1
druiden36lessons.com
https://www.druiden36lessons.com
DES PHILOSOPHES ANTIQUES AU DRUIDE IRLANDAIS.
DE LUCIEN DE SAMOSATE À JEAN TOLAND.
2
AVERTISSEMENT AU LECTEUR.
Pierre de La Crau n’est pas l’auteur des grands textes soumis dans ce recueil ou cette anthologie à la réflexion des lecteurs. Seuls les commentaires ou les transitions sont dus à sa plume.
L’objectif est la mise en ligne à venir d’une encyclopédie des religions genre Wikipédia résolument non conformiste pour ne pas dire révolutionnaire.
Bien que n’étant pas l’auteur ayant écrit ce livre, Pierre de La Crau accepte néanmoins d’en assumer tous les défauts. Remarques et suggestions pourront donc lui et être envoyées afin d’améliorer les multiples passages d’une langue à l’autre (grec latin gaélique anglais du 17e siècle, etc.), et rectifier les nombreuses erreurs.
3
POURQUOI CE LIVRE ?
Rien ne remplacera jamais la méditation personnelle y compris sur les lais obscurs ou incompréhensibles parsemant ces livres et qui ont été insérés à dessein afin de vous obliger à réfléchir pour trouver votre propre voie. Ces livres ne sont pas des dogmes à suivre aveuglément et à la lettre. Comme vous le savez sans doute, il faut se méfier comme de la peste de la lettre. La lettre tue, seul l’esprit vivifie ! Rien ne remplace non plus l’expérience personnelle, et c’est en cheminant que l’on trouve le chemin. Ne comptez donc que sur vos propres forces pour cette quête du Graal. Ce qui compte c’est l’attitude à adopter dans la vie et non les détails du dogme.
Parmi les textes qui ont alimenté le conflit entre hellénisme et christianisme dans les premiers siècles de notre ère, ceux des grands adversaires païens, comme Celse, Porphyre ou l’empereur Julien, ont systématiquement été éliminés par la tradition chrétienne ; et l’on n’en retrouve des fragments que dans les réfutations dont ils ont fait l’objet.
Les Intellectuels grecs et romains des trois premiers siècles de notre ère tenaient les chrétiens, à juste titre d’ailleurs, pour une dangereuse secte s’étant donné pour but de conquérir l’Humanité tout entière, bien que prétendant mépriser les choses de ce Monde. Notamment Celse, Lucien de Samosate, Porphyre de Tyr et l’empereur Julien. Lucien de Samosate démontra par exemple, non sans humour, dans son roman satirique intitulé « la mort de Peregrinos » ; à quel point les chrétiens étaient des hommes peu intéressés par les philosophes, mais très doués pour en faire apparaître comme des lapins sortant d’un chapeau ! Le héros de son roman est en effet un escroc de la pire espèce, exactement comme certains néo-druides d’aujourd’hui aux noms initiatiques se terminant en – os ; qui profitent de la naïveté de leurs congénères afin de leur soutirer de l’argent, pour la plus grande gloire de Dieu évidemment, et devenir un de leurs chefs charismatiques. Cette critique du christianisme était double : elle succédait à la fois à la critique païenne du judaïsme, mais aussi, dans une certaine mesure, à la critique juive du christianisme.
Fascisme, nazisme, à tout le moins extrême droite ! Répondront certains sur tous les tons, à propos de Celse ; depuis l’inculpation pour racisme devant les tribunaux de ce malheureux pays (comme si la religion était une race !) à l’insinuation plus hypocrite (si ce n’est lui, c’est donc son frère, etc.).
Si l’on peut légitimement attribuer au monothéisme quelque vertu, il ne faut pas méconnaître pour autant qu’il fut et reste le plus souvent source d’intolérance. La monolâtrie, c’est une vision binaire du monde. Les racines de la démocratie et du raisonnement logique sont à l’évidence païennes et polythéistes, du fait de la confrontation des cultures, et non de leur exclusion mutuelle.
Le vrai métissage, pas celui à la mode aujourd’hui, que l’on chante sur tous les tons, qui n’est pas une fusion, mais une mosaïque ou une juxtaposition, de cultures ou de communautés toujours bien distinctes. Trois musiques différentes sur scène ce n’est pas du métissage, tout au plus de l’éclectisme, trois musiques qui n’en font plus qu’une, nouvelle et différente, ça, c’est du métissage !
La recherche en paternité des valeurs à l’origine de notre civilisation nous amène nécessairement à rejeter l’origine juive qu’on leur a faussement attribuée [voir les délires historiques de certains moines irlandais du Moyen-âge. N. D. L. R.]. Mais, remarquons-le, ce refus d’être juifs par adoption ne nous oppose pas aux juifs eux-mêmes, qui n’ont pas désiré nous adopter, mais aux Églises chrétiennes qui prétendent incarner le nouveau peuple élu héritier des Hébreux de l’Ancien Testament […] Répétons-le ici : ce ne sont pas les juifs […] qui nous ont convertis de force ; ce ne sont pas eux qui ont étouffé toute pensée libre, qui ont brûlé nos manuscrits et nos « sorcières » comme la belle et malheureuse Hypatie évoquée par Toland ; ce ne sont pas eux qui, après nous avoir colonisés, avoir colonisé nos esprits et mortifié nos corps, se sont servis de nous comme chair à canon dans leurs expéditions missionnaires. Ce sont les Églises chrétiennes !
Les chrétiens devraient enfin admettre que mystique et principes moraux des Quatre Évangiles ne sont nullement dus à une quelconque intervention divine (plus ou moins directe) dans l’histoire humaine ; mais tout simplement au travail (de réflexion philosophique) des générations et des générations de juifs esséniens qui se sont succédé près de Qumran sur les bords de la Mer Morte.
Le traité de Celse contre les chrétiens est très clair à ce sujet. À tout prendre, le judaïsme que nous connaissons aujourd’hui, issu peu ou prou de la révolte des Maccabées contre l’hellénisation d’Israël (la mondialisation de l’époque) ; constitue la réaction d’un peuple sain qui entendait conserver sa religion et ne voulait pas disparaître dans le chaos de peuples qu’était alors l’Orient hellénistique. […]
4
Celui qui se prétend païen et s’en prend au seul judaïsme ou s’attaque, à travers le christianisme, au judaïsme, celui-là se trompe d’ennemi. Il ignore l’opposition irréductible qui existe entre le judaïsme et le christianisme depuis que Paul a arraché le message chrétien aux juifs pour le transmettre aux « non juifs » (goïm) et en universaliser la portée. Il ignore que le christianisme est moins le produit du judaïsme que de la civilisation hellénistique issue de la décadence de la Grèce dans laquelle il a baigné et s’est développé […]
S’il fallait définir négativement le néopaganisme, nous pourrions dire qu’il est essentiellement un non-christianisme. Encore devrions-nous distinguer dans le christianisme la religion établie de la religiosité populaire, le dogme chrétien stricto sensu de la figure du Christ… ou de celle de la Vierge, avatar de la Déesse-ou-démone-Mère ; et, enfin, l’orthodoxie dualiste des courants hérétiques ou mystiques qui furent ouvertement ou plus sourdement unitaristes, voire panthéistes.
Le néopaganisme n’est pas un antisémitisme… Ce n’est pas un racisme… 1) Ce n’est pas non plus un élitisme à prétention métaphysique à la manière de la Nouvelle Droite… Enfin, ce n’est pas non plus un ésotérisme susceptible de conduire aux plus lamentables dérives, depuis la simple escroquerie jusqu’au délire suicidaire ou homicide, à l’exemple de la récente affaire de l’Ordre du Temple Solaire en France et en Suisse. Si nous devions, dans les décennies qui nous ont précédés, chercher des précurseurs ; ce n’est certainement pas chez les « théosophes » ou chez les « ariosophes » (pour ne citer qu’eux), prétendant être les dépositaires d’une tradition secrète millénaire, à laquelle on ne peut accéder que par l’initiation (parfois coûteuse) qu’ils délivrent, que nous les trouverions ; mais parmi ces libres-penseurs qui, en secouant l’insupportable joug du christianisme, n’ont pas pour autant rejeté toute spiritualité.
Comme bien d’autres l’ont observé avant nous, ce qui constitue en propre le christianisme, c’est la séparation. La séparation entre le Monde et le Divin ; la séparation entre le corps et l’âme, le Monde (c’est-à-dire, pour l’essentiel, la Nature) et le corps de l’être humain étant l’objet du mépris des chrétiens ; la séparation entre les hommes, réduits à n’être plus que des monades isolées – la séparation entre l’époux et sa femme, entre la mère et son fils, entre le père et sa fille ; chacun en quête du salut individuel, que la sécularisation de notre société [ultime résultat de la lutte du christianisme contre le sacré sous toutes ses formes. N. D. L. R.] transformera en quête du bonheur individuel – frayant ainsi la voie à cette ultime séparation dénoncée par Marx sous le nom d’aliénation. La séparation de l’Homme d’avec lui-même.
1. Outre-Rhin, c’est au sein de la « Ligue Moniste », ennemie déclarée du cléricalisme et du militarisme allemand, fondée en 1906 par le biologiste Ernst Haeckel, et chez les « Libres-Penseurs prolétariens », où se côtoyaient sociaux-démocrates, communistes et anarchistes ; que s’affirmèrent, au début de ce siècle, une cosmologie et une praxis néo-païennes. Quoique matérialistes (mais ce matérialisme les conduisait à replacer l’Homme dans la Nature, non à l’en extraire à la manière des chrétiens) ; monistes et Libres-Penseurs prolétariens ne se contentaient pas de réhabiliter les ancêtres germaniques du peuple allemand, leurs mœurs et leurs croyances religieuses, ils célébraient également les solstices et diverses autres fêtes saisonnières. Certains juifs allemands, tels Karl Wolfskehl du « Cercle Cosmique de Munich » (auquel appartenaient aussi Ludwig Klages et Alfred Schuler) et Ernst Wachler, mort en déportation au camp de Theresienstadt en 1944-1945, ont été parmi les pionniers de ce mouvement.
Quelques groupes d’extrême droite se réclament aujourd’hui de certaines conceptions du paganisme. Il faut à leur sujet parler de groupuscules, tant ils sont marginaux au sein d’une droite radicale presque toujours associée à un christianisme ou à un Biblisme surtout identitaire.
Mais on ne peut pourtant laisser entendre qu’être païen consisterait à gober toutes sortes de superstitions ou à être tenté par la dictature […], car pendant plus de mille ans, la civilisation européenne a été cet humanisme païen défini par Protagoras : « L’Homme est la mesure de toute chose ». Nous disons bien l’Homme et non Dieu ! Transposé en droit brehon ou gaélique cela nous donne : « le sacré (le nemet) c’est l’homme.
Bref, finalement, c’est encore l’athée Diogène Laërce qui a le mieux résumé ce qu’il fallait faire en la matière.
« Comprendre* les dieux, ne rien faire de mal, et être un homme, un vrai ». Vies et doctrines des philosophes célèbres. Livre I, prologue 6.
5
*Comprendre ne voulant pas dire nécessairement approuver. On peut par exemple comprendre le légitime souci de sécurité de l’État d’Israël sans approuver en tout point sa politique et tout en continuant à penser que la solution qui consisterait à construire un État binational au lieu de deux États distincts, n’est pas raciste en soi, mais seulement utopiste. Pour l’instant.
6
LUCIEN DE SAMOSATE (120-180).
Lucien est né en Syrie, à Samosate, une ville située sur les bords de l’Euphrate, capitale de la Commagène ; un petit royaume qui, après avoir conservé une ombre d’indépendance sous les premiers empereurs, devint une province romaine au temps de Domitien. La date de sa naissance n’a pu être fixée avec précision. On la place avec vraisemblance vers les dernières années du règne d’Hadrien, ou les premières de celui d’Antonin le pieux, de 120 à 140. Le nom de son père, un homme pauvre et obscur, est demeuré inconnu. Lorsque Lucien, au sortir des écoles publiques, fut en âge d’apprendre un métier, son père le plaça en apprentissage chez un oncle statuaire. Ses débuts ne furent pas très heureux. Il brisa la tablette de marbre qu’on lui avait donnée à tailler. Son oncle lui administra une correction qui l’initia au métier par des pleurs. Lucien s’enfuit en sanglotant auprès de sa mère, qui maudit mille fois la brutalité de son frère, consola l’enfant, et obtint de son mari qu’il ne fût plus envoyé à cette rude école. Lucien, poussé vers les lettres par une vocation qu’il a rendue célèbre dans sa vision allégorique du Songe, embrassa d’abord la profession d’avocat et plaida dans les tribunaux d’Antioche. Mais à peine eut-il connu, suivant son propre aveu, tous les désagréments de ce métier, la fourberie, le mensonge, l’impudence [la situation n’a guère changé aujourd’hui] les cris, les luttes et mille autres choses encore, qu’il laissa là les procès et l’attirail de la chicane pour se tourner vers la rhétorique. Il se mit à voyager… en Ionie, en Achaïe, en Macédoine, en Italie et pour finir en Gaule. C’est dans ce pays, et notamment à Marseille ou dans la vallée du Rhône, qu’il fut apprécié et qu’il fit fortune. C’est tout au moins ce qu’il nous avoue au détour de l’un de ses récits. Devenu riche, et jouissant d’une grande réputation de rhéteur, il revint une seconde fois en Grèce, vécut à Athènes dans l’intimité de Dèmonax, assista au suicide de Pérégrinus ; et entra dans la seconde phase de son talent, en commençant à jouer son rôle de philosophe et de satirique.
On comprend aisément que des œuvres aussi brillantes aient attiré sur lui non seulement les regards bienveillants du public, mais l’immense renommée dont il vint se glorifier à Samosate dans un âge déjà avancé. Il ne paraît point, toutefois, avoir séjourné longtemps dans sa ville natale. Il recommença ses voyages à travers la Cappadoce et la Paphlagonie, accompagné de son vieux père et des personnes de sa famille, jusqu’au moment où il fut chargé d’un emploi administratif en Égypte par Marc-Aurèle ou par Commode.
De cette esquisse biographique, passons maintenant à celle de notre auteur, envisagé sous les formes multiples où s’est manifesté son admirable talent. Il est bien difficile de déterminer à quelle École, à quelle secte se rattachent, je n’ose pas dire les convictions, mais au moins les sympathies philosophiques de Lucien. C’est le propre de la raillerie et du doute de laisser l’esprit vagabonder dans une fluctuation et dans une mobilité continuelles. Comment alors exiger une doctrine solide et fixe du douteur et du railleur par excellence ? Il y aurait cependant quelque injustice à l’accuser d’un pyrrhonisme absolu. Son bon sens, qui lui fait découvrir le vice des différents systèmes, et signaler les écueils où vont tour à tour se briser l’Académie, le Lycée ainsi que le Portique ; l’avertit, en même temps, qu’il y a certains principes incontestables, certaines vérités positives, sur lesquelles s’appuie toute critique, et même toute négation. Si je ne m’abuse sur le sens d’un passage du traité intitulé Hermotimus ; il me semble que Lucien, loin de se renfermer dans le scepticisme exclusif, qu’il est de tradition de lui reprocher, déclare avec une sincérité parfaite qu’il est sérieusement en quête de la vérité philosophique.
« HERMOTIMUS. Tu prétends donc, Lycinus, que nous ne devons pas philosopher, mais qu’il faut nous laisser aller à la paresse et vivre comme le vulgaire ?
LYCINUS. Et quand m’as-tu entendu tenir un semblable langage ? Je ne prétends pas que nous devions renoncer à la philosophie. Voici ce que je dis : nous voulons philosopher ; mais il y a plusieurs routes ; chacune d’elles a la prétention de conduire à la philosophie et à la vertu ; la véritable est inconnue ; il faut donc faire notre choix avec prudence ».
Et plus loin.
« LYCINUS. La raison te dit qu’il ne suffit pas de voir et de parcourir nous-mêmes toutes les sectes, afin d’être à même de choisir la meilleure, mais qu’il faut encore une chose essentielle.
HERMOTIMUS. Laquelle ?
LYCINUS. Une méthode d’examen, un esprit pénétrant, un jugement juste et impartial, tels qu’il en faut pour se prononcer sur de semblables matières ; autrement, c’est en vain que nous aurons tout vu. Il est donc nécessaire, ajoute la raison, d’employer à cet examen un temps considérable, de tout envisager ; et de ne faire notre choix qu’après avoir beaucoup hésité, balancé, examiné, sans égard pour l’âge, l’extérieur ou la réputation de sagesse de ceux qui parlent ; mais comme font les juges de l’Aréopage, où les procès n’ont lieu que la nuit, dans les ténèbres, afin que l’on ne considère pas les
7
orateurs, mais uniquement leurs discours. Alors seulement il te sera permis, après un choix solide, mon cher, de philosopher ».
Ce ne sont pas là les paroles d’un sceptique endurci et intolérant ; ce sont là plutôt celles d’un éclectique judicieux et sincère. Descartes n’a pas suivi d’autre voie, quand il s’est proposé d’arriver par le doute à la découverte du vrai. L’impartialité de ce même éclectisme se manifeste d’une manière encore plus significative dans un passage du Pêcheur ; où Lucien répond à la Philosophie qui lui demande quel métier il exerce : « Je fais métier, dit-il, de haïr la forfanterie, le charlatanisme, le mensonge, l’orgueil, et toute l’engeance des hommes infectés de ces vices ».
LA PHILOSOPHIE. Par Hercule ! C’est un métier qui expose beaucoup à la haine.
LUCIEN. Tu as raison. Aussi, tu vois que de gens me haïssent, et à quels périls ce métier m’expose. Cependant, je connais aussi parfaitement la profession opposée, c’est-à-dire celle dont l’amour est le principe. J’aime, en effet, la vérité, la probité, la simplicité, et tout ce qui est aimable de nature. Mais je trouve peu de gens avec qui je peux exercer ce talent. Au contraire, le nombre de ceux qui sont dans l’autre camp, et dignes de haine, dépasse cinquante mille ; de sorte que je cours le risque d’oublier mon second métier, vu la rareté des occasions de l’exercer, et de devenir trop fort dans l’autre.
LA PHILOSOPHIE. C’est ce qu’il ne faut pas ; car, comme on dit, aimer et haïr sont deux sentiments du même cœur ; ne les sépare donc point. Ils ne sont qu’un seul art, tout en paraissant en faire deux.
LUCIEN. Tu le sais mieux que moi, Philosophie. Telle est cependant mon humeur, que je hais les méchants, tandis que j’aime et loue les gens de bien.
Vieillards sans dignité, effrontés chercheurs d’héritages, foule tout à la fois superstitieuse et incrédule, flatteurs et parasites vendant leur liberté pour une place à la table des riches, rhéteurs ignorants et bavards ; et par-dessus tout, une masse d’esprits flottants, irrésolus, livrés à l’indifférence ; cette maladie mortelle des époques où manquent l’émulation vertueuse, le désir généreux de bien faire, et la fermeté des convictions. Tel était le monde qui s’étalait sous le regard observateur de Lucien.
« Quels étaient les philosophes que Lucien livrait à la risée publique ? C’était la lie du genre humain. C’étaient des gueux incapables d’une profession utile, des gens ressemblant parfaitement au pauvre diable dont on nous a fait une description aussi vraie que comique ; qui ne savent s’ils porteront la livrée ou s’ils feront l’Almanach de l’Année merveilleuse *, s’ils travailleront à un journal, s’ils se feront soldats ou prêtres ; et qui, en attendant, vont dans les cafés dire leur avis sur une nouvelle pièce de théâtre, sur Dieu, sur l’être en général, et sur les modes de l’être ; puis vous empruntent de l’argent, et vont faire un libelle contre vous avec l’avocat Marchand, le nommé Chaudon, ou le nommé Bonneval ». C’est ainsi que Voltaire, l’œil sur son siècle, juge les philosophes contemporains de Lucien, mais la peinture que Lucien lui-même nous en fait dans l’Icaroménippe, est encore plus vive et plus piquante.
« Il existe une espèce d’hommes qui, depuis quelque temps, monte à la surface de la société, engeance paresseuse, querelleuse, vaniteuse, irascible, gourmande, extravagante, enflée d’orgueil, gonflée d’insolence, et, pour parler comme Homère… De la terre inutile fardeau.
Ces hommes se sont formés en différents groupes, ont inventé je ne sais combien de labyrinthes de paroles, et s’appellent stoïciens, académiciens, épicuriens, péripatéticiens ou autres dénominations encore plus ridicules. Se drapant dans le manteau respectable de la vertu, le sourcil relevé, la barbe longue, ils s’en vont, déguisant l’infamie de leurs mœurs sous un extérieur composé ; semblables à ces comparses de tragédie dont le masque et la robe dorée, une fois enlevés, laissent à nu un être misérable, un avorton chétif, que l’on paie sept drachmes pour la représentation. Ils débitent mille sornettes sur les dieux, s’entourent de jeunes gens faciles à duper, déclament, d’un ton tragique, des lieux communs sur la vertu, et enseignent l’art des raisonnements sans issue. En présence de leurs disciples, ils élèvent jusqu’aux cieux la tempérance et le courage, méprisent la richesse et le plaisir ; mais, dès qu’ils sont seuls et livrés à eux-mêmes, qui pourrait dire leur gourmandise, leur lubricité, leur avidité à lécher la crasse des oboles ? Ce qu’il y a de plus révoltant, c’est que, ne contribuant en rien au bien public ou particulier, inutiles et superflus, nuls au milieu des camps militaires et nuls dans les conseils ; ils osent, malgré cela, blâmer la conduite des autres, censurent tout ce qui est autour d’eux. Chez eux, la parole est accordée au plus braillard, au plus impudent, au plus éhonté dans ses outrages ».
Mais ce n’était point assez de cette tourbe effrontée qui décriait et avilissait l’esprit humain. Une phalange audacieuse de magiciens, de devins, de sorciers, de joueurs de bonneteau ou de gobelets, de faiseurs d’horoscopes, de diseurs de bonne aventure, de fabricants d’onguents, d’oracles, de talismans et d’amulettes ; exploitait la foule toujours avide de merveilleux et de surnaturel, et d’autant plus crédule que la ruse est plus grossière. De toutes parts, on s’empressait autour de ces thaumaturges, auxquels on prodiguait l’admiration, l’argent et les honneurs divins. Lucien, fidèle à son
8
rôle, ne manque pas de démasquer ces fourbes sans vergogne et sans foi ni loi, ces menteurs effrontés, dont il a retracé le type dans la vie d’Alexandre d’Abonotique ; et de railler avec son bon sens ordinaire leurs pratiques superstitieuses ou leurs scandales privés.
Quelques-uns ont avancé, mais sans preuve, que Lucien avait embrassé la foi chrétienne, et qu’il avait ensuite apostasié.
Il est certain en effet que Lucien de Samosate a été au fait des origines chrétiennes. Dans son Philopseudès, ou « Ami du mensonge », il fait plusieurs fois allusion au christianisme [épisode de l’Hyperboréen capable de marcher sur les eaux, du Syrien de Palestine qui exorcisait les épileptiques, etc.].
Il a écrit deux ouvrages sur les faux prophètes du deuxième siècle : Alexandre d’Abonotique donc, dédié à Celse et le De morte Peregrini, De la mort de Peregrinus.
Le texte a beaucoup souffert et en particulier les paragraphes concernant le passage de Pérégrinos parmi les chrétiens.
* L’Almanach de l’Année merveilleuse ou les hommes-femmes. Ouvrage de l’abbé Coyer publié en 1748 et on ne sait trop pourquoi, ayant suscité l’ire de Voltaire.
9
SUR LA MORT DE PÉRÉGRINUS.
………… Ce fut vers cette époque qu’il se fit instruire dans l’admirable religion des chrétiens, en s’attachant en Palestine à quelques-uns de leurs prêtres ou de leurs scribes. Cet homme leur fit bientôt voir qu’ils n’étaient que des enfants. Tour à tour prophète, chef d’assemblée, il fut tout à lui tout seul, interprétant leurs livres et les expliquant, ou en composant de son propre fonds. Aussi nombre de gens le regardèrent-ils comme un nouveau dieu, un législateur, un pontife, égal à celui qui est honoré en Palestine et qui fut mis en croix pour avoir introduit ce culte parmi les hommes.
Protée ayant été arrêté pour cette raison fut jeté en prison. Mais cette persécution lui procura au contraire une grande autorité, et lui valut la réputation d’opérer des miracles, opinion qui flattait sa vanité. Les chrétiens, se regardant comme frappés en sa personne, mirent tout en œuvre pour l’enlever ; mais ne pouvant y parvenir, ils lui rendirent toutes sortes de services avec un zèle et un empressement infatigables. Dès le matin, on voyait rangés autour de sa prison une foule de vieilles femmes, de veuves et d’orphelins. Les principaux chefs de la secte passaient la nuit auprès de lui, après avoir corrompu les geôliers : ils se faisaient apporter toutes sortes de mets, lisaient leurs livres saints ; et le vertueux Pérégrinus, il se nommait encore ainsi, était appelé par eux le nouveau Socrate.
Ce n’est pas tout ; plusieurs villes d’Asie lui envoyèrent des députés pour lui servir d’appuis, d’avocats et de consolateurs. On ne saurait croire leur empressement dans de pareilles circonstances : pour tout dire, en un mot, rien ne leur coûtait. Pérégrinus reçut à cause de cette incarcération, de grosses sommes d’argent et en tira de précieux revenus. Ces malheureux se figurent qu’ils sont immortels et qu’ils vivront éternellement. En conséquence, ils méprisent les supplices et se livrent volontairement à la mort. Leur premier législateur les a persuadés qu’ils sont tous frères. Dès qu’ils ont changé de culte, ils renoncent aux dieu-ou-démons des Grecs, et adorent ce sophiste crucifié dont ils suivent les lois. Ils méprisent également les biens de ce monde et les mettent en commun, sur la foi de ses paroles.
En sorte que s’il vient à se présenter parmi eux un imposteur, un fourbe adroit, il n’a aucune peine à s’enrichir très vite à leurs dépens, en riant sous cape de leur simplicité.
Mais Pérégrinus fut bientôt libéré par le gouverneur de Syrie, amateur de philosophie, et qui savait notre homme assez fou pour se livrer à la mort dans le dessein de s’illustrer. Il le fit donc remettre en liberté, ne le jugeant digne d’aucune punition. De retour dans sa patrie, il trouve les esprits encore tout échauffés du meurtre de son père et nombre de gens prêts à le poursuivre en justice. La plus grande partie de ses biens avait été pillée durant son absence ; il ne lui restait plus que des champs de la valeur de quinze talents environ. Ce qui, joint à l’avoir que lui laissait son vieux père, faisait une somme d’à peu près trente talents, et non pas cinq mille, comme l’a dit ce fou de Théagène ; car avec une telle somme, on pourrait acheter la ville entière de Parium et cinq de ses voisines, y compris les habitants, les bestiaux et toutes les dépendances.
Comme l’effervescence n’était point calmée, l’accusation était imminente, et il allait, avant peu, s’élever quelque orateur contre lui. Le peuple témoignait hautement son indignation. Chacun plaignait ce bon vieillard, que tout le monde connaissait, d’avoir été si affreusement assassiné. Mais voyez comment le prudent Protée trouva moyen d’éviter le danger. Il s’avança dans l’assemblée de ses compatriotes, les cheveux longs, enveloppé d’un mauvais manteau, une besace sur l’épaule, un bâton à la main. Affublé de la sorte, il déclare qu’il leur abandonne tout ce que lui a laissé son vénérable père, qu’il en fait don à la cité. À ces mots, le peuple, des gens pauvres et donc toujours avides de largesses, se met à pousser de grands cris : « Vive le philosophe ! Vive le patriote ! Vive le rival de Diogène et de Cratès ! » Les ennemis de Pérégrinus durent se taire ; et, si quelqu’un avait alors essayé de parler du meurtre de son père, il aurait été lapidé sur-le-champ.
Pérégrinus reprit donc sa vie errante, accompagné dans ses courses vagabondes par toute une troupe de chrétiens qui lui servaient de disciples et subvenaient à ses besoins. Il se fit nourrir ainsi pendant un certain temps. Mais ayant ensuite violé quelques-uns de leurs préceptes (on le vit, je crois, manger d’une viande prohibée), il fut abandonné par eux et réduit à la pauvreté… »
-------------- --------------------------- ---------------------------------------------------- ---------------------------------- -----
Contre-lai Nº 1.
10
Le sceptique Lucien semble néanmoins avoir trouvé son maître lors de son passage en Gaule (dans la région de Marseille) où un très-sachant de la druidiaction (druidecht) lui dama le pion par son interprétation de la mythologie grecque elle-même.
------------------- ------------------- ------------------------------------------------------ ---------------------------------- ------
11
PRÉFACE OU HERCULE.
Hercule se nomme Ogmios dans leur langue. La forme sous laquelle ils représentent ce dieu a quelque chose d’étrange. C’est pour eux un vieillard, d’un âge fort avancé, qui n’a de cheveux que sur le sommet de la tête [tonsure dite « à la hache » comme chez les moines celtiques ??] Sa peau est ridée, mais aussi brûlée par le soleil, jusqu’à paraître brunie comme celle des vieux marins. On le prendrait pour un Charon, un Japet sorti du fond du Tartare, pour tout enfin plutôt que pour Hercule. Cependant, tel qu’il est, il en a tous les attributs. Il est revêtu de la peau du lion, tient une massue dans la main droite, porte un carquois dans son dos, et a dans la main gauche un arc tendu.
Je crus que les Celtes voulaient se moquer des dieux grecs, en donnant cette forme à Hercule, ou se venger de lui parce qu’il avait jadis envahi leur pays et prélevé sur eux un riche butin ; lorsque, parti à la recherche des bœufs de Géryon, il parcourut la plus grande partie des régions occidentales.
---------------------- ----------------------------------------------------- ----------------------------------------------------- -----Contre-lai Nº 2.
Géryon était le roi d’un pays de l’extrême Occident (Osismios) : l’Érythée, une île rouge perdue dans les brumes pour certains, Tartessos (Cadix en Espagne) pour d’autres. Les légendes nous le présentent comme étant tricéphale, ce qui pourrait donc l’apparenter à certaines représentations de Cornunnos. Il était le fils de Chrysaor (le guerrier à l’épée d’or, né lui-même du sang de Méduse) et de Callirhoé (la fille de l’océan). C’était l’homme le plus fort du monde (par définition, si c’était un dieu-ou-démon de la mort). Sa seule société consistait en un troupeau de bœufs rouges (enfin, pour les Grecs, mais il s’agissait peut-être tout simplement de cerfs), gardés par un dragon à sept gueules (enfant de Typhon et d’Echidna) et un molosse à deux têtes.
Nota bene. Comme à leur habitude, les Grecs ont donc recueilli une légende locale et n’y ont rien compris. Les chiens de guerre celtes étaient très connus à l’époque.
------------------ ----------------------------------- ------------------------------------------ --------------------------------------
Je ne vous ai point dit ce que sa figure a de plus singulier. Cet Hercule vieillissant attire à lui une foule considérable attachée par les oreilles. Les liens dont il se sert sont de petites chaînes d’or et d’ambre, d’un travail délicat, et semblables à de fins colliers. Malgré la faiblesse de leurs chaînes, les captifs ne cherchent pas à prendre la fuite ; et, loin de résister, de raidir leurs pieds, de se renverser, ils suivent au contraire avec joie celui qui les guide ainsi, le comblent d’éloges, essaient de le rattraper ; voire même de le devancer, en un mouvement qui leur fait relâcher la chaîne et donne à croire qu’ils seraient désolés d’en être détachés. L’artiste ne sachant où attacher le bout des chaînes, vu que la main droite du héros tient une massue et la gauche un arc ; a imaginé de percer l’extrémité de la langue du dieu et de faire ainsi tirer par elle les hommes qui le suivent. Lui-même se retourne de leur côté avec un sourire.
Je demeurai longtemps à contempler cette image avec une admiration mêlée d’embarras et de colère. Un indigène qui se trouvait alors près de moi, un homme instruit dans notre littérature, à en juger par la pureté avec laquelle il parlait grec ; et de plus versé, je crois, dans une connaissance profonde des arts de son pays [DONC UN TRÈS-SACHANT DE LA DRUIDIACTION OU DRUIDECHT. N. D. L. R.] me dit alors : « Étranger, je vais vous expliquer ce que signifie cette image qui semble tellement vous troubler. Nous autres Celtes, nous ne pensons pas comme vous les Grecs, qu’Hermès soit le dieu de l’éloquence. L’éloquence, nous l’attribuons à Hercule, qui l’emporte sur Mercure par la supériorité de sa puissance. Si nous le représentons sous la forme d’un vieillard, c’est uniquement parce que c’est toujours à un âge avancé que le talent de la parole se montre avec le plus d’éclat et de maturité, si toutefois vos poètes disent vrai.
La jeunesse, en sa fougue, est toujours incertaine.
Le vieillard est plus froid et plus sage en ses discours.
La même raison vous fait dire de Nestor que le miel coulait de ses lèvres et que les orateurs de Troie faisaient entendre une voix de lis, c’est-à-dire fleurie, car si je ne me trompe, chez vous lis signifie fleur.
Ne soyez pas surpris que cet Hercule, emblème de l’éloquence, conduise avec sa langue des hommes enchaînés par les oreilles. Vous savez bien le lien qui existe entre les oreilles et la langue. Ce n’est pas pour insulter le dieu qu’on les lui a percées. Je me rappelle, en effet, qu’un de vos poètes comiques a dit un jour : le bavard a toujours le bout de la langue percée.
Enfin, nous croyons que c’est par la force de son éloquence qu’Hercule a, en réalité, accompli tous ses exploits. C’était un sage qui ne faisait violence que par la force de sa parole. Les flèches, ce sont les paroles qui pénètrent, volent droit au but et peuvent blesser les esprits. Ne dites-vous pas vous-mêmes des paroles qu’elles peuvent être ailées ? » Telle fut son explication de ce dieu.
12
NOTE SUR LA GÉOGRAPHIE ANTIQUE.
La principale gloire de Lucien romancier, c’est d’avoir fourni à Swift quelques-unes des idées pittoresques, et non pas les moins originales, que l’on admire dans les Voyages de Gulliver. Les « Histoires vraies » retracent l’odyssée imaginaire de Lucien lui-même, parti à la découverte de l’autre continent au-delà des océans. Tout au long de ces pérégrinations « loufoques », il rencontre un bestiaire fabuleux, séjourne un moment dans l’île des Bienheureux, est avalé par une baleine, va sur la lune, imagine déjà la télévision ! Ce texte plein d’inventions, chef-d’œuvre absolu de Lucien, premier ouvrage de science-fiction de l’Histoire, a souvent été une source d’inspiration, notamment pour les Voyages de Gulliver de Swift et pour le voyage de Pantagruel du Quart Livre de Rabelais.
L’Odyssée est le type primitif de tous ces récits. Homère avait conduit son héros dans des contrées où jamais ensuite personne n’aborda, et qui n’avaient existé que dans sa riche et féconde imagination. D’autres voulurent à leur tour s’illustrer par ces découvertes que l’on pouvait faire sans sortir de son cabinet de travail ; et ils racontèrent ce qu’ils avaient rêvé de quelque nouveau pays des Cimmériens, ou même de quelque région plus fantastique encore. Iambule, dit Lucien dans sa préface de l’Histoire véritable, a composé, sur les productions de l’Océan, une foule de contes incroyables ; « quoique personne ne se fasse illusion sur ses inventions, il a su, par la manière dont il a traité le sujet, y attacher quelque intérêt. Beaucoup d’autres ont, dans le même dessein, mêlé au récit de leurs voyages supposés, de leurs excursions lointaines, des descriptions d’animaux monstrueux, d’hommes sauvages ou de mœurs étranges ».
Les plus anciens documents de la pensée grecque en ce domaine sont les poèmes d’Homère, bien qu’il ait eu des précurseurs.
Une des plus anciennes légendes grecques nous parle en effet d’une région exploitée par les Phéniciens, celle de la Mer Noire. La fabuleuse expédition des Argonautes fut d’abord dirigée vers ces parages. Partie d’Iolcos, elle serait allée en Colchide, à l’embouchure du Phase. Les poèmes consacrés à cette expédition sont de date relativement récente ; le plus ancien figure dans les hymnes orphiques, mais ils s’appuient sur des légendes plus anciennes.
LE VOYAGE POLAIRE D’ULYSSE.
Dans l’Odyssée d’Homère, nous rencontrons quatre passages, jusqu’ici inexpliqués, qui, en les comparant, nous donnent de fermes raisons de penser qu’Homère a fait faire à ses héros un voyage polaire ; et qu’il a utilisé pour cela les données d’une très ancienne relation d’un voyage polaire.
Il s’agit des « insertions » suivantes : chant X, vers 82-86 (insertion 1) ; chant X, vers 190-192 (insertion 2) ; chant XI, vers 13-19 (insertion 3) ; chant XII, vers 3-4 (insertion 4).
Examinons d’abord l’insertion Nº 1 (Chant X, vers 82-86) : le pays des Lestrygons.
Le septième jour apparut la citadelle de Lamos,
Télépyle des Lestrygons, où le berger qui rentre
Salue celui qui sort, et celui qui sort lui répond :
Là, en ne dormant pas, un homme aurait double salaire,
Tantôt paissant les bœufs et tantôt les moutons :
Car les chemins du Jour sont près des chemins de la Nuit.
Le poète nous dit donc en plaisantant que le berger, qui rentre généralement tard, pourrait reprendre les troupeaux du gardien de vaches qui se lève de bonne heure, ressortir, et ainsi gagner double salaire. Les chemins de la nuit et du jour sont si proches, parce que le chemin – la durée – de la nuit est si court que tout de suite la course du jour reprend. Le grammairien Cratès de Mallos (IIe siècle avant notre ère) a déjà compris, et tous les commentateurs en sont d’accord, qu’Homère décrivait ici les courtes nuits d’été des hautes latitudes nord, dont il devait avoir certaines connaissances. Cette indication n’a aucun rapport avec le cours du récit, mais elle sert parfaitement à éclaircir le sens des vers 190-192 sur Eaea, et semble, dans l’intention du poète, destinée à y préparer ! Mais comment donc ? Ici, nous devons partir du fait bien établi qu’Homère a imaginé un voyage d’Ulysse dirigé vers le nord-ouest. Nous devons supposer aussi que le héros a continué vers le nord, depuis la Télépyle des Lestrygons jusqu’à Eaea. Ce qu’il nous dit de Télépyle, que les nuits d’été sont courtes, correspond à une contrée située au sud du cercle polaire.
13
Nous sommes à un endroit de passage, là où le jour et la nuit sortent par la même porte (les deux bergers les personnifient). Dans la représentation mentale de l’époque, le Grand Nord était assimilé au lieu où l’est et l’ouest se recouvraient. Un lieu topologique, si l’on préfère, paraissant unique alors qu’il est le résultat d’un pli ou recouvrement, comme si les deux extrémités du levant et du couchant, en raison du caractère circulaire du disque terrestre, étaient raccordées.
Au nord de l’espace égéen, il est un point limite où le soleil à la fois se couche et se lève. C’est pourquoi la Colchide, lieu de la toison d’or que poursuit Jason, se trouve être assimilée au nord et non à l’ouest, dans l’imaginaire de l’époque. Tout ce qui est aux confins (au-delà du fleuve Océan) tend à se regrouper au nord et à définir un lieu de passage entre est et ouest (par où les directions et les rayons du soleil se déploient de nouveau). Le sillage du bateau d’Ulysse n’est pas loin de celui du bateau de Jason. Le texte homérique le dit d’ailleurs : seule la nef Argô sut passer les roches errantes ; ces dernières n’étant pas à situer à l’entrée du Bosphore, mais dans ces terres septentrionales où l’est et l’ouest se rejoignent. La Circé de l’Odyssée est située dans une sorte de pôle Nord qui donne accès aussi bien aux voies maritimes du Pont-Euxin (Mer Noire) qu’à celles de la Mer Tyrrhénienne.
Roland Herkenrath (article paru dans Stimmen der Zeit Monatschrift für das Geistesleben der Gegenwart – octobre 1925) voit dans ces vers la première preuve d’un périple dans le Grand Nord, au large de la Scandinavie, là où le soleil ne se couche pas au solstice d’été. Si l’on ne dort pas, mener une double activité est donc possible. Le grand spécialiste de l’Odyssée, le Français Victor Bérard, quant à lui, place le pays des Lestrygons entre la Corse et la Sardaigne. Les tenants d’un voyage d’Ulysse en Atlantique Nord partageront le point de vue d’Herkenrath, même si en lieu et place de la Scandinavie, l’Islande est nommée, ou l’Écosse. Or le poète maintient visiblement la description d’un paysage méditerranéen au sein d’un climat subarctique et arctique (celui des Lestrygons, de Circé, des Cimmériens, du pays des morts). Il faut donc supposer deux récits : un récit ancien traduisant ces échanges que la Méditerranée mycénienne a connus avec la Mer Baltique pour l’ambre et avec l’Atlantique pour l’étain, et dont l’archéologie se porte garante ; et un récit plus moderne : Homère incorpore des données du récit ancien sans trop se soucier des incohérences. La plus frappante est celle où Ulysse, abordant sur l’île de Circé, dit ne plus savoir où le soleil se lève et se couche, et quelques vers après voit se lever l’aube et courir un cerf !
Venons-en maintenant à l’insertion 2 (chant X, vers 190-192) : l’île de Circé, un passage très étrange. Pour nous mettre sur la voie, voyons d’abord les circonstances dans lesquelles il se produit. Dans ses aventures précédentes, Ulysse avait été attaqué par les Lestrygons cannibales, y avait laissé onze de ses douze navires avec leurs équipages et avait pu sauver d’extrême justesse son propre navire et ses gens. Ils abordent sur une plage inconnue et alors, effrayés ou épuisés d’avoir dû ramer en hâte, ils restent là sans bouger deux jours et deux nuits, enveloppés dans leurs manteaux. Le troisième jour, le héros se ressaisit ; il escalade une hauteur pour regarder autour de lui. Ils sont sur une petite île ; en son centre de la fumée monte d’une forêt (comme on verra plus tard, il s’agit de la demeure de la magicienne Circé). Un grand cerf, tué sur le chemin du retour, redonne courage aux compagnons. Mais ce n’est que le matin suivant qu’Ulysse ose les convoquer à un conseil.
Il s’agit d’envoyer des hommes en reconnaissance : une mission effrayante, les expériences précédentes et particulièrement chez les Lestrygons leur ayant apporté beaucoup de malheur. Ulysse cherche à les convaincre par son discours.
Le soleil se coucha, le crépuscule vint
Et nous nous étendîmes sur la frange des brisants.
Lorsque parut la fille du matin, l’aube aux doigts roses,
Je réunis mes gens et je leur déclarai :
« Amis, nous ne voyons pas où sont (ni) l’ombre ni l’aube,
Où le soleil brillant pour les hommes va sous la terre
Ni où il reparaît ; examinons donc au plus vite
S’il demeure une issue : pour moi je n’en vois pas.
En effet, en grimpant sur une roche haute,
J’ai vu une île couronnée par la mer infinie.
Elle est basse, et j’ai aperçu une fumée
En son milieu, parmi des bois et d’épaisses chênaies.
14
La veille les rayons brûlants du soleil avaient poussé au ruisseau le cerf qu’il allait tuer. Ils devaient donc pouvoir s’orienter au soleil : l’exact contraire des vers 190-192 ! Le poète introduit là ces vers (190-192) dans son poème, mais ils ne viennent pas de son invention poétique ni de sa propre imagination. Nous ne devons pas le croire capable d’avoir forgé de lui-même de telles contradictions. Leur contenu doit lui avoir été inspiré en quelque sorte de l’extérieur.
Mais pour le moment, nous sommes devant une autre énigme : comment pouvons-nous comprendre qu’ici, sur Eaea, les voyageurs, dénués de toute possibilité d’orientation, ne reconnaissent plus ni l’est ni l’ouest ? Le poète nous donne un indice précieux, environ cent vers auparavant (insertion 1), quand il nous parle des Lestrygons (Chant X, vers 82-86).
Si nous plaçons Eaea au nord du cercle polaire, Ulysse arrive en un endroit où règne un jour ininterrompu, le jour polaire. Cela nous ramène à ce dont il se plaint devant ses compagnons aux vers 190-192. Pendant la durée du jour polaire, qui croît avec la latitude, le soleil se déplace autour de la terre, sans se coucher ni se lever, un peu au-dessus de l’horizon. La conséquence en est qu’on ne peut plus distinguer l’est de l’ouest et que, comme les étoiles sont obscurcies par la lumière du jour, il devient donc impossible de s’orienter. Un autre moyen serait de disposer d’amers, mais Ulysse n’en voit aucun, seulement la pleine mer. Si le poète nous dit avec les vers 82 et suivants que les voyageurs sont arrivés dans les contrées du Nord aux très courtes nuits d’été ; il nous explique avec les vers 190 et suivants qu’ils ont atteint les latitudes des jours ininterrompus ; avec cette conséquence que, par suite du manque de coucher et de lever de soleil, ils ne peuvent plus s’orienter. Ces deux insertions ont sans aucun doute un caractère d’indication géographique, sauf que la seconde a été introduite en même temps dans le récit. Ce caractère commun, on pourrait presque dire extérieur, de simple indication géographique, est aussi mis en lumière par le fait que la description des paysages ne semble pas en être influencée. Elle ne correspond pas aux hautes latitudes, mais plutôt à la patrie du poète, avec ses conditions climatiques complètement différentes. À Télépyle (insertion 1), il y a une route sur laquelle les Lestrygons mènent des charrettes lourdement chargées des montagnes à la ville ; et sur Eaea (insertion 2), le cerf broute dans une forêt, Circé donne aux compagnons transformés en porcs des glands, des faines et des fruits rouges de cornouiller. Cela ne fait qu’ajouter aux contradictions signalées plus haut entre ces insertions et les descriptions du poète dans la suite du récit. Et c’est justement à cause de leur caractère décousu que nous les avons appelées « insertions ».
Mais le poète ne connaît pas seulement le jour polaire sur Eaea, il connaît aussi la nuit polaire et la place pas très loin d’Eaea. Il en parle dans l’insertion 3 (Chant XI, vers13-19). En effet, Ulysse, favorisé par le vent du nord (X ; 505 et suivants), a traversé en une journée la mer et un bras du fleuve Océan qui fait le tour complet du disque terrestre, puis abordé sur l’autre rive de ce fleuve, à l’endroit où s’ouvre l’entrée du monde souterrain.
Il parvint aux confins du profond cours de l’Océan.
Là se trouvent la ville et le pays des Cimmériens,
Couverts d’un voile de brouillard ; sur eux, jamais,
Le soleil éclatant ne fait descendre ses rayons,
Pas plus quand il gravit les hauteurs du ciel constellé
Que lorsqu’à son zénith, il se retourne vers la terre ;
Une funeste nuit s’étend sur ces infortunés.
Nous avons déjà attiré l’attention sur l’opposition entre les Cimmériens, c’est-à-dire « les hommes de l’obscurité », et les Lestrygons avec leurs courtes nuits, mais plus grande encore est l’opposition avec le jour polaire sur Eaea. La proximité de ces trois lieux entre eux – pays des Lestrygons, île d’Eaea et pays des Cimmériens – prouve que la « funeste nuit » de ce dernier fait également partie des manifestations polaires. Mais ici, la description de la réalité est manifestement inexacte. Au lieu de dire tout simplement que les territoires du Grand Nord sont enveloppés d’obscurité une partie de l’année, le poète laisse les habitants d’une partie de ces contrées, les Cimmériens, tâtonner constamment dans la nuit et le brouillard, pour le plus grand bien de son épopée. Il fallait bien qu’une nuit éternelle règne à l’entrée de l’Érèbe. On pourrait en conclure que le poète s’était représenté les courtes nuits des Lestrygons et le jour polaire d’Eaea comme des états permanents ; mais ce n’est pas certain. Qu’il ait pris la précaution d’introduire les deux dernières insertions de façon qu’elles collent autant que possible avec la trame du récit, le beau cadre que cela fournit au voyage dans l’Hadès nous le montre. L’obscurité cimmérienne ombre la descente du héros, le lever d’Hélios et la ronde joyeuse d’Eos les saluent quand il remonte.
L’île d’Eaea présente une autre particularité, qui est décrite dans la quatrième insertion (Chant XII, vers 3-4). Ce qui est dit dans ces vers paraît également incompréhensible sinon encore plus
15
inconcevable que la deuxième insertion : « On ne pourrait trouver là ni est ni ouest ». Cela ramène en fait au même sens, parfaitement clair. Écoutons-les dans leur contexte.
Au onzième Chant, Ulysse a rejoint l’Hadès depuis Eaea, au douzième, il revient de nouveau à l’île et raconte.
Quand le navire eut quitté les eaux du fleuve Océan,
II retrouva la houle de la mer aux larges voies
Puis l’île d’Eaea où l’aube, fille du matin,
A ses demeures, le lieu de ses danses, où le soleil a ses levers
Arrivés là, nous fîmes échouer le bateau dans le sable
Et mîmes pied à terre sur la frange des brisants.
C’est là que l’on s’endormit en attendant l’aube divine.
Que les compagnons d’Ulysse sommeillent sur la plage en attendant la clarté du jour (5-6), c’est-à-dire l’aube qui pourtant a sa demeure sur cette île (3-4) ; et tout de suite après que l’aurore aux doigts roses apparaisse (8) ; que plus loin le soleil, qui se lève sur cette île (4), s’y couche un peu plus tard (31) ; toutes ces contradictions ne nous surprennent plus. Elles sont semblables à celles qui ont déjà été introduites par l’insertion 2 (Chant X, vers 190-192).
Mais ici s’ouvre un autre abîme, infranchissable, entre l’affirmation du poète que c’est sur cette île que se trouvent la demeure de l’aurore et le lever du soleil ; et l’hypothèse irréfutable du même poète, hypothèse qui se fonde sur les insertions 1 (X, 82, et suivants) et 2 (X, 190, et suivants), à savoir que le navire d’Ulysse s’est fourvoyé au Nord-ouest, dans les hautes latitudes. Le poète a-t-il lui-même perdu ses facultés d’orientation, qu’il confonde l’est et l’ouest ? Ce passage a résisté jusqu’ici à toute tentative d’explication. Pourtant, ce que le poète décrit ici est une réalité, surprenante certes, mais qui apparaît vraiment dans la zone polaire. Néanmoins, et c’est bien compréhensible, cela n’a donc pas été vraiment compris par le poète.
Voilà ce que nous avions à dire sur ces quatre passages de l’odyssée. Ces quatre insertions forment un tout, elles indiquent le nord et se complètent en donnant une description complète de l’état du soleil et de la lumière dans les contrées nordiques. Sur le plan géographique, elles se rapportent à trois lieux voisins et veulent montrer des phénomènes qui sont liés à la position géographique de ceux-ci. Bien évidemment, les indications sur les courtes nuits d’été chez les Lestrygons nous situent dans les hautes latitudes des contrées polaires. Par suite de la proximité de l’île d’Eaea et du pays des Cimmériens, les indications sur les phénomènes naturels dans les insertions correspondantes doivent aussi désigner le nord. Et effectivement, ces passages, qui sans cette hypothèse seraient incompréhensibles, deviennent clairs, mot pour mot. Ils fournissent ensemble une image complète étonnamment exacte des phénomènes lumineux arctiques. La première insertion nous montre les courtes nuits d’été, la deuxième et la quatrième le jour polaire avec ses multiples particularités, la troisième, la nuit polaire. Elles ont en commun la même étonnante contradiction entre leur contenu et les autres descriptions du paysage de la même contrée. Ces insertions peuvent être comparées à des blocs erratiques qui se tiennent solitaires sur une verte prairie, parmi des pierres sculptées. En d’autres mots, les conditions climatiques de ces endroits, telles que le poète les décrit, ne vont pas vraiment avec la position géographique que les insertions leur assignent. Celles-ci ne viennent donc pas du poète, mais du dehors. Il les a trouvées, pas inventées, et il les a laissées comme elles étaient, étrangères et contradictoires.
Les connaissances apportées par ces insertions, qui permettent au poète de présenter Ulysse comme un voyageur polaire, lui sont parvenues de l’extérieur. Déjà leur altérité par rapport au texte qui les entoure nous le montre, tandis qu’elle exclut qu’elles aient pour origine l’expérience propre ou la libre invention du poète. On voit bien aussi combien le poète lui-même n’est absolument pas en état d’apprécier la portée de ces informations. En elles-mêmes, ces connaissances lui paraissent complètement attestées ; il place la réalité qu’elles contiennent avec la même conviction que les conditions climatiques apparemment contradictoires qu’il décrit d’après son pays et qu’il met juste à côté. Ainsi les « levers du soleil » des hautes latitudes nord-ouest et le lever du jour à l’est, dans sa patrie (insertion 4). Les informations contenues dans les insertions étaient effectivement bien attestées ; elles rendent, avec une exactitude et une précision ahurissante, les conditions réelles. Une seule différence néanmoins : le décalage concernant le lieu et la durée de la nuit polaire des Cimmériens, à moins qu’il ne s’agisse d’une mauvaise compréhension de la source. Nous pouvons donc avancer avec certitude la proposition suivante : les informations que le poète nous donne sur les contrées polaires reposent sur des connaissances sûres qui lui sont parvenues de l’extérieur.
16
Le but du poète en introduisant ces insertions était la glorification d’Ulysse. En nous plaçant de ce point de vue, nous avons un aperçu sur la façon dont le poète a organisé l’œuvre grâce à l’utilisation et au traitement de ces passages. Ils lui rendaient pour la fabrication de l’épopée un trop grand service pour qu’il ait pu s’en passer. Son héros devait battre tous les records en esprit d’entreprise, en courage pur, en astuce inventive et en ténacité triomphante dans toutes les actions qu’un homme pouvait accomplir. Il l’a donc conduit, à travers toutes sortes d’aventures, jusque dans l’Hadès, à l’image d’Hercule lui-même. Comme celui-ci sur terre, Ulysse devait être l’homme qui, sur mer, fait le tour de la terre et de la mer jusqu’à l’Océan, le fleuve des confins ; qui voit tous les pays et toutes les coutumes des hommes et résiste à tous les dangers menaçants. Le poète voulait ainsi donner ou une image du monde étendue et complète. Il possédait des informations sur les mers du Grand Nord et ses phénomènes étranges, car de hardis marins étaient déjà parvenus jusque-là. Il fallait que son héros entreprenne aussi cette aventure. Il fallait qu’il aille là où le berger qui rentre salue celui qui sort ; là où sont les levers du soleil et les demeures ainsi que les danses de l’aube, là où l’on ne peut plus distinguer l’ouest de l’est pour calculer sa route ; là enfin où les Cimmériens sont enveloppés d’une nuit éternelle. C’est-à-dire dans le lointain nord-ouest. Bien d’autres contes de marins pointent dans cette direction, qu’il aurait voulu raconter si les contrées où elles se déroulent n’étaient pas si floues. Il devait laisser ses héros être jetés par la tempête dans ce lointain nord-ouest, parce que l’Océan Atlantique était bien au-delà du trafic maritime de son temps, bien au-delà de ses limites, la Libye et la Sicile ; et que le poète lui-même était dans le noir en ce qui concerne les mers lointaines de l’ouest et du nord. Là, il pouvait arranger la scène de l’aventure suivant ses propres désirs et dérouler son récit sans contrainte ni contrôle. Et puis la mer jusqu’à la Colchide, située autrefois dans un Est lointain, s’était trop rapprochée pour les Grecs de l’époque d’Homère pour que de nouveaux contes y trouvent encore leur place. Et le sud-est était déjà pris, dans la même Odyssée, par le voyage de Ménélas.
Cela doit être la raison pour laquelle notre poète a également placé dans le lointain nord-ouest l’expédition des Argonautes. Il leur fait toucher également les contrées polaires. Présentons rapidement cet épisode. À l’occasion du passage d’Ulysse au deuxième endroit dangereux, les Planctes ou roches errantes, lors de son retour depuis Eaea ; le poète raconte qu’aucun bateau ni aucun oiseau n’est encore passé sans dommage devant ces rochers : seule la nef Argô donc aurait pu les doubler avec l’aide de Héra lors de son voyage de retour depuis Eaea (Chant XII, vers 69-72).
Le nom d’Artakia, que le poète a donné à la source proche de Télépyle, la ville des Lestrygons (Odyssée, X, 108), est le même (Artakie) que celui de la source de Kysikos dans la Propontide (mer de Marmara), rendue célèbre par les Argonautes ; cela montre, selon toute vraisemblance, que le poète pensait au voyage des Argonautes. Le prouve sans aucun doute le fait que dans son récit à lui Homère laisse la « glorieuse Argô », la vedette de la première et mythique aventure maritime de l’Antiquité, croiser la route de son Ulysse. Peut-être voulait-il signifier qu’Ulysse surpassait Jason en gloire ; ce dernier n’avait pas atteint les vraies contrées polaires et n’était pas allé jusque chez les Cimmériens puis dans l’Hadès.
Nous connaissons au moins une source de la description du voyage d’Ulysse. Mais ce serait une erreur de chercher sur nos cartes les lieux nommés par cette source, comme, par exemple, de prendre les Lestrygons pour une tribu germanique de Scandinavie. Il n’y a rien dans Homère qui aille dans ce sens.
Âge de la source ?
Puisque nous savons qu’Homère lui-même a utilisé ses informations, nous sommes autorisés à la faire remonter très tôt, en tout cas bien avant le huitième siècle avant notre ère. Il est difficile de déterminer avec certitude d’où lui venaient ces informations. Certainement pas du trafic maritime grec de son époque, il n’allait pas assez loin. La plus grande probabilité est qu’elle lui venait des Phéniciens qui, au douzième siècle avant notre ère, avaient ôté aux Crétois la souveraineté sur les mers ; et poussé leurs navigations jusqu’en Angleterre voire dans les eaux de la mer du Nord et de la Baltique. Sous quelle forme ces connaissances se transmettaient-elles sur le sol grec ? Il faut plutôt penser à des chants scandés. S’il s’agissait dans cette très ancienne relation non pas d’un voyage au cours duquel ils se seraient égarés par hasard, mais de voyages maritimes d’exploration, peut-être répétés ; alors ce qu’il en reste nous parle des réalisations audacieuses d’une époque qui ne peut se comparer en rien avec nos moyens modernes de navigation. Elles n’ont rien à envier en audace aux expéditions polaires de notre temps (cette excellente étude est extraite du remarquable site internet www.utqueant.org).
Malgré les progrès de la colonisation grecque vers le VIe siècle, les poètes cycliques, Pindare, Eschyle, n’ajoutent pas grand-chose à la géographie homérique ; ils en respectent le côté mythique.
17
Mais à cette époque les poètes ne sont déjà plus les interprètes autorisés des idées de leur temps. La science rationnelle est née avec la prose ; la philosophie, l’histoire la géographie, se développent en même temps.
Le grand géographe du IIIe siècle avant notre ère a été Pythéas. Pythéas était un vrai savant, observant avec un gnomon l’ombre du soleil au solstice d’été ; il en avait déduit la latitude de Marseille, la fixant à 30 300 stades de l’équateur, soit 43° 17' 18" ; l’erreur est de moins d’une minute. C’était un vrai scientifique et tout ce qu’il a dit de ses voyages ÉTAIT VRAI, MAIS IL FUT TRAITÉ DE MENTEUR TOUTE SA VIE.
En même temps que l’expédition d’Alexandre reculait vers l’Orient les bornes du monde connu des Grecs, elles furent en effet reculées vers le nord-ouest, par un voyage d’exploration aussi admirable que celui d’Hannon, exécuté par Pythéas de Marseille. Les navigateurs de Tartessos avaient parlé aux Marseillais de ces régions, mais elles demeuraient pour une large part inconnues.
Pour soustraire sa ville au blocus carthaginois de Gibraltar qui empêchait le commerce avec la façade atlantique, il effectua d’abord un voyage vers l’est. Explorant la Mer d’Azov jusqu’à l’embouchure du Don, il tenta par cette voie d’atteindre le pays des Hyperboréens afin d’en ramener l’ambre et le cuivre. Cette tentative s’étant soldée par un échec, Pythéas fut chargé par ses compatriotes d’explorer la mer extérieure pour chercher les pays de production de l’étain et de l’ambre, afin d’enlever ce commerce aux Carthaginois.
Guidé par les conseils de son maître, Eudoxe de Cnide, il commença par relever la latitude (hauteur du pôle) de Gadira (Cadix), et observa, dans le détroit des Colonnes d’Hercule, le phénomène de la marée.
Il doubla le promontoire Sacré (cap Saint-Vincent), atteignit en trois jours le cap Finistère, et en trois autres jours des îles celtiques, parmi lesquelles il mentionne Uxisama (Ouessant), dans le voisinage des Ostidamniens.
Partant de là, il traversa la Manche, et vint aborder dans le Kantion (le Kent), alors habité par des Bretons. Il en étudia les mœurs : il parle de leurs cabanes, de leurs granges, de leurs récoltes, de leurs boissons et de leur manque de soleil. Après deux journées et demie de navigation, il regagna le continent à l’extrémité de la Celtique, s’arrêta chez les Ostions à l’embouchure du Rhin, et y observa la hauteur du pôle. Au bout de trois journées et demie, il atteignit le Cattégat et la pointe septentrionale du Jutland. Là il entendit, chez les Cimbres, la légende de la mer Morte (Morimarusa, probablement apportée par les navigateurs phéniciens), il visita le pays des Goths (Suède), pénétra jusqu’à l’île d’Alabas, où il vit la tourbe employée comme combustible ; et recueillit quelques renseignements sur les îles de la mer baltique entourant la Scanie. De là il se rendit, en deux jours, sur la côte (prussienne) de la mer baltique, où l’on pêchait le succin, que les Germains venaient y chercher ; se mit en relation avec les Goths de la Vistule, toucha aux îles de Latris (Rügen) et de Nerthu ? se procura des renseignements sur le renne, sur l’élan et sur diverses productions des pays septentrionaux ; et sortit bientôt de la mer où il s’était engagé, afin de se rendre dans l’extrême Nord des îles Britanniques.
Là il apprit que dans une terre nommée Thulé, au solstice d’été, le soleil ne se couchait pas et qu’au-delà on y trouvait une mer glacée appelée Cronium.
Geminos : « Pythéas dit, à propos des observations qu’il a notées dans son livre intitulé « sur l’océan » ; les Barbares nous ont désigné en plusieurs occasions l’endroit où le soleil disparaît. À cet endroit, la nuit est extrêmement courte : deux heures pour les uns, ou trois pour d’autres, et juste après le soleil se lève à nouveau ».
Était-ce, comme le suggèrent Pline et Martianus Capella, une contrée voisine du pôle ? Était-ce la côte orientale du Groenland ? Était-ce l’Islande, une île des Orcades, une des Shetlands, une des Féroé, voire l’une des Lofoten ?
Devant le flou des indications de Pythéas, on ne le saura sans doute jamais avec certitude.
Les Thuléens vivaient de millet, de racines et de quelques autres légumes. Pythéas parle aussi d’une boisson fermentée, faite avec du miel, dont se servaient les habitants de Thulé. Cette boisson ne pouvait être que l’hydromel.
Mais voici le passage qui a principalement exercé l’esprit des critiques. Les marins celtes (pictes ??) de ces îles lui avaient en effet appris que « vers le nord et dans toutes ces contrées-là, il n’y a ni terre, ni mer, ni air ; mais un mélange des trois, semblable au poumon de mer, sur lequel la mer et la terre
18
étaient figées, et qui servait de lien à toutes les parties du monde ; sans qu’il fût possible d’y aller ni à pied ni sur des navires ».
Quelques-uns se sont emparés de cette citation pour traiter de fabuleux tout le récit de Pythéas. C’était aller trop loin. D’autres se sont plutôt attachés à la détermination de cette chose étrange, appelée poumon de mer ; mais l’on ignore encore s’il faut la ranger parmi les animaux, ou parmi les végétaux. Comme Pythéas avoue lui-même qu’il ne connaissait ces choses que par ouï-dire ; il est permis de croire que ce mélange chaotique, impénétrable, d’air, de terre et d’eau, était l’image poétique des épais brouillards qui enveloppent ces montagnes de glaces flottantes, les redoutables banquises de la côte orientale du Groenland. Peut-être aussi Pythéas confondait-il cette légende du poumon de mer, avec la mer d’algues (mer des Sargasses), que les Phéniciens devaient avoir certainement rencontrée dans leurs navigations atlantiques, et qui étonna plus tard Christophe Colomb.
Le géographe irlandais Dicuil, bien plus tard, dans son fameux « Liber de mensura orbis terrae », identifiera cette ultime Thulé à l’Islande, mais ceci se discute beaucoup.
Bref, Pythéas ne trouva pas ce qu’on lui avait ordonné d’aller chercher ; mais il revint avec des histoires étranges sur les régions qu’il avait visitées, sur la banquise qu’il avait découverte, sur la multitude d’animaux marins étranges qui peuplaient les mers du septentrion.
Artémis était le nom de son bateau ; le voyage avait duré plus de six mois ; quand il raconta son odyssée ainsi que tout ce qu’il avait vu, il fut traité de menteur. L’importance des découvertes de Pythéas fut méconnue. On retint surtout de lui son erreur sur la dimension de la Grande-Bretagne qu’il exagérait fort probablement à cause des sinuosités du littoral, lui donnant 40 000 stades de circuit, et la notion de Thulé, terre mystérieuse de l’extrême Nord.
Que l’on évoque ici le voyage de Pythéas ne doit pas déconcerter. D’abord parce qu’il s’agit bien d’un voyage, dont les étapes nous sont relativement bien rapportées et dont on devine les implications idéologiques, mais surtout parce que Pythéas et Évhémère sont mis sur le même pied par Strabon.
« Non, ces mensonges ne diffèrent pas beaucoup de ceux de Pythéas, d’Évhémère ou d’Antiphane. Mais on peut leur pardonner, parce qu’ils agissent de façon délibérée, comme les inventeurs de récits merveilleux ».
Comme on peut le voir par le texte cité, l’appréciation de Strabon est très négative. Un peu plus loin cependant, il nuance son jugement en disant que, selon Polybe, il valait mieux accorder crédit à Évhémère qu’à Pythéas ; parce que le premier ne dit avoir navigué que vers la seule contrée de Panchaïe, alors que le second affirme avoir navigué jusqu’aux confins du Monde et reconnu toute la partie septentrionale de l’Europe.
Le récit du navigateur marseillais est pourtant plus digne de crédit que celui du Messénien, dans la mesure où il nous apparaît çà et là confirmé par la topographie. Pourtant, les Anciens ont manifestement eu du mal à discerner la part de vérité de chacune des œuvres, à cause du cachet de merveilleux que l’éloignement des contrées décrites conférait à l’une et à l’autre. Les merveilles de Panchaïe qu’a dû décrire Évhémère ont pu passer pour vraisemblables parce qu’inspirées sans doute par les rapports de voyages postérieurs à la conquête de l’Asie ; alors que les phénomènes étranges décrits par Pythéas, comme la « mer figée » ou la nuit de deux à trois heures ; se sont heurtées à l’incrédulité de Méditerranéens pour qui ce genre de spectacle n’était absolument pas coutumier !
Une partie des informations rapportées par Pythéas est vraisemblablement due à des observations directes de sa part ; mais une autre est sans doute empruntée aux marins celtes rencontrés par lui dans les ports de l’Atlantique, notamment pour ce qui est de sa partie ultime.
Il n’en reste pas moins que ses voyages lui ont valu un succès considérable auprès du public gréco-romain et, par-delà, ont frappé l’imagination des érudits jusqu’au Moyen-âge et à la Renaissance.
Le grand géographe du XXe siècle avant notre ère fut Eudoxe de Cnide, disciple de Platon et héritier des traditions pythagoriciennes.
Denys le Périégète, écrivain grec, né à Alexandrie, fut l’auteur d’un poème sur la géographie intitulé Periegesis, ou Voyage autour du Monde, et vécut, à ce qu’on croit, au 1er siècle de notre ère. En voici quelques extraits.
Commençons à chanter la terre et le vaste océan
Les fleuves, les villes et les innombrables tribus des hommes.
V. 69. La mer d’Ibérie se présente tout d’abord…
19
V. 74. Puis lui succèdent les ondes galatiques, où s’étend la terre de Massalia et son port contourné. Ensuite il y a la mer Ligystique…
V. 288. Après eux (les Ibères), ce sont les Pyrénées et les demeures des Celtes, près des sources de l’Éridan aux belles eaux. Sur ses bords, jadis, dans la nuit solitaire, les Héliades gémissantes pleuraient Phaéton, et là, les enfants des Celtes, assis sous les peupliers, recueillent les larmes de l’ambre qui a l’éclat de l’or. Ensuite il y a la terre de Tyrsénide (Tyrrhénienne) à l’orient de laquelle on voit commencer les Alpes, et du milieu de laquelle s’écoulent les eaux du Rhin jusqu’au bout (du monde) vers les flots de la boréale Amphitrite.
V. 570. Près (des îles bretonnes), il est un autre groupe d’îlots. Sur la côte opposée, les femmes des guerriers namnites célèbrent en des transports conformes au rite les fêtes de Bacchus. Elles sont couronnées de corymbes de lierre, et c’est pendant la nuit que se déroule la cérémonie. De là s’élèvent un bruit et des sons éclatants. Non, même en Thrace, sur les rives de l’Absinthe, les Bistonides n’invoquent pas ainsi le frémissant Iraphiotès. Non, le long du Gange aux noirs tourbillons, les Indiens et leurs enfants ne mènent pas avec autant d’ardeur la danse sacrée du frémissant Dionysos ; comme en cette contrée les femmes qui crient : Evan !
Toutes les superstitions grecques, toutes les rêveries relatives à l’extrême ouest (osismios), trouvent un écho dans les pages de l’Histoire véritable.
Ce n’est pas la matière qui manquait à Lucien pour son roman, il lui a suffi de glaner ici et là dans les récoltes d’histoires plus ou moins incroyables engrangées par ses prédécesseurs. On ne peut guère douter que la plupart des récits ayant inspiré Lucien, tels l’Hyperborée d’Hécatée d’Abdère, ou les îles du soleil d’Iambule, n’appartinssent à des temps déjà reculés ; ainsi que nous avons pu le voir avec l’épisode d’Ogmios expliqué à notre auteur lors de son passage à Marseille, et son allusion au mythe de Cornunnos rebaptisé Géryon. Lucien a donc dû emprunter nombre des éléments de son « Histoire véritable » à la mythologie druidique lors de son séjour en Gaule, en tout cas c’est ce que suggère l’étonnante ressemblance entre ce texte et la légende de saint Brendan. La moisson de rêves fantastiques était assez riche pour qu’il n’eût qu’à élaguer et à choisir dans ce qui avait déjà été élaboré par d’autres, tant grecs que celtes. Au reste, Lucien a choisi avec un tact parfait ; et sa burlesque odyssée est une lecture on ne peut plus agréable. L’ouvrage n’a guère qu’un défaut, celui d’être incomplet. Il s’arrête à la fin du deuxième livre, là même où l’auteur en annonce plusieurs autres, qui devaient contenir le récit de ses aventures après son naufrage sur le continent des antipodes.
Le voyage est pour Lucien un miroir de l’Autre, de ce Barbare, dont les Grecs ont si peur ; un voyage au-delà des frontières, des limites connues des Grecs, puisque son point de départ, les colonnes d’Hercule, est déjà hors des limites de l’imaginaire grec ; là où précisément s’arrêtent d’ordinaire les récits d’exploration.
On ne doit pas oublier, pour comprendre l’enchaînement des épisodes, que Lucien admet la conception populaire relative à la forme du Monde. Pour lui, comme pour la plupart de ses contemporains, la Terre est un disque flottant sur les eaux de l’Océan, et l’Océan lui-même, à l’horizon, se confond avec le Ciel. Les voyageurs avaient souvent rêvé de découvrir ce point de jonction entre le terrestre et le céleste. Il faut donc imaginer une voûte fixe séparée de la terre par de l’air. Un tourbillon de cet air pouvait par conséquent très bien emporter quelqu’un vers l’espace céleste. Et l’imagination populaire plaçait depuis longtemps chez les Hespérides (les filles du Couchant), les Îles Fortunées où vivaient donc éternellement les Bienheureux.
Reste en effet à Lucien à nous emmener vers un « autre monde » ; celui vers lequel Ulysse avait été conduit par Circé et où il avait rencontré sa mère, celui qu’ont visité tous les grands héros de l’Antiquité (Orphée, pour arracher à la mort sa femme Eurydice) : le royaume de ceux qui ne sont plus.
Mais Lucien a choisi de parodier. Son aventure ne sera donc pas pleine de périls, comme celle des héros antiques et il arrivera le plus simplement du monde dans l’île des Bienheureux. [Dans la mythologie grecque, les îles des Bienheureux, en grec ancien makàrôn nesoi, sont un lieu où les âmes/esprits vertueuses goûtaient un repos parfait après leur mort. Elles étaient placées aux confins occidentaux de la Libye, dans l’Océan Atlantique donc. Leur fonction et leurs caractéristiques les rendent très semblables aux Champs Élysée, dont elles sont probablement une déclinaison tardive. N. D. L. R.]
Les voyageurs débarquent dans ce lieu qui fait leur enchantement, occasion pour Lucien d’une longue description de la douceur du pays. Mais ils ne tardent pas à être arrêtés. On les conduit alors à Rhadamante, qui gouverne l’île. Ils sont traduits devant lui pour être jugés. Ulysse confie à Lucien une lettre pour Calypso qui vit dans l’île d’Ogygie. Mais ils abordent tout d’abord dans l’île des Supplices.
20
Là sont punis les écrivains qui n’ont pas dit la vérité, dont Ctésias de Cnide ainsi qu’Hérodote. Puis apparaît l’île des Songes. Enfin, ils atteignent Ogygie, où Lucien peut s’acquitter de sa mission.
LA FIN DE L’AVENTURE.
La navigation reprend et, après deux jours de tempête, nos voyageurs sont attaqués par des sauvages qui naviguent sur des navires en forme de citrouille. Puis ce sont des pirates montés sur des dauphins. Lucien et ses compagnons échouent sur un énorme nid d’oiseaux géants (des alcyons) ; ils sont forcés de hisser leur navire sur des arbres pour passer à travers une forêt, atteignent une île habitée par des pirates à tête de bœuf. Ils visitent encore une nouvelle île, celle de la Tromperie. Puis nos navigateurs arrivent enfin au « bout du monde ».
Rappelons aussi que, pour Lucien, une autre source d’inspiration existait alors : l’idée de l’Atlantide, qui est présentée comme un anti-monde, également situé « au-delà des colonnes d’Hercule », limites entre le monde connu et inconnu…
Profitons-en pour souligner que ce continent mythique, au mauvais sens du terme, de Platon, qui a bien embrouillé la postérité avec toutes ses histoires sur Dieu ou le Démiurge ou le Divin, n’est qu’une fable ; et qu’il est consternant de voir cette allégorie justifier les pires escroqueries intellectuelles (celtomanie, druidomanie, Tradition primordiale, etc.) voire même carrément financières, encore aujourd’hui.
21
LUCIEN ET SON TEMPS.
Les romans à la mode, au temps de Lucien, rentraient à peu près tous dans deux catégories distinctes, les métamorphoses et les voyages imaginaires. Un des plus célèbres écrits de Lucien est celui qui est intitulé : Lucius ou l’âne.
Il s’agit d’un roman ayant pour thème la métamorphose homme/animal, mais traitée de façon burlesque et satirique.
Nous ne prétendons nullement que les très-sachants de la druidiaction (druidecht) admettaient la possibilité de telles transformations chamaniques (d’un être humain en animal). Tout ce que l’on peut dire, c’est que la pratique des métamorphoses, ancienne technique rituelle et magique, a subsisté dans les récits… Et nous avons là l’explication des fameuses prêtresses de l’île de Sein, légende et non histoire qui, à l’époque, si nous en croyons Pomponius Mela III, 6, 48, prétendaient prendre à leur gré n’importe quelle forme animale.
« Sena, dans la mer britannique, en face du littoral, chez les Osismii, est remarquable par l’oracle de la divinité dont les prêtresses sont, dit-on, au nombre de neuf dans une virginité perpétuelle. On les appelle Gallisenae : elles prétendent calmer par leurs chants et par les singularités de leurs artifices prendre la forme des animaux qu’elles veulent. Elles savent guérir ce qui par d’autres est inguérissable et prédire ce qui doit arriver ».
Vouloir confirmer la matérialité des faits ainsi rapportés serait perdre son temps. Notre seul propos est d’éclairer quelque peu le contexte général de ce roman comique de Lucien ; en attirant l’attention du lecteur sur le fait que la possibilité de la transformation d’êtres humains en animaux était alors une idée encore largement répandue (et l’est d’ailleurs toujours aujourd’hui, notamment dans l’islam et le Coran).
En 1951, à Pont-Saint-Esprit, dans le département français du Gard (France) 135 personnes durent être hospitalisées d’urgence et 6 d’entre elles moururent empoisonnées par du pain, infecté par de l’ergot de seigle. Les victimes eurent d’horribles aislingi (visions) et se crurent attaquées par des tigres ou des serpents. Elles s’imaginèrent avoir été transformées en bêtes sauvages. Les hallucinogènes semblent donc susceptibles d’expliquer certains cas d’apparitions de loups-garous au Moyen-âge (voir le cas des trois filles d’Airitech, tuées par Cas Corach).
Le lai du loup-garou fut écrit au XIIIe siècle par Marie de France, qui vivait à la cour d’Angleterre, et dont la féerie des œuvres assura le succès.
La dame d’un noble baron doutait de la fidélité de son époux, qui disparaissait trois nuits par semaine. Lorsqu’elle l’interrogea, il livra son secret. Frappé d’une malédiction, il était condamné à prendre régulièrement l’apparence d’un loup-garou, bisclavret en breton, et à vivre de sang et de violence. Il retrouvait forme humaine en renfilant ses vêtements, mais devenait loup dès qu’il les ôtait…
S’étant déclarée veuve, la baronne épousa son complice. Tous deux auraient sans doute coulé des jours heureux si le roi n’avait rencontré le loup-garou. Cerné et blessé par les chiens, le baron sut saisir une dernière chance. Serrant l’étrier du roi entre ses pattes, il lécha la botte de son ancien maître. Stupéfait, le roi ramena à la cour cette bête extraordinaire et en fit son animal favori, imposant à tous de le traiter avec respect. Empli de gratitude, le loup adopta une conduite modèle.
Sur ces entrefaites, le chevalier se présenta au château. Généralement docile, le loup-garou reconnut le traître et l’attaqua soudain, l’obligeant à quitter les lieux. Par la suite, le roi, accompagné du loup, rendit visite à la baronne infidèle. Se jetant sur elle, l’animal lui arracha le bout du nez. La vérité se fit jour. La baronne confessa son crime et restitua les vêtements de son mari, permettant ainsi à ce dernier de retrouver sa forme humaine.
L’Irlande possède également un riche folklore relatif aux loups-garous, peut-être parce que les loups y ont abondé très longtemps, alors qu’ils avaient été complètement éradiqués d’Angleterre. À une époque, l’île fut même appelée « terre des loups » et l’on créa, par croisement de races, le formidable lévrier d’Irlande ; sorte de chien-loup « aux os et aux pattes plus gros que ceux d’un cheval » selon l’expression d’un écrivain du XVIe siècle.
22
Dans son livre intitulé Topographia Hiberniae (Topographie de l’Irlande. Section 2 chapitre 19), le moine Giraud de Cambrie nous a rapporté la mésaventure d’un prêtre et d’un garçon qui avaient quitté l’Ulster pour se rendre dans le comté de Meath.
Une nuit, ils firent halte dans une forêt inconnue et allumèrent un feu sous un grand arbre. Soudain surgit un loup qui leur déclara : « Ne vous alarmez pas, n’ayez nulle crainte ». Il se présenta comme un homme ayant autrefois habité avec son épouse l’ancien comté d’Ossory, dans le sud-ouest du Leinster. Pour une raison inconnue, ce royaume avait été frappé d’une malédiction : tous les sept ans, un couple de villageois était condamné à se transformer en loups. Si les époux survivaient à cette épreuve, il leur était permis de retrouver leur forme humaine à l’issue de la septième année et de rentrer chez eux. Un autre couple devait alors prendre leur place. Lui et sa femme avaient accompli une partie de la peine, mais son épouse était tombée malade et pouvait mourir d’un moment à l’autre. Ayant terminé son récit, le loup se tourna vers le prêtre et lui dit : « Je vous en conjure, par charité, venez la réconforter en lui apportant l’aide de l’Église ». Il souhaitait que son épouse reçût les derniers sacrements afin de connaître une fin chrétienne.
Le prêtre accepta. Il suivit le loup dans de profonds sous-bois où ils découvrirent la louve cachée dans un tronc d’arbre creux. La bête poussait de « tristes soupirs humains ». Bien que disposé à accomplir le rite ultime le prêtre hésitait à offrir l’hostie consacrée.
Le loup, déchirant à l’aide de ses griffes, le pelage couvrant la tête de sa compagne, révéla son visage de vieille femme. Quand le prêtre, enfin convaincu, eut achevé ses prières, le loup les reconduisit à leur bivouac. Et, le lendemain matin, il les escorta jusqu’à l’orée de la forêt.
L’histoire ne dit pas quel fut par la suite le sort des animaux. Mais, pour attester la véracité de son récit, Giraud prétendit que l’incident avait été rapporté à Rome pour y recueillir l’opinion du pape en personne.
Il est impossible de distinguer la fantaisie du réel dans de tels récits, mais ce qui est sûr, c’est que les divers récits romancés faisant intervenir des loups-garous ont longtemps fleuri dans l’Ancien Monde ; frappant l’imagination d’un vaste public largement disposé à croire aux transformations homme-animal.
Malgré le célèbre épisode de la pythonisse d’Endor, qui fit apparaître le spectre de Samuel, ou le diable métamorphosé en Samuel, à Saül (1er Livre de Samuel, chapitre XXVIII – versets 3 à 20) ; la Bible ne fournissant aucune indication à cet égard, les théologiens de l’Église furent dans l’obligation de trouver une explication rationnelle. Tâche difficile !
En reconnaissant que Satan pouvait effectivement transformer les êtres humains en loups, ils contredisaient formellement l’une des doctrines essentielles de la religion chrétienne, à savoir que seul Dieu possède le pouvoir de créer. Mais, si les sorciers et les démons étaient incapables de créer un loup, pouvaient-ils au moins projeter leur âme/esprit dans le corps de cet animal ? Là encore, la doctrine répondait par la négative. Une telle métamorphose aurait constitué une altération de la réalité divine, impliquant que l’individu métamorphosé, homme ou démon, possédait des pouvoirs équivalant à ceux de Dieu.
Le cas Grenier en 1603 contribua à modifier l’attitude des juges à l’égard des loups-garous. Le responsable de la commission d’enquête qui étudia les circonstances de ses crimes le jugea incapable de formuler une pensée rationnelle.
« La métamorphose en loup n’intervenait que dans le cerveau désorganisé de l’aliéné, écrivit l’avocat. En conséquence, il ne s’agissait pas d’un crime punissable ».
Que les tribunaux aient eu, ou non, une révélation, les juges commencèrent néanmoins dès lors à considérer les cas de loups-garous avec une sorte de tolérance. De nombreuses explications ont été avancées au fil des siècles. Selon certains, le démon était capable de troubler l’imagination au point « que sa victime croit véritablement s’être métamorphosée en loup et avoir couru la campagne en tuant hommes et bêtes ».
Dans son ouvrage de 1621, intitulé Anatomy of Melancoly, Robert Burton considère également la lycanthropie comme une forme de démence.
Si tant est que ces suppositions fussent fondées, elles restèrent sans effet. La population effrayée préféra les explications de type magique. Si les loups étaient un fléau naturel, comparable à la peste
23
ou à la famine, les loups-garous devaient être considérés comme des manifestations surnaturelles du mal.
Plus près de nous dans le temps le numéro d’octobre 1977 de l’American Journal of Psychiatry relate l’histoire d’une femme de quarante-neuf ans qui se prenait pour un loup.
Se fondant sur ces symptômes, ses médecins purent tracer le profil psychologique du lycanthrope type, guère différent des conclusions de certains médecins et penseurs éclairés d’antan. Ils considèrent que le lycanthrope souffre (1) de schizophrénie (2) d’un syndrome cérébral organique accompagné de psychose (3) d’une réaction dépressive psychotique (4) d’une névrose hystérique de type dissociatif (5) d’une psychose maniaco-dépressive et (6) d’épilepsie psychomotrice.
Bien que de tels symptômes semblent s’appliquer aux nombreux cas de lycanthropie enregistrés au fil des années, ils n’expliquent pas tout. L’image obsédante du loup-garou, aux yeux rouges, aux ongles écarlates, au corps velu et à la peau rugueuse, demeure inexpliquée. Peut-être est-ce une lointaine réminiscence des légendes concernant les guerriers d’élite en proie aux fureurs guerrières que les Celtes assimilaient à des loups (voir le nom de tribu des Volques).
Il n’est pas exclu non plus que certains « loups-garous » aient été les tragiques victimes de la rage. Ce virus, véhiculé par les chiens, les loups et d’autres mammifères, y compris les chauves-souris en Amérique, transmet une maladie qui mine le système nerveux central. Elle crée chez les humains une excitation incontrôlable et provoque des contractions douloureuses des muscles de la gorge, qui empêchent le malade de boire. En l’absence d’intervention médicale, la mort intervient généralement trois à cinq jours après l’apparition des premiers symptômes.
Une autre maladie peut avoir été confondue avec la lycanthropie. Il s’agit de la porphyrie (rien à voir avec Porphyre de Tyr évidemment), trouble génétique rare qui conduit à une déficience pigmentaire dans les cellules des globules rouges. Lors du colloque organisé en 1985, par l’American Association for the Advancement of Science, David Dolphin a souligné la coïncidence des symptômes de la porphyrie avec de nombreuses caractéristiques décrites chez les lycanthropes. Il a notamment cité une forte photosensibilité, qui provoque de grandes douleurs chez les malades confrontés à la lumière du jour et les force à vivre dans une quasi-obscurité. En outre, à mesure que la maladie évolue, l’apparence de la victime devient de plus en plus morbide. Sa peau se décolore et une forme d’hypertrichose (développement inhabituel de la pilosité sur le visage et le corps) peut apparaître. Le malade tend à développer des lésions et des ulcérations cutanées qui finissent par attaquer le cartilage et les os, provoquant une détérioration progressive du nez, des oreilles, des paupières et des doigts. Les dents ainsi que les ongles et la chair adjacente peuvent prendre une couleur rougeâtre ou ocre en raison du dépôt de porphyrine, un composant de l’hémoglobine du sang. Cette maladie est souvent accompagnée de désordres mentaux, de diverses formes d’hystérie ou de délire, en passant par des psychoses maniaco-dépressives. Cette affection étant congénitale, les cas de lycanthropie peuvent avoir proliféré en des lieux précis. À une époque où la médecine n’en était qu’à ses balbutiements, la malheureuse victime de cette maladie pouvait donc facilement devenir un paria et un bouc émissaire, son mal étant attribué à l’intervention de forces démoniaques.
Nous ne connaîtrons jamais la, ou plutôt les religions, des hommes du postglaciaire.
Des rites magiques le plus souvent liés à la chasse que l’on devine complexes, il ne reste plus rien ! Que des chaînes de symboles sur les rochers et les parois, seuls témoignages avec les rares documents issus de fouilles, des techniques et mythologies chamaniques, expression stricto sensu du phénomène religieux sibérien et centre asiatique, hérité de la Préhistoire. Des Lapons aux Tchouktches de Sibérie orientale, des Yakoutes ou Toungouzes au-delà du cercle arctique, aux Bouriates du lac Baïkal et aux Mongols. Des preuves ont été retrouvées, attestant la pratique du chamanisme au moins dès le Paléolithique. Nombre de grottes étaient le lieu de cérémonies rituelles, et leurs parois peuvent être décorées de figures mi-humaines, mi-animales, comme le célèbre « sorcier » de la grotte des Trois-Frères, en Ariège.
L’élan ou encore le renne et le cerf sans cesse répétés, les oiseaux aquatiques et les mammifères marins, le cheval, l’ours, le poisson, le sanglier et le chien aux contours piquetés ; sans cesse changeant au gré des rayons plus ou moins obliques du soleil levant, au zénith et enfin couchant ; perpétuent la mémoire d’une multitude de peuples de l’immensité du continent eurasiatique, ayant tous en partage une communion intime avec l’univers ou bitos perçu autrement.
Le chamanisme n’est pas une religion : c’est une pratique, une technique qui permet un « vol spirituel » d’ordre onirique. Souvent à l’aide d’hypnotiques ou d’hallucinogènes, le chaman sort de son corps et entre en contact avec des entités spirituelles de nature totémique. En cas de pénurie de
24
gibier, le chaman entre en transe, et son âme/esprit (anaon), libérée de son corps, part à la rencontre de l’âme/esprit tutélaire des animaux. Une fusion de type totémique – un être humain pouvant se placer sous la protection spécifique de telle ou telle âme/esprit de forme animale et entretenir avec cette âme/esprit des relations privilégiées – peut avoir lieu.
Ces expériences de sortie hors du corps, d’état de conscience modifié et de perception de réalités différentes ne sont pas sans rappeler les récits d’EMI ; narrés par les personnes qui, déclarées cliniquement mortes, ont été réanimées, et rapportent ce qu’elles ont vu, aux portes de la mort.
Pour que son âme/esprit (anaon) puisse quitter son corps et rejoindre le monde éthéré des âme/esprits protectrices qu’il sollicitera, le chaman absorbe des psychotropes hallucinogènes. Une pratique multimillénaire.
En Amérique latine, les adeptes du néo-chamanisme recourent aussi volontiers aux plantes psychoactives. Les membres du Santo Daime, une secte partie du Brésil, prennent tous de l’Ayahuasca, un breuvage réservé aux chamans.
Ces pratiques reposent sur l’idée que le monde est une construction de l’esprit. Il suffirait de bousculer un peu nos catégories mentales pour le voir différemment, avec davantage d’acuité, et se découvrir des facultés paranormales.
Les chimistes attribuent le pouvoir de l’ayahuasca des chamans à l’association synergique entre la liane Banisteriopsis caapi et les feuilles de l’arbuste Psychotria viridis. Les alcaloïdes présents dans la décoction accroissent le taux de sérotonine, l’hormone du bonheur. Les ethnologues parlent volontiers d’un effet enthéogène (sentiment du divin en soi) ou empathogène (qui permet de se mettre à la place de l’autre) plutôt qu’hallucinogène. Il est malvenu de parler d’hallucinations, puisque les aislingi ou visions des chamans, loin d’être les productions de leur imagination, sont à leurs yeux bien plus réelles que les perceptions du monde ordinaire.
Répétons-le encore une fois ! Contrairement à ce que pensent nos amis musulmans à propos de certains juifs transformés en singes ou en porcs, il n’y a dans de tels cas aucune transformation réelle d’un être humain en animal, hormis pour ce qui est de certains détails ou de certains comportements (poils hérissés, pupilles dilatées…).
La seule chose qui peut se transformer, mais de façon toujours très temporaire, voire éphémère, c’est le psychisme ou le mental de l’individu et certains de ses sens, qui peuvent être démultipliés jusqu’à égaler ceux des animaux. On peut avoir des yeux de lynx, avoir l’ouïe plus fine, etc. Ainsi que l’avait déjà noté Charcot en son temps, la force d’une épileptique peut, par exemple, être décuplée en cas de crise.
Mais tout ceci ne fait en aucun cas de l’homme un animal, ni même un homme dans un corps d’animal.
Par contre, et là, nous sommes d’accord avec Porphyre (voir son analyse de la résurrection des corps et de la fin du monde) ; quels que soient les moyens utilisés (prières, entraînement ad hoc ou drogues diverses) jamais un homme ne pourra, par ses propres moyens, voler comme un oiseau.
25
CELSE.
Celse a vécu au deuxième siècle, sous la dynastie des Antonins. Il est donc antérieur à Porphyre et à Julien. Il est l’auteur d’un ouvrage, le Logos Alèthès, Discours Vrai ou Discours Véritable, dans lequel il a consigné son argumentation sur le christianisme de son époque. L’ouvrage ne nous a pas été transmis, mais il est en partie connu par une réfutation attribuée à Origène, le Contra Celsum – le Contre Celse —.
Nous connaissons un peu la biographie de Porphyre, et plus encore celle de Julien ; Celse par contre nous est pratiquement inconnu. De la personne et de la vie de Celse, nous ne savons que ce qu’il nous confie lui-même dans son ouvrage, et donc à travers ce que nous rapporte, avec beaucoup d’incertitudes, son adversaire Origène.
Les recherches effectuées par Schwartz confirment que l’auteur du Discours Véritable est bien le Celse lié d’amitié avec Lucien de Samosate et il semble au fond avoir partagé le scepticisme du grand rieur de Samosate.
Celse apparaît, au dire de Lucien (dans son traité sur Alexandre d’Abonotique § 5) comme étant également l’auteur d’un traité contre les magiciens – kata magon — ; et le Discours Véritable semble constituer un développement, axé sur la christologie, de ce « Contre les magiciens » ; un ouvrage aussi beau qu’utile, fait pour inspirer la sagesse et la prudence à tous ceux qui le liront.
Celse croit en un Dieu-ou-démon supérieur, trop élevé au-dessus du Monde pour s’en occuper dans le détail, et qui délègue cette mission à des êtres subalternes : démons, génies, dieux païens, anges, selon les religions. Ce n’est donc pas, à proprement parler, un libre penseur ou un athée. Il mérite néanmoins de susciter notre intérêt.
Il éprouve à l’égard des cultes orientaux le plus profond mépris, en fustige ceux qui croient sans raison aux prêtres mendiants de Cybèle et aux devins, aux dévots de Mithra et de Sabazios ; à tout ce que l’on peut rencontrer, apparitions d’Hécate ou d’autres démons du même genre…
Sa critique méthodique, au nom de la raison, du christianisme naissant, est la première réaction écrite du monde païen face à cette nouvelle religion.
Sa principale préoccupation est le salut du pays. Il pense, avec lucidité, qu’un triomphe du christianisme entraînerait une baisse du patriotisme [il aurait sans doute dit la même chose de l’islam s’il avait vécu à notre époque].
Le « Discours Vrai » est une analyse sans sectarisme, mais développée avec rigueur, honnêteté et sincérité. Celse met en lumière les contradictions de la « nouvelle religion » que les libres penseurs reprendront à partir du XVIe siècle. Il accuse les chrétiens d’être des « sans-patrie » tout en essayant de leur montrer qu’ils peuvent, sans trahir leur foi, vivre en paix avec l’Empire romain, s’ils remplissent leurs devoirs de citoyen.
Celse reproche aux chrétiens de professer une foi nouvelle ne reposant sur aucune base rationnelle. Il connaît des passages de la Bible et se sert sans doute d’un ouvrage juif antichrétien antérieur.
L’œuvre de Celse constituerait pour nous, si elle avait pu échapper aux bûchers de l’inquisition, une incomparable source d’informations. Il est hors de doute que Celse a connu mieux qu’aucun autre écrivain le christianisme et les livres qui lui servaient de base, notamment ceux du courant chrétien gnostique. Origène, malgré sa remarquable instruction, s’étonne d’avoir encore tant de choses à apprendre de lui.
L’ouvrage a donc disparu, mais soixante-dix ans plus tard, entre 246 et 249, Origène en rédigea une réfutation en huit livres intitulée Contra Celsum, citant abondamment l’ouvrage et répondant à chaque argument. Pour construire son argumentation, Origène a, en effet, recopié une grande partie du texte de Celse (évaluée à 70 % en mot à mot plus 20 % en substance ou idée). Une reconstitution de plus de trois quarts de l’ensemble de l’ouvrage a donc pu être réalisée.
AVERTISSEMENT PRÉALABLE.
26
Ce que dit Celse dans ce livre n’est pas facile à comprendre, pour plusieurs raisons.
La première est qu’Origène ne publie pas ou n’édite pas le livre de Celse, mais l’analyse ou le commente, et qu’il n’est donc pas toujours facile de distinguer le texte de Celse de son commentaire par Origène. Qui d’ailleurs n’avait pas intérêt à rendre la pensée de Celse lumineuse et attrayante.
La seconde est qu’il s’agit de modes de pensée ou de voir le monde qui ne sont plus les nôtres. Nous ne sommes plus dans les mêmes civilisations. Celse semble distinguer en effet 2 niveaux de divin. L’être suprême, ineffable, en quelque sorte un deus otiosus très au-dessus des affaires de ce monde et une ou plusieurs divinités inférieures, esprits génies ou démons, à qui il a délégué son pouvoir de création, en charge des affaires de ce monde. La traduction d’Origène n’arrange pas les choses.
La troisième est qu’il y a fallu plusieurs traductions successives pour que ce texte arrive jusqu’à nous. Du grec à notre langue en passant par le latin.
Traduire le terme grec de « daïmon » par « démon » par exemple n’a peut-être pas été une bonne idée. Le mot daïmon en grec avait en effet une signification tout à fait différente de celle que nous lui donnons aujourd’hui après 2000 ans de Judéo-christianisme. Le daïmon au départ n’est qu’une sorte de dieu ou de génie inférieur, parfois hostile à l’homme, mais pas toujours.
Le démon de Socrate était son intuition et sa prémonition. « Ce petit quelque chose qui vous prend, vous emporte et vous force » à quitter un lieu où se déroulera une rixe, une bagarre, une manifestation, une avalanche ou une catastrophe juste après votre départ. L’ange gardien ou la bonne fée en sont les formes religieuses. Les travaux sur la transe chamanique, sur les expériences psychédéliques liées à la prise de L. S. D., sur l’hypnose ou sur la méditation, incitent à introduire une hiérarchie des états de conscience. Le daïmôn ou l’intuition serait l’un d’entre eux.
DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE.
Le daïmon ou démon de Socrate avait tant de réputation, qu’Apulée, l’auteur de l’Âne d’or, qui d’ailleurs était magicien de bonne foi ; dit dans son Traité sur le dieu de Socrate, qu’il faut être sans religion pour le nier. Vous voyez qu’Apulée raisonnait précisément comme frère Garasse et frère Berthier. « Tu ne crois pas ce que je crois, donc tu es sans religion ». Et les jansénistes en ont dit autant à frère Berthier, et le reste du monde n’en sait rien. Ces démons, dit le très religieux et très ordurier Apulée, sont des puissances intermédiaires entre l’éther et notre basse région qu’est la terre. Ils vivent dans notre atmosphère, ils portent nos prières et nos offrandes aux dieux. Ils en rapportent les secours et les bienfaits, comme des interprètes et des ambassadeurs. C’est par leur ministère, comme dit Platon, que s’opèrent les révélations, les présages, les miracles des magiciens.
« Caeterum sunt quaedam divinae mediae potestates…… Per hos eosdem, ut Plato in Symposio autumat, cuncta denuntiata, et magorum varia miracula, omnesque praesagiorum species reguntur » (Apulée, De deo Socratis).
C’est puissamment raisonner.
Comme je n’ai jamais vu de génies, de démons, de péris, de farfadets, soit bienfaisants, soit malfaisants, je n’en puis parler en connaissance de cause, et je m’en rapporte aux gens qui en ont vu.
Conclusion. Il n’est pas de culture qui n’ait d’esprits, d’anges, d’archontes, d’archanges, de génies, de démons, de démiurges, de fravashis, de djinns, de chérubins, de séraphins, d’éons, d’elfes, de farfadets, de muses, ni de fées. La seule question est de savoir si l’on en fait des êtres extérieurs appartenant à l’institution officielle (les anges de la Hiérarchie céleste, pour l’Ecclésia d’où l’Église) ; ou si on les repousse, par exclusion, dans la géhenne du feu de l’Enfer ou des Enfers.
Bref, la traduction par « génie » ou « esprit » aurait peut-être été meilleure. D’où notre utilisation parfois dans cet essai des termes « génie » ou « esprit » pour rendre le grec « daïmon ».
N’oublions donc pas QUE CE QUI SUIT N’EST PAS L’ŒUVRE AUTHENTIQUE DE CELSE, MAIS CE QUE L’ON PEUT EN DEVINER D’APRÈS LA RÉFUTATION QU’ORIGÈNE EN A FAITE SANS PEUR D’ÊTRE CONTREDIT PAR CE DERNIER ET POUR CAUSE.
Son point de départ est essentiellement fait des remarques d’Origène, mais…
— Retravaillées en ce qui concerne la traduction.
— Présentées dans un ordre différent qui nous a semblé plus judicieux.
27
LOGOS ALÈTHÈS OU DISCOURS VRAI.
CELSE ET LE JUDAÏSME.
Il existe un récit crédible des tout débuts du monde à propos duquel il y a consensus dans les nations les cités ou chez les hommes les plus savants. Le monde est incréé et incorruptible, seul ce qui est sur terre a subi des déluges et des embrasements, mais ces cataclysmes ne se produisent pas en même temps.
Moïse ayant appris cette doctrine répandue au sein des nations les plus sages et chez les hommes les plus instruits, s’est forgé la réputation d’être inspiré par Dieu. Ces gardeurs de chèvres et de brebis en ont conclu qu’il n’y avait qu’un seul Dieu, qu’ils ont appelé soit le Très-Haut, Adonaï, le céleste, Sabaoth, ou qu’ils ont désigné par un autre de ces noms qu’ils se plaisent à lui donner en ce monde ; et n’en surent pas plus.
Mais il importe peu que le Dieu qui règne sur toutes choses soit désigné par le nom de Zeus, ce qui est la règle chez les Grecs, ou par celui, par exemple, qui est en usage chez les Indiens ou les Égyptiens.…………
Moïse et les prophètes, qui leur ont laissé ces livres, ne connaissant rien de la nature du monde et de l’homme, leur ont légué un tissu d’absurdités. Leur cosmogonie est extrêmement puérile. Leur idée la plus stupide est, de loin, l’étalement de la création du monde sur plusieurs jours, avant même que les jours soient : car, comme le ciel n’avait pas encore été créé, ni les fondements de la terre déjà jetés, et que le soleil n’existait pas encore, comment pouvait-il y avoir des jours ?
En outre, quand on y réfléchit bien, n’est-il pas absurde dans le cas du premier et plus grand Dieu, de commander : Que cette première chose soit, et cette deuxième chose, et cette troisième ; et après avoir tant fait le premier jour, de faire beaucoup plus encore le deuxième et le troisième, et le quatrième et le cinquième et le sixième ? Après cela, évidemment, il est fatigué, comme un très mauvais ouvrier qui a besoin de repos !
Or il est n’est pas conforme à l’ordre des choses que le grand Dieu puisse ressentir de la fatigue, ou travailler de ses mains, ou donner des ordres.
Il n’a ni bouche ni voix.
Il ne possède rien d’autre dont nous ayons quelque connaissance.
Encore moins a-t-il fait l’homme à son image ; car le grand Dieu n’est pas ainsi ni comme toute autre espèce de créature tangible.
Le grand Dieu n’a ni forme ni couleur ni même de « mouvement ».
Il est indicible.
Il ne peut pas être rendu par un nom.
Il n’a subi aucune souffrance qui puisse être rendue par des mots, car Dieu est inaccessible à toute souffrance.
COMMENTAIRE D’ORIGÈNE.
En se référant aux passages des Histoires autres que celle des Saintes Écritures, assignant la plus grande antiquité à de nombreuses nations, comme les Athéniens, les Égyptiens, les Arcadiens, et les Phrygiens, qui affirment que certains d’entre eux ont jailli de la terre, et qui apportent tous des preuves de ces affirmations, Celse écrit…
« Leur récit de la création de l’homme est excessivement puéril. Les Juifs, menant une vie d’esclaves dans un coin de la Palestine, et formant un peuple totalement inculte, n’ayant jamais entendu que ces questions avaient déjà été mises en vers il y a longtemps par Hésiode et d’innombrables autres hommes inspirés, produisirent alors un tissu d’histoires toutes plus incroyables et insipides les unes que les autres, à savoir qu’un premier homme avait été formé par le grand Dieu, qui avait insufflé en lui le souffle de la vie, et qu’une femme avait été tirée de son flanc, que le grand Dieu leur avait donné certains ordres, mais qu’un serpent s’y était opposé, et l’avait emporté sur les commandements de Dieu, reprenant ainsi des fables de vieilles bonnes femmes, et de la façon la plus impie qui soit
28
représentant le grand Dieu comme un être sans force au tout début (des choses), incapable de convaincre même le seul être humain qu’il avait formé directement .
------------------------- ------------------------------------------------------------------------ ------------------------------- -----
Contre-lai N° 3.
Il va de soi que nous ne pouvons cautionner cette critique du judaïsme qui tombe sous le coup des lois antiracistes prises par notre pays ; mais Celse n’était pas apparemment subjugué par la profondeur philosophique des écrits bibliques ni par la personnalité de Moïse (qui fut tout sauf un grand démocrate) ; et il le faisait savoir puisqu’il était encore possible de le dire à son époque. Après Constantin ce ne sera plus possible.
------------------------------------------------------------------------------ -------------------------------------------------- ------
Celse poursuit en se moquant de l’idée même que le Pouvoir du Dieu universel puisse se mêler des choses d’ici-bas comme si c’étaient des éléments étrangers à lui-même.
Comme si un dispositif de sabotage mis en place à son insu, comme s’il venait d’un créateur différent du grand Dieu, mais avait été toléré par la Divinité suprême, avait besoin d’être désamorcé.
Eh quoi, le grand Dieu, après avoir délégué son pouvoir au créateur, le réclame de nouveau ? Quel est le dieu qui donne quelque chose avec l’intention d’en réclamer la restitution ? Car exiger la restitution (de ce qu’on a donné) est la marque d’un esprit qui a besoin de quelque chose, alors que le grand Dieu n’a besoin de rien.
Pourquoi, quand il a délégué (son pouvoir), ignorait-il qu’il le confiait à un être maléfique ?
Pourquoi envoie-t-il ensuite en sous-main un serpent pour contrecarrer ses desseins ?
Pourquoi l’envoie-t-il en secret, afin de détruire l’œuvre du créateur ? Pourquoi ce serpent use-t-il en secret de la force, de la séduction, et de la tromperie ?
Pourquoi attire-t-il à lui ceux qui [ainsi que vous l’assurez] ont été condamnés par leur créateur, et les emmène-t-il au loin comme un marchand d’esclaves ?
Pourquoi ce serpent leur apprend-il à voler quand leur Seigneur n’est pas là ? À fuir leur père ?
Pourquoi les réclame-t-il pour lui-même à l’encontre de la volonté de leur père ?
Pourquoi prétend-il être le père d’enfants étrangers ?
Admirable en effet, est le dieu qui veut adopter ces pécheurs condamnés (par un autre dieu), des misérables et, comme ils disent eux-mêmes, des rebuts (de la société), et qui est incapable de rattraper puis de châtier son messager [le serpent], qui lui a échappé !
Si c’est bien là son œuvre, comment le grand Dieu a-t-il pu créer le mal ? Comment est-il possible qu’il ne réussisse point à persuader (les hommes) ? Et qu’il se repente devant leur ingratitude et leur méchanceté ? En outre il en rejette la faute sur ceux qu’il a faits lui-même, les haït, les menace, et finalement détruit sa propre progéniture ?
Mais s’il ne détruisait pas sa propre progéniture, où pourrait-il bien la relocaliser puisque c’est lui-même qui a créé ce monde ?
--------------------------- ----------------------------------------------------------------------------------------------------- ------
Contre-lai N° 4.
Bref, Celse souligne là le puéril anthropomorphisme des judéo-islamo-chrétiens, un anthropomorphisme qu’ils n’arrêtent pourtant pas de dénoncer chez les autres. Comment dit-on déjà ? Ah oui : se moquer de la paille que quelqu’un a dans l’œil, alors que soi-même c’est une poutre que l’on a dans le sien.
Dans ce qui suit, Celse va s’en prendre encore une fois aux chrétiens de type gnostique (on a en effet parfois l’impression qu’il ne connaît qu’eux) qui distinguent trois entités bien différentes.
La première, que ces chrétiens appellent le grand dieu, le dieu souverain, et qui, selon eux, est bien trop au-dessus de tout ceci pour s’en préoccuper.
La deuxième qu’ils appellent le créateur de ce Monde, l’ouvrier du Monde, le démiurge, est Dieu au sens où l’entendent habituellement nos compatriotes judéo-islamo-chrétiens. Le dieu-ou-démon d’Abraham d’Isaac et de Jacob, créateur du ciel et de la terre, de l’Homme, bref Dieu nom de Dieu !
La troisième entité à laquelle font allusion ces chrétiens (de sensibilité gnostique) est le fameux serpent tentateur de la Bible juive ; ennemi juré du Dieu démiurge créateur, sabotant son travail en sous-main, mais aussi seul ami sincère de l’Homme selon eux.
---------------------------- ---------------------- -------------------------------------------------- ---------------------------- ----
Ils parlent ensuite d’un déluge, d’une arche monstrueuse, contenant tout en son sein tous les animaux, et d’une colombe ainsi que d’un corbeau utilisés comme messagers, falsifiant et altérant ainsi impunément l’histoire de Deucalion ; en n’imaginant pas, je suppose, que tout ceci serait un jour
29
mis en en lumière, mais en imaginant qu’ils inventaient là simplement des histoires pour endormir les enfants.
Tout aussi absurde est l’histoire de l’engendrement des héritiers…
Note de la rédaction. De la longue présentation gênée, qui suit, de l’argumentation de Celse, par Origène, on peut déduire et restituer en substance le discours suivant.
Toutes leurs autres histoires sont du même acabit : la conspiration des frères, les tromperies de mères ; Dieu donnant à ses fils des ânes, des brebis et des chameaux, et des puits aux Justes ; puis encore des rivalités fraternelles, l’horrible vengeance des deux frères contre ceux de Sichem, l’aventure de Loth et de ses filles plus abominable que le crime de Thyeste ; les frères vendeurs, le frère vendu, le père trompé, les songes du grand panetier et du grand échanson du monarque et ceux de Pharaon lui-même expliqués par Joseph, la délivrance et la merveilleuse fortune de ce dernier ; les frères poussés par la famine en Égypte, la scène de la reconnaissance, le transport du corps du père au tombeau ; et l’illustre et divine race des juifs, après avoir prospéré en Égypte et s’y être multipliée grâce à Joseph, recevant ensuite l’ordre d’aller habiter au-delà des limites du royaume, et de faire paître ses troupeaux dans des régions inconnues.
Les Juifs ne sont donc que des hommes ayant fui l’Égypte, qui n’ont jamais fait quoi que ce soit digne d’être mentionné, et qui ne sont ni estimés ni considérés par personne puisque aucun événement remarquable de leur histoire n’a été enregistré par les Grecs.
Je préfère montrer que la nature enseigne ceci : à savoir que le grand Dieu ne fait rien qui soit mortel, et que ses œuvres, quelles qu’elles soient, sont immortelles, mais que les leurs sont mortelles. Et l’âme est l’œuvre du grand Dieu, tandis que la nature du corps est différente. Et à cet égard, il n’y a pas de différence entre le corps d’une chauve-souris, ou d’un ver ou d’une grenouille, et celle d’un homme ; car leur matière est la même, et leur partie sujette à corruption identique. Une commune nature imprègne les corps mentionnés précédemment, une nature qui va et vient tout en restant identique malgré les changements successifs.
Aucun produit issu de la matière n’est immortel. Sur ce point, ces remarques suffisent ; et qui est capable d’entendre et de pousser plus loin son examen finira par savoir (la vérité).
Rien de tangible n’a été donné à l’homme (par le grand Dieu), mais tout naît et meurt dans l’intérêt du bon fonctionnement de l’ensemble en passant, conformément au changement que j’ai déjà mentionné, d’un état à un autre.
Il n’y aura jamais ni plus ni moins de bien chez les mortels. Il n’y a jamais eu jadis, et il n’y a pas maintenant, et il n’y aura jamais, plus ou moins de mal dans le monde (qu’il n’y en a toujours eu). Car la nature de toute chose est une et identique, et l’occurrence du mal est toujours la même.
Il est difficile, pour qui n’est pas philosophe de déterminer l’origine du mal, mais il nous suffira de dire pour la multitude qu’il ne vient pas du grand Dieu, qu’il est inhérent à la matière, et a sa source dans ce qui est mortel ; le cours des choses mortelles étant le même du début à la fin, les mêmes choses doivent toujours, conformément auxdits cycles, se reproduire dans le passé, le présent et l’avenir.
Même si une chose peut vous sembler mauvaise, il est loin d’être certain qu’il en est ainsi ; car vous ne savez pas si cela ne constitue pas un bien pour vous ou autrui, ou pour l’univers dans son ensemble. Dieu n’a donc pas besoin de modifier son travail. Et Dieu n’amende pas ce monde comme un homme qui a mal dessiné une pièce de son œuvre, ou qui l’a réalisée maladroitement, en le nettoyant par l’eau ou par le feu.
------------ ----------- --------------------------- ----------------------------- ------------------------------------- ----------------
Contre lai N° 5.
Celse va ensuite critiquer la conception judéo-islamo-chrétienne comme quoi l’univers n’a été créé que pour l’homme (anthropocentrisme).
--------------- ----------- ---------------------------------------------- ------------------------------------- -----------------------
Mais afin de ne pas parler ici seulement des Juifs (ce qui n’est pas mon objet), mais de l’ensemble de la nature, ainsi que je l’ai promis, je vais exprimer plus clairement ce qui a déjà été dit : ce qui est venu à l’existence n’a pas été fait plus pour le bien de l’homme que pour celui des animaux non doués de raison.
COMMENTAIRE D’ORIGÈNE.
30
Celse et ceux qui pensent comme lui affirment donc que ce qui a été créé ne l’a pas été plus pour pourvoir aux besoins des êtres doués de raison que pour ceux des plantes, des arbres des herbes, ou des épines.
Le tonnerre, les éclairs, et la pluie, ne sont pas des manifestations de Dieu.
Même si l’on devait accorder que ce sont là des manifestations de Dieu, ces manifestations ne sont pas plus faites pour nous autres êtres humains, que pour les plantes les arbres les herbes, ou les épines.
Bien que l’on puisse dire que tout ceci, à savoir les plantes les arbres les herbes et les épines, est effectivement utile à l’homme, pourquoi soutenir qu’ils croissent pour l’usage des hommes plutôt que pour celui du plus sauvage des animaux dénués de raison ?
Nous gagnons en effet par le travail et la souffrance une maigre et pénible subsistance, alors que tout est à leur disposition sans semailles ni labour.
Et si vous voulez citer le dicton d’Euripide, comme quoi « Le Soleil et Nuit ont été faits esclaves des mortels esclaves », pourquoi devraient-ils l’être dans une plus grande mesure pour nous que pour les fourmis et les mouches ? Car la nuit a été créée pour qu’ils puissent se reposer, et le jour afin qu’ils puissent voir et reprendre leur travail.
Si l’on devait nous dire les seigneurs de la création animale parce que nous chassons les autres animaux et vivons de leur viande, nous pourrions répondre : « Pourquoi n’est-ce pas nous plutôt qui avons été créés pour eux, car ils nous chassent et nous dévorent » ? Nous, nous avons besoin de filets et d’armes, et de l’aide de beaucoup de gens, ainsi que de chiens, quand nous chassons ; alors qu’eux sont directement et spontanément pourvus par la nature d’armes qui nous mettent facilement à leur merci. En ce sens, Dieu a plutôt soumis les hommes aux bêtes sauvages que le contraire.
En ce qui concerne votre affirmation, que Dieu nous a donné la faculté de capturer les bêtes sauvages, et d’en user à notre guise, nous répondrons que, selon toute probabilité, avant que des villes aient été construites, et les arts inventés, et des sociétés telles que celles qui existent maintenant constituées, ou des armes et des filets utilisés, les hommes étaient généralement capturés et dévorés par les bêtes sauvages, tandis que les bêtes sauvages, elles, étaient rarement capturées par les hommes.
Si les hommes paraissent être supérieurs aux animaux non doués de raison parce qu’ils ont construit des villes, et jouissent de constitution politique, de diverses formes de gouvernement, ou souverainetés, cela ne prouve rien, puisque les fourmis et les abeilles font de même. Les abeilles, en effet, ont une reine, qui a des suivantes et des ouvrières ; et il y a chez elles des guerres et des victoires, des massacres de vaincus, des villes et des banlieues, une succession de travaux, et la condamnation des fainéantes et des nuisibles ; car les faux-bourdons sont chassés et tués.
Les fourmis gardent à proximité dans un endroit à part les graines qui sont en train de germer, afin qu’elles ne puissent pas bourgeonner, mais puissent continuer à leur servir de nourriture tout au long de l’année. Lorsque des fourmis meurent, les survivantes aménagent un lieu spécial (pour leur inhumation), et cet endroit devient leur sépulcre ancestral.
Quand elles se rencontrent, elles communiquent entre elles ? raison pour laquelle elles ne se trompent jamais de chemin ; par conséquent elles sont bien douées de raison, et ont des idées communes sur certains sujets généraux, ainsi qu’une voix grâce à laquelle elles s’expriment à propos de ce qui peut arriver.
------------ -------------- --------------------------------- ------------------------------------ ------------------------------ -------
Contre-lai N° 6.
Celse partage visiblement les préjugés de son temps à propos des fourmis et de leur mode de communication. Ce qui n’enlève rien à sa critique du puéril anthropomorphisme des judéo-islamo-chrétiens.
------------ --------------------------- ---------------------------------- -------------------------- ---------------------------------
Maintenant, vues du ciel, en quoi seraient nos actions sembleraient-elles différer de celles des fourmis et des abeilles ?
Chez certains individus de la création non douée de raison, il existe des pouvoirs magiques.
Mais si les hommes s’enorgueillissent du fait qu’ils ont des pouvoirs sorciers, alors même à cet égard les serpents et les aigles leur sont supérieurs ; car ils connaissent de nombreux remèdes contre les maladies, et aussi les vertus de certaines pierres qui aident à préserver leurs petits. D’ailleurs si les hommes tombent dessus, ils pensent avoir acquis ainsi une chose merveilleuse.
31
Si, parce que l’homme est capable de saisir l’idée de Dieu, il est considéré comme supérieur aux autres animaux, que ceux qui soutiennent cette opinion sachent que cette faculté pourrait être revendiquée par la plupart des autres animaux ; et à juste titre : que pourrait-on considérer comme plus divin en effet que la faculté de prévoir et prédire des événements ? Certains hommes par conséquent tiennent cet art des autres animaux, et en particulier des oiseaux. Et ceux qui écoutent les indications fournies par ces derniers acquièrent le don de prophétie. Si ces oiseaux et les autres animaux d’augure, qui sont capables grâce ce don de Dieu de prévoir des événements, nous en avertissent par des signes, cela montre peut-être alors qu’ils sont plus près de Dieu, qu’ils sont dotés par lui de plus de sagesse, et en sont plus aimés. Les plus fins observateurs, d’ailleurs, disent que les animaux ont des conciliabules qui sont plus sacrés que nos assemblées, et qu’ils savent ce qui se dit à ces réunions. Ils prouvent qu’ils en ont bien eu connaissance, quand, après avoir déclaré que ces oiseaux ont annoncé leur intention de partir en un lieu particulier, et de faire telle ou telle chose, la vérité de leurs assertions est démontrée par le départ des oiseaux à l’endroit en question, et par le fait qu’ils font bien ce qui avait été prédit. En outre aucune race animale ne semble être plus respectueuse des serments que les éléphants, ou montrer une plus grande dévotion envers les choses divines ; et ceci, je présume, uniquement parce qu’ils ont une certaine connaissance de Dieu.
---------- ----------------- ---------------------- --------------------------------- --------------------------------------------------
Contre-lai N° 7.
Celse évoque là certaines facultés animales : les migrations saisonnières, la capacité de sentir les orages arriver, l’hiver qui vient, etc. On dirait Hitchcock et son célèbre film sur les oiseaux ! Il est vrai que c’était une croyance très répandue de son temps. Nous ignorons par contre à quoi il fait allusion quand il parle des éléphants.
---------------- ---------------------------------- ------ --------------------------------------- -------------------------------------
Rien par conséquent n’a été fait spécialement pour l’homme, pas plus qu’il n’a été fait pour les lions les aigles ou les dauphins, mais ce monde, en tant qu’œuvre de Dieu, doit être parfait et complet à tous les égards. Car tout a été ajusté, non pas relativement à une chose ou l’autre, mais par rapport à sa contribution au tout. Dieu prend soin du tout, et sa providence ne l’abandonnera jamais. Il ne deviendra jamais pire, et ce grand Dieu ne le rappellera jamais à lui après un certain temps ; ni ne se fâchera à cause des hommes plus qu’à cause des singes ou des mouches ; ni ne menacera aucun de ces êtres, chacun d’entre eux a eu son destin fixé à la place qui lui est propre.
Immédiatement après, Celse, s’en prenant au premier livre de Moïse, qui est intitulé la « Genèse », affirme que les Juifs se sont efforcés de faire remonter leur origine à la première des races de jongleurs et d’arnaqueurs connue, en s’appuyant sur des mots obscurs et ambigus, dont le sens est entouré d’incertitude, et qu’ils ont interprétés à leur manière à l’intention des illettrés ou des ignorants, mais que de telles assertions n’ont jamais été remises en question au cours des nombreux siècles précédents, quoique à l’heure actuelle les Juifs en débattent avec d’autres.
Le second point qui soit propre à nous émerveiller concernant les Juifs, est qu’ils adorent le ciel et les anges qui demeurent là-haut, mais oublient et négligent ses éléments les plus vénérables et les plus puissants, comme le soleil, la lune, et les autres corps célestes, les étoiles fixes et les planètes, comme s’il était possible que « le tout » soit Dieu, mais que ses parties ne soient pas divines ; ou (comme si c’était raisonnable) qu’ils traitent avec le plus grand respect ceux qui semblent n’apparaître qu’à ceux qui sont plongés dans le noir quelque part, aveuglés par d’équivoques sorcelleries, ou qui font des rêves suscités par des ombres fantomatiques, alors que ceux qui prophétisent si clairement et de façon si saisissante à l’intention de tous les hommes, grâce auxquels la pluie, la chaleur, les nuages, le tonnerre (à qui ils vouent un culte) la foudre, les fruits, et toutes sortes de produits – au moyen desquels le grand Dieu se révèle à eux – surviennent,- les plus importants hérauts des êtres qui sont en haut,-ceux qui sont vraiment des anges célestes-, doivent être considérée comme n’ayant aucune importance !
Dans la mesure où les Juifs sont devenus un peuple particulier, et ont adopté des lois conformes aux coutumes de leur pays, qu’ils maintiennent jusqu’à présent, et observent un culte qui, quelle que soit sa nature, leur vient finalement de leurs pères, ils agissent à cet égard comme tout le monde, car chaque nation garde soigneusement ses coutumes héréditaires, quelles qu’elles soient, s’il s’avère qu’elles sont bien établies. Et un tel ordre des choses apparaît bénéfique, non seulement parce qu’il est venu à l’esprit des autres nations de régler certaines matières différemment, mais aussi parce qu’il est de notre devoir de défendre ce qui a été établi pour le bien public ; et aussi parce que, selon toute probabilité, les divers cantons de la Terre ont été dès le début assignés à différents esprits directeurs,
32
ont été ainsi soumis à différents gouvernements. C’est de cette manière que le monde est administré. Et quoi qu’il se fasse ainsi dans chacune de ces nations c’est à bon escient, dans la mesure où cela est conforme aux souhaits (de ces puissances directrices), alors que se débarrasser des institutions établies dès le début en divers endroits du monde serait une manifestation d’impiété.
Nous pourrions citer Hérodote comme témoin à ce propos, car il a écrit ce qui suit : « les citoyens des villes de Mérée et d’Apis, qui habitent les régions d’Égypte voisines de la Libye, et qui se considèrent eux-mêmes comme Libyens, et pas comme Égyptiens, trouvant leur culte sacrificiel tyrannique, et souhaitant ne pas être privés de viande de vache, envoyèrent des députés à l’oracle de Jupiter Ammon, pour dire qu’il n’y avait aucun rapport entre eux et les Égyptiens, puisqu’ils demeuraient en dehors du Delta, qu’il n’y avait aucune communauté de sentiment entre eux et les Égyptiens, et qu’ils souhaitaient donc avoir la permission de prendre de toute cette nourriture. Mais le dieu ne leur permit pas de faire ce qu’ils voulaient, en leur répondant que toute contrée arrosée par les crues du Nil était une région d’Égypte et qu’étaient Égyptiens les gens qui habitaient au sud de la ville d’Éléphantine, et buvaient de l’eau du Nil ».
Tel est le récit d’Hérodote. Mais, continue Celse, Ammon en ce qui concerne les choses divines ne ferait pas un plus mauvais ambassadeur que les anges des Juifs, de sorte qu’il n’y a rien mal à ce que chaque nation suive son culte établi. D’une même vérité, nous trouvons de très grandes différences d’appréciation selon les nations, et néanmoins chacune semble considérer la sienne comme étant de loin la meilleure. Les habitants d’Éthiopie qui demeurent à Méroé adorent seulement Jupiter et Bacchus ; les Arabes seulement Uranie et Bacchus ; les Égyptiens, Osiris et Isis ; les Saïtes, Minerve ; tandis que le Naucratites ont récemment mis Sérapis au rang de leurs divinités, et les autres selon leurs lois respectives. Certains s’abstiennent de la viande de mouton, et d’autres de celle des crocodiles ; d’autres, encore, de celle des vaches, alors qu’ils considèrent la viande de porc avec répugnance. Les Scythes considèrent comme un acte noble de se régaler d’êtres humains. Parmi les Indiens également il y en a qui considèrent qu’ils remplissent un devoir sacré en mangeant leurs pères, ceci est mentionné dans un passage d’Hérodote. Afin d’être crédible je citerai ses propres paroles : « Si quelqu’un devait faire aux hommes la proposition qui suit, à savoir choisir parmi toutes les lois existantes la meilleure, nul doute que chacun choisirait, après mûre réflexion, celles de son propre pays. Chacun considère en effet ses propres lois comme étant de loin les meilleures, et il faut donc être fou pour les tourner en ridicule.
Mais que telles sont les conclusions des hommes concernant les lois peut être établi par beaucoup d’autres moyens, et notamment par l’anecdote suivante. Darius, durant son règne, ayant convoqué devant lui les Grecs qui se trouvaient alors être sur les lieux, leur demanda à quel prix ils consentiraient à manger leurs pères décédés. Leur réponse fut qu’en aucun cas ils ne feraient cela. Ensuite Darius fit venir les Indiens qui s’appellent Calaties et qui ont pour coutume de manger leurs parents morts, puis leur demanda en présence de ces Grecs, qui apprirent ce qui se disait par le truchement d’un interprète, à quel prix ils accepteraient de brûler leurs pères décédés sur un bûcher. Sur quoi ils répondirent par un tollé et prièrent le monarque de ne pas en dire plus. Telle est la manière dont ces questions sont considérées. Et Pindare me semble avoir raison quand il dit que la « coutume » est reine de toutes choses.
Si à cet égard les Juifs se contentaient de soigneusement préserver leur propre loi, on ne devrait pas les blâmer d’agir ainsi, et bien plutôt blâmer ceux qui ont abandonné leurs propres usages et adopté ceux des Juifs. Mais ils s’en font une gloire, comme s’ils étaient bénéficiaires d’une sagesse supérieure, et se gardent de fréquenter les autres, considérés comme n’étant pas aussi purs qu’eux-mêmes. Nous avons vu que leur doctrine à propos du ciel ne leur était pas propre, mais, pour en venir aux autres, que c’est une doctrine depuis bien longtemps admise par les Perses, ainsi qu’Hérodote le mentionne quelque part. « Car ils ont coutume, » dit-il, « de monter sur le sommet des montagnes, et d’y offrir des sacrifices à Jupiter, mais en appelant du nom de Jupiter la voûte céleste tout entière ».
Et je pense qu’appeler l’être suprême Zeus, ou Zèn, ou Adonaï, ou Sabaoth, ou Ammon comme les Égyptiens, ou Papaï comme les Scythes, ne fait aucune différence.
Encore faudrait – il que les juifs ne se considèrent pas comme de plus saints hommes que les autres parce qu’ils observent le rite de la circoncision, car il a été pratiqué par les Égyptiens et les Colchidiens avant eux ; ni parce qu’ils s’abstiennent de la viande de porc, parce que cette abstinence a été pratiquée par les Égyptiens non seulement à cet égard, mais aussi en ce qui concerne la viande de chèvre, de mouton, de bœuf, et aussi vis-à-vis de la chair de poisson ; tandis que Pythagore et ses disciples ne mangeaient pas de haricots, ni rien qui contiennent de la vie.
33
Il n’est guère probable, cependant, qu’ils bénéficient des faveurs du grand Dieu, ou soient aimés par lui d’une façon différente des autres, ou que des anges leur aient été envoyés du ciel à eux seuls, comme si on leur avait attribué une « terre de bienheureux », car nous voyons bien à quel point à la fois eux-mêmes et leur pays en en ont été considérés dignes.
------------------------------------ ------------------------------------------------------- -------------------------------------------
Contre-lai N° 8.
Il doit s’agir d’une allusion aux événements survenant alors en Palestine. La sanglante répression des rébellions zélotes par les Romains, la destruction de Jérusalem, etc.
------------------------------------ ---------------------------------------------------------------------------------------------------
Que toute cette bande s’en aille, après avoir payé pour sa vantardise… Pour son ignorance du grand Dieu, égarée ou trompée par les artifices de Moïse, ou ayant suivi ses leçons à mauvais escient.
CELSE ET LE CHRISTIANISME.
Que s’avance maintenant le second parti [Les chrétiens]. Je leur demanderai d’où ils viennent, et qui considèrent-ils comme l’initiateur de leurs coutumes héréditaires. Ils répondront « Personne ! » parce qu’ils viennent de la même source que les Juifs eux-mêmes, et qu’ils ne tirent leur savoir ou leur dieu d’aucun autre canton du monde, nonobstant le fait qu’ils se sont révoltés contre eux.
Les chrétiens qui ont fait des études disent qu’ils ont plus de connaissance que les Juifs. Ils méritent quelque crédit pour leur capacité à découvrir de vraies doctrines, mais les Grecs sont plus habiles que tous les autres pour ce qui est du jugement de la définition et de la mise en pratique des découvertes des nations barbares. Car le Judaïsme, dont le Christianisme dépend, a une origine barbare.
Les chrétiens prennent part à des associations secrètes qui sont toutes illégales. C’est en évoquant le nom de certains esprits, et en usant d’incantations que les chrétiens semblent être investis de pouvoirs miraculeux.
Ils enseignent et pratiquent leurs doctrines préférées secrètement, et ils font ceci à dessein, sachant qu’ils risquent la peine de mort.
Leurs agapes tirent leur origine de ce danger commun, et sont plus contraignantes qu’un serment.
Ces dangers sont comparables à ceux qui ont été affrontés par des hommes tels que Socrate par amour pour la philosophie, mais certains chrétiens ne veulent même pas donner ou recevoir de justification pour ce qu’ils croient et emploient des formules telles que « Ne posez pas de questions : croyez seulement ! » et « Ta foi te sauvera ! ». Celse écrit aussi que certains chrétiens proclament : « La sagesse de ce monde est mauvaise, et la folie une bonne chose ».
--------- -------------- ----------------- ---------------------------- ---------------------------- ------------------------------------
Contre-lai N° 9.
Sans doute une allusion à certains propos de Saint-Paul.
-------------- ------------------------------------ --------------- ---------------------------- --------------------------------------
COMMENTAIRE D’ORIGÈNE.
Celse invite à suivre la raison et un comportement rationnel dans l’acceptation des doctrines parce que toute personne croyant quelqu’un sans agir ainsi est sûre de se tromper. Il compare ceux qui croient de façon déraisonnable aux prêtres mendiants de Cybèle et aux devins ou adorateurs de Mithra et Sabazios ainsi qu’à tout ce que l’on peut rencontrer d’autres comme apparitions d’Hécate ou d’esprits.
---------------- -------------------------------------------------------------------------------------- -------------------------------
Tout comme chez eux les canailles mettent souvent à profit le manque d’instruction des personnes crédules et les mènent par le bout du nez, la même chose arrive également chez les chrétiens. S’ils daignaient répondre aux questions (que je ne leur poserai pas comme quelqu’un qui essaie de comprendre leurs croyances, car je les connais toutes) tout serait parfait. Mais comme ils n’y consentiront pas, mais me rétorqueront comme ils le font habituellement « Ne pose pas de questions », et ainsi de suite, alors il va être nécessaire de leur enseigner la nature des doctrines qu’ils soutiennent, ainsi que la source dont elles proviennent.
N’est-il pas ridicule de supposer, alors qu’un simple mortel, irrité contre les Juifs, les a tous exterminés des plus jeunes aux plus vieux, et a brûlé leur ville (incapables qu’ils étaient de lui résister), que Dieu
34
tout puissant, comme ils disent, en colère, et indigné, après les avoir menacés, devait (au lieu de les châtier) envoyer son propre Fils, qui a enduré les souffrances que l’on connaît ?
Mais ce que certains chrétiens et (tous) les Juifs soutiennent, les premiers qu’il est déjà descendu, les derniers qu’il descendra, sur terre, un certain Dieu, ou Fils de Dieu, qui fera des habitants de la terre des justes, est une affirmation éhontée, dont la réfutation ne nécessite pas un long discours.
Quelle serait en effet signification d’une telle descente sur terre de la part du grand Dieu ? Serait-ce dans le but d’apprendre ce qui se passe chez les hommes ? Mais ne sait-il pas déjà toutes choses ?
Donc soit il est omniscient, mais ne veut pas rendre (l’homme) meilleur, soit il ne lui est pas possible malgré toute sa puissance divine de rendre (l’homme) meilleur.
Ici Celse critique l’idée chrétienne que Dieu en personne est descendu chez les hommes et qu’il est serait ainsi sorti de sa demeure. « Si vous deviez changer une seule chose, même la plus infime, sur terre, alors tout serait bouleversé et disparaîtrait ».
Maintenant peut-être que le grand Dieu étant méconnu des hommes, et pour cette raison estimant recevoir moins que ce qui lui est dû, a eu envie de se faire connaître, et d’éprouver à la fois ceux qui croient en lui et ceux qui ne font pas de même, un peu comme ceux qui sont récemment entrés en possession d’une grande fortune, et qui font étalage de leur richesse ; mais ce faisant ils attribuent au grand Dieu une ambition démesurée, et typiquement humaine.
Non, même pour éprouver par son ineffable et divine puissance ceux qui croient ou ne croient pas en lui, le grand Dieu en personne ne saurait habiter certains individus, ni envoyer sur terre son Christ [Khristn dans le grec d’Origène].
Dieu ne veut pas se faire connaître pour lui-même, mais parce qu’il veut nous accorder sa connaissance dans l’intérêt de notre salut, afin que ceux qui l’acceptent puissent devenir des hommes vertueux et être sauvés, et que ceux qui ne l’acceptent pas puissent être convaincus de turpitude et être punis en conséquence.
Après que tant de siècles se soient écoulés, le grand Dieu s’avise maintenant de faire mener aux hommes une vie juste, mais a négligé de le faire avant ?
Il est parfaitement évident que les chrétiens débitent des billevesées à propos du grand Dieu, d’une manière qui n’est ni sainte ni respectueuse ; afin de susciter l’étonnement des ignorants, et qu’ils ne disent pas la vérité en ce qui concerne la nécessité qu’il y a de punir ceux qui ont péché.
Ils commettent les plus impies des erreurs, du fait de l’extrême ignorance dans laquelle ils sont plongés quant à la signification des énigmes divines, en suscitant un adversaire au grand Dieu, le diable, et en l’appelant Satan dans la langue des Hébreux. Les propos qui suivent sont des inventions de simple mortel, qu’il ne convient même pas de répéter, à savoir que le Dieu tout puissant a pourtant un adversaire qui le contrecarre dans sa volonté de faire du bien aux hommes, et qu’il ne peut rien contre lui. D’où il s’ensuit que le Fils de Dieu est vaincu par le diable ; et en étant supplicié à cause de lui, nous enseigne de ce fait à dédaigner les tourments qu’il inflige, mais avertit que Satan, après être apparu aux hommes comme lui-même l’a fait, accomplira aux yeux de tous de grandes et merveilleuses choses, afin de réclamer pour lui-même la gloire due à Dieu, et que ceux qui souhaitent le garder à bonne distance ne doivent prêter aucune attention aux œuvres de Satan, mais ne placer leur foi qu’en Lui.
De telles déclarations sont manifestement les paroles d’un escroc, complotant et manœuvrant contre ceux qui s’opposent à ses vues, et qui s’élèvent contre elles.
Les anciens parlent vaguement d’une guerre ayant éclaté chez les dieux, Héraclite s’exprimant ainsi à son sujet : « on se doit de dire qu’il y a une guerre et une discorde générales, et que tout se fait ou se règle dans la lutte ». Phérécyde, qui est encore beaucoup plus ancien qu’Héraclite, rapporte l’histoire d’une armée qui a péri noyée en en combattant une autre, nomme Cronos en tant que chef de l’une d’entre elles, et Ophionée comme chef de l’autre, puis relate leurs défis et leurs luttes, en mentionnant qu’ils s’étaient mis d’accord entre eux par écrit pour que tout parti tombant dans l’Océan soit tenu pour vaincu, et que ceux qui les auraient chassés et ainsi vaincus aient la possession du ciel. Les mystères concernant les Titans et les Géants ont également une signification (symbolique) tout comme les mystères égyptiens de Typhon, Horus, et Osiris. Ils ne sont pas comme ces histoires parlant d’un diable, ou d’un démon, ou d’un imposteur, qui souhaiterait établir une doctrine contraire.
35
Homère se réfère vaguement à des histoires semblables à celles mentionnées par Héraclite, et Phérécyde, et les auteurs des mystères relatifs aux Titans et aux Géants, dans les paroles suivantes qu’Héphaïstos adresse à Héra : « Jadis et pour ta cause, j’ai subi son incomparable force en étant précipité la tête la première du haut des cieux » et dans celles de Zeus à Héra : « As-tu oublié, quand, accrochée et fixée en l’air du haut de l’immense voûte du ciel étoilé je t’ai suspendue toute tremblante au bout d’une chaîne d’or et que les dieux s’y sont opposés en vain rageusement ? Je les ai précipités la tête la première du haut du palais de l’Olympe, étourdis par ce tournoiement, et le souffle coupé par la chute ».
Ces paroles de Zeus adressées à Héra sont les paroles du grand Dieu s’adressant à la matière ; et ces propos adressés à la matière signifient de façon allégorique que la matière qui au début était en état de conflit (avec Dieu), a été comme empoignée par lui, enchaînée et soumise à des lois, qui peuvent être comparées à des chaînes ; et que pour châtier les démons qui font régner le chaos en son sein, il les précipite la tête la première dans le monde inférieur. Phérécyde a ainsi compris les paroles d’Homère quand il dit que, sous cette terre il y a le Tartare, qui est gardé par les Harpies et la Tempête, filles de Boreas, et que c’est là que Zeus a exilé les dieux semant le désordre. Le péplum (tunique) d’Athéna, que l’on peut voir dans la procession des Panathénées, est étroitement associé à des idées semblables. Car il en ressort à l’évidence qu’un esprit sans mère et sans tache l’emporte sur l’audace des Géants.
Le Fils de Dieu est supplicié par le diable, pour nous enseigner que nous aussi, quand nous sommes tourmentés par lui, nous devons le supporter………… Ces propos sont ridicules. Car c’est le diable qui devrait plutôt être châtié, et les êtres humains qui sont calomniés par lui ne devraient rien en craindre.
Je ne saurai dire pour quelle raison ils l’ont appelé « Fils de Dieu. » Les Hommes de l’antiquité utilisaient ce terme pour qualifier de « né de Dieu » à la fois un enfant et un fils. Ces deux « Fils de Dieu » se ressemblent donc beaucoup.
---------------------------- -------------------------------------- -------------------------------------------------------------- -----
Contre-lai N° 10.
Celse considère donc que tous ces mythes sont des images ou des allégories et qu’ils ne sont pas à prendre au pied de la lettre. De toute façon comme l’avaient déjà très bien compris les antiques amarcolitanoi en mettant jadis en garde contre l’usage abusif de l’écriture, la lettre tue, et seule la mémoire vivifie.
------------------------- -------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Il existe chez eux une croyance largement répandue, née d’un contresens sur le compte-rendu de ces événements, à savoir qu’après le déroulement des cycles de temps, et le retour des conjonctions de planètes, embrasements et déluges surviennent habituellement. Comme, après la dernière inondation, qui a eu lieu du temps de Deucalion, le cours du temps, conformément aux vicissitudes de toutes choses, appelle un incendie, cela leur fait proclamer l’idée fausse que le grand Dieu va descendre ici-bas, comme un bourreau, pour y bouter le feu. En cela ils peuvent être comparés à ceux qui, dans les mystères bachiques, font apparaître des fantômes et d’autres objets d’effroi.
------------------------------------- ------------- -------------------------------------------------- ----------------------------
Contre-lai N° 11.
Pour les très-sachants de la druidiaction (druidecht) les deux devaient arriver simultanément à la fin du monde lors de sa destruction finale, mais provisoire : le feu (la conflagration par embrasement dont parle Celse) et l’eau (le déluge dont parle Celse).
Strabon, Géographie IV, 4 : « Ils affirment, et d’autres avec eux, que les âmes, et que l’univers, sont indestructibles, mais qu’un jour le feu et l’eau régneront ».
-------------------------------- ------------------ -------------------------------------------------- ---------------------------- ----
Reprenons tout dès le début, avec un plus grand éventail de preuves. Je n’invente rien et ne fais que répéter ce qui a été reconnu depuis longtemps. Le grand Dieu est bon, beau, et béni, et ce au plus haut point. Mais s’il descend parmi les hommes, alors il devra subir un changement, un changement du bien en mal, de la vertu en vice, du bonheur à la misère, et du meilleur au pire. Qui ferait le choix d’un tel changement ? Il est dans la nature d’un mortel, en effet, de subir des changements et des refontes, mais dans celle d’un immortel de rester identique et inchangé. Le grand Dieu ne saurait donc supporter de changer ainsi.
36
Soit le grand Dieu se transforme réellement, ainsi qu’ils l’affirment, en un corps mortel, et nous avons déjà dit que c’était impossible ; soit il ne subit aucun changement, mais fait que des témoins l’imaginent, et donc les trompe, en se rendant ainsi coupable de mensonge. Or tromperie et mensonge sont des perversions, et ne doivent être employés que comme une médecine, soit dans le cas d’amis malades et aliénés, afin de les soigner, soit quand il s’agit d’ennemis, quand on prend des mesures pour échapper au danger qu’ils représentent. Mais aucun malade ou fou n’est ami du grand Dieu, et le grand Dieu ne craint personne au point de se préserver de sa menace en l’induisant en erreur.
Les Juifs disent que la vie (humaine), étant remplie de toutes sortes de vices, il était nécessaire qu’un envoyé du grand Dieu soit dépêché sur terre, afin que les pervers puissent être châtiés, et que tout soit purifié d’une manière analogue au premier déluge, qui a lavé la terre de toute souillure, à la fois selon les récits des juifs et des chrétiens.
D’après Origène Celse écrit ensuite que la destruction de la tour (de Babel) eut le même objet et il compare en outre la destruction par le feu, de Sodome et Gomorrhe, à cause de leurs péchés, relatée par Moïse dans la Genèse, à l’histoire de Phaéton.
Les plus modestes des auteurs juifs et chrétiens ont honte de tout cela et se réfugient dans l’allégorie. Les explications allégoriques, cependant, qui en ont été élaborées sont encore beaucoup plus honteuses et absurdes que les fables elles-mêmes, dans la mesure où elles cherchent à faire le lien entre ce merveilleux et des choses follement insensées qui ne sont pas du tout faites pour aller ensemble.
Ils s’efforcent néanmoins de donner à ces histoires une signification allégorique, bien que certains d’entre eux ne veuillent même pas en entendre parler et admettent au contraire qu’il s’agit simplement d’inventions vraiment très stupides.
Les chrétiens, en ajoutant des déclarations supplémentaires à celles des Juifs, affirment que le Fils de Dieu a déjà été envoyé sur terre à cause des péchés des Juifs ; mais que ces derniers remplis de haine ont torturé Jésus, et lui ont donné du vinaigre à boire, attirant ainsi sur eux la colère divine.
---------- -------------- -------------- ---------------------- ----------------------------------------- -------------------------------
Contre-lai N° 12.
Soyons clairs à ce sujet. Le vinaigre était l’ordinaire des simples soldats. Comme son nom l’indique, le vin aigre est tout simplement du vin ayant tourné à l’aigre, était simplement du mauvais vin. Un point, c’est tout ! Le soldat qui a donné de cette boisson à Jésus n’a voulu que soulager sa souffrance un instant.
-------------- ------------------------- ---------------------------------------- ------------------------------------------------------
Ô vous les Juifs et les chrétiens, aucun Dieu ni fils de Dieu n’est descendu ni ne viendra (sur terre). Mais si vous voulez dire par là que certains anges l’ont fait, alors comment les appelez-vous ? Sont-ce des dieux, ou une autre race d’êtres vivants ? Une autre race d’êtres (sans aucun doute), et selon toute probabilité des esprits.
De même nature autant que je sache est l’œuvre intitulée « Dialogue entre Papiscus et Jason », qui est plus faite pour exciter la pitié ou la haine que le rire. Il n’est pas dans mes intentions, cependant, de réfuter les déclarations contenues dans de telles œuvres ; car leur erreur est manifeste pour tout le monde, surtout quand on a la patience de lire ces livres eux-mêmes. Affirmer que le grand Dieu s’est impliqué au plus haut point dans toutes ces affaires est une absurdité.
Celse compare ensuite la race des juifs et des chrétiens tout entière à un vol des chauves-souris ou à une armée de fourmis sortant de leur nid, ou à des grenouilles tenant conseil dans un marais, voire à des vers grouillant dans le coin d’un tas de fumier, et se querellant pour savoir lesquels d’entre eux se sont montrés les plus grands pécheurs, en affirmant que le grand Dieu nous montre et nous annonce tout à l’avance ; et que, désertant l’univers, et les régions du ciel, et cette grande terre [qui est sa demeure], il devient uniquement un de nos concitoyens, afin de nous faire part à nous seuls de ses suggestions, ou ne cesse d’envoyer des émissaires et d’enquêter sur la manière dont nous pouvons lui être associés à tout jamais.
Les juifs et les chrétiens sont semblables à des vers qui affirment qu’il y a un grand Dieu, et que, venant immédiatement après lui, nous qui avons été faits par lui, nous sommes tout à fait semblables au grand Dieu en question, et que tout nous a été soumis, – la terre l’eau l’air, et les étoiles – que tout existe pour nous, et a été fait pour nous être soumis.
Maintenant, étant donné que certains d’entre nous commettent des péchés, le grand Dieu viendra ou enverra son Fils pour brûler les pécheurs, mais les autres pourront vivre éternellement avec lui.
-------------------- ------------------------------ -------------- ------------------------------------ ---------------------------- ----
37
Contre-lai N° 13.
Bref, ce que Celse veut dire, c’est que la religion judéo-islamo-chrétienne, outre le fait qu’elle est encore plus puérilement anthropomorphique que nombre des paganismes qu’elle n’arrête pas pourtant de caricaturer, est aussi anthropocentriste (sur l’anthropocentrisme, voir Spinoza).
------------------------------- ------------------- -------------------------------------------------- ---------------------------- ----
C’est pure folie de leur part que de supposer que, quand le grand Dieu, comme un cuisinier, viendra bouter le feu (qui doit consumer le monde), tout le reste de la race humaine sera brûlé, mais qu’eux seuls survivront, non seulement ceux d’entre eux qui seront alors vivants, mais également ceux qui seront morts depuis longtemps et qui sortiront de terre revêtus de la même chair (qu’ils avaient de leur vivant) ; un tel espoir ne saurait plaire qu’à des vers de terre. Car quelle sorte d’âme humaine pourrait donc désirer rester dans un corps qui a été sujet à la corruption ?
----------------------- ------------------------------------------------------ -------------------------------------------------- ------
Contre-lai No 14.
La mythologie druidique a depuis longtemps répondu à cette objection de Celse. Les corps en question ne seront plus alors selon les très-sachants de la druidiaction (druidecht), des corps putréfiés, mais des corps sensiblement différents, quoique encore très humains.
« Les ombres ne gagnent pas le séjour silencieux de l’Érèbe et les pâles royaumes de Dispater, la même âme/esprit (anaon) gouverne un corps dans un autre monde. Si vous savez vraiment bien ce que vous chantez, la mort est le milieu d’une longue vie. Les peuples qui regardent la Grande Ourse sont heureux dans cette erreur parce que…, etc., etc. » (Lucain, Pharsale I, 450-458.)
------------------------------------ ------------------------------------------------------------------------------------------- -------
Cette idée n’est pas partagée par certains autres chrétiens, qui la considèrent comme étant excessivement vile, dégoûtante, et impossible ; car quel est le corps qui, après avoir été complètement putréfié, peut retourner à sa nature originale, et à la même condition première, dont il est sorti, du fait de cette dissolution ? Ne pouvant pas trouver de réponses les premiers se retranchent derrière le plus absurde des refuges, à savoir que rien n’est impossible à Dieu. Mais le grand Dieu ne peut pas faire de choses qui sont honteuses ni même ne souhaite faire des choses contraires à sa nature. Et même si (du fait de notre propre perversion) nous désirions quelque chose de mauvais, ce n’est pas pour autant que le grand Dieu l’accomplirait ; ni que nous devons croire que ce serait fait immédiatement.
Car le grand Dieu n’ordonne pas le monde afin de satisfaire des désirs aberrants, ou de permettre le désordre et la confusion, mais afin de régir une nature qui est droite et juste. À l’âme, en effet, il peut assurer une vie éternelle ; tandis que les cadavres au contraire, ainsi qu’Héraclite le remarque, valent moins que du fumier. Le grand Dieu, cependant, ne peut pas déclarer et ne déclarera jamais, contrairement à toute raison, que la chair, qui est pleine de ces éléments qu’il n’est même pas honorable de mentionner, doit exister à jamais. Car il est la cause de tout ce qui existe, et ne peut donc rien faire qui soit contraire à la raison donc à lui-même.
Ensuite Celse met en scène un juif polémiquant avec Jésus, et le réfutant sur de nombreux points ; et en premier lieu, il l’accuse d’avoir inventé sa naissance virginale.
Le grand dieu dont la nature est de ne pas aimer un corps sujet à la décomposition, aurait eu des rapports sexuels avec elle parce qu’elle était belle ?
Les fabricants de généalogies, à cause de son orgueil, ont fait de Jésus un descendant du premier homme, et des rois des Juifs, mais la femme du charpentier n’aurait pu ignorer ce fait si elle avait vraiment été d’une si illustre descendance.
Il est peu probable que le grand dieu se soit épris de la mère de Jésus, car elle n’était ni riche ni de rang royal, vu que personne, même de ses voisins, ne la connaissait. C’était une pauvre femme du pays, qui gagnait sa subsistance comme tisseuse.
Mais revenons maintenant à l’endroit où le Juif entre en scène, en parlant de la mère de Jésus, et en disant « qu’une fois tombée enceinte, elle fut expulsée par le charpentier à qui elle avait été fiancée, pour cause d’adultère, car elle portait l’enfant d’un certain Panthera, soldat de son état ».
Lorsque, reconnue coupable d’adultère et haïe par son mari charpentier, puis mise à la porte, elle n’a pas été sauvée par la puissance divine, et personne n’a cru son histoire. De telles choses n’ont rien à voir avec le royaume des cieux.
Après avoir erré pendant un certain temps, dans un certain village juif elle donna donc clandestinement naissance à Jésus, un enfant illégitime.
----------------- ----------------------- ------------------------------------- --------------------------------------------------------
38
Contre-lai No 15.
Quelques remarques au passage.
La mythologie grecque est pourtant remplie de simples mortelles séduites par des dieux et notamment Zeus. Comme quoi elle n’est pas si différente que cela des mythologies « barbares » stigmatisées par ce philosophe.
Un court séjour en Égypte de Jésus et de sa famille est admis par les chrétiens.
Celse semble insinuer que Jésus y serait retourné un temps par la suite.
------------------ -------------------------- ------------------- ------------------------------------------------------- --------------
Ensuite Jésus s’étant loué comme domestique en Égypte à cause de sa pauvreté, et y ayant acquis certains des pouvoirs magiques dont les Égyptiens se vantent, s’en retourna dans son pays, porté par ces pouvoirs, et en usant d’eux se fit passer pour divin puis commença d’enseigner cette doctrine, en étant considéré par les chrétiens comme Fils de Dieu.
Mais ce fut grâce à cette sorcellerie qu’il put accomplir les merveilles qu’il réalisa ; et prévoyant bien que d’autres atteindraient à la même connaissance, ou feraient les mêmes choses, il se targua donc de les accomplir à l’aide de la puissance du grand Dieu, tout en les excluant de son royaume.
Mais s’ils sont exclus, alors que lui-même se rend coupable de ces pratiques, alors c’est un homme maudit mauvais ; mais s’il n’est coupable de rien en faisant cela, alors ceux qui agissent pareillement ne le sont pas non plus.
----------------- ------------------------------------- ------------------------------------------------------------------------ -------
Contre-lai No 16.
Voir les passages du Nouveau Testament mettant en garde contre ce que ce livre appelle les faux prophètes, ceux « qui produiront des signes et des prodiges considérables, capables d’abuser même les élus » (Matthieu, 24,24).
--------------------------------- --------------------------------------------- --------------------------------------------------------
Mais pourquoi est-ce à toi, plutôt qu’aux innombrables autres hommes qui ont vécu après la publication des prophéties, que ces prédictions devraient s’appliquer ? Et si tu dis que tout homme, né conformément aux décrets de la divine Providence, est un fils de Dieu, en quoi diffères-tu d’un autre ?
CRITIQUE ÉMISE PAR LE JUIF DE CELSE. Les prophéties rapportées aux événements de sa vie peuvent également tout aussi bien convenir à d’autres faits. D’innombrables individus peuvent accuser Jésus d’impostures en alléguant que les prédictions qui ont été faites à son sujet leur étaient destinées.
(Jésus a affirmé que) des Chaldéens ont été conduits à venir le voir à sa naissance, pour l’adorer comme un dieu, alors qu’il n’était encore qu’un nouveau-né, puis l’ont fait savoir au tétrarque Hérode ; mais que ce dernier fit ensuite tuer tous les enfants nés à la même époque, en pensant que de cette façon il s’assurerait qu’il mourrait avec les autres ; et qu’il fut conduit à faire ceci de crainte que, s’il vivait assez longtemps, il n’obtienne le trône.
Mais alors si ceci a été fait pour que tu ne puisses pas régner à sa place après être parvenu à l’âge d’homme ; pourquoi donc, après être parvenu à l’âge adulte, n’es-tu pas devenu roi, au lieu, toi le Fils de Dieu, d’errer dans une si piètre condition, de te cacher, et de mener une vie misérable ?
Quel besoin y avait-il d’ailleurs que tu sois emmené en Égypte encore enfant ? Était-ce pour échapper à cet assassinat ? Il est peu vraisemblable qu’un Dieu doive craindre la mort ; et pourtant un ange descendit du ciel, pour t’ordonner toi et tes amis de fuir, de peur que vous ne soyez pris et mis à mort ! Le grand Dieu, qui avait déjà envoyé deux anges à ton propos, n’était-il donc pas capable de te garder en sécurité, toi son fils unique ?
CRITIQUE ÉMISE PAR LE JUIF DE CELSE. Jésus ayant réuni autour de lui dix ou onze hommes du peuple, les pires des collecteurs d’impôts et des pêcheurs, dénués de la moindre instruction, prit la fuite avec eux pour errer d’un endroit à un autre, et gagna sa vie d’une manière honteuse et en mendiant.
Nous n’accordons plus crédit aux vieilles fables qui attribuaient une origine divine à Persée, Amphion, Éaque et Minos. Néanmoins, afin d’être plus crédibles, elles dépeignaient quand même les actions de ces personnages comme étant grandes et merveilleuses, et allant bien au-delà de la puissance de l’homme ; mais qu’as-tu fait, toi, de noble ou merveilleux, que ce soit en acte ou en parole ? Tu n’as fait aucun miracle, bien que dans le temple on t’ait mis au défi de montrer un signe indubitable que tu étais Fils de Dieu.
Quand tu étais dans l’eau, aux côtés de Jean, tu dis que ce qui avait pris l’apparence d’un oiseau est descendu du haut des cieux sur toi. Quel est le témoin crédible qui a vu cette apparition ou a entendu
39
cette voix du ciel déclarer que tu étais le Fils de Dieu ? Quelle preuve y a-t-il de cela, en dehors de ta propre affirmation, et de la déclaration d’un autre des individus qui ont été suppliciés avec toi ?
Bon, admettons que ces guérisons, ou la résurrection, ou le fait de nourrir toute une foule avec quelques pains, dont il y aurait eu beaucoup de restes en plus, ou toutes ces autres histoires merveilleuses, soient vraiment de ton fait.
Ce ne sont rien de plus que des tours de jongleurs, qui prétendent faire des choses plus merveilleuses encore, des prodiges réalisés par des gens ayant appris ça en Égypte et qui, au milieu de la place du marché, en échange de quelques oboles, exposent les secrets de leurs arts les plus vénérables, ou vont expulser les démons, chasser les maladies, invoquer les âmes des héros, faire apparaître des banquets somptueux, ou des tables et des plats et des sucreries n’ayant pas d’existence réelle, et qui feront se mouvoir, comme si c’était animé, ce qui n’est pas réellement un animal vivant, mais quelque chose qui n’a que l’apparence de la vie.
Or dès lors que ces hommes sont capables d’effectuer de tels exploits, devons-nous en conclure que ce sont bien là des « fils de Dieu », ou devons-nous admettre que ce sont plutôt là les œuvres de sorciers possédés par un esprit malin ?
Un corps comme le tien ne saurait être celui du grand Dieu. Le corps du grand Dieu ne saurait avoir été engendré comme tu l’as été, O Jésus.
Le corps du grand dieu ne se nourrit pas d’une telle nourriture…
-------------------------- ------------------------------ ------------------------------------------------------------------------ -----
Contre-lai N° 17.
Mahomet est d’accord avec Celse sur un point : le fait que Jésus a dû manger pour vivre prouve qu’il n’était pas Dieu.
---------------------- --------------------------------------------- ------------------------------------------------------------ ------
Et le corps de dieu n’a pas une voix comme celle de Jésus ni les mêmes moyens de persuasion que les siens. Ces procédés sont ceux d’un abominable sorcier (goète) haï de Dieu.
La résurrection des morts, le jugement divin, les récompenses à accorder aux justes, et le feu qui doit dévorer les méchants, sont des doctrines éculées et il n’y a rien de nouveau dans votre enseignement à ce sujet. Beaucoup d’autres hommes semblables à Jésus apparaîtront à ceux qui ne veulent qu’être bernés.
--------------- ----------------------------------- --------- ----------------------------------------- ---------------------------- ----Contre-lai N° 18.
Le juif imaginaire que Celse met en scène pour les besoins de sa démonstration fait apparemment bien peu de cas de la résurrection et du jugement dernier. Était-il encore sadducéen ?? Sur ce point il fait en effet beaucoup plus romain que juif.
-------------------------------------------------------------------------------------- ------------------------------------------ ------
CELSE EN VIENT ENSUITE à l’accusation de ne pas avoir cru en Jésus, comme en Dieu, que les convertis au christianisme portent à l’encontre des juifs.
Les convertis venant du judaïsme ont abandonné la loi de leurs pères, du fait que leur esprit a été subjugué par Jésus ; qu’ils ont été le plus ridiculement du monde trompés, et qu’ils sont devenus des déserteurs adoptant un autre nom et un autre mode de vie.
Si quelqu’un a prédit que le Fils de Dieu devait visiter l’humanité, ce fut l’un de nos prophètes, et un prophète de notre Dieu. Jean, qui a baptisé Jésus, était juif.
Comment aurions-nous pu donc, nous qui avons fait connaître à tous que devait venir de la part de Dieu quelqu’un qui aurait pour mission de punir les malfaiteurs, le traiter avec tant de mépris lors de sa venue ? Est-ce pour cela que nous devons être châtiés plus que d’autres ?
Et comment pourrions-nous considérer comme Dieu, celui qui, non seulement à d’autres égards, comme cela est dit aujourd’hui, n’a tenu aucune de ses promesses, mais qui a aussi, après que nous l’ayons reconnu coupable et susceptible d’être condamné, été trouvé en train d’essayer de se cacher, ou de s’échapper de la manière la plus honteuse qui soit, mais qui fut trahi par ceux-là mêmes qu’il appelait ses disciples ?
Un Dieu ne saurait ni fuir ni être emmené prisonnier ; et encore moins pouvait-il être abandonné et livré par ceux-là mêmes qui avaient été ses associés, avaient tout partagé avec lui, et l’avaient pris comme maître, considéré comme un Sauveur, un fils du Dieu suprême, voire un ange.
--------------------- ---------------------------------------------- -------------------------------------- ------------------- --------
Contre-lai N° 19.
40
La chronologie donnée par Celse est donc fort claire : a) jugement et condamnation b) arrestation c) exécution. Et non comme dans les quatre Évangiles : a) arrestation b) jugement et condamnation c) exécution.
------------------------------------------------------------------------ -------------------------------------------------------- ------
Les chrétiens, comme des ivrognes qui, dans des accès d’ivresse lèvent la main les uns sur les autres, ont corrompu l’intégrité originelle de l’Évangile, et l’ont remanié, trois ou quatre fois voire plus encore, afin d’être en mesure de répondre aux objections.
----------- --------------------------- --------------------------------------------------------------------- --------------------------
Contre-lai N° 20
C’est d’ailleurs ce que disent encore les musulmans.
--------------------------------- -------------- ---------------------------------------------------------------------- ----------------
Les disciples de Jésus, n’ayant aucun fait indubitable sur lequel s’appuyer, ont inventé l’histoire qu’il avait tout prédit avant que cela n’arrive.
Les disciples de Jésus ont écrit ces récits à son sujet, afin de réfuter les accusations portées contre lui : comme si l’on disait de quelqu’un que c’était un homme juste, et en même temps qu’on montrait qu’il s’est rendu coupable d’injustice ; ou qu’il était pieux, mais qu’il a commis un meurtre, ou qu’il était immortel, et pourtant qu’il est mort ; mais en ajoutant à ces déclarations la remarque qu’il l’avait prédit.
Comment croire que Jésus a pu prédire tout cela et comment un homme mort pouvait-il être immortel ?
Quel dieu, ou esprit, ou homme simplement prudent, prévoyant que de tels événements devaient lui arriver, n’essaierait pas de les éviter s’il le pouvait ; alors que lui s’est jeté tête baissée dans les malheurs qu’il savait d’avance devoir se produire ?
Comment se peut-il, si Jésus a dénoncé à l’avance à la fois le traître et le parjure, qu’ils ne l’aient pas craint comme un Dieu, et renoncé, celui-ci à la trahison qu’il préméditait, l’autre à son parjure ?
Ces événements, il les a prédits en Dieu qu’il était et cette prédiction devait par conséquent s’accomplir à tout prix.
Le grand Dieu, donc, qui plus que tout autre devait faire du bien aux hommes, et en particulier à ceux de sa maisonnée, a conduit ses propres disciples et prophètes, avec qui il avait l’habitude de manger et de boire, à un tel degré de perversion, qu’ils en sont devenus des impies et des sacrilèges ? Un homme qui a partagé la table de quelqu’un ne saurait se rendre coupable de conspiration contre lui ; mais après un banquet avec Dieu, il aurait néanmoins conspiré contre lui ? Et, ce qui est plus absurde encore, le grand Dieu lui-même aurait ourdi un complot contre certains des hommes partageant sa table, en en faisant des traîtres et des scélérats !
Pourquoi pleure-t-il et se lamente-t-il, et prie-t-il pour échapper à la mort, en s’exprimant en ces termes : « O Père, si cela est possible, que cette coupe s’éloigne de moi » ?
------------ -------------------- --------------------------------- -------------------------------------- -----------------------------
Contre-lai N° 21.
Gethsémani sur le mont des Oliviers. Matthieu 26,39 ; Marc 14,36 ; Luc, 22,42.
------------ -------------------------------- -------------- --------------------------------- -----------------------------------------
Car vous ne prétendez même pas qu’il a seulement semblé aux yeux de ces hommes perdus qu’il souffrait ce châtiment sans le subir en réalité ; mais vous reconnaissez au contraire qu’il l’a vraiment souffert.
----------------------- ----------------------------------------- ------------------------------------- ---------------------- ---------
Contre-lai N° 22.
C’est pourtant bien ce que prétendent chrétiens gnostiques et musulmans. Jésus n’a pas réellement été crucifié lui-même en chair et en os. Ce ne fut qu’une apparence ou une illusion d’optique.
------------------- -------------------------------------- ------------------------------------------- ---------------------------------
Ceux qui avaient été ses compagnons de son vivant, qui l’avaient écouté, et avaient bénéficié de son enseignement de grand maître, le voyant condamné à la peine capitale, ne sont pas morts avec lui ni pour lui ni même n’ont méprisé ce châtiment, mais ont nié avoir été ses disciples, et maintenant vous mourez avec lui ?
Quels exploits Jésus a-t-il donc accomplis en tant que Dieu ? A-t-il fait honte à ses ennemis, ou fait tourner en ridicule ce qui avait été ourdi contre lui ?
Aucun malheur n’est arrivé à celui qui l’a condamné, comme ce fut le cas pour Penthée, à savoir, la folie et le démembrement.
41
Si impossible avant, pourquoi n’a-t-il pas fourni ensuite au moins, une preuve éclatante de sa divinité, et ne s’est-il pas évité ce reproche, en se vengeant de ceux qui l’avaient insulté lui et son Père ?
Vous ne direz pas de lui maintenant j’espère, qu’après avoir échoué à gagner ceux qui sont dans ce monde, il est descendu dans l’Hadès pour en gagner les habitants.
-------------------------------------------- ------------------------------------------------------------------------------------ ------
Contre-lai No 23.
C’est pourtant bien ce que prétendent les chrétiens : Jésus est descendu aux enfers.
------------------------------------ -------------------------------------------------------------------------------------------- ------
Les chrétiens considèrent que Jésus est le Fils de Dieu, parce qu’il a guéri les boiteux et les aveugles et surtout, ainsi qu’ils l’affirment, parce qu’il a ressuscité des morts.
O lumière et vérité ! Il proclame clairement, ainsi que vous l’avez-vous-même noté, qu’il en viendra d’autres encore, usant de miracles du même genre, mais qui seront des malfaiteurs et des sorciers ; et il qualifie de Satan celui qui se servira de tels stratagèmes. Jésus lui-même ne nie donc pas que ces choses-là ne sont pas du tout divines, mais que ce sont au contraire les œuvres d’êtres maléfiques ; et, contraint par la force de la vérité, non seulement il a dénoncé ainsi les faits et gestes des autres, mais il s’est condamné lui-même en même temps pour avoir agi ainsi. Quelle piètre conclusion que de conclure des mêmes œuvres que l’un est Dieu et les autres des sorciers ? Pourquoi les autres, à cause de ces prodiges, devraient-ils être considérés comme maudits et non lui, puisqu’ils l’ont comme témoin à charge contre lui-même ? Il a lui-même reconnu en effet que ce ne sont pas là des œuvres de nature divine, mais des inventions de charlatans et de méchantes gens.
Quelle est donc la raison qui vous a conduits à devenir ses disciples ? Était-ce parce qu’il avait prédit que, après sa mort, il se relèverait ?
Bon, accordons-nous que la prédiction en ait effectivement été faite. Maintenant combien y-en-a-t-il d’autres qui jonglent ainsi, afin de tromper leur public ordinaire, et qui font de l’argent grâce à ces tromperies – comme ce fut le cas, dit-on avec en Scythie Zamolxis, l’esclave de Pythagore ; et Pythagore lui-même en Italie ; voire avec Rhampsinite en Égypte (ce dernier, dit-on, a joué aux dés avec Déméter dans l’Hadès, et s’en est retourné vers le monde supérieur avec un drap d’or qu’il avait reçu d’elle en présent) ; mais aussi avec Orphée chez les Odryses, Protésilas en Thessalie, Hercules au cap Ténare, et Thésée. Toute la question est de savoir si quelqu’un réellement décédé s’est jamais relevé d’entre les morts avec un véritable corps.
Ou pensez-vous que les déclarations des autres sont non seulement des mythes, mais semblent bien telles, alors que vous, vous auriez trouvé une fin heureuse et crédible à ce drame dans la voix venant de la croix, quand il rendit son dernier soupir, ainsi que dans le tremblement de terre et les ténèbres ? De son vivant, il ne put rien pour lui-même, mais après sa mort il s’est relevé de sa tombe, a exhibé les marques de son supplice, et comment ses mains avaient été percées de clous. Or qui a vu ça ? Une femme à moitié folle, comme vous le dites vous-mêmes, et une autre, une de celles qui participaient à la même escroquerie peut-être, ou qui avait rêvé ça, en raison d’un état d’esprit particulier, ou qui sous l’emprise d’une folle imagination s’est imaginée une apparition conforme à ses désirs, ce qui fut le cas pour d’innombrables personnes ; ou, ce qui est le plus vraisemblable, qui voulait impressionner les autres par ce prodige, et par un tel mensonge fournir ainsi une bonne occasion à d’autres imposteurs comme lui.
LE JUIF DE CELSE RELÈVE DONC qu’en conséquence Jésus n’a montré après sa mort que des apparences de plaies et qu’il ne fut donc pas en réalité aussi blessé qu’on l’a dit.
------------------- -------------------------------------------------- -----------------------------------------------------------------
Contre-lai N° 24.
Quelques remarques.
Des femmes… eh oui, Celse n’était pas moins misogyne que les premiers chrétiens (les apôtres). Il faut bien reconnaître que les femmes ont toujours été le point faible de l’Humanité en ce domaine, ont toujours été plus crédules que les hommes en la matière. Aujourd’hui encore ce sont surtout elles qui hantent les églises (l’auteur de cette compilation en sait quelque chose) et en constituent les derniers piliers ; il n’est pas rare non plus d’en voir manifester dans nos rues pour réclamer un droit qu’elles ont déjà, celui de porter un voile comme saint Paul le conseille, ou carrément à l’afghane. Au grand étonnement du simple mortel auteur de cette compilation. Comment en effet peut-on volontairement et sans contrainte se battre avec acharnement pour être soumise, traitée de façon inégale, comme la moitié d’un homme, comme une éternelle domestique des hommes, fils père et grand frère ? Les dieu-ou-démons décidément, aveuglent celles qu’ils veulent perdre.
-------------------------- --------------------- ------------------------------------------------------ --------------------------------
42
Si Jésus avait voulu montrer que sa puissance était vraiment divine, il aurait dû apparaître à ceux qui l’avaient maltraité, à celui qui l’avait condamné, ainsi qu’à tous les hommes dans le monde.
Quel est l’homme qui, envoyé comme messager, se cache quand il doit faire connaître son message ?
Quand il était dans un corps, et que personne ne croyait en lui, il prêchait à tous sans relâche ; mais après avoir été en mesure de susciter une vraie croyance en lui après être ressuscité des morts, il se montre en secret rien qu’à une femme, et à ses propres compagnons ?
Il a été vu par tout le monde alors qu’il subissait sa peine, mais après sa résurrection il n’a été vu que par une seule personne ?
S’il voulait rester caché, pourquoi est-ce que l’on a entendu une voix du ciel proclamer qu’il était le Fils de Dieu ? S’il ne cherchait pas à rester caché, pourquoi a-t-il été condamné ? Et pourquoi est-il mort ?
S’il avait voulu, par le sort qu’il a subi, nous enseigner aussi à mépriser la mort, il fallait qu’après sa résurrection il invite ouvertement tous les hommes en plein jour, et les instruise sur l’objet de sa venue.
La conclusion de tous ces arguments concernant Jésus est ainsi résumée par le Juif : ce n’était donc qu’un homme, il n’avait que la nature humaine, ainsi que la vérité le prouve, et que la raison le démontre.
----------------------------------- ----------------- ------------------------------ ---------------------------------------------------
Contre-lai N° 25.
Les juifs ont, dans leur immense majorité, refusé de voir en Jésus, et on les comprend, le Zorro (glorieux messie) libérateur de leur nation, attendu. Il est donc incontestable que l’incarnation sur terre de Dieu au sein de son peuple élu, a eu pour conséquence que ledit peuple élu n’a pas cru en son propre messie.
Celse ayant ainsi traité du thème paradoxal par excellence du VERUS ISRAEL (le véritable Israël ce n’est plus, selon les chrétiens, Israël, mais eux-mêmes, étrange conséquence de la venue du Messie) ; il en vient à une autre critique des juifs et des chrétiens, et notamment de leur prosélytisme.
---------------- --------------------------------- ------------------------------- -----------------------------------------------------
Aucun sage ne croit en l’Évangile, repoussés qu’ils sont par les multitudes qui adhèrent à son message.
Les chrétiens furent peu nombreux au début et partageaient tous les mêmes idées, mais quand leur nombre augmenta jusqu’à devenir une multitude, ils se sont divisés et séparés, chacun voulant avoir son parti personnel : car tel était leur objet depuis le début.
Ayant été ainsi séparés par leur nombre, ils polémiquent les uns avec les autres, n’ayant plus, pour ainsi dire, qu’un nom en commun, s’ils le conservent encore. Car c’est la seule chose qu’ils auraient honte d’abandonner, alors que d’autres sujets sont réglés de différentes façons par les différentes sectes.
Leur union est la plus merveilleuse chose dont on puisse démontrer qu’elle ne repose sur aucune raison substantielle. À moins évidemment que l’esprit de rébellion en soit une, ainsi que les avantages qui en découlent, tout comme la crainte d’ennemis extérieurs. Telles sont donc les causes qui donnent de la consistance à leur foi.
Les Dioscures, Hercule, Esculape et Dionysos, sont considérées par les Grecs comme étant devenus des dieux après avoir été des hommes, mais les chrétiens ne peuvent pas supporter d’appeler dieux de tels êtres parce qu’ils commencé par être d’abord des hommes, et pourtant ils ont fait preuve de beaucoup de grandes qualités, qui ont été mises en œuvre pour le plus grand bien de l’humanité, alors qu’ils affirment que Jésus a été vu après sa mort par ses propres disciples, mais un peu comme s’ils disaient : « Il a été vu en effet, mais c’était seulement une ombre » !
Après avoir dépouillé ces qualités, ce serait donc un Dieu (mais si c’est le cas), pourquoi pas plutôt Esculape et Dionysos, ou Hercule ?
Car une foule de Grecs et de Barbares disent qu’ils ont souvent vu, et voient encore, pas un simple fantôme, mais Esculape lui-même, guérissant et faisant du bien ou prédisant l’avenir. De tels miracles ont eu lieu dans tous les pays, ou du moins dans un grand nombre d’entre eux. Exemple donc le cas d’Esculape, qui fait du bien à beaucoup de gens, et qui prédit des événements à venir à des villes entières, qui se sont placées sous son patronage, comme Tricca, Épidaure, Cos, Pergame ; et avec Esculape Aristée de Proconnèse, un certain Clazoménien ainsi que Cléomène d’Astypalée.
-------------------------------- ------------------------------------------------------------------------------------------------ ------
43
Contre-lai N° 26.
Aux exemples qui suivent et cités par Celse ajoutons également le véritable martyre subi par le Hésus/Cuchulainn enchaîné au menhir de Muirthemné.
----------------------------------------- --------------------------------------------------------------------------------------- ------
Les chrétiens se moquent de ceux qui adorent Jupiter, parce qu’en Crète on signale son tombeau ; et pourtant ils adorent un homme qui s’est relevé d’entre les morts, et ignorent tout des motifs pour lesquels les Crétois observent une telle coutume.
Les chrétiens se forgent des opinions erronées tirées d’antiques sources, les claironnent à haute voix, et les font claquer devant tout le monde, comme les prêtres de Cybèle font résonner leurs cymbales dans les oreilles de ceux qui sont initiés à leurs mystères.
Voici les règles qu’ils ont fixées. « Que nul ne vienne à nous qui soit instruit, ou qui soit sage ou prudent (car ces qualités sont considérées par nous comme un mal) ; mais s’il y a des personnes ignorantes ou inintelligentes, dénuées d’instruction, ou stupides, qu’elles viennent à nous en toute confiance ».
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- --------
Contre-lai N° 27.
Il s’agit vraisemblablement d’une allusion à certains propos de saint Paul. Première lettre aux Corinthiens, 1, 26. « Nous prêchons un messie scandale pour les juifs, folie pour les païens… Il n’y a parmi vous ni beaucoup de sages, ni beaucoup de gens de bonne famille. Ce qui est folie dans ce monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages…, etc., etc. »
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- ------
En disant cela, en reconnaissant que ces personnes sont faites pour leur Dieu, les chrétiens montrent manifestement qu’ils ne désirent et ne sont capables de gagner que les idiots les simplets ou les gens stupides, ainsi que les femmes et les enfants.
Les individus qui sur les marchés accomplissent les tours les plus malhonnêtes, et qui attirent les foules autour d’eux, n’abordent jamais en effet une assemblée de sages, ni n’osent déployer leurs talents parmi eux ; mais en tout lieu où ils voient des jeunes gens, une foule d’esclaves, un rassemblement de personnes dénuées d’intelligence, alors là ils accourent et se montrent.
Dans les cours intérieures des demeures privées, les cardeurs cordonniers ou foulons, et les gens les plus ignorants et rustiques, ne pipent mot en présence de leurs aînés ou des maîtres plus avisés ; mais dès qu’ils sont seuls en présence d’enfants, de certaines femmes aussi ignorantes qu’eux-mêmes, ils débitent de merveilleuses histoires, afin qu’ils ne prêtent plus attention à leur père ni à leurs tuteurs, mais qu’ils leur obéissent plutôt à eux ; en ajoutant que les premiers sont insensés et stupides, et ne connaissent ni ne peuvent réaliser ce qui est le vrai bien, uniquement préoccupés qu’ils sont par des futilités ; mais qu’eux seuls savent comment les hommes doivent vivre, et que, si les enfants leur obéissent, ils seront à la fois heureux et feront aussi le bonheur de leur maison.
Mais quand ils parlent de la sorte, s’ils voient un des précepteurs de ces jeunes s’approcher, ou quelqu’un de plus intelligent, voire le père lui-même, les plus couards d’entre eux prennent peur, tandis que les plus effrontés poussent les enfants à se rebeller, en chuchotant que, vu la présence du père et des enseignants, ils ne voudront ni ne pourront leur expliquer rien de bon, vu qu’ils préfèrent fuir avec aversion leur bêtise et leur stupidité puisqu’ils sont complètement corrompus, et arrivés à un si haut degré de perversité, qu’ils pourraient sévir contre eux ; mais que s’ils souhaitent bénéficier de leur aide, alors ils doivent planter là leur père et leurs précepteurs, et se rendre avec les femmes et leurs camarades de jeu dans le gynécée, ou dans la boutique du cordonnier, ou du foulon, afin d’être parfaits ; et avec des mots comme ceux-là, ils les gagnent donc à leur cause.
---------------------------------------- ---------- ------------------------------------------ -------- ------------------------- -------
Contre-lai N° 28.
Sur ce point, Celse exagère, car il n’y a pas de sots métiers, il n’y a que de sottes gens, même si la Poste française actuelle traite son personnel comme si le contraire était vrai. L’exemple même de l’islam aujourd’hui montre en outre que l’on peut être un étudiant brillant instruit et cultivé (Ben Laden), et en même temps un fanatique aveugle de la pire espèce. Mais revenons au discours de notre ami Celse !
----------------------------------------- --------------------------------------------------- ---------------------------------- -------
Que je ne porte là aucune accusation plus lourde que celle à laquelle me contraint la vérité, chacun pourra s’en rendre compte d’après les remarques ci-après. Ceux qui invitent à participer aux autres mystères proclament qu’ils s’adressent à : « Quiconque a les mains propres, et la langue prudente » ou encore : « Quiconque est pur de toute pollution, et dont l’âme a la conscience tranquille, ou qui a bien et justement vécu ». Tel est ce que proclame ceux qui promettent du purifier les péchés. Mais voyons maintenant à quel genre de personnes les chrétiens s’adressent. « Tous ceux, disent-ils, qui
44
sont pécheurs, dépourvus de sens, les enfants, et, pour parler plus généralement, les malheureux, auront droit au royaume de Dieu ». Mais n’appelle-t-on pas pécheurs ceux qui sont injustes, voleurs, cambrioleurs, empoisonneurs, sacrilèges, et profanateurs de sépultures ? Qui d’autres en effet inviterait un homme s’il s’adressait à une assemblée de voleurs ?
Les chrétiens disent que c’est pour les pécheurs que leur Dieu est venu. Pourquoi n’est-il pas venu pour ceux qui sont sans péché ? Qu’y a-t-il de mal à ne pas avoir commis de péché ?
Le grand Dieu recevra l’homme injuste s’il se repent du mal qu’il a fait, mais ne recevra pas l’homme juste, bien qu’il se soit tourné vers lui, paré de vertu dès le début ?
Les personnes qui président comme il se doit un procès font taire les accusés qui sanglotent pitoyablement sur leurs mauvaises actions devant eux, de peur que leur conviction ne soit déterminée plus par l’émotion que par rapport à la vérité ; alors que le grand Dieu ne déciderait pas conformément à la vérité, mais en se montrant sensible aux flatteries ?
Tous les hommes, sans distinction, doivent alors être invités, puisque tous sont effectivement pécheurs.
Qu’est-ce que cette préférence pour les pécheurs par rapport aux autres ?
Les chrétiens se répandent en appels à la conversion des pécheurs, parce qu’ils ne sont pas en mesure de gagner ceux qui sont vraiment bons et justes, et ouvrent donc leurs portes aux plus impies et perdus des hommes.
Et pourtant, il est évident pour tout le monde que personne, que ce soit sous la menace d’un châtiment, et encore moins par la miséricorde, ne peut en réalité complètement amender ceux qui sont pécheurs par nature et par habitude, car changer de nature est une chose extrêmement difficile. Par contre ceux qui sont sans péché sont destinés à une vie meilleure.
Les chrétiens affirment que le grand Dieu sera capable de faire tout ceci, mais il ne saurait faire quoi que ce soit de mal, car même si l’on admet qu’il le peut, il n’aura pas la volonté le faire.
Leur grand Dieu, comme ceux qui sont submergés par la pitié, étant lui-même ainsi fait, soulage la peine des coupables par pitié pour leurs gémissements, mais se débarrasse de l’homme de bien qui ne fait rien de ce genre, ce qui est le comble de l’injustice.
Les docteurs du christianisme agissent comme des gens qui promettraient de rendre la santé du corps à un malade, mais qui l’empêcheraient de consulter des médecins qualifiés, de peur que leur ignorance n’éclate ainsi au grand jour.
Ils s’adressent donc à des jeunes et à des rustres stupides, en leur disant : fuyez les médecins. Veillez à ce qu’aucun de vous n’ait d’instruction ; la connaissance est un mal ; la connaissance rend fou. La sagesse fait mourir, écoutez-moi, moi seul vous sauverai. La médecine officielle fait mourir ceux qu’elle promet de guérir.
Le docteur en christianisme agit comme un homme ivre qui, ayant rejoint un groupe d’ivrognes, accuserait ceux qui sont sobres d’être en état d’ivresse.
Le maître chrétien souffre des yeux, et ses disciples souffrent de la même maladie, il agit comme quelqu’un qui ayant rejoint d’autres hommes atteints d’ophtalmie, accuserait ceux qui voient clair d’être aveugles.
Ces accusations je dois les porter contre eux, ainsi que d’autres, de même nature, pour ne pas les énumérer toutes une par une, j’affirme qu’ils sont dans l’erreur, et qu’ils agissent de façon injurieuse envers le grand Dieu, afin de tromper les méchantes gens par de vaines espérances, et les persuader de mépriser les meilleures choses de la vie, en leur disant que s’ils s’en abstiennent ce sera mieux pour eux.
------------------------ -------------------------- -------------------------- ------------------------ --------------------------- -----
Contre-lai N° 29.
Là encore, il doit s’agir d’allusions aux prêches de saint Paul. Ainsi que nous l’avons vu à maintes reprises, nul n’est obligé de suivre Celse jusqu’au bout de ses conclusions. Se préoccuper prioritairement des obscurs, des petits, et des sans-grade, n’est nullement un vice rédhibitoire. Mais, il ne faut pas exagérer non plus dans l’autre sens, et là Celse a entièrement raison. Venons-en maintenant aux autres remarques de notre ami et qui portent essentiellement SUR LES CHRÉTIENS GNOSTIQUES. NOUS DISONS BIEN LES CHRÉTIENS GNOSTIQUES. LES CHRÉTIENS GNOSTIQUES. LES CHRÉTIENS GNOSTIQUES. LES CHRÉTIENS GNOSTIQUES. VOIR NOTRE ESSAI À CE SUJET.
-------------------------------------------------- -------------------- ------------------------------ ---------------------------- ----
Les Juifs et les chrétiens ont, paraît-il, le même Dieu.
Il est certain en effet que les membres de la grande Église l’admettent, et tiennent pour vrais les récits concernant la création du monde qui ont cours parmi les Juifs, à savoir l’histoire des six jours et du septième.
45
Certains d’entre eux admettront donc que leur Dieu est le même que celui des Juifs, mais d’autres soutiendront que c’est un dieu différent, que le dieu des juifs s’y oppose, et que c’est du premier que le Fils est venu.
Que pourrait-il y avoir de plus stupide ou fou que cette sagesse insensée ? Car quelle faute le législateur juif a-t-il commise en l’occurrence ? Et pourquoi acceptez-vous, comme vous le reconnaissez, au moyen de certaines méthodes d’interprétation allégorique classique, la cosmogonie qu’il donne, et la loi des Juifs, alors que c’est avec réticences, O vous les plus impies des hommes, que vous louez le Créateur de ce monde, qui a promis de leur donner toutes choses ; qui a promis de multiplier leur race jusqu’aux extrémités de la terre, de les ressusciter des morts avec la même chair et le même sang, et qui a inspiré leurs prophètes ; vous le calomniez ! Lorsque vous vous sentez de taille à réfléchir à tout cela, vous reconnaissez que vous adorez le même Dieu ; mais quand votre maître Jésus et le juif Moïse rendent des jugements contradictoires, vous vous référez à un autre Dieu que lui : le Père !
Passons sur les objections que l’on pourrait faire aux prétentions de leur maître, et admettons que ce soit vraiment un ange. Mais est-il le premier et le seul qui soit venu (pour les hommes), ou y en eut-il d’autres avant lui ? S’ils disent qu’il est le seul, alors ils se rendent coupables de mensonges contre eux-mêmes. Car ils affirment qu’à maintes reprises d’autres sont venus, jusqu’à soixante ou soixante-dix d’entre, mais que ces derniers ont été maudits, ont été emprisonnés sous terre et enchaînés, et que c’est de là que viennent les sources chaudes, qui sont leurs larmes ; en outre qu’il vînt un ange au tombeau de ladite entité – un seul selon certains, en effet, mais deux selon d’autres – pour dire aux femmes qu’il s’était relevé (d’entre les morts). Car il paraît que le Fils de Dieu ne pouvait pas lui-même ouvrir le tombeau, mais avait besoin de l’aide de quelqu’un d’autre pour faire rouler la pierre. Et il vint aussi à cause de la grossesse de Marie un ange pour le charpentier, puis un autre encore, afin qu’ils puissent fuir (en Égypte) avec l’enfant. Mais est-il nécessaire de donner plus de détails, ou de dénombrer les anges que l’on dit avoir été envoyés à Moïse, ainsi qu’à d’autres chez eux ? Si d’autres ont été envoyés pareillement, alors il est évident qu’il est aussi venu de la part du même Dieu. Mais on peut supposer que ce fut pour dire quelque chose de plus important (que ceux qui l’avaient précédé), par exemple que les Juifs avaient commis des péchés, ou corrompu leur religion, ou perpétré des actes d’impiété ; car tout ceci est sous-entendu.
Il n’est donc pas le seul dont on dit qu’il a visité la race humaine, et même ceux qui, sous prétexte d’enseigner au nom de Jésus, ont fait du Créateur un être inférieur, et ont donné leur adhésion à celui qui est un Dieu supérieur, père de celui qui a visité (le monde), affirment qu’avant lui certains êtres sont venus de la part du Créateur pour visiter la race humaine.
Il existe une troisième catégorie de chrétiens qui qualifient certaines personnes de « charnelles » et d’autres de « spirituelles », et il y a des gens qui se disent eux-mêmes gnostiques. Il y a ceux qui acceptent Jésus, et qui se disent chrétiens pour cette raison, et qui pourtant ordonnent leur vie comme le fait la multitude des juifs, conformément à la loi juive.
Il y a des simoniens qui adorent Hélène, ou Hélénos, comme leur maître, et sont appelés héléniens, des marcelliniens, ainsi nommé de Marcellina, des carpocratiens de Salomé, et d’autres qui tirent leur nom de Mariamne, ou d’autres encore de Marthe, et des marcionites, dont le chef était Marcion.
Il y en a d’autres encore qui de façon plus perverse encore se sont inventé un maître ou un esprit, et qui se vautrent à son propos dans une grande obscurité, plus impie et maudite que celle des compagnons de l’Égyptien Antinoüs.
On peut entendre tous ces gens pourtant si différents se répandre en paroles du genre : « Le monde est crucifié pour moi, et moi je le suis pour le monde ».
-------------------------------- ------------------ -------------------------------------------------- ---------------------------- ----
Contre-lai N° 30.
Encore une fois, répétons-le, Celse vise là principalement le christianisme gnostique dans la mesure où il était alors apparemment aux yeux de Celse la première forme de christianisme.
---------------- ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------- ------
Tout cela est mieux exposé chez Grecs (que dans les Écritures) et d’une manière dénuée de toutes les exagérations et promesses de la part de Dieu, ou du Fils de Dieu.
Platon par exemple, bien que soutenant que le souverain bien ne saurait être décrit par des mots, afin d’éviter néanmoins de donner l’impression d’esquiver le débat, fournit une raison à cette difficulté, car un « rien » ne saurait être décrit par des mots.
46
On ne peut accuser Platon de se vanter et de mentir en disant qu’il a découvert quelque chose de nouveau, ou qu’il est descendu du ciel pour l’annoncer, car il ne cache pas d’où il tient ses idées. Nous ne disons pas à chacun de nos interlocuteurs : « Crois d’abord que celui dont je te parle est le Fils de Dieu, même s’il a été honteusement enchaîné et misérablement supplicié, et qu’il a très récemment été traité de la façon la plus outrageante qui soit aux yeux de tout le monde. Croyez-le même d’autant plus (à cause de cela) ».
Si ceux-ci mettent en avant (comme étant le Christ) telle personne et d’autres encore un individu différent, alors que le mot d’ordre de toutes les parties est « Crois, si tu veux être sauvé, ou passe ton chemin », que doivent faire ceux qui sont sérieusement en quête de leur salut ? Jeter les dés afin de savoir où ils doivent aller et qui ils doivent rejoindre.
Les chrétiens proclament que la sagesse qui est des hommes est folie aux yeux de Dieu, car ils veulent rallier grâce à ces dires uniquement les ignorants et les idiots.
Les chrétiens sont des sorciers qui fuient à toute jambe devant les citoyens plus civilisés, car ce ne sont pas des hommes qui s’en laissent imposer, mais qui cherchent à leurrer les gens plus rustiques.
COMMENTAIRE D’ORIGÈNE. Celse voulait montrer par-là que cette déclaration était une de nos inventions, mais empruntée aux sages grecs, qui déclarent que la sagesse humaine est d’un certain genre et la sagesse divine d’un autre. Il imagine que le propos a été tiré de quelque parole de Platon mal comprise quand il écrit que la maxime « Il est plus facile pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu » vient manifestement de Platon, et que Jésus a déformé les propos du philosophe.
-------------------- -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Contre-lai N° 31.
Le mot « chameau » semble être ici une erreur de traduction pour « corde ».
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- ------
Certains chrétiens, ayant mal compris les paroles de Platon, se revendiquent ostensiblement d’un dieu « supra-céleste » vivant au-delà du ciel des Juifs. Tout ceci est déjà plus ou moins sous-entendu dans les récits des Perses, et notamment dans les mystères de Mithra, qu’on célèbre chez eux.
Ils mélangent tout sans arrêt, discours des prophètes, cercles sur cercles, ruisseaux d’une église terrestre et de la circoncision ; puissance émanant d’une certaine Prunicos, vierge et âme vivante ; ciel abattu pour vivre, terre transpercée par le glaive, beaucoup d’hommes mis à mort pour qu’ils vivent, la mort qui cessera de faire son œuvre dans ce monde, lorsque le péché du monde sera mort ; et, encore une fois, une voie étroite, et des portes qui s’ouvrent spontanément. Dans tous leurs écrits (on mentionne) l’arbre de la vie, et une résurrection de la chair au moyen de cet « arbre », parce que, me semble-t-il, leur maître a été cloué sur une croix, et qu’il était charpentier de métier ; de sorte que s’il avait par hasard été jeté dans un précipice, ou jeté dans une fosse, ou asphyxié par pendaison, ou avait été cordonnier ou tailleur de pierre, ou forgeron, ils auraient (inventé) un précipice de la vie au-delà des cieux, une fosse de la résurrection, une corde de l’immortalité, une pierre sacrée, un fer de l’amour, ou un cuir béni ! Quelle est la vieille femme qui n’aurait pas honte de murmurer de telles inepties, même en racontant des histoires pour endormir un enfant ?
Est-il nécessaire ici de faire la liste exhaustive de tous ceux qui ont enseigné des méthodes de purification, des hymnes expiatoires, des charmes pour éviter le mal (comment faire) des images, ou des ressemblances de démons, diverses sortes d’antidotes contre le poison (qu’il peut y avoir) dans les vêtements, les nombres, les pierres, les plantes, ou les racines, et plus généralement un peu partout ?
J’ai vu entre les mains de certains prêtres chrétiens des livres barbares contenant les noms et les merveilleux prodiges des esprits ; et ces prêtres de leur foi se faisaient forts de ne pas faire le bien, mais tout ce qui était susceptible de blesser des êtres humains.
Ceux qui utilisent les arts de la magie et de la sorcellerie, et qui invoquent les noms étrangers des esprits, agissent comme ceux qui, en parlant des mêmes choses, font des merveilles devant ceux qui ignorent que les noms des esprits chez les Grecs sont différents de ce qu’ils sont chez les Scythes.
---------------------- ---------------------------------- ------------------------------------------------------------------------ -----
Contre-lai N° 32.
Encore une fois, répétons-le, Celse parle ici surtout du christianisme gnostique qui semble être le seul à exister à ses yeux.
------------------- ------------------------------------------------------- ---------------------------------------------- -------------
47
À tout cela les chrétiens objectent alors : oui, mais dans ces conditions comment pourrais-je connaître Dieu ? Et comment pourrai-je découvrir le chemin qui mène à lui ? Et comment me le montrerez-vous ? Puisque maintenant, en effet, vous faites l’obscurité autour de moi et que je ne vois plus clair.
Ceux que l’on fait passer de l’obscurité à la lumière, étant incapables de résister à ses splendeurs, ont en effet la vue troublée et blessée, et donc imaginent ainsi qu’ils sont atteints de cécité.
COMMENTAIRE D’ORIGÈNE : Celse nous demande comment nous pensons connaître Dieu, et comment nous serons sauvés par Lui ? Il affirme que la réponse que nous donnons est basée uniquement sur des suppositions, et la présente comme suit : « Puisque Dieu est grand et difficile à voir, il a mis son esprit dans un corps qui ressemblait au nôtre, et nous l’a envoyé ici-bas, afin que nous puissions l’entendre et le connaître ».
Mais Celse ajoute que, comme le Fils de Dieu, qui a été dans un corps humain, est un esprit, ce propre Fils de Dieu ne saurait être immortel [puisque aucun esprit ne dure éternellement]. Certains chrétiens ne considèrent pas d’ailleurs que Dieu soit un esprit et admettent cela uniquement pour son fils. Il en conclut donc que le grand Dieu doit nécessairement avoir abandonné ledit esprit et que Jésus n’a pas pu se relever d’entre les morts avec son corps.
Car le grand Dieu n’aurait pu reprendre en son sein un esprit qu’il avait donné, après qu’il ait été souillé par le contact avec un corps.
S’il avait souhaité envoyer son propre esprit, quel besoin avait-il de l’insuffler dans le ventre d’une femme ? Il savait déjà comment fabriquer des hommes, il aurait donc pu façonner un corps pour cette personne, sans couler son propre esprit dans une telle pollution ; et ainsi donc il n’aurait pas été accueilli avec incrédulité.
-------------------------------- ------------------------------------------------------------------------------------------------ ------
Contre-lai N° 33.
Cas de l’évêque de Sinope nommé Marcion justement, qui considérait que le christ n’était pas né de la Vierge Marie, mais avait fait son apparition sur terre à Capharnaüm sous la forme d’un homme déjà adulte.
Dans l’évangile selon Marcion, le Dieu de la Bible juive, créateur de ce monde, est en effet un dieu à la justice impitoyable et qui punit ceux qui ont enfreint sa Loi avec sévérité ; mais Jésus, lui, a été envoyé par un autre Dieu, supérieur, un Dieu qui n’est, lui, que toute bonté.
------------------------ -------------------------------------------- ------------------------------------------------------------ -----
Puisqu’un esprit divin a habité le corps (de Jésus), il doit certainement avoir été différent de celui des autres êtres humains, en ce qui concerne la noblesse, la beauté, la force, la voix, la splendeur, l’impression faite, ou la force de conviction. Car il est impossible qu’il n’ait pas été différent, lui à qui une part de divinité avait été accordée au-delà des autres hommes, alors que sa personne ne différait en rien, et qu’il était, à ce qu’on dit, petit, laid, voire dénué de toute noblesse. En outre il ne s’est pas montré lui-même exempt de tout mal.
Si le grand Dieu, à l’instar de Jupiter dans les comédies, se réveillant d’un long sommeil, avait soudainement désiré sauver du mal la race humaine, pourquoi donc a-t-il envoyé cet Esprit dont vous parlez dans un seul canton (de la Terre) ? Il aurait dû l’insuffler pareillement dans de nombreux corps, et les envoyer dans le monde entier. Le poète comique, pour faire rire au théâtre, écrit que Jupiter, après s’être réveillé, a dépêché Mercure aux Athéniens et aux Lacédémoniens à la fois ; mais ne pensez-vous pas que vous avez rendu le Fils de Dieu encore plus ridicule en l’expédiant seulement chez les Juifs ?
------------------------ -------------------------- -------------------------------- --------------------------------------------- -----
Contre-lai N° 34.
Vieux problème soulevé par la notion de peuple élu. À moins de s’en tenir à l’antique tautologie druidique consistant à déclarer que tout peuple est par définition élu par ses dieux, et réciproquement puisque l’Homme fait les dieux à son image ; on ne voit pas pourquoi le Dieu supérieur de tous les hommes, à l’origine de ce monde et de l’univers entier, serait plus le père des uns que des autres. Pourquoi l’Être Dieu Unique devrait-il plus s’occuper des juifs que des pauvres Galates par exemple ? Cette idée de peuple élu porte en elle le racisme comme les nuées portent l’orage en leur sein. La notion de peuple élu est au racisme ce que la mobilisation est à la guerre. Et en 1914, même Jean Jaurès n’a pas pu s’y opposer. Ce véritable crime contre l’esprit a pourtant été repris par les chrétiens avec le concept de leurs théologiens s’énonçant ainsi en latin : extra ecclesiam nulla salus ! Hors de l’Église point de salut ! Les goïm au sens chrétien du terme, autrement dit les non baptisés, sont voués à l’enfer de Dante.
------------------- --------------------------- -------------------- ------------------------------------------------------------- -----
Bien qu’omniscient, le grand Dieu ne se rendait-il pas compte du fait qu’il envoyait son Fils chez des hommes odieux, qui allaient tous se révéler pécheurs et lui infliger le châtiment suprême ?
48
Ils n’accordent aucun crédit aux oracles de la Pythie, des prêtres de Dodone, de Claros, des Branchides, de Jupiter Ammon, et d’une multitude d’autres ; bien que nous puissions dire que des colonies ont été fondées, et le monde entier peuplé, en suivant leurs conseils. Mais les assertions formulées, ou non formulées en Judée, mais à la façon de ce pays, comme cela se fait encore chez les Phéniciens et les Palestiniens, là ils les tiennent pour des choses merveilleuses et d’éternelles vérités.
Il y en a beaucoup chez eux qui, bien qu’étant anonymes, avec la plus grande facilité et à la moindre occasion, à l’intérieur ou à l’extérieur des temples, adoptent les mouvements et les gestes des personnes inspirées ; tandis que d’autres le font dans les villes ou au cœur des foules, afin d’attirer l’attention et de susciter la surprise. Ils ont alors coutume de dire chacun de leur côté « Je suis Dieu ; Je suis le Fils de Dieu » ; ou « Je suis l’Esprit Divin ; je suis venu parce que le monde est en train de mourir, et que vous, O hommes, êtes en train de périr à cause de vos iniquités. Mais Je veux vous sauver, vous me verrez revenir doté d’une puissance céleste. Béni est lui qui me rend hommage dès maintenant. Sur tous les autres je ferai descendre le feu éternel, à la fois sur les villes et les pays. Et ceux qui ne connaissent pas les châtiments qui les attendent se repentiront et s’affligeront en vain ; tandis que ceux qui me sont fidèles je les sauverai pour l’éternité ». À ces promesses s’ajoutent des mots étranges, exaltés, et totalement inintelligibles, dont aucune personne de sensée ne peut trouver la signification tellement ils sont obscurs, voire n’ont aucun sens du tout ; mais qui fournissent au premier imbécile ou imposteur venu l’occasion de les reprendre à son compte afin de les adapter à ses propres objectifs.
-------------------- ------------------- --------------------------------- ------------------------------------------------------- -----
Contre-lai Nº 35.
Si Celse avait vécu à cette époque, il aurait évidemment dit la même chose de Mahomet et du Coran vouant à l’enfer les infidèles et promettant le paradis à ceux qui feraient ses quatre volontés.
----------------------- ----------------------------------------------------------- ---------------------------------------------- -----
Comment quelqu’un qui a été supplicié ainsi peut-il s’avérer être le Fils de Dieu, bien que cela ait été prédit à son sujet ? Dans leurs livres le grand Dieu fait les choses les plus effrontées, ou souffre les douleurs les plus indignes.
En quoi valait-il mieux pour le grand Dieu manger de la viande de mouton, boire du vinaigre et du fiel, que se nourrir d’immondices ?
Ceux qui soutiennent la cause du Christ en se référant aux écrits des prophètes ne peuvent rien objecter aux témoignages qui attribuent au grand Dieu des choses mauvaises, honteuses, ou impures.
Mais de grâce si les prophètes ont prédit que le grand Dieu – pour ne pas dire pire – serait esclave, ou malade ou mourrait ; faut-il pour autant que ce grand Dieu doive mourir, souffrir de maladie, ou être esclave, simplement parce que ceci a été prédit ? Doit-il mourir afin de prouver sa divinité ? Les prophètes ne devraient jamais prédire des choses si mauvaises et impies. Nous n’avons donc pas besoin de savoir si un événement a été prévu ou non, mais si la chose est intrinsèquement honorable, et digne du grand Dieu. Même si dans un accès de folie tous les hommes sur terre paraissaient l’avoir prédit nous ne devons pas croire pour autant ce qui est mal et vil à propos de Dieu. Comment un esprit véritablement pieux peut-il croire que ce qui s’est produit dit-on, pouvait arriver à quelqu’un qui est Dieu ?
Si ces choses ont été prédites à propos du Dieu suprême, sommes-nous tenus de les croire simplement parce qu’elles ont été prévues ?
Même si les prophètes ont vraiment dit ça du Fils de Dieu, on ne peut pas croire ces prophéties annonçant qu’il ferait ou souffrirait telles choses.
Si les prophètes du Dieu des Juifs ont bien prédit que celui qui viendrait dans ce monde serait le Fils de leur Dieu, comment pourrait-il leur commander par le truchement de Moïse d’accumuler des richesses, d’étendre leur règne, de remplir la terre, de passer leurs ennemis de tous âges au fil de l’épée, ou de les anéantir, ce qu’il a fait lui-même d’ailleurs – d’après Moïse – en menaçant s’ils n’obéissaient pas à ses commandements, de les traiter comme ses ennemis déclarés ; alors que, d’autre part, son fils, l’homme de Nazareth, a édicté des lois contraires à ces dernières, en déclarant que personne ne peut venir au Père qui recherche la puissance, la richesse, ou la gloire ; que les hommes ne doivent pas faire plus attention que les corbeaux à leur subsistance ; qu’ils ne doivent pas plus que les lis se préoccuper de leurs vêtements ; qu’à celui qui leur a donné un coup, ils doivent s’offrir d’en recevoir un autre ? Est-ce Moïse ou Jésus qui enseigne juste ? Le Père, quand il a envoyé Jésus, avait-il oublié les instructions qu’il avait données à Moïse ? Ou avait-il changé d’avis, condamné ses propres lois, et envoyé un messager pour le faire savoir ?
49
------------------- --------------------------------------------------------------------- ---------------------------------------- -----
Contre-lai No 36.
Celse insiste donc lourdement sur les incompatibilités entre le message de la Bible juive (la loi du talion, la loi et la punition en cas d’infraction) et celui des quatre Évangiles : l’amour ! (Enfin en principe.)
Il a l’impression que deux messages aussi opposés ne peuvent avoir une même origine ; car évidemment il ne peut supposer un seul instant que le vrai dieu supérieur puisse à ce point se tromper et changer d’avis à l’instar d’un vulgaire mortel comme vous et moi.
----------------------- ------------------------------------------------------------------ ------------------- ------------------------
À PROPOS DE LA DOCTRINE DE LA RÉSURRECTION DES CORPS, Celse apparemment renvoyait les chrétiens aux cas des oracles de Trophonios, d’Amphiaros, et de Mopse.
Les dieux ayant une forme humaine ne s’y montrent pas rien qu’une fois, ou par intermittence, comme celui qui a trompé les hommes, mais restent toujours accessibles à ceux qui le désirent.
Quand ils ont été ainsi victorieusement réfutés sur ce point, nonobstant toutes ces objections, les chrétiens reviennent néanmoins toujours à la charge avec la même question : « Mais alors comment verrons-nous et connaîtrons-nous Dieu ? Comment pouvons-nous connaître Dieu, si ce n’est par l’intermédiaire de nos sens ? Car comment pouvons-nous acquérir des connaissances autrement que par nos sens ? »
Ce n’est pas là le langage d’un sage ; il ne vient pas de l’âme, mais de la chair. Qu’ils nous écoutent plutôt, si une telle engeance si dénuée d’esprit et si physique peut le faire ! Si, au lieu de vous servir de vos sens, vous regardez vers le haut avec votre âme ; si, délaissant les yeux du corps, vous ouvrez les yeux de l’esprit, alors et alors seulement vous pourrez voir Dieu. Mais si vous cherchez quelqu’un pour vous servir de guide tout au long de cette route, vous devrez d’abord éviter les charlatans et les bateleurs qui feront apparaître des fantômes devant vous. Vous agirez au contraire de la façon la plus ridicule qui soit, si, bien que maudissant les autres qui sont reconnus comme étant des dieux, en les traitant d’idoles, vous rendez en même temps hommage à une idole encore plus misérable que n’importe laquelle d’entre elles, qui n’est même pas une idole d’ailleurs ni un fantôme, mais un homme mort, et lui cherchez un père semblable.
On comprend mieux alors comment les hommes divinement inspirés recherchent la voie de la vérité, et à quel point Platon a eu raison de comprendre qu’il était impossible que tous les hommes la suivent. Mais comme des sages l’ont trouvée dans le but exprès de pouvoir nous donner une idée de celui qui est l’Être premier ineffable,-à savoir une idée qui puisse nous le faire entrevoir par l’intermédiaire d’autres objets,-ils essaient, soit par des synthèses, c’est-à-dire par des combinaisons de diverses qualités, soit par des analyses, c’est-à-dire en distinguant ou isolant des qualités, voire finalement par analogie ;— ils essaient donc de la sorte, disais-je, de présenter ce qu’il est impossible d’exprimer par des mots. Mais je serai surpris que vous puissiez suivre la leçon qui suit étant donné que vous êtes si attachés à la chair que vous n’êtes pas capables de voir autre chose que des choses impures…
Ce qui existe ce sont, soit des choses intelligibles – que l’on appelle des substances - ; soit des choses tangibles, que l’on dit sujettes à changement : dans les premières il y a la vérité ; dans les dernières apparaît l’erreur. La Vérité est objet de connaissance ; la vérité et l’erreur ensemble forment l’opinion. Les objets intelligibles sont connus par la raison, les objets tangibles par les yeux ; l’action de la raison est dite perception intelligente, celle des yeux vision. Tout comme, au sein des choses visibles, le soleil n’est ni l’œil ni la vision, mais permet à l’œil de voir, et rend donc la vision possible, en conséquence de quoi les choses tangibles sont aperçues, les choses sensibles existent et lui-même est visible ; de même parmi les choses intelligibles, quelque chose qui n’est ni la raison, ni la perception intelligente, ni la connaissance, est pourtant ce qui permet à la raison de savoir, qui rend la perception intelligente possible ; en conséquence de quoi la connaissance apparaît, les choses deviennent intelligibles, et la vérité elle-même ainsi que les substances existent ; et ce qui est au-dessus de tout cela devient alors d’une certaine façon lui aussi intelligible.
--------------------------- ----------------------------------- ----------------------------------------------------------------- ------
Contre-lai N° 37.
Un cours de philosophie pas facile à suivre en effet. Celse se montre là visiblement un adepte de la notion platonicienne d’Idée. Personne n’est obligé d’être à 100 % satisfait par de tels concepts, John Toland nous l’a bien montré. La philosophie grecque est une philosophie parmi d’autres. Il y en eut d’aussi intéressantes, celle du grand penseur indien nommé Sankara par exemple (700 ?750).
50
------------------------------------------------------------ --------------------------------------------------------------------
Toutes ces choses sont livrées à la méditation des gens intelligents ; et si même vous, vous pouvez en comprendre certaines, alors ce sera bien. Et si vous pensez qu’un Esprit Divin est venu du grand Dieu pour annoncer aux hommes des choses divines, c’est sans aucun doute ce même Esprit qui révèle ces vérités, et ce fut en étant pareillement inspirés que des hommes d’autrefois ont fait connaître beaucoup de vérités importantes. Mais si vous ne pouvez pas comprendre ceci, alors taisez-vous ; n’étalez pas votre ignorance, et n’accusez pas de cécité ceux qui voient, ni d’être boiteux ceux qui courent, alors que vous-même avez visiblement l’esprit boiteux et mutilé, et que vous ne vous intéressez qu’à une vie purement animale, la vie du corps, qui est la partie mortelle de notre nature.
Puisque vous êtes si avides de nouveauté, combien il aurait mieux valu que vous preniez pour objet de votre zèle un de ceux qui ont trouvé une mort glorieuse, et dont la divinité a pu être confortée par un mythe pour perpétuer la mémoire ! Si vous n’aviez pas assez d’Hercule ou d’Esculape, ni d’autres héros de l’antiquité, vous aviez Orphée, qui était de l’aveu de tous un homme divinement inspiré, victime d’une mort violente. Mais d’autres l’avaient peut-être déjà pris. Vous pouviez alors prendre Anaxarque, qui, ayant été jeté dans un mortier, et pilonné de la façon la plus cruelle, méprisa souverainement sa douleur en disant, « Battez, battez l’enveloppe d’Anaxarque, parce que lui-même vous ne l’atteindrez pas », discours émanant assurément d’un esprit vraiment divin. Mais il y en avait d’autres avant vous qui suivaient son interprétation des lois de la nature. Ne pouviez-vous pas prendre Epictète, qui, alors que son maître lui tordait la jambe, répondit en souriant et impassible, « Vous allez me briser la jambe » et quand elle fut cassée il ajouta : « Ne vous avais-je pas dit que vous la casseriez » ? Quel cri équivalent à ceux-là votre dieu a-t-il poussé sous le coup de la souffrance ? Et même si vous aviez dit de la Sibylle, dont certains d’entre vous reconnaissent l’autorité, que c’était une enfant de Dieu, vous auriez dit là quelque chose de plus raisonnable. Mais vous avez eu l’outrecuidance d’inclure dans ses écritures beaucoup de choses impies, et avez pris pour dieu quelqu’un qui a fini la plus infâme des vies par la plus malheureuse des morts. Combien il aurait mieux valu que ce soit Jonas avalé par la baleine, ou Daniel livré aux fauves, ou n’importe qui appartenant à un genre encore plus impressionnant !
Ils ont également pour précepte que nous ne devons pas nous venger de quelqu’un qui nous agresse, ou, ainsi qu’il le dit : « À qui te frappe sur une joue, offre-lui l’autre également. » C’est une antique maxime, qui a été très bien exprimée depuis longtemps, et qu’ils se sont contentés de rapporter plus grossièrement. Car Platon nous montre Socrate dialoguant avec Criton comme suit :
« Devons – nous jamais faire injustice à quelqu’un ? »
« Certainement pas ! »
« Puisque nous ne devons jamais commettre d’injustice, nous ne devons donc pas rendre injustice pour injustice quand nous en avons subi une, contrairement à ce que la plupart des gens pensent ? »
« Il me semble que nous ne devons pas effectivement ».
« Mais dis-moi, Criton, peut-on faire du mal à quelqu’un ou pas ? »
« Jamais, O Socrate ».
« Bien, est-il juste, comme on le dit généralement, pour quelqu’un qui a subi quelque chose de mal, de faire du mal en échange, ou est-ce injuste ? »
« C’est injuste. Oui ; car faire du mal à quelqu’un est la même chose que lui faire subir une injustice ».
« Tu dis vrai. Nous ne devons donc pas rendre injustice pour injustice, ni ne devons faire du mal à quiconque, quel que soit le mal que nous avons pu subir de sa part ».
Ainsi parle Platon qui ajoute : « Vois maintenant si tu es d’accord avec moi, et si, à partir de ce principe, nous ne pouvons pas en venir à la conclusion qu’il n’est jamais juste de commettre une injustice, même en riposte à une injustice qui a été subie ; ou si, au contraire, tu n’es pas d’accord, et n’admets pas le principe dont nous sommes partis » ?
« Ceci a toujours été mon avis, et je n’en ai pas changé ! »
Telle était donc l’opinion de Platon à ce propos, et elle avait déjà été exprimée par certains hommes divins avant lui. Mais que ceci suffise comme exemple de la manière dont cela ainsi que d’autres vérités a été emprunté et corrompu. N’importe qui pourra facilement en trouver plus s’il le désire.
--------------- --------------------------------- ------------------------ ----------------------------------- -------------------------
Contre-lai N° 38.
Le grand sociologue Gaston Bouthoul a bien expliqué dans son traité consacré aux variations et aux mutations sociales que toutes les valeurs humaines ou humanistes avaient déjà été découvertes ou soulignées depuis longtemps ; et qu’aucune invention ou découverte de valeurs n’était possible en
51
réalité, que seule pouvait varier la hiérarchisation de ces valeurs. Toute nouvelle religion consiste donc non en une invention de nouvelles valeurs, mais en une réorganisation desdites valeurs dans la société, un déplacement des priorités ; l’accent étant désormais placé sur telle ou telle valeur et plus sur telle ou telle autre, devenue secondaire.
Disons donc que les chrétiens ont redécouvert de leur côté un certain nombre de valeurs. Ce n’est pas un crime et cela vaut mieux que le contraire. En revanche ce que l’on peut leur reprocher c’est de constamment faire comme s’ils avaient été les premiers, ou les seuls, à les avoir prônées. Là on est à la limite de la malhonnêteté intellectuelle ou du mensonge.
Celse est contre la loi du talion telle qu’elle figure dans la Bible et selon lui le premier à avoir, on ne saurait plus clairement, rejeté cette loi juive, a été, non Jésus, mais Platon.
Il est certain qu’il est préférable de sortir du cycle infernal des vengeances et des vendettas, mais l’autodéfense est elle aussi un droit des plus sacrés. On ne peut interdire à personne de se défendre ou de défendre les siens. Sans compter que toute mauvaise action doit aussi trouver sa sanction, d’une façon ou d’une autre.
---------------- ------------------------- ---------------------------------------------------------------------------------------------
Venons-en à autre chose. Ils ne peuvent pas supporter les temples, les autels, ni les images. Les chrétiens ne considèrent pas comme étant des dieux ce qui a été fabriqué de main d’homme, car il n’est pas raisonnable de supposer que des images, réalisées par les plus indignes et dépravés des ouvriers, voire dans de nombreux cas aussi offertes par de méchantes gens, le sont.
En cela ils sont comme les Scythes, les tribus nomades de Libye, les Sères, qui n’adorent aucun dieu, et d’autres parmi les nations les plus barbares et les plus impies du monde. Que les Perses aient eu les mêmes idées nous est montré par Hérodote quand il écrit : « Je sais que parmi les Perses on considère comme illicite d’ériger des images, des autels, ou des temples. Ils accusent de folie ceux qui agissent ainsi, parce que, ainsi que je le suppose, ils n’imaginent pas comme les Grecs, que les dieux sont de la même nature que les hommes ». Héraclite signale également quelque part : « Les gens qui adressent des prières à ces images sans savoir ce que sont vraiment les dieux ou les héros agissent comme ceux qui parlent aux murs ».
Quelle leçon plus sage que celle d’Héraclite ont-ils à nous enseigner ? Il suggère clairement qu’il est insensé d’adresser des prières à des images quand on ignore ce que sont ces dieux et ces héros. Telle est l’opinion d’Héraclite, mais eux vont plus loin, et dédaignent sans exception toutes les images. S’ils veulent simplement dire par là que la pierre, le bois, le laiton, ou l’or, qui a été travaillé par tel ou tel artiste, ne saurait être un dieu, ils sont ridicules avec leur sagesse. Qui, à moins d’être complètement puéril, peut prendre ces œuvres pour des dieux, et pas pour des offrandes vouées au service des dieux, ou des images les représentant ? Mais si nous ne devons pas considérer ces dernières comme représentant l’Être Divin, vu que le grand Dieu a une forme tout autre, ainsi que les Perses sont d’accord pour le dire avec eux, alors qu’ils fassent attention de ne pas se contredire ; car ils disent aussi que Dieu a fait l’homme à son image, et qu’il lui a donné une forme semblable à la sienne.
---------------------- ------------------------ --------------------------------------------------------------------------------- ------
Contre-lai N° 39.
À en croire Celse, les premiers chrétiens ont donc commencé par être tous iconoclastes et contre l’utilisation de statues ou de peintures comme support pour le culte ou la prière.
Or il suffit aujourd’hui de mettre les pieds trente secondes dans une église [ce qui n’est pas arrivé depuis longtemps à l’auteur de cette compilation, il est vrai. « La dernière fois que j’ai assisté à une cérémonie du culte catholique, la procession de saint Pierre jusqu’au port, ce fut à Toulon en 2007 ; c’était surtout pour la faire découvrir à mon fils aîné Jean-Loup, et en plus on n’est même pas rentré assister à la messe, même si lui avait été enfant de chœur ; nous avons attendu dehors avec les touristes la sortie de la statue du saint patron des pêcheurs »] pour en voir à profusion, y compris chez les hommes en noir (les prêtres orthodoxes). Que s’est-il passé ? Dieu et le Saint-Esprit ont-ils encore une fois changé d’avis ?
--------------------- -------------------------------------------- -------------------------------------------------------------- ------
Ils admettront parfois que ces images, qu’elles leur ressemblent ou non, sont destinées à honorer certains êtres. Mais ils soutiendront alors que les êtres à qui elles sont dédiées ne sont pas des dieux, mais des esprits, et qu’un adorateur du grand Dieu ne doit pas adorer les esprits.
Mais d’abord pourquoi ne devrions-nous pas honorer les esprits ? N’est-il pas vrai que tout dans l’univers est ordonné selon la volonté du grand Dieu, et que sa providence gouverne toutes choses ? Tout ce qui arrive dans l’univers, que ce soit l’œuvre de Dieu, des anges, d’autres démons, ou des héros, n’est-il pas soumis à la loi du Dieu Suprême ? Ne se sont-ils pas vus assigner différentes fonctions dont ils ont été personnellement jugés dignes ? N’est-il donc pas juste dans ces conditions
52
que celui qui adore le grand Dieu doive aussi servir ceux à qui le grand Dieu a délégué de tels pouvoirs ?
Il est impossible à un homme, disent-ils, de servir plusieurs maîtres à la fois. C’est là le langage de la sédition, il est utilisé par ceux qui font bande à part et se tiennent à l’écart de toute société humaine. Ceux qui parlent de cette manière attribuent leurs propres sentiments et passions au grand Dieu. Il est parfaitement vrai chez les hommes que celui qui est au service d’un maître ne peut pas bien en servir un autre, parce que le service qu’il rend à l’un empièterait sur celui qu’il doit à l’autre ; et personne, donc, déjà personnellement engagé au service de l’un, ne doit accepter d’en servir un autre. De la même façon, il est impossible de servir à la fois des héros ou des esprits de nature différente. Mais vis-à-vis du Dieu suprême, qui n’est sujet à aucune souffrance ni perte, il est absurde d’hésiter à servir plusieurs petits dieux, comme quand nous avons à faire avec des demi-dieux, ou d’autres esprits de cette sorte. Celui qui sert ainsi de nombreux petits dieux plaît au Dieu Très-Haut, car il fait honneur de la sorte à ceux qui lui appartiennent. Il est en effet inapproprié de rendre des honneurs à qui le grand Dieu n’a conféré aucun privilège, mais en honorant et adorant tous ceux qui appartiennent à Dieu, nous ne déplaisons nullement à leur maître.
Celui qui, en parlant de Dieu, affirme qu’il n’y a qu’une seule personne qui puisse être honorée du titre de seigneur, parle de façon impie, en impliquant qu’il y a des factions séparées dans le royaume divin, et qu’il y a un rival qui est son ennemi, donc il divise le royaume de Dieu, et prépare la sédition en son sein.
------------------------------- ------------------- -------------------------------------------------- ---------------------------- ----
Contre-lai N° 40.
Le raisonnement de Celse, tel qu’il est exposé par Origène, n’est pas facile à comprendre. On le saisira mieux en réfléchissant au pourquoi de l’insistance de l’islam sur son célèbre cri de guerre : « il n’y a de Dieu qu’Allah » et sur l’affaire dite des versets sataniques (les trois déesses filles d’Allah).
Celse a parfaitement raison sur ce point ; comme sur celui qui suit. Il n’y a aucune raison de réserver à la seule triade Père Fils Saint-Esprit le raisonnement théologique du dieu unique en trois personnes ou hypostases (vyouha dans l’hindouisme) ; il peut y avoir une sainte poly-unité, un Être Dieu Unique en plusieurs personnes ou hypostases comme Zeus, Taranis, Isis, Lug, Hésus, Osiris, l’Hercule celte appelé Ogmios, etc.
Telle est aussi l’alternative. Ou il y a dualisme, Dieu et Diable sont de force égale et s’affrontent en une lutte à l’issue incertaine*. Ou le diable et les démons ne peuvent agir en ce monde qu’avec la permission du grand Dieu et avec son accord, puisqu’il est beaucoup plus puissant qu’eux, et cela change tout.
* Sauf dans le cas du Zoroastrisme et de ses héritiers, où le triomphe final des forces de lumière est assuré ce qui sauvera le monde et y ramènera la xvarnah, à la différence du manichéisme où seules les âmes peuvent être sauvées et non le monde.
----------------------------------- --------------- ------------------- ------------------------------- ---------------------------- ----
Si vous leur dites que Jésus n’est pas le Fils unique de Dieu, mais que Dieu est le Père de tous, et que Lui seul doit être vraiment adoré, ils ne consentiront pas pour autant à mettre fin au culte de celui qui est leur chef de file dans cette sédition. Ils l’appellent Fils de Dieu, non par révérence extrême pour le grand Dieu, mais à cause de leur folle volonté d’exalter ce Christ.
Afin de pouvoir donner une fidèle représentation de leur foi, je vais utiliser leur propre vocabulaire, tel qu’il figure dans le livre intitulé Dialogue céleste : « Si le Fils est plus puissant que Dieu et si le Fils de l’homme est son seigneur, qui d’autre que le Fils peut être Seigneur de ce Dieu qui règne sur toutes choses ? Comment se fait-il que, si tant de gens vont au puits, personne ne descende dedans ? Pourquoi donc as-tu tellement peur alors que tu as déjà parcouru un si long chemin ? Réponse : Tu te trompes, car je ne manque ni de courage ni d’armes ».
--------------- ------------------ --------------- -------------------------- ------------------------------- --------------------------
Contre-lai No 41.
L’auteur de cette compilation, Pierre de La Crau, n’étant ni Pic de la Mirandole ni un puits de science, ni a fortiori un prophète ou un homme de Dieu, mais un simple mortel ; il confesse humblement que, pour une fois, il ne voit pas très bien à quoi Celse fait allusion dans ce fragment de son œuvre. Dommage, le savoir l’aurait beaucoup intéressé ! Il s’agit apparemment d’un texte issu de la mouvance chrétienne (gnostique encore une fois ?) et intitulé « Dialogue céleste ».
-------------------------------------------------- -------------------------------------------------------------------------------------
N’est-il pas évident alors que leurs points de vue sont précisément ceux que j’ai décrits ? Ils supposent qu’un autre Dieu, qui est au-dessus des cieux, est le Père de celui que d’un commun accord ils honorent, qu’ils ne peuvent adorer que ce Fils d’Homme, qu’ils glorifient en lieu et place du
53
grand Dieu, et qu’ils prétendent plus fort que le Dieu qui gouverne ce monde, et régnant sur lui. D’où il s’ensuit que cette maxime des leurs « Il est impossible de servir deux maîtres à la fois » est mise en avant uniquement afin de conforter le parti qui se tient aux côtés de ce Seigneur.
COMMENTAIRE D’ORIGÈNE. Les chrétiens répugnent à élever des autels, des statues et des temples ; et cela, pense Celse, est la marque ou le signe distinctif d’une société secrète et interdite.
Dieu est le Dieu de tous les hommes pareillement ; il est bon, il n’a besoin de rien, et il est dénué de jalousie. Qu’est-ce qui empêche donc ceux qui sont les plus dévoués à sa personne de participer aux fêtes publiques ?
Si ces idoles ne sont rien, quel mal y aurait-il à prendre part à leur fête ? D’un autre côté, si ce sont des esprits, il est certain que ce sont aussi des créatures du grand Dieu, et que nous devons croire en eux, leur offrir des sacrifices conformément aux lois, et leur adresser des prières, afin qu’ils puissent nous être propices.
----------------- ----------------------------- ---- -------------------- ----------------------- ------- ------------ ------------------Contre-lai No 42.
Celse a parfaitement raison, l’explication réelle de cette attitude de rejet des premiers chrétiens envers tout ce qui n’était pas issu du judaïsme n’est en aucune façon le vain prétexte philosophique ou métaphysique qu’ils mettent en avant pour cela ; « Nul ne peut servir deux maîtres à la fois ». Un chrétien d’aujourd’hui peut en effet très bien visiter un temple shintoïste au Japon ou assister au mariage d’un ami musulman. La seule vraie cause de cette intolérance d’alors des chrétiens est qu’ils avaient encore dans leur héritage le vieux racisme antigoy ou antigoïm de leurs ancêtres juifs.
-------------- --------------------- --------------- -------------------------------------------------- ---------------------------- ----
Si pour obéir aux traditions de leurs pères, ils s’abstiennent des sacrifices, ils doivent aussi s’abstenir de toute nourriture animale, conformément aux opinions de Pythagore, qui a ainsi montré son respect pour l’âme et ses organes physiques. Mais si, comme ils disent, ils s’en abstiennent parce qu’ils ne peuvent pas manger avec les démons, j’admire leur sagesse d’avoir fini par réaliser que chaque fois que l’on mange, on mange avec les démons, bien qu’ils ne refusent de le faire que quand ils s’aperçoivent qu’il y a eu des animaux offerts en sacrifice ; mais quand ils mangent du pain, ou boivent du vin, ou goûtent des fruits, ne tiennent-ils pas aussi ces choses, ainsi que l’eau qu’ils boivent et l’air qu’ils respirent, des esprits à qui ont été attribués ces différents règnes de la nature ?
Nous devons soit ne pas vivre, et même carrément ne pas venir au monde, ou nous devons le faire en rendant grâce prémices et prières aux génies, à qui a été délégué le gouvernement des choses de ce monde : et nous devons le faire aussi longtemps que nous vivons, afin qu’ils s’avèrent bons et propices pour nous. Les savants Grecs disent bien que l’âme humaine à sa naissance est placée sous la tutelle de certains génies.
Le satrape d’un empereur perse ou romain, d’un roi ou général ou gouverneur, voire même l’homme qui remplit les tâches inférieures des missions ou services de l’État, a le pouvoir de châtier celui qui l’ignore ; et les satrapes ou ministres de la terre et des airs pourraient être insultés en toute impunité ?
Si ceux à qui l’on s’adresse sont appelés par des noms barbares, ils ont des pouvoirs, mais ils n’en auraient plus dès lors que l’on s’adresse à eux en grec ou en latin ?
COMMENTAIRE D’ORIGÈNE.
Ensuite Celse met en scène suite un chrétien disant : « Voyez, je vais jusqu’à une statue de Jupiter ou d’Apollon, ou de quelque autre dieu, je la vilipende et je la frappe, et pourtant il ne se venge pas de moi ».
Ne voyez-vous pas, mon bon monsieur, que votre propre démon est non seulement vilipendé, mais aussi banni de la surface de la terre et des mers, et que vous-mêmes, qui êtes en quelque sorte une vivante image de sa personne, êtes enchaînés et conduits au supplice attachés sur un bûcher, mais que votre démon – ou, comme vous l’appelez « le Fils de Dieu » – ne se venge nullement de ceux qui agissent ainsi ?
Vous ne supportez pas que sa personne soit comparée à Zeus ou Apollon. Vous vous moquez et injuriez les statues de nos dieux ; mais si vous aviez insulté Bacchus ou Hercule en personne, vous n’auriez peut-être pas pu le faire en toute impunité. Par contre ceux qui ont crucifié votre Dieu, quand il vivait chez les hommes, n’ont rien subi pour cela, que ce soit à ce moment-là ou durant le reste de leur vie. Et qu’y a-t-il eu de nouveau depuis pour nous convaincre que ce n’était pas un imposteur, mais le Fils de Dieu ?
Celui qui a envoyé son fils avec un message pour l’humanité a permis qu’il soit cruellement traité de la sorte, et ses instructions foulées au pied avec lui, sans jamais manifester le moindre souci durant tout ce temps-là ? Quel père fut jamais si inhumain ? Peut-être, me répondrez-vous qu’il a effectivement
54
beaucoup souffert, parce qu’il a voulu subir ce qui lui est arrivé. Mais y a-t-il lieu, pour ceux que vous insultez ainsi de façon impie, d’adopter le même langage, et de dire qu’ils veulent justement être vilipendés, qu’ils supportent par conséquent tout ceci avec impassibilité, car il est mieux de traiter semblablement les deux parties ; alors que ces (dieux) punissent sévèrement celui qui se moque d’eux, de sorte qu’il doit soit fuir et se cacher, soit être pris et périr.
--------------- ----------------------- -------------- -------------------------- ------------------------------------------------------
Contre-lai N° 43.
Celse est mauvais prophète. Cent cinquante ans plus tard justement (à partir de l’Édit de Milan pris par Constantin) des faveurs insignes commencèrent à pleuvoir sur les chrétiens qui furent outrageusement avantagés par l’empereur. Par contre, Celse a encore une fois parfaitement raison. Le « deux poids, deux mesures » est une des constantes du pseudo-raisonnement des judéo-islamo-chrétiens.
-------------- ------------------------------------- ---------- --------------------------------------------------------- --------------
Est-il nécessaire de rassembler toutes les réponses d’oracle qui ont été délivrées par le truchement de prêtres et de prêtresses, ainsi que par d’autres, tant hommes que femmes, qui étaient divinement inspirés ? Toutes les merveilles qui ont été entendues sortant du cœur des sanctuaires ? Toutes les révélations qui ont été faites à ceux qui ont consulté les victimes sacrificielles ? Et toutes les connaissances qui ont été révélées aux hommes par d’autres signes et prodiges ? À certains d’entre eux, les dieux sont apparus sous des formes visibles. Le monde est rempli de tels exemples. Combien de villes ont-elles été bâties conformément aux ordres reçus des oracles ; combien de fois, de la même manière, ont-elles été délivrées de la maladie et de la famine ! Ou encore, combien de cités, ayant dédaigné ou oublié ces oracles, ont-elles péri misérablement ! Combien de colonies ont-elles été fondées et se sont mises à prospérer en suivant leurs ordres ! Combien de princes et de particuliers ont-ils connu à cause de ça, la prospérité ou l’adversité ! Combien de femmes qui déploraient leur stérilité, ont-elles obtenu la bénédiction qu’elles demandaient !
----------- ----------------- --------------------- ------------------------------------ -----------------------------------------------
Contre-lai N° 44.
Cas par exemple des sanctuaires de sources celto-romains, des eaux de Bath et de la source de Chamalières (en France).
--------- --------------------- --------------------- ----------------------------------------------------------------------------------
Combien ont détourné d’eux la colère des esprits ! Combien qui avaient eu leurs membres mutilés en ont retrouvé l’usage ! Et encore une fois, combien ont été sommairement châtiés pour avoir manqué de respect envers les temples ; certains étant instantanément pris de folie, d’autres avouant publiquement leurs crimes, d’autres ayant mis fin à leur vie, et d’autres encore ayant été frappés par des maladies incurables ! Certains ont même été tués par une voix effrayante sortant du cœur du sanctuaire.
Tout comme vous croyez, mon bon monsieur, aux peines éternelles, de même font les prêtres qui nous interprètent et nous initient aux mystères sacrés. Les mêmes peines dont vous menacez les autres, ils vous en menacent. Il convient maintenant d’examiner lequel des deux partis est le plus crédible ; car les deux soutiennent avec la même assurance que la vérité se trouve de leur côté. Mais si nous avons besoin de preuves, les prêtres des dieux païens en produisent beaucoup qui sont claires et convaincantes, en partie tirées des merveilles réalisées par certains esprits, en partie tirées des réponses données par les oracles, ou par divers autres modes de divination.
En outre, n’est-ce pas le comble de l’absurdité ou de l’incohérence de votre part, d’un côté d’être si préoccupé de votre corps que vous espérez que ce corps se relèvera [d’entre les morts], comme s’il était la meilleure et la plus précieuse partie de nous-mêmes ; d’un autre côté de l’exposer aux tortures comme s’il était dénué de toute valeur ?
Les hommes qui tiennent à ces idées, et sont par conséquent attachés au corps, ne méritent pas d’être raisonnés, car ; à ce sujet ainsi qu’à d’autres égards, ils s’avèrent grossiers, impurs, et enclins à se révolter sans aucune raison contre la croyance commune.
Aussi m’adresserai-je à ceux qui espèrent bénéficier de la vie éternelle aux côtés du grand Dieu au moyen de l’âme ou de l’esprit, qu’ils choisissent de l’appeler substance spirituelle, esprit intelligent, saint et béni, âme vivante, émanation céleste et indestructible d’une nature divine et intangible, bref quel que soit le nom par lequel ils désigneront la partie spirituelle de l’homme. Ils sont à juste titre
55
persuadés que ceux qui vivent honnêtement seront bénis et que les hommes injustes souffriront tous des supplices éternels. De cette doctrine ni les uns ni les autres ne doivent donc jamais dévier.
Puisque les hommes sont nés unis à un corps, que ce soit par conformité avec l’ordre des choses, ou pour ainsi pouvoir ainsi expier leurs péchés ; ou parce que l’âme est subjuguée par certaines passions jusqu’à ce qu’elle en soit purgée à un moment donné – car, selon Empédocle, l’humanité tout entière doit être bannie de la demeure des bienheureux pour 30.000 ans – nous devons donc croire qu’ils sont placés sous la responsabilité de certains êtres qui agissent comme gardiens de cette maison-prison.
------------------------------- ---------------------------------------------- --------------------------------------------------- -----
Contre-lai N° 45.
Note à propos des Îles Fortunées ou des Îles des bienheureux.
Les peuples localisés par les Grecs au-delà des colonnes d’Hercule en remontant vers le nord, étaient tous plus ou moins celtes, de Tartessos, dont le roi le plus connu portait un nom celte, Arganthonios, aux Cimbres du Danemark. Nombre des hommes ou des peuples désignés sous l’appellation d’Hyperboréens par les Grecs (exemple Abarix) étaient donc en réalité tout simplement des Celtes. Les Grecs ont par conséquent été très tôt en contact avec cette civilisation et ses légendes. Notamment celles des Îles à l’ouest du monde où le soleil se couche ou celles au nord du monde où le soleil ne se couche jamais (voir les voyages de Pythéas, etc.)
--------------------------------- ------------------------------------------------------------------------ -----------------------------
Les chrétiens sont confrontés à l’alternative suivante.
— Sils refusent de servir les dieux comme il se doit, et de respecter ceux qui sont mis à leur service, alors qu’ils ne parviennent jamais à l’âge adulte, n’épousent jamais de femme, n’aient jamais d’enfants, ni même prennent part aux affaires de la vie ; mais qu’ils s’en aillent à toute vitesse, en ne laissant pas de postérité derrière eux, afin que leur race disparaisse à jamais de la face de la terre.
Ou s’ils veulent avoir une épouse, des enfants, goûter aux fruits de la terre, participer à toutes les joies de la vie, et supporter les peines qu’elle nous réserve (car la nature elle-même a réservé des peines aux hommes, puisqu’il doit exister des peines, et que la terre est le seul endroit où les subir), alors ils doivent remplir les devoirs de cette vie jusqu’à ce qu’ils soient libérés de ses liens, et rendre les honneurs dus à ces êtres qui gouvernent les affaires du monde, s’ils ne veulent pas se montrer ingrats envers eux. Car il serait injuste pour eux, après avoir reçu les bienfaits qu’ils dispensent, de ne rien leur offrir en retour.
Qu’on demande aux Égyptiens, et on verra que tout, jusqu’à la plus insignifiante des choses, est confié aux bons soins de certains génies. Le corps de l’homme est divisé en trente-six parties, et autant de génies aériens sont désignés pour en prendre soin, chacun ayant la charge d’une partie différente, mais il est vrai que d’autres en recensent beaucoup plus. Tous ces génies ont des noms dans la langue du pays ; Chnoumen, Chachoumen, Cnath, Sicnath, Biou, Erou, Erebiou, Rhamanor, Reianoor, et autres noms égyptiens de la sorte. On fait appel à eux, et on est guéri des maladies de cette partie du corps. Qu’est-ce donc qui peut empêcher quelqu’un d’honorer les uns ou les autres, s’il préfère être en bonne santé plutôt que malade, prospère plutôt que misérable, à l’abri autant que possible des fléaux et des ennuis ?
Il faut néanmoins veiller à ce que personne, en se familiarisant avec ces questions, n’en devienne obsédé, de peur que, à cause d’une trop grande attention accordée au corps, son esprit ne se détourne de sujets plus nobles, et les fasse oublier.
L’opinion la plus juste est que les esprits ne désirent rien et n’ont besoin de rien, mais que ceux qui s’acquittent de leur devoir de piété envers eux leur font plaisir.
Mais peut-être ne devons-nous pas ignorer l’opinion des sages qui disent que la plupart des esprits de la terre se repaissent du sang, des odeurs, des sons mélodieux, ou d’autres choses sensuelles de ce genre ; et par conséquent sont incapables de faire plus que guérir les corps, prédire le destin des hommes et des cités, ou faire d’autres choses ayant trait à cette vie mortelle.
Nous ne devons par conséquent leur offrir de sacrifices que dans la mesure où cela nous est utile, car leur en offrir sans discernement n’est pas raisonnable.
----------- --------------------------- ------------ --------------------------------------------------------------------- -------------
Contre-lai N° 46.
Les idées que Celse expose ensuite expliquent en grande partie les persécutions plus ou moins violentes subies à certains moments par les plus fanatiques des chrétiens, les parabolani (de vrais talibans). Mais l’on n’est quand même pas obligé d’aller jusqu’à l’obséquiosité.
--------------- ---------------------------- ----------------------------------- ------------------------------------ ------------------
56
De toute façon nous devons toujours croire en Dieu, que ce soit de jour ou de nuit, que ce soit en public ou en secret, que ce soit en parole ou en acte, dans tout ce que nous faisons ou nous abstenons de faire.
Si tel est le cas, quel mal y a-t-il à rechercher la faveur des souverains de la terre, même quand ils sont d’une nature différente de la nôtre, des princes humains et des empereurs ? Car ils tiennent leur dignité de l’instrumentalisation par Dieu des esprits ou génies.
---------- -------------- --------------------------------------------- ----------------------------------------------------------------
Contre-lai N° 47.
Autrement dit les génies esprits ou démons sont des instruments de la divine providence, des causes secondes en quelque sorte.
------------------- ----------- ---------------------------------------------------------------------------------- ---------------------
Nous ne sommes pas assez fous pour attirer sur nous la colère des empereurs et des princes, ce qui nous vaudrait souffrances et tortures, voire même la mort.
Et si quelqu’un vous demande de célébrer le soleil, ou de chanter un hymne triomphal en l’honneur de Minerve, célébrer leurs louanges sera comme le plus bel éloge fait au Dieu suprême ; car la piété, en s’étendant à tout, devient parfaite.
Si on vous ordonne de jurer fidélité à un monarque humain, il n’y a rien de mal à cela. Car ce qu’il y a sur la terre lui a été remis ; et tout ce que vous recevez dans cette vie, vous le tenez de sa part.
Il ne faut pas désobéir à cet auteur de l’antiquité, qui a dit jadis : « Laissez régner celui que le fils du rusé Saturne a désigné ! » Si vous ignorez cette maxime, cela vous vaudra de souffrir mille morts à cause de cela entre les mains de l’empereur. Car si tout le monde devait faire comme vous, il n’y aurait plus rien pour empêcher qu’il se retrouve seul out abandonné de tous, et les affaires des hommes tomberaient entre les mains des barbares les plus sauvages ou sans foi ni loi ; il ne resterait plus quoi que ce soit sur terre alors de la gloire de votre religion ou de la vraie sagesse.
Vous ne pensez quand même pas que si les Romains devaient, conformément à vos souhaits, négliger leurs devoirs traditionnels envers les dieux et les hommes, et adorer le Très-Haut, quel que soit le nom qu’il vous plaise de lui donner, alors il descendra et combattra à leurs côtés, de sorte qu’ils n’aient pas besoin d’une autre aide que la sienne.
------------ -------------- ------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Contre-lai No 48.
Là encore Celse s’avère être un mauvais prophète si on considère ce qui se dit traditionnellement dans les milieux chrétiens à propos de la victoire de l’empereur Constantin à Milvius en 312 (in hoc signo vinces).
-------------------------- ---------------------------- -------------------------------------------------------------------- -----------
Car ce même Dieu, ainsi que vous le dites vous-mêmes, a promis cela et beaucoup plus encore, jadis, à ceux qui le servaient, et voyez de quelle façon il les a aidés et vous a aidés ! Les juifs, au lieu d’être les maîtres du monde, se retrouvent avec même pas un bout de terre ni une maison ; et quant à vous, si l’un des vôtres transgresse leurs interdits même secrètement, il est recherché et puni de mort.
Il est assurément intolérable de vous entendre dire que si nos dirigeants actuels, après avoir embrassé vos idées, étaient défaits par l’ennemi, vous seriez en mesure de convaincre ceux qui gouverneraient après eux ; et après que ceux-ci eux-mêmes aient été battus, de persuader leurs successeurs et ainsi de suite…
Comme s’il était possible que tous les habitants de l’Asie, de l’Europe, et de la Libye, Grecs et Barbares, tous jusqu’aux extrémités de la terre, puissent obéir à une seule et même loi ! Celui qui croit cela possible est un ignorant.
Jusqu’à ce qu’enfin peut-être, lorsque tous ceux qui auront cédé à votre persuasion auront été vaincus, un souverain plus prudent, doté de plus de clairvoyance, n’apparaisse, et décide de vous anéantir avant de périr lui-même.
CONLUSION D’ORIGÈNE.
Celse nous exhorte donc à aider l’empereur de toutes nos forces, et à travailler avec lui au maintien de la justice, à nous battre pour lui ; et s’il le demande, à combattre sous ses ordres, ou à prendre part avec lui à la conduite des armées. Celse nous invite à également assumer des fonctions dans le gouvernement du pays, si cela est nécessaire au maintien des lois et au soutien de la religion.
CONCLUSION DE LA RÉDACTION.
57
Est-il besoin de préciser que nous ne partageons pas toutes les idées de Celse et que la philosophie grecque, ainsi que l’a très bien vu John Toland, est sur certains points, hautement contestable elle aussi.
POUR COMPARAISON.
Afin de compenser le fait que nous ne mentionnerons pas ici la célèbre vie de Jésus par Renan (1863), ci-dessous quelques extraits de la façon dont un grand esprit des temps modernes peut voir le christianisme.
« Quand je vis l’Acropole, j’eus la révélation du divin, comme je l’avais eue la première fois que je sentis vivre l’Évangile, en apercevant la vallée du Jourdain des hauteurs de Casyoun. Le monde entier alors me parut barbare. L’Orient me choqua par sa pompe, son ostentation, ses impostures. Les Romains ne furent que de grossiers soldats ; la majesté du plus beau Romain, d’un Auguste, d’un Trajan, ne me sembla que pose auprès de l’aisance, de la noblesse simple de ces citoyens fiers et tranquilles. Celtes, Germains, Slaves m’apparurent comme des espèces de Scythes consciencieux, mais péniblement civilisés. Je trouvai notre Moyen-âge sans élégance ni tournure, entaché de fierté déplacée et de pédantisme.
Charlemagne m’apparut comme un gros palefrenier allemand ; nos chevaliers me semblèrent des lourdauds, dont Thémistocle et Alcibiade eussent souri. Il y a eu un peuple d’aristocrates, un public tout entier composé de connaisseurs, une démocratie qui a saisi des nuances d’art tellement fines que nos raffinés les aperçoivent à peine. Il y a eu un public pour comprendre ce qui fait la beauté des Propylées et la supériorité des sculptures du Parthénon. Cette révélation de la grandeur vraie et simple m’atteignit jusqu’au fond de l’être. Tout ce que j’avais connu jusque-là me sembla l’effort maladroit d’un art jésuitique, un rococo composé de pompe niaise, de charlatanisme et de caricature.
C’est principalement sur l’Acropole que ces sentiments m’assiégeaient… Aucun de ces trompe-l’œil qui, dans nos églises en particulier, sont comme une tentative perpétuelle pour induire la divinité en erreur sur la valeur de la chose offerte. Ce sérieux, cette droiture, me faisaient rougir d’avoir plus d’une fois sacrifié à un idéal moins pur. Les heures que je passais sur la colline sacrée étaient des heures de prière. Toute ma vie repassait, comme une confession générale, devant mes yeux. Mais ce qu’il y avait de plus singulier, c’est qu’en confessant mes péchés, j’en venais à les aimer ; mes résolutions de devenir classique finissaient par me précipiter plus que jamais au pôle opposé. Un vieux papier que je retrouve parmi mes notes de voyage contient ceci :
PRIÈRE QUE JE FIS SUR L’ACROPOLE QUAND JE FUS ARRIVÉ À EN COMPRENDRE
LA PARFAITE BEAUTÉ.
O noblesse ! ô beauté simple et vraie ! déesse dont le culte signifie raison et sagesse, toi dont le temple est une leçon éternelle de conscience et de sincérité, j’arrive tard au seuil de tes mystères ; j’apporte à ton autel beaucoup de remords. Pour te trouver, il m’a fallu des recherches infinies. L’initiation que tu conférais à l’Athénien naissant par un sourire, je l’ai conquise à force de réflexions, au prix de longs efforts.
Je suis né, déesse aux yeux bleus, de parents barbares, chez les Cimmériens bons et vertueux qui habitent au bord d’une mer sombre, hérissée de rochers, toujours battue par les orages. On y connaît à peine le soleil ; les fleurs sont les mousses marines, les algues et les coquillages coloriés qu’on trouve au fond des baies solitaires. Les nuages y paraissent sans couleur, et la joie même y est un peu triste ; mais des fontaines d’eau froide y sortent du rocher, et les yeux des jeunes filles y sont comme ces vertes fontaines où, sur des fonds d’herbes ondulées, se mire le ciel.
Mes pères, aussi loin que nous pouvons remonter, étaient voués aux navigations lointaines, dans des mers que tes Argonautes ne connurent pas. J’entendis, quand j’étais jeune, les chansons des voyages polaires ; je fus bercé au souvenir des glaces flottantes, des mers brumeuses semblables à
58
du lait, des îles peuplées d’oiseaux qui chantent à leurs heures et qui, prenant leur volée tous ensemble, obscurcissent le ciel.
Des prêtres d’un culte étranger, venu des Syriens de Palestine, prirent soin de m’élever. Ces prêtres étaient sages et saints. Ils m’apprirent les longues histoires de Cronos, qui a créé le monde, et de son fils, qui a, dit-on, accompli un voyage sur la terre. Leurs temples sont trois fois hauts comme le tien, ô Eurythmie, et semblables à des forêts ; seulement ils ne sont pas solides ; ils tombent en ruine au bout de cinq ou six cents ans ; ce sont des fantaisies de barbares, qui s’imaginent qu’on peut faire quelque chose de bien en dehors des règles que tu as tracées à tes inspirées, ô Raison. Mais ces temples me plaisaient ; je n’avais pas étudié ton art divin ; j’y trouvais Dieu. On y chantait des cantiques dont je me souviens encore : « Salut, étoile de la mer… reine de ceux qui gémissent en cette vallée de larmes », ou bien : « Rose mystique, Tour d’ivoire, Maison d’or, Étoile du matin… » Tiens, déesse, quand je me rappelle ces chants, mon cœur se fond, je deviens presque apostat. Pardonne-moi ce ridicule ; tu ne peux te figurer le charme que les magiciens barbares ont mis dans ces vers, et combien il m’en coûte de suivre la raison toute nue.
Et puis si tu savais combien il est devenu difficile de te servir ! Toute noblesse a disparu. Les Scythes ont conquis le monde. Il n’y a plus de république d’hommes libres ; il n’y a plus que des rois issus d’un sang lourd, des majestés dont tu sourirais. De pesants Hyperboréens appellent légers ceux qui te servent… Une pambéotie redoutable, une ligue de toutes les sottises étend sur le monde un couvercle de plomb, sous lequel on étouffe. Même ceux qui t’honorent, qu’ils doivent te faire pitié ! Te souviens-tu de ce Calédonien qui, il y a cinquante ans, brisa ton temple à coups de marteau pour l’emporter à Thulé ? Ainsi font-ils tous… J’ai écrit, selon quelques-unes des règles que tu aimes, ô Théonoé, la vie du jeune dieu que je servis dans mon enfance ; ils me traitent comme un Évhémère ; ils m’écrivent pour me demander quel but je me suis proposé ; ils n’estiment que ce qui sert à faire fructifier leurs tables de trapézites. Et pourquoi écrit-on la vie des dieux, ô ciel ! si ce n’est pour faire aimer le divin qui fut en eux, et pour montrer que ce divin vit encore et vivra éternellement au cœur de l’humanité ?
Te rappelles-tu ce jour, sous l’archontat de Dionysodore, où un laid petit Juif, parlant le grec des Syriens, vint ici, parcourut tes parvis sans te comprendre, lut tes inscriptions tout de travers et crut trouver dans ton enceinte un autel dédié à un dieu qui serait le Dieu inconnu. Eh bien, ce petit Juif l’a emporté ; pendant mille ans, on t’a traitée d’idole, ô Vérité ; pendant mille ans, le monde a été un désert où ne germait aucune fleur (Ernest Renan, Souvenirs d’enfance et de jeunesse, 1883, chapitre II). Mais venons-en maintenant à la vie de Jésus, selon Celse et non selon Renan.
59
CONTRE-LAI N° 49.
VIE ET MORT DE JÉSUS D’APRÈS CELSE.
L’OUVRAGE DE CELSE N’ÉTANT PAS PARVENU JUSQUE À NOUS DU FAIT DE LA CENSURE CHRÉTIENNE QUI S’EST EXERCÉE CONTRE LUI, NOTRE LECTEUR VA VITE SE DEMANDER, MAIS D’ TENEZ-VOUS TOUTES CES CONSIDÉRATIONS SUR LE JUDAÏSME ET LE CHRISTIANISME QUE VOUS LUI ATTRIBUEZ ?
Réponse…
DE L’OUVRAGE DU GRAND THÉOLOGIEN CHRÉTIEN SPÉCIALISTE DE L’EXÉGÈSE BIBLIQUE ORIGÈNE (185 ?253) INTITULÉ EN GREC « PROS TON EPIGEGRAMMENON KELSOU ALETHE LOGON » OU EN LATIN « CONTRA CELSUM » ET QUI, LUI, A BIEN ÉTÉ COPIE ET RECOPIE PAR LES MOINES COPISTES DU MOYEN-ÂGE.
« Les chrétiens ont corrompu l’intégrité originelle de l’Évangile, et l’ont remanié, trois ou quatre fois voire plus encore, afin d’être en mesure de répondre aux objections ».
C’est là la proposition préliminaire, mais fondamentale, sur laquelle Celse a insisté. Et ce sera d’ailleurs aussi, à tort ou à raison, l’avis de Mahomet, 4 siècles plus tard.
Selon Celse donc,
Selon lui, les récits des sectateurs de Jésus – ceux qui sont rapportés dans le Nouveau Testament – sont donc fort éloignés de ce que fut la réalité.
Cette assertion de Celse sera reprise par Porphyre, vers 270 – une génération après Origène – qui affirmera que « les évangélistes sont les inventeurs et non les historiens des choses qu’ils racontent, de Jésus » (fragment n° 15 de l’édition Harnack).
Même son de cloche, au IVe siècle, chez Fauste de Milève, évêque manichéen mort vers 390, et auteur d’un traité en 33 livres, les Capitula, que son ancien disciple Augustin commenta après sa mort dans son Contra Faustum. L’auteur souligne que les Évangiles n’ont été composés ni par Jésus, ni par ses apôtres, Matthieu, et Jean, ni par leurs disciples, Marc et Luc ; mais par des écrivains tardifs qui ont usurpé les noms des Apôtres et de leurs disciples, pour accréditer leurs récits « incohérents et contradictoires ». Il déclare que cela est de notoriété publique.
« Quoi ! si le Testament du Père renferme des parties où il est difficile de reconnaître sa voix (car vous prétendez que la loi judaïque a été donnée par le Père, et nous savons combien elle renferme de choses qui vous font horreur, des choses dont vous rougissez, au point que, depuis longtemps, vous la croyez altérée quant à l’esprit, bien qu’une partie ait été écrite pour vous de la main même du Père, et une autre de la main de Moïse), vous imaginerez-vous que le Testament du Fils seul n’a pu être gâté, que lui seul ne renferme rien qui doive être désapprouvé, surtout quand il est certain que ce n’est point lui qui l’a écrit, ni ses Apôtres, mais je ne sais quels personnages douteux qui, pour rendre croyable ce qu’ils écrivaient sans savoir et longtemps après coup, ont mis en tête de leurs livres soit les noms des Apôtres, soit les noms de ceux qui avaient suivi les Apôtres, en affirmant qu’ils écrivaient d’après eux ? En quoi, ce me semble, ils ont fait grande injure aux disciples du Christ ; puisqu’ils mettaient sur leur compte leurs propres divergences et leurs contradictions, et affirmaient écrire d’après eux des Évangiles remplis de tant d’erreurs, de tant de récits et de sentences contradictoires, au point de ne s’accorder en aucune façon ni entre eux ni avec eux-mêmes ».
60
Les évangiles, ayant donc été maintes fois réécrits – Celse, Porphyre, Fauste de Milève – ils comportent plusieurs strates rédactionnelles ; n’est-il pas possible de mettre en évidence certains éléments relevant de la composition la plus ancienne, sinon originale de ces Écritures, éléments susceptibles de rappeler le profil réel du Christ, celui qui est présenté par le juif de Celse par exemple ?
Celse ne croit nullement en la divinité du Christ (et donc à sa résurrection).
« Un corps comme le tien ne saurait être celui du grand Dieu. Le corps du grand Dieu ne saurait avoir été engendré comme tu l’as été, O Jésus… Dans leurs livres le grand Dieu fait les choses les plus effrontées, ou souffre les douleurs les plus indignes.
En quoi valait-il mieux pour le grand Dieu manger de la viande de mouton, boire du vinaigre et du fiel, que se nourrir d’immondices ?… Le corps du grand dieu ne se nourrit pas d’une telle nourriture… Sa personne ne différait en rien, et qu’il était, à ce qu’on dit, petit, laid, voire dénué de toute noblesse. En outre il ne s’est pas montré lui-même exempt de tout mal…
Les chrétiens se moquent de ceux qui adorent Jupiter, parce qu’en Crète on signale son tombeau ; et pourtant ils adorent un homme qui s’est relevé d’entre les morts, et ignorent tout des motifs pour lesquels les Crétois observent une telle coutume ».
Aux yeux de Celse, les chrétiens croient adorer un être divin ; ils n’adorent en fait qu’un mort. Et ce mort n’est pas ressuscité.
« Toute la question est de savoir si quelqu’un réellement décédé s’est jamais relevé d’entre les morts avec un véritable corps ».
De son vivant on le voit partout « mais après sa mort il s’est relevé de sa tombe, a exhibé les marques de son supplice, et comment ses mains avaient été percées de clous. Or qui a vu ça ? Une femme à moitié folle, comme vous le dites vous-mêmes, et une autre, une de celles qui participaient à la même escroquerie peut-être, ou qui avait rêvé ça, en raison d’un état d’esprit particulier, ou qui sous l’emprise d’une folle imagination s’est imaginée une apparition conforme à ses désirs, ce qui fut le cas pour d’innombrables personnes ; ou, ce qui est le plus vraisemblable, qui voulait impressionner les autres par ce prodige, et par un tel mensonge fournir ainsi une bonne occasion à d’autres imposteurs comme lui.
Si Jésus avait voulu montrer que sa puissance était vraiment divine, il aurait dû apparaître à ceux qui l’avaient maltraité, à celui qui l’avait condamné, ainsi qu’à tous les hommes dans le monde.
Quel est l’homme qui, envoyé comme messager, se cache quand il doit faire connaître son message ?
Quand il était dans un corps, et que personne ne croyait en lui, il prêchait à tous sans relâche ; mais après avoir été en mesure de susciter une vraie croyance en lui après être ressuscité des morts, il se montre en secret rien qu’à une femme, et à ses propres compagnons ?
Il a été vu par tout le monde alors qu’il subissait sa peine, mais après sa résurrection il n’a été vu que par une seule personne ?
S’il voulait rester caché, pourquoi est-ce que l’on a entendu une voix du ciel proclamer qu’il était le Fils de Dieu ? S’il ne cherchait pas à rester caché, pourquoi a-t-il été condamné ? Et pourquoi est-il mort ?
S’il avait voulu, par le sort qu’il a subi, nous enseigner aussi à mépriser la mort, il fallait qu’après sa résurrection il invite ouvertement tous les hommes en plein jour, et les instruise sur l’objet de sa venue ».
Qui plus est, ce mort a vécu et fini misérablement.
« Jésus ayant réuni autour de lui dix ou onze hommes du peuple, les pires des collecteurs d’impôts et des pêcheurs, dénués de la moindre instruction, prit la fuite avec eux pour errer d’un endroit à un autre, et gagna sa vie d’une manière honteuse et en mendiant… ».
Quel rude langage et qui cadre mal avec les faits relatés dans les Évangiles ! L’histoire, la véritable, est-elle à ce point différente ? Celse va nous donner de plus amples précisions.
À en croire le juif mis en scène dans le « Discours Véritable » Jésus fut regardé comme un goète.
« Ces procédés sont ceux d’un abominable sorcier (goète) haï de Dieu ».
On traduit généralement le mot grec « goès /goètos » par sorcier, ce qui tend à faire de Jésus un charlatan ! Le terme généralement employé par les traducteurs est celui d’escroc et paraît plus près de la réalité. Chez Philon (De Specialibus legibus I, 315), le mot est utilisé dans le sens de « faux prophète, imposteur », et il est l’antithèse de « prophète ».
61
Flavius Josèphe (Antiquités, XX, 97) considère Theudas comme un goète alors que celui-ci, dans le même paragraphe, se disait prophète. Les deux termes, goète (faux prophète) et prophète, s’opposent donc clairement.
Jésus avait déclaré : « Je vous le dis, en vérité, cette génération ne passera pas que tout cela n’arrive » (Mc, 13, 30). Cf. la « petite apocalypse » de Marc 13. Comme rien de tout cela n’est arrivé, pour Celse, c’est donc un faux prophète, et c’est un point sur lequel insiste le juif imaginaire qui lui sert de porte-parole.
« Comment pourrions-nous considérer comme Dieu, celui qui, non seulement à d’autres égards, comme cela est dit aujourd’hui, n’a tenu aucune de ses promesses, mais qui a aussi, après que nous l’ayons reconnu coupable et susceptible d’être condamné, été trouvé en train d’essayer de se cacher, ou de s’échapper de la manière la plus honteuse qui soit, mais qui fut trahi par ceux-là mêmes qu’il appelait ses disciples ?
Un Dieu ne saurait ni fuir ni être emmené prisonnier ; et encore moins pouvait-il être abandonné et livré par ceux-là mêmes qui avaient été ses associés, avaient tout partagé avec lui, et l’avaient pris comme maître, considéré comme un Sauveur, un fils du Dieu suprême, voire un ange ».
L’abandon de tous les siens à l’heure où Jésus est arrêté figure dans Marc 14, 50.
Cet épisode est rapporté trois fois par Saint Justin, une fois dans son Apologie et deux fois dans son dialogue avec Tryphon.
« Après qu’il eut été crucifié, tous ses disciples l’abandonnèrent après l’avoir renié, et après, quand il eut ressuscité… ». « Car après sa crucifixion les disciples qui l’accompagnaient se dispersèrent, jusqu’à ce qu’il ressuscite ». « Les apôtres (qui se repentaient de leur fuite loin de lui quand il fut crucifié, après qu’il eut ressuscité… »
Comble de l’infamie, ce faux prophète ne serait qu’un bâtard à demi juif ! Ne dit-on pas « qu’une fois tombée enceinte, elle fut expulsée par le charpentier à qui elle avait été fiancée, pour cause d’adultère, car elle portait l’enfant d’un certain Panthera, soldat de son état ».
Quelle est l’origine de cette légende ? Sans doute un surnom donné à Jésus par des juifs ou des judéo-chrétiens voulant contrer la tendance montante du christianisme d’alors, le pagano-christianisme.
Rien ne prouve en effet qu’il se soit agi d’un légionnaire romain, la première légion romaine officielle la plus proche dans la région étant cantonnée assez loin de Jérusalem, en Syrie du Nord (Raphanée, Laodicée, voire Antioche). En outre il n’y avait en Judée que deux lieux de garnison possible à l’époque, Césarée, la capitale administrative, où il devait y avoir quelques centaines d’hommes à disposition du Préfet, et la forteresse Antonia à Jérusalem qui devait abriter quelques dizaines de supplétifs commandés par un sous-officier romain. Le Panthera en question n’aurait pu donc qu’être un supplétif pas forcément juif il est vrai, de l’armée romaine.
Le Contra Celsum est le premier à mentionner cette polémique ; nous la rencontrons aussi dans des passages du Talmud touchant Jésus et supprimés par la censure ecclésiastique du Moyen-âge ; ils ont été plus ou moins bien conservés dans quelques rares manuscrits (codex de Munich, de Strasbourg, de Vienne) et forment ce que l’on appelle les Hesronoth Hashass.
TALMUD DE BABYLONE.
— Dans le traité Sanhédrin 43 a du Talmud de Babylone « On pendit Jésus la veille de Pâque », et en 67 a «… ils le pendirent (Ben Stada) la veille de Pâque. Ben Stada était le fils de Padera… L’amant, c’était Pandéra. Le mari, c’était Paphos ben Yehudah. Sa mère, c’était Stada. Sa mère, c’était Marie… ».
— Dans le traité Schabbath 104, 13 du Talmud de Babylone : « Le fils de la Stada était le fils de Pandéra ».
— Dans d’autres écrits hébreux, comme les Toledoth Yeshuh, allusion est également faite à la bâtardise de Jésus. Tous ces écrits datent du Xe siècle, mais ont été élaborés bien antérieurement.
— Le Livre de l’histoire de Jésus, publié en 1681 par Wagenseil dans ses « Tela ignea Satanœ » (tome II, p. 3, 4, 5) fait de Joseph Pandéra le séducteur de Marie et le père de Jésus ; mais Pandéra n’y est nullement un soldat romain.
62
— Dans l’Histoire de Jésus publiée par Huldreich en 1705, Joseph Pandéra de Nazareth est juif ; et si peu romain, qu’au lieu de fuir à Babylone, c’est en Égypte qu’il se retire avec Marie sa complice et son enfant. Ou plutôt ses enfants puisqu’on y parle de frères de Jésus. Allusion sans doute aux frères et sœurs de Jésus évoqués dans les Évangiles.
Notons que le nom de Panthera, généralement attribué au père du Christ, l’est également soit au Christ lui-même soit à son grand-père Jacob (Épiphane de Salamine à Chypre). Et cela plaide en faveur de l’hypothèse émise ci-dessus : Panthera n’est qu’un surnom. C’est d’ailleurs ce qu’indique Épiphane.
Panthera – rencontré aussi sous la forme Panthira, Pandera, Pattira, etc. selon les textes – a aussi été interprété comme une corruption du mot grec parthénos « jeune fille, vierge » ; le Christ étant dit le fils de la Vierge « o uios tés parthénou », mais cette acception ne peut s’appliquer à Jacob dit Pandera ! Une autre interprétation est celle de Heulhard : Kana (zèle) + Thora (La Loi).
N.B. Nous mentionnons ces pénibles polémiques du Talmud que par souci d’exhaustivité, car pour ce qui est du plan philosophique nous les trouvons indignes.
Plus plausible est l’étymologie considérant Panthera comme un vocable hybride, issu de la langue mi-grecque, mi-hébraïque que parlaient les juifs de la Diaspora ; ce peut être une corruption de PAN-THORA, formé du grec pan « tout » et de l’hébreu Thora « la Loi ».
Bref, un nom hybride tout comme l’est celui de Jésus-Christ, formé de la même façon – sur l’hébreu Yeshouah, forme abrégée de Yehôshoua « Yahweh sauve » (même nom que Josué) – et sur le grec Christos, transcrit Christus par les Latins = « oint » (d’huile). C’est la traduction grecque de l’hébreu Messhiah. Dans les livres historiques de l’Ancien Testament, ce sont surtout les rois qui sont ainsi qualifiés, « sacrés par une onction d’huile sainte ».
Ayons un peu de charité envers nos frères chrétiens et reconnaissons donc bien volontiers que le fait que ce surnom a été appliqué aussi bien à Jésus qu’à son père et à son grand-père ; élimine toute possibilité d’implication d’un vrai soldat romain dans cette histoire.
Reconnaissons même que ce surnom sied fort bien au Christ, si l’on se rapporte à ses paroles réunies dans les Évangiles. Mt, 5, 17-18 : « Ne pensez pas que je sois venu abroger la Loi (Thora) et les Prophètes, je suis venu non pour l’abolir, mais pour lui donner toute plénitude. Car, je vous le dis, avant que la terre et le ciel aient passé, il ne passera de la Loi, ni un iota, ni un trait de lettre, jusqu’à ce que tout (pan) soit accompli ».
Et dans Luc (16, 16-17), il reprend : « Le ciel et la terre passeront plutôt qu’il ne tombe un seul point de la Loi (Thora) ».
Le seul problème, c’est que Jésus ne perd jamais, au cours de son ministère, une occasion d’enfreindre les prescriptions de Moïse. Il viole délibérément le sabbat, il méprise les sacrifices, il pardonne à la femme adultère, il fait fi de la circoncision… et il se laisse crucifier sur la croix, en dépit de la malédiction de Moïse sur ceux qui seront pendus au gibet. Devant cette contradiction, Marcion * en vint d’ailleurs à contester l’authenticité de cette parole (Tertullien, Ad. Marc. IV, 3,7).
* Évêque de Sinope au 2e siècle. Intellectuel chrétien ayant publié le premier les lettres de Saint Paul (les dix premières, réunies sous le nom d’Apostolicon). Excommunié par l’Église de Rome en 144.
David a eu de nombreux fils et de nombreuses filles. On peut dire que vraisemblablement sa famille ne s’éteignit pas de sitôt. D’ailleurs, à en croire 1 Chroniques 3, de nombreuses familles issues de David sont venues après l’exil habiter en Judée. Gamaliel est dit descendant de David.
« Jusqu’alors, on trouvait copiées dans les archives les généalogies des vrais Hébreux… Hérode fit brûler les registres de ces généalogies… Quelques personnes gardèrent pour elles leurs propres généalogies, soit en se souvenant des noms, soit en en prenant des copies, et se glorifièrent d’avoir sauvé la mémoire de leur noblesse. Parmi elles se trouvaient ceux que l’on appelle desposynes, à cause de leurs liens avec la famille du Sauveur… » (Eusèbe, H. E. I, VII, 1314).
Il n’est donc pas impossible qu’au début du 1er siècle, des familles aient pu se prévaloir d’une ascendance davidique. À plusieurs reprises, Jésus est qualifié de lèstès un terme grec généralement traduit par « brigand ».
Le juif de Celse compare Jésus à un voleur et déclare par exemple que « d’un voleur et d’un assassin (lestou kai androfonou) suppliciés, on peut en effet dire avec une égale impudence : Jésus qui a prédit toutes ces choses était Dieu, il avait prévu et prédit lui-même tout ce qui est arrivé ».
« Un bon général qui commande à des milliers de soldats ne suscite jamais de traître chez eux, il en est de même d’un chef de brigands (lèstarchos) commandant à des hommes perdus, tant que ceux-ci trouvent profit à le suivre ; mais Jésus, trahi par ses compagnons, ne sut pas se faire obéir comme un
63
bon général ni, après avoir fait ses dupes, j’entends par là ses disciples, leur inspirer le dévouement qu’un chef de brigands obtient toujours de sa bande ».
Le terme grec lèstès signifie « voleur à main armée » dans le sens de brigand, pirate, par opposition à kleptés « voleur qui dérobe » (cf. « cleptomane »).
Dans le cas qui nous occupe, la traduction de lèstès, lèstarchos par « bandit, chef de brigands » est trompeuse, car trop restrictive. Michael McGoodwin dans son résumé des guerres juives traduit aussi le terme grec par terroriste, guérillero, résistant.
— Ezékias, père de Judas le Galiléen (le « sophiste » fondateur du mouvement des zélotes), qui fut pris par Hérode et mis à mort pour avoir ravagé les confins de la Syrie avec une troupe importante ; est qualifié d’archilèstès « chef de brigands » par Flavius Josèphe (Guerre des juifs, I, 204 – Il, 56 ; Antiquités XVII, 271).
— Ce même historien qualifie pareillement Éléazar fils de Dinaïos, chef de factieux sous Caius, sous Claude et sous Néron (Antiquités, XX, 121/XX, 160-161 ; Guerre des juifs, Il, 235-236).
Flavius Josèphe, faisant allusion, lors de la révolte de 66 – 73, à la bande de « brigands » de Ménahem (dernier des fils de Juda le Galiléen) ; emploie le substantif (au génitif pluriel) lèstrikou (Autobiographie, XI, 46), ou l’adjectif lestrikou (op. cit., V 21, p. 4).
De même, Eusèbe (H. E., IV, VI, 1 – 3) considère Bar Kocheba, alias Simon prince d’Israël, comme un « meurtrier ainsi qu’un voleur » (phonikos kai lèstrikos tis anèr). Or ce Bar Kocheba s’est considéré comme le Messie attendu d’Israël, a été reconnu roi Messie, et cela cent ans exactement après la mission, avortée selon les Juifs, du Christ contemporain de Tibère ; il est le héros de l’insurrection juive de 132-135, sous Hadrien, qui eut pour cause cette espérance messianique des juifs ; il qualifia de « rédemption » son règne indépendantiste. Le terme lèstès se rapporte donc à des séditieux, à des perdants de l’Histoire, et comme tels considérés comme « brigands ». Les gestes des vaincus sont toujours dépréciés par les historiens. Comme le disait le célèbre Brennos/Brennus : malheur aux vaincus !
Or lèstès est le mot qui qualifie Jésus sous la plume de Celse. Celui-ci pouvait-il être, lors des troubles qui ont marqué le gouvernorat de Ponce Pilate, à la tête d’une troupe armée, tout comme le furent Ezékias, Eleazar ben Dinaï, Ménahem, puis Bar-Kocheba ?
Jésus Barabbas « Fils du Père ».
Si les Évangiles avaient été rédigés en araméen, « fils du Père » aurait été écrit BAR ABBA. Dans les versions du Nouveau Testament transcrites en grec, le mot Abba est un des rares termes araméens cités à plusieurs reprises. Dans Marc (14, 36) : Abba, Père, toutes choses te sont possibles ; dans l’épître aux Romains (8, 15) : Nous crions Abba ! Père ! Dans l’épître aux Galates (4, 6) : L’Esprit du Fils (de Dieu) crie Abba, Père.
Or, dans les Évangiles, c’est un individu n’apparaissant qu’à l’occasion de la Passion qui a cette épithète ; il est dit Barabbas (o légoménos Barabbas). Le – s final étant une hellénisation de l’expression araméenne.
C’est un prisonnier de marque (Matthieu, 27, 16) condamné pour un meurtre que lui et des émeutiers ont commis au cours d’une sédition (Marc, 15, 7) ; c’est un lèstès, un rebelle (Jean, 18, 40).
Qui plus est, ce Barabbas est appelé Jésus dans certains manuscrits du selon Matthieu. Six manuscrits grecs (dont le codex Corodethianus de Tiflis, IXe siècle), deux versions syriaques (version syriaque hiérosolymitaine), une version arménienne et quelques scolies.
Mais au temps d’Origène, on comptait au contraire les exemplaires qui supprimaient Jésus devant Barabbas. Origène approuve d’ailleurs cette suppression, car, dit-il, « ne nomen Jesus conveniat alicui iniquorum ». « Le nom de Jésus ne convient en aucune façon à un impie » (Com. in Matt, 121). Il donne ainsi la raison très claire pour laquelle on a supprimé, dans un grand nombre d’exemplaires, le nom Jésus devant Barabbas. Il est inconcevable, au contraire, que l’on eût ajouté ce nom et l’on ne peut admettre qu’une variante aussi caractérisée soit le résultat d’une erreur de copiste. Il faut donc reconnaître, avec Burkitt, Mac Neil, et Klostermann que le texte de Matthieu porte Jésus Barabbas. Il est probable que les manuscrits de Marc et de Luc furent amendés comme le plus grand nombre de ceux de Matthieu.
Nous aurions donc ainsi le même jour deux Jésus…
64
— Un Jésus FILS DE DIEU « trouvé excitant notre nation à la révolte, empêchant de payer le tribut à César et se disant Messie roi » (Luc, 23, 2), accusé de sédition, qualifié de lèstès par Celse, et livré par envie/jalousie (phthonon) (Matthieu, 27, 18).
— Un Jésus BARABBAS, emprisonné avec ses complices pour une sédition (dia stasin) fomentée dans la ville et pour un meurtre (phonon) (Luc XXIII, 19) (Marc, XV, 7) ; aussi qualifié de « brigand » lèstès (Jean, XVIII, 40).
Quelle coïncidence !
Plusieurs érudits ont donc suggéré que Jésus et Barabbas ne sont en réalité qu’un seul et même personnage artificiellement dédoublé.
Étonnons-nous d’ailleurs du brutal revirement d’une population dont les Évangiles notent pourtant, l’engouement pour Jésus.
Celse présente le Christ comme un rebelle (lèstès), un faux prophète (goète *), condamné pour crime, il ne s’est donc pas fourvoyé en attribuant au Christ les méfaits du séditieux Barabbas jugé en même temps que lui.
* Goète = faux prophète puisque ce terme grec est employé en ce sens par Flavius Josèphe pour qualifier le chef messianique Theudas qui, lui, se qualifie de prophète.
Quant à la signification du terme grec lèstés (voleur brigand) voir également plus haut ce que nous en avons dit.
L’obligation pour Ponce Pilate de relâcher un juif coupable de rébellion contre Rome sur une simple exigence de la foule de Jérusalem est juridiquement insoutenable au regard du droit romain ; aucun document ne vient étayer l’existence d’une telle coutume juive. Flavius Josèphe et Philon nous présentent plutôt le préfet Pilate comme un haut fonctionnaire intransigeant. Sans doute le Sanhédrin a-t-il été chargé de l’instruction du procès, et lorsqu’il parut clair que Jésus était coupable, il fut livré à Ponce Pilate qui seul avait qualité pour juger et faire exécuter la sentence. Le délit était bien du ressort du préfet comme le prouve le choix du supplice infligé au Nazaréen : la crucifixion, peine capitale romaine par excellence. Les auteurs des évangiles – dans le but de dépolitiser leur héros – ont joué sur les mots en affirmant que le Christ avait été livré « par jalousie » (phtonos) et non pour meurtre (phonos).
En d’autres termes, c’est pour dépolitiser les événements contemporains de Ponce Pilate que JÉSUS Barabbas (fils du Père) a été disjoint de Jésus BARABBAS (en majuscule), qui fut arrêté, selon Marc durant une insurrection en tè staséi (XV, 7) ; ce que le selon Luc change prudemment en une certaine rébellion dia stasin tina (XXIII, 19).
Le terme latin correspondant à lèstès est latro, c’est lui que nous trouvons dans la traduction latine du selon Jean : « erat autem Barabbas latro », et du selon Matthieu : « duo latrones ».
Le terme latro a généralement un sens militaire, et désigne deux catégories d’ennemis de l’ordre romain : à l’intérieur, les brigands, les déserteurs, les hors-la-loi, les marginaux qui font régner l’insécurité ; à l’extérieur, les peuples qui s’attaquent aux frontières du monde romain ; il désignait couramment des bandes d’insurgés qui rejetaient l’autorité romaine, avant et après Jésus. Dans notre langue moderne, ce serait l’équivalent de « rebelles ».
Notons au passage que cet épisode (celui du bon larron) est bien la preuve que le héros des Quatre évangiles a été arrêté au cours d’une rébellion, car il est clair que ce sont deux compagnons de lutte qui s’adressent à Jésus, le premier pour lui reprocher l’échec de la tentative de coup d’État, l’autre pour renouveler sa certitude de mourir pour la bonne cause.
La traduction conventionnelle de toutes les éditions des Évangiles voile le sens historique de ce terme.
Le latin latro « soldat, mercenaire », puis « bandit de grand chemin » s’oppose à fur « voleur » comme le grec lèstès s’oppose à kleps.
Un terme sans doute analogue à celui de lèstés et traduit par le latin latro sera également utilisé au IVe siècle par le praeses (gouverneur) de Bithynie nommé Sossianos Hiéroclès dans son ouvrage intitulé en grec Philalethes logos ou « Discours ami de la vérité », disparu aujourd’hui du fait de la censure chrétienne, mais dont deux auteurs chrétiens, Eusèbe de Césarée et Lactance, nous ont conservé des extraits.
Eusèbe de Césarée a écrit tout un ouvrage (le Contre Hiéroclès) pour le réfuter.
Quant à Lactance ci-dessous par exemple ce qu’on peut trouver dans son ouvrage sur les Institutions divines.
65
« Le Christ chassé par les juifs avait rassemblé une troupe de neuf cents hommes pour se livrer au brigandage (latrocinia fecisse) « (Institutiones divine, V, III, 4) ».
Sont-ce ces disciples qui, affamés (malgré le pouvoir qu’a le Christ de multiplier les pains) et condamnés par les pharisiens ; n’hésitent pas, en traversant des moissons, à arracher des épis et à les manger en les frottant dans leurs mains un jour de sabbat ? (Mt XII, 1-8 ; Mc, II, 23-28 ; Lc, VI, 1-5.)
Ces données accréditent l’interprétation donnée au terme grec lèstès ; mais ce n’est pas le fait du hasard, la version de Celse est celle qui avait cours parmi les auteurs adversaires – grecs et latins – des chrétiens, et perdurait au IVe siècle : le gouverneur de Bithynie (Sossianos Hiérocles) a repris le vocabulaire de Celse.
Ce thème existe aussi dans la littérature juive qui n’est pas entièrement muette sur le Christ. Le Josippon – dans une mention qui manque dans la version grecque de Josèphe – attribue un mouvement de révolte à des rebelles qui étaient partisans du nazaréen Jésus. La Toledoth Yeshuh de Wagenseil affirme que :
« Avec lui [Jésus], il y avait deux mille hommes, en uniforme… Yeshu vint avec toute sa bande et Judas sortit à sa rencontre… ils arrêtèrent Yeshu… les gens de Jérusalem l’emportèrent et défirent ce bâtard fils d’une femme impure ainsi que les factieux qui étaient avec lui et ils en tuèrent beaucoup ».
Ces considérations donnent aussi tout leur sens aux propos du juif de Celse concernant les Apôtres et que nous avons déjà mentionnés plus haut : « Jésus ayant réuni autour de lui dix ou onze hommes du peuple, les pires des collecteurs d’impôts et des pêcheurs, dénués de la moindre instruction, prit la fuite avec eux pour errer d’un endroit à un autre, et gagna sa vie d’une manière honteuse et en mendiant ».
C’est une allégation que nous retrouvons d’ailleurs dans l’Épître de Barnabé (V, 9) : « Il choisit pour ses apôtres, pour les futurs prédicateurs de son évangile, des hommes coupables des pires péchés, afin de montrer qu’il n’était pas venu appeler les justes, mais les pécheurs… »
Or les Anciens n’ont jamais douté de l’authenticité de cette épître, tenue en haute estime par Clément d’Alexandrie, qualifiée d’épître catholique par Origène ; elle se trouve encore dans l’un des plus anciens manuscrits du Nouveau Testament, le Sinaïticus ; par contre, elle a disparu du Vaticanus.
Plusieurs d’entre les apôtres semblent, d’après leur dénomination, avoir appartenu aux zélotes. On admet en effet généralement la présence d’éléments zélotes très actifs dans la première communauté chrétienne.
Tel est le cas de Simon surnommé le zélote, o Zélotes (selon Luc, 6, 14-16 et Actes, 1, 13), et dans le récit parallèle de Marc (3, 18) et de Matthieu (10, 4) le Kananaios (ton Kananaion) ; désignation traduite à tort par « Simon le Cananéen » (« du pays de Canaan »). C’est en fait la transcription grecque d’un adjectif tiré du mot hébreu qana (pluriel qanaim signifiant « zélote »).
Certains auteurs ont relevé le jeu de mots existant entre le mot hébreu/araméen qana « roseau », le latin « canna » et le terme hébreu/araméen qana « zélote ». Les soldats romains considéraient tout rebelle comme zélote ; et ce serait la raison pour laquelle, lors de la Passion, ils ont mis dans la main droite du Christ, en guise de sceptre royal, un roseau, comme signe de son appartenance à la secte des zélotes (Matthieu XXVII, 29). Par ailleurs, ces mêmes soldats battaient le Christ sur la tête avec un roseau. Or le roseau n’a pas une tige propre à battre quelqu’un. Ils en ont conclu que le roseau qana était un symbole ou un signe assez connu à cette époque pour désigner un zélote : qana.
De même, l’épithète « Barjona » donnée à Simon-Pierre (Matthieu, XVI, 17) généralement traduite par « Fils de Jonas » (cf. Jean, I, 42) est considérée par certains auteurs comme représentant les termes hébreu barjon et araméen barjona signifiant « hors-la-loi, rebelle ».
Le surnom d’iscariote appliqué à Judas (Matthieu, X, 4) s’explique, du point de vue de la langue, comme une corruption de sikariote « sicaire » en Araméen. L’explication traditionnelle is (ich) Keriot « homme du village de Kériot » est à rejeter ; on ne connaît aucun endroit de ce nom, et le seul exemple d’un homme qui soit nommé de cette manière, is Tob (II Samuel, VI, 8), traduit par « homme du village de Tob », est sujet à controverse.
C’est pour prouver l’appartenance du Christ à la secte des zélotes que les pharisiens lui demandent s’il faut payer ou non l’impôt dû à César (Matthieu, 22, 16 ; Marc 12, 14 ; Luc, 20, 22).
66
Certains érudits se demandent si les fils de Zébédée – Jacques et Jean – n’appartenaient pas eux-mêmes aux zélotes. Le sobriquet, que leur donne Jésus, Boanergès « fils du tonnerre » (Mc 3, 17) est justifié par leur désir de recourir à la violence en proposant d’anéantir par le feu du ciel les Samaritains inhospitaliers qui refusent de recevoir Jésus (Lc 9, 54).
Mais qu’est-ce qu’un zélote en définitive ?
Le mot signifie « celui qui a du zèle pour la Loi, du zèle pour accomplir les ordres de Dieu » ; il est tiré d’un verbe grec signifiant « avoir de l’ardeur ».
Les zélotes constituent l’aile extrémiste du parti qui refusait de reconnaître la domination romaine, parti officialisé par Juda de Gamala (ou le Galiléen), fondateur de la quatrième secte juive, mort lors de la Révolte du Recensement, l’année où naît le Christ. Selon Flavius Josèphe (Ant. XVIII, 24), « La quatrième secte philosophique eut pour fondateur ce Judas le Galiléen. Ses sectateurs s’accordent en général avec la doctrine des pharisiens, mais ils ont un invincible amour de la liberté, car ils jugent que Dieu est « le seul chef » et « le seul maître ». Les genres de morts les plus extraordinaires, les supplices de leurs parents ou amis, les laissent indifférents, pourvu qu’ils n’aient à saluer aucun homme du nom de maître »… « Combien de gens ont été témoins de la fermeté inébranlable avec laquelle ils subissent tous ces maux ; je n’en dis pas davantage, car je crains, non pas que l’on doute de ce que j’ai dit à leur sujet ; mais au contraire que mes paroles ne donnent une idée trop faible du mépris avec lequel ils acceptent et supportent la douleur » (Antiquités, XVIII, I, 6).
Les zélotes représentent l’expression la plus parfaite de l’idéal théocratique ; et pour le réaliser ils prêchent la guerre sainte, mais ils ne font pas que la prêcher, ils la préparent secrètement en attaquant la puissance romaine occupante ; d’abord par des actions isolées et des séditions comme ce fut le cas sous les Hérode ; pour finalement déclencher une guerre ouverte en 66-70 avec Ménahem, dernier des fils de Juda le Galiléen comme chef, et avec son parent Éléazar ben Ja’irus.
Selon Hippolyte (Philosophoumena ou Réfutation de toutes les hérésies, début du IIIe siècle), les zélotes ou sicaires étaient des esséniens (livre IX, § 26). « Les esséniens se sont divisés au cours du temps et ils ne respectent pas l’ascèse de la même façon. Certains parmi eux, par exemple, pratiquent l’ascèse au-delà du nécessaire, ils ne touchent jamais à la monnaie, disant qu’il ne faut ni porter, ni regarder, ni fabriquer une image… D’autres, lorsqu’ils entendent quelqu’un discourir de Dieu et de ses lois, et s’il se trouve ne pas être circoncis ; ils le surprennent seul quelque part [terrorisme islamique avant la lettre ?] et le menacent de mort s’il ne se fait pas circoncire. S’il refuse d’obéir, on ne lui pardonne pas, mais on l’égorge. C’est par de tels incidents qu’ils ont obtenu leur nom, se faisant appeler zélotes ou sicaires par certains ».
En 1964, Yadin, professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem, a signalé l’existence d’un rouleau découvert à Masada et dont le texte est exactement le même que celui d’un rouleau découvert à Qumran. La grande question est donc : que faisait ce rouleau attribué aux esséniens dans la forteresse de Masada occupée par les zélotes ?
Nombre d’érudits estiment, sur la foi de Philon, que les esséniens étaient des pacifistes au sens moderne du mot. Tel n’est pas le cas. Ils s’abstenaient simplement de participer à des guerres aussi longtemps que celles-ci n’étaient pas en accord avec leurs concepts, c’est-à-dire ordonnées par Dieu. Yadin pense que les esséniens ont également participé à la Grande Révolte contre les Romains.
Il paraît donc évident, d’après les écrits de Josèphe (Guerre des Juifs, II, 20, 4) qu’ils ont participé à la guerre aux côtés des zélotes. Josèphe relate qu’au début de la révolte le commandant de l’important secteur central – Nord-Ouest de la Judée – était un certain Jean l’essénien. Yadin estime qu’un nombre considérable d’esséniens se sont joints à la rébellion, ce qui, selon lui, explique la présence du rouleau de la secte de Qumran à Masada. Le débat reste ouvert. Mais n’est-il pas curieux de voir ces érudits modernes rejoindre Hippolyte ?
La riposte romaine amena la destruction du Temple et l’écrasement dans le sang de la résistance juive avec la chute de Masada en 72. Les zélotes ne disparurent pas pour autant : cent ans après la Crucifixion éclata sous Hadrien une nouvelle insurrection où Simon Bar Kocheba se fit proclamer à la fois Messie et prince d’Israël (avec l’aval du rabbi Akiba). Cette guerre s’acheva en 135 par l’anéantissement de Jérusalem.
Dans maints écrits apologétiques de l’Antiquité, c’est le souvenir d’un Jésus criminel qui a été conservé. Ainsi, dans la première moitié du IIIe siècle, Minucius Felix, auteur de l’Octavius, célèbre dialogue à trois personnages, met en scène un païen, Caecilius Natalis, un chrétien Octavius Januarius, le tout arbitré par Minucius lui-même.
67
Caecilius : « Celui qui dit qu’ils adorent un homme qui a été pendu pour ses crimes, et que le bois d’une croix fait une partie de leurs cérémonies, celui-là leur attribue des autels dignes de leurs méchancetés et leur fait adorer ce qu’ils méritent. D’ailleurs, les cérémonies qu’ils observent quand ils admettent quelqu’un à leurs mystères ne sont pas moins… » (IX, 4.)
Octavius : « Quant au reproche que vous nous faites d’adorer un criminel (hominem noxium), et la croix instrument de son supplice, vous êtes bien éloignés de la vérité, en pensant qu’un criminel (noxium) ait même pu mériter qu’on le prit pour un dieu, ou qu’on ait pu prendre pour un dieu un homme terrestre » (XXIX, 2).
Il est possible que l’ouvrage de Celse soit aussi la source de l’argumentation de cet Octavius.
Au début du IVe siècle, nous pouvons lire dans la Passion de saints Tarachus et Andronicus : « Iniquissime, non scis quem invocas, Christum hominem quemdam factum, sub custodia Pontii Pilati positum, cujus acta reposita sunt ». Ce qui signifie approximativement (mes 7 ans de latin sont loin) : « Misérable ! Ne sais-tu pas que nous que ce Jésus que tu invoques a été condamné par Ponce Pilate ! Nous avons les Actes de la condamnation de ce malfaiteur ! »
[N. D. L. R. Plus maintenant].
Malgré des variantes, c’est donc toujours le même thème de base qui revient. Porphyre : « Ce sont des juges équitables qui ont mis le Christ à mort, autrement dit il a mérité d’être exécuté ».
L’apologiste Justin affirme, dans son Dialogue avec le juif Tryphon (§ 103) écrit au milieu du IIe siècle, que Jésus fut attaqué sur le mont des Oliviers par « ceux de votre peuple qu’avaient envoyés les pharisiens, les scribes et les docteurs ; il fut entouré par ceux que l’on appelle des veaux cornus et voués à la damnation ». (Ces renseignements ne figurent pas dans les textes canoniques).
Jésus apparaît donc comme un « brigand » certes, mais un brigand d’un genre particulier, car Celse écrit que c’est une révolte (stasin) qui a été jadis à l’origine de la constitution du peuple juif et plus tard des chrétiens.
De même que les juifs sont d’origine égyptienne et ont quitté ce pays à la suite de leur sédition contre l’État et du mépris qu’ils avaient conçu pour sa religion ; eh bien le même traitement qu’ils avaient infligé aux Égyptiens, ils l’ont souffert ensuite de ceux qui ont suivi Jésus et ont cru en lui. Dans l’un et l’autre cas, la raison du schisme a été l’esprit de sédition contre l’État… De même que l’existence politique des Hébreux remonte à cette rébellion, au temps de Jésus d’autres juifs se sont rebellés (estasiakénai) contre la communauté juive afin de le suivre ».
« Les chrétiens furent peu nombreux au début et partageaient tous les mêmes idées, mais quand leur nombre augmenta jusqu’à devenir une multitude, ils se sont divisés et séparés, chacun voulant avoir son parti personnel : car tel était leur objet depuis le début ».
Cette allégation de Celse est claire et nette. À en croire Celse concrètement, c’est donc en tant que chef d’insurgés que s’est manifesté le Christ.
Origène objecte : « Mais Celse et ses adeptes seraient bien incapables de démontrer de la part des chrétiens le moindre acte de violence ».
Claude (41 – 54) « expulsa de Rome les juifs qui y fomentaient sans cesse des troubles, à l’instigation de Chrestus » (Claudius ludaeos, impulsore Chresto assidue tumultuantes, Roma expulit…). Divers érudits affirment que Chrestus peut être un patronyme grec latinisé, Chrèstos (prononcé Christos en raison du phénomène d’iotacisme) signifiant « bon », et non une translittération de Christos signifiant « oint », équivalent de l’hébreu « messiah ». Possible !
Mais que Jésus aux yeux des autorités ait fait figure d’agitateur politique, cela ne fait aucun doute. De tout temps les résistants (messianistes ou non) ont été assimilés à des bandits de grand chemin afin d’occulter les mobiles politiques (ou religieux) de leur action. Ne nous étonnons donc pas de l’attitude de Celse et de celle des historiens.
Manifestement, ce chef de rebelles (archilèstès), présenté comme descendant du roi David, révolté contre l’ordre établi, se présentait en tant que Messie ; « Conformément aux prophéties » qui parlent de celui qui doit venir comme d’un redoutable conquérant devant être le roi des peuples (cf. Apocalypse). Le véritable Messie juif est toujours vu comme un chef militaire nationaliste (le peuple juif étant le peuple élu de Dieu) devant soumettre tous les peuples païens et régner sur le Monde. Une telle conception s’oppose au « Fils de l’Homme », selon Daniel, qui est censé venir du Ciel et fonder un royaume qui n’est pas de ce monde.
ARRESTATION DE JÉSUS.
68
Les évangiles synoptiques ne mentionnent qu’une intervention des serviteurs du grand prêtre renforcés par des pharisiens donc en définitive de la milice privée du sanhédrin.
Le texte le plus étrangement précis à cet égard est celui de l’évangile de Jean, 18,12.
Jésus a été arrêté par une cohorte d’auxiliaires indigènes (spéira) placée sous les ordres d’un chiliarque (chiliarchos) renforcés par des hommes du grand prêtre (hyperetes).
3 mots grecs doivent être explicités : spéira, chiliarcos, et hyperetés.
La speira. Correspond théoriquement à la cohorte romaine soit 600 hommes environ. Peut désigner tout groupe de soldats en général.
Le chiliarque est l’officier commandant théoriquement mille hommes, mais cela peut-être également le commandant d’une cohorte voire moins donc dans ce cas un simple tribun.
Hyperétés. Ce sont des serviteurs ou des huissiers membres du personnel du Temple.
Le titulus de la croix quant à lui (Jean 19, 19) I.N.R.I. suggère nettement un crime purement politique.
Comme le souligne le pasteur Oscar Cullmann de Bâle dans son livre Dieu et César : « Jésus a été crucifié par les Romains sous l’accusation très politique d’être un rebelle messianiste ; telle est la signification de l’inscription ‘roi des juifs’ que Pilate a fait apposer sur la croix et c’est entre deux lestai que Jésus a donc été crucifié
Cullmann suggère que presque jusqu’à la moitié des disciples étaient des zélotes, mais assez curieusement il nie que Jésus ait cautionné ces vues et il parle des disciples comme d’ex-zélotes.
Même chose avec le professeur Brandon de Manchester : Jésus lui-même n’était pas zélote
Il s’agirait donc en réalité d’une terrible terrible erreur judiciaire !
Cullmann ne tient pas compte du fait que la censure ecclésiastique a vidé les ouvrages des historiens de leur substance. Là est le fond du problème. Le désert de notre information est apparu avec l’ère constantinienne, en occultant la documentation profane qui a existé.
Que Jésus soit présenté comme un prophète aux yeux de ses adeptes, et comme un faux prophète au regard de ses adversaires, cela se comprend fort bien. Il est plus difficile d’accommoder les raisons qui font de Jésus un lèstès condamné en tant que tel par les autorités en place, et celles qui présentent ce même Jésus comme un être pacifique dans les Évangiles. « L’erreur judiciaire » est-elle vraiment due à un malentendu, ou ne s’explique-t-elle pas par une autre raison ? Car ce que les Évangiles présentent, ce n’est pas le Jésus tel qu’il a été dans la réalité ; mais l’idée que, sous l’influence combinée de la croyance et des souvenirs directs ou indirects, on se faisait de lui au temps de leur rédaction ; c’est-à-dire dans la seconde génération chrétienne, à un moment où le christianisme avait déjà sensiblement évolué. Le professeur Brandon s’est demandé si les « propos » pacifiques de Jésus n’auraient pas été introduits, après coup ; pour faire oublier les violences dont Jésus et ses disciples se seraient rendus coupables, et dont la purification du Temple et la bagarre à Gethsémani ont laissé subsister un souvenir estompé.
Il y a dans les Évangiles des paroles terribles qui détonnent. Il y a, certes, les malédictions à l’adresse des villes du bord du lac de Tibériade qui n’ont pas cru en lui ; à l’adresse des scribes et des pharisiens (Mt 23, 13-36) qui s’accommodaient relativement bien de la présence romaine, à l’adresse de Jérusalem qui tue les prophètes (Mt 23, 37-39 ; Lc 13, 34-35) ; à l’adresse de la génération présente. « Serpents, engeance de vipères ! Comment pouvez-vous échapper à la condamnation de la géhenne ?… En vérité, je vous le dis, tout cela va retomber sur cette génération » (Mt 23 33-36).
Mais à cela il convient d’ajouter des injonctions qui sont celles qu’eût pu proférer un zélote : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division. Désormais même cinq personnes dans une maison seront divisées, trois contre deux, ou deux contre trois ; le père contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fille et la fille contre la mère, la belle-mère contre la bru et la bru contre la belle-mère. L’homme aura pour ennemis les gens de sa propre maison » (Mt 10, 34-36, Lc 12, 49-53).
« Celui qui n’est pas avec moi est contre moi » (Mt 12, 30) (Lc 11, 23).
« Ne croyez pas que je sois venu pour abroger la Loi ou les prophètes ; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir » (Mt 5, 17).
« Je vous le dis, on donnera à celui qui a, mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a ! Au reste, amenez ici mes ennemis, ceux qui n’ont pas voulu que je règne sur eux, et égorgez-les devant moi » (Lc, 19, 26-27).
« Que celui qui a une bourse la prenne, que celui qui a un sac le prenne également, et que celui qui n’a point d’épée vende son manteau et achète une épée » (Lc 22, 36). Le terme d’épée ne peut être pris dans un sens métaphorique, mais bien littéral, car il se trouve associé à des objets concrets (bourse, sac, manteau). Nous avons là la preuve formelle que Jésus a réellement recommandé à ses
69
partisans de porter une épée. La suite le prouve : « L’un de ceux qui étaient avec Jésus tira son épée : il frappa le serviteur du grand prêtre et lui trancha l’oreille » (Mt 26, 51).
Jésus s’étonne en outre que l’on vienne l’arrêter manu militari : « Vous êtes venus, comme pour un brigand (lèstès) avec des glaives et des bâtons pour vous emparer de moi… Alors, tous l’abandonnèrent et prirent la fuite » (Mc 14, 48, 50).
Il est vrai que, dans ce dernier passage, Matthieu fait dire à Jésus : « Remets ton épée, car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée » ; il s’agit là de toute évidence d’un additif ultérieur. Non seulement il est contredit par le contexte, mais on retrouve dans les paroles de Jésus qui ont survécu aux efforts de « pacification » des rédacteurs, un fond de violence indéniable. Ainsi que le fait remarquer Bertrand Russell, « on découvre à plusieurs reprises dans les Évangiles les témoignages d’une fureur vengeresse dirigée contre ceux qui n’acceptent pas son enseignement ».
L’accusation d’être un fauteur de troubles colle au Christ, assimilé à un prétendant davidique aspirant au trône d’Israël. « Nous avons trouvé cet homme excitant notre nation à la révolte, empêchant de payer le tribut à César, et se disant lui-même Christ, roi… Il soulève le peuple » (Lc 23, 2, 5). Les nazoréens ont la même réputation : « Nous nous sommes aperçus que cet homme (Paul), une véritable peste, fomente des troubles parmi tous les juifs, dans le monde, et qu’il est à la tête de la secte des nazoréens. Il a même tenté de profaner le Temple » (actes XXIV, 5).
Le Messie, d’après les croyances de l’époque, devait être un roi terrestre, ce qui explique l’inquiétude d’Hérode et la tradition du meurtre des garçons de Bethléem par ce dernier. (Nous disons bien « la tradition. »)
Rappelons tout d’abord quelques-unes des affaires qui ont défrayé le règne d’Hérode le grand et le préfectorat de Ponce Pilate, relatées par Flavius Josèphe et Philon : sédition de Judas et Matthias (affaire de l’aigle d’or) ; exploits d’Ezéchias (père de Juda le Galiléen) ; saccage des arsenaux royaux de Sepphoris par Judas ; affaire des enseignes à l’effigie de César introduites de nuit à Jérusalem et qui déclenchèrent une émeute ; affaire du détournement du trésor sacré pour la construction d’un aqueduc ; massacre des Galiléens auquel Luc fait allusion ; affaire des boucliers d’or ; massacre du mont Garizim, etc.
L’incident du Temple.
La plupart des interprétations dogmatiques ou théologiques de cet épisode acceptent l’histoire de l’occupation du Temple par Jésus, mais elles en font un événement spirituel ou symbolique.
Les critiques libéraux ont plutôt tendance à douter de l’authenticité de cet épisode : comme l’entreprise eût exigé un grand déploiement de forces, ils en concluent qu’elle n’a jamais eu lieu.
Est-il vraisemblable que Jésus ait pu, sans que ses fidèles soient eux-mêmes armés ; se présenter dans l’enceinte du Temple, y chasser avec un simple fouet de cordes (signe de violence par lui-même) les marchands de bœufs, de brebis et de pigeons, y répandre la monnaie des changeurs et renverser leurs tables (Jn II, 14-15) ; c’est faire fi de la présence des gardes, des prêtres, des sentinelles romaines, dont la garnison était renforcée en cette période de Pâque considérée comme étant propice aux agitations politiques.
La phrase du passage de Suidas, citant Flavius Josèphe : « Jésus officia dans le temple avec les prêtres » doit être empruntée au Josèphe intégral et suggère que le Christ trouva des appuis, probablement dans le jeune clergé.
Les efforts faits pour donner de ces passages des explications « symboliques » ou « allégoriques » cèdent devant l’évidence du texte et les événements tels que nous les entrevoyons au-delà des sources dont nous disposons.
Le Temple de Jérusalem était un vaste édifice édifié au Xe siècle avant notre ère. Détruit par Nabuchodonosor en – 586, il avait été reconstruit à la hâte en – 518/516, au retour des Juifs de leur exil de Babylone. Lors de la conquête de la Judée par Pompée en – 63, le Temple dut être assiégé par les légions romaines (Antiquités XIV ; Apion, II, 82).
Hérode le grand, roi étranger (il venait d’Idumée) mis en place par les Romains, avait entrepris de faire de Jérusalem une des plus belles villes du Proche-Orient ; il rebâtit le sanctuaire de façon majestueuse sur une plate-forme longue de 460 m large de 280 m occupant plus de quatorze hectares ; sa reconstruction commença en – 20/– 19. Les bâtiments périphériques et les cours ne furent achevés que vers 62-64 de notre ère, soit au bout de quatre-vingts ans.
70
Les descriptions du Temple, détruit en l’an 70 durant le siège de Jérusalem par les légionnaires de Titus, nous ont été données par Flavius Josèphe (Guerre des juifs, V, V ; Antiquités VIII, 3) elles ont été confirmées par les reconstitutions actuelles.
Nombreux étaient les juifs qui s’y rendaient en pèlerinage une fois par an. Lieu de prière, le Temple comportait sur ses pourtours, sur la colline du Temple, outre des habitations pour les officiels, un vaste complexe de bâtiments administratifs occupant un nombre considérable de personnes (jusqu’à 20 000 croit-on) pour remplir des fonctions variées.
Importante institution de la société juive, le Temple était aussi le lieu où se tenait le marché, où s’effectuaient toutes sortes de transactions. Les autorités du Temple géraient le Trésor public – le « Corban » – véritable Banque Nationale (Guerre des juifs, VI, 282) où était entassée toute la richesse de la nation juive et de la diaspora ; sous forme de métaux précieux employés dans sa décoration, aussi bien que des pièces d’or et des sommes déposées par des particuliers.
Sa protection était assurée tant par la garnison romaine établie à Jérusalem (une cohorte de 500 à 600 hommes, accompagnés des auxiliaires habituels) que par des gardes du Temple ; certainement très nombreux, étant donné l’importance des lieux et des foules qui y passaient constamment. Lors des grandes cérémonies annuelles de la Pâque, l’affluence était considérable dans l’enceinte du Temple, quand se pressaient les pèlerins venus non seulement de Judée et de Galilée, mais aussi de toute la Diaspora. Comme le moment de la Pâque avait la réputation d’être propice aux agitations politiques, les Romains renforçaient leurs gardes. L’importante garnison qu’ils entretenaient se tenait dans la célèbre Tour Antonia, véritable forteresse située au nord-ouest du mont du Temple, et dominant tout le Temple avec ses parvis ; de plus, elle était reliée aux portiques du Temple par deux escaliers (Antiquités, XV, 424). Les soldats romains pouvaient ainsi pénétrer aisément dans le Temple et prévenir les désordres (Guerre des juifs, V, 238-247). Quelques années plus tard, lorsque Paul fut arrêté (Actes, XXI, 31-32 et 35), c’est ainsi que le tribun romain put intervenir.
Comme le souligne Carmichael, il est invraisemblable que Jésus ait pu se présenter dans l’enceinte du Temple, tancer âprement les gardes et les prêtres – sans parler des sentinelles romaines de garde ni les fameux changeurs exaspérés – et « tenir » le Temple pendant quelque temps ; en usant uniquement de son autorité personnelle et spirituelle.
L’épisode dut être d’importance, car dès la « purification » du Temple, les prêtres et les scribes envisagèrent de faire périr Jésus. C’est là un épisode central du récit évangélique. Jésus est entré à Jérusalem à la tête d’une troupe d’hommes ; il a occupé le Temple un certain temps ; il a été trahi, arrêté, jugé, condamné et exécuté pour sédition.
Selon le quatrième Évangile (II, 14-15) : « Il trouva dans le Temple les marchands de bœufs, de brebis, et de colombes et les changeurs qui s’y étaient installés. Ayant fait un fouet de corde, il les chassa tous du Temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il répandit la monnaie des changeurs et renversa leurs tables ».
L’usage d’un « fouet de cordes » est déjà un signe de violence ; mais il ne donne qu’une image fort atténuée de ce que dut être l’action entreprise par Jésus, en cette période de la Pâque, au milieu des milliers de pèlerins alors présents, des nombreux employés du Temple, des gardes, et des soldats romains. Il faut imaginer la scène avec la réaction normale des marchands de bœufs, de brebis, sans parler des changeurs devant de tels procédés. La vérité dut être bien différente, et l’auteur du quatrième Évangile a édulcoré l’événement jusqu’à le dépouiller de toute réalité.
Robert Eisler a fait remarquer comme étant hors de doute que la coutume était d’acheter les colombes aux autorités du Temple elles-mêmes ; en sorte que l’action de Jésus a dû être dirigée directement contre les vendeurs lévites et officiels, et non contre des marchands non autorisés installés près du Temple.
Cette tendance à « spiritualiser » les faits a été plus évidente dans les autres Évangiles (preuve que le quatrième Évangile est, pour ce récit, plus ancien que les synoptiques). Le selon Matthieu se contente de dire : « Jésus entra dans le Temple et en chassa tous ceux qui vendaient et qui achetaient ; il renversa les tables des changeurs et les sièges de ceux qui vendaient les pigeons » (XXI, 12).
Dans le selon Marc (XI, 11), on trouve le récit d’une visite de Jésus au Temple, visite en apparence anodine : « Jésus entra dans Jérusalem et il se rendit au Temple ; puis ayant porté ses regards sur tout ce qui l’entourait, comme il était déjà tard, il sortit pour gagner Béthanie avec les Douze ».
Mais attendons la suite du récit (XI, 16) : « Jésus entra dans le Temple. Il se mit à chasser ceux qui vendaient et qui achetaient dans le Temple ; il renversa les tables des changeurs, et les sièges des vendeurs de pigeons ; et il ne permettait à personne de porter aucun objet à travers le Temple ».
71
En d’autres termes, Jésus a dû disposer d’une force armée suffisante pour lui permettre de s’emparer de ce vaste édifice et de le tenir un certain temps ; à en juger par le nombre de jours durant lesquels il « enseigna » dans le Temple, ainsi qu’il le dit à ses poursuivants, lorsqu’ils se saisirent de lui (Mc XIV, 49). De plus, cette force armée devait pouvoir contrôler non seulement les soldats romains et les gardes du Temple, mais encore les milliers d’autres juifs qui n’auraient pas apprécié cette initiative d’un parvenu galiléen ; s’il faut en croire les récits qui démontrent l’hostilité de la foule juive à son égard après la condamnation de Jésus.
En un mot, pour vaincre la force armée, les fidèles de Jésus devaient être armés eux-mêmes. Et ils l’étaient, c’est indéniable.
CONCLUSION.
Sans doute avons-nous – à travers le juif de Celse – la version des Romains de l’époque. Mais nous ne pouvons nier que Jésus a eu certaines paroles difficilement compatibles avec le Dieu d’amour, et qui ne trouvent leur pleine signification « que si on les applique aux zélotes ». Jésus a un comportement qui ne sied nullement avec celui du Dieu sauveur, le Christ dit « évangélique ». Ce décalage peut s’expliquer si ces faits et paroles sont ceux d’un prophète séditieux, vu comme lèstès et goète par Celse et les critiques des premiers siècles, et s’opposant au Christ Logos.
D’après Brandon, la présence d’un zélote (Simon) parmi les disciples de Jésus indique que les principes et les objectifs du zélotisme n’étaient pas incompatibles avec une étroite participation à sa mission. C’est bien en tant que zélote que Jésus a été condamné par les Romains et c’est entre deux lestai, deux zélotes, qu’il a été crucifié.
En quoi donc Jésus diffère-t-il des zélotes dans ce cas ?
À cette question Brandon répond que, comme Jésus était convaincu de l’imminence de la venue du royaume de Dieu, ce qui signifierait la fin de la souveraineté de Rome, il était moins préoccupé que les zélotes par la poursuite de la lutte contre elle. Jésus n’était pas zélote lui-même.
D’après Cullmann plusieurs des disciples de Jésus avaient des tendances zélotes, pas seulement Simon, mais aussi vraisemblablement Pierre et Judas Iscariote (dont le surnom pense Cullmann devait venir du mot sicarii, ou secte des Assassins, qui exécutaient ceux qui collaboraient avec Rome avec de courtes dagues, notamment dans la foule venue pour les fêtes). Cullmann néanmoins pour la même raison que Brandon niait que Jésus lui-même ait cautionné ces vues. Jésus n’était pas personnellement zélote.
Le Christ nous apparaît donc en fait sous deux visages singulièrement différents. Cela ne peut se comprendre que par une évolution du Jésus historique libérateur de la Judée en Christ d’amour, sauveur de l’Humanité.
Les gnostiques ont inventé le Jésus, Verbe ou Logos, émanation du Dieu supérieur ; ils l’ont fait descendre littérairement sur le corps du Jésus-Christ crucifié par Ponce Pilate. Il a fallu pour cela dépolitiser ce dernier, lui enlever « sa première peau », selon l’expression de Renan ; et c’est pourquoi le Jésus-Christ des Évangiles est si incohérent ou que le Nouveau Testament est plein de contradictions.
Le désaccord entre Celse et les apologistes comme Origène provient de ce que le premier se souvient essentiellement du « faux prophète » exécuté pour sédition par Ponce Pilate ; et que les seconds, au contraire ne connaissent que le personnage hybride mi-historique, mi-mythique qu’on en avait fait au deuxième siècle.
On ne peut s’empêcher de comparer le fanatisme des zélotes avec la soif de martyre des premiers « chrétiens ». Mais rapprochement de comportement ne signifie pas nécessairement identité de croyance.
Après la crucifixion le mouvement messianiste s’est progressivement scindé en deux courants différents. L’un continuant d’attendre le Messie, et par conséquent poursuivant la lutte pour l’indépendance, l’autre considérant que le Christ n’est pas mort, mais est ressuscité des morts et qu’il est donc bien le messie annoncé.
Mais c’est surtout après la prise de Jérusalem par Titus et la destruction du Temple en 70 que tombèrent les illusions concernant la libération d’Israël. Le fossé s’élargit encore un peu plus entre les deux tendances ; les adeptes du Christ élaborent une nouvelle religion ; les plus intransigeants des messianistes se regroupent derrière Bar Kochba, dont l’insurrection sera réprimée en 135 ; l’État d’Israël est alors rayé de la carte. La scission entre les deux sectes est désormais consommée sur le plan doctrinal ; leurs adeptes se comportent en frères ennemis. Vers l’an 150, Justin (Première apologie, 31) nous apprend que lors de la guerre de Judée, « Barkocheba, le chef de la dernière
72
révolte des juifs, faisait subir aux chrétiens, et seulement aux chrétiens ; les derniers supplices s’ils ne reniaient pas et ne blasphémaient pas Jésus-Christ » (cf. aussi Eusèbe, H. E., IV, VIII).
Les pharisiens, eux, s’accommodèrent relativement bien de l’occupation romaine. Lors du siège de Jérusalem, le plus illustre de leurs docteurs, Johanan ben Zakkaï, réussit à sortir de la ville, et obtint de Vespasien l’autorisation de fonder une école rabbinique dans le village de Jabné près de Jaffa. Là sera élaborée la Mishna (Répétition de la Loi), élément de base autour duquel naîtra le Talmud.
Les historiens et les polémistes ont surtout retenu le caractère événementiel de la vie du Crucifié de Ponce Pilate, prétendant au trône de David, venu pour appliquer toute la Loi (Panthora) ; annonçant l’avènement prochain sur terre des temps messianiques, la délivrance du joug étranger, et dès lors devenu séditieux pour parvenir à ses fins. Son programme politico-religieux a avorté, prophète militant pour ses partisans, mais faux prophète (goète) aux yeux de ses adversaires, il est considéré par les Romains et les Hérodiens comme un rebelle, un lèstès ; c’est le lot de tous les chefs vaincus. Vainqueur, il eût été proclamé « roi des juifs » ainsi que le suggère l’écriteau de la croix (Jésus le nazoréen, roi des juifs) — ; et comme ce fut le cas, cent ans après, pour Simon prince d’Israël, plus connu sous le surnom de Bar Kocheba (Fils de l’Étoile) ; mais qui, une fois vaincu, devint Bar Koziba « le Fils du mensonge ». (Dion Cassius).
Ce revers fut déterminant tant sur l’évolution du judaïsme que du christianisme. Les fidèles du Christ croyaient suffisamment en lui pour admettre sa résurrection et voir en lui le Messie. Bouleversés par la défaite, ils sont trop attachés à la mémoire de leur chef charismatique pour renoncer aux espoirs qu’ils avaient placés en sa personne. Certains d’entre eux refusent même d’accepter son absence définitive (cf. version vieux-slave de Flavius Josèphe).
Ils ne considérèrent plus la vie terrestre de Jésus que sous l’angle de sa glorification ; d’où l’occultation des faits essentiels se rapportant à ce qu’il fit à Jérusalem, d’où le dédoublement du personnage en Jésus BARABBAS, personnage historique, et JÉSUS Barabbas « fils du Père », le Jésus-Christ des Évangiles.
Ses partisans ont su transformer sa défaite en victoire en affirmant tout d’abord que les temps n’étaient pas encore venus ; puis en transposant littérairement son Royaume terrestre de Dieu en un Royaume céleste, en dépolitisant la mission du Christ, en faisant dire à Jésus : « Mon Royaume n’est pas de ce monde » ; transformant ainsi l’espérance temporelle du messianisme en une espérance spirituelle.
Le « miracle » a été que l’action de divers courants de pensée – tant grecs que juifs – a eu pour résultat de transfigurer le Messie Christ prétendant davidique au royaume d’Israël et crucifié comme agitateur par Ponce Pilate ; en Jésus-Christ, prince de la paix, et prédicateur de morale, rédempteur du Monde.
La croyance nouvelle se trouva transportée hors de Palestine, dans le tourbillon du monde nourri de civilisation juive et grecque (courants gnostiques, de Qumran, Néo-platonisme) et de l’apport massif des cultes orientaux de l’Asie hellénisée ; dans un monde essentiellement caractérisé par le syncrétisme religieux. Les premières communautés chrétiennes ont fait des emprunts considérables aux conceptions et aux cérémonies rituelles des mystères païens. (Voir John Toland.)
La vie du Jésus évangélique montre en effet maintes ressemblances avec celle des mythes de l’Antiquité, tant orientaux que grecs et romains. Les triades ont depuis longtemps précédé la Trinité. Les mystères célébrés en l’honneur d’Isis et d’Osiris en Égypte, de Cybèle et d’Attis en Phrygie, d’Adonis et d’Astarté en Syrie, de Tammouz en Mésopotamie, de Mithra en Perse, de Dionysos et de Déméter en terre grecque ; où les souffrances, la mort et la résurrection des divinités, ont joué un rôle d’autant plus déterminant dans la genèse de la religion chrétienne, qu’ils comportaient une charge émotionnelle considérable, et un grand pouvoir de séduction. Toland s’est attaché à montrer l’influence des mystères sur la formation de la christologie de saint Paul.
Ce n’est pas dans le monde juif, ce n’est même pas dans le monde proprement oriental ; c’est dans le monde gréco-romain que l’on découvre les analogies les plus frappantes avec l’histoire de la conception miraculeuse de Jésus (légende d’Attis, etc.) ».
Justin Martyr, un des premiers historiens et défenseurs du Christianisme (100-165 de notre ère), a écrit : « Lorsque nous disons que lui, Jésus-Christ, notre maître, fut engendré sans union sexuelle, fut crucifié et mourut, et ressuscita, et monta au ciel, nous n’avançons rien de différent de ce que vous croyez quant à ceux qui vous appelez Fils de Jupiter… Il est né d’une vierge, acceptez cela en commun avec vos croyances sur Persée » (Première apologie, chapitres 21 et 22).
Il est donc évident que Justin ainsi que d’autres chrétiens de l’époque savaient à quel point le Christianisme était similaire en cela aux religions païennes. Toutefois, Justin avait une solution. Le
73
Diable avait eu la clairvoyance d’arriver avant le Christ et de susciter ces caractéristiques dans le monde païen.
La double croyance en l’Incarnation et en la Rédemption, base du paulinisme, est un élément puissant qui contribua beaucoup à la transformation de Jésus prophète et patriote juif exécuté comme rebelle contre l’État ; en « Jésus, Fils de Dieu et né d’une Vierge, Sauveur du Monde mourant pour l’expiation de nos péchés ». Le Jésus historique s’effaçait devant le Jésus divinisé.
Au IVe siècle, on placera la naissance du nouveau Dieu le 25 décembre, jour du solstice d’hiver où l’on célébrait la Nativité du Soleil (Natalis Invicti) alors que rien, mais alors rien, dans les Évangiles, n’accrédite cette date toute symbolique.
Les racines idéologiques du christianisme puisent donc dans les religions païennes. En ce sens, on peut dire que, empruntés aux principaux cultes alors en vogue, la symbolique et les rituels de la nouvelle religion (eucharistie, communion…) lui sont antérieurs (banquet de commensalité « devogdonion » entre les hommes et les dieu-ou-démons, par exemple, culte des demi-dieux comme Hesus ou Hercule).
Le syncrétisme qui s’affirme tout au long des IIIe et IVe siècles, la vague d’espérance portée par les dieu-ou-démons sauveurs, favorisée par l’expansion de l’Empire romain, ont permis la propagation du christianisme qui ; s’appuyant dès l’époque de Constantin, sur une hiérarchie (alors) militante et intolérante, tout à fait comparable aux islamistes actuels, jusque dans sa préférence pour le noir (voir les popes encore aujourd’hui en Grèce) ; l’a imposé aux foules analphabètes alors que, dans le cercle restreint des lettrés, les élites intellectuelles muselées ne pouvaient plus émettre la moindre critique.
Le Logos est un thème emprunté aux philosophes grecs, il est la raison universelle, la loi divine universelle qui règle à la fois le monde physique et le monde moral. Mais jamais les Grecs n’avaient songé à donner au Logos une personnalité distincte ; il resta toujours pour eux une sorte d’abstraction, une force cosmique répandue à travers le monde. Le philosophe juif contemporain du Christ, Philon d’Alexandrie, développe toute une doctrine du Logos en qui il voit une puissance émanant de Dieu. Or les théologiens chrétiens, condensant pour ainsi dire cette force diffuse, concrétisant cette abstraction, firent du Logos une personne, un autre Dieu, un Dieu second, le Fils unique de Dieu. Puis, ce personnage divin est devenu chair (Kai o logos sarx égénéto kai eskènôsen èn èmin…) dans le sein d’une Vierge pour donner naissance à Jésus-Christ. (D’après Hippolyte de Rome, Philosophoumena ou Réfutation de toutes les hérésies, livre X, chapitre 29).
Origène distingue nettement entre les éléments complexes que Jésus associa en sa personne. L’homme Jésus ne doit pas être confondu avec le Logos ; si le Christ a souffert dans son âme et dans son corps, c’est que cette âme était humaine et humain son corps, sans que l’essence de la divinité ait été altérée dans cette union.
Cette évolution a impliqué une réfection des premiers textes du Nouveau Testament qui ne s’est achevée pratiquement qu’au IVe siècle. Ensuite, il a fallu évacuer les écrits des premiers historiens chrétiens (Papias, Jules l’Africain, Hégésippe…), et élaguer les écrits des historiens profanes (Josèphe, Philon, Tacite, Suétone, Dion Cassius, etc.) qui sont victimes de toutes sortes d’interpolations, d’altérations et de suppressions. En même temps disparaissaient les traités des polémistes Celse, Porphyre, Hiéroclès, l’empereur Julien et d’autres encore. Cela fut l’œuvre « pieuse » des moines du haut Moyen-âge qui ont eu le monopole de la conservation des anciens parchemins et papyrus, puis de la transcription des manuscrits qui nous sont parvenus.
Ce genre de substitution (phonon/phtonon) n’est pas unique et se rencontre notamment lorsque l’orthodoxie est en cause ou pour des raisons de convenance. Ainsi, en H. E. VI, V, Eusèbe raconte que Potiamène (martyre d’Alexandrie) fut livrée à des érastes chargés de lui faire perdre sa virginité ; or le terme érastes a été remplacé dans certains manuscrits par le mot arétas plus convenable ; dans le même passage, le terme pornoboskois, « qui tiennent une maison de prostitution », a été remplacé par monomachois « gladiateurs ».
Et en maints passages, le texte d’Eusèbe a semblé hérétique à tel ou tel copiste qui n’a pas voulu le reproduire tel quel ; et qui, non content d’introduire, pour contredire l’historien, des notes marginales, n’a pas hésité à le gloser ou à le corriger. Les modifications sont reconnaissables lorsqu’elles ne sont pas portées sur tous les manuscrits. Dans le cas contraire, il n’y a pas moyen de les discerner d’une manière sûre.
74
PORPHYRE DE TYR (232-305).
Phénicien hellénisé, spécialiste en religions comparées, dont le nom original était Malkos, ce qui signifie roi, en langue sémite. Il commença par étudier la philosophie à Athènes pendant à peu près six ans, auprès d’un rhéteur appelé Longin. Certains pensent que c’est ce Longin qui lui aurait conseillé de changer son nom de Malkos en Porphyrios, le pourpre étant la couleur des princes, une spécialité de sa ville natale.
Porphyre publia à Athènes un livre de critique littéraire et devint rapidement un spécialiste en interprétation allégorique ; ce qui lui permit plus tard de voir à quel point les chrétiens en abusaient (contradictions transformées en mystères, présentations erronées des faits transformés en paradoxe et ainsi de suite).
Le sens exact des textes de la Bible a en effet toujours fait problème pour les chrétiens. Comment le Christ peut-il avoir été par exemple emmené au sommet d’une très haute montagne d’où l’on pouvait voir tous les royaumes du monde (Matthieu 4.8 ; Luc 4.5) ? PUISQU’UNE TELLE MONTAGNE N’EXISTE PAS !
Défense des chrétiens de l’époque, et d’aujourd’hui : la théorie de l’inspiration divine ! La Bible n’est pas toujours à prendre au pied de la lettre. Ce n’est qu’une immense suite d’allégories inspirées par Dieu, pleines de paradoxes et de mystères.
Comme beaucoup d’autres philosophes de son temps, Porphyre sympathisa ensuite avec de nombreux mouvements de pensée avant de s’engager dans le néoplatonisme ; car Porphyre ne devint néoplatonicien qu’après sa rencontre à Rome avec Plotin, dont il devint l’élève (de 262 ou 263 à 270).
Ce que l’on sait de la philosophie de Porphyre vient essentiellement de sa lettre à Marcelle (sa femme).
Certains auteurs pensent que Porphyre fut un temps tenté par le christianisme. La pensée de Porphyre ressemble en effet beaucoup au christianisme sur certains points (l’âme/esprit à la recherche de Dieu ne trouve jamais le repos, etc.) ; et cela ennuyait d’ailleurs beaucoup saint Augustin qui l’admirait et qui fut obligé de reconnaître qu’il n’avait donc pas toujours complètement tort. La ressemblance entre certaines idées chrétiennes et celles de Porphyre vient néanmoins surtout du fait que Porphyre connaissait très bien le christianisme, et qu’il se plaçait sur son propre terrain pour le combattre.
Porphyre connaissait la Bible (il est un des premiers à avoir souligné qu’il est impossible que Jonas ait pu être avalé par un poisson ou une baleine) notamment les prophètes ; et les Évangiles (qu’il trouvait dénués de toute valeur philosophique ou littéraire, vu la piètre qualité de leur grec). Il a en outre vraisemblablement assisté à des prêches ou à des lectures publiques d’Origène à Césarée (dont il sortit déçu).
Saint Jérôme écrivit son grand commentaire du Livre de Daniel uniquement pour contrer sa dévastatrice analyse des prophéties bibliques (toujours écrites après coup évidemment, et pas avant, ce qui serait trop beau).
Porphyre connaissait très bien la Palestine, la Syrie, et Alexandrie, qu’il avait visitées étant jeune ; ce qui lui permit de voir que certains récits évangéliques étaient inexacts ou impossibles ; par exemple ceux qui nous relatent l’histoire des démoniaques gadaréniens (Matthieu 8, 28-34 ; Marc 5,1-20 ; Luc 8, 26-39).
75
À Rome Porphyre écrivit en grec un livre en 15 parties, très lu jusqu’en 311, année où Galère promulgua son édit de tolérance ; cet ouvrage devint la cible de toutes les attaques de la nouvelle secte.
Devenue religion d’État, elle en obtint l’autodafé de tous les exemplaires existants ; et ces 15 essais contre les chrétiens furent donc condamnés à être brûlés en 448.
Le titre exact de ces 15 essais de Porphyre contre le christianisme ne nous est pas connu.
Celui sous lequel ils sont généralement mentionnés, Kata Christianon, n’est attesté qu’au début du haut Moyen-âge. Ce que nous en savons vient des références, des citations ou des paraphrases, critiques évidemment, disséminées ici ou là dans les écrits de toute une armée d’auteurs chrétiens du IIIe au IVe siècle.
L’essentiel de ces citations nous a été transmis par un certain Macarius Magnés, un auteur du IVe ou Ve siècle ; qui les a regroupées à sa façon et suivant le plan qui lui a semblé le plus à même de servir son dessein, avec des transitions de son cru ; dans un livre intitulé en grec Apocriticos ou Monogénès.
Macaire ne cite pas nommément l’écrivain païen qu’il entreprend de réfuter point par point, peut-être sans le connaître.
Le livre de Macaire de Magnésie relate un débat public, s’étant déroulé sur cinq jours, entre un philosophe païen anonyme et l’auteur chrétien. L’adversaire païen aligne plusieurs séries d’objections contre des passages du Nouveau Testament, contre le Christ, les Apôtres, saint Paul, ou contre les doctrines chrétiennes. Le chrétien répond ensuite à chacune de ces séries d’objections.
Ce texte a été retrouvé en 1867 dans un manuscrit incomplet qui fut édité en 1876 par Charles Blondel sous le titre Macarii Magnetis quae supersunt, ex inedito codice. Il a disparu par la suite, comme ont disparu plusieurs autres manuscrits, connus au Moyen-âge ou à la Renaissance, mais restés inédits. Il n’a jamais été réédité depuis et seules les objections ont été jusqu’ici traduites. Les problèmes littéraires et historiques qu’il pose sont nombreux : qui était Macaire ? Où et quand vivait-il ? Le débat qu’il met en scène est-il réel ou fictif ? A-t-il inventé les objections qu’il prête à l’adversaire païen ou les a-t-il empruntées à un traité existant ? Et dans ce cas, qui en serait l’auteur ?
Si celui-ci semble par moments imaginaire comme nous l’avons dit (à la différence du Celse vu par Origène), c’est parce que Macaire réécrit les citations qu’il en fait. Quoi qu’il en soit, tout désigne Porphyre comme en étant bien la source : les thèmes, l’approche, les conclusions et même le style !
On aurait donc là les vestiges de la polémique dirigée contre le christianisme par son plus grand adversaire. Que ce soit Porphyre lui-même, un disciple de Porphyre, Sossianos Hiéroclès (le gouverneur de Bithynie auteur du livre intitulé en grec, les Philaletheis logoi, les amis de la vérité, où il met en parallèle Jésus et Apollonius de Tyane) ou quelqu’un d’autre.
Ces citations de Porphyre faites par Macarios Magnès, dans un ordre qui n’était nullement celui du livre originel de Porphyre évidemment, et avec des transitions dues à sa plume ; s’en prennent aux personnages clés ainsi qu’aux croyances et aux doctrines du christianisme d’alors ; car Porphyre savait de quoi il parlait ainsi que nous l’avons dit (Marcelle sa femme était une grenouille de bénitier).
Le débat relaté est vraisemblablement fictif, mais Macaire n’a sans doute pas inventé les objections qu’il prête à son adversaire. Souvent en effet, dans sa réponse, il montre qu’il n’en a pas compris la portée (historique ou philosophique).
76
KATA CHRISTIANON : CONTRE LES CHRÉTIENS.
Traduction, plan, et commentaire, de Pierre de La Crau et non de Raymond Joseph Hoffmann ni de Richard Goulet ni de Thomas Wilfrid Crafer.
PRIS ISOLÉMENT LE CONTENU SERA NÉANMOINS ANALOGUE A CELUI DU « APOCRITICUS » DE « MACARIUS MAGNES » PUBLIE EN 1919 A NEW YORK PAR T.W CRAFER, PROFESSEUR DE THÉOLOGIE AU QUEEN’S COLLEGE DE LONDRES………………………
Approchons-nous maintenant et écoutons donc une nouvelle fois les mystérieux propos que Jésus a un jour adressés aux juifs : « Vous ne pouvez entendre mes paroles, car votre père est le diable (le grand calomniateur) et vous ne voulez qu’accomplir sa volonté » [Jean 8, 43-44].
Dites – nous qui est ce mystérieux Calomniateur, père des juifs. Car ceux qui font ce que leur père leur dit de faire agissent comme il faut en se soumettant à sa volonté, par respect pour lui. Et si le père est mauvais, la responsabilité de sa faute ne doit pas en être imputée aux enfants.
Qui est donc ce mystérieux père qui fait que s’ils n’écoutent pas le Christ c’est parce qu’il le veut ? Car quand les juifs répondent : » Nous n’avons qu’un seul père, Dieu lui-même » il écarte cette objection en leur disant : « Vous êtes de votre père le grand calomniateur ». Qui est donc ce grand Diffamateur et où demeure-t-il ? Et qui a-t-il diffamé pour mériter cette épithète ? Car il ne semble pas porter ce nom comme si c’était son nom de famille, mais comme si c’était le résultat de quelque chose qui serait arrivé.
De fait, c’est celui qui tolère la présence d’un diffamateur qui est malhonnête et celui qui est diffamé n’en est donc que plus coupable. Si c’est à cause d’un mensonge qu’il est dit menteur, au sein de quel peuple est-il apparu ou a-t-il commis cette faute ? Et l’on verra bien que ce n’est pas le calomniateur lui-même qui a mal agi, mais celui qui lui a donné des raisons d’agir ainsi.
C’est l’homme qui dresse un obstacle sur la route la nuit qui est responsable, et non celui qui arrive et trébuche dessus. C’est l’homme qui a érigé cet obstacle que l’on doit blâme généralement. Et bien de la même façon c’est celui qui sème des raisons d’être calomnié sur son chemin qui est le plus grand coupable, pas celui qui s’empare ou se saisit de ces occasions.
Autre chose maintenant. Ce grand menteur est-il sujet aux passions et aux faiblesses humaines ou non ?
S’il ne l’est point, alors il n’aura jamais menti. Mais s’il y est sujet, alors on doit lui pardonner, car généralement on ne tient pas pour responsables ceux qui sont malades, mais on a au contraire pitié d’eux étant donné qu’ils ont déjà été assez durement punis comme cela.
----------------------- --------------------------------------------------------- ---------------------------------------------- -------
Contre-lai (Commentaire) N° 50.
Porphyre commence donc cette partie de son livre directement par le problème du mal dans la théologie chrétienne.
Et adopte à cet égard la position gnostique classique. Si Dieu est omniscient et tout puissant, et a bien créé cet univers, alors il est forcément responsable in fine de l’existence du mal en son sein. Le diable n’agit qu’avec son autorisation ou sa permission.
Porphyre poursuit par conséquent son analyse du christianisme en s’en prenant à la fameuse maxime biblique « malheur à celui par qui le scandale arrive » ; en faisant remarquer qu’en principe celui qui
77
est à blâmer c’est celui qui a causé le scandale et non celui qui le révèle ou le proclame haut et fort (Matthieu 18, 7).
À ce sujet lire le livre du Français René Girard intitulé : « Je vois Satan tomber comme l’éclair » et qui ne nous a nullement convaincus d’ailleurs. Ou alors nous n’avons pas tout compris. Ce qui est possible d’ailleurs, nous n’avons jamais prétendu mériter 20 sur 20 en français. Le français est en effet la langue romane la plus éloignée du latin, et ceci à cause de son substrat celte. Ardoise, Auvent, Bac, Baccalauréat, Bachelier, Bâche, Balai, Banlieue, Bavard, Berge, Cabane, Changer, Chat, Coq, Darne, Drap…, etc. La liste est longue. Le problème est que l’on prend beaucoup de mots celtes pour des mots latins, car ils ont été latinisés et sont entrés dans le bas latin, alors qu’ils ne se trouvent pas dans le latin classique… Dans la vie de saint Martin, on trouve la phrase suivante : « Eh bien ! dit Postumianus, parle celtique, ou, si tu aimes mieux, parle gaulois, pourvu que tu nous parles de Martin. Mais je crois que, même si tu étais muet, les mots ne te manqueraient pas pour parler de Martin éloquemment : ta langue se délierait, comme celle de Zacharie pour prononcer le nom de son fils Jean. Au reste, tu es avocat, et, en bon avocat, tu uses ici d’un artifice : tu excuses ton impéritie, parce que tu débordes d’éloquence. Vraiment, il ne convient ni à un moine d’avoir tant d’astuce, ni à un Celte d’avoir tant de ruse ».
Note à propos de la survivance du Gaulois. La vie de saint Euthyme écrite par Cyril de Scythopolis (aujourd’hui Bet Shéan en Israël) mentionne encore un moine contemporain du saint, donc vivant au 6e siècle, nommé Procope, originaire de Galatie, et qui parfois s’exprimait encore en Galate. Il s’agit du paragraphe LV (page 77 de l’édition d’Édouard Schwartz, Kyrillos von Skythopolis, Leipzig, 1939).
La phrase exacte est « Sa langue était liée, il ne pouvait plus nous parler. S’il y était forcé, il s’exprimait dans la langue des Galates ».
Tout cela est donc bien compliqué. L’anglais s’avère nettement plus simple effectivement ! D’où son succès actuel dans le monde sous le nom de Global English (Globish). Et une langue meurt tous les 15 jours dans le monde. Sur les 6900 actuellement répertoriées.
Mais revenons à René Girard. Peut-on vraiment parler de pertinence anthropologique à propos d’un livre bâti sur plus de mensonges ou d’erreurs que de vérité ?
Une vérité spirituelle peut-elle reposer sur l’erreur ou le mensonge ? Bouddha n’a jamais prétendu rien de tel !
Ce n’est qu’après leur exil à Babylone, et sans doute sous l’effet de l’influence de la pensée suméro-babylonienne ; que les Hébreux ont commencé à parler en termes divers de la présence objective dans le monde d’une force du mal appelée le Diable, Satan, ou Bélial. Les expressions utilisées pour désigner cet être ou cette entité N’AYANT AUCUNE EXISTENCE OBJECTIVE EN DEHORS DE LA PROPENSION « NATURELLE » DE L’HOMME À FAIRE « DU MAL », sont évidemment toutes des périphrases du genre « Grand tentateur », « Grand calomniateur » ou « Serpent ».
Il n’est dit nulle part dans le texte même de la légende d’Adam et Ève que le tentateur représenté dans ce récit sous la forme d’un serpent était le Diable. C’est la mythologie biblique bien-pensante ULTÉRIEURE (voir par exemple l’Apocalypse de Jean 12,9) qui va identifier ce Serpent du jardin d’Éden à Satan (forme hébraïque) ou au Diable (forme issue du grec) déguisé, c’est-à-dire Lucifer.
Il a toujours existé dans le judaïsme un courant gnostique refusant de reconnaître dans la création de ce monde de bruit et de fureur, l’œuvre d’un Dieu bon et sensé. L’incertitude originelle entre El, forme de Dieu au singulier, et Élohim sa forme au pluriel, n’a pu que susciter maintes et maintes spéculations mettant en cause l’absolu monothéisme de l’orthodoxie juive, qu’il soit sadducéen ou pharisien.
Ce courant de pensée, dualiste en fait, va par conséquent soutenir qu’il existe deux dieux. L’un de nature mauvaise, le démiurge, a créé ce monde mauvais et complètement raté. C’est le dieu de la Bible ou l’archange déchu appelé Lucifer Satan, etc.
L’autre, d’une parfaite bonté, est un dieu étranger à ce monde, inconnaissable et inaccessible, situé hors de toute atteinte et de toute connaissance (chez Marcion * et chez certains gnostiques judéo-chrétiens).
* Évêque de Sinope au 2e siècle. Intellectuel chrétien ayant publié le premier les lettres de Saint Paul (les dix premières, réunies sous le nom d’Apostolicon). Excommunié par l’Église de Rome en 144.
Mais il peut arriver qu’une émanation de ce Dieu de bonté se détache de lui et descende sur terre ; pour apporter aux hommes un peu de la lumière consolatrice d’un monde parallèle (l’au-delà) auquel ils peuvent accéder en renonçant au monde mauvais et cruel.
78
Pour certains de ces gnostiques ou de ces premiers vrais chrétiens, le serpent de la Genèse a été une de ces émanations envoyées par le vrai dieu, celui qui est tout amour.
Un messie peut aussi, selon ces gnostiques ou ces premiers chrétiens, s’incarner alors sous une apparence humaine, puis, mourant à son enveloppe terrestre, remonter à la droite de Dieu. Dévoilant ainsi le chemin du salut.
Ce courant de pensée a laissé de fortes traces dans le christianisme puisque ; sans aller jusqu’à croire en l’existence de deux dieux, l’un bon, l’autre mauvais ; le christianisme actuel reconnaît quand même l’existence d’un dieu bon et d’un esprit du mal ayant le pouvoir de rivaliser avec lui sur terre (dualisme modéré).
La doctrine du Dieu bon, situé hors du monde, et du Dieu mauvais, créateur et maître de notre monde ; rend théoriquement possible une multitude d’intermédiaires, les anges bénéfiques et les messies sauveurs que sont Seth, Caïn, le nouvel Adam, Naas le serpent, Sophia la Sagesse, Jésus, Melchisédech ; ou encore l’Homme-Dieu de Simon le Magicien.
Les judéo-chrétiens eux, par contre, sont arrivés de façon beaucoup plus simple (simpliste ?) à l’idée de péché originel. Les judéo-chrétiens voient la preuve de la déchéance humaine dans le mythe d’Ève tentée par le serpent, et prétendent ne vouloir que protéger l’Homme contre lui-même. C’est évidemment là le prétexte de tous les despotismes.
La légende hébraïque garde néanmoins les traces d’une Ève archaïque encore auréolée de ses pouvoirs bénéfiques suméro-babyloniens. Adam y appelle en effet sa compagne « Ève, mère de tout ce qui vit » (Genèse 3, 20). Or c’était là le titre jadis reconnu à la déesse-ou-démone Arourou, déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère ce terme, de l’amour, chez les Suméro-babyloniens, dont une prêtresse, dans l’épopée de Gilgamesh, séduit le premier Homme, Enkidou, afin de le civiliser. Avec l’amour, celle-ci lui conférera le savoir ou la science, et dans la Bible Ève agira en fait de même à l’égard d’Adam, mais chez les Hébreux Dieu punit la femme pour cela.
À l’exception de ces gnostiques ou hérétiques qui condamnent l’attitude de ce Dieu (des Élohim), en la jugeant inutilement cruelle ; juifs chrétiens et musulmans s’accordent à trouver cette punition juste ; révélant ainsi le fond de leur pensée (l’Homme est fait pour servir Dieu et lui obéir, pas pour être heureux ; même si certains prétendent que l’Homme peut trouver le bonheur en servant Dieu justement – les judéo-chrétiens — ; voire même carrément tout en n’étant que son esclave – les musulmans — ; étymologiquement parlant islam veut dire en effet « soumission… à Dieu »).
N. B. Il a existé bien sûr des hommes avant l’Adam de la Bible, et l’Adam de la Bible n’est pas le premier des hommes. Il n’est qu’un symbole, emprunté à la mythologie (suméro-babylonienne en l’occurrence).
---------------------- --------------------------------- ------------------------------ ------------------------------------------------
Étudions maintenant de façon plus approfondie l’idée du règne solitaire d’un dieu unique et du règne multiple de ceux qui sont honorés comme dieux. Vous ne savez pas comment exposer la doctrine même de cette monarchie divine solitaire. Car un roi unique ce n’est pas quelqu’un qui est seul comme sur une île déserte, mais quelqu’un qui est seul à régner. Et qui règne évidemment sur des semblables, des hommes tels que lui-même, de même que l’empereur Hadrien était un monarque non parce qu’il était seul, ni parce qu’il régnait sur du bétail ou des moutons (ce que font les bouviers ou les bergers), mais parce qu’il régnait sur des hommes de sa race ayant la même nature que lui.
De la même façon, le grand Dieu ne peut à proprement parler être qualifié de monarque, sauf s’il règne sur d’autres dieux ; ce qui rehausserait sa grandeur et son immense honneur dans les cieux.
De toute façon, si vous reconnaissez vous-même qu’il y a aux côtés du grand Dieu des anges qui ne sont pas sujets aux passions ou faiblesses ni à la mort à qui nous parlons comme aux dieux parce qu’ils sont proches de la Divinité, pourquoi nous quereller à propos d’un nom ? Et ne devon – nous pas considérer qu’il s’agit seulement d’une différence d’appellation ??
Celle que les Grecs appellent Athéna est appelée Minerve par les Romains, autrement par les Égyptiens, les Syriens, les Thraces, et ainsi de suite. Mais je suppose que cette différence de nom ne change ni n’ôte rien à l’invocation de la déesse. Qu’un homme les appelle dieux ou anges ne fait donc pas grande différence puisque leur nature divine témoigne pour eux, ainsi que Matthieu le dit en écrivant : et Jésus leur répondit en leur adressant ces paroles. « Votre ignorance des Écritures et de la puissance de Dieu vous égare, car une fois ressuscités, les hommes n’auront pas de femme ni les femmes de mari, car tous seront comme des anges du Ciel » [Matthieu 22.29-30].
79
De même donc il confesse ainsi que les anges participent de la nature divine ; ceux qui font des objets propres au culte des dieux, ne pensent pas que ledit dieu réside dans le bois la pierre ou le bronze dont sont faites ces représentations, et ne considèrent pas non plus que si un fragment de cette statue est enlevé, cela diminue d’autant la puissance du dieu.
Car ces représentations de créatures vivantes ainsi que les temples ont été faites par les Anciens afin de se souvenir, afin que ceux qui viennent en ces lieux puissent découvrir le dieu en question en s’en approchant, ou, comme généralement ils le font à certaines occasions précises et se purifient, afin qu’ils puissent leur adresser les prières et les supplications leur demandant ce dont tous ont besoin. Car quand un homme fait le portrait d’un être cher, il ne croit pas un seul instant pour autant que cet ami est dedans ni que les membres de son corps sont présents dans les différentes parties de cette représentation, il honore seulement son ami à travers cette image.
--------------- ------------------------------------------------------------------ ---------------------------------------------- ------
Contre-lai (Commentaire) No 51.
On connaît à ce sujet le mot typiquement païen de Ponce Pilate (Jean 18-38 : « Qu’est-ce que la vérité ? »). Franz-Xavier Kraus y voit une preuve d’impuissance. « La question de Pilate au Sauveur exprime les doutes qui étreignaient l’Humanité : elle s’était égarée dans sa philosophie… nul n’était né pour lui seul ! » (Lehrbuch der Kirchengeschichte fur Studierende. Tome I).
Il est bien exact qu’il y a, en fait, plusieurs niveaux de vérité. Au niveau de la vérité métaphysique, il n’existe évidemment que le véritablement réel en dehors duquel il n’y a rien donc pas même la vérité ; le Destin éternel et infini ; qui est à la fois pur être, conscience, connaissance et béatitude emplissant toutes choses. Mais ce Tokade universel et englobant ne peut être reconnu que par des sages amarcolitanoi de haut niveau.
Il y a donc une vérité supérieure unique, mais elle peut se manifester de façons différentes pour chacun, car, répétons-le encore une fois, il y a plusieurs niveaux de vérité. Ce qui est bien pour l’un peut se révéler inapproprié pour l’autre, peut se révéler inapproprié pour qui n’est pas prêt à le comprendre. Un vrai croyant de l’époque (de type païen donc) pouvait d’ailleurs très bien vivre plusieurs niveaux de vérité à la fois. Il pouvait concevoir l’Être supérieur de façon totalement abstraite et néanmoins participer aux rituels les plus complexes. Voir la lettre de Maxime de Madaure à saint Augustin et le cas de Symmaque à Rome.
Il peut rendre présente dans la mémoire de son cœur la divinité avec tous les détails de l’image qu’en ont forgée les artistes et les poètes, et se la représenter, dans la méditation, avec toutes ses actions mythiques ; tout en sachant que tout n’est qu’apparence, forme sous laquelle se manifeste sur terre un être immanent transcendant indicible. Au niveau de la vérité habituelle, empirique, il y a donc multiplicité des choses et des entités, diversifiées à l’infini.
Or, puisque toute multiplicité n’est que relative, le Destin suprême (Tokade) peut très bien, à ce niveau des choses, être adoré sous différents noms (Termagant, Tervagan, Aton, Yahweh, le dieu d’Abraham d’Isaac et de Jacob, Allah, notre seigneur Belin, etc.) ; puisque c’est à ce niveau (et à ce niveau-là seulement) que le Tokad, le Destin suprême, peut parfois être vu comme un Dieu personnel, doté d’attributs (un sexe, masculin, une barbe, un peuple, etc.).
Face aux différentes perceptions du Vrai ou de la Réalité (même juive chrétienne ou musulmane), il ne s’agit donc pas de chercher absolument à trouver quelles sont celles qui sont vraies, ou quelles sont celles qui sont fausses ; mais d’admettre une bonne fois pour toutes que chacune correspond à la capacité d’appréhension de l’individu en question, que chacune correspond à son niveau de conscience.
Cette tolérance du paganisme antique ne correspondait pas à une geis celtique (à un impératif) éthique (il est toujours difficile d’obéir à de tels impératifs quand on absolutise sa propre vérité) ; mais correspondait plutôt tout simplement à une reconnaissance sans problème de la réalité du monde, et de tous les êtres qu’il renferme. Cette reconnaissance conduit d’elle-même à l’indulgence, à l’égalité d’âme et à la paix intérieure.
« Certains ont cru pouvoir distinguer chez ces gens plusieurs Écoles de philosophie, mais… » (saint Hippolyte de Rome, théologien toujours cité par les catéchismes d’aujourd’hui. Philosophoumena, ou réfutation de toutes les hérésies, chapitre 22).
---------------- --------------------------- ------------------------------------------------------------------------------------- -----
Dans le cas des sacrifices offerts aux dieux, ce ne sont que des hommages qu’on leur rend ainsi comme preuve de la dévotion de leurs fidèles, témoignant de leur reconnaissance. Et il est logique que la forme des statues soit celle d’un homme puisque l’homme est reconnu comme étant la plus belle des créatures faites à l’image de Dieu.
------------------- ------------------------------------------------------------------------------------------------------------- ------
Contre-lai (commentaire) Nº 52.
80
Il s’agit là soit d’une allusion tactique de Porphyre aux croyances judéo-chrétiennes sur l’homme fait à l’image de Dieu, ou d’une reprise de l’antique idée païenne ainsi exprimée par Ausone (dans son églogue sur l’emploi du mot libra). « Divinis humana licet componere » : « Aux choses humaines, on peut comparer les choses divines ».
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- ------
Il est possible d’avoir un aperçu de leur doctrine à partir d’un autre passage, qui affirme positivement que Dieu a des mains, avec lesquelles il écrit, le passage suivant : « il remit à Moïse les deux tables écrites de la main même de Dieu » [Exode 31.18].
Les chrétiens aussi, en outre, imitant les temples, construisent de très grandes maisons, dans lesquelles ils se réunissent et prient, alors que rien ne les empêche de le faire dans leurs propres demeures, puisque leur Seigneur entend tout évidemment, d’où que cela vienne.
---------------------- ---------------------------------------------------------------------------------------------------------- ------
Contre-lai (commentaire) N° 53.
Matthieu 6. 5 : « Quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte et prie ton Père qui est là dans le secret ».
Matthieu 18.20. « Si deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux ».
Porphyre pointe là du doigt un des innombrables cas où les chrétiens ne font pas, mais alors pas du tout, ce que leur maître leur a pourtant expressément demandé de faire.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- ------
Et même en supposant que quelqu’un chez les Grecs ait été assez stupide pour croire que les dieux résident dans ces statues, son opinion serait quand même moins impie que celle de ceux qui croient que le Divin est entré dans le ventre de la Vierge Marie et y devint ensuite un fœtus, avant de naître et d’être emmailloté le temps venu, car c’est un endroit plein de sang et de bile voire de choses encore plus inconvenantes.
Je pourrai aussi vous donner des preuves de l’emploi par votre Loi de cette insidieuse appellation (« dieux »), elle dit et conseille à ceux qui l’écoutent avec beaucoup de piété : « Tu ne blasphémeras pas les dieux [élohim] et tu ne diras pas du mal du roi [nassi] de ton peuple [Exode 22, 28]. Or elle ne nous parle pas d’autres dieux que ceux dont nous parlons déjà, ainsi que nous le voyons bien dans ces paroles : « Tu ne suivras pas d’autres dieux » (Jérémie 7,6) et celles-ci : « si tu suis et adores d’autres dieux » (Deutéronome 11,28).
Ce ne sont pas des hommes, mais les dieux que nous honorons ainsi, c’est dit non seulement par Moïse, mais aussi par son successeur Josué quand il commande à son peuple : « Et maintenant craignez – le et servez-le, lui seul, et rejetez les dieux que vos pères ont servis » (Josué 24,14). Et ce n’est pas en parlant d’hommes, mais d’êtres sans corps que Paul a dit : « Bien qu’il y en ait que l’on appelle dieux sur la terre ou dans le ciel, pour nous il n’y a qu’un Dieu unique et Père à l’origine de tout » [1 Corinthiens 8, 5].
Vous commettez donc une grande erreur en pensant que Dieu se met en colère si un autre que lui est appelé dieu, et se voit décerner le même titre que lui. Car même les rois ne contestent pas les titres que décernent leurs sujets ni les maîtres ceux que leur donnent les esclaves. Et il ne serait pas logique de penser que Dieu est plus étroit d’esprit que les hommes.
-------------------- --------------------------------- --------------------------------------------------------------------------- -----
Contre-lai (Commentaire) No 54.
Porphyre soulève là un autre point, la malhonnêteté intellectuelle des judéo-chrétiens qui, bien que partageant avec les païens de nombreuses conceptions, ont toujours fait comme si pour eux c’était différent. Voir aussi les remarques de Celse à ce propos. Ces mensonges judéo-chrétiens sont étayés en général par deux catégories différentes d’arguments, d’analyses ou de réactions, toutes également caractérisées par la partialité bien entendu (l’amour ne rend-il point aveugle ?)
Premier type de commentaires partiaux : le dénigrement systématique des autres spiritualités, dont on ne met en évidence que les pires aspects et dont on ignore systématiquement les meilleurs, évidemment.
Ce que nous dit la Bible du monde polythéiste nous laisse difficilement deviner l’ampleur et la qualité spirituelle des religions païennes, car il n’y avait aucun intérêt pour les rédacteurs de la Bible à en rendre compte « objectivement ». L’évocation d’autres divinités entraîne presque toujours un racisme
81
méprisant. Quand un rituel païen ne parvient pas vraiment à obtenir du dieu cananéen de l’orage qu’il déclenche la pluie, le prophète israélite raille » (1 Rois 18,27).
La vérité comme toujours est ailleurs.
Les païens adorent moins les pierres, les arbres ou les animaux, que les forces de la nature qui s’y rendent présentes et qui participent du divin. Chaque dieu-ou-démon ou déesse-ou-démone est comme un élément, une manifestation du de la potentialité divine.
Notons au passage que cet effort d’unification démontre le caractère quelque peu caricatural de la polémique biblique contre les idoles, telle qu’elle apparaît dans le Deutéro-Isaïe ou le livre de la Sagesse.
Deuxième type de commentaires tout aussi peu objectifs : l’encensement systématique des idées contenues dans les textes bibliques ; au besoin en leur donnant un sérieux coup de pouce, voire en trouvant toujours de bonnes excuses ou des justifications aux horribles stupidités dignes des génocides nazis (1 Samuel 27, 9) ou S. S. (2 Samuel 8, 2 ; 12, 31 ; 1 Chroniques 20, 3) ; qu’ils contiennent. Les parties les plus anciennes de la Bible sont encore polythéistes et nullement monothéistes. Ne reposant pas sur des prémisses philosophiques dignes de ce nom, elles ne méritent pas le nom de monothéisme, mais seulement celui de monolâtrie. La Bible est au début fondamentalement monolâtre et non monothéiste au sens strict du terme, puisqu’elle reconnaît explicitement qu’il existe d’autres dieux. Exode 20,3 : « Il n’y aura pas pour toi d’autres dieux devant ma face ». Voir aussi Deutéronome 29,17 ; 29, 25 ; 30,17.
Le discours biblique ne dit pas « il n’y a qu’un seul Dieu, à savoir Yahvé », mais « Yahvé seul est notre Dieu (nassi) ».
Tout comme Israël est le peuple élu parmi les peuples, Yahvé est le Dieu choisi parmi les dieux (elohim). L’existence d’autres dieux (élohim) est implicite. Sinon d’ailleurs la fidélité d’Israël à Yahvé comme son seul roi (nassi) ne constituerait aucun accomplissement particulier. Ce discours sur l’unité postule non pas la singularité d’une existence (il n’y a qu’un dieu), mais celle d’une relation (un seul nassi).
-------------------------- -------------------------------------- ---------------------------------------------------------------- -----
Contre-lai (commentaire) Nº 55.
RAPPEL SUR LES RAPPORTS POLYTHÉISME/MONOTHÉISME.
Chez les Sémites le nom courant pour Dieu est El (en arabe Allah). Dans la Bible, on trouve El ou plus exactement Élohim au pluriel (les dieux). On trouve également le terme Shadaï (Genèse 17,1) ou Eliôn (Genèse 14,18).
Moïse, lui, préférera faire appel à un nom d’origine païenne madianite correspondant, par jeu de mots, à une vieille racine sémite qui signifiait en hébreu : être, exister (YHWH). Le Dieu ou le Démiurge de Moïse est un dieu topique (un volcan ? Voir Exode 18. 5), mais Isaïe et Jérémie lui accoleront le terme de Sabaoth, qui ne signifie nullement dieu d’amour, mais dieu des armées, dieu de la guerre. C’est un dieu ethnique ne s’occupant pas des autres peuples et qui aidera donc Israël à chasser les divers peuples autochtones de la Palestine (Exode 33, 3). Mais ce sera aussi très rapidement, bien que partiellement, à cause des influences païennes cananéennes, un baal, c’est-à-dire un dieu protecteur du sol, de la pluie, et de la fertilité (voir la fable de Noé et ses parallèles mésopotamiens. Genèse 6). Les Cananéens avaient une sorte de « trinité » à 4 personnes : El, le Père, son épouse Ashérah ou Astarté, mère des dieux, leur fils Baal et leur fille Anath, appelée la vierge. Un embryon de sainte poly-unité en quelque sorte.
Pour imposer le culte de YHWH, les Hébreux emprunteront certains de ses traits à El et conserveront les créatures qui en sont les émanations, sous la forme plurielle Élohim. Ce que les hindous appellent vyouha et ce que les musulmans appelleront du chirk (pour le condamner).
La religion hébraïque orthodoxe a fait de ces entités la cour céleste où est honoré YHWH.
Il en résultera une ambiguïté sur la personne du Dieu unique qui ne manquera pas d’engendrer dans le judaïsme, et dans le judéo-christianisme, des spéculations dualistes ou sur la trinité ; à l’infini. La Bible est en effet aussi remplie d’êtres appelés malak en hébreu, aggelos en grec, autrement dit anges. Appelés parfois aussi fils de DIEU dans les traductions chrétiennes dépourvues de malhonnêteté intellectuelle.
« Les fils de Dieu virent que les filles d’Adam étaient belles et ils se prirent des femmes parmi elles… Les Nephilim étaient sur terre en ce temps-là. De l’union des fils de Dieu et des filles d’Adam naquirent des enfants : les géants renommés de cette époque ». (Genèse 6, 2 ; 6, 4). Pour les juifs en effet il va de soi que l’ange se manifeste toujours sous des formes relevant du sexe masculin ; qu’il combatte contre Jacob, arrête le bras d’Abraham sur le point de sacrifier son fils, se révèle à Moïse
82
dans un buisson ardent, s’interpose entre le camp des Égyptiens et le camp d’Israël ; ou se propose de conduire le peuple élu vers la Terre promise.
Les anges font donc partie intégrante de la religion hébraïque. Pour se les représenter, les juifs ont parfois eu recours à l’imagerie religieuse sumérienne. Après l’exil à Babylone (587 – 538) ; ils ont même utilisé les images religieuses aryennes de Perse pour en parler.
Dans l’Ancien Testament, les chérubins semblent être des entités de forme semi-animale, à deux ou quatre faces, ayant pour fonction de protéger. Ceux qui sont placés par Dieu pour interdire aux Hommes tout retour dans le paradis terrestre (le Jardin d’Éden) seront dotés d’épées flamboyantes et tournoyantes. Les chérubins dont Ézéchiel affirme qu’ils portent le trône de la gloire de Dieu sont des taureaux ailés analogues à ceux qui montaient la garde à l’entrée des temples sumériens (les fameux kéroubîm). Les chérubins figurant dans le premier temple de Jérusalem par contre étaient deux figures féminines. Leur succédèrent deux chérubins accouplés, dont l’un était mâle et l’autre femelle, au dire d’Antiochos IV Épiphane (175 – 164) qui, en faisant détruire le Temple, dénoncera cette inspiration « pornographique » des Hébreux.
On en sait moins par contre sur les Séraphins (les Serafim ou brûlants) dotés de six ailes (tant qu’à faire !).
Ceux qui apparaissent dans le récit de la vocation d’Isaïe sont des serpents de feu.
La religion hébraïque orthodoxe a vu tous ces anges élohim comme étant organisés sous la direction de chefs (quatre ou sept suivant les époques) appelés archanges. Michaël, Raphaël, Ouriel, Gabriel.
La terminaison – El, qui désigne Dieu comme nous l’avons vu, indique les plus importants.
Michaël, prince des anges, occupe le sommet de cette pyramide hiérarchique, car son nom signifie « qui est comme Dieu ». Il est, dans le livre de Daniel, l’ange qui intercède pour la nation d’Israël, en sorte qu’elle ne soit pas complètement détruite. Ce serait donc lui qui, au siècle dernier, serait intervenu au milieu des années quarante ; pour éviter que le génocide des juifs d’Europe, entrepris par le baptisé catholique Adolphe Hitler, n’aille jusqu’à son terme ; et pour que l’État juif prenne enfin corps en Palestine.
Ce flot d’imagination a culminé avec le christianisme. Saint Paul, dans sa lettre aux Colossiens, évoque cinq catégories d’anges (principautés, trônes, puissances, dominations, vertus). Dans son Dictionnaire des anges, Gustav Davidson dénombrera un millier de créatures bénéfiques ou malfaisantes. Albert le grand comptait 66 666 légions de 66 666 anges chacune, ce qui porterait alors leur total à 4 444 355 556 (quel drôle de monothéisme !)
Il est temps de mettre un terme à l’imposture des héritiers spirituels (ou soi-disant tels) d’Abraham (juifs, chrétiens et musulmans). La Bible n’a pas inventé le monothéisme comme nous avons pu le voir, leurs croyances n’étant pas fondées sur des prémisses philosophiques, le terme monothéisme n’est pas celui qui convient à la religion des anciens Hébreux.
C’est par contre exactement celui qui convient à la religion d’Akhénaton, le pharaon qui mit au placard les dieux du polythéisme égyptien, au grand dam du clergé d’alors.
Neferkheperourè Amenhotep (en grec Aménophis IV – 1730 – 1354), voué par ses parents à Rê ainsi qu’Amon, a été le premier homme [Zoroastre étant un cas à part] ; à décider d’instaurer le culte d’un dieu unique, Aton/Aten, symbolisé par le disque solaire (précédemment nommé Rê ou Râ puis Amon-Râ).
Probablement en accord avec son épouse Nefertiti. Son origine aryenne (mitannienne ou hittite plus précisément) la prédisposait en effet tout particulièrement à une telle conception religieuse : le rejet du polythéisme égyptien (qui devait être sans intérêt pour elle).
Neferkheperourè Amenhotep décida donc de ne plus se vouer qu’à un seul dieu, Aton/Aten, tenu pour essentiellement positif, et supprima les sacrifices. Pour bien marquer la coupure avec son passé, il changea de nom et s’appela désormais Akhénaton. Afin de se consacrer aux choses de la nouvelle religion, il abandonna aussi à son gendre Smenkharé la gestion des affaires laïques.
Ce premier monothéisme fut, hélas, de type exclusif (ce dont la Bible sut se souvenir) et non de type inclusif ou tolérant (moniste). Les statues représentatives des dévotions polythéistes ne furent néanmoins pas toutes détruites : preuve d’une certaine tolérance. La dispersion du clergé d’Amon, elle, fut un acte avant tout politique ; tout comme l’abolition des sacrifices ; (source d’influence et de profits pour tout clergé qui se respecte ainsi que nous le verrons dans le cas des vrais commandements du vrai dieu de la vraie religion révélée à son vrai peuple par l’Égyptien – de culture – Moïse) ; et leur remplacement par des offrandes de fleurs à l’extérieur des temples. Il semble qu’Akhénaton ait été renversé par l’ancien clergé et le général Paatonemheb (futur Horemheb) puis séquestré jusqu’à sa mort survenue quelques années plus tard. Il fut remplacé par son second
83
gendre, mari de sa fille cadette, le jeune Toutankhaton, rebaptisé pour la circonstance Toutankhamon (– 1354 – 1345) et l’ancien culte polythéiste égyptien honni par Nefertiti, fut rétabli. Cette révolution et cette contre-révolution ne furent pas sans influence, c’est le moins que l’on puisse dire, sur les idées religieuses du futur Israël.
Les Égyptologues ont reconnu dans le Psaume 104 de longs passages traduits en hébreu d’un cantique à Aton retrouvé à Tell el Amarna.
On peut donc trouver dans les religions anciennes différentes formes destinées à mettre en évidence l’unité et la singularité du Divin ; et pouvant aller jusqu’à une conception exclusive de l’unité de Dieu, à l’image de la religion amarnienne sous le règne d’Akhénaton. L’histoire religieuse de l’Égypte antique en effet a élaboré différents discours ayant le souci constant d’articuler l’Un et le multiple.
On trouve dans les textes égyptiens le prédicat de l’un unique attribué par les hymnes du Nouvel Empire, en particulier au dieu Amon-Rê.
Toutes les religions « polythéistes » de l’Antiquité, que ce soit en Babylonie, en Égypte, dans le monde méditerranéen hellénistique, ou en Inde ; donnent lieu, dans leur stade tardif, à des discours sur l’unité concevant l’ensemble des différents dieux comme les aspects, les noms ou les manifestations, d’une divinité unique qui les englobe [N. D. T. Ce fut aussi évidemment le cas en Occident du druidisme, ne soyons pas bêtement racistes !]
Il s’agit donc en l’occurrence de ce que l’on peut qualifier de monothéisme inclusif et libéral
De tels discours apparaissent d’abord dans l’Égypte des Ramessides, apparemment en réponse au monothéisme exclusif d’Akhénaton. Le monothéisme inclusif [de type druidisme. N. D. T.] est proche du panthéisme. L’unité de « Dieu » avec tous les autres dieux peut, selon les cas, aller jusqu’à devenir l’unité de Dieu avec tout ce qui est. Le monothéisme exclusif lui, en revanche, tend à trancher de façon nette entre Dieu et le monde, et met l’accent sur la transcendance de Dieu, oubliant ainsi son immanence.
L’acte fondateur du monothéisme n’est donc pas le message inspiré au légendaire Abraham (le pauvre !) ni la révélation faite à l’Égyptien Moïse ; qui n’a peut-être jamais existé. (Et vous n’allez quand même pas prétendre que ce n’est pas cela qui compte, mais sa race). Ce fut la décision des Juifs hellénisés d’Alexandrie, au IIIe siècle avant notre ère, de traduire systématiquement par le même mot grec « theos » les différents dieux évoqués par le texte biblique (Yahweh, les Élohim, El, El Shadaï, Eliôn, etc.).
Cette unification artificielle, et quelque peu intellectuellement malhonnête, due à la traduction des Septante, eut un retentissement énorme, y compris chez les Juifs non hellénisés. C’est à travers cette influence qu’il finit par déterminer le judaïsme, le christianisme et l’islam de Médine, tous issus de la monolâtrie biblique.
----------------- ------------------------------------------------ -------------------------------------------------------------- ------
Le propos qui suit apparaît lui aussi complètement idiot : « Si vous suiviez vraiment Moïse, vous croiriez en moi, car il a écrit à mon sujet » [Jean 5, 46-47]. Or rien de ce qu’a écrit Moïse ne nous a été conservé puisqu’ on dit que tous ses écrits ont disparu brûlés dans l’incendie du Temple. Tout ce qui est attribué à Moïse fut écrit 1180 ans après, par Ezra et ses contemporains.
--------------------- ---------------------------------------------- ------------------------------------------------------------ ------
Contre-lai (commentaire) Nº 56.
Porphyre avait évidemment raison sur toute la ligne !
La loi de Moïse est un mélange de loi mésopotamienne style code d’Hammourabi, de coutumes tribales, et de diverses règles concernant la pureté rituelle des prêtres, opportunément « redécouvertes » du temps du roi Josias (2 Chroniques 34 et 2 Rois 22, 8 à 10).
L’histoire a toutes les apparences d’une fable ou d’une légende datant d’après l’Exil et destinée à faire croire que la religion du royaume de Juda, avant la catastrophe que fut la prise de Jérusalem par les armées de Nabuchodonosor ; était bien la même que celle d’après l’Exode, et non la sorte de laïcité ouverte à tous les cultes qui y a régné au VIe siècle. (Deutéronome 30. Ces paroles ne sont évidemment pas de Moïse lui-même, mais ont été mises dans sa bouche par des intellectuels juifs venus ou revenus de Babylone).
De nombreux exégètes le reconnaissent aujourd’hui, mais comment se fait-il que les chrétiens aient attendu 2000 ans pour s’apercevoir de ce que l’on savait déjà au IIIe siècle ? Le Saint-Esprit ôterait-il toute intelligence à ceux qu’il inspire ?
--------------- -------------------------------- ----------------------------------- --------------------------------------------- -----
Et même si l’on admet que ceci est bien de la main de Moïse, cela ne prouve pas que le Christ était qualifié de Dieu, ni de verbe de Dieu, ni de créateur. De grâce, qui a jamais parlé d’un Christ crucifié ?
----------------- ------------------------------- ---------------------------------- --------------------------------------------
84
Contre-lai (commentaire) N° 57.
Le Messie attendu par les prophéties juives (car c’est bien le terme hébreu Mashiah que traduit le mot grec Christos) devait triompher et nullement être crucifié comme un voleur. Ce qui est pourtant arrivé à Jésus si l’on en croit les chrétiens.
-------------- ------------------------------- ----------------------------- ---------------------------------------- ------------------
Comment se fait-il que le Christ ait dit : « si je témoigne pour moi-même, mon témoignage n’est pas recevable », et que pourtant il témoigne pour lui-même ? Et comme il était accusé de le faire, il répondit : « Je suis la lumière du monde » (Jean, 8, 12-13).
Une autre des paroles qui vous ont été adressées mérite maintenant d’être mentionnée. Comment se fait-il que, quand le tentateur dit à Jésus : « Jette-toi du haut du Temple » ; il ne s’exécute pas, mais lui rétorque : « Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu », ce qui laisse à penser qu’il a répondu ça par peur de tomber ? Car si, comme vous le dites, il a non seulement accompli divers autres miracles, mais même ressuscité des morts par sa seule parole, il aurait dû montrer sur le champ qu’il était capable de délivrer autrui de tout danger en se jetant lui-même dans le vide sans se faire le moindre mal.
Et ce d’autant plus qu’il y a un passage des Écritures qui dit quelque part à son sujet : « ils te porteront dans leurs mains de peur que ton pied ne heurte une pierre ». Aussi la seule chose à faire aurait-elle été de montrer à ceux qui étaient présents dans le Temple ce jour-là qu’il était le fils de Dieu, et qu’il était capable de préserver du danger à la fois lui-même et les siens.
------------------ ----------------------------------------------- --------------------------------------------------------------- -----
Contre-lai (Commentaire) No 58.
De toute façon, aucune de ces tentations n’a eu lieu, même en rêve ! Ces tentations, qui n’eurent aucun témoin, puisqu’elles sont censées s’être produites dans le désert (Matthieu 4,1-11 ; Marc 1, 12-13 ; Luc 4,1-13) ce qui est bien commode ; ont été rajoutées par les équipes ayant composé cette légende initiatique afin d’expliquer pourquoi Jésus, de son vivant, n’a pas marqué les esprits de ses contemporains (l’histoire du secret messianique).
Juste une petite mention dans le Talmud de Babylone, et encore !
« Sanhédrin 43 a : la veille de la Pâque, on pendit Jésus. Un héraut marcha devant lui pendant quarante jours en disant : il sera lapidé parce qu’il a pratiqué la magie et trompé ou égaré Israël. Que ceux qui connaissent le moyen de le défendre viennent et témoignent en sa faveur, mais il n’y eut personne pour le faire et il fut donc pendu ».
--------------------------- --------------------------------------------------- -------------------------------------------------- -----
Et si nous parlions maintenant de cette histoire, qui semble vraiment être un tissu d’absurdités malhonnêtes, où Matthieu rapporte que deux démons sortirent des tombeaux à la rencontre du Christ, et que ceux-ci, ayant eu peur de lui, entrèrent dans des porcs, puis que beaucoup périrent ainsi. Marc ne fait pas moins que d’en évoquer une multitude puisqu’il écrit littéralement : « Jésus lui dit : sors de cet homme, esprit impur ! » et lui demanda quel était son nom.
Il répondit : Légion. Et le supplia de ne pas l’expulser hors du pays.
Il y avait là un troupeau de porcs en train de paître. Les démons le supplièrent de les envoyer dans ces porcs. Et après qu’ils s’en furent allés dans les porcs ils se jetèrent dans la mer du haut de la falaise. Il y en avait environ deux mille et ils périrent noyés, ceux qui les faisaient paître s’enfuirent » (Marc, 5, 8, etc.).
Quelle histoire ! Quelle fumisterie ! Une pure plaisanterie ! Un troupeau de deux mille porcs courant se jeter dans la mer, afin de s’y noyer ou d’y périr !
Et en entendant combien les démons l’ont supplié de ne pas être renvoyés dans l’abîme et comment le christ en a triomphé en refusant d’agir ainsi, mais en les expédiant dans les porcs, personne ne s’écrie : « Ciel, quelle ignorance ! Penser un seul instant qu’il ait pu ménager des esprits criminels, qui font beaucoup de mal dans le monde et qu’il ait pu leur accorder ce qu’ils voulaient le plus, est une folie insensée ! » Ce que les démons voulaient c’était pouvoir faire ce qu’ils voulaient dans la vie, et faire du monde leur perpétuel jouet. Ils voulaient agiter la mer, et emplir de douleurs le théâtre du monde. Ils voulaient en jouant les trublions déchaîner les éléments, et broyer la création tout entière sous leurs coups.
Aussi ne convenait-il pas qu’il s’attendrisse devant leurs supplications et souffre qu’ils préparent d’autres calamités au lieu d’expédier ces êtres maléfiques ; qui avaient tant fait de mal à l’humanité, dans l’abîme qu’ils le priaient de leur épargner.
Si cette histoire est authentique et n’est pas une fable (ainsi que nous l’avons expliqué) ces paroles du Christ nous le montrent faisant preuve de beaucoup de perversité en expulsant les démons de quelqu’un pour les envoyer dans un troupeau de porcs sans défense ; semant ainsi la terreur chez
85
ceux qui les gardaient, les faisant fuir hors d’haleine et paniqués pour mettre la ville en ébullition, par l’émotion que cette affaire suscita.
Car il ne convenait pas de soigner seulement un homme ou deux ou trois voire treize, mais l’humanité tout entière, surtout que c’était pour cette raison qu’il avait été attesté qu’il devait intervenir dans notre vie. Libérer un seul homme d’entraves invisibles, pour infliger à d’autres de semblables chaînes ; délivrer heureusement certains hommes de leurs peurs, mais faire retomber ces mêmes peurs sur d’autres sans raison, ne devrait pas être considéré comme une bonne action, mais comme de la perversion.
En tenant compte de ce que veulent des ennemis et en leur permettant d’installer leurs pénates ailleurs puis d’y demeurer, il agit comme un roi qui ruine le pays qui lui est soumis. Incapable de chasser définitivement les Barbares, il les fait passer d’un lieu à un autre ; en délivrant un territoire du mal certes, mais en l’envoyant régner sur un autre. Si le christ, de la même manière, incapable de chasser le démon hors de ses frontières, l’expédie dans un troupeau de porcs, il fait certes quelque chose de spectaculaire, mais qui prête aussi le flanc au reproche de ne pas être une bonne action. Car en entendant cela tout homme sensé en tirera immédiatement une conclusion, se forgera un avis sur cette histoire, et tranchera donc à ce propos en se disant : « s’il ne libère pas du mal tout ce qui existe sous le soleil, mais pourchasse seulement ceux qui font le mal de pays en pays, et s’il prend soin de certains, mais ne prête aucune attention aux autres, alors il est dangereux de se tourner vers cet homme pour être sauvé. Car celui qui est sauvé l’est au détriment de celui qui ne l’est pas, et celui qui n’est pas sauvé pourra en faire le reproche à celui qui l’est ». C’est pourquoi l’histoire que narre ce récit est, selon moi, complètement inventée.
Encore une fois, si on ne la considère pas comme une fiction, mais comme ayant un fond de vérité, il y a de quoi rire à gorge déployée, pour ceux qui aiment ça. Car alors il y a une question sur laquelle nous devons nous pencher sérieusement : comment se fait-il qu’il y ait eu un si grand troupeau de porcs en Judée, étant donné qu’il s’agissait pour les juifs depuis toujours de la plus impure et haïssable des formes animales ? Et de même, comment ces porcs ont-ils péri alors que c’était un lac et non une mer profonde ? On peut laisser à des enfants le soin de répondre à ces questions.
------------------- ----------------------------------- ------------------------------------------------ -------------------------------
Contre-lai (commentaire) N° 59.
Cette dernière remarque de Porphyre (que faisaient donc ces malheureux porcs en terre juive ?) est sans objet ; la scène est censée se passer dans une zone d’habitat païen (le pays des Gadaréniens) et non dans une contrée soumise à la dure loi du mystérieux Moïse.
-------------------- ----------------------------------------- --------------------------------------------------- --------------------
Venons-en maintenant à un autre propos de l’évangile qui est absurde et incroyable, et fait l’objet d’un récit plus absurde encore [Matthieu 14, 25 ; Marc 6, 48]. Quand Jésus, après avoir envoyé ses disciples de l’autre côté de la mer après un festin, arrive lui-même au moment de la quatrième heure de la nuit, alors qu’ils sont en butte à une tempête, qui les avait obligés à ramer en permanence contre les vagues.
La quatrième veille correspond à la dixième heure de la nuit, c’est-à-dire au moment où il y a déjà eu trois heures d’écoulées.
Mais ceux qui connaissent cet endroit disent qu’il n’y a pas de mer, seulement un petit lac formé par une rivière coulant au pied des collines de Galilée, à côté de la ville de Tibériade ; les petites embarcations le traversent sans problème en moins de deux heures, et il n’y a jamais ni vague ni tempête.
Marc est donc très loin de la vérité quand il écrit que, la neuvième heure de la nuit étant passée, Jésus se mit en route durant la dixième, à savoir lors de la quatrième veille, pour les rejoindre, et retrouva les disciples naviguant sur le lac. Ensuite il qualifie ce lac de mer, et pas seulement, mais de mer déchaînée, voire démontée, aux vagues effrayantes. Il fait ça pour nous présenter ensuite le christ accomplissant un puissant miracle en faisant cesser une grande et terrible tempête, et en sauvant donc ainsi les disciples du danger des profondeurs de la mer. C’est à de telles puérilités que nous pouvons comprendre que l’évangile est un tissu de mensonges habilement tissés. Nous allons donc étudier chacun de ces fils très soigneusement.
----------------------- ------------------------------------------- ------------------------------------------------------------- ------
Contre-lai (Commentaire) N° 60.
Porphyre avait donc déjà compris, et ce, dès le IIIe siècle de notre ère, que les évangiles sont, non pas des témoignages, ou des récits, de témoins ; mais des œuvres de fiction, composées de bric et de broc, afin de convaincre ; et dans lesquelles l’authentique n’occupe qu’une place très mince.
86
------------------- -------------------- ---------------------------------------- ---------------------------------------- -------------
Il y a aussi un autre propos de Jésus à stupide et obscur. Celui où il s’adresse à ses disciples en leur disant : « Ne craignez pas ceux qui ne peuvent que tuer le corps ! » Car quand Jésus lui-même entre en agonie et veille en attendant l’heure de sa mort, il demande que lui soit épargnée cette épreuve ; et il dit à ses amis les plus proches : « veillez et priez pour ne jamais être soumis à une telle tentation » (Matthieu 26, 36 sqq.).
De tels propos ne sont pas dignes ni d’un fils de Dieu ni d’un sage (méprisant la mort).
Pourquoi Jésus, traduit en justice soit devant le grand prêtre soit devant le gouverneur, n’a-t-il rien dit qui soit digne d’un sage ou d’un dieu ? Il aurait pu enseigner à son juge et à ceux qui étaient là et les rendre meilleurs.
Mais il a supporté au contraire d’être frappé avec un roseau et de se faire cracher dessus puis couronner d’épines, à la différence d’Apollonius [de Tyane], qui, après avoir répondu avec audace à l’Empereur Domitien, disparut ensuite du tribunal impérial et peu de temps après fut aperçu dans la ville alors appelée Dicéarchie maintenant Puteoli [Pouzzoles]. Mais même si le Christ devait souffrir parce ce que telle était la volonté de Dieu, et qu’il était obligé d’endurer un tel supplice, il aurait pu au moins affronter sa Passion avec audace, et adresser des paroles de force et de sagesse à Pilate son juge, au lieu d’être ridiculisé comme un rustre.
------------------------------ ------------------------------------------- ------------------------------------------- ---------- -----
Contre-lai (commentaire) N° 61.
Pourquoi en effet faire simple quand on peut faire compliqué ?
Ce dieu, qui pouvait faire le bonheur de l’Humanité en supprimant le péché d’un simple coup de baguette magique puisqu’il est en principe tout puissant ; aime apparemment au contraire arriver à ce résultat (le bonheur de l’Homme) par des moyens bien détournés, coûtant cher en souffrance.
Les voies de ce dieu sont vraiment tortueuses. Ce dieu serait-il par hasard, non pas un dieu bon, mais un dieu méchant et sadique se repaissant de nos souffrances (cf. le « ne nous soumets pas à la tentation » de la prière par excellence) ? Ce qui est certain, c’est que ses voies sont impénétrables comme nous l’avons vu et qu’il aime les complications. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
-------------- -------------------------- -------------------------------------------------- -------------------------------------------
Les évangélistes ont donc inventé, et n’ont pas été les historiens des événements relatifs à Jésus. Chacun a rédigé un compte-rendu de la Passion aussi différent et contradictoire qu’il est possible de l’être. L’un d’entre eux écrit que, quand il fut crucifié, un soldat imbiba une éponge avec du vinaigre et la porta ensuite à ses lèvres (Marc, 15,36). Mais un deuxième écrit : « quand ils furent arrivés au lieu-dit Golgotha, ils lui donnèrent à boire un mélange de vin et de fiel, mais, après l’avoir goûté, il ne voulut plus en boire » (Matthieu 27, 33).
Un peu plus loin : « aux environs de la neuvième heure, Jésus cria « Eloim, Eloim, lama sabachtani ? » ce qui veut dire « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Matthieu 27, 46.)
Un autre rapporte : « Il y avait là un pot rempli de vin aigre attaché à une tige de roseau, qu’ils portèrent à sa bouche. Après avoir pris de ce vin aigre, il hurla « tout est accompli ! » et, inclinant la tête, expira (Jean 19,29).
Un autre encore rapporte : il hurla et dit : « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Luc 23, 46).
On peut déduire de ce récit antique et contradictoire qu’il s’agit du compte-rendu, non du supplice d’un homme, mais de plusieurs. Car si l’un d’eux s’écrie : « « Père, entre tes mains, je remets mon esprit » un autre dit « tout est accompli », un autre encore « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » ? Et un autre enfin : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu maudit ? » [Marc 15, 34 selon le codex de Bèze.]
Il est évident que ces récits divergent et font penser, soit à différents crucifiés, soit à quelqu’un qui est mort difficilement et n’a pas laissé une claire vision de sa passion à ceux qui étaient présents pour y assister.
Mais si ces hommes se sont révélés incapables de relater correctement la manière dont il a souffert, et ont simplement répété des on-dit appris par cœur, ils n’ont pas laissé non plus de compte rendu convaincant du reste de l’histoire.
Il ressort à l’évidence d’un autre passage que les récits de sa mort même sont tous sujets à conjectures. Car Jean écrit « quand ils arrivèrent au pied de Jésus, et virent qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes ; mais un des soldats lui perça le flanc avec une lance, et il en sortit du sang et de l’eau » (Jean 19, 33-35).
87
Or Jean est le seul à dire cela. C’est pourquoi il tient à se porter garant de son récit en précisant : « et celui qui a vu cela en a témoigné, ce témoignage est véridique » (19,35).
C’est selon moi la déclaration d’un simplet. Car comment un témoignage peut-il être véridique quand il est sans objet ? Si l’on peut être témoin de quelque chose qui est réel, comment peut – on être le témoin de quelque chose qui n’est pas réel ?
Il existe également un autre argument permettant de réfuter cette idée indéfendable ; je veux parler de sa résurrection ; et qui est un lieu commun , à savoir pourquoi Jésus, après son supplice et son relèvement des morts (d’après vos histoires) n’est pas apparu à Pilate qui l’avait supplicié tout en lui disant qu’il n’avait rien fait qui méritât la mort, ni au roi des juifs Hérode, ni au grand-prêtre de la race juive, ni à de nombreuses autres personnes à la fois, ni à des gens dignes de foi et plus particulièrement chez les Romains tant du sénat que du peuple. Afin que, émerveillés par un tel miracle le concernant, ils ne décident point à son encontre d’une sentence de mort, infamante pour ceux qui l’avaient suivi. Au contraire il est apparu à Marie-Madeleine, une rustaude qui venait d’un petit village misérable, et avait été auparavant possédée par sept démons, et avec elle à une autre Marie tout aussi obscure, elle-même paysanne, et à quelques autres personnes tout aussi peu connues.
Et tout ceci bien qu’il ait dit : vous verrez bientôt le fils de l’Homme assis à la droite du puissant et arrivant sur les nuées (Matthieu 24, 30). S’il s’était montré à des gens plus dignes de foi, on aurait pu croire en lui de par leurs témoignages et l’on n’aurait condamné aucun d’entre eux pour avoir fabriqué des histoires aussi monstrueuses. Car il ne plaît ni à Dieu ni à aucun homme sensé que tant de gens puissent être suppliciés de la plus grave des façons à cause de lui.
NOTE DE LA RÉDACTION.
Nous insérerons ici deux ou trois objections dont nous reconstituerons la substance, Macaire se contentant d’y répondre sans en donner le texte (le raisonnement de Porphyre n’est pas facile à reconstituer).
Réponse de Macaire à une critique de Porphyre fondée sur Matthieu 18, 15 : « Ayez pitié de mon fils, parce qu’il a l’esprit dérangé (lunatique) alors que ce n’était pas l’effet de la lune, mais celui d’un démon.
MACAIRE. En répondant à cette question, nous prendrons également en compte le reproche injustifié que le Christ adresse à la multitude, en leur disant « Engeance d’incrédules, jusqu’à quand serai-je avec vous » ?
Le dragon ou démon était en effet assez malin pour attaquer le garçon à l’occasion des changements de lune, de sorte que les gens pouvaient penser que c’était à cause de son influence. Il faisait ainsi d’une pierre deux coups : il tourmentait le corps du garçon et suggérait un blasphème à ceux qui voyaient ça, car s’ils attribuaient ceci à l’action de la lune, ils en tenaient bien entendu pour responsable ultime celui qui avait créé la lune.
Le christ comprit donc qu’ils avaient pareillement été victimes du démon et c’est pourquoi il les appela « engeance d’incrédules », du fait de leurs idées à propos de la lune. En expulsant le démon, il leur montra par conséquent leur erreur.
Saint Matthieu ne démontre pas, en disant qu’un garçon « lunatique » fut amené au Christ, qu’il était réellement influencé par la lune. En bon historien, il rapporte les événements tels qu’il en a entendu parler, non tels qu’ils se sont réellement déroulés.
------------------------ ------------------------------ -------------------------------------------------------------------------- -----
Contre-lai (commentaire) N° 62.
Précisons tout d’abord qu’il était courant dans l’Antiquité d’attribuer la folie à l’influence de la lune.
Ainsi que nous l’avons dit plus haut, le raisonnement de Porphyre n’est pas facile à reconstituer.
Peut-être pointe-t-il du doigt que la famille du garçon pensait qu’il avait simplement l’esprit dérangé, et qu’ils ne voyaient nullement l’intervention du diable dans tout ça, mais que le Jésus de l’évangile selon saint Matthieu, lui, et les chrétiens après lui, donc, y ont vu l’intervention d’un démon.
Quelle sottise ! À quoi sert d’être Dieu si c’est pour en savoir moins que les gens cultivés de son époque ?
88
Le père était peut-être un juif hellénisé ayant des rudiments de médecine. Il avait compris que son fils était tout simplement victime de crises d’épilepsie, ou sujet à une quelconque maladie mentale. Jésus, lui, par contre, moins cultivé que cet homme, a cru que c’était parce que l’enfant était possédé par un démon.
— --------- ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- ------
Répondons maintenant aux questions que soulèvent les deux paroles suivantes : « Nul n’est bon sauf Dieu » et « Du trésor du cœur de l’homme bon sortent de bonnes choses ». [Marc 10, 18 et Matthieu 12, 35]……………
………………………………………………………………………………………………………………………
------------------ ------------------------------- --------------------------------------------------- ---------------------------------
Contre – lai No 63.
S’agissant du premier propos (Marc 10,18), Porphyre devait le considérer comme une preuve que Jésus lui-même ne se considérait pas comme Dieu.
--------------------------------------------- ------------------------------------------------------------------------------------------
Il y a un autre court propos assez curieux que l’on peut évidemment reprendre, celui où le Christ dit : prenez garde que personne ne vous trompe ; car beaucoup viendront en mon nom en disant « Je suis le Christ », et ils en tromperont beaucoup [Matthieu 24,4-5].
Or voyez ! Trois cents ans ont passé, voire plus, et personne de ce genre n’est apparu nulle part.
À moins bien sûr que vous ne pensiez au cas d’Apollonius de Tyane, ce parangon de philosophie. Mais il n’y en a eu aucun autre. Or Jésus dit bien qu’il y en aurait beaucoup d’autres, et pas seulement un seul, à s’ériger en nouveaux Christs.
Venons-en maintenant à un autre point de leur doctrine, encore plus étonnant, mais aussi obscur que la nuit noire, celui qui s’énonce ainsi : « Le royaume des Cieux est comme une graine de moutarde » et « Le royaume des Cieux est comme du levain » voire même « il est comme un marchand cherchant des perles fines » [Matthieu 13, 31-33, 45-46].
Ces comparaisons ne sont pas d’hommes ordinaires, ni même de femmes, inspirés par des rêves. Car quand quelqu’un a un message à délivrer sur de grands sujets concernant Dieu, il est bien forcé d’utiliser des images courantes relevant du monde des hommes, pour rendre sa signification plus claire, et non des comparaisons obscures ou inintelligibles comme celles-ci. Ces propos, outre qu’ils sont vulgaires et inappropriés à de tels sujets, n’ont en eux-mêmes aucun sens ni signification pertinents. Or il aurait pourtant fallu qu’ils soient très clairs, car ils ne furent pas écrits à l’origine pour des sages ou de grands esprits, mais pour des enfants.
---------------- ---------------------------------------------------- ------------------------------------------------------------ -----
Contre-lai (commentaire) N° 64.
Cette remarque de Porphyre assez injuste d’ailleurs, est en fait amenée par une très ancienne erreur de traduction (contre sens) portant sur l’expression juive originale (en araméen) utilisée par les premiers chrétiens ; et qui ne signifiait nullement Royaume de Dieu (au sens géographique du terme : une terre, un État, un Empire), mais Règne de Dieu (au sens sociopolitique du terme : son pouvoir, son commandement, son influence). Pour le reste, voir ce qu’en dit John Toland et son « christianisme sans mystère ».
----------------------------- -------------------------------------------------- ----------------------------------------------- -------
Jésus a dit en effet : « Je te suis reconnaissant, Père, Maître du ciel et de la terre, car tu as caché ces choses aux savants et aux grands esprits et tu les as dévoilées aux petits » [Matthieu 11, 25].
Et il est écrit dans le Deutéronome : « Au Seigneur notre Dieu les choses cachées ; les révélées pour nous » [Deutéronome 29, 28].
Or il est évident que ce qui est écrit pour les tout petits enfants et les ignorants doit effectivement être très simple et ne pas ressembler à des devinettes. Mais si les mystères cachés aux sages doivent être livrés en pâture aux enfants et aux nourrissons pas encore sevrés, il vaut mieux alors effectivement dans ces conditions être stupide ou ignorant.
Que les lumières de la connaissance soient cachées aux sages, et révélées aux fous et aux nourrissons, est-ce bien là la preuve de la grande sagesse de celui qui est venu sur terre ?
89
--------------- ------------------------------------------------ ------------------------------------------------ --------------- ------
Contre-lai (commentaire) N° 65.
D’autres spiritualités ont eu à ce sujet une attitude diamétralement opposée.
Qui croire ? Les très-sachants de la druidiaction (druidecht) par exemple, dispensaient leur enseignement à quiconque le demandait. Le message druidique n’était pas un message secret destiné à une quelconque soi-disant élite de bien-pensants, il s’adressait au contraire et par principe à tous. Le chemin conduisant au vrai monde devait être ouvert non à de rares élus, mais au plus grand nombre possible. « Ils discutent aussi beaucoup des astres et de leurs mouvements, de la grandeur du monde et de la terre, de la nature des choses, de la puissance et du pouvoir des dieux immortels, et ils transmettent ces spéculations à la jeunesse » (César. B. G. VI, 13).
« Alexandre, dans son livre sur les symboles pythagoriciens, expose que Pythagore était un élève de Nazaratus l’Assyrien, et il prétend, en outre, que Pythagore était un auditeur des Galates et des brahmanes ». * (Clément d’Alexandrie, Stromata, I, XV, 71, 3 sqq.)
* Les druides (galates) sont donc comparés aux Pères de l’hindouisme (aux brahmanes) dans ce texte.
« La philosophie, qui est une science de la plus haute utilité, a été florissante dans l’Antiquité chez les Barbares, répandant sa lumière chez les nations. Elle arriva ensuite en Grèce. Au premier rang sont les prophètes des Égyptiens, les Chaldéens chez les Assyriens, et les druides chez les Celtes, les Samanéens chez les Bactriens, les philosophes des Celtes et les mages des Perses ».
Diogène Laërce. Vies et doctrines des philosophes célèbres. I Prologue 1. « Quelques-uns affirment que l’étude de la philosophie a commencé chez les Barbares […] Les gymnosophistes la pratiquaient chez les habitants de l’Inde, ainsi que chez les Celtes ceux que l’on appelle druides ou semnothées ».
Prologue 6. « Ceux qui affirment que la philosophie a commencé chez les Barbares expliquent que celle-ci a pris chez chacun de leurs peuples une forme particulière. Ils disent par exemple que les gymnosophistes * et les druides philosophaient en énonçant des sentences énigmatiques ».
* Littéralement les « sages nus ». Sans doute des sadhou.
Pour saint Augustin aussi (la Cité de Dieu, VIII, 9), les Celtes figurent parmi les peuples qui comptent des sages et des philosophes.
L’Église catholique l’a d’ailleurs officiellement reconnu par l’intermédiaire de saint Hippolyte (le plus important théologien chrétien romain du IIIe siècle, encore cité par les catéchismes d’aujourd’hui).
« Les Celtes tiennent les druides pour des prophètes et des devins, à cause de leur prévision de certains événements, par le calcul et les nombres de la science pythagoricienne ; sur les méthodes et la pratique de laquelle nous ne garderons pas le silence non plus, puisqu’aussi bien certains ont essayé d’y voir l’origine de plusieurs écoles de philosophie (hérésies) » (Saint Hippolyte de Rome, théologien. Réfutations de toutes les hérésies I, 23,1 -2).
En fait de don de divination, il devait plutôt s’agir de leurs connaissances en astronomie, de leur capacité à prévoir les éclipses et de rudiments de calcul des probabilités ; ce que notre pauvre sous pape, plus expert en obscurantisme qu’en philosophie, ne pouvait comprendre évidemment.
Comme l’avait déjà très bien vu en son temps le chef celte Indutiomaros mis en cause par Cicéron dans le douteux plaidoyer que constitue son Pro M. Fonteio Oratio : « Croire est une chose, savoir en est une autre ».
Le très-sachant de la druidiaction (druidecht), antique, était aussi un guide ou un conseiller spirituel venant en aide aux faibles, aux laissés-pour-compte, aux exploités ; et il devait donc travailler aussi à changer le monde en conseillant en ce sens les rois ou princes (on dirait aujourd’hui les présidents ou les ministres).
Les très-sachants de la druidiaction (druidecht) ont toujours cru en la possibilité d’éliminer le mal le désir et la haine par l’illumination de la sagesse.
Ci-dessous ce que ces préceptes destinés aux jeunes (voir le plat de Lezoux : nu gnate ne dama gusson) donneront quelques siècles plus tard en Irlande. Les conseils en quelque sorte « déontologiques » que donne à son fils adoptif, Lugaid aux raies rouges, le futur roi des guerriers du pays, Cuchulainn. Cuchulainn qui, rappelons-le, en cas de guerre, ne violait jamais le Fir Fer, ne tuait ni les cochers, ni les messagers, ni les hommes désarmés ; et à qui également il ne semblait ni noble ni beau, de prendre les chevaux, les vêtements, ou les armes, des combattants abattus (autrement dit de les dépouiller. Voir non pas la sourate du Coran traitant du butin, mais le texte du vol des bœufs de Cooley).
Ne provoque pas (taerrechtach) de querelles violentes et meurtrières ?
Ne sois pas arrogant (díscir), inaccessible, hautain.
Ne sois pas intraitable, orgueilleux, emporté, impulsif.
90
Ne te laisse pas corrompre par la richesse qui avilit ou égare.
Ne sois pas comme une mouche tombée dans de la bière lors de ta visite du château d’un roi de province ??
Économise les festins accordés à des étrangers,
Ne descends pas chez de petites gens incapables de te recevoir
Comme il sied à un roi.
Ne laisse pas la prescription venir mettre un terme aux affaires d’usurpation de biens.
Fais interroger ceux qui savent avant de décider qui est le légitime héritier d’une terre
Entoure-toi d’érudits (senchaid) pour collaborer avec toi
À la recherche de la vérité
Fais en sorte que les frères ? puissent jouir de leurs terres paisiblement leur vie durant.
Fais mettre à jour les listes généalogiques
Quand les générations se multiplient et se ramifient,
Fais appel aux vivants afin que sur la foi de leur serment on les remette en possession
Des lieux où leurs morts résidaient avant eux
Fais en sorte que les héritiers soient maintenus dans leurs droits légitimes
Fais par contre expulser les étrangers occupant illégitimement leur patrimoine, au besoin par la force.
Ne contredis pas pour le plaisir de contredire
Ne parle pas trop fort
Ne raille personne.
N’insulte pas.
Ne te moque pas des personnes âgées.
N’aie de prévention [d’a priori] sur personne.
N’impose pas de choses trop difficiles à faire (geis).
N’éconduis personne.
Suis l’enseignement des sages.
Caín-ois. Caín-era. Caín-airlice.
Accorde comme il faut. Refuse comme il faut. Conseille comme il faut.
N’oublie pas les instructions des anciens.
Suis la coutume.
N’aie pas le cœur froid envers tes amis.
Sois ferme envers tes ennemis.
Ne sois jamais partie prenante dans les bagarres ou les querelles ???
Nírbat scélach athchossánach.
Ne médis pas d’autrui ?
N’extorque rien.
N’amasse pas [comme un avare].
Consecha do chúrsachad i n-gnímaib antechtai.
Fais condamner ou punir ceux qui commettent des injustices,
Ne soumets jamais la justice à la volonté de certains.
Ne moissonne pas ????(tathboingid) de peur de t’en repentir.
Aie toujours la victoire modeste afin de ne pas être odieux.
Ne sois pas paresseux si tu ne veux pas te retrouver en position de faiblesse ??
Ne sois jamais trop avide afin de ne pas être vulgaire.
Consens-tu à suivre ces conseils mon fils ???
(Serglige Conculainn la maladie de Cuchulainn et l’unique jalousie d’Aemer).
------------------- -------------------------------- ---------------------------------- ---------------------------------- -------------
Il y a lieu d’examiner maintenant ici un autre propos beaucoup plus rationnel (en comparaison) : Ceux qui sont bien portants n’ont pas besoin de médecin, les malades si ! » (Matthieu 9, 12, Luc 5,31).
Jésus donne cette explication à la foule en parlant de sa venue sur terre. Mais si c’est à cause de ceux qui sont trop vulnérables, ainsi qu’il le dit lui-même, qu’il est venu affronter le péché, nos pères n’étaient-ils pas eux aussi infirmes en ce domaine, et nos ancêtres n’étaient-ils pas déjà tous affectés par le péché ?
-------------------- ---------------------------------- --------------------------------------- ---------------------------------- -----
Contre-lai (commentaire) Nº 66.
91
Ce que veut dire Porphyre, c’est que les chrétiens ne s’intéressent pas aux gens qui vivaient avant la venue de Jésus. Ils ont été voués à la damnation éternelle, un point c’est tout ! Porphyre souligne donc là effectivement un des innombrables points faibles du raisonnement chrétien. Pourquoi Dieu, Père pourtant de tous les hommes, intervient-il toujours dans l’histoire humaine de façon aussi sélective ou limitée dans le temps (en faveur de certains peuples seulement, au temps d’Abraham de Moïse ou de Jésus) ; alors que l’Humanité actuelle a AU MOINS 100 000 ANS ? Pourquoi ne s’est-il pas aussi occupé de tous ses autres enfants ? Avant pendant ou après ?
------------- --------------------------------- ------------------------------------ -------------------------------------- -----------
Si en effet ceux qui sont en bonne santé n’ont pas besoin d’un médecin, et s’il n’est pas venu pour appeler au repentir les justes, mais les pécheurs, ainsi que Paul le dit : « Jésus-Christ est venu en ce monde pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier [1 Timothée 1, 15] ; s’il en est bien ainsi, qu’il s’est égaré, qu’il a été malade, qu’il a été guéri, et que les injustes sont appelés, mais pas les justes, il s’ensuit donc que celui qui n’est ni appelé ni en attente de guérison de la part des chrétiens, doit être un juste qui ne s’est jamais perdu. Celui qui se détourne de l’enseignement prodigué à vos fidèles n’a donc nul besoin d’être guéri et plus il s’en détourne, plus juste et en bonne santé il se trouve, et moins il s’égare.
Venons-maintenant à un autre propos encore plus déconcertant, celui où il proclame : « il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux ».
Si cela doit être le cas de tout riche (ne pas être admis dans le soi-disant royaume des cieux bien qu’il se soit gardé de tout péché tel le meurtre le vol l’adultère la tromperie les faux serments la profanation de sépulture et l’abomination du sacrilège) à quoi sert-il aux hommes intègres de se comporter en justes s’ils sont riches ? Et quel mal y a-t-il pour les pauvres à commettre toutes ces mauvaises actions aussi impies ? Puisque ce n’est pas la vertu qui vaut le ciel à un homme, mais le manque de toute richesse. Si la richesse exclut les riches du ciel, a contrario la pauvreté y prédestine le pauvre. Et donc il devient donc légitime ainsi aux yeux de celui qui suit cet enseignement de n’accorder aucune attention à la vertu, mais de s’accrocher spontanément à la seule pauvreté ainsi qu’aux choses les plus basses. C’est la conséquence obligée du principe que la pauvreté peut sauver le misérable alors que la richesse exclut le riche du séjour le plus pur.
C’est pourquoi il me semble que ces propos ne peuvent être du christ, s’il est bien venu nous enseigner la vérité, mais qu’ils sont de la bouche de pauvres voulant, par des paroles aussi creuses, priver les riches de leurs biens et de leurs avoirs. En tout cas, en enseignant il y a peu ce qui suit à des femmes de noble naissance : « vends tout ce que tu possèdes pour le donner aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel » ils les ont persuadées de distribuer tous leurs biens et possessions, et ces dernières, se retrouvant dès lors dans le besoin, à ensuite quémander ; passant ainsi d’un état de liberté à la mendicité, de la prospérité à un état faisant pitié ; et enfin à l’obligation de se rendre chez les riches (ce qui est le comble du déshonneur et du malheur).
Bref, elles ont perdu tout ce qui leur appartenait sous prétexte de « religion »et ont appris en échange ce que c’est que d’envier ce qu’ont les autres. Tout cela me semble donc plutôt être le discours d’une nécessiteuse de ce genre.
----------------- ---------------------------------- ------------------------------------------------ ------------------------- --------
Contre-lai (commentaire) N° 67.
Que l’on permette au vieux facho réac raciste bête et méchant que je suis (puisque non chrétien et critique vis-à-vis de cette religion, comme de toutes les autres idéologies dominantes d’ailleurs) ; de commencer par rappeler, et ce, en désaccord avec Porphyre (pour une fois !) ; que « pauvreté n’est pas vice », comme on dit par chez nous, une sage maxime que même les chrétiens ont très vite oubliée si l’on en croit certains jugements de divorce !
Ce chameau n’est dû qu’à une simple erreur de traduction, le mot araméen original signifiait « corde ».
Ce que les propos attribués à Jésus veulent seulement dire c’est que la richesse, le luxe, et le confort, sont la source directe, ou indirecte, de nombreux défauts, dont les pauvres sont par définition préservés, évidemment.
Le premier d’entre eux étant le manque de compassion (active) envers les difficultés ou les problèmes des autres. Celui qui vit dans la richesse, le luxe ou le confort, ne peut tout simplement ni les comprendre ni éprouver à leur égard une vraie compassion.
Porphyre a néanmoins raison sur un point. Vendre ou donner tous ses biens pour se retrouver ensuite à la charge de la société n’est pas une solution. L’idéal n’est pas de vivre de la charité d’un autrui souvent à peine plus riche que soi, même si c’est aussi ce que prônent nos amis hindous et
92
bouddhistes. Distribuer ou vendre de ses biens tout ce qui est superflu, ou pas indispensable, peut, certes, s’avérer une bonne chose ; mais il faut alors dans ce cas pouvoir vivre des fruits de son propre travail, donc continuer d’avoir l’usage de ce qui est nécessaire au déroulement d’une vie simple et frugale.
Bref, vivre en mendiant, non ! En ermite peut-être ! Un peu comme Suibhne Lailoken ou Merlin alors ? ce qui a au moins le mérite d’être en harmonie avec la nature.
Écœuré par la bataille que les chroniqueurs appellent « la bataille frivole », car elle fut livrée, disent-ils « à cause d’un nid d’alouettes », Merlin brisa son épée et, refusant de continuer à prophétiser dans un pays occupé par l’envahisseur ou divisé ; il partit vivre dans une forêt, errant, avec les cheveux longs, les vêtements en lambeaux, une harpe sans corde, appuyé sur un bâton de houx.
Il s’agit en réalité dans ce cas d’un érémitisme d’homme des bois analogue à celui qui était pratiqué par les chamans des forêts ; et les moines chrétiens ayant recueilli ces traditions ont évidemment, comme dans le cas des légendes concernant saint Brendan, arrangé ce récit pour le faire cadrer avec leur conception du monde à eux. Ils ont rebaptisé tout cela folie, ont fait intervenir saint Ronan et ainsi de suite…
Mais la malédiction de saint Ronan en tout cas (Diable, et le dieu d’amour dans tout ça ?) n’est pas évidemment la véritable cause de ce choix de vie.
------------------------- --------------------- ----------------------------------------- ---------------------------------------- -----
Comme nous avons trouvé une autre petite phrase de ce genre assez inconséquente adressée par le Christ à ses disciples, nous avons décidé de ne pas la passer sous silence. C’est celle où il dit : « les pauvres vous en aurez toujours, mais moi non ». La cause de cette remarque est la suivante : une femme avait apporté un vase d’albâtre contenant du parfum et en avait mis sur sa tête. [Matthieu 26, 6-8]. Mais quand les disciples s’en aperçurent et se plaignirent du caractère déraisonnable de cette action, il leur répondit : « Pourquoi ennuyez-vous cette femme ? Ce qu’elle a fait pour moi est bien. Les pauvres vous en aurez toujours, mais moi non ! » Car ils faisaient plus que déplorer à voix basse que ce parfum n’était pas plutôt vendu un bon prix et le produit de cette vente donné aux pauvres afin qu’ils achètent de quoi manger. Le résultat de ces remarques inopportunes fut donc apparemment qu’il leur adressa ces paroles insensées, en leur expliquant qu’il ne serait pas toujours avec eux, bien qu’à un autre moment il leur ait catégoriquement dit et affirmé : « Je serai avec vous jusqu’à la fin du monde » (Matthieu, 28, 20). Mais quand il fut interpellé à propos de cette onction, il nia néanmoins qu’il serait toujours avec eux.
-------------------------- ---------------------------- ---------------------------------------- --------------------------------- -----
Contre-lai (commentaire) N° 68.
Il est difficile de dire si la première de ces paroles est authentique (« des pauvres, il y en aura toujours parmi vous, mais moi je ne serai pas toujours là »).
Ce qui est certain par contre, c’est que la deuxième de ces affirmations (« Je serai avec vous jusqu’à la fin du monde ») a été ajoutée au canevas de base initial par les équipes ayant brodé dessus pour composer ce roman historique afin de justifier leurs actions.
------------------ -------------------------- ------------------------------------------------------------------------------------------
Il n’est que trop naturel qu’il y ait beaucoup de choses inconvenantes dans ce flot de paroles. Les mots, pourrait-on dire, y rivalisent d’incohérence.
Comment un homme de la rue pourrait-il par exemple expliquer ce propos de l’évangile, que Jésus adresse à Pierre quand il lui dit : « Arrière Satan, tu m’offenses, car tu ne te soucies pas des choses de Dieu, mais de celles des hommes » (Matthieu 16, 23) et celui-ci qui figure ailleurs comme suit : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église, je te donnerai les clés du royaume des cieux » [Matthieu 16,18-19].
Car s’il a condamné Pierre au point de l’appeler Satan, a pensé le rejeter, l’a considéré comme une offense vivante, quelqu’un n’ayant aucune idée de ce qu’il y avait de divin ; s’il l’a ainsi repoussé comme quelqu’un ayant commis un péché mortel, qu’il ne supportait plus d’avoir sous les yeux, et l’a rejeté loin de lui dans la masse des parias et des bannis, comment peut-on trouver pertinente cette sentence d’exclusion prononcée contre le guide et le « chef de ses disciples » ?
En tout cas, si quelqu’un qui a l’esprit vraiment sensé rumine là-dessus, et ensuite entend le christ dire (comme s’il avait oublié ce qu’il avait précédemment asséné à Pierre) : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église », « je te remettrai les clés du royaume des cieux », il pourra-t-il pas que rire à s’en tenir les côtes. Ne pourra-t-il pas qu’en rire à gorge déployée comme s’il était au théâtre. Il en ricanera et il y aura de sa part des sifflements et des huées. Il s’en plaindra même à haute voix auprès de ses voisins.
93
Soit Jésus avait bu et il était complètement ivre quand il a traité Pierre de Satan, lui dit ça en état d’ébriété ; soit il rêvait à quelque chimère durant son sommeil quand il a donné les clés du royaume des cieux à ce même disciple.
Car de grâce, dites-nous comment Pierre aurait pu être capable de supporter les fondations de cette église, étant donné qu’à maintes reprises il s’est montré être un homme particulièrement indécis ? Quelle sûreté de jugement on peut déceler en lui, ou à quel moment il a fait preuve d’une conviction inébranlable, étant donné que, bien qu’ayant entendu ce que Jésus lui avait dit auparavant, il fut terrorisé par une pauvre servante, et le renia par trois fois, sans y être obligé [Marc 14, 69] ?
Notre conclusion sera donc que s’il a eu raison à la fois de le choisir et de le traiter de Satan, indigne de l’esprit même de toute dévotion, alors il fut incohérent et inconscient de ce qu’il avait fait en lui confiant les rênes ou la direction [de l’église].
--------------------------------- ---------------------------------- ------------------------------------------------------------- -----
Contre-lai (commentaire) Nº 69.
Porphyre se trompe peut-être en croyant que le rejet de Pierre (arrière Satan et ainsi de suite… Matthieu 16, 22-23) a précédé sa bénédiction et sa désignation comme chef des disciples (Matthieu 16, 17-19) alors que dans le texte, que nous connaissons aujourd’hui, c’est l’inverse. Le logion du Christ faisant de Pierre le premier des disciples a, de toute façon, été rajouté par la suite afin de justifier la primauté de l’évêque de Rome. À ce sujet, voir aussi néanmoins ci-dessous le contre-lai N° 71.
Les chrétiens ayant procédé à cet ajout au canevas initial n’ont pas pensé à la contradiction que cela allait provoquer avec le passage : « Arrière Satan, etc. » Ou alors cela veut dire que le premier des apôtres, que le premier des papes, a pu, lui aussi, être un moment possédé par le Diable ? Comme Mahomet dans l’affaire des versets sataniques. À qui se fier décidément ?
Même notre maître à tous, enfin surtout pour son pantheisticon, le barde gaélique John Toland, grand pourfendeur des papes et du césaropapisme devant l’Éternel, n’aurait pas osé écrire une telle chose.
--------------------- --------------------------------------------- -------------------------------------------------------------- -----
Pierre se révèle être un beau salaud également en une autre occasion, dans le cas d’Ananias et de sa femme Saphira (Actes V, 1 à 11). Ils n’avaient rien fait de mal, mais il les fit mourir pour ne pas avoir reversé la totalité du produit de la vente de leur propriété, mais en avoir gardé une petite partie pour leur usage personnel. Or comment ont-ils pu commettre une mauvaise action en ne voulant pas tout donner de ce qui leur avait appartenu ?
Et même si Pierre pensait qu’ils avaient mal agi en faisant cela, il aurait dû se rappeler les paroles de Jésus où ce dernier lui demande d’endurer 490 fautes contre lui [Matthieu 18, 21-22].
Il leur aurait alors pardonné leur unique faute, si même on peut vraiment qualifier de faute ce qui était advenu. D’ailleurs il y a autre chose dont Pierre aurait dû se rappeler en se mêlant des affaires des autres, qu’il avait lui-même juré ne pas connaître Jésus, et donc alors non seulement dit un mensonge, mais aussi parjuré, nonobstant le Jugement et de la résurrection des morts.
--------------------------- --------------------------------------------- ------------------------------------------------- ------ -----
Contre-lai (commentaire) Nº 70.
Si Pierre a fait mourir Ananias et Saphira par la seule force de sa pensée (actes V, 1 à 11) ce fut peut-être également le cas pour Simon le magicien.
Nous avons en effet de la fin de ce grand philosophe juif, ou samaritain si l’on veut (nous ne sommes pas racialistes, nous sommes non racialistes) deux versions différentes.
Dans une de ces versions, saint Pierre, jaloux de le voir réussir à voler, l’assassine en le faisant s’écraser au sol par ses prières.
On peut néanmoins douter de la véracité de cette haineuse propagande chrétienne (la prière de saint Pierre pour assassiner par jalousie un grand philosophe concurrent peut difficilement être assimilée à de l’amour) ; car de nombreuses personnes continuèrent à méditer et à suivre son enseignement.
------------------ --------------------------------------- ---------------------------------- ------------------------------------ -----
Cet homme nommé à la tête de la bande de disciples avait été préparé par Dieu à mépriser la mort, mais en s’échappant après avoir été arrêté par Hérode, il causa le châtiment de ses gardiens [Actes 12, 5-11]. Car après qu’il se fut évadé durant la nuit, quand vint le jour, chez les soldats il y eut du grabuge à propos de la façon dont Pierre avait pu se retrouver dehors. Hérode, après l’avoir fait chercher, n’ayant pu le retrouver, interrogea ses gardiens et ordonna ensuite qu’on les « emmène loin de sa vue » c’est-à-dire qu’on les mette à mort. Aussi est-il étonnant que Jésus ait donné les clés du ciel à Pierre, si c’était un homme comme ça ; et qu’il ait dit « pais mes agneaux » [Jean 21, 15-17] à
94
quelqu’un qui était si instable ou terrifié par es événements. Car je suppose que les brebis sont les fidèles bien avancés sur la voie qui mène à la perfection, mais que les agneaux sont ceux qui font toujours partie du troupeau des catéchumènes, et ont toujours besoin du doux lait de l’enseignement. On dit néanmoins que Pierre a été crucifié après avoir juste commencé à nourrir lesdits agneaux, bien que Jésus l’ait assuré que les portes de l’Hadès ne prévaudraient jamais contre lui (Matthieu 16 ,18).
---------------------------- -------------------------------------------------- -------------------------------------------------- -----
Contre-lai (Commentaire) N° 71.
Pierre disparaît de l’Histoire après s’être évadé de cette prison.
Ce passage des Actes [12, 6-19] n’est pas à prendre au sens littéral, car il est évident qu’il ne peut s’agir là du récit de l’évasion d’un homme en chair et en os. Ce qui s’échappe de cette prison, dans ce cas, ce n’est pas le corps de Pierre, mais son âme ; à tout le moins donc un Pierre, à l’instar de Jésus, mort et ressuscité, apparaissant ensuite à quelques fidèles ; avant de monter définitivement au ciel, comme le Christ son maître (le parallélisme des deux récits a été voulu). Porphyre aurait dû s’en apercevoir. Le récit initial, qui était à prendre au sens symbolique, a ensuite été manipulé, probablement par ceux-là mêmes qui l’ont inséré à cet endroit, pour en faire le récit d’une évasion, en chair et en os, de Pierre.
Actes XII, 1-19 est le dernier matériau historique ayant quelque valeur où Pierre est encore mentionné, et Luc ne connaît ensuite que Paul et Jacques, le frère du Seigneur, premier vrai pape de l’Histoire. En tout cas visiblement la seule autorité reconnue par tout le monde ou presque dans l’Église de l’époque, y compris Paul (actes XXI, 18).
Le plus vraisemblable est donc que Pierre est mort dans la geôle où Hérode l’avait fait jeter, comme Jean le Baptiste quelques années auparavant ; et que tout ce qu’on en a dit après n’est que légende inventée de toutes pièces à l’époque de Porphyre ou un peu avant par les premiers chrétiens ; pour les besoins de leur cause (les papes et le césaropapisme aurait dit le premier des libres penseurs, le grand druide irlandais John Toland).
------------------------ ------------------------------- ---------------------------------- -------------------------------------- -----
Paul a lui aussi condamné Pierre en disant : « car avant que certains ne viennent de la part de Jacques, il mangeait avec les non-juifs, mais après qu’ils furent arrivés il les évita, par crainte des circoncis ; et beaucoup de juifs le suivirent dans cette hypocrisie (Galates 2,12. C’est le fameux incident d’Antioche). Qu’un homme devenu l’interprète des paroles divines puisse vivre dans l’hypocrisie et se comporter de façon à ne pas déplaire en constitue sans doute la condamnation la plus directe et importante qui soit.
En outre la même chose est vraie à propos du fait de vivre avec une femme, car voici ce que Paul dit à ce sujet : « ne pourrions – nous pas nous aussi avoir une sœur/épouse, ainsi que le reste des apôtres et que Pierre lui-même ? (1 Corinthiens 9-5.) Et il ajoute (2 Corinthiens 11, 13) : « car tels sont les faux apôtres et les ouvriers malhonnêtes ». Si donc Pierre est accusé d’avoir commis tant de fautes, n’est-ce pas suffisant pour frémir à l’idée qu’il détient les clés du ciel, qu’il lie ou délie, alors qu’il s’enferme si vite, pour dire les choses ainsi, dans d’innombrables contradictions ?
Si vous en avez l’audace en ce domaine et que ces points difficiles ne le sont plus pour vous, dites-nous comment il se fait que Paul a dit : « Bien qu’étant un homme libre je me suis fait l’esclave de tous, afin de pouvoir tous les gagner » (1 Corinthiens 9, 19) et que, bien qu’ayant qualifié de « mutilation » la circoncision, il a circoncis lui-même un certain Timothée, ainsi que nous l’enseignent les Actes des Apôtres (16,3).
Quelle franche stupidité que tout cela ! Cela ressemble à une scène comme il y en a au théâtre, afin de faire rire. Ou à un spectacle comme en donnent les jongleurs. Car comment celui qui est l’esclave de tout le monde peut-il être un homme libre ? Et comment celui qui singe les gens peut-il les gagner ?
------------------- --------------------------- --------------------------------- ----------------------------------- ------------ ------
Contre-lai (Commentaire) N° 72.
Il est évident que Paul est toujours resté dépendant de son conditionnement originel de juif ; et que ce qui lui semblait évident ou important ne l’était que pour lui et ceux qui avaient été l’objet du même conditionnement, pas du tout pour le restant de l’Humanité ; qui s’est d’ailleurs empressée d’oublier les justifications tarabiscotées de ce saint homme, venu sur le tard au christianisme. Et non à la suite d’une longue réflexion philosophique, mais à la suite d’une vision sur le chemin de Damas où il conduisait, sous bonne garde, des déportés juifs chrétiens appartenant à la nouvelle secte.
Mauvais présage !
95
Porphyre pointe là du doigt une autre des dangereuses caractéristiques du discours chrétien ; l’abus des paradoxes du genre : vivre c’est mourir ou vice-versa, mourir c’est la vraie vie, la liberté, c’est l’esclavage et ainsi de suite. Un tel raisonnement, ou plutôt déraisonnement, par association d’idées contraires, s’il est pris au pied de la lettre, peut justifier les pires excès. Les bûchers pour les sorcières, les autodafés, la censure, les interdictions en tout genre, un peu comme le double langage du célèbre roman d’Orwell.
------------------------ ---------------------------------------- ------------------------------------------------------ --------- -----
Car s’il est non juif pour ceux qui ne sont pas juifs, ainsi qu’il le dit lui-même, qu’il se tourne vers les juifs en tant que juif et fait de même avec les autres, il s’est donc livré à de nombreuses bassesses, étranger à la liberté, privé de liberté. S’il se vautre à la moindre occasion dans l’ignominie des non-juifs et reprend leur façon de faire, alors il est vraiment le valet ou complice des mauvaises actions des autres, serviteur éminemment dévoué de ce qu’il ne faut pas.
Ce n’est ni l’enseignement d’un esprit sain ni la preuve d’une pensée libre. Ces paroles sont plutôt celles de quelqu’un qui est handicapé mental ou faible d’esprit.
Car s’il vit avec ceux qui ne sont pas juifs, et en même temps dans ses écrits accepte avec joie la religion des juifs, en prenant part aux deux, il ne se distingue d’aucun d’eux. Il participe de l’ignominie de ceux qui sont honnis, et fraye avec eux. Car celui qui se démarque de la circoncision au point d’expulser ceux qui veulent la pratiquer ; mais ensuite opère lui-même une circoncision, s’avère être lui-même le premier de ses accusateurs quand il dit : « Si je reconstruis ce que j’ai défait, je me montre moi-même coupable » [Galates 2,18].
Ce même Paul, qui semble souvent oublier ses propres paroles quand il parle, dit au capitaine des gardes qui le retient prisonnier qu’il n’est pas juif, mais Romain, bien qu’il ait antérieurement déclaré : « Je suis juif, natif de Tarse en Cilicie, élevé auprès de Gamaliel, éduqué conformément au véritable enseignement de la loi de mes pères ». Mais celui qui a dit à la fois « je suis juif » et « je suis Romain » n’est ni l’un ni l’autre bien qu’il se revendique des deux. Car celui qui joue les hypocrites et parle de ce qui n’existe pas peut à juste titre être accusé de perfidie. Revêtu d’un masque trompeur, il triche avec les problèmes les plus simples et il escamote la vérité ; en circonvenant l’entendement des âmes simples par toutes sortes de moyens, et en captivant par ses jongleries ceux qui se laissent facilement influencer.
L’homme qui dans sa vie s’accommode d’un tel principe, n’est rien d’autre qu’un ennemi implacable et acharné, qui par son hypocrisie asservit les esprits de ceux qui autrement seraient hors de sa portée, pour les réduire à la plus implacable des servitudes. C’est pourquoi, si Paul est soi-disant juif un jour, et un autre jour Romain, fidèle de la Loi de Moïse un jour et un autre jour Grec, et chaque fois qu’il le veut étranger ou hostile à tous ; en prenant des deux bords et en privant chacun de sa spécificité par sa flatterie, alors il rend les deux inutiles.
Nous en conclurons donc que c’est un menteur et qu’il a manifestement grandi dans le mensonge. Au point pour lui d’ailleurs de déclarer : « Je dis la vérité dans le christ, je ne mens pas » [Romains 9 ,1].
Car l’homme qui jusque-là s’est conformé à la Loi de Moïse et se conforme maintenant à l’Évangile doit être considéré à juste titre comme sans scrupule et creux tant dans sa vie privée que dans sa vie publique.
Qu’il se cache derrière l’Évangile pour satisfaire son orgueil et derrière la Loi de Moïse pour satisfaire sa convoitise, se déduit aisément de ces paroles : « Qui s’en est jamais allé à la guerre à ses propres frais ? Qui a jamais gardé un troupeau sans en consommer du lait ? » [1 Corinthiens 9, 7.] Et afin de s’en emparer, il prend à témoin la Loi pour justifier sa convoitise en disant : « La Loi n’a-t-elle pas parlé de cela ? Car dans la Loi de Moïse il est écrit : « tu ne muselleras pas le bœuf qui foule le blé » [9.9. Afin qu’il puisse en manger]. Ensuite il ajoute une remarque obscure et déniant aux bêtes toute attention divine, en disant : « Dieu s’occupe-t-il aussi des bœufs ou dit-il cela pour nous ? Pour nous bien sûr est-il écrit [1 Corinthiens 9 ,10.]
Il me semble à moi qu’en disant cela il se moque de la sagesse du créateur, comme si elle ne concernait pas l’ensemble de qui a été amené à exister jadis. Car si Dieu ne prend pas soin des bœufs, de grâce, pourquoi y a-t-il dans les Écritures : « Il a lui a tout soumis, les moutons les bœufs, les animaux le bétail et les oiseaux ainsi que les poissons » [Psaume 8, 8-9] ? Si Dieu se préoccupe des poissons, à plus forte raison s’occupe-t-il des bœufs qui labourent et travaillent. C’est pourquoi je m’étonnerai toujours de voir un tel imposteur, vu son insatiable appétit respecter la Loi aussi scrupuleusement, afin d’obtenir des contributions suffisantes de la part de ceux qui lui sont soumis.
96
--------------------------------- ------------------------------------- ---------------------------------------------------------- -----
Contre-lai (Commentaire) Nº 73.
Point n’est besoin de diffamer un système de croyances concurrent pour le réfuter. La vérité à son sujet doit suffire. L’expression « Mère Nature » est intraduisible en hébreu et sa conception du sacrifice animal (du veau, mouton, etc.) n’a pas du tout la même signification que celle que l’on trouve dans d’autres civilisations. Orgueil d’appartenir au peuple choisi par Dieu + extension à l’Humanité tout entière de ce concept avec le christianisme = anthropocentrisme.
L’anthropocentrisme de la remarque de Paul est l’ultime avatar du fantastique orgueil juif consistant à se croire un peuple élu. Mais élu par qui ?
Quoi que puisse en penser Porphyre, qui en l’occurrence semble mieux connaître les saintes Écritures que Paul lui-même, le Dieu ou le Démiurge de la Bible a toujours été, c’est le moins que l’on puisse dire, très peu soucieux d’écologie.
On est là aux antipodes des philosophies occidentales et notamment des gnostiques d’Occident par exemple, qui étaient écologistes avant la lettre. « Les lièvres, la poule et l’oie, sont à leurs yeux nourriture interdite, ils en élèvent cependant pour le plaisir » (César. B. G. Livre V.12). César n’a évidemment rien compris à cette authentique poésie de la vie écologique avant la lettre et a rapporté cette idée à la manière des Romains.
En interdisant de tuer ces animaux, non pas en raison de leur impureté évidemment, car ce concept, bien que cher au Dieu ou le Démiurge de la Bible, était totalement étranger aux peuples concernés par la remarque de César, mais pour différentes autres raisons ; animaux considérés comme sacrés, devant servir à des fins divinatoires, amour des bêtes, espèces ayant été un moment menacées en Bretagne, etc. ; les très-sachants de la druidiaction (druidecht) se sont montrés des écologistes conséquents.
Si l’on en croit l’historien grec Arrien (De la Chasse. XXXIII) les Galates de Paul offraient à Artémis [ou plus exactement à la déesse-ou-démone, ou fée, se cachant sous ce nom… Andarta ? ? ?] des sacrifices annuels, mais d’autres offraient à la déesse-ou-démone, ou à la fée en question si l’on préfère ce terme, un trésor.
« Pour chaque lièvre qu’ils attrapent, ils mettent deux oboles dans leur cagnotte ; pour un renard, une drachme (le renard est un animal rusé, toujours en embuscade ; c’est le fléau des lièvres, voilà pourquoi l’on donne davantage pour lui, un peu comme si c’était un ennemi) pour un chevreuil, quatre drachmes (parce que c’est un animal plus gros et un gibier plus estimé). Au bout d’un an, lors de l’anniversaire de la déesse, on casse la tirelire et avec ce qu’il y a dedans, on achète une brebis, une chèvre ou un veau, selon la quantité d’argent recueillie. Le sacrifice achevé puis ses prémices ayant été offertes à la divine chasseresse, selon les us et coutumes de chacun, on partage l’animal avec les chiens. Des chiens couronnés de fleurs pour bien montrer que la fête est donnée en leur honneur ».
Ce détail témoigne de la haute estime que les Galates accordaient à certains de leurs chiens. Mais peut-être ne s’agit-il là que d’une évolution tardive du rite ? Ce qui paraît remarquable, en revanche, c’est la signification évidente (puisqu’elle est traduite sur un plan monétaire) du sacrifice d’un animal domestique.
Le sacrifice de l’animal domestique est destiné à dédommager la déesse-ou-démone de la chasse des prélèvements que l’homme a effectués sur le troupeau des animaux sauvages dont elle a la charge. Autrement dit – et pour reprendre les termes de César qui expliquent la conception du sacrifice (humain notamment), le sacrifice d’un animal domestique doit racheter la mort des animaux sauvages. Les rois prêtres galates comme Déjotarus * étaient plus sensibles que leurs voisins méditerranéens aux manifestations naturelles ou aux cultes indigènes qu’ils furent amenés à rencontrer. Ces phénomènes de la nature n’étaient pour eux que les différentes manifestations du même grand esprit divin auquel ils croyaient […] Ils étaient sensibles au moindre souffle, au plus petit tressaillement que l’univers communique aux phénomènes physiques : tonnerre, tremblement de terre, raz-de-marée, phénomènes astraux […] une forme de monothéisme qui n’a évidemment rien à voir avec celui qu’enseignent les religions du Livre…
Pour eux en effet tout avait une âme/esprit. « Les fleurs parfumées sont nos sœurs. Le cerf, le cheval, le grand aigle, sont nos frères. Les crêtes rocheuses, les sucs dans les prés, la chaleur du cheval et l’homme : tous appartiennent à la même famille. La terre n’appartient pas à l’homme ; l’homme appartient à la terre. Cela, nous le savons. Tout se tient comme le sang qui unit une même famille » (Discours du grand chef indien appelé Seattle en 1854. Citation de mémoire).
Cette idée commune à Déjotarus et à Seattle a survécu jusque dans les œuvres d’un druide moderne comme John Toland (voir son livre intitulé Pantheisticon).
97
La source, par son murmure, sa limpidité, le renouvellement continuel de ses eaux et ses effets bienfaisants, inspirait à l’homme de ce temps-là une admiration et une reconnaissance qui allaient jusqu’à l’adoration. Au temps de saint Patrice, les Irlandais vouaient aux sources des honneurs divins, leur faisaient même des offrandes. Le culte des sources apparaît de même chez les Pictes et chez les Bretons. Les arbres, chêne, noisetier, if, et frêne, et les pierres, étaient aussi vénérés […] Le soleil, qui règle le temps, qui réjouit et réchauffe les humains, qui mûrit les moissons et surpasse en beauté tous les autres éléments, devait, certes, occuper aussi une place importante dans cette religion naturaliste…
Pour cette véritable poésie de la vie, chaque lieu avait son génie ou son mystère : l’esprit des forêts, le génie lyonnais, l’âme bretonne… Les sources étaient assimilées à des nymphes, à des Dames blanches, ou à des fées, dansant gracieusement dans la brume, et chaque race animale avait son ange gardien (Artio pour les ours par exemple).
* Roi de la petite Arménie et d’une partie du Pont (actuelle Turquie), contemporain de Cicéron, qui écrivit pour lui un plaidoyer resté célèbre.
----------------------- ------------------------------------------- ------------------------------------ ------------------------- -----
Ce bon compagnon, sain d’esprit et d’entendement, instruit des moindres détails de la Loi de ses pères, qui nous a si souvent et habilement remémoré les paroles de Moïse, semble aussi par moment être imbibé d’alcool ou en état d’ébriété ; car il fait une déclaration qui abolit les prescriptions de la Loi, en disant aux Galates : « Qui vous a ensorcelés à ce point pour que vous n’obéissiez pas à la Loi » c’est-à-dire à l’évangile ? [Galates 3,1]. Mais ensuite, en caricaturant et en rendant affreux le fait d’obéir à ladite Loi, il déclare : « ceux qui vivent sous l’empire de la Loi sont maudits » [Galates 3,10]. L’homme qui écrit aux Romains : « la loi est spirituelle » (7,14) et aussi « la Loi est sainte et son commandement saint et juste », maudit ceux qui obéissent à ce qui est saint ??! Ensuite, en mélangeant les problèmes, il confond tous les sujets ou les rend obscurs, de sorte que celui qui l’écoute en a presque le vertige, et se heurte aux deux comme s’il était perdu dans la nuit, butant ici sur la Loi, là contre l’évangile, et ce dans la plus grande confusion, vu l’ignorance de l’homme qui le guide.
Paul tourne en rond comme un homme qui se réveille d’un cauchemar en sursautant et crie : « Moi Paul je dis que si quelqu’un suit la Loi de Moïse sur un point, alors il doit la suivre en entier » [Galates 5, 3]. Au lieu de dire simplement qu’il ne faut plus accorder aucune attention à ce que dit la loi de Moïse.
Revenons ici sur ce que nous dit notre génial compagnon. Après les innombrables citations de la Loi qu’il a faites afin de s’appuyer dessus, il réduit à néant son propre avis en disant : « La loi est intervenue pour multiplier la faute » (Romains 5,20), et avant ça : « l’aiguillon de la mort c’est le péché, la force du péché c’est la Loi » [1 Corinthiens 15, 56]. Sa langue affûtée comme une épée lui permet de tailler en pièce la Loi sans merci, morceau par morceau. Mais c’est le même homme qui en maints domaines incite à suivre la Loi et juge louable de vivre en la respectant. En recourant à cet avis guère éclairé, qu’il cite comme par réflexe, il infirme donc ses propres jugements sur tous les autres points.
Quand il reparle de la consommation de ce qui a été sacrifié aux idoles, il enseigne simplement que cela n’a aucune importance, en disant qu’il ne faut pas s’en inquiéter ni poser de questions, mais manger ça même si cela vient de sacrifices offerts aux idoles, pourvu que personne n’ait protesté à ce sujet auparavant. Nous le voyons aussi dire quelque part : « ce qu’ils sacrifient de la sorte ils le sacrifient aux démons, et je ne veux pas que vous pactisiez avec les démons » [1 Corinthiens 10,20].
Tel est donc ce qu’il stipule, mais derechef il parle ensuite avec indifférence d’une telle nourriture : « Nous savons bien qu’une idole n’est rien en ce monde, qu’il n’y a pas d’autre dieu que le Dieu unique » [1 Corinthiens 8 ,8]. Et un peu plus loin : « la viande ne nous rapproche pas de Dieu, nous ne sommes pas meilleurs si nous en mangeons, nous ne sommes pas pires si nous n’en mangeons pas » ([1 Corinthiens 8,8]. Enfin, après tout ce blabla de charlatan, et avoir ruminé comme un homme sur son lit de mort, il s’exclame : « Mangez de tout ce qui est vendu comme cela se présente, n’ayez aucun cas de conscience, car la terre appartient au Seigneur dans sa plénitude » [1 Corinthiens 10, 25-26].
Quelle farce de théâtre venue de nulle part. Quelle monstrueuse contradiction dans ces propos ! Un avis qui se suicide avec sa propre épée ! Quel nouveau genre d’archerie est-ce là que celle qui consiste à se retourner contre celui qui bande son arc et à tirer dessus ?
----------------------------- ------------------------------------------------ --------------------------------------------------- -----
Contre-lai (Commentaire) Nº 74.
Toutes ces contorsions pour arriver à cela ? Une constatation de bon sens que n’importe qui de non-juif (et de non-musulman aujourd’hui) peut formuler en trente secondes. Tant d’années de réflexion
98
pour en arriver à la même conclusion que les païens. « Mangez de tout ce que l’on vend au marché à viande sans avoir de problèmes de conscience ; car la terre appartient au Seigneur, et tout ce qu’elle contient aussi ».
Le Saint-Esprit n’est décidément pas un rapide !
Soyons clairs ! Paul a été dans la bonne voie, celle qui a été ouverte par Étienne et les Hellénistes (l’indépendance totale vis-à-vis de la partie Ancien Testament de la Bible) et il a eu raison de le faire. Mais, prisonnier du judaïsme, il n’a pas été assez loin et assez rapidement dans ce sens, il n’a pas réussi à couper immédiatement le cordon ombilical le reliant encore à la Bible juive.
Comme l’a dit un de nos célèbres philosophes, le chrétien est un mauvais païen converti par un mauvais juif. Le drame du christianisme, c’est qu’il n’a jamais réussi à se défaire de l’orgueil juif dont il est l’héritier adultérin pour s’en affranchir ; comme lui conseillèrent les héritiers de Paul genre Marcion, et cela donc a constitué la plus grande catastrophe intellectuelle s’étant jamais abattue sur l’Humanité (avec l’islam) ; car, ce faisant, il a dénaturé et le judaïsme et le paganisme gréco-romain ; et a donc additionné leurs inconvénients au lieu de cumuler leurs avantages.
Le christianisme est né d’une double trahison, et le complexe de culpabilité de Paul trahissant la religion de ses Pères explique l’incroyable potentiel d’agressivité ou de haine en réalité de cette religion d’amour ; qui fut au départ en guerre contre tout le monde et donc contre l’Humanité. Un poison haineux s’en prenant à tout ce qui pouvait alors exister comme religiosité dans l’Empire romain d’Orient, la religion juive, mais aussi les divers paganismes.
Il lui fallait à la fois garder le maximum d’éléments de l’Ancienne Alliance pour ne pas avoir l’air de trop la trahir et ne pas faire fuir d’un seul coup tous ses adhérents juifs ; tout en y apportant le maximum d’ouverture sur le monde pour acculturer son message.
Paul a, certes, entraîné le christianisme dans un irrésistible mouvement l’éloignant de plus en plus du judaïsme, mais ce fut un peu comme à son corps défendant et au prix du pitoyable naufrage de son intelligence ; car il ne put suivre l’exemple des gnostiques d’Orient et rompre complètement avec ses origines ; d’où le caractère passablement torturé et alambiqué de sa théologie et l’interprétation très personnelle (une véritable psychose) qu’il fait de l’Ancien Testament ; totalement à contre-courant de ce que le judaïsme de son temps (essénien, sadducéen, pharisien) y voyait. Cet invraisemblable charabia de malade mental (psychose ou schizophrénie) est pourtant le fondement de tout discours chrétien qui se respecte.
La solution la plus simple eût été la suivante. Tenir un discours du type :
a) L’Ancienne Alliance avec le peuple d’Israël est à considérer comme nulle et non avenue. La nouvelle qui la remplace s’applique bien évidemment à l’Humanité tout entière !
b) Il y avait dans la Loi de Moïse un certain nombre de choses ayant toujours été ou étant devenues désormais… néfastes. Le Christ est venu pour les abolir.
En voici la liste détaillée…
c) Il y avait néanmoins aussi et pour diverses raisons dans la Loi de Moïse un certain nombre de bonnes choses, qui sont donc à maintenir, en voici également la liste…
Paul n’ayant pas eu ce courage intellectuel : abandonner toute référence au judaïsme comme l’avaient fait les gnostiques d’Orient, sa théologie n’a évidemment pas la lumineuse clarté de leurs positions. Et n’a pas non plus les subtiles nuances des gnostiques occidentaux présents sur place (dikastes en Galatie).
--------------------- ------------------------------------------------------------------------------------------- ---------------- -----
Dans ses lettres on trouve d’autres propos comme ceux où il valorise la virginité, mais ensuite fait volte-face et dit : « Dans les derniers temps certains se détourneront de la foi, en écoutant des esprits séducteurs leur interdisant le mariage et leur demandant de s’abstenir de manger de la viande » [1 Timothée 4, 1-3]. Et dans la lettre aux Corinthiens il écrit : « mais en ce qui concerne les vierges je n’ai reçu aucun commandement du Seigneur » [1 Corinthiens 7, 25]. Donc celui qui reste célibataire n’agit pas bien, et celui qui s’abstient du mariage comme d’une chose mauvaise n’obéit pas non plus à la loi, puisque personne n’a reçu d’instruction de Jésus concernant la virginité. Comment se fait-il dans ces conditions que certaines se glorifient d’être vierges comme si c’était une chose extraordinaire, et prétendent qu’elles sont remplies du Saint-Esprit ainsi que le fut la mère de Jésus ?
Le propos qui suit est un des plus fameux de leur maître : “Si vous ne mangez pas de ma chair et ne buvez pas de mon sang, vous n’aurez pas de vraie vie en vous ». Ce propos est en vérité à proprement parler, vraiment bestial.
Qu’un homme puisse goûter à la chair humaine, et boire du sang des membres de sa propre race ou tribu, et qu’en faisant cela il puisse acquérir la vie éternelle est le comble de l’aberration. Dites-moi en effet quel flot de sauvagerie on n’introduirait pas dans la civilisation en faisant cela ? On n’a jamais
99
entendu parler, je ne dis même pas de cas avéré d’un tel crime, mais seulement d’une allusion à une si étrange et nouvelle manifestation d’impiété. Les furies n’en ont jamais trouvé chez les peuples aux mœurs les plus étranges et les Potidéens eux-mêmes n’auraient jamais accepté de faire ça sans y avoir été contraints par une terrible famine. Le banquet de Thyeste n’a été l’occasion d’une telle horreur qu’à cause de la douleur d’une sœur, et le Thrace Térée n’a pris n’a mangé à satiété d’une telle nourriture qu’involontairement. Harpage avait été trompé par Astyage quand il consomma de la chair du préféré de ses fils, et c’est donc contre leur volonté que tous ont subi une telle flétrissure.
Mais personne en temps de paix n’a jamais préparé une telle table de sa vie, personne n’a jamais appris d’un chef une science aussi abjecte. Si vous regardez du côté de l’histoire des Scythes, et allez jusqu’aux Macrobiens d’Éthiopie, en passant par l’outre-mer qui nous entoure, vous trouverez certes des gens qui mangent, consomment et dévorent, des racines ; vous entendrez parler de gens qui mangent des reptiles et se nourrissent de souris, mais tous s’abstiennent de chair humaine.
Que signifient donc ces paroles ? [Même si elles recèlent un sens mystique caché, cela n’excuse pas pour autant leur sens exotérique, qui place les hommes plus bas que les bêtes. On a inventé de bien étranges histoires pour tromper les simplets avec, mais jamais d’aussi perverses que celle-ci].
Homère a fait donner à bon escient aux courageux Grecs l’ordre de faire silence comme à leur habitude : il a en effet introduit le discours d’Hector, en adressant aux Grecs ces propos tenus en un langage très châtié : « Arrêtez O Argiens ; suspendez vos coups, enfants des Achéens ; car Hector au panache ondulant est résolu à vous dire un mot ».
De la même façon ici nous attendons tous assis en silence, car l’interprète de la doctrine chrétienne nous promet ou nous affirme avec aplomb qu’il va faire pour nous toute la lumière sur les passages obscurs des Écritures.
Dites nous donc, mon bon Monsieur, qui sommes suspendus à vos lèvres, ce que l’Apôtre veut dire quand il s’exclame : « et tels étaient certains d’entre vous » (manifestement quelque chose de très honteux) « mais vous avez donc été lavés, sanctifiés, justifiés, au nom de notre seigneur Jésus Christ, et dans l’Esprit de notre Dieu » [1 Corinthiens 6. 9-11].
Car qu’un homme lavé de tant de souillures et d’impuretés, se retrouve comme innocent rien qu’en effaçant les taches de tant de fautes dans sa vie, fornication, adultère, ivrognerie, vol, vice contre nature, empoisonnement, ou autres innombrables et dégoûtantes perversions ; qu’il se retrouve si facilement libre ou débarrassé de l’ensemble de ses fautes comme un serpent se débarrasse de sa mue rien qu’en se faisant baptiser puis en invoquant le nom du Christ ; nous surprend et nous laisse rêveurs.
Qui ne voudrait pas, dans ces conditions, tenter de mauvais coups, certains avouables d’autres non, et faire des choses qu’on ne saurait dire ni faire, en sachant qu’il obtiendra la rémission de tous ses crimes rien qu’en croyant et en se faisant baptiser, ou dans l’espoir qu’il recevra ensuite le pardon de celui qui doit juger les vivants et les morts ?
Tous ces discours ne peuvent qu’inciter l’homme qui les entend à pécher, dans chacun d’eux on lui enseigne ainsi à faire ce qui est illicite. Tout ceci prévaut sur la conformité avec la Loi, et a pour conséquence que le fait d’être juste ne sert à rien contre les injustes. Si quelqu’un peut se débarrasser d’une foule innombrable de méfaits rien qu’en se faisant baptiser ; cela produit une forme de société hors la loi, et apprend aux hommes à ne pas craindre l’impiété.
----------------------- ------------------------------- ---------------------------------------- --------------------------------- -----
Contre-lai (Commentaire) N° 75.
Éternel problème de la « justification ». Est-on fait juste par le seul fait de croire ou par les (bonnes) œuvres ? Faut-il bien agir et faire de bonnes actions pour être juste ou est-ce seulement une question de croyance ?
Ne pas faire dépendre des œuvres, ou si peu, l’accès de son âme/esprit à l’autre monde parallèle que l’on appelle le Paradis, est, certes, une idée louable ; mais affirmer que si l’on n’y croit pas, on ne peut en aucun cas accéder au dit paradis après la mort, est une idée extrême. Croire n’est ni nécessaire ni suffisant en ce domaine, mais facilite quand même bien les choses, car cela inspire à l’homme le courage qu’il faut.
« D’après vous, les ombres ne gagnent pas le séjour silencieux de l’Érèbe et les pâles royaumes de Dispater… la mort est le milieu d’une longue vie. Les peuples qui regardent la Grande Ourse sont heureux parce que la crainte de la mort, la plus grande des craintes, ne les émeut pas. De là chez leurs guerriers un cœur prompt à se jeter sur le fer, et cette force de caractère qui fait braver la mort parce qu’il est honteux de ménager une vie qui doit revenir » (Lucain. De bello Civili I, 454-462).
100
Les autres témoignages qui nous sont restés en ce domaine sont une courte profession de foi, celle d’Arrien ; et la mention de quelques trop rares triades du genre de celle qui nous a été rapportée par Diogène Laërce : Honorer les dieux, ne pas faire de mal et « andreian askein ».
Si le verbe askein (pratiquer, s’exercer) n’offre aucune difficulté, le terme grec andreian, lui, est un peu moins clair : bravoure, virilité, énergie, courage ? La traduction la plus habituelle, s’exercer au courage, est peut-être un peu restrictive. Peut-être vaut-il mieux traduire « andreian askein » par la formule « être un homme » (sous-entendu, un vrai). Il s’agirait donc dans ce cas tout simplement des vertus nécessaires à l’Homme pour aller dans l’univers parallèle au nôtre, mais de nature paradisiaque, après la mort.
Une attitude digne et courageuse au moment de mourir pourrait suffire à passer dans cet autre monde.
Sans être nécessairement d’accord avec tout ce que dit Porphyre, qui n’a pas toujours raison [notamment à propos de l’obéissance. Ni Dieu ni Maître est aussi une formule à la Brennus très intéressante] remarquons néanmoins que le paganisme n’a jamais été aussi laxiste. Le païen qui commettait une mauvaise, mais alors vraiment une mauvaise, action, s’attendait toujours à devoir la payer un jour ou l’autre ; sur cette terre ou dans l’autre monde parallèle au nôtre que nous désignons sous le nom d’au-delà.
« Venger une mauvaise action est un renforcement du paganisme – Intud i ngeindtleacht gnim olc mad indechur » (saint Patrice. Senchus Mor. Antiques lois d’Irlande I. Pages 4-18).
Le mot bran désigne le résidu résultant de l’action de nettoyage supérieur qu’est la mort, mais il désigne aussi évidemment et pour commencer, bien avant ce stade comme nous avons pu le voir ; les conséquences psychiques d’un acte ou d’une absence d’acte, regrettable.
Les âme/esprits individuelles (les anaon), trop chargées de bran, ne vont pas dans l’autre univers parallèle au nôtre que l’on appelle le Paradis, mais vont dans le non-monde de l’andumnon ou anderodubnon.
Il s’agit d’un état de l’être en réalité, et non d’un lieu (ou plus exactement d’un état d’être servant de lieu de passage provisoire et nullement éternel) ; pour les âmes s’étant un peu trop chargées de bran carmique au cours de leur vie terrestre d’avant. Ces âme/esprits se réincarnent après sur terre en bacuceos.
En bacuceos ou en seibaros = fantôme (siabair/siabhradh en irlandais) sorti tout droit du royaume de Tethra voire de celui de Donn (Donnotegia). Voir aussi tout le folklore gallois entourant l’Anwn, autrement dit le royaume d’Arawn et de Gwynn. Dans ce cas, il s’agit seulement d’une réincarnation partielle.
Mais ces âme/esprits échapperont-elles aussi un jour ou l’autre à ce triste sort ?
L’anaon ou âme/esprit individuelle ne représentant pas un « soi » à existence éternelle, puisque destinée à se fondre, elle aussi, dans le Grand Tout à la fin de ce cycle ou plus tôt ; il ne saurait donc y avoir de paradis ou d’enfer, éternel, pour elle.
Le terme BACUCEOS, BACUCEA (réincarné, réincarnée) a été cité sous une forme latinisée et à l’accusatif pluriel par Jean Cassien (Conlationes, 7,32, 2) au début du Ve siècle.
« Ceux que le vulgaire appelle bacuceos, se haussaient au-delà de la taille normale de leur corps, et se grandissaient avec morgue ou en gesticulant […] ; estimant être des gens illustres et importants, ils se montraient partout en train d’adorer de tout leur corps les puissances du ciel (sublimiores) ou alors ils se croyaient eux-mêmes adorés par les autres ».
Les propos de Cassien sont assez vagues ou plutôt ils sont très précis, mais contradictoires ; car si nous les comprenons bien, le bacuceus, cela peut être un peu tout et n’importe quoi (gentil ou plein de morgue, prostré ou exalté et gesticulant, adorateur ou adoré, etc.).
Les bacucei sont comme les prisonniers ou les possédés d’une entité supra humaine restant à définir, conséquence inéluctable du temps et de la vie qui distribue, partage, ou répartit (les âme/esprits ?)
Les désordres et les troubles du comportement décrits par Cassien sont le signe des difficultés d’adaptation de l’âme/esprit à son nouveau corps, même quinze ans après (corps trop petit ou trop grand, etc.)
Le fait de se croire adoré par les autres caractérise sans doute le destin d’un Prince de ce monde, réincarné en pauvre hère, et ayant du mal à oublier les réflexes conditionnés de son orgueilleuse vie antérieure. Le fait de se tourner sans cesse vers le ciel (vers les potestates sublimiores) est l’indice de la nostalgie d’une âme/esprit ayant très brièvement entrevu le céleste séjour des bienheureux délicieux à fréquenter – les Meldoi – mais retombée ensuite sur terre aussitôt après. Quelle chute en effet ! L’âme/esprit a de quoi en être durablement traumatisée.
101
La communication avec l’univers parallèle que nous appelons l’Au-delà pouvait bien entendu être établie par de telles possessions « spirites » ; mais il ne faut pas oublier néanmoins que tout ceci n’est que l’interprétation par Jean Cassien d’un fait de civilisation celtique. Sur certains sujets, il est certainement dans l’erreur : il s’imagine par exemple que les tumeurs bénignes sont les points de passage de ces âme/esprits, dans les corps en question. Or il s’agit là d’une aberration digne des pires « chasses aux sorcières » du Moyen-âge.
Des pseudodruides comme il en existe tant aujourd’hui, hélas, se fondant sur ce témoignage de Cassien (nostalgie de la chute, etc.) affirment qu’il est possible de se souvenir de ses vies antérieures ; mais les cas isolés avancés à l’appui de cette thèse posent toujours le problème de la vérification.
Le terme SEIBAROS, SEIBARA (fantôme) est une reconstitution à partir de l’irlandais siabair/siabhradh et désigne le cas d’une demi-réincarnation ou réincarnation partielle ; le cas des âmes/esprits échappées des glaces de l’avant-paradis (andumno ou anwn) ; abondamment mises en scène par tout le folklore relatif aux royaumes de Donn (Donnotegia) et de Tethra en Irlande ; ou aux royaumes d’Arawn et de Gwynn au Pays de Galles.
------------------- ------------------------------ ----------------------------------------- -------------------------------------
Tout le monde comprendra aisément qu’il ne s’agit que de contes de fées en lisant ce morceau de bravoure qui figure dans l’évangile et où le christ dit : « Voici venu le temps du jugement de ce monde, le prince de ce monde va en être expulsé » (Jean 12,31). Car, dites-moi, au nom de Dieu, quel est ce jugement qui doit venir, et qui est le prince de ce monde qui doit en être chassé ? Si en effet vous entendez par là que c’est l’empereur, je vous dirai que ce n’est pas le seul prince de ce monde (il y en a beaucoup d’autres). Mais si vous voulez parler de quelqu’un qui n’est pas un être palpable et matériel, alors il ne saurait être expulsé. Car où devrait être exilé celui qui a reçu ce monde en partage ? Si vous pensez à me répondre qu’il existe un autre monde quelque part, dans lequel ce prince sera exilé, de grâce fournissez-nous en des preuves écrites. Mais s’il ne s’agit pas d’un autre monde (et il est impossible qu’il y ait deux mondes) où sera exilé ce prince, si ce n’est dans celui où il se trouve déjà ? Or comment peut-on expulser quelqu’un en le laissant sur place ? À moins que ce ne soit comme dans le cas d’une poterie de terre cuite qui, quand on l’a cassée avec son contenu, est jetée dehors, non dans le vide, mais par la fenêtre ou par terre, ou jetée dans quelque chose d’autre.
Si maintenant de la même façon vous voulez dire que quand le monde sera détruit (ce qui est impossible) ce qui est à l’intérieur se retrouvera brutalement projeté à l’extérieur, quelle est cette espèce d’extérieur dans lequel il sera exilé ?
Qu’a-t-elle de caractéristique en matière de quantité, de qualité, de hauteur et de profondeur, de longueur et de largeur ? Car si elle a toutes ces caractéristiques il s’ensuit que c’est toujours notre monde. Et quelle est la raison pour laquelle le prince de ce monde devrait en être expulsé, comme s’il s’agissait d’un vulgaire étranger ? Si c’est un étranger, comment peut-il en être le prince ? Et comment donc en sera-t-il expulsé ? De son plein gré ou contre sa volonté ? Contre sa volonté bien sûr ! Cela ressort du vocabulaire employé, car qui est « expulsé » l’est forcément contre son gré. Or celui qui agit mal, ce n’est pas celui qui est victime de la force, mais celui qui en use.
Un passage des évangiles aussi imbécile aurait dû être réservé à des idiotes et non à des hommes.
Et si on voulait se pencher de plus près sur tout ça, on découvrirait des milliers d’histoires pas très claires ne contenant pas le moindre mot le méritant.
Il y a lieu également de mentionner ce propos que nous livre Matthieu, que l’on dirait tout droit sorti de la bouche d’un esclave forcé d’avoir la tête baissée sur la meule de son moulin, quand il écrit : « Et la bonne nouvelle de la venue du royaume sera prêchée dans le monde entier, avant que ne survienne la fin du monde ». Car voilà maintenant que toutes les parties du monde habité ont entendu parler de l’évangile, et que toutes les extrémités ou marches de la terre l’on reçu intégralement, mais nulle part il n’y a eu ni ne viendra de fin. Cette annonce ne devrait donc être faite qu’en catimini !
Afin de donner suffisamment d’exemples de tes propos, que l’on me permette aussi de citer ce qui est dit dans l’Apocalypse de Pierre.
--------------------------- ----------------------------------------------------------------------------------------------------- ------
Contre-lai (commentaire) Nr 76.
Il s’agit d’un écrit apocryphe rejeté par l’Église quelques années après la mort de Porphyre. Il évoque le jugement de la terre et du ciel lors de la fin du monde. Porphyre évidemment trouve cette idée absurde puisque pour lui, en bon disciple de Plotin qu’il est, le monde est, globalement, parfait. Chose impensable chez bien d’autres peuples qui envisageaient plutôt la nécessité de le régénérer périodiquement, un peu comme dans l’hindouisme d’aujourd’hui. « Ils affirment, et d’autres avec eux,
102
que les âmes et que l’univers sont indestructibles, mais qu’un jour le feu et l’eau régneront » (Strabon Géographie IV, 4).
---------------------------- ----------------------------------------------------------------------- ----------------------------- -----
Il déclare que le ciel sera jugé avec la terre. « La terre présentera tout homme à Dieu le jour du jugement, elle-même devant également être jugée avec le ciel qui la contient ». Personne n’est assez illettré ou stupide pour ne pas savoir que les choses qui tiennent à la terre sont sujettes à perturbations et ne sont pas d’une nature telle, qu’elles existent d’une manière immuable, mais qu’elles varient, alors que les choses du ciel par contre, elles, figurent dans un ordre qui reste toujours le même, qui demeure à jamais identique, ne souffre aucun changement, et qu’il en sera toujours ainsi ; car il apparaît comme étant le plus précis des chefs-d’œuvre de Dieu. C’est pourquoi il est impossible que ce qui est promis à un meilleur destin soit défait, tout comme ce qui a été réglé par une ordonnance divine puisse être égalé. Pourquoi d’ailleurs le ciel serait-il jugé ? Sera-t-il montré un jour qu’il a commis quelque péché, bien qu’il maintienne l’ordre qui a été approuvé par Dieu dès les origines, en demeurant toujours identique ? À moins bien sûr que quelqu’un s’adresse un jour au créateur, en affirmant mensongèrement que le ciel mérite d’être jugé, ayant été autorisé par le juge à dire contre lui des choses saisissantes si impressionnantes et si énormes ???????????????
Et il [Jésus] déclare aussi avec beaucoup d’impiété : « Les puissances du ciel se dissoudront, le ciel se repliera comme un livre en rouleau que l’on ferme, et toutes les étoiles en tomberont comme les feuilles d’une vigne, ou comme les feuilles d’un figuier ». Une autre de ses vantardises à la fausseté impressionnante ou au charlatanisme monstrueux précise : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas » [Matthieu 24, 35].
Car comment peut-on dire que les paroles de Jésus demeureront, si le ciel et la terre n’existent plus. En outre, si le christ devait faire cela et provoquer l’effondrement du ciel, il agirait comme les plus impies des hommes, voire comme un infanticide. Car le Fils reconnaît que Dieu est le père du ciel et de la terre quand il dit : « Père, seigneur du ciel et de la terre » [Matthieu 11, 25].
Même Jean le Baptiste exalte le ciel et déclare que les dons de grâce divine en viennent quand il dit : « On ne peut rien faire, si ce n’est par un don du ciel » [Jean 3, 27].
Et même les prophètes affirment que le ciel est la sainte demeure de Dieu, quand ils disent : « regarde du haut de ta sainte demeure et bénis ton peuple, Israël » (Deutéronome 26, 15). Si le ciel, qui est si grand et a une telle importance dans ces témoignages, doit passer lui aussi, qu’est-ce qui servira ensuite de trône à celui qui règne sur lui ? Et si l’élément terre périt, qu’est-ce qui servira de repose-pieds à celui qui siège là-haut, car il déclare lui-même : « le ciel est mon trône, et la terre est mon repose-pied ». Voilà pour ce qui est de la disparition du ciel et de la terre.
------------------------------- -------------------------------------------------------------- ----------------------------------- -----
Contre-lai (commentaire) N° 77.
La seule solution est évidemment de considérer que Dieu n’a pas pour séjour le Ciel, mais un lieu indéfini ! Un état d’être. Or puisque toute multiplicité n’est que relative ; ce Destin suprême de l’univers (Tokad) peut très bien, à ce niveau des choses, être adoré sous différents noms (Termagant, Aton, Yahweh, le dieu d’Abraham d’Isaac et de Jacob, Allah, notre seigneur Belin, etc.) ; puisque c’est à ce niveau (et à ce niveau seulement) que le Tokad peut parfois être vu comme un Dieu ou Démiurge personnel, doté d’attributs (un sexe, masculin, une barbe, un peuple, etc.). Porphyre se moque néanmoins de l’anthropomorphisme puéril de la conception biblique de l’Être supérieur, à qui les juifs, les chrétiens et les musulmans, attribuent des pieds, des mains, des humeurs, un trône, et ainsi de suite. Dire qu’ils ont cru intelligent de se moquer de peuples ou de corporations comme celle des druides amarcolitanoï par exemple, qui avaient pourtant du Dieu ou Démiurge supérieur des conceptions mille fois moins puériles.
-------------------------------------------- ------------------------------------------------------------------------- ----------- -----
Que veut dire Paul quand il écrit que cette forme de monde est en train de passer [1 Corinthiens 7, 31] ? Comment est-il possible pour ceux qui possèdent quelque chose d’être comme s’ils n’avaient rien, que ceux qui profitent soient comme ceux qui ne profitent pas, et comment peut-on croire ces autres discours de vieilles folles ? Qu’est-ce qui est en train de passer et pourquoi en est-il ainsi ? Car si le Créateur devait le faire trépasser un jour on pourrait lui reprocher de changer ou modifier ce qu’il avait pourtant bien construit. Et même s’il devait changer ce type de monde pour en faire quelque chose de mieux, en cela il se condamnerait de nouveau lui-même, pour n’avoir pas réalisé d’emblée lors de la création un modèle convenant et approprié à ce monde, mais pour l’avoir laissé incomplet
103
ou imparfait. De toute façon s’il devait finir un jour comment peut-on être sûr que c’est en quelque chose de mieux qu’il se transformerait ? Quel bénéfice y aurait-il à changer l’ordre des choses ?
Si la condition du monde visible est lugubre et source de douleur, alors là aussi le Créateur doit entendre les protestations, sans rien répondre aux accusations portées contre lui par la raison, du fait qu’il a très mal agencé les éléments de notre terre, en violation complète de la raison inhérente à la nature, et qu’après l’avoir regretté, il a donc décidé de changer l’univers.
En disant cela, Paul lui suggère peut-être de penser à faire comme s’il n’en avait jamais eu, autrement dit que le Créateur, propriétaire du monde, doit en faire disparaître le modèle, comme s’il ne l’avait jamais eu.
Il nous dit que celui qui bénéficie de quelque chose n’en bénéficie pas, pour signifier que le Créateur est déçu quand il contemple les belles ou magnifiques choses qu’il a créées ici-bas, et qu’en ayant éprouvé beaucoup de peine, il a donc conçu le dessein de mettre le monde ailleurs ou de le changer. Passons donc vite sur une telle bêtise qui fait doucement rire.
-------------------- ---------------------------------------------------- ------------------------------------------------------- ------
Contre-lai (commentaire) N° 78.
Ce propos de Paul fait effectivement très gnostique.
Il est absurde en effet de soutenir simultanément les deux idées suivantes.
a) Le monde a bien été créé par l’Être supérieur, tout puissant, qui sait tout, et qui n’est que Bonté.
b) Mais il sera bientôt détruit par celui-là même qui l’a créé. Pourquoi en effet le détruire s’il n’a pas été raté, mais au contraire réussi ? Et pourquoi d’ailleurs l’avoir créé ?
Les explications du genre « par amour » sont de façon évidente anthropomorphistes et anthropocentristes, vu les réponses apportées en la matière par l’hindouisme le bouddhisme (ou le druidisme, la tradition maya, germanique, etc. Ne soyons pas bêtement racistes !) : une histoire cyclique et un éternel retour : le monde n’est détruit que pour recommencer à zéro ou presque. Voir dans notre petit dictionnaire (cahier N° 27 les entrées setlokenia ou erdathe voire apocatastase en grec).
Si l’on en croit le mythe sumérien à l’origine de cette histoire, les hommes ont été créés à partir de statuettes d’argile et d’un peu de sang (comme dans l’islam d’ailleurs) pour servir Dieu ou le Démiurge voire les dieu-ou-démons.
Point de vue des gnostiques d’Orient : le monde n’a pas été réussi, il a été raté, c’est un chaos inachevé, et il ne peut donc être l’œuvre de l’Être supérieur, tout puissant, omniscient, de toute bonté. Il ne peut qu’être le fruit d’un apprenti sorcier (appelé le démiurge par eux).
D’où la première variante de cette idée. Ce que l’Être supérieur tout puissant parfaitement bon, et qui sait tout, a créé, ce n’est pas le monde que nous avons sous les yeux, mais le paradis terrestre.
Le monde que nous avons sous les yeux, lui, est l’œuvre du démon ou du diable, prince de ce monde selon les judéo-islamo-chrétiens justement.
Pas de chance ! Nous savons maintenant et avec certitude que le Paradis terrestre (les hommes créés à partir de figurines en argile mêlée d’un peu de sang pour y servir Dieu ou le Démiurge ou les Élohim, etc.) EST UN MYTHE SUMÉRIEN ET N’A DONC JAMAIS EXISTÉ PHYSIQUEMENT EN TANT QUE TEL. Dieu ou le Démiurge n’a pu le créer en tant que réalité matérielle. Voir à ce sujet le contre-lai N° 81.
Le seul moyen de sortir de cette alternative stérile, de cette impasse intellectuelle, est de considérer, un peu comme les gnostiques d’Occident ; que le monde n’est ni globalement parfait ou éternel, ainsi que le pensent Plotin et Porphyre, ni imparfait et devant être détruit le plus vite possible, comme le voudraient les chrétiens ou les gnostiques d’Orient ; mais en devenir, au-delà du Bien et du Mal, et ayant sa propre régulation interne ; une Loi des Mondes appelée Tokade, Tynged/Tynghedfen en gallois, Tonkadur ou Tonket en breton (ou Dieu si l’on veut par les panthéistes comme John Toland).
Et quand viendra la catastrophe finale, ce ne sera pas parce que son créateur aura décidé de précipiter sa chute (pour quelle raison ?), mais parce qu’il sera tout simplement arrivé en bout de course. En bref la fin d’un cycle et non la fin d’un monde. « Les âmes et l’univers sont indestructibles, mais un jour seuls le feu et l’eau régneront » (Strabon. Livre IV, 4 à 6).
--------------------- --------------------------------------------------------- -------------------------------------------------- -----
Examinons maintenant une autre de ses étonnantes remarques contre nature, celle où il dit : « Nous les vivants qui serons restés nous ne précèderons pas ceux qui dorment en attendant la venue du Seigneur, car quand le Seigneur en personne descendra du ciel, au cri et au commandement de l’archange, au son de la trompette de Dieu, ceux qui sont morts dans le Christ se relèveront les
104
premiers : ensuite nous qui serons vivants nous serons emportés avec eux dans les nuées, dans les airs, à la rencontre du Seigneur et ainsi serons-nous toujours avec lui [1 Thessaloniciens 4, 15-17].
S’il y a bien une chose qui s’élève dans les airs et monte jusqu’aux cieux, c’est ce mensonge si énorme qu’il en est visible de loin. Exposé à des bêtes dénuées d’entendement cela susciterait pour toute réponse de leur part en entendant parler d’hommes en chair et en os volant dans les airs comme des oiseaux ou transportés sur un nuage, un assourdissant vacarme de beuglements et de croassements. Car cette galéjade, à savoir que des êtres vivants, écrasés par le poids de leur masse corporelle, puissent être dotés du pouvoir des oiseaux, et traverser l’immensité des airs comme si c’était quelque mer, en se servant des nuées comme de chars, est un puissant morceau d’anthologie du charlatanisme. Même si une telle chose est possible, elle est contre nature et inconvenante. Car la nature qui a produit toutes choses depuis le début a aussi assigné à chacune la place qu’il lui fallait, et a ordonné que chacune puisse avoir sa propre sphère, la mer pour les créatures aquatiques, la terre pour celles de la terre ferme, les airs pour les créatures ailées, l’éther pour les corps célestes.
Si l’une d’entre elles n’était plus dans son élément, elle disparaîtrait en se retrouvant dans un état et un habitat étranger. Prenez une créature aquatique et forcez-la par exemple à vivre sur la terre ferme, elle périt rapidement et meurt. Autre exemple, si vous jetez dans l’eau un animal terrestre, d’une espèce non aquatique, il se noie. Si vous privez un oiseau d’espace, il ne le supportera pas, et si vous décrochez de la haute atmosphère un corps céleste, il ne tiendra pas.
Le divin et agissant verbe de Dieu [logos] n’a jamais fait ça et ne le fera jamais, bien qu’il ait la puissance nécessaire pour changer le cours des choses appelées à l’existence. Car il ne fait rien et ne décide rien en fonction de son pouvoir à lui, mais conserve et maintient le bon ordre des choses en fonction de leur pertinence. Aussi, même s’il a la capacité de le faire, ne fait-il pas que l’on puisse naviguer sur la terre ni que la mer puisse être labourée ou retournée ; pas plus qu’il n’use de son pouvoir de le faire pour mettre de la vertu dans ce qui est mal ni du mal dans la vertu, ni ne prépare un homme à devenir une créature ailée, ni ne place les étoiles en bas et la terre en haut.
D’où il s’ensuit que nous pouvons en toute logique déclarer qu’il est idiot de dire que des hommes seront un jour emportés dans les airs. Ce mensonge de Paul s’avère évident quand il dit : « Nous les vivants ». Car cela fait trois cents ans qu’il a écrit ceci et nul corps humain n’a jamais été emporté quelque part de la sorte, que ce soit celui de Paul ou de quelqu’un d’autre. Aussi est-il temps de passer sous silence cette déclaration de Paul, car elle est aberrante.
Revenons sur la question de la résurrection des morts. Pour quelle raison Dieu agirait-il ainsi, et bouleverserait-il de façon aussi hasardeuse l’ordre des choses qu’il a jusqu’ici considéré comme bon, grâce auquel il a fait que le cours des choses devait se poursuivre et non s’interrompre, puisqu’à l’origine c’est lui qui a établi ces lois et structuré tout ça ainsi ? Ce qui a été déterminé par Dieu une fois pour toutes et a traversé les âges, doit perdurer, et ne doit pas être condamné par celui-là même qui l’a élaboré, ou détruit comme si c’était l’œuvre d’un simple mortel, et traité comme une chose éphémère par quelqu’un qui serait lui-même mortel.
En outre il est ridicule, quand l’univers aura été anéanti, que la résurrection s’ensuive, et – devons-nous le dire ?- qu’il ressuscite l’homme mort trois ans auparavant, mais aussi avec lui Priam et Nestor qui sont morts mille ans plus tôt, et tous les autres qui ont vécu encore avant eux depuis le commencement de race humaine. Si quelqu’un peut réfléchir à ça, il trouvera que la question de la résurrection est une idée complètement stupide. Car beaucoup d’hommes ont péri en mer, et leurs corps ont été mangés par les poissons, pendant que beaucoup d’autres ont été dévorés par les bêtes sauvages et les oiseaux. Comment est-il possible dans ces conditions que leur corps ressuscite ? Allons plus loin, et soumettons cette proposition si légèrement mise en avant à l’épreuve des faits, en prenant un exemple.
Quelqu’un a fait naufrage, les mulets ont mangé son corps, ensuite ceux-ci ont été pris et mangés par des pêcheurs qui ont été tués et dévorés par des chiens ; après que les chiens sont morts, corbeaux et vautours s’en sont régalés. Comment dans ces conditions le corps du noyé pourra-t-il être reconstitué puisque de si nombreux animaux l’ont absorbé ?
Prenons un autre exemple, celui d’un corps qui a été consumé parle feu ou celui d’un autre ayant fini mangé par les vers, comment pourra-t-il revenir à la forme qui était la sienne à l’origine ?
Vous me rétorquerez qu’avec Dieu c’est possible, mais ce n’est pas vrai. Car tout ne lui est pas possible ; il ne peut tout simplement pas faire qu’Homère n’a pas été poète, ou que Troie n’a pas été prise. Il ne peut faire non plus que deux fois deux, qui font quatre, fassent cent, même si cela lui
105
semblait bon. Dieu ne peut pas non plus devenir le Mal même s’il le voulait ; ni pécher, puisqu’il est bon par nature. Mais s’il n’est pas capable de pécher ni d’être le mal, ce n’est pas parce qu’il n’en a pas le pouvoir.
Quand certaines personnes sont disposées ou enclines à faire certaines choses, mais ne peuvent pas, il est clair que c’est du fait de leur incapacité à le faire. Mais Dieu est bon par nature ; et personne ne l’empêche de faire le mal ; néanmoins, même s’il n’en est pas empêché, il ne saurait par définition devenir mauvais.
Considérons s’il vous plait un dernier problème. À quel point il serait déraisonnable que le créateur assiste sans rien faire à cette évaporation du ciel, car personne n’a jamais vu quelque chose de plus merveilleux que sa beauté ; à la chute des étoiles ; à la mort de la terre ; mais qu’il ressuscite pourtant les cadavres humains pourris et putréfiés, certains d’entre eux il est vrai, appartenant à des hommes admirables, mais d’autre ayant été dépourvu de grâce ou d’harmonie même avant leur mort, et offrant à la vue le plus déplaisant des spectacles. En outre, même s’il peut facilement les ressusciter en les dotant d’une forme plus amène, il serait alors impossible à la terre de porter tous ceux qui sont morts depuis que le monde existe.
--------------------------------------------------------------------------- ----------------------------------------------------- ------
Contre-lai (Commentaire) N° 79.
Visiblement Porphyre ne connaissait pas Allah et les versets abrogeant du Coran. En outre nul n’est obligé de partager la conception néoplatonicienne de Dieu ou du Démiurge qui est celle de Porphyre.
Ce texte de Paul, qui fait écho à certains propos du Nouveau Testament (Matthieu 24, 34, Marc 13, 30, Luc 21, 32 : en vérité je vous le dis, cette génération ne passera pas que tout cela ne soit arrivé) ; prouve bien en effet que les premiers chrétiens étaient convaincus de l’imminence de tous ces événements (la fin du monde, le retour de Jésus, le Jugement dernier, la résurrection des morts.)
Les différentes Écoles gnostiques D’OCCIDENT ont développé l’idée que tout croyant, quelles qu’aient pu être ses fautes, ira en fin de compte s’anéantir en Dieu ou le Démiurge lui aussi au bout d’un certain temps.
En fin de compte et au bout d’un certain temps, car auparavant il lui faudra passer par un stade métaphysique intermédiaire destiné à achever la purification de l’âme. Une sorte de purgatoire, mais de purgatoire joyeux, heureux, appelé Vindomagos.
Voir l’amidisme en Extrême-Orient, Terre Pure étant le nom du Vindomagos dans cette forme de bouddhisme, un autre monde parallèle de nature paradisiaque uniquement conçu comme une ultime étape de purification de l’âme dans la joie et le bonheur ; avant la grande purification universelle par le feu et l’eau (« les âmes et l’univers sont indestructibles, mais un jour seuls le feu et l’eau régneront » Strabon. Livre IV, 4 à 6).
Lucain, Pharsale I, 450-458 : « D’après vous les ombres ne gagnent pas le séjour silencieux de l’Érèbe et les pâles royaumes de Dispater, la même âme/esprit (anaon) gouverne un corps dans un autre monde. Si vous savez ce que vous chantez, la mort est le milieu d’une longue vie. Certes, les peuples qui regardent la Grande Ourse sont heureux dans leur erreur parce que la crainte de la mort, la plus grande des craintes, ne les émeut pas. De là, chez leurs guerriers, un cœur prompt à se jeter sur le fer, et cette âme/esprit qui sait mourir parce qu’il est honteux de ménager une vie qui doit revenir ».
Pomponius Mela III, 2 : « C’est pour cette raison aussi qu’ils brûlent ou enterrent avec leurs morts tout ce qui est nécessaire à la vie. Jadis ils remettaient à l’Autre Monde le règlement des comptes et le paiement des dettes. Il y en avait même qui se jetaient sur le bûcher de leurs proches comme s’ils allaient vivre avec eux ».
La renaissance après la mort en cet univers parallèle au nôtre, au-delà du nôtre, appelé Vindomagos, permet à l’homme du commun lui-même de se préparer en paix à la réintégration finale dans le Grand Tout Universel, par fusion métamorphique avec lui. En Extrême-Orient cela donne le bouddhisme d’Amitabha.
Les Barbares ridiculisés par ces textes ne croient donc pas à une libération de l’Homme de sa corporéité, mais dans et avec sa corporéité. Pour eux l’Homme trouve son accomplissement après la mort dans une corporéité transformée, transfigurée, mais toujours très concrète. Très physique. Au moyen d’un corps disons de rêve, belissamos pour le corps masculin, belissama pour le corps féminin, ainsi métamorphosé sous l’action de la lumière intérieure appelée en gaélique luan laith ou én gaile, xvarnah en avestique,
On est là aux antipodes de la conception chrétienne du Paradis. Voir les lugubres descriptions de Thomas d’Aquin dans le Supplementum de sa Somme. Dans ce ciel, les hommes ne boivent ni ne mangent. Ils se satisfont, en l’absence de toute flore, de toute faune et même de tout métal, de la seule vision de Dieu ou du Démiurge et de leur propre aspect, glorieux. La solution gnostique
106
d’Occident ne s’expose pas évidemment à autant de critiques que celle de la mythologie chrétienne ; puisque pour elle, s’il s’agit bien de la même âme/esprit (anaon), rien ne prouve par contre qu’il s’agisse toujours exactement du même corps. Lucain. Pharsale. I, 454-458 : « Les ombres des morts ne gagnent pas les séjours silencieux d’Érèbe ni les royaumes blafards du Dis qui habite sous la terre : la même âme/esprit (anaon) anime un corps dans un autre monde. La mort est le milieu d’une longue vie, les peuples que regarde la Grande Ourse sont assurément heureux », etc.
Le texte de Lucain dit bien qu’il s’agit de la même âme/esprit, mais ne précise nullement qu’il s’agit du même corps. Car il est évident qu’il s’agit, dans cette conception du destin de l’âme/esprit après la mort, d’autres corps physiques, et non des mêmes corps. Des corps physiques, certes, très proches de ceux qui auraient dû être ceux des défunts dans leur intégrité. :
« Le mort en effet ils le brûlent avec ses serviteurs et ses chevaux et une partie de son mobilier pour qu’il puisse s’en servir. C’est pourquoi ils marchent courageusement au combat et ne ménagent pas leur vie comme s’ils allaient la recouvrer dans une autre partie du monde. [Qui enim defunctis equos servosque et multam suppellectilem comburant quibus uti possint, inde animosi in proelia exeunt ne vitae suae parcunt, tamquam eamdem reperituri in alio naturae secessu] ». Scolies commentant la Pharsale de Lucain. Hermann Usener. Scholia in Lucani bellum civile/Commenta Bernensia. Liber I (1869).
Mais des corps physiques en différant notablement néanmoins, sur de nombreux points : plus de fatigue, de maladie, de mortalité, etc. En bref des corps de dieu-ou-démon ! Lucain a donc bien vu que la vie post mortem pour les gnostiques d’Occident est parfaitement concrète ; et qu’elle n’a rien à voir avec la conception grecque (l’Érèbe) la conception romaine (le royaume de Dis) ou la conception judéo-chrétienne des formes évanescentes. Le monde parallèle au nôtre désigné sous le nom d’Au-delà, est concret pour les très-sachants de la druidiaction (druidecht). Rien de comparable avec les sombres séjours gréco-romains ou chrétiens : les paysages y sont baignés de la même lumière, on y respire le même air, on y élève les mêmes troupeaux, on y vit la même vie que dans le monde des mortels.
Le royaume des morts celte est en effet et ce malgré les apparences, une terre de paix, car les batailles n’y sont en réalité que du cinéma pourrions-nous dire aujourd’hui, tout le monde y revient à la vie le lendemain, tout comme les porcs du festin magique de Cobannos, que l’on retrouve inchangés le lendemain ; un pays de l’éternelle jeunesse (Tír Na nÓg,) et du bonheur donc, sans peur, sans souffrance sans égoïsme sans passion (ça, c’est pour les contemplatifs, voir la fin de la Vision d’Adamnan) ; où les croyants (car il faut évidemment au minimum y croire pour y accéder, l’âme/esprit qui croit, est sauvée, l’âme/esprit qui ne croit pas ne peut y accéder) peuvent achever de se purifier ; sans entrave, et libérés de tout bran carmique résiduel (baco en vieux celtique probablement). Voir aussi le bouddha Amitabha en Extrême-Orient.
Les légendes celtes décrivent habituellement les joies de cet au-delà du Royaume des morts ou Vindomagos en termes psychosomatiques. L’aisling ou vision du Graal du Destin y constitue, certes, en effet, le sommet de cet accomplissement, mais ce qui y attend le croyant n’est pas seulement une vision béatifique. Le druidisme n’a jamais partagé le dualisme judéo-chrétien ou grec (platonicien) opposant l’âme au corps ou au monde physique. Dans le druidisme, on ne croit pas en une séparation de l’âme et du corps au sens strict du terme, après la mort. Le druidisme authentique d’origine ne croit pas en une âme totalement indépendante de nos fonctions corporelles, qui se trouverait libérée, avec notre trépas, de la prison du corps mortel. Le druidisme n’est ni platonicien ni néoplatonicien comme Porphyre. Ce qu’il affirme seulement c’est que l’âme/esprit ne meurt pas avec le corps, mais qu’elle peut vivre beaucoup plus longtemps, beaucoup plus longtemps, dans cet autre monde parallèle au nôtre, au-delà du nôtre, appelé Vindomagos.
Les mystérieuses îles pour initiés que nous décrit Plutarque sont sans doute des réminiscences ayant cessé d’être comprises de ce dont rêvaient les sages ou les contemplatifs de la première fonction à cet égard et doivent être considérées comme un domaine particulier de ce Vindomagos, une île sœur située dans le même archipel.
« Un grand trouble venait de se manifester dans l’air, accompagné de signes célestes nombreux. Les vents soufflaient avec fracas et la foudre tomba en plusieurs endroits. Le calme s’étant rétabli, les insulaires dirent qu’il s’était produit une éclipse de quelque être supérieur. Car, ajoutaient-ils, une lampe que l’on allume ne représente rien de fâcheux, mais si on l’éteint elle est cause de peine pour maintes personnes. Ainsi, dans tout leur éclat, les grandes âme/esprits font du bien et ne font jamais de mal, mais si elles viennent à s’éteindre ou à périr, fréquemment elles nourrissent du vent et de la grêle ; souvent aussi, elles empoisonnent l’air d’émanations pestilentielles ». (Plutarque. De Defectu oraculorum 18).
107
Ce témoignage de Plutarque est intéressant à plus d’un titre, car il est très révélateur des différentes conceptions sur la nature métaphysique réelle du monde parallèle au nôtre que l’on désignait alors sous le nom d’au-delà.
L’image de la flamme de lampe qui s’éteint a été utilisée pour faire comprendre que le mode d’être de celui qui est parvenu par la mort à la délivrance (définitive ?) est un état insondable, insaisissable ; même si l’on peut néanmoins le qualifier quand même de meldus (délicieux à fréquenter).
Voir la conception brahmanique du feu qui n’est pas détruit quand il s’éteint, mais qui devient simplement insaisissable en montant au ciel sous forme de fumée.
Voir aussi certains passages de l’ancien canon amidiste parlant du Nirvâna ; Terre Pure étant le nom du Vindomagos dans cette forme de bouddhisme, un univers parallèle au nôtre de nature paradisiaque uniquement conçu comme une ultime étape de purification de l’âme dans la joie et le bonheur ; avant la grande purification universelle par le feu et l’eau. (« Les âmes et l’univers sont indestructibles, mais un jour seuls le feu et l’eau régneront » – Strabon. Livre IV, 4 à 6 –).
Pour les Insulaires évoqués par Plutarque, cet au-delà de la mort devait être conçu d’abord comme un repos de l’âme/esprit individuelle (l’anaon) par accession à l’harmonie parfaite (du Vindomagos). Elle n’est pas, comme chez certains bouddhistes, morne absence de souhaits, pure apathie, mais elle est joie rayonnante.
La béatitude (ânanda chez les hindous) du Meldos (du délicieux à fréquenter) c’est l’accomplissement de tous ses souhaits puisqu’il n’est rien que le Destin (le Tokad) ne porte en soi.
La purification de ces âmes/esprits séjournant en Vindomagos n’étant pas encore terminée ; il y a maintien de la différence entre l’âme/esprit individuelle (l’anaon) et l’âme universelle ; et donc existence d’une infinité d’âme/esprits individuelles, indépendantes et conscientes, en cet état. Le Vindomagos laisse à l’âme le temps qu’il faut pour terminer sa purification.
Cette ultime étape du voyage de l’âme/esprit permet d’éliminer les derniers obstacles se trouvant sur son chemin, c’est-à-dire son esprit ou menman, et rend donc le salut accessible à tous.
Pour les Insulaires évoqués par Plutarque, cet au-delà de la mort devait aussi être conçu enfin comme un dépassement de la distance entre l’anamon (âme individuelle) et le Grand Tout (par union ou fusion avec le Graal).
Enfin pour ce qui est de la troisième fonction des producteurs on peut considérer que toute description d’une île où tout pousse tout seul, comme Avallon, l’Hyperborée, fait également partie de cet archipel des bienheureux celtes en quelques sorte.
Je sais, c’est peu. Ils sont un peu dans la même situation que les femmes dans le paradis d’Allah. Disons que l’on peut appliquer à ces NON-MALHEUREUX l’adage bien connu : LES PEUPLES HEUREUX N’ONT PAS D’HISTOIRE.
CONCLUSION.
Il n’y a pas dans cette pensée de jugement des âme/esprits après la mort, à proprement parler, car l’histoire de l’âme/esprit est son jugement.
Si le Walhalla germanique est surtout un paradis du guerrier, le Royaume des Morts celte, lui (le Vindomagos) est un havre de paix, de délices et de volupté POUR TOUS ; et les âme/esprits des uns ou des autres, qu’ils soient guerriers, mais aussi médecins ou artisans, etc. y jouissent d’un état quasi éternel de joie ou d’ivresse célestes, avant leur fusion dans le Grand Tout de la fin du monde. Il n’y a plus de classes sociales, donc plus de guerriers, sauf quand ils jouent, et naturellement plus de druides, puisque tous les habitants de cet autre monde parviennent à un très haut degré de sagesse. En fait, c’est la troisième fonction qui est exaltée ou qui englobe les deux autres en les dépassant. Là, pour reprendre la formule du grand poète francophone que fut Baudelaire, tout n’est que luxe, calme et volupté, car l’aspect érotique est loin d’être absent de ces évocations de l’autre univers parallèle au nôtre que l’on appelle le paradis. On peut y ajouter l’abondance. Le chaudron du Suqellos = Dagda = Gargant c’est-à-dire le Graal, y est le récipient de toutes les richesses, et plus l’on y puise, plus il est plein.
P.S. Mais ce ne sont là que des tentatives de traduction de l’indicible ou de réduction au fini de l’infini. Ce qui semble plus sûr par contre c’est que trop de bran carmique (baco) par contre empêche le défunt d’accéder à cet état de meldos ou « délicieux à fréquenter » ; mais la réincarnation en bacuceos ne constitue pas en fait à proprement parler, un châtiment, elle n’est que l’auto-expérience de l’état où l’on s’est mis par ses actions passées. La réincarnation en bacuceos ou en seibaros = fantôme (siabair/siabhradh en irlandais) sorti tout droit du royaume de Tethra voire de celui de Donn (Donnotegia).
Cette Atlantide philosophique submergée par la christianisation avait un nom que l’on peut reconstituer grâce aux fragments que la langue nous a conservés, il s’agit du Tokad (gallois Tynged/Tynghedfen, breton Tonkadur ou Tonket, irlandais Tocade ou Toicthech).
108
On trouve trace dans l’Ancien druidisme de concepts religieux faisant carrément du Destin le Dieu ou le Démiurge supérieur (le dieu-ou-démon des druides par excellence. « Certains disent […] que les Celtibères et leurs voisins se trouvant plus au nord [adorent] un dieu sans nom » Strabon, Géographie, III, 4,16).
Si ce dieu-ou-démon que les Celtibères adoraient n’avait pas de nom, il n’avait donc pas de genre non plus. Il était dépourvu de formes précises tout en ayant des milliers de formes (Divinité anonyme = divinité myrionyme dit-on souvent, car la diversité des noms ne fait que cacher l’identité essentielle ; et chacune de ces divinités avait son intérêt même si elles étaient nombreuses à posséder les mêmes attributs).
Le dieu-ou-démon supérieur évoqué par Strabon n’a que faire du rôle de juge. D’ailleurs il n’y a de Dieu ou Démiurge que le Destin et en Occident, et ce sont sans doute les très-sachants de la druidiaction (druidecht) qui ont été ses moins mauvais interprètes ; car la divination druidique était une divination profonde, mais souple sauvegardant l’essentiel de l’autonomie humaine.
La statuaire celto-romaine a d’ailleurs parfois représenté cette Loi supérieure universelle (Tokade) sous une triple forme comme sur le bas-relief trouvé à Vertault.
Ce que la déesse-ou-démone, ou fée, du milieu, tient, ce n’est en aucune façon des langes pour l’enfant qui vient de naître, et que serre dans ses bras la déesse-ou-démone, ou fée, située à sa droite, mais le grand livre de son destin.
Les trois déesses-ou-démones de cette stèle sont les trois auxiliaires de la Loi des Mondes (du destin) connues sous le nom de Nornes chez les Germains, de Parques chez les Romains, de Kères chez les Grecs ; et enfin évidemment de Matrai (mères) chez les Celtes (ne soyons pas bêtement racistes et n’oublions pas ces derniers).
Autre chose. Plusieurs de leurs idées rappellent curieusement celles que le néoplatonicien Porphyre stigmatise chez les chrétiens quelques lignes plus bas. Nous voulons parler de certaines « ordalies » irlandaises très connues. Pour désigner l’épreuve, le seul mot gaélique attesté est fir, vrai. La notion en cause est celle du vrai et du faux, du juste et de l’injuste.
L’attente à l’autel. C’est une preuve qui était utilisée en ce temps-là pour distinguer le vrai du faux : faire neuf fois le tour de l’autel et ensuite boire de l’eau sur laquelle un druide avait chanté une incantation. Le signe de sa faute était clair s’il était coupable. Mais l’eau ne lui faisait pas de mal s’il était innocent.
Gare à la celtomanie ou à la druidomanie néanmoins. L’étrange correspondance entre ces deux faits de civilisation : boire du poison pour prouver que l’on a la force (su nertio) avec soi, ne prouve en aucune façon que les Galiléens étaient des Galates ou des Gaulois (quelle stupidité) ; ni que Jésus était druide ou comrunos (initié) druidique. De telles idioties déshonorent les vrais druides encore subsistants (il doit bien y en avoir).
Mais revenons à notre bon Porphyre.
------------------------------ ---------------------------------------------- ---------------------------------------------------- -----
Examinons en détail cet autre passage où il dit : « Voici les signes qui seront avec ceux qui croient : ils imposeront les mains aux malades et les malades guériront, s’ils boivent un poison mortel, il ne leur fera aucun mal » [Marc 16,17]. La bonne chose à faire pour recruter les futurs prêtres et notamment ceux qui prétendent à l’épiscopat ou à la primatie, serait de recourir à ce genre d’épreuve. La drogue mortelle devrait être préparée devant eux et celui qui s’en sortirait indemne passerait avant les autres. Et s’ils ne sont pas assez intrépides pour accepter ce genre d’épreuve, ils devraient avouer qu’ils ne croient pas en ce que Jésus a dit. À savoir que la caractéristique de la foi est de vaincre l’effet du poison et de guérir les malades, que le croyant qui ne réussit pas cette épreuve n’est pas un vrai croyant, ou du moins que si sa foi est sincère elle n’est pas très puissante, mais plutôt limitée.
Il y a un propos similaire suggéré dans la phrase : si vous aviez la foi ne serait-ce que comme une graine de moutarde, en vérité je vous le dis, après avoir ordonné à cette montagne : « Va-t-en d’ici et disparais dans la mer », il ne vous serait pas impossible de l’obtenir [Matthieu 17, 20].
Il en ressort que quelqu’un qui n’est pas capable de déplacer une montagne conformément à cette injonction, n’est donc pas digne d’être reconnu comme faisant partie de la grande famille des fidèles. Voilà bien la preuve de votre imposture, car non seulement les autres chrétiens ne sauraient ainsi être reconnus comme ayant vraiment la foi, mais en plus aucun de vos évêques ni de vos prêtres n’est digne de cette parole.
La célèbre parole du christ : « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Je suis venu séparer le fils du père » (Matthieu, 10,34) trahit la véritable intention des chrétiens. Ils recherchent la richesse et la gloire. Loin d’être des amis de l’empire, ce sont des traîtres attendant d’avoir l’occasion d’en prendre le contrôle.
109
--------------------------- ---------------------------------------- ------------------------------------ ------------------------ -----
Contre-lai (commentaire) N° 80.
Du Vauvenargues avant la lettre ! Porphyre a très bien vu qu’à de rares exceptions près (quelques milliers d’illuminés dont on peut mettre en doute l’intelligence et l’équilibre) ; les prêtres chrétiens ont toujours cherché, tout au long de l’Histoire, à jouer les premiers rôles dans la société (voir l’exemple des apologistes comme Justin. Un péché d’orgueil inconnu de Bouddha).
------------------------------ ---------------------------------------------------------- ---------------------------------------- -----
Voyons un peu maintenant ce qui a été dit à Paul (en rêve évidemment, cf. Actes 18, 9-10). N’aie pas peur et parle, car je suis avec toi, et personne ne s’en prendra donc à toi ni ne te maltraitera ». Or, juste après avoir été arrêté à Rome, ce triste sire qui avait déclaré que même les anges seraient jugés, a eu la tête tranchée. Pierre également, qui avait reçu la mission de faire paître les agneaux, a été cloué sur une croix et crucifié. Maintes autres personnes qui partageaient les mêmes idées, ont été soit brûlées, soit mises à mort dans toutes sortes de supplices ou de tortures. Or que des milliers d’hommes soient traités de façon aussi atroce à cause de leur foi en lui, alors que la résurrection et son retour tant attendus ne se sont toujours pas produits, ne saurait être ce que veut Dieu ni aucune personne pieuse d’ailleurs.
FIN DU KATA CHRISTIANON. FIN DU KATA CHRISTIANON.FIN DU KATA CHRISTIANON.
Note de Pierre de La Crau. Sur la réalité des persécutions antichrétiennes voir notre essai sur, ou plus exactement contre, le christianisme. Au IIIe siècle, le christianisme est encore fortement minoritaire et essentiellement grec. Licinius et Constantin précipiteront les événements en publiant l’Édit de Milan (313) qui reconnaît la liberté de tous les cultes dans leur empire. Dès lors, le christianisme ne sera plus illégal. Bien plus, à la fin de son règne, le paganisme sera en passe d’être persécuté à son tour : dès 330, l’empereur coupe les ponts avec les philosophes grecs Nicagoras, Hermogénès et Sopatros. Ce dernier, victime d’une cabale de la cour, est d’ailleurs exécuté pour « sorcellerie » (un prétexte bien commode qui servira beaucoup) et les écrits de Porphyre condamnés au bûcher. Sauf sous Julien, le pouvoir oscillera désormais, à l’égard du paganisme, entre une prudente tolérance et une répression systématique, notamment sous Théodose. Le pas sera franchi avec Constance II, qui persécutera les païens. Le 19 février 356, les cultes païens sont interdits et le 1er décembre de la même année, il ordonne la fermeture des temples. La visite de Constance à Rome freine temporairement son zèle, mais une loi de juillet 357 aura comme lourde conséquence d’autoriser la torture sur les païens hauts dignitaires de la cour. Ces « lois scélérates » furent peu appliquées, surtout en Occident, où les temples païens restent ouverts avec la complicité générale des gouverneurs. La plupart des gens ne pensent pas en effet que la conversion au christianisme doit automatiquement impliquer le rejet des autres spiritualités. Au IVe siècle, les païens sont toujours largement majoritaires même si les empereurs se sont convertis. Le milieu des enseignants est, dans sa grande majorité, composé de gens restés fidèles aux anciennes religions. Les intellectuels méprisaient trop le christianisme, pour son intolérance envers la paideia grecque et pour la médiocrité des Écritures en ce qui concerne la littérature. Dans ces milieux, les conversions au christianisme semblent avoir été souvent dictées uniquement par l’opportunisme et l’intérêt. Le passage en masse à la nouvelle religion se fera sous Théodose et au début du Ve siècle.
110
DISCOURS AMI DE LA VÉRITÉ. Logos Philalethes.
Alors que le philosophe néoplatonicien Porphyre, en écrivant entre 270 et 280 son grand ouvrage en deux livres contre les chrétiens, s’était tenu à l’écart de la politique ; il n’en alla pas de même de l’un de ses disciples, Sossianus Hiéroclès. Auteur d’un traité antichrétien en deux parties intitulé l’Ami de la Vérité (en grec Logoi Philaletheis) connu par le résumé qu’en fait Lactance et la réponse que lui donne Eusèbe.
Qui était ce Juge de Bithynie, cité par Lactance (Institutions divines, V, III), qui n’en révèle pas le nom ?
Judex équivaut au mot « gouverneur », en sorte que notre Juge, gouverneur de la province de Bithynie, occupa sous Dioclétien le poste qu’avait occupé Pline le Jeune sous le règne de Trajan. Ce personnage anonyme est aujourd’hui assimilé par la critique moderne à Sossianus Hiéroclès, connu par une inscription de Palmyre gravée entre 293 et 305 (« vir perfectissimus, prœses provincie » CIL 2, 6661), par une mention de Lactance (De mortibus persecutorum. 16-4) ainsi que par Eusèbe qui le cite dans le De martyribus Palestinae (5-3) et composa contre lui une réfutation intitulée « Contre Hieroclès » justement. Hiéroclès a été ensuite gouverneur d’Égypte vers 309-311 ; c’était donc un haut fonctionnaire ayant occupé des postes très importants.
Ce Hiéroclès a composé deux opuscules adressés « Aux chrétiens » dont Lactance souligne la documentation précise et redoutable (Institutions divines, V, II, 13). Ces ouvrages sont appelés par ailleurs discours (logoi) amis de la vérité – (philalèthéis), titre qui rappelle étrangement celui de l’ouvrage de Celse : « logos alèthès », le Discours véridique.
Nous ne pouvons avoir qu’une idée limitée de l’œuvre de Hiéroclès, connue seulement par les analyses évidemment partiales des deux auteurs chrétiens qui l’ont réfutée. Il y affirmait sans ambages, selon Lactance, que le Christ lui-même chassé par les juifs, avait rassemblé une troupe de neuf cents hommes pour se livrer au brigandage (latrocinia fecisse) (V, Ill, 4).
Hiéroclès considère les apôtres comme des « semeurs de mensonges, des gens grossiers et ignorants ».
Cet ouvrage relevait les nombreuses contradictions des saintes Écritures et faisait remarquer que pour ce qui est des miracles ou de la morale le philosophe grec nommé Apollonios de Tyane était nettement au-dessus de Jésus. Hiéroclès accusait d’ailleurs carrément les chrétiens de plagier la vie et l’œuvre d’Apollonios. Il est vrai que personne ne sait précisément ce que Hiéroclès a écrit, car Eusèbe, qui se donna pour tâche de réfuter le témoignage d’Hiéroclès, a pris grand soin de faire détruire tous les exemplaires de l’œuvre de son redoutable adversaire.
La thèse de Hiéroclès, autant que nous puissions en juger par sa réfutation, semble avoir été la suivante. Vous proclamez Jésus dieu à cause de quelques prodiges rapportés par les évangélistes ; mais il existe des écrivains plus instruits que les vôtres et plus soucieux de la vérité, qui n’en font pas un dieu et ne le considèrent que comme un homme aimé par les dieux.
L’argumentation de ce Discours, on le voit, suit de près celle de Celse ; et Eusèbe nous le confirme en nous expliquant que «« à part le parallèle que cet auteur a établi entre l’homme de Tyane et notre propre Sauveur et maître, le reste du contenu du Philalethes ne lui appartient pas en propre, mais a été emprunté de la manière la plus éhontée qui soit, non seulement pour ce qui est des idées, mais
111
aussi mot à mot, syllabe par syllabe, à plusieurs autres auteurs » (Eusèbe, Contra Hieroclen, I). Et Eusèbe cite comme source de cet ouvrage… Celse ! La similitude des titres n’est donc pas le fait du hasard, elle est voulue.
C’est pratiquement tout ce qu’Eusèbe nous rapporte à propos du travail d’Hiéroclès publié sous le titre de « Philalethes » en 303 avant notre ère soit un an avant la mort de Porphyre ; et qui contribua vraisemblablement à convaincre l’empereur Dioclétien de déclencher la deuxième (et dernière) vraie persécution antichrétienne officielle de toute l’histoire de l’Empire romain en 303 (Hiéroclès faisait en effet partie des amici du consilium principis).
N.B. Pour ce qui est de la persécution de Dioclétien, nous y reviendrons dans nos cahiers de notes 30 et 31.
FLAVIUS CLAUDIUS JULIANUS (331 – 363).
Né en 331 Julien est un neveu de l’empereur Constantin (306-337). À la mort de ce dernier, il a donc assisté au massacre de sa famille, assassinée sur ordre de Constance II. Seul survivant de ce carnage dynastique avec son demi-frère Gallus, il est élevé dans la religion chrétienne, qu’il connaîtra par conséquent de l’intérieur.
Après dix-huit ans de captivité, ou de liberté étroitement surveillée, Julien fut appelé d’Athènes à Milan pour y être fait César ; c’est-à-dire proche collaborateur de l’empereur Constance (355) chargé de défendre le pays, ravagé par les Francs et les Alamans. Les Germains étaient maîtres de toute la rive gauche du Rhin ; ils occupaient toutes les contrées entre le fleuve et les Vosges, tout le massif de ce que l’on nomme aujourd’hui le Hundsrück, l’Eifel et les Ardennes. Les riches plaines de la haute Moselle, de la haute Meuse, la Belgique même, avaient été dévastées et n’étaient plus qu’un immense désert. En quatre campagnes, Julien reporta l’empire à ses frontières, rétablit le prestige des armes romaines, et eut raison des Germains jusqu’en Germanie même. Ammien Marcellin raconte admirablement ces grandes guerres. Mais combien plus admirable encore est le simple et modeste récit que nous a laissé Julien de son cantonnement dans le pays !
« J’étais alors en quartiers d’hiver près de ma chère Lutèce, la petite ville des Parisii. C’est un îlot jeté sur le fleuve, qui l’enveloppe de toutes parts. Des ponts de bois y conduisent des deux côtés. Le fleuve diminue ou grossit rarement ; il est presque toujours au même niveau, été comme hiver ; l’eau qu’il fournit est très agréable et très limpide à voir et à qui veut boire. Comme c’est une île, les habitants sont forcés de puiser leur eau dans le fleuve. L’hiver y est très doux, à cause de la chaleur, dit-on, de l’Océan, dont on n’est pas à plus de neuf cents stades, et qui peut-être répand jusque-là quelque douce vapeur. Or, il paraît que l’eau de mer est plus chaude que l’eau douce. Que ce soit cette cause, ou quelque autre qui m’est inconnue, le fait n’en est pas moins réel : les habitants de ce pays ont de plus tièdes hivers. Il y pousse de bonnes vignes, et quelques-uns se sont ingéniés à avoir des figuiers, en les entourant, pendant l’hiver, comme d’un manteau de paille ou de tout autre objet, qui sert à préserver les arbres de la bise ».
En 360, au palais des Thermes de Lutèce, Julien est proclamé empereur. Le récit de la révolte des légions contre Constance est trop long pour être retranscrit ici. On le trouvera dans la lettre adressée au Sénat et au peuple d’Athènes. En voici seulement quelques extraits.
« Tout à coup, les soldats entourent le palais. Ils crient tous ensemble, pendant que je me demande ce que je dois faire et que je ne m’arrête à aucun parti. Je prenais quelque repos dans une chambre voisine de celle de ma femme, alors vivante. Au moment où les cris redoublent, et où tout est en désordre dans le palais, je demande au dieu un signe de sa volonté. Il me l’accorde sur-le-champ, et m’ordonne d’y obéir, de ne point m’opposer au vœu des soldats… Vers la troisième heure environ, je ne sais quel soldat m’offre un collier [sans doute un torque. N. D.T.] je le passe autour de mon cou, et je fais mon entrée dans le palais, soupirant, les dieux le savent, du plus profond de mon cœur… Les amis de Constance, jugeant à propos de saisir l’occasion, ourdissent contre moi de nouvelles trames, et distribuent de l’argent aux soldats… Un des officiers de la suite de ma femme surprend cette
112
intrigue… Il se sent pris d’enthousiasme comme les gens qu’inspirent les dieux, et se met à crier en public, au milieu de la place : soldats, étrangers et citoyens, ne trahissez point l’empereur ! À ces mots, le cœur revient aux soldats. Tous accourent en armes vers le palais ; et là, m’ayant trouvé vivant, ils se livrent à la joie comme des hommes à la vue inespérée d’un ami. Ils m’entourent, m’embrassent, me portent sur leurs épaules ».
La mort providentielle de Constance II évite à Julien l’épreuve de la guerre civile et le laisse seul maître de l’Empire. Une de ses premières mesures fut de proclamer la liberté religieuse pour tous : chrétiens, mais aussi païens ou hérétiques. Nulle persécution des chrétiens donc, mais ceux-ci redeviennent des citoyens comme les autres : obligation leur est faite de respecter l’ordre public. Julien entreprend en outre de réformer la cour orientalisante de ses prédécesseurs pour revenir au principat libéral des Antonins, ses modèles étant Trajan et Marc-Aurèle. L’avènement de Julien marque une authentique réforme intellectuelle et morale ainsi qu’un nouvel effort de civilisation dans un siècle difficile.
L’empereur, s’inspirant du roi philosophe de Platon, évolua vers une forme de théocratie païenne avec son clergé hiérarchisé et ses dogmes (immortalité de l’âme parente des dieu-ou-démons, éternité du monde, humanisme). Il apparaît comme un mélange de despote, éclairé néanmoins, et de théocrate néoplatonicien.
Au mois de mars 363, aveuglé par le mirage oriental, il lance sa grande expédition contre la Perse de Sapor, adorateur du dieu-ou-démon Soleil, et, ironie de l’Histoire… lui aussi opposant résolu au christianisme. Il n’en reviendra jamais.
Le 26 juin de l’an 363 peut être considéré comme une date clef dans l’histoire de l’Empire romain. Ce jour-là, l’empereur Julien est mortellement blessé lors d’une escarmouche entre Romains et Perses, par un javelot « perdu »… enfin pas pour tout le monde !
À en croire Édouard Gibbon dans son ouvrage sur la chute de l’Empire romain. « Il désapprouva la douleur de ses proches et les supplia de ne pas gâcher par des larmes de faiblesse la mort d’un prince qui, dans quelques instants, allait se trouver uni au ciel et aux étoiles… telle fut la fin de cet homme extraordinaire, dans la trente-deuxième année de son âge ».
113
CONSÉQUENCES DE LA DISPARITION DE JULIEN.
L’événement se révéla très vite lourd de conséquences. Cet assassinat priva l’Antiquité de son dernier grand capitaine et Rome de sa plus belle victoire depuis Hannibal : la chute de l’Empire perse, son seul concurrent sérieux.
Si l’on en croit Libanius et Zosime, cette guerre était jusqu’alors un véritable triomphe pour les légions romaines, et il est vrai qu’Ammien Marcellin, soldat dans l’armée de Julien, décrit une série presque ininterrompue de sièges réussis. C’est cependant lors d’une retraite, au moment où l’arrière-garde repousse une attaque perse, que Julien, s’exposant sans doute trop au péril, est fatalement atteint. Les Romains, soldats et citoyens, mesurèrent presque aussitôt les implications catastrophiques du décès de leur chef.
Et tout d’abord, l’armée. Commandée ensuite par Jovien, son successeur, elle se voit imposer par les Perses une paix ressentie comme honteuse : les Romains sont en effet obligés par traité, pour la première fois de leur histoire, de céder du terrain à leurs adversaires. La conséquence la plus significative est peut-être la victoire, définitive et sans appel cette fois-ci, du christianisme, sur la laïcité ouverte et positive prônée par Julien. L’enthousiasme des chrétiens éclatait sans vergogne. Dans tout l’Empire, les proches de Julien furent expulsés du pouvoir, poursuivis, contraints à l’exil.
À QUI PROFITA LE CRIME (CUI PRODEST ?)
L’enjeu de la campagne perse les implications de la politique julienne et les conséquences immédiates de la disparition de l’empereur pouvaient faire surgir, presque de façon naturelle, la question que l’on se pose encore aujourd’hui : Julien est-il mort « accidentellement » ? L’enquête policière réclamée par Libanius n’a probablement jamais eu lieu. Or, les auteurs anciens nous fournissent des indices qui auraient pu la justifier. Païens et chrétiens laissent en effet entendre que Julien a été délibérément assassiné par ces derniers.
Disons-le tout de suite : parmi les Modernes, la thèse de l’assassinat a connu peut-être autant de partisans que d’adversaires, et nous ne devons pas espérer résoudre l’énigme aujourd’hui. Cependant, certains indices et arguments méritent d’être soulignés, car ils mettent en évidence une certaine politique chrétienne.
SOURCES. AMMIEN MARCELLIN HISTOIRE DE ROME. LIBANIUS DISCOURS N° 18 (Éloge funèbre de Julien) DISCOURS N° 24 (De la vengeance de Julien).
Ammien Marcellin, le plus modéré dans le débat, se contente d’abord de dire que le javelot fatal est venu « incertum unde : on ne sait trop d’où » (XXV, 3, 6). Cette incertitude n’est pas entièrement innocente. Une des causes en est relatée un peu plus loin. « À cette vue, les ennemis nous agressent depuis les hauteurs avec toutes sortes d’armes de jet ainsi qu’avec des injures : ils nous traitent de perfides, et d’assassins d’un empereur hors pair. Car ils avaient, eux aussi, appris par la bouche de transfuges la rumeur incertaine qui s’était répandue, selon laquelle Julien aurait été tué par une arme romaine » (XXV, 6, 6).
Venons-en à Libanius, l’ami de Julien. On a souvent pris son dépit, sa déception profonde, comme la raison qui expliquerait ses accusations gratuites à l’adresse d’un assassin imaginaire. Mais Libanius
114
n’était pas un homme léger, et ses imputations ne nous semblent pas lancées à la légère. Dans son discours funéraire (Discours XVIII), Libanius avertit son auditoire : certaines rumeurs sont fausses : « Il me faut parler et faire cesser un bruit infondé à propos de sa mort » (§ 267). Plus loin, la question est abordée de front : « Qui donc l’a tué ? Voilà ce que l’on aimerait apprendre. Son nom, je l’ignore, mais l’assassin n’est pas un ennemi : cela est clairement indiqué par le fait qu’aucun ennemi n’a été récompensé pour ce coup. Pourtant, le roi perse invitait l’assassin à venir chercher sa récompense, et celui qui se serait présenté en aurait reçu d’importantes. Mais personne ne s’en est attribué la gloire, même pas par désir de récompenses. Aussi pouvons-nous être très reconnaissants à l’ennemi de ne pas s’être approprié la réputation d’actes qu’il n’a pas commis, mais de nous avoir permis de chercher l’assassin dans nos propres rangs. Car ceux pour qui de son vivant Julien ne s’était pas révélé profitable – et ce sont ceux qui ne vivent pas en accord avec les lois – conspiraient contre lui depuis longtemps ; la chose étant devenue possible à ce moment-là, ils sont passés à l’acte. Leur injustice les y poussait, elle qui n’avait pas d’exécutoire sous son règne ; mais leur principal motif, c’était qu’il honorait les dieux et qu’ils poursuivaient, eux, le but contraire » (§§ 274-275).
Les précédentes tentatives d’assassinat sont en effet suffisamment attestées. L’argument cité par Libanius peut sembler faible : l’assassin de Julien n’aurait-il pas laissé, lui aussi, sa vie dans l’aventure ? Mais l’orateur s’est contenté, plus haut, de formuler ses soupçons sans insister. Il tentera de les justifier plus tard ; des années plus tard.
En 379, il adresse un discours pathétique et émouvant (Discours XXIV) à l’empereur Théodose, lui demandant d’ouvrir une enquête et de venger la mémoire du souverain mort depuis seize ans.
Le motif de sa requête a de quoi étonner nos esprits modernes et « éclairés ». Si l’Empire, malgré la qualité de ses légions, ne réussit plus à résister aux hordes barbares qui déferlent sur son territoire, la cause en est, selon l’orateur, la colère des dieux. Ils sont irrités parce que le meurtre de leur enfant chéri, Julien, est demeuré impuni. Libanius supplie Théodose de faire au moins l’expérience de ses propos : qu’il ouvre une enquête, et il verra Julien lui-même seconder ses recherches ainsi que les dieux relever l’Empire ébranlé. Langage d’un exalté ou d’un homme réellement inspiré ? Ce qui est certain, c’est que l’Empire a succombé.
Libanius répète que les Perses, malgré leur orgueil militaire, n’ont jamais ni récompensé ni même revendiqué comme étant l’exploit d’un des leurs, quel qu’il fût, la mort de Julien. Pendant les pourparlers de paix, le roi des Perses a même été jusqu’à demander aux Romains s’ils n’avaient pas honte de laisser cette mort sans vengeance. Comment concevoir enfin, demande l’orateur, qu’un soldat perse ait pu pénétrer seul dans les rangs romains sans se faire tuer ? Or, il n’y eut pas d’autre mort, ni perse ni romain ce jour-là, que Julien.
On dira peut-être que s’il y avait eu des doutes réels sur l’accident, une enquête aurait été immédiatement ouverte. Mais Jovien, le successeur (chrétien) de Julien « jugea la chose superflue et vaine » (§ 8), à la plus grande joie de « ceux qui avaient ourdi un tel crime » (ib.) ; et « malgré la rumeur très répandue que l’assassin sortait de nos rangs, et bien qu’on jugeât la chose scandaleuse » (§11).
« Que reste-t-il donc à croire, sinon que l’assassin se trouve parmi les nôtres ? En faisant disparaître Julien, ceux-ci rendaient service à quelqu’un, ou à eux-mêmes, afin que le culte des dieux fût abandonné ; car les honneurs qu’on leur rendait les suffoquaient » (§ 21).
Libanius est dans l’incapacité de produire des preuves. Mais certains passages de son discours montrent qu’il en a appris peut-être plus qu’il n’en dit. Nous avons personnellement du mal à croire qu’il invente tous les détails. Il y a d’abord le récit même de l’événement : « L’illustre Julien reçut le coup fatal au flanc, pendant qu’il tentait de rassembler sa phalange dispersée, en exhortant à cet effet son cheval, par des cris et des menaces. L’homme qui se jeta sur lui et le blessa fut un Taiène [Arabe] ; il agissait là selon l’ordre du chef des siens. L’acte devait assurer à ce dernier une récompense de la part de ceux qui cherchaient la mort de notre homme. Il saisit donc l’occasion qu’offraient la confusion survenue, les tourbillons de vent et la quantité de poussière, pour frapper avant de se retirer » (§ 6).
Mais comment, se demandera-t-on, Libanius sait-il tout cela ? Comment peut-il affirmer que Julien a été tué « suite à un complot funeste ourdi dans une tente souillée par une terrible conspiration » (§ 29) ? Apparemment, il avait des informateurs. Devant Théodose, il évoque « ceux qui peuvent fournir des preuves, mais qui hésitent » (§ 22). Ce sont ceux-là qu’il faut interroger, rassurer, encourager et, si nécessaire, menacer.
« Si vous faisiez cela, vous en trouveriez beaucoup qui clameraient, qui parleraient ; qui vous apprendraient qui est l’organisateur du meurtre, qui est le premier à l’avoir entendu, par quels
115
arguments l’assassin s’est laissé persuader, quelle était sa récompense, qui sont ses complices, par où il s’est enfui après ; et ceux qui ont avec lui fêté l’événement.
Montrez que l’arrestation des coupables vous ferait grand plaisir et vous verrez apparaître des gens pour vous livrer ces assassins ! Écartez d’eux au moins la crainte de subir quelque action terrible de la part de ces gens. Car je n’exagère pas en disant que ceux qui méritent d’être punis pour un tel meurtre ont recueilli les fruits de ces fonctions, comme s’ils avaient tué eux-mêmes le roi des Perses ! » (§ 27.)
En 386, presque un quart de siècle après l’événement, Libanius, dans un autre discours devant Théodose (Discours XXX), n’en démord pas : « Julien aurait renversé l’Empire des Perses, si la trahison n’avait pas empêché la réalisation du projet… » (§ 40).
L’affaire prend des proportions étonnantes, et vraiment inquiétantes, quand on sait que les chrétiens eux-mêmes ont revendiqué cet assassinat. Le taliban ou parabolanus chrétien Grégoire (de Nazianze), contemporain et même ancien condisciple de Julien, le revendique avec joie. Sozomène, auteur d’une Histoire de l’Église, juge la culpabilité chrétienne probable. La légende chrétienne attribuera enfin, à Julien, sur son lit de mort, ces ultimes paroles : « Tu as vaincu, Galiléen ! (Tu as vaincu, Chrétien !) »
Le fait que des chrétiens, au lieu de réfuter ces accusations (qu’ils avaient du reste peut-être eux-mêmes provoquées), se soient ouvertement proclamés meurtriers de Julien, et fiers de l’être ; en dit long en tout cas sur la mentalité des chrétiens du IVe siècle. Cet acharnement des chrétiens contre Julien trahit une grande peur rétrospective. Grégoire de Nazianze n’avait pas connu les angoisses des persécutions [encore une fois, sur la réalité des persécutions antichrétiennes, voir notre essai sur, ou plus exactement contre, le christianisme] ; mais pour les jeunes intellectuels chrétiens de sa génération, dans un empire qui depuis longtemps protégeait officiellement l’Église, Julien avait semblé tout remettre en cause.
QUESTION.
Je suis étudiante et je travaille actuellement sur l’empereur Julien dans le cadre de mon cours portant sur les religions de l’Occident ancien. S’il avait vécu plus longtemps, Julien aurait-il eu des chances de réussir ?
RÉPONSE.
Votre question est très intéressante ; mais pas des plus simples. Vous vous demandez si Julien aurait pu mener à bien son entreprise de rénovation et de restauration des anciens cultes « païens ».
C’est évidemment très subjectif ! Les admirateurs de Julien répondront par l’affirmative tandis que les historiens chrétiens démontreront la vanité des efforts de « l’Apostat » !
Deux faits me paraissent incontestables : la sincérité de Julien et la peur bleue qu’il inspira à ses sujets chrétiens.
Mais essayons d’examiner cela dans l’ordre.
Quand Julien s’empara définitivement de l’Empire (en 361), il estima ne devoir son trône qu’à la protection des dieu-ou-démons. C’était grâce à eux qu’il avait échappé au massacre général de sa famille. C’étaient eux qui l’avaient protégé de la jalousie de Constance, des intrigues de ses courtisans, et qui l’avaient soutenu lorsqu’il avait repoussé, au prix de durs combats, les Barbares au-delà du Rhin. C’est le « Génie de l’Empire » en personne qui l’avait convaincu de revêtir la pourpre et de se poser en rival de son cousin. Et enfin, la mort providentielle et inopinée de Constance, juste avant l’affrontement décisif des deux prétendants au trône, n’était-elle pas le signe manifeste de cette protection ?
Or, s’il était le protégé des dieu-ou-démons (du Soleil, de Mithra, etc.), n’était-ce pas parce que c’était lui seul, et nul autre mortel, qui devait rétablir la grandeur de la Rome de l’empereur philosophe Marc-Aurèle, son modèle ; et restaurer le culte des divinités qui avaient favorisé l’épanouissement de la civilisation gréco-romaine ?
Julien se croyait destiné à accomplir cette tâche de rénovation de la société, et il s’y attela avec tout l’enthousiasme de l’idéaliste militant qu’il était…
Mais cette société en voie de christianisation résista au changement. Julien avait gravement sous-estimé l’opposition à laquelle, lui et ses projets de rénovation, structurelle autant que religieuse, allaient très vite être confrontés. Les élites païennes ne soutinrent que du bout des lèvres ses initiatives administratives, fiscales ou judiciaires, tandis que les chrétiens, eux, sabotaient systématiquement sa politique religieuse.
L’Église chrétienne semble avoir redouté les mesures de Julien presque plus qu’une « bonne vieille » persécution. Il faut dire qu’à cette époque, les chrétiens ne formaient pas encore la majorité de la
116
population, loin de là ! Le christianisme était, certes, prédominant dans certaines villes ou régions d’Orient, mais était encore largement inconnu dans les régions occidentales ou septentrionales de l’Empire.
Il n’était pas encore exactement la « religion d’État » de l’Empire romain – pour cela, il faudra attendre le règne de Théodose et l’interdiction générale et définitive des cultes païens (Édit de Constantinople du 8 novembre 392). Constantin et ses fils s’étaient contentés de « favoriser », parfois outrageusement il est vrai, leurs coreligionnaires (souvent des hérétiques d’ailleurs) et de mépriser les cultes païens, mais sans pour autant imposer de force leur religion personnelle.
À l’avènement de Julien, l’Église n’était pas encore toute-puissante, et les dispositions qu’avait prises celui qu’elle appela haineusement « l’Apostat » risquaient de compromettre gravement ce triomphe définitif qu’elle croyait si proche. Il avait en effet exclu les chrétiens de l’enseignement pour la raison suivante : « en commentant les textes des Anciens qui honoraient les dieux, les chrétiens enseignent le contraire de ce qu’ils croient » et sont donc, soit des hypocrites, soit de mauvais professeurs. C’est dire que si le règne de Julien avait perduré, les chrétiens, marginalisés dans une sorte de ghetto intellectuel, réduits au rang de citoyens de seconde zone, marginalisés dans tous les secteurs de la société ; auraient risqué de voir leurs rangs s’éclaircir de façon dramatique.
Mais il est incontestable aussi que, lorsqu’il quitta Antioche pour entrer en campagne contre les Perses, Julien avait déjà perdu beaucoup de ses illusions. On était loin du jeune « César » flamboyant qui avait écrasé les Barbares au bord du Rhin ! Julien était un homme aigri, déçu par l’ingratitude de ses sujets, doutant désormais de la faveur des dieux, et très conscient de jouer sa dernière carte dans cette guerre hasardeuse contre l’ennemi héréditaire perse.
Ces prémisses étant posées, nous pouvons maintenant en venir précisément à votre question : Julien avait-il des chances de réussir ?
Ma réponse est oui s’il était revenu vainqueur de son expédition contre les Perses.
« Pourquoi cela », me direz-vous ?
Et bien voici !
On ne connaît pas précisément les buts de la campagne militaire de Julien ; mais il semble bien qu’il ne s’agissait pas seulement d’une simple expédition punitive destinée à donner – une fois encore – une leçon à ces Perses qui, depuis toujours, contestaient à Rome l’hégémonie du monde civilisé. Julien avait divisé son armée en deux colonnes, l’une, sous la direction de Procope, devant pénétrer en territoire ennemi par le nord-est, et l’autre, sous son commandement, devant l’envahir par le sud-ouest. On peut donc supposer qu’il envisageait de prendre l’armée perse en tenaille, de l’écraser sous les murs de Ctésiphon (au sud de Bagdad), la capitale des rois sassanides ; puis de foncer vers l’est (vers les « Sources du Soleil ») afin de réaliser le rêve de tous les grands conquérants romains ; rétablir l’empire d’Alexandre le Grand et contrôler enfin les routes commerciales qui drainaient des richesses fabuleuses de l’Extrême-Orient vers la Méditerranée.
Si tels étaient bien les objectifs de Julien (irréalistes, bien sûr, mais l’empereur était un idéaliste et un mystique, ne l’oublions pas) ; inutile de préciser qu’en cas de réussite, il serait revenu de cette guerre auréolé d’un prestige plus grand qu’aucun autre empereur avant lui. Ces victoires inouïes auraient démontré une fois pour toutes aux « Galiléens athées » que ses dieux, ceux qui l’avaient placé sur le trône des Césars, ceux au nom desquels il avait combattu, étaient les seuls « vrais », les seuls « efficaces ».
Et surtout, le contrôle intégral des grandes routes commerciales dites « de la soie » lui aurait permis de mettre fin au déficit chronique des finances romaines, de renflouer les caisses de l’État… et de financer sa coûteuse politique intérieure. Une politique, cela se finance, et les ralliements, cela s’achète… La restauration de la grandeur romaine qu’il envisageait devait en effet passer par un soutien actif aux villes qui devaient retrouver leur rôle de moteur de la civilisation. Il fallait alléger la pression fiscale (ce que Julien avait déjà fait du temps où il n’était que le « César » de Constance) ; afin d’encourager l’évergétisme des élites et que la désignation des citoyens aux magistratures urbaines redevienne un honneur, non plus une malédiction. Il fallait aussi reconstruire les temples, payer les prêtres, rendre aux cultes des dieux tout leur lustre d’antan… En entreprenant son expédition contre les Perses, Julien, loin de commettre la « folie » dont l’accusèrent ses détracteurs chrétiens, renouait avec la politique de conquêtes qui avait fondé la grandeur et la prospérité de la Rome des Antonins…
Ah si seulement Julien avait eu un peu plus de temps… et beaucoup plus d’argent !…
.
Mais l’entreprise de Julien était soutenue par une équipe dépourvue de véritable cohésion. Des théurges et des sophistes, partisans des solutions extrêmes, des intellectuels attachés au moins autant à un idéal de culture qu’à des traditions religieuses, soucieux de préparer l’avenir par l’équilibre
117
des forces ; et enfin des politiques ralliés par calcul ou par conviction. La restauration païenne dans les grandes villes, à Constantinople, à Antioche, ne mobilisait pas les foules et suscitait au contraire une vive résistance de la part des chrétiens. La géographie de ces conflits (des émeutes païennes ou chrétiennes) ne déborde pas au-delà de l’Orient, la région sur laquelle Julien exerce un contrôle direct. L’Occident, en dehors de l’initiative de quelques administrateurs zélés, est peu touché et ne semble guère s’être beaucoup ému de la politique de Julien.
Celle-ci par contre heurtait de nombreux intérêts. En particulier ceux de la bureaucratie et de l’aristocratie palatine qui s’étaient constituées autour de la dynastie constantinienne et qui recrutaient largement dans les milieux chrétiens. Certes, on ne connaît pas de défection officielle parmi les généraux chrétiens, mais, dans l’administration des provinces, Julien dut compter avec la force d’inertie opposée par nombre de bureaucrates ; et donc envisager l’exclusion progressive des chrétiens de toute fonction publique, qu’elle fût politique, administrative ou judiciaire, voire même de l’armée.
Quant à l’aristocratie sénatoriale de Rome, dans laquelle les païens sont majoritaires, à quelques exceptions près ; elle ne se laisse guère entraîner, semble-t-il, à accepter de bon gré l’ensemble de la politique impériale, pour la seule raison que celle-ci apporte aussi la restauration du paganisme. La politique monétaire du prince, appuyée sur le bimétallisme, sa défense des curies contre les exemptions fiscales (dont bénéficiaient tous les aristocrates échappant au sénat municipal) pouvaient séduire les élites des cités ; pas les puissants personnages d’un ordre sénatorial favorisé depuis un demi-siècle par les constantiniens. Dans l’Orient grec, même l’appui des curiales * (un groupe d’ailleurs pénétré d’influences chrétiennes) demeure fragile, car Julien ne peut faire valoir auprès de ces notables municipaux le bénéfice de mesures qui ne pouvaient porter de fruits qu’à long terme. Aussi l’empereur ne parvint-il pas à asseoir sa politique religieuse sur de larges bases sociales. Cette ultime tentative de restauration païenne révélera donc surtout les immenses progrès réalisés par le christianisme depuis un demi-siècle. Parfaitement conscient de ceux-ci, Julien a voulu mettre au service du paganisme revivifié dont il rêvait, ce qui faisait le succès de la foi nouvelle, une organisation très centralisée. Mais le temps lui a manqué. Et surtout il a surestimé le rôle de l’intervention impériale, sa capacité à remonter le courant d’une évolution irréversible.
* Dits aussi décurions, au sens de citoyens aisés ou fortunés, de grands bourgeois aurait dit Marx.
EN BREF PRINCIPALES IDÉES DE JULIEN.
La doctrine hébraïque est non seulement absurde, elle est aussi incomplète et vague. La conception juive de la divinité est blasphématoire. Leur Dieu est jaloux et mesquin. Ce n’est d’ailleurs qu’un dieu subalterne, un petit dieu ethnique, un dieu chef de tribu. Ce dieu a été peu utile aux Hébreux puisque la plupart du temps ils ont été asservis et le sont encore.
La culture juive se résume à peu de choses : elle est primitive. Aucune science n’est juive. Dans tous les domaines, la supériorité des Hellènes est écrasante. Julien souligne cette supériorité et même ironise : les Hellènes ne sont pas le peuple élu, n’ont pas engendré de prophètes, n’ont pas reçu d’onction, et pourtant…
Les Galiléens (les chrétiens donc. N. D. L. R.) ont en fait doublement apostasié, car le christianisme n’est qu’une hérésie du judaïsme.
Le christianisme en effet n’a plus rien de commun avec le judaïsme, contrairement à ce que ses sectateurs prétendent et ces derniers, apostats du paganisme et du judaïsme, ne sont même pas fidèles à leurs propres apôtres (Vox populi vox dei. Le courrier du site des empereurs romains).
118
LE « CONTRE LES GALILÉENS ».
LÀ ENCORE DU FAIT DE LA CENSURE CHRÉTIENNE LE TEXTE N’A PU PARVENIR JUSQU’A NOUS, MAIS IL A PU ÊTRE PATIEMMENT RECONSTITUÉ PAR L’HISTORIEN ALLEMAND CARL JOHANNES NEUMANN EN 1880, À PARTIR DE LA RÉFUTATION QU’EN A FAITE LE PATRIARCHE CYRILLE D’ALEXANDRIE (374-444).
EXTRAITS (il ne s’agit pas du texte complet).
— Que la race humaine tienne de la nature sa connaissance de Dieu et non d’un enseignement nous est prouvé par le fait que le sens du divin existe en tous les hommes, considérés individuellement ou collectivement.
— Sans qu’on nous l’ait enseigné, nous en sommes tous venus à croire en quelque divinité, bien qu’il ne soit pas facile à tout le monde de savoir précisément la vérité à ce sujet, ni à ceux qui la connaissent de la faire savoir aux autres.
----------------------- --------------------------------- ----------------------------------------------- ------------------------------
Contre-lai N° 81.
Les chrétiens ont donc en réalité fait le jeu du matérialisme athée en combattant dans nos âmes/esprit la notion innée du divin, ce don des dieu-ou-démons aux mortels, notion du divin qui était indicible et universelle.
-------------------- -------------------------------- ------------------------------------------ --------------------------------- -----
— Résumé 49 C, D, et E. Les Galiléens prétendent que leur Dieu a créé le monde ex nihilo, mais c’est faux, il suffit de lire trente secondes leurs propres textes sacrés.
----------------------- ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Contre-lai N° 82.
Le Dieu ou le Démiurge en question [un dieu-ou-démon pluriel d’ailleurs, les Élohim. N. D. L. R.] n’a été que le transformateur ou l’organisateur d’une matière préexistante. Sur cette question s’éleva une discussion entre le rabbin Gamaliel et un philosophe. Celui-ci disait : « Votre Dieu est un grand artisan, mais il a eu à sa disposition de bons matériaux comme le tohu, et le bohu, les ténèbres, le vent, l’eau et les abîmes, qui l’aidèrent dans son œuvre »… Tous ces termes se retrouvent en effet dans les premiers versets de la Genèse : au commencement la terre était informe et vide (tohu et bohu) et le vent des Élohim planait sur les eaux. Ces Élohim n’ont d’ailleurs rien à voir avec le dieu-ou-démon tellurique de la montagne sacrée du roi-prêtre de Madian, Jethro (le beau-père de Moïse). Le dieu-ou-démon du Sinaï s’appelle en effet Yahweh, non « Élohim ».
----------------------------- --------------------------------------------------------------------------------------------------- ------
— La doctrine juive : le jardin [d’Eden] a été planté par Dieu et Adam façonné de même, puis il y eut aussi une femme pour Adam. Car Dieu a dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Faisons-lui quelqu’un de semblable pour l’aider » (Genèse 2, 18). Or, bien loin de lui venir en aide elle l’a trompé
119
au contraire, et fut en partie la cause pour lui ainsi qu’elle-même, de la perte de leur vie paradisiaque dans ce jardin.
C’est là une totale affabulation. Est-il vraisemblable en effet que Dieu n’ait pas su que l’être qu’il créait pour lui venir en aide s’avérerait plus être une malédiction qu’une vraie bénédiction pour Adam ? Et d’ailleurs, quelle est la langue que le serpent a utilisée pour parler avec Ève ? Était-ce une langue humaine ? En quoi de telles légendes diffèrent-elles des mythes inventés par les Hellènes ?
— D’ailleurs n’est-il pas excessivement curieux que Dieu puisse refuser aux êtres humains qu’il avait fabriqués le pouvoir de distinguer entre le bien et le mal ? Que peut-il y avoir de plus fou qu’un être incapable de distinguer le bien du mal ? Car il est bien évident dans ce cas qu’il ne pourra pas éviter ce dernier, je veux dire le mal, ni s’efforcer de faire le premier, je veux dire le bien. Et ensuite, pour faire court, Dieu a refusé que l’homme goûte à la sagesse, alors qu’il ne saurait y avoir quelque chose de plus précieux pour l’homme. Car la faculté de distinguer entre ce qui est bien et ce qui est moins bien est le propre de la sagesse.
— Le serpent fut donc plus un bienfaiteur qu’un ennemi de la race humaine. En outre leur Dieu doit être tenu pour jaloux. Car quand il vit que l’homme avait acquis la sagesse, afin qu’il ne mange pas de l’arbre de vie, Dieu l’a chassé du jardin en disant : « Voici qu’Adam est devenu comme l’un de nous, car il connaît le bien et le mal, aussi ne le laissons pas lever la main et prendre aussi de l’arbre de vie afin de s’en nourrir et donc de vivre éternellement (Genèse 3, 22).
— Par conséquent, à moins que toutes ces légendes ne soient que des mythes ayant un sens caché, ce que je crois en effet, elles recèlent maints propos blasphématoires concernant Dieu. En premier lieu le fait pour lui d’ignorer que celle qu’il avait créée pour aider Adam serait la cause de sa chute ; en second lieu le fait de refuser la connaissance du bien et du mal ; qui seule semble être capable de donner un sens à l’esprit humain ; enfin d’être jaloux et de craindre que l’homme puisse prendre des fruits de l’arbre de vie et, de mortel, devenir immortel lui aussi. Ce qui est le comble de la crainte et de la jalousie.
----------------------------------------- ----------------------------------------------------------------------------------------------
Contre-lai N° 83.
Il s’agit donc là d’une des plus sévères condamnations du Dieu ou Démiurge d’Abraham d’Isaac et de Jacob, par Julien. Ce dieu-ou-démon est envieux et jaloux. Du reste, il l’avoue lui-même.
Ce dieu-ou-démon refuse le discernement et la sagesse à l’homme, mais pourquoi est-il jaloux, au point de venger les fautes des pères sur les enfants (cf. Exode 20, 5) ?
Comment Dieu, qui est juste par définition, a-t-il pu promettre de venger les péchés des pères sur leurs fils jusqu’à la troisième et à la quatrième génération ?
Une telle injustice ne peut qu’encourager les pères à pécher puisque la punition de leurs crimes ne retombera pas sur eux (directement).
L’idée d’un Dieu ou Démiurge supérieur jaloux et rancunier est inacceptable.
Julien explique la jalousie du Dieu-ou-démon d’Israël par son impuissance. Il n’a pu empêcher que d’autres dieu-ou-démons soient aussi adorés. Ce dieu-ou-démon est emporté, irritable et velléitaire (allusion à Nombres 25, 11). Il se montre d’une rare cruauté pour des motifs futiles et ne s’occupe que du seul peuple élu, il n’aurait rien donné aux Hellènes. Pourquoi dans ces conditions l’honoreraient-ils ?
Ce Dieu ou Démiurge féroce et jaloux n’est qu’un dieu-ou-démon subalterne, un dieu-ou-démon-chef de tribu. Comme il y a par définition harmonie entre les nations et la nature de leur dieu tutélaire, il en résulte immanquablement que les lois des juifs sont, elles aussi, très dures et que leur situation est peu brillante ; car ils adorent un dieu-ou-démon subalterne et imparfait, donc ils imitent ses défauts : la colère, la fureur et la jalousie sauvage.
-------------- ------------------------- ------------------------------- --------------------------------------------------------- -----
En résumé.
— L’histoire du sacrifice de Caïn déplaisant à Dieu alors que celui d’Abel lui est agréable. (Genèse 4, 3 à 7). N. D. L. R. Dieu serait-il anti-végétarien ? Cette histoire est aberrante, car si ce n’est pas la nature de l’offrande qui est en cause, mais la façon dont Caïn l’a offerte, aucun évêque n’est capable de dire en quoi le partage opéré par Caïn pouvait être blâmable. Qu’avait alors dans le cœur Caïn ? Personne n’est capable de nous le dire. Ce n’est qu’après cette injustice de Dieu qu’il est devenu mauvais.
120
— Que Moïse appelle les anges « dieux » on peut le déduire de ses propres paroles : « Les fils de Dieu virent que les filles des hommes étaient belles ; et ils firent de toutes celles qu’ils choisirent, leurs femmes » (Genèse 6, 3). Un peu plus loin : « Et après ça, quand les fils de Dieu se furent unis aux filles des hommes, et qu’elles leur eurent donné des enfants, ceux-ci devinrent les géants de jadis, les hommes célèbres » (Genèse 6, 4).
— Maintenant il est vrai que les Hellènes ont inventé à propos des dieux des histoires incroyables et monstrueuses (les mythes). Ils disent que Chronos a dévoré ses enfants et les a ensuite régurgités ; ils ont même parlé d’unions illicites, comment Zeus a eu des rapports sexuels avec sa mère, et après en avoir eu un enfant, a épousé sa propre fille, ou plutôt même ne l’a pas épousée, mais a simplement eu des rapports sexuels avec elle puis l’a livrée à un autre. Il y a aussi la légende qui veut que Dionysios ait été jadis écartelé puis ses membres ressoudés après.
À PROPOS DE L’HISTOIRE DE LA TOUR DE BABEL…
— De la diversité des langues Moïse a donné une explication qui tient de la fable. Car il a raconté que les enfants des hommes se réunirent un jour pour construire une ville, avec une grande tour à l’intérieur, et que Dieu descendit du ciel pour confondre leurs langages.
— Vous nous demandez de croire ce récit, alors que vous-mêmes vous ne croyez nullement à l’histoire d’Homère sur les Aloades, à savoir qu’ils avaient songé à empiler trois montagnes l’une sur l’autre, « afin que l’on puisse monter jusqu’aux cieux » (Od. XI, 316).
Cette histoire est tout autant que l’autre une pure affabulation. Mais si vous acceptez la première, pourquoi au nom des dieux ridiculisez-vous celle d’Homère ?
— Moïse et les prophètes qui sont venus après lui ainsi que le Nazaréen Jésus, et Paul, qui surpasse les magiciens et les charlatans de tous les temps, affirment que Dieu est seulement le dieu d’Israël et de Judée ; et que les juifs sont le peuple qu’il s’est choisi.
— Que dès le début Dieu ne s’est occupé que des juifs et qu’il les a choisis comme étant son peuple a été clairement signifié non seulement par Moïse et Jésus, mais aussi par Paul ; bien que dans le cas de Paul cela soit plutôt étrange. Car il adapte continuellement ses conceptions de Dieu aux circonstances, tel un poulpe changeant de couleur pour se confondre avec les rochers. Un jour il insiste sur le fait que seuls les juifs constituent la maison de Dieu, et un autre jour, quand il essaie de persuader les Hellènes de venir le rejoindre (Romains, 3, 29 et Galates 3, 28) il déclare : « ne croyez pas qu’il est seulement le dieu des juifs, il est aussi le dieu des non-juifs, oui, des non-juifs également ». Il y a donc lieu de demander à Paul pourquoi Dieu s’il n’était pas seulement le dieu des juifs, mais aussi des non-juifs, a prodigué aux juifs le don de prophétie et leur a donné Moïse, l’onction, les prophètes, la Loi ainsi que les incroyables et monstrueux autres éléments de leurs mythes ? Finalement Dieu leur a envoyé aussi Jésus, mais pour nous pas de prophète, pas d’onction, pas de maître, pas de messager pour déclarer son amour de l’homme, qui devait un jour, bien que très tardivement, nous atteindre nous aussi.
— C’est pourquoi il est naturel de penser que le Dieu des Hébreux n’est pas le procréateur du monde régnant sur l’univers, mais plutôt comme je l’ai déjà dit, qu’il est confiné à un peuple bien particulier ; aussi devons-nous le concevoir, puisque son empire a des limites, comme étant seulement un dieu parmi d’autres.
----------------- ------------------------------- --------------------------------------------------------- ---------------------- -----
Contre-lai N° 84.
Porphyre a démontré dans son « Contre les chrétiens » que la célèbre prophétie, du livre de Daniel est, une prophétie post eventum, composée non à l’époque de la captivité de Babylone, mais après. Fait confirmé par la critique du XIXe siècle.
----------------- ------------------------------- ----------------------------------- -------------------------------------------- -----
— Maintenant devons-nous vous prêter plus d’attention parce que l’un d’entre vous a imaginé à sa façon le dieu de l’univers bien que vous n’ayez jamais eu la moindre idée de ce qu’il est. ?
— Si le créateur immédiat de l’univers est bien celui qu’a dit Moïse, alors nous avons des croyances plus nobles à son propos, dans la mesure où nous le considérons comme le maître de toutes choses en général, mais qu’il y a des dieux nationaux qui lui sont subordonnés ou sont comme les lieutenants
121
d’un roi, chacun administrant séparément sa propre province ; en outre nous n’en faisons pas un concurrent local des dieux dont le statut est inférieur au sien.
— Leur très sage Salomon […] a lui aussi adoré les dieux, trompé par sa femme affirment-ils. Quel exemple de vertu ! Quel trésor de sagesse ! Il n’a pas su s’affranchir du plaisir et les arguments d’une femme l’ont égaré ! S’il a été trompé par une femme, ne dites pas de lui que c’était un sage. Mais si vous êtes vraiment convaincus que c’était un sage, ne croyez pas dans ce cas qu’il a pu être trompé par une femme, croyez plutôt que, confiant dans son propre jugement et en sa propre intelligence ainsi que dans l’enseignement qu’il avait reçu de Dieu, qui le lui avait révélé, il a également adoré d’autres dieux en toute connaissance de cause. Car si l’envie et la jalousie ne sont même pas venues à l’esprit du plus vertueux des hommes, encore moins peuvent-elles atteindre les anges et les dieux.
— Demandez-vous si Dieu ne nous a pas donné à nous aussi des dieux et de bons gardiens que vous ignorez, des dieux en aucune façon inférieurs à celui qui a été honoré chez les Hébreux de Judée, le seul pays dont il a choisi de se préoccuper, ainsi que Moïse l’a dit et ceux qui sont venus après lui jusqu’à aujourd’hui aussi. Mais même si celui qui est honoré chez les Hébreux est réellement le créateur immédiat de l’univers, nos croyances à son propos sont supérieures aux leurs ; et il nous a donc accordé de plus grands bienfaits qu’à eux, que ce soit en ce qui concerne l’âme ou son enveloppe. J’en dirai deux mots plus loin. En outre il nous a envoyé des législateurs inférieurs en rien à Moïse, si ce n’est supérieurs à lui et de loin.
— Même les plus cruels et les plus brutaux des généraux se sont comportés de façon plus clémente avec leurs pires ennemis que Moïse ne l’a fait avec ceux qui ne lui avaient causé aucun tort.
— Moïse a inventé les boucs émissaires.
Du second bouc Moïse dit : « alors il l’égorgera pour effacer les péchés du peuple, devant le Seigneur, et il apportera le sang derrière le voile. Il répandra ce sang au pied de l’autel et il accomplira les rites expiatoires dans le sanctuaire à cause des souillures des fils d’Israël, ainsi que de leurs péchés dans tous les domaines » (Lev. 16, 15). [N. D. L. R. Moïse, venu pour supprimer les péchés, a en fait, au contraire, beaucoup augmenté leur nombre, d’après saint Paul lui-même. « Quant à la Loi de Moïse, elle est intervenue pour que se multiplie la faute » (Épître aux Romains, 5, 20)].
— Moïse profère assurément un terrible blasphème contre Dieu quand il précise : « Car je suis un dieu jaloux » […]
— Quand un homme est jaloux et envieux, vous trouvez que cela est condamnable ; mais quand Dieu est dit jaloux, vous trouvez que c’est une qualité divine !
— Comment est-il possible en un domaine aussi évident de se tromper en parlant de Dieu ? Car s’il est jaloux alors c’est contre sa volonté que sont adorés les autres dieux et contre sa volonté aussi que les autres nations adorent leurs propres dieux.
Mais comment se fait-il dans ce cas qu’il ne les en empêche point lui-même, s’il est si jaloux et ne veut pas que les autres dieux soient adorés, mais lui seul ? Est-il possible qu’il ne puisse pas le faire ou ne préfère-t-il pas plutôt dès le départ ne pas empêcher que les autres dieux soient adorés ? La première explication, je veux dire qu’il en est incapable, est impie, mais la seconde cohérente avec à ce que nous faisons. Laissez donc de côté cette idée absurde et ne vous rendez-vous pas coupables d’un tel blasphème. Car si telle est bien la volonté de Dieu que nul autre que lui puisse être adoré, pourquoi donc adorez-vous ce prétendu fils de Dieu qu’il n’a pourtant jamais reconnu ?
— Pour ce qui est du reste, vous et les juifs n’avez rien en commun. C’est d’une nouvelle approche de la doctrine des Hébreux que vous avez tiré ce blasphème contre les dieux que l’on respecte chez nous.
— Maintenant puisque les Galiléens affirment, bien qu’ils ne soient pas comme les juifs, qu’ils sont toujours, pour parler précisément, le véritable Israël, conformément à leurs prophètes, et qu’ils obéissent à Moïse plus qu’à tout autre prophète lui ayant succédé en Judée, cela nous montre à quel point ils sont vraiment d’accord avec lesdits prophètes.
— Ils affirment que Dieu, après la première loi, en a fait une deuxième. Car la première, disent-ils, a été faite pour répondre à des circonstances particulières et pour une période bien précise, et la dernière a été révélée parce que la loi de Moïse était limitée en temps et lieu. Ce qu’ils disent là est faux.
122
— Vous êtes tellement dans l’erreur que vous n’êtes même pas restés fidèles à l’enseignement qui vous a été transmis par les apôtres. Et ce dernier a été altéré…
— Comme les sangsues, vous avez sucé le sang le plus mauvais, mais avez laissé le plus pur.
— Des deux bords vous avez pris ce qui n’est en aucune façon le meilleur de la doctrine, mais le pire, et vous en avez fait pour vous-mêmes un tissu de méchancetés.
— Ils ont refusé l’excellente et fondamentale doctrine qui venait soit de nous les Hellènes soit des Hébreux (qui eux-mêmes la tenaient de Moïse), mais ont emprunté aux deux ce qu’il y avait de pire, pour ainsi dire, dans ces deux nations : l’athéisme dû au manque de réflexion des juifs et la façon de vivre relâchée ou sordide due à notre vulgarité ainsi qu’à notre nonchalance ; et ils veulent que l’on considère cela comme la plus noble des religions.
— Matthieu et Luc se réfutent mutuellement puisque dans la généalogie de Jésus, ils se contredisent (Matt. I, 1-17 et Luc 3,23 -28). [Tout cela pour aboutir de toute façon… à Joseph, QUI N’EST PAS LE PÈRE BIOLOGIQUE DU PETIT JÉSUS. N. D. L. R.]
— Cette forgerie de toute pièce due aux Galiléens est une invention d’hommes haineux. Bien qu’elle n’ait rien de divin, en faisant jouer uniquement cette partie de l’âme qui aime les fables et qui est puérile ou insensée, elle a incité à croire que cette monstrueuse histoire était vraie.
— Jésus, qui n’a gagné à sa cause que les moins dignes d’entre vous, n’est connu que depuis un peu plus de 300 ans, et de son vivant n’a rien fait qui soit digne d’être mentionné, à moins de penser que guérir des handicapés ou des aveugles voire exorciser des possédés de Bethsaïde et Béthanie, puisse être considéré comme un prodige.
— Bien que soit toujours conservé chez nous le bouclier venu du ciel, que le puissant Zeus ou Arès a envoyé afin de nous garantir qu’il protègerait à jamais notre ville et non pas en parole seulement, mais dans les faits, vous avez cessé de l’adorer ou de le révérer, mais vous adorez le bois de la croix, tracez quelque chose qui lui ressemble sur votre front et la gravez sur le fronton de vos maisons.
— En ce qui concerne la pureté des mœurs vous rivalisez de rage et d’aigreur avec les juifs, en détruisant temples et autels, et vous avez massacré non seulement ceux d’entre nous qui étaient restés fidèles aux enseignements de leurs pères, mais aussi des hommes qui étaient tout autant égarés que vous, les hérétiques, car ils ne se lamentaient pas de la même façon sur le cadavre [de Jésus]. Mais ceci est plutôt de votre fait, car nulle part ni Jésus ni Paul ne vous ont donné semblables instructions. Pour la bonne raison qu’ils n’ont jamais pensé que vous atteindriez un jour un tel degré de puissance ; qu’ils se contentaient que vous puissiez séduire des servantes ou des esclaves et à travers eux les femmes, voire des hommes comme Corneille [le centurion Corneille ?] ou Sergius.
-------------------------------- --------------------------------------------------------------------------------- --------------- -----
Contre-lai N° 85.
Haine et intolérance des chrétiens donc !
Sous Constance II nos bons chrétiens ont même parfois égorgé ceux qu’ils qualifiaient d’hérétiques (allusion aux excès commis contre les novatiens).
« C’est ainsi qu’à Cyzique et à Samosate, en Paphlagonie, en Bithynie, en Galatie et dans beaucoup d’autres provinces, des villes et des villages ont été pillés et anéantis ». Description de Gibbon conforme à la réalité comme en témoigne Ammien Marcellin (cf. XXll, 5, 4) : « Il n’y a point de bêtes féroces aussi hostiles aux hommes que le sont la plupart des chrétiens dans leur haine les uns des autres ».
Le reproche se trouve déjà chez Celse (ayant été ainsi séparés par leur nombre, ils polémiquent les uns avec les autres, n’ayant plus, pour ainsi dire, qu’un nom en commun, s’ils le conservent encore). N. D. L. R. Les chrétiens, ainsi que l’a bien vu Porphyre, ne font donc qu’adorer un mort et un sépulcre vide puisque la résurrection n’a jamais été prouvée.
--------------------- --------------------------------- ------------------------------------------ -------------------------------------
123
— Vous êtes tellement dans l’erreur ou insensés que vous tenez ces chroniques des vôtres comme étant dues à une inspiration divine bien qu’aucun homme ne puisse devenir plus sage plus courageux ou plus brave qu’il ne l’était avant après les avoir lues ; par contre les écrits qui peuvent donner courage sagesse et justice à quelqu’un, vous les attribuez à Satan ou à des suppôts de Satan.
— « La circoncision sera sur ta chair » dit Moïse (Genèse 17,13). Les Galiléens s’en moquent et disent quant à eux : « Nous circoncisons les cœurs ». Avec tout ça il ne devrait donc plus y avoir parmi vous de malfaiteurs ni de pécheurs, tellement vous avez circoncis vos cœurs.
— Ci-après les propres paroles de Paul à propos de ceux qui ont suivi son enseignement, et qui leur furent adressées en personne : « Ne vous y trompez pas, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les hommes efféminés, ni ceux qui abusent de leur corps avec des hommes, ni les voleurs, ni les cupides, ni les ivrognes, ni les calomniateurs, ni les bandits n’hériteront du royaume de Dieu. Et, vous ne l’ignorez pas, mes frères, c’est ce que vous étiez vous aussi avant, mais vous avez été sanctifié au nom de Jésus-Christ (1 Cor. 6, 9-11).
----------------------------- --------------------------------------------------------------------------------------------------- ------
Contre-lai N° 86.
L’expression « ceux qui abusent de leur corps avec des hommes » est un doux euphémisme pour pédérastes, sodomites…
Le tableau brossé par Paul, de ces premiers convertis, n’est guère édifiant effectivement. Et la doctrine du baptême rachetant toutes les fautes n’est pas sans poser quelques problèmes. Voltaire s’en souviendra dans son étude sur le baptême, destinée à l’Encyclopédie, mais il ne fut pas le premier à le dire. Augustin rapporte que les païens trouvaient l’idée du pardon des péchés, aussi facilement… impensable. À ce sujet, voir ce que nous avons dit dans notre commentaire de Porphyre (contre-lai Nº 75).
------------------------------- -------------------------------------------------------------------------------------------------- -----
FRAGMENTS ISOLÉS.
— Jésus prie en une langue digne d’un pauvre hère ne pouvant affronter le malheur avec sérénité, bien qu’étant Dieu il est réconforté par un ange (Gethsémani. Luc 22, 42-47). Mais qui vous a raconté cette histoire d’ange, Luc, si elle est jamais arrivée ? Car ceux qui étaient présents au moment de sa prière n’ont pas pu voir l’ange ; puisqu’ils dormaient. En effet lorsque Jésus sortit de sa prière il les trouva tous endormis et leur demanda : « Pourquoi dormez-vous ? Levez-vous et priez » et ainsi de suite. Voilà pourquoi Jean n’a rien écrit à propos de l’ange : il ne l’a jamais vu.
124
RÉFLEXIONS SUR LE FAIT QUE CERTAINS OUVRAGES DE L’ANTIQUITÉ
NE SONT PAS PARVENUS JUSQU’A NOUS.
ET DONC SUR LES MÉTHODES DU CHRISTIANISME NAISSANT (DU STALINISME AVANT LA LETTRE) !
La reconnaissance du christianisme comme étant une des religions officielles de l’Empire, par Constantin, en 313, et surtout à partir de 391, a vu s’abattre sur le monde antique une ère d’intolérance religieuse sans précédent. Les temples, considérés comme des « temples de l’erreur », furent fermés, puis désaffectés et souvent détruits. N’ont été sauvegardés que les édifices transformés en églises (Parthénon à Athènes, Temple de la Concorde à Agrigente, Panthéon à Rome…). Les statues des dieux et des déesses, considérées comme des « nids du démon », ont été mutilées, ou ont servi à l’alimentation des fours à chaux.
L’éviction d’édifices symbolisant une religion par la croyance qui lui succède est une constante de l’Histoire. Mais avec le triomphe du christianisme, conjointement à la disparition des demeures des anciens dieux ; ont aussi été jetées par les empereurs Théodose II en Orient, Valentinien III en Occident, vers 450, les bases légales génératrices des mesures nous ayant privés de la presque totalité des auteurs anciens. Elles dénotaient chez les éléments durs des chrétiens un état d’esprit confinant à l’intolérance qui sera donc à l’origine d’une censure impitoyable exercée par les moines sur les manuscrits pendant plus de mille ans. Les manuscrits des historiens ont dû franchir pour parvenir jusqu’à nous un double barrage : une barrière juridique doublée d’une impitoyable censure ecclésiastique.
L’analyse comparée des textes qui nous sont parvenus montre que la censure ne s’est pas exercée uniformément et selon un plan concerté, mais seulement avec une intention commune ; celle d’éliminer tout ce qui allait à l’encontre de l’orthodoxie post-constantinienne. De ce fait, l’action des censeurs s’est exercée de façon inégale selon les scriptoria où les auteurs anciens ont été recopiés, et des failles peuvent y être décelées, susceptibles d’être autant de rappels historiques.
Compte tenu du climat politico-religieux qui s’est développé au cours du haut Moyen-âge, un problème primordial se trouve alors posé, celui de l’intégralité de la transmission des textes originaux. Dans quelle mesure ceux-ci ont-ils été remaniés, interpolés ou expurgés ? Compte tenu de toutes les considérations qui précèdent, l’historien des origines du christianisme se trouve confronté à des problèmes spécifiques de sa discipline ; il ne peut aborder l’analyse de chaque œuvre historique qu’en fonction des réponses données aux trois interrogations suivantes.
1°) Les manuscrits en notre possession sont-ils postérieurs au début du haut Moyen-âge, date de l’emprise de l’Église sur les manuscrits (décrets de Théodose, etc.) ? [possibilité d’interception, dans le temps.]
2°) Dans le cas où nous possédons plusieurs manuscrits d’une même œuvre, ceux-ci remontent-ils à un archétype unique, ayant rendu possible, par la concentration des documents dans le même monastère, d’éventuelles adaptations ? [possibilité d’interception dans l’espace.]
3°) Les conditions matérielles dans le temps et dans l’espace étant réunies, les clercs, ayant eu durant plusieurs siècles la possibilité d’intercepter les écrits des historiens de l’Antiquité, les ont-ils effectivement « épurés » ? Les manuscrits qui nous sont parvenus révèlent-ils la trace de
125
remaniements quant au fait chrétien, permettant de conclure que les scribes ecclésiastiques sont passés de la capacité à l’acte ? (Passages tronqués ou interpolés, lacunes décelables par des citations étrangères, différences dans le libellé de différents manuscrits d’un même auteur, comparaison des propos de différents historiens quant aux mêmes circonstances.) [Interception et remaniements effectifs.]
Les traités des auteurs antiques ayant ouvertement polémiqué sur les origines de la religion chrétienne ont été éliminés, et c’est à travers certaines réfutations effectuées par des célébrités ecclésiastiques que nous pouvons encore les approcher. Très bien, c’est de bonne guerre ! Leur version des événements, même dénaturés reste riche à exploiter à condition de rester critique à l’égard de ces textes. Nous ne pouvons néanmoins que nous étonner du fait que les chrétiens n’ont pas su non plus nous conserver les œuvres de leurs premiers historiens. Que nous auraient appris par exemple les écrits de Papias, de Jules l’Africain, d’Hégésippe et de bien d’autres, tous évaporés ? Si elles n’ont pas toutes disparu, les quelques bribes de leurs ouvrages qui nous sont parvenues nous ont été transmises par des auteurs postérieurs acquis à la nouvelle orthodoxie.
Forts de nos observations relatives à la censure des textes touchant l’histoire du christianisme primitif ; nous sommes en droit de nous demander si les extraits du Discours Véritable cités par Origène ont été fidèlement rapportés, ou reflètent bien le sens original de l’œuvre dont ils sont extraits.
Nous en doutons fortement. Origène a dû faire comme on le fait quotidiennement en politique, en morcelant l’œuvre dont il devait rendre compte pour la restituer dans un autre ordre que le plan initialement suivi par son auteur, en caricaturant les propos, en tronquant les citations, en leur appliquant la règle bien connue du « deux poids deux mesures », en se gaussant des pailles dans l’œil de Celse, mais en évitant soigneusement de signaler les poutres dans les yeux de ses coreligionnaires, etc.
Autre chose maintenant. Si l’ouvrage de Celse est passé inaperçu lors de sa parution – ce dont on peut douter – comment expliquer dans ces conditions qu’Origène ait cru devoir attirer l’attention sur son Discours Véritable ; en prenant la peine d’y répondre en huit gros volumes ?
Il faut donc que la diffusion de l’ouvrage de Celse – rédigé vers 160 – ait perduré et se soit répandue dans de larges sphères de la société pour que, dans les milieux chrétiens, on en ait mesuré, tardivement, l’impact ; et que l’on ait cru bon de devoir en réfuter l’argumentation, vers 248, soit au bout de quatre-vingt-dix ans ; laissant ainsi passer presque quatre générations, pendant lesquelles on a permis à Celse de polémiquer sur la personne de Jésus.
Cette réfutation – tardive – est l’une des dernières œuvres rédigées par Origène puisque le castrat de Dieu mourut trois ans après. Ne pouvant conclure quoi que ce soit sur Celse ni tenter de juger de la valeur de son travail sans nous référer à ce que peut nous apprendre son adversaire ; force nous est de concentrer nos recherches autour de l’unique pièce dont nous disposons : le Contra Celsum.
Le texte grec du CONTRE CELSE nous est parvenu par plusieurs moyens.
a) Par le canal de huit manuscrits, qui tous dérivent d’un unique original, le Vaticanus graecus 386 A, que l’écriture permet de dater du XIIIe siècle (tradition directe).
b) Par une tradition indirecte, de morceaux « choisis » extraits des sept premiers livres du Contre Celse, rassemblés à la fin du IVe siècle par Basile, archevêque de Césarée, en collaboration avec Grégoire de Nazianze, dans une intention apologétique. Cette anthologie, la Philocalie d’Origène, nous a été transmise par plusieurs manuscrits, dont les plus anciens sont le Patmius 270 du Xe siècle et le Venetus Marcianus 47 B du XIe siècle ; qui dépendent d’un archétype du VIIe siècle, lui-même dépendant d’une copie du VIe siècle.
c) En 1941, en pleine guerre, a été découvert le papyrus de Toura (pap. 88747 du Musée du Caire). Il a été trouvé dans une galerie d’anciennes carrières de pierre de la région memphite que les autorités britanniques destinaient à servir d’entrepôts à munitions. Des ouvriers mirent ainsi par hasard la main sur des liasses de papyrus qui gisaient là, déposées à même le sol sans aucune protection. Il s’agissait non pas d’une cachette, mais d’un dépôt clandestin fait à la hâte.
Le manuscrit, daté – d’après l’écriture – du VIIe siècle, reproduit un peu plus des deux tiers du Livre I, et environ 1/3 du Livre II du Contra Celsum. Selon Scherer qui l’a édité en 1956, le moine copiste « retient et élimine ce qui lui plaît, abrège, tronque, et même parfois remanie ». C’est ainsi qu’il n’a pas reproduit le passage disparu, mais cité par Origène, du livre XVIII des Antiquités de Josèphe ; où l’auteur, « bien que ne croyant pas que Jésus fût le Christ, cherche la cause de la chute de Jérusalem et de la destruction du Temple » ; et affirme que « ces catastrophes arrivèrent aux juifs pour venger Jacques le Juste, frère de Jésus appelé (le) Christ » (Contra Celsum, I, 47 et Commentaire sur l’Évangile selon Matthieu X et XI).
Le Vaticanus, les manuscrits de la Philocalie, le papyrus de Toura, dépendent tous d’un archétype postérieur au IVe siècle, donc à l’ère constantinienne. Il importe de noter que le texte n’est resté
126
constant, ni entre l’édition du IVe siècle et le papyrus, ni entre le papyrus et le Vaticanus (XIIIe). Le texte du Vaticanus, dans sa teneur primitive et avant de subir les retouches de la première main, est donc déjà un texte altéré.
Arrivés à ce point de notre étude sur les méthodes du christianisme naissant, il faut se demander encore une fois si le Contra Celsum original a bien rapporté l’essentiel de ce que Celse a avancé ? Si le Contra Celsum a rapporté fidèlement l’argumentation de Celse ? Si la réfutation d’Origène a elle-même traversé les siècles jusqu’à nous sans subir de manipulations majeures ?
Que le CONTRE CELSE ne contienne pas une version complète du Discours Véritable de Celse, est évident. Origène a beaucoup élagué, certains passages sont visiblement tronqués et résumés. La partie où Celse relève les nombreux plagiats dont les chrétiens se sont rendus coupables à l’égard des philosophes helléniques est une des plus mutilées du Discours Véritable. Il n’est que de lire la deuxième partie du « Contre Celse » pour s’en convaincre.
À la fin de la prosopopée du rabbin qui termine le deuxième livre, Origène déclare : « Mais comme ce Juif… termine quelque part ici son discours en parlant d’autres sujets qui ne méritent pas qu’on s’y arrête, je terminerai ici ce deuxième livre de ma réponse à son traité » (C. C., II, 79).
Au chapitre 64 du livre III, Celse, d’après le témoignage d’Origène, faisait diverses remarques. Origène rapporte seulement la première et se tait sur les autres qu’il se borne à qualifier « similaires » (C. C., III, 64).
Dans le livre IV, le plus considérable des huit livres d’Origène, nombreuses sont les citations tronquées (chapitres 20, 43, 45, 46, 47) ; en plusieurs endroits la pensée de Celse est simplement résumée (chapitres 10, 71) et entre les chapitres 74 et 75, il y a une lacune considérable…
En 1940, le philologue allemand Bader, dont le livre peut être considéré comme l’ouvrage de base pour l’étude du texte et de la pensée de Celse ; a versé au dossier une série d’extraits où Origène avoue des omissions, puis une deuxième série de fragments dont le caractère incomplet, voire allusif, laisse apercevoir des coupures ou entrevoir des lacunes ; et l’auteur déclare que la perte de l’ouvrage (le Discours Véritable) ne peut être compensée par ces citations massives d’Origène. Le Contra Celsum ne rapporte pas une version complète du traité de Celse ; cela est hors de doute.
Nonobstant cela, certains critiques estiment néanmoins que nous possédons quand même environ les sept dixièmes en mot à mot du Discours Véritable.
Valeur historique du Contre Celse.
Puisque le juif de Celse affirme que « d’innombrables individus peuvent accuser Jésus d’impostures en alléguant que les prédictions qui ont été faites à son sujet leur étaient destinées », il devait certainement donner des exemples.
Le Contra Celsum a donc filtré le texte du Discours Véritable, et dénaturé les faits en déclarant « En vérité, je ne sais pas si Celse a connu des gens qui, après leur venue en cette vie, ont voulu rivaliser avec Jésus, et se proclamer eux-mêmes fils de Dieu ou puissance de Dieu » en dehors de Theudas qui s’est levé parmi les juifs avant la naissance de Jésus et de Dosithée ». [N. D. L. R. En ce qui concerne Theudas, il y a d’ailleurs eu anachronisme volontaire de la part d’Origène].
LA CONCLUSION QUI S’IMPOSE EST DONC CLAIRE.
Nous ne possédons qu’une partie, impossible à évaluer, du Discours Véritable. Et l’information dispensée par Origène est sujette à caution ; une intention apologétique a présidé au choix des citations.
Le discours vrai clôt le livre de raison de la pensée antique mourante et aucun des héritiers auquel il était destiné ne saura plus en faire bon usage pour éclairer ses choix. Après lui, l’Homme, en entrant dans la vie, n’aura plus, comme disait Renan, que le choix de la superstition, et, après le triomphe du christianisme en Occident, pendant des siècles, il ne l’aura même plus. Il faudra attendre le VIIe siècle pour retrouver des hommes pouvant faire preuve d’une certaine liberté de pensée vis-à-vis de cette idéologie dominante, notamment avec l’Irlandais appelé Mongan.
Voir la façon dont il se moque de l’évêque Tibraide dans le récit en gaélique intitulé « Compert Mongain ocus sercDuibe Lacha do Mongan ».
127
RAPPEL.
Thomas Aikenhead (28 mars 1676, 8 janvier 1697). Étudiant écossais d’Édimbourg, fut la dernière personne à être pendue pour blasphème en Grande-Bretagne. En France, ce fut le chevalier François-Jean Lefebvre de La Barre quelque quatre-vingt-dix ans plus tard ainsi que nous allons le voir.
Thomas Aikenhead fut inculpé en décembre 1696 sous le chef d’accusation suivant (en résumé)…
L’accusé a soutenu à plusieurs reprises dans diverses conversations, que la théologie était un tissu d’absurdités grossières, pour partie tirée de la doctrine morale des philosophes, et pour partie de fictions poétiques ou d’autres chimères tout aussi extravagantes. Il a tourné en ridicule les saintes Écritures, traité de fables à l’instar de celles d’Ésope le livre d’Esdras dans l’Ancien Testament ; s’est moqué du Christ en prétendant qu’il avait appris l’art de la prestidigitation en Égypte, ce qui lui aurait permis d’exécuter les tours de magie que l’on a considéré plus tard comme des miracles. Il a qualifié le Nouveau Testament d’histoire de l’imposteur appelé le Christ ; soutenu que Moïse fut un plus grand magicien et un meilleur politicien que lui, qu’il préférait Mahomet ; en outre que les Saintes Écritures étaient truffées de tant de folies, d’absurdités ou de contradictions, qu’il était sidéré par le fait que le monde entier a pu être berné si longtemps par une telle imbécillité. Il a renié le mystère de la Sainte Trinité, ne le jugeant même pas digne d’être réfuté, enfin il s’est moqué du mystère de l’incarnation du Christ. Il a aussi assuré que le christianisme aurait totalement disparu en 1800.
Aikenhead fut également inculpé pour avoir déclaré un jour : « Je voudrais être dans ce lieu qu’Esdras appelle l’Enfer, afin de pouvoir m’y réchauffer ». Cette déclaration de sa part fut faite en passant devant l’église de Tron Kirk, alors qu’il rentrait d’une nuit de beuverie avec des camarades de classe.
L’accusation fut soutenue par James Stewart (le grand-père du futur grand économiste jacobite James Denham-Steuart) qui demanda la peine de mort afin de servir d’exemple à ceux qui seraient tentés d’exprimer de semblables opinions à l’avenir. Aikenhead se rétracta au cours de l’audience et implora la clémence du tribunal, mais en vain, et il fut condamné à mort par pendaison. Le matin du 8 janvier 1697, Thomas écrivit à ses amis : « Les hommes ont un penchant insatiable pour la recherche de la vérité, être toujours à sa recherche ainsi qu’un trésor enfoui est inné en eux… » Sur l’échafaud il réitéra aussi sa conviction que les lois morales avaient une origine humaine et non pas divine.
Thomas Babington Macaulay a dit un jour de la mort d’Aikenhead que « ce jour-là, la foule des prêcheurs entourant ce pauvre garçon, au pied de la potence, a certainement insulté le Ciel de prières encore plus blasphématoires que tout ce qu’il avait pu dire ».
128
RAPPEL.
François-Jean Lefebvre de La Barre (12 septembre 1746, 1er juillet 1766).
Le chevalier François-Jean Lefebvre de La Barre, né le 12 septembre 1746 au château de Férolles-en-Brie, exécuté à Abbeville le 1er juillet 1766, est au même titre que l’Écossais Thomas Aikenhead en 1697, une victime de l’intolérance religieuse au siècle des Lumières dans une affaire où s’investiront les philosophes des Lumières au nom de la tolérance religieuse.
L’affaire commence suite à la dégradation, découverte le 9 août 1765, de la statue du Christ s’élevant sur le pont neuf d’Abbeville. Cette statue avait été tailladée à plusieurs endroits par « un instrument tranchant » qui, comme l’écrivit l’huissier du roi, provoqua ainsi à la jambe droite « trois coupures de plus d’un pouce de long chacune et profondes de quatre lignes » et « deux coupures à côté de l’estomac ». L’émotion dans la cité picarde est immense, car, selon l’Église catholique, par ce geste, c’est Dieu, et non pas seulement son symbole, qui est frappé. Ainsi, signe de la gravité de ce blasphème, l’évêque d’Amiens lui-même, Mgr Louis-François-Gabriel d’Orléans de La Motte mène, pieds nus, la cérémonie « d’expiation » pour réparer ce sacrilège, en présence de tous les dignitaires de la région.
Qui a commis ce blasphème ? Les rumeurs vont bon train, mais, faute de preuve, il faut recourir à une enquête très poussée pour punir un tel blasphème. Les curés incitaient même à la délation lors des messes du dimanche. Finalement, l’enquête est menée par Duval de Soicour, lieutenant de police d’Abbeville, qui s’implique avec acharnement, n’hésitant pas à fournir de fausses accusations et de faux témoignages, et par le lieutenant du tribunal local Belleval, qui est un ennemi personnel du chevalier de La Barre, depuis que sa tante, l’abbesse de Willancourt, a repoussé ses avances.
Intimidées, les personnes interrogées accusent le chevalier de La Barre et deux « complices », Gaillard d’Etallonde et Moisnel, d’avoir chanté deux chansons libertines irrespectueuses à l’égard de la religion et d’être passés devant une procession en juillet 1765 sans enlever leur couvre-chef. Pire, les trois hommes par défi refusent de s’agenouiller lors du passage de cette même procession. Après dénonciation, une perquisition menée au domicile de La Barre conduit à la découverte de trois livres interdits (dont le Dictionnaire philosophique de Voltaire et des livres érotiques) qui achève de le discréditer en dépit d’un solide alibi. Par malheur pour de La Barre, l’évêque d’Amiens et les notables locaux (encouragés par d’influents dévots attachés à la tradition) souhaitaient faire de ce cas un véritable exemple.
Pensant être innocenté grâce aux relations de sa famille, le chevalier de La Barre ne prépare pas sa fuite et il est arrêté le 1er octobre 1765 à l’abbaye de Longvillers, malgré le remarquable plaidoyer du journaliste et avocat Linguet ainsi que la défense des amis de l’abbesse de Willancourt devant le parlement de Paris, la condamnation aux galères obtenue en première instance (au tribunal de l’élection concernée) est commuée en condamnation à mort. Le roi de France lui-même est sollicité, mais peu convaincu par les arguments des défenseurs du chevalier, il lui refuse sa grâce malgré l’intervention de l’évêque d’Amiens.
129
Le chevalier de La Barre est donc condamné, à subir la torture ordinaire et extraordinaire pour dénoncer ses complices, à avoir le poing et la langue coupés, à être décapité et brûlé avec l’exemplaire du Dictionnaire philosophique cloué sur le torse. Cette sentence pour blasphème est exécutée le 1er juillet 1766 à Abbeville par cinq bourreaux spécialement envoyés de Paris (dont le bourreau Sanson qui lui tranchera la tête). « Je ne croyais pas que l’on pût faire mourir un gentilhomme pour si peu de chose » auraient été ses dernières paroles.
Il fut, par la suite, établi que la dégradation du crucifix à l’origine de l’affaire du chevalier de la Barre aurait été causée par l’accident d’une charrette chargée de bois. Le chevalier de la Barre était dans sa chambre la nuit de la dégradation du crucifix. Cette condamnation était de toute façon privée de base légale même dans la France de l’époque ; la Déclaration du 30 juillet 1666 sur le blasphème ne prévoyant pas la peine de mort.
RAPPEL.
Jean Toland (1670-1722).
Notre attention a été jadis attirée (en 1978 ??) et alors que nous étions encore bien jeune,fraîchement débarqué à Paris, par un certain nombre d’ouvrages des philosophes anglais découverts chez les bouquinistes sous le couvert du baron Paul Heinrich Dietrich von Holbach, un philosophe allemand du XVIIIe siècle.
Coups de hache sur les racines de l’imposture sacerdotale chez les chrétiens par un laïc. 1742.
Les prêtres démasqués ou Des iniquités du clergé chrétien 1768.
Lettres philosophiques sur l’origine des préjugés, du dogme de l’immortalité de l’âme, de l’idolâtrie.
Examen des prophéties qui servent de fondement à la religion chrétienne ; et enfin « Le Nazaréen, ou le christianisme des juifs, des gentils et des mahométans ». De « l’Anglois » Jean Toland. Nous en reparlerons.
Ce qui nous a permis également de découvrir, de fil en aiguille, la traduction en langue vernaculaire, due à un autre auteur du texte latin de son Panthéisticon et de ses diatribes.
Et pour finir son christianisme sans mystère évoqué par Jean-Pierre Nicéron en 1730 (mémoires pour servir à l’histoire des hommes illustres).
Voici ce que l’on peut dire de John Toland d’après ces…
MÉMOIRES POUR SERVIR À L’HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES DANS LA RÉPUBLIQUE DES LETTRES AVEC UN CATALOGUE RAISONNÉ DE LEURS OUVRAGES.
Le tome X contient en effet d’intéressantes additions ou corrections à la notice déjà publiée à son sujet.
Nous les résumerons quelque peu, car le révérend père Jean-Pierre Nicéron est évidemment très sévère avec Toland. Mais comme tout n’est pas faux dans ce qu’il écrit…
Toland naquit le 30 novembre 1670. On lui donna le nom de Janus Junius à l’occasion de son baptême ; mais comme les enfants avec lesquels il étudiait à l’école se moquaient de lui à cause de nom-là, le Maître voulut qu’on lui donnât celui de Jean, et il l’a gardé depuis.
On ne connaît pas trop sa famille. On lui a reproché d’être un bâtard ; mais l’auteur de sa biographie oppose à ce reproche une attestation de trois Franciscains irlandais, faite à Prague en Bohême, et que je rapporterai ici.
Infra scripti testamur Dom. Joannem Tolandum ortum esse ex honesta, nobili et antiquissima Familia, qua per plures centenos annos, ut Regni Historia et continua monstrant memoria, in Peninsula Hiberniae Enis-Oen dicta, prope urbem Londino-Deriensem in Ultonia, perduravit. In cujus rei
130
firmiorem fidem, nos ex eadem patria oriundi propriis manibus subscripsimus. Praga in Bohemia hac die 2 Januarii 1708. Joannes O’ Neill, Superior Collegi Hibernorum. Francisus O’Deulin S. Theologiae Professor. Rudolphus O’Neill S. Theologiae Lector.
Les soussignés attestent que M. Jean Toland est issu d’une honorable, noble, et très ancienne famille, qui depuis plusieurs siècles ainsi que l’histoire de ce royaume et de continuelles mentions de la famille l’établissent assurément, habite la péninsule irlandaise appelée Enis-Owen, près de la cité de Londonderry en Ulster. Afin de le certifier, nous, natifs du même pays, avons écrit ceci de notre propre main à Prague en Bohème le 2 janvier 1708.
Mais pour que ce certificat fasse foi, il faudrait être sûr que ces Irlandais eussent connu la famille de Toland par eux-mêmes et non seulement par ce qu’il leur en avait dit. Ce dont nous ne sommes nullement assurés.
Le 30 juin 1690, il fut reçu Maître-ès-Arts à Édimbourg, et le certificat lui en fut donné le 22 juillet.
Il passa ensuite en Angleterre, d’où il partit pour Leyde afin d’y continuer ses études. Il y était lorsque Daniel Williams, ministre anglais, publia un livre intitulé : La Vérité de l’Évangile établie et défendue. Londres 1692.
Toland envoya ce Livre à M. Le Clerc, afin qu’il en donnât un extrait dans sa Bibliothèque Universelle, et lui écrivit en même temps une lettre assez longue, où il lui en faisait l’histoire. Cette lettre se trouve dans le vingt-troisième volume de cette Bibliothèque, p. 505, en tête de l’extrait de M. Le Clerc, qui lui donne la qualité d’étudiant en Théologie.
Après un séjour d’environ deux ans à Leyde, Toland retourna en Angleterre, et alla demeurer à Oxford, où il eut l’occasion de converser avec plusieurs savants, et de trouver les livres qu’il souhaitait dans la fameuse Bibliothèque de cette Université.
Il commença dès lors à faire connaître le goût qu’il avait pour les paradoxes et pour les nouveautés, voire à s’en prendre aux opinions vulgaires et communément reçues. II écrivit pour cela quelques pièces ; entre autres une Dissertation, où il prouve que ce que l’on dit de la mort tragique de Regulus n’est qu’un roman. Cette Dissertation, qui est datée d’Oxford le 6 août 1694, se trouve parmi ses Œuvres posthumes, tome 2. p. 28. Toland reconnaît qu’il tenait cette opinion de Paumier de Grentemesnil, qui avait prétendu la même chose dans ses observations sur les auteurs grecs.
Il avança des propositions plus dangereuses [du point de vue du révérend Jean-Pierre Nicéron s’entend] dans son Livre de la Religion chrétienne sans mystères, qu’il commença donc à Oxford, mais qu’il alla finir, et qu’il publia en 1696, à Londres.
Toland ayant été obligé de partir d’Irlande après la condamnation de son Livre de la Religion chrétienne sans mystères, il se retira en Angleterre, où il publia d’abord une Apologie. Elle est intitulée : Apologie pour M. Toland, contenue dans une lettre écrite par lui-même à un membre de la Chambre des Communes d’Irlande, la veille du jour que son Livre fut condamné au feu, avec une Préface qui explique le sujet qui la lui a fait écrire.
Peu de temps après, la Chambre basse de l’Assemblée du clergé d’Angleterre ayant nommé des commissaires pour faire le rapport des ouvrages impies qui se répandaient dans le Royaume, on y comprit la Religion chrétienne sans Mystères, et l’Amyntor. Toland écrivit alors deux lettres au Docteur Hooper, Orateur de la Chambre basse, afin d’essayer d’arrêter les procédures qu’on se disposait à lancer contre ses ouvrages, ou pour faire en sorte qu’on l’écoutât au moins dans ses défenses avant que de les censurer ; mais on n’eut point d’égard à ses demandes. Les Commissaires tirèrent des deux livres dont je viens de parler, cinq propositions, qui tendaient à la destruction de la Religion chrétienne, et sur leur rapport la Chambre basse présenta aux Évêques un Mémoire pour leur demander leur avis, et les prier de se joindre à eux pour supprimer ces livres et ses semblables. Le tour que prit cette affaire mérite d’être rapporté.
Sur la remontrance de la Chambre basse, la Haute nomma aussi ses Commissaires, qui examinèrent les livres de Toland, et y trouvèrent diverses propositions dangereuses, entre – autres une qui leur paraissait le fondement de tout le reste, quoique la Chambre basse ne l’eut pas remarquée. Là-dessus les deux Chambres convinrent donc unanimement de procéder contre l’auteur et ses
131
ouvrages, autant que les lois leur permettaient de le faire. Il fut donc résolu de consulter sur cela les plus habiles jurisconsultes ; et les évêques, qui furent chargés de ce soin, rapportèrent à l’Assemblée, que leur ayant demandé leur avis au sujet des livres impies, hérétiques et contraires aux bonnes mœurs, et particulièrement des livres déférés par la Chambre basse, ils avaient répondu qu’il ne leur paraissait pas possible sauf permission expresse du Roi (qu’ils n’avaient pas encore) de procéder juridiquement contre aucun de ces ouvrages ; qu’ils étaient persuadés au contraire que les deux Chambres de l’Assemblée en procédant contre eux, pourraient encourir les peines portées par le Statut de la 25e année de Henri VllI. Ils ajoutèrent que les jurisconsultes, qu’ils avaient consultés, avaient répondu ainsi sur les deux questions qu’ils leur avaient posées.
1° Est-il contraire à quelque loi que l’Assemblée du Clergé prononce qu’un livre est hérétique, impie et contraire aux bonnes mœurs ? Oui.
2° Les Propositions extraites du livre intitulé : La Religion chrétienne sans Mystères, contiennent-elles un sentiment qui soit contraire à quelque loi ? Non.
Ils dirent enfin, que ne se contentant pas de la décision des jurisconsultes, ils avaient examiné ce qui s’était pratiqué auparavant dans semblables cas, et qu’ils avaient trouvé qu’en 1689 sur une plainte portée par la Chambre basse à la Haute contre certains livres, les Docteurs en Droit Canon et en Droit Civil avaient décidé que l’Assemblée ne pouvait se prononcer judiciairement sur des affaires de cette nature…
Toland donna en 1704 la vie d’Ésope par Monsieur de Meziriac traduite en anglais.
L’année suivante on vit paraître de sa façon le vrai tableau du Socinianisme *, où l’on voit un exemple de la bonne foi que l’on doit garder dans les disputes théologiques…
De Vienne il passa à Prague en Bohême, où les Franciscains irlandais lui donnèrent l’attestation que j’ai rapportée ci-dessus. Comme l’argent commençait alors à lui manquer, il se hâta de retourner en Hollande, où il demeura jusqu’en 1710. Il s’y fit connaître du Prince Eugène de Savoie, dont les libéralités ne lui furent pas inutiles, et il y publia divers ouvrages.
Adeisadaemon, dont j’ai parlé.
Une seconde édition de la Philippique du Cardinal de Sion qu’il fit publier à Amsterdam en 1709 en y ajoutant une invective contre l’auteur du Mercure Galant sous ce titre : Gallus Aretalogus, odium Urbis et ludibrium, sive Gallantis Mercurii gallantissimus scriptor Vapulans.
Lettre d’un Anglais à un Hollandais, au sujet du Docteur Sacheverell, « présentement en arrêt par ordre des Communes de la Grande-Bretagne, et accusé de hauts crimes et malversations à la Barre des Seigneurs ».
Les libéralités de M. Harley, qui était alors grand Trésorier, lui donnèrent les moyens d’avoir une maison de campagne à Epsom, village de la Province de Surrey, et d’y recevoir ses amis.
On vit paraître de lui en 1712…
Lettre centre le Papisme, et principalement contre l’autorité que les papistes attribuent aux Pères ainsi qu’aux Conciles dans les disputes de Religion. Par la feue reine de Prusse Sophie Charlotte. Ou Réponse à la lettre écrite à cette Princesse par le P. Vota, Jésuite italien, traduite en anglais avec une préface du traducteur, où I’on voit ce qui a donné occasion à cette lettre, et une Apologie pour l’Église d’Angleterre.
Ces ouvrages de politique n’empêchaient pas Toland de former d’autres desseins littéraires. Il distribua lui-même à ses amis le plan d’une nouvelle édition de Cicéron, qu’il se proposait de faire imprimer par voie de souscription. Ce plan, qui est en forme de Dissertation, est intitulé : Cicero illustratus, Dissertatio Philologio-Critica : sive Consilium de toto edendo Cicerone, alia plane methodo quam hactenus unquam factum. Il est daté du mois de septembre 1712.
On l’a réimprimé dans le premier volume des Œuvres posthumes de Toland p.231.
L’année 1713 on vit sortir de la plume de Toland les livres suivants :
Appel aux gens de bien contre les ecclésiastiques vicieux, ou les principes et les maximes des Laïcs païens touchant l’obéissance civile, ainsi que la liberté de conscience, contraire aux principes séditieux et intolérants de quelques-uns des anciens ecclésiastiques chrétiens, avec une application
132
aux ecclésiastiques corrompus de ce temps : ouvrage composé à l’occasion du dernier sermon du Docteur Sacheverell.
Toland, qui ne travaillait que pour gagner de l’argent, avait toujours soin de donner à ses ouvrages des titres qui en imposaient, voire qui leur procurassent de la vente ; on le reconnaît facilement par ceux-ci.
Il publia en 1714 :
L’Art de rétablir ou la piété et la probité du General Monk dans le rétablissement du Roi prouvées par ses propres lettres. Il s’est fait en trois mois dix éditions de cet ouvrage.
Recueil des lettres de son excellence le Général Georges Monk, au sujet du rétablissement de la Famille royale ; précédé d’une introduction, où l’on fait voir par des preuves incontestables, que Monk avait formé en Écosse le projet de ce rétablissement, contre les chicanes de ceux qui voudraient lui enlever la gloire de cette action !
L’éloge funèbre et le caractère de feue son altesse royale la Princesse Sophie, avec l’explication d’une médaille sur sa mort, écrite originairement en latin [par M. Cramer] traduits en Anglais, par M. Toland.
J’avais dit que l’Anatomie de l’État de la Grande-Bretagne n’était point de lui ; mais puisque le dernier auteur de sa biographie la met au nombre de ses ouvrages, sans former le moindre doute à ce sujet, il est donc juste de la lui rendre.
Elle est intitulée : Anatomie de l’État de la Grande-Bretagne, contenant un détail circonstancié de ses différents intérêts, des partis qui la divisent, et de leurs différents caractères ; et ce que chacun d’eux, de même que le reste de l’Europe, peut espérer ou craindre du Gouvernement et de la famille du roi Georges. Mémoire envoyé à un ministre étranger, qui doit venir résider en Angleterre, par un de ses amis intimes. En 1717.
Daniel Defoe, écrivain vénal comme lui, et le Docteur Fiddes, chapelain du Comte d’Oxford, ayant fait séparément des Réponses à cet écrit, Toland leur répondit conjointement dans une seconde partie de l’Anatomie. On trouva ces deux brochures assez curieuses, et la vente en fut très grande.
L’année 1718 il fit imprimer avec des éclaircissements à sa façon la prétendue prophétie de S. Malachie, archevêque d’Armagh, d’où il concluait, et par voie de prédiction, et par voie de raisonnement, que la chute de l’empire du Pape n’était pas éloignée. Son ouvrage a pour titre : La destinée de Rome, ou la probabilité de la prompte et finale mort du Pape, tirée pour partie de plusieurs raisons naturelles et observations politiques et pour partie de la fameuse Prophétie de S. Malachie, archevêque d’Armagh au XIIIe siècle. Avec une pièce curieuse contenant les caractères emblématiques de tous les Papes depuis son temps, jusqu’à leur complète disparition.
On le vit en 1720 se mêler de disputes d’un ordre supérieur. La Chambre des Seigneurs du Parlement d’Angleterre ayant fait passer un Bill, où il était dit qu’on pourrait en appeler à elle des décisions de celle du Parlement d’Irlande, on publia à Dublin, en faveur de celle-ci, quelques petites pièces que Toland fit réimprimer à Londres, et il rédigea lui-même à cette occasion une brochure intitulée : Raisons pour lesquelles la Chambre des Communes doit rejeter le Bill que celle des Seigneurs lui a envoyé.
Le dernier ouvrage qu’il a donné au public est un recueil des lettres du comte de Shaftesbury à M. Molesworth, avec une longue préface de sa façon. Tout roule dans ces lettres sur l’amour de la Patrie, et sur le choix d’une femme.
POUR PLUS D’INFORMATION encore voir le « Nouveau dictionnaire historique et critique » par Jacques Georges de Chauffepié, tome IV, Amsterdam 1756.
TOLAND (Jean) [A] naquit le 30 novembre 1670 (a) dans la Péninsule la plus septentrionale de l’Irlande & dans l’isthme où est Londonderry (b) ; il étoit d’une bonne famille [B]. Ses parents étoient
133
Catholiques-Romains, car… Etc., etc. Ses œuvres posthumes ont été imprimées à Londres en 1726 en deux volumes in -8°.
On a produit après sa mort un Recueil de plusieurs pièces de M. Jean Toland publiées pour la première fois sur les manuscrits de l’auteur, avec quelques particularités historiques touchant sa vie et ses écrits. 2 volumes. Londres 1726.
*Socinianisme est le nom donné à l’antitrinitarisme ou unitarisme. Il vient de celui de Socinius, un des grands penseurs de la Réforme, à la fois rejeté par les catholiques et les Protestants.
La plupart de ses œuvres majeures ont été publiées en Pologne à Rakow. Dieu est une personne, le Père, et non trois personnes en une. Jésus n’était pas Dieu, ce n’était qu’un homme, qui a été élevé au rang de Dieu seulement après sa mort et sa résurrection, etc.
ŒUVRES MAJEURES.
Ainsi que nous avons pu le voir, John Toland a été un auteur très prolifique. De ses très nombreuses publications nous retiendrons le Christianisme judaïque païen et mahométan (1710), le Panthéisticon, l’Histoire de la religion celte, et enfin Le christianisme sans mystère.
— À propos du christianisme judaïque païen et mahométan, contenant l’histoire de l’antique évangile de Barnabé ainsi que l’évangile moderne des mahométans.
Il s’agit des recherches de John Toland sur un manuscrit irlandais écrit à Armagh en 1138 par un moine culdée nommé Mael Brigte (Harleian Library 1802) et publiées en 1710 dans les dissertations diverses qu’il dédicaça au Prince Eugène de Savoie sous le pseudonyme de Tolandus.
Le manuscrit avait été conservé à Paris en tant que texte latin contenant des notes rédigées en anglo-saxon ; mais comme Toland connaissait très bien le gaélique et pour cause, il s’aperçut que ce n’était pas de l’anglo-saxon, mais des notes en vieil irlandais dues à un moine culdée.
La version française de 1710 adressée au prince Eugène de Savoie est plus claire et plus directe que la traduction anglaise qui en a été donnée en 1718 sous le titre de Nazarenus, c’est donc cette variante que nous conseillons. Elle figure dans le Nazarenus publié en 1999 à Oxford par la maison d’édition Justin Champion pour le compte de la fondation Voltaire. Dans la série Déisme et libre pensée.
— Le Pantheisticon est de 1720 et non pas 1710 comme on l’avait mis. Le Panthéisticon est un ouvrage en latin essentiellement consacré à la liturgie pratiquée par certains cercles panthéistes ou francs-maçons de son temps. Le panthéisme de ce livre est inspiré de celui de Giordano Bruno (1548-1600) dont Toland avait traduit les œuvres et non de celui de Spinoza. Il est signé du nom de Janus Junius Eoganesius Cosmopoli. Eoganesius voulant dire « d’Inishowen » en latin d’Église, conformément à la coutume gaélique en matière de désignation des individus, et Cosmopoli « citoyen du monde ». Margaret Jacob a récemment prouvé que Toland était effectivement à l’origine d’une loge maçonnique hétérodoxe fondée à La Haye au début du dix-huitième siècle ; et que le rituel décrit dans le Pantheisticon était sans doute bien moins fantaisiste qu’on ne se l’était imaginé.
Toland a donc été le premier à utiliser ou à diffuser le terme « panthéiste » (« panthéiste » et non « panthéisme », car les – ismes n’étaient pas son genre). Il en avait vraisemblablement trouvé l’idée dans l’œuvre de Giordano Bruno. Le terme « panthéisme » lui, par contre, a été lancé après sa mort par certains de ses héritiers spirituels.
Pour Toland ce panthéisme « avant la lettre » n’était pas du matérialisme athée. Il croyait en un Être supérieur immanent, transcendant la matière, mais pas à la façon d’un grand architecte de l’Univers comme dans le déisme.
Dans la partie formulaire de célébration de la sodalité (société) socratique, Toland a paradoxalement écrit… :
— Ne jurez par aucune doctrine.
— Pas même celle de Socrate. Ayons en exécration tous les dogmes.
— Nous devons toujours souhaiter un esprit sain dans un corps sain.
— La joie est la marque de la liberté et la tristesse celle de la servitude.
134
— Il vaut mieux ne commander à personne que d’obéir à quelqu’un.
— On peut vivre honnêtement sans serviteur, mais il n’est pas possible de vivre dignement avec un Maître.
(Traduction sous toute réserve, bien qu’ayant été fort en version, mes sept ans de latin sont loin.)
En matière politique le panthéisme implique la démocratie directe. Si l’univers n’a pas besoin de grand architecte, la société n’a pas besoin d’un mauvais roi.
Comme l’a très bien dit un jour mon vieux maître Pierre Lance, qui, lui, savait utiliser à la perfection la langue française, ce qui n’est pas mon cas ; « Si deux personnes sont entièrement d’accord sur quelque chose, alors c’est qu’il n’y en a qu’une des deux seulement qui réfléchit ».
Pour John Toland la vérité est toujours plurielle, et il n’est pas possible que deux personnes se servant également de leur raison puissent tomber entièrement et à 100 % d’accord sur tout.
On est tous différents les uns des autres, on n’est pas tous pareils, on n’est pas tous identiques, et chacun suit sa propre route dans la vie.
Inutile donc de chercher le consensus parfait sur des questions aussi importantes que Dieu ou ce que doit faire un gouvernement. Les débats n’ont qu’une seule utilité : amener chacun à clarifier ses positions.
— L’histoire de la religion celte. Publiée « en vrac » avec diverses autres pièces (deux volumes) en 1726 par Pierre Des Maizeaux. Huguenot français exilé à Londres.
Sous forme de trois lettres adressées au vicomte Molesworth. Suivies des réponses faites par son ami Jones aux 12 questions à ce sujet soulevées par un certain M. Tate ?
Avec en annexe un très court glossaire de quelques termes celtes ou d’origine celte.
Mais lorsque Toland évoque l’histoire des très-sachants de la druidiaction (druidecht), ce n’est pas seulement pour faire œuvre d’historien, c’est aussi pour faire œuvre de polémiste. Cette histoire ne sera pas pittoresque, mais emblématique : l’histoire des druides, en résumé, est toute l’histoire de la prêtrise.
À travers l’exemple des très-sachants de la druidiaction (druidecht), Toland vise à illustrer le mode de fonctionnement de tout clergé et au premier chef du clergé catholique. Que ce soit là son but, il l’écrit d’une manière on ne peut plus explicite.
Pourtant et de façon apparemment contradictoire, c’est à ces mêmes très-sachants de la druidiaction (druidecht) qu’il attribue une doctrine panthéiste qui n’est pas sans rappeler la sienne propre. Il décrit leurs deux grandes doctrines, l’éternité ainsi que l’incorruptibilité de l’univers, et la révolution incessante de tous les êtres ainsi que de leurs formes, qui selon lui rappellent Pythagore, ce qui n’était pas tout à fait exact d’ailleurs. Mais en faisant ce rapprochement, Toland n’innovait en rien, puisqu’il se bornant à reprendre l’opinion des autorités classiques, comme Diodore de Sicile ou Strabon, auxquelles il fait abondamment référence.
ON SAIT AUJOURD’HUI QU’IL NE S’AGIT QUE D’UNE RESSEMBLANCE FORTUITE ENTRE DES DOCTRINES EN RÉALITÉ TRÈS DIFFÉRENTES.
Autant qu’à la religion des très-sachants de la druidiaction (druidecht), Toland s’intéresse au christianisme celtique, tel qu’il était pratiqué en Irlande avant la soumission à Rome consacrée définitivement par le synode de Kells en 1153.
Le rejet de la confession auriculaire, la conception de l’eucharistie comme rituel de commémoration, la pratique de la communion sous les deux espèces pour le repas de commensalité « devogdonion » sont autant de signes supplémentaires de ce lien avec la religion réformée. Les moines irlandais gagnaient leur vie en travaillant de leurs mains, contrairement aux frères mendiants que Toland vitupère en des termes identiques à ceux qu’employaient les prédicateurs puritains de la fin du seizième siècle.
Plus érasmien que presbytérien, Toland ne veut pas d’une Église qui se mêle indûment des affaires civiles. Il n’hésite guère à définir ces chrétiens irlandais, au prix d’un anachronisme aussi délibéré que révélateur de sa propre évolution, comme des latitudinariens d’Occident. Les latitudinariens étaient des penseurs anglicans du 17e siècle cherchant à réconcilier foi et raison.
Et puisque le christianisme celtique est une protoréforme, sa propre conversion n’est plus un reniement ; elle devient plutôt un retour aux sources. Mais il nous faut bien en venir à une question : en quoi ce que Toland a écrit importe-t-il à l’histoire des antiquités irlandaises ou de l’Irlande médiévale ?
Qu’avons-nous noté jusqu’ici ? De fréquentes références à des sources gréco-romaines, pas toujours fiables ; le recours à l’histoire comme justification, tant du destin personnel de l’auteur, que de sa pensée ; plus généralement l’utilisation des antiquités celtiques comme moyen métaphorique pour évoquer des questions contemporaines, car Toland opère sur deux registres différents à la fois, celui
135
de l’étude historique et celui de l’utilisation polémique des résultats de cette étude. Les rapports entre le passé et le présent s’imposent naturellement à l’esprit, en vertu d’une relation analogique d’autant moins étonnante que l’histoire humaine est régie par des lois non moins immuables que celles qui gouvernent le cours des astres.
S’il s’appuie sur des auteurs classiques dont l’exactitude n’est pas le trait principal, ce ne sont pourtant pas là ses seules sources. Il recourt aussi à des textes irlandais dont on aimerait connaître le détail. Il évoque en effet dans cet ouvrage : « La connaissance de l’ancien irlandais, acquise dès mon enfance, et celle d’autres dialectes celtiques, dont j’ai des livres ou des manuscrits (pour ne rien dire de leurs traditions populaires), sont absolument nécessaires ; ceux-ci ayant préservé d’innombrables documents concernant les druides, qui ne sont jamais parvenus jusqu’à présent entre les mains des savants ».
Il est au fait des travaux d’érudits récents, voire contemporains, comme Boxhorn, Edward, Lwhyd, Camden, Aubrey (qu’il connut personnellement à Oxford comme nous l’avons vu). Loin de se borner à toujours suivre ses sources, il est capable de prendre vis-à-vis d’elle une distance critique ; comme lorsqu’il rejette, à juste titre, l’identification des Celtes et des Germains, bien que cette théorie soit défendue par nombre d’auteurs depuis l’Antiquité. Formulée d’abord par Hérodote, l’hypothèse est accréditée par Diodore de Sicile, reprise et formalisée par Cluver au début du XVIIe siècle, dans ses Germaniae antiquae libri de 1616.
Contre cette tradition Toland affirme en effet que le celtique et le gothique, qui ont souvent été pris l’un pour l’autre, sont aussi différents que le latin et l’arabe.
Que nombre de choses, dans ce qu’écrit Toland, soient sujettes à caution, ne doit donc pas entraîner de jugements trop hâtifs en sa défaveur. N’oublions pas que l’ouvrage qu’il projetait d’écrire ne fut jamais achevé ni que la science historique en était encore à ses balbutiements.
L’intérêt de ses écrits réside dans la nouvelle attitude mentale qu’il s’efforce de promouvoir et de formaliser vis-à-vis de ce qu’il appelle le monde britannique antique.
Nous rappelions au début de cet article que l’un des principes fondamentaux de la pensée de John Toland est celui de l’équivalence de tous les points du globe, et partant de toutes les nations. Or ce principe peut s’étendre en deux sens distincts, et opposés, comme le sont le côté pile ou le côté face d’une même médaille. Cette homogénéisation de l’espace signifie à la fois que tous les lieux sont également indifférents, mais aussi qu’ils sont également dignes d’intérêt. Ce qui peut apparaître comme un postulat réducteur permet au contraire de hausser à une égale dignité des peuples et des cultures traditionnellement défavorisées par rapport à d’autres. Dans cette perspective, les antiquités du monde britannique, et spécifiquement irlandais, ne sont pas moins dignes d’intérêt que l’antiquité classique.
ET C’EST LÀ UN PRINCIPE RÉVOLUTIONNAIRE STRUCTURANT AUX MULTIPLES RÉPERCUSSIONS DANS UNE PSYCHÉ, UNE VÉRITABLE ONDE DE CHOC.
Tout homme vaut tout homme, et les Celtes valent bien les Grecs et les Romains, ou les juifs, comme le donnent à entendre ces lignes que parcourt un frémissement d’indignation ressemblant fort à une réaction d’amour-propre blessé. Le docteur Kennedy écrit – Dissertation sur la famille des Stuarts, préface p. 29 – que Patrice brûla 300 « volumes » truffés de fables et de superstitions datant de l’idolâtrie païenne ; indignes, ajoute-t-il, de toute transmission à la postérité. Mais pourquoi, je vous prie, pourquoi les superstitions celtes ou irlandaises seraient-elles plus impropres à être transmises à la postérité que celles des Grecs et des Romains ? Pour ce qui est de la superstition, l’Antiquité classique ne vaut ni plus ni moins que l’Antiquité celtique !
Dire de tous les points de l’espace qu’ils sont équivalents, c’est les dire commensurables ; revient à dire qu’il n’est plus de lieu si éminent qu’il en devienne incommensurable à tout autre. Ni le cosmos ni le monde des hommes n’ont de centre, et telle est bien la condition de l’assomption de tous à une égale dignité.
TEL EST L’APPORT FONDAMENTAL DE JOHN TOLAND À NOTRE CAUSE, SON CREDO, SA RAISON D’ÊTRE, SON FIL CONDUCTEUR.
Or, Toland écrit en un temps de crise et de crise potentiellement mortelle pour la culture irlandaise et la transmission de sa mémoire. La fin du dix-septième siècle et le début du dix-huitième marquent le début de la fin d’une certaine Irlande. Certes, à cette époque, la majorité des habitants de l’île parlent encore l’irlandais ; ils sont même souvent monoglottes. Mais les institutions qui soutiennent la culture gaélique survivent plus qu’elles ne vivent ; c’est tout un monde qui bascule déjà. Il reste des bardes, des écoles de poésie, mais cet antique héritage est en voie de désintégration accélérée. John Toland
136
est à cette jointure de l’Histoire où une civilisation est menacée de sombrer dans l’oubli. Quand il s’en prend, et avec quelle véhémence, à saint Patrice, responsable de la destruction d’innombrables témoignages de l’antique culture des Celtes ; il est permis de penser qu’il fait aussi allusion à ce qui se déroule au moment même où il couche par écrit la remarque suivante. « Quelle irréparable destruction de la mémoire, quel déplorable étouffement d’arts et d’inventions, quel indicible préjudice porté au savoir, quel déshonneur pour l’intelligence humaine et à toute époque ; que cette lâche façon d’agir de l’ignorant ou plus exactement de celui qui veut s’en prendre à des monuments sans défense ! »
John Toland garde une secrète affection pour son île natale, où il est difficile de faire la part du remords et de la nostalgie. Dans sa jeunesse, il avait rompu avec l’Irlande, plus encore qu’il ne l’avait quittée ; dans son âge mûr, il se voulut le gardien de son histoire et de sa mémoire : la démarche n’est paradoxale que si l’on oublie qu’il se nommait, aussi Janus Junius Eoganesius (équivalent latin de Sean Owen).
HISTOIRE CRIQUE DE LA RELIGION CELTIQUE ET DE SON ENSEIGNEMENT
AVEC UN EXPOSÉ SUR LES DRUIDES OU LES PRÊTRES ET JUGES, SUR LES VATES OU DEVINS ET MÉDECINS, SUR LES BARDES OU POÈTES ET HÉRAUTS, DES ANCIENS CELTES, BRETONS, IRLANDAIS, ET ÉCOSSAIS. AVEC L’HISTOIRE D’ABARIS L’HYPERBORÉEN PRÊTRE DU SOLEIL. En trois lettres adressées au très honorable seigneur vicomte Molesworth.
… C’est pour cette seule raison (abstraction faite Monseigneur, de tout ce que vous avez déjà fait ou méritez dorénavant de la part de votre pays, à cause de votre inébranlable amour de la liberté) que je me permets d’informer Votre Seigneurie du projet que j’ai formé il y a plusieurs années à Oxford et que j’ai toujours eu présent à l’esprit ; notant chaque fois que l’occasion s’en présentait ce qui pouvait lui être utile ou l’améliorer. C’est-à-dire écrire l’histoire des druides et un exposé de l’antique religion ou littérature celtique ; à propos desquels je sollicite votre patience un court instant. Bien que ce soit un sujet qui plaira naturellement aux curieux de tout pays, je pense qu’il intéressera plus particulièrement les habitants de l’ancienne Gaule (aujourd’hui la France, les Flandres, les régions alpines et la Lombardie) ainsi que de toutes les Îles Britanniques, dont les antiquités sont ici pour partie expliquées ou illustrées, pour partie défendues et reconstituées. Il peut sembler quelque peu étrange, à première vue, qu’un homme né dans péninsule la plus septentrionale de l’Irlande, puisse entreprendre de mettre en lumière les antiquités gauloises plus que quiconque ne l’avait fait auparavant. Mais si on considère qu’en plus et au-delà de ce qu’il partage à propos des druides, avec les savants français (dont il lit toujours les travaux avec beaucoup d’intérêt) il bénéficie d’autres atouts, qu’aucun de ces écrivains n’a jamais eus, si on prend tout cela en compte dis-je, alors il n’y a plus de quoi s’en étonner […]
De toutes les institutions que l’on pense irrémédiablement perdues, l’une d’entre elles est celle des druides ; dont les savants ne connaissaient rien jusque-là, hormis quelques fragments des auteurs grecs ou romains les concernant. Et ces fragments ne sont pas toujours intelligibles, car ils n’ont toujours pas été expliqués par ceux qui connaissent les dialectes celtiques, maintenant principalement au nombre de six : à savoir le Gallois ou le Britannique insulaire, le Cornique presque éteint, l’Armoricain ou Britannique français, l’Irlandais qui est le moins corrompu, le Manx ou langue de l’île de Man ; et l’Erse ou Irlandais des Hautes-Terres, également parlé dans les îles occidentales d’Écosse.
Ces langues qui ont chacune leurs propres dialectes, en ce qui concerne leurs rapports mutuels et leur rapport avec le vieux celtique de Gaule, sont comme les différents dialectes de l’allemand, le bas néerlandais, le suédois, le danois, le norvégien, et l’islandais, qui tous descendent d’une langue mère commune, le Gothique.
Ceci pour dire, non pas qu’un pur gothique ou un pur celte ait jamais existé ou pu exister quelque part sur un vaste territoire, sans dialectes ni éléments primitifs, mais que par cette appellation de langue originelle on désigne les racines et le tronc communs, les termes primitifs, et surtout la syntaxe particulière que l’on retrouve dans les différentes branches, qui font qu’elles sont intelligibles entre elles, ou peuvent aisément le devenir, tout en différant par ailleurs de toutes sortes d’autres langues. C’est ainsi que le Celtique et le Gothique, qui ont souvent été pris l’un pour l’autre, diffèrent autant que le latin et l’arabe. On pense la même chose des multiples idiomes de la langue grecque ancienne, en
137
Grèce elle-même à proprement parler, en Macédoine, en Crète, et dans les îles, en Asie, à Rhodes, dans une partie de l’Italie, en Sicile, et à Marseille ; et à la même époque du Slavon, dont les dialectes sont non seulement parlés en Russie, en Pologne, en Bohème, en Carinthie et en Serbie, mais en beaucoup d’autres lieux qu’il serait fastidieux d’énumérer.
Mais de ce sujet nous parlerons plus amplement dans un essai qui doit être annexé à l’ouvrage dont je livre à Votre Seigneurie un exposé. Je ne m’étendrai pas dans ces quelques exemples sur ce dont je traiterai principalement et longuement dans l’histoire à laquelle je pense ; je veux dire la philosophie des druides en ce qui concerne les dieux, les âmes humaines, la nature en général, et en particulier les corps célestes, leurs dimensions, mouvements, distances, et durées ; sur laquelle CÉSAR, DIODORE DE SICILE, STRABON, POMPONIUS MELA, et AMMIEN MARCELLIN, ont écrit plus que d’aucuns. Ces sujets, dis-je, seront copieusement abordés et commentés dans mon Histoire. En même temps je vous assure, Monseigneur, au vu de tous ces auteurs, qu’aucune prêtrise païenne n’a jamais atteint la perfection de celle des druides, qui fut de loin plus raffinée que toutes les autres idéologies de ce genre ; ayant été bien mieux calculée pour entretenir l’ignorance, et une prédisposition implicite chez les gens, afin d’assurer rien moins que pouvoir et profit aux prêtres, ce qui constitue la grande différence entre vraie religion et fausse religion.
Cette prêtrise d’Occident a de beaucoup surpassé celle de ZOROASTRE et les autres politiques sacrées d’Orient ; de sorte que l’Histoire des druides c’est en résumé l’histoire tout entière de la prêtrise, avec ses causes et ses ressorts ; or il en va de l’intérêt non seulement des princes et des États bien avisés, mais aussi de la tranquillité ainsi que du bonheur de tout simple citoyen, de soigneusement la distinguer de la vraie religion. J’ai utilisé ici le terme prêtrise non seulement parce qu’il est la meilleure traduction de l’abus et de l’inverse de la religion (car la superstition n’est que de la religion mal comprise), mais aussi parce que l’usage du mot lui-même est dû aux DRUIDES. Les Anglo-Saxons en effet, ayant repris aux Gaëls et Britons le terme Dry qui désignait un magicien, ont très justement qualifié de magie ou d’enchantements, Drycraeft, c’est-à-dire de tours et d’illusions, la fourberie des prêtres et de leurs complices.
Or cette institution que fut le druidisme je pense sans me vanter avoir eu plus de chance de la restituer (puisque je bénéficiais à de nombreux égards à son sujet, avant que je ne le fasse, d’aides infiniment meilleures) que le Docteur Hyde n’en avait de reconstituer les antiques littérature et religion perses ; un travail qu’il a laissé inachevé par manque d’encouragements mérités, ainsi que je l’ai montré dans le premier chapitre du Nazarenus.
Je peux maintenant détailler, d’après d’incontestables monuments de la littérature celte, joints à ce qui nous reste des Grecs et de Romains, leur hiérarchie, depuis l’ARCHI-DRUIDE jusqu’au plus humble de leurs quatre ordres de prêtres. De ces degrés, L’ARCHI-DRUIDE excepté, il reste bien peu de choses dans les auteurs classiques qui traitent des druides, mais il y en a beaucoup, et particulièrement, dans les écrits et monuments de la littérature celtes. Pour maintes raisons leur histoire est des plus intéressantes et amusantes : je veux dire dans la mesure où nous voyons comment ils séduisaient leurs disciples, mais aussi d’autre part dans la mesure où nous en apprenons a contrario par conséquent comment ne pas être trompés de la même façon.
Ils ont adroitement mené les gens par le bout du nez en ne mettant rien de leur théologie ou philosophie par écrit, bien qu’écrivant beaucoup à d’autres égards ; et leurs préceptes ont été seulement transmis héréditairement de maître à élève au moyen de poèmes traditionnels, interprétables (en conséquence) et variables, à leur gré : ce qui est une manière beaucoup plus efficace que d’interdire aux laïcs l’accès d’un livre, qui, d’une façon ou d’une autre, doit venir tôt ou tard à leur connaissance, et sera facile à retourner contre les Prêtres. Les Druides, comme on peut le voir vu dans le 6e livre des Commentaires de CÉSAR…
cf. le premier tome de notre propre essai sur la question et notamment sur la véritable signification de la répugnance des druides à mettre par écrit leur enseignement proprement religieux…
………………………………………………………………………………………………………………………
Me govezo an guiryonez : Je connaîtrai la vérité.
NOMS DIVINS.
Taramis.
138
Hesus.
Teutates.
Belenus, vel Abellio.
Onvana. Anara, Hib.
Hogmius,
Adraste. Andate.
MAGISTRAT SUPRÊME.
Vergobretus, Fergobrethr, Hib.
NOMS DE MINISTRES DU CULTE.
Caenae
Bardi, Barde, Baird, H.
Druidae, Droi, Druidhe, Hib.
Eubages, corrupte pro Vates.
VOCABULAIRE MILITAIRE.
Alauda
Caterva.
NOMS DE GUERRIERS.
Gaelatae. Gaiscioghach, Hib.
Vargi.
Crupellarii.
Bagaudae. Bagadai.
Galearii.
NOMS D’ARMES.
Spatha.
Gessum.
Lancea.
Cateia.
Matara.
Thyrcus. Tarei, Hib.
Cetra.
Carnon. Carnan, videas, quaeras.
MACHINES DE GUERRE.
Mangae. Diminut. Meanghan.
Mangana.
Mangonalia.
NOMS DE VOITURES.
Benna.
Petoritum.
Carrus.
Covinum.
Essedum.
Rheda.
NOMS DE VÊTEMENTS.
Rheno.
Sagus.
Linna.
Gaunacum.
Bardiacus, pro Bardis.
Bardocucullus, etiam pro Bardis.
Braccae, pro omnibus. Breaccan.
Maniaci.
139
NOMS D’ANIMAUX.
Marc, Equus.
Rhaphius, Lupus Cervinus.
Abrana, Simia.
Barracaceae, Pellium, &c.
Lug. Cornix. Mus.
Clupea. Piscis species.
LE CHRISTIANISME SANS MYSTÈRE.
Fulcran VIGOUROUX (1837-1915) premier secrétaire de la commission pontificale biblique, dans son ouvrage intitulé « Les livres saints et la critique rationaliste » paru en 1890 signale dans le chapitre II de son tome premier, tout entier consacré à John Toland, que son « Christianisme sans mystère » produisit un tel scandale qu’en 1760 au moins 54 réfutations en avaient déjà été publiées et que Toland le retira du commerce après la publication de la deuxième édition. Vaut donc encore la peine d’être lu. Malgré une évidente subordination à l’idéologie dominante de son temps pour ce qui est de l’essentiel : le déisme (grosso modo : John Toland ne remet pas en cause les évangiles, mais seulement les juifs et les pères de l’Église – ou les catholiques – et son livre serait donc un succès de librairie chez les chrétiens ou intellectuels de la sphère médiatico-politique d’aujourd’hui).
LA PLUS IMPORTANTE DÉCOUVERTE DE JEAN TOLAND DEMEURE PAR CONSÉQUENT L’ÉQUATION QUI SOUSTEND SON HISTOIRE DES DRUIDES, À SAVOIR NON PAS QU’IL N’Y A PLUS NI JUIF NI GREC COMME L’ÉCRIT SAINT PAUL DANS SON ÉPÎTRE AUX GALATES (LA TIERCE PARTIE DE SON RAISONNEMENT PEUT-ÊTRE ?) MAIS QU’IL N’Y A PLUS NI BARBARES, NI GOYIM NI PAÏENS AU SENS RACISTE DU TERME ET QUE LES GALATES VALENT BIEN LES JUIFS LES GRECS OU LES ROMAINS, BREF QUE TOUT HOMME VAUT TOUT HOMME.
Toland a vraisemblablement été influencé par le ramisme (du nom du philosophe Pierre La Ramée dit Ramus, qui s’est beaucoup penché sur les questions de sémantique, de langage et de communication).
La conclusion qu’en tire Toland est qu’il n’y a pas de mystère en soi dans le christianisme. S’il y a des mystères dans le christianisme, c’est uniquement en raison de l’incapacité de notre langue ou de notre langage à exposer, comme il le faut, la question. Il s’agit à chaque fois de faux problèmes.
Stigmatisé comme athée Toland fut en réalité obsédé toute sa vie par les questions religieuses. Accusé d’être un jésuite déguisé en Réformé, il fréquenta divers mouvements rosicruciens, latitudinariens (des néo-pélagiens anti-puritains aux idées très larges en ce qui concerne la morale, d’où leur nom) ; panthéistes (il traduisit par exemple la doctrine mystique de Giordano Bruno) ; et enfin druidiques.
Pour John Toland la vraie religion n’a donc jamais rien eu à voir avec une quelconque fable, même bien inventée, ni avec le pouvoir, la domination ou la pompe ; car elle réside uniquement dans la spiritualité et la vérité, dans la simplicité des mœurs et dans la pratique des vertus sociales, dans un profond et filial respect envers le Divin. Surtout pas dans la peur et la terreur servile de la Divinité.
Locke a lancé l’expression de « libre-penseur » pour parler de cette caractéristique de John Toland.
D’après Leibniz, il s’agissait d’un homme d’esprit et de savoir. Il fut traduit en français par le baron d’Holbach et le matérialisme de Diderot fut influencé par son œuvre.
Cosmopolite idéaliste John Toland ne renia jamais complètement ses racines irlandaises. Il a peut-être participé à la traduction en anglais par Dermot O’Connor de l’Histoire d’Irlande de Geoffroi Keating (Foras Feasa ar Eirinn) et il a sans doute connu O’Flaherty. Ce qui est sûr en tout cas, c’est qu’il eut connaissance de son livre intitulé Ogygie. Toland considérera toujours également, mais à tort, que le christianisme des culdées s’avérait la forme la plus pure du christianisme. Il consacrera plusieurs années d’études à la tradition celtodruidique sous toutes ses formes.
140
Jean Toland a donc été un précurseur, au point d’avoir été le premier à mériter la noble appellation de libre-penseur. Mais ses débuts ont été très laborieux très timides, et encore déistes, ne remettant pas en cause l’essentiel du christianisme. Son successeur et traducteur le philosophe allemand Paul Heinrich Dietrich von Holbach, dit Baron d’Holbach, a été, lui, beaucoup plus loin en ce domaine. Son christianisme dévoilé ou examen des principes et des effets de la religion chrétienne va beaucoup plus loin que celui de Jean Toland, mais 60 ans plus tard. Et sa Contagion sacrée aussi !
Le Christianisme sans Mystère :
OU,
TRAITÉ
Montrant,
Qu’il n’y a rien dans les
ÉVANGILES
De contraire à
LA RAISON,
Ni au-dessus d’elle :
Et qu’aucune Doctrine chrétienne
ne peut à proprement parler être appelée
UN MYSTÈRE.
Imprimé à Londres en l’an 1696.
141
PRÉFACE.
On m’accordera j’espère, que nul ne peut parler avec plus de liberté ou d’assurance que celui qui défend ou illustre la vérité. Mais si l’on en croit l’histoire des temps jadis, ou si l’on considère attentivement ce qui se passe aujourd’hui ; on ne trouvera personne de plus réticent à dire ce qu’il pense publiquement, que ceux qui ont le bon droit de leur côté. On pourrait penser que la justesse de leur cause, et de leur intention, les rend plus forts face aux attaques de leurs ennemis ; et que l’on ne manque pas d’exemples d’hommes ou de femmes supportant quotidiennement les pires choses, avec une constance inébranlable, pour l’amour de la vérité ! Pourtant si l’on calcule bien, en prenant en compte les premiers martyrs ainsi que les prophètes et les apôtres eux-mêmes, on s’apercevra que les défenseurs avérés de la vérité pour la vérité ont toujours été une petite poignée par rapport aux nombreux partisans de l’Erreur. Eh bien telle est aussi la déplorable situation prévalant à notre époque qu’on n’ose pas reconnaître ouvertement et directement ce qu’on pense à propos de Dieu même si cela n’a jamais été plus vrai ou judicieux ; quand cela diffère un tant soit peu de ce qui est généralement admis par les diverses factions ou de ce qui est stipulé dans la loi. On est forcé de garder le silence ou de faire part au monde de ses sentiments uniquement par le truchement de paradoxes et sous un nom d’emprunt, voire en usant d’un pseudonyme pour ne pas dire plus […]
Il est incroyable de voir à quel point le mot sacré de Religion, qui ne signifie rien d’autre que sainteté, paix et intégrité ; est universellement détourné afin de cautionner l’ambition, l’impiété et les rivalités de toutes sortes ; et que ce qu’il importe au plus haut point pour nous de parfaitement comprendre, est toujours à la fois rendu plus obscur et plus laborieux (pour diverses raisons que nous allons exposer ci-après).
Mais assez de considérations si déprimantes ! Nonobstant quoi j’ai pris le risque de publier ce discours afin de rectifier par ce moyen autant que j’en suis capable, les dogmes étroitement bigots des uns et les plus sacrilèges maximes des autres.
Les athées ou les incroyants de tout poil ne pourront pas me reprocher de croiser le fer avec eux en ne les combattant qu’avec les armes qu’ils m’imposent. Le vrai chrétien ne pourra pas être offensé en me voyant recourir à la raison pour cela, non afin de l’affaiblir ou de la laisser dans la plus complète confusion, mais afin de confirmer ou d’élucider la Révélation. À moins évidemment qu’il ne craigne que je la rende également trop claire pour moi ou trop familière aux autres, ce qui constitue autant d’absurdités que personne ne revendiquera. J’espère lui faire comprendre que l’usage de la raison n’est pas aussi dangereux en matière de religion qu’on le dit communément, mais que tel qui en loue grandement l’usage, quand ça l’arrange ; vous rétorque que ce n’est pas un argument quand ça l’embarrasse, et lui oppose alors l’Autorité. C’est un privilège bien commode et c’est aussi évidemment le plus sûr moyen d’avoir toujours l’avantage dans n’importe quelle controverse […]
Ayant été élevé dès le berceau dans la plus crasse des superstitions et des idolâtries, il a plu à Dieu de me rendre la raison ; et par l’usage que j’en fis, elle devint alors l’heureux instrument de ma conversion. Aussi ai-je été habitué très tôt à examiner ou réfléchir, et entraîné à ne laisser ni mon entendement ni mes sens se faire piéger par quelqu’un ou par des groupes, quels qu’ils soient. […], mais dès que les autres sont priés d’expliquer les termes qu’ils utilisent, qui ne veulent communément rien dire, ou ce qu’ils devraient avoir honte de reconnaître comme étant des erreurs auxquelles ils n’avaient jamais pensé ; ils deviennent alors gênés comme un marchand déraisonnable devant
142
examiner ses comptes. Et il est beau qu’ils arrivent alors à se retenir. Il ne s’agit pas seulement d’individus isolés, mais parfois de groupes entiers qui, quand ils considèrent les choses superficiellement, accordent une grande importance à certains vocables comme s’ils étaient la véritable essence de la religion.
Remettre en question ou refuser n’importe lequel d’entre eux, même s’il n’y a jamais eu rien de plus faux ou d’aussi gênant, est aussitôt assimilé à une dangereuse hétérodoxie ; et, ainsi que je l’ai déjà indiqué, même si ces mots n’ont aucun sens ou ont été forgés de toutes pièces par des penseurs à la mode afin de rendre obscures des choses pourtant simples ; ou souvent afin de masquer leur propre ignorance. Le plus impardonnable dans tout ça c’est que les saintes Écritures sont mises à la torture afin de soutenir ce jargon scolastique ainsi que les autres chimères métaphysiques, de leurs auteurs. Mais la faiblesse de la majeure partie de ces préjugés s’avère si notoire que les mentionner suffit à les réfuter.
On en arrive ainsi à ce que la vérité ne rencontre jamais plus forte opposition que celle qui vient de ceux-là mêmes qui poussent les plus hauts cris à son propos ; et qui ne veulent rien moins qu’être considérés comme les seuls et uniques dispensateurs des faveurs et des oracles du Ciel. Si quelqu’un a l’audace de toucher à la moindre des choses qui leur vaut profit ou crédit, alors il est aussitôt conspué, voire accusé d’hérésie sur le champ : et, s’il accorde une quelconque valeur à leur censure, obligé de faire amende honorable ; ou s’il est jugé par contumace, alors il y laisse au minimum sa réputation ainsi sacrifiée à leur haine implacable.
La vraie religion est toujours immuable, comme Dieu son auteur, pour qui n’existent ni la variabilité ni l’ombre d’un changement.
Si quelqu’un me demande pourquoi j’ai une si haute opinion de mes capacités, que je vais jusqu’à imaginer être capable de prouver que l’on peut donner une explication rationnelle à toutes ces doctrines ; à tous ces termes ambigus, et à toutes ces étranges distinctions qui, depuis des siècles, ont défié la sagacité des savants de toutes sortes ; je réponds que je ne prétends justement pas (ainsi que la page de garde de ce livre peut en attester) que nous sommes capables d’expliquer les termes ou doctrines de telle ou telle époque, de tels ou tels Conciles, ou de telles ou telles nations ; (la plupart sont des mystères réfractaires au témoignage), mais les termes et les doctrines de l’Évangile. Ce ne sont pas les articles de Foi de l’Orient ou de l’Occident, des orthodoxes ou des ariens, des réformés ou des papistes, en tant que tels, qui me préoccupent, mais uniquement ceux de Jésus et de ses apôtres […] Puisque la religion a été conçue pour des créatures raisonnables, c’est la conviction et non l’argument d’autorité qui doit peser dans leur cas.
Le sage et honnête homme juge des mérites d’une cause en la considérant pour elle-même et sans tenir compte de l’époque du lieu ou des personnes. Ni le nombre, ni les exemples, ni les intérêts, ne doivent altérer la solidité de son jugement, ou corrompre son honnêteté. Il ne fait pas aucune différence entre l’infaillibilité papiste et le fait d’être obligé d’acquiescer aveuglément aux décisions de réformés faillibles […]
Les laïcs paient les livres et entretiennent les hommes d’Église pour cela, mais j’ai bien peur que certains d’entre eux n’en soient pas plus convaincus que du fait que les magistrats sont, eux aussi, faits pour servir le peuple.
Pourquoi le simple citoyen ne serait-il pas finalement juge du vrai sens des choses, bien que ne comprenant rien aux langues d’où on les a traduites à son intention ? La vérité demeure toujours la même en tous lieux et une proposition incompréhensible ou absurde ne saurait en devenir plus respectable du seul fait qu’elle est antique, ou étrangère, car écrite à l’origine en latin, en grec ou en hébreu. Une théologie comprise seulement par ceux qui en vivent est, en termes strictement humains d’ailleurs, un métier […] les rabbins divisés à l’époque en diverses sectes stoïcienne, platonicienne ou pythagoricienne, etc. ont, en usant d’une incroyable liberté dans l’allégorie, accommodé les Écritures aux plus folles spéculations d’un certain nombre de leurs divers maîtres. Ils ont fait croire au peuple qui ne comprenait rien à leur Kabbale que c’était de profonds mystères et lui ont ainsi enseigné à se soumettre à des rites païens tout en réduisant à zéro la Loi de Dieu dans leur tradition. Ne soyons donc pas étonnés si l’homme du commun désintéressé ainsi que le plus innocent des souverains ont rejeté ces superstitions insensées, bien qu’on en ait impudemment attribué la paternité à Moïse ; afin de leur substituer une religion convenant aux capacités de tout le monde, esquissée, et annoncée d’ailleurs par leurs propres prophètes.
143
J’espère que l’on ne pourra pas, dans le discours qui suit, appliquer le même constat en ce qui concerne certains chrétiens, du moins aux plus purs et meilleurs d’entre eux. Qui considère avec quel empressement et avec quelle rigueur certains hommes insistent sur l’obéissance à leurs propres constitutions et à leur propre discipline (tout en étant d’ailleurs de connivence avec ceux qui ne suivent guère la loi divine) ; avec quelle rigidité ils imposent l’observation de cérémonies contraires à la Raison et aux Écritures, et la croyance en d’insondables explications de ce qu’ils considèrent eux-mêmes comme étant strictement incompréhensible ; qui considère tout cela, dis-je, est fortement tenté de les soupçonner de poursuivre d’autres buts que l’instruction des ignorants ou la conversion des pécheurs.
Que des gens puissent être haïs, méprisés ou molestés, voire parfois par pure charité brûlés ou damnés ; pour avoir rejeté ces folies surajoutées, voire même dans certains cas substituées à la plus sainte, à la plus pure et à la plus praticable des religions, que les hommes aient jamais pu souhaiter, ou avoir ; est toujours matière à étonnement ou affliction pour qui préfère les préceptes de Dieu aux inventions des hommes, les droits chemins de la Raison aux inextricables labyrinthes des Pères de l’Église, et la vraie liberté chrétienne à la diabolique et antichrétienne tyrannie.
Mais la méthode habituelle pour enseigner et soutenir ce mystère d’Iniquité est encore plus intolérable, car combien de tentaculaires systèmes infiniment plus difficiles que ceux de l’Écriture sainte doivent-ils être décryptés, avec la plus grande attention, par qui veut maîtriser l’actuelle théologie ? Que de mots barbares (assurément mystérieux) que de fausses pistes ennuyeuses, que de ridicules et divergentes interprétations, doit-il étudier, suivre et scruter patiemment, avant de pouvoir commencer comprendre un professeur de cette faculté ?
La dernière et la plus facile des parties de son travail sera de retrouver ses sentiments dans la Bible, bien que ces saints hommes de plume n’y aient jamais pensé un instant, et qu’il n’ait jamais lu ce livre sacré depuis son entrée à l’école. Mais une méfiance sans borne envers sa propre Raison, une admiration aveugle pour ses prédécesseurs, et une ferme résolution d’adhérer à tout ce que son parti soutiendra, pourront faire ’importe quoi.
Croyez seulement, comme fondement assuré de toutes vos allégories, que les mots contenus dans les Écritures, quoi que jamais aussi équivoques et ambigus que quand ils sont hors contexte, peuvent toujours signifier la même chose n’importe où ; et, si ce n’est pas suffisant, croyez que toute vérité peut se retrouver dans tout passage des Écritures et en constituer le vrai sens, autrement dit que l’on peut faire n’importe quoi avec n’importe quoi. Et vous trouverez non seulement tout le Nouveau Testament dans l’Ancien, mais tout l’Ancien dans le Nouveau : il n’y aura, je vous le promets, aucune explication, aussi virulente aussi contradictoire ou confuse soit-elle ; que vous ne puissiez aussi facilement soutenir qu’admettre !
La vraie religion doit pourtant nécessairement être rationnelle et compréhensible.
L’ÉTAT DE LA QUESTION.
1] Il n’est rien autour de quoi on fasse autant de bruit, surtout de nos jours, que ce qu’on reconnaît généralement le moins du monde comprendre. Je veux parler des mystères de la religion chrétienne.
Les théologiens, dont le rôle est justement de les expliquer aux autres, avouent presque unanimement leur ignorance à leur propos, mais nous affirment avec le plus grand sérieux que nous devons adorer ce que nous ne pouvons comprendre.
Et pourtant certains d’entre eux harcèlent le reste de l’Humanité de leurs commentaires douteux avec plus d’assurance et de zèle qu’il ne conviendrait ; bien que nous soyons tenus de leur accorder qu’ils sont absolument infaillibles. Mais le pire sur ce, est qu’ils ne sont pas tous du même avis. Si vous êtes jugé orthodoxe par ceux-là, vous serez par contre considéré comme hérétique par ceux-ci. Celui qui est d’un parti est voué à l’enfer par les autres, et s’il déclare n’être d’aucun d’entre eux, il n’en est pas pour autant moins sévèrement jugé.
2] Certains d’entre eux disent que les mystères de l’Évangile doivent être compris uniquement dans le sens où l’entendaient les Anciens Pères (de l’Église). Mais le sens en question varie tellement et se contredit tellement, qu’il est impossible à quelqu’un de croire à autant de contradictions à la fois. Ils conseillaient même à leurs lecteurs d’ailleurs de ne pas s’appuyer sur leur autorité sans preuve apportée par la raison ; si peu préoccupés qu’ils étaient de devenir des articles de Foi pour la postérité, comme nous le faisons pour la nôtre. En outre, comme les Pères de l’Église n’ont pas tous
144
écrit, aucun d’entre nous ne peut être considéré comme en détenant le véritable sens. Quant à ceux qui ont écrit, leurs œuvres ont été corrompues et dénaturées de façon incroyable ou alors seulement transmises partiellement. Et si elles l’ont été, leur sens est encore beaucoup plus obscur, ou sujet à controverse, que celui des saintes Écritures.
3] D’autres nous disent que nous devons être du même avis que tel ou tel théologien particulier reconnu orthodoxe de par l’autorité de l’Église, mais nous ne pouvons nullement nous contenter d’une autorité de cette nature quand nous voyons que ces théologiens particuliers ne pouvaient pas plus s’accorder entre eux que la troupe entière des Pères de l’Église, et se reprochaient mutuellement leurs pratiques ou leurs erreurs ; c’est-à-dire qu’ils étaient aussi malavisés violents, et sectaires, que les autres hommes, qu’ils étaient pour la plupart crédules et superstitieux en matière de religion, ainsi que pitoyablement ignorants et légers quant aux détails de la littérature ; en un mot qu’ils étaient comme vous et moi ; et que le Ciel ne leur a conféré aucun privilège par rapport nous excepté celui d’être né bien avant, si cela peut en constituer un évidemment […].
4] Afin de détricoter tous ces mystères et interpréter l’Écriture sainte, certains accordent une voix prépondérante à des conciles œcuméniques ; d’autres à un homme qu’ils tiennent pour le chef de l’Église universelle sur terre, et le juge infaillible de toutes les controverses. Mais nous ne pensons pas que de tels conciles œcuméniques aient pu exister ni, si cela fut le cas, qu’ils puissent avoir plus de poids que les Pères de l’Église eux-mêmes […]
On ne voit nulle part dans la Bible de tels Juges adjoints nommés par le Christ pour suppléer son ministère et la Raison proclame clairement que ce sont d’effrontés usurpateurs […]
5] Sont plus près de la vérité ceux qui affirment qu’il faut s’en tenir à ce que les Écritures saintes disent en la matière, et qu’il n’y a rien de plus vrai si on le comprend correctement […]
6] Certains voudront nous voir admettre que seul le sens littéral importe, sans avoir la moindre considération pour la Raison qu’ils rejettent comme étant d’un usage inapproprié en ce qui concerne la partie révélée de la religion. D’autres assurent que nous devons user de la Raison seulement comme un instrument, mais en aucune façon comme une règle absolue, de notre Foi.
7] Nous soutenons, nous, au contraire, que la Raison est l’unique fondement de toute certitude, et que rien de ce qui est révélé, que ce soit au niveau de son essence ou de son existence ; n’est plus exempt de ses investigations que ne le sont les phénomènes ordinaires de la nature.
Section I : DE LA RAISON.
Chapitre 1 : CE QUE LA RAISON N’EST PAS.
Il me semble très curieux que les hommes aient besoin de définir et d’expliquer ce par quoi ils définissent ou expliquent toutes les autres choses ; et qu’ils n’arrivent jamais à se mettre d’accord sur ce que tous prétendent au moins avoir en propre, et qui est la seule supériorité qu’ils revendiquent sur les animaux ou les objets inanimés. Mais l’expérience montre que le mot Raison est devenu aussi équivoque et ambigu que n’importe quel autre.
Chapitre 2 : CE EN QUOI CONSISTE LA RAISON.
6] Quand l’esprit, sans l’aide d’aucune autre idée, perçoit immédiatement l’accord ou le désaccord de deux idées, ou plus, du genre « deux et deux font quatre », « ce qui est rouge n’est pas bleu », on ne peut qualifier cela de Raison bien qu’il s’agisse là du plus haut degré de l’évidence, car dans ce cas il n’est nul besoin de discours ou d’expérimentation, l’évidence excluant par définition toute forme de doute ou d’obscurité. Ces propositions de par elles-mêmes si claires qu’elles ne demandent aucune preuve, une fois que leurs termes ont été bien compris ; sont communément appelées axiomes ou maximes. Leur nombre est évidemment infini et pas seulement réduit à deux ou trois propositions générales tirées (comme tous les axiomes) de l’observation de cas particuliers du genre « Le tout est plus grand que la partie » ; ou « Il n’existe pas d’objet n’ayant aucune propriété ».
7], Mais quand l’esprit ne peut percevoir immédiatement l’accord ou le désaccord de certaines idées parce qu’elles ne peuvent pas être suffisamment rapprochées l’une de l’autre et être ainsi comparées ; on fait appel pour cela, par contre, à une ou plusieurs idées intermédiaires afin de le découvrir ; tout comme quand je mesure avec une corde successivement deux maisons éloignées, je trouve à quel point elles diffèrent ou sont semblables en longueur, ce que je ne saurais faire rien qu’en les regardant !
145
L’air ayant une certaine force de résistance et pouvant occuper un certain volume, cela montre qu’il a aussi en quelque sorte de la solidité ainsi qu’une étendue, et donc que c’est un corps (bien que je ne puisse le voir) comme le bois ou la pierre ; dont il partage les propriétés.
Ce moyen de connaissance est appelé Raison ou Démonstration à proprement parler (tout comme la précédente était appelée évidence ou intuition) ; et peut être définie comme étant la faculté, pour l’âme, d’acquérir des certitudes à propos de ce qui est douteux ou obscur, en le rapportant à quelque chose de bien connu.
8] De cette définition, il résulte que l’idée intermédiaire ne prouve rien quand il n’est pas évident qu’elle convient également aux deux autres idées en question ; et que s’il en faut plus d’une pour y arriver, alors la même évidence est requise pour chacune d’entre elles ; car si l’enchaînement logique des différentes parties de la démonstration n’était pas incontestable, alors nous ne pourrions jamais être certains de la déduction ou de la conclusion concernant les deux idées en question.
Chapitre 3 : MOYENS D’ACQUÉRIR LA CONNAISSANCE.
9] J’appelle moyens d’acquérir une connaissance la façon dont une chose vient à notre connaissance sans que cela commande ou non notre assentiment. Par fondement de la conviction, j’entends la règle par laquelle nous jugeons de toute vérité et qui convainc irrésistiblement notre esprit. Les moyens d’acquérir une connaissance sont l’expérience et l’autorité […]
10] L’autorité, ainsi appelée abusivement, comme si tous ses éléments de connaissance devaient être reçus sans aucun examen de notre part, est, soit humaine, soit divine. On appelle aussi l’autorité humaine certitude morale, comme quand je crois par principe ce que me dit un ami parce que je n’ai aucune raison a priori de douter de sa sincérité ni de penser qu’il a intérêt à me tromper […]
11] L’autorité de Dieu, ou Révélation divine, est la manifestation de la vérité par la Vérité elle-même et ne saurait donc induire en erreur. Pour plus de détails, voir le chapitre II de la section suivante.
Rien ne peut venir par définition à notre connaissance si ce n’est par un des quatre moyens suivants : à savoir l’expérience des sens, l’expérience de l’esprit, la révélation humaine et la divine.
Chapitre 4 : DES FONDEMENTS DE LA CONVICTION.
12] Mais comme nous sommes extrêmement sujets à nous tromper, sans l’aide d’une règle infaillible ; nous pouvons prendre une proposition très discutable pour un axiome, des fables de grands-mères pour une certitude morale, et des impostures humaines pour une révélation divine. Cette règle infaillible ou ce fondement de notre juste conviction est l’Évidence. L’Évidence, c’est l’adéquation de nos idées ou pensées avec leur objet ou avec les choses auxquelles nous pensons […]
15] Mais Dieu… nous a aussi dotés de la faculté de pouvoir suspendre nos jugements sur ce qui est incertain, et de ne jamais acquiescer qu’à ce que nous percevons avec clarté… Nous ne pouvons pas faire autrement par définition que de croire qu’il est impossible que quelque chose puisse être et ne pas être à la fois. Le monde entier ne saurait nous en faire douter.
Par contre, nous ne pouvons pas admettre que la nature a horreur du vide ni que la Terre accomplit une révolution annuelle autour du Soleil, sans qu’une démonstration nous en soit faite.
16]… Reconnaissons donc humblement que cette impossibilité vient de nous-mêmes et remercions avec enthousiasme notre bienveillant grand architecte de nous avoir soumis à la dure loi qui nous fait nous incliner devant la lumière et la majesté de l’Évidence ; car si nous devions vraiment douter de tout ce qui est net, ou être trompés par des idées pourtant très claires ; alors rien ne pourrait être sûr. Ni notre conscience ni Dieu lui-même ne pourraient être pris en considération et ni société ni gouvernement ne pourraient subsister.
17] À la question « comment se fait-il que l’on puisse refuser d’acquiescer à des propositions vraies alors que l’Évidence le commande ? » je réponds que c’est parce qu’elles n’ont pas été rendues évidentes, car clarté et obscurité sont des termes relatifs et ce qui pour moi est l’un, ou l’autre, peut sembler tout le contraire à quelqu’un d’autre.
146
Si les choses sont dites avec des mots qu’il ne comprend pas ou ne sont pas démontrées par un complet accord avec des vérités, déjà très claires en elles-mêmes ; ou alors spécialement éclaircies pour lui ; alors celui qui les entend ne peut les concevoir. De même si les lois de la Nature et de la simplicité nécessaire ne sont pas respectées ni la plus grande simplicité observée, il ne trouve pas cela évidemment vrai ou faux ; et il suspend ainsi son jugement (si aucun sentiment particulier ne l’incline à pencher dans un sens plutôt que dans un autre), là où un autre peut-être en sera au contraire parfaitement satisfait. Et c’est pourquoi ce que nous attribuons si fréquemment avec indignation ou étonnement à la stupidité ou à l’obstination d’autrui ; n’est en fait que le fruit de notre propre insuffisance à raisonner clairement ; dû au fait que nous n’avons pas encore bien assimilé nos propres idées, ou que nous utilisons des expressions ambiguës, et nous servons d’expressions telles que les autres n’ont aucune idée de ce que cela peut être ou s’en font une très différente.
--------------- -------------------------------- ------------------------------------- ---------------------------- --------------------
Contre-lai N° 87.
Ainsi qu’on aura pu le voir, notre grand druide n’est nullement athée comme le baron d’Holbach son traducteur (pour le Nazarenus), mais chrétien tendance protestante, et s’en prend surtout au catholicisme sans remettre en cause les fondements mêmes des religions juive ou chrétienne.
Quant au Nazarenus rappelons que la version anglaise a été édulcorée par Toland lui-même, à la grande déception de d’Holbach sans doute.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- ------
Contre-lai N° 88.
Les limites du langage humain, à tout le moins de la langue grecque, qui est tout sauf de la mathématique, ont été mises en évidence par l’École des éléates (Parménide, Zénon).
Les admirateurs inconditionnels de l’Irlandais Fénius Farsaid objecteront néanmoins qu’avec lui la langue celtique est devenue une langue divinement logique.
------------------------------------------------------ --------------------------------------------------------------------------
SECTION II.
QUE LES DOCTRINES DE L’ÉVANGILE NE SONT PAS CONTRAIRES À LA RAISON.
1] Après avoir dit tant de choses de la Raison, il n’est nul besoin de montrer laborieusement ce qui en constitue le contraire ; car je tiens pour acquis que l’on peut très clairement déduire de la précédente section qu’est contraire à la Raison tout ce qui s’oppose de façon évidente aux idées claires et nettes ou au sens commun.
Je m’en vais par conséquent maintenant prouver que les doctrines de l’Évangile, si elles sont bien les paroles de Dieu, ne peuvent pas l’être.
Et si l’on m’objecte que très peu soutiennent que c’est le cas, je répondrai qu’à ma connaissance aucun chrétien actuel (laissons les cendres de ceux qui sont morts reposer en paix) n’affirme expressément qu’Évangile et Raison sont antinomiques ; mais, ce qui revient au même, que beaucoup affirment, bien que les doctrines du Nouveau Testament ne puissent en elles-mêmes être en contradiction avec les principes de l’Ancien, puisqu’ils procèdent tous les deux de Dieu ; que pourtant, vu les idées que nous nous en faisons, ILS PEUVENT SEMBLER être en totale opposition ; et que, bien que nous ne puissions pas les concilier en raison du fait que notre entendement est corrompu et limité ; nous sommes donc tenus de par l’autorité de la révélation divine d’y croire et d’y acquiescer ; ou, comme les Pères de l’Église leur ont appris à le dire, à adorer ce que nous ne pouvons comprendre.
CHAPITRE I : ABSURDITÉ ET CONSÉQUENCES DU FAIT D’ADMETTRE DES CONTRADICTIONS RÉELLES OU APPARENTES EN MATIÈRE DE RELIGION.
2] Cette fameuse et admirable doctrine est sans aucun doute la source des pires absurdités jamais diffusées chez les chrétiens. N’était cette excuse nous n’aurions jamais entendu parler de la Transsubstantiation et des autres ridicules fables de l’Église de Rome ; ni d’aucune de ces ordures orientales presque toutes passées telles quelles dans ce grand cloaque d’Occident. On n’aurait jamais eu à gloser sur l’impanation luthérienne ni sur la théorie de l’Ubiquité qu’elle a donnée, un peu comme un monstre en engendre toujours communément un autre. Et bien que les sociniens désavouent cette pratique, si je ne m’abuse, ni eux ni les ariens ne sont capables de faire apparaître leur idée de
147
« créature de Dieu ayant été glorifiée donc digne de la même adoration » ; plus logique que les extravagances des autres sectes concernant cet article de foi qu’est la Trinité.
3] En résumé, une telle doctrine constitue l’échappatoire de tous ceux qui ont du mal à expliquer certains passages de la parole de Dieu. De peur d’apparaître moins savants qu’on pourrait le croire, ils n’ont aucun scrupule à imputer aux desseins secrets du Tout-Puissant ou la nature des choses ; ce qui n’est en fait que le résultat d’un raisonnement erroné, de l’inadéquation du langage ou d’une ignorance de l’Histoire.
Généralement il ne s’agit que d’impressions ou d’idées préconçues, qu’ils osent rarement corriger par des pensées plus libres ou faisant preuve de plus de maturité. Voulant à tout prix être des docteurs de la Loi, mais ne comprenant ni ce qu’ils disent ni ce qu’ils affirment, ils nous imposent comme doctrine des préceptes humains.
Et pourquoi s’en priveraient-ils d’ailleurs, car, à partir du moment où nous admettons ce principe, je ne vois plus très bien ce que l’on pourrait refuser de ce qu’on nous affirme au nom du Seigneur ?
[…] Mais foin de toutes les observations qui conviendraient à cette partie de mon exposé, venons en maintenant sans plus tarder à l’étude de cette idée en elle-même.
4] La première chose sur laquelle je me permettrai d’insister est que si une quelconque doctrine du Nouveau Testament est contraire à la Raison, alors nous ne pouvons pas nous en faire la moindre idée. Dire par exemple qu’une boule est blanche et noire à la fois, revient en effet à ne rien dire, car de telles couleurs sur un même objet sont si incompatibles que cela exclut toute possibilité d’en avoir une idée ou une conception vraiment positive. De la même façon, soutenir, comme le font les papistes, que les enfants qui meurent avant d’avoir été baptisés, sont damnés, mais sans qu’ils aient à en souffrir, ne veut rien dire du tout. Car s’il y a des créatures intelligentes dans l’autre monde, être éternellement privées de la présence de Dieu et de la communion des saints ne peut que leur causer d’indicibles tourments.
Si l’on réfléchit un peu au fait qu’ils ne sont pas encore doués de raison, alors ils ne peuvent pas être damnés au sens où on l’entend communément, et on ne peut donc pas dire qu’ils vont dans les oubliettes appelées limbes ; mais plutôt qu’ils n’avaient pas d’âme ou que leur âme a disparu dans le néant ; ce qui (si c’est bien vrai, ce qu’on ne saura jamais) semblerait plus raisonnable et plus facile à concevoir.
Maintenant si nous n’avons aucune idée de ce que peut être quelque chose, s’en préoccuper un tant soit peu est peine perdue ; car ce que je ne peux concevoir ne peut pas plus me donner une juste idée de Dieu ou influencer mes actions qu’une prière dite dans une langue inconnue peut susciter ma dévotion. Si la trompette ne sonne pas distinctement, qui peut se préparer à la bataille ? Et si des mots faciles à comprendre ne sont pas employés, comment peut-on savoir de quoi on parle ? Les syllabes, même jamais aussi bien liées les unes aux autres, si aucune idée n’y est attachée, ne sont que des mots jetés en l’air et ne peuvent servir à fonder un office ni un culte rationnel.
5] Si quelqu’un pense échapper à cette difficulté en disant que les dogmes de certaines doctrines peuvent, bien sûr, contredire le sens commun ; mais être néanmoins cohérents avec eux-mêmes, et avec je ne sais quelles vérités supra-intellectuelles ; il n’en est pas plus avancé.
Mais supposons un instant qu’il en soit bien ainsi, alors il en découle alors que nul ne peut comprendre ces doctrines, à moins d’une illumination extraordinaire, un peu comme s’il était doté de nouveaux pouvoirs ou organes des sens. Il en découle aussi que les autres hommes ne peuvent pas être édifiés par ce qu’on en dit ; à moins de bénéficier de la même faveur. Si je vais prêcher l’Évangile aux Sauvages d’Amérique, c’est évidemment avec l’espoir que les idées correspondant aux mots que j’utiliserais, soient, je ne sais trop comment, instillées dans à leurs âmes, afin qu’ils me comprennent. Mais si l’on s’en tient à cette hypothèse, sans le secours d’un miracle, ils ne pourraient pas plus comprendre mon discours que le cri des oiseaux ; et s’ils ne connaissent pas la signification des mots que j’utilise, je passerai même à leurs yeux pour un Barbare ; bien que leur parlant de ces mystères de façon inspirée.
Que veulent-ils donc dire au juste en parlant de dogmes cohérents entre eux, mais non avec notre sens commun ?
Le mot quatre se dirait-il cinq au Ciel ? ? Mais alors dans ce cas, il n’y a que le nom qui change et pas la chose qui, elle, reste toujours identique.
Comme nous ne pouvons rien connaître de ce monde que par l’intermédiaire de notre sens commun justement, comment pourrons-nous jamais être sûrs de la prétendue cohérence entre toutes ces
148
contradictions actuellement apparentes et la théologie du Monde à venir ? Car c’est par la Raison que nous arrivons à la certitude que Dieu existe, aussi ne pouvons-nous comprendre ses Révélations que si elles sont conformes aux idées que nous nous faisons naturellement de lui, autant dire avec notre sens commun.
6] Ce que je remarquerai en second lieu c’est que ceux qui ne veulent pas reconnaître qu’ils peuvent croire à quelque chose en complète contradiction avec la Raison du moment qu’elle figure dans les saintes Écritures ; justifient toutes les absurdités qui peuvent exister par ailleurs et en opposant ainsi une lumière à une autre, font incontestablement de Dieu le responsable de toute cette incertitude. Admettre ne serait-ce qu’un instant que la Raison puisse autoriser une chose, et l’esprit divin une autre, nous plonge dans un inévitable scepticisme, car nous ne saurons jamais avec certitude à qui obéir ni même qui est qui.
Comme la preuve de l’origine divine des Écritures saintes dépend de la raison, si la claire lumière de l’une peut être contredite de quelque façon que ce soit, comment pourrons-nous être convaincus de l’infaillibilité de l’autre ? La Raison peut errer sur ce point aussi bien que sur d’autres, personne ne nous a jamais garanti que ce ne sera pas le cas ; pas plus que rien n’a jamais garanti aux papistes que leurs sens ne les abuseraient pas sur quelque chose autant que pour ce qui est de la transsubstantiation.
Dire ceci revient à se prendre soi-même à témoin et revient également à confirmer aussi le Coran et le Poran [Puranas : Écritures sacrées de l’hindouisme. N. D. L. R.]
Ce serait aussi un bel argument à opposer à un païen que de lui dire que l’Église l’a déclaré quand toutes les sociétés peuvent en dire autant pour elles-mêmes. Supposons d’ailleurs que ce soit le cas, il nous demandera aussitôt d’où vient que l’Église est autorisée à trancher ces controverses.
Et si l’on répond « des saintes Écritures », je vous parie à cent contre un qu’il rira d’un tel cercle vicieux. Vous devez croire que les Écritures sont divines parce que l’Église en a décidé ainsi, mais l’Église tire justement des saintes Écritures son autorité d’en décider ainsi.
Or il est douteux qu’un tel pouvoir de l’Église soit vraiment prouvé par les passages utilisés pour ça, mais l’Église elle-même (le parti concerné en tout cas) l’affirme. Que diable, ces ratiocinations en boucle ne sont-elles pas la plus merveilleuse des justifications jamais inventées pour donner le vertige ou le tournis à ceux qui sont dénués de réflexion et faibles d’esprit ?
7] Mais si nous admettons que les Écritures sont divines ; non en nous fondant sur ses propres affirmations, mais en nous fondant sur un vrai témoignage, celui de l’évidence des choses qu’elles contiennent, sur des effets indubitables, et non sur des mots ou des lettres ; qu’est-ce donc d’autre que le prouver par la Raison ?
Elles ont en elles-mêmes, je l’accorde, les plus éclatants caractères de la divinité, mais c’est la Raison qui nous les découvre, qui les examine, et qui, en se fondant sur ses principes, les approuve et les proclame suffisants ; ce qui a pour résultat de faire naître en nous une approbation due à la foi à la conviction. Maintenant si on doit passer au crible les détails, si l’on doit prendre en compte non seulement la Doctrine du Christ et de ses apôtres, mais aussi leur vie, leurs prédictions, leurs miracles et leur mort, alors assurément ce travail sera vain si nous ne pouvons sous aucun prétexte nous dispenser de ces contradictions. Heureuse et commode disposition qui écarte d’un seul revers de main les remarques gênantes sur l’Histoire, la langue, le sens, littéral ou allégorique, la compétence de l’auteur, les circonstances et les autres aides en matière d’interprétation. On juge de la sagesse d’un homme et de ses connaissances à ses actions et à son discours ; mais Dieu qui, soyons-en sûrs, ne fut pas sans témoins, n’est pas plus avantagé que le plus fou des enthousiastes ou que le diable lui-même dans ces conditions.
8] Ils prétexteront adorer la parole même de Dieu, qui n’est pas pour nous déplaire, car Dieu n’est pas un homme et donc ne saurait mentir ; mais la question ne porte pas tant sur les mots que sur leur sens, qui doit toujours être digne de leur auteur, et donc conformément à la vocation de tout discours, interprété au sens figuré si cela est nécessaire.
Sinon, sous prétexte de fidélité à la Parole de Dieu, les pires folies et blasphèmes peuvent être déduits de la lettre de l’Écriture sainte ; par exemple que Dieu est sujet aux passions, qu’il est responsable du péché, que le Christ est une pierre, qu’il fut en réalité coupable de toutes nos fautes et souillé par elles, que nous sommes des vers ou des brebis et non des hommes.
Et si l’on doit prendre ces passages au sens allégorique, alors pourquoi pas aussi, je vous le demande, pour toutes les phrases du même genre quand cela paraît nécessaire ?
149
9] […] Quelqu’un peut acquiescer à ce qu’il ne connaît pas, par peur, superstition, indifférence, intérêt, ou tout autre mobile aussi médiocre et malhonnête. Mais aussi longtemps qu’il n’arrive pas à concevoir clairement ce en quoi il croit, il ne peut sincèrement y croire, et n’est donc jamais vraiment satisfait. Il est constamment troublé par des scrupules qui ne peuvent être balayés par la plus absolue des fois, et il est toujours susceptible d’être ébranlé ou emporté au moindre coup de vent de la doctrine.
Je croirai parce que je veux croire c’est-à-dire parce que je suis d’humeur à le faire est le fin du fin de cette façon de voir les choses.
Les gens déraisonnables suivent les vanités de leur esprit, ont l’entendement obscurci, et sont étrangers à la vie de Dieu du fait de leur propre ignorance, ou à cause de l’endurcissement de leur cœur. Mais celui qui comprend une chose est aussi sûr d’elle que s’il en était lui-même l’auteur. Il ne pourra jamais être amené à remettre en cause ses convictions et, s’il est honnête, en rendra toujours compte aux autres de façon pertinente.
10] Le résultat naturel de ce qui a été dit ci-dessus est que croire en la divinité des Écritures ou dans le sens de tel ou tel de ses passages ; sans preuve rationnelle, sans cohérence évidente ; est une naïveté condamnable, ou une opinion téméraire, ordinairement fondée sur une certaine prédisposition à l’ignorance et à l’obstination, mais plus généralement motivée par appât du gain.
Car nous embrassons fréquemment certaines doctrines non à cause de la force de leur évidence, mais parce qu’elles servent nos desseins mieux que la vérité, ou parce qu’elles défendent mieux certaines des autres contradictions auxquelles nous tenons.
CHAPITRE 2 : DE L’AUTORITÉ DE LA RÉVÉLATION À PROPOS DE CETTE CONTROVERSE.
11] Malgré ce que nous venons d’établir dans cette dernière section, l’autorité de la Révélation sera toujours brandie avec ostentation par certains ; qui feront comme si la raison était à la fois inutile et peu pertinente, puisqu’ils n’ont aucun droit de l’éteindre ou de la réduire au silence. Mais si l’on considère avec attention la distinction que j’ai faite dans la précédente section, au paragraphe No 9, la faiblesse de la présente objection apparaîtra rapidement et alors cette controverse sera mieux comprise.
J’y ai dit que la révélation n’était pas un motif suffisant pour donner son assentiment, mais un moyen de connaissance. Il ne faut pas confondre la manière dont nous parvenons à savoir quelque chose avec les raisons que nous avons d’y croire. Quelqu’un peut très bien me fournir des informations sur un millier de sujets dont je n’avais jamais entendu parler auparavant, et auxquels je n’aurais jamais pensé, s’il ne m’en avait parlé ; mais je ne croirai à rien de ce qu’il me dit uniquement en me fondant sur sa parole, sans preuve tirée des choses elles-mêmes. Ce n’est pas tant l’autorité en elle-même de celui qui me parle ainsi, qui constitue le fondement de ma conviction, mais la netteté des idées que je me fais sur ce qu’il dit.
12] Si la plus sincère des personnes sur terre m’assure qu’elle a vu une canne, n’ayant pas deux extrémités, donc étant infinie ; je ne pourrai ni ne voudrai la croire, car ce qu’elle me rapporte contredit manifestement l’idée que l’on peut avoir d’une canne. Mais si elle me dit qu’elle a vu un bâton qui, ayant par hasard été mis en terre, a donné quelque temps après des rameaux et des branches ; alors je pourrai plus facilement la croire parce que cela ne contredit en rien l’idée que je me fais d’un bâton ni ne sort du champ des possibles.
13] J’utilise à dessein l’expression « champ des possibles », car la toute-puissance ce n’est que cela. Ceux qui nous demandent de croire en des choses contradictoires parce que Dieu, disent-ils, peut tout, et que c’est limiter son pouvoir que d’affirmer le contraire, se trompent et trompent les autres. Très bien ! Nous admettons volontiers que Dieu peut tout faire, mais que du pur néant puisse être l’objet de son pouvoir, cette omnipotence alléguée ne nous permet pas de le concevoir.
Et qu’une contradiction, c’est-à-dire une impossibilité, n’est qu’un néant, nous l’avons suffisamment démontré. Dire par exemple qu’une chose est à la fois étendue et pas étendue, ou ronde et carrée à la fois, revient à ne rien dire du tout à son propos ; car ces idées s’annulent l’une l’autre et ne peuvent aller ensemble s’agissant du même objet. Mais quand nous percevons clairement qu’il y a un accord et une parfaite adéquation entre les termes d’une proposition quelconque, alors nous en concluons qu’elle est possible puisqu’intelligible. Je comprends bien par exemple que Dieu peut rendre instantanément solide ce qui est fluide, peut faire cesser d’exister les êtres actuellement existants ; et appeler à la vie les choses qui n’existent pas comme si elles étaient.
150
Quand nous disons que rien n’est impossible à Dieu ou qu’il peut tout, nous voulons dire par là qu’il peut faire tout ce qui est possible en soi, même si c’est très au-dessus des capacités de ses créatures.
15] […], mais de même que les choses cachées appartiennent au Seigneur, les choses révélées sont faites pour nous, ses enfants. Néanmoins, comme nous en avons débattu ci-dessus, nous ne les admettons pas uniquement parce qu’elles sont révélées ; car, outre le témoignage infaillible de la Révélation quand c’était nécessaire, il faut voir en elles les indiscutables marques DE LA SAGESSE DIVINE ET DE LA PURE RAISON ; seuls moyens par lesquels nous pouvons distinguer les oracles et les volontés de Dieu, des impostures ou des traditions purement humaines.
16] Qui nous révèle quelque chose, c’est-à-dire qui nous parle de quelque chose que nous ne connaissions pas auparavant, doit utiliser des mots compréhensibles et la chose doit être possible [cf. Porphyre. N. D. L. R.]
Cette règle vaut, quel que soit l’auteur de ladite révélation, Dieu ou un homme. Si nous tenons pour fou quelqu’un qui nous demande d’acquiescer à quelque chose de manifestement incroyable, comment pouvons-nous oser attribuer de façon blasphématoire au plus parfait des êtres ce qui est considéré comme une terre quand il s’agit de l’un d’entre nous ?
Quant aux relations incompréhensibles de certains événements, nous ne pouvons y croire, qu’elles soient révélées par Dieu ou par un homme, car croyance, rejet ou approbation et autres manifestations de notre entendement ne peuvent s’appliquer qu’aux idées que nous nous faisons des choses. Il s’ensuit que ce qui est révélé, que ce soit par Dieu ou par un homme, doit également être intelligible et possible, car les deux révélations concordent jusque-là.
Mais elles diffèrent en ce que, bien que la révélation d’un homme puisse être ainsi pareillement qualifiée, il peut m’en imposer quant à la vérité de la chose ; alors que ce qu’il plaît à Dieu de me faire découvrir est non seulement clair pour ma raison (sans quoi sa révélation ne saurait m’édifier), mais aussi toujours vrai.
Quelqu’un par exemple peut me faire savoir qu’il a trouvé un trésor. C’est parfaitement possible, mais il peut aussi très bien me mentir.
Si Dieu par contre m’assure qu’il a créé l’homme à partir d’un peu de terre, non seulement c’est parfaitement possible à Dieu, mais c’est également très facile à comprendre pour moi. Ce qui rend la chose certaine néanmoins, c’est que Dieu ne peut en aucun cas me tromper, lui, alors qu’un homme en est capable. Nous sommes donc en droit d’attendre le même degré de clarté de la part de Dieu ou d’un homme, bien que le premier soit plus sûr que le dernier.
17] La Raison nous en persuade et l’Écriture sainte nous le dit expressément, les prophètes ou les songe-creux qui détournaient le peuple de l’adoration du Dieu unique pour le conduire au polythéisme (au culte de nombreux dieux) devaient être lapidés ; même s’ils avaient pu corroborer leur doctrine par des signes ou des prodiges. Et même si un prophète avait parlé au nom de Dieu, si ce qu’il avait ainsi annoncé n’arrivait pas ; il s’agissait alors là de la preuve flagrante démontrant qu’il avait dans ce cas parlé avec orgueil et de par sa propre autorité, non de par l’autorité de Dieu.
Dieu révéla au prophète Jérémie en prison que le fils de son oncle voulait lui vendre son champ ; mais il n’en conclut pas pour autant immédiatement que c’était bien la parole de Dieu tant que son parent ne fut pas concrètement venu le voir pour conclure ledit marché avec lui.
La Vierge Marie, bien que du sexe le moins fermé à la flatterie et à la superstition ; n’a pas cru comme cela qu’elle allait avoir un enfant qui serait appelé le fils du Très-Haut, et dont le règne ne connaîtrait pas de fin. Elle a attendu que l’ange réponde de façon satisfaisante à la plus radicale des objections que l’on pouvait faire dans son cas. Et elle n’en a pas conclu d’ailleurs (tellement elle différait de ses actuels adorateurs) que c’est donc bien ce qui allait nécessairement se passer. Mais elle a seulement humblement pris acte de cette possibilité, ainsi que de son indignité, puis a tranquillement espéré ou attendu l’heureux événement.
18] En combien d’innombrables autres endroits sommes-nous exhortés à nous méfier des faux prophètes et des mauvais maîtres, séducteurs et malhonnêtes ?
Nous devons non seulement tout examiner ou éprouver, nous en tenir fermement à ce qui est le mieux, mais aussi vérifier si ces esprits sont bien de Dieu. Or comment faire pour vérifier ? Comment faire la distinction ?
Pas comme un cheval ou une mule sans intelligence, mais en hommes circonspects, avisés, jugeant par nous-mêmes de ce qui est dit. En un mot c’est en se fondant sur des raisons claires et qui ont du poids ; tant quant au fond que sur la forme ; et non en obéissant de façon aveugle, que les hommes
151
de Dieu de jadis embrassaient sa Révélation, et que nous voulons la recevoir semblablement de leurs mains.
Je n’ignore pas comment certains se vantent d’avoir été convaincus par l’efficace et lumineuse opération du Saint-Esprit et n’ont jamais eu ni accepté d’autre raison à leur Foi ; mais nous essaierons quand il conviendra de le faire, de les détromper ; puisqu’aucun adversaire, si absurde ou insignifiant qu’il puisse être, ne doit être ignoré avec dédain par qui aime sincèrement les hommes et la Vérité.
En tout cas pour ce qui est de la Révélation, en n’en faisant qu’un moyen de la connaissance, je suis la voie tracée par Paul lui-même quand il écrit aux Corinthiens qu’il ne peut leur être utile que s’il leur parle par révélation, savoir, prophétie, ou doctrine.
Chapitre 3 : QUE LE PROJET INITIAL DU CHRISTIANISME ÉTAIT L’INSTAURATION D’UNE RELIGION RATIONNELLE ET INTELLIGIBLE EST PROUVÉ PAR LES MIRACLES, LA MÉTHODE, ET LE STYLE, DU NOUVEAU TESTAMENT.
19] Vu ce que nous avons dit de la RAISON jusqu’ici, et maintenant de la RÉVÉLATION, doctrines et préceptes du Nouveau Testament (s’ils sont bien d’origine divine évidemment) doivent par conséquent s’accorder avec la raison naturelle et avec nos idées ordinaires […]
Et bien que les preuves de la doctrine du christ puissent également être agréées par les non-juifs ; tout en appelant également à juste titre l’assentiment de ses compatriotes, de par sa conformité avec les caractères et les prophéties de l’Ancien Testament, et par le fait que toutes les caractéristiques du Messie étaient réunies en lui ; afin de ne laisser subsister aucun doute, il prouva néanmoins son autorité ainsi que celle de son Évangile par tant d’œuvres et de miracles que les juifs à la nuque raide eux-mêmes ne purent contester sa divinité. Nicodème a même fini par lui dire : aucun homme ne peut accomplir de pareils miracles si Dieu n’est pas avec lui. Certains pharisiens reconnurent aussi qu’aucun pécheur ne pouvait accomplir de tels prodiges, et d’autres qu’ils excédaient ceux des démons.
21]… Mais à quoi pouvaient bien servir tous ces miracles, tous ces appels, s’il y avait lieu de faire fi de l’entendement humain ? Si les doctrines du Christ étaient incompréhensibles ? Ou si nous étions obligés de croire à des absurdités du moment qu’elles ont été « révélées ». Si ces miracles sont vrais, le christianisme doit par conséquent être intelligible, et s’ils sont faux (ce que ne peuvent prouver nos adversaires), ils ne sauraient servir d’argument contre nous.
22] Pour ne pas insister davantage là-dessus ; disons simplement que tout le monde reconnaîtra la vérité que je défends, s’il lit les Écritures sacrées avec l’équité ou l’attention que méritent les œuvres humaines ; car on ne doit pas suivre d’autre règle dans l’interprétation des saintes Écritures que celle qui est communément admise pour les autres livres.
Quelle que soit la façon dont les hommes sans parti pris se serviront de ce moyen ; ceux qui disent que le Nouveau Testament est écrit sans plan ni règle bien définis, mais seulement au fur et à mesure que ces matières passaient par la tête des apôtres ; soit parce qu’ils étaient transportés par des accès d’enthousiasme (comme le veulent certains effectivement) soit par manque de bon sens ou de culture générale selon d’autres […] ; ne pourront qu’apparaître comme de fieffés menteurs ou pire des gens qui se trompent eux-mêmes […]
24] Certains objecteront que l’Évangile a été composé avec très peu, voire aucun ornement, que les mots n’ont pas été choisis, que ses expressions n’ont pas été soigneusement étudiées. Ce reproche est fondé, les apôtres eux-mêmes le reconnaissent. Ceci démontre de façon on ne peut plus claire qu’ils voulaient être compris par tous.
Je ne suis pas venu chez vous, dit Paul, vous apporter en un langage parfait ou avec sagesse, le témoignage de Dieu. Mon discours et ma prédication ne reposent pas sur les paroles clinquantes de la sagesse humaine, mais sur une démonstration ou une conviction de l’âme ou de l’esprit, avec puissance ou efficacité.
Paul dit ceci par rapport aux philosophes et aux orateurs de son temps dont la rhétorique, c’est un fait reconnu, sortait de l’ordinaire ; et dont les périodes étaient construites pour susciter l’admiration des auditeurs, mais nullement afin de satisfaire leur Raison ; captivant certes leurs sens au théâtre ou au temple, mais ne les rendant pas meilleurs chez eux ou plus sages à l’étranger.
25] Ces hommes, tout comme certains de leurs modernes successeurs, étaient assez infatués de leurs ridicules systèmes pour appeler folie les choses de Dieu, car elles ne convenaient guère à leurs précaires et charnelles idées ; puisque toutes les phrases n’étaient pas enveloppées de mystère ou
152
ornées de figures de rhétorique ; sans réaliser que seul ce qui est faux, ou insignifiant, a besoin de l’aide d’une harangue assez séduisante pour amuser ou interpeller. C’étaient des ennemis de la vérité, tous étrangers à sa simplicité.
Leur art, autant que nous puissions en juger, consistait à jouer à leur gré les passions humaines par le truchement d’une grandiloquente éloquence et de diverses autres singeries. Ils se vantaient de leur force de persuasion envers et contre tout. Était considéré comme le meilleur des orateurs celui qui arrivait à rendre juste aux yeux des juges la pire des causes. Était considéré comme le meilleur des philosophes celui qui arrivait à faire passer pour une démonstration ce qui n’était qu’un paradoxe saugrenu. Ils ne s’occupaient que de leur gloire et de leurs intérêts personnels, qu’ils ne pouvaient donc défendre autrement qu’en arrivant (au moyen d’un artifice qui marche toujours d’ailleurs, et qui est donc encore utilisé aujourd’hui) à en imposer aux gens par leur autorité ou leurs sophismes, et sous prétexte de les instruire en les maintenant habilement dans la plus crasse des ignorances.
26] L’objectif des apôtres était tout autre : dévotion envers Dieu et paix pour les hommes étaient leur salaire, et le christ, ainsi que son évangile, leur gloire. Ils n’en vinrent jamais à se magnifier ou à s’exalter eux-mêmes, ils n’imposaient pas leur doctrine, mais la proclamaient. Ils n’embrouillaient pas ou n’induisaient pas en erreur, mais s’adressaient à l’intelligence. Ils s’employaient à dissiper l’ignorance, éradiquer la superstition, répandre la vérité ainsi que la réforme des mœurs, prêcher la délivrance aux captifs ; c’est-à-dire la joie de la liberté chrétienne aux esclaves de la prêtrise lévite et païenne, et annoncer le salut aux pécheurs repentants.
27]… Le Nouveau Testament résonne tellement de ce langage et les sujets abordés partout si conformes que je renvoie le lecteur à la discussion détaillée de l’ensemble qui figurera dans le second traité. Mais en attendant je dois néanmoins de remarquer qu’aucun mot de ce langage ne saurait être vrai si l’on admet qu’il y a dans les saintes Écritures des contradictions, apparentes ou réelles. On peut en dire autant des mystères, mais nous en reparlerons au fur et à mesure.
Chapitre 4 : RÉPONSE AUX OBJECTIONS TIRÉES DES VICES DE LA RAISON HUMAINE.
28] Reste maintenant une objection à laquelle certains attachent une grande importance, bien qu’elle ne leur soit pas très utile. En admettant, disent-ils, que l’Évangile soit aussi rationnel que vous le prétendez, il n’empêche que notre raison est si corrompue et déchue, qu’elle ne peut, ni discerner ni recevoir, ces vérités divines. Hé, mais ça ne prouve pas que ces vérités divines sont contraires à la raison la plus pure. Mais ils répètent que la raison humaine n’est jamais sûre. J’espère là aussi réussir à faire l’état de la question afin de couper court à toute dispute éventuelle avec ceux qui jugent bien des choses et qui sont de bonne volonté […]
31] En admettant que nous soyons par nature incapables de bien raisonner ; nous ne sommes pas alors plus sujets à être condamnés pour ne pas avoir observé les commandements de Dieu, que ceux auxquels l’Évangile n’a jamais été annoncé ne le sont en ne croyant pas au Christ ; car comment ceux qui ne croient pas en quelqu’un pourraient-ils l’invoquer, et comment croire en quelqu’un sans en avoir entendu parler ?
------------------ ----------------------------- ------------------------- ------------------------------------------------------- -----
Contre-lai No 89.
Notre grand druide, Janus Junius Eoganesius (Sean Eoghain ui Tuathallain) vu l’époque et le lieu, a préféré, c’est évident, faire beaucoup de concessions et être très prudent ou très modéré dans l’expression de sa pensée. Il n’a pas voulu heurter de plein front l’idéologie dominante de son temps et les chrétiens de son pays et s’est donc montré beaucoup moins radical qu’un Mongan qu’un d’Holbach ou qu’un Diderot traitant de la recht aicnid (la religion naturelle).
N’oublions pas qu’un an après la publication de ce livre, un homme a été encore pendu à Édimbourg en Écosse pour blasphème contre la Sainte-Trinité ou l’autorité des Écritures (charia chrétienne). cf. la tragique histoire du jeune Thomas Aikenhead.
Il s’agit du seul cas où un certain ésotérisme voire une certaine taqiya, dans l’expression des idées, peut se justifier.
Il n’est plus possible dans certains pays de dire la vérité à propos des religions qui vont du judaïsme à l’islam et de se battre (d’un simple combat d’idées) pour en dépêtrer le maximum de nos frères humains. La déclaration hautement significative, effrayante, de Mouloud Aounit, président du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples, contre le blasphème (sur France 3 le
153
13 janvier 2005) est à cet égard sans équivoque. Et quand ce ne sont pas les lois antiracistes qui vous condamnent au silence, cela peut être une fatoua (comme dans le cas de Salman Rushdie) ; voire tout simplement un bon vieil assassinat politique à la médinoise (cas du cinéaste hollandais Théo Van Gogh) ; car pour ce qui est de l’islam tout danger est loin d’être écarté vu le comportement de nos élites, politiques, journalistiques, religieuses ou autres, à son sujet.
L’effarante et terrifiante rumeur dont a été victime un ophtalmologiste du sud de la France le 8 octobre 2010, en est la preuve. Ci-dessous par exemple ce qu’en dit le site internet 24heuresactu.com.
Raciste ou pas l’ophtalmo aixois qui a eu maille à partir avec l’un de ses clients d’origine marocaine ? À en croire les médias qui se sont délectés de ce fait divers racoleur, c’est oui. Si on écoute le Procureur d’Aix-en-Provence, c’est plutôt non… Les médias aiment tellement battre la coulpe sur le dos des « Français » qu’ils sont prêts à reproduire n’importe quelle rumeur où un Français blanc fait preuve de racisme envers un concitoyen d’une autre origine (ou un étranger).
Toutes les rédactions se sont donc ruées sur ce fait divers sordide, raconté en boucle sur tous les médias par la « victime ». Selon cet ingénieur de trente-cinq ans, le médecin aurait tenu des propos extrêmement violents (et racistes) à son égard.
« Sale arabe, dégage, tu me salis mon cabinet ! » aurait notamment déclaré l’ophtalmo.
Sauf qu’au lieu de vérifier leurs sources comme la déontologie journalistique l’exigerait, l’ensemble de la presse française a repris l’histoire en ne retranscrivant que le point de vue de la soi-disant victime.
Quelle surprise d’entendre quelques heures plus tard le même médecin nier en bloc les accusations de racisme et préciser que s’il y a bien eu altercation entre les deux hommes, c’est après que « la victime » est rentrée par deux fois dans son cabinet pendant qu’il était en consultation avec d’autres patients [en fait, la propre fille de l’homme en question qu’il était en train d’examiner].
Le procureur d’Aix-en-Provence, contacté par LePost, semble d’ailleurs penser que la version de l’ophtalmo est plus crédible que celle de l’ingénieur et que « les faits rapportés semblent infondés ».
Racisme ou pas, l’enquête nous le dira. Mais la rapidité avec laquelle l’ensemble des médias français ont pris fait et cause pour la victime sans prendre le soin de vérifier les faits en question… est troublante (Http://24heuresactu.com. Rédigé par Lateigne le 9 octobre 2010).
En quelques heures, y compris bien longtemps après que la vérité factuelle eut commencé à pointer le bout de son nez (un article sur cent : Ici TF1 à 13 h 01), les intellectuels et les journalistes français ont donc fait déferler sur internet un torrent ou un raz-de-marée d’articles reprenant sans précautions suffisantes les accusations de racisme antiarabe ou d’islamophobie portées contre lui, y compris pour certains en allant jusqu’à donner son nom, et l’on a pu ainsi assister dans les commentaires ou les réactions des internautes, à un déchaînement sans précédent ; non seulement de bêtise crasse, bien épaisse, et consternante (c’est toujours le cas sur internet où règnent bien peu d’intelligence, de culture générale, critique, et de réflexion, de la part des journalistes ou des modérateurs, en dehors des idées reçues de l’idéologie dominante du moment évidemment), mais aussi de racisme à l’encontre des Français d’origine non marocaine non maghrébine non arabe non musulmane. Il a fallu des heures et des heures pour que les intellectuels ou les journalistes français de la Toile commencent à s’apercevoir des incohérences de cette diffamation pour le coup incitant vraiment à la haine raciale envers les Français d’origine non marocaine, non maghrébine, non arabe, non musulmane. Entre autres celle-ci au minimum. Si ce médecin ne voulait vraiment pas soigner de « sales Arabes », pourquoi donc avait-il néanmoins accepté un rendez-vous avec un tel patient ? La grande nation qu’a été la France est vraiment malade du racisme, malade du racisme à un point que cela en devient terrifiant.
Enseigner la vérité historique même pendant un cours devient périlleux. Un professeur d’histoire et de géographie en a fait l’expérience. Parler des pillages de Mahomet dans un cours d’histoire le 30 septembre 2003 à Courbevoie lui a valu un blâme sur le plan disciplinaire (2 février 2004) et une action pénale en justice. Or il en est fait état dans de nombreux hadiths voire dans plusieurs versets du Coran, une sourate étant d’ailleurs consacrée à ce sujet, la sourate numéro 8 dite « du butin ».
On se demande en quoi un professeur serait blâmable en parlant de ces pillages et carnages. Avant de blâmer ce professeur, le ministre français de l’Éducation aurait dû lire le Coran. Il aurait su que les faits enseignés étaient confirmés par des textes musulmans, Coran ou hadiths, qui ne laissent subsister aucun doute.
Le professeur d’histoire qui parle du christianisme va-t-il devoir cacher l’Inquisition avec ses bûchers, les tortures, la confiscation des biens des hérétiques, les excommunications ; et les milliers de livres qui ont été brûlés ? Il n’aura plus dans ce cas qu’à enseigner le catéchisme au lieu de l’histoire du christianisme.
154
L’écrivain Michel Houellebecq pour avoir dit que « la religion la plus conne, c’est quand même l’islam » a failli lui aussi faire l’objet d’une action pénale en justice. Interdire d’avoir une opinion très négative d’une religion, c’est tout simplement supprimer la liberté de conscience, de pensée, et d’expression. Pourquoi une idéologie religieuse ne pourrait-elle pas être jugée moins bonne qu’une autre ? Ou plus aliénante, dangereuse et criminogène (le nombre de malades mentaux tuant d’autres êtres humains pour obéir à leurs visions est proprement terrifiant). Pourquoi ne pourrait-on pas estimer que toutes les religions sont insensées, stupides ou plus stupides l’une que l’autre ? Diderot, lui, estime bien que la religion naturelle est moins bête que les autres.
C’est une appréciation qui fait partie de nos droits fondamentaux, sinon les religions seront protégées contre toute critique, quel que soit le danger des idées qu’elles véhiculent.
Mais l’époque ayant changé pour ce qui est du christianisme, nous pouvons maintenant parler pour John Toland ; et ajouter que les Évangiles eux-mêmes ne sont qu’un plaidoyer à la Cicéron (voir son célèbre pro Fonteio), un roman historique, une fiction à la Shakespeare (de Racine ou de Corneille en France) ; et surtout pas un reportage ou des mémoires.
Quant à Pierre et Paul, reconnaissons (excuse-nous Jean) qu’il y a plus de vérité à leur sujet sous la plume de Porphyre que sous la plume du grand Janus Junius Eoganesius.
Heureusement que Sean Eoghain ui Tuathallain, comme le vin, s’est bonifié en vieillissant, mais dans cet ouvrage John Toland tout comme La Ramée son illustre prédécesseur, s’est montré encore très respectueux…
— Des idées que l’on peut se faire de Dieu après de nombreux siècles de judéo-christianisme voire d’hellénochristianisme.
— De Jésus Christ lui-même.
— Des apôtres.
— Des Évangiles, des Actes des Apôtres et des lettres ou des épîtres achevant le Nouveau Testament.
Il n’a exercé son esprit caustique…
— Que contre ceux qui les ont précédés (les juifs, Moïse, l’Ancien Testament).
— Ou contre ceux qui les ont suivis : les Pères de l’Église, les papes.
Il lui a donc fallu plusieurs livres et plusieurs essais pour devenir véritablement un « druide » digne de ce nom.
Nous sommes par contre entièrement d’accord avec lui sur un point. La pensée grecque n’est pas indépassable et les idées de Platon sur Dieu ou le Démiurge laissent, elles aussi, à désirer (ses idées sur l’âme sont plus séduisantes). Leur entrée dans le judéo-christianisme devenu ainsi hellénochristianisme n’a pas arrangé les choses.
--------------------------------------- ------------------------------------------------- ---------------------------------------- -----
Section III : QU’IL N’Y A RIEN DE MYSTÉRIEUX OU AU-DESSUS DE LA RAISON DANS L’ÉVANGILE.
Chapitre 1 : L’HISTOIRE ET LA SIGNIFICATION DU MOT MYSTÈRE DANS LES ÉCRITS DES PAÏENS.
4] Des auteurs dignes de foi rapportent que les prêtres [païens] avouaient aux initiés que ces représentations mystiques avaient été instituées à l’origine pour commémorer des événements remarquables ; ou honorer des grands hommes qui avaient obligé le monde par leurs vertus ou d’utiles inventions à de telles manifestations de reconnaissance. Mais quoi qu’il en soit myein dans leur système signifiait initier, myesis initiation, myste, était le nom donné par ces prêtres à la personne devant être initiée, qui était ensuite dite épopte après avoir été admise ; et le Mystère c’était la doctrine à laquelle elle avait été initiée.
De même qu’il y avait plusieurs degrés, il y avait différentes sortes de Mystères. Les plus fameux étaient ceux de Samothrace, ceux d’Éleusis, ceux d’Égypte, ainsi que ceux de Bacchus, communément appelés orgies.
5] Il découle de ce qui vient d’être dit que l’on entendait par mystère en ce temps-là une chose compréhensible d’elle-même, mais si bien dissimulée derrière d’autres qu’elle ne pouvait être reconnue sans révélation particulière.
155
Je n’ai pas besoin d’ajouter que chez tous les auteurs grecs et romains c’était une expression couramment utilisée pour parler des choses sacrées ou profanes volontairement gardées secrètes ou rendues obscures accidentellement. Tel est d’ailleurs toujours le sens usuel de ce mot. […]
Mais beaucoup, ne contestant pas une telle évidence, enclins par ignorance ou passion à garder ce qui a été initialement introduit par l’habileté ou la superstition de leurs pères, soutiennent que certaines doctrines chrétiennes sont toujours des mystères au second sens du mot, c’est-à-dire inconcevables en elles-mêmes bien que clairement révélées. […].
6] Mais si j’arrive à démontrer que, dans le Nouveau Testament, le mot mystère est toujours utilisé dans le premier sens du terme, ou dans le sens que lui donnaient les païens ; c’est-à-dire pour désigner des choses par nature très compréhensibles, néanmoins voilées par tant de mots ou de rites à prendre au sens figuré, que la Raison ne peut les découvrir sans une révélation spéciale ; mais dès que le voile en est levé alors il s’ensuit évidemment que les doctrines ainsi révélées ne peuvent plus être qualifiées de mystères au sens propre du terme.
7] C’est ce que j’espère arriver à faire dans la suite de cette section, à la plus grande satisfaction des chrétiens sincères plus préoccupés par la vérité que par les opinions surannées ou intéressées.
Chapitre 2 : QUE RIEN NE DEVRAIT ÊTRE QUALIFIÉ DE MYSTÈRE SEULEMENT PARCE QUE NOUS N’AVONS PAS UNE IDÉE ADÉQUATE DE TOUTES SES PROPRIÉTÉS NI AUCUNE DU TOUT EN CE QUI CONCERNE SON ESSENCE !
20] en ce qui concerne Dieu, nous ne comprenons rien de mieux que ses attributs. Nous ne connaissons pas il est vrai la nature de cet éternel sujet, ni son essence, où coexistent bonté, amour, connaissance, puissance et sagesse, infinies, pas plus que nous ne connaissons la véritable essence de ses créatures.
Chapitre 3 : LA SIGNIFICATION DU MOT MYSTÈRE DANS LE NOUVEAU TESTAMENT ET LES ÉCRITS DES PREMIERS CHRÉTIENS.
30] Le mot mystère est mis pour Évangile ou christianisme en général dans les passages suivants : Lettre aux Romains, 16, 25-26. « La prédication de Jésus-Christ, selon la révélation du mystère tenu secret depuis le commencement du monde ; mais maintenant rendu manifeste et porté à la connaissance de toutes les nations par des écrits prophétiques, selon le commandement du Dieu éternel, pour qu’elles suivent les voies de la Foi ».
Or en quel sens ce mystère peut – il être considéré comme devant être révélé, ce secret comme devant être rendu manifeste, pour être connu de toutes les nations de par la prédication des apôtres, s’il reste toujours incompréhensible ?
Quelle puissante bénédiction que voilà ! Bénir le monde en se servant de tout un fatras de notions ou d’expressions incompréhensibles sorties tout droit des discours acroatiques d’Aristote, des doctrines ésotériques de Pythagore, ou du mystérieux jargon des autres sectes de philosophes ; car toutes prétextaient au plus haut point de rares et merveilleux secrets ne pouvant être communiqués à tous les savants ni à aucun homme ordinaire.
Leurs disciples les plus serviles excusèrent tout ce qu’il pouvait y avoir de contradictoire, d’incohérent, de douteux ou d’incompréhensible, dans les œuvres de leurs divers maîtres, en se servant de ce moyen. À ceux qui se plaignaient de certaines incohérences ou obscurités, ils répondaient aussitôt : Ah cher Monsieur, le philosophe l’a dit, et vous devez par conséquent le croire. Il savait bien ce qu’il voulait dire quand même, quoiqu’il qu’il n’ait en aucune façon veillé à ce que les autres puissent également faire de même. Ces causes de vos scrupules, cher Monsieur, ne sont donc qu’apparentes et ne sont pas réelles ! […]
Le huitième et dernier passage à ranger sous cette tête de chapitre se trouve dans 1 Timothée 3.16 : « Il est indubitablement grand le mystère de la Divinité : Dieu manifesté dans la chair, justifié par l’esprit, vu par les anges, annoncé aux nations, adoré partout dans le monde, élevé dans une gloire éclatante ».
Je n’insisterai pas sur les différentes lectures de ces paroles et je n’essaierai pas de déterminer ce qui a été ajouté ou ce qui est d’origine. Toutes les parties (quoique différant considérablement sur leur sens) admettent que les différentes étapes auxquelles fait allusion ce verset font partie de la Révélation évangélique […].
156
31] Ce que nous envisageons de démontrer en second lieu c’est que certains sujets révélés, en l’occurrence par les apôtres, n’étaient mystérieux qu’avant eux. Les juifs, seuls autorisés à être de vrais hommes au milieu des autres nations ; ne pensaient absolument pas que viendrait un jour où elles pourraient se réconcilier avec Dieu et être faites cohéritières ou bénéficiaires avec eux des mêmes privilèges. Cela fut néanmoins résolu par un décret divin qui resta un mystère pour les juifs, mais cessa de l’être après sa révélation à saint Paul qui, dans ses lettres, l’a ensuite proclamé au monde entier. Le premier passage que nous citerons à cet effet se trouve dans Éphésiens 3,1-9.
« Si vous avez entendu parler de la grâce que Dieu qui m’a été donnée en ce qui vous concerne, comment par révélation j’ai pu connaître ce mystère (ainsi que je viens de le dire en quelques mots, par le biais desquels vous avez pu voir d’où me vient ma connaissance du mystère du Christ) , qui jusque-là restait inconnu des fils des hommes, mais qui nous a été révélé par l’esprit à nous, ses saints apôtres et prophètes ; à savoir que les païens sont admis au même héritage, sont membres du même corps, et par l’Évangile associés à la même promesse en Jésus-Christ, afin de faire voir à tous les hommes la communion de Mystère qui était depuis toujours caché en lui ».
34] J’en appelle maintenant à toutes les personnes de bonne foi afin de leur demander s’il ne semble pas évident à toute personne sachant lire ; que le mot mystère, dans le Nouveau Testament, n’est jamais utilisé pour signifier quelque chose d’inconcevable en lui-même ou ne devant pas être jugé à l’aune de nos facultés ou de nos idées habituelles, aussi clairement révélée qu’elle ait été ; mais plutôt s’il ne signifie pas toujours quelque chose naturellement assez compréhensible en soi, mais, soit tellement voilé derrière des images ou des rituels ; ou enfoui si profondément dans la seule connaissance ou volonté de Dieu, qu’il ne peut pas être découvert sans une révélation […]
37] La mention de boucliers me fait bien évidemment penser à ceux que ne touche aucun argument rationnel quand cela va contre le jugement de l’Église primitive.
Les Pères de l’Église (comme ils aiment à le dire) sont pour eux les meilleurs interprètes des paroles de l’Écriture.
Et ce que ces honnêtes hommes, comme le dit un talentueux philosophe, n’ont pu eux-mêmes prouver par des raisons suffisantes se prouve à présent par leur autorité seule. Si les Pères de l’Église ajoute le même auteur, ont prévu cela, ils ont bien fait de ne pas se donner toujours la peine de raisonner si exactement. Que vérités ou erreurs puissent être établies en fonction du nombre de voix dans un concile ou en se référant à certaines époques, me semble être la plus ridicule de toutes les fables.
38]… Mais si l’ancienneté peut à bon escient ajouter quelque valeur à une opinion, je ne pense pas non plus avoir à craindre le recours à son jugement ; « car, si la durée du monde est ordinairement regardée (dit un autre auteur célèbre) comme celle de la vie d’un homme, qu’elle a eu son enfance, sa jeunesse, son âge parfait, et qu’elle est présentement dans sa vieillesse ; alors nos premiers pères ne doivent-ils pas être regardés comme les enfants et nous comme les vieillards ou véritables Anciens du monde ?
Et s’il est vrai, continue-t-il, que l’avantage des pères sur les enfants et de tous les vieillards sur ceux qui sont jeunes, consiste uniquement dans l’expérience, on ne peut pas nier que celle des hommes qui viennent les derniers au monde ne soit plus grande et plus consommée que celle des hommes qui les ont devancés ; puisque les derniers venus ont encore recueilli la succession de leurs prédécesseurs, et y ont ajouté de nouvelles observations ». Ces remarques ne sont pas moins pertinentes qu’elles ne sont justes et solides. Mais même si ancienneté doit être compris en son sens le plus vulgaire ; j’ai toutes les raisons d’espérer que mon hypothèse sera, elle aussi, un jour, ancienne, aux yeux de la postérité, et sera ainsi en mesure de bénéficier de ce bien commode privilège qu’est l’ancienneté
39] Cependant, vu que je ne serai vraisemblablement plus en vie à ce moment-là ; il ne sera pas inutile de faire apparaître que ces mêmes Pères de l’Église, qui ont le bonheur d’être à la fois les jeunes et les anciens de ce monde, sont de mon côté ; mais ce n’est pas par déférence envers leur jugement je le confesse que je prends cette peine, car j’ai déjà dit franchement ce que je pensais de la valeur que je reconnais à leur autorité, au début de ce livre. Mon intention est seulement de montrer la mauvaise foi de ceux qui, bien qu’affichant ostensiblement le plus grand respect pour les écrits des Pères de l’Église ; ne manquent jamais d’ignorer leur avis quand il n’est pas conforme à leur humeur ou à leur intérêt.
157
40] Clément d’Alexandrie a partout du mot mystère la même idée que moi, que celle qu’avaient les païens, et qui est d’ailleurs aussi celle de l’Évangile ainsi que je l’ai démontré. Dans le 5e livre de ses Stromates, qui mérite d’être lu attentivement par tous ceux qui sont curieux d’en savoir plus sur la nature des mystères juifs et païens, dans ce livre donc disais-je, il le prouve […]
41] Chacun sait comment les premiers chrétiens, imitant ridiculement les juifs, ont transformé en une gigantesque allégorie l’Écriture sainte tout entière, en accommodant les qualités des animaux mentionnés dans l’Ancien Testament aux événements arrivés sous le règne du Nouveau. Ils prirent aussi la même liberté, surtout avec les hommes, chaque fois qu’ils pouvaient découvrir la moindre ressemblance entre leurs noms, leurs actions, leur vie ; et ont systématiquement étendu cette manie, aux nombres, aux lettres, aux lieux, et que sais-je encore ?
Tout ce qui, selon eux, dans l’Ancien Testament, pouvait correspondre à quelque chose dans le Nouveau, ils le qualifièrent d’archétype ou mystère de la chose en question.
Les mots archétype, symbole, parabole, ombre, figure, signe, et mystère, signifient tous la même chose dans les écrits de Justin Martyr. Ce Père de l’Église affirme, dans son Dialogue avec Tryphon, que le nom de Josué était un mystère annonçant le nom de Jésus ; et que les mains levées de Moïse lors de la bataille contre les Amalécites à Réfidim, sont un archétype ou un mystère de la croix du Christ par laquelle il a triomphé de la mort, tout comme les Israélites le firent de leurs ennemis […].
43] Origène fait des campements successifs des israélites lors de leur périple vers la Terre Promise autant de symboles ou de mystères décrivant la façon dont on peut monter au ciel ou atteindre aux choses célestes. Ai-je besoin d’ajouter ce qu’il dit notamment des écrits des prophètes, de la vision d’Ézéchiel ou en particulier de l’Apocalypse ; car il est reconnu unanimement comme celui qui a porté au plus haut point cette façon mystique ou allégorique d’interpréter l’Écriture sainte ; et il a fourni de la matière à tous ceux qui l’ont suivi dans cette voie […]
44] Les autres Pères de l’Église des trois premiers siècles ont exactement la même conception du mystère ; et s’il leur arrivait de dire à ce sujet quelque part le contraire de ce qu’ils avaient affirmé ailleurs (comme ils le font ordinairement dans la plupart des cas) ; cela prouve seulement qu’ils ne peuvent servir de règle pour les autres, n’en ayant pas été une pour eux-mêmes. Mais, et ce n’est pas là un mince a priori en notre faveur, vu que nous avons à faire à des hommes si enclins à oublier, ils n’ont par contre jamais varié sur ce point ; de sorte que j’espère bien qu’aujourd’hui la théorie des mystères incompréhensibles et inconcevables en matière de religion sera vite abandonnée par tous ceux qui respectent vraiment les Pères de l’Église, l’Écriture sainte ou la Raison.
------------------------------------------ ------------------------------------------------------------------------------------- – ---
Contre-lai N° 90.
Volons au secours par-dessus les siècles, de notre ami John Toland, en insistant avec lui sur le fait que les responsables de toute cette cacophonie et de ce véritable imbroglio sont les Pères de l’Église ; qui ont cru bon de ne pas traduire le mot grec mysterion ou plus exactement d’en faire une double traduction ; sacrement d’un côté, mais aussi, ainsi que l’a bien vu notre grand druide : « Chose incompréhensible ou contraire à la Raison ». Le mot grec mysterion vient du verbe myo dont le sens est « recouvrir, cacher ». Les Pères de l’Église prirent ce terme dans un sens large. Le mot grec a été traduit en latin par deux termes : mysterium et sacramentum (mystère, sacrement). Le terme sacramentum exprimant davantage le signe visible (rituel) de la réalité cachée, indiquée par le terme mysterium.
De toute façon le problème de base du judéo-christianisme et pire encore de l’islam, là où le bât blesse, leur tare initiale, c’est qu’ils sont issus au départ de révélations particulières à certains peuples et non d’emblée destinés à toute l’humanité.
On est loin en effet avec ces trois religions du Dieu des philosophes. Répétons-le encore une fois ce ne sont pas des réflexions tirées d’innombrables révélations de par le monde et donc forcément universelles, mais des extensions quelque peu forcées d’une révélation unique destinée au départ à un seul peuple et non à tous les hommes. D’où toutes ces contorsions de notre apôtre du christianisme celtique d’Irlande ! D’Holbach l’avait bien compris !
------ -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- ------
Chapitre 4 : RÉPONSES AUX OBJECTIONS TIRÉES DE CERTAINS PASSAGES DES ÉCRITURES SAINTES, DE LA NATURE DE LA FOI ET DES MIRACLES.
158
45] Certains hommes sont si entichés de mystères, et ils semblent y trouver leur compte, qu’ils sont prêts à dire n’importe quoi plutôt que de s’en départir. Ce faisant, qu’ils en aient ou pas conscience, ils ne font rien de moins que mettre leur religion en jeu à chaque fois ; car reconnaître que ce que l’on croit est au-dessus de tout examen par la Raison, et que l’on ne souffrira en aucune façon que cela soit remis en question, n’est jamais bon signe. Ceci montre qu’au fond d’eux-mêmes ils doutent de leur propre cause, et d’aucuns en concluront même que ce que l’on n’ose soumettre à l’examen de la Raison doit être au fond contraire à cette dernière.
46] Malgré le fait que ces conséquences sont évidentes ils s’arcboutent contre elles et n’ont pas honte de se servir alors des Écritures saintes pour que leur assertion fasse quand même bonne figure. Vous n’entendrez rien de plus fréquent dans leurs bouches que ces paroles de l’apôtre : « Attention à ne pas vous laisser piéger par la philosophie et de vaines supercheries ; issues de la tradition humaine et des principes élémentaires de ce monde, mais en aucune façon ne venant du Christ ».
--------------------------------------------------- ----------------------------------------------------------------------------- ------
Contre-lai No 91.
Voir l’épître de Paul aux Colossiens, 2, 8.
Soyons plus tolandiens que Toland lui-même. Soyons ultra-tolandiens ! Soyons carrément monganiens ! Il est vrai qu’en 1697 à Édimbourg le jeune et malheureux Thomas Aikenhead fut encore pendu pour blasphème envers la Trinité et l’autorité des Écritures ; mais nous ne partageons nullement l’indulgence (diplomatique ?) ou la taqiya de notre grand druide envers saint Paul ; qui nous semble là s’élever encore une fois purement et simplement contre toute forme de philosophie, quelle qu’elle soit. Et des philosophies Dieu sait qu’il y en a eu et qu’il y en aura.
« Certains ont cru pouvoir distinguer chez ces gens plusieurs Écoles de philosophie » (saint Hippolyte de Rome, théologien toujours cité par les catéchismes d’aujourd’hui. Philosophoumena, ou réfutation de toutes les hérésies, 1,2, 17 et 1,25, 12).
Par contre d’accord avec Toland pour ne pas tomber à genoux devant la philosophie grecque. Les idées de Platon (excuse-nous Celse, pardonne-nous Porphyre) sur Dieu ou le Démiurge, sont également, par moments, fort contestables. Les Indiens Bouddha et Sankara ont fait mieux. Mais revenons à Toland.
------------------ ------------------------------- ------------------------------------------------------ ------------------------- ----
Par philosophie dans ce cas, il ne faut pas entendre la pure Raison (comme s’accordent à le faire tous les interprètes), mais les systèmes de Platon, d’Aristote, d’Épicure, des Académiciens, et autres, dont bon nombre des principes répugnent en effet au sens commun et aux bonnes mœurs. Les sophistes ne furent jamais plus en vogue qu’à l’époque de Paul et plusieurs de ces sectes ayant alors embrassé le christianisme, elles trouvèrent le moyen d’y mêler leurs anciennes croyances dont ils ne voulaient pas se départir. L’apôtre avait donc de sérieuses raisons de demander à ses convertis de ne pas confondre les inventions des hommes avec la doctrine de Dieu.
Il apparaît pourtant, hélas, que ce conseil avisé n’a pas servi à grand-chose ; car les plus grossières et les plus fantaisistes erreurs des Pères de l’Église sont vraisemblablement dues aux divers systèmes philosophiques qu’ils avaient donc étudiés avant leur conversion ; et qu’ils entreprirent ensuite, follement, de concilier avec le christianisme, pour le plus grand malheur ou presque de ce dernier comme nous allons le montrer dans le chapitre suivant […]
47]… Quand certains eurent transformé en articles de foi les absurdités métaphysiques de ces vieux philosophes, ils poussèrent de hauts cris contre la Raison, dont l’évidence et la lumière auraient pu faire disparaître ces fantasmes.
Car en philosophie comme en religion, chaque secte a ses extravagances particulières, et les incompréhensibles mystères de la dernière répondent à la perfection aux occultes vertus de la première. Tous ont été soigneusement élaborés dans le même but : clouer le bec de ceux qui demandent des explications ne pouvant leur être fournies, et maintenir dans l’ignorance autant de monde que leur intérêt l’exigeait. Mais Dieu m’interdit d’attribuer le même néfaste dessein aux actuels partisans des mystères en matière de religion, j’en connais des milliers qui comptent parmi les hommes les mieux intentionnés de l’univers. Cette philosophie sophistiquée ou corrompue est qualifiée de Sagesse de ce monde ailleurs dans le Nouveau Testament ; les Grecs en étaient bigots tout comme les juifs l’étaient de leur stupide idée que rien ne pouvait être vrai si cela n’était pas prouvé par des miracles. Les juifs demandaient un signe et les Grecs cherchaient une démonstration. Mais cette sagesse tant vantée n’était alors que folie devant Dieu, et l’est toujours aujourd’hui pour ceux qui réfléchissent.
159
48] Un passage de l’épître aux Romains est également cité pour prouver que la Raison humaine n’est pas capable de juger de ce qui a été révélé divinement. Le voici : « La pensée de la chair est ennemie de Dieu, car elle n’obéit pas aux lois de Dieu ni d’ailleurs ne le pourrait ». Mais si ces mots peuvent s’appliquer à la Raison, il ne saurait alors y avoir rien de plus faux, car la Raison doit se soumettre, et se soumet d’ailleurs, d’elle-même, à la Loi divine ; mais cette soumission ne prouve pas pour autant que notre raison est imparfaite, tout comme le fait d’obéir à des lois justes ne saurait être considéré comme étant attentatoire à notre liberté […]
53]… On ne considérait pas comme un crime de ne pas croire en Jésus-Christ avant qu’il ne se manifeste, car comment ceux qui n’ont jamais entendu parler de quelqu’un peuvent-ils croire en lui ? Mais peut-on à plus forte raison condamner quelqu’un qui ne croit pas en ce qu’il a dit s’il ne peut le comprendre ? Autant que je puisse en juger, ces cas sont parallèles. La Foi est censée venir en écoutant, mais s’il n’y a pas compréhension, il est évident qu’entendre ne suffit pas, les mots et idées correspondantes allant de pair dans toutes les langues.
54] L’auteur de la lettre aux Hébreux ne définit pas la Foi comme un préjugé, une opinion ou une conjecture, mais comme une conviction ou une démonstration. La Foi, dit-il, c’est l’attente confiante de ce que l’on espère et la démonstration des choses que l’on ne voit pas.
Ces derniers mots, les choses que l’on ne voit pas, ne signifient pas (comme certains le voudraient) des choses incompréhensibles ou inintelligibles ; mais des faits passés ou futurs, comme la création du monde et la résurrection des morts ; ou le fait de croire qu’il existe des choses invisibles à l’œil nu, bien qu’assez intelligibles pour être appréhendées par les yeux de notre entendement. Cela ressort de tous les exemples joints à la définition […]
59] L’observation que je ferai ensuite est que l’objet de cette foi doit être compréhensible pour tous puisque l’on doit croire en lui sous peine d’être damné. Celui qui n’aura pas cru sera damné. Mais peut-on être condamné pour ne pas avoir fait quelque chose d’impossible ? L’obligation de croire à quelque chose suppose la possibilité de le comprendre. J’ai montré plus haut que « chose contradictoire » ou « n’existant pas » étaient des expressions interchangeables. Je peux en dire autant maintenant des mystères au sens théologique du terme, car, à parler franchement, contradiction et mystère ne sont que deux façons assez prétentieuses de dire « chose n’existant pas ».. Une contradiction n’a pas de sens parce qu’elle se traduit par des idées qui s’annulent l’une l’autre, et un mystère aussi, mais parce qu’il s’exprime, lui, par des mots n’ayant aucun sens du tout […]
61] Ma quatrième observation sera que, sauf si Foi signifie conviction rationnelle, nous ne pouvons dans ce cas donner à autrui des raisons de partager notre espérance, alors que Pierre nous le demande pourtant expressément.
Dire que ce que nous croyons est la parole de Dieu ne servira à rien, sauf si nous montrons qu’il en est ainsi, en nous servant de la raison ; et je n’ai pas besoin d’ajouter que si on ne peut pas examiner ou comprendre sa Foi ; alors on ne peut, cela va sans dire, que continuer dans la religion où l’on a été élevé en premier.
Supposons qu’un talapoin du pays de Siam puisse dire à un prédicateur chrétien que Sommonocodom a interdit que l’on examine à la lueur de la Raison la vertu de sa religion ; comment le chrétien pourra-t-il le réfuter si lui-même maintient que certains éléments du christianisme sont, eux aussi, au-dessus de la Raison ?
La question qui s’ensuivrait alors ne serait pas de savoir si la vraie religion peut tolérer en son sein qu’il y ait des mystères, mais qui, du Christ ou de Sommonocodom, a le plus grand droit d’en instituer ?
62] Ma dernière observation sera la suivante : ou les apôtres ne pouvaient pas écrire de façon plus claire à propos de ces prétendus mystères, ou ils l’ont fait volontairement. S’ils n’ont pas voulu être plus clairs, alors ce n’est plus notre faute si nous ne les comprenons ni ne les croyons. Et s’ils n’ont pas été capables d’être eux-mêmes plus clairs dans leurs écrits alors ils doivent être les derniers à espérer qu’on leur prête foi.
63] Certains affirment cependant que Dieu est en droit d’attendre de ses créatures qu’elles acquiescent même à ce qu’elles ne peuvent comprendre ; et assurément il est bien en droit d’exiger ce qui est juste et raisonnable, car agir de façon tyrannique n’aurait pour résultat que d’en faire le
160
Diable. Mais je vous demande un peu dans quel but Dieu pourrait bien nous demander de croire en quelque chose que nous ne pouvons pas comprendre.
Pour développer notre zèle et notre travail de réflexion, rétorqueront certains. C’est évidemment ridicule ! Comme si les simples devoirs figurant dans l’Évangile et nos nécessaires occupations de tous les jours ne suffisaient pas déjà en fait à employer tout notre temps. Comment dans ce cas exercer encore plus notre réflexion et notre zèle ? Est-il possible à la fin pour nous de comprendre ces mystères ou non ? Si oui, alors tout ce pour quoi je combats sera gagné, car je n’ai jamais prétendu que l’Évangile pouvait être compris sans due peine et application, comme tout autre livre.
Mais s’il est impossible après tout d’arriver à les comprendre ; casser la tête des gens avec ce qu’ils ne pourront jamais concevoir, les exhorter à les étudier ou leur commander de le faire, uniquement afin de les préserver de l’oisiveté ; alors qu’ils ont déjà bien du mal à trouver le temps de faire ce qui est admis par tout le monde comme étant rationnel ; serait une folie ou une impertinence telle qu’aucun homme sensé ne saurait s’en rendre coupable.
64] D’autres disent que Dieu nous a commandé de croire à ces mystères afin de nous rendre plus humbles. Mais comment donc ? En nous faisant toucher du doigt les étroites limites de nos connaissances ? […]
Une bien meilleure réponse aurait consisté à dire que Dieu vouait ainsi abréger nos spéculations afin de nous donner plus de temps pour faire ce que nous comprenons. Mais beaucoup de gens couvrent une multitude de péchés en faisant beaucoup de bruit et de zèle au nom d’aussi folles et stériles spéculations.
65] De toutes ces observations et de tout ce qui précède, il s’ensuit évidemment que la Foi est loin d’être l’assentiment absolu donné à quelque chose qui serait au-dessus de la Raison ; que cette idée va directement à l’encontre des fins dernières de la religion, la nature humaine, et la bonté ainsi que la sagesse de Dieu. Mais dans ce cas, certains seront alors capables de dire que cette Foi n’est plus de la Foi, mais une connaissance. Je réponds que si cette connaissance est considérée comme une perception des choses instantanée ou immédiate, alors je n’ai jamais nulle part affirmé quoi que ce soit de semblable ; mais tout le contraire à plusieurs reprises. Mais si par connaissance doit être entendu le fait de comprendre ce que l’on croit, alors je maintiens par-là effectivement que Foi égale Connaissance […]
66]… Je maintiens que ce qui a été révélé doit être aussi bien compris que toute autre chose dans le monde, la révélation n’étant qu’un moyen de nous le faire connaître, tandis que l’évidence nous en persuade. Mais alors dans ce cas, rétorquent-ils, la Raison est supérieure en dignité à la Révélation.
Je réponds : tout autant qu’une grammaire grecque peut être supérieure au Nouveau Testament, car nous avons besoin d’une grammaire pour en comprendre la langue et de la Raison pour en comprendre la signification. En un mot je ne vois pas la nécessité d’une telle comparaison, car la raison ne vient pas moins de Dieu que la Révélation, elle est le flambeau, le guide, le juge, dont il a doté chacun des hommes venus en ce monde.
67] On m’objectera peut-être enfin que les pauvres et les illettrés ne pourront pas dans ces conditions avoir la Foi au sens où je l’entends […], mais les gens du commun sont certainement plus reconnaissants qu’eux envers le Christ ; qui en avait une meilleure opinion, car il a spécialement prêché son évangile pour eux qui, de leur côté, l’écoutaient avec plaisir ; puisqu’indubitablement ils comprenaient mieux son enseignement que les mystérieuses lectures de leurs prêtres ou de leurs scribes. Les vraies doctrines originelles du christianisme ne sont pas hors de leur portée ni de leur compréhension, ce qu’ils ne comprennent pas c’est le charabia de vos Écoles de théologie.
[…] Ne soyons donc pas étonnés s’il a si peu d’effets aujourd’hui sur la vie des hommes ; après avoir été honteusement déformé, voire presque entièrement ruiné par l’emploi de ces termes, notions et rites, extravagants et inintelligibles, d’origine païenne ou juive.
69] Quand leurs autres manœuvres ont échoué les tenants du mystère s’empressent alors de se réfugier en dernier ressort derrière les miracles ; mais ce n’est pas une place assez forte pour résister longtemps à notre assaut, et nous ne doutons pas de pouvoir les en déloger rapidement, avec aisance et en toute sécurité. Mais comme on n’a jamais jusque-là, pour l’essentiel, exposé clairement l’état de cette controverse, je commencerai par essayer de donner une définition précise de ce qu’est un miracle ; et je reviendrai ensuite à la question de savoir si j’ai vraiment beaucoup de raisons d’appréhender un quelconque danger venant de cette objection. Un miracle, c’est donc une action
161
dépassant les pouvoirs humains, et qui ne peut être accomplie par une simple application des lois naturelles.
70] Or rien de ce qui est contraire à la raison ne saurait constituer un miracle, car j’ai déjà suffisamment prouvé que contradiction n’est qu’un autre mot signifiant « impossible » ou « qui n’existe pas ». L’événement miraculeux doit être quelque chose de compréhensible en soi et de possible, bien que la manière de le faire soit extraordinaire. Il est par exemple concevable et possible, pour un homme, de marcher en toute sécurité au beau milieu d’un feu, si quelque chose pouvant le protéger de la chaleur et des flammes l’entoure. Mais quand cette protection n’est pas fournie par un quelconque artifice, ou par le plus grand hasard, mais se trouve être l’effet immédiat d’un pouvoir surnaturel, alors il y a miracle […]
71] Aucun miracle n’est donc contraire à la Raison, car cet événement doit être intelligible, et l’accomplir semble des plus aisées pour l’auteur de la Nature, qui commande à volonté à ses principes. Sont de faux miracles par contre ceux où il y a des contradictions, comme la naissance du christ sans qu’une voie ait été ouverte dans le corps de la vierge pour le laisser passer ; une tête pouvant parler plusieurs jours après avoir été séparée du corps et avoir eu la langue coupée ; ainsi que tant d’autres du même acabit, que l’on peut trouver chez les papistes les juifs les brahmanes les mahométans, et en tous lieux où la crédulité des hommes en fait une proie pour les prêtres […]
74] Vu tout ce qui a déjà été remarqué, je n’ai nul besoin d’ajouter que les miracles accomplis en secret ou seulement chez ceux à qui la croyance auxdits miracles profite, ou bénéficie ; doivent être rejetés a priori comme étant truqués ou faux, car ils ne faire l’objet d’aucune certitude, tellement ils contredisent la vocation même de tout miracle, qui est d’être toujours accompli en faveur des non-croyants. Or les papistes sont toujours les seuls à témoigner de leurs propres miracles et jamais les hérétiques qu’ils voudraient convertir grâce à cela. Leur pratique consistant à confirmer un miracle par un autre est en outre ridicule, tout comme celle consistant à confirmer la transsubstantiation par les millions d’autres prodiges que l’on peut trouver dans leurs légendes.
Chapitre 5 : QUAND POURQUOI ET PAR QUI DES MYSTÈRES FURENT-ILS INTRODUITS DANS LE CHRISTIANISME ?
77]… Les juifs convertis qui restaient très entichés de leurs rites et de leurs fêtes lévites, auraient bien volontiers voulu les garder tout en étant chrétiens. Ce qui, au début, fut toléré, mais uniquement pour les frères faibles en foi, devint plus tard partie intégrante du christianisme, sous prétexte d’ordonnances ou traditions apostoliques.
78] Mais ce ne fut rien comparé au tort fait à la Religion par les païens, car ils s’étaient convertis en plus grand nombre que les juifs, c’est pourquoi les abus qu’ils introduisirent eurent des conséquences plus dangereuses et plus générales. Ils n’étaient pas peu scandalisés par le simple appareil de l’Évangile et la merveilleuse facilité des doctrines contenues dedans, ayant été toute leur vie habitués aux cultes pompeux ainsi qu’aux mystères secrets de déités sans nombre.
Les chrétiens, eux, étaient soucieux d’aplanir les difficultés se dressent sur le chemin des païens. Ils pensèrent donc que le meilleur moyen de les gagner à leur cause était de composer en ce domaine, et cela les conduisit à faire des compromis injustifiables si bien qu’à la longue ils finirent par célébrer, eux aussi, des mystères.
N’ayant pas le moindre précédent dans les évangiles pour leurs cérémonies, à l’exception du baptême et de la Cène, ils les habillèrent de façon étrange, et les transformèrent, en leur ajoutant des rites mystiques païens. Ils les célébrèrent dans le plus grand secret en outre et, afin de ne le céder en rien à leurs adversaires, ils ne permirent à personne d’y assister, à l’exception de ceux qui auparavant y avaient été préparés ou initiés dûment. Et pour inspirer à ces catéchumènes le plus ardent désir d’y participer, ils répétèrent à l’envi que ce qui se cachait si bien derrière tout cela, c’était d’immenses et indicibles mystères.
79] De peur donc que l’extrême simplicité, qui est le plus noble des ornements de la vérité, les expose à la critique des incroyants, le christianisme fut abaissé par eux au rang des cérémonies de Cérès ou des orgies de Bacchus. Idée folle et gravement erronée ! Comme si les plus impies superstitions pouvaient être sanctifiées par le seul nom du Christ. Mais c’est toujours ce qui arrive quand les
162
conditions mises à la conversion à une religion sont arbitraires et avantageuses, quand ce qui est surtout recherché c’est le nombre, et non la sincérité de ceux qui la professent.
80] Et quand les philosophes eurent compris tout le parti qu’ils pouvaient tirer à se convertir au christianisme, cela empira de jour en jour ; car ils ne gardèrent pas que l’allure, l’esprit, et parfois les habits, de leurs différentes sectes, mais aussi la plupart de leurs doctrines erronées. Et alors qu’ils prétendaient employer leur philosophie à défendre le christianisme, ils les mélangèrent tellement tous les deux que ce qui était avant, clair pour tout le monde, ne devint compréhensible dès lors que pour ceux qui avaient fait des études ; qui le rendirent encore moins évident de par leurs disputes et leurs vaines subtilités.
N’oublions pas que ces philosophes ne voulaient pas faire plus mauvaise figure, parmi les chrétiens, qu’ils ne l’avaient fait auparavant chez les païens, et qu’ils ne pouvaient le faire sans avoir auparavant tout rendu obscur ; en utilisant certains termes, ou autrement, et en se rendant seuls maîtres de leur interprétation.
81] Ces abus devinrent presque incurables quand le magistrat suprême formalisa officiellement la religion chrétienne. Des multitudes d’hommes se déclarèrent alors du même parti religieux que l’empereur, à seule fin de lui faire la cour et d’y refaire leur fortune, ou pour préserver les places et les faveurs dont ils avaient déjà bénéficié. Ils continuèrent néanmoins d’être païens dans leur cœur et il est facile d’imaginer qu’ils introduisirent avec eux tous leurs anciens préjugés dans cette religion qu’ils n’avaient embrassée qu’à des fins uniquement politiques. Et ce qui arrive toujours quand on force les consciences au lieu de les persuader, fut ce qui se produisit longtemps après le cas de ces païens.
82] Les empereurs faisant preuve de zèle construisirent des églises imposantes et mirent les temples païens, les sanctuaires, les fanums, ou les chapelles, à la disposition des chrétiens ; après une cérémonie d’expiation préliminaire : avoir fait placer le signe de la croix dedans afin d’en assurer la possession au Christ. Leurs dotations ainsi que les bénéfices des prêtres, des flamines, des augures et de toute la tribu sacrée, furent affectés au clergé chrétien ; y compris leurs habits, comme les étoles de lin blanc, les mitres, etc. ; qui furent conservés afin, à ce qui fut prétendu, d’y amener progressivement ceux qui ne pouvaient pas s’accommoder de la simplicité ou pauvreté chrétienne. Mais ce fut bien sûr en réalité uniquement pour mettre toute cette richesse, cet apparat, et ces dignités, au service du nouveau clergé.
83] Les choses étant telles, et les rites du baptême et de l’eucharistie ayant été sensiblement augmentés ; personne ne trouvera déplacé que je fasse ici un bref parallèle entre les anciens mystères païens et ceux nouvellement élaborés, du sceau du christianisme. Ceci afin de bien montrer qu’ils étaient de même nature, quoique différents dans leur objet.
84] Premièrement, leur vocabulaire était absolument identique à la virgule près. Les deux utilisaient les mots initiés ou parfaits. Les deux appelaient leurs mystères myeseis, teleioseis, teleiotika, epopteia, etc. Les deux considéraient l’initiation comme une sorte de déification. Et tous les deux qualifiaient leurs prêtres de mystagogues, mystes, hiérophantes, etc.
85] Deuxièmement les préparatifs à leurs initiations étaient les mêmes. Les païens pratiquaient de nombreuses ablutions et lustrations, ils jeûnaient, ils s’abstenaient des femmes avant l’initiation ; bien que les plus sages se soient moqués de ceux qui pensaient que de telles actions pouvaient suffire à racheter leurs péchés ou apaiser le ciel. Mais les Pères de l’Église, ces admirables Pères de l’Église, les imitèrent en tout point ; et cela fut à l’origine de la coutume de s’abstenir de certains types de viande, de nos simulacres de jeunes annuels, et du célibat des prêtres.
86] Troisièmement, les chrétiens tenaient leurs mystères aussi secrets que ne le faisaient les païens pour les leurs. Chrysostome le dit lui-même « nous fermons les portes quand nous célébrons nos mystères et nous en excluons les non-initiés ». Basile de Césarée nous assure que le respect des mystères n’est préservé que par le silence. Et Synésius dit que les mystères des païens se déroulaient la nuit afin que la crainte dans laquelle on les tenait vienne de l’ignorance des hommes à leur sujet. Mais en quoi ce que l’on se permet de faire dans son propre parti serait-il blâmable dès que c’est fait par les autres, mon bon Synésius ? Ou serait-ce que les chrétiens ont plus droit aux mystères que les païens ?
163
87] Quatrièmement les Pères de l’Église faisaient très attention de ne pas parler ouvertement de leurs mystères devant des incroyants ou des catéchumènes ; d’où vient que l’on trouve fréquemment dans leurs écrits à ce sujet des expressions du genre : les initiés savent, les initiés comprennent ce que je veux dire. Et de même que les païens, par une proclamation retentissante, chassaient préalablement tous les profanes de leurs mystères ; les diacres de l’Église primitive criaient avant la célébration d’un baptême, mais surtout de l’eucharistie « que les catéchumènes sortent, que les non-initiés s’en aillent » ; ou quelque chose à cet effet, car ils en changeaient souvent la formulation. Cyrille de Jérusalem nous a fourni à ce sujet un très intéressant développement de cette idée.
Lors des répétitions de la catéchèse, si un catéchumène te demande ce que les maîtres ont dit, n’en dis pas un mot à qui n’a pas été initié, car nous te confions un mystère et l’espoir d’une vie nouvelle. Garde ce mystère pour celui qu’il récompense. Et si quelqu’un te demande « quel mal y a-t-il à ce que je l’apprenne, moi aussi » ; réponds-lui que si un malade demande du vin et qu’on lui en donne de façon déraisonnable, cela peut le rendre fou et causer ainsi un double mal. Le malade meurt et le docteur passe pour un mauvais médecin. De la même façon si un catéchumène entend un des fidèles parler de ces choses, il en est complètement retourné. Le fait qu’il ne comprend pas ce qu’il entend le conduit fatalement à critiquer voire à s’en moquer. C’est pourquoi le fidèle qui lui en a parlé est condamné pour trahison. Maintenant que tu es un des nôtres, veille donc à ne rien divulguer, non pas que ce qui te sera dit ne mérite pas d’être répété, mais parce que les autres ne sont pas dignes de l’entendre. Quand tu étais catéchumène toi-même, nous ne t’avons jamais parlé de ce qui t’a été montré. Mais après avoir appris toi-même d’expérience le caractère sublime de ce qui t’est enseigné, tu auras été alors convaincu qu’effectivement les catéchumènes ne sont pas dignes de l’entendre ».
88] Cinquièmement les étapes et les degrés des deux initiations étaient les mêmes. Les païens avaient cinq étapes à franchir avant d’arriver au stade de « parfait ».
La première : la purification commune.
La seconde : une purification plus privée.
La troisième : le droit de se tenir parmi les initiés.
La quatrième : l’initiation.
Et enfin le droit de tout voir : l’état d’épopte.
De la même façon chez les chrétiens la réadmission à la communion des pénitents se faisait aussi en 5 étapes.
La première : ils étaient obligés de rester plusieurs années séparés du reste de la congrégation, à se lamenter sur leurs péchés, d’où le nom donné à cette étape : proclausis.
La seconde : ils étaient autorisés à s’approcher, mais de façon qu’ils puissent entendre les prêtres sans pour autant les voir. Cette étape était appelée acroasis et durait trois ans.
La troisième : les trois années suivantes, ils étaient autorisés à entendre et à voir, mais pas en se mêlant à l’assemblée. Cette période était appelée hypoptosis.
La quatrième : ils étaient autorisés à se mêler aux fidèles, mais non à recevoir les sacrements. C’était la systasis.
Et enfin la cinquième : ils étaient admis à communier, ce qui était appelé methexis.
------------------------ -------------------------------------------------------------------------- ------------------------------
Contre-lai N° 92.
Cet étonnant passage de Cyrille de Jérusalem est tiré de sa protocatéchèse, plus précisément du douzième de ses discours préliminaires aux catéchèses baptismales.
Et les pénitents mentionnés par John Toland ce sont les lapsi ou chrétiens ayant failli lors de certaines persécutions (l’immense majorité bien sûr, ne nous y trompons pas, surtout qu’il y avait toutes sortes de moyens de satisfaire aux demandes des autorités sans vraiment abjurer formellement (le plus simple étant de faire exécuter le sacrifice demandé par un parent resté païen et d’en garder le certificat : libellus)
Sur la réalité des persécutions subies par les chrétiens les plus fanatiques et sur le sort réservé à ceux qui avaient un temps abandonné cette charia chrétienne, les lapsi, voir notre essai sur, ou disons plus exactement, contre, le christianisme (les cahiers numéro 30,31,32).
------------------------ ------------------------------------------------------- ------------------------------------------------- -----
De même pour les nouveaux convertis, appelés catéchumènes lors de leur période de préparation aux mystères ; ensuite competentes, enfin époptes, parfaits ou croyants, ce qui était ni plus ni moins que les noms et définitions des étapes que Pythagore imposait à ses disciples.
164
89] Je pourrais pousser encore plus loin le parallèle, mais tout cela suffit à montrer comment le christianisme est devenu mystérieux, et comment une institution si divine, a rapidement dégénéré en pur paganisme, à cause de la ruse et de l’ambition des prêtres et des philosophes.
90] Le mystère ne fut pas une chose très importante au premier siècle après Jésus-Christ, mais il commença de le devenir au second et au troisième siècle par le truchement des cérémonies.
Au baptême proprement dit furent ajoutés le fait d’ingérer du lait ou du miel, l’onction, le signe de croix, et un habit blanc, etc. […] Vinrent ensuite du sel et du vin dans la bouche des baptisés, puis une seconde onction avec imposition des mains. Pour finir il n’y eut plus de limites aux cierges, aux exorcismes, aux exsufflations et maintes autres extravagances d’origine juive ou païenne.
De là découla non seulement la croyance aux signes, aux présages, aux apparitions, et autres pratiques de ce genre très répandues chez les chrétiens ; mais aussi les images, les autels, la musique, les dédicaces d’église ; ainsi que l’attribution à l’intérieur de places distinctes pour les laïcs (comme ils disent) et le clergé. Alors qu’il n’y a rien de tel dans les écrits des apôtres, mais que tout se trouve à l’évidence par contre dans les livres des païens et constituait la substance même de leur culte.
91] Tous les rites de la Cène, si fastidieux à définir, furent introduits par degré de la même manière. En cherchant à rendre mystérieuses les choses les plus limpides du monde on a complètement perverti et oblitéré leur vraie nature ainsi que leur véritable usage, qui n’ont d’ailleurs pas encore été complètement restaurés par la plus pure des réformes qu’a connues la Chrétienté. N’oublions pas que Tertullien lui-même a reconnu que la multiplication des signes de croix et des autres rites baptismaux ; la crainte de faire tomber par terre le pain ou le vin, ou de les recevoir d’une autre main que celle d’un prêtre, n’avaient pas l’ombre d’un précédent dans les Saintes Écritures, mais que ce genre de cérémonie provenait uniquement de la coutume et de la tradition.
92] Comme la recherche de leur seul intérêt avait été l’unique raison ayant poussé les premiers prêtres à relancer, pour leur plus grand profit, tous ces mystères ; ils s’érigèrent très vite grâce à eux en corps politique et séparé, mais pas immédiatement avec leurs divers ordres ou degrés.
On ne rencontre pas en effet, durant les premiers siècles de notre ère, de sous-diacres, de lecteurs, ni de fonctions similaires ; encore moins les noms et dignités de pape, cardinal, patriarche, métropolite, archevêque, primat, suffragant, archidiacre, doyen, chancelier, vicaire, ni leurs nombreuses suites et compagnies.
Mais le mystère fraya la voie en peu de temps à ce genre d’individus ainsi qu’à plusieurs autres usurpations de ce genre, au plus grand détriment de l’humanité sous prétexte de labourer les Vignes du Seigneur.
93] Les décrets et constitutions sur les cérémonies et la discipline, destinés à rehausser encore plus la splendeur de ce nouvel état, eurent des conséquences étranges et stupéfiantes sur l’esprit des gens ignorants ; et leur firent croire qu’il s’agissait vraiment de bons médiateurs entre Dieu et les hommes, pouvant sanctifier certains moments, certaines places, personnes ou actions. Moyennant quoi les prêtres furent capables de faire n’importe quoi. Ils s’arrogèrent à la longue le privilège d’être les seuls interprètes de l’Écriture sainte et avec lui réclamèrent celui de l’infaillibilité pour leur corporation.
94] Telles sont la véritable origine et la véritable histoire des mystères chrétiens, et nous pouvons observer à quel point leur établissement fut en grande partie le résultat de toutes ces cérémonies. Elles ne manquent jamais de détourner les esprits de la substance même de la Religion et conduisent les hommes à de dangereuses erreurs ; car ces cérémonies pouvant être facilement observées, celui qui les exécute exactement croit être assez religieux. Il n’y a pourtant rien de plus naturellement contraire que cérémonie et christianisme. Le dernier offre au monde le spectacle d’une religion totalement dépouillée, la première la délivre par le biais d’une représentation mystique à la signification totalement arbitraire.
95] Il est donc évident que les cérémonies posent plus de questions qu’elles n’offrent de réponses, mais supposons qu’elles rendent les choses plus faciles ; alors il s’ensuivrait que la meilleure des religions serait celle qui en compterait le plus, car généralement elles ont toutes ou sont toutes susceptibles, d’avoir la même signification. Le cierge dans la main du baptisé pour symboliser la lumière de l’Évangile, est en tout point une aussi bonne cérémonie que le simple signe de croix pour signifier qu’il a pris le christ comme maître et sauveur. Le vin, le lait et le miel, symbolisent la force la
165
joie et les nourritures spirituelles, tout aussi bien que le fait de nous lever pour écouter l’évangile montre que nous sommes prêts à l’entendre ou à le professer.
96] Bref, rien n’est plus fou que d’abaisser la religion à de telles stupidités ; ni aussi vil que d’ôter toute efficacité à l’évangile en recourant à ces artifices, si ce n’est dans la mesure où cela sert un parti plutôt qu’un autre. Mais j’aurai ailleurs une meilleure occasion de traiter de façon exhaustive la question des cérémonies ; je n’en parle ici que parce qu’elles constituaient l’essence même des mystères du paganisme et qu’elles ont été ensuite introduites afin de constituer ceux des chrétiens. Mais comme la vaste multitude de ces derniers rendit rapidement tout secret rituel presque impossible, afin de continuer à préserver ces mystères, les choses furent à dessein rendues totalement incompréhensibles.
En cela, nos pseudo – chrétiens ont dépassé tous les mystères païens, car le prestige de ces derniers demeurait en effet toujours à la merci d’une quelconque divulgation ou indiscrétion d’un initié ; mais les nouveaux mystères furent ainsi placés encore plus sûrement hors d’atteinte du bon sens et de la raison.
CONCLUSION.
J’ai entrepris de montrer ce dont je suis intimement convaincu, à savoir qu’il n’y a pas de mystère dans le christianisme, la plus parfaite des religions qui soit ; et par voie de conséquence que rien de contradictoire ou d’inconcevable, même érigé en article de foi, ne saurait se trouver dans l’Évangile, si c’est vraiment la parole de Dieu ; car j’ai argumenté jusqu’à présent uniquement sur la base de cette supposition.
Quoi que l’on puisse prétendre en sens contraire, il est bien évident qu’aucun cas ni doctrine particulière ne saurait constituer une objection valable à l’encontre de ce discours ; car tant que ses explications resteront valables, quel que soit l’exemple que l’on pourra citer, ou on trouvera qu’il n’est nullement mystérieux, ou s’il s’avère bien être un mystère, qu’il n’a pas été révélé par Dieu. Il n’y a pas de moyen terme entre les deux, autant que je puisse en juger.
[…] Ma prochaine tâche sera désormais, si Dieu le veut, de prouver que les Doctrines du Nouveau Testament sont claires, praticables, et au plus haut point dignes de Dieu, ainsi que conçues entièrement pour le plus grand profit de l’Humanité.
Certains ne me sauront aucun gré d’entreprendre une chose aussi éminemment utile, et d’autres me traiteront de graine d’hérétique pour ce que j’ai déjà écrit.
Mais comme c’est le Devoir et non les applaudissements de quiconque, qui règle ma conduite, comme Dieu le sait très bien ; je n’accorde pas plus de valeur à cette ridicule et bon marché appellation d’hérétique que Paul ne l’a fait avant moi ; car je ne reconnais d’autre orthodoxie que celle de la Vérité, là où elle se tient, doit également se tenir, j’en suis sûr, l’Église. L’Église de Dieu et non une faction ni un parti politique.
L’accusation d’hétérodoxie est d’ailleurs maintenant si généreusement accordée à la moindre occasion, par ignorance passion ou haine, comme au temps d’Irénée ou d’Épiphane ; qu’elle constitue souvent, non un reproche, mais le plus grand des honneurs imaginables. Des gens bien intentionnés pourront, certes, me rétorquer, à supposer que mon idée n’ait jamais été si vraie, qu’elle peut néanmoins se révéler être l’occasion de beaucoup de mal ; car quand des gens s’aperçoivent qu’ils ont été abusés sur certains points de la religion, ils sont alors disposés à la remettre en cause dans son ensemble.
N’est offensant que ce qui est pris ainsi et mon intention n’en devient pas moins bonne parce que des gens malintentionnés en abusent, tout comme on le fait souvent pour les Études, la Raison, les Écritures, et tout ce qu’il peut y avoir de mieux au monde ; mais il est évident que ce sont ces contradictions et ces mystères grevant sans raison la Religion, qui font que tant de gens deviennent athées ou déistes. Tenons également compte du fait que si certaines personnes sont effectivement aveuglées par la soudaine splendeur de la vérité, quand elles n’y ont pas été préparées ; ce n’est rien comparé au nombre de celles qui peuvent enfin voir clairement les choses grâce à sa lumière.
Luther, Calvin ou Zwingli, sont-ils à blâmer parce que certains sont devenus libertins et athées quand les impostures du clergé furent révélées par la Réforme ? Qu’est-ce qui doit compter le plus à leur sujet ? Ces quelques sceptiques de mauvaise foi ou les milliers de personnes qu’ils ont sauvés des superstitions de Rome ?
166
Je suis d’avis par conséquent qu’il ne faut faire aucun quartier à l’erreur sous quelque prétexte que ce soit, et je suis sûr de la faire apparaître sous son véritable jour chaque fois que j’en aurai la possibilité ou l’occasion, si je ne rends pas mon travail moins efficace en y allant par quatre chemins ou en l’édulcorant.
FIN.
------------------------ -------------------------------------------------- ------------------------------------------------------ -----
Contre-lai N° 93.
C’est pourtant bien ce qu’il a fait. Voir contre-lai Nº 89. Là où John Toland a été révolutionnaire, c’est quand il a souligné à quel point les Mystères grecs ont influencé les pratiques du Christianisme naissant. La situation est d’ailleurs simple, on peut présumer que tout ce qui n’est pas d’origine juive dans le christianisme est d’origine païenne. Nous disons bien « assurément », car en croire les thuriféraires de cette religion depuis la fin du Marcionisme, plus Verus Israel qu’eux tu meurs (humour) ! À les en croire même leur façon de s’asseoir sur un trône s’inscrit dans le droit fil des pratiques juives antiques. Soyons sérieux ! L’élément de base du christianisme chrétien et non judéo-chrétien, à savoir l’homme-dieu, ne peut pas être d’origine juive, et n’a pu être admis que pas des esprits élevés dans le paganisme. On peut même ajouter dans le paganisme oriental de l’époque, à Antioche en Syrie vers l’an 50 de notre ère par exemple (voir l’incident d’Antioche opposant au sein même de la communauté de ceux qui suivent la voie se revendiquant de l’enseignement de Jésus, à Antioche, au milieu du premier siècle, ceux qui sont d’origine juive et suivent toujours la loi de Moïse concernant la nourriture la circoncision ou la fréquentation des goyim ; et ceux venus d’autres horizons culturels, donc d’origine païenne par définition).
Un compromis fut péniblement élaboré entre Paul Pierre et le premier pape de Jérusalem, Jacques (le frère du seigneur). Les frères de la communauté qui ne sont pas d’origine juive ne sont pas tenus d’être circoncis, mais ils doivent en revanche suivre les lois dites « noachiques ». Mais ce compromis ne tiendra pas longtemps, car il y aura rapidement un compromis avec le compromis : les membres de la communauté d’origine païenne seront autorisés par Saint Paul à manger n’importe quoi du moment que cela leur convenait, y compris des viandes idolothytes. Il leur sera seulement demandé ce faisant de ne pas choquer les chrétiens d’origine juive, concrètement donc de s’abstenir de ce genre de nourritures quand il y avait à table des chrétiens d’origine juive attachés à ces interdits alimentaires (Première Lettre aux Corinthiens, chapitre 8).
Et si ce n’est Antioche ce sera dans des villes comme Édesse, Éphèse, Laodicée ou Corinthe.
Par contre pour ce qui est du reste notre ami Janus Junius Eoganesius Cosmopoli est moins convaincant. Son Christianisme sans mystère pourrait très bien faire un tabac dans certains cercles chrétiens d’aujourd’hui qui voient un peu leur église surtout comme une ONG caritative. Caritative donc politique en dernier, ou premier, ressort.
On préfère le John Toland du Panthéisticon, même si, là aussi, il est par moments décevant : trop de « tolérance » envers l’Erreur, ou envers les « erreurs » (car si la vérité s’avère Une, l’Erreur, elle, est multiple).
En définitive le John Toland le plus intéressant est peut-être le John Toland de l’Histoire des druides, vu son contenu implicite qui correspondrait aujourd’hui à l’état d’esprit des sensibilités dites indigénistes ou décolonialistes. C’est du décolonialisme, mais appliqué à des peuples blancs européens.
Les propos indignes d’Edmond Spenser exposées dans son pamphlet intitulé « aperçu de l’état actuel de l’Irlande » à propos de la langue des coutumes et de la religion de ce pays (il envisage même le recours à la violence pour les faire disparaître) bien que publiés une génération plus tard soit en 1633 sont révélateurs d’un état d’esprit hallucinant et sont d’ailleurs peut-être à l’origine de la doctrine colonialiste de l’Angleterre aux siècles suivants.
Le professeur Edward Wadie Said un des fondateurs du postcolonialisme pensait à propos de l’Irlande que ces Nouveaux Anglais, en diabolisant les Vieux Anglais et autres barbares de ce genre, et en construisant a contrario leur propre identité en tant que personnes « civilisées », ont été les précurseurs des stéréotypes qui seront appliqués aux peuples non européens au cours du XIXe siècle.
On ne peut aller jusqu’à dire que toutes les civilisations ou les cultures se valent, que les sacrifices humains d’enfant innocents sont une pratique comme une autre (relativisme culturel), mais ceci dit on ne peut ici que rappeler avec force la position qui se lit entre les lignes de l’Histoire… avec un exposé sur les druides de John Toland, sans doute liée à ses origines.
167
Tout homme vaut tout homme, et les Celtes valent bien les Grecs et les Romains, ou les juifs… Mais pourquoi, je vous prie, pourquoi les superstitions celtes ou irlandaises seraient-elles plus impropres à être transmises à la postérité que celles des Grecs et des Romains ? Pour ce qui est de la superstition, l’Antiquité classique ne vaut ni plus ni moins que l’Antiquité celtique… Ni le cosmos, ni le monde des hommes n’ont de centre, et telle est bien la condition de l’assomption de tous à une égale dignité.
-------------- ---------------------------------- -------------------------------------- ----------------------------- -----------------
INFORMATION DE DERNIÈRE MINUTE.
On nous rappelle de toute part depuis la publication de nos premiers essais que la personnalité de John Toland a été au moins aussi complexe que le destin des Irlandais de son époque.
John Toland aurait été successivement voire en même temps, Irlandais, Anglais, catholique dans l’Irlande de sa jeunesse et dans la Prague de son âge mûr, presbytérien en Écosse, libre penseur en Hollande, républicain et enfin monarchiste williamite en Angleterre.
Il était souvent radical en ce qui concerne la politique, mais aussi réactionnaire républicain et conservateur sectaire en matière de religion.
Porte-parole virulent des vertus républicaines, éditeur de Cicéron, Milton, Harrington, et du régicide Edmond Ludlow, il fut aussi en même temps un familier de la cour royale de Hanovre. On l’a même accusé d’être un agent secret de la monarchie prussienne et l’amant de l’Électrice Sophie, qui le reçut un jour plusieurs heures, seule et en privé, dans son salon.
Défenseur des libertés anglaises menacées par les complots jacobites, Toland fut pourtant aussi accusé d’être un jésuite déguisé en Réformé et d’être un traître.
À la fois enraciné et cosmopolite, Irlandais et pas Irlandais, gaélophone et anglophone, catholique de naissance et panthéiste par choix, ennemi juré des orthodoxies religieuses, mais passionné par leurs origines, obsédé par l’ancienne religion druidique et champion de la Raison du Siècle des Lumières ; en John Toland les contraires coïncident, mais ne s’excluent pas.
Dont acte !
Par honnêteté intellectuelle envers nos fidèles lecteurs, nous signalons donc aussi à leur attention ce fait, mais cela ne change rien au respect que nous devons à l’intellectuel qui a relancé la libre pensée perdue depuis Mongan, et le druidisme moderne, en 1717.
Cela prouve tout simplement qu’il ne se retrouvait ni dans le catholicisme ni dans la religion réformée ni dans le monarchisme ni dans la démocratie au mauvais sens du terme (démagogie).
Et ce qui est sûr aussi c’est que s’il est un domaine où il n’a jamais varié, c’est celui de sa passion pour les antiquités celtiques et druidiques. Il s’y est toujours intéressé du début de sa vie jusqu’à la fin.
Quant à l’intérêt à porter à l’ésotérisme par rapport à l’exotérisme (voir la partie Clidophorus de son célèbre Tetradymus et certains passages du Pantheisticon), notre position à nous a toujours été fort claire. Rappelons-la ! En bon avocat des religions sans superstition, nous sommes contre toute culture du secret. Le secret ne peut se justifier que pour des raisons de sécurité, voire de vie ou de mort. En 1697 à Édimbourg par exemple, le malheureux Thomas Aikenhead a été encore pendu pour blasphème envers la Trinité et l’autorité des Écritures.
Et au pays de Voltaire en 1766 encore le chevalier de La Barre a été supplicié pour les mêmes raisons.
NB. L’accusation de blasphème a aujourd’hui été remplacée en France par celle d’incitation à la haine raciale.
Que certaines choses soient difficiles à comprendre n’est pas une raison pour les rendre encore plus compliquées ou obscures ; ni cultiver l’hypocrisie, en prenant les simples adhérents ou les sympathisants intéressés pour des demeurés ; afin de mieux les abuser en s’attribuant je ne sais quels pouvoirs ou savoirs mystérieux.
Nous sommes d’ailleurs en réalité sur ce point en totale adéquation avec le John Toland du « Pour un christianisme sans mystère ».
Pour ce qui est des choses difficiles à comprendre, c’est à nous de trouver la formulation, comme La Ramée nous y a invités, qui permettra de les mettre enfin à la portée du plus grand nombre sans heurter leur raison.
Tout le monde ne peut pas comprendre les théories d’Einstein, votre serviteur le premier, qui est fâché avec les chiffres depuis son plus jeune âge ; mais on doit les mettre à la disposition de tout le monde et ensuite, eh bien à la grâce de Dieu (humour !) Si ce n’est pas vous qui arriverez à les comprendre, alors ce sera votre fille, son mari, le concierge ou le fils du berger des montagnes de vos vacances.
168
Signé : un (en règle générale. Nous ne partageons nullement son admiration pour saint Paul par exemple) toujours fidèle disciple de Janus Junius Eoganesius Cosmopoli : Pierre de la Crau, druide Hesunertus Cosmopoli.
CONCLUSION : POUR UN CHRISTIANISME SANS MYSTÈRE, MAIS AUSSI POUR UN JUDAÏSME SANS MYSTÈRE, POUR UN ISLAM SANS MYSTÈRE, POUR UN HINDOUISME SANS MYSTÈRE, POUR UN JAÏNISME SANS MYSTÈRE, POUR UN BOUDDHISME DE LA TERRE PURE SANS MYSTÈRE… POUR UN JENESAISQOUIÏSME SANS MYSTÈRE, ET MÊME POUR UN DRUIDISME SANS MYSTÈRE S’IL LE FAUT (désolé les gars !)
ANNEXES.
169
Le christianisme dévoilé ou Examen des principes & des effets
de la religion chrétienne (New York 1835).
Par Paul-Henri Thiry baron d’Holbach (philosophe allemand 1723-1789).
Introduction.
De la nécessité d’examiner la religion, et des obstacles que l’on rencontre dans cet examen.
Un être raisonnable doit dans toutes ses actions se proposer son propre bonheur et celui de ses semblables. La religion, que tout concourt à nous montrer comme l’objet le plus important à notre félicité temporelle et éternelle, n’a des avantages pour nous, qu’autant qu’elle rend notre existence heureuse en ce monde, et qu’autant que nous sommes assurés qu’elle remplira les promesses flatteuses qu’elle nous fait pour un autre. Nos devoirs, envers le dieu que nous regardons comme le maître de nos destinées, ne peuvent être fondés que sur les biens que nous en attendons, ou sur les maux que nous craignons de sa part : il est donc nécessaire que l’homme examine les motifs de ses espérances et de ses craintes ; il doit, pour cet effet, consulter l’expérience et la raison, qui seules peuvent le guider ici-bas ; par les avantages que la religion lui procure dans le monde visible qu’il habite, il pourra juger de la réalité de ceux qu’elle lui fait espérer dans un monde invisible, vers lequel elle lui ordonne de tourner ses regards.
Les hommes, pour la plupart, ne tiennent à leur religion que par habitude ; ils n’ont jamais examiné sérieusement les raisons qui les y attachent, les motifs de leur conduite, les fondements de leurs opinions : ainsi la chose, que tous regardent comme la plus importante pour eux, fut toujours celle qu’ils craignirent le plus d’approfondir ; ils suivent les routes que leurs pères leur ont tracées ; ils croient, parce qu’on leur a dit dès l’enfance qu’il fallait croire ; ils espèrent, parce que leurs ancêtres ont espéré ; ils tremblent, parce que leurs devanciers ont tremblé ; presque jamais ils n’ont daigné se rendre compte des motifs de leur croyance. Très peu d’hommes ont le loisir d’examiner, ou la capacité d’envisager les objets de leur vénération habituelle, de leur attachement peu raisonné, de leurs craintes traditionnelles ; les nations sont toujours entraînées par le torrent de l’habitude, de l’exemple, du préjugé : l’éducation habitue l’esprit aux opinions les plus monstrueuses, comme le corps aux attitudes les plus gênantes : tout ce qui a duré longtemps paraît sacré aux hommes ; ils se croiraient coupables, s’ils portaient leurs regards téméraires sur les choses revêtues du sceau de l’antiquité : prévenus en faveur de la sagesse de leurs pères, ils n’ont point la présomption d’examiner après eux ; ils ne voient point que de tout temps l’homme fut la dupe de ses préjugés, de ses espérances et de ses craintes, et que les mêmes raisons lui rendirent presque toujours l’examen également impossible.
Le vulgaire, occupé de travaux nécessaires à sa subsistance, accorde une confiance aveugle à ceux qui prétendent le guider ; il se repose sur eux du soin de penser pour lui ; il souscrit sans peine à tout ce qu’ils lui prescrivent ; il croirait offenser son dieu, s’il doutait un instant de la bonne foi de ceux qui lui parlent en son nom. Les grands, les riches, les gens du monde, lors même qu’ils sont plus éclairés que le vulgaire, se trouvent intéressés à se conformer aux préjugés reçus, et même à les maintenir ; ou bien, livrés à la mollesse, à la dissipation et aux plaisirs, ils sont totalement incapables de
170
s’occuper d’une religion qu’ils font toujours céder à leurs passions, à leurs penchants, et au désir de s’amuser. Dans l’enfance, nous recevons toutes les impressions qu’on veut nous donner ; nous n’avons, ni la capacité, ni l’expérience, ni le courage, nécessaires, pour douter de ce que nous enseignent ceux dans la dépendance desquels notre faiblesse nous met. Dans l’adolescence, les passions fougueuses et l’ivresse continuelle de nos sens nous empêchent de songer à une religion trop épineuse et trop triste pour nous occuper agréablement : si par hasard un jeune homme l’examine, c’est sans suite, ou avec partialité ; un coup d’œil superficiel le dégoûte bientôt d’un objet si déplaisant.
Dans l’âge mûr, des soins divers, des passions nouvelles, des idées d’ambition, de grandeur, de pouvoir, le désir des richesses, des occupations suivies, absorbent toute l’attention de l’homme fait, ou ne lui laissent que peu de moments pour songer à cette religion, que jamais il n’a le loisir d’approfondir. Dans la vieillesse, des facultés engourdies, des habitudes identifiées avec la machine, des organes affaiblis par l’âge et les infirmités, ne nous permettent plus de remonter à la source de nos opinions enracinées ; la crainte de la mort, que nous avons devant les yeux, rendrait d’ailleurs très-suspect un examen auquel la terreur préside communément.
C’est ainsi que les opinions religieuses, une fois admises, se maintiennent pendant une longue suite de siècles ; c’est ainsi que d’âge en âge les nations se transmettent des idées qu’elles n’ont jamais examinées ; elles croient que leur bonheur est attaché à des institutions dans lesquelles un examen plus mûr leur montrerait la source de la plupart de leurs maux. L’autorité vient encore à l’appui des préjugés des hommes, elle leur défend l’examen, elle les force à l’ignorance, elle se tient toujours prête à punir quiconque tenterait de les désabuser.
Ne soyons donc point surpris, si nous voyons l’erreur presque identifiée avec la race humaine ; tout semble concourir à éterniser son aveuglement ; toutes les forces se réunissent pour lui cacher la vérité : les tyrans la détestent et l’oppriment, parce qu’elle ose discuter leurs titres injustes et chimériques ; le sacerdoce la décrie, parce qu’elle met au néant ses prétentions fastueuses ; l’ignorance, l’inertie, et les passions des peuples, les rendent complices de ceux qui se trouvent intéressés à les aveugler, pour les tenir sous le joug, et pour tirer parti de leurs infortunes : par-là, les nations gémissent sous des maux héréditaires, jamais elles ne songent à y remédier, soit parce qu’elles n’en connaissent point la source, soit parce que l’habitude les accoutume au malheur et leur ôte même le désir de se soulager.
Si la religion est l’objet le plus important pour nous, si elle influe nécessairement sur toute la conduite de la vie, si ses influences s’étendent non seulement à notre existence en ce monde, mais encore à celle que l’homme se promet pour la suite, il n’est sans doute rien qui demande un examen plus sérieux de notre part : cependant c’est de toutes les choses celle dans laquelle le commun des hommes montre le plus de crédulité ; le même homme, qui apportera l’examen le plus sérieux dans la chose la moins intéressante à son bien-être, ne se donne aucune peine pour s’assurer des motifs qui le déterminent à croire, ou à faire des choses, desquelles, de son aveu, dépend sa félicité temporelle et éternelle ; il s’en rapporte aveuglément à ceux que le hasard lui a donnés pour guides ; il se repose sur eux du soin d’y penser pour lui, et parvient à se faire un mérite de sa paresse même et de sa crédulité : en matière de religion, les hommes se font gloire de rester toujours dans l’enfance et dans la barbarie.
Cependant il se trouva dans tous les siècles des hommes, qui, détrompés des préjugés de leurs concitoyens, osèrent leur montrer la vérité. Mais que pouvait leur faible voix contre des erreurs sucées avec le lait, confirmées par l’habitude, autorisées par l’exemple, fortifiées par une politique souvent complice de sa propre ruine ? Les cris imposants de l’imposture réduisirent bientôt au silence ceux qui voulurent réclamer en faveur de la raison ; en vain le philosophe essaya-t-il d’inspirer aux hommes du courage, tandis que leurs prêtres et leurs rois les forcèrent de trembler.
Le plus sûr moyen de tromper les hommes, et de perpétuer leurs préjugés, c’est de les tromper dans l’enfance : chez presque tous les peuples modernes, l’éducation ne semble avoir pour objet que de former des fanatiques, des dévots, des moines, c’est-à-dire, des hommes nuisibles, ou inutiles à la société ; on ne songe nulle part à former des citoyens : les princes eux-mêmes, communément victimes de l’éducation superstitieuse qu’on leur donne, demeurent toute leur vie dans l’ignorance la plus profonde de leurs devoirs et des vrais intérêts de leurs états ; ils s’imaginent avoir tout fait pour leurs sujets, s’ils leur font remplir l’esprit d’idées religieuses, qui tiennent lieu de bonnes lois, et qui dispensent leurs maîtres du soin pénible de bien les gouverner. La religion ne semble imaginée que pour rendre les souverains et les peuples également esclaves du sacerdoce ; celui-ci n’est occupé qu’à susciter des obstacles continuels au bonheur des nations ; partout où il règne, le souverain n’a qu’un pouvoir précaire, et les sujets sont dépourvus d’activité, de science, de grandeur d’âme, d’industrie, en un mot des qualités nécessaires au soutien de la société.
171
Si dans un état chrétien on voit quelque activité, si l’on y trouve de la science, si l’on y rencontre des mœurs sociales, c’est qu’en dépit de leurs opinions religieuses, la nature, toutes les fois qu’elle le peut, ramène les hommes à la raison et les force de travailler à leur propre bonheur. Toutes les nations chrétiennes, si elles étaient conséquentes à leurs principes, devraient être plongées dans la plus profonde inertie ; nos contrées seraient habitées par un petit nombre de pieux sauvages, qui ne se rencontreraient que pour se nuire. En effet, à quoi bon s’occuper d’un monde, que la religion ne montre à ses disciples que comme un lieu de passage ? Quelle peut être l’industrie d’un peuple, à qui l’on répète tous les jours que son Dieu veut qu’il prie, qu’il s’afflige, qu’il vive dans la crainte, qu’il gémisse sans cesse ? Comment pourrait subsister une société composée d’hommes à qui l’on persuade qu’il faut avoir du zèle pour la religion, et que l’on doit haïr et détruire ses semblables pour des opinions ? Enfin, comment peut-on attendre de l’humanité, de la justice, des vertus, d’une foule de fanatiques à qui l’on propose, pour modèle, un dieu cruel, dissimulé, méchant, qui se plaît à voir couler les larmes de ses malheureuses créatures, qui leur tend des embûches, qui les punit pour y avoir succombé, qui ordonne le vol, le crime et le carnage ?
Tels sont pourtant les traits sous lesquels le christianisme nous peint le dieu qu’il hérita des juifs. Ce dieu fut un sultan, un despote, un tyran, à qui tout fut permis ; l’on fit pourtant de ce dieu le modèle de la perfection ; l’on commit en son nom les crimes les plus révoltants, et les plus grands forfaits furent toujours justifiés, dès qu’on les commit pour soutenir sa cause, ou pour mériter sa faveur.
Ainsi la religion chrétienne, qui se vante de prêter un appui inébranlable à la morale, et de présenter aux hommes les motifs les plus forts pour les exciter à la vertu, fut pour eux une source de divisions, de fureurs et de crimes ; sous prétexte de leur apporter la paix, elle ne leur apporta que la fureur, la haine, la discorde et la guerre ; elle leur fournit mille moyens ingénieux de se tourmenter ; elle répandit sur eux des fléaux inconnus à leurs pères ; et le chrétien, s’il eut été sensé, eût mille fois regretté la paisible ignorance de ses ancêtres idolâtres.
Si les mœurs des peuples n’eurent rien à gagner avec la religion chrétienne, le pouvoir des rois, dont elle prétend être l’appui, n’en retira pas de plus grands avantages ; il s’établit dans chaque état deux pouvoirs distingués ; celui de la religion, fondé sur Dieu lui-même, l’emporta presque toujours sur celui du souverain ; celui-ci fut forcé de devenir le serviteur des prêtres, et toutes les fois qu’il refusa de fléchir le genou devant eux, il fut proscrit, dépouillé de ses droits, exterminé par des sujets que la religion excitait à la révolte, ou par des fanatiques, aux mains desquels elle remettait son couteau.
Avant le christianisme, le souverain de l’état fut communément le souverain du prêtre ; depuis que le monde est chrétien, le souverain n’est plus que le premier esclave du sacerdoce, que l’exécuteur de ses vengeances et de ses décrets.
Concluons donc que la religion chrétienne n’a point de titre pour se vanter des avantages qu’elle procure à la morale, ou à la politique. Arrachons-lui donc le voile dont elle se couvre ; remontons à sa source ; analysons ses principes ; suivons-la dans sa marche, et nous trouverons que, fondée sur l’imposture, sur l’ignorance et sur la crédulité, elle ne fut et ne sera jamais utile qu’à des hommes qui se croient intéressés à tromper le genre humain ; qu’elle ne cessa jamais de causer les plus grands maux aux nations, et qu’au lieu du bonheur qu’elle leur avait promis, elle ne servit qu’à les enivrer de fureurs, qu’à les inonder de sang, qu’à les plonger dans le délire et dans le crime, qu’à leur faire méconnaître leurs véritables intérêts et leurs devoirs les plus saints.
172
RELIGION RÉVÉLÉE ET RELIGION NATURELLE
PAR DIDEROT (1746).
Si en Irlande le droit antérieur au droit chrétien (recht litre) est considéré comme étant le droit naturel ou la loi de nature (recht aicnid), alors en Irlande toujours la religion antérieure au christianisme devrait être considérée comme la religion naturelle. Geintlidheacht aicnid pourrait-on dire en quelque sorte, mais à condition de ne pas se tromper sur le sens à donner à ce terme ainsi que l’a bien vu le grand philosophe que fut Diderot ; qui a consacré toute une étude à cerner l’opposition religion naturelle religion révélée, alors que notre ami Janus Junius Eoganesius Cosmopoli lui s’était contenté de gloser sur la notion de religion révélée. L’essai de Diderot a été publié en 1746 sous le titre « de la suffisance de la religion naturelle. N’oublions pas néanmoins que l’opposition recht aicnid/recht litre en Irlande est fausse puisqu’avant le droit judéo-chrétien il y avait en Irlande un droit très élaboré qui n’était déjà plus l’éthologie naturelle des premiers hommes.
RELIGION NATURELLE ET RELIGION RÉVÉLÉE.
1. La religion naturelle est l’ouvrage soit de Dieu soit des hommes.
Des hommes, vous ne pouvez le dire, puisqu’elle sert de fondement à la religion révélée. Et si elle est l’ouvrage de Dieu, je demande à quelle fin Dieu nous l’a donnée.
Le but d’une religion qui vient de Dieu ne peut être que la connaissance des vérités essentielles, et la pratique des devoirs les plus importants. Une religion serait indigne de Dieu et de l’Homme si elle se proposait un autre but. Par conséquent, ou Dieu n’a pas donné aux hommes une religion qui satisfasse la fin qu’il a dû se proposer, et ce serait absurde ; car cela supposerait en lui impuissance ou mauvaise volonté ; ou l’Homme a obtenu de lui, avec elle, tout ce dont il avait besoin. Donc, il n’avait pas besoin d’autres connaissances que celles qu’il avait reçues de la nature. Quant aux moyens de satisfaire aux devoirs qu’elle impliquait, il serait ridicule qu’il les eût refusés. Car de ces trois choses, la connaissance des dogmes, la pratique des devoirs, et la force nécessaire pour agir ou pour croire, le manque d’une seule rend les deux autres inutiles. C’est en vain que je suis instruit des dogmes les plus importants, si j’ignore les devoirs qui vont avec. C’est en vain que je connais les devoirs, si je croupis dans l’erreur ou dans l’ignorance des vérités essentielles. C’est en vain que la connaissance des vérités et des devoirs m’est donnée, si la grâce de croire et de pratiquer m’est en même temps refusée.
2. Si la religion naturelle eût été insuffisante, c’eût été ou en elle-même, ou relativement à la condition de l’Homme. Or on ne peut dire ni l’un ni l’autre. Son insuffisance en elle-même serait la faute de Dieu. Son insuffisance relativement à la condition de l’Homme supposerait que Dieu eût pu rendre la religion naturelle suffisante, et, par conséquent, la religion révélée, superflue, en changeant la condition de l’Homme ; ce que la religion révélée ne permet pas de dire. D’ailleurs, une religion insuffisante relativement à la condition de l’Homme serait insuffisante en elle-même. Car la religion est faite pour l’Homme, et toute religion qui ne mettrait pas l’Homme en état de rendre à Dieu, ce que Dieu est en droit d’exiger de lui, serait défectueuse en elle-même. Et que l’on ne me dise pas que
173
Dieu ne devant rien à l’Homme, il a pu sans injustice ne lui donner que ce qu’il voulait ; car remarquez qu’alors le don de Dieu serait sans but et sans fruit ; deux défauts que nous ne pardonnerions pas à l’Homme, et que nous ne devons point être en mesure de reprocher à Dieu.
Sans but, car Dieu ne pourrait se proposer d’obtenir de nous par ce moyen, ce que ce moyen ne peut produire par lui-même.
Sans fruit, puisque l’on soutient que le moyen est insuffisant pour produire de fruit qui soit légitime.
3. La religion naturelle était suffisante, si Dieu ne pouvait exiger de moi plus que cette loi ne me prescrivait ; or Dieu ne pouvait exiger de moi plus que cette loi ne me prescrivait de faire, puisque cette loi était sienne, et qu’il ne tenait qu’à lui de la charger plus ou moins de préceptes. La religion naturelle suffisait autant à ceux qui vivaient sous cette loi, pour être sauvés, que la loi de Moïse aux juifs et la loi de la chrétienté aux chrétiens. C’est la loi qui forme nos obligations, et nous ne pouvons être obligés au-delà de ses commandements. Donc, quand bien même la loi naturelle eût pu être perfectionnée, elle était tout aussi suffisante pour les premiers hommes que la même loi perfectionnée pour leurs descendants.
4. Mais si la loi naturelle a pu être perfectionnée par la loi de Moïse et celle-ci par la loi chrétienne ; pourquoi la loi chrétienne ne pourrait-elle pas l’être par une autre, qu’il n’a pas encore plu à Dieu de manifester aux hommes ?
5. Si la loi naturelle a été perfectionnée, c’est ou par des vérités qui nous ont été révélées, ou par des vertus que les hommes ignoraient. Or on ne peut dire ni l’un ni l’autre. La loi révélée ne contient aucun précepte de morale que je ne trouve déjà recommandé et pratiqué sous la loi de nature ; donc, elle ne nous a rien appris de nouveau sur la morale. La loi révélée ne nous a apporté aucune vérité nouvelle. Qu’est-ce qu’une vérité, sinon une proposition relative à un objet, conçue dans des termes qui me présentent des idées claires et dont je conçois la liaison ? Or la religion révélée ne nous a apporté aucune de ces propositions. Ce qu’elle a ajouté à la loi naturelle consiste en cinq ou six propositions qui ne sont pas plus intelligibles pour moi que si elles étaient exprimées en ancien carthaginois ; puisque les idées représentées par les termes et la liaison de ces idées entre elles m’échappent entièrement. Les idées représentées par les termes et leur liaison m’échappent, car sans ces deux conditions les propositions révélées, ou cesseraient d’être des mystères, ou seraient évidemment absurdes. Soit par exemple la proposition révélée suivante.
« Les enfants d’Adam ont tous été coupables, en naissant, de la faute de ce premier père ».
La preuve que les idées attachées aux termes et leur liaison m’échappent dans cette proposition ; c’est que si je substitue au nom d’Adam, celui de Pierre ou de Paul, et que je dise : les enfants de Paul ont tous été coupables, en naissant, de la faute de leur père ; la proposition devient d’une absurdité reconnue par tout le monde. D’où il s’ensuit que la religion révélée ne nous a rien appris sur la morale ; que ce que nous tenons d’elle sur le dogme, se réduit à cinq ou six propositions inintelligibles, et qui, par conséquent, ne peuvent passer pour des vérités par rapport à nous.
Car si vous aviez appris à un paysan, qui ne sait point le latin, et moins encore la logique, le vers : Asserit A, negat E, verum generaliter ambae, croiriez-vous lui avoir appris une vérité nouvelle ? N’est-il pas de la nature de toute vérité d’être claire et d’éclairer ? Deux qualités que les propositions révélées ne peuvent avoir. Elles sont obscures d’où il s’ensuit que tout ce qu’on en infère doit partager la même obscurité ; car la conséquence ne peut jamais être plus lumineuse que le principe.
6. La religion la meilleure est celle qui s’accorde le mieux avec la bonté de Dieu. Or la religion naturelle s’accorde avec la bonté de Dieu ; puisqu’un des caractères de la bonté de Dieu est de ne faire aucune acception de personne. Et la loi naturelle est donc de toutes les lois celle qui cadre le mieux avec ce caractère.
7. La religion la meilleure est celle qui s’accorde le mieux avec la justice de Dieu ; or la religion ou la loi naturelle, de toutes les religions, est bien celle qui s’accorde le mieux avec la Justice. Les hommes traduits devant le tribunal de Dieu devront être jugés par rapport à une loi ; si Dieu juge les hommes par rapport à la loi naturelle, il ne fera injustice à aucun d’eux, puisqu’ils sont tous nés avec elle. Mais s’il les juge en fonction d’une autre loi, cette loi n’étant point aussi universellement connue que la loi naturelle, il y en aura parmi eux à qui il fera injustice. D’où il s’ensuit, ou qu’il jugera chaque homme selon la loi qu’il aura lui-même sincèrement admise ; ou que, s’il les juge tous en vertu d’une même loi, ce ne pourra être alors qu’en fonction de la loi naturelle qui, également connue de tous, les a tous également obligés.
174
8. Je remarque en outre qu’il y a des hommes dont les lumières sont tellement bornées, que l’universalité des sentiments est la seule preuve qui leur soit accessible ; d’où il s’ensuit que la religion chrétienne n’est pas faite pour ces hommes-là, puisqu’elle n’a point cette caractéristique ; et que par conséquent ils sont ou dispensés de suivre une religion, ou forcés d’embrasser la religion naturelle dont tous les hommes admettent la bonté.
9. Chinois, quelle religion serait la meilleure si ce n’était la vôtre ? La religion naturelle ! Musulmans, quel culte embrasseriez-vous si vous abjuriez Mahomet ? Le naturalisme ! Chrétiens, quelle est la vraie religion si ce n’est la chrétienne ? La religion des juifs ! Et vous juifs, quelle est la vraie religion si le judaïsme est faux ? Le naturalisme ! Or ceux, continuent Cicéron et l’auteur des Pensées, à qui l’on accorde la seconde place d’un consentement unanime, mais qui ne concèdent pas pour autant eux-mêmes la première à personne, méritent incontestablement celle-ci. Méritent incontestablement la première place.
10. La religion la plus sensée de l’avis même des êtres raisonnables, est celle qui les traite le plus en êtres raisonnables, puisqu’elle ne leur propose rien à croire qui soit au-dessus de leur raison ou qui n’y soit conforme.
11. La religion qui doit être embrassée de préférence à toute autre est celle qui offre le plus de caractères divins ; or la religion naturelle est, de toutes les religions, celle qui offre le plus de caractères divins ; puisqu’il n’y a aucun caractère divin dans les autres cultes qui ne se reconnaisse dans la religion naturelle, et elle en a que les autres religions n’ont pas : l’immutabilité ainsi que l’universalité.
12. Qu’est-ce qu’une grâce suffisante et universelle ? Celle qui est accordée à tous les hommes, avec laquelle ils peuvent remplir leurs devoirs et parfois donc les remplissent effectivement. Que peut être dans ces conditions une religion suffisante, sinon la religion naturelle, la religion qui est donnée à tous les hommes, et avec laquelle ils peuvent toujours remplir leurs devoirs, et parfois donc les remplissent effectivement ? D’où il s’ensuit que non seulement la religion naturelle n’est pas insuffisante, mais qu’à proprement parler elle est la seule religion qui soit suffisante ; et qu’il serait infiniment plus absurde de nier la nécessité d’une religion suffisante et universelle, que celle d’une grâce universelle et suffisante. Or, on ne peut nier la nécessité d’une grâce universelle et suffisante sans se précipiter dans des difficultés insurmontables, ni par conséquent celle d’une religion suffisante et universelle. La religion naturelle est la seule qui ait ce caractère.
13. Si la religion naturelle est insuffisante de quelque façon que ce puisse être, alors il s’ensuivra automatiquement de deux choses l’une ; ou qu’elle n’a jamais alors été observée fidèlement par quelqu’un qui n’en connaissait point d’autre ; ou que des hommes qui auraient fidèlement observé la seule loi qui leur était connue auront été punis ; ou auront été récompensés. S’ils ont été récompensés, cela signifie donc que leur religion était suffisante, et puisqu’elle a eu le même effet que la religion chrétienne, il serait alors absurde qu’ils aient été punis. Ce serait renfermer toute probité dans un petit coin de terre, ou punir de fort honnêtes gens.
14. De toutes les religions, celle qui doit être préférée dans tous les cas est celle dont la vérité a plus de preuves pour elle et moins d’objections. Or la religion naturelle est dans ce cas, car on ne fait aucune objection contre elle et tous les religionnaires s’accordent à en démontrer la vérité.
15. Comment prouve-t-on généralement son insuffisance ?
Premier argument : parce que cette insuffisance a été reconnue de tous les autres religionnaires.
Deuxième argument : parce que la pratique du bien et la connaissance du vrai ont manqué aux plus sages naturalistes.
Faux !
Quant à la première partie, si tous les religionnaires se sont accordés pour convenir de son insuffisance, apparemment les naturalistes n’en sont pas. Et dans ce cas, le naturalisme se retrouve simplement dans la situation des religions qui sont tenues pour les meilleures par ceux qui les professent et non par les autres.
Quant à la seconde partie en outre, il est constant que depuis la religion révélée, nous n’en connaissons pas mieux ni Dieu ni nos devoirs.
— Dieu, parce que tous ses attributs intelligibles étaient déjà découverts, et que les inintelligibles n’ajoutent rien à nos lumières.
175
— Nous-mêmes, puisque la connaissance de nous-mêmes se rapportant toute à notre nature et à nos devoirs, nos devoirs se trouvent tous déjà exposés dans les écrits des philosophes païens.
— Et notre nature est toujours inintelligible, puisque ce que l’on prétend nous apprendre de plus que la philosophie est contenu dans des propositions ou inintelligibles, ou absurdes quand on les entend, et que l’on ne conclut rien contre le naturalisme de la conduite des naturalistes. Il est aussi facile de dire que la religion naturelle est bonne et que ses préceptes ont été mal observés, qu’il l’est de dire que la religion chrétienne est vraie, quoiqu’il y ait une infinité de mauvais chrétiens.
16. Si Dieu ne devait aux hommes aucun moyen suffisant pour remplir leurs devoirs, au moins ne lui était-il pas permis par sa nature de leur en fournir un mauvais. Or un moyen insuffisant est un mauvais moyen ; et le premier caractère distinctif d’un bon moyen, c’est d’être suffisant. Mais si la religion naturelle suffisait absolument, avec la grâce ou lumière universelle, pour soutenir un homme dans le chemin de la probité, qui est-ce qui m’assurera que cela n’est jamais arrivé ? La religion révélée n’est d’ailleurs là que pour le mieux ; elle n’est pas d’une absolue nécessité ; et s’il est arrivé à un naturaliste de persister dans le bien, il aura infiniment mieux mérité son salut que le chrétien, puisqu’ils auront fait l’un et l’autre la même chose, mais le naturaliste avec infiniment moins de secours.
17. Je demande que l’on me dise sincèrement, laquelle des deux religions est la plus facile à suivre, la religion naturelle ou la religion chrétienne ? Si c’est la religion naturelle, comme je crois que l’on n’en peut douter, le christianisme n’est donc qu’un fardeau surajouté, et ne constitue plus une grâce ; ce n’est qu’un moyen très difficile de faire ce que l’on pouvait faire avant facilement. Si l’on répond que c’est la loi chrétienne, voici comment j’argumente. Une loi est d’autant plus difficile à suivre que ses préceptes sont plus nombreux et plus rigides. Mais, dira-t-on, les secours pour les observer sont aussi plus forts comparés aux secours de la loi naturelle, et les préceptes de ces deux lois ne diffèrent donc que par leur nombre et leur difficulté. Mais, répondrai-je, qui a fait ce calcul et cette compensation ? Et n’allez pas me répondre que c’est Jésus-Christ et son Église ; car cette réponse n’est bonne que pour un chrétien et je ne le suis pas encore : il s’agit de me le rendre. Et ce ne sera point par des solutions qui me supposent tel. Cherchez-en donc d’autres.
18. Tout ce qui a commencé aura une fin, et tout ce qui n’a point eu de commencement ne finira point. Or le christianisme a commencé ; or le judaïsme a commencé ; or il n’y a pas une seule religion sur la terre dont la date ne soit connue, excepté la religion naturelle, donc elle seule ne finira point alors que toutes les autres passeront.
19. De deux religions celle-là doit être préférée qui est le plus évidemment de Dieu et le moins évidemment des hommes. Or la loi naturelle est évidemment de Dieu, et elle est infiniment plus évidemment de Dieu qu’il est évident que les autres religions sont des hommes ; car il n’y a point d’objection contre sa divinité, et elle n’a pas besoin de preuves, au lieu que l’on fait mille objections contre la divinité des autres et qu’elles ont besoin pour être admises d’une infinité de preuves.
20. La religion préférable est celle qui est la plus analogue à la nature de Dieu ; or la loi naturelle est la plus analogue à la nature de Dieu. Il est de la nature de Dieu d’être incorruptible ; or l’incorruptibilité convient mieux à la loi naturelle qu’à aucune autre ; car les préceptes des autres lois sont écrits dans des livres sujets à tous les événements des choses humaines, à l’abolition, à la mésinterprétation, à l’obscurité, etc. Mais la religion écrite dans le cœur est à l’abri de toutes les vicissitudes ; et si elle a quelque révolution à craindre de la part des préjugés et des passions, ces inconvénients-là sont communs avec les autres cultes ; qui d’ailleurs sont exposés à des sources de changements n’existant que chez eux.
21. Ou la religion naturelle est bonne, ou elle est mauvaise ; si elle est bonne, cela me suffit, je n’en demande pas davantage : si elle est mauvaise, la vôtre pèche donc par ses fondements.
22. S’il y avait quelque raison de préférer la religion chrétienne à la religion naturelle, c’est que celle-là nous offrirait sur la nature de Dieu et de l’Homme des lumières qui nous manqueraient dans celle-ci. Or il n’en est rien, car le christianisme, au lieu d’éclaircir, donne lieu à une multitude infinie de ténèbres et de difficultés. Si l’on demande au naturaliste : pourquoi l’Homme souffre-t-il dans ce monde ? Il répondra : je n’en sais rien. Si l’on pose au chrétien la même question, il répondra par une énigme ou par une absurdité. Lequel des deux vaut le mieux, de l’ignorance ou du mystère, ou plutôt la réponse des deux n’est-elle pas la même ? Pourquoi l’Homme souffre-t-il en ce monde, c’est un
176
mystère, dit le chrétien, c’est un mystère, dit le naturaliste : car remarquez que la réponse du chrétien revient à ceci en définitive. S’il dit : l’Homme souffre parce que son aïeul a péché, et que vous insistiez : et pourquoi le neveu répond-il de la sottise de son aïeul ? Il ajoute : c’est un mystère. Eh ! Répliquerais-je au chrétien, que ne disiez-vous d’abord comme moi : si l’Homme souffre en ce monde sans qu’il paraisse l’avoir mérité, c’est un mystère ? Ne voyez-vous pas que vous expliquez ce phénomène comme les Chinois expliquent la suspension du monde dans les airs ? « Chinois, qu’est-ce qui soutient le monde ? – Un gros éléphant. – Et l’éléphant, qui le soutient ? – Une tortue. – Et la tortue ? – Je n’en sais rien. – Eh, mon ami, laisse là l’éléphant et la tortue et confesse d’abord ton ignorance ».
23. La religion préférable à toutes les autres est celle qui ne peut faire que du bien et jamais de mal. Or telle est la loi naturelle gravée dans le cœur des hommes, ils trouveront tous en eux-mêmes des dispositions à l’admettre ; au lieu que les autres religions fondées sur des principes étrangers à l’Homme et par conséquent nécessairement obscurs pour la plupart d’entre eux ; ne peuvent manquer d’exciter des dissensions. D’ailleurs, il faut admettre ce que l’expérience confirme. Or il est d’expérience que les religions prétendument révélées ont causé mille malheurs, armé les hommes les uns contre les autres et teint toutes les contrées de sang. La religion naturelle par contre, elle, n’a pas coûté une larme au genre humain.
24. Il faut rejeter un système qui répand des doutes sur la bienveillance universelle et l’égalité constante de Dieu. Or le système qui traite la religion naturelle d’insuffisante jette des doutes sur la bienveillance universelle et l’égalité constante de Dieu. Je n’y vois plus qu’un être rempli d’affections bornées et versatile dans ses desseins ; restreignant ses bienfaits à un petit nombre de créatures, et désapprouvant dans un temps ce qu’il a commandé dans un autre. Car si les hommes ne peuvent être sauvés sans la religion chrétienne, Dieu devient envers ceux à qui il la refuse un père aussi dur qu’une mère qui priverait de son lait une partie de ses enfants. Si au contraire la religion naturelle suffit, tout rentre dans l’ordre, et je suis forcé de concevoir les idées les plus sublimes de la bienveillance et de l’égalité de Dieu.
25. Ne pourrait-on pas dire que toutes les religions du monde ne sont que des sectes de la religion naturelle, et que les juifs, les chrétiens, les musulmans, les païens mêmes, ne sont que des naturalistes hérétiques ou schismatiques ?
26. Ne pourrait-on pas prétendre conséquemment que la religion naturelle est la seule vraiment subsistante ? Car prenez un religionnaire quel qu’il soit, interrogez-le, et bientôt vous vous apercevrez que dans les dogmes de sa religion, il y en a quelques-uns ou qu’il croit moins que les autres ou même qu’il nie ; sans compter une multitude, ou qu’il n’entend pas ou qu’il interprète à sa façon. Parlez à un second sectateur de la même religion, réitérez sur lui votre essai, et vous le trouverez exactement dans la même condition que son voisin ; avec cette différence seule que ce dont celui-ci ne doute aucunement et qu’il admet, c’est précisément ce que l’autre nie ou suspecte ; que ce qu’il n’entend pas, c’est ce que l’autre croit entendre très clairement ; que ce qui l’embarrasse c’est ce sur quoi l’autre n’a pas la moindre difficulté ; et qu’ils ne s’accordent pas davantage sur ce qu’ils jugent mériter ou non une interprétation. Cependant, tous ces hommes s’attroupent au pied des mêmes autels ; on les croirait d’accord sur tout, et ils ne le sont presque sur rien. En sorte que si tous se sacrifiaient réciproquement les propositions sur lesquelles ils sont en désaccord, ils se trouveraient presque naturalistes, et transportés de leurs temples dans ceux du déiste.
27. La vérité de la religion naturelle est à la vérité des autres religions, ce que le témoignage que je me rends à moi-même est au témoignage que je recueille d’autrui ; ce que je sens à ce que l’on me dit ; ce que je trouve écrit en moi-même du doigt de Dieu, et ce que des hommes vains, superstitieux et menteurs, ont gravé sur la feuille ou sur le marbre ; ce que je porte en moi et rencontre semblablement partout et ce qui est hors de moi et change avec les climats ; ce que ni le temps ni les hommes n’ont point aboli et n’aboliront jamais et ce qui passe comme l’ombre ; ce qui rapproche l’homme civilisé et le barbare, le chrétien, l’infidèle et le païen ; l’adorateur de Jéhovah, de Jupiter et de Dieu ; le philosophe et le peuple, le savant et l’ignorant, le vieillard et l’enfant, le sage et l’insensé ; et ce qui éloigne le père du fils, arme l’homme contre l’homme, expose le savant et le sage à la haine et à la persécution de l’ignorant ou de l’enthousiaste ; arrose de temps en temps la terre du sang d’eux tous ; ce qui est tenu pour saint, auguste et sacré par tous les peuples de la terre, et ce qui est maudit par tous les peuples de la terre, un seul excepté ; ce qui a fait s’élever vers le ciel de toutes les régions du monde l’hymne, la louange et le cantique, et ce qui a enfanté l’anathème, l’impiété, les
177
exécrations et le blasphème ; ce qui me peint l’univers comme une seule et immense famille dont Dieu est le premier père ; et ce qui me représente les hommes divisés par poignées ou possédés par une foule de démons farouches et malfaisants ; qui leur mettent le poignard dans la main droite et la torche dans la main gauche, et qui les incitent aux meurtres, aux ravages et à la destruction.
Les siècles à venir continueront d’embellir l’un de ces tableaux des plus belles couleurs, alors que l’autre continuera d’être obscurci par les ombres les plus noires. Alors que les cultes humains continueront de se déshonorer dans l’esprit des hommes par leurs extravagances et leurs crimes ; la religion naturelle, elle, se couronnera d’un nouvel éclat. Elle fixera peut-être enfin les regards de tous les hommes et les ramènera donc à ses pieds. Alors, ils ne formeront plus qu’une seule société, ils banniront d’entre eux ces lois bizarres qui semblent n’avoir été imaginées que pour les rendre méchants et coupables ; ils n’écouteront plus que la voix de la nature ; et ils recommenceront enfin à être vertueux.
Ô mortels ! Comment avez-vous fait pour vous rendre aussi malheureux que vous l’êtes ?
Vauvenargues. Londres.1770.
Note de l’éditeur. Il va de soi que ce que Diderot nous écrit là du christianisme est aussi valable mutatis mutandis pour l’islam qui n’est pas plus une religion d’amour que le christianisme ou le judaïsme dont cet auteur nous brosse un portrait au vitriol. Quant à la religion naturelle ou éthologie des grands singes, il ne faut pas en surestimer non plus la bonté intrinsèque.
178
ANNEXE N° 3.
ÉSOTÉRISME ET ESCROQUERIE INTELLECTUELLE.
Réflexion à propos de la double philosophie des panthéistes selon Jean Toland : une externe ou populaire et adaptée dans une certaine mesure aux préjugés du peuple y compris ses pseudo-élites, l’autre interne ou philosophique, pleinement conforme à la nature des choses et donc à la vérité en elle-même.
L’historien de l’ésotérisme, probablement plus que tout autre, est confronté à des contrefaçons de tous ordres. La raison d’être de cet état de choses est évidente pour tout chercheur qui a conduit ses travaux suffisamment loin, à telle enseigne que l’on peut même se demander si tel n’est pas le but dudit historien (révéler certaines malversations).
On conçoit assez facilement un tel état de choses. La thèse implicite de l’ésotérisme est l’affirmation de l’aptitude de l’Homme à transcender les clivages et les barrières, dans le temps comme dans l’espace. Pour étayer de telles ambitions, l’ésotériste est amené à fabriquer des documents susceptibles de démontrer que l’on peut faire fi de telles limitations ; mais ces documents sont généralement contrefaits ou sont constitués de commentaires, relevant d’une exégèse ou d’une glose, conduisant à des conclusions douteuses.
Il conviendrait au demeurant que le chercheur spécialiste en ésotérisme ne soit pas lui-même victime d’une démarche consistant à établir, de proche en proche, au moyen d’une critériologie extrêmement vague et redondante, des passerelles entre des savoirs des plus différents ; aboutissant ainsi à une nébuleuse ésotérique inconsistante, objet d’anthologies pittoresques ou de recensions très hétérogènes.
Comme dans tout canon, règne un certain syncrétisme, réunissant des documents disparates et qui s’excluaient mutuellement à l’origine, mais finissant par se ressembler et recourir à une même terminologie.
Une approche critique de ce canon ne saurait donc être une apologétique consistant à en démontrer le bien-fondé. Il n’est jamais souhaitable que les historiens se fassent les complices de ceux qui ont regroupé à leur guise divers documents. Pourquoi ne pas fonder une « critique ésotérique » comme il existe une critique biblique ? Le terme même d’ésotérisme ou celui d’occultisme, ne servent-ils pas précisément à fonder – sinon à masquer – un tel projet « canonique » ?
Il est dérisoire chez les spécialistes de Nostradamus, toujours au XXIe siècle, de chercher des invariants dans un ensemble aussi hétérogène et hétéroclite ; qui n’est nullement l’œuvre d’un seul homme et d’une seule époque, encore moins d’un seul camp politico-religieux. Rechercher le dénominateur commun n’aboutit, dans ce cas, qu’à édulcorer les discours des uns et des autres pour les réduire à un propos déconnecté des enjeux sociopolitiques qui traversent les sociétés.
En ce sens, le pluriel « courants ésotériques » semble infiniment préférable, mais pourquoi dans ce cas publier des ouvrages intitulés « L’ésotérisme » ou «… de l’ésotérisme » au singulier ?
On est encore moins excusable lorsque l’ensemble considéré est de façon manifeste hétéroclite, ce qui est le cas de corpus susnommés. Dans ce cas, en effet, toute tentative de rechercher des invariants dans un tel ensemble apparaît comme chimérique. On peut, certes, mentionner de telles tentatives émanant de certains milieux pour leur conférer quelque unité sous le nom d’occultisme ou d’ésotérisme. Mais le chercheur spécialiste en ésotérisme, s’il peut décrire ce jeu n’a pas à en être dupe.
179
Tout comme l’historien doit être capable, face à un corpus, de déceler l’authentique et le faux, le controuvé, le pseudo, il doit être aussi en mesure de déceler ce qui relève éventuellement d’une distorsion ésotérique.
Disons que le faux concerne le signifiant tandis que l’ésotérisme a affaire avec le signifié ; et parfois ils cohabitent comme dans le cas de la prophétie de Saint Malachie sur les papes où il y a simultanément production de contrefaçons en ce qui concerne le texte de base, mais aussi ésotérisme au niveau de son exégèse ; car le discours prophétique se situe plus chez les commentateurs (cf. le père Alphonse Ciaconi ou Ciacconius 1530-1599) que dans le texte lui-même. Désolé John ! En fait, parfois, l’ésotérique doit produire le texte qu’il aura à interpréter, tout comme il constitue des traités qui expliquent comment on transforme l’exotérique en ésotérique ; ce qui est singulièrement le cas pour la littérature astrologique où est enseigné comment transmuter une observation astronomique en une approche divinatoire.
ANNEXE Nº 4.
MYTHOLOGIE GRECQUE : L’ATLANTIDE.
L’un des principaux indices (à défaut de preuves) de l’existence d’une civilisation avancée (sur le plan technologique et scientifique) dans la « préhistoire » ; est la mention dans les textes sacrés hindous de machines volantes (appelées « vimana ») ; et de guerres faisant penser à des cas d’utilisation de moyens de destruction massifs (armes de type nucléaire par exemple).
Mahâbhârata.
Livre VIII (le livre de Karna)
Section 34. En voyant ainsi les énergies de l’univers entier rassemblées en un seul endroit, O seigneur, les dieux s’émerveillèrent […] Alors il appela Nila Rohita (Bleu et rouge ou fumée) cette terrible déité revêtue de peaux de bête ressemblant à 10 000 soleils, enveloppée par le feu d’une énergie incommensurable et flamboyante de splendeur […] L’illustre déité, seigneur de l’univers, bandant alors son arc céleste, décocha la flèche qui représentait la puissance de l’univers entier, sur la triple cité.
Livre VII (le livre de Drona).
Section 1. C’était une arme inconnue, un éclair de fer, un message gigantesque de mort qui réduisit en cendres la race entière des Vrishnis et des Andhakas.
Royaume englouti sous les eaux, Éden à jamais perdu, civilisation grandiose que les dieux décidèrent de détruire, l’Atlantide est-elle une légende ou une réalité ?
Depuis des millénaires, le mythe de l’Atlantide exerce une étrange fascination sur l’esprit des hommes. D’innombrables théories scientifiques ou pseudo-scientifiques ont localisé l’Atlantide un peu partout sur le globe. Elle est à sa manière le miroir de nos rêves de progrès et de nos craintes, celle de la destruction par excès de science et de technologie.
Platon. Timée. 24. « Nos récits rapportent comment Athènes anéantit jadis une puissance insolente qui envahissait à la fois toute l’Europe et toute l’Asie, et se jetait sur elles du fond de la mer Atlantique. Car en ce temps-là on pouvait traverser cette mer. Elle avait une île, devant ce passage que vous appelez, dites-vous, les colonnes d’Hercule (détroit de Gibraltar). Cette île était plus grande que la Libye et l’Asie réunies ». Tel est le début du récit de Platon concernant l’Atlantide. Il figure dans les propos que rapporte un des 4 interlocuteurs de ce fameux Dialogue, un dénommé Critias, qui en attribue d’ailleurs l’information principale carrément au célèbre intellectuel et homme d’État athénien Solon, qui l’aurait lui-même apprise en Égypte. Le nom d’Atlantide n’est mentionné que par Platon.
Platon qui nous en dit plus dans un autre de ses dialogues, le Critias où nous retrouvons d’ailleurs les quatre mêmes interlocuteurs. « C’est ainsi que Poséidon, ayant eu en partage l’île Atlantide, installa des enfants qu’il avait eus d’une femme mortelle dans un endroit de cette île que je vais décrire. Du côté de la mer, s’étendait, par le milieu de l’île entière, une plaine qui passe pour avoir été la plus belle de toutes les plaines et fertile par excellence. Vers le centre de cette plaine, à une distance d’environ cinquante stades, on voyait une montagne qui était partout de médiocre altitude. Sur cette montagne
180
habitait un de ces hommes qui, à l’origine, étaient, en ce pays, nés de la terre. Il s’appelait Événor et vivait avec une femme du nom de Leucippe. Ils engendrèrent une fille unique, Clito, qui venait d’atteindre l’âge nubile, quand son père et sa mère moururent. Poséidon, s’en étant épris, s’unit à elle et fortifia la colline où elle demeurait, en en découpant le pourtour par des enceintes faites alternativement de mer et de terre, les plus grandes enveloppant les plus petites… et ainsi de suite ».
Depuis le XVIe siècle abondent les délires et mystifications attachés à ce fantastique continent disparu, abîmé dans les flots. Et il y a en effet de quoi rêver ! Statues en or et ivoire, bâtiments recouverts d’or, d’argent, d’étain, de cuivre et d’orichalque, avec des canaux concentriques creusés pour isoler la capitale de la mer, et tout un réseau de canaux d’irrigation, de ponts et de tunnels. Une source d’eau chaude et une autre d’eau froide alimentent ce merveilleux pays que les Atlantes partagent avec des animaux exotiques comme les éléphants. Ce tableau idyllique que nous dresse Platon représente un pays fabuleux pour nous, mais encore plus fantastique pour un Grec du Ve siècle avant notre ère. Les temples sont ceux de l’époque classique, avec en plus « quelque chose de barbare » et des statues intérieures gigantesques recouvertes de matières précieuses. Dans ce pays magnifique de l’Atlantide, les temples étaient tous aussi merveilleux et splendides. Pour découvrir ces trésors, de nombreux pseudo-archéologues ont cherché et cherchent encore l’Atlantide. On ne peut en fait la trouver que par une bonne connaissance de Platon et de son univers familier. Il ne fait en effet aucun doute que l’Atlantide sort de l’imaginaire d’un Grec du IVe siècle avant notre ère qui décrit un monde composé d’éléments empruntés à la civilisation grecque et d’autres à l’univers barbare. Seulement, comme il s’agit d’un continent imaginaire et merveilleux qui doit marquer les esprits, tout y est magnifié, exagéré, et l’eau, matière éminemment précieuse pour un Grec, y est aussi abondante que l’or, l’argent ou l’orichalque. Nous retrouvons d’ailleurs dans ce mythe les réminiscences d’une autre légende tirée cette fois d’une histoire bien réelle, celle de la civilisation crétoise.
Avec l’étrange récit de Platon, la postérité a hérité d’une énigme. Depuis lors, d’innombrables théories ont localisé l’Atlantide un peu partout sur le globe. Au milieu de l’Atlantique, aux Açores, en Islande, dans le Caucase, en Palestine, en Suède, en Espagne, en Grande-Bretagne, dans les Flandres, dans la Manche, en Afrique du Nord, dans le Bénin, etc. Cette effervescence est en fait assez tardive, l’exégèse platonicienne ayant été relancée en Italie au XVe siècle.
Les hypothèses relatives au site de la catastrophe se multiplient au cours de la période qui s’étend du XVIe au XVIIIe siècle. On passe de l’Atlantide des Açores à celle du Spitzberg (Bailly maire de Paris), tandis qu’une vision nationaliste du mythe autorise nombre de savants à se réapproprier l’île perdue. On s’aperçoit que les préoccupations idéologiques et philosophiques conditionnent largement la lecture prétendument « scientifique » des érudits.
Au XIXe siècle, la diffusion du mythe s’étend à l’Amérique, où il suscite un réel engouement.
En 1882, Ignace Donnelly publie « L’Atlantide, Monde antédiluvien ». Premier livre à gros tirage sur le sujet, cet ouvrage devient en quelque sorte la « Bible de l’Atlantide ». Donnelly est le premier à défendre la théorie selon laquelle l’Atlantide aurait été le berceau de notre civilisation actuelle, exposant l’idée que les Atlantes furent les créateurs de nos arts et de nos sciences. Donnelly souligne les ressemblances entre les civilisations du Nouveau Monde et de l’Ancien, pour conclure que la civilisation est née en Atlantide. Après avoir étudié les légendes du Déluge communes aux cultures de tous les peuples, Donnelly nie catégoriquement la possibilité d’une ressemblance due au hasard. Une tradition si universelle n’offre qu’une seule explication possible : une origine unique, l’Atlantide. Le diffusionnisme est né, provoquant une nouvelle vague d’atlanto-manie tous azimuts, ininterrompue depuis lors. L’atlanto-logie se développe, parallèlement aux autres sciences, dites « nouvelles », et sous l’impulsion des découvertes archéologiques. Divers savants, qu’ils soient archéologues, botanistes, géologues, paléontologues, zoologues ou spéléologues, greffent leur spécialité – ou projettent leur passion inconsciente – sur les mystères de l’Atlantide. En un siècle, l’aiguille de la boussole atlantéenne s’affole ; elle s’est déplacée de l’ouest vers l’est. Gageons que d’ici quelques décennies, l’aiguille de la boussole se déplacera une nouvelle fois vers de nouveaux rivages, suite à quelque nouvelle théorie. Tout cela au nom de la science. Science et pseudoscience se sont souvent entrecroisées, parfois superposées, voire confondues.
181
ANNEXE N° 5.
AUTRE POINT DE VUE SUR L’ATLANTIDE.
« Zeus, le dieu des dieux, qui gouverne tout selon la justice, et à qui rien n’est caché, voyant la dépravation de cette race, autrefois si vertueuse, voulut les punir pour les rendre plus sages et plus modérés. Il rassembla tous les dieux dans le sanctuaire du ciel, placé au centre du monde, d’où il domine tout ce qui participe de la génération ; et lorsqu’ils furent tous réunis, il dit… » Malheureusement pour nous le reste du dialogue de Critias a été perdu.
L’Atlantide n’a pas marqué les contemporains de Platon, pour la bonne et simple raison qu’ils savaient qu’il s’agissait d’un continent imaginaire. Dans l’Antiquité, l’île mythique par excellence était plutôt la Panchaïe d’Évhémère (auteur grec de la fin du IVe siècle) qui contenait la vérité sur l’identité des dieu-ou-démons. Mentionnée par les auteurs païens et chrétiens, Panchaïe sombre ensuite dans l’oubli pour être remplacée, dans l’imaginaire occidental, par l’Atlantide. Alors (et sans doute parce) que les textes de Platon étaient très mal connus, même de ceux qui se flattaient d’être des érudits, le passage du Timée relatif à l’Atlantide marqua les esprits. Depuis, de belles œuvres de science-fiction ont été créées à partir de ce texte de Platon. Le mythe a vécu une existence autonome et a lentement dérivé vers les territoires de l’imagination ou de du péplum fantastique ; sous la plume de quelques grands écrivains, mais aussi et surtout, hélas, sous celle de « fakirs de l’archéologie », pseudo-archéologues diplômés de la grande université internationale des sciences occultes et bizarroïdes.
L’Atlantide n’a été mentionnée que par Platon.
Aristote (Du ciel, 11, 14) et Strabon (Géographie, II, 3, 6) ne s’y réfèrent que pour souligner qu’il s’agit d’un mythe. Mais nombre de nos contemporains ne possèdent pas les vertus de l’esprit critique et de la prudence, et préfèrent se perdre dans les abîmes de leur imagination ou de leurs fantasmes. La palme d’orichalque revient sans aucun doute au très britannique James Churchward, colonel de son état, qui, en 1931, sortit de ses tablettes un autre continent disparu. Mu fut ainsi offert au monde médusé qui découvrit que l’Atlantide n’était pas le seul continent disparu à hanter les esprits des professeurs Nimbus. Désormais, il était possible d’ajouter toutes les greffes possibles à cette histoire pour former plus qu’un continent, une véritable entité aux ramifications infinies. La guerre entre l’Atlantide et Mu, à coups d’engins nucléaires, est responsable bien évidemment de la disparition de ces deux civilisations. Les survivants, enterrés dans quelque sombre caverne mystérieuse, cessent parfois de méditer sur la misère humaine pour nous espionner grâce à leurs engins supersoniques que nous nommons vulgairement, pauvres bougres ignorants que nous sommes, des soucoupes volantes.
La somme des connaissances attribuées aux Atlantes doit correspondre à la quantité astronomique de bouffonneries rédigées à leur sujet. Les colonels, surtout ceux qui sont à la retraite, ont beaucoup fait pour la science vraie et réelle, celle qui n’a pas besoin de preuves pour s’affirmer dans toute sa colossale magnificence. Les salades de ces apprentis sorciers prêtent toujours à sourire si ce n’est que parfois leur sauce très pimentée tourne au vinaigre. Les histoires rattachées à l’Atlantide et à Mu servent souvent de prétexte à des considérations morales sur la décadence de l’Humanité. Pires, elles peuvent servir de cadre, avec nombre de détails aussi savants qu’inventés, pour donner une caution scientifique à l’ensemble, à des théories hypernationalistes, voire racistes. En 1940, les Atlantes apparaissent comme des Nordiques aux yeux bleus, au grand corps athlétique, qui avaient éclairé le monde de leur lumière tellement plus brillante que celle des autres peuples ou races. Depuis,
182
l’Atlantide dérive d’une folie ethnocentrique à une autre. Ainsi, dans les années 1980, un pseudo-archéologue affirma, preuves scientifiques à l’appui, que les menhirs et dolmens européens sont les restes de cette magnifique civilisation, l’Atlantide ; qui s’étendait de la Grande-Bretagne à l’île de Malte et était bien supérieure à la civilisation égyptienne, pauvre reflet oriental de la grande Europe.
ANNEXE Nº 6.
L’IMPOSTURE DE LA TRADITION PRIMORDIALE.
« APRÈS LA MORT PREMIÈRE PARTIE – CROYANCES ET NÉGATIONS – LA DOCTRINE SECRÈTE. LES RELIGIONS.
Toutes les grandes religions ont eu deux faces, l’une apparente, l’autre cachée. En l’une est l’esprit ; dans l’autre, la forme ou la lettre. Sous le symbole matériel, le sens profond se dissimule.… Du sein des mythes et des dogmes, il faut dégager le principe générateur qui leur communique la force et la vie. Alors on découvre la doctrine unique, supérieure, immuable, dont les religions humaines ne sont que des adaptations imparfaites et transitoires, proportionnées aux besoins des temps et des milieux…
Les grands réformateurs, les fondateurs de religions, les ardents semeurs d’idées : Krishna, Zoroastre, Hermès, Moïse, Pythagore, Platon, Jésus, tous ont voulu mettre à la portée des foules des vérités sublimes qui faisaient leur supériorité. Mais les disciples n’ont pas su garder intact l’héritage des maîtres. Ceux-ci étant morts, leur enseignement a été dénaturé, rendu méconnaissable, par des altérations successives. La moyenne des hommes n’était pas apte à percevoir les choses de l’esprit, et les religions ont vite perdu leur simplicité et leur pureté primitives. Les vérités qu’elles apportaient ont été noyées sous les détails d’une interprétation grossière et matérielle… Mais la doctrine secrète de jadis va ressusciter sous une forme plus complète, accessible à tous… Ce sera la religion supérieure, définitive, universelle, au sein de laquelle se fondront, comme des fleuves dans l’océan, toutes les religions passagères, contradictoires, causes trop fréquentes de division et de déchirement pour l’Humanité ».
Léon Denis 1) « Après la mort ».
Ce qu’énonce cet auteur est une doctrine commune à l’ésotérisme, l’occultisme et même au spiritisme, auquel se rattache Léon Denis. Le raisonnement de base est le suivant : les différences voire les oppositions, entre les religions, résultent de déviances par rapport à l’enseignement d’un fondateur éclairé, qui a, lui, puisé immédiatement à la source de toute sagesse.
S’ajoute un autre argument : la distinction entre l’enseignement ésotérique – réservé à une élite de comrunos ou d’initiés, et qui serait le même dans toutes les religions — ; et l’enseignement exotérique – proposé à la masse des ignorants, et qui serait différent selon les religions.
De nombreux auteurs ne manquent pas d’ajouter que cette distinction est subtilement entretenue par les clergés, qui maintiennent ainsi les peuples en leur pouvoir en les privant de la vraie connaissance libératrice.
1. N. D. L. R. Tout n’est pourtant pas si absurde dans ce qu’a écrit cet auteur dont la langue est admirable, poétique, animée d’un souffle profond, et en cela parfaitement comparable au Renan de la prière sur l’Acropole, quoiqu’en plus mystique, mais qu’on a connu mieux inspiré (voir certains de ses nombreux ouvrages).
Au programme de nombreux néo-druides d’aujourd’hui se trouve néanmoins toujours la redécouverte de cette hypothétique Tradition Primordiale. Dont il n’existe aucune preuve historique sérieuse à part un certain nombre de coïncidences dues À NOTRE COMMUNE NATURE HUMAINE. Une telle hypothèse est un faux absolu, bien qu’elle remplisse encore les librairies contemporaines. Cette absurdité a été définitivement enterrée par Mircea Eliade. Ce que prouve l’étude des mythes et des
183
légendes c’est, non l’existence d’une tradition primordiale, mais l’existence d’une pensée commune (ou ayant de nombreux points importants comparables) générée par la spécificité de la nature humaine.
L’œuvre du traditionaliste français Jean Hani (né en 1917) peut faire l’objet des mêmes remarques. Hani fait constamment référence à la « Tradition », mais sans en préciser davantage la notion. Sans en esquisser jamais la définition ! Tout en feignant de laisser à des comrunos ou initiés la possibilité d’entrevoir ce qu’il faut entendre sous ce vocable grandiose ; qui semble abriter le concept d’une essence transcendante impénétrable à l’esprit et singulièrement à l’esprit européen et occidental ; définitivement enlisé, selon lui, dans les ornières de l’exotérisme et les souillures misérables du réalisme ; entraîné comme à sa propre perte dans la quête et le souci d’une objectivité qui, parce qu’elle ne saurait jamais être que relative, fait honte aux adeptes de la « Grande Tradition » ; et leur paraît digne de mépris voire même de réprobation.
Or, si l’on peut à bon droit tenir pour recevables, significatives et adéquates, les notions de « Tradition » et de « société traditionnelle » ; ce ne peut être qu’après avoir reconnu dans la tradition une continuité des attitudes mentales, des conceptions du monde et des grandes représentations symboliques dans lesquelles telle ou telle communauté humaine, telle ou telle culture, telle ou telle civilisation, ne cessent de percevoir, à travers les métamorphoses et les renouvellements de son évolution historique, les figures et les formes de son être et de son destin ; ou, si l’on préfère, les éléments constitutifs et les traits inaliénables de son identité.
Il est alors naturel que les composantes de cette Tradition se rattachent au sacré, au moins dans leur majorité sinon dans leur totalité.
Mais la façon dont elles s’y rattachent est-elle la même dans toutes les civilisations ? La connexion s’établit-elle partout selon le même mode d’intégration des éléments à l’ensemble ? La vision du monde qui sous-tend la structure de ce dernier peut-elle être partout identique à elle-même ? Il est permis d’en douter. Car, si l’on peut admettre raisonnablement qu’il existe dans chaque civilisation une Tradition Sacrée, il n’est nullement évident qu’elle soit universelle. La « Sociologie de la longue durée », celle précisément dont les résultats attestent l’existence de continuités mentales, ne saurait aboutir indifféremment sur toutes les aires culturelles aux mêmes descriptions phénoménologiques. En d’autres termes, on ne retrouve pas partout les mêmes schèmes de pensée. On est alors fondé à parler de la Tradition chinoise ; de la Tradition indo-européenne et des Traditions indo-européennes (celtique, indienne, germanique, grecque, etc.), de la Tradition égyptienne, de la Tradition d’Israël, des diverses Traditions africaines, des Traditions respectives des civilisations indiennes d’Amérique ; sans oublier la Tradition nipponne ni toutes les autres, moins connues ; et à préférer ainsi le phénomène au noumène et la substance à l’idée ; pour établir les fondements d’une méthodologie opérationnelle des sciences humaines.
En revanche, au sein d’une même culture, on est inévitablement amené à constater, en dépit de changements historiques importants, voire de bouleversements apparemment fondamentaux ; la rémanence de schèmes mentaux propres à cette culture, et cela, à des époques fort éloignées les unes des autres. En fournit l’exemple pour ainsi dire typique la continuité des manifestations les plus diverses de la pensée trifonctionnelle indo-européenne, continuité aujourd’hui bien mise en lumière par les médiévistes et autres historiens disciples de Dumézil.
Qui plus est, même lorsque certains traits de mentalité ou certains fondements culturels demeurent comparables d’une civilisation à l’autre et se laissent regrouper dans une typologie commune ; des différences peuvent encore surgir entre eux selon la civilisation dans laquelle ils viennent s’insérer, tant dans leur structure interne qu’en raison du rôle et de la place qui leur sont respectivement concédés. En un mot, si elle est vraiment présente et vivante, la Tradition n’est pas universelle. Aussi est-il à redouter que le concept à l’aide duquel opère Jean Hani ne résulte d’une analyse et d’une appréhension platoniciennes, propices aux généralisations abusives et fallacieuses.
On serait en retour tenté de soutenir la thèse contraire : plus un fait est traditionnel et moins il a de chance d’être universel.
Le présupposé de la tradition primordiale a aussi été repris par le Français René Guénon : les religions ne représentent que la forme exotérique, adaptée aux conditions locales, d’un noyau métaphysique immuable et universel. Ce substrat unique, plus intellectuel, ne serait accessible qu’aux seuls comrunos (initiés). Le peuple n’aurait besoin que d’une sorte de livre élémentaire fait d’images, de gestes et d’un catéchisme minimal. À l’élite seule conviendrait la contemplation des principes. Une telle position a l’avantage d’évacuer sans examen toutes les divergences doctrinales qui deviennent de simples habillages contingents. Ce que René Guénon nous présente comme le noyau supra-religieux en question n’est en réalité que le monisme professé par l’une des tendances du Vedanta.
184
Ce monisme hindouiste est, certes, une philosophie remarquable, mais le fait est qu’il diverge sur de nombreux points aussi bien de l’enseignement bouddhiste explicite que des théologies juive, musulmane et chrétienne ; lesquelles, à la pointe de leurs spéculations et non seulement dans les rites populaires, admettent un Dieu ou Démiurge personnel transcendant sa création. Sauf à supposer que tous les hauts clergés de la planète furent en réalité des manipulateurs abandonnant le peuple à ses dévotions « extérieures » et se réservant la Vérité au nom d’intérêts supérieurs (lesquels ?), une telle assimilation récupératrice n’est guère soutenable.
Un examen attentif de l’ensemble des religions historiquement connues, loin de ramener à un noyau unique, en décèle plusieurs. Nous laisserons de côté la foule des panthéons qui, même chez les chasseurs-cueilleurs animistes, sont toujours des âme/esprits de la brousse secondaires par rapport au Dieu-ou-démon supérieur ; qu’on les nomme plus tard anges, dieux ou aspects de la divinité, il s’agit encore d’entités intermédiaires. Même dans les jardins de Findhorn (communauté hippie ou écologiste installée en Écosse depuis 1962) on ne confond pas la « déité du petit pois » avec la Source de l’univers. Mais en nous concentrant sur les noyaux irréductibles, nous trouvons en fait au moins quatre métaphysiques différentes.
— Le monisme à substrat « conscient », où l’Être impersonnel est énergie spirituelle (Platon, Upanishad, Plotin, taoïsme).
— Le monisme à substrat « inconscient » où l’Être impersonnel est une énergie matérielle ou proto-matérielle (bouddhisme, matérialisme).
— Le Dieu ou le Démiurge personnel, avec ses variantes (monothéisme du Dieu-ou-démon perçu comme masculin, monothéisme de la Déesse-ou-démone, Couple divin, Trinité chrétienne).
— Les deux Principes antagonistes (esprit/matière, lumière/ténèbres, bien/mal).
Admettons que tous les monismes puissent fusionner comme l’affirme Guénon, qu’il s’agisse de variantes locales ou de niveaux de compréhension ; il resterait toujours l’opposition entre ce substrat impersonnel de l’univers et le Dieu-ou-démon personnel, ainsi qu’avec la tension dualiste, impossibles à ramener au monisme sans les dénaturer totalement.
S’il existait une « tradition primordiale » derrière toutes les religions et toutes les métaphysiques, elle ne saurait se trouver que dans la coexistence de ces trois noyaux d’épanouissement ; c’est-à-dire, une fois de plus, dans les potentialités universelles de l’Homme ; mais il faut admettre aussi qu’aucune « voie » ne les présente ensemble comme horizon de notre conscience. Le débat sur leur hiérarchisation dure et perdure depuis la construction des grandes civilisations, sans vainqueur ni vaincu, sauf localement – et les vaincus se reforment ici, ailleurs, autrement…
Les gnoses dualistes qui furent les grandes perdantes de l’histoire des religions, n’ayant jamais pu résister efficacement à l’expansion du bouddhisme, du christianisme puis de l’islam, selon les aires culturelles ; ont toujours ressurgi comme mouvements minoritaires, soit contestataires comme le paulicianisme arménien ou le catharisme, soit élitiste et savant, comme dans certaines branches de la Naturphilosophie allemande du XIXe siècle.
Il est frappant de constater que ces trois types de conscience correspondent aussi aux trois expériences fondamentales du temps. Le vécu moniste exige le temps intemporel, le dualisme sous-tend ou est sous-tendu par l’alternance cyclique de la lumière et des ténèbres, la relation libre au Dieu-ou-démon personnel génère l’historicité linéaire.
Nous sommes en présence d’une donnée anthropologique fondamentale, d’un triple rapport au monde qui semble inscrit au plus profond de la nature/culture humaine ; et qui, toutefois, ne saurait être vécu de façon triadique, mais se vivrait collectivement de manière exclusive et conflictuelle. Chacun de ces noyaux tendant ainsi à rejeter les autres et à s’imposer en s’absolutisant.
Si ces trois noyaux vécus sont irréductibles, mais font intrinsèquement partie du potentiel spirituel de l’Homme, l’erreur n’est-elle pas de chercher à les hiérarchiser ? Par-delà les pratiques et les choix, conscients ou inconscients, de chaque École, pourrait-il exister une théologie englobante capable de les porter ensemble ? Mais les oppositions métaphysiques de la transcendance et de l’immanence, de l’être et du devenir, du Dieu ou le Démiurge personnel et impersonnel ; du masculin et du féminin, de l’un et du multiple, de l’impassibilité et de la compassion ou de la colère, de la révélation (donnée) et de la quête du sens (conquise sur l’incertitude) ; ne pourront se résoudre par un choix entre les polarités, mais par leur mise en perspective. En ce sens, la théologie englobante telle que nous venons de la préciser, reste encore à l’horizon d’une recherche qui ne serait pas, répétons-le, un syncrétisme mêlant les débris du passé ; mais une réponse subtile aux questionnements renouvelés à notre époque, par la confrontation des noyaux métaphysiques ou de vécu. Bref, la « tradition primordiale » est une espérance plutôt qu’un legs.
185
Notes manuscrites retrouvées par les héritiers de Pierre de La Crau.
Première note. À propos de René Guénon. De toute façon, on ne peut que mettre en doute le degré d’intelligence réelle de qui se convertit, SINCÈREMENT ET LIBREMENT, à l’islam (nous ne parlons pas ici du cas de Napoléon en Égypte).
Deuxième note. On peut se demander si la conception « personnaliste » (Dieu ou le Démiurge est une personne) n’est pas en définitive que du monisme (Dieu ou le Démiurge est un être impersonnel) ANTHROPOMORPHISÉ.
Dieu ou le Démiurge est un être impersonnel, mais personnellement ressenti, et comme une personne justement, par certains.
ANNEXE N° 7.
RAPPEL SUR LA VÉRITABLE TRADITION PRIMORDIALE.
Jung a laissé, dans la psychanalyse, une démarche originale et érudite de l’étude de la psyché, plus ouverte que les théories freudiennes centrées sur la sexualité. En particulier, il contribuera toute sa vie à une représentation de la psyché humaine dans sa complexité, autrement dit ses rapports à la société, aux mythes, aux archétypes, mais aussi à la spiritualité. Pour Jung, l’inconscient est constitué de tout ce qui n’est pas conscient. Il se situe ainsi dans la ligne de l’École de Pierre Janet.
Le modèle conceptuel créé par Janet intègre à peu près toutes les données de la psychologie normale et pathologique, de la psychologie de l’enfant, de l’ethnologie et de la psychologie animale. Il n’est, pour ainsi dire, aucun phénomène psychologique qui n’y trouve sa place et n’y soit éclairé d’une façon ou d’une autre. Perception, émotions, mémoire, langage, croyance, personnalité, tout reçoit une interprétation nouvelle, en particulier la psychopathologie des délires et des hallucinations. Les pièces principales de cette immense synthèse sont exposées dans une série d’ouvrages : l’état mental des hystériques, les stigmates mentaux, les accidents mentaux, les médications psychologiques, de l’angoisse à l’extase… sans parler de beaucoup d’articles importants.
L’œuvre de début de Janet, celle de l’automatisme psychologique, de l’analyse et de la théorie des névroses, se situe au seuil de toute la psychiatrie dynamique moderne. La théorie de la schizophrénie de Bleuler est un développement de la théorie des névroses de Janet. Bleuler lui-même a déclaré que « le mot autisme, désigne en un sens positif ce que Janet appelle perte du sens réel ». Jung, qui suivit les cours de Janet à Paris en 1902-1903, donna le nom de « complexe » à ce que Janet appelait « idée fixe subconsciente », et il introduisit ce mot de « complexe » dans la psychanalyse avec le succès que l’on sait. Adler, avec une sincérité louable, déclara que sa théorie du « sentiment d’infériorité » était un développement de ce que Janet appelait « sentiment d’incomplétude ».
Au sein de l’inconscient, Jung différencie l’inconscient personnel, qui recoupe à peu près ce que, au début du XXe siècle, Freud entendait par l’inconscient (Freud, puis certains freudiens, ont, depuis, fait significativement évoluer ce concept) ; et l’inconscient collectif, ou inconscient impersonnel, qui est la donnée a priori de l’âme/esprit humaine, sa part de réalité objective. Il est constitué par les archétypes.
Dans Totem et tabou, Freud proposait une hypothèse : la permanence des structures inconscientes dans les différentes cultures de l’Humanité laisse supposer qu’il existe un plan d’inconscient supra-personnel, l’inconscient collectif.
Jung reprend cette hypothèse et la développe considérablement, au point d’ailleurs que son nom est invariablement associé à la théorie de l’inconscient collectif. Non seulement nous serions alors en mesure à bon droit de parler d’un inconscient personnel, par lequel la trace de notre passé perdure, mais c’est tout le passé de l’Humanité qui est aussi d’une certaine façon toujours en nous. Pour Jung, nous naissons déjà nantis d’un inconscient collectif lié à la transmission de l’hérédité d’une génération à l’autre. L’inconscient, tel qu’il s’exprime dans le rêve, n’est pas seulement une production relative à l’histoire personnelle du sujet, il est aussi lié à une mémoire archaïque qui demeure en nous. Au fond de notre mémoire dorment des figures ancestrales qui ont été déposées par l’expérience psychique de l’Humanité qui nous a précédés. Ainsi, le loup-garou, les sorcières, les fées, etc. sont ce que Jung
186
appelle les archétypes de l’inconscient collectif. Dans l’imaginaire collectif des mythes, des légendes, et des contes traditionnels, on retrouve constamment ces archétypes. Pour Jung, ils ne résultent pas vraiment d’une acquisition, mais sont présents de manière innée dans l’inconscient, sur un plan supra-personnel. Ce sont des émanations primordiales de l’âme qui ressurgissent dans l’imaginaire.
Le point de départ de Jung a été, comme pour ce qui est de sa conception de l’inconscient personnel, pragmatique. Il est venu à l’hypothèse de l’inconscient collectif à la suite de l’étude de certains rêves « non freudiens », dans lesquels était mise en scène une symbolique qui débordait visiblement l’histoire personnelle de celui qui avait vécu le rêve.
Si ces rêves avaient été faits par un sorcier dans une tribu de primitifs ; on pourrait raisonnablement supposer qu’ils représentent des variations des thèmes philosophiques de la mort, de la résurrection ou du rétablissement final, sur l’origine du monde, la création de l’homme ou la relativité des valeurs. Mais ce n’est pas le cas. Ce sont les rêves d’une enfant de huit ans qui n’a que fort peu de culture. L’interprétation de ces rêves est extrêmement compliquée si l’on veut de force les ramener à un niveau personnel. Ils contiennent indiscutablement des images collectives, analogues dans une certaine mesure aux doctrines enseignées aux jeunes gens, dans les tribus primitives, au moment de leur initiation. Il ne s’agit pas pour autant de nier entièrement les éléments de l’inconscient personnel de la petite fille ; simplement, ce que Jung veut montrer, c’est que les images oniriques sont tirées d’un arrière-fond qui va bien au-delà de l’inconscient personnel. La théorie de l’inconscient collectif a au moins trois intérêts majeurs.
1. Elle nous montre que la distinction psychique entre l’individuel et le collectif est illusoire. Il serait vain de chercher à appliquer au psychisme la structure de l’ego individualiste, coupé des autres et coupé de l’Humanité. Plus on descend dans l’inconscient, plus on s’éloigne de l’individuel pour rejoindre l’universel. Rien n’existe séparément.
2. Elle tend aussi à montrer qu’il existe une mémoire archaïque du vital, sur lequel le mental de l’Homme est construit. Il semble que les études contemporaines de neurophysiologie confirment largement les vues de Jung, tandis qu’elles infirment les hypothèses de Freud sur la sexualité.
3. La théorie de l’inconscient collectif permet de jeter un pont entre la psychologie et l’étude des mythologies. Sans aller jusqu’à donner complètement raison au goy terroir « du bocage normand » Michel Onfray (le crépuscule d’une idole…) ; il n’en reste pas que l’inconscient est quand même un concept fourre-tout, c’est en réalité un nom que l’on met sur des expériences, des structures disparates et complexes qu’il faudrait distinguer et nommer séparément. Ce qui s’impose, c’est que l’interprétation des phénomènes inconscients ne peut pas se réduire à une seule lecture (celle de Freud). La complexité du psychisme est telle qu’il y a toujours place pour plusieurs interprétations. Il est tout de même étonnant que cette ouverture donnée par Jung à la psychanalyse n’ait pas reçu un accueil plus important auprès de l’Université. Pourquoi mettre Freud dans la liste canonique des auteurs du programme de philosophie et pas Jung ? Jung a une culture philosophique plus riche que celle de Freud et ses vues méritent d’être étudiées sérieusement. Il est aberrant que l’on réduise publiquement la notion d’inconscient à ce que Freud a pu en dire. Il est tout aussi aberrant de réduire la psychologie à la seule psychanalyse freudienne. À en croire les médias, et l’intelligentsia universitaire, on a trop souvent l’impression qu’en dehors de la psychanalyse freudienne, il n’y a point de salut pour la psychologie. Au contraire dirons-nous : c’est quand on a enterré la dévotion à Freud que l’on découvre la grande richesse de la psychologie et en particulier, de la psychologie moderne.
Enfin, ce qu’il ne faut jamais oublier, c’est que le terrain sur lequel le psychologue opère reste celui de la conscience. Jung le dit clairement, la psychologie n’est pas une magie noire, c’est une science. Celle de la conscience et de ses données, elle est aussi la science de l’inconscient, mais en second lieu seulement, car l’inconscient n’est pas directement accessible, précisément parce qu’il est inconscient.
Toujours à la suite d’expériences concrètes, Jung a été amené à repenser la notion d’inconscient dans une direction originale. Si les événements sont liés dans la Nature, il est possible qu’il existe, à un niveau fondamental, une non-séparation des événements. Une corrélation infinie des événements. Si, dans l’expérience de veille, l’ego se sent coupé du reste de l’univers (dualité), irrémédiablement séparé des autres et du monde ; l’âme, elle, peut très bien demeurer en relation avec tout ce qui est (unité), et même être subtilement informée d’un événement qui surgit au sein de la Nature, via l’esprit.
Jung a été conduit à cette hypothèse par toute une série de rêves, soit les siens propres, soit ceux qui lui étaient racontés par ses patients.
Le mérite de Jung a été de ne pas jeter tout cela dans le grand sac du paranormal pour s’en débarrasser et d’essayer rationnellement d’en rendre compte à partir d’une théorie de l’inconscient.
187
Nous avons déjà vu plus haut que le rêve, même personnel, n’est pas nécessairement tourné vers le passé, mais peut très bien porter une intention tournée vers le futur. Ici le problème est plus délicat, car il ne s’agit plus seulement d’une intention tournée vers un futur, mais d’une ligne d’événement dans la Nature. Jung suppose que dans le sommeil, dans le rêve, les frontières individuelles sont dissoutes. Dans le sommeil, je suis Tout, parce qu’il n’y a plus de « moi » qui se sépare du tout. La conscience d’unité est seule présente, sans la dualité de la veille. Il est possible alors que la corrélation infinie des événements vienne résonner dans l’inconscient du rêveur pour donner lieu à une production onirique ; soit pour informer le sujet en rêve sur ce qui a lieu pendant qu’il dort, soit pour donner une prémonition d’une direction possible du futur. Le sujet qui sort du rêve revient dans la dualité de la veille, dans la séparation, mais s’il a souvenir du rêve, il constate la résonance de l’unité de la Nature. Il est placé dans une compréhension de la Nature où le hasard est exclu, où la coïncidence est une loi naturelle, parce que la Nature est une. Ainsi, ce que l’on range, dans ce registre, dans la catégorie fumeuse du paranormal, deviendrait ici un phénomène naturel et il y aurait dans la théorie de l’inconscient une possibilité de rendre compte rationnellement de choses qui passent pour occultes d’ordinaire. C’est une différence d’attitude nette entre Freud et Jung. Freud détestait le paranormal, c’est une des raisons pour lesquelles il avait abandonné l’hypnose. Jung est un esprit très ouvert qui ne craint pas de s’aventurer dans ce que la représentation scientifique classique considère comme irrationnel. Il le fait en scientifique, épris d’explication qui entend ne pas nier d’emblée des témoignages, même si cela pose des difficultés importantes. Il a souci de prendre au sérieux une expérience possible, mais assez peu courante il est vrai, pour la plupart d’entre nous. Aujourd’hui, les vues de Jung intéressent beaucoup les physiciens qui travaillent sur la mécanique quantique. En effet, la mécanique quantique postule l’existence d’un champ unifié d’où émergeraient les particules élémentaires et au niveau du champ unifié, il semble nécessaire de postuler que la corrélation infinie des événements est présente. L’hypothèse qui émerge alors est que le champ unifié des physiciens et l’inconscient supra-personnel des psychologues sont peut-être deux manières de se représenter une seule et même réalité, la pure Intelligence qui est sous-jacente à toute phénoménalité.
188
COURRIER DES LECTEURS.
Un lecteur mécontent du fait que nous nous sommes appuyés sur Freud pour une critique radicale de la névrose judéo-chrétienne (l’avenir d’une illusion, totem et tabou, quel paradoxe !) nous a fait parvenir le texte suivant sur cet auteur.
Jacques Bénesteau, Mensonges freudiens, histoire d’une désinformation séculaire, Éditions Mardaga, Belgique.
N’attendez pas de moi un résumé, même allusif, de cet ouvrage que vous devez lire, toutes affaires cessantes, mais quelques remarques subjectives, moi qui pensais depuis longtemps : va pour Lacan, mais Freud… une valeur sûre à vénérer comme Spinoza. Je n’avais depuis longtemps plus grand-chose à apprendre sur les bouffonneries carnavalesques et drolatiques, les impostures et la malhonnêteté de Lacan et de la horde de ses disciples.
Mais qui dépasse ce savoir minimal trop souvent présenté comme une vulgate ? Qui s’interroge en profondeur sur les circonstances dans lesquelles les contenus basiques de la psychanalyse ont été découverts, imaginés, créés, fantasmés ou démontrés, par Freud et ses disciples ? Que s’est-il vraiment passé dans les années constitutives de la psychanalyse, à partir de quelles expériences réelles est-elle née ?
J’affirme que, même en matière de psychanalyse, le droit de penser, de critiquer et de philosopher par soi et pour soi, appartient à tout honnête homme et a fortiori à qui a des prétentions scientifiques. Qui n’est ni psychanalyste ni psychothérapeute ni psychanalysé ni médecin, a le droit, à propos de la psychanalyse, que les réformés ont revendiqué pour la lecture des textes sacrés : le droit d’examen et la liberté d’interprétation. Notre pays n’a aucune raison de mépriser ce droit. Je me dispense de citer la mine de renseignements mis à la disposition du lecteur, telle cette « histoire grotesque et sérieuse des lettres à Fliess », le passage par l’hypnose, la suggestion, la cocaïne ou l’occultisme ; dont seuls quelques spécialistes sont en mesure d’apprécier les conséquences.
Prenons la découverte du complexe d’Œdipe. Pour Freud, ce refoulé s’avérait la clef de toutes les névroses ; et la pierre angulaire de la pensée psychanalytique. Il fut postulé sur la base de données acquises durant sa période d’auto-analyse. La donnée cruciale (notez l’utilisation du singulier dans ce cas) était son souvenir d’un long voyage en train avec sa mère, alors qu’il avait deux ans ; pendant lequel, selon les comptes rendus différents qu’il en donne, il l’a vue nue soit en rêve soit en réalité, à la suite de quoi il a développé un désir sexuel à son égard. Quelques semaines après le recouvrement de ce quasi-souvenir, il concluait que l’amour sexuel masculin envers la mère était un événement universel de la première enfance. Ce saut énorme fut par la suite confirmé, prétendait Freud, par des observations directes sur des enfants, particulièrement lors d’analyses. Les données, cependant, sont absentes. D’un simple fragment de souvenir brumeux, il avait créé un véritable écran de fumée. Ses rares histoires de cas qu’il est possible d’évaluer sont infirmées, à l’évidence, par des errances de méthode. Esterson montre comment, à maintes reprises, Freud emmêlait ses propres suppositions sur ce qui se passait dans l’inconscient de ses patients avec le compte-rendu postérieur de leurs souvenirs ; et comment, à la longue, il en venait à représenter une version épousant la sienne. Il est dès lors peu surprenant que, tel un étudiant en première année de médecine ou un hypocondriaque établissant des diagnostics, Freud ait constaté que tout ce dont il se souvenait de ses consultations pouvait confirmer ses théories. Cette circularité, par laquelle la théorie créait des faits validant automatiquement la théorie, aurait dû être évidente à quiconque lisait ses publications, mais bien peu l’ont remarqué.
189
Dans son étude novatrice, Thornton a montré comment, au temps de ses découvertes fondamentales, Freud s’était éloigné de la science de son époque. Ses théories étaient de manière décisive influencées par la Naturphilosophie allemande ; c’est particulièrement évident dans son Esquisse d’une psychologie scientifique (Entwurf einer Psychologie), pseudo-scientifique et obsolète ; par les folles notions numérologiques et les fantaisies mystiques de Wilhelm Fliess, que Freud a décrit tour à tour tel « un Kepler de la biologie » ou comme son Messie, et de qui il a tiré l’idée de la sexualité infantile ; et par sa propre cocaïnomanie. Les racines fliessiennes de la pensée freudienne ont été longtemps supprimées par les gardiens du tombeau contrôlant les archives et le recyclage continuel d’une poignée de prétendus cas types a créé l’illusion d’une base de données clinique énorme.
Peu de psychanalystes sont aussi ouvertement psychopathes que Lacan, le disciple français le plus éminent de Freud, mais plusieurs n’hésitent pas à manipuler les affections et la foi de leurs clients pour recourir, encore, à leurs lucratifs remèdes de charlatans. La capacité jadis unique de Freud de suggérer à ses patients les faits qu’il exigeait pour soutenir et réaliser ses théories fantaisistes, renforcée par son aura de sagesse ; est maintenant disséminée parmi des centaines de milliers de disciples qui ne sont peut-être pas des psychanalystes, mais qui ont tiré de ses théories la croyance en l’importance centrale de certains types de souvenirs refoulés.
L’étude de Richard Webster nous donne la culture d’un siècle où Sigmund Freud peut être situé, et un point de vue pour le saisir. Webster montre comment, malgré sa rhétorique biologique, Freud, imprégné d’un ascétisme judéo-chrétien puritain qui se débarrasse du corps, appartient résolument à une structure gnostique et manichéenne. Freud ne sexualise pas tant le royaume de l’intellect qu’il intellectualise le royaume de la sexualité ; en le réduisant à des catégories abstraites et en séparant ainsi l’esprit propre du corps sale, puis en élevant l’Homme au-dessus de la Nature, en favorisant l’abstraction sur l’incarnation.
Puisque je m’interdis de résumer cet ouvrage qui révèle bien des surprises ; je vais évoquer en détail une de ses analyses pour mettre l’eau à la bouche de mon lecteur et lui faire sentir les enjeux du livre au moyen d’un exemple. Nous avons tous entendu l’histoire de quelques patients célèbres de Freud, que l’on nous a présentés comme illustration à la fois de la théorie freudienne et de sa pertinence. Une théorie qui explique le psychisme et s’avère une thérapie efficace : que demander de plus ? Vous connaissez tous ces héros, je ne pense ni à Œdipe, ni à Barbe Bleue mais à Dora, au Petit Hans, au président Schreiber à l’Homme aux rats, et à l’Homme aux loups : Sergueï Pankejeff.
Il fut suivi pendant soixante-dix ans, par dix psychanalystes qui se sont relayés jusqu’à sa mort en 1979, à l’âge canonique de quatre-vingt-douze ans.
C’était un aristocrate russe très fortuné souffrant de troubles dépressifs compliqués. Il consulta donc, dès 1905, des sommités psychiatriques à Berlin, Saint-Pétersbourg, Munich et à nouveau Berlin. Après avoir vainement tenté de l’analyser en 1909, Leonid Drosnès, médecin d’Odessa, envoya l’illustre et malheureux patient à Vienne, 19 Berggasse, en février 1910 (chez Freud). Le fondateur de la psychanalyse, par déontologie personnelle, j’ose l’espérer, mais aussi pour valoriser sa nouvelle thérapie, se devait d’accorder une attention particulière à la guérison d’un patient aussi puissant et illustre.
La première analyse se déroula de février 1910 à juillet 1914, six jours par semaine, pendant quatre ans et demi, soit durant plus de 700 heures. Quelques jours après l’attentat de Sarajevo, Freud le déclara guéri. Mais deux rechutes successives nécessiteront une autre tranche pendant l’hiver 1919-1920. Pour reprendre l’homme aux loups sur le divan, Freud, qui manquait de place, mit brutalement fin à l’analyse d’Hélène Deutsch, la renvoya, et celle-ci fit alors une dépression pour la première fois de sa vie.
Freud put heureusement guérir à nouveau son malade. Mais quelque temps plus tard, l’état psychologique de Pankejeff se retrouva pire qu’au départ. Le Professeur confia alors son patient à Ruth Mack-Brunswick, plus jeune, plus perturbée que lui et encore en analyse à ce moment avec Freud. Mack-Brunswick, après avoir constaté que l’homme aux loups avait été deux fois guéri de sa névrose, considéra qu’il était devenu psychotique et paranoïaque, ce que Freud aurait ignoré ! La troisième analyse intensive va l’en guérir en plusieurs mois, de 1926 à 1927. Mais les rechutes ne se firent pas attendre et Ruth Mack-Brunswick dut de nouveau intervenir jusqu’en 1938. Après la Seconde Guerre mondiale, plusieurs analystes vont encore se succéder sans relâche. L’un d’entre eux, Kurt Eissler, psychanalysa l’homme aux loups pendant plusieurs semaines, quotidiennement, chaque été de 1956 jusqu’à la mort du malade en 1979, et enregistra consciencieusement son témoignage.
Le brillant homme aux loups, littéralement captif, « analysant » à qui l’on interdisait la parole, et que l’on analysait gratuitement ; a faussé compagnie à ses cerbères, à quatre-vingt-sept ans, et s’est
190
confié, après six mois de laborieuses négociations, à une journaliste autrichienne, Karin Obholzer. D’où il ressort que l’homme aux loups n’a jamais été guéri.
Pauvre Homme aux loups ! Et pauvres Dora, Petit Hans, Homme aux rats, et Président Schreiber, comme tous les autres, tous plus malades après psychanalyse qu’avant. Quant à Marie Bonaparte, lisez vous-même, c’est croustillant ! La thérapie freudienne se révèle une imposture médicale : jamais personne n’a obtenu de guérison ni d’amélioration tangible et incontestable avec ce type de cure.
Non seulement la psychanalyse est sans aucune valeur, mais nous devons aussi nous réveiller et en sortir.
Le professeur Robert Wilcocks a prononcé une conférence intitulée « L’escroquerie du siècle » à Edmonton, le 13 février 2003, afin de faire partager son enthousiasme pour le livre de Bénesteau. Dans son dernier chapitre, il cite l’admirable conclusion de Frederick Crews. « [Ainsi] pas à pas, nous apprenons que Freud a été le personnage le plus surévalué de toute l’histoire des sciences et de la médecine ; celui qui a causé d’immenses dégâts par la propagation de fausses étiologies, de diagnostics erronés et de méthodes d’étude stériles ». Une fois refermé, ce livre fait partie de ceux qui continuent de travailler dans la tête du lecteur. Il ravive le paradoxe de la psychanalyse : comme thérapie, elle n’a jamais produit la moindre preuve de son efficacité, comme théorie psychique et anthropologique, elle brille par son inconsistance. Et, pourtant, elle reste au cœur de l’histoire artistique, philosophique et humaine du XXe siècle. Laissons donc tomber le Freud médecin, il est dangereux, le Freud psychologue, il fantasme, et le Freud homme de science, il bricole, sans le moindre résultat.
F. AUBRAL.
191
POSTFACE À LA JOHN TOLAND.
Les pseudodruides à la filiation initiatique mirobolante (la fameuse et inénarrable tradition primordiale) s’étant multipliés depuis quelque temps ; il nous a paru nécessaire de mettre à la disposition de tout un chacun ces quelques notes, hâtivement rédigées un soir de novembre, afin de donner à nos lecteurs envie d’en savoir plus sur le vrai druidisme. Ce travail se veut honnête, mais en aucune façon neutre. Il s’est donné pour objectif de défendre ou de réhabiliter la cluto (renommée) de cette antique religion.
Rien ne remplace la méditation personnelle y compris sur les lais obscurs ou incompréhensibles parsemant ces livres et qui ont été insérés à dessein afin de vous obliger à réfléchir pour trouver votre propre voie. Ces livres ne sont pas des dogmes à suivre aveuglément et à la lettre. Ainsi que vous le savez, il faut se méfier comme de la peste de la lettre. La lettre tue, seul l’esprit vivifie. Rien ne remplace non plus l’expérience personnelle et c’est en cheminant que l’on trouve le chemin. Ne comptez donc que sur vos propres forces pour cette quête du Graal. Ce qui compte c’est l’attitude à adopter dans la vie et non les détails du dogme. Le druidisme a moins d’importance que la druidiaction (Jean-Pierre Martin).
Ces quelques feuillets griffonnés à la va-vite ne sont néanmoins en aucune façon LES LIVRES À LIRE SUR LE SUJET, ils n’en sont qu’un pâle reflet. La seule bibliothèque druidique digne de ce nom n’est pas en effet composée de seulement 12 (ou 27) livres, mais de plusieurs centaines.
Les quelques opuscules constituant cette mini-bibliothèque ne constituent pas un approfondissement et ne sont que quelques manuels destinés aux écoliers du druidisme. Ces résumés simplifiés destinés aux cours primaires de druidisme, seront remplacés par des cours d’un niveau quelque peu supérieur, pour ceux qui voudront vraiment l’étudier de façon plus pertinente.
Cette petite bibliothèque est par conséquent un premier essai d’adaptation (destinée aux jeunes adultes) des diverses réflexions sur le savoir et la vérité druidiques, auxquelles ont abouti les premiers résultats de la nouvelle laïcité ouverte et positive, mondiale, en train de s’instaurer.
À la différence du judaïsme, du christianisme, et de l’islam, qui fourmillent littéralement, à propos de l’Être supérieur, d’anthropomorphismes puérils pris au pied de la lettre (un fondamentalisme connu sous le nom d’intégrisme dans le monde catholique) ; notre druidisme, lui, par contre, n’en utilisera que très peu, et s’en tiendra, en ce domaine, au minimum absolu.
Mais pour parler de Dieu ou Diable, nous allons bien être obligés, nous aussi, d’utiliser un langage, et donc un certain nombre de ces anthropomorphismes. Ou alors il faudrait totalement renoncer à en discuter.
Ce premier rayon de notre future bibliothèque consacrée au sujet a pour objet de montrer avec précision l’harmonieuse authenticité de la volonté et du savoir néo-druidiques. De montrer à quel point ses grandes thèses actuelles ont des racines anciennes, car la réflexion sur les Mythologies, c’est notre Bible à nous. Les adaptations de ce bref exposé, exigées par les différences de culture, d’âge, de maturité spirituelle, de situation sociale, etc. seront à faire par les druides concernés (vellèdes et autres ?)
192
À noter cependant. Important ! Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, ne sont pas (en vrac).
Une révélation divine. Une loi (toujours aussi divine). Une loi (profane ou laïque). Une loi (scientifique). Un dogme. Un Ordre ?
Ce que je cherche surtout à faire partager c’est un état d’esprit, rien de plus. Ainsi que l’a très bien dit un jour notre vieux maître :
« NOTRE CIVILISATION N’A PAS LE CHOIX : CE SERA LE CELTISME OU CE SERA LA MORT » (Pierre Lance).
Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, sont.
Du rêve. Une aventure. Un voyage. Une évasion. Un cri de révolte contre la laideur morale et matérielle de cette société. Une tentative d’atteindre à l’universel en partant du particulier. Un défi. Un obstacle fécond à surmonter. Une incitation à la réflexion. Un guide pour l’action. Une carte. Un plan. Une boussole. Une étoile polaire ou l’étoile du berger là-haut dans la montagne. Un feu la nuit dans une clairière ?
Ce que le rassembleur de ce noyau de bibliothèque, Pierre de La Crau, n’est pas.
— Un dieu.
— Un demi-dieu.
— Un quart de dieu.
— Un petit saint.
— Un philosophe (reconnu, officiel, et breveté ou patenté, comme ceux qui passent à la télévision. Sauf évidemment à prendre le terme en son sens originel, qui est celui d’amateur en quête de sagesse et de savoir).
Ce qu’il est : un homme, et rien de ce qui est humain ne lui est donc étranger. Pierre de la Crau n’a aucun pouvoir surhumain ou exceptionnel. Rien de ce qu’il a dit écrit ou fait ne saurait avoir de valeur intemporelle. Tout au plus espère-t-il que son extrême lucidité à propos de notre société et de son idéologie dominante (voir ses philosophes officiels, ses journalistes, ses masses médias et la rectitude politique de ses bien-pensants, du moins sur ce qui est tenu pour l’essentiel) ; ainsi que son non-conformisme, et son franc-parler, alliés à un solide esprit de contradiction (qui lui ont d’ailleurs valu pas mal de déboires ou d’avanies) ; pourront être utiles.
La présente petite bibliothèque pour débutant « contient la dose d’humanité exigée par l’état actuel de la civilisation » (Henri Lizeray). Elle n’est d’ailleurs qu’un rassemblement de matériau attendant l’architecte ou le maçon ad hoc.
Prochainement paraîtra toute une série de fascicules approfondissant ces éléments de base. Cette présentation différente du savoir druidique préservera néanmoins l’unité et la profonde harmonie entre ces divers exposés d’un seul et même paganisme philosophique et bien réfléchi : une spiritualité digne de notre temps, une spiritualité pour notre temps.
Cas des traductions dans une langue étrangère (espagnol, allemand, italien, polonais, etc.)
Les fautes d’orthographe de grammaire de style, ainsi que dans l’écriture des noms propres peut-être, pourront être corrigées. Toute autre amélioration du texte pourra également être apportée si nécessaire (par ajout suppression ou modification, de détails) ; Pierre de La Crau ayant toujours regretté de ne pouvoir atteindre à la perfection en ce domaine. Mais à condition de n’altérer ni trahir en rien la pensée de l’auteur de cette compilation raisonnée. Toute illustration sans légende peut être changée. De nouvelles illustrations peuvent être apportées. Mais les illustrations ayant une légende ne devront être qu’améliorées (par substitution d’une bonne photo à un mauvais croquis par exemple).
Il va de soi que le coordonnateur de cette rapide et sommaire compilation raisonnée, Pierre de La Crau, ne prétend nullement avoir inventé (ou découvert) lui-même, tout ce qui précède ; qu’il ne prétend en aucune façon que ceci est le fruit de ses recherches personnelles (sur le terrain ou en
193
bibliothèque). Ce qui précède est en effet essentiellement issu des excellents ouvrages ou sites internet référencés en bibliographie et dont la consultation directe est fortement recommandée. Nous n’insisterons jamais assez sur notre volonté de ne pas être les hommes d’un livre (du Livre), mais d’au moins douze, comme les Fénianes d’Irlande, pour d’évidentes raisons d’ouverture d’esprit, la vérité étant notre seule religion.
Encore une fois, répétons-le ; le coordonnateur de la mise par écrit de ces quelques notes hâtivement jetées sur le papier ne prétend nullement avoir passé sa vie dans la poussière des bibliothèques ; ou sur le terrain, dans la boue des fouilles archéologiques de sauvetage ; afin d’exhumer des témoignages inédits sur le passé de l’Irlande (ou du Pays de Galles ou des Indes ou de la Chine).
PIERRE DE LA CRAU NE SE VEUT DONC EN AUCUNE FAÇON L’AUTEUR DES TEXTES QUI PRÉCÈDENT.
IL N’ESSAIE NULLEMENT DE S’EN ATTRIBUER LES MÉRITES. Il n’en est que l’éditeur ou le compilateur. Il s’agit pour la plupart de documents diffusés sur internet à quelques exceptions près. IL EN REVENDIQUE PAR CONTRE TOUS LES DÉFAUTS ET TOUTES LES INSUFFISANCES. Pierre de La Crau ne revendique qu’une chose, les fautes erreurs ou imperfections diverses de ce livre. Lui seul est à blâmer dans ce cas. Mais il fait confiance à ses contemporains (la nature humaine étant ce qu’elle est) pour les lui signaler avec vigueur.
Note retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau et insérée par eux à cet endroit.
J’avoue tout de suite afin de faciliter le travail de mes juges que les hommes comme moi étaient chrétiens à Rome sous Néron, païens à Jérusalem, sorciers à Salem, hérétiques anglais, catholiques irlandais, et aujourd’hui racistes, sexistes, homophobes, islamophobes, en attendant d’être demain koufar ou de nouveau chrétien l’antéchrist le plus bestial de toutes les apocalypses, etc. Bref ainsi qu’on l’aura compris je suis pour le néant la mort la maladie la souffrance……
Par respect pour l’Humanité, afin de gagner du temps, et ne pas lui en faire perdre, je vais faciliter le travail de ceux qui tiennent absolument à être du bon côté de la barrière en combattant (héroïquement bien sûr) afin de sauver le monde de mes griffes (mes idées ou mes penchants, mes tendances).
À ces courageux et implacables détracteurs, dont la profondeur de réflexion digne d’un marquis de Vauvenargues n’a d’égale que l’ampleur de la culture générale, digne d’un Pic de la Mirandole, je dis…
Prenez une feuille de papier, de traitement de texte si vous préférez, mettez-y par ordre d’importance les 20 caractéristiques qui vous semblent les plus graves, les plus odieuses, les plus haïssables, dans l’histoire de l’Humanité, depuis les hommes préhistoriques et Nabuchodonosor, selon vous… ET DITES-VOUS BIEN QUE JE SUIS TOUT LE CONTRAIRE DE VOUS, CAR JE LES AI TOUTES !
On a toujours besoin de boucs émissaires ! Hérétique au Moyen âge, sorcière à Salem au 17siècle, raciste au 20e siècle, lézard extraterrestre au 21e, je suis l’homme que vous aimerez haïr pour vous sentir supérieur.
Je suis au choix et dans l’ordre d’importance que vous voulez : athée, sataniste, stupide, mongolien, raciste, bestial, homosexuel, pervers, communiste, nazi, menteur pathologique, voleur, suffisant, psychopathe, un monstre d’orgueil faussement modeste, et que sais-je encore, à vous de voir.
Voilà, je ne peux pas faire mieux (pour vous aider à sauver le monde).
[À la différence de mes contempteurs qui sont tous des gens bien, tout le sel de la terre, c’est-à-dire jeunes ou modernes et dynamiques, courageux, positifs, gentils, intelligents, instruits, ou du moins qui savent ; en faisant preuve de beaucoup de recul dans leur méditation en profondeur sur les tendances lourdes de l’Histoire ; et sur le plan moral ou éthique : généreux, altruistes, mais pauvres évidemment, car donnant tout aux autres ; en outre profondément respectueux de la volonté de Dieu et de la Constitution ou de l’esprit des lois.
Moi je suis un vieux réactionnaire ankylosé, conformiste, déconnecté de son temps, parano, schizophrène, incohérent, capricieux, jamais satisfait ; un vilain, bête, n’ayant fait aucune étude ou du moins ignorant tout sur le sujet en question ; mon habitude ce sont les jugements à l’emporte-pièce fondés sur des préjugés dénués de toute réflexion ; égoïste et riche ; suppôt de Satan, nazo-bolchevick ou stalino-hitlérien de nature. On disait hitléro-trotskiste quand j’étais jeune. En bref un criminel psychopathe dès le petit-déjeuner… ce qui me permet donc de penser ce que je veux, mes critiques aussi d’ailleurs, et d’essayer de le faire savoir à tout le monde voire à la cantonade].
194
Signé : le coordonnateur des travaux, Pierre de la Crau dit Hésunertus, chercheur en druidisme. Un homme à qui rien de ce qui est humain ne fut étranger. Chômeur, facteur, divorcé, sans domicile fixe, vagabond, contribuable, justiciable, électeur cocufié ? Un des huit milliards d’êtres humains ayant transité sur ce vaisseau spatial donc. Né sur la planète Terre le 13 janvier 1952.
TABLE DES MATIÈRES.
Pourquoi ce livre ?
Lucien de Samosate (120-180)
Sur la mort de Pérégrinus
Préface ou Hercule
Note sur la géographie antique
Lucien et son temps
Celse
Logos Alèthès ou discours vrai
Pour comparaison
Vie et mort de Jésus d’après Celse
Porphyre de Tyr (232-305)
Le Kata christianon ou Contre les chrétiens
Hiéroclès : discours amis de la vérité
L’Empereur Julien dit « l’Apostat »
Conséquence de la disparition de Julien
Le Contre les Galiléens de l’Empereur Julien
Réflexions sur le fait que certains ouvrages de l’Antiquité
ne sont pas parvenus jusqu’à nous
Rappel Thomas Aikenhead
Rappel Chevalier de La Barre
Rappel John Toland (1670-1722)
Œuvres majeures
Histoire critique de la religion celtique et druidique
Le christianisme sans mystère par John Toland
ANNEXES.
Le christianisme dévoilé par le baron d’Holbach.
La religion naturelle par Diderot (1746)
3) Ésotérisme et escroquerie intellectuelle
4) Mythologie grecque
5) Autre point de vue sur l’Atlantide
6) L’imposture de la Tradition primordiale
7) Rappel sur la véritable Tradition primordiale
8) Courrier des lecteurs
Postface à la John Toland
Page 003
Page 006
Page 009
Page 011
Page 012
Page 021
Page 025
Page 027
Page 057
Page 059
Page 074
Page 076
Page 110
Page 111
Page 113
Page 118
Page 124
Page 127
Page 128
Page 129
Page 133
Page 136
Page 139
Page 169
Page 172
Page 178
Page 179
Page 181
Page 182
Page 185
Page 188
Page 191
DU MÊME AUTEUR.
195
1. Citations des auteurs antiques parlant des Celtes ou des druides.
2. Généralités liminaires diverses sur les Celtes.
3. Histoire du pacte avec les dieux tome 1.
4. La Bible du druidisme : histoire du pacte avec les dieux tome 2.
5. Histoire du pacte avec les dieux tome 3.
6. Histoire de la paix avec les dieux tome 4.
7. Histoire de la paix avec les dieux tome 5.
8. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande science qui illumine » tome 1.
9. Textes apocryphes irlandais.
10. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande science qui illumine » tome 2.
11. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande Science qui illumine » tome 3.
12. Les cent voies du paganisme. Science et philosophie tome 1 (mythologie druidique).
13. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 2 (mythologie druidique).
14. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 3 (mythologie druidique).
15. Le grand Camminus : éléments de théologie druidique tome 1.
16. Le grand catéchisme : éléments de théologie druidique tome 2.
17. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 1.
18. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 2.
19. Mystagogie ou théâtre sacré des Celtes antiques.
20. Poèmes celtes.
21. Le génie du paganisme celte tome 1.
22. Le complexe de Roland.
23. Au pied de la lanterne des morts.
24. Les secrets du vieux druide de la forêt ménapienne.
25. Le génie du paganisme celte tome 2 (liberté réciprocité simplicité).
26. Rhétorique : la trahison des clercs).
27. Petit dictionnaire de théologie druidique tome 1.
28. Des philosophes antiques au druide irlandais.
29. Judaïsme christianisme et islam : première partie.
30. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 1.
31. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome2.
32. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 3.
33. Troisième partie tome 1 : Qu’est-ce que l’Islam ? Bref historique de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
34. Troisième partie tome 2 : Qu’est-ce que l’Islam ? Premières approches de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
35. Troisième partie tome 3 : Qu’est-ce que l’Islam ? Les 5 vrais piliers de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
36. Troisième partie tome 4 : Qu’est-ce que l’Islam ? Coups de sonde dans l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
37. Couiro anmenion ou Petit dictionnaire de théologie druidique tome 2.
196