enfer, alors c’est lui, et non Jésus, qui aura été celui ayant le plus souffert pour assurer le processus de rédemption (du moins si l’on en croit la vision traditionnelle de l’enfer) ; ce qui devrait plonger les théologiens dans la plus grande perplexité.
Néanmoins, comme l’ont dit aussi maints théologiens : que les Écritures affirment l’existence d’un enfer est une chose. Qu’il se trouve qui que ce soit en son sein en est une autre.
Cela étant, la majeure partie des théologiens chrétiens considère aujourd’hui que ce n’est pas tant la trahison de Judas qui pose problème, car elle est pardonnable ; mais son suicide qui, dans ce cas précis, marque un refus du pardon.
Ce problème théologique a été abordé de manière littéraire dans une nouvelle de Jorge Luis Borges. L’écrivain imagine un théologien danois du XIXe siècle dont la thèse était que Dieu s’était fait homme jusqu’à l’infamie, Judas étant donc en fait dans cette hypothèse le véritable fils de Dieu. Cette fiction de Borges s’appuie sur de nombreux arguments et contre-arguments théologiques, qui tous rendent compte de la complexité symbolique de la figure de Judas.
En l’occurrence, le personnage de Judas, qui vend Jésus, serait inspiré de celui de Juda, quatrième fils de Jacob, celui qui convainc ses frères de vendre Joseph plutôt que de le tuer (Genèse 37, 26-27). La valeur gématrique de Juda (YHWDH) est 30, d’où les 30 deniers. Et si le corps de Judas est
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enseveli dans le « champ du potier » (Matthieu 27,7), c’est que la Genèse compare l’Éternel YHWH à un potier façonnant le corps d’Adam à partir d’un peu d’argile.
ET ENFIN LE DERNIER, MAIS NON LE MOINDRE, L’ÉVANGILE DE BARNABÉ.
Ce texte ne doit pas être confondu ni avec l’épître de Barnabé qui en diffère complètement ni avec les Actes de Barnabé.
Disons-le tout de suite, comme quoi la manipulation des textes ou la fraude pieuse n’est pas l’apanage du christianisme ; l’évangile de Barnabé est un faux pitoyable *émanant de milieux musulmans, ou restés secrètement musulmans (DES MORISQUES ESPAGNOLS ?).
C’est évident, d’où le caractère assez grossier de ce faux, sur lequel John Toland a eu le tort de ne pas assez insister dans son Nazarenus, induit en erreur par le fait qu’il n’avait en main que la traduction italienne.: « J’en viens présentement à l’évangile des Turcs, qui est vraisemblablement le même livre…… traduit en italien par quelque renegato » (en italien dans le texte).
La seule chose qui mérite d’être discutée donc, c’est le noyau initial, dont certains spécialistes qu’il peut remonter à des milieux judéo-chrétiens de Syrie-Palestine au 6e siècle.
Prologue.
Traduit du manuscrit italien du 15e siècle (le texte espagnol a une centaine de chapitres en moins).
Barnabé, apôtre de Jésus Nazaréen appelé Christ, à tous ceux qui habitent sur la terre, souhaite paix et consolation.
Très chers, le grand et admirable Dieu nous a visités, ces jours passés, par son Prophète Jésus Christ, en grande miséricorde de doctrine de doctrine et de miracles. C’est pourquoi beaucoup, trompés par Satan, sous couvert de pitié, prêchent une doctrine fort impie : ils appellent Jésus fils de Dieu, rejettent la circoncision, alliance de Dieu à jamais, et autorisent toutes sortes d’aliments impurs. Parmi eux, Paul lui-même est dans l’erreur, et je n’en parle pas sans douleur.
En conséquence, je vous écris cette vérité que j’ai vue et entendue en fréquentant Jésus, afin que vous soyez sauvés, que vous ne soyez pas trompés par Satan et que vous ne périssiez pas dans le jugement de Dieu. Gardez-vous donc de quiconque vous prêche une doctrine nouvelle opposée à ce que je vous écris, pour que vous soyez sauvés à jamais. Que le grand Dieu soit avec vous et vous garde de Satan et de tout mal ! Amen.
Chapitre 39.
Jean dit alors : « Tu as bien parlé, Maître, mais il nous reste encore à savoir comment l’homme pécha par orgueil. Jésus répondit : quand Dieu eut chassé Satan, et que l’ange Gabriel eut purifié cette masse de terre où Satan avait craché, Dieu créa tout ce qui vit, aussi bien les animaux qui volent que ceux qui marchent et ceux qui nagent, et il orna le monde de tout ce qu’il a.
Un jour, Satan s’approcha des portes du paradis et, voyant les chevaux manger de l’herbe, il leur annonça que, si cette masse de terre recevait une âme, ils en souffriraient beaucoup et qu’ils feraient bien de piétiner cette terre de façon qu’elle ne soit plus bonne à rien. Les chevaux s’ébrouèrent et se disposèrent avec fougue à ravager cette terre qui gisait parmi les lis et les roses.
Alors Dieu donna le souffle au morceau de terre impure sur laquelle se trouvait le crachat de Satan que Gabriel avait enlevé de la masse, et il suscita le chien. Celui-ci en aboyant, remplit de peur les chevaux qui s’enfuirent. Puis Dieu donna l’âme à l’homme, tandis que tous les saints anges chantaient. : « Béni soit ton saint nom, ô Dieu notre Seigneur ».
Se dressant sur ses pieds, Adam vit, en l’air, une inscription brillante comme le soleil. Elle disait : « Il n’y a qu’un seul Dieu, et Muhammad est le Messager de Dieu ». Alors Adam ouvrit la bouche et dit : « Je te rends grâces, Seigneur mon Dieu, d’avoir daigné me créer, mais dis-moi, je t’en prie, que signifient ces paroles : Muhammad Messager de Dieu ? » Y a-t-il eu d’autres hommes avant moi ? » Dieu répondit alors : « Sois le bienvenu, ô mon serviteur Adam ! Je te le dis, tu es le premier homme que j’ai créé. Celui que tu as vu est ton fils qui se tiendra prêt pendant bien des années à venir au monde. Il sera mon Messager. C’est pour lui que j’ai tout créé, il donnera lumière au monde quand il viendra. Son âme se trouve dans une splendeur céleste ; elle y fut mise soixante mille ans avant que je fasse quoi que ce soit. Adam pria Dieu en disant : « Seigneur, inscris cela sur mes ongles » Dieu
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inscrivit alors cela sur les pouces du premier homme. Sur l’ongle de la main droite, il y avait : « Il n’y a qu’un seul Dieu » ; et sur l’ongle de la main gauche, il y avait : Muhammad est le Messager de Dieu ». Aussi, avec une affection paternelle, le premier homme baisa ces mots. Il se frotta les yeux et dit : « Béni soit le jour où tu viendras au monde ! »
Voyant que l’homme était seul, Dieu dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul ». Il le fit donc dormir. Lui ayant pris une côte du côté du cœur et ayant rempli cet endroit de chair, il fit de cette côte Ève et il la donna à Adam pour épouse. Il les fit tous deux maîtres du paradis et leur dit : « Voici, je vous donne tous les fruits à manger, sauf les pommes et le blé ». À leur sujet il dit : « Gardez-vous absolument de manger de ces fruits, car vous en deviendriez si impurs que je ne souffrirais pas que vous restiez ici. Je vous chasserais dehors et vous souffririez de grandes misères ».
Chapitre 221.
…… Tous s’y rendirent donc, excepté vingt-cinq des soixante-douze disciples qui, par crainte, avaient fui à Damas. Alors que tous se trouvaient en prière, à l’heure de midi, Jésus vint avec une grande foule d’anges qui bénissaient Dieu. Tous prirent peur en voyant la splendeur de son visage et tombèrent la face contre la terre. Les ayant relevés, Jésus les réconforta en disant : « Ne craignez pas, je suis votre Maître ! » Il en réprimanda beaucoup qui croyaient qu’il était mort et ressuscité : « Nous prenez-vous donc, moi et Dieu, pour des menteurs ? Dieu m’a donné de vivre jusqu’aux approches de la fin du monde comme je vous l’ai dit. Je vous le dis, je ne suis pas mort ; c’est le traître Judas qui est mort. Prenez garde, Satan fera tout pour vous tromper ! Efforcez-vous donc d’être mes témoins partout en Israël et dans le monde entier, témoins de ce que vous avez entendu et vu ! »
Cela dit, il pria Dieu pour le salut des fidèles et la conversion des pécheurs. La prière terminée, il embrassa sa mère et dit : « Sois en paix, ma mère, et repose-toi en Dieu, ton créateur et le mien ! » Puis il s’adressa aux disciples : « Que la grâce et la miséricorde de Dieu demeurent avec vous ! » Alors, les quatre anges l’enlevèrent visiblement au ciel.
Chapitre 222.
Jésus parti, les disciples se divisèrent selon les diverses régions. La vérité haïe par Satan fut persécutée par le mensonge, comme cela se passe encore aujourd’hui. Quelques mauvais hommes en effet se prétendant disciples prêchaient que Jésus était mort sans ressusciter ; d’autres prêchaient que Jésus était vraiment mort et ressuscité ; d’autres, et parmi eux se trouve Paul, trompé lui aussi, prêchaient et prêchent encore maintenant que Jésus est le fils de Dieu. Quant à nous, nous prêchons à ceux qui craignent Dieu tout ce qu’il a écrit pour qu’ils soient sauvés au jour du jugement de Dieu. Amen !
* Grossier, car ce texte dans son état actuel épouse exactement ce que beaucoup de musulmans pieux pensent de la personne de Jésus-Christ : ce n’est qu’un prophète, il n’a pas été crucifié et le texte va même jusqu’à mentionner Mahomet malgré les siècles d’anachronisme que cela suppose.
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ONTOLOGIE PAÏENNE.
ONTOLOGIE. Sous ce titre, nous nous en tiendrons à la définition la plus stricte du terme, c’est-à-dire à l’étude de l’être en tant qu’être. Et pour ce faire, par pure logique, nous commencerons par dire quelques mots du néant.
Mais attention, dans ce qui suit le néant sera conçu en tant que non-existence et non en tant que vide ou rien. Le mot néant désignera simplement l’état de ce qui précède l’être, de ce qui est antérieur à l’existence. Le corps d’un être humain un an avant sa naissance par exemple. Il n’existe en aucune façon.
La pensée paradoxale des très-sachants de l’Antiquité a imaginé une sorte de « néant par excès », contenant tout et son contraire en quelque sorte, à connotation surtout temporelle, auquel ils ont attribué la fonction de Principe absolu de l’être.
Le principe fondamental du néant tel qu’il était conçu par les très-sachants de l’Antiquité n’est pas un rien ou un vide, comme dans le cas de Parménide. Il s’agit d’une énergie de procréation, il est cause du soi et principe de tout, il est l’origine de tout ce qui retourne à lui après avoir existé.
Il s’agit, contrairement au néant d’impossibilité de Parménide, horizon au-delà duquel rien n’existe, d’une origine temporelle, d’un mouvement d’énergie créatrice, à l’œuvre au sein même des origines de l’être.
L’œuvre d’art est un autre bon exemple de cette conception du néant qui ne doit pas être confondu avec le chaos comme l’on fait certains penseurs grecs.
Le fait que l’œuvre d’art n’existe pas ne signifie pas que rien n’existe ou qu’il s’agit d’un vide. Prenons l’exemple d’un tableau : avant d’être œuvre d’art, la toile existe, la peinture servant à créer images et motifs existe, les pinceaux existent, la matière qui composera la future œuvre existe. En revanche, ce qui n’existe pas, c’est l’œuvre finie. L’avant-existence de l’œuvre d’art s’arrête lorsque l’artiste créateur authentifie son œuvre comme achevée. L’après-existence de l’œuvre d’art commence lorsque l’œuvre est détruite (par un incendie par exemple, dans le cas du tableau).
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, la doctrine du philosophe grec Parménide est que l’être ne peut surgir du néant. Parménide pose comme vérité première le fait que ce qui est, l’être, est, qu’il est sans négation (le non-être n’est pas) et sans altération. Parménide oppose à l’être la doxa, l’opinion changeante ou confuse, qui nous écarte de la vérité.
Ce n’était pas là le point de vue des très-sachants de la druidiaction qui admettaient par principe que l’être ne peut surgir que du néant : cette théologie était une théologie non parménidienne. Les très-sachants de l’Antiquité n’ont jamais été aussi loin dans la négation du monde que certains philosophes grecs de type Parménide ou Zénon d’Élée, ou que les bouddhistes de la plus ancienne École.
Pour les éléates en effet, tout est illusoire et nous trompe en ce bas monde : notre langage, nos symboles, et même notre bon sens.
Les gnostiques d’Occident n’ont jamais été parménidiens, ils ont seulement essayé de percer les paradoxes de la nature, en organisant méthodiquement la synthèse des connaissances sur l’Homme et son environnement, jusque-là isolées. Tout comme Scot Erigène.
Pour l’auteur du Periphyseon à propos des Divisions de la nature en effet, avant d’apparaître, et de se manifester à travers son acte procréateur, Dieu subsistait dans son retrait comme Néant divin ou comme Non-être, mais seulement d’un point de vue temporel, car il demeurait invisible et inconnaissable en soi. Dieu accède à l’Être seulement dans son apparition et dans sa manifestation, où il se rend alors visible et connaissable. Car la naissance du monde n’est rien d’autre qu’une apparition et un déploiement de Dieu, c’est-à-dire une théophanie. Toute « créature » devient par conséquent elle aussi une théophanie, c’est-à-dire une manifestation ou une apparition de celui qui est en soi le Dieu non manifesté ou non apparent, le Dieu caché dans le secret que l’on ne peut scruter, de sa transcendance/immanence. Mais ce processus théogonique et théophanique présuppose aussi une sorte d’inversion, par laquelle le Rien divin se fait tout, puisque Dieu à la fois s’affirme et se nie lui-même en un processus dialectique incessant. La Bonté divine passe ainsi de la
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négation de toutes les essences à l’affirmation de toutes les essences, en passant elle-même du Non-Être à l’Être, ou de la non-essentialité à l’essentialité.
Le philosophe irlandais entendait ainsi souligner que Dieu lui-même est ce Néant à partir duquel a été suscité ou porté à l’être tout ce qui existe, de Bonté divine. Érigène recourt ici à une dialectique typiquement païenne (celle du pseudo-Denys l’aréopagite), afin de démontrer que la « création ex nihilo » équivaut à une autocréation du Principe, qui passe de la négation absolue de l’Être à l’affirmation absolue de l’Être ; de la non-manifestation à la manifestation. Car le processus créateur doit partir du zéro absolu, c’est-à-dire de la Bonté divine qui excède l’Être.
Le néant selon les très-sachants n’est pas un néant parménidien c’est une sorte de mémoire de tout ce qui fut, de tout ce qui n’est plus et, de même, il est l’origine de ce qui n’est pas encore, de ce qui sera. Autrement dit, ce point ogham (la lettre eabad de l’alphabet oghamique) n’est pas, il fait être, il est le « faire être ». Au-delà de l’Être, comme du Super-Être, la source de l’Être. Ce principe et source de l’Être reste immanent et transcendant à l’Être, même supérieur. On ne peut le cerner que de loin, par voie de négation, c’est-à-dire par la théologie apophatique. Ce principe des principes qu’on ne peut nommer, rien n’est semblable à lui, et il n’est ni corps, ni individu, ni substance, ni accident. Il est au-delà du temps.
Il ne peut pas habiter dans un lieu ou dans un être, il n’est l’objet en druidechta d’aucun des attributs ni d’aucune des qualifications pouvant être attribués à un quelconque « étant ». Il n’est ni conditionné, ni déterminé. Il est au-delà de la perception des sens. Les yeux ne le voient pas, le regard ne l’atteint pas, les imaginations ne le comprennent pas. Simplicité absolue donc… de cet abîme.
Il faut admettre que la seule connaissance du Néant que nous puissions atteindre est celle que possède, de par son existence même, le premier Être immédiatement situé en dessous ou après le Néant, à savoir l’Être supérieur. Seul « Dieu » peut concevoir le Néant.
Le seul révélateur possible, à la fois voile et support de cet Abîme est donc le super-être, l’au-delà de l’être ; dont l’être n’est qu’une hypostase (vyouha dans l’hindouisme). Car l’être n’est qu’une hypostase du Super-être.
Mais cette connaissance est elle-même une inconnaissance : l’intelligence humaine doit reconnaître qu’elle ne pourra jamais atteindre le fond essentiel de ce « Néant » originel évoqué à mots couverts justement par les gnostiques d’Occident. À ce niveau, il n’y a aucun sens à parler de l’existence ou de l’absence d’une réalité divine supérieure ; car ce principe des principes n’est ni de l’être, dont on puisse affirmer ce qu’il est, ni du non-être dont on puisse énoncer qu’il n’est pas. Du moins dans une certaine mesure. Certaines Écoles de pensée agnostiques estiment possible de le cerner quand même, bien que de très loin, per viam negationis comme nous l’avons vu plus haut.
« Divers auteurs affirment que les Galiciens sont athées, tandis que les Celtibères et leurs voisins au nord sacrifient à un dieu-ou-démon sans nom, à chaque retour de la pleine lune, devant les portes de leurs bourgades ; se livrant alors avec toute leur maisonnée à des rites divers agrémentés de danses durant toute la nuit » (Strabon, Géographie, III, 4, 16).
Car ce principe des principes est celui que ne peut atteindre la pensée même la plus téméraire. Il est le Mystère des mystères. On ne peut lui attribuer ni noms, ni épithètes, ni qualifications.
Certaines Écoles de pensée, rejetant la notion même qui a fait la fortune du monolâtrie (je suis celui qui suis, sans doute une épithète du grand dieu Cananéen El au départ) ont insisté sur le fait qu’on ne peut même pas en fait, attribuer à cet Abîme insondable, l’être ou le non-être ; le principe des principes étant super être.
Ce que certains judéo-islamo-chrétiens écrivent à propos de l’Être nécessaire à l’origine de tout (le Premier Être ou Bitos) est vrai, mais à condition de descendre d’un cran plus en aval. La métaphysique de cet abîme se hisse au niveau du « faire être », antérieur à l’être (la mise de l’Être à l’impératif : ison son bissiet).
Au-delà du Un, il y a en effet ce qui unifie.
Cette affirmation évite le double piège de l’agnosticisme ou du matérialisme athée (assimilation du manifesté à sa manifestation). D’où la dialectique de la double négativité. L’Abîme originel appelé point ogham * est « non-être » et « non non-être », « non-dans-le-temps » et « non non-dans-le-temps »…
Toute négation concernant ce « Néant » est vraie si elle est en même temps niée elle-même. La vérité des principes est dans la simultanéité de cette double négation.
* Note : certains très-sachants appelaient « point ogham » ou « eabhadh » du nom d’une lettre de l’alphabet oghamique, ce principe des principes, cet abîme des abîmes, ce « Néant ».
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ONTOLOGIE (JUDÉO) CHRÉTIENNE.
« POURQUOI Y A-T-IL QUELQUE CHOSE ET NON PAS RIEN OU LE NÉANT ? »
Il est difficile de traiter du sujet dans le judéo-christianisme pour une raison toute simple, que voici.
— Le texte fondateur, la Genèse…
a) Mentionne bien une matière première préexistante, le tohu oua bohu.
b) Le nom de l’entité qui utilise cette matière première pour créer le monde… EST UN PLURIEL (les élohim).
— La théologie raisonne néanmoins comme s’il s’agissait d’une création « ex nihilo ».
Que faire ?
Réponse : nous ferons comme s’il s’agissait bien de création, ex nihilo, car sinon il n’y a plus aucune raison de parler de dieu créateur.
Dans ce qui suit nous traiterons donc de Dieu tel que l’entendent non les bouddhistes, mais les judéo-islamo-chrétiens (avec des attributs comme la création * la paternité la toute-puissance l’omniscience, etc.) et non au sens on ne saurait plus vague de force cosmique ou spirituelle différente de la simple matière.
Tant il est vrai que tout dépend de la définition qu’on donne aux choses.
La réponse à la question « qui est le premier, la création ou le créateur ? », traduite au niveau familier par le célèbre paradoxe de l’œuf et de la poule (« qui est le premier, l’œuf ou la poule » ?) n’est paradoxale qu’en apparence, n’est paradoxe qu’en fonction du sens que l’on donne à ces deux termes et notamment de la dimension temporelle qu’on y introduit.
Un tel paradoxe disparaît en effet si l’on considère que l’œuf n’est qu’une poule en devenir ou réciproquement, bref si l’on remplace la dimension temporelle par la notion de simultanéité : création et créateur sont une seule et même chose, les deux faces d’une même médaille, il n’y a de créateur que parce qu’il existe une création. Dieu est un autre nom donné à la Création, Dieu s’auto-crée lui-même en créant le monde, Dieu c’est l’autocréation perpétuelle du monde, etc., etc.…(voir hindouisme druidisme Ragnarök, etc.)
L’œuf de poule dont il sera question ici sera donc celui des religions de masse (judaïsme, christianisme, islam), c’est-à-dire au départ…
— Un petit dieu ethnique ou tribal (Yhweh).
— Dont la souveraineté a été élargie au monde entier après le retour de leur exil à Babylone de certaines tribus juives.
— Dont la conception a été ensuite partiellement revue et corrigée par la philosophie grecque (ce qui a encore compliqué les choses).
Alors que, ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir avec notre étude du paganisme, les très-sachants de l’antiquité dans ce type de philosophie ou de spiritualité ont souvent recours à la notion d’infini pour rendre compte de l’existence du monde, pour tenter de répondre à la célèbre et basique question : « POURQUOI Y A-T-IL QUELQUE CHOSE ET NON PAS RIEN OU LE NÉANT ? »
Dans les diverses philosophies païennes antérieures connues, hormis en ce qui concerne le passage initial du néant à l’être au commencement absolu de toute chose (qui leur pose à toutes problème) ; la conception qui prévaut est en effet en général celle exprimée par Strabon : « Non seulement les très-sachants, mais aussi tous les autres affirment que les âmes et l’univers sont indestructibles, mais qu’un jour seuls le feu et l’eau régneront » (Géographie 4, 4) ; à savoir une éternité de l’âme et de la matière qui ne font que changer sans fin en passant alternativement par des phases de construction puis de destruction.
Il ne faut pas confondre néant et vide qui sont deux notions différentes.
La notion de vide est relative à la notion d’espace (le vide s’inscrit dans un espace) la notion de néant a trait à l’être ou à l’existence. Le néant n’est pas le vide, et réciproquement. Le vide est l’absence de matière dans un espace défini. Le néant est une absence d’existence, ou plus précisément et plus logiquement le stade précédent l’existence, une préexistence.
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À propos du néant il n’existe que trois affirmations possibles.
1) Le néant n’existe pas, 2) le néant est, 3) le néant est quelque chose d’autre que le néant.
Réponse N° 1 : le néant n’existe pas.
Anaxagore, 5e siècle avant notre ère : « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau ». Dans son Traité élémentaire de chimie de 1789, Lavoisier parle de la matière en ces termes : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » ce qui n’est qu’une paraphrase du philosophe grec présocratique.
La première solution soutient donc que le néant n’est absolument pas. Seul l’être est. Telle était aussi la position de Parménide vers 450 avant notre ère.
Solution 2 : les néo-platoniciens grecs tels que Plotin, Proclus ou Damascius, ont développé l’idée d’un « néant par excès » auquel ils ont attribué la fonction de Principe absolu de l’être. En quelque sorte le néant suressentiel du pseudo-Denys l’aréopagite repris par le « druide » Érigène. En outre pour Plotin, la négation de l’être, c’est la matière. Comme Platon, il admet donc un non-être relatif. La matière s’identifie au mal, complète absence de bien, de raison, de beauté. Le non-être n’est cependant pas ici le non-être total, mais seulement ce qui est autre que l’être…
Réponse N° 3 : faux problème, le néant est quelque chose de distinct du non-être absolu, de l’absence totale d’être. Être pur et néant pur sont en réalité la même chose… La vérité c’est donc le devenir soit par passage du néant à l’être, soit par passage de l’être au néant. RETOUR DONC À LA SOLUTION N° 1.
Pour éviter le raisonnement fondé sur la régression à l’infini qui caractérisait maintes religions païennes, de l’Atlantique au Gange, les religions de masse que sont le judaïsme postexilique, le christianisme, et l’islam, ont donc postulé de façon quelque peu simpliste l’existence d’un être qui a en lui-même sa raison d’être (il n’a pas besoin d’une cause extérieure à lui : il existe par lui-même, de toute éternité, en dehors du temps, sans rien recevoir de personne). La position du christianisme a donc au moins le mérite d’être claire : le néant est négation de l’existence et Dieu, l’existence absolue est négation du néant. C’est donc cet être existant par lui-même (sans rien recevoir d’un autre) qu’ils appellent Dieu.
EN TANT QUE FACTEUR EXPLICATIF LE PREMIER DES ATTRIBUTS DE DIEU DANS LE JUDÉO-ISLAMO-CHRISTIANISME ou dans les croyances de ce type est donc l’existence : DIEU EXISTE
Et de cette existence de Dieu ainsi défini les chrétiens voient de nombreuses preuves, mais si certains penseurs ont défendu l’existence d’un sensus divinitatis (comme Calvin) d’autres penseurs ont soutenu que la croyance en Dieu est une illusion, une erreur universelle de nos facultés cognitives au même titre que la perception du bâton rompu dans l’eau (phénomène optique appelé réfraction).
Au XIIIe siècle, le philosophe franciscain Robert Grossetête, évêque de Lincoln a écrit dans ses commentaires sur Aristote (Commentarius in Posteriorum Analyticorum Libros, 1217–1220) : « Dans le domaine des sciences naturelles, de la science morale et de la métaphysique, le meilleur est ce qui peut se passer de prémisses, est mieux ce qui nécessite moins de prémisses. Toutes choses étant égales par ailleurs » (loi de parcimonie dite rasoir d’Occam).
Il s’agissait d’ailleurs d’un principe connu de la scolastique et remontant très loin, car sans doute universel puisqu’on le retrouve également à l’autre bout du monde indo-européen sous la plume du philosophe indien Madhva (1238-1317) dans son Vishnou Tattya-Nirnaya. Il y écrit en effet au vers 400 : « dvidhAkalpane kalpanAgauravamiti » (recourir à deux hypothèses alors que l’une suffit est une erreur ».
Mais ainsi que nous allons le voir ci-dessous, ce critère doit cependant être appliqué avec beaucoup de prudence, car il ne signifie pas nécessairement qu’il faille toujours préférer l’hypothèse la plus simple. Il ne faut pas confondre en effet comme le font les croyants, simplicité et simplification, encore moins ce qui est simple avec ce qui est simpliste. Car toute explication théologique est simpliste ; elle ne résout rien et ne permet de faire aucun calcul, aucune prédiction de type scientifique.
La première prémisse de l’argument de la superfluité affirme que tous les phénomènes naturels peuvent recevoir une explication scientifique et non que celle-ci a déjà été apportée en l’état actuel de
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la science. Il s’agit donc d’une attitude philosophique consistant à avoir confiance dans le pouvoir explicatif de la science. Des explications scientifiques ont déjà pu être fournies pour des phénomènes dont on était autrefois sûr qu’ils nécessitaient l’existence de Dieu, il est donc probable que des explications scientifiques seront fournies à l’avenir pour les phénomènes dont l’explication requiert aujourd’hui l’existence de Dieu.
Par ailleurs, quelle valeur a un « Dieu bouche-trou » qui n’est postulé que pour combler les lacunes de la science ? Faire appel au divin est d’autant moins fournir une explication que l’origine même du divin n’est pas expliquée (voir problème de la régression à l’infini).
* Il est le démiurge de ce monde au sens gnostique de ce terme.
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AVERTISSEMENT SAINT CORAN CHAPITRE 9, VERSET 30.
« Les Juifs disent, Esdras est le fils de Dieu, et les chrétiens disent : Le Messie est le fils de Dieu. C’est ce qu’ils disent de leur propre bouche. Ils disent la même chose que les incroyants d’avant. Dieu (en personne) est contre eux. Ils sont youfakouna ».
Précisions sémantiques.
Esdras. Ce sont les traducteurs ou musulmans actuels qui transcrivent le nom arabe Ouzaïr, Esdras. Rien ne prouve qu’il s’agisse du secrétaire aux affaires juives de l’Empire perse mentionné dans le livre de la Bible portant son nom.
Si c’est le cas, il faut rappeler ici que les juifs n’en ont jamais fait un fils de Dieu. La bible n’en fait même pas un prophète. C’est un juif pieux envoyé à Jérusalem en – 458 avec un premier groupe de volontaires pour réorganiser l’État juif ayant pour capitale Jérusalem. Ensuite il disparait pour réapparaître en -448 à l’occasion d’une première lecture de la nouvelle loi juive (différente de celle des Samaritains restés sur place).
Seuls quelques courants spéculatifs juifs en font un nouveau Moïse.
À propos du mot arabe « youfakouna » qui essentialise ou caractérise donc, les juifs et les chrétiens, d’après la sourate 9, verset 30 et qui est souvent rendu dans les traductions comme quelque chose du genre « les juifs et les chrétiens… ne comprennent rien ».
Ils sont…
— Ensorcelés.
— Pervertis.
— Pervers.
— Dans l’erreur.
— Aberrants.
C’est un dérivé du verbe afaka, du moins si l’on en croit le tome 1 du livre de Muhammad Mohar Ali intitulé « traduction mot à mot du Coran ».
Mais le terme youfakonua n’implique pas une simple ignorance, il suggère plutôt une intelligence dévoyée, ou qu’on empêche de fonctionner normalement.
Et le « on » en question est à prendre au sens fort : cela peut être aussi bien Dieu que le diable.
Étant athées nous écarterons néanmoins cette hypothèse et nous opterons pour un empêchement plus naturel.
« Les juifs et les chrétiens… sont naturellement dans l’incapacité de voir, de savoir, de comprendre ! »
Au niveau philosophique « La foi des juifs et des chrétiens… n’a rien à voir avec la raison ! »
Plus crûment « les juifs et les chrétiens sont cons ! »
Bref en résumé « Les juifs et les chrétiens… sont mongoliens ». Ou aliénés.
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PREUVES DE L’EXISTENCE DE DIEU.
Pour certains chrétiens la raison humaine est néanmoins capable par ses seules forces (c’est-à-dire indépendamment de toute démarche de Foi ou de Révélation) d’arriver à la certitude de l’existence de Dieu.
Ci-dessous quelques exemples d’arguments.
Premier type d’argument, le plus ancien : il y a eu révélation.
Les textes sacrés affirment l’existence de Dieu.
Or ces textes sont véridiques, car parole de Dieu.
Donc, Dieu existe.
La seconde prémisse contient déjà la conclusion ! Le raisonnement est un cercle vicieux, un serpent qui se mord la queue.
L’argument est utilisé à la fois par certains protestants (pour qui la Bible est l’autorité supérieure) et par certains musulmans (qui se réfèrent au Coran). Il est moins utilisé par les catholiques (qui, tout en considérant la Bible comme la parole de Dieu, n’en font pas, à la différence des protestants, l’autorité première ou unique.
Cet argument est en fait une pétition de principe, l’existence de Dieu est prouvée par l’existence de sa parole qui l’implique déjà. Ce qui reste à prouver, pas seulement pour les athées, c’est que ces textes sacrés sont bel et bien la parole de Dieu. Du seul dieu régissant les hommes et l’univers.
Il existe d’ailleurs de nombreuses religions incompatibles prétendant être fondées sur la parole de Dieu. Soit Dieu s’est révélé à plusieurs reprises et de manière incohérente (ce qui ne correspond pas à l’attitude attendue d’un être bon et omniscient) soit certaines de ces religions sont fausses.
Si on accepte ce dernier cas de figure, il faut utiliser un critère extérieur à ladite révélation pour discerner parmi les religions révélées lesquelles sont vraies. Ces critères peuvent exister (les catholiques invoquent les miracles du Christ, la sainteté de sa vie, l’accomplissement des prophéties messianiques, etc.), mais cela revient à admettre que la (prétention à la) révélation ne suffit pas à prouver la vérité d’une religion.
Deuxième type d’arguments : il y a quelque chose qui existe (univers monde cosmos, etc.).
1) Tout ce qui commence à exister a une cause de son existence.
2) L’univers a commencé à exister.
Si 1) et 2) sont vrais, alors l’univers a une cause à son existence.
Troisième type d’arguments : la téléologie.
La théorie du dessein intelligent en est une résurgence, discréditée dans la communauté scientifique, car elle passe inconsidérément de notre ignorance des causes réelles de quelque chose à la certitude d’un dessein divin. Cette dernière certitude reflète donc surtout le fait que nous n’avons pas d’autres hypothèses plausibles à notre disposition.
L’argument téléologique est une raison pour laquelle nombre de philosophes des Lumières ont opté pour une position déiste (Toland, etc.…). C’est la théorie du grand architecte de l’univers. Elle est du type « S’il existe une horloge, c’est qu’il y a un horloger ».
Jean Calvin, dans son Institution de la religion chrétienne (1536), appelle à maintes reprises le Dieu chrétien « Architecte de l’univers », et appelle aussi son œuvre « l’Architecture de l’univers », dans son commentaire sur le Psaume 19 il appelle aussi le Dieu chrétien « grand architecte » ou « architecte de l’univers ».
Cette théorie a été durablement sapée par le phénomène de la sélection naturelle qui explique l’organisation du vivant sans recourir à Dieu (invalidation de la seconde prémisse).
Quatrième type d’arguments en faveur de l’existence d’un Dieu ainsi défini : le recours à la morale.
Si Dieu n’existe pas, alors les valeurs morales UNIVERSELLES n’existent pas.
Or les valeurs morales UNIVERSELLES existent.
Donc, Dieu existe.
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L’UNIVERSALITÉ des valeurs morales doit ici être comprise comme des valeurs morales vraies en tout temps et en tout lieu, en dehors de ce que les êtres humains pensent d’elles.
Selon William Lane Craig par exemple, dire que la Shoah fut objectivement un mal équivaut à dire qu’elle fut un mal même si les nazis qui l’ont mise en œuvre pensaient que cela était un bien et qu’elle aurait toujours été mal même si les nazis avaient remporté la Seconde Guerre mondiale et exterminé ou lavé le cerveau de tous ceux qui pensaient le contraire.
Notre avis personnel est que cela fut même la preuve que Dieu le père n’existe pas, mais cet argument est néanmoins un cas extrême de l’argument d’autorité, car même en régime démocratique, le fait qu’une écrasante majorité de personnes soutiennent une opinion ne suffit pas à prouver sa véracité. De nombreux exemples peuvent être pris à l’appui de cela, telle la croyance universelle au géocentrisme (le Soleil tournant autour de la Terre).
NB. Les récentes découvertes de l’éthologie animale ont passablement sapé cet argument, car elles ont prouvé QUE MÊME LES ANIMAUX NE FONT PAS N’IMPORTE QUI, QU’ILS OBÉISSENT À DES RÈGLES.
Cinquième type d’arguments.
La pensée même de Dieu implique son existence.
La réfutation de ce type d’argument est que l’existence d’une chose ne peut être prouvée qu’à partir de son observation et non à partir de sa définition.
Pour Kant, l’existence n’est pas une propriété intrinsèque, on ne peut pas légitimement dire que l’existence appartienne au concept de Dieu : c’est confondre le contenu conceptuel et le prédicat existentiel d’une chose. Ainsi pour Kant, le concept de Dieu demeure le même, qu’il existe ou pas : ce « concept de Dieu » ne prouve rien, et n’indique qu’une possibilité.
AUTRES SOPHISMES CENSÉS PROUVER L’EXISTENCE DE DIEU.
ARGUMENT DE LA PRIÈRE I.
(1) Quand je prie et que cela se réalise, c’est Dieu qui l’a fait se réaliser.
(2) Quand je prie et que ça ne se réalise pas, c’est que Dieu a un meilleur plan.
(3) Donc Dieu existe !
ARGUMENT DE LA PRIÈRE II.
(1) Je voulais une journée de soleil, donc j’ai prié Dieu pour qu’il ne pleuve pas.
(2) Nous avons eu trois orages.
(3) Il est donc clair que Dieu m’a puni pour mes désirs égoïstes.
(4) Donc Dieu existe !
ARGUMENT DE L’INCAPACITÉ PERSONNELLE.
(1) La Bible dit que Jésus a transformé l’eau en vin.
(2) Vous pouvez transformer l’eau en vin vous ?
(3) Non !
4) Donc Dieu existe.
ARGUMENT DE L’AUTORITÉ PONTIFICALE.
(1) Le Pape croit en Dieu.
(2) Le Pape est infaillible.
(3) Je suis catholique.
(4) Donc Dieu existe !
ARGUMENT PAR L’INCOHÉRENCE DE LA BIBLE.
(1) Si les quatre Évangiles avaient été inventés par des menteurs, alors ils seraient parfaits, sans faille ni incohérence apparente, pour bien faire croire que c’est la parole de Dieu.
(2) Mais les quatre Évangiles sont incohérents, erronés, voire parfaitement ridicules en de nombreux endroits.
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(3) Donc, les quatre Évangiles sont vraiment des paroles de témoins oculaires.
(4) Donc Jésus-Christ a vraiment existé !
Autre série d’arguments ou de raisonnement.
Dieu a voulu s’incarner dans la plus misérable des créatures qui soit (une naissance sans confort, une simple famille de charpentiers, une fin misérable, etc.).
Or ceci n’a été en aucune façon le cas du nazoréen Jésus. Sa famille n’était pas la plus misérable des familles qui vivaient à l’époque en ce bas monde ; la Palestine n’était pas la plus inculte des régions du globe (beaucoup de gens y savaient lire et écrire) il était en très bonne santé et d’innombrables résistants juifs de l’époque ont eu la même fin.
Doit-on également ranger dans la même catégorie les raisonnements suivants ?
Le Nouveau Testament a été composé ou raconté par des gens simples, des pêcheurs, des illettrés (à part saint Paul évidemment) donc ce qu’il y a dedans est vrai.
Mais l’ignorance et le manque d’instruction peuvent-ils vraiment garantir la véracité « factuelle » des faits rapportés ?
L’Église catholique depuis l’encyclique Æterni Patris (1879) du pape Léon XIII reconnaît la validité de la Quinquae viae, les 5 preuves de Thomas d’Aquin considéré comme l’auteur de référence en ce domaine.
Ces cinq preuves sont…
— La notion de moteur immobile.
— De cause première.
— De contingence.
— Les différents degrés de perfection des êtres.
— L’argument téléologique.
Les trois premières preuves sont des formes différentes de l’argument de la cause première (cosmologie). Elles ont recours à l’argument de la régression à l’infini et invoquent Dieu pour y mettre fin. Le cinquième argument est l’idée que l’homme et l’univers ont un but, une finalité.
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PETIT DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE.
AGNOSTICISME. Le déisme postule un être transcendant – un « dieu » indéfinissable – qui n’interagit pas avec le monde, tout en restant à l’écart de toute religion révélée et ritualisée. Même s’il peut considérer que la vérité religieuse est inconnaissable, le déisme prend position en faveur de l’existence d’un être suprême. *
L’agnosticisme ou pensée de l’interrogation est une attitude de pensée considérant la vérité de certaines propositions concernant notamment l’existence de Dieu ou des dieux comme inaccessible à l’intelligence humaine.
Si le degré de scepticisme varie selon les individus, les agnostiques s’accordent pour dire qu’il n’existe pas de preuve définitive en faveur de l’existence ou de l’inexistence du divin, et affirment l’impossibilité de se prononcer en ce qui concerne sa connaissance et aussi, parfois, en ce qui concerne la croyance ou la non-croyance.
Si les agnostiques refusent de se prononcer quant à l’existence d’une intelligence supérieure, ils n’accordent, en revanche, ou du moins tendent à n’accorder, aucune transcendance et aucune valeur sacrée aux religions (prophète, messie, textes sacrés…) et à leurs institutions (clergé, rituels et prescriptions diverses…). Ils voient en effet les religions comme de pures constructions sociales et culturelles qui auraient surtout pour fonction historique d’assurer la cohésion et l’ordre dans les sociétés humaines traditionnelles via par exemple la menace de l’enfer, la promesse du paradis céleste ou encore la notion de péché.
Certains agnostiques se disent athées, d’autres théistes alors que d’autres se disent ni l’un, ni l’autre. Les agnostiques s’accordent pour dire qu’il n’existe pas de preuve définitive (assez pour qu’une croyance atteigne la valeur de connaissance) en faveur de l’existence ou de l’inexistence du divin.
Un reproche récurrent contre les agnostiques est que leur philosophie consiste à demeurer dans l’indécision, le compromis de l’entre-deux, le mol oreiller du doute. En refusant de prendre position sur un sujet aussi sensible que le divin, ils chercheraient à ne se fâcher avec personne. La plupart des religions y voient d’ailleurs un réservoir d’incroyants à convertir, tandis que les athées les considèrent comme coincés dans une progression inachevée vers l’athéisme, voire le qualifient d'« athéisme faible », comme le reste des irréligions, d’ailleurs. Cette raillerie contre une posture stigmatisée comme hésitation » simplifie évidemment le non-choix agnostique, qui se rapproche plutôt d’une forme de sagesse ou prudence face à l’ignorance. Selon l’expression de Bertrand Russell dans ses « Essais sceptiques » : « l’attitude rationnelle consiste à n’admettre que sur preuves, et à suspendre son jugement là où la preuve fait défaut ».
L’agnosticisme est, à l’origine, opposé aux religions, en ce sens qu’il doute de l’existence de leurs Dieux, avant même de douter de leur inexistence. Il va donc, dans un premier temps, dans le même sens que l’athéisme. Cependant, à partir du moment où l’athéisme affirme l’inexistence de(s) dieu(x), l’agnosticisme ne peut pas le suivre jusque-là, en l’absence de preuves suffisantes. Inversement, il ne peut pas suivre non plus les diverses formes de déismes, qui affirment l’existence d’un être suprême, d’un dieu indéfinissable, dans le sens où nulle personne ni nul mouvement religieux ne peut se prétendre être le dépositaire exclusif de sa volonté ; car eux aussi affirment sans preuve. Dans les deux cas, il n’existe aucune certitude, car il n’existe pas encore ou n’existera jamais aucun fait reconnu et établi scientifiquement qui permettrait de statuer sur la question. Quant aux raisonnements formulés par les deux parties, ils sont inutiles, car impuissants à prouver quoi que ce soit.
Il ne s’agit pas néanmoins d’indifférence religieuse, car l’agnosticisme reconnaît malgré tout l’impact que pourrait avoir l’existence d’une divinité, ne serait-ce qu’en termes d’eschatologie (ce sont peut-être l’Au-delà et l’éternité qui sont en jeu). Selon les degrés de scepticisme, les agnostiques restent plus ou moins attentifs à l’arrivée de tout nouvel élément dans le débat. Concrètement, du moins dans l’APP, il n’y a pas réellement d’agnostiques qui accordent personnellement une valeur égale aux deux hypothèses. On parlera d’agnostiques athées pour ceux qui penchent en faveur de l’inexistence de(s) dieu(x) et d’agnostique théistes pour ceux qui penchent en faveur de leur existence.
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Notre agnosticisme étant tel (« À vous seuls il est donné de connaître, comme de les ignorer, les dieux et les puissances célestes, etc., etc. » Lucain la Pharsale) que nous ne rejetons pas pour autant la célèbre devise d’Euclide de Mégare : « Ce qui est affirmé sans preuve peut être nié sans preuve ». Le problème est de savoir si le fait qu’il n’y ait aucune raison de croire qu’une entité existe suffit pour justifier l’affirmation qu’elle n’existe pas.
Dit autrement : il est impossible de savoir si un ou des dieux existent, que cette question soit abordée de manière scientifique ou non. La vérité à ce sujet est en dehors des lois scientifiques, rationnelles, physiques et matérielles qui régissent cet univers présent et toutes les « prétendues » preuves avancées par l’Homme sont insuffisantes. L’existence de Dieu ne peut donc être démontrée.
L’Agnosticisme Définitif de Principe ou ADP s’appuie sur certains phénomènes et paradoxes que la Science ou la logique se révèle actuellement incapable d’expliquer, mais surtout sur l’idée que l’Humanité vivant sur la planète Terre ne représente qu’une part infime de l’univers, et même tellement infime qu’elle ne sera jamais en mesure de l’appréhender totalement et de prouver l’existence ou non de(s) dieu(x). Plus on se rend compte de la complexité du monde dans lequel nous vivons, plus le(s) Créateur(s) supposés en être à l’origine doivent être complexes et puissants comparés à nous, et moins alors il devient probable que l’Humanité bénéficie d’une attention divine particulière (et encore moins donc un individu). La notion de preuves de l’existence de Dieu devient donc ainsi complètement ridicule : même si un croyant argue des miracles décrits dans ses textes sacrés (et même si un prophète en faisait la démonstration), il pourra toujours lui être objecté qu’il s’agit d’une technologie inconnue ou magie qui n’a pas nécessairement de lien avec une divinité. Vanité donc l’Homme se croyant capable de répondre à la question de l’existence de(s) dieu(x). La question de l’existence de(s) dieu(x) est extra-rationnelle et ne peut donc faire l’objet d’une étude rationnelle, elle ne peut même pas être discutée. La Foi n’a rien à voir avec l’Intelligence ! Se convertir à l’islam par exemple n’est pas une preuve d’intelligence !
En pratique, les très sachants de l’ADP ont plutôt tendance à regarder les religions et leurs témoignages avec le même scepticisme que d’autres preuves plus scientifiques ; leurs convictions étant ouvertes à la survenue de toutes preuves infirmant ou confirmant l’existence de Dieu. En revanche, si les très sachants de l’ADP partagent la même indécision quant à l’existence d’un tel être supérieur, ils ont tendance à rejeter totalement et définitivement tout caractère sacré des religions (clergé, livres sacrés, miracles mis en avant dans la liturgie…). Et ce, à la fois parce qu’ils considèrent ces institutions comme de pures constructions sociales, mais aussi parce que, pour eux, l’Univers est si immense, si complexe et nos capacités de perception et de compréhension si limitées, que supposer une intervention divine sous la forme de théophanie de messie ou de prophète est un postulat, qui devrait par lui-même nous rappeler le caractère humainement construit et non divinement évident de toute religion. Il faut donc bien distinguer au sein du débat agnostique la question de l’existence d’une intelligence supérieure, de celle du caractère transcendant ou non des religions et des institutions religieuses humaines.
La conception philosophique même de l’agnosticisme fait qu’un agnostique ne peut pas éprouver de « l’animosité » à l’égard d’un croyant. L’agnostique peut toutefois être « critique » quant à certains préceptes religieux, et quant aux actions des fidèles qui revendiquent « l’accomplissement de la volonté divine ». Mais la plupart des agnostiques y sont totalement indifférents. L’agnosticisme n’est donc pas anti-théiste. À l’inverse, toute tentative de prosélytisme à leur égard est mal perçue, car nul ne peut prétendre apporter la preuve de l’existence de Dieu (en l’état actuel des connaissances de l’Homme ou à jamais, selon les individus). Mais l’attitude d’un agnostique est surtout fonction du « degré de scepticisme » de sa position. Un très-sachant de l’APP aura tendance à être plutôt tolérant et compréhensif, s’il « conçoit » les arguments des croyants, et reconnaît, plus ou moins, la possibilité de leur position. Tandis qu’à l’opposé, un partisan de l’ADP tendra vers une attitude plus critique, s’il considère les arguments des croyants comme totalement infondés et irrecevables, et n’affiche donc au mieux que de l’indifférence, si ce n’est, parfois, du mépris. Les plus radicaux en appellent d’ailleurs à une certaine restriction de l’activité publique des religions, car ils estiment qu’elles ne devraient pas être autorisées à véhiculer des théories cosmogoniques infondées en les présentant comme « vérité absolue ». L’agnosticisme est donc souvent attaché au concept de laïcité ; et, sans être antireligieux, il reconnaît souvent sa conviction comme étant plus ou moins teintée d’anticléricalisme.
En réalité, il faut savoir que l’opposition entre croyants et agnostiques concerne davantage la question de l’intervention de Dieu dans les affaires humaines que celle de son existence. La plupart des
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religions affirment tenir leur savoir de révélations faites par leur dieu, ce qui en fait une « connaissance sacrée », hors de portée de l’analyse scientifique.
Or, un agnostique tient d’abord compte des informations apportées par les sciences (c’est-à-dire les connaissances démontrées ou prouvées) et, malgré la difficulté pour elle d’étudier le domaine religieux (en vertu du principe du non-empiètement des magistères) la Science apporte, chaque jour, d’importantes informations fiables sur la nature de notre environnement et nous enseigne à relativiser la place de l’homme dans l’univers. L’écart observé tend à devenir tellement grand qu’il discrédite l’hypothèse de l’ingérence des dieux dans les affaires humaines, et donc aussi la plupart des révélations dont se prévalent les religions. Il est envisageable que le(s) dieu(x) des religions puissent être des entités de nature surhumaine, des forces naturelles ou cosmiques, mais il est invraisemblable qu’ils aient créé l’Univers qui plus est en s’intéressant à l’humanité de la manière décrite dans les Écrits des religions de masse, qui font presque toujours référence d’une part à la création « ex nihilo » du monde spirituel puis matériel, et d’autre part, à des interventions ponctuelles et localisées de leur(s) dieu(x) pour punir ou sauver certains hommes.
Il y a en effet un problème de disproportion dans les rapports dieu(x)/hommes tels que décrits par les religions de masse. Par conséquent, l’agnosticisme tend plutôt à considérer les religions monolâtres comme des constructions sociales et culturelles, qui auraient surtout la fonction de permettre une certaine cohésion sociale. Dans les langues sémitiques le mot religion vient d’un radical « din » signifiant loi (la loi de Moïse, la Loi de Mahomet), alors que dans d’autres civilisations il est en fait inconnu (dharma ne signifie pas religion dans la culture indienne, mais…… beaucoup de choses différentes en fait).
L’agnosticisme adopte ainsi une attitude de « parfaite neutralité » envers les religions, du moins tant qu’elles respectent les droits fondamentaux de la personne humaine. Les gnostiques n’attachent pas d’importance aux divers rites religieux. Les fêtes religieuses, comme Pâques, Noël, Yom Kippour, ou l’Aïd el Kebir sont perçues, tout simplement, comme des fêtes traditionnelles. De même, un agnostique peut se rendre à l’intérieur des édifices religieux si bon lui semble afin, par exemple, d’y contempler l’architecture, ou pour des raisons de convention sociale. Il n’y a aucune interdiction ou doctrine liée au fait d’être agnostique, puisque l’agnosticisme ne suit, par définition, aucun « précepte absolu ». L’agnosticisme n’est pas forcément incompatible avec l’athéisme ou le théisme même si certains agnostiques refusent de trancher.
ATHÉISME. L’athéisme considère qu’il n’y a pas de dieu, ou en tout cas pas de raison de supposer qu’il y en ait un.
THÉISME. Religions théistes. Ces religions sont les premières visées par la pensée de l’agnosticisme. Ce sont leurs conceptions de Dieu que l’agnosticisme a d’abord étudiées et à partir desquelles il a construit sa pensée. Néanmoins, on remarquera que les controverses sont presque toutes restées limitées au christianisme. Le raisonnement théiste est considéré comme propre à l’Occident par certains auteurs, et le bouddhisme ne l’admet ni ne le contredit : le 14e dalaï-lama conseille par exemple aux catholiques : « Étudiez si vous le désirez le bouddhisme, mais gardez votre religion ».
ANTITHÉISME. L’antithéisme est une opposition active au théisme.
APATHÉISME. L’apathéisme considère que la question de l’existence ou de l’inexistence de divinités ne possède pas d’intérêt ni d’utilité pratique. Un exemple est la célèbre réponse du mathématicien Pierre Laplace interrogé par Napoléon sur l’absence de dieu dans son système : « Sire, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse »……………………
* Encore une fois tout dépend de ce que l’on entend par « dieu » ou « Dieu » avec une majuscule. Force (s) cosmique (s) inhérente (s) à l’univers comme dans le cas du panthéisme ou Force ayant créé l’univers (cf. le panenthéisme de Karl Christian Friedrich Krause in Vorlesungen über das System der Philosophie, 1828).
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CONCLUSION.
Rappelons encore une fois que la science et l’existence ou non de Dieu sont des choses indépendantes et non connectées. La science peut expliquer comment on croit, elle peut étudier le phénomène de la croyance, mais elle ne s’intéresse pas à l’existence de Dieu. Son existence et la preuve de son existence ou non ne sont pas du domaine de l’intelligence ni de la science, mais relèvent du domaine de la foi et de la théologie. Dieu ne fait pas partie du champ d’application de la science analytique. C’est pourquoi d’ailleurs se convertir n’a jamais été une preuve d’intelligence, mais une question de foi.
Arrivé à ce point de notre bref exposé sur la religion chrétienne rappelons ici en deux mots la Thèse de Ludwig Feuerbach.
Cette thèse, exposée dans Essence du christianisme, part de l’idée que Dieu est une création de l’esprit humain, ce qui est évident. Selon Feuerbach, la singularité des qualités humaines manifestement exceptionnelles au regard du reste du monde connu – conscience, intelligence, créativité, liberté – conduit spontanément les groupes humains à attribuer celles-ci à une puissance supérieure qui en serait à l’origine : « ce que l’Homme appelle Être Absolu, Dieu, est son être à lui ».
Feuerbach appelle ce transfert aliénation, pour signifier que les hommes attribuent à un être extérieur et transcendant des qualités qui leur sont propres. Cette thèse a eu une influence importante sur la pensée de Karl Marx, qui dans ses Thèses sur Feuerbach étend le concept d’aliénation propre au christianisme à l’ensemble des rapports sociaux de production, à travers le travail et la marchandise, en prolongeant et dépassant le matérialisme de Feuerbach par ce qui deviendra le matérialisme historique.
Une très vieille opinion présente les religions comme des instruments du pouvoir politique. D’une part, le pouvoir utilise les religions existantes, mais de l’autre, il les modifie selon ses besoins ou les invente. C’est ainsi que chez les Romains, Numa, le successeur de Romulus, passait pour le fondateur de leur religion, et les esprits critiques pensaient même qu’il l’avait inventée en tant qu’instrument pour gouverner le peuple. On a pu attribuer à Moïse et à d’autres un rôle similaire.
Ce genre de thèse est très répandue dans les milieux intellectuels ou dans les médias de nos modernes sociétés, notamment dès qu’il est question d’islam.
De fait, la structure du cerveau nous programmerait également à croire : c’est ce qu’a démontré en 2001 une expérience menée avec huit moines tibétains plongés dans un état de méditation débouchant sur une sensation de symbiose. On a remarqué que plus la méditation semblait profonde, et plus l’activité du cortex pariétal supérieur était ralentie. Or il se trouve que l’une des fonctions de cette zone cérébrale permet de distinguer son corps de l’environnement et de s’orienter dans l’espace. D’où l’émergence, chez les moines étudiés, d’altérations de la perception ainsi que de la sensation de fusionner avec l’Univers.
En mai 2008 l’équipe du professeur Nicolas Epley a constaté que le fait de penser à Dieu active le cortex préfrontal médian, une zone du cerveau connue pour abriter la « conscience de soi ». Cette zone s’active quand on parle de soi, qu’on exprime son opinion ou qu’on développe ses analyses, mais reste silencieuse lorsqu’on évoque les autres. Dans le cerveau des croyants, ce sont les mêmes zones qui s’activent quand ils pensent à Dieu ou à eux-mêmes. Les croyants créent donc Dieu à leur image.
La prudence et la raison commandent de ne postuler que l’existence de ce qui est nécessaire pour expliquer le monde (principe du rasoir Occam que Lucain attribuait déjà aux gnostiques d’Occident : « À vous seuls il est donné de connaître, comme de les ignorer, les dieux et les puissances célestes » (la Pharsale).
Pour reprendre l’expression de St Thomas d’Aquin, « il n’y a nulle nécessité de supposer que Dieu existe » n’implique pas que Dieu n’existe pas. Cet argument mène seulement à penser que la suspension du jugement quant à l’existence de Dieu serait la position la plus raisonnable. Seule une preuve de l’inexistence de Dieu peut rendre raisonnable l’athéisme, et non l’absence de preuves en faveur du théisme. L’absence de preuves de l’existence d’intelligences extraterrestres ne justifie pas
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que l’on rejette cette possibilité. En l’absence de preuve pour ou contre, le plus raisonnable est de ne rien croire au sujet des intelligences extraterrestres. Il en va donc de même pour Dieu.
À cette nuance près.
Il est impossible qu’un dieu comme celui décrit dans l’Ancien Testament puisse exister (trop d’anthropomorphismes de contradictions de paradoxes).
La croyance en un Dieu ainsi défini pose en effet de nombreux problèmes.
Dieu est omniscient (il sait tout) et omnipotent (il peut tout). Or, est-il capable de créer une pierre assez lourde pour qu’il ne puisse pas la soulever ? Si oui, il est donc tout puissant d’une part (création de la pierre), mais d’une autre, il ne peut la soulever et donc il n’est pas omnipotent. D’autres paradoxes viennent de la contradiction entre ces deux attributs : Dieu peut-il faire, par exemple, que quelque chose qu’il sait devoir arriver n’arrive pas ? Ces divers paradoxes ont été abondamment discutés au Moyen Âge.
À l’égard du Dieu d’Abraham d’Isaac et de Jacob donc l’athéisme le plus strict s’impose *.
Par contre avec une autre définition (plus vague, plus souple) assimilant Dieu à un Grand Esprit, une Force Cosmique, une Loi des Mondes (tokad = destin en celte) l’agnosticisme pourrait suffire.
* Les cinq ou six millions de civils juifs de la Shoah par balles ou par gaz ou décédés suite à une infinité de maltraitance durant les années 1940 en Europe de l’Est, outre qu’elles constituent une tache qui maculera éternellement l’honneur perdu du national-socialisme allemand, constituent par contre pour nous une moderne vision de l’enfer. Et pourraient presque constituer une preuve de l’existence du Diable, en tant que mal absolu.
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RAPPEL SUR L’HISTOIRE DES RELIGIONS.
Toutes les religions de ce monde ont une histoire, elles ne sont pas sorties tout armées de la cuisse de Jupiter, n’ont pas été révélée par Dieu (ni par le Diable d’ailleurs), mais ont évolué, n’ont pas toujours été comme elles semblent être aujourd’hui.
Toutes les religions donc ont une histoire même si toutes ou presque prétendent le contraire, leur raisonnement plus ou moins implicite est : La « vraie religion » (sous-entendue : la nôtre) a toujours existé ! »
Même si les plus subtiles (subtiles étant beaucoup dire) admettent qu’il y a eu de phases d’oubli ayant nécessité que des envoyés ou messagers de Dieu la rappellent (rassoul ou nabi en arabe).
Même si certaines semblent admettre face à des situations nouvelles que Dieu a dû inspirer des réponses adaptées. C’est notamment, mais non exclusivement le cas de l’Islam, mais aussi du Christianisme avec son « Saint-Esprit ».
Les premières notions désignées sous l’appellation « dieu » étaient assez limitées. En gros il s’agissait d’êtres au minimum surhumains, mi-anges mi-démons, nullement éternels peut-être, mais immortels et soumis à une loi cosmique universelle (un dieu suprême ?) généralement désignée par des termes appartenant à la famille des mots fatalité ou destin et non dotés d’un sexe ni d’un genre comme les humains.
Dans les langues germaniques le mot dieu vient d’une racine signifiant « appel, invocation » (les dieux sont les êtres que l’on invoque).
Dans les langues latines le mot dieu implique la notion de lumière (les dieux sont des êtres lumineux).
Une telle conception de la signification du mot « dieu », très relativiste (les êtres célestes que l’on invoque), impliquait qu’il y ait plus d’un dieu dans l’univers, même si l’un d’entre eux pouvait être préféré par rapport aux autres.
Le monothéisme était alors inconnu, seul existait alors, au pire, l’hénothéisme, ou monolâtrie. C’est-à-dire des conditionnements ou réflexes religieux du genre : « il existe plusieurs dieux ou démons, mais le mien est (cocher la case adéquate)
— Le plus fort.
— celui qu’il me faut.
— le seul à qui je dois rendre un culte.
Répétons-le donc encore une fois, le monothéisme n’est pas originel, ce qui est originel c’est (cocher la case adéquate)
— L’athéisme (de l’animal).
— L’animisme (du chasseur-cueilleur primitif).
— Le panthéisme.
— Le panenthéisme (il existe une grande déesse mère cosmique universelle).
— Le polythéisme (des sociétés néolithiques).
— L’hénothéisme…
NDLR. Dans ce type de monothéisme l’unicité porte plus sur l’adoration (en arabe Taouihd Al-Oulouhiyya) que sur l’existence, elle concerne plus le culte (en arabe Taouhid Al-Asmâ oua-s-sifât que l’ontologie. C’est par excellence la notion judéo-islamo-chrétienne de « dieu jaloux ».
« Moi, l’Éternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui punis l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération de ceux qui me haïssent, et qui fais miséricorde jusqu’en mille générations à ceux qui m’aiment et qui gardent mes commandements » (Exode 20,5). Autrement dit la notion de religion conçue non comme une spiritualité à partager, mais comme une « din » : UNE LOI.
Ensuite est venue l’idée qu’au-dessus de tous ces dieux régnait comme un roi, un dieu supérieur.
Toutes les religions ayant dépassé le stade de l’animisme ou du panthéisme en sont arrivées à ce genre de conclusion d’étape.
Mais un polythéisme hiérarchisé à la façon de la société humaine ne constitue pas encore ce que les religions de masse entendent sous l’appellation « monothéisme ».
Qu’il n’existe peut-être pas une hiérarchie de dieux dans l’univers, mais un seul est une conclusion qui ne fut atteinte qu’après plusieurs siècles ou millénaires de réflexion, de certains croyants. Nous avons bien dit réflexion de certains croyants et non révélation à tel ou tel être humain particulier.
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Et encore cette conclusion fut-elle articulée en deux types de spiritualité bien différents.
Premier type de spiritualité, encore mal détaché du polythéisme, ou hénothéisme, le monothéisme de type exclusif ou akhénatonien (du nom du célèbre pharaon inventeur du premier monothéisme de l’Histoire).
Deuxième type de spiritualité, plus élaboré, le monothéisme de type inclusif.
C’est le type de sensibilité religieuse magnifiquement exprimé par le célèbre dialogue de la Bhagavad Gita 9, 23-29. « Toute oblation qu’avec foi l’homme sacrifie aux dieux est en fait destinée à moi seul, ô fils de Kounti, mais offerte sans le savoir, car je suis l’unique bénéficiaire et l’unique objet des sacrifices. Que l’on m’offre, avec amour et dévotion, une feuille, une fleur, un fruit, de l’eau, cette offrande, je l’accepte. Je n’envie, je ne favorise personne, envers tous je suis impartial. Mais quiconque me sert avec dévotion vit en moi et je suis son ami ».
Également exprimé par la notion de Taouhid Ar-Rouboubiyya (unicité de seigneurie) des penseurs soufis (soufis et non sunnites ou chiites).
Le concept de Dieu, par opposition ou contrairement au polythéisme, réduit à l’unité de type Taouhid Ar-Rouboubiyya possède des aspects religieux et métaphysiques très divers, ce qui rend particulièrement difficile sa définition.
Il existe donc à ce sujet deux types de théologies ; la théologie cataphatique ou positive qui se risque à donner à Dieu ainsi défini certains attributs (créateur, tout puissant, etc.) ; la théologie apophatique ou négative.
Exemple : « Cet être suprême s’il existe ne peut pas être le dieu d’Abraham d’Isaac et de Jacob ». « Tout ça – les attributs donnés à Dieu » – ce sont des « conneries » (sic).
Certains auteurs estiment en effet que Dieu est si grand qu’il échappe à toute tentative de définition par des mots humains.
C’est ainsi que le Pseudo-Denys l’Aréopagite a pu écrire : « Là, dans la théologie affirmative, notre discours descendait du supérieur à l’inférieur puis il allait s’élargissant au fur et à mesure de sa descente ; mais maintenant que nous remontons de l’inférieur jusqu’au Transcendant, notre discours se réduit à proportion de notre montée. Arrivés au terme nous serons totalement muets et entièrement unis à l’Indicible » (De la théologie mystique).
Et le « druide » Jean Scot Érigène après lui : « Nous ne savons pas ce qu’est Dieu. Dieu lui-même ignore ce qu’il est parce qu’il n’est pas quelque chose. Littéralement Dieu n’est pas, parce qu’il transcende l’être ».
Ainsi que nous avons pu le voir, les tenants de l’approche cataphatique ou positive pensent néanmoins que cet être supérieur peut se voir reconnaître des attributs ou qualités positives.
Le mot Dieu ainsi défini selon eux désigne alors un être ou force suprême dirigeant l’univers ; il s’agit selon les croyances, soit d’une personne, soit d’un concept philosophique ou religieux. Dieu est l’être supérieur, unique, transcendant, universel, créateur de toutes choses, doté d’une perfection absolue.
— Pour les sages de type très-sachants ou philosophes comme Érigène c’est le principe d’explication et d’unité de l’univers.
— Pour les croyants, c’est, après le péché originel, le salut de l’Homme qui se révèle dans le déroulement de son histoire.
L’existence réelle d’un être suprême et les implications politiques, philosophiques, scientifiques, sociales et psychologiques qui en découlent ont fait l’objet de nombreux débats, les croyants monothéistes appelant à la foi, plutôt qu’à la raison, tandis qu’elle est contestée sur les terrains philosophique et religieux par les libres-penseurs, agnostiques, athées ou autres croyants sans Dieu comme les bouddhistes.
Nous laisserons donc aux croyants (ou pas) le soin de définir (ou pas) ce qu’est cet être suprême dont ils n’arrêtent pas de parler, et nous en viendrons maintenant à ce qui caractérise la majorité des chrétiens : le Trinitarisme.
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ARCHÉOLOGIE DU DIEU DES CHRÉTIENS.
Valentin (vers 100 à 160) est l’auteur des premières spéculations chrétiennes sur la notion de Trinité mais il sera considéré comme hérétique par les futurs catholiques orthodoxes réformés.
Le point de départ de sa réflexion est le paradoxe suivant.
« Comment un Dieu tout puissant et omniprésent a-t-il pu créer un monde tel qu’il soit obligé de le détruire ensuite pour sauver un petit groupe d’élus ? ».
Pour un lettré comme Valentin la réponse est évidente et elle tient en deux mots : notre monde n’a pas été créé par ce Dieu, mais par un autre, le démiurge.
L’idée de triade est très présente chez les platoniciens – notamment par l’influence des Oracles chaldaïques. Elle a donné ensuite les trois hypostases de la trinité alexandrine : l’unité absolue engendre l’intelligence, l’intelligence à son tour engendre l’âme et toutes trois constituent un Dieu unique.
Valentin accepte cette doctrine, mais quant à l’âme universelle qui renferme toutes les âmes particulières en même temps distinctes et unies Valentin fait remarquer qu’elle constitue un grand organisme humain spirituel qu’il appelle l’Homme et l’Assemblée ou Église.
D’où en raffinant quelque peu les trois plans suivants.
Premier plan : le silence, l’abîme.
Deuxième plan : l’intelligence, la vérité, le Logos.
Troisième plan : l’homme, l’Église le Christ le Saint-Esprit
Maintenant Valentin attribuera à chacune de ces hypostases ou éons principaux des qualités ou perfections éternelles, qu’il appellera des éons secondaires.
Et là ça deviendra si compliqué que nous nous en tiendrons à cette triade pour l’instant.
Dans ce système Lucifer ou Satan devient en terminologie gnostique le chef des Archons ; et c’est lui qui est le Démiurge ou le grand Dieu du monde physique.
Mais les âmes humaines et la nature, soumises à l’influence des Archons et aux lois fatales soupirent après leur délivrance.
Sur la notion de Trinité chez Valentin lire Introduction à la théologie des IIe et IIIe siècles (2 tomes) du Père Antonio Orbe, professeur de théologie à l’Université Grégorienne de Rome.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de la voir, le dieu de la plupart des chrétiens est composé de trois personnes distinctes. Le Père le Fils et le Saint-Esprit.
Théodote (fragment conservé par Clément d’Alexandrie).
80 Celui que la Mère engendre est introduit dans la mort et dans le monde, mais celui que le Christ régénère est introduit dans la vie de l’Ogdoade. Et ils meurent au monde, mais vivent en Dieu, afin que la mort soit libérée par la mort et la corruption par la résurrection. Car celui qui a été marqué du sceau du Père, du Fils et du Saint-Esprit est au-dessus des menaces de toute autre puissance et par ces trois Noms est libéré de toute la triade de la corruption.
Nous reviendrons sur cette notion qui est assez justement connue comme constituant le mystère de la Sainte Trinité, et qui les caractérise. En attendant quelques rappels sur l’archéologie des idées religieuses.
SEXE DE DIEU. Et pourquoi pas en l’occurrence un anthropomorphisme parlant de Dieu mère ou frère ?
La question est si pertinente qu’il existe aussi dans la Bible des passages (rares il est vrai) où Dieu est comparé à une mère.
Dans Isaïe Dieu est comparé à…
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— Une femme en travail (42 ,14).
— Une mère qui ne peut oublier l’enfant qu’elle nourrit (49,15).
— Une mère qui console ses enfants (66,13).
Autres métaphores possibles Job 38 : 8,29.
Mais Job n’est pas Hébreu et le livre de Job est dans son ensemble assez équivoque (il est peut-être en effet d’origine sumérienne). Le verset 8 n’est pas très concluant, car on y parle des fils de Dieu qui applaudissent et le verset 29 non plus.
Mais même en ajoutant à cette liste squelettique quelques autres images poétiques tout aussi peu claires, IL N’EN DEMEURE PAS MOINS LE FAIT BRUT QUE CE NE SONT PAS CES QUELQUES PASSAGES-LÀ DE LA BIBLE QUI ONT DÉTERMINÉ CHEZ LES JUDÉO ISLAMO CHRÉTIENS LA PREMIÈRE DES APPELLATIONS DE LEUR CONCEPTION DE DIEU DANS LA TRINITÉ OU LEUR CRÉDO : NOTRE PÈRE.
Les chrétiens ayant, comme la majorité des intellectuels ou journalistes français, l’esprit borné, exigu, ou étroit, il ne faut pas trop leur en demander.
En matière de révélation de Dieu aux hommes ils n’ont qu’une seule référence, qu’un seul point d’ancrage, et ne connaissent qu’un seul livre, qu’un seul peuple qu’un seul dieu qu’une seule région du monde : le Moyen-Orient et le dieu d’Abraham d’Isaac et de Jacob. En cela ils sont incurables et sont plus ethnocentristes ou racistes que philosophes au sens étymologique du terme grec.
— DIEU LE PÈRE.
« L’homme a créé Dieu à son image ».
Le très-sachant allemand Feuerbach a bien montré qu’à tout point de vue Dieu correspond à une caractéristique ou à un besoin de la nature humaine. « Dans la conscience de l’infini, le sujet conscient a pour objet l’infinité de sa propre nature ».
Dieu n’est donc pas autre chose que l’homme : il est, pour ainsi dire, la projection extérieure du for intérieur d’un être humain. Les qualités qu’on lui attribue sont en elles-mêmes divines, ce qui rend Dieu divin, et montre que les hommes comprennent et appliquent les significations de la divinité à Dieu et non l’inverse.
« L’homme a créé Dieu à son image »… Le fait est que de nombreuses religions donnent ou ont donné aussi à leur Dieu supérieur le titre et l’attribut de Père. Exemple Jupiter ou Zeus, et le judaïsme lui aussi parlait par moment de son dieu El ou Yahweh * comme d’un Père, du fait de sa création, des ordres qu’il donne à son peuple ou de la protection qu’il est censé lui accorder…
Les caractéristiques masculines sont donc souvent utilisées pour parler de Dieu dans la Bible ainsi que dans les différentes traditions monolâtries. Lorsque ces Écritures parlent de Dieu elles emploient en effet le pronom masculin « Il ».
Le héros du roman initiatique connu sous le nom d’évangile, lui, affirme même plus précisément à plusieurs reprises une paternité universelle de son Dieu : tous les hommes ont ce Dieu pour père, même s’ils se révoltent contre lui, il est le père des « bons » comme des « méchants ». Cette paternité s’avère tellement d’après ce grand rabbi nazoréen que seul Dieu mérite le nom de Père d’où la célèbre prière portant ce nom.
Sa paternité n’est pourtant mentionnée que cinq fois dans l’Évangile selon Marc.
L’Évangile selon Luc ne mentionne la paternité de Dieu que pendant l’enfance et la Passion de Jésus, même si l’anthropomorphisme de la paternité est repris dans la parabole du Fils prodigue.
Dans l’Évangile selon Matthieu et dans les lettres de saint Paul, cet anthropomorphisme figure également, mais ce sont les écrits de Jean (Lettres de Jean, et Évangile selon Jean) qui recourent le plus à cette métaphore
La Paternité de Dieu est mentionnée plus de 16 fois dans les deux lettres. Dans l’Évangile selon Jean la Paternité y décrite comme une véritable adoption qui fait participer les chrétiens, à travers Jésus, à une nouvelle naissance leur ouvrant la voie vers Dieu.
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La représentation de Dieu dans l’art au début interdite dans le judaïsme va progressivement se développer dans le christianisme à travers la peinture et la sculpture en représentant Dieu sous différents aspects : celui de la lumière, ou sous la forme d’une personne d’âge avancé portant généralement une barbe blanche. Ces différentes représentations trouvent leurs origines dans des textes de l’Ancien ou Nouveau Testament et seront reprises par Hollywood.
Chez les chrétiens ces représentations de Dieu furent d’ailleurs fut l’objet d’une très grave crise au cours des VIIIe et IXe siècles. Leur interdiction conduisit à des destructions massives d’icônes et à la persécution de leurs fidèles ou défenseurs, les iconodules et l’iconoclasme caractérisera aussi une partie de la Réforme protestante.
L’anthropomorphisme de la paternité de Dieu dans la Bible est envisagé sous trois principaux aspects.
Tout d’abord celui de la (pro) création, comme dans le livre de la Genèse.
Ensuite celui du « législateur ».
Le dernier anthropomorphisme paternel attribué à Dieu dans la Bible est enfin celui de la protection accordée particulièrement par El ou Yahweh à son peuple.
Exode 4, 22 : « Tu diras à Pharaon : Ainsi parle Yahvé, mon fils premier-né, c’est Israël. Je t’avais dit « Laisse aller mon fils, qu’il me serve. Et si tu refuses de le renvoyer, voici que je tuerai ton fils, ton premier-né, etc. ».
Une autre marque de la présence de cette idée, avec la dualité El/Yahweh d’ailleurs, figure dans certains noms de personne : Abiyyah (Dieu est mon Père) est mentionné dans la famille patriarcale de Benjamin lors de l’Exode. De même Eliab (Dieu est mon Père) nom donné à un chef de la tribu de Zabulon (Livre des Nombres). Abiel (fils de Dieu) est le nom du grand-père de Saül et d’Abner. Joab (Dieu est son Père) est le nom du neveu de David (-1030 avant notre ère).
Dieu est aussi comparé à un Père dans six passages des manuscrits de la mer Morte
Livre des Jubilés 1,28 « Tous sauront que je suis le Dieu d’Israël, le Père de tous les fils de Jacob et le Roi de la montagne de Sion pour l’éternité ».
Ce dieu père, pour encore mieux se faire comprendre et être encore plus proche de ses enfants, malgré sa toute-puissance, se résoudra donc à descendre sur terre en personne et non plus seulement par le truchement de la voix d’un prophète.
* Cela est surtout vrai d’El ; le dieu des païens du nord (Israel), Yahweh étant un peu spécial.
D’OÙ, DEUXIÈMEMENT LE FILS. Il a vraiment été homme, et en tant qu’homme a vécu alors une mort physique atroce. Son corps se releva néanmoins ensuite d’entre les morts et ladite personne divine revint ensuite à son état initial. Du moins telle est la certitude des chrétiens convaincus et croyants.
Les religions païennes, à la différence du judaïsme, étaient très sensibles à cette idée. Dans l’hindouisme par exemple, un avatar est l’incarnation (sous forme d’animal, d’humain, etc.) d’un dieu, venu sur terre pour rétablir le dharma et sauver les mondes du désordre cosmique engendré par les ennemis des dieux (les démons). Généralement les avatars en question sont ceux du dieu Vishnou. Le bouddhisme utilise également ce terme : le dalaï-lama est par exemple considéré comme un avatar d’Avalokiteshvara.
Le mot a son origine en Inde (il vient du sanskrit avatāra) et signifie « descente, incarnation divine ». Un peu comme le Coran pour les musulmans. Il s’agit donc d’une idée très répandue en dehors du monde juif, car pour les très-sachants d’alors il n’y avait pas de coupure épistémologique entre le divin et l’humain, mais un continuum.
Les controverses christologiques qui agitèrent les christianismes au Ve siècle portaient sur la nature de cette Incarnation du Verbe, « qui a pris chair de la Vierge Marie » : la personne de Jésus-Christ était-elle unique, en deux natures (divine et humaine), ou bien y avait-il en lui deux « personnes » distinctes, l’homme Jésus, d’une part, le Verbe divin d’autre part, ou encore cette divinité s’est-elle manifestée une fois adulte, au moment de son baptême par Jean ?
Certains courants chrétiens des premiers siècles considéraient que l’incarnation du Verbe n’avait eu lieu qu’au moment de son baptême par Jean-Baptiste dans le Jourdain, c’est-à-dire que le corps de
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Jésus aurait été adopté par Dieu à ce moment. Les conciles de l’Église impériale ont d’abord condamné et combattu cette conception, appelée adoptianisme lors de divers synodes, mais ce n’est qu’au XIIe qu’elle fut définitivement considérée comme hérétique.
Les concepts non trinitaires varient selon le point de vue concernant la préexistence du Christ. Les églises non trinitaires utilisent moins souvent le terme « incarnation », et plus souvent la formule de Jean 1 : 14 « le Verbe s’est fait chair ». Pour les groupes qui soutiennent la théologie socinienne, et qui nient la préexistence du Christ, par exemple, les Christadelphes, considèrent que l’expression « le Verbe s’est fait chair » indique seulement que la « parole de Dieu » s’est faite homme. Le Christ est l’incarnation d’une idée, non d’un être qui existait déjà sous une autre forme.
Pour les Témoins de Jéhovah, et d’autres groupes qui acceptent l’existence du Christ avant sa naissance, l’idée qu’ils se font de l’incarnation ressemble plus ou moins à la croyance orthodoxe.
L’Église orthodoxe, profondément attachée à la notion du Dieu-Homme, le Christ, confesse que par l’Incarnation, le Christ a revêtu en totalité la nature humaine en se faisant égal aux hommes en vérité tout en conservant sa nature divine (il est totalement Dieu et totalement homme) et cela afin que l’homme soit sauvé entièrement et puisse par la grâce du Christ, se déifier.
Dans le Christianisme trinitaire, le concept de l’incarnation est donc considéré comme un mystère. L'« Incarnation » est le fait, pour Dieu, de s’être incarné en un homme, Jésus, en un temps (origine de l’ère chrétienne) et un lieu (la Palestine, plus précisément Bethléem) donnés.
La tradition chrétienne issue du concile de Chalcédoine le voit comme étant l’union parfaite et sans confusion, de la nature divine de la Personne du Verbe et de la nature humaine issue de la Vierge Marie. Jésus est défini comme étant un vrai homme doué d’une volonté humaine, et le vrai Verbe de Dieu dont la volonté divine est commune avec celle de Dieu le Père.
On retrouve cette notion ou ce « mystère » dans l’Église catholique qui voit dans l’Incarnation le fait que le Fils de Dieu ait assumé une nature humaine pour accomplir en elle le salut des hommes. La confession d’Augsbourg précise en 1530 : « Nous enseignons aussi que Dieu le Fils est devenu homme, né de la pure Vierge Marie, et que les deux natures, la divine et l’humaine, unies inséparablement dans une personne unique, constituent un seul Christ, qui est vrai Dieu et vrai homme. Il est véritablement né, il a réellement souffert, il a été crucifié, il est mort, il a été enseveli, afin qu’il s’offrît en sacrifice, non seulement pour le péché originel, mais aussi pour tous les autres péchés ».
Le culte du Sacré-Cœur dans l’Église catholique exprime cette foi dans l’Incarnation du Verbe fait chair dans un cœur de chair, un cœur humain et divin à la fois. Alpha et Oméga, début et fin, le Christ incarné à Nazareth en Judée et mort crucifié à Jérusalem, est présent comme Verbe, auprès de Dieu, au début de toute chose lors de la Création, et le sera à la fin des temps lors de la Parousie pour juger vivants et morts lors de la Résurrection de la chair (Crédo).
LE SAINT-ESPRIT.
Venons-en maintenant à la véritable particularité du christianisme, car à part le druidisme (Auentia Awen Labarum) aucune autre religion au monde n’a exalté à ce point l’inspiration humaine.
Il existe en effet dans les écrits chrétiens à deux entités surhumaines appelées l’une Paraclet l’autre Saint-Esprit. À moins bien sûr qu’il ne s’agisse d’une seule et même personne.
Paraclet. Ce mot d’origine grecque qui signifie « celui qu’on appelle à l’aide » ou « celui qui intercède » a signifié « avocat », « défenseur », « intercesseur ». Peut-être pour traduire l’hébreu Menahem.
— Jean 14, 16-17. « Et moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre paraklêtos, afin qu’il demeure éternellement avec vous ».
— Jean 14, 25-26. « Je vous ai dit ces choses pendant que je demeure avec vous. Mais le paraklêtos, l’Esprit saint, vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit. »
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— Jean 15, 26-27. « Quand sera venu le paraklêtos, que je vous enverrai de la part du Père ».
— Jean 16, 7-11. « Cependant je vous le dis en vérité : il vaut mieux pour vous que je m’en aille, car si je ne m’en vais pas, le paraklêtos ne viendra pas vers vous ; mais, si je m’en vais, je vous l’enverrai. Et quand il sera venu, il convaincra le monde en ce qui concerne le péché, la justice, et le jugement : en ce qui concerne le péché, parce qu’ils ne croient pas en moi ; la justice, parce que je vais au Père, et que vous ne me verrez plus ».
— Jean 16, 13-14. « Mais quand le paraklêtos sera venu, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans toute la vérité ; car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il aura entendu, et il vous annoncera les choses à venir »
Au Ve siècle, la traduction latine de Jérôme introduit, pour ces cinq occurrences, le néologisme paracletus, qui dans certaines traductions est simplement rendu par paraclet, paraqlita dans la Peshitta (traduction syriaque de la Bible).
Autres occurrences dans le Nouveau Testament.
La forme verbale paraklēthēsontai est utilisée dans Matthieu 5,4, dans le sermon sur la montagne : « Heureux les affligés, car ils seront consolés ! »
Dans la première Epître de Jean 2,1, le terme est appliqué à Jésus et la Vulgate ainsi que toutes les versions qui en dérivent donnent à paraklêtos le sens d' « avocat » :« Si quelqu’un pèche, nous avons pour avocat auprès du Père, Jésus-Christ le juste par excellence. »
Chez les gnostiques, Paraclet est le nom de l’un des éons de Valentin.
Vers 173 Montan affirma être l’organe vocal du paraclet. Selon lui, le Paraclet était donc différent du Saint-Esprit descendu sur les apôtres (Actes 2,2-4) le jour de la Pentecôte.
Dans la droite ligne de l’évangile de Barnabé (annonce de Mahomet dans un texte chrétien donc antérieur = prophétie), le terme « paraclet » a fait l’objet de deux « détournements linguistiques ». Certains musulmans ont transcrit le terme grec parakletos par le mot « periklutos », modifiant le sens original d’avocat en celui de « loué », « glorieux », ahmad en arabe, devenu un des noms propres de Mahomet.
Cependant, il n’est jamais fait mention de ce terme dans les manuscrits de la bible en langue grecque et une association de ces termes reviendrait à traiter une langue indo-européenne (le grec) comme une langue sémitique dans laquelle primeraient les consonnes et où les voyelles seraient variables.
Le second détournement linguistique utilise le terme syriaque mnahmana figurant dans une adaptation de l’évangile de Jean et dès le VIIIe siècle, ce terme a été associé par Ibn Ichaq à Mahomet. La racine de ce mot, nhm, n’a pourtant avec celle du nom de Mahomet que deux lettres en commun dans un ordre différent. Cette interprétation s’est peu répandue au Moyen-Orient en raison du nombre de personnes parlant syriaque capables de dénoncer la confusion, mais s’est répandue au Maghreb.
Certains musulmans pieux pensent donc que le paraclet ainsi annoncé par les évangiles ce fut… Mahomet.
Dans le christianisme qui succèdera au montanisme, le paraclet sera par contre assimilé au Saint-Esprit de la Pentecôte.
« Et il se fit tout à coup du ciel un son, comme d’un souffle violent et impétueux, et il remplit toute la maison où ils étaient assis. Et il leur apparut des langues divisées, comme de feu ; et elles se posèrent sur chacun d’eux. Et ils furent tous remplis de l’Esprit saint, et commencèrent à parler d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’énoncer » (Actes 2, 2-4)
Saint-Esprit.
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Dans la Bible, on trouve un certain nombre de passages qui contiennent littéralement l’idée d’Esprit saint. Le mot qui désigne l’Esprit saint dans la Bible hébraïque est le substantif féminin, rûah, qui signifie très concrètement le souffle ou le vent. Il en est de même grec ancien (pneuma) et en latin (spiritus).
Le Saint-Esprit est donc pour les chrétiens, l’Esprit de Dieu, qui pousse à l’action les prophètes, et d’une manière plus générale non seulement les croyants, mais aussi tous les êtres humains.
Dans le Nouveau Testament, l’Esprit saint peut être appelé de différentes manières (esprit de Dieu, etc.). Il est aussi représenté par différents symboles : la colombe (Mc 1, 10), les langues de feu (Ac 2, 2-3).
La divinité de cet Esprit fut proclamée, en 381 au premier concile de Constantinople.
Le symbole de Nicée-Constantinople précise donc : « Je crois dans l’Esprit saint, qui est Seigneur et qui donne la vie. Avec le Père et le Fils, il reçoit même adoration et même gloire. Il a parlé par les prophètes ».
Telle est la foi de l’Église orthodoxe.
Le Symbole de Nicée-Constantinople, tel qu’il a été fixé à ces conciles, affirmait à propos du Saint-Esprit : « Je crois en l’Esprit saint, qui est Seigneur, qui donne la vie ».
Une modification y fut apportée par Charlemagne, qui ajoute que le Saint-Esprit procède du Père « et du Fils » : « Je crois en l’Esprit saint, qui est Seigneur et qui donne la vie. Il procède du Père et du Fils. Avec le Père et le Fils, il reçoit même adoration et même gloire ; il a parlé par les prophètes. »
Cette conception de la nature de l’Esprit-Saint a été l’une des causes du Grand Schisme d’Orient de 1054 (la querelle du Filioque).
Les chrétiens orthodoxes estiment cette addition contraire à l’enseignement des Pères de l’Église. L’Église catholique romaine, qui a adopté cette modification, déclare n’y voir que le développement d’un élément non explicite de la foi des Pères. Ce point est l’un des obstacles majeurs dans la réconciliation entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe.
Dans le catéchisme de l’Église catholique, l’Esprit saint est présenté comme l’interprète de l’Écriture sainte et le Concile Vatican II indique trois critères pour une interprétation de l’Écriture conforme à l’Esprit qui l’a inspirée…
— Porter une grande attention au contenu et à l’unité de toute l’Écriture.
— Lire ensuite l’Écriture dans la tradition vivante de toute l’Église.
— Être attentif à la cohésion des vérités de la foi entre elles et dans le projet global de la Révélation.
Ce qui permet à peu près tout. Le pire comme le meilleur. Le plus simple pour ne pas dire le plus raisonnable eût été de ne pas rester prisonnier d’une série d’écrits particuliers.
Le pape Léon XIII réaffirmera néanmoins en 1893, dans l’encyclique Providentissimus Deus, la doctrine de l’inspiration par l’Esprit saint de la Bible :
L’Esprit-Saint a donc notamment inspiré un certain nombre d’hommes appartenant généralement au peuple hébreu ou juif (ce point est contesté par d’autres courants religieux) d’où le caractère exceptionnel et fondamental de son histoire qu’il est pour cela nécessaire d’étudier attentivement et notamment les prophéties.
Car comme le Judaïsme, dont il est issu, le christianisme, lui aussi, croit en la possibilité de connaître le futur. À ses risques et périls.
« Cette génération ne passera point que tout cela n’arrive (la fin des temps)… trône de David, maison de Jacob ». Jésus promettait l’établissement du « Royaume des Cieux ». La venue de cette ère de paix après épuration totale était imminente. Il fallait l’attendre d’un instant à l’autre (Matth. 10, 7 ; Marc
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9, 1 ; Luc 21, 25-33, etc.) 2000 ans plus tard, on attend toujours… L’événement ne s’est pas réalisé et le royaume des cieux n’est advenu ni du vivant de Jésus ni de celui de ses apôtres.
Il est vrai que différents textes irlandais offrent par contre à notre sagacité des cas de prédictions réussies.
Du point de vue qui est le nôtre, tout cela est bien évidemment, dépourvu de valeur. Mais toutes ces prédictions sont attribuées aux très-sachants qui, bien évidemment, ne peuvent pas faire erreur, et ce remploi par le christianisme celtique est en soi remarquable.
« Il viendra une tête rasée sur la mer démontée ; son manteau sera percé d’un trou, son bâton sera recourbé au sommet. Il aura sa table à sacrifice placée à l’est dans sa maison. Tous ses gens lui diront amen, amen ».
Voilà pour saint Patrice.
Et maintenant au tour de saint Colomba (en irlandais Colum Cille) d’après Finn, le chef suprême des Fénianes en personne, ce qui vaut bien, ou presque, un druide.
« Finn Mac Cumhaill l’avait annoncé après avoir perdu son célèbre chien Bran en poursuivant un cerf dans la rivière de Senglenn sur le territoire appelé aujourd’hui Glencolumbkille. Le chien en effet arrêta de poursuivre le cerf en arrivant dans la vallée. Cela étonna tout le monde, car ce chien n’avait jamais laissé sa proie s’échapper. Finn se servit alors de sa science et, inspiré par l’esprit de prophétie bien qu’il n’ait pas eu la foi, leur dit : « Un garçon va naître dans le pays au nord et Colum Cille sera son nom. Ce sera la dixième génération après Cormac petit fils de Conn et il sera rempli des grâces du dieu qui est un et trois à la fois – c’est-à-dire, qui a été et sera. Il aura de nombreux monastères et églises en Irlande et en Écosse, et bénira toutes les terres au-delà de ce cours d’eau, qui deviendront un asile pour tous ceux qui s’y retireront à jamais. C’est en son honneur que Bran a fait grâce au cerf a refusé de le poursuivre au-delà de la rivière ».
Dans un autre passage du même texte (Betha Colaim Chille/Vie de Colum Cille), semblable aventure est attribuée à d’autres personnages.
« Les druides (très-sachants) de Conal Gulban, fils de Nial aux Neuf Otages, ont, eux aussi, prédit la venue de Colum Cille avant sa naissance. Un jour que ConalI était à la chasse à Gartan, non seulement les chiens de sa meute n’infligèrent ni blessure ni mal au gibier, mais ils se mirent même à folâtrer avec. Conal s’en étonna, car cela était contre nature. Il demanda aux druides qui étaient avec lui la raison de cette chose. « Nous le savons bien, répondirent-ils ! Il naîtra un enfant de ta race à l’endroit où tu es maintenant et ce sera le troisième descendant qui viendra de toi. Son nom sera Colum Cille et il sera plein des grâces du Dieu unique de tous les pouvoirs et de tous les éléments. Il bénira cet endroit et ce sera un asile et un sanctuaire pour quiconque voudra s’installer ici. C’est en l’honneur de cet enfant et de la protection qu’il assurera au pays que tes chiens, Conal, ont fait grâce au gibier à l’endroit où il doit naître ».
Il s’agit bien évidemment, comme dans la Bible, de prophétie post eventum, donc « fausses ». Est-il en effet possible de prévoir l’avenir ? Nous en doutons fortement.
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MODALISME OU SABELLIANISME ?
COMMENT COMPRENDRE LE MYSTÈRE DE LA SAINTE TRINITÉ ?
Les chrétiens affirment néanmoins croire en un dieu… unique.
DEUXIÈME SECTION LA PROFESSION DE LA FOI CHRÉTIENNE.
CHAPITRE PREMIER JE CROIS EN DIEU LE PÈRE.
ARTICLE 1 « JE CROIS EN DIEU LE PÈRE TOUT-PUISSANT CRÉATEUR DU CIEL ET DE LA TERRE ».
Paragraphe 2. Le père.
I. « Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ».
232 Les chrétiens sont baptisés « au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ». Auparavant ils répondent « Je crois » à la triple interrogation qui leur demande de confesser leur foi au Père, au Fils et à l’Esprit : « La foi de tous les chrétiens repose sur la Trinité ».
233 Les chrétiens sont baptisés « au nom » du Père et du Fils et du Saint-Esprit et non pas « aux noms » de ceux-ci, car il n’y a qu’un seul Dieu, le Père tout puissant et son Fils unique et l’Esprit saint : la Très Sainte Trinité.
234 Le mystère de la Très Sainte Trinité est le mystère central de la foi et de la vie chrétienne. Il est le mystère de Dieu en lui-même. Il est donc la source de tous les autres mystères de la foi ; il est la lumière qui les illumine. Il est l’enseignement le plus fondamental et essentiel dans la « hiérarchie des vérités de foi ».
La caractéristique essentielle de la plupart des églises chrétiennes, hormis le cas des judéo-chrétiens, est donc, quant à leur idée de Dieu : LE TRINITARISME. À cette conception furent opposées les conceptions modaliste (Dieu n’apparaît trinitaire que dans les modalités de son action), trithéiste (trois dieux), et subordinatianiste (le Fils et l’Esprit procèdent du Père, sont subordonnés à lui et ne possèdent pas sa pleine nature divine).
Afin de ne pas faire insulte à l’intelligence de mes lecteurs, je commencerai par traiter ci-dessous de la version modaliste ou sabellianiste de ce concept, qui est la seule que je m’estime capable de faire comprendre.
Mais le problème est que les intellectuels chrétiens suite à différents problèmes de compréhension entre Grecs et Latins concernant la traduction des mots personnes ou hypostases *, homoousios ou consubstantiel (le Saint-Esprit faisait grève ou était en panne ce jour-là) ont clairement rejeté une telle conception de Dieu (du Dieu monadique) en la déclarant hérétique et ont souvent préféré pour en parler recourir à la notion de mystère c’est-à-dire en définitive au célèbre Credo qui absurdum lourd de toutes les démissions intellectuelles.
QU’EST-CE QUE LE MODALISME DONC ?
Le modalisme (ou sabellianisme) est un vocable moderne qui désigne, dans le cadre du christianisme ancien, une forme – peut-être la plus avancée – d’unitarisme monarchien, enseigné par Sabellius, un personnage originaire de Libye, installé à Rome au début du IIIe siècle.
Le modalisme consiste à reconnaître en Dieu trois différents modes ou aspects de l’être divin, plutôt que trois hypostases ou personnes distinctes (vyouha dans l’hindouisme) appelées conventionnellement le Père, le Fils, et le Saint-Esprit. Selon lui le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont seulement différents « modes » « modalités » ou « aspects » de l’Être divin monadique, dans ses relations avec nous les hommes, plutôt que trois « hypostases » ou personnes distinctes en elles-mêmes *.
Pour le modalisme donc, les trois entités en question ne sont pas des êtres en soi, mais des modes ou modalités de l’être divin dans sa relation aux hommes (vyouha) : en tant que créateur, il est appelé Père ; en tant que rédempteur, il est appelé Fils ; en tant que sanctificateur, il est appelé Esprit.
Ce premier trinitarisme fut repris par Sabellius à Rome au début du IIIe siècle avons-nous dit. Hippolyte de Rome l’a connu personnellement et mentionne son nom ainsi que sa doctrine dans son « Philosophoumena ». La pensée de Sabellius se répandra essentiellement en Cyrénaïque, ce qui conduira Démétrios, patriarche d’Alexandrie, à écrire des lettres pour la réfuter. Elle sera condamnée lors d’un concile à Rome en 262.
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C’est néanmoins le montaniste Tertullien qui sera le principal opposant au modalisme, qu’il appellera patripassianisme, d’après les mots latins patris (père) et passus (pour passion/souffrance), car le modalisme selon lui implique que c’est le Père qui a souffert sur la Croix et non le Fils. Les complications et coupages de cheveux en quatre commençaient.
Le modalisme reste en réalité mal connu : les seules sources sur cette ancienne conception de la Trinité nous viennent de ses adversaires. Au lieu d’utiliser le terme de personne pour parler du Père, du Fils et du Saint-Esprit, dans l’unique essence divine monadique de la Trinité, le modalisme entendait en faire trois modes de la Monade (de l’Être Divin Unique).
La théologie trinitaire classique qui définit la majorité des chrétiens d’aujourd’hui insiste davantage sur les personnes (prosopon en grec) et leurs relations entre elles, qui les constituent.
NDLR. Au IVe siècle, les tenants de l’orthodoxie nicéenne (comme Eustathe d’Antioche ou Marcel d’Ancyre) seront pourtant accusés de sabellianisme par leurs adversaires ariens.
Je rappelle à mes lecteurs que par respect pour eux j’ai surtout parlé dans ce qui précède à propos de la Sainte Trinité du modalisme ou sabellianisme, car pour ce qui est du mystère proprement dit de la Sainte Trinité je suis incapable de l’expliquer.
Le mot « personne » fait partie de la théologie trinitaire au moins depuis le montaniste Tertullien. Il y a été introduit à cause de la négation monarchianiste de toute véritable distinction dans la monade divine originelle.
L’opposant direct de Tertullien, Praxéas, soutenait en effet que l’on ne pouvait croire en un Dieu unique qu’en professant que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont une seule et même personne, ce qui avait des conséquences assez paradoxales. Du moins selon Tertullien, car ce Praxéas est peut-être un personnage fictif et cette polémique inutile n’est pas très claire (Praxéas aurait joué un rôle décisif dans le rejet du montanisme par le futur catholicisme ? Ce serait le pape Calixte 1er selon Hageman ?
Pour les besoins de sa polémique Tertullien, a donc rendu la distinction entre le Père, le Fils et l’Esprit par l’emploi du mot latin « personne ». Dieu est un du point de vue de l’essence, et trois du point de vue des personnes. Malheureusement, le contexte de l’utilisation par Tertullien du mot latin « personne » n’était pas tout à fait clair, et sa position fut encore compliquée par le fait que les théologiens de l’Église d’Orient ne disposaient pas d’un équivalent grec exact, prosopon ne signifiant pas tout à fait la même chose dans leur langue.
Le fait est que ni le mot Trinité ni la doctrine explicite de la Trinité n’apparaissent dans le Nouveau Testament ; Jésus et ses disciples n’avaient pas l’intention de contredire le Chema de l’Ancien Testament (« Écoute, Israël ! l’Éternel est Un »). Les premiers chrétiens, cependant, ont dû faire face aux conséquences de la venue du Christ et de la présence présumée de la puissance de Dieu parmi eux (le Saint-Esprit, qui est venu à la Pentecôte).
Mais l’importance de la personne du Christ chez les premiers chrétiens ainsi que son rôle posaient problème par rapport à la stricte monolâtrie du judaïsme de l’époque et à sa conception assez égoïste évidemment d’un salut apporté par le Messie…… uniquement au peuple élu au sens strict du terme (c’est-à-dire par filiation matrilinéaire d’après les rabbins).
Si le Christ n’est pas Dieu, du point de vue du judaïsme les chrétiens n’ont pas le droit de l’adorer. S’ils le font, cela revient alors purement et simplement à pratiquer un culte païen.
Si le Christ n’est pas Dieu, et n’est qu’un homme, même extraordinaire, alors qu’est-ce qui distingue le christianisme c’est-à-dire l’adoration du christ, du paganisme (vu et caricaturé par le judaïsme) ?
Si le christ n’est pas Dieu il ne peut pas être la révélation de Dieu.
Si le Christ n’est pas Dieu, les croyants ne sont pas unis à Dieu par la communion.
Athanase insistait tout particulièrement sur le fait que si le Christ n’est pas Dieu, les hommes n’ont pas été sauvés par Dieu, car il concevait le salut comme une theiosis (« ou déification dans les théologies païennes »).
« Si le Fils était une créature, l’homme ne demeurerait pas moins mortel, n’étant pas conjoint à Dieu. Car ce n’est pas une créature qui pourrait conjoindre les créatures à Dieu en cherchant à s’y
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conjoindre elle-même, car ce n’est pas une partie de la création qui pourrait être le salut de la création, ayant besoin elle-même de salut » (Discours contre les ariens, II, 69).
« De même l’homme n’aurait pas été divinisé, si ce n’eût été le véritable et propre Verbe du Père, issu de lui par nature, qui fût devenu chair. Car telle est la raison pour laquelle une telle conjonction a été réalisée : c’était afin qu’à celui qui appartient par nature à la divinité elle conjoignît celui qui par nature est homme et qu’ainsi fussent solidement assurés le salut et la divinisation de celui-ci » (Discours contre les ariens, II, 70).
Or l’idée que le Christ ait été une simple créature même exceptionnelle, était fatale à cette doctrine d’origine païenne et qui constituait le cœur du christianisme, ce qui le différenciait radicalement du Judaïsme.
Le parti anti-arien, conduit durant le premier concile par Alexandre, évêque d’Alexandrie, et ensuite par son successeur, Athanase, était aussi éventuellement motivé par des préoccupations moins fondamentalement religieuses, moins honorables **, mais ces angoisses intellectuelles sont particulièrement évidentes chez Athanase.
Si le Christ n’était qu’une créature, même très élevée, ou une sorte de divinité inférieure (dieu, mais pas le Dieu absolu), alors l’adorer aurait été un acte totalement illégitime du point de vue du judaïsme de l’Ancien Testament.
C’est pourquoi le terme homoousios (« d’une seule et même essence »), incorporé par le concile dans le communiqué final, fut si important. Ce n’est pas seulement un dogme théologique qu’il a permis de sauvegarder, mais le cœur même du christianisme actuel.
Le grand absent dans tout cela fut le Saint-Esprit.
Le problème en effet c’est que le terme grec homoousios avait déjà été utilisé par Sabellius et semblait donc donner des arguments au monarchianisme.
Le concile d’Antioche (265/266), en condamnant Paul de Samosate, avait d’ailleurs explicitement rejeté le mot homoousion, affirmant qu’attribuer ce titre à Dieu reviendrait à le décrire comme une monade unique et indifférenciée, à la fois Père et Fils pour lui-même.
Or selon les théologiens de Nicée, la distinction entre le Père et le Fils était au contraire un aspect essentiel de l’idée d’Homoousion.
Pour brouiller encore plus les pistes, notons que le mot grec hypostasis était l’équivalent étymologique exact du latin substantia, mais que l’orthodoxie grecque parlait de trois hypostases * alors que les Latins parlaient d’une seule substance.
L’empereur Constantin, qui venait de réunir sous son unique pouvoir l’ensemble du monde romain, convoqua donc à Nicée, en 325, un concile œcuménique afin de définir cette divinité du Fils. Sous l’influence des Pères cappadociens, la formule qui l’a finalement emporté confessa néanmoins que Dieu était un du point de vue de l’ousia, et trois du point de vue de l’hypostasis. Mais le Symbole de Nicée qui en a résulté a néanmoins semé la confusion, car, en frappant d’anathème la formule arienne (une autre hypostasis ou ousia), il a utilisé ousia et hypostasis comme des synonymes.
Oui décidément le grand absent dans ce débat fut le Saint-Esprit.
Il n’est donc pas surprenant que les théologiens se soient toujours plaints de l’imperfection du mot « personne » pour distinguer le point de vue selon lequel Dieu est trois du point de vue selon lequel il est un.
Beaucoup ont partagé la célèbre lamentation d’Augustin (De la Trinité, livre VII, chapitre VI).
POURQUOI DANS LA TRINITÉ NE DIT-ON PAS UNE PERSONNE ET TROIS ESSENCES.
11. Pour ne pas paraître partial, étudions encore ce point. Du reste, ils [les Grecs] pourraient, s’ils le voulaient, dire trois personnes, tría prósopa, comme ils disent trois substances, treis upostaseis. Mais ils ont peut-être cru cette dernière expression plus conforme au génie de leur langue. Car le raisonnement est le même pour les personnes : en Dieu être ou être personne est absolument la même chose. En effet, si le mot être est absolu et le mot personne relatif, il faudra donc dire des trois personnes, Père, Fils et Saint-Esprit, ce que nous disons de trois amis, de trois proches ou de trois voisins : qu’aucun d’eux ne l’est par rapport à lui-même, mais seulement par rapport aux autres. Ainsi, chacun d’eux est l’ami, le parent ou le voisin des deux autres, puisque ces expressions ont une signification relative. Quoi donc ? dirons-nous que le Père est la personne du Fils et du Saint-Esprit, ou que le Fils est la personne du Père et du Saint-Esprit, ou que le Saint-Esprit est la personne du Père et du Fils ? Mais nulle part le mot de personne ne s’emploie en ce sens ; et quand, dans la Trinité, nous parlons de la personne du Père, nous n’entendons pas autre chose que la substance même du Père. C’est pourquoi, comme la substance du Père est le Père même, non en tant qu’il est
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Père, mais en tant qu’il est, ainsi la personne du Père n’est pas autre chose que le Père lui-même : car c’est en lui-même qu’il est dit personne, et non par rapport au Fils ou au Saint-Esprit, tout comme c’est en lui-même qu’il est dit Dieu, grand, bon, juste, etc. Et comme être et être Dieu, grand, bon, sont pour lui la même chose, ainsi être et être personne sont aussi pour lui la même chose. Pourquoi donc n’appelons-nous pas ces trois choses une seule personne, comme nous les appelons une seule essence et un seul Dieu, mais pourquoi disons-nous trois personnes, quand nous ne disons pas trois dieux ou trois essences, sinon parce que nous voulons avoir au moins un mot pour exprimer la Trinité, et ne pas rester muets quand on nous demande ce que c’est que ces trois, puisque nous confessons qu’ils sont trois ? »
Laissons de côté la question du sens originel du mot latin persona et des raisons qui ont motivé son utilisation ; la question qui nous préoccupe est : quelle sorte de distinction cela nous montre-t-il ?
Karl Barth partageait le souci de Rahner, affirmant que l’idée d’une triple individualité est difficilement possible sans trithéisme. Mais la situation n’est pas aussi nette que Rahner et Barth le suggèrent. Dans le Nouveau Testament, on peut difficilement ne pas reconnaître que les distinctions au sein de la divinité sont analogues à celles qui existent entre des individus humains. Le Père, le Fils et l’Esprit agissent non seulement ensemble les uns avec les autres, mais les uns envers les autres. Chacun a sa conscience de soi, et chacun a son rôle unique et distinct. C’est en tout cas l’impression que donne le Nouveau Testament, et en particulier les évangiles synoptiques.
Cependant, si l’on admet qu’il y a une véritable distinction personnelle entre le Père et le Fils, peut-on dire que cette filiation est éternelle ? Comme le souligne Waterland, les auteurs pré-nicéens sont plus réservés que leurs successeurs, lorsqu’ils parlent de génération originelle et éternelle. **
C’est la montée de l’arianisme qui a poussé cette question sur le devant de la scène ; en effet, plus que la filiation du Christ, c’est sa préexistence éternelle qui a été remise en cause. Pour l’arianisme, le fait même d’être Fils signifiait être venu à l’existence après le Père ; Arius en déduisait que le Christ était une créature faite dans le temps, et à partir de rien : « Il y a eu un temps où il n’était pas ».
Contre cela, le symbole de Nicée a souligné que le Fils a été engendré, et non fait, qu’il a été engendré de l’essence même du Père, qu’il est seul engendré et qu’il a été engendré de toute éternité.
Après Nicée, l’idée de filiation éternelle est devenue la doctrine officielle de l’Église, et elle est bien présente dans les écrits d’Athanase, de Basile, de Grégoire de Nazianze, de Grégoire de Nysse et d’Augustin.
Waterland a proposé que l’on ne fasse pas de la filiation éternelle un point de désaccord, à condition que la divinité éternelle soit garantie.
Il a peut-être raison ; pourtant, les questions soulevées par la filiation éternelle sont loin d’être négligeables.
La force d’un texte comme Jean 3,16 découle de la relation unique du Christ avec le Père. Il n’est pas devenu le Fils de Dieu au moment où il a été donné, mais il a été donné en tant que Fils de Dieu. C’est son Fils que Dieu a envoyé (Ga 4,4). Il est devenu victime d’un sacrifice expiatoire en tant que Fils de Dieu (1 Jean 2,2).
Sans la filiation éternelle, il devient plus difficile de comprendre et de défendre l’homoousion. Pour les Pères nicéens, ils étaient des corollaires l’un de l’autre. Le Christ partageait la nature du Père parce qu’il était le Fils du Père, et il était le Fils du Père parce qu’il partageait sa nature. Athanase, par exemple, liait précisément filiation et consubstantialité.
Il appartiendra au christianisme de donner sa mesure du mépris de la raison humaine en proposant une définition de la foi qui montre bien à quel point le christianisme a constitué une catastrophe intellectuelle pour l’humanité, un bond en arrière, une immense régression (comme l’islam 6 siècles plus tard d’ailleurs) en ce qui concerne son intelligence des choses ou du monde. « Credo quia absurdum » (une formule latine empruntée par saint Augustin au montaniste Tertullien et signifiant : « Je crois parce que c’est absurde ». Sous-entendu : je ne peux adhérer à ceci qu’en faisant acte de foi, car ce sont des mystères qui échappent à la compréhension par la simple raison). Rien dans le christianisme n’encourage l’esprit critique ou même le simple bon sens, à commencer par son ahurissante prétention d’être le vrai Israël. Ce qui importe c’est croire et se soumettre à l’Église.
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État actuel du mystère de la Sainte Trinité pour les chrétiens donc.
Credo (quia absurdum).
Trois erreurs sont surtout à éviter : le trithéisme (trois êtres totalement distincts), qui serait contraire au strict monothéisme hébreu dont se réclame le christianisme, le subordinationisme (le Fils et l’Esprit procèdent du Père, sont subordonnés à lui et ne possèdent pas sa pleine nature divine) et le modalisme (trois modalités apparentes d’un seul être), incompatible avec l’existence du Père, du Fils et de l’Esprit en tant que personnes distinctes. Pour le Modalisme en effet Dieu est une monade originelle.
a) L’Être divin est constitué d’une seule essence indivisible (ousia, essentia).
b) Dans cet Être divin unique, il existe trois personnes ou existences individuelles : le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
c) La totalité de l’essence de Dieu appartient également à chacune des trois personnes.
d) L’existence et le mode d’opération des trois personnes de l’Être divin sont marqués par un ordre précis et défini.
e) Les trois personnes se distinguent par des attributs personnels.
f) L’Église confesse que la Trinité est un mystère que l’homme ne peut comprendre.
* Vyouha dans l’hindouisme.
**Ces rivalités personnelles des évêques de l’époque, jointes aux insuffisances de la langue grecque bien rendues par ses célèbres paradoxes (de Zénon) ont fini par plonger la théologie chrétienne dans l’impasse que constitue son actuelle conception de la trinité. Ayons néanmoins l’indulgence des penseurs soufis et admettons que les chrétiens trinitaires ne sont pas (subjectivement parlant) trithéistes, polythéistes, donc des kouffar ; puisqu’ils se veulent sincèrement depuis des siècles monothéistes ; et prions les dieux que les sunnites ou chiites fassent comme les soufis en ce domaine.
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CONCLUSION.
L’orthodoxie chrétienne a mis au moins cinq siècles pour se constituer en un tout souvent confus et incertain dans sa formulation. Saint Paul est le premier à avoir commencé à dogmatiser une théologie souvent obscure.
Il a un jour déclaré, avec un reste de sa morgue anti « non-juif d’origine » : « Les Grecs cherchent la sagesse, mais nous, nous prêchons le Christ crucifié » (1 Corinthiens, 1,22).
Il s’agissait surtout au départ de problèmes de sémantiques, dus aux imperfections des langues grecque ou latine, qui ne sont pas des langages mathématiques ni même des langues plus rationnelles comme l’espéranto. Une bonne dose de philosophie aurait suffi, mais voilà, ils furent au contraire aggravés par leur orgueil et leur rejet de l’autre (leur prétention d’être le vrai ou nouvel Israël) leur réflexe conditionné à la Pavlov en ce qui concerne les écritures juives qu’il est convenu d’appeler l’Ancien Testament.
Ses textes révélés à elle consistent en une série de témoignages, qui passent pour refléter la doctrine du fils présumé de Dieu ou du Démiurge, destinée à promouvoir le salut de l’Humanité. Or une vérité qui se prétend révélée manque à la cohérence exigée dès l’instant où elle laisse transparaître sa genèse historique. Si le dogme est intangible, il ne peut pas avoir d’histoire par définition.
D’où la nécessité pour elle de masquer le côté laborieux de cette longue genèse, par l’invention d’une ligne artificiellement droite, allant de son fondateur à aujourd’hui, et définissant a contrario comme hérétiques tous ceux qui n’y ont pas totalement adhéré.
Les 1er et 2e siècles furent marqués au sein même du christianisme par la controverse entre la gnosis (la connaissance) et la pistis (la foi).
À mesure que le christianisme se propagera dans les classes populaires, il perdra son élitisme originel et fera de plus en plus appel à la pistis (à la croyance) et de moins en moins à la gnosis (la connaissance). La foi, pour ces chrétiens-là, ne sera plus un mode de connaissance supérieure comme chez les gnostiques, mais uniquement une forme de confiance ou d’obéissance.
À partir de Constantin, au IVe siècle, le peuple sera soigneusement maintenu dans l’ignorance. L’histoire de Jésus-Christ devient un dogme que l’on ne peut même pas envisager de remettre en question.
Le dogme n’est qu’une série de réponses prêtées à la volonté divine, mais qui procèdent en fait d’options tactiques auxquelles le pouvoir temporel du christianisme officiel a dû se résoudre.
Puisant dans le fonds gnostique, le platonisme et l’aristotélisme (voir Saint Thomas d’Aquin), la théologie chrétienne se construit au fur et à mesure des polémiques où la survie et le pouvoir du christianisme naissant sont en jeu.
Bien que la philosophie soit présentée jusqu’au XVIIIe siècle comme la servante de la théologie, c’est un peu l’inverse qui s’est passé. La théologie chrétienne se complique, verse dans les spéculations les plus brumeuses, et régurgite en quelque sorte la rationalité grecque dont elle s’est inspirée en voulant sortir des contradictions liées à son origine.
Le paradoxe de la théologie chrétienne c’est qu’elle est née d’une philosophie qui, la rongeant de l’intérieur, finira par la vider de son contenu pour la laisser comme une outre remplie de l’inanité sonore de ses spéculations.
Bref, le fond mythologique judéo-chrétien ayant perdu toute crédibilité, la philosophie grecque, qui faisait passer le message, apparaît, elle aussi, dans toute sa décevante nudité. Le christianisme reste une menace pour la Raison et la libre expression des idées ainsi que l’a très bien vu John Toland qui apostrophe ainsi, en résumé, les théologiens chrétiens. Ce que les gens ne comprennent pas, c’est le charabia de vos Écoles de théologie… Dès qu’on les prie un peu d’expliquer les termes qu’ils utilisent, qui ne veulent communément rien dire, et pourquoi ils devraient avoir honte de reconnaître qu’ils sont peut-être dans l’erreur ; ils commencent à se montrer nerveux comme un commerçant un peu cher à qui l’on demanderait de revoir un tantinet ses comptes. Et il est déjà beau qu’ils arrivent à se retenir. Il ne s’agit pas seulement d’individus isolés, car il y a parfois des sociétés entières qui, en commençant par aborder les choses superficiellement, accordent une grande importance au sens de certains mots (comme s’ils étaient l’essence même de la religion). Mettre en question ou refuser certains d’entre eux, même s’il n’y a jamais eu rien de plus faux ou d’aussi gênant ; est aussitôt assimilé à une dangereuse façon de penser autrement, et ceci, même s’ils n’ont aucun sens ou ont été forgés de toutes pièces par des penseurs à la mode ; afin de rendre obscures des choses pourtant simples, ou de masquer leur propre ignorance.
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Le plus impardonnable dans tout ça c’est que les saintes Écritures sont mises à la torture afin de soutenir le jargon, la scolastique et les autres chimères métaphysiques, de leurs seuls auteurs. Méfiance sans borne envers la Raison, admiration aveugle pour ceux qui ont vécu avant nous, et ferme résolution d’adhérer à tout ce que votre parti soutiendra doivent suffire.
Croyez seulement, comme fondement assuré de toutes vos allégories, que les mots contenus dans les Écritures, quoique jamais aussi équivoques et aussi ambigus que quand ils sont sortis de leur contexte, peuvent signifier n’importe quoi n’importe où ; et, si cela ne suffit pas, croyez que toute vérité peut se retrouver dans tout passage des Écritures et en constituer le vrai sens, autrement dit que l’on peut faire n’importe quoi avec n’importe quoi ; et vous trouverez aussi non seulement tout le Nouveau Testament dans l’Ancien, mais tout l’Ancien dans le Nouveau, il n’y aura aucune explication, aussi virulente, aussi contradictoire ou confuse qu’elle puisse être ; que vous ne pourrez aisément soutenir ou admettre
À ce compte-là, même ce qu’a voulu dire Jésus ne suffit pas si nous comprenons bien.
(Résumé de la thèse de John Toland à ce propos et publiée dans son célèbre pamphlet sur les mystères du christianisme).
La papauté prohibera donc pendant de nombreux siècles toute traduction de la Bible en langues vulgaires ; afin de ne pas en permettre la lecture au petit peuple des chrétiens de base, au cas où il aurait accès à un exemplaire dudit livre. Ce type de traduction sera même encore mis à l’index en 1745.
L’Église est l’interprète de l’Écriture. L’Église catholique romaine a rarement défini (l’a-t-elle jamais fait ?) ce que signifiait un texte pour la personne qui l’a écrit.
La position actuelle de l’Église à propos de son magistère est d’ailleurs la suivante.
Ce qui compte ce n’est pas ce qu’a voulu dire l’auteur du texte évangélique (ou biblique) en question, mais ce que veut dire son texte, et ça l’Église seule peut en décider ; car l’Esprit saint a continué d’agir après la mort de Jésus, et il guide l’Église dans ce qu’elle doit faire.
Cette interprétation de l’Église consiste essentiellement, pour les catholiques, non pas à retrouver le sens primitif de tel ou tel passage, à l’époque où il a été écrit ; mais à en tirer son enseignement pour la vie de la communauté chrétienne dans la suite des temps. Sur les questions essentielles, elle maintient que l’Esprit, qui a inspiré l’Ancien et le Nouveau Testament, ne permettra pas que la communauté entière des croyants s’égare en matière de foi ou de mœurs. Telle est du moins l’opinion de Raymond E. Brown en la matière.
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SURCONCLUSION.
La théologie chrétienne n’a pour tout discours sur Dieu ou le Démiurge, si l’on en excepte la Trinité, que les anthropomorphismes puérils qui pullulent dans la Bible. La Torah ne nous dit-elle pas que Yahvé se promenait dans son jardin à la fraîcheur du soir (Gen. 3, 8) ? Les évangiles ne nous présentent-ils pas Jésus montant en barque, gravissant une montagne, buvant, mangeant, prêchant ?
La question qui vient immédiatement à l’esprit dans ce cas est la suivante : d’où viennent les dieu-ou-démons comme Zeus, Yahvé, ou le Christ, quand ils apparaissent sur terre sous forme humaine ? Du ciel évidemment. La descente d’une divinité en ce bas monde, dans les bas-fonds du Cosmos, afin d’y délivrer certaines âme/esprits, est une très ancienne conception religieuse. Ishtar descendit aux Enfers pour en sauver Tammouz et Orphée s’y rendit pour libérer Eurydice. Il en fut de même de Déméter pour Perséphone, de Dionysos pour Ariane et Sémélé, d’Héraclès pour Cerbère, Thésée ou Admète, etc. Dans l’Inde antique, Ravana sauvait les damnés comme devaient le faire également Youdhishtira, Vishnou, Bouddha. Dans le judaïsme tardif (Bereshit Rabba), le Messie lumineux se présente aux portes de l’Enfer (Géhenne) et libère les prisonniers des ténèbres de la mort.
Les Grecs ne croyaient-ils pas en outre que Zeus était descendu sur Terre, avait partagé la couche d’Alcmène et que de cette union était né le célèbre Hercule ?
Il existe de nombreux cas de naissance virginale d’un dieu-ou-démon dans les mythologies antiques. Celle d’Attis par exemple. Les références à Jésus comme étant le fils de Dieu ou du Démiurge, sont essentiellement d’ordre poétique et ne doivent en aucun cas être prises à la lettre.
Mais s’il est possible que Jésus soit né avec l’aide d’un père divin (comme Cuchulainn et bien d’autres héros de la mythologie païenne), il est impossible qu’il soit né SANS l’INTERVENTION D’UN PÈRE HUMAIN.
La descente sur terre d’un pur esprit est une idée gnostique que les anti-gnostiques, Justin (le premier à mentionner vers 150 la mère du Christ), Irénée et les montanistes, transformeront en une fécondation in vivo ou une parthénogenèse ; mieux comprise apparemment par les adorateurs de dieu-ou-démons comme Attis, Lug, Tuireann, Cybèle………… que par les juifs.
Le culte d’Attis fut supplanté à la fin du IIe siècle par la première expansion massive du christianisme, celle de la Nouvelle Prophétie qu’avait diffusée Montan, et dont Tertullien fut le dernier défenseur ; mais un certain nombre de ses concepts, comme la notion d’eucharistie (nom donné par les montanistes au repas de commensalité « devogdonion » entre les hommes et les dieu-ou-démons) par exemple, passèrent dans le catholicisme.
Les Évangiles officiels du christianisme historicisent des éléments aussi fantastiques que la fécondation de la Vierge par un ange ; mais aussi la descente de l’esprit sous forme de colombe sur le nouveau Josué ; l’ascension du Messie sorti de sa tombe au bout de trois jours, les langues de feu de la Pentecôte, etc. Or la réalité, c’est que la théologie chrétienne a érigé en dogme un vieux fond mythologique hellénisé par les équipes ayant composé les Évangiles officiels, et qu’il faut maintenant l’étudier comme l’on étudie la mythologie babylonienne, grecque, ou druidique.
Il existe d’ailleurs d’autres défis au bon sens dans cette religion. Exemple la Trinité. La Trinité chrétienne ne tombe pas du Ciel, elle naît des spéculations gnostiques puis au IVe siècle de la réflexion des Églises de Rome et d’Alexandrie face aux Églises contrôlées par Arius, voire du poids de la symbolique païenne en Europe de l’Ouest. La triade, dépassement du dualisme, est en effet fréquemment attestée dans les croyances et pensées archaïques (la bélisama Brigindo ou Brigantia est par exemple, pour les très-sachants de la druidiaction – druidecht – irlandais, une triple déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère).
La Trimurti indienne n’est probablement pas non plus sans rapport avec la Trinité chrétienne, les conceptions philosophiques hindoues étaient connues du monde grec au début de notre ère. La ville d’Alexandrie accueillait une communauté indienne et des témoignages grecs sur le culte de Vishnou au IIe siècle avant notre ère existent (dont celui d’Héliodore, fils de Dion, ambassadeur du roi Indo-Grec Antialcidas).
Dieu le père, le procréateur, est à rapprocher de Shiva, le dieu-ou-démon se substituant à son organe de la création, le lingam. Vishnou est Dieu le fils, descendant sur la terre sous forme d’avatar. Il y a un certain nombre de similitudes ou de ressemblances entre Krishna ou les autres avatars, et le Christ ; comme on en trouve d’ailleurs avec certains héros grecs (Krishna et Achille meurent de la même façon, une flèche dans le talon). Ces similitudes entre Jésus et Krishna ont fait l’objet d’études par des auteurs comme Gérald Massey (1828-1907) Kersey Graves (1813-1883) et d’autres encore, mais le tableau d’ensemble reste encore à authentifier.
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Quant au Saint-Esprit par contre, il ne semble pas avoir mieux réussi que Brahmâ pour ce qui est de la dévotion même si en 1553, le médecin espagnol nommé Michel Servet fut brûlé à Genève par des Réformés calvinistes pour avoir proposé son interprétation personnelle de ce dogme.
Catholiques et Réformés ou Orthodoxes ne cesseront de s’ériger en gardiens de ces vérités intangibles et immuables, allant pour cela jusqu’à cautionner les pires aberrations scientifiques de la Bible.
L’exécution de Giordano Bruno ; que l’Église condamnera au bûcher après sept ans de tortures, et qui souhaitait aborder la mythologie chrétienne à l’égal des mythologies grecque, romaine, ou druidique, ainsi que la condamnation de Galilée, ou de Darwin ; en sont la dramatique illustration.
Une des dernières victimes de la loi contre le blasphème et la profanation en France fut le jeune chevalier de La Barre qui, à l’âge de dix-neuf ans, fut décapité, puis brûlé, à Abbeville, en 1766 ; pour avoir raillé une procession du Saint Sacrement et avoir endommagé un crucifix avec son épée (selon l’accusation). Tant il est vrai que le sacré ne peut tolérer, sous peine de perdre son caractère, que l’on refuse de s’agenouiller devant la divinité qu’il prétend représenter. En 1942, en Espagne, le général Franco fit exécuter (par le garrot) un homme accusé d’avoir brisé une statue de la Vierge et d’avoir piétiné des hosties (délit assimilé à un viol ou à un meurtre).
En Inde ce crime est puni de trois ans de prison. Au Pakistan les procédures vont rarement jusque-là, les inculpés étant la plupart du temps assassinés avant, y compris à l’intérieur même des prisons.
Ces lois sont évidemment placées sous le signe de l’antiracisme. Le rapporteur spécial des Nations-Unies sur la liberté et le thème musulman du « nulle contrainte en matière de religion » ; a d’ailleurs lui-même déclaré un jour : les interdictions contre les actes de diffamation ou de blasphème sont employées abusivement dans un but de censure du droit de critiquer ou discuter des religions, et des questions y ayant trait. Dans de nombreux cas, cette accusation de blasphème devient l’outil d’extrémistes qui censurent les minorités intellectuelles non obscurantistes… (Note de la rédaction. On obtient maintenant le même résultat devant les tribunaux ou dans les médias des pays comme la France avec l’accusation de racisme, d’antisémitisme, ou d’islamophobie).
C’est encore John Toland (décidément) qui a le mieux cerné le phénomène. Il n’y a rien de tel que les hommes pour faire beaucoup de bruit, surtout de nos jours, à propos de ce à quoi ils reconnaissent généralement ne rien comprendre. Les théologiens, dont le rôle est justement de les expliquer, avouent presque unanimement leur ignorance, mais nous disent néanmoins avec le plus grand sérieux que nous devons adorer ce que nous ne pouvons comprendre. Certains d’entre eux harcèlent même le reste de l’Humanité de leurs commentaires douteux avec plus d’assurance et de zèle qu’il ne conviendrait, afin qu’on les reconnaisse comme étant infaillibles, mais ils ne sont pas tous du même avis.
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LA QUESTION DU MAL MÉTAPHYSIQUE *.
Parmi les problèmes que cette opinion (l’existence du Mal) a suscités de tout temps, deux ont une importance particulière : la question de savoir ce qu’il est et pourquoi il existe. Certaines métaphysiques n’ont pas ce problème néanmoins, car elles ne sont pas dualistes, mais monistes et ne distinguent pas un bien qui serait opposé à un mal.
Le monisme est une conception métaphysique. C’est une doctrine défendant la thèse selon laquelle tout ce qui existe – l’univers, le cosmos, le monde – est essentiellement un tout unique, donc notamment constitué d’une seule substance. Le monisme s’oppose à toutes les philosophies dualistes, qui séparent monde matériel ou physique et monde psychique ou spirituel.
Le monisme a comme postulat qu’il y a une seule réalité, donc une seule substance. On peut en distinguer plusieurs variantes apparentes selon la nature de cette substance unique. Deux grandes écoles monistes apparaissent essentiellement, l’une matérialiste, l’autre spiritualiste, selon que la substance universelle est la matière ou l’esprit.
Mais ces distinctions, relativement valables au plan phénoménal, ne résistent pas longtemps à l’analyse philosophique, car s’il n’y a qu’une substance, peu importe le nom ou les attributs qu’on lui donne puisque, par définition, il n’existe qu’elle, et elle rassemble dans son unicité donc tous les noms et tous les attributs existants.
Par essence, au plan Métaphysique, le monisme s’oppose d’abord radicalement à tous les dualismes (comme le platonisme ou les monothéismes) qui, tous, supposent l’existence d’un monde d’idées face à un monde matériel, ces deux mondes étant de natures différentes et dissociées.
Le monisme s’oppose aussi à toutes les écoles philosophiques construites sur la multiplicité intrinsèque du réel.
On peut alors parler de monisme restreint lorsqu’on limite l’unité à la seule substance, et de monisme généralisé pour affirmer la non-dualité absolue de tout ce qui existe.
Le grand théoricien de la non-dualité est l’indien Adi Shankara (IXe siècle) qui a construit toute une logique (au sens des logiciens) qui réfute le principe du tiers exclu et qui récuse aussi tout usage du OU exclusif. Avec lui il n’y a jamais de « ou… ou », mais toujours des « et… et ».
Le monisme est le fondement de la plupart des traditions spirituelles et religieuses d’Extrême-Orient, mais le Bouddhisme ne se veut ni moniste, ni dualiste, ni pluraliste. L’unité n’oblitère pas la multiplicité, la différence n’oblitère pas l’Identité ; toute chose (y compris l’Absolu) a pour caractéristique la vacuité (Śūnyatā), mais chaque phénomène est ainsi, tel qu’il est, c’est-à-dire Tathata, « ainsité, telléité ».
LE DUALISME.
On entend par dualisme les doctrines religieuses et philosophiques qui opposent deux principes co-éternels et antagonistes, celui du Bien et celui du Mal. Est dualiste toute religion dans laquelle un Principe du mal, distinct et autonome, existe depuis toujours et conjointement avec un principe du Bien.
Cette définition correspond à ce que les historiens des religions appellent « dualisme absolu » puisqu’il y a existence de deux principes dès l’origine.
Cela implique un jugement de valeur (bon/mauvais) et une polarisation hiérarchique de la réalité à tous les niveaux : cosmologique, anthropologique, éthique, etc.
Il peut exister néanmoins au sein de cette pensée dualiste une tendance mitigée que les historiens des religions qualifient de « dualisme mitigé » ou « dualisme monarchien », car elle stipule que le principe du mal est un principe second par rapport au principe du Bien et qu’il sera finalement vaincu (cas du zoroastrisme par exemple). Ce qui la rapproche ainsi du Monisme.
NDLR. Le dualisme se décline généralement en une opposition esprit/matière, âme/corps, monde éternel/monde de l’éphémère, etc., et postule donc la coexistence de deux principes éternels et
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inengendrés à l’origine de la création du bien (l’âme, le monde spirituel) et du mal (le corps, le monde matériel).
Sa formulation la plus connue revient à Zoroastre. De ces deux principes fondamentaux qui ont été conçus comme jumeaux et qui naissent dans la pensée, l’un représente le bien et l’autre le mal. Entre les deux, le sage choisit le bien et l’ignorant le mal. Et lorsque, dès l’origine, ces deux principes fondamentaux se sont rencontrés, ils ont créé la vie et la non-vie.
Mais les interprétations divergent, puisque la mention du dieu suprême Ahoura Mazdâ semble indiquer un monothéisme, et celle des jumeaux (Esprit du bien Spenta Mainyou, Esprit du mal Angra Mainyou) un dualisme. Selon Martin Haug (Essai sur la langue sacrée, 1862), Zoroastre a une théologie monothéiste (Ahoura Mazda) et une philosophie dualiste (le bien et le mal, inhérents à Dieu comme à l’homme).
* Que nous distinguons soigneusement du phénomène de la souffrance de la vieillesse et de la mort ; voire des simples dilemmes moraux relevant de la casuistique, causés par le manque d’empathie caractéristique de l’espèce humaine, les psychopathes et autres sociopathes, malgré la règle d’or universelle stipulant : « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais surtout pas qu’on te fasse » (d’après Isocrate). Car il est une autre règle tout aussi universelle dans l’espèce humaine, et surtout en politique, celle du « deux poids deux mesures ». Ce n’est jamais la même chose !
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LES DIFFÉRENTES RÉPONSES.
Ainsi que nous avons pu le voir, la question de l’existence du mal dans un monde créé constitue en général un véritable défi pour les théologiens monothéistes ou manichéens CRÉATIONNISTES.
LA RÉPONSE ESSÉNIENNE.
Le contenu des manuscrits. La bibliothèque de Qumrân a été assemblée et composée par un groupe religieux en rupture avec le culte officiel de Yahvé qui avait lieu au Temple de Jérusalem. Le groupe s’est probablement formé vers la fin de l’époque de la révolte des Maccabées (milieu du IIe siècle avant notre ère). Il est probable que le groupe fut composé principalement de prêtres qui étaient en conflit avec la dynastie des Asmonéens qui venait d’accéder à la fonction de grand prêtre. Il est également probable que le groupe tenta certains rapprochements avec le nouveau grand sacerdoce, mais, devant l’échec de cette tentative, ils se retirèrent dans le désert de Judée afin de suivre et d’appliquer la Loi mosaïque selon leurs convictions. L’exode du groupe vers le site de Qumrân pourrait avoir été mené par le Maître de Justice, un important chef de file du groupe initial.
Les écrits de Qumrân présentent une théologie juive tout à fait unique qui s’est manifestement développée de façon progressive en fonction de la coupure qui s’approfondissait entre la communauté d’une part et le Temple de Jérusalem, les Romains, les impies et finalement le monde extérieur à la secte. L’étude de ces écrits permet de retracer l’évolution de certains thèmes religieux et de remarquer l’apparition de certaines idées fort originales. Ces manuscrits sectaires aident également les chercheurs modernes à se faire une idée plus exacte du paysage religieux très diversifié qui existait dans le judaïsme prérabbinique de l’époque du Second Temple.
La théologie essénienne est marquée par un fort dualisme. L’humanité est divisée en deux groupes : les bons Fils de Lumière et les mauvais Fils de Ténèbres. Chacun de ces groupes est mené par une figure angélique surnaturelle soit : le Prince de Lumière et l’Ange de Ténèbres. Certains manuscrits affirment même que cette division existe à l’intérieur de chaque humain qui a en lui un certain nombre variable de parts de lumière et de part de ténèbres. Cette terminologie qui oppose la lumière aux ténèbres et le Prince de Lumière à l’Ange de Ténèbres rappelle fortement le dualisme perse du mazdéisme où le bon dieu Ahoura-Mazda est opposé au méchant dieu Angra-Mainyou. Il est fort probable que la communauté de Qumrân fut influencée par cette religion perse (antérieure à l’époque du Second Temple et qui existe encore aujourd’hui) puisque le peuple juif a été en contact avec le monde perse pendant plusieurs siècles. Il est cependant important de noter que la communauté de Qumrân n’aurait pas adopté le dualisme perse, mais l’aurait plutôt adapté à leur tradition juive sans en changer les fondements. On remarque par exemple que les deux chefs angéliques (ou esprits) ne sont pas égaux et que l’Ange de Ténèbres n’est surtout pas opposé à Yahvé. Yahvé demeure le seul Dieu. Il créa les deux esprits dans le mystère de sa sagesse. Il aime l’esprit bon et déteste l’autre.
La théologie essénienne est également fortement eschatologique. La communauté de Qumrân attendait et se préparait pour la fin des temps. Cet événement apocalyptique est décrit dans la Rouleau de la Guerre (1QM) comme un gigantesque combat opposant les Fils de Lumière aux Fils de Ténèbres. Cette guerre mettrait définitivement fin au règne de l’Ange de Ténèbres et rétablirait les justes d’Israël dans la gloire de Yahvé. Les chercheurs modernes sont cependant partagés en ce qui concerne la croyance de la communauté de Qumrân en la résurrection des morts.
La théologie essénienne est également marquée par un certain déterminisme. Dieu a créé l’univers selon ses plans bien précis. Il a également divisé l’humanité en deux clans selon les mystères de sa connaissance. Il a anticipé le règne temporaire de l’Ange de Ténèbres et a prévu le déroulement des événements de la fin des temps.
Les manuscrits de Qumrân nous fournissent de nombreuses autres informations sur la communauté de Qumrân et sur sa théologie : partage des biens, repas communautaires, emphase mise sur la pureté rituelle et alimentaire, prééminence d’un calendrier solaire, diverses formes de messianisme, attachement soigné à l’observance de la Loi mosaïque… Le lecteur qui désire en savoir davantage pourra se référer au livre de Laurence H. Shiffman paru en 1994 sous le titre : Les manuscrits de la mer Morte et le judaïsme.
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LA RÉPONSE MANICHÉENNE.
Manichéisme étant devenu aujourd’hui un nom commun, très commun, il importe de préciser qu’à l’origine cela fut quelque chose d’un peu plus subtil ou plus grandiose que ce qu’en ont fait les orgueilleuses caricatures du milieu médiatico-politique. La pensée manichéenne a eu en effet une importante influence sur le christianisme, l’islam voire le taoïsme. La plupart des traces de cette religion sont fragmentaires et nous viennent de ses adversaires, mais la découverte de manuscrits au début du 19e siècle en Chine et en Égypte a permis d’approfondir nos connaissances sur ce frère jumeau du christianisme.
Mani est né en l’an 216 de notre ère en Babylonie du nord, sur la rive gauche du Tigre, non loin de l’actuelle Bagdad. À l’âge de quatre ans, il rejoint son père qui s’est converti au Baptisme Elchasaïte. Cette secte chrétienne, baptiste, qui subsiste jusqu’au Xe siècle dans la région, va donc élever et encadrer le jeune Mani pendant vingt ans. Elle se distingue par une observance stricte du mode de vie prescrit par la Torah et par ses règles de vie très sévères. À 13 ans, Mani a ses premières révélations par un ange qui a l’apparence de son jumeau. Il commence alors à contester la religion baptiste, jusqu’à quitter la communauté à l’âge de 24 ans, pour prêcher sa propre religion.
Mani se présente comme un nouveau prophète, successeur de Bouddha, Zoroastre et Jésus. Il s’adresse ainsi à l’ensemble du monde connu et cherche à délivrer un message universel. Il part immédiatement prêcher la religion nouvelle vers l’Est, jusqu’en Inde, où il découvre le bouddhisme, dont il incorpore certaines croyances dans sa propre spiritualité. Il n’y a pas de conversions notables au sein des populations bouddhistes, mais plutôt au sein des communautés chrétiennes créées par l’apôtre Thomas dans la région.
De retour à Ctésiphon, capitale de l’empire sassanide, deux ans plus tard, il est reçu à la cour du roi de Sapor 1er, qui l’autorise à prêcher dans l’ensemble de son empire. Il accompagne alors le roi lors de sa campagne contre les armées de l’empereur Valérien en 255, durant laquelle il fonde plusieurs communautés. De retour, il élabore les règles de sa nouvelle église et envoie des missionnaires, dont son père et son frère, vers l’Irak, l’Égypte, l’Inde ou encore la péninsule arabique. Quant à Mani, il ne cesse de voyager, pour créer de nouvelles communautés ou bien visiter les communautés déjà créées, tout en attirant un nombre croissant de disciples.
Mais en 273, le roi Vahram succède à son père. Très influencé par le clergé de l’empire, il interdit le manichéisme, afin de rétablir la religion zoroastrienne, comme unique religion de l’empire. Il reproche à Mani d’avoir converti plusieurs vassaux du roi et d’avoir poursuivi ses voyages de conversion. Refusant de se soumettre, Mani est convoqué à la cour en 277, il est alors enchaîné et meurt au bout d’une agonie de plusieurs jours.
De par son expérience baptiste, Mani rejette frontalement la bible juive. Il s’est en revanche beaucoup inspiré du Nouveau Testament et de la vie de l’apôtre Thomas. Selon Mani, Jésus a eu le mérite de démontrer la fausseté de la loi juive, il n’est pas réellement mort et Mani lui succède pour annoncer la révélation finale au monde.
Selon la théologie manichéenne, le monde de la lumière et le monde des ténèbres s’affrontent. Un Dieu unique réside dans le monde de la lumière, il est lumière, force et sagesse. Le temps est divisé en trois parties. Le moment primitif est l’ère où ténèbres et lumières sont séparés, ils se mélangent durant le moment médian, et se sépareront à nouveau lors du moment postérieur. Ces moments sont longuement décrits dans la littérature manichéenne comme une série d’affrontements entre les forces de la lumière et des ténèbres. Cette mythologie très riche met en scène des personnages sacrés comme l’homme primordial, Jésus, les douze vierges de lumière, etc.
L’être humain est le résultat de l’affrontement entre lumière et ténèbres. Pour les manichéens, l’âme est lumière et le corps est ténèbres. Le manichéen doit donc chercher à favoriser l’esprit et oublier le corps, en créant une certaine séparation entre les deux. Le but est donc de rétablir la division initiale entre le bien et le mal. Si le croyant parvient à atteindre cet état, il sortira du cycle de réincarnation et son âme rejoindra le royaume de la lumière.
Au cours du IVe siècle, le manichéisme se répand dans le monde romain, notamment en Égypte où il s’implante durablement, en Afrique du Nord et jusqu’à Constantinople et Rome. La littérature manichéenne est alors largement traduite en copte, grec et latin. Face à un tel succès, les empereurs Dioclétien, Valentinien 1er et Théodose 1er, promulguent des édits d’interdiction et de persécutions contre les manichéens. Nombre d’entre eux sont alors arrêtés, exécutés ou exilés hors de l’empire.
Saint Augustin suit les enseignements de Mani en tant qu’auditeur libre entre 373 et 387, date à laquelle il est baptisé. À partir de là, il va s’opposer aux manichéens en multipliant les débats publics. Ses écrits, retraçant l’intégralité de ces débats, nous apportent une bonne connaissance du manichéisme. Les persécutions se poursuivirent jusqu’au VIe siècle, avec l’empereur Justinien. À la suite de cette répression, le manichéisme disparaît alors rapidement d’Europe.
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Après la chute de l’empire sassanide en 637, les Arabes contrôlent l’Iran où ils tolèrent dans un premier temps les manichéens. La cohabitation entre musulmans et manichéens sera plus longue à Bagdad où se trouve leur pontificat suprême. Cette cohabitation va influencer l’islam naissant sur plusieurs points. L’interdiction de représenter l’image divine existait chez les manichéens, de même que trois des cinq piliers de l’islam (l’aumône, le jeûne et la prière). Mais en 782, suite à la décision du calife abbasside Abdoullah al Mahdi de les persécuter, le manichéisme périclite rapidement dans la région. Samarcande va alors devenir la ville centrale du manichéisme, en remplacement de Ctésiphon.
Parallèlement, les manichéens se tournent vers la Chine. Ils traduisent et adaptent les textes et la mythologie au Bouddhisme chinois, en laissant notamment une grande place à Bouddha. En 694, un dignitaire manichéen est signalé à la cour de Chine. De nos jours, quelques groupes se revendiquent toujours de l’église manichéenne. Mani est devenu une figure symbolique importante de la culture iranienne contemporaine.
Le manichéisme est donc un rejeton iranien de la Gnose, qui suppose un mélange de zervanisme et de mazdéisme. Pour les manichéens comme pour les gnostiques en général, la création est la conséquence d’une chute ; mais, comme dans le mazdéisme, Dieu a un adversaire égal à lui et indépendant de lui : Ahriman ; et enfin Dieu est le dieu du Zervanisme. Zervan envoie Ormouzd, l’Homme Primordial, combattre Ahriman. Cette lutte a pour conséquence un mélange du bien et du mal, de la lumière et des ténèbres : ce mélange est le monde ; et aussi l’emprisonnement de la lumière, qu’il faudra dégager de sa gangue de ténèbres par la pratique d’une ascèse rigoureuse et grâce à l’intervention de divers sauveurs, parmi lesquels Jésus. À la fin des temps, la lumière et les ténèbres seront rétablies dans leur pureté respective.
LA RÉPONSE CHRÉTIENNE.
Le fait que saint Augustin a commencé par être un évêque manichéen prouve que manichéisme et christianisme officiel ont beaucoup de choses en commun.
Les Évangiles opposent en effet :
— Jésus et le diable : « Le diable lui dit : si tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre qu’elle devienne du pain » (Luc, 4,3.
— Royaume terrestre et Royaume céleste : « Mon royaume n’est pas de ce monde » (Jean, 18,36).
— Corps et esprit : « L’esprit est ardent, mais la chair est faible » (Matthieu, 26,41).
— Lettre et esprit : « Vous jugez selon la chair » (Jean, 8.15) ;
— Les bénis et les maudits : « il mettra les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche… Ceux-ci iront au châtiment éternel, mais les justes à la vie éternelle » (Matthieu, 25,32-46).
Dans le christianisme antique s’expriment donc de nombreuses tendances dualistes, qui seront finalement éliminées par le christianisme officiel.
Chez les premiers chrétiens le terme grec de démon qui est neutre au départ et signifie seulement esprit ou génie (il peut donc y avoir de bons démons) va prendre peu à peu chez les ecclésiastiques, le sens d’ange déchu, d’esprit du mal ou de diable. Le livre d’Hénoch, apocryphe du IIe siècle, traite par exemple de ce mythe des anges déchus. Les démons sont avant tout des esprits faits par Dieu pour être des anges, mais qui se sont détournés de leur Créateur.
Le livre d’Hénoch fait partie du canon de l’Ancien Testament de l’Église éthiopienne orthodoxe, mais il est rejeté par les juifs et n’est pas inclus dans la Bible dite des Septante. Il a été officiellement écarté des livres canoniques des futurs catholiques orthodoxes ou réformés vers 364 lors du concile de Laodicée (canon 60), et il est donc considéré depuis comme apocryphe par les autres Églises chrétiennes. Il était connu en Occident, au moins indirectement, car on retrouve par exemple son influence sur les passages consacrés au calendrier dans les textes hiberno-latins, comme l’Altus prosator. La composition des différents livres s’étire sur une période allant d’avant le IIIe siècle avant notre ère au Ier siècle de notre ère. Concernant le Livre des Veilleurs, la recherche est partagée entre le IIIe siècle avant notre ère et une datation plus haute encore, au IVe siècle avant notre ère, voire au début de ce siècle. Certaines parties du livre ont vraisemblablement été composées en hébreu, d’autres en araméen……
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Ainsi, en est-on donc venu à distinguer parmi les créatures de l’autre monde, les anges gardiens [Ndlr – nous préférons le terme de « guide » moins carcéral] ou Esprits protecteurs et les anges déchus, devenus par leur propre révolte, ennemis de Dieu et des Hommes qu’ils veulent entraîner dans leur chute…
À l’origine, cette doctrine fut influencée par les spéculations mazdéennes et plus particulièrement l’influence des Gâthâs (« Chants ») avec leur dualisme non ontologique et non absolu, mais monarchien. Les Gâthâs esquissent la théorie des deux forces antagonistes d’origine cosmique, symbolisant l’ordre et le désordre.
Le polythéisme indo-iranien comporte un monothéisme latent ; mais la lutte entre un dieu hégémonique et des hordes de démons suppose un dualisme inconscient.
Le judaïsme hellénistique mentionne ce dualisme en parlant de la voie de la vérité ou de Dieu opposée à celle de la perdition ou de l’iniquité (Sagesse de Salomon 5, 6-7). Le judaïsme de Palestine en a hérité : la Règle de la communauté des esséniens expose l’instruction sur les deux esprits.
Dans l’homme luttent l’esprit du bien et celui du mal. L’homme participe de l’un et l’autre à part inégale. Cette disposition mauvaise n’est pas péché en soi, mais propension au péché. C’est pourquoi on peut attribuer à Dieu sa présence dans l’homme.
Philon va ajouter au dualisme moral des esséniens un dualisme cosmologique qu’il emprunte non à la tradition juive, mais à la culture hellénistique imprégnée de références platoniciennes.
Dans chaque âme, à sa naissance, il y a deux puissances qui s’infiltrent, l’une salutaire et l’autre destructrice. Si la puissance salutaire est victorieuse et prend le dessus, l’autre sera trop faible pour qu’on la remarque. Et si la puissance destructrice l’emporte, on ne pourra obtenir que point ou peu de bienfait de la puissance salutaire.
Ce texte rappelle bien les deux inclinations esséniennes sous forme d’esprits contraires, mais Philon y ajoute une composante cosmologique
La littérature apocalyptique juive est imprégnée de ces conceptions. Les Testaments des douze Patriarches présentent des applications morales de cette doctrine et affirment que ces inclinations mauvaises sont liées aux forces du mal : deux esprits s’occupent de l’homme, l’esprit de vérité et l’esprit de mensonge. La littérature hénochienne va reprendre l’image des deux voies.
Le quatrième livre d’Esdras, apocalypse juive du Ier siècle, va discuter les positions des Testaments : pourquoi Dieu a-t-il permis qu’une mauvaise disposition soit présente dans le cœur de l’homme ? Pourquoi ne nous a-t-il point été donné un cœur qui comprenne seulement le bien ? L’origine de la propension au mal ne peut pas être attribuée à Dieu. Cet apocryphe témoigne d’un développement de la doctrine à l’intérieur du judaïsme.
Le Nouveau Testament ne conserve pas trace de cette doctrine des deux esprits, excepté Paul, qui, dans Romains 7, sous l’influence de la tradition rabbinique, expose la lutte morale entre la chair et l’esprit en parlant des deux inclinations qui combattent dans l’homme. La nouveauté chrétienne dans l’appropriation de la doctrine des deux esprits tient au fait que ce mélange des deux inclinations ne tient pas à la nature des choses, mais est le résultat d’un accident, à savoir la Chute. Dans le christianisme et le judaïsme, le premier crime est commis par Caïn sur Abel, mais l’introduction du mal est antérieure avec la désobéissance d’Adam et d’Ève dans le Jardin d’Éden.
Les écrits chrétiens des premiers siècles ont transmis cette doctrine des deux voies. L’épître de Barnabé rapporte les deux voies à deux anges différents. Le Pasteur d’Hermas décrit en profondeur la doctrine des deux esprits en reprenant la démonologie exposée par le judaïsme essénien. La nouveauté du Pasteur réside dans la transformation de la doctrine primitive en psychologie spirituelle : le discernement entre les bon et mauvais esprits ; l’incompatibilité entre eux ; la toute-puissance de l’esprit de justice et la faiblesse de l’ange du mal.
La tradition chrétienne, en élaboration constante, va donc s’éloigner de la doctrine des deux esprits qui a marqué les écrits des premiers Pères. Dans les Homélies clémentines, Dieu a deux mains : la droite est le Christ et la gauche Satan. On peut rapprocher cet enseignement des conceptions rabbiniques des deux puissances de Dieu, la main droite figurant la grâce et celle de gauche figurant la justice. Le christianisme, comme le judaïsme, n’accorde pas d’autonomie au principe mauvais. Il est soit la conséquence d’un mauvais dosage dans le mélange des éléments primordiaux soit le résultat d’un accident (la chute des anges).
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LA DÉMONOLOGIE.
Dans de très nombreuses cultures encore, des êtres intermédiaires entre l’être suprême et les hommes, surnaturels, bienfaisants ou malfaisants, dotés d’une certaine forme d’intelligence, émanant de lieux ou de personnes sont supposés influencer les esprits des humains ou les lieux qu’ils hantent.
Ils sont appelés Souras ou Dévas, Asouras, Daityas ou Dânavas chez les hindous, Izeds ou Amschaspands chez les fidèles du culte de Zoroastre, Cacodémons ou Agathodémons chez les Grecs, Lares et Larves dans la religion romaine, anges ou démons ou djinns en terre d’islam.
Dans le monde antique, il y avait donc tout un foisonnement d’Esprits et de Génies plus ou moins bienfaisants ou malfaisants qu’on cherchait à capter et à se concilier. La religion babylonienne personnalisait ces êtres divers ; elle les exorcisait pour délivrer les personnes et les lieux par des rites magiques ou médicaux. Tel était, notamment, le cas des satyres velus.
Après l’exil et leur acculturation à la grande civilisation babylonienne, les juifs revenus à Jérusalem concevront les anges déchus comme étant les auxiliaires d’une mystérieuse entité sans nom appelée par défaut Satan ou Lucifer.
Ces deux noms sont d’ailleurs des erreurs de traduction.
Lucifer (Porteur de lumière en latin), du nom qu’il portait avant sa déchéance, est très puissant, intelligent, beau, orgueilleux, séducteur, rusé, rebelle à toute loi, fourbe et pervers. C’est le « Prince de ce monde » ainsi que le nomme Jésus. Il s’agit à l’origine d’un roi de Babylone du 8e ou 7e siècle avant notre ère dont l’ascension et la chute sont décrites par Isaïe. (14, 12-14). Pour ce faire Isaïe utilisa une image empruntée à un mythe cananéen qui évoque le dieu Sahar, l' « Aurore ».
« Comment es-tu tombé du ciel, Astre brillant, Fils de l’Aurore ? Toi qui disais : je monterai aux cieux, je hausserai mon trône au-dessus des étoiles de Dieu »
Et Satan n’est qu’un adjectif tiré d’un verbe hébreu signifiant « attaquer ». C’est l’accusateur ou le grand adversaire du peuple de Dieu. À ce stade, Satan n’est pas encore clairement l’Esprit du Mal. Il vient proposer son défi, en se glissant parmi les « fils de Dieu » (les anges ?) reçus par Yahvé. Mais le texte ne nous dit point s’il est lui aussi, fils de Dieu, ni même un ange. Sa silhouette reste floue. Ce qui est clair, c’est que le tentateur est subordonné à Dieu, son Créateur ; mais que c’est bien un Esprit pervers, puisqu’il cherche à tout prix, la perte et la chute du juste, béni par Dieu…
Ce tentateur est décrit sous la forme d’un serpent qui se faufile : insinuant, traître et redoutable. À l’origine de l’Humanité il séduit Eve en lui disant : « Est-il vrai que Dieu vous a dit : vous ne mangerez d’aucun des arbres du jardin » ? Le serpent ajouta : « Il est faux que vous mourrez. Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux ». (Genèse 3, 1 5)
On le retrouve clairement dans ce rôle dans le livre de Zacharie (3 ,1-2). « Le Seigneur me fit voir Josué, le grand-prêtre, qui se tenait devant l’ange du Seigneur, tandis que Satan était debout à sa droite pour l’accuser… »
Dans le livre de Job (1, 6) cet adversaire, met Dieu au défi : qu’il lui permette de tenter Job, ami – et serviteur – de Dieu et ce saint homme ne résistera pas à l’épreuve. Mais la fidélité de Job sera plus forte que toutes les catastrophes, souffrances et épreuves. Il en sera finalement récompensé. (NDLR. Dommage pour la démonstration que Job soit païen !)
Qu’on l’appelle Satan ou Lucifer, cette mystérieuse entité sera donc identifiée au mal absolu, au chef des Esprits des ténèbres, hostile aux Hommes et à Dieu. Et on pratique, à l’encontre de ces adversaires mystérieux, des rites de protection, tels que les lustrations.
L’idée d’un salut final de Satan remonte à Origène ; mais elle est tenue pour hérétique et condamnée par le concile de Constantinople II, car Satan n’a pas été rejeté par Dieu : il s’est au contraire séparé de lui. Dieu ne peut pardonner à qui ne demande pas le pardon. Le premier engagement libre de la volonté de Satan est définitif, son péché est irréversible.
Catéchisme de l’Église catholique, la chute des anges.
391 Derrière le choix désobéissant de nos premiers parents il y a une voix séductrice, opposée à Dieu qui, par envie, les fait tomber dans la mort. L’Écriture et la Tradition de l’Église voient en cet être un ange déchu, appelé Satan ou diable. L’Église enseigne qu’il a été d’abord un ange bon, fait par Dieu. « Le diable et les autres démons ont certes été créés par Dieu naturellement bons, mais c’est eux qui se sont rendus mauvais ».
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392 L’Écriture parle d’un péché de ces anges. Cette « chute » consiste dans le choix libre de ces esprits créés, qui ont radicalement et irrévocablement refusé Dieu et son Règne. Nous trouvons un reflet de cette rébellion dans les paroles du tentateur à nos premiers parents : « Vous deviendrez comme Dieu ». Le diable est « pécheur dès l’origine », « père du mensonge ».
393 C’est le caractère irrévocable de leur choix, et non un défaut de l’infinie miséricorde divine, qui fait que le péché des anges ne peut être pardonné. « Il n’y a pas de repentir pour eux après la chute *, comme il n’y a pas de repentir pour les hommes après la mort ».
394 L’Écriture atteste l’influence néfaste de celui que Jésus appelle « l’homicide dès l’origine » et qui a même tenté de détourner Jésus de la mission reçue du Père. « C’est pour détruire les œuvres du diable que le Fils de Dieu est apparu ». La plus grave en conséquences de ces œuvres a été la séduction mensongère qui a induit l’homme à désobéir à Dieu.
395 La puissance de Satan n’est cependant pas infinie. Il n’est qu’une créature, puissante du fait qu’il est pur esprit, mais toujours une créature : il ne peut empêcher l’édification du Règne de Dieu. Quoique Satan agisse dans le monde par haine contre Dieu et son Royaume en Jésus-Christ, et quoique son action cause de graves dommages – de nature spirituelle et indirectement même de nature physique – pour chaque homme et pour la société, cette action est permise par la divine Providence qui avec force et douceur dirige l’histoire de l’homme et du monde. La permission divine de l’activité diabolique est un grand mystère, mais « nous savons que Dieu fait tout concourir au bien de ceux qui l’aiment ».
La démonologie est un terme désignant l’étude des démons ou les croyances liées aux démons c’est-à-dire du point de vue chrétien À CES ANGES DÉCHUS.
Jusqu’à la fin du XIIIe siècle, peu d’intérêt était porté aux démons. Le Traité sur le mal de saint Thomas d’Aquin en 1272 rappelle que le diable est un hérétique, la sorcellerie un crime d’hérésie. Les théologiens vont alors se pencher sur les entités du Mal.
Les démons bibliques répondent à une hiérarchie bien déterminée semblable à celle des militaires. Un passage de la Bible (Marc 5, 9) mentionne un homme possédé par une armée de démons.
Les symboles les plus courants des démons sont les cornes ou la couronne pour le pouvoir, la tête de bouc, les ailes pour l’étendue de leur autorité, le serpent pour la tromperie (d’après la Bible, Ève a été trompée par un serpent), et le dragon. Certains démons proposent leurs services à des humains pour les placer sous leur domination.
Ci-dessous quelques-uns des démons les plus connus : Asmodée, Belial, Azazel, Apollyon, Belzéboul, Astaroth.
Mais il en existe d’autres puisque la nouvelle religion a évidemment assimilé par définition à des démons les dieux des autres cultes (bonjour la tolérance !).
* Nos frères en humanité du djebel Sindjar en Irak (les yézidis kurdophones), qui pratiquent une religion curieusement syncrétiste associant des éléments juifs, chrétiens, musulmans et païens, ne sont pas de cet avis et croient en sa réhabilitation : il a éteint l’enfer avec ses larmes.
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ONOMASTIQUE BIBLIQUE.
Ci-dessous quelques noms de « démons » de l’ancien ou nouveau testament.
— Abaddon. Le nom Abaddon vient d’un mot hébreu signifiant « destruction » ou « abîme ». Le nom grec correspondant est Apollyon (le destructeur). Ce nom commun est utilisé comme nom propre pour désigner l’ange exterminateur de l’abîme dans l’Apocalypse de saint Jean.
— Apollyon (du verbe grec apollumii signifiant détruire, une des étymologies possibles d’Apollon) – voir Abaddon.
— Asmodée. Le nom Asmodée viendrait de l’altération du nom d’un démon avestique, Aesma-daeva, littéralement démon de la colère qui pourrait aussi signifier en hébreu « celui qui fait périr ». Il est mentionné dans le livre de Tobit, III.8, chassé du corps de Sara par l’archange Raphaël. Rendu en latin par Asmodeus.
— Azazel. Azazel est un nom énigmatique que l’on trouve dans le Tanakh ainsi que dans certains apocryphes. Il ferait référence à un antique démon que les anciens Cananéens croyaient habiter le désert. Il signifierait « Dieu a rendu fort » par utilisation de la racine « azaz » à la troisième personne du singulier, et d' « El » qui signifie « dieu ».
— Baal – titre se référant à plusieurs dieux phéniciens anciens considérés comme des démons dans l’Ancien Testament. 90 occurrences.
— Bélial. Bélial est quant à lui mentionné pour la première fois comme faisant partie des anges par le Livre d’Hénoch (version éthiopienne). Bien que les passages concernés ne soient pas importants, Bélial est tout de même présenté comme l’un des chefs des anges qui se rebellèrent contre Dieu.
Dans l’œuvre apocalyptique dite L’ascension d’Isaïe, qui contient un mélange d’éléments juifs et protochrétiens, les entités Béliar (équivalent à Bélial) et Samaël sont deux démons différents. Mais ce qui est dit de Samaël dans un passage est attribué à Béliar dans un autre. Ce passage date de la période amoraique, avant la généralisation du nom de Satan dans le judaïsme.
Le Testament des douze patriarches, écrit apocryphe dualiste compilant des textes écrits sur une période s’étalant du IIe siècle avant notre ère au Ier siècle de notre ère, présente Bélial non pas comme un démon, mais comme l’adversaire de Dieu.
Bélial apparaîtra par la suite dans la Bible à de nombreux versets (exemple 2 Samuel 22,5 ; 2 chroniques 13,7, 2 Corinthiens 6, 15, où il est mis sur le même plan que le Christ), mais, l’expression fils de Bélial étant parfois traduite par le terme vaurien, l’entité désignée par ce nom peut donc ne pas être impliquée physiquement dans les faits réels ou imaginaires mentionnés dans les versets en question.
— Belphégor. Belphégor est une divinité ancienne révérée sur le mont Pe’or, inspiré du dieu Baal Phégor mentionné dans l’Ancien Testament. Les Hébreux menés par Moïse font halte avant leur arrivée au pays de Canaan, et se laissent entraîner à la débauche par des femmes moabites (Nombres 25, 1-3).
Dans la démonologie chrétienne, Belphégor est le démon qui séduit ses victimes en leur inspirant des découvertes et des inventions ingénieuses destinées à les enrichir. Il prend souvent un corps de jeune femme. Rachi ayant expliqué par ailleurs qu’on déféquait devant lui, certains érudits l’ont identifié avec Crepitus, dieu des flatulences ou Priape, dieu obscène.
— Belzébuth ou Baal-zébub. Dieu du monde sémite vraisemblablement vénéré à Éqrôn. Dans des sources principalement bibliques et postérieures aux textes vétérotestamentaires, Belzébuth est un démon, un des princes couronnés de l’Enfer. Les Philistins l’auraient aussi vénéré. Différentes hypothèses existent quant à l’origine et au sens de la seconde partie du nom, Zebûb. Pour le théologien Jacques Ellul, Baal-Zebul, le chef des princes, serait devenu par jeu de mots raciste Baal-Zebub, le seigneur des mouches à fumier.
— Léviathan. Le terme Léviathan (de l’hébreu liwjatan) vient de la mythologie phénicienne qui en fait le monstre du chaos primitif. C’est également un monstre marin évoqué dans la Bible, dans les
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Psaumes (74,14 et 104,26), le livre d’Isaïe (27,1), et le livre de Job (3, 8, 40,25 et 41,1). Même symbolisme que celui du serpent à tête de bélier des Celtes.
— Lilith. Le mot « Lilith » est un hapax dans la Bible hébraïque. La seule référence à Lilith figure dans le livre d’Isaïe (34,14). Dans cette prophétie sur la fin du royaume d’Édom, le territoire d’Édom est décrit comme une terre désolée. Il est habité par des bêtes sauvages et par Lilith. La signification de Lilith dans ce passage n’est pas claire. Les premières traductions grecques de la Bible l’ont rendu de différentes manières. La Septante le rend par onocentaure (créature mi-homme, mi-âne). Cette graphie peut renvoyer à la figure de la déesse Lamashtou qui peut être représentée assise sur un âne. Aquila transcrit simplement Lilith et Symmaque utilise le nom Lamie qui est celui d’une démone de la mythologie grecque.
— Lucifer. Le nom Lucifer sera introduit dans la Bible au IVe siècle dans la version latine, la Vulgate, pour traduire le terme hébreu hêlēl dans l’expression hêlēl ben šāar « (astre) brillant fils de l’aurore » qui figure dans le livre d’Isaïe (14,12-14), mais dans le contexte de l’oracle d’Isaïe en réalité, il s’agissait de décrire l’ascension et la chute d’un tyran, vraisemblablement la chute d’un souverain babylonien (VIIIe / VIIe siècle avant notre ère).
— Sedim. Sedim est le terme hébreu pour démons et désigne aussi une créature surnaturelle dans le folklore juif. Le terme sedim apparaît seulement deux fois (et toujours au pluriel) dans le Tanakh, dans le Psaume 106, 37 et dans le Deutéronome (32,17). C’était peut-être un emprunt à l’Akkadien où le terme sedu désignait un esprit protecteur et bienveillant, mais les deux fois où le terme apparaît dans le Tanakh, c’est à l’occasion de sacrifices d’enfants, ou d’animaux.
— Serim. Sorte de démons velus. Certaines Bibles traduisent par « satyres » (Lévitique 17, 7).
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ONOMASTIQUE PAÏENNE.
Toute religion traite évidemment les dieux des autres comme des entités maléfiques à éviter ou combattre. La monolâtrie biblique gravera même dans le marbre de ses lois cette intolérance religieuse forcenée reprise par l’islam aujourd’hui. Exemple ENTRE BEAUCOUP D’AUTRES DE CES LOIS IMPIES : « Tu ne te prosterneras point devant leurs dieux, et tu ne les serviras point ; tu n’imiteras point ces peuples dans leur conduite, mais tu les détruiras, et tu briseras leurs statues » (Exode 23,24).
Cela fut donc vrai avec l’Ancien Testament (voir les cas des baals Belphégor Belzébuth, etc. …).
Cela fut encore plus vrai avec le christianisme qui suivit, et ce jusqu’aux guerres de religion qui ont ensanglanté l’Europe du 16e au 18e siècle (dernier massacre, celui des camisards en France en 1702). On peut donc considérer comme des démons « chrétiens » : Épona, Apollon ou Abellio, Jupiter ou Zeus, Taranis, Lug, Thor, Mercure, Venus, Freya, la bélisama Brigind, etc. Etc. La monolâtrie chrétienne s’en prenant à la terre entière leur armée est donc innombrable.
Car si certains thuriféraires du christianisme comme Tertullien font des dieux du paganisme de simples humains à l’origine (un raisonnement évhémériste que rien n’empêche d’appliquer à Jésus Christ) d’autres comme Minucius Félix en font bien des créatures non humaines.
« Ces démons, qui sont des esprits impurs comme nous l’avons montré par l’autorité des mages, des philosophes et de Platon, se tiennent dans les statues et dans les images où on les consacre, et par leur présence acquièrent une autorité semblable à celle d’une divinité qui serait présente : car ils inspirent leurs prophètes ; ils habitent dans les temples ; ils font palpiter les entrailles des bêtes ; ils gouvernent le vol des oiseaux ; ils président au sort ; ils rendent des oracles mêlés de mensonges. En effet, ils trompent et sont trompés comme ceux qui ne savent pas bien la vérité, et qui ne la veulent pas publier contre eux-mêmes. Ainsi nous tirent-ils du ciel sur la terre, et de la considération du Créateur à celle de la créature. D’ailleurs ils troublent la vie et tourmentent le monde. Ils se glissent dans le corps, comme des esprits subtils et déliés, forment les maladies, épouvantent l’âme, tordent les membres pour contraindre les hommes à les adorer, afin qu’ensuite, lors que rassasiés de sang et de victimes, ils auront délié leurs charmes, on leur attribue la gloire de la guérison. Ces furieux aussi que vous voyez courir par les rues sont agités par ces damnables esprits, ainsi que vos prophètes même lorsqu’ils se roulent et hurlent comme des bacchantes. L’instigation des démons est identique dans les uns et les autres, mais l’objet de leur fureur est différent. Ce sont eux aussi qui produisent ces illusions que vous avez racontées, de Jupiter qui commande en songe qu’on ait à renouveler ses jeux, de Castor et Pollux qui apparaissent, d’un navire que tire la ceinture d’une dame romaine. Plusieurs d’entre vous savent bien que les démons sont contraints d’avouer avoir fait ces choses, lorsque nous les tourmentons pour les chasser des corps, et que nous les faisons sortir par ces paroles qui les dérangent, et ces prières qui les brûlent. Ce Saturne, ce Jupiter, ce Sérapis, et tous ces autres que vous adorez, vaincus par la douleur, confessent ce qu’ils sont : et quoique la honte dût leur faire cacher éternellement ce qu’ils révèlent, surtout en votre présence, ils avouent néanmoins leur misérable condition. On peut le croire, puisque c’est contre eux-mêmes qu’ils sont contraints de rendre témoignage à la vérité. Lorsqu’on les conjure par le Dieu vivant, ces misérables frémissent dans les corps, et s’ils ne sortent pas incontinent, ils se retirent pour le moins peu à peu, selon que la foi du patient est grande, ou la grâce du médecin. Ainsi fuient-ils des chrétiens présents, dont ils troublent de loin les assemblées par votre moyen. C’est pourquoi ils sèment la haine de notre religion dans les esprits faibles ; car il n’y a rien de si naturel que de haïr ceux que nous craignons, et de vouloir perdre ceux qu’on redoute. Ils occupent donc les esprits, et gagnent les cœurs, afin qu’on nous haïsse avant que de nous connaître, de peur qu’on ne nous aime en nous connaissant » (Minucius Félix, Octavius, chapitre 26).
D’après un abbé cistercien du XIIIe siècle, les démons se comptent donc par centaines de milliards. En 1467, Alphonse Spina en dénombre 133 306 6686. Au XVIe siècle, Jean Wier n’en enregistre que 44 435 556, divisés en 666 légions commandées par 66 princes. D’autres savants démonologues contestent ces chiffres. Chaque démon possède ses propres caractéristiques. Certains ont un nom tiré de leurs façons de se manifester (Belzébuth le seigneur des mouches, etc.).
Le christianisme antique et médiéval les présente comme invisibles, mais certains hommes d’Église et saints sont supposés en avoir vu (Raoul Glaber), ou avoir lutté avec eux (le curé d’Ars). Et la tentation
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sera toujours grande pour les hommes d’utiliser la puissance de ces démons : Merlin l’enchanteur, Robert le Diable, Tannhäuser et Faust noueront même des alliances avec eux…………………
Ceci était le point de vue de l’Historien des religions révélées. Ci-après les délires d’un idéologue chrétien raciste* sur le sujet.
* Qui ne prend que la Bible (et quelques extraits de philosophes grecs soigneusement choisis) comme seul univers culturel pour son raisonnement. Qui écarte délibérément de son champ de recherche les autres peuples et civilisations (Chine Japon Inde Australie et ainsi de suite).
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LE DÉLIRE MONOMANIAQUE DE SAINT THOMAS D’AQUIN SUR LE SUJET.
QUESTION 44 – LA CAUSE PREMIÈRE DES ÊTRES.
1. Dieu est-il la cause efficiente de tous les êtres ? 2. La matière première est-elle créée par Dieu, ou bien est-elle un principe en liaison et à égalité avec lui ? 3. Dieu est-il la cause exemplaire des choses, ou y a-t-il d’autres exemplaires que lui ? 4. Est-ce lui qui est la cause finale des choses ?
Article 1 – Dieu est-il la cause efficiente de tous les êtres ?
Objections 1. Il ne semble pas nécessaire que tout être ait été créé par Dieu…… rien n’empêche que certains êtres n’aient pas été créés par Dieu.
Réponse : Tout être, de quelque manière qu’il existe, existe nécessairement par Dieu……
Article 2 – La matière première est-elle créée par Dieu ?
Objections : 1. Il ne semble pas. Car tout ce qui devient est composé d’un substrat et de quelque chose d’autre, dit Aristote. Mais la matière première n’a pas de substrat. Donc elle ne peut pas avoir été faite par Dieu.
Réponse. Les anciens philosophes sont entrés progressivement et comme pas à pas dans la connaissance de la vérité. Au début, étant encore grossiers, ils n’accordaient d’existence qu’aux corps perceptibles aux sens…
Article 3 – Dieu est-il la cause exemplaire des choses ?
Réponse. Dieu est cause première exemplaire de toutes choses. Pour en être persuadé, il faut considérer qu’un modèle est nécessaire à la production d’une chose pour que l’effet reçoive une forme déterminée.
QUESTION 45 – LA MANIÈRE DONT LES CHOSES ÉMANENT DU PREMIER PRINCIPE
1. Qu’est-ce que la création ? 2. Dieu peut-il créer quelque chose ? 3. La création est-elle un être dans la nature des choses ? 4. À quels êtres appartient-il d’être créé ? 5. Appartient-il à Dieu de créer ? 6. Créer est-il commun à toute la Trinité, ou propre à l’une des Personnes ? 7. Y a-t-il un vestige de la Trinité dans les êtres créés ? 8. L’œuvre de la création se mêle-t-elle aux œuvres de la nature et de la volonté ?
Article 1 – qu’est-ce que la création ?
Article 2 – Dieu peut-il créer quelque chose ?
Objections : 1. Il ne semble pas que Dieu puisse créer quelque chose. Car, selon Aristote, les philosophes anciens admirent comme un axiome universel que du néant rien ne peut sortir.
Réponse : Non seulement il n’est pas impossible que Dieu crée quelque chose, mais il est nécessaire d’affirmer que tout a été créé par Dieu, comme on le déduit de ce qui précède. Car, celui qui fait quelque chose à partir de quelque chose d’autre, le fait à partir de ce qui est présupposé à son action, et n’est pas produit par elle. Ainsi l’artisan opère à partir d’éléments naturels, comme le bois et le bronze, qui ne sont pas produits par son action, mais par l’action de la nature. La nature elle-même produit les réalités naturelles quant à leur forme, mais elle présuppose la matière. Donc, si Dieu agissait seulement à partir d’un élément présupposé à son action, cet élément ne serait pas causé par lui. Or, on a montré plus haut que rien ne peut être dans les étants qui ne vienne de Dieu, cause universelle de tout l’être. Il est donc nécessaire de dire que c’est à partir de rien que Dieu produit les choses dans l’être.
QUESTION 46 – LE COMMENCEMENT DE LA DURÉE DES CRÉATURES
1. Les créatures ont-elles toujours existé ? 2. Est-ce un article de foi qu’elles aient eu un commencement ? 3. En quel sens dit-on : “Au commencement Dieu a créé le ciel et la terre ?”
Article 1 – Les créatures ont-elles toujours existé ?
Objections : 1. Il semble que la totalité des créatures, qu’on appelle le monde, n’a pas commencé, mais a existé éternellement. Car tout ce qui a commencé d’exister……
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Réponse.: Rien, en dehors de Dieu, n’a existé de toute éternité. Et il n’est pas impossible de l’établir. On a montré précédemment que la volonté de Dieu est la cause des choses. Donc un être n’est nécessaire que s’il est nécessaire que Dieu le veuille, puisque…
Article 2 – Est-ce un article de foi que le monde ait commencé ?
Réponse. La foi seule établit que le monde n’a pas toujours existé, et l’on ne peut en fournir de preuve par manière de démonstration, comme nous l’avons déjà dit pour le mystère de la Trinité…
Article 3 – En quel sens dit-on – « Au commencement Dieu a créé le ciel et la terre » ?
Objections.
Réponse.
Solutions.
1. On ne dit pas que les choses ont été créées au commencement du temps en ce sens que le commencement du temps servirait à mesurer la création, mais parce que le ciel et la terre ont été créés simultanément avec le temps.
QUESTION 50 – LA NATURE DES ANGES
1. Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ? 2. À supposer que l’ange soit tel, est-il composé de matière et de formes ? 3. Le nombre des anges. 4. La distinction des anges entre eux. 5. Leur immortalité ou incorruptibilité.
Article 1 – Existe-t-il une créature totalement spirituelle et absolument incorporelle ?
Réponse. Il est nécessaire d’admettre l’existence de créatures incorporelles. En effet, le but principal de Dieu dans la création est le bien, qui n’est autre que l’assimilation à Dieu. Or, un effet n’est parfaitement assimilé à sa cause que s’il l’imite en cela même qui, dans la cause, est son principe ; ainsi le chaud produit le chaud. Dieu produit la créature par son intelligence et sa volonté, nous l’avons expliqué plus haut. La perfection de l’univers exige donc qu’il existe des créatures intellectuelles. Et l’acte d’intellection ne pouvant être l’acte d’un corps ni d’une vertu corporelle, car tout corps est déterminé dans le temps et dans l’espace, nous devons nécessairement affirmer que la perfection de l’univers requiert l’existence de créatures incorporelles. Les philosophes anciens, qui ignoraient la nature de l’intelligence et ne la distinguaient pas du sens, estimaient que rien n’existe en dehors de ce qui peut être saisi par les sens et l’imagination. Et comme l’imagination n’atteint pas le corporel, ils pensaient, au dire d’Aristote, que rien n’existe en dehors du corporel. L’erreur des sadducéens, qui niaient l’existence de l’esprit, provenait des mêmes principes. Mais la supériorité de l’intelligence sur les sens fait raisonnablement conclure à l’existence d’êtres incorporels que l’intelligence seule peut appréhender.
Article 2 – L’ange est-il composé de matière et de formes ?
… Denys écrit que les premières créatures doivent être considérées aussi bien comme immatérielles que comme incorporelles.
Article 3 – Quel est le nombre des anges ?
Article 4 – La distinction des anges entre eux
Réponse. Pour certains, toutes les substances spirituelles, y compris les âmes, sont de la même espèce. Pour d’autres, les anges sont bien de la même espèce, mais non pas les âmes. Pour d’autres enfin, seuls les anges d’une même hiérarchie, ou d’un même ordre, rentrent dans la même espèce.
Article 5 – L’immortalité ou incorruptibilité des anges
Réponse. Il est nécessaire d’affirmer que les anges sont incorruptibles par nature. En effet, une chose est corrompue uniquement parce que sa forme est séparée de la matière. L’ange étant une pure forme subsistante, comme nous l’avons montré, sa substance ne peut donc être corruptible.
QUESTION 51 – LES RAPPORTS DES ANGES AVEC LES RÉALITÉS CORPORELLES
1. Les anges ont-ils des corps qui leur soient unis naturellement ? 2. Assument-ils des corps ? 3. Exercent-ils des fonctions vitales dans les corps qu’ils assument ?
Article 1 – Les anges ont-ils des corps qui leur soient unis naturellement ?
Article 2 – Les anges assument-ils des corps ?
Réponse. Certains prétendent que les anges n’assument jamais de corps et que toutes les apparitions mentionnées dans l’Écriture eurent la forme de visions prophétiques, c’est-à-dire que ce ne sont que
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des visions de l’imagination. Cette opinion va contre la pensée de l’Écriture. Car l’objet de la vision de l’imagination n’existe que dans l’imagination du sujet ; dès lors il n’est pas vu indifféremment par tous. Or, à plusieurs reprises, l’Écriture parle d’anges qui apparaissent, comme s’ils étaient vus par tous. Ainsi en va-t-il des anges qui apparaissent à Abraham : ils sont vus par lui, par toute la famille, par Loth et par les habitants de Sodome. De même, l’ange qui apparaît à Tobie est vu par tous. Tout cela montre que ces manifestations ont lieu en visions corporelles, dont l’objet, extérieur au sujet, peut être vu par tous. L’objet d’une telle vision ne peut donc être qu’un corps réel. Donc, puisque les anges ne sont pas des corps, et n’ont pas de corps qui leur soient unis naturellement, il leur arrive d’assumer des corps.
Article 3 – Les anges exercent-ils les fonctions de la vie dans les corps qu’ils assument ?
5. Manger est une opération propre à l’être animé ; aussi, après sa résurrection, le Seigneur mangea-t-il avec ses disciples pour leur prouver qu’il avait repris vie (Lc 24, 41). Or, certains des anges qui sont apparus dans des corps ont mangé. Abraham offrit de la nourriture à ceux qu’il avait adorés auparavant (Gn 18, 2). Les anges exercent donc les opérations vitales dans les corps qu’ils assument.
6. La génération est un acte vital. Or les anges ont accompli cette fonction dans certains corps.
Il est écrit dans la Genèse (6, 4) : « Après que les fils de Dieu eurent approché les filles des hommes, elles mirent au monde des hommes puissants et fameux dans le siècle ». Les anges exercent donc les opérations vitales dans les corps qu’ils assument.
En sens contraire, nous avons dit plus haut que les corps assumés par les anges ne vivent pas : ils ne peuvent donc pas exercer les activités des êtres vivants.
Réponse : Certaines activités vitales ont quelque chose de commun avec les activités non vitales ; ainsi la parole, action vitale, est, en tant que son, semblable aux autres sons inanimés ; la marche est, en tant que mouvement, semblable aux autres mouvements. Les anges peuvent donc, par les corps qu’ils assument, exercer les activités des êtres vivants en ce qu’elles ont de commun avec les activités des non-vivants, mais non dans ce qu’elles ont de propre. Car, selon Aristote, seul peut produire une action celui qui en a la puissance. Aucun être ne peut donc avoir d’activité vitale s’il n’a pas la vie, qui est le principe potentiel d’une telle action.
Solution à 5. À proprement parler, les anges ne mangent pas : manger c’est prendre une nourriture qu’on peut transformer en sa propre substance. Sans doute, après la résurrection du Christ, les aliments n’étaient pas assimilés à son corps, mais se résorbaient dans la matière préexistante. Cependant le Christ avait un corps tel qu’il pouvait assimiler des aliments ; il mangeait donc véritablement. Mais les anges non seulement n’assimilent pas la nourriture prise aux corps qu’ils ont assumés, mais ces corps ne sont pas naturellement tels qu’ils puissent assimiler des aliments. Ils ne mangent donc pas réellement, mais ce qu’ils font représente la manducation spirituelle. C’est ce que l’ange Raphaël dit à Tobie : « Lorsque j’étais avec vous, je paraissais manger et boire ; mais je me nourris d’un aliment invisible » (Tb 12, 18). Si Abraham offrit de la nourriture à des anges, c’est qu’il les regardait comme des hommes ; cependant c’est Dieu qu’il adorait en eux, parce qu’il était en eux « comme il est d’ordinaire dans les prophètes » selon S. Augustin.
Solution à 6. S. Augustin répond : « Beaucoup assurent avoir expérimenté ou avoir entendu dire par ceux qui l’avaient expérimenté, que les sylvains et les faunes (ceux que le vulgaire appelle incubes) se sont souvent présentés à des femmes et ont consommé l’union avec elles ; aussi vouloir le nier paraît de l’impudence. Mais s’il s’agit des saints anges de Dieu, ils n’ont pu en aucune manière tomber ainsi avant le déluge. Il faut donc entendre par « fils de Dieu » les fils de Seth qui étaient bons ; et par « filles des hommes », l’Écriture désigne celles qui étaient nées de la race de Caïn. Il n’y a pas à s’étonner que des géants soient nés de telles unions ; au surplus, ils n’étaient pas tous géants ; mais les géants étaient alors beaucoup plus nombreux que dans les temps postérieurs au déluge. » Cependant, si parfois certains hommes naissent des démons, ce n’est pas au moyen d’une semence émise par ceux-ci, mais par la semence d’un autre homme qu’ils ont recueillie, de telle sorte que le démon qui est succube d’un homme se fasse l’incube d’une femme. De même ils utilisent les semences d’autres êtres pour produire certaines générations, comme dit S. Augustin ; et ainsi celui qui est engendré n’est pas fils du démon, mais de l’homme dont on a recueilli la semence.
QUESTION 52 – LES RAPPORTS DES ANGES AVEC LE LIEU.
1. L’ange est-il dans un lieu ? 2. Peut-il être dans plusieurs lieux en même temps ? 3. Plusieurs anges peuvent-ils être dans le même lieu ?
Article 1 – L’ange est-il dans un lieu ?
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Article 2 – L’ange peut-il être dans plusieurs lieux en même temps ?
Article 3 – Plusieurs anges peuvent-ils être dans un même lieu ?
QUESTION 53 – LE MOUVEMENT LOCAL DES ANGES.
1. L’ange peut-il se mouvoir localement ? 2. Passe-t-il d’un lieu à un autre en traversant l’espace intermédiaire ? 3. Le mouvement de l’ange est-il successif, ou instantané ?
QUESTION 54 – LA PUISSANCE COGNITIVE DES ANGES.
1. L’acte d’intellection de l’ange est-il sa substance ? 2. Est-il son existence ? 3. La substance de l’ange est-elle son acte d’intellection ? 4. Les anges ont-ils un intellect agent et un intellect possible ? 5. Ont-ils d’autres puissances cognitives que l’intelligence ?
QUESTION 55 – LE MOYEN DE LA CONNAISSANCE ANGÉLIQUE.
1. Les anges connaissent-ils toutes choses par leur substance ou par des espèces ? 2. À supposer que ce soit par des espèces, celles-ci leur sont-elles connaturelles, ou sont-elles reçues des choses ? 3. Les anges supérieurs connaissent-ils par des espèces plus universelles que les anges inférieurs ?
QUESTION 56-LA CONNAISSANCE DES ANGES CONCERNANT LES ÊTRES IMMATÉRIELS.
1. L’ange se connaît-il lui-même ? – 2. Un ange en connaît-il un autre ? – 3. L’ange connaît-il Dieu par ses facultés naturelles ?
QUESTION 57- LA CONNAISSANCE DES ANGES CONCERNANT LES RÉALITÉS MATÉRIELLES.
1. Les anges connaissent-ils les natures des choses matérielles ? – 2. Connaissent-ils les singuliers ? – 3. Connaissent-ils l’avenir ? – 4. Connaissent-ils les pensées des cœurs ? – 5. Connaissent-ils les mystères de la grâce ?
Article 3 – Les anges connaissent-ils l’avenir ?
Réponse. Le futur peut être connu de deux manières, dans sa cause et en lui-même :
1. Dans sa cause. De cette façon, on connaît de science certaine les choses futures qui procèdent nécessairement de leurs causes, par exemple que le soleil se lèvera demain. Au contraire, les choses qui procèdent de leurs causes le plus souvent, mais non toujours, sont connues par conjecture et non d’une manière certaine ; c’est ainsi que le médecin prévoit la santé du malade. Cette seconde manière de connaître les futurs convient aux anges, et d’une façon d’autant plus parfaite qu’ils connaissent les causes des choses plus universellement et plus parfaitement que nous, de même que les médecins, qui ont une vue plus aiguë des causes de la maladie, prévoient mieux ce que celle-ci deviendra. Quant aux choses qui ne procèdent de leurs causes que dans la minorité des cas, elles sont complètement inconnues, comme les choses fortuites ou de pur hasard.
2. Les choses futures peuvent aussi être connues en elles-mêmes. En ce sens, Dieu seul connaît celles qui surviennent nécessairement ou le plus souvent, et même les choses fortuites et de pur hasard. Dans son éternité Dieu voit tout, car, grâce à sa simplicité, cette éternité est présente au temps tout entier et elle le contient. Si bien que l’unique regard de Dieu porte sur tout ce qui se produit à travers la durée du temps comme si c’était présent. Il voit toutes les choses en elles-mêmes, nous l’avons dit en traitant de la science divine. Donc aucune intelligence créée ne peut connaître le futur tel qu’il est dans son être réalisé.
Article 4 – Les anges connaissent-ils les pensées des cœurs ?
QUESTION 58 – LE MODE DE LA CONNAISSANCE ANGÉLIQUE.
1. L’intellect de l’ange est-il tantôt en puissance et tantôt en acte ? 2. L’ange peut-il connaître plusieurs choses à la fois ? 3. Son intellection est-elle discursive ? 4. Se fait-elle par composition et division ? 5. Peut-il y avoir de l’erreur dans l’intellect de l’ange ? 6. La connaissance de l’ange peut-elle être appelée connaissance du matin et connaissance du soir ? 7. La connaissance du matin et la connaissance du soir sont-elles identiques ou diverses ?
QUESTION 59 – LA VOLONTÉ DES ANGES.
1. Y a-t-il une volonté chez les anges ? 2. La volonté de l’ange est-elle identique à sa nature, ou aussi à son intelligence ? 3. Les anges ont-ils le libre arbitre ? 4. L’irascible et le concupiscible existent-ils chez eux ?
Article 1. Y a-t-il une volonté chez les anges ?
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Réponse. Il est nécessaire d’admettre que les anges ont une volonté. Toutes les créatures, en effet… C’est pourquoi, puisque les anges appréhendent par leur intelligence la raison universelle de bien, il est manifeste qu’il y a en eux une volonté.
Article 3 – Les anges ont-ils le libre arbitre ?
Réponse :… Le libre arbitre se trouve donc chez l’ange, et d’une manière plus excellente que chez l’homme, comme il en est pour l’intelligence.
Article 4 – L’irascible et le concupiscible existent-ils chez les anges ?
Solutions à 1. La fureur et la concupiscence sont attribuées aux démons par métaphore. C’est ainsi que l’on parle parfois de la colère de Dieu à cause de l’effet produit qui ressemble à celui de la colère.
QUESTION 61 – LA PRODUCTION DES ANGES SELON LEUR ÊTRE NATUREL
1. L’ange a-t-il une cause de son existence ? 2. L’ange existe-t-il de toute éternité ? 3. L’ange a-t-il été créé avant la créature corporelle ? 4. Les anges ont-ils été créés dans le ciel empyrée ?
Article 2 – L’ange existe-t-il de toute éternité ?
Réponse. Dieu seul, Père, Fils et Saint-Esprit, existe de toute éternité. Cela, la foi catholique l’enseigne sans aucun doute ; et toute opinion contraire doit être repoussée comme hérétique. Dieu donc a produit les créatures de rien, en ce sens qu’avant elles il n’y avait rien.
Article 3 – L’ange a-t-il été créé avant les créatures corporelles ?
Réponse. À ce sujet, on trouve chez les saints Docteurs une double opinion. Pour la première et la plus probable, les anges auraient été créés en même temps que la nature corporelle. Les anges, en effet, font partie de l’univers ; ils ne constituent pas un univers spécial et séparé ; ils entrent, avec la nature corporelle, dans la constitution d’un seul et même univers. La preuve en est dans l’ordre des créatures entre elles : cet ordre, en effet, est le bien de l’univers dont aucune partie n’est parfaite, séparée du tout. Il ne semble donc pas probable que Dieu, dont les œuvres sont parfaites, ait créé séparément la créature angélique avant les autres créatures.
Cependant l’opinion contraire ne doit pas être regardée comme erronée, surtout en raison de l’autorité de S. Grégoire de Nazianze, qui est si grande, au point de vue de la doctrine chrétienne, que personne n’a jamais osé l’attaquer, pas plus que l’on ne s’est attaqué aux écrits de S. Athanase, ainsi que le remarque S. Jérôme.
Solutions à 1. S. Jérôme parle d’après l’opinion des Docteurs grecs qui, tous, s’accordent à reconnaître que les anges ont été créés avant le monde corporel.
Article 4 – Les anges ont-ils été créés dans le ciel empyrée ?
Réponse. Nous l’avons dit, les créatures, corporelles ou spirituelles, constituent un seul univers. Il y a donc un ordre entre elles, et les spirituelles président à toute la création corporelle. Il convenait donc que les anges fussent créés dans la partie suprême du monde corporel pour présider à l’ensemble de ce monde. Peu importe d’ailleurs que l’on donne à cette partie le nom de ciel empyrée ou une autre appellation : comme le dit S. Isidore, le ciel suprême, c’est le ciel des anges, selon cette parole du Deutéronome (10,14) : « C’est au Seigneur ton Dieu qu’appartiennent les cieux et les cieux des cieux. »
QUESTION 62 – L’ÉLÉVATION DES ANGES À LA GRÂCE ET À LA GLOIRE.
1. Les anges ont-ils été créés bienheureux ? 2. Avaient-ils besoin de la grâce pour se tourner vers Dieu ? 3. Ont-ils été créés en grâce ? 4. Ont-ils mérité leur béatitude ? 5. Ont-ils obtenu la béatitude aussitôt après le mérite ? 6. Ont-ils reçu la grâce et la gloire en proportion de leur capacité naturelle ? 7. Après l’entrée dans la gloire, l’amour et la connaissance naturels demeurent-ils en eux ? 8. Ont-ils pu pécher par la suite ? 9. Après l’entrée dans la gloire, ont-ils pu progresser ?
Article 4 – Les anges ont-ils mérité leur béatitude ?
Réponse. La béatitude parfaite est naturelle à Dieu seul, car en lui béatitude et existence sont identiques. Pour la créature, la béatitude n’est pas naturelle, mais représente sa fin ultime. Or, toute chose parvient à sa fin par le moyen de son opération… Il est donc préférable de soutenir que l’ange, avant d’être béatifié, a eu la grâce qui lui a permis de mériter sa béatitude.
Article 5 – Les anges ont-ils obtenu la béatitude aussitôt après le mérite ?
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Réponse. L’ange, après son premier acte de charité qui lui faisait mériter la béatitude, a été aussitôt bienheureux.
Article 6 – Les anges ont-ils reçu la grâce et la gloire en proportion de leur capacité naturelle ?
Réponse. Il est raisonnable de penser que les dons de la grâce et la perfection de la béatitude ont été attribués aux anges d’après leur degré de perfection naturelle. On peut en donner deux raisons. D’abord une raison prise du côté de Dieu qui, selon l’ordre de sa sagesse, a établi divers degrés dans la nature angélique. Or, de même que la nature angélique a été produite par Dieu en vue de la grâce et de la béatitude, ainsi, semble-t-il, les divers degrés de la nature angélique ont été ordonnés à divers degrés de grâce et de gloire. Quand un bâtisseur polit des pierres en vue de construire une maison, nous le voyons destiner les plus belles et les mieux réussies aux parties les plus nobles. Ainsi donc, il semble qu’aux anges qu’il a dotés d’une nature plus haute, Dieu a réservé des dons de grâce plus grands et une béatitude supérieure.
La seconde raison est tirée de l’ange lui-même. L’ange n’est pas composé de diverses natures, dont l’une, par son inclination, viendrait contrarier ou retarder le mouvement de l’autre ; c’est ce qui arrive chez l’homme, dont la partie intellectuelle est retardée ou empêchée dans son activité par les tendances de la partie sensible. Or, quand rien ne vient s’opposer au mouvement d’une nature, celle-ci peut agir dans la plénitude de sa puissance. Il est donc raisonnable de penser que les anges dotés d’une nature plus parfaite se sont tournés aussi vers Dieu avec plus de force et d’efficacité. C’est ce qui arrive même chez les hommes, auxquels la grâce et la gloire sont accordées en proportion de l’intensité de leur retour à Dieu. Il semble donc que les anges qui ont reçu une nature plus parfaite ont obtenu aussi plus de grâce et de gloire.
Article 7 – Après l’entrée dans la gloire, la connaissance et l’amour naturels demeurent-ils chez les anges ?
Réponse. Il faut dire que chez les anges bienheureux subsistent la connaissance et la dilection naturelles. Car les rapports qui existent entre les principes d’opération se retrouvent entre les opérations elles-mêmes. Or, il est manifeste que la nature est première par rapport à la béatitude qui est seconde, car la béatitude ajoute à la nature.
Article 8 – Les anges bienheureux ont-ils pu pécher par la suite ?
Réponse. Il faut dire que les anges bienheureux ne peuvent pas pécher, car leur béatitude consiste à voir Dieu dans son essence. Or l’essence de Dieu, c’est l’essence même de la bonté. L’ange qui voit Dieu se trouve donc par rapport à Dieu comme celui qui ne le voit pas par rapport à l’idée du bien comme tel. Or personne ne peut vouloir ou agir qu’en vue du bien, et il lui est impossible de se détourner du bien comme tel. L’ange bienheureux ne peut donc vouloir ou agir qu’en se référant à Dieu, et par le fait même ne peut pécher d’aucune manière.
Article 9 – Après l’entrée dans la gloire, les anges ont-ils pu progresser ?
Réponse… En définitive, toute créature rationnelle est conduite par Dieu à sa fin bienheureuse de telle manière qu’elle atteigne un degré de béatitude déterminé par la prédestination divine. Il en résulte que, ce degré atteint, elle ne peut progresser.
QUESTION 63 – LE MAL DES ANGES QUANT À LA FAUTE.
1. Le mal de faute peut-il exister chez l’ange ? 2. Quelles sortes de péchés peut-il y avoir chez lui ? 3. À cause de quel désir a-t-il péché ? 4. En admettant que certains anges soient devenus mauvais volontairement, y en a-t-il d’autres qui le sont naturellement ? 5. En admettant que non, un ange a-t-il pu devenir mauvais volontairement dès le premier instant de sa création ? 6. En admettant que non, s’est-il écoulé un certain temps entre sa création et sa chute ? 7. Le plus élevé parmi les anges déchus était-il absolument le plus élevé de tous les anges ? 8. Le péché du premier ange a-t-il causé le péché des autres ? 9. Y a-t-il autant d’anges tombés que d’anges restés fidèles ?
Article 1 – Le mal de faute peut-il exister chez l’ange ?
Réponse : L’ange, aussi bien qu’une créature rationnelle quelconque, si on le considère dans sa seule nature, peut pécher.
Article 2 – Quelles sortes de péché peut-il y avoir chez l’ange ?
Réponse. Un péché peut se trouver chez un individu de deux manières : sous forme de culpabilité et sous forme d’attachement. Selon la culpabilité, il arrive que tous les péchés existent chez les démons,
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car, en portant les hommes à les commettre, ils encourent la culpabilité. Selon l’attachement, seuls les péchés qui ont rapport à la nature spirituelle se trouvent chez les anges. Une nature spirituelle, en effet, ne s’attache pas aux biens proprement corporels, mais aux biens qui peuvent se trouver dans les réalités spirituelles ; car on ne désire que ce qui peut convenir de quelque manière à sa propre nature. Or, il n’y a péché à s’attacher aux biens spirituels que si on le fait sans tenir compte de la règle établie par le supérieur. Et c’est un péché d’orgueil de ne pas se soumettre à son supérieur lorsqu’on le doit. C’est pourquoi le premier péché de l’ange ne peut être qu’un péché d’orgueil.
Mais, par voie de conséquence, il a pu y avoir chez lui un péché d’envie. Le même motif, en effet, qui porte l’affectivité à désirer quelque chose, lui fait aussi repousser tout ce qui s’y oppose. Or l’envieux se désole du bien d’autrui parce qu’il y voit un obstacle à son propre bien ; c’est ce qui arrive à l’ange mauvais qui, désirant une excellence singulière, voit cette singularité lui échapper du fait de l’excellence d’un autre. C’est pourquoi, après son péché d’orgueil, l’ange éprouve le péché d’envie, parce qu’il se désole du bien de l’homme ; il en veut même à l’excellence divine, car Dieu utilise ce bien à sa gloire et contrarie ainsi la volonté du diable.
Article 3 – À cause de quel désir l’ange a-t-il péché ?
Réponse. Sans aucun doute l’ange a péché en désirant être comme Dieu. Mais cela peut s’entendre d’une double manière : soit par égalité, soit par similitude. De la première manière, l’ange n’a pu désirer être comme Dieu, car il savait, de connaissance naturelle, que c’était impossible…
Quant à désirer être comme Dieu par similitude, cela peut se produire de deux façons. Premièrement, quand un être désire avec Dieu la similitude à laquelle l’ordonne sa nature. En ce sens, il ne pèche pas, à condition toutefois que ce désir soit dans l’ordre, c’est-à-dire l’incline à recevoir de Dieu cette similitude. Il y aurait péché au contraire à considérer comme un droit d’être semblable à Dieu comme si cela dépendait de ses propres forces et non de la Toute-puissance divine. À un second point de vue, on peut désirer acquérir avec Dieu une ressemblance qui ne nous est pas naturelle, c’est le cas de celui qui voudrait être capable de créer le ciel et la terre, pouvoir qui est propre à Dieu. Un tel désir serait un péché. Et c’est en ce sens que le diable a désiré être comme Dieu ; non pas qu’il ait prétendu n’être, comme Dieu, soumis à qui que ce soit, car en ce cas il eût désiré ne pas être, puisqu’aucune créature ne peut être que soumise à Dieu et participant de lui l’existence. Mais l’ange a désiré ressembler à Dieu en désirant comme fin ultime de sa béatitude ce à quoi il pourrait parvenir par ses forces naturelles, et en détournant son désir de la béatitude surnaturelle qu’il ne pouvait recevoir que de la grâce de Dieu.
Article 4 – Les anges déchus étaient-ils naturellement mauvais ?
Réponse.
Tout ce qui est, en tant qu’il est et qu’il possède une nature donnée, tend naturellement vers un bien, car il procède d’un principe bon, et l’effet fait toujours retour vers son principe. Cependant, il arrive qu’à un bien particulier se trouve adjoint un mal ; au feu, par exemple, se trouve lié ce mal d’être destructeur d’autres choses. Mais au bien universel ne peut être adjoint aucun mal. Par conséquent, un être dont la nature est de tendre vers un bien particulier peut tendre vers un mal, non pas en tant que tel, mais parce qu’accidentellement ce mal est conjoint à un bien. Au contraire un être dont la nature est de tendre vers un bien sous la raison commune de bien, ne peut tendre naturellement vers un mal. Or, il est manifeste qu’une nature intellectuelle est ordonnée au bien universel qu’elle peut appréhender et qui est l’objet de sa volonté. Et, comme les démons sont des substances intellectuelles, ils ne peuvent d’aucune façon avoir une inclination naturelle vers un mal quelconque. Ils ne peuvent donc être mauvais naturellement.
Article 5 – L’ange a-t-il pu devenir mauvais volontairement dès le premier instant de sa création ?
Réponse : Ce qu’il faut dire, c’est qu’il a été impossible à l’ange, au premier instant, de pécher par un acte désordonné de son libre arbitre. Bien qu’une réalité puisse bien, à l’instant où elle commence d’exister, commencer d’agir, cependant cette opération contemporaine de son existence lui vient nécessairement de l’agent qui lui donne celle-ci ; ainsi celui qui produit le feu lui donne en même temps de s’élever. Par conséquent, lorsqu’une chose reçoit l’être d’un agent déficient, lequel peut être cause d’une action défectueuse, elle pourra, dès le premier instant où elle commence d’être, produire une opération fautive ; c’est le cas de la jambe qui est boiteuse à la naissance, du fait de la débilité de la semence, et qui commence aussitôt à boiter. Mais l’agent qui produit les anges dans l’existence, c’est Dieu ; et Dieu ne peut être cause de péché. Pour cette raison on ne peut pas dire que le diable, au premier instant de sa création, a été mauvais.
Article 6 – S’est-il écoulé un certain temps entre la création de l’ange et sa chute ?
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Réponse. On trouve à ce sujet une double opinion. Pourtant il paraît plus probable et plus conforme à la pensée des Pères qu’aussitôt après le premier instant de sa création, le diable a péché. Cela est nécessaire en effet, si l’on admet, comme nous l’avons fait, que l’ange, dans ce premier instant, fut créé en grâce et produisit un acte de libre arbitre. Puisque les anges parviennent à la béatitude par un seul acte méritoire, comme nous l’avons dit, si en ce premier instant, le diable, créé en grâce, avait mérité, il aurait dû recevoir aussitôt la béatitude, à moins qu’il n’y ait opposé un obstacle en péchant. Mais si l’on admet que l’ange n’a pas été créé en grâce ; ou bien que, dans le premier instant, il n’a pas pu poser d’acte libre, rien n’empêche d’admettre un certain laps de temps entre sa création et sa chute.
Article 7 – Le plus élevé parmi les anges déchus était-il absolument le plus élevé de tous les anges ?
Réponse. Il faut considérer deux choses dans le péché : l’inclination au péché et le motif du péché. Pour ce qui est de l’inclination, il semble que les anges supérieurs étaient moins portés à pécher que les anges inférieurs. C’est ce qui fait dire au Damascène que le plus grand des anges pécheurs était « le supérieur de l’ordre terrestre ». Et cela paraît concorder avec l’opinion des platoniciens que rapporte S. Augustin. Ceux-ci prétendaient en effet que tous les dieux étaient bons ; mais, parmi les démons, les uns étaient bons, les autres mauvais ; ils appelaient dieux les substances intellectuelles qui sont au-dessus de la sphère lunaire, et démons celles qui sont au-dessous, tout en étant supérieures par nature aux hommes. Une telle opinion n’est pas contraire à la foi, car, dit S. Augustin, toute la création corporelle est gouvernée par Dieu au moyen des anges. Rien n’empêche donc d’affirmer que les anges inférieurs sont préposés par Dieu à l’administration des corps inférieurs, tandis que les anges supérieurs ont pour rôle d’administrer les corps plus élevés, les anges suprêmes se tenant devant Dieu. Pour cette raison S. Jean Damascène dit que ceux qui tombèrent faisaient partie de l’ordre inférieur, encore que, même dans cet ordre, il y en eût qui demeurèrent fidèles.
Mais si l’on considère le motif pour lequel l’ange a péché, ce motif apparaît plus fort chez les anges supérieurs. Le péché des démons fut en effet le péché d’orgueil, dont le motif est la propre excellence du pécheur. Or, cette excellence était plus grande chez les anges supérieurs. C’est pourquoi S. Grégoire affirme que le premier ange pécheur fut le plus élevé de tous.
Et cette dernière opinion semble la plus probable. Car le péché de l’ange ne venait pas d’une inclination mauvaise, mais de son seul libre arbitre ; il convient donc de retenir ici la raison qui s’appuie sur le motif du péché. Pourtant, nous n’entendons pas préjuger de l’autre opinion, car il a pu y avoir aussi bien chez le prince des anges inférieurs un motif de pécher.
Article 8 – Le péché du premier ange a-t-il causé le péché des autres ?
Réponse. Le péché du premier ange fut cause du péché des autres, non par mode de coaction, mais par une sorte de suggestion persuasive. Le signe en est que tous les démons sont soumis au démon suprême, comme le montre manifestement le Seigneur quand il dit (Mt 25, 41) : « Allez, maudits, au feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges. » Cela relève de la justice divine en effet, que celui qui a consenti aux suggestions de quelqu’un dans la faute, soit soumis à sa puissance dans le châtiment, selon cette parole de l’Écriture (2 P 2, 19) : « On est esclave de celui par qui on s’est laissé vaincre. »
Article 9 – Y a-t-il autant d’anges tombés que d’anges restés fidèles ?
Réponse. Il y eut plus d’anges fidèles que de pécheurs. Car le péché va à l’encontre de l’inclination naturelle de la créature ; or, ce qui est contre la nature ne se produit qu’accidentellement dans un petit nombre de cas. La nature, en effet, obtient son résultat soit toujours, soit le plus souvent.
QUESTION 64 – LE CHÂTIMENT DES DÉMONS.
1. L’obscurcissement de leur intelligence. 2. L’obstination de leur volonté. 3. Leur souffrance. 4. Le lieu de leur châtiment.
Article 1 – L’obscurcissement de leur intelligence.
D’après Denys, « les dons angéliques accordés aux démons n’ont pas changé ; ils demeurent dans leur intégrité et leur splendeur ». Or, parmi ces dons naturels, se trouve la connaissance de la vérité. C’est donc qu’elle existe chez les démons.
Réponse. Il y a une double connaissance de la vérité, celle qui vient de la grâce et celle qui vient de la nature. La première, à son tour, est soit spéculative, comme lorsque les secrets divins sont révélés à quelqu’un, soit affective, et c’est elle qui produit l’amour de Dieu et qui relève à proprement parler du don de sagesse.
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De ces trois connaissances, celle qui est naturelle n’est chez les démons ni enlevée, ni diminuée. Elle est en effet une propriété de la nature angélique qui, comme telle, est intelligence et esprit. Or, à cause de la simplicité de la substance, rien ne peut être soustrait à la nature angélique pour sa punition, comme il arrive que l’homme soit puni par l’ablation de la main, du pied ou d’un autre membre. C’est en ce sens que Denys affirme que les dons naturels demeurent dans leur intégrité chez les démons. Leur connaissance naturelle n’est donc pas diminuée. Quant à la connaissance spéculative qui vient de la grâce, elle n’est pas enlevée totalement, mais diminuée, car les secrets divins ne sont révélés aux démons que dans la mesure nécessaire, soit par l’intermédiaire des bons anges, soit par les « manifestations temporelles de la puissance divine », dit S. Augustin. Cependant, cette connaissance n’a pas l’étendue et la clarté de celle des saints anges qui voient dans le Verbe les vérités révélées. Mais pour ce qui est de la connaissance affective issue de la grâce, ils en sont totalement privés, aussi bien que de la charité.
Article 2 – L’obstination de leur volonté.
Réponse : D’après Origène toute volonté créée, en raison du libre arbitre, peut se tourner vers le bien et le mal ; il n’y a d’exception que pour l’âme du Christ, à cause de son union au Verbe. Mais une telle doctrine enlève toute vérité à la béatitude des anges et des hommes bienheureux, car la stabilité éternelle est une condition essentielle de la vraie béatitude ; de là son nom de vie éternelle. De plus., cette doctrine contredit l’autorité de la Sainte Écriture qui affirme que les démons et les pécheurs doivent être envoyés au « supplice éternel », tandis que les bons doivent être introduits dans « la vie éternelle ». C’est pourquoi une telle position doit être regardée comme erronée, et il faut tenir fermement, selon la foi catholique, que la volonté des bons anges est confirmée dans le bien, tandis que la volonté des démons est devenue obstinée dans le mal.
Ainsi donc, les bons anges adhérant toujours à la justice, sont confirmés en elle ; les mauvais anges, en péchant, s’obstinent dans le péché. Quant à l’obstination des hommes damnés, on en traitera plus tard.
Article 3 – La souffrance des démons
Réponse : La crainte, la douleur, la joie et autres choses semblables, si on les considère comme des passions, ne peuvent exister chez les démons ; elles relèvent proprement de l’appétit sensible, et celui-ci est une puissance qui suppose un organe corporel. Mais si on les considère comme de simples actes de volonté, sous ce rapport, on peut les trouver chez les démons. Et il est nécessaire d’affirmer qu’il y a en eux de la souffrance.
QUESTION 65 – L’ŒUVRE DE CRÉATION DE LA CRÉATURE CORPORELLE.
1. La créature corporelle vient-elle de Dieu ? – 2. A-t-elle été faite en vue de la bonté de Dieu ? – 3. A-t-elle été l’œuvre de Dieu par l’intermédiaire des anges ? – 4. Les formes des corps viennent-elles des anges, ou immédiatement de Dieu ?
Article 1 – La créature corporelle vient-elle de Dieu ?
Réponse. Selon la position de certains hérétiques, toutes ces choses que nous voyons ne sont pas créées par le Dieu bon, mais par un principe mauvais. Et pour prouver leur erreur ils prennent argument de ce que dit l’Apôtre (2 Co 4,4) : « Le dieu de ce monde a aveuglé les esprits des incrédules. » Cette position est absolument insoutenable. En effet, si dans un sujet des éléments divers se trouvent unis, cette union a nécessairement une cause. Car des êtres divers ne s’unissent pas d’eux-mêmes et comme tels. Ainsi donc, chaque fois qu’entre des êtres de natures diverses on trouve de l’unité, il faut que ces éléments divers reçoivent cette unité d’une cause unique. Tout comme divers corps chauds tiennent leur chaleur du feu. Or en toutes choses si diverses qu’elles soient, on trouve le fait, commun à toutes, d’exister. Il est donc nécessaire qu’il y ait un unique principe d’être à partir duquel toute chose, quelle qu’elle soit, tient l’être, qu’il s’agisse de réalités invisibles et spirituelles, ou de réalités visibles et corporelles. – Quant au diable, il est dit « le dieu de ce monde », non parce qu’il l’aurait créé, mais parce que ceux qui vivent selon le monde sont ses esclaves, d’après la tournure de langage dont use l’Apôtre (Ph 3,19) quand il dit : « Leur dieu, c’est leur ventre. »
Article 2 – La créature corporelle a-t-elle été faite en vue de la bonté de Dieu ?
Réponse. Origène a prétendu que la créature corporelle n’a pas été faite à partir d’une intention première de Dieu, mais pour châtier le péché de la créature spirituelle. En effet, selon sa thèse, Dieu ne fit au commencement que les créatures spirituelles, et il les fit toutes égales. Et comme elles jouissaient du libre arbitre, certaines se sont tournées vers Dieu et ont reçu, selon la qualité de leur conversion, un rang plus ou moins élevé, tout en demeurant dans leur simplicité. Les autres, qui
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s’étaient détournées de Dieu, furent attachées à différents corps selon la mesure de leur éloignement à l’égard de Dieu.
Cette position est erronée.
1° Elle est contraire à la Sainte Écriture qui, après avoir raconté la production de chacune des espèces de la créature corporelle, ajoute : « Et Dieu vit que cela était bon », pour dire que chacune fut faite pour cette raison que son être même est bon. Or, selon l’opinion d’Origène, la créature corporelle n’a pas été faite parce qu’il est bon qu’elle existe, mais afin de punir le mal commis par une autre créature.
2° Il s’ensuivrait que la disposition du monde corporel, telle qu’elle est maintenant, viendrait du hasard. En effet, si le corps du soleil a été fait tel qu’il est pour être adapté au châtiment d’un certain péché d’une créature spirituelle, au cas où plusieurs créatures spirituelles auraient commis le même péché que celle-là (pour le châtiment de laquelle il suppose que le soleil a été créé), il s’ensuivrait qu’il y aurait plusieurs soleils dans le monde. Et de même pour le reste. Or cela est totalement aberrant.
Écartons donc cette conception erronée, et considérons que l’univers entier est constitué par l’ensemble de toutes les créatures comme un tout l’est par ses parties. Or, si nous voulons fixer la cause finale d’un tout et de ses parties nous trouvons ceci : 1° chacune des parties existe en vue de ses actes, comme l’œil existe pour voir ; 2° la partie la moins noble est faite en vue de la plus noble, comme le sens pour l’intellect, le poumon pour le cœur ; 3° toutes les parties existent en vue de la perfection du tout, comme la matière en vue de la forme (les parties sont en effet une sorte de matière pour le tout). Enfin l’homme tout entier existe en vue d’une cause extrinsèque, par exemple la jouissance de Dieu. Ainsi en est-il pareillement dans les parties de l’univers : 1° chaque créature existe en vue de son acte propre et de sa perfection ; 2° les créatures moins nobles existent en vue des plus nobles, de même que les créatures qui sont au-dessous de l’homme sont faites en vue de l’homme. En poussant plus loin, chaque créature est faite en vue de la perfection de l’univers. En poussant plus loin encore, l’univers tout entier, avec chacune de ses parties, est ordonné à Dieu comme à sa fin, en tant que, dans ces créatures, la bonté divine est représentée par une certaine imitation qui doit faire glorifier Dieu. Ce qui n’empêche pas que les créatures rationnelles, au-dessus de ce plan, aient leur fin en Dieu selon une modalité spéciale, car elles peuvent l’atteindre par leur propre opération en le connaissant et en l’aimant. Ainsi est-il évident que la bonté divine est la fin de toutes les réalités corporelles.
Article 3 – La créature corporelle a-t-elle été l’œuvre de Dieu par l’intermédiaire des anges ?
Réponse : Certains ont soutenu que les choses avaient procédé de Dieu par degrés : ainsi la première créature serait sortie immédiatement de lui ; celle-ci en aurait produit une autre, et ainsi de suite jusqu’à la créature corporelle. – Mais cette position est impossible ; car la première production de la créature corporelle se fait par création, création dans laquelle la matière elle-même est produite, car l’imparfait est antérieur au parfait dans l’ordre du devenir. Or il est impossible que quelque chose soit créé, sinon par Dieu seul.
Article 4 – Les formes des corps viennent-elles des anges ou immédiatement de Dieu ?
Réponse : Certains ont pensé que toutes les formes corporelles sont dérivées des substances spirituelles que nous appelons anges. Et ceci a été soutenu de deux façons. – Platon, d’une part, supposa que les formes qui sont dans la matière corporelle étaient…… Avicenne, d’autre part, et un certain nombre d’autres, n’affirmèrent pas que les formes des réalités corporelles qui sont dans la matière subsistent par soi, mais seulement dans l’intelligence. Ils disaient donc que toutes les formes qui sont dans la matière corporelle procédaient de formes existant dans l’intelligence des créatures spirituelles (ce qu’ils appellent « intelligences » et que nous appelons anges) ; de même que les formes des objets produits par l’art procèdent de celles qui sont dans l’esprit de l’artiste. – Certains hérétiques modernes ont une position qui semble revenir au même. Ils disent en effet que Dieu est créateur de toutes choses ; mais ils supposent que la matière est formée et distinguée par le diable en espèces variées.
Solutions à 1. Boèce entend par « formes qui sont sans matière » les notions des choses qui sont dans l’esprit divin. L’Apôtre dit de même (He 11,3) : « Par la foi nous croyons que les mondes ont été disposés par la parole de Dieu, en sorte que l’univers visible provient de ce qui n’est pas apparent. » – Si toutefois, par « formes qui sont sans matière » il entend les anges, il faut dire que « les formes qui sont dans la matière » proviennent d’eux, non par écoulement, mais par motion.
QUESTION 66 – LE RAPPORT ENTRE CRÉATION ET DISTINCTION
1. Un état informe de la matière créée a-t-il précédé dans le temps la distinction de cette matière ? – 2. Y a-t-il une seule matière pour tous les êtres corporels ? – 3. Le ciel empyrée fut-il cocréé avec la matière informe ? – 4. Le temps fut-il cocréé avec elle ?
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Réponse : Sur ce problème, les Pères ont eu des opinions différentes. S. Augustin veut que l’état informe de la matière n’ait pas précédé temporellement sa formation ; il n’y aurait eu antériorité que selon l’origine ou l’ordre de la nature. D’autres, comme S. Basile, S. Ambroise et S. Jean Chrysostome, veulent que l’état informe de la matière ait précédé sa formation. Quoique ces opinions paraissent contraires, elles ne diffèrent cependant que de peu. S. Augustin entend en effet autrement que les autres l’expression d’ « état informe » de la matière… l’auteur sacré exprime l’état informe du ciel en disant : « Les ténèbres couvraient l’abîme », en tant que sous le mot « ciel », l’air est inclus ; et il énonce l’état informe de la terre par les mots : « La terre était déserte et vide. »
Solutions à 1. Dans ce passage, le mot « terre » est entendu autrement par S. Augustin et par les autres Pères. S. Augustin veut en effet qu’ici les noms de « terre » et d’« eau » désignent la matière première elle-même. En effet, comme Moïse s’adressait à un peuple inculte, il ne lui était pas possible de signifier la matière première autrement que par des analogies tirées de choses bien connues. C’est aussi pourquoi il désigne cette matière par plusieurs analogies, en n’usant pas du seul mot « eau » ou du seul mot « terre », pour qu’on ne se figure pas qu’elle fut en réalité ou la terre, ou l’eau. Cependant, la matière première présente avec la terre cette ressemblance d’être sous-jacente aux formes, et avec l’eau, de pouvoir être informée par des formes diverses. En ce sens donc la terre est appelée « déserte et vide » ou « invisible et inorganisée », parce que la matière est connue par la forme (donc considérée en elle-même on la dit invisible ou déserte) ; et sa puissance est remplie par la forme ; de là vient que Platon dit que la matière est un « lieu ». – Les autres Pères entendent par terre l’élément lui-même ; nous avons expliqué plus haut comment, selon eux, elle était informe.
Article 2 – Y a-t-il une seule matière pour tous les êtres corporels ?
Article 3 – Le ciel empyrée fut-il concréé avec la matière informe ?
Article 4 – Le temps fut-il concréé avec la matière informe ?
Réponse : On dit communément qu’il y a quatre choses qui furent créées en premier : la nature angélique, le ciel empyrée, la matière corporelle informe, et le temps. Mais il faut prendre garde que cette manière de parler ne découle pas de l’opinion de S. Augustin. Celui-ci en effet pose deux créatures faites en premier : la nature angélique et la matière corporelle. Il ne fait aucune mention du ciel empyrée. Or, ces deux réalités, de la nature angélique et de la matière informe, précèdent la formation non dans la durée, mais par nature. Et comme elles précèdent par nature la formation, de même sont-elles aussi antérieures et au mouvement, et au temps. On ne peut donc faire figurer le temps dans cette énumération.
Celle-ci provient de l’opinion des autres Pères, pour qui l’état informe de la matière avait, dans la durée, précédé la formation. En raison de cette durée, il était donc nécessaire de poser un temps quelconque. Sinon il ne pourrait y avoir de mesure de la durée.
QUESTION 67 – L’ŒUVRE DU PREMIER JOUR.
1. La lumière peut-elle être attribuée dans un sens propre aux réalités spirituelles ? – 2. La lumière corporelle est-elle un corps ? – 3. Est-elle une qualité ? – 4. Est-il normal que la lumière ait été créée le premier jour ?
Article 1 – La lumière peut-elle être attribuée dans un sens propre aux réalités spirituelles ?
Réponse. Quand on traite d’un mot, il convient de le faire selon deux points de vue : celui de sa première acception, et celui de l’usage qu’on en fait. La même méthode doit être appliquée au mot « lumière ». Il a été institué pour signifier ce qui procure une manifestation au sens de la vue. Ultérieurement, la signification s’est étendue à tout ce qui produit la manifestation d’une connaissance. Ainsi donc, pris dans son acception première, le mot lumière est attribué métaphoriquement aux êtres spirituels, comme le soutient S. Ambroise. Mais dans la langue usuelle, où il est étendu à toute manifestation, il est attribué dans son sens propre aux êtres spirituels. Tout cela répond clairement aux objections.
Article 2 – La lumière corporelle est-elle un corps ?
Réponse : Il est impossible que la lumière soit un corps. Et cela est manifeste à trois points de vue.
Article 3 – La lumière est-elle une qualité ?
Article 4 – Est-il normal que la lumière ait été créée le premier jour ?
Objections :
1. Il semble que non. La lumière, on vient de le dire (article précédent), est une qualité. Or la qualité, du fait qu’elle est un accident, n’a pas raison de premier, mais plutôt de dernier. Ce n’est donc pas le premier jour que devait être placée la production de la lumière.
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2. C’est la lumière qui distingue le jour de la nuit. Or cela est fait par le soleil, dont la création est située au quatrième jour. Ce n’est donc pas le premier jour qu’il fallait mettre la production de la lumière.
3. La nuit et le jour sont produits par le mouvement circulaire d’un corps lumineux. Or le mouvement circulaire est propre au firmament ; et nous lisons que celui-ci fut créé le deuxième jour. Il ne fallait donc pas mettre au premier jour la production de la lumière qui distingue le jour de la nuit.
4. Si l’on dit que le texte biblique doit être entendu de la lumière spirituelle, voici l’objection. La lumière, que l’Écriture dit avoir été créée le premier jour, opère la distinction d’avec les ténèbres ; mais au début il n’y avait pas de ténèbres spirituelles, car au début les démons eux-mêmes étaient bons, comme on l’a dit plus haut. Ce n’est donc pas le premier jour qu’il fallait mettre la production de la lumière…
Solutions :
1. Selon l’opinion qui admet un état informe de la matière précédant temporellement sa formation, il faut dire que la matière a été créée dès le début sous des formes substantielles ; après quoi elle aurait été formée selon diverses conditions accidentelles, au nombre desquelles la lumière tient le premier rang.
2 Certains disent que cette lumière primordiale était une sorte de nuée lumineuse qui est ultérieurement rentrée dans la matière préexistante, quand le soleil fut créé. Mais cela ne convient pas, car, au début de la Genèse, l’Écriture relate l’institution d’une nature qui a continué d’exister ; on ne doit donc pas dire que quelque chose aurait été fait alors, qui ensuite aurait cessé d’exister – C’est pourquoi d’autres ont dit que cette nuée lumineuse dure encore et qu’elle est unie au soleil de telle manière qu’on ne peut l’en distinguer. Mais, dans une telle conception, cette nuée resterait inutile ; or il n’y a rien de vain dans les œuvres de Dieu. – Aussi d’autres encore disent-ils que le corps du soleil fut formé à partir de cette nuée. Mais on ne peut davantage avancer cela, si l’on admet que le soleil n’est pas de la nature des quatre éléments, mais qu’il est par nature incorruptible ; car, selon ce principe, sa matière ne peut exister sous une autre forme.
Il faut donc dire avec Denys que cette lumière fut la lumière du soleil, mais dans un état encore informe ; en ce sens que c’était déjà la substance du soleil, et qu’elle avait la puissance commune d’illuminer, mais qu’ultérieurement il lui fut donné une capacité spéciale et déterminée pour des effets particuliers.
QUESTION 68 – L’ŒUVRE DU DEUXIÈME JOUR
1. Le firmament a-t-il été créé le deuxième jour ? – 2. Y a-t-il des eaux au-dessus du firmament ? – 3. Le firmament divise-t-il les eaux d’avec les eaux ? – 4. Y a-t-il un ciel seulement, ou plusieurs ?
Article 1 – Le firmament a-t-il été créé le deuxième jour ?
Objections :
1. Il est dit dans la Genèse : « Dieu appela le firmament ciel. » Or le ciel a été fait avant n’importe quel jour, comme il ressort des paroles : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. »
2. Les œuvres des six jours sont ordonnées selon la sagesse divine. Or, il ne conviendrait pas à la sagesse divine qu’elle fît en second ce qui est par nature premier. Or, le firmament est par nature antérieur à l’eau et à la terre, lesquelles sont cependant mentionnées avant la formation de la lumière qui eut lieu le premier jour.
3. Tout ce qui a été fait pendant les six jours est constitué à partir de la matière, qui fut créée antérieurement à n’importe quel jour. Mais le firmament ne pouvait être formé à partir d’une matière préexistante ; sinon il serait susceptible de génération et de corruption. Le firmament n’a donc pas été fait le deuxième jour.
En sens contraire, on lit au début de la Genèse (1, 6) : « Et Dieu dit : que le firmament soit. » Et on lit ensuite : « Et il y eut un soir et il y eut un matin, deuxième jour. »
Réponse. S. Augustin enseigne qu’il y a deux règles à observer dans ces questions : 1. Tenir indéfectiblement que l’Écriture sainte est vraie. 2. Quand l’Écriture peut être expliquée de plusieurs manières, personne ne doit donner à l’une des interprétations une adhésion tellement absolue que, dans le cas où il serait établi par raison certaine que cela est faux, on ait la présomption d’affirmer que tel est le sens de l’Écriture : de peur que la Sainte Écriture n’en vienne à être tournée en ridicule par les infidèles, et qu’ainsi le chemin de la foi ne leur soit fermé.
On doit donc savoir que lorsque nous lisons qu’au deuxième jour le firmament fut créé, cela peut s’entendre en un double sens.
Solutions à 1. Selon S. Jean Chrysostome, Moïse aurait d’abord énoncé globalement ce que Dieu a fait, en mettant en tête : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre » ; puis il l’aurait développé
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par parties. Comme si quelqu’un disait : « Cet ouvrier a fait cette maison », et puis ajoutait : « D’abord il a fait les fondations, puis il a dressé les murs, et troisièmement il a posé le toit. » Ainsi n’avons-nous pas à entendre qu’il s’agisse d’un ciel différent quand il est dit : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre », et lorsqu’il est affirmé que le firmament a été fait le deuxième jour.
Mais on peut dire qu’autre est ce ciel que l’Écriture dit avoir été créé au commencement, et celui dont elle place l’apparition au deuxième jour. Cette interprétation se présente de diverses manières. – Selon S. Augustin, le ciel fait le premier jour est la nature spirituelle informe, et le ciel que nous disons avoir été fait le deuxième jour est le ciel corporel.
Article 2 – Y a-t-il des eaux au-dessus du firmament ?
Réponse : Comme dit S. Augustin : « L’autorité de cette Écriture l’emporte sur la capacité de tout le génie humain. Aussi, quelle que puisse être la modalité et la nature des eaux qui sont là, il reste qu’elles sont là, et nous ne le mettrons pas en doute. » Sur la nature de ces eaux, les auteurs ne sont pas d’accord. Origène dit que les eaux qui sont au-dessus du firmament sont les substances spirituelles…
Article 3 – Le firmament divise-t-il les eaux d’avec les eaux ?
Réponse.
Quelqu’un qui considérerait superficiellement la lettre de la Genèse pourrait, en s’inspirant des conceptions de certains philosophes anciens, imaginer ceci. Certains supposaient que l’eau était une sorte de corps infini et le principe de tous les autres corps (immensité des eaux qui pourrait être comprise dans le mot « abîme » de la phrase : « Les ténèbres couvraient l’abîme. ») Ils supposaient en outre que ce ciel sensible que nous apercevons ne contenait pas au-dessous de lui la totalité des corps, et qu’il y avait au-dessus du ciel un corps infini composé d’eaux. Et ainsi l’on pouvait dire que le firmament du ciel divise les eaux extérieures d’avec les eaux intérieures, c’est-à-dire d’avec tous les corps qui sont contenus sous le ciel, et dont ils supposaient que le principe était l’eau. – Mais comme cette position a été convaincue d’erreur par de vraies raisons, il ne faut pas dire que c’est là le sens de l’Écriture.
Il faut donc considérer que Moïse, parlant à un peuple grossier, et condescendant à son inculture, ne lui présente que des réalités perceptibles avec évidence par les sens. Or tout homme, si simple soit-il, saisit par les sens que la terre et l’eau sont des corps. Mais l’air, lui, n’est pas perçu par tous comme s’il était un corps ; au point que même certains philosophes dirent que l’air n’est rien, et appelèrent du « vide » ce que l’air remplit. Voilà pourquoi Moise fait mention expresse de l’eau et de la terre, mais ne nomme pas expressément l’air, pour éviter ainsi de présenter à ces hommes sans culture une réalité inconnue. Cependant, pour exprimer la vérité à ceux qui en sont capables, il donne occasion de concevoir l’air, en l’indiquant comme adjoint à l’eau dans la phrase : « Les ténèbres couvraient l’abîme. » Par ces paroles en effet, il est donné à entendre que sur la surface des eaux il y avait un certain corps diaphane qui est le sujet de la lumière et des ténèbres.
Ainsi donc, que nous entendions par firmament, soit le ciel où sont les astres, soit l’espace de l’air où sont les nuages, il est dit avec justesse que le firmament divise les eaux d’avec les eaux ; aussi bien si, par l’eau, on désigne la matière informe, que si l’on entend sous ce mot tous les corps diaphanes. Le ciel sidéral, en effet, distingue les corps diaphanes inférieurs des supérieurs. L’air nuageux, pour sa part, distingue une partie supérieure de l’air, où se font les générations des pluies et autres précipitations atmosphériques, de la partie inférieure de l’air, celle qui est au contact de l’eau et est signifiée sous le nom des « eaux ».
Solutions à 1. Si par le firmament on entend le ciel sidéral, les eaux supérieures ne sont pas de la même espèce que les eaux inférieures. Mais si l’on entend par le firmament l’air des nuages, alors les deux eaux sont de la même espèce. Et en ce cas deux lieux sont assignés aux eaux, mais non pour la même raison ; le lieu supérieur est en effet le lieu de la génération des eaux, tandis que le lieu inférieur est celui de leur repos.
Article 4 – Y a-t-il un ciel seulement, ou plusieurs ?
Réponse.
Sur ce sujet on constate une différence entre S. Basile et S. Jean Chrysostome. S. Jean Chrysostome dit qu’il n’y a qu’un seul ciel, et que si l’on a au pluriel l’expression « cieux des cieux » c’est à cause d’un hébraïsme. Car l’hébreu a coutume de ne désigner le ciel qu’au pluriel, tout comme en latin beaucoup de mots n’ont pas de singulier. S. Basile, suivi par S. Jean Damascène affirme au contraire qu’il y a plusieurs ciels. – En fait, cette divergence est plus dans les mots que dans la réalité. Car S. Jean Chrysostome désigne comme un seul ciel la totalité des corps qui est au-dessus de la terre et de l’eau ; c’est même pour cette raison que les oiseaux qui volent dans l’air sont appelés « oiseaux du
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ciel ». Cependant dans ce corps il y a beaucoup de distinctions, et c’est pour cela que S. Basile suppose qu’il y a plusieurs ciels.
Pour arriver à saisir la distinction qu’il y a entre les ciels, il faut considérer que le mot « ciel » est employé en trois sens différents dans l’Écriture.
Solutions :
1. La terre se rapporte au ciel comme le centre à la circonférence. Or, par rapport à un seul centre, il peut y avoir plusieurs circonférences. Ainsi, pour une seule terre, suppose-t-on plusieurs ciels.
2. Cet argument est tiré du ciel pour autant qu’il implique l’universalité des créatures corporelles. Et de ce point de vue il n’y a qu’un seul ciel.
QUESTION 69 – L’ŒUVRE DU TROISIÈME JOUR
QUESTION 70 – L’ŒUVRE DU QUATRIÈME JOUR
QUESTION 71 – L’ŒUVRE DU CINQUIÈME JOUR
QUESTION 72 – L’ŒUVRE DU SIXIÈME JOUR
QUESTION 73 – CE QUI CONCERNE LE SEPTIÈME JOUR
Etc. Etc. Etc. Etc. Etc. Etc.…
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LA CRÉATION DU MONDE SPIRITUEL I.
L’angélologie est l’étude des anges, de leurs noms, de leur place dans la hiérarchie divine et de leur rôle.
Un ange est une créature céleste, notamment dans les trois religions abrahamiques et dans l’Avesta. Ce terme désigne un envoyé de Dieu, c’est-à-dire un intermédiaire entre Dieu et les hommes. Parfois il transmet un message divin, parfois il agit lui-même selon la volonté divine.
L’ange est normalement invisible, mais lorsqu’il se laisse voir, lors d’un rêve ou d’une vision, il a une apparence humaine, transfigurée par une lumière surnaturelle.
Note sur feuille volante retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau et insérée par eux à cet endroit après délibération.
MISE EN PERSPECTIVE.
Zoroastrisme.
Zoroastre évoque deux anges, l’un de lumière (le bien) et l’autre de ténèbres (mal), qui se combattent et accompagnent Dieu.
Druidisme.
Il existe trois grandes différences entre la notion d’etnosos dans la tradition celtique et la notion d’ange chez les judéo-islamo-chrétiens.
— Chez les judéo-islamo-chrétiens, il s’agit d’êtres créés, mais immortels, ayant leur vie propre : ils peuvent se révolter. Pour les druides, il s’agit seulement de l’état temporaire de métamorphose, revêtu par certains dieux pour venir sur terre. Dès leur retour dans l’Autre Monde (dans le Sedodumnon) les dieux etnosoi en question reprennent aussitôt évidemment leur état surhumain « normal » anthropomorphe, et abandonnent leur apparence d’oiseau.
— Chez les judéo-islamo-chrétiens les éléments visuels empruntés aux oiseaux sont uniquement les ailes (une paire, deux paires ou trois paires, etc.). Pour les druides cela peut être beaucoup plus (complète transformation en cygne par exemple).
— Chez les judéo-islamo-chrétiens, les anges sont de sexe masculin (Genèse, 6, 4 : ils font des enfants aux filles des hommes). Pour les druides, ils sont le plus souvent (mais pas toujours) du sexe féminin.
Les dieux etnosoi correspondent aux Victoires du paganisme gréco-latin. Leurs ailes ou leur transformation totale en oiseau symbolisent la rapidité de leur mouvement et leur qualité d’êtres intermédiaires entre l’homme et l’Au-Delà. Ces dieu-ou-démons ou déesse-ou-démones, ou fées, sont alors en général le signe de l’intervention de l’Autre Monde dans les affaires des hommes.
Fin de la note de Pierre de La Crau retrouvée sur feuille volante.
Philosophie grecque.
Les anges sont mentionnés pour la première fois chez les néo-platoniciens, Porphyre de Tyr (vers 260) et Jamblique (vers 320)16. La hiérarchie est : dieux, archanges, anges, daimôns, archontes du cosmos ou de la matière, héros, âmes des morts, âmes humaines. Selon Porphyre, les démons habitent dans la région sublunaire du monde, tandis que les anges habitent la région au-dessus de la Lune.
« Tu t’enquiers de ce qui manifeste la présence d’un dieu, d’un ange, d’un archange, d’un démon ou de quelque archonte [gouverneur de planète] ou d’une âme. D’un mot, je prononce que les manifestations s’accordent à leurs essences, puissances et activités… D’une seule espèce sont les
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apparitions des dieux ; celles des divers démons ; celles des anges, plus simples que celles des démons, mais inférieures à celles des dieux ; celles des archanges, plus proches des causes divines ; quant à celles des archontes, si tu entends par là les maîtres du monde qui administrent les éléments sublunaires, elles sont variées, mais rangées en ordre » (Jamblique, Les Mystères d’Égypte, II, 3).
Proclus établit la hiérarchie suivante des entités spirituelles : dieux intelligibles, dieux intellectifs, dieux hypercosmiques, dieux encosmiques, anges, bons démons, héros. « Je prie les dieux intelligibles de m’accorder un intellect parfait ; les dieux intellectifs, une puissance élévatrice ; les dieux chefs de l’univers, qui sont au-delà du ciel, une activité détachée et séparée des connaissances matérielles ; les dieux qui ont reçu en partage le monde, une vie ailée ; les chœurs angéliques, une révélation véridique des choses divines ; les bons démons, la plénitude de l’inspiration venant des dieux ; et enfin les héros, un état d’âme magnanime, solennel et sublime » (Commentaire sur le Parménide de Platon)
MONDE ET HIÉRARCHIE CÉLESTE SELON VALENTIN (Phrébon ? + 100 Alexandrie + 160).
Théologien chrétien marqué par les doctrines platoniciennes, Valentin, d’origine égyptienne, vint d’Alexandrie à Rome vers 135. Il a composé des Lettres, des Homélies, un traité Sur les trois natures et un Évangile de Vérité (qui pourrait bien être l’écrit de la bibliothèque de Nag Hammadi qui commence par ces mots).
Sa doctrine est très complexe, mais aussi très riche, et elle demeure un des meilleurs exemples d’explication théologique des débuts de la chrétienté. Dans ce système, seul est Dieu le « Père », « inengendré », « incompréhensible », « insaisissable » et « éternel ». Avec lui coexiste la « Pensée », qui est aussi « Silence » ou « Grâce ».
Plérôme est un terme grec qui signifie « plénitude » et qui, dans cette acception, appartient à la langue classique. On le relève une quinzaine de fois dans le Nouveau Testament. On le rencontre aussi dans le néo-platonisme tardif, par exemple chez Damascius (au moins trois fois). Mais c’est le gnosticisme qui lui a donné valeur technique (et qui a influencé chrétiens et néo-platoniciens).
Il n’est pas facile de discerner le sens technique du sens banal : on parle du plérôme de la divinité, c’est-à-dire de sa plénitude ; du plérôme du Christ, c’est-à-dire de l’abondance de ses dons ; du plérôme des temps, c’est-à-dire de leur accomplissement ; du plérôme universel, c’est-à-dire de la totalité des êtres. En fait, le sens gnostique transparaît dans toutes ces expressions.
Il y a plérôme là où l’unité et l’intégralité des principes spirituels commandent la constitution du monde ou le déroulement de l’histoire du salut ; là encore où se révèle dans le temps, notamment aux époques privilégiées (les « derniers temps »), le dessein complet de la sagesse divine. Le plérôme englobe l’Un-et-Tout qui fonde l’expérience, organise ses éléments, répartit ses médiations ; il embrasse tout ce qui concourt et contribue à la création, à sa cosmologie (dualisme du monde d’en haut qui est lumière et du monde d’en bas qui est ténèbres), à sa chronologie (divisions du temps, détermination astrologique des ères favorables ou défavorables), à la sotériologie qui accompagne l’ontologie (chute dans le monde des corps, retour au monde des esprits).
Le plérôme de Valentin.
Du Père inengendré, etc. et de sa Pensée vont naître trois couples d’éons : Intellect et Vérité, Logos et Vie, Homme (Idéal) et Église, qui forment l’Ogdoade. Logos et Vie émettent dix éons. Homme et Église en émettent douze. Au total, on aura trente éons, qui constituent le Plérôme. Seul Noûs (Intellect ou Fils Monogène) contemple le Père. Mais le trentième éon, Sophia (Sagesse), souffre de ne pouvoir comprendre la « grandeur infinie du Père ». Du fait de cette « passion », la Sagesse tombe et cette chute donne naissance au Démiurge (qui n’est autre que le Dieu de l’Ancien Testament). Le Fils Monogène émet un couple : Christ, qui sera le révélateur de la gnose du Père, et Esprit saint, qui aura pour mission d’harmoniser les éons dans la grâce. Le Jésus historique ne deviendra l’Élu que lorsque l’éon Christ descendra sur lui, lors de son baptême par Jean dans le Jourdain.
La différence d’un tel système avec les théologies juive chrétienne et musulmane c’est que dans un tel système le Dieu suprême et le Démiurge ne sont pas confondus.
Analyse (métahistoire ou scénario).
La doctrine valentinienne classique et l’enseignement original de Valentin n’ont survécu qu’à travers quelques fragments cités par Clément d’Alexandrie (Stromates), Irénée de Lyon (Contre les hérésies) et Hippolyte de Rome (Refutatio), ce qui est bien maigre. Certains sont prêts à lui attribuer la
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composition de l’Évangile de vérité, connu d’Irénée (Contre les hérésies, III, 11,9) et dont une version copte a été découverte à Nag Hammadi en 1947, mais cela reste une hypothèse difficile à prouver.
Dans ces conditions, il est préférable de se tourner vers la version du mythe valentinien élaborée par Ptolémée, disciple de Valentin, qui fait l’objet d’un exposé détaillé dans ce qu’il est convenu d’appeler la « Grande Notice » d’Irénée de Lyon (Contre les hérésies, I, 1-9), et dont voici le résumé.
1. Le Plérôme est constitué de 30 éons, ou entités spirituelles (ogdoade, décade, dodécade), émanés par paires androgynes à partir de la dyade originelle, le Père de toutes choses, appelé « Abîme », et sa conjointe « Silence ». Un drame va troubler l’harmonie du Plérôme du fait que seul « Intellect », le premier éon émané du Père, est à même de le connaître. En périphérie, Sophia, le plus jeune des éons, va succomber à l’envie de connaître le Père et s’élancer vers celui-ci, jusqu’à ce qu’elle soit remise à sa place et que sa « tendance » désordonnée (enthumêsis) soit expulsée hors du Plérôme.
ÉQUIVALENT DE LA CHUTE DE LUCIFER DANS LA THÉOLOGIE CHRÉTIENNE D’AUJOURD’HUI, MAIS EN PLUS ROMANTIQUE.
2. Une fois que tous les éons auront été consolidés, ils vont émettre le « Sauveur »et son escorte d’anges pour qu’ils aillent hors du Plérôme s’occuper de l’émanation informe de Sophia, appelée Achamoth. Cette dernière produit la substance hylique (matière), la substance psychique et la substance pneumatique qui entreront dans la fabrication du cosmos et de l’humanité (voir I, 1-4).
2). DIFFÉRENCE MAJEURE PAR RAPPORT À LA THÉOLOGIE CHRÉTIENNE D’AUJOURD’HUI.
Achamoth façonne un « Démiurge » avec la substance psychique, un dieu inférieur qui ignore tout du monde spirituel au-dessus de lui. Celui-ci se fabrique alors un monde matériel (cosmos), puis fait l’homme avec la substance hylique, dans laquelle il insuffle une âme psychique. C’est à son insu qu’Achamoth dépose la semence spirituelle dans l’âme humaine, afin que cette semence informe puisse croître et recevoir une formation en vue de son salut (voir I, 5).
3). RESSEMBLANCES AVEC LA THÉOLOGIE CHRÉTIENNE D’AUJOURD’HUI. Voir les notions augustiniennes de grâce de prédestination et de masse de perdition.
Les êtres humains se répartiront donc en trois catégories.
— Les pneumatiques (ou gnostiques), qui seront nécessairement sauvés, les psychiques (les croyants ordinaires de l’Église), qui peuvent espérer un salut éternel, mais inférieur à celui des pneumatiques, seulement s’ils se laissent raffermir par la foi et les bonnes œuvres, et enfin les hyliques (le reste de l’humanité), qui seront finalement détruits avec le cosmos (voir I, 6).4). C’est la masse de perdition de Saint Augustin.
CIEL ET PARADIS.
La conception du salut est relativement simple : toute la substance pneumatique doit retourner dans le Plérôme, véritable chambre nuptiale où les êtres pneumatiques s’uniront avec les anges du Sauveur pour former des syzygies éternelles, à l’exemple du Sauveur et d’Achamoth.
Quant aux psychiques qui auront pratiqué les bonnes œuvres, ils auront droit au repos en compagnie du Démiurge à l’extérieur du Plérôme, dans le lieu laissé vacant par Achamoth et le Sauveur. Car rien de psychique ne peut pénétrer dans le Plérôme (voir I, 7).
Judaïsme (Ancien Testament).
La « Révélation » (de la vérité) étant apparemment insuffisante.
La Bible a emprunté ce concept aux mythologies de l’antique Mésopotamie (Sumer, etc.) où les anges étaient vus comme une sorte de cour céleste vivant auprès des grands dieux. Les chérubins judéo-chrétiens correspondent par exemple aux kéroubim assyriens (qui étaient des taureaux ailés).
D’après le Talmud, les noms des anges vinrent avec les Israélites de Babylone et seraient un emprunt à la religion perse.
La fréquentation des dieux assyriens et babyloniens lors de l’exil à Babylone par les rédacteurs de la Bible a introduit dans le monde testamentaire une spécialisation avec des anges, agents du Bien et des démons, anges déchus.
Dans la Bible hébraïque, les anges sont donc des envoyés qui originairement effectuent des tâches bonnes ou mauvaises.
Chaque ange a un office particulier : Michel garde les enfants d’Israël, Gabriel rend force et courage, Uriel (Dieu est ma Lumière) éclaire les hommes dans les ténèbres de la nuit, Raphaël a soin de notre santé physique et spirituelle.
Les anges de la tradition judaïque sont à la racine de la tradition chrétienne : les sept archanges leur sont communs dont trois nous sont connus sous le même nom : Michel, Gabriel et Raphaël.
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Christianisme d’aujourd’hui.
L’expression hiérarchie céleste désigne, dans la théologie chrétienne, une stratification systématique des créatures angéliques. Il ne s’agit pas d’un dogme, mais d’une opinion théologique, qui a trouvé sa formulation classique au Ve siècle, dans l’œuvre du Pseudo-Denys, en même temps que la notion de hiérarchie ecclésiastique, et par analogie avec celle-ci.
La Bible distingue diverses sortes de créatures célestes : outre les Anges proprement dits (nommés ou pas), on trouve chez Isaïe des Séraphins, chez Ézéchiel des Chérubins, chez Paul des Trônes, des Dominations, des Principautés, des Puissances, des Vertus et des Archanges. Au total, de l’Ancien au Nouveau Testament, neuf catégories différentes. Cependant, le concept d’une hiérarchie entre ces êtres spirituels prend plutôt sa source dans la tradition apocryphe juive, mais aussi dans le contexte religieux et philosophique de la période hellénistique. C’est donc à partir de matériaux d’origines variées que les Pères de l’Église ont opéré un travail de classement systématique. Celui-ci aboutit, dès la seconde moitié du IVe siècle, à une division en neuf chœurs angéliques, divisés en trois niveaux ; à savoir, par ordre d’importance : les séraphins, les chérubins et les trônes, puis les dominations, les vertus et les puissances, enfin les principautés, les archanges et les anges. Si l’on doit à saint Éphrem et aux Pères de l’Église syrienne en général, l’ébauche de cet ordre, on en trouve déjà une esquisse chez certains Pères grecs, comme Clément d’Alexandrie, Grégoire de Nazianze, Jean Chrysostome et Cyrille de Jérusalem. C’est toutefois le Pseudo-Denys qui en consacrera la formule.
Chez les Pères latins, Augustin d’Hippone s’était essentiellement intéressé au mode de connaissance angélique, et Grégoire le Grand avait repris la systématisation de Denys, en n’y apportant que quelques modifications (il intervertit principautés et vertus). À leur suite, les théologiens médiévaux ne remettront pas en question les hiérarchies dionysiennes, qui leur sont parvenues via les traductions de Jean Scot Érigène, mais à partir du XIIe siècle, les maîtres de la scolastique auront tendance à négliger l’aspect mystique de l’angélologie, pour se focaliser sur l’aspect intellectuel des Intelligences séparées de l’aristotélisme. L’intérêt pour la hiérarchie céleste en tant que telle tend donc à s’estomper.
Parallèlement à cette évolution théologique, la piété médiévale a favorisé une individualisation des anges : dévotion à saint Michel Archange ou à l’ange gardien personnel. De plus, même si, dans la Mystique rhénane, l’ange représente encore à la fois un guide et un niveau spirituel, il n’en demeure pas moins que, vers la fin du Moyen Âge, la fonction angélique tend à s’amenuiser au sein de nouvelles formes d’expérience mystique, où l’essentiel consiste désormais à communier à la Passion du Christ, et non plus à recevoir les irradiations de la lumière céleste.
Alors qu’en Orient, avec Grégoire Palamas particulièrement, la théorie des énergies incréées continue à garantir aux anges un rôle de premier plan dans le processus de déification, en Occident, au contraire, la notion de stratification angélique ne passe pas le cap d’une Modernité marquée par le nominalisme (rejet des Universaux et des sphères intermédiaires), l’humanisme (centralité de l’humain) et l’individualisme (affirmation d’une identité irréductible).
Thomas d’Aquin (Summa Theologica) a tiré de certains passages du Nouveau Testament, en particulier de l’épître aux Éphésiens (1,21) et de l’épître aux Colossiens (1, 6) son idée de trois niveaux, Sphères ou Triades, angéliques, chacune comportant trois ordres ou chœurs.
Le Pseudo-Denys est un écrivain néo-platonicien converti au christianisme. Dans son ouvrage intitulé la Hiérarchie céleste, la stratification angélique correspond à une triple intention de l’auteur : s’aligner sur la théologie néo-platonicienne, théoriser la vie spirituelle et, en un sens, justifier l’émergence d’une hiérarchie dans l’Église.
La théologie néoplatonicienne.
Pensée de l’émanation et du retour à l’Un, le néo-platonisme élabore une vision de l’univers jalonné d’intermédiaires, de manière à concilier également multiplicité des divinités païennes et unicité supérieure du divin. Au Ve siècle, chez le philosophe Proclus, les intelligences célestes assurent une théophanie pédagogique, en transmettant au monde inférieur la connaissance et l’énergie de la divinité, par nature inconnaissable. De plus, pour Jamblique dans le Livre des Mystères comme pour Proclus dans la Théologie platonicienne, toute réalité reflète le triple mouvement de l’intelligence de
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sorte que l’agencement des intelligences célestes prendra la forme de triades hiérarchisées. Dès Jamblique, les néo-platoniciens établissent cette hiérarchie céleste : dieux, archanges, anges, daimôns, archontes directeurs, âmes humaines.
« Or la puissance qui purifie les âmes est parfaite dans les dieux, dans les archanges anagogiques ; les anges ne font que libérer des liens de la matière, tandis que les démons tirent vers la nature ; les héros ramènent au souci des œuvres sensibles ; les archontes mettent en main ou la présidence du cosmique ou la providence du matériel ; les âmes, quand elles se manifestent, entraînent… » (Jamblique, Les Mystères d’Égypte, II, 5.)
Conformément à cette perspective, le Pseudo-Denys est amené à répartir les neuf catégories angéliques en trois triades, chacune de celles-ci exerçant les trois opérations mystiques de purification, d’illumination et d’union, avec plus ou moins d’intensité selon qu’elle est plus ou moins proche du Dieu Un, c’est-à-dire du principe divinisateur. La première triade est la plus haute dans la hiérarchie, car elle est unie au divin sans intermédiaire : il s’agit des séraphins, des chérubins et des trônes (qui portent Dieu). La deuxième triade est unie au divin par l’intermédiaire de la première : elle reçoit une illumination moindre, qu’elle a pour rôle de transmettre à l’étage inférieur, et se compose des dominations, vertus et puissances. Quant à la troisième triade, formée des principautés, des archanges et enfin des anges, elle constitue le dernier maillon entre les ordres supérieurs et le monde des hommes.
Dans le monde de la Matière, la triade inférieure se présente comme les gardiens des collectivités et des individus : messagers et interprètes, ceux-ci révèlent aux hommes les mystères divins, avec un esprit de parfaite conformité à la volonté divine.
Dans le monde de l’Âme, la triade intermédiaire représente le combat et la victoire sur le démon, mais aussi l’affermissement spirituel à travers un idéal d’amour universel.
Enfin, dans le monde de l’Esprit, la triade supérieure, sujette aux illuminations et aux embrasements de sagesse et de science, initie à la contemplation, conçue comme une plongée au sein de la nature divine. À l’illumination descendante correspond ainsi une illumination ascendante : la contemplation humaine du mystère trinitaire se situe donc nécessairement au sommet d’une progression à travers les étages de la condition angélique.
D’après les Pères de l’Église, en effet, les anges sont des éducateurs qui préparent l’âme à l’œuvre du Christ, en l’introduisant progressivement dans la vie spirituelle. Ils la font ainsi participer à la vie angélique, comme à leur être même, par un dégagement des réalités matérielles, qui anticipe les modalités d’existence dans l’au-delà. Clément d’Alexandrie n’ira-t-il pas jusqu’à prétendre que l’âme prend successivement la nature des anges qui l’ont instruite au fur et à mesure de son ascension mystique ? Cette opinion n’a pas été retenue par la tradition, de même que la notion de hiérarchie céleste n’a jamais été érigée en dogme, probablement parce que l’une et l’autre posent en termes de nature une question qu’un Origène a posée, dès cette époque, en termes de grâce.
Dans le contexte d’une Église où des décisions théologiques devaient continuellement être prononcées, un second volume, intitulé La hiérarchie ecclésiastique, complète et reflète, chez le Pseudo-Denys, la présentation de la hiérarchie angélique. Ici encore, le terme ne se trouve pas dans le Nouveau Testament, mais l’Aréopagite a été le premier à l’appliquer aux structures de l’Église, en effectuant un rapprochement analogique entre le triple ordre céleste et la triade ministérielle, composée de l’évêque, du presbytre et du diacre. À cette triade des initiateurs correspond la triade des initiés : purifiés, illuminés, parfaits (ou moines) ; classification dans laquelle on reconnaît les trois stades de la vie spirituelle. De ce schéma autoritaire, les moines retiendront l’idéal d’imitation de la vie angélique, qu’ils symboliseront par l’image de l’échelle mystique.
Bien que nos deux auteurs le pseudo-Denys et Saint Thomas d’Aquin, s’appuient sur le Nouveau Testament, le canon biblique est néanmoins relativement silencieux sur le sujet.
Dans le Nouveau Testament, seuls quelques élus et surtout la Vierge Marie dialoguent avec les anges. L’ange de l’Annonciation : l’ange Gabriel apparaît à Zacharie dans le Temple, à la croisée du chemin entre l’Ancien Testament et le nouveau, puis à Marie à Nazareth, entrant chez elle, et la saluant (Annonce faite à Marie, Évangile de Luc) pour lui annoncer la bonne nouvelle de sa conception virginale et l’incarnation du Verbe, « Ave Maria » (angélus) transmis par d’innombrables générations. La naissance de Jésus, appelé Fils de Dieu, est accompagnée d’une vision de légions d’anges en fête par les bergers et leurs troupeaux, préfiguration de l’Église : avec le sacrement du baptême, le chrétien est de nouveau relié à Dieu, qui s’est réconcilié avec l’humanité par la naissance,
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puis la Passion du Christ, le Messie, son Fils unique, sur la Croix. Durant son agonie, un ange appelé « Ange de la Consolation » lui apparaît au Jardin des Oliviers, lui montrant un calice dont il ne veut boire : cette scène de Gethsémani a été peinte par de nombreux artistes chrétiens durant des siècles. Enfin lors de la Résurrection, ce sont des anges qui apparaissent aux Saintes Femmes, et qui leur parlent, pour leur annoncer la Résurrection de Jésus, anges décrits cette fois « blancs comme neige » ou vêtus « comme l’éclair » alors qu’auparavant dans les Évangiles, aucune description des anges n’était faite, seuls les artistes nous les représentant avec une paire d’ailes (le blanc est devenu le Symbole de la Résurrection en liturgie). Dans l’Apocalypse, saint Jean rapporte la vision de saint Michel et ses légions d’anges qui combattent et remportent la victoire de Dieu, définitive contre « l' antique serpent » qui égarait la Terre depuis des siècles.
Dans sa prédication, Jésus parle peu des anges : il cite surtout les bons anges (par exemple Matt 22, 30 ; Matt 25, 31 ; Luc 15, 10 ; Luc 20, 36), les anges des enfants (les « chérubins »), qui voient toujours la face du Père dans les cieux (Matt 18, 10) et les anges de la Justice divine.
La langue des anges est néanmoins évoquée par saint Paul dans le chapitre 13 de la première épître aux Corinthiens : « Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas l’amour, je suis un airain qui résonne ou une cymbale qui retentit ». Ce qui est pour le moins assez curieux, les anges n’ayant pas besoin d’émettre des sons pour se faire comprendre des hommes et leur communiquer des pensées.
Premier degré.
Les anges du premier degré sont les serviteurs célestes de Dieu le Fils.
— Le mot séraphin est normalement synonyme de serpents lorsqu’il est utilisé dans la Bible hébraïque. Le mot Seraphim (singulier « Seraph ») signifie en effet « brûlant ».
Mentionnés dans Isaïe 6,1-7, les Séraphins forment la classe la plus élevée et jouent le rôle de gardiens du trône de Dieu. Ils célèbrent continuellement ses louanges en chantant à pleine voix : « Saint, saint, saint est le Seigneur, toute la terre resplendit de sa gloire ! » Dans Isaïe 6, 1-8, les Séraphins sont décrits comme des êtres de feu ayant six ailes. Avec deux d’entre elles ils se cachent le visage, avec deux autres, ils se couvrent les pieds, ils utilisent les deux dernières pour voler.
— Les chérubins ont quatre faces : une d’homme, une de bœuf, une de lion et une d’aigle (plus tard adoptées comme symboles des quatre évangélistes). Ils ont quatre ailes couvertes d’yeux, un corps de lion et des pieds de bœuf. D’après le livre de la Genèse, les chérubins, avec « la lame flamboyante d’une épée », après le péché d’Adam, interdirent à l’homme l’accès à l’arbre de vie.
L’usage moderne a brouillé la distinction entre les chérubins et les angelots ou amours. Ces angelots ou amours sont des enfants ou de petits êtres humains le plus souvent sans ailes, traditionnellement utilisés motifs dans l’art figuratif.
— Les « Trônes » (grec : thronoi, thronos), sont une classe d’êtres célestes mentionnés par Paul de Tarse dans sa lettre aux Colossiens 1,16 (Nouveau Testament). Ce sont des représentations de la justice et de l’autorité de Dieu, et un de leurs symboles est le trône justement.
Il n’est pas rare de voir que les Trônes sont associés, par certains auteurs aux Ofanim de la hiérarchie angélique juive (cf. la kabbale), mais il existe très peu de preuves à l’appui de cette thèse. Les Ofanim (de l’Hébreu ofanim = roues, cf. la vision de Daniel 7, 9) sont dits être mus par l’esprit d’autres créatures, ce qui soulève la question de savoir si ces Ofanim sont vraiment des êtres spirituels ou si ce sont des créatures purement matérielles. Ils apparaissent sous la forme de roues tournant dans d’autres roues couleur de béryl, leurs jantes couvertes de centaines d’yeux. Dans la vision d’Ézéchiel (10,17), ils sont étroitement liés aux Chérubins : « Quand ils s’arrêtaient, elles s’arrêtaient, et quand ils s’élevaient, elles s’élevaient avec eux, car l’esprit des animaux était en elles. La gloire de l’Éternel se retira du seuil de la maison, et se plaça sur les chérubins. Les chérubins déployèrent leurs ailes, et s’élevèrent de terre sous mes yeux quand ils partirent, accompagnés des roues. Ils s’arrêtèrent à l’entrée de la porte de la maison de l’Éternel vers l’orient ; et la gloire du Dieu d’Israël était sur eux, en haut ».
Les théologiens chrétiens qui considèrent les Trônes comme l’un des chœurs ne les décrivent pas comme des roues, mais les décrivent comme des hommes âgés qui écoutent la volonté de Dieu et lui
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présentent les prières des hommes. Les Vingt-Quatre Anciens du Livre de l’Apocalypse sont généralement considérés comme faisant partie de cette classe d’anges.
Deuxième degré.
Les anges de la Seconde sphère agissent comme gouverneurs de la création en soumettant la matière et en guidant ou dirigeant les esprits.
— Les « Souverainetés » (Éph. 1,21 ; Col. 1,16) (latin dominatio, pluriel dominationes, aussi traduit « seigneuries » d’après le terme grec kyriotētes, pluriel de kyriotēs) ou « Dominations ». Ces souverainetés régissent les devoirs des anges inférieurs. Ce n’est que très rarement ces anges seigneurs apparaissent sous une forme physique aux yeux des êtres humains.
Les dominations sont généralement représentées comme des êtres divinement beaux dotés d’une paire d’ailes, tout comme la représentation habituelle des anges, mais ils se distinguent des autres classes d’anges en brandissant un sceptre ou une épée.
— Les vertus. Ces anges sont ceux par lesquels signes et miracles sont accomplis dans le monde. Le terme semble être lié à l’attribut « puissance », de la racine grecque dynamis (pluriel dynameis) dans l’épître aux Éphésiens (1,21) également traduit par « vertu » ou « pouvoir ». Ils sont présentés comme constituant le chœur céleste des « Vertus » justement, dans la Summa Theologica.
D’après le De Cœlesti Hierarchia du Pseudo-Denys l’Aréopagite : « Le nom des saintes Vertus signifie un courage viril et inflexible pour toutes les opérations par lesquelles il les rend déiformes, qui n’admet ni débilité ni faiblesse dans la réception des illuminations théarchiques dont il leur est fait don, qui est puissamment tendu vers l’imitation de Dieu, ne relâchant leur mouvement déiforme par aucune mollesse qui leur soit imputable, mais constamment fixé sur la Vertu suressentielle et productrice de vertu ».
— Puissances ou autorités.
Les « Puissances » (lat. Potestas, pl. Potestates), ou « Autorités », du grec exousiai, pluriel d’exousia (Éphésiens 3,10). Le principal devoir des « Puissances » est de superviser les mouvements des corps célestes afin de s’assurer que le cosmos reste en ordre. Comme il s’agit d’anges guerriers, ils s’opposent aussi aux esprits maléfiques, en particulier à ceux qui abusent de la matière dans l’univers. Ces anges sont généralement représentés comme des soldats habillés de pied en cap d’une armure et d’un casque, avec aussi des armes défensives et offensives à la main telles que des boucliers et des lances (voir Éphésiens 6,11-17).
Ce sont des anges guerriers créés pour être totalement dévoués à Dieu. Certains croient qu’aucune puissance n’a jamais failli à son devoir, mais une autre théorie affirme que Satan était le chef de ces puissances avant sa chute. Leur devoir est de veiller à la bonne répartition des pouvoirs au sein de l’humanité, d’où leur nom.
Troisième degré.
Les anges qui servent de guides célestes, de protecteurs et de messagers pour les êtres humains.
Principautés ou souverains.
Les « Principautés » (latin : principati) ou « souverains », du grec archai, pluriel d’archē (Éphésiens 3,10) sont les anges qui guident et protègent les nations, les groupes et les institutions comme l’Église. Les principautés président aux armées angéliques et les chargent d’accomplir le service divin. Il y en a qui officient et d’autres qui les assistent.
On représente généralement les principautés avec une couronne et un sceptre. On dit que leur devoir est aussi d’exécuter les ordres qui leur sont donnés par les anges de la sphère supérieure et de transmettre les bénédictions au monde matériel. Leur tâche consiste donc à superviser des groupes humains. Ce sont les éducateurs et les gardiens du royaume terrestre. En tant qu’êtres liés au monde des idées, on dit qu’ils inspirent les hommes en bien des domaines comme l’art ou la science.
Paul utilise les termes d’autorité ou de pouvoir dans Éphésiens 1, 21, autorités et pouvoirs dans Éphésiens 3,10.
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Les archanges.
Un archange est l’ange chargé des nouvelles de plus haute importance comme l’Annonciation, ou comme chef des armées (Apocalypse 12.7). Dans la Bible, sont évoqués trois archanges, Michel, Gabriel, celui qui a été envoyé voir Marie et Raphaël qui apparaît dans le livre de Tobie (c’est lui qui indique à Tobie l’existence de sept archanges).
Le mot « archange » vient du grec archangelos, c’est-à-dire ange en chef, traduction de l’hébreu mal'ákh). Dérivé du grec archein, c’est-à-dire premier en rang ou pouvoir ; et angelos qui signifie messager ou envoyé. Le mot n’est utilisé que deux fois dans le Nouveau Testament : Première épître aux Thessaloniciens 4,16 et Jude 1, 9.
Dans la plupart des traditions chrétiennes, Gabriel est également considéré comme étant un archange, mais rien n’atteste directement et littéralement cette hypothèse. Il est également intéressant de noter que le terme « archange » apparaît uniquement au singulier, jamais au pluriel, et seulement désigner l’archange Michel.
Le nom de l’archange Raphaël n’apparaît que dans le Livre de Tobit. Tobit est considéré comme deutérocanonique par les catholiques romains (de Rite oriental ou occidental), les chrétiens orthodoxes orientaux et les anglicans. Le Livre de Tobit n’est cependant pas reconnu par la plupart des confessions protestantes, comme les réformés ou les baptistes. Raphaël a précisé à Tobias qu’il était « l’un des sept anges qui se tiennent devant le Seigneur », et les spécialistes croient généralement que Michael et Gabriel sont deux des six autres.
Un quatrième archange est Uriel dont le nom signifie littéralement « Lumière de Dieu ». Il joue un rôle dans le livre apocryphe d’Enoch, considéré comme canonique par les Églises éthiopienne et érythréenne, orthodoxes.
Ces sept archanges passent pour être les anges gardiens des nations* et des pays et sont concernés par les enjeux et les événements qui les entourent, y compris la politique, les questions militaires, le commerce et le commerce : l’archange Michel est par exemple traditionnellement considéré comme étant le protecteur d’Israël et de l’Ecclésia (de la racine grecque ekklesia), théologiquement assimilée à l’Église, précurseur du nouvel Israël spirituel.
Une autre interprétation possible des sept archanges est que ce sont les sept esprits de Dieu qui se tiennent devant le trône décrit dans le Livre d’Enoch ainsi que dans le Livre de l’Apocalypse.
NDLR. Certains spécialistes distinguent entre archange (avec une minuscule a) et Archange (avec une majuscule A).
Le premier terme peut désigner le deuxième chœur le plus bas (arch-anges signifiant alors juste au-dessus du plus bas des chœurs angéliques, ceux que l’on appelle simplement les « anges »), mais le dernier terme (avec une majuscule) peut désigner le plus élevé de tous les anges (arch-anges signifiant alors « au-dessus de tous les anges », de quelque chœur qu’ils soient. Les sept Séraphins les plus élevés, Michel, étant le plus élevé de tous).
— Anges
Les « anges » ou les malakhim, c’est-à-dire les « simples » anges (angelos, messager ou envoyé), sont l’ordre angélique le plus basique et le plus connu. Ce sont les plus concernés par les affaires des êtres vivants. Dans cette classe d’anges, il existe de nombreux genres différents, ayant différentes fonctions. Ils sont par exemple envoyés comme messagers à l’humanité.
Les anges gardiens personnels ne sont pas d’un ordre distinct, mais viennent plutôt de cet ordre angélique. Ils passent pour être affectés à tout être humain chrétien ou non. On ne sait pas s’ils veillent sur plusieurs humains à la fois durant leur existence ou seulement sur un, mais cette dernière opinion est la plus répandue**.
Au Moyen Âge, de nombreux schémas hiérarchiques ont été proposés, certains tirés du Pseudo-Denys ou le développant considérablement, d’autres suggérant une classification complètement
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différente (certains auteurs ont limité le nombre de Chœurs à sept au lieu de neuf) certains dans un ordre presque inverse.
En résumé donc.
Dans son rapport avec l’Humanité, le monde angélique est organisé selon trois hiérarchies parfaites. C’est Denys l’aréopagite qui, le premier, au IVe siècle, sut extraire de la Bible cette « révélation ».
La première hiérarchie, la plus élevée, est composée des Séraphins, des Chérubins et des Trônes. Ils sont si proches de Dieu ou du démiurge qu’ils reçoivent de lui directement ses volontés, qu’ils communiquent aux hiérarchies inférieures. Ils sont un peu comme les ministres d’un roi.
La deuxième hiérarchie, composée des Dominations, des Vertus et des Puissances, s’occupe de la manière générale dont ces volontés seront appliquées sur les hommes. Ils sont comme l’État-major de l’armée du roi.
Quant à la troisième hiérarchie, celle des anges inférieurs, elle exécute auprès de nous les commandements de Dieu ou du Démiurge. Ils sont comme l’armée du roi, présente sur le terrain. C’est justement en raison de leur nature inférieure qu’ils peuvent être si proches de nous. Cette hiérarchie est composée des anges de l’ordre des Dominations, chargés du destin général des peuples, de l’ordre des Archanges, qui annoncent les grandes nouvelles, et enfin, de la foule des anges gardiens qui s’occupent de chaque individu en particulier. « Gardez-vous de mépriser aucun de ces petits : car je vous le dis, leurs anges voient constamment la face de mon Père qui est aux Cieux » (Matt, 18, 10).
Cette conviction n’a jamais été démentie par l’Église, qui continue de célébrer la fête des anges gardiens le 2 octobre. Quant aux saints qui auraient vu leur ange gardien, ils sont nombreux.
Jean XXIII puis à son tour Jean-Paul II ont chacun, à leur façon, évoqué la présence de ces anges protecteurs, rappelant aussi leur fonction de « témoin de notre vie » lors du jugement dernier. Même chose dans l’Islam.
Le christianisme a donc repris les principaux anges du judaïsme, y compris Lucifer, chef des anges rebelles, identifié à Satan, mais y a ajouté d’autres intercesseurs entre Dieu ou le Démiurge et les hommes.
À partir du XVe siècle approximativement, sans que pour autant l’expression disparaisse des manuels, la hiérarchie céleste ne joue plus aucun rôle structurant, ni dans la théologie ni dans la mystique.
Situation actuelle
Contrairement à la tradition orthodoxe, moins marquée par le personnalisme moderne, l’enseignement catholique contemporain se situe dans le prolongement de l’évolution qui vient d’être décrite. L’expression de hiérarchie céleste fait désormais exclusivement référence à l’œuvre historique du Pseudo-Denys. Ainsi, au niveau du magistère ordinaire, Jean-Paul II a évité d’employer cette expression, préférant évoquer, à propos des anges, un ensemble d’êtres personnels, porteurs d’un nom tantôt personnalisé tantôt collectif, et regroupés en chœurs.
Anselme Grün, bénédictin allemand spécialiste de la question, en dresse un bilan contrasté : désintérêt des théologiens actuels, mais engouement d’un public friand d’ésotérisme. Dans la perspective d’une psychologie des profondeurs, il préconise donc la redécouverte de l’ange gardien personnalisé, figure de médiation, par laquelle Dieu manifeste sa présence agissante. Nulle mention d’une quelconque stratification angélique, mais reprise du vocabulaire des énergies, transposé dans le domaine du psychisme, où, par le moyen des anges, Dieu se sert des énergies qu’il a créées.
* Et correspond dans ce cas aux teutates de nos ancêtres.
** Et correspond dans ce cas aux génies et junons, ou genii cucullati (esprits encapuchonnés) des Romains.
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LA CRÉATION DU MONDE SPIRITUEL II.
LES ANGES DÉCHUS.
La démonologie est l’étude des anges déchus ou démons, de leurs noms, de leur place dans la hiérarchie démonique et de leur rôle.
Les quatre Évangiles attribués au nouveau Josué (Yehoshoua Bar Yosef) mentionnent néanmoins à de nombreuses reprises la géhenne de feu (ah religion d’amour quand tu nous tiens) le Shéol et ainsi de suite, mais sans trop donner de détails.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, l’idée d’enfer telle que nous l’entendons aujourd’hui est à peu près absente de la Bible juive (Ancien Testament).
La notion de Shéol en diffère sensiblement. Ce Shéol était conçu par les Hébreux comme une fosse (Psaume 69, 15-16 ; 88, 7) un lieu de silence, d’oubli et d’obscurité (Psaume 88, 11 à 13). Les morts y menaient une existence larvaire et crépusculaire, privés de tout ce qui est désirable dans la vie, étrangers à toute relation avec Dieu. Bref, les Juifs antiques (les Hébreux) ne croyaient pas à une vraie vie après la mort.
Idem pour le Diable !
Dans le livre de la Genèse, où est rapportée la tradition des origines de l’Univers et de l’Homme, il n’est question que du serpent tentateur d’Ève, le nom de Satan ou de Lucifer ne figure nulle part.
Même si dans l’ouvrage très postérieur et très tardif d’Isaïe » (14, 12), on trouve, à propos de la mort du roi de Babylone, le verset suivant :
« Quelle chute as-tu faite du haut des Cieux,
Astre du matin, fils de l’Aurore !…
Toi qui disais dans ton cœur :
« J’escaladerai les Cieux,
J’y érigerai mon trône
Au-dessus des étoiles de Dieu (El)
Et je siégerai sur le mont de l’Assemblée.
Je serai l’égal du Très-Haut ! »
Te voilà maintenant précipité dans le Shéol,
Dans les profondeurs du royaume des morts ».
Il s’agissait d’une prédiction post eventum (après coup) comme toujours évidemment, de la chute de Babylone et de son dernier roi.
Origène, dans son De principiis, fut le premier à considérer que le passage d’Isaïe cité ci-dessus témoignait de ce que Lucifer – l’astre du matin – était tombé dans l’abîme pour avoir voulu égaler Dieu ; et que sa déchéance lui avait valu de devenir… Satan, l’Accusateur, le Tentateur, bref, le Diable.
Par la suite, Tertullien, saint Cyprien, saint Ambroise, et bien d’autres, moins illustres, ont accrédité cette thèse.
Le Diable et l’enfer ne sont donc entrés dans la théologie et par conséquent dans la Genèse, que postérieurement aux premiers textes (à proprement parler) chrétiens – les Évangiles – sur la base de l’interprétation…… d’un texte hébraïque !
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LA CRÉATION DU MONDE MATÉRIEL.
Nous avons déjà dit deux mots du double langage judéo-chrétien à ce sujet : création ex nihilo, mais mention dans la Genèse d’une matière première préexistante appelée Tohu oua Bohu en Hébreu Materia prima en latin, et façonnée par les « élohim ». Il n’est pas inutile d’y revenir.
Notons tout d’abord que certaines philosophies ne font pas du dieu créateur de ce monde (raté) le dieu suprême de leur système, mais en font un dieu inférieur appelé en termes génériques « démiurge », mais ayant un nom propre qui varie suivant les systèmes, par exemple Yaldabaoth.
Métahistoire ou mythe relatif à la création du monde matériel qui est le nôtre d’après John Lamb Lash, spécialiste en mythologie comparée.
Pour expliquer l’origine de l’univers matériel, les gnostiques ont élaboré une mythologie complexe. À partir du Dieu originel inconnaissable, une série de divinités inférieures fut générée par émanation. La dernière de ces divinités, Sophia, conçut le désir de connaître l’Être suprême inconnaissable. Ce désir illégitime donna le jour à un dieu mauvais et difforme, ou démiurge, qui créa l’univers. Yaldabaoth est né de la Volonté de Sophia ou Sagesse et ce, sans l’assentiment divin. Sophia éprise de la magnificence de son créateur a engendré Yaldabaoth dans le secret de son intimité. Cet être, bien qu’habité par la divinité de sa mère, était très éloigné de la transcendance divine qui avait inspiré cette création. Sophia, consciente de son erreur, cacha sa progéniture à ses semblables et la plaça dans une « nuée de lumière » comme il l’est écrit dans les Apocryphes de Jean trouvés à Nag Hammadi en 1947, un texte appartenant au gnosticisme séthien d’après les spécialistes.
Résumons : le Monde n’est pas tel qu’il devrait être, le mal y règne. Cherchons l’erreur !
La cosmogonie chrétienne malgré les textes bibliques parlant d’un chaos ou tohu-bohu initial, est un créationnisme ex nihilo absolu, mais il en existe aujourd’hui différentes sortes.
— Le créationnisme théiste, dans lequel Dieu est reconnu comme Créateur mais dont la Création suivrait son cours librement ensuite.
— Le créationnisme littéraliste, à partir d’une lecture littérale de la Bible ou du Coran. Le créationnisme littéraliste étant un mouvement qui défend des certitudes ancrées dans la lecture littérale des textes religieux, il se trouve fréquemment opposé à la science dont les recherches et les découvertes ne cessent de remettre en question ce qui semble acquis. De ce fait, le créationnisme se retrouve souvent, sur l’échiquier politique, du côté des groupements les plus conservateurs de chaque pays, d’autant que son interprétation ne concerne pas seulement le passé de la Terre et de la vie, mais aussi les ancêtres de l’Homme et l’organisation sociale.
— Le créationnisme concordiste, qui cherche un accord entre le texte et la recherche scientifique.
— Le créationnisme finaliste, qui adopte l’approche scientifique sans réserve, mais en discute la finalité. Depuis la fin du XXe siècle, le créationnisme littéraliste est en effet délaissé en faveur de la théorie du dessein intelligent (Intelligent Design) qui est considérée néanmoins par certains comme un créationnisme masqué.
Le terme créationnisme désigne donc au sens large une doctrine d’ordre religieux selon laquelle un ou plusieurs êtres divins sont les créateurs de la vie.
Les courants créationnistes montrent une grande diversité, depuis ceux qui soutiennent le fixisme en élaborant une théorie de la nature théiste à ceux aux positions plus déistes qui embrassent la théorie transformiste (téléologie ou hypothèse du dessein intelligent).
Le créationnisme fixiste lit la Bible ou le Coran comme s’ils étaient des livres de sciences naturelles et d’histoire, véhiculant la croyance selon laquelle le récit de la création de l’univers tel que fourni par les textes religieux, donne une description littéralement exacte de l’origine de l’Univers. Cette interprétation de textes comme la Genèse ou le Coran s’appuie sur la conviction que ces textes ont été « inspirés ».
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Le créationnisme ne se restreint néanmoins pas aux seuls courants interprétant des textes religieux de façon littérale, mais inclut également ceux qui admettent que l’univers a plus de 6000 ans, les partisans du dessein intelligent, des courants qui admettent des aspects de la théorie de l’évolution, mais en excluent l’Homme, l’évolution théiste qui admet que l’évolution des espèces a lieu, mais qu’elle est dirigée ou influencée par des divinités ou un Créateur qui donneraient naissance à l’univers, au vivant et aux mécanismes leur permettant ensuite d’évoluer par eux-mêmes.
Le Livre de la Genèse (du grec « naissance », « commencement », « source », « origine », « cause ») est le premier livre, appelé en hébreu « bereshit » (en – tête selon la traduction d’André Chouraqui), de la Torah (Pentateuque), donc du Tanakh (la Bible hébraïque) et de la Bible chrétienne. La tradition juive considère qu’il a été écrit sous la dictée divine par Moïse.
Le livre de la Genèse explique l’origine de l’homme et du peuple hébreu jusqu’à son arrivée en Égypte. Il contient les présupposés et bases historiques aux idées et institutions nationales et religieuses d’Israël, et sert de préface à son histoire, ses lois et coutumes. Le récit originel décrit la création du monde en six jours par Dieu.
Le créationnisme actuel se fondant sur une lecture littérale de la Bible est d’origine récente, et l’interprétation symbolique est plus ancienne ainsi que le montre bien la critique qu’en fait Origène pourtant chrétien convaincu.
Dans un passage qui a ensuite été retenu par Grégoire de Nazianze pour figurer dans sa Philocalie, une anthologie de certains de ses textes les plus importants, il fait les remarques suivantes qui sonnent de façon très moderne :
« « Quel est l’homme de bon sens qui croira jamais que, le premier, le second et le troisième jour, le soir et le matin purent avoir lieu sans soleil, sans lune et sans étoiles, et que le jour, qui est nommé le premier, ait pu se produire lorsque le ciel n’était pas encore ? Qui serait assez stupide pour s’imaginer que Dieu a planté, à la manière d’un agriculteur, un jardin à Éden, dans un certain pays de l’Orient, et qu’il a placé là un arbre de vie tombant sous le sens, tel que celui qui en goûterait avec les dents du corps recevrait la vie ? Et si Dieu est dit se promener se promener dans son jardin le matin, et Adam se cacher derrière un arbre, je suppose que personne ne doutera que cela désigne certains mystères de façon imagée, ces scènes n’ayant eu lieu qu’en apparence et non en réalité. »
Et dans un autre passage de son livre contre Celse, Origène écrit :
« Pour ce qui est des six jours de la création, comment la lumière fut faite le premier jour, et le firmament le second ; comment le troisième, les eaux qui étaient sous le ciel, furent rassemblées dans leur grand réservoir, et qu’ainsi la terre poussa ce qu’elle produit par la seule force de la nature : comment le quatrième jour, les grands astres furent créés avec les étoiles, le cinquième, les animaux aquatiques le sixième, les terrestres et l’homme, c’est ce que nous avons expliqué selon notre pouvoir dans nos Commentaires sur la Genèse et ci-dessus même, pour montrer qu’il ne faut pas prendre les choses à la lettre, comme font ceux qui croient que l’espace de six jours a été effectivement employé à la création du monde » (Contre Celse . Livre 6, 60).
L’interprétation symbolique, fréquente chez saint Augustin, était donc admise au Moyen Âge et au début de la Renaissance, ainsi que dans l’exégèse juive. La Réforme protestante, puis la Contre-Réforme catholique du Concile de Trente, ont conduit au développement de la croyance en l’exactitude littérale de la Bible, en affirmant que la traduction particulière proposée par la Vulgate ne contenait pas d’erreurs par rapport au dogme, ce qui justifiait de s’en servir comme référence dans un but d’exégèse et d’enseignement. La grande diversité des interprétations de la Bible dans les différents courants protestants découle d’un des fondements de la réforme protestante luthérienne promulguant une relation directe entre le chrétien et la Bible, ouverte à l’interprétation de chaque lecteur.
Sur le plan scientifique, l’exploration de la planète conduit à la découverte d’espèces jusqu’alors inconnues des Occidentaux, et la grande variété du vivant et de la Terre surprend. Aux XVIIIe et XIXe siècles, des théories scientifiques tentent d’expliquer la géologie de la Terre. En biologie, le débat s’ouvre entre les partisans du fixisme, notamment représenté par Georges Cuvier, et les défenseurs du transformisme fondé par Jean-Baptiste de Lamarck. Charles Lyell tente aussi d’accorder les récits bibliques avec l’observation, et explique la diversité du vivant par l’existence de « centres de création » : certaines régions de la Terre possèderaient des espèces très différentes des autres parce qu’elles seraient originaires de centres de création différents à partir desquelles elles auraient colonisé
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les régions avoisinantes. Lors de son tour du monde sur le Beagle, Charles Darwin interprète ses observations en suivant les théories de Charles Lyell.
En 1859, il publie l’Origine des espèces. L’essai introduit une rupture (il y aura désormais un avant et un après-Darwin) dans la connaissance scientifique des origines de la vie en général et des origines de l’Homme en conséquence, bien que Darwin évite d’en parler dans l’ouvrage. La théorie développée par Darwin, soutient que les êtres vivants voient leurs caractéristiques biologiques évoluer dans le temps et que le milieu dans lequel vit un groupe d’individus opère une sélection naturelle qui, par la reproduction et la transmission de certains caractères héréditaires, étend l’évolution de ces caractéristiques biologiques à l’ensemble du groupe. Selon cette théorie, il n’y a pas d’entité créatrice donnant soudainement vie à une espèce complètement et définitivement formée.
Avant les développements de la théologie du XXe siècle, l’Église catholique fut nettement défavorable au transformisme. Le pape Léon XIII réaffirma en 1893, dans l’encyclique Providentissimus Deus, la doctrine de l’inspiration divine de la Bible.
« Les livres de l’Ancien Testament et du Nouveau Testament, avec toutes leurs parties, tels qu’ils ont été reconnus par le décret du même Concile (de Trente) doivent être reconnus comme sacrés et canoniques… non pas en ce sens que, composés par le génie humain, ils ont ensuite reçu son approbation, ni seulement qu’ils contiennent la révélation sans aucune erreur, mais parce qu’ils ont été écrits sous l’inspiration du Saint-Esprit et ont ainsi Dieu pour auteur. »
Le sociologue et historien des religions résume ainsi l’évolution subséquente de la pensée de l’Église. L’immense effort développé par Science dans tous les domaines, sans en exclure la Bible, a éclairci notre représentation religieuse de l’homme et du monde. Les Six Jours, Adam et Ève, le Déluge, la composition du Pentateuque, le monde du Proche-Orient, les « sources » des évangiles, les genres littéraires, l’histoire des manuscrits et du canon, la Bible reste un univers religieux, mais dont il a fallu sortir pour l’étudier et le comprendre avec un outillage intellectuel et un équipement culturel qui ne lui doivent rien. Leur mise en œuvre a d’abord été ressentie comme un sacrilège avant que leur nouveauté ne soit tardivement reçue par Pie XII dans son encyclique Divino Afflante (1943), puis assumée par Vatican II dans la constitution Dei Verbum (1965).
L’Église n’entend plus se prononcer sur les domaines scientifiques. Désormais mieux inspirée l’Église rejette la doctrine fondamentaliste de l’inerrance biblique et considère que la bible ne vise pas à renseigner le lecteur sur les sciences naturelles, la cosmologie, l’histoire, la géographie ou tout autre domaine de connaissance sans rapport avec le salut de l’être humain. Elle continue néanmoins d’affirmer que l’âme spirituelle, directement créée par Dieu, ne procède pas par évolution. Pour le pape Jean-Paul II (Les origines de la vie, Allocution du 22 octobre 1996 à l’Académie pontificale des sciences) :
En conséquence de quoi les théories de l’évolution qui, en fonction des philosophies qui les inspirent, considèrent l’esprit comme émergeant des forces de la matière vivante ou comme un simple épiphénomène de cette matière, sont toujours incompatibles avec le christianisme.
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ANTHROPOLOGIE.
L’espèce Homo sapiens (l’homme moderne) est dérivée d’Homo erectus il y a environ 200 000 ans, quelque part en Afrique. Le peuplement de la Terre aurait commencé il y a 50 à 100 000 ans à partir de là. S’il est possible considérer mathématiquement parlant qu’il existe bien une « Ève mitochondriale », qui aurait vécu en Afrique il y a environ 150 000 ans, et un Adam chromosome Y, vivant aussi en Afrique, et qui daterait de 142 000 ans environ, mais cette Ève mitochondriale et cet Adam Y n’ont pas de raison de s’être connus ni même d’avoir été contemporains. Ils partagent ce statut d’ancêtre de l’humanité avec de nombreux autres individus antérieurs. Les ancêtres communs à toute l’humanité actuelle appartiendraient tous à la partie de l’humanité ayant survécu à un goulot d’étranglement ayant réduit il y a 70 000 ans le nombre d’humains à quelques milliers, et de femmes à moins de 500.
LE PREMIER HOMME.
Adam est un personnage du Livre de la Genèse et du Coran. Dans ces textes, qui fondent la mythologie biblique et les croyances juives, chrétiennes et musulmanes, il est le premier homme, créé directement par Dieu. C’est également le compagnon d’Ève, créée à partir de son corps.
L’onomastique propose plusieurs pistes concernant l’origine du nom d’Adam. Il peut par exemple d’u mot signifiant « humus ». Mais il peut aussi venir d’une racine sémitique, adom, signifiant « rouge » (comme le sang).
Le rôle du sang divin comme animateur des humains formés à partir de figurines d’argile confectionnées par les dieux correspond à de très archaïques procédés de magie sympathiques et il se retrouve dans les versions de la création de l’homme présentes dans l’épopée d’Atrahasis ou l’Épopée de la Création. Dans le premier cas, c’est Éa qui le crée grâce au sacrifice du dieu nommé Wê-llu, tandis que dans le second c’est l’œuvre de Mardouk, qui sacrifie le dieu Qingou, un de ceux qu’il a vaincus lors de son combat contre Tiamat.
La création de l’être humain est aussi le thème principal du mythe d’Enki et Ninmah. Celui-ci débute par la création du monde et le peuplement initial de la Terre par les dieux, qui s’unissent et se multiplient jusqu’à devoir produire leur propre nourriture pour survivre, ce qui les mécontente au plus haut point. Ils s’en plaignent donc auprès de la déesse Namma, qui sollicite son fils Enki afin qu’il élabore des substituts aux dieux, qui travailleraient à leur place et à leur profit. Enki confectionna un moule, puis le donna à sa mère afin qu’elle y mette de l’argile, formant ainsi les êtres humains, qui prirent vie grâce à l’aide d’un groupe de déesses au premier rang desquelles se trouvait Ninmah, qui leur assigne leur destin : travailler pour les dieux. La façon exacte dont les hommes prennent vie n’est pas connue, le texte parvenu jusqu’à nos jours s’interrompant accidentellement juste à l’endroit où cela est peut-être évoqué.
Il semble donc qu’il ait coexisté avec la tradition faisant d’Enki le créateur de l’homme une autre qui attribuait cette action à Enlil. Le Chant de la houe, qui semble renvoyer à un fonds mythologique de Nippour, raconte ainsi que ce dieu créa l’homme en prenant de l’argile avec une houe (sujet principal du texte) pour la placer dans un moule d’où sortit le premier des hommes.
Dans tous les cas le mythe sumérien/akkadien originel est clair, les hommes ont été créés pour servir et honorer les dieux.
Pour en revenir à l’anthropologie judéo-chrétienne, selon la Bible, au livre de la Genèse, Adam est le premier homme et a été créé par Dieu lors du sixième jour de la Création à partir d’un peu de terre
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qu’il façonna à son image, avant de l’animer de son souffle. Le grec pneuma comme l’hébreu rouah signifient aussi bien « vent » qu’« esprit », selon le principe commun aux mondes grec et hébreu, en vertu duquel un être animé est un être qui respire.
Sur le plan de la mimique ou de la gestuelle, c’est donc une opération de magie sympathique classique dans le monde moyen-oriental, inspirée non de la technique du potier, mais de celle du fabricant de figurines divines, avec le souffle de ce mystérieux Dieu au pluriel (les Élohim, n’oublions jamais que dans ce texte on parle d’élohim = les dieux et non du Dieu Un) à la place du sang des dieux comme dans le mythe mésopotamien originel, pour animer cette énorme dagyde vaudoue (un golem ?). Ensuite comme Dieu considérait qu’il n’était pas bon pour l’homme d’être seul, il modela des animaux qu’il amena à Adam pour voir comment il les appellerait. Adam donna un nom à chacun d’entre eux, mais ne se trouva pas de compagnie qui lui convienne. Alors Dieu l’endormit, et lui fabriqua une femme à partir d’une de ses côtes (la mention d’une côte serait en réalité, dans une légende sumérienne antérieure, un jeu de mots, côte et vie étant en sumérien presque homographes. Ce jeu de mots aurait disparu avec la traduction en hébreu).
Adam reconnut la femme comme étant os de ses os et chair de sa chair, c’est-à-dire « tirée de lui ». Il admit la femme pour compagne, et Dieu leur commanda d’être féconds, de soumettre les animaux et de manger des végétaux. Le premier couple fut placé par Dieu dans le jardin d’Éden, pour qu’Adam cultive le sol et en soit le gardien (toujours la trame du mythe sumérien, les hommes ont été créés pour servir les dieux, pas pour eux-mêmes).
Dieu avait tout permis à Adam, sauf la consommation du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, en lui disant : « de celui-là, tu n’en mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu mourras ». Le Serpent (Nahash en hébreu), décrit comme « le plus tortueux des animaux sauvages » apparut et dit à la femme que Dieu mentait, qu’ils n’en mourraient pas, mais que leurs yeux s’ouvriraient et que leur nouvelle connaissance les apparenterait à des dieux.
La femme mangea du fruit défendu et en donna à Adam qui en mangea à son tour. Mais après avoir goûté à ce fruit, ils virent qu’ils étaient nus et allèrent se cacher. Lorsque Dieu interpella Adam, Dieu s’aperçut qu’ils étaient cachés, et, lui demandant pourquoi, Adam répondit : « je t’ai entendu dans le jardin – car Dieu en effet selon les judéo-islamo-chrétiens peut se promener dans un jardin comme un vulgaire Cyrus roi de Babylone – et j’ai eu peur, car je suis nu ; alors je me suis caché. » C’est de cette façon que Dieu s’aperçut qu’ils avaient goûté au fruit défendu, car, lorsqu’il demanda « qui t’a appris que tu es nu ? », Adam dut avouer sa faute en admettant avoir mangé le fruit.
LE PÉCHÉ ORIGINEL.
Ce texte fondamental pourtant destiné à être compris de tout le monde, du moins en principe, est une équation à plusieurs inconnues.
— La personnalité du mystérieux tentateur ayant pris l’apparence d’un serpent.
— À quoi correspondait exactement le deuxième arbre planté au milieu du jardin d’Éden, l’arbre de vie, distingué de l’arbre de la connaissance du bien et du mal ? À l’immortalité caractérisant les dieux justement (on retrouverait donc là un des éléments du mythe sumérien recherché par Gilgamesh auprès du prince Outanapishti : la plante d’immortalité).
— Comment d’ailleurs d’interdire le mal si on ne dit pas en quoi il consiste ? La désobéissance n’est quand même pas le seul des maux de ce monde.
Tout cela est un donc peu confus, les scribes du roi Josias de Jérusalem ayant apparemment adapté des réminiscences de la légende sumérienne pour leur scénario à eux, mais ayant manqué quelque peu de génie dans leur fusion du thème de la forêt de cèdres et de la plante d’immortalité, secret d’Outanapishti (qui sera d’ailleurs finalement volée par un serpent).
La nature exacte de la faute du premier homme telle qu’elle ressort du texte même de la Genèse n’est donc pas très claire. Il ne s’agit pas en effet d’un péché contre la nature contre lui-même ni contre sa femme et l’alternative est la suivante.
— Soit ce péché originel consiste en une désobéissance à Dieu.
— Soit ce péché originel consiste à avoir voulu égaler Dieu, à avoir voulu devenir comme Dieu, en devenant immortel.
L’autre difficulté de ce texte vient du fait que le mot signifiant Dieu est un pluriel, élohim, et ne fait pas très monothéiste (encore une traduction tendancieuse ?)
Alors, un péché d’orgueil comme Satan ? Un péché contre l’esprit ?
Ce qui est certain en tout cas c’est que…… c’est dans le rapport à la divinité, dans le rapport homme/dieu ou hommes/dieux au pluriel que se cache ce vice originel du premier homme, pour la Bible. Car pour ce qui est d’être mortels, les hommes le savent depuis toujours.
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« Gilgamesh, où donc cours-tu ? La vie que tu poursuis, tu ne la trouveras pas. Quand les dieux ont créé l’humanité, c’est la mort qu’ils ont réservée aux hommes. La vie ils l’ont retenue pour eux entre leurs mains. Toi Gilgamesh, que ton ventre soit plein, réjouis-toi jour et nuit, chaque jour fais la fête, danse et joue de la musique jour et nuit ; que tes vêtements resplendissent ; aie la tête bien lavée, baigne-toi dans la rivière ; veille sur le petit qui te tient par la main, que ta bien-aimée se réjouisse en ton sein ! Être heureux est la chance de l’humanité, l’immortalité n’est pas faite pour les hommes » (tablette X).
Ci-dessous par contre ce que selon la Bible Dieu dit à la femme « je rendrai tes grossesses très pénibles, et tu mettras tes enfants au monde dans la souffrance. Ton désir se portera sur ton mari, mais lui te dominera. » Enfin, Dieu dit à l’homme « à cause de toi, le sol est maudit. C’est avec beaucoup de peine que tu en tireras ta nourriture tout au long de ta vie. […] Tu tireras ton pain à la sueur de ton front jusqu’à ce que tu retournes au sol dont tu as été tiré, car tu es poussière et tu devras retourner à la poussière. »
Adam donna à sa femme le nom « Ève » (Vie), car elle est la mère de toute vie humaine. Puis Dieu fit à l’homme et à sa femme des tuniques de peau et les en revêtit. Ensuite il déclara : « Voilà que l’homme est devenu comme l’un de nous par la connaissance du bien et du mal ! Maintenant, ne permettons pas qu’il avance la main, qu’il cueille aussi le fruit de l’arbre de vie, qu’il en mange et vive éternellement ! Alors le Seigneur Dieu le renvoya du jardin d’Éden, pour qu’il travaille la terre [terre et non poussière] d’où il avait été tiré. Il expulsa l’homme, et il posta, à l’orient du jardin d’Éden, les Kéroubim, armés d’un glaive fulgurant, pour garder l’accès à l’arbre de vie.
La faute qui entraîne l’exclusion du jardin d’Éden est appelée péché originel. Sa doctrine est extrêmement débattue depuis ses origines, elle a pris des formes bien distinctes dans les différentes confessions chrétiennes.
Le récit attribue trois fils à Adam et Ève : Caïn, Abel et Seth, puis d’autres enfants dont le nom n’est pas donné. Il meurt à 930 ans.
Comme toutes les vérités définies par la Foi sont intangibles, celle-ci joue un rôle important, car sans elle on ne peut comprendre la doctrine relative au péché originel, et par voie de conséquence la doctrine de la Rédemption.
L’Église considère l’homme doué – contrairement aux animaux – d’une âme immortelle. Elle suppose un saut considérable, dû à l’intervention de Dieu. Comment cette intervention s’est passée, l’Église ne le précise plus : on est libre de penser que Dieu a pu créer de toutes pièces l’homme, ou bien utiliser un ou des êtres vivants pour cela.
Note de la rédaction.
Le récit de la création d’Adam, quelle que soit son origine, fait intervenir un premier homme et s’oppose donc si on le prend au pied de la lettre à son apparition bien plus graduelle selon la théorie de l’évolution.
Mais le darwinisme constitue un édifice descriptif et explicatif, pas une injonction morale et normative. La confusion a été facilitée par une ambiguïté linguistique : Darwin explique assurément que les lignées le mieux adaptées doivent éliminer sur le long terme celles qui le sont moins, mais il s’agit là d’une estimation du probable, et nullement un objectif moral qu’il recommanderait.
L’évolution humaine progressive, considérée par l’Église catholique – et étudiée par certains de ses membres (Breuil, Teilhard de Chardin) – comme hypothèse, n’est pas admise par d’autres courants du christianisme qui sont plus créationnistes et même plus fixistes.
Pour l’Église catholique, le principal enseignement du récit de la Création est que l’Homme est une créature divine. La façon dont Dieu a opéré pour créer l’Homme est secondaire et sa présentation dans la Bible ne pouvait être qu’allégorique.
En la matière, la manière dont Dieu a procédé est l’objet de la science, que la création de l’Homme soit le fruit d’une volonté divine est celui de la foi.
Sa position est que Dieu est le seul créateur, qu’il a créé le monde par amour, et que l’esprit ne peut pas être le fruit d’une simple évolution de la matière.
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Le pape Benoît XVI a résumé le point de vue de l’Église catholique en avril 2007 : le catholicisme croit en la raison créatrice au début de tout et principe de tout, énoncé peu réfutable au sens de Karl Popper et sur lequel la science ne peut donc prendre de position dans un sens ni dans l’autre.
NOÉ.
La suite du livre de la Genèse raconte que, neuf générations après Adam et Ève, l’humanité née du premier couple disparut à cause du déluge, à l’exception de Noé et sa famille (sa femme, ses fils Japhet, Sem, Cham et leurs femmes), à qui Dieu a confié la tâche de refonder l’humanité. Dans la Bible, Noé est donc le plus récent ancêtre commun à toute l’humanité. Dieu lui a aussi donné des commandements, mais moins qu’il ne le fera plus tard avec Moïse.
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LES HEUREUX ÉLUS.
LE PREMIER PEUPLE ÉLU PAR DIEU.
Abraham est relativement peu cité dans l’Ancien Testament par rapport aux autres personnages fondateurs (le nom Abram ou Abraham y apparaît 236 fois contre 359 pour Jacob, 772 pour Moïse et 1080 pour David).
L’onomastique propose plusieurs pistes concernant l’étymologie du nom d’Abraham.
Le récit de la Genèse (17, 5) donne une explication étymologique populaire qui reste largement répandue, selon laquelle il signifie « père d’une multitude [de nations] », mais qui n’en est pas moins inexacte même s’il contient effectivement un jeu de mots avec un terme hébreu signifiant « la foule ». L’origine du premier nom du patriarche biblique, « Abram » est, pour sa première partie (ab – ou av) une racine sémitique bien établie signifiant « père » et, pour sa seconde partie (-ram), soit dérivée de l’akkadien ra’âmu (« aimer ») ou du sémitique occidental rwm (« être élevé »). Ce nom théophore (ab – ou av – le père pouvant être le Dieu ou l’ancêtre divinisé) est d’ailleurs courant au premier et deuxième millénaire chez les Araméens et les Sémites du Sud.
Le nom peut dès lors avoir signifié, suivant la première possibilité, « Il aimait le père » ou « le père aime » ou, suivant la seconde, peut-être plus convaincante, « il s’est distingué du père ».
La question de l’historicité du personnage biblique Abraham a fait l’objet d’un travail scientifique considérable par les archéologues.
L’existence d’archives extraordinairement abondantes (tablettes d’argile) a permis de conclure depuis que le nom « Abraham » se retrouve à différentes époques et en différents lieux de Mésopotamie, sans qu’aucune utilisation particulière à Our en Chaldée puisse être notée. De plus, les migrations en Mésopotamie sont désormais assez bien connues et aucune ne correspond au trajet du récit biblique, depuis Our en Chaldée jusqu’en Palestine. Les archéologues constatent également que la géographie de la Palestine à l’époque supposée d’Abraham ne correspond pas au récit biblique (la ville de Beershéba n’existait pas, par exemple, au XIXe siècle avant notre ère). Abraham ne pouvait pas avoir de chameaux à cette époque, car ils n’étaient pas encore domestiqués. Ces anachronismes et le fait qu’il n’y ait pas d’indications chronologiques dans les récits bibliques rendent ainsi très peu pertinente l’idée d’une période patriarcale.
Le livre de la Bible dans lequel l’histoire d’Abraham est racontée a vraisemblablement été rédigé entre les VIIe et Ve siècles avant notre ère, en combinant des récits de provenances diverses réunies par plusieurs rédacteurs. Cela semble traduire une origine tardive par rapport à d’autres figures patriarcales plus anciennes comme celle de Jacob et l’idée d’un personnage ayant vécu au deuxième millénaire est abandonnée par la plupart des chercheurs. La conclusion des études scientifiques est en effet la non-historicité d’Abraham, personnage biblique, donc de foi, et non pas personnage historique.
LE SACRIFICE D’ABRAHAM.
La tradition juive place le sacrifice (d’Isaac) interrompu sur le Mont Moriah (Genèse 22,2) à l’emplacement actuel du Dôme du Rocher à Jérusalem. La tradition musulmane situe le sacrifice, non pas d’Isaac, mais d’Ismaël, dans le désert.
De façon plus générale, le geste d’Abraham, bien qu’il ne soit resté qu’intentionnel, constitue historiquement un des premiers exemples de soumission à l’autorité religieuse et prend à ce titre valeur d’archétype (dangereux).
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LE DEUXIÈME PEUPLE ÉLU PAR DIEU.
Pour le lecteur, rappelons que les expressions Nouvel Israël, Vrai Israël (Verus Israel), désignent la doctrine selon laquelle le christianisme, révélé à l’humanité à travers la parole et les actes du grand rabbi nazoréen Jésus, s’est substitué au judaïsme dans le dessein de Dieu pour l’Humanité et qu’il est donc ainsi devenu le nouveau peuple choisi par Dieu pour accomplir sa volonté.
Le résultat de cette psychose ou de ce réflexe conditionné dès leur enfance, que les chrétiens se transmettent de génération en génération et à cet égard ils sont incurables, est qu’ils ne connaissent pour l’éternité qu’une seule culture de référence, celle du peuple juif et de sa littérature, et ignoreront les autres, toutes les autres (les Indiens les Chinois les Africains…). Les musulmans ont raison de considérer que ce sont les hommes d’un seul livre (Ahl al kitab) et non de 12 ou 36 livres comme les Fénianes d’Irlande.
La caractéristique fondamentale de la pensée chrétienne, dans le droit fil de la pensée juive, est en effet celle de la discrimination entre élus et non élus : il y a les êtres humains qui bénéficieront de la faveur de Dieu et ceux qui n’en bénéficieront pas. Ceux qui en bénéficieront sont ceux qui mèneront une vie chrétienne.
La paternité de la théologie de la substitution est généralement attribuée à Paul de Tarse (cf. épître aux Galates 6,15-16) :
« La circoncision n’est rien, ni l’incirconcision ; il s’agit d’être une créature nouvelle ; et à tous ceux qui suivront cette règle, paix et miséricorde, ainsi qu’à l’Israël de Dieu ».
Plusieurs textes du Nouveau Testament, adressés à des communautés européennes, présentent d’ailleurs le christianisme comme un nouvel Israël spirituel : « Vous [les chrétiens] êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis, afin que vous annonciez les vertus de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière, vous qui autrefois n’étiez pas un peuple, et qui maintenant êtes le peuple de Dieu, vous qui n’aviez pas obtenu miséricorde, et qui maintenant avez obtenu miséricorde » (1 Pierre 2, 9-10)
« C’est nous qui sommes circoncis de la vraie circoncision puisque nous rendons notre culte à Dieu par son Esprit et que nous mettons toute notre fierté en Jésus-Christ – au lieu de placer notre confiance dans ce que l’homme produit par lui-même. » (Philippiens 3,3).
« Ce n’est pas ce qui est visible qui fait le Juif, ni la marque visible dans la chair qui fait la circoncision, mais ce qui fait le Juif c’est ce qui est intérieur, et la vraie circoncision est celle que l’Esprit opère dans le cœur et non celle que l’on pratique en obéissant à la lettre de la Loi. Tel est le Juif qui reçoit sa louange, non des hommes, mais de Dieu » (Romains 2, 28).
La théologie de la substitution prit une place énorme chez les Pères de l’Église : considérant qu’Israël ne s’était pas converti, puisqu’il n’avait pas reconnu le Messie, ils affirmaient que son rôle était terminé, et que les chrétiens devaient le remplacer.
Au milieu du IIe siècle, Justin de Naplouse, dans le Dialogue avec Tryphon, un dialogue où il défend le christianisme contre un interlocuteur juif fictif, affirme : « Israelitikon gar to alethinon pneumatikon kai Iakob kai Isaak kai 'Abraam tou en akrobustia epi tho pistei merturethentos hupo tou Theou kai eulogethentos kai patros pollon klethentos hemeis esmen, hoi dia toutou staurothentos Christou to Theo prosachthontes ».
Nous sommes aujourd’hui la race spirituelle et véritable d’Israël, de Juda, de Jacob, d’Isaïe et d’Abraham qui reçut de Dieu la circoncision, en témoignage de sa foi, qui fut béni et appelé le père d’un grand nombre de nations. Oui, dis-je, nous formons la race sainte qui lui fut promise, nous qui n’avons connu le vrai Dieu que par Jésus crucifié, comme la suite de cette discussion le fera voir (chapitre 11).
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On considère quelquefois que cet ouvrage apologétique chrétien est le premier écrit qui a prôné la rupture entre les juifs et les chrétiens, mais Marcion lui aussi préconisait de rejeter en bloc l’influence judaïque sur la foi chrétienne.
Cette doctrine fut développée par plusieurs autres auteurs, parmi lesquels…
— Tertullien (né vers 150-160 et mort vers 230-240) à Carthage. Dans son Adversus Judaeos, Tertullien emploie métaphoriquement Genèse 25 23, et fait de l’aîné des jumeaux Ésaü l’incarnation des Juifs et du cadet Jacob celle les chrétiens, le « moindre » (Jacob) devant supplanter son aîné.
— Jean Chrysostome (349-407), patriarche de Constantinople, auteur d’un autre Adversus Judaeos.
— Augustin d’Hippone (354-430).
Comme nous l’apprend l’Ancien Testament, à l’origine, l’élection divine procède de Dieu. C’est lui qui intervient dans la vie d’un homme – prophète ou illuminé – pour en faire un messager de sa volonté. C’est du moins ce que nous montre la légende des premiers prophètes : Abraham, Josué, Moïse.
Et précisément, l’Ancien Testament est plein du récit des événements mythologisés ayant conduit sous Josias à l’unification du peuple hébreu autour d’une terre et d’un Dieu unique, Yahvé, les deux aspects formant une unité rigoureusement indissociable dans la conception israélite de la mission divine. Investi de la responsabilité consistant à faire triompher le projet divin, le peuple choisi par Dieu, le peuple hébreu, se distingue de tous les autres : il est le peuple élu et donc le peuple composé des « élus ».
L’amendement de 1970 à la loi du Retour confirme d’ailleurs la filiation maternelle. Dans la vision juive religieuse – il s’agit d’un pléonasme, un juif non religieux n’étant plus juif au sens strict du terme, puisqu’il renonce de fait à assumer la mission élective que Dieu lui a confiée et se soustrait ainsi du nombre des élus – c’est donc au « peuple juif » qu’il appartient de réaliser le dessein de Dieu pour l’ensemble des nations.
Au contraire, par la rupture apportée par le grand rabbi nazoréen Jésus et ceux qui entreront dans sa succession, l’élection divine ne s’hérite ni par la naissance, ni par la richesse matérielle, ni par la position sociale, ni par l’observance de sacrifices rituels, mais seulement par la vertu intérieure et l’élévation aux valeurs de l’Esprit. Personne n’est « élu » a priori, seul est élu celui qui conquiert la noblesse intérieure en fidélité au Dieu d’Amour et cela est offert à tous, juifs ou non, à la seule condition d’en avoir la volonté puisque l’Amour de Dieu pour ses enfants inclut le droit au libre arbitre. Dès lors, la qualité d’élu est totalement disjointe de l’appartenance au peuple juif : elle acquiert une dimension universelle, sonnant le glas de l’Ancienne Alliance au profit de la Nouvelle. C’est cette rupture fondamentale à l’égard du judaïsme traditionnel qui donnera naissance au christianisme.
Dans ce cadre, le rôle dévolu aux « élus » se voit lui aussi redéfini en totalité. Désormais, l’élection ne constitue plus ni un privilège ni une marque de valorisation, mais, à l’exact opposé, une obligation de servir avec désintéressement pour la plus grande gloire de Dieu.
L’histoire devrait être laissée au soin des historiens. C’est à eux de nous éclairer sur la complexité de ces phénomènes, de nous en dire le pourquoi et le comment, de situer les responsabilités respectives des différents protagonistes et d’en évaluer les conséquences par un travail de recherche scientifique rigoureux et exigeant et par-dessus tout, sans a priori idéologiques.
En 1943, l’encyclique Mystici Corporis Christi du pape de l’époque, Pie XII, affirmera encore : « La mort du Rédempteur a fait succéder le Nouveau Testament à l’Ancienne Loi abolie. »
Toutefois, depuis les années 50 et plus spécialement suite au projet d’extermination physique des populations juives d’Europe par les nazis, le débat est entré dans une nouvelle phase en s’insinuant au sein même de l’Église catholique qui, à partir de Vatican II et de façon toujours plus prononcée, condamne désormais ouvertement non seulement les violences et dérives diverses dont elle a pu historiquement se rendre coupable envers des populations de confession juive, mais également le principe même de la « substitution » des élections, celui-ci étant considéré comme la source principale des crimes perpétrés envers les populations juives dans l’Occident chrétien au cours des deux derniers millénaires. Les païens devenus chrétiens ont eu accès à l’Écriture sainte et aux fêtes juives, mais un mouvement de jalousie humaine, tout humaine, les a menés à rejeter les juifs à la marge ou à l’extérieur.
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Lors du concile Vatican II, la section 4 de la déclaration Nostra Ætate définit ainsi la position de l’Église catholique par rapport au judaïsme. En voici un extrait : « L’Église du Christ, en effet, reconnaît que les prémices de sa foi et de son élection se trouvent, selon le mystère divin du salut, dans les Patriarches, Moïse et les prophètes. Elle confesse que tous les fidèles du Christ, fils d’Abraham selon la foi, sont inclus dans la vocation de ce patriarche et que le salut de l’Église est mystérieusement préfiguré dans la sortie du peuple élu hors de la terre de servitude. C’est pourquoi l’Église ne peut oublier qu’elle a reçu la révélation de l’Ancien Testament par ce peuple avec lequel Dieu, dans sa miséricorde indicible, a daigné conclure l’antique Alliance, et qu’elle se nourrit de la racine de l’olivier franc sur lequel ont été greffés les rameaux de l’olivier sauvage que sont les Gentils. L’Église croit, en effet, que le Christ, notre paix, a réconcilié les Juifs et les Gentils par sa croix et en lui-même des deux a fait un seul…… Encore que des autorités juives, avec leurs partisans, aient poussé à la mort du Christ, ce qui a été commis durant sa passion ne peut être imputé ni indistinctement à tous les Juifs vivant alors, ni aux Juifs de notre temps. S’il est vrai que l’Église est le Nouveau * Peuple de Dieu, les Juifs ne doivent pas, pour autant, être présentés comme réprouvés par Dieu ni maudits, comme si cela découlait de la Sainte Écriture. Que tous donc aient soin, dans la catéchèse et la prédication de la parole de Dieu, de n’enseigner quoi que ce soit qui ne soit conforme à la vérité de l’Évangile et à l’esprit du Christ.
C’est pourquoi Monseigneur Francis Deniau, évêque de Nevers et président du Comité épiscopal pour les relations avec le judaïsme est donc parfaitement légitime à déclarer en 2004 : « Aujourd’hui, l’Église a répudié toute théologie de la substitution et reconnaît l’élection actuelle du peuple juif, le peuple de Dieu de l’Ancienne Alliance qui n’a jamais été révoquée selon l’expression du pape Jean Paul II devant la communauté juive de Mayence le 17 novembre 1980 ».
Ce qui nous fait donc désormais deux peuples élus au lieu d’un. N’en jetez plus la cour est pleine !
* Toutefois pour certains exégètes du concile, l’expression « nouveau peuple de Dieu » exprimerait l’intériorisation qu’aurait faite l’Église de la théologie de la substitution…
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LES MIRACLES DU NOUVEAU TESTAMENT.
Pour désigner ce qui est habituellement traduit par « miracle », le mot le plus employé dans les textes néotestamentaires est semeia, signes, terata, prodiges ; on trouve aussi, ergon, œuvre, et dunamis megalas, puissance (comme dans le cas de Simon le magicien).
Le récit de miracle est un langage religieux connu de l’Antiquité. Les miracles sont nombreux dans la littérature juive et hellénistique (ainsi dans la Vie d’Apollonius de Tyane) ; les inscriptions rapportent des guérisons miraculeuses à Épidaure, le sanctuaire du dieu de la médecine, Asclépios. Les miracles sont aussi présents – quoique dans une moindre mesure – dans la littérature antique gréco-latine et chez ses historiens. Flavius Josèphe, tout comme certaines sources rabbiniques plus proches et le Nouveau Testament, conserve le souvenir de ces individus. Un certain Éléazar chassait les démons des possédés (Antiquités judaïques livre 8) ; Hanina ben Dosa de Galilée guérissait à distance ; comme dans l’épisode de la guérison du fils d’un officier romain, où Jésus est également censé agir à distance. D’autres commandaient à la nature : Honi, le traceur de cercles (« Onias » dans Josèphe), et son petit-fils Hanan étaient réputés pour faire venir la pluie. Ces faiseurs de pluie étaient conscients de leur relation privilégiée avec Dieu : Hanan le faiseur de pluie allait même jusqu’à prier pour que son auditoire fît la distinction entre lui et celui qui accordait véritablement la pluie, le Abba [le Père] au ciel.
La valeur des miracles comme « signes », affirmée dans le Nouveau Testament, rejoint d’une certaine manière l’analyse des historiens rationalistes pour qui ils ne sont pas une description objective des faits, mais une façon d’exprimer une vérité religieuse.
Ainsi, lors de l’épisode de la multiplication des pains, Marc précise : « ils n’avaient pas compris le miracle des pains, parce que leur cœur était endurci » (Mc 6, 52). L’explication est donnée dans l’Évangile selon Jean : « Ils lui dirent : Seigneur, donne-nous toujours de ce pain. Jésus leur dit : Je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, et celui qui croit en moi n’aura jamais soif » (Jn 6,35).
Chaque récit de miracle se veut le message d’une leçon ; c’est presque une parabole en soi. Les Évangiles y associent une très grande richesse de sens, recouvrant probablement un double sens difficile à retrouver aujourd’hui.
Une partie des guérisons, résurrections et miracles divers, opérés par Jésus, s’expliquent par le midrash et par le procédé de « double sens », c’est-à-dire de textes à double sens, pour ne pas dire triple ou multiple.
Le problème central des midrashim du Nouveau Testament est la conversion des non-juifs « à la fin des temps », autrement dit « aux temps messianiques » (dont l’arrivée du Messie n’est qu’un élément parmi d’autres). Comment les non-juifs, les étrangers, les païens, accepteront-ils la Torah, la Loi ? Comment seront-ils accueillis dans le peuple d’Israël, porteur de la Loi ? Et que deviendra alors celui-ci, s’il perd l’exclusivité de la Loi ?
Une des complications, qui devaient nourrir, comme aujourd’hui, les discussions entre païens plus ou moins « judaïsants » et juifs plus ou moins « assimilés », concerne la possibilité d’une loi « légère », faite par exemple des seuls dix commandements ; par opposition à la loi « lourde » des 613 mitsvoth institués par la Torah, dont font partie la circoncision, la nourriture cachère et le strict respect du shabbat.
L’épisode le plus significatif à cet égard est celui de la guérison du paralytique rapportée par Marc 2, 4 : « Ne pouvant s’approcher de lui, à cause de la foule, ils découvrirent le toit du lieu où il était ; l’ayant percé, ils descendirent le grabat sur lequel gisait le paralytique ». Et par Luc 5, 19 : « Ne trouvant point par quel moyen ils pourraient l’introduire, à cause de la foule ; ils montèrent sur le toit et le descendirent par les tuiles, avec son grabat, au milieu, devant Jésus » *.
La métaphore du paralytique est l’une de celles dont use le midrash. C’est que la pratique de la Loi est appelée halakha, dont le sens propre est « marche ». Le païen qui ne connaît pas la Loi est logiquement un handicapé qui ne peut pas marcher.
La consistance historique du Nouveau Testament, des apocryphes, et des autres textes « intertestamentaires », est donc nulle, comme, disons, celle des livres de Ruth ou de Jonas. Ces fables, pas plus que celles d’Ésope, ne rapportent aucun événement réel.
Mais pour les croyants, les signes accomplis par Jésus témoignent que le Père l’a envoyé (Jn 5, 36 ; 10, 25. Ils étaient des invitations à croire en Lui (Jn 10,38. À ceux qui s’adressent à Lui avec foi *, il accorde ce qu’ils demandent (Mc 5, 25-34 ; 10, 52, etc.).
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Les miracles apparaissent donc comme des témoignages et des effets de la foi (Mt 8. 5-13 ; Mc 9. 23) auxquels le Christ n’accordait pas de valeur en soi : « Si vous ne voyez pas des miracles et des prodiges, vous ne croyez donc pas ? » (Jn 4, 48.)
* Pierre de La Crau se moquera toujours des prêtres exploitant la crédulité publique, mais respecte la foi des simples. Les proches du malade sont tellement persuadés des pouvoirs de Jésus qu’ils sont prêts à faire n’importe quoi pour le mettre en contact avec lui. Et il faut bien reconnaître qu’en ce sens (illustrer la puissance de la foi) le récit est une réussite. Un peu comme dans le cas de la guérison du serviteur du centurion qui suit d’ailleurs.
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MIRACLES ET MAGIE.
Dans son analyse de la résurrection de Lazare par Jésus, Renan a souligné l’impact de la pression sociale dans le plus célèbre des miracles du grand rabbi nazoréen Jésus, la résurrection de Lazare.
« Comme cela arrive toujours dans les grandes carrières divines, il [Jésus] subissait les miracles que l’opinion exigeait de lui bien plus qu’il ne les faisait. À la distance où nous sommes, et en présence d’un seul texte, offrant des traces évidentes d’artifices de composition, il est impossible de décider si, dans le cas présent, tout est fiction ou si un fait réel arrivé à Béthanie servit de base aux bruits répandus. Il faut reconnaître cependant que le tour de la narration de Jean a quelque chose de profondément différent des récits de miracles, éclos de l’imagination populaire, qui remplissent les synoptiques. Ajoutons que Jean est le seul évangéliste qui ait une connaissance précise des relations de Jésus avec la famille de Béthanie, et qu’on ne comprendrait pas qu’une création populaire fût venue prendre sa place dans un cadre de souvenirs aussi personnels. Il est donc vraisemblable que le prodige dont il s’agit ne fut pas un de ces miracles complètement légendaires et dont personne n’est responsable. En d’autres termes, nous pensons qu’il se passa à Béthanie quelque chose qui fut regardé comme une résurrection.
La renommée attribuait déjà à Jésus deux ou trois faits de ce genre. La famille de Béthanie put être amenée presque sans s’en douter à l’acte important qu’on désirait. Jésus y était adoré. Il semble que Lazare était malade, et que ce fut même sur un message des sœurs alarmées que Jésus quitta la Pérée. La joie de son arrivée put ramener Lazare à la vie.
Peut-être aussi l’ardent désir de fermer la bouche à ceux qui niaient outrageusement la mission divine de leur ami entraîna-t-il ces personnes passionnées au-delà de toutes les bornes. Peut-être Lazare, pâle encore de sa maladie, se fit-il entourer de bandelettes comme un mort et enfermer dans son tombeau de famille. Ces tombeaux étaient de grandes chambres taillées dans le roc, où l’on pénétrait par une ouverture carrée, que fermait une dalle énorme. Marthe et Marie vinrent au-devant de Jésus, et, sans le laisser entrer dans Béthanie, le conduisirent à la grotte. L’émotion qu’éprouva Jésus près du tombeau de son ami, qu’il croyait mort, put être prise par les assistants pour ce trouble, ce frémissement ; qui accompagnait les miracles ; l’opinion populaire voulant que la vertu divine fût dans l’homme comme un principe épileptique et convulsif. Jésus (toujours dans l’hypothèse ci-dessus énoncée) désira voir encore une fois celui qu’il avait aimé, et, la pierre ayant été écartée, Lazare sortit avec ses bandelettes et la tête entourée d’un suaire. Cette apparition dut naturellement être regardée par tout le monde comme une résurrection. La foi ne connaît d’autre loi que l’intérêt de ce qu’elle croit le vrai. Le but qu’elle poursuit étant pour elle absolument saint, elle ne se fait aucun scrupule d’invoquer de mauvais arguments pour sa thèse, quand les bons ne réussissent pas. Si telle preuve n’est pas solide, tant d’autres le sont !… Si tel prodige n’est pas réel, tant d’autres l’ont été !… Intimement persuadés que Jésus était thaumaturge, Lazare et ses deux sœurs purent aider un de ses miracles à s’exécuter, comme tant d’hommes pieux qui, convaincus de la vérité de leur religion, ont cherché à triompher de l’obstination des hommes par des moyens dont ils voyaient bien la faiblesse.
L’état de leur conscience était celui des stigmatisées, des convulsionnaires, des possédées de couvent, entraînées par l’influence du monde où elles vivent et par leur propre croyance à des actes feints. Quant à Jésus, il n’était pas plus maître que saint Bernard, que saint François d’Assise de modérer l’avidité de la foule et de ses propres disciples pour le merveilleux. La mort, d’ailleurs, allait dans quelques jours lui rendre sa liberté divine, et l’arracher aux fatales nécessités d’un rôle qui chaque jour devenait plus exigeant, plus difficile à soutenir.
Tout semble faire croire, en effet, que le miracle de Béthanie contribua sensiblement à avancer la fin de Jésus. Les personnes qui en avaient été témoins se répandirent dans la ville, et en parlèrent beaucoup. Les disciples racontèrent le fait avec des détails de mise en scène combinés en vue de l’argumentation. Les autres miracles de Jésus étaient des actes passagers, acceptés spontanément par la foi, grossis par la renommée populaire, et sur lesquels, une fois passés, on ne revenait plus. Celui-ci était un véritable événement, qu’on prétendait de notoriété publique, et avec lequel on espérait fermer la bouche aux pharisiens. Les ennemis de Jésus furent fort irrités de tout ce bruit. Ils essayèrent, dit-on, de tuer Lazare ».
Or l’Esquisse d’une théorie de la magie de Hubert et Mauss s’inscrit justement dans le cadre d’une elle cette réflexion sur le rapport de l’individu et du collectif. Mauss part du fait que la magie est toujours effectuée par un individu isolé et marginal, mais que ce qui s’exprime en lui est la pression de
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la société qui croit en la magie. L’efficacité de la magie est donc morale et non physique, sociale et non individuelle, elle est le produit d’une croyance collective et non le fait d’une mauvaise association d’idées comme le voulait Frazer.
« M. Frazer, nous l’avons vu, nous a proposé des critères. Le premier est que le rite magique est un rite sympathique. Or, ce signe est insuffisant. Non seulement il y a des rites magiques qui ne sont pas des rites sympathiques, mais encore la sympathie n’est pas particulière à la magie, puisqu’il y a des actes sympathiques dans la religion. Lorsque le grand prêtre, dans le temple de Jérusalem, à la fête de Souccoth, versait l’eau sur l’autel, en tenant les bras élevés, il accomplissait évidemment un rite sympathique destiné à provoquer la pluie. Lorsque l’officiant hindou, au cours d’un sacrifice solennel, allonge ou raccourcit à volonté la vie du sacrifiant, suivant le trajet qu’il fait accomplir à la libation, son rite est encore éminemment sympathique. De part et d’autre, les symboles sont parfaitement clairs ; le rite semble agir par lui-même ; cependant, dans l’un et dans l’autre cas, il est éminemment religieux. Donc, les rites sympathiques peuvent être aussi bien magiques que religieux…
Dans tous les cas, il ne s’agit pas de simple supercherie. En général, la simulation du magicien est du même ordre que celle qu’on constate dans les états de névrose, et, par conséquent, elle est, en même temps que volontaire, involontaire. Quand elle est primitivement volontaire, elle devient peu à peu inconsciente et finit par produire des états d’hallucination parfaite ; le magicien se dupe lui-même, comme l’acteur qui oublie qu’il joue un rôle. En tout cas, nous avons à nous demander pourquoi il simule d’une certaine façon. Il faut bien se garder de confondre ici le magicien véritable avec les charlatans de nos foires ou les brahmanes jongleurs que nous vantent les spirites. Le magicien simule parce qu’on lui demande de simuler, parce qu’on va le trouver, et qu’on lui impose d’agir : il n’est pas libre, il est forcé de jouer, soit un rôle traditionnel, soit un rôle qui satisfasse à l’attente de son public. Il peut arriver que le magicien se vante gratuitement, mais c’est qu’il est irrésistiblement tenté par la crédulité publique… Ainsi, la croyance du magicien et celle du public ne sont pas deux choses différentes ; la première est le reflet de la seconde, puisque la simulation du magicien n’est possible qu’en raison de la crédulité publique. C’est cette croyance, que le magicien partage avec tous les siens, qui fait que ni sa propre prestidigitation ni ses expériences infructueuses ne le font douter de la magie. Il a toujours ce minimum de foi qui est la croyance à la magie des autres, dès qu’il devient assistant ou patient. En général, s’il ne voit pas agir les causes, il voit les effets qu’elles produisent. En somme, sa croyance est sincère dans la mesure où elle est celle de tout son groupe. La magie est crue et non pas perçue. C’est un état d’âme collectif qui fait qu’elle se constate et se vérifie dans ses suites, tout en restant mystérieuse, même pour le magicien. La magie est donc, dans son ensemble, l’objet d’une croyance a priori ; cette croyance est une croyance collective, unanime, et c’est la nature de cette croyance qui fait que la magie peut aisément franchir le gouffre qui sépare ses données de ses conclusions… Nous pourrions nous arrêter ici et dire que la magie est un phénomène social, puisque nous avons retrouvé, derrière toutes ses manifestations, une notion collective. Mais, telle qu’elle nous apparaît maintenant, cette notion de mana nous semble encore trop détachée du mécanisme de la vie sociale ; elle est encore quelque chose de trop intellectuel ; nous ne voyons pas d’où elle vient, sur quel fond elle s’est formée. Nous allons donc tenter de remonter plus haut, jusqu’à des forces, forces collectives, dont nous dirons que la magie est le produit et l’idée de mana l’expression… Pour que la magie existe, il faut que la société soit présente. Nous allons maintenant essayer d’établir qu’elle l’est et comment elle l’est.………… Nous admettons donc, comme M. Lehmann, que la magie implique l’excitabilité mentale de l’individu et qu’il se développe, par exemple chez le chercheur d’eau, une espèce d’hyperesthésie. Mais nous nions que le magicien puisse arriver tout seul à cet état et que lui-même se sente isolé. Derrière Moïse qui tâte le rocher, il y a tout Israël et, si Moïse doute, Israël ne doute pas ; derrière le sourcier de village qui suit son bâton, il y a l’anxiété du village en quête de sources. L’état de l’individu est, pour nous, toujours conditionné par l’état de la société. Ce qui nous explique la théorie d’un psychologue comme M. Lehmann, c’est que la part de la société, dans la magie moderne, est à peu près entièrement subconsciente. Il a pu ne pas l’apercevoir et, par suite, la négliger. Nous convenons aussi que, dans nos civilisations, il est rare que ce qui reste de la magie traditionnelle s’accomplisse en groupe. Mais il ne faut pas considérer comme fondamentales ces formes cadavérisées et pauvres. C’est dans les sociétés primitives chez lesquelles les phénomènes sont plus complexes et plus riches, qu’il faut rechercher les faits qui expliquent les origines et qui sont collectifs. Au surplus, l’expérience des psychologues est loin de nous démentir ; car, toutes les fois qu’ils ont pu observer des faits magiques de nouvelle formation, ils auraient pu constater qu’ils se produisent toujours dans des réunions sympathiques, au sein de petites chapelles de spirites et d’occultistes… Il y a lieu de généraliser cette observation. La présence de la société autour du magicien, qui paraît cesser quand il se retire dans son enclos, est, au contraire, à ce moment même, plus réelle que jamais, car c’est elle qui l’y pousse pour s’y recueillir, et ne lui permet d’en sortir que pour agir. L’impatience du groupe, par laquelle il est lui-même surexcité, lui livre le
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groupe ; celui-ci est prêt à se laisser fasciner par toutes les simulations dont le magicien est, quelquefois, la première victime. Cette attente fébrile et les anticipations qu’elle produit se comprennent, si l’on songe qu’il s’agit de besoins économiques communs qui sont terriblement pressants, pour toutes les tribus agricoles ou pastorales, même chasseresses, en tout cas, pour tout peuple qui vit sous des climats continentaux. Un conte, recueilli par Mrs. Langloh Parker dans l’Australie centrale, nous décrit admirablement l’état d’âme de toute une tribu qui a besoin de pluie, la façon dont elle oblige son sorcier à opérer, et l’influence reconnue à ce sorcier, influence qui va jusqu’à déchaîner un déluge… CONCLUSION : la magie est donc un phénomène social » (Marcel Mauss. Esquisse d’une théorie générale de la magie).
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AUTRES MIRACLES CHRÉTIENS RESTÉS CÉLÈBRES.
D’une manière générale, les historiens admettent que Jésus s’est présenté lui-même comme un guérisseur et un exorciste dans une action de salut en accord avec sa parole de libération – du moins, que son entourage l’a perçu comme tel. Le miracle joue un rôle important dans la conversion au christianisme. Dès le déclenchement du processus de séparation entre les Judéens pharisiens et les Judéens chrétiens, les premiers se sont méfiés des derniers à cause de leurs pratiques magiques – la littérature rabbinique a conservé des témoignages de cette défiance.
Quand Jésus guérit un sourd, il lui met les doigts dans les oreilles, crache et lui touche la langue (Mc 7. 31-37).
Quand Jésus guérit un aveugle, il met « de la salive sur ses yeux » (Mc 8. 22. La salive est omise dans Matthieu et Luc). Luc évite une telle mention, car la vertu « sympathique » de la salive » peut « évoquer la magie ». Lors de la guérison du sourd de la Décapole, le grand rabbi nazoréen utilise une formule en araméen : ephphata (ouvre-toi) et Luc, une fois de plus, évite l’évocation d’une parole étrangère à vertu supérieure, car il s’adresse à des communautés de culture grecque peu réceptives à l’égard de ce genre de pratiques.
Tous ces procédés relevant du domaine de la magie sympathique, il convient ici d’un dire deux mots.
Pour élaborer sa théorie de la magie, Frazer n’est pas parti comme Tylor d’une étude de la « culture primitive », mais d’une énigme philologique posée par la légende du prêtre de Nemi au sud-est de Rome. Selon cette légende, le prêtre-roi ou rex nemorensis ne peut être remplacé que par un esclave en fuite qui revient l’assassiner après s’être muni d’un « rameau d’or » (du gui). Pour expliquer cette légende qui fait intervenir le pouvoir magique d’une plante dans un rite de changement du souverain, Frazer a proposé une théorie générale de la magie dans les sociétés primitives.
« Sont magiques les pratiques destinées à produire des effets spéciaux par l’application des deux lois dites de sympathie, loi de similarité et loi de contiguïté, qu’il formule de la façon suivante : « Le semblable produit le semblable ; les choses qui ont été en contact, mais qui ont cessé de l’être, continuent à agir les unes sur les autres, comme si le contact persistait. » On peut ajouter comme corollaire : « La partie est au tout comme l’image est à la chose représentée. » Ainsi, la définition élaborée par l’École anthropologique tend à absorber la magie dans la magie sympathique. Les formules de M. Frazer sont très catégoriques à cet égard ; elles ne permettent ni hésitations ni exceptions : la sympathie est la caractéristique suffisante et nécessaire de la magie ; tous les rites magiques sont sympathiques et tous les rites sympathiques sont magiques. On admet bien qu’en fait les magiciens pratiquent des rites qui sont semblables aux prières et aux sacrifices religieux, quand ils n’en sont pas la copie ou la parodie ; on admet aussi que les prêtres paraissent avoir dans nombre de sociétés une prédisposition remarquable à l’exercice de la magie. Mais ces faits, nous dit-on, témoignent d’empiètements récents et dont il n’y a pas lieu de tenir compte dans la définition ; celle-ci ne doit considérer que la magie pure.
De cette première proposition, il est possible d’en déduire d’autres. Tout d’abord, le rite magique agit directement, sans l’intermédiaire d’un agent spirituel ; de plus, son efficacité est nécessaire. De ces deux propriétés, la première n’est pas universelle, puisqu’on admet que la magie, dans sa dégénérescence, contaminée par la religion, a emprunté à celle-ci des figures de dieux et de démons ; mais la vérité de la seconde n’a pas été affectée par-là, car, dans le cas où l’on suppose un intermédiaire, le rite magique agit sur lui comme sur les phénomènes ; il force, contraint, tandis que la religion concilie. Cette dernière propriété, par laquelle la magie semble se distinguer essentiellement de la religion dans tous les cas où l’on serait tenté de les confondre, reste, en fait, d’après M. Frazer, la caractéristique la plus durable et la plus générale de la magie ».
L’IMAGE D’ÉDESSE.
Le portrait envoyé par le Christ à Abgar, roi d’Édesse, appelé mandylion, fut très longtemps, y compris sous l’islam, au centre du culte à Édesse. Un seul contact avec la relique entraînait des guérisons surprenantes…
On trouve aussi une correspondance entre le Christ et Abgar, confirmée par Eusèbe de Césarée dans son Histoire ecclésiastique. La relique fut récupérée puis ramenée à Constantinople, où elle fut accueillie par une célébration magnifique le 15 août 944, et où elle restera jusqu’en 1204.
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NDLR Même légende et même mythologie que dans le cas du saint suaire de Turin ; qui aurait été vu à l’occasion de la quatrième croisade en 1024, à Constantinople, avant de réapparaître dans le patrimoine d’un noble français du même siècle, Geoffroy de Charny.
Pour ce qui est d’Édesse en tout cas ce qui est sûr c’est qu’il y avait dans cette région (Urfa dans le sud-est de la Turquie, ancêtre du royaume d’Arménie historique) des judéo-chrétiens de type elchasaïte dès le 1er siècle (suite aux prédications de Jude ou Thaddée, un des disciples ?)
LA MAGIE « BLANCHE » DE SAINT PIERRE.
Nous ne parlerons pas ici en effet de sa magie « noire » pour faire mourir quelqu’un (par exemple Ananias ou le philosophe Simon de Samarie).
« Il y avait à Joppé parmi les disciples une femme qui s’appelait Tabitha… elle tomba malade et mourut… Pierre s’est agenouillé, a prié puis, se tournant vers le corps, a prononcé ces mots : Tabitha, lève-toi. Alors elle a ouvert les yeux, elle a vu Pierre, et elle s’est assise ». (Actes des Apôtres. 9, 34-41).
Explication rationnelle : la femme n’était pas morte, mais seulement dans le coma.
« Je ne possède ni or ni argent, mais ce que j’ai, je te le donne. Au nom de Jésus Christ le Nazôréen, marche ! Aussitôt, bien droit sur ses pieds, l’infirme s’est dressé d’un seul bond et a marché » (Actes des Apôtres 3,1-8).
Explication rationnelle : la psychothérapie. Le psychique prévaut sur le somatique.
LES MIRACLES DE SAINT PAUL.
« Paul l’a regardé un instant et a vu qu’il avait foi d’être sauvé. Il lui a dit d’une voix forte : lève-toi et tiens-toi sur tes pieds ! L’homme a bondi : il marchait. La foule, à la vue de ce qu’avait fait Paul, a crié en lycaonien : les dieux ont pris forme d’hommes et sont descendus parmi nous ! Ils appelaient Barnabé « Zeus » et Paul « Hermès », parce qu’il était celui qui délivre le message (Actes des Apôtres. 14, 8-13).
Explication rationnelle : la psychothérapie. Le malade a reçu une sorte de « choc émotionnel ». Faits grossis par la rumeur populaire en Lycaonie, comme on peut le voir (Zeus, Hermès, etc.)
Voir plus haut ce qui est écrit à propos des guérisons opérées par Hercule ou Esculape.
« Dieu accomplissait des miracles par les mains de Paul. On appliquait aux malades des linges ou des chemises qu’il avait portés et ils étaient délivrés de leur maladie. Les mauvais esprits les quittaient » (Actes des Apôtres 19,11-16).
Explication rationnelle : malades mentaux ou épileptiques momentanément soulagés par cette cérémonie.
« Il était mort. Paul est descendu, s’est précipité sur lui, et l’a pris dans ses bras. Il leur a dit : inutile de vous inquiéter, sa vie est en lui… on a ramené l’enfant vivant et ce fut un grand réconfort » (Actes des Apôtres. 20, 9-12).
Explication rationnelle : l’enfant n’était pas mort. Paul le dit lui-même d’ailleurs (sa vie est encore en lui).
LE TORQUE DE SAINT VICINIEN À SARSINA (Italie).
Dans les documents les plus anciens, on parle d’une chaîne utilisée pour exorciser les possédés, bien qu’il s’agisse en fait d’un collier qui rappelle beaucoup un torque, c’est dire une parure celtique ; comme on peut en voir encore aujourd’hui dans la cathédrale de Sarsina. Il s’agit d’une tige de métal courbe et lisse, qui peut se refermer autour du cou du possédé, étant donné que, comme le rappelle un vieux codex conservé dans l’église, il a été spécialement fabriqué jadis pour faire fuir les démons.
NDLR. Le torque était en effet un collier typiquement celtique. Les très-sachants de la druidiaction (druidecht) n’y voyaient pourtant nullement un moyen de pratiquer des exorcismes, car les cas de possession étaient pour eux très rares (deux ou trois par génération ? ?). Il s’agissait simplement pour leurs orfèvres d’un objet possédant des effets magnétiques apaisants et régulateurs sur l’organisme, ou des effets de type placebo. Les possédés d’aujourd’hui sont plutôt des personnes suggestibles et crédules, un peu trop enclines à voir du merveilleux partout, soupçonnant Satan dans la moindre des petites anomalies de leur vie ; et donc prêtes à accepter les rites les plus absurdes, ou les plus irrationnels, pour retrouver une improbable sérénité, parfois jusqu’à en perdre totalement le contact avec la réalité.
SAINT NICOLAS.
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On connaît surtout saint Nicolas pour avoir ressuscité trois petits enfants (tués par un païen évidemment, précise notre ami turinois, du moins si nous avons bien compris son livre).
Mais un autre de ses miracles est moins connu.
Un Sarrasin, durant une incursion sur les côtes de Calabre, vola une icône représentant saint Nicolas, et considérée localement comme dotée de vertus thaumaturgiques. Rentré chez lui le Sarrasin voulut mettre l’effigie à l’épreuve, et après avoir laissé la porte de sa maison ouverte, il laissa l’image veiller sur ses biens. À son retour, sa maison avait été saccagée par des voleurs. Furieux, il accusa l’icône et menaça de la brûler si ses biens n’étaient pas retrouvés. Saint Nicolas peu de temps après apparut aux voleurs et leur imposa de restituer le produit de leur vol, sous peine de les bastonner. Les malfaiteurs restituèrent le butin et se convertirent au christianisme. Dieu a parfois des méthodes étranges pour montrer la voie qu’il faut suivre…
Saint Nicolas, en tant qu’ami des enfants, dispensateur d’affection et de cadeaux ; est sans doute l’héritier d’une très ancienne divinité celtique caractérisée par le port d’une hotte au contenu inépuisable, un peu analogue à la corne d’abondance des Orientaux. Les spécialistes hésitent à l’identifier clairement. Certains font le rapprochement avec le géant Gargantua en France ou pensent à un dieu Gurgunt devenu Dagda en Irlande.
L’OURS DE SAINT URSANNE (HURSANNUS). Ermite de la vallée du Doubs en Suisse. VIe – VIIe siècle – fêté le 9 décembre.
Ursanne se sépara de son maître Colomban à l’époque où celui-ci abandonna les bords du lac de Zurich pour ceux du lac de Constance. Pourquoi, lui qui avait suivi le grand Irlandais dans son épopée « comme un fils fidèle suit son père et son précepteur » (ut pius filius patrem et praeceptorem), décida-t-il de tenter l’aventure en solo ? On n’en sait rien évidemment. Était-il fatigué de la vie communautaire ? Voulait-il faire l’épreuve de ses forces en travaillant personnellement ?
« Poussé par son désir de vie solitaire » (vero solitariae vitae cupidus) il se sépare donc des autres, n’emportant avec lui que la bénédiction de son supérieur ; et le voici qui redescend la grande route romaine qui, de Vindonissa, longe l’Aar et le Jura en direction d’Avenches. Il s’établit d’abord, dit la légende, dans la bourgade de Bienne, au pied de cette région montagneuse que les vieilles cartes désignaient sous le nom de Jurassus Mons.
Sur le mont Repais, le bâton d’Ursanne alla tomber sur un rocher près du Doubs appelé Béridiai ou Beauregard ; il s’y enfonça dans la terre où il forma de puissantes racines, de sorte qu’il devint rapidement un chêne immense qui se dressait près de la chapelle portant son nom et qui conservait toujours sa luxuriante végétation ; malgré les pèlerins en cassant des branches pour les emporter comme talismans.
Ayant un jour touché la roche qui se trouvait au pied de la montagne où s’élevait son ermitage, saint Ursanne en fit sourdre une magnifique eau pure, assez abondante pour alimenter les fontaines du bourg ; une source que les gens du pays nommèrent bien évidemment : « la fontaine de saint Ursanne ».
Selon la légende, vivace chez les autochtones, un ours avait pris l’habitude d’apporter des racines et des herbes auprès de l’ermitage de notre saint, qui pouvait ainsi se nourrir et même entretenir la communauté.
C’est ce qui explique que, dans les représentations qui nous ont transmis l’image du saint, celui-ci apparaît le plus souvent accompagné de cet ours miraculeusement domestiqué, qui subvenait fidèlement à sa nourriture quotidienne. Ces relations, tout de même pas très naturelles, avec un ours, ont vivement frappé les disciples de l’anachorète, qui perdit peut-être à cette occasion son nom irlandais pour prendre celui d’Ourson (Ursanne).
Il faut dire que les ours se montraient alors particulièrement utiles aux saints, comme on le verra encore. Et des ours, à l’époque, dans ces vallées sauvages, il y en avait autant que l’on voulait.
Ursanne mourut à un âge très avancé (plenus dierum et vitae), après avoir accompli moult miracles et acquis bien des mérites. C’était en l’an 620, le 20 de décembre, selon la tradition locale, à l’âge de soixante-huit ans environ. C’est en tout cas ce jour-là qu’était célébrée à l’origine la fête du saint dans l’évêché de Bâle et quelques autres.
Le corps de saint Ursanne fut inhumé pieusement par ses compagnons, dans le modeste oratoire de la communauté, puis transféré par saint Wandrille dans l’église du premier monastère, église consacrée au Prince des Apôtres. Ce modeste sanctuaire fut lui-même remplacé, au VIIe ou au IXe siècle. Chaque année, le 9 décembre, jour de la fête patronale, la population de saint Ursanne rend à son protecteur un juste hommage. Peu de paroisses peuvent s’honorer de conserver les reliques complètes de leur saint patron, et s’assurer par-là de leur pleine et entière protection. Il est de fait que celle de saint Ursanne s’est étendue sans défaillance sur sa ville tout au long de treize siècles d’histoire.
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Une même dévotion traditionnelle allait à saint Fiacre, un contemporain des grands Irlandais, d’origine écossaise, et qui mena dans les vastes forêts de la région de Meaux une vie en tout point pareille à celle de l’ermite du Doubs. Sa réputation de sainteté attirait à lui en foules malades et pèlerins, qu’il délivrait et guérissait en grand nombre. Comme Ursanne, il se trouva un peu malgré lui à la tête d’une communauté de disciples décidés à prier, à travailler, et à faire le bien. Comme ses travaux de défrichement tinrent nécessairement une grande place dans son existence, il fut regardé comme le saint patron des jardiniers. Un jour des députés d’Écosse vinrent à lui pour lui offrir le trône de son père, qui venait de mourir (car il était fils de roi). Mais il demanda plutôt à Dieu de lui épargner les honneurs du monde et eut sur le champ l’apparence d’un lépreux, de sorte que les députés changèrent d’avis et firent demi-tour immédiatement. C’est pourquoi, sans doute, on l’invoquait surtout pour les maladies de la peau ou du sang, pour les écrouelles et toutes sortes d’autres infirmités. La piété populaire a réuni les deux anachorètes dans une même vénération, ce qui suggère qu’ils ont pu se connaître puisqu’ils ont passé tous les deux la Manche à peu près à la même époque. On prétend même que notre ermite renvoyait souvent à Saint Fiacre les visiteurs qui venaient lui demander des guérisons.
L’OURS DE SAINT GALL. Ermite du lac de Constance. VIe – VIIe siècle. Mort en 646, à l’âge de près de quatre-vingt-quinze ans. Fêté le 11 octobre.
Dans la région du lac de Constance, puis de l’autre côté du lac, à Bregenz (Bregentia) en 612, saint Colomban poursuit son évangélisation des populations. C’est là que se révèle le génie d’un des compagnons de l’équipe, nommé Gall. Gall, de son nom original Cellach, latinisé en Gallus, s’était déjà rendu sur la frontière rhénane où il s’était quelque peu initié aux langues étrangères. Colomban déclare la guerre aux non-chrétiens, renverse les autels païens, réduit en poudre les pierres levées (menhirs), disperse les offrandes, annonce Jésus-Christ, et convertit (de force) les populations.
Gall étant tombé malade, et ne pouvant continuer le voyage, demanda donc à Colomban la permission de s’arrêter pour finir, en cet endroit, retiré du monde. Guidé par un diacre de la région, il part en direction de la solitude où il érigera son ermitage définitif. Un soir le diacre, et saint Gall, s’arrêtent pour camper au bord d’une rivière. Le saint personnage plante en terre son bâton auquel est suspendu un sachet contenant des reliques de la Vierge. Ils pêchent des poissons, les rôtissent sur un petit brasero, font leur prière puis s’endorment.
Dans l’intervalle, voilà qu’un ours descend des montagnes et vient tout près ramasser des miettes que les saints pique-niqueurs avaient laissées tomber. Ce que voyant l’homme de Dieu dit à l’animal : « Je te l’ordonne au nom du Seigneur, ô bête, arrache un tronc et mets-le dans le feu ». La bête obéissant à cet ordre arracha un arbre et le mit dans le feu. Alors, le saint homme prit son sac et en tira un pain entier, qu’il tendit à ce serviteur improvisé qui s’en empara, tout en lui disant : « Au nom du Seigneur Jésus-Christ, va-t’en de cette vallée. Tu resteras désormais dans les montagnes et les collines avoisinantes, et tu ne t’attaqueras plus ni à un homme ni à un troupeau de cette région ».
Gall se fit donc bâtir une cellule non loin du lac de Constance, et y mourut quelques années plus tard. Au lieu où se produisirent ces faits, s’érigea, en son honneur, une église, transformée au VIIIe siècle, en monastère dédié à son nom.
L’OURS DE SAINT COLOMBAN.
Saint Colomban a lui aussi vécu une bien singulière expérience avec un ours.
« Colomban mortifiait son corps en jeûnant, sous une falaise en un lieu désert, et ne se nourrissait plus que des pommes du pays. Un ours féroce et très vorace survint et commença de lécher la nourriture nécessaire et à prendre des pommes dans sa bouche. Quand le moment du repas fut venu, Colomban ordonna donc à Chagnoald, son serviteur, d’apporter la quantité habituelle de pommes.
Ce dernier y alla et vit l’ours parmi les arbres fruitiers et les buissons et léchant les pommes. Il s’en revint en toute hâte et le dit au père, qui lui demanda de laisser une partie des arbres fruitiers pour la nourriture de l’ours et de garder l’autre pour lui-même.
Chagnoald s’exécuta, et divisa en deux avec son bâton les arbres et les buissons qui avaient des pommes, conformément au commandement de Colomban, il mit de côté la partie que l’ours devait manger, et la partie qu’il devrait laisser à l’usage de l’homme de Dieu. Merveilleuse obéissance ! L’ours ne se risqua point à prendre de la nourriture du côté qui lui avait été interdit et, tant que l’homme de Dieu demeura en ce lieu, ne vint chercher à manger que dans les arbres qui lui avaient été assignés » (Saint Jonas de Suse ou de Bobbio. Vie de saint Colomban 55).
Explication rationnelle. La pauvre bête a sans doute commencé par avoir peur de Cagnoald, et s’en est prudemment éloignée, le temps de poursuivre sa cueillette. Bel exemple en tout cas de cohabitation entre l’homme et les animaux dits « sauvages », genre loups…
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Ses rapports avec les Austrasiens s’étant de nouveau tendus, Colomban laissa derrière lui son disciple, et passa les Alpes du Vorarlberg autrichien avec plusieurs de ses fidèles : Cagnoald et quelques autres. Après être arrivé en Italie vers 613, il s’y assura la protection d’Agiluf, roi des Lombards, et de la reine Théodelinde, son épouse ; ce qui lui permit de faire sortir de terre dans les Apennins, près de la Trébie, une nouvelle fondation, la dernière, Bobbio. Usé par des années de marche, de privations et de souffrance, l’Irlandais s’éteignit le 23 novembre 615, à l’âge d’au moins soixante-douze ans.
Parmi les nombreux autres miracles que la tradition attribue à saint Colomban, rappelons son extraordinaire rencontre avec le dragon qui vivait dans la région où se dresse le monastère de Bobbio. Le dragon fut vaincu avec pour seule arme un simple couteau… le couteau de saint Colomban, toujours conservé au monastère, fut dès lors considéré comme doté de pouvoirs thaumaturgiques.
Pour finir sur ce chapitre, rappelons aussi les cerfs de saint Édern et de saint Théleau, qui sont représentés en train de chevaucher l’animal portant de grandes cornes.
Édern est né au Pays de Galles ou e Irlande au IXe siècle. En 894, il quitte son pays et débarque en Bretagne dans la région de Douarnenez, où il s’installe à l’emplacement de l’actuel bourg de Lannédern. Il bâtit en ce lieu son ermitage. Un cerf poursuivi par des chiens se réfugia un jour dans la cabane d’Édern pour y chercher abri et protection. Quand il aperçut Édern, il se prosterna devant lui comme pour le supplier de l’accueillir en sa maison. Ce cerf demeura dès lors auprès du saint. Il paissait non loin de lui dans la journée puis rentrait le soir retrouver le pieux Édern.
Le seigneur qui avait essayé de capturer le cerf fut très étonné par la chose et en demanda l’explication à Édern, le saint homme lui révéla la puissance de Dieu et sa bonté. L’homme qui était païen s’inclina devant l’ermite et le supplia de demander à Dieu son pardon.
Explication rationnelle : il devait s’agir de quelque chose s’apparentant au pouvoir, étonnant, sur les animaux, de certains dompteurs. Divers très-sachants de l’antiquité, avaient d’ailleurs fait mieux que saint Colomban ou saint Édern à cet égard.
« Parmi toutes ces aventures d’hommes illustres, on éprouvera quelque honte à relater comment un certain Mariccos, un Boïen de basse extraction, prétendant être inspiré par les dieux, tenta de s’immiscer dans le jeu de la Fortune, et de défier Rome par les armes. Se décernant lui-même les titres de champion de la Celtique et de dieu (car il assumait cette appellation), il avait déjà réuni huit mille hommes, et prenait possession des villages voisins des Éduens, quand cette formidable tribu-état le fit attaquer par les meilleurs de ses jeunes gens, épaulés par des cohortes de Vitellius, et dispersa cette foule de fanatiques. Mariccus fut capturé dans cet engagement, et fut vite jeté aux bêtes après, mais comme il n’avait pas été d’emblée mis en pièces par elles, il fut un moment considéré comme invulnérable par la foule des insensés, jusqu’à ce qu’il soit exécuté en présence de Vitellius » (Tacite. Histoire. II, 61).
LE MIRACLE DE SAINTE PATRICIA DE NAPLES.
Le phénomène était déjà connu dans l’antiquité puisque saint Plutarque en parle longuement dans sa vie (parallèle) de Coriolan.
« 37. Que des statues aient sué, qu’elles aient jeté quelques larmes ou quelques gouttes de sang, cela n’est pas impossible. Les bois et les pierres contractent souvent une moisissure qui engendre l’humidité ; ils prennent d’eux-mêmes plusieurs sortes de couleurs, ou reçoivent diverses teintes de l’air qui les environne, et rien n’empêche que la divinité ne se serve de ces apparences comme des signes d’événements futurs. Il est possible encore que des statues rendent un son semblable à un gémissement et à un soupir, qui soit causé par une rupture, ou par la séparation violente de leurs parties intérieures. Mais qu’un corps inanimé produise une voix articulée, des paroles claires, distinctes et intelligibles, c’est ce qui est absolument impossible. Car ni notre âme ni Dieu lui-même ne peut former des sons articulés et des discours suivis, sans un corps pourvu de tous les organes de la parole. Lors donc que l’histoire, appuyée d’un grand nombre de témoins dignes de foi, veut forcer notre assentiment pour de pareils faits, il faut croire qu’ils sont l’effet d’un mouvement différent de celui qui agit sur nos sens ; que c’est le produit de l’imagination qui entraîne notre jugement : comme, dans le sommeil, nous croyons voir et entendre ce que nous ne voyons ni n’entendons réellement. À la vérité, ceux qui, remplis d’un amour ardent de la divinité, ne veulent ni rejeter ni révoquer en doute aucun de ces prodiges, ont pour fondement de leur foi la puissance merveilleuse de la divinité, infiniment supérieure à la nôtre. Dieu ne ressemble en rien à l’homme, ni dans sa nature, ni dans sa sagesse, ni dans la force de ses actions ; et la raison même nous persuade qu’il doit faire des choses
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qui nous sont impossibles, et qu’il trouve des moyens d’agir qui surpassent toutes nos facultés. Différent de nous en toutes manières, il en diffère surtout par ses opérations, qui le placent à une distance infinie de nous. Mais notre peu de foi, suivant Héraclite, fait que la plupart des œuvres divines échappent à notre perception ».
À Naples dans l’église de Saint Grégoire d’Arménie, construite sur les ruines d’un temple païen (N.D.A : comme souvent), le sang de sainte Patricia se liquéfie chaque mardi à 10 heures. Ce sang provient de l’extraction, pratiquée sur son cadavre, de l’une de ses molaires.
Explication rationnelle.
Il s’agit d’un exemple de thixotropie, comme dans le cas du sang de saint Janvier, c’est-à-dire de la capacité de certains gels à devenir plus fluides, jusqu’à passer de l’état solide à l’état liquide ; s’ils sont secoués ou qu’on les fait bouger de telle façon qu’on trouble leur état par des sollicitations mécaniques. La substance qui est présentée comme étant le sang de sainte Patricia étant thixotropique comme dans le cas de saint Janvier, il est évident qu’en manipulant et en retournant le reliquaire, on peut provoquer les conditions qui entraînent sa liquéfaction.
LE SAINT CHIEN GUÉRISSEUR (UN LÉVRIER) : SAINT GUINEFORT (cf. ST GÉLERT AU PAYS DE GALLES).
Dans le recueil d’exempla qu’il rédige dans les années 1250, l’Inquisiteur dominicain Étienne de Bourbon consacre un chapitre entier à l’étrange « superstition » qu’il a découverte au nord de Lyon. Les paysans y vénèrent « tel un martyr » un « chien lévrier » enterré dans un bois où s’élevait jadis un château.
Un seigneur et sa famille vivaient jadis dans ce château situé à une quarantaine de kilomètres au nord de Lyon. Un lévrier nommé Guinefort vivait à leur côté et c’était l’animal favori du seigneur. Un jour que le seigneur, sa femme et la nourrice de leur nouveau-né s’étaient absentés, un serpent s’introduisit dans la chambre du nourrisson. Guinefort s’interposa et s’opposa courageusement à l’attaque du serpent contre l’enfant. Le combat fut violent et sanglant. Le berceau se renversa et du sang se répandit partout dans la chambre. Guinefort vainquit le serpent et attendit le retour de son maître auprès de l’enfant tombé à terre et couvert de sang. En entrant dans la chambre, le seigneur crut que le lévrier avait tué son fils. Fou de douleur, il tua le pauvre Guinefort d’un coup d’épée. C’est alors seulement qu’il découvrit le cadavre du serpent, et qu’il comprit la loyauté de son chien. Plein de remords, il enterra respectueusement Guinefort et fit planter des arbres à côté de sa tombe.
Les gens du pays apprirent la conduite exemplaire de Guinefort et sa mort injuste ; ils commencèrent à l’honorer comme un martyr, à venir sur sa tombe en lui présentant leurs enfants malades, afin qu’il les guérisse.
C’est dans ce bois que les femmes de la région, à l’époque de la prédication d’Étienne de Bourbon, « portaient leurs enfants [malades] ». Guidées par une vieille femme qui leur indiquait les actes à accomplir, elles effectuaient divers rituels destinés à obtenir la guérison de leur enfant.
Gageons que la protection du saint lévrier n’était pas si inefficace et inutile, mais de là à dire qu’elle était voulue ou autorisée par le dieu-ou-démon d’Abraham d’Isaac et de Jacob… !
Étienne de Bourbon décida donc d’arrêter ce culte « superstitieux » : il fit exhumer les restes du chien et couper le bosquet, ordonna que l’on brûle le tout, et interdit à quiconque de perpétuer les pratiques jusqu’alors en usage.
Ce culte a néanmoins persisté jusqu’au début du XXe siècle malgré les interdictions répétées de l’Église de vénérer un chien.
Explication rationnelle.
Le mystère a longtemps entouré ce curieux animal thaumaturge, dispensateur de miracles, capable de redonner la santé aux enfants malades. Le récit du frère dominicain Étienne de Bourbon fait très nettement penser à un lieu de culte celtique (un bosquet sacré druidique).
Plutôt que les paysans, c’étaient surtout les femmes qui, ayant des enfants faibles et malades, demandaient son intercession céleste ! Au lieu présumé du tombeau du « saint lévrier » étaient apportés des langes de nourrisson, des chaussons ou des petits souliers en guise d’ex-voto, des pièces de monnaie, des clous et on y exposait même brièvement des enfants nus.
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Offrandes de sel, langes des enfants malades accrochés à des arbres, présence non loin d’une rivière, dans laquelle on plongeait neuf fois les enfants, etc.
Ce que l’Inquisiteur a découvert en ce lieu était donc vraisemblablement la survivance d’un très ancien culte. Pour les Celtes, le chien était, en effet, un animal respecté. (On se demande bien pourquoi, d’ailleurs, ce fidèle ami de l’Homme est tant méprisé dans la Bible. Il est vrai que ce n’est pas un livre très naturel ou très « écologiste », mais quand même !).
Saint Guinefort ou Gunifort semble par contre avoir été un authentique saint chrétien, originaire des Îles Britanniques vraisemblablement. Ses parents étaient de sang royal. Accompagné de sa sœur Dardaluch (ainsi que d’un autre frère et d’une autre sœur) il était d’abord passé par le sud de la Germanie pour y prêcher. Mort à Pavie en Italie à la fin de l’Empire ou au début du Moyen Âge. Fêté le 22 août. On se perd en conjectures sur les raisons qui ont poussé les habitants de cette région, qui faisait alors partie du Saint-Empire romain germanique, à le rapprocher de leur lévrier guérisseur. Peut-être en raison de correspondances symboliques évidentes pour les gens de l’époque, mais qui sont aujourd’hui perdues. Ou alors en raison de la ressemblance des noms.
LE MIRACLE DU CŒUR DE SAINTE CLAIRE DE MONTEFALCO.
Le 17 août 1308, lorsque Claire mourut, ses nonnes décidèrent de prélever le cœur de leur abbesse… Le jour suivant le cœur fut sectionné. À l’intérieur du muscle cardiaque, dans le cœur de la vierge, il y avait alors, ayant l’aspect de nerfs durs ; d’un côté la croix, trois clous, la lance, l’éponge et la canne, de l’autre la colonne, le fouet, c’est-à-dire le fléau à cinq cordes et la couronne. Dans le siège du fiel, il n’y avait plus trace de liquide, mais seulement trois pierres rondes et sphériques représentant vraisemblablement la Trinité.
Explication rationnelle : cette description prouve surtout l’imagination des témoins.
LE MIRACLE DES MACARONIS.
Il y a en Italie un miracle lié aux pâtes. Les faits remontent à la seconde moitié du XIVe siècle, et concernent la personne presque inconnue du béatifié sicilien Guglielmo Cuffiello, mort en 1377. Un jour un dénommé Guiccione invita Guglielmo à déjeuner ; la femme du premier, qui haïssait le saint homme, cuisina des macaronis, mais ceux qui étaient destinés à Guglielmo furent farcis de son et d’autres choses immangeables. Toutefois, le plat, après avoir été béni par l’invité, se remplit de fromage fondu succulent, entraînant la stupeur des autres invités…
Explication rationnelle : il y en a trois.
Première explication : la femme a sans le savoir inventé une nouvelle recette. Un peu comme dans le cas de la tarte Tatin.
Deuxième explication : l’invité, par politesse, n’a pas voulu dire ce qu’il pensait de ce plat.
Troisième explication : les goûts et couleurs ne se discutent pas.
LA RÉSURRECTION OPÉRÉE PAR JEANNE D’ARC.
Une résurrection fut également opérée par Jeanne d’Arc, qui ramena donc à la vie un enfant mort-né, de façon qu’il puisse recevoir le baptême.
NDLR. Que l’on nous comprenne bien ! Comme d’ailleurs pour les autres exemples.
Jeanne d’Arc est admirable à plus d’un titre. C’était une fille DU PEUPLE (point n’est besoin d’en faire une bâtarde de roi ou de reine) sensible, idéaliste, et intelligente (ses réponses lors de son procès le prouvent !) Et surtout courageuse ! Car du courage, il lui en a fallu pour se faire une place dans ce monde d’hommes par excellence, celui de la guerre. Notre propos n’est donc pas de nous en moquer ou de la tourner en ridicule, mais d’évoquer brièvement son cas avant examen plus attentif ultérieur.
LES RÉSURRECTIONS D’ANIMAUX.
Saint Martin de Porres au Pérou fit renaître le vieux chien d’un confrère ; saint Joseph de Cupertino ramena même à la vie un troupeau entier de brebis, et saint Paul de la Croix fit revenir au monde un bœuf déjà égorgé par le boucher.
LE MIRACLE DE JEANNE MOREL.
Sa jambe droite s’allongea des douze centimètres manquants et retrouva un aspect normal. Ce miracle fut largement débattu lors du procès en canonisation de Jeanne de Chantal.
LE MIRACLE DE L’UNIJAMBISTE.
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À Calanda près de Saragosse en 1637, le docteur Diego Millaruelo amputa la jambe du jeune Miguel Pellicer qui fut dès lors contraint de mendier… Le 6 mars 1640, en rentrant de sa tournée quotidienne de mendiant, il se jeta sur son lit, fatigué, et s’endormit. Lorsque sa mère alla voir si son fils dormait, elle s’aperçut avec stupeur que sa jambe droite avait miraculeusement repoussé.
Explication des sceptiques à la Zola : le jeune homme était un faux unijambiste comme beaucoup de mendiants de l’époque, et se découvrit dans son sommeil.
NDLR. Le grand écrivain français qu’est Zola est en effet connu pour avoir déclaré, un jour de 1894, en visitant Lourdes : « Je vois de nombreuses cannes, beaucoup de béquilles. Je ne vois toutefois aucune jambe de bois ».
LE MIRACLE DES DEUX LANGUES.
L’enfant avait une seconde langue, et précisément sous la langue normale, il en avait une autre qui, par sa forme et son aspect, ressemblait à la première, sinon qu’elle était plus petite. La mère supérieure du couvent donna donc à sa mère un petit morceau de bois du cercueil dans lequel le corps du serviteur de Dieu avait été amené. La femme le prit avec confiance et le plaça sur la bouche de l’enfant : à l’instant même, la seconde langue disparut, sans qu’il n’en reste ne serait-ce que l’ombre.
Le phénomène eut un poids certain dans le procès en béatification de François de Sales, qui se déroula le 21 décembre 1661, et fut à nouveau discuté en 1665, lors de sa canonisation.
LES STATUES QUI PLEURENT, SAIGNENT, SUENT, OU DONNENT DU LAIT.
En février 1995, une statuette de la Vierge d’environ 40 centimètres de haut, provenant de Medjugorje en Bosnie-Herzégovine, s’est mise à verser des larmes de sang dans le jardin d’une maison de la ville de Civitavecchia en Italie. Le phénomène a vite attiré l’attention des médias, suscitant des réactions populaires de toutes sortes, des plaintes contre X pour abus de la crédulité du public, ou des pèlerinages de dévots.
N. D. A. Le phénomène des statues dont jaillissent des substances biologiques (sang, sueur, larmes) n’est pas la prérogative du christianisme, car on le trouve aussi dans l’Antiquité si l’on en croit Plutarque (voir plus haut).
Pour le paganisme, il avait une haute valeur symbolique et il était considéré comme une sorte de langage des dieu-ou-démons, qui communiquaient ainsi aux fidèles leurs intentions… En certaines occasions (à La Salette par exemple), la Vierge Marie fut d’ailleurs particulièrement claire : « Il faut que le peuple se soumette, dans le cas contraire, je serai obligée de laisser libre le bras de mon Fils ». Il s’agit toujours d’événements d’un intérêt remarquable, y compris pour les scientifiques, sociologues ou spécialistes de la psychologie des foules, même s’ils sont parfois problématiques d’un point de vue théologique. Les miracles sont parfois diabolico instinctu (dus au Diable).
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LES ROIS THAUMATURGES.
Nombre de monarques européens du Moyen Âge auraient eu des pouvoirs de guérison miraculeux, y compris les écrouelles (scrofule est aujourd’hui le terme latin désignant la tuberculose du cou).
La maison de Habsbourg pouvait guérir le bégaiement d’un simple baiser. Les rois de Castille étaient supposés avoir le pouvoir d’exorciser les démons alors que leurs homologues hongrois, plus prosaïquement, n’avaient des pouvoirs que sur la jaunisse. À la même époque, les monarques anglais distribuaient des anneaux anti-crampes comme remède contre les maladies « diaboliques » genre crampes ou épilepsie.
On pensait à l’époque que la scrofule était due à quelque péché, et surtout les péchés de la nation.
On croyait donc peut-être à cause de cela que le traitement avait plus de chance de réussir s’il était administré un jour de fête religieuse.
En Angleterre la royauté a revendiqué le pouvoir divin héréditaire de guérir la scrofule dès le règne d’Édouard le Confesseur.
Ce pouvoir de guérison était surtout exercé par des monarques qui devaient démontrer la légitimité de leur règne.
Aux yeux de la population, qu’il puisse intercéder auprès des cieux était la preuve de son droit divin à régner.
Jacques 1er d’Angleterre, qui était un intellectuel, croyait que c’était une superstition et pourtant il s’y est plié. Elizabeth I à cette occasion imposa les mains à plus d’un millier de ses sujets.
Le toucher guérisseur de certains monarques était assez connu pour que des patients viennent de très loin pour le solliciter. Or n’oublions pas que voyager à l’époque signifiait habituellement marcher et encore marcher.
Les archives nous montrent que certains patients sont venus à plusieurs reprises pour bénéficier de ce toucher royal, ce qui prouve qu’il n’avait pas opéré la première fois, ni la deuxième fois ni la troisième fois.
À partir du règne d’Édouard IV, les monarques présentèrent aux malades une médaille d’or appelée « pièce du toucher » et la suspendaient autour du cou des malades. Ils devaient en permanence porter ces pièces, connues sous le nom d’angelots, pour en assurer l’efficacité.
Certains observateurs pensent que beaucoup de ces malades venaient pour la pièce accompagnant la cérémonie, pas pour le toucher royal lui-même.
Ce toucher royal était-il efficace ?
Les scientifiques contemporains, y compris certains spécialistes des maladies psychosomatiques, ont essayé sans succès de trouver une explication à l’efficacité de ce toucher royal.
Il est possible qu’il y ait eu alors une rémission spontanée de la maladie, donnant l’impression d’une guérison royale.
Cette mystique de la monarchie était renforcée par le fait que les monarques n’ont jamais attrapé la scrofule, même s’ils pratiquaient l’imposition des mains sur les malades.
Plus d’un roi a confié à ses conseillers ou à ses journaux intimes à quel point les attentes du public leur pesaient.
Heureusement pour eux, ces thérapies royales n’étaient pas censées guérir tout le monde immédiatement et ceux qui n’étaient pas guéris étaient généralement accusés d’avoir manqué de foi !
L’un des aumôniers de la reine Elizabeth, William Tooker, a écrit en 1597 un livre intitulé « le charisme, ou le don de guérison » en 1597. Tooker y évoque dans un passage haut en couleur le contraste entre la reine vierge et charismatique et ses malheureux sujets malades.
Il écrit qu’il avait vu Elizabeth I : « de ses très belles mains, rayonnantes comme de la neige blanchies à la chaux, exemptes de toute réticence, touchant leurs abcès, non du bout des doigts, mais en appuyant de façon fermée et répétées à avec de salubres résultats ».
Tooker, Elizabeth et tous les autres voyaient ces guérisons comme des preuves non seulement d’un don divin particulier, mais aussi de la validité de sa succession au trône.
Le démonologue Pierre de Lancre prétendait même que des monarques français décédés pouvaient guérir ces malades.
On croyait encore au 16e siècle que le bras de Saint Louis conservé au monastère de Poblet en Catalogne pouvait encore guérir les malades ?????
Henry VII a formalisé processus. Il y avait quatre parties distinctes :
— Le monarque touchait ou caressait le visage ou le cou du malade.
— Le monarque passait la médaille autour du cou de cette personne.
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— Les passages ad hoc de l’Évangile de Marc (16, 14-20) et de l’Évangile de Jean (1 : 1-14) étaient lus. Le chapitre 16 de Marc contient en effet un passage qui confirme l’immunité des monarques envers les maladies infectieuses : « ils saisiront des serpents ; s’ils boivent quelque breuvage mortel, il ne leur fera point de mal ; ils imposeront les mains aux malades, et les malades, seront guéris » (Marc 16,18).
— Des prières étaient dites. Jusqu’à la Réforme anglaise, ces prières étaient adressées non seulement à Dieu, mais aussi à la Vierge Marie et aux saints.
Vers le milieu du 16e siècle, ceux qui voulaient avoir accès aux séances de guérison publique subissaient d’abord un examen médical pour s’assurer qu’ils étaient bien atteints de scrofule.
La cérémonie culmina lors de la Restauration, avec un Charles II touchant en moyenne 4 000 personnes par an jusqu’à la fin des années 1680.
Ces chiffres énormes paraissent encore plus étonnants quand on se rappelle que, entre 1530 et 1532, Henry VIII, d’après les archives, aurait seulement touché soixante-cinq personnes souffrant de scrofule.
L’historien français Marc Bloch a mis en lumière plusieurs points qui avaient jusque-là échappé à ses collègues. Il insiste notamment sur le fait qu’il faut se méfier des « certificats » de guérison de l’époque, qui peuvent ressembler aux certificats « de complaisance » faits par quelques-uns de nos modernes (et peu scrupuleux) docteurs.
Ainsi, le 25 mars 1669, deux médecins certifièrent-ils la guérison d’un homme atteint d’ulcères scrofuleux, mais notent dans le même temps que « tous » les ulcères ont disparu « sauf un » ; ce qui est terriblement fâcheux pour la suite des événements, car il peut y avoir une rechute, la scrofule étant réputée pour être transitoire, avec des hauts et des bas, des phases de rémission apparente et des rechutes mortelles. Une dénommée Jeanne Bugain « reçut du soulagement » après avoir été touchée par Louis XIV, mais elle succomba quelque temps après. Il aurait donc fallu suivre les malades sur une longue période pour être assuré de leur complète guérison, et ce ne fut pas le cas. Enfin, beaucoup de malades « guérissaient » également fort longtemps après la cérémonie. Mais qui peut alors donner la cause réelle de telles guérisons ?
Ce qui manque le plus cruellement dans ces affaires de guérisons d’écrouelles, ce sont des enquêtes dignes d’un scientifique. La seule investigation à n’être pas un vulgaire « certificat » sans autre sorte de renseignement que la guérison prétendument spontanée du malade, et qui recense des cas ayant fait l’objet d’un réel suivi médical (avant et après la guérison) ; est celle qui a été menée au XIXe siècle à Reims. Le 31 mai 1825, le roi de France Charles X, toucha 120 à 130 personnes à l’Hospice Saint-Marcoul. Les sœurs de l’endroit suivirent les malades et établirent un procès-verbal attesté par le Dr Noël. Il en ressort que, sur la centaine de cas présentés, cinq d’entre eux ont été « guéris ».
Mais encore faut-il lire le rapport jusqu’au bout. Le médecin y certifie, en effet, dans un très court passage, « qu’il n’a été employé pour leur guérison que le traitement habituellement en usage ! » Autrement dit, il n’y avait pas eu que le simple toucher royal, les malades avaient aussi reçu les soins habituels.
CONCLUSION SUR CES MIRACLES DES SOUVERAINS (DE L’ANTIQUITÉ À NOS JOURS).
Certains souverains […] imaginèrent un jour – ou leurs conseillers en communication imaginèrent pour eux – afin de fortifier leur prestige un peu fragile, de s’essayer au rôle de thaumaturge. Persuadés eux-mêmes de la sainteté que leur conféraient leur fonction et leur race, ils estimaient probablement tout simple de revendiquer un pareil pouvoir. On s’aperçut qu’un mal redouté cédait quelquefois, ou semblait céder, après le contact de leurs mains, que l’on tenait presque unanimement pour sacrées. Comment n’eût-on pas vu là une relation de cause à effet ? Ce qui suscita la croyance en ces miracles, ce fut l’idée qu’il devait y avoir miracle.
Sans doute n’eût-on pas songé à crier au miracle, si l’on ne s’était pas d’avance habitué à toujours attendre des rois quelque miracle. Mais à cette attente – faut-il le rappeler ? – tout inclinait les esprits. L’idée de royauté sacrée ; legs d’âges presque primitifs, fortifiée par le rite de l’onction, et par tout l’épanouissement de la légende monarchique, habilement exploitée, au surplus, par quelques politiques astucieux ; d’autant plus habiles à l’utiliser que, le plus souvent, ils partageaient eux-mêmes le préjugé commun ; hantait la conscience populaire. Or, il n’était pas de saints sans exploits miraculeux ; il n’était pas de personnes ou de choses sacrées sans puissance surnaturelle.
Notons également que les définitions cliniques des traités anciens n’étaient pas assurées, on pouvait facilement diagnostiquer les écrouelles, alors qu’il s’agissait de lésions bénignes, qui disparaissaient
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d’elles-mêmes. En cas d’échec de la tentative de guérison, l’explication était vite trouvée, « c’était parce que le malade n’avait pas la foi ». De toute façon, les gens qui n’étaient pas guéris n’étaient évidemment pas enclins à se plaindre, et ce, pour de multiples raisons. Soit il leur était très difficile de faire publiquement grief à leur souverain de leur non-guérison (on imagine pourquoi) ; soit ils se persuadaient d’avoir été mal diagnostiqués (un certain Jean l’Escart, non guéri par le roi de France Charles VIII, était ainsi convaincu d’être atteint d’une « autre » maladie).
La foi ne prouve jamais la réalité de ce qui est cru, seulement le degré de persuasion de ceux qui s’y adonnent. L’auteur a écrit à ce sujet une belle page, qui nous explique, par le phénomène « d’attente », le véritable succès populaire rencontré autrefois par ce genre de miracle.
Ceux qui « croient » aujourd’hui à ces guérisons évoquent une explication « rationnelle » : la psychothérapie des maladies psychosomatiques. Les malades auraient reçu alors une sorte de « choc émotionnel », qu’auraient provoqué la cérémonie et le prestige des personnes qu’elles approchaient. Ce « choc », par un mécanisme dont on ignore encore le détail, aurait eu un impact décisif sur la maladie, jusqu’à en avoir raison.
« Nombre de ces miracles sont souvent injustement considérés comme de simples légendes ou comme des mythes. Les sceptiques oublient que ceux qui ont accompli ces miracles étaient en majorité de braves et saintes personnes. Des saints bons et pieux ne peuvent pas mentir. De plus, ces saints étaient alors des personnes douées d’une grande intuition ; comment peut-on les accuser d’ingénuité ou de stupidité ? » (Massimo Centini. Le grand-livre des miracles).
L’auteur, diplômé en anthropologie culturelle, travaille sur les cultures minoritaires et sur les traditions populaires. Il s’attache particulièrement au mysticisme, à la religion, et à la problématique de l’insertion des aspects religieux dans la culture contemporaine. Il travaille au Centre d’études des traditions populaires de Turin. Nos lecteurs sont libres de croire à la réalité matérielle des faits rapportés dans cet ouvrage. Nous sommes en effet pour la paix des ménages et nous ne voudrions surtout pas être à l’origine de divorces parmi nos sympathisants. En France, ça peut mettre quatre ou cinq ans ; et la justice commence en général par vous prendre vos enfants, puis par vous expulser de votre propre domicile (celui dont vous payez les traites) afin d’y installer l’amant de votre femme, à vos frais. On n’appelle pas ça « justice » bien sûr (on n’ose plus), mais « défense de l’intérêt des enfants » (si ! si !) comme si humilier un homme devant eux pouvait constituer un exemple indispensable à leur donner, pour qu’ils deviennent ensuite des adultes équilibrés ?
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LE GRAND SCHISME DE 1054.
Les historiens désignent sous le nom de schisme de 1054 l’éloignement progressif puis la rupture entre les Églises qui s’étaient constituées au sein de l’Empire romain et de ses États successeurs, mais les querelles christologiques avaient déjà commencé à éloigner Église d’Occident et Églises d’Orient bien avant cette date.
Des facteurs politiques, comme l’invasion normande des possessions byzantines d’Italie, ou socioculturels, comme l’aspiration de la papauté à dominer la scène politique, jouèrent au cours des siècles suivants un rôle au moins aussi important que les querelles théologiques, comme celle du Filioque.
Une première rupture survient le 16 juillet 1054 entre l’Église de Rome et l’Église de Constantinople, lorsque le cardinal Humbert de Moyenmoutiers déposa sur le maître-autel de Sainte-Sophie une bulle excommuniant le patriarche Michel Cérulaire et ses proches collaborateurs, excommunication qui fut suivie de celle du cardinal et de ses assistants par le patriarche.
Mais c’est essentiellement le détournement en 1204 de la Quatrième croisade, le sac de Constantinople par les croisés et la constitution de patriarcats « latins » sur le territoire des patriarcats grecs qui consommeront la rupture, entraînant l’exil de bon nombre d’évêques orthodoxes et déconsidérant durablement l’église d’Occident aux yeux des populations orthodoxes, mais aussi les églises orthodoxes aux yeux de celle de Rome, dont les intellectuels écrivirent l’histoire de manière à rejeter sur l’Orient seul la responsabilité du schisme.
LES CAUSES LOINTAINES.
Lorsque les apôtres répandirent le message du Christ, ils le firent avec la sensibilité propre à chacun d’eux, laquelle se refléta dans la doctrine des Églises qu’ils fondèrent. Des divisions se firent donc bientôt jour tant à l’intérieur des Églises qu’entre les apôtres eux-mêmes (par exemple : conflit entre Paul et Pierre sur la conduite à tenir à l’endroit des païens).
À ces différences personnelles s’ajoutèrent rapidement celles propres au milieu qui recevait ce message. Les provinces orientales de l’Empire romain avaient le grec comme langue d’usage et avaient conservé la culture hellénistique, plus individualiste et portée vers la philosophie que la culture romaine des provinces occidentales, plus autoritaire et juridique. L’éducation y étant plus répandue qu’en Occident, laïcs autant qu’ecclésiastiques prenaient grand plaisir à la spéculation théologique. Lorsque les opinions devenaient trop partagées sur un point particulier, on faisait appel à une assemblée générale à laquelle tous les membres de l’Église étaient invités à participer pour dégager ce qui serait considéré comme article de foi.
En cas d’échec, on parlait de « schisme » pour décrire la rupture entre diverses factions au sein d’une Église et d’« hérésie » pour décrire une doctrine considérée comme fausse.
L’édit de Milan, en 313, établit la liberté de religion dans l’ensemble de l’empire sans favoriser trop ouvertement les chrétiens au début, la majorité de la classe dirigeante et de l’armée étant encore païenne. Pour éviter de provoquer celle-ci, Constantin en vint à contrôler la nouvelle Église dont il nommait personnellement les évêques, lesquels devinrent des fonctionnaires impériaux. Ils furent bientôt 1 800, dont 1 000 dans les territoires parlant grec et 800 dans les territoires parlant latin. Mais l’empereur Constantin fut rapidement confronté à deux hérésies, celle des donatistes en Afrique du Nord et l’arianisme qui prêchait que seul Dieu le Père existait de toute éternité alors que le Fils avait été créé à un moment déterminé. Cette dernière hérésie s’était rapidement répandue dans les diverses tribus germaniques.
Devant la résistance des ariens, Constantin décida de convoquer en 325 le premier concile œcuménique dans son palais de Nicée auquel environ 300 évêques participèrent, dont seulement six d’Occident, pour lesquels une bonne partie des discussions était étrangère. Outre divers problèmes disciplinaires propres aux Églises d’Orient, le concile devait résoudre le problème dogmatique posé par les propositions de l’évêque Arius d’Alexandrie. Peu au fait des subtilités théologiques et probablement mal à l’aise en grec, Constantin décida que le Fils était « de la même substance » (en
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grec, homoousios ; en latin approximatif, consubstantialis) que le Père, terme qui fut intégré dans le Credo ou Symbole de Nicée. Arius et ses partisans furent alors excommuniés. Réadmis dans l’Église au concile de Jérusalem en 325, ils furent à nouveau condamnés en 333.
Le concile de Nicée (canon 6) établit également trois grands patriarcats, soit, par ordre de primauté, Rome, Alexandrie et Antioche. Cet honneur venait du fait que ces Églises avaient été fondées par des apôtres : Antioche par saint Pierre, Alexandrie par saint Marc. Rome jouissait d’un statut particulier non seulement parce que c’était là qu’avait fini saint Paul *, dénoncé par certains chrétiens, mais aussi parce qu’elle était le siège de l’Empire romain et, jusqu’à son transfert à Constantinople, la résidence de l’empereur. Toutefois, si l’évêque de Rome jouissait d’un respect particulier, celui-ci découlait de l’importance de la ville et non du titulaire du poste et cette primauté ne fut ni clairement définie, ni légalement instituée. Il s’agissait d’une « primauté d’honneur » et non d’une « suprématie de pouvoir ».
Lors du deuxième concile œcuménique qui se réunit à Constantinople en 381, on décida d’élever l’évêque de Constantinople, jusque-là simple suffragant de l’évêque d’Héraclée, au rang de patriarche et de lui donner la deuxième place puisque Constantinople était la « Nouvelle Rome » (3e canon). La place du patriarcat de Constantinople fut confirmée lors du concile de Chalcédoine en 451 (28e canon) alors que le patriarcat de Jérusalem faisait son apparition. Ainsi fut constituée la « pentarchie » avec comme ordre de préséance : Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem.
LE CONCILE IN TRULLO.
Le fossé entre Rome et Constantinople se creusa à l’occasion du concile Quinisexte ou in Trullo tenu en 691 et 692 à la demande de l’empereur Justinien II sans consultation de l’évêque de Rome. Il rassembla 220 évêques orientaux et visait à discuter de discipline ecclésiastique plutôt que de questions dogmatiques comme les précédents. Ses 102 canons ou décisions traitaient de la discipline dans le clergé et de bonnes mœurs pour les clercs comme pour les laïcs. Certains canons fustigeaient l’Église d’Arménie et d’autres l’Église de Rome, comme le jeûne du samedi durant le carême ou le mariage des prêtres. Rome, qui n’avait pas encore reconnu le canon 28 de Chalcédoine confirmant l’égalité de privilège entre l’ancienne et la nouvelle Rome, s’éleva contre le canon 36 selon lequel les deux Églises devaient jouir d’une même estime en matière ecclésiastique et jouir de privilèges égaux, Constantinople venant après Rome dans le temps, mais non en honneurs. Le pape d’alors, Serge Ier désavoua ses légats et refusa de signer les actes du concile.
Le concile Quinisexte avait, dans son 82e canon, recommandé que l’on abandonne la pratique de représenter le Christ sous forme d’un agneau ou du symbole « XP » pour faire place à des représentations anthropomorphiques. Depuis, le culte des images avait pris, surtout en Grèce, une telle importance que l’on voyait souvent en elles des « doubles » des saints qu’elles devaient représenter ; on leur attribuait divers miracles comme le don de la parole, le suintement d’huile ou de sang. Alarmé par les défaites de l’Empire face aux Arabes, l’empereur Léon III aurait pris la décision d’interdire la vénération des images lors d’une éruption volcanique qui ravagea l’île de Thera en 726. Cette querelle se déroula en deux étapes. Au cours de la première, de 730 à 787, les empereurs Léon III et son fils Constantin V, un monophysite, adoptèrent une attitude de plus en plus intransigeante et violente à l’encontre du culte des images. Si le pape Grégoire II réagit assez mollement, son successeur Grégoire III condamna l’iconoclasme byzantin.
Le grand résultat politique de la querelle des images fut de rejeter Rome hors de l’Orient grec, mais aussi Byzance de l’Occident latin.
Quatre ans après son élection, le pape, Léon III fut victime d’un complot organisé par de jeunes nobles et ne dut son salut qu’à sa fuite vers la cour de Charlemagne à Paderborn. De retour à Rome sous la protection de Charlemagne qui devait agir comme juge, il fut accusé de simonie, parjure et adultère. Le 23 décembre, le pape jura solennellement qu’il était innocent de ces accusations et deux jours plus tard, il couronna Charles en le proclamant « imperator Augustus ». Ce faisant, le pape renversait la situation et se donnait le droit d’investir l’Empereur des Romains, ce qui sous-entendait la supériorité de l’Église sur l’Empire.
En l’an 866 le tsar Boris 1er de Bulgarie qui avait demandé en vain l’envoi d’un patriarche grec, se tourna vers Rome qui se hâta de lui envoyer des missionnaires francs, lesquels professaient le credo en y incluant la formule du Filioque. Furieux, le patriarche byzantin Photius convoqua un synode qui déclara le pape déposé et anathématisé en 867. Sur ces entrefaites, Basile le Macédonien renversa
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Michel III et s’empara du pouvoir, tout prêt à sacrifier Photius pour être reconnu par le pape et le parti des Ignatiens.
Si la fin du schisme de Photius marqua le début d’une période d’apaisement entre les deux hiérarchies, elle fut aussi le point de départ d’une autre querelle à l’origine directe du schisme de 1054 : la querelle du Filioque. Dans une Encyclique aux patriarches de l’Est, le patriarche Photius dénonçait cet ajout au credo de Nicée par l’Église d’Occident qu’il accusait d’hérésie. Le Credo de Nicée (325) disait simplement que Dieu le Fils « procédait » du père et restait silencieux sur la nature du Saint-Esprit. Cet ajout (« ex patre filioque procedit ») affirmait que le Saint-Esprit procédait à la fois du Père et du Fils.
Cette expression avait été adoptée lors du 3e Concile de Tolède en 589 pour contrer l’arianisme prévalant alors en Espagne wisigothique jusqu’à la conversion du roi Récarède. À partir de là, elle fut adoptée au nord des Pyrénées pour lutter contre les chefs francs qui étaient tous ariens. Tous, sauf Clovis qui s’était converti au catholicisme romain. Charlemagne, dans sa lutte contre les autres chefs francs, voulut faire pression pour qu’elle soit introduite dans le Credo, ce à quoi s’opposa fermement le pape Léon III. Mais au cours du IXe siècle, la formule fut progressivement adoptée par les Églises d’Allemagne et de Lotharingie. Des clercs allemands l’apportèrent à Rome. L’influence allemande grandissant dans la capitale, un des successeurs de Léon III, Benoit VIII, qui avait désespérément besoin de l’appui de l’Empereur dans la lutte qui l’opposait aux grandes familles romaines, finit par se résoudre à l’accepter 200 ans plus tard, lorsque l’empereur Henri II alla se faire couronner à Rome.
L’hostilité à l’endroit de l’influence allemande aidant, c’est moins la question de la procession du Saint-Esprit qui faisait problème que de savoir si le pape était habilité à imposer seul une telle décision à l’ensemble de l’Église. Pour les Orientaux, le symbole de Nicée ayant été adopté par un concile réunissant toutes les Églises ne pouvait être modifié que par un autre concile œcuménique. On glissa ainsi du plan théologique au plan de l’administration de l’Église.
LES CAUSES IMMÉDIATES DU SCHISME.
Oisif et paralytique, l’empereur byzantin, le basileus Constantin IX Monomaque ne quittait guère le palais à Constantinople et voyait dans la dignité impériale une retraite dorée lui permettant de s’amuser. Ne demandant que la paix et la tranquillité, il désirait maintenir l’alliance avec Rome contre les Normands qui avaient conquis les territoires byzantins du sud de l’Italie. En 1051, le pape Léon IX s’empare de Bénévent. En 1053, les Normands menacent de récupérer la ville. Représentant authentique de la réforme clunisienne, le pape Léon IX était pris dans un dilemme. S’il désirait l’alliance des Byzantins pour lutter contre les Normands, il ne voulait nullement voir ces territoires retourner sous l’autorité de Constantinople. Le pape forme une armée avec les Byzantins et lance la bataille de Civitate le 18 juin 1053. Vaincu par les Normands, le pape est emmené en captivité pendant neuf mois à Bénévent, où il commença l’étude du grec. Les Normands autorisèrent son premier secrétaire, le cardinal Humbert de Moyenmoutier, à venir l’assister. En mars 1054, le pape fut libéré et retourna à Rome.
Depuis que le pape Benoit VIII avait fini par se résoudre à accepter le Filioque en l’an 1014, le patriarche de Constantinople Michel Cérulaire persistait à accuser cette doctrine d’hérésie et fit fermer les églises latines à Constantinople. Le cardinal Humbert réussit à convaincre le pape Léon IX d’envoyer des légats à Constantinople pour tenter un rapprochement entre l’Église latine et l’Église de Constantinople, ouvrant ainsi la voie à une coopération politique sur les territoires d’Italie du Sud.
Humbert soumit à cette fin deux lettres à la signature du pape. L’une, destinée au patriarche de Constantinople, Michel Cérulaire, jetait le doute sur la canonicité de son élection, rejetait les accusations de Cérulaire contre l’Église latine et l’accusait de s’ingérer dans les affaires des Église d’Antioche et Jérusalem. L’autre, destinée à l’Empereur byzantin, le basileus Constantin IX, traitait surtout de questions politiques, mais sa dernière phrase se plaignait de la conduite du patriarche Cérulaire.
Formée de trois légats : Humbert de Moyenmoutier, Pierre d’Amalfi, archevêque d’Amalfi (territoire byzantin) et du cardinal Frédéric de Lorraine, chancelier du Saint-Siège et futur pape Étienne IX, la délégation partit pour Constantinople en avril 1054. La délégation dispose d’un écrit plénipotentiaire lui permettant d’excommunier ses contradicteurs si les négociations n’arrivaient pas à aboutir. Insatisfaits de l’accueil qu’ils reçurent, les légats du pape se rendirent d’abord chez le patriarche Cérulaire, où ils lui remirent avec hauteur la lettre qui lui était destinée avant de se retirer sans échanger les
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compliments d’usage. Le patriarche fut choqué du ton de la lettre et mit en doute le statut de la délégation. Le samedi 16 juillet 1054, les trois Légats se rendirent à la basilique Sainte-Sophie alors que l’on s’apprêtait à célébrer l’office de l’après-midi. Devant les fidèles, Humbert, sans mot dire, déposa sur l’autel de la basilique une bulle excommuniant le patriarche Cérulaire et ses assistants. Les légats repartent non sans avoir symboliquement secoué la poussière de leurs pieds.
À Rome le rapport que fit le cardinal Humbert de sa mission fut reçu avec enthousiasme, l’anathème prononcé contre le patriarche Cérulaire étant vu comme la juste rétribution des accusations grecques contre l’Église latine. Le cardinal conserva sa place comme chef de file de la curie romaine.
Fort de l’appui de toute son Église, le patriarche Cérulaire alla se plaindre à l’Empereur Constantin IX pendant que la population ameutée grondait contre cette insulte à l’Église de Constantinople. L’Empereur dut annoncer que la bulle incriminée serait solennellement brûlée ; le dimanche 24 juillet, un synode convoqué à la hâte jeta l’anathème sur le cardinal Humbert et ses assistants, sans mentionner toutefois le pape ou l’Église d’Occident en général.
En dépit de son caractère spectaculaire, cet épisode ne fut considéré à Constantinople que comme l’une des péripéties qui marquaient de plus en plus souvent les relations entre les hauts dignitaires des deux Églises : les excommunications étaient dirigées vers leurs dignitaires et non contre les deux Églises elles-mêmes, il n’y avait donc pas de schisme à proprement parler. L’année 1054 est néanmoins traditionnellement considérée comme étant celle du schisme entre les églises occidentale et orientale, même si la portée réelle de l’événement est mineure et que les relations diplomatiques perdureront encore deux siècles entre les deux sièges. Sans parler de schisme, on se rendait bien compte que les deux Églises n’étaient plus sur la même longueur d’onde et que la question de la « réunification » s’imposait, mais le terme même n’avait pas la même signification dans les deux capitales. Lorsque les croisades débutèrent, il y avait donc encore des relations froides, mais polies entre les deux Églises. Toutefois, si les relations demeurèrent tendues entre les deux communautés, il est évident qu’à la fin du XIe siècle, tant à Rome qu’à Constantinople, les autorités des deux Églises ne considéraient pas qu’il y avait eu un schisme.
Ce fut à Antioche que les choses se gâtèrent. La capture d’Antioche par Bohémond de Tarente, le fils de Robert Guiscard, en 1098, mettait le patriarche Jean dans une situation impossible. Bohémond savait que l’empereur tenterait de reprendre la ville et que le patriarche et le peuple prendraient son parti ; Bohémond traita donc le malheureux patriarche sans ménagement. Jean quitta donc Antioche pour se réfugier à Constantinople avec le haut clergé où il démissionna ; l’empereur et le haut clergé lui choisirent un successeur grec. À partir de 1100, il y eut donc deux patriarches pour la Palestine, un patriarche latin occupant effectivement le siège et un patriarche grec en exil, chacun se réclamant de la succession apostolique. C’est à partir de ce moment que le schisme prit vraiment corps.
Le schisme entre les patriarcats d’Orient et celui d’Occident se concrétisa ainsi avec la création par les croisés de patriarcats latins dans leurs propres colonies, existant parallèlement aux patriarcats grecs, chaque communauté ne se référant qu’à son propre patriarche.
La deuxième croisade (1147-1149) devait élargir l’animosité existant entre les autorités politiques et religieuses aux peuples occidentaux et orientaux de la chrétienté. Si elle n’eut pratiquement aucun résultat en Terre sainte, elle contribua néanmoins à accroître considérablement la rancœur des croisés contre les Byzantins qu’ils accusèrent de complicité avec l’ennemi turc et de mauvaise foi à l’encontre des princes d’Antioche. Les Byzantins pour leur part considérèrent les Francs et Germains comme barbares, indisciplinés et peu sûrs, jugement qui s’étendait à l’Église dont ils faisaient partie.
C’est à cette époque que l’Église grecque produisit l’un de ses plus grands juristes, Théodore Balsamon (né vers 1130/1140, mort vers 1195/1200)100. Nommé évêque d’Antioche (en exil puisque les Latins occupaient ce siège), il défendait des thèses hostiles à l’Église latine. Si Balsamon et l’Église constantinopolitaine considéraient que l’Église de Rome s’était séparée des quatre autres Églises de la Pentarchie, il semble bien qu’à la fin du siècle les Latins considéraient pour leur part que c’était l’Église de Constantinople, qui par son refus d’accepter la suprématie de Rome, était en état de schisme, même si ni l’une ni l’autre partie ne pouvait dire depuis quand précisément ce fossé s’était creusé.
Une dernière chance de réunir les deux Églises se présenta en 1206 lors de la mort à Didymotique du patriarche Jean X Camaterus. Les évêques demeurés dans le nouvel empire latin se réunirent et écrivirent une lettre au pape offrant d’accepter la suprématie de Rome et de reconnaître le pape comme treizième apôtre à la condition qu’eux-mêmes puissent avoir leur propre patriarche qui
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partagerait leur langue, leurs coutumes et leurs traditions. Un concile serait ensuite convoqué pour discuter des différences entre les deux Églises. Aucune suite ne fut donnée à leur demande, le pape estimant sans doute qu’elle conduirait à reconnaître la succession des patriarches grecs comme étant la succession légitime et apostolique alors que la lignée latine serait considérée comme surajoutée.
Un ultime effort fut tenté par Jean III Doukas Vatatzes, empereur de Nicée, en 1234. Il incita son patriarche, Germanus II, à écrire au pape pour l’inviter à envoyer des représentants à la cour de Nicée. Rome envoya deux moines dominicains et deux franciscains. Les Grecs qui espéraient plutôt un concile général étaient, semble-t-il, prêts à accepter que l’usage latin de pain sans levain pour l’eucharistie ne fût pas condamnable, mais exigeaient l’omission du Filioque du Credo. Pour leur part, les moines exigèrent d’entrée de jeu la soumission des Grecs à l’autorité pontificale de Rome. Le ton s’échauffa rapidement et bientôt les deux parties se séparèrent en s’accusant mutuellement d’être hérétiques. Dès lors, plus personne ne put douter qu’il existait bien un schisme entre les Églises chrétiennes d’Orient et d’Occident.
Dès lors, une vision péjorative de l’« autre chrétienté », qualifiée de « schismatique », se diffusera dans chacune des églises, d’Orient et d’Occident.
En Occident la Grèce et les Grecs devinrent objets de suspicion, mépris voire dégoût. L’historien allemand Hieronymus Wolf réécrira même l’histoire romaine en lançant l’appellation et le concept d’« Empire byzantin » en 1557, pour séparer l’histoire de l’Empire romain d’Orient, présenté de manière péjorative, de celle de l’Empire d’occident, revendiqué comme « matrice de l’Europe occidentale ».
En Orient, les catholiques aussi appelés « Francs » seront décrits par de nombreux auteurs grecs comme hérétiques, barbares, malodorants, brutaux, rapaces, arrogants : ils inspireront toute une historiographie empreinte d’anti-occidentalisme, qui se retrouvera même chez des auteurs comme Alexandre Soljenitsyne qui voit l’Occident comme amoral et matérialiste.
* Sans doute à la police romaine par d’autres chrétiens lors des rafles ayant suivi l’incendie de Rome.
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LA RÉFORME.
La réforme est née du besoin d’appréhender la religion et la vie sociale d’une autre manière et prit la forme d’une réflexion accrue sur la question du rapport à la divinité, centrale dans la théologie des réformateurs, qui dénoncent en outre la corruption de la société engendrée par le commerce des indulgences ; système de commutation des pénitences d’origine celtique. À cette fondamentale différence près que chez les moines celtes il s’agissait de remplacer une pénitence longue par une peine plus courte… MAIS PLUS DURE ; alors que dans le christianisme romain il s’agissait de la remplacer par une pénalité financière, donc un versement d’argent.
Les réformateurs profitent de l’essor de l’imprimerie pour faire circuler la Bible en langues vulgaires (notamment l’allemand après la première traduction réalisée par Martin Luther), et montrent qu’elle ne fait mention ni des saints, ni du culte de la Vierge, ni du Purgatoire. La référence à la Bible comme norme est néanmoins une des principales motivations des réformateurs. Ce principe est exprimé en latin par la formule « Sola scriptura ».
Commencée par Martin Luther, alors moine catholique, dans le Saint-Empire et Ulrich Zwingli à Zurich, puis Martin Bucer à Strasbourg et plus tard Jean Calvin à Genève, la Réforme touche la majeure partie de l’Europe du Nord-Ouest. Les tentatives de conciliation ayant échoué, elle aboutit à une scission entre l’Église catholique romaine et les Églises réformées. La Contre-Réforme catholique engagée à l’issue du concile de Trente ne permet à l’Église catholique qu’une reconquête partielle des populations passées à la Réforme.
L’adoption de la Réforme a aussi un caractère politique. C’est un moyen pour les princes d’affirmer leur indépendance face à une papauté revendiquant une théocratie universelle ou pour les populations de pouvoir se révolter face à un souverain mal accepté comme en Écosse ou aux Pays-Bas espagnols. La Réforme se traduit donc au XVIe siècle par de nombreux conflits, entre l’empereur et les princes allemands, mais aussi des guerres civiles en France, en Angleterre et en Écosse.
De nombreux facteurs sont intervenus.
Pendant longtemps les historiens ont pensé que les vices du clergé étaient la principale cause de la Réforme : la débauche de certains prêtres et moines qui vivent publiquement en concubinage, s’enrichissent avec l’argent des fidèles… Ces abus ne sont pas vraiment les causes de la Réforme, l’Église catholique s’est en effet sans arrêt efforcée d’y remédier. Par ailleurs, cette thèse est en quelque sorte favorable à l’Église Catholique en ce qu’elle assimile la réforme à une réaction contre des problèmes temporels (les turpitudes du clergé, les indulgences) tout en occultant le souci essentiellement spirituel des Réformateurs. Les conciles du XVe siècle ne peuvent prendre de décision efficace tant l’autorité du pape est affaiblie. De fait, les fidèles ne reprochent pas au clergé de mal vivre, mais de mal croire.
En effet, la papauté répond mal aux angoisses des fidèles. Depuis le XIVe siècle et la grande peste, les fidèles vivent dans la crainte de la damnation éternelle. Les thèmes fantastiques du temps, danses macabres peintes dans les églises, livres millénaristes en sont les témoins. Les procès contre les sorcières se multiplient à partir de la fin du XVe siècle. La peur de la mort et de l’enfer a comme conséquence le développement du culte marial, du culte des saints, des reliques, des pèlerinages, des processions, et le trafic des indulgences. Le but est de gagner son paradis sur la terre même au prix d’un séjour au purgatoire.
À la fin du XVe siècle, les indulgences, pratiques d’origine celtique dévoyées, sont un moyen de plus en plus en vogue pour réduire le nombre des années passées par une âme au purgatoire après sa mort. L’électeur de Saxe, Frédéric le Sage, futur protecteur de Luther, possède ainsi 17 443 reliques, censées lui épargner 128 000 années de purgatoire. La confusion du spirituel et du matériel accentue les phénomènes de désacralisation de cette époque. De plus en plus, le fidèle se confesse non pas poussé par la conscience de sa faiblesse, mais par peur de la punition après la mort. À côté de la multiplication de ces pratiques, la Bible, proclamée en latin lors des messes, n’est accessible aux fidèles qu’à travers les commentaires des clercs, d’où il s’ensuit une perte de sens.
Certains humanistes contribuent à la diffusion d’idées nouvelles. Ils développent l’exégèse biblique. La naissance de l’imprimerie permet la diffusion de bibles en langue vernaculaire. Ce contact direct habitue le lecteur à avoir une relation personnelle avec les textes saints et à réfléchir par lui-même sur leur signification.
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À partir du milieu du XVe siècle, le pouvoir d’achat s’amenuise. Les nobles regardent donc du côté des immenses biens fonciers de l’Église, soit le plus souvent 20 à 30 % des terres cultivables. De plus l’Église continue à condamner les profits bancaires, le profit monétaire, dans ses tribunaux ecclésiastiques même si ses positions se sont quelque peu assouplies. Les banquiers sont particulièrement nombreux en Allemagne du Sud. Nobles et banquiers sont ainsi moins attachés à l’Église catholique.
Les facteurs politiques ne sont pas absents non plus. Le développement des États se heurte à la puissance temporelle de l’Église. De plus en plus, les princes cherchent à intervenir dans le choix des membres du haut clergé, évêques, abbés. En effet, les offices ecclésiastiques sont liés à des bénéfices. Celui qui contrôle l’élection du prélat contrôle indirectement le bénéfice. L’autorité universelle du pape, proclamée par Grégoire VII depuis 1075, se heurte à l’autorité grandissante du souverain. Le pape peut lever des impôts réguliers ou exceptionnels dans tous les pays d’Occident. Les rois protestent de plus contre les sorties d’argent de leur royaume, argent dont ils ont le plus grand besoin pour leurs guerres ou pour affermir leur pouvoir. Ainsi en Angleterre, les taxes prélevées pour les bénéfices vacants sont d’un montant cinq fois plus élevé que les revenus du roi. Le pape édicte aussi des bulles, lois valables dans toute la chrétienté. Il peut ainsi lever des troupes par l’intermédiaire de bulles de croisades, cependant de moins en moins suivies d’effets. Les souverains réclament le contrôle des ordres religieux, le droit absolu de légiférer dans leurs États, de lever l’impôt ou des troupes et de rendre justice.
Mais ce qui affaiblit le plus l’Église catholique, c’est la perte de la sacralité. Les fidèles voient trop de fils de prêtres devenir prêtres à leur tour, trop de clercs s’enrichir aux dépens des laïcs, trop d’évêques vivant comme des grands seigneurs.
Trois précurseurs sont généralement reconnus par les historiens : Valdo le fondateur du mouvement des Pauvres de Lyon, John Wyclif et Jean Hus le réformateur tchèque brûlé en 1415 à Constance.
Mais la notion même de pré-réforme a ses limites ; s’il est indéniable qu’ils précédent historiquement la Réforme, les pré-réformateurs peuvent ne pas avoir envisagé ni adopté l’ensemble des principes de ladite réforme en gestation.
Un des plus anciens précurseurs de la Réforme est l’anglais John Wyclif. À travers ses premiers écrits transparait l’idée que Dieu exerce par l’intermédiaire du pape, son droit sur les biens terrestres ; et que les rois ont donc des comptes à rendre au pape. Selon lui, la véritable Église est l’Église des chrétiens, des membres de la hiérarchie, et le pape lui-même, mais personne n’est supérieur à l’autre. Le pape dirige, mais n’est pas plus saint qu’un chrétien. Cette affirmation nouvelle remet ainsi en cause la place de la hiérarchie dans l’Église. Il traduit la Vulgate en ancien anglais et reconnaît aux autorités laïques le droit de percevoir les revenus ecclésiastiques en 1381, ce qui choque beaucoup les membres du clergé anglais très attachés à leurs prérogatives financières. Il pense que les Écritures doivent être la seule source de foi même s’il pense que les pères de l’Église peuvent aider à son interprétation. Il est condamné en 1376 et 1379. Son vieil ennemi Guillaume de Courtenay, devenu archevêque de Cantorbéry, convoque à Londres trois synodes en 1392, qui condamnent formellement Wyclif et ses partisans. Il meurt isolé, mais il est enterré en terre chrétienne. Le Concile de Constance (1414-1418) renouvelle la condamnation de ses écrits, de même que le pape Martin V qui publie deux mois avant la fin du concile la bulle Inter cunctas (22 février 1418) contenant les quarante-cinq articles condamnés dans les écrits de Wyclif. L’exhumation de ses restes est alors ordonnée et, en 1428, ses ossements sont brûlés et jetés dans la Tamise au nord de Londres. À sa suite, les lollards poussent le peuple à la révolte contre les évêques qui s’enrichissent grâce à leur fonction dans l’Église. Les idées de Wyclif ne remportent pas de succès en dehors de l’Angleterre.
En Bohême et Moravie, Jean Hus oppose la richesse corruptrice à la pauvreté évangélique. Pour lui, l’Évangile est la seule règle infaillible et suffisante de la foi, et tout homme a le droit de l’étudier pour son propre compte. Ceci est une grande nouveauté, car l’Église catholique favorise peu la lecture personnelle des textes saints. De plus les idées religieuses de Jean Hus se doublent de prétentions nationalistes. Il lutte pour que les Tchèques soient maîtres de leur patrie. Pour les Tchèques, Hus est le premier grand héros national. En 1412, il lance des réquisitoires brûlants contre les indulgences dont la vente doit financer la guerre de Jean XXIII contre Ladislas de Naples. Trois de ses jeunes disciples sont exécutés au grand scandale des Praguois. Il est frappé excommunication, et la ville est interdite s’il y séjourne. Il quitte donc Prague et prêche dans les campagnes. Il écrit des traités de
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théologie. En 1414, il se rend au concile de Constance muni d’un laissez-passer de l’empereur Sigismond. Là, il refuse de reconnaître ses erreurs. Ses écrits sont brûlés et lui aussi comme hérétique, le 6 juillet 1415. Il est aussitôt considéré par le peuple tchèque comme un martyr et un saint. La défenestration de Prague du 30 juillet 1419, marque le début de l’insurrection des hussites qui, durant dix-huit ans, tiennent tête aux cinq croisades que l’Europe envoie contre eux à l’appel du pape et de Sigismond pour écraser les « hérétiques ». Finalement l’Église doit composer. Les Compactata de Bâle (1433) accordent aux Tchèques la communion sous les deux espèces et la lecture en tchèque des Épîtres ainsi que de l’Évangile. Mais deux Églises issues de la prédication de Hus subsisteront encore en Bohême au XVIe siècle : l’église Utraquiste et les frères moraves (ex Unité des frères).
En Allemagne, l’empereur Maximilien veut utiliser l’idée de réforme contre le Saint-Père pour réaliser autour de lui l’unité nationale. Il charge l’humaniste Jacques Amyot de rassembler les observations des Allemands sur l’Église et le clergé catholique. La plupart des ordres religieux cherchent de leur côté à rétablir les règles monastiques dans leur dureté originelle.
La réforme luthérienne est introduite par le moine augustin Martin Luther. Depuis son entrée au couvent, Luther cherche par tous les moyens à acquérir la certitude de son salut. Mais ni la dévotion, ni les messes, ni les confessions, ni les jeûnes, ni les exercices spirituels, ni la théologie, n’apportent à Luther l’apaisement et la certitude de son salut.
En 1512, il trouve enfin la réponse à ses questions. Luther écrira plus tard : « Alors je commençai à comprendre que la « justice de Dieu » est celle par laquelle le juste vit du don de Dieu, à savoir de la foi, et que la signification (de la lettre de saint Paul aux Romains au chapitre 1, 17) était celle-ci : par l’Évangile nous est révélée la justice de Dieu…, par laquelle le Dieu miséricordieux nous justifie par la foi… Alors je me sentis un homme né de nouveau et entré, les portes grandes ouvertes, dans le paradis même. À l’instant même, l’Écriture m’apparut sous un autre visage ».
Pour Luther désormais, les préceptes sont à chercher uniquement dans l’Écriture sainte. Et c’est en suivant les lois divines que le chrétien montre sa foi.
Luther est surtout connu pour avoir développé l’idée que le juste vivra par la foi. Il a en effet dû se justifier dès 1530 d’avoir ajouté le mot « SEULE » au verset suivant de l’épître aux Romains (Chap. 3, verset 28) : « Car nous pensons que l’Homme est justifié par la foi SEULE, sans les œuvres de la loi ».
En 1515, le pape Léon X autorise une nouvelle vente d’indulgences. Celle-ci n’obtient pas un très grand succès. En 1517, Luther affiche ses 95 thèses contre les indulgences sur la porte de la chapelle du château de Wittenberg. Il est indigné de la dérive marchande de l’Église. Il s’engage à défendre ses propositions théologiques ou concernant les indulgences devant quiconque accepterait d’en débattre avec lui. Il pense qu’un débat public sur la question est salutaire. Mais les Dominicains qui vendent les indulgences préfèrent dénigrer Luther. Ils dénoncent essentiellement deux propositions de Luther : la non-nécessité des œuvres pour gagner son salut et la référence exclusive à la Bible. Le débat gagne les universités d’Europe.
Le 15 juin 1520, Léon X condamne les idées de Luther. L’empereur Charles Quint qui se veut le champion de l’autorité pontificale fait brûler les écrits de Luther à l’université de Louvain en décembre 1520. Luther ne veut pas se laisser faire. Il pense toujours qu’un débat public est nécessaire et rend coup pour coup afin de montrer sa détermination. C’est d’ailleurs cette détermination qui sera la cause principale de la rupture des réformés d’avec les catholiques. Le pape ne peut supporter que son autorité soit contestée. Il est convaincu d’incarner seul la vérité évangélique et que Luther ne parle qu’en son nom. Luther a beau écrire quatre ouvrages qui précisent sa pensée, le pape n’en démord pas. L’affirmation de la seule autorité de l’écriture n’implique pas que le pape est soumis à cette écriture, car seul le pape par le truchement du Saint-Esprit peut faire face aux évolutions de la société. En effet, comment interpréter les écritures au fil du temps ? Martin Luther vend le manifeste à la noblesse chrétienne de la nation allemande en quelques jours à quatre mille exemplaires. Il préconise la réduction des sacrements au nombre de trois : le baptême et la communion sous les deux espèces et la confession. En effet, les actes des Apôtres précisent que les premiers chrétiens confessaient leurs péchés les uns aux autres. Sa doctrine comprend aussi le rejet de la doctrine de la transsubstantiation, et l’affirmation de la liberté du chrétien ou de l’égalité de tous les croyants devant Dieu même s’ils ne sont pas tous capables d’enseigner la parole de Dieu. On estime qu’entre 1517 et
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1520 plus de 300 000 exemplaires des écrits de Luther furent vendus. Jusque vers 1550, il reste l’auteur le plus lu.
Après avoir été excommunié par le pape, Luther est convoqué à la Diète de Worms. Il y comparaît durant deux jours devant l’assemblée. Il refuse de désavouer ses ouvrages, à moins d’être convaincu d’erreur par le témoignage de l’Écriture divine. Il est mis au ban de l’Empire par l’empereur Charles Quint le 26 mai 1521, ce qui signifie que n’importe qui a le droit de se saisir de lui et de le remettre à la police. On lui interdit d’écrire et de publier. Ceci n’empêche pas Luther de continuer à écrire des lettres et à prêcher ses idées, aidé en cela par ses disciples dont le plus célèbre est Philippe Melanchthon. Melanchthon publie en 1521 les Loci theologici, qui exposent, pour la première fois de manière systématique, la pensée luthérienne avec toutes ses nouveautés et ses ruptures par rapport à la pensée médiévale.
Certains groupes sociaux sont plus ou moins sensibles aux idées modernes et réformistes défendues par Martin Luther, le père du protestantisme mondial. C’est tout le mérite de Luther d’avoir raccroché le christianisme à la modernité de l’époque. La noblesse, avec à sa tête Klaus von Falkenstein, est très favorable à Luther. Un certain nombre d’humanistes et d’artistes (Dürer, Craven) adhèrent aussi à sa doctrine. À la campagne, les idées de Luther sont diffusées par des colporteurs itinérants et des voyageurs de commerce.
Dans le Saint-Empire romain germanique, les villes impériales ne sont pas assez autonomes pour pouvoir choisir leur religion. Thomas Müntzer est un prédicateur mystique exalté et très intolérant. Il prêche de ville en ville et est parfois chassé par l’évêque qui ne veut pas de concurrence. Andreas Karlstadt est un des anciens professeurs de Luther. Il encourage ses étudiants à brûler leurs livres dans d’immenses autodafés, où de précieux manuscrits disparaissent ainsi, et à apprendre un métier. Il est le premier prêtre catholique romain à se marier, rompant ainsi ses vœux de chasteté. Il épouse une ancienne religieuse.
La Réforme est aussi l’occasion pour certains groupes sociaux d’exprimer leur mécontentement. Ils donnent ainsi au message évangélique une dimension révolutionnaire. Les hobereaux se révoltent en 1522 sous la houlette de von Hutten et Sickingen. Pour Luther, une réforme religieuse ne devrait pas s’identifier avec une cause économique et sociale. En 1522 aussi, les paysans d’Allemagne du Sud se révoltent en mêlant des revendications sociopolitiques à des exigences religieuses. Là encore, Luther conjure les paysans de ne pas recourir à la force. Pour lui, la Bible ne peut apporter aucune solution aux problèmes de la vie civile ou économique. Il refuse une révolte sociale au nom de la Bible, exprimant ainsi son conservatisme social. Pendant la guerre que les paysans livrent aux seigneurs du sud du Saint-Empire romain germanique, il encourage les seigneurs à châtier sans pitié les révoltés. En effet, dans une courte brochure de 1525, intitulée Contre les bandes de paysans pillards et meurtriers, il enjoint à ses « chers seigneurs » de « poignarder pourfendre et égorger » les rebelles.
On peut également citer ici, mais dans le même ordre d’idées les ignobles propos de Luther à l’encontre des juifs et qui sont une parfaite illustration de l’antisémitisme religieux et non « racial » : « Oh comme les Juifs aiment le Livre d’Esther, qui correspond si bien à leur appétit de vengeance, à leurs espoirs meurtriers ! Le soleil n’a jamais brillé sur un peuple plus assoiffé de sang, plus vindicatif que celui-ci, qui se prend pour le peuple élu afin d’avoir licence d’assassiner et d’étrangler les païens.………… Il n’y a pas de créatures, sous le soleil, plus avides qu’ils sont, ont été, et seront – il n’est que de les voir pratiquer leur maudite usure. – Ils se flattent de l’espoir que lorsque le messie viendra, il rassemblera tout l’or et tout l’argent du monde et le leur partagera. Je suis d’avis qu’on brûle leurs synagogues, et que ce qui ne pourra pas brûler qu’on le recouvre de terre afin qu’on ne puisse plus rien en voir… On devrait détruire tous leurs livres de prières, tous les exemplaires de ce Talmud où ils apprennent tant d’impiétés, mensonges, malédictions et blasphèmes… Aux jeunes Juifs et aux jeunes Juives il faudrait donner le pic et la houe, la quenouille et le fuseau afin qu’ils gagnent leur pain à la sueur de leur front… » 1)
Anabaptisme et révolte de Munster.
Présents dès les débuts de la Réforme, notamment à Zurich dans l’entourage de Zwingli, ces représentants de la Réforme radicale fédèrent les mécontents. Une de leurs branches, inspirée par la prédication de Melchior Hoffman, prône l’usage de la violence à l’encontre des non-anabaptistes, dans la perspective d’une fin du monde très proche, à laquelle il faut se préparer. Ces disciples de Melchior Hoffman, pourchassés aux Pays-Bas, en Suisse et en Allemagne, vont provoquer un nouvel
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épisode de troubles en se regroupant dans la ville allemande de Munster en Westphalie, où, de 1533 à 1535, ils tentent d’établir une théocratie. À partir de février 1534, la ville tombe sous leur contrôle. Sous la conduite de Jean de Leyde, qui prétendait être directement inspiré par des visions divines, la ville fut administrée dans un climat délirant, où la polygamie fut légalisée, Jean de Leyde se mariant lui-même avec pas moins de 16 femmes. La ville fut reprise par les armes en juin 1535 par son ancien archevêque et les meneurs mis à mort. Cet épisode de la révolte de Munster a laissé une image déplorable de l’anabaptisme, malgré le fait que cette communauté religieuse soit dans son immense majorité engagée dans une non-violence absolue.
Face à l’agitation provoquée par les diverses tendances de la Réforme, Luther s’occupe en premier lieu d’organiser la nouvelle liturgie en langue allemande. C’est la première fois qu’un peuple peut prier d’un bout à l’autre de la cérémonie dans sa langue nationale. Cette révolution fait beaucoup pour le développement de la langue allemande. La messe allemande repose sur la lecture du Nouveau Testament, le sermon, élément central du culte, et les chants. Luther écrit un recueil de sermons que les pasteurs peuvent utiliser durant l’office. Ceci permet une certaine unité doctrinale. Les chants religieux, très nombreux pendant l’office, sont un puissant facteur d’émotion.
Le pasteur consacre les deux espèces qui deviennent le vrai corps et le vrai sang du Christ, bien qu’il s’agisse de pain et de vin. Dans la doctrine luthérienne, il n’y a pas changement de substance, mais coexistence de deux substances : c’est la consubstantiation. Luther admet l’ordination des pasteurs, ainsi que le contrôle du pouvoir temporel sur le pouvoir spirituel, garant de l’orthodoxie face au pullulement des réformes et d’une morale stricte. Le prince, comme chrétien éminent et du fait de sa mission divine, est une sorte d’évêque chargé de faire régner l’ordre dans l’Église. Il porte le titre de Summus episcopus. Cette mission particulière des princes leur permet d’augmenter leur pouvoir sur leurs sujets. Les fidèles adultes continuent à recevoir un enseignement religieux, ainsi que les enfants pour lesquels Luther écrit le Grand et le Petit catéchisme dans un langage simple et adapté. Il condamne également un grand nombre de rites catholiques : les pèlerinages, le culte des Saints, les reliques…
La réforme luthérienne partie de Saxe touche les villes libres du sud de l’Allemagne, le Brandebourg, le Brunswick et l’Anhalt. En 1529, lors de la seconde diète de Spire, six princes et quatorze villes refusent d’appliquer les décrets impériaux revenant sur les libertés religieuses des princes et déclarent : «… nous protestons… », d’où le nom de protestants. En 1530, les diverses mouvances de la Réforme présentent leur confession devant la Diète réunie à Augsbourg en présence de l’empereur. La confession d’Augsbourg, une profession de foi luthérienne très modérée, est rédigée par Philippe Melanchthon. Celle présentée par Zwingli affirme que la Cène n’est qu’une commémoration. Les réformés de Strasbourg présentent une troisième confession au nom des villes alsaciennes dite Confession tétrapolitaine. La Diète d’Augsbourg montre l’impossibilité de faire l’unité des Réformés même si les Alsaciens finissent par adopter la Confession d’Augsbourg.
À l’issue de la diète d’Augsbourg, Charles Quint somme les protestants de se soumettre à Rome dans un délai de sept mois. Inquiets, ces derniers constituent en 1531 la ligue de Smalkalde. L’empereur leur accorde alors une trêve. En 1536, sous l’impulsion de Martin Bucer, les protestants d’Allemagne du Nord et du Sud, divisés sur le problème de la Cène, signent la Concorde de Wittenberg (1536), ce qui permet au luthéranisme d’étendre son influence en Allemagne du sud et isole les Suisses. En 1546, lorsque les protestants refusent de reconnaître le Concile de Trente, Charles Quint lève ses troupes dans le but de réprimer le protestantisme par les armes. Les protestants, qui forment la Ligue, subissent une cuisante défaite à Mühlberg en Saxe en 1547.
L’empereur peut aussi imposer l’année suivante aux protestants l’Intérim d’Augsbourg qui leur autorise juste la communion sous les deux espèces et le mariage des prêtres. Les princes protestants obtiennent alors l’appui du roi de France Henri II en échange du droit pour celui-ci d’occuper Metz, Toul, Verdun « et autres villes de l’Empire ne parlant pas allemand ». Charles Quint laisse son frère, le futur empereur Ferdinand Ier, signer la paix d’Augsbourg en 1555. Les sécularisations déjà accomplies de biens de l’Église catholique sont entérinées, mais il est interdit à l’avenir de confisquer d’autres biens lui appartenant. Les princes et les villes libres ont le droit de choisir leur religion, mais les sujets sont obligés de professer la même religion que leur souverain ou d’émigrer, d’où l’adage : Cujus regio, ejus religio (tel prince, telle religion). Les deux tiers de l’Allemagne sont devenus protestants.
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Après la mort de Luther en 1546, c’est Philippe Mélanchthon qui devient le guide des luthériens jusqu’à sa mort en 1560. En 1580, les théologiens luthériens parviennent à unir les différents États luthériens autour d’un texte de confession commun. C’est le Livre de Concorde.
La Réforme luthérienne déborde les frontières allemandes. Les échanges culturels et commerciaux entre le monde scandinave et l’Allemagne sont très importants.
Olaf et Laurent Persson (Olaus et Laurentius Patri), formés à l’université de Wittenberg commencent à prêcher la Réforme en Suède en 1518. Ils publient douze thèses qui présentent les principales idées de Luther. Le clergé catholique suédois qui possède 30 % des terres est très déconsidéré en Suède. De ce fait la Réforme progresse sans résistance. En 1527, la diète suédoise accepte la réforme, permet la sécularisation des biens du clergé au profit de la monarchie. Le roi devient le chef suprême de l’Église. En Finlande, le clergé se réforme de lui-même.
Au Danemark, sous le règne de Frédéric Ier (1523-1533), la prédication luthérienne se développe grâce à Hans Tausen qui a fait ses études à Wittenberg et à Paul Helgesen. Les Trente-trois Articles de Copenhague posent les bases de la Réforme en 1530 même si elle n’est pas encore adoptée officiellement. Il faut attendre 1536 pour qu’à l’instigation de Johannes Bugenhagen, Christian III fasse de la confession d’Augsbourg la profession de foi du Danemark. Le roi est le chef de l’Église danoise. Il nomme des surintendants qui remplacent les anciens évêques. La Réforme est aussi prêchée en Islande où elle rencontre une forte résistance et en Norvège, unie au Danemark à partir de 1539. L’université de Copenhague devient un centre de rayonnement luthérien.
À Zurich, Ulrich Zwingli, curé de la ville, expose le 29 janvier 1523, les 95 thèses en présence des magistrats de la ville et du vicaire général de l’évêque de Constance, dont la ville dépend sur le plan religieux. Pour lui, baptême et cène sont des cérémonies symboliques, alors que les partisans de Luther les voient comme des sacrements, ce qui rend impossible tout accord avec les Allemands.
Le point de vue de Zwingli l’emporte progressivement. Zwingli obtient la sécularisation des couvents et crée en 1524 une école d’exégèse biblique. En 1525, les magistrats interdisent la messe dans la ville. Elle est remplacée par un culte très dépouillé. Un tribunal matrimonial est créé la même année. Ses compétences finissent par s’étendre à toute la vie morale et sociale des citoyens.
Le canton de Bâle passe lui aussi à la réforme en 1529 grâce à l’action de Jean Husschin (Oecolampade), de même que Glaris, Berne, Bienne, Schaffhouse, Mulhouse et Saint-Gall. Les succès protestants divisent la Suisse en deux camps prêts à en découdre. Zwingli voudrait créer une coalition entre les protestants suisses et allemands. Mais, la rencontre de Marbourg, en 1529, ne permet pas une pleine communion avec ces derniers. En 1531, Zwingli est tué et sa petite armée est battue à Kappel, par les cantons catholiques exaspérés par le blocus économique dont ils font l’objet. En Suisse romande, la Réforme gagne d’abord Neuchâtel puis Genève et le pays de Vaud en 1536. Après la mort de Zwingli et celle de Jean Huschin (la même année), Heinrich Bullinger encourage Zurich à signer avec d’autres villes la Première Confession helvétique, qui est saluée par Luther comme un texte plus orthodoxe, bien que non satisfaisant à ses yeux. En 1549, après une correspondance volumineuse avec Calvin (et au prix de quelques modifications doctrinales) Bullinger parvient à se rapprocher de l’Église de Genève, au moyen du Consensus de Zurich. Heinrich Bullinger est une personnalité célèbre de l’Europe protestante de l’époque grâce à l’étendue de sa correspondance, à la diffusion de ses ouvrages, à l’hospitalité qu’il accorde aux persécutés (il héberge Anna Reinhart la veuve de Zwingli après sa mort) et à son rôle de conseiller auprès de l’anglicanisme. Il rédige aussi la Confession helvétique postérieure, reconnue en 1566 par la plupart des Églises réformées suisses, et acceptée en Écosse, en Hongrie et en Pologne.
Strasbourg se réforme de façon originale sous l’influence de prédicateurs locaux comme Matthieu Zell qui commente avec succès l’épître aux Romains sur le salut, Capiton, prédicateur de talent et grand érudit et Martin Bucer, passionné par l’enseignement de Luther. En 1524, des prédicateurs enseignent l’Évangile dans les paroisses de la ville et le culte est simplifié. Il sécularise les biens des couvents. Occupant une position médiane entre Luther et Zwingli, Bucer est jugé trop proche de ce dernier par Luther, au colloque de Marbourg. C’est la raison pour laquelle, en 1530, Strasbourg présente avec les villes de Constance, Lindau et Memmingen, la Confession tétrapolitaine, à mi-chemin sur le plan eucharistique entre Luther et Zwingli. En 1533, un synode élabore une constitution ecclésiastique qui instaure une assemblée hebdomadaire du clergé avec la participation de trois laïcs. La discipline
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ecclésiastique est confiée aux laïcs ou anciens. En mai 1536, Bucer et les représentants de diverses Églises de la Confession tétrapolitaine (et d’autres, comme Augsbourg ou Bâle) signent avec Luther et les Églises de Saxe, la Concorde de Wittenberg, à laquelle se ralliera l’ensemble du protestantisme, excepté principalement Zurich. Strasbourg, où Calvin fait un séjour et enseigne entre 1538 et 1541, se réfère à la fois à la Confession tétrapolitaine ou à la Confession d’Augsbourg et les autorités ne permettent pas la diffusion d’enseignements contraires à leur doctrine. Toutefois, à partir de 1563, les autorités de Strasbourg ne reconnaissent plus que la Confession d’Augsbourg comme norme doctrinale.
Jean Calvin, originaire de Noyon en Picardie, fait des études à Paris puis à Orléans et à Bourges. Gagné à la Réforme, il doit quitter la France à la suite de l’Affaire des Placards en 1534. En 1536, paraît en latin à Bâle la première version de son œuvre majeure, De Institutione religionis christianae qui comprend alors 6 chapitres. Une nouvelle édition en latin de 19 chapitres est publiée à Strasbourg en 1539, suivie d’une autre de 25 chapitres immédiatement traduite en français en 1541, puis une quatrième et une cinquième version respectivement en 1550 et 1554.
La souveraineté absolue de Dieu y est proclamée. Calvin s’efforce de voir le monde du point de vue de Dieu. En désobéissant à Dieu, l’homme est esclave du péché. Il est rarement capable de mettre en œuvre sa volonté pour faire le bien. Continuant son raisonnement, Calvin pense que la foi elle-même vient de Dieu, c’est la prédestination. Tant pis pour les agnostiques ou les athées ! Il ne leur reste plus que le bouddhisme de la Terre Pure pour pleurer.
Absente de l’édition de 1532 de l’Institution, à peine mentionnée dans celle de 1536, la prédestination a pris une place croissante dans les éditions suivantes, Calvin se plaçant au cœur des polémiques en soutenant que Dieu a choisi de toute éternité ceux qui seront sauvés, une formule très politique, car il ne parle pas de ceux qui ont été choisis pour la damnation. Suscitant une autre polémique, il s’oppose à la doctrine de la transsubstantiation et pense que le Christ est réellement présent dans l’assemblée, mais pas dans les espèces, c’est-à-dire le pain et le vin. L’homme est une créature déchue qui doit vivre dans la crainte de Dieu, il est empli du sentiment de son imperfection et de sa nature qui le porte au mal.
En 1536, le conseil de Genève qui a proscrit la messe et introduit la réforme dans la cité fait appel à Calvin, à l’instigation de Guillaume Farel. Il rédige une Confessions de foi pour doter l’Église réformée de Genève d’une solide armature disciplinaire et doctrinale. Mais la rigidité que les réformateurs cherchent à imposer mécontente le peuple qui parvient à convaincre le conseil de les chasser en avril 1538. Calvin réside alors à Strasbourg où il s’occupe des réfugiés français et enseigne à la Haute école de la ville. La ville de Genève le rappelle en 1541. Il y reste jusqu’à sa mort en 1564. Les Ordonnances ecclésiastiques sont publiées en septembre 1541. Elles servent de fondement à toutes les organisations inspirées par Calvin. L’échelon de base est l’Église locale avec à sa tête un conseil composé des pasteurs, des docteurs en théologie, des anciens élus, et des diacres. Le consistoire s’occupe de la vie morale de la communauté ; il interdit les jeux, l’ivrognerie, le vagabondage, les danses (sic) ; il cherche à préserver la paix entre les chrétiens et choisit le pasteur de la communauté parmi les candidats. Calvin fonde également l’académie de Genève dans le but de former les futurs prédicateurs nécessaires à l’instruction religieuse de la population, en 1559.
Jean Calvin est partisan de la Cène hebdomadaire, mais, en raison de « l’infirmité du peuple », il consent à ne la célébrer que 4 fois par an : Noël, Pâques, Pentecôte et le premier dimanche de septembre. Il élabore une liturgie, la forme des prières et chants ecclésiastiques, dont beaucoup d’éléments sont empruntés au rituel de Strasbourg. Les offices sont faits de sermons, chants et psaumes. Il rédige aussi un catéchisme, expliquant la doctrine sans grande pédagogie.
Calvin joue un rôle important dans les controverses religieuses. Il combat les anabaptistes. Il fait arrêter le théologien et médecin espagnol Michel Servet, réfugié à Genève parce qu’il avait écrit contre la trinité. Ce dernier est brûlé vif en 1553. Le procès de Servet entraîne un débat avec Sébastien Castellion qui milite pour la tolérance religieuse. Calvin polémique aussi avec ceux qui contestent la prédestination. La forte pression morale que Calvin exerce sur la cité avec l’aide principalement des réfugiés français se heurte au mécontentement populaire et aux représentants des grandes familles genevoises. Genève acquiert la réputation d’une nouvelle Jérusalem où l’identification de la cité avec la religion est complète auprès des protestants persécutés dans les pays catholiques. Elle attire des exilés de toute l’Europe. De 1540 à 1564, près de mille nouveaux citoyens
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y sont admis. Le rayonnement européen de la ville est dû à Calvin qui entretient une correspondance avec des personnes de presque tous les pays d’Europe par souci d’unité protestante. Il tient aussi à la réputation de l’Académie, fondée en 1559. Cette école accueille très vite des étudiants de tout le continent. Elle forme essentiellement des pasteurs, mais aussi des juristes et une partie de l’élite réformée européenne. Après la mort de Calvin en 1564, c’est Théodore de Bèze qui anime la Réforme dans la ville.
La République de Mulhouse adopte le calvinisme comme unique religion officielle en 1529. Le statut de république indépendante enclavée dans le Royaume de France va lui permettre d’échapper aux guerres de religion et de tisser des liens particuliers avec les autres communautés et États réformés d’Europe et du Nouveau Monde.
Le reste de la France est également touché par la réforme protestante. Dès 1520, les idées protestantes se développent. Le protestantisme apparaît dans la vallée de la Dordogne dans les années 1530. Lors du synode de Chanforan de 1536, Guillaume Farel et les Vaudois, ralliés, obtiennent un budget pour imprimer la bible en langue vulgaire. À partir de 1540, la littérature protestante de plus en plus abondante s’accompagne d’une transmission orale. Elle se répand surtout après la publication en français de l’institution chrétienne de Calvin en 1541. Calvin, de Genève, prend en charge l’organisation religieuse et unifie les protestants de France. À partir de 1555, les groupes se structurent en assemblées dirigées par un consistoire. Calvin envoya des dizaines de missionnaires pour aider à cette nouvelle organisation. En 1560, on en compte une quarantaine. Leur succès est très grand et fin 1561, il y a plus de six cent soixante-dix Églises réformées dans le royaume. On estime qu’à ce moment plus du quart de la population du royaume de France est devenu protestant.
Le protestantisme français est combattu par François Ier et son fils Henri II. La répression menée par François Ier est limitée et sporadique. Mais celle d’Henri II est plus ferme. L’édit de Compiègne du 27 juillet 1557 demande d’abattre sans jugement tout protestant en fuite ou révolté. En 1559, les lettres patentes d’Ecouen donnent mission à certains notables de se rendre en province pour réprimer l’hérésie. Ceux qui refusent sont exécutés. Ceci n’empêche pas la Réforme de continuer à se développer. Après la mort inopinée d’Henri II, la tentative de conciliation menée par le nouveau chancelier Michel de l’Hospital et la régente Catherine de Médicis est un échec. En 1561, les Réformés et les catholiques confrontent en vain leurs idées lors du colloque de Poissy. L’Édit de janvier 1562 qui permet l’existence du culte réformé déchaîne des ambitions partisanes et les passions, à l’origine du déclenchement des guerres de Religion en 1562.
En Allemagne, l’électeur palatin adhère au calvinisme et fait éditer en 1563, le catéchisme d’Heidelberg repris par la plupart des églises calvinistes. Nassau, Brême, Anhalt, Hesse-Cassel, Hesse-Darmstadt, Schleswig et Deux-Ponts deviennent à leur tour calvinistes entre 1576 et 1600. Les Pays-Bas – qui englobent, à l’époque, la Hollande, la Zélande, la Belgique et une partie de nord de la France – sont pénétrés très tôt par la réforme luthérienne malgré la sévère répression de Charles Quint. Mais c’est surtout le calvinisme qui s’impose dans la population et une partie de la noblesse. Un synode clandestin a lieu à Anvers en 1561 sous la direction de Guy de Bres. Il dote les Pays-Bas d’une confession de foi. Dans le même temps, les habitants affrontent Philippe II, roi d’Espagne et fils de Charles Quint, qui veut établir l’absolutisme aux dépens des vieilles franchises et libertés remontant aux ducs du Brabant et à leurs successeurs, les ducs de Bourgogne. En lutte contre les vieilles chartes, Philippe II veut supprimer le principe de liberté qui les imprègne et, ainsi, mieux lutter contre le protestantisme. Devant la persécution royale, les calvinistes se soulèvent durant l’été 1566. Ils pillent et détruisent les églises. La répression est féroce. Les calvinistes rescapés s’enfuient et fondent à l’étranger des Églises du Refuge qui s’organisent en 1572 sur le principe des institutions presbytéro-synodales.
Une partie de la noblesse penche vers les protestants, mais la majorité reste catholique. Ceux que les partisans de Philippe II avaient appelés les gueux pétitionnent en faveur de la tolérance. C’est le Compromis des Nobles présenté à Bruxelles à la gouvernante Marguerite de Parme, fille naturelle de Charles Quint et représentant le roi d’Espagne. Rejetés par le pouvoir, les « gueux » organisent la résistance sous la direction de Guillaume Ier d’Orange dit Guillaume le Taciturne, catholique d’origine, puis converti au calvinisme. Guillaume s’alliera par mariage à la noblesse française de confession protestante, les Châtillon-Coligny, de la famille du chef français du parti protestant, l’amiral Coligny et parviendra à prendre le contrôle de la Hollande et de la Zélande, y instaurant la liberté religieuse. Sous les fils de Guillaume d’Orange, la lutte continuera et, après une Guerre de Quatre-Vingts Ans, la création des Provinces-Unies au XVIIe siècle, sera proclamée. Les territoires du sud des Pays-Bas
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(actuels Belgique et Nord de la France) étant retombés sous la souveraineté espagnole, la religion catholique y sera seule autorisée.
La Réforme touche aussi l’Écosse où elle rassemble les opposants à la dynastie Stuart, très liée à la religion catholique. En 1557, les Réformés s’unissent dans un Convenant, un serment typiquement écossais pour défendre une cause et rester uni jusqu’à la mort. Après la mort de Marie de Guise, régente pour sa fille Marie Stuart, le parlement écossais adopte la Confession écossaise. Ce texte présenté par John Knox est d’inspiration calviniste, puisqu’il a étudié avec lui à Genève.
Les statuts votés par le parlement établissent un système presbytéro-synodal. Chaque église locale est gérée par un collège composé du ministre (pasteur), des anciens et des diacres. Chaque église envoie des représentants aux synodes provinciaux. À la tête de l’Église dite presbytérienne se trouve l’Assemblée générale des Églises composée de délégués des synodes provinciaux. À cette époque la plus grande partie de la noblesse écossaise et une bonne partie de la population sont devenues protestantes. Le mariage de la reine Marie Stuart, restée catholique, avec Lord Darnley, de même confession, provoque une rébellion des régions protestantes en 1565. Marie finit par abdiquer en 1568. Son fils Jacques VI penche nettement vers le protestantisme et vers l’établissement d’une Église de type anglicane qui devient l’Église d’Écosse.
Au début de la Réforme, Henri VIII prend position pour les idées luthériennes. Le souverain anglais veut divorcer de son épouse Catherine d’Aragon dont il n’a qu’une fille après 18 ans de mariage. Le pape refuse le divorce. Le roi se proclame donc le chef suprême de l’Église anglaise dont il est le gouverneur suprême. Thomas More et l’évêque de Rochester qui refusent de reconnaître le roi comme chef suprême de l’Église anglaise sont exécutés. Paul III excommunie le roi, jette l’Interdit sur le royaume et prêche la croisade contre le roi bigame à ses yeux. En 1536, Henri VIII réprime un soulèvement catholique contre lui. En même temps les protestants lui reprochent de ne pas aller assez loin et de ne pas faire une réforme du dogme. En 1539, les Six Articles, votés par le Parlement maintiennent une stricte orthodoxie, transsubstantiation, communion sous une seule espèce, célibat et chasteté des prêtres.
Sous le règne d’Édouard VI (1547-1553), l’Église d’Angleterre s’oriente sensiblement vers la Réforme. Les injonctions royales, édictées en juillet 1547 sous l’impulsion d’Édouard Seymour, 1er duc de Somerset, et chef du conseil de régence, abolissent les six articles, interdisent les processions, autorisent la communion sous les deux espèces et ordonnent la lecture des textes saints en anglais. En 1549, John Dudley, duc de Northumberland, remplace Somerset à la tête du conseil de régence. Il accueille les réfugiés strasbourgeois chassés par la victoire de Charles Quint sur les protestants allemands. Ils apportent aux réformés anglais leur expérience et leurs connaissances. Sous leur impulsion, les protestants anglais parviennent à faire adopter par le Parlement le Book of Common Prayer qui devient obligatoire dans tout le royaume par la Loi d’Uniformité (15 janvier 1549). En 1552, le nouveau Prayer Book est nettement plus protestant, la Loi d’Uniformité qui l’accompagne accentue les sanctions contre les prêtres qui n’utilisent pas le Prayer Book et prévoit des amendes pour ceux qui ne se rendent pas à l’office du dimanche. Enfin, en avril 1553, les Quarante-deux articles précisent la doctrine anglicane : le prêtre devient un simple ministre de la parole, il célèbre l’eucharistie sans référence à la transsubstantiation, le culte des saints, la croyance au Purgatoire, les pèlerinages, les reliques, sont rejetés ; la doctrine sur la justification par la foi et la prédestination est d’inspiration calviniste.
Après la mort d’Édouard VI, sa sœur aînée Marie, restée catholique, devient reine (1553). Elle obtient d’un parlement recruté avec soin l’abolition de toutes les lois antérieures. Elle gouverne avec le cardinal Pole et fait arrêter les prélats qui sont des protestants convaincus. L’annonce de son mariage avec Philippe, le fils de Charles Quint déclenche une révolte dans le Kent, réprimée durement. La religion catholique est partout restaurée et les hérétiques poursuivis.
Lorsque Élisabeth 1re, demi-sœur de Marie arrive au pouvoir en 1558, le clergé anglais est entièrement catholique. En 1559, un nouvel Acte de Suprématie lui donne le titre de chef suprême de l’Église anglaise ; le Book of Common Prayer est rétabli dans tout le royaume. Le clergé doit se soumettre ou démissionner. Élisabeth 1re consolide les institutions de l’Église anglicane en leur donnant une confession, les Trente-neuf articles, en 1571.
La Contre-réforme catholique
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Pour remédier à son problème de réforme, le catholicisme a mis en œuvre tout ce qu’il pouvait. Il fallait absolument que la propagation du protestantisme soit arrêtée. Le concile de Trente et la Compagnie de Jésus sont deux exemples de ces moyens mis en œuvre pour stopper la réforme.
Le Concile de Trente en Italie.
Le redressement interne est surtout l’œuvre du concile de Trente convoqué par le pape Paul III à la demande de Charles Quint pour faire face à la réforme protestante. Le concile s’ouvre en 1545. Quant à Charles Quint, il souhaite faire du concile une sorte de vaste forum où protestants et catholiques discuteraient librement, ce dont le pape ne veut pas. Le concile de Trente répondait aux critiques des protestants et réaffirmait plus précisément qu’au début les doctrines voulues par Rome. Le catholicisme s’appuyait beaucoup sur une tradition dépassant la Bible. Les réformateurs ne jugeaient pas le passé, les pères de l’Église ou certains conciles avec mépris, mais affirmaient qu’il y avait là des contradictions nombreuses et des superstitions populaires qui déformaient le message de l’Évangile ce qui nécessitait un retour complet à la Bible, seul livre inspiré et infaillible (selon eux).
Le concile de Trente réaffirma l’autorité des papes, du clergé sur les laïcs, de la Tradition, des conciles, les mérites dans le salut, le purgatoire, les prières pour les morts, le sacrifice de la messe et l’intercession de Marie et des saints. Le catholicisme gardait toujours ses sept sacrements. Le concile de Trente permit d’arrêter l’expansion et même de reconquérir des endroits déjà perdus. Ce concile consacra la rupture de la chrétienté occidentale en deux : le catholicisme et le protestantisme.
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LES GUERRES DE RELIGION.
Les guerres de religion ont été d’une ampleur sans précédent, et d’une extrême violence. Ces affrontements ont fait le tour de la carte de l’Europe que ce soit en Allemagne, en France ou aux Pays-Bas.
L’unité chrétienne n’étant plus qu’une utopie, des conflits d’une grande ampleur se préparèrent : nommés à tort ou à raison « guerres de religion » (on parlait à l’époque de « troubles »), la dimension religieuse étant variable selon les époques, les lieux et encore plus selon les individus. En France, aux Pays-Bas et en Allemagne les répressions sociales et religieuses étant sévères, des guerres civiles éclatèrent, puis avec les prises de position des princes et des magistrats, elles devinrent des « guerres de religion ». L’empereur Charles Quint combattit l’hérésie avec son armée. Les luthériens, pour se défendre, établirent la Ligue de Smalkade.
Après cette guerre, la paix d’Augsbourg (1555) permit aux princes de choisir eux-mêmes la religion de leurs sujets, selon le principe Cujus regio, ejus religio (tel prince, telle religion). La France quant à elle, entra en convulsion un peu après l’Allemagne. Pendant 36 ans (1562-1598), les guerres de religion ne cessèrent pratiquement pas. C’est pendant ces guerres que les Provinces-Unies furent créées. En effet, une révolte où se mélangeaient sentiment national, intérêts commerciaux et religieux y éclata en 1566. Cette révolte, dont l’origine est lointaine, opposa les partisans des réformes calvinistes aux partisans de l’hégémonie espagnole et catholique. Dans les coulisses, plusieurs alliances s’étaient formées. Parfois, ces alliances étaient contre nature : François Ier, tout en réprimant les réformés français soutiendra les princes allemands pour embarrasser Charles Quint, de même, il fera alliance avec les Ottomans contre ce même Charles Quint. La papauté tergiversera entre la France et l’Espagne pour contrer la Réforme. Du côté protestant Maurice de Saxe combattra au côté de Charles Quint contre d’autres princes protestants avant de faire volte-face et de le défaire à Innsbruck en 1552. Tous ces conflits contribuèrent au déclenchement de la guerre de Trente Ans.
La guerre de Trente Ans commença en Allemagne en 1618 et dura jusqu’en 1648. Cette guerre débuta par une révolte des Tchèques protestants à cause de l’archevêque de Prague qui avait interdit le culte réformé dans la ville. Richelieu essaya d’arrêter la guerre, mais n’y parvint pas entièrement. L’Allemagne fut ravagée par cette guerre qui fut la plus meurtrière de cette époque. La fin de cette guerre fut conclue par la paix de Westphalie (1648). Celle-ci réaffirma le droit des princes d’imposer leur religion à leurs sujets. Ce qui n’est pas très démocratique on en conviendra. Voir Max Weber et l’éthique protestante (le temps c’est de l’argent).
Dans leur lutte contre les superstitions de Rome et les dérives de la spiritualité anabaptiste, le luthéranisme et le calvinisme contribueront au désenchantement du monde. En effet dans ces deux traditions théologiques et particulièrement dans le calvinisme, cela n’est pas le diable, les êtres célestes ou le miraculeux qui sont omniprésents, mais Dieu. Dieu est souverain et il a révélé sa volonté dans l’Écriture : (les 66 livres qui composent la Bible). Un Dieu tout-puissant contribue à rassurer le croyant. La mesure d’un homme dans la spiritualité protestante réside dans sa compréhension, sa capacité à expliquer et son obéissance à l’Écriture.
Notre conclusion sera donc sans appel. Comme dans le cas de l’islam, toute cette énergie (qui n’a pas évité Salem) aurait été plus utile à l’humanité si elle avait été mise au service de la philanthropie et de l’écologie, de l’agnosticisme et de l’athéisme.
1) Les racines de l’antisémitisme chrétien sont simples : tout part du récit de la passion fait par les synoptiques. Ci-dessous, en résumé, et sans dissimuler les zones d’ombre, le résultat qu’il semble possible d’obtenir de tous ces témoignages divergents ou contradictoires des quatre évangiles.
Jésus a été arrêté, à l’initiative du clergé de Jérusalem, avec à sa tête Caïphe, le grand prêtre en exercice. La troupe qui a effectué la rafle était composée uniquement de supplétifs juifs aux ordres de ces autorités.
Certains auteurs pensent que la manifestation, chez Jésus, d’un projet de caractère messianique, avait alerté Caïphe et son entourage, dans les meilleurs termes avec le pouvoir romain représenté par Pilate. La crainte d’un soulèvement aurait donc déterminé le pouvoir juif à faire arrêter Jésus.
Au sens strict, il n’y a pas eu de « procès » juif, mais seulement un procès romain. Le récit de la séance du Sanhédrin telle qu’elle est rapportée dans les évangiles synoptiques, est sans
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vraisemblance historique. Non seulement la version de Luc, qui remanie de fond en comble celle de Marc, mais encore les deux autres. C’est là un pur produit du christianisme qui n’a d’autre but que de montrer que Jésus a été condamné à mort en tant que Christ (Messie) Fils de Dieu ; mais aussi que cela reste un crime pour lequel ses juges seront châtiés.
Pilate a instruit un procès dont nous ignorons le déroulement. En condamnant Jésus à être crucifié, après l’avoir fait flageller, Pilate a peut-être pris une mesure sécuritaire. Le rôle de la foule juive est pour le moins douteux : elle n’apparaît en effet que dans l’épisode de Barabbas, lui-même d’une historicité discutable. Jésus, au sortir du prétoire, a été emmené par des troupes auxiliaires de Rome et crucifié par eux avec d’autres condamnés. Un point c’est tout !
Et tout cela dans l’hypothèse où cet homme a vraiment existé, ce dont on peut douter.
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THÉURGIE ET SACREMENTS.
La théurgie païenne.
Si on l’abstrait du contexte théologique dans lequel elle s’est développée pendant les derniers siècles du paganisme antique, la notion de théurgie rejoint celle de sacrement, car c’est une structure élémentaire de la vie religieuse.
Conformément à l’étymologie (théou-ourgia), elle se définit comme une action divine dont l’homme est l’instrument et le bénéficiaire. Elle implique la mise en œuvre d’un signe sensible (invocation, geste, manipulation d’objet) qui effectue ce qu’il symbolise. Au IVe siècle Jamblique précise, dans le livre II de son traité Des mystères d’Égypte, que ces signes accomplissent par eux-mêmes leur œuvre propre, en demandant seulement au fidèle un minimum de disponibilité. L’opération divine n’est pas mesurée par la connaissance qu’en a le fidèle, ni même par sa ferveur. La théurgie est donc un symbolisme opératoire destiné à éveiller la présence et la puissance divines et préfigure l’efficacité ex opere operato et non ex opere operantis des sacrements chrétiens.
Ainsi que Ronald Nash l’a remarqué en parlant des rites païens, « la formule ex opere operato caractérise la croyance païenne selon laquelle les sacrements ont le pouvoir de conférer à un individu le bénéfice de l’immortalité, de manière mécanique sans qu’il y ait de sa part transformation morale ou spirituelle. Et ce n’était certainement pas comme cela que Paul voyait le salut ». A contrario, les sacrements « étaient considérés par essence comme des dons souverains, à savoir des bénédictions conférées à des hommes par nature, inaptes aptes à participer au nouvel ordre inauguré par la personne et l’œuvre de Jésus-Christ. Les sacrements païens produisaient au contraire leur effet ex opere operato » (Ronald H. Nash, le Christianisme et le Monde Hellénique, Grand Rapids, Zondervan, 1984, p. 153) (Geisler, McKenzie, 13. Sacramentalité, P. 259).
D’ailleurs, théurgie et sacrements répondent à un même problème. Si d’une part Dieu est transcendant et essentiellement mystérieux, et si d’autre part il se communique et divinise l’homme, cette communion ne peut se pas réaliser uniquement par le biais de l’intelligence humaine, même éclairée par Dieu, car la plus profonde pensée ne saisit que des relations et n’atteint pas l’absolu comme tel.
L’école néo-platonicienne (IIIe-VIe siècle) professait en effet que la perfection consiste dans l’union mystique à la divinité ineffable, alors que la pensée ne s’élève pas au-delà de la théologie négative : elle sait seulement ce que Dieu n’est pas. C’est pourquoi cette école en était venue à combler par l’art théurgique le vide ainsi creusé entre la contemplation et l’ « extase ». Cet art devait réveiller chez l’initié non plus la sagesse, mais une sorte d’ivresse divine, non plus la visée d’une vérité distincte, mais la coïncidence avec l’Ineffable. Les prodiges et l’exaltation dionysiaque n’étaient pas exclus, mais on aurait tort d’y voir l’essentiel de la mystique néo-platonicienne. Ce n’étaient que des manifestations superficielles d’une communication plus originelle. Au Ve siècle, le biographe de Proclus, Marinus, loue son maître d’avoir pratiqué, au-delà des vertus contemplatives, les vertus théurgiques, appelées encore « vertus hiératiques ».
Dans ce dernier cas comme dans celui des sacrements, il s’agit d’employer un procédé plus radical que la pensée pour une conversion plus radicale que celle du contemplatif. On voulait rejoindre la divinité au sein même de sa clarté. Le paganisme, n’ayant pas eu d’autorité doctrinale centralisée comme le christianisme, s’est dispersé en une multitude de croyances et de rites en ce domaine. La théurgie n’a pas échappé à cette prolifération, et il ne peut être question ici d’en exposer les minutieuses pratiques. Il est plus important de chercher comment les esprits les plus avertis de l’époque tentaient de les justifier.
Le meilleur traité théologique de la théurgie est l’ouvrage de Jamblique déjà cité. La référence aux traditions religieuses égyptiennes et orientales, considérées comme plus précieuses que celles des Grecs, est un trait de l’époque. On cherchait en Orient le moyen de dépasser l’intellectualisme hellénique. Mais il est possible que ces influences orientales aient surtout favorisé le développement des germes mystiques que contenaient déjà les mystères grecs et celui des philosophies profondément religieuses, comme le pythagorisme et le platonisme. En fait, les traditions que recommande Jamblique, avec autant d’éclectisme que de dogmatisme, ont des origines diverses. Jamblique repousse fermement tout « rationalisme excessif » qui prétendrait atteindre l’union divine par le seul effort de l’intelligence. Sans doute vise-t-il Plotin à travers son disciple Porphyre (IIIe-IVe siècle), qui avait adressé à Jamblique une série de questions légèrement ironiques. Plotin, qui pourtant professait que l’union déifiante est non seulement la fin, mais le principe de toute la vie de
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l’esprit, s’était montré plus réservé à propos des rites. Porphyre avait oscillé de la pratique à la défiance. Dans son traité Du retour de l’âme, il avait même donné une explication de l’efficacité théurgique qui en réduisait la portée. Les rites agiraient seulement sur une puissance inférieure de l’âme, l’imagination, pour la purifier et libérer ainsi la puissance supérieure.
Jamblique ne se satisfait pas de cette interprétation. Et sa prise de position va intégrer définitivement l’art théurgique dans l’enseignement néo-platonicien, tant comme pratique que comme doctrine. La justification qu’il avance est peut-être évoquée par le pseudonyme « Abamon » que se donne l’auteur du De mysteriis.
Que cette étymologie soit exacte ou non, l’art théurgique est bien essentiellement théogonique, puisqu’il participe au pouvoir qui fait les dieux. Le maître Abamon soutient, en effet, que la puissance des signes n’est nullement destinée à notre utilité ni à la satisfaction de notre curiosité, mais à la purification de l’âme et à sa participation à la liberté divine.
Les bienfaits extérieurs comme les guérisons, les prévisions, les apparitions ne sont que des moyens. La théurgie n’est pas la magie. Bien entendu, on serait aujourd’hui plus exigeant sur ce point. On soupçonnerait quelque sorcellerie dans les artifices de l’oracle de Colophon et de celui de Delphes. Mais n’oublions pas qu’il y a un usage magique des sacrements. Tout symbole peut être dégradé et détourné. Et le principe que met en avant maître Abamon est sain, même s’il souffre quelques applications douteuses. La théurgie ne met pas les dieux à notre service, car c’est l’effet inverse qu’elle vise. Elle ne manipule pas les dieux en faisant d’eux les objets passifs de nos prières et de nos sacrifices. Car, si le rite est efficace, c’est dans la mesure où les dieux ont librement choisi d’y enfermer leur puissance. Selon Proclus, la divinité nous illumine ou bien par les pensées qu’elle nous inspire, ou bien par les actions qu’elle nous fait accomplir. Celles-ci doivent non seulement représenter, mais faire passer dans nos démarches une fonction constitutive de la générosité divine. En sorte que cette opération nous consacre ou nous initie à l’acte par lequel une puissance divine se donne son caractère distinctif.
Ici apparaît la différence fondamentale entre la théurgie antique et les sacrements chrétiens. Ceux-ci, qui ont leur centre dans l’eucharistie, reproduisent les actions divino-humaines de Jésus et font communier le fidèle à son sacrifice et à sa glorification. Le fondement du sacrement chrétien, c’est l’histoire de Jésus auquel le chrétien conforme effectivement sa propre histoire. « Faites ceci en mémoire de moi ». Tout repose donc sur la véracité et l’historicité des récits évangéliques ce qui est un pari dangereux, car si l’historicité s’estompe et si la vérité se trouble, ALORS TOUT S’EFFONDRE !
La racine de la théurgie paraît d’abord assez semblable. Les mystères païens faisaient revivre à leurs initiés l’aventure terrestre du dieu auquel ceux-ci aspiraient à être personnellement consacrés. Mais les aventures de ces dieux n’appartiennent pas à l’histoire, elles relèvent du mythe. Et, si l’on cherche à les interpréter de façon philosophique, on verra en chaque dieu, Apollon, Dionysos ou Coré, la figure d’une puissance déterminée de l’unique et ineffable source de la divinité. Le mythe se résout alors dans l’intemporel.
Par conséquent, dans un cas comme dans l’autre, sacrements et théurgie, il y a la motion prévenante et déifiante du Dieu caché, et la médiation d’un symbole efficace. Mais le sacrement continue l’histoire d’un homme-Dieu, tandis que la théurgie est l’acte d’une pensée mythique toute chargée de mystique. Sur ce point, la divergence semble irréductible.
Les sacrements chrétiens.
Nous avons vu dans nos cahiers de notes précédents qu’entre le judaïsme théorique des débuts du récit biblique et celui du temps Jésus beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts et que bon nombre de différences fondamentales s’y étaient peu à peu installées, surtout après le retour de l’exil à Babylone en – 538. Le judaïsme ne commence d’ailleurs en un sens qu’après cette date.
Première imposture : celle de la révélation d’emblée dès Abraham dès Moïse de la Religion avec un grand R.
Il nous faut traiter maintenant de la deuxième imposture, celle qui consiste à dire ou laisser entendre que le christianisme actuel n’est qu’une réforme du judaïsme du temps de Jésus, sans aucun apport extérieur, que toutes ses racines sont juives et n’ont rien à voir avec le monde des ténèbres que sont les goyim rebaptisés (si l’on peut dire) plus tard pour mieux les stigmatiser « païens ».
Bruce M. Metzger (1914-2007) de l’université théologique de Princeton ayant très bien posé les termes du problème nous nous contenterons de le citer ou de résumer son exposé, publié dans la
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revue théologique de Harvard EN 1955 SOUS LE TITRE « Considérations sur la méthodologie des études sur les religions à mystères et le christianisme primitif ».
TOUT UN PRÉCISANT D’EMBLÉE QUE NOUS N’AVONS PAS LA MÊME INDULGENCE QUE LUI VIS-À-VIS DES CONTEMPTEURS DE GOYIM OU DE PAÏENS ET QUE NOUS NE PLAÇONS PAS LE CURSEUR DE LA BALANCE AU MÊME ENDROIT QUE LUI. BREF QUE NOUS N’AVONS PAS POUR LE CHRISTIANISME LES YEUX DE CHIMÈNE OU JULIETTE (pour son Roméo).
Metzger a d’ailleurs l’honnêteté intellectuelle de préciser qu’il ne traite que des méthodes utilisées pour ce questionnement.
« Le but essentiel de cet article est de traiter des problèmes de méthodologie et de soulever des questions concernant la justesse de certaines hypothèses qui, dans certains milieux, sont généralement acceptées comme pertinentes. Afin d’être concrète, la discussion a nécessairement traité de croyances et doctrines précises, mais celles-ci, loin d’être exhaustives, doivent être considérées comme de simples exemples. Si des conclusions peuvent être tirées des considérations méthodologiques précédentes, elles ne peuvent qu’être les suivantes.
Premièrement, que les preuves exigent que l’enquêteur fasse preuve d’une grande prudence dans l’évaluation de la relation entre les Cultes à mystères et le christianisme primitif.
Deuxièmement, que… »
Et là nous objecterons à Bruce Metzger que la continuité génétique dont il souligne l’absence ELLE RÉSIDE DANS LA PERSONNE MÊME DES PREMIERS CHRÉTIENS NON ISSUS DU JUDAÏSME ET DONT CERTAINS FURENT MÊME APPAREMMENT DES PHILOSOPHES OU DES PRÊTRES DE CULTES PAÏENS (comme Montanus ancien prêtre de Cybèle par exemple, or le montanisme a fourni les gros bataillons de chrétiens non marcionites ou non gnostiques, ancêtres des futurs catholiques orthodoxes réformés). ET A CONTRARIO DANS LE FAIT QUE BEAUCOUP DE JUDÉO-CHRÉTIENS ONT DÉCROCHÉ EN COURS DE ROUTE ET SONT REVENUS À LA SYNAGOGUE.
Nous objecterons même à notre distingué confrère l’ardent plaidoyer propaïen du révérend Samuel Angus, à savoir la préface de son ouvrage intitulé « Étude de l’arrière-plan historique du christianisme primitif ».
« En tant que religion historique, le christianisme est né historiquement conditionné par un environnement déterminé. Il se fonde sur certains faits historiques ; il est prêché par et pour des hommes qui ont une vision du monde radicalement différente à de nombreux points de vue de celle d’aujourd’hui. Le christianisme n’a pas seulement fait l’histoire, mais il a aussi été changé et façonné par l’histoire… Il existe une meilleure façon de magnifier le christianisme que d’ignorer ou de dénoncer le paganisme, ou de dénigrer les systèmes rivaux que le christianisme a vaincus…
Il y a eu une reconnaissance croissante de l’effet de son environnement sur le christianisme primitif et de la nécessité d’envisager le christianisme dans son contexte culturel et religieux complet. Le monde gréco-romain fut le sol sur lequel le Semeur a semé la graine chrétienne ; sa croissance dépendit non seulement des forces vitales inhérentes à la graine, mais aussi de la préparation et de la fertilité du sol. Il faut connaître les anciennes habitudes de pensée et les postulats intellectuels avec lesquels le christianisme est entré en contact et qu’il a adoptés, du moins partiellement, pour bien en comprendre la tâche.
À la question « Dieu est-il le Dieu des Juifs uniquement ? », les étudiants en histoire ancienne doivent répondre qu’il est aussi le Dieu des Grecs, des Orientaux et des Romains.
Il y a eu une riche préparation païenne au christianisme tout autant qu’il y a eu une riche contribution juive à la richesse de l’époque. Les valeurs spirituelles du syncrétisme helléno-oriental ne peuvent pas être négligées par ceux qui étudient l’histoire et l’évolution du christianisme.
L’Ecclesia chrétienne n’est appréciée à sa juste valeur que lorsqu’on la voit au travail dans un monde intensément religieux en compétition avec les Synagogues de la Diaspora, les Confréries religieuses des Cultes à Mystères, ou les Écoles philosophiques grecques.
Dans le paganisme, on tâtonnait pour trouver Dieu si on pouvait le trouver, et de telles aspirations nous concernent directement, car elles permettent aux Européens de mieux apprécier l’Évangile. À chaque époque, la Sagesse, en pénétrant les âmes saintes, fait des hommes des amis de Dieu et des prophètes désireux d’appréhender ou de vivre la Vérité.
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Ceux qui ont vécu avec la Parole et qui étaient chrétiens avant le Christ, ceux qui ont livré leur testimonium animae naturaliter Christianae, ont préparé le chemin du Seigneur. Et parmi ceux qui se sont ensuite opposés au progrès irrésistible de notre Foi, alors que les questions spirituelles étaient souvent confondues avec le zèle politique et sectaire, on trouve des hommes sincères qui étaient des amoureux de la sagesse, tant dans leur caractère que dans leurs discours… le christianisme s’est avéré incapable de trouver une méthode pour accepter ou s’approprier la culture ancienne sans déchirer le riche tissu de la civilisation gréco-romaine. Nous voyons ses champions souvent si effrayés des périls moraux les menaçant que dans leur crainte à ce sujet ils ont arraché le blé avec l’ivraie, refusant de laisser les deux pousser ensemble jusqu’à la récolte.
C’est dans l’espoir de contribuer, même modestement, à la connaissance de la situation du monde méditerranéen au moment de l’apparition et de la diffusion de notre Foi, que ce volume est publié.
S.A. St Andrew's College, Sydney, 22 décembre 1928.
Mais revenons aux considérations de Metzger sur la méthodologie.
« Le premier intellectuel ayant procédé à un examen exhaustif et critique des déclarations des auteurs anciens concernant les Mystères a été Christian August Lobeck. Bien que Lobeck ait limité ses observations aux Mystères d’Éleusis, d’Orphée et de Samothrace, sa monographie, publiée en 1829, a été de la plus grande importance… il devint possible de discuter intelligemment des rites et des enseignements des cultes à Mystères. En outre, c’est également au cours du XIXe siècle que l’archéologie a commencé de porter à notre connaissance des éléments importants relatifs aux croyances et aux pratiques des adeptes des religions à Mystères. Les fouilles des lieux de culte ont complété les témoignages des auteurs classiques et des Pères de l’Église par des milliers d’inscriptions, d’hymnes, de mosaïques, de statues, d’autels, de lampes, d’instruments sacrificiels, etc.…
De la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours, de nombreux chercheurs ont donné leur avis sur les relations ayant pu exister entre l’Église et les religions concurrentes dans l’Empire romain. Comme on pouvait s’y attendre au vu du caractère fragmentaire et parfois ambigu desdites preuves, ces chercheurs sont parvenus à des résultats assez divergents. Certains estiment que seul un minimum d’influence extérieure s’est exercé sur le christianisme primitif (par exemple…). D’autres, en revanche, sont disposés à croire non seulement que ces influences ont été relativement importantes, mais aussi qu’elles se sont exercées dans la formulation de la doctrine et de rites centraux ou cruciaux de l’Église (par exemple…)
Ces divergences d’opinions sont dues, au moins en partie, à des différences de méthodologie dans le traitement des informations.
I. Il y a lieu tout d’abord de bien distinguer entre la foi et la pratique des premiers chrétiens et celles de l’Église au cours des siècles suivants. On ne peut nier que le christianisme post-constantinien, tant oriental qu’occidental, a adopté nombre de rites et de pratiques païens. D’Asclépios est venue la pratique de l’incubation dans les églises pour la guérison des maladies. Les fonctions de plus d’un demi-dieu local ont été reprises par des saints chrétiens dont les noms rappellent même, dans certains cas, les prototypes païens originaux. Les statues d’Isis tenant dans ses bras Harpocrate (Horus) enfant, ainsi que les hymnes en l’honneur de la Reine du Ciel égyptienne, ont leur pendant évident dans la naissance du culte de Marie. NDLR. On peut ajouter à cette iconographie l’imagerie du Berger criophore ou Bon Pasteur qui fait d’abord partie du répertoire funéraire païen antique.
De même que Sabazios, d’un geste caractéristique – les trois doigts supérieurs levés, les deux autres baissés – bénissait ses adhérents, de même l’évêque catholique d’Occident donnait (et donne encore) sa bénédiction aux fidèles. Les processions au cours desquelles des objets sacrés sont portés pour être exposés à la vue des spectateurs, la tonsure des prêtres, certains rites funéraires, l’utilisation de cierges, les idées populaires concernant la géographie de l’Hadès – tous ces éléments ont des prototypes païens assez généralement reconnus.
Les véritables divergences d’opinions, cependant, ne concernent que les relations du christianisme naissant avec ses concurrents païens.
Dès les premiers temps de l’Église, la question de l’efficacité surnaturelle des sacrements fut discutée par les théologiens. Cela provoqua même un schisme dans l’Église d’Afrique du Nord au IVe siècle. L’évêque Donat (en Numidie) et ses partisans dénient la validité de l’ordination épiscopale (307) de
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l’évêque de Carthage, Cécilien, car l’un des évêques consécrateurs était un « traître » (traditor) : il avait accepté de remettre aux autorités des objets de culte et des livres sacrés durant la deuxième et dernière des vraies persécutions générales et officielles antichrétiennes dans l’Empire romain, la persécution de Dioclétien (début du IVe siècle). Une soixantaine d’évêques d’Afrique du Nord suivent Donat et élisent un nouvel évêque de Carthage, causant un schisme dans l’église d’Afrique. C’est ce que l’on appela l’hérésie donatiste.
Le parti opposé au donatisme et notamment l’évêque de Rome firent valoir que la validité des sacrements ne pouvait dépendre de l’excellence spirituelle de celui qui l’administre. S’il en était ainsi, les chrétiens seraient dans le doute permanent quant à la validité de leur propre baptême ou de la communion reçue durant l’Eucharistie. Le donatisme fut combattu par Saint Augustin et ne disparut qu’au VIIIe siècle.
Le terme grec correspondant ainsi que l’a bien vu John Toland dans son christianisme sans mystère était MYSTERION.
Toutefois, jusqu’au début du IVe siècle, les risques de confusion avec les mystères païens étaient tels que les écrivains chrétiens évitèrent l’emploi du terme de « mystère » en ce sens, pourtant usuel dans la langue courante du IIe siècle.
Le terme latin sacramentum, lui, avec le double élément juridico-religieux que Tertullien tira de son usage préchrétien – serment prêté à l’occasion d’un procès ou serment d’engagement militaire ; gage en nature ou en argent déposé au temple dans le premier cas, ou marque indélébile d’appartenance gravée sur la peau dans le second –, prêtait moins à confusion, malgré son emploi possible en ce double sens pour une initiation à un mystère païen. Ce fut donc ce mot latin que Tertullien retint pour traduire le mot grec mysterion.
Quoique souvent équivalent à mysterium, sacramentum n’avait pas la même force étymologique pour conserver bien vivant son rapport à l’Écriture. Cela devait se révéler lourd de conséquences par la suite.
Contestés par la Réforme protestante (Luther soutenait qu’un prêtre en état de péché mortel ne pouvait administrer validement les sacrements) les sacrements et leurs effets furent à nouveau l’objet de débats au concile de Trente (XVIe siècle). Celui-ci confirma la doctrine traditionnelle de l’Église catholique, à savoir que les sacrements étaient efficaces ‘ex opere operato’, c’est-à-dire « de par leur action même », indépendamment des qualités ou des vertus morales de celui qui en est l’exécutant.
Lors de la session du 3 mars 1547, les pères du concile définirent (contre Luther) que les sacrements confèrent la grâce recherchée « ex opere operato » (canon 8) en ce qui concerne l’engagement divin (canon 7) : « Si quelqu’un prétend que les sacrements de la nouvelle alliance ne confèrent pas la grâce, par eux-mêmes et de manière efficace (ex opere operato), mais que pour obtenir la grâce il suffit d’avoir confiance en la promesse divine, qu’il soit excommunié » (Concile de Trente, session VII, ‘De sacramentis’, canon 8).
Par cette définition le concile voulut balayer les doutes que pourraient avoir les fidèles sur la validité d’un sacrement dans le cas d’un ministre indigne ou simulateur. Si le rite est accompli de manière correcte, Dieu s’y est engagé et, en ce qui le concerne (« ex parte Dei »), le sacrement est valide et complet. Ceci ne préjuge pas des dispositions personnelles de celui qui reçoit le sacrement.
L’expression est reprise dans le Catéchisme de l’Église catholique, pour y exprimer la même doctrine (N° 1128) : « Tel est le sens de l’affirmation de l’Église : les sacrements agissent ex opere operato (littéralement : « par le fait même que l’action est accomplie »), c’est-à-dire en vertu de l’œuvre salvifique du Christ, accomplie une fois pour toutes. Il s’ensuit que « le sacrement n’est pas réalisé par la justice de l’homme qui le donne ou le reçoit, mais par la puissance de Dieu » (St Thomas d’Aquin). Dès lors qu’un sacrement est célébré conformément à l’intention de l’Église, la puissance du Christ et de son Esprit agit en lui et par lui, indépendamment de la sainteté personnelle du ministre. Cependant, ainsi que nous l’avons vu plus haut, les fruits des sacrements dépendent aussi des dispositions personnelles de celui qui les reçoit. » Ce qui laisse le problème entier dans le cas du baptême des enfants ou nouveaux comme le soulignent certaines confessions protestantes qui n’admettent que le baptême des adultes (en fait tout vient de la notion de péché originel vouant à l’enfer qui n’est pas baptisé).
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LES 7 SACREMENTS DONC.
NDLR. Le christianisme primitif ne faisait guère la distinction entre sacrements et sacramentaux. La notion de sept sacrements est un emprunt à la scolastique latine ; de là vient d’ailleurs la distinction entre « sacrements » et « sacramentaux ». Les pères orientaux ne s’intéressaient pas au nombre de sacrements, et ne se mettaient pas en peine de les dénombrer. Certaines confessions chrétiennes ne reconnaissent d’ailleurs que deux sacrements : le baptême et la sainte cène (ou eucharistie, ou communion). Dans l’Église orthodoxe d’aujourd’hui sont également comptés comme sacrements : la Chrismation, la Pénitence, l’Ordination, le Mariage et l’Onction des malades ; tous les autres actes d’Église sont considérés comme des sacramentaux.
À NOTER : AUCUN DES SACREMENTS CHRÉTIENS ACTUELS N’EST RESTÉ CONFORME AU SACREMENT ORIGINEL, SOIT IL N’EXISTAIT PAS SOIT IL A CONSIDÉRABLEMENT ÉVOLUÉ.
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LE POINT DE VUE (RADICAL) DE PÉLAGE
SUR LE BAPTÊME (DES ENFANTS OU DES ADULTES).
Kai ego hama tois suntherois hepomai to Kelton nomo kai apophaino hos ouden aneu theon gignomenon anthropois es agathon apoteleuta. Sur les rapports ou pas avec Arrien Amitabha et les druides voir également notre cahier de notes précédent, le N° 31…
Le pélagianisme est une doctrine développée à partir de la deuxième moitié du IVe siècle par l’ascète breton Pélage, Célestius, Julien d’Éclane et leurs disciples, caractérisée par l’insistance sur le libre arbitre de l’homme.
Quoique le nom et la doctrine de Pélage tiennent une grande place dans l’histoire ecclésiastique, on n’y trouve sur sa personne que des renseignements fort insuffisants. Les lieux et les années de sa naissance et de sa mort ne sont indiqués nulle part d’une manière certaine. On suppose qu’il naquit vers l’an 370, et on dit qu’il mourut dans une petite ville de la Palestine, à l’âge de soixante-dix ans. Augustin, Prosper, Orose, Gennadius et Mercator s’accordent à le présenter comme Breton. L’indication est vague. Jérôme ajoute : Habet progeniem Scotiae gentis de Britannorum vicinia. On en a conclu qu’il était né en Irlande. Le mot Pélage est évidemment la traduction grecque d’un autre mot. Lequel ? On a proposé le mot Morgan, Morigenos, dont les Grecs auraient fait Pelagios. On prétend même que Pélage avait résidé à Bangor (pays de Galles). Ces deux dernières conjectures ne sont fondées sur aucune espèce de documents. De la forme grecque du nom sous lequel il est connu et de divers autres indices on pourrait induire, avec plus de vraisemblance, qu’avant de s’établir à Rome, Pélage est allé en Orient, peut-être à Antioche, et qu’il a subi l’influence de la théologie qui y était enseignée. Il est certain qu’il était moine, du moins en ce sens qu’il avait conçu et qu’il s’efforçait de réaliser un haut idéal de perfection ascétique ; mais il semble bien qu’il n’appartenait à aucun monastère. Il n’avait point reçu les ordres sacrés ; car Orose et le pape Zozime parlent de lui comme d’un laïc. À l’exception de Jérôme tous les adversaires de Pélage rendent témoignage à la pureté de ses mœurs et à sa piété. Augustin reconnaît qu’il était généralement considéré comme un saint homme ; Paulin de Nole l’estimait comme un fidèle serviteur de Dieu. Une lettre que Pélage écrivit en 415 à une jeune fille, nommée Démétrias, qui se destinait à l’état monastique, montre l’élévation de ses conceptions morales.
La doctrine de Pélage et de Cœlestius traite des conséquences de la désobéissance d’Adam. Pour rendre exactement compte des évolutions qu’elle a produites ou occasionnées dans les dogmes en cette matière, il est nécessaire d’indiquer quelles étaient alors les opinions des théologiens.
Tous reconnaissaient que le péché d’Adam a eu des résultats désastreux pour sa postérité, en ce que tous les humains sont devenus mortels, en ce que leurs instincts ont acquis une puissance pernicieuse, et en ce qu’ils ont été plus exposés aux séductions du Démon. À ces idées, les docteurs de l’Église romaine ajoutaient l’opinion émise par Tertullien d’une peccabilité héréditaire, c.-à-d. d’une corruption produite par la chute d’Adam et transmise, comme un héritage, à sa postérité.
Cependant, les Pères de cette Église étaient très éloignés de penser que cette corruption naturelle avait détruit la liberté de l’être humain. Ils affirmaient au contraire expressément que l’Homme a le pouvoir de faire le bien, par sa propre force. Hilaire (In Psalmo 118) lui attribue positivement le commencement du bien : Est quidem in fide manendi a Deo munus, sed incipiendi a nobis origo est. Ils étaient tout aussi éloignés de l’idée que le péché d’Adam doit être imputé comme faute à ses descendants.
Dans ses premiers écrits et surtout dans ceux qu’il avait rédigés contre les manichéens, Augustin lui-même s’était montré complètement d’accord avec les autres docteurs de l’Église latine. Il avait admis un péché ou vice originel, qui se manifeste dans l’ignorance ou la faiblesse de l’être humain et dans son penchant pour les choses visibles et terrestres, mais par lequel sa liberté ne se trouve nullement atteinte. Il avait, au contraire, nettement affirmé (De liberto arbitrio, II, c. 4) que l’homme peut, de par sa propre force, triompher de cet obstacle et vivre comme il le doit, pourvu qu’il le veuille. Recte vivere homo, cum vult, potest. Mais avant sa controverse avec Pélage, il s’était déjà tourné vers une opinion plus rigoureuse. Dans la lutte, elle se développa et parvint à une terrible rigidité.
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Le nom et la doctrine du péché ou du vice originel sont donc complètement étrangers aux docteurs de l’Église grecque. Ils s’accordaient bien à reconnaître les funestes effets de la chute d’Adam pour sa postérité, mais ils ne les concevaient pas comme un état maladif de l’âme, transmis par la génération. Suivant eux, la nature morale de l’homme n’avait pas été métamorphosée par la chute ; mais une des conséquences de la chute avait été d’exposer davantage cette nature aux tentations des démons, via les convoitises et les passions. À propos du passage du psaume LI, 7 : « dans la faute j’ai été enfanté et dans le péché conçu des ardeurs de ma mère ». Grégoire de Nysse (De iis qui praemature abripiuntur) déclarait que les enfants n’ont besoin d’aucune purification, puisqu’ils ne sont atteints d’aucune maladie de l’âme. Athanase assure qu’il y a eu, avant Jésus, un assez grand nombre de saints qui sont restés purs de tout péché. Il cite, en particulier, Jérémie et Jean-Baptiste.
Ainsi, tous les docteurs et tous les pères des deux Églises, antérieures à Augustin, affirmaient, de la manière la plus positive, que la volonté humaine est pleinement libre et capable de céder ou de résister aux tentations du péché. Non seulement les Orientaux, mais même les Occidentaux, reviennent fréquemment sur ce sujet, à l’égard duquel ils s’expriment d’ailleurs énergiquement, car tous considéraient la liberté humaine comme la condition essentielle de la moralité.
L’opinion, répandue dans l’Église d’Occident, que tous les êtres humains ont hérité d’Adam une inclination au péché, qui les empêche d’arriver au bien, et que, pour cette raison, ils ne peuvent arriver à la vertu qu’avec la grâce de Dieu, paraissait à Pélage et à Cœlestius une source d’idées dangereuses pour la morale. Ils croyaient remarquer que les hommes, à qui l’on promettait qu’ils seraient portés à la vertu par cette grâce, négligeaient les efforts nécessaires pour l’atteindre. Augustin rapporte qu’un jour (vers 405), Pélage manifesta une vive indignation, en entendant un évêque citer ces paroles, d’une des prières du livre des Confessions : « Da quod jubes et jube quod vis, donne ce que tu ordonnes, et ordonne ce que tu veux ». II estimait que ces paroles anéantissaient la liberté de l’humain, et qu’elles faisaient de lui une poupée entre les mains de Dieu. Pour réagir contre une pareille doctrine, ils lui opposèrent les propositions qui leur semblaient les plus propres à rehausser le sentiment de la liberté, de la responsabilité et de la dignité humaines. Nous ne savons pas bien quelles étaient ces propositions ; mais il est vraisemblable qu’elles ne différaient pas sensiblement de celles qu’ils formulèrent plus tard. Ils ne furent pas inquiétés à Rome, soit que leur enseignement y ait eu peu de retentissement, soit qu’ils aient été protégés par le respect qu’inspirait l’intégrité de leur vie. En 309, ils quittèrent Rome, menacée par l’invasion d’Alaric, et ils passèrent en Sicile ; puis de là, en Afrique.
Augustin, qui soutenait alors une lutte ardente contre les donatistes, ne fit ni n’écrivit rien contre eux. Pélage quitta l’Afrique pour aller en Palestine. En 411, Cœlestius, qui était resté à Carthage, sollicita un poste de prêtre. Mais Paulin, diacre de Milan, qui se trouvait dans ce temps-là en Afrique, l’accusa d’hérésie pour avoir professé les six points suivants…
I. Adam a été créé mortel ; il serait mort, même s’il n’avait pas péché.
II. Le péché d’Adam n’a fait tort qu’à lui seul, non à toute l’espèce humaine.
III. Les enfants, à leur, naissance, sont dans le même état qu’Adam, au moment de sa création.
IV. La chute d’Adam n’a pas introduit la mort dans l’espèce humaine, pas plus que la résurrection du Christ n’a produit la résurrection de tous les hommes.
V. La Loi introduit les hommes dans le royaume des cieux, aussi bien que l’Évangile.
VI. Même avant la venue du Christ, il y a eu des hommes sans péché.
Un concile tenu à Carthage (412) condamna ces propositions et excommunia Cœlestius, quoiqu’il eut reconnu la nécessité du baptême des enfants, à l’aide d’une distinction entre le royaume des cieux, où les baptisés seuls peuvent être admis, et la vie éternelle, que tous les enfants peuvent obtenir.
Augustin n’avait point assisté au concile qui prononça cette condamnation ; mais, en la même année, sur la demande de son ami Marcellin, que troublaient quelques-unes des assertions des pélagiens, il fit des sermons pour les réfuter, et il écrivit son traité De peccatorum meritis et remissione ac de baptismo parvulorum. Il s’y exprime en termes respectueux sur le caractère de Pélage, peut-être parce qu’il espérait encore le convertir.
Cœlestius avait fait appel auprès de l’évêque de Rome, de la sentence qui le condamnait. Mais au lieu d’attendre le résultat de son appel, il se retira à Éphèse. En Orient, où était professée la doctrine que nous avons précédemment relatée, Pélage avait trouvé un excellent accueil, notamment auprès de Jean, évêque de Jérusalem. Mais Lazare, évêque d’Aix, Héros, évêque d’Arles, qui avaient été exilés
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en Palestine, et Orose, qu’Augustin avait chargé d’une mission auprès de Jérôme, l’accusèrent encore d’hérésie, lui reprochant principalement d’avoir enseigné qu’il était possible à l’être humain de vivre sans péché, et d’observer, avec sa seule force, les commandements de Dieu. La cause fut portée devant un concile assemblé à Jérusalem (415). Jean y prit parti pour Pélage, et ses adversaires ne purent obtenir sa condamnation. Lazare et Héros s’obstinèrent à poursuivre, dès la même année, en Orient. Ils relevèrent contre Pélage douze chefs d’accusation, qui furent produits devant un synode tenu à Diospolis (aujourd’hui Lod en Israël) et présidé par Euloge, évêque de Césarée. Les cinq premiers reproduisaient des points sur lesquels Cœlestius avait été condamné à Carthage. Parmi les autres, nous ne relaterons que ceux qui se rapportent au libre arbitre et à la grâce.
Pélage déclina toute responsabilité, à l’égard des propositions de Cœlestius, qu’on prétendait lui imputer, et il en approuva la condamnation ; mais sur celles qu’il maintint, comme lui appartenant personnellement, il fut déclaré orthodoxe. Cette décision indigna Augustin, qui s’efforça de démontrer aux évêques orientaux (De gestis Pelagii) qu’ils s’étaient laissé tromper. Mais il ne réussit point à les persuader. Théodore de Mopsueste, figure de proue de l’école d’Antioche, répondit…………
Les Actes de ce synode ont été reconstitués par Daniel R. Jennings, chercheur de textes relatifs à la patristique.
À la fin Pélage fut reconnu orthodoxe pour ce qui est de la doctrine et en pleine communion avec l’Église.
Comme nous nous occupons ici de doctrine théologique plutôt que de procédure canonique, nous ne relaterons point les incidents des poursuites qui aboutirent à la condamnation définitive du pélagianisme. Il nous paraît suffisant d’en énoncer sommairement les résultats. Le 1er mai 418, un concile de Carthage confirma et étendit les condamnations prononcées dans cette ville et à Milève en 412 et 416. Préalablement, Augustin s’était assuré l’appui du bras séculier. Sur ses instances, Honorius avait, dès le 30 avril précédent, ordonné au préfet du prétoire de rechercher et de chasser de Rome tous les partisans du pélagianisme. Alors, le pape Zozime, qui pendant longtemps était resté fort hésitant, écrivit une lettre dans laquelle il déclarait adhérer aux décisions des conciles africains et à la doctrine d’Augustin sur le péché originel, le baptême et la grâce, et invitait les évêques occidentaux à condamner avec lui l’hérésie pélagienne. Dix-huit évêques italiens furent bannis par l’empereur, pour avoir refusé de signer ce document. Le plus célèbre est Julien, évêque d'Éclane, en Apulie, qui continua la lutte contre la dogmatique d’Augustin, et réussit à donner à la doctrine pélagienne une cohésion qu’elle n’avait pas eue jusqu’alors. Il utilisa contre ses adversaires des arguments puissants, auxquels Augustin s’efforça de répondre dans ses livres De nuptiis et concupiscentia ; Contra Julianum libri VI (421) et dans son Opus imperfectum.
En orient, le pélagianisme avait été compromis par la protection qu’il avait reçue de l’école d’Antioche et par un appel de Cœlestius à Nestorius, quoique cet appel n’eût point été favorablement accueilli. Il fut condamné, en même temps que cet évêque de Constantinople, par le concile oecuménique d’Éphèse (431). Mais comme la sentence ne contenait pas de définition dogmatique sur les points discutés, les Orientaux gardèrent leur doctrine.
Sous l’impulsion de la controverse, Augustin avait été amené à prendre des positions directement opposées à celles des pélagiens, et à formuler une doctrine qui constitue le terme définitif des évolutions de sa pensée. Il nous semble que cette doctrine peut être ainsi résumée : Adam a été créé complètement libre, en sorte qu’il pouvait pécher ou ne pas pécher. Mais par sa chute, la nature humaine a été physiquement et moralement corrompue. Les conséquences de cette chute sont la mort physique, la corruption des instincts (Concupiscentia) et par suite la révolte de la chair contre l’esprit, la sueur tombant du front des travailleurs, les ronces et les épines que produit la terre, les douleurs de l’enfantement, en un mot, tous les maux physiques et moraux.
La concupiscence fait perdre à l’humain la faculté de choisir le bien, par amour de Dieu, c’est-à-dire de faire véritablement le bien. Par suite de la perte de cette faculté, il a perdu la liberté vraie de sa volonté ; car il ne lui reste plus que la liberté d’agir pour des raisons sensuelles, c.-à-d. de pécher. Cet état de peccabilité a été transmis par Adam à ses descendants, par la voie de la génération, si bien que même les enfants s’en trouvent déjà affectés lorsqu’ils naissent. Le péché originel se manifeste en ce que la concupiscence domine tellement l’humain qu’il ne se laisse diriger que par elle dans sa conduite : Augustin affirme, en beaucoup de passages, que le libre arbitre est aboli par la chute. Il est vrai que l’humain n’en est point privé, au point d’être irrésistiblement poussé à des actes déterminés
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par la concupiscence, puisqu’il peut choisir entre plusieurs motivations différentes ; mais toutes ces motivations proviennent de la concupiscence, et elles sont les seules qui opèrent en lui : en fait, il est complètement incapable d’obéir à un plus noble mobile, et de faire ce qui est agréable à Dieu, uniquement par amour de Dieu. Comme sa volonté est ainsi enfermée dans un cercle de considérations impures, il lui manque la liberté qui résulte de la vraie communion avec Dieu, et qui consiste dans une entière soumission à sa volonté. En somme, les actes extérieurs de l’être humain déchu dépendent bien de son libre arbitre ; mais non ses motivations. Or, comme ce sont les mobiles qui déterminent le mérite des actions, toutes ses actions sont nécessairement mauvaises.
Non seulement le péché originel souille par la concupiscence toutes les actions des humains ; mais, même avant toute action, il en résulte une coulpe qui s’étend sur toute la postérité d’Adam. En Adam, toute l’humanité a perdu la grâce de Dieu, et a été soumise à l’empire de Satan et à la damnation éternelle ; elle est devenue une masse corrompue, une perditionis massa, en sorte que les enfants nouveau-nés eux-mêmes se trouvent en l’état de damnation. Pour justifier cette assertion, Augustin se servait de Ia traduction erronée d’un texte de saint Paul.
En comparant la doctrine antérieure de l’Église chrétienne avec les opinions des pélagiens et celles d’Augustin sur les conséquences de la désobéissance d’Adam, on peut donc constater que les pélagiens s’écartaient de cette doctrine, en refusant presque complètement d’admettre que cette chute ait eu des conséquences funestes pour la postérité d’Adam ; en niant même pour la plupart que la mortalité fut une de ces conséquences, et en enseignant que la pratique du bien était aussi facile aux descendants d’Adam qu’à Adam lui-même avant son péché. Tandis que les premiers docteurs de l’Église admettaient généralement non seulement que la mort est une conséquence du péché d’Adam, mais que les convoitises et les mauvais penchants avaient acquis par suite de ce péché une plus grande puissance sur l’humanité, devenue depuis lors beaucoup plus exposée à la séduction du mal.
Le système d’Augustin s’écartait plus encore de l’ancienne doctrine. Car l’idée d’un péché originel n’était admise que par les docteurs de l’Occident, non par ceux de l’Orient. En outre, l’opinion qu’avec cette tare originelle se transmettait une coulpe suffisant à elle seule, pour rendre l’être humain passible de la damnation éternelle, n’avait jamais été enseignée jusqu’alors. Ce qui n’était pas moins nouveau, c’était l’idée d’Augustin de refuser à l’humain toute liberté et de le déclarer réellement incapable de faire aucune espèce de bien devant Dieu. Car jusqu’alors les Orientaux et les Occidentaux s’étaient accordés sur l’affirmation de la liberté de l’être humain.
On a attribué, non sans quelque apparence de raison, la tendance d’Augustin à l’empreinte qu’il avait gardée de ses anciennes accointances avec le manichéisme. Sans doute, il s’était éloigné essentiellement du système manichéen, en ce qu’il ne concevait plus le mal comme une substance ni comme la création spéciale d’un être mauvais ; mais il paraît aboutir à des résultats analogues, en montrant la terre et l’être humain en particulier, dominés par le mal, en enseignant que le péché exerce une puissance invincible sur la volonté humaine, et que l'être humain doit nécessairement succomber au mal. Une particularité qui semble attester le retour inconscient d’Augustin vers la doctrine manichéenne, c’est que dans le temps où il la combattait, il insistait résolument sur la valeur et la puissance du libre arbitre, tandis que, en ses dernières années, au temps de la lutte contre les pélagiens, il ne parlait plus que de la grâce divine, indépendante de tout fait initial et de toute résistance provenant de l’humain qui en est l’objet (Prédestination).
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LE POINT DE VUE DE GREGOR DALLIARD (éditorialiste à la Sentinelle de Néhémie du révérend David Smithers)
SUR LE BAPTÊME DES ENFANTS.
Lors de l’entretien qui devait se conclure par mon excommunication, il fut question du baptême des enfants et des adultes, et si je voulais me « faire rebaptiser ». L’évêque H. Schwery me demanda : « Pensez-vous qu’un vrai chrétien doit rejeter le baptême des enfants et n’approuver que le baptême des adultes ? »
L’évêque me posa ensuite la question suivante : « Savez-vous qu’une telle démarche [vous refaire baptiser] remet en cause votre prêtrise ? Que pensez-vous des sacrements ? »…………
Lorsque nous avions abordé le sujet du baptême au cours d’une de mes études de la Bible e à Grächen, j’avais déjà réalisé depuis longtemps que le baptême des enfants se faisait contre la volonté de Jésus et l’enseignement des apôtres. J’étais néanmoins resté longtemps sans savoir quoi faire et m’efforçais de tout mon cœur de trouver une solution qui puisse jeter un pont ou, mieux, créer un compromis entre l’enseignement biblique et la doctrine de l’Église de Rome. Dans les groupes bibliques catholiques de renouveau charismatiques (RC), nous avions l’habitude, en guise de compromis, de renouveler ou renforcer le « baptême » que l’on avait jour pratiqué sur les enfants ignorants que nous étions, en réaffirmant consciemment cette fois-ci ce premier « baptême » et en prenant la résolution de nous vouer à Jésus Christ, lors d’une cérémonie privée ou en présence d’un groupe d’autres fidèles. Nous avions alors réellement le sentiment d’une véritable renaissance et de respecter la volonté de Dieu !
En tant que prêtre, j’essayais d’inciter les fidèles qui assistaient à l’office à se consacrer ainsi consciemment à Jésus Christ. Dans certains sermons, j’insistais sur la signification du baptême et ses conséquences effectives dans notre vie. Pendant quelque temps, je pris soin de faire remarquer lors des « baptêmes » que, certes, nous « baptisions » l’enfant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, en lui versant chaque fois quelques gouttes d’eau sur le front, mais que les personnes présentes ne devaient pas dire « Amen ». En effet, l' « Amen » des personnes présentes a pour signification de confirmer ce que vient de dire et de faire celui qui baptise. J’expliquais alors que c’était le nouveau-né venant d’être baptisé qui devait dire « Amen » de façon consciente et personnelle à l’âge de 15 ou 16 ans, par exemple. Et que c’est seulement suite à cette décision prise en toute conscience, avec toutes les conséquences d’une vie selon la foi chrétienne que cela pouvait entraîner, que la « célébration du baptême » pratiqué ce jour-là deviendrait valide.
Comme on peut aisément le comprendre, certaines personnes n’étaient pas d’accord avec cette idée et me demandaient spontanément : « Mais, est-ce que notre enfant est désormais vraiment baptisé totalement, complètement, intégralement, ou pas ? Nous voulons que notre enfant soit baptisé de A à Z, à fond et comme il se doit ! »
D’autres trouvaient cette solution raisonnable et disaient : « C’est vrai, notre enfant doit pouvoir décider lui-même, plus tard, ce qu’il veut faire en matière de religion ».
J’ai réalisé par la suite que le rituel du baptême des enfants les soumettait à des liens psychiques et occultes incroyables. J’ai compris que toute tentative humaine de trouver une solution et un compromis pour s’affranchir de cette coutume non chrétienne du baptême des nouveau-nés échouait à cause des idées gravées dans l’esprit des gens.
Je me suis rendu compte, davantage encore, que le baptême des nouveau-nés, ainsi que toute justification de cette pratique et des compromis qui l’accompagnent, étaient en contradiction avec Jésus Christ et l’enseignement des apôtres. Suite à une étude intensive de la Bible, j’ai réalisé que le baptême des enfants n’a rien d’un baptême et qu’il s’agit là d’une tromperie entraînant de graves conséquences. Dieu ne se laisse impressionner en aucune manière, car rien de ce qui va à l’encontre de sa volonté et de sa Parole ne l’impressionne. Dieu accepte tout aussi peu ce que pratiquent des hommes sur un nouveau-né sans défense et sans protection, qui est contraint de subir tout ce qu’impose une institution, sous peine de finir en enfer…
L’Église à arrêté au Moyen Âge la manière dont opèrent les sacrements et aucun changement ne peut intervenir en ce domaine. Aucune définition ne peut plus réduire la portée de cette déclaration doctrinale. Pour un membre de l’Église catholique, cette déclaration demeure un dogme de foi nécessaire au salut. La formule « sacramenta operantur ex opere operato » signifie que les sacrements agissent en vertu de la fonction sacramentelle réalisée (ou par le fait même que l’action est accomplie). C’est du paganisme à l’état pur, de la magie, du commerce, c’est abominable aux yeux de Dieu et donc également moralement condamnable.
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Le Concile de Trente n’a pas eu honte de décréter…
Canon 1. Si quelqu’un dit que les sacrements de la Loi nouvelle n’ont pas été tous institués par Jésus Christ notre Seigneur ou bien qu’il y en a plus ou moins que sept, à savoir : le baptême, la confirmation, l’eucharistie, la pénitence, l’extrême-onction, l’ordre et le mariage, ou encore que l’un de ces sept n’est pas vraiment et proprement un sacrement : qu’il soit anathème.
Canon 2. Si quelqu’un dit que ces sacrements de la Loi nouvelle ne diffèrent des sacrements de la Loi ancienne que parce que les cérémonies sont autres et que sont autres les rites extérieurs : qu’il soit anathème.
Canon 3. Si quelqu’un dit que ces sept sacrements sont si égaux entre eux que d’aucune façon l’un n’est plus digne que l’autre : qu’il soit anathème.
Canon 4. Si quelqu’un dit que les sacrements de la Loi nouvelle ne sont pas nécessaires au salut, mais superflus, et que, sans eux ou sans le désir de ceux – ci, les hommes obtiennent de Dieu la grâce de la justification 1559, étant admis que tous ne sont pas nécessaires à chacun : qu’il soit anathème.
Canon 5. Si quelqu’un dit que ces sacrements n’ont été institués que pour nourrir la foi : qu’il soit anathème.
Canon 6. Si quelqu’un dit que les sacrements de la Loi nouvelle ne contiennent pas la grâce qu’ils signifient ou qu’ils ne confèrent pas cette grâce elle-même à ceux qui n’y mettent pas d’obstacle 1451, comme s’ils n’étaient que les signes extérieurs de la grâce et de la justice reçues par la foi, et des marques de profession chrétienne par lesquelles les fidèles sont distingués des infidèles parmi les hommes : qu’il soit anathème.
À présent, nous comprenons donc mieux pourquoi la Parole de Dieu seule ne suffit pas à l’Église de Rome. Les papes du haut Moyen Âge ou du Moyen Âge ont repris des spéculations philosophico-païennes (néo-platonisme) et en ont fait des dogmes nécessaires au salut dans la doctrine chrétienne. Or l’Église enseigne que le pape est infaillible en matière de foi et de mœurs. Par conséquent, on est obligé de traîner ces doctrines qui se contredisent elles-mêmes et contredisent la Parole de Dieu !
C’est pour cette raison que des théologiens plus modernes ou plus progressistes se donnent un mal énorme pour réinterpréter ces points de doctrine, afin de les adapter à la pensée de notre époque et de les rendre compréhensibles. Cela est pourtant strictement interdit par le nouveau droit canonique. « Les sacrements étant les mêmes pour l’Église tout entière et faisant partie du dépôt divin, il revient à la seule autorité suprême de l’Église d’approuver ou de déterminer ce qui est requis pour leur validité ».
Seule l’autorité ecclésiastique est à même d’apprécier et de fixer comment ils sont accomplis de manière valide et efficace ! Pourquoi pas Dieu ? Parce que Jésus et les apôtres ne connaissent pas de sacrements, pas même deux, ni trois, ni sept ou plus. Nulle part Jésus Christ n’a eu d’intentions sacramentelles qui devaient être précisées par la suite.
Le concile de Florence a décidé en 1439, pour les Grecs et les Arméniens (pourtant, chronologiquement parlant le premier christianisme d’état ou officiel au monde) : « Il y a sept sacrements de la Loi nouvelle : le baptême, la confirmation, l’Eucharistie, la pénitence, l’extrême-onction, l’ordre et le mariage. […] Les nôtres, eux, contiennent la grâce et la confèrent à ceux qui les reçoivent dignement. […] Tous ces sacrements sont réalisés grâce à trois éléments : les choses [ou symboles] pour la matière, les paroles pour la forme, et la personne du ministre qui confère le sacrement, avec l’intention de faire ce que fait l’Église. Si l’un d’eux fait défaut, le sacrement n’est pas réalisé ».
N’est-ce pas là pure spéculation ? Ni Jésus ni les apôtres ne mentionnent où que ce soit dans leur enseignement ces « trois éléments » qui doivent tous être réalisés pour que se produise le salut ou, mieux, pour que soit donnée la garantie que l’on est désormais placé sous la protection de Dieu, ou que quelque chose commence désormais à opérer en nous grâce à quoi nous méritons le ciel !
Voici ce qu’entend par sacrements l’Église de Rome : il faut que ceci ou cela soit accompli exactement de telle et telle manière par une personne spécialement désignée à cet effet, en observant un rituel particulier, et que cela soit pratiqué par un tiers afin que cela produise son effet. Voilà qui est nécessaire au salut ! En cas de non-respect d’un des éléments, l’effet disparaît, car le sacrement est non valable. Par cette doctrine singulière et magique, l’Église catholique plonge ses fidèles dans l’angoisse et les fait dépendre d’elle. Avec sa philosophie païenne et néo-platonicienne, liée à des
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titres, des dignités et des fonctions, elle donne a…… Cette angoisse magique vis-à-vis des sacrements est bien plus profondément implantée qu’on ne le croit généralement… si les coutumes populaires ont effectivement leur place et leur justification dans la vie, ce n’est certainement pas le cas des coutumes magico-religieuses. Il y a d’un côté Jésus Christ qui dit : « Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit » (Matthieu 28.20) ; et de l’autre des rituels appartenant aux cultes à mystères du paganisme, avec lesquels les chrétiens avaient pris leurs distances dès le départ…
NDLR. Voir John Toland et son christianisme sans mystère.
Seul le Seigneur Dieu voit dans nos cœurs et lui seul. Il ne se laisse manipuler par aucun rituel religieux ni par aucun homme particulier : il est impossible de le faire entrer dans nos vies par magnétisme ou…… Cette pratique magique est la réponse la plus médiocre et la plus primitive que l’Église puisse offrir à nos contemporains en quête de vérité.
Or le canon 845 § 1 stipule : « Les sacrements du baptême, de confirmation et d’ordre, parce qu’ils impriment un caractère, ne peuvent pas être réitérés »…
L’Église catholique, faisant du baptême des enfants la porte donnant accès au salut, lui consacre la première place, au lieu de donner la priorité à la foi en Jésus Christ associée à la conversion nécessaire des cœurs et des âmes. Un baptême sans foi préalable en Jésus Christ n’est autre que de la magie ; cela ne sauve personne et c’est faire insulte à la volonté du Père et à Jésus Christ.
L’Église catholique a séparé les actes concomitants de la foi, de la repentance (ou pénitence) et du baptême, pour en faire les sacrements du baptême, de la pénitence, de la confirmation et de l’ordre.
Jésus et les apôtres n’ont élaboré aucune doctrine des sacrements sur ce point ; ils n’ont pas divisé ce phénomène en sacrements. Ils ne laissent pas non plus de place à un développement théologique et philosophico-spéculatif ultérieur de ce qu’ils enseignent…
La Bible nous montre que seuls des adultes ont été baptisés en vertu d’une décision tout à fait personnelle. Dans l’Église catholique, par contre, on s’adresse à des nouveau-nés comme s’il s’agissait de personnes adultes.
Quand on pense que, dans l’Église de Rome, ce sont jusqu’à ce jour presque sans exception des nouveau-nés qui ont été et qui sont baptisés, on ne peut que rester perplexe face à l’arrogance et l’impudence de cette institution, face à la manière dont elle abuse de la Parole de Dieu et, disons-le carrément, dont elle ridiculise même publiquement le baptême. Cela nous étonne de voir que le concile Vatican II (1962-1965) et le nouveau droit canonique (1983) poursuivent dans cette voie. Voici en effet ce que dit Vatican II :
« Par le sacrement du baptême, toutes les fois qu’il est conféré comme il convient selon l’institution du Seigneur et reçu avec les dispositions intérieures requises, l’homme est incorporé vraiment au Christ crucifié et glorifié, il est régénéré pour participer à la vie divine ».
Comment peut-on parler des « dispositions intérieures requises » à propos d’un nouveau-né ?
Le nouveau-né ne sait absolument pas ce qui se passe, il ne peut pas s’associer à la prière, ni émettre de jugement ni prendre de décision – cette pratique est en totale contradiction avec l’ordre de mission donné par Jésus :
« Seul celui QUI CROIRA – et sera baptisé – sera sauvé » (Marc 16 ,16).
Croire par procuration = aller au ciel par procuration ?
Mais pour l’Église de Rome, la foi des parents et des parrains sert de garant au baptême de l’enfant.
Qu’est-ce que cette nouvelle naissance ou régénération dont parle Jésus Christ pour l’Église de Rome ? Pour elle, la nouvelle naissance se produit en recevant le baptême et en accomplissant correctement le rituel du baptême sur la personne qui doit (pour le nouveau-né) ou veut (pour l’adulte) être baptisée.
Dans cette pratique, la foi de la personne que l’on baptise n’est pas demandée, ce qui n’est de toute façon pas possible, puisque ce sont presque sans exception des nouveau-nés qui reçoivent le baptême. Selon la doctrine catholique, personne ne peut être sauvé sans avoir accompli le rite du baptême dans les règles. Le baptême ainsi accompli est nécessaire au salut. Cependant, Jésus dit très clairement à Nicodème : « Nul, s’il ne naît d’eau et d’Esprit, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu » (Jean 3, 5). Par conséquent, si la personne n’entend pas et n’accepte pas d’abord la Parole de Dieu, si elle ne croit pas en Jésus, le baptême n’a aucun sens ; cette personne ne peut être sauvée.
Or le nouveau code de droit canonique stipule au canon 849 : « Le baptême, porte des sacrements, nécessaire au salut qu’il soit reçu en fait ou du moins désiré, par lequel les êtres humains sont délivrés de leurs péchés, régénérés en enfants de Dieu, et, configurés au Christ par un caractère
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indélébile, sont incorporés à l’Église, n’est conféré validement que par le bain d’eau véritable accompagné de la formule requise ».
Cette doctrine est absolument fausse. Ni un baptême pratiqué sur une personne qui ne peut croire en Jésus Christ ni l’observation du rituel lors de la célébration d’un baptême ne sauvent quelqu’un. C’est la foi personnelle en Jésus Christ qui doit venir en premier.
Compte tenu de cette conception magique du baptême enseignée par Rome, nous pouvons très bien comprendre les catholiques romains qui sont pris de panique en voyant que quelqu’un ne fait pas immédiatement baptiser son petit enfant. Le nouveau code de droit canonique précise en effet noir sur blanc (canon 867) :
§ 1 : « Les parents sont tenus par l’obligation de faire baptiser leurs enfants dans les premières semaines ; ils iront trouver leur curé au plus tôt après la naissance et même avant, afin de demander le sacrement pour leur enfant et d’y être dûment préparés. »
§ 2 : « Si l’enfant se trouve en danger de mort, il sera baptisé sans aucun retard. »
D’où vient cette conception, erronée ?
Lorsque j’étais à la faculté de théologie du monastère d’Einsiedeln, nous avons appris au cours de patrologie (étude des Pères de l’Église), dans notre manuel intitulé Grundriss der Patrologie, écrit par les théologiens Altaner et Stuiber…
Selon cette doctrine, c’est l’accomplissement du rite du baptême qui brise, qui coupe ce contact, ce lien avec le diable, et qui établit le lien, la communion avec Jésus. Compte tenu de cette doctrine erronée, il va de soi que les nouveau-nés doivent absolument être baptisés immédiatement après la naissance pour être sauvés. Plus les responsables de l’Église se sont éloignés de l’enseignement de Jésus et des apôtres, plus cette conception du baptême s’est imposée dans la pratique. Comme d’autres avant lui, l’évêque Ambroise de Milan († 397) a défendu, à propos de différents points de doctrine, et donc concernant également la pratique du baptême, une hérésie qu’il avait tirée de la pensée néo-platonicienne et non de la Parole de Dieu.
Selon la doctrine de Thomas d’Aquin (1224-1274), les petits enfants qui mouraient sans avoir reçu le baptême romain n’avaient pour sort ni la jouissance de la pleine gloire de Dieu au ciel ni la damnation totale. Ils allaient dans ce qui fut appelé « limbus puerorum », les limbes pour les enfants. À cause de cette doctrine et cette pratique impies, une peine indicible a été infligée par l’Église, depuis le Moyen Âge jusqu’à aujourd’hui, à de nombreux pères et mères ayant perdu leurs enfants sans qu’ils aient été baptisés. Je connais bien des personnes d’un certain âge qui, marquées par cette peine, restent fidèles au système catholique par crainte et par amertume, ne désirant plus que la mort. Il vaut mieux que les confessionnaux ne puissent pas révéler tout ce qu’ils entendent à ce sujet, car de telles hérésies poussent les gens à commettre toutes sortes de péchés.
Autrefois, on allait même jusqu’à baptiser d’urgence, au moyen d’une injection d’eau bénite, les enfants qui mouraient dans le ventre de leur mère. Les moines culdées irlandais, plus sages, se contentaient d’en faire boire à la mère.
Aujourd’hui encore, l’institution romaine reste attachée à sa conception magique du baptême. Le nouveau code de droit canonique s’exprime dans plusieurs canons sur le baptême d’urgence.
« Le baptême est administré selon le rituel prescrit dans les livres liturgiques approuvés, sauf en cas d’urgente nécessité où il faut observer seulement ce qui est requis pour la validité du sacrement » (canon 850).
« En cas de danger de mort, l’enfant de parents catholiques, et même de non-catholiques, est licitement baptisé, même contre le gré de ses parents » (canon 868 § 2).
« L’enfant abandonné ou trouvé sera baptisé, à moins qu’une enquête diligente n’établisse qu’il a été baptisé » (canon 870).
« S’ils sont vivants, les fœtus avortés seront baptisés dans la mesure du possible » (canon 871).
Or l’accomplissement du baptême ne sauve pas, il n’est pas la porte des sacrements, pas plus qu’il ne pose un caractère indélébile par lequel nous sommes configurés au Christ.…
Le baptême des enfants est plutôt en réalité la marque distinctive de l’appartenance et de l’affiliation à l’Église du pape.
Les adultes de l’époque de Jésus sentaient et reconnaissaient la puissance guérisseuse ou libératrice et la bénédiction qui se dégageaient au contact avec Jésus ; c’est pourquoi ils lui amenaient leurs enfants. Nous lisons en Marc 10.13-16 :
« Des gens lui amenaient des enfants pour qu’il les touche, mais les disciples les rabrouèrent. En voyant cela, Jésus s’indigna et leur dit : Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le
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Royaume de Dieu est à ceux qui sont comme eux. En vérité, je vous le déclare, qui n’accueille pas le Royaume de Dieu comme un enfant n’y entrera pas.' Et il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains. ».
Jésus a promis qu’il serait présent à tout moment dans son Église. Partageant la même intention que les parents de l’époque de Jésus, certains parents amènent de nos jours leur nouveau-né ou leur petit enfant à l’Église, pour les présenter à Jésus afin qu’il les bénisse.
Dès lors que Jésus est entré ainsi en contact avec les enfants, il a accompli, en qualité de Fils de Dieu, tout ce qui est nécessaire aux enfants et tout ce dont ils ont besoin. Si un de ces enfants vient à mourir, il ne va ni dans les « limbus puerorum » ni ailleurs, même s’il n’a pas reçu le baptême catholique – il va au ciel, « car le Royaume de Dieu est à ceux qui sont comme eux ; littéralement : « à ceux qui leur ressemblent ».
Quand on considère les relations que Jésus a eues avec les enfants et les adultes, on est frappé de constater que Jésus ne baptise pas les enfants et qu’il ne donne nulle part l’ordre de baptiser immédiatement ces enfants afin qu’ils soient sauvés. Il n’indique pas non plus qu’au cas où ils ne seraient pas baptisés immédiatement et où ils viendraient à mourir, ils ne pourraient pas être sauvés. Ces idées sont totalement étrangères à Jésus et aux apôtres.
Si le baptême des enfants était nécessaire au salut, comme l’enseigne l’Église de Rome depuis la fin du IIe siècle, mais surtout depuis le IVe siècle, Jésus aurait alors donné l’ordre absolu de baptiser les enfants immédiatement après la naissance, ou il aurait au moins dit aux disciples : plus tard, vous devrez, vous aussi, baptiser les enfants, sinon ils n’iront pas au ciel – sinon, ils iront, à cause du poids de leur coulpe, dans un lieu que mon Père appelle « limbus puerorum ». Comment Jésus et les apôtres auraient-ils pu passer sous silence un acte aussi nécessaire au salut ?
L’histoire des premiers chrétiens (les Actes des Apôtres et les épîtres) nous montre qu’il allait de soi que seuls les adultes qui croyaient et s’étaient repentis, donc qui s’étaient convertis, se faisaient baptiser et commençaient une vie nouvelle avec Dieu, c’est-à-dire devenaient chrétiens.…
Le canon 853 stipule : « L’eau utilisée pour administrer le baptême doit, sauf en cas de nécessité, être bénie selon les dispositions des livres liturgiques. »
Nulle part dans l’Écriture Jésus ou les apôtres n’enseignent que l’eau utilisée en vue de l’administration du baptême doit être, sauf en cas de nécessité, consacrée ou bénie par un représentant de l’Église. Très nombreux sont les catholiques romains qui attendent de cette eau consacrée (l' « eau bénite ») une aide et une protection particulières. Par cet enseignement, le Vatican rend ses membres une fois de plus dépendant d’une de ses conceptions magiques et, par des pratiques occultes, les détourne de Jésus.
Un des plus anciens témoignages extrabibliques, la Didaché (ou Doctrine des douze apôtres), écrite vers l’an 100, nous donne des éclaircissements sur la manière dont on baptisait et sur qui était habilité à baptiser dans le christianisme primitif.
« En ce qui concerne le baptême, baptisez de la manière suivante. Après avoir enseigné tout ce qui précède, baptisez au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, dans l’eau vive. Si l’eau vive te fait défaut, baptise d’une autre eau ; si tu ne peux le faire dans l’eau froide, baptise dans l’eau chaude. Si tu n’as ni de l’une ni de l’autre, verse sur la tête trois fois de l’eau au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Avant le baptême, celui qui doit l’administrer et celui qui doit le recevoir sont tenus à jeûner, ainsi que les autres personnes qui le pourraient. En tout cas, tu obligeras le baptisé à jeûner un jour ou deux auparavant ».
Kalus Wengst pense l’initiation à la doctrine des deux voies qui précède le baptême ainsi que le jeûne présupposent que seul est envisagé le baptême de personnes devenues adultes. La possibilité d’un baptême de nouveau-nés et d’enfants n’est pas évoquée ; or ce silence pèse lourd dans une ordonnance ecclésiastique qui va jusqu’à se prononcer sur les priorités en matière d’utilisation de l’eau. L’accomplissement du baptême n’est pas lié à des personnes particulières ; il peut manifestement être réalisé par n’importe quel chrétien. En effet, l’invitation préliminaire 'Baptisez de la manière suivante' s’adresse bien à tout le monde ».
Au canon 857 § 1, le Vatican précise : « En dehors du cas de nécessité, le lieu propre du baptême est une église ou un oratoire ».
Sur ce point aussi, l’Église a inventé une doctrine, qui est totalement étrangère à la Bible. L’apôtre Philippe ne baptise pas le haut fonctionnaire et administrateur du trésor de Candace, la reine d’Éthiopie, dans un lieu spécial préparé par des chrétiens, doté d’un équipement particulier et isolé du monde. Il le baptise au bord de l' « autoroute », en plein air, sous les yeux des gens qui passent à pied ou en char !
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« Poursuivant leur chemin, ils tombèrent sur un point d’eau et l’eunuque dit : 'Voici de l’eau. Qu’est-ce qui empêche que je reçoive le baptême ?' Et il donna l’ordre d’arrêter son char ; tous les deux descendirent dans l’eau, Philippe et l’eunuque, et Philippe le baptisa. Quand ils furent sortis de l’eau, l’Esprit du Seigneur emporta Philippe » (Actes 8, 36-39).
Pour justifier sa pratique du baptême des enfants, l’Église de Rome ne peut pas s’appuyer sur Jésus Christ et les apôtres. Elle est contrainte d’invoquer des textes postérieurs. La première allusion définie au baptême des petits enfants se trouve dans un écrit de Tertullien, en 197, qui condamne cet usage, récemment introduit, ainsi que celui de baptiser les morts. »
Dans les écrits connus comme étant ceux du « Pseudo-Denys l’Aréopagite », dont l’authenticité fut niée par Érasme et les réformateurs – et qui l’est aujourd’hui également par les théologiens catholiques –, il est question du baptême des enfants et du rôle de parrain et de marraine. Or il est aujourd’hui établi que ces écrits sont seulement de la fin du Ve siècle. Comme nous allons pouvoir le constater ci-après, son auteur ne peut s’appuyer sur l’enseignement de Jésus et des apôtres pour justifier le baptême des enfants, mais seulement sur ce que de « divins initiateurs » ont reçu de l’antique tradition et sur ce que ses augustes maîtres jugèrent à propos de…
Ces écrits ne peuvent dater que de la fin du Ve siècle, car leur auteur a puisé non seulement dans les écrits de Plotin (+ 270), mais a encore copié parfois mot à mot le néo-platonicien Proclus (+ 485). C’est dans la traduction latine de Scot Erigène (vers 850) que le Moyen Âge puisa sa connaissance du Pseudo-Denys, dont les idées exercèrent la plus grande influence sur la pensée philosophique et théologique des grands maîtres de la scolastique. Donc également sur Thomas d’Aquin et sur beaucoup d’autres théologiens. Ceux-ci ont, à leur tour, fait dériver des saintes Écritures toute une série de doctrines religieuses, qui marquent aujourd’hui encore fondamentalement la théologie catholique et qui ont force de loi pour tous les membres de l’Église de Rome…
Mais pour les vrais chrétiens, le baptême des enfants restera à jamais une pratique magique et impie, venant d’idées ou de traditions non bibliques.
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LE POINT DE VUE DE MAX DASHU (historienne des religions)
SUR LE BAPTÊME DES ENFANTS.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir avec Grégor Dalliard, le grand rabbi nazoréen Jésus…
— s’est fait baptiser dans le Jourdain par son cousin Jean, au gué de Bethabara (ou Aenon).
— n’a jamais lui-même baptisé qui que ce soit.
Le baptême n’est donc pas au départ une pratique christique, mais une pratique diffusée par les anciens disciples de Jean le baptiste (qui étaient peut-être les mêmes d’ailleurs) sur laquelle les premiers chrétiens ne furent pas toujours d’accord (Actes 19. Arrivé la région d’Éphèse saint Paul reproche à son rival, l’évêque de Césarée en Cappadoce – Apollos – de ne pas baptiser au nom du Saint-Esprit).
Il n’y a pas lieu ici de se pencher sur ce qu’était le baptême aux yeux de Jean et d’Apollos (un symbole de purification), mais sur ce que les mauvais païens convertis par un mauvais juif (les premiers chrétiens convertis par Paul) en ont fait, c’est-à-dire incontestablement une formule magique EX OPERE OPERATO ET NON EX OPERE OPERANTIS DANS LE CAS DES NOUVEAU-NÉS *.
Les théologiens chrétiens prétendent tous (la main sur le cœur) qu’un tel rituel (généralement décidé par les adultes pour éviter que l’enfant ne meure sans avoir été purifié de tout péché originel) n’a rien à voir avec la magie. Mais comment un nouveau-né de quelques mois pourrait-il VOULOIR être baptisé. C’est tellement une opération magique qu’il a existé autrefois en Europe des églises spécialisées dans ce genre de baptêmes, appelés sanctuaires de répit, souvent situées sur d’anciens lieux de culte païens d’ailleurs comme Notre Dame de Vie en Savoie.
Voici ce qu’en dit l’historienne des religions de l’université d’Harvard Max Dashu à qui nous empruntons les informations 2012 qui suivent.
Un aspect très surprenant de l’ancien sanctuaire de Notre-Dame de Vie est que ce fut un le dernier espoir des victimes d’un dangereux dogme religieux. Il devint en effet un « sanctuaire de répit ».
Un répit contre quoi ? – contre la doctrine de l’église de la damnation de ceux qui mouraient sans être baptisés. Notre Dame de Vie passait pour faire revivre miraculeusement les enfants mort-nés, ou des nouveau-nés morts avant qu’un prêtre ait pu les baptiser. Des parents y apportèrent leurs enfants décédés afin de solliciter son intervention, au moins jusqu’en 1600, comme nous l’apprennent des procès-verbaux d’audition datant de 1664 et 1669. Notre-Dame de Vie fait partie du plus vaste genre – principalement des formes locales de la Vierge Marie – des divinités féminines incarnant la pitié, la miséricorde et la grâce.
La doctrine de l’Église interdisait en effet le baptême des enfants morts et jugea qu’ils allaient en enfer. Vers la fin du Moyen Âge, on inventa la notion de limbes pour adoucir quelque peu la dureté d’un dogme qui causait tant de souffrances. Les mères qui pleuraient déjà la mort de leur enfant ne pouvaient pas supporter la pensée qu’il était en plus condamné à la damnation éternelle. Limbes signifiaient « bord » (de l’enfer), et l’idée était que les nourrissons y resteraient, épargnés par les tourments torturant les damnés, avec d’autres bonnes âmes n’ayant pas été sauvées par le baptême. Mais les limbes n’ont jamais été officiellement reconnus par l’église. Et en tout cas, n’avoir jamais été baptisé signifiait que l’enfant ne jouirait jamais des joies du paradis céleste, mais en resterait privé pour l’éternité. Limbes ou pas limbes, le clergé ne permettait pas qu’on baptise ni enterre en un lieu consacré ces nouveau-nés.
Les petites gens refusaient des idées aussi cruelles. Ils sollicitaient une intervention divine, de Notre Dame de Vie, ou de la Sainte Vierge, dans d’autres chapelles qui s’étaient fait connaître comme sanctuaires de répit. Les parents apportaient en toute hâte leur enfant mort au sanctuaire le plus proche, le déposaient devant l’autel de la Vierge, allumaient des cierges et priaient ardemment pour qu’il revienne à la vie pendant qu’un prêtre célébrait un rite.
Tout cela dépendait donc de la bonne volonté des prêtres, car ils avaient le monopole des baptêmes. Parfois, la veillée de prière pour ce retour à la vie devait durer plusieurs jours. Le moindre mouvement, souffle, changement de couleur voire même passage de gaz ou écoulement de fluide, phénomènes biologiques courants après la mort, étaient considérés comme une suscitation ou une « rémission » miraculeuse. Le prêtre baptisait rapidement l’enfant et, dans pratiquement tous les cas, l’enfant
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mourrait « à nouveau ». Il était alors soit enterré dans un cimetière spécial propre au sanctuaire de répit, soit ramené à la maison pour être enterré dans le cimetière du village.
Ces baptêmes « de répit » apaisaient les parents et permettaient que les enfants soient enterrés dans une terre consacrée. À Saint-Martin de Belleville, les archives de l’année 1664 indiquent qu’un oncle a ainsi apporté un nourrisson mort à Notre Dame de la Vie. Le curé atteste qu’on vit l’enfant ouvrir la bouche et bouger la langue, et que son poing fermé s’ouvrit, en dépliant les doigts. Cela lui permit de baptiser l’enfant qui survécut encore plusieurs heures. Il fut ensuite, il a été enterré dans une parcelle de terrain utilisée pour inhumer les étrangers. Cela indique que le clergé concerné considérait toujours avec méfiance ce genre de cas. Le prêtre accomplissant le baptême recourait à des formules ad hoc du genre : « Si tu es en vie, je te baptise. » La hiérarchie était encore plus méfiante et fit pression pour que cette pratique tombe en désuétude.
La plus ancienne preuve d’un baptême de répit date de la fin du 13e siècle. Les condamnations par l’Église de ces miracles populaires commencèrent 1452 avec le synode de Langres. D’autres suivirent, avec des dénonciations par l’évêque du lieu comme à Sens (1524), Lyon (1577), Besançon (1592 et 1656) et Toul (1658). Mais la hiérarchie fut obligée de réitérer encore et toujours ses interdictions à mesure de la multiplication des cérémonies de répit. Ils combattaient ce mouvement culturel porté par l’amour et la pitié, qui défiait leurs directives.
Les populations affluaient dans ces sanctuaires de répit en Belgique dans tout l’est de la France et dans l’ouest de l’Allemagne, en Suisse, en Autriche et dans le nord de l’Italie. La plupart de ces sanctuaires étaient des chapelles dédiées à la Vierge Marie. Des centaines de cas furent enregistrés rien que pour les années 1500 et 1600, rien que pour les chapelles les plus connues pour ces baptêmes, comme Faverney, Avioth et d’autres dans l’est de la France. En 1729, le pape Benoît XIV fut forcé de se prononcer sur la question, en réaction à une gigantesque recrudescence de ces cérémonies de répit en Bavière et en Souabe. Il condamné ces rites et soutint la position de l’Inquisition à savoir que les « signes de vie », à moins que ce ne soient des pleurs ou des gémissements, n’étaient pas suffisants pour autoriser un baptême, quel que soit le nombre de témoins.
Émile Thévenot souligne que deux « sanctuaires à répit » de Bourgogne s’élèvent en des lieux où l’on a relevé trace d’une pratique bien définie (?) et d’un culte de source présidé par une déesse-mère.
C’est exactement ce qui s’est passé à Saint-Martin de Belleville. Ainsi que nous l’avons vu, ce sanctuaire a ouvertement gardé la déesse originelle qui est antérieure à la conquête romaine et s’est recentré autour d’une fontaine guérisseuse. Le refuge que sa Dame a offert aux nouveau-nés décédés s’apparente à la tradition folklorique répandue un peu partout des déesses païennes considérées comme accueillant et protégeant les enfants non baptisés rejetés par l’Église. Les gens ont relié ces « bébés païens » – en Sicile, on les appelait concrètement paganeddu, en Allemagne heiden, « païens » – aux anciennes déesses, comme Zlata Baba en Slovénie, ou à des fées, comme la danoise Huldra.
Dans l’Orlagau allemand, Perchta garde les petits qui sont morts avant d’être baptisés. Elle traverse la rivière avec eux, ce qui rappelle les mythes grecs et nordiques de traversée du fleuve souterrain de la mort. Perchta est appelée reine des heimchen (« grillons », un terme affectueux pour désigner les petits enfants morts). On raconte qu’elle vivait jadis dans la luxuriante vallée de la Saale. Elle l’avait fertilisée en la labourant sous terre, tandis que ses heimchen arrosaient les champs. Finalement les paysans lui en voulurent et elle décida de quitter le pays. C’est ainsi que Perchta disparut.
Évidemment au fil du temps ces déesses païennes ont cédé la place à la déesse catholique. Mais la dévotion mariale populaire était très différente de celle de la notion théologique de Vierge médiatrice. Elle agissait beaucoup plus comme un autre sauveur ayant répudié l’idée que les enfants morts dans le ventre de leur mère ou peu après la naissance étaient condamnés, ou du moins rejetés. Elle incarnait la pitié de l’ancienne déesse dont elle était l’héritière (Max Dashu).
*La pratique de baptiser ainsi les enfants n’a d’ailleurs toujours pas disparu et s’est même étendu au Nouveau Monde puisque le site internet de Notre-Dame de Montréal de précise bien que « En cas de nécessité, toute personne peut être baptisée, pourvu qu’elle le fasse selon les consignes de l’Église (par exemple, dans le cas d’un nouveau-né en danger de mort, à la demande de la mère). N’oublions pas en effet que le baptême en lui-même est un exorcisme (un petit exorcisme) indispensable à la vie chrétienne. Simplifiés par le Concile Vatican II, les trois exorcismes du baptême sont d’ailleurs encore pratiqués chez les chrétiens orthodoxes.
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RITUEL DU BAPTÊME ORTHODOXE *.
Le baptême se donne par immersion aux petits enfants dès leur 8e jour, voire avant en cas de péril mortel**. Ce sacrement primordial est normalement administré par un évêque ou un prêtre, mais il peut aussi l’être par tout chrétien en cas de péril mortel ; dans ce cas, si le baptême a été fait dans les règles, c’est-à-dire par triple immersion (ou aspersion générale en cas d’impossibilité – j’ai vu un baptême en couveuse fermée à l’aide d’une seringue…) et au nom du Père, du Fils, du Saint-Esprit, il n’est pas renouvelé, mais le baptisé doit ensuite être confirmé dans les règles.
La cérémonie du baptême reprend celle décrite dans le Traité du Saint-Esprit de saint Basile de Césarée (329-379). Elle comprend plusieurs rites très symboliques.
— Prières préliminaires : prière du 1er jour, marquant la naissance au monde du nouvel être humain, et prière du 8e jour au cours de laquelle le nouveau-né reçoit un nom chrétien. On range aussi là la prière de purification de la mère traditionnellement prononcée au 40e jour après la naissance ; si le baptême a lieu avant le 40e jour, comme c’était de tradition, la mère n’y assiste pas ou reste à l’écart.
— Rites du catéchuménat avec les trois exorcismes par le prêtre, le triple renoncement à Satan par les parrains au nom du baptisé tourné vers l’ouest et la lecture du Crédo signifiant la conversion du catéchumène.
Le baptême proprement dit.
— Sanctification des eaux avec la même prière de Saint Sophrone que pour la Théophanie (baptême du Christ, 6 janvier) rappelant que nous devenons aussi Fils de Dieu par le baptême.
— Onction du catéchumène pour renforcer sa lutte contre le Mal ; elle se fait avec de l’huile bénie et ne doit pas être confondue avec la chrismation (voir plus loin).
— Triple immersion au nom du Père, du Fils, du Saint-Esprit du baptisé nu, symbolisant la participation à la mort et à la résurrection du Christ et la purification.
— Tunique de clarté et croix de baptême : « vous avez revêtu le Christ » (Galates, 3,27).
— Chrismation : elle fait partie intégrante de l’office du baptême orthodoxe et consiste à oindre le baptisé par un signe de croix sur son front, ses yeux, ses narines, ses lèvres, ses oreilles, sa poitrine, ses mains et ses pieds avec le Saint Chrême (ou myron) en disant « Le sceau du don de l’Esprit saint ».
— Triple procession autour des fonts baptismaux, symbolisant l’éternité, suivie des lectures de l’Apôtre (Rom. 6, 3-11) et de l’Évangile (Мt 28,16-20).
Et si l’enfant refuse ?
Un problème important en Russie eu égard à la place qui lui est accordée dans les blogs orthodoxes c’est la question de la conduite à tenir si les parents décident de baptiser un enfant assez grand, trois, quatre voire cinq ans et que celui-ci refuse, et ce carrément devant les fonts baptismaux. Le prêtre doit-il le baptiser de force ? La plupart des prêtres répondent que cela est hors de question, même si chaque cas doit être considéré individuellement. Une réponse particulièrement circonstanciée est donnée par le père diacre André Kouraev : il explique que tout vient de la famille. Si l’enfant n’avait jamais mis les pieds à l’église auparavant, il n’est pas étonnant que le baptême l’inquiète ; mais cela démontre surtout que la famille n’est probablement pas pratiquante et le baptême est pour elle une formalité mondaine… dans ce cas le prêtre ne doit pas baptiser.
Le baptême catholique présente une version très simplifiée du baptême orthodoxe. Les différences essentielles portent sur la triple aspersion (quelques gouttes d’eau versées sur le front du baptisé de manière symbolique) au lieu de l’immersion, le Crédo et remplacé par le Notre Père et surtout la
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confirmation est reportée de plusieurs années, ce qui rend impossible la communion des petits enfants.
Chez les protestants : Le baptême est considéré comme l’un des deux sacrements que reconnaissent les principales branches du protestantisme (l’autre étant la cène – communion), mais les enfants sont baptisés plus tard que dans les Églises orthodoxe et catholique. Les luthériens et les Réformés ne remettent pas en cause les baptêmes catholiques ou orthodoxes.
Les baptistes et les pentecôtistes comme Grégor Dalliard ne reconnaissent que le baptême des adultes. Ils rebaptisent donc à l’âge adulte ceux qui ont été baptisés enfants dans les autres confessions chrétiennes.
* Comme la plupart des confessions chrétiennes, l’orthodoxie se considère comme étant une continuation en ligne directe de l’Église chrétienne primitive qui a subi plusieurs schismes notamment en 431 (concile d’Éphèse), 451 (concile de Chalcédoine) et 1054 (grand schisme), dont les responsabilités demeurent sujets de dissensions entre les historiens culturellement influencés par les sources de l’une ou l’autre église.
* * Pierre de La Crau ne respecte pas les prêtres qui abusent de la crédulité humaine, mais a toujours respecté la foi des simples et les parents fous de douleurs à l’idée de savoir leur enfant brûler en enfer pour l’éternité.
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LA CONFIRMATION.
La confirmation (du latin confirmatio, action de consolider, d’étayer, d’affermir, encouragements, affirmation) est un sacrement de l’initiation chrétienne dans l’Église catholique et l’Église orthodoxe (alors plutôt appelée chrismation). La confirmation protestante est pratiquée dans certaines Églises réformées, mais elle n’y a pas le statut de sacrement ex opere operato comme dans le catholicisme. 1).
Cela consiste à oindre d’huile sainte une personne baptisée afin qu’elle reçoive le don du Saint-Esprit. Alors que, par le baptême, le baptisé meurt et ressuscite avec le Christ, le confirmé est empli du Saint-Esprit comme l’ont été les Apôtres le jour de la Pentecôte. En tant que telle, la cérémonie confirme l’appartenance du baptisé à l’Église. Le baptême et la confirmation sont intimement liés : la confirmation est en quelque sorte l’achèvement du baptême.
Rappelons néanmoins que durant les premiers siècles, le baptême et la confirmation ne formaient qu’une seule et même célébration lors de la veillée pascale. Au fil du temps, le christianisme, qui était initialement un phénomène urbain, s’est progressivement répandu dans les campagnes. Par conséquent, les évêques ne pouvaient plus célébrer toutes les messes de Pâques ni baptiser tous les catéchumènes qui étaient devenus trop nombreux et se trouvaient à des endroits trop éloignés. Par ailleurs, la mortalité infantile élevée poussait les gens à baptiser leurs enfants tôt et à n’importe quel moment de l’année. Il s’est alors posé une question essentielle pour le sacrement du baptême : devait-on continuer à baptiser en donnant les deux onctions baptismales à la fois et renoncer au lien avec l’évêque qui, traditionnellement, faisait la deuxième onction ? Ou bien fallait-il que l’évêque continue à donner ladite deuxième onction et que le sacrement unique devienne deux sacrements (complémentaires) ? Le baptême administré par un simple prêtre et la confirmation par un évêque ?
L’Église orthodoxe a privilégié l’unité du sacrement du baptême comme seul sacrement de l’initiation chrétienne avec l’Eucharistie. À la différence des Églises occidentales (c’est-à-dire de l’Église catholique et l’Église anglicane), où la confirmation est réservée à ceux qui ont atteint « l’âge de raison », la chrismation dans l’Église orthodoxe est donc normalement administrée aux enfants immédiatement après le baptême.
La chrismation consiste à oindre le nouveau chrétien avec le Saint Chrême qui est une huile sainte (en grec, appelé myron). Le myron est un mélange de quarante huiles essentielles et d’huile d’olive consacré par l’évêque. Le chrétien est oint par un signe de croix avec cette huile sur son front, ses yeux, ses narines, ses lèvres, ses oreilles, sa poitrine, ses mains et ses pieds. Chaque fois, le prêtre administrant le sacrement dit, « Le sceau du don de l’Esprit saint ».
Le sacrement de la chrismation est un renouvellement du miracle de la Pentecôte, lorsque le Saint-Esprit est descendu sur les Apôtres. C’est par la chrismation qu’une personne devient un membre du peuple de Dieu.
« À travers la chrismation, tout membre de l’Église devient un prophète, et reçoit une part de la royale prêtrise du Christ ».
Bien qu’elle soit normalement administrée conjointement au baptême, dans certains cas la chrismation seule peut être donnée afin de recevoir les nouveaux convertis à l’orthodoxie. Bien que les pratiques à ce sujet varient, en général (spécialement en Amérique du Nord) si un nouveau converti vient à l’orthodoxie à partir d’une autre confession chrétienne pratiquant le baptême par immersion selon la formule trinitaire (« au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit »), il est reçu dans l’Église orthodoxe à travers le sacrement de chrismation, après lequel il recevra la Sainte Eucharistie. Si, néanmoins, le converti vient d’une confession chrétienne qui baptise au nom de Jésus seulement (comme dans certaines Églises pentecôtistes) ou d’une de celles qui ne pratiquent pas le baptême du tout (comme les quakers), le baptême est nécessaire avant la chrismation.
L’Église catholique a choisi la deuxième solution (séparation dans le temps et l’espace des deux onctions baptismales), alors que les Églises orthodoxes et catholiques orientales sont restées fidèles
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à l’ancienne tradition. Au profit du lien avec l’évêque, les deux onctions baptismales sont donc données dans l’Église catholique à deux moments différents : l’une au baptême par le prêtre, l’autre souvent plusieurs années après, lors de la confirmation par l’évêque. Pour l’Église catholique, ce sont donc le baptême, la confirmation et l’eucharistie qui constituent les sacrements de l’initiation chrétienne.
Le sacrement de la confirmation est ordinairement donné par l’évêque ou, dans le cas où cela n’est pas possible, par un prêtre délégué par l’évêque. Après avoir imposé les mains aux confirmands (ceux qui vont recevoir la confirmation), l’évêque (ou le prêtre) les oint du Saint-Chrême. Il énonce les paroles : « Sois marqué de l’Esprit Saint, le don de Dieu ».
Comme pour le baptême, un parrain ou une marraine accompagne dans la mesure du possible celui qui reçoit la confirmation. Il n’est pas obligatoire que ce soit la même personne que pour le baptême.
Au sein des églises issues de la Réforme la confirmation n’est pas un sacrement et désigne seulement la cérémonie qui conclut l’éducation religieuse des catéchumènes, en général des adolescents.
Elle est assez proche de la profession de foi célébrée chez les catholiques, mais n’est donc pas sujette à la problématique du ex opere operato.
1) Ex opere operato est une locution latine dont la traduction littérale est «… de par l’action opérée ». Utilisée initialement dans le domaine de la théologie sacramentelle chrétienne elle souligne que l’efficacité spirituelle du sacrement découle de son action même, quels que soient les mérites ou la sainteté personnelle de celui (prêtre ou évêque) qui en est l’exécutant. La grâce divine particulière donnée par un sacrement, et en particulier la présence de l’Esprit Saint, ne dépend pas de l’attitude de ceux qui en sont les exécutants. Ainsi par le sacrement de confirmation – s’il est administré de la manière prescrite par l’Église – l’Esprit Saint est accordé au confirmé, quelle que soit l’attitude de l’évêque confirmant et celle du chrétien qui reçoit le sacrement.
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AUTRE OPÉRATION TOUT AUSSI MAGIQUE DU CHRISTIANISME : L’ORDINATION.
L’ordination sacerdotale (du latin ordinatio, intégration dans un ordo, c’est-à-dire un corps constitué) est, chez les catholiques, les orthodoxes et les anglicans, l’acte liturgique qui confère le sacrement du sacerdoce chrétien, appelé sacrement de l’ordre. Celui qui confère ce sacrement – un évêque – est l'« ordinateur » ou le « consécrateur », celui qui le reçoit est l'« ordinand ».
La croyance que l’homme ne peut pas accéder directement à la divinité, mais qu’il a besoin d’un prêtre est une croyance largement répandue. Voir ci-dessous par exemple la définition du prêtre sur le forum du jeu de rôle Equestria aventure.
« La foi et les miracles divins suscitent des vocations. Les prêtres, ces êtres appelés à servir des puissances qui dépassent l’entendement de la plupart des mortels, en prêchent les merveilles et satisfont les besoins spirituels de leur peuple. Ce ne sont cependant pas de simples faiseurs de sermons, mais bel et bien des émissaires divins qui accomplissent la volonté des dieux à la force de leur bras et grâce à la magie divine. Ces prêtres sont dévoués aux doctrines des religions et des philosophies qui les inspirent et œuvrent à faire connaître leur foi et à accroître son influence. Même s’ils possèdent des pouvoirs similaires, on retrouve autant de différences entre les prêtres qu’entre les divinités qu’ils servent : certains offrent soins et pardon, d’autres la justice, la loi et la liberté, et d’autres encore corrompent et suscitent des conflits. Les prêtres agissent de bien des manières, mais tous ceux qui empruntent ce chemin marchent aux côtés des alliés les plus puissants qui soient : ils sont les bras armés des dieux eux-mêmes ».
NDLR. Cette définition en vaut une autre. Exemple. Le prêtre est à différencier du sorcier et du prophète.
Le sorcier s’occupe des puissances impersonnelles, tandis que le prêtre est serviteur d’un ou de plusieurs dieux. En outre, le prêtre est en relation régulière, institutionnalisée avec la divinité, par opposition au prophète qui a une relation épisodique et spontanée avec la divinité, d’où la tension entre la fonction sacerdotale et la fonction prophétique dans certaines religions.
Le prêtre est le représentant de la divinité. Il transmet la volonté divine par l’interprétation des rêves, la mantique, les oracles, et l’interprétation des textes sacrés. Il distribue par les sacrements la grâce divine.
Il récite les formules sacrées révélées par la divinité.
Il guérit les maux du corps et de l’âme.
Parallèlement, le prêtre représente les hommes devant Dieu, transmet leurs sacrifices, leurs offrandes, leurs prières.
Il y avait des prêtresses dans la religion germanique, en Égypte, dans la religion sumérienne, surtout dans les cultes de fécondité. Il y a des prêtresses dans certains cultes hindous, notamment le culte de Kali, où le culte s’adresse à l’aspect féminin de Dieu.
La femme du prophète Osée était une prostituée sacrée des cultes cananéens de la fécondité (cf. Osée 1 ,2 ; 4,13-14). Il y avait des prostituées sacrées en Mésopotamie (culte d’Ishtar ou d’Astarté) et en Inde. Elles représentaient la déesse-mère ou la déesse de la fécondité.
Dans la religion de la Rome antique, le prêtre (en latin sacerdos, de sacer, sacré) est un personnage officiel chargé de la surveillance, et du contrôle de tout ce qui concernait les dieux, de tout objet ou de tout être qui leur appartenait, de tout acte qui s’adressait à eux, de tout phénomène considéré comme un signe particulier de leur volonté.
Comment devient-on prêtre ? Par hérédité : le sacerdoce se transmet dans certaines familles, tribus, castes (en Inde, en Iran ancien, dans l’Israël ancien…). Par vocation de type personnel : dans le christianisme actuel et souvent à l’issue de la consécration sacerdotale consistant en une transmission mystique par imposition des mains.
Définition du prêtre dans la religion chrétienne.
Chrétien qui, par l’imposition des mains au moment de l’ordination par l’évêque, reçoit la mission de rendre présent le Christ parmi les hommes, en célébrant l’eucharistie, en pardonnant les péchés, en instruisant et guidant le peuple qui lui est confié.
Définition de l’ordination des prêtres dans la religion chrétienne.
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L’ordination sacerdotale est la célébration où le prêtre reçoit de l’évêque le sacrement que l’on appelle « sacrement de l’ordre ». Par l’ordination, le nouveau prêtre reçoit le caractère sacerdotal qui est une marque indélébile comme le baptême. Il entre aussi dans le « presbyterium » qui est la communauté des prêtres d’un diocèse unis à leur évêque.
Pour le christianisme ancien, comme pour les Églises orthodoxe, catholique et anglicane d’aujourd’hui, le presbytérat est, avec l’épiscopat et le diaconat, l’un des trois ministères conférés par une ordination sacramentelle pour exercer une responsabilité originale à l’égard de la parole de Dieu, de la célébration liturgique et, plus spécialement encore, de la construction de l’Église.
Le sacerdoce, qu’il soit chrétien ou qu’il soit païen peut se définir en tenant compte de deux caractères principaux : la représentation (de la divinité et de la collectivité), et la médiation entre la divinité et la collectivité. Cette médiation est à la fois rituelle (par la présentation de sacrifices), magique (par la conjuration du sort et par l’assurance de bienfaits) et prophétique (par la divination). Le sacerdoce assure une méditation religieuse qui permet à la société humaine d’entrer en relation avec les forces qui la dépassent ou qui la dominent.
Pour définir le sacerdoce chrétien, il faut se référer à Jésus-Christ, et à lui seul. Il est le seul prêtre de la foi chrétienne, même s’il existe de nombreux ministres de cet unique sacerdoce depuis les premiers temps de l’Église jusqu’à aujourd’hui.
NDLR. Dit autrement les prêtres chrétiens ne sont prêtres que par procuration, ils ne sont pas prêtres en eux-mêmes ! résultat étonnant dû à l’artificialité du christianisme qui n’est pas du judaïsme tout en se voulant plus juif que les juifs eux-mêmes (doctrine de la substitution ou Verus Israel) depuis la défaite de Marcion.
Faire l’histoire de quelque chose ou de quelqu’un c’est toujours le déshabiller, le mettre à nu. Le roi se retrouve toujours nu après quelques lignes d’histoire OBJECTIVE. Et l’Histoire est souvent cruelle dans ce cas.
L’histoire des religions montre en effet que cette répartition des rôles suscite toujours des problèmes : collusions ou conflits, tensions diverses entre royauté et clergé, ligne de partage fluctuante entre procédés magiques et procédés religieux, divergences sur le statut et le rôle du prêtre qui peut revêtir l’un des attributs suivants ou les rassembler tous en sa personne, fonctionnaire cultuel, technicien du rituel (spécialement du rite sacrificiel), président ou délégué de la communauté, serviteur et témoin des forces transcendantes, médiateur de grâces, inspiré, thaumaturge, prophète, docteur.
À l’origine, fonction sacerdotale et fonction royale étaient confondues. C’est pourquoi dans maintes civilisations primitives (= « sans écriture ») il est difficile de distinguer le roi du prêtre. Ainsi les Incas péruviens cumulaient les deux fonctions, de même les rois suméro-babyloniens (les rois sumériens étaient grands-prêtres, de même aussi Melkisédeq (Genèse 14,18). L’empereur de Chine en tant que fils du Ciel exerçait également des fonctions sacerdotales. Aujourd’hui encore, l’empereur du Japon est grand-prêtre de la religion shinto.
Dans l’ancien Israël, il y avait une cérémonie d’onction des prêtres qui étaient par ailleurs choisis dans la même tribu, celle de Lévi. Mais dans le judaïsme postérieur, ils ne le seront plus. L’ordination des rabbins se fera par imposition des mains, rite qui passera dans le christianisme pour l’ordination des prêtres.
Sacrement de l’Ordre. Acte rituel ex opere operato exécuté par un prêtre.
Prêtrise. Dans les confessions catholique et orthodoxe, état de ceux qui ont reçu le sacrement de l’ordre, qui ont le pouvoir de dire la messe et d’administrer les sacrements…
C’est l’histoire de l’ouroboros ou serpent qui se mord la queue, sémantiquement parlant une tautologie.
Il n’y a pas débat sur le fait qu’il existe un sacerdoce universel, commun à tous les chrétiens. Ce sacerdoce consiste à faire connaître l’évangile aux êtres humains et à prier Dieu pour le monde. Tous les croyants doivent remplir cette mission et s’en sentir responsables. Sur ce point, catholicisme et Réformés s’accordent.
La divergence porte sur le sacerdoce ministériel qui, selon le catholicisme, s’ajoute au sacerdoce commun.
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1. Cette notion de sacerdoce ministériel reconnaît en effet un intermédiaire (fait écran disent les certains) entre Dieu et les fidèles. La fonction sacerdotale a deux faces, l’une dirigée vers Dieu, l’autre tournée vers les fidèles. D’un côté, au nom du peuple chrétien, le prêtre offre le sacrifice eucharistique à Dieu ; ce faisant il donne en quelque sorte les fidèles à Dieu. De l’autre côté, en consacrant et en distribuant l’hostie, le prêtre porte Dieu et le donne aux fidèles. Il est donc semblable au Christ qui, dans la doctrine traditionnelle, représente Dieu devant les humains et représente les humains devant Dieu. De très nombreux textes catholiques soulignent ce caractère christique du prêtre que refusent catégoriquement les Réformés. Pour eux, il y a un seul médiateur, Jésus Christ. Ils reprochent au catholicisme de confondre les serviteurs avec le maître, en conférant au prêtre des fonctions qui appartiennent seulement à Jésus.
2. La deuxième critique porte sur le caractère obligatoire de la médiation sacerdotale. Le catholicisme juge le prêtre absolument nécessaire. Sans lui, les relations entre Dieu et le croyant demeurent incomplètes, insuffisantes, imparfaites. Aux yeux des Réformés, cette médiation obligatoire porte atteinte à la fois à la souveraineté divine et à la liberté humaine. À la souveraineté divine, car elle oublie ou nie que Dieu agit et se manifeste là où il le veut, quand il le veut, qu’il n’est lié à aucune institution. À la liberté humaine, parce que le fidèle n’a pas accès directement à Dieu ; il dépend d’un clergé.
3. La fonction sacerdotale, telle que le catholicisme la comprend, implique la célébration d’un sacrifice, celui de la messe, offert à Dieu. Pour la Réforme, le ministère a pour fonction d’annoncer l’évangile, de le prêcher et de l’enseigner. Il n’a pas de dimension ou d’aspect sacrificiel. Autrement dit, il n’offre pas quelque chose à Dieu ; il ne lui fait aucun don. Il proclame ce que Dieu offre et donne aux êtres humains. Dans leurs relations avec Dieu, les fidèles reçoivent tout et n’apportent rien, ou du moins n’apportent rien d’autre que leur louange, quand ils remercient Dieu et le bénissent pour ses bienfaits. L’idée de sacrifice implique une « œuvre », et nie le sola gratia.
NDLR. Ce qui, à notre humble avis de barbare druide d’Occident NE VAUT GUÈRE MIEUX !
4. La quatrième critique concerne la mise à part du clergé, sa séparation d’avec le laïcat. Par son ordination, le prêtre sort du troupeau. Il n’est plus comme tout le monde. Il revêt un caractère sacré qui le met à part et le distingue des autres croyants. La distinction se marque, entre autres, par le célibat, sans que cette marque ne soit fondamentale ni absolument nécessaire. Théologiquement, rien n’empêche d’admettre des prêtres mariés. Le célibat, qui ne se répand et ne se pratique de manière générale (avec quelques exceptions) qu’à partir des dixième et onzième siècles, tient aux circonstances, au contexte, à la situation historique.
Plus profondément, le prêtre chrétien se distingue par deux éléments.
a/ Premièrement, seul, il a le pouvoir de célébrer l’eucharistie et d’opérer la transsubstantiation des espèces. Pour la Réforme, au moins en principe, n’importe quel fidèle peut accomplir tous les actes cultuels et remplir toutes les fonctions ecclésiastiques.
b/ Un deuxième élément distingue le prêtre : il le reste quoi qu’il arrive. Son ordination imprime une marque indélébile à sa personne. La liturgie d’ordination souligne que celui qui la reçoit devient prêtre pour l’éternité. Liber Psalmorum 109,4 : tu es sacerdos in aeternum secundum ordinem Melchisedech. Le sacerdoce de Melchisédech ne connaît aucune limitation temporelle : il est prêtre pour l’éternité, alors que la fonction des prêtres juifs cessait avec leur mort.
NDLR. Remarquons au passage que ce Melchisédech en question n’était pas un fils d’Abraham, mais un roi-prêtre païen de Jérusalem de nationalité jébuséenne et dont le dieu était appelé El Elyon (pour plus de détails, voir le dieu El de la mythologie ougaritique. Sa parèdre était appelée Ashérat). Melchisédech n’appartenait donc pas au peuple d’Israël, mais c’est bien à ce prêtre du dieu régnant sur le panthéon ougaritique qu’Abraham remit la dîme de tous ses biens. L’anachronisme de la chose a fait que certains spécialistes doutent de l’historicité du personnage. Il vient au-devant d’Abraham un peu comme un personnage céleste (c’est dans ce sens que le comprennent la plupart des écrits rabbiniques, mais aussi les textes qui ont été retrouvés dans les grottes de Qumran).
3. Les trois interprétations du sacerdoce universel.
Après la critique du sacerdoce particulier, voyons maintenant la signification du sacerdoce universel. On en a donné trois interprétations différentes.
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1. Pour certains cette doctrine veut dire purement et simplement qu’il n’y a plus de sacerdoce. Le sacerdoce implique en effet une distinction entre les prêtres et les fidèles. Si on l’abolit, du même coup, on fait disparaître la notion de clergé. Tous les chrétiens sont exactement sur le même plan, même si certains exercent, pour des raisons pratiques, des fonctions particulières. Nous sommes tous, y compris les pasteurs, des laïcs.
2. Pour d’autres la doctrine du sacerdoce universel ne signifie pas : « nous sommes tous laïcs, y compris les pasteurs ». Elle proclame, à l’inverse : « nous sommes tous prêtres, y compris les laïcs ». Loin de supprimer le sacerdoce, elle l’étend à l’ensemble des fidèles. Il ne définit pas un petit groupe de clercs, il caractérise tous les chrétiens. Chacun, de par son baptême, devient prêtre non seulement pour lui, mais pour tous les autres, dans la mesure où il doit leur faire connaître Jésus Christ et témoigner auprès d’eux de l’évangile. Dans cette perspective, la doctrine du sacerdoce universel autorise également chaque fidèle à accomplir tous les actes du culte (y compris la célébration des sacrements) et à remplir toutes les fonctions ecclésiastiques. Il n’existe pas de domaines réservés aux ministres. Les orthodoxes et les catholiques reprochent souvent aux réformés d’accepter que des laïcs non ordonnés président la cène ; ils y voient un des points les plus graves de désaccord entre les diverses Églises.
NDLR. Tout ceci ressemble étrangement à l’idée qu’avaient de la prêtrise les hommes du nord. Chez les Vikings par exemple il est évident que les godis avaient beaucoup moins de pouvoirs que les druides en Irlande. La façon dont l’Islande s’est officiellement convertie au christianisme en l’an Mil (kristnitaka) montre bien que c’est le chef de famille qui jouait alors le rôle de prêtre la plupart du temps.
La décision du logumad de l’Althing, le godi nommé Thorgeir Thorkellson, peut en effet se résumer à ce qui suit.
— Dans leurs relations avec les puissances étrangères ou en ce qui concerne les affaires extérieures, les Islandais sont chrétiens.
— Chez eux les Islandais font ce qu’ils veulent (leurs pratiques cultuelles relèvent de la vie privée).
— La consommation de viande de cheval, donc son sacrifice, demeure autorisés.
NDLR. Les chrétiens ne tinrent pas leur promesse et la consommation de viande de cheval fut vite interdite.
3. Certains courants enfin, qui se situent dans la mouvance de la Réforme radicale, ont pensé que la notion de sacerdoce universel impliquait seulement l’illégitimité de toute forme de ministère. Quelques groupes, par exemple les mennonites et les darbystes, ont voulu et mis en place des communautés sans pasteurs.
Luthériens et réformés ont vivement réagi contre cette manière de voir. Dès 1520, dans le Traité de la Liberté chrétienne, Luther souligna qu’il n’entend pas supprimer les ministères : « S’il est vrai que nous sommes tous également prêtres, nous ne pouvons cependant pas tous être chargés du service et de l’enseignement publics ».
Le sacerdoce universel n’entraîne nullement une indivision ministérielle. Les ministres spécialisés ne sont pas nécessaires pour des motifs théologiques fondamentaux, parce qu’ils seraient seuls qualifiés à remplir certaines fonctions. Ils sont, cependant, utiles pour des raisons pratiques. Tout le monde n’a pas acquis les connaissances et la formation qui permettent d’expliquer pertinemment la Bible ou de célébrer avec ordre et dignité une cérémonie publique. Dans beaucoup de domaines, on fait appel à des techniciens non pas parce qu’il serait interdit de s’en occuper directement, mais parce que l’on manque d’habileté ou de temps pour faire soi-même le travail.
CHRISTIANISME PRIMITIF.
Les thuriféraires du christianisme ayant depuis 2000 ans pas mal embrouillé la question de cette étrange prêtrise par procuration, un peu d’histoire s’impose (rien de tel en effet que l’histoire, objective et impartiale, pour tuer des mythes).
De l’existence du héros de ce roman initiatique qu’on appelle l’évangile, il convient de retenir qu’il a été un laïc, il n’appartenait pas à une famille ni à une caste sacerdotale, il n’a jamais accompli de fonction cultuelle de la religion juive, il n’a jamais revendiqué le titre de prêtre, d’homme mis à part du reste de la communauté juive pour exercer les fonctions sacrificielles du Temple de Jérusalem, car il faut se souvenir que les prêtres juifs n’exerçaient leurs fonctions que dans ce temple. À part la lettre
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aux Hébreux, aucun écrit du Nouveau Testament ne parle de Jésus comme d’un prêtre. Et pourtant, Jésus est le seul prêtre des chrétiens comme le précise ce document :
« Si donc la perfection avait été possible par le sacerdoce lévitique, car c’est sur ce sacerdoce que repose la loi donnée au peuple, qu’était-il encore besoin qu’il parût un autre sacrificateur selon l’ordre de Melchisédek, et non selon l’ordre d’Aaron ? Car, le sacerdoce étant changé, nécessairement aussi il y a un changement de loi. En effet, celui de qui ces choses sont dites appartient à une autre tribu, dont aucun membre n’a fait le service de l’autel ; car il est notoire que notre Seigneur est sorti de Juda, tribu dont Moïse n’a rien dit pour ce qui concerne le sacerdoce. Cela devient plus évident encore, quand il paraît un autre sacrificateur à la ressemblance de Melchisédek, institué, non d’après la loi d’une ordonnance charnelle, mais selon la puissance d’une vie impérissable ; car ce témoignage lui est rendu :
Tu es sacrificateur pour toujours
Selon l’ordre de Melchisédek.
Il y a ainsi abolition d’une ordonnance antérieure, à cause de son impuissance et de son inutilité, car la loi n’a rien amené à la perfection, et introduction d’une meilleure espérance, par laquelle nous nous approchons de Dieu » (Heb. 7, 11-18).
NDLR. La mention « aux Hébreux » ne figure pas dans le texte de l’épître : il s’agit d’un titre ajouté au IIe siècle. Rappelons le but de cette lettre : convaincre les juifs ou des chrétiens encore judaïsants que le grand rabbi nazoréen Jésus était vraiment surhumain, mais tout cela dans le droit fil de leurs saintes écritures.
La tradition chrétienne a longtemps attribué cette épître à l’apôtre Paul, mais les historiens considèrent aujourd’hui qu’elle est l’œuvre d’un auteur dont l’identité reste débattue. Elle s’adresse aux « Hébreux », c’est-à-dire, ici, aux judéo-chrétiens, pendant la période où le mouvement initié par les disciples de Jésus se sépare du judaïsme. Ces « Hébreux », ou chrétiens judaïsants respectent la Loi juive (Torah) comme la circoncision et les interdits alimentaires.
Ses thèmes principaux portent sur la personne du Christ en tant que médiateur, Fils de Dieu et grand prêtre. Autrement dit, elle constitue l’un des plus anciens textes de christologie.
Un de mes correspondants de jadis en matière d’histoire celtique, François Vouga, professeur honoraire de Nouveau Testament à la Kirchliche Hochschule Bethel de Bielefeld, estime que l’épître n’appartient pas à la première génération chrétienne, d’abord parce que l’auteur se présente comme issu de la deuxième génération et ensuite parce que ses destinataires sont eux-mêmes convertis au christianisme depuis plusieurs années (He 2,3 ; 5,12 ; 10,32). Mon correspondant suisse propose une datation comprise entre les années 60 (époque où disparaît la première génération) et les années 80-90. Il souligne que la première référence à l’épître se trouve probablement dans la Lettre aux Corinthiens de Clément de Rome, qui ne cite pas exactement la lettre aux Hébreux, mais en fournit une « paraphrase commentée » et permet en tout état de cause de situer le terminus ad quem de sa composition.
L’épître ne comporte pas de nom d’auteur. Quel est l’auteur de l’épître aux Hébreux ? Clément de Rome ? Paul de Tarse ? Barnabé ou Apollos… L’accord n’existe pas entre les exégètes. Luther fut le premier à proposer Apollos comme l’écrivain anonyme, auteur de l’épître aux Hébreux.
En dehors de ce témoignage unique et anonyme, le christianisme primitif ne connaissait pas de fonction sacerdotale, il n’avait que des apôtres (disciples de Jésus qui l’avaient connu de son vivant) et des prophètes charismatiques, qui prêchaient en fonction de leurs dons particuliers (charismes). Avec la disparition des apôtres et des prophètes charismatiques, le presbytérat (fonction de presbytre ou d’ancien, du grec presbuteros), qui était à l’origine une charge purement honorifique, prit peu à peu un caractère sacerdotal. Si le terme de prêtre vient d’un mot grec signifiant l’ancien, c’est que dans les débuts de l’Église cette fonction était dévolue à des hommes reconnus pour leur expérience.
Le vocabulaire du Nouveau Testament ne permet pas de reconstituer avec précision l’évolution qui a conduit à la distinction entre presbytérat et épiscopat. Elle ne devient nette que vers 150.
Dès le début du deuxième siècle en effet, les communautés se regroupent autour de responsables, les épiscopes (episcopoi, terme qui signifie : surveillants) eux-mêmes entourés d’une équipe de prêtres et de diacres. Depuis lors, les presbytres apparaissent comme constituant un collège subordonné à l’évêque unique, avec lequel ils collaborent étroitement. En revanche, le même vocabulaire révèle que le Nouveau Testament ne conçoit pas le presbytérat (ou l’épiscopat) dans la ligne du sacerdoce, ce que la plupart des traductions ne peuvent rendre, puisqu’elles ne disposent
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que de l’unique mot « prêtre » (du grec, presbutéros) pour traduire deux termes bien distincts en grec : hiéreus (médiateur entre Dieu et les hommes) et presbutéros (ancien de la communauté, sans connotation sacerdotale).
L’unique sacerdoce que le Nouveau Testament connaisse est celui du Christ : l’Épître aux Hébreux présente explicitement sa mort comme un sacrifice, dont lui-même a été le grand prêtre, et par lequel il a mis fin, une fois pour toutes, à tous les sacrifices et à tous les sacerdoces, devenant ainsi l’unique médiateur entre Dieu et les hommes (1 Timothée, 2, 5-6). Aussi le Nouveau Testament évite-t-il systématiquement le vocabulaire sacerdotal pour qualifier les nombreux ministères qu’il mentionne ; tout au plus l’emploie-t-il, occasionnellement, pour désigner collectivement le peuple chrétien (1 Pierre, 2, 5 et 9 ; Apocalypse, 1, 6 ; 5, 10 ; 20, 6).
Concrètement le prêtre est le ministre de certains sacrements, c’est-à-dire que lui seul peut les donner.
En revanche, le prêtre ne peut administrer ni la confirmation (sauf pour les Églises catholiques orientales), à moins de nécessité ou d’en avoir reçu mandat ponctuellement par son évêque, ni l’ordination, qui sont du ressort d’un évêque.
Les controverses ayant suivi la crise des lapsi et le schisme donatiste en Afrique du Nord au 4e siècle ont permis d’élaborer une ébauche de réponse à la question de l’efficacité du sacrement de l’ordination.
Rappelons brièvement les faits.
La dernière des deux seules vraies persécutions antichrétiennes officielles et générales de la part des autorités romaines, celle de Dioclétien, en 303, eut pour résultat qu’une immense majorité de chrétiens accepta de faire le petit geste qu’on leur demandait, à savoir prouver leur civisme en sacrifiant quelques grains d’encens aux statues des dieux de Rome ou de l’empereur. Ils furent en tout cas beaucoup beaucoup plus nombreux que les confesseurs ayant refusé, y compris pour certains au péril de leur vie (les confesseurs devenus martyrs).
Il y eut même des prêtres ayant accepté de remettre aux autorités les livres ou objets liturgiques qu’ils détenaient.
Dès que cette dernière persécution prit fin, et elle fut relativement courte (elle se relâche dès 305 en Occident) se posa la question de la réintégration dans l’église de tous ces lapsi simples fidèles ou évêques ayant failli.
Elle se fit sans trop de problèmes au début, l’église de Rome faisant preuve à leur égard et depuis longtemps d’une attitude assez conciliante (voir crise du novatianisme). L’Église dans sa majorité se montrait en effet tolérante envers ceux qui avaient failli (les lapsi) et réintégrait les prêtres et évêques qui embrassaient de nouveau le christianisme.
Il n’en fut pas de même au sein de l’église de Carthage.
Genèse du conflit.
Dans un premier temps, en Afrique proconsulaire et en Numidie, les gouverneurs se livrent à des perquisitions. Les évêques sont sommés par les autorités de livrer les écrits sacrés et les objets du culte. Les attitudes sont diverses : Félix, évêque de Thibiuca, s’y refuse et se voit transféré puis exécuté à Carthage ; Paulus, évêque de Cirta, obéit et livre tout ; l’évêque de Carthage, Mensurius, use d’un stratagème et ne livre que des ouvrages que les chrétiens considèrent comme hérétiques.
Mais l’édit de 304, qui exige un sacrifice général aux dieux romains, donne une nouvelle tournure aux persécutions. Les chrétiens qui refusent de s’y conformer sont menacés de mort ou condamnés aux travaux forcés.
Bien des responsables chrétiens cèdent alors aux contraintes du pouvoir (que celui qui n’a jamais péché leur lance la première pierre). Certains livrent leurs coreligionnaires et vont jusqu’à brûler en public des livres sacrés. Ces chrétiens sont désignés sous les termes de « lapsi » – du latin lapsus, celui qui est tombé – ou encore de « traditores » – de tradire : livrer (les livres sacrés).
À cette période de persécutions succède, vers le printemps 305, une certaine tolérance de fait, car les édits n’ont pas été rapportés et le retour à la paix ne sera officiel qu’en 307, date de la paix de Maxence. C’est à cette occasion qu’apparurent les premières manifestations de ce qui allait devenir le schisme donatiste et le concept de l’efficacité des rituels EX OPERE OPERATO.
Les réunions pour la succession de l’évêque de Cirta, Paulus, firent en effet apparaître une opposition des « purs et durs » à ceux qu’ils qualifiaient de traditores, ce qui signifie « livreurs (des objets sacrés) » et aussi « traîtres ».
Ces opposants furent certainement influencés par les écrits de leurs compatriotes Tertullien et Cyprien de Carthage qui refusaient que les chrétiens ayant failli, mais réintégrés dans la communauté puissent
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exercer un sacerdoce. De leur point de vue, les sacrements et l’autorité spirituelle de prêtres lapsi puis réintégrés étaient sans valeur.
Au-delà, de 308 à 310, l’Afrique est provisoirement détachée de l’Empire après la sécession de l’usurpateur L. Domitius Alexander. Mensurius est donc réintégré comme primat d’Afrique.
Le conflit éclata ouvertement en 312 lors de la succession de ce Mensurius. La nomination pour lui succéder d’un certain Cécilien fut contestée : puisqu’il avait été ordonné prêtre par Mensurius, évêque traditor et Félix d’Aptonge, son ordination n’était donc pas valable et il ne pouvait pas être évêque. Entraînés par l’évêque Donat, soixante-dix évêques de Numidie élurent contre lui un évêque concurrent, Majorin.
Le conflit se poursuivit sur le terrain juridique : l’affaire remonta à l’arbitrage impérial, sollicitant Constantin Ier qui venait de récupérer l’Italie et l’Afrique par sa victoire sur Maxence. Considérant qu’il s’agissait d’un problème mineur entre chrétiens, Constantin demanda à l’évêque de Rome Miltiade (311-314) de s’en occuper. Un synode fut organisé en 313 dans le palais du Latran (dix-huit évêques italiens et gaulois). Il confirma la validité de l’ordination de Cécilien par Mensurius au moyen de l’argumentation suivante : si le Christ est présent dans tous les sacrements, un sacrement est effectif quels que soient les antécédents moraux du prêtre qui le délivre. Première apparition donc du concept magique dit en latin EX OPERE OPERATO NON EX OPERE OPERANTIS.
En d’autres termes, un sacrement agit, quelle que soit la sainteté de son ministre. À la limite, un prêtre peut même ne pas adhérer à la foi de l’Église sur la sainte Eucharistie, mais accomplir fidèlement le rite de la consécration, conformément à ce que veut l’Église : dans ce cas, la transsubstantiation aura bien lieu. Le pain et le vin seront changés en Corps et Sang de Jésus Christ.
Les donatistes, obstinés, firent de nouveau appel à Constantin, qui dut s’impliquer plus sérieusement. Le concile d’Arles qui se termina le 1er août 314 rendit la même décision qui prit force de loi en 317 par la volonté de Constantin, qui ordonna la dissolution des communautés donatistes et la confiscation de leurs biens.
Voir notre cahier de notes numéro 30.
Les premières violences et les tentatives d’apaisement.
Les donatistes formaient de nombreuses communautés, et l’application de la loi s’accompagna d’autant de violences à Carthage et dans les provinces africaines. Pour rétablir le calme, Constantin suspendit en 321 l’application des mesures répressives. Les donatistes se maintenaient donc, d’autant plus fidèles à leur rigorisme qu’ils venaient de subir les violences : ils se ressentaient comme les seuls à être restés purs, comme « fils des martyrs » sans compromissions, face aux « fils des traditores ». Tout sacrement venant d’un prêtre indigne à leurs yeux était nul, donc ils rebaptisaient ceux qui avaient reçu le baptême hors de leur communauté.
La position officielle de l’Église de Rome par contre faisait valoir que la validité d’un sacrement ne saurait dépendre des qualités morales ou spirituelles de celui qui l’administre. S’il en était ainsi, les chrétiens seraient dans le doute permanent quant à la validité de leur propre baptême ou de la communion reçue durant l’Eucharistie. Le donatisme fut combattu par Saint Augustin et ne disparut qu’au VIIIe siècle.
Le célibat des prêtres ne fut imposé qu’au 12e siècle. Aujourd’hui encore il n’est pas universel dans les Églises chrétiennes. Dans l’Église catholique il est obligatoire uniquement dans le rite latin, mais non dans les rites catholiques orientaux (maronite, melkite, etc.) où les prêtres sont généralement mariés (mais non les évêques et la haute hiérarchie), avec cette nuance qu’ils ne peuvent se marier après leur ordination, mais uniquement avant. Une fois veufs, ils ne peuvent se remarier. La même discipline vaut pour les Églises orthodoxes. Dans les confessions catholique et orthodoxe, le sacerdoce reste fermé aux femmes.
Dans le protestantisme, le célibat n’est pas une condition pour exercer le ministère pastoral. Les pasteurs sont généralement mariés. Mais ils peuvent tout aussi bien rester célibataires. Le ministère pastoral est d’ailleurs également ouvert aux femmes (mariées ou non) dans les Églises issues de la Réforme, tandis que dans les confessions catholique et orthodoxe le sacerdoce est réservé aux hommes et interdit aux femmes.
AUTRES RELIGIONS AUTRES SPIRITUALITÉS.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le dire (voir plus haut) à l’origine, fonction sacerdotale et fonction royale étaient confondues. C’est pourquoi dans maintes civilisations primitives (= »sans
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écriture ») on peine à distinguer le roi du prêtre. Le roi, dans l’ancienne Rome avait lui aussi d’importantes responsabilités sacerdotales. Mais comme il était soumis à d’innombrables tabous lui venant de sa fonction sacerdotale, il en était handicapé dans des fonctions publiques. Ce qui explique que très tôt dans l’ancienne Rome on sépara les deux fonctions. Cependant, le grand-prêtre continua de porter le titre de rex sacrorum (« roi des actes sacrés »).
Mais il y a aussi des religions sans prêtres comme l’islam sunnite*. Le muezzin appelle à la prière, les oulémas et les fouqahas sont des spécialistes de droit et d’éthique, mais il n’y a aucun spécialiste qui ait une fonction médiatrice. Dans le cadre du sunnisme, on peut comparer la fonction d’imam à celle du pasteur ou du prédicateur réformé. En effet, l’imam ne fait pas partie d’une structure hiérarchique : il est désigné par la communauté elle-même et ne prétend à aucun lien privilégié avec Dieu. Il peut être licencié s’il n’accomplit pas sa mission. L’imam (arabe : imam, persan : emam, chef religieux, guide, celui qui est devant) n’est qu’un fidèle qui dirige la prière faite en commun. C’est de préférence évidemment une personne qui doit être instruite en ce qui concerne les rites et la pratique au quotidien de l’islam.
* La situation est quelque peu différente dans l’islam chiite. Pour les chiites, tenant d’une tradition cléricale de l’islam, l’imam est le guide spirituel et temporel de la communauté islamique. Chez les duodécimains, ils portent souvent le titre de mollah ou d’ayatollah et, de ce fait, celui d’imam est plus usité dans le sunnisme.
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DOCUMENTS.
TEXTE I DES CANONS IRLANDAIS À PROPOS DES COMMUTATIONS DE PÉNITENCE.
1) Commutation pour sauver une âme de l’enfer. 365 Pater, 365 génuflexions et 365 coups de fouet chaque jour pendant un an, plus un jeûne chaque mois, sauvent une âme de l’enfer ; car c’est en fonction du nombre d’articulations et de tendons du corps humain que cette commutation à effectuer, pour sauver une âme qui a mérité de subir les tourments de l’enfer ; a été élaborée.
8) Commutation pour les ex-laïcs hommes ou femmes.
Passer la nuit dans de l’eau, sur un lit d’orties, de coquilles de noix, ou à côté d’un cadavre […]
Commutation pour les clercs et les religieuses.
Passer la nuit dans une église glaciale ou dans une cellule à l’écart à veiller et à prier continuellement sans s’asseoir, ni s’allonger ni dormir.
15) Autre commutation équivalant à un an de pénitence.
Un jeûne de trois jours sans manger, sans boire ni dormir, la première nuit passée dans de l’eau, la deuxième sur un lit d’orties. La troisième sur un lit de coquilles de noix.
19) Autre commutation : sept mois reclus au pain sec et l’eau, prostré sur le sol ou le plancher tout en priant ardemment.
23) Autre commutation équivalant à la même pénitence : 200 génuflexions complètes.
24) Autre commutation équivalant à la même pénitence : rester debout sans canne à la main ni autre support, à chanter les 150 psaumes et leurs cantiques.
25) Autre commutation équivalant à la même peine : veiller les bras en croix en chantant, 50 psaumes ou 4 fois les Beati, les bras bien tendus et sans support pour où les appuyer.
31) S’il y a danger de mort, l’arreum suivant est la commutation équivalant à un an de pénitence (s’il est exécuté avec beaucoup de contrition) : chanter 365 Pater debout les bras levés au ciel ; sans que les coudes touchent le corps, et en se concentrant sur Dieu avec ferveur. Les paroles devront être vraiment chantées et pas seulement récitées à haute voix.
Réciter les Beati courbé en avant ou couché sur le sol, face contre terre, les deux bras étendus le long du corps. Patrice a recommandé ce type de veille ainsi que Columcille, Maedoc de Ferns, Molacca Menn, Brenainn moccu Altae, Colum mac Crimthain, Mocholmoc d’Inis Celtra ; et cette tradition a été introduite sur Aran par Enda. Les quatre principaux Sages d’Irlande à savoir Ua Minadan, Cumaine Fota, Murdebur, et Mocholmoc mac Cumain d’Aran, ont recommandé sa pratique à chacun des fils de vie désireux d’obtenir le Ciel.
32) Une commutation valant une année de pénitence a été ainsi suggérée par Ciaran le fils du charpentier à Ennu moccu Laigsi… 3 jours et 3 nuits dans le noir d’une maison sans éclairage ou en tout autre lieu, sans aucune distraction possible et sans la nourriture habituelle pour un jeûne de 3 jours, mais avec seulement 3 petites gorgées d’eau par jour. L’arreum actuel est le suivant : chanter chaque jour les 150 psaumes debout sans canne à la main pour s’appuyer, avec une génuflexion à la fin de chaque cinquantaine, tout en récitant l’Hymnum dicat après chaque Beati, les bras en croix. Sans possibilité de s’allonger… mais seulement de s’asseoir. Avec en plus le respect de chaque heure canonique, une concentration intense sur les souffrances du Christ, l’angoisse au cœur, et une totale contrition envers Dieu, tout en s’efforçant de se souvenir des péchés que l’on a pu commettre.
32 a) Commutation équivalent à une année de pénitence sévère.
— Passer 3 jours et 3 nuits dans une tombe à côté d’un cadavre sans boire ni manger ni dormir.
— Se confesser toutes les heures de ses péchés envers Dieu et les hommes.
— Promettre de renoncer définitivement au péché sous la direction spirituelle d’un pieux ami des âmes (anamchara).
— Chanter les 3 cinquantaines de psaumes tous les jours et observer chaque heure canonique.
— S’il ne sait pas lire, le coupable doit prier dans son cœur avec ardeur et repentance.
33) Commutation équivalant à 50 nuits de sévère pénitence et pouvant être exécutée en un seul jour, prônée par Columcille et Mobi Clarenech sur les conseils de l’archange saint Michel. Réciter le Dominus regnavit, etc., etc.
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REMARQUES.
Si l’on en croit ce texte, ces mortifications des moines celtiques culdées étaient clairement adossées aux connaissances anatomiques de la médecine druidique ANTIQUE.
Exemple.
« Arreum pour sauver une âme de l’enfer. 365 Pater, 365 génuflexions et 365 coups de fouet chaque jour pendant un an, plus un jeûne chaque mois, sauvent une âme de l’enfer ; car c’est en fonction du nombre d’articulations et de tendons du corps humain que cette commutation à effectuer, pour sauver une âme qui a mérité de subir les tourments de l’enfer ; a été élaborée ».
Or cette idée (de 365 tendons ou articulations dans un corps humain) est bien évidemment un concept de la médecine druidique. Tout comme le fait de réciter 365 fois la même prière d’ailleurs.
« On dit qu’ils apprennent par cœur un très grand nombre de vers […] Ils ont établi cet usage […] parce qu’ils ne veulent pas que ceux qui apprennent, se fiant à l’écriture, négligent leur mémoire ; puisqu’il arrive le plus souvent que l’aide des textes a pour résultat moins d’application à apprendre par cœur et moins de mémoire ». (César. B. G. VI, 14).
Ces mortifications adossées aux connaissances médicales druidiques ont par la suite joué un grand rôle dans la piété chrétienne du Moyen Âge.
Les arras druidiques furent en effet régulièrement appelés à remplacer des pénitences moins sévères, mais beaucoup plus longues : 3 ans au pain sec et à l’eau, 7 ans au pain sec et à l’eau, etc. D’où le principe de commutation des pénitences, dont l’ultime aboutissement, complètement dégénéré, il est vrai, fut la pratique des Indulgences qui scandalisa tant le jeune Luther.
Ce ne sont pas les druides qui ont eu l’idée de substituer leurs pratiques ascétiques aux longues pénitences au pain sec et à l’eau infligées à tour de bras ; mais les maîtres à penser du christianisme que furent les moines irlandais, ce qui revient au même.
Le principe de la commutation des pénitences est particulièrement évident dans le texte du 2e synode attribué à saint Patrice et dans le pénitentiel de saint Cumean (VIII, De l’orgueil. 25-28). « Certains considèrent qu’équivalent à une année 12 périodes de 3 jours, d’autres que cent jours au pain sec et à l’eau à chanter des psaumes la nuit équivalent à un an, etc. »
Les pratiques ascétiques druidiques sont donc, indirectement il est vrai, à l’origine du principe chrétien catholique de la commutation des pénitences ou des indulgences (même si la section V de la Table des commutations écrite en vieil irlandais place le druidisme entre le brigandage et l’adultère pour ce qui est de la réprobation, comme nous l’avons vu plus haut).
Ainsi que l’a très bien écrit saint Colomban, « la diversité des offenses implique la diversité des pénitences. Les docteurs de l’esprit doivent soigner de différentes façons les blessures de l’âme ».
Les druides antiques n’étaient pas en effet que des médecins, ils étaient aussi juristes, et le grand principe de base de la justice druidique n’était pas celui du talion comme dans la Bible, il obéissait à une double considération.
— Celle de la réparation, le plus souvent par le moyen d’une composition pécuniaire.
— Celle de la modulation des peines en fonction de la gravité de la faute ou des moyens matériels du coupable (son rang dans la société : druide, roi, grand seigneur, ou homme du peuple).
Cela est particulièrement évident dans les canons gallois qui ressemblent beaucoup aux lois de l’époque (Howell Dda).
Canons gallois A 63 : le propriétaire d’un animal est responsable des blessures qu’il peut infliger sauf si l’animal était sur son domaine au moment des faits.
Et dans le texte VI des canons irlandais, qui ressemblent beaucoup au Senchus Mor, dont un des passages était justement consacré, lui aussi, aux chiens.
Les Sages ayant quatre bonnes raisons pour justifier les arras étaient donc sans doute des druides chargés de rendre la justice.
La tarification des peines (des peines plus ou moins lourdes suivant l’importance de la faute, du délit, ou du crime, par exemple mettre plus ou moins longtemps le coupable au pain sec et à l’eau, et variant en fonction du statut social du coupable, clerc ou laïc) est donc une idée d’origine druidique.
Rendre la justice était en effet une des fonctions des druides ANTIQUES.
Ce qui est propre aux chrétiens en ce domaine, c’est, par contre leur obsession de la sexualité, ou le fait de voir le mal partout.
Canons gallois A 61 : « Celui qui a les cheveux longs comme les barbares sera excommunié ».
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Le régime pénitentiel en vigueur dans ces pays, au moins depuis le VIe siècle, était celui de la pénitence tarifée, une pénitence particulière était imposée au pécheur par le ministre du culte sans solennité aucune ; d’après des tarifs contenus dans des opuscules appelés pénitentiels.
Dans ces pénitentiels les œuvres de satisfaction sont proportionnées dans ces pénitentiels, en rigueur et en durée, aux fautes commises. Pour les crimes les plus graves : inceste, parricide, parjure, etc. ils prescrivent, suivant les circonstances, soit l’exil, soit la réclusion dans un monastère pour toute la vie ou pour une durée de dix, de sept, voire de trois années [NDLR. Il s’agit donc bien en fait de la reprise des coutumes druidique en matière de justice. Cela est flagrant dans le cas de l’exil].
Les plus anciens textes paraissent originaires de Grande-Bretagne, comme l’indiquent leurs titres et aussi plusieurs particularités de leur contenu. Ce sont les Excerpta quaedam de libro Davidis, les canons du Synodus Aquilonalis Brittaniae, l’Altera synodus Luci Victoriae, la Praefatio de Paenitentia du Pseudo-Gildas, tous probablement du Vle siècle, et les Canones Wallici, sans doute de la première moitié du VIIe. Tous ces textes ont été publiés par Haddan et Stubbs, Conciles et documents ecclésiastiques relatifs à la Grande-Bretagne et à l’Irlande, Oxford, 1869-1878.
Le plus ancien pénitentiel irlandais est un recueil du VIe siècle placé sous le nom d’un certain Vinniaus (sic), ce qui l’a fait attribuer tantôt à Finnian de Moville, tantôt à Finnian de Clonard. Les pénitentiels postérieurs, celui de Colomban de Bobbio et celui de Cummian, ce dernier du VIIe ou du VIIIe siècle, en procèdent largement.
Notons néanmoins que les quatre plus anciens pénitentiels connus (VIe siècle) ; la préface de saint Gildas le Sage sur les pénitences (la Praefatio de Paenitentia), les extraits du livre de saint David (Excerpta quaedam de libro Davidis) ; les décrets du synode de la Bretagne du Nord (Synodus Aquilonalis Britanniae, autrement dit Lowlands, Strathclyde, Gododdin, et Reghed, le pays de Merlin après la bataille d’Arfderydd/Arthuret vers 573) ; ceux du Bosquet de la Victoire (Luci Victoriae) ; ne sont néanmoins pas irlandais, mais gallois. Ils constituent un mélange de lois civiles et de pénitences religieuses.
Les canons irlandais proprement dits sont : les pénitentiels de saint Vinniaus (Finnian), saint Colomban, saint Cummian, ainsi que les canons d’Adomnan ou Adamnan.
Les pénitences prévues y sont en général plus lourdes que celles des pénitentiels gallois qui les ont inspirés, les moines culdées d’Irlande ayant apparemment durci ces mortifications appelées arras.
Le mode de vie attribué aux moines par le canon XVII du second synode de saint Patrice ressemble beaucoup à certains entraînements « guerriers » à la mode aujourd’hui sous le nom de survivalisme. Vivre dans le froid et la nudité ; dans la faim et la soif, dans les veilles et le jeûne ». Quant au fait de passer des nuits entières dans de l’eau glacée sur des lits d’orties ou de coquilles de noix, comme le recommande l’arreum Nº 8 de la Table des commutations de peines en vieil irlandais pour les simples laïcs ; cela évoque plus les fakirs et leur planche à clous qu’autre chose.
Vengeance ou punition ne semblent pourtant pas être le but essentiel des mortifications druidiques à l’origine de ces arras du christianisme médiéval irlandais.
Et la meilleure définition nous en est peut-être fournie par le pénitentiel de saint Finnian, ils avaient un but mental ou spirituel si l’on en croit la section X du pénitentiel de ce saint. «… Les péchés peuvent être absous par la pénitence et par la bienveillance (studium diligentius) du cœur et du corps ».
Voir aussi à ce sujet la section VI de la Table des commutations rédigée en vieil irlandais.
Les Sages donnent quatre raisons pour justifier la pratique des arras.
— Afin de se détacher rapidement du péché auquel on a été associé.
— Afin de ne pas en rajouter à l’avenir.
— Afin de ne pas mourir avant la fin de la pénitence décidée par un « ami des âmes » (l’anamchara était une sorte de guide ou de conseiller spirituel, d’origine druidique).
— Afin de pouvoir accéder de nouveau plus rapidement au saint sacrifice en raccourcissant d’autant la période de pénitence.
Ainsi que ses sections 31 : « Se concentrer sur Dieu avec ferveur » et 32 « Concentration mentale intense sur les souffrances du Christ ».
Apport typiquement judéo-chrétien dans ces pénitentiels par contre.
Obsession du sexe. Interdits alimentaires divers : boissons illicites (inlicite bibitionis) ou nourritures interdites (viande de cheval et ainsi de suite) à la façon juive ou musulmane (principe de la nourriture cachère ou halal. Voir à ce sujet les Canons d’Adamnan).
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LA CONFESSION PRIVÉE OU AURICULAIRE.
La pratique de la confession auriculaire ou privée, aujourd’hui de règle dans toute la catholicité, a donc été introduite sur le continent par les moines celtes (les druides étaient surtout des conseillers spirituels ou des médecins des âme/esprits).
D’après Loening et ses tenants, la pénitence privée ne serait, à l’origine, qu’une pratique monacale. Elle aurait été introduite, au VIIe et au VIIIe siècle, dans le monde laïque, sous l’influence de saint Colomban de Bobbio et des missionnaires irlandais ou anglo-saxons, pour se transformer peu à peu en institution ecclésiastique universelle.
Règle N° 28 donnée aux Culdées par saint Maelruain de Tallaght.
« Le problème des amis de l’âme est vraiment difficile. S’ils prescrivent le remède adéquat, il sera plus souvent violé que suivi, mais si l’ami de l’âme ne prescrit rien, la responsabilité en retombera sur lui. C’est pourquoi beaucoup considèrent comme déjà suffisant de se confesser sans même qu’il y ait pénitence. Le mieux pour un ami de l’âme est donc d’indiquer spontanément à tout un chacun, ce qui serait le mieux dans son cas, sans attendre qu’il se confesse ».
On retrouve bien là le rôle de conseiller spirituel des druides antiques.
Pénitentiel de Bigot.
Paragraphe 2. « Ceux qui ont la charge de soigner les blessures des autres doivent soigneusement tenir compte de l’âge et du sexe du pécheur ; quelle instruction il a reçue, quelle est sa force, quel est le trouble qui l’a conduit à pécher, de quelles sortes de passions il est assailli, combien de temps il a vécu dans le péché ; à quel point il est détaché des choses de ce monde. Car Dieu ne rejette pas les cœurs humbles et repentants.
Les sages, en modulant les pénitences, doivent veiller à ne pas faire corriger par de simples coups de canne un crime méritant l’épée ou de punir par l’épée un péché ne méritant qu’une simple bastonnade ».
Apport druidique dans ces textes, même si comme, nous l’avons vu la section V de la Table des arras écrite en vieil irlandais place le druidisme entre le brigandage et l’adultère pour ce qui est de la réprobation.
Pénitentiel de saint Finian.
« Les péchés peuvent être absous en secret par la pénitence et par la bienveillance (studium diligentius) du cœur et du corps ».
Il s’agit là d’un reste de druidisme (de la médecine des âme/esprits druidique ou de la jurisprudence druidique. Au choix).
Ce principe druidique à l’origine de la confession médiévale est particulièrement évident dans le pénitentiel de saint Colomban de Bobbio.
« 7° Les médecins du corps, eux aussi, composent des médicaments de diverses espèces. Autre est en effet le traitement qu’ils appliquent aux blessures, autre celui des maladies, autre celui des tumeurs, autre celui des contusions, autre celui des plaies purulentes, autre celui des ophtalmies, autre celui des fractures, autre celui des brûlures. De même, donc, les médecins spirituels doivent, eux aussi, guérir les blessures, maladies, fautes, douleurs, indispositions et infirmités des âmes. Mais peu sont capables de cela, c’est-à-dire de savoir guérir tous les maux à fond et ramener ceux qui ne se portent pas bien à un parfait état de santé.
8° Aussi allons-nous proposer au moins nous aussi un petit nombre de remèdes, selon les traditions des Anciens et selon notre intelligence qui est partielle… La diversité des fautes fait la diversité des pénitences ».
La pratique populaire de la confession auriculaire sur le modèle monastique à un conseiller spirituel va s’imposer au point d’éclipser totalement l’ancien rituel de la pénitence publique, et d’être reconnue progressivement par la hiérarchie. Et comme les « confesseurs » vont rapidement trouver difficile de
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savoir donner ou doser les « pénitences ». Ils vont donc pour cela se fonder sur les pénitentiels « irlandais » des moines celtes.
LE PÉNITENTIEL (AU SENS STRICT DU TERME) DE COLOMBAN DE BOBBIO.
LE « DE PAENITENTIA ».
A.
1. La vraie pénitence consiste à ne pas commettre de fautes dont on doive faire pénitence, mais à pleurer celles que l’on a commises. Mais puisque la fragilité de beaucoup, pour ne pas dire de tous, enfreint cette norme, il faut connaître les mesures de la pénitence. La tradition des Saints-Pères ordonne celles-ci de telle sorte que la longueur des pénitences se proportionne à la grandeur des fautes.
2. Si donc quelqu’un pèche en pensée ; c’est-à-dire désire tuer un homme, ou forniquer, ou voler, ou manger en cachette et s’enivrer, ou encore frapper quelqu’un, ou s’en aller, ou faire d’autres choses semblables, et s’il a le cœur prêt à exécuter son dessein, il fera pénitence au pain et à l’eau durant la moitié d’une année dans les cas plus graves, pendant quarante jours dans les cas moins graves.
3. Si quelqu’un, emporté par le péché, pèche en acte, s’il commet un homicide ou un péché de sodomie, dans ce cas il fera pénitence pendant dix ans. S’il fornique une fois seulement, le moine fera pénitence pendant trois ans ; si c’est plus souvent, pendant sept ans. S’il s’en va et rompt ses vœux, s’il se repent et revient promptement, il fera pénitence pendant trois quarantaines ; si c’est au bout de plusieurs années, pendant trois ans.
4. Si quelqu’un vole quelque chose, il fera pénitence pendant un an.
4a. Si quelqu’un se parjure, il fera pénitence pendant sept ans.
5. Si quelqu’un frappe son frère au cours d’une querelle et verse du sang, il fera pénitence pendant trois ans.
6. Si quelqu’un s’enivre et vomit, ou mange outre mesure et à cause de cela renvoie l’hostie, alors il fera pénitence pendant quarante jours. Mais si c’est une maladie qui lui fait vomir l’hostie, alors il fera pénitence pendant sept jours. Si quelqu’un perd une hostie, dans ce cas il fera pénitence pendant un an.
12. Le bavard doit être puni par le silence, le violent par la douceur, le gourmand par le jeûne, l’endormi par la veille, l’orgueilleux par le cachot, l’apostat par le rejet. Que chacun reçoive le châtiment correspondant à ce qu’il mérite, afin de vivre en juste selon la justice.
B.
La diversité des fautes fait la diversité des pénitences. Les médecins du corps, eux aussi, composent des médicaments de diverses espèces. Autre est en effet le traitement qu’ils appliquent aux blessures, autre celui des maladies, autre celui des tumeurs, autre celui des contusions, autre celui des plaies purulentes, autre celui des ophtalmies, autre celui des fractures, autre celui des brûlures. De même, donc, les médecins spirituels doivent, eux aussi, guérir les blessures, maladies, fautes, douleurs, indispositions et infirmités des âmes. Mais peu sont capables de cela, c’est-à-dire de savoir guérir tous les maux à fond et ramener ceux qui ne se portent pas bien à un parfait état de santé. Aussi allons-nous proposer au moins nous aussi un petit nombre de remèdes, selon les traditions des Anciens et selon notre intelligence qui est partielle, « car nous prophétisons partiellement et nous connaissons partiellement ».
1. Commençons par sanctionner les péchés mortels, qui sont punis par la Loi elle-même…
Pour finir, il nous faut traiter des menues sanctions pour les moines.
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26. Si quelqu’un laisse la clôture ouverte pendant la nuit, alors il fera pénitence par un jeûne spécial ; si c’est dans la journée, vingt-quatre coups, à moins qu’il n’ait laissé ouvert pour d’autres qui allaient venir. Si quelqu’un la franchit sans permission, il fera pénitence par un jeûne spécial.
LE SACREMENT DE PÉNITENCE, RÉCONCILIATION OU PARDON.
« Je te donnerai les clés du royaume des cieux : ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux » (Matthieu 16,19).
« Je vous le dis en vérité, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel » (Matthieu 18,18).
Lier et délier sont des notions relevant du domaine sémantique de la magie, mais le théologien du 16e siècle Bucer interprète le pouvoir des clés dans le sens de l’exclusion du pécheur impénitent (« lier »), en vue de l’amener à changer son comportement (« délier » consistant dans ce cas à admettre à nouveau dans l’Église).
La confession privée ou auriculaire paraît avoir été pratiquée par un grand nombre de religions différentes et remonter à une haute antiquité.
On se confessait dans les mystères de Bacchus, de Vénus et d’Adonis. Les prêtres qui entendaient les confessions portaient une clé pendue aux épaules : c’était le symbole du secret qu’ils devaient garder. À Samothrace, des sacrifices expiatoires, une confession en règle, précédaient l’admission de l’initié aux mystères des cabires. Le prêtre qui y présidait se nommait koes (purificateur, prophète) ; il avait le pouvoir d’absoudre du meurtre, mais le parjure était considéré comme un crime capital. À Éleusis, ce n’était qu’après avoir subi de longues et difficiles épreuves qu’on pouvait être initié aux mystères de Cérès. Un prêtre était chargé d’examiner et de préparer les candidats ; ceux qui s’étaient rendus coupables de grands crimes étaient exclus ; le prêtre soumettait les autres à des expiations fréquentes, et leur faisait sentir la nécessité de préférer la lumière de la vérité aux ténèbres de l’erreur ; il les exhortait à réprimer toute passion violente, à mériter par la pureté de l’esprit et du cœur l’ineffable bienfait de l’initiation. »
Les empereurs romains eux-mêmes ne sont pas exempts de ces épreuves et de cette confession. L’histoire nous rapporte que Marc-Aurèle, en s’associant aux mystères d’Éleusis, est obligé de se confesser au hiérophante.
Quant aux druides, en tant qu’arbitres, ils déterminaient le montant des compensations que ceux qui venaient se confesser à eux VOLONTAIREMENT devaient verser à leurs victimes. Mais à la différence de ce que préconiseront les moines culdées qui leur succèderont en tant que conseillers spirituels (anamachara en gaélique signifie littéralement « ami de l’âme) il s’agissait alors moins de prières ou de mortifications (cf. le De arreis édité par Kuno Meyer en 1894) que de compensations concrètes pour le mal commis par eux.
NDLR. Pécheur/péché. Du latin « peccatum » (faute, action coupable), est la transgression, volontaire ou non, de la loi divine et de ces commandements, mais l’ancien français l’entendait aussi comme un tort, une injustice, une infortune subie, lui prêtant la même valeur qu’au mot dommage.
En Perse, chez les ministres de la religion appelés mages, il y a ceux qui entendent les confessions, tranchent les cas de conscience, et éclaircissent les points de la loi. Les livres des mages ordonnent de pardonner à celui qui a offensé, s’il s’humilie et confesse sa faute. Outre les neaesch qui sont des prières humbles et soumises, et les afergans qui sont des prières en forme de remerciements, les livres contiennent des patets qui sont des actes de repentir des péchés que l’on a commis et qui constituent une véritable confession générale.
C’est une maxime parmi les Indiens que celui qui confesse son péché en recevra le pardon. Ils célèbrent tous les ans une fête, pendant laquelle ils vont se confesser sur le bord d’une rivière, afin que leurs péchés soient entièrement effacés. Le Nittiakarma ou rituel des brahmanes, attribue la vertu
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d’effacer les péchés à certaines prières qui ressemblent assez aux actes de contrition des chrétiens. Confession et pénitence font aussi partie des observances des moines jaïns.
Au Tibet, non seulement tous les religieux, mais presque tous les laïcs, ont leur père spirituel, à qui ils font en général l’accusation de leurs péchés. Aussitôt que le pénitent prononce cette formule : « J’ai péché », le directeur de conscience fait sur lui une prière pour lui obtenir le pardon qu’il demande. Quatre fois par mois, le 14 et le 15, et ensuite le 29 et le 30 de la lune, les lamas s’assemblent pour entendre l’explication de leur règle. Avant de paraître dans l’assemblée, le grand lama se confesse à celui à qui il a confié la direction de sa conscience ; ainsi purifié, il entre dans le temple et commence à recommander à chacun de se confesser.
Chez les Chinois, lorsque l’empereur, à la tête de la nation, remplit l’office de sacrificateur, il pratique un grand nombre de cérémonies parmi lesquelles se trouve la confession : il s’avance vers l’autel, brûle des parfums et prend ensuite la pièce de satin sur laquelle il a écrit le détail de ses actions, bonnes ou mauvaises ; il lit cet écrit à voix basse, fait des actes de repentir sur ce qu’il reconnaît avoir été mal, dépose ce mémoire dans une cassette et y met le feu pour le réduire en cendres.
Dans l’Ancien Testament, le bouc émissaire était une victime expiatoire chargée d’emporter tous les péchés d’Israël : « Le bouc emportera sur lui toutes les iniquités dans une terre désolée ; il sera chassé dans le désert » (Lévitique XVI, 22).
L’ascétisme essénien prescrivait une confession publique où les fidèles avouaient en se mortifiant à quelles tentations les avait soumis leur continence et se défoulaient verbalement sous les huées de leurs coreligionnaires (catharsis).
LE SACREMENT DE PÉNITENCE, CONFESSION, RÉCONCILIATION OU PARDON CHEZ LES CHRÉTIENS.
Dans la tradition chrétienne, ce pouvoir de lier et de délier, c’est-à-dire de pardonner les péchés, a été conféré aux apôtres (Matthieu 16,19 ; 18,18) ; mais confession et absolution s’appuient aussi sur l’évangile selon Jean (20, 22-23).
La confession [du latin « confessio » (= aveu) de « confiteri, confessum » (= avouer)] revêt deux formes : la confession privée à un prêtre, appelée confession auriculaire ou privée (qui peut être particulière, lorsqu’on n’accuse que les péchés commis depuis une confession précédente ; ou générale lorsqu’on accuse les péchés qu’on a commis pendant toute sa vie) et la confession publique d’un individu devant l’assemblée des fidèles.
Les termes varient pour parler du signe sacramentel de la rémission des péchés. Cette incertitude de vocabulaire manifeste sûrement une recherche, voire un malaise, de la part d’un certain nombre de chrétiens. La difficulté devient désaffection totale pour les uns, qui considèrent que cette Église culpabilisante n’est pas celle de Jésus-Christ. Certains refusent « la confession privée » dite aussi « auriculaire » qui vient des moines celtes et regrettent l’époque encore récente où les célébrations pénitentielles avec absolution collective étaient d’usage fréquent. D’autres pensent que ces célébrations représentaient une fuite des chrétiens devant leur situation personnelle de pécheurs.
Cette différence de vue n’est pas nouvelle. Réconciliation et pénitence ont été vécues différemment aussi au cours des siècles. Les sacrements ont une histoire !
Dans l’Église latine, on peut distinguer trois façons très différentes de vivre la réconciliation ; elles correspondent à trois époques d’environ six à sept siècles chacune. Chaque période est marquée par un va-et-vient entre une fixation du sacrement par la hiérarchie ecclésiale et la pratique du peuple chrétien qui, sans arrêt, va déplacer les jalons posés. C’est de cette histoire qu’aujourd’hui les chrétiens sont héritiers.
La première période dure du 1er au 6e siècle. On y distingue deux temps : la pénitence dite « publique » suivie d’un vide pénitentiel appelé « les dix rémissions ».
Voici quelques éléments concernant la confession dans l’Église ancienne.
La pénitence antique, présentée, entre autres, dans le Pasteur d’Hermas et chez Tertullien, consistait en une démarche ritualisée qui ne pouvait avoir lieu qu’une unique fois au cours de la vie du fidèle. Elle comportait de nombreuses exigences, des jeûnes, une mise à l’écart de la communion de l’Église et une privation de rapports sexuels ; elle était suivie du pardon et de la réintégration du pénitent, des lapsi par exemple après la première ou la deuxième des seules vraies persécutions officielles et universelles de la part des autorités romaines. D’après Tertullien la repentance normale était celle qui
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précédait le baptême ; il n’aborde la démarche officielle de pénitence (qu’il appelle exomologèse, en grec dans le texte latin, un mot dont le sens est probablement bien rendu par l’idée de confession publique) qu’à regret, craignant que parler de pénitence rende plus prompt à pécher :
« Puissent, ô Seigneur Christ, tes serviteurs n’en dire et n’en entendre sur la discipline de la pénitence que juste assez pour connaître le devoir qui incombe aux écoutants de ne point pécher : ou bien qu’ils ne sachent rien de la pénitence, qu’ils n’en attendent rien ! J’ai quelque répugnance à faire ensuite mention du second, du dernier espoir. Je crains, en traitant de la ressource qui reste encore au repentir, de sembler ouvrir une nouvelle carrière au péché ».
La pénitence sacramentelle ne se donnait que pour les fautes exceptionnelles et ne pouvait, durant toute une vie, n’être reçue qu’une seule fois. Elle était destinée à ceux qui avaient renié publiquement les engagements de leur baptême, ceux dont le comportement était objet de scandale pour la communauté. Cas des lapsi par exemple.
Lorsqu’un chrétien avait occasionné un grave scandale public – apostasie, meurtre ou adultère – il ne pouvait plus participer à l’Eucharistie sans encourir une protestation unanime des autres chrétiens. Les pécheurs, après l’aveu public devant l’évêque, sont placés dans le groupe des pénitents pour plusieurs mois, voire plusieurs années (30 ans dans certains cas). Exclus du repas de commensalité « devogdonion » avec Dieu (de l’eucharistie), ils doivent pratiquer des jeûnes rigoureux, quitter éventuellement leur emploi et leur conjoint, voire partir au désert (on trouve là l’origine du monachisme oriental) pour pouvoir réintégrer la communauté. Ils sont solennellement réadmis au sein de l’Ecclésia lors de la cérémonie du Jeudi saint.
La possibilité de se faire pardonner une faute grave après le baptême semble avoir été pour la première fois exprimée dans le Pasteur d’Hermas, vers le milieu du IIe siècle avons-nous dit plus haut. À l’inverse, les païens semblent rejoindre les plus rigoristes des chrétiens en considérant que certaines fautes sont si graves qu’elles ne peuvent être remises. La pénitence choquait, car elle semblait une incitation au péché et être un crime contre le devoir d’éducation, critique que notre temps fait aussi à ce sacrement.
Pour le pardon des fautes vénielles, la prière et la pénitence quotidiennes ont été reconnues comme suffisantes dès saint Augustin et il est possible que les Pères aient accordé une valeur presque sacramentelle à la demande du Notre Père : pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. En ce qui concerne les fautes graves, l’Église considère alors qu’aucune faute n’est irrémissible, mais que la rémission n’est pas réitérable. Ainsi que nous l’avons déjà dit, elle s’obtenait par une excommunication du pénitent, et par des prières spéciales de la communauté à son intention. En outre c’est l’évêque qui jugeait de la possibilité pour le pénitent d’être à nouveau admis dans la communion de l’Église, au moment de la célébration annuelle de la Réconciliation, le plus souvent au cours de la nuit de Pâques.
La question de la durée de la pénitence a été abordée dès le Concile de Nicée, où il fut décidé qu’au seuil de la mort, le pénitent pourra être réconcilié pour recevoir le viatique (eucharistie pour les mourants). On voit aisément que, dans l’Église primitive, le lien entre péché et ecclésialité était clairement affiché : les fautes graves ont des conséquences importantes pour la vie de l’Église et c’est la communauté tout entière qui est engagée dans la demande de pardon.
Le vide pénitentiel ou les dix rémissions.
Devant cette rigueur les pécheurs finirent par n’avoir plus recours à la pénitence que sur leur lit de mort, ou même plus du tout. D’autant plus qu’au IVe siècle l’empereur était devenu chrétien, il n’y eut donc plus de persécution légale contre les chrétiens à part ceux qui étaient considérés comme hérétiques. Et puis les masses n’étant pas héroïques le style impitoyable de la pénitence publique ne pouvait donc que disparaître, car devenu inadapté. Au haut Moyen Âge, on trouve encore la pénitence antique faite publiquement une fois pour toutes. Cette pénitence est souvent repoussée jusqu’à la veille de la mort et, si ses exigences pratiques sont en théorie maintenues, le pénitent en est, le plus souvent, dispensé en raison de son état. On en arriva donc à une désaffection quasi totale à l’égard du sacrement de pénitence, même si on avait gravement péché. Cette période est dite du « vide pénitentiel » ou « des dix rémissions » rapportées par Cassien : la charité, l’aumône, les larmes, se reconnaître coupable, etc.
À cette époque, on pouvait ne pas recourir au sacrement de pénitence même si on avait gravement péché. Saint Augustin, par exemple, dont la vie n’a pas été toujours exemplaire, ne s’est jamais
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confessé. Et cependant ces chrétiens participaient à l’Eucharistie. Alors ? En fait, d’autres moyens existaient pour procurer la rémission des fautes graves. Ces moyens, non sacramentels, mais efficaces, étaient appelés « les dix rémissions ». Outre le baptême et le martyre, il s’agissait du jeûne, de la prière, de l’aumône, du pardon des offenses, des pèlerinages de réparation, des dévotions dans des monastères… et de plusieurs attitudes intérieures qu’on a désignées plus tard sous le nom de contrition.
Au moyen de ces dix rémissions, les chrétiens vivaient donc une rémission des péchés efficace et sûre. Pourtant des évêques ne se résignaient pas à ce que la pénitence antique soit abandonnée. Mais, malgré leurs efforts, le sacrement de pénitence ne tenait plus aucun rôle dans la vie des chrétiens. La forme en était invivable.
À la Communion des saints correspond forcément la solidarité des pécheurs. Cette pratique de la pénitence a peut-être, à cause de son caractère unique, poussé à retarder le baptême ? Elle s’est en tout cas rapidement révélée insuffisante, car tellement rigide que les pécheurs ne s’y soumettaient pas toujours et les chrétiens qui n’avaient pas commis de fautes graves n’en ressentaient pas moins le besoin de faire pénitence pour leurs péchés. Ces deux problèmes trouvèrent dans la pratique celtique une solution.
Dans les Églises d’Angleterre et d’Irlande (qui n’avaient pas connu les formes publiques de la pénitence) avait cours une pratique privée de la pénitence. Cette pratique privée de la pénitence ne subira, après le IXe siècle, que des modifications sur des points particuliers en ce qui concerne le rituel, bien entendu. Cette forme nouvelle de la pénitence, que les historiens appellent tarifée, s’applique à tous, y compris aux enfants (qui n’étaient pas encore aptes à remplir les exigences de l’ancienne pénitence publique) et aux clercs, dont le statut dans l’Église ne permettait pas une admission dans l’ordre des pénitents.
La pénitence tarifée donc.
Nous commencerons par une remarque à la limite de l’histoire et de la théologie : lorsque les chrétiens occidentaux commencèrent à formuler leur Foi, ils se servirent d’un vocabulaire que les siècles précédents leur avaient légué. Ce passage du latin « classique » au latin chrétien permet d’analyser quelque peu ce que les Pères voulaient dire, la réalité recouverte par les mots choisis. Dans le cas de la dénomination du pardon des péchés, ils ont choisi le mot latin d’absolutio, terme juridique (le Sacrement de la Pénitence et le Sacrement du Mariage sont les deux sacrements qui ont le plus de liens avec la science juridique) désignant la reconnaissance de l’innocence d’un accusé au terme d’un vrai procès suivi de l’exécution de la peine prévue. Le pardon des péchés est donc une absolutio non pas parce que nous serions innocents (parce que nous n’aurions pas commis ce dont nous nous accusons devant Dieu), mais parce que nous avons « payé » pour notre faute.
J.-J. Rousseau (1712-1778). La confession est très bonne pour engager les cœurs ulcérés de haine à pardonner, et pour faire rendre aux voleurs ce qu’ils peuvent avoir dérobé au prochain […] Que de restitutions, de réparations, la confession ne fait-elle pas faire chez les catholiques !
Venons-en à la deuxième période, le temps de la « pénitence tarifée » qui débute vers le septième siècle. À cette époque une restauration du sacrement de pénitence apparaît. Elle ne vient ni des évêques ni des conciles, mais d’Irlande par les moines culdées de Tallaght d’abord ensuite par saint Colomban. Pour éviter le côté assez humiliant et dangereux de la pénitence publique, ils instaurèrent une célébration privée, réitérable à volonté, où l’aspect pénitentiel (jeûnes, aumônes…) restait rude (cf. le De Arreis de Kuno Meyer), mais ne compromettait pas toute une existence. Il ne s’agissait toujours, bien sûr, que d’accuser des fautes très graves. On confesse ces fautes à un prêtre ou moine, qui donne une pénitence à exécuter, à la hauteur de la faute. La réparation est cependant encore le centre de la démarche, l’aveu n’est destiné qu’à établir la faute et l’étendue de la pénitence à appliquer. L’absolution n’est accordée qu’à l’issue de ces pénitences.
Le rituel de l’accusation des péchés se déroulait le plus souvent dans l’Église, et le pénitent pouvait soit s’accuser de ses péchés soit répondre aux questions du prêtre. Il existait également de longues prières où le pénitent s’accusait de tous les péchés possibles, mais on ne sait pas si cette pratique était ou non suivie d’une accusation des péchés personnels.
Ainsi réapparut l’aveu, élément essentiel des premiers arbitrages druidiques. Mais l’aveu n’est pas le principal ; il n’est que le renseignement nécessaire au prêtre pour indiquer « le tarif officiel ». Durant cette période, cette pratique nouvelle sera pour l’Église à la fois une chance et un risque, car cette
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pratique n’alla pas sans un certain marchandage. Voir à ce sujet la table des commutations de pénitence en vieil irlandais compilée au 8e siècle dans le monastère de Tallaght en Irlande.
Le chrétien, gravement pécheur, avait à payer une lourde compensation pour la faute commise. Il pouvait même accumuler plus d’années de pénitence qu’il ne lui en restait à vivre. D’où l’idée d’une commutation des peines : remplacer une longue pénitence par une beaucoup plus sévère, MAIS PLUS COURTE.
Apparut alors immédiatement l’idée qu’une peine impossible à accomplir pouvait être partagée avec un tiers moyennant un dédommagement ou en versant un don à l’Église.
Les usages celtes seront ensuite repris par l’Église anglo-saxonne au début du VIIIe siècle. Les pénitentiels sont autorisés par saint Théodore de Tarse (602-690), archevêque de Cantorbéry.
Bède le Vénérable, Egbert et Alcuin (735-804) seront les apôtres de cette confession privée.
Ce mode de confession secrète et privée se généralisera ensuite sur le continent grâce aux missions irlandaises.
On retient généralement de saint Colomban l’introduction sur le Continent des « pénitentiels ». L’objectif de ces livres était d’aider les directeurs de conscience ou « amis de l’âme/esprit » à donner aux pénitents les moyens d’expier leurs fautes. Avant cela, dans l’Église romaine, le pécheur ne pouvait recevoir le pardon de ses fautes, qu’une seule fois dans sa vie, et uniquement de par l’autorité de l’évêque. Nous y reviendrons.
IXe siècle. Les directeurs de conscience se servent de livres appelés pénitentiels pour déterminer les pénitences à faire. Les moines celtes et anglo-saxons importent sur le continent le système de la pénitence tarifée. À chaque faute était affectée une pénitence précise consistant surtout en mortifications diverses, mais aussi en jeûnes. Avec le nombre des péchés s’additionnent les jours, mois, années, de jeûnes. Les tarifs sont contenus dans des Livres pénitentiels.
Ces pénitences et ces absolutions données par les moines irlandais n’étaient cependant pas des sacrements puisque ces moines n’étaient pas prêtres.
Ce système de commutation des peines (arra), à la fois spirituel et financier, a donné naissance par la suite à la pratique catholique des « indulgences ». C’est le début de la simonie (vente de biens spirituels) et celui qui peut s’offrir une pénitence ou un pénitent de substitution est donc privilégié.
Du coup, l’aveu, de simple moyen qu’il était pour établir le tarif de la peine, devient le tout du sacrement. Si bien que l’on ne parle plus de sacrement de pénitence, mais de « confession ». Par ailleurs, l’aspect « réparation » de la faute s’amenuise. Il est réduit à quelques prières symboliques.
En 1123, le premier concile du Latran fait « défense aux abbés et aux moines de donner des pénitences publiques, de visiter les malades, de faire les onctions et de chanter des messes publiques » (canon 17). Ce soin revient donc aux prêtres.
La pratique moderne de la pénitence trouve ses racines au XIIe s, quand furent abandonnés petit à petit les tarifs de la pénitence, et que l’on considéra l’aveu comme étant déjà une première « humiliation », qui devait être parfaite par une pratique pénitentielle adaptée à la situation de chacun. C’est cette disparition des tarifs qui donne naissance à la « pénitence moderne ». Mais, à peu près au même moment, le rite sacramentel de la pénitence privée a été dépouillé de tout droit à une liturgie par les théologiens scolastiques qui prétendirent à la suite de saint Thomas d’Aquin que l’imposition des mains et la prière d’absolution ne pouvaient être essentielles au sacrement, se fondant sur la parole de l’évangile selon Matthieu « Ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel ». Il fallait donc que la forme de ce sacrement résidât dans le verbe à l’indicatif Ego te absolvo, et non dans une prière, ce qui fut adopté par l’Église lors des conciles de Florence et de Trente, sans pour autant juger les formes passées de ce sacrement qui, tout comme les liturgies orientales, avaient totalement ignoré cette formule. On est alors passé dans le rite latin d’une forme déprécative (type Misereatur vestri omnipotens Deus, etc.) à celle que nous connaissons et qui met en lumière le pouvoir de rémission que le prêtre possède du fait de sa dignité.
C’est dans le siècle qui précède le Concile du Latran (de 1215) que naît la forme de la confession qui prévaudra dans l’Église catholique romaine au moment de la Réforme. Le concile va prescrire, dans son 21e Canon, la pratique obligatoire de la confession annuelle. Nouveauté notable, la confession constitue le centre et l’obligation de la pratique, les peines pénitentielles doivent être accomplies seulement « dans la mesure des moyens » du fidèle, elles ne sont plus le centre de la démarche.
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Celui qui se soustrait à l’obligation de se confesser se voit menacé d’exclusion de l’Église et de privation de sépulture chrétienne.
« Tout fidèle de l’un ou l’autre sexe parvenu à l’âge de discrétion, doit lui-même confesser loyalement tous ses péchés au moins une fois l’an à son curé, accomplir avec soin, dans la mesure de ses moyens, la pénitence à lui imposée, recevoir avec respect, pour le moins à Pâques, le sacrement de l’Eucharistie, sauf si, du conseil de son curé, pour raison valable, il juge devoir s’en abstenir temporairement. Sinon, qu’il lui soit interdit d’entrer à l’église de son vivant, et qu’il soit privé de sépulture chrétienne après sa mort. Ce décret salutaire sera fréquemment publié dans les églises, de sorte que personne ne puisse couvrir son aveuglement du voile de l’ignorance. Quiconque désire pour des raisons légitimes confesser ses péchés à un autre prêtre, doit auparavant en solliciter et obtenir l’autorisation de son curé : autrement, ce prêtre ne peut valablement l’absoudre ou le lier. Le prêtre, quant à lui, doit agir avec discernement et prudence, pour savoir, tel un médecin expérimenté « verser le vin et l’huile » sur les plaies du blessé, s’enquérir avec soin de la situation du pécheur et des circonstances du péché, pour discerner en toute prudence le conseil opportun et appliquer le remède approprié, divers étant les moyens susceptibles de guérir le malade. Qu’il prenne garde de trahir en quoi que ce soit le pécheur, par une parole, par un signe, ou de toute autre façon. S’il a besoin d’un conseil éclairé, qu’il le sollicite prudemment sans dévoiler la personne : quiconque révèle le péché dénoncé au tribunal de la pénitence, nous statuons qu’il doit être non seulement déposé du ministère sacerdotal, mais voué à l’état de pénitent, à perpétuité, dans un monastère de stricte observance ».
Dans cette décision cohabitent souci pastoral, lutte contre l’hérésie, contrôle social et volonté de permettre au curé de connaître ses ouailles ; en effet, un contact minimal avec le prêtre est ainsi imposé.
On cherchera dès lors à faire confesser les péchés de manière exhaustive, en suivant des listes de péchés ou les Dix Commandements. La prédication exhorte fortement à la pratique de la confession, en montrant le diable berné par la confession qui le prive de son pouvoir sur les fidèles.
On met aussi un certain accent sur la contrition, attitude de regret profond vis-à-vis de son propre péché ; dans certaines doctrines de la confession, elle est même considérée comme un élément nécessaire au pardon.
En outre, la coutume du secret de la confession est rendue obligatoire : interdiction est faite au prêtre confesseur, mais aussi à l’interprète ou au passant ayant surpris par hasard une confession, d’en divulguer le contenu.
À partir du 13e siècle, l’Église tentera de purifier le sacrement de pénitence. Il faudra tout d’abord arracher la pénitence au mercantilisme. C’est surtout après les ruptures et La Réforme protestant contre les indulgences que l’Église catholique, au concile de Trente, va tenter d’organiser une nouvelle pratique.
Le concile de Trente (1545-1563) reconnaît 7 sacrements : baptême, pénitence (confession obligatoire pour les péchés mortels), eucharistie, confirmation, mariage, ordre, extrême-onction. Ils agissent ex opere operato, c’est-à-dire indépendamment de la foi ou de la vertu du prêtre qui les administre.
Certains ordres religieux s’étant arrogé le droit de confesser sans la permission des curés, leurs prétentions furent condamnées par ce concile, qui interdit formellement à tout prêtre séculier ou régulier, n’ayant pas charge d’âmes, d’entendre la confession des fidèles. Mais si les ordres religieux avaient contre eux les conciles, ils réussissaient presque toujours à mettre les papes de leur côté ; une bulle de Clément V en 1312 avait par exemple autorisé les ordres mendiants à confesser, à la seule condition qu’ils eussent demandé l’autorisation à l’évêque, même s’il ne l’avait pas accordée. Pour résister à cette invasion du clergé régulier que favorisait Rome, le concile de Bordeaux (1614) défendit aux religieux de confesser sans la permission de l’évêque, et refusa l’eucharistie à ceux qui se confesseraient hors de leur diocèse sans autorisation.
Note de la rédaction. Aujourd’hui, le pénitent est libre de choisir pour confesseur tout prêtre approuvé.
Le pape Pie IV (1559-1565) publie une ordonnance par laquelle toutes les femmes et les filles qui avaient été scandalisées et séduites par leurs confesseurs reçurent ordre de les dénoncer. Un certain nombre des principaux officiers de l’Inquisition furent choisis et autorisés par le pape pour recevoir les dépositions et punir les coupables. À la fin, il parut évident au tribunal de l’Inquisition que le nombre des prêtres qui s’étaient servis de la confession auriculaire ou privée pour séduire leurs pénitentes
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était si grand qu’il était absolument impossible de les punir tous… L’enquête termina subitement ses travaux.
Suite à des violations du secret de la confession au nom de la raison d’État, Clément VIII dut rappeler, par un bref du 20 mai 1594, qu’il n’est pas permis de faire usage dans l’administration de ce que l’on a appris au confessionnal.
Selon le code de droit canonique, le secret de la confession est absolu. Il ne souffre pas d’exceptions.
« Canon 983…
§ 1. Le secret sacramentel est inviolable ; c’est pourquoi il est absolument interdit au confesseur de trahir en quoi que ce soit un pénitent, par des paroles ou d’une autre manière, et pour quelque cause que ce soit.
§ 2. À l’obligation de garder le secret sont également tenus l’interprète, s’il y en a un, et aussi tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, ont eu, par la confession, connaissance des péchés. »
Si le prêtre viole ce secret, qui porte sur les péchés entendus et l’identité du pécheur, il sera excommunié.
« Canon 1388…
§ 1. Le confesseur qui viole directement le secret sacramentel encourt l’excommunication latae sententiae réservée au Siège Apostolique ; celui qui le viole d’une manière seulement indirecte sera puni selon la gravité du délit.
§ 2. L’interprète et les autres personnes dont il s’agit au canon 983, § 2, qui violent le secret, seront punis d’une juste peine, y compris l’excommunication. »
Cette pratique renouvelée laissera pourtant apparaître à son tour de nouvelles limites. Le fait d’accuser des péchés véniels comporte également un risque de moralisme rigide voire d’asservissement. La dimension communautaire des périodes antérieures s’évanouit. Le lieu de la pénitence n’est plus l’Église, mais un confessionnal. Enfin, la pratique fréquente de la confession fait disparaître presque totalement des consciences toutes les autres formes de rémission des péchés.
Le 9 février 2011, après l’annonce du lancement en Corée du Sud d’une application pour les produits Apple baptisée « Un prêtre dans votre poche », le porte-parole du Vatican, le père Federico Lombardi, soulignant que le sacrement de pénitence nécessite la présence du pénitent et du prêtre, a indiqué qu’il ne peut y avoir de confession à distance.
Dans l’enseignement catholique, la confession privée ou auriculaire est donc toujours considérée comme une partie essentielle du sacrement de pénitence. Les catholiques, répétons-le, sont tenus de confesser leurs péchés les plus graves à un prêtre, au moins une fois par an, à Pâques.
La confession est aussi prescrite dans les Églises orthodoxe, copte et orientale.
L’Église d’Angleterre et les autres Églises anglicanes ont conservé la doctrine catholique de la confession. Mais si la pratique de la confession auriculaire a pu connaître un regain au XIXe siècle lors du mouvement d’Oxford, de nombreux anglicans lui préfèrent l’absolution générale pendant l’office.
La confession publique et générale fait partie du culte luthérien et se pratique dans certaines Églises pentecôtistes et fondamentalistes. Le bouddhisme ne l’autorise que dans les monastères.
Les 7 péchés capitaux sont l’avarice, la colère, l’envie, la gourmandise, la luxure, l’orgueil et la paresse ; mais l’Église catholique distingue le péché mortel et le péché véniel (ou peccadille). Avec l’Église orthodoxe, elle déclare que péché véniel et péché mortel peuvent être effacés par la confession sincère et la contrition alors que le protestantisme professe que la foi et le repentir sincère suffisent.
LE POINT DE VUE DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE.
Religion de la faute le christianisme n’a paradoxalement élaboré une théologie du repentir que très lentement.
La notion de péché a néanmoins existé de tout temps et dans toutes les religions où il consiste en la violation d’un « tabou ». De même, partout et depuis toujours ont existé des cérémonies expiatoires, épreuves, ordalies, purifications, jeûnes, mortifications et pèlerinages…
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LES RÉFORMATEURS ET LA CONFESSION.
Luther et Calvin se rejoignent dans le rejet de la confession telle que l’Église catholique de l’époque la pratique et l’impose. La prétention de faire résider l’absolution des péchés dans les seules paroles du prêtre est vigoureusement rejetée et l’idée de confesser les péchés exhaustivement est jugée irréaliste et cruelle. Le caractère obligatoire de la confession est également critiqué comme une tyrannie ; aussi Calvin et Luther n’auront-ils pas beaucoup de scrupules à imposer leurs solutions de remplacement. On peut donc dire que l’obligation de se confesser est critiquée parce que la confession, telle qu’elle était pratiquée à l’époque, n’était pas pleinement légitime. Mais le fait que la discipline de l’Église puisse nécessiter d’imposer certaines démarches semble admis.
L’autre point d’accord entre les réformateurs réside dans la reconnaissance d’une certaine une utilité à la démarche de confession individuelle et secrète, dans un cadre approprié. Pour tous, cette démarche est utile pastoralement pour l’édification de la communauté et pour rassurer les consciences tourmentées. Seul Bucer nie que le « pouvoir des clés » soit lié à l’absolution des fautes suite à leur aveu ; les autres réformateurs lient toujours ces notions. Quant à Luther et Calvin, ils redéfinissent le rôle du ministre (ou du frère) en n’en faisant qu’un médiateur ou un messager, dépourvu d’autorité en lui-même pour absoudre.
Luther et Calvin se positionnent, en revanche, différemment quant au lien entre leur pratique et celle de l’Église catholique : Luther apprécie la confession « telle qu’on la pratique aujourd’hui », mais il considère qu’elle a été entraînée dans les excès de la papauté dont il s’agit de la délivrer. Calvin, lui, n’hésite pas à dire que les réformateurs ont aboli la confession ; aussi ce que Calvin instaure en est-il un remplacement et non une restauration.
Nos deux grands réformateurs se distinguent aussi sur la question de la sacramentalité de l’absolution, et cette différence, qui peut sembler minime au niveau de la nature de l’acte d’absolution, a une importance en ce qui concerne son statut : dans la vision réformée de l’Église définie entre autres, par la juste administration des sacrements, un sacrement reconnu peut difficilement tomber dans l’oubli sans que cela appelle à un questionnement ; alors qu’une pratique simplement optionnelle n’a pas la même protection.
Non sans lien avec cette question, Luther et Calvin différeront sur le point de savoir comment remplacer la confession auriculaire médiévale. On l’a vu, Luther la remplace par une confession d’ordre plus général, menant aussi à l’examen des dispositions de foi, avec l’absolution comme cœur de la démarche. Calvin commence par suivre une voie presque similaire sous forme d’entretien pastoral privé préalable à la cène, mais l’évolution de sa pratique mènera, ensuite, à l’établissement des consistoires, pratiquant une discipline publique, également prônée par Bucer. Ces consistoires remplacent bien la confession obligatoire dans le rôle de veiller à la moralité de l’Église, en réprouvant les pécheurs scandaleux. D’autre part, la pratique de la confession générale, dans le cadre de la liturgie, remplit bien le rôle de rappeler l’état de pécheur du chrétien et la grâce de Dieu. Le champ laissé à la confession privée serait celui du soin des âmes, du travail pastoral, de l’aide apportée à la lutte individuelle contre le péché et la culpabilité. Tel est bien le rôle que Calvin lui assigne, mais, par réaction face à la confession obligatoire, on sent chez Bucer (et plus encore dans la Confession helvétique de 1536) une hésitation pour en encourager la pratique ; elle n’est jamais condamnée tant qu’elle reste libre ; on reconnaît son bien-fondé si elle est bien mise en œuvre, mais il ne lui est pas assigné de place définie.
Le rôle disciplinaire des consistoires a disparu lui aussi, de sorte qu’on n’en voit presque aucune trace de nos jours. Quant à la confession générale des péchés, elle tend à porter de plus en plus sur la faiblesse humaine et de moins en moins sur la dépravation ou le péché objectif et volontaire, sans parler de toutes les Églises éloignées de la tradition réformée qui ne la pratiquent pas du tout.
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LE SACREMENT DE L’EUCHARISTIE OU LES MYSTÈRES DE L’ANAMNÈSE.
Le sacrement de l’Eucharistie est sans doute le point le plus sensible de la théologie chrétienne.
Voici comment il est généralement présenté par les intéressés eux-mêmes d’après Andrew McGowan (reformulation de la problématique des origines de l’eucharistie)
Les premières communautés chrétiennes célébraient leur repas sacramentel en imitant directement la Dernière Cène de Jésus, et donc en se servant de façon symbolique du pain et du vin, en suivant un ordre ou une structure universelle, et en répétant le « récit de cette institution » comme texte de prière central. Le sacrement et le banquet commun ont rapidement été séparés – à la fin du premier siècle – d’une part en Eucharistie, un rituel sacramentel du matin, et d’autre part en Agapè, un repas pris en commun, tout ce qu’il y a de prosaïque. Malgré son apparente évidence et sa familiarité avec l’usage qui en est fait dans de nombreux écrits scientifiques traitant du christianisme de l’antiquité, cette présentation des choses doit être rejetée. Chacun des éléments que nous venons d’énoncer – causes, chronologie, uniformité – est au mieux inexact.
En ce qui nous concerne, nous commencerons par deux constatations basiques. Et deux commentaires.
Sacrifier un animal pour en offrir symboliquement une partie à un dieu ET MANGER ENSEMBLE LE RESTE EN SA COMPAGNIE THÉORIQUE (ou pas) est un des éléments de base de tout sacrifice.
L’autre étant qu’un tel repas n’est pas ordinaire et qu’il confère par définition à qui l’ingère une force ou une énergie sortant de l’ordinaire. Sinon à quoi bon être dieu.
Nous ajouterons que nous n’avons aucun mépris raciste envers le monde de la spiritualité païenne et que par conséquent nous ne ferons preuve d’aucune fébrilité dans notre étude au microscope de ce rite central de la foi catholique.
Qui diffère il est vrai de beaucoup d’autres en ce que l’animal en question est censé être l’homme Dieu – Jésus, mais ce cas de figure se retrouve également dans certains mythes.
Pour le reste qu’il y ait emprunt au culte de Mithra ou pas nous est indifférent (il y a tant d’autres dieux) contrairement à Justin qui se met en colère à cette idée.
Première apologie.
LXVI. Nous appelons cet aliment Eucharistie… cet aliment qui doit nourrir par assimilation notre sang et nos chairs est la chair et le sang de Jésus incarné : telle est notre doctrine. Les apôtres, dans leurs Mémoires, qu’on appelle Évangiles, nous rapportent que Jésus leur fit ces recommandations : il prit du pain, et ayant rendu grâces, il leur dit : « Faites ceci en mémoire de moi : ceci est mon corps. » Il prit de même le calice, et ayant rendu grâces, il leur dit : « Ceci est mon sang. » Et il les leur donna à eux seuls. Les mauvais démons ont imité cette institution dans les mystères de Mithra : on présente du pain et une coupe d’eau dans les cérémonies de l’initiation et on prononce certaines formules que vous savez ou que vous pouvez savoir.
On se calme Justin ! La nature humaine étant partout la même il n’y a rien de déshonorant à éventuellement emprunter les mêmes itinéraires émotionnels ou spirituels pour escalader à notre tour la montagne et nous rapprocher de la divinité.
Ainsi que l’a bien noté Justin en tout cas « Faites ceci en mémoire de moi » est la parole des 4 évangiles fondatrice du principe même de la messe et plus précisément du sacrement de l’Eucharistie.
Deux écoles s’affrontent à ce sujet.
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Pour les uns il s’agit seulement de se souvenir ou d’avoir présent à l’esprit un événement du passé.
Pour les autres il s’agit carrément de la revivre ou de le faire revivre de façon réelle c’est-à-dire avec des effets physiques et mentaux concrets sur nous.
Discussion.
L’efficacité d’un sacrement est dite ex opere operato, c’est-à-dire par l’acte même. Dans le cas de l’Eucharistie et d’autres sacrements (comme la confession), « l’acte » qui réalise le sacrement inclut dans sa définition le fait qu’il est réalisé par un prêtre. Mais ça reste un acte ex opere operato, parce que sa réalisation ne dépend pas des variations et des humeurs de l’être humain qui le réalise. Un prêtre distrait lors de la messe n’en offrirait pas moins le Sacrifice eucharistique. Quoiqu’il arrive, il est et reste prêtre, et le fait qu’il le soit fait partie intégrante de la définition de « l’action » qui constitue l’eucharistie ; il ne peut en rien influer, par ses propres variations ou faiblesses, sur la validité du sacrement. Tous prétendent bien entendu tenir cette pratique en ligne directe du monde juif puisqu’ils ne connaissent que celui-ci (racisme ?), alors qu’il s’agit vraisemblablement d’un emprunt au culte de Cybèle et d’Attis par le truchement du montanisme dont l’apport fut décisif dans l’expansion au détriment du marcionisme des futurs catholiques orthodoxes de la première chrétienté. Car s’il est bien une opération du Saint-Esprit ayant toutes les apparences de la magie c’est en effet la transformation de pain et de vin en sang et en chair d’un homme-dieu sacrifié. L’eucharistie est psychologiquement parlant un sacrifice HUMAIN associé symboliquement à un acte d’anthropophagie ou cannibalisme sacré.
Il s’agit de s’incorporer la force et les vertus d’un homme (le grand rabbi nazoréen Yehoshua Bar Yossef).
— Qui s’est prétendument offert en sacrifice pour apaiser la colère divine pouvant viser son peuple (à fin de rachat ou rédemption en terminologie chrétienne).
— A été prétendument livré en sacrifice (pour cause de blasphème en terminologie juive).
Rituel psychologiquement bien éloigné du simple partage de pain sans anamnèse évoqué par Matthieu 26, 26, Marc 14,22, Luc 22, 19.
On se perd d’ailleurs en conjecture sur les habitudes et les paroles exactes à ce sujet du grand rabbi nazaréen, ayant pu être interprétées en ce sens en milieu goy ou païen.
Que voulait dire Jésus lorsque, au cours de son dernier repas, après avoir distribué à ses apôtres du pain et du vin, qu’il affirmait être son corps et sang, il prononça ces paroles : « Faites ceci en mémoire (eis tèn émèn anamnèsin) de moi ? » Désirait-il seulement que l’on commémore le souvenir de sa mort, à l’occasion d’un repas à allure cultuelle, ou bien instituait-il véritablement un nouveau type de sacrifice humain destiné à supplanter définitivement, en les transfigurant, par un accomplissement aussi sublime qu’inouï, les sacrifices de l’Ancienne Alliance qui sont « impuissants… à rendre parfaits ceux qui participent au culte divin » (cf. He 10, 1) ? Et, si c’était le cas, entendait-il rompre totalement avec le rituel juif de son époque et avec son symbolisme, ou, au contraire, avait-il tout disposé pour en garder, non seulement la matière et la forme, mais également l’esprit et le symbolisme traditionnels, dans un but connu de lui seul ?
La foi chrétienne, on le sait, considère ces ultimes gestes conviviaux du Christ comme réalisant l’institution du sacrement de l’Eucharistie. Elle tient que leur répétition, ordonnée par Jésus lui-même, a pour effet de rendre sans cesse actuel le sacrifice sauveur de Celui dont la « chair » est « le pain… donné pour la vie du monde » (cf. Jn 6, 51).
La théologie chrétienne s’efforce de rendre compte du mystère en termes humains et par voie d’analogie. Mais elle doit surmonter d’immenses difficultés, dont la principale réside dans l’incroyable réalisme de la manducation d’aliments, réputés être la chair et le sang du Christ.
Les propagandistes du christianisme ont coutume quand ils parlent du halo de mystère entourant ce sacrement de réfuter tout reste de pensée magique en se référant à la pâque juive et en insistant bien sur le fait que Jésus et ses disciples… étaient juifs. Mais ce qu’il y avait dans la tête des disciples juifs du grand rabbin nazoréen Jésus est une chose ET CE QU’IL Y AVAIT DANS LA TÊTE DES PAÏENS ENTENDANT LA FORMULE DE L’ANAMNÈSE : eis tèn émèn anamnèsin /faites ceci en mémoire de moi…… EN EST UNE AUTRE… qui s’apparente plus à ce que nous dit Mircea Eliade de l’actualisation des mythes.
« Dans la religion comme dans la magie, la périodicité signifie avant tout l’utilisation indéfinie d’un temps mythique rendu présent. Tous les rituels ont la propriété de se passer maintenant, dans cet instant-là. Le temps qui a vu l’événement commémoré ou répété par le rituel en question est rendu présent, « re-présenté » si l’on peut dire, si reculé qu’on l’imagine dans le temps. La passion du Christ,
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sa mort et sa résurrection ne sont pas simplement commémorées au cours des offices de la Semaine sainte ; elles se passent vraiment alors sous les yeux des fidèles. Et un vrai chrétien doit se sentir contemporain de ces événements transhistoriques puisque, en se répétant, le temps théophanique lui devient présent » (Traité d’histoire des religions, § 149 périodicité et éternel présent).
Vu l’ampleur du rôle joué par les moines irlandais dans l’évangélisation des campagnes du continent européen, il ne sera pas inutile ici de dire deux mots de leur façon d’appréhender le mystère de l’eucharistie.
Depuis l’époque de saint Patrice, les catholiques irlandais ont toujours fait grand cas de l’Eucharistie. Ils l’ont célébrée dans les petites chapelles de leur île, dans leurs villages monastiques, dans leurs cathédrales, et, plus tard, pendant la persécution anglaise, sur des rochers qui tenaient lieu d’autel. L’hymne eucharistique la plus ancienne que nous connaissions est le Sancti venite que l’on trouve dans un texte monastique irlandais du septième siècle, l’Antiphonaire de Bangor. Le célèbre Livre de Kells contient une grande variété d’images eucharistiques. Plus proche de nous, l’icône que l’on associe à l’apparition de Notre Dame de Knox comporte un motif eucharistique. Cette grande estime des Irlandais pour l’Eucharistie a peut-être ses racines chez leurs ancêtres, qui, comme beaucoup d’autres peuples, ont laissé des signes impressionnants de leur quête d’absolu. Le monument de Newgrange, qui date de l’âge de pierre, dans la vallée de la Boyne, fut par exemple érigé de façon à exprimer leur volonté de célébrer à la seule chose qui, selon eux, ne passait pas – le renouvellement annuel de la terre par le soleil. Ce qui était célébré chaque année lors du solstice d’hiver à Newgrange était en quelque sorte une intuition (inspirée par l’Esprit saint ?) au niveau cosmique, du Mystère Pascal de la mort et de la résurrection.
D’une manière générale, les églises réformées mettent plus l’accent sur la liturgie de la Parole, et le catholicisme sur le rite de l’Eucharistie. Mais il suffit de regarder trente secondes ce qu’est devenu le judaïsme après la destruction du Temple (ou l’islam) pour réaliser que le rite central du christianisme, la messe, n’a rien de spirituellement sémite, pour reprendre le mot de Pie XI.
La tendance de toujours des intellectuels chrétiens est caractérisée par une obsession maladive pour l’étude de l’arrière-plan cultuel judaïque, sous-jacent à la forme qu’a prise, dès les origines de l’Église, ce que le christianisme nomme le « sacrement de l’Eucharistie ».
C’est faire peu de cas, sans doute par racisme inconscient…………
Premièrement qu’aucun geste comparable n’est accompli dans les synagogues d’aujourd’hui.
Deuxièmement que ce genre de cérémonies a commencé à se développer dans les milieux païens du Moyen-Orient.
Luc 22,19. « Ensuite il prit du pain ; et, après avoir rendu grâces, il le rompit, et le leur donna, en disant : ceci est mon corps, qui est donné pour vous ; faites ceci en mémoire de moi ».
Or ce n’est qu’après saint Paul, par définition, que cette conception de la Cène sera incorporée dans l’Évangile selon saint Luc, puisque ce dernier est POSTÉRIEUR aux lettres de saint Paul.
1 Corinthiens 11,24. « Et, après avoir rendu grâces, le rompit, et dit : Ceci est mon corps, qui est rompu pour vous ; faites ceci en mémoire de moi ».
1 Corinthiens 11,25. « De même, après avoir soupé, il prit la coupe, et dit : Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang ; faites ceci en mémoire de moi toutes les fois que vous en boirez ».
Le fait que la formule de l’anamnèse ne figure que dans Luc et Saint Paul montre bien qu’elle était destinée au monde goy ou non juif. La question est donc, que signifiait ce mot grec anamnesis pour des habitants de Corinthe au premier siècle de notre ère ?
La conception, quelque peu magique, de l’eucharistie, n’a pu qu’être empruntée aux religions païennes orientales comme le culte de Cybèle, peut-être par l’intermédiaire de Montan, qui fut l’un de ses prêtres avant de passer, avec tout son acquis culturel, au christianisme. Avec le succès que l’on sait. Ce nouveau prophète, soi-disant inspiré par le Saint-Esprit, eut en effet une influence considérable sur les rites du christianisme naissant.
Les marcosiens mentionnés par Irénée à la fin du second siècle de notre ère se servaient par exemple de philtres et de potions magiques lors de l’eucharistie (d’après Irénée. Adversus Haereses. 1,13) et Ignace d’Antioche lui-même, quelques années auparavant, considérait aussi l’eucharistie comme un médicament d’immortalité : pharmakon tes zoes en grec (au début du second siècle de notre ère).
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AELRED ARNESEN ET LE MYTHE DE L’ANAMNÈSE.
« Les théories sur ce qui se passe lors de l’eucharistie se fondent généralement sur une phrase ou un mot des saintes Écritures pris au sens littéral. La doctrine médiévale de la transsubstantiation indique que Dieu, agissant dans l’eucharistie, effectue un changement radical de la réalité intrinsèque du pain et du vin. C’est fondé sur les paroles de Jésus lors de la dernière Cène : « Ceci mon corps », « Ceci est mon sang ». La célèbre formule d’Ignace d’Antioche : « l’eucharistie est la chair de notre Sauveur Jésus-Christ » a souvent été cité à l’appui. Mais la théorie moderne de l’anamnèse, fondée sur les mots ajoutés par saint Paul au récit de cette institution, « Faites ceci en mémoire (anamnèse) de moi », refuse d’admettre la signification simple et littérale du mot anamnèse ! Cette théorie affirme en général qu’anamnèse signifie « appeler de nouveau » ou « re-présenter, à nouveau » devant Dieu, un événement du passé, de sorte qu’il agisse hic et nunc encore une fois réellement de par ses effets. » Mais dans les dictionnaires et les lexiques, l’anamnèse, à la fois dans la Septante et dans le Nouveau Testament, signifie seulement « rappeler », « se rappeler ». C. F. Evans, dans son commentaire sur Luc, traduit « eis t’n anamn'sin »' en « ayez-moi présent à l’esprit ». L’idée selon laquelle, dans les cinq occurrences du mot dans « Septante », il reflète un rituel de sacrifice juif, vient de cette conception de l’anamnèse en tant que « rappel » d’un événement du passé. Darwell Stone, après avoir passé au crible ces preuves, en a conclu que le terme « mémorial » suggère naturellement, sans que cela soit néanmoins nécessaire, le sens de mémorial sacrificiel devant Dieu ; et que, dans le cas de l’institution de l’Eucharistie, la probabilité d’un sens sacrificiel de ce terme est grandement renforcée par l’usage du mot « alliance » juste avant. Stone a été suivi par d’autres dans cette voie et notamment par Stephen Bedale qui a conclu en 1953 que « le mot anamnèse dans chacune de ses utilisations dans la LXX se réfère exclusivement « à Dieu ». Dans son article sur l’anamn'sis dans la LXX, et l’interprétation de 1 Corinthiens 11, 25, pour conclure son étude de ces passages et de quelques autres, D.R. Jones écrit néanmoins «… l’utilisation du mot anamnisis dans la LXX implique trop d’ambiguïtés pour donner crédit à une interprétation particulière de ces passages du Nouveau Testament. Jones y ajoute également le commentaire de Buchanan Gray selon lequel « les tentatives d’interprétation du eis t’n em‘n anamn‘sin de Jésus à la lumière du rituel sacrificiel juif en tout cas ne permettent pas d’expliquer le em’n ».
Arrivés à ce point de notre exposé nous en revenons à Dix car, depuis la publication de son livre sur les formes liturgiques en 1945, c’est lui qui a joué le plus grand rôle dans la diffusion de la théorie de l’anamnèse. Dom Grégoire, en exposant explicitement cette théorie dans son livre, pensait qu’aujourd’hui les mots « mémoire » ou « mémorial » signifient bien uniquement se souvenir mentalement de quelque chose qui est absent. Aussi a-t-il soutenu que durant l’antiquité on en avait une compréhension plus dynamique, «… il faut tenir compte de ce sens premier, alors généralement partagé dans une église très majoritairement hellénophone, du mot anemnesis, comme signifiant « rappel »ou « représentation » d’une chose afin qu’elle ne soit pas tant considérée comme étant « absente », que comme étant vraiment agissante de par ses effets.
C’est un sens que le mot latin memoria et ses dérivés ne rendent pas exactement ». Dix poursuit en appliquant une telle acception du terme à l’eucharistie: « C’est dans ce sens actif, donc, de « rappel » ou de « représentation » devant Dieu du sacrifice du Christ, le faisant ainsi agir hic et nunc effectivement dans les communiants, que l’eucharistie est considérée, à la fois par le Nouveau Testament et par les écrivains du deuxième siècle ».
Dix cite trois textes à l’appui de sa théorie de l’anamnèse – Nombres 5,15 ; 1 Rois 17,18 et Hébreux 10, 3-4. Dans ces textes, Dix entendait traduire anamnèse par « rappel », mais l’hébreu sous-jacent au texte de la Septante signifie en fait clairement « souvenir » sous une forme ou une autre. 1 Rois 17,18 est par exemple traduit par Dix comme – « la veuve de Sarepta se plaint qu’Élie est venu » rappeler « au souvenir (de Dieu) sa faute, et donc que son fils en est mort ».
Dans la NBA c’est ainsi traduit : « Que t’ai-je fait pour que tu agisses ainsi, homme de Dieu ? Tu es venu pour mettre en lumière ma faute et faire mourir mon fils ». En l’occurrence l’hiphil du verbe zkr est utilisé dans un sens signifiant apparemment « accuser » (devant Dieu). On peut noter que
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Westcott a souligné dans son commentaire sur Hébreux 10, 3-4 qu’anamnesis hamartion signifiait dans ce passage « remémoration des péchés ».
Dans le cas des écrivains du deuxième siècle auxquels Dix se réfère, il est bien connu que leur description de l’eucharistie était assez réaliste. Ignace, Justin et Irénée fournissent des cas très clairs d’une telle utilisation. Justin dit par exemple que l’eucharistie «… est la chair et le sang de ce Jésus qui s’est fait chair. » Mais aucun des écrivains pré-nicéniens n’a théorisé ce qui était supposé se produire lors de l’eucharistie. Ils écrivaient pour répondre aux objections des gnostiques et des païens et se préoccupaient simplement d’affirmer que l’eucharistie chrétienne était vraiment l’adoration du Seigneur crucifié, mais toujours vivant.
Ni les textes de l’Ancien Testament que nous avons examinés ni les écrivains du deuxième siècle ne semblent soutenir la théorie de Dix. Bien sûr, il écrivait au début du soi-disant mouvement de la théologie biblique et à l’époque, il ne semblait pas curieux de construire toute une théorie sur un mot qui aurait eu un sens spécial pour les écrivains bibliques. On croyait alors qu’il y a quelque chose appelé « mentalité hébraïque », pour laquelle nos conceptions du passé, du présent et du futur étaient inappropriées. Depuis le travail de James Barr, Sémantique du langage biblique (1961), une telle idée a été largement discréditée. Mais malheureusement, la polémique liturgique héritée du temps de la Réforme ne pouvait pas être évitée en 1945. Comme on le verra, le plaidoyer de Dix en faveur de la théorie de l’anamnèse n’était pas sans rapport avec son point de vue selon lequel l’eucharistie protestante n’était qu’une remémoration personnelle de l’œuvre rédemptrice du Christ.
Avant d’en venir à la forme prise aujourd’hui par la théorie de l’anamnèse, nous devons dire deux mots des deux autres façons dont elle est défendue aujourd’hui.
On recourt tout d’abord au travail d’anthropologues comme Mircea Eliade. L’une des idées d’Eliade et de quelques autres auteurs est en effet qu’un culte a pour objet principal de renouveler les événements primordiaux consacrés dans les « mythes ». Pour vraiment retrouver l’époque primordiale des débuts, il fallait re-vivre ou répéter, le mythe, de façon cyclique et régulière. La vie de la communauté en tant que corps social se traduisait plus particulièrement dans un repas sacré, et le mythe renouvelé par une répétition rituelle. « Dans la religion comme dans la magie, la périodicité signifie avant tout l’utilisation indéfinie d’un temps mythique rendu présent. Tous les rituels ont la propriété de se passer maintenant, dans cet instant-là. Le temps qui a vu l’événement commémoré ou répété par le rituel en question est rendu présent, « re-présenté » si l’on peut dire, si reculé qu’on l’imagine dans le temps ».
Nous verrons que cette approche n’a rien ou presque rien à voir avec les présupposés du Nouveau Testament.
Deuxièmement, il est devenu courant de se référer à ce qu’on prétend être un usage sémite de l’anamnèse au premier siècle…
NDLR. La fuite hors d’Égypte n’ayant jamais eu lieu historiquement parlant, nous enchaînerons directement sur la suite de cet article du théologien anglican ou catholique Aelred Arnesen sur l’eucharistie.
En pratiquant l’anamnèse, dit-on, le Christ, ou les effets de sa passion, sont actualisés dans l’eucharistie. J. D. Crichton soutient : « qu’en effectuant ce mémorial (des événements passés de la miséricorde salvatrice de Dieu) nous demandons également que leur pouvoir salvateur soit rendu présent ici et maintenant… et parce que nous le faisons selon le commandement du Christ… Christ se rend effectivement présent pour nous dans la plénitude de son activité rédemptrice.
Le frère George Guiver fait le lien avec l’idée de mythe primordial : « La signification complète du mot grec anamnèse est commémoration, célébrée de manière à susciter la présence réelle hic et nunc de la personne et des actes commémorés, à la façon dont la réactualisation des mythes a toujours procédé ». Crichton commente également le travail de Dom Odo Casel sur le continent pour promouvoir la vision de l’eucharistie en tant que « mystère ». » Mais quelle est alors la signification particulière de l’utilisation du mot mystère dans la liturgie ? C’est un lien entre le passé et le présent, ou plutôt il considère le passé pour retrouver le pouvoir de l’événement primordial et rendre présent son pouvoir hic et nunc afin que le fidèle puisse rencontrer le Christ rédempteur ». Crichton écrit plus précisément : «… par le mystère liturgique, nous actualisons l’événement passé, en le rendant présent… »
Il ne semble pas que la théorie de l’anamnèse puisse être fondée sur le sens de ce mot dans les usages sémites du premier siècle. Les rites primordiaux des sociétés primitives n’ont rien à voir avec la foi chrétienne, qui est une relation personnelle directe avec Jésus-Christ.…
Les Réformateurs ont rejeté la théorie de la transsubstantiation selon laquelle la réalité intrinsèque du pain et du vin était transformée en corps et en sang du Seigneur parce qu’ils ont prétendu que cela revenait à nier la nature même d’un sacrement. La théorie de l’anamnèse a un effet pervers comparable en ce qu’elle porte atteinte à la foi en la résurrection du Seigneur qui est toujours là
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devant nous et qui nous appelle à l’adoration. Il est remarquable que, dans ces théories liturgiques sur ce qui se passe au moment de l’eucharistie, tous leurs auteurs, sans exception, partent, non de la personne de Jésus, telle que les rédacteurs du Nouveau Testament l’expriment dans notre relation avec elle en tant que disciple, mais de textes liturgiques et de termes bibliques insérés fort peu naturellement dans l’appréhension du rituel. Il en résulte que l’eucharistie semble être quelque chose que nous devons activer, suivant un rite précis, plutôt qu’une réponse à l’action prévenante du Christ en Esprit lorsque nous répondons au Père qui nous appelle à son culte. Nous devons nous demander : « Quel genre de Dieu est-ce qui exige le culte dont parle la théorie de l’anamnèse ? Est-ce le Père de Jésus ou un dieu des abstractions ? Ainsi que le dit Käsemann, commentant les problèmes qu’a rencontrés Paul avec la célébration de l’eucharistie à Corinthe (cf. 1 Corinthiens 11, 23-34) : l’Apôtre soutient contre toute interprétation magique, métaphysique ou mystique erronée, que c’est le Kyrios lui-même qui se manifeste en personne afin de se saisir de notre volonté, exiger notre obéissance et agir comme étant bien notre Seigneur » (Frère Aelred Arnesen).
Note de la rédaction. Les chrétiens comme d’habitude s’attribuent le bénéfice de raisonnements ou de justifications QU’ILS REFUSENT AUX AUTRES (aux païens aux juifs, etc.)
Oublions donc un instant ce mot d’anamnèse qui embrouille les pistes, et disons plus simplement que par le sacrement de l’Eucharistie le prêtre chrétien évoque la personne du christ. Les mots évoquer ou évocation désignant dans le lexique de la magie l’opération ayant pour résultat de faire apparaître devant l’opérateur l’entité non humaine surhumaine dont il souhaite solliciter les services.
Encyclopédie en ligne Wikipédia. L’évocation est l’action consistant à convoquer ou appeler un esprit, un démon, un dieu ou un autre agent surnaturel, dans la tradition occidentale des mystères. Des pratiques comparables existent dans de nombreuses religions ou traditions magiques et peuvent avoir recours pour cela à des substances qui modifient les états de conscience avec ou sans paroles.
À Rome l’evocatio c’était « l’appel » ou « la convocation » de la divinité tutélaire d’une ville. Le rituel était effectué dans un cadre militaire soit pour faire pression lors d’un siège ou à la suite d’une reddition, et visait à détourner la puissance du dieu de la ville ennemie en faveur au côté romain, habituellement par la promesse d’un culte mieux assuré ou d’un temple plus somptueux. L’évocation des esprits était une pratique relativement courante dans le néo-platonisme, la théurgie ou d’autres systèmes ésotériques de l’antiquité. Dans l’ésotérisme occidental contemporain, la magie des grimoires est souvent considérée comme l’exemple classique de cette pratique. Des manuels tels que la Clavicule de Salomon (ou Lemegeton), la Magie sacrée d’Abramelin le Mage et beaucoup d’autres, fournissent des modes opératoires combinant dévotion intense envers la divinité, mais aussi convocation de toute une escouade de conseillers spirituels et d’esprits familiers.
Mais revenons à nos moutons et plus précisément à notre agneau pascal, car le meilleur moyen de démystifier quelque chose est d’en faire l’histoire. Rien de tel en effet que de faire l’histoire (impartiale neutre et objective) d’un phénomène, pour le mettre à nu. Car le roi est toujours nu à l’issue d’un tel processus.
Histoire de ce sacrement donc.
Au début du christianisme, l’eucharistie est célébrée à la maison. Cela se passe d’abord dans le cadre des repas, puis on distingue (saint Paul y fait allusion en 1 Co 11) le culte eucharistique proprement dit de ces repas habituels ; pour éviter sans doute à la fois les abus (voire les ivresses) et les inégalités, afin de donner au repas eucharistique son caractère unique. C’est au cours du IIe siècle que ce repas frugal, occasion de célébrer la mémoire du fondateur, devient une opération de type « magique », sans doute originaire du culte d’Attis ou de Cybèle en Asie Mineure via le montanisme. L’Eucharistie est aussi appelée Sacrement de la Résurrection, car elle est nécessaire à la résurrection générale des corps. Certains appellent d’ailleurs la communion eucharistique un médicament pour avoir la vie éternelle. Voir plus haut Ignace d’Antioche : pharmakon tes zoes en grec (au début du second siècle de notre ère).
Mais c’est également au cours de ce même IIe siècle que les récits évangéliques et diverses lettres seront lus et commentés lors de l’Eucharistie, au même titre que les textes du Premier ou Ancien Testament, conformément à l’usage synagogal.
Jusqu’au début du IVe siècle, il n’y a pas d’église. Seul l’évêque préside la cérémonie. Mais tous y participent, du moins ceux qui sont baptisés, car les catéchumènes sont introduits progressivement à ce mystère : ils ne participent qu’à la liturgie de la Parole, de même que les pénitents.
Dès cette époque, on trouve l’essentiel du déroulement de la messe.
La première partie.
— Le rassemblement.
— La lecture d’un texte et son explication ou son commentaire.
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— Une grande prière.
— L’apport du pain et du vin.
La deuxième partie, dont sont exclus les non baptisés et les pénitents (les lapsi ayant failli lors d’une des deux seules persécutions officielles par exemple), comprend l’Action de grâces qui consacre ce pain et ce vin. C’est le président de la célébration qui dit la grande prière eucharistique, elle résulte de sa libre inspiration, dans le droit fil de la tradition juive de la prière synagogale. Les diacres assurent le service de la communion. Cette communion sera portée aux absents dès la fin du rassemblement.
L’offertoire (moment où l’on offre le pain et le vin sur l’autel) peut se pratiquer de deux manières différentes. Ou bien le pain et le vin déjà prêts sont apportés processionnellement, comme le font l’Orient et la Gaule (c’est d’ailleurs là une des explications possibles du succès de la procession du Graal) ; ou bien les fidèles s’avancent pour offrir le pain et le vin apportés de chez eux, comme c’est l’usage à Rome.
Vers l’an 220 ou 250, l’ouvrage intitulé « La Tradition apostolique » (due à Hippolyte de Rome ?) témoigne d’une liturgie encore commune à l’Orient et à l’Occident. Il n’en est plus de même au IVe siècle, où rites et prières se développent et se compliquent, se transforment et s’enrichissent.
À partir de la fin du IVe siècle, c’est par le mot de « messe » (à la fin de la célébration, le diacre disait : « Ite missa est, « Allez, c’est fini ») que l’on désignera, en Occident, l’ensemble de la célébration.
Dans la messe catholique, l’actualisation du sacrifice se traduit par la consécration du pain et du vin, qui deviennent le corps et le sang du Christ ; cette transformation porte le nom de transsubstantiation (le pain et le vin changent de substance et non de nature).
Le sacrement de l’Eucharistie est appelé aussi communion, parce que les fidèles sont conviés à partager le corps et le sang du Christ sous la forme du pain et du vin. Il ne peut pas y avoir de messe sans communion, puisque le prêtre communie nécessairement, mais la communion des fidèles n’est pas obligatoire. Inversement, la communion est possible en dehors de la messe (par exemple, pour les malades), mais les espèces sont nécessairement consacrées au cours d’une messe.
Dans les liturgies d’Occident (et contrairement aux liturgies orientales, qu’elles soient catholiques ou orthodoxes), l’hostie qui est consacrée est un pain fait de farine de blé sans levain. Aussi, les hosties se conservent bien et prennent peu d’espace. Depuis plusieurs siècles, l’Église catholique utilise du vin blanc, le vin rouge risquant de tacher les linges blancs, mais le symbolisme du sang du Christ n’y a pas survécu.
La communion est valable sous l’une ou l’autre des espèces, ou sous les deux, et peut toujours être effectuée sous chacune de ces trois formes. Concrètement, pour des raisons pratiques, la communion se limite usuellement au pain, sous forme d’hostie. La communion au sang du Christ, sous forme de vin, est plus compliquée et soulève des questions d’hygiène (boire avec le calice les uns après les autres). Il existe aussi la communion par « intinction », pour laquelle le prêtre trempe une partie de l’hostie dans le « précieux sang » et dépose aussitôt cette hostie sur la langue du communiant. La communion sous l'« espèce » (sous la forme, l’apparence) du vin est rétablie pour les fidèles dans certaines cérémonies à caractère particulièrement exceptionnel (mariage, confirmation, etc.).
Après la communion, le prêtre doit finir le vin consacré, et procéder à une purification des récipients vides pour en éliminer toute trace de matière consacrée. S’il reste des hosties, elles peuvent être placées dans un ciboire recouvert enfermé dans le tabernacle. Si le prêtre ne peut placer les hosties consacrées dans le tabernacle, il faut qu’il les consomme (ou les fasse consommer à des fidèles).
Le dogme de la transsubstantiation/consubstantiation
Cette doctrine générale se décline de façons différentes selon les confessions chrétiennes.
Les Églises catholiques et orthodoxes professent la présence réelle du Christ, en son corps et son sang, sous les apparences (« espèces ») du pain et du vin, la Transsubstantiation.
Les calvinistes affirment que Jésus est présent lors de la messe, mais non dans l’Eucharistie elle-même, dans l’âme des fidèles, et les luthériens parlent de Consubstantiation.
La question de la présence « réelle » ou pas (seulement symbolique) du corps et du sang du Christ fut soulevée dès le Moyen Âge.
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Au IVe concile de Latran (1215), la présence réelle est pour la première fois proclamée lors d’un concile, sous la forme du dogme de la transsubstantiation, en employant le terme aristotélicien de substance. Thomas d’Aquin précise le dogme dans sa Somme théologique.
Lors de la Réforme protestante, l’aspect sacrificiel de la messe a été rejeté par certains réformateurs. Le dogme a été contesté et la célébration dominicale a pris un sens plus ou moins différent dans les diverses confessions réformées.
Les luthériens ont gardé l’essentiel de la liturgie catholique, mais ont redéfini le dogme, parlant de consubstantiation (sous l’apparence du pain et du vin, il y a simultanément la réalité du corps du Christ et du pain, ou du sang du Christ et du vin).
Conclusion : ce rapide essai sur les sacrements du christianisme voulait simplement rappeler que l’histoire des sacrements (et des dogmes) n’est ni simple (ce que l’on savait déjà), ni linéaire (ce qu’on oublie parfois) et que leurs définitions successives subissent le poids des mentalités d’une société autant qu’elles les façonnent.
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LE « SACREMENT » DU MARIAGE.
Les guillemets s’imposent, car pour ce qui est du mariage, l’Église considère traditionnellement que ce sont les époux qui se le confèrent mutuellement, le prêtre (ou bien le diacre, voire l’évêque) n’en étant que le témoin obligatoire.
Catéchisme de l’Église Catholique
1623 Selon la tradition latine, ce sont les époux qui, comme ministres de la grâce du Christ, se confèrent mutuellement le sacrement du mariage en exprimant devant l’Église leur consentement. Dans la tradition des Églises orientales, les prêtres ou évêques qui officient sont les témoins du consentement mutuel échangé par les époux, mais leur bénédiction est nécessaire aussi à la validité du sacrement.
HISTOIRE DE CE CURIEUX « SACREMENT ».
La tradition de célébrer le mariage dans un édifice religieux ne date en effet que du haut Moyen Âge ; aucun texte des Évangiles n’y fait allusion. La seule intervention du Christ dans un mariage est celle des Noces de Cana où il ne fera pas de bénédiction, mais où il changera de l’eau en vin, à la demande de Marie, sa mère.
Durant les premiers siècles de notre ère, les chrétiens se marient donc « comme tout le monde ». Le mariage est une fête – et une décision – familiale, publique, mais sans autre personnage « officiel » que le notaire (le cas échéant). Il est très intéressant de noter que la première intervention des évêques dans le mariage concerne ceux qui n’ont pas de père légal, c’est-à-dire les esclaves et les orphelins. Le mariage étant « décision du Père », l’évêque leur tient lieu de père.
Ce n’est qu’à partir de l’empereur Constantin Ier le Grand que l’Église conseilla aux chrétiens de protéger juridiquement le mariage chrétien par le mariage civil romain, lequel pouvait avoir deux régimes : le mariage cum manu et le mariage sine manu.
Contrairement au mariage chrétien, le mariage romain n’était pas fondé sur un consentement initial, mais sur un consentement continu. Faute de consentement, le mariage cesse. Il s’agit d’une affaire privée, et l’autorité publique n’intervient donc pas.
Le mariage était alors une cérémonie privée, qui se déroulait au domicile de la future épouse, et donnait lieu à des réjouissances familiales. Une bénédiction était parfois donnée, mais sans qu’elle ait de valeur officielle. Le mariage était un engagement mutuel, écrit et signé, que la législation impériale encadrait.
La christianisation de l’Empire romain, puis les invasions « barbares » modifièrent ces pratiques.
Avec le déclin de l’Empire romain, l’habitude de signer des tablettes (un écrit) disparut progressivement : seuls des témoins (de la cérémonie, ou de la vie conjugale), désormais, pouvaient justifier de l’existence de l’union.
Du VIIIe au IXe siècle, l’Église intervient davantage. Elle laisse le droit à l’empereur et à ses lois et ne fait toujours pas le mariage. Mais elle propose une morale. Charlemagne ne manquait pas de concubines. Mais ce même empereur prescrivit aux mariés, sous peine de cinquante coups de bâton, de se présenter au prêtre, après le mariage, pour recevoir une bénédiction.
C’est à partir du Xe siècle que se précisera l’intervention de l’Église dans la célébration même du mariage. De la bénédiction du lit nuptial, on passe à la bénédiction donnée au portail de l’église puis à la messe dans l’église. C’est donc à cette époque que, par ses registres de baptême et de mariage, l’Église devient le seul officier d’État civil connu.
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La notion de sacrement, floue au départ, s’affirme au XIIe siècle. Le mariage apparaît pour la première fois comme l’un des sacrements, à côté de l’eucharistie, de la pénitence et du baptême, dans un décret du pape Lucius III contre les hérétiques, en 1184. En 1215, au IVe concile du Latran, tenu sous Innocent III, le mariage est davantage codifié par l’Église qui l’intègre aux sacrements en cours de définition. L’Église catholique poursuit sa réglementation du mariage, en traitant pour la première fois la question pour toute l’Église latine.
Les conditions principales au mariage religieux sont les suivantes…
— Au moins l’un des deux conjoints doit être catholique.
— Aucun des conjoints ne doit être lié par un mariage antérieur valide.
— Ils doivent être vraiment libres dans leur consentement (liberté).
— L’homme et la femme s’engagent définitivement l’un envers l’autre (indissolubilité).
— Ils acceptent la responsabilité d’être parents (fécondité).
La première condition nécessaire est donc d’être baptisé dans l’Église catholique.
Cependant, il est possible qu’un catholique se marie avec une personne qui ne l’est pas.
Dans ce cas et si la personne non chrétienne est en accord avec les éléments essentiels du mariage chrétien et s’engage à respecter la foi de son conjoint, il est possible de demander à l’évêché une « dispense de disparité de culte ».
Si aucun des deux partenaires n’est chrétien, il n’est pas possible de se marier à l’église, car il faut être baptisé pour recevoir un sacrement. Si vous souhaitez vous marier à l’Église et que vous n’êtes pas baptisé, vous pouvez entreprendre une démarche de catéchuménat.
Les personnes veuves peuvent se remarier à l’Église puisque le lien du mariage est un engagement pour la vie terrestre, le lien du mariage n’existe plus dans la vie éternelle.
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7e ET DERNIÈRE GRANDE OPÉRATION MAGIQUE DU CHRISTIANISME : LE SACREMENT DES MALADES.
« Mais quand le Seigneur l’a fait, il l’a fait une fois pour toutes et n’a pas voulu pour autant qu’il en aille de même pour nous. En ce domaine les apôtres recouraient à l’imposition des mains pour le temps qu’il plaisait au seigneur d’élargir à leurs prières les grâces du Saint-Esprit ; non afin que ceux qui viendraient après contrefassent sans résultat ledit signe, vide et vain, comme le font les singes… d’où tiennent-ils l’huile qu’ils appellent huile de salut ? Qui leur a appris à rechercher le salut dans l’huile, et à lui attribuer la puissance de réconforter spirituellement ? » (Calvin. Institution de la religion chrétienne).
Épître de Jacques 5,13-20. « Quelqu’un parmi vous est-il dans la souffrance ? Qu’il prie. Quelqu’un est-il dans la joie ? Qu’il chante des cantiques. Quelqu’un parmi vous est-il malade ? Qu’il appelle les anciens de l’Église et que les anciens prient pour lui en lui appliquant de l’huile au nom du Seigneur.
La prière de la foi sauvera (sosei) le malade et le Seigneur le relèvera (egerei). S’il a commis des péchés, le pardon lui sera accordé. Avouez-vous [donc] vos fautes les uns aux autres et priez les uns pour les autres afin d’être guéris. La prière du juste agit avec une grande force, etc. »
Ce passage de l’épître de Jacques intrigue à plusieurs titres.
1) Parce qu’il semble promettre sans condition un exaucement de la prière (comme Jean 14,13-14).
2) Parce qu’il implique une guérison physique.
3) Parce que l’Église catholique fonde sur ce passage deux de ses sacrements (confession privée et sacrement des malades).
4) Parce qu’oindre avec de l’huile peut sembler une pratique très exotique.
Quatre interprétations ont été données de cette onction d’huile :
1) Il s’agit d’une pratique purement médicinale. On utilisait l’huile d’olive pour des blessures, des maladies de la peau, pour la sciatique et pour de violents maux de tête. Cette présence d’huile (que curieusement Matthieu et Luc suppriment dans leur récit parallèle : Mt 10.1-15 ; Lc 9.1-6) n’a pas d’autre signification que médicinale, selon le commentateur catholique lui-même ! Il faut en effet se souvenir de la vertu thérapeutique de l’huile, reconnue par toute l’antiquité. Les Hébreux l’utilisaient pour guérir les plaies et apaiser les souffrances et Jésus signale cette pratique dans sa parabole du bon Samaritain (Lc 10,34). La friction, quand elle n’est pas de parfum, mais d’huile, est donc un remède. Une des interprétations de ce passage signifierait donc qu’il faut utiliser la meilleure médecine de son temps et prier Dieu de la rendre efficace.
2. Cette huile est le sacrement de l’extrême-onction. Ce sacrement est appelé depuis Vatican II : « l’onction des malades », il est généralement accompagné d’une confession générale avant la mort. Dieu « sauvera » le malade (de ses péchés) et le relèvera (c.-à-d. le ressuscitera).
3. L’huile était utilisée pour renforcer psychologiquement la foi. C’était un adjuvant comme le gâteau de figues d’Isaïe (2R 20 ,7) ou les mouchoirs de Paul (Ac 19,12). Mais Isaïe ni Paul n’ont recommandé ces pratiques comme Jacques recommande l’onction d’huile.
4. L’onction d’huile entre dans la catégorie des gestes symboliques, comme le baptême et la cène. L’huile était utilisée comme symbole de la faveur divine, comme un signe de la présence vivifiante de Dieu. L’onction d’huile sur la tête était un ancien rituel des Juifs pour investir des prophètes (Es 61,1), des prêtres (Ex 29,7) et des rois (1S 10,1).
L’ordre des différents éléments semble être le suivant : 1. le malade appelle les anciens. 2. Les anciens s’enquièrent au sujet de ses péchés passés et insistent pour que le malade s’en repente. 3.
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Les anciens oignent la tête du malade avec de l’huile au nom du Seigneur. 4 Ils prient pour la guérison en croyant que Dieu l’accordera.
Comme tout dépend du sens de ce passage de la lettre quelques mots donc à ce sujet pour la présenter.
L’épître de Jacques, en dépit du début qui est semblable à une lettre (1,1) n’est pas une vraie lettre. Elle n’a pas de structure systématique et régulière. Il ne s’agit en aucun cas d’un développement ou de la défense d’une doctrine, mais principalement d’une exhortation à vivre concrètement l’évangile (les rapports entre la foi et les œuvres).
L’épître de Jacques est peut-être la moins lue de toutes les épîtres du Nouveau Testament. Pourquoi ? Sans doute à cause de son style rugueux, coupé, énergique, marqué par beaucoup d’impératifs (60 sur 108 versets), beaucoup de questions (une vingtaine), des thèmes multiples… Un texte donc difficile à résumer, souvent critique, peu systématique, rare en mentions de Jésus, seulement deux (en 1,1 et 2,1, et de plus sans référence directe ni à son incarnation, ni à sa crucifixion, ni à sa résurrection). C’est un texte sapiential, qui ne peut être exactement ni daté, ni localisé, ni attribué à un auteur connu. Que son auteur soit Jacques « le frère du Seigneur » n’est qu’une hypothèse et les spécialistes la font remonter à une date située entre 70 (terminus a quo) et 130 de notre ère (terminus ad quem).
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire dans notre chapitre consacré à l’élaboration du canon, son seul intérêt peut-être est de contenir un passage pouvant justifier l’existence du sacrement des malades dit autrefois extrême-onction.
Nous avons dans cette épître un aperçu de la nature du christianisme vécu par des Juifs convertis ou des pagano-chrétiens, mais vivant encore sous une très forte influence de l’A.T. Ce livre n’a pas reçu l’empreinte des Épîtres de Paul.
Ainsi que mentionné le passage qui nous intéresse est constitué par les versets 14 à 16 du chapitre 5.
Tout le problème vient des termes grecs astheneo et sosei ou egerei qui peuvent tous les deux signifier guérison physique…… ou spirituelle.
Toute la question est donc de savoir s’il s’agit dans ces versets de maladies physiques ou de faiblesses spirituelles.
« Quelqu’un parmi vous est-il dans la souffrance ? » Le terme grec kakopatheo signifie littéralement : souffrir d’une maladie. Le mot est employé sans préfixe dans 2Tm 2.9 ; 4.5 et, avec un préfixe, dans 1,8 et 2,3. Dans ces textes du NT, il s’agit certainement de souffrance physique.
« Quelqu’un parmi vous est-il malade ? » : Le terme grec astheneo, littéralement faible, fragile, est utilisé pour décrire une maladie physique dans Jn 5,3- 7 et ailleurs. Dans Rm 5,6 ; 8,3, et 26, pour parler de la faiblesse morale.
Mon ami de plume de jadis, en matière d’histoire celte, F. Vouga, relève la différence entre les deux verbes employés dans ce passage : sauver et relever. Sauver est employé par Jacques dans 4 passages :
— 1.21 : ‘… recevez la parole plantée en vous et capable de vous sauver la vie’ (sosai tas psuchas humon).
— 2.14 : ‘À quoi sert-il, mes frères, que quelqu’un dise avoir la foi s’il n’a pas d’œuvres ? La foi peut-elle le sauver ?’
— 4.12 : ‘Il n’y a qu’un seul législateur et qu’un juge, celui qui peut sauver et perdre…’ sozo est ici opposé à apollumi.
— 5.20 : ‘Sachez que celui qui ramènera un pécheur du chemin où il s’égarait sauvera sa vie (de la mort) et fera disparaître une foule de péchés’.
Dans ces quatre passages, sozo a une signification sotériologique et eschatologique. On en conclura que, quelle que soit la valeur des futurs sosei et egerei, c’est le sens qu’il faut lui donner également en 5,15. On constate d’ailleurs que Jacques, qui emploie ici sozo à propos de l’exaucement de la prière
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pour le malade, alors, qu’on attendrait iaomai (guérir), emploie inversement iaomai au verset 16 où l’on attendrait sozo. Ce renversement de l’emploi des verbes est déterminant. Il indique…
1. Que la prière des anciens sur le malade n’a pas pour but principal sa guérison, mais son salut. En d’autres termes, en affirmant que la prière de la foi sauvera le malade, Jacques dit sa confiance absolue en l’exaucement éventuel, c.-à-d. en la fidélité de Dieu qui accompagne le frère dans sa maladie et sa souffrance.
2. Cette première affirmation est commentée par la seconde : ‘et le Seigneur le relèvera ou ‘le ressuscitera’. En maintenant l’ambiguïté d’egerei, Jacques laisse Dieu libre de la manière dont il répondra : sera-ce par la guérison, ou en donnant au malade de vivre sa maladie autrement ? Jacques laisse cette question ouverte.
Dans un article de Bibliotheca Sacra de juillet-septembre 1981 (pp. 258-266), Daniel R. Hayden a examiné ce passage. Sa thèse est qu’il ne se rapporte pas à des maladies physiques, mais au relèvement spirituel de personnes découragées ou déprimées.
Hayden attire notre attention sur le caractère unique de ce conseil dans tout le NT : il n’existe aucune mention de ce devoir des anciens dans les épîtres de Paul – qui mentionnent pourtant le don de guérison.
Puisque ce don de guérison existait dans l’Église primitive, pourquoi Jacques ne demande-t-il pas que l’on appelle un frère qui possède ce don ? La fonction des anciens est d’encourager les membres de leur Église. Les membres plus faibles doivent appeler les anciens, qui sont plus forts, pour être encouragés et pour qu’ils prient à leur intention. La mention d’un péché qui doit être confessé et pardonné confirme qu’il s’agit de problèmes spirituels… ce passage de Jacques se rapporte donc à la guérison des psychasthéniques et des découragés et non à celle des maladies physiques.
Le plaidoyer de Hayden ne manque pas d’originalité, mais ses arguments ne sont guère convaincants ; en particulier son interprétation de l’onction d’huile comme simple signe d’encouragement
Certes, le verbe asthenein s’utilise parfois pour désigner autre chose que la maladie physique, par exemple une faiblesse religieuse, morale, psychologique ou même économique, mais ce n’est pas le cas ici. L’auteur s’en sert vraiment pour parler d’une maladie physique. Plusieurs indices qui se corroborent mutuellement l’établissent.
Le verbe sozein a plusieurs sens dont les principaux sont : a) garder des dangers naturels ou soustraire à la détresse (maladie, possession) ; b) sauver de la mort éternelle, du jugement et de ce qui y mène : préserver du péché.
L’auteur de la lettre ne promet pas : « la prière de la foi guérira les malades ». Il dit : « le Seigneur les relèvera ». Ce relèvement peut se traduire par une guérison (immédiate ou progressive), ou par une nouvelle force pour faire face à son état de malade et pour porter ses souffrances.
Et il ajoute : « S’il a commis quelque péché, il lui sera pardonné ». L’ordre de se confesser mutuellement les péchés vient directement après.
Que signifie la phrase : « Le Seigneur le relèvera » ?
Marc nous Luthi dit que le verbe traduit par ‘relever’ (egerei) est très fréquemment utilisé pour parler de la résurrection… À plusieurs reprises, Jésus donne à celui qu’il guérit l’ordre de se lever (Matthieu 9,5 ; Luc 7,14 ; 8,54 ; Jean 5, 8). Il s’agit toujours de malades ou de handicapés, alités ou à même le sol, et ils sont remis sur pieds. Ainsi dans ce contexte de maladie, déterminant pour le choix du sens de ‘relèvera’, il faut entendre une promesse de salut pour le corps. Ce qui la distingue de la promesse précédente, c’est l’accent placé sur la remise sur pieds, c.-à-d. le retour à une vie active.
Il est clair que Jacques traite de la guérison physique, non d’une préparation spirituelle à la mort, et que c’est l’action du Seigneur qui opère la guérison, et non l’huile, l’imposition des mains, ni la puissance des anciens.
Question maintenant. Pourquoi cette pratique préconisée par Jacques n’a-t-elle pas été davantage prise au sérieux au cours de l’histoire de l’Église ?
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C’est la question que pose Marc Lüthi. Il y donne trois réponses.
1) La désaffection dont l’épître de Jacques a souffert au cours de toute l’histoire de l’Église (retards de son admission dans le canon, contestation du nom de son auteur et de son apostolicité).
2) Caractère de son message qui se situe davantage à la périphérie de l’Évangile et ne mentionne pas les thèmes centraux de la foi. Discrédit jeté sur l’épître par Luther à cause de son insistance sur les œuvres.
3) Évolution de la compréhension et de l’application de Jacques 5,14-16 au cours des siècles.
a) Durant les 8 premiers siècles, l’attention des fidèles était tournée vers la guérison du corps. L’onction des malades était considérée comme un remède surnaturel, quasi magique.
b) Jusqu’à la veille de la Réforme, l’onction était destinée à préparer les fidèles au trépas (« extrême onction »).
c) Dès le 16e siècle, le texte de Jacques a été mis en rapport avec les dons spirituels, qui étaient considérés comme limités dans le temps (au temps des apôtres). Calvin dans son célèbre pamphlet consacré à l’institution chrétienne a même été jusqu’à parler de singeries pour traiter de la pratique de l’extrême-onction. « Mais quand le Seigneur l’a fait, il l’a fait une fois pour toutes et n’a pas voulu pour autant qu’il en aille de même pour nous. En ce domaine les apôtres recouraient à l’imposition des mains pour le temps qu’il plaisait au seigneur d’élargir à leurs prières les grâces du Saint-Esprit ; non afin que ceux qui viendraient après contrefassent sans résultat ledit signe, vide et vain, comme le font les singes… d’où tiennent-ils l’huile qu’ils appellent huile de salut ? Qui leur a appris à rechercher le salut dans l’huile, et à lui attribuer la puissance de réconforter spirituellement ? Est-ce saint Paul, qui… ? »
Alec Motyer retrace brièvement les étapes qui ont amené l’Église catholique à appliquer ce texte à l’extrême onction.
Vers le 3e siècle s’est introduite l’habitude de faire « consacrer » par l’évêque, l’huile utilisée pour l’onction des malades.
Vers le 10e siècle, c’était de plus en plus un prêtre consacré qui procédait à l’onction des malades.
Vers le 12e siècle qu’apparaissent les expressions d’ « extrême onction » et de « sacrement des mourants ».
Le nom d’extrême onction ne se généralise en Occident que vers la fin du XIIe siècle, et n’est jamais devenu courant dans le christianisme oriental. Ce sacrement était auparavant connu par toutes sortes d’autres noms comme « saintes huiles », « onction des malades » « onction de Dieu », etc.
Dans les Églises d’Orient, le nom technique pour désigner ce sacrement fut par la suite euchelaion (la prière – huile) ; mais d’autres noms ont été et sont encore en cours d’utilisation, par exemple elaion hagion (huile sainte), etc.
Au 13e siècle, la cérémonie de l’onction a été reconnue comme étant l’un des « sept sacrements » institués par le Christ lui-même, de sorte que le Concile de Trente (à partir de 1545) a pu prononcer l’anathème sur quiconque nie que l’extrême-onction est un sacrement institué par le Christ… promulgué par le bienheureux apôtre Jacques ou qui nie que cette onction confère la grâce et remet les péchés » ou qui pense que les anciens auxquels Jacques se réfère ne sont pas des prêtres ordonnés par un évêque.
Le terme extrême-onction a néanmoins à peu près disparu du vocabulaire de l’Église. Il est remplacé aujourd’hui par « sacrement des malades ».
Certains théologiens expliquent aussi l’origine de son ancien nom par le fait que cette onction était considérée comme la dernière dans l’ordre des onctions sacramentelles ou quasi sacramentelles, les 3 premières étant le baptême, la confirmation, et l’ordination ; mais, compte tenu de la situation au moment où le nom apparaît, il est beaucoup plus probable qu’il désignait bien une onction prévue pour ceux qui étaient à l’article de la mort, d’autant plus que le nom correspondant, sacramentum exeuntium, est entré dans l’ usage courant au même moment.
D’autres élargissent cette explication et l’appellent ainsi…
— D’une part parce qu’elle est la dernière des onctions que peut recevoir un chrétien, après celles du baptême et de la confirmation et, pour les clercs, celle de l’ordination.
— D’autre part parce qu’elle est un sacrement qui nous aide à bien mourir ; le chrétien la reçoit à la fin de sa vie.
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La définition même de ce sacrement n’est donc pas univoque : tantôt « onction des malades » ou « des infirmes », tantôt « sacrement des mourants » ou « de ceux qui passent de cette vie à l’autre ».
Une de ses difficultés vient donc du fait que les opinions des théologiens divergent dans le temps et l’espace et semblent parfois se contredire à son propos.
Les ouvrages de théologie, de direction de conscience ou les sermons du début du XVIIe siècle ne font pas systématiquement allusion à la peur éprouvée par les malades face à l’Extrême-Onction. La peur de la mort existe, mais elle semble acceptée comme « normale » ; le sacrement rassure plutôt et ouvre une espérance. Cette peur dramatisée devient, au contraire, omniprésente à la fin du XVIIe siècle et surtout au XVIIIe, où on la retrouve mentionnée jusque dans les rituels, qui sont en principe des ouvrages disciplinaires et liturgiques, où le « psychologique » ne devrait guère s’immiscer. Elle contraint parfois les pasteurs à tenir compte d’attitudes collectives « superstitieuses », mais devenues dominantes.
Beaucoup de personnes ne veulent pas recevoir l’extrême-onction parce que l’on s’imagine qu’après qu’on l’a reçue, il n’est pas permis de rendre le devoir conjugal, de manger de la chair, etc. » Cette crainte s’enracine probablement dans les anciennes pratiques pénitentielles celtiques qui obligeaient ceux qui y étaient soumis à un régime de vie particulier comportant l’abstinence de viande et de relations conjugales. Répandue jusqu’au XVe siècle, quoique combattue par l’Église, cette idée amenait les fidèles à différer la réception du sacrement quand ils ne la repoussaient pas totalement.
Parmi les superstitions dénoncées par Thiers, il en est dont l’origine, moins évidente, reste liée à la culture ambiante. Ainsi, le refus de se tenir au pied du lit des malades, tandis qu’on leur donne l’extrême-onction, parce qu’ils en meurent plus tôt, évoque une image répandue à la fin du Moyen Âge. Un prêtre se tient au chevet du mourant, tandis que les démons y attendent leur heure et que la famille prie alentour ; la mort patiente, assise au pied du lit. S’asseoir à cette place, c’est donc peut-être jouer son rôle de facto. Enfin, l’interdiction de filer dans la chambre d’un malade qui aurait reçu l’extrême-onction, parce qu’il mourrait si l’on cessait de filer, ou que le fil vienne à se rompre, n’est pas sans évoquer l’action de la triade de déesses mères censées veiller au destin des êtres humains dans le monde antique.
L’ambiguïté de l’Extrême Onction à l’époque moderne procède donc des variations de sa signification depuis l’Antiquité. Après que sa fonction de guérison eut été un peu escamotée, l’accent a porté de plus en plus sur la rémission des péchés. Cette insistance sur le rapport à la pénitence, jointe aux imprécisions de l’épître de saint Jacques et aux formulations nuancées des décrets tridentins, autorisant une pluralité d’opinions, provoque d’autres divergences entre les théologiens sur les effets de ce sacrement.
Une question se pose, en effet : si les péchés sont effacés par l’extrême-onction, à quoi sert le sacrement de pénitence préalable ? D’ailleurs, efface-t-elle tous les péchés, même mortels ? Prudent, le concile de Trente n’a pas tranché : « L’onction nettoie les fautes, s’il en reste à expier », ce qui prend en compte les péchés oubliés ou inavoués à temps et libère par là les fidèles de leur principale crainte : mourir en état de péché mortel.
Quant au rétablissement de la santé physique, il paraissait une attente manifeste dans l’Antiquité ; mais ce sacrement a été donné progressivement non plus en vue de la guérison physique du malade, mais pour préparer un chrétien à la mort. Au début de l’époque moderne, on admettait encore que l’onction pouvait favoriser la guérison, mais sans automatisme. Le Catéchisme du concile de Trente (1566) avance une explication plus morale, pour expliquer pourquoi les malades qui reçoivent ce sacrement ne vont pas tous mieux : « cela ne vient pas d’un quelconque défaut de ce sacrement, mais plutôt de la faiblesse de la foi de la plupart de ceux qui le reçoivent ou l’administrent (sic) ».
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LE RÉENCHANTEMENT DU MONDE : LES SACRAMENTAUX.
Les sacramentaux ne sont pas des sacrements, ce sont des objets signes paroles ou actions comme le signe de croix l’eau bénite, etc. surtout connus dans le christianisme catholique et dans une moindre mesure dans le christianisme orthodoxe.
Personne ne prétendant, à la différence des sacrements, qu’ils ont été institués par Jésus Christ la question est : d’où viennent-ils ?
ESSAI SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE CHRÉTIENNE par John Henry Newman de l’Université d’Oxford.
Il y a dans l’Évangile une vertu ou une grâce qui change la qualité des doctrines, des opinions, des usages, des actions et des caractères personnels qui lui sont incorporés ; cette vertu rend justes et agréables à son divin auteur les choses qui auparavant étaient ou contraires à la vérité, ou n’en étaient tout au plus que les ombres. C’est là le second principe dont j’ai parlé plus haut, et que j’ai appelé le principe sacramentel. « Nous savons que nous venons de Dieu, et que tout le monde est sous l’empire de la faiblesse, » voilà l’énonciation du principe ; ou bien encore, tirons-la de la déclaration de l’apôtre des Gentils : « Si quelque homme appartient à Jésus-Christ, il devient une nouvelle créature ; les choses anciennes ont passé ; voici que tout se renouvelle. » Ainsi les rites extérieurs, qui, par eux-mêmes, sont sans mérite, perdent avec l’Évangile leur caractère propre, et deviennent des Sacrements…
De même, quand les exorcistes juifs essayèrent « d’invoquer le nom du Seigneur Jésus sur ceux qui étaient possédés des malins esprits, » le démon avoua qu’il ne les connaissait pas, et les blessa…
De même encore, Celse objecte que les chrétiens ne « supportaient la vue ni des temples, ni des autels, ni des statues ; » Porphyre leur reproche « de blâmer les rites du culte, les victimes et l’encens que l’on offrait aux dieux ; » et l’interlocuteur païen demande, dans l’Octavius de Minucius, « pourquoi les chrétiens n’ont ni temples, ni autels, ni images ostensibles, ni sacrifices ? » Cependant, d’après Tertullien, il est évident que les chrétiens avaient des autels, des sacrifices et des prêtres ; ils avaient aussi des églises, comme cela est surabondamment prouvé par le témoignage d’Eusèbe, qui, pendant la persécution de Dioclétien, a vu « renverser les maisons de prière ; » le fait est aussi prouvé par l’histoire de saint Grégoire le Thaumaturge et par saint Clément. De plus, saint Justin et Minucius parlent du signe de la croix en des termes révérencieux tout à fait en désaccord avec la doctrine qui enseigne que l’on ne peut pas vénérer les signes extérieurs de la religion.
Tertullien parle des chrétiens qui faisaient le signe de la croix dans toutes leurs entreprises, soit qu’ils sortissent, qu’ils prissent leurs repas, ou se livrassent au sommeil. Dans la vie de Constantin par Eusèbe, l’image de la croix occupe une place très apparente ; l’empereur la vit dans le ciel, et se convertit ; il la plaça sur ses étendards ; il la porta à la main quand il se fit élever une statue.
Toutes les fois que la croix fut déployée dans les batailles, il remporta la victoire. Il désigna cinquante hommes pour la porter ; il la fit graver sur les armes de ses soldats ; et Licinius redoutait sa puissance. Peu après, Julien accusait les chrétiens d’adorer le bois de la croix, quoiqu’ils refusassent d’adorer les anciles. À une époque postérieure, on introduisit le culte des images.
NDLR. En fait c’est un peu plus compliqué que ça !
Le principe de distinction, d’après lequel les pratiques furent pieuses chez les chrétiens et superstitieuses chez les païens, se trouve dans certains passages de Tertullien, de Lactance et
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d’autres Pères, où il est parlé des malins esprits placés en embuscade sous les statues païennes. Origène le fait aussi entendre quand, après avoir dit que l’Écriture « défend si expressément les temples, les autels et les images, » que les chrétiens sont « prêts à endurer la mort, si cela est nécessaire, plutôt que de souiller, par un blasphème de ce genre, la notion qu’ils ont tous de Dieu, » il donne pour raison « qu’ils doivent, autant que possible, ne pas tomber dans l’erreur, que les images sont des dieux. » Saint Augustin, en répondant à Porphyre, est plus explicite encore : « Ceux, dit-il, qui connaissent bien l’Ancien et le Nouveau Testament, ne blâment pas, dans la religion païenne, l’érection des temples, ni l’institution des prêtres, mais seulement d’avoir consacré les temples et les prêtres aux idoles et aux démons. La vraie religion condamne, dans les superstitions des païens, non pas précisément les sacrifices, puisque les saints de l’antiquité sacrifiaient au vrai Dieu, mais les sacrifices offerts aux faux dieux ». Il répond au manichéen Fauste : « Nous avons quelque chose de commun avec les païens, mais notre but est différent. » Saint Jérôme, en réfutant les objections de Vigilance sur les cierges et sur l’huile, dit : « Parce qu’autrefois nous avons adoré les idoles, est-ce une raison qui doive nous empêcher d’adorer Dieu, de peur de paraître lui rendre des honneurs semblables à ceux qui étaient rendus aux idoles, et qui alors étaient détestables ? C’est de la même manière que nous honorons les martyrs, et c’est pour cela que cet honneur doit être permis. »
Dès les premiers temps, ceux qui furent appelés au gouvernement de l’Église, pleins de confiance dans la puissance du Christianisme pour résister à l’infection du mal, et pour approprier à l’usage du culte évangélique les objets et les apanages du culte du démon, sentaient aussi que ces usages venaient, dans leur origine, d’une révélation primitive et d’un instinct de la nature, quoiqu’ils eussent été corrompus. Convaincus qu’ils devaient inventer ce dont ils avaient besoin, s’ils ne se servaient pas de ce qu’ils trouvaient, et d’ailleurs, ayant avec eux les archétypes de ce dont le Paganisme n’avait que les ombres, les Pasteurs de l’Église étaient disposés, aussitôt que l’occasion s’en présenterait, à adopter, à sanctionner ou à imiter les coutumes et les rites populaires, aussi bien que la philosophie des classes instruites de la société. Saint Grégoire le Thaumaturge donne le premier exemple de cette manière d’agir, qui soit consigné ; il fut l’apôtre de Pont, dont les habitants paraissent être retombés dans le paganisme au temps de Pline. Voici comment saint Grégoire de Nysse rapporte l’une des méthodes employées par saint Grégoire le Thaumaturge pour gouverner une population opiniâtre dans ses erreurs : « En revenant de la ville, dit-il, et en visitant ses environs, il s’occupait d’accroître la dévotion du peuple en instituant partout de joyeuses fêtes en l’honneur de ceux qui étaient morts pour la foi. Les corps des martyrs étaient disséminés en divers lieux, et au jour anniversaire de leur mort, le peuple s’assemblait, se livrait à la joie, et faisait des fêtes en leur honneur. Cela prouve, en vérité, la grande sagesse du Saint. ; car, s’apercevant que des populations enjouées et ignorantes étaient retenues dans les erreurs de l’idolâtrie par des agréments sensuels, et voulant, à quelque prix que ce fût, leur assurer ce qui était de la première importance, à savoir, qu’elles se tournassent vers Dieu et laissassent leurs vaines idoles, il leur permit de se réjouir et de se consoler auprès des tombeaux des saints martyrs, comme si leur conduite devait, avec le temps, éprouver un changement spontané, et comme si la foi devait les conduire à plus de gravité et à une régularité de mœurs plus sévère. Heureux résultat qui fut obtenu sur ces populations, chez qui les réjouissances changèrent la satisfaction des sens en douceurs spirituelles. » Il n’y a pas de raison pour supposer que la concession dont on vient de parler passât les bornes d’une fête innocente, quoique grossière ; car il est digne de remarque que la même raison, c’est-à-dire le besoin des jours de fête pour la multitude, est assignée par Origène, maître de saint Grégoire, pour expliquer l’institution du dimanche, de la fête de Pâques et de celle de la Pentecôte, ce qui n’a jamais été regardé comme illicite. Il est arrivé, en outre, que par cette indulgente politique, les peuples se sont dépouillés de leurs grossières habitudes, heureux résultat qui n’aurait pu être la conséquence d’une concession criminelle.
L’exemple donné par saint Grégoire dans un temps de persécution fut suivi avec empressement quand arriva le moment de la paix. Dans le cours du quatrième siècle, deux mouvements ou développements s’opérèrent sur toute l’étendue de la chrétienté, avec une rapidité qui caractérise l’Église : l’un était ascétique, et l’autre rituel ou cérémoniel. Eusèbe nous dit de différentes manières que l’empereur Constantin, pour recommander la nouvelle religion aux païens, y introduisit les ornements extérieurs auxquels ceux-ci étaient accoutumés dans la leur. Il n’est pas nécessaire d’aborder un sujet que les écrivains protestants ont eu soin de rendre familier à la plupart d’entre nous. L’usage des temples, les églises dédiées à des saints particuliers, et ornées de branches d’arbres en certaines occasions, l’encens, les lampes, les cierges, les offrandes votives faites pour la guérison d’une maladie, l’eau bénite, le droit d’asile, les jours de fête et les quatre-temps, l’usage des calendriers, les processions et la bénédiction des champs, les habits sacerdotaux, la tonsure, la bague de mariage, l’usage de se tourner vers l’Orient, celui des images à une époque postérieure,
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peut-être même le chant de l’Église et le Kyrie eleison, sont des choses d’origine païenne, sanctifiées par leur adoption dans l’Église.
Le huitième livre de l’ouvrage de Théodoret Contre les païens intitulé « les Martyrs, » traite le sujet d’une manière si étendue, que nous devons nous contenter d’un exemple des éclaircissements qu’il apporte pour expliquer le principe d’après lequel agissait saint Grégoire le Thaumaturge, « Le temps qui détruit tout, dit-il en parlant des martyrs, a conservé leur gloire incorruptible ; car, de même que les nobles âmes de ces vainqueurs parcourent les cieux, et se mêlent aux chœurs des esprits, de même leurs corps ne sont pas enfermés dans des tombeaux isolés, mais les grandes et les petites villes se les sont partagés ; ils sont appelés les sauveurs et les médecins des âmes et des corps, honorés comme les protecteurs et les gardiens des cités, et l’on recourt, auprès du Seigneur de tous, à leur intervention, par laquelle on obtient les dons célestes. Quoique le corps soit partagé, la grâce demeure indivisible, et un de ses fragments a autant de vertu que le corps entier des martyrs dont les parties n’ont pas été dispersées ; car la grâce, qui est féconde, distribue les dons en mesurant sa munificence sur la foi de ceux qui viennent les prier… ils ne s’adressent pas aux saints comme à des dieux, mais ils les supplient comme les amis de Dieu, et réclament leur intercession. Les ex-voto offerts par les voyageurs témoignent ouvertement qu’ils ont obtenu ce qu’ils demandaient, et que les saints ont pris soin d’eux. Les uns leur offrent l’image des yeux, ceux-là celle des pieds, ceux-ci celle des mains ; quelques personnes leur apportent de l’or, et d’autres de l’argent ; leur Dieu accepte même les plus minimes oblations, car il mesure la grandeur du présent sur les dispositions de celui qui l’offre.
Les philosophes et les orateurs sont délaissés dans l’oubli ; les rois et les grands capitaines sont inconnus, même de nom, de la plupart des hommes ; mais les noms des martyrs sont plus familiers aux chrétiens que ceux des personnes qui leur sont les plus chères. Ils se font un point d’honneur de donner ces noms à leurs enfants en vue de leur obtenir par-là salut et protection.
De plus, les demeures sacrées de ces soi-disant dieux ont été si bien détruites, qu’il n’en reste pas même la trace ; la forme de leurs autels est inconnue aux hommes de cette génération, tandis que leurs matériaux ont été consacrés à devenir les châsses des martyrs. Le Seigneur a mis ceux qui sont morts pour lui à la place de vos dieux ; il s’est débarrassé des derniers, et les honneurs des temples païens ont été transférés à d’autres possesseurs.
Au lieu de vos pandies, de vos diasies, de vos dionysiaques et de vos autres fêtes, nous avons les fêtes de Pierre, de Paul, de Thomas, de Serge, de Marcel, de Léonce, de Pantaléon, d’Antoine, de Maurice et des autres martyrs. Au lieu de l’ancienne procession, et de l’indécence de paroles et d’actions familière aux païens, nous célébrons des fêtes modestes, sans intempérance, sans orgies et sans rires bruyants ; nous chantons des hymnes divins, nous écoutons de pieux discours, et nous offrons des prières qui sont accompagnées de saintes larmes. » Voilà l’exposé des « Preuves du Christianisme » qu’un évêque du cinquième siècle offrait aux fidèles pour les convertir.
L’adoption des images eut lieu plus tard encore, et rencontra une opposition plus vive en Occident qu’en Orient. Cet usage des images est fondé sur le grand principe que je mets en lumière ; et, de même que j’ai donné des extraits de Théodoret, pour prouver les développements du quatrième et du cinquième siècle, je citerai maintenant saint Jean Damascène pour la défense des développements postérieurs qui eurent lieu au huitième siècle : « Quant aux passages allégués par vous, disait-il à ses adversaires, ils ne condamnent pas le culte rendu à nos images, mais celui des Grecs, qui en faisaient des dieux. Parce que l’usage des Grecs était absurde, ce n’est pas une raison d’abolir le nôtre, qui est si pieux. Les enchanteurs et les sorciers font des conjurations, de même que l’Église le fait pour ses catéchumènes ; mais ceux-là invoquent les démons, tandis que l’Église invoque Dieu contre les démons. Les Grecs consacrent des images aux démons, et les appellent des dieux, tandis que nous en consacrons au vrai Dieu incarné, aux serviteurs et aux amis de Dieu, qui chassent les démons. »
Il ajoute : « De même que les Saints-Pères ont renversé les temples et les reliquaires des démons pour élever à leur place des reliquaires au nom des saints à qui nous rendons un culte, de même aussi ils ont détruit les images des démons pour les remplacer par celles de Jésus-Christ, de la Mère de Dieu et des Saints. Sous l’Ancienne Alliance, Israël n’élevait pas de temples sous l’invocation des hommes, et n’instituait pas de fêtes pour honorer leur mémoire ; car alors la nature de l’homme était sous l’empire d’une malédiction ; la mort était un châtiment, et par suite un sujet de lamentation ; un cadavre était regardé comme une chose impure, ainsi que celui qui le touchait ; mais aujourd’hui que la Divinité s’est unie à notre nature, pareille à un remède qui rend la vie et qui sauve, elle l’a glorifiée
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et l’a rendue incorruptible. Par suite, la mort des saints se change en une fête ; on leur élève des temples et l’on peint leurs images. ; car l’image est un triomphe et une manifestation, un monument qui rappelle le souvenir de la victoire de ceux qui se sont conduits noblement et avec grandeur d’âme, aussi bien que la honte des démons qui ont été défaits et renversés. »
…………
Il est tout à fait conforme à la teneur de ces observations de faire remarquer, ou d’admettre, que des superstitions réelles se sont quelquefois glissées dans quelques parties de l’Église, par suite de ses rapports avec les païens ; ces superstitions furent admises ou presque admises malgré la résistance générale des autorités ecclésiastiques, à cause de la ressemblance qui existe entre les rites païens et certaines parties du rituel de l’Église. De même que la philosophie corrompit, à une époque, ses théologiens, ainsi les superstitions du Paganisme corrompirent ses fidèles ; de même que les plus spirituels se sont laissé envelopper dans les réseaux de l’hérésie, ainsi les ignorants se laissèrent corrompre par la superstition. Nous voyons saint Jean Chrysostome s’élever avec véhémence contre les usages superstitieux que les Juifs et les Gentils introduisaient parmi les chrétiens d’Antioche et de Constantinople. « Que dirons-nous, demande-t-il dans un endroit, des amulettes et des clochettes suspendues aux mains, des tissus d’écarlate et autres choses d’une extrême folie, quand on ne devrait entourer l’enfant que de la protection de la croix ? Mais aujourd’hui on méprise ce qui a converti le monde entier, ce qui a causé une blessure mortelle au démon, et renversé toute sa puissance, tandis que l’on confie la sûreté des enfants à des fils, à des tissus et autres amulettes de ce genre. »
Après avoir mentionné d’autres superstitions, il continue : « Que pareilles choses se passent maintenant chez les Grecs, cela n’est pas étonnant ; mais que de telles inconvenances puissent prévaloir parmi ceux qui adorent la croix, qui participent à des mystères ineffables, et qui professent une grande pureté de mœurs, voilà ce qu’on ne saurait trop déplorer ». De même saint Augustin supprime les fêtes appelées agapes, qui avaient été permises aux chrétiens d’Afrique, dans les premiers temps de leur conversion.
« Il est temps, dit-il, pour des hommes qui osent s’avouer chrétiens, de commencer à vivre conformément à la volonté de Jésus-Christ, et de rejeter, maintenant qu’ils sont chrétiens, ce qu’on leur a seulement accordé pour qu’ils pussent le devenir. »… il est certainement possible que le sentiment de la puissance sanctifiante du Christianisme ait agi comme une tentation au péché, soit de ruse, soit de violence, comme si l’état de grâce détruisait la culpabilité de certains actes, ou que la fin justifiât les moyens.
Dire que la distribution des grâces a été confiée à l’Église, c’est énoncer en d’autres termes le principe que nous esquissons. Car si elle a pu transformer les cérémonies païennes en rites et en usages spirituels, qu’est-ce autre chose que d’être en possession d’un trésor, et d’exercer un pouvoir illimité sur son emploi ?
L’huile fut employée à différents usages, dans la guérison des malades, ou comme dans le rite de l’extrême-onction. La Confession et la Pénitence furent d’abord publiques, et ensuite privées, comme aujourd’hui dans l’Église de Rome. La dispense des œuvres ou des périodes de pénitence avait une signification différente suivant les circonstances. De même le signe de la croix fut un des premiers instruments de grâce ; nous avons eu ensuite les époques de sanctification, les saints lieux et les pèlerinages, l’eau bénite, les prières ou autres pratiques prescrites, les vêtements, comme le scapulaire ; puis, le rosaire et le crucifix. Et dans quelque sage intention, sans doute, comme celle de montrer la puissance de l’Église dans la distribution de la grâce divine, ainsi que la spiritualité et la perfection de la Présence eucharistique, la communion sous l’espèce du vin a été interdite à tous les fidèles, excepté au prêtre qui offre la sainte Eucharistie.
Avertissement au lecteur. À maintes reprises dans le texte ci-dessous tout empreint de panthéisme ou de volonté de ré-enchanter le monde, son auteur, un catholique convaincu (ses principales sources sont Enrico Mazza, L’Action eucharistique, Origine, développement, interprétation, Domenico Sartore, Achille M. Triacca, Dictionnaire encyclopédique de la liturgie, Brepols, 1992-2002)… insiste sur le fait que ces sacramentaux n’ont rien à voir avec la magie. C’est son droit. Quant à nous, nous renverrons nos lecteurs à l’automaticité qui s’attache ex opere operato à certains de ces sacramentaux du christianisme qui ne sauraient en l’occurrence dépendre des dispositions d’esprit ou de la (bonne) volonté DE CELUI QUI LES REÇOIT, et nous pensons ici tout particulièrement évidemment à la bénédiction……… DES CHOSES. OU DES MORTS.
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DIVERSITÉ DES FORMES DE SACRAMENTAUX DONC.
Si l’on essaie de répertorier ces différents signes, on s’aperçoit qu’il s’agit toujours d’un rituel d’intercession, qui lui-même se décline en trois catégories : la bénédiction (la catégorie principale et la plus répandue), l’exorcisme et enfin la procession. On ne trouvera pas de liste exhaustive des sacramentaux, mais nous pouvons nous référer à l’énumération tirée du Catéchisme de l’Église catholique (§ 1671-1673) :
1. Bénédictions-consécrations :
a) personnes : abbés, abbesses de monastère, vierges consacrées, religieux, lecteurs, acolytes, catéchistes.
b) lieux et objets : dédicace d’une église, consécration d’un autel, bénédiction des saintes huiles.
2. Autres bénédictions : Bénédiction des personnes (selon les situations et les circonstances de la vie) et des réalités humaines ou des richesses de la création.
3. Exorcismes et supplications.
4. Processions liturgiques : Présentation du Seigneur, Rameaux, Vigile pascale, Fête du Corps et du Sang du Christ.
5. Exposition, procession et bénédiction eucharistiques.
6. Célébrations de la Parole : exemple la célébration pénitentielle non sacramentelle.
7. Prières pour les mourants et rituel des funérailles.
Les sacramentaux peuvent comprendre des célébrations comme celles des funérailles, des actions liturgiques à un moment de l’année comme la bénédiction des cierges, des Cendres, des Rameaux, la procession de la fête de la Présentation du Seigneur ou celle des Rameaux ; le lavement des pieds, le Jeudi saint ; la vénération de la Croix, le Vendredi saint.
On a pu aussi considérer que ces sacramentaux formaient des rites particuliers lors d’une action sacramentelle. Ainsi pour le baptême : la signation, l’eau bénite, l’exsufflation, l’imposition des mains, le sel, l’onction des catéchumènes, le cierge, la robe du baptême.
Mais cette approche ne paraît pas satisfaisante. Il est préférable de voir les sacramentaux comme des actions qui aident à mieux comprendre la place des sacrements. Sinon, on risque de se cantonner aux sacramentaux et oublier les sacrements dont ils sont tirés : ex : l’adoration du Saint Sacrement en dehors de référence à la célébration de l’eucharistie.
De même sont considérés comme sacramentaux certains éléments dont on se sert pour un usage individuel et domestique dans le quotidien de la vie : par exemple l’eau bénite, le signe de la croix, les rameaux accrochés à la croix, les cendres, les cierges. Ces signes viennent prolonger et rappeler dans la vie ordinaire des personnes ce qui a été signifié, reconnu dans la célébration liturgique communautaire. Leur utilisation parfois curieuse, voire « magique », ne suffit pas à relativiser la pertinence de la pratique de ces usages privés qui cherchent à soutenir et à exprimer la foi.
Les consécrations – bénédictions
Ce sont des prières déprécatoires sur les personnes et les choses, destinées à attirer sur elles la protection et les bienfaits de la Divinité. Par la prière, l’Église insère efficacement dans le mystère du salut du Christ les réalités et les personnes, qui, en tant que créatures, sont déjà sous la protection de Dieu. La bénédiction des choses, qui a comme arrière-plan l’agir du Divin dans l’histoire, a pour but de contribuer au développement de l’authentique bien de la personne, en conformité avec les dispositions prises par Dieu.
La bénédiction représente à la fois le langage de toute prière – dire du bien de Dieu – et la forme première et essentielle des sacramentaux. En effet, bénir exprime la reconnaissance de l’homme vis-à-vis de Dieu, car c’est lui qui bénit l’homme le premier. Tout est grâce, tout nous vient de Dieu. La bénédiction est d’abord un acte de foi, une attitude de l’homme qui, devant Dieu, se sait redevable. Bénir consiste à se tourner vers Dieu, à le nommer, à le louer, à lui demander de manifester sa présence. Il est la source de toute bénédiction, de tout bien.
En Christ, Dieu nous bénit et nous le bénissons. Ainsi les bénédictions qui s’accomplissent dans des célébrations particulières appartiennent-elles à la vie de tous les baptisés. Elles sont de deux sortes :
— Les premières touchent de façon durable certaines personnes dans leur vie. Elles concernent aussi certains lieux et certains objets en voulant marquer ainsi une destination.
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On les nomme « bénédictions » ou « consécrations ». Dans l’acte de la consécration, les personnes et les choses sont soustraites à la libre disposition de l’homme : il ne peut plus en faire ce qu’il veut. Par sa prière, l’Église les confie à Dieu par l’intermédiaire du Christ qui est le grand liturge de l’Église. Dans cette catégorie, nous pouvons mettre la consécration ou dédicace d’une église ou d’un autel, d’un calice, la bénédiction d’un abbé, la consécration des vierges, la profession de foi religieuse ou monastique.
Ces bénédictions-consécrations sont, en principe, réservées à l’évêque, ou subsidiairement aux prêtres. Elles sont l’objet de rituels particuliers.
— Les secondes, les plus nombreuses et les plus fréquentes, viennent signifier que toutes les circonstances de la vie des hommes peuvent être vécues avec Dieu. Elles développent la conscience croyante, orientent l’existence vers le Divin. Elles ont des degrés d’ecclésialité liés à l’action, aux personnes ou à l’objet. Selon ce degré, les ministres pourront en être l’évêque seul, l’évêque ou un prêtre délégué, un prêtre ou un diacre, un laïc institué (acolyte, lecteur) ou un autre laïc homme ou femme.
La bénédiction la plus connue à ce niveau est le bénédicité, prière avant le repas familial ou communautaire.
Le rituel des bénédictions distingue cinq types de bénédiction : celle concernant les personnes, les activités humaines, les objets pour le culte et la dévotion, enfin les bénédictions diverses.
Quand il s’agit de bénédictions d’objets ou de réalités matérielles, celles-ci sont toujours en rapport avec l’homme, avec l’usage des choses, avec la destination de la création et de son devenir quant au salut de l’homme.
Parmi les bénédictions, il en est par exemple qui sont perçues comme des actions liturgiques.
Elles appellent alors des célébrations communautaires qui comportent la proclamation et l’accueil de la Parole, la prière de l’Église (louange, supplication et intercession, prière de demande de bénédiction et prière de bénédiction souvent accompagnée d’un geste). Ce geste n’est pas toujours le signe de croix. Ce peut être l’aspersion d’eau bénite, les mains levées, tendues ou jointes. Ce geste ne peut faire à lui seul la bénédiction, cela pour éviter les superstitions * et pour favoriser la célébration participante (Rituel des bénédictions § 27).
Ainsi la bénédiction peut être un signe et un moyen par lesquels l’homme entend la Bonne Nouvelle de Jésus Christ et sa victoire sur le mal, reconnaît Dieu au cœur de toutes les réalités de la vie, et célèbre Dieu, avec l’Église et par elle.
Les exorcismes.
Autre catégorie de sacramentaux, les exorcismes. Ils ont toujours été attestés au cours de l’histoire. Ce troisième type de sacramental est celui qui présente le plus de difficultés pour l’homme contemporain. Celui-ci regarde en effet comme hautement problématique l’intervention du démon dans les affaires humaines.
Disons simplement qu’en accomplissant des exorcismes, l’Église, suivant l’exemple de Jésus, demande la protection de Dieu dans son combat contre Satan.
Sous une forme simple, on les rencontre dans le sacrement du baptême. Dans le rituel de l’initiation chrétienne des adultes, ils s’effectuent au cours des trois scrutins. Par eux se trouve signifiée l’action salvifique du Christ qui nous délivre de la puissance du mal. Souvent, l’eau bénite comme rappel du baptême le signifiera. Dans sa prière au Père, le Seigneur ne cesse de nous le faire demander : « Délivre-nous du mal. »
Enfin, hors du baptême, l’exorcisme solennel, appelé grand exorcisme, ne peut être pratiqué que par un prêtre habilité par l’évêque. Son rituel a été promulgué en 1998. Nous y reviendrons un peu plus loin.
Les processions.
Certaines célébrations de l’année sont précédées ou suivies d’une procession : ainsi la Présentation du Seigneur, les Rameaux, la Vigile pascale, la fête du Corps et du Sang du Christ. Elles visent à faire mémoire (anamnèse) du mystère célébré symboliquement dans le temps et l’espace. Il existe aussi des processions extraordinaires, prescrites localement : telle marche exposant aux regards une statue de la Vierge ** ou les reliques d’un saint. Le cérémonial des évêques y consacre un chapitre (XXI). Les pèlerinages relèvent de la même symbolique. Il s’agit de se mettre en marche pour changer quelque chose à sa vie.
La célébration rituelle accompagne ce chemin. Il s’agit d’un déplacement vers un lieu vénéré (sanctuaire) qui symbolise le chemin de la vie chrétienne et peut même guérir les corps (sanctuaires de guérison comme Lourdes). Il permet de faire une expérience de communion avec Dieu, avec l’Église, par la médiation du lieu ou de l’objet vénéré. D’autres dévotions viennent s’ajouter au pèlerinage et le façonner : procession, chemin de croix, litanies et chapelets, cierges, vénération de reliques ou d’images. Le programme traditionnel du pèlerinage s’organise à partir de ces éléments
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disponibles, pas forcément tous utilisés, faisant de la démarche pèlerine une pratique mobile et modulable. Les responsables de pèlerinage aujourd’hui cherchent à proposer d’autres formes : catéchèses et rencontres, célébrations de sacrements ou de sacramentaux (célébration de la Parole, célébration pénitentielle), afin de guider une démarche de dévotion qui puisse devenir une liturgie. Souvent dans le passé, ces dévotions reçurent de la part des responsables de l’Église reconnaissance, approbation, voire recommandation.
Autres sacramentaux.
Les prières pour les mourants et le rituel des funérailles : prière au domicile – eau bénite, cierge ; fermeture du cercueil ; prière au cimetière. Si effectivement on détermine le sacramental par ce qui n’est pas typiquement sacrement, on peut comprendre qu’au XIVe siècle la célébration d’un office de louange et qu’aujourd’hui les célébrations de la Parole (dont les Assemblées dominicales en l’absence de prêtre) et les célébrations pénitentielles (non sacramentelles) puissent être considérées comme des sacramentaux. Ces différentes célébrations sont de réelles actions liturgiques relevant de l’expérience sacramentelle de l’Église, selon la compréhension renouvelée proposée par la Constitution conciliaire sur la sainte liturgie au § 7 : « Le Christ est présent dans sa parole, car c’est lui qui parle tandis qu’on lit dans l’Église les saintes Écritures. Il est là présent quand l’Église chante et prie les psaumes, lui qui a promis : là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis là au milieu d’eux ». Mais elles ne sont pas à proprement parler, aux yeux de l’Église, des sacrements.
La communauté chrétienne accueille en sa liturgie toute l’histoire du monde. Elle fait de tous les événements des lieux où l’homme vit du Christ et de son histoire. Tel est le sol où s’enracine le sacramental. La bénédiction découle de cette foi. Elle n’est pas autre chose qu’une louange et une invocation qui en débordent, celles d’une communauté mue par la conviction que Dieu se manifeste dans l’histoire des hommes.
Il ne s’agit donc pas de « paraliturgie », mais d’un espace liturgique qui prépare, éveille, éduque, fait vivre pour Dieu et sanctifie. Ces célébrations peuvent se vivre avec des enfants ou des adultes qui ne sont pas encore prêts à célébrer l’eucharistie ou à recevoir le pardon sacramentel. Elles peuvent aussi être vécues lors de circonstances qui ne requièrent pas forcément l’eucharistie : rassemblement ecclésial lié à une manifestation de la cité, commémoration, événement public, pèlerinages, etc.
De plus, en l’absence de ministre ordonné empêché de célébrer les sacrements de l’eucharistie, de la pénitence et de la réconciliation, ces célébrations permettent réellement de communier au mystère de Dieu.
De son côté le culte eucharistique, par maints aspects, comporte des sacramentaux, ainsi telle bénédiction ou telle procession, signes vécus dans le prolongement de l’Eucharistie.
En fait, si le terme « sacramental » reste souvent étranger, les réalités qu’il représente nous font découvrir toute la vie de l’homme, puisqu’elles forment le champ de la Parole de Dieu, de la bénédiction, de la célébration de la Nouvelle Alliance. Ce sont toutes les réalités humaines et cosmiques qui sont appelées à s’ouvrir à la sainteté de Dieu et à lui rendre gloire. Les sacramentaux sont ainsi une manière particulière d’évangéliser en insérant les sacrements dans toute la vie. Ils annoncent la Parole et suscitent la conversion. Ils participent à la pédagogie du Salut.
CONCLUSION
Le monde des sacramentaux soulève de multiples questions. Le croyant, pour les comprendre, doit se demander quel est le sens du monde et du rapport qu’il a avec ce dernier. Il est appelé à être un liturge cosmique. Il a besoin d’une foi profonde, centrée sur le Christ, pour introduire dans l’histoire ce dynamisme divin qui permettra à l’humanité de marcher vers sa pleine réalisation. Il ne cesse d’éprouver à l’égard du monde une grande charité. En même temps, il doit construire le monde en le libérant de la servitude du péché et de ses conséquences. Mû par sa foi pascale, il construit le monde, en s’efforçant de le libérer.
Cette présence renouvelée du Divin, amenée par la célébration du sacramental, revitalisée au maximum dans le mystère eucharistique, donne à l’homme l’espérance qui lui permet de s’engager dans le temporel, de transfigurer le monde, de lui imprimer ce dynamisme pascal de la résurrection qui aura sa pleine réalisation dans l’eschatologie.
NDLR. Bref, le ré-enchantement d’un monde aujourd’hui bien mort !
* Vœu pieux par définition.
** Du temps de saint Symphorien (3e siècle), il s’agissait d’une statue de la déesse celte rebaptisée Cybèle en interpretatio graeca.
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LE SIGNE DE CROIX.
De nos jours c’est dans l’Église catholique que la pratique du signe de croix est la plus répandue, mais il est également pratiqué chez les orthodoxes orientaux et les épiscopaliens.
Le premier symbole ou signe de reconnaissance des chrétiens a été historiquement parlant le poisson à cause de sa proximité graphique avec le nom de Christ en grec. Le mot grec Ichtus pouvait en effet être considéré comme fait des premières lettres de l’expression Iêsous Christos Theou Uios Sôtêr, c’est-à-dire « Jésus Christ, Fils de Dieu, Sauveur ».
D’une manière générale, avant le IIIe siècle, les premiers chrétiens n’usent que de quelques symboles figurés comme la lyre, l’ancre, un bateau au vent, l’orante, le criophore (cf. l’image du bon berger), la colombe ou le poisson donc. On trouve également l’usage de symboles issus de l’iconographie romaine, comme la palme ou le laurier.
On se demande donc bien pourquoi le symbole de la croix l’a évincé. Une seule explication, parce que ce dernier était plus connu, plus fort plus « magique ».
Car le symbole de la croix était bien considéré comme magique par les païens (donc les futurs chrétiens) si l’on en croit la lettre-testament écrite par Tertullien à sa femme.
On retrouve ce signe plusieurs siècles avant l’ère chrétienne dans les inscriptions qu’ont laissées différentes civilisations : mésopotamienne, élamite, amérindienne. Comme le dit notre ami Mircea Eliade dans son encyclopédie des religions : « La croix est partout : dans les civilisations prévédiques, dans le monde élamite et dans l’iconographie mésopotamienne, dans l’immense aire des migrations aryennes et des cultures auxquelles elles ont donné naissance, en Chine, dans les civilisations précolombiennes amérindiennes, chez les peuples dénués d’écritures d’aujourd’hui ».
Les premières mentions d’un usage « intensif » du signe de croix se trouvent dans les œuvres du montaniste Tertullien qui devait s’y connaître, car il était né païen et mourut vraisemblablement également païen.
Le texte le plus intéressant se trouve dans cet écrit de circonstance où est discutée la participation des chrétiens au service militaire. Tertullien prend la défense d’un soldat qui refusa de mettre une couronne de laurier sur sa tête comme le cérémonial le prescrivait. On date généralement ce traité de 211, donc de la période semi-montaniste de l’auteur, qui y reproche aux futurs catholiques de rejeter le Paraclet et ses prophéties, et à leurs évêques d’être « des lions dans la paix et des cerfs dans le combat… toujours prêts à faire leurs bagages et à fuir de ville en ville » lors des persécutions.
L’auteur recourt à une tradition chrétienne non écrite pour démontrer qu’il est contraire aux principes de porter une couronne. La question plus générale soulevée est la suivante : y a-t-il dans l’Église des usages à observer dont il n’est fait mention ni dans l’Ancien ni dans le Nouveau Testament ? Parmi ces pratiques usuelles chez les chrétiens, il y a la suivante : « Ad omnem progressum atque promotum, ad omnem aditum et exitum, ad vestitum, ad calcitum, ad lavacra, ad mensas, ad lumina, ad cubilia, ad sedilia, quaqumque nos conversatio exercet, frontem signaculo terimus » (De Corona Militis 3,4). (À chaque pas et à chaque mouvement, en entrant et en sortant, en revêtant nos habits, en mettant nos chaussures, avant de prendre un bain, en se mettant à table, quand on allume les lampes, en nous couchant, en nous asseyant, en toute occupation, nous marquons nos fronts du signe (de la croix)…
Son caractère magique, du moins dans l’esprit des païens, est reconnu dans un autre texte de Tertullien.
Tertullien a écrit trois traités sur le mariage et les secondes noces, un à chacune des grandes étapes de l’évolution de ses croyances. Le premier, « À sa femme », rédigé entre 200 et 206, donc durant la période catholique, est le meilleur. Par une sorte de testament spirituel, il donne à son épouse des avis à observer lorsqu’il aura quitté ce monde. Il se prononce nettement contre tout remariage. Mais dans le cas où sa femme ne consentirait pas à rester seule, il la conjure de promettre qu’elle choisira un chrétien. Un conjoint païen, même tolérant, ne peut être qu’un danger pour la foi et la moralité. L’auteur énumère à ce propos quelques manières de faire courantes :
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« Parmi tes perles, compte aussi les pratiques religieuses qui te distinguent dans la vie quotidienne. Plus tu cherches à les dissimuler, plus elles deviennent suspectes et éveillent la curiosité d’un païen. Penses-tu échapper à l’attention lorsque tu fais le signe (de la croix) sur ton lit et sur ton corps ? (latebisne tu, cum lectulum, cum corpusculum tuum signas ?) Ou lorsque tu chasses par le souffle de ta bouche quelque être impur ? Ou lorsque tu te lèves, comme tu le fais même durant la nuit, pour dire tes prières ? Dans tout cela, ne paraîtra-t-il pas que tu pratiques quelque rite magique ? » (Ad Uxorem).
L’ésotérisme chrétien avait donc déjà dû à cette époque reprendre le schéma utilisé des siècles plus tôt (voire des millénaires) pour d’autres divinités plus anciennes qui meurent et ressuscitent telles que Dionysos, Osiris, Adonis, Tammouz. Le cycle christique devait alors être analysé en quatre temps tournant autour d’un axe vertical et d’un axe horizontal séparant la terre du ciel.
1 – L’Incarnation : le Verbe de Dieu descend du ciel sur la surface de la Terre (naissance, vie de Jésus).
2 – La Mort : le Christ de chair meurt. Il est enseveli et descend aux Enfers.
3 – La Résurrection : le troisième jour, il ressuscite, c’est-à-dire qu’il remonte à la surface de la Terre dans un corps glorieux.
4 – L’Ascension : le Christ remonte au ciel, vers le Père, c’est-à-dire là d’où il était descendu. Le cercle est fermé autour de la croix.
C’est néanmoins à partir du IVe siècle que la croix dite latine deviendra l’emblème et symbole de la chrétienté, après l’adoption par l’empereur Constantin Ier du chrisme (en fait une roue solaire ou rouelle). C’est à partir de cette époque et surtout de la découverte ou invention de la relique de la Vraie Croix par la mère de l’empereur que son culte se répand et, au cours des IVe et Ve siècles, elle commencera d’orner les édifices religieux. À partir du VIe siècle, la croix est régulièrement associée aux représentations du Christ.
Les catholiques qui ne veulent connaître que la culture juive (racisme envers les autres civilisations ?) trouvent la justification du signe de croix principalement dans leurs nombreuses années de tradition d’Église et aussi en Exode 17,9-14 et Apocalypse 7,3, 9,4, 14,1, mais bien que ces passages parlent effectivement d’un signe sur le front pour la protection contre le jugement de Dieu, ils doivent évidemment être interprétés à la lumière de leur contexte. Et quand on tient compte de ce contexte, il n’y a aucune raison de croire que l’un de ces versets prescrive le signe de croix.
Jusqu’au VIIe siècle, le signe de croix resta en général un geste effectué sur le front avec le pouce. La façon de se signer a ensuite évolué au fil du temps et des schismes qui ont séparé les Églises chrétiennes, en un geste plus ample et intégrant d’autres symboliques.
À partir du VIIe siècle, les chrétiens en Orient (le monde byzantin) et en Occident (le monde latin) se signent avec trois doigts, exactement, comme se signent encore aujourd’hui les orthodoxes. À partir du XIIe siècle et du schisme entre chrétiens orthodoxes et catholiques, le catholicisme fait évoluer le signe de croix (on ne se signe plus avec trois doigts, mais avec la main). Les orthodoxes continuent de se signer avec trois doigts.
Dans le monde catholique, on trouve une certaine tolérance envers le fait de se signer de haut en bas puis de gauche à droite. Certains auteurs critiquent cette évolution, mais la hiérarchie de l’Église catholique ne la condamne pas. Mieux même, petit à petit, la pratique de la signature de gauche à droite s’impose, et elle devient la norme.
Bien qu’il soit également difficile de dire exactement quand le passage de la petite croix sur le front à la pratique moderne consistant à faire une croix plus grande partant du front à la poitrine et d’une épaule à l’autre s’est effectué ; nous savons que le changement a eu lieu au onzième siècle puisque l’on trouve dans le « Livre de prières du roi Henry » (onzième siècle), la recommandation (dans les prières du matin) de marquer la sainte croix « des quatre côtés du corps ».
Et il y a de bonnes raisons de penser que c’était déjà le grand signe auquel nous sommes maintenant habitués.
Un livre anglais écrit vers 1160 (l’Ancren Riwle) recommande d’ailleurs aussi expressément aux moniales de faire UNE GRANDE CROIX comme au Deus in adjutorium meum.
Les Réformateurs anglais ont ensuite jugé que le signe de croix devait être laissé à l’appréciation de l’individu, comme il est écrit dans le Livre de Prières du roi Édouard VI : « se mettre à genoux, faire le signe de croix, lever les mains, frapper sur la poitrine, et d’autres gestes, peuvent être utilisés ou abandonnés selon la sensibilité de chaque individu ».
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NDLR. Mais les réformés ont en général considéré ce signe comme une tradition sans fondement dans les Écritures, voire comme de l’idolâtrie, et il a donc été abandonné par la plupart d’entre eux.
LES GRANDS EXORCISMES.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le voir plus haut, l’exorcisme n’est pas un sacrement, mais fait partie des sacramentaux institués par l’Église. Ce sont des signes sacrés, que l’Église a voulu donner aux chrétiens pour sanctifier certaines circonstances de leur vie. Ces rites sacrés comprennent des prières de bénédictions auxquelles s’ajoutent le signe de la croix et d’autres signes, comme l’aspersion d’eau bénite. Ces bénédictions sont très utiles puisqu’elles nous placent sous la protection de Dieu et nous aident à agir en vue de sa glorification.
Médicalement parlant la possession se présente comme un état dissociatif tel qu’il est décrit dans les psychoses schizophréniques ; mais la réponse à donner à ce défi n’est jamais univoque et ne doit pas être dissociée du contexte culturel dans lequel elle apparaît.
L’histoire des possédées de Loudun par exemple, peut être rapportée à une schizophrénie (ou hystérie collective) ayant affecté toutes les religieuses d’un même couvent dans les années 1630 et utilisée par le cardinal Richelieu. La mort d’Urbain Grandier ne rapporta rien et peut être considérée comme un sacrifice humain inutile.
Mis à part sa signification théologique (ou culturelle) particulière, ainsi que les éventuels phénomènes métapsychiques qui pourraient lui être associés, la crise de possession ne se distingue pas d’une crise d’hystérie au sens de Charcot ou des phénomènes de spasmophilie, de transe.
On distingue un état de calme et un état de crise. L’état de crise se traduit par des contorsions, des éclats de rage, des paroles impies et blasphématoires. Pendant la période de calme, tout est généralement oublié et le comportement redevient bien adapté, voire très pieux. Mais l’image que l’on peut en avoir est loin d’être univoque et ne ressemble probablement pas à celle qu’a retenue William Friedkin dans son film de 1973 (l’exorciste). Il est plus intéressant, pour s’en faire une idée de lire les écrits de Pierre Janet (1859-1947).
Mais s’il est bien une opération magique par définition dans le christianisme ce sont néanmoins les grands exorcismes.
D’un point de vue religieux, l’exorcisme vise à expulser les démons ou à libérer de l’emprise démoniaque et cela par l’autorité spirituelle que Jésus a confiée à son Église. L’entité la plus connue censée provoquer la possession est la force que les chrétiens nomment Satan ou le Diable.
Le mot provient du grec ancien : exorkismós, de ex-orkizein : « faire prêter serment, faire jurer à quelqu’un par le Seigneur » ; il passera directement en latin : exorcismus, exorcizare.
À l’origine de cette pratique chrétienne, il y a l’exemple et le commandement du Christ : « Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons » (Mt 10, 8).
L’exorcisme est un rituel religieux destiné à expulser une entité spirituelle maléfique qui se serait emparée d’un être vivant (humain ou animal) et, plus rarement, inanimé (objet). On retrouve cette pratique dans les sociétés primitives pour lesquelles il constitue une réponse à la possession par le(s) démon(s), voire plus simplement à la maladie.
On la retrouve donc ans l’Ancien Testament : bouc émissaire chargé des fautes des Israélites et envoyé dans le désert (Lv 16,20-22). Ce que l’archange Raphaël prescrit à son compagnon de route Tobit (prélever le cœur et le foie du poisson) est destiné à faire des exorcismes (« Brûler le cœur et le foie du poisson devant l’homme ou la femme qu’attaque un démon ou un esprit mauvais, écarte toute attaque, on en est débarrassé pour toujours »). Justin, dans son dialogue avec Tryphon, en parle comme faisant partie du Judaïsme.
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« Interpellez le malin esprit par quelque autre nom que vous voudrez, soit de vos rois, soit de vos justes, soit des prophètes ou des patriarches, et vous verrez s’il s’avoue vaincu.
Toutefois, en invoquant le nom de votre Dieu, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob, peut-être parviendrez-vous à le soumettre. Pour vos exorcistes, quels moyens emploient-ils ? Des moyens tout humains, ainsi que je vous l’ai dit, c’est-à-dire de l’encens, des charmes, à la manière des gentils » (Justin, Dialogue avec Tryphon, chapitre 85).
Par contre les évangiles synoptiques (pas celui de Jean) nous montrent Jésus pratiquant à plusieurs reprises des exorcismes. Dès le début de son ministère en effet, à Capharnaüm, Jésus apparaît comme un guérisseur.
« Il y avait, dans leur synagogue, un homme possédé d’un Esprit impur, il criait :
— Que nous veux-tu, es-tu venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es…
Alors Jésus le menaça en disant :
— Tais-toi et sors de lui.
Et le secouant violemment, l’Esprit impur cria d’une voix forte et sortit de lui » [Marc 1, 23 & Luc 4,33].
« Après le coucher du soleil, on lui amena tous les malades et les démoniaques et la ville entière était rassemblée devant la porte. Et il guérit beaucoup de malades affligés de divers maux, et il chassa beaucoup de démons, mais il empêchait les démons de parler, car ils savaient qui c’était… Le lendemain, Jésus se leva, bien avant l’aube. Il sortit et se rendit dans un endroit désert, et là il pria… il parcourut toute la Galilée, proclamant l’Évangile dans leurs synagogues, et expulsant les démons.
Le lendemain, il part pour d’autres villes prêchant dans les synagogues et chassant les démons » (Marc 1, 32-39)
Dans son livre sur Jésus, le réalisateur Paul Verhoeren, spécialiste des reconstitutions historiques, suppose que tout cela devait se traduire par des scènes très impressionnantes. Ces exorcismes devaient s’accompagner de violentes émotions, avec des possédés hurlant d’un côté, et un Jésus criant lui aussi de l’autre… Le comportement de Jésus dans ces exorcismes était si extrême que sa mère et ses frères pensaient qu’il avait « perdu l’esprit » et Marc écrit qu’ils avaient fait tout le chemin de Nazareth à Capharnaüm pour « le maîtriser ». Les Évangiles selon Matthieu et selon Luc, plus tardifs, gommeront toute allusion au déchaînement physique de Jésus.
P. Verhoeven rappelle notamment que pour la guérison du lépreux (Marc I, 40-43) deux versions du texte existent : dans un manuscrit grec (le Codex de Bèze), Jésus est « en colère » quand il touche l’homme ; dans d’autres manuscrits, Jésus est « pris de pitié » (c’est la version généralement retenue). Or Jésus ne se met pas en colère contre le lépreux, mais contre le démon de la lèpre qu’il chasse. Le comportement de Jésus lors des exorcismes était si extrême que sa famille et les scribes le croyaient devenu fou * : les scribes descendus de Jérusalem disaient : « il est possédé par Béelzéboul », et « c’est par Béelzéboul le prince des démons qu’il expulse les démons » (Mc 3. 21).
Un cas focalise toutes les discussions réductrices. C’est celui d’un enfant épileptique amené à Jésus par un père aux abois…
Après la transfiguration, Jésus descend de la montagne avec Pierre Jacques et Jean et retrouve les neuf autres disciples avec des scribes et… « une foule nombreuse ».
Marc 9, 14-29. Il leur demanda : de quoi discutez-vous ?
« Et quelqu’un dans la foule cria :
— Maître, je t’ai amené mon fils qui a un Esprit muet ; et quand il le saisit, il le jette par terre ; il écume, grince des dents et devient raide, et j’ai dit à tes disciples de le chasser, et ils n’en ont pas eu la force.
Prenant la parole, Jésus leur dit
— Ô engeance incrédule, jusques à quand serai-je près de vous ? Jusques à quand vous supporterai-je ? Amenez-le-moi !
Et ils lui amenèrent.
En le voyant, l’Esprit aussitôt, le secoua et, tombé par terre, il se roulait en écumant.
Jésus questionna le père :
— Depuis combien de temps cela lui arrive-t-il ?
Il répondit :
— Depuis son enfance. Et souvent ; il l’a jeté dans le feu et dans l’eau afin de le perdre. Mais si tu peux, aide-nous, aie pitié de nous !
Jésus lui dit :
— Si tu peux ? Tout est possible à celui qui croit !
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Aussitôt, le père de l’enfant s’écrie :
— Je crois, mais aide mon manque de foi…
Alors Jésus, voyant la foule s’amasser, commanda à l’Esprit impur :
— Esprit muet et sourd, je te l’ordonne : sors de lui et n’y entre plus !
Et criant et le secouant, l’Esprit impur sortit. L’enfant devint comme mort, et beaucoup disaient :
— Il est mort !…
Mais Jésus prit la main, le redressa, et il se leva.
Et comme il entre dans une maison, ses disciples lui demandèrent en aparté :
— Pourquoi n’avons-nous pas pu le chasser ?
Il leur dit :
— Cette espèce ne peut sortir que par la prière »
La petite Cananéenne (Matthieu 15, 21-28).
Et voici qu’une femme cananéenne, sortie de ce territoire, cria en disant :
— Aie pitié de moi, Seigneur, Fils de David. Ma fille est fort malmenée par un démon » [par un Esprit impur dit Marc].
Jésus la repousse, mais elle insiste de manière touchante pour qu’il « chasse le démon hors de sa fille » et Jésus loue sa foi, en lui disant :
— Ô femme, grande est ta foi ! Qu’il t’arrive comme tu veux.
Et sa fille fut guérie à cette heure-là…
Le trait significatif, c’est qu’il s’agit ici d’une libération à distance comme en réalisent encore aujourd’hui de nombreux exorcistes.
L’homme aux cochons…
Plus déconcertant, mais très significatif est l’exorcisme de l’énergumène gérasénien, sur l’autre rive du lac. C’est un homme dangereux… on l’enchaînait à grand-peine, mais il brisait ses chaînes.
Un dialogue surréaliste s’engage alors entre Jésus et l’esprit impur.
— « Que me veux-tu, Jésus, Fils du Très-Haut ? Je t’adjure par Dieu, ne me tourmente pas ! »
Le démon parle par la bouche du possédé qu’il utilise comme instrument. Ce fait, signalé plusieurs fois dans l’Évangile, a perduré jusqu’à ce jour dans l’expérience quotidienne des exorcistes… Par la voix du possédé, le démon adjure, résiste, négocie… Jésus ne discute pas avec lui, il commande…
Il lui demanda :
— Quel est ton nom ?
— Légion est mon nom, car nous sommes beaucoup.
Et il le suppliait instamment qu’il ne les envoyât pas hors du pays…
« Légion » négocie donc son départ : « Envoie-nous dans les porcs, laisse-nous entrer en eux ».
Certains prêtres actuels retrouvent ce nom et cette horde agressive dans certains de leurs exorcismes.
Le démon muet…
Matthieu signale aussi brièvement l’exorcisme d’un homme possédé par un démon muet.
— « On lui amena un démoniaque muet. Le démon fut expulsé et le muet parla… » (Matthieu 9,32)
Luc applique à ce démon le qualificatif de « muet », mais ainsi que nous avons pu le voir les démons sont souvent loquaces (par la bouche du possédé).
Il évoque d’ailleurs aussi beaucoup d’autres exorcismes : « À ce moment-là, il guérit beaucoup de gens affligés de maladies, d’infirmités, d’Esprits malins, et il rendit la vue à beaucoup d’aveugles… » (Luc 7,21)
Les Évangiles n’ont relaté que ces exorcismes-là. Mais ils en mentionnent beaucoup d’autres. En premier lieu, Marie-Madeleine dont Jésus avait chassé sept démons.
Les apôtres enfin eux aussi exorcisent, du vivant même de Jésus.
Jésus en effet envoie ses disciples en mission, à plusieurs reprises, afin d’annoncer la Bonne Nouvelle avec les signes de sa puissance : guérir et exorciser…
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« Alors il appela les douze et les envoya en mission en leur donnant autorité sur les Esprits impurs… » (Matthieu 10).
Pour la mission des 72, les paroles de Jésus ne précisent pas la mission d’exorciser ni de guérir, mais elle est bien présupposée puisqu’ils disent à leur retour :
— « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom. »
Et Jésus de leur répondre :
— « Cependant, ne vous réjouissez pas de ce que les Esprits vous sont soumis ; réjouissez-vous plutôt de ce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux… »
Vu l’efficacité des exorcismes de Jésus et des disciples en son nom, il y eut d’ailleurs des imitateurs. L’apôtre Jean les réprouve et dit à Jésus :
— « Maître, nous avons vu quelqu’un chasser les démons en ton nom, mais nous l’en avons empêché, car il n’est pas avec nous ».
Et Jésus répond :
— « Ne l’empêchez pas, car nul faisant un miracle en mon nom ne pourra ensuite dire du mal de moi. Qui n’est pas contre nous est avec nous… »
Selon Marc 16,17, avant de quitter ses disciples, le Christ leur donne la mission d’exorciser jusqu’à la fin du monde :
« Et voici les miracles qui accompagneront ceux qui ont cru : par mon nom, ils chasseront les démons, ils parleront en langues, et s’ils boivent quelque breuvage mortel, il ne leur nuira point. Ils imposeront les mains aux malades, et ceux-ci guériront… »
Dans les actes des apôtres, la lutte contre Satan se présente aussi volontiers comme lutte contre la magie : Simon Pierre affronte victorieusement le grand philosophe Simon de Samarie que Philippe semblait avoir converti. Mais le thaumaturge veut lui acheter le pouvoir de l’Esprit saint.
Après le départ du Christ, les apôtres continuent en effet d’exorciser :
« À Jérusalem, on apportait des malades et des gens possédés par des Esprits impurs, et tous étaient guéris. »
De même pour Philippe en Samarie :
« De beaucoup de possédés, en effet, les Esprits impurs sortaient en poussant des cris. »
Suivent des exorcismes qui reviennent clairement et sans ambiguïté dans les Actes des apôtres :
« Une servante avait un Esprit divinateur. […] Elle se mit à nous suivre, Paul et nous, en criant :
— Ces gens-là sont des serviteurs du Dieu Très-Haut ; ils vous annoncent la voie du Salut.
Elle fit ainsi pendant bien des jours. À la fin, Paul excédé, se retourna et dit à l’Esprit :
— Je te l’ordonne, au nom de Jésus-Christ, de sortir de cette femme.
Et l’Esprit sortit à l’instant même. »
Sans oublier le « Dieu opérait par les mains de Paul des miracles peu banals, à tel point qu’il suffisait d’appliquer sur les malades des mouchoirs ou des linges qui avaient touché son corps, et des maladies les quittaient, et les Esprits mauvais s’en allaient. ».
CONCLUSION.
Le récit de la guérison du possédé de Capharnaüm (Luc 4. 31-37) ainsi que celui de la guérison du démoniaque gadarénien (Luc 8. 26-39 sont clairement des comptes-rendus de « duel magique » : « Il s’agit d’une bataille entre un exorciste et un démon, où l’on retrouve des deux côtés l’usage les ordres, la violence, l’attaque et la défense ainsi que l’usage des noms respectifs, le fait par exemple que le démon nomme Jésus en lui disant, dans le cas du possédé de Capharnaüm : « Je sais qui tu es : le Saint de Dieu » (Luc 4. 34).
Or Marcel Mauss explique dans son esquisse d’une théorie générale de la magie que dans un duel magique, connaître et dire le nom de l’adversaire donnent un pouvoir sur lui. Nommer l’esprit l’oblige à obéir.
Mais malgré l’utilisation de cette arme classique du système magique, et traditionnellement efficace, le démon du possédé de Capharnaüm échoue, Jésus le menace, et le fait taire.
Pour le récit de l’exorcisme d’un démoniaque gadarénien, où l’on voit le démon nommé « Légion » sortir du corps du possédé puis entrer dans un troupeau de porcs, Luc récupère un récit [Marc 5, 1-20] profondément enraciné dans les mentalités du monde juif et non du monde grec. Le rite d’exorcisme
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consistant à chasser un démon hors d’un homme vers un animal est en effet bien connu dans le monde assyro-babylonien. Que les démons puissent être nombreux au point d’être comparés à une légion, apparaît dans une incantation en syriaque [provenant de Nippour en Irak] qui protège « contre toutes les légions ».
Aucun exorcisme n’est mentionné dans l’évangile de Jean, mais Jésus, comme le sera Mahomet dans le Coran six siècles plus tard, y est accusé d’être possédé ; et il stigmatise ses adversaires comme « fils du diable », « père du mensonge… »
Sous une forme simple, l’exorcisme est pratiqué lors de la célébration du baptême. Selon l’Église catholique, quand l’Église demande publiquement et avec autorité, au nom de Jésus-Christ, qu’une personne ou un objet soit protégé contre l’emprise du Mal et soustrait à son empire, on parle par contre d’exorcisme public, ou majeur.
Ce grand exorcisme s’adresse à des personnes baptisées, conscientes et consentantes, qui sont « obsédées » ou « possédées » par le diable. En aucun cas, un exorcisme ne peut être pratiqué de force. On parle d’ « oppression démoniaque » lorsque la personne souffre de tourments physiques (bruits étranges, déplacements d’objets, incidents répétés…) et de troubles psychiques (désespoir, comportement à risque, tentations).
L’exorcisme canonique solennel, appelé « grand exorcisme », ne peut être pratiqué que par un prêtre exorciste et avec la permission de l’évêque. Canoniquement en effet, c’est l’évêque qui, comme successeur des apôtres, reçoit de l’Église l’autorité de pratiquer des exorcismes. Le plus souvent, il délègue cette autorité à des prêtres subalternes : les exorcistes. Le Pape Jean-Paul II, en tant qu’évêque de Rome, a pu effectuer trois exorcismes pendant son pontificat.
L’exorcisme est l’exercice d’un charisme qui requiert des dispositions et des qualités auxquelles l’évêque fait particulièrement attention avant de nommer un prêtre à ce ministère. Non seulement la sainteté, la prudence, mais aussi des dons de discernement, d’autorité, de contact et d’influence.
L’exorcisme privé peut être pratiqué par tout prêtre et même par tout fidèle, sans aucune autorisation de l’évêque. Il s’agit là de la doctrine commune enseignée par les théologiens qui ont étudié cette question, même parmi les plus célèbres d’entre eux. Il se distingue alors de l’exorcisme solennel que seul un exorciste nommé par l’évêque peut effectuer.
L’exorcisme privé pourrait être accompli par « les fidèles en état de grâce ». Cette déclaration le confirme, l’exorcisme passe par des prières particulières, mais aussi et surtout par la foi, la miséricorde (vis-à-vis du possédé) et l’amour que mettent les officiants lorsqu’ils les récitent. Ces éléments assurent que le démon sera chassé à tout jamais et non pas seulement pendant la lecture des prières. L’exorcisme doit, dans l’esprit du prêtre, consister à chasser le démon, mais aussi sauver le possédé.
Pour les théologiens catholiques, la différence entre maladie mentale et possession diabolique a pendant longtemps été fondée sur l’existence de phénomènes paranormaux. Certains théologiens et prêtres insistent sur le caractère réel et profondément néfaste des influences sataniques de tous ordres (infestation, obsession, possession).
À en croire les théologiens classiques, il existe des signes permettant de porter le diagnostic de possession. Le rituel romain énonce trois symptômes essentiels parmi d’autres qui auraient une valeur analogue.
— Faire preuve d’une force inexplicable par l’habitus physique de la personne considérée (mais cela peut s’expliquer par l’état hystérique).
— Parler ou comprendre une langue inconnue (glossolalie).
— Découvrir les choses éloignées et secrètes (voyance).
Ces marques du diable, pour l’Église du Moyen Âge, ne se limitaient pas aux trois signes aujourd’hui mentionnés par le rituel romain ; on donnait même la priorité à d’autres symptômes, tels que la lévitation et surtout des zones d’anesthésie, des points du corps anormalement insensibles (il s’agit, pour le neurologue moderne, d’un symptôme de lèpre à son début, de certaines maladies neurologiques ou d’un phénomène de nature hystérique. On peut surtout noter que la personne parle souvent seule).
À titre d’exemple, le cas de Carmen Trasfi, jeune cerdane servante du curé de Llívia (enclave catalane dans le département français des Pyrénées-Orientales), possédée durant quatre ans à partir de 1868, présentait plusieurs de ces symptômes : elle s’attribuait des noms de démons divers, parlait avec des voix qui n’étaient pas la sienne et dans des langues qui lui étaient inconnues, elle était victime de convulsions et de crises d’hystérie, était insensible aux piqûres de clous et ne saignait pas, avalait
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quantité d’épingles ou d’allumettes qui la laissaient indemne et qu’elle recrachait lorsqu’on lui faisait boire de l’eau bénite.
Pour venir à bout de ces possessions, les prêtres catholiques proposent généralement…
La confession générale (relative à l’ensemble de la vie passée).
Le jeûne.
La prière.
La communion.
Les objets bénis et surtout l’eau bénite (dont le rituel dit qu’elle chasse le démon).
L’exorcisme enfin, qui consiste, au nom du Christ, à intimer au démon l’ordre d’avouer son nom, puis de quitter le possédé.
Dans l’orthodoxie, cette phase passe par un long rituel et la répétition de prières spéciales impressionnantes, pratique comparables à celles du film de William Friedkin.
Insistons néanmoins encore une fois sur le fait que l’Église catholique a très nettement révisé sa position en ce domaine. Par exemple, dans le Praktisches Bibellexicon. Étant donnée la ressemblance frappante entre la possession et les phénomènes décrits par la parapsychologie, aujourd’hui s’impose la plus extrême réserve. Ce qui, auparavant était considéré comme le signe certain de l’authenticité d’une possession ne peut plus aujourd’hui passer pour tel sans plus ample examen.
* La même accusation sera portée contre Mahomet 6 siècles plus tard à cause de ses crises d’épilepsie.
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LE POINT DE VUE DES MÉDECINS D’AUJOURD’HUI.
En psychiatrie, la possession n’est plus envisagée comme un phénomène diabolique, mais comme une forme de délire au cours duquel le malade se croit habité par un être surnaturel qui parle par sa bouche, mobilise sa langue malgré lui et dirige ses mouvements.
On définit un tel trouble de la personnalité par la coexistence, chez un même individu de deux ou plusieurs états de conscience distincts qu’ils aient une mémoire propre, des modalités comportementales spécifiques et leurs propres styles de relation sociale ou qu’ils partagent une partie de ces différents éléments. Les deux esprits se combattent dans un même champ qui est le corps, et l’âme est comme partagée. Ce type de trouble de la personnalité commence à s’installer dès l’enfance, mais n’est le plus souvent remarqué par les cliniciens que beaucoup plus tard ; il s’agit presque toujours de filles (60 à 90 %).
Le passage d’une personnalité à une autre est généralement brusque (quelques minutes). La transition est sous la dépendance du contexte relationnel. Les transitions peuvent survenir également lorsqu’il y a conflit entre les différentes personnalités ou lorsque ces dernières ont mis au point un plan commun. Les personnalités peuvent être diamétralement opposées dans leurs caractéristiques et même différer dans les examens psychologiques et physiologiques : elles peuvent nécessiter par exemple des verres correcteurs différents, réagir de manière différente au même traitement et avoir des QI différents. Il peut exister des complications éventuelles, telles que suicide, automutilation, agression, viol, toxicomanie, etc.
La schizophrénie peut aboutir elle aussi au sentiment d’être possédé. Dans ce cas, l’entourage discerne plus facilement qu’il s’agit d’un trouble de la personnalité et non d’un phénomène surnaturel.
Aujourd’hui le paradoxe * est que Vatican invite à s’adresser d’abord à un psychiatre. Depuis que la psychiatrie existe, on sait que le diable n’est plus forcément à l’origine des troubles psychiques qui peuvent affecter l’homme. Aux yeux de l’Église, celui qui se dit possédé ne l’est pas forcément, et a souvent plus besoin de l’aide d’un psychiatre que de celle d’un exorciste. Le Père Gabriel Amorth, exorciste principal du Vatican, affirme maintenant que, pour savoir si une personne est réellement possédée ou non, il faut d’abord voir un psychiatre, et seulement après pratiquer un exorcisme.
Le nouveau rituel de l’exorcisme met d’ailleurs en garde contre l’imagination des hommes qui peut les porter à croire qu’ils sont la proie du démon. Dans tous les cas, il faut vérifier que celui qui se dit possédé par le démon l’est vraiment. Le texte recommande de distinguer entre une véritable intervention diabolique et la crédulité de certains fidèles qui pensent être l’objet de maléfices ou de malédictions. Il ne faut pas leur refuser une aide spirituelle, mais il ne faut pas pratiquer un exorcisme à tout prix.
Le document ajoute que le prêtre ne doit décider de procéder à un exorcisme « qu’après avoir procédé à une enquête diligente et après avoir consulté, selon les possibilités, des experts en matière spirituelle, et, s’il est jugé opportun, des spécialistes en science médicale et psychiatrique, qui ont le sens des réalités spirituelles. »
Tout en manifestant une grande prudence, l’Église n’exclut donc pas l’emprise du démon sur certaines personnes. Elle distingue entre l’exorcisme mineur, fait de prières, et le grand exorcisme, qui consiste en une célébration liturgique. C’est le plus impressionnant, celui dont s’inspirent généralement les films d’épouvante. Le nouveau rituel l’a quelque peu simplifié. Ainsi, les prières s’adressant aux démons ont disparu. Le rite comprend entre autres une aspersion d’eau bénite, diverses prières, l’imposition des mains, la présentation d’un crucifix au possédé et une formule impérative qui s’adresse directement au diable et lui ordonne de s’en aller. Ce rite spectaculaire s’avère rarement
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utilisé. Les autorités ecclésiastiques préfèrent souvent créer des structures d’écoute et offrir un soutien psychologique aux personnes en difficulté.
* Paradoxe, car Jésus fait beaucoup d’exorcismes dans les évangiles et les apôtres aussi.
LA SCHIZOPHRÉNIE CHRÉTIENNE.
Si les défunts ordinaires ou du moins leur souvenir « se rappellent à nous », c’est par des visions que l’on a en rêve, ou éveillé, mais plongé dans certains états de conscience « modifiés » ; sous forme d’images en tout point semblables à celles que l’on peut avoir des vivants dans les mêmes circonstances. Les âme/esprits des morts, quand elles apparaissent par exemple à des personnes bouleversées par le chagrin, leur donnent l’illusion d’être présentes. Alors qu’en réalité elles sont dans un autre monde et ignorent évidemment si quelqu’un voit ou non leur image.
La nuit suivant sa mort, l’ombre de Patrocle a visité Achille endormi, pour supplier son ami de brûler puis d’ensevelir son corps au plus tôt, afin qu’il franchisse le Styx et pénètre à jamais dans l’Hadès.
Deuil et funérailles ne doivent en aucun cas constituer l’essentiel de la vie d’un homme, ne doivent en aucun cas être fastueux ou luxueux ni faire l’objet de dépenses excessives ; mais ne doivent pas non plus être négligés ni ramenés à zéro. Le corps humain n’est pas une épluchure de légume.
Vis-à-vis des morts les chrétiens auront néanmoins très tôt une attitude paradoxale.
Au tout début, vu leur certitude que la fin du monde ou des temps donc la résurrection des corps, est très proche, les chrétiens négligeront les sépultures.
Mais ensuite se développera peu à peu un véritable trafic des reliques de saint plus proche du paganisme.
Rien dans l’Ancien Testament ni dans la mentalité juive ne prédisposait au culte des saints, bien au contraire.
Évangile selon saint Luc chapitre IX, versets 60.
Il dit à un autre : « Suis-moi. » L’homme répondit : « Permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père ».
Mais Jésus répliqua : « Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, va donc annoncer le règne de Dieu ».
« Nous traitons avec un égal mépris temples et tombeaux. Nous ignorons les deux sortes d’autels ; nous n’adorons aucune sorte d’effigie ; nous ne sacrifions pas aux dieux, nous n’offrons rien aux Mânes » (Tertullien De Spectaculis).
Avec le christianisme, non seulement disparaît toute la pompe des funérailles, assimilée à une divinisation des morts. On en vient même à mépriser toute dépouille mortelle. L’anthropologie chrétienne assigne au corps de chair, corruptible et mortel, une place impossible au regard du corps spirituel, seul véritablement vivant. « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr l’âme et le corps dans la géhenne ». En proclamant la caducité des rites (juifs ou païens) au profit de l’intériorité, du secret de l’intention qui seule rend les actes purs ; le christianisme tend à une désacralisation du monde – ils ne respectent rien, disent leurs adversaires païens – qui devient critique dans le domaine de la relation aux morts, autour d’un corps tout à la fois méprisé et sublimé.
L’eschatologie chrétienne individuelle n’est pas originale. À en croire non seulement les chrétiens et les juifs, mais aussi beaucoup d’autres Grecs et Barbares, écrit Origène, l’âme humaine vit et subsiste après sa séparation d’avec le corps ; et il est établi par la raison que l’âme pure et non alourdie par les masses de plomb du vice s’élève jusqu’aux régions célestes des corps purs et éthérés, abandonnant ici-bas les corps et leurs souillures. Au contraire, l’âme des méchants, tirée à terre par ses péchés, et incapable de reprendre haleine, erre ici-bas et vagabonde, celle-ci autour des tombeaux où l’on voit les fantômes des âmes comme des ombres, celle-là autour de la terre ». Idée qui ressurgira sous les dénominations de « corps astral », « périsprit », ou autre entité de ce genre, sous la plume du néo-druide Allan Kardec et des spirites au XIXe siècle.
« Mortui et dii unum sunt : dieux ou démons et morts ne font qu’un » (Tertullien toujours). La confusion des dieu-ou-démons et des morts est une accusation qui revient en permanence dans les écrits des
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premiers penseurs chrétiens. Au-delà de la condamnation sans appel de la divinisation des anciens héros, et de l’adoration de la matière morte des statues (mais quel est le penseur païen ayant vrai cru qu’un bout de bois pouvait être Dieu ?), on trouve également dans leurs écrits l’idée que les dieux sont des démons. Et que les démons, qui aiment à hanter les effigies dressées en l’honneur des morts, prennent souvent l’apparence des défunts, y compris pour induire en erreur des chrétiens endeuillés.
Dieux, démons, morts funestes, tout ceci dénote bien dans cette nouvelle religion une relation assez problématique avec ses trépassés.
Clément d’Alexandrie reprend presque mot pour mot la description de l’âme que donne Platon dans Le Phédon.
« L’âme est alourdie et tirée en arrière vers le monde visible par la crainte de l’invisible et, comme on dit, de l’Hadès. Elle hante les monuments et les tombeaux, où l’on a même vu de ténébreux fantômes d’âmes, pareils aux spectres de ces âmes qui n’étaient pas pures en quittant le corps et qu’on peut voir, précisément, parce qu’elles participent du visible…… et ce ne sont pas les âmes des bons, mais celles des méchants qui sont forcées d’errer dans ces lieux en punition de leur façon de vivre antérieure, qui était mauvaise ».
Il fallait donc pour outrepasser tous les tabous relatifs au cadavre, à l’impureté des morts et à la crainte de l’au-delà, des raisons particulières que la ferveur populaire n’explique pas puisque rien dans la littérature vétéro – et néo-testamentaire n’encourageait, ni n’autorisait l’apparition de ce tropisme.
Dans une configuration aussi défavorable au départ à l’apparition d’un culte des reliques, où les éléments de doctrine, les facteurs d’appartenance, tout comme le milieu social militent en faveur de son inexistence, comment comprendre, si on récuse la notion de « génération spontanée », l’émergence de cette pulsion morbide ? Il y a dans cette apparition comme la trace d’un symptôme que les variables contextuelles ne permettent pas d’élucider. Son émergence correspond à une fonction, latente sans doute, enfouie, mais qui n’est pas le rôle rassurant, légitimant, auquel l’Église l’a assignée par la suite.
Car il faut distinguer le plan de la justification, temps de l’élaboration secondaire, de la mise en récit et de l’explication, du plan de la formation, temps du surgissement, du passage à l’acte, de la rupture. Il faut dissocier le contenu de l’affect.
On ne dira rien de la relique, de sa nature et de sa fonction, aussi longtemps qu’on reste sur le plan de la justification pour l’analyser.
Lorsqu’on évoque les reliques en termes de « métonymie », « d’objet de mémoire », de « participation » ou de « sainteté », on ne fait jamais rien que reprendre les concepts opératoires que, dès le IVe siècle, les meilleurs théologiens développaient déjà. On restitue le discours dominant de l’Église catholique qui, en justifiant a posteriori la pratique de cet usage, s’est imposé comme l’évidence qu’il n’était pas. Pour que la relique prenne la fonction d’objet de mémoire, il aura fallu l’insérer en tant que signe dans la chaîne signifiante du discours théologique. Mais promouvoir la relique au statut de signe n’est pas une simple opération rhétorique. C’est d’abord et avant tout une manœuvre politique.
L’Église n’a délivré aucune contre-indication au développement de la fascination pour les reliques ; elle ne s’est pas non plus employée à le refréner. Nulle condamnation, nulle exhortation, nul rappel à l’ordre. Cette politique du laisser-faire, recadré dans la politique de contrôle restrictif qu’exerce l’autorité ecclésiastique sur ses sujets, est significative. Ce n’étaient ni les justifications ni les moyens d’agir qui faisaient défaut. Concluons-en que pour tolérer et rendre acceptable une pratique aussi subversive au sein de son organisation sociale, l’Église dut y trouver un avantage.
Il apparaît assez clairement que la dévotion pour le corps des saints a pris naissance dans les exactions, multiples et réitérées, que commettent les bourreaux sur les cadavres de chrétiens.
Ceux-ci étaient couramment mutilés, humiliés, voire privés de sépulture, contrairement aux dispositions légales en vigueur sur ce point. La jurisprudence romaine prévoyait en effet qu’à l’issue de l’exécution « les corps de ceux qui ont été condamnés à mort ne doivent pas être refusés à leurs parents […] Les corps de ceux qui ont été condamnés au bûcher peuvent également être réclamés, afin que les os et les cendres réunis puissent être transférés » (Digeste de Justinien). Mais, par un surcroît de zèle ou de haine, les bourreaux refusaient souvent d’opérer la restitution parce que cet ultime outrage, comme nous l’apprend le récit des martyrs de Lyon (sainte Blandine 177), devait priver les défunts de toute possibilité de résurrection.
« Ceux qui avaient été asphyxiés dans la prison furent en effet jetés aux chiens, et ce fut avec soin qu’on les garda jour et nuit, de peur que quelqu’un des nôtres ne les ensevelisse. Ils exposèrent alors
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aussi les restes des bêtes et du feu, ce qui était déchiré çà et là et ça et là carbonisé : les têtes et les troncs des autres restaient également sans sépulture et étaient gardés avec soin par des soldats pendant de longs jours […] Quant à nous, ce nous était une grande douleur de ne pouvoir ensevelir les corps dans la terre. Les ténèbres de la nuit en effet ne nous servaient de rien, l’argent ne séduisait pas, la prière ne fléchissait pas ; ils veillaient de toute manière, comme s’ils avaient eu beaucoup à gagner à ce que les dépouilles n’obtinssent pas de tombeau […] Les cadavres des martyrs furent donc complètement exposés et laissés sans abri pendant six jours. Ensuite on les brûla, on les réduisit en cendres et ces maudits les jetèrent dans le Rhône qui coule près de là, afin qu’il ne parût plus aucun vestige d’eux sur la terre. Ils faisaient cela comme s’ils pouvaient vaincre Dieu et enlever à leurs victimes le bénéfice de la nouvelle naissance, afin, disaient-ils, « qu’ils n’aient plus l’espoir d’une résurrection ».
Le devoir de sépulture ainsi bafoué au mépris de la loi, on comprend mieux l’opiniâtreté que mirent les chrétiens à obtenir les dépouilles mortelles de leurs coreligionnaires. Mais la frontière qui sépare le recueil des restes du défunt en vue de les mettre en terre de la dévotion honorifique rendue à ces mêmes restes est mince. Dans les narrations hagiographiques, d’ailleurs, il n’est pas toujours aisé de démêler l’un de l’autre, encore moins d’interpréter la nature des gestes qu’accomplissent les fidèles. La confusion semble possible à tout instant. L’incertitude, totale, qui plane sur le sort du cadavre s’explique largement par le fait qu’il n’y avait justement pas de code établi pour diriger les conduites. En cette période où l’Église ne donne pas de consignes concernant l’ensevelissement de ses martyrs, la manœuvre de récupération des corps n’est dictée que par l’affect des protagonistes et leur sens du devoir. Il arrive alors qu’on ne résiste pas à la tentation de soustraire les restes encore fumants de la victime pour les dérober ; peut-être pour leur rendre les derniers honneurs d’une manière plus intime ou personnelle. Mais ces ombres qui hantent les lieux d’exécution à la recherche des os et des cendres du martyr, quand ils les volent, reviennent vite à une attitude plus adéquate : « Les fidèles se rendirent sur place dans la nuit, éteignirent le feu avec du vin et sortirent les corps à demi brûlés. Chacun ramena chez lui une partie des restes, mais une vision céleste les dissuada de les garder et ils les ramenèrent donc afin qu’ils soient inhumés dans la même sépulture » (Actes de saint Fructueux évêque de Tarragone).
La relique est donc indissociable de l’élément funéraire lui-même. Elle accompagne le processus de deuil et se confond avec lui lorsqu’il s’agit d’aller enterrer les morts. Ces agissements semblaient naturels aux yeux des fidèles qui, pour enlever les corps, soudoyaient leurs gardiens. Inscrits dans la lignée des soins dus aux morts, ils ne s’éloignaient pas des gestes cérémoniels ordinaires.
En 258, Cyprien, évêque de Carthage, après avoir commencé par fuir une première vague de persécution, est averti (par qui ?) de l’imminence de son arrestation.
Sachant donc que sa fin est proche, il ordonne cette fois-ci à ses gens « de compter vingt-cinq pièces d’or » au bourreau afin de corrompre les gardes. Par cette requête, Cyprien montre qu’il souhaite être enseveli, reposer en un lieu consacré, mais sait-on s’il a conscience que sa sépulture sera vénérée ? Quand, spontanément, ses compagnons « étendent des toiles de lin et des serviettes » pour recueillir le sang du martyr, Cyprien ne le désapprouve pas. Lorsque ses frères enlèvent sa dépouille, leur responsabilité consiste d’abord à soustraire celle-ci à « la curiosité des païens » : il leur importe de préserver la dignité du mort des outrages de la foule. Ce n’est que la nuit venue que le corps est enlevé « à la lueur des cierges et des torches » pour être déposé en sa dernière demeure. Où s’arrête dans ce récit l’élément funéraire, où commence l’élément religieux ? Encore une fois, la frontière est ténue. On est en droit de penser que, pour ces hommes soucieux d’accomplir leur devoir, elle ne l’était pas moins. Constatons seulement que l’évêque vit sa passion sans partager l’émoi de ses frères, qu’il reste en retrait, passif, indifférent peut-être à son devenir terrestre.
Durant toute la deuxième moitié du deuxième siècle et la première moitié du siècle suivant, l’Église a donc laissé ses fidèles libres d’inventer les gestes de dévotion qui, se répétant, allaient se ritualiser. Elle a permis le développement d’attitudes auxquelles, rétrospectivement, elle donnerait un fondement catholique.
Nous ne sommes que trop renseignés sur l’agitation qui régnait dans les prisons de l’Empire au moment où se développe l’appétence pour les reliques pour ne pas être tentés de faire le rapprochement. L’hypothèse la plus plausible est que les reliques sont apparues à un moment donné de l’Histoire comme un substitut avantageux à la diffusion du message chrétien par les confesseurs ou martyre. Pourquoi avantageuse ? Parce qu’en des temps où la stabilité de l’Église était menacée par le nombre croissant de ceux qui « tombaient », les lapsi, les reliques avaient le pouvoir plus efficacement que ne l’auraient pu confesseurs et martyrs de ramener ces derniers dans le droit
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chemin. En se montrant trop libéraux dans leur attribution d’indulgences (en signant des billets du genre : « La communion pour lui et les siens »), les martyrs avaient mis en péril l’unité de l’Église : comment gérer la voix des martyrs ? Comment faire rentrer dans le rang leurs « divergences d’attitude et de doctrine » ? Comment ne pas se laisser gagner par la division ? Le défi était d’importance vu le schisme donatiste qui s’ensuivra.
La remarquable audience qu’avaient acquise les martyrs avait pris de court la hiérarchie ecclésiastique ; les effets pervers de leur succès n’avaient pas été anticipés. C’est pourquoi l’Église se devait de réagir en désamorçant cette crise latente. En ce sens, le culte des reliques permettait à un moment opportun de fixer l’attention des croyants sur un support neutre, des signes vides qui ne demandaient qu’à faire sens, qu’à remplir une fonction au sein de la chaîne signifiante religieuse. L’Église ne pouvait donc que s’intéresser à l’acquisition de ces supports dans la mesure où, en tant que média justement, ils s’avéraient plus efficaces que la voix de ses confesseurs ou martyrs. En orientant l’honneur dû aux martyrs sur son versant commémoratif, l’Église jouait donc la sécurité contre le risque de dissidence. Au fond, c’est parce que la voix de ses champions de la foi commençait à devenir difficile à contrôler, sinon impossible, que le pouvoir ecclésiastique s’est emparé de ce biais, hautement fiable, afin de favoriser sa politique d’implantation et d’expansion. Fabriqué sur mesure aux normes et aux besoins de l’Église, ce moyen de communication allait remplacer avantageusement, et pour longtemps, le témoignage de vive voix, source d’erreurs, de divergence, voire de dissidence.
En inventant à cette fin une fonction dans sa liturgie, en lui trouvant une vocation, l’Église fixait sur un support vidé de toutes connotations mortifères l’attention des croyants, support dont elle pouvait gérer d’un bout à l’autre de la chaîne l’utilisation. La relique présente l’avantage, une fois introduite dans la grammaire religieuse, d’être malléable au gré des volontés politiques qu’elle sert. Cette opération de calibrage, qui a consisté à accueillir dans son système un élément extrinsèque pour l’intégrer à son code, ne s’est pas faite à grand renfort de publicité, mais à l’ombre de quelques grands esprits affinant les notions de « participation » et de « grâce », frayant ainsi la voie à ce que serait une pensée de la relique, écrin de la grâce descendue sur le martyr, et n’attendant que le moment de se rendre maîtres de cet instrument de contrôle, capable de soumettre les consciences des croyants qui, de son pouvoir, attendent miracles et guérisons. En évacuant la part mortifère de la relique pour transformer cet élément somatique en réceptacle de sainteté, en symbole de la foi, ils le faisaient entrer dans un système de valeur idéalisé, puisque sans signifiant. Ce changement d’état du support, qui tout à coup de débris humain devenait or pur, renversait aussi bien les logiques d’appartenance que les signes de reconnaissance déployés par celles-ci, ouvrant la porte du christianisme aux objets de vénération de toutes sortes…
Là où on rejetait comme signe de ralliement communautaire les images aussi bien que la matière, on allait désormais pouvoir, parce que le support avait changé de système de valeur, vénérer les images au même titre que les reliques.
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CULTE DES SAINTS OU CULTE DE DULIE ?
Pour plus de détails sur le sujet, voir l’ouvrage du bien nommé (c’est un pseudonyme) Pierre Saintyves 1) intitulé « Les saints, successeurs des dieux : essais de mythologie chrétienne »(1907).
Le culte de dulie est le culte réservé aux saints, par opposition au culte de latrie, réservé à Dieu, et à l’hyperdulie, réservée à la Vierge Marie. Le mot vient du grec ancien doulos, « esclave, serviteur ».
Le culte de dulie revêt deux formes : la vénération, témoignage du respect dû à un saint ; l’invocation : demande d’intercession en vue d’obtenir un avantage particulier.
Ce culte de dulie est évidemment critiqué par les Églises Réformées ainsi que par les deux autres religions monolâtres (judaïsme, islam) comme étant une trahison du principe du Dieu unique (taouhid).
Aux côtés de l’église et des objets saints, les statues de saints tiennent une place importante dans le recueillement des croyants. Elles sont l’objet de dévotion et de pratiques religieuses particulières marquées par cette importance qu’attache le fidèle à la statue. La vénération des saints est un élément à part entière de la pratique religieuse, encore plus marqué dans les communautés ethniques et les sociétés conservatrices. La matérialité de la statue est très importante puisqu’elle incarne le saint dans l’église, et ce n’est pas n’importe quel saint, c’en est un bien précis. Ainsi, cela permet au croyant de vouer un culte à ce saint en délimitant un lieu sur lequel il pourra s’exprimer en priant, allumant des bougies. La statue du saint patron de la paroisse ou de la ville est souvent plus vénérée, car l’on retient encore plus sa présence du fait de l’existence de son simple nom accolé à l’église ou la paroisse.
Le culte de dulie se définit par un temps de prière et de recueillement devant les statues de saints (ou de la Vierge Marie dans le cas d’hyperdulie) et peut se marquer d’un geste physique comme l’allumage d’une bougie.
Cette pratique religieuse a également la particularité d’être à la fois individuelle et communautaire. En effet, se recueillir, prier, est un acte individuel, intime, en revanche, voir que beaucoup de gens font la même chose sur le même lieu, envers le même saint, autour d’une foule de bougies allumées, montre que cette pratique est commune à bien d’autres personnes, ces dernières formant une communauté religieuse vénérant un même saint. Enfin, si la pratique est immatérielle, la statue, elle est bien matérielle et reste dans le temps, elle traverse les générations, ce qui crée un point d’attache pour les fidèles qui peuvent transmettre cette pratique aux futures générations.
Nous n’aborderons plus longuement le sujet que dans la troisième partie de ce bref exposé sur la religion chrétienne, mais nous pouvons d’ores et déjà indiquer que, vu les conditions d’apparition de la « dulie » en question (pendant longtemps, il n’y a pas eu de « canonisation » officielle centralisée 2) le culte des saints chrétiens a pu être l’occasion d’une récupération de certains dieux ou déesses des religions locales ou de leurs attributs.
Ni le culte des saints, ni celui des reliques qui « actualise » leur présence, ni celui des images qui les représentent – les trois étant fortement liés – ne sont en effet des nouveautés dans l’Histoire, mais les critères révélateurs de sainteté ont connu des variations selon les époques : tantôt plus d’ascétisme (parfois rapproché du « martyre »), tantôt plus de charité ou de pureté.
Voici quelques témoignages des sentiments des docteurs à cette époque. Au lieu de demander aux martyrs et aux saints d’intercéder pour les vivants, l’Église priait alors pour eux. Les formules de la plupart des anciennes liturgies attestent ce fait, qui persista même après l’évolution du Saint-Esprit sur ce sujet. Il suffit de citer quelques-unes de ces formules.
D’une manière générale, les rites funéraires chrétiens ont alors largement emprunté aux pratiques païennes. Jusqu’au début du haut Moyen Âge, d’après Ramsay MacMullen, on a placé près des morts
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leurs objets préférés ou même l’« obole de Charon ». On a continué à célébrer des banquets sur les tombes des martyrs, comme les anciens Romains le faisaient pour honorer leurs morts.
Mais dès le IIe siècle, des chrétiens vénérèrent aussi les « restes » (reliqua) des martyrs, qui sont les premiers « saints » reconnus comme tels. Parmi les premiers à avoir été ainsi honorés : Ignace évêque d’Antioche († 107 ou 113) dévoré par des fauves, et Polycarpe évêque de Smyrne († 155 ou 167) mort brûlé vif.
Pour plus de détails sur ces deux martyres et notamment celui de Polycarpe ou sur le rôle de l’évêque « apostat » Eudémon à Smyrne voir également nos tentatives de démêler le vrai du faux dans toutes ces histoires de persécutions, figurant dans nos deux opuscules précédents (les problèmes d’authenticité ne concernent pas seulement le nombre d’écrits, mais aussi leur contenu).
Les plus dévots et surtout les plus dévotes allaient même jusqu’à prier près des reliques des martyrs, et y apporter des offrandes. Une pareille foi engendrait naturellement des visions, des songes et des miracles. Ces phénomènes étaient spécialement multipliés et intensifiés dans la multitude enthousiasmée, par l’excitation produite lors de la découverte ou de l’acquisition de corps qu’on prétendait appartenir à des martyrs.
Toutes ces choses tendaient à transformer la simple vénération des souvenirs et des reliques en un véritable culte rendu aux martyrs et aux saints qui leur furent assimilés, et à les faire invoquer comme protecteurs et intercesseurs, autonomes par rapport au grand dieu suprême de la Bible.
Les chrétiens récemment sortis du paganisme y étaient particulièrement prédisposés, surtout depuis que la conversion de Constantin avait poussé dans l’Église des masses peu ou pas converties 3).
Non seulement leur ancienne religion multipliait les dieux et les demi-dieux, adaptant leurs figures et leurs fonctions à la plupart des besoins, des désirs et des curiosités des humains ; non seulement elle avait ainsi doté tous les lieux, toutes les nations, toutes les cités, toutes les corporations, toutes les professions et toutes les situations, de génies tutélaires, de protecteurs et de patrons ; non seulement elle divinisait les héros ; mais elle attribuait aux mânes des morts une puissance bienfaisante ou malfaisante sur les vivants.
L’expansion fulgurante de ce culte fut même stigmatisée par Libanius vers 350 et par l’empereur philosophe Julien qui écrivit en 363 dans son traité contre les Galiléens (peut-être cause de son assassinat) :
« Vous ajoutez sans cesse de nouveaux et nombreux cadavres au premier. Vous avez rempli le monde entier de tombeaux et de sépulcres, et pourtant, dans vos Écritures, on ne dit nulle part que vous devez vous prosterner au milieu des tombes pour les honorer. Vous êtes allés si loin dans cette iniquité que vous pensez qu’il n’y a pas lieu pour vous d’écouter les paroles mêmes de Jésus sur cette question. Écoutez pourtant ce qu’il dit sur des sépulcres : « Malheur à vous, scribes et pharisiens, hypocrites, car vous êtes comme des sépulcres blanchis : au-dehors, le tombeau paraît beau, mais à l’intérieur il est rempli d’ossements de morts et de toutes sortes d’impureté. Si Jésus a dit que les sépulcres sont pleins d’impureté, comment pouvez-vous invoquer Dieu sur eux ? »
Localement, localement (par exemple dans le culte de certains saints), il y a donc eu aussi sur le christianisme en devenir, influence de certaines autres conceptions du Divin ou récupération de certains de ses attributs.
De nombreux cultes firent en effet l’objet d’une récupération de leurs caractéristiques les plus spectaculaires.
À Catane, en Sicile, le culte d’Isis est similairement devenu celui de sainte Agathe, dont le nom même évoque la déesse-ou-démone, ou fée, nommée ainsi (Agatho daimon), et sa célèbre poitrine…
Le martyre de sainte Agathe est en effet plus que suspect comme bien d’autres (arrêtée puis torturée en l’an 251 par un proconsul romain obsédé par son corps…) et semble plus correspondre à des fantasmes masculins ou féminins qu’à autre chose. Ce qui est indéniable en tout cas c’est que le célèbre flammeum de sainte Agathe fait beaucoup penser au fameux voile d’Isis recouvrant la statue de la déesse trônant dans le parc du Centre historique national Herbert Hoover.
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La grande sainte irlandaise de Kildare, noïba Brigid, n’est que l’ultime avatar de la grande déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère ce terme, celtique, de l’époque. Brigitte, notre Sainte Vierge à nous disent les Gaëls.
Kildare (cill-dara, c’est-à-dire l’église du chêne) était un sanctuaire druidique où des hommes, et des femmes analogues aux vestales romaines, entretenaient une flamme perpétuelle.
1) Émile Nourry 1870-1935.
2) La reconnaissance de la sainteté d’un individu était le fait d’une décision populaire (la fameuse vox populi), confirmée par l’évêque du lieu. De ce fait, certaines reconnaissances de sainteté ont donc été accomplies très rapidement.
3)L’Église a peut-être toléré ces « superstitions » pour faciliter la conversion des païens restés attachés à ces pratiques, mais leur principe faisait néanmoins bien partie de sa doctrine et ce raisonnement facile à comprendre a même été théorisé. Dès le IVe siècle, différents Pères de l’Église voient dans l’hommage que rendent les fidèles aux restes des saints une action qui va plus loin que la simple prière en leur mémoire. Les reliques sont des morceaux de la vertu du saint. La vertu du saint réside dans la moindre parcelle de son corps. Pour Grégoire de Naziance par exemple, les corps des martyrs ont le même pouvoir que leurs saintes âmes, soit qu’on les touche, soit qu’on les vénère. Sur cet emprunt à la pensée magique voir plus haut l’essai sur le développement de la doctrine chrétienne par John Henry Newman de l’université d’Oxford.
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LE CULTE DES RELIQUES.
Soyons clairs ! Il existe des saints ou des saintes auxquels aucune relique n’est associée, mais il n’existe pas de reliques associées à des femmes ou des hommes ordinaires comme vous et moi. Par contre il n’existe pas de reliques qui ne soient associées d’une façon ou d’une autre à un saint.
Dans le monde occidental, la relique est indissociable du martyr dont elle prolonge l’existence. Sur quel mode la prolonge-t-elle ? Pour le comprendre, il faut distinguer le corps du saint, de l’homme qui vit en état de sainteté.
Le saint n’est pas son corps, qu’il cède volontiers aux hommes et à leur justice, mais un réceptacle de la sainteté. À l’image d’une enveloppe trop lourde, chargée de matière, le saint se débarrasse de son corps pour gagner l’au-delà. Mais, à l’inverse, son corps demeure saint et, s’il arrive qu’on le découpe pour se le partager, chaque parcelle du corps saint conserve la sainteté du saint. Le corps a beau être divisé, la grâce demeure entière, proclament les théologiens, et ce tout petit morceau de relique a une puissance égale à celle qu’aurait le martyr entier si on ne l’avait jamais partagé. Pourtant, ce disant, rien n’a été dit. Rien d’autre que ce que l’Église énonçait déjà du temps des confesseurs. Or, en abordant la question par le biais d’outils forgés par l’Église elle-même, le risque est grand d’occulter le point de vue des petits croyants, nouveaux convertis en quête de sens, indécis ou profiteurs sans vergogne, car le point de vue de l’Église n’envisage pas les conditions matérielles dans lesquelles le martyre, et les comportements qui lui sont liés, sont apparus.
Soustraire, diviser, segmenter, et thésauriser des restes humains pour les adorer n’a rien d’un geste ordinaire, encore moins spontané. Cette pratique demeura problématique longtemps après la naissance du culte des reliques CAR ELLE RELEVAIT À L’ÉVIDENCE DE LA PENSÉE MAGIQUE (voir d’ailleurs ce qu’on dit les Réformés de Wittenberg à ce sujet).
L’empereur philosophe Julien en était même choqué si l’on en croit cette citation due à sa plume : « Vous avez rempli le monde de tombeaux et de sépulcres. Pourtant il n’a été spécifié nulle part dans vos Écritures qu’il fallait se vautrer dans les tombeaux et les honorer ».
Tertullien et les montanistes furent les premiers à considérer que le martyre est l’assurance d’une gloire céleste posthume, et à donc assimiler à un devenir angélique la souffrance des persécutions suscitées par leur fanatisme. Le culte des martyrs élevés au rang de saints entrera à la fois dans une tactique d’apaisement des conflits entre leurs familles (en général des montanistes ou des donatistes comme Lucille à Carthage) et ceux qui avaient survécu, les lapsi, (comme l’évêque Mensurius), mais aussi dans une perspective prosélyte.
Les premiers documents concernant les honneurs rendus aux reliques des martyrs se rapportent à Ignace d’Antioche et à Polycarpe de Smyrne.
Ignace avait été livré aux bêtes (mode d’exécution courant à l’époque) entre 107 et 115. Suivant les Actes de son martyre, ce que les lions avaient laissé de son corps fut recueilli par les chrétiens, et transporté de Rome à Antioche.
Quant à Polycarpe il avait été condamné à être brûlé (entre 155 et 169). Le fabuleux récit de son exécution publique nous a été rapporté par un auteur désigné sous le nom de Marcian ou Marcionus dans notre texte 1).
« Le centurion, voyant la querelle suscitée par les Juifs, exposa le corps au milieu et le fit brûler comme c’était l’usage… Vous aviez désiré être informés avec plus de détail sur ces événements ; pour l’instant, nous vous en avons donné un récit sommaire par notre frère Marcionus 1). Quand vous aurez pris connaissance de cette lettre, transmettez-la aux frères qui sont plus loin pour qu’eux aussi glorifient le Seigneur qui fait son choix parmi ses serviteurs.
Appendice du manuscrit de Moscou.
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Gaïus a copié ceci dans les écrits d’Irénée ; il avait vécu avec Irénée, qui fut disciple de saint Polycarpe.
Cet Irénée, qui était à Rome à l’époque du martyre de l’évêque Polycarpe, instruisit beaucoup de personnes. On a de lui beaucoup d’écrits très beaux et très orthodoxes ; il y fait mention de Polycarpe, disant qu’il avait été son disciple ; il réfuta vigoureusement toutes les hérésies et nous transmet la règle ecclésiastique et catholique, telle qu’il l’avait reçue du saint.
Il dit aussi ceci : Marcion 2), d’où viennent ceux qu’on appelle les marcionites, ayant un jour rencontré saint Polycarpe, lui dit : « Reconnais-nous, Polycarpe. » Mais lui dit à Marcion : « Je reconnais, je reconnais le premier-né de Satan. »
On lit aussi ceci dans les écrits d’Irénée : au jour et à l’heure où Polycarpe souffrit le martyre à Smyrne, Irénée se trouvant à Rome entendit une voix pareille à une trompette qui disait, Polycarpe a été martyrisé ».
Nonobstant le problème Marcion, la lettre indique assez clairement les sentiments qui animaient ces hommes puisqu’ ils annoncent qu’ils se réuniront dans le lieu où les restes du martyr seront déposés, pour célébrer avec exaltation et joie le jour de sa naissance à la vie éternelle, tant en souvenir de ceux qui ont soutenu le combat, que pour exercer et préparer ceux qui viendront après eux.
« Ainsi, nous pûmes plus tard recueillir ses ossements plus précieux que des pierres de grand prix et plus précieux que l’or, pour les déposer en un lieu convenable. C’est là, autant que possible que le Seigneur nous donnera de nous réunir dans l’allégresse et la joie, pour célébrer l’anniversaire de son martyre, de sa naissance, en mémoire de ceux qui ont combattu avant nous, et pour exercer et préparer ceux qui doivent combattre à l’avenir ».
Parlant des juifs, qui avaient pressé le proconsul de ne pas laisser les chrétiens emporter le corps de Polycarpe, de peur que, abandonnant le Crucifié, ils ne l’adorent, ils disent : « Ils ignoraient que nous ne pourrons jamais ni abandonner le Christ qui a souffert pour le salut du monde ni rendre un culte à un autre. Car lui, nous l’adorons, parce qu’il est le fils de Dieu ; quant aux martyrs, nous les aimons comme disciples et imitateurs du Seigneur, et c’est juste, à cause de leur dévotion incomparable envers leur roi et maître ».
Ils déclarent en outre que des douze martyrs de Smyrne, Polycarpe est le seul qui soit célébré. II s’agit donc uniquement ici de perpétuer le souvenir de la fidélité héroïque d’un martyr, et de consacrer à sa mémoire une sorte de monument, pour en faire une exhortation incessante à l’admiration et à l’imitation de ses vertus…
Les fidèles passaient dans l’église qui contenait les restes des martyrs, la nuit qui précédait l’anniversaire de leur mort, changeant, comme dit Chrysostome, la nuit en jour, par ces saintes veillées.
On finira néanmoins par interdire ces saintes veillées, à cause des désordres de tout genre, qui s’y introduisirent. Mais primitivement elles avaient dû surchauffer la ferveur des fidèles.
D’autres causes devaient agir dans le même sens, sur les véritables fidèles. L’idée avait commencé à se répandre parmi eux, que les martyrs peuvent, par leur intercession, faire remettre les péchés. Sans doute à cause du fait que parfois des Églises avaient admis des lapsi à la réconciliation, sur la recommandation de fidèles qui avaient souffert pour la foi. Tertullien avait néanmoins réprouvé rigoureusement cette opinion en disant : « qui permet à un homme de donner ce qui doit être réservé à Dieu ? Qu’il suffise au martyr de payer ses propres péchés » (De pudicitia, XXII), mais d’autres théologiens étaient plus indulgents envers ceux qui avaient « failli » lors des deux vraies persécutions ayant affecté l’Empire.
Une autre incitation à vouer un véritable culte aux saints venait des spéculations des théologiens sur les sentiments des saints et des martyrs dans le ciel. Vers le milieu du IIIe siècle, Origène, tout en présentant son opinion comme une hypothèse, enseignait que les saints s’intéressent aux humains vivants et prient pour eux ou plutôt avec eux.
« S’il croit qu’après la faveur de ce grand Dieu nous devions rechercher encore celle de quelques autres, qu’il considère que comme le corps ne peut se mouvoir que son ombre ne se meuve avec lui, de même on ne peut avoir la faveur du grand Dieu que l’on n’ait en même temps celle de tous les amis de Dieu, soit anges, soit âmes, soit esprits ; car ils savent bien connaître ceux qui sont dignes des faveurs célestes : et non seulement ils sont eux-mêmes disposés favorablement pour ceux qui sont déjà dignes de la faveur du Dieu souverain, mais ils aident aussi ceux qui veulent s’appliquer à son service ; ils recherchent sa faveur pour eux, ils le prient et ils implorent sa grâce avec eux de sorte
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que nous pouvons dire hardiment que quand un homme fortement résolu à vivre comme il le doit, prie Dieu, un nombre presque infini de saintes puissances joignent leurs prières aux siennes, sans qu’elles aient sollicitées. Elles s’intéressent pour notre pauvre race mortelle, et s’il faut parler ainsi, elles prennent les armes pour nous, voyant que les troupes des démons attaquent principalement le salut des personnes qui se consacrent à Dieu et qui, etc. » (contra Celsum, VIII, 64).
Bref c’est le principe de la communion des saints ou de l’intercession des saints (notamment chaque premier novembre) redécouvert par le druide Allan Kardec et les spirites au 19e siècle.
Le tournant semble se situer dans la première moitié du IIIe siècle.
Ni Irénée de Lyon ni Clément d’Alexandrie ne semblent reconnaître l’invocation adressée aux saints : « C’est une suprême folie de demander quelque chose à ceux qui ne sont point des dieux comme s’ils étaient des dieux ». C’est donc l’Église qui semble alors prier pour les saints, non les saints pour les vivants.
Mais vers le milieu du IIIe siècle, Cyprien, évêque de Carthage disait aux membres de son clergé à propos des martyrs : « Annoncez-moi les jours où ils sont morts, afin que nous puissions célébrer leurs commémorations parmi la mémoire des martyrs… et que des oblations et des sacrifices soient célébrés ici… ».
Et au IVe siècle saint Basile ajoutera : « Celui qui touche les os d’un martyr participe de la sainteté et de la grâce qui y résident ».
Le culte des reliques s’est donc établi en lien avec celui des martyrs, autour de leurs tombes et sa liturgie a repris des pratiques antérieures au christianisme non exemptes de pensée magique.
De grands auteurs chrétiens, tels Augustin ou Jérôme, ont même été blâmés en ce domaine par des auteurs païens reprochant aux chrétiens de susciter, à travers le culte des saints, de « nouvelles idoles » 3).
L’expansion fulgurante du culte fut stigmatisée par Libanius vers 350 et l’empereur philosophe Julien écrivit en 363 dans son traité contre les Galiléens (qui fut peut-être la cause de son assassinat) : « On doit regarder Jean comme le premier auteur de cette funeste doctrine, et la source des nouvelles erreurs que vous avez établies, en ajoutant au culte du Juif mort que vous adorez, celui de plusieurs autres. Qui peut assez s’élever contre un pareil excès ! Vous remplissez tous les lieux de tombeaux, quoiqu’il ne soit dit dans aucun endroit de vos Écritures, que vous deviez fréquenter et honorer les sépulcres. Vous êtes parvenus à un tel point d’aveuglement, que vous croyez sur ce sujet, ne devoir faire aucun cas de ce que vous a ordonné Jésus de Nazareth. Écoutez ce qu’il dit des tombeaux. Malheur à vous, scribes, pharisiens, hypocrites, parce que vous êtes semblables à des sépulcres reblanchis : au dehors le sépulcre paraît beau, mais en dedans il est plein d’ossements de morts, et de toutes sortes d’ordures. Si Jésus dit que les sépulcres ne sont que le réceptacle des immondices et des ordures, comment pouvez-vous invoquer Dieu sur eux ? »
En Occident, Ambroise écrivait (377) : « Nous devons adresser nos instances aux anges qui ont été préposés à notre garde ; nous devons aussi les adresser aux martyrs, dont le patronage nous semble garanti par un gage corporel (leurs reliques). Ils peuvent demander le pardon pour nos péchés, eux qui, s’ils ont commis des péchés, les ont lavés dans leur propre sang. Ils sont les martyrs de Dieu, nos chefs, les témoins de notre vie et de nos actions. N’ayons point honte de solliciter leur intercession pour nos infirmités, eux-mêmes ont fait l’expérience des infirmités du corps, quoiqu’ils les aient vaincues » (De Viduis, IX, 55).
Après lui, Jérôme loue (vers 390) une sainte femme appelée Constance, qui avait coutume de passer les nuits auprès du tombeau de saint Hilarion, et qui conversait avec lui, comme s’il était vivant.
Tous deux dépassés par saint Chrysostome qui ira jusqu’à écrire : « Les corps des saints protègent nos cités plus sûrement que les remparts de diamant et les murs infranchissables. Ils ne repoussent pas seulement les assauts de l’ennemi visible ; ils renversent aussi les plans des démons invisibles et de toutes les puissances du mal » (Saint Chrysostome Homélie sur les martyrs égyptiens). La prise de la ville syrienne de Bosra en 632 par les musulmans sera néanmoins la preuve que non.
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Des « miracles » se produisaient donc sur leur tombe ou à leur contact, augmentant la foi dans leur pouvoir d’intercession. Ce pouvoir d’intercession s’individualisera au cours du Moyen Âge. Certains saints guérisseurs par exemple se virent assigner par la croyance populaire des spécialisations thérapeutiques, parfois en fonction de la simple consonance de leur nom, ainsi saint Mamert pour les maux de seins, saint Clair qui soigne les yeux (mais assure aussi le soleil pour les mariages), saint Ouen contre la surdité ou saint Eutrope pour l’hydropisie et les enfants qui boitent (en occitan, Eutrope se dit Estropi).
Parmi les adversaires notoires de ce culte, on trouve donc, dès le commencement, Vigilance (fin du IVe siècle) ; après lui, les iconoclastes grecs ; Claude de Turin (mort en 839) ; Guibert de Nogent (XIe siècle), avec son livre De Pignoribus sanctorum ; les cathares ; Wiclef (mort en 1384).
Au XVIe siècle, la prolifération des reliques, éventuellement même la multiplication des exemplaires d’une même relique, entraîna des doutes sur l’authenticité de certaines d’entre elles, malgré les cérémonies d’« authentification » par les évêques recherchant leur « traçabilité ». En outre, un véritable « trafic » (payant ou de courtoisie) s’est même instauré à un moment donné, entre les catacombes romaines et les cours épiscopales ou princières : on offrait des reliques comme des cadeaux (il y avait en 1518 à Wittemberg 17443 reliques).
Luther attribue à l’Antéchrist lui-même l’invocation des saints et les abus qui en ont résulté. Il attaque surtout les reliques, à cause des ossements de chiens et de chevaux qu’on trouva vénérés en cette qualité, lors des premiers mouvements de la Réforme. À propos des chiens guérisseurs, voir notre article sur saint Guinefort ou saint Gelert au Pays de Galles.
« Ces reliques, dans lesquelles on trouve tant d’impostures et de bouffonneries (des os de chiens et de chevaux), que même le diable a dû rire de ces escroqueries, auraient dû être condamnées depuis longtemps, même s’il y avait quelque bien en elles ; et ce d’autant plus parce qu’elles sont contraires à la Parole de Dieu. N’étant ni recommandées ni conseillées, ce sont donc des choses totalement superflues voire inutiles ». (Art. de Smalcade, II, 2, 22).
La polémique avec les Réformés nous a valu l’excellent Traité des reliques de Jean Calvin (1543). Avec une ironie décapante, Calvin montre les difficultés que peut susciter une pratique excessive de leur vénération, que le IVe concile du Latran, en 1215, avait interdite sans l’accord du pape, et qui constituait comme un appendice lié au culte des saints : « Au lieu de méditer leur vie, pour suivre leur exemple (le monde) a mis toute son étude à contempler et tenir comme trésor leurs os, chemises, ceintures, bonnets, et semblables fatras ». Calvin dénonce la prolifération de certaines reliques dont l’authenticité était sujette à caution : il compte, par exemple, répartis en divers lieux, pas moins de 14 clous de la « vraie Croix » ; on pourrait ajouter des tonnes de bois de cette même « vraie Croix », plus quelques « saints prépuces », etc.). Et le principe même de la relique – à cause sans doute du risque d’en faire un talisman – lui semble idolâtre. « Le principal serait d’abolir entre nous chrétiens cette superstition païenne de canoniser les reliques, tant de Jésus-Christ que de ses saints, pour en faire des idoles. »
Au XVIe siècle, toutes les églises réformées rejetèrent donc le culte des saints. La mémoire des saints peut être proposée, afin d’en tirer des motifs pour fortifier notre foi, par la considération des grâces qu’ils ont reçues et des délivrances accordées à leur foi ; de plus, pour nous inciter à imiter leur foi et leurs bonnes œuvres, chacun suivant sa vocation […] Mais qu’il faille invoquer les saints, c’est ce qu’on ne peut démontrer par l’Écriture. Au contraire, il n’y a qu’un seul rédempteur, un seul médiateur entre Dieu et les humains, savoir Jésus-Christ (Confession d’Augsbourg, art. 21).
La seconde Confession helvétique s’exprime ainsi : Nous reconnaissons que les saints sont des membres vivants du Christ, des amis de Dieu, qui ont glorieusement vaincu la chair et le monde. Aimons-les donc comme des frères ; honorons-les aussi, non cependant de quelque culte, mais de l’honorable estime que nous faisons d’eux. Imitons-les ».
Avec sa rudesse habituelle, la vieille Confession de foi de La Rochelle (1559) précise : puisque Jésus-Christ nous est donné pour seul avocat… et, puisqu’il ne nous est pas permis de prier sinon en la forme que Dieu nous a dictée par sa Parole ; nous croyons que tout ce que les hommes ont imaginé des saints trépassés n’est qu’abus et tromperie de Satan, pour faire dévoyer les hommes de la forme de bien prier (art. 24).
Il faudra le concile de Trente (1545-1563) pour ramener tout le monde à la raison. En sa XXVe session, par un décret intitulé De invocatione, veneratione et reliquiis sanctorum et de sacris imaginibus, le concile a résumé la doctrine de l’Église romaine sur ces matières.
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Son décret justifie la vénération du corps des martyrs, celle des reliques, et les honneurs rendus aux images du Christ, de la Vierge ou des saints, car « à travers ces images… devant lesquelles nous nous prosternons, c’est le Christ que nous adorons et les saints dont elles portent la ressemblance, que nous vénérons…
« Le saint synode enjoint aux évêques d’instruire diligemment leurs fidèles particulièrement sur l’intercession et l’invocation des saints, la prière qu’on leur adresse, l’honneur qu’on rend aux reliques et le légitime usage des images. Que les évêques apprennent (aux fidèles) que les saints qui règnent avec Jésus-Christ offrent à Dieu leurs prières pour les hommes ; qu’il est bon et utile de les invoquer humblement et d’avoir recours à leurs prières, à leur aide et à leur assistance pour obtenir des grâces et des faveurs de Dieu par son Fils, Notre Seigneur Jésus-Christ, qui seul est notre Rédempteur et notre Sauveur. Et ceux qui nient cela ou disent que ces demandes seraient idolâtres, ou que c’est une chose qui répugne à la Parole de Dieu et qui est contraire à l’honneur que l’on doit à Jésus-Christ seul et unique médiateur entre Dieu et les hommes, ou même que c’est pure folie de prier vocalement ou mentalement ceux qui règnent dans les cieux, (ces négateurs) ont des sentiments contraires à la piété ».
À cela les réformés comme Calvin répondent que Jésus lui-même a formellement prohibé toute espèce de culte, d’hommage, de service religieux, attribuée à quiconque n’est pas Dieu, lorsqu’il répondait au Tentateur : « Il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu le serviras lui seul » (Matthieu., IV, 10 ; Luc, IV, 8). Ces paroles du Deutéronome (VI, 13 ; X, 20) devant avoir dans la bouche de Jésus le même sens que dans le livre auquel il les empruntait, et que dans l’entendement des Juifs, a qui elles avaient été primitivement adressées.
D’après les Réformés donc, la différence alléguée par le IIe concile de Nicée (787), entre le culte de latrie (adoration) et le culte de dulie (service, hommage) n’est qu’une distinction nominale, destinée à déguiser une infraction à la loi divine. Elle est démentie par les faits ; car lorsque les humains rendent un culte aux créatures, ce culte finit ordinairement par obscurcir et éclipser le culte dû à Dieu. Il est fort difficile en effet de ne pas diviniser ceux à qui on adresse des invocations et de qui on attend assistance, lorsqu’ils ne vivent plus sur la terre. À cette difficulté se rattachent les questions suivantes : Comment les saints connaissent-ils les prières qui leur sont adressées ? Comment se produisent les effets de leur intercession ?
Comme ils devaient avoir une affection toute particulière pour l’espèce humaine dont ils avaient fait partie, et vraisemblablement une sincère indulgence pour les faiblesses qu’ils avaient eux-mêmes éprouvées, il était naturel qu’on s’adressât à eux plus volontiers qu’à Dieu ; de sorte qu’ils devinrent de nouveaux médiateurs entre Dieu et les humains, médiateurs auxquels on rendait un culte plus assidu et plus fervent qu’au Christ lui-même. Plus l’usage se répandait d’adresser des prières aux saints, plus le peuple admettait sans réserve qu’ils entendaient ces prières.
Or qu’on le veuille ou non, croire qu’un saint peut plus efficacement que nos simples prières, infléchir la volonté de Dieu, sa colère contre nous, son sens de la justice, afin de le rendre plus sensible à notre sort, à nos demandes, en deux mots plus indulgent à notre égard, est bien une idée typiquement païenne !
Hugues de Saint-Victor paraît être le seul qui ait reproduit les hésitations de saint Augustin sur ce sujet, demandant qu’on laissât la question indécise, comme ne présentant aucune importance pratique. Ainsi que saint Augustin, il faisait observer que, indépendamment de nos demandes d’intercessions, les saints prient constamment pour nous. Or, Dieu entend nos prières, il peut certes exaucer les intercessions des saints, qui s’accordent avec nos prières, mais il entend d’abord et avant tout nos prières. Cette opinion, n’impliquant qu’une intercession générale, exclut l’idée d’un véritable patronage, c.-à-d. d’une relation individuelle et directe entre le saint et les fidèles qui l’invoquent.
La légende dorée de l’évêque de Gênes, Jacques de Voragine, propagera le culte des saints par toute une série de récits populaires propres à nourrir l’imagination sadomasochiste des fidèles, mais issus en grande partie des mythes ou cultes païens de ces régions.
Du XVIIe au XIXe siècle (et bien au-delà), en France, le culte des saints est néanmoins resté très vif, en particulier dans les campagnes, à travers des pratiques de protection agraire. En ville, il a donné lieu à la création de confréries, d’autant plus vivantes qu’elles étaient le lieu d’un réseau de solidarités et de convivialité, par exemple dans les confréries professionnelles autour d’un « saint patron ».
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Pendant longtemps, il n’y eut pas de « canonisation » officielle centralisée. La reconnaissance de la sainteté d’un homme était le fait d’une motion populaire (la fameuse vox populi), confirmée par l’évêque du lieu. De ce fait, certaines reconnaissances de sainteté ont été accomplies très rapidement. Au fil des siècles, pour éviter le n’importe quoi, une procédure plus ou moins longue se mit en place.
En ce qui concerne l’Église catholique, elle a été formalisée, avec une méticuleuse enquête en différentes étapes, par le pape Urbain VIII en 1634. Aujourd’hui c’est la Congrégation pour les causes des saints, créée en 1969 par Paul VI (en dédoublant la Congrégation des rites établie par Sixte Quint en 1588), qui administre l’ensemble des procédures (héroïcité des vertus, sainteté de vie, examen des éventuels écrits, miracles accomplis, etc.) menant à la béatification, puis à la canonisation. Depuis peu, on constate qu’une certaine « pression » populaire ou médiatique peut se faire sentir, comme ce fut le cas pour la mère Teresa de Calcutta ou le pape Jean-Paul II (« santo subito ! »), béatifiés dans des temps records pour notre époque : 6 ans pour l’une et pour l’autre, alors qu’il fallut près de cinq siècles pour Jeanne d’Arc.
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MARIOLOGIE.
Sainte Vierge, Sainte Mère, Mère de Dieu, Épouse du Christ, Épouse de l’Esprit, Reine des cieux. Qui est cette figure emblématique qui a obtenu des titres aussi élevés et une position au ciel si unique ? D’où venait-elle, et comment est-elle passée de l’humain au quasi divin ? Sur quoi sont fondés les dogmes qui se rapportent à elle, et comment pouvons-nous comprendre la fervente dévotion qui lui a été accordée au fil des siècles ?
Une des meilleures réponses a été apportée par le docteur en philosophie Stephen Benko (1924-2014) et son ouvrage intitulé « La déesse vierge ». Son étude évite en effet les polémiques inutiles avec le catholicisme (comme ça vous ne vous fâcherez pas avec votre grand-mère).
« Le christianisme », note Benko, « n’a pas ajouté un nouvel élément à la religion lorsqu’il a introduit dans sa théologie des concepts comme la « vierge » et la « mère » ; il a plutôt raffiné les images qui existaient déjà sous différentes formes dans la mythologie païenne. »
Pour comprendre le phénomène Marie dans le catholicisme, il convient d’abord d’établir ce que l’Église catholique a utilisé comme base, puis d’examiner l’imagerie qui s’est développée.
Le culte qui a eu la plus grande influence sur le christianisme ancien fut, selon Benko, celui de la Grande Mère (Magna Mater). Connue en Asie Mineure sous le nom de Cybèle, elle allait devenir plus tard le modèle pour la mariologie. Dans toute la région, de nombreux prêtres de la nouvelle religion chrétienne étaient recrutés parmi les classes païennes éduquées, apportant tout naturellement avec eux leurs idées philosophiques grecques. Ainsi les concepts stoïciens et néo-platoniciens de grandes déesses mythologiques furent projetés sur Marie et légèrement adaptés : les admirateurs de Cybèle la considéraient principalement comme une déesse chaste, belle et aimable ; son culte était centré sur le salut et son culte préconisait le baptême, non dans l’eau, mais dans le sang d’un taureau fraîchement sacrifié. Le culte enrôlait également des prêtres célibataires (qui s’étaient parfois castrés eux-mêmes) ainsi que des prêtresses vierges.
Fernand Lequenne, dans son livre intitulé LES GALATES (Évreux 1959) attribue même précisément aux Gaulois d’Asie Mineure la montée en puissance du culte marial dans le christianisme. Je le cite.
« Nous sommes à Constantinople. Il suffit de la maladresse d’un prêtre qui [en 428 ?] en chaire parlant de Marie affirme que le terme théotokos (Mère de Dieu) ne convenait pas et qu’il fallait dire seulement « mère de Jésus ». Le scandale éclate. Sommé de désavouer son prêtre, le patriarche Nestor revendique la responsabilité de l’incident, car, dit-il, Jésus-Christ possède deux personnes, celle de l’homme Jésus, celle de Dieu… Nestor répond en poussant l’empereur à convoquer un concile œcuménique (mondial). On convient de le réunir à Éphèse. Éphèse !… Et c’est dans la basilique double de Jésus et de Sainte-Marie que se réunira le concile. Nous sommes en 431.
Les évêques arrivent de partout. Saint Cyrille, chargé par le pape de le représenter, assure la présidence. L’un des Pères le plus en vue et qui figure à la place d’honneur est le Galate Théodote, archevêque d’Ancyre… S’y trouvait aussi en bonne place comme métropolitain l’évêque de Pessinonte… Les sessions succèdent aux sessions. Dehors la foule, énorme, manifeste à longueur de journée. La ferveur pour Marie était si immense que les évêques voisins étaient venus accompagnés d’autres foules. Toutes criaient : « Théotokos, théotokos ! » Parmi elles un nombre considérable de Galates… Le concile multipliait les questions : comment parler de Marie sans parler de Jésus, et du Verbe sans parler de l’Esprit ? Et de la Trinité ? Comment parler de Marie ?? ».
Et pour étayer sa thèse, notre auteur prend soin de rappeler que sur dix postes de prêtres principaux du culte de Cybèle, cinq étaient aux Galates, cinq aux Phrygiens ; et que « l’ancienneté permettait à chacun d’accéder un jour au titre suprême d’Attis. De même, à Ancyre notamment, verra-t-on un jour des femmes galates devenir prêtresses d’Artémis. Et il y aura des druides dans le culte des mages » (page 121).
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Les historiens protestants se font généralement un malin plaisir d’affirmer ou de suggérer que le culte d’hyperdulie voué à Marie dans l’Église catholique n’est que la continuation du culte de Cybèle et qu’il n’y a rien de tel dans les Saintes Écritures. Mais ce sola scriptura ne vaut guère mieux que les raisonnements du type « hôpital qui se moque de la charité ».
Il est certain que pour ce qui est de la forme du symbolisme et des images il y a dû avoir de nombreux emprunts.
Il est certain que dans la région d’origine du culte de Cybèle qui recoupe partiellement celle correspondant au berceau du christianisme, l’influence sur le fond a dû également se faire sentir. Le culte de Cybèle a dû pousser les anciens païens devenus chrétiens de cette région du monde à accorder à la mère de Jésus-Christ une importance un intérêt et un rôle dépassant celui d’une simple mortelle.
D’autant plus que le courant chrétien à l’origine des futurs catholiques, qui leur a permis de s’affirmer entre le gnosticisme et le marcionisme, à savoir le montanisme, a justement été fondé par un ancien prêtre de Cybèle : Montanus. Or les catholiques ne sont que des montanistes modérés (notamment pour ce qui est du martyre).
Par contre plus on s’éloigne du Moyen-Orient et moins nos amis protestants ont raison. Le manque de culture AUTRE QUE LA CULTURE GRECO-ROMAINE a en effet eu comme résultat que les premiers chrétiens en Occident ont vu des Cybèle ou des Jupiter partout.
Alors que ce n’était pas le cas.
Prenons par exemple le cas de saint Symphorien d’Autun. S’il s’était un tant soit peu intéressé à la culture de son pays d’accueil il aurait tout de suite compris que la Cybèle en question n’était que l’interpretatio graeca ou romana d’une grande déesse celte de la fécondité ou de la fertilité des sols : Rose-Martha.
Vu la prédominance des noms gréco-romains dans les diatribes de ces adeptes de la religion d’amour contre les coutumes paysannes d’Occident, on peut donc douter de la pertinence ou de la profondeur de leurs réflexions en matière de religion populaire.
L’historiographie protestante a par conséquent tort de ne voir que Cybèle derrière le culte d’hyperdulie qui s’est développé autour de la personne de Marie.
Mais il y a néanmoins un fond de vrai dans l’équation qu’elle déroule.
De nombreux mythes contradictoires entourent Cybèle. Elle est parfois considérée comme une nymphe en raison de ses liens avec la nature. À l’origine elle aurait été hermaphrodite et les dieux l’auraient castrée pour en faire une femme. La légende raconte, qu’amoureuse de son fils-amant Attis, celui-ci la trompa. Cybèle se vengea en faisant abattre l’arbre dont dépendait la vie de sa compagne. Son grand chagrin le rendit fou, le poussa à se castrer et à mettre fin à ses jours. Cybèle attendrie par sa douleur le transforma en pin.
L’installation de la statue de Cybèle à Constantinople est un parfait exemple de son évolution. Si l’on en croit Zozime, l’empereur Constantin aurait fait venir une statue de Cyzique sur la Propontide, mais l’aurait fait modifier.
Ou plus exactement Constantin aurait fait construire un temple dédié à la déesse Tyché à côté de sainte Sophie et pour la statue devant l’orner il aurait fait modifier une statue de la déesse Rhéa-Cybèle. « Son mépris pour la religion [fit qu’il] enleva les lions qui étaient de chaque côté [de la déesse] et modifia la position de ses mains ; alors qu’elle semblait auparavant retenir les lions, elle semble maintenant en prière, regardant la cité pour la protéger ».
Ce qui est plus conforme à l’iconographie chrétienne concernant la mère de Dieu.
Cinq siècles plus tôt en 204 avant notre ère Cybèle avait fait son entrée dans Rome sans modifications de sa personne, mais avec des changements concernant ses prêtres. Les Romains étaient allés la chercher chez leurs ennemis gaulois de Pessinonte (actuellement Turquie) pour les aider à gagner la guerre contre Carthage. En tout cas l’arrivée à Rome de la divinité représentée par la pierre sacrée noire * « le bétyle » coïncida avec la victoire !
En ces temps très anciens, de nombreuses divinités étaient introduites à Rome, souvent ramenées par les soldats revenant de leurs expéditions. La différence avec Cybèle était qu’elle a été introduite officiellement. Elle arrive à Rome en avril 204 avant notre ère par le Tibre. On l’amène en procession dans le sanctuaire de la Victoire sur le Palatin. Un temple est construit en son honneur.
De nouveaux prêtres, les archigalles, sont choisis parmi les citoyens romains. Ceux-ci ne sont pas des eunuques. Le culte de Cybèle évolue en faveur d’Attis en mettant l’accent sur le mort et la résurrection. Le culte de cette grande Déesse se propage dans plusieurs sanctuaires romains. L’image de la déesse est présente dans tous l’Empire romain et cela jusqu’à la fin.
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Le mélange de différentes doctrines, appelé syncrétisme, n’était pas nouveau, mais plutôt récurrent, dans les religions du bassin méditerranéen. Tout comme le mélange d’images et d’idées païennes vers d’autres religions païennes, ce mélange a commencé à avoir lieu vers le christianisme dans ce que Benko appelle l’« équivalence fonctionnelle ». Les premiers siècles de cette ère, pendant laquelle la religion chrétienne primitive fut embrassée et modifiée par les différentes cultures du monde hellénistique, a été une période de syncrétisme particulièrement rapide. Les images de différentes déesses distinctes ont fusionné au point de ne plus pouvoir les distinguer.
Benko mentionne d’ailleurs Artémis, Astarté, Céleste, Cérès, Cybèle, Déméter, Diane, Ishtar, Isis et Séléné.
Et conclut ainsi son essai « « Je suggère qu’il existe une ligne directe, continue et clairement visible entre les anciens cultes voués aux déesses et la vénération et finalement le culte voué à la Vierge Marie ».
« Marie fut finalement déclarée ‘Mère de Dieu’, qui est un terme complètement païen auquel on a attribué une signification chrétienne. Marie est-elle devenue une déesse lorsque cette déclaration a été faite ? La réponse des chrétiens fut, et est encore, un « non » indigné ! Mais en fait, Marie a assumé les fonctions de divinités païennes féminines et pour de nombreux chrétiens pieux, elle a fait, et fait, tout ce que les anciennes déesses faisaient. »
* Comme dans la Kaaba de La Mecque.
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DOCUMENT.
LA RÈGLE DE SAINT COLOMBAN DE BOBBIO.
I. DE L’OBÉISSANCE.
Au premier mot de l’ancien, il convient que tous ceux qui l’entendent se lèvent pour obéir, parce que l’obéissance est une offrande faite à Dieu. Notre Seigneur Jésus-Christ a dit : « Qui vous écoute, m’écoute » (Luc 10,16). Si donc quelqu’un, en entendant son ancien, ne se lève pas immédiatement, il sera considéré comme désobéissant.
Il. DU SILENCE.
Quant au silence, la règle doit en être observée avec soin, car il est écrit : « Le fruit de la justice, c’est le silence et la paix » (Isaïe 32,17). Donc, sous peine d’être convaincu de bavardage, il faut se taire, excepté pour les besoins et les nécessités, car il est dit dans l’Écriture : « Dans un flot de paroles, le péché ne manque jamais » (Proverbes 10,19). Et c’est pour cette raison que le Sauveur a déclaré : « C’est d’après tes paroles que tu seras sauvé, c’est d’après tes paroles que tu seras condamné » (Matthieu 12,37).
En toute justice, seront condamnés, ceux qui n’ont pas voulu dire de choses justes quand ils le pouvaient ; mais ont préféré se livrer, avec une loquacité bavarde, à de fort méchants propos, injustes, impies, injurieux, incertains, inutiles faux, querelleurs, outrageants, honteux, mensongers, blasphématoires, aigres et pleins de détours. Il faut s’abstenir de tels propos et de tout ce qui peut leur ressembler. On doit s’exprimer avec circonspection et mesure, en évitant que les médisances et les contradictions passionnées n’éclatent en un détestable verbiage.
III. DE LA NOURRITURE ET DE LA BOISSON.
Que la nourriture des moines soit pauvre et qu’on la prenne le soir, de façon à fuir la satiété ainsi que, dans la boisson, l’ébriété. Ainsi, maintiendra-t-on la vie sans lui causer de préjudice. Ce seront des légumes frais et secs, de la farine cuite à l’eau, accompagnée d’un petit pain pesant un paximace (200 grammes ???) de façon à ne pas surcharger l’estomac et de la sorte étouffer l’esprit. En effet, qui désire les récompenses éternelles doit se soucier uniquement de ce qui est utile et avantageux à l’usage. C’est pourquoi l’usage de la vie doit être modéré, comme doit être modéré le travail, car le vrai discernement consiste à sauvegarder la possibilité du progrès spirituel, tout en matant la chair par l’abstinence. En effet, si l’abstinence dépasse la mesure, elle devient un vice, non une vertu, car la vertu embrasse et enferme une multitude de biens. Il faut donc jeûner tous les jours, de même qu’il faut se refaire chaque jour. Et, puisqu’il faut manger chaque jour, que l’on accorde à son corps une nourriture pauvre et parcimonieuse ! Oui, chaque jour, il faut se sustenter, puisque chaque jour, il faut progresser, chaque jour prier, chaque jour travailler, chaque jour faire la lecture.
IV. DE LA PAUVRETÉ VOLONTAIRE, ET QU’IL FAUT VAINCRE LA CUPIDITÉ.
Dans ces conditions, nous avons besoin de peu, selon la parole du Seigneur, et même d’une seule chose. Peu de choses en effet sont vraiment nécessaires, celles sans lesquelles on ne peut vivre, et même une seule, c’est-à-dire, au sens littéral, la nourriture. Mais il nous faut, par la grâce de Dieu, la pureté du cœur pour comprendre avec notre esprit en quoi consiste ce petit nombre d’obligations de charité indiqué à Marthe par le Seigneur.
V. QU’IL FAUT VAINCRE LA VANITÉ.
Que de grandes phrases ne sortent pas de la bouche du moine, pour que ne faiblisse pas son labeur.
VII. DE L’OFFICE.
Quant à la synaxe, c’est-à-dire l’office des psaumes et la mesure canonique des prières, quelques distinctions sont à faire, car cette pratique a été codifiée diversement par différents auteurs. Donc, en tenant compte de notre manière de vivre et de la succession des saisons, il faut qu’à mon tour j’en traite par écrit de façon détaillée. La psalmodie ne doit pas toujours être la même, à toutes les époques de l’année, mais il convient qu’elle soit plus longue quand les nuits sont longues, et plus courtes quand les nuits sont courtes. C’est pourquoi, en accord avec nos anciens, à partir du 24 juin, date à laquelle la nuit se met à croître ; l’office commence à augmenter graduellement depuis douze chœurs, la plus petite quantité prévue pour la nuit du samedi et celle du dimanche. Jusqu’au commencement de l’hiver, c’est-à-dire le 1er novembre. Alors, on chante vingt-cinq psaumes avec refrain, qui suivent toujours en troisième lieu deux psaumes psalmodiés, ceux-ci étant deux fois plus nombreux. De telle sorte que le psautier entier sera chanté dans les deux nuits mentionnées plus haut, tandis que pour les autres nuits on s’en tient, tout l’hiver, à douze chœurs. À la fin de l’hiver, graduellement, chaque semaine pendant tout le printemps, on diminue toujours de trois psaumes, de
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sorte que douze psaumes avec refrain demeurent seulement pour les nuits saintes. Autrement dit les trente-six psaumes de l’office quotidien en hiver, mais vingt-quatre pendant tout le printemps et l’été jusqu’à l’équinoxe d’automne, c’est-à-dire le 24 septembre. Alors la façon de célébrer la synaxe redevient la même qu’à l’équinoxe de printemps qui tombe le 25 mars, étant donné que, comme le flux et le reflux, l’office croît et décroît peu à peu. Nous devons donc proportionner nos veilles à nos forces […]
Comme je l’ai dit, la vraie tradition de la prière (se diversifie toujours) ; selon ce que l’on peut assumer sans se dégoûter du propos que l’on a formé à cet égard ; selon ce que l’on peut faire et que l’on est capable de mener à bien ; selon ce que les dispositions de l’âme/esprit, compte tenu des nécessités, ainsi que la manière de vivre ; rendent possible. Et aussi d’après ce que requiert la ferveur de chacun ; s’il est libre et seul, ou que son degré d’instruction le demande, ou que le loisir de son état, l’ardeur de son zèle, son genre d’occupation, et l’âge qui est le sien ; le permettent. Il faut estimer différemment la manière de réaliser cet idéal, pourtant unique, car il doit composer avec le travail et le lieu. Et ainsi, bien que la durée de la station debout, mais aussi celle du chant, soit variée, on entretiendra ainsi avec une égale perfection la constante prière du cœur et l’attention continuelle de l’âme à Dieu.
VIII. DE LA DISCRÉTION.
Combien la discrétion est nécessaire aux moines, l’égarement de beaucoup le fait voir, et la ruine de certains le démontre ! Ils ont commencé sans discrétion et, faute de science pour les diriger, ils ont été incapables de mener jusqu’au bout une vie louable. Car, de même que l’erreur égare ceux qui marchent sans suivre un chemin, de même, pour ceux qui vivent sans discrétion, la démesure est inévitable ; et celle-ci est toujours contraire aux vertus, qui se situent au milieu, entre deux excès contraires. Passer la mesure, c’est fatalement rencontrer le danger, puisque, le long du droit sentier de la discrétion, notre adversaire place la pierre d’achoppement du mal, et les embûches de toutes sortes d’erreurs. On doit donc continuellement prier Dieu qu’il dispense la lumière de la vraie discrétion pour éclairer ce chemin bordé de chaque côté par les épaisses ténèbres du monde. De telle sorte que ses vrais adorateurs soient capables de traverser cette obscurité jusqu’à lui, sans s’égarer.
La discrétion tire donc son nom de « discerner », car c’est elle qui discerne en nous entre Bien et Mal, et aussi entre moyens et fins. Depuis le début, après que le mal eut commencé d’exister, du fait du démon, par la corruption du bien, les deux catégories, c’est-à-dire les biens et les maux, ont été séparées comme la lumière et les ténèbres. Mais Dieu, qui opéra la séparation, avait d’abord donné la lumière (Genèse 1,3-4).
Ainsi le pieux Abel choisit-il le bien, tandis que l’impie Caïn tombait dans le mal (Genèse 4,1-8).
[Note de la rédaction. Rappelons, n’en déplaise à noïbo Colomban, que rien, mais alors rien, dans le texte biblique, n’indique que Caïn ait été impie AVANT d’être victime de la discrimination divine que l’on sait. S’il est devenu impie, c’est après avoir été, sans raison avouée, rejeté par Dieu, enfin du moins par le dieu-ou-démon, d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob].
Dieu a fait bon tout ce qu’il a créé (Genèse 1,31), mais le diable est venu y semer le mal (Mathieu 13, 24-30), avec ses ruses perfides et la suggestion sournoise de sa périlleuse flatterie (Genèse 3,1-5).
Quels sont donc ces biens ? Ceux qui sont restés inviolés ou intacts, comme s’ils venaient d’être créés. Dieu [seul] les a créés ou « préparés », suivant l’Apôtre (Éphésiens 2,10) « pour que nous y marchions. Ce sont les œuvres bonnes dans lesquelles nous avons été créés par le Christ Jésus ». Bonté, pureté, piété, justice, vérité, miséricorde, charité, paix qui procure le salut, joie spirituelle, avec le fruit de l’Esprit (Galates 5, 22). Toutes ces choses, avec leurs fruits, sont bonnes.
Et voici les maux qui en sont le contraire : malice, corruption, impiété, injustice, mensonge, avarice, haine, discorde, amertume, avec les multiples fruits qui en proviennent. Innombrables, en effet, sont les rejetons engendrés par ces deux contraires, c’est-à-dire le bien et le mal. Ce qui s’écarte de la bonté ou de l’intégrité de la création, voilà le premier mal, c’est-à-dire l’orgueil de la malice première. Son contraire est l’humble estimation d’une pieuse bonté, qui reconnaît son Créateur et le glorifie, ceci constituant le premier bien d’une créature raisonnable. C’est ainsi que tout le reste s’est développé peu à peu dans les deux sens, en un immense foisonnement de noms.
Dans ces conditions, il faut s’en tenir fortement au bien, en recevant le secours de Dieu, qu’il faut sans cesse demander par la prière ; tant dans le succès que dans l’adversité, afin d’éviter l’enivrement de la vanité dans le succès, mais aussi la chute dans le découragement au sein de l’adversité. Il faut donc se garder sans cesse de ce double danger, c’est-à-dire de tout excès ; par une noble tempérance et une véritable discrétion, qui se maintiennent dans l’humilité chrétienne et ouvrent le chemin de la perfection aux vrais soldats du Christ. Cela revient à toujours discerner avec justesse dans les cas douteux, et à savoir distinguer en toutes circonstances le bien du mal. Soit entre biens et maux extérieurs à nous, soit en nous-mêmes, entre corps et âme, soit entre actes et habitudes, entre activité ou repos, entre vie publique et privée.
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Quant au mal, on doit pareillement s’en garder : orgueil, envie, mensonge, corruption, impiété, mauvaises mœurs, gourmandise, fornication, cupidité, colère, tristesse, instabilité, vaine gloire, médisance.
Et maintenant les biens des vertus qu’il faut rechercher : humilité, bienveillance, pureté, obéissance, abstinence, chasteté, libéralité, patience, joie, stabilité, ferveur, ardeur au travail, vigilance, silence.
Tout cela en outre, avec la force d’esprit qui fait supporter ainsi que la tempérance qui modère, est à mettre sur les plateaux de la discrétion comme dans une balance ; afin d’y peser nos actes habituels selon les possibilités de nos efforts, dans la recherche continuelle de ce qui est le plus approprié. Si ce qui est suffisant ne convient pas, il ne fait de doute pour personne que l’on a passé la mesure de la discrétion, et tout ce qui dépasse cette mesure est manifestement vicieux.
Entre le trop et le trop peu, la juste mesure se trouve donc au milieu. Sans cesse elle nous détourne de tout ce qui est superflu d’un côté ou de l’autre. Introduite en toute chose, elle procure partout le nécessaire et refuse les caprices déraisonnables d’une volonté de superflu. Cette mesure de la vraie discrétion, en pesant tous nos actes à leur juste poids, ne nous permettra jamais de nous écarter de ce qui est juste. Et si nous la suivons toujours correctement, à la manière d’un guide, elle ne nous laissera pas nous égarer. Car s’il faut toujours se garder de part et d’autre, selon le mot de l’Écriture « Gardez-vous à droite et à gauche ! » (Deutéronome 5, 32), il faut toujours marcher droit par la discrétion, c’est-à-dire par grâce à la lumière de Dieu, en répétant souvent et en chantant le verset du Psalmiste victorieux. « Mon Dieu, illumine mes ténèbres, car c’est par toi que j’échapperai à la tentation » (psaumes XVII, 29-30). En effet, « la vie de l’homme sur terre est une tentation » (Job 7,1).
IX. DE LA MORTIFICATION.
La mortification consiste en trois choses : exclure de son esprit la discorde, ne pas laisser sa langue dire ce qui lui plaît, n’aller nulle part sans permission. Elle fait toujours dire à l’ancien qui donne un ordre, fût-il contraignant : « Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Matthieu 26, 39). Selon l’exemple de Notre Seigneur et Sauveur qui a dit : « Je suis descendu du Ciel pour faire non pas ma volonté, mais celle de celui qui m’a envoyé, le Père » (Jean 6,38).
FIN.
Les manuscrits de Bobbio ajoutent un paragraphe.
X. DE LA PERFECTION DU MOINE.
Que le moine vive dans un monastère sous l’autorité d’un seul père et avec de multiples compagnons, afin d’apprendre de l’un l’humilité, d’un autre la patience ; que l’un lui enseigne le silence, un autre la douceur ! Qu’il ne fasse pas ce qu’il veut, qu’il mange ce qui lui est prescrit, qu’il ait juste ce qui lui revient ! Qu’il accomplisse le travail qu’on lui assigne ! Qu’il se soumette même à qui, en fait, il ne voudrait pas ! Qu’il aille au lit fatigué voir qu’il tombe de sommeil en marchant ! Qu’on l’oblige à se lever avant qu’il ait fini de dormir ! Victime d’une injustice, qu’il se taise ! Qu’il craigne le supérieur du monastère comme un maître, qu’il l’aime comme un père ! Qu’il tienne pour salutaire tout ce qu’il lui ordonne, et qu’il ne porte pas de jugement sur une décision de son supérieur ; lui dont le devoir est d’obéir et d’accomplir ce qu’on lui commande. Comme le dit Moïse : « Écoute, O Israël et tais-toi » (Deutéronome 27, 9).
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DOCUMENT.
LA RÈGLE DE SAINT BENOÎT DE NURSIE QUANT À L’HABILLEMENT.
Chapitre 55.
Pour les habits à donner aux frères 1), on aura égard aux conditions et au climat des lieux qu’ils habitent. Il leur en faut davantage dans les régions froides et moins dans les pays chauds. C’est à l’abbé d’apprécier cette différence.
Nous estimons toutefois que, dans les endroits tempérés, une coule 2) épaisse en hiver, légère et usagée en été, ainsi qu’une tunique 3) suffisent pour chaque moine ; avec cela, un scapulaire 4) pour le travail ; et pour couvrir les pieds, des chaussettes ainsi que des sandales.
Les moines ne se mettront pas en peine de la couleur ou de la grossièreté de ces divers objets. Ils se contenteront de ce qu’on pourra trouver au pays qu’ils habitent ou se procurer à meilleur marché. Quant à la mesure des habits, l’abbé veillera à ce qu’ils ne soient pas trop courts, mais à la taille de chacun.
Lorsqu’on en recevra de neufs, on rendra toujours et immédiatement les vieux qui seront déposés au vestiaire pour les pauvres.
Il suffit, en effet, à un moine d’avoir deux tuniques et deux coules pour en changer la nuit, et pour pouvoir les laver. Tout ce qu’on pourrait avoir en plus est superflu et doit être retranché. Les frères rendront également les vieilles chaussettes et tout ce qui est usé, lorsqu’ils recevront du neuf.
Ceux qui sont en voyage recevront du vestiaire des caleçons 5) ; à leur retour, ils les restitueront, après les avoir lavés. Les coules et tuniques seront un peu meilleures que celles qu’ils portent d’habitude. Reçues du vestiaire au départ, elles y seront remises à la rentrée.
Les lits auront pour toute garniture une paillasse, un drap ? une couverture de laine et un oreiller…
Pour couper jusqu’à la racine le vice de la propriété, l’abbé donnera tout ce qui est nécessaire, à savoir coule, tunique, chaussettes, sandales, ceinture, couteau, stylet, aiguille, mouchoir, tablettes pour écrire.
1) À quoi pouvait bien ressembler le costume bénédictin primitif ? Tout bien pesé, il semble qu’il ne différait guère de celui des paysans d’alors.
2) La coule était le vêtement de dessus : elle consistait, semble-t-il, en un manteau à vaste capuchon.
3) La tunique, ou vêtement de dessous, était portée à Rome depuis longtemps par tout le monde ; à l’époque de saint Benoît, elle s’était allongée et avait des manches. Elle était serrée à la taille par une ceinture, qui servait aussi à relever la tunique, pour travailler, ou pour marcher. C’était donc en fait une sorte de chemise.
4) Le scapulaire était un vêtement accessoire qu’on ne mettait que pour faciliter le travail. Il devait consister en une sorte de bande qui, passée autour du cou et croisée sur la poitrine ainsi que le dos, serrait la tunique plus ou moins flottante.
5) Le port de caleçons en voyage s’explique par un motif de décence, les voyageurs ayant l’habitude de relever très haut leur robe à certains moments (franchissement d’une rivière, etc.).
6) À cette époque, on se servait généralement pour écrire d’un stylet avec lequel on traçait des caractères sur des tablettes (tabulae) enduites de cire.
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LE MONACHISME CHRÉTIEN.
Étymologiquement, le moine est celui qui vit seul, mais le mot a pris un sens plus large et s’applique à tous les ascètes, qui se retirent de la société pour se vouer à la prière et à la méditation, qu’ils vivent isolés (ermites et anachorètes) ou groupés, (cénobites). En ce sens la première institution connue du monachisme est celle de la sangha sublime bouddhiste il y a plus de vingt-cinq siècles.
Suite à différentes évolutions historiques (les chrétiens ayant peu à peu été éliminés du Moyen-Orient, les Occidentaux n’ayant rien fait pour les aider, et le christianisme étant maintenant assimilé à l’Occident), nous consacrerons donc ce chapitre au monachisme occidental.
Alexandre BERTRAND, Nos origines la religion, etc.1897.
« En Occident les couvents, les monastères et les communautés, les abbayes, quelque nom qu’ils portent, ne sont point une institution d’origine chrétienne.
M. le comte de Montalembert a écrit dans son éloquent ouvrage, Les moines d’Occident : « L’opinion la plus accréditée fixe à la fin du m » siècle la constitution régulière de l’ordre monastique. L’Égypte fut choisie pour être le berceau de ce monde nouveau » ; et plus loin : « La vie monastique se fonda en Orient, comme l’Église, mais comme l’Église elle n’acquit de véritable force qu’en Occident ».
Montalembert se trompe. La vie cénobitique, la vie en commun en vue d’intérêts intellectuels, moraux et religieux a été connue et largement pratiquée dans le monde païen, non seulement en Égypte et dans la haute Asie, bien avant l’ère chrétienne, mais dans l’Inde et en Asie Mineure.
La ruche primitive est dans l’Asie antérieure ; c’est de là que sont partis tous les essaims dont les couvents chrétiens sont des survivances. L’esprit en a été modifié, l’organisation est restée presque la même.
Le rôle des confréries religieuses et industrielles, consortia sodalicia a été considérable dans l’antiquité. Dans un mémoire remarquable qui lui a ouvert les portes de l’Institut, mémoire intitulé : Les métaux dans l’antiquité J.-P. Rossignol a démontré que la Grèce devait aux associations, aux corporations religieuses connues sous les noms de cabires, corybantes curêtes, dactyles et telchines, le développement de la métallurgie intimement unie à certains rites religieux, les membres de ces diverses corporations nous étant unanime ment présentés non seulement comme d’habiles métallurgistes, mais aussi comme des enchanteurs et des magiciens, groupés en Phrygie autour du temple de la Grande Déesse de l’Ida.
« Là [autour du temple], disait l’auteur de la Phoronide, les enchanteurs de l’Ida, les Phrygiens, hommes montagnards avaient fixé leur demeure…
Strabon « C’est dans l’Antitaurus précisément, dans une des vallées étroites et profondes de cette chaîne, qu’est située Comana avec le fameux temple consacré à la déesse Mâ, la même que nous nommons Enyô (Cybèle). Comana est une ville considérable, mais qui doit surtout son importance à la multitude d’enthousiastes ou de prophètes et d’hiérodules ou d’esclaves sacrés qu’elle renferme. Ses habitants, bien que Cataoniens d’origine et bien que soumis nominalement au roi de Cappadoce, sont plutôt les sujets du grand prêtre [de Mâ]. Celui-ci a la surintendance du temple et règne en maître sur les hiérodules : or, à l’époque où nous avons visité ce temple, on y comptait plus de 6000 hiérodules, tant hommes que femmes. Un territoire spacieux dépend du temple et c’est encore le grand prêtre qui en perçoit les revenus. Le grand prêtre tient du reste en Cappadoce le second rang après le roi ».
Nous complèterons la liste d’Alexandre BERTRAND par un dernier exemple situé à l’autre bout de l’empire romain, mais qui a bien sa place dedans.
Diodore de Sicile Livre II chapitre XLVII : « Et il y a aussi sur cette île à la fois une magnifique enceinte consacrée au dieu Apollon, et un temple notable [Stonehenge ?] orné de nombreuses offrandes votives, de forme sphérique. En outre il y a là une cité qui est vouée au dieu ; la plupart de ses habitants sont des joueurs de cithare, ils font résonner quotidiennement cet instrument dans le temple et chantent des hymnes de prières au dieu, glorifiant ses hauts faits ».
Christine Mohrmann, Université de Nimègue.
LE RÔLE DES MOINES DANS LA TRANSMISSION DU PATRIMOINE LATIN.
Ma première impression quand j’ai réfléchi sur le problème que j’allais étudier, celui du rôle des moines dans la transmission du patrimoine latin, a été que je devrais m’éloigner du cadre du
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monachisme ancien dans lequel saint Martin a vécu, pour trouver les premières traces d’une activité qui devrait devenir un jour une des gloires du monachisme occidental. Mais, en pénétrant dans le phénomène de la transmission, j’ai vu que c’est grâce à des traits spéciaux du plus ancien monachisme occidental – traits qui se manifestent dès le moment où l’ascétisme, sous ses formes diverses, a été importé en Occident – que les moines d’une époque postérieure ont pu jouer le rôle de conservateurs et de transmetteurs du patrimoine latin.
Dès le début l’ascétisme occidental est plus modéré, plus nuancé oserais-je dire, que l’ascétisme égyptien et même syrien. Ce qui est importé d’Orient, c’est un idéal ascétique et c’est cet idéal qui se réalise en Occident de manières très diverses : aussi bien par une fuite du monde et une vie d’austérité ascétique, que par des activités pastorales combinées avec une vie ascétique et même par une vie qui combine l’activité scientifique et littéraire avec un idéal ascétique. L’ascétisme se répand, dès le début, aussi bien, dans les villes que dans les campagnes.
C’était un phénomène qui sans doute avait plus de contacts avec une tradition préchrétienne, antique en Orient qu’en Occident. Cette circonstance pourrait expliquer partiellement le fait évident que l’ascétisme s’est enraciné plus facilement en Orient qu’en Occident. Pour les Occidentaux il était plus difficile – semble-t-il – que pour les Orientaux de trouver une forme définitive de l’idéal ascétique. Ceci est prouvé par l’histoire même du terme « ascèse » en Occident…
…………
Dans la manière dont l’Occident a interprété l’idéal de l’ascétisme oriental, si austère, si radical, si bizarre parfois, il y a beaucoup de modération, mais on voit se manifester aussi, comme il appert de la manière dont on rend le terme askesis, beaucoup d’hésitations quant au contenu même de l’idéal en question. Quant aux formes les plus austères de l’ascétisme égyptien, elles sont rarement pratiquées en Occident. Dès le commencement il y a une tendance au cénobitisme pakhômien plutôt qu’à l’anachorétisme absolu. Ce cénobitisme se manifeste, d’assez bonne heure déjà, sous une forme qui prélude au monachisme bénédictin. Mais dès le commencement il y a certains traits qui annoncent les tâches particulières qui, au seuil du Moyen Âge, seront prises en main par le monachisme d’Occident…………
Malgré ces tendances égyptiennes, la tradition de Lérins ne rejette pas l’œuvre pastorale, et la fondation de saint Honorat deviendra une pépinière d’évêques.
On voit donc comment en Occident l’ascétisme se manifeste sous des formes très diverses : la vie ascétique n’exclut ni l’activité littéraire et savante ni l’œuvre pastorale. Le plus souvent il s’agit d’un monachisme très ouvert : il y avait des moines qui étaient lettrés, il y avait des évêques qui menaient une vie monastique, les grands centres monastiques comme Marmoutier ou Lérins ont donné des évêques à beaucoup de diocèses…
L’Occident latin était une société lettrée : les livres, la littérature profane et chrétienne appartenaient à l’équipement normal de la culture. Le moine, se retirant du monde, renonça partiellement à cet équipement ; mais par le fait même de son christianisme, religion dans laquelle le livre et les textes écrits jouent un rôle important, il ne se désintéressa pas de la culture littéraire. Toutefois, tant qu’il y avait encore des écoles, les moines ne s’intéressaient pas à l’enseignement des lettres. Et même quand l’enseignement traditionnel disparaît en Gaule, ce sont plutôt les évêques (issus, il est vrai, souvent d’un milieu monastique) que les moines qui s’occupent de l’enseignement, maintenant privé. Il est bien probable qu’au cours de ces siècles les moines copiaient déjà les livres liturgiques dont ils avaient besoin, aussi bien que les textes de la Bible. Qu’on pense aux scriptores mentionnés, comme nous l’avons vu, par Sulpice Sévère pour Marmoutier. Mais le fait même que ce travail fut exclusivement confié aux jeunes, prouve qu’on est encore loin de la tradition des scriptoria monastiques du Moyen Âge.
Quoi qu’il en soit de la fondation de Cassiodore, premier essai d’un monachisme savant et humaniste, dans la ligne des mauristes, on n’en entend plus parler après sa mort.
Quand, au cours du même vie siècle, Benoît organise le monachisme occidental d’une manière plus ou moins définitive, selon des principes qui reflètent plutôt la tradition occidentale, modérée, – s’annonçant depuis le milieu du IV* siècle –, que l’austérité des moines égyptiens, on ne saurait dire qu’il ait donné une place importante aux lettres, ni qu’il semble s’inquiéter de la tradition littéraire. La Règle de saint Benoît reflète encore et toujours une société lettrée, dans laquelle le livre et la lecture ont leur place normale. Dans le monastère de Benoît, des livres sont là, l’existence d’une bibliothèque est considérée comme chose normale et la majorité des moines savent encore lire. Mais rien n’indique un soin particulier pour le patrimoine latin. Et rien dans la Règle ne rappelle l’organisation de la communauté cassiodorienne, toute vouée à l’étude des lettres. D’autre part, plusieurs sources
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monastiques du VIe siècle mettent l’accent sur le travail manuel, surtout sur le travail des champs. Cassiodore lui-même ne rejette pas le travail manuel, tout en le considérant comme moins important que l’activité philologique et littéraire.
L’œuvre monastique en Occident fut fondamentale non seulement dans le domaine spirituel, mais aussi dans les domaines économique, culturel et caritatif. Ce monachisme est d’ailleurs presque aussi ancien que le monachisme oriental. Il lui faudra néanmoins trois siècles pour s’étendre dans la partie de l’Empire romain où l’on parle latin.
Un des premiers fondateurs de monastère en Irlande aurait été saint Kieran, né en Irlande à Corca-Laighde, fils de Laighne, un noble du royaume d’Ossory et de Liadan. Après des années de recherche en tant qu’ermite il aurait bâti le monastère de Saighir (Saighar) dans le comté d’Offaly où il serait mort en 530.
La tradition considère néanmoins Saint Enda d’Aran (mort également vers 530) comme étant le véritable père du monachisme irlandais.
L’Abbaye de Bangor en Irlande du Nord fut fondée par Comgall de Bangor en 558 ou 559. Elle fut connue au Moyen Âge comme étant un important centre de formation de missionnaires et gagna le surnom de « lumière du monde ». À la mort de Comgall en 601, 3 000 moines y étudiaient. Le moine celte de l’époque est un grand marcheur. Le jour de son départ, il est doté d’un solide bâton, de pèlerin évidemment (cambutta ou bacall), d’une petite cloche (clocca) et d’un sac de cuir porté en bandoulière (tiag lebair) dans lequel il transporte une copie des évangiles un psautier ou les objets du culte indispensables à la célébration d’une messe. Colomban de Bobbio avait été l’un d’entre eux avant d’en partir vers 580 pour évangéliser l’Europe. Il débarqua en 590 sur la côte d’Armorique, entre Saint-Malo et Cancale, avec douze compagnons, et construisit dans la forêt vosgienne un triple monastère, Luxeuil-Anegray-Fontaines.
Puis, chassé par Brunehaut, il aboutira finalement à Bobbio, au sud de Milan, où il bâtit une nouvelle abbaye et mourut presque aussitôt en 615. Après la mort de Colomban, plus de quatre-vingt-dix autres adoptèrent sa règle. Mais petit à petit, la règle de saint Benoît, lentement découverte, s’y substitua. Dès 628, on constate que, dans la plupart des monastères issus de Luxeuil, s’est constituée une règle mixte, qui associe des articles de la règle bénédictine à ceux de la règle colombanienne. Les plus célèbres furent les congrégations de Saint-Wandrille, de Jumièges (fondée par saint Philibert) et de Saint-Amand.
À la même époque le moine Augustin, prieur de l’abbaye bénédictine Saint-André de Rome, envoyé par le pape saint Grégoire le Grand pour convertir les Anglo-Saxons, fondait le premier monastère bénédictin d’Angleterre et devenait archevêque de Cantorbéry (597). En un siècle, plus de cent autres s’y ajoutèrent. En 610, le concile de Rome, convoqué par Boniface IV, confirma la règle de saint Benoît pour tous les monastères d’Angleterre. Et en 745, le concile national des Francs, présidé par saint Boniface, archevêque de Mayence, ordonna la soumission à cette règle de tous les monastères de leur royaume.
L’épanouissement du monachisme occidental se poursuivit sous la protection de Pépin le Bref, de Charlemagne et de Louis le Pieux. Mais il fut bientôt victime de deux fléaux qui produisirent sa décadence. Le premier fut l’accaparement des abbayes par des laïcs, qui disposèrent du sort et des biens des religieux. L’autre fut l’invasion des Sarrasins musulmans * et avant des païens normands, qui ruinèrent la majorité des monastères et massacrèrent un grand nombre de moines (Lindisfarne 793).
Après la débâcle, le renouveau de la vie monastique fut l’œuvre de Cluny. Au départ, en 909, cette modeste formation, œuvre de Guillaume Ier d’Aquitaine, passa presque inaperçue. Mais la soif de vie religieuse était telle que Cluny, en deux siècles, créa ou rassembla douze cents monastères. La nouveauté de son gouvernement était une centralisation qui plaçait toutes les maisons de l’ordre sous l’autorité de l’abbé de Cluny. C’était donc la valeur personnelle de celui-ci qui décidait du respect de la règle et de l’élan de la ferveur dans l’ensemble de l’ordre. Après le premier abbé, saint Bernon (909-927), cette durée alla croissant : saint Odon dirigea pendant quinze ans, saint Aymar pendant vingt-trois ans, saint Mayeul pendant vingt-neuf ans, saint Odilon (994-1049) pendant cinquante-cinq ans, saint Hugues (1049-1109) pendant soixante ans.
Après la mort de ce géant du monachisme, Cluny commença à donner des marques de déclin. Le flambeau fut repris par Cîteaux. Cette abbaye, bourguignonne comme Cluny, fut fondée en 1098 par
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saint Robert, abbé de Molesme, qui voulait, avec quelques compagnons, vivre intensément la vie bénédictine dans le labeur et le dénuement. Ses successeurs à la tête de la jeune abbaye, saint Aubry (1099-1109), saint Étienne Harding (1109-1133), Raynard (1133-1151), furent dignes de lui et développèrent l’ordre dans toute l’Europe.
Mais l’artisan le plus efficace de l’explosion monastique fut saint Bernard, premier abbé de Clairvaux.
Il fonda soixante-neuf monastères, qui à leur tour en créèrent plus de cent. Homme d’Église, il fut un zélé serviteur de la papauté ; prédicateur, il laissa plus de quatre cents sermons ; théologien, il a été rangé parmi les docteurs de l’Église.
Au XIIIe siècle, les ordres mendiants suscitèrent l’enthousiasme et attirèrent une multitude de recrues. Ce fut certes, numériquement, au détriment des ordres monastiques ; mais ceux-ci gardèrent en bonne partie leur ferveur.
Il en alla autrement quand, au début du XVIe siècle, deux événements leur portèrent un coup irréparable. L’un, externe, fut la Réforme qui, dans la moitié de l’Europe, confisqua les monastères, chassa ou massacra les religieux ; l’autre, interne, fut, en 1516 le concordat de Bologne entre Léon X et François Ier, qui laissait au roi de France la nomination des évêques et des abbés dans son royaume, où se trouvait le plus grand nombre de monastères. Le roi, évidemment, ne nomma pas les prélats les plus saints, mais les plus ambitieux et les plus dévoués à sa personne, et il s’en suivit une décadence des instituts monastiques.
Un renouveau apparut au XVIIe siècle grâce à la création de nouvelles congrégations, mais cet essor fut combattu au XVIIIe siècle par les gouvernements des pays d’Europe du sud, et anéanti, en France et en Italie, par la Révolution. Le mouvement de restauration du XIXe siècle ne put relever ces ruines qu’en faible partie.
* En ce qui concerne les musulmans, on peut leur attribuer la destruction du deuxième monastère de Monte Cassino en 883, la première abbaye ayant été détruite par les païens lombards en 589.
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LES PÈLERINAGES.
Le pèlerinage est un phénomène quasi universel en anthropologie. Le pèlerinage est un voyage effectué par un croyant le pèlerin, vers un endroit circonscrit tenu pour sacré selon sa religion, car supposé être en lien direct avec une divinité par le truchement d’une relique, d’une source, d’un arbre, d’une apparition et ainsi de suite…
Ce déplacement d’hommes et de femmes, généralement à pied, vers des lieux où ils entrent en contact avec le sacré est une pratique qui apparaît très tôt dans l’histoire de l’humanité, par exemple à Stonehenge dès 2400 avant notre ère.
Les pèlerinages constituent souvent une importante source de revenus pour la région en jeu. Mais au-delà du seul aspect économique, la circulation de personnes curieuses et animées d’un idéal crée aussi des interactions propres à ouvrir et à renforcer en même temps l’identité des cultures concernées (sur les lieux d’origine, d’arrivée et de passage).
Les pèlerinages antiques avaient généralement pour centre un sanctuaire, une source, une grotte ou un puits. Il était souvent accompagné d’un rite divinatoire consistant généralement à dormir près de ces lieux pour obtenir, sous la forme d’un songe, les prescriptions d’un dieu guérisseur (comme à Grand le plus beau temple du monde selon les Romains).
Au IIIe siècle les pèlerinages chrétiens ont pour destination les principaux lieux saints mentionnés dans les Évangiles et l’Ancien Testament. Origène cherche à les identifier. Ils se multiplient surtout à partir du IVe siècle avec la « découverte » ou « invention » de la Sainte Croix par la mère de l’empereur Constantin 1er et le développement, de manière assez désordonnée, des tombeaux de martyrs. Le but premier du pèlerinage dans ce cas est la possibilité de « toucher » les reliques qui assure, outre le sacrifice financier ou matériel qu’il suppose, une plus grande efficacité que la prière à distance, du saint.
La plus ancienne description écrite de pèlerins chrétiens et de pèlerinage en Terre sainte est l’Anonyme de Bordeaux, un récit qui raconte comment un habitant de Bordeaux s’est rendu à Jérusalem en 333. Les Pères de l’Église se méfient de ces premiers pèlerinages, sources de dissipation et d’abus tels que le péché de gourmandise ou luxure. Le pèlerinage est alors un prétexte pour des maris ou de jeunes hommes de rompre avec leurs familles et « partir à l’aventure ». La maxime du moine Thomas à Kempis « Qui multum peregrinantur, raro sanctificantur » : « Ceux qui voyagent beaucoup se sanctifient rarement », confirme ces craintes.
Les pèlerinages chrétiens au Moyen Âge, contrairement aux pèlerinages musulmans à La Mecque, drainent rarement des foules de personnes ne voyageant que par piété (pèlerinage pénitentiel ou jubilés) sur des routes bien balisées, mais le plus souvent des voyageurs solitaires ou en petits groupes (essentiellement des hommes) mêlant de nombreux commerçants, sur des routes muletières. Ces petits groupes sont animés par des raisons pieuses ou moins pieuses : la foi, la repentance, le défi, les affaires, le « pèlerinage par procuration » parfois dans le but de rompre avec sa famille, son milieu professionnel, parfois dans un but à dominante touristique (découverte de nouveaux monuments, cuisines, personnes). Les sanctuaires lointains sont la destination de ceux qui en ont les moyens (« pèlerinage au long cours »). Le Moyen Âge n’est pas l’âge d’or, mais l’âge mythique du pèlerinage, les foules de cette époque appartenant à l’imaginaire populaire.
Le prouve le cas de la navigation de saint Brendan. Cette œuvre hybride, née d’un croisement jusque-là inédit entre l’hagiographie et le roman, se situe à la frontière des deux genres qui ont été les plus lus et les plus diffusés durant tout le Moyen Âge. La Nauigatio Sancti Brandani, tirée d’un extrait de la Vita Sancti Brandani, se constitue en œuvre autonome vers le Xe siècle et connaît une première mise en forme dès le début du XIIe siècle, sous la plume d’un certain Benedeit. Dans la réécriture en langue vernaculaire comme dans le texte latin, les visées spirituelles et édifiantes du genre hagiographique s’unissent aux impératifs de la quête et de l’aventure : l’abbé irlandais Brendan part visiter le paradis terrestre et se lance avec ses moines dans une véritable odyssée où Dieu se manifeste par une série de signes, d’épreuves et de « merveilles ». Cette œuvre-frontière, située à la jonction du sacré et du profane, de l’hagiographie, du roman et d’une certaine diversité de formes et de genres druidiques (imrama, lorica *) avait tout ce qu’il fallait pour connaître un succès important. Dès le XIIe siècle, elle devient d’ailleurs une référence incontournable. Largement diffusée dans sa version latine, on en retrouve plus de 125 manuscrits un peu partout en Europe.
Ces récits eurent néanmoins tant d’impact dans les populations, qu’ils entraînèrent de la part de certains des voyages cette fois bien réels, à leur suite. Ou plus exactement, christianisme oblige, à lona, Rome, ou ailleurs. Ce qui n’était pas du tout la même chose, on en conviendra. Ce grand mouvement d’expansion au moyen des pèlerinages, trouva néanmoins rapidement ses limites,
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comme le prouvent les vers quelque peu désabusés écrits probablement par une main irlandaise sur un feuillet de manuscrit du IXe siècle, reproduits ci-dessous.
Techt do Róim,
mór saítho, becc torbai ;
in Rí con-daigi i foss,
manim bera latt ní fhogbai.
Aller à Rome,
grand labeur, petit profit ;
Le roi que tu vas chercher là,
Tu le chercheras en vain sauf à l’avoir avec toi.
Ce quatrain en irlandais se trouve au folio 23 du Codex Boernerianus de la Bibliothèque royale de Dresde.
C’est par contre à l’époque carolingienne que se développe la protection juridique du pèlerin et que naît ainsi progressivement un ordre des pèlerins (ordo peregrinorum) ainsi qu’une loi des pèlerins (lex peregrinorum), constituant un embryon de statut du pèlerin. C’est d’ailleurs encore au Moyen Âge que s’organisent les grands sanctuaires de pèlerinage comme Saint-Jacques de Compostelle dans le nord de l’Espagne, qui jouent un rôle religieux, culturel, mais répondent également à une nécessité économique (production et vente d’objets souvenirs, offrandes, structures d’accueil qui assurent d’importants revenus au sanctuaire). C’est aussi le moment où les pèlerins seront progressivement encadrés (gîte et couvert) en raison des dangers qui guettent les voyageurs, mais aussi pour éviter que certains ne s’en servent comme prétexte pour rompre avec leur milieu d’origine.
Il est à noter qu’une des causes du premier djihad chrétien du 11e siècle fut la protection des lieux saints et des pèlerins s’y rendant. Un des canons du concile de Clermont convoqué par le pape Urbain II alla même jusqu’à promettre une indulgence plénière à tous ceux qui partiraient prendre Jérusalem puisque depuis 1071 les Turcs en interdisaient l’accès.
Le premier jubilé formellement organisé par la papauté fut celui décrété en 1300 par le pape Boniface VIII, invitant les chrétiens à se rendre à Rome pour bénéficier de l’indulgence plénière accordée auparavant aux Croisés.
À partir du XIVe siècle, le pèlerinage déclinera en raison du mouvement qui privilégie le pèlerinage spirituel, intérieur, et de l’insécurité des routes. À partir du XVIe siècle (époque où la Réforme condamne les pèlerinages, prétexte au vagabondage ou à l’idolâtrie et où les États qui se centralisent veulent contrôler le déplacement de personnes), le pèlerinage régional ou local, contrôlé par les clercs, sera privilégié (« pèlerinage de recours » favorisé par les récits de miracles liés à des sanctuaires locaux, pèlerinage expiatoire et judiciaire).
Au XVIIIe siècle, la philosophie des Lumières qui critique le trafic des reliques et des indulgences dont le pèlerin peut bénéficier, sera également en partie à l’origine du fléchissement des « pèlerinages au long cours », ceux de proximité se maintenant.
Beaucoup de pèlerinages actuels ne sont plus le fait de pratiquants à la démarche religieuse rigoureuse, mais sont effectués afin d’obtenir une faveur divine (pèlerinage propitiatoire) notamment une guérison, ou en remerciement d’une grâce obtenue (pèlerinage gratulatoire avec offrande d’ex-voto), ou pour faire une retraite spirituelle couplée à de la randonnée pédestre.
Les principaux pèlerinages chrétiens sont Jérusalem, Rome, Lourdes (sanctuaire de guérison), Saint-Jacques de Compostelle, Notre Dame de Fatima. Au Mexique Notre-Dame de Guadalupe, Sainte-Anne de Beaupré au Québec. Il existe aussi des pèlerinages orthodoxes comme à saint Serge de Radonège près de Moscou.
* Les loricae ou prières privées sont, avec les litanies, une des grandes spécialités du christianisme irlandais, vraisemblablement d’origine druidique.
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LES FÊTES D’OBLIGATION.
Les fêtes religieuses sont apparues progressivement dans l’histoire du christianisme : d’abord Pâques (dès le IIe siècle), puis l’ensemble du cycle pascal depuis le carême (IIIe siècle) jusqu’à la Pentecôte (IVe siècle), Noël (IVe siècle), les fêtes mariales et celles des grands saints (IVe-Ve siècles).
Si certaines de ces fêtes sont le résultat de la christianisation de fêtes d’obligation païennes plus anciennes (Samon-ios, Beltène, Lugnasade, Ambivolc-os…), il s’agissait avant tout pour les chrétiens de s’insérer dans le rythme social de leur époque, tout en lui donnant un sens religieux en harmonie avec leurs traditions.
Le caractère de ces fêtes chrétiennes d’obligation différait grandement des fêtes païennes comme Samon ; elles étaient uniquement religieuses ; non seulement la vie publique était suspendue, mais tout jeu ou amusement qui pouvait détourner de la dévotion était interdit ; on allait à l’église vêtu de ses plus beaux habits ; il était strictement interdit de jeûner sauf pendant le carême évidemment.
Les laïques pouvaient omettre les fêtes de dévotion, mais les fêtes dites d’obligation étaient au contraire assimilées à des dimanches, pour les dispositions relatives au repos et à la sanctification. On contrevenait à ces dispositions de trois manières :
1° En négligeant les œuvres de piété qui sont ordonnées ces jours-là.
2° En travaillant ou en pratiquant un négoce défendu.
3° En s’adonnant à des divertissements interdits.
À l’égard des œuvres de piété, les canons imposent aux fidèles l’obligation d’entendre la messe, les dimanches et les jours correspondant à des fêtes d’obligation.
À l’égard du travail, les règlements ont différé et diffèrent encore, suivant les églises, les lieux et les temps ; mais le précepte général est de s’abstenir de toute espèce de labeur à l’exception de celui qui est indispensable à la vie ou qui est exigé par une pressante raison de nécessité ou de piété.
Dès que le christianisme fut devenu religion d’État, le pouvoir séculier s’appliqua aussi à sanctionner par des mesures coercitives les ordonnances de l’Église, relatives aux dimanches et aux fêtes d’obligation. À dater de Childebert, les prescriptions des empereurs romains furent reproduites et développées par de nombreuses ordonnances des rois.
L’admonitio generalis de Charlemagne (article 79) interdit par exemple toute œuvre « servile » le dimanche (suit une liste détaillée de travaux agricoles ou typiquement féminins) afin que tout le monde puisse matériellement se rendre à l’église et y remercier le seigneur pour ses bienfaits
Pour ce qui est de la définition des œuvres « serviles » afin d’éviter les abus des interprétations individuelles, l’ordinaire doit être consulté et se prononcer sur les cas d’exception ou de dispense. Restent absolument condamnés, les marchés, les foires et généralement tout négoce public ; de même, les jeux, les danses, les combats et autres spectacles.
Pour l’Église catholique le dimanche où, de par la tradition apostolique, est célébré le mystère pascal, doit être observé dans l’Église tout entière comme le principal jour de fête de précepte. Et de même doivent être observés les jours de la Nativité de Notre Seigneur Jésus Christ, de l’Épiphanie, de l’Ascension et du très Saint Corps et Sang du Christ, le jour de sainte Marie Mère de Dieu, de son Immaculée Conception et de son Assomption, de saint Joseph, des saints Apôtres Pierre et Paul et enfin de tous les Saints.
L’origine païenne de la fête ou du moins du jour de Noël étant bien connue (le jour retenu par les chrétiens pour célébrer la nativité fut celui du solstice d’hiver, fête du dieu Sol Invictus) nous passerons directement à la dernière des fêtes de cette liste, la Toussaint.
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LES FUNÉRAILLES.
Tout rite funéraire est un ensemble de gestes et de paroles et dans certains pays de danses, accompagnant l’agonie puis la mort d’un être humain afin de lui rendre hommage et, en quelque sorte, l’accompagner grâce à une cérémonie.
Les funérailles chrétiennes ne sont pas un sacrement, mais un sacramental. Une liturgie disent certains. Mettons tout le monde d’accord en disant que c’est une liturgie incluant divers sacramentaux.
Pour mémoire définition d’un sacramental.
Les sacramentaux sont des signes sacrés de natures très diverses, dont l’usage est défini : bénédiction d’objets ou de personnes, exorcisme, procession, prière, célébration, etc. Ils sont considérés comme mineurs par rapport aux sacrements et sont utilisés pour aider à profiter de leurs effets.
Catéchisme de l’Église Catholique : « L’Église a institué des sacramentaux, qui sont des signes sacrés par lesquels, selon une certaine imitation des sacrements, des effets surtout spirituels sont signifiés et sont obtenus par la prière de l’Église. Par eux, les hommes sont disposés à recevoir l’effet principal des sacrements et les diverses circonstances de la vie sont sanctifiées ».
Elle distingue :
— les sacramentaux majeurs qui concernent les personnes, comme la bénédiction d’un père abbé, d’un prêtre juste ordonné…
— les sacramentaux mineurs qui concernent surtout les objets.
L’utilisation pieuse des sacramentaux par des non-catholiques est autorisée et même encouragée. Comme pour les objets bénis ou les rituels qui représentent les croyances sacrées ou des personnes, le manque de respect à des sacramentaux est considéré comme une forme de sacrilège.
Pour en revenir aux obsèques chrétiennes proprement dites.
Deux points majeurs sont à retenir.
La croyance en la résurrection des corps à la fin des temps (d’où les réticences vis-à-vis de l’incinération).
La croyance en la communion des saints et en l’intercession.
Cette notion d’intercession se décline autour de quatre types de relations qui unissent : les vivants entre eux ; les morts entre eux ; les vivants aux morts (prière en faveur des défunts) ; les morts aux vivants (culte des saints).
Si les spécialistes de la prière restent des intercesseurs privilégiés (moines et moniales, mendiants, communautés canoniales, pauvres), la conviction s’impose que tout fidèle, quels que soient ses mérites, peut intercéder pour le salut de ses frères : vénération des tombeaux de saints et des collections de reliques, diffusion des images pour le culte de tel saint, commémoration au jour anniversaire, processions, pèlerinages, ex-voto, récitations organisées de prières pour le défunt, etc.
Pratique religieuse et pratique sociopolitique, l’intercession a donc pour spécificité d’être un concept commun aux deux ordres de réalité qui structurent l’anthropologie des sociétés chrétiennes : l’ici-bas et l’au-delà. Elle régit autant les rapports entre le Ciel et la Terre qu’elle produit du lien social au sein de la communauté terrestre. À la base de cette double pertinence de l’intercession, il y a le dogme central de la Communion des Saints : le discours sur l’intercession s’appuie en effet sur l’image de l’Église comme corps mystique du Christ, constitué de parties distinctes et solidaires entre lesquelles des liens étroits sont tissés. Entre l’Église triomphante du ciel et l’Église militante de la terre, auxquelles se joint l’Église souffrante du Purgatoire, l’essentiel relève de la circulation de la charité et de l’échange mutuel de services et de grâces. L’efficacité des œuvres et des mérites d’une partie rejaillit sur les autres membres du corps. Les hommes de la terre sont les commembra * des saints. Mieux, ils en sont les amis et les frères. **
Traditionnellement et directement après un décès, une veillée funéraire peut être célébrée au domicile du défunt. Cette veillée se fait à l’initiative de la famille ou de l’entourage de la personne défunte. Néanmoins, cette pratique est de moins en moins courante.
La religion catholique n’impose aucune toilette rituelle après le décès. Pour ce qui est de la façon de traiter le corps après la mort, l’Église recommande néanmoins que soit conservée la coutume d’ensevelir le corps du défunt, en souvenir de Jésus qui a été mis au tombeau. Il est néanmoins permis d’incinérer le corps, dans la mesure où on ne choisit pas cette façon de faire pour nier la foi de l’Église en la résurrection des corps à la fin des temps.
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La cérémonie répond à la demande, motivée par la foi de la famille. Les divorcés remariés et les suicidés peuvent donc avoir des obsèques chrétiennes et il n’y a pas de différence dans la cérémonie. Le canon 1184 du nouveau code de droit canonique de 1983 ne mentionne plus les suicidés parmi les pécheurs manifestes auxquels on ne peut accorder les funérailles ecclésiastiques.
Il peut y avoir 3 bénédictions :
— Avant la mise en bière (par le prêtre).
— Après l’entrée du cercueil dans l’église (par la famille).
— Lors de la mise en terre.
Les funérailles chrétiennes comportent des rites qui n’ont de sens que par rapport aux croyances chrétiennes ; elles ne sont donc pas destinées aux non baptisés.
— Dès l’entrée du cercueil dans l’église, le rite de la lumière est souvent effectué. Il s’agit pour deux membres de la famille du défunt d’allumer deux cierges, un de chaque côté du cercueil.
— Rite de la croix
— Aspersion d’eau bénite
— Encensement.
— Eucharistie ou messe.
* Latin membres d’un même corps.
**La constante interaction entre le monde des morts et celui des vivants ou vice versa était connue des druides irlandais qui la fêtaient lors de samon (ios) c’est-à-dire le 1er novembre. L’intervention des morts dans le domaine des vivants est une croyance universelle, mais les Celtes antiques pensaient aussi que des vivants pouvaient intervenir dans le monde des morts, y aider quelqu’un par exemple, et en revenir. Que ce soit réellement ou en songe.
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LA FÊTE DES MORTS ET LA TOUSSAINT.
Qu’est-ce que la Toussaint ? Comme son nom l’indique, la Toussaint est la fête de tous les saints, qu’ils figurent ou non dans le calendrier. Il s’agit d’une fête catholique, décidée par le pape Boniface IV, en 610, mais devant être célébrée le 13 mai à ‘époque. Les Réformés ne célèbrent pas la Toussaint.
Chaque 1er novembre, les croyants honorent les martyrs et saints de la chrétienté, connus et inconnus. Le lendemain de la Toussaint, le 2 novembre, l’Église catholique met tous les défunts au cœur de sa prière liturgique. La tradition est apparue dans les communautés de bénédictins, notamment à Cluny, peu avant l’an mille.
C’est à cette occasion que les catholiques rendent hommage à leurs disparus. C’est à la fois une journée de commémoration et une journée d’intercession ; on fait mémoire des défunts et on prie pour eux, afin d’assurer le salut de leur âme.
La Toussaint ne tire donc pas son origine de la Bible. Le jour choisi pour la fêter semble lié à la religion druidique, mais il convient de se garder de toute conclusion trop hâtive en ce domaine.
« Dans aucune autre Foi, on ne trouvait un sentiment aussi intense de l’invisible et de la solidarité qui relie le monde des vivants à celui des esprits. Tous ceux qui quittaient la terre étaient chargés de messages destinés à des défunts. Diodore de Sicile nous a conservé ce trait précieux : « Dans les funérailles, ils déposent des lettres écrites aux morts par leurs parents afin qu’elles leur soient transmises ». La communication des deux mondes était chose courante. Pomponius Mela, Valère Maxime, et tous les auteurs latins, assurent que chez les Celtes « on se prêtait de l’argent à se rembourser dans l’autre monde » (citation du Français Léon Denis. Le génie celtique et l’invisible ou Celtisme et spiritisme). Mais la meilleure des définitions est encore celle qu’a donnée le grand spécialiste des Vikings Régis Boyer : « Il existe une constante circulation entre les deux mondes, celui des vivants et celui des morts. La nuance n’a d’ailleurs guère de sens dans cette civilisation. À tout moment le mort peut intervenir dans l’existence du vivant (en rêve par exemple). Inversement, le vif peut faire apparaître le mort à des fins qu’il juge utiles (NDLR Voir la façon dont la Tain Bo Cualnge a été retrouvée par Muirgen fils de Senchan, en Irlande). Toute une série de conséquences en découle. La magie revient pour l’essentiel à une communication spontanée ou forcée avec les morts qui informent ou aident. Parce qu’ils sont censés communiquer avec le monde des dieu-ou-démons, éventuellement parce qu’ils sont les dieu-ou-démons ».
Les trinouxtion samoni, fêtés dans tout le monde celte dès – 1000, étaient associés à la mort. C’était le mois de Samon (ios), marquant le début de la moitié sombre de l’année. Le 1er du mois de novembre était à la fois la fête des Morts et Nouvel An. Les tribus se rassemblaient pour honorer les morts avant les inquiétudes et les rigueurs de l’hiver, mais aussi pour invoquer, par des rites, le futur renouveau de la nature.
Après la transformation du panthéon de Rome en sanctuaire chrétien, le pape Boniface IV le consacra à la Mère de Dieu et à tous les saints martyrs. Une « fête de tous les martyrs » fut alors instituée le 13 mai. Le 13 mai était un jour très important du calendrier romain puisqu’il correspondait aux dernières des trois journées consacrées à la fête des lémures. Les lémures étaient des sortes de revenants, comparables en quelque sorte aux anaon bretons. Pour les mettre en fuite (car leur révocation n’était pas possible), les Romains célébraient la fête dite de Lémuria, les 9, 11 et 13 mai. Des fèves noires étaient jetées par-dessus l’épaule gauche du père de famille, dans chaque maison. Ensuite afin de précipiter leur déroute, on frappait de grands vases d’airain toute la nuit.
Le monachisme celte ne semble pas avoir fait du premier jour de novembre un jour particulier, mais au VIIIe siècle la fête de Samon était encore apparemment célébrée en Angleterre. En 775, un ecclésiastique anglo-saxon, Cathwulf, écrivit à Charlemagne pour lui demander d’instaurer une fête de tous les saints, probablement pour lutter contre cette fête des Morts ; et en 798, un concile à Riesbach institua donc une nouvelle fête, la Toussaint, placée par lui aux calendes de novembre. L’idée venait d’Alcuin, abbé à Tours, mais originaire d’Angleterre. Tours sera d’ailleurs alors, et pour un certain temps, la seule ville de France où la Toussaint était fêtée.
Vers 830, le pape transféra officiellement la fête de tous les martyrs ayant lieu jusque-là tous les 13 mai, au 1er novembre. Dédiée à Tous les Saints, c’est-à-dire à l’ensemble des personnes que l’Église reconnaît dignes d’un culte de dulie du fait de leur vie exemplaire et de leur proximité avec le divin ;
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elle ne doit pas être confondue avec le memento de tous les défunts, fêté le lendemain, qui est un héritage des lectures monastiques du « rouleau des défunts » : la mention des frères d’une abbaye ou d’un ordre le jour anniversaire de leur décès.
C’est la fondation de l’abbaye de Cluny, en 910, qui accélérera le mouvement. Toute la politique religieuse de Cluny, dont l’abbé est un personnage fort influent, consistera en effet à réanimer ou à créer un calendrier liturgique calqué sur celui des traditions locales.
En 998, Odilon décide que la mémoire de tous les moines défunts sera célébrée le 2 novembre, lendemain de la Toussaint. L’ordre de Cluny est alors si puissant (plus de 1 000 monastères) que cette mémoire s’étend rapidement à tout l’Occident. Le 2 novembre devient donc dès lors le jour des fidèles défunts, que l’on commémore par une liturgie et des prières particulières.
Ce n’est qu’en 1580 que le pape Sixte IV en fera une des grandes fêtes chrétiennes, en lui attribuant une semaine de liturgie spéciale. La Toussaint, le 1er novembre, précédera dorénavant la tradition populaire du jour des Morts.
Diverses explications ultérieures tenteront de « romaniser » l’origine de la fête, de la faire venir de Rome sinon de Palestine. Mais les documents prouvent que ce sont les influences celtes subsistant (via saint Colgan et Alcuin) en Grande-Bretagne, ou sur le Continent du temps de Charlemagne, qui ont fait adopter cette fête par Rome.
Mais les fidèles de l’Église catholique sont nombreux à faire mémoire des morts le 1er novembre au lieu du 2 ; comme l’atteste la tradition pluriséculaire des cierges et bougies allumées dans les cimetières* et, depuis le XIXe siècle, le fleurissement des tombes à la Toussaint.
* La construction de dizaines de lanternes des morts (pour certaines de véritables ouvrages de maçonnerie) dans diverses localités du continent (principalement dans Massif central et les terres adjacentes ; encore que l’on recense quelques lanternes par exemple en Bretagne ainsi qu’en Irlande, les fameuses tours rondes, et une en Grande-Bretagne à Bisley dans le Gloucestershire) est vue par certains comme la survivance d’un culte aux ancêtres dépassant la simple signification chrétienne.
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DOCUMENTS.
HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE DU PEUPLE ANGLAIS. LIVRE V CHAPITRE XII.
COMMENT UN HOMME [DRYTHELM] DANS LA PROVINCE DE NORD-HUMBRIE
RESSUSCITA DES MORTS
ET RACONTA CE QU’IL Y VIT DE TERRIFIANT OU D’ENCHANTEUR.
NDLR. Le récit a été en réalité composé par un moine irlandais de l’abbaye de Lindisfarne, appelé en saxon Haemgils, à partir d’une expérience de mort imminente. Un peu comme dans le cas de saint Fursy d’ailleurs.
“Celui qui me conduisait était lumineux et vêtu de blanc. Nous marchions en silence en direction du soleil levant du solstice d’été, à ce qu’il me semblait, et ce faisant nous atteignîmes une vallée très large, très profonde et infiniment longue. Située à notre gauche, elle avait un versant particulièrement effrayant, calciné par des flammes brûlantes, et l’autre, non moins terrible, secoué par des bourrasques de grêle et des neiges glacées dont le souffle renversait et balayait tout.
NDLR. Ce qui n’est pas sans rappeler le vent glacé qui s’échappe de l’enfer (temporaire?) où séjournait le Hésus/Mars appelé Cuchulainn dans la légende irlandaise intitulée Siabur Charpat Con Culaind.
Les deux versants grouillaient d’âmes humaines et on aurait dit qu’une violente tempête les jetait tour à tour alternativement d’un versant à l’autre. En effet, comme ces âmes ne pouvaient pas supporter l’ardeur intenable de la chaleur, les malheureuses sautaient sur le côté froid glacial, mais comme elles ne pouvaient pas non plus trouver là quelque repos, elles plongeaient de nouveau dans les flammes inextinguibles pour y être brûlées. Et pendant que cette multitude innombrable d’esprits tordus était tourmentée par ce funeste supplice funeste en long et en large, sans répit apparemment, je commençai à me dire que c’était peut-être ça l’enfer, dont j’avais plus d’une fois entendu parler des tourments. Mais mon guide répondit à ma pensée en disant : « Ne crois pas cela. Ceci n’est pas l’enfer auquel tu penses »…
Il y avait dans cette plaine d’innombrables réunions d’hommes vêtus de blanc et des foules en liesse siégeaient en de maints endroits. Pendant qu’il me conduisait au milieu des chœurs formés par ces bienheureux, je me mis à songer que c’était peut-être ça le royaume des Cieux dont j’avais maintes fois entendu parler. Mais mon guide répondit à ma pensée en disant « Non, ce n’est pas le royaume des Cieux auquel tu songes ».
Après avoir également laissé derrière nous ces demeures des esprits bienheureux, j’aperçus alors une lumière encore plus agréable que la précédente. J’entendis également la douce voix de chanteurs. Répandait en outre une odeur si merveilleusement parfumée que celle que j’avais goûtée auparavant et considérée comme la plus agréable, me sembla désormais médiocre, et de la même façon, l’intense lumière de la plaine fleurie me sembla bien modeste et faible comparée à celle qui apparut alors. Comme j’espérais que nous entrerions dans ce lieu délicieux mon guide s’arrêta brutalement et faisant demi-tour aussitôt, revint sur ses pas en ma compagnie. Lorsque nous fûmes de nouveau parvenus à proximité du joyeux séjour des esprits tout de blanc vêtus, il me demanda : « Sais-tu ce que sont tous ces lieux que tu as découverts ? »
Non, répondis-je.
NDLR. Ici s’arrêtent les réminiscences de l’expérience de mort imminente vécue par le paysan du Cunningham appelé Drythelm et mises en forme par le moine celte nommé Haemgils. Ce qui vient après ce sont des commentaires.
« L’horrible vallée que tu as vue, avec ses flammes ardentes et ses glaces, est le lieu précis dans lequel doivent être éprouvées ou punies les âmes de ceux qui, ayant repoussé l’heure de se confesser ou de faire pénitence pour les péchés commis, se réfugient au dernier moment, à l’article de la mort, dans la pénitence, et quittent ainsi leur corps. Ceux-là néanmoins, parce qu’ils se sont confessés puis se sont repentis, même seulement juste avant leur mort, gagneront tous le royaume des Cieux le jour du Jugement dernier. En outre, pour beaucoup d’entre eux, les prières des vivants, leurs aumônes, leurs jeûnes et surtout les messes dites en leur mémoire, les aident à s’en libérer avant le jour même du Jugement. Quant à ce puits nauséabond et qui vomit des flammes que tu as
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vu, c’est la bouche de la Géhenne elle-même, dans laquelle quiconque est tombé une fois n’en sort plus jamais.
Par contre ce lieu fleuri ou tu viens d’apercevoir de très beaux jeunes gens se réjouir et resplendir, c’est le lieu où sont accueillies les âmes de ceux qui, tout en quittant leur corps après une vie entière de bonnes actions, ne sont néanmoins pas suffisamment parfaits pour mériter d’entrer immédiatement dans le royaume des Cieux ».
NDLR. Un deuxième purgatoire, plus doux, des limbes ?
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SUPPLÉMENT À LA SOMME THÉOLOGIQUE.
Les aislingi ou visions comme celles de saint Adomnan, qui précèdent, étant quelque peu embrouillées, c’est le moins que l’on puisse dire, laissons la parole à saint Thomas d’Aquin pour démêler cet écheveau, le Saint-Esprit ne s’y étant guère employé. Tout en sachant que l’Église catholique l’a aujourd’hui en grande partie répudié. Disons à titre indicatif.
QUESTION 69 : LA DEMEURE DES ÂMES APRÈS LA MORT.
ARTICLE 7 : Faut-il distinguer cinq demeures, ni plus ni moins ?
Objections : 1. Les demeures correspondent au mérite ou au démérite. Or, au mérite correspond une seule demeure, le paradis. Une seule aussi devrait donc correspondre au démérite ou péché, à savoir l’enfer.
Objection 3. Les lieux où l’on est puni doivent correspondre aux péchés. Il ne devrait donc y en avoir que trois, comme il n’y a que trois espèces de péchés : originel, véniel, mortel.
1. Il semblerait néanmoins qu’il doive y en avoir beaucoup plus que celles qui sont attribuées aux âmes après la mort du corps, car l’air ténébreux est aussi la prison des démons et pourtant il n’est pas reconnu comme faisant partie des cinq demeures mentionnées par certains auteurs. Donc il y a plus de cinq demeures pour les âmes après la mort du corps.
2. Nous devons en outre distinguer le paradis terrestre du paradis céleste. Car certains hommes ont été emportés au paradis céleste directement et sans passer par la mort comme cela est écrit d’Hénoch et d’Élie. Comme le paradis terrestre n’est pas mis au nombre des cinq demeures de l’âme après la mort, il semblerait donc qu’il y en ait plus que cinq.
3. L’âme qui sort de ce monde avec le péché originel et n’ayant commis que des péchés véniels doit avoir une demeure à part. En effet, elle ne peut aller ni au ciel, puisqu’elle n’a pas la grâce ; ni au limbe des Patriarches, pour la même raison ; ni au limbe des enfants, puisqu’il n’y a pas là de souffrance sensible, due cependant au péché véniel ; ni au purgatoire, puisqu’on n’y reste pas toujours ; ni en enfer, puisque seul le péché mortel y condamne. Une sixième demeure devrait donc lui être attribuée.
4. Puisque les demeures correspondent au mérite et au démérite dont il peut y avoir des degrés infinis, elles doivent donc être, elles aussi, en nombre infini.
5. Les âmes sont quelquefois punies au lieu même ou elles ont péché, c’est-à-dire ici-bas, ce qui fait encore une demeure, d’autant plus que les pécheurs sont parfois punis dès cette vie et en ce monde.
6. Aux âmes en état de grâce, mais avec des fautes vénielles à expier, est assignée une demeure spéciale, le purgatoire. Aux âmes en état de péché mortel, mais ayant fait quelques bonnes œuvres, devrait donc aussi être assignée une demeure spéciale, distincte de l’enfer.
7. De même que, avant la venue du Christ, les âmes justes attendaient leur gloire plénière dans une demeure spéciale ; de même il semble qu’elles devraient dès lors et jusqu’à la résurrection attendre la gloire de leurs corps dans une demeure autre que le ciel.
Conclusion : Des demeures distinctes sont assignées aux âmes selon leurs divers états ou conditions. L’âme unie au corps est ici-bas en état de mériter ; séparée du corps, elle est en état de recevoir ce qu’elle a mérité, en bien ou en mal. Si donc, après la mort, elle est en état de recevoir, d’une manière définitive, la récompense du bien qu’elle a fait, c’est le paradis ; la punition du péché actuel et mortel qu’elle a commis, c’est l’enfer des damnés ; la punition du seul péché originel, c’est le limbe des enfants. – S’il est un empêchement à ce caractère définitif, il peut venir ou de la personne, et c’est le purgatoire dans lequel les âmes sont retenues jusqu’à expiation des péchés commis ; ou de la seule nature humaine, et c’est le limbe des Patriarches où les retenait une humanité pour laquelle le Christ n’avait pas encore souffert et expié.
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Solution à l’objection N° 1. « Il n’y a qu’une manière d’être bon, il y en a de multiples d’être mauvais ». On peut donc, sans contradiction, unifier la demeure où le bien est finalement récompensé et multiplier celles où le mal est puni.
………………
QUESTION 70 : LA CONDITION DE L’ÂME SÉPARÉE DU CORPS, ET LA PEINE QUE PEUT LUI INFLIGER UN FEU CORPOREL
Trois demandes : 1. Les puissances sensibles demeurent-elles dans l’âme séparée ? – 2. Les actes de ces puissances y demeurent-elles ? – 3. L’âme séparée peut-elle souffrir d’un feu corporel ? Etc.
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LES « DEMEURES » DE L’ÂME APRÈS LA MORT DU CORPS.
Après la venue du Christ, l’attente d’un Messie terrestre a cessé, de sorte que l’horizon d’attente est désormais orienté seulement vers l’Éternité. Sous la forme de l’espérance, on attend le Paradis ; sous la forme de la peur, l’Enfer. En tout cas, malgré les mouvements millénaristes, le christianisme situe les croyants entre un « déjà », l’Incarnation, la venue du Messie, et un « pas encore », le Jugement de « la fin des temps ». Ils sont « en attente ».
Les hommes, comme le dit le « syllogisme », sont mortels. Mais leurs âmes, non ! La mort est l’occasion, pour les chrétiens, d’un premier jugement, individuel. Reste encore à attendre le jugement universel qui n’interviendra qu’à la fin des temps.
On peut suivre la transformation, progressive, mais non linéaire, de cette géographie de l’au-delà, au cours du Moyen Âge.
Il faut bien distinguer le Paradis céleste du Paradis terrestre où seuls séjournent encore Hénoch et Élie 12, jusqu’au moment où, après la lutte avec l’Antéchrist, ils doivent rejoindre le Paradis céleste. Une première géographie s’était déjà fait jour : les âmes des bons, des justes, des saints, séjournent au Paradis, celles des méchants en Enfer. Au Paradis céleste, les heureux élus choisis par Dieu peuvent jouir d’un bonheur éternel, parfait et infini dans la contemplation de Dieu. Et l’Enfer est un lieu souterrain, la demeure de Satan/Lucifer qui, avec ses anges déchus devenus démons, y torture éternellement les damnés. Élection et salut : Paradis. Damnation : Enfer.
Mais, même au Paradis et en Enfer, l’homme sera encore en attente de la résurrection des morts et du Jugement dernier, celui de la fin des temps. De sorte que, pour le chrétien, la crainte, par exemple, connaît trois modes : la peur de la mort et du jugement individuel, la peur du temps qui sépare ce jugement individuel du Jugement dernier, la peur du sort qui leur sera réservé après le jugement dernier, pour l’éternité. À la fin du 12e siècle, du fait de la montée de l’individualisme, le souci se décentre du Jugement dernier vers le jugement individuel. Parce que l’attente se focalise désormais essentiellement sur ce jugement individuel, s’élabore en Irlande sous le patronage de saint Patrice la notion de Purgatoire (qui ne deviendra dogme qu’avec le Concile de Trente au 16e siècle).
NDLR. On se représentait donc alors ces demeures de l’âme après la mort comme des sortes de réceptacles un peu vagues où les âmes attendaient la résurrection finale et la réunification avec leur corps pour subir leur dernier jugement, mais en compagnie de tous les autres hommes.
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PREMIÈRE « DEMEURE » EN NOMBRE DE L’AU-DELÀ CHRÉTIEN : L’ENFER.
La définition de l’enfer et ses caractéristiques sont variables d’une religion à l’autre et sont parfois sujettes à différentes interprétations au sein d’une même religion.
Selon le bouddhisme par exemple, l’enfer est avant tout un état d’esprit de l’individu soumis aux désirs et passions.
Plus radicaux encore les druides antiques, eux, affirmaient que l’enfer ne peut pas exister. Seule existait la justice immanente dès ici-bas ou la réincarnation en bacuceos pour quelques Staline ou Hitler.
Scolies bernoises commentant la Pharsale de Lucain.
Hermann Usener. Scholia in Lucani bellum civile/Commenta Bernensia. Liber I (1869).
451 « Les druides nient que les âmes puissent périr
[Driadae negant interire animas]
OU ALLER EN ENFER »
[aut contagione inferorum adfici] et
454 « Ils ne disent pas que les Mânes existent
[Manes esse, non dicunt].
Le point N° 25 de la petite liste annexée au concile de Leptines en 743, sous le titre latin d’indiculus superstitionum et paganiarum (évidemment, il s’agit de condamner ou dénigrer tout cela) va d’ailleurs clairement en ce sens ; il évoque le fait d’imaginer que tout défunt est saint.
Ainsi parlait la religion de haine des druides.
Et en 851, Jean Scot Érigène a aussi noté dans son « De la prédestination » : Dieu ne prévoit ni peines ni péchés, ce sont des fictions. Pour Érigène également, donc, l’enfer n’existe pas, ou alors il l’appelle le remords.
Selon le fondateur du spiritisme, le druide Allan Kardec, l’enfer n’est pas un lieu. L’enfer désigne l’état de souffrance dans lequel les âmes/esprits imparfaits se trouvent en raison des défauts personnels qu’ils n’ont pas encore corrigés. Cet état n’est pas éternel et dépend de la volonté de progrès des âmes/esprits en question. Les spirites utilisent plus volontiers le terme « bas astral » (plutôt qu’« enfer ») pour désigner cet état de souffrance par lequel passent les âmes/esprits peu évoluées.
L’Enfer est, selon d’autres religions, et notamment le christianisme, un état de souffrance extrême de l’âme humaine après sa séparation du corps, une douleur endurée après la mort par ceux qui ont commis des crimes et des péchés dans leur vie terrestre.
Les représentations iconographiques de l’Enfer sont présentes dans les églises (tympans sculptés représentant le Jugement dernier, chapiteaux, fresques…), dans les manuscrits et sur les peintures. L’enfer apparaît comme un endroit de torture, bouillonnant et chaud, où s’activent des dizaines de démons. C’était un thème récurrent de l’iconographie pieuse du Moyen Âge. On trouve les représentations littéraires les plus détaillées dans les diverses visions consignées par la tradition irlandaise (visions d’Adomnan, Fursy, Drythelm, Tondale…) nous y reviendrons.
L’enfer (ou les enfers) désignait initialement le séjour des morts ou d’une partie d’entre eux.
— Dans la mythologie grecque, les Enfers (au pluriel) sont le royaume des morts. C’est un lieu souterrain où règnent le dieu Hadès et sa femme Perséphone.
— Historiquement parlant, les premières traces de l’enfer sont mésopotamiennes (environ 2000 ans avant notre ère) : les Sumériens et les Akkadiens croyaient en l’enfer, en tant que lieu où se retrouvent les morts. Leur dieu de l’enfer s’appelait Nergal et sa déesse Ereshkigal.
Dans la croyance mésopotamienne, tous les morts se retrouvaient aux Enfers, sans espoir de salut, et y menaient là une existence morne et ténébreuse, condamnés à se nourrir de poussière et d’eau boueuse, incapables de subvenir à leurs besoins sans l’aide des vivants.
Il ne semble pas exister de jugement post-mortem – logiquement inutile en l’absence de toute sotériologie – et seules les divinités échappent à ce pays « sans retour ». Il existe une exception
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notable, Outa-Napishtim, seul humain à obtenir la vie éternelle grâce à la plante de jouvence magique.
— Le Shéol. Il n’existe dans notre langue aucun équivalent exact du mot hébreu shéol. Il s’agit du terme hébreu de l’Ancien Testament désignant le séjour des morts, les enfers. Il représente un lieu sombre et silencieux où les morts sont endormis, couchés dans la poussière. Même si, au cours des siècles suivants, l’enseignement grec de l’immortalité de l’âme humaine s’est infiltré dans la pensée religieuse juive, il n’en reste pas moins que le texte de la Bible montre que le shéol est la tombe commune aux hommes, un endroit où on est inconscient.
Dans le livre de l’Ecclésiaste, chapitre 9 versets 5-10, il est dit : « Les vivants savent en effet qu’ils mourront, mais les morts ne savent rien du tout… car il n’y a ni œuvre, ni bilan, ni savoir, ni sagesse dans le séjour des morts où tu vas. »
Les vaticinations du grand prophète du judaïsme Isaïe à propos de la mort du roi de Babylone (voir plus haut), et s’adressant fictivement au souverain en ces termes : « Te voilà précipité dans le shéol, au plus profond de l’abîme » (Isaïe 14 15), donnera naissance plus tard à l’idée selon laquelle il existerait plusieurs profondeurs dans ce Shéol, en fonction du degré de récompense ou de châtiment mérités.
Il n’en demeure pas moins que leur point commun était que le shéol apparaissait comme un lieu souterrain où les morts menaient une vie léthargique. L’existence dans le shéol était considérée comme une perpétuation fantomatique de la vie terrestre, durant laquelle les problèmes de cette vie terrestre prenaient fin.
— Le Nouveau Testament parle souvent de la géhenne. Quelques mots à propos de ce terme.
Vient de Gehinnon, ou Hinnom, vallée située au sud-ouest de la vieille ville de Jérusalem (Jos. 15, 8) un lieu de sacrifice au dieu Moloch (2Chroniques 28,3 ; 33,6 ; Jérémie 7,31-32).
Ce lieu fut transformé en décharge publique par le roi Josias (2Rois 23,10). À l’époque de Jésus, on y jetait les détritus, mais aussi les cadavres d’animaux morts, ainsi que les corps des criminels exécutés. Pour entretenir ce feu continuellement afin de se débarrasser des immondices et éviter les épidémies, on versait régulièrement du soufre qui rendait ce feu perpétuel. La géhenne fut ainsi associée à la notion de feu qui ne s’éteint jamais. Le grand rabbi nazoréen Jésus se servit de ce lieu pour expliquer à ses contemporains que la géhenne symbolisait le châtiment définitif.
Le « Shéol » et « l’Hadès » représentent donc de manière symbolique la tombe commune aux morts, et la « géhenne » symbolise la souffrance et la destruction éternelles.
Maintenant pourquoi tant de confusion aujourd’hui à propos du sens du mot enfer ?
Beaucoup de traducteurs de la Bible ont malheureusement transcrit les termes « shéol », « hadès » et « géhenne » par un seul et même mot « enfer ». Cette façon de faire a obscurci la signification des vocables hébreu et grec.
Les catholiques de l’Antiquité comme une grande majorité des autres confessions chrétiennes d’ailleurs, distinguaient soigneusement « l’enfer » au singulier des « enfers » au pluriel. « L’enfer » au singulier est le lieu de la damnation, le lieu éternel sans Dieu. Au contraire, « les enfers » au pluriel sont le séjour des morts, qu’on appelle aussi les Limbes *, où ceux qui sont décédés avant le Christ ont attendu sa venue. L’expression « les enfers » n’est d’ailleurs plus usitée par le catholicisme contemporain afin d’éviter toute confusion à l’exception du Credo, qui a gardé la formulation antique même si par enfers il faut maintenant comprendre limbe* des patriarches. Ainsi, dire que le Christ est descendu aux enfers signifie simplement qu’il est descendu libérer ceux qui avaient vécu avant lui dans la justice et qui l’attendaient.
Vu la division du monde en peuple élu et en goïm, reprise par la suite par les chrétiens en verus Israël ou nouveau peuple élu et païens ; confortée, de saint Augustin aux Témoins de Jéhovah, par l’horrible
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théorie des 144000 de l’Apocalypse et de la prédestination ; la première tendance du christianisme fut donc de penser que seule une petite élite était destinée à aller au Ciel ou Paradis et que les autres à savoir donc l’immense majorité de l’humanité, la massa damnata ou massa perditionis sous la plume de saint Augustin, était vouée, disons au contraire du Paradis.
En d’autres termes, la première des destinations de l’âme humaine après la mort, la plus fréquentée, d’après les premiers chrétiens, devait être l’enfer, le Shéol pour les judéo-chrétiens, Hadès pour les pagano-chrétiens. C’est pourquoi nous commencerons par elle.
Matthieu 10, 28 : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l’âme, craignez bien plutôt celui qui peut faire périr âme et corps dans la géhenne ».
Dieu a créé l’Enfer comme réceptacle des âmes damnées (Matthieu 25 : 41) et y a placé les anges déchus. L’Enfer est donc le royaume du Diable et de ses suppôts (Matthieu 13, 42 ; Apocalypse 20,10 et 21, 8). Ils y ont autorité et y règnent en maître, chacun dans son domaine.
Il ne faut pas confondre les enfers/ shéol en hébreu (Hadès en grec) et l’enfer/géhenne).
Le premier ne désigne que la tombe commune aux morts de manière symbolique.
Le second est la demeure des damnés pour l’éternité. Il s’agit simplement à l’origine du nom d’une vallée située au sud de Jérusalem, la vallée de Hinnom. Le roi Salomon y érige des sanctuaires consacrés à d’autres dieux que Yahvé. Le roi Josias profane le lieu en y répandant des ossements humains, à la suite de quoi la vallée sert de dépotoir, avec des feux y brûlant continuellement.
La géhenne se trouve mentionnée une douzaine de fois dans le Nouveau Testament, et est généralement rendue par le mot Enfer au singulier bien que, dans certaines occurrences, Jésus puisse faire référence à la Vallée de Hinnom elle-même.
Dans saint Marc au chapitre 9 verset 43-50, Jésus fait par exemple référence trois fois à la Géhenne :
« Si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la : mieux vaut pour toi entrer manchot dans la vie, que de t’en aller, ayant deux mains, dans la géhenne, dans le feu inextinguible. Et si ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-le : mieux vaut pour toi entrer boiteux dans la vie, que d’être jeté, ayant deux pieds, dans la géhenne. Et si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le : mieux vaut pour toi entrer borgne dans le royaume de Dieu, que d’être jeté, ayant deux yeux, dans la géhenne, là où leur ver ne meurt point, et où le feu ne s’éteint point.
La simple transcription de ces mots, par les traducteurs des éditions révisées de la Bible, n’a pas suffi à dissiper la confusion et les fausses conceptions
En se fondant sur les passages précités de Matthieu et de Marc, le Catéchisme de l’Église catholique a réaffirmé en 1992 l’existence de l’enfer et son éternité (paragraphes nos 1033 à 1037).
Bien que cela semble s’opposer à l’amour, l’enfer serait au contraire dans la logique même de l’amour : puisque Dieu est amour, le fait de le rejeter met dans une situation où l’amour n’existe pas (ce qui est la définition de l’enfer)
Selon ce Catéchisme, il n’y a là aucun fatalisme : « Dieu ne prédestine personne à l’enfer ; il faut pour cela une aversion volontaire de Dieu » et seul un refus, volontaire, libre et pleinement conscient de Dieu et de l’amour du prochain amène en Enfer de même que seul le choix de Dieu, de l’amour du prochain mène au Paradis.
Mourir en état de péché mortel sans s’en être repenti et sans accueillir l’amour miséricordieux de Dieu, signifie demeurer séparé de Lui pour toujours par notre propre choix libre. Et c’est cet état d’auto-exclusion définitive de la communion avec Dieu et avec les bienheureux qu’on désigne par le mot « enfer ».
La dernière phrase « c’est cet état d’auto-exclusion définitive de la communion avec Dieu et avec les bienheureux qu’on désigne par le mot « enfer » » résume à elle seule la notion d’enfer dans le catholicisme.
La doctrine catholique présente donc l’enfer comme un état plutôt qu’un lieu, dans lequel se plonge automatiquement celui qui a choisi lui-même et en pleine connaissance de cause de ne pas être en communion avec Dieu et l’amour du prochain. Celui qui dit avoir cherché le bien, mais a refusé de reconnaître qu’il ne se trouve qu’en Dieu, s’est séparé de lui, tout comme celui qui n’a recherché que le mal a refusé Dieu, dès le départ.
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Il existe néanmoins à ce sujet d’autres raisonnements que cette alternative spécieuse.
Le point de vue des adventistes sur l’enfer est désigné souvent sous le terme d’annihilationisme. Les Témoins de Jéhovah rejettent l’idée d’un enfer de feu qui serait un lieu de souffrance éternelle après la mort. Pour eux, la Bible enseigne que les morts sont inconscients et que l’âme humaine n’est pas immortelle. Ils citent souvent à cet égard les passages d’Ecclésiaste 9, 5-10, et d’Ézékiel 18 : 4. Ainsi, dans leur doctrine, les injustes comme les bons vont dans le shéol. Ils seront dans le shéol jusqu’au jour du jugement dernier (de Jéhovah). De plus, selon eux l’existence d’un enfer de feu où les humains seraient tourmentés après leur mort est incompatible avec la qualité dominante de Dieu : l’amour (1 Jean 4,8).
DEUXIEME « DEMEURE » EN NOMBRE DE L’AU-DELÀ CHRÉTIEN : LE PARADIS.
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Nous avons déjà dit deux mots de cette première demeure de l’âme après la mort dans notre chapitre consacré à la création du monde spirituel, mais sous l’angle angélique il est vrai (caelum empyreum sous la plume de Thomas d’Aquin) aussi n’est-il pas inutile d’y revenir sous l’angle anthropologique cette fois-ci.
L’étymologie du mot paradis renvoie à celle de jardin (pardès) d’où son emploi en ce sens dans les traductions de l’Ancien Testament comme la Septante ou la Vulgate, mais le texte hébraïque lui-même n’utilise que l’expression Gan Eden (jardin d’Éden).
Le terme paradis-grec paradeisos – au sens de paradis céleste figure par contre à trois reprises dans le Nouveau Testament.
Première occurrence dans l’Évangile de Luc 23, 39-43.
“… L’un des malfaiteurs suspendus en croix l’injuriait disant : « N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même et sauve-nous ! »
Mais l’autre le rabroua en disant : « N’as-tu donc aucune crainte de Dieu, toi qui subis la même peine ? Pour nous, c’est justice, car nous recevons ce qu’ont mérité nos actes ; Mais celui-ci n’a rien fait de mal. »
Et il disait :« Jésus, souviens-toi de moi quand tu entreras dans ton royaume. »
Jésus lui répondit : « En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi au paradis. »…
De ce premier texte, on peut simplement tirer la conclusion que pour Jésus, comme pour ses compagnons suppliciés avec lui, le paradis est un lieu dont l’existence va de soi. C’est :
— Un lieu dont l’accès semble récompenser une attitude jugée positive durant la vie.
— Un lieu qui est peut-être conçu comme l’équivalent du « Royaume de Dieu ».
— Un lieu accessible immédiatement après la mort.
On trouve là l’image devenue classique du paradis comme « récompense du pécheur repenti ».
Deuxième occurrence dans une lettre de Saint Paul : 2 Corinthiens 12, 2 à 4 (l’apôtre semble y parler de lui à la troisième personne et raconte une expérience spirituelle extatique qu’il a vécue…)
« … Je connais un homme dans le Christ qui, il y a quatorze ans – était-ce dans son corps ? Je ne sais pas, était-ce hors de son corps ? Je ne sais pas, Dieu le sait – un homme qui fut enlevé jusqu’au troisième ciel.
Et je sais qu’un tel homme – était-ce dans son corps ou sans son corps ? Je ne sais pas, Dieu le sait – fut enlevé au paradis et qu’il entendit des paroles ineffables, qu’il n’est pas permis à un homme de rapporter. »
Conformément aux représentations antiques qui distinguaient plusieurs « étages » dans les cieux (3, 7… et jusqu’à 365 chez certains gnostiques !), conformément donc à ces représentations du ciel, c’est dans un espace céleste supérieur que Paul dit avoir entendu des paroles ineffables, dont nous ne saurons d’ailleurs rien !
Dans ce texte, le mot paradis semble désigner une autre dimension spirituelle vécue par l’apôtre. Il est bien vivant et peut même raconter son expérience, mais il a confusément l’impression d’avoir été « hors de son corps », comme transporté ailleurs en esprit. Plus qu’un lieu particulier, le paradis semble donc plutôt ici être un état élevé de perception.
La dernière occurrence du mot paradis se trouve dans le livre de l’Apocalypse (2,7), à la fin de la lettre écrite à l’Église d’Éphèse.
« … Que celui qui a des oreilles entende ce que l’Esprit dit aux Églises ! Au vainqueur, je donnerai de manger de l’arbre de la vie qui est dans le paradis de Dieu… »
Comme dans la bouche de Jésus selon Luc, le paradis est ici présenté comme une récompense. La récompense promise à celui qui tiendra bon dans les épreuves subies au nom de sa foi.
Ce paradis est explicitement mis en rapport avec le récit biblique du « jardin d’Éden ». En effet, il s’agit de « manger de l’arbre de la vie », et plus haut dans cette lettre à l’Église d’Éphèse, il est d’ailleurs question de sa chute. C’est donc comme si le paradis promis était un retour à la situation originelle du paradis terrestre.
Du dernier livre de la Bible, l’Apocalypse, notre enquête se trouve donc renvoyée au premier, le livre de la Genèse, de l’Ancien Testament.
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Comme il n’est pas dans nos habitudes de tirer sur les ambulances (le christianisme ne constitue plus un véritable danger pour la liberté ni pour les droits de l’Homme sous nos latitudes) et puisque les intellectuels chrétiens ont beaucoup insisté sur ce point depuis le Moyen Âge, nous leur donnons acte bien volontiers que Jésus sur sa croix, malgré l’utilisation de termes araméens convenant plutôt à un lieu, voulait signifier par paradis un état de l’être quelque peu semblable à celui évoqué par saint Paul dans sa deuxième lettre aux Corinthiens ; c’est-à-dire la demeure des âmes des justes après leur mort, qui n’est pas un lieu matériel, mais un état spirituel, où lesdits justes connaissent le repos, le bonheur éternel, parfait et infini dans la contemplation de Dieu comme dans le symbole du jardin d’Éden.
CONCLUSION D’ÉTAPE SUR CES DEUX PREMIÈRES « DEMEURES » DU CHRISTIANISME.
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Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir, la notion de paradis céleste est peu présente dans le judaïsme ancien.
Le paradis y est appelé sein d’Abraham ce qui est très vague, car cela désigne une section particulière du royaume des morts en attente de résurrection.
Et l’enfer y est désigné par l’appellation de Shéol, ce qui est aussi très vague, mais n’est en aucun cas l’équivalent d’un lieu de tortures ou de souffrances éternelles.
Disons qu’il s’agit d’une longue mise entre parenthèses de l’être, tout le monde attendant la résurrection des morts pour revivre éternellement ou au moins pour mille ans dans une Jérusalem et une Palestine glorifiées par la venue du Messie.
Nous avons donc avec les chapitres précédents brièvement passé en revue deux des 5 ou 6 « demeures » ou au-delà du christianisme.
— Pour commencer le ciel (empyrée dit Thomas d’Aquin), spécialement créé pour que les anges entourant Dieu chantent ses louanges.
— L’enfer qui a été créé par, ou avec, la chute des anges qui se sont révoltés contre Dieu, et qui est donc ainsi devenu le royaume concédé au Diable et à ses démons.
Mais n’oublions pas qu’il existe 3 ou 4 autres « demeures » dont il est difficile de dater l’apparition dans le temps de ce processus de création.
— Le Purgatoire de saint Patrice.
— Le limbe des patriarches.*
— Le limbe des enfants morts avant d’avoir été baptisés.*
— Sans compter la curieuse terre promise aux saints mentionnée dans les voyages de saint Brendan. Ce dernier monde ressemble d’ailleurs plus à un univers parallèle dirions-nous aujourd’hui qu’à un au-delà de la mort proprement dit. Certains auteurs rapprochent cette idée de la notion de millénarisme ou de Jérusalem céleste descendue sur terre.
Mais comme nous ne pouvons pas en toute logique parler de purgatoire ou de limbes avant qu’il y ait eu des âmes humaines pour y aller, nous en viendrons avant et en attendant, à la création du monde matériel et de l’homme. D’où les chapitres qui suivent.
* Feront l’objet d’un chapitre séparé conjointement avec le limbe des enfants innocents morts avant d’avoir été baptisés.
AUTRE « DEMEURE » DES ÂMES APRÈS LA MORT DU CORPS : LE PURGATOIRE.
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L’idée de purgatoire a des racines qui remontent à l’antiquité. Une sorte de protopurgatoire appelée Hadès céleste apparaît dans les écrits de Platon et d’Héraclide du Pont ainsi que chez de nombreux autres écrivains païens. Ce concept se distingue de l’Hadès du monde souterrain décrit dans les travaux d’Homère et d’Hésiode. Cet Hadès céleste était par contre conçu comme un lieu intermédiaire où les âmes passaient un certain temps après la mort avant de passer à un niveau supérieur d’existence ou de se réincarner sur terre. Son emplacement exact variait d’un auteur à l’autre. Héraclide du Pont pensait que c’était la Voie lactée ; les académiciens, les stoïciens, Cicéron, Virgile, Plutarque, les écrits hermétiques, le situaient entre la Lune et la Terre ou autour de la Lune ; tandis que Numénius et les néo-platoniciens latins pensaient qu’il se situait entre la sphère des étoiles fixes et la Terre.
Pour ce qui est du christianisme, l’existence d’un état intermédiaire après la mort est reconnue par le fait même de la croyance dans l’efficacité de la prière pour les défunts, caractéristique constante des liturgies de l’Orient et l’Occident.
L’orthodoxie distingue en effet trois états, la béatitude paradisiaque et deux sortes d’enfer, l’une dont on peut se libérer grâce aux prières de l’Église en vertu d’un processus intérieur de l’âme et celui dont on ne peut pas se libérer.
L’enseignement orthodoxe est que, bien que tous subissent un jugement particulier immédiatement après la mort, ni les justes, ni les méchants n’atteignent l’état final du bonheur ou de la peine avant le dernier jour, avec certaines exceptions pour les âmes justes comme la Théotokos, la Vierge qui a été emmenée par les anges directement au ciel.
Les âmes des justes sont dans la lumière et le repos, avec un avant-goût du bonheur éternel, mais les âmes des pécheurs demeurent dans l’état exactement inverse. Certains parmi ces derniers, qui ont quitté leur âme avec foi, mais sans avoir eu le temps de porter des fruits dignes d’une repentance… peuvent être aidés à la réalisation d’une résurrection bienheureuse [à la fin des temps] par des prières offertes en leur nom, surtout en union avec l’offrande du sacrifice sans effusion de sang du corps et du sang du Christ, et par des œuvres de miséricorde offertes en leur mémoire (Catéchisme de Saint Philarète de Moscou).
Marc d’Éphèse, au concile de Florence, précisait : « Mais si des âmes ont quitté cette vie dans la foi et l’amour, tout en emportant cependant avec elles quelques péchés, – soit de petits péchés pour lesquels elles ne se sont pas repenties du tout, soit des péchés graves pour lesquels – bien qu’elles s’en soient repenties – elles n’entreprirent pas de montrer des fruits de repentance : de telles âmes, nous le croyons, doivent être purifiées de ce genre de péchés, mais non au moyen de quelque feu de purgatoire ou d’une punition précise en un certain endroit (car ceci, nous l’avons déjà dit, ne nous fut absolument pas transmis). Parmi ces âmes, certaines doivent être purifiées simplement lors de leur départ même du corps, grâce aux frayeurs de la mort, comme l’indique saint Grégoire le Grand dans ses Dialogues (Livre 4), tandis que d’autres doivent être purifiées après le départ du corps, soit en demeurant dans le même endroit terrestre, avant de venir adorer Dieu et d’être honorées avec l’ensemble des bénis, soit – si leurs péchés sont plus graves et les retiennent pour une plus grande durée – en étant maintenues en enfer, non de manière à y demeurer pour toujours dans le feu et les tourments, mais comme en y étant emprisonnées, détenues et sous bonne garde » (Première homélie sur le Purgatoire catholique).
En ce qui concerne le Jugement particulier, l’Église orthodoxe, à partir de certains passages de la Sainte Écriture et des Pères, décrit le sort de l’âme après sa séparation du corps comme un chemin à travers des espaces spirituels, où les démons (métaphoriquement nommés « douaniers »ou « percepteurs » depuis Clément et Origène) cherchent à dévorer ceux qui sont faibles spirituellement, et qui ont donc besoin d’être défendus par les anges du Ciel et supportés par les prières des vivants (cf. Éphrem le Syrien, Macaire le Grand, Athanase d’Alexandrie, Basile le Grand, Jean Chrysostome, Cyrille d’Alexandrie…).
NDLR. Autrement dit le très classique combat entre les divinités psychopompes comme Épona et quelques autres, et les divinités celtiques d’apparence moins sympathique, voire effrayantes (rien de nouveau sous le soleil des hommes, pour plus de détails, se reporter à notre opuscule sur le sujet).
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Les Églises issues de la Réforme (luthérienne, calviniste), ainsi que les évangéliques, rejettent l’existence du purgatoire, étant donné qu’il n’est pas cité nommément dans la Bible. Le canon protestant et juif de l’Écriture considère les livres des Macchabées comme apocryphes, alors que les catholiques les reconnaissent. Si les catholiques voient dans le texte de 2 Macchabées 12, 39-45 une justification à la prière pour les morts ainsi que les germes de la doctrine du purgatoire, les Réformés de leur côté n’y voient qu’une déviation dans la pratique de la prière puisque le reste des écrits bibliques ne reprend jamais ce thème.
Quant au texte de l’apôtre Paul sur le salut « comme à travers un feu » (1 Corinthiens 3,15), le feu représente le jugement dans les Écritures, lequel est unique, c’est-à-dire réservé pour chaque homme « une seule fois », et à l’issue duquel Dieu l’accepte ou non dans sa présence (Hébreux 9, 27).
La préparation à ce jugement se fait uniquement pendant la vie sur terre, par les cinq solae (principes). Après la mort, rien ne peut plus être changé : « Le Seigneur (…) use de patience envers vous ne voulant pas qu’aucun périsse, mais voulant que tous arrivent à la repentance. » Le jour du jugement est aussi appelé le jour de la colère de Dieu, dont on ne peut être épargné que par la justice, qui s’obtient par la foi dans l’œuvre rédemptrice de Christ : « Au jour de la colère, la richesse ne sert à rien, mais la justice délivre de la mort ».
La communion anglicane à l’exception des anglo-catholiques ne reconnaît pas l’existence du purgatoire.
Pour l’Église catholique, le purgatoire est le lieu de purification où les âmes des défunts morts en état de grâce, et assurés du salut éternel vont expier les péchés dont ils n’ont pas fait une pénitence suffisante avant leur trépas, à la suite d’un jugement particulier.
Le compendium du Catéchisme de l’Église catholique, d’abord publié en 2005, est un résumé du Catéchisme de l’Église catholique.
« 210. Qu’est que le Purgatoire ? Le Purgatoire est l’état de ceux qui meurent dans l’amitié de Dieu, assuré de leur salut éternel, mais qui ont encore besoin de purification pour entrer dans le bonheur du Ciel.
211. Comment est-ce que nous pouvons aider les âmes à être purifiées au Purgatoire ? À cause de la Communion des saints, les fidèles qui sont encore des pèlerins sur terre sont capables d’aider les âmes dans le purgatoire en offrant des prières en suffrage pour eux, spécialement dans le Sacrifice eucharistique. Ils peuvent aussi les aider par des aumônes, les indulgences, et les œuvres de pénitence ».
Ces deux questions et réponses résument bien les sections 1020–1032 et 1054 du Catéchisme de l’Église catholique, publié en 1992, qui parle également de purgatoire dans les sections 1472 et 1473
L’idée de purgatoire est une vérité de foi (= un dogme) pour le catholicisme, mais elle n’est pas acceptée par les différents courants du protestantisme ni par l’Église orthodoxe. Les catholiques avancent certains versets des Écritures pour justifier leur dogme. Bien que le mot de « purgatoire » soit absent de la Bible, quelques passages de l’Écriture suggèrent effectivement l’existence d’un feu purificateur intervenant après la mort corporelle et l’existence d’un temps d’expiation entre la mort et le pardon des péchés.
Le Livre des Maccabées, qui n’a pas été retenu par Luther dans le canon biblique de 1534, mais qui fut officiellement intégré au canon catholique lors du concile de Trente, parle d’un sacrifice accompli en faveur de défunts, ce qui laisse entendre l’existence d’un lieu de purification distinct de l’enfer et du paradis : « Puis, ayant fait une collecte d’environ 2 000 drachmes, il l’envoya à Jérusalem afin qu’on offrît un sacrifice pour le péché, agissant fort bien et noblement d’après le concept de la résurrection. Car, s’il n’avait pas espéré que les soldats tombés dussent ressusciter, il était superflu et sot de prier pour les morts, et s’il envisageait qu’une très belle récompense est réservée à ceux qui s’endorment dans la piété, c’était là une pensée sainte et pieuse. Voilà pourquoi il fit faire ce sacrifice expiatoire pour les morts, afin qu’ils fussent délivrés de leur péché. »
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Dans l’Évangile selon Matthieu 5,25, il est écrit : « Hâte-toi de t’accorder avec ton adversaire, tant que tu es encore avec lui sur le chemin, de peur que l’adversaire ne te livre au juge, et le juge au garde, et qu’on ne te jette en prison. En vérité, je te le dis : tu ne sortiras pas de là que tu n’aies payé jusqu’au dernier centime. » Cette phrase a été appliquée au purgatoire : l’homme reste en prison, c’est-à-dire l’âme au purgatoire tant que tous les péchés n’ont pas été expiés.
En Mt 12 :31, Jésus enseigne que « le blasphème contre l’Esprit saint ne sera pardonné… ni en ce monde ni en l’autre », ce qui implique que, dans l’autre monde, des péchés sont encore pardonnés et qu’entre la mort et ce pardon – et donc l’accès au paradis –, il existe un temps que les catholiques assimilent au purgatoire. L’âme, une fois le temps de la vie terrestre fini pour elle, ne peut plus rien faire pour changer son sort, acquérir de nouveaux mérites ; elle est alors dépendante de la charité et des mérites des êtres humains encore sur la terre, et qui eux, jouissant encore de la liberté, peuvent agir en son nom pour offrir à Dieu des sacrifices ou de bonnes œuvres. Principe de la communion des Toussaints. D’où le fait que l’Église catholique considère comme efficaces les prières pour les âmes du purgatoire…
En dehors des évangiles c’est Paul de Tarse qui fait allusion le premier à un « feu », interprété parfois comme le purgatoire, dans l’Épître aux Corinthiens.
De nombreux témoignages écrits montrent que parmi les premiers chrétiens, certains auraient cru, sinon en l’existence d’un lieu, du moins d’un état, où le pécheur devait expier ses péchés avant d’atteindre le paradis.
Un des témoignages les plus anciens est le récit de la passion de Perpétue et Félicité : en prison, Perpétue voit en songe son jeune frère Dinocrate, mort avant elle, sortir d’un lieu lugubre. À la suite de ce songe, elle va offrir des prières pour lui et ensuite un autre songe le montrera heureux : « je vis qu’il avait été soustrait à sa peine ».
Si la localisation du purgatoire ne gênait pas les premiers chrétiens, ni le fait de ne pas avoir un nom pour désigner ce lieu, la réalité de secourir les défunts par la prière et l’ascèse est clairement établie dès l’antiquité chrétienne.
Origène (IIe siècle), qui n’évoque pas un lieu, mais un état, est l’un des premiers à avoir introduit le concept de purgatoire en faisant de l’enfer un état provisoire : car, d’après lui, il n’y a pas de pécheur si mauvais qui ne soit sauvé, au terme d’un long processus de purification, pour se retrouver finalement au Paradis. Mais cette opinion d’Origène est considérée par l’Église comme hérétique, car selon elle l’enfer est éternel, en ce sens qu’il ne finira jamais, et la punition aussi.
Pour Augustin, seuls certains chrétiens, déjà acceptés au paradis, sont soumis à la purgation comme épreuve de purification, entre le jugement individuel se situant à la mort et le Jugement dernier, collectif. Il souligne que les peines y sont très pénibles.
Mais ce n’est qu’à la fin du XIIe siècle qu’est apparu le mot du purgatoire et qu’il a été conçu comme un troisième lieu de l’au-delà, entre le ciel et l’enfer.
L’Église catholique a formulé sa doctrine concernant l’existence du purgatoire aux conciles de Florence (8e session, 1439) et de Trente. (25e session, Décret du 4 décembre 1563).
La croyance dans le purgatoire décline à la fin du XVIIIe siècle, après les grands moments de la piété baroque. Elle connaît un renouveau spectaculaire au milieu du XIXe siècle, en lien avec la dévotion mariale (Marie étant considérée comme la reine du purgatoire) et la rechristianisation du culte des morts : entre 1850 et 1914, les messes pour les défunts se multiplient. L’église des Âmes du Purgatoire à Naples témoigne de cette pratique.
* Cette idée se retrouve d’ailleurs également dans les légendes irlandaises concernant le Hésus/Mars dit Cuchulainn et notamment celle intitulée en gaélique « Siabur-charpat Con Culaind ». Cet au-delà de la mort dont le Hésus/Cuchulainn s’échappe est en effet caractérisé par un froid intense puisqu’un vent glacé s’en échappe (Elva Johnston : le salut de l’individu et le salut de la société). Les hommes de ce temps avaient déjà remarqué que le froid conserve.
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LES LIMBES.
(du latin limbus, qui signifie bordure, lisière, frange, voire marge).
Pourquoi des limbes ? Du fait du péché originel et du baptême : c’est le baptême qui lave du péché originel. L’Évangile selon saint Jean, au verset 5 du chapitre III, en affirme la nécessité : « En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d’eau et d’esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu ».
Il est donc nécessaire d’être baptisé pour entrer au Royaume de Dieu. Qu’a-t-il pu dans ces conditions arriver aux Justes qui ont vécu avant la venue du Christ et qui ne pouvaient par définition être baptisés ? Que peut-il arriver d’ailleurs à ceux qui meurent avant d’avoir été baptisés ?
Si le Christ est venu sauver toute l’Humanité, la question du baptême constitue un sérieux obstacle au salut d’une très grande part de cette même humanité : les Justes de l’Ancien Testament, les justes des nations qui n’ont pas connu le Christ, avant ou après l’Incarnation, les infidèles (dont on se soucie peu) et… les enfants morts sans baptême.
Au cours de la seconde moitié du XIIe, on en était donc arrivé à trois « demeures » dans l’au-delà : l’Enfer, le Purgatoire, le Paradis. Au XIIIe siècle, tous les grands théologiens useront aussi des expressions limbus patriarchorum et limbus puerorum : les deux limbes, celui des Pères et celui des enfants, étant deux bordures de l’Enfer. La scolastique élaborera donc alors, pour l’au-delà, un système à cinq « demeures » pour l’âme après la mort du corps : le Paradis, l’Enfer, le Purgatoire, le Limbe des Patriarches, le Limbe des enfants.
Dans ces cinq lieux, on peut distinguer trois lieux d’attente – le Purgatoire et les deux limbes – et deux lieux de séjour éternel : le Paradis et l’Enfer. Mais si deux de ces lieux sont transitoires – le limbe des Patriarches et le Purgatoire –, les trois autres sont éternels : le Paradis, l’Enfer, et le limbe des enfants. Nous allons voir pourquoi.
Le limbe des Patriarches, lui, est désormais du passé, enfin en principe, puisque le Christ l’a vidé en y descendant, qu’il est scellé, et qu’il disparaîtra donc vraisemblablement à l’occasion du Jugement dernier. Et comme le Purgatoire, lui aussi, disparaîtra à l’occasion du Jugement dernier. Le limbe des enfants est donc le seul lieu d’une « attente éternelle ».
LE LIMBE DES PÈRES (LIMBUS PATRUM) OU DES PATRIARCHES (PATRIARCHORUM).
La reconnaissance de cette autre demeure de l’âme après la mort du corps répond à l’objection morale suivante (et d’ailleurs toujours pertinente dans certains cas puisque les paragraphes 846 à 848 du catéchisme de l’Église catholique en traitent) faite au principe qui s’énonce ainsi en latin « extra ecclesiam nulla salus » autrement dit : « le baptême est certes indispensable pour être sauvé, mais peut-on décemment considérer que de grands hommes de la Bible comme Abraham ou Jean le baptiste ont été damnés pour l’éternité puisque n’ayant pas été baptisés au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ? »
Encore une fois nous noterons que l’idéologie chrétienne ne raisonne que par rapport à la Bible et au peuple hébreu, ce qui limite son intelligence, si ce n’est pas du racisme ça !
Le cas des Justes de l’Ancien Testament fut réglé assez facilement par le recours au dernier épisode de la présence du Christ sur terre. Entre sa mort sur la croix et sa résurrection, Jésus est en effet descendu aux Enfers. Dans la première Épître vraisemblablement faussement attribuée à saint Pierre (3,19), il est dit en effet que le Christ, après sa Crucifixion, est allé prêcher aux esprits « en prison ».
L’évangile apocryphe de Nicodème appelé aussi Actes de Pilate (4e siècle) imagine des détails supplémentaires.
L’Enfer lui-même (Hadès) ne veut pas le laisser entrer ; mais les Saints le poussent à le recevoir, David et Isaïe lui rappelant leurs propres prophéties. Satan lui-même, parce qu’il connaît le pouvoir du Fils de Dieu, conseille à Hadès de l’accueillir. C’est ainsi que le Seigneur, tenant la main d’Adam et
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faisant le signe de la croix sur lui et sur tous les Saints, les fait sortir de l’Enfer et remonter avec lui, puis les remet à l’archange Michel qui les mène au Paradis.
Or ce texte apocryphe a eu une très grande importance, dans le christianisme médiéval, surtout pour l’iconographie de la Passion et de la Descente aux enfers. Ce récit sera même accueilli dans la Légende Dorée de Jacques de Voragine au XIIIe siècle.
À partir du IIe siècle donc, pour les apocryphes et les Pères de l’Église, par sa Descente dans les Enfers (le shéol des Hébreux), le Christ libère les Justes du péché originel, leur permettant ainsi d’accéder au Paradis fermé depuis la Faute d’Adam. Au IXe siècle, la phrase « est descendu aux Enfers » sera même introduite dans le Credo catholique.
Pour ce qui est de sa localisation l’épisode de Lazare et du mauvais riche, suggéra aux exégètes des premiers siècles et du haut Moyen Âge que le sein d’Abraham ne peut pas être situé très loin de l’Enfer puisque, d’une part, Lazare qui y repose peut voir le mauvais riche qui est en Enfer ; et que, d’autre part, il est très difficile de concevoir un lieu qui ne soit pas le Paradis et soit sans proximité avec l’Enfer. Le lieu dans lequel se trouve Lazare tient donc de l’Enfer (du fait de sa proximité), du Paradis (il y trouve rafraîchissement) et d’un lieu de quiétude neutre (le sein d’Abraham).
Par contre depuis lors plus aucune âme n’est susceptible d’être concernée par ce limbe et il est donc théoriquement « désaffecté », « scellé », dit-on en langage théologique.
L’actuel catéchisme de l’Église catholique traite néanmoins d’un cas similaire quand il écrit (je cite) :
« Hors de l’Église point de salut… Comment faut-il entendre cette affirmation souvent répétée par les Pères de l’Église ? » Le baptême est nécessaire au salut, mais le refus de se faire baptiser ne constitue un péché mortel que s’il est fait en connaissance de cause et de façon délibérée. Ceux qui ne sont pas baptisés sans aucune faute de leur part – que ce soit par ignorance non coupable, ou par l’incapacité à être baptisé, comme dans le cas de la mort de catéchumènes, etc. – ne sont pas damnés pour quelque chose qui échappe à leur contrôle. Et ce ne sont pas là de nouvelles intuitions de Vatican II, car tout cela se trouve déjà chez les premiers Pères de l’Église.
« Appuyé sur la Sainte Écriture et sur la Tradition, le Concile enseigne que cette Église en marche sur la terre est nécessaire au salut. Seul, en effet, le Christ est médiateur et voie de salut : or, il nous devient présent en son Corps qui est l’Église ; et en nous enseignant expressément la nécessité de la foi et du baptême, c’est la nécessité de l’Église elle-même, dans laquelle les hommes entrent par la porte du baptême, qu’il nous a confirmée en même temps. C’est pourquoi ceux qui refuseraient soit d’entrer dans l’Église catholique, soit d’y persévérer, alors qu’ils la sauraient fondée de Dieu par Jésus-Christ comme nécessaire, ceux-là ne pourraient être sauvés.
Cette affirmation ne vise pas ceux qui, sans leur faute, ignorent le Christ et son Église.
En effet, ceux qui, SANS FAUTE DE LEUR PART, ignorent l’Évangile du Christ et son Église, mais cherchent pourtant Dieu d’un cœur sincère et s’efforcent, sous l’influence de sa grâce, d’agir de façon à accomplir sa volonté telle que leur conscience la leur révèle et la leur dicte, ceux-là peuvent arriver au salut éternel.
Ce « SANS FAUTE DE LEUR PART »… laisse songeur. Envisager que l’ignorance de l’Évangile puisse être une faute implique que, si l’on n’a pas commis cette faute, on mérite d’être pardonné. Pourtant, comme le pardon est en principe un acte totalement gratuit dans le christianisme, le fait que notre ignorance de l’Évangile soit coupable ou pas ne devrait rien changer.
Il est nécessaire d’être baptisé pour entrer au Royaume de Dieu. Que peut-il donc arriver aux Justes qui ont vécu avant la venue du Christ et qui n’étaient pas même susceptibles d’être baptisés ? D’une façon générale que peut-il arriver à ceux qui meurent avant d’avoir été baptisés ? Si le Christ est venu sauver toute l’humanité, la nécessité du baptême constitue un obstacle au salut d’une très grande part de cette même humanité : les Justes de l’Ancien Testament, les justes des nations qui n’ont pas connu le Christ, avant ou après l’Incarnation, les infidèles (dont on se soucie peu) et… les enfants morts sans baptême. D’où le limbe suivant, le limbe des enfants.
LE LIMBE DES ENFANTS : UN ENFER DOUX.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir plus haut, le problème théorique du sort des justes morts avant la venue du Christ sur terre fut facilement réglé par les premiers penseurs du christianisme qui
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le firent descendre aux enfers pour les libérer de cette situation. Dans la première Épître vraisemblablement faussement attribuée à saint Pierre (3,19), il est dit en effet que le Christ, après sa Crucifixion, est allé prêcher aux esprits « en prison ».
Mais autrement plus difficile au point de vue théologique, étant donné le principe de base énoncé par la formule latine « extra ecclesiam nulla salus », fut le véritable défi que représentait le sort des enfants morts avant d’avoir été baptisés ; et qui se traduisait par de véritables pratiques magiques (bien compréhensibles *) dans les sanctuaires des figures maternelles ou des déesses de l’amour des anciennes religions, évoquées par Max Dashu dans son étude des sanctuaires de répit en Bourgogne ou en Savoie. Le tout sous couvert de prières à la Vierge Marie bien entendu. Dans l’actuel département français de Seine-et-Marne, la Vierge noire de Pringy était invoquée à cette fin. Il y avait aussi à Saint-Martin-d’Heuille, dans le Nivernais, un oratoire (ou un autel ?) consacré à Notre-Dame de Pitié : le 24 octobre 1879, un enfant mort y aurait été ressuscité et aurait pu recevoir le baptême. Le cas des enfants morts sans baptême était en effet souvent une vraie torture morale pour les parents croyants. La dévotion populaire considérait donc que dans ces sanctuaires de répit les enfants ressuscitaient miraculeusement le temps suffisant pour recevoir le baptême.
Chez les premiers chrétiens, le baptême des adultes, précédé d’un long catéchuménat, était en effet la règle et seul ce baptême permettait d’accéder à la vie éternelle, mais la pensée théologique du destin des âmes des enfants non baptisés va évoluer au cours des siècles. Que deviennent en effet les âmes des enfants morts sans baptême ?
Car tous les êtres humains – sauf la Vierge (1) !) – sont marqués par le péché originel et le baptême sert à les en libérer.
Mais un enfant qui est mort sans avoir été baptisé est-il pour autant coupable de quoi que ce soit ? Mérite-t-il les flammes de la géhenne ? Et si ce n’est pas le cas, mérite-t-il d’aller au paradis ?
Cette question, qui remonte aux premiers temps du christianisme, reçoit une réponse relativement floue de la part des premiers Pères de l’Église. Grégoire de Nysse (Sur les enfants morts prématurément) comme Grégoire de Nazianze affirment que ces âmes ne sont pas destinées à souffrir dans l’au-delà, mais sans autre précision.
Grégoire de Naziance expose le problème en ces termes : « Le fait que quelqu’un ne mérite pas d’être puni n’implique pas qu’il soit digne d’être honoré. De même, il ne résulte pas de ce que quelqu’un n’est pas digne d’être honoré qu’il mérite d’être puni » (Discours, XL, 23).
Alors ? Où donc mettre ces enfants ? Tout part d’une recherche de saint Augustin (354-430) et d’une réflexion théologique de sa part. La vérité de foi de son époque est : « Tout homme qui meurt sans la grâce va aussitôt après sa mort en enfer pour l’éternité ». Mais il sait aussi fort bien que les enfants non baptisés ne sont pas privés de la grâce à cause d’une faute venant d’eux, mais parce que leurs lointains ancêtres, Adam et Ève, ont choisi de désobéir à Dieu. Par réaction au pélagianisme saint Augustin opte néanmoins pour l’Enfer, en précisant toutefois qu’ils y bénéficient d’une peine nettement plus douce (mitissima) que les autres damnés.
« Et, bien sûr, la plus douce des peines possibles affectera ceux qui n’ont ajouté aucun vrai péché au péché originel qu’ils portaient déjà en eux ; et pour les autres qui, eux, y ont ajouté de vrais péchés, leur peine sera d’autant plus supportable dans l’autre monde que leur faute aura été légère dans celui-ci » (Enchiridion 93).
Logique avec lui-même il fera néanmoins condamner au concile de Carthage (418) l’idée d’un lieu intermédiaire accueillant les enfants morts sans baptême.
Le pape Innocent III (1198-1216) tente de régler la question en expliquant qu’il n’y a pas d’autre peine pour eux que d’être privé pour toujours de la vision de Dieu (poena damni) et qu’ils ne subissent aucune souffrance physique (poena sensus).
Peu à peu, l’idée d’un lieu intermédiaire, entre enfer et paradis, fait pourtant son chemin. Dans sa Somme théologique, Thomas d’Aquin (1228-1274) officialise pour ainsi dire le concept de « limbe des enfants » (du latin limbus, « bord », « marge »), situé près du « limbe des patriarches », le lieu où attendaient les patriarches bibliques avant la Révélation chrétienne.
Sans jamais devenir formellement un dogme, comme ce sera le cas pour cet autre entre-deux qu’est le purgatoire, le limbe des enfants fera bel et bien désormais partie de l’enseignement officiel de l’Église, en particulier catholique.
Les calvinistes, eux, s’en tiennent à la solution augustinienne. Les débats, plus ou moins confidentiels, continuent pourtant. Certains théologiens, comme le cardinal Cajetan (1469-1534), connu pour ses
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controverses avec Luther, laissent entendre que les enfants morts sans baptême pourraient bien être sauvés grâce à la foi de leurs parents. Mais le concile de Trente les désavoue, car c’est l’importance même du baptême qui est en jeu.
Les théologiens ne sont pas les seuls insatisfaits par cette solution des limbes : les parents le sont aussi. Comment accepter que son enfant soit condamné à rester pour l’éternité dans les ténèbres, sans aucune chance d’en sortir ? D’où des pratiques quasi magiques, comme celle du « répit », consistant à exposer les enfants morts sous une statue de la Vierge ou d’un saint et à attendre le moindre signe de « vie » pour procéder au baptême permettant d’éviter l’enfer.
Mais que faire des embryons et des fœtus ? C’est sur ce problème que s’est penché un certain François-Emmanuel Cangiamila dont l’Embriologia sagra fit longtemps autorité. Il fallait vérifier dans ce qu’avait rejeté la femme s’il ne se trouvait pas un embryon, même minuscule, et le baptiser sub conditione (car on n’était pas sûr qu’il était vivant) en disant : « Si tu vivis…» ; quand on n’était pas sûr qu’il s’agissait d’une forme humaine, on précisait toujours : « Si tu es homo et vivis…» ou « Si tu es homo et capax…».
Les années passant, la croyance dans les limbes a cependant perdu du terrain. La plupart des croyants, et l’Église catholique elle-même n’envisagent plus la question de l’Au-delà de la même façon qu’au XVIe siècle.
La réflexion théologique moderne, mettant plus volontiers en avant l’idée de divine miséricorde et de salut universel, a poursuivi l’évolution vers un envisageable salut des enfants morts sans baptême. Le IIe concile œcuménique du Vatican affirme ainsi dans la constitution dogmatique Gaudium et Spes (§22-5) « puisque le Christ est mort pour tous, et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal ».
Aujourd’hui le Catéchisme de l’Église catholique n’utilise plus le terme de « limbes » lorsqu’il évoque le sort des enfants morts sans baptême : « Quant aux enfants morts sans baptême, l’Église ne peut que les confier à la miséricorde de Dieu, comme elle le fait dans le rite des funérailles pour eux. En effet, la grande miséricorde de Dieu qui veut que l’ensemble des hommes soient sauvés, et la tendresse de Jésus envers les enfants, qui Lui a fait dire « Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas » (Mc 10 :14) nous permettent d’espérer qu’il y ait un chemin de salut pour les enfants morts sans baptême ».
* Il faut se mettre à la place des parents rendus fous de douleur à la pensée des conséquences pour leur enfant de ce « extra ecclesiam nulla salus » pour comprendre.
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6e DES ESCHATA DU CHRISTIANISME : LA TERRE PROMISE AUX SAINTS.
LA NAVIGATION DE SAINT BRENDAN (NAVIGATIO SANCTI BRENDANI).
Arrivés à ce point de notre exposé sur les différents eschata du christianisme, certains de nos lecteurs vont peut-être s’exclamer en leur for intérieur « tout ça, comme l’histoire des limbes ou du purgatoire, ce sont des conneries * dues à la plume de certains illuminés ! ». Certes certes ! Mais la navigation de Saint Brendan ayant joué un grand rôle au Moyen Âge dans la découverte de l’Amérique (par les Vikings au Vinland ou par Christophe Colomb) ; en tant qu’historien de l’idéologie chrétienne, afin d’être complet sur les eschata du christianisme, nous nous ferons un devoir de mentionner le texte ci-dessous.
Saint Brendan, fils de Finloch, petit-fils d’Altus, de la lignée d’Éogène, naquit dans la région marécageuse des Mumenensiens. C’était un homme d’une grande abstinence et célèbre pour ses vertus, père spirituel de trois mille moines environ. Comme il était en son lieu de combat (spirituel), une retraite appelée désormais « lande des vertus de Brendan », il arriva qu’un soir apparut un des pères, du nom de Barinthus, son propre disciple. Et comme il était interrogé sur de nombreux points par le saint père, il se mit à pleurer, à se prosterner et à demeurer ainsi plongé dans les prières. Saint Brendan le releva de terre et l’embrassa en lui disant : « Père, pourquoi tant de tristesse ? N’est-ce pas pour nous consoler que tu viens ? Manifeste au contraire ta joie de revoir tes frères ! Indique-nous la parole de Dieu et réconforte nos âmes en nous racontant les très nombreux miracles de sa part que tu as vus sur l’Océan ! » Alors saint Barinthus commença donc à leur parler en ces termes d’une île mystérieuse.
« Mon filleul Mernocatus, intendant des pauvres du Christ, me quitta un jour pour vivre en ermite. Et il découvrit pour cela une île située près d’une montagne de pierre – son nom est l’Île Délicieuse –. Bien des années après, on m’apprit qu’il avait de nombreux moines dans son ermitage et que Dieu témoignait par lui de nombreux miracles. Je décidai donc de lui rendre visite. Et comme je n’en étais plus très loin au bout de trois jours de voyage, il se hâta de venir à ma rencontre avec ses frères, car le Seigneur lui avait révélé mon arrivée. Alors que nous approchions de son île à bord de notre embarcation, les frères restés à terre accoururent à notre rencontre, comme un essaim d’abeilles, en sortant de leurs cellules. Leurs habitations étaient en effet dispersées un peu partout. Et pourtant régnait toujours chez eux l’unité la plus complète, dans l’espoir, la foi et la charité, grâce à l’existence d’un réfectoire unique. Ils se nourrissaient de pommes, de noix, de légumes, et de toutes sortes d’herbes. Après la dernière prière de la journée, chacun regagnait sa cellule et y demeurait, jusqu’au chant du coq ou au son de la cloche. Après y avoir passé la nuit et visité l’île, mon filleul me conduisit sur le rivage, face à l’occident, où il y avait une embarcation ; et me dit : Père, montez à bord et mettons cap à l’ouest, vers l’île appelée Terre Promise aux saints, que Dieu va un jour donner à nos successeurs.
Juste après avoir commencé notre navigation, nous fûmes recouverts d’une brume si épaisse que c’est à peine si nous pouvions encore apercevoir la poupe ou la proue du navire. Au bout d’une heure environ se répandit autour de nous une immense lumière, et une terre spacieuse, herbeuse, porteuse de pommes en abondance, apparut à nos yeux. Comme le navire avait touché terre, nous accostâmes et commençâmes à parcourir l’île pendant quinze jours, du moins d’après ce que nous pensions, mais sans pouvoir en apercevoir le bout. Nous ne vîmes point d’herbe si ce n’est des fleurs, et point d’arbres sans fruit. Toutes les pierres de cette île étaient des pierres précieuses. Le quinzième jour, nous aperçûmes un fleuve serpentant vers le Couchant. Nous restâmes là un instant sans savoir que faire, puis nous prîmes la résolution de le traverser. Mais nous attendions un signe de Dieu pour cela. Après que nous en eûmes ainsi délibéré, soudain apparut devant nous un homme d’une merveilleuse splendeur. Il nous appela aussitôt par notre nom et nous salua en disant : quelle merveille, mes valeureux frères ! Le Seigneur vous a révélé la terre qu’il va donner à ses saints. Ce fleuve coule en son milieu. Mais il ne vous est pas permis d’aller au-delà. Retournez donc d’où vous êtes venus. Je lui demandai aussitôt d’où il venait ainsi et comment il s’appelait, mais il répondit : pourquoi me demandes-tu d’où je suis et quel nom je porte, mais rien concernant cette île ?
Telle que tu la vois maintenant, telle elle fut depuis l’origine du monde. As-tu besoin de nourriture, de boisson, ou de vêtements ? Non ! Or tu es ici depuis un an ! Et jamais tu n’as eu besoin de sommeil. La nuit ne t’a jamais recouvert de ses ténèbres, car le jour y demeure éternel. Notre Seigneur Jésus Christ est la lumière de cette terre.
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Nous fîmes route ensemble jusqu’au rivage où se trouvait notre embarcation, mais l’homme disparut dès que nous fûmes montés à bord. Et toujours enveloppés de la même brume si épaisse nous prîmes le chemin du retour en mettant le cap sur l’île Délicieuse. Dès que les frères nous virent, ils se réjouirent bruyamment de notre retour, et ils déplorèrent notre absence qui avait duré si longtemps, à notre insu, en disant : « Pourquoi donc, pères, avez-vous laissé tant de jours vos brebis sans pasteur ? Nous étions habitués seulement à ce que notre abbé se retire dans cette île pour une semaine ou deux, voire un peu plus ou un peu moins. Mais jamais pour une année entière ! »
J’entrepris alors de les réconforter en leur disant : « Mes Frères, ne pensez à rien qui ne soit du bien. Votre île est aux portes du Paradis. Non loin il y a l’île appelée Terre promise aux saints, la nuit n’y descend jamais, le jour y reste éternel ! C’est là-bas que votre abbé Mernocatus se rend si souvent. Un ange du Seigneur veille sur elle. Ne sentez-vous pas à l’odeur de nos vêtements que nous revenons de ce Paradis ? »
* Ou des expériences de mort imminente.
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L’ESCHATOLOGIE.
OU EST-IL POSSIBLE DE PRÉDIRE UN AVENIR NON CONTENU DANS SES CAUSES ?
Le mot eschatologie (du grec eskhatos « dernier », logia « discours ») désigne la doctrine constituée par l’histoire ou la recherche autour du concept de destinée de toutes choses.
Il s’agit de la Doctrine des fins dernières de l’individu ou du monde.
Deux des principales caractéristiques de l’idéologie chrétienne telle qu’elle se transmet depuis 2000 ans étant les suivantes…
— Le racisme culturel qui limite a priori ses références intellectuelles, donc est tout le contraire de l’ouverture d’esprit convenant à notre époque.
— L’obsession de faire la volonté de Dieu donc de savoir ce qu’il veut.
Le résultat en est que si vous dites à un chrétien convaincu (je ne parle pas des « chrétiens » qui ne le sont que parce que leur famille l’était) si vous dites à un chrétien convaincu donc que deux plus deux ça fait quatre, il va d’abord compulser sa Bible pour voir ce qu’elle en dit.
La principale différence et elle est de taille entre les philosophies païennes et le judéo-islamo-christianisme en matière d’eschatologie est que les philosophies païennes ont en général une conception cyclique de l’Histoire (voir apocatastase) et le judéo-islamo-christianisme une conception linéaire.
Concrètement…
— Pour les philosophies païennes, après un passage initial du néant à l’être, objet de beaucoup de spéculations (c’est là en général que se trouve effectivement leur point faible, car cela contredit le principe bien connu ainsi exprimé en latin « Gigni de nihilo nihil ») une succession infinie donc de morts et de renaissances de l’Univers.
— Pour le judéo-islamo-christianisme, après une création de l’univers, théoriquement ex nihilo, en fait d’après les textes la mise en ordre d’un chaos préexistant appelé Tohu Bohu d’après Genèse 1 (première imposture), une fin des temps absolue, mais sans retour au néant total de l’univers créé par application du principe latin susmentionné « In nihilum nil posse reverti ».
Maintenant est-il possible de prédire un événement sans que cette information ait une source surnaturelle ou vienne d’un état de l’être supérieur à celui de l’Homme ?
La réponse est oui bien sûr et c’est là tout le défi de la science, car les possibilités d’erreurs sont évidemment innombrables.
« Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée… embrasserait dans la même formule les mouvements à venir des plus grands corps et ceux du plus léger atome. Rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir comme le passé, serait présent à ses yeux. »
De tout temps l’homme a néanmoins également pensé ou imaginé que des informations sur le futur, et notamment bien sûr celui le concernant directement, pouvaient lui être dictées ou inspirées par des sources ne relevant pas du domaine naturel au sens strict du terme.
Nous ne nous prononcerons pas ici sur la question de savoir s’il est possible de prévoir un avenir non évident, non contenu dans ses causes.
Si « le présent est gros de l’avenir » (Leibnitz) alors une connaissance de l’avenir est en effet possible, car il y a des lois naturelles fixes qui déterminent rigoureusement l’état futur d’un système d’après son état en cours (déterminisme).
Bien que certains éléments soient visiblement aléatoires, le fait de les assembler dans une série de calculs (en se basant sur la théorie du chaos) et de remonter dans le passé (les faits connus) permet de prédire ces probabilités.
En toute logique, la probabilité la plus haute gagne.
Mais le futur n’en est pourtant pas encore prédit. Il reste en permanence une marge d’erreur due aux phénomènes aléatoires « impromptus », des choses que l’on ne peut prévoir ou qui n’ont pas été prises en compte dans les calculs.
Ainsi, si un groupe d’amis a pour habitude de se rendre dans un bar spécifique et de boire des bières, vous saurez ce qu’ils vont faire en les croisant dans la rue. Vous pourrez même déterminer, si vous les connaissez un peu, de quoi ils parleront… dans ce qui est encore le futur.
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Mais l’imprévu, ou le méconnu, peut toujours entrer en jeu. Ainsi, si l’un d’eux a été malade la nuit précédente, la probabilité qu’ils aillent au bar, ou qu’il prenne une bière, s’en trouve limitée. De même, son état de santé amènera certainement à des sujets différents de ceux que vous aviez prévus.
En gros, il est donc théoriquement possible de prédire. Cela passe par une connaissance approfondie des éléments passés, des redondances et de tout ce qui peut entrer dans les calculs (y compris la possible chute d’un astéroïde). Dans les faits, cela n’est à peu près réalisable que sur des groupes ayant un nombre élevé d’individus (les statistiques deviennent alors celles du groupe et non celles des individus, ce qui rend le calcul plus simple et limite le nombre d’itérations aléatoires.
Mais, même ainsi, les schémas obtenus ne sont que des probabilités élevées, toujours soumises aux imprévus.
Pour, donc, prédire correctement et avec une certitude absolue l’avenir, il faudrait donc avoir une connaissance parfaite de tous les éléments passés et de toutes les probabilités imprévisibles, ce qui est impossible.
À l’heure actuelle, seules quelques expériences de ce type ont été réalisées en laboratoires, avec des taux d’erreurs relativement bas.
Nous nous bornerons donc en l’occurrence à constater qu’une des idées constitutives du peuple juif après son retour de Babylone et du Nouvel Israël qu’est le peuple chrétien, est…
— Premièrement qu’il existe Un (et un seul) Dieu créateur de ce monde.
— Deuxièmement que ce Dieu communique avec le peuple qu’il s’est choisi de différentes façons et notamment par le truchement de certains individus exceptionnels.
La émouna – foi – dans le fait que D.ieu a communiqué Sa volonté à l’Humanité est l’un des fondements du judaïsme et de là il est passé dans le christianisme.
Ce réflexe conditionné transmis de génération en génération a fait que de tout temps les chrétiens ont donc été persuadés que ces volontés de Dieu les concernant avaient notamment été consignées par écrit dans toute une série de livres désignée sous le nom de la Loi les prophètes ou les autres écrits divers (Tanakh) par les juifs, et Ancient Testament par les chrétiens.
Dans ces communications du Dieu créateur de ce monde à son peuple il y a donc notamment des informations sur des événements à venir, et bien entendu de la plus haute importance, ce que l’on appelle des prophéties.
Pour qui ne croit guère en la vertu prédictive de ces poèmes attribués à des illuminés juifs de l’Antiquité (CE QUI EST NOTRE CAS) le scénario qui suit (de la fin du monde et/ou de la fin des temps), n’est qu’un assemblage hétéroclite de visions poétiques ou d’idéaux nationalistes (non dénués d’une certaine force littéraire il est vrai). Dignes de figurer dans une anthologie des grands auteurs universels à emporter avec soi dans une île déserte (comme florilège à lire pour y tuer le temps), mais n’ayant rien à voir avec la science la philosophie ou la raison. Le drame du Christianisme c’est qu’il n’a jamais pu se détacher de la culture ni de l’attente millénariste juive du Messie pour atteindre à l’universel, comme l’aurait voulu Marcion par exemple. Il s’est senti au contraire comme étant plus que jamais le vrai Israël, face aux goïm (rebaptisés si l’on peut dire, païens) et en a gardé tous les réflexes conditionnés. D’où une régression intellectuelle sans précédent pour l’Humanité. Une démission de l’intelligence. Un crime contre l’esprit.
L’eschatologie juive au temps du Christ peut se ramener à deux systèmes fondamentaux, se distinguant par la durée plus ou moins longue, éternelle ou temporaire attribuée au règne du Messie.
Dans le premier la venue de celui-ci coïncide avec la fin du monde : à son avènement les méchants se coalisent contre lui, il les défait, le jugement général a lieu, les méchants sont châtiés, les bons triomphent éternellement avec le Messie.
Dans le second, le règne du Messie s’achève avant la fin du monde. Après avoir vaincu ses ennemis, il gouverne un certain temps le peuple des justes, puis l’univers est transformé, les morts ressuscitent et sont jugés, chacun reçoit sa récompense ou sa peine : l’éternité commence.
Les points suivants se retrouvent dans les deux systèmes, bien que dans un ordre différent.
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— Les signes avant-coureurs de la catastrophe : bouleversement de la nature, phénomènes terrifiants, guerres, famines, apostasie universelle, etc.
— La venue d’Élie qui doit tout rétablir
— L’avènement du Messie, précédant, accompagnant ou suivant le jugement et la consommation dernière.
— La coalition des impies contre lui sous le commandement d’un chef, qui n’est pas nommé, mais que les chrétiens appelleront Antéchrist.
— La défaite et l’écrasement des coalisés tantôt par Dieu, tantôt et plus souvent par le Messie.
— Le règne messianique avec une Jérusalem nouvelle, purgée des idolâtres qui la souillaient ou même descendue du ciel avec tout le peuple juif – même les morts – rassemblé de sa dispersion avec Dieu pour chef suprême et Roi absolu, avec sa paix profonde, ses joies et sa félicité parfaite.
— La transformation du monde par la consommation de ce que l’ancien avait de corruptible et de mortel.
— La résurrection des morts.
Tableau somme toute plus simple, plus simpliste diront certains, qu’avec le christianisme, car la Bible semble parler de deux venues sur terre du Christ.
— La première est celle où il fut annoncé, ignoré et rejeté (Jean 11,12) crucifié, puis ressuscité selon les nombreuses prophéties de l’A.T. (Dan. 9, 26 ; 1 Cor. 15, 3). Cette première venue s’est terminée par son ascension (Luc 24, 51).
— Mais, à plusieurs reprises Jésus-Christ a aussi annoncé qu’il reviendrait. Cette seconde venue doit également se dérouler en deux séquences bien distinctes dans le temps.
— Une destinée seulement aux fidèles et aux croyants.
— Une pour le reste du monde.
Insistons sur le fait que ces deux séquences sont assez enchevêtrées dans les textes et que leur distinction n’est qu’une construction intellectuelle pour ne pas dire une vue de l’esprit.
Mais si on joue le jeu desdits chrétiens convaincus et qu’on ne raisonne qu’à partir de la Bible, voici ce que l’on peut en déduire (plan donné sous toutes réserves : il faut bien trancher entre les différentes contradictions ou lacunes de nos textes et le Saint-Esprit est encore en grève en ce domaine comme d’habitude).
— Le retour du Christ (parousie).
— La résurrection des morts (idée pharisienne) et leur jugement.
— La fin des temps.
Les diverses confessions chrétiennes sont en gros d’accord sur ces 3 étapes, mais divergent sur le millénium (le règne de mille ans du Christ et des siens sur terre) et sur la bataille finale contre l’antéchrist (Harmaguédon). En tout état de cause à placer avant la résurrection des morts et la fin des temps.
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LA PAROUSIE.
Terme théologique, venant du grec parousia, et par lequel la pensée chrétienne désigne le retour du Christ sur cette terre, sa seconde et dernière venue parmi les hommes. Le mot parousia, que nos versions traduisent ordinairement par avènement, se rencontre à plusieurs reprises dans le N.T. (son emploi fréquent dans les papyrus contemporains du N.T. en fait le mot technique pour désigner une « visite » de roi ou de grand personnage, à laquelle les sujets se préparent).
L’étude des différents textes bibliques concernant la parousie est troublante ; d’une part, en effet, deux tendances s’y manifestent, celle qui affirme un retour imminent du Christ, et l’opinion opposée qui rejette la parousie dans un futur indéterminé ; d’autre part, le fait incontestable que ladite parousie (tout comme la venue du messie pour les juifs) ne s’est pas encore produite malgré les siècles écoulés.
Dès lors, une première question se pose au chrétien : pourquoi le N.T. professe-t-il des sentiments contradictoires en cette matière ? Et cette question se transforme tout naturellement en celle-ci : quelle fut la croyance du Christ lui-même à ce propos ? A-t-il annoncé à ses disciples son retour imminent, ou leur a-t-il parlé d’une parousie à la fin des temps ?
Ce qui revient à se demander si Jésus a partagé toutes les idées eschatologiques des Juifs de son temps.
On a répondu à cette question de trois façons.
1° Certains ont répondu oui. Jésus a partagé toutes les idées eschatologiques de son époque, y compris celles qui concernaient le jugement du monde par le Messie descendant du ciel. Se considérant comme le Messie annoncé par les prophètes, Jésus s’est appliqué à lui-même cette intervention messianique et surnaturelle après sa mort.
2° Selon d’autres, Jésus n’a partagé aucune des croyances eschatologiques du judaïsme de son temps. Par conséquent, tout ce que raconte le N.T. au sujet de son retour ici-bas et du jugement qu’il présidera n’est qu’inventions juives de la part des disciples, tant des évangélistes que de l’apôtre Paul ou d’autres écrivains du N.T. Tirées du judaïsme et des différentes mythologies de l’époque.
3° Pour d’autres enfin – et leur opinion nous semble la plus sage – il faut adopter une solution intermédiaire.
— D’une part, il est indéniable que le Christ s’est servi du langage et des conceptions eschatologiques du judaïsme de son époque ; il s’en est servi comme d’un moyen pour se faire comprendre de ses contemporains, comme d’un cadre soutenant sa pensée ; il y a puisé des images d’une richesse incomparable et des tableaux qui parlent directement au cœur.
— Mais d’autre part, les disciples ont exagéré l’importance des mots et des images employés ; ils en ont fait la partie la plus importante des leçons du Maître. Prenant ce langage au pied de la lettre, ils ont voulu y découvrir des prédictions relatives à des événements locaux et immédiats, au lieu d’en dégager l’enseignement moral ou philosophique qui pouvait s’appliquer en tout pays et à toute époque.
Comme les juifs avec la venue du messie, certains chrétiens, beaucoup au début même, ont donc essayé de déterminer la date précise de la parousie en se fondant sur le livre de Daniel ou sur les prophéties de l’Apocalypse. Or, à chaque fois, le cours des événements a prouvé la fragilité de leurs calculs et l’inutilité de cette vaine curiosité. Pour la majorité des chrétiens actuels cette seconde venue du Christ se place donc encore dans les événements à attendre, et rien ne permet d’en fixer ni l’époque ni les circonstances.
NDLR. Pour l’Église catholique, cette deuxième parousie n’est ni un événement complètement à venir ni un événement déjà complètement advenu. Pour les catholiques en effet le Christ règne déjà par l’Église.
La seconde venue de Christ est très fréquemment et très clairement enseignée dans l’Écriture. Le Christ reviendra en personne, dans son corps de gloire (Philippiens 3,20-21 ; Mattieu 24,30 ; Matthieu 25,31), selon sa promesse (Jean 14, 2-3). Son retour constitue donc l’espérance de tout croyant (Tit 2,13 ; Hé 9, 28 ; 2 Ti 4, 8) ; il est certain même s’il semble tarder (2 Pi 3,3-10 ; Hé 10,37).
Les théologiens chrétiens insistent tous sur le retour de Jésus-Christ et “l’enlèvement” de son Église, mais divergent sur l’échelonnement des événements dans le temps. Le schéma présenté ci-dessous est celui des prémillénaristes.
La seconde venue de Christ doit se faire en deux phases.
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— Les croyants seront tout d’abord enlevés dans les airs afin d’aller à sa rencontre (des êtres humains volant comme des oiseaux… cela faisait beaucoup rire les sceptiques comme Celse).
— Ensuite le Christ reviendra sur la terre avec les siens à la vue de toute l’Humanité.
a) L’enlèvement des croyants.
Cet événement aura lieu soudainement, à un signal donné (1 Thessaloniciens 4, 16). Tenons-nous prêts : (Luc 12, 35-40 ; 1 Jean 2, 28).
Les morts en Christ ressusciteront et les croyants vivant sur la terre seront changés instantanément sans passer par la mort ; tous revêtiront le corps glorifié de la résurrection et ils seront enlevés dans le ciel où ils rencontreront le Seigneur (1 Thessaloniciens 4,16-17 ; 1 Corinthiens 15, 51-52). Ce sera l’accomplissement d’une promesse précise de Jésus (Jean 14, 2-3).
b) Le tribunal du Christ et les noces de l’Agneau
Lorsque les croyants paraîtront devant le Christ, la valeur de leur vie chrétienne sera examinée et éprouvée (1 Co 3,12-15 ; 2 Co 5,10 ; Ro 14,10).
c) La dernière venue du Christ sur la terre.
Après une période de tribulation, Jésus-Christ reviendra à l’improviste…
— Sur le Mont des Oliviers (Za 14,4).
— Corporellement (Za 14, 4 ; Ac 1,11 ; Is 35,4).
— Environné de gloire (Mt 24, 30b ; Mt 16,27 ; 1 Pi 4,13 ; Is 11 ,10).
— D’une façon visible pour toute l’humanité (1 Th 5,2-3 ; Ap 1, 7 ; Ac 1,11 ; Mt 24, 27-30, Mt 24,6-39).
— Avec autorité (Ap 19,11-16 ; Is 9, 5-6).
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LE MILLÉNIUM.
On appelle millénarisme, ou chiliasme une conception qui soutient l’idée d’un règne terrestre du Christ après ou avant que celui-ci aura chassé l’Antéchrist, mais en tout cas préalablement au Jugement dernier.
Apocalypse de Jean 20,1-8 : « Puis je vis descendre du ciel un ange, qui avait la clé de l’abîme et une grande chaîne à la main. Il attrapa le dragon, le serpent ancien, qui est le diable et Satan, et le lia pour mille ans… Quand les mille ans seront accomplis, Satan sera relâché de sa prison. Il sortira pour séduire les nations qui sont aux quatre coins de la terre, Gog et Magog, afin de les rassembler pour la guerre ; leur nombre est comme le sable de la mer ».
Épître de Barnabé. Chapitre 15 : « Faites attention, mes enfants, à ces paroles : « Dieu accomplit son œuvre en six jours » ; cela signifie que Dieu en six mille ans amènera toutes choses à leur fin, car pour lui un jour signifie mille années, ainsi qu’il me l’atteste lui-même : « Voici, un jour du Seigneur sera comme mille ans. » Donc, mes enfants, en six jours, c’est-à-dire en six mille ans, l’univers sera consommé. « Et il se reposa le septième jour, » a la signification suivante : quand son Fils sera venu mettre fin au délai accordé aux pécheurs, juger les impies, transformer le soleil, la lune et les étoiles, alors il se reposera glorieusement le septième jour. Mais il est encore dit : « Vous le sanctifierez avec des mains pures et un cœur pur. » S’il y avait aujourd’hui un homme au cœur pur capable de sanctifier le jour que Dieu a rendu saint, nous nous serions complètement trompés. Mais remarquez que nous ne prendrons de repos avec honneur et que nous ne sanctifierons le sabbat, que lorsque nous en aurons été rendus capables, par notre justification personnelle, par notre mise en possession de la promesse, après la destruction de toute iniquité, et la rénovation de toutes choses par le Seigneur. Nous serons alors en état de le sanctifier, nous-mêmes ayant été sanctifiés d’abord. Enfin il dit encore aux Juifs : « Je ne supporte pas vos néoménies et vos sabbats. » Voyez bien ce qu’il veut dire : ce ne sont point les sabbats actuels qui me plaisent, mais celui que j’ai fait et dans lequel, mettant fin à l’univers, j’inaugurerai le huitième jour, c’est-à-dire un autre monde ».
NDLR. L’épître de Barnabé, à ne pas confondre avec le simpliste et grossier faux musulman connu sous le nom d’évangile de Barnabé, n’a pas été retenue par le canon officiel des églises, mais figurait encore dans le Codex Sinaïticus au IVe siècle.
Papias. D’après les fragments parlant de Papias nous savons qu’il soutenait l’idée d’un règne terrestre du Christ. Plusieurs de ces écrits parlent de ce que les saints mangeront lors du millénium.
Irénée. Le livre V de son « Contre les hérésies » traite de l’antéchrist ou du règne du Christ et de ses élus.
Adv. Hae. V, 28, 2 : Il [l’Antéchrist] animera cette image, au point qu’elle en vienne même à parler, et il fera mettre à mort tous ceux qui n’adoreront pas cette image. Il fera encore donner à tous une marque sur le front et sur la main droite, afin que personne ne puisse acheter ni vendre, s’il n’a la marque du nom de la bête ou le chiffre de son nom : ce chiffre, c’est six cent soixante-six », c’est-à-dire six centaines, six dizaines et six unités, pour récapituler toute l’apostasie perpétrée durant six mille ans.
Adv. Hae. V, 28, 3 : Car autant de jours a comporté la création du monde, autant de millénaires comprendra sa durée totale. C’est pourquoi le livre de la Genèse dit : « Ainsi furent achevés le ciel et la terre et toute leur parure. Dieu acheva le sixième jour les œuvres qu’il fit, et Dieu se reposa le septième jour de toutes les œuvres qu’il avait faites. » Ceci est à la fois un récit du passé, tel qu’il se déroula, et une prophétie de l’avenir : en effet, si « un jour du Seigneur est comme mille ans » et si la création a été achevée en six jours, il est clair que la consommation des choses aura lieu la six millième année ».
Adv. Hae. V, 33, 2 : C’est pourquoi le Seigneur disait : « Lorsque tu donnes un dîner ou un souper, n’invite pas des riches, ni des amis, des voisins et des parents, de peur qu’eux aussi ne t’invitent à leur tour et qu’ils ne te le rendent ; mais invite des estropiés, des aveugles, des pauvres, et heureux seras-tu de ce qu’ils n’ont pas de quoi te rendre, car cela te sera rendu lors de la résurrection des justes. » Il dit encore : « Quiconque aura quitté champs, ou maisons, ou parents, ou frères, ou enfants
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à cause de moi, recevra le centuple en ce siècle et héritera de la vie éternelle dans le siècle à venir. » Quel est en effet le centuple que l’on recevra en ce siècle, et quels sont les dîners et les soupers qui auront été donnés aux pauvres et qui seront rendus ? Ce sont ceux qui auront lieu au temps du royaume, c’est-à-dire en ce septième jour qui a été sanctifié et en lequel Dieu s’est reposé de toutes les œuvres qu’il avait faites : vrai sabbat des justes, en lequel ceux-ci, sans plus avoir à faire aucun travail pénible, auront devant eux une table préparée par Dieu et regorgeant de tous les mets.
NDLR. On retrouve là le ton de l’épître de Barnabé.
Ce millénarisme a perduré au sein de l’Église chrétienne jusqu’à saint Augustin, mais ce dernier a combattu la croyance millénariste, car il voyait en elle des perspectives trop charnelles ou matérielles et pas assez spirituelles. Il proposa donc une lecture symbolique de l’Apocalypse et enseigna que la naissance du Christ a fait commencer les mille ans de son règne terrestre. Les instances officielles de l’Église catholique romaine entérinèrent cette interprétation qui est donc à part le paradoxe de la date toujours celle de l’Église catholique d’aujourd’hui.
Depuis que saint Augustin a décidé qu’un symbolisme spirituel était préférable à une lecture littérale, plusieurs conceptions du millénium sont apparues, que l’on peut classer globalement en trois catégories.
Parousie du Christ sans millénium, parousie du Christ après millénium, parousie du Christ avant millénium.
— Parousie du christ sans millénium. Les amillénaristes refusent la pensée d’un règne de Jésus-Christ sur Terre. Ils assimilent le millénium avec le règne éternel de Dieu à la fin des temps (chapitres 21 et 22 de l’Apocalypse) et appliquent les prophéties concernant le rétablissement d’Israël à l’Église (doctrine de la substitution). C’est la thèse de l’Église catholique, de l’Église orthodoxe, de l’Église anglicane, de l’Église réformée et de l’Église luthérienne.
— Parousie du Christ après le millénium. Les postmillénaristes situent la parousie, le retour du Messie, après les mille ans de règne. Cette période prospère et bénie correspondrait à une victoire provisoire de l’Église du Christ (cf. Ap 18,21). En somme un temps de chrétienté, avant un retour offensif de l’esprit du mal (cf. Ap 20,7).
— Parousie avant le millénium. Plus proches de la lecture littérale, les prémillénaristes associent le millénium et l’Enlèvement de l’Église selon trois courants doctrinaux majeurs : pré-tribulationisme, mi-tribulationisme et post-tribulationisme (chacun dépendant du moment où l’Église sera enlevée, soit avant, au milieu ou à la fin des tribulations, telles que décrites dans l’Apocalypse de Jean).
— Selon le courant le plus répandu, le pré-tribulationisme, dans un premier temps, l’Église sera enlevée (1 Thessaloniciens 4.16-18) et ainsi préservée des jugements qui frapperont le monde (Apoc 3,10) pendant 7 ans, puis sera unie au Messie (Apoc 19,7-8) avant que celui-ci ne vienne instaurer le millénium (Apoc 20,1-6), c’est-à-dire 1 000 ans de paix sur terre.
— Après quoi viendront le Jugement dernier (Apoc 20,11-15), la fin de ce monde et l’entrée dans un monde nouveau (Apoc 21,1). C’est la conception en vigueur dans la plupart des églises évangéliques : églises baptistes et pentecôtistes, etc.
Pour les saints des derniers jours (les mormons), pendant le Millénium, qui commencera à la seconde venue du Sauveur et sera une époque de justice et de paix sur la terre, le Christ régnera en personne sur la terre et Satan sera lié, de sorte qu’il n’aura plus de place dans le cœur des hommes. Tous les êtres humains sur la terre seront bons et justes, même si beaucoup n’auront pas reçu la plénitude de l’Évangile. Par conséquent, l’œuvre missionnaire se poursuivra ainsi que l’œuvre du temple ou de l’Église. À la fin des mille ans, Satan sera relâché pour un peu de temps, afin de rassembler ses armées. Elles combattront les armées célestes, conduites par Michel. Satan et ses disciples seront ensuite vaincus et rejetés pour toujours.
Église Adventiste du Septième Jour.
Ci-dessous brièvement résumé l’enseignement concernant le millénium, tel que compris jusqu’à ce jour par l’église Adventiste du Septième jour, depuis ses débuts.
Les élus sont ressuscités lors de la « première résurrection », qui a lieu pendant le retour en gloire du Christ, et ils vont au ciel (avec les fidèles qui sont vivants lors du retour du Christ et qui ne passeront pas par la mort). Les adventistes en voient des preuves dans le fait que 1 Thessaloniciens 4,16, 17
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parle d’un enlèvement « sur des nuées », pour aller « à la rencontre du Seigneur dans les airs », afin que s’accomplissent les promesses de Jésus, consignées dans Jean 13, 33-37 et Jean 14,1-3.
Ils règnent [alors] avec Christ pendant mille ans, jugeant le monde et les anges déchus, c’est-à-dire, déterminant la punition devant leur être infligée à la fin des mille ans. Pendant ce temps, Satan est enchaîné dans « l’abîme » (versets 1 et 3), c’est-à-dire sur la Terre, qui, par le « jugement » des « sept dernières plaies » décrites au chapitre 16 de l’Apocalypse, ainsi que de par ce qui arrivera durant la seconde venue du Christ (Apocalypse 19,11-21), aura été entièrement purifiée, et donc partiellement ramenée à son état d’origine, donc débarrassée des pécheurs non repentants, qui auront été mis à mort.
La vision décrit Satan lié pour mille ans par une grande chaîne, jeté et enfermé dans l’abîme, afin qu’il ne séduise [trompe] plus les non-croyants jusqu’à ce que les mille ans soient accomplis (Apocalypse 20,3). Les adventistes comprennent donc qu’à la fin des temps Satan sera empêché de quitter la Terre, cette Terre où il n’aura alors plus personne à séduire, puisque ceux qui reviendront à la vie pour régner avec le Christ pendant mille ans seront, comme les adventistes du Septième jour le croient, au ciel, et puisque, écrivit Jean, « les autres morts ne revinrent pas à la vie avant que ces mille ans ne soient révolus » (versets 4 et 5).
Contrairement à une grande partie du monde chrétien, les adventistes conçoivent que ce jugement aboutira à une destruction totale, non seulement de Satan et de ses anges déchus (les démons), mais aussi des mécréants de la race humaine, le jugement annoncé par la Bible n’étant pas une punition consistant en d’éternelles souffrances, qui ne seraient d’ailleurs pas méritées en raison du mal commis dans une vie humaine – si brève en comparaison de l’éternité –, eut-elle été la plus longue et la plus malfaisante de toutes. Chacun sera jugé selon ses œuvres d’après ce qui était écrit dans les livres. « Alors la mort et l’Hadès furent précipités dans l’étang de feu. L’étang de feu, voilà la seconde mort ! Et quiconque ne fut pas trouvé inscrit dans le livre de vie fut précipité ans l’étang de feu » (Apocalypse 20, 6, 12-15). Dieu cherche à tout prix à éviter ce drame inqualifiable (voir 2 Pierre 3,9), mais, tragédie infinie, beaucoup (Matthieu 7,13), par leur obstination, le contraindront à infliger un juste châtiment. Les adventistes du Septième jour comprenant la mort comme étant un état de totale inexistence, ils croient donc que ces peines ne tortureront personne pour l’éternité, mais qu’elles réduiront seulement les pécheurs en « cendres » : ils deviendront comme s’ils « n’avaient jamais été » (Abdias 15, 16).
Les Témoins de Jéhovah ont hérité de (puis ré-interprété) la conception de Nelson Barbour et de Charles Taze Russell concernant la promesse de « retour » faite par le Christ. Pour eux, il s’agit non pas d’un retour physique, mais de la prise en main des affaires terrestres par le Royaume de Dieu. Ils justifient cette position par leur traduction du mot parousia, compris généralement comme signifiant le « retour », la « venue » ou « l’avènement » du Christ, qu’ils rendent par « présence » (laquelle peut être invisible), une acception stricte qu’ils estiment correspondre plus exactement à l’étymologie de ce mot en grec ancien, au détriment des autres sens que peut revêtir ce mot d’un point de vue « philologique ». Cette « présence » longue et invisible, durant laquelle le Christ resterait aux cieux, s’achèverait par la bataille d’Har-Maguédôn, où les êtres humains opposés à Dieu seraient détruits, puis le Christ régnerait pour mille ans au cours desquels il ramènerait des conditions paradisiaques sur terre et élèverait à la perfection les survivants et les ressuscités qui opteraient pour Jéhovah. À la fin de ce millénium, le Diable sera relâché pour une dernière fois, tenter les êtres humains, après quoi tous les rebelles seront éliminés. Ceux qui demeureront en vie vivront pour toujours. Références : Jean 5,28-29 ; Apocalypse chapitres 20 et 21 ; Matthieu chapitres 24 et 25.
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L’ANTÉCHRIST.
L’Antéchrist est une figure commune à l’eschatologie chrétienne et islamique, mais dans un sens différent.
Pour ce qui est du christianisme elle apparaît dans les épîtres de Jean et dans la deuxième épître aux Thessaloniciens de saint Paul sous des formes variables, mais puise ses origines dans la notion d'« anti-messie » déjà présente dans le judaïsme.
Les traditions sont nombreuses à ce sujet et varient selon les confessions et les commentateurs. Dans l’islam, diverses traditions prophétiques (hadiths) mettent en scène al-Dajjâl (l’Imposteur) – l’équivalent de l’Antéchrist – dont la venue est un point déterminant de l’eschatologie musulmane. Il apparaît à la fin des temps et doit être éliminé par le prophète Îssa (Jésus) lors de son retour. À noter que ce retour n’est pas mentionné dans le texte et que de plus cela va à l’encontre du Coran qui stipule que Mahomet est le dernier (le sceau) des prophètes.
Le mot « antéchrist » vient du grec ancien antikhristos par l’intermédiaire du latin médiéval antechristus. Malgré la transformation du préfixe anti – (contre) en ante – (avant) le mot antéchrist signifie adversaire du Christ et non qui vient avant.
Le terme n’apparaît pas dans les textes chrétiens de base qui constituent le socle de l’enseignement chrétien sur la fin des temps : il n’apparaît ni dans l’Apocalypse de Jean, ni dans le Livre de Daniel, ni dans la deuxième épître aux Thessaloniciens, ni dans l’évangile selon Matthieu dans la discussion de Jésus sur les signes « de la fin du monde » qui n’emploie d’ailleurs jamais le terme au cours de son ministère. Le texte le plus influent concernant la construction de la figure de l'« antéchrist » – la deuxième épître aux Thessaloniciens ne le connaît d’ailleurs pas sous ce nom.
Les mots « antéchrist » et « antéchrists » n’apparaissent que cinq fois dans la Bible, plus précisément dans deux des trois épîtres de l’apôtre Jean.
« Qui est menteur, sinon celui qui nie que Jésus est le Christ ? Celui-là est l’antéchrist, qui nie le Père et le Fils » (1 Jean 2, 22).
« Mes chers enfants, c’est la dernière heure, vous avez entendu dire qu’un antéchrist vient, or il y a déjà beaucoup d’antéchrists : c’est à cela que nous savons que c’est la dernière heure » (1 Jean 2,18).
«… et tout esprit qui ne confesse pas Jésus n’est pas de Dieu, il est de l’antéchrist, dont vous avez appris la venue, et qui est déjà maintenant dans le monde (1 Jean 4, 3).
Ici le mot antikhristos semble désigner les judéo-chrétiens qui font quelque peu bande à part en refusant de reconnaître comme les pagano-chrétiens la pleine divinité du Christ ou son incarnation. Le terme semble décrire n’importe quel faux docteur, faux prophète ou corrupteur de la foi chrétienne, mais semble quelquefois indiquer une personne précise ou un simple esprit trompeur qui suscite un faux enseignement, et dont la présence est un signe de la fin des temps. Cependant, dans la compréhension populaire, beaucoup de chrétiens identifient cet Antéchrist particulier avec l'« homme de l’impiété, le fils de la perdition » mentionné dans la deuxième épître aux Thessaloniciens (2, 2) et avec différentes figures de l’Apocalypse, y compris le Dragon, la Bête, le Faux Prophète et la Prostituée de Babylone.
L’idée que l’Antéchrist est une personne semble se combiner dans la première épître de Jean avec celle qui en fait une catégorie de personnes. Jean y parle de plusieurs Antéchrists qui incarnent l'« esprit de l’Antéchrist », qui auraient vécu dès le Ier siècle (« et qui maintenant est déjà dans le monde », 4:3) et continueraient à exister jusqu’à maintenant. Comme Jean l’écrit, un tel Antéchrist (l’adversaire du Christ) est quiconque « nie que Jésus est le Christ ».
Des idées y afférant et des références apparaissent en beaucoup d’autres endroits dans la Bible et divers apocryphes, si bien qu’un portrait biblique plus complet de l’Antéchrist a été créé peu à peu par les théologiens chrétiens et la religiosité populaire. L’Évangile selon Matthieu met en garde contre « les faux Christs » en plusieurs endroits et contre les trompeurs qui prétendraient être le Christ revenu (Matthieu. 24, 5, 24)
L’Antéchrist est donc compris de diverses façons, soit comme un groupe ou une organisation, soit comme un système de gouvernement fondamentalement mauvais ou une fausse religion ; ou, plus généralement, comme un individu, comme le chef d’un gouvernement mauvais, un chef religieux qui remplace l’adoration du Christ par une fausse adoration, l’incarnation de Satan, un fils de Satan, ou un être humain placé sous la domination de Satan.
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LA BATAILLE D’HARMAGUÉDON.
Bataille au cours de laquelle Dieu interviendra et détruira les armées de l’Antéchrist, comme annoncé par les prophéties bibliques (Apocalypse 16,16 ; 20,1-3 ; 7-10). Une foule de gens seront engagés dans cette bataille : tous ceux qui ne sont pas de vrais croyants uniront leurs forces pour combattre le Christ.
Le mot « Harmaguédon » n’apparaît donc qu’une seule fois dans la Bible, en Révélation (ou Apocalypse) 16,16. Ce livre de la Bible annonce prophétiquement qu’en un « lieu appelé en hébreu Harmaguédon », « les rois de toute la terre habitée » seront rassemblés « pour la guerre du grand jour de Dieu, le Tout-Puissant » (Révélation 16,14).
Qui doit combattre à Harmaguédon ? À la tête d’une armée céleste, Jésus Christ combattra (les ennemis de Dieu). Il mènera son armée à la victoire (Apocalypse 19,11-16, 19-21). Les ennemis de Dieu seront ceux qui s’opposent à sa domination et qui le traitent sans respect (Ézéchiel 39,7).
La bataille d’Harmaguédon se déroulera-t-elle au Proche-Orient ? Non, elle ne se déroulera pas en un seul endroit, mais sur toute la terre (Jérémie 25, 32-34 ; Ézéchiel 39,17-20). Harmaguédon est le symbole d’une situation mondiale dans laquelle tous les non-croyants se retrouveront pour s’opposer une dernière fois à la domination de Dieu.
À quoi ressemblera la bataille d’Harmaguédon ? Nous ne savons pas comment Dieu utilisera sa puissance, mais il disposera des mêmes armes que celles qu’il a utilisées dans le passé : grêle, tremblements de terre, pluies torrentielles, feu et soufre, éclairs et maladies (Job 38,22- 23 ; Ézéchiel 38,19- 22 ; Habaquq 3,10-11 ; Zacharie 14,12). Dans la confusion, au moins un certain nombre des ennemis de Dieu s’entretueront. Mais ils finiront par se rendre compte que c’est Dieu qui combat contre eux (Ézéchiel 38,21- 23 ; Zacharie 14,13).
Harmaguédon sera-t-il la fin du monde ? Ce ne sera pas la fin de notre planète, car la terre est la demeure éternelle de l’homme (Psaume 37, 29 ; 96,10 ; Ecclésiaste 1, 4). Plutôt que de détruire l’humanité, Harmaguédon la sauvera, car une « grande foule » d’adorateurs de Dieu survivra (Apocalypse 7, 9-14 ; Psaume 37,34).
Quand Harmaguédon aura-t-il lieu ? Parlant de la « grande tribulation » qui se terminera par la bataille d’Harmaguédon, Jésus a dit : « Quant à ce jour-là et à cette heure-là, personne ne les connaît, ni les anges des cieux ni le Fils, mais seulement le Père » (Matthieu 24, 21-36).
« Maintenant beaucoup se demandent pourquoi un Dieu qui est la personnification même de l’amour décréterait la mort d’une grande partie des êtres humains. Eh bien, imaginez une maison infestée de cafards. Ne pensez-vous pas qu’un propriétaire consciencieux devrait protéger la santé et le bien-être de sa famille en exterminant les indésirables ? C’est justement parce que Jéhovah éprouve une grande affection pour les êtres humains que la bataille d’Harmaguédon doit avoir lieu. Dieu a pour dessein de faire de la terre un paradis dans lequel les humains, amenés à la perfection, connaîtront la paix, sans « personne qui les fasse trembler » (Michée 4, 3- 4 ; Apocalypse 21, 4). Dès lors, que faire de ceux qui menacent la paix et la sécurité de leurs semblables ? Par égard pour les justes, Dieu se doit d’éliminer les méchants – les « indésirables » – que rien ne fera changer ».
Taqiya chrétienne à propos de ce raisonnement.
« Les Témoins de Jéhovah ont la conviction d’accomplir une œuvre de salut. Pourquoi poursuivraient-ils leur œuvre d’évangélisation s’ils croyaient qu’il n’y a pas d’espoir pour les autres ? Les témoins de Jéhovah ont la certitude que Dieu étendra sa miséricorde « à tous les hommes ». (1 Timothée 2 : 3-4.) L’apôtre Paul proclame que Dieu ressuscitera même « les injustes » (Actes 24,15.) Il est donc évident que beaucoup de personnes qui, aujourd’hui, ne sont pas Témoins de Jéhovah seront sauvées. Mais à propos de la « grande tribulation » imminente et du moyen d’y survivre, la Bible indique quand même que ceux qui veulent être protégés par Dieu doivent prendre position pour lui ».
Contre-lai N° 1.
Or quand il est écrit « Dieu ressuscitera même des injustes », il s’agit des êtres humains qui seront morts avant Har-Maguédôn et qui ressusciteront (pourvu qu’ils n’aient pas péché contre l’Esprit saint), mais afin d’être mis à l’épreuve ou être détruits à tout jamais s’ils ne reconnaissent pas le Royaume de Jéhovah.
Ceci ne concerne donc absolument pas les personnes qui seraient en vie à Har-Maguédon, elles doivent absolument être Témoins de Jéhovah pour échapper à la solution finale.
Même taqiya avec la phrase « beaucoup de personnes qui, aujourd’hui, ne sont pas Témoins de Jéhovah seront sauvées ».
Une personne qui n’est pas Témoin de Jéhovah aujourd’hui peut certes le devenir par la suite et donc être sauvée à Har-Maguédon, mais dans le cas contraire, c’est bien la destruction finale qui l’attend.
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Enfin, la phrase « la Bible indique que ceux qui désirent être protégés par Dieu doivent prendre position pour lui » est un doux euphémisme, puisqu’il ne s’agit pas ici de prendre position pour Dieu, mais bien pour l’organisation des Témoins de Jéhovah.
Les écrits des Témoins de Jéhovah qui décrivent la guerre d’Har-Maguédon semblent néanmoins évoluer ces dernières années vers un aspect moins littéral * et par conséquent moins « sectaire ».
Dans une publication récente qui décrit encore l’arsenal guerrier dont pourrait disposer Jéhovah pour cette bataille : « neige, grêle, tremblements de terre, maladies infectieuses, précipitations diluviennes, pluie de feu et de soufre, confusion qui pousse au meurtre, éclairs, ou fléau qui provoque une pourriture de la chair », il est ajouté en note : « Il est à souligner que plusieurs parties de la Bible sont rédigées en langage symbolique, ou en « signes » (Apocalypse 1,1). Par conséquent, nous ne pouvons donc pas savoir avec certitude dans quelle mesure les éléments mentionnés dans ces prophéties seront utilisés au sens littéral ».
* En somme il s’agit des mêmes débats sémantiques qu’avec les formules marxistes de « lutte des classes, dictature du prolétariat, disparition de la bourgeoisie ».
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LA RÉSURRECTION DES MORTS 1).
Concept fondamental du christianisme et de l’islam, car les souffrances de l’enfer ne doivent pas être uniquement spirituelles. Au jour du jugement dernier, les morts ressusciteront et retrouveront un corps susceptible d’éprouver toutes les douleurs physiques possibles. D’après certains islamologues le sadisme de cette idée empruntée au christianisme, d’une résurrection des corps des défunts permettant tous les supplices charnels possibles même longtemps après leur mort, aurait joué pour beaucoup dans le rejet radical de la prédication initiale de Mahomet, par ses contemporains de La Mecque. Quant aux récompenses physiques des justes si dans l’islam elles semblent bien charnelles (pour les hommes, alcool compris) il n’en va pas de même avec le christianisme qui précise bien qu’il n’y aura plus ni mari ni femme au paradis.
Certains courants de pensée du judaïsme du temps de Jésus croyaient en la résurrection des morts, mais pas tous. Le judaïsme officiel, celui des sadducéens, n’y croyait pas, mais les pharisiens et les esséniens y croyaient.
L’idée de résurrection est d’ailleurs très répandue dans le monde et vient bien évidemment de ce que peut suggérer le cycle de la vie à travers le déroulement des saisons : naissance, croissance, production, repos, mort.
La perception de ce cycle remonte au paléolithique. Le retour du printemps après l’hiver en est une allégorie courante.
Ce qui a toujours beaucoup préoccupé les hommes évidemment c’est leur propre résurrection (ou pas) à eux ; mais il ne sera pas inutile de commencer par quelques remarques sur la résurrection cyclique (ou pas) de certaines divinités anthropomorphiques, vu ce qu’elles nous apprennent sur cette hantise de l’homme depuis Gilgamesh.
La catégorie du déicide peut être en effet considérée comme une donnée universelle de la pensée religieuse.
La croyance en la résurrection de Jésus, mort sur la croix pour racheter les péchés du monde, est un élément essentiel de la religion chrétienne. L’histoire des religions manifeste que les mythes des dieux qui meurent et ressuscitent sont largement répandus, mais revêtent aussi des significations fort différentes. On trouve en effet chez les historiens de la religion et les ethnologues deux conceptions différentes sur les dieux qui meurent et ressuscitent.
D’abord celles de Frazer. Nul plus que lui n’a insisté, dans le Rameau d’or, sur les divinités de la végétation qui meurent en hiver pour reprendre vie au printemps, Osiris, Tammouz, Attis, Adonis, Déméter et Perséphone, Dionysos, dont la mort et la renaissance deviennent les symboles, à l’intérieur des mystères ou des cultes initiatiques, d’une doctrine du salut et de l’immortalité. Il a lié la passion du Christ à l’ensemble de ces cultes, car souvent le dieu qui meurt peut servir de bouc émissaire sur lequel on projette, avant de le tuer, les impuretés de la collectivité, ce qui serait le point de départ de l’idée du dieu, qui, en mourant, se charge des péchés du monde (1).
Cependant d’autres auteurs font remarquer que l’idée chrétienne d’un dieu qui meurt sur la croix, supplice des voleurs et des esclaves, dans l’humiliation la plus extrême, ne put en aucun cas être acceptée par les païens *, qui ne pouvaient arriver à envisager un dieu souffrant pour les hommes, frappé d’un supplice infamant, tout comme ils ne peuvent accepter l’idée que la mort d’un juste puisse paradoxalement laver les péchés des injustes. Cela ne veut certes pas dire qu’il n’existe point de mythes de dieux assassinés à travers le monde – mais qu’il y a une opposition radicale, d’abord entre les formes de l’assassinat du dieu et en second lieu dans les interprétations théologiques, que les païens ou les chrétiens donneront réciproquement de ces divinités souffrantes et tuées.
En fait, bien que Frazer ait donné des exemples africains de rois divins mis à mort quand ils perdaient, en vieillissant, leur mana, son argumentation repose surtout sur les données d’une certaine aire culturelle, celle de la Méditerranée, tout en s’appuyant également sur le folklore européen (mort de Carnaval, élection du roi et de la reine de Mai), et il englobe, dans un même système, deux sortes de mythologies différentes : celle du dieu assassiné, dépecé, comme Osiris ou Dionysos – celle de la descente aux enfers, comme le grain de blé qui doit être mis en terre pour germer (Déméter,
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Perséphone). Ce qui fait l’unité du système, c’est dans les deux cas, l’image de la végétation (l’arbre qui reverdit, la graine que l’on enterre).
Une rapide analyse permet de voir que le mythe du dieu assassiné déborde largement les frontières du cycle annuel de la végétation et qu’il prend, suivant les peuples, des significations fort différentes.
Frazer a noté que le déicide pouvait, dans d’autres aires culturelles, exister avec d’autres significations que dans l’aire de la Méditerranée orientale. La mise à mort annuelle des prisonniers déguisés en dieux chez les Aztèques avait pour but non de créer des boucs émissaires, mais de rajeunir les divinités, de renouveler leur mana. Et il ajoute qu’il est possible que le sacrifice d’êtres divinisés accompli pour le salut du cosmos ait contribué à l’idée que l’univers a été primitivement créé avec le corps de dieux immolés : en Irlande les plantes médicinales proviennent du corps du dieu de la médecine Miach sacrifié par son propre père Diancecht.
Mircea Eliade a insisté sur ce type particulier de dieux mourants, suscitant à partir de cadavres des formes vivantes utiles à l’humanité.
Dans une certaine mesure, les dieux meurent bien, comme le Christ, pour l’humanité, mais il s’agit dans le premier cas, du salut matériel et en quelque sorte physique de l’homme (l’agriculture naissant du déicide), dans le second cas, d’un salut imaginaire (création d’un monde illusoire, où les contradictions de la société sont résorbées dans l’extase qui fait sortir l’initié de cette société réelle, qui continue à garder, elle, ses contradictions internes).
Mais dans les deux cas comme dans le christianisme, la mort tragique d’un dieu change le mode d’être de l’homme ; elle est « constitutive de la condition humaine », mais constitutive pour un passé révolu (passage à l’agriculture) ou pour un présent qui répète cycliquement le passé.
La conclusion à laquelle on en arrive c’est que la mort du Christ s’insère bien dans une catégorie universelle de la pensée religieuse, dont les rois divins de Frazer ne sont pas le prototype, mais plutôt les demi-dieux créateurs, par leurs morts violentes et le dépècement de leurs corps, d’un surplus de nature ou d’un surplus de culture.
MAIS REVENONS VITE AU PLUS IMPORTANT : NOTRE RÉSURRECTION À NOUS LES HOMMES.
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LIVRE DES MACCABÉES ET LIVRE DE DANIEL. Deuxième siècle avant notre ère.
Premier livre des Maccabées.
Contrairement au second Livre des Maccabées, le premier ne dit mot d’une résurrection des morts ; les martyrs d’Israël que sont les Maccabées, ne récoltent de leur mort prématurée que la gloire et l’honneur et ils continuent de « vivre » uniquement dans le souvenir du peuple. Au temps de Jésus encore, un siècle et demi plus tard, et tout à fait dans le même sens, le groupe des sadducéens qui constituaient le judaïsme officiel, refusait l’idée de résurrection.
Deuxième livre des Maccabées chapitre 7.
Il n’est manifestement pas question dans ce passage d’une résurrection “eschatologique”, d’une résurrection terrestre à la fin des temps, mais – peut-être parce que l’attente qui s’exprime dans le livre de Daniel n’avait pas été comblée par le passé récent – mais d’une résurrection transcendante, d’une résurrection céleste d’avant le temps : on pense là à une montée au ciel après la mort – idée païenne fort répandue (cf. l’apothéose du héros irlandais Cuchulainn sur son siabur charpat) qui, beaucoup plus tard, devait avoir une importance capitale dans la foi en Jésus Christ et en sa résurrection.
L’argumentation en faveur de la résurrection atteint néanmoins son point culminant avec les deux discours de la mère qui est présentée davantage comme philosophe que comme mère. À la différence de ce qui se passe chez les Égyptiens, où la momie doit rester absolument intacte pour la vie éternelle, la mutilation corporelle et l’anéantissement physique eux-mêmes ne constituent pas des limites pour le Dieu d’Israël.
Dans le livre de Daniel, on trouve une mention de la résurrection individuelle, mais il n’est pas certain qu’il s’agisse d’une résurrection pour tous. Vu sa langue, sa théologie (angélologie tardive) et sa composition sans unité, ce livre n’est en aucune façon le fait d’un visionnaire vivant la cour babylonienne du VIe siècle, mais plutôt celui d’un auteur du IIe siècle, du temps d’Antiochus IV Épiphane justement. En ce qui concerne la résurrection, il y a dans le dernier chapitre de ce Livre (originellement de caractère apocalyptique) un passage nationaliste qui a été vraisemblablement influencé par des idées perses : « En ce temps se lèvera Michel, le grand prince qui se tient auprès des enfants de ton peuple. Ce sera un temps d’angoisse tel qu’il n’y en aura pas eu jusqu’alors depuis que la nation existe ».
Qui peut ressusciter, d’après ce texte ?
« Ton peuple en réchappera : tous ceux qui se trouveront inscrits dans le Livre. Un grand nombre de ceux qui dorment au pays de la poussière s’éveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour l’opprobre, pour l’horreur éternelle. Les doctes resplendiront comme la splendeur du firmament, et ceux qui ont enseigné la justice à un grand nombre, comme les étoiles, pour toute l’éternité » (Daniel 12, 2-3).
1) Les impies demeureront dans le Shéol ou Hadès, ils ne ressusciteront pas.
2) Les apostats et les traîtres connaîtront « l’horreur éternelle : ils seront réveillés d’entre les morts pour souffrir aussi dans leur chair des tourments sans fin ».
3). Les justes et les saints, ressuscités, jouiront de « la vie éternelle ».
La conclusion qu’en tirent les chrétiens est donc la suivante. Il importe au plus haut point de saisir sans retard le salut que Jésus offre gratuitement à tous les pécheurs ! Et pour ceux qui sont sauvés, il est un autre devoir : annoncer aux pécheurs la bonne nouvelle du salut par grâce. « Malheur à moi si je n’évangélise pas », s’écriait l’apôtre Paul (1 Corinthiens 9,16). Suivons son exemple et rappelons aux pécheurs que Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle.
NDLR. Les juifs et les réformés, s’ils n’incluent pas les livres des Maccabées dans leur canon, considèrent généralement ces œuvres comme des sources historiques fiables. La fête de Hanoucca commémorant la révolte des Maccabées est d’ailleurs toujours célébrée par les juifs. Rappelons
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néanmoins qu’une part non négligeable des Juifs, fidèles à la Loi ancestrale, n’acceptaient pas alors la croyance en la résurrection et ne l’acceptent d’ailleurs toujours pas aujourd’hui.
En outre le dogme pharisien ou chrétien la résurrection des morts ne doit pas être confondue avec une simple réanimation physique comme dans le cas de Lazare ou de la fille de Jaïre (2 Marc 7). Les résurrections opérées directement et personnellement par Jésus lors de son incarnation doivent être comprises comme une anticipation de la résurrection générale et glorieuse, telle que la littérature apocalyptique l’attend à la fin de l’histoire.
* À l’exception des druides irlandais à cause de leur héros guerrier le Hésus-Mars appelé chez eux Cuchulainn.
1) Le but de ce chapitre n’est pas de traiter de la résurrection, ou pas, du grand rabbi nazoréen Jésus, mais de la résurrection générale des êtres humains pour être jugés (à la fin des temps). Historiquement parlant la croyance en la résurrection de cet homme n’est fondée que des témoignages relatés dans les quatre évangiles, et à une occasion par l’apôtre Paul dans le quinzième chapitre de sa Première épître aux Corinthiens (1 Corinthiens 15, 3-8). L’apôtre des gentils païens écrit aux chrétiens de la ville de Corinthe, en Grèce : « Je vous ai enseigné avant tout, comme je l’avais aussi reçu, que Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures ; qu’il a été enseveli, et qu’il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures ; et qu’il est apparu à Céphas [Pierre], puis aux douze. Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois, dont la plupart sont encore vivants, et dont quelques-uns sont morts. Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres. »
Considérant que l’on date la rédaction de la Première épître (qui est le texte le plus précoce du Nouveau Testament traitant de la Résurrection) d’entre l’an 53 et 57 de notre ère (soit 20 à 25 ans après le déroulement historique prétendu de la Crucifixion et de la Résurrection), l’interprétation qui a été privilégiée dans les diverses Églises est que Jésus-Christ est effectivement apparu vivant le troisième jour après sa mort et que plusieurs témoins l’ont vu et ont entretenu des contacts avec lui pendant un certain temps.
Rudolf Bultmann range l’épisode de la résurrection parmi les théologoumènes, c’est-à-dire des affirmations théologiques présentées dans les récits bibliques comme des faits historiques. Dale Allison en trouve huit.
On peut retenir trois grandes implications doctrinales suscitées par la croyance au relèvement des morts généralisé, qui ont des conséquences capitales dans la foi chrétienne.
— La possibilité d’un retour miraculeux à la vie physique par l’action de Dieu (il s’agit en fait d’une réanimation d’un corps terrestre plutôt que d’une résurrection au sens propre du terme, cf. la “résurrection” de Lazare en Jean 11, 1-44).
— L’état de mort spirituelle de l’homme, découlant du péché d’Adam. Avec l’exemple du Christ, la Résurrection représente la victoire finale de la Vie sur la Mort en tant qu’œuvre rédemptrice effectuée par Jésus pour le genre humain. Elle fait aussi écho aux déclarations de Jésus selon lesquelles il est venu pour que l’humanité ait la vie « en abondance » (Jean 10, 10).
— La future résurrection, proprement dite, lors des temps derniers, des humains qui seront destinés soit au Salut, soit à la Damnation. Selon les millénaristes il y aura deux résurrections, la première lors du retour du Messie ne concernera que les justes, la seconde aura lieu pour tous au jour du Jugement dernier et rendra ainsi possible de ressentir dans sa chair les joies du paradis ou les épouvantables tortures sado-masochistes de l’enfer. Pour l’éternité.
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LE PARADOXE DES CORPS GLORIEUX.
La science démontre l’impossibilité de la résurrection des morts au sens commun du terme. Si les débris du corps humain restaient homogènes, fussent-ils dispersés et réduits en poussière, on concevrait encore leur réunion à un temps donné ; mais les choses ne se passent point ainsi. Le corps est formé d’éléments divers : oxygène, hydrogène, azote, carbone, etc. ; par la décomposition, ces éléments se dispersent, mais pour servir à la formation de nouveaux corps ; de telle sorte que la même molécule, de carbone par exemple, entrer dans la composition de plusieurs milliers de corps différents (nous ne parlons que des corps humains, sans compter tous ceux des animaux) ; que tel individu a peut-être dans son corps des molécules ayant appartenu aux hommes des premiers âges ; que ces mêmes molécules organiques que nous absorbons avec votre nourriture proviennent peut-être du corps de tel autre individu que nous avons connu (enfin peut-être), et ainsi de suite. La matière étant en quantité définie, et ses transformations en quantités indéfinies, comment chacun de ces corps pourrait-il être reconstitué à part des mêmes éléments ? Il y a là une impossibilité matérielle.
On ne peut donc admettre la résurrection de la chair que comme une figure symbolisant le phénomène dit des corps revêtus de xvarnah dans le monde perse, bellisama pour les femmes, bellisamos pour les hommes dans la théologie druidique antique, résultat de la lumière intérieure appelée en Irlande lumière du héros (luan laith) ou oiseau de valeur (èn blaith).
Les mythes perses nous décrivent en effet très précisément la venue du Sauveur (Saoshyant) à la fin des temps, le combat final où le bien vaincra le mal, ainsi que la résurrection. Ce sera le moment où Ormuz enverra son fils Saoshyant pour sauver le monde. Ormuz vaincra Ahriman. Les morts ressusciteront, revêtus d’un corps de gloire (xvarnah). Les anges et les archanges jetteront le pont du jugement (Chinvat) par où passeront les justes.
Dans son Dictionnaire philosophique, Voltaire consacre un article ironique à la Résurrection, où il a beau jeu de se moquer des doctes théologiens et des questions qu’ils se posent eux-mêmes sur la résurrection des corps. De quel corps s’agira-t-il ? De celui de nos vingt ans ou de celui de nos quatre-vingts ans ? Comment fera-t-on d’un corps d’enfant mort-né un corps d’adulte ? Comment ressusciteront les corps mangés par des anthropophages ? Avec quoi va-t-on nourrir et habiller tout ce monde-là ?
On pourrait se demander si Voltaire n’en rajoute pas un peu pour les besoins de sa cause. Force est de reconnaître qu’il en retranche plutôt.
Le théologien qui tente d’achever la partie de la Somme que Saint Thomas d’Aquin n’a pas eu le temps de rédiger s’attarde par exemple sur les ongles et les cheveux, qui au ciel n’auront aucune utilité, sinon celle de servir d’ornements, et seront donc compatibles avec la xvarnah, tandis qu’inversement, les sécrétions inutiles (comme le lait, le sperme, notamment) seront censées disparaître… mais pas leurs organes, devenus certes inutiles (on n’enfante plus, on ne nourrit plus les nouveau-nés au sein), mais dont la gloire s’accommode d’exhiber la vertu, comme des vainqueurs exhibant des armes devenues inutiles.
Il est clair que l’on ne doit pas s’enfermer dans ces discussions scolastiques absurdes sur la condition des corps glorieux, et qu’il y a comme une erreur de principe à se poser de telles questions. On ne cesse en effet de tourner autour de ce nouveau corps, qui doit être le même que celui de la vie terrestre, tout en étant différent, et bien entendu, pour compléter le corps de son « corolaire » indispensable, habiller cette âme qui n’est pas nouvelle, mais qui doit attendre après la mort de retrouver « son » corps, une âme qui sera donc bien la même, quoique la résurrection doive bien la transformer elle aussi, on suppose !
Au fond, toutes ces questions du comment (comment sera le corps glorieux ? Quelle sera la vie du corps glorieux, ou dans un corps glorieux ?) font dépendre la représentation de la résurrection d’une conception très étroite de l’articulation entre le corps et l’âme (s’agit-il seulement de l’hylémorphisme aristotélicien ? ce n’est même pas certain) et du coup, elles ramènent la résurrection à une forme de réincarnation ou de reviviscence.
À dire vrai, la tradition zoroastrienne sur le sujet est d’une extrême sobriété, et c’est finalement préférable, comparé aux traités vitriolés par Voltaire. Le plus sobre de tous, c’est Jésus lui-même, dont on aurait pu espérer un enseignement plus loquace… et des apparitions moins embarrassantes.
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Son enseignement est sobre : il tient dans l’affirmation qu’il y aura une résurrection, et qu’il faut le croire, non pour une raison anthropologique (l’état contre nature d’une âme séparée du corps), mais théologique : « Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais le Dieu des vivants » (Mt 22,32).
Et le seul « comment » que Jésus renseigne est un simple « comme », qu’il doit être le seul à comprendre, en tout cas assez peu éclairant pour nous : « à la résurrection, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans le ciel » (Mt 22,30). Et au fait, les anges dans le ciel, ils sont comment ? Ils ne prennent ni femme ni mari ! Mais encore ? « Ils contemplent la face de mon Père » (Mt 18,10). Ce qui, avouons-le, nous donne peu d’indications sur les corps glorieux.
— Mais le Christ lui-même avait bien un corps « glorieux » quand il est apparu aux disciples ?
— Ce n’est pas si simple ! C’est bien Jésus lui-même et vivant qui apparaît et est reconnu par ses disciples, mais c’est toujours dans un processus de reconnaissance, plus ou moins laborieux, où Jésus doit vaincre leurs doutes et leurs peurs (Luc 24, 37) ou leur complète cécité (Jean 20,14 ; Luc 24,16). Il le fait par des paroles (adresse personnelle à Marie de Magdala, relecture des Écritures aux disciples d’Emmaüs) et des gestes (notamment la fraction du pain). Il montre aussi ses plaies, mais deux fois seulement (Jean 20,20-27). Les autres fois, elles semblent invisibles, ou elles ne sont pas remarquées !
Quant à la gloire céleste (xvarnah), rien de tel dans ces apparitions où Jésus n’est pas resplendissant de lumière comme lors de sa transfiguration (Marc 9,2-3). Un détail important aux yeux de Jean (et de toute la postérité) : il se tint au milieu d’eux, alors que toutes les portes étaient fermées (Jean 20,19-26). Sans être passe-muraille, Jésus apparaît avec un corps réel et palpable là où il désire apparaître. Et voilà tout ce qu’on peut dire, sans préjuger du corps glorieux du Christ à la droite du Père, que l’Apocalypse voit sans doute de manière plus éclatante, mais tellement symbolique (l’Agneau égorgé d’Ap 5,12 et Ap 21) qu’elle en empêche toute représentation réaliste.
Si le corps glorieux du Christ lui-même échappe ainsi à notre investigation, il risque de devenir impossible de penser quoi que ce soit de notre propre résurrection. Paul, qui semble avoir vu une apparition du Ressuscité tout à la fois plus imposante et plus lumineuse que les disciples, a bien conscience de la difficulté de se représenter notre résurrection, et du désespoir ou de l’incrédulité radicale qui peuvent s’ensuivre chez ses frères de Corinthe. Il entreprend donc de les éclairer (en 1 Co 15).
La métaphore filée du grain que Paul utilise renvoie à la fois à un processus druidique et à une typologie ontologique de l’être humain avant et après la mort. Un processus druidique : comment la vie surgit-elle de la mort ? Comme la plante surgit du grain tombé en terre et qui y meurt. Une typologie : né terrestre, et corps psychique (terminologie gnostique?), l’homme « renaît » céleste, et corps spirituel.
Si la vision mécaniste est laissée à son domaine d’application, et qu’une ouverture est laissée à d’autres réflexions pour aborder le sujet qu’est l’homme et la question de l’esprit, alors la typologie de Paul est bien intéressante. Lui qui parle habituellement de la chair (sarx) plutôt que du corps (soma) se livre ici à une tentative d’inculturation de la pensée grecque qui se révèle payante, à condition de bien voir en quoi il s’en sépare, et ce qu’il ouvre ainsi comme perspectives.
En examinant la distinction des deux sortes de sôma, le sôma « psychique » (« terrestre » ou « naturel »), et le sôma « spirituel » (pneumatikon), on doit s’interroger sur les influences auxquelles Paul fut soumis, dans la mesure où cette discrimination est étrangère au pharisianisme strict dont l’Apôtre relève. Ce pharisianisme exigeant ne put soustraire l’helléniste de culture que fut notre auteur élevé dans la grande cité de Tarse aux courants spirituels ou intellectuels dominants. Paul vivait parmi les gnostiques de langue grecque.
À partir de ces remarques, on peut raisonnablement affirmer qu’il y a chez les gnostiques de Corinthe une doctrine du double sôma dont saint Paul est imprégné. Peut-être l’Apôtre la reprend-il à son compte pour se faire comprendre, sachant à quel point cette doctrine est en vogue dans cette cité ? On peut ajouter que dans son souci de contrer à Corinthe les « discours enseignés par l’humaine sagesse », c’est-à-dire les discours des philosophes (1 Corinthiens 2, 13), il lui paraît habile de proposer une conception de l’homme où la gnose est récupérée.
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À première vue, Paul semble reprendre le langage des Grecs du corps et de l’âme (soma et psuchè), ce qui conduit certains interprètes à considérer que l’évocation du corps spirituel (soma pneumatikon) renvoie à un corps « régi par l’Esprit saint ». Une telle interprétation pourrait faire de l’Esprit saint la grande Âme de tous les corps ressuscités. Cette voie, empruntée par certains commentateurs arabes d’Aristote, ne correspond pas du tout à la foi chrétienne d’une permanence du sujet personnel.
Si l’esprit dont parle Paul n’est pas l’Esprit saint, mais bien l’esprit de la personne, on pourrait comprendre que la personne est constituée de corps, d’âme et d’esprit, mais peut avoir deux manières d’exister selon que le corps est assumé par l’âme, hors du pouvoir de l’esprit, dans une condition terrestre où l’esprit ne « régit » pas le corps (et régit comme il peut l’âme…), ou que le corps est assumé par l’esprit, dans une condition céleste où l’esprit « régit » l’âme et le corps.
Une telle représentation va à l’encontre de l’individuation de la personne humaine par le corps (individuation de la forme par la matière, dans l’hylémorphisme). Sans doute sera-t-on alors dans un monde de lumière, sans malédiction (Ap 22,3-5), sans mort ni souffrance (Ap 21,4), donc dans un espace-temps nouveau, conséquence d’une autre relation à Dieu, à soi et aux autres, et qui ne peut s’appréhender à partir du corps dans sa matérialité (sous peine de buter sur l’irreprésentable), mais à partir de ce que nous connaissons, dans la chair, de l’esprit, en posant un autre rapport à la chair, et non hors la chair. De sorte qu’au final, la question de notre au-delà ne devrait pas tourner autour de nos corps : que deviendront nos corps ? Comment seront nos corps ? Mais autour de nos personnes : notre individualité subsistera-t-elle éternellement ou s’estompera-t-elle peu à peu en se fondant dans le Grand Tout ?
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L’IMPOSSIBLE QUADRATURE
DU JUDICIUM DUPLEX OU ADVENTUS DUPLEX, DU CHRIST.
La société chrétienne médiévale s’est trouvée aux prises dès le début avec la tension née de l’affirmation simultanée de l’immortalité de l’âme et de la résurrection des corps, à la Fin des temps. Il en découlera inévitablement la perspective d’un double jugement : le Jugement dernier, annoncé par Matthieu 25 et Apocalypse 20, et le jugement des âmes, qui intervient déjà au moment de la mort de chacun.
En fait, une double dualité est ici à l’œuvre : celle de l’âme et du corps (dont l’importance dans la doctrine et la société chrétiennes ne saurait être trop soulignée) et celle du présent et du futur. On y ajoute souvent la dualité du singulier et du collectif. Pourtant, le sort des âmes n’est pas, et de loin, un problème strictement individuel : textes et images évoquent volontiers un jugement collectif des âmes. Inversement, il est fréquent que se projette dans l’image ou l’imagination du Jugement dernier, par nature collectif, des préoccupations individualisées.
Certes, pour chaque fidèle, le jugement de l’âme relève de la vie future qui l’attend au lendemain de la mort, mais du point de vue de la communauté des vivants, on peut bien dire que les âmes sont jugées dans un temps qui est celui du destin présent de l’humanité.
Quant au Jugement dernier, il s’agit d’un futur très particulier en ce qu’il inaugure l’abolition de la temporalité et la fin de la mutabilité qui la caractérise. Il se tient sur le seuil de l’éternité.
Il articule le temps des créatures et l’éternité cosmique que celles-ci viennent dès lors partager avec la divinité. C’est du reste cette articulation, hautement problématique, qui explique que ce moment inaugural de l’ordre éternel le plus absolu soit aussi l’un des événements de la Métahistoire les plus bouillonnants de mouvements, de gestes et d’actions engagées dans une temporalité qui est alors sur le point de s’épuiser à tout jamais.
Signalons par ailleurs que si nous parlons ici des dualités caractéristiques des représentations médiévales, celles-ci ne fonctionnent en fait que combinées à une ternarité (et ce moins par l’effet d’une médiation que par référence à un tiers externe) : ainsi, si le corps est périssable et l’âme éternelle, cette dernière n’en est pas moins soumise à la mutatio temporalis, dont parle par exemple Hugues de Saint-Victor, de sorte que seul Dieu est entièrement hors du temps, à la fois éternel et immuable.
Pour en revenir au Jugement dernier, il faut encore rappeler qu’il relève, au Moyen Âge, d’un futur dont le maniement – sous la forme de l’attente – est particulièrement délicat, et que les clercs médiévaux, à la suite d’Augustin, ont dû déployer une énergie considérable pour désamorcer les potentialités millénaristes. Du point de vue de l’institution ecclésiale, qui se heurte sur ce point à de nombreuses opinions divergentes, ce futur doit être vécu comme proche, tout en relevant d’une imminence toujours suspendue et maintenue dans l’indétermination.
Entre Jugement dernier et jugement de l’âme, il serait erroné d’établir un rapport de substitution, comme l’a souvent laissé entendre l’historiographie. Il existe sans doute une affirmation progressive du jugement de l’âme, qui fait l’objet de récits et de représentations figurées de plus en plus nombreux et élaborés. De manière plus significative encore, on peut mettre en évidence, dans le milieu des maîtres parisiens des années 1135-1155, une formalisation inédite du jugement de l’âme, qui fait son entrée dans le vocabulaire théologique, notamment chez Abélard et Robert de Melun, sous le nom de iudicium. Il n’est certainement pas indifférent d’observer que ce phénomène se produit dans le cadre d’une clarification et d’une restructuration générales des conceptions de l’au-delà, dont la naissance du purgatoire, quelques décennies plus tard, s’avère l’aspect le plus manifeste. Pour autant – et contrairement à ce que nos représentations contemporaines de la cohérence, et notamment de la cohérence des temps, pousseraient à supposer spontanément –, cette affirmation du jugement de l’âme (d’un jugement qui s’accomplit déjà au moment de la mort) ne se fait pas au détriment du Jugement dernier, dont le moment de plus vif essor iconographique doit être situé au XIIIe siècle et dans la dernière phase du Moyen Âge.
On se doit donc d’insister sur une coexistence – et même sur une affirmation simultanée – des deux jugements. On pourrait même se demander – mais il y faudrait une étude quantitative qu’on ne peut effectuer ici – s’il ne conviendrait pas de renverser entièrement la perspective habituellement reçue et
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de reconnaître que, somme toute, au XIIe siècle par exemple, moment supposé de balbutiements du jugement de l’âme et d’épanouissement du Jugement dernier, les images du premier sont probablement plus abondantes que celles du second. Mais au-delà de l’évolution quantitative des deux thèmes, et une fois exclue l’idée qu’il y aurait entre eux une incompatibilité, la véritable question est celle du lien fait entre ces deux jugements. Une question que les théologiens abordent explicitement, en montrant leur souci d’articuler ce qu’ils appellent parfois un duplex Adventus ou duplex Judicium.
On essaiera donc ici d’analyser comment cette articulation des deux jugements peut être pensée en images. Il s’agira d’observer différentes modalités de mise en rapport de deux temporalités distinctes : le présent des âmes séparées (après la mort) du corps et le futur du Jugement ultime concernant tous les ressuscités (de nouveau dotés d’un corps)…
Ouf ! Toutes nos félicitations à ce grand spécialiste mexicain pour avoir réussi à exposer avec clarté les données du problème que pose le christianisme en ce qui concerne le sort des âmes après la mort du corps au sens habituel du terme c’est-à-dire en dehors de cette notion de résurrection des morts qui vient tout compliquer.
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LE DEUXIÈME ET DERNIER JUGEMENT DES ÂMES.
Le Jugement dernier est un jugement solennel et général que plusieurs religions envisagent pour les vivants et les morts, à la fin des temps. Ce jugement général peut dans certains cas être le seul auquel sont soumis les défunts (religion des Égyptiens, judaïsme, anciennes religions iraniennes, druidisme * Grecs, et Romains, diverses religions africaines, etc.), mais dans d’autres religions, ce jugement reproduit le jugement particulier auquel est soumise l’âme de chaque individu immédiatement après sa mort (christianisme, islam).
NDLR. Le dieu du christianisme est un dieu d’amour, mais c’est un dieu qui juge quand même beaucoup (enfin au moins deux fois) et le christianisme partage donc avec l’islam la particularité d’accepter l’idée de deux jugements successifs des âmes pour déterminer leur sort dans l’au-delà. Nous demanderons donc à nos lecteurs de bien vouloir nous pardonner si par moments, dans nos efforts désespérés pour essayer de les articuler de façon plus logique que ne le font les théologiens chrétiens eux-mêmes, nous nous égarons, ou nous contredisons. Qu’ils se réfèrent alors pour en savoir plus à l’église de leur choix CE QUE NOUS NE SOMMES AUCUNEMENT.
UN PEU DE COMPARATISME RELIGIEUX MAINTENANT.
Les anciens Perses disaient qu’Ormuzd, le bon principe, après avoir laissé Ahriman tourmenter les humains pendant un laps de temps déterminé, détruirait l’univers et rappellerait tous les humains à la vie ; que les gens de bien recevraient la récompense de leurs vertus, les méchants, la peine de leurs crimes, et que deux anges seraient commis pour présider au supplice de ces derniers. Ils pensaient qu’après avoir expié leurs péchés pendant un certain temps, les méchants seraient aussi admis dans la compagnie, des bienheureux ; mais que, pour les distinguer, ils porteraient sur le front une marque noire, et seraient à une plus grande distance que les autres du bon principe.
L’image de la pesée des âmes (ou des actions) est un symbole très répandu. Le plus bel exemple nous en est fourni par l’Égypte. Les Égyptiens croyaient en effet qu’après la mort terrestre, l’âme du mort survivait. Pour mériter cette vie immortelle, il fallait passer avec succès l’épreuve du jugement de l’âme devant le tribunal d’Osiris. Pour convaincre les juges qui assistaient Osiris, le défunt devait prouver qu’il n’avait pas commis d’actions mauvaises pendant sa vie terrestre…
Le mort, en robe blanche, est introduit par Anubis dans le tribunal présidé par Osiris. On pèse ses bonnes et ses mauvaises actions terrestres à l’aide d’une balance : sur l’un des plateaux de la balance, on place le cœur du mort et sur l’autre plateau, la plume de Maât, la justice. Le dieu Thot prend note du résultat de la pesée. Un monstre (lion-hippopotame-chacal-crocodile, animaux que redoutaient les Égyptiens) dévorait le défunt si le résultat lui était défavorable. Si le résultat était favorable, le mort était présenté à Osiris qui l’acceptait dans les champs d’Iarou (le paradis égyptien).
La mythologie chrétienne étant ou vague ou quelque peu contradictoire à ce sujet, vu ses origines pharisiennes, pour en savoir concrètement un peu plus nous nous rabattrons donc sur l’imagerie médiévale. Et pour cela nous donnerons la parole au plus grand spécialiste à notre connaissance du sujet, l’historien médiéviste mexicain Jérôme Baschet (Université autonome du Chiapas).
La plus ancienne représentation de l’archange Michel dans le domaine occidental (IXe siècle) est un bas-relief taillé dans le sanctuaire souterrain de Monte Sant'Angelo, qui le représente avec une balance pesant les âmes.
Un autre bas-relief d’environ 1140 le représente également pesant les âmes sur le tympan du Jugement dernier de la Cathédrale Saint-Lazare d’Autun. Dans le registre de droite, on y voit Michel pesant une âme et un démon essaie de faire basculer le fléau dans sa direction, mais sans succès.
Le Musée d’Art catalan de Lérida conserve de même un retable du XIVe siècle où l’on voit Michel pesant les âmes, et les âmes qui n’ont pas satisfait à la pesée sont englouties par la gueule d’un diable.
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LE JUGEMENT DERNIER PROPREMENT DIT.
Abordons maintenant la dernière phase des événements prédits par les prophètes judéo-chrétiens. Celle-ci commencera immédiatement après la révolte qui aura suivi le millénium. Millénium, rappelons-le, auquel certaines confessions chrétiennes, et non des moindres, n’accordent guère d’importance.
Les grandes lignes sont les suivantes. Le ciel et la terre seront détruits et le Christ siègera sur le grand trône blanc pour juger les hommes qui sont morts en état de péché. Ils seront ressuscités par la puissance de Dieu, jugés selon leurs œuvres, condamnés et jetés dans l’étang de feu. Puis la mort sera à son tour anéantie.
Nous lisons en Apocalypse 20,11 et suiv. : « Puis je vis un grand trône blanc, et celui qui était assis dessus. La terre et le ciel s’enfuirent devant sa face, et il ne fut plus trouvé de place pour eux. Et je vis les morts, les grands et les petits, qui se tenaient devant le trône. Des livres furent ouverts. Et un autre livre fut ouvert, celui qui est le livre de vie. Et les morts furent jugés selon leurs œuvres, d’après ce qui était écrit dans ces livres. La mer rendit les morts qui étaient en elle, la mort et le séjour des morts rendirent les morts qui étaient en eux ; et chacun fut jugé selon ses œuvres. Et la mort et le séjour des morts furent jetés dans l’étang de feu. C’est la seconde mort, l’étang de feu. Quiconque ne fut pas trouvé écrit dans le livre de vie fut jeté dans l’étang de feu ».
Quelle scène impressionnante ! Alors que les morts en Christ ressusciteront à la venue du Seigneur et avant l’établissement du règne millénaire, ceux qui ne sont pas choisis demeureront dans leurs tombeaux et seront ressuscités seulement après le millénium pour comparaître devant le grand trône blanc. C’est l’heure du règlement des comptes… Et sur ce trône, le Christ en personne siège, afin de remplir la fonction judiciaire que le Père lui a confiée. « Car le Père ne juge personne, il a remis tout jugement au Fils… Et il lui a donné aussi le pouvoir de juger, parce qu’il est fils de l’homme » (Jean 5, 22- 27). « Dieu jugera par Jésus Christ le comportement caché des hommes » (Rom. 2,16). « Il nous a commandé de prêcher au peuple, et d’attester que c’est lui que Dieu a établi juge des vivants et des morts » (Actes 10,42). « Il a fixé un jour où il jugera le monde selon la justice, par l’homme qu’il a désigné, ce dont il a donné à tous une preuve certaine en le ressuscitant des morts » (Actes 17 : 31). « Le Christ Jésus, qui va juger les vivants et les morts » (2 Tim. 4 :1)
Tous comparaîtront devant lui, les petits et les grands de ce monde, pour recevoir le juste châtiment que mériteront leurs œuvres. Il ne s’agira plus de se manifester, comme nous le voyons en 2 Cor. 5,10, aux yeux des rachetés. Là il faudra que chaque impie réponde de ses actes, sans pouvoir compter sur la grâce qu’il aura pu refuser de son vivant.
Aucun racheté du Seigneur ne se trouvera parmi ces malheureux. « En vérité, en vérité, je vous dis que celui qui entend ma parole, et qui croit celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle et ne vient pas en jugement ; mais il est passé de la mort à la vie » (Jean 5,24). Pour ceux qui n’auront pas cru au Seigneur, il n’y aura plus aucun espoir, car ils auront foulé aux pieds le Fils de Dieu.
Tout homme aura donc affaire à Dieu, soit en Christ, soit « selon ses œuvres ». Or ceux qui paraîtront devant Dieu en s’appuyant seulement sur leurs propres mérites subiront une condamnation certaine et juste, car leurs œuvres ne pourront en aucun cas supporter la lumière divine. Le délai grâce sera passé et tout sera apprécié selon les exigences inflexibles de la justice et de la gloire de Dieu.
Les morts seront jugés « d’après les choses écrites dans les livres ». Il s’agit là d’une image, mais si évocatrice qu’elle a été reprise par l’islam qui précise (sourate 17, versets 13-14) : « Nous attachons son destin au cou de chaque homme, le jour de la résurrection nous lui présenterons un livre qu’il trouvera ouvert. [Alors on lui dira] Lis ton livre, il suffit aujourd’hui pour rendre compte de toi-même ! »
L’image est claire. Rien ne sera oublié, tout sera remis en mémoire et ce rappel suffira à convaincre les morts de leur culpabilité ainsi que de la justesse de leur châtiment. Même les péchés secrets seront jugés : « Tous ceux qui ont péché… seront jugés… le jour où Dieu jugera par Jésus Christ les secrets des hommes » (Rom. 2 :16). Les paroles aussi, et non seulement les actes : « Et je vous dis que, de toute vaine parole qu’ils auront dite, les hommes rendront compte le jour du jugement ; car par tes paroles tu seras… condamné » (Matt. 12 : 36). Personne ne pourra se disculper et toute bouche sera fermée. Ce sera « la révélation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres » (Rom. 2,5-6).
Mais qu’adviendra-t-il de ceux qui n’auront jamais entendu l’Évangile ?
Il faut rappeler tout d’abord que de tout temps Dieu a parlé aux hommes par les œuvres de sa création et par le moyen de la conscience. « La colère de Dieu se révèle du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes qui retiennent injustement la vérité captive, car ce qu’on peut connaître de Dieu est manifeste pour eux, Dieu le leur ayant fait connaître. En effet, les perfections invisibles de
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Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil, depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages (= la création). Ils sont donc inexcusables » (Rom. 1, 18-20).
L’homme peut donc percevoir, par la seule contemplation de la nature, la puissance éternelle de Dieu, et cela suffit à rendre inexcusable son impiété. Mais Dieu a aussi imprimé dans la conscience humaine les principes fondamentaux de sa loi, la notion du bien et du mal que possède tout être humain, si primitif soit-il. « Car quand les nations qui n’ont point de loi, font naturellement les choses de la loi, n’ayant pas de loi, elles sont loi à elles-mêmes, et elles montrent l’œuvre de la loi, écrite dans leurs cœurs, leur conscience rendant en même temps témoignage, et leurs pensées s’accusant entre elles, ou aussi s’excusant » (Rom. 2,14-15).
Or, tous les païens ont désobéi à la vérité qui leur a été révélée par ce double canal et ils seront inexcusables devant Dieu. Mais cela ne signifie pas que tous les hommes seront punis dans la même mesure. Ceux qui n’auront pas entendu l’Évangile ne seront pas châtiés aussi sévèrement que ceux qui, l’ayant peu ou prou entendu, l’auront refusé.
Jésus Christ lui-même déclare : « Le serviteur qui, ayant connu la volonté de son maître, n’a rien préparé et n’a pas agi selon sa volonté, sera battu d’un grand nombre de coups. 48, Mais celui qui, ne l’ayant pas connue, a fait des choses dignes de châtiment, sera battu de peu de coups. On demandera beaucoup à qui l’on a beaucoup donné, et on exigera davantage de celui à qui l’on a beaucoup confié » (Luc 12,47- 48).
Il affirme, d’autre part, que la génération qui, ayant vu ses nombreux miracles et entendu son message de grâce, l’a rejeté, sera frappée plus sévèrement, au jour du jugement, que les pécheurs de Tyr et de Sidon. « Malheur à toi, Chorazin ! malheur à toi, Bethsaïde ! car, si les miracles qui ont été faits au milieu de vous avaient été faits dans Tyr et dans Sidon, il y a longtemps qu’elles se seraient repenties, en prenant le sac et la cendre. C’est pourquoi je vous le dis : au jour du jugement, Tyr et Sidon seront traitées moins rigoureusement que vous » (Matt. 11, 21- 22).
Il prononce la même condamnation à l’égard de Capharnaüm, par rapport au sort de Sodome (v. 23, 24). Il déclare à ses disciples, au moment où il les envoie prêcher en Israël, que le sort de Sodome et de Gomorrhe sera plus supportable au jour du jugement que celui des villes qui refuseraient de les recevoir (Matt. 10, 14-15).
Ces passages montrent que le Seigneur jugera avec équité et en tenant compte du degré de culpabilité et de responsabilité de chaque pécheur.
Dieu dispose de moyens nombreux et que nous ne connaissons pas toujours. Sa grâce, son amour envers les pécheurs, et la puissance qu’il déploie pour les amener au salut par la foi en Jésus, sont infiniment plus étendus que nous ne le soupçonnons et aucun de ceux qui seront condamnés au jour du jugement ne le sera à tort.
Aux âmes qui le craignent Dieu apparaît au contraire comme un véritable Sauveur ainsi qu’en témoignent les conversions de Corneille et de l’eunuque éthiopien (Actes 10,19- 20 ; 8, 26-29). « Pour les hommes droits même dans l’obscurité la lumière se lève » (Ps. 112,4).
Les pécheurs repentants de l’Ancienne Alliance pouvaient même être assurés du pardon de leurs péchés grâce à l’œuvre expiatoire du Christ, dont ils bénéficiaient par anticipation (voir l’exemple de David, adultère et criminel, exprimant dans le Psaume 32 sa certitude d’être pardonné). Dieu en effet use de patience, « ne voulant pas que certains périssent, mais que tous se repentent » (2 Pierre 3, 9).
Un autre livre sera ouvert : le livre de la vie. Ce ne sera pas pour y inscrire le nom de qui que ce soit, mais pour rappeler aux pécheurs qu’eux aussi auraient pu y être inscrits et échapper ainsi à l’enfer, s’ils n’avaient pas méprisé la grâce de Dieu. Il ne s’agit donc pas non plus de vérifier si le nom de quelque réprouvé pourrait, contre toute attente, se trouver dans le livre de la vie ! Non ! Aucun de ceux dont Dieu a écrit le nom dans ce livre ne comparaîtra devant le grand trône blanc. Ayant cru en Jésus, ils ne passeront pas en jugement (Jean 5, 24). « Il n’y a donc plus aucune condamnation maintenant pour ceux qui sont en Jésus Christ » (Rom. 8, 1).
Plusieurs autres passages parlent du livre de la vie « Réjouissez-vous parce que vos noms sont écrits dans les cieux ». Sinon, n’attendez pas, mettez-vous sans délai en règle avec Dieu, car la Parole est formelle : « Et si quelqu’un n’était pas trouvé écrit dans le livre de vie, il était jeté dans l’étang de feu » (Apoc. 20,15).
Le refus de la grâce divine aggrave en effet considérablement la condamnation des pécheurs. « Celui qui croit en lui (le Fils de Dieu) n’est pas jugé, mais celui qui ne croit pas est déjà jugé » (Jean 3,18). Et pour ceux qui comparaîtront devant le grand trône blanc, il y aura une condamnation inexorable et définitive : ils seront « jetés dans l’étang de feu ». Le chapitre 21, v. 8 précise les chefs d’accusation qui leur vaudront ce châtiment : « Mais pour les lâches (c’est-à-dire ceux qui n’auront jamais voulu se décider franchement pour le camp du Christ), les incrédules, les abominables les meurtriers, les
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impudiques, les magiciens, les idolâtres et tous les menteurs, leur part est dans l’étang ardent de feu et de soufre : c’est la seconde mort ».
Telle est la juste sentence qui sera rendue par le Seigneur contre tous ces coupables.
Avertissement aux lecteurs. Âmes sensibles s’abstenir ! Le film d’horreur sadomasochiste qui va suivre est interdit aux moins de 18 ans. Ce n’est pas notre faute à nous si certains témoins de Jéhovah partagent la même idée de l’enfer que les musulmans convaincus (je ne parle pas des musulmans qui comme les soufis pensent qu’Allah n’est qu’amour calme et volupté) !
Que faut-il entendre par « l’étang de feu » ? C’est le lieu qu’on appelle communément « l’enfer »,
La parole de Dieu contient plusieurs passages décrivant l’horreur sans nom de ce lieu et les tourments des malheureux qui y sont enfermés. Il apparaît en Isaïe 30, 33, sous l’image d’un bûcher de feu allumé par le souffle de l’Éternel, comme un torrent de soufre. En Luc 16, 24, le riche appelle à l’aide du fond de l’Hadès, en disant qu’il est « tourmenté dans cette flamme », et pourtant il n’est pas encore dans l’étang de feu. Le Seigneur exprime les tourments de ceux qui sont jetés dans la géhenne de feu, en déclarant que leur ver n’y meurt pas et que le feu ne s’y éteint pas (Marc 9,48, voir aussi Matt. 25, 41 et Héb. 10, 27).
Daniel, lui aussi, annonce le jugement dernier et nous décrit la terrible condition des damnés : « Et plusieurs qui dorment dans la poussière de la terre se réveilleront, les uns pour la vie éternelle (c’est la première résurrection), et les autres pour l’opprobre, pour être un objet d’horreur éternelle » (12, 2).
Ce lieu est aussi celui des pleurs et des grincements de dents (Matt. 13, 42 et 50 ; 22,13), le lieu des « ténèbres du dehors » (Matt. 8,12 ; 22,13). Ce mot « dehors » exprime l’éloignement total et définitif hors de la présence et de la lumière de Dieu. Être dehors, derrière une porte fermée à jamais, voilà ce qui attend les incrédules. « Dès que le maître de la maison se sera levé, et aura fermé la porte, et que vous vous serez restés dehors à tambouriner à la porte, en disant : Seigneur, ouvre-nous ! et qu’il vous répondra : je ne vous connais pas ni ne sais d’où vous venez. Retirez-vous tous, ouvriers d’iniquité » (Luc 13, 25-27. Lire aussi Apoc. 22,15).
C’est un « lieu de tourments » (Apoc. 14, 11 ; 20,10), qui consisteront en une « destruction éternelle » (2 Thessaloniciens 1, 9 ; 2 Pierre 2,1), en la malédiction de Dieu (Matt. 25, 41). Cet état épouvantable est appelé « la seconde mort » (Apoc. 20,14 ; 21, 8). Tandis que la première mort aura privé ces maudits de la vie terrestre, la seconde mort les précipitera dans l’étang de feu où ils seront tourmentés jour et nuit, durant les siècles des siècles.
Quelle terrible condition ! Les images que la Parole emploie pour la décrire (feu éternel, ver rongeur, honte éternelle, pleurs et grincements de dents, ténèbres du dehors, destruction éternelle, et ainsi de suite) expriment la souffrance indicible, le remords, l’angoisse qui étreindront les réprouvés comprenant qu’ils seront à tout jamais séparés d’avec Dieu.
À ces souffrances morales s’ajouteront évidemment des souffrances physiques, puisque les impies ressusciteront avant de comparaître devant le grand trône blanc. Ils recevront donc un corps avec lequel ils s’en iront dans l’étang de feu.
Tandis que les rachetés, eux, seront tous revêtus d’un corps glorieux, semblable à celui du Seigneur, et jouiront durant l’éternité de la présence de Dieu, dans la lumière, la félicité et la gloire célestes ; les impies, eux, subiront d’indicibles souffrances, dans une séparation consciente et définitive d’avec Dieu. Voilà ce que sera la seconde mort.
Ce qui aggravera les tourments de ces morts, c’est qu’ils garderont leur conscience et leur mémoire. Comme le riche de Luc 16, ils sauront qu’il y a un lieu de félicité dont l’accès leur sera interdit par un abîme infranchissable.
Un terrible sentiment d’abandon, la conviction d’être sous le coup d’un jugement pleinement mérité, l’amertume et le remords causés par la certitude qu’il eût été possible d’échapper au châtiment rien qu’ en croyant au Seigneur *, l’angoisse d’un supplice qui ne finira jamais, l’éloignement éternel de la présence de Dieu, lui qui aura tout fait, tout donné, pour sauver les pécheurs, mais qui se sera retiré de ceux qui auront méprisé son salut en les abandonnant à eux-mêmes à jamais, dans les ténèbres du dehors… Jour et nuit, pour les siècles des siècles, ils seront tourmentés. Voilà ce qu’est l’enfer ! Quel sort épouvantable !
Note de la rédaction. Rappelons que la religion de haine, qu’est le druidisme, elle, a opté pour la non-existence de l’enfer.
Dans la mythologie druidique, l’enfer n’existe pas. Scolies bernoises commentant la Pharsale de Lucain.
Hermann Usener. Scholia in Lucani bellum civile/Commenta Bernensia. Liber I (1869).
451 « Les druides nient que les âmes puissent périr
[Driadae negant interire animas]
OU ALLER EN ENFER »
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[aut contagione inferorum adfici] et
454 « Ils ne disent pas que les Mânes existent
[Manes esse, non dicunt] ».
Car ainsi parlait la religion de haine promue par les druides autrefois.
Le point N° 25 de la petite liste annexée au concile de Leptines en 743, sous le titre latin d’indiculus superstitionum et paganiarum (évidemment, il s’agit de condamner ou dénigrer tout cela) va d’ailleurs clairement en ce sens ; il évoque le fait d’imaginer que tout défunt est saint.
Et en 851, Jean Scot Érigène a aussi noté dans son « De la prédestination » : Dieu ne prévoit ni peines ni péchés, ce sont des fictions. Pour Érigène également, donc, l’enfer n’existe pas, ou alors il l’appelle le remords.
* Et dans le bouddhisme de la terre pure revu et corrigé par le grand sage japonais Honen, il suffit avant de mourir de penser au bouddha Amitabha pour être sauvé (nemboutsou). Son disciple Shinran ayant d’ailleurs ajouté qu’à son avis ce n’était même pas nécessaire.
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LA FIN DU MONDE ?
Au moment où le Seigneur prendra place sur le grand trône blanc pour juger les morts, la terre et le ciel s’enfuiront de devant sa face (Apoc. 20,11). L’apôtre Pierre donne des renseignements précis sur la destruction de la terre et du ciel astronomique. « Le jour du Seigneur viendra comme un voleur ; en ce jour, les cieux passeront avec fracas, les éléments embrasés se dissoudront, et la terre avec les œuvres qu’elle renferme sera consumée. Puisque donc toutes ces choses doivent se dissoudre, quelles ne doivent pas être la sainteté de votre conduite et votre piété, tandis que vous attendez et hâtez l’avènement du jour de Dieu, à cause duquel les cieux enflammés se dissoudront et les éléments embrasés seront en fusion ! » (2 Pierre 3,10 et suiv.)
Ainsi donc, alors que le monde d’autrefois a été détruit par le déluge, le monde actuel le sera par le feu. Mais il s’agira alors d’un anéantissement total et définitif, et qui de plus atteindra aussi le ciel astronomique. D’autres passages de l’Écriture confirment cette vérité solennelle. « Tu as jadis fondé la terre, et les cieux sont l’ouvrage de tes mains. Ils périront… ils s’useront tous comme un vêtement ; tu les changeras comme un habit » (Ps. 102, 26- 27 ; Héb. 1,10-12). « Le ciel et la terre passeront » (Matt. 24,35).
NDLR.
« Le soleil s’obscurcit, la terre s’engloutit dans la mer, les étoiles vacillent dans le ciel,
Les fumées s’élèvent, les flammes grondent, une intense ardeur monte jusqu’au ciel.
Je vois émerger une deuxième fois, la terre hors de l’onde, à nouveau belle et verte
Coulent les cascades, au-dessus plane l’aigle qui dans les montagnes traque le poisson ».
(Prophétie de la Volva, Edda poétique.)
Qu’adviendra-t-il des saints du millénium pendant ce cataclysme ? Aucun passage ne nous renseigne sur ce point, mais nous pouvons admettre qu’ils seront transmutés et préservés. La chair et le sang, nous le savons, ne peuvent hériter du royaume de Dieu. Nous pouvons donc être certains que les saints, préservés de cette universelle dissolution du ciel astronomique et de la terre, seront transportés sous les cieux nouveaux et sur la nouvelle terre, et cela, dans une condition nouvelle, appropriée à l’état éternel où ils seront introduits.
La parole de Dieu ne décrit pas en détail ce que seront ce nouveau ciel et cette nouvelle terre, sans doute parce que notre condition humaine actuelle ne nous permettrait pas de saisir les merveilles qui nous seront ainsi révélées. L’apôtre Paul, ravi jusqu’au troisième ciel (c’est-à-dire le séjour de Dieu), déclare qu’il y a entendu des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à l’homme d’exprimer (2 Cor. 12, 4). C’est dire que nous ne pourrons jamais nous faire qu’une idée incomplète de la félicité qui règne dans ce lieu béni, pas plus que de la gloire qui sera la part des rachetés pour l’éternité.
Note de la Rédaction. Du point de vue de l’imagerie cette fin d’un cycle vue comme une fin des temps par les judéo islamo-chrétiens ressemble donc beaucoup à certaines scènes figurant dans le Ragnarok scandinave ou sur certaines monnaies celtiques (un loup géant dévorant la lune et les étoiles pour les rejeter transformés…) évidemment plus spectaculaires que les réflexions druidiques sur la question. LA NOTION DE JUGEMENT DES ÂMES EN PLUS. Mais d’après les druides cette fin du monde n’en sera pas une effectivement, car subsisteront ses éléments constitutifs prêts à se recombiner. Ce qui nous amène tout droit à la notion d’apocatastase ainsi que l’a bien vu Origène.
« Non seulement les très-sachants, mais aussi tous les autres affirment que les âmes et l’univers sont indestructibles, mais qu’un jour seuls le feu et l’eau régneront » (Strabon, Géographie, 4, 4).
NDLR.
Le mot apocatastasis n’apparaît qu’une seule fois dans la Bible en Actes 3, 21. Pierre guérit un mendiant handicapé et s’adresse ensuite aux témoins étonnés. Son discours présente Jésus dans le contexte juif, c’est-à-dire comme celui qui accomplit l’Alliance abrahamique : « Celui [Jésus] que le ciel doit recevoir jusqu’au temps du rétablissement de toutes choses (apokatastasis panton), dont Dieu a parlé jadis par la bouche de ses saints prophètes ».
La notion d’apocatastase est diversement envisagée dans les écrits apocalyptiques, platoniciens ou stoïciens de l’Antiquité, est surtout connue pour ses développements dans la théologie chrétienne où
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le terme se rapporte en premier lieu à des positions sur la restauration finale de toutes choses en Dieu développées à partir du Traité des principes d’Origène.
Dix propositions issues de ce traité ont été condamnées en 542 par l’empereur Justinien, condamnation validée par Ménas, l’évêque de Constantinople et reprises par le deuxième concile de Constantinople en 553.
Il était reproché à l'« apocatastase origénienne » d’annuler la liberté et la responsabilité des créatures, car suivant cette position, la restauration en Dieu de tout ce qu’il a créé dans son état de bonté originelle, état antérieur à tout péché et à tout mal, se fait indépendamment des dispositions et des actes de chacun.
Ce concile tranche singulièrement avec les quatre précédents. En effet, les quatre conciles de Nicée, Constantinople I, Éphèse et Chalcédoine, sont à juste titre considérés comme les conciles fondateurs de l’Église en matière de doctrine. En revanche, le concile de Constantinople II paraît, en comparaison, bien pâle, pâle en premier lieu du fait de la « pauvreté » des décisions prises, notamment au niveau théologique. D’ailleurs, la raison même de la convocation du concile est révélatrice, puisqu’elle n’est motivée par aucun élément nouveau. Ce concile ne fut en fait convoqué que par rapport à des débats théologiques qui avaient déjà été traités par les conciles d’Éphèse et de Chalcédoine.
En définitive, ce concile marque, sur le plan théologique, une ère nouvelle dans l’Église : les débats ou décisions prises n’auront plus désormais qu’une importance plus ou moins relative, dans la mesure où les conciles n’aborderont plus réellement des points fondamentaux tels que la Trinité et la nature de Dieu, l’Esprit saint, ou bien encore, la nature divine et humaine du Christ. On peut d’ailleurs s’interroger sur la portée des décisions de ce concile. Justinien considérait le pape Vigile comme déposé à partir du 26 mai 553. En outre, le concile ne donna pas les résultats escomptés par Justinien. Un simple regard sur ce concile suffit à saisir l’ampleur des dégâts que peut provoquer l’ingérence politique dans le domaine religieux.
* Dans la philosophique druidique ce moment de l’Histoire était appelé erdathe si l’on en croit la vie de saint Patrice selon Tirechan.
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CONCLUSION.
Le véritable problème de l’Humanité actuelle est toujours, au-delà des difficultés propres et particulières à chacun, la question religieuse. Le véritable défi que doit toujours et plus que jamais relever notre humanité est celui de la pensée religieuse monolâtre, est celui, transmis de génération en génération, du conditionnement religieux monolâtre, qui est tout (une idéologie infantilisante, totalitaire, apte à justifier toutes les guerres saintes, etc.) sauf une philosophie et qui n’est même pas une spiritualité sans dieu comme le bouddhisme.
Précisons ici que nous ne parlons pas de l’islam soufi ou moutazilite et que, quant au christianisme, la question qui se pose est : « pourquoi donc des milliards de femmes, d’hommes, et d’enfants, se réunissent-ils périodiquement dans des maisons spéciales pour écouter le récit de très anciennes tortures pratiquées sur un petit agitateur juif hypothétique, et faire semblant de manger de sa chair » ?
La tragédie du christianisme est que son ADN mitochondrial est son origine juive (spirituellement sémite a dit le pape Pie XI. La première grande catastrophe spirituelle pour l’humanité, vu l’ampleur que prit cette superstition avec le christianisme, fut en effet de croire
a) Que l’avenir peut être prédit en dehors de tout mode rationnel de prévision, par exemple par des révélations ;
b) qu’un homme extraordinaire voire un dieu (un messie) doit venir pour arracher à sa difficile coexistence avec les autres nations le peuple élu par le seul vrai dieu existant au monde ;
c) que la venue de ce messie a été annoncée avec précision dans certains écrits (en l’occurrence la bible juive).
Du coup, contrairement au bouddhisme, ou à la philosophie grecque, ce qui importa ne fut pas de convaincre ses interlocuteurs par des échanges d’arguments rationnels, ni même d’avoir un comportement déjà moralement irréprochable ou presque, mais de re-connaître le messie dans l’homme en question, et de ne pas s’opposer à son action voire de la soutenir.
L’autre véritable catastrophe spirituelle pour l’Humanité ce fut donc que, contrairement aux philosophes grecs ou au bouddhisme par exemple, le christianisme est parti d’un milieu (le peuple juif ou ses sympathisants les craignant Dieu) qu’un indéniable sentiment de supériorité nationale mettait a priori en état de conflit larvé avec les autres populations (les non-juifs goïm ou païens) auxquelles il s’est rapidement adressé. D’où la haine raciste des premiers chrétiens envers la liberté de culte, envers les temples et les statues sortant du champ de leur croyance ou de leur mythologie. Catastrophe aggravée par l’impossibilité de tout dialogue rationnel puisque la seule chose qui importait était de reconnaître en cet homme le messie annoncé par les écritures juives : autrement dit la foi.
Il suffit de se tourner quelques secondes vers le dieu des philosophes ou le bouddhisme pour se rendre compte du fossé qui les sépare du christianisme
Les philosophes grecs essayaient de convaincre leurs interlocuteurs par des démonstrations, Bouddha également. Mais pour ce qui est du christianisme, la foi étant nécessaire au salut, l’orthodoxie est donc capitale et l’hétérodoxie ou hérésie fait courir le risque de la damnation éternelle.
L’Ancien et le Nouveau Testament nous enseignent les vérités nécessaires à notre salut, répètent les chrétiens depuis l’éviction de la tendance marcionite. On se demande bien pourquoi. Parce que la Bible juive n’a jamais bien distingué le corps de l’âme ou de l’esprit ?
Ainsi que l’a très bien vu Henri Lizeray, cette religion de la compassion n’était d’ailleurs pas une nouveauté dans le paysage religieux de l’époque. « Les cultes d’Attis, d’Adonis, d’Hyas, parmi tant d’autres, enseignaient aussi à plaindre le sort des…… dans la grande fête nationale des Éleusinies, les Athéniennes pleuraient ensemble sur les malheurs de Iacchus » comme les chrétiens se lamentent, à la même époque de l’année, sur le supplice du christ suivi de sa résurrection, c’est-à-dire sur la fin et le renouvellement du cycle solaire.
En outre ce n’est pas parce qu’une société se dit chrétienne qu’elle respecte nécessairement les valeurs qu’elle dit puiser dans l’amour. Le christianisme n’a aucune morale pratique qui, non susceptible de double interprétation (amour/justice, etc.), soit utilisable et saine, d’où les multiples rôles du héros de son roman historique. Il est arrivé plus d’une fois aux chrétiens de survaloriser certaines valeurs au détriment des autres (par exemple l’obéissance). Socialiste avec la théologie de
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la libération, amant pour sainte Thérèse, aide-bourreau chez Torquemada, victime parmi les Réformés, riche avec les riches pour saint Augustin, pauvre avec les pauvres, seigneur de la guerre et seigneur de la paix ; Jésus peut servir aux usages les plus divers. Plus troublante encore est la fâcheuse tendance qu’ont toujours eue les chrétiens à choisir l’objet de leur critique (indignation sélective).
Certains fustigent la crise de la famille, la pornographie, le sexe, l’hédonisme matérialiste sans âme, mais deviennent beaucoup plus discrets dès qu’il s’agit d’injustices socioethniques ou d’atteintes à l’environnement. D’autres déplorent la dictature des puissances d’argent, les dégâts du progrès et les autres aliénations humaines, mais restent sans voix sur la disparition programmée de certains peuples (l’hiver démographique) sur le racisme à l’envers, les dictatures communistes ou de gauche…
Répétons-le encore une fois, le judéo-islamo-christianisme n’a pas le monopole des valeurs éthiques et parfois, comme la liberté, elles ont même dû être réaffirmées……… CONTRE LES SYNAGOGUES, CONTRE LES ÉGLISES, CONTRE LES MOSQUÉES.
Les conversions par la force, les guerres de religion, la mise à mort des hérétiques, ne sont pas des inventions païennes.
Et d’ailleurs, les « valeurs » souvent prônées ne sortent pas toujours de la Bible. Elles sont le résultat d’une incessante dialectique entre la réflexion éthique qui a précédé les premiers apôtres, voire même tout simplement Moïse (la philosophie grecque en Orient, le druidisme en Occident, etc.) et les limites du message évangélique. La bonne nouvelle initialement est simplement celle-là : « ça y est, le messie est arrivé, il fait des miracles, Dieu est avec lui, on l’a vu à Jérusalem, le peuple le suit en masse », etc.
« À cette composition typiquement juive à la fois terrifiante et sentimentale, les Grecs… ajoutèrent leur grain de sel. Ceux-ci professant… firent de la nouvelle religion une fable dangereuse pour la raison. Ils parachevèrent leur faute en en personnifiant des abstractions numériques… après l’interdiction du druidisme par les Romains l’Europe reçut telle quelle la religion importée… Un autre élément perturbateur, conséquence du catholicisme romain, fut l’instauration du latin… la pensée de Charlemagne fut outrepassée… Mais dans notre pays le peuple n’a jamais parlé le latin réservé aux églises et aux facultés ».
Note de Pierre de La Crau : remarquons que dans ce qui suit sous sa plume il y a peut-être vraisemblablement un début de contradiction dans la pensée d’Henri Lizeray qui accorde trop de crédit au mythe ou à l’idée reçue des quarante mots d’origine celtes seulement (dans notre langue). Tarte à la crème de tous les ignorants qui veulent être péremptoires dans le domaine de la philosophie de l’Histoire. Malgré cet avis exprimé en son temps par Henri Lizeray, notre dictionnaire actuel de la langue parlée par Boudicca voire par Calgacus s’élève à bien plus de 40 vocables (800 entrées dans celui de Xavier Delamarre).
Cloué sur la croix Jésus continue donc à mener à la mort physique ou intellectuelle ceux qui persistent à l’honorer depuis 2000 ans. Les peuples n’en auront donc fini avec que lorsqu’ils auront chassé de leur esprit ce deuxième aspect du judaïsme ; et c’est en protestant contre Jésus et son orgueil et en cessant d’adorer la croix que l’on pourra arriver à faire progresser l’Humanité ; car le salut de l’Humanité passe par la culture de sa raison. Autrement dit Foi, mais aussi Raison.
L’Humanité étant à la fois Histoire et Raison, le progrès des libertés dépend du progrès des connaissances et de l’assimilation réfléchie du passé. Si l’on n’apprend pas à croire, il faut toujours apprendre à penser. Après avoir participé à la curée, lors du procès contre l’écrivain français Michel Houellebecq, pour délit de blasphème, la Ligue française des Droits de l’Homme ne se trompe-t-elle pas de route en participant maintenant au développement du communautarisme ? ?
Nous ne pouvons que mettre en garde contre la dérive actuelle de la Ligue française des Droits de l’Homme, qui en arrive, au nom des droits de l’Homme ; à vider par exemple de toute substance la neutralité de l’État en matière religieuse (ne reconnaître ni ne subventionner aucun culte en particulier).
Que l’on nous permette arrivé à ce point de notre exposé, de paraphraser quelque peu ce qu’a dit l’immense penseur que fut Robert G. Ingersoll (à propos de la Bible).
Depuis des milliers d’années, les hommes ont écrit la vraie Bible, ils continuent à l’écrire jour après jour, et ce ne sera jamais fini tant qu’il y aura des hommes. Les faits que nous connaissons, les vrais événements que nous avons enregistrés, les découvertes et les inventions ; toutes ces merveilleuses machines dont les roues et leviers semblent penser ; tous ces poèmes, ces cristaux de l’esprit, ces fleurs du cœur, toutes les chansons d’amour, les grands drames de l’imagination du monde ; les
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peintures, miracles de formes et de couleur, de lumière et d’ombre, les marbres qui semblent vivre et respirer ; les secrets livrés par les roches et les étoiles, par la poussière et les fleurs, par la pluie et la neige.
La sagesse qui allonge et ennoblit la vie (Merlin), ce qui prévient ou guérit la maladie, ou soulage la souffrance ; les lois et les règlements, justes, qui guident nos vies (Arthur), les pensées qui alimentent les flammes de l’amour, la musique qui transfigure, captive et enchante, les victoires du cœur et de l’esprit, les miracles que les mains ont forgés ; les mains calleuses et usées de ceux qui ont travaillé pour leur femme et leurs enfants, les histoires d’hommes courageux et généreux, d’épouses passionnément amoureuses (Khiomara), d’amour maternel plus fort que la mort (Éponine), de batailles pour le droit ; tout le meilleur de ce que les hommes et femmes de ce monde ont dit, et pensé, et fait un jour. Ces trésors du cœur et de l’esprit, ce sont eux, les vraies Saintes Écritures de la race humaine.
Vive la laïcité, l’agnosticisme, l’athéisme, ou les religions sans dieux comme Yahweh Allah ou Jéhovah, qui sont surtout des philosophies et des philanthropies ou de l’humanisme !
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POSTFACE À LA JOHN TOLAND.
Les pseudodruides à la filiation initiatique mirobolante (la fameuse et inénarrable tradition primordiale) s’étant multipliés depuis quelque temps ; il nous a paru nécessaire de mettre à la disposition de tout un chacun ces quelques notes, hâtivement rédigées un soir de novembre, afin de donner à nos lecteurs envie d’en savoir plus sur le vrai druidisme. Ce travail se veut honnête, mais en aucune façon neutre. Il s’est donné pour objectif de défendre ou de réhabiliter la cluto (renommée) de cette antique religion.
Rien ne remplace la méditation personnelle y compris sur les lais obscurs ou incompréhensibles parsemant ces livres et qui ont été insérés à dessein afin de vous obliger à réfléchir pour trouver votre propre voie. Ces livres ne sont pas des dogmes à suivre aveuglément et à la lettre. Ainsi que vous le savez sans doute, il faut se méfier comme de la peste de la lettre. La lettre tue, seul l’esprit vivifie. Rien ne remplace non plus l’expérience personnelle et c’est en cheminant que l’on trouve le chemin. Ne comptez donc que sur vos propres forces pour cette quête du Graal. Ce qui compte c’est l’attitude à adopter dans la vie et non les détails du dogme. Le druidisme a moins d’importance que la druidiaction (Jean-Pierre Martin).
Ces quelques feuillets griffonnés à la va-vite ne sont néanmoins en aucune façon LES LIVRES À LIRE SUR LE SUJET, ils n’en sont qu’un pâle reflet. La seule bibliothèque druidique digne de ce nom n’est pas en effet composée de seulement 12 (ou 27) livres, mais de plusieurs centaines.
Les quelques opuscules constituant cette mini-bibliothèque ne constituent pas un approfondissement et ne sont que quelques manuels destinés aux écoliers du druidisme. Ces résumés simplifiés destinés aux cours primaires de druidisme seront remplacés par des cours d’un niveau quelque peu supérieur, pour ceux qui voudront vraiment l’étudier de façon plus pertinente.
Cette petite bibliothèque est par conséquent un premier essai d’adaptation (destinée aux jeunes adultes) des diverses réflexions sur le savoir et la vérité druidiques, auxquelles ont abouti les premiers résultats de la nouvelle laïcité positive et ouverte, mondiale, en train de s’instaurer.
À la différence du judaïsme, du christianisme, et de l’islam, qui fourmillent littéralement, à propos de l’Être supérieur, d’anthropomorphismes puérils pris au pied de la lettre (fondamentalisme) ; notre druidisme, lui, n’en utilisera que très peu, et s’en tiendra, en ce domaine, au minimum absolu.
Mais pour parler de Dieu-ou-Diable nous allons bien être obligés, nous aussi, d’utiliser un langage, et donc un certain nombre de ces anthropomorphismes. Ou alors il faudrait totalement renoncer à en discuter.
Ce premier rayon de notre future bibliothèque consacrée au sujet a pour objet de montrer avec précision l’harmonieuse authenticité de la volonté et du savoir néo-druidiques. De montrer à quel point ses grandes thèses actuelles ont des racines anciennes, car la Mythologie, c’est notre Bible à nous. Les adaptations de ce bref exposé, exigées par les différences de culture, d’âge, de maturité spirituelle, de situation sociale, etc. seront à faire par les druides concernés (les vellèdes et les autres ?)
À noter cependant. Important ! Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, ne sont pas (en vrac).
Une révélation divine. Une loi (toujours aussi divine). Une loi (profane ou laïque). Une loi (scientifique). Un dogme. Un Ordre ? Ce que je cherche surtout à faire partager c’est un état d’esprit, rien de plus. Ainsi que l’a très bien dit un jour notre vieux maître :
« NOTRE CIVILISATION N’A PAS LE CHOIX : CE SERA LE CELTISME OU CE SERA LA MORT » (P. Lance).
Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, sont. Du rêve. Une aventure. Un voyage. Une évasion. Un cri de révolte contre la laideur morale et matérielle de cette société.
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Une tentative d’atteindre à l’universel en partant du particulier. Un défi. Un obstacle fécond à surmonter. Une incitation à la réflexion. Un guide pour l’action. Une carte. Un plan. Une boussole. Une étoile polaire ou l’étoile du berger là-haut dans la montagne. Un feu la nuit dans une clairière ?
Ce que le rassembleur de ce noyau de bibliothèque, Pierre de La Crau, n’est pas.
— Un dieu.
— Un demi-dieu.
— Un quart de dieu.
— Un petit saint.
— Un philosophe (reconnu, officiel, et breveté ou patenté, comme ceux qui passent à la télévision. Sauf évidemment à prendre le terme en son sens originel, qui est celui d’amateur de sagesse et de savoir).
Ce qu’il est : un homme, et rien de ce qui est humain ne lui est donc étranger. Pierre de La Crau n’a aucun pouvoir surhumain ou exceptionnel. Rien de ce qu’il a dit écrit ou fait ne saurait avoir de valeur intemporelle. Tout au plus espère-t-il que son extrême lucidité à propos de notre société et de son idéologie dominante (voir ses philosophes officiels, ses journalistes, ses masses médias et le politiquement correct des bien-pensants) ; ainsi que son non-conformisme, et son franc-parler, alliés à un solide esprit de contradiction (qui lui ont d’ailleurs valu pas mal de déboires ou d’avanies) ; pourront être utiles.
La présente petite bibliothèque pour débutant « contient la dose d’humanité exigée par l’état actuel de la civilisation » (Henri Lizeray). Elle n’est d’ailleurs qu’un rassemblement de matériau attendant l’architecte ou le maçon ? ad hoc.
Prochainement paraîtra toute une série de fascicules approfondissant ces éléments de base. Cette présentation différente du savoir druidique préservera néanmoins l’unité et la profonde harmonie entre ces divers exposés d’une seule et même philosophie.
Cas des traductions dans une langue étrangère (espagnol, allemand, italien, polonais, etc.)
Les fautes d’orthographe de grammaire de style, ainsi que l’écriture des noms propres, pourront être corrigées. Toute autre amélioration du texte pourra également être apportée si nécessaire (par ajout suppression ou modification, de détails) ; Pierre de La Crau ayant toujours regretté de ne pouvoir atteindre à la perfection en ce domaine. Mais à condition de n’altérer ni trahir en rien la pensée de l’auteur de cette compilation raisonnée. Toute illustration sans légende peut être changée. De nouvelles illustrations peuvent être apportées. Mais les illustrations ayant une légende ne devront être qu’améliorées (par substitution d’une bonne photo à un mauvais croquis par exemple ?)
Il va de soi que le coordonnateur de cette rapide et sommaire compilation raisonnée, Pierre de La Crau, ne prétend nullement avoir inventé (ou découvert) lui-même, tout ceci ; qu’il ne prétend en aucune façon que ceci est le fruit de ses recherches personnelles (sur le terrain ou en bibliothèque) ! Ce qui suit est en effet essentiellement issu des excellents ouvrages ou sites internet référencés en bibliographie et dont la consultation directe est fortement recommandée. Nous n’insisterons jamais assez sur notre volonté de ne pas être les hommes d’un livre (du Livre), mais d’au moins douze, comme les Fénianes d’Irlande, pour d’évidentes raisons d’ouverture d’esprit, la vérité étant notre seule religion.
Encore une fois, répétons-le ; le coordonnateur de la mise par écrit de ces quelques notes hâtivement jetées sur le papier ne prétend nullement avoir passé sa vie dans la poussière des bibliothèques ; ou sur le terrain, dans la boue des fouilles archéologiques de sauvetage ; afin d’exhumer des témoignages inédits sur le passé de l’Irlande (ou du Pays de Galles ou des Indes ou de la Chine ?)
PIERRE DE LA CRAU NE SE VEUT DONC EN AUCUNE FAÇON L’AUTEUR DES TEXTES QUI PRÉCÈDENT.
IL N’ESSAIE NULLEMENT DE S’EN ATTRIBUER LES MÉRITES. Il n’en est que l’éditeur ou le compilateur. Il s’agit pour la plupart de documents diffusés sur internet à quelques exceptions près. IL EN REVENDIQUE PAR CONTRE TOUS LES DÉFAUTS ET TOUTES LES INSUFFISANCES. Pierre de La Crau ne revendique qu’une chose, les fautes erreurs ou imperfections diverses de ce livre. Lui seul est à blâmer dans ce cas. Mais il fait confiance à ses contemporains (la nature humaine étant ce qu’elle est) pour les lui signaler avec vigueur.
Note retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau et insérée par eux à cet endroit.
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Par respect pour l’Humanité, afin de gagner du temps, et ne pas lui en faire perdre, je vais faciliter le travail de ceux qui tiennent absolument à être du bon côté de la barrière en combattant (héroïquement bien sûr) afin de sauver le monde de mes griffes (mes idées ou mes penchants, mes tendances).
À ces courageux et implacables détracteurs, dont la profondeur de réflexion digne d’un marquis de Vauvenargues n’a d’égale que l’ampleur de la culture générale, digne d’un Pic de la Mirandole, je dis…
Prenez une feuille de papier, de traitement de texte si vous préférez, mettez-y par ordre d’importance les 20 caractéristiques qui vous semblent les plus graves, les plus odieuses, les plus haïssables, dans l’histoire de l’Humanité, depuis les hommes préhistoriques et Nabuchodonosor, selon vous… ET DITES-VOUS BIEN QUE JE SUIS TOUT LE CONTRAIRE DE VOUS, CAR JE LES AI TOUTES !
On a toujours besoin de boucs émissaires ! Hérétique au Moyen Âge, sorcière à Salem au 17siècle, raciste au 20e siècle, lézard extraterrestre au 21e, je suis l’homme que vous aimerez haïr pour vous sentir supérieur.
Je suis au choix et dans l’ordre d’importance que vous voulez : athée, sataniste, stupide, mongolien, raciste, bestial, homosexuel, pervers, communiste, nazi, menteur pathologique, voleur, suffisant, psychopathe, un monstre d’orgueil faussement modeste, et que sais-je encore, à vous de voir.
Voilà, je ne peux pas faire mieux (pour vous aider à sauver le monde).
[À la différence de mes contempteurs qui sont tous des gens bien, c’est-à-dire jeunes ou modernes et dynamiques, courageux, positifs, gentils, intelligents, instruits, ou du moins qui savent ; faisant preuve de beaucoup de recul dans leur méditation en profondeur sur les tendances lourdes de l’Histoire ; et sur le plan moral ou éthique : généreux, altruistes, mais pauvres évidemment, car donnant tout aux autres ; en outre profondément respectueux de la volonté de Dieu et de la Constitution…
Moi je suis un vieux réactionnaire ankylosé, conformiste, déconnecté de son temps, parano, schizophrène, incohérent, capricieux, jamais content, méchant, bête, n’ayant fait aucune étude ou du moins ignorant tout sur le sujet en question ; coutumier des jugements à l’emporte-pièce fondés sur des préjugés dénués de toute réflexion ; égoïste et riche ; suppôt de Satan et nazo-bolchevick ou stalino-hitlérien de nature. On disait hitléro-trotskiste quand j’étais jeune. En bref un criminel psychopathe dès le petit-déjeuner… ce qui me permet donc de penser ce que je veux, mes critiques aussi d’ailleurs, et d’essayer de le faire savoir à la cantonade].
Signé : le coordonnateur des travaux, Pierre de La Crau dit Hésunertus, chercheur en druidisme. Un homme à qui rien de ce qui est humain ne fut étranger. Chômeur, facteur, divorcé, sans domicile fixe, vagabond, contribuable, justiciable, électeur cocufié ? Un des huit milliards d’êtres humains ayant transité sur ce vaisseau spatial donc. Né sur la planète Terre le 13 janvier 1952.
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TABLE DES MATIÈRES.
L’Ancien Testament et les procédés mythologiques.
L’élaboration de l’idéologie chrétienne.
Rappel de quelques faits en ce qui concerne l’élaboration du message
Autopsie du mystère de la Sainte Trinité
Mythologie comparée
Syncrétismes locaux possibles
Les problèmes de traduction et de variantes
L’Ancien Testament
Le Nouveau Testament
La préhistoire du texte élu
Documents
L’évangile du Seigneur
L’évangile de Marcion
Principales sources de la mythologie chrétiennes (les miracles)
Autres matériaux ayant servi : la mythologie païenne
Points-clés
La vie cachée de Jésus (naissance et enfance)
Jésus et Jean-Baptiste
Appel des premiers disciples
Les apôtres
La passion la crucifixion et la mort
Document : évangile selon Thomas
Habillage des propos sapientiaux ou logia des évangiles
Reste du texte
Restes de conceptions gnostiques
Conclusion
Les Actes des apôtres
Les épîtres de Paul diffusées par Marcion
Analyse succincte des lettres du Nouveau testament
L’Apocalypse de Jean
Les écrits presque canoniques
Date de chaque évangile pris séparément
Date de la collection
Document : le canon de Muratori
L’élaboration du canon actuel
Codex sinaïticus et Codex vaticanus
Les évangiles synoptiques
L’évangile de saint Jean
Valeur globale des évangiles et notamment du quatrième
Les évangiles officiellement apocryphes
Ontologie païenne
Ontologie chrétienne
Avertissement du Saint Coran
Preuves de l’existence de Dieu
Petit dictionnaire philosophique
Conclusion
Rappel sur l’histoire des religions
Archéologie du Dieu des chrétiens
Comment comprendre le mystère de la Sainte-Trinité
Conclusion
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Surconclusion
Le mal
Les différentes réponses
La démonologie
Onomastique biblique
Onomastique païenne
Les délires de saint Thomas d’Aquin sur le sujet
La création du monde spirituel I : les anges
La création du monde spirituel II : les anges déchus
La création du monde matériel
Anthropologie
Le premier peuple élu par Dieu
Le deuxième peuple élu par Dieu
Les miracles du Nouveau Testament
Miracle et magie
Autres miracles chrétiens
Les rois thaumaturges
Le grand schisme de 1054
La Réforme
Les guerres de religion
Théurgie et sacrements
Les 7 sacrements ?
Le point de vue de Pélage sur le baptême
Le point de vue de Gregor Dalliard sur le baptême
Le point de vue de Max Dashu sur le baptême des enfants
Rituel du baptême orthodoxe
Confirmation
Ordination et problèmes afférents
Documents irlandais sur la confession et la pénitence
La confession privée ou auriculaire
Le pénitentiel de saint Colomban de Bobbio
Le sacrement de réconciliation
L’eucharistie
Le problème de l’anamnèse
Le « sacrement » du mariage
Le sacrement des malades
Les sacramentaux
Le signe de croix
L’exorcisme
Le point de vue des médecins
La schizophrénie chrétienne
Culte des saints ou culte de dulie ?
Le culte des reliques ?
Mariologie
Documents
La règle de saint Colomban de Bobbio
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La règle de saint Benoît quant à l’habillement
Le monachisme chrétien
Les pèlerinages
Les fêtes d’obligation
Les funérailles
La fête des Morts et la Toussaint
Documents
La vision de Drythelm
Supplément à la somme théologique
Les demeures de l’âme après la mort
L’Enfer
Le Paradis
Conclusion d’étape sur ces deux premières « demeures » du christianisme
Le Purgatoire
Les limbes
6e des eschata du christianisme : la navigation de saint Brendan
L’eschatologie et les prophéties
La Parousie
Le Millénium
L’antéchrist
La bataille d’Harmaguédon
La résurrection des morts
Livre des Maccabées et Livre de Daniel
Le paradoxe des corps glorieux
L’impossible quadrature du judicium ou adventus duplex du Christ
Le deuxième et dernier jugement DES ÂMES
Le jugement dernier
La fin du monde
Conclusion
Postface à la John Toland
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DU MÊME AUTEUR.
1. Citations des auteurs antiques parlant des Celtes ou des druides.
2. Généralités liminaires diverses sur les Celtes.
3. Histoire du pacte avec les dieux tome 1.
4. La Bible du druidisme : histoire du pacte avec les dieux tome 2.
5. Histoire du pacte avec les dieux tome 3.
6. Histoire de la paix avec les dieux tome 4.
7. Histoire de la paix avec les dieux tome 5.
8. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande science qui illumine » tome 1.
9. Textes apocryphes irlandais.
10. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande science qui illumine » tome 2.
11. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande Science qui illumine » tome 3.
12. Les cent voies du paganisme. Science et philosophie tome 1 (mythologie druidique).
13. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 2 (mythologie druidique).
14. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 3 (mythologie druidique).
15. Le grand Camminus : éléments de théologie druidique tome 1.
16. Le grand catéchisme : éléments de théologie druidique tome 2.
17. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 1.
18. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 2.
19. Mystagogie ou théâtre sacré des Celtes antiques.
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20. Poèmes celtes.
21. Le génie du paganisme celte tome 1.
22. Le complexe de Roland.
23. Au pied de la lanterne des morts.
24. Les secrets du vieux druide de la forêt ménapienne.
25. Le génie du paganisme celte tome 2 (liberté réciprocité simplicité).
26. Rhétorique : la trahison des clercs).
27. Petit dictionnaire de théologie druidique tome 1.
28. Des philosophes antiques au druide irlandais.
29. Judaïsme christianisme et islam : première partie.
30. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 1.
31. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome2.
32. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 3.
33. Troisième partie tome 1 : Qu’est-ce que l’Islam ? Bref historique de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
34. Troisième partie tome 2 : Qu’est-ce que l’Islam ? Premières approches de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
35. Troisième partie tome 3 : Qu’est-ce que l’Islam ? Les 5 vrais piliers de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
36. Troisième partie tome 4 : Qu’est-ce que l’Islam ? Coups de sonde dans l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
37. Couiro anmenion ou Petit dictionnaire de théologie druidique tome 2.
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