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LE GÉNIE DU PAGANISME CELTE.
Tome 2
LA VIE DANS LA CITÉ
(DANS LA TRIBU-ÉTAT, DANS LE PAGUS).
LIBERTÉ, RÉCIPROCITÉ, SIMPLICITÉ.
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REGAIN, RÉSURGENCE ET RENAISSANCE, OUI !
RÉSURRECTION À l’IDENTIQUE, NON !
« C’est en suivant le cheminant que l’on trouve le chemin ».
La comparaison est un processus mental fondamental : regrouper certains faits dans des catégories communes, mais aussi observer les différences. De tels liens et relations sont à la base de la pensée et de la science. Sans cela il n'y a que des faits isolés sans liens entre eux. C’est donc sur la base de la comparaison que naissent les généralisations, les interprétations et les théories. La comparaison crée de nouvelles façons de voir et d’organiser le monde.
Le comparatisme religieux est donc vieux comme le monde. Hérodote en faisait déjà. En ce qui concerne les religions antiques, cette démarche intellectuelle a produit de nombreux ouvrages rangés dans les rayonnages « mythologie comparée » depuis Max Muller (1823-1900).
En ce qui concerne les religions il en va tout autrement.
Chaque religion s’est bien entendu comparée à celles avec lesquelles elle était en concurrence, mais d’abord pour les dénigrer ou affirmer sa supériorité.
Les premiers éléments d’un début de comparatisme religieux plus objectif se trouvent actuellement éparpillés sous l’étiquette « dialogue religieux » et proviennent généralement des religions se définissant elles-mêmes comme monothéistes vu leur extension de par le monde. Le tout dans un but apologétique ou missionnaire évidemment. D’où problème.
Nous trouvons également des réflexions utiles dans les cercles relevant plus ou moins de l’athéisme, mais elles sont...
-Soit détaillées, mais focalisées sur une religion particulière.
-Soit plus générales, mais assez sommaires.
Et relèvent d’ailleurs aussi le plus souvent de l’histoire des religions, mais le tout dans une optique non croyante.
De grands noms jalonnent cette histoire depuis William Robertson Smith (religion des Sémites) jusqu’à Mircea Eliade en passant par Émile Durkheim.
D’autres auteurs ont ouvert de nombreuses pistes en ce domaine.
Notre idée est D’EN PROLONGER UN CERTAIN NOMBRE EN ALLANT ENCORE PLUS LOIN DANS CE COMPARATISME RELIGIEUX (élargissement du champ des recherches anthropologiques, approfondissement des soubassements psychologiques, fin des survalorisations, décolonisation, antiracisme nouvelles hypothèses….) ET EN REPRENANT LE FIL INTERROMPU DE LEUR PASSIONNANTE QUÊTE DU GRAAL INACHEVÉE CAR l’ancien druidisme est un peu comme le célèbre conte du Graal de Perceval et de Gauvain.
C’est une histoire inachevée, qui s’interrompt brutalement après les 9000 premiers vers. Notre projet est d’en écrire la suite. Une continuation disait-on à l’époque. Ces petits cahiers destinés aux futurs très-sachants, se veulent à la fois une continuation et une mise en garde. Une continuation ou un ultime prolongement, car ils ont été composés à la manière des théologiens (chrétiens, bouddhistes, hindouistes, musulmans, etc.) du moins dans ce qu’ils avaient, tous, de meilleur (des éléments souvent d’origine païenne en fait). Une des fonctions de l’imitation a toujours été, en effet, dans les littératures orales populaires, de répondre à l’attente du public, frustré par l’interruption de la création originelle [en l’occurrence la philosophie druidique]. À cette attente a répondu au Moyen-âge, la technique narrative cyclique de la poésie épique des chansons de geste ou celle des Romans de la Table ronde.
La voie du pastiche est celle qui consiste à enrichir l’original en le complétant par des touches successives, en développant des détails à peine esquissés, ou en interprétant ses ombres. Et ça, la pensée de nos ancêtres en avait bien besoin !
Mais cette compilation raisonnée, due à la plume de Pierre de La Crau, est aussi en un sens une mise en garde, car il ne fut jamais question, néanmoins, pour le maître d’œuvre de ce travail collectif, d’avaliser tel quel et sans réserve aucune, l’ensemble de ces doctrines. Il a au contraire souhaité, par toutes sortes de moyens littéraires (retournement des arguments, contre-pieds, ou autres…) en faire ressortir les aspects souvent négatifs, néfastes, aliénants ou obscurantistes ; et si ce texte peut sembler parfois, rendre indirectement hommage à la capacité de réflexion des diverses Écoles théologiques actuelles, chrétiennes, musulmanes, juives, ou autres, c’est involontairement ; car son but est bien de tout faire, pour leur arracher, des mains, le monopole du discours sur le divin (voir à ce sujet les propos d’Albert Bayet), quitte à achever de les discréditer définitivement aux yeux du public. Sauf en ce qui concerne ce qu’elles ont emprunté de mieux au paganisme, évidemment, et qui est
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énorme ; car dans ce dernier cas, il s’agit, rappelons-le encore une fois, de la part du maître d’œuvre de cette compilation, d’une réadaptation à notre monde, des réflexions de ces apprentis théologiens (le dieu des philosophes, l’Ahoura Mazda, l’immortalité de l’âme, les hommes-dieux, les fils de dieu, le messie Saoshyant, la trinité, le taouaf, les sacrifices, la vie après la mort, sans compter les chérubins le paradis, etc.)
En d’autres termes non pas de l’Histoire, mais une fiction historique, d’après les œuvres de… voir la bibliographie à la fin. En ce sens, notre « imitation » n’est qu’un retour aux sources. En bref un hommage.
« Le Druidisme » est une revue indépendante (indépendante de toute association religieuse ou politique) et qui n’a qu’un seul but : la recherche théorique ou fondamentale en matière de néopaganisme. La double question à laquelle essaie de répondre cette revue d’études théoriques pourrait se résumer ainsi :
« Que pourrait être ou que devrait être, un néo-druidisme actuel, moderne et contemporain ? »
Le « Druidisme » est une revue néopaïenne, strictement néopaïenne, héritière de tous les mouvements authentiques (c’est-à-dire non chrétiens) qui se sont succédé depuis deux mille ans, l’héritière indirecte, mais l’héritière, quand même !
À propos de notre tradition de référence ou de notre filiation intellectuelle soulignons que si les « poètes » du royaume de Domnall mac Muirchertach Ua Néill avaient toujours les imbas forosnai, les teimn laegda ainsi que les dichetal do chennaib 1) à leur répertoire (cf. la conclusion de l’histoire du pillage du château de Maelmilscothach, d’Urard Mac Coisé, un poète mort au XIe siècle), ils étaient peut-être déjà chrétiens quand même depuis plusieurs générations. Il est vrai que ces pratiques (imbas forosnai, teimn….) étaient formellement interdites par l’Église, mais qui sait, il y a eu peut-être des accommodements analogues à ceux des astrologues ou alchimistes du Moyen Âge.
Quoi qu’il en soit notre « Druidisme » est aussi une volonté, la volonté de se rapprocher, au maximum, du druidisme antique, tel qu’il fut (scientifiquement parlant). La volonté aussi néanmoins de moderniser ce druidisme, un retour total au druidisme antique étant exclu (il serait de toute façon impossible).
Exemples de modernisation de ce druidisme païen.
— Abandon aux associations laïques du côté culturel (médecine, poésie, mathématique, etc.). Principe de séparation de l’Église et de l’État.
— Spécialisation par contre dans la spiritualité celtique, ou païenne en général, l’histoire de la religion, la philosophie et la métapsychique (dite aujourd’hui parapsychologie).
— Utilisation dans certains cas du vocabulaire actuel (Église, religion, baptême, et ainsi de suite).
Un juste milieu est évidemment à trouver entre un retour total au druidisme antique (fondamentalisme ou intégrisme) et une modernisation radicale trop révolutionnaire (plus de saie).
L’AAP (athée agnostique panthéiste) celte ayant accepté de cosigner cette petite bibliothèque *, dont il n’est que le rassembleur, le druide Hesunertus (Pierre de La Crau), ne se considère pas comme l’auteur de cet ouvrage collectif. Mais comme le simple porte-parole de l’équipe l’ayant composé. Pour ce qui est des autres sources de cet essai sur le druidisme, voir les remerciements de la bibliographie.
* Ce petit camminus est néanmoins important aussi pour les jeunes… de 7 à 77 ans ! Mantalon siron esi.
1) Do ratath tra do Mael Milscothach iartain cech ni dobrethaigsid suide sin etir ecnaide 7 fileda 7 brithemna la taeb ogaisic a crech 7 is amlaidsin ro ordaigset do tabairt a cach ollamain ina einech 7 ina sa[ru]gad acht cotissad de imus forosnad [di]chetal do chollaib cend 7 tenm laida .i. comenclainn fri rig Temrach do acht co ti de intreide sin FINIT.
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COMMENT BÂTIR UN HOMME NOUVEAU AVEC LE MEILLEUR DE L'ANCIEN ?
PREMIÈRE PARTIE.
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LES SOURCES.
Les judéo-chrétiens et les athées ont beaucoup glosé sur le caractère profondément immoral ou amoral du paganisme druidique. Les spécialistes de l’étude des religions comme le judaïsme l’Hindouisme le christianisme le zoroastrisme ou l’islam….ont déduit que ses dieux ou déesses étaient ambivalents, à la fois anges et démons. En tout cas au-delà du manichéisme simpliste et bébête opposant le bien et le mal.
Il n’en demeure pas moins que nous avons au moins en ce domaine un exemple de dieu druidique plus sensible aux intentions ainsi qu’aux gestes, qu’à la valeur marchande de leurs sacrifices ou de leurs offrandes, des fidèles de son culte, c’est le dieu Grannos du temple de Grand (Germanie supérieure, ou Belgique, pour les Romains).
Selon Dion Cassius en effet (livre LXXVIII chapitre XV) parlant de l’empereur romain Caracalla
« Ce qui montra clairement qu’ils prenaient en considération, non pas ses offrandes ou ses sacrifices, mais seulement ses pensées ainsi que ses actions. Il ne reçut aucune aide d’Apollon Grannus, ni d’Esculape, ni de Sérapis, en dépit de ses supplications et de son inusable insistance. Car, même étant à l’étranger, il leur adressait des prières, des sacrifices et des offrandes votives, et de nombreux émissaires couraient un peu partout chaque jour pour leur faire parvenir des présents ; il alla même les voir lui-même, dans l’espoir de les faire fléchir en apparaissant personnellement, et fit tout ce que les dévots ont l’habitude de faire ; mais il n’obtint jamais rien qui contribua vraiment à lui rendre la santé ».
La première de nos sources est en effet à chercher dans les textes de l’Antiquité classique gréco-romaine.
Un certain nombre de textes de l’Antiquité, ou du Moyen-âge, irlandais, nous ont en effet conservé de précieux témoignages sur l’état d’esprit des élites celtiques. Outre les gessa, le druidisme comporte aussi des conseils. Les gessa sont destinées à interdire ce qui est incompatible avec l’éthique druidique, les conseils eux sont simplement destinés à en favoriser la pratique. Il s’agit de la littérature des tecosca, tegas flatha, ou teagasc na riogh, d’Irlande, autrement dit en quelque sorte, les magga ariyattangika du druidisme. Les conseils ou les préceptes destinés aux grands, ou moins grands. Il a été trouvé un équivalent continental de ces textes à Lezoux en 1970.
Il s’agit d’une sorte de lettre, mais dans ce cas écrite sur un fond d’assiette (la tuile de Chateaubleau portait bien un contrat de mariage ou une proposition de mariage).
MAXIMES DE LEZOUX.
NE REGU NAI…
GANDOBE INTE NOVIIO…
EXTINCTON PAPI CORIIOSED EXA O…
MESAMOBI MOLATUS CERTIOGNU SVETI CON…
PAPE BOUDI MACARNI PAPON MAR…
NANE DEVORBUETID LONCATE…
MU GNATE NE DAMA GUSSOU N…
VERO NE CURRI NE PAPI COS…
PAPE AMBITO PAPI BOUDI NE TETU…
BATORON VEIA SUEBRETO SU…
CITBIO LEDGAMO BERTO.
Ces conseils indiquent donc des voies précises, mais sont à pratiquer suivant la vocation de chacun. Les druides n’exigent pas de chacun la stricte observation de tous ces préceptes, mais seulement de ceux qui conviennent, en fonction du moment, des occasions, et des forces (le mal n’est pas la transgression éthique d’un commandement divin, comme dans la Genèse, mais une condition de l’être, ontologique).
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Note de la rédaction. Les vrais druides guérissent et perfectionnent, ils redressent et purifient, ils ne détruisent pas. Leur but n’est pas la suppression de la vie même. Ce qu’enseignent les druides, c’est que l’épreuve peut constituer un chemin menant au bonheur dans l’autre monde… plus court que les autres. Le druidisme ne supprime pas la souffrance, il l’ennoblit, il la rend féconde, il en fait l’instrument de tout progrès voire le gage de notre grandeur future ; car c’est aussi par le sacrifice que l’on peut sauver ou être sauvé. Mais la valeur de la souffrance dépend évidemment de l’usage que l’on en fait, des vertus dont elle est l’occasion : humilité, détachement de soi, etc. ; autrement elle aigrit. C’est pourquoi nul n’a le droit de se désintéresser des maux d’autrui. L’hospitalité par exemple est un devoir de tout homme bien né. Ce sont là naturellement, comme dans le cas du hésus Cuchulainn, des gessa de niveau kission. Comme toutes celles qui concernent les rois ou les grands seigneurs appelés à mourir héroïquement sur un champ de bataille un jour ou l’autre, sans faire de vieux os ; et à ainsi accéder directement à l’autre monde parallèle, mais de nature paradisiaque, réservée aux guerriers. Nos ancêtres étaient vraiment très exigeants, c’est le moins que l’on puisse dire, en ce qui concerne les princes qui les gouvernaient. Pas étonnant qu’il y ait eu beaucoup de rois renversés !
En réalité nous ne manquons pas de documents pour nous faire une assez bonne idée de l’éthique druidique antique. Et tout d’abord le Droit. Il va de soi que le Droit ce n’est ni l’éthique ni la morale, mais qu’il a quand même un certain rapport avec. Les druides étaient des juristes dans l’âme et l’on attendait beaucoup d’eux. L’importance de la jurisprudence dans la société celtique est d’ailleurs soulignée par l’adage suivant : les quatre morts (ou causes de nullité) d’un jugement sont : la fausseté, l’absence de sanction matérielle (saisie), l’absence de précédent, et l’ignorance. Deux des triades irlandaises [Meyer, 1906] évoquent d’ailleurs aussi ce problème. Les trois causes de la ruine d’une tribu : un chef menteur, un juge faux, un prêtre lubrique. Variante. Trois sortes de mensonges ruinent une tribu : le mensonge d’un roi, d’un historien, d’un juge.
Les trois portes ouvertes au mensonge : plaider avec colère, des connaissances insuffisantes, des informations oubliées (bref l’ignorance toujours).
En échange de ses services, l’arbitre (le brithem ou brehon) recevait un montant équivalant à un douzième de la somme concernée. Il était rendu par contre responsable de ses décisions de manière très concrète. Il devait verser un nantissement ou une caution d’une valeur de cinq onces d’argent à l’appui de son jugement. S’il ne parvenait pas à une décision, il devait payer une amende équivalant à huit onces d’argent. En outre, et selon le dicton « à chaque juge, son erreur », l’arbitre devait payer une amende en cas de jugement inapproprié.
D’après certains des textes anciens que nous avons pu consulter, la décision injuste d’un arbitre prise en écoutant uniquement une des parties, pouvait entraîner des catastrophes naturelles ; du genre mauvaises récoltes de blé ou de fruits, production de lait en baisse, des maladies et des sinistres.
On est là aux antipodes de la situation prévalant dans certains vieux pays de tradition judéo-chrétienne (comme la France par exemple) où les juges sont irresponsables ; quelles que soient les erreurs d’appréciation qu’ils commettent au début d’une procédure (par exemple dans certains divorces ou dans certaines affaires de légitime défense d’autrui, suite à forfaiture et partialité des enquêteurs il est vrai) ; et où ils sont capables (en France du moins) d’expulser du domicile conjugal un mari auquel on n’a pas grand-chose à reprocher, pour y installer l’amant à sa place, ou de condamner un père ne voulant qu’intervenir pour éviter à son fils d’être publiquement humilié.
L’Irlande a eu en effet la bonne idée, après que le christianisme eut imposé sa loi, de donner un nom spécifique à ce nouveau droit qui se surajoutait, en l’annulant parfois, au bon sens régissant jusque-ici les relations entre les individus. Ce fut le recht litre ou droit écrit. Recht aicnid fut alors le nom donné a contrario à ce que les Irlandais n’avaient pas eu l’idée de désigner d’un nom spécial jusque-là, tellement cela leur semblait évident ou naturel.
Avec parfois d’étranges tête à queue dont deux exemples ci-dessous, extraits du Pseudo (pseudo évidement car depuis Ponce Pilate les chrétiens sont fâchés avec la vérité) Prologue…. rajouté à une date inconnue au Senchus Mor.
L’édition de référence malgré sa mauvaise qualité intrinsèque sera celle du recueil des anciennes lois irlandaises publié en 1865 à Dublin par la Commission ad hoc sous l’appellation « ANCIENNES LOIS ET INSTITUTIONS D’IRLANDE ». Tome 1. Quant aux traductions… que signifie exactement cutruma par exemple ?
Page 40 : Ar robui in bith hi cutruma conid tainic Senchas Mar…….
L’égalité était la règle avant l’établissement du Senchus Mor…Avant le Senchus tous étaient égaux devant la Loi ?
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Page 8 : Intud i ngeindtleacht gnim olc mad indechur : il y a renforcement du paganisme si une mauvaise action est vengée.
Etc. Etc...Arrêtons le massacre !
La seconde de nos sources sera donc malgré cette piètre qualité des traductions la tradition juridique irlandaise du recht aicnid. Le rectu adgenias (recht aicnid en Irlande) ce sont les lois de bases de tout groupe humain qui se respecte. La meilleure des définitions nous en a été donnée par Edmond Burke, dans ses réflexions sur la Révolution : « La science de la jurisprudence qui est la fierté de l’intelligence humaine est la raison recueillie au cours des âges. Elle combine les principes de la Justice primitive avec la variété infinie des intérêts humains ». (Edmond Burke. Réflexions sur la Révolution.1790).
Les textes juridiques irlandais, souvent appelés lois des brehons — brehon étant la forme anglicisée de l’irlandais brithem qui signifie juriste — ; sont les documents les plus complets concernant ce recht aicnid, qui nous soient parvenus. Ils furent mis par écrit par les moines chrétiens. Les plus anciens datent probablement de la fin du VIe et du début du VIIe siècle, et furent partiellement influencés par la mentalité chrétienne. Ils semblent bien néanmoins refléter assez précisément les « vieilles » lois préchrétiennes en maints domaines, et les fondements de la procédure légale sont sans aucun doute autochtones. La coutume des brehons resta en usage jusqu’au XVIIe siècle dans certaines régions d’Irlande.
Ces textes juridiques, dont le plus gros a été édité par D. A. Binchy (Corpus Juris Hibernici), bien que parfois très influencés par des motifs chrétiens ; nous conservent peut-être le plus complet des textes légaux extérieurs au Droit romain, qui nous soient parvenus. La majeure partie de ces textes juridiques est consignée dans Senchus Mor ou Grande Antiquité. Ils nous offrent une bonne idée de ce à quoi ressemblait le rectu adgenias ou recht aicnid : le droit d’avant la conquête, par les Romains, de la plupart des pays d’Europe. « Le droit que possède, par nature, et par élection, un individu donné, d’être traité sur un certain pied par ses semblables, et la légitimité de ses prétentions à un certain type de redressement des atteintes portées à son honneur ; c’est-à-dire au sentiment qu’il a de participer, lui aussi au sacré, à l’ordre sacré instauré, mais aussi garanti par les Puissances supérieures ».
Ainsi que l’a très bien noté Régis Boyer, tout crime ou délit « est donc une atteinte au caractère sacré — nemet N.D.L.R. — de l’individu offensé, à sa famille, sans laquelle il n’existerait pas, et à la communauté dans laquelle il s’inscrit. Atteinte qu’il faudra compenser. Mais la peine de mort n’existait que dans des cas extrêmes, puisque la disparition de l’offenseur ne résout jamais rien. On ne « répare » pas le sacré (nemet) en supprimant celui qui l’a violé, on le restaure en comblant la solution de continuité ». Toute mauvaise action vengée constitue un renforcement du paganisme (saint Patrice. Senchus Mor. I, p. 9).
Les dieux sont toujours du côté de ceux à qui l’on a fait du tort (Boadicée. Reine des Iceni. An 61 de notre ère, d’après Dion Cassius LXII, 11).
La notion de recht aicnid renvoie donc en définitive au caractère « nemet » de la personne humaine. « Tout est prévu pour protéger la dignité de l’individu, à travers lui l’honneur de sa famille, et donc l’intégrité de la famille à laquelle il appartient » (Régis Boyer).
En plus de ces sources premières, qui nous offrent de vrais textes juridiques, nous en possédons d’autres qui peuvent nous instruire sur l’usage réel, et qui nous permettent de dépeindre l’aspect probable du droit celtique.
Les sources historiques sur l’Irlande nous rapportent par exemple comment les lois étaient réellement appliquées. Il y a aussi les anciennes sources historiques qui parfois nous montrent furtivement des « coutumes » qui pourront s’expliquer par des prescriptions légales ultérieures.
Les contes irlandais nous parlent également, même si ce n’est pas souvent le cas, des procédés juridiques. Ils peuvent nous dire comment les lois étaient réellement exécutées (contrairement aux textes juridiques eux-mêmes qui nous disent seulement comment les lois devraient être appliquées).
La troisième source en matière d’éthique druidique nous est fournie par deux prophéties de nature quelque peu apocalyptique.
C’est sur l’existence du pacte avec les dieu-ou-démons, conclu après la bataille pour la Talantio (symbolisée par la déesse-ou-démone, ou fée, Rosemartha, sur le Continent) guerre dite aussi 3e bataille de la Plaine des menhirs ou des tertres ; que repose ce caractère « nemet » de toute personne humaine (son inviolabilité sacrée selon Régis Boyer). Ce pacte avec les dieu-ou-démons est
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la condition sine qua non qui rend tout gdonios ou être humain « nemet », autrement dit « vivant dans la paix avec les dieu-ou-démons ».
Une autre des sources d’information pouvant nous renseigner sur l’éthique celtique est constituée par ce qui nous reste des élégies celtiques auxquelles on peut assimiler les marounades galloises, et notamment celles d’Irlande, souvent insérées dans nos textes de base sous l’appellation de « Rhétorique ».
Le plus beau de ces poèmes est sans conteste l’élégie composée suite à la mort du grand prince gallois Llewelyn (tué le 10 décembre 1282) et due à la plume de Gruffudd ab Yr Ynad Coch.
Autres marounades ou élégies célèbres. Celle du roi de Gwynedd , Gruffydd ap Cynan mort en 1137 et due à la plume de Meilyr Brydydd.
Celle du prince de Powys Madog ap Maredudd, mort en 1160 et due à la plume de Cynddelw Brydydd Mawr.
Oh certes il s’agit d’oraisons funèbres et bien entendu il va de soi que le défunt était sans doute loin d’avoir toutes les qualités dont on le pare en ces circonstances, mais il n’en demeure pas moins qu’il devait avoir des traits physiques ou de caractère reconnus en principe comme positifs, appréciables et enviables, par l’auditoire.
Avant avant-dernière de nos sources enfin, la druidiactio ou les hadiths druidiques.
C’est-à-dire la réflexion sur l’attitude ou les réactions qu’ont eues certains druides antiques historiques ou mythiques. Ce qu’ils ont dit et fait, ainsi que la façon dont ils l’ont fait.
Et là nous ne pensons pas à des druides historiques comme l’Héduen Diviciacos, mais à au druide Marban frère du roi du Connaught appelé Guaire (VIIe siècle) dans le récit irlandais intitulé « la lourde compagnie de Guaire» (Tromdamh Guaire).
La générosité de son frère a attiré dans son château le barde Senchan Torpeist, accompagné de nombreux autres bardes. Mais Guaire n'en peut plus d'entretenir cette « lourde compagnie ». Marban imagine alors un stratagème, pour le débarrasser de tous ces bardes. Il leur demande de raconter l'histoire de la razzia des vaches de Cooley. Mais ces derniers l'ignorant (ou n'en connaissant plus que des bribes, selon les versions), ils sont alors obligés de partir (à la recherche de l'histoire complète).
En théologie islamique cela correspondrait aux hadiths. En droit celtique à ce qu’on qualifierait de jurisprudence. Une parabole dans les évangiles.
Avant-dernière de nos sources, MAIS POUR CE QUI EST DE LA MORALE DE RESPONSABLES DE GROUPES GENRE FAMILLE CLAN TRIBU ETAT. Il faut en effet soigneusement distinguer la morale des individus disposant de leurs corps ou de leurs ressources propres comme ils l’entendent ; de la morale des responsables.
Et pas de malentendu à ce sujet d’ailleurs, ce que les druides d’aujourd’hui révoquent ou récusent c’est l’éthique de conviction de Kant, c’est-à-dire celle qui doit être suivie, quelles qu’en soient les conséquences. Cette éthique de conviction, kantienne, que Weber a sous les yeux, est évidemment insoutenable. Qui ne mentirait pas à un criminel pour sauver un innocent ? Qui ne volerait pas du pain pour nourrir ses enfants ? L’éthique de conviction apparaît comme une construction rationnelle, dont on voit bientôt qu’elle n’est pas raisonnable. Et c’est pourquoi Weber lui oppose, non pas radicalement, mais comme son correctif, une éthique de la responsabilité. L’option pour une telle éthique procède d’un constat assez simple : nos actes ne peuvent pas avoir des conséquences exclusivement bonnes. Il n’existe aucune éthique au monde, continue Weber, qui puisse négliger ceci : pour atteindre des fins « bonnes », nous sommes la plupart du temps obligés de compter avec, d’une part des moyens moralement malhonnêtes ou pour le moins dangereux, et d’autre part la possibilité ou encore l’éventualité de conséquences fâcheuses. L’éthique de conviction a cet inconvénient qu’elle nous montre la vie morale comme la nécessité de respecter toutes sortes d’obligations. Des devoirs, dictés par la raison, mais aussi par la religion, par l’État, par les différents groupes auxquels nous appartenons. Et ces devoirs entrent en conflit. Du point de vue de l’éthique de conviction, l’éthique de responsabilité est une sorte de trahison. Mais du point de vue de Weber, c’est simplement du réalisme, un refus de s’en tenir à un idéalisme moral qui, finalement, évacue le réel au nom de l’idée, ce qui est le propre de toute idéologie.
Nous en arrivons ainsi au problème décisif. Il est indispensable que nous nous rendions clairement compte du fait suivant : toute activité orientée selon l’éthique peut être subordonnée à deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées. Elle peut s’orienter selon l’éthique de la responsabilité [verantwortungsethisch] ou selon l’éthique de la conviction [gesinnungsethisch]. Cela ne veut pas dire que l’éthique de conviction est identique à l’absence de responsabilité et l’éthique de
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responsabilité à l’absence de conviction. Toutefois il y a une opposition abyssale entre l’attitude de celui qui agit selon les maximes de l’éthique de conviction - dans un langage religieux nous dirions : « Le chrétien fait son devoir et en ce qui concerne le résultat de l’action il s’en remet à Dieu » -, et l’attitude de celui qui agit selon l’éthique de responsabilité qui dit : « Nous devons répondre des conséquences prévisibles de nos actes. » Vous perdrez votre temps à exposer, de la façon la plus persuasive possible, à un européiste un droitdel’hommiste ou un antiraciste adepte de la seule éthique de conviction, que son action n’ait d’autre effet que celui d’accroître le recul de la démocratie ou d’asservir davantage les femmes, il ne vous croira pas. Lorsque les conséquences d’un acte fait par pure conviction sont fâcheuses, le partisan de cette éthique n’attribuera pas la responsabilité à l’agent, mais au monde, à la sottise des hommes à l’intervention du Diable ou encore à la volonté de Dieu qui a créé les hommes ainsi. Le partisan de l’éthique de conviction tempérée par un zeste d’éthique de responsabilité comptera aussi avec les défaillances communes de l’homme (car, comme le disait fort justement Fichte, on n’a pas le droit de présupposer la bonté et la perfection de l’homme : kein Recht, ihre Güte und Vollkommenheit vorauszusetzen). Le partisan de la seule éthique de conviction ne se sentira « responsable » que de la nécessité de veiller sur la flamme de la pure doctrine afin qu’elle ne s’éteigne pas, par exemple sur la flamme qui anime la protestation contre l’injustice sociale. Ses actes qui ne doivent avoir qu’une valeur exemplaire, mais qui, considérés du point de vue du but éventuel, sont totalement irrationnels ne peuvent avoir que cette seule fin : ranimer perpétuellement la flamme de sa conviction. Les païens eux estimeront ne pas pouvoir se décharger aussi facilement sur les autres des conséquences de leur propre action pour autant qu’ils auront pu les prévoir et reconnaîtront donc que ces conséquences sont également imputables à leur propre action. Ils ne disposent pas de la bien pratique invention de la confession pour recommencer à zéro indéfiniment.
NB. Nous ne sommes guère convaincus par la mention de Fichte, mais nous reconnaissons bien volontiers avec Yuval Noah Harari que depuis ce qu’il appelle la révolution cognitive l’homme est le seul primate à croire en des choses qui n’existent pas.
« Les légendes, les mythes, les dieux et les religions sont apparus pour la première fois avec la révolution cognitive. Auparavant, de nombreux animaux et espèces humaines pouvaient dire Attention ! Un lion ! Grâce à la révolution cognitive (qui a eu lieu il y a environ 70 000 ans), l'Homo sapiens a acquis la capacité de dire : "Le lion est l'esprit tutélaire de notre tribu". On conviendra sans peine que seul l'Homo sapiens peut parler de choses qui n'existent pas vraiment et croire à six choses impossibles dès avant son petit déjeuner *. Par contre vous ne pourrez jamais convaincre un singe de vous donner une banane en lui promettant des bananes illimitées après sa mort au paradis des singes » (Sapiens – Une brève histoire de l’Humanité par Yuval Noah Harari).
* À l’occasion de sa prière quotidienne.
Les Miroirs du prince sont un genre littéraire apparu au Moyen-âge.
Écrits par des conseillers (souvent des théologiens) à l'intention des souverains, ils existaient déjà durant l'Antiquité sous une forme différente, mais se développèrent véritablement au VIIIe siècle. Les Miroirs des princes constituent une sorte de manuel composé de conseils et de préceptes moraux destinés à montrer au souverain la voie à suivre pour régner selon la volonté de Dieu. Comme leur nom l'indique, ces traités font figure de miroirs renvoyant l'image, la description du roi parfait.
En Europe, le premier véritable « Miroir des princes » de l'époque carolingienne fut la Via regia écrite par Smaragde de de Saint-Mihiel aux alentours de l'année 813, et dont le destinataire semble être Louis le Pieux, alors qu'il n'était pas encore empereur. Le texte de Smaragde est empreint d'une forte valeur morale que l'auteur lie étroitement au domaine politique et à la personne du roi. Il convient de citer également le De regis persona et regio ministerio d'Hincmar de Reims, rédigé en 873, qui adopte une vision de la fonction des évêques qui est bien distincte de l'autorité royale. Dans cette optique, les Miroirs des princes touchent également aux rapports des pouvoirs, le pouvoir temporel et le pouvoir sacerdotal, et leur position vis-à-vis de Dieu.
En Irlande nous avons…
L’audacht Morainn ou testament de Morann, écrit vers l’an 700.
Les Tecosca Cormaic ou instructions du roi Comac.
Les Bríatharthecosc Con Culainn destiné à Lugaid Reodderg et que l’on trouve dans la Serglige Con Culainn.
Les Briathra Flainn Fina Maic Ossu ou maximes de Flann Fina…
Et quelques autres.
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L’intérêt de cette littérature est qu’elle traite non plus de la morale individuelle, mais de la morale des responsables. Les hommes de ce temps en effet n’avaient pas attendu Max Weber (1864-1920) pour comprendre qu’un responsable, que celui qui est plus ou moins en charge d’autrui, ne saurait appliquer bêtement une morale simpliste et donc forcément hypocrite à la fois, du type les 10 Commandements. Les hommes de ce temps n’avaient donc pas attendu Max Weber pour comprendre qu’il y a lieu de distinguer morale de conviction et morale de responsabilité.
Et quant à la mise en scène biblique ou hollywoodienne des pseudorévélations faites à Moïse (en réalité un travail intellectuel postérieur, datant probablement du règne du roi Josias, c’est-à-dire du 7e siècle avant notre ère, soit 6 siècles après la vie et la mort du personnage de fiction appelé Moïse) nous y reviendrons. En attendant pour plus de détails sur cette imposture historique millénaire, voir notre cahier de notes numéro 29.
Notre ultime source d’inspiration enfin, sera constituée par les différents récits eschatologiques, dans la mesure où, a contrario, ils évoquent toutes les fautes à ne pas commettre.
Que le lecteur nous autorise néanmoins, sur certains points, à prendre nos distances par rapport à l’ancien druidisme ; ou à faire preuve en certains domaines, d’une exigence supérieure à celle dudit ancien druidisme ; afin de nous libérer du formalisme le plus étroit. La lettre tue, seul l’esprit vivifie !
Il faut mettre en pratique les principes de justice non seulement à titre personnel, mais aussi à l’échelle de la communauté, dans les comportements sociaux. Les vrais fils de roi, les vrais Celtes [d’esprit], ont le devoir de rappeler le bien par la parole et même en recourant à une certaine contrainte étatique si nécessaire ; mais sans jamais verser le sang si possible, et toujours sans violence inutile, en se limitant aux seules violences vraiment indispensables à l’exécution de ces actions. cf. l’al-amr bi’l-ma’rouf des moutazilites musulmans.
L’homme ou la femme coupable d’un méfait doit compenser le mal commis, ou du moins faire le maximum pour. Telle est en gros la définition de l’éthique celtique minimale appelée Reda, qui n’est donc pas du tout la loi du talion des juifs ou la loi ordonnant de tendre l’autre joue chez les chrétiens. Les esprits plus mystiques peuvent retrouver cette notion de réparation, typique du droit celtique, dans le sacrifice librement consenti d’Hesus. Cette réparation doit être fournie par le druidisant afin de contrebalancer le poids de bran (voir ce mot) pouvant s’accumuler dans sa vie.
Pas de surprises majeures dans les listes de qualités soumises de la sorte à notre examen. Il s’agit en gros d’une morale chevaleresque que l’on peut résumer ainsi : bon fidèle et généreux envers les siens ses amis voire les petites gens, héroïque et impitoyable contre les ennemis (le fait d’être fils de rois est une situation fréquemment soulignée dans les romans de la Table Ronde). Avec de-ci de-là quelques allusions à des traits du physique apprécié des élites de l’époque : blancheur = beauté, blondeur et sourcils bruns (détail qui prouve au passage que l’on se teignait ou se décolorait déjà les cheveux à l’époque), etc.
Mais comme ces textes ont tous été couchés par écrit après la christianisation survenue au moyen-âge, il est difficile dans leur cas de faire la part entre ce qui relève de la tradition la plus ancienne et de ce qui doit être imputé à l’apport judéo-chrétien. Rendre à César ce qui est à César et à Boadicée (ou Ambiorix me disent mes correspondants belges) ce qui appartient à Boadicée ou Ambiorix. Doit-on aller jusqu’à éliminer d’office de notre champ d’études tout ce qui dans ces textes irlandais ou gallois évoque de près ou de loin encore, un quelconque soutien aux églises ; à leurs membres et à leur dieu ou à leurs saints, ou fait allusion à la bible ; ou peut-on penser que cela succède en fait à des références aux dieux et aux druides ? Quand un texte irlandais mentionne le jugement dernier, il va de soi qu’il s’agit là d’une indéniable influence chrétienne puisque les Celtes antiques ignoraient cette idée (de jugement répartition des âmes des défunts entre enfer ou paradis) que l’on retrouve également dans l’islam d’ailleurs ; mais quand il parle seulement de fin du monde, ou de fin des temps ? La notion de fin du monde, ou plus précisément d’un cycle (voir la fameuse remarque de Strabon à ce sujet) était en effet connue des druides antiques.
Quoi qu’il en soit, voici la synthèse que l’on peut tirer des conseils donnés aux rois irlandais ainsi que des élégies funèbres de nos légendes. Sans oublier le droit celtique, les interdits ou les prescriptions irlandaises (gessa), les observations ou les notes des auteurs antiques, et quelques réflexions de base sur certains faits de civilisation celtique, antique également.
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PRINCIPES ET ORIENTATIONS DE CE LIVRET.
« VÉRITÉ DU CŒUR, FORCE DES BRAS ET ART DE BIEN PARLER ».
« Firinde inàr croidhedhaibh, 7 neart inàr làmhaibh, 7 comall inàr tengthaibh ».
ou
« PURETÉ DE NOS CŒURS, FORCE DANS NOS MEMBRES ET FIDÉLITÉ À NOTRE PAROLE ».
(Glaine ár gcroí, neart ár ngéag agus beart de réir ár mbriathar).
Tel est l’idéal du druidisme ! Triade rapportée par Cailte/Caletios en réponse à une question de saint Patrice dans le récit intitulé « le colloque des Anciens » (Acallam na senorach).
L’Éthique c’est une conception ou une doctrine cohérente de la conduite de la vie. Ce qui distingue l’éthique de la morale, c’est le fait que la manière de se comporter est souvent liée à une recherche métaphysique, et se distingue ainsi de la morale imposée. Autrement dit, avoir une éthique, c’est décider d’agir de telle manière en sachant que cela n’engage que moi, et ne pouvoir se retrancher derrière des lois morales établies et conventionnelles. L’éthique est liée à une pensée personnelle.
Ce petit camminos (catéchisme druidique) pour la jeunesse de sept à soixante-dix-sept ans, n’est donc que la mise en application de la philosophie de John Toland (réformateur du druidisme en 1717) et de la morale d’Albert Bayet (1880-1961). « Notre but est de lutter contre la morale chrétienne, de chasser des consciences les vieux dogmes, mais aussi les préceptes et les maximes qu’on y a fait pénétrer sous le couvert de tels dogmes » (Albert Bayet).
Mais que retenir maintenant de la vie et de l’œuvre de John Toland ??
Les très-sachants de l’Antiquité occidentale étaient des savants, ils transmettaient les connaissances, le savoir-penser, le savoir-faire.
Notre projet d’émancipation se ramène donc en définitive à une abolition. L’abolition des pseudo-savoirs, des ésotérismes, c’est-à-dire des savoirs non fondés sur des idées claires, fondés sur des croyances non retenues par le tribunal de la libre-pensée ou du doute systématique.
Et quand nous parlons d’idées claires, nous voulons dire vraiment claires, et en toute objectivité, incontestablement, pas seulement prétendues telles par leurs zélateurs.
Il faut se méfier comme de la peste, brune naturellement, des idées « claires » à la mode des gens d’un seul livre. Le judéo-islamo-christianisme est une psychose, une schizophrénie. Soumis à tous les préjugés de la connaissance, ignorant les causes par lesquelles ils sont déterminés, les monolâtres se représentent l’Être supérieur des philosophes (le Dieu ou le Démiurge que l’on ne nomme pas) sur le même modèle que leur moi idéal ; c'est-à-dire une volonté parfaitement libre et visant à réaliser des fins à travers des moyens. Les monolâtres pensent que tout ce qui leur arrive leur vient de cet Être supérieur qu’on ne nomme pas, le Diable n’agissant qu’avec sa permission. Illusion des causes finales, finalisme anthropomorphique, telles sont donc en définitive les caractéristiques du judaïsme, du christianisme, et de l’islam, d’après Albert Bayet
On nous demande souvent : « Quelle attitude devons-nous avoir face à la propagande des Témoins de Jéhovah, de Christ ou de Mahomet ? »
La méthode de lecture de la Bible ou du Coran qu’ils préconisent doit être absolument rejetée. Elle est fantaisiste, inutile, mauvaise et pernicieuse. Leurs prétendues évidences apaisent, et, donc, endorment, mais la vérité, elle, exige toujours l’inquiétude. La question qui se pose est celle de l’authenticité de ces textes, de leur sens exact, ou des déformations qu’ils ont subies… L’interprétation de ces écritures doit donc être déterminée par l’histoire de leur rédaction et rien de plus. Face à la « Révélation » biblique d’une pseudo-tradition primordiale (idée de saint Augustin), la Raison doit faire feu de tout bois.
La philosophie des très-sachants d’aujourd’hui est, par essence, comme toute démarche compatible avec l’esprit scientifique, une libre-pensée. Elle s’oppose en cela incontestablement aux religions qui ne cultivent que l’esprit d’obéissance ou d’abnégation de soi. Vu son absence de textes écrits, elle ne donne donc pas prise aux reproches en matière de méthode de lecture évidemment. Il faut impérativement subordonner les autorités, quelles qu’elles soient (Révélation, Tradition, Primordiale, et autres vérités universelles, ou prétendues telles) à celle de la Raison.
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Nulle autorité autre que la Raison, que ce soit une Révélation ou une Tradition, ne doit intervenir dans cet acte de libre examen des représentations et des jugements. Il s’agit de se libérer enfin et totalement, de l’autorité inexorable des vieilles théories du désert, complètement sclérosées, qui freinent l’élan de la Science ou de l’imagination humaine, afin de rendre à la Raison le trône qui lui revient.
C’est le seul moyen de libérer l’esprit de la barbarie et de la tyrannie ou de l’oppression, monolâtres, des gens d’un seul Livre. En ce domaine, il n’y a pas 36 sciences, une science chrétienne, une science germanique, une science juive… mais une seule Science. Et la Science est UNE justement parce qu’elle varie et se corrige elle-même, non en raison de soi-disant Révélations ou Traditions Primordiales Universelles, cache-misère de l’ignorance et du manque de réflexion, ou de culture.
L’acte fondateur du néo-druidisme depuis John Toland est une déclaration de guerre « froide » à ces intolérances, au nom des vérités ou des libertés essentielles, car si les vérités ainsi que les libertés concrètes sont multiples, les erreurs le sont encore plus.
Les vérités, une fois identifiées avec certitude, ne doivent pas être gardées secrètes. La tâche – la geis – de tout très-sachant authentique, qui doit vivre de ces vérités, mais aussi en elles, est de les communiquer aux autres. Malgré toute la difficulté de la gageure (chassez le naturel, il revient au galop).
En matière de druidisme, le bien supérieur est de jouir avec les autres, si possible, de cette union de l’esprit et de la nature, de cette contemplation des vérités.
L’amour des choses aussi éternelles et infinies que ces vérités nourrit l’âme/esprit d’une joie pure, exempte de toute faiblesse (Jean-Pierre MARTIN, comrunos druidique).
Si nous avons traité jusqu’ici du développement du néo-druidisme comme s’il n’avait aucun lien avec l’éthique, c’est qu’aux premiers stades de l’évolution, il en est bien ainsi. L’éthique et le culte des dieu-ou-démons sont indépendants l’un de l’autre. Les dieux-ou-démons ne se soucient pas de la manière dont se comportent les hommes les uns à l’égard des autres ; lorsqu’ils tirent vengeance d’un crime, c’est que ce crime a été commis contre eux, qu’il les a personnellement et directement lésés. C’est l’explication des phénomènes qui les entourent, et non pas des sanctions aux lois morales qu’ils conçoivent, que nos ancêtres cherchent, et trouvent, dans leurs diverses mythologies. La morale est chose essentiellement humaine et sociale ; mais à mesure que s’anthropomorphisait davantage la conception que l’on se faisait des dieu-ou-démons, et que l’on identifiait plus complètement la société divine à la société humaine ; il devenait donc inévitable que l’on suppose qu’à ces mêmes règles qui régissaient les relations des hommes, étaient aussi soumis les maîtres surnaturels ou préternaturels du monde. Il était inévitable que l’on vînt à penser qu’ils les aimaient, qu’ils en protégeaient l’exacte observation, qu’ils les avaient eux-mêmes créées.
Les dieu-ou-démons, du reste, sont toujours conçus par leurs adorateurs à leur propre image ; à mesure qu’ils se moralisaient eux-mêmes ; ils embellissaient les effigies divines des vertus qu’ils avaient presque inconsciemment pratiquées, puis plus nettement conçues. Le caractère social du culte d’ailleurs, l’élément d’abnégation qui trouve place dans certains des rites sacrificiels, l’arrachement à soi-même et à ses intérêts matériels, que provoque dans les âme/esprits l’approche du divin ; l’affection désintéressée que suscitaient chez ses adorateurs les bienfaits de leur dieu-ou-démon ; l’amitié plus intime et plus profonde les uns envers les autres qui naissait chez les membres d’une communauté religieuse, de la conscience d’être tous ensemble unis en un même corps surnaturel avec leur Protecteur tout-puissant ; dont ils se sentaient en commun les enfants ; tout cela, sans avoir nettement le caractère impératif d’une loi morale, préparait l’union qui devint, dans certaines religions, singulièrement intime, des règles éthiques et de la foi mystique dans les Puissances divines qui gouvernent l’univers. Cette indépendance de la morale et de la religion a laissé cependant des traces évidentes dans la conception que les Très-Sachants se font de l’autre vie ; que très généralement ils se représentent comme une continuation de la vie terrestre et non pas comme une compensation ou une réparation. Le pays des morts est fort semblable au pays des vivants, les mêmes habitudes y règnent, les mêmes usages, le même genre de vie. Et dans cet au-delà pareil au monde qu’éclaire le soleil, les méchants et les bons ; et j’entends parler ici de la bonté ou de la méchanceté mesurées à l’échelle des hommes qui entretiennent cette conception de la vie future, et pesées à leurs balances ; ont une même destinée. Si quelque différence apparaît dans le traitement réservé à ceux qui ne sont plus ; elle résulte du rang qu’occupait un homme dans sa tribu, de sa situation sociale, de sa richesse, de son genre de mort, de la puissance magique qui était en lui, de son degré d’intelligence et de vigueur ; qui lui permettent de surmonter plus ou moins heureusement les obstacles qui hérissent la route conduisant à l’Autre Monde ; de l’accomplissement
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ou du non-accomplissement des rites funéraires par ses parents et ses amis. Jamais, à l’origine, de ses qualités morales, de ses vertus, de ses vices.
Lorsque l’union commencera de se faire entre les notions d’éthique et les idées religieuses ; et que les dieu-ou-démons et les âmes/esprits, jadis principes d’explication des phénomènes cosmiques, seront devenus les gardiens des lois de l’action humaine, les juges de la conduite des hommes, les équitables rémunérateurs du bien et du mal ; les récompenses et les châtiments, qu’ils dispenseront aux mortels, se limiteront longtemps à la vie présente. À côté de la morale sociale et de la moralité intérieure, a toujours subsisté une moralité cérémonielle et rituelle, qui seule apparaît comme proprement et spécifiquement religieuse. Mais les dieu-ou-démons continuent de se désintéresser, heureusement d’ailleurs, de bon nombre des manifestations de l’activité humaine. Même transformées par l’interprétation allégorique, leurs aventures, dont le sens cosmique est souvent méconnu, ne peuvent suffire à donner à la conduite humaine de parfaits modèles. Les religions morales ne créent pas, pour s’exprimer, de symboles originaux. Ou du moins persistent en elles, à côté d’eux, les vieilles cérémonies et les mythes anciens que rajeunissent les idées ou les sentiments nouveaux qui s’y incarnent ; et qu’ont rendu sacrés les émotions augustes auxquelles, depuis des âges reculés, ils servent de véhicules. Par les cérémonies et les mythes en question sont réintégrés dans l’éthique le ritualisme et la mythologie des vieux cultes naturistes.
Il y a notamment une de ces religions, le mazdéisme, qui doit bien être rattachée au groupe des religions purement éthiques, malgré l’abondance des éléments naturistes qui ont persisté en son sein. Quant au brahmanisme de nos amis hindous, on ne saurait le séparer des autres religions de la nature, auxquelles tant de liens le rattachent ; mais il est indéniable que les préoccupations éthiques y tiennent une place essentielle, que la règle des mœurs y est inséparable des règles rituelles, que la rédemption morale de l’individu y est l’une des fins essentielles du culte ; et l’on ne saurait oublier que le jaïnisme et le bouddhisme sont, après tout, nés de lui.
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POUR UN TOTAL RENVERSEMENT DES VALEURS EN COURS AUJOURD’HUI
Afin de créer un Homme Nouveau avec le meilleur de l’ancien.
Ainsi que l’a très bien vu le grand sociologue tunisien Gaston Bouthoul (1896-1980) dans son traité de sociologie : « La naissance d’un jugement de valeur est rarement une véritable invention au sens de création d’un concept nouveau. Elle consiste […] à reclasser des valeurs dans un nouvel ordre hiérarchique. Autrement dit c’est une permutation, ou une accentuation ».
Les valeurs ayant toujours prédominé dans nos cœurs et dans nos réflexes de pauvres gdonioi (c’est-à-dire dans les cœurs et dans les réflexes des pauvres humains lourdement chthoniens que nous sommes) ; eh bien ce sont l’arrivisme, le conformisme, la lâcheté (qu’elle soit physique, morale, ou intellectuelle d’ailleurs *) le non-respect des autres, et ainsi de suite.
Des « valeurs » auxquelles on peut ajouter aujourd’hui quelques autres comme l’argent ou le mépris de tout travail manuel. Si si si ! Trouver normal qu’un notaire soit infiniment mieux payé qu’un paysan, même pratiquant une agriculture scientifique, bio, économe en eau et non polluante ; cela revient bien à faire passer ce métier pourtant vital pour une société, loin derrière celui de notaire, non ?
Et même si ces valeurs sont officiellement et en principe honnies par tout le monde évidemment, car elles sont justifiées par des sophismes du genre : « Il est normal de payer des responsabilités ou des études, etc. »
Comme si une infirmière ayant entre les mains la vie de son malade n’avait pas autant de responsabilités qu’un notaire ! Comme si un berger ou un marin pêcheur ne pouvait pas, lui aussi, être cultivé, avoir fait des études, tout en ayant comme métier de fournir des poissons ou du lait de qualité ? Oui, décidément, il y a un peu trop de nos compatriotes non directement productifs, voire tout simplement parasites, dans notre civilisation (sportifs professionnels, hommes politiques professionnels, présidents directeurs généraux d’entreprise cotée en bourse, n’assumant jamais leurs responsabilités y compris vis-à-vis de leurs biens propres, vedettes du monde du spectacle, etc.).
Une liste détaillée de ces « valeurs » à renverser (car les druides antiques n’avaient pas les mêmes, c’est évident) nous a été fournie par les clercs ayant inspiré les textes intitulés…
Immacallam in da thuarad, le Dialogue des Deux Sages (et plus précisément la prophétie attribuée au dénommé Ferchertne)
ou
Cath maighe Tuireadh, la Bataille de la plaine aux tumulus (voir à la fin la prophétie attribuée à la fée Morrigan en guise de conclusion).
« Été sans fleurs, vaches sans lait, femmes sans pudeur, hommes sans courage, arbres sans faîne, mer sans frai, mauvais avis des vieillards, mauvais jugements des juges ; chaque homme est un traître, chaque garçon un voleur, le fils va dans le lit du père, le père va dans le lit du fils, Cliamain cach a bratar, chacun est le beau-père de son frère. Le fils trahit son père, la fille trahit sa mère ».
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 1.
– Vaches sans lait. Voir la maladie dite de la « vache folle ».
– Arbres sans faîne. Maladie de certains arbres ?
– Mer sans frai : il y a de moins en moins de poisson dans les océans.
– Femmes sans pudeur. Sans tomber dans la pudibonderie, on ne peut s’empêcher de penser à certains excès de la sexualité. Ou des divorces en France (prestations compensatoires totalement injustifiées exigées par l’ex-femme et accordées bien sûr, etc.)
– Le fils va dans le lit du père. Incestes ?
– Le fils trahit son père : manque de respect envers les parents, que l’on abandonne une fois devenus vieux ou que l’on dépouille de leurs biens. Quand ce n’est pas les deux à la fois.
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Immacallam in da thuarad.
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«Les chefs sont nombreux 1), les honneurs peu nombreux ; les vivants abolissent leurs bons jugements. Le bétail est stérile 2) ; les hommes rejettent la modestie ; les hommes sont méchants ; les bons rois sont peu nombreux ; les usurpateurs sont nombreux 3) ; les disgrâces sont légion ; chaque homme est infirme 4) ; les chars se brisent dans leurs courses 5). La vérité ne garantit plus l’excellence. Tout art est bouffonnerie 6); tout mensonge est préféré. Si bien que l’on n’honore plus ni rang, ni âge, ni dignité, ni art, ni instruction. Tout homme intelligent est brisé. Les bons souverains tombent devant les usurpateurs à cause de la tyrannie des hommes aux lances noires 8).
La foi est détruite ; les offrandes sont profanées ; l’avarice vide les cuisines ; le refus de toute hospitalité détruit les fleurs 7) ; de mauvaises décisions font pourrir les fruits, le chemin disparaît pour tout le monde.
Les chiens dévorent les cadavres… Si bien que chacun blesse l’autre par sa noirceur, son avarice et sa ladrerie. Pauvreté, avarice et lésine affluent de toutes parts.
Il y a beaucoup de querelles avec les artistes ; tout le monde s’achète un histrion pour faire des satires à son profit ; chacun impose ses limites à l’autre. La trahison est sur chaque colline, si bien que ni lit ni serment ne protègent plus ; chacun blesse son voisin, les frères trahissent leur frère ; chacun assassine son compagnon de table ou de beuverie, si bien qu’il n’y a plus ni vérité, ni honneur, ni âme.
Les avares pullulent 9) ; les usurpateurs se satirisent mutuellement et font assaut de noirceur 10) ; toutes les dignités sont renversées ; l’enseignement des clercs est oublié ; les sages sont méprisés ; la musique tourne en grossièreté ; la sagesse tourne en mauvais jugements 11) ; le mal passe par la pointe des crosses (des évêques ?????) ; tout amour devient comme adultère.
Un grand orgueil et maints caprices apparaissent chez les fils de vilains et de vauriens. Avarice, refus d’hospitalité ainsi que pénurie règnent chez les propriétaires de terre de sorte que les poèmes en leur honneur en deviennent assombris.
De mauvais jugements viennent aux princes de ce monde, chez les rois et les seigneurs.
L’ingratitude et la méchanceté s’installent dans tous les esprits, si bien que ni roi ni seigneur n’entendent plus les prières de leurs peuples ni leurs jugements ; que les erenaghs (régisseurs) n’écoutent plus les fermiers et que les jeunes ne se lèvent plus (par respect) devant leurs professeurs.
Chacun transforme son art en mauvais enseignement et en fausse intelligence, si bien que le plus jeune trouve normal de rester assis pendant que son aîné se tient debout à côté de lui ; qu’un homme n’a plus de honte à manger après avoir refusé de donner hospitalité à un artiste qui vend son honneur et son âme pour un manteau et de la nourriture ; l’envie remplit chaque homme ; l’homme fier vend son honneur et son âme pour le prix d’un scrupulum (un 24e d’once d’argent : autrement dit une très petite somme).
La modestie est rejetée ; le peuple est bafoué ; les grands seigneurs disparaissent ; les lettres sont oubliées, les poètes ne se produisent plus. La justice est comme abolie et de faux jugements sont promulgués par les usurpateurs qui règnent dans ce monde ; les fruits sont brûlés juste après leur apparition par une foule de gens de rien ou d’étrangers ; partout il y a surpopulation et trop grand nombre d’hommes.
Les villes s’étendent dans la montagne. Chaque forêt devient une plaine ; chaque plaine devient une forêt. Chacun devient esclave lui et toute sa famille.
Il y a de nombreuses et cruelles maladies, des tempêtes subites et terrifiantes, des éclairs et des arbres fracassés (touchés par la foudre). L’hiver a des feuilles ; l’été sombre ; l’automne sans moisson ; le printemps sans fleur 12).
II y a de nombreux morts pour cause de famine. Des maladies s’abattent sur les troupeaux : bedgacha (vertige ?), consomption, peste, hydropisie, enflure, fièvre.
Trouvailles sans profit, cachettes sans trésor, grands biens sans homme pour en profiter ; disparition des champions, manque de blé, parjures, jugements de haine, trois jours et deux nuits mortels pour les deux tiers des humains ; un tiers de ces plaies sur les animaux des mers et des bois.
Les fleurs périssent ; et l’on pleure dans chaque foyer ; les hommes servent des hommes ; les filles enfantent pour leurs pères. Des monstres seront engendrés ; les étangs se retournent contre les fleuves ; le crottin semble être de l’or ; l’eau la plus ordinaire a le goût du vin ; les montagnes deviennent des plaines ; les tourbières deviennent des champs couverts de fleurs. Les essaims d’abeilles brûlent dans les montagnes ( ?) la marée n’est plus à l’heure. Les lumières du ciel sont obscurcies 15).
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 2.
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1. Les chefs sont nombreux : excès voire perversion de la démocratie authentique.
2. Le bétail du monde est stérile : effets pervers de certaines pratiques d’agriculture industrielle et intensive.
3. Les usurpateurs sont nombreux : allusion à certains hommes politiques qui prétendent défendre tel ou tel idéal, telle ou telle idée, mais qui en réalité font tout le contraire.
4. Chaque homme est infirme : les effets pervers de la vie moderne sur la santé. Stérilité masculine, multiplication des maladies respiratoires…
5. Les chars se brisent dans leur course : multiplication des accidents automobiles,
6. Tout art est de la bouffonnerie : décadence des arts et des lettres.
7. Le manque d’hospitalité détruit les fleurs : moi cela me fait plutôt penser à l’incivisme (dégradation du mobilier urbain, des banquettes des transports en commun, et ainsi de suite).
8. Les hommes aux lances noires. Alors là de qui peut-il bien s’agir dans la tête de Ferchertne ou de celui qui a mis ces paroles dans sa bouche ? Des Vikings ? Mystère !
9. Les avares pullulent : il y a trop de gens pour refuser de partager un tant soit peu ses richesses, pour refuser la moindre augmentation de salaire, et ainsi de suite.
10) Les usurpateurs se satirisent mutuellement avec des tempêtes de boue : la vie politique n’est plus faite que de corruption, de magouilles, de règlements de compte ou de servilité. La France de Nicolas Sarkozy en a fait une bien triste démonstration, tout le contraire du Président Obama par exemple.
11) La sagesse tourne en mauvais jugements, le mal passe par la pointe des crosses. Les évêques sont de faux prophètes, leur manque d’intelligence ou de lucidité leur fait finalement jouer un rôle très néfaste, et ce, quelles que soient leurs bonnes intentions de départ.
12) L’hiver a des feuilles ; l’été est sombre ; l’automne est sans moisson ; le printemps sans fleurs : bref, il n’y a plus de saisons.
13) Les filles enfantent pour leur père : allusion soit à des pratiques incestueuses soit au développement de la pratique des mères porteuses.
14) Dans chaque peuple, des monstres sont engendrés : multiplication des maladies génétiques ?
15) La lumière du ciel s’obscurcit : allusion à la pollution atmosphérique.
Le druidisme authentique implique donc le renversement de toutes ces « valeurs », afin de leur substituer dans nos cœurs et dans nos esprits les anti-valeurs qui suivent un peu plus bas. Le druidisme AUTHENTIQUE implique le renversement total dans nos cœurs et dans nos esprits de ces valeurs (avarice, lésine, orgueil, arrogance, etc.) qui ne sont pas du tout les mêmes que les siennes, c’est le moins que l’on puisse dire ; et implique au contraire leur remplacement par celles qui suivent.
Voici par exemple ce que les druides de type intellectuel ou poète, ont écrit à propos du dénommé Curouias (Curoi) ; un des personnages du Fled Bricrend (du Festin de Bricriu en gaélique) ou de la Mesca Ulad (de l’ivresse des Ulates toujours en gaélique).
« Les verdicts qu’il rend sont vrais.
C’est un homme juste, qui ne s’est jamais adonné au mensonge, mais qui est bon et qui aime la justice.
Il a l’esprit noble et c’est toujours un bon hôte, habile de ses mains comme tout véritable héros ».
Les valeurs prônées par les très-sachants de la druidiaction (druidecht) ayant consigné ces textes sont donc claires. Vérité, justice, sincérité ou véracité, bonté, sagesse et sens de l’hospitalité, honneur et dignité, respect.
Ci-dessous également les conseils en quelque sorte « déontologiques » que donne à son fils adoptif, Lugaid aux raies rouges (le futur roi des rois du pays) le Hesus = Cuchulainn. Le Hesus = Chien de Culann qui, rappelons-le, en cas de guerre, ne violait jamais le Fir Fer, ne tuait ni les cochers, ni les messagers, ni les hommes désarmés ; et à qui également il ne semblait ni noble ni beau, de prendre les chevaux, les vêtements, ou les armes, des combattants abattus (autrement dit de les dépouiller. Voir non pas la sourate du Coran traitant du butin, mais le texte du vol des bœufs de Cooley).
* Sur la longue histoire des rapports souvent équivoques entre les (pseudo) élites françaises et le pouvoir (politique), voir notre prochaine étude. Les intellectuels français ont souvent éprouvé une véritable fascination pour le pouvoir et ont même souvent développé une indéniable propension à la collaboration avec ce denier. Besoin de reconnaissance oblige ! Et quand ce n’est pas visiblement
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avec le pouvoir politique en place ; c’est avec l’idéologie dominante du moment ; ou avec les réflexes conditionnés de cette idéologie dominante communs à la majorité comme à l’opposition, officielles.
Extraits du télégramme 07 Paris 306, de l’Ambassade américaine.
« Le secteur privé des médias en France - journaux, radios et télévisions - continue d’être dominé par un petit nombre de conglomérats, et les médias français sont plus régulés ou soumis aux pressions politiques voire commerciales que leurs homologues américains …
…Ces journalistes ne considèrent pas nécessairement que leur premier rôle est de surveiller le gouvernement ou le pouvoir en place. Beaucoup d’entre eux se regardent plus comme des intellectuels, préférant analyser les événements et influencer les lecteurs plutôt que rapporter des faits ».
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TRADITION ET MAGISTÈRE DRUIDIQUE (HENRI LIZERAY À PROPOS DU LEBAR GABALA).
Les anciens druides étaient des enseignants. Ainsi que le montre le chapitre 14 du livre VI du divin Jules.
Ils enseignaient à la jeunesse de nombreuses spéculations sur les astres et leurs mouvements, sur les dimensions du monde et celles de la terre, sur la nature des choses…
On sait par la druidiactio irlandaise qu’il y avait aussi l’histoire la botanique la médecine le droit la poésie la géographie, etc.
Soyons clairs. Il n’est plus question aujourd’hui de remplir cet office de façon rémunérée, ni même bénévole, seules les recherches privées en dilettante sur certains sujets particuliers et en tant qu’amateur peuvent se concevoir. Les druides d’aujourd’hui qui transgresseraient cette règle dans des domaines aussi sensibles que la médecine par exemple tomberaient sous le coup du Bratuspantium.
Ceci dit, ainsi que le remarque Henri Lizeray, les peuples ne sont jamais indifférents au récit de leurs traditions : témoin la gloire immortelle qu'obtinrent Homère et Virgile pour avoir relaté les origines de leur patrie. L'intérêt particulier qui s'attache à l'histoire…
Mais hélas pendant les péripéties de ce drame étonnant, inouï, qui constitue notre histoire, parmi les revers de notre fortune nous avons perdu le pouvoir, le territoire, les traditions, tout, jusqu'à notre nom, ne gardant de nous-mêmes que cet autre tout qu’est l'âme.
Notre nom de Celtes qui le comprend aujourd'hui ?....
Nos annales, si étendues puisqu'elles faisaient partie de l'enseignement druidique qui durait vingt ans, nos annales ont péri lorsque tomba la tête du dernier druide sous les persécutions de Claude. Les druides, en effet, n'écrivaient pas et confiaient à la mémoire leurs doctrines originales et universelles. De leurs immenses connaissances, il ne nous était parvenu jusqu'à ce jour que ce qui en a été rapporté par quelques auteurs grecs et latins et par les philosophes du Moyen-âge.
Mais voilà que, dans cette détresse, une nation sœur a eu la piété de conserver un nombre considérable de traditions celtiques. L'Irlande, bien digne d'avoir pris la harpe pour emblème, a recueilli dans les bibliothèques du collège de la Trinité et de l'Académie nationale irlandaise, un millier de manuscrits, trésors inestimables qui vont servir à dissiper la nuit étendue sur nos commencements.
Toutefois avant de s'autoriser à emprunter aux Irlandais leurs traditions, afin de reconstituer par voie d'analogie celles qui nous manquent, il importe d'établir l'identité des Celtes continentaux et insulaires, et préliminairement, d'expliquer ce que sont les Celtes […]
Les Celtes durent leurs défaites à leurs dissensions et à leurs fautes : aveu pénible et cependant rassurant pour l'avenir, puisqu'on est toujours libre de ne pas retomber dans ses erreurs. Mais malgré des revers purement accidentels, les Celtes possédaient sur leurs ennemis du Nord et du Midi une étonnante supériorité intellectuelle, ainsi que nous allons le démontrer.
Les Romains, peuple de brigands à l'origine, nuls dans toutes les manifestations de l'intelligence, étaient caractérisés en politique par l'instinct du groupement particulier aux bandits. Mais dans la conception étroite de la Cité romaine, les droits de l'individu furent brutalement sacrifiés aux intérêts de la masse. Autoritaire, absolutiste, la Cité dut le triomphe de sa politique à l'application constante de ce seul principe : diviser pour régner, en assurant d'ailleurs une administration exploitatrice, avide et ruineuse.
En sociologie, les Celtes, au contraire, grâce à un vif sentiment d'individualité, avaient découvert de bonne heure le principe électif et le régime parlementaire, sûre garantie des droits individuels ; s'élevant au-dessus de la conception absolue et exclusive de la cité, ils s'étaient groupés en corps de nation, divisée en province, celles-ci en communes, avec des droits pour tous.
En faisant porter la comparaison, non pas sur les peu inventifs Romains, mais sur les Grecs, leurs instructeurs, on apercevra mieux l'originalité des Celtes. Ceux-ci avaient mis, comme les Grecs, toute la nature en systèmes, mais quelle différence entre le génie des deux peuples ! Tandis que l'observation grecque s'est exercée sur les phénomènes extérieurs et formels, le Celte a pénétré le fonctionnement même de la vie. On saisira cette vérité, si l'on considère le développement de la pensée celtique jusqu'à nos jours, en examinant les sciences une à une et en notant les différences des conceptions grecques et celtiques […].
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En politique, le Grec comme le Romain s'en tient à la conservation du Statu quo, de l'État, le Celte est mû par le désir du progrès. À Athènes et à Sparte, comme à Rome, le principe d'autorité inspire les sacrifices, chez les Celtes, l'amour de la liberté enfante les héros. En jurisprudence grecque et romaine la formule est tout, en droit celtique l'intention suffit pour créer le lien juridique. En morale, le Grec obéit au devoir tracé par la loi écrite, le Celte aux inspirations de sa conscience. En dialectique, le grec Aristote considère la forme du raisonnement et érige la démonstration avec l'échafaudage du syllogisme ; le Celte, au contraire, reconnaît directement la vérité à sa splendeur même, qui est l'évidence.
En philosophie enfin (et c'est elle qui expose les procédés intellectuels dont nous venons de voir les différentes applications) les Grecs ont catégorisé les accidents extérieurs de la matière, et les classant en genres non reliés, ont ainsi constitué les sciences de l'espace, tandis que les Celtes ont perçu la continuité de la vie, compris ses forces et fixé les lois de la sériation dans le temps. La philosophie sérielle [latin series sous la plume d’Ammien Marcellin], voilà précisément l'essence de l'esprit celtique. C'est elle qui, en reconnaissant l'universalité de la série, met sur la voie de toutes les découvertes, lesquelles ne sont que le complément des termes inconnus de toute série quelconque. C'est cette philosophie qui, dès son premier principe, « Natura non facit saltus, la nature ne fait pas de saut », dépasse de bien loin toute la sagesse grecque et latine, et donne à l'homme de génie le moyen pratique de réaliser les inventions dont elle a déjà révélé la théorie.
En fait de croyances religieuses, les Romains avaient accepté celles du peuple hébreu à qui Moïse interdit la fornication avec les animaux. De telles prohibitions indiquent une époque et une civilisation bien arriérées. Moïse parle, en effet, à son peuple comme à des sauvages ne marchant que par la crainte de châtiments éternels. Sous ce rapport, il n'y a pas de livre plus bête que la Bible où tout est à l'avenant. Quelle sottise que ce déluge universel, comme si les nuages ou les mers pouvaient contenir assez d'eau pour submerger les plus hautes montagnes ! Sous l'hagiographie puérile des Hébreux, on n'a pas reconnu les fables grecques… L'amour du prochain est un trait commun aux chrétiens et aux orgiastes, mais la sensibilité du cœur, recommandée par l'Évangile, doit être obtenue sans l'abrutissement de l'esprit […]
À la place de cette thaumaturgie primitive, les druides enseignaient la croyance en l'immortalité de l'âme et en ses états d’être successifs. La nature fluidique de l'être vivant avait d'abord été révélée par l'étude la plus élémentaire des phénomènes de la vision qui suppose réciprocité dans l'émission des rayons. La preuve logique de ce premier aperçu était donnée par l'induction sérielle qui indique pour tout état un antécédent et un conséquent. Enfin la pratique de l’hypnotisme confirmait cette doctrine. On sait, en effet, que le sujet hypnotisé répond affirmativement quand on l'interroge sur la réalité de l'âme. De cette théorie si élevée découlaient les dogmes vraiment humains du libre arbitre, de la responsabilité, de la conscience et du progrès.
Nous croyons avoir démontré la supériorité des doctrines celtiques sur les conceptions hebraïco-gréco-romaines. Il reste à établir la même preuve à l'égard des Germains […] Le Germain ne s'est jamais élevé au-dessus des bestialités guerrières de la lutte pour la vie. Son idéal était de s'asseoir après sa mort à la table d'Odin et de partager avec lui un morceau du sanglier rôti qui restait toujours intact, en arrosant ce repas par de larges rasades. Durant sa vie, il tâchait de réaliser son ambition de guerre et de bonne chère au moyen du système féodal, système barbare en ce qu'il mettait l'individu sous la dépendance absolue du possesseur de la terre, et donnait tous les droits à la force brutale sans en laisser aucun à l'industrie, etc.
Note de l’éditeur. Le fondateur de l’Église druidique nationale s’est laissé emporter ici par son patriotisme anti-allemand et anti-anglais.
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TRADITION ET MAGISTÈRE DRUIDIQUE (SUITE)
Tradition celtique et magistère druidique ne doivent en aucune façon se disputer la prééminence en matière de formation des hommes. Loin d’être en concurrence dans la transmission des vérités de toujours, ils doivent au contraire se soutenir mutuellement, grâce à l’action de Taran/Toran/Tuireann et de ses victoires dans nos esprits (boudismes).
Il s’agit de faire resplendir la Tradition celtique au cœur des hommes et des peuples, mais cette adhésion intérieure ne pourra pleinement valoir que si elle est libre. Tout cela encore une fois dépend donc de l’action intérieure des dieux comme Taran/Toran/Tuireann dans nos esprits.
Ce petit côté missionnaire de la magistrature morale du druidisme n’est que la prolongation du combat pour la vérité en ce qui concerne le passé, le présent, ou l’avenir, du monde à construire. En le guidant ainsi vers la lumière divine, la druidiactio vise au bien de l’Homme : à sa surhominisation.
La loi (magistère) nouvelle, du druidisme, loin d’abolir le principe des gessa de l’ancien druidisme, l’élargit et lui donne au contraire sa pleine et entière signification.
Les esprits les plus mystiques verront même dans la légende du Setanta Cuchulainn, soit l’illustration, soit la concrétisation, d’une alliance entre l’esprit et la matière. Une alliance scellée avec la formidable énergie du Graal.
Cette nouvelle paix avec les dieu-ou-démons ne s’est pas faite comme cela, d’un seul coup, naturellement. La réflexion éthique à son sujet avait déjà commencé à la fin du druidisme primordial, et elle fut poursuivie par l’ancien druidisme. Le néo-druidisme, c’est donc l’esprit de tous les dieux, diffusé dans le cœur de tous les druidisants.
Nous pouvons être libérés par le choix des valeurs qu’ils incarnent et qui sont indissolublement liées aux druides, quoi que l’on puisse en penser, même si ceux-ci ne méritent pas toujours individuellement une telle solidarité, mais aussi par la pratique des gessa éthiques.
« Admodum dedita religionibus » (César. Commentaires. Livre VI, 16-18).
Tel est en substance le commandement « nouveau » (il n’y a rien de plus nouveau que ce qui a été oublié dirait mon vieux maître Gaston Bouthoul) de la libération des énergies.
On comprend mieux dans ces conditions le célèbre adage en langue celte répété par la mère de saint Symphorien du haut des murailles de la ville d’Autun : « nate, mento beto to divo » : tourne tout entier ton esprit vers le divin mon fils, et laisse-toi guider par lui. Pense au divin et son esprit dynamisera aussi ta vie ».
Si par ce baptême dans le sang du Graal (Sangreal) ou par le baptême du feu, les hommes passent au travers de la mort avec l’aide des dieu-ou-démons (des divinités secourables et paisibles diraient nos amis bouddhistes, non courroucées en tout cas) ; c’est qu’ils finiront par vivre, eux aussi, en leur compagnie, « dans la grande plaine où trône le Graal sur son rocher de diamant ».
cf. la mystérieuse île décrite par Plutarque qui, assez curieusement, appelle aussi son dieu « un démon » (De facie in orbe lunae, 26).
Ce monde-ci est par contre un monde dur, un monde de lutte pour la vie, un monde de souffrance. Vae victis a dit un jour le célèbre Brennus. Mais qui perd sa vie en n’accumulant pas trop de bran, la retrouvera dans l’autre monde ; et qui veut sauver sa vie à tout prix, car il accumulera sur lui du bran (de la mauvaise ategeneto) devenant ainsi un bacuceus, deviendra un bacuceus ou un fantôme (seibaros, siabair/siabhradh en gaélique) échappé des glaces de l’avant paradis (andumno ou anwn) dépeint dans le folklore sous le nom de royaume de Donn (Donnotegia) d’Arawn ou de Tethra.
Hermann Usener. Scholia in Lucani bellum civile/Commenta Bernensia. Liber I (1869).
451. « Les druides nient que les âmes puissent périr
[Driadae negant interire animas]
OU ALLER EN ENFER »
[aut contagione inferorum adfici.]
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Car la plupart des fautes ne remettent pas en cause par nature l’orientation d’une vie tout entière tournée vers le divin.
Elles constituent ce que l'on appelle des fautes simples. Mais elles peuvent cependant freiner pour un temps notre autolibération par la pratique et les œuvres.
Certaines autres fautes, bien que nuisant plus lourdement au vrai de l’Humanité, sont commises surtout par ignorance ou inconscience. Quand, dans de tels actes, l’Homme ne s’engage pas vraiment, par manque de liberté ou de connaissance, ces fautes demeurent alors, elles aussi, vénielles.
D’autres erreurs par contre, dues à cette faiblesse humaine originelle dont nous avons parlé (symbolisée par la fameuse maladie annuelle des Ulates), peuvent hypothéquer très gravement notre avenir. Ce sont des fautes lourdes, car elles conduisent effectivement à la rechute dans l’animalité, par accumulation excessive de bran. Ceux qui réfléchissent sur ce qui est bien et sur ce qui est faux, ou sur ce qui est assurément vrai ; n’ont en général pas de difficulté à se mettre d’accord sur les principes les plus larges, honorer les dieux (ou démons écrit Plutarque), éviter le mal, etc. Ils peuvent même s’accorder sur ce qui est bon et sur ce qui est faux pour l’Homme. Est vrai tout ce qui le construit, tout ce qui le rend plus libre, tout ce qui le rend plus responsable, en bref plus Homme (surhomme).
Est bon tout ce qui surhumanise l’Homme et la communauté humaine en les rendant aptes à la contemplation directe du divin. Corollaire inévitable, est faux par contre tout ce qui déshumanise et ramène l’Homme au niveau de l’animal ou de l’enfant apeuré.
Mais dès que l’on s’éloigne de ces grands principes, pour redescendre sur le terrain des applications concrètes, des divergences ne tardent pas à se manifester, les choses deviennent moins claires.
C’est pourtant dans le concret du quotidien que se posent les problèmes. Respecter la vie d’un innocent est par exemple bien, ne pas la respecter serait criminel, mais qui est innocent ?
Est-il mal de mettre fin à la vie d’un dangereux assassin, par exemple lors de son arrestation s’il se sert de son arme ? Le soldat mobilisé pour défendre sa patrie est-il un innocent ou un assassin ? La mère volant un pain pour nourrir ses enfants mérite-t-elle d’aller au bagne comme le Jean Valjean de Victor Hugo, au goulag ou au camp de concentration ? Et le comte de Monte Cristo… méritait-il d’être emprisonné à vie pour avoir été simplement bonapartiste ?
Pour répondre à la question : « qu’est-ce qui est vraiment bon pour l’Homme ? » Il faut donc d’abord se demander : qu’est-ce que l’Homme ?
Si l’on met l’accent sur la dépendance vis-à-vis d’un créateur et sur le mépris du corps, comme le font les chrétiens, attention au retour de flamme de l’Inquisition chrétienne, ou musulmane d’ailleurs (la Hisba). Le ventre est encore chaud d’où est sorti l’infâme. La preuve Daech en 2014.
N.B. À l’origine, la Hisba était chargée de vérifier la conformité du déroulement des affaires économiques et commerciales, des poids et mesures, ainsi que la légalité des contrats ; par rapport à la charia. Son institution s’appuie sur un verset qui donne une liste de bonnes conduites (en définissant certains interdits majeurs). « Donnez le poids et la mesure exacte, nous n’imposons à chaque homme que ce qu’il peut porter ; lorsque vous parlez, soyez équitables même s’il s’agit d’un parent proche » (Le Coran VI, 152). Son premier responsable fut une femme nommée Shifa. Les pouvoirs de la Hisba se sont ensuite étendus, jusqu’à concerner presque tous les aspects de la vie sociale des musulmans. Ils ont par exemple servi à traquer les apostats et les hérétiques (Soufis, Moutaziltes, etc..).
La réponse sera évidemment toute différente si l’homme est perçu comme une personne douée d’intelligence et de liberté, mais ayant aussi des besoins instinctifs plus ou moins régulés par la raison.
Une réflexion morale élaborée doit mettre en jeu les questions philosophiques ou religieuses fondamentales ; or à ce sujet les hommes et les peuples sont loin d’être tous d’accord. Derrière toute éthique se profile en définitive, implicitement au moins, une conception du gdonios, une conception de l’Homme.
Les réponses ne sont donc jamais évidentes, car l’Homme demeure un mystère et il reste à élargir le Fir Fer par une déclaration plus large des droits et des devoirs, de l’Homme ; envers la vie, envers les animaux, envers les végétaux, envers la planète… Les erreurs en question peuvent aussi revêtir une dimension collective à l’échelle d’une communauté tout entière (parti, syndicat, profession, idéologie, religion, élites, classes, démocrates, républicains, loyalistes, royalistes, droite, gauche, etc.). Les fautes sociales ou collectives sont la résultante de l’accumulation et de la concentration des brans
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individuels ; (de l’ignorance ou de l’aveuglement des pseudo-intellectuels, des démocrates ou des républicains, des royalistes ou des populistes, des gens de gauche, ou de droite, et ainsi de suite).
Ce bran peut hypothéquer gravement la santé des âme/esprits collectives ou des génies nationaux. L’âme slave a, par exemple, été gravement blessée par les erreurs de l’idéologie de gauche de la démocratie (populaire), erreurs consistant, elles aussi, en une accumulation d’erreurs personnelles. Ces fautes furent des folies aveugles, une véritable œuvre de mort pour les individus et les peuples (le goulag a fait des millions de victimes en Russie de 1917 à 1960).
Gustave Le Bon dans son ouvrage de 1895 intitulé la psychologie des foules avait d’ailleurs déjà très bien analysé le phénomène, mais à propos de la Révolution française.
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DE LA MAGISTRATURE MORALE (MAGISTÈRE) DU NÉO-DRUIDISME
(SUITE).
En se détournant de son vrai, l’Homme tend à s’enchaîner à ce qu’il a de plus bas. Certains monolâtres aujourd’hui, par exemple chrétiens, musulmans, socialistes, antiracistes, etc. reprenant plus ou moins à leur compte le système juif du bouc émissaire ; accusent pêle-mêle aujourd’hui les wasps, les petits blancs, les colons, les Arabes, les Caldoches en Nouvelle-Calédonie, etc. d’être responsables de tous les maux du monde. Ces lâches manœuvres des chrétiens, de certains juifs, des musulmans (bref des « spirituellement sémites » ou gens d’un seul livre) ne peuvent pas empêcher le mal qu’elles prétendent combattre. La pratique des boucs émissaires a toujours été une grave erreur. Personne ne peut, par ce moyen, réussir à éluder ses responsabilités individuelles ou collectives.
Cet extraordinaire aveuglement est l’illustration même du tragique de la condition humaine. Le résultat de tout réflexe raciste ne peut conduire qu’au désastre. La situation dans l’actuel Zimbabwe en est la preuve. La communauté internationale a aidé Robert Mugabe à chasser tous les Blancs de ce pays, on voit aujourd’hui le résultat ! Il n’est pire raciste qu’un prétendu antiraciste aidé ou soutenu par tous les gens gentils et intelligents que la Terre peut porter. Vouer aux flammes de je ne sais quel enfer, ou à la damnation éternelle, les wasps, les petits blancs, les colons, les Arabes, les Zoreilles dans cette île française de l’Océan Indien que l'on appelle la Réunion ; et les autres boucs émissaires de ce genre ; ainsi que le font les actuelles religions de masse monolâtres (les démocrates, la Gauche, les républicains, les royalistes, les loyalistes, le christianisme, la Droite, le Centre, les juifs, l’islam et les francs-maçons ; dont l’importance est surévaluée de toute façon, que ce soit par eux-mêmes, pour se donner de l’importance justement, ou par leurs adversaires)… est une démission de l’esprit qui ne peut que maintenir l’Humanité dans un état infantile proche de la débilité ou du mongolisme, et qui, à terme, ne peut que transformer les hommes en marionnettes. Les hommes ne pouvant plus assumer cette faiblesse typiquement ultonienne, oscillent entre une pseudo-innocence (la bonne conscience bien grosse et bien épaisse des démocrates républicains, libéraux ou antilibéraux, hommes de gauche ou de droite) et la révolte ouverte ou la désespérance nihiliste néonazie. À moins d’ériger leur désir en règle supérieure, en décrétant que le faux est devenu le bien.
Laisser croire une telle chose, laisser croire que l'on peut être soi-même sans tache et innocent comme l’agneau qui vient de naître, c’est à la fois se tromper et tromper les autres. Mais avec le néo-druidisme, l’Homme redevient au contraire capable de faire la vérité, cette vérité qui rend libre. « Va et ne te trompe plus, nate, mon fils » pourrait être la devise du néo-druidisme. Car dans notre néo-druidisme, la dénonciation des faiblesses humaines ne va jamais sans le moyen concret d’y remédier.
Reconnaître ses faiblesses et ses erreurs est le premier des pas qui conduisent à leur maîtrise. Il faut donc commencer par une telle modestie dans la démarche, pour se libérer d’une maladie infantile si paralysante (voir la Ces Ulad). Infantiles et infantilisantes sont les religions qui placent le Mal en dehors des Hommes eux-mêmes, en dehors de nous, par exemple dans l’esprit d’un Grand Satan quelconque.
« Admodum dedita religionibus » en latin (César, B.G. Livre VI, 16-18).
« Nate, mento beto to divo » en celte (la mère de noïbo Symphorien du haut des murailles d’Autun).
Cette libération par la pratique et par les œuvres, comme toute vie véritablement celte, procure une redoutable hormone « du bonheur » le sentiment du devoir accompli. Refuser de stigmatiser nettement ce qui ne va pas, l’erreur de virgule dans l’équation initiale, dans le génome (« honorer les dieux, être courageux et ne rien faire de mal » disaient les cainte de l’ancien druidisme) c’est être complice de risques mortels pour l’Humanité tout entière. Voir à ce sujet le silence initial des chrétiens et des démocrates ou des républicains, vis-à-vis des crimes contre l’Humanité des communistes de type stalinien (Katyn, etc.) et plus récemment des Khmers rouges au Cambodge.
Les anciens druides plaçaient l’éthique de leurs diverses déontologies sous le signe de la liberté vraie, authentique, alors que l’optimisme béat ou l’irénisme, eux, conduisent toujours à la mort… à la mort de l’esprit d’abord, à la mort des corps ensuite ! Toute mauvaise action vengée constitue un renforcement du paganisme (saint Patrice. Senchus Mor. I, p. 9). On ne peut aujourd’hui que rendre hommage à leur clairvoyance, car les recherches des sciences humaines actuelles aboutissent à des
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conclusions similaires. Les spécialistes font apparaître la démarche éthique comme constitutive de l’Homme. Les psychanalystes parlent du rôle structurant des gessa.
Les néo-druides ne prétendent pas cependant au monopole de la recherche en matière d’éthique comme nous l’avons vu, quelles que soient ses formes (bioéthique, déontologie médicale, déontologie policière…) Depuis des siècles un effort de réflexion et d’action a été mené par des hommes, dont certains d’ailleurs n’étaient ni druidisants ni même païens (des athées ??) ; mais simplement soucieux d’honorer leur qualité d’être humain, en vivant dans la dignité ou la vraie liberté. De Zarathoustra/Zoroastre à Siddharta Gautama Bouddha, de grands noms jalonnent ainsi l’histoire de la réflexion éthique de l’Humanité. Aujourd’hui encore beaucoup d’hommes et de femmes ont une vie digne et honorable, tout en étant athées ou non-croyants, le plus souvent parce qu’ils ont été rebutés ou écœurés par les religions de masse monolâtres (ils sont comme le Saint Thomas des évangiles chrétiens, ils ne croient que ce qu’ils voient). D’après Strabon, certains Celtes et notamment les Galiciens d’Espagne, étaient athées. Est-ce possible ou s’agit-il plutôt d’un manque de nuance de la pensée de Strabon incapable de comprendre les subtilités de certaines Écoles druidiques ? En tout cas voici sa citation. « Certains auteurs affirment que les Gallaeci sont athées, tandis que les Celtibères et leurs voisins plus au nord sacrifient à un dieu sans nom, la nuit, à chaque retour de la pleine lune, devant les portes de leurs bourgades ; se livrant alors, avec toute leur maisonnée, à des rites divers agrémentés de danses » (Strabon, Géographie, III, 4, 16). Il est donc impératif d’en tenir compte. Les Hommes ont toujours cherché comment vivre en Hommes, mais la tâche est ardue. Aide-toi et le Ciel t’aidera, dit un vieux proverbe de chez nous. Arrien. De la chasse. XXXV.1 « sans l’aide des dieux, rien ne réussit aux hommes » (autrement dit : « si tu y mets du tien, tu auras de la chance, si tu ne fais aucun effort, tu seras malchanceux ». Les druidisants doivent chercher la vérité ainsi que la solution des problèmes que soulèvent aussi bien la vie privée que la vie sociale. Certes, rappeler les diverses gessa éthiques nécessaires à cette longue quête du Graal, sans prendre en compte le temps nécessaire pour apprendre à les vivre, peut broyer l’être humain et l’emprisonner dans une culpabilité destructrice.
C’est pourquoi le nouveau druidisme préfère rappeler ces gessa avec une infinie patience, patience envers les autres ou envers soi-même. Cette patience est le plus lent des chemins menant à l’épanouissement de l’âme (moksha dans l’hindouisme), mais c’est aussi le plus solide et le plus sûr. À condition évidemment que cette lenteur ne soit pas un prétexte pour ne rien faire, une manière d’être complice desdites faiblesses. Au-delà des slogans qui se succèdent sur la morale, dans les diverses religions accaparant actuellement notre pauvre Humanité, les questions d’éthique demeurent au premier rang des préoccupations des hommes et des femmes. Parce qu’ils veulent vivre libres, tout en étant confrontés à des contingences de toutes sortes, alors qu’ils rêvent de ne pas être limités (voir comment ils ont créé les dieu-ou-démons à leur image). Aussi ont-ils la nostalgie d’une harmonie perdue entre eux et la nature (la nature qui les entoure ou leur propre nature) la nostalgie de la paix entre les hommes, de la justice, etc. Bref, la nostalgie d’une Hyperborée mythique perdue à jamais. Le progrès leur lance de nouveaux défis qui se résument en une seule question : dans quelle mesure ces techniques concourent-elles à l’accomplissement de notre Humanité ? La médecine par exemple… elle met entre nos mains une énergie lumineuse qui n’est plus maintenant de type bélénien (du nom de l’Apollon celtique), mais de type lugiférien (voir le gae bolga de Lug). Devons-nous en rendre grâce à la bélisama Brigindo Brigantia Brigitte ?? La chimie permet de créer toutes sortes de nouveaux médicaments, mais empoisonne nos villes. Quant à la génétique, elle autorise les plus grands espoirs pour la guérison de nombreuses maladies, et permet d’envisager la venue un jour d’une authentique surhumanité capable de regarder le divin en face ; mais elle peut conduire aussi à l’avilissement de certains.
La déesse-ou-démone, ou bien fée si l’on préfère ce terme, Brigindo Brigantia Brigitte, nous inspire des découvertes capables de transformer la terre en un jardin, mais aussi… de la désintégrer. L’homme saura-t-il, comme Lug et sa gae bolga, maîtriser ces pouvoirs en devenant ainsi semblable aux dieux ou bien en sera-t-il esclave ?
D’où le caractère vital pour l’être humain de la démarche éthique, car bien des problèmes demeurent. L’Homme peut voir où est le vrai, mais faire le mal. C’est précisément sur ce point que se manifeste la faiblesse récurrente due à notre origine animale, et il y a là comme une secrète blessure au cœur de tout Homme. L’élan vers le vrai de la vie est comme freiné par un boulet attaché à nos ailes.
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L’engagement moral de l’Homme n’est donc pas simplement une affaire d’intelligence, il met aussi en jeu sa volonté.
ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIES.
Le néo-druidisme n’abolit pas les lois de l’ancien druidisme, il les accomplit en les dépassant, ce qui n’est pas la même chose. Ou il en redresse les déformations, nécessaires en leur temps, mais plus aujourd’hui, comme à propos des sacrifices humains.
Vivre dignement et en homme selon le néo-druidisme, n’abolit donc pas les gessa de l’ancien druidisme, mais les intègre et les dépasse. Si le néo-druidisme « oublie » parfois ses gessa, ce n’est pas parce qu’il s’estime au-dessus d’elles, mais parce qu’il les élargit et les accomplit sans avoir besoin de s’y référer encore. Si le néo-druidisme accomplit les lois de l’ancien druidisme, de toute façon, elles ne faisaient que reprendre ou expliciter le rectu adgenias, c’est-à-dire le droit naturel.
Le droit naturel, car pour le Dictionnaire électronique de la langue irlandaise Aicned signifie bien “ la nature en tant que fondement du droit” et une antique triade de l’Uraicecht Becc, un traité de droit du 8e siècle précise bien aussi noir sur blanc que c’est en fonction de cette Aicned que les païens rendaient leurs jugements : Aicned as a mberdis na genti a mbretha. La Rectu adgenias c’est donc le droit de l’espèce humaine à l’état de nature.
C’est pourquoi ces gessa du néo-druidisme peuvent illuminer le chemin de tout homme, de tout combenno, et pas seulement celui des druides, et pas seulement celui des druidisants.
« À vous seuls il est donné de connaître, comme de les ignorer, les dieux et les puissances célestes ; les grands arbres des bosquets reculés sont vos demeures. À en croire vos maîtres les ombres des morts, etc.. » (Lucain, la Pharsale).
Comme chacun sait, à jamais ressuscités de la mort, les dieux ne meurent pas vraiment, la mort n’a plus de pouvoir sur eux depuis leur banquet d’éternité avec les porcs magiques de Gobannos. L’exemple des anciens druides nous entraîne donc à leur suite et le nouveau druidisme aide à discerner les appels divins ou les paroles divines qui jalonnent la voie conduisant au vrai monde.
À propos de ces divers moyens de réussir l’épanouissement de son âme, appelé moksha par les hindous, le magistère des druides est là pour rappeler à temps, et à contretemps, ce qui est vrai ou ce qui est gravement erroné.
Ceux qui ne peuvent arriver de leur vivant à l’état d’awenyddion (les broges ou les bacucei) doivent chercher à reconnaître, dans toutes les situations complexes de la vie terrestre ; quels sont les moyens restants de leur autolibération, ce qui peut favoriser ou au contraire freiner l’épanouissement de leur âme ? Les broges, les bacucei, ou les seibaros (siabair/siabhradh en irlandais) échappés des glaces de l’avant paradis (andumno ou anwn) mis en scène par le folklore lié aux royaumes de Donn (Donnotegia) d’Arawn ou de Tethra.
À notre époque et dans certains domaines où s’obscurcit la conscience des autres religions ; le néo-druidisme doit donc avoir le courage de rappeler les voies possibles de cette libération future dans le Grand tout universel. Le néo-druidisme affronte alors inévitablement l’incompréhension, l’hostilité même, y compris de la part de certains de ses propres fidèles ; mais plus il se heurtera aux idées reçues, plus il devra respecter les personnes s’en faisant l’écho. Le nemet, c’est l’Homme.
Sur les problèmes nouveaux et très complexes qui se posent aujourd’hui, le néo-druidisme n’a pas évidemment compétence universelle. Pourtant, quand ces problèmes ont une telle incidence sur le salut de nos âmes/esprits (pensons à la bioéthique, à la vie économique, au chômage, au sous-développement, à la pollution, aux changements climatiques, etc.) ; le néo-druidisme doit intervenir pour apporter les débuts de réponse qu’il possède.
Car le néo-druidisme n’a pas toujours immédiatement de réponse complète et clé en main, à tout, mais il a pour vocation de joindre ses lumières traditionnelles à l’expérience universelle, afin d’éclairer le chemin où l’Humanité s’engage. Ainsi, par l’écoute des hommes compétents et en dialoguant avec eux, le néo-druidisme peut-il dégager des voies nouvelles à la lueur des témoignages de l’ancien, ou en redécouvrant directement le sens du divin. La magistrature morale du druidisme constitue ainsi un corps de réflexion et une ligne d’action qui peut servir de référence dans tous les domaines.
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C’est donc aux laïcs, éclairés par notre sagesse traditionnelle, et par cette magistrature morale du néo-druidisme, de prendre aussi leurs responsabilités. Acquérir une formation doctrinale réfléchie et adaptée aux responsabilités qu’exerce chacun est donc un devoir impératif, face aux problèmes actuels et aux possibles dérives morales, face à l’omniprésence des sectes monolâtres et/ou totalitaires (christianisme, judaïsme, islam, etc.).
Plus près de nous maintenant : « Que soit béni qui gardera en mémoire fidèlement le récit de l’enlèvement tel qu’il est consigné ici et n’y changera rien ».
En quelque sorte un éloge du devoir de mémoire donc.
Nous n’avons rien contre à condition qu’il ne soit pas sélectif de la part de gens se prétendant objectifs et se voulant universels (dénigrant par exemple tous ceux qui s’intéressent à leurs racines). Ce genre de fidélité à nos traditions immémoriales nous va très bien même s’il ne faut pas pour autant tomber dans les excès du petit livre d’Henri Lizeray sur « les traditions nationales retrouvées » (Atlantide, Dieu parlait breton au paradis, etc.)
L’intelligence de l’intelligence, c’est la capacité à reconnaître ses propres limites. Une telle intelligence n’est pas le vrai savoir, mais constitue néanmoins un terrain favorable pour l’accueillir. Modestie et inclination vers la vérité (qui n’est point crédulité comme dans les monolâtries de masse) nous prépareront à accueillir cette certitude en nos cœurs.
En l’Homme cependant elle se heurte à de nombreux obstacles dus à la faiblesse humaine justement. L’esprit est prompt certes, mais la chair est faible, tout le monde ne peut pas être un kinges d’exception comme Setanta ou un féniane comme Cailte.
La foi druidique, en tant que libre adhésion de l’intelligence de l’Homme à cet épanouissement de l’âme/esprit par le savoir, est donc toujours l’objet d’un combat. Elle doit donc être nourrie par la parole, les exercices, les rituels et une vie digne. Bref, elle doit être cultivée.
Dans le quotidien de la vie, l’Homme trouve en lui la voie des dieux, mais il trouve aussi sur son chemin les ornières de notre animalité originelle. Chez certains, la conscience de ces faiblesses peut être exagérée par un trouble maladif de la conscience. Ils peuvent alors éprouver un sentiment de culpabilité, sans véritable raison d’ailleurs, et en devenir obsédés par le péché (cas des chrétiens par exemple).
Le véritable péché, c’est pourtant de refuser de suivre cette voie vers la divinité, quand on est incapable de suivre celle des druides ou des combattants, notamment dans ce cas en cherchant une pseudolibération dans d’autres directions comme autant de mirages.
À propos de la double philosophie des panthéistes de John Toland.
Pour les tenants du Panthéisme (concept d’une Totalité dépassant dans sa plénitude les facultés de l’entendement humain), la pensée humaine ne peut entrevoir ladite Totalité qu’à travers l’optique permise par l’organisation mentale humaine ; et dans les limites de sa capacité de jugement.
Par conséquent : pas de Vérité Absolue et Exhaustive révélée à telle ou telle partie de l’Humanité. On est dans le RELATIF de la perception humaine et il faut faire face à la « complexité du Réel ».
Cela dit, les druides ne se découragent pas pour autant, mais se refusent seulement à « considérer le Réel comme un Absolu ».
Leur système de pensée amène seulement à considérer qu’à l’échelle humaine, il n’est pas possible d’identifier un Bien et un Mal sans nuance : donc « refus du dualisme sous toutes ses formes », un refus « total ».
Ceci invite à relativiser la Morale, à la moduler en quelque sorte en des DÉONTOLOGIES adaptées aux divers cas de l’organisation sociale, à commencer par la fameuse Tripartition de la Société celtique dans le droit-fil de la tradition indo-européenne.
Moduler n’est pas défausser la logique de la trame toute dialectique du druidisme en matière d’éthique. Il s’agit seulement de faire concorder les hiérarchies de priorités avec la vocation de chaque élément de la société. Une affaire d’harmonie accordée aux réalités. Cette relativisation amenait donc une modulation nuancée des préceptes d’application de l’Éthique, consistant surtout à faire varier la hiérarchie des impératifs et des interdits suivant les statuts personnels ; des statuts qui étaient liés directement aux fonctions exercées par l’individu. Celles-ci étaient en quelque sorte des subdivisions
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de l’organigramme tripartite de la société celtique. À chacune sa déontologie et y contrevenir était tenu pour très grave.
D’où le fait que chez les druides les premières de toutes les lois ont toujours été les suivantes.
Loi d’harmonie universelle. Dharma en Inde.
Cette loi invite au respect de la Nature, au respect général (mais comme toute règle il y a des exceptions) de tout ce qui vit, comme aussi à un amour de la Vie « aux antipodes » de l’idéal du « non-être ».
« MENTO BETO TO DEUO » = Pense constamment au divin. Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, cette formule a été notée par Holder et par Dottin, entre autres. Elle devait avoir une certaine notoriété, puisque la mère de saint Symphorien d’Autun (mort en 179) l’utilisa sous la forme : « Nate, nate, mento beto to devo », « Mon Fils, mon fils, pense toujours au divin ».
Penser constamment au divin, c’est d’abord vouloir contribuer au Devenir divin qui est « déploiement harmonieux des élans vitaux » (TR. Nº 19). Ceci dans le contexte de la « Weltanschauung » (Vision du Monde) selon les druides, dans laquelle la Divinité elle-même est en « éternel devenir ». Ceci donne une orientation générale de la morale dans ce sens…
Cet axiome fondamental s’infléchit bien évidemment lorsqu’il s’applique au petit peuple accaparé par les nécessités de sa propre survie ou de la survie du groupe.
Et pour le guerrier, cela passe après la loi du courage qui invite au mépris de la mort ; et après la loi de surpassement qui l’invite à se perfectionner dans l’art de la guerre.
Valable de façon impérative pour le « deuiciacos » = initié aux choses divines (qui est aussi dit « diuiciacos » = éclairé), il peut se résumer alors à une formule du type « Honorer les dieux, ne rien faire de mal, et être un homme, un vrai ». Vies et doctrines des philosophes célèbres. Livre I, prologue 6. (Diogène Laërce.)
Règle générale donc pour les druides disions-nous : le respect de la vie.
« Chez eux on est frappé d’une peine plus rigoureuse pour le meurtre d’un étranger que pour celui d’un concitoyen : dans le premier cas la mort, dans le second l’exil seulement » (Nicolas de Damas. Recueil des coutumes extraordinaires. Fragment Nº XLIV, 41, conservé par Stobée).
On constate donc à la lecture de ce témoignage que la sanction habituelle d’un homicide volontaire chez les Celtes n’était pas peine de mort, mais le bannissement. Sans doute en cas d’impossibilité du versement d’une compensation financière peut-on préciser à partir du droit irlandais. Et en cas d’insuffisance de la peine d’excommunication druidique. Exemple ultérieur très connu d’une telle pratique : la découverte du Groenland par Éric le Rouge en 982.
Pour en revenir au fait que l’homicide d’un étranger était plus sévèrement puni chez eux que le meurtre « habituel » d’un compatriote, un tel non-racialisme était apparemment peu courant (donc extraordinaire au sens strict du terme) à l’époque ; mais il est vrai que les très-sachants de la druidiaction (druidecht) n’ont jamais été xénophobes comme les Grecs , et ce respect, non-racialiste par excellence (à ne pas confondre avec l’antiracisme primaire constituant l’idéologie dominante aujourd’hui) des étrangers ; était d’ailleurs un commandement divin (émanant de l’Hercule appelé Ogmios par les druides si l’on en croit Diodore de Sicile. Bibliothèque historique. Livre IV, XIX. « Il s’avança en effet jusqu’à la Celtique, abolissant les coutumes comme celle de tuer les étrangers ».
Voir aussi de cet auteur (Livre V, XXVIII) sur le même sujet : « Ils invitent les étrangers à leurs festins, et, après le repas, leur demandent qui donc ils sont et ce qui les amène ».
Ce qui est assez logique étant donné que cet Hercule appelé Ogmios était aussi un des dieu-ou-démons de la guerre pour les Celtes. Disons plus exactement qu’il était le dieu-ou-démon de la guerre
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OFFENSIVE, les autres dieu-ou-démons, comme les teutates par exemple, étant plutôt des dieu-ou-démons de la guerre DÉFENSIVE. De la Défense nationale dirions-nous aujourd’hui.
Les très-sachants de la druidiaction (druidecht), antiques, étaient donc en quelque sorte les bouddhas du monde occidental de cette époque.
N.B. Le mot « bouddha » signifie seulement « éveillé ou illuminé », à l’origine dans l’amidisme extrême-oriental, et « Terre Pure » est le nom du Vindomagos dans cette forme de bouddhisme.
Les très-sachants de la druidiaction (druidecht) étaient aussi alors des médecins de l’âme/esprit et il n’a jamais manqué de druides satiristes pour vaticiner contre les abus de toutes sortes (satires sociales).
Mais ce que les druides antiques « liaient » en ce bas monde n’était pas automatiquement « lié » aussi dans l’autre (voir l’exemple du roi Bres puisqu’il était lui-même de l’Autre Monde…) et ce qu’ils « déliaient » sur cette terre n’était pas non plus automatiquement délié dans l’Autre.
Les très-sachants de la druidiaction (druidecht) antiques pouvaient « lier » sur terre par le biais des gessa mais celui qui ne respectait pas leurs tabous n’allait en aucune façon brûler en enfer pour l’éternité. Il pouvait même lui aussi aller dans le monde parallèle au nôtre que l’on appelle le paradis. Cas par exemple du Hesus = Cuchulainn qui, bien qu’ayant fini par violer un à un tous ses tabous, est quand même monté au ciel avec son char, si l’on en croit les apocryphes irlandais.
Les druides antiques, par contre, pouvaient « délier » les âme/esprits de leurs freins dans l’autre monde, grâce à différentes techniques de concentration spirituelle ou mentale positive appelées arra, terme signifiant littéralement « substitution » en vieil irlandais.
Cette démarche métapsychique, pratiquée par les druides eux-mêmes, ou par des proches du défunt, n’avait certes pas pour résultat de sauver telle ou telle âme/esprit de l’enfer, puisque l’enfer définitif ou éternel n’existe pas, comme nous l’avons vu. C’est du moins ce qu’ont toujours affirmé les très-sachants de la druidiaction (druidecht), si l’on en croit les Scolies bernoises commentant la Pharsale de Lucain.
Hermann Usener. Scholia in Lucani bellum civile/Commenta Bernensia. Liber I (1869).
451.« Les druides nient que les âmes puissent périr
[Driadae negant interire animas]
OU ALLER EN ENFER »
[aut contagione inferorum adfici] et
454.« Ils ne disent pas que les Mânes existent »
[Manes esse, non dicunt].
Pour une bonne nouvelle, ça, c’était une bonne nouvelle (suscetlon) !
Le point N° 25 de la petite liste annexée au concile de Leptines en 743 sous le titre latin d’indiculus superstitionum et paganiarum (évidemment, il s’agit de condamner ou dénigrer tout cela) va d’ailleurs clairement dans ce sens. Il évoque le fait d’imaginer que tout défunt est saint. Et en 851, Jean Scot Érigène a aussi noté dans son « De la prédestination divine » : Dieu ne prévoit ni peines ni péchés, ce sont des fictions. Pour Érigène également, donc, l’enfer n’existe pas, ou alors il l’appelle le remords. Repetere ars docendi, mais même cela nous l’avons déjà dit !
La démarche métapsychique pratiquée par les très-sachants de la druidiaction (druidecht), ou les proches du défunt ; sacrifice = commutation des peines voire des pénitents ; avait pour résultat d’accélérer, pour ce qui est de l’âme/esprit en question, le processus de sortie de l’état de l’être ; assimilé dans la poésie des bardes de l’époque, à un lieu : l’anderodubno ou andumno, autrement dit le purgatoire.
Bref, les druides antiques ne se considéraient nullement comme des magiciens de type chrétien pouvant tout lier ou délier à la fois sur la terre ET dans les cieux. Ils se considéraient simplement comme des conseillers ou guides spirituels (des médecins des âme/esprits).
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ÉTHIQUE NÉO-DRUIDIQUE ET SOCIÉTÉ.
L’Éthique c’est une conception ou une doctrine cohérente de la conduite de la vie. Ce qui distingue l’éthique de la morale, c’est le fait que la manière de se comporter est souvent liée à une recherche métaphysique, et se distingue ainsi de la morale imposée. Autrement dit, avoir une éthique, c’est décider d’agir de telle manière en sachant que cela n’engage que moi, et ne pouvoir se retrancher derrière des lois morales établies et conventionnelles. L’éthique est liée à une pensée personnelle.
Les personnes qui liront cette présentation de l’éthique druidique sentiront peut-être des redites par rapport à nos livres sur la Cosmologie ou la Cosmogonie ; ce n’est que la preuve de la cohérence entre raisonnement, mais aussi éthique dans cette dialectique panthéiste.
Dans cette présentation des fondements de l’éthique druidique, nous nous sommes surtout attachés à mettre en évidence la logique des préceptes dans leur cohérence avec la philosophie ; plutôt que d’entrer dans le détail de la morale celtique antique, déjà traitée par des chercheurs éclairés, tel Albert Bayet.
Tout en insistant sur ce qu’il y avait de plus valable et de partiellement reconductible à l’usage de notre temps. Il s’agit de réfléchir sur le potentiel de transposition pour notre époque, d’une éthique plutôt aristocratique, vieille de plus de deux mille ans, car la philosophie qui la sous-tend le permet.
L’adaptabilité du système moniste et relativiste du druidisme permet d’y penser : ce n’est pas une gageure farfelue.
Certes, entre l’époque de la civilisation celtique antique et notre temps, bien des choses ont changé, dont deux faits de société « majeurs » qui ont rendu périmé diverses données.
1. La société occidentale a subi des mutations considérables, et le christianisme, puis les philosophes à la mode (voir John Toland) ont vidé la tripartition sociale indo-européenne de son contenu antique. La tripartition Clergé, Noblesse, Peuple, tenait surtout à une vieille habitude mentale aryenne. Celle-ci a été balayée par les diverses révolutions advenues depuis 1775. Nous disons bien 1775, car nous ne sommes nullement d’accord avec les antiracistes qui font de la Révolution française le début de l’Histoire moderne.
La Résurgence d’une Société celtique à l’antique est exclue, et avec elle, celle d’une Organisation druidique partageant ou plus exactement conseillant, le Pouvoir.
2. Le progrès scientifique a fait des pas énormes, et a déphasé les anciennes croyances par les explications qu’apportent la Cosmographie, la Géophysique, la Météorologie, la Paléontologie.
L’ancien paganisme assumé par le néo-druidisme doit être repensé à la lumière de la Science moderne, et prêt à évoluer avec ses futurs progrès.
Que reste-t-il alors comme potentiel pour un néo-druidisme réaliste ? Réponse : ce que le druidisme antique avait de meilleur ! Le raisonnement qui dirigeait sa construction peut seul guider sa reconstruction. Seule philosophie ayant jadis frôlé le « Monisme Intégral », le druidisme antique était en avance sur ces contemporains, et cette idée moniste n’est pas démentie, bien au contraire, par la Science moderne. Le Relativisme druidique est très proche du « Relativisme civilisationnel » développé par certains philosophes actuels comme Samuel Huntington. C’est ce qui lui permet d’être repensé pour notre temps sans trahir ce qui peut autoriser à l’appeler encore druidisme.
Les Druides antiques ayant eu la sagesse de donner à leur éthique une base dialectique, rationnelle, cette éthique à la fois exigeante sur les principes, et flexible en fonction des contextes sociaux (cf. la double philosophie de John Toland) , demeure une valeur toujours actuelle. Qui plus est, parallèle et non dépendante de la religion, elle reste compatible aussi bien avec un néopaganisme intelligemment repensé, qu’avec un matérialisme athée, voire un christianisme à tendance pélagienne ou érigénienne ; car sa valeur transcende ces différences.
La première des grandes modernisations ou adaptations à notre temps, opérée par les druides d’aujourd’hui en matière d’éthique ; a été de décloisonner les diverses déontologies que nous venons brièvement d’esquisser (celle des druides-prêtres ou autres intellectuels, celle des guerriers-seigneurs et chevaliers, celle des producteurs, artisans et paysans).
Le néo-druidisme prône un alignement vers le haut des principes éthiques régissant la 3e fonction, voire même aussi de ceux qui régissent la 2e. Le citoyen d’aujourd'hui doit être, lui aussi, traité en fils
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de roi. Démocratie oblige ! Les principes éthiques de ces trois déontologies de classe concernent aujourd'hui tout le monde, à des degrés divers. Ils sont universels !
Certes, on ne demandera pas autant de courage à un agriculteur ou à un ouvrier voire à un employé mobilisé pour défendre sa patrie, qu’à un jeune lieutenant issu d’une longue lignée de militaires ; mais il est certain que ce producteur devra, lui aussi, faire preuve du plus grand courage possible, pour défendre honnêtement sa patrie en danger.
Il est certain aussi que si ce producteur est trop pauvre pour arriver à se nourrir lui-même, il ne pourra qu’être alors dispensé de nourrir les autres.
Et inversement. Le descendant d’une longue lignée de militaires ; s’il n’est pas lui-même guerrier, devra, lui aussi, se rendre utile à la société en aidant à produire ce qu’il faut (exploitation agricole rationnelle, activité industrielle, technique, et autres).
L’instruction supérieure doit également ne plus être l’apanage des seuls druides ou des jeunes nobles, mais doit se démocratiser. Universités gratuites pour tous et ainsi de suite.
Seule exception à ce début de décloisonnement : le domaine de la sexualité.
En matière sexuelle, il n’est peut-être pas nécessaire de prendre comme référence absolue la morale druidique la plus stricte (celle destinée aux druides). Le statu quo en matière de liberté suffit largement.
N’oublions pas aussi que décloisonnement ne signifie pas égalité absolue des droits et des devoirs éthiques. Le néo-druidisme est toujours relativiste, et admet les adaptations particulières de ses grands principes éthiques.
Lectrices et lecteurs sont invités à garder à l’esprit ces nouveaux principes du druidisme en lisant les approfondissements qui suivent, et en prenant le temps de les méditer.
Il s’agit de construire un homme nouveau avec le meilleur de l’ancien.
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« BIEN PENSER, BIEN AGIR, ET BIEN PARLER ».
D’après nos frères en paganisme appelés Guèbres ou Parsis, Ahoura Mazda aurait donné aux Aryens cette triple consigne.
MAIS SUR DE NOMBREUX ET MÊME D’INNOMBRABLES POINTS pourtant fondamentaux, le druidisme diffère pourtant du bouddhisme (à l’exception peut-être de celui de type Bodhidharma). . Il nous a néanmoins semblé utile de résumer ici en quelques mots les grandes lignes de ce spiritualisme athée afin que chacun puisse bien comprendre que le druidisme ce n‘est pas non plus du bouddhisme même occidental, bien qu’il y ait quelques points communs entre les deux.
Les quatre vérités.
1) Toute vie implique la souffrance.
2) L’origine de cette souffrance réside dans les attachements.
3) La fin de la souffrance est possible.
4) Le chemin menant à la fin de la souffrance est la voie moyenne qui suit le noble sentier.
Les quatre incommensurables.
Ce sont des émotions positives extrêmement puissantes, à développer par des pratiques appropriées.
– La bienveillance universelle.
– La compassion née de la rencontre de la bienveillance et de la souffrance d’autrui.
– Se réjouir du bonheur d’autrui.
– Au-delà de la compassion et de la joie du bonheur d’autrui, une grande sérénité face à toute circonstance, heureuse, triste ou indifférente.
Les cinq préceptes.
Les préceptes les plus fréquemment suivis sont les cinq préceptes ci-dessous.
Essayer de ne pas nuire aux êtres vivants ni retirer la vie.
Essayer de ne pas prendre ce qui n’est pas donné.
Essayer de ne pas avoir une conduite sexuelle incorrecte (ou plus généralement de garder la maîtrise de ses sens). Essayer de ne pas user de paroles fausses ou mensongères.
Essayer de ne pas ingérer de produits pouvant altérer la maîtrise de soi (alcool, tabac ou drogues).
Autrement dit et sous une forme positive.
Actions bienveillantes. Générosité. Calme, simplicité et contentement. Communication sincère et véritable (purifier sa parole). Maîtrise de soi, de son corps, de son esprit, de ses idées.
Les dix préceptes.
Raffinement, ou démultiplication des cinq préceptes ci-dessus. S’efforcer de ne pas nuire aux êtres vivants ni retirer la vie (écologie). S’efforcer de ne pas calomnier (créer la discorde). S’efforcer de ne pas dire de paroles blessantes. S’efforcer de ne pas parler pour ne rien dire. S’efforcer de ne pas éprouver de convoitise. S’efforcer de ne pas avoir de malveillance ou d’animosité. S’efforcer de ne pas avoir d’idées fausses ou erronées.
Autrement dit et sous une forme positive.
Paroles salutaires et harmonieuses. Mots bienveillants et gracieux. Tranquillité d’esprit. Compassion. Sagesse.
VOYONS MAINTENANT CE QU’IL EN EST DU DRUIDISME.
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LA LETTRE TUE, SEUL L’ESPRIT VIVIFIE
(L’ADAPTATION CONTINUELLE : TEL EST LE PRINCIPAL AVANTAGE
D’UNE TRADITION ORALE).
« On dit qu’ils apprennent là un grand nombre de vers par cœur ; en conséquence de quoi certains y suivent leurs cours pendant vingt ans. Ils répugnent à les mettre par écrit, bien que pour ce qui est de toutes les autres matières, dans leurs transactions publiques et privées, ils se servent à cet effet des caractères de l’alphabet grec. Cette pratique me semble avoir été adoptée par eux pour deux raisons : la première parce qu’ils ne désirent pas que leurs doctrines soient divulguées trop largement dans le peuple, et parce que, en ce qui concerne ceux qui étudient chez eux, moins faire travailler la mémoire en recourant à l’écriture fait qu’il arrive généralement à la plupart, devenus dépendants de l’écrit, qu’ils relâchent leurs efforts pour apprendre et mémoriser. Les druides souhaitent inculquer une de leurs croyances fondamentales, à savoir que, etc. » (César, BG. Livre VI, chapitre XIV).
Les druides souhaitent donc que tout homme puisse recevoir leurs lumières qui, loin de mutiler l’existence, au contraire l’enrichissent. Pour cela, ils réclament donc le droit de proposer à tous de faire la même rencontre qu’eux avec le divin. Mais les vrais druides se sentent aussi une responsabilité particulière, celle de veiller à ce que le savoir druidique ; tel qu’il est aujourd’hui vécu par les druidisants, soit fidèle à l’esprit du savoir que les druides primordiaux, et à leur suite les anciens druides ; ont les premiers mis au point et appliqué, parfois jusqu’au martyre (comme dans le cas de ceux de l’île de Mona, ou comme dans le cas des Gutuater et des Mariccos, deux martyrs du druidisme torturés par les Romains). Les choses étant ce qu’elles sont, et vu les documents où l’on retrouve ces traces de la Tradition, cela n’est pas toujours facile ; la Tradition doit donc toujours être réinterprétée pour être enseignée. Il s’agit, pour nous et plus que jamais, non de parader vainement tout en faisant comme si nous appartenions à une élite secrète et injustement méconnue, mais de proposer aux autres hommes, en ce siècle, le message libérateur et sauveur des valeurs incarnées par les dieu-ou-démons, secourables ou paisibles diraient nos amis bouddhistes (anextiomaroi, iovantucaroi, virotoutis, dunates,teutates, contrebis, mopatis etc. en langue celte). C’est-à-dire ces vérités que l’on ne peut ignorer sans méconnaître les réalités de l’âme/esprit elle-même, ce que font pourtant le collège druidique dirigé par Mme H… C… le groupe druidique des Gaules animé par MM. P… et D… et le collège breton (la gorsedd) dirigé par le Docteur G…'…. L. S……Sans oublier le « grand » collège celtique de l. f… d. B… de M. J… T…
COMPATIBILITÉ DONC DU NEO-DRUIDISM AVEC LA SCIENCE EN COURS.
Le savoir druidique est un enseignement s’accordant parfaitement avec la raison, n’en appelant nullement à une foi aveugle, mais invitant au contraire à éprouver ses vérités par la pratique et la méditation. C’est une religion du savoir et de la raison. La science bien sûr ne saurait montrer le chemin menant au château du Graal, mais les druides ont toujours porté un grand intérêt, un intérêt positif, aux progrès de la Science.
Complémentarité de la science et de la religion donc, de la connaissance rationnelle et de la sagesse intuitive, par dépassement de leurs oppositions.
La formation de la personne humaine dans la perspective eschatologique de sa fin dernière la plus haute, qui est en même temps de celle de toute l’Humanité, va de pair avec la qualité de l’instruction dispensée aux enfants. Les directeurs des écoles doivent veiller à ce que le niveau scientifique de leur établissement soit le meilleur de tous. Les maîtres doivent se distinguer par la rectitude de leur vie, leurs vertus, mais aussi par leur compétence pédagogique, et leur talent. Ils doivent approfondir et enseigner les diverses disciplines en respectant leur légitime autonomie scientifique par rapport à la foi. Aide spirituelle et rappel des principes de base du druidisme ne doivent jamais nuire à la légitime autonomie des sciences par rapport à la foi ou à leur progrès. Les druides, les vrais du moins, ne doivent pas cesser de proclamer Y Gwir Yn Erbyn Y Byd le vrai à la face du monde et par là même indiquer les différents moyens de réussir l’épanouissement de notre âme (moksha dans l’hindouisme) ou notre salut. LE MAGISTÈRE DRUIDIQUE A ÉTÉ INSTITUÉ POUR RELAYER CETTE ACTION COMME LE FEU DANS L’EAU DE L’ESPRIT AU SEIN DE LA MATIÈRE.
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DÉONTOLOGIES DIVERSES.
ANCIENNES LOIS ET INSTITUTIONS D’IRLANDE (SENCHUS MOR) TOME 1.
Intud i ngeindtleacht gnim olc mad indechur. Il y a renforcement du paganisme si une mauvaise action est vengée.
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DÉONTOLOGIE DE LA VOCATION DE DRUIDE.
À l’évidence, la morale était bien plus exigeante pour les deux classes supérieures, l’intellectuelle et la militaire (seigneurs et chevaliers) que pour le petit peuple des producteurs (paysans et artisans). Dans le cas des druides au sens strict du terme, cela pouvait amener à une certaine ascèse, destinée comme dans le brahmanisme ou le bouddhisme et plus tard dans le monachisme culdée, à augmenter le potentiel mental.
Lucain la Pharsale : « à vous seuls il est donné de connaître, comme de les ignorer, les dieux et les puissances célestes ; les grands arbres des bosquets reculés sont vos demeures, etc. » (cf. Merlin.)
Pomponius Mela Livre III : « Après avoir conduit vers les autels leurs victimes humaines vouées aux dieux, ils continuent néanmoins de les inciser légèrement, mais s’abstiennent désormais de verser le dernier sang, et n’en viennent plus à cette extrémité. Ils ont néanmoins leur propre art de bien parler ainsi que des maîtres en sagesse : les druides. Ces hommes prétendent connaître la taille et la forme de la Terre ainsi que de l’Univers, les mouvements du ciel et des étoiles, et ce que veulent les dieux. Secrètement et sur une longue période (vingt ans), ils enseignent de nombreuses choses aux plus nobles jeunes gens de leurs peuples, et ils font cela dans des grottes ou dans des clairières cachées au fond des bois » (toujours Merlin donc).
Dans la classe chevaleresque, cela incitait à pratiquer une sorte de « yoga celtique », évoqué plus tard dans la littérature épique irlandaise sous le nom de « riastrad » ou « clessa ». Expurgés du merveilleux inhérent à ce genre littéraire allant jusqu’à narrer des contorsions ou des exploits physiquement impossibles, le récit des exercices de Cu-Chulainn peut en donner une idée. Ils avaient pour but de le défouler puis de lui apporter une maîtrise absolue du corps avec une confiance en soi décuplée, « Décharge active des désirs retenus », suivie de « concentration réelle des forces ». (cf. TR. Nº 22, pp. 21, 22).
N.B. CES DEUX TYPES DE DÉPASSEMENT PERSONNEL ONT FINI PAR SE CONFONDRE QUELQUE PEU DANS LE DRUIDISME MÉDIÉVAL.
LE DRUIDISME MODERNE EN TOUT CAS, LUI, A TOTALEMENT FAIT SIENS ÉGALEMENT LES ARTS MARTIAUX DES GUERRIERS CELTIQUES ANTIQUES.
Le vrai druidisant doit être (comme tout bon féniane qui se respecte) non pas l’homme d’un seul livre, mais de trente-trois. Le vrai druidisme est en effet une école de réflexion. Une école du penser. Libre par définition comme aurait pu dire le grand druide John Toland. Si le druidisme peut servir à quelque chose dans le monde d’aujourd’hui c’est bien à cela : être une école de réflexion.
Jouent un grand rôle dans ce type de druidisme les questions posées par un maître.
Il s’agit bien souvent d’un très court dialogue entre le maître et le disciple… le premier pose une question, le second y répond comme il peut, et le maître donne la solution. Il s’agit de sentences servant à illuminer l’esprit, ne serait-ce que pour une fraction de seconde ou pour l’éternité (aiu), et tout d’abord en le rendant un peu plus humble.
« Dans la conversation, leur parole est brève, énigmatique, procédant par allusions et sous-entendus, souvent hyperboliques » (Diodore de Sicile V, 31).
Exemple. Le très-sachant irlandais appelé Cruitine se rendit un jour dans la tribu d’un autre très-sachant, avec un de ses élèves, un étudiant qui avait la fierté d’un maître. Cruitine envoya son disciple prendre les devants et demander l’hospitalité au très-sachant. On lui prépara donc un ventre de porc dans un grand chaudron, et le très-sachant qui avait accepté d’héberger Cruitine s’entretint avec le disciple pendant ce temps-là. Il remarqua immédiatement son orgueil, mais aussi la petitesse de son intelligence. Quand la viande fut prête, il demanda en sa présence : « tofotha tarr téin ? » c’est-à-dire : est-il temps de l’enlever du feu ? Afin de savoir quelle réponse lui ferait l’étudiant, car Cruitine vantait ses connaissances, comme s’il s’était agi de lui-même. Mais il avait dit cela, car il en doutait fortement.
Il répéta « tofotha tarr téin » par trois fois, mais le jeune disciple ne pipa mot.
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L’étudiant sortit, alla trouver Cruitine et il lui rapporta la situation, à savoir la question que l’autre très-sachant lui avait posée : « tofotha tarr téin ? »
Bien, répondit Cruitine, quand il te posera de nouveau la question, réponds-lui : « toe lethaig foen friss ocus fris adaind indlis », ce qui veut dire « mets une planche à pétrir dessous et allume une chandelle pour voir si le ventre de porc est assez cuit ».
Le disciple fut très étonné de cette réponse, car il ne savait pas que leithech voulait dire aussi « planche à pétrir », il ne connaissait le mot que dans son sens de « flet ».
Le terme leithech signifie en effet deux choses différentes en irlandais. C’est en premier lieu le nom d’une espèce de poisson (flet) qui est appelée ainsi à cause de sa largeur et de sa minceur ; mais c’est aussi le nom d’une sorte de petite planche à pétrir où l’on malaxe la pâte pour faire cuire du pain.
Quand le disciple revint dans la cuisine, le très-sachant lui demanda la même chose, et il répondit « toe lethaig etc. »
« Ce n’est pas une bouche d’étudiant qui a fait cette réponse ! » rétorqua le très-sachant, « celui qui l’a faite ne doit pas être loin. Celui qui l’a faite ne doit pas être loin. Crutine n’est pas loin. Demande-lui de venir ».
Aussitôt dit aussitôt fait. On souhaita la bienvenue à Cruitine, et l’on rajouta de la nourriture dans le chaudron. Et l’orgueil du disciple en prit alors un sérieux coup, car le très-sachant se moqua de lui avant de s’entretenir avec Cruitine » (Glossaire de Cormac ; entrée Lethech)
Ce besoin tenace d’omniscience juxtaposé à une perpétuelle humilité s’avère caractéristique, et l’on pourra se reporter à ce que César constate de la science et de la pédagogie des très-sachants. « Ils discutent aussi beaucoup des astres et de leurs mouvements, de la grandeur du monde et de la terre, de la nature des choses, de la puissance et du pouvoir des dieux immortels, et ils transmettent ces spéculations à la jeunesse » (BG. VI, 14).
Dialogue des deux sages. Nede repartit chez lui et ses trois frères firent de même, Lugaid, Cairbre, et Cruttine. En chemin ils trouvèrent bolg belce (une vesse-de-loup ?). L’un d’entre eux demanda : « pourquoi est-il appelé bolg belce (vesse-de-loup) ? Comme ils ne savaient pas, ils revinrent auprès d’Eochu et passèrent encore un mois chez lui. Ils se remirent ensuite en route et tombèrent par hasard sur des roseaux. Comme ils ne surent point pourquoi on appelait cette plante « roseau », ils revinrent une fois de plus chez leur précepteur. À la fin de ce deuxième mois supplémentaire, ils se remirent en route. Ils tombèrent en chemin sur une gass sanaic (une tige de sanicle ?). Comme ils ne surent pas non plus pourquoi on appelait cette plante gass sanais (tige de sanicle ?), ils restèrent de nouveau un mois tout entier avec lui.
La voie druidique évoquée par ces deux anecdotes est donc une méthode (ayant pour but la connaissance et l’épanouissement de l’âme appelé moksha dans l’hindouisme) consistant à être disciple d’un très-sachant déterminé.
Les quatre aspects de cette voie sont les suivants…
– Étude de sa doctrine spirituelle (les fameux douze livres des Fénianes d’Irlande) avec examen de soi-même.
– Pratique de la méditation selon la méthode traditionnelle reçue.
– Service du très-sachant en question.
– Vie conforme aux préceptes moraux (éthique) de sa profession menée dans la pratique de la vérité, de la justice, de la simplicité, mais aussi dans le plus complet respect des deux autres fonctions.
Comme le remarque très justement Albert Bayet : « Il y a plusieurs manières de respecter la vérité. La première consiste à fuir le mensonge et l’hypocrisie, à rester fidèle à la parole donnée. La seconde consiste à étudier pour connaître le vrai des choses, à encourager l’étude en honorant ceux qui s’y adonnent ».
Albert Bayet continue en évoquant les privilèges qui étaient, chez les Celtes antiques, attachés à la possession d’une science ou d’un savoir. Preuve indéniable que l’on enseignait alors le respect des choses de l’esprit : « La science acquise honore autant que les exploits guerriers. Tous les historiens ont signalé le fait. À Rome dans le même temps, un homme politique peut, sans aucune étude préalable, exercer les plus hautes fonctions sacerdotales : il rirait si on lui demandait d’apprendre astronomie ou physique ; à l’inverse, le corps des savants ne jouit d’aucune considération et le professeur le plus docte peut fort bien être esclave ». Or avoir de bonnes connaissances en tout
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permet d’être plus juste, plus réaliste, plus impartial, plus objectif, et cela évite les violences dues aux illusions ou aux erreurs, dangereuses, parce que trop manichéennes ou simplificatrices.
Il faut agir en connaissance de cause, par décision raisonnée plus que par obligation impérative. À ce titre, l’ignorance par incuriosité ou paresse constitue assurément un manquement, donc une faute.
… Nous sommes là aux antipodes du mythe de la Genèse hébraïque où la faute majeure (« le péché originel ») d’Adam et Ève fut d’essayer d’accéder à la connaissance du Bien et du Mal en goûtant aux fruits de l’Arbre de Science ; enfreignant ainsi le seul interdit qui leur avait été inculqué.
Ainsi que nous avons pu le voir déjà, le druidisme, c’est l’engagement d’aider par sa pratique les êtres qui, comme nous, souffrent de cette insatisfaction fondamentale caractérisant toujours les hommes, à atteindre l’autre monde ; avant que de l’atteindre soi-même. Cette dimension morale, ou éthique, de la druidiaction, s’exprime en premier lieu par un enseignement et une pédagogie. César (B. G, VI) : « Ils apprennent un grand nombre de vers, et il en est qui passent vingt années dans cet apprentissage. Il n’est pas permis de confier ces vers à l’écriture, tandis que, dans la plupart des autres affaires publiques et privées, ils se servent de l’alphabet grec… Le mouvement des astres, l’immensité de l’univers, la grandeur de la Terre, la nature des choses, la force et le pouvoir des dieu-ou-démons immortels, sont les sujets de leurs discussions : ils les transmettent à la jeunesse ».
Tous les moyens peuvent être mis en œuvre pour se mettre en valeur ou être agréable aux autres, mais non pas comme les courtisans mis en scène par La Bruyère dans ses caractères ; qui eux, par leurs attitudes et leurs comportements, sont à l’opposé du véritable honnête homme. Le véritable honnête homme se connaît, connaît les autres, et reconnaît la vérité. Être lucide avec soi-même et les autres est d’ailleurs un premier élément de salut ; le vice par excellence est l’hypocrisie ; la retraite peut être l’ultime remède. Humainement, le véritable honnête homme met son point d’honneur à ne pas se faire remarquer à mauvais escient : soucieux de se conformer à l’usage, il se méfie de l’orgueil individuel.
Moralement, il doit donc trouver des éléments modérateurs à ses passions, qui lui semblent à la fois inévitables et redoutables. Il doit posséder la maîtrise de soi et ne pas se laisser aller à des excès. Il doit plaire aux autres, mais par des attitudes vraies, par son mérite personnel et par ses actions, et non pas en fonction de ses origines sociales. Il doit « réconcilier l’être et le paraître » ; bref, le véritable honnête homme doit être honorable. Le véritable honnête homme doit être loyal, vertueux, élégant physiquement et moralement ; il doit savoir se comporter en société en respectant les bonnes manières, la politesse et la courtoisie. L’honnêteté, c’est de respecter les bienséances, c’est de savoir ce qu’il convient de dire et de faire dans une circonstance donnée, c’est avoir bon goût.
Mais l’honnête homme ainsi défini, qu’il soit médecin, avocat, professeur, industriel… ou sportif ; doit aussi avoir des notions dans tous les domaines. Cultivé sans être pédant, distingué sans être précieux ou affecté au sens français du XVIIe siècle, du terme, réfléchi, mesuré, discret, galant sans fadeur, brave sans forfanterie ; le véritable honnête homme doit se caractériser par une élégance à la fois extérieure et morale qui ne se conçoit que dans une société très civilisée, voire très disciplinée. Peu importe qu’il soit du peuple ou de la haute société ; la seule vraie noblesse est celle du cœur.
Il est vrai que le savoir ne nous rend ni meilleurs ni plus heureux. Mais l’éducation peut aider à devenir meilleur et, sinon heureux, du moins à nous apprendre à assumer la part prosaïque et vivre la part poétique, de nos vies.
L’enseignement moderne forme à travers le monde une trop grande proportion de spécialistes de disciplines prédéterminées, donc artificiellement bornées ; alors qu’une grande partie des activités sociales, comme le développement même de la science, demande des hommes capables à la fois d’un angle de vue beaucoup plus large et d’une focalisation en profondeur sur les problèmes ; ou des progrès nouveaux transgressant les frontières historiques des disciplines.
Or il y a inadéquation de plus en plus ample, profonde et grave, entre nos savoirs disjoints, morcelés, compartimentés , et d’autre part des réalités ou des problèmes de plus en plus transversaux, pluridisciplinaires, multidimensionnels, transnationaux, globaux, planétaires.
La culture est désormais non seulement découpée en pièces détachées, mais aussi brisée en deux blocs.
Il n'est aujourd'hui que trop évident que les responsables, élus ou autoproclamés, en général très diplômés, de nos modernes démocraties, n'ont pas assez lu, qu’ils ont décidé de ce que nos sociétés devaient faire sans trop savoir, sans avoir pris le temps d’aller voir les livres anciens (en dehors de la Bible et du Coran) qui traitaient déjà des questions qu’ils se posaient. D’immenses blancs sont ainsi apparus dans l’information de ces décideurs ou dans l’information de ces faiseurs d’opinions.
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La grande disjonction entre la culture des humanités classique et la culture scientifique, commencée au XIXe siècle et aggravée au XXe, entraîne de grandes conséquences pour l’une et pour l’autre. La culture humaniste est une culture générique, qui, via la philosophie, l’essai, le roman, nourrit l’intelligence générale, affronte les grandes interrogations humaines, stimule la réflexion sur le savoir, et favorise l’intégration personnelle des connaissances. La culture scientifique, de nature tout autre, sépare les champs de connaissance ; elle suscite d’admirables découvertes, de géniales théories, mais non une réflexion sur la Destinée humaine ou sur le destin universel appelé Tokad (moyen gallois tynghed, breton tonket, destiné, vieil irlandais tocad, destin, toicthech « fortunatus », tonquedec en breton. Le labarum est sa voix son signe son messager).
L’information est une matière première que la connaissance doit maîtriser puis intégrer. C’est bien vrai, car on peut rester devant la radio ou un téléviseur pendant des jours, des semaines, voire des années, sans intégrer les informations transmises dans un ensemble compréhensible et cohérent, que seule la connaissance permet de maîtriser ou d’intégrer. La connaissance doit être en permanence revisitée ou révisée par la pensée.
Nous sommes tout à fait d’accord avec le sens de cet exposé, car c’est vraiment là que se trouve la solution : une culture générale sur laquelle la culture spécialisée peut prendre appui. Mais une culture en formation continue.
L’apprentissage de la vie doit donner à la fois la conscience que la « vraie vie » n’est pas tant dans les nécessités utilitaires auxquelles nul ne peut échapper ; mais dans l’épanouissement de soi et de la qualité morale de l’existence ; que vivre nécessite de chacun à la fois lucidité, mais aussi compréhension, et plus largement une mobilisation de toutes les aptitudes humaines. Ce néo-druidisme pourrait alors apporter les deux produits les plus précieux de la culture : la rationalité critique et autocritique, qui justement permet de s’auto-observer en permettant la lucidité, mais aussi l’agnosticisme.
Depuis le Moyen-âge, on pensait plutôt qu’il y avait une certitude dans le Monde, à commencer par Dieu ou le Démiurge, la hiérarchie divine, et ainsi de suite. Tout semblait fonctionner comme une grande mécanique universelle (déisme). Puis, un jour, la science ne corrobore plus du tout ce point de vue et soutient, au contraire, que nous vivons dans un monde d’incertitudes.
Le plus grand apport de connaissance du XXe siècle a été la connaissance des limites de la connaissance. La plus grande certitude qu’il nous ait été donnée alors est celle de l’inéluctabilité d’un certain nombre d’incertitudes – c’est-à-dire que l’on ne peut pas délimiter les incertitudes par une définition, puisque ce sont justement des incertitudes – ; non seulement dans l’action, mais dans la connaissance. Il convient par conséquent de faire converger plusieurs enseignements, de mobiliser plusieurs sciences et disciplines pour apprendre à affronter cette incertitude.
La seule chose dont nous pouvons être certains, c’est qu’il existe une incertitude historique liée au caractère intrinsèquement chaotique de l’histoire humaine (120 000 ans). L’aventure historique proprement dite a commencé il y a plus de dix mille ans – c’est encore très jeune… Elle a été marquée par des créations fabuleuses et des destructions irrémédiables. Il ne reste rien des empires égyptien, assyrien, babylonien, perse, ni de l’Empire romain qui avait pu sembler éternel, ni même de l’Empire ottoman. Et nous sommes passés du Dieu des druides -philosophes au Dieu des religions de masses. De formidables régressions de civilisation ou de l’économie ont suivi de temporaires progressions. L’Histoire n’est pas un progrès inéluctable et continu, de la civilisation. L’Histoire est soumise aux accidents, perturbations, et parfois destructions massives de populations et civilisations. [Note de la rédaction. Edgard Morin ne vise pas spécialement l’islam dans ce passage de son œuvre, mais il est indéniable qu’il existe dans les religions abrahamiques, ou judéo-islamo-chrétiennes, des réflexes rétrogrades pouvant aboutir à ce résultat].
Morin est d’avis que l’on doit favoriser la philosophie dans la formation des individus. La philosophie doit contribuer au développement de l’esprit, car la philosophie est avant tout une puissance d’interrogation et de réflexion, qui porte sur les grands problèmes de la connaissance et de la condition humaine. Sans oublier l’intérêt que l’on trouve dans une formation générale à certaines notions qui risqueraient autrement de nous échapper complètement, comme l’idée de noosphère (noos, mot grec qui signifie esprit).
Nous entrons dans un univers plus complexe qui nécessite plus une formation générale que spécialisé ; ou des intérêts généraux plutôt que spécialisés. Non pas que la spécialisation soit inutile et ne réponde pas à un besoin, mais il faut posséder une culture générale derrière tout cela pour être en mesure de faire face au fonctionnement de plus en plus complexe de notre société. [N.D.L.R. Le dramatique recul de la Poste française au début du XXIe siècle en a été un tragique exemple. L’arrivée au pouvoir de toute une génération de cadres, médiocres tant intellectuellement que moralement, plus préoccupés par leur carrière que par l’avenir de leur entreprise, en a été la cause].
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En somme, pour faire face à l’incertitude, il faut revenir à l’idée qu’il convient d’avoir un mode de pensée capable de relier ou de solidariser les connaissances disjointes, pour aller au-delà des contradictions apparentes.
L’enseignement doit redevenir non plus seulement une fonction, une spécialisation, une profession, mais une tâche de salut public : une mission. Elle nécessite ce qui n’est indiqué dans aucun manuel, mais que les druides évoqués par César avaient déjà signalé comme condition indispensable à tout enseignement : le désir et le plaisir de transmettre des connaissances, l’amour pour la connaissance et l’amitié pour les enseignés. Là où il n’y a ni amour ni amitié, il n’y a plus que des problèmes de carrière, d’argent pour l’enseignant, d’ennui pour l’enseigné. La mission suppose évidemment la foi, ici la foi dans les possibilités de l’esprit humain. La mission est donc très difficile, puisqu’elle suppose en même temps art, foi, amour et amitié.
Il s’agit de fournir une culture qui permettra de distinguer, mettre en perspective, globaliser, s’attaquer aux problèmes multidimensionnels, globaux et fondamentaux ; préparer les esprits à répondre aux défis que pose à la connaissance humaine la complexité croissante des problèmes ; préparer les esprits à surmonter les incertitudes qui ne cessent de s’accroître ; en leur faisant découvrir l’histoire incertaine et aléatoire de l’Univers, de la vie, de l’Humanité, mais en favorisant aussi en eux l’intelligence stratégique et le pari pour un monde meilleur ; éduquer pour la compréhension humaine entre proches et entre lointains ; enseigner l’affiliation à la communauté à laquelle on appartient (nation, société, collectivité) à son histoire, à sa culture, à la citoyenneté ; enseigner la citoyenneté planétaire en enseignant l’Humanité dans son unité anthropologique et ses diversités individuelles ou culturelles, ainsi que dans sa communauté de destin propre à notre ère, où tous les êtres humains sont confrontés aux mêmes problèmes (vitaux et mortels).
N.B. Edgar Morin est l'un des grands penseurs de notre époque. N’oublions pas néanmoins que si la connaissance est supérieure à la foi, la foi sauve également. Il suffit de croire que l’on se réincarne dans un autre monde meilleur après la mort, pour être sauvé ! (J.-P. Martin).
*L'intelligence est l'ensemble des facultés mentales permettant de comprendre les choses et les faits, de découvrir les relations entre eux. Intelligence vient du latin intelligentia, dérive du verbe intellegere signifiant comprendre, et dont le préfixe inter (entre), et le radical legere (choisir, cueillir) ou ligare (lier) suggèrent essentiellement l'aptitude à relier des éléments qui sans elle resteraient séparés.
On admet donc que l'homme intelligent est souvent celui qui perçoit comme processus unique ce que ses contemporains voient comme des phénomènes indépendants. Inversement, un tel homme peut aussi percevoir comme distincts des phénomènes qui avant lui étaient perçus comme formant un tout : exemple masse et poids, ou température et quantité de chaleur (avant que les physiciens ne s'en préoccupent).
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REMARQUES À PROPOS DE LA MAGISTRATURE MORALE DU DRUIDISME.
Les rois et les princes qui nous gouvernent doivent respecter les droits naturels et inaliénables de la rectu adgenias/recht aicnid. Les remarques assez alambiquées ou gênées parfois du Senchus Mor ou plus exactement des commentateurs en glosant certains passages, le prouvent.
Bui is in cetna nous fer nErend.
Première loi… Formulation assez obscure. Signifie qu’avant l’époque de Patrice les Irlandais suivaient la loi de la nature.
Les rois et les vergobrets (le pouvoir régalien) doivent donc assurer par des moyens honnêtes la sécurité de leurs sujets, la possibilité pour eux de vivre dignement… Le druidisme accepte évidemment à cet effet, sans aucun problème de conscience comme nous l’avons vu, le droit à la légitime défense, collective ou individuelle d’ailleurs. Cette légitime défense n’implique pas la haine des ennemis, mais seulement la haine du mal qu’ils font ! Certes, il revient maintenant aux vergobrets d’arbitrer entre les divers intérêts particuliers (la fraude et les autres subterfuges par lesquels certains veulent échapper à leur devoir social, doivent être notamment condamnés, voire combattus) ; mais ils doivent rendre accessibles au peuple ce dont il a besoin pour mener une vie digne et décente (nourriture, vêtement, santé, travail, écoles – l’enseignement était une des grandes tâches du druidisme antique –). Cette poursuite du bien commun exige la plus grande prudence de la part des rois ou de leurs barons, qui doivent notamment veiller au libre exercice du culte, à la sauvegarde de la vie privée, des libertés, au respect de l’honneur dû à toute personne humaine. Rendons à César ce qui est à César avons-nous dit, mais l’État n’est pas la fin dernière de la personne humaine. Celle-ci, par certaines de ses dimensions, le dépasse, c’est pourquoi il se doit notamment de respecter les communautés intermédiaires évoquées en conclusion par Taguieff (minorités raciales, ethniques, régions… Loin de tout racisme de domination, d’exploitation ou de mépris peut-être, il saura penser les différences. L’État moderne a le devoir de défendre et de promouvoir, comme l’ont fait jadis les rois celtiques de type Ambicatus, le bien du peuple, le simple citoyen (toutioous) et les corps intermédiaires. Le néo-druidisme n’étant pas là pour abolir l’ancien, mais seulement pour l’accomplir (notre devise : construire un homme nouveau avec le meilleur de l’ancien), nous ne dirons plus rien des gessa (geis au singulier) que nous venons de voir ; et nous nous contenterons de passer en revue brièvement les différents points à propos desquels le nouveau druidisme apporte des précisions, ou des corrections.
En voici quelques exemples que chacun prendra comme il le voudra.
1. La fécondité humaine est un véritable don des dieux (ou-démons d’après certaines sectes religieuses partisanes de l’extinction de l’humanité), mais c’est aussi un des plus grands devoirs de l’Homme. Les techniques de procréation artificielles médicalement assistées, comme les fivetes ou les bébés éprouvette, sont donc parfaitement légitimes et il n’y a rien à y redire. Nos ancêtres ont assez prié les dieux, offrandes à l’appui, pour avoir des enfants.
2. L’avortement est un véritable casse-tête éthique. Cette opération ne saurait être banalisée en tant que substitut d’une contraception absente ou défaillante. Il va de soi cependant qu’il devient parfaitement légitime, dès le cas où la santé de la mère est menacée, ou en cas d’anomalies génétiques ou congénitales graves pour l’enfant à naître. Le plus ancien document écrit traitant de la contraception, le Papyrus de Kahoun , remonte à quatre mille ans et décrit des contraceptifs à base de levain. Dans la Grèce antique, les infusions de plantes médicinales étaient incontestablement plus agréables à prendre et certainement plus efficaces aussi, puisqu'une récente recherche a démontré que les plantes utilisées contenaient des œstrogènes.
3. L’eugénisme.
Il a été longtemps soutenu qu'à Sparte l'eugénisme avait longtemps été pratiqué. Les enfants nés malades ou faibles auraient été tués dès la naissance ainsi que les handicapés mentaux et physiques. De cette manière, seuls les plus « forts » auraient subsisté et auraient pu se reproduire. De récentes fouilles archéologiques ont infirmé cette légende rapportée par de rares et imprécises sources antiques. En effet, après l'analyse les ossements trouvés dans le gouffre des Apothètes, il a été conclu que seuls des restes d'adolescents et d'adultes ont été recueillis. Il n’en reste pas moins qu’un
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des souhaits légitimes de tout être humain a toujours été d’avoir des enfants sains et vigoureux, intelligents, beaux et séduisants. Ce qui est certain en terre celte c’est que « Rois et fils de roi ne sauraient être infirmes, il s’agit là de handicaps ou de mutilations disqualifiantes ». Voir le célèbre épisode mythologique concernant Noadatus/Nuada/Nodons/Lludd et son bras d’argent) ou dans la littérature arthurienne le thème du roi méhaigné. Il y a donc nécessité de pratiquer un minimum d’eugénisme.
L’eugénisme peut être désigné comme l’ensemble des méthodes et pratiques visant à améliorer le patrimoine génétique de l’espèce humaine. Il peut être le fruit d’une politique délibérément menée par un État. Il peut aussi être le résultat collectif d’une somme de décisions individuelles convergentes prises par les futurs parents, dans une société où compte la recherche d'enfants indemnes d'affections graves. Les progrès du génie génétique et le développement des techniques de procréation médicale assistée ont ouvert de nouvelles possibilités médicales (diagnostic prénatal etc…).
L’eugénisme vise à promouvoir une Humanité plus saine, donc en principe plus heureuse. Ce n'est pas sa fin en elle-même qui est critiquable, mais certains des moyens choisis. Si le diabète, l'hémophilie et d'autres maladies héréditaires venaient à être éliminés par thérapie génique, tout le monde en serait ravi ; cette forme d'eugénisme ne pose pas les difficultés de sa variante du XIXe et XXe siècle, périodes où les moyens utilisés avaient dépassé les bornes autorisées par nos propres valeurs.
Le discrédit porté sur l’eugénisme à la suite des politiques mises en œuvre notamment par le régime nazi, est à l’origine de deux positions, que l’on peut qualifier de « continuistes » et de « discontinuistes ».
N.D.L.R : lors de la dernière guerre mondiale, les chantres du socialisme national du parti des travailleurs (allemands) ou N.S.D.A.P. ont procédé à grande échelle à des essais scientifiques et médicaux de toutes sortes ; notamment par exemple sur des prisonniers non malades. Légitimement bouleversés par les expérimentations criminelles de ces savants fous, les hommes et les femmes de l’après-guerre ont donc préféré interdire toute expérience médicale, que ce soit sur des gens en bonne santé ou sur des malades. On est passé d’un excès à l’autre ! Socialiste nationale du parti des travailleurs allemands ou pas, l’évaluation des traitements nouveaux est, par exemple (et ce n’en est qu’un parmi d’autres) nécessaire, sur l’animal d’abord, sur l’homme ensuite. Si c’est ça, le nazisme alors vive le nazisme ! Soyons sérieux !
L’Église catholique combat par définition toute recherche dans le domaine de l’eugénisme. Pour les continuistes, l’issue logique d’une perspective eugéniste a été déjà illustrée par l’Histoire et les crimes commis par le régime nazi au nom des principes de cette doctrine. Les fondements mêmes de l’eugénisme, en particulier ses présupposés héréditaristes et scientistes, contiennent en germe des éléments qui conduisent nécessairement à des développements contraires aux lois de la morale. Liberticide, cette approche l’est incontestablement parce que, en agitant sans cesse le spectre de l’eugénisme associé aux horreurs de l’Hitléro-trotskisme *, on conforte bel et bien une législation d’esprit interventionniste et totalitaire. Malgré de pieuses déclarations de principe, elle abandonne au pouvoir bureaucratique ou étatique le soin de pourvoir à l’essentiel.
Les discontinuistes, dont font partie les néo-druides, affirment au contraire qu’une position eugéniste, encadrée par des dispositions morales et juridiques suffisantes, peut constituer un progrès pour l’Humanité.
4. L’euthanasie soulève aussi de graves problèmes éthiques, mais une chose est sûre, elle ne saurait être assimilée à un crime ou à une faute lourde si elle est appliquée à un malade l’ayant explicitement demandée. Ce qui constitue un grave blasphème contre l’esprit, c’est au contraire l’acharnement thérapeutique pour maintenir en vie, à tout prix et de manière inconsidérée, comme le font les chrétiens actuellement.
5. Le droit au suicide. César note les suicides d’Orgétorix, de Catuvolcos, ainsi que de Drappès le Sénon, et décrit la coutume celte des soldurs destinés à se tuer à la mort de leur chef.
Dans « Le suicide et la morale », un des grands classiques de l’histoire des diverses morales du suicide, paru en 1922, Albert Bayet distingue entre une morale simple, condamnant tous les suicides en principe et dans tous les cas, et une morale nuancée, qui est attentive aux différences entre les cas, approuvant les uns, blâmant ou excusant les autres. L’origine de ces deux morales se trouve dans la société antique. La première [est] servile et populaire, la seconde [est le] privilège d’une élite cultivée, éprise de liberté ».
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« D’autres, ayant dans un théâtre ( = en public ?) reçu de l’or et certains d’entre eux un nombre déterminé de vases remplis de vin, ayant fait attester solennellement la donation et l’ayant divisée puis distribuée en présent à leurs proches ou à des amis ; ensuite s’étant étendus sur le dos, couchés sur leur bouclier, un assistant survenant leur coupe le cou avec un glaive » (Posidonios, cité par Athénée, IV, 37).
Le suicide est donc un droit parfaitement conforme au rectu adgenias pour les druides, sauf quand il s’agit d’une fuite devant ses responsabilités, ou quand cela peut nuire gravement à autrui. Un père de famille n’a pas le droit d’agir ainsi tant que ses enfants n’ont pas été élevés ou rendus autonomes.
* Il est à noter néanmoins que 50 ans de vigilante patrouille intellectuelle antinazie antifasciste, etc...n’ont évité aucun des génocides ultérieurs (Cambodge Rwanda, etc.) et n’ont pas non plus évité la montée en puissance du nazislamisme.
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ANCIEN DRUIDISME. LE DRUIDE PRIME LE ROI AUTREMENT DIT LE DROIT PRIME LA FORCE.
OU LE CONTRAIRE ????
« Is amlaid ra batar Ulaid: geiss d'Ultaib labrad rena ríg, geis don ríg labrad rena druidib. »
Dion de Pruse dit aussi Chrysostome c'est-à-dire « à la bouche d’or ».
DISCOURS 49.7.
Discours pour refuser le pouvoir. Au sénat.
En outre, puisqu’ils ne peuvent pas toujours être commandés par des rois philosophes, les plus puissantes nations ont très officiellement pris des philosophes comme ministres et officiers pour leurs rois. C’est d’ailleurs pourquoi, me semble-t-il, les Perses avaient ceux qu’ils appelaient Mages, car ils étaient versés dans l’étude de la nature et savaient comment les dieux devaient être adorés ; les Égyptiens des prêtres ayant les mêmes connaissances que les Mages, se consacrant au service des dieux et connaissant le pourquoi et le comment de toute chose ; les Indiens les brahmanes, car ils excellaient dans la maîtrise de leur corps, la justice, et dans la dévotion aux dieux, car ils voyaient le futur mieux que quiconque peut connaître le présent ; les Celtes ceux qu’ils appelaient druides, eux aussi versés dans l’art de la divination ainsi que dans toute science en général. Les rois n’étaient pas autorisés à faire ou décider quoi que ce soit sans l’assistance d’un de ces sages, de telle sorte qu’en réalité ce sont eux qui gouvernaient le pays, et que les rois n’étaient que leurs ministres ou les serviteurs de leur volonté, bien qu’assis sur des trônes en or, habitant dans de grandes maisons, et faisant de somptueux festins.
Dion de Pruse exagère. La réalité est plus simplement et plus vraisemblablement que le roi ne gouverne pas seul. Il est assisté de druides [au sens non religieux du terme puisqu’il s’agissait seulement de savants], dont un rapide examen des textes irlandais fournit la liste des spécialisations.
Sencha : historien, antiquaire, généalogiste, panégyriste.
Brithem/brehon : juge, juriste, arbitre.
Etc.
Ces druides n’étaient pas des « fonctionnaires » à proprement parler, mais des spécialistes qui aidaient le monarque à gouverner par leurs conseils et leurs avis. Le roi n’était pas tenu de suivre le conseil du druide, mais le druide devait le conseil au roi. De toute façon, le druide et le roi étaient liés l’un à l’autre par l’équilibre de l’autorité spirituelle exercée par le druide, et du pouvoir temporel qui était celui du roi. Le druide n’avait aucune raison d’être sans le roi qui, en contrepartie de son aide, lui assurait des honoraires très élevés ; mais le roi n’avait pas non plus les moyens de gouverner correctement sans l’aide du druide dont l’autorité spirituelle avait la préséance sur le pouvoir temporel (laïcité positive). Il est dit à plusieurs reprises dans des récits irlandais que le druide parle avant le roi… Concernant les druides proprement dits, investis de la « primauté de l’autorité spirituelle », la notion de « forfaiture » convient d’ailleurs mieux que celui de « péché ».
On connaît les points essentiels de leur déontologie, et la donnée la plus frappante, ne faire de la politique qu’au sens noble du terme (au sens où l’on dit que le politique doit primer l'économique), nous en a été conservée.
« Et c’est par sa parole qu’Hèraklès lui-même, devenu sage, a mené à bonne fin tout ce qu’il a entrepris pour nous et il contraignit la plupart par la persuasion ; aussi, sont-ce des traits que ses paroles, des discours acérés, faisant mouche, rapides et pénétrant les esprits » (le druide interrogé par Lucien à propos d’Hèraklès). Lucien, Discours, 1-6.
Relevaient néanmoins du BRATUSPANTIUM ou du Conseil de discipline druidique suprême.
L’usurpation du pouvoir. À chacun sa place ; la primauté du spirituel interdisait au druide de prendre celle du roi (rix) ou du président (vergobretos > « vergobret »), car c’était déroger, donc se dégrader, que de se vouer au « temporel » même à ce niveau.
La malédiction ou « satire » abusive. Surenchérissant sur l’interdit commun de faire du tort indûment, cette faute, de la part d’un druide, devenait crime au lieu de simple délit.
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L’adultère. Les druides n’étaient pas astreints au célibat, mais à un équivalent du célibat des prêtres de la variété réformée du christianisme : la fidélité conjugale. Le druide devait être exemplaire, de bonne moralité ; alors que la morale publique était beaucoup plus élastique en matière de relations sexuelles pour les autres classes sociales (voir l’adultère de la femme de Partholan d’après Henri Lizeray), auxquelles il ne revenait pas de dire ce qui est juste. Une amoralité tranquille et assez joyeuse y était de mise, aux antipodes des interdits des religions du Livre, du Grimoire ou du Nécronomicon, générateurs de complexes sous couvert d’une pudibonderie culpabilisante.
Par contre pour mieux comprendre la gravité de l’adultère pour un druide, il faut d’abord considérer qu’en général ces actes comportent une tromperie. Or le plus grave, c’était cela, car c’était enfreindre la loi de Vérité. La polygamie officielle était donc plus facilement admise que l’adultère en ce qui concerne les druides.
Les ordres mineurs agrégés à la classe druidique, artistes compris. Autrement dit la classe intellectuelle. On retrouve à ce niveau un des interdits relevant autrefois du Bratuspantium déjà cité : la malédiction ou « satire » abusive venant d’un druide druide. Surenchérissant sur l’interdit commun de faire du tort indûment, cette faute, de la part d’un intellectuel devenait crime au lieu de simple délit. On avait parfaitement le droit dans la tribu celtique de base de dénoncer publiquement ceux qui accomplissaient des actes déshonorants ou des actes contraires à la bonne réputation à laquelle ils aspiraient. Il y avait même des professionnels spécialistes de ce genre de libelles, les cainte ou satiristes. En quelque sorte l’équivalent des détectives privés enquêtant dans nos modernes affaires d’adultères ou des journalistes d’enquête protégés par la liberté de la presse.
Par contre ce qu’ils rapportaient devait être absolument vrai, ou désintéressé (sans chantage à la clé) sinon cela revenait à de la diffamation, et ça c’était très mal vu dans une société fondée non sur l’argent comme la nôtre, mais sur l’honneur et la bonne réputation.
Il y avait d’ailleurs d’autres cas de fautes spécifiques à la classe druidique, comme le fait de demander des honoraires trop élevés pour les ressources du « client ». Une anecdote rapportée par un texte irlandais intitulé « Tromdamh Guaire » littéralement « la lourde compagnie de Guaire » nous en fournit un bon exemple.
« Un jour le vellède Sencha, le vieux et grand barde d’Irlande, vint avec sa nombreuse et importune compagnie au château de Guaire fils de Colman roi du Connaught […] Guaire dut leur procurer tout ce qu’ils désiraient durant tout ce temps-là, ou bien craindre les satires de toute la troupe. Et bien qu’il fût difficile d’obtenir tout ce qu’ils désiraient, ainsi qu’on le lit dans le livre dit « de la lourde compagnie », Guaire réussit à tout leur trouver, par la grâce de Dieu, et les miracles de sa générosité. C’est alors que vint chez lui Marban, le porcher frère de Guaire, un saint homme, afin de leur reprocher leur méchanceté leur injustice et leur ignorance, car il était très affecté par la multitude des demandes injustes dont ils accablaient Guaire les habitants du Connaught et toutes les tribus d’Irlande. Il les menaça des pires sorts et malédictions du Dieu tout puissant s’ils passaient plus d’une nuit quelque part ou s’ils demandaient quelque chose d’injustifié à quiconque en Irlande tant qu’ils ne lui auraient pas rapporté l’histoire entière de l’enlèvement du bétail de Cualnge » (Betha Colaim Chille. Vie de saint Colomban).
Il faudra donc la puissance et l’affection fraternelle du druide Marban ou la magie de saint Colomban d’Iona (Columcille), pour atténuer la gravité de cet embarras causé à Guaire ; par le comportement abusif du vellède en question. C’est pourquoi de tels abus relevaient aussi du Bratuspantium ou Conseil de discipline de la Sodalité (de l’Ordre) sur le Continent.
Le respect du maître a toujours été très grand dans la tradition druidique, conséquence directe de la transmission orale qui est demeurée pendant des siècles sa seule forme d’enseignement. Le respect du druide y était donc exigé implicitement ou explicitement, et s’y manifestait, sans que, pour autant, on voie en lui une incarnation divine. Mais encore faut-il que ce dernier soit digne d’un tel respect. Le contre-exemple du druide Nédé en Irlande et de la mort du malheureux Caier, victime d’une satire injuste, est là pour nous le rappeler.
Vu le nombre impressionnant d’escrocs ou de charlatans qui pullulent désormais en ce domaine, du moins en France, mais en fait c’est partout pareil, vu ce que je lis régulièrement ici ou là ; il nous a paru opportun de rappeler quelques principes élémentaires en la matière.
Ceux qui se revendiquent du druidisme authentique ne peuvent proposer aux malades ou à leur entourage, comme salutaire et sans danger, un remède ou un procédé illusoire et insuffisamment éprouvé. Le druide guérisseur est libre de ses prescriptions, mais le malade ne doit pas être trompé, et nous mettons en garde ces praticiens contre l’utilisation imprudente de médications incertaines ou
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les affirmations abusives. Il n’est pas admissible qu’un druide s’écarte, dans ses propos, d’une rigoureuse exactitude en matière de traitement.
Mais qu’était-ce donc au juste que cette laïcité positive de l’ancien druidisme ??
Les druides ont accepté ou même peut-être recherché, la séparation de l’Église et de l’État. Il n’y avait nulle confusion entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, aucun roi-prêtre, aucune théocratie, mais il n’y avait pas non plus de conflit ou d’opposition entre les deux. Distinction, mais collaboration et coopération dans l’intérêt de la société seraient peut-être les mots justes. Autrement dit la Laïcité positive chère à notre président. Il y a eu en effet, dans la société celtique antique, et par rapport aux temps néolithiques des roi-prêtres ou sorciers (voir le cas du Nemet Cornunnos), dissociation progressive du religieux et du légal (le pouvoir régalien). Le druidisme antique se situe à l’opposé de toute théocratie. La religion était surtout une affaire privée dans ce cas, et il n’y avait que quelques moments dans l’année où la présence de chacun était obligatoire, lors de cérémonies d’ailleurs plus nationales ou politiques qu’autre chose. Exemple lors de la fête de Samon (ios) le premier novembre. Il n’y avait donc nulle confusion entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, aucun roi-prêtre, aucune théocratie, mais il n’y avait pas non plus de conflit ou d’opposition entre les deux ainsi que nous avons eu l’occasion de le dire.
Cette particularité de l’organisation sociale et du système politique celtiques explique à elle seule la disparition ou, du moins, l’affaiblissement rapide du « druidisme » dans les pays conquis par Rome. L’absence de rois remplacés par des vergobrets et l’adoption du système politique et religieux romain empêchaient toute continuation des habitudes celtiques, lesquelles évitaient soigneusement toute confusion de l’autorité spirituelle et du pouvoir temporel. Un roi ne peut pas devenir druide et, inversement, un druide ne peut pas prétendre au titre et aux honneurs de roi. Cependant, le druide a le droit, s’il le juge bon, de porter les armes et de faire la guerre pour participer à la défense nationale ou à la résistance, ce dont les druides irlandais ne se privent pas…
La Société celtique, bien que baignant toute entière dans le divin, était d’esprit laïc, car fondée sur une très nette distinction entre le rôle du roi et celui de ses druides. Les anciens druides n’étaient pas tous des prêtres au sens strict du terme. Ils étaient surtout d’abord et avant tout historiens, poètes, docteurs, architectes, juristes, linguistes, etc.
Bref, c’étaient les intellectuels de l’époque et seule une petite minorité d’entre eux se consacrait à la religion. Un point c’est tout ! Nous le disons et le redisons avec la certitude des choses sûres : l’État, la res publica celtique, c’est la royauté. En terre celte le roi est, en droit et en fait, le seul personnage politique ou militaire doté d’une autorité réelle et durable sur l’ensemble d’un territoire donné. Mais le roi ne gouverne pas seul. Il est assisté de druides [au sens non religieux du terme puisqu’il s’agissait seulement de savants], dont il n’est pas difficile, par l’examen des textes, de dresser la liste des spécialisations.
Sencha : historien, antiquaire, généalogiste, panégyriste.
Brithem/brehon : juge, juriste, arbitre.
Etc.
La présence des druides [ainsi définis, puisqu’il s’agit seulement de spécialistes comme nous venons de le voir] pallie l’absence de ministres ou de gouvernement constitué.
Rôle du roi celte par contre.
– Pouvoir temporel.
– Prospérité, mais aussi intégrité du royaume.
– Administration de la société.
– Justice.
– Maintien de l’équilibre et de la cohésion sociale.
Ce système établissait ainsi et garantissait même, l’autonomie des pouvoirs publics (du roi) par rapport aux influences confessionnelles ou cléricales. Il y a donc avant tout distinction de l’autorité spirituelle et du pouvoir temporel, et c’est là la distinction qui importe ; pourvu qu’elle soit faite, il est indifférent que les pouvoirs législatifs, judiciaire et exécutif, ne soient pas confiés à des corps séparés. Il est indifférent aussi que le religieux, le politique et l’économique, soient conjoints (mais non confondus) dans le temps et dans l’espace (laïcité positive).
NÉO-DRUIDISME.
Par antinomie, on perçoit donc la hiérarchie des devoirs pour toute cette classe de la société celtique théoriquement située au-dessus du roi.
Être avant tout des hommes de bien : « les plus justes des hommes » (Strabon).
Être les gardiens des lois, du Droit et de l’organisation sociale.
Être des hommes de Vérité, donc aussi de Science.
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Être de vrais intellectuels apportant quelque chose à la société.
Après et après seulement venaient pour eux les autres devoirs comme la force physique, le courage, etc.
BIEN FAIRE LA DIFFÉRENCE ENTRE LE SAINT ET LE SACRÉ.
RAPPEL À L’INTENTION DES AUMÔNIERS CAR VAE VICTIS COMME ON DIT (Uae Uictebo en Celte).
L’agressivité fait partie intégrante de l’Homme. Il est vain de vouloir la supprimer totalement, ce qui importe c’est d’en canaliser l’énergie, de la sublimer, de la réfréner, ou de lui faire barrage.
Hierós, Hósios et Hágios en grec. Sacer et Sanctus en latin.
Si hierós relève du sacré (« divin » se dit en grec theios, ce qui ne se confond jamais avec hierós « sacré », pas plus qu’en latin divinus ne se confond avec sacer), son emploi ne s’identifie pas tout à fait avec celui du latin sacer. Rendre sacer consiste en une espèce de retranchement, de mise hors du domaine humain, par une affectation au divin. Au contraire, dans le grec hierós, nous voyons une propriété tantôt permanente, tantôt incidente, qui peut résulter d’un influx divin, d’une circonstance, ou d’une intervention divine. N’oublions pas que les Romains sont — permettez cette généralité bien abusive sans doute — un peuple de juristes, fixistes, pour lequel la sanctio est très étroitement liée à la loi. Hierós par contre relève du domaine de la vigueur, de la vivacité, quasiment du souffle divin, et l’on ne trouve pas là le sens d’« impur » si présent dans le latin sacer. On n’observe pas en grec cette contamination du « sacré » qui équivaut à une souillure et peut par conséquent exposer l’homme sacer à la mort.
Il faut rapprocher le terme grec hagios d’un autre terme de la même famille, le verbe hazomai, qui signifie « craindre ». Il désigne le respect que l’on peut éprouver devant un dieu-ou-démon ou un personnage divin ; mais un respect négatif, qui consiste à s’abstenir de porter atteinte.
C’est en latin que l’on découvre le mieux le caractère ambigu du sacré : consacré aux dieu-ou-démons et chargé d’une souillure ineffaçable, auguste et maudite, digne de vénération et suscitant l’horreur.
Sacré (sacer) et saint (sanctus) dérivent d’une racine commune italique sak-, les deux verbes qui sont attachés respectivement à l’un et l’autre sont sacrare/sancire. Si sacrare s’avère être le verbe correspondant à sacer, sancire a donné sanctio. Sancire, c’est délimiter le champ d’application d’une disposition et rendre celle-ci inviolable en la plaçant sous la protection des dieu-ou-démons, en appelant sur le violateur éventuel le châtiment divin. La sanctio est à proprement parler la partie de la loi qui énonce la peine qui frappera celui qui contrevient à ses dispositions. Dès lors, on peut donc dire que le sanctum, c’est ce qui se trouve à la périphérie du sacrum, qui sert à l’isoler de tout contact. En somme, l’enceinte du champ est sainte, mais le champ, lui, est sacré. Ce qui est sanctus, c’est le mur, mais non le domaine que le mur délimite, qui est dit sacer. On peut donc toucher ou vénérer le sanctus, mais avec dévotion bien entendu, sinon dans ce cas, on est justement « sanctionné » !
Résumons et précisons (en utilisant les termes à peine démarqués du latin existant dans notre langue) : le sacré au sens strict du terme est mis en évidence par une opération de sanctification, une « sanction », une délimitation — nous dirons une coupure — opération qui apparaît alors comme définissant deux mondes, le sacré, à l’intérieur de la sainte enceinte, et le profane, hors de l’enceinte, et réservé aux hommes. Mais le sacré apparaît alors comme une qualité nouvelle qui s’impose dans l’ensemble du champ : ce qui est à l’intérieur de la coupure est déterminé positivement par le sacré (est sacré), ce qui est à l’extérieur est déterminé négativement (n’est pas sacré). La coupure elle-même est « sainte », de telle façon qu’elle possède à la fois une détermination par le sacré positive et une négative — en quoi elle est vague, c’est-à-dire, comme telle, de l’ordre du « rien », de la négativité. On pressent que le « saint » va pouvoir être un lieu de transition, de passage réglé entre le profane et le sacré.
Conclusion : le rapport de hierós et hagios en grec semble bien équivalent à celui de sacer et sanctus en latin, en gros. Sacer et hierós « sacré » ou « divin », se disent de la personne ou de la chose consacrée aux dieu-ou-démons, tandis que hagios comme sanctus indiquent que l’objet est défendu
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contre toute violation, concept négatif, et non, positivement, qu’il est chargé de la présence divine, ce qui est le sens spécifique de hierós.
Latin et grec nous fournissent deux points de vue sur le sacré que nous pouvons tenter d’unifier sous une conception commune : le sacré proprement dit relève du domaine du primordial, reconnu par les Grecs, inféré par les Romains ; le saint est du domaine de la négativité, de la coupure, une opération créatrice de sacré pour les Romains.
Le sacré donc est tabou (on ne touche pas), puisque tel est le sens du latin sacer (à part, séparé). C’est ce qui est séparé de la vie quotidienne, du monde normal, ou profane. Le terme latin sacer (origine de sacré), définit en effet aussi bien ce qui est sacré au sens actuel du terme, que ce qui est maudit (les deux sont séparés du monde). Le poète sacré, par exemple, était inspiré tout autant que protégé par les dieu-ou-démons. Mais l’homo sacer (hors la loi) était maudit, et on pouvait le tuer sans être poursuivi pour meurtre.
En résumé quelque chose de saint est positif, bénéfique, et peut être touché. Il est conseillé par contre de ne jamais toucher à ce qui est sacré. Tout comme dans le cas de l’arche d’alliance dans la Bible quand elle menace de tomber.
La notion de guerre sainte est donc une absurdité !!! Un non-sens par définition !!! Le seul adjectif pouvant qualifier une guerre est celui de « sacré » ou « juste ».
Dans le monde grec, les guerres sacrées furent des guerres menées par l'amphictyonie chargée d'administrer le sanctuaire d’Apollon à Delphes contre tous ceux considérés comme sacrilèges envers le dieu.
La première guerre sacrée fut dirigée contre les habitants de Cirrha, accusés de lever des taxes sur les pèlerins qui se rendaient à Delphes. Cirrha fut anéantie en - 590 par les forces thessaliennes auxquelles s'étaient joints des contingents d'Athènes et de Sicyone. La seconde guerre sacrée eut pour origine la prise de Delphes par les Phocidiens. Elle fut en réalité l'occasion d'un affrontement entre Spartiates et Athéniens, les premiers soutenant l'Amphictyonie, les seconds les habitants de Phocis. Finalement, l'indépendance du sanctuaire fut affirmée par la paix de Nicias.
La troisième guerre sacrée. Elle vit une grande partie de la Grèce mêlée au conflit. Elle dura de 357 à 346 avant notre ère. C'est la mieux connue avec la quatrième. Les Thébains, qui alors contrôlent l'Amphictyonie, accusent les Phocidiens de cultiver la plaine crisséenne qui appartient au dieu. Les Phocidiens ripostent en s'emparant de Delphes, ce qui déclenche la guerre à l'automne de -355.
En 346, après la « paix de Philocrate » conclue entre Athènes et la Macédoine, la Phocide fut obligée de se rendre à Philippe II, qui prit son siège et ses deux voix au Conseil de l'Amphictyonie. Le sort définitif des Phocidiens, dont 3.000 hommes furent faits prisonniers et précipités du haut des falaises (ils étaient considérés comme sacrilèges) fut réglé à ce moment-là. De plus les Phocidiens furent frappés d'une amende (60.000 talents par an jusqu'en 337, 10.000 dans la période suivante) destinée à reconstituer le trésor d'Apollon.
La quatrième guerre sacrée eut lieu de l'automne 339 à l'automne 338, à l'instigation des Thébains. Amphissie avait accusé Athènes, en 340, devant le Conseil amphictyonique, d'avoir commis une faute de caractère religieux en faisant graver dans le temple d’Apollon une inscription controversée. En fait les Thébains étaient agacés parce que sur cette inscription, il était rappelé que durant les Guerres médiques ils avaient pris le parti des Perses. Eschine, représentant d'Athènes, retourna la situation et démontra que c'était les Amphissiens qui étaient des sacrilèges, car ils cultivaient la plaine de Crissa consacrée à Apollon et avaient reconstruit le port détruit pendant la première guerre sacrée, ce qui était un mauvais présage. Le Conseil amphictyonique condamna Amphissie et envoya des troupes pour ravager la plaine en question.
Cette entreprise ayant échoué, le Conseil fit appel en 338 au roi de Macédoine Philippe II (359-336) qui intervint aussitôt. Il s'empara d'Amphissie, puis se dirigea vers Thèbes, qui venait de s'allier avec Athènes. Les deux cités combattirent les armées macédoniennes, mais fin août 338, elles furent vaincues à Chéronée. Un lion de pierre fut édifié à la mémoire du « bataillon sacré » des Thébains qui périrent à l’occasion. Cette quatrième guerre marqua la fin définitive de l'indépendance des cités grecques. En 337, Philippe II fut proclamé Hégémon.
Dans le monde celtique, la pratique de la guerre sacrée relève aussi d’un rituel semblable au rituel romain de la devotio.
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On retrouve le type amplifié de la « consécration de la tête » dans le rituel connu sous le nom de « printemps sacré » (ver sacrum) à la mode italique, cérémonie expiatoire qui avait été aussi à l'origine un sacrifice réel, mais avait fini en « dévotion ».
« Dans les grandes calamités, les peuples italiotes avaient coutume de vouer aux dieux tous les êtres vivants qui naîtraient chez eux au printemps suivant. Mais, comme il leur paraissait cruel de mettre à mort de petits innocents, garçons et filles, ils les gardaient jusqu'à leurs 20 ou 21 ans, puis leur couvraient la tête d'un voile et les chassaient ainsi hors de leur territoire » (Festus Grammaticus).
La devotio avait été ainsi substituée, dès l'âge préhistorique, à la consécration proprement dite, laquelle, pour les êtres vivants, est synonyme de sacrifice. Il ne restait plus à sacrifier que les animaux. Les dieux avaient assez montré qu'ils agréaient cet arrangement : ils avaient en effet protégé jusqu’à l’âge adulte les enfants qu'on leur abandonnait ainsi.
Les dieux associés au ver sacrum.
Le ver sacrum a évidemment un lien avec le dieu de la guerre, comme le montrent le nom des Mamertins et vraisemblablement celui des Marses, ainsi que le fait que plusieurs des animaux-guides mentionnés par la tradition romaine – le loup, le pic – sont des animaux associés à Mars. Mars, dieu de la guerre, patronne logiquement l'entreprise de conquête des jeunes guerriers et il est le dieu du printemps, où reprennent les opérations militaires après la pause de l'hiver.
Guerre sainte par contre est le nom donné aux guerres entre religions différentes, entre partisans de religions différentes, les uns essayant de soumettre les autres. La guerre sainte peut être offensive (dans ce cas, pour convertir, chasser ou anéantir des ennemis religieux), ou défensive (lorsque les dignitaires religieux estiment que la défaite aura un impact crucial sur leur foi, en raison des croyances de l'ennemi).
Notons que les guerres sacrées mentionnées plus haut eurent lieu entre fidèles de mêmes religions (le paganisme) et qu’il ne s’agissait nullement de chercher à convertir les adversaires ou de défendre l’existence même de sa religion.
En ce sens il n’y a donc jamais eu de guerre sainte aux yeux des druides qui laissent ce concept aux religions judéo islamo chrétiennes ; mais il y a eu des guerres sacrées, c'est-à-dire des guerres motivées par la violation de certains tabous religieux comme à Mona en l’an 61 de notre ère.
Le ver sacrum est par contre une pratique migratoire en usage chez certains peuples indo-européens et attestée sous ce nom chez les peuples sabelliens de l'Italie antique. L'expression latine ver sacrum, que l'on trouve notamment chez Tite-Live, signifie « printemps sacré » ; le nom fait référence au fait qu'à l'occasion d'une calamité, pour regagner la bienveillance des dieux, on consacrait à une divinité – en général le dieu de la guerre, les enfants nés au printemps suivant. Devenus adultes, ces jeunes gens, qui étaient sacrés et donc placés en dehors de la communauté, étaient expulsés et devaient se chercher un nouvel établissement, où ils donnaient naissance à un nouveau peuple.
Si, dans le ver sacrum des peuples sabelliens, l'aspect religieux et l'aspect militaire sont bien visibles, l’aspect régulation démographique de cette institution est moins clair.
Cependant, quelques indices laissent penser que l'aspect démographique était bien présent. Denys d’Halicarnasse, dans sa description du ver sacrum des Aborigènes, en attribue l'origine à la surpopulation ou à la survenue de famines.
Plusieurs auteurs anciens font aussi des rapprochements entre le ver sacrum et des migrations celtiques ou grecques où le rôle de la pression démographique est indéniable.
« Ceux qu’ils honorent le plus, ce sont les conquérants qui ont agrandi le territoire national » (Nicolas de Damas, Recueil des coutumes extraordinaires).
Un des meilleurs exemples de figure historique particulièrement vénérée chez les Celtes pour cette raison est le célèbre roi Ambigatus, mais Nicolas de Damas ignore visiblement la deuxième dimension du personnage et des guerres qu’il mena, c'est-à-dire, outre la simple traduction sur le plan politique d’une pression démographique, leur dimension sacrée. Ambigatus est en effet un grand monarque
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mythique censé combattre et sur le plan temporel – celui des Bituriges) et sur le plan spirituel comme son nom l’indique (ambi-gatus).
Lorsque Tite-Live raconte comment le roi des Bituriges Ambigatos, qui domine la Celtique, envoie ses neveux Bellovesus et Segovesus « jeunes hommes entreprenants », à la conquête de nouvelles terres, avec autant d'hommes qu'ils le voudraient, il insiste fortement sur la pression démographique à laquelle Ambigatos doit faire face : « sous son règne il y eut alors une telle croissance de par la fertilité de son sol et le nombre de ses habitants, qu'il sembla impossible de contenir le débordement de sa population. Le roi, déjà vieux, voulant débarrasser son royaume de cette multitude qui l'écrasait, invita Bellovèse et Ségovèse… ». Tite-Live prend soin d'indiquer que les jeunes guerriers iraient s'installer dans les contrées que les dieux leur indiqueraient par les augures. Plutarque dit aussi à propos des migrations des Celtes que c'est parce qu'ils étaient devenus trop nombreux et que leur pays ne pouvait plus les nourrir qu'ils durent se mettre en route. Trogue-Pompée mentionne la surpopulation et le fait que les émigrés étaient guidés par le vol des oiseaux (« car les Celtes sont particulièrement habiles dans l'observation des augures »), et surtout il fait une comparaison explicite avec le ver sacrum (Livre XXIV, 4).
Troque Pompée. Histoires philippiques XXIV, 4,
« Les Celtes, riches d’une multitude d’hommes, au point que leurs terres ne pouvaient plus contenir tous ceux qu’ils avaient engendrés, envoyèrent en expédition à l’étranger comme en un ver sacrum trois cent mille hommes pour y chercher de nouvelles terres. De ceux-ci une partie s’installa en Italie, après avoir pris et brûlé la Ville romaine. L’autre partie, guidée par le vol des oiseaux, alla jusqu’au fond de l’Illyrie, en massacrant les Barbares, et s’installa en Pannonie » (d’après Justin, Epitoma historiarum philippicarum).
Plutarque. Vies parallèles. Camille, 27.
« Héraclide de Pont, qui n’était pas éloigné de ce temps-là, dit dans son traité de l’âme qu’une armée venue des pays hyperboréens avait pris une ville grecque nommée Rome, située dans les contrées occidentales, près de la grande mer ».
On ne saurait être plus clair malgré la bizarrerie du vocabulaire !
Polybe I, 6.
« Dix-huit ans après la bataille d’Aigos Potamos, seize ans avant la bataille de Leuctres… les Celtes entrèrent à Rome de vive force et occupèrent toute la ville à l’exception du Capitole. Les Romains signèrent un traité avec le vainqueur aux conditions qu’il lui plut ».
Mais venons-en maintenant aux conclusions à tirer de tout ceci. Ce que nous prouvent ces textes, c’est qu’une partie de la jeunesse ou la génération d’une année pouvait donc être vouée aux dieux. Lorsqu’elle était arrivée à l’âge adulte, un jour de printemps, elle quittait sa tribu pour s’en aller chercher fortune en des terres étrangères. De nombreux « printemps sacrés » durent ainsi quitter les régions où se trouvaient implantés des Celtes ; quelques-uns réussirent donc à propager leur nom et leur langue, jusqu’en Asie Mineure.
On a parlé à ce sujet de guerre sainte. Grossière erreur ! Aucune guerre offensive ne saurait être sainte. L’appellation de « guerre sacrée » serait déjà plus exacte, la notion de printemps n’étant que très secondaire en l’occurrence.
L’historien français Albert Grenier reconnaît d’ailleurs nettement le caractère sacré de la décision prise par Ambicatus. Comme dans les premiers temps de Rome, le roi était chef religieux en même temps que politique ; il représentait le dieu-ou-démon parmi les hommes de sa nation et commandait en son nom. Tel devait être le roi patriarche Ambicatus dont la légende a conservé le nom et qui, à la fin Ve siècle avant notre ère, aurait exercé le pouvoir sur toute la Celtique.
Ce ver sacrum ambicatusien était donc une sorte de guerre sacrée, décidée pour des raisons relevant de la religion, et mise en œuvre avec tout un accompagnement typiquement religieux (oiseaux indiquant le chemin à suivre, et ainsi de suite). Mais si une comparaison extérieure devait être trouvée, ce ne serait pas avec les guerres de religion du genre Réformés contre catholiques ou inversement, mais avec le petit djihad islamique qui est, lui aussi, non une guerre sainte (traduction absurde), mais une guerre… sacrée.
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Ce ver sacrum ambicatusien était une guerre sacrée caractérisée par ce que les Romains appelaient la « furor » et les Celtes la « vergio ». Ce qu’implique la notion druidique de Tervagant (ce symbole de force brute encore mentionné dans la chanson de Roland) cela ne peut donc être que cela. En l’état actuel des recherches, il est difficile d’en dire plus.
Osons cependant quelques hypothèses.
Le grand celtologue breton Christian-Joseph Guyonvarc’h a raison de faire remarquer que le ver sacrum latin suppose l’expiation d’une faute ou l’accomplissement d’un vœu national après une calamité. L’offrande aux dieu-ou-démons de tout ce qui était né au printemps, fruits, animaux et hommes, ce qui n’est apparemment pas le cas des expéditions guerrières de Bellovèse et Segovèse.
Conclusion sur la guerre sacrée offensive. (LE VER SACRUM OU EXCINGETO, DE TYPE AMBICATUS.
On connaît chez les peuples italiques une pratique qui dut être également en usage chez les Celtes, celle du « Printemps sacré ». Expression latine du vocabulaire religieux, employée inexactement, faute de mieux, pour désigner les deux expéditions simultanées de Bellovesus et de Segovesus, les deux neveux de l’empereur celte Ambigatus, en direction du nord de l’Italie et de la forêt hercynienne. En celte cela aurait peut-être donné « nemetos uesracos » = sacré printemps. N.B. Ambicatus est un nom signifiant « qui combat des deux côtés » c’est-à-dire sur le plan temporel, mais aussi sur le plan spirituel.
L’aspect missionnaire ou petit djihad de ce « ver sacrum » ambicatusien ne s’exerçait donc que dans ce cas-là.
Et les druidisants n’étaient pas tous astreints, contrairement à ce qu’indique le texte de César, à participer à ces expéditions guerrières. Il suffisait que les armées devant partir à l’aventure soient assez nombreuses pour avoir des chances de vaincre (sens du nom de Segovesos d’ailleurs : « qui sait vaincre »).
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LE RÔLE DES DRUIDES DANS LES ARMÉES D’AUJOURD’HUI NÉANMOINS :
ÊTRE DES AUMÔNIERS AIDANT LEURS FIDÈLES À VIVRE …ET MOURIR.
Pour conclure sur le cas de Sencha, notons que son exact équivalent peut consister en deux types de prêtres différents.
Le prêtre chrétien qui dit la messe pour les soldats qui vont entamer ou subir une action décisive : monter à l’assaut ou devoir se défendre jusqu’à la mort. Car un prêtre peut-il moralement refuser ce dernier réconfort spirituel à ceux de ses compatriotes qui vont mourir (enfin peut-être). Même Bouddha ne l’aurait pas refusé !
L’évêque ou l’abbé comme saint Bernard de Clairvaux qui appelle les chevaliers d’Occident au petit djihad.
En tout cas ce que nous dit Lucain de l’ancien est en effet assez clair à ce sujet.
Cette mention prouve que des druides accompagnaient les armées en campagne. Pour soigner les corps certainement (on a retrouvé la tombe d’un druide chirurgien à Obermenzing près de Munich en Allemagne. Elle date du IIIe siècle avant notre ère et contenait un trépan).
Mais aussi vraisemblablement pour soigner les âmes/esprits. La moindre des choses en effet dues à un être humain est qu’on l’aide à passer dans l’autre monde. Telle devait être sans doute le rôle des druides de type vate si l’on en croit Lucain et sa Pharsale.
« Et vous, les vates,
Dont les poèmes guerriers jadis immortalisaient
Les puissantes âmes/esprits [en latin animas] de ceux qui sont morts à la guerre
Vous, les bardes
Vous recommencez en toute sécurité à déclamer un flot de chants plus abondants
Pendant que vous, les druides,
Vous retournez à vos sinistres mystères et à vos rites barbares
Naguère abolis par les armes.
À vous seuls il est donné de connaître, comme de les ignorer
Les dieux et les puissances célestes ;
Les grands arbres des bosquets reculés
Sont vos demeures.
À en croire vos maîtres les ombres des morts
Ne vont pas rejoindre les silencieuses demeures d’Érèbe,
Ni les pâles royaumes de la mort;
Une même âme/esprit [en latin idem spiritus] régit les membres
Dans un autre monde [en latin orbe alio]
Et la mort n’est que le milieu d’une longue vie;
Si vous savez bien ce que vous chantez.
Heureux sont les peuples qui regardent la Grande Ourse
À cause de cette erreur ; car ils ignorent
Cette peur suprême qui effraie tous les autres,
De là cet esprit [en latin mens] enclin à se jeter sur le fer
Cette force de caractère [latin anima] capable d’affronter la mort,
Et ce peu de soin mis à épargner une vie qui doit vous être rendue ».
Une indulgence envers les faiblesses humaines (ces noindenn) ou envers les combattants et ceux qui vont mourir donc que les thuriféraires du Dieu unique ont mis bien longtemps à (re) trouver.
cf. ci-dessous la prière du parachutiste écrite par un SAS nommé Andrew Zirnheld, mort en Libye en 1942.
Donnez-moi, mon Dieu ce qu'il vous reste
Donnez-moi ce qu'on ne vous demande jamais.
Je ne vous demande pas la richesse
Ni le succès, ni peut-être même la santé.
Tout ça, mon Dieu, on vous le demande tellement
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Que vous ne devez plus en avoir.
Donnez-moi, mon Dieu, ce qu'il vous reste
Donnez-moi ce dont les autres ne veulent pas
Mais donnez-moi aussi le courage
Car vous seul donnez
Ce qu'on ne peut obtenir que de soi.
Mon Dieu, mais de quel dieu s’agit-il donc ici ? Et l’enfer dans tout ça, mon cher André, y as-tu pensé ? Tant de modestie dans la demande et tant de certitude d’échapper à l’enfer malgré le sang répandu, étonnent de la part d’un juif converti au catholicisme. Mais elle était le lot quotidien des druides de l’antiquité qui soignaient à la fois et les corps et les âmes/esprits sans croire en la possibilité que l’enfer puisse exister si l’on en croit ces commentaires de Lucain qui ont tant fait couler d’encre, car la non-existence de l’enfer était une conception révolutionnaire pour l’époque.
Commentaires sur le vers 454.
Manes esse non dicunt sed animas in revolutione credunt posse constare.
Ils ne disent pas que les mânes existent [en tant qu’ombres ou spectres lugubres], mais croient que les âmes/esprits peuvent recommencer une nouvelle vie.
Hoc enim disputant animas ad inferos non ire, sed in alio orbe nasci.
Ils contestent en effet que les âmes/esprits puissent aller en enfer, car ils pensent qu'elles naissent alors à un autre monde.
Id est sicut uos dicitis anime ad inferos non descendunt, sed in orbe alterius hemisperii incorporantur iterum uel in aliqua parte orbis a uobis remota.
C'est-à-dire selon vous que les âmes/esprits ne vont pas en enfer, mais vont encore revêtir un corps dans une partie du monde située dans l'autre hémisphère ou dans quelque partie d'un monde qui vous est inconnu.
Autrement dit l’enfer n’existe pas, cette idée cette notion ce concept était inconnu des druides antiques, il n’existait pour eux qu’un paradis céleste et son antichambre, antichambre appelée la maison de Donn (Tech Duinn) ou Andubnon en vieux celtique (Annwn au Pays de Galles), etc. etc. Il existe en effet autant de noms que de peuples ou de langues pour désigner ces RARISSIMES (les exceptions qui confirment la règle) cas de réincarnation sur terre en ce bas monde, ce qui est fort logique d’ailleurs, car si l’autre monde paradisiaque des Celtes est un, bien qu’ayant de nombreuses portes d’entrée, les lieux de réincarnation, eux, peuvent être multiples, donc se voir attribuer des origines, des étapes précédentes, ou des états de l’être antérieurs, vus et appelés différemment. Bref, il peut y avoir aussi plusieurs portes de sortie de l’antichambre du paradis céleste (Maison de Donn ou Tech Duinn en Irlande, Annwn au pays de Galles, Andumno sur le Continent, et ainsi de suite…).
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DRUIDISME ET SERVICE MILITAIRE.
Précisions sémantiques à propos de deux termes qui vont fréquemment revenir sous notre plume dans ce qui suit : PAGUS et VICUS. ÉTYMOLOGIE PAGUS.
Les tribus les plus anciennes n’avaient pas de territoire fixe, et on était de par sa naissance, de par sa mère en réalité, membre d’office de telle ou telle tribu, on ne la choisissait pas. L’idée moderne de tribu adoptive ou d’accueil, volontairement choisie, n’était encore venue à l’esprit de personne. Mais cette tribu avait des chefs des prêtres des mœurs, par conséquent une justice, s’appliquant à ses membres où qu’ils soient, même réfugiés en territoire occupé par une autre tribu. Par contre là il était plus difficile de soumettre les membres de la tribu à ses lois.
Mais ensuite peu à peu ces tribus se sont dotées d’un territoire fixe, souvent délimité par des limites naturelles bien visibles, genre marais, forêts, rivières, LE PAGUS. Pagus est un mot d’origine latine, et même latin tout simplement, de l’Indo-Européen * pag, une racine verbale signifiant quelque chose comme « boutonner » (voir le terme cheville en anglais) « limite matérialisée par des piquets fichés dans le sol » puis par métonymie le terrain ayant été ainsi délimité par des piquets (plus tard par des bornes). En l’occurrence les frontières naturelles ont donc fini par être peu à peu complétées ou précisées par des bornes de pierre.
Le pagus (pays) au sens moderne du terme, c’est donc le groupe humain érigé en communauté politique et s’étant donné un État ou territoire… à sa disposition. Le pagus (pays ou nation) est une structure d’accueil sur terre où sont réunis sous une autorité commune (roi, empereur, vergobret, président, etc.) un certain nombre de sujets ou de citoyens. La patrie, c’est le pays du père (disons des parents, des ancêtres, aucune raison d’être machiste).
Le druidisant doit donc remplir ses devoirs envers cette structure d’accueil des âmes sur terre.
Le druidisant doit aussi remplir ses obligations à l’égard de sa patrie/matrie en faisant preuve de patriotisme et de sens civique. Il doit collaborer au bien commun par son travail, mais aussi par les divers engagements qu’il assumera selon ses capacités. Il interviendra selon ses moyens dans les grands débats qui animent son pagus. L’usage veut que cela soit fait de façon démocratique. Strabon livre IV, chapitre IV, 3. « Il existe dans leurs assemblées une procédure qui leur est très particulière : si un homme interrompt l’orateur et l’interpelle, un licteur ou sergent d’armes s’avance vers lui, l’épée nue à la main, et lui intime l’ordre de se taire ; s’il ne s’exécute pas, le licteur ou le sergent d’armes fait la même chose une deuxième fois, puis une troisième fois, mais ensuite pour finir coupe avec un morceau suffisamment grand du manteau [de la saie de cet homme, en grec sagon], pour qu’il ne puisse plus s'en servir par la suite ».
Le druidisant coopérera en outre aux tâches communes en payant les impôts qui eux-mêmes devront être équitablement répartis. Le cas échéant il le fera aussi en effectuant un service militaire.
Selon certains, l’appartenance à l’Humanité apparaît chez nos lointains ancêtres avec le respect de cette geis fondamentale du rectu adgenias : « tu ne tueras point ! » Mais les spécialistes nous montrent aussi que cette geis a été comprise au début de façon très restrictive. Tuer le membre d’une autre tribu n’était pas considéré comme un meurtre.
Il a fallu attendre le druidisme pour que les hommes de la protohistoire en viennent aussi à condamner formellement le meurtre d’un étranger innocent, afin d’éviter les guerres entre tribus. « Chez eux on est frappé d’une peine plus rigoureuse pour le meurtre d’un étranger que pour celui d’un concitoyen : dans le premier cas la mort, dans le second l’exil seulement » (Nicolas de Damas. Recueil des coutumes extraordinaires. Fragment Nº XLIV, 41, conservé par Stobée).
Sur le plan intérieur, préserver le bien commun du groupe exige parfois la mise hors d’état de nuire de son agresseur. Les rois et leurs barons ou conseillers ont le droit et le devoir pour cela, de recourir à des peines proportionnées à la gravité du délit ou du crime, afin d’en assurer la réparation ; sans exclure la peine de mort dans certains cas d’une extrême gravité.
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Par le sacrifice de sa vie cependant, même le plus grand des criminels ou des monstres peut se racheter, c’est pourquoi on ne doit jamais leur refuser une telle possibilité. Les anciens druides qui n’étaient pas contre la peine de mort en cas de crime particulièrement odieux (vol d’objets sacrés ou voués aux dieux, etc.) recommandaient par exemple que pour les sacrifices humains la justice laïque recoure à des condamnés à mort dont l’exécution pouvait ainsi être différée pour les besoins de la cause.
Encore une fois voir Diodore de Sicile V, 32 : « Les criminels qu’ils ont gardés prisonniers pendant cinq ans, ils les empalent en l’honneur des dieux. Avec beaucoup d’autres offrandes, ils les sacrifient en d’immenses bûchers qu’ils ont préparés à cet effet ».
César est aussi formel à ce sujet. « Ils pensent que le supplice de ceux qui ont été pris en flagrant délit de vol ou d’assassinat ou de tout autre crime, sont des plus agréables aux dieux immortels » (B.G. VI, 16).
Rappelons néanmoins que très rapidement les druides qui ont suivi se sont contentés de quelques gouttes de sang humain pour leurs rituels. Il en était ainsi dans les années qui ont précédé les écrits de Pomponius Mela (III, 2, 18) puisque ce dernier en parle au passé.
N’oublions pas en outre qu’un certain nombre des sacrifices humains dénoncés par les auteurs antiques n’étaient en fait que des formes de suicide comme le prouve le cas des soldurs de César ou d’Athénée IV, 40.
La façon d’appliquer la peine de mort dépend toujours évidemment des usages et de l’époque. La meilleure de solutions reste néanmoins l’excommunication, l’expulsion ou le bannissement, ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire à propos des commentaires de César et du droit irlandais.
Sur le plan extérieur, puisqu’il n’y a plus aujourd’hui d’arbitres intertribaux compétents et disposant d’une réelle autorité ; on ne peut refuser aux gouvernements actuels, une fois épuisées toutes les possibilités de règlement pacifique, le droit de légitime défense, y compris par la guerre.
Vu la gravité d’une telle décision, pour qu’elle soit juste, il faut à la fois :
– que le dommage infligé par l’agresseur soit durable grave et certain ;
– que tous les autres moyens d’y mettre fin se soient révélés impraticables ou inefficaces.
L’appréciation de ces conditions de légitimité relève de la responsabilité de ceux qui ont la charge du bien commun.
Sens du sacrifice et dévouement à un homme ou à une noble cause, ont toujours caractérisé les vrais Celtes DE CŒUR
L’importance du dévouement dépendait aussi des circonstances évidemment.
Lors de la bataille du Tessin par exemple, un chef cisalpin avait aussi voué sa chevelure à Mars Gradivus en cas de victoire (Silius Italicus, Punica, IV, 201).
Ce dévouement pouvait se limiter à des prises prestigieuses : armes des chefs ou parures de ces derniers (voir par exemple le cas de l’épée de César, gardée dans un temple arverne d’après Plutarque). Il pouvait aussi être total dans certains cas et quand le péril était grand : butin matériel, humain et animal.
Entre les deux, toutes les solutions intermédiaires étaient possibles.
Mais chez les Celtes, ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir, le don était souvent total et ne se limitait pas, comme chez les Romains, à une partie souvent infime du butin, les spolia opima.
« Quand ils ont décidé de livrer un combat, ils font la plupart du temps vœu de consacrer tout ce qu’ils prendront à la guerre. Quand ils ont gagné, ils immolent tout le butin vivant, et le reste ils l’apportent en un même endroit. Dans beaucoup de cités, on peut voir des tertres élevés dans des lieux consacrés avec ces dépouilles ; et il n’est pas arrivé souvent que quelqu’un, méprisant la religion, ose cacher chez lui le butin qu’il avait fait ou ose toucher à ces dépôts » (César. Livre VI, 17).
Le plus souvent on vouait aux dieux toute sa personne et même plus. Les exemples de mort ritualisée qui nous ont été transmis appartiennent, avec des différences sensibles, à un même ensemble, à une même attitude face à la mort que l’on pourrait qualifier de « sacrifice de soi » ou « sacrifice volontaire ». Ces expressions sont, en effet, préférables au mot suicide qui évoque notamment dans notre civilisation une décision individuelle. Ces morts volontaires chez les Celtes sont des gestes religieux [en plein accord avec toute la communauté, si ce n’est même à sa demande expresse. Voir l’exemple qui va suivre, celui de Vercingétorix. Nous sommes donc là aux antipodes du sacrifice humain de type Abraham/Isaac, le clan et Isaac lui-même ayant été tenus dans l’ignorance des intentions d’Abraham à ce sujet]. Ou du type « la fille de Jephté » dans la Bible (Juges, chapitre X, 11, 12).
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Cette forme particulière et paradoxale du vœu est d’ailleurs commune aux Celtes et aux Romains. À Rome, elle désignait le sacrifice qu’un général faisait de sa propre vie pour sauver son armée. Chez les Celtes, ce sacrifice individuel du chef s’exprimait surtout par le suicide sur le champ de bataille. Ce suicide est d’ailleurs devenu l'un des thèmes récurrents de la sculpture de Pergame et a livré des œuvres majeures, comme l’émouvant Galate mourant du musée du Capitole à Rome.
Le sacrifice suprême ou dévouement total de soi (devotio en latin) est donc un sacrifice humain de type purificatoire ou cathartique ; destiné à ramener la paix ou à faire rentrer dans l’ordre normal des choses une communauté menacée de déstabilisation, par la guerre ou tout autre malheur de ce genre. Ce qui, encore une fois, n’était en aucune façon le cas, du moins à notre connaissance, du clan d’Abraham, quand ce dernier accepta de sacrifier Isaac, n’en déplaise à saint Augustin ! Abraham a en effet accepté de sacrifier son fils (et non lui-même d’ailleurs) parce que son dieu le lui avait demandé, non pour ramener la paix ou la prospérité chez les siens ; puisqu’à l’époque tout allait bien pour son clan (il vivait en bonne entente avec le roi nommé Abimélek, à Béer-Shéva).
Chez les Celtes, nous avons un exemple, bien attesté, de devotio, c’est celle de Vercingétorix après la défaite d’Alésia. L’événement a marqué les consciences, non seulement des guerriers celtes présents, mais aussi des Romains, pendant plusieurs générations.
Répétons donc ici ce que nous avons déjà pu écrire sur le sujet, vu son importance.
Il est rare en effet qu’un événement historique de cette période soit relaté par quatre auteurs s’appuyant chacun sur des sources différentes : César évidemment, Florus reprenant un livre perdu de Tite-Live, Plutarque et Dion Cassius.
César, qui retouche, comme un peintre le ferait en atténuant les traits les plus contrastés, la scène de la reddition proprement dite, est le seul à décrire le moment de la devotio.
« Ayant convoqué le conseil de guerre, Vercingétorix déclare que la guerre n’a pas été entreprise par lui pour son propre intérêt, mais pour la liberté commune, et, parce qu’il faut céder au Destin, il s’offre à eux de deux manières. Qu’ils apaisent les Romains par sa mort ou qu’ils le livrent vivant » (Livre LXXXIX).
César a certainement appris ces détails du discours, après coup, par des informateurs ou des alliés qui ont pu assister directement à la scène, il n’en retient que ce qui sert son récit, les raisons alléguées par Vercingétorix ; et il omet la cérémonie religieuse dont le « conseil armé » a dû être le cadre.
La reddition, telle qu’elle apparaît dans le texte de Plutarque, prouve en effet que Vercingétorix a mis là en scène un véritable rituel religieux ; que César lui-même achèvera, six ans plus tard, en le concluant par un sacrifice humain, sans aucune forme de procès. Jaloux de sa popularité César le fit étrangler dans sa cellule.
Le texte même de Plutarque maintenant.
« Vercingétorix, celui qui avait suscité puis conduit toute cette guerre, ayant pris ses plus belles armes, et aussi ayant paré son cheval de même ; sortit par les portes de la ville, et alla faire un cercle à cheval autour de César, assis en sa chaire. Puis, ayant mis pied à terre, il ôta tous les ornements de son cheval, se dépouilla de toutes ses armes, qu’il jeta par terre, et alla s’asseoir au pied de César sans dire un mot ».
On pourrait être tenté de voir dans cette scène dramatique l’effet d’un enjolivement littéraire. On aurait tort ! Plusieurs détails ne trompent pas. Vercingétorix se pare de ses plus belles armes, celles qui, habituellement, sont destinées aux dieux. Il accomplit ce rite guerrier en compagnie de son cheval, ce même cheval qui est comme le prolongement du chevalier à la guerre, un autre corps qui le transporte, qui porte ses armes et ses trophées. Mais surtout, en tournant autour de César, Vercingétorix accomplit un rite religieux, pratiqué par les Celtes, celui de la circumambulation appelée deisil en Irlande (taouaf en arabe quand il s’agit de la kaaba de La Mecque). Pline rapporte que c’était une manière d’adorer les dieux. Autrement dit, Vercingétorix se conduit envers César comme envers une divinité à laquelle il s’offre en sacrifice. Dans la défaite Vercingétorix se montrait plus grand que celui qu’il faisait reconnaître désormais publiquement comme son nouveau maître.
Accompli par Vercingétorix qui voulait restaurer la royauté de type celtique et qui prônait les anciennes valeurs, ce don de soi-même apparaît, à l’évidence, comme une pratique religieuse ancienne que le jeune aristocrate remet au goût du jour, en n’oubliant aucun détail ; en ajoutant peut-être encore au décorum. L’exemple qu’il nous donne demeure unique, mais parfaitement révélateur de l’abnégation du guerrier, du don qu’il fait de sa personne en faveur des dieux et, au-delà, au bénéfice du peuple au nom duquel est accompli le rite. La devotio de Vercingétorix fut efficace : César mit à part les prisonniers arvernes ou éduens, qu’il rendit à leurs peuples.
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Voir aussi l’admirable exemple du sacrifice du deuxième fils du roi nommé Adiatorix. Adiatorix avait été condamné par Auguste à être exécuté avec son fils aîné, Dyteutos. Le fils puîné persuade les soldats que l’aîné c’est lui. Dyteutos ne veut rien entendre au début, mais à la fin ses parents réussissent à le convaincre qu’il est de son devoir de vivre (pour protéger sa mère et son troisième frère) et les exécutions ont lieu. Auguste apprendra trop tard le sacrifice du jeune Galate. Saisi d’admiration, il conférera aux deux frères survivants la dignité de grand prêtre héréditaire.
« L’empereur, après avoir exhibé derrière lui, lors de son triomphe, Adiatorix, sa femme et ses enfants, décida de le faire mettre à mort lui et son fils aîné, Dyteute. Le puîné des trois frères ayant dit aux soldats qui les emmenaient que c’était lui l’aîné, une dispute éclata entre les deux frères, et il fallut l’intervention des parents pour y mettre fin. Ils firent admettre à Dyteute qu’il valait mieux que ce soit lui qui survive, étant donné son âge plus avancé, car il pourrait ainsi être un protecteur plus efficace pour sa mère et son autre frère. Le fils puîné fut donc exécuté avec son père et ce fut l’aîné, Dyteute, qui survécut (Strabon. Géographie, Livre XII, III, 35).
Comme l’a très bien écrit Fernand Lequenne à propos des Galates : « Il est dans leur esprit de se sacrifier volontairement pour le salut collectif ; d’être généreux jusqu’à la folie ». On est là aux antipodes du sacrifice de type Abraham/Isaac ou celui de Jephté sur sa fille. Avant d’attaquer les Ammonites, Jephté promet en effet d’offrir à Dieu, en sacrifice, en cas de victoire, la première personne qui viendrait sa rencontre. Or ce fut sa fille unique, qui accourut la première au-devant de lui, « en dansant au son des tambourins ». La malheureuse n’eut que deux mois de répit, le temps de pleurer d’être obligée de mourir avant d’avoir été mariée. Livre des Juges, chapitre X, 11, 12.
Ainsi que nous venons de le voir, le sacrifice humain n’était souvent que l’exécution anticipée d’un « vœu » (le mot dévouement est d’ailleurs de la même famille que le mot vœu, car il s’agit d’un ensemble de rites purement guerriers que l’on retrouve aussi, dans ses grandes lignes, dans la religion romaine archaïque : le votum).
Un très bon exemple nous en est fourni par les fameux soldurs dont parle César (B. G. III, 22). « Tandis que tous les nôtres s’occupaient de l’exécution de ce traité, d’un autre côté de la ville se présenta le général en chef Adcantuannus/Adiatuanos, avec six cents hommes dévoués, de ceux que ces peuples appellent soldurs. Telle est la condition de ces hommes, qu’ils jouissent de tous les biens de la vie avec ceux auxquels ils se sont consacrés par un pacte d’amitié ; mais si leur chef périt de mort violente, ils partagent son sort et se tuent de leur propre main ; et il n’est pas encore arrivé, de mémoire d’homme, qu’un de ceux qui s’étaient dévoués à un chef par un pacte semblable, ait refusé, celui-ci mort, de mourir aussitôt ».
La pratique est également signalée chez les Celtibères d’Espagne par Plutarque (Vie de Sertorius, chapitre XIV). «… Il existait en Espagne une coutume selon laquelle, quand un commandant était tué dans une bataille, ceux qui s’étaient voués à sa personne se battaient jusqu’à la mort afin de partir avec lui, ce que les habitants de ces contrées considéraient alors à l'instar d’une offrande ou d’une libation. Il y avait peu de commandants ayant une garde aussi considérable ou un si grand nombre de compagnons leur étant SI dévoués ; mais Sertorius, lui, était suivi par des milliers de soldats qui s’étaient ainsi offerts à verser leur sang avec le sien. Et l’on raconte que quand son armée fut un jour défaite près d’une ville espagnole, et que l’ennemi les pressait alors durement de toutes parts, les Espagnols, sans se préoccuper d’eux-mêmes, uniquement soucieux de sauver Sertorius, le prirent sur leurs épaules puis se le passèrent les uns les autres, jusqu’à ce qu’ils l’aient ainsi transporté dans la ville, et ce fut seulement quand ils eurent ainsi mis leur général en lieu sûr que chacun s’occupa de sa propre sécurité à lui ».
Rappelons néanmoins que dès l’Antiquité déjà le sacrifice de sa propre personne à la suite d’un vœu pouvait évidemment ne revêtir que des formes assez bénignes ou partielles.
Pomponius Mela. Chorographie, Ill, 2.
« Ils s’abstiennent aujourd’hui de faire ces ultimes sacrifices, néanmoins ils continuent à enlever un peu de chair à ceux qui se sont dévoués ainsi, et qu’ils viennent de conduire aux autels ».
Rois et vergobrets nous gouvernant ont le droit et le devoir d’imposer à tous, les obligations nécessaires à la défense nationale ; mais ils doivent équitablement pourvoir au cas de ceux qui, pour des raisons de conscience, refusent l’emploi des armes (chrétiens convaincus, etc.) ; ces derniers demeurent alors tenus de servir sous une autre forme, leur pays. Ces derniers peuvent par exemple être employés utilement comme infirmiers ou brancardiers sur le front ou en première ligne (pas question qu’ils restent lâchement à l’arrière en toute sécurité !).
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L’objection de conscience ne doit en aucun cas être une lâcheté permettant à certains de fuir le sacrifice suprême, tout en gardant le bénéfice de celui des autres. L’objecteur de conscience a le droit de ne pas se servir des armes, mais il a le devoir de risquer aussi sa vie comme les autres. Son refus de toute violence n’est acceptable qu’à cette condition.
La légitime défense peut être non seulement un droit, mais aussi un devoir, pour celui qui a en charge la vie d’autrui, ou le bien commun de la famille et du pays. Car il est légitime de faire respecter son droit propre à la vie, nationale ou individuelle, collective ou familiale… Qui défend sa vie n’est pas coupable d’homicide même s’il est, pour cela, contraint de porter un coup mortel à son agresseur. L’action de se défendre peut, certes, entraîner un double effet : l’un est la conservation, de sa propre vie, et l’autre, la mort de l’agresseur, mais seul le premier des deux est vraiment voulu par le druidisme, l’autre n’étant qu’accepté par lui (accepté comme une conséquence inévitable et fatale de la légitime défense).
Le bien commun, nous l’avons dit et répété, implique la paix, c’est-à-dire la sécurité des personnes et des biens. Les druides ont toujours attaché beaucoup d’importance à cet état. Rois et princes qui nous gouvernent ont le droit et le devoir de repousser par les armes les agresseurs de la communauté humaine dont ils ont la charge bien que sur le plan interne ils aient aussi le droit et même le devoir de réglementer la production et le commerce des armes.
Le druidisme a toujours essayé d’éviter les conflits, et a toujours prôné un ordre international juste, recourant au droit et à l’arbitrage, plutôt qu’à la force brute (nertis). Un ordre international plus juste, dans lequel les tensions pourraient plus facilement être résorbées, où les conflits intertribaux trouveraient une issue négociée.
« Souvent, sur les champs de bataille, au moment où les armées s’approchent, les épées sorties du fourreau, les lances en avant, ces bardes s’avancent au milieu des adversaires et les apaisent comme on fait des bêtes fauves, avec des incantations. Ainsi chez les Barbares les plus sauvages, la passion le cède-t-elle à la sagesse » (Diodore de Sicile, Histoires, V, 31, 2-5).
En ce qui concerne les nations, comme nous venons de le voir, le christianisme fait preuve d’une idéologie de haine et d’exclusion incroyable (envers toute idée d’âme nationale, envers même toute idée de nation ; sans doute un reste du mépris originel des premiers chrétiens envers les goïm et les Barbares, appelés aujourd’hui Kouffar).
L’ordre de saint Paul aux Galates (il ne doit plus y avoir ni juif ni Grec, et ainsi de suite) a ensuite été appliqué à la lettre par les évêques.
Or le vrai natio-ethnisme se distingue de sa forme dégradée, le chauvinisme, par le respect de la dignité de tout gdonios (de toute personne humaine, Indien d’Amazonie ou papou) ; ce qui exclut les racismes de domination, d’exploitation ou de mépris, sous toutes leurs formes (par exemple à l’encontre des goïm Barbares ou Kouffar) ; par le respect de l’étranger venu en paix, ainsi que par l’ouverture à l’amitié avec les autres peuples (internationalisme ou coopération internationale).
À l’heure où s’établissent des communications nouvelles entre les populations du Monde, en particulier depuis la chute des hérésies socialistes et communistes à l’Est ; les néo-païens de tous les pays ont une responsabilité particulière à prendre dans la construction d’un nouvel ordre mondial avec le meilleur de l’ancien. Ils ne peuvent donc que refuser tout racisme étroit en la matière, tout chauvinisme. Quels que soient les efforts actuels des hommes politiques, démocrates ou républicains, de gauche ou de droite, pour piper leurs voix en ces domaines, suite à l’effondrement des démocraties populaires, minées par la corruption, le goulag : avions spécialement affrétés pour les expulsions d’immigrés clandestins, purifications ethniques menées par les communistes serbes en Yougoslavie, etc.
L’instinct vital d’autoconservation pousse à défendre sa vie contre toute agression, mais la légitime défense n’autorise pas n’importe quoi. La défense doit être proportionnelle à la menace.
Chacun est libre de renoncer pour lui-même à l’usage de la légitime défense, un certain nombre de druides et non des moindres (voir par exemple ceux de Mona = Anglesey) l’ont fait en refusant de fortifier leurs temples et leurs séminaires ; mais la kission oblige les âmes bien nées à lutter voire à donner sa vie, pour sauvegarder les droits de ses proches.
On peut tendre sa joue gauche… mais pas celle du voisin (du prochain). « Punir une mauvaise action renforce le paganisme » (Senchus Mor). La non-assistance à personne en danger, caractéristique du christianisme, est un délit voire un crime. La passivité des témoins est une des causes de la
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criminalité actuelle. Un père de famille doit défendre autant qu’il le peut, même par la force, sa femme et ses enfants agressés. C’est pour cette sauvegarde du droit, pour assurer la paix ainsi que la sécurité, que les rois disposent des forces publiques, mais bien sûr, ils n’ont pas non plus tous les droits.
Le respect du droit naturel, du rectu adgenias, s’impose aux rois et à leurs hommes. La justice doit être assurée ainsi que la société protégée.
Vae victis ! Cette formule de Tite-Live, mise en latin dans la bouche de Brennus, n’était certainement pas loin de sa traduction celtique, que l’on peut reconstituer sans risque d’erreur comme étant VAE VICTEBO.
En matière de défense nationale, le christianisme a toujours eu deux langages comme d’habitude.
1er langage : quand il est dans l’opposition. En tant que force oppositionnelle, il prône alors le pacifisme absolu type « plutôt rouge que mort », la non-violence, l’insoumission, voire la désertion, y compris en temps de guerre. D’où de nombreux drames dans l’Antiquité finissante (sur la réalité des persécutions antichrétiennes dans le monde romain, voir notre essai sur, ou plus exactement contre, le christianisme).
2e langage : quand il est au pouvoir et qu’il est devenu religion officielle (quand l’État est devenu plus ou moins officiellement chrétien) ; alors là, comme par hasard, servir ses intérêts, par les armes si nécessaire, redevient une vertu, et la désertion une faute.
Le druidisme, lui, étant plus honnête, n’a jamais eu besoin d’une telle duplicité en ce domaine. Son éthique est une morale de paix, mais selon une vision qui n’est pas le pacifisme à tout prix.
Ceux qui se consacrent au service de la nation dans la vie militaire servent la sécurité ainsi que la liberté de leur peuple. Ils concourront vraiment au bien commun et au maintien de la paix s’ils s’acquittent avec honneur de leur tâche. Ce n’est pas parce qu’une guerre est engagée que tout devient licite. Il ne faut pas traiter de façon déshonorante les soldats blessés, les prisonniers ou les non-combattants. Voir l’exemple de Cuchulainn qui, malgré sa fureur guerrière, ne tuait ni les messagers, ni les cochers, ni les hommes sans arme, et respectait les conventions (Fir Fer en gaélique) dans ses combats.
L’extermination d’un peuple ou d’une nation ou d’une cité, comme dans le cas des Éburons par César ou du herem ou kherem hébreu – massacre des ennemis sur « ordre » (sic) de Yahweh – se situe aux antipodes de l’esprit chevaleresque des Celtes ; et demeure contraire aux lois de l’honneur. Tout acte de guerre de type herem ou kherem biblique, c’est-à-dire tendant indistinctement à la destruction de villes entières, ou de vastes régions avec leurs habitants ; comme lors de la conquête de la Terre Promise par les Hébreux (Deutéronome, XX, 10 à 20) ; est un crime devant être dénoncé. Même s’il ne s’agit pas là de crimes contre l’Humanité au sens juridique du terme, car assez curieusement la « justice » (seulement française il est vrai) a trouvé en 1993 une bien étrange définition du crime contre l’Humanité. « Les textes du statut du tribunal de Nuremberg ne concernent que les faits commis pour le compte des pays européens de l’Axe » (affaire Boudarel, arrêt du 1er avril 1993). Le crime contre l’Humanité donc, du moins aux yeux de la « justice » de ce pays, est, non pas un crime contre l’Humanité (ce serait trop beau) ; mais un crime « commis en Europe, par ou pour l’Allemagne, de 1933 à 1945 » ; et l’Humanité, ce sont donc uniquement les juifs et les Tsiganes. Pas les Arméniens ou les Acadiens, pas les musulmans bosniaques ou les catholiques croates.
Les gauchistes de la Vieille Taupe avaient par conséquent raison d’écrire en leur temps ce qui suit. « La légende veut que le tribunal de Nuremberg ait été l’expression de la justice des nations condamnant impartialement les bourreaux nazis pour des crimes indiscutablement établis et absolument hors du commun. En fait, Nuremberg fut le lynchage d’une bande d’assassins vaincus par une bande d’assassins vainqueurs » (la vieille Taupe, B.P. 9805, 75 224 Paris cedex 05, France) ; car comme l’avait prédit en son temps notre grand Brennus : « Malheur aux vaincus » ! Or la paix devrait être subordonnée à la justice et au droit qu’il faut faire prévaloir.
Le vrai druidisant ne recule donc jamais devant le combat lorsqu’il devient nécessaire, et une véritable fureur sacrée doit l’animer face à l’injustice, il maintient ou impose la paix lorsqu’elle est elle-même exigence de justice. (Cas de l’ex-Yougoslavie en 1992-1993, par exemple). « Toute mauvaise action punie est un renforcement du paganisme » (Senchus Mor). « Les dieux sont favorables à une juste vengeance » (Boadicée. Reine des Iceni. An 61 de notre ère).
Mais Vae Victis disait les Anciens comme nous avons pu le voir, c’est pourquoi ils ajoutaient aussitôt : « Si vis pacem para bellum ».
Aveuglement ou passivité peuvent, dans certains cas, conduire à perdre à la fois la paix, la guerre, et l’honneur, et constituer une très lourde faute (exemple l’aveuglement des démocrates et de la gauche,
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face à Hitler, en 1933. Il est certain en effet que si les Français s’étaient militairement et par la force, opposés à la remilitarisation de la Rhénanie en 1936, la face du monde en aurait été changée).
Le rectu adgenias de nos ancêtres nous a donné les moyens de distinguer les guerres justes des guerres injustes.
Pour qu’une guerre soit juste selon les druides, il faut ce qui suit.
1) Que la cause elle-même soit juste.
2) Qu’elle soit l’ultime recours ; les moyens pacifiques de régler le conflit et de faire primer le droit ayant été déployés en vain.
3) Que les moyens soient proportionnés au tort causé ou au but poursuivi.
4) Que l’on ait de sérieuses chances de rétablir ainsi la justice. La possession et la fabrication d’armes proportionnées à la menace adverse ne sont donc pas en soi une mauvaise action. La dissuasion basée sur l’équilibre n’est certes pas une fin en soi, mais peut constituer une étape acceptable sur la voie de la paix. En aucun cas néanmoins ne peuvent être justifiées les destructions massives de populations innocentes comme lors de la conquête de la Terre Promise (par Dieu ou le Démiurge). Le Fir Fer oblige à y voir seulement un ultime recours (Dresde et Hiroshima ou Nagasaki en 1945).
Les militaires manient la nertis (la force), ils disposent d’armes meurtrières (la gae bolga des anciens Irlandais par exemple, la bombe atomique aujourd’hui, etc.) L’existence de chefs charismatique se mettant au service des autres, sachant limiter l’usage de la force au minimum nécessaire, et respectant l’homme en l’ennemi, loyal et courageux, est donc essentielle.
Notes sur feuille de papier volante et retrouvées par les héritiers de Pierre de La Crau, puis insérées à cet endroit.
Note 1.
Dans la bataille de type plus ou moins hoplitique, qui est celle des Celtes de l’Antiquité si l’on en croit Jean-Louis Brunaux, le chef ne dirige pas de l’arrière, mais combat lui-même en première ligne, là où les risques sont les plus grands. Beaucoup de chefs celtes par conséquent meurent au combat. La Guerre de Sécession fait figure de fin de la guerre à l’ancienne, du point de vue de la place et du rôle du général en chef sur le champ de bataille. Les commandants d’armées tels que Sherman, Grant, ou Lee, accompagnaient celles-ci sur le terrain ; à tel point que les soldats d’alors avaient encore des chances de les voir, ne fut-ce que fugitivement, au bivouac, lors des marches ; et savaient plus ou moins où ils se trouvaient lors des combats. Bien entendu, les nécessités ainsi que la complexité de la guerre moderne imposent qu’à partir de la brigade, les commandants des grandes unités bénéficient du recul nécessaire à la prise de décisions opérationnelles ou stratégiques pertinentes ; et à la traduction de celles-ci en ordres clairs, précis, complets, univoques et concis. Cet état de fait s’est imposé depuis la seconde moitié du XXe siècle. Von Moltke l’aîné a mené les campagnes de 1866 contre l’Autriche-Hongrie et de 1870 contre la France, loin du front : de son état-major en Allemagne.
Note 2.
Pour qu’un éventuel désarmement ne soit pas une prime à la violence d’agresseurs éventuels, il devra être mutuel, progressif et soigneusement contrôlé. Il ne peut y avoir de paix durable sans vérité, sans justice, et sans liberté, que ce soit entre les nations ou à l’intérieur même de chaque nation d’ailleurs. Ces composantes spirituelles de toute paix doivent être traduites en acte et en institutions, mêmes internationales s’il le faut (arbitrages intertribaux, etc.)
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LE SYNDROME DE STOCKHOLM.
COMPRENDRE LA CELTISATION DES CŒURS ET DES ESPRITS 1re PARTIE.
Le nom des barbares Attacotti/Atecotti est sans doute un essai de transcription du vieil irlandais aithechthúatha, mais ce terme gaélique ne désigne pas une tribu particulière puisqu’il a surtout une valeur sociale et peut se traduire par « peuples vassaux, tributaires, payant un impôt ». Disons « tribus placées sous protectorat » et n’en parlons plus ! David Hugues dans ses fameuses « chroniques » en a fait des Atlantes ce qui est impossible par définition, mais ce qui est incontestable c’est que l’on a trouvé dans le nord de l’Écosse des inscriptions oghamiques ne correspondant à une aucune langue indo-européenne connue.
Un texte étiologique irlandais lié au célèbre testament de Morann (Audacht Morainn) le Soerchlanda Erenn uile, évoque une sanglante révolte de ces Atectai ayant eu lieu du temps du légendaire empereur d’Irlande appelé Feradach Find Fichtnach.
On peut résumer les choses ainsi.
Un groupe de tribus se trouve placé sous le protectorat ou l’administration d’une aristocratie n’ayant pas les mêmes origines ethniques. Pour différentes raisons en effet ces tribus vassales ont perdu leurs propres dynasties régnantes et du coup sont obligés de payer tribut aux rois des trois autres tribus.
Mécontents de la situation les tribus vassales chassent la classe dirigeante étrangère à leur peuple, qui est massacrée à part trois femmes enceintes qui s’enfuient en Écosse.
Les tribus vassales laissées à elles-mêmes essaient de s’autoadministrer, mais en guise de punition pour leur crime sont accablées par toutes sortes de maux : ils n’ont plus assez de lait, de fruits, de céréales, ou d’autres plantes.
Au bout d’un certain temps, les tribus vassales regrettent d’avoir agi ainsi et décident de reconnaître les souverains que la terre d’Irlande acceptera.
Les émissaires envoyés outre-mer demandent aux princes de revenir en Irlande.
Les trois princes et les tribus vassales concluent un pacte.
Les nouveaux souverains divisent l’Irlande entre eux et deviennent les ancêtres des dynasties régnantes en Irlande.
Notre commentaire. Le thème est donc celui bien connu en Irlande de l’exil et du retour des souverains légitimes.
Le plus important est le contenu du fameux pacte (fir flathemon) qui a scellé l’accord des belligérants et la paix retrouvée.
Malheureusement on n’en connaît pas le contenu. On ne peut donc que supposer que le recht aicnid ou droit naturel en était le fondement. Vu l’importance de la question dans la détermination des droits et devoirs des Atectoi en terre celte nous y reviendrons plus longuement.
Ba had bal tra 7 ba dírím truma in chísa 7 met na cana 7 fortamlaighe in fhlaithiusa laisna tri rígha ibh sin for aitheachaib Erend en tout cas cela veut dire trop d’impôts trop de tributs des lois trop dures.
Les nations vaincues, mais adeptes de religions proches du druidisme (en tout cas pas incompatibles avec lui *) étaient autorisées à garder une certaine autonomie, et devenaient ainsi des atectai, des peuples protégés par les lois des très-sachants de la druidiaction (druidecht).
Les druides leur garantissaient la vie sauve, la possession de leurs biens, et même la pratique de leurs cultes.
Une preuve archéologique de tout cela nous est fournie par le temple découvert à Gournay-sur-Aronde dans le nord de la France.
Dans les années – 280 – 260 avant notre ère, quand les populations belges s’installèrent sur ce territoire, existait déjà en ce lieu un sanctuaire indigène, matérialisé par un simple enclos et une petite fosse-autel où l’on faisait des offrandes de vases.
Ce lieu de culte devait être consacré à une divinité censée résider dans les eaux des marécages. C’est ce lieu que les hommes du pagus rossontensis, l’un des quatre pagi constituant la civitas des
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Bellovaques, choisirent pour y édifier leur sanctuaire principal à eux. Cette réutilisation d’un lieu de culte autochtone signifie qu’il existait encore une population indigène, qui se trouva englobée dans le nouveau peuplement. Les nouveaux arrivants, comme plus tard le firent les occupants romains, cherchèrent de cette façon à s’attirer les bienfaits des divinités territoriales, en même temps qu’ils trouvaient là le meilleur moyen d’obtenir une bienveillante neutralité de la part des indigènes.
Ce protectorat exercé sur les atectoi combroges n’impliquait aucune ségrégation. Les druidisants ne les tenaient aucunement à l’écart par principe, ou intentionnellement. Et surtout ils n’étaient pas considérés comme impurs (conception étrangère au druidisme).
On pouvait les inviter à sa table et il y avait même de nombreux mariages mixtes.
Les possibilités d’ascension sociale restaient importantes, mais une forte pression sociale s’exerçait néanmoins envers ces peuples vaincus (atectai = statut de citoyen ou plus exactement de sujet de seconde zone… à laquelle ils ne pouvaient rapidement échapper que par la conversion).
D’où leur disparition à la longue par assimilation à la civilisation celtodruidique.
On peut comparer le sort des atectoi à celui des dhimmis dans les pays musulmans, mais la comparaison avec le petit djihad islamique s’arrête là.
* Ce qui était d’ailleurs le cas de toutes les religions de l’époque à part celle des Hébreux peut-être.
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COMPRENDRE LA CELTISATION DES CŒURS ET DES ESPRITS (SUITE)
TRIBUT EN HOMMES : SERVICE MILITAIRE ATHAIR ALTROMA ET SYSTÈME DES OTAGES.
Le ver sacrum ambicatusien n’était pas non plus destiné comme on peut le penser, à étendre le druidisme en convertissant de force et par l’épée les populations vaincues ; cela n’en était qu’une conséquence. Acceptée, mais non voulue. Ce que signifie d’ailleurs le nom même d’Ambicatus : en gros « qui combat des deux côtés », rappelons-le !
Les peuples vaincus n’étaient tenus qu’à payer un tribut. Seuls les peuples ayant des cultes totalement incompatibles (et il y en avait peu) étaient obligés de choisir entre la conversion ou la mort.
« Quand Tristan revint dans le pays, le roi Marc et toute sa baronnie menaient grand deuil. Car le roi d’Irlande avait équipé une flotte pour ravager la Cornouailles, si Marc refusait encore, ainsi qu’il faisait depuis quinze années, d’acquitter un tribut jadis payé par ses ancêtres. Or, cette année, le roi avait envoyé vers Tintagel, pour porter son message, un chevalier géant, le Morholt, dont il avait épousé la sœur, et que nul n’avait jamais pu vaincre en bataille. Mais le roi Marc, par lettres scellées, avait convoqué à sa cour tous les barons de sa terre, pour prendre leur conseil.
Au terme marqué, quand les barons furent assemblés dans la salle voûtée du palais et que Marc se fut assis sous le dais, le Morholt parla ainsi :
« Roi Marc, entends pour la dernière fois le mandement du roi d’Irlande, mon seigneur. Il t’enjoint de payer enfin le tribut que tu lui dois. Pour ce que tu l’as trop longtemps refusé, il te requiert de me livrer en ce jour trois cents jeunes garçons et trois cents jeunes filles, de l’âge de quinze ans, tirés au sort entre les familles de Cornouailles. Ma nef, ancrée au port de Tintagel, les emportera pour qu’ils deviennent nos serfs. Pourtant, si quelqu’un de tes barons veut prouver par bataille que le roi d’Irlande lève ce tribut contre le droit, j’accepterai son gage. Lequel d’entre vous, seigneurs cornouaillais, veut combattre pour la franchise de ce pays ? »
La notion d’otage a évolué avec le temps. En latin, le mot otage se dit obses, obsidis, et vient du verbe sedeo signifiant « être assis, demeurer, séjourner ». Les mots obsidio, onis, qui désignent le siège d’une ville, et obsideo, es, ere, qui signifie « assiéger », appartiennent à cette famille.
La prise d’otages est vieille comme le monde. On trouve des traces de ce système vingt-sept siècles avant notre ère en Égypte, au Proche-Orient, puis la cité d’Athènes et à Rome. Les empereurs élevaient à leur cour des rejetons de rois vaincus pour s’assurer de leur fidélité.
Très tôt en effet, les États ont fait du procédé des otages un moyen de diplomatie et de gouvernement. Prévus par une clause des traités, ils garantissaient l’exécution des obligations imposées aux vaincus, leur soumission ; ainsi que la neutralité des voisins et même la fidélité des alliés. Ces otages diplomatiques étaient généralement traités comme des hôtes de marque dans le pays d’accueil. Leur sort ne ressemblait en rien à ceux de prisonniers. Il s’agissait en effet le plus souvent de membres de familles régnantes ou des plus hauts dignitaires des États, qui répondaient sur leur honneur et sur leurs biens de l’exécution des traités.
Cette définition s’est modifiée : aujourd’hui le mot désigne l’individu dont on s’empare et que l’on utilise comme moyen de pression pour obtenir ce que l’on exige ou pour se garantir d’éventuelles représailles. Le statut d’otage a donc évolué dans le temps, de « garant d’une promesse » à celui de « monnaie d’échange ». Ce sont des groupes terroristes qui organisent ces prises d’otages pour des raisons politiques. Parfois aussi ce sont des actes crapuleux qui sont le fait du grand banditisme. Du point de vue du droit international, les prises d’otages sont interdites depuis 1949, par la Convention de Genève dans les conflits militaires ou civils. Elles sont également contraires à la Convention des Droits de l’Homme même dans le cas très celtique du syndrome de Stockholm.
Il est donc évident que nos ancêtres ont, eux aussi, pratiqué à grande échelle ce système. Le nom même de Niall Noigiallach, dernier roi païen d’Irlande, signifie d’ailleurs Niall aux neuf otages.
O’Rahilly a suggéré que ce surnom était lié à une prise d’otages effectuée parmi les fils de neuf rois des Cruithni d’Ulster. Cette population semble en effet correspondre, pour la période historique en
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question, au royaume d’Airgillia (Airgíalla = donneurs d’otages), qui fut vassal des Ui Neill après l’avoir été des Ulaid.
Après la victoire et après la conquête, les chefs celtes vainqueurs devaient donc bien évidemment demander qu’on leur remette des otages pour garantir la paix.
Les druides, quant à eux, devaient aussi sans doute prendre en tutelle chez eux des garçons d’âge scolaire, c’est-à-dire d’environ sept ans (l’école maternelle n’existait pas à l’époque) afin de les former à leurs spécialités propres et d’avoir en eux, sinon des successeurs, au moins des aides ou des auxiliaires.
La celtisation accélérée de ces populations vaincues, et notamment des Ligures, s’explique sans doute en grande partie par l’importance de ce service militaire dû par les vaincus aux celtisants vainqueurs ; et par le tutorat par les druides, des enfants les plus prometteurs de la tribu vaincue.
Les chefs celtes vainqueurs ne pouvaient qu’accepter que des jeunes de la tribu vaincue se rallient à leur cause et portent les armes pour leur plus grande gloire. Il y a bien eu des juifs pour s’engager dans les armées d’Alexandre le Grand à l'époque. Pour ce qui est de ce service militaire, cela devait commencer à environ quatorze ans.
Sans compter, vu la tolérance que manifeste toujours un vrai Celte de cœur et d’esprit, qu’un tel tribut en hommes fut rapidement vu par les vaincus comme un moyen d’ascension sociale pour les familles. Le cas de Vercingétorix en France est exemplaire à ce sujet (il fut, tout jeune, envoyé en otage chez les Romains, et même plus précisément chez Jules César). Celui du futur saint Patrice moins concluant (il fut placé dans la famille du druide qui gérait les troupeaux du roi ayant pillé son pays).
Nul ne peut dire avec exactitude maintenant comment cela se passait il y a 3000 ans, mais voici en tout cas comment s’effectuaient ces prises d’otages dans l’Empire ottoman.
Au début, recrutement des janissaires et devchirmé furent deux choses bien différentes.
Les janissaires étaient des enfants capturés dans les villages chrétiens pris par l’armée ottomane au fur et à mesure qu’elle avançait (ou reculait) dans les Balkans. Ces enfants puis adolescents grandissaient donc dans le cadre de l’armée ottomane. Ce qui correspond bien à la pratique des otages développée par les empereurs celtes (ard ri) comme Niall.
Mais pour le devchirmé, il s’agissait de l’intérieur de l’Empire et en temps de paix. Il ne s’agissait pas du même mécanisme et le but était différent, plus civil. Ce type de tribut humain fut pratiqué dès les premières années alors que les Ottomans observaient un mélange singulier de croyances religieuses peu orthodoxes, de coutumes tribales turques et de traditions byzantines.
Ces deux logiques finirent néanmoins par se confondre, et ce, assez rapidement.
Le recrutement des janissaires, d’abord effectué en retenant un prisonnier de guerre sur cinq dans les villages conquis, ainsi que nous l’avons vu plus haut, se fit alors également par le système du devchirmé, ou conscription obligatoire de jeunes enfants issus des familles du pays vaincu.
Présenter les janissaires purement et simplement comme des « esclaves-soldats » est une erreur. Le titre de kul qui leur était attribué correspondait à une fonction honorable et non déshonorante. Le kul était un statut à mi-chemin entre celui d’esclave et celui de simple sujet du sultan. Au XVIIe siècle encore, être reconnu comme kul était aussi estimable qu’être un simple sujet du sultan. Une fois l’étrangeté choquante du devchirmé passée, beaucoup de familles proposaient leurs enfants pour ce qui semblait être une bonne carrière. Des parents aussi bien chrétiens que musulmans ont même été jusqu’à offrir des pots-de-vin pour que leurs enfants soient acceptés. Il existe des écrits attestant que de nombreux janissaires gardaient le contact avec leur famille.
Comme lors de l’Inquisition en Espagne, ceux qui contraignaient les jeunes recrues au devchirmé estimaient sauver ainsi leur âme. Ce tribut en hommes alimentait l’infanterie d’élite, la cavalerie, ainsi que les serviteurs ou domestiques civils. Le devchirmé concernait en premier lieu les garçons âgés de huit à vingt ans, issus de familles paysannes ; des individus en bonne santé, mais sans éducation, plutôt que des jeunes citadins formés à « l’école de la rue ». Les familles avec un seul fils en étaient
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dispensées. La plupart des Grecs y échappèrent aussi, car la majorité de ceux qui parlaient grec étaient alors dans les villes ou peuplaient des îles.
Le devchirmé entraînait concrètement le recrutement d’un enfant tous les quarante foyers ; la levée se produisait à peu près tous les cinq ans. À son apogée le système alla jusqu’à concerner de 1000 à 3000 jeunes par année, en plus du recrutement ordinaire global de près de 8000 esclaves.
Le devchirmé débutait par un édit ou firman du sultan. Un officier du rang de yaya basi au moins, muni d’un mandat en bonne et due forme et accompagné de plusieurs sürücü (« conducteurs de bestiaux »), ainsi que d’un secrétaire avec un certain nombre d’uniformes, se rendait là où le clergé local avait la charge de rassembler les enfants mâles.
Deux listes étaient alors établies.
L’une était confiée à un sürücü, qui escortait alors les recrues jusqu’à Istamboul. Là-bas, les plus intelligents étaient formés comme iç oglan ou serviteurs du « palais », dans les écoles du palais du Sultan, et parvenaient même, pour les plus chanceux, à de hautes fonctions.
Le reste, l’autre liste, constituée par les acemi oglan ou « garçons étrangers » se retrouvaient placés dans les maisons d’hommes honorablement connus afin d’y effectuer la première étape de leur éducation ou assimilation.
La procédure de sélection, supervisée par un comité d’examinateurs, était un mélange frappant d’idées neuves et archaïques. D’un côté la croyance en la « physiognomie », qui affirmait que le caractère et l’intelligence pouvaient être déduits de l’apparence physique, et de l’autre des examens intellectuels ou mentaux s’apparentant aux tests de QI modernes.
On en sait plus évidemment sur l’éducation de l’élite des iç oglans que sur celle du commun des acemi oglans destinés au corps des janissaires, mais les principes en étaient similaires. Il y avait des écoles du palais à Brousse, Edirne, Istamboul et Galata, où les jeunes étudiaient pendant deux à sept années, sous la férule d’une discipline sévère que le kapi agasi ou chef eunuque blanc imposait. Ils apprenaient d’abord l’islam et les professeurs ou hocas leur enseignaient des rudiments de culture générale. La dominante de leurs études ultérieures dépendait de ce qui leur convenait le mieux : elle était soit religieuse, soit administrative ou militaire. Des sujets spécifiques étaient constitués par la littérature arabe, perse et turque, l’équitation, le lancer de javelot, le tir à l’arc, la lutte, l’haltérophilie et la musique pour les plus doués. De plus, un accent tout particulier se trouvait mis sur l’honnêteté, la loyauté, les bonnes manières ainsi que la maîtrise de soi. Ensuite, à la fin de cette formation, avait lieu un çikma, une sorte de processus de sélection et de promotion. Les meilleurs iç oglans allaient dans les chambres haute ou basse du palais du Sultan, pendant que les autres étaient affectés à la cavalerie des kapu kullari.
Par comparaison avec cette instruction quasi chevaleresque, celle de l’acemi oglan ordinaire était totalement militaire avec une écrasante insistance sur l’obéissance. Ils étaient tout d’abord prêtés comme türk oglan pour exécuter les travaux dans les champs des familles turques, apprendre la langue, les compétences militaires de base, ainsi que les croyances musulmanes, pendant cinq à sept ans. Ils étaient ensuite affectés à un des acemi ocak ou écoles d’enfants de troupes lorsqu’on leur accordait du repos. Certains se retrouvaient dans les konaks ou maisons des beys, des pachas, reflets des écoles du Palais, mais à un niveau plus modeste. Les meilleurs türk oglan étaient promus dans le corps d’élite des jardiniers ou bostanci (en fait des gardes impériaux), les autres devenaient janissaires ou intégraient les compagnies de baltaci (des hallebardiers) voire une des compagnies de l’Amirauté. À partir de là, les hommes étaient sélectionnés pour les ortas plus techniques des cebeci (armuriers), des topçu (artilleurs) ou des top arabaci (conducteurs du train d’artillerie). Toutefois, la majorité d’entre eux s’entraînaient dans des casernes-écoles comme simples fantassins.
L’entraînement durait au moins six ans durant lesquels l’acemi oglan était surveillé par les eunuques et privé de toute compagnie féminine. La discipline était très sévère, même si elle était moins rigoureuse en dehors de leurs heures de service. Les promotions issues du kapiya çikma ne devenaient des unités opérationnelles que lorsqu’un poste devenait vacant, et le défilé qui avait lieu à cette occasion constituait un événement appelé aussi kapiya çikma. Les diplômés formaient une seule file, chacun tenant l’ourlet de l’habit de l’homme devant lui, puis se mettaient en rang devant un odabasi de leur unité, qui leur donnait à chacun le couvre-chef caractéristique des janissaires ainsi que leur diplôme. Le soir venu, après les prières, chaque nouveau janissaire portait le dolman, une sorte de manteau, et devenait membre à part entière de l’oçak. Il devait baiser la main de son nouvel officier qui l’appelait alors camarade (yoldas).
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Les janissaires eux-mêmes semblaient favorables à une suppression progressive du devchirmé, de façon à susciter ainsi des occasions de carrière pour leurs propres fils.
Le devchirmé fut arrêté dans la pratique en 1648, en Europe un ultime devchirmé échoua en 1703. Dès lors, la principale source de recrutement devint les Tatars d’Ukraine jusqu’à l’annexion de la Crimée par la Russie en 1783.
N.B. L’emblème le plus connu des janissaires était le chaudron en cuivre que la compagnie (orta) conservait précieusement. La ration quotidienne des hommes était préparée dans le chaudron et ils se rassemblaient autour de celui-ci pour leur repas. Le chaudron était porté dans les défilés, les soldats et les officiers se tenaient debout tout autour, dans un silence respectueux. Renverser le chaudron était un signe de révolte et se réfugier auprès de lui équivalait à trouver asile dans un sanctuaire. Lors des batailles, le chaudron de la compagnie servait de point de ralliement. Mais si le chaudron était perdu, les officiers qui étaient chargés de le défendre tombaient alors en disgrâce, et la compagnie tout entière perdait le privilège de participer au défilé avec les autres régiments.
Mais laissons là ces turqueries, nous, ce qui nous importe c’est le tribut en hommes tel qu’il a été longtemps pratiqué par les vainqueurs, le devchirmé celte antique (otages, athair altroma, et celtisation) ; et sa version moderne revue et corrigée (un service militaire offrant aux étrangers une réelle occasion d’intégration et de promotion sociale, d’accès à la citoyenneté et à la naturalisation.
Ce que l’on peut en déduire pour ce qui est des conquêtes celtes et de la celtisation qui s’en est ensuivie, c’est qu’il a dû exister une sorte de devchirmé celte. On en a des traces dans la légende de Tristan et Iseut et…
Le brouillon de Pierre de La Crau s’arrête malheureusement ici
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NOTE SUR LE CARACTÈRE SACRÉ DE CERTAINES GUERRES DÉFENSIVES CHEZ LES CELTES ET LE CONCILIUM ARMATUM.
Les assemblées, qu’elles fussent seulement civiles ou militaires, ne se déroulaient jamais sans un minimum d’apparat. Lors de la conjuration générale de 52 avant notre ère, les chefs de tribu se réunissent chez les Carnutes, probablement dans l’un de leurs sanctuaires. Là ils nouent des serments au-dessus des enseignes réunies en faisceau, ce qui est, dit César, « more eorum gravissime caerimonia », autrement dit la cérémonie la plus grave [et la plus lourde de conséquences] dans leur religion.
Ces assemblées guerrières devaient être celles où le guerrier se parait de toutes ses armes, celles-ci indiquant son rang hiérarchique et témoignant de son passé glorieux. Si certaines étaient ouvertes à l’ensemble des combattants, toutes origines sociales confondues, le plus grand nombre étaient réservées aux chefs et se faisaient dans le secret le plus absolu, comme le laisse entendre César à plusieurs reprises.
Ce concilium armatum (gaisata datla en celte ?) extrêmement ritualisé n’avait d’ailleurs probablement de conseil que le nom. C’était plus un rituel avec sacrifice humain qu’autre chose. César le décrit d’une manière tout à fait exceptionnelle dans son œuvre. C’est l’une des très rares descriptions de caractère ethnographique, en dehors de la digression du Livre VI, elle a l’avantage de mettre en relation directe une pratique religieuse, un rituel, avec des événements datés.
« Il [Indutiomaros] convoque l’assemblée armée. C’est là, selon l’usage, l’acte initial de toute guerre. Une loi, la même chez tous, veut que tous ceux qui ont l’âge d’homme y viennent en armes ; celui qui arrive le dernier est livré, en présence de la multitude, aux plus cruels supplices » (César. B. G. Livre V, 56).
Note de Pierre de La Crau. Cette mobilisation générale ne devenait un devoir sacré qu’en cas de guerre défensive ou de légitime défense.
La déclaration de guerre selon César entraînait donc des mises à mort relevant plus du sacrifice humain que de la peine capitale et constituait une exception à la règle générale de préservation de la vie édictée par les très-sachants de la druidiaction (druidecht).
Car la mise à mort en question était, bien entendu, un sacrifice humain et cette citation de César prouve donc qu’en ce qui concerne les guerres « saintes » celtiques [mieux : les guerres sacrées] on commençait toujours par un sacrifice de ce genre.
Contrairement à ce que laisse entendre le conquérant romain, le rite est ancien, en tout cas antérieur au Ier siècle, et il est révélateur. Son sens est parfaitement compréhensible. Il s’agit, sous la forme la plus solennelle, de signifier à tous les participants que désormais leur vie ne leur appartient plus ; qu’elle est entre les mains d’un dieu (le destin) qui les laissera en vie ou qui en fera des morts promis à un Walhalla héroïque. Celui qui a tenté de se soustraire au devoir collectif doit donc, non seulement mourir en l’honneur de ce dieu, mais il doit le faire lentement, dans des traitements dégradants, et à la vue de tous ; de façon à ce que sa mort paraisse l’image inversée de la mort du guerrier, rapide, en pleine gloire, mais en échange de la souffrance et parfois de la mort de son ennemi. Même chose avec les déserteurs ou les mutins des guerres modernes d’ailleurs !
Conclusions (toutes provisoires) et adaptations à la réalité d’aujourd’hui.
1. Ce à quoi nous convie aujourd’hui l’exemple de Bellovesos et de Segovesos, ce n’est plus à une activité missionnaire du style petit djihad (guerre sacrée) ; mais au combat pour la liberté, religieuse, pour la liberté de culte, de tous les cultes. Tout le monde doit pouvoir vénérer ou adorer le dieu ou le
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prophète de son choix. Nulle contrainte en matière de culte donc. Ceci dit de notre part sans aucune taqiyah ! Puisque c’est la définition même du paganisme philosophique et réfléchi qui est le nôtre.
2. Il s’agit en effet moins de condamner à un enfer qui n’existe pas, que d’appeler à la conversion des cœurs et des esprits, afin d’échapper au cercle vicieux des réincarnations sans fin en bacuceos. En bacuceos ou en seibaros, autrement dit en fantôme (siabair/siabhradh en irlandais) sorti tout droit du royaume de Tethra ou de Donnotegia. Les royaumes d’Arawn ou de Gwynn dans le folklore du Pays de Galles. Car seule la foi permet à l’Homme d’accéder au monde des dieu-ou-démons.
3. Accessoirement, si un pays druidisant est injustement attaqué (cas de la cisalpine) il est du devoir de tous de prendre les armes pour le défendre ; car lutter à ses côtés, c’est se battre contre l’injustice, contre le racisme, voire contre la tentation du génocide.
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LES DIFFÉRENTS TYPES DE GUERRES NON PAS SAINTES DONC, MAIS SACRÉES.
Il existait par conséquent trois types différents de guerres.
La guerre sacrée (mais non « sainte ») défensive à plus ou moins forte connotation de bagaude (cf. le cas de Mariccus) ; et la guerre sacrée (sacrée, pas sainte) offensive à forte connotation natio-ethnique (menée par solidarité nationale).
La guerre sacrée (sacrée, pas sainte) défensive à forte connotation natio-ethnique (menée par solidarité nationale).
Il ne faut pas oublier en effet le rôle considérable joué par les Celtes dans les batailles livrées par Hannibal aux Romains. Eux qui étaient foncièrement non racialistes ; voir leur attitude à propos des étrangers. « Chez eux l’on est frappé d’une peine plus rigoureuse pour le meurtre d’un étranger que pour celui d’un concitoyen : dans le premier cas la mort, dans le second l’exil seulement » (Nicolas de Damas. Recueil des coutumes extraordinaires. Fragment Nº XLIV, 41, conservé par Stobée) ; ils avaient en effet commencé à être victimes d’un véritable génocide perpétré par les Romains. Polybe le dit lui-même en toutes lettres :
Histoires. Livre II, XXI : « Les Romains partagèrent en lots le Picentin d’où, après leur victoire, ils avaient chassé les Celtes appelés Sénons. Ce fut Caius Flaminius qui introduisit ce procédé démagogique et ce régime politique qui fut pour les Romains la cause de la guerre acharnée qui suivit. Plusieurs de ces peuples celtes en effet entrèrent dans la querelle… à la pensée que les Romains ne leur faisaient plus la guerre pour l’hégémonie et la domination, mais pour la ruine et la destruction totale de leur race ». [Autrement dit une véritable shoah anti-celte menée par les Romains, comme le confirme ce fragment de Denys d’Halicarnasse à propos du dénommé Publius Cornelius. « L’homme qui, étant consul, en menant une guerre d’extermination contre les Celtes appelés Sénons, avait massacré tous les hommes de cette nation ». Antiquités romaines. Livre XIX. Fragment Nº XIII. N.D.L.R.]
Les chefs insubres voyant que les intentions des Romains ne changeaient pas décidèrent donc de tenter la fortune et de risquer le tout pour le tout. Ayant rassemblé en un même endroit toutes leurs offrandes, même celles en or qui étaient dites « inamovibles » [anathemata, dans le texte grec. Ce détail prouve bien le caractère sacré ou désespéré, de cette guerre. N.D.A.] qu’ils enlevèrent de leur temple, et après avoir terminé tous les autres préparatifs nécessaires, ils partirent pour livrer bataille ».
Mais on n’a pas tous les jours la chance de réussir à vaincre le fascisme et le racisme. Les vrais, pas ce qui n’est que du natio-ethnisme soucieux de la défense ou de la culture, des différences ou de l’identité nationales.
Autre exemple de guerre sacrée, la guerre qui suivit l’attaque du haut lieu spirituel qu’était l’île de Mona (aujourd’hui Môn pour les Gallois, Anglesey pour les Anglais) en l’an 58 de notre ère.
« L’armée ennemie était déployée sur le rivage… les druides, les mains levées vers le ciel, lançaient des malédictions effrayantes. Un tel spectacle cloua sur place les soldats, c’était comme s’ils avaient eu les membres paralysés » (Tacite. Annales XIV, 29-30).
Mais ce que Paulinus a pris pour une armée, ce sont très vraisemblablement les druides et leurs disciples, avec les épouses des uns et des autres.
Les Romains en effet ont occupé sans grande difficulté une île qui n’était pas défendue, sans doute parce qu’il n’était jamais venu à l’idée des Bretons que quelqu’un ose l’attaquer. Les légions en ont facilement pris possession, massacrant les prêtres et détruisant le sanctuaire.
L’élément le plus intéressant du récit est le recours à la guerre psychologique pour commencer : recours inefficace et dont les Romains, après coup, se sont moqués sans le comprendre. Ils avaient quand même commencé par être saisis de frayeur, ce que voulaient justement les très-sachants de la
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druidiaction (druidecht). Que les espérances de ces malheureux aient été vite déçues, ne change rien au principe !
La destruction d’un centre spirituel n’est jamais d’un bon rapport : guerre sans prisonnier, remplie d’horribles supplices, guerre inexpiable. Les textes sont muets sur ce que les Romains firent de leur côté, mais tout cela ressemble bien à une guerre sacrée, au moins pour les Celtes de Grande-Bretagne.
Ce qui fait immédiatement suite à cet événement, dans les Annales de Tacite, c’est la grande révolte des Bretons sous le commandement de la reine Boudicca.
« Environ soixante-dix mille citoyens romains et alliés furent tués dans les endroits que j’ai signalés, car ils ne faisaient pas que prendre, vendre à l’encan ou user d’une quelconque loi de la guerre ; mais ils se hâtaient d’employer le glaive, le gibet, le feu, la croix, comme s’il s’était agi d’une vengeance… » (Livre XIV, chapitre XXXIII).
Dion Cassius (LXII, 9) est plus prolixe en détails macabres. « Voici ce qu’ils firent de plus horrible et de plus féroce : ils pendirent les femmes les plus distinguées, ils leur coupèrent les seins, et ils les leur cousirent sur la bouche, afin de les voir pour ainsi dire manger. Après quoi, ils leur enfoncèrent des pieux aigus à travers le corps de bas en haut. Et tous ces forfaits, c’est pendant leurs sacrifices et leurs festins qu’ils s’y livraient, dans leurs temples et notamment dans le bois sacré d’Andrasta, c’est ainsi qu’ils nomment la Victoire » (LXII, 9).
Le phénomène bagaude.
On appelle bagaudes, d’un nom signifiant combattants et que l’on retrouve dans le breton bagad, les troubles qui agitèrent l’Europe de l’Ouest à la fin de l’Empire romain. La guerre d’indépendance menée contre les légions de César ne fut évidemment pas une bagaude mais il ne faut pas prendre à la légère les propos de César reprochant au jeune chef arverne de s’appuyer surtout sur la plèbe. Il y eut incontestablement un certain populisme dans le soulèvement général de - 52.
Les bagaudes proprement dites s’étalent de 282 à 448 avons-nous dit.
Le cas de Mariccus en 69 est ici très révélateur. Il montre comment l’échec d’une mobilisation menée par les élites urbaines pour alimenter une rébellion politique, celle de Vindex, pouvait mener à une mobilisation populaire hostile à ces mêmes élites.
Il existe aujourd’hui un large consensus pour identifier les Bagaudes de 285-286 à des milices paysannes valorisées par une fonction défensive contre les barbares.
Des milices paysannes d’autodéfense recrutées sur une base civique se seraient progressivement rendues autonomes en allant jusqu’à attaquer des villes comme l’affirme Aurelius Victor. Cependant, on peut proposer une seconde hypothèse pour le IIIe siècle. Il est aussi possible que des paysans se soient eux-mêmes organisés en milices rurales dès l’origine, comme semble le désigner Eutrope. Les Bagaudes constituent en effet le seul groupe paysan rebelle sous l’Empire à posséder un nom spécifique dans une langue régionale. Il est probable en effet que le nom de Bagaudes ait été utilisé par certains paysans pour se définir eux-mêmes, dans le cadre des pagi ou des vici. Cette mobilisation paysanne avait en effet probablement une base villageoise, même si des populations déplacées par les invasions ont pu également y prendre part. La nouveauté du terme Bagaude, non mentionné par la littérature ethnographique gréco-romaine, montre qu’il s’agissait d’une pratique nouvelle du point de vue romain.
Cette mission d’autodéfense revendiquée par ces milices, excusable en cas de vacance du pouvoir impérial malgré les lois interdisant les violences privées, expliquerait la clémence de Maximien à leur égard célébrée par le rhéteur Mamertin. Cet empereur a pu effet, au lieu d’exécuter les Bagaudes capturés, les intégrer de force dans l’armée. Cette pratique était fréquente dans le cas de barbares capturés. Enfin, la Vita Baboleni, associée à la mention en 638 d’un castrum bagaudarum local, attribue une fonction militaire régulière aux hommes d’Elien et Amand assimilés aux membres de la légion thébaine persécutés par Maximien. Il ne peut s’agir d’une allusion déformée aux Bagaudes du Ve siècle, qui ne semblent pas avoir lutté contre les barbares. Il est difficile de comprendre pourquoi l’auteur de cette hagiographie au XIe siècle aurait inventé de toutes pièces une telle valorisation des Bagaudes. Il est plus probable que la mémoire populaire avait gardé une image valorisante des Bagaudes du IIIe siècle en tant que soldats injustement persécutés par Maximien.
Au milieu du IVe siècle, il existait une compétition entre des figures charismatiques païennes ou chrétiennes supposées capables grâce à des pouvoirs surnaturels de protéger les populations locales des barbares. Sulpice Sévère présente Martin lui-même comme une de ces figures protectrices. Ce saint d’origine militaire aurait été libéré de ses obligations par le païen Julien en 356 ou 357 après lui avoir permis, avec l’aide de Dieu, de vaincre sans combat les Alamans. Le culte voué à un bandit à
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proximité de Tours supprimé par Martin vers 370 peut avoir été dédié en fait à un chef Bagaude de l’époque d’Elien et Amand aussi bien qu’à un brigand local. Le maintien de certaines pratiques liées aux cultes héroïques celtiques ne serait en effet pas étonnant. Supprimer un culte dédié à un « bandit » permettait à Martin d’imposer l’exclusivité de son patronage sur les populations locales lors d’une période marquée par une forte agitation sociale.
Le terme Bagaude a en fait deux sens au Ve siècle, désignant d’une part des ouvriers agricoles en révolte, mais aussi d’autre part des communautés rurales autonomes formées en partie de fugitifs de différents niveaux sociaux.
Ces communautés avaient pour noyau des villages ou castella situés dans des zones marginales, comme les Alpes. Elles pouvaient aussi marquer la renaissance du pagus comme unité communautaire au sein du territoire des très vastes cités.
Cette partie de l’Empire romain semble avoir été marquée au Ve siècle par deux phénomènes parallèles et étroitement contemporains, mais bien distincts, un mouvement autonomiste de notables dans l’Armorique au sens large, et des troubles sociaux paysans, qui ont été les seuls à être définis dans nos sources comme étant engendrés par des Bagaudes. Olympiodore, principale source de Zosime pour la période postérieure à 404, distingue en effet clairement les Bagaudes des Alpes, mentionnées pour l’année 407, des cités d’Armorique, qui se sont séparées de l’Empire en 409-410. Il compare ces tendances sécessionnistes à celles présentes en Grande-Bretagne à la même époque. Le terme Bagaude serait revenu à la mode au Ve siècle pour désigner des troubles de nature paysanne, comme ceux commis par les populations alpines. Les notables armoricains sortant de l’Empire devaient proposer un modèle alternatif d’État. Ils ont peut-être réinventé des traditions celtes en matière de justice, si l’on suit le Querolus.
Tibatto peut donc simplement avoir été un notable armoricain particulièrement radical dans sa volonté de se séparer de l’Empire. Il peut aussi avoir représenté, comme son nom celte semble l’indiquer, une tendance plus populaire au sein de l’Armorique hostile aux notables partisans en 445 d’un compromis avec l’Empire
Salvien nous donne une interprétation crédible de la formation de communautés Bagaudes dans les années 440 qui permet de mieux comprendre les troubles de 435-437.
Des études récentes ont souligné la volonté de certains éléments du clergé dès le Ve siècle, de montrer une certaine tolérance envers les Bagaudes. Ainsi, Eucher, évêque de Lyon, dans sa version de la passion des martyrs de la légion thébaine écrite entre 443 et 449, affirme que Maximien est venu dans cette partie de l’Empire uniquement pour persécuter la multitude des chrétiens présents dans cette région, passant sous silence les troubles Bagaudes. Eucher, en omettant les Bagaudes dans son récit, semble avoir montré une certaine neutralité face à ce phénomène tout en dévalorisant le pouvoir impérial persécuteur. Une personne écoutant le récit de cette passion et connaissant l’existence de Bagaudes au iiie siècle pouvait implicitement les assimiler à des chrétiens persécutés. Cette assimilation a été effectivement réalisée plus tard par la Vita Baboleni. Eucher appartenait au même milieu ascétique que Salvien auquel il a confié l’éducation de son fils Salonius. Salvien de Marseille, en excusant les Bagaudes même s’il ne les approuvait pas, avait surtout pour objectif de critiquer les abus des « primates » des cités et l’appui qui leur était donné par l’administration. Cependant, il était probablement originaire de Trèves, une cité qui semble avoir été fortement marquée par les troubles Bagaudes à la fin du IIIe siècle. Ceci pourrait expliquer son exceptionnelle tolérance envers les troubles paysans qui lui étaient contemporains. Ce milieu ascétique cultivé issu de Lérins, perméable aux idées pélagiennes combattues par Aetius, pouvait exprimer un certain intérêt pour les Bagaudes. Il proposait de remplacer le consensus ancien autour des institutions civiques jugées corrompues, par un consensus chrétien autour des valeurs de l’ascétisme et du culte des martyrs. Cependant, même en son sein, des avis discordants se faisaient jour. Ainsi l’auteur de la chronique de 452 a-t-il dénoncé les Bagaudes comme traîtres en consacrant un développement au ralliement d’Eudoxe à Attila.
Ces études ont montré comment les ascètes pélagiens se sont rapprochés à partir du milieu du Ve siècle des élites urbaines traditionnelles avec lesquelles ils ont partagé les fonctions épiscopales. Ils ont diffusé ensemble le culte de nouvelles figures protectrices, les martyrs militaires de la légion thébaine. Comme le montre la Vita sancti Baboleni, les chefs des Bagaudes du IIIe siècle, Elien et Amand ont été assimilés à ces martyrs probablement entre le Ve et le VIIIe siècle. Les Bagaudes ont reçu dans ce texte hagiographique la qualité de soldats, valorisant leur fonction de défense des populations contre le pouvoir impérial perçu comme persécuteur. La figure des Bagaudes a ainsi été
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récupérée et christianisée après la chute de l’Empire en Occident par les élites urbaines, devenues épiscopales, dans le but de créer un nouveau consensus.
NOTES MANUSCRITES DE PIERRE DE LA CRAU, RETROUVÉES PAR SES ENFANTS ET INSÉRÉES À CET ENDROIT.
NOTE TECHNIQUE SUR LA VERGIO ET LE VERGILIOS CELTIQUE (irlandais ferg, vieux français vierg). Le mot vergio, devenu ferg en gaélique, signifie « fureur ». On l’entendait donc aussi comme fureur sacrée, fureur divine. Celui qui en était animé était dit Vergilius, ce qui, utilisé en onomastique, devint un anthroponyme, que l’on retrouve comme nom du grand poète cisalpin de langue latine Vergilius Maro (Virgile) dont le grand-père était druide.
Ce terme (de vergio, puis de ferg) s’appliquait primitivement à l’ascèse ou au yoga celtique (techniques des riastrades, etc.).
Il ne s’agissait pas d’un engagement militaire, mais d’une préparation individuelle à cet engagement guerrier. Il s’agissait d’atteindre à un état de puissance physique extraordinaire.
Dans le cas du Hesus Cuchulainn on est donc passé du combat individuel contre soi-même initial (l’iaido japonais, être toujours préparé, affronter concrètement l’opposition, être présent), on est donc passé à l’effort d’une société tout entière consacrée à la défense de la justice et de la vérité.
Ce sont d’ailleurs sans doute de semblables raisons qui conduisirent jadis à la fondation de la ville de Lyon. « Près de l’Arar se trouve le mont Lugdunon qui changea aussi de nom pour la raison que voici : Momoros et Atepomaros, chassés par Sereroneos, vinrent sur cette colline pour y bâtir une ville.
On creusait des fossés pour les fondations quand tout à coup apparurent des corbeaux qui, volant çà et là, couvrirent les arbres des alentours. Momoros, qui était habile dans la science des augures, appela la ville nouvelle Lugdunum » (d’après le Pseudo-Plutarque. De Fluviis VI, 4).
Il est certain que l’expansion celtique s’est faite dans le mépris de la mort. À la bataille de Télamon qui s’est déroulée en – 225, les combattants du premier rang étaient nus. Il s’agissait d’une nudité rituelle que l’on retrouve chez les confréries guerrières germaniques (berserkers), et qui était destinée à défier la mort. Les Celtes n’hésitaient pas à quitter leur pays pour aller chercher la bonne mort sur le champ de bataille. Certains textes irlandais et notamment le cycle de Finn, sont tout entiers consacrés à des mercenaires qui sortent du cadre tribal normal (les fénianes justement) pour louer leurs services et s’accomplir au cours de combats glorieux. Il ne fait donc pas de doute que la profonde religiosité des Celtes a marqué leur conception de la guerre. L’immolation de guerriers constitue l’offrande suprême, la seule capable d’éviter la destruction de leur monde ou du moins d’en retarder l’échéance.
Que ce départ en campagne fût offensif ou qu’il eût un caractère de levée défensive et de renfort, il advenait au printemps. La théonymie celtique nous apprend que c’était sous l’égide d’une déesse-ou-démone, ou d’une fée si l’on préfère. Excingorigia, « la guide de l’expédition », comme son nom l’indique.
Un usage européen et non seulement celtique puisqu’on le retrouve chez les Germains où il perdura jusqu’au temps des Francs et des Alamans des époques mérovingienne et carolingienne, avec les « mallus » des champs de mai. De même chez les anciens Romains de l’époque royale et du début de la République, où son temps suivait la cérémonie du « ver sacrum » : « printemps sacré », une consécration avec vœu de rapporter des offrandes.
Campagne du type ambicatus et raisons démographiques ne sont pas incompatibles. Les références croisées de l’Histoire et de la Géographie nous en indiquent un nombre important au cours de l’ère laténienne, et permettent de présumer que cette pratique ne peut qu’avoir déjà existé à l’époque hallstattienne. Le « ver sacrum » des neveux de l’empereur Ambicatuos (Bellovèse et Sigovèse) est le premier ver sacrum celte attesté avec certitude. Il eut pour résultat la conquête de vastes territoires à l’est comme au sud, ce qui fit ainsi du royaume d’Ambicatuos un immense empire.
L’historien Tite-Live a surtout développé les raisons démographiques de ce mouvement migratoire et conquérant, mais il n’a guère insisté sur le caractère éminemment religieux du processus de sa mise en branle. Pour lui, cisalpin et non pas romain du Latium, cela devait aller de soi…
Ambicatus signifie « combat mené sur les deux plans, le plan temporel, mais aussi le plan spirituel ». Certains de ces ambicatus avaient lieu suite à des demandes de peuples frères agressés par les Romains, comme dans le cas de la tentative de génocide perpétrée contre les Celtes sénons du Picenum. Cette notion de combat sur les plans à la fois temporel et spirituel explique sans doute le peu d’empressement des Celtes à venir en aide aux Romains dans leurs démêlés avec Hannibal, et ce, de l’aveu même de Tite-Live. Livre XXI. Chapitre XX.
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« Dans un discours où ils vantaient la gloire, la valeur du peuple romain, et la grandeur de leur empire ; les envoyés de Rome demandèrent de ne point donner passage, sur leurs terres et par leurs villes, aux Carthaginois qui allaient porter la guerre en Italie. On entendit alors des éclats de rire si violents et de tels murmures, que les magistrats et les vieillards purent à peine calmer les jeunes guerriers.
Quelle impudence ! Quelle sottise ! s’écriait-on ! Demander que nous attirions sur nous la guerre, pour l’empêcher de passer en Italie ! Que nos campagnes soient dévastées, pour préserver du pillage celles de l’étranger !
Le tumulte enfin apaisé, on répondit aux ambassadeurs qu’on n’avait ni à se louer des Romains ni à se plaindre des Carthaginois, pour servir la querelle de Rome contre ses ennemis. En outre, on savait que le peuple romain chassait les Celtes du territoire et des frontières de l’Italie, leur faisait payer tribut et subir mille outrages. Cette réponse fut à peu près celle des autres peuplades ».
Le mot ambicatus signifie donc également sacrifice, légitime défense pour sauver non le druidisme, mais des druidisants menacés ; la légitime défense destinée à restaurer les droits bafoués des druidisants (racisme anti-païen, anti-Barbare, anti-goy, anti-celte, gallophobe, etc.)
De nombreux chefs de ces ambicatus étaient d’ailleurs connus pour leur réputation de justice et prenaient volontiers en main la cause de ceux que l’on opprimait, tel le célèbre roi de Tylis appelé Cavaros.
Polybe, Histoire Générale, IV, 46 : « Ces Celtes étaient du nombre de ceux qui, sous Brennus, étaient sortis de leur pays, et qui, s’étant échappés du péril dont ils étaient menacés à Delphes, s’enfuirent vers l’Hellespont, où ils s’arrêtèrent. Les environs de Byzance leur parurent si délicieux, qu’ils ne pensèrent point à passer en Asie… La chute de cette monarchie se produisit sous Cavarus. Les Celtes tombèrent à leur tour sous la puissance des Thraces, qui ne firent quartier à aucun, et qui en éteignirent entièrement la race » (génocide).
Polybe, Histoire Générale (fragments), VIII : « Cavarus, chef des Celtes qui habitaient la Thrace, pensait noblement et avait des sentiments dignes d’un roi ; il fit en sorte que les marchandises puissent naviguer sur le Pont-Euxin sans courir de péril, et fut d’un grand secours aux Byzantins pendant les guerres qu’ils eurent à soutenir contre les Thraces et les Bithyniens ».
La mort héroïque au combat fait accéder à l’autre monde dans des conditions privilégiées. Le druidisant qui meurt dans une bagaude ou un ver sacrum ambicatusien va immédiatement au Vindomagos où il pourra enfin contempler son Graal de près (Plutarque l’appelle Kronos on se demande bien pourquoi ?).
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PLUS PROSAÏQUEMENT AUJOURD’HUI…
Commençons par définir ce dont nous ne parlons pas dans ce chapitre. Nous ne parlons pas ici des compétitions sportives, qui sont un moyen d’entraînement basique et qui sont donc bonnes pour la santé des corps. Les Celtes ont en effet toujours été soigneux de leur corps tout autant que du passage de leur âme dans cet autre monde que l’on dit meilleur et…………… [le reste du manuscrit manque.]
Bref, après cette longue introduction sur ce dont nous n’entendons pas parler ici, venons-en maintenant à la concurrence (sous entendue économique) qui la situation où plusieurs agents proposent des produits ou des services équivalents ou bien dont les domaines d’utilisation se recouvrent. La concurrence est un poison qui divise. Dans le domaine de la politique, la concurrence suscite les guerres. Dans le domaine économique, la concurrence cherche à accaparer les finances d'autrui. La concurrence est la conséquence d'un esprit conditionné dès l’enfance à vouloir être meilleur qu'un autre.
Les partisans ou adeptes de la coopération ne désirent pas être meilleurs, mais désirent être différents. Les différences apportent des points de vue autres nous permettant de faire des choix.
Combien de fois avons-nous observé une station-service ou un restaurant s'établir sur le coin d'une rue tout juste à côté d'un concurrent ? Cette pratique est stupide pour un client, car l'endroit ne justifie pas qu'il y ait une trop grande demande dans ce secteur ? Le responsable du nouveau commerce dira que c'est une saine concurrence et qu'il est libre, cependant comment se sentirait-il si un jour un autre commerce identique s'installait à côté de lui ! On ne fait pas aux autres ce qu'on n’aimerait pas que les autres nous fassent...
Tout comme une guerre vraiment sainte est impossible, une concurrence loyale est tout aussi impossible, car ces deux mots ne peuvent pas figurer dans la même phrase, ils sont antinomiques…ou alors on arriverait très rapidement à des prix grosso modo comparables à qualité égale. Si à qualité égale et toutes choses étant égales par ailleurs les prix sont très différents, alors c’est qu’il y a vraisemblablement quelque part de la concurrence déloyale. Quelqu’un qui ne respecte ni les lois ni ses salariés.
À ce sujet notre avis est clair. La concurrence est à la guerre ce que la mobilisation est à la guerre, ce que les nuées sont à l’orage. C’est pourquoi nous disons : Non à la concurrence, oui à la complémentarité. Un bras ne saurait entrer en concurrence avec une oreille !
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LE DRUIDISME ET LA DOMESTICATION DE LA GUERRE : LE FIR FER.
Il convient traditionnellement de distinguer le jus ad bellum (le droit de faire la guerre) du jus in bello (les lois et coutumes dans l’art de faire la guerre : Fir fer en Irlande). Sortie d’antiques querelles sur la guerre juste, la doctrine juridique européenne a fini par réserver le jus belli (le droit de faire la guerre) à l’État, c’est-à-dire au souverain (cf. Bodin, Grotius, Pufendorf). Était juste, à l’exclusion de toute autre, la guerre qu’un État déclarait à un autre État.
La difficulté demeurait, au sein même de cet ordre international (sans donc parler du danger d’un potentiel retour au désordre international) de désigner et de reconnaître le souverain, particulièrement en cas de guerre civile conduisant à une scission. Difficulté, de même, pour les conflits coloniaux, seules les nations européennes pouvant à l’époque prétendre à être un État.
Ceci étant noté, dans le cadre de ce jus belli étatique, les actions hostiles qui ne pouvaient se revendiquer d’un ordre de l’autorité légitime relevaient donc du brigandage et par conséquent de la sécurité intérieure de l’un ou l’autre État belligérant. Toute armée ne relevant pas d’un État était dans l’illégalité.
C’est ainsi que se trouvait enfin réglée la grande question du fir fer ou jus in bello en latin. Depuis les Grecs, depuis Antigone, qui malgré la guerre voulait accomplir les rituels sacrés sur le cadavre de son frère et qui bravait l’ordre de Créon de le laisser en pâture aux chiens et aux rapaces, l’Europe depuis Cuchulainn et sa pratique bien connue du fir fer * cherchait à limiter l’horreur de la guerre, à en protéger les populations d’abord, les enfants, les femmes, les vieillards ; elle cherchait même, ensuite, à relativiser l’hostilité en épargnant le militaire prisonnier, blessé ou malade, qui a cessé de combattre.
Le droit classique parvint à instituer ces principes sous l’appellation de « Lois de la guerre ». Et avec la notion de crime de guerre, il parvint à soumettre le militaire, combattant régulier, à une discipline et à un droit pénal inflexible lorsqu’il s’écartait du commandement reçu et violait ces lois et coutumes de la guerre.
Au sortir de la Première Guerre mondiale, les catégories classiques se sont trouvées complètement subverties. Le jus ad bellum, pour commencer, a disparu. La guerre en dentelle a pu faire rêver d’un monde d’où toute hostilité serait bannie. Alors même qu’à partir de 1917 l’entrée des États-Unis d’Amérique sur la scène du Vieux Monde en avait accru démesurément l’horreur, on mit hors la loi même la guerre déclarée, la guerre selon les formes classiques du droit européen (pacte Briand-Kellogg, 1928). La guerre que déclarait un État devint elle aussi un crime contre la paix, rendant le coupable et son gouvernement hors-la-loi.
Cela ne fit bien évidemment pas disparaître du monde la réalité de la guerre, non plus que sa nécessité. Cela n’interdisait pas un autre type de guerre, sans limites celui-ci, d’essence révolutionnaire, mené directement contre les populations et destiné à anéantir la puissance ennemie : choses que le jus in bello classique prohibait strictement. Cela n’interdisait pas non plus la guerre économique, dont la population est la première à souffrir. Par contre toute réaction de défense contre de telles agressions pouvait être à être interprétée comme un crime contre la paix.
Pire, dans ce nouveau contexte international dont nous ne sommes toujours pas sortis, la notion de crime de guerre, détournée de son usage normal, a connu un destin tragique. En cas de guerre conventionnelle selon le droit international classique, c’est un instrument essentiel à la discipline des armées, pour la protection des civils. Mais dans le contexte de guerres qui ne disent pas leur nom (non déclarées) et de gouvernement par le chaos, cette notion juridique devient des plus meurtrières, puisqu’elle est retournée contre une armée par un agresseur qui soulève précisément la population contre elle. D’instrument de discipline interne à chacun des belligérants au départ, elle sert alors à incriminer l’appareil militaire de la puissance ennemie contre laquelle la population est incitée à se soulever sous l’action du terrorisme.
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Le stade final de ce processus véritablement odieux consiste à entrer dans une guerre totale, avec soulèvement de la population, mais simultanément bombardements massifs des villes, destruction de l’infrastructure économique, déplacements en masses des populations et pour finir arrestation et inculpation pour crime de guerre des membres de l’État et de l’armée adverse, sans que de telles exactions puissent être moralement répréhensibles, puisqu’elles ne portent pas le nom de guerre, mais sont commises au nom de la nécessité pour l’ordre mondial de rétablir la justice et le droit. La triste réalité en effet c’est que, en tant que symbole ou allégorie de tout ce qui en l’homme peut le pousser à s’en prendre à ses frères, y compris de façon inhumaine, pire qu’une bête, Cathach Catutchend, autrement dit Catubodua, la reine des combats (puisque chenn signifie chef en gaélique) n’est pas près de disparaître. Tant qu’il y aura des hommes hélas, elle vivra, tapie au fond de leur esprit, prête à resurgir.
Je ne sais pas où Max Weber a trouvé que Fichte était d’avis que présumer l’homme bon et parfait… était une lourde erreur morale…mais le fait est qu’il avait raison : l’Homme n’est pas naturellement bon ! Il n’est pas naturellement mauvais non plus d’ailleurs, il est ce qu’il est. Capable du pire comme du meilleur. De Néandertal aux Einsatzgruppen de Russie en passant par le réservoir de Mamilla en 614 lors de la prise de Jérusalem par les Perses ou Katyn en 1940, l’Histoire l’a montré.
Il n’y a vraiment que deux grands principes réellement appliqués de tout temps par la justice internationale.
La première des lois (implicite) de toute justice internationale reste en effet le célèbre « malheur aux vaincus ».
La deuxième est celle du « deux poids deux mesures ».
L’évidente sincérité personnelle de ses juges ne change rien au problème : ils sont instrumentalisés et manipulés.
Il y a toujours les bons rebelles et les mauvais, les bons islamistes et les mauvais, en fonction de critères souvent obscurs.
On se demande bien pourquoi par exemple les démocraties et les gens gentils et intelligents devraient...
-Soutenir les rebelles syriens, mais pas les rebelles kurdes de Turquie?
-Soutenir les islamistes de Lybie, mais combattre ceux du Mali?
Etc.
* Le Hésus Cuchulainn lui-même n’a-t-il pas été après la bataille de Garech jusqu’à couvrir la retraite des Irlandais afin qu’ils puissent rentrer sains et saufs (du moins les survivants) chez eux ??
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LES MÉTHODES ET LES MOYENS
NE POSANT PAS DE PROBLÈME MORAL.
Il faut préalablement bien sûr, distinguer soigneusement deux types de force guerrière. D’une part un aspect bénéfique, représenté plus tard au Moyen-âge par des personnages du genre Cuchulainn, dont les qualités premières sont le courage, l’absence de haine, de jalousie ou de crainte, la parfaite loyauté, la franchise, l’amour de la vérité ; d’autre part un aspect maléfique, noir, obscur, avec pour traits la haine, la colère, la rancune, la trahison, la traîtrise, la jalousie, la lâcheté, l’envie et la concupiscence. Les très-sachants de la druidiaction (druidecht), antiques, approuvaient voire encourageaient ce premier aspect de la force guerrière (Elien. Histoire variée, XII, 23 : « Ils prennent pour sujet de leurs chants ceux d’entre eux qui ont trouvé une belle mort à la guerre ») et les assemblées guerrières pouvaient alors évidemment dans ce cas se dérouler dans des lieux de cultes druidiques comme le prouve le témoignage de Florus, Épitome Livre I, XLV à ce sujet : « Rassemblés en foule dans les bois sacrés, lors des fêtes et des assemblées religieuses, il [Vercingétorix] les excita avec une rare éloquence à reconquérir leur liberté ».
Le combat pour un Celte, jusqu’à l’époque de César, était une immense ordalie où le combattant n’était que la main de la divinité. La force des armes, les subtilités de la stratégie, étaient des préoccupations secondaires. Seuls comptaient les moyens de se prêter le mieux au service de la force divine.
LE CAPTAGON CELTIQUE.
Une des caractéristiques de cette bagaude ou de ce ver sacrum ambicatusien, qui découlait de sa consécration aux dieu-ou-démons évidemment, était l’état de ferg ou vergio (fureur guerrière sacrée), de ses combattants, à titre individuel.
Ce qu’implique la notion de Tervagant (ce symbole de force brute mentionnée par la chanson de Roland) cela ne peut donc être que cela.
Le Celte était gagné par cette « furor » dès le « conseil armé » mentionné par César.
Le texte de Dion Cassius (LXII, 9) est intéressant à plus d’un titre. Il nous apprend par exemple que la déesse-ou-démone (de la vergio ou des guerres sacrées), chez les Bretons, était une déesse-ou-démone-ourse, Andrasta, ou plus exactement même…Andarta. Et il est donc vraisemblable que les guerriers participant à une telle guerre sacrée devenaient alors des artorioi (autrement dit des berserkir, littéralement « à peau d’ours » en scandinave) ; artorios étant un mot celte renvoyant à l’état de fureur guerrière des dagolitoi ou fidèles de la déesse-ou-démone, ou fée, si l’on préfère utiliser ce terme, Andarta (la déesse-ou-démone ou fée implorée en vain par la reine Boadicée lors de la bagaude désespérée qu’elle livra contre les Romains dans la plaine de Londres en – 61) ; autrement dit des hommes adoptant le comportement des mères ours défendant leur petit.
Placé dans cet état de ferg ou vergio, le combattant de ces guerres sacrées se battait alors jusqu’à la victoire ou jusqu’à la mort. Les petits djihadistes d’aujourd’hui utilisent du captagon pour arriver au même résultat. Cette fureur ne se calmait pas même chez les guerriers blessés qui respiraient encore … Ni chez ceux qui avaient été blessés par l’épée ou par les lances… cette colère ne retombait pas tant qu’il leur restait un brin de vie.
« Avec colère, en furie, sans raisonnement, ils marchaient contre leurs adversaires comme des bêtes sauvages. Et même pourfendus d’un coup de hache ou de sabre, leur folie, tant qu’ils respiraient, ne les quittait pas. Percés de traits, de javelots, ils ne perdaient rien de leur fureur ; et il y en avait même qui, arrachant de leurs blessures les dards dont ils avaient alors été frappés, les lançaient contre les Hellènes, ou s’en servaient pour combattre au corps-à-corps » (Pausanias. Description de l’Hellade. X Phociques XXI3).
Bref, chaque bataille était vécue comme un dialogue fatal entre l’homme et les divinités. Une telle attitude a longtemps animé les Celtes quand ils allaient au combat. L’image quasi fabuleuse en était donnée par les Gésates, ou les autres Galates, qui combattaient nus. Leur nudité néanmoins exprimait avant tout le mépris le plus radical, non de la mort qu’ils honoraient, mais de la peur de la mort. Elle indiquait pareillement que le guerrier se trouvait au cœur d’une ordalie dont le résultat ne pouvait que lui être favorable. Soit il l’emportait sur l’ennemi, et sa victoire s’enrichissait d’une caution
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divine ; soit il mourait sur le champ de bataille et sa mort lui permettait de prendre place auprès de ses ancêtres sous la protection des dieu-ou-démons. C’est pourquoi le guerrier se battait jusqu’à la mort, ou jusqu’à ne plus avoir d’ennemis autour de lui.
Pour le vrai Celte, jusqu’au Ier siècle avant notre ère, le combat ne peut avoir que ces deux issues. La fuite, la capture par l’ennemi, ne sont pas des solutions envisageables. La honte qui les aurait accompagnées empêchait le guerrier de survivre. De telles conduites n’étaient pas vraiment admises par la société. Le faible développement de l’individualisme dans celle-ci ne permettait pas de résister à une telle pression. C’est pourquoi la plupart des récits concernant les IIIe et IIe siècles nous montrent les Celtes se donnant la mort à l’issue des batailles qui ne leur ont pas été favorables. « Ils prennent pour sujet de leurs chants ceux d’entre eux qui ont trouvé une belle mort à la guerre » (Elien. Histoire variée, XII 22).
La mort du guerrier se battant courageusement et pour une juste cause a toujours été en effet, pour les très-sachants de la druidiaction (druidecht), l’équivalent d’une expérience religieuse supérieure, de nature extatique ; analogue à celle du passage dans le Walhalla chez les Germains par définition, puisque ceux-ci ont emprunté cette notion fondamentale à leurs maîtres ès civilisations : les Celtes.
Assez curieusement, on retrouve d’ailleurs la même tragique notion dans l’art grec, et notamment dans les statues du grand monument qu’Attale 1er fit ériger sur l’acropole de Pergame.
« Les adversaires des habitants de Pergame n’y sont pas traités avec mépris, mais sont figurés avec attention et sens de l’observation. Le chef, qui voit sa cause perdue, a tué sa femme d’une entaille dans la carotide et enfonce son épée dans le creux de sa clavicule, du haut vers son cœur. En tendant la jambe gauche pour offrir un dernier soutien à sa compagne ; qu’il retient de son bras gauche, tandis qu’elle s’effondre en sens contraire ; il redresse son corps appuyé sur les orteils du pied droit vers le haut jusqu’à la main tournée dans une puissante torsion ; tandis qu’il détourne furieusement la tête, pour éloigner de son regard ardent un possible poursuivant. C’est le dernier sursaut de vie de ce chef qui se consacre lui-même à la mort » (Bernard Andreae).
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Le problème éthique ne concerne en fait que les guerres « offensives ».
En principe et si l’on en croit le comportement de Finn lors de la bataille de Gabhra, le début des hostilités d’une guerre offensive doit être précédé d’une déclaration de guerre en bonne et due forme. Faite par des hérauts à l’époque, faite par des ambassadeurs aujourd’hui.
Le plus simple évidemment est que toute guerre ne soit constituée que d’affrontements comme le célèbre « combat des Trente », une passe d’armes qui eut lieu le 26 mars 1351, entre volontaires (professionnels au besoin, pas comme dans le cas de Jeanne d’Arc).
Le chroniqueur de l’époque, Froissart, a relaté ce combat « pour encourager les jeunes nobles et leur donner un exemple ».
La guerre de succession de Bretagne est une des guerres secondaires de la guerre de Cent Ans où l’un des belligérants était neveu du roi de France, et l’autre soutenu par les Anglais. Tout commença lorsque Jean III duc de Bretagne mourut sans laisser un quelconque héritier. Deux familles se sont alors affrontées pour obtenir le duché. Les Penthièvres étaient sous la direction de Jeanne de Penthièvre, mariée à Charles de Blois et nièce du défunt Duc. De l'autre côté se trouvait les Montfort sous l'égide de Jean de Monfort, demi-frère de Jean III et époux de Jeanne de Flandre.
Jeanne de Penthièvre s'estimant être la plus proche parente de feu Jean III et profitant du soutien de Charles de Blois, neveu du Roi Philippe VI de Valois, souhaitait hériter des droits sur le duché. Mais Édouard III, le roi d'Angleterre, ne voulant pas que la Bretagne tombe sous influence française, décida de soutenir Jean de Montfort. Celui-ci s'autoproclama Duc de Bretagne après avoir rapidement pris la cité de Nantes.
Survient donc une longue guerre durant laquelle le parti Blésiste et le parti Monfortiste soutenu par les Anglais s'affrontèrent pour la domination des terres bretonnes.
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Thomas Dagworth avait convenu et accepté avec les chefs du parti français de ne point porter la guerre dans les populations paysannes et d'épargner les biens et les récoltes, seule façon assurément d'éviter la famine. À sa mort, un capitaine anglais, nommé Brembourg, qui commandait à Ploërmel pour le compte d'Édouard III et des partisans de Montfort, n'hésita pas, lui, à porter le fer et le feu dans les campagnes au mépris des conventions. Bien que l'époque se prêtât à tous les excès, la cruauté de cet Anglais dépassait toutes les bornes et même les hommes de guerre qui couraient les routes de la région en étaient choqués. Le capitaine et gouverneur de Josselin, le maréchal Jean de Beaumanoir, aux ordres de Charles de Blois, demanda donc à parlementer avec l'Anglais au sujet de ses exactions à l'encontre des pauvres gens du pays. Muni d'un sauf-conduit, il se rendit à Ploërmel où le capitaine Richard Brembourg résidait, quand il rencontra sur le chemin des paysans attachés par les mains et les pieds, par groupe de trois ou quatre et tirés sans ménagement par des soldats anglais. Beaumanoir, à son arrivée à Ploërmel, en fit la remarque à Brembourg qui lui éclata de rire à la figure en lui déclarant de surcroît que ce n'était pas un nobliau breton qui lui dicterait sa conduite. Il ajoutait encore, ce qui vexa fort le maréchal, que bientôt les Anglais seraient maîtres de tout le pays et que lui, Brembourg, commanderait en Bretagne puisqu’aucun Breton ne s'avérait suffisamment courageux pour l'arrêter dans son ascension. Beaumanoir, vexé, proposa alors à son adversaire un combat singulier entre trente de ses hommes et trente soldats anglais. Brembourg accepta le défi.
On fixa la rencontre au samedi suivant, soit le 27 mars 1351, au Chêne de la Mi-Voie, dans les landes de la Croix-Hélléan, à mi-chemin entre Ploërmel et Josselin. Le chef du parti français choisit trente de ses soldats, dont lui-même, tous aptes aux tournois. Le capitaine anglais réunit de son côté vingt compatriotes et compléta sa troupe avec des Allemands, des Flamands et quelques Bretons de son parti. Donc en tout 31 hommes contre 31.
Les armes autorisées étaient les lances, les épées, les poignards, les haches, les fauchards, sorte de sabres recourbés, des masses d'armes, dont certaines pesaient plus de 24 livres, en fait toute la panoplie de guerre du temps. Le règlement acceptait de combattre à cheval, mais tous préférèrent lutter à pied. Certains s'étaient armés de faux tranchantes d'un côté et garnies de crochets de fer de l'autre (les fauchards) ou vouges, ce qui convenait bien aux assauts au sol. La foule était nombreuse et se pressait pour assister à ce combat.
Après les harangues d'usage, le signal de l'assaut fut donné. Le premier choc est d'une violence extrême, les coups pleuvent dans une mêlée confuse où la poussière gêne la précision des gestes. À la première pause, les Anglais sont encore au nombre de trente alors que les pro-français laissent cinq champions sur le sol, ce qui fait ricaner Brembourg, ce en quoi il a tort, car il est tué dès la reprise de l'engagement. La mort de leur chef désoriente un instant les Anglais, mais un des leurs les encourage et les stimule de l'exemple et de la voix, les exhortant à poursuivre le duel sans merci.
Excité comme un diable il blesse Beaumanoir qui tombe au sol, perdant son sang. Le maréchal, qui avait pieusement jeûné depuis la veille, affaibli par l’inanition et accablé de fatigue, réclame à boire. Tinténiac lui rétorque alors brutalement « Bois ton sang, Beaumanoir, et la soif te passera ! » À ces mots, le gouverneur de Josselin se relève et puisant de nouvelles forces dans une hargne renouvelée se jette de nouveau dans la mêlée, malgré blessure et faiblesse. Les minutes passent dans les cris des lutteurs et des spectateurs et l'issue reste longtemps incertaine. On croit la partie perdue pour les gens du parti pro-français quand l'un d'eux chausse ses éperons, saute sur son cheval et court hors de la lice. Ses compagnons croient qu'il déserte et l'insultent, Beaumanoir lui hurle « Cette lâcheté déshonore ton nom ! » « Tiens bon de ton côté, je besogne du mien », riposte le chevalier qui, faisant soudain volte-face avec son cheval, bouscule les rangs anglais surpris par cette manœuvre hardie. Ragaillardis, les Bretons jettent leurs dernières forces dans la bataille et bientôt les survivants de l'autre camp demandent à cesser le combat.
Les pro-français ce jour-là ne perdirent semble-t-il que cinq hommes. Du côté des Anglais, il y aurait eu, selon Froissart, une douzaine de morts, dont le chef Bemborough, Bembro ou Bemborogh.
Les prisonniers furent bien traités et relâchés contre paiement d’une petite rançon, car à l’époque on se battait non pour tuer, mais pour faire de riches prisonniers.
Différents lecteurs, et même plus exactement lectrices, ayant fait observer que la façon de combattre de Jeanne d’Arc avait eu elle aussi son efficacité, nous le concédons volontiers, et cette façon de se
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battre de la part de Jeanne d’Arc apporte en quelque sorte la touche de féminité qui manquait à la pratique de la guerre telle qu’elle était initialement conçue par et pour la deuxième fonction indo-européenne.
Les enquêtes effectuées en 1455 pour son procès en réhabilitation ont en effet montré que Jeanne d’Arc a toujours essayé d’éviter de répandre inutilement le sang : elle adresse toujours des lettres à ses adversaires, leur demandant de se retirer ou de se soumettre de leur plein gré. Aussi, à la veille de la reprise d'Orléans, fait-elle porter le 22 avril une lettre au roi d'Angleterre, au duc de Bourgogne et aux capitaines anglais présents devant la ville, lettre dans laquelle elle leur demande de se retirer en Angleterre. Faute de réponse positive, elle en envoie une autre au bout d'une flèche, puis somme le capitaine des Tourelles d'évacuer la place pour éviter d'être tué.« Vous, hommes d’Angleterre, qui n’avez aucun droit en ce royaume, le roi des Cieux vous mande et ordonne, par moi, Jeanne la Pucelle, que vous quittiez vos bastilles et retourniez en votre pays… » ce qui évidemment fit beaucoup rire les Anglais quand ils prirent connaissance de cette lettre de la putain des Armagnacs.
La veille et le jour du sacre, elle écrit également au duc de Bourgogne pour le supplier de se réconcilier avec le roi. En vain. Par-là, elle souligne mieux le caractère sacré de sa mission, qui lui impose de n'utiliser l'épée que comme ultime recours, ultime, mais décisif.
Interrogée sur cette manière d’aller contre l’ennemi, elle répondit qu’elle ne voulait pas se servir de son épée ni tuer personne. Certes elle avait une épée, elle en eut même plusieurs, mais jamais elle ne s’en servit pour faire couler le sang. Elle n’en usa que du plat (de la lame), pour donner de bonnes claques ou de bons coups de torchon (Pierre Duparc, dans son étude sur procès en nullité de la condamnation de Jeanne d’Arc).
Elle fut finalement vendue aux Anglais pour 10 000 livres. Le tribunal présidé par l’évêque Pierre Cauchon lui reprocha faute de mieux de porter des habits d'homme, d'avoir quitté ses parents sans qu'ils lui aient donné congé, mais surtout de s'en remettre systématiquement au jugement de Dieu plutôt qu'à celui de l'Église Catholique. Les juges estiment également que ses « voix », auxquelles elle se réfère constamment, sont en fait inspirées par le Démon. L'Université de Paris (induite en erreur par le rapport tendancieux de l’évêque Pierre Cauchon, nous ne sommes pas d’accord en effet avec Georges Bernard Shaw à propos du rôle joué par cet évêque, il y a encore des individus de son genre dans la France d’aujourd’hui , par exemple des procureurs inféodés au pouvoir exécutif, prêts à toutes les manœuvres pour lui complaire et donc monter en grade ou couvrir des notaires en conflit avec un de leurs clients) rend son avis : Jeanne est coupable d'être schismatique, apostat, menteuse, suspecte d'hérésie, errante en la foi, blasphématrice de Dieu. Pauvre université de Paris !
Pour clore toute polémique à son sujet, reconnaissons que les réponses qu'elle a faites à ses juges *, et conservées dans les minutes de son procès (traduit du latin par W. P. Barrett en 1932) nous montrent une jeune fille (17 ans) courageuse, dont le franc-parler ainsi que l'esprit de répartie * (interrogée sur la question de savoir si sainte Marguerite parlait anglais, elle répondit : « Pourquoi voudriez-vous qu’elle parle anglais alors qu’elle n’est pas du côté des Anglais ?») sont tempérés par une grande sensibilité face à la souffrance et aux horreurs de la guerre, comme devant les mystères de la religion. Elle sut imposer le respect y compris à des tueurs comme Gilles de Rais (pourtant prototype de Barbe Bleue voire de Dracula). Il fut en effet un des derniers à lui être resté fidèle. Une façon à lui de racheter ses crimes peut-être.
* Autre exemple…
Interrogée sur la question de savoir si elle était en état de grâce ou non, elle répondit : « Si je n’y suis pas, que Dieu m’y mette ; et si j’y suis que Dieu m’y garde ! »
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LES GUERRES JUSTES.
La théorie moderne de la guerre juste s’articule aujourd’hui en trois catégories.
Les causes de la guerre.
Le comportement des différents intervenants pendant le conflit.
La phase terminale et les accords de paix (qui doivent être équitables pour toutes les parties).
La guerre pour être juste doit être engagée en dernier ressort. Toutes les possibilités non violentes doivent au préalable avoir été tentées. La probabilité de succès doit être plus forte que les dommages imposés. La violence engagée dans le conflit doit être proportionnelle au dommage infligé par l’agresseur, et les populations doivent être autant que possible distinguées des combattants. Il n’est pas question en ce domaine d’appliquer la théorie religieuse juive du moser ou rodef.
Le plus important dans la philosophie druidique antique, qui était tout sauf nihiliste, était la perpétuation de la vie, de toutes les formes de vie. Donc la biodiversité, y compris des humains, l’homme ÉTANT AUSSI un animal.
Maintenant il peut être d’autres considérations évidemment.
Mais que faire quand la fuite est impossible ? Faire face et lutter, jusqu’à la mort. Cas bien connu de beaucoup de femelles dans les espèces supérieures quand il s’agit de leurs petits CAR LA NATURE EST BIEN FAITE ET C’EST PEUT-ÊTRE LA SEULE CHOSE DE VALABLE DANS LA PREMIÈRE DES PSEUDO TRIADES BARDIQUES GALLOISES, la notion d’équilibre (« La Liberté est le point d'équilibre entre toutes les oppositions » « Gwirionedd ag, un pwngc rhyddyd, sef y bydd lle bo cydbwys pob gwrth ».
Ce dont la nature a horreur ce n’est pas du vide, mais de la disparition totale d’une espèce ou d’une variété au profit d’une autre.
Cas de maintes guerres basiques d’autrefois par exemple (avant que les intellectuels qui font du christianisme sans christ n’inventent la folle idée des droits sans devoir, de l’homme, sans les distinguer de ceux des citoyens. Ou ne confondent allégrement les uns et les autres, les droits de l’homme, de tout homme, ET du citoyen (les droits, supplémentaires, de certains hommes seulement).
Les guerres basiques donc. Les hommes, les vrais, les mâles, prennent position à quelques kilomètres du village pour essayer d’arrêter l’envahisseur en lui tendant une embuscade. L’affrontement peut aller jusqu’à la mort en des combats implacables (mais pourquoi aussi que diable, prendre l’initiative d’aller s’en prendre volontairement à d’aucuns qui ne vous ont rien fait ? Pour les convertir à je ne sais quelle monolâtrie de masse (je n’ose pas dire « grande religion » ? Dieu est décidément le plus grand des criminels en série contre l’Humanité, son plus petit commun dénominateur. Et par Dieu je veux dire l’idée qu’on s’en fait bien évidemment).
Exemple type les 300 Spartiates de Léonidas aux Thermopyles) ; prêts à tout et y compris jusqu’au sacrifice suprême pour évitera aux leurs, à ceux qui leur sont chers à leurs femmes et à leurs enfants les horreurs du viol ou de l’esclavage, voire de la mort pour les autres. L’islam naissant n’a pas fait mieux à Yarmouk en 636.
Les enfants sont cachés. Les femelles organisent la défense du village, les plus implacables, voire les plus cruelles même (on crève les yeux de l’adversaire) étant les femmes, assez jeunes pour avoir des enfants donc.
Les vieilles soignent les blessés et ravitaillent les combattants.
Oui, la nature est bien faite. Ce qui importe pour elle en effet c’est la perpétuation de la vie, de toutes formes de vie.
Le rôle de la classe guerrière est indubitablement de protéger son peuple ainsi que l’indiquent très bien certaines des dernières paroles du Hésus Cuchulainn : La araid airitiud. la errid imdegail. la cunnid comairle. la firu ferdacht. la mná mifre. C'est au cocher de conduire les chevaux, au guerrier (à char) de protéger (les faibles), aux gens qui savent de donner des conseils, aux hommes d’être virils, aux femmes de pleurer (?).
La errid imdegail.
Errid ce sont les guerriers professionnels, très exactement les chefs de char ou guerriers montés sur char.
Imdegail implique bien une idée de protection de défense.
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Une guerre défensive est donc par définition toujours juste, même si tous les moyens à utiliser pour une légitime défense ne le sont pas forcément par définition. Les règles communément admises sont les suivantes.
L'agression contre soi-même ou un pays amis doit être…
-Actuelle : le danger doit être imminent.
-Illégitime : entraver une guerre juste ne peut être considéré comme de la légitime défense.
Réelle : l'agression ne doit pas être imaginaire ou alléguée.
Parallèlement, la guerre défensive doit être…
-Nécessaire : aucun autre moyen de se soustraire au danger ou de soustraire au danger des populations amies.
-Concomitante : la réaction doit être immédiate, par exemple on ne doit pas partir en guerre pour cause d’irrédentisme ou de récupération de territoire au bout de plus de trois générations (sauf en cas de demande d’une partie notable de la population victime de diverses persécutions).
-Proportionnée à l'agression : il ne doit pas y avoir d'excès dans la riposte militaire.
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PROBLÉMATIQUE DES GUERRES JUSTES.
La peur est la plus basique et la plus forte des émotions. Elle est même très utile si elle ne tourne pas à la panique et si on arrive à la surmonter (ce qui est la définition même du courage). Ainsi que le disait mon vieux maître Pierre Lance, « enfants, ne reprochez pas à vos parents de ne pas avoir été des héros, les héros n’ont pas d’enfants ». La peur est le commencement de la sagesse et heureusement que nos ancêtres avaient très peur des charges d’un troupeau de bisons ou de mammouths en furie sinon nous ne serions pas là pour les critiquer d’avoir détalé à toutes jambes devant.
Il est donc normal et même sain d’avoir peur du nazisme du fascisme du racisme de la dictature, etc., et de vouloir les combattre ou s’y opposer même quand ils sont devenus à la mode (comme dans l’Europe des années 1930 par exemple). … Une politique intellectuellement responsable ne peut donc que prendre en compte ces peurs en proposant une réponse ad hoc qui ne peut aller que du refus à la résistance active à tous ces –ismes à la mode dans les médias ou sur le terrain. Il faut élaborer une politique dont le résultat sera, et ce le plus rapidement possible que ces peurs n’auront plus lieu d’être. Il va donc de soi que les guerres contre le nazisme le fascisme le racisme la dictature des bouchers de leur propre peuple, etc. sont des guerres quasiment sacrées.
Le rôle de la classe guerrière est indubitablement de protéger son peuple ainsi que l’indiquent très bien certaines des dernières paroles du Hésus Cuchulainn. Pour mémoire : La araid airitiud. la errid imdegail. la cunnid comairle. la firu ferdacht. la mná mifre.
Avec les robots et drones guerriers néanmoins, la guerre matérielle ou sur le plan physique va bientôt changer de visage
Les experts militaires parlent d’une véritable « révolution ». La robotisation du champ de bataille va en s'accélérant. La technologie est en effet mûre pour bouleverser la guerre : car la perspective, désormais à portée de main, est celle d'une automatisation de l'usage de la force, de l'acte de tuer. Les démocraties parlementaires l'accepteront-elles ? Les milieux militaires, eux, sont déjà en plein débat.
Sans oser le dire, les armées ont, en 2011, admis le principe du robot armé, du robot tueur, voire du robot suicide. Le langage employé témoigne d'un embarras moral évident. Il ne s'agit plus seulement de donner la mort à distance, ce que font déjà de nombreux soldats, pilotes de chasse, opérateurs de drones ou de missiles guidés.
Ceci dit les prochaines guerres seront néanmoins culturelles, de véritables batailles spirituelles pour faire pencher les cœurs et les âmes dans telle ou telle direction, tel ou tel camp avons-nous dit. À quoi sert en effet le plus lourd des matériels si aux commandes de ce dernier il y a quelqu’un…qui rechigne à s’en servir, pire même, qui le retourne contre vous ???
D’où l’importance de la conquête des esprits, d’où l’importance de la conquête des cœurs (syndrome de Stockholm), d’où l’importance de la guerre des idées. On le sait depuis le désastre des guerres modernes récemment menées que ce soit en Algérie en 1960, en Irak en 2003 et en Afghanistan au début du 21e siècle (militairement gagnées, mais politiquement perdues). Le plus important sera, est, la conquête des esprits des populations. Or en ce domaine nous sommes nuls ! L’Occident est nul ! Qu’avons-nous en effet à proposer au monde sinon les couches-culottes jetables pour tous ? L’Occident est devenu la civilisation de la couche-culotte jetable.
La supériorité technologique ne sert à rien s’il n’y a pas parallèlement un réarmement moral (le réarmement moral c’est faire partager ses propres valeurs, à supposer qu’il y en ait bien entendu, et d’authentiques, à suffisamment d’êtres humains et de façon suffisamment motivantes pour les amener à faire quelque chose afin de les défendre, des petits sacrifices quotidiens voire en allant jusqu’au sacrifice suprême (celui de sa propre vie). Que ferons-nous quand ce seront non plus nos frères ou nos enfants, bref des amis, mais des ennemis qui seront derrière ces armes robotisées, aux commandes de ces robots ?
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PERVERSION DE LA NOTION DE GUERRE JUSTE.
Un parfait exemple de perversion de la guerre juste est ce qui s’est passé en Libye en 2011. Les diverses milices armées financées soutenues et mises en place par les grandes démocraties comme le Quatar la France l’Arabie saoudite la Bulgarie les États-Unis l’Italie, etc…ont torturé à qui mieux mieux les noirs de certaines régions du pays, accusés comme de bien entendu d’avoir violé des femmes blanches, etc.. ce qui nous laisse perplexes. Si la démocratie la paix la liberté la justice et l’antiracisme c’est la torture de ceux ses concitoyens qui ont le malheur d’être noirs dans un pays à majorité blanche, alors disons-le tout net, il vaut mieux être racistes et pas du tout démocrates, et voici donc la façon raciste et dictatoriale de traiter les prisonniers selon nous. Du pain sec ou toute autre nourriture sommaire, mais saine, de l’eau, un minimum d’hygiène, des vêtements, mais sans chichi, et aucune atteinte à l’intégrité physique (sauf nécessité absolue genre authentique évasion ou nécessité du maintien de l’ordre), un minimum de soins. Disons tout sauf les soins de confort ou d’esthétique. Le but à atteindre étant de ne pas dépasser le taux de mortalité habituel de la population environnante en temps de paix.
Bref tout le contraire de ce qu’ont fait les démocrates laïcs antiracistes que nous avons soutenus en Libye où une milice en février 2012 a enfermé ses prisonniers noirs dans une cage de zoo.
Ces prisonniers n’étaient même pas des immigrés africains subsahariens. Il s’agissait de noirs libyens, originaires de la ville de Taouergha, à 38 km de Misrata. Une vidéo de l’époque nous montre bien en effet des prisonniers noirs, poings liés, placés dans la cage d’un zoo. Dans leur bouche, des bouts de tissus verts que des hommes leur ordonnent d’avaler. Ces images choquantes ont été tournées dans le zoo de Misrata, en Libye. Une vidéo qui pointe, encore une fois, les dérives des milices anti-Kadhafi qui contrôlent aujourd’hui en grande partie le pays.
Les hommes que l’on voit debout autour de la cage semblent s’amuser du spectacle. Certains détenus portent des traces de coups et ont les pieds liés. Ils sont abreuvés d’injures. On entend notamment : « Toi, viens par ici, espèce de sale chien ! Avale ce drapeau ! ». Le drapeau en question est celui qui avait été choisi par Kadhafi en 1969 comme emblème de la Libye
Explication. Des habitants de Taouergha avaient été armés par Kadhafi pour lutter contre les rebelles durant le soulèvement. Ils se sont battus contre les rebelles de Misrata et ces derniers affirment qu’ils ont commis des viols et des massacres. Du coup, lorsque la ville est tombée entre leurs mains [le 13 août 2011, à la suite d’une opération menée en commun avec les forces de l’OTAN, N.D.L.R.], ces derniers ont voulu se venger. Ils ont emprisonné les hommes qui se trouvaient encore à Taouergha. Beaucoup d’habitants avaient déjà fui avant l’entrée des rebelles, par peur des représailles.
Ces mauvais traitements infligés aux prisonniers, dont les preuves circulent sur le Net, choquent même chez nous. Ni les médias publics ni les médias privés n’en parlent. Je ne pense pas que ce soit parce que le gouvernement fait pression, mais plutôt parce que nos journalistes ont trop l’habitude de ménager le pouvoir (propos d’un Libyen anonyme interrogé à ce sujet).
Les habitants de Taouergha ne sont pas les seuls Libyens noirs à avoir subi des représailles de la part des milices démocrates et laïques (Les anti Khadafi). Dans un rapport publié en septembre 2011 par Amnistie Internationale, l’organisation demandait aux dirigeants du Conseil national de transition (CNT) de veiller à la protection des populations noires de Libye, visées en raison de leur couleur de peau. Le rapport mentionnait notamment des mauvais traitements subis par des habitants de Sebha, dans le sud du pays.
Crimes de guerre, crime contre l’humanité, crime contre la paix. Toutes ces notions sont devenues difficiles à distinguer, et, dans le contexte actuel, extrêmement dangereuses à manipuler. Les qualifications de crime de guerre, de crime contre l’humanité et de crime contre la paix sont devenues ce que nous appellerons des armes de destruction psychologique massive. Si l’on veut y voir un peu plus clair, il est impératif de commencer par clairement distinguer ce qu’étaient ces notions dans le cadre du droit international européen classique, grosso modo depuis la Renaissance jusqu’en 1917, ce qui nous permettra, dans un second temps, de comprendre ce qu’elles sont devenues, avant que d’envisager enfin l’usage qui en a été fait dans le cas libyen ou syrien. Ces concepts furent en effet abondamment utilisés par les ennemis (non officiellement déclarés comme tels d’ailleurs, bien au contraire ***, genre Arabie saoudite, Qatar, Turquie, etc.) du chef de l’État syrien, afin d’encourager le réveil de l’intégrisme islamique des majorités sunnites de leurs populations.
*** La plupart se présentaient plutôt comme des amis de ce pays, des amis de la Syrie.
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CI-DESSOUS QUELQUES EXTRAITS D’UNE LETTRE DE SAINT BERNARD AUX PREMIERS TEMPLIERS.
« À Hugues, soldat du Christ, et maître de la milice, Bernard simple abbé de Clairvaux, adresse ses meilleurs vœux de bon combat…
Si je ne me trompe pas, ce n'est pas une, mais deux, mais trois fois, mon cher Hugues, que vous m'avez prié de vous écrire, à vous et à vos compagnons d'armes, quelques paroles d'encouragement, et de tourner ma plume, à défaut de lance, contre notre tyrannique ennemi, en m'assurant que je ne vous rendrais pas ainsi un petit service si j'excitais par mes paroles ceux que je ne puis exciter les armes à la main. Si j'ai tardé quelque temps à me rendre à vos désirs, ce n'est pas que je crusse qu'on ne devait en tenir aucun compte, mais je craignais qu'on ne pût me reprocher de m'y être légèrement et trop vite rendu et d'avoir, malgré mon inhabileté, osé entreprendre quelque chose qu'un autre plus capable que moi aurait pu mener à meilleure fin. Mais en voyant que ma longue attente ne m'a servi à rien, je me suis enfin décidé à faire ce que j'ai pu, le lecteur jugera si j'ai réussi, afin de vous prouver que ma résistance ne venait point de mauvais vouloir de ma part, mais du sentiment de mon incapacité. Mais après tout, comme ce n'est que pour vous plaire que j'ai fait tout ce dont je suis capable, je me mets fort peu en peine que ma lettre ne plaise que médiocrement ou même paraisse insuffisante à ceux qui la liront.
Un nouveau genre de milice est né, dit-on, sur la terre, dans le pays même que le Soleil levant est venu visiter du haut des cieux, en sorte que là même où il a dispersé, de son bras puissant, les princes des ténèbres, l'épée de cette brave milice en exterminera bientôt les satellites…...
Il n'est pas assez rare de voir des hommes combattre un ennemi physique avec les seules forces du corps pour que je m'en étonne ; d'un autre côté, faire la guerre au vice et au démon avec les seules forces de l'âme ce n'est pas non plus quelque chose d'aussi extraordinaire que louable, le monde est plein de moines qui livrent ces combats; mais ce qui, pour moi, est aussi admirable qu'évidemment rare, c'est de voir les deux choses réunies, un même homme pendre avec courage sa double épée à son côté et ceindre noblement ses flancs de son double baudrier à la fois. Le soldat qui revêt en même temps son âme de la cuirasse de la foi et son corps d'une cuirasse de fer ne peut point ne pas être intrépide et en parfaite sécurité car, sous sa double armure, il ne craint ni homme ni diable. Loin de redouter la mort, il la désire. Que peut-il craindre, en effet, soit qu'il vive, soit qu'il meure, puisque Jésus-Christ seul est sa vie et que, pour lui, la mort est un gain ? Sa vie, il la vit avec confiance et de bon cœur pour le Christ, mais ce qu'il préférerait, c'est être dégagé des liens du corps et être avec le Christ ; voilà ce qui lui semble meilleur.
Marchez donc au combat, en pleine sécurité, et chargez les ennemis de la croix de Jésus-Christ avec courage et intrépidité, puisque vous savez bien que ni la mort, ni la vie ne pourront vous séparer de l'amour de Dieu qui est fondé sur les complaisances qu'il prend en Jésus-Christ…Quelle gloire pour ceux qui reviennent victorieux du combat, mais quel bonheur pour ceux qui y trouvent le martyre ! Réjouissez-vous, généreux athlètes, si vous survivez à votre victoire dans le Seigneur, mais que votre joie et votre allégresse soient doubles si la mort vous unit à lui : sans doute votre vie est utile et votre victoire glorieuse ; mais c'est avec raison qu'on leur préfère une sainte mort ; car s'il est vrai que ceux qui meurent dans le Seigneur sont bienheureux, combien plus heureux encore sont ceux qui meurent pour le Seigneur !
Il est bien certain que la mort des saints dans leur lit ou sur un champ de bataille est précieuse aux yeux de Dieu, mais je la trouve d'autant plus précieuse sur un champ de bataille qu'elle est en même temps plus glorieuse. Quelle sécurité dans la vie qu'une conscience pure ! Oui, quelle vie exempte de trouble que celle d'un homme qui attend la mort sans crainte, qui l'appelle comme un bien, et la reçoit avec piété …
Les soldats du Christ combattent en toute sûreté les combats de leur Seigneur, car ils n'ont point à craindre d'offenser Dieu en tuant un ennemi et ils ne courent aucun danger, s'ils sont tués eux-mêmes, puisque c'est pour Jésus-Christ qu'ils donnent ou reçoivent le coup de la mort, et que, non seulement ils n'offensent point Dieu, mais encore, ils s'acquièrent une grande gloire: en effet, s'ils tuent, c'est pour le Seigneur, et s'ils sont tués, le Seigneur est pour eux; mais si la mort de l'ennemi le venge et lui est agréable, il lui est bien plus agréable encore de se donner à son soldat pour le consoler.
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Ainsi le chevalier du Christ donne la mort en pleine sécurité et la reçoit dans une sécurité plus grande encore. Ce n'est pas en vain qu'il porte l'épée ; il est le ministre de Dieu, et il l'a reçue pour exécuter ses vengeances, en punissant ceux qui font de mauvaises actions et en récompensant ceux qui en font de bonnes. Lors donc qu'il tue un malfaiteur, il n'est point homicide mais tueur de mal, si je puis m'exprimer ainsi ; il exécute à la lettre les vengeances du Christ sur ceux qui font le mal, et s'acquiert le titre de défenseur des chrétiens. Vient-il à succomber lui-même, on ne peut dire qu'il a péri, au contraire, il s'est sauvé. La mort qu'il donne est le profit de Jésus-Christ, et celle qu'il reçoit, le sien propre. Le chrétien se fait gloire de la mort d'un païen (sic), parce que le Christ lui-même en est glorifié, mais dans la mort d'un chrétien la libéralité du Roi du ciel se montre à découvert, puisqu'il ne tire son soldat de la mêlée que pour le récompenser. Quand le premier succombe, le juste se réjouit de voir la vengeance qui en a été tirée ; mais lorsque c'est le second qui périt, le juste sera sans aucun doute récompensé puisque c’est Dieu qui juge la Terre.
Je ne veux pas dire par là que les païens (re-sic) doivent absolument être tués même quand il existe un autre moyen de les empêcher de harceler ou de persécuter les fidèles, mais seulement que…s'il est absolument défendu à un chrétien de frapper de l'épée, d'où vient que le héraut du Sauveur disait aux militaires de se contenter de leur solde, et ne leur enjoignait pas plutôt de renoncer à leur profession (Luc., III, 14) ? Si au contraire cela est permis, comme ce l'est en effet, à tous ceux qui ont été établis par Dieu dans ce but, et ne sont point engagés dans un état plus parfait… etc., etc. »
Ceci dit que nos amis chrétiens et musulmans se rassurent, je suis bien d’accord avec eux, saint Bernard de Clairvaux était une brute épaisse, une ordure nazie, et il vaut mieux l’oublier derechef.
N.B. Quant à ceux de nos frères qui se sentent la vocation typiquement « vate » d’accompagner le cheminement des soldats (pour œuvrer au salut de leurs âmes) nous ne demandons pas pour eux une exemption du service militaire et des dangers inhérents à la condition militaire, comme les jeunes étudiants ultra-orthodoxes d’Israël jusqu’en 2012 (la loi Tal), mais une sorte de service de remplacement analogue à celui des médecins ou infirmiers ou brancardiers. Il est parfaitement compréhensible que l’on hésite à tuer même pour se défendre, même en cas de légitime défense, c’est un scrupule respectable ; mais cela ne doit pas servir de prétexte à la lâcheté : le druide ou l’apprenti druide ne doit pas être un « planqué ».
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POUR CONCLURE SUR L’ÉTHIQUE DE LA PREMIÈRE FONCTION PAR HONNÊTETÉ INTELLECTUELLE ET AUSSI POUR COMPARAISON RAPPEL
DE CE QUE FUT HISTORIQUEMENT PARLANT LE VRAI DRUIDISME ANTIQUE.
Car le chapitre qui suit ne concerne plus la première fonction indo-européenne, mais les quelques lignes qui suivent SI !
La première fonction indo-européenne est celle que Dumézil associe au sacré et à la souveraineté.
Il est vrai aussi ambivalente que Mahomet d’après certains et donc susceptible de présenter deux faces : l'une paisible, rassurante, juridique, conservatrice ; l’autre violente, terrible, inquiétante, magique. Mais le nec plus ultra en la matière est de cultiver ou montrer sa force pour ne pas avoir à s’en servir.
Même les Germains l'avaient compris si l'on en croit certaines des aventures d'Odin et des berserkers « car dans tous les combats, les yeux sont les premiers à se laisser vaincre » (Tacite XLIII). Tacite qui mentionne aussi une autre technique : « Ils entonnent aussi des hymnes, dont l'exécution, qu'ils appellent ‘bardit’, enflamme les cœurs et présage l'issue du combat à livrer. En effet, selon l'intensité des sons, ils font ou prennent peur avant l'affrontement. Ces chants ressemblent moins à un ensemble vocal qu'à une expression collective du courage. Ils cherchent surtout à émettre des sons rauques dans un grondement syncopé en plaçant les boucliers devant la bouche. La résonance amplifie les voix en les rendant plus pleines et plus graves ».
Chez les Celtes cela nous a donné....
-Au niveau individuel les arts martiaux, mais toujours dans le même but, qu’une épigramme de Martial a ainsi traduit à propos d’un gladiateur celte appelé Hermès.
« Hermès fait les délices de son siècle et du peuple de Mars ; Hermès sait manier habilement toutes les armes ; Hermès est gladiateur et passé maître d'escrime ; Hermès est la terreur et l'effroi du Cirque ; Hermès, le seul Hermès, est redouté d'Hélius…Hermès sait vaincre, et vaincre sans frapper ».
-Au niveau collectif « le souci de la rem militarem » d’après Caton (Pleraque Gallia duas res industriosissime persequitur, rem militarem).
Grossièrement résumé par les Romains en « si vis pacem para bellum »).
-Au niveau des rois ou des chefs d'État : un bon service de renseignement. Voir à ce sujet ce que le grand spécialiste français de la question (Christian-Joseph Guyonvarc’h) a écrit sur le rôle respectif des rois et des druides (ambassadeurs conseillers puits de science, etc.). Et qu’Albert Bayet dans son histoire de la morale évoque en ces termes « étudier pour connaître le vrai des choses, encourager l’étude en honorant ceux qui s’y adonnent ».
Bref tout le contraire du culte de la force brute symbolisé par Thor chez les Germains, donc.
Il s'agit d'un art ou d'une science qui pouvait passer pour de la magie autrefois ou après la chute intellectuelle provoquée par la christianisation en Irlande, mais que les druides actuels rapprocheraient plutôt de ce qu’a écrit le très sachant chinois Sun Tzu à ce sujet et qui peut se résumer comme suit.
L’espionnage est un procédé par lequel un chef de guerre peut avoir une vue d’ensemble de la situation et, le cas échéant, savoir à l’avance et sans craindre de se tromper qui gagnera et qui perdra la guerre. La connaissance de l’adversaire est donc le facteur clef de toute victoire militaire.
Il s’agit donc moins d’anéantir l’adversaire que de lui faire perdre l’envie de se battre. Ce deuxième point implique de faire un usage de la force qui soit justement proportionné à la nature de l’objectif politique poursuivi. Il est fondamental de s’économiser, de ruser, de déstabiliser, et de ne laisser au choc que le rôle de coup de grâce asséné à un ennemi désemparé.
L’acmé de la stratégie militaire est d’obtenir la victoire sans effusion de sang vu le coût économique, moral et politique de la guerre. Il est contreproductif de détruire les ressources recherchées ou de tuer ceux qui peuvent être vos alliés ou vos sujets et ainsi accroître votre puissance.
Le « très sachant » Sun Tzu donne à ce propos de nombreuses précisions utiles.
Exemples de druidiaction selon lui.
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« Connais ton ennemi et connais-toi toi-même ; eussiez-vous cent guerres à soutenir, cent fois vous serez victorieux. Si tu ignores ton ennemi et que tu te connais toi-même, tes chances de perdre et de gagner seront égales. Si tu ignores à la fois ton ennemi et toi-même, tu ne compteras tes combats que par tes défaites. »
Ce vers se retrouve sous une forme condensée dans un proverbe de la langue chinoise contemporaine : « Connais ton ennemi et connais-toi toi-même, tu vaincras cent fois sans péril. »
« Il faut essayer de subjuguer l’ennemi sans donner bataille : ce sera là le cas où plus vous vous élèverez au-dessus du bon, plus vous approcherez de l’incomparable et de l’excellent. »
Ce vers est communément résumé ainsi :« L’art de la guerre, c’est de soumettre l’ennemi sans combat. »
« Toute campagne guerrière doit être réglée sur le semblant ; feignez le désordre, ne manquez jamais d’offrir un appât à l’ennemi pour le leurrer, simulez l’infériorité pour encourager son arrogance, sachez attiser son courroux pour mieux le plonger dans la confusion : sa convoitise le lancera sur vous pour s’y briser. »
Ce vers est communément résumé ainsi : « Toute guerre est fondée sur la tromperie. »
N.D.L.R. Et là on rejoint totalement l'action de certains druides mythiques comme Mog Ruith lors de la bataille magique évidemment de Druim Damhgaire. Ce récit nous conserve assurément le souvenir de bien des coutumes et des croyances de l'époque. O'Curry a signalé à plus d'une reprise l'importance de ce texte si riche en détails curieux et inédits sur l'art druidique et les pratiques s'y rattachant.
Voici ce que nous dit Guyonvarc’h à ce sujet. Peu de choses nous intéressant nous directement sur le druide et la guerre nous le verrons, MAIS PAR CONTRE BEAUCOUP SUR LE RÔLE DE PUITS DE SCIENCE AU SERVICE DU ROI (on dirait aujourd’hui des chefs d’État) DES TRÈS SACHANTS ANTIQUES. C’est pourquoi nous le citerons longuement tout en en recommandant la lecture directe à tout un chacun.
« Il lui incombe [au druide portier], non pas d'agir : mais de renseigner minutieusement le roi sur tous ceux qui, druides, guerriers ou artisans, veulent pénétrer dans son territoire…Le portier est ainsi, en beaucoup plus digne, l'équivalent celtique du nomenclator latin, « ce secrétaire à la mémoire infaillible » qui, sur la voie publique, soufflait au patricien romain les noms qu'il pouvait avoir oubliés. La différence est dans le niveau de la fonction : le dorsaide est un druide alors que le nomenclator est un esclave.
III. LE DRUIDE ET LA GUERRE.
Le druide n'est pas seulement prêtre. Il est aussi guerrier. La synthèse peut paraître étrange, mais elle reçoit facilement une explication. Le prototype du druide guerrier est ainsi Cathbad, le premier des druides d'Ulster, dont la personnalité est double dans la Version B du récit de la Conception de Conchobar…
La condition sociale du druide est donc différente de celle du flamen romain et de celle du brahmane hindou qui n'ont ni le droit de se battre ni même celui de voir une troupe en armes, cf. Georges Dumézil, Mitra-Varuna, p. 27.
Le statut du druide reflète un état singulièrement archaïque, antérieur à la séparation de l'autorité spirituelle et du pouvoir temporel. Sur toutes ces questions, nous renvoyons à notre Introduction générale, op. cit. 103.
À la vérité Cathbad est druide ou guerrier selon les circonstances et celles que nous venons de relater sont à peu près les seules où il apparaît comme guerrier. Mais il a les deux qualités…
Inversement, il est des guerriers qui doivent être poètes : parmi les dix conditions requises pour être admis dans les fénianes : « La seconde condition : personne n'était pris dans les fénianes s'il n'était pas poète et s'il n'avait pas achevé les douze livres de poésie ». Les « douze livres de poésie » dénotent une époque tardive et il n'est pas exigé d'appartenir à une classe sacerdotale qui a disparu. Mais il faut satisfaire à un besoin de recrutement à un niveau élevé, recherchant la perfection physique, morale et intellectuelle. Les fénianes ne considèrent pas, loin de là, la guerre et la poésie comme inconciliables. Leur exigence est donc la conséquence d'une conception très ancienne…
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… le récit dont le fragment est extrait raconte ainsi, avec en toile de fond la rivalité de deux provinces, la lutte impressionnante, militaire et magique, des druides ralliés à l'un et à l'autre parti. Ils sont même les principaux combattants…
… Sans être la principale, la guerre est donc une occupation possible du druide et lui seul est maitre de son destin pacifique ou guerrier. La prophétesse ou poétesse pour qui l'unique aspect accessible du sacerdoce est la divination participe à cet engagement dans la fonction militaire. Avant le départ pour l'expédition de la Razzia des Vaches de Cooley, nous verrons que la reine Medb consulte son druide. Il la rassure sur son sort personnel. Puis elle demande à la prophétesse Fedelm de lui prédire le destin - sinistre malgré toutes les objections - de l'armée d'Irlande. Et le rédacteur, dans un contexte de prédictions funèbres, ne tarit pas d'éloges sur le charme, la grâce, la beauté physique de cette splendide jeune fille. Mais, ce qui n'est pas usuel, même chez les demoiselles de l'Irlande médiévale, elle est armée d'une épée : « Le cocher tourna le char et Medb revint en arrière. Elle vit alors quelque chose qui lui parut étrange : une femme seule sur le timon d'un char, tout près d'elle. Voici comment était la jeune fille : tissant une tresse, une épée de bronze blanc à la main droite »…
IV. LE DRUIDE ET LE ROI AUTORITÉ SPIRITUELLE ET POUVOIR TEMPOREL.
L'Irlande apporte d'autres preuves de la puissance du druide, puissance très différente de celle du roi, moins visible peut-être dans l'immédiat, mais plus forte et plus profonde dans ses conséquences et ses répercussions. Les deux personnages, ne l'oublions jamais, sont solidaires, complémentaires et opposés. Les Ulates sont-ils sur le point de s'entre-tuer à propos d'une futile querelle de festin : « Les garants de chacun d'eux se dressèrent sauvagement et leur lutte était si sauvage qu'il y eut neuf hommes blessés, neuf hommes aux plaies sanglantes et neuf hommes étendus morts de part et d'autre. Mais Sencha, fils d'Ailill, se leva et agita sa branche de paix : les Ulates furent muets et silencieux ».
Un fait semblable est raconté dans le récit ossianique du Bruiden bheg na hAlmaine ou « petit Hôtel d'Allen ». Les clans de Finn et de Goll mac Morna étant occupés à s'entre-massacrer, « alors se leva le poète prophétique à la parole tranchante, l'homme au grand art poétique, Fergus à la belle bouche, et les hommes d'art des Fianna en même temps que lui, et ils se mirent à chanter leurs lais, leurs beaux poèmes et leurs hymnes de louange à tous ces héros pour les calmer et les adoucir. Ils cessèrent de se broyer et de se hacher devant la musique des poètes. Ils laissèrent tomber leurs armes à terre. Les poètes ramassèrent ces armes et ils firent la réconciliation entre eux ». Cela rappelle de très près Diodore de Sicile V, 31…
Et la suite du texte du cycle de Finn que nous venons de citer confirme que les Irlandais de l' époque ne concevaient pas, pour mettre fin à une guerre ou à un conflit, d'autre procédure que celle des Celtes continentaux décrits chez Diodore de Sicile, le recours au jugement et à la diplomatie des druides «Finn dit qu'il ne ferait pas la paix avec les clans de Morna s'il n'avait pas le jugement du roi d'Irlande et d'Ailbe, fille de Cormac, fils d'Art, fils de Conn aux cent batailles; le jugement de Cairbre Lifechar, le futur roi d'Irlande; le jugement de Fithal et de Flaithri et le sommet des jugements de Fintan, fils de Bochra. Goll dit qu'il donnerait cela. Ils se lièrent par une convention des poètes à demeurer dans cette paix et ils fixèrent un certain jour, c'est-à-dire quinze jours à partir de cette date dans la prairie de Tara»…
Au moment critique, dans une joyeuse soirée qui tourne mal, quand les épouses des héros d'Ulster, excitées par la mauvaise langue de Bricriu, se disputent âprement pour savoir qui, de leurs maris respectifs, est digne de la prééminence sur tous les autres guerriers et que, par une conséquence inévitable, les Ulates sont sur le point de s'entre-tuer, le roi et le druide interviennent de concert. Mais c'est le druide Sencha qui intime aux participants du festin l'ordre de se tenir tranquilles : « Restez en paix dit Sencha, « ce ne sont pas des ennemis qui sont venus, mais c'est Bricriu qui a provoqué la querelle entre les femmes qui sont sorties. J'en jure le serment de ma tribu », dit-il, «si la maison n'est pas fermée devant elles, nos morts seront plus nombreux que les vivants ». Les portiers fermèrent donc les portes. Emer dépassa les autres femmes à cause de sa vitesse et elle se mit le dos contre la porte. Elle appela les portiers avant l'arrivée des autres femmes si bien que les hommes se levèrent dans la maison, chacun pour aller ouvrir à sa femme, afin qu'elle fût la première à entrer dans la maison.
« La nuit est mauvaise », dit Conchobar. Il frappa de la baguette d'argent qu'il avait à la main contre le pilier de bronze de sa couche si bien que tous les gens furent assis. « Restez en paix », dit Sencha, «ce n'est pas un combat par les armes qu'il y aura ici, mais ce sera une bataille de mots». Chaque
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femme sortit sous la protection de son époux si bien que fut faite alors la bataille de mots des femmes d'Ulster ». Dans la suite du même récit, quand la joute oratoire va trop loin et risque de ne plus être seulement oratoire, le druide Sencha intervient à nouveau : « Une fois encore la maison devint une forteresse de mots à cause des femmes louant leurs époux. Conall, Loegaire et Cuchulainn s'efforcèrent de provoquer la querelle. Sencha, fils d'Ailill, se leva et agita sa baguette. Les Ulates l'écoutèrent et il dit, en enseignant les femmes ... ». Tout le monde obéit sans discuter à un simple geste du druide. Avait-on d'ailleurs le droit de se battre devant lui sans sa permission expresse ? En tout cas les raisons d'une telle docilité sont d'origine religieuse. Les druides sont entourés d'un grand respect. Dans les banquets solennels (et sans nul doute dans tous les autres), le druide est assis à la droite du roi et la déférence émane en premier lieu du souverain qui lui doit sa couronne...
La baguette d'or, d'argent, de bronze ou de coudrier, dont le roi partage l'usage avec la classe sacerdotale, est l'équivalent du lituus de l'augure latin. C'est un trait indo-européen attesté aussi chez les Scythes, voir Georges Dumézil…
« César obligea Cotus à renoncer au pouvoir et il fit remettre l'autorité à Convictolitavis, qui avait été nommé à la magistrature vacante par les prêtres, selon la coutume de la cité ». Ces prêtres (sacerdotes) sont, à l'évidence, des druides au nom traduit en latin et la situation qu'ils créent sur le plan politique rejoint celle de l'Irlande légendaire où le druide choisit un membre de la classe guerrière pour en faire un souverain. Il est même frappant que César, pour désigner la magistrature suprême des Éduens (le peuple de Gaule qu'il a le mieux connu), fasse usage de deux mots, imperium et potestas. Dans la terminologie de César, le premier s'applique à la Souveraineté dans son essence militaire et conquérante, le second s'applique au même concept dans son principe royal. Il est remarquable que le choix des mots corresponde au double aspect, héroïque et royal, de la fonction guerrière celtique. L'Irlande a la même conception des rapports du roi et du druide. À un certain moment, en effet, dans le cycle d'Ulster, à la suite d'une malédiction de Macha, déesse ou fée, en tout cas être suprahumain, tous les guerriers de la province sont privés de leur force physique, la nert indispensable à l’exercice de la fonction militaire, en termes précis ils n'ont pas plus de force qu'une femme en couches pendant cinq nuits et quatre jours ou cinq jours et quatre nuits. Le héros Cuchulainn, exempt de la malédiction, reste seul à défendre la frontière malgré son jeune âge…
Ces extraits de la littérature irlandaise médiévale justifient pleinement ce que dit Dion Chrysostome dans un passage où il est aussi question des mages persans, des prêtres égyptiens et des brahmanes indiens.
« Les Celtes avaient de même ceux qu'on appelle druides, experts en divination et en toute autre science ; sans eux il n'était permis aux rois ni d'agir ni de décider, au point que c'est eux qui commandaient en vérité, les rois n'étant que leurs serviteurs et les ministres de leurs volontés » . Corrigeons néanmoins le commentaire de Dion Chrysostome qui constate sans le comprendre le rapport, non pas hiérarchique, mais religieux, du druide et du roi. Le druide conseille et le roi agit : l'autorité spirituelle n'a jamais prétendu, sauf par déviation insigne (voir la fin du présent chapitre), à l'exercice du pouvoir temporel et le druide ne donne aucun ordre ; c'est au roi de conformer sa décision ou son action au conseil qu'il reçoit. Au contraire de Rome qui a privilégié le pouvoir temporel aux dépens du sacerdoce, le monde celtique est resté ainsi fidèle à la règle traditionnelle de la primauté de l'autorité spirituelle. C'est d'ailleurs la principale raison de sa disparition. Les qualités et les connaissances, le savoir, qui justifient le nom de druide ou de file sont excellemment soulignés dans leur ensemble par le récit du Compert Con Culaind ou « Conception de Cuchulainn ». Quand le futur héros, l'enfant glorieux est enfin né, il se tient une grande discussion, presque une dispute, pour savoir qui aura la lourde et honorable responsabilité de son éducation. Tous les candidats précepteurs énumèrent leurs titres, qu'ils soient druides, poètes, aubergistes ou guerriers. Finalement tout le monde s'accorde, au jugement de Sencha, sur le fait qu'on fera appel à chacun et le catalogue des compétences est un véritable énoncé trifonctionnel…
… La subordination du pouvoir temporel à l'autorité spirituelle est seule capable d'expliquer, du point de vue traditionnel, les rapports du druide et du roi : « Le roi équilibre la société humaine par les impôts ou tributs qui montent vers lui et les générosités qu'il fait en contrepartie à ses sujets. Il rend la justice, protège les faibles, condamne les méchants et récompense les bons. Le mauvais roi est celui qui ne fait pas de cadeaux, ne veille pas à la prospérité et augmente les impôts. Par son initiation, à laquelle président les druides, il est extrait de la classe guerrière et la couleur blanche de Nuada montre assez quel est le symbolisme de sa qualité royale. Mais bien qu'il soit extrait de la classe guerrière, il ne continue pas moins à en faire partie et il la représente auprès de la classe sacerdotale. Il joue le rôle d'intermédiaire. Cela revient à dire que son importance sociale vient de sa subordination spirituelle et que la royauté n'existe que dans la dépendance du sacerdoce. Elle ne peut subsister seule. On pourrait d'ailleurs faire remarquer encore que le nom du roi en italo-celtique, gaulois rix
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(irlandais ri, génitif rig, vieux-gallois et vieux-breton ri), latin rex, ne sert pas lui-même à désigner une notion religieuse, mais uniquement la fonction régulatrice envisagée du point de vue social. C'est-à-dire qu'elle ne comporte aucun principe religieux si le druide n'est pas là pour le représenter ».
La supériorité du sacerdoce est marquée encore par l'impuissance de la royauté à entamer en quelque occasion que ce soit la « solidarité » druidique. Le sacerdoce est conféré pour l'éternité et, même en cas de faute grave, voire de crime, un druide reste ce qu'il est. Ses collègues le savent : quand le druide Athirne est tué avec toute sa famille pour avoir satirisé et fait mourir Luaine, la fiancée du roi d'Ulster Conchabar, parce qu'elle lui refusait ses faveurs, les filid d'Ulster …
Les druides n'apparaissent pas chez les Galates, mais c'est peut-être parce que personne n'a pensé à les nommer. Une trace de la hiérarchie subsiste dans la remarque de Phylarque selon laquelle, lors d'un banquet, personne ne commençait à manger avant le roi (Livre VI, Athénée IV, chapitre 24 ; Ch. & Th. Muller, Fragmenta historicorum Graecorum I, 336, fragment Il).
… César ne semble pas non plus avoir bien compris l'attitude des druides par rapport à ce qu'il nomme justement la regia potestas, spéculation doctrinale qui, du reste, ne devait guère intéresser un général préoccupé par des problèmes politiques et militaires immédiats et complexes. À la vérité, ni en Gaule ni en Irlande, tout en exerçant sur elle un contrôle, les druides ne s'attribuent jamais la fonction royale. On ne pourrait citer qu'un nombre très restreint de « rois-druides » ou de « druides-rois ». Le druide est au sommet de la hiérarchie et il est aussi au-delà des distinctions, tout en respectant scrupuleusement les hiérarchies spirituelles qu'il établit ou dont il dépend. Précisons une fois de plus que ce sont celles du savoir et de la connaissance. Une fois choisi, élu sous le contrôle des druides, le roi devient un supérieur, non pas des druides, mais des hommes, et les druides le conseillent à titre de représentants de la puissance divine. Le druide parle avant le roi, ès qualités, mais il doit au roi le conseil et la prédiction, la formule juridique ou magique sans pouvoir jamais la refuser. …
Le roi est élu par ses pairs guerriers, amis et ennemis, et les druides veillent avant tout à la régularité, à la conformité, au bien-fondé du choix et de l'élection. Le récit du Serglige Con Culaind ou « Maladie de Cuchulainn » montre ainsi quatre des provinces d'Irlande mettant fin à une guerre en élisant pour roi suprême un ressortissant de la cinquième, l'Ulster, contre laquelle elles s'étaient pourtant coalisées : « Il y avait en ce temps-là réunion pour savoir si l'on trouverait quelqu'un que l'on pût nommer roi suprême. Car il leur était désagréable que la colline de la souveraineté et de la suprématie de l'Irlande, c'est-à-dire Tara, ne fût pas sous le pouvoir d'un roi... Voici les rois qui assistaient à cette réunion : Medb et Ailill, Cu Roi et Tigernach Tetbannach, fils de Luchta, et Find, fils de Ross. Ils ne demandèrent pas le conseil du roi des Ulates parce qu'ils étaient alliés contre l'Ulster, mais ils organisèrent le festin du taureau pour savoir à qui ils donneraient la royauté. Le festin du taureau… »
Il existe un exemple encore plus net de l'influence du druide et du poids de son avis dans le choix du nouveau roi. Quand, après la mort de Conchobar, les Ulates cherchent un roi, le druide Genann Gruaidhsolus (« à la joue brillante »), fils de Cathbad, impose la décision finale…
Ce ne sont pas les druides qui choisissent le roi, mais d'une part ils ont la responsabilité des cérémonies religieuses qui marquent l'élection et, d'autre part, ils influencent ou déterminent le choix. Cette brève formule résume correctement, semble-t-il, leur rôle politique dans les sociétés celtiques de haute époque…
… Il n'empêche qu'au premier siècle de la christianisation la balance jusque-là bien équilibrée du roi et du druide penche lourdement en faveur des druides convertis que sont les filid….
V. LES TROIS « PÉCHÉS » DU DRUIDE.
On sait en quoi consistent les « péchés » du guerrier. Un héros, humain ou divin, nécessairement mythique, commet, le plus souvent à la fin de sa vie - et donc de ses exploits - trois fautes graves contraires aux règles ou à la déontologie de son état et qui concernent toute la société parce qu'elles se répartissent entre les trois niveaux fonctionnels de l'idéologie tripartie…
Mais l'homologue celtique d'Héraklès, Cuchulainn, meurt debout, face à l'ennemi, sans que rien ne soit venu ternir sa gloire terrestre. D'autre part les schèmes trifonctionnels, quand ils existent en Irlande, passent souvent inaperçus parce qu'ils apparaissent dans des contextes où on ne les attend pas. En outre le druide, comme le guerrier, est rarement surpris en flagrant délit de manquement à une règle de sa classe : le druide ignorant, le guerrier lâche n'ont guère de place dans la société irlandaise. Il est cependant un druide - et non un guerrier - qui termine tragiquement ses jours. Il est mythique, bien sûr, mais il n'importe et il est caractéristique de l'interprétation celtique de la Souveraineté que sa faute capitale….
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CHAPITRE TROISIÈME : TECHNIQUES RITUELLES ET MAGIQUES DES DRUIDES.
Des considérations qui précèdent, il résulte que l'essentiel du culte et des rites était la « chose » des druides. Nous aimerions décrire en détail, de façon objective et systématique, les diverses techniques dont ils étaient ainsi les dépositaires. Malheureusement nous ne pouvons guère le dire directement, le monde celtique n'ayant, pour des raisons que nous tâcherons de déterminer plus tard, rien laissé de comparable aux brâhmana de l'Inde. Mais pour notre propos, qui est d'étudier le « type » du druide tel que le concevaient, le souhaitaient les Celtes, les récits légendaires comblent pour une grande part cette lacune. Certes, bien des opérations, magiques notamment, attribuées aux druides dans les récits, ne pouvaient correspondre à la stricte réalité, mais c'est sûrement à partir de la réalité qu'ont été faites les amplifications, de même que c'est à partir des conceptions « druidiques » que devront être analysées éventuellement les capacités de beaucoup de saints de l'hagiographie irlandaise. Nous passerons donc en revue les modes d'action et les pouvoirs des Cathbad et des Mog Ruith…
Nous prévenons aussi nos lecteurs que ce qui suit n'est en aucune manière un répertoire exhaustif, encore moins un manuel de magie celtique. Nous classons, dans toute la mesure du possible, des faits qui, de par la nature des récits, apparaissent souvent comme hétéroclites ou inclassables.
Outre que la compréhension profonde d'opérations magiques décrites parfois très incomplètement et très superficiellement n'est pas accordée à tout un chacun, il convient de se garder, dans un premier temps, par la comparaison de faits ou de capacités magiques arbitrairement séparés de leur contexte, de rechercher des explications extérieures à la structure indo-européenne primitive *. Un fait magique - il y en a forcément - commun au druidisme et au chamanisme ne saurait prouver une influence du second sur le premier.
Ce chapitre est très important parce que la masse des documents est énorme et parce que la plupart d'entre eux présentent un intérêt réel.
Ici rien n'est banal. Mais le lecteur ne devra à aucun moment perdre de vue que la magie n'a de valeur traditionnelle et religieuse que dans la mesure où elle s'intègre à une connaissance et à une technique
rituelle significatives. À aucun moment elle ne doit ni ne peut être interprétée comme un ensemble de techniques ou de savoirs, empiriques ou autres, donnant à un individu non qualifié un quelconque moyen de coercition sur le reste de la société humaine. Nous avons dit magie en tant que partie de la Tradition, nous n'avons pas dit sorcellerie au niveau du Petit Albert.
N.B. Ceci était donc notre conclusion sur la première fonction. Les chapitres qui suivront traiteront de la deuxième fonction au sens strict du terme, à savoir le métier de soldat.
* Guyonvarc’h nie tout apport, fût-il minime, du chamanisme, dans la première fonction indo-européenne. Ce qui n’est pas notre cas. Les prêtres indo-européens viennent bien de quelque part quand même !
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DÉONTOLOGIE DU MÉTIER DE SOLDAT.
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LE GUERRIER CELTE ET LA MORT.
Analyse du remarquable livre du grand archéologue français Jean-Louis Brunaux, consacré aux dieux aux rites et aux sanctuaires.
Hormis le sacrifice augural précédant les grandes décisions politiques et parmi elles les opérations militaires, nous ne savons quasiment rien des rituels ou des opérations magiques qui visaient à préparer religieusement la campagne militaire ou plus particulièrement une bataille. Dans une population qui était vouée, au sens premier, à la guerre, et qui avait fait de cette dernière l’une de ses activités principales [dixit Jean-Louis Brunaux] ou, tout au moins, celle qui était la plus valorisée [ce qui est le plus vraisemblable] ; de tels rituels devaient être nombreux et des plus variés.
Ils touchaient la collectivité, mais s’ancraient aussi profondément dans la vie de l’individu. Le guerrier, en effet, ne menait pas une vie sociale, comme on l’imaginerait aujourd’hui, partagée une entre activité professionnelle, des obligations militaires, et une vie familiale propre. Il avait, avant tout, une existence guerrière, marquée par des étapes qui en faisaient progressivement un chevalier à part entière, et sur la fin de sa vie, dans quelques cas, un héros avant que d’être mort.
Note de Pierre de La Crau. Venceslas Kruta ne semble pas du même avis. « C’est ce milieu de paysans armés, pour lesquels le port de l’épée devait être probablement avant tout l’expression de leur statut d’hommes libres, et qui constituaient une véritable milice rurale, que se recruta le potentiel humain de la grande expansion ».
Sa condition d’homme armé lui conférait une sacralité que seuI l’adjectif latin sacer, avec son sens ambivalent de « sacré, tabou, dangereux » permet de caractériser. César nous en donne un témoignage involontaire, et la meilleure illustration, quand il signale que les enfants ne devaient pas paraître en public auprès de leur père avant qu’ils ne fussent en âge de porter les armes. C’est aussi cet état d’homme armé qui autorisait le citoyen à participer aux assemblées auxquelles on se rendait en armes.
Le noble et, plus tard, le citoyen, qu’il fût d’origine « plébéienne » ou « patricienne », était à tout moment un guerrier potentiel. L'un des plus anciens auteurs qui aient écrit sur les Celtes, Éphore, rapporte que chez certains peuples, il existait une ceinture qui servait, en quelque sorte, d’étalon pour mesurer la taille réglementaire de l’abdomen des jeunes hommes. Ceux qui dépassaient cette mesure étaient punis. Une telle législation de la condition physique des guerriers s’accompagnait nécessairement d’exercices d’entretien de la forme, gymnastique, entraînement guerrier, chasse, etc., ceci dès une date assez haute puisqu’Éphore écrivait vers le milieu du IVe siècle. L’assiduité aux exercices, la qualité de sa force physique, l’entretien de ses armes, étaient des critères qui permettaient à l’individu d’assister à ces assemblées.
Les assemblées purement guerrières a fortiori étaient celles où le guerrier se parait de toutes ses armes, celles-ci indiquant son rang hiérarchique et témoignant de son passé glorieux. Si certaines étaient ouvertes à l’ensemble des combattants, toutes origines sociales confondues, le plus grand nombre étaient réservées aux chefs, et se faisaient dans le secret, comme le laisse entendre César à plusieurs reprises.
Lors de la conjuration générale de 52, les chefs se réunissent chez les Carnutes, probablement dans l’un de leurs sanctuaires. Là ils nouent des serments au-dessus des étendards réunis en faisceau, ce qui est, dit César, more eorum gravissima caerimonia, autrement dit « selon leurs mœurs, la pratique religieuse la plus lourde de conséquences ».
La sacralité du combattant résidait en grande partie, sinon exclusivement, dans la possession d’une arme qui était bien plus qu’un simple instrument de guerre ou le signe de sa position sociale. L’arme n’était ni objet de commerce ni matière à convoitise. Les sanctuaires nous en donnent des exemples édifiants : encore en état d’être utilisées ou partiellement détruites par le combat, les armes des vaincus revenaient toutes aux dieu-ou-démons. C’est que le guerrier obtenait son arme comme une récompense, un signe de reconnaissance de son état. Revêtir ses armes faisait de l’homme un citoyen capable de prendre part à toutes les décisions politiques, un homme qui faisait passer son devoir avant ses sentiments familiaux. Il ne pouvait utiliser que les armes que lui accordait son rang.
Le caractère archaïque et figé de l’armement des trois derniers siècles de l’indépendance tient probablement à cette morale du guerrier, engagé dans le combat ; qui ne craint ni la mort ni les blessures, en un mot qui est véritablement possédé d’une furie divine [les petits djihadistes utilisent le captagon aujourd’hui pour arriver au même résultat].
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À la fin du IVe siècle, l’équipement militaire atteint une sorte de perfection parce qu’il est particulièrement adapté à la façon de combattre, située à mi-chemin entre le duel des chefs et l’affrontement de petites formations de caractère hoplitique. Le choix des armes reflète ces deux manières de combattre, l’épée pour la lutte individuelle, la pique et le bouclier pour les assauts collectifs. Cette double tactique, les combattants l’avaient héritée de la tradition héroïque où seuls les nobles prenaient part au combat, sur leur char tout d’abord, puis à pied, l’épée à la main ; mais aussi des manières de combattre de leurs voisins, qu’ils apprirent en pratiquant le mercenariat. Par la suite, notamment quand ils firent un usage généralisé du cheval qui les rendit célèbres sur tous les bords de la Méditerranée, cet armement se révéla moins bien adapté. L’épée pointue et lourde devait être fort peu utilisée. La chaîne de ceinture et le fourreau d’épée dans la pratique n’étaient que des accessoires encombrants. Le bouclier, conçu pour des formations de fantassins groupés, se prêtait mal à la diversité des combats. Pour autant, malgré l’inadaptation de leurs armes, ils ne perdirent rien de leur fougue guerrière, et ne connurent pas moins de succès.
Contrairement aux Romains qui n’ont cessé de copier l’armement de leurs voisins, ne gardant du leur que ce qui en faisait l’efficacité, les Celtes étaient attachés à la symbolique de l’arme de caractère divin. La grande pique et le long bouclier désignaient certainement le citoyen combattant, l’épée dans son fourreau historié était la marque du noble cavalier, tandis que le casque, rare, devait être réservé aux chefs. La décoration complexe et précieuse qui ornait fourreaux et casques devait développer le thème de la filiation divine du guerrier en un langage stylistique qu’il ne nous est plus permis de comprendre.
Le combat pour un Celte, jusqu’à l’époque des conquêtes de César, n’est pas une œuvre humaine. C’est une immense ordalie où le combattant n’est que le bras armé de la divinité. La force des armes, les subtilités de la stratégie, sont des préoccupations secondaires.
Note de Pierre de La Crau. Il existait des exceptions. Voir le cas de la défaite romaine de l’Allia en juillet – 390.
Tite-Live. Histoire de Rome depuis sa fondation (Ab Vrbe condita. Livre V). XXXVIII. Honteuse déroute de l’armée romaine. En effet, Brennus, qui commandait les Celtes ; craignant surtout un piège de la part d’un ennemi si inférieur en nombre ; et persuadé que leur intention, en s’emparant de cette hauteur, était d’attendre que les siens en fussent venus aux mains avec le front des légions pour lancer la réserve sur leur flanc et sur leur dos ; marcha droit à ce poste. Il ne doutait pas que, s’il parvenait à s’en emparer, l’immense supériorité du nombre ne lui donnât une victoire facile. Et ainsi la science militaire aussi bien que la fortune se trouvèrent du côté des Barbares.
Seuls comptent les moyens de se prêter le mieux au service de la force divine. L’état mental et physique dans lequel entre alors le guerrier, a un nom en latin, c’est la furor, « fureur guerrière », qui possédait jadis des bataillons entiers de Celtes et de Germains. Cette folie divine constitua le ressort de la force des Celtes pendant tout le IIIe siècle.
Elle semait avant tout une terreur qui dispersait l’ennemi souvent avant même le combat, ou qui le figeait sur place. Cette possession, d’un type particulier, nous paraît aujourd’hui difficilement imaginable. Dans l’Antiquité, de tels états d’enthousiasme, au sens premier du terme, étaient courants, et les Grecs, malgré leur grande sagesse, nous en ont laissé des illustrations impressionnantes : bacchisme, ménadisme, cultes orgiastiques…
Le Celte était gagné par cette furor dès le « conseil armé » (concilium armatum) qui était une véritable entrée en guerre. Ce concilium armatum extrêmement ritualisé, n’avait probablement de conseil que le nom. César le décrit d’une manière exceptionnelle dans son œuvre. C’est l’une des très rares descriptions de caractère ethnographique en plus de sa digression du Livre VI, elle a l’avantage aussi de mettre en relation directe une pratique religieuse avec des événements datés.
« Il [Indutiomaros] convoque l’assemblée armée. Selon la coutume des Celtes, il marque le début de la guerre. Une loi commune veut que tous les adultes y viennent en armes. Celui qui arrive le dernier sur place est tué à la vue de la multitude après avoir subi de multiples supplices » (César, B.G. Livre V, 56).
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, mais la répétition est la plus forte des figures de rhétorique ; contrairement à ce que laisse entendre le conquérant romain, le rite est ancien, en tout cas antérieur au Ier siècle, et il est révélateur. Son sens est parfaitement compréhensible. Il s’agit, sous la forme la plus solennelle, de signifier à tous les participants que désormais leur vie ne leur appartient plus ; qu’elle est entre les mains d’un dieu (le destin) qui les laissera en vie ou qui en fera
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des morts promis à un Walhalla héroïque. Celui qui a tenté de se soustraire au devoir collectif doit donc, non seulement mourir en l’honneur de ce dieu, mais il doit le faire lentement, dans des traitements dégradants, et à la vue de tous ; de façon à ce que sa mort paraisse l’image inversée de la mort du guerrier, rapide, en pleine gloire, mais en échange de la souffrance et parfois de la mort de son ennemi. Même chose avec les déserteurs ou les mutins des guerres modernes d’ailleurs !
Il ne suffisait pas que la furor fût seulement un état mental, entretenu par les croyances et par quelque rituel comme celui-là. Le guerrier devait physiquement s’en trouver investi. L’ennemi devait à sa seule vue en constater les signes visibles. Trois coutumes étranges des Celtes, abondamment décrites par les auteurs antiques qu’elles avaient impressionnés, jouaient ce rôle.
La première, la plus spectaculaire, est la nudité guerrière des Celtes, thème redondant des récits de bataille, hauts en couleur, mais aussi de la sculpture hellénistique. Cette pratique curieuse était avant tout le fait de combattants que l’on appelait « Gésates ». Ce qui ne paraît pas être un nom de peuple, mais plutôt, si l’on en croit Polybe, celui d’une fonction : des bataillons de mercenaires qui se louaient pour des expéditions de plusieurs années.
Pour la même époque, celle du IIIe siècle qui marque l’apogée de la gloire militaire celtique, la plupart des historiens antiques mentionnent un autre usage vestimentaire propre aux guerriers celtes, celui de se parer de torques en or. Les sources sont trop abondantes et trop diversifiées pour être mises en doute, cependant elles posent problème, car elles n’ont jamais été confirmées par l’archéologie. En revanche, une quinzaine de trésors ont été rencontrés, qui contenaient un ou plusieurs de ces torques. On pourrait être tenté de mettre en doute la précision des descriptions et penser que les observateurs ont confondu l’or et le bronze. Mais cette interprétation séduisante est contredite par une autre série d’informations, concernant des torques semblables en or, offerts aux dieu-ou-démons ou à des rois, la confusion entre les métaux étant dans ce cas difficilement imaginable.
C’est à l’époque de La Tène ancienne, Ve et IVe siècles, une parure purement féminine, qui disparaît ensuite totalement des sépultures. En revanche, comme il a été dit, le torque est signalé abondamment par les sources gréco-latines en tant que décoration guerrière à partir du IIIe siècle.
Deux caractéristiques du torque en or permettent de préciser les choses. Nous avons vu qu’il n’est jamais retrouvé dans les sépultures de guerriers. Cela signifie, à l’évidence, que l’objet n’appartenait pas à l’individu ni probablement à sa famille. Par ailleurs, plusieurs mentions nous apprennent que l’on faisait cadeau de tels torques, peut-être plus volumineux et plus luxueux encore, à certains dieu-ou-démons. Catumandus en offre un à la Minerve de Marseille. Arioviste fait vœu d’offrir un torque au dieu-ou-démon de la guerre. Les Romains, même quand ils battent les Boïens en 196, récupèrent le torque le plus lourd et l’offrent au Jupiter du Capitole. Autrement dit, cette parure était un cadeau particulièrement adapté aux dieu-ou-démons, elle était elle-même de nature divine.
Dès lors, on peut envisager l’utilisation symbolique suivante. Le torque en or était un signe de l’état quasi divin du guerrier, il représentait physiquement le dieu-ou-démon qui était à ses côtés ou, mieux, qui avait pris possession de son corps pour exprimer sa frénésie belliqueuse.
Le torque en or apparaît donc comme une sorte de dépôt sacré sur le corps du guerrier ; dépôt évidemment transitoire qui devait faire l’objet d’une remise solennelle au début de la saison de la guerre, puis d’un retour non moins triomphant à la fin de celle-ci. C’était peut-être l’une des missions du « conseil armé » que d’attribuer ces distinctions et d’en gérer le parcours symbolique.
Enfin, dernière coutume destinée à effrayer l’adversaire, les peintures de guerres.
En Grande-Bretagne, les guerriers celtes se teignaient en bleu foncé avant de livrer bataille, ce qui avait fortement impressionné Jules César. Ils extrayaient cette substance colorante, également utilisée pour la teinture des vêtements, d’une plante indigène, la guède (ou pastel). Non seulement leur aspect devenait spectaculaire et même effrayant, mais la guède possède aussi de remarquables vertus antiseptiques et cicatrisantes qui en faisaient un peu l’équivalent de notre mercurochrome. Les anciens Celtes joignaient ainsi l’utile à l’agréable… En Écosse, les Pictes terrorisaient les Romains en allant au combat uniquement revêtus de leurs armes… et de teinture glasson (bleue).
Comme dans le cas du Bouddha, il peut par moments émaner de la tête de certains grands guerriers du genre hésus Cuchulainn, un phénomène connu en Irlande sous le nom de lon laith ou luan laith. La lon laith ou luan laith est l’aura pourpre, ou carrément sanglante, émise par la tête de certains héros quand leur esprit se branche une fraction de seconde ; ou se dissout un instant, dans le Pariollon (le Grand Tout appelé Parinirvana en Extrême-Orient).
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Pendant longtemps les Celtes n’eurent pas une façon de combattre qui leur soit propre. Ils hésitèrent pendant plus d’un siècle entre l’utilisation des chars, celle d’une infanterie structurée, avant de développer une science de la cavalerie qui fit leur réputation. En revanche, depuis les temps les plus anciens, ils avaient développé l’art d’effrayer l’adversaire ; par un décorum puissant et varié dont le but était de signifier à l’ennemi qu’il avait face à lui, non seulement une armée humaine, mais un bataillon de titans issu de quelque épopée homérique. Le meilleur exemple de cette armée en marche nous est donné par Polybe, dans le célèbre récit qu’il a laissé de la bataille de Télamon. Polybe a écrit peu de temps après les événements, et en utilisant des sources directes, notamment le témoignage de Fabius Pictor, qui avait participé à la bataille.
Le rite religieux guerrier le plus solennel est sans aucun doute le vœu. Il n’est pas propre aux Celtes, ces derniers le partagent avec la plupart des peuples indo-européens. Il repose sur l’idée d’un échange généralisé entre les hommes et les dieu-ou-démons, qui permet un contrat entre eux. La formule en sanscrit « dadami se dehi me » résume assez bien le mécanisme et le sens de cet échange, qui prenait en charge toute l’activité guerrière ; depuis la promesse solennelle du don avant la bataille, jusqu’au sacrifice d’Action de grâce et la consécration du butin après celle-ci. Mais le vœu proprement dit est un rite bien précis dans ce potlatch qu’engagent les hommes avec les dieu-ou-démons. C’est un acte oral, l’annonce la plus solennelle faite en présence des hommes réunis et des dieu-ou-démons convoqués. On ne peut en comprendre la valeur que si l’on garde à l’esprit que la parole chez les Celtes était valorisée à l’excès, parce qu’elle était la seule forme de communication intellectuelle et spirituelle qu’ils connaissaient. On ne pouvait revenir sur ce qui avait été dit.
Les Romains avaient aménagé la pratique du vœu avec leur habituel sens de la casuistique. Différents cas de figure étaient prévus auxquels répondaient des degrés divers d’un votum qui, en tout état de cause, n’était que conditionnel. Le don ne serait fait qu’en cas de succès. Les Celtes n’entouraient certainement pas leur vœu solennel de telles subtilités. Ce qui n’empêchait pas que la pratique fût chez eux également très aboutie et lourdement ritualisée. Les quelques exemples historiques que nous a conservés l’historiographie latine indiquent que le vœu était toujours prononcé par un roi ou un chef ; en tout état de cause, un homme que ses compatriotes avaient désigné comme leur représentant légitime auprès de la communauté divine. Arioviste avait fait au dieu-ou-démon de la guerre le vœu d’offrir un torque constitué avec les dépouilles des soldats romains, avons-nous déjà dit. Viridomar avait promis au dieu-ou-démon Gobannos (Vulcain) les armes de ses adversaires. Le don était total et ne se limitait pas, comme chez les Romains, à une partie souvent infime du butin, les spolia opima par exemple.
César indique qu’en cas de victoire, tout le butin vivant était sacrifié, quant aux biens matériels, ils étaient déposés en un endroit consacré. Il faut évidemment rectifier la part d’exagération, habituelle à César : depuis belle lurette, les prisonniers n’étaient plus sacrifiés, mais rendus au prix de fortes rançons, qui avaient d’ailleurs obligé les Grecs à légiférer sur la question. Néanmoins, on a bien à travers cette description de César, l’écho du sacrifice total du butin dont les sanctuaires nous renvoient l’image saisissante. Toutes les armes, tous les chars, et même le bétail, étaient consacrés aux dieu-ou-démons.
Le destinataire du vœu chez les Celtes ne faisait pas non plus l’objet d’une réglementation contraignante. Dans la plupart des cas, le dieu-ou-démon de la guerre était concerné, mais d’autres pouvaient être choisis.
Le vœu, on le voit, était la forme ritualisée ou solennelle, souvent à connotation royale, d’une pratique plus large, très courante dans le monde celtique, celle du tongoïto ou serment. Si celui-ci a le caractère intangible du vœu, il n’a pas les lourdes conséquences qu’implique l’engagement total du peuple à travers la promesse faite par le roi en son nom. L’oïto ou serment peut être prononcé par un soldat en son nom personnel, voire par un bataillon. Florus, toujours dans la comparaison partisane qu’il fait des deux religions sœurs, indique que les hommes de Britomar avaient fait serment de ne point délier leur baudrier avant d’avoir escaladé le Capitole ; mais que c’est le consul Emilius qui les avait déliés de leur serment solennel en suspendant leurs propres armes dans le temple. César rapporte la teneur du funeste tongoïto (serment) que prêtent les cavaliers de Vercingétorix dans la plaine de Dijon. « Que chacun s’engage, par le serment le plus solennel à ne point rentrer dans sa maison, et à n’approcher ni de ses enfants, ni de son père, ni de sa femme ; qu’il n’ait passé à deux reprises à travers les lignes ennemies ».
Une forme particulière et paradoxale du vœu est également commune aux Celtes et aux Romains, bien qu’elle fût probablement plus courante chez les premiers que chez les seconds, qui l’avaient
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entourée d’une aura prestigieuse, c’est la devotio. À Rome, elle désignait le sacrifice qu’un général faisait de sa propre vie pour sauver son armée, en cherchant la mort au cours du combat et en la dédiant aux divinités infernales. Les cas de devotio étaient néanmoins assez rares, on citait Décius et Curtius.
Chez les Celtes, ce sacrifice individuel du chef s’exprimait surtout par le suicide sur le champ de bataille, courant dans tous les récits parlant des Galates. Ce suicide était d’ailleurs devenu l'un des thèmes récurrents de la sculpture de Pergame qui a livré des œuvres majeures, comme l’émouvant Galate mourant du musée du Capitole à Rome. Mais on citait aussi l’exemple de Brennus à Delphes qui, dès qu’il eut pénétré dans le temple d’Apollon, retourna ses armes contre lui-même ; les auteurs antiques se disputaient sur les raisons de ce geste, les uns y voyant une sorte de devotio, d’autres, comme Valère-Maxime, y voyant la vengeance du dieu-ou-démon outragé.
Ainsi que nous l’avons déjà souligné, mais repetere = ars docendi, chez les Celtes, nous ne connaissons qu’un seul autre exemple de devotio, c’est celle qu’effectue Vercingétorix après la défaite d’Alésia. Comme dans le cas du hesus Cuchulainn, l’événement a marqué les consciences, non seulement des présents, mais aussi des Romains, pendant plusieurs générations. Il est rare qu’un événement historique à cette période soit relaté par quatre auteurs s’appuyant chacun sur des sources différentes : César évidemment, Florus reprenant un livre perdu de Tite-Live, Plutarque et Dion Cassius.
César qui retouche, comme un peintre le ferait en atténuant les traits les plus contrastés, la scène de la reddition proprement dite, est le seul à décrire le moment de la devotio. « Ayant convoqué le conseil, Vercingétorix déclare que la guerre n’a pas été entreprise par lui pour son propre intérêt, mais pour la liberté commune, et, parce qu’il faut céder à la déesse Fortune, il s’offre à eux de deux manières. Qu’ils apaisent les Romains par sa mort, ou qu’ils le livrent vivant ». César a certainement appris ces détails, après coup, par des informateurs ou des alliés qui ont pu assister directement à la scène. Il n’en retient que ce qui sert l’économie de son récit, les raisons alléguées par Vercingétorix, et il omet, volontairement ou non, le rituel d’une cérémonie religieuse dont le « conseil de guerre » constituait le cadre idéal. César ne pouvait reproduire une scène qui révélait trop le caractère religieux de ce qu’il voulait rapporter seulement comme une simple reddition, mais la reddition proprement dite, telle qu’elle apparaît dans le texte de Plutarque, prouve néanmoins que Vercingétorix a mis en scène un authentique rituel religieux. Que César lui-même prolongera, six ans plus tard, en le concluant par le véritable sacrifice humain, sans aucune forme de procès, du malheureux. Mais dans des conditions très différentes de l’apothéose de Cuchulainn.
Voici le récit de Plutarque : « Vercingétorix, celui qui avait suscité puis conduit toute cette guerre, s’étant muni de ses plus belles armes, et aussi ayant paré ou orné de même son cheval, sortit par les portes de la ville ; et alla faire un tour à cheval autour de César, assis sur son trône. Puis, après avoir mis pied à terre, il ôta tous les ornements de son cheval, et se dépouilla de toutes ses armes, qu’il jeta par terre, puis il alla s’asseoir aux pieds de César sans dire mot ».
On pourrait être tenté de voir dans cette scène dramatique l’effet d’un enjolivement littéraire. On aurait tort. Plusieurs détails ne trompent pas. Vercingétorix se pare de ses plus belles armes, celles qui habituellement sont destinées aux dieu-ou-démons. Il accomplit ce rite guerrier en compagnie de son cheval, ce même cheval qui est comme le prolongement du chevalier à la guerre, un autre corps qui le transporte, qui porte ses armes et ses trophées. Mais surtout, en tournant autour de César, Vercingétorix accomplit un véritable rituel religieux, celui de la circumambulation. Dans la défaite et dans sa devotio, Vercingétorix se montrait donc plus grand que celui qu’il faisait reconnaître publiquement comme son maître.
Accompli par Vercingétorix qui voulait restaurer la royauté et qui prônait les anciennes valeurs, ce don de soi-même apparaît, à l’évidence, comme une pratique religieuse ancienne que le jeune aristocrate remet au goût du jour ; en n’oubliant aucun détail, et en ajoutant peut-être encore au décorum. L’exemple qu’il nous donne demeure unique, mais parfaitement révélateur, de l’abnégation du guerrier, du don qu’il fait de sa personne en faveur des dieu-ou-démons et, au-delà, au bénéfice du peuple au nom duquel est accompli le rite. La devotio de Vercingétorix fut efficace : César mit à part les prisonniers de guerre éduens et arvernes, qu’il rendit à leurs peuples, les autres furent attribués aux soldats romains en guise de butin, à raison d’un par tête.
Les exemples de mort ritualisée qui nous ont été transmis appartiennent, avec des différences sensibles, à un même ensemble, à une même attitude face à la mort, que l’on pourrait qualifier de «
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sacrifice de soi » ou « sacrifice volontaire ». Ces expressions sont, en effet, préférables au mot suicide qui évoque, notamment dans notre civilisation, une décision individuelle. Ces morts volontaires, au contraire, sont des gestes religieux dont le but est toujours de replacer l’individu, en harmonie avec le groupe auquel il appartient et le monde divin.
Parmi les plus anciennes mentions concernant les Celtes se trouve une série de textes dont l’Éthique à Nicomaque d’Aristote. « Les Celtes ne craignent ni les séismes ni les tempêtes », écrit Aristote. C’est une allusion à un trait des mœurs celtiques qui avait été abondamment diffusé dans le monde grec à la fin du Ve siècle ; et dont la version la plus complète se trouve dans Elien, qui écrit dans ses Histoires variées. « Beaucoup attendent de pied ferme la mer qui les inonde. Il y en a même qui prenant les armes, se précipitent contre les flots, en agitant leurs épées ou leurs lances nues, comme s’ils pouvaient effrayer l’eau ou la blesser ». Cette coutume singulière, probablement observée par les premiers voyageurs d’origine grecque, servait d’exemple pédagogique pour caractériser la folie, ou l’excès, c’est à ce titre qu’Aristote l’utilise.
Il y avait, en fait, une explication plus simple, mais aussi plus exceptionnelle, celle que Timagène déjà donnait comme étant à l’origine des premières invasions celtiques, celle d’un raz-de-marée sur les côtes de la Mer du Nord. Un phénomène aussi rare et monstrueux peut expliquer une attitude si peu ordinaire où l’homme oppose à la nature sa fragilité, mais aussi sa grandeur d’esprit. L’explication partielle de d’Arbois de Jubainville doit être retenue. L’homme face à un péril qui lui paraît de nature surhumaine, revêt ses attributs de guerrier pour entrer dans le monde parallèle que l’on appelle l’au-delà, comme il y entrerait à la guerre ; c’est-à-dire avec l’assurance que le combat qu’il livre le conduira directement au Walhalla réservé aux héros.
L’humble avis que le Destin peut parfois se révéler aveugle, à tout le moins mal voyant (myope et ainsi de suite…), explique sans doute que l’on ait pu voir des Celtes (continentaux) antiques tenter leur chance en se battant jusqu’à la mort ; c’est peut-être là d’ailleurs ce qui différencie le fatalisme celtique du fatalisme musulman. Albert Bayet dans ses réflexions sur le suicide évoque un certain nombre de témoignages nous les montrant se battant dans certains cas jusqu’au bout, un peu comme à tout hasard.
Une telle attitude a longtemps animé les Celtes quand ils allaient au combat.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, mais repetere = ars docendi
L’image quasi fabuleuse en était donnée par les Gésates qui combattaient nus. Leur nudité guerrière exprimait avant tout le mépris le plus radical, non de la mort qu’ils honoraient, mais de la peur de la mort. Elle indiquait pareillement que le guerrier se trouvait au cœur d’une ordalie dont le résultat ne pouvait que lui être favorable. Soit il en sortait vainqueur et sa victoire s’enrichissait d’une caution divine ; soit il mourait, mais sa mort dans ce cas lui permettait de prendre place auprès de ses ancêtres, sous la protection des dieu-ou-démons. C’est pourquoi le guerrier celte se battait jusqu’à la mort, ou jusqu’à ne plus avoir d’ennemi autour de lui.
Pour un Celte et jusqu’au Ier siècle avant notre ère, le combat ne peut avoir que ces deux issues. La fuite, ou la capture par l’ennemi, ne sont pas des solutions envisageables. La honte qui les aurait accompagnées empêchait le guerrier de survivre. De telles conduites n’étaient pas admises par la société. Le faible développement de l’individualisme dans celle-ci ne permettait pas de s’opposer à une telle pression. C’est pourquoi la plupart des récits concernant les IIIe et IIe siècles nous montrent les Celtes se donnant la mort à l’issue des batailles qui ne leur ont pas été favorables. Chaque bataille est donc vécue comme un dialogue fatal entre l’homme et les divinités.
La mort des soldurs.
Cette morale du temps de guerre était devenue pour certains tout un mode de vie. À propos d’Adiatuanos, que Nicolas de Damas qualifie de roi des Sotiates, César mentionne l’existence de soldurs. Ce sont des hommes qui forment l’escorte d’un personnage éminent. Ils sont entièrement dévoués à ce dernier, lui assurant ainsi une garde permanente, notamment à la guerre. En contrepartie de cela, ils partagent tous les biens de leur protecteur. Leur dévouement est total et va jusqu’à la mort. Au combat, ils protègent leur maître, mais s’il arrive que ce dernier meure, ils mettent également fin à leurs jours. César ajoute qu’il n’est jamais arrivé qu’un de ces soldurs refuse de mourir, quand celui auquel il avait voué son amitié venait à périr.
Même situation en Espagne.
Plutarque (Vie de Sertorius, chapitre XIV).
« Il était d’usage en Espagne qu’un général soit entouré d’un certain nombre de guerriers qui s’engageaient à mourir avec lui s’il venait à être tué… Sertorius était suivi de plusieurs milliers de soldats qui s’étaient ainsi voués à sa personne. Un jour que son armée fut mise en déroute, les soldats espagnols, quoique poursuivis de près par les ennemis, oubliant le soin de leur propre
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conservation, ne pensèrent qu’à le sauver ; alors, l’enlevant sur leurs épaules, ils se le passèrent de l’un à l’autre jusqu’aux murailles de la ville, puis ne songèrent à se sauver eux-mêmes que lorsqu’il fut en sûreté ».
Cette institution nous paraît typiquement celtique, parce qu’elle est une forme exacerbée de la clientèle, mode de relation sociale largement généralisée chez les Celtes, comme chez les Romains. Ce devait être une coutume ancienne, qui s’était développée au moment des invasions celtiques. Dans ces interminables pérégrinations, où les conditions de vie étaient souvent terribles, les chefs devaient pouvoir se reposer sur une sorte de garde prétorienne qui prenait en charge tous les problèmes matériels. À la bataille de Télamon, le roi Anéroeste était entouré d’un semblable groupe qui se donna la mort en même temps que lui. En Aquitaine les soldurs d’Adiatuanos, selon Nicolas de Damas, n’étaient pas moins de six cents. Comm l’Atrébate était entouré d’une semblable garde de vassaux qui combattaient avec lui et qui ne devaient être rien d’autre que des soldurs belges.
La mort, vécue comme un rituel pouvait donner lieu à des mises en scène extraordinaires. Nous possédons de celles-ci une seule description, d’une grande valeur, parce qu’elle est due à Posidonios qui, comme à son habitude, expose les faits ainsi que le ferait un ethnologue. C’est-à-dire avec une remarquable précision, le sens du détail ; sans la passion de l’exotisme, mais avec le souci de saisir l’intention et le sens, derrière les gestes. Le passage a été copié par Athénée dans ses Deipnosophistes. « D’autres, in theatro, ayant reçu de l’argent et de l’or, certains ayant obtenu des amphores de vin, et s’étant engagés solennellement à rembourser ce don ; après l’avoir partagé entre leurs proches et leurs amis, sont couchés dans le creux de leur bouclier ; puis quelqu’un se tenant à leur côté leur tranche la gorge avec une épée ».
Il ne s’agit pas d’une anecdote, mais d’une pratique qui connaissait une certaine régularité. Cet autosacrifice s’accompagnait de l’habituel décorum qui marquait toutes les cérémonies religieuses. La scène se déroulait, nous dit le texte, in theatro, c’est-à-dire dans une salle de cérémonie ou un sanctuaire, en tout état de cause devant un public. Athénée ne copie, semble-t-il, que la fin de la description qui fait suite à une série complexe de rituels. L’homme qui se sacrifie est, de toute évidence, un guerrier, vraisemblablement un chef qui semble entouré de vassaux. Pour des raisons qui ne sont pas explicitées ici, mais sur lesquelles on reviendra, cet homme offre sa mort en contrepartie de dons qu’il partage entre ses parents et ses amis. Puis, soit il se donne la mort, soit il est mis à mort. On l’allonge alors le dos sur son bouclier et quelqu’un de l’assistance vient lui couper la tête.
Le fait a intrigué les historiens. Marcel Mauss y a vu la forme exacerbée d’un potlatch, une série de dons et de contre-dons qui se termine par le suicide de celui qui ne peut plus rendre, et offre donc sa vie comme « contre-prestation suprême ». Que la mort dans ce rituel soit conçue comme une monnaie d’échange est indubitable, le texte est d’ailleurs suffisamment clair. En revanche, rien n’indique que la mort intervienne à la suite d’une compétition de dons. Le chef qui se fait donner la mort obéit peut-être à d’autres nécessités. On peut imaginer que sa fortune personnelle ne lui permet plus d’entretenir ses vassaux ou ses soldurs, ou tout simplement que la maladie le menace, et qu’il préfère une mort honorable à une déchéance physique. Il semble bien, en tout cas, que c’est son honneur de guerrier qui est mis ou en cause, ou en doute.
Le rituel s’articule en effet clairement sur une thématique guerrière. La victime est en armes, on la couche sur son bouclier, on lui coupe la tête avec une épée. À l’évidence, l’homme se met symboliquement dans la situation d’un combat. On peut même d’ailleurs se demander si la mort ne fait pas suite à l'un de ces duels qu’Athénée a évoqués auparavant dans le même texte. Le dernier acte de cette représentation rappelle évidemment le champ de bataille : on prend à la victime sa tête comme on ferait d’un ennemi tué. C’est une façon de signifier que la victime s’estime vaincue, mais que son honneur est intact : elle a été traitée comme sur un champ de bataille. Il est probable que celui qui coupe ainsi la tête se rembourse de cette manière des cadeaux qu’il vient de faire. Le crâne qu’il acquiert vaut « de l’argent, de l’or, ou de nombreuses amphores de vin », ce ne peut être que celui d’un grand guerrier.
Tous ces types de mort volontaire ont un point commun. Il y a dans les événements qui contraignent ces hommes à finir ainsi, comme un signe divin qui leur signifie de mourir.
En fait, c’est la vie tout entière du Celte qui apparaît à travers la mort comme une longue ordalie, un jeu continu entre l’individu et les divinités qui tiennent les fils de sa destinée. La mort ne peut pas être
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le produit du hasard, de causes extérieures, elle ne peut être que décidée par l’homme ou le divin. Même si elle est annoncée par la maladie, par le péril, elle prend l’apparence d’une décision volontaire. Pour un Celte « refaire sa vie », comme on le dit aujourd’hui, n’était pas une idée concevable. Il n’imaginait pas d’autre vie que celle qu’il pourrait vivre, à nouveau, dans un autre corps, et dans un autre monde. Cette issue ou celle de l’entrée dans un Walhalla héroïque que lui enseignaient les théories sur la réincarnation de l’âme/esprit dans un autre monde, lui rendaient la mort facile. Elles en faisaient surtout un passage prometteur.
C’est parce que la mort était si riche de sens, et déjà soumise à des rituels essentiels, que les pratiques funéraires proprement dites, au moins dans les trois derniers siècles de l’indépendance, paraissent relativement modestes.
Dans les expéditions lointaines ou lorsque le destin (moyen gallois tynghed, breton tonket, destiné, vieil irlandais tocad, destin, toicthech « fortunatus », tonquedec en breton. Le labarum est son signe son message) provoquait une suite ininterrompue de batailles, les guerriers morts n’étaient pas ramassés. Contrairement aux Grecs qui, dans ce cas, prévoyaient des trêves pour cela, les Celtes ne se souciaient pas de donner une sépulture aux guerriers tués. Pausanias, qui rapporte de tels faits, indique que les Galates n’enterraient pas les morts afin d’effrayer l’ennemi et parce qu’ils n’avaient pas pitié d’eux. Les préoccupations des Celtes étaient bien sûr d’un autre ordre. Ils ne se souciaient pas des cadavres puisqu’ils estimaient que les vautours, en consommant leurs chairs, emporteraient leur âme/esprit aux cieux, là où elle était appelée à se réincarner. Pausanias nous l’apprend, mais aussi, comme on l’a vu, Silius Italicus, qui ajoute qu’il était impie de brûler ceux qui avaient péri au combat ; et que seuls prendraient place auprès des dieu-ou-démons ceux dont les chairs auraient été dévorées par les vautours.
N.B. D’autres croyances du même ordre devaient concerner les paysans, les artisans, et même les esclaves peut-être ; chacune de ces catégories d’hommes ou de femmes, suivant son appartenance sociale étant appelée à un destin funéraire particulier, celui qu’exigeait l’avenir de son âme/esprit.
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DÉONTOLOGIE DU MÉTIER DE MILITAIRE PROFESSIONNEL.
Luc III, 14. Des soldats aussi lui demandèrent : et nous, que devons-nous faire? Il leur répondit : ne commettez ni extorsion ni fraude envers personne, et contentez-vous de votre solde.
Les druides de jadis avaient été plus clairs. Notons pour commencer que…
La société celtique antique était divisée en classes dont les druides ne formaient que la première. La deuxième par ordre d’importance était l’aristocratie guerrière, dont étaient issus les rois et les seigneurs. Cette classe avait vraisemblablement un paradigme éthique certes lié au paradigme plus général des druides, mais néanmoins distinct, car conçu pour coller au mieux au rôle spécifique des guerriers.
ANCIEN DRUIDISME DONC. Deuxième classe sociale = les seigneurs et les chevaliers : la classe noble des guerriers.
Le kission est la branche de la morale druidique regroupant les réflexions destinées à aider différents individus en particulier à accéder plus rapidement à l’autre monde ; en développant chez eux le sens du sacrifice (guerrier ascète), mais aussi la pratique des arts martiaux (clessa, riastrade, fergio, extases, etc.)
La meilleure définition de l’éthique des berserkr celtes appelés vercingets, est peut-être encore celle qui nous a été fournie par le druide irlandais Catubatuos, à propos du hésus Cuchulainn enfant.
« Il leur a dit que le nom de tout jeune qui prendrait les armes pour la première fois ce jour-là, serait le plus glorieux de tous les hommes de la verte Erin, et qu’il n’en résulterait pour lui aucun inconvénient, hormis que sa vie serait par contre éphémère et brève.
“Et c’est bien vrai en ce qui me concerne », confirma Catubatuos/Cathbad ; « tu seras effectivement illustre et renommé, mais sans longévité aucune, très vite parti au contraire ! »
Peu m’importe ! s’exclama le petit Hesus Cuchulainn, de ne vivre qu’un seul jour voire une seule nuit, si mon histoire et celle de mes hauts faits doit perdurer très longtemps après moi ».
« Je n’attendrai certes pas, car ma vie et mes triomphes sont arrivés à leur terme ; je ne sacrifierai pas mon renom et mes vertus guerrières pour les vains mensonges de ce monde, considérant que depuis le jour où j’ai eu les armes d’un guerrier en main je n’ai jamais fui un combat ou une bataille. Et maintenant donc plus que jamais, car ma gloire sera moins éphémère que ma vie ».
Comme le lui avait appris son maître Sencha (« un grand peuple ne viole jamais les règles du franc-jeu avec un inconnu ») ; Setanta Cuchulainn en effet ne violait jamais le Fir Fer, ne tuait ni les cochers, ni les messagers, ni les gens sans arme ; et il ne lui semblait ni noble ni beau de prendre les chevaux, les vêtements, ou les armes, des hommes abattus (autrement dit de les dépouiller. Voir la légende de l’enlèvement des bœufs de Cooley).
Les « trois péchés » du guerrier donc…
La lâcheté (notamment devant la mort, contraire au comportement « en homme »).
La cupidité (plus particulièrement l’accaparement personnel du butin, dont les lois réservaient la majeure partie au teutates ou dieu-ou-démon tutélaire de la touta. Rôle occupé par le prophète Mahomet dans l’islam). Subsidiairement, la jalousie et l’avarice.
La « luxure » : oui au « repos du guerrier », non à la débauche à effet débilitant.
Par antinomie, la hiérarchie des devoirs de cette classe sociale dictait les priorités suivantes.
Être courageux physiquement et prêt au sacrifice de sa vie.
Honorer les dieu-ou-démons se traduisait surtout et concrètement pour un guerrier par le fait de leur offrir des monceaux de butin.
Être généreux : ceci était particulièrement impératif pour les rois (riges) et les seigneurs (tigernoi), et par extension être hospitalier.
Préserver sa forme physique.
Venaient ensuite, mais au second plan seulement, les devoirs de quête de la vérité ainsi que les autres valeurs éthiques de nature intellectuelle.
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Pour obtenir la grande science qui illumine et devenir un anatiomaros (grand initié) pouvant déjà mettre un pied dans le Pariollon (= le Parinirvana du bouddhisme) plus rapidement que les autres ; l’homme de tempérament guerrier doit se livrer corps et âme à différents arts martiaux comme l’iaïdo. Il peut ainsi arriver à progressivement éliminer de son esprit toute trace de colère, de haine, d’envie, ou d’autres passions humaines de ce genre. Ce « vidage » de l’esprit peut d’ailleurs aller plus loin. Il obtiendra ainsi la sérénité ainsi que la concentration, qui rendront sa vision intérieure plus aiguë, et une telle activité mentale pourra faire renaître son âme/esprit en tant que dieu-ou-démon dans l’un des mondes autres que le nôtre. La destinée de l’Homme est de tendre vers sa propre divinisation et de devenir un dieu-ou-démon parmi les dieu-ou-démons, que ce soit ici-bas ou dans l’autre monde. Là il vivra très longtemps pour finalement se dissoudre dans le Pariollon, le grand tout appelé Parinirvana par les bouddhistes. Pour plus de détails, se reporter à nos autres opuscules sur le sujet, notamment à celui qui est consacré aux arts martiaux celtiques. Il aborde plus précisément la mise en pratique dans la vie quotidienne des principes qui dirigent les mécanismes du bitos ou univers et la transmission de la lumière divine (énergie cosmique) ; l’art spirituel ayant pour but la fusion de l’âme individuelle dans l’âme collective ou dans le réservoir psychique universel appelé awenyddio.
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POUR COMPARAISON CI-DESSOUS LES VERTUS CHEVALERESQUES REVUES ET CORRIGÉES PAR LE CHRISTIANISME.
Une fois entré en scène, l’élément religieux [chrétien] ne borna point ses effets à fortifier, dans le monde chevaleresque, l’esprit de corps. Il exerça également une puissante action sur la loi morale du groupe. Avant que le futur chevalier ne reprît son épée sur l’autel, un serment lui était ordinairement demandé, qui précisait ses obligations. Tous les adoubés ne le prêtaient point, puisqu’ils ne faisaient pas tous bénir leurs armes. Mais, avec Jean de Salisbury, les écrivains d’Église estimaient volontiers que, par une sorte de quasi-contrat, ceux-là mêmes qui ne l’avaient point prononcé des lèvres s’y étaient « tacitement » soumis, par le seul fait d’avoir accepté la chevalerie. Peu à peu les règles ainsi formulées pénétrèrent dans d’autres textes : d’abord, dans les prières, souvent fort belles, qui scandaient le déroulement de la cérémonie ; plus tard, avec d’inévitables variantes, dans divers écrits en langue profane. Tel, peu après 1180, un passage célèbre du Perceval de Chrétien de Troyes. Puis ce furent, au siècle suivant, quelques pages du roman en prose de Lancelot ; dans le Minnesang allemand, une pièce du « Meissner » ; enfin et surtout, le petit poème didactique intitulé « L’Ordination dans la chevalerie » (en vieux français L’Ordene de Chevalerie). Cet opuscule eut un vif succès. Bientôt paraphrasé en une « couronne » de sonnets italiens, imité, en Catalogne, par Raimon Lull, il ouvrit la voie par conséquent à une foisonnante littérature…
Pour mémoire les devoirs du monarque idéal dans la Compert Con Culainn : Am túalaing mo daltai. Am dín cech dochraite. Dogníu dochur cech tríuin, dogníu sochur cech lobair…. être le fléau des forts le défenseur des faibles (Fergus).
Conclusion.
Loyauté : Le chevalier devait toujours être loyal envers ses compagnons d'armes. Que ce soit pour la chasse ou pour traquer un ennemi, le chevalier doit être présent au combat jusqu'à la fin avec ses compagnons, prêt à les aider en tout temps avec vaillance.
Prouesse : Le chevalier devait être preux et posséder une grande vigueur musculaire. La force de l'âme était aussi très importante afin de combattre les redoutables adversaires qu'il rencontrerait lors de ses quêtes. Il devait les combattre pour le service de la justice et non par vengeance personnelle.
Sagesse et Mesure : Le chevalier devait être sage et sensé afin d'empêcher la chevalerie de basculer dans la sauvagerie et le désordre. Le chevalier devait avoir le contrôle sur sa colère, sa haine. Il devait rester maître de lui-même en tout temps. Les échecs étaient donc de mise pour le chevalier afin d'exercer l'agilité intellectuelle et la réflexion calme.
Largesse et Courtoisie : Un noble chevalier devait partager autant de richesses qu'il possédait avec amis et paysans sous son aile. Lorsqu'il se rendait à la cour, il devait faire preuve de courtoisie. Il s'efforçait de se faire aimer par sa dame en faisant preuve devant elle toutes ses prouesses. Il devait aussi la servir fidèlement. La noblesse purifiait en quelque sorte l'âme du chevalier.
Justice : Le chevalier doit toujours choisir le droit chemin sans être encombré par des intérêts personnels. La justice par l'épée peut être horrible, l'humilité ainsi que la pitié doivent donc tempérer la justice du chevalier.
Défense : Un chevalier se doit de défendre son seigneur et ceux qui dépendent de lui. Il doit toujours défendre sa nation, sa famille et ceux en qui donc il croit, fermement et loyalement.
Courage : Un chevalier se doit de choisir le chemin le plus difficile et non le chemin guidé par ses intérêts personnels. Il doit être prêt à faire des sacrifices. Il doit être à la recherche de l'ultime vérité et de la justice adoucie par la pitié.
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Humilité : Le chevalier ne doit pas se vanter de ses exploits, mais plutôt laisser les autres le faire pour lui. Il doit raconter les exploits des autres avant les siennes afin de leur donner le renom qu’il mérite lui-même.
Franchise : Le chevalier devait parler le plus sincèrement possible.
Dans sa fraîcheur, pourtant, cet idéal n’avait pas été sans vie. Il se superposait aux règles de conduite dès auparavant dégagées par la spontanéité des consciences de classe : code de fidélité des vassaux — la transition apparaît clairement, vers la fin du XIe siècle, dans le Livre de la Vie chrétienne de l’évêque Bonizon de Sutri, pour qui le chevalier, visiblement, est encore, avant tout, un vassal fieffé). À ces morales mondaines, le nouveau décalogue emprunta les principes les plus acceptables pour une pensée religieuse : largesse, poursuite de la gloire, le « los » ; mépris du repos, de la souffrance et de la mort. « Celui-là », dit le poète allemand Thomasin, « ne veut pas faire métier de chevalier qui ne veut vivre que dans le confort ». Mais c’était en colorant ces normes mêmes de teintes chrétiennes ; et, plus encore, en nettoyant le bagage traditionnel des éléments de nature très profane qui y avaient tenu et, en pratique, continuaient d’y tenir une si large place : ces scories qui, sur les lèvres de tant de rigoristes, depuis saint Anselme jusqu’à saint Bernard, avaient donné le vieux jeu de mots, tout gonflés du mépris du clerc pour le siècle, non militia, sed malitia . « Chevalerie égale mal et méchanceté »…
Mais l’Église, en lui assignant une tâche idéale, acheva de légitimer l’existence de cet « ordre » des guerriers qui, conçu comme une des divisions nécessaires d’une société bien policée, s’identifiait de plus en plus avec la collectivité des chevaliers adoubés : « Ô, Dieu, qui après la chute, as constitué dans la nature entière trois degrés parmi les hommes », lit-on dans une de ces prières de la liturgie bisontine. C’était en même temps fournir à cette classe la justification d’une suprématie sociale, dès longtemps ressentie en fait. Des chevaliers, le très orthodoxe Ordene de Chevalerie ne dit-il pas qu’il convient de les honorer pardessus tous les autres hommes, prêtre excepté ? (Marc Bloch. La société féodale).
Mais c’est évidemment dans le Perceval de Chrétien de Troyes que le sujet sera le plus développé (dans les conseils donnés à Perceval par la Dame du Lac sa mère adoptive puis en résumé par le vieux chevalier son mentor l’ayant adoubé, Gornemant de Goort.
Le gentilhomme prit alors l’épée puis la fixa à la taille du garçon et l’embrassa en lui disant qu’il lui conférait ainsi la plus haute distinction que Dieu ait jamais créée, à savoir l'ordre de la chevalerie. Les chevaliers, lui déclara-t-il, ont prêté serment d’être des hommes d’honneur. Et il ajouta : « Mon frère, souviens-toi, chaque fois que tu engageras le combat contre un autre chevalier, fais exactement ce que je te dis maintenant. Si tu l’emportes et que l’autre ne peut plus se défendre pour continuer le combat et qu’il est contraint de te demander grâce, ne le tue pas délibérément. Tu ne dois pas non plus trop parler ou bavarder. Car celui qui parle trop est sûr de dire quelque chose qu’un autre trouvera offensant. Les sages n’arrêtent pas de dire que « trop parler est un péché ». Et donc, mon bon frère, je te demande si tu rencontres une fille ou une femme, célibataire ou mariée, ayant besoin d’aide et de conseil, de les lui fournir. Les femmes méritent notre aide, si tu sais ce qu’il faut faire et si tu en es capable, fais-le. Et laisse-moi t’enseigner encore ceci, écoute-moi bien, car ces mots méritent toute ton attention. N’oublie pas d’aller à l’église et de prier notre créateur qu’il t’accorde le salut de ton âme ».
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ILLUSTRATION : LES CONSEILS DE LA FÉE MÉLUSINE À SES FILS.
Conseils donnés à ses enfants par la princesse des vouivres anguipèdes gigantesques continentale (andernas sur le Continent, fomore en irlandais) appelée Mélusine. Antoine porte sur la joue une griffe (ou une patte) de lion, il deviendra duc de Luxembourg. Regnault n'a qu'un seul œil, il deviendra roi de Bohème.
LANGUE D’ORIGINE : VIEUX FRANÇAIS ET VIEIL ANGLAIS.
Puis Mélusine manda Antoine et Regnault, ses deux fils et leur parla ainsi : « Mes enfants, vous allez maintenant quitter mon seigneur votre père ainsi que moi-même et nous ne vous reverrons peut-être jamais. C’est pourquoi je vais vous enseigner et vous introduire pour votre plus grand bien et honneur. Et je vous prie de bien comprendre et retenir ce que je dirai, car cela vous sera nécessaire le temps venu. Tout d’abord, vous aimerez et louerez Dieu notre créateur ; vous observerez fermement, justement, et avec ferveur, les commandements de notre mère la Sainte Église et vous resterez dans notre foi catholique. Soyez humbles et courtois envers les bonnes gens, féroces et durs envers les méchants et les mauvaises gens, ayez toujours un mot gentil tant pour les grands que les petits, faites la conversation avec tout le monde le moment venu, sans mauvaise grâce. Ne promettez rien ne faites rien miroiter que vous ne puissiez rapidement mettre à exécution en fonction de vos moyens ; n’attirez pas à vous eux qui rapportent et ne croyez rien à la légère, car ça transforme parfois les amis en ennemis mortels ; ne confiez pas vos offices à des avares, ne fréquentez pas la femme d’un autre, partagez ou donnez à vos compagnons ce que Dieu vous donnera ; soyez doux et gracieux envers vos sujets, mais envers vos ennemis féroces et intraitables jusqu’à ce qu’ils soient soumis et en votre pouvoir ; gardez-vous bien de vous vanter ou de menacer, mais dites votre fait en peu de mots si cela se peut. Ne méprisez aucun ennemi, même s’il semble petit, mais surveillez le bien et soyez toujours sur votre garde. Ne soyez pas comme un maître au milieu de vos compagnons, mais comme un familier et honorez chacun en fonction de son rang et donnez-leur en fonction de vos moyens et après qu’ils l’aient mérité. Donnez aux hommes de bien armes chevaux armures et argent, autant que la raison le demande. Maintenant mes enfants je ne sais plus ce que je pourrais vous dire de plus sauf de toujours respecter la vérité dans toutes vos affaires. Tenez ! Je donne à chacun de vous un anneau d’or dont les pierres possèdent une vertu. À savoir qu’aussi longtemps que votre cause sera juste, vous ne serez jamais déconfits dans une bataille (Jean d’Arras).
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DÉONTOLOGIES DE CEUX QUI NE SONT NI DRUIDES NI MILITAIRES.
Catégorie comprenant outre tous les « atectai », c’est-à-dire les « protégés », les agriculteurs, les pêcheurs, etc. cf. les shoudras en Inde, ainsi que les artisans « profanes ».
Pour cette classe sociale, la troisième, celle des producteurs, nous manquons d’éléments précis sinon de principes généraux.
L’’impératif « Honorer les dieux, ne rien faire de mal, et être un homme, un vrai » (cf. Diogène Laërce) devait bien évidemment figurer aussi en bonne place dans les obligations prioritaires du commun des mortels.
Cependant, vu leur fonction productive, le devoir numéro un devait être le Travail. Le travail et encore le travail.
L’homme pouvait très bien être buveur coureur de jupons ou assez couard, allergique aux entraînements guerriers ; si c’était un bon pêcheur ou un bon laboureur ou un bon boulanger, ça pouvait aller.
En d’autres termes on appliquait le principe si souvent à l’œuvre dans nos modernes sociétés et qu’on peut résumer ainsi : « peu importe que notre chirurgien soit infidèle à son épouse ou fraude le fisc si c’est un champion du bistouri ».
Le premier des principes généraux pour eux était donc de nourrir et de subvenir aux besoins des deux autres classes sociales : (le fait d’être un bon brogis ou briugu. (Le devoir de tout bon membre de la fonction productrice consiste évidemment à nourrir ceux qui en ont besoin, à loger, à vêtir.) Lug transcendant toutes les classes et toutes les fonctions, il est méritoire de suivre son exemple.
D’autres impératifs collectifs à l’usage de cette classe sociale (celle des Producteurs) devaient bien exister. Ils devaient sans doute consister en formules à l’emporte-pièce, probablement analogues aux modernes proverbes que nous connaissons.
Travail et Famille semblent avoir été les autres valeurs de base de cette classe productrice. On le voit en filigrane dans la plus ancienne législation de l’Irlande, typiquement celtique, de même que dans les vieux textes gallois. Ce sont en effet les deux conditions : l’alimentaire et la génétique, de la continuité de la Vie d’une Communauté. « La Vie et l’Amour appartiennent donc à la troisième fonction productrice ».
On rapporte à ce sujet [l’amour] une remarque pleine d’esprit ayant été faite par la femme d’Argentocoxos un Calédonien, à Julia Augusta. Alors que l’impératrice plaisantait avec elle, une fois le traité conclu, sur la liberté de mœurs des femmes dans leurs rapports avec les hommes en [Grande] Bretagne, elle répondit : « nous satisfaisons aux besoins de la nature d’une façon bien plus satisfaisante que vous les Romaines, car nous sortons ouvertement avec les meilleurs des hommes, alors que dans votre cas ce sont les plus vils qui vous débauchent en cachette ». Telle fut la répartie de cette [Grande] Bretonne (Dion Cassius. Livre LXXVII. Chapitre XVI.5).
On peut sans risque d’erreur considérer que le plus grand « péché » pour cette classe sociale devait être la paresse, facteur d’improductivité, avant même l’impiété, qui devait pourtant n’être pas loin derrière dans l’échelle des fautes.
N.B. Nous avons écrit chaque fois « péché » entre guillemets, car on sait que la notion de « péché » au sens chrétien du terme, dont ce mot est empreint dans notre langage actuel, n’existait pas dans la pensée druidique antique. La philologie nous le confirme avec l’absence dans les diverses langues celtiques de mots étymologiquement indépendants du vocable latin « peccatum » pour exprimer cette notion. Il y a par contre des mots ayant eu primitivement le sens de manquement, faute, méfait, transgression.
La sanction de ces manquements, ou transgressions, etc. était la HONTE (roudcia), et le REMORDS (aterecto) ici-bas, pour sûr ! Peut-être aussi, en cas de réparation absolutoire requise de la part du fautif et non accomplie avant son décès ; un effet négatif grevant son passage dans le monde parallèle appelé Vindomagos et entraînant parfois, de façon exceptionnelle, sa réincarnation comme bacuceos sur terre après un bref passage par une sorte de purgatoire situé entre les deux mondes. Comme bacuceos ou comme fantôme (seibaros, siabair/siabhradh en irlandais), échappé des glaces
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de l’avant-paradis (andumno ou anwn) ; illustrées par l’imagerie folklorique liée aux royaumes de Donn (Donnotegia) de Tethra ou d’Arawn.
Mais répétons-le, la réincarnation sur Terre n’était pas une règle générale, mais une exception rarissime. La règle générale était la réincarnation dans un autre monde parallèle de nature paradisiaque ; où l’âme/esprit pouvait en toute sérénité achever de se purifier.
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DADAMI SE DEHI ME : LA LOI D’OR DE LA RÉCIPROCITÉ.
Dans les relations économiques, l’éthique de réciprocité désigne le principe positif selon lequel les transactions de biens ou de services doivent correspondre à l’échange de valeurs à peu près équivalentes.
Nous assistons actuellement à l’ultime effort de certains groupes d’individus (journalistes, intellectuels, hommes politiques et ainsi de suite) pour éliminer entièrement toute forme de don et faire en sorte que tout soit contrôlé ; que tout soit produit, que rien ne soit gratuit, et que triomphe ainsi l’homo œconomicus.
Une telle attitude a des racines très profondes. Elle ne date pas d’hier. Ordinairement on la fait remonter à Smith ; à quelques siècles. On peut néanmoins se demander si ce n’est pas là l’aboutissement ultime d’un processus beaucoup plus long, dont les germes sont dans le néolithique ; soit au moment où l’espèce humaine s’est mise à produire elle-même, au lieu de recevoir ce que la nature lui offrait, lui donnait. Les chasseurs-cueilleurs, comme disent les anthropologues, ceux qui nous ont appris que l’Humanité a vécu de cette manière pendant des dizaines de milliers d’années, avant de se mettre à cultiver eux-mêmes leurs légumes et à faire de l’élevage (néolithique).
Dans la Bible, la Genèse, il n’y a pas de chasseurs-cueilleurs, sauf Adam et Ève. Une seule génération, la première. Ils sont heureux. Ils sont au paradis. Mais leur faute condamne l’Humanité à produire, à ne plus se fier à personne : ni à son frère ni à la nature. Leurs enfants, Caïn et Abel, cultiveront la terre et feront de l’élevage. Ils ne se fient déjà plus entièrement aux dons de la nature. Ils sont condamnés à travailler. C’est le fondement de la philosophie de la production et du contrôle. Entre ces premiers éleveurs et cultivateurs (Caïn et Abel) et les procès que le président de Monsanto intente aujourd’hui à un cultivateur de l’Ouest canadien ou à une petite entreprise de l’État du Maine ; il y a une filiation directe, il y a une logique similaire. Monsanto nous dit : « c’est vraiment fini, les dons de la nature, il faut produire même les semences, et les acheter à Monsanto chaque année, les semences produites étant stériles ; c’est un continuum qui a pour principe : ne pas se fier au don de la nature, au contraire la dominer pour qu’elle produise, et produire nous-mêmes, on n’est jamais mieux servi que par soi-même, et par Monsanto ». Interdire tout don ? Bientôt la vie humaine elle-même ne sera plus un don, elle sera aussi produite en laboratoire, in vitro… selon les spécifications des parents, devenus des acheteurs d’enfants ».
D’après Adam Smith, « dans presque toutes les espèces animales, chaque individu parvenu à sa pleine croissance est tout à fait indépendant et, tant qu’il reste dans son état naturel, il peut se passer de l’aide de toute autre créature vivante. Mais l’homme a presque continuellement besoin de ses semblables, et c’est en vain qu’il l’attendrait de leur seule bienveillance. Il sera bien plus sûr de réussir s’il s’adresse à leur intérêt personnel et s’il les persuade que leur propre avantage leur commande de faire ce qu’il souhaite d’eux. C’est ce que fait celui qui propose à un autre un marché quelconque ; le sens de sa proposition est ceci : « Donnez-moi ce dont j’ai besoin, et vous aurez de moi ce dont vous avez besoin vous-même » ; la plus grande partie de ces bons offices qui nous sont nécessaires s’obtient de cette façon. Ce n’est pas de la pitié ou compassion du boucher, ou du boulanger, que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme ; et ce n’est jamais de nos besoins que nous leur parlons, c’est toujours de leur avantage… Comme c’est ainsi par traité, par troc, et par achat, que nous obtenons des autres la plupart des bons offices qui nous sont mutuellement nécessaires ; c’est cette même disposition à échanger qui a dès l’origine donné lieu à la division du travail. Par exemple, dans une tribu de chasseurs ou d’éleveurs, si un individu fait des arcs et des flèches avec plus de célérité ou d’adresse qu’un autre. Il troquera fréquemment ces objets avec ses compagnons contre du bétail ou du gibier ; ensuite il ne tardera guère à s’apercevoir que, par ce moyen, il peut se procurer plus de bétail et de gibier que s’il allait lui-même à la chasse. Par intérêt donc, il fera de la fabrication des arcs et des flèches sa principale activité, et le voilà devenu ainsi une espèce d’armurier. Un autre excelle à bâtir et à couvrir les huttes ou abris provisoires ; ses voisins prennent l’habitude de l’employer à cette besogne, et de lui donner en récompense du bétail ou du gibier ; de sorte qu’à la fin, il trouve qu’il est de son intérêt de s’adonner à cette besogne exclusivement et de se faire en quelque sorte charpentier ou maçon. Un troisième devient de la même manière forgeron ou chaudronnier, un quatrième est le tanneur ou le corroyeur des peaux et des cuirs » (cf. Adam Smith : Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. Chapitre II. Du principe à l’origine de la division du travail).
Mais dans quelle partie du monde, se rencontre-t-il une communauté de chasseurs troquant leur arc ? Partout l’arc vit et meurt avec son propriétaire, ou se transmet de père en fils, voire d’oncle à neveu.
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Adam Smith est-il plus heureux avec l’exemple des bâtisseurs et couvreurs de huttes ? Dans les communautés villageoises d’autrefois, en Écosse, sous le régime des clans, chaque habitant pouvait compter sur tous les autres : les travaux d’importance, qui risquaient de durer beaucoup de temps, rassemblaient tous les hommes valides pour bâtir, voire cultiver. Comme les compagnons de guerre se jurent assistance et fidélité en toutes circonstances, chez eux comme à l’étranger, les habitants du même village concluaient un pacte tacite par une telle coopération.
L’exemple du couvreur de toit sert donc bien davantage la thèse « écossaise » des clans que la thèse « anglaise » de l’intérêt individuel.
On pourrait continuer ainsi, car être forgeron en terre celte est un statut qui met en relation avec le sacré ou le surnaturel, pas une simple activité de mercanti.
Et si l’on allait plus loin, l’exemple même du travail des peaux pour confectionner des vêtements contre le froid serait tout aussi peu concluant pour Adam Smith.
Passons au feu de l’épreuve la notion d’intérêt, ou de recherche individuelle de l’utile. Celle-là non plus ne se présente pas comme elle fonctionne dans notre esprit à nous hommes d’aujourd’hui. Si quelque motif équivalent anime chefs trobriandais ou américains, clans andamans, etc., ou animait autrefois généreux Hindous, nobles Germains et Celtes, dans leurs dons et dépenses, ce n’est pas la froide raison du marchand, du banquier, ou du capitaliste. Dans ces civilisations, on était aussi intéressé, certes, mais d’une autre façon qu’aujourd’hui. On thésaurise, mais pour dépenser, pour « obliger », pour avoir des « hommes liges ». On échange, mais ce sont surtout des produits de luxe, des ornements, des vêtements, ou ce sont des choses immédiatement consommées : des festins. On rend avec usure, mais c’est pour humilier le premier donateur ou échangiste, et pas seulement pour le récompenser de la perte que lui cause une « consommation différée ». Il y a intérêt, mais cet intérêt n’est qu’analogue à celui qui guide les hommes de notre temps.
Karl Marx d’ailleurs dans ses Grundgrisse de 1857 ne se privait pas d’ironiser à ce propos. « Le chasseur ou le pêcheur individuel et isolé, par lequel commencent Smith et Ricardo, fait partie des plates fictions à la Robinson Crusoé, du XVIIIe siècle… » Il s’agit, en réalité, d’une anticipation de la société bourgeoise, dit-il, dès la première page de son Introduction à l’Économie politique » qui se préparait depuis le XVIe siècle et qui, au XVIIIe, marchait à pas de géant vers sa maturité. Dans cette société où règne la libre concurrence, l’individu apparaît détaché des liens naturels, qui font de lui, à des époques antérieures, un élément d’une société humaine bien précise.
Pour les prophètes du XVIIIe siècle — Smith et Ricardo se situent encore complètement sur leurs positions — cet individu du XVIIIe siècle - produit d’une part, de la décomposition des formes de société féodales, d’autre part des forces de production nouvelles qui se sont développées depuis le XVIe siècle ; apparaît comme un idéal, qui aurait donc existé dans le passé. Ils ne voient en lui aucunement un aboutissement historique, mais le point de départ de l’Histoire ; parce qu’ils considèrent cet individu comme quelque chose de naturel, conforme à leur conception de la nature humaine ; non comme un produit de l’Histoire, mais comme une donnée de la nature. Cette illusion a été jusqu’à présent partagée par toutes les époques ».
Et elle constitue d’ailleurs toujours l’idéologie dominante de nos pseudo-intellectuels (journalistes, politiciens, ou autres) ! Même la découverte de l’antagonisme de l’économie de toutes les sociétés du monde, et de l’économie de la société occidentale, par Mauss, au début du vingtième siècle, n’a pu la modifier.
Il n’y a pas lieu de discuter plus longuement l’avis intéressé d’Adam Smith : il décrit la société qui est la sienne, celle de la classe bourgeoise dans l’Angleterre de son siècle. La théorie classique de l’Économie (d’Adam Smith) implique donc que l’intérêt individuel est le ressort de toute production, et justifie par conséquent que la puissance de chacun soit proportionnelle à sa richesse matérielle.
Pour les autres sociétés, comme la société celtique antique, c’était le principe de réciprocité qui était à l’origine de toute économie. Plus on avait le souci de l’autre, plus on acquérait d’autorité. Primitivement il n’y avait ni monnaie ni marché donc, et l’institution d’échanges purement commerciaux était inconnue, car le véritable capital, l’unité de référence dans les échanges et dans l’évaluation des « richesses », n’était autre que l’Homme lui-même. Il en résultait une totale identification de la richesse et du pouvoir politique : le « riche », c’était celui qui disposait du plus grand nombre possible de gens à son service et à ses ordres. L’économique et le politique s’interpénétraient.
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Dans le cas du libre-échange par contre, le plus favorisé s’enrichit au détriment du moins favorisé, contre la volonté de ce dernier. Au contraire, dans l’économie de réciprocité, le donateur contribue volontairement à l’enrichissement de l’échangiste tant qu’il le considère comme un autre donateur potentiel. On est là aux antipodes de l’échange où chacun cherche son intérêt : la réciprocité produit des valeurs éthiques ou spirituelles entre les partenaires.
D’après Dominique Temple, chercheur en sciences humaines spécialiste des Indiens d’Amérique du Sud, la réciprocité des dons et l’échange vont conduire à des principes de régulation économique différents : l’équivalence de réciprocité ou la loi de l’offre et de la demande.
Le principe d’équivalence signifie que la production de chacun s’adapte aux besoins de tous. Le partage est la pratique la plus commune pour définir la quantité que chacun doit à chacun. Sur les marchés de réciprocité, le partage cède la place à la réciprocité généralisée, chacun donnant à quelques partenaires alliés, mais aussi recevant d’autres partenaires. Deux sentiments prévalent dans la réciprocité généralisée : le sens des responsabilités ainsi que le sens de la justice.
Comme ce qui se doit et peut se donner, à chacun, varie selon les communautés, les équivalents de réciprocité varient également ; mais les communautés tendent à la réciprocité entre elles, et les équivalents de réciprocité les plus communs deviennent des références pour le marché : les monnaies de réciprocité. La valeur se traduit néanmoins en prestige, et puisque le prestige est proportionnel à la générosité du don, les donateurs les plus prestigieux seraient les plus démunis si le cycle ne se reproduisait sans cesse, les donataires investissant pour redonner davantage. C’est le principe même du potlatch. Toute interruption du cycle par l’accumulation privée détruit le système. Dans les communautés de réciprocité, celui qui accumule au détriment de la circulation des dons peut être considéré non seulement comme un voleur, mais aussi comme un criminel. Dans les sociétés non occidentales, la réciprocité est le ressort le plus important de la circulation et de la production de biens. Dans la réciprocité, chacun tente de mettre la meilleure production à la portée d’autrui.
Sur le haut plateau des Andes, on raconte l’histoire d’une jeune fille qui portait ses œufs au marché local. Les partenaires habituels de son commerce les revendaient à la capitale. À la suggestion que lui fit un économiste occidental de tout vendre directement à bien meilleur prix à une entreprise commerciale de la capitale, elle répondit : « Voulez-vous que personne ne me reconnaisse ? »
La raison de la réciprocité apparaît clairement : elle crée les valeurs éthiques d’où émerge le sujet. Au premier rang des valeurs produites, la reconnaissance sociale, mais aussi l’amitié. On citera également ces femmes du Sénégal qui vendent sur le marché le poisson pêché par les hommes. Comme l’une d’entre elles bénéficiait de la pêche de nombreux fils, et se trouvait ainsi avantagée, des économistes européens lui firent remarquer qu’elle pourrait investir aisément dans un bateau de plus gros tonnage ; ce à quoi elle répondit qu’elle mettrait ainsi les autres pêcheurs en difficulté, voire qu’elle perdrait ses amis. C’est une réponse que l’on entend souvent sur les marchés de réciprocité.
Au premier rang des valeurs produites par la réciprocité, on doit cependant mettre aussi le sentiment de justice : dans les manifestations populaires contre la pauvreté, on trouve souvent la revendication, suivante : « Nous voulons un juste prix ». Le prix juste ne fait allusion à aucune revendication de salaire vis-à-vis du patronat ou de l’État. Le prix juste est le prix que l’on peut trouver équitable, et non le prix imposé par celui qui est en position de force. Il est donc déterminé par le principe d’équivalence et non par la loi de l’offre et de la demande. La revendication du prix juste est celle d’une réciprocité généralisée.
Néanmoins, la recherche du prix juste se heurte aujourd’hui à un paradoxe. L’efficacité de la technique mise au service du système capitaliste par la science, et l’efficacité de l’accumulation du capital ; conduisent à ce que le prix de revient d’une production motivée par le profit puisse être inférieur au prix de revient d’une production identique dans un système de réciprocité : exemple, le poulet surgelé venant de l’autre bout du monde vendu moins cher au Sénégal que le poulet des élevages familiaux environnants. Ce paradoxe décourage donc la production locale. Tout l’enjeu de l’économie de réciprocité dans ce cas est d’affirmer la nécessité de valeurs éthiques universelles, et de négocier une interface entre les deux marchés ; une interface entre les territorialités respectives du libre-échange et de la réciprocité ; en fonction des valeurs que la société désire mettre en avant.
Les marchés des Andes sont typiques à cet égard, qui sont parfois divisés en plusieurs quartiers où se pratiquent dans l’un, la vente contre argent comptant, dans l’autre, don et réciprocité ; ce qu’illustre bien le fait qu’un marchand doit même changer de costume lorsqu’il change de quartier ; ici, vêtu à l’occidentale pour la vente, et là de son poncho traditionnel pour la réciprocité…
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Mais la loi de l’équilibre de l’offre et de la demande ne joue-t-elle pas de façon à faire baisser les prix, et le libre-échange, pourvu qu’il soit concurrentiel, n’a-t-il pas le même résultat que la réciprocité des dons ?
Or on s’aperçoit que le résultat n’est pas identique lorsque les deux systèmes sont articulés l’un sur l’autre.
D’un côté, le libre échange délivre tout un chacun des sujétions à l’honneur, au prestige et au sacré. D’un autre côté, il contraint à faire fonctionner l’économie utilitariste aussi bien que possible.
Le danger de la réduction de la raison à la raison utilitaire, et du travail humain au travail de la machine, réside également dans ceci : la force brute, le totalitarisme, la discrimination sociale. Dans l’économie de libre-échange, l’enjeu est de vendre, le plus cher possible, pour autant que le permet la concurrence, une production obtenue au moindre coût.
Mais cette réduction n’est pas une fatalité. Elle est un choix. Ou bien les hommes décident de capitaliser les bénéfices de la réciprocité des dons à leur seul profit, et c’est le libre-échange, ou bien ils décident de reproduire la réciprocité des dons pour créer davantage de valeur humaine. Cette alternative existe partout dès l’origine : libre-échange ou réciprocité. Il est toujours possible de sortir du champ du libre-échange pour entrer dans celui de la réciprocité du don, ou l’inverse.
Les structures élémentaires de réciprocité peuvent se combiner pour former des systèmes complexes, rendant possibles d’autres économies, d’autres sociétés, peut-être celles de demain, au regard desquelles le capitalisme apparaîtra comme un système archaïque.
Grâce à internet, nous participons déjà tous plus ou moins à la création du réseau mondial de l’information immatérielle, parole de tous adressée à tous et disponible pour tous, de façon permanente et gracieuse. Cette gratuité de la parole de chacun à tous, et de tous pour chacun, est une forme moderne de la réciprocité symétrique. La réciprocité devient alors cette noosphère qu’avait imaginée Teilhard de Chardin, un halo de lumière spirituelle, et de valeurs éthiques, halo pour l’instant unique entre tous (d’après Dominique Temple, chercheur en sciences humaines).
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HISTOIRE DE L’ARGENT.
Pourquoi vouloir s'interroger sur l'argent d'un point de vue éthique druidique ? L'argent n'est-il pas une bonne chose ? N'est-il pas un moyen de paiement qui facilite grandement les échanges puisqu'il permet à tout un chacun d'acheter ce qu'il désire ? En cela, l'échange monétaire apparaît bien préférable à un régime de troc qui impose des contraintes fortes sur les modalités de l'échange. L'argent n'a-t-il pas aussi permis l'émergence de l'État moderne ? Sans argent, pas d'administration centrale, pas de fonctionnaires.
Il serait cependant erroné de s'arrêter à ces considérations pour en conclure que l'argent pourrait échapper à la réflexion morale. En réalité, l'argent n'est pas subordonné à sa simple fin utilitaire. Il exprime autre chose que le but qui lui est assigné. L'argent est plus qu’instrument neutre dans l'évaluation des choses. Il est un instrument dont la puissance peut asservir celui qui pourtant s'en croit maître. L'argent, contrairement à ce qu'enseigne la théorie économique standard, n'est pas neutre. Il affecte non seulement l'économie des désirs individuels, mais aussi le fonctionnement général des échanges sociaux.
Aujourd’hui, l’argent est le moyen par lequel s’exprime la valeur de toutes les marchandises destinées à être échangées sur le marché. Il contribue indubitablement à faciliter le commerce des biens et services, quelle qu’en soit l’utilité sur les plans social, écologique, spirituel ou moral. Or l’argent, sous cette forme, était inconnu des sociétés antiques, et notamment celtiques. Les premières pièces de monnaie font leur apparition seulement au 6e siècle avant notre ère avec Marseille. Plus tard, les monnaies d'or provenant du monde grec seront introduites par les mercenaires celtes revenus au pays (notamment les statères de Philippe II de Macédoine frappés entre 359 et 336 avant notre ère) et seront abondamment imitées.
Avant cette époque et depuis les temps préhistoriques, les hommes comptent et échangent leurs biens. Mais pour ce faire, les formes premières de la monnaie furent des plus variées, car chaque groupe humain se dota d'un étalon susceptible d'être crédible et accepté par tous.
Matières naturelles : la pierre, le sel qui sert à payer les légionnaires romains (c'est l'origine du mot salaire), l'ambre, les pierres précieuses.
Produits agricoles, d'élevage ou de cueillette. Troc et bétail bovin ou ovin ont certainement pendant longtemps suffi à satisfaire les impératifs d’échange de sociétés au départ peu commerçantes. Bétail (tel le bœuf dans le monde indo-européen d'où découle le latin pecus ou le sanskrit rupa (à l'origine du mot roupie), grain de blé, graine de cacao, grain de poivre, feuille de tabac, peau de bêtes, morue séchée, feuilles de thé, etc.
Produits artisanaux : pagne (Égypte, Afrique), verroterie (perle « œil de chat » du Sénégal en Afrique), couteaux (Chine), araires (Chine), haches métalliques (Chine, pays celtiques), hachoirs (peuples précolombiens), tissu (Égypte, Amérique du Sud et du Nord, Afrique), anneaux (Égypte), trépieds métalliques (Grèce), fer martelé (Guindja d'Afrique centrale), alcool (Amérique), fusils (Amérique), coquillages (tels les cauris) ou objets symboliques tels que les « haches à douille » de la fin de l'âge du bronze découvertes en Bretagne, etc.
Êtres humains : esclaves.
Il n’est guère possible de situer avec précision dans le temps ni dans l’espace, l’invention de la monnaie telle que nous la connaissons actuellement. La révolution néolithique a dû contribuer fortement à l’essor de la monnaie afin de surmonter les multiples difficultés du troc. Mais les origines de la monnaie sont aussi indissociables des échanges sociaux et rituels.
Les coquillages de l’île de Rossel, les brassards en coquillages utilisés dans le système d’échanges décrit par Marcel Mauss et Bronislaw Malinowski ; les cuivres (grands disques de cuivre à usage cérémoniel) employés par les chefs indiens de la côte nord-ouest lors du potlatch ; ne sont peut-être pas pratiques, ne sont peut-être pas faciles à transporter, ni divisibles ; mais, comme le souligne Dalton, ils ne sont pas non plus de simples moyens d’échange commercial. Il faut plutôt y voir les pièces d’un trésor ou des bijoux de famille, des joyaux de la couronne ou des trophées sportifs. Ces trésors jouent un rôle particulier en tant que monnaie non commerciale. Leur acquisition et leur usage sont soigneusement codifiés, mais aussi considérés comme des événements extrêmement importants ; ils changent de mains en fonction de règles particulières, au cours de transactions à fortes implications morales. Ils sont souvent utilisés pour nouer de nouvelles relations sociales (mariage, admission dans des sociétés secrètes), empêcher la rupture de relations existantes (prix du sang,
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dédommagement des parents de la victime) ou pour conserver ou élever son rang social (potlatch). Tout cela fait penser au rôle joué par les torques dans la société celtique.
Dans certaines régions, il a fallu attendre le XXe siècle pour voir disparaître ces formes primitives de monnaie. Ce fut notamment le cas des manilles (colliers d’esclaves), des sortes de torques comme chez les Celtes ; ou des coquillages dans certaines régions d’Afrique. Les coquillages de cauris ont été utilisés en Chine de – 1100 à + 1578 environ ; leur emploi s’est étendu au Ve siècle avant notre ère à l’Inde, puis dans tout le Pacifique. On en retrouve au début du XIVe siècle aux Maldives, d’où les commerçants arabes les ont exportés vers la côte Est de l’Afrique. Ils transitent ensuite par le Soudan jusqu’en Guinée, puis vers la Mauritanie et jusqu’aux Berbères de l’Atlas. Mais les kauris ont été utilisés avant tout en Afrique de l’Est, particulièrement à Zanzibar et en Éthiopie. Après 1870, les gouvernements des colonies ont cherché à les interdire en tant que monnaie. Mais les hommes les utilisaient toujours comme « menue monnaie » dans ce cas et ce n’est qu’en 1955 que les kauris disparurent totalement.
Les économistes modernes critiquent évidemment ce qu’ils considèrent comme le caractère irrationnel de cette monnaie primitive. Ils la jugent trop encombrante et difficile à manier ; pis encore pour eux, elle n’est pas divisible, par exemple en cent (imes).
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L’usage de différents métaux en lingots était déjà très connu en Méditerranée du Sud-Est et en Mésopotamie au seizième siècle avant notre ère. À partir de cette zone fut développé un système monétaire cohérent, basé sur le bœuf et sa contre-valeur en différents métaux (c'est-à-dire les « talents » d’or, d’argent, de cuivre, de bronze). Certains des lingots étaient coulés dans des moules dans la forme rappelait celle des cornes de bœuf. C’est probablement cette forme particulière qui a donné naissance au type cultuel et monétaire de la double hache, très habituel en Crète et à Chypre, mais rencontré également sur les territoires actuels de l’Allemagne, de la Suisse et la France. En Europe centrale et de l’Ouest, d’autres monnaies plus élémentaires étaient utilisées. Des lingots grossiers de cuivre, des morceaux de bronze de taille variable, évoluant au cours du temps vers des formes plus régulières (aboutissant à l’aes grave ou libralis, portant parfois l’image d’un bœuf).
Sur le continent européen et le sud de l’île de Bretagne, à la fin de l’âge du bronze, des haches moulées (habituellement en bronze, parfois même en plomb) servirent à des fins probablement cultuelles et monétaires. Elles n’ont en effet aucune qualité en tant qu’outil, et se retrouvent sous forme de trésors. Sur le continent, des faucilles de bronze remplissent très certainement des fonctions analogues.
Des rouelles de bronze, d’argent et d’or (voire même des bijoux) furent aussi utilisées comme monnaies sur l’ensemble du continent ainsi qu’en Grande-Bretagne.
Au nord de la Mer Noire et en Thrace, certains objets furent également utilisés à titre de monnaies : des pointes de flèche, des « clochettes », des anneaux variés.
L’idée de frapper des pièces en métal précieux est née autour de la mer Égée vers – 650 et l’on a retrouvé des pièces frappées à Sardes par Alyattès, qui régna sur la Lydie entre 610 et 560 avant notre ère.
Pour les peuples méditerranéens, les peuples celtes faisaient figure de « barbares », mais leur réputation guerrière et la qualité de leur armement faisaient d’eux des mercenaires très recherchés.
Dès le IVe siècle avant notre ère, on les retrouve donc dans les armées macédoniennes. Des troupes celtes entièrement organisées, mais aussi équipées, louent leurs services à tous les grands chefs de guerre du monde méditerranéen.
Payés en numéraire local, de retour dans leur pays, les Celtes commencèrent donc par contrefaire les espèces macédoniennes. Les premières monnaies qu’ils émettent furent toutes des copies, plus ou moins fidèles, de modèles macédoniens ou grecs. Les prototypes contrefaits les plus célèbres furent les statères d’or de Philippe II de Macédoine.
Ces imitations de style macédonien furent aussi contrefaites par d’autres peuples celtes à leur tour, et d’imitation en imitation, le style macédonien des statères s’estompa pour être remplacé par le style celte. Les druides durent alors jouer un rôle important dans l’émission de telles monnaies, dans le choix des motifs pouvant y figurer, ainsi que pour leur composition.
L’usage des pièces d’or ne s’en est pas pour autant banalisé. Rares et précieuses, elles étaient réservées aux chefs de clans qui les utilisaient pour régler la solde de leurs hommes, en faisaient
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l’offrande aux dieu-ou-démons ou les thésaurisaient en tant que symbole de pouvoir et de richesse. Les premières apparaissent vers – 450 (vers – 338 à Rome).
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Ne soyons pas bêtement utopistes ! Les biens produits doivent pouvoir circuler (négoce) et l’argent doit être investi là où il faut, mais gare à l’égoïsme ou au parasitisme, le marchand n’existerait pas sans le producteur. Le marin-pêcheur qui ramène tous les jours son quota de poissons est certainement plus utile à la société ; donc plus honorable, même s’il a les mains calleuses et sent mauvais ; que le cadre d’une grande entreprise coupable de délinquance en col blanc, ou de délit d’initié. Voir le scandale E.A.D.S. (Airbus) qui a défrayé la chronique en France en 2007 ; le dénommé Noël Forgeard et 800 autres cadres de cette grande entreprise européenne en difficulté qui vendirent des titres avant que le cours de la bourse ne s’effondre.
Les vrais Celtes de cœur ou d’esprit seront toujours là où se tient la véritable noblesse, celle du cœur ; autrement dit du côté des petits, des obscurs et des sans-grade, et contre les parasites de la Société, conformément à leur réputation depuis toujours.
« Ils prennent volontiers en main la cause de celui que l'on opprime. Ils ont en effet, au plus haut point, le sentiment de l’équité, du droit et de l’honneur. Ils ne peuvent souffrir que l’on manque à la foi jurée. La réputation de justice de certaines de leurs tribus comme les Volques Tectosages qui habitaient au-delà du Rhin s’étendait au loin. En Thrace, la sagesse de leur roi Cavaros lui valut d’être pris comme arbitre entre Byzance et les cités grecques voisines ».
Les révolutions bourgeoises et industrielles survenues en Occident au XVIIIe et au XIXe siècle, en réduisant significativement le rôle social des prêtres et en raccourcissant les prétentions des membres de la seconde fonction — les nobles — au point de les faire quasiment disparaître ; ont remis en cause la conception indo-européenne des trois fonctions. Ou du moins l’ont altéré, en partie ou totalement.
L’argent est devenu roi. Le triste exemple de la Poste française de la fin du 20e et du début du 21e est là pour nous montrer les dégâts qui peuvent être causés à une institution d’utilité publique ; quand elle passe entre les mains de cadres supérieurs à l’intelligence discutable et à la culture générale limitée ; mais sans scrupule envers leur personnel, et uniquement mus par le carriérisme.
La Poste française du début du XXIe siècle a été un bon exemple de prise du pouvoir par des médiocres à la mentalité de parvenu.
Il est vrai que la nation française elle-même avait cessé d’exister à la fin du XXe siècle (suicide ??) et avait été remplacée par une autre (ou par plusieurs autres) sur son territoire ; (la preuve, le nombre grandissant de jeunes Français partant faire leur djihad en Syrie) ; mais quand même !
Commentaire des élites intellectuelles ou journalistiques : « Bah, ce n’est que du folklore identitaire… et puis de toute façon l’intégration ce n’est pas bien, car cela revient à nier l’identité des individus, etc. ! ».
Donc si nous comprenons comme il faut, l'assimilation, c’est l’horreur absolue, le camp nazi, mais l’intégration aussi !
N.B. L’honnêteté intellectuelle nous oblige néanmoins à reconnaître que la partie de l’élite constituée par les hommes politiques, sur le coup, a presque unanimement, refusé de banaliser un tel outrage à l’hymne national. Mais revenons à nos moutons !
Il nous faut donc impérativement remettre l’argent à sa place. Une unité de mesure permettant de comparer des biens et des services, en leur octroyant une valeur (sans unité commune de mesure, le commerce ne peut se baser que sur l’échange des biens et services).
Il n’y a pas si longtemps dans l’histoire humaine qu’est née la monnaie telle que nous la concevons couramment (de manière d’ailleurs assez restrictive), autrement dit sous la forme de rondelles métalliques, ainsi que nous avons pu le voir, on attribue habituellement la paternité de ce format particulier de monnaie à l’antique Lydie (Grèce d’Asie Mineure), vers le VIe siècle avant notre ère.
On notera que le développement des moyens de paiement électronique risque bien de faire disparaître à moyenne échéance tout support matériel à la monnaie ; la « pièce » n’atteindra sans doute pas ses trois millénaires d’existence !
Disons ici maintenant quelques mots sur la monnaie en Irlande jadis.
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La plupart des textes juridiques furent mis par écrit à une époque où il n’existait pas de système monétaire unique. Cependant, comme en fait tous les délits pouvaient être compensés par le paiement d’une amende, des unités monétaires sont donc fréquemment utilisées pour les évaluer.
Cumal. Le sens de base du mot cumal était « esclave de sexe féminin ». L’esclavage n’a jamais été en terre celte une réalité socio-économique de masse comme dans les démocraties grecques ou chez les Romains, et ceci pour une raison bien simple. En cas de défaite militaire, les guerriers celtes préféraient le plus souvent se donner la mort (d’où d’ailleurs les suicides collectifs relatés par certains auteurs). Mais cette institution n’était néanmoins pas totalement inconnue du monde celtique, la preuve ! Dans nos textes le mot « cumal » ou « femme esclave » renvoie donc le plus souvent à unité de valeur. À l’origine, il devait sans doute s’agir de vraies femmes esclaves, mais à l’époque où ces textes furent écrits, ce système n’était déjà plus en vigueur depuis longtemps, et à la place on payait une valeur équivalente, d’une autre nature.
Le bétail. Le bétail était probablement le principal moyen de paiement utilisé, c’est le plus fréquemment cité dans les textes. L’unité de base est la vache laitière (lulgach ou bó mlicht), généralement accompagnée de son veau. Ensuite, aux deux tiers de sa valeur on trouve la vache pleine (bó inláeg). La génisse de trois ans (samaisc) vaut la moitié de la vache laitière, la génisse de deux ans (colpthach) un tiers, la génisse de l’année (dairt) un quart, et finalement le bouvillon de l’année (dartaid) un huitième. En dessous, les valeurs sont données en moutons, en peaux ou en sacs de grains.
Même si les pièces de monnaie semblent avoir été assez rares, deux mots les désignant ont été empruntés au latin par le système monétaire irlandais.
L’ungae (du latin uncia, « once »), qui était faite de 24 screpul (du latin scrupulum, « scrupule » autrement dit 2 grammes d’argent).
Le Sét. Utilisé habituellement pour calculer le prix de l’honneur (en dehors de celui du roi) le sét (trésor, joyaux, valeur) était aussi utilisé pour les amendes.
Le rapport ayant eu cours entre ces différentes valeurs semble avoir été le suivant : un cumal = 3 vaches laitières = 3 onces d’argent = 6 sét. Cependant, dans certains textes, il existe des variations de ce rapport, comme dans le Cáin Aicillne où un cumal = 20 sét.
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D’ARISTOTE A PÉGUY EN PASSANT PAR MARX ET FREUD : RÉFLEXION SUR L’ARGENT.
La puissance de l'argent est d'autant plus violente qu'elle est sans visage, qu’elle est anonyme. L'apparente visibilité de l'argent dans notre société ne doit pas faire illusion. L'argent continue de se cacher. Ses ressorts sont archaïques, enfouis dans notre inconscient individuel et social. En conséquence de quoi, personne ne peut prétendre être parfaitement au clair concernant son rapport à l'argent. Le discernement éthique au sujet de l'argent exige donc un déchiffrement de l'ambiguïté constitutive de notre relation à l'argent. C'est pourquoi nous commencerons par dégager les processus psychosociaux qui donnent ses véritables significations à l'argent et aux usages que nous pouvons en faire. Nous poursuivrons ensuite notre réflexion avec quelques considérations théologiques avant de relancer au final le questionnement sur un plan plus politique.
Visibilité et invisibilité de l'argent
Dans notre rapport à l'argent, nous sommes passés, en quelques décennies, d'un extrême à l'autre. Naguère encore suspect, voire tabou, l'argent est devenu aujourd’hui un véritable totem. Il s'affiche, parfois avec ostentation, sans que cela semble susciter une quelconque réprobation morale. Le million est l'unité monétaire du Loto ou de certains jeux télévisés. Chacun est supposé vouloir gagner des millions.
Mais les apparences sont peut-être trompeuses. L'argent demeure une puissance cachée. Certes, l'argent s'affiche davantage qu'hier. Mais dans le même temps, il perd en visibilité. Il se soustrait à notre regard dans sa matérialité même. Chèques, cartes de crédit, porte-monnaie électroniques se sont substitués aux règlements en espèce sonnante et trébuchante, aux liasses de billets que l'on pouvait palper. L'argent s'insinue partout et disparaît en tant qu'objet. Il s'éclipse au fur et à mesure que la société développe ses structures monétaires, mais sans rien perdre de son étrange propriété de convertisseur universel de toutes les valeurs matérielles. Tout peut être acquis à prix d'argent : on peut acheter des choses et même des gens.
L'argent est un bien que l'on peut désirer comme tous les autres biens. Pourtant ce n'est pas un bien comme les autres, car il est le bien qui permet d'acquérir tous les autres. Il est « l'entremetteur universel ». Le désir d'accumuler de l'argent ne comporte en lui-même aucune limite. La soif de l'or est insatiable. L'argent, en raison du pouvoir quasi illimité d'acquisition qu'il procure, peut être l'objet d'une passion qui a pour nom l'avarice.
Les éthologistes celtiques antiques ou médiévaux (les anciens druides) l'avaient déjà bien perçu. Parce qu'elle est sans limites, la passion de l'argent est dévorante. Elle peut nous éloigner du divin.
Les recherches ethnologiques mettent en évidence la première dimension de la monnaie. L'échange symbolique dans lequel le signe monétaire introduit une communauté concerne, en premier lieu, le lien entre le monde divin et la société des hommes.
Ces travaux d'ethnologie prennent pour point de départ la catégorie de la dette. La dette s'intègre dans une représentation morale de l'existence humaine marquée par une dépendance originelle. Elle fonderait l'organisation du monde. Dès sa naissance, tout homme ne serait qu'un paquet de dettes : les dieux ou les ancêtres sont des créanciers qu'il convient de rembourser durant toute sa vie sans jamais savoir si la dette sera un jour soldée. Mais comment se libérer d'une telle dette, la racheter ou la négocier avec les puissances d'en haut ? Est-il seulement possible de réduire l'étreinte d'un lien qui peut être mortifère (l'endettement en latin, le nexum, désigne aussi la corde qui sert à étrangler) ?
Pour les sociétés archaïques, qui ont donné une première réponse, seul le don d'une autre vie peut répondre au don de la vie. Le sacrifice humain serait un acte financier avant même l'invention de la monnaie. Le premier objet financier, c'est la victime sacrificatoire. C'est ce que suggère aussi l'étymologie du latin pecunia qui serait de la même famille linguistique que le mot sanscrit peshû désignant la victime expiatoire. Ainsi, dans le règlement de la dette primordiale, le premier étalon de valeur, c'est l'homme lui-même.
Dans l'histoire des civilisations, le sacrifice humain va disparaître et céder la place à son équivalent symbolique : le sacrifice d'animaux. Le processus de substitution de la victime va se poursuivre et
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conduira jusqu’à la monnaie. Les animaux ont été remplacés par le versement d'une rémunération tarifée des sacrificateurs, payée en nature ou sous la forme de sicles d'argent - des lingots d’argent en forme de disque, ancêtres lointains des premières pièces de monnaie - et plus tard en « espèces ». Les premières monnaies romaines, rapporte Plutarque, étaient ornées de figures animales qui forment la triade des sacrifices traditionnels : taureau, mouton, porc. La substitution sur l'autel des sacrifices d'une autre victime que l'homme constitue une opération de conversion (expression à la fois religieuse et monétaire).
Les premiers objets financiers seraient donc apparus dans les enceintes sacrées, le commerce de l'argent étant assuré par les prêtres sacrificateurs. Le versement à la divinité est le gage de l'apaisement des divinités dont on attend en retour protection et sécurité. La langue latine met d'ailleurs en relation la foi avec le fait financier : le mot credo signifie aussi le crédit, la créance. Par l'acte de foi, de créance, le sacrifice crée un lien entre l'univers des dieux et celui des hommes.
De substitution en substitution, de conversion en conversion, les gages successifs vont conduire à la monnaie. Mais avec l'invention de la monnaie, la dimension du rachat ne disparaît pas. La monnaie joue le même rôle que les sacrifices humains. Elle sert à dénouer, à sauver, à libérer, à affranchir de la dette primordiale. Même si la figure des dieux, des créanciers originels est plus lointaine, voire même perdue de vue, la structure fondamentalement financière de la vie humaine demeure la même. Le langage nous dit à sa manière que la transaction sacrificielle n'a pas complètement disparu : nous sommes tous capables de payer de notre personne, de nous sacrifier, de nous saigner aux quatre veines pour obtenir un bien que nous désirons.
D’après Aristote, pour une fois bien inspiré, l'économie chrématistique « nécessaire » n’est légitime que si la vente des marchandises se fait directement du producteur au consommateur au juste prix ; elle ne génère pas de valeur ajoutée. Par contre, elle est illégitime si le « producteur » ne fait qu’acheter pour revendre aux consommateurs à un prix plus élevé, générant ainsi de la valeur ajoutée. L'argent doit donc être seulement un moyen d’échange et de mesure des valeurs.
Aristote distingue par conséquent l’économie de la chrématistique au sens propre du terme c'est-à-dire de la recherche de l’argent pour l’argent. La chrématistique ou accumulation d’argent pour lui-même est une activité artificielle qui déshumanise ceux qui la pratiquent. Comme Platon, Aristote condamne lui aussi ce type d’accumulation des richesses. Le mercanti ne produit rien. Le commerce échange de l’argent contre des biens qui sont destinés à être revendus et l'usure produit de l'argent à partir de l'argent. Les deux sont donc condamnables.
L’économie est l’art d’acquérir les biens nécessaires à la vie et utiles soit au foyer domestique soit à l’État, et elle se borne à cela, en se satisfaisant le plus souvent du troc sans argent ; la chrématistique est née de l’augmentation des échanges de marchandises, qui a rapidement utilisé la monnaie.
Pour la chrématistique la circulation des biens est la source de la richesse et avec elle tout semble tourner autour de l’argent, car l’argent est le commencement et la fin de ce genre d’échange. C’est pourquoi la richesse, telle que la conçoit la chrématistique, est illimitée, car ce qu’elle poursuit est la richesse absolue. L’économie est limitée, la chrématistique, non ; la première vise à autre chose que l’argent, la seconde a pour unique but son augmentation... C’est pour avoir confondu ces deux formes que quelques-uns ont cru à tort que l’acquisition de l’argent et son accroissement à l’infini étaient le but de l’économie.
La chrématistique est donc « blâmable », car elle détourne l’argent de l’usage pour lequel il a été inventé, à savoir non pas générer des intérêts, mais favoriser l’échange des marchandises.
Bref, Aristote distingue donc l’usage normal de l’argent - l’économie -, et son usage anormal - la chrématistique.
La question morale devient par conséquent : existe-t-il des normes permettant de régler notre rapport à l’argent, de façon que son acquisition, sa possession et son usage restent toujours soumis à l’exigence du bien ?
C’est en réalité la question propre de l’économie, depuis la plus haute Antiquité. Xénophon, dans son Oeconomicus, se servait déjà pour cela de l’image idéale d’une propriété agricole gérée de façon ordonnée, la vertu qu’est l’ordre permettant d’assurer une « gestion de la maison » (selon l’étymologie d’« économie »), en bon un père de famille.
Aristote, dans sa Politique (l. 1), n’a fait que reprendre en compte cette dimension familiale de l’organisation socio-économique, et a continué son raisonnement en l’étendant au village, puis à la communauté de villages, et finalement à la cité-État : c’était la naissance de la science politique et
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économique à la fois. Une cité est bien gérée quand elle a, comme une famille et une maison, une économie, c’est-à-dire un juste ordre des choses, garanti par des lois.
N.B. Nous reviendrons sur la nécessité des intermédiaires dans le monde moderne et sur la problématique du commerce équitable.
À son stade le plus élaboré, l'argent n'est donc plus le simple substitut de la victime sacrificielle. La logique de l'échange marchand l'a hissé au rang de la divinité, des créanciers originels. L'argent est le symbole d'un ordre hiérarchique. La monnaie est indissociable de la question de la souveraineté. La monnaie est le signe du pouvoir, l'instrument de l'autorité temporelle. C'est pour cette raison que la production de fausse monnaie a longtemps été considérée comme un crime de lèse-majesté, passible de la peine capitale. La thèse peut surprendre. Mais il faut poursuivre plus avant pour en saisir l'actualité. N'est-ce pas précisément la perte de vue de notre relation au divin qui est à l'origine d'une nouvelle posture - que l'on pourra qualifier d'hégémonique - du signe monétaire ? Depuis Adam Smith L'économie politique moderne a eu pour projet de démontrer la présence d'une providence, d'un ordonnancement supérieur du monde, d'un pouvoir spirituel qui viendrait combler l'écart entre les intentions humaines - inévitablement égoïstes ou contradictoires, incohérentes - et les résultats sociaux. Elle s'est attachée à dégager des lois et des mécanismes (la main invisible, les forces du marché, etc.), en leur attribuant dans le même temps une signification quasi transcendante. Cette nouvelle théologie profane en est venue à engendrer ses propres dieux qui ont pour nom « concurrence » ou « compétitivité ». La dimension sacrificielle demeure, même si elle n'apparaît pas au grand jour. Dans l'échange monétaire au prix du marché, il n’y a pas de juste milieu, il y a toujours un tiers exclu, sacrifié sur l'autel du libre-échange.
L'économie capitaliste à son commencement est donc caractérisée par le fétichisme de la marchandise. De par l'institution du marché, la marchandise n'est envisagée qu'à travers le pouvoir d'achat qui lui est intrinsèquement attaché. La marchandise est ramenée à sa valeur, sans considération aucune pour son producteur. En conséquence de quoi, les rapports entre des choses se substituent aux rapports humains, les objets sont personnifiés (y compris l'argent), l'homme est aliéné par l'argent. Avec le développement du capitalisme, l'argent lui-même hérite de la marchandise, ses propriétés de réification des rapports sociaux et de personnification des choses. C'est en soi que la marchandise puis l'argent possèdent une valeur. Dans l'un et l'autre stade du développement capitaliste, il y a de la monolâtrie dans la mesure où la production et l'exploitation sont dissimulées. L'institution du marché occulte la violence de l'exploitation.
Le capitalisme naissant, par le bouleversement qu'il a opéré dans le rapport avec le divin, a ouvert la porte à la monolâtrie de Lug. L'argent a parfois été fait dieu. Il est possible de lui sacrifier beaucoup de choses, y compris des vies humaines. L'argent a pris la figure de Lugifer, dieu maléfique qui réclame son lot de sacrifices humains. La généralisation du règne de l'argent est à l'origine de nombreuses dérives. Son omniprésence encourage les hommes à tout calculer. On ne compare plus les objets, mais leur prix. Avec l'argent, tout devient comparable, échangeable et donc sans valeur, sans intérêt. L'individu devient de plus en plus dépendant des objets qui l'entourent aux dépens de sa vie intérieure. C'est ainsi que la culture se retrouve englobée dans les rapports monétaires. Le calcul et la valeur d'échange ont envahi toutes les sphères de la vie humaine, y compris celles qui ont longtemps été placées sous le signe de la gratuité : les relations humaines, l'art…
Karl Marx qui avait bien perçu le déplacement qui s'est opéré dans le passage d'une économie précapitaliste à une économie capitaliste parle du fétichisme de l'argent. Il utilise délibérément un vocabulaire à connotation religieuse, tout en lui donnant un sens technique dérivé. Le fétichisme désigne chez Marx la mystification des agents de l'économie automatiquement engendrée par le fonctionnement des institutions économiques. C'est une illusion engendrée par le système qui est nécessaire à sa perpétuation. Et celle-ci ne pourra être anéantie, selon Marx, que par une véritable révolution. Seul un exorcisme de ce fétichisme de l'argent pourra mettre à jour l'aliénation et son caractère insupportable.
N.B. Si Marx cite Aristote dans son Capital, c’est précisément parce qu’il considère comme lui que l’accumulation illimitée de l’argent est immorale. Cela est d’autant plus vrai pour Marx, que la version moderne de la chrématistique aristotélicienne est le capitalisme des classes supérieures ou de la bourgeoisie, reposant sur l’exploitation du travail prolétaire, à cause d’une injuste domination de classe. Karl Marx reproche au capitalisme d’être un mauvais usage de l’argent. On pourrait presque dire que pour lui, le capital est normal, mais la capitalisation, l’accumulation indéfinie de l’argent par les classes sociales supérieures ou la haute bourgeoisie, à partir de la plus-value créée par les travailleurs, est anormale et moralement condamnable.
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Charles Péguy nous met néanmoins en garde contre les illusions de socialisme, et les illusions de la générosité sans la raison. Il ne supporte pas Jaurès. Il en fait un symbole de faux socialisme. Il constate que notre société est celle du « règne de l’argent », ce qui est pour lui une décadence. En effet, si l’argent devient la valeur principale d’une métaphysique (je possède, donc je suis), c’est au détriment d’autres valeurs, mais aussi plus simplement par rapport au travail. La décadence de notre époque consiste selon Péguy en une dévalorisation du travail et une survalorisation de l’argent : alors que le travail était recherché pour lui-même depuis l’Antiquité, en tant qu’accomplissement d’un homme dans ses actes, il n’est plus recherché aujourd’hui que pour l’argent qu’il procure. Péguy interprète cette situation comme une déspiritualisation de la société : c’est le temporel qui commande au spirituel, l’argent qui domine la morale en se faisant passer pour valeur suprême. Mais curieusement, pour Péguy, ces bourgeois, ce sont... les socialistes !
En réalité, ce n’est pas la couleur politique qui intéresse Péguy, mais la tendance des puissants à écraser le « peuple », à supprimer toute « commune mesure » entre les classes sociales, et à les distinguer par leurs fortunes : si je crois à la valeur représentative de l’argent, si je pense que le symbole de mes richesses est le symbole de mon être, alors je m’assimile à une classe particulière, dans une hiérarchie où dominent les riches et pâtissent les pauvres.
Charles Péguy, qui a recueilli dans son livre sur le sujet (paru en 1913) des impressions plutôt pessimistes sur l’argent, ne manque pas pourtant de signaler sa valeur morale : « L’argent est hautement honorable, on ne saurait trop le redire. Quand il est le prix et l’argent du pain quotidien. L’argent est plus honorable que le gouvernement, car on ne peut pas vivre sans argent, mais on peut très bien vivre sans exercer un gouvernement ».
Son argument essentiel repose ici, non pas sur un idéal révolutionnaire antibourgeois et destructeur, ni sur un socialisme utopique, mais sur une analyse éthique de l’usage de l’argent ! La morale de l’argent vient non pas de son rôle de mesure commune, mais à l’inverse, de la mesure de son usage. Ce n’est pas à l’argent de tout mesurer, c’est aux hommes de se modérer eux-mêmes dans l’usage de l’argent, en le remettant à sa place d’intermédiaire d’échange, et en le soumettant à d’autres valeurs, comme l’utile et le bien.
Ces raisons suffisent à supprimer toute honte par rapport à la recherche, à la possession et à la dépense de l’argent. C’est pourquoi certains font même de la richesse (possession d’argent ou de biens monnayables) une fin en soi, et un synonyme de bonheur (cf. Aristote, Éthique à Nicomaque, l. 1). C’est pourquoi certains aussi, ne voulant retenir que la finalité de l’argent, jugent que celle-ci étant bonne (procurer le nécessaire grâce à des échanges facilités), tous les moyens sont bons pour y parvenir. C’est le vieux raisonnement manichéen et pragmatique : seul le succès importe, et s’il faut passer par un mauvais chemin pour y parvenir, peu importe, ce chemin n’est qu’un passage et se fait oublier une fois le résultat obtenu. Je peux donc être malhonnête, voler, détourner des fonds, vendre de la drogue ou des armes, pourvu que je produise des richesses pour moi et pour mes proches.
« L’argent n’a pas d’odeur », dit le proverbe. Autrement dit, le propre de l’argent est de n’être lié à personne en particulier, contrairement par exemple au parfum choisi par la femme qui le porte, ou au fumet caractéristique émanant de chaque cuisine familiale : non, l’argent ne porte sur lui aucun signe distinctif personnel, il est au contraire commun et impersonnel, et sa fonction est justement de fournir un symbole unique pour des personnes très différentes. Dès lors qu’il est admis comme valable dans une communauté donnée (généralement un État), il doit être valable pour tous indifféremment, puisque c’est une mesure commune. L’argent est donc le même, que ce soit pour le voleur ou pour l’honnête homme, pour la ménagère, l’entrepreneur, le chômeur, le curé, le militaire... Il a la même valeur, qu’il appartienne à une personne vertueuse ou vicieuse, avare ou généreuse, égoïste ou altruiste, et qu’il soit bien ou mal employé, bien ou mal acquis. L’argent ignore donc toute morale, puisqu’il se moque des différences de vertus et de toute hiérarchie des vertus.
On voit donc à quoi peut mener la théorie de « l’argent sans odeur » : des échanges bénéfiques, mais aussi une foule d’actes immoraux s’autorisant du caractère neutre et objectif de l’argent.
Plus profondément, plus radicalement, l’utilité est-elle le seul critère d’un usage moral de l’argent, celui-ci n’a-t-il pas besoin de normes externes pour ne pas devenir l’instrument de nos faiblesses ?
Pour mémoire maintenant, l’approche freudienne de la problématique de l’argent. La théorie freudienne met en relation des traits de caractère de l'adulte (entêtement, avarice, générosité, etc.) avec la sexualité anale.
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Partant de l'hypothèse que la pathologie est comme un grossissement de ce qui est à l’œuvre dans la normalité, la théorie freudienne, sur la base d'observations cliniques, a établi une équivalence : « argent = excrément ». Cette équivalence se retrouve d'ailleurs le langage courant.
La théorie anale de l'argent tente de rendre compte de cette équivalence, que l'on retrouve également dans les contes populaires (Dukatenscheisser, le chieur de ducats, la poule aux œufs d'or, et ainsi de suite.). Fondamentalement, l'argent ne serait rien d'autre que de l'excrément désodorisé, desséché et rendu brillant.
Les objections à l'encontre de l'approche freudienne ne manquent pas, mais cette dernière souligne bien la dimension sociale de l'argent, en tant qu’élément de la civilisation dont l'appréciation peut évoluer dans le temps et qui rejaillit sur la valorisation des usages qui peuvent en être faits. Si l'argent en soi n'est pas une mauvaise chose, c'est bien l'usage qui en est fait qui soulève le questionnement moral.
Une équipe américano-canadienne menée par Paul Piff (université de Californie à Berkeley) a mené en 2012 pas moins de sept protocoles expérimentaux différents, qui vont tous dans le même sens.
Le premier est simple : il s'est simplement agi de se poster à un carrefour et d’observer les véhicules pris en flagrant délit de refus de priorité. La deuxième expérience, très semblable, a quant à elle consisté à relever les situations dans lesquelles un piéton engagé sur un passage ad hoc se fait couper la route par une voiture. Dans les deux cas, les chercheurs ont classé les véhicules en cinq catégories, des épaves roulantes (groupe 1) aux berlines de luxe (groupe 5). Résultat : près de 30 % des véhicules du groupe 5 coupent la route des voitures prioritaires, un taux quatre fois supérieur aux groupes 1 et 2, et trois fois supérieur aux groupes 3 et 4. Corrélation quasi identique pour le respect dû aux piétons...
Mais, direz-vous, ce n'est pas parce qu'on a une belle voiture qu'on est nécessairement riche. Ce qui n'est pas faux. Aussi, les chercheurs ont complété ces deux expériences par d'autres, menées en laboratoire. À chaque fois, une centaine d'individus ont été invités à prendre connaissance de divers scénarios ou situations : atteinte d'un objectif au prix d'une entorse à la morale, captation d'un bien de manière indue au détriment d'un tiers, mensonge au cours d'une négociation… Puis les participants ont rempli un questionnaire afin de savoir dans quelle mesure ils seraient prêts à reproduire ces comportements. À chaque fois, une corrélation entre le statut social des participants et leur capacité à enfreindre l'éthique a été mise en évidence.
Une dernière expérience a consisté à placer près de 200 personnes devant un jeu de dés vidéo : une certaine somme d'argent leur était promise si le score atteint après cinq lancers était élevé. Mais, bien sûr, le jeu était truqué et le score ne pouvait excéder 12 points. Ceux qui ont fait état de scores supérieurs aux expérimentateurs avaient donc triché. Même en tenant compte de nombreux paramètres comme l'ethnie, le sexe, l'âge, la religion, l'orientation politique, il n'y eut rien à faire, la classe sociale prédisait positivement le fait de tricher. À quoi donc est dû ce lien établi de la sorte entre faiblesse morale et place élevée dans la société ? En partie à une perception plus favorable de la cupidité, répondent les chercheurs.
Les hommes et les femmes qui actuellement figurent parmi les plus riches du monde ne sont pas ceux qui travaillent le plus. Et inversement, les enfants réduits en esclavage ou exploités de la façon la plus honteuse ne sont pas ceux qui gagnent le plus. Tout ce qu’ils gagnent, eux, c’est de mourir dans la misère à 20 ans, dans un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, si ce n’est pas plus tôt ! Bravo M. Smith ! Quant aux responsabilités, parlons-en ! Ce qui se passe chaque fois, c’est que l’on privatise toujours les bénéfices, mais que l’on socialise les pertes ! Quand tout va bien et qu’il s’agit seulement de répartir de grosses primes, de gros salaires, ou de gros parachutes en or, alors là, les responsables, on sait bien les trouver, d’ailleurs ils se bousculent au portillon pour cela ; mais quand tout va mal par contre, plus personne n’est responsable (dixit le président français Nicolas Sarkozy en 2008), à part les lampistes et les sous-fifres bien évidemment ! Sans oublier ces salauds de pauvres qui refusent de consommer. Ça devrait être interdit. La Loi devrait rendre obligatoire de consommer ! Bref, tant de saints hommes et si peu de résultats ! Moi tout ce que je vois dans cette mise en avant comme une excuse, du travail, ou de la soi-disant responsabilité, pour justifier de tels revenus, ou de tels salaires, c’est surtout un sordide égoïsme. Que feraient ces saints ou ces surhommes s’ils se retrouvaient un jour naufragés, avec certes un tas d’or et de billets dans leur valise, mais seuls, sur une île déserte et inhospitalière ??? Combien de temps tiendraient-ils avant de mourir de faim ??? Tout le monde n’est pas Robinson Crusoë ! Et encore, Robinson Crusoë fut bien heureux d’avoir un jour un « Vendredi » comme compagnon.
Ces quelques réflexions suffisent donc à dire toute l'ambiguïté de notre rapport individuel et social à l'argent. L'adage populaire ne dit pas autre chose : « L'argent ne fait pas le bonheur, mais il y
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contribue. » Nécessaire, il ne saurait toutefois constituer le seul horizon de nos vies. La richesse n'a jamais été garante du bonheur.
Sur des bases plus juridiques et politiques, il est possible de normer notre rapport avec l’argent, car d’Aristote à Péguy, en passant par Marx, on trouve finalement une même critique de l’usage de l’argent. Cet usage est moral tant qu’il se limite à servir d’intermédiaire dans un échange de biens et de services utiles ou nécessaires, car cela est bénéfique pour la vie humaine. Mais il devient immoral dès que l’accumulation de l’argent est une fin en soi, qui ne vise pas la transformation de l’argent en autre chose. En somme, l’argent a une valeur d’échange qui doit être soumise à la valeur d’usage de ce que l’on échange. Pour moraliser son usage, il importe donc que les termes de l’échange (personnes, biens, services) s’inscrivent dans des rapports sociaux eux-mêmes subordonnés à une éthique. En particulier, il conviendrait de réfléchir sur la moralité des rapports d’inégalité souvent corrélatifs à l’argent.
L’argent n’est moral que si les personnes qui l’utilisent ne cèdent pas au désir illimité de richesse, mais visent avant tout le bien, en limitant l’argent au rôle d’un moyen et non d’une fin en soi.
“Les têtes des ennemis les plus illustres étaient embaumées dans de l’huile de cèdre et montrées aux étrangers de passage ; mais ils n’auraient pas daigné leur céder, même contre une grosse somme d’argent équivalant à leur poids en or. Mais les Romains mirent un terme à ces coutumes, ainsi qu’à toutes celles qui….” (Strabon Géographie Livre IV, chapitre IV 5).
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POUR COMPARAISON LA POSITION DES PREMIERS PENSEURS CHRÉTIENS SUR LA RICHESSE.
De Luc 6,20b : « Heureux les pauvres » à Matthieu 5.3 : « Heureux les pauvres en esprit »...
Les tacticiens remarquables que le christianisme produisit dans le courant du IIIe et du IVe siècle ont su triompher de tous les écueils et on ne soulignera jamais asse z la tâche délicate et compliquée entre toutes dont ils surent venir à bout.
De Lactance à l’avocat des riches Clément d’Alexandrie en passant par saint Augustin, qui oserait leur reprocher leur opportunisme, les compromis auxquels ils se trouvèrent souvent réduits […]
En renonçant aux principes égalitaires du christianisme primitif, ils assurèrent à sa doctrine une vitalité et une stabilité extraordinaires.
Il s’agit maintenant de montrer à nos lecteurs l’évolution que subit la doctrine sociale chrétienne originelle, comment de saint Justin à Saint Augustin, l’idée d’une société basée sur la hiérarchie des classes sociales a fini par s’imposer, comment le principe de l’inégalité se trouva consacré et justifié.
SAINT AUGUSTIN.
Saint-Augustin c’est tout le christianisme. Établir sa doctrine sociale c’est établir les bases de toute la doctrine sociale chrétienne […] Saint-Augustin résume d’une manière explicite la quintessence de sa doctrine sociale dans ses commentaires du psaume 132.
« Le pauvre de Dieu n’est pas celui dont la bourse est vide, mais celui qui est pauvre dans son cœur. Il peut nous arriver de rencontrer quelqu’un possédant une maison bien équipée, des terres fertiles, des champs, de l’or, de l’argent. Il sait qu’il ne doit pas présumer de sa puissance, se vanter de ses biens. Il s’humilie devant Dieu, utilise ses richesses pour faire le bien. Son cœur s’élève vers Dieu ; il comprend que ses richesses ne lui sont d’aucune utilité et même qu’elles pourraient se révéler un obstacle, si Dieu ne le guidait et ne le soutenait. Un tel riche est du nombre des pauvres que Dieu rassasie de pain. Quant au mendiant gonflé d’orgueil, ou à celui que la pauvreté empêche de s’enfler ainsi, mais qui est obsédé par le désir de s’enrichir, Dieu ne considère pas son avoir, mais sa cupidité.
Il le juge selon sa cupidité, sa passion à vouloir s’enrichir et non selon la fortune qu’il n’arrive pas à amasser.
Aux riches de ce monde, ordonne de ne pas s’enorgueillir et de ne pas mettre leur espoir dans une richesse incertaine, mais en Dieu, écrit l’apôtre Paul. Que feront-ils de leurs richesses ? L’apôtre poursuit : qu’ils fassent le bien, s’enrichissent de belles œuvres, donnent avec largesse, partagent avec les autres. Et découvrez qu’ainsi, ces riches font partie des pauvres. Ainsi amasseront-ils pour eux-mêmes un beau et solide trésor pour l’avenir, afin d’obtenir la vie véritable. Lorsqu’ils auront acquis ce trésor, ils seront riches ; mais tant qu’ils ne l’ont pas en leur possession, qu’ils se reconnaissent pauvres. C’est ainsi que Dieu met au nombre de ses pauvres qu’il rassasie de pain — quel que soit d’ailleurs leur avoir en ce monde — tous ceux qui sont humbles de cœur et mettent en pratique le double amour : l’amour de Dieu et l’amour du prochain.
Après avoir proclamé la vicissitude originelle de la propriété privée, saint Augustin réussit à établir qu’elle est la base même de toute société humaine et que toute atteinte à celle-là est une atteinte à la divinité.
Après avoir annoncé l’égalité parfaite de tous les hommes, il trouve le moyen de prouver que l’inégalité des conditions, la division de la société en riches et en pauvres, est particulièrement conforme à l’esprit du christianisme et doit être intégralement respecté.
Après avoir flétri l’oppression qu’un homme exerce sur ses semblables, il n’hésite pas à conserver les chaînes de l’esclavage parmi les attributs de la dignité chrétienne et attirer l’attention des riches sur les avantages que leur offre de ce fait la religion de Jésus (NDLR situation identique avec Mahomet qui n’a jamais aboli l’esclavage).
Après s’être entièrement dévoué à la prédication de la paix, de l’oubli des offenses, de l’amour du prochain, il entreprend la justification du meurtre, du sang versé, de la violence [N.D.L.R. sans doute une allusion de Gérard Walter aux traités anti-donatistes de saint Augustin : d'abord le Psalmus contra partem Donati, ébauché dès 394, le Contra epistulam Parmeniani, le De baptismo, le Contra Cresconium, etc. C'est en effet dans ces épîtres qu'Augustin formula le redoutable principe de la « terreur utile », c'est à dire de la répression par les pouvoirs publics du schisme pour obliger les hérétiques à revenir à l'orthodoxie. C'est ainsi qu'après la guerre de Gildon, il soutint la répression qui s'abattit sur les insurgés ainsi que sur les donatistes qui les avaient soutenus]. (Gérard Walter, les origines du communisme).
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LACTANCE.
Lactance fut toute sa vie un ardent défenseur de la richesse. Personne parmi les écrivains chrétiens même les plus brillants, ne sut réfuter la doctrine « communiste » (sic) avec autant de vigueur.
SAINT CLÉMENT D’ALEXANDRIE ENFIN RÉPONDRA ÉGALEMENT À LA MÊME BRÛLANTE ET LANCINANTE QUESTION : quel est le riche qui peut être sauvé ?
« Ce n'est donc pas nos richesses qu'il faut détruire, ce sont nos vices, qui nous empêchent de les faire servir aux bonnes œuvres et à la vertu. Devenez ainsi probes et pieux, vos richesses et leur usage le deviendront. Ces biens que nous possédons et qu'on nous ordonne de vendre ce sont nos passions, les troubles et les inquiétudes fatales du monde ».
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PLUS PROSAÏQUEMENT !
Le président avait bien raison en 2008 de stigmatiser ceux qui l’accusaient d’être un socialiste à la française ou un communiste masqué à la russe parce qu’il partageait ses jouets ou son goûter quand il était petit.
Redistribuer les richesses produites par la collectivité (il ne sert à rien d’être milliardaire dans une île déserte, car l’or ou les billets, ça ne se mange jamais, à la différence des fruits, des légumes, ou de la viande) ; ce n’est pas être communiste tendance Staline !
Honte à ceux qui trouvent normal d’aller à la messe ou à la mosquée, mais de gagner toujours plus (20 fois, 200 fois, les revenus mensuels d’un ouvrier, d’un employé, ou d’un petit agriculteur) ; alors qu’à quelques (kilo) mètres de chez eux, certains de leurs frères humains sont à la rue, ou n’ont même pas de quoi se soigner.
Jo le plombier n’est certes pas monarchiste, mais républicain ! Rappelons-lui pourtant que la redistribution des richesses était au contraire la fonction essentielle du roi (donc de l’État) dans la société celtique antique, contrairement à ce que prône sa philosophie ; si tant est que l’on puisse parler de philosophie à propos de ses dires ou de son comportement réel, dans la vie (fraude fiscale, etc.).
Compert Con Culainn : Am túalaing mo daltai. Am dín cech dochraite. Dogníu dochur cech tríuin, dogníu sochur cech lobair…. .être le fléau des forts le défenseur des faibles (Fergus).
Rappelons qu’en Irlande au Moyen-âge des chapitres entiers de tout traité de droit qui se respectait étaient sous l’appellation de techtae consacrés à la question et notamment pour déterminer la part des récoltes qui devait revenir au seigneur ou au roi.
« Le clan était en fait une fédération de plusieurs familles qui pensaient avoir un ancêtre commun, la terre appartenait au clan et non aux individus : chacun cultivait un lot de terre arable, selon son rang, mais les pâturages étaient toujours communs. Les membres du groupe élisaient un chef (ou ri, roi) qui les représentait tous et qui était responsable de la bonne marche du groupe. Ainsi les hommes du clan, tous virtuellement égaux, suivaient-ils le ri de leur plein gré ; celui-ci pouvait même éventuellement être déposé (voir le cas Nixon). Le ri nommait d’autres chefs qui dépendaient de lui et le conseillaient. Il proposait aussi lui-même son successeur, de son vivant, à l’approbation du clan ; c’était la pratique de la tanistrie, qui s’appliquait non seulement aux successions dans les clans, mais aussi aux trônes pictes, ou écossais » [voire français si l’on en croit la pratique des premiers Capétiens] ». Petit résumé de l’excellent livre de Jean Renaud sur les Vikings et les Celtes.
En Écosse et en Irlande, les Anglais ont, hélas, mis fin à cette situation, et les clans ont disparu, brisés par l’égoïsme et l’individualisme ou le « chacun pour soi » des Adam et Ève Smith.
Ce que nous disons, nous autres, aux bien-pensants qui nous gouvernent, dans les médias (le quatrième pouvoir, d’autant plus puissant qu’il avance généralement masqué, sous couvert d’objectivité) ou dans les cercles politiques, c’est ceci ! La justice, pas la charité !
Une vraie révolution, pas un antiracisme naïf et angélique ! Il est quand même curieux de constater que la courbe de progression de l’antiracisme a été inversement proportionnelle au destin de l’idéal révolutionnaire ayant pour but de mieux partager les richesses de notre planète. Plus l’un régressait, plus l’autre se développait. Un peu comme s’il y avait eu substitution.
Et comme idéal à cultiver, la coopération entre les hommes, pas la compétition individualiste à la Adam Smith !
Donc un peu moins de sport ou de pensée unique à la télévision ou dans les médias, et un peu plus de débats (éclairés, pas manipulés par les journalistes qui ont évidemment toujours le dernier mot) sur les choix de société qu’il est urgent de faire ! Car il y a tant de saints hommes et si peu de résultats !
Il suffit de parcourir trente secondes les réactions ou commentaires d’articles mis en ligne sur internet, voire les forums de discussion, pour avoir une idée assez exacte de l’état actuel de notre Humanité. On y découvre avec effarement au bas mot 80 % d’arguties d’un incroyable égoïsme, à couper au couteau, dégoulinant de haut en bas de la pyramide sociale. De quoi vous dégoûter de la démocratie !
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L’égoïsme, l’ignorance crasse, la bêtise, et la méchanceté, s’y étalent sous toutes leurs formes, dans au moins 80 % des interventions.
Des formes les plus raffinées. Ceux qui vous expliquent en termes châtiés que s’il y a des pauvres ce n’est pas de leur faute à eux, qu’ils n’y sont pour rien, et n’ont aucune part de responsabilité même infime, dans ce drame ; mais que c’est de la faute aux pauvres eux-mêmes. Ces salauds de pauvres, qui en plus refusent de consommer, alors que cela devrait être au contraire rendu obligatoire par la loi, au besoin sous peine d‘amende ou d’emprisonnement. Bref, qui personnalisent les responsabilités au lieu de dénoncer la perversité du système. Si eux en profitent, c’est uniquement par hasard, ou grâce au fait qu’ils travaillent 25 heures par jour 1).
Jusqu’aux formes les plus grossières ; ceux qui vomissent leur haine de telle ou telle catégorie socioprofessionnelle (chômeurs fainéants, petits fonctionnaires d’État, postiers… la liste est longue) ou de telle population de citoyens (immigrés ou de souche, etc.), en des textes bourrés de fautes d’orthographe.
1) Repetere = ars docendi. Les hommes et les femmes qui actuellement figurent parmi les plus riches du monde ne sont pas ceux qui travaillent le plus. Et inversement, les enfants réduits en esclavage ou exploités de la façon la plus honteuse ne sont pas ceux qui gagnent le plus. Tout ce qu’ils gagnent, eux, c’est de mourir dans la misère à 20 ans, dans un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, si ce n’est pas plus tôt ! Bravo M. Smith ! Quant aux responsabilités, parlons-en ! Ce qui se passe chaque fois, c’est que l’on privatise toujours les bénéfices, mais que l’on socialise les pertes ! Quand tout va bien et qu’il s’agit de répartir de grosses primes, de gros salaires, ou de gros parachutes en or, alors là, les responsables, on sait bien les trouver, d’ailleurs ils se bousculent au portillon pour cela ; mais quand tout va mal par contre, plus personne n’est responsable bien sûr (dixit le président français Nicolas Sarkozy en 2008), à part les lampistes et les sous-fifres bien évidemment ! Sans oublier ces salauds de pauvres qui refusent de consommer. Ça devrait être interdit. La Loi devrait rendre obligatoire de consommer ! Bref, tant de saints hommes et si peu de résultats ! Moi tout ce que je vois dans cette mise en avant (comme excuse) du travail, ou de la soi-disant responsabilité, pour justifier de tels revenus, ou de tels salaires, c’est surtout un sordide égoïsme. Que feraient ces saints ou ces surhommes s’ils se retrouvaient un jour naufragés, avec certes un tas d’or et de billets dans leur valise, mais seuls, sur une île déserte et inhospitalière ??? Combien de temps tiendraient-ils avant de mourir de faim ??? Tout le monde ne s’appelle pas Robinson Crusoë ! Et encore, Robinson Crusoë fut bien heureux d’avoir un jour un « Vendredi » comme compagnon.
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CONSEILS PRATIQUES POUR TOUT LE MONDE.
Pour les druides antiques, ce qu’avait bien vu d’Arbois de Jubainville, les dieux anthropomorphes ne sont ni bons ni parfaits. Ils n'imposent pas vraiment une éthique qu'ils sont d'ailleurs eux-mêmes loin de suivre. L'essentiel pour les hommes est d'essayer de comprendre leurs desseins et de leur plaire par des offrandes et des sacrifices. Cela n'implique pas que la société celtique antique n'ait pas eu de règles morales, mais qu’elle elle avait une éthique non imposée par les dieux, conforme au contrat social de l'époque et qui, obéissant au pouvoir et puisant aux sources de la sagesse populaire, réglait la vie en groupe selon un droit qui, sans être complètement naturel (rectu adgenias), faisait cependant l'objet d'un consensus.
Conseils valables pour tout un chacun donc, les véritables Celtes de cœur et d’esprit étant tous comme des fils et filles de roi ; et noblesse oblige ! Ce qui compte aujourd’hui ce n’est pas d’être un descendant de famille jadis juridiquement noble, mais la noblesse de cœur et le sens de l’honneur.
LE CAS DES FÉNIANES.
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Particulièrement intéressant à cet égard est le cas Fénianes sur lequel nous reviendrons plus longuement en annexe.
Les jeunes gens arrivant à l’adolescence avaient en effet la possibilité de renoncer à leur place dans la famille et le clan, et de devenir Féniane, c'est-à-dire une sorte de guerrier « ensauvagé » vivant en marge de la société à mi-chemin entre la civilisation et la barbarie. Devenir Féniane était une étape acceptable dans le processus de passage à l’âge adulte et cela donnait aux jeunes gens plus de temps et d’espace pour mûrir ou trouver leur place en tant qu’adulte dans la société. Cathbad Myers fait le rapprochement avec le statut de sadhu en Inde bien qu’il n’y ait eu dans le cas des Fénianes aucun caractère spécifiquement religieux. Les histoires de Fénianes abondent en aventures fantastiques, chasses magiques, métamorphoses, bardes mystiques, et lieu, ainsi que le grand poète Yeats l’a dit : « d’où on ne pouvait pas savoir en partant quelque part à quoi ressemblerait l’étape suivante ». Être aux confins de la civilisation et de l’état sauvage, du conscient et de l’inconscient est déjà en soi une sorte d’allégorie. Rappelons-nous que les poètes vivaient souvent au bord de la mer c'est-à-dire aux points de jonction entre la terre et l’océan. Mais même ainsi « ensauvagés » les guerriers Fénianes d’Écosse et d’Irlande, admettaient qu’ils avaient néanmoins des obligations éthologiques et leur comportement était un exemple à suivre (un peu comme Mahomet en terre d’islam) pour toutes les classes de la société celtique, et pas seulement pour celle des guerriers. L’expression « Cothrom na Feinne » désigne encore en gaélique une sorte d’esprit chevaleresque avant la lettre.
En gaélique d’aujourd’hui cothrom na féinne a thabhairt signifie « être correct ».
Nach bhfuil cothrom na Féinne á fháil acu : « ils ne sont pas traités équitablement ».
Chun cothrom na Féinne a thabhairt dí : « lui donner son dû ».
Cothrom na Féinne a fháil : « obtenir une égalité de traitement ».
En Irlande on associe donc encore aux Fénianes les notions de franc-jeu, de justice ou d’égalité.
Bref, l’expression gaélique « Cothrom na Feinne » désigne encore un exemple à suivre (pour toutes les classes de la société celtique, et pas seulement pour celle des guerriers, une sorte d’esprit chevaleresque avant la lettre, MAIS VALABLE POUR TOUT LE MONDE.
La devise des Fénianes, que tous les guerriers juraient de respecter, s’énonçait en effet comme suit.
La Force dans nos mains.
La Vérité dans nos cœurs.
L’Accomplissement dans notre parole.
N.B. Certains traducteurs donnent une version légèrement différente : « Main qui ne tremble pas, ambassade, et argute loqui, ou art de bien parler ».
À notre dernière source d’information sur l’éthique druidique en tout cas, nous pouvons donc, d’après Cathbad Myers, rajouter les différents préceptes ou maximes de l’élite des guerriers irlandais, les vercingets irlandais ou écossais, appelés fénianes, équivalents des berserkr germaniques ; et qui constituent un code de l’honneur un peu analogue à celui des samouraïs japonais ; car leur comportement était considéré comme étant un idéal à atteindre par toutes les classes de la société. Cothrom na Féinne en gaélique signifie en effet « justice des fénianes ».
Cothrom : Justice, Équité.
Na Fianna : des Fénianes, des partisans de Finn.
Thomas William Rolleston, dans ses célèbres « Mythes et légendes de la race celtique » a ainsi synthétisé ces maximes.
Le fils de Luga ne sut dire pourquoi les Fénianes ne voulaient pas de lui. Alors Finn lui enseigna ce qui convenait à un jeune homme bien né, voir ci-dessous les conseils en question.
« Si tu as pour dessein d’être un grand guerrier, reste tranquille dans le château d’un grand, mais sois infatigable dans les défilés [à garder].
Ne bats pas ton chien sans raison, n’accuse pas ton épouse sans preuve, ne t’en prends pas à un fou durant le combat puisqu’il est simple d’esprit 1).
Ne prends jamais part aux querelles, ne fréquente pas ceux qui sont méchants ou fous.
Montre deux tiers de ta gentillesse aux femmes et aux petits enfants qui ne sont pas encore en âge de marcher, ainsi qu’aux artistes qui récitent des poèmes ; ne sois pas brutal avec les gens du commun.
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Ne sois pas obséquieux avec tout le monde, n’accepte pas de partager ta couche avec n’importe qui.
Évite les vantardises parce qu’il est toujours dangereux de parler sans réfléchir, quand on n’est pas capable d’assumer après.
Aussi longtemps que tu vivras, ne trahis jamais ton suzerain, n’abandonne jamais qui se place sous ta protection, même pour tout l’or du monde 2).
Ne dis du mal de personne devant son suzerain, ceci n’est pas le fait d'un homme bien né.
Ne répète pas d’histoires douteuses, ne raconte pas d’histoires pouvant nuire à autrui. Ne parle pas trop, ne te hâte pas de critiquer. Quelle que soit ta bravoure, évite de susciter des complots contre toi.
Ne reste jamais trop longtemps dans une maison à bière, ne te moque pas des personnes âgées, ne te commets jamais avec des gens de condition inférieure.
Ne refuse pas de partager ton repas et ta viande avec tes compagnons ; ne sois pas avare avec tes amis ; n’abuse pas de la patience ou de l’hospitalité d’un grand, ne lui donne jamais l’occasion de penser du mal de toi.
Reste toujours sur tes gardes et ne rengaine pas tes armes tant que le plus dur du combat n’est pas terminé.
Sois plus enclin à donner qu’à refuser, mais si c’est le cas, fais-le avec courtoisie, O fils de Luga »
Tels furent les bons conseils que donna Finn au fils de Luga qui abandonna ses mauvaises manières et devint ensuite un des meilleurs hommes de Finn.
1) Allusion au malheureux Suibhne.
2) De toute façon, comme le dit la célèbre chanson de geste (Garin le Loherain) : le cœur d’un homme vaut tout l’or d’un pays.
NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR FIONN D’APRÈS CATHBAD MYERS
(Paradigme éthique du druidisme).
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Bien que Fionn MacCumhall soit présenté comme un simple chef de guerre, toutes ces légendes sont peut-être issues de mythes relatifs à un dieu. Le nom Fionn signifie en effet Blanc mais au sens de beau ou lumineux, et il y a des autels de l’âge du fer consacrés à des dieux ayant des noms comme Vindos et Vindonnus. Il y a aussi un personnage gallois apparenté, Gwynn, qui a certaines des caractéristiques d’un dieu et montre beaucoup de similitudes avec notre chasseur irlandais.
Fionn veut que ses guerriers soient attentifs à tout et autonomes, modestes, fiables, dignes de confiance, loyaux et généreux. Il veut que ses guerriers échappent aux satires ou s’interdisent de nuire à autrui. Il veut que ses hommes méritent le respect qui leur est dû à cause de leur rôle dans la société, sachent ce pour quoi ils se battent, afin d’être digne du titre de Féniane. Ce sont les leçons qui doivent être apprises au cours de l'adolescence, car la sagesse qu’ils cherchent à acquérir est la marque de l’âge adulte.
Fionn a le souci de la justice et de la défense contre les abus de toute sorte, y compris contre les femmes et les animaux ; problèmes qui sont devenus dramatiques dans notre société au cours des dernières décennies. Il déclare : « les deux tiers de ta douceur » pour les femmes, les enfants et les poètes, non pour signifier que nous devons en retenir un tiers, mais simplement pour dire que ces personnes doivent avoir un statut spécial et méritent notre respect.
De la même façon, Fionn reconnaît aussi que nous avons des obligations morales envers nous-mêmes, et pas seulement envers les autres, car c’est notre propre processus de maturation intellectuel qui est visé par l'éthique Féniane. Et en un sens, il symbolise nos obligations morales envers nous-mêmes quand, invité à gagner le Sidhe situé dans les îles des Bienheureux, il répond, dans une déclaration devenue le cri de ralliement des républicains irlandais durant leur soulèvement :
« Nous n’abandonnerons jamais notre pays, même si nous obtenions le monde entier comme État bien à nous et la Terre de jeunesse avec ».
Fionn se soumet donc à des idéaux qui le dépassent et qui sont pourtant aussi une partie de lui-même. Il devient à lui-même son propre idéal, ce qui, après tout, est ce que fait tout héros. Les Fénianes sont des héros, non de simples combattants. C’est à une transformation d'eux-mêmes allant de l'humain au surhumain qu'ils aspirent. En manifestant ainsi sa fidélité à son pays, non seulement Fionn réaffirme la valeur intrinsèque dudit pays, mais aussi son engagement dans ce processus de maturation intellectuelle, qui est un processus de découverte. Il laisse passer sa chance d’aller au paradis pour y parvenir – ce qui montre à quel point cela est important pour lui !
Ultime écho du très humain taureau de Cualnge dans la saga de Cuchulainn.
« Après cela le taureau brun se tourna vers le nord et reconnut sa terre de Cualnge, il se mit à courir comme un fou dans sa direction… il s’adossa pour finir à la colline et son cœur éclata comme une noix dans sa poitrine ».
Finalement le malheureux qui, s’il a une intelligence presque égale à celle des hommes, n’en a pas la perversité, trouvera la mort à cause de leur stupidité dans cette histoire ; qui est une émouvante, mais très inattendue illustration de l’importance du pays natal ou du patriotisme.
Cathbad Myers précise que selon lui cette éthique de haut niveau s’appliquait non seulement aux individus, mais aussi aux groupes d’individus comme les espèces animales ou les écosystèmes entiers. Leur éthique ne fait pas de discrimination entre les êtres sensibles et les êtres non sensibles (par exemple entre animaux et plantes). Mettre l'honneur et la dignité au premier rang des obligations morales que nous avons envers tous ces êtres implique qu’ils soient pleinement reconnus comme ayant une valeur en eux-mêmes, comme étant en eux-mêmes des biens précieux, et même si certains êtres peuvent effectivement servir à d’autres, c’est leur valeur intrinsèque qui doit être moralement prise en compte.
Telle est du moins l’opinion de notre ami Cathbad Myers sur la portée de l’éthologie des Fénianes dans la société celtique antique ou médiévale.
DOCUMENT DE TRAVAIL N° 1.
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T.W. Rolleston est un poète aussi convient-il de noter que l’historien irlandais Geoffrey Keating nous a livré un document un peu plus sec sur la sévérité du recrutement des fénianes (des berserkr celtes de type vercinget).
RÉSUMÉ DU CHAPITRE DE GEOFFREY KEATING (FORAS FEASA AR EIRINN) SUR LES FÉNIANES.
Les principales règles étaient les suivantes.
1) Nul n’était admis dans les fénianes tant que son père sa mère son clan et ses parents n’avaient pas garanti qu'ils n'exigeraient aucun dédommagement pour sa mort, afin qu'il ne puisse compter sur personne pour le venger à part lui-même.
2) Nul n'était admis dans les fénianes tant qu’il n’était pas devenu vellède et n’avait pas lu les douze * livres des vellèdes (Filidheacht).
3) Nul n’était admis dans les fénianes tant qu’il n’avait pas été enterré dans un trou jusqu’aux genoux, avec son bouclier ainsi qu’un bâton de coudrier long comme un bras, en main, face à neuf guerriers armés chacun d’un javelot s’approchant de lui jusqu’à une distance de 9 immaire (sillons ?) et qu’ils n’aient lancé leurs neuf javelots sur lui à la fois. S’il était blessé malgré son bouclier ou son bâton de coudrier, il n’était pas reçu dans les fénianes.
4) Nul n’était admis dans les fénianes tant que, après avoir eu les cheveux tressés, il n’avait pas été envoyé dans les bois, mais avec tous les fénianes lancés à ses trousses afin de lui infliger quelque blessure, lui-même n’ayant que la ramure des arbres pour se défendre.
5) Nul n’était admis dans les fénianes si les armes tremblaient dans sa main.
6) Nul n’était admis parmi eux si la branche d'un arbre dans les bois défaisait une seule des tresses de ses cheveux.
7) Nul n’était admis chez eux s'il brisait la moindre branche morte sous ses pieds.
8) Nul n’était admis parmi eux à moins d’avoir sauté par-dessus un arbre presque aussi haut que lui, et à moins d’être passé sous un arbre pas plus haut que son genou, en se courbant vers l’arrière, grâce à la seule souplesse de son corps.
9) Nul n’était reçu dans les fénianes à moins d’avoir pu se retirer une épine du pied avec la main sans s'arrêter de courir pour cela.
10) Nul n’était admis parmi eux sans avoir juré fidélité ainsi qu’obéissance au roi des fénianes.
Il y avait ensuite quatre obligations pour ceux qui étaient admis dans les rangs des fénianes.
La première obligation était de ne pas accepter de dot lorsqu’ils se mariaient, mais de ne prendre une épouse que pour son éducation et ses qualités, le deuxième commandement était de ne jamais forcer une femme (cf. Coran chapitre 4, verset 34 : « …Celles de qui vous craignez une mauvaise conduite, faites-leur la morale, désertez leur couche, administrez leur une correction physique…** ») ; la troisième obligation de ne jamais refuser de donner à un homme demandant quelque objet de valeur ou de la nourriture ; la quatrième règle était qu’aucun d’entre eux ne devait fuit devant moins de dix guerriers.
* Pourquoi douze ? Il s’agit évidemment d’un chiffre symbolique signifiant surtout que les Fénianes ne devaient pas être les gens d’un livre et d’un seul (comme les juifs les chrétiens et les musulmans). Ils doivent avoir lu de nombreux livres et si possible sur les sujets les plus divers quoique fondamentaux.
** Les menteurs professionnels déjà à l’œuvre à propos du mot djihad (journalistes politiques ou intellectuels taqiyistes de leur état), prétendent évidemment que le verbe arabe zaraba ne signifie en aucune façon correction physique morale dans ce cas, mais simple remise dans le droit chemin du fait même de la séparation. Toute la question est : « comment les musulmans moyens, le musulman de la rue, a-t-il compris ce verset au cours des siècles ?». Le Coran est certes une œuvre parfaite (incréée), mais force est de constater que sur ce point il aurait dû être plus clair.
CONSEILS PRATIQUES (SUITE).
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Conseils valables pour tout le monde, les véritables Celtes de cœur et d’esprit étant tous comme des fils et filles de roi ; et noblesse oblige ! Ce qui compte aujourd’hui ce n’est pas d’être un descendant de famille jadis juridiquement noble, mais la noblesse de cœur et le sens de l’honneur au service d’une noble cause.
DÉONTOLOGIE DU MÉTIER DE CHEF PRINCE OU SEIGNEUR.
À fo ben, bid bont. À l’intérieur même de la catégorie des guerriers, le chef avait lui-même ses propres priorités éthiques. « La science du gouvernement fait partie des autres sciences sans leur être supérieure. Ce serait même plutôt un art, c’est-à-dire l’application de quelques principes d’une science, et non la recherche des principes. Comme art, il se classe parmi les arts pratiques exigeant seulement quelques notions de la vie ordinaire, du tact et la connaissance de l’Histoire. Les droits inaliénables de l’individu passent avant ceux de la société puisque sans individus, il n’y aurait pas de société » (Henri Lizeray. La D.S.D.D.).
Les Indiens disent du raja qu’il assure leur bonne conduite (1re fonction), les protège (2e fonction), et les nourrit (3e fonction) ». Il reçoit dans la plupart des peuples indo-européens un sceptre, sorte de bâton de pouvoir, symbolisant la première fonction. Il siège sur un trône en pierre, le reliant aux forces chthoniennes de la troisième fonction. Son mariage est sacré (hiérogamie), car symbolisant son union à la Terre-Mère, déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère ce vocable, de la fécondité.
Dans la Weltanschauung indo-européenne, il existait en effet un personnage qui incarnait à lui tout seul les trois fonctions, car il était la personnification de l’unité de la communauté, son point central : le roi. Il existe quelques langues indo-européennes se référant à la notion de race ou de lignée pour désigner le roi, et notamment les peuples germaniques ou allemands pour qui le roi est le « könig » ou le « kong » (en norvégien). La plupart des autres peuples indo-européens ont utilisé un dérivé du terme proto-indo-européen *reg- pour nommer le roi. Ce mot est aussi le radical qui donna en latin rectus : « droit », allemand : « recht ». Le roi est donc l’homme droit, c’est-à-dire celui qui dit le droit, qui établit la rectitude. Il n’est pas celui qui commande, mais celui qui « régule », qui organise la société, tout comme les dieu-ou-démons de la première fonction organisent le chaos de l’univers. Il est aussi celui qui rend la justice. Le roi est donc un représentant de la première fonction. D’ailleurs en France, sous l’Ancien Régime, le roi est appelé « l’évêque du dehors ». Il participe à certains rites religieux et sacrificiels. Le roi est un prêtre en quelque sorte, mais incomplet.
Néanmoins il est aussi une incarnation de la fonction guerrière, comme l’indique le fait que le roi était élu parmi les guerriers, certainement au sein de l’aristocratie de la tribu. Rappelons néanmoins que les rois de la plupart des peuples indo-européens, bien qu’ils soient originellement des guerriers, n’avaient plus le droit de se battre personnellement après leur élection ou leur intronisation.
Le roi enfin, garantit la fécondité et la richesse de la communauté. Il doit faire pleuvoir, permettre de bonnes récoltes, ainsi que la fécondité humaine et animale. Un roi sous lequel cela n’arrive pas est un mauvais roi rejeté par les dieu-ou-démons. Nos modernes démocraties sont moins exigeantes envers les princes qui nous gouvernent.
Une personne à la santé déficiente, un infirme, un malade, un fou, ne peut devenir roi. Le roi est un nourricier. Il organise des festins. Il doit pouvoir répondre à la demande alimentaire de ses sujets. Un symbole récurrent chez les peuples indo-européens est d’ailleurs le chaudron inépuisable, d’où il sort suffisamment de nourriture pour son peuple, et qui permet même, chez les Celtes, de ressusciter les guerriers tombés au combat. Le roi doit être riche. Le roi est aussi un représentant de la troisième fonction.
Les rites d’intronisation du roi le montrent d’ailleurs clairement. Ainsi le roi du Leinster recevait-il une chemise de soie blanche — le blanc étant la couleur de la première fonction (les druides étaient vêtus de blanc) — ; une lance symbolisant la seconde fonction ; et une chaussure pleine d’argent, symbole de richesse, donc de la troisième fonction (cf. la vie de Medoc de Ferns).
LE GRAND MONARQUE IDÉAL.
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Compert Con Culainn : Am túalaing mo daltai. Am dín cech dochraite. Dogníu dochur cech tríuin, dogníu sochur cech lobair…. être le fléau des forts le défenseur des faibles (Fergus).
À propos du rôle des rois dans la société celte antique voici ce que nous en dit Philippe Freeman en 2006 (le philosophe et les druides. Pages 95 à 98).
Le Críth Gablach est un traité de droit, écrit en gaélique, probablement dans la première moitié du 8e siècle. C’est une tentative d’analyse du statut des laïcs libres ordinaires ; des gens d’Église, des ordres professionnels. Les non libres et demi libres ne sont mentionnés qu'en passant. Les Laïcs libres sont divisés en deux classes principales, les roturiers et les nobles. Les rois sont considérés comme faisant partie de la noblesse. Au sein de ces deux classes sociales, il existe néanmoins de nombreuses sous-classes, et l'auteur a peut-être exagéré la complexité de cette antique hiérarchie. Après la partie consacrée à l’étude du statut du roi se trouve une curieuse annexe sur la royauté, où les rois ont aussi pour tâche de rendre la justice et de protéger la nature (cf. Buaïdh N°1).
N.B. Ce sont visiblement des titres de chapitres et rien que cette liste montre la subtilité des distinctions opérées par le droit celtique qui n’était pas que le simple bon vouloir du roi.
En voici la traduction, donnée sous toute réserve (que nos amis irlandais me pardonnent et se mettent au travail pour la corriger).
Ma be ri rofesser/ Si tu es un vrai roi tu dois connaître à la perfection
recht flatho/ Les prérogatives d’un souverain…
Cia annsom fidbeime/ Quels sont les plus graves cas d’abattage d’arbre
fiachaib bacth? Pour lesquels les individus sont punis d’une amende?
Briugid caille / Les nourrisseurs de la forêt,
coll eidnech/ Les noisetiers couverts de lierre.
Esnill bes dithernam/ Une punition à laquelle on ne peut échapper
dire fidnemid nair / Est la peine encourue pour l’abattage de l’arbre sacré.
Ni bie fidnemid/ On ne peut pas couper un arbre sacré
fiachaib secht n-airech / Et éviter une amende équivalant à l’abattage des 7 arbres nobles
ara teora bu/ Soit une amende de trois vaches
inna bunbeim bis / Pour avoir abattu son tronc.
Biit alaili secht / Il y en existe 7 autres
setlaib losae / Punis par une peine calculée en sèt pour leur sous-bois.
Laumur ar dochondaib/ Que l’on me permette ici à l’attention des jeunes débutants
dildi cailli / D’établir la liste des choses qu’i est permis de prendre dans une forêt:
cairi fulocht benar / Le bois de chauffage pour un chaudron,
bas chnoe foisce / Une poignée de noix mûres
frisna laim i saith soi / Pour l’obtention de laquelle on ne tend pas la main autant de fois que l’on veut.
Slanem de/ Le plus incontestable des droits
dithgus dithli / Est le droit de les cueillir.
Dire ndaro / Pénalité pour l‘abattage d’un chêne,
dire a gabal mar / La punition pour avoir fait tomber ses branches maîtresses
mess beobethad / Et son tronc porteur de vie
bunbem n-ibair/ L’abattage du tronc d’un if
inonn cumbe cuilinn / La même peine que pour l’abattage d’un houx.
Annsom de/ La plus lourde de toutes les peines
dire secht n-aithlech / Est la pénalité pour les sept arbres non nobles de la forêt
asa mbi bo / Une vache d’amende pour chacun d’entre eux:
bunbeim beithe / La coupe d’un tronc de bouleau,
baegal fernae / S’en prendre à un aulne,
fube sailech/Faire tomber un saule.
sluind airriu aithgein/ Nécessitent la perception d’une compensation.
anog sciath/Tout comme s’en prendre à l’aubépine
sceo draigin/ Et au prunellier;
dringid co fedo forball/ L’amende s’étendra même au sous-bois de ces arbres,
forball ratho/ Le tapis de fougère,
raited, aine/ Le myrte des marais les roseaux,
acht a ndilse do flaithib/Sauf ceux qui sont à la disposition des seigneurs.
ÉTHIQUES INDIVIDUELLES
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ET ÉTHIQUE DES RESPONSABLES.
Dliged (Devoir) des rois
Compert Con Culainn : Am túalaing mo daltai. Am dín cech dochraite. Dogníu dochur cech tríuin, dogníu sochur cech lobair…. être le fléau des forts le défenseur des faibles (Fergus).
Devoir des chevaliers
Dáig níbá miad nó níba maiss leiss echrad nó fuidb nó airm do brith óna corpaib no marbad.
Car il [Cuchulainn] ne lui semblait pas honorable de prendre les chevaux les habits ou les armes des cadavres de ceux qu’il avait tués.
Devoir des soldats.
« Nád bia etir, ar ní gonaim aradu nó echlachu nó áes gan armu ».
« Je ne vous tuerai pas, je ne blesserai ni les cochers, ni les messagers, ni les hommes sans armes » (Cuchulainn, Tain Bo Cualnge, Lebor Laignech).
Max Weber, Politik al Beruf (1918/19) in Gesammelte politische Schriften.
« On doit résister avec force au mal, car s’il échappe à notre contrôle cela engage notre responsabilité »
Rien à redire à cette maxime sinon que le terme « intelligence » serait plus approprié. Quoi qu’il en soit ce qui est sûr c’est qu’un des premiers penseurs à avoir repris l’antique distinction ou opposition des très sachants de la druidiaction (druidecht) entre éthique personnelle et morale politique, ou entre l’éthique individuelle et le sens des responsabilités qui doit animer les princes qui nous gouvernent (les bons rois comme Cormac Mac Airt autrefois , les faiseurs d’opinions dans les démocraties d’aujourd’hui) est le philosophe allemand Max Weber, un des pères de la sociologie moderne, né à Erfurt en 1864 et décédé à Munich en 1920, qui exerça le métier de professeur à Fribourg et à Vienne. En 1918, il participa au lancement du parti démocrate allemand libéral.
Weber n'a pas seulement exercé une durable influence sur le débat éthique ; il a contribué à lui donner sa forme actuelle. Par réaction aux profondes crises sociales et politiques du début du XXe siècle, il a été le premier à introduire la notion de responsabilité dans le discours politique éthique. La doctrine de l’éthique qui prévalait en politique à l’époque affirmait que ce qui importait, c’était les bonnes intentions, nonobstant les conséquences concrètes de ses actes et en dédaignant de prendre en compte les résultats parfois indésirables des actions entreprises suite à ces bonnes intentions… Weber n’entend pas abolir la morale: ce qu’il conteste, comme les pragmatiques, c’est la notion de morale «pure», qui tombe elle-même dans l’immoralité et ouvre la voie au déclin des valeurs sociales. Le moraliste ou le détenteur d'une éthique de convictions a atteint déjà son but lorsqu'il entend être généreux et seulement généreux. Après avoir eu cette bonne intention, purifié sa volonté de toutes les mauvaises intentions et de toutes les pensées immorales, il devient quelqu’un de bien : un journaliste par exemple (mais pas un chirurgien) ! Au contraire d’Adam Smith et de sa main invisible, mais plutôt conformément à Malthus Max Weber té des conséquences prévisibles. L'éthique ne se focalise plus seulement sur les bonnes intentions, mais aussi sur le résultat global de ces actions, dans la mesure où on peut les anticiper, les évaluer, les comptabiliser. Cela signifie qu'il faut toujours garder en tête les réalités du monde quotidien : il faut analyser le monde tel qu'il est et non tel qu’il devrait être. Être responsable cela implique qu’on ne peut faire comme si le monde ou un être humain était comme on voudrait qu’il soit. L’éthique de responsabilité prend en compte les défaillances habituelles chez les êtres humains et ne compte pas sur l’intervention in extremis d’un deus ex machina polythéiste ou d’une main invisible divine comme Adam Smith. On n'a pas le droit de postuler leur bonté et leur perfection (Max Weber, Politik als Beruf, in Gesammelte politische Schriften).
La conclusion de tout ceci est simple.
On est libre de faire ce que l’on veut en ce qui concerne sa vie personnelle, ses deniers personnels, sa maison, son jardin, ses mœurs ; on n’a pas le droit d’en faire retomber directement ou indirectement les conséquences ou le poids sur ses voisins s’ils ne sont pas d’accord avec une telle solidarité d’office. Faire la charité aux frais d’autrui, avec l’argent des autres, est une perversion de la morale. Un roi ou un grand seigneur peut faire ce qu’il veut à titre personnel, avec ses deniers personnels. Il n’a pas le droit d’imposer ses mœurs ou de faire ce qu’il veut avec les deniers de ses vassaux. En ce qui concerne les deniers de ses vassaux ou tout autre sujet analogue (mœurs, etc.), le devoir qui s’impose aux responsables est au contraire d’en assurer une gestion « en bon père de famille ».
LES INSTRUCTIONS DE CUCHULAINN À SON FILS ADOPTIF LUGAÏD.
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Ci-dessous les conseils en quelque sorte « déontologiques » (tegas flatha en gaélique, magga ariyattangika dans le bouddhisme) que donne Cuchulainn à son fils adoptif, Lugaid aux raies rouges, le futur roi des rois du pays.
Comme le lui avait appris son maître Sencha (un grand peuple ne viole jamais les règles du franc-jeu avec un inconnu ) et ainsi que nous l’avons dit à maintes reprises, mais on ne le répétera jamais assez ; Setanta Cuchulainn en effet ne violait jamais le Fir Fer, ne tuait ni les cochers, ni les messagers, ni les gens désarmés ; en outre il ne lui semblait ni noble ni beau de prendre les chevaux, les vêtements, ou les armes, des hommes abattus (autrement dit de les dépouiller. Voir récit de l’enlèvement des bœufs de Cooley).
Ce sont bien évidemment des gessa éthiques de niveau kission, comme tous ceux qui concernent les rois ou les grands seigneurs. Ils étaient en effet appelés à mourir sur le champ de bataille un jour ou l’autre, sans faire de vieux os, et à se réincarner dans le monde parallèle de nature paradisiaque, des braves, appelé Vindomagos.
Ne provoque pas (taerrechtach) de querelles violentes et meurtrières ?
Ne sois pas arrogant (díscir), inaccessible, hautain.
Ne sois pas intraitable, orgueilleux, emporté, impulsif.
Ne te laisse pas corrompre par la richesse qui avilit ou égare.
Ne sois pas comme une mouche tombée dans de la bière lors de ta visite du château d’un roi de province ??
Économise les festins accordés à des étrangers,
Ne descends pas chez de petites gens incapables de te recevoir
Comme il sied à un roi.
Ne laisse pas la prescription venir mettre un terme aux affaires d’usurpation de biens.
Fais interroger ceux qui savent avant de décider qui est le légitime héritier d’une terre
Entoure-toi d’érudits (senchaid) pour collaborer avec toi
À la recherche de la vérité
Fais en sorte que les frères ? puissent jouir de leurs terres paisiblement leur vie durant .
Fais mettre à jour les listes généalogiques
Quand les générations se multiplient et se ramifient,
Fais appel aux vivants afin que sur la foi de leur serment on les remette en possession
Des lieux où leurs morts résidaient avant eux
Fais en sorte que les héritiers soient maintenus dans leurs droits légitimes
Fais par contre expulser les étrangers occupant illégitimement leur patrimoine, au besoin par la force.
Ne contredis pas pour le plaisir de contredire
Ne parle pas trop fort
Ne raille personne.
N’insulte pas.
Ne te moque pas des personnes âgées.
N’aie de prévention [d’a priori] sur personne.
N’impose pas de choses trop difficiles à faire (geis).
N’éconduis personne.
Suis l’enseignement des sages.
Caín-ois. Caín-era. Caín-airlice.
Accorde comme il faut. Refuse comme il faut. Conseille comme il faut.
N’oublie pas les instructions des anciens.
Suis la coutume.
N’aie pas le cœur froid envers tes amis.
Sois ferme envers tes ennemis.
Ne sois jamais partie prenante dans les bagarres ou les querelles ???
Nírbat scélach athchossánach.
Ne médis pas d’autrui ?
N’extorque rien.
N’amasse pas [comme un avare].
Consecha do chúrsachad i n-gnímaib antechtai.
Fais condamner ou punir ceux qui commettent des injustices,
Ne soumets jamais la justice à la volonté de certains.
Ne moissonne pas ????(tathboingid) de peur de t’en repentir.
Aie toujours la victoire modeste afin de ne pas être odieux.
Ne sois pas paresseux si tu ne veux pas te retrouver en position de faiblesse ??
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Ne sois jamais trop avide afin de ne pas être vulgaire.
Consens-tu à suivre ces conseils mon fils ???
(Serglige conculainn la maladie de Cuchulainn et l’unique jalousie d’Aemer).
Commentaires personnels de l’auteur de cette compilation.
Le futur se construit à chaque instant par le comportement individuel et une meilleure compréhension de la loi de cause à effet : il importe donc de porter toute son attention sur le moment présent, afin de faire les meilleurs choix possibles. Et ceci que l’enjeu soit immense ou minuscule, car rien n’est indifférent.
Un battement d’ailes de papillon à Paris peut provoquer quelques semaines plus tard une tempête sur New York. Cette image décrit l’effet papillon tel qu’il a été mis en évidence par le météorologue Édouard Lorenz. Edouard Lorenz a découvert que dans les systèmes météorologiques, une infime variation d’un élément peut s’amplifier progressivement, jusqu’à provoquer des changements énormes au bout d’un certain temps. Cette notion ne concerne pas seulement la météo, elle a été étudiée dans différents domaines.
Les actions du corps, de la parole, et de l’esprit, ont des conséquences pour nous-mêmes et pour ce qui nous entoure, les autres hommes ainsi que notre environnement. Dans le druidisme, une action n’est donc ni bien ni mal en elle-même, mais elle est favorable ou défavorable (matus/anmatus) selon la motivation et l’état d’esprit qui la sous-tendent. En conséquence, certaines mauvaises actions peuvent se révéler aussi parfois très utiles. C’est pourquoi d’ailleurs il existe des dieu-ou-démons de la colère de la guerre de la jalousie, etc.
N’éconduis personne. Ce n’est pas le cas de certaines administrations en France (justice, impôts) qui se permettent un peu trop souvent de ne pas répondre aux lettres qu’on leur envoie ou classer sans suite certaines affaires pourtant légalement qualifiées de criminelles, mettant en cause des notaires.
Sois ferme avec tes ennemis. Et non pas sois fort avec les faibles et faible avec les puissants, ce que certains blogueurs ont reproché à la journaliste Pascale Clark (Superno, Marianne lundi 12 mars 2012).
Consecha do chúrsachad i n-gnímaib antechtai. Fais condamner ou punir ceux qui commettent des injustices. Notons que notre héros n’est pas un dieu, mais un demi-dieu ne bénéficiant d’aucune isma particulière à la différence de Mahomet, que cette formule est quand même moins contraignante que le fameux « Vous êtes la meilleure communauté suscitée pour les hommes, vous ordonnez le bien et vous interdisez le mal » des musulmans (chapitre 3 verset 110 du saint Coran) et qu’en outre elle ne s’applique qu’à la vie civile (donc peut se résumer à « condamne ce qui est manifestement illégal »). Le seul problème c’est que les druides antiques assimilaient justice et vérité. Était juste ce qui était vrai ou inversement était vrai ce qui était juste. Réprouver ce qui est mal, c’est déjà beaucoup et même peut-être suffisant, mais ordonner le bien… alors là c’est la porte ouverte à tous les totalitarismes. Coran toujours, chapitre 3 verset 19 : « aux yeux de Dieu la vraie religion c’est l’islam ou soumission (à Dieu) ».
Le principe « ce qui n’est pas interdit est a contrario permis » est plus compatible avec notre idée de la liberté humaine. Ordonner le bien !!! Brrr !!! La porte ouverte à toutes les dictatures par définition surtout quand on croit savoir que, contrairement à la Bible, le Coran ne constitue pas un récit humain du message divin (tel qu'attesté par les savants et sages de la Synagogue ou de l'Église), mais est le « texte original » de la révélation divine **. À l'époque même de la révélation, ces paroles furent mémorisées puis consignées (par les compagnons du prophète) en un recueil unique en employant une méthode très rigoureuse de recoupement de sources (sic, fin de la citation).
Consens-tu à suivre ces conseils mon fils ?
Autrement dit et en d’autres termes on croirait l’antiportrait de certains présidents français de notre connaissance pour ce qui est du début (vivante illustration en outre du vieil adage sur l’hôpital qui se moque de la charité, jusqu’à en donner la nausée), mais après à la fin ça vire au portrait-robot d’un candidat « républicain » en campagne. Le programme politique de Lugaid est en effet surtout conservateur ce qui n’est guère étonnant pour un chef d’État responsable évidemment, et attache beaucoup d’importance à la défense du droit de propriété, nous dirions donc qu’il correspond plutôt à
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celui de nos modernes républicains au sens classique du terme par conséquent s’il n’était le fait d’un monarque.
** La théorie du Coran incréé. Mon Dieu, mais comment peut-on croire ça ??? L’œil a son point aveugle dite tache de Mariotte. Nous sommes bien obligés d’admettre que certains de nos congénères humains ont un cerveau lui aussi doté malheureusement d’un équivalent intellectuel de la tache aveugle de Mariotte. Arrivés à certains endroits de la route (dans des courbes ou dans des côtes) leur cerveau passe au point mort, il ne fonctionne plus. Leur foi n’a plus rien à voir avec la raison.
Reste bien entendu l’hypothèse où le Coran serait une parole démoniaque ou diabolique puisque certains versets reconnaissent explicitement que Satan peut tromper même les plus grands prophètes : « Nous n’avons jamais envoyé avant toi de messager ni de prophète sans que Satan l’induise [en erreur] » (chapitre 22 verset 52).
En ce qui nous concerne, nous récusons néanmoins également cette hypothèse, car le Coran est bien une parole humaine et même jusque dans sa prétention de n’être qu’une parole divine il est justement humain, trop humain, terriblement humain. Et nous ne respectons par conséquent l’islam et les musulmans que dans l’exacte mesure où ils nous respectent nous autres qui sommes consciemment des kouffar, cela s’appelle la réciprocité, c’est un des principes de base de toute vie en société . Sur un plan négatif, cela donne la loi du talion théorisée par les Hébreux dans la Bible, cela donne la nécessité de sanctionner toute mauvaise action dans l’ancien druidisme. Ainsi que le reconnaît saint Patrice lui-même dans le Senchus Mor, il y a renforcement de la cohésion sociale (au moins dans le cas des sociétés païennes) quand une mauvaise action ne reste pas impunie (Intud i ngeindtleacht gnim olc mad indechur).
Sur un plan plus positif cela donne cela donne eh bien le plus grand respect justement : je ne fais pas à autrui ce que je ne voudrais pas qu’il me fît (règle d'or). Alors petite question maintenant, vous qui croyez en Dieu (en la conception de Dieu que l’on désigne sous le nom d’Allah), me respectez-vous moi qui ni suis ni juif ni chrétien ni musulman ni parsi, mais dont les idées oscillent suivant les sujets ou mon humeur entre panthéisme (tout est dieu) panenthéisme (tout est en Dieu) agnosticisme (je ne suis pas sûr de la voie cultuelle qui doit être suivie) voire athéisme ?
LES CONSEILS DE CORMAC À SON FILS CAIRBRE.
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(Cormac est un roi d’Irlande ayant théoriquement régné au IIIe siècle).
Un des plus intéressants textes à ce sujet, outre celui qui est attribué au Hésus Cuchulainn lui-même, est celui qui est intitulé Teagasc an Riogh (instructions pour un roi, magga ariyattangika dans le bouddhisme). Ce texte est censé avoir été composé par le grand roi d’Irlande Cormac, durant sa retraite spirituelle à Cleite Acaill sur la Boinne (au IIIe siècle) ; à l’intention de son successeur Cairpre. Ce traité a servi à former des générations entières pendant des siècles. Il contient des choses qui ont visiblement été rajoutées pour faire plus chrétien, mais la partie ci-dessous semble dénuée de toute interpolation.
Pour faire court, nous avons supprimé un certain nombre de répétitions, et nous invitons tout le monde à consulter les diverses traductions de ce document très révélateur.
En voici donc quelques extraits
Tecosca Cormaic. Consignes du roi Cormac.
Version T.W. Rolleston 1910.
Que le roi réfrène les grands
Qu’il exalte le bien
Qu’il fasse régner la paix
Qu’il établisse des lois
Qu’il protège le juste
Qu’il mette hors d’état de nuire l’injuste
Que ses guerriers soient nombreux et ses conseillers peu nombreux
Qu’il resplendisse en compagnie et brille dans la salle des fêtes
Qu’il punisse d’une lourde amende le mal fait sciemment
Et d’une amende plus légère le mal commis par ignorance.
Cairbry demanda : « Quelles sont les bonnes coutumes à observer pour une tribu ? »
Celles qui suivent répondit Cormac.
Avoir de fréquentes assemblées
Être toujours en quête d’informations, interroger les sages
Maintenir l’ordre dans les assemblées
Suivre l’ancienne sagesse
Ne pas écraser les misérables
Rester fidèle aux traités
Conforter les parentèles
Que les combattants ne soient pas arrogants
Respecter fidèlement les contrats
Garder les frontières des maux les plus divers.
Dis-moi, Cormac, demanda Cairbre, quelles sont les bonnes manières à suivre pour qui donne un festin ?
Et Cormac répondit :
Avoir toutes les lampes allumées
Amuser la compagnie
Faire couler la bière à flot
Raconter de courtes histoires
Avoir la mine joyeuse
Garder le silence lors des récitals.
Dis-moi Cormac, demanda encore son fils, qu’avais-tu l’habitude de faire quand tu étais enfant ?
Et Cormac répondit :
J’allais dans les bois pour écouter,
J’observais les étoiles,
Je ne me mêlais pas des secrets des gens
J’étais affable dans la salle de réception
J’étais féroce dans la mêlée
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Je ne promettais pas sans arrêt
Je respectais les anciens
Je ne disais du mal de personne en son absence
Je préférais plutôt donner que demander.
Si tu veux suivre mes conseils ajouta Cormac
Ne te moque pas des personnes âgées, car tu es jeune
Des pauvres, car tu es riche
De ceux qui n’ont rien à se mettre, car tu es bien habillé
Des boiteux, car tu es vif
Des aveugles, car ta vue est perçante
Des invalides, car tu es robuste
Des fous, car tu es sage.
Ne sois pas non plus indolent, ni féroce, ni endormi, ni avare, ni bon à rien, ni envieux, car tout cela est haïssable.
Ne te joins pas à un blasphème, ne sois pas la tête de Turc d’une assemblée, ne sois pas rabat-joie dans une brasserie, et n’oublie jamais de rendez-vous avec une femme.
Si tu veux m’écouter, dit Cormac, voici les conseils que je te donne en ce qui concerne ta maison et ton royaume.
Ne laisse pas un homme ayant beaucoup d’amis gérer tes biens
Ni une femme avec des fils et des fils adoptifs s’occuper de ta maison
Ni un grippe-sou être ton maître d’hôtel
Ni un homme jamais pressé être ton meunier
Ni un homme violent et au langage grossier être ton émissaire
Ni un paresseux grognon être ton serviteur
Ni un bavard être ton conseiller
Ni un buveur être ton échanson
Ni un homme à la vue basse être ton gardien
Ni un homme aigri et hautain être ton portier
Ni un homme au cœur tendre juger en ton nom
Ni un ignorant être ton guide
Ni un malchanceux te donner des conseils.
Dit autrement et pour résumer disons que les druides antiques n’avaient pas attendu le Prince de Machiavel pour penser qu’il faut parfois quand on est un responsable politique agir différemment de ce que tout honnête homme se devrait de faire à titre individuel. Par exemple ne jamais écouter les flatteurs afin d’éviter l’effet de cour. Des flatteurs qui, il est vrai, ne doivent guère fourmiller dans l’entourage d’un homme ordinaire.
Le Prince machiavélien doit être pourvu de vertus morales et politiques (fondée sur la ruse et la force) et doit maîtriser l’art de la guerre. Si vis pacem para bellum. Un bon Prince se maintiendra s’il a le sens de l’anticipation, et la PRUDENCE, art de saisir les situations singulières. La fortune étant un « fleuve impétueux » le Prince doit prévenir les affres du destin, agir pour anticiper le futur. Machiavel va même jusqu’à conseiller à son prince la duplicité en soulignant que ce qui compte c’est de paraître juste aux yeux du peuple, de paraître juste, et non de l’être réellement à titre personnel (différence entre l’être du Prince et son paraître).
Ce que les druides ne prônaient quand même pas. Ce que les druides antiques conseillent simplement à leur prince ou vergobret, c’est de mettre en œuvre des vertus positives, nous disons bien des vertus positives, qu’on n’attend généralement pas d’un homme ordinaire. En deux mots un prince ou un vergobret doit avoir certaines qualités EN PLUS. Et si elles ne sont pas innées en lui, ces qualités, le prince ou le vergobret doit se forcer à les développer. Ce qui somme toute reviendra au même en matière de politique.
CONSEILS DE VINDOBARROS 1) AUX FÉNIANES. (ADAPTATION MODERNE À LA ROLLESTON.)
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Car il est temps maintenant pour résumer de faire nous-mêmes du Rolleston.
Louez chaque force irrésistible, voyez positivement chaque force irrésistible, et Dieu ou le Démiurge sera en vous.
Se comporter de façon éthique c’est suivre les lois de la nature que personne ne peut détruire.
L’univers qui nous entoure est un éternel chaos, et par cela immensément divin.
Ce chaos induit un mouvement perpétuel, et de lui naissent les forces de la nature, auxquelles nous sommes redevables, car de celles-ci dépendent notre vie et notre mort.
L’univers ou bitos procrée sans cesse et ne possède pas de limites, il dure une éternité (aiu).
Croyez en une vie harmonieuse, en liaison avec les forces naturelles, dont l’Homme est témoin, mais aussi responsable (rectu adgenias).
Les forces naturelles qui ont régné, règnent et régneront, seront alors pour vous. La foi, c’est l’instinct. La raison, le combat, l’honneur, et le savoir, contribuent à son épanouissement.
L’Homme n’a aucune influence sur les desseins des dieu-ou-démons, lesquels sont tout puissants.
Les Dieu-ou-démons comme le Destin donnent toujours des signes.
Toute la difficulté est de les décrypter.
Le mal et la souffrance sont inéluctables, et c’est par ces actes forts qu’ils te font savoir que tu es comme l’un d’entre eux.
La mort constitue la condition indispensable de l’évolution.
La vie est un combat, et donc un mouvement vers la perfection.
La lutte porte instinctivement chaque être humain vers elle et lui donne de la force.
Nos erreurs ne sont effacées que par nos actions.
Travaille sur toi, acquière le savoir, entraîne ton corps, et affûte ton esprit, car tes capacités sont infinies.
Gagne en force, aiguise ton esprit, cherche le savoir, conduis-toi toujours avec honneur, et tu seras un homme, un vrai, tu feras honneur à ton Dieu ou Démiurge.
Cultive aussi la raison et la foi, la droiture, la responsabilité, le courage, la fidélité, la volonté, ainsi que le savoir-faire.
Combats l’ignorance, l’inconstance, la fourberie, la soumission, la perfidie, sans oublier la peur, la maladie, et la passivité… qui sont en toi 2).
Ta communauté à toi est ton unique raison d’être. Ne la laisse jamais ni se détruire ni vaciller. Défends celle-ci ainsi que la terre où elle vivait bien avant toi. Car elles ne dépendent pas de l’adoration des dieu-ou-démons, mais de toi et ta famille.
Bien et liberté se ramènent toujours à ce qui rend service à ta communauté à ta famille et à la terre où vous vivez. Le mal, c’est ce qui est mauvais pour ta communauté, ta famille et la terre où vous habitez.
Qui ne peut te comprendre ne saurait régner sur toi ta famille ou la terre où vous vivez. Ne laisse jamais ta communauté, ta famille, et la terre, où vous vivez ensemble, devenir la proie d’un étranger, fais bloc avec eux.
Apprécie ta liberté, celle de ta famille, ainsi que celle de la terre où vous demeurez, combats pour elle comme tu peux et là où tu peux.
Ne cherche pas de querelles à tes proches, sois bon avec eux.
Ne tue pas ton prochain sans raison, ne le trahis pas, ne le vole pas.
Respecte la culture et la langue de tes aïeux, c’est un devoir sacré envers eux.
La famille te donne l’immortalité, elle assure ta descendance.
Honore tes ancêtres, car tu leur es redevable de ta vie.
Voilà quels sont tes droits naturels, ils ne sont ni bons ni mauvais, ils sont comme la nature elle-même.
1. Actuel dieu-ou-démon souverain du panth-éon ou plérôme celtique pour nos amis irlandais.
2) Symbolisées par la maladie des Ulates en Irlande (Ces noinden).
SAGESSE POPULAIRE.
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Force est de constater que, malgré les protestations du Savoyard (Suisse) Jean-Jacques Rousseau et son délire sur le bon sauvage, l’injustice existe et il y a des psychopathes ou sociopathes. 1% de la population ? Il y en a donc des centaines en liberté dans votre ville, des dizaines dans votre quartier. Et si on rajoute les menteurs, les voleurs, les lâches et ainsi de suite…
Le gaélique, qui n’est pas une langue politiquement correcte, ose le dire dans un de ses proverbes en des termes assez imagés, « drochubh, drochéan », « mauvais œuf, mauvais oiseau ». Un acte injuste est l’acte d’une personne injuste.
Si vous êtes l’auteur d’un mauvais ubh (œuf), vous plaiderez coupable, ou non coupable, selon la façon dont vous arrivez à vous arranger avec la partie adverse. Mais pour être à la fois « coupable sans être responsable » d’un mauvais œuf, il faut être un homme politique français, sinon cela reste au-delà des moyens du commun des mortels.
Pour la petite histoire, en anglais, la deuxième langue officielle de la République d’Irlande, « prendre du galon ou de la soie », signifie pour un avocat être nommé à un grade supérieur.
Le proverbe qui suit, bien que n’ayant rien à voir directement avec la noble profession d’avocat spécialisé dans les divorces, n’est évidemment pas complètement hors du propos.
« Cuir síoda ar ghabhar agus is gabhar i gconaí ».
« Mettez de la soie sur une chèvre, elle reste toujours une chèvre ».
La sagesse gaélique sous-entend un autre cas de figure, une espèce d’anti-loi, dans laquelle il n’y a pas de loi, voir le proverbe ci-dessous. En revanche, il est déconseillé de vous y référer trop souvent, car elle n’est que rarement recevable dans les cours de justice !
« níl aon dlí ar an riachtanas » : « Nécessité fait loi ».
Certaines de ces maximes ont sans doute les Fénianes comme origine, mais il importe de rappeler ici que le comportement des Fénianes était considéré comme un exemple à suivre (un peu comme Mahomet en terre d’islam) même pour toutes les autres classes de la société celtique, et pas seulement pour celle des guerriers. L’expression gaélique « Cothrom na Feinne » désigne d’ailleurs encore en gaélique cette sorte d’esprit chevaleresque avant la lettre.
CONSEILS ET MISES EN GARDE DIVERS DONC, ADRESSÉS AU COMMUN DES MORTELS.
Proverbes et dictons gaéliques par T.D. MacDonald - Stirling 1926.
Abair ach beagan agus abair gu math e [Parle peu, mais bien].
Aithnichear an leomhan air scriob de iongann [Le lion se reconnaît à la marque de ses griffes].
An ràmh ist fhaisg air laimh , iomair leis [Rame avec les avirons auxquels tu peux t’accrocher].
An neach nach cìnn na chadal, Cha chìnn e na dhuisg [Qui ne dort pas bien ne réussit pas mieux éveillé].
An làmh a bheir 'si a gheibh, Mar a d'thugar do dhroch dhuin'e [La main qui donne est une main qui recevra, sauf quand on donne à un méchant homme.]
A lion beag ìs bheagan, mar a dh' ith an cat an t-iasg [Petit à petit, ainsi que le chat mange le poisson.]
An rud a nithear gu math, chithear a bhuil [Ce qui est bien fait se verra dans les résultats].
An uair a bhios sinn ri òrach Bidheadhmaid ri òrach; 'S nuair a bhios sinn ri maorach, Bidheadhmaid ri maorach [Quand tu cherches de l’or, cherche de l’or; Et quand tu cherches de quoi appâter cherche de quoi appâter].
Am fear nach gheidh na h-airm 'nam na sìth, Cha bhi iad aige 'n am a chogaidh.[Qui ne sait pas laisser ses armes de côté en temps de paix manquera d'armes quand la guerre aura éclaté].
Air rèir do mheas ort fhèin 'S ann a mheasas càch thu [On t’estimera toujours conformément à la façon dont tu t’estimes toi-même].
A cheud sgeul air fear an taighe, Is sgeul gu làth' air an aoidh [Première histoire de la part de l’hôte, et contes jusqu'au lendemain matin de la part l'invité].
Am fear a bhios fad aig an aiseig Gheibh e thairis uaireigin [Celui qui attend longtemps la navette finira un jour par réussir à traverser].
Am fear nach seall roimhe Seallaidh e as a dheigh [Qui ne regardera pas devant lui regardera derrière lui].
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An ràthad fada glan, is an ràthad goirid salach [Le chemin le plus long est propre, et le raccourci sale].
An rud nach gabh leasachadh, 'S fheudar cur suas leis [Ce qui ne peut être aidé doit être installé avec tout ce qu’il faut]
An rud a thig gu dona falbhaidh e leis a ghaoith [Ce qui est acquis par la ruse disparaîtra au premier coup de vent].
Buinidh urram do'n aois [Les honneurs reviennent aux anciens].
Bheir an èigin air rud-eigin a dheanamh [La nécessité fera qu’il y aura quelque chose de fait].
Bheirear comhairle seachad ach cha toirear giùlan [Un conseil peut être donné, mais jamais suivi].
Bior a d'dhòrn na fàisg; Easbhuidheachd ri d' nàmhaid na ruisg; Ri gearradh-sgian a d' fheol na èisd; Beisd nimheil ri d' bheò na duisg [Ne serre pas l’épine dans ta main; ne dévoile pas ce que tu prémédites de faire à ton ennemi; n’écoute pas le poignard qui te menace; ne réveille pas le serpent qui dort].
Bithidh sonas an lorg na caitheamh [Contentement suit générosité].
Bithidh cron duine cho mòr ri beinn mas leir dha fhèin e [Les fautes de quelqu’un doivent être grandes comme des montagnes pour qu’il les reconnaisse].
B'fhearr a bhi gun bhreith na bhi gun teagasg [Mieux vaut ne pas être qu’être dénué d’instruction].
B'fhearr gun tòiseachadh na sguir gun chriochnachadh [Mieux vaut ne jamais commencer que d’arrêter sans avoir fini].
Cha tig as a phoit ach an toit a bhios innte [Les fumets ne viennent pas du pot, mais de ce qu'il contient].
Cha'n fhiach gille gun char, 'S cha'n fhiach gille nan, car [L'homme qui n’aucun tour dans son sac ne vaut rien, et celui qui en a beaucoup non plus].
Cha'n fhiach bròn a ghnàth, 'S cha'n fhiach ceòl a ghnàth [Toujours pleurer n’est pas bon, et toujours faire la fête non plus].
Cha'n eil fealladh ann cho mòr ris an gealladh gun choimhlionadh [il n'est pire tromperie qu’une promesse non tenue].
Cha'n eil saoi gun choimeas [il n'est point de héros sans comparaison avec un homme ordinaire].
Cha sgeul rùin e is fios aig triuir air [Un secret partagé à trois n’est plus un secret].
Eiridh tonn air uisge balbh [Les vagues surgissent de l’eau qui dort].
Feuch gu bheil do theallach fhéin sguaibte, ma's tog thu luath do choimhearsnaich [Fais attention à ce que ton propre foyer soit bien balayé avant de retourner les cendres de ton voisin].
Gealladh gun a'choimhghealladh, is miosa sin na dhiultadh [promettre sans tenir est pire que refuser].
Is fhearr na'n t-òr sgeul air inns' air chòir [Une histoire bien racontée vaut mieux que de l’or].
Is fhearr bloigh bheag le bheannachd, na bloigh mór le mallachd [Mieux vaut une petite chose accordée avec une bénédiction qu'une grande assortie d’une malédiction].
Is fhearr còmhairl na thrath, na tiodhlac fadalach [Un conseil en temps opportun vaut mieux qu'un cadeau tardif].
Na las sop nach urrainn duit féin a chuir as [N’allume pas de feu que tu ne puisses éteindre).
Tagh do chomhluadar ma'n tagh thu do dheoch [Choisis tes compagnons avant de choisir ta boisson].
Thig crioch air an saoghal, ach mairidh gaol is ceòl [Le monde passera, mais l'amour et la musique dureront].
Na sir 's na seachainn an cath [Ne cherche pas la bagarre, mais ne la fuis pas non plus].
Aithnichear duine air a chuideachd [On connaît un homme à sa compagnie].
Am fear a ghleidheas a theanga, gleidhidh e a charaid [celui qui tient sa langue garde ses amis].
Faodaidh fearg sealltainn a stigh air cridh an duine ghlic, ach còmhnaichidh i an cridh an amadain [La colère peut visiter le cœur d'un homme sage, mais elle reste à demeure dans le cœur d'un imbécile).
Theid duine gu bàs air sgàth an nàire [Un homme peut mourir pour sauver son honneur].
Proverbes et dictons gaéliques extraits du « Guide du monde gaélique » par Michael Newton, Four Courts Press 2000.
Cha nigh na tha de uisge anns a' mhuir ar cairdeass [Toute l'eau du monde ne saurait suffire à nous débarrasser de notre parenté].
An leanabh a dh'fhagar dha fhe\in, cuiridh e a mhathair gu naire [L'enfant qui est laissé à lui-même apportera la honte à sa mère].
Cuimhnich air na daoine bhon ta\naig thu [Souviens-toi des gens dont tu descends].
Am fear a labhras olc mu 'mhnaoi, tha e a cur mi-chliu air fhein [L'homme qui parle mal de sa femme ruine lui-même sa propre réputation].
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Bheirinn cuid-oidhche dha ged a bhiodh ceann fir fo 'achlais [Je lui fournirais le gîte et le couvert pour la nuit, même s’il avait la tête d'un homme sous le bras].
Gus an traighear a' mhuir le cliabh, cha bhi fear fial falamh [tant que l'océan n’aura pas été vidé avec un panier, l'homme généreux ne restera jamais les mains vides].
Gach cuis gu cumhnant [Que tout se fasse d’un commun accord].
Cha bhi suaimhneas aig eucoir no seasamh aig droch-bheairt [Ce qui n’est pas juste ne dure pas, les mauvaises actions non plus].
Cha mhair a' bhreug ach seal [Un mensonge ne dure pas longtemps].
Am fear a chaill a naire is a mhodh, chaill e na bh' aige [Qui a perdu ses biens et ses bonnes manières a perdu tout ce qu'il avait].
Feumaidh an talamh a chuid fhein [La terre -c'est-à-dire la tombe- aura sa part]
Am fear a gheibh gach latha bas, 's e as fhearr a bhitheas beo [L'homme qui risque la mort chaque jour est l'homme qui vit le plus intensément].
Chan eil air a' chruadal ach cruadhachadh ris [Le seul remède contre l’adversité est de s’y endurcir].
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RAPPEL SUR LES TEAGASC NA RIOGH.
Nous avons donc eu l’occasion dans le cadre de ce brouillon d’essai, de dire deux mots du genre littéraire irlandais des Teagasc na Riogh.
Le 'Teagasc na Riogh' est un livre d'instructions royales écrit par le grand roi Cormac mac Airt. Il se présente sous la forme d’un dialogue entre lui et son fils. Mais c’est en fait un genre littéraire beaucoup plus ancien et universel.
C’est en Égypte et en Mésopotamie en effet que l’on trouve les premiers écrits dressant le portrait des droits et des devoirs du dirigeant.
Les premiers documents dont nous bénéficions doivent néanmoins être analysés comme des formes d’autopanégyrique émanant des pharaons eux-mêmes, et ce, malgré la variété de ces témoignages : inscriptions épigraphiques sur les pyramides aussi bien que récits historiques ou encore écrits de type privé.
Progressivement, la communication cesse d’être unilatérale, dans la mesure où, à la fin de l’Ancien Empire et durant la période de crise que constitue la Première Période intermédiaire (XXIIe-XXIe siècles avant notre ère), apparaissent des écrits qui semblent émaner de l’entourage du Pharaon et qui prennent la forme de conseils adressés au dirigeant, voire d’une critique. Le Nouvel Empire (XVe Xe siècles avant notre ère) voit le dialogue s’élargir encore davantage puisque s’y développent des hymnes au Pharaon, louanges énumérant ses qualités et ses prérogatives, que les prêtres devaient lire devant le peuple. Ce rapide tour d’horizon suggère donc bien que, dès la période de l’ancienne Égypte, se construisait le portrait du dirigeant idéal, à destination du peuple, mais aussi du Pharaon lui-même :
Les hymnes au Pharaon du Nouvel Empire soulignent bien la dimension fortement religieuse que prenaient ces écrits dès la plus haute Antiquité. Parce que, dans l’imaginaire collectif des Égyptiens anciens, la fonction de pharaon est divine, l’homme qui en assume la responsabilité doit incarner la perfection de l’humanité et, ce faisant, être le dépositaire de la Maat, vertu qui doit guider les actions de tous les autres hommes…
Le décalogue égyptien est d’ailleurs composé de 42 péchés énumérés en creux ou a contrario dans ce qu’on appelle la confession négative, qui conclut le jugement des âmes dans la salle des deux Maât selon la religion égyptienne.
Les Miroirs (Speculum), qui apparaissent à l’époque carolingienne, sont destinés à renvoyer aux princes l’image idéale du gouvernant : un modèle de sagesse. Rédigés par des clercs, ils édictent les devoirs moraux attachés à la fonction royale et les vertus indispensables à tout prince. Ils expriment aussi la volonté du pouvoir ecclésiastique de contrôler et de limiter le champ d’action de la monarchie : le roi n’est que l’élu désigné par Dieu et doit mettre sa puissance au service de l’Église.
Le Policraticus (titre complet : Policraticus sive de nugis curialium et vestigiis philosophorum) est un livre de philosophie morale et politique écrit par Jean de Salisbury vers 1159. Il est surtout connu pour aborder la question de la responsabilité des rois et leur relation à leurs sujets. On le définit parfois comme le premier traité de science politique, mais ce traité ne correspond qu’imparfaitement à cette définition.
Le livre IV, un des livres les plus traduits, s’attache à décrire le prince et les obligations auxquelles il doit se soumettre. Jean de Salisbury commence ce livre par une définition du prince, qu’il oppose radicalement au tyran (Pol., IV, 1,1-3).
Est ergo tiranni et principis haec differentia sola uel maxima quod hic legi obtemperat et eius arbitrio populum regit cuius se credit ministrum.
Entre un tyran et un prince, il y a cette différence unique ou essentielle que ce dernier obéit à la loi et gouverne le peuple par ses préceptes en ne se considérant que comme leur serviteur.
Cette phrase pose un problème qui reviendra dans tout le livre IV : dans quelle mesure le prince est-il lié aux lois ou plutôt à la Loi ? Cela préoccupe à l’évidence notre auteur, qui a vécu dans l’Angleterre du XIIe siècle les conséquences de l’usurpation et de la tyrannie.
Or l’interprétation de cette définition, capitale pour la pensée de Jean, n’est pas aussi simple qu’il y paraît. La dernière partie de la phrase recèle une ambiguïté qui peut facilement passer inaperçue – et a d’ailleurs échappé à presque tous les traducteurs. La plupart des traducteurs modernes ont admis que eius se rapportait à l’antécédent legi, et cuius se rapportait à l’antécédent populum. Ainsi, Jean de
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Salisbury définirait le prince selon plusieurs critères : 1) il obéit à la loi ; 2) d’après l’esprit de cette loi, il dirige le peuple ; 3) il se croit le serviteur de ce peuple.
Mais si on tient la construction en eius… cuius comme un tout, c’est-à-dire si on considère ces deux génitifs comme se référant au même antécédent, on pourrait traduire « et dirige le peuple suivant la volonté de celui (eius) dont (cuius) il se croit le serviteur ». Et qui est ce « celui » ? À l’évidence Dieu.
Il est donc plus vraisemblable de comprendre que d’après Jean de Salisbury le prince gouverne selon la volonté de son maître, Dieu.
Gilles de Paris (Le Carolinus 1200) enseigne au futur Louis VIII les quatre vertus cardinales suivantes...
-Prudentia.
-Justicia.
-Fortitudo.
-Temperancia.
Étaient ainsi posées les bases de l’idéologie du grand monarque, qui se développent au siècle suivant, en particulier avec saint Louis. Celui-ci suivra de près l’élaboration du Speculum Majus de Vincent de Beauvais. C’est sans doute à sa demande qu’une équipe de dominicains fut chargée de rédiger un grand ensemble de « Miroirs des princes », dont fait partie le De eruditione filiorum regalium (« De l’éducation des enfants de roi ») et deux autres traités de Vincent de Beauvais destinés au futur Philippe III, ainsi que l’ouvrage du franciscain Gilbert de Tournai Eruditio regum et principum.
Louis IX lui-même, à la fin de sa vie, rédige pour son fils Philippe et sa fille Isabelle, reine de Navarre, des Enseignements qui constituent un véritable Miroir des princes.
Philippe, à son tour, devenu Philippe le Hardi, fait composer par son confesseur, le frère Laurent, un Livre des vices et des vertus (1279) qui, sous le titre de Somme-le-Roi, servira de référence pédagogique durant plus de deux siècles.
Gilles de Rome poursuit la tradition en écrivant, en 1280, pour son élève le futur Philippe IV le Bel, petit-fils de saint Louis, un De Regimine principum (« Du gouvernement des Princes »), où il propose le modèle d’un roi-clerc omniscient qui maîtrise une culture encyclopédique bâtie sur les arts libéraux, la théologie, la métaphysique et les sciences morales.
Cet ouvrage, marqué par l’influence aristotélicienne, reflète la volonté de former une intelligentsia royale. Il connaîtra un succès extraordinaire : copié, adapté, traduit dans plusieurs langues, il sera ensuite imprimé et réimprimé jusqu’en 1617.
En 1700. Louis XIV écrit à l’intention de son petit-fils le roi d’Espagne une série de 33 Instructions qui mettent en valeur l’idée que le roi se faisait de son propre pouvoir :
4. Déclarez-vous en toute occasion pour la vertu et contre le vice.5. N’ayez jamais d’attachement pour personne [...]
8. Faites le bonheur de vos sujets ; et dans cette vue n’ayez de guerre que lorsque vous y serez forcé et que vous en aurez bien considéré et bien pesé les raisons dans votre Conseil.9. Essayez de remettre vos finances ; veillez aux Indes et à vos flottes ; pensez au commerce ; vivez dans une grande union avec la France, rien n’étant si bon pour nos deux puissances que cette union à laquelle rien ne pourra résister.10. Si vous êtes contraint de faire la guerre, mettez-vous à la tête de vos armées [...]12. Ne quittez jamais vos affaires pour votre plaisir ; mais faites-vous une sorte de règle qui vous donne des temps de liberté et de divertissement [...]14. Donnez une grande attention aux affaires ; quand on vous en parle, écoutez beaucoup dans le commencement et sans rien décider.15. Quand vous aurez plus de connaissance, souvenez-vous que c’est à vous de décider ; mais quelque expérience que vous ayez, écoutez toujours tous les avis et tous les raisonnements de votre Conseil, avant que de faire cette décision [...]
18. Traitez bien tout le monde ; ne dites jamais rien de fâcheux à personne ; mais distinguez les gens de qualité et de mérite [...]30. Ne paraissez pas choqué des figures extraordinaires que vous trouverez [en Espagne] ; ne vous en moquez point : chaque pays a ses manières particulières, et vous serez bientôt accoutumé à ce qui vous paraîtra d’abord le plus surprenant [...]33. Je finis par un des plus importants avis que je puisse vous donner : ne vous laissez pas gouverner ; soyez le maître ; n’ayez jamais de favoris ni de Premier ministre ; écoutez, consultez votre Conseil, mais décidez.
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Dernières paroles du roi Louis XIV au Roi Louis XV, son arrière-petit-fils.
Mon cher enfant, vous allez être bientôt roi d’un grand royaume ; ce que je vous recommande le plus fortement est de n’oublier jamais les obligations que vous devez à Dieu. Souvenez-vous que vous lui devez tout ce que vous êtes.
Tâchez de conserver la paix avec vos voisins ; j’ai trop aimé la guerre ; ne m’imitez en cela, non plus que dans les grandes dépenses que j’ai faites.
Prenez conseil en toute chose et cherchez à connaître le meilleur pour le suivre toujours.
Soulagez vos peuples le plus tôt que vous le pourrez et faites ce que j’ai eu le malheur de ne pouvoir faire moi-même.
Note de la rédaction. Ainsi que le rappellent la plupart des commentateurs traitant du Dasavidha-rājadhamma bouddhiste il va de soi que le mot ROI d’autrefois doit être remplacé aujourd’hui par le mot “Gouvernement”. Par conséquent les Dix Devoirs du ROI s’appliquent maintenant à tous ceux qui participent au gouvernement, chef d’état, ministres, chefs politiques, membres du corps législatif et hauts fonctionnaires.
Le Bouddha s'est exprimé sur la question, en effet, le dhammapadatthakatha raconte qu'il porta alors son attention sur le problème d'un bon gouvernement. Ses idées doivent être appréciées dans le contexte social, économique et politique de son temps. Il montra comment tout un pays pouvait devenir corrompu, dégénéré et malheureux quand les chefs du gouvernement c'est-à-dire roi, ministres et fonctionnaires deviennent eux-mêmes corrompus et injustes. Pour qu'un pays soit heureux, il doit avoir un gouvernement juste. Les principes de ce gouvernement juste sont exposés par le Bouddha dans son enseignement sur les « Dix Devoirs du Roi », tel qu'il est donné dans les Jataka.
Note de l’auteur.
On l’aura compris, en ce qui me concerne personnellement je fais peu de cas de la morale de la fable des abeilles du huguenot Bernard Mandeville (1714) et de sa caricature la main invisible d’Adam Smith (1776). Où était en effet la main du Dieu d’Abraham d’Isaac et de Jacob à Auschwitz en 1940 ?
Et d’ailleurs, si le postulat de Mandeville est juste, le contraire doit l’être également. L’altruisme d’un responsable politique en tant que tel peut nuire au bien commun.
Je suis néanmoins d’accord avec le principe de sa fable : il faut distinguer les vertus privées des vertus publiques et ne pas mettre sur le même plan la morale individuelle et la morale des hommes et des femmes responsables du destin d’autrui dans l’exercice de leurs fonctions.
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DEUXIÈME PARTIE.
LE MONDE C’EST LA VIE. Celtique Bitus : monde, existence. Étymologie. Du Proto-Indo-Européen *gʷiH-tu- (« vie »). Apparenté au latin vita. Vieil irlandais bith – Gallois byd – Cornique bys- Breton bed – cf. Celtique continental Bituriges.
DÉCLINAISONS.
Règle N° 1 : Le respect de la vie ou l’écologie.
Règle N° 2 : Le rejet de toute violence inutile.
Règle N° 3 : Amour amitié pitié.
Règle N° 4 : Interdépendance et Solidarité.
Règle N° 5 : Hospitalité.
Règle N° 6 : Générosité.
Règle N° 7 : Réciprocité.
Règle N° 8 : Courage.
Règle N° 9 : Fidélité.
Règle N° 10 : Vérité.
Règle N° 11 : Sens de la justice.
Règle N° 12 : Liberté.
Règle N° 13 : Simplicité.
Règle N° 14 : Sens de l’honneur.
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LA TÉTRADÉCUPLE VOIE DU DRUIDISME DONC
(LA 14 CONARA FUGILL).
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LE KISSION.
Le néo-druidisme, tout en se situant globalement dans la continuité de l’ancien, constitue néanmoins une étape nouvelle dans les rapports entre l’Homme et le Divin. Il fonde essentiellement son enseignement sur la vie et l’œuvre du Hesus nommé Setanta, Cuchulainn 1).
Mais la magistrature druidique actuelle n’est plus qu’une magistrature morale, un magistère.
Il n’est plus question pour nous de prendre part aux débats qui divisent les savants ou de jouer les instituteurs et les professeurs comme jadis. De la fonction pédagogique des druides antiques, il reste cependant pour nous les trois impératifs suivants, que nous ne pouvons pas abandonner sans trahir (notre magistère), sans perdre notre âme, car les druides sont seuls dans l’immensité de leur sacerdoce.
– Éducation et formation de la jeunesse (ce qui n’est pas du tout la même chose que la simple instruction des jeunes). Sans aller jusqu’à la destruction de la vie, les violences de toutes sortes, les insultes, les coups et les blessures, restent des atteintes à la vie, et avilissent celui qui s’en rend coupable. La violence qui envahit la télévision au lieu de recréer l’homme à partir du meilleur de l’ancien l’abaisse.
– Libération des adultes (il s’agit d’ôter définitivement de la tête de nos malheureux contemporains les idées fausses qui pullulent et les rendent malades).
– Compatibilité avec les sciences (notre enseignement ne doit contredire en rien les données scientifiques et la raison).
Comme dirait Cailte à saint Patrice lui-même : « Fírinne inár croidhedhaibh, 7 neart inár lámhaibh, 7 comall inár tengthaibh. » « La vérité dans nos cœurs, la force dans nos bras et l’art de bien parler ». Tel était l’idéal du druidisme antique.
Et telle est encore l’étoile Polaire du magistère druidique actuel. Ces trois impératifs sont les piliers de son temple, les trois ruisseaux qui font sa grande rivière. Y renoncer serait la fin de tout druidisme. Les druides qui les maintiennent haut et fort dans le monde, ainsi qu’un flambeau dans la nuit, ont le devoir d’annoncer ou d’exposer ces vérités à tous.
Pour cela ils font confiance à la force des vérités divines et croient en l’aide des charismes (boudismes) prodigués par l’awenyddia divine. Awenyddia qui opère où elle veut, à l’instar de l’éclair qui paraissait jaillir où Taranis le voulait.
Comme l’a bien vu aussi à propos des Vikings, Régis Boyer, l’individu a besoin de la vie en société pour se former. La complexité des réseaux de relations humaines confère aujourd’hui une importance considérable aux communautés politiques, aux débats politiques. Servir le bien commun ou le bien d’autrui, comme l’a fait notre Hesus//Cuchulainn lui-même, est par conséquent une forme également importante de la justice et de la carantia (ou amitié), donc en définitive de la vérité. Les dérives de la politique politicienne démagogue et à courte vue ; y compris et même surtout de la part de ceux qui éprouvent constamment le besoin de manifester de façon ostentatoire et voyante leur attachement à ces valeurs de base ; à grand renfort d’insultes, d’invectives, ou de procès, d’intention, ou bien réels, faits aux autres ; ne doivent pas faire oublier qu’à l’origine, la fonction de toute vraie politique, au sens noble du terme, est la recherche du bien commun de la cité (du pagus) ; et que le politique, au sens noble du terme, encore une fois répétons-le, doit primer l’économique (si les druides antiques avaient connu la dictature de la loi du marché, ils auraient certainement été contre !)
La kission, l’éthique druidique, ou humanisme moniste, est bien au-dessus de la barbarie imputée aux Celtes par les romanolâtres et les autres racistes de ce genre (Grecs, etc.). Elle insiste moins sur l’idéal de perfection personnelle et plus sur l’aide que peuvent apporter les dieu-ou-démons à TOUT UN CHACUN. Arrien Cynégétique : « Sans l’aide des dieux, rien ne réussit aux hommes. Kai ego hama tois suntherois hepomai to Kelton nomo kai apophaino hos ouden aneu theon gignomenon anthropois es agathon apoteleuta » (chapitre XXXV).
Son but est le salut pour tous. La reda est une branche de l’éthique druidique qui regroupe les réflexions destinées à aider l’individu à réussir son passage dans l’autre monde. Il s’agit de préceptes moraux d’une morale minimale ou élémentaire.
On peut en sérier, mais aussi en résumer, les préceptes, comme suit. Inversement, et hors des sanctions pénales des crimes et délits, qui sortent du cadre de cette présentation, les manquements à cette éthique étaient facteurs de déshonneur, dont le retentissement psychologique était Honte et Remords.
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Passons en revue maintenant et brièvement, les différentes gessa de l’ancien ou du nouveau druidisme. Ces gessa balisent les chemins qui mènent à l’Homme nouveau. Plus encore que stigmatiser les transgressions, leur rôle est d’identifier le dieu ou démon le plus apte à fournir de l’aide en ce domaine.
Pour le bien des hommes, pour faciliter leur délivrance, les dieu-ou-démons nous indiquent ce qui est le mieux pour vivre libre, mais la liberté ne doit pas être caprice. Certaines gessa du Fir Fer sont parfois formulées de façon négative. Il s’agit dans ce cas d’un minimum absolu à respecter (ne rien faire de bas par exemple). D’autres sont formulées de façon positive : « honore les dieux, sois courageux ».
Il faut donc pour cela également intégrer ces deux extrêmes, le zéro et l’infini, les limites à ne pas dépasser, mais aussi celles vers lesquelles il faut tendre, toujours plus. Là s’ouvrent les voies de notre libération, et ces portes donnent sur l’infini de la surhominisation. Accourons, accourons donc près du pommier en fleurs ; et voyons un peu ensemble ces gessa de l’ancien et du nouveau druidisme. Il est indispensable en effet de les cultiver, car c’est le minimum de toute éthique. Le refus de suivre ces quelques règles est une grave erreur qui fait de l’homme un « goffinet » (ou un pharisien diraient les chrétiens) ; et qui met en branle le processus typiquement druidique de la Justice immanente.
Il existe bien entendu de nombreuses variantes de cette tétradécuple voie du druidisme aux multiples embranchements.
Avec des qualités ou des défauts à éviter, différents, ou classés différemment. Ces bons réflexes ne sont pas à suivre séquentiellement, mais simultanément, et la pratique du tout doit essentiellement être une pratique intégrée.
N.B. LES PRÉCEPTES QUI SUIVENT ONT ÉTÉ NUMÉROTÉS POUR LES BESOINS DE LA DISCUSSION, MAIS CELA NE VEUT PAS DIRE QUE CERTAINS SONT MOINS IMPORTANTS QUE D’AUTRES. TOUS SONT ÉGALEMENT IMPORTANTS.
1) Dernier petit-fils ou avatar né de l’Être Supérieur sur terre, venu pour rétablir le contact entre le divin et les mortels, rompu après la 3e bataille de la Plaine des menhirs ou des tumuli, du fait de la révolte des hommes contre les dieu-ou-démons. Il offrira aux siens le sacrifice de sa propre mort (devotio) en acceptant de transgresser toutes ses gessa et en acceptant sa décapitation sur la pierre levée de Murthemné. Ressuscité des morts et monté au ciel sur son char tiré par deux chevaux (Le Gris de Macha et le Sabot Noir), il ouvrira une voie (nouvelle) à tous ceux qui accepteront de le suivre ; celle du Setanta, la « voie royale » ou « voie du guerrier ». C’est ce Hesus/Cuchulainn en effet qui nous a dévoilé l’existence de cette troisième voie d’accès au monde des dieu-ou-démons puis à l’Être Supérieur, qui passe par l’état de l’être, paradisiaque, que l’on appelle Vindomagos. Avant-dernière étape permettant aux âmes/esprits d’achever leur purification dans la béatitude avant de retourner se fondre dans le Grand Tout.
CI-DESSOUS LES DIFFÉRENTES GESSA DU NOUVEAU DRUIDISME DONC.
GESSA OU PLUS EXACTEMENT BUADA.
N.B. EXPLICATION DE NOTRE CHOIX DU MOT BUAÏDH AU LIEU DE GEIS DANS CE QUI VA SUIVRE.
Si l’on en croit le dictionnaire électronique de la langue irlandaise (DELI), le deuxième sens du mot gaélique « buaïd » est « équivalent positif de la geis ».
Andrew McQuaid dans sa thèse sur la partie de la littérature gnomique irlandaise correspondant aux miroirs des princes
Audacht Morainn.
Tecosca Cormaic.
Bríatharthecosc Con Culainn.
Tecosc Cúscraid.
Cert cech ríg co réil.
Diambad messe bad rí réil.
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Constate que búaid (pl. búada) est un autre terme associé aux gessa. Dans le texte moyen irlandais Geasa agus Buadha Riogh Éireann, geis et búaid sont traités comme des antonymes. La traduction la plus courante de búaid est « victoire, triomphe », mais dans le texte précité, búaid est clairement utilisé comme un antonyme de geis.
Dans son introduction à cette Geasa agus Buadha Riogh Éireann, Dillon définit ainsi les búada : À chaque liste de tabous correspond une liste de prescriptions, de choses que le roi doit faire, ou dont il doit jouir, pour assurer sa prospérité et celle de son peuple.
Il convient de citer ici, à titre d'illustration, les sept búada du roi de Tara.
A sheacht mbúadho .i. íascc Bóinne, fíadh Luibhnighe, mess Manann, fráechmess Brígh Léthi, biror Brossnaighi, uisci thopuir Thlachtga, mílrath Náissi nó Maisten. Hi kalaind Auguist doroichtis sin uile do rígh Themruch. Dans blíadain dano i toimliuth insin ní théghed i n-áirim sháeghuil dó, ocus is ríam no maidith for gach leth. À savoir : le poisson de la Boyne, le cerf de Luibnech, les faînes de Mana, les myrtilles de Brí Léith, le cresson de Brossnach, l'eau du puits de Tlachtga, les lièvres de Naas (ou de Maistiu). Tout cela était apporté au roi de Tara le 1er août. Et l'année où il les consommait, il était victorieux de tous les côtés.
Le recours aux images tirées de la nature, parallèlement aux bénéfices d’une longue vie et de la victoire, rappelle les avantages cosmiques qui étaient associés à la fir flathemon. Tout cela renforce l'idée que la notion de royauté sacrée sous-tend ce deuxième sens du mot búada.
NB. Les búada des quatre autres rois ont un caractère plus social ou martial. Leur ton plus martial est peut-être lié au fait que la première définition de búada est « victoire ».
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BUAÏDH NUMÉRO UN.
ÊTRE UN ENFANT DE LA TERRE. RECTU ADGENIAS/RECHT AÏCNID.
L’ahimsa celtodruidique. « Yama » ou « ahimsa »…..Les guillemets s’imposent, car dans l’éthique celtique c’est plus un but à atteindre, une étoile polaire, qu’un objectif déjà atteint. Surtout en ce qui concerne l’ahimsa QUI N’EST QU’UNE RÈGLE GÉNÉRALE. L’Ahimsa druidique consiste surtout en une relation à la nature globalement écologique, en un respect global de notre mère à tous la terre (écologie globale). Qui en effet osera mettre en doute le petit côté écologiste avant la lettre de nos anciens druides ?
« Ar baí cretim in óenDé oc Cormac [do réir rechta]. Ar ro ráidseom na aidérad clocha ná crunnu acht no adérad intí dosroni & ropo chomsid ar cul na uli dúla ». « Car Cormac croyait en une seul [Dieu conformément à la Loi ?] puisqu’il disait qu’il n’adorait pas les pierres ni les arbres, mais qu’il adorait celui qui les avait faits, et qui avait en son pouvoir tous les éléments » (Cormac Mac Airt, roi des rois d’Irlande, d’après le Senchas na relec).
Comme on peut le voir, malgré l’influence chrétienne déjà sensible, c’est encore à un véritable culte de la nature que se livrait le roi irlandais en question.
Dans la poésie gaélique du Moyen-âge, les vers consacrés à l’Autre Monde en expriment toujours l’attrait ou la splendeur, en termes précis, empruntés à la vie courante, et à ses couleurs. Un sentiment très fin de la nature et des saisons s’y fait jour. Une observation de la vie des animaux, de la mer, de la forêt ainsi que du gibier qui la hante, une référence perpétuelle et techniquement savante à la chasse, à la navigation, à la solitude ; qui sont autant de rappels et d’attraits pour les auditeurs (Marx).
Tradition écologiste maintenue jusque dans la poésie galloise de la même époque. « Kuno Meyer a remarqué que dans le domaine de la poésie de la nature, la poésie gaélique est comme la poésie galloise, de tout premier ordre. Qu’elle décrive la mer puissante animée par les poissons et les phoques ; ou le merle, ermite qui n’agite pas de clochette [comme un prédicateur chrétien], mais lance sa note douce et paisible ; ou le froid de la nuit et la pluie qui tombe à flots et le cri profond du vent ; ou les ténèbres amères et la fureur de l’Océan ; qui au moins permettent de ne pas craindre l’arrivée des Vikings » (Marx).
Même chose dans le domaine de l’art, fait d’ornement, de masques, de feuillages, de bêtes, le tout assemblé par le fait de l’imagination. C’est l’art d’un peuple qui sent intensément cet environnement ; avant que n’apparaissent les premiers éléments d’une classification scientifique. S’il lui manque l’humanité du monde grec, il lui manque aussi l’orgueil qui a dominé l’art européen à partir de l’époque classique ; c’est-à-dire depuis que les vases grecs à figures rouges et les chefs-d’œuvre de la sculpture grecque ont révélé à l’Homme, sa propre dignité ainsi que sa suprématie dans le monde.
La remarque n’est pas critique, mais aboutit à la même conclusion pour les classiques : dominer ou soumettre la nature.
Pierre Ramus (1559) est peut-être le premier des modernes à découvrir l’intérêt du retour à un mode de vie plus écologiste. Pour lui le travail n’est pas un déshonneur. Et il est vrai qu’à l’époque à quelques exceptions près comme les gentilshommes-verriers, maîtres de forges, armateurs, travailler était contraire à la noblesse et faisait déroger. Frugalité, continence, autant de qualités qui s’appuient en effet sur des témoignages antiques incontestables. Associé au Germain, c’est le dénominateur commun de la résistance au colonisateur, riche et voluptueux. Vie saine, institutions équilibrées et sûres, tel est le tableau, écologiste avant la lettre, brossé par Pierre la Ramée au XVIe siècle. Il faudra néanmoins attendre l’Astrée d’Honoré d’Urfé pour avoir une vision écologiste plus exaltante. Le vieux maître de Céladon nous donne en effet une remarquable leçon de civilisation. Les Céladon de notre époque ne sont plus comme ça. Ils préfèrent insulter Honoré d’Urfé en l’accusant de « néopaganisme bestial » (sic). Et pourtant, Honoré d’Urfé a bien vu que les premiers écologistes avant la lettre ont été les prêtres de la forêt ; qui, à la différence des Grecs, des Romains et des Hébreux, ne construisaient
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pas des temples de pierre ou d’or, pour vénérer leurs dieu-ou-démons ; mais prenaient simplement les clairières comme lieux vivants de leurs cultes.
L’arbre qui plonge ses racines dans les régions inférieures du sous-sol, ce froid séjour des morts ; pour s’élancer vers le ciel et déployer ses rameaux ainsi que ses feuilles dans la lumière, au vent qui passe ; la fleur qui s’ouvre et qui se fane pour donner son fruit, l’herbe et ses graines nourricières, les plantes qui guérissent, celles qui tuent, celles qui parfument et celles qui donnent des visions ; le règne végétal tout entier, dit à l’homme quelque chose du divin qui le sous-tend.
Discours du chef indien Seattle en 1854 : « Nous ne sommes que des parties de la Terre et la Terre fait partie de notre être. Les fleurs parfumées sont nos sœurs. Le cerf, le cheval, le grand aigle, sont nos frères. Les crêtes rocheuses, les sucs dans les prés, la chaleur du cheval et l’homme : tous appartiennent à la même famille.
Qu’est-ce que l’homme sans les animaux ? Si tous les animaux disparaissaient, l’homme mourrait. Car ce qui arrive aux bêtes arrive bientôt à l’homme. Tout se tient.
Vous devez apprendre à vos enfants que le sol qu’ils foulent est fait des cendres de nos aïeux. Enseignez à vos enfants ce que nous avons enseigné aux nôtres, que la terre est notre mère. Tout ce qui arrive à la Terre arrive aux fils de la Terre. Si les hommes crachent sur le sol, ils crachent sur eux-mêmes.
Nous savons au moins ceci : la terre n’appartient pas à l’homme ; l’homme appartient à la terre. Cela, nous le savons. Tout se tient comme le sang qui unit une même famille. Ce n’est pas l’homme qui a tissé la trame de la vie : il en est seulement un fil. Tout ce qu’il fait à la trame, il le fait à lui-même.
Cette eau scintillante qui coule dans les ruisseaux et les rivières n’est pas seulement de l’eau, mais le sang de nos ancêtres. Si nous vous vendons de la terre, vous devez vous rappeler qu’elle est sacrée et que chaque reflet spectral dans l’eau claire des lacs parle d’événements et de souvenirs de la vie de notre peuple. Le murmure de l’eau est la voix du père de mon père.
Les rivières sont nos sœurs, elles étanchent notre soif. Les rivières portent nos canoës, et nourrissent nos enfants. Si nous vous vendons notre terre, vous devez désormais vous rappeler, et l’enseigner à vos enfants, que les rivières sont nos sœurs et les vôtres. Nous savons que l’homme blanc ne comprend pas nos mœurs. Une parcelle de terre ressemble pour lui à la suivante, car c’est un étranger qui arrive dans la nuit et prend à la terre ce dont il a besoin. La terre n’est pas sa mère, mais son ennemi, et lorsqu’il l’a conquise, il va plus loin. Il abandonne la tombe de ses aïeux, et cela ne le dérange pas. Il enlève la terre à ses enfants et cela ne le dérange pas. La tombe de ses aïeux et le patrimoine de ses enfants tombent dans l’oubli. Il traite sa mère, la terre, et son frère, le ciel, comme des choses à acheter, piller, vendre. Son appétit dévorera la terre et ne laissera derrière lui qu’un désert.
Il n’y a pas d’endroit paisible dans les villes de l’homme blanc. Pas d’endroit pour entendre les feuilles s’ouvrir au printemps, ou le froissement des ailes d’un insecte. Mais peut-être est-ce parce que je suis un sauvage et que je ne comprends pas. Mais quel intérêt y a-t-il à vivre si l’homme ne peut entendre le cri solitaire de l’engoulevent ou les palabres des grenouilles autour d’un étang la nuit ? Je suis un homme rouge et ne comprends pas. L’air est précieux à l’homme rouge, car toutes choses partagent le même souffle. L’animal, l’arbre, l’homme. Tous partagent le même souffle.
L’homme blanc ne semble pas remarquer l’air qu’il respire. Il est insensible à la puanteur. Mais si nous vous vendons notre terre, vous devez vous rappeler que l’air nous est précieux, que l’air partage son esprit avec tout ce qu’il fait vivre. Le vent qui a donné à notre grand-père son premier souffle a aussi reçu son dernier soupir. Et si nous vous vendons notre terre, vous devez la garder à part et la tenir pour sacrée, comme un endroit où même l’homme blanc peut aller goûter la brise embaumée par les fleurs des prés. Nous considérerons donc votre offre d’acheter notre terre. Mais si nous décidons de l’accepter, j’y mettrai une condition : l’homme blanc devra traiter les animaux de cette terre comme ses frères. Je suis un sauvage et je ne connais pas d’autre façon de vivre (Ted Perry).
…« Le soleil est mon père, la terre est ma mère rien de ce qui est humain ne n'est étranger, un peu d'internationalisme éloigne de la patrie beaucoup y ramène, la Terre est mon vaisseau spatial »dirait-on aujourd’hui.
Le vrai druidisant voit en tous les êtres, et spécialement les animaux, des frères d’un rang inférieur dans l’échelle de l’évolution, certes ; mais des frères quand même, ayant, eux aussi, un embryon d’âme/esprit. On peut donc en user, mais il ne faut pas en revanche en abuser. La violence gratuite et sans raison envers un animal est à prohiber.
Ainsi que nous l’avons vu plus haut, la morale des fénianes est sans équivoque à ce sujet : « Ne bats pas ton chien sans raison ».
Il est légitime et conforme à l’ordre des choses de se servir des animaux pour la nourriture et la confection des vêtements. On peut les domestiquer pour qu’ils assistent l’homme dans ses travaux et
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dans ses loisirs. Si elles restent dans des limites raisonnables, les expérimentations médicales et scientifiques sont admises dans la mesure où elles contribuent à soigner ou à épargner des vies humaines. Il est strictement interdit de faire souffrir inutilement les animaux, ou de gaspiller leurs vies (mais il est également indigne de dépenser des sommes excessives pour de simples animaux de compagnie).
Ausone a jadis écrit : « DIVINIS HUMANA LICET COMPONERE » (voir son églogue sur l’usage du mot libra). Ce qui signifie « Aux choses divines on peut comparer les choses humaines ».
Il y a des forces mystérieuses dans la Nature. Ces forces se manifestent à travers des êtres ou des événements qui sortent de l’ordinaire, comme la naissance de jumeaux, ou un vent du nord violent et soudain sur la plaine (le Cers), ou dans le grondement du tonnerre sur la montagne.
Les dieu-ou-démons dits enfants de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu (bia), en Irlande, sont les vrais auteurs de la seconde création, c’est-à-dire les organisateurs du monde en tant que lieu géographique habitable. On peut contempler dans les rochers ou les arbres, la geste de ces dieu-ou-démons primordiaux, retirés par la suite dans les entrailles de la terre, ou au ciel.
Hommes et femmes ont la responsabilité du monde que les dieu-ou-démons leur ont abandonné depuis la dernière bataille de la Plaine aux menhirs ou aux tumulus (la bataille pour la Talantio, Tailtiu en irlandais : autre personnification Rosemartha) ; mais ils ne peuvent être les gérants de ce monde en refusant d’en être aussi les prêtres.
C’est dans cette optique qu’il faut comprendre certains mythes celtiques relatant de titanesques batailles entre dieu-ou-démons et anguipèdes gigantesques, ceux que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomore en Irlande avons-nous dit, et traitant de la menace d’effondrement périodique de cet ordre établi par les dieu-ou-démons ; ou de sa restauration. Les puissances qui sont à l’œuvre dans le Bitos ou Cosmos, tout comme les forces et les pulsions qui sont dans l’Homme, sont en réalité ambivalentes, leurs effets peuvent être positifs ou négatifs.
Les éléments de la nature sont des êtres vivants ayant leurs propres réactions. La sagesse consiste à se concilier ces éléments, à les respecter, en évitant de susciter leur colère. Car cet ordre n’a rien de statique, et toutes ces forces de la nature ont une action perturbatrice quand l’une d’entre elles se met à l’emporter sur les autres, ou à régner seule.
Le dieu-ou-démon du soleil, par exemple, est un protecteur et un ami des hommes. Il dispense la lumière, permet de séparer le jour de la nuit, et les dangers invisibles dont elle est grosse. La lumière permet de séparer le jour de la nuit et met en ordre le temps. Et pourtant, l’action du soleil n’est pas toujours positive. En juillet-août, il tourmente la terre de ses rayons brûlants. La chaleur devient quasiment insupportable. Les plantes peuvent même parfois se dessécher, les animaux mourir de soif. Le soleil fait baisser le niveau des nappes phréatiques, et peut commencer à devenir une menace.
Les pluies qui désaltèrent la terre assoiffée peuvent se muer en orages dévastateurs arrachant tout sur leur passage.
Donner la vie et la détruire sont inextricablement liés, ce ne sont là que les deux faces d’une même médaille.
C’est donc l’équilibre entre ces forces négatives ou positives se neutralisant mutuellement ou se complétant qui importe.
À la différence du judéo-islamo-christianisme des religions du Livre, des religions d’un seul Livre, et non de 12, le Druidisme n’a jamais développé un manichéisme sommaire entre bien et mal. Pour le druidisme, il n’y a que du bon et du moins bon. Les démons symbolisés par les vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomore en Irlande, n’ont jamais joué un rôle excessif dans la pensée druidique la plus élevée ; car les druides ont très tôt compris que le bien et le mal, l’agréable et le douloureux, proviennent en définitive de la même source. Courant positif et courant négatif font partie d’une même énergie, la fée électricité.
Les êtres animaux, végétaux et même les pierres précieuses, bien qu’elles ne soient que des minéraux, possèdent tous une âme, certes différente de celle de l’Homme, mais de nature comparable. Pierres ou arbres, tous les êtres sont vivants, et possèdent aussi une âme. L’âme du diamant, c’est sa lumière.
D’une façon générale d’ailleurs la Nature communique toujours avec l’Homme et lui envoie des avertissements des messages ou des informations, que l’Homme ignore souvent (les scientifiques préfèrent parler d’explications variables suivant les phénomènes).
Le slogan des Gens du Livre à propos de la Terre (dominez-la et soumettez-la, Genèse 1, 28) est inacceptable et doit être abandonné. La Terre est un être vivant, Nerthus Litavis ou Rosemartha. C’est
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notre mère à tous ! Elle participe, elle aussi, du domaine du sacré. Il nous faut donc au contraire la respecter tout autant si ce n’est plus que les autres dieux que sont Allah, Jésus ou Jéhovah.
Vache sacrée pour nous doit être notre mère la Terre, nous avons trop besoin du lait de son sein meurtri, griffé ou pressuré, sans pitié, par nos contemporains.
Chaque I Elembivi (pleine lune proche de notre moderne 1er août) devrait être une grande fête dédiée à notre Mère à tous, la Terre.
Sous le nom de Litavis pour ce qui est simplement de désigner le cruinne (le globe terrestre) ou de Rose-Martha pour ce qui est de ses fruits (Talantio/Tailtiu en Irlande).
Précisions sémantiques.
Ltavis est le nom de la personnification de la planète Terre dans sa globalité.
Nerthus c’est la Terre sous son aspect nourricier, eaux et forêts comprises.
Rosemartha c’est la personnification de l’espace spécifique cultivé par l’Homme.
L’eau, les bois et les montagnes, ont leurs habitants, qui visitent parfois les hommes sous la forme d’animaux (ours, aigle, etc.) Ces divinités sont à vénérer dans la nature même, au milieu des forêts, au pied des arbres ou des rochers. Chez les Éduens par exemple, le mont Beuvray constituait en lui-même une sorte de montagne sacrée, le corps d’une divinité, la dea Bibracta ou Bibracte. Ses animaux privilégiés ses enfants ses messagers étaient les castors.
Le druidisme attache donc une grande importance à l’harmonie entre l’Homme et la Nature et vénère tout ce qui est vivant, les sources les vents la terre les plantes les animaux, les mers, aussi bien que les montagnes, bref tout ce qui est vivant.
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COLLAPSOLOGIE CRITIQUE
CRITIQUE DE LA COLLAPSOLOGIE.
« La chute des civilisations est le plus frappant et en même temps le plus obscur de tous les phénomènes de l’histoire. Ce malheur réserve quelque chose de si mystérieux et de si grandiose, que le penseur ne se lasse pas de le considérer, de l’étudier, de tourner autour de son secret. Le développement successif des sociétés, leurs succès, leurs conquêtes, leurs triomphes, ont de quoi frapper » (Arthur de Gobineau).
L’EMPIRE SÉLEUCIDE ET L’HELLÉNISME.
Alexandre laisse comme seul héritier en juin -323 un enfant à naître, le futur Alexandre IV conçu avec Roxane, et son demi-frère Philippe III Arrhidée, un « déficient mental » inapte à régner. Selon les principaux auteurs de la Vulgate, il aurait néanmoins confié l'anneau royal à Perdiccas, son second, juste avant de mourir. Une solution temporaire sera donc trouvée par le Conseil (sunédrion) royal afin de conserver l'unité de l'empire. Si Roxane donne naissance à un fils, celui-ci deviendra l'héritier. Perdiccas et Léonnatos, auxquels le Conseil prête serment, sont désignés tuteurs provisoires de l'enfant à naître.
On appelle guerres des Diadoques les conflits qui interviendront pour se partager l'empire entre -322 et -281(bataille de Couroupédion) avec des périodes de trêve.
Elles opposeront dans un premier temps le régent Perdiccas aux « forces centrifuges » dont Ptolémée, Séleucos et Antigone, les principaux satrapes macédoniens. Les guerres des Diadoques aboutiront finalement à une division de l'empire d'Alexandre entre les dynasties séleucide antigonide et lagide.
En 312, à Gaza, Séleucos I contribua à la victoire de Ptolémée I sur Démétrios I Poliorcète (Roi de Macédoine, 294-287), le fils d'Antigonos I, ce qui lui permit de devenir maître de la Mésopotamie.
Son entrée dans Babylone est officiellement considérée comme le début de l'Empire séleucide et cette année comme la première de l'ère séleucide. En 310-308, après avoir repoussé définitivement les attaques de Démétrios I et d'Antigonos I, Séleucos I étendit sa domination sur les hautes satrapies d'Asie. La Perse, la Médie, la Susiane, la Parthie, la Drangiane, l'Arie, la Bactriane, la Sogdiane, l'Hyrcanie, l'Arachosie, etc. jusqu'à l'Inde tombèrent les unes derrière les autres sous son contrôle.
Antiochus I Sôter, « le sauveur » en Grec, 280 à 261 ou 281 à 261) naquit en 325 (ou 324/3). Il fut le fils de Séleucos I Nikâtor et de la Reine Apama I et de ce fait est à moitié Persan. Après l'assassinat de son père, il hérita d'un Empire immense et puissant. Sa tâche principale fut d'essayer de garder cet Empire tel qu'il le trouva, mais ce fut en vain. Dès les débuts de son règne, il dut affronter une révolte qui éclata en Syrie. Il fut rapidement contraint de faire la paix avec le meurtrier de son père, Ptolémée Kéraunos et apparemment d'abandonner ces visions sur la Thrace et la Macédoine. En 279, en Asie Mineure aussi la rébellion se fit sentir. Antiochos I dut faire face aux sécessions de la Bithynie, du Pont et de la Cappadoce qui s'érigèrent en royaumes indépendants, qu'il fut incapable de mater.
Des Celtes, placés sous le commandement de Lutérios et Léonorios, franchissent l’Hellespont vers 278 avant notre ère à l’invitation du roi Nicomède Ier de Bithynie, en guerre contre le Séleucide. Leur appui permit à Nicomède de sauver son trône : il leur donna en récompense des terres situées au sud de son royaume, sur les bords du Sangarius.
En 275/274 Antiochos I parvint à les repousser. Il les aurait battus à l'aide d'éléphants de guerre, que les Galates n'avaient jamais vus auparavant. La victoire qu'il remporta sur ces hordes barbares serait à l'origine de son titre de Sôter « Sauveur ». La région du Taurus n'ayant jamais été véritablement soumise, les possessions séleucides se restreignirent à la Troade, l'Éolide, la Carie et à la Lydie, reliées à la Cilicie et à la Syrie par un corridor. Quant à la Cœlé-Syrie (Liban), elle devint l'enjeu de conflits répétés avec les Ptolémée. ……………
PEUT-ON ATTRIBUER À LA RELIGION GRECQUE LES CONQUÊTES D’ALEXANDRE ET LES SPLENDEURS DE LA CIVILISATION HELLÈNE QUI EN DÉCOULA ?
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Au cours de la période hellénistique, l’univers des Grecs connu du père d’Alexandre le Grand (-383 -336) connaîtra
Les transformations suivantes.
Les Grecs furent unifiés par la conquête des Macédoniens. Cette période marque le triomphe du panhellénisme sur le concept plus restreint de la polis. Le déclin de la polis amena inévitablement l’affaiblissement de la religion civique et son remplacement progressif par les cultes mystérieux venant de l’Asie.
Les Grecs se constituèrent ensuite un empire unifié, bien qu’éphémère, sous la direction d’Alexandre le Grand.
L’éclatement de cet empire, à la mort d’Alexandre, mena néanmoins à l’établissement de trois royaumes majeurs, on les connaît sous le vocable de royaumes hellénistiques, qui dominèrent longtemps l’Est méditerranéen et furent les canaux de transmission des contacts entre Grecs et non-Grecs.
L’adjectif hellénistique se réfère à la nouvelle culture de cette période, faite d’éléments de la culture classique de la Grèce, mais aussi d’apports importants du monde extérieur. Ce syncrétisme culturel amena la création d’une culture cosmopolite et universelle : l’hellénisme.
Alexandre le Grand épousa une princesse perse et forma des milliers d’unions entre ses vétérans grecs et macédoniens et les peuples qu’ils rencontrèrent. Ces unions, en plus de consolider son pouvoir sur les peuples conquis, allaient transformer les mentalités.
L’empire hellénistique unifié ne survécut pas à la mort d’Alexandre ; il s’effrita aussitôt. Sur ses cendres, après de longues guerres civiles qui durèrent jusqu’à 278, émergèrent éventuellement des royaumes hellénistiques qui continuèrent l’œuvre commencée par Alexandre. Ces royaumes allaient être le canal de transmission de la culture grecque à l’Est méditerranéen et de l’absorption par les Grecs de caractéristiques culturelles empruntées aux peuples qu’ils rencontrèrent.
Caractéristiques générales de la culture hellénistique.
La rencontre des Grecs avec la culture de ceux qui les entouraient provoqua un changement fondamental dans leur vision du monde et servit à enrichir le patrimoine culturel occidental.
La vision des Grecs du monde extérieur— un monde peuplé de « barbares » — était basée sur une méconnaissance de ceux qui les entouraient autant que sur une vision ethnocentrique de leur univers. Quand des milliers de Grecs suivirent Alexandre à travers l’Empire perse, ils virent de grandes réalisations des cultures du Proche-Orient. Comment les Grecs pouvaient-ils traiter les autres de « barbares » après avoir contemplé les pyramides d’Égypte, vu les splendeurs de Babylone, admiré le Temple de Jérusalem et entrevu la civilisation indienne ? Ces conquêtes furent donc l’occasion d’une profonde transformation dans les mentalités. Nous ne pouvons ici qu’en définir que quelques éléments.
La première transformation de la culture des Grecs fut qu’elle devint plus ouverte aux influences extérieures. Les Grecs avaient toujours été marqués par une soif de savoir intellectuel. Maintenant, l’univers tout entier s’ouvrait à eux. Ils se mirent à l’étude des cultures qu’ils rencontraient. Ils regardèrent les autres avec des yeux pleins de curiosité plutôt qu’avec ceux du mépris. Il ne faut pas se surprendre si les Ptolémées financèrent la traduction des Livres saints des juifs en langue grecque. Bien sûr la traduction des Septante allait servir une communauté juive de plus en plus assimilée au monde hellénistique, mais la traduction avait aussi pour but de satisfaire la soif de savoir de ces grands monarques et de leurs sujets. Si le Christianisme a pu se développer plus tard, en lui rendant accessible le savoir des Livres saints, c’est parce que ces grandes dynasties hellénistiques étaient ouvertes aux autres et qu’ils étaient curieux. Les Ptolémées n’ont pas méprisé l’héritage de l’ancienne Égypte. Au contraire, ils cherchèrent à l’imiter. Ainsi, à la demande de Ptolémée II Philadelphe, Manéthon* de Sebennytos rédigea en grec une histoire de l’Égypte ancienne en 30 volumes. Malheureusement, presque tous ces textes sont perdus aujourd’hui. Néanmoins, la presque totalité de nos connaissances des différentes dynasties de l’Égypte ancienne est basée sur ces écrits patronnés par le grand roi. Quand de grandes bibliothèques seront assemblées et financées à Antioche, Pergame et Alexandrie ce sera avec le but d’y faire avancer le savoir de toute l’humanité. Tous pouvaient être acceptés s’ils adoptaient la culture et la langue de l’hellénisme.
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La culture hellénistique était aussi tolérante et cosmopolite. L’autre n’était plus un être méprisable, mais un humain qui avait de la valeur, et, s’il acceptait la culture hellénistique, il était considéré comme l’égal du Grec et pouvait obtenir facilement la citoyenneté grecque. On lui reconnaissait de la valeur, du savoir, de l’intelligence. La vision des philosophes stoïques, le logos, qui domine cette période était typique dans ce sens : Dieu était partout dans l’univers et il avait déposé une partie de l’âme éternelle dans tous les individus, des plus humbles aux plus grands. Tous avaient donc une âme et avaient de la valeur, nul ne pouvait être ignoré. On était curieux d’entrer en contact, d’apprendre les us et coutumes des autres. On était ouvert à ce qui était nouveau. On était prêt à considérer d’autres façons de faire les choses. Surtout, on aimait la différence, on la cherchait, on l’appréciait. Le cosmopolitisme, l’ouverture aux autres, enrichissait la culture de tous.
La nouvelle culture hellénistique était un amalgame de la culture classique grecque, mais avec des additions importantes d'éléments d’autres peuples, spécialement ceux qui touchent la religion. Parce que les Grecs s’étaient ouverts aux autres, qu’ils étaient allés vers eux, qu’ils leur avaient emprunté certains éléments et incorporé ces additions à leur culture, ils créèrent une nouvelle culture très attrayante pour les autres, une culture que les autres voulaient absorber. Leur culture était donc universelle dans ce sens qu’elle pouvait appartenir à tous, que tous pouvaient y adhérer. Voilà pourquoi la culture hellénistique rayonna, dans l’est méditerranéen et chez les Romains, plus que la culture classique grecque.
* Pour plus d’informations sur Manéthon, voir le travail de Romain effectué à ce sujet par le professeur Claude Bélanger du Collège Marianopolis à Montréal.
Économie, urbanisme et art de vivre
L’expansion de l’aire géographique grecque a élargi les possibilités de commerce. Les villes subissent un développement phénoménal. Des dizaines de nouvelles cités sont fondées. La plupart sont construites sur le plan du damier, selon les règles d’urbanisme définies par Hippodamos de Milet à l’époque classique, c’est-à-dire avec des rues se traversant à angles droits. Ces villes sont souvent équipées de systèmes d’aqueduc et d’égout. Les rues sont larges et aérées ; des gymnases et des parcs ont été prévus. Hippodamos de Milet découpait la ville en zones, chacune avec des fonctions publiques ou privées. L’urbaniste cherchait avant tout l’harmonie des rôles (résidentiel, commercial, administratif, religieux), l’utilisation intelligente de la topographie sans la considérer comme contraignante, et la segmentation de la population en différentes classes. Sa ville idéale ne s’étendait pas indéfiniment, mais était limitée à 10,000 habitants répartis dans des îlots où les maisons sont identiques parce que tous les habitants sont égaux. Ces villes manifestent un certain art de vivre et cherchent à créer collectivement de la beauté. Le gymnase est un centre culturel. Autour d'une cour intérieure, on trouve différentes pièces auxquelles on a accès : salle de bain, vestiaire, salle de gymnastique, de boxe, salles d'enseignement et de conférence où on enseigne la littérature et la philosophie, salle de concert. Les adultes viennent y passer une bonne partie de leur temps libre pour nourrir leur esprit et assainir leur corps. Le gymnase est souvent relié à un stade avec des galeries pour l'entraînement sportif. La palestre était réservée à la lutte. De la galerie supérieure, les spectateurs pouvaient assister aux compétitions.
Tous ces éléments définissent un art de vivre, une façon de faire les choses. L'hellénisme n'est donc pas seulement une nouvelle attitude envers les autres, mais aussi un style de vie. Ce qui est frappant c’est que plusieurs de ces éléments avaient été définis à l’époque classique. Mais ils deviennent populaires et généralisés seulement à l‘époque hellénistique et, autre élément nouveau, ils se trouvent fréquemment hors de la Grèce.
Éducation.
À cette même époque, l’éducation devient très importante pour les Grecs. Son but principal n’est plus, comme à l’époque classique, la préparation du citoyen à assumer ses responsabilités dans la polis. Son objectif est plus individualiste. Son but est maintenant d’enrichir l’esprit, de développer les talents humains, de contribuer à l’épanouissement de l’individu. Le raffinement culturel est perçu comme un grand bien. Garçons et filles ont accès à l’éducation bien que les premiers soient les seuls à pouvoir les poursuivre plus avant qu’à un niveau primaire. Cette éducation est couronnée par la présence de
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gymnases dans toutes les grandes cités. Le gymnase est un lieu de rencontre intellectuel et sportif où l’hellénisme est préservé. Des bibliothèques sont souvent attachées à ces institutions.
Les voyages.
Les Grecs avaient toujours montré une grande curiosité pour l’univers où ils vivaient. Cet intérêt allait s’étendre à l’étude des autres à l’époque hellénistique. À l’occasion des grandes campagnes d’Alexandre le Grand, des dizaines de milliers de Grecs furent amenés à voir des régions et des peuples qu’ils n’auraient jamais eu la chance de connaître auparavant. Cette ouverture aux autres amena inévitablement le goût des voyages. L’usage commun de la langue grecque qui s’est répandue dans l’Est méditerranéen et la protection des lois grecques qui sont utilisées par les Ptolémées et les Séleucides sécurisent le voyageur. Sans que le tourisme se démocratise dans le sens où il l’est aujourd’hui, il devint fréquent que les Grecs, lors d’une campagne militaire, ou lorsqu’un fonctionnaire est envoyé pour appliquer des décrets royaux, voient du pays. Les voyages se font par mer principalement pour les grandes distances et à pied pour les compléter à l’intérieur des terres. On recherche ce qui est différent, ce qui est exotique. On semble particulièrement curieux des us et coutumes et des mystères des religions qu’on rencontre. Les voyages d’études se multiplient. Ils sont en effet nombreux ceux qui voyagent pour faire des recherches dans les grandes bibliothèques de Pergame et d’Alexandrie. Dans ces circonstances, les connaissances géographiques vont s’améliorer et les cartes produites à cette époque reflètent ces améliorations.
L’art hellénistique.
Le développement d'une grande classe commerciale et la création des monarchies à l'époque hellénistique amenèrent la prolifération de mécènes ce qui eut des effets très positifs sur l'art de cette période. En créant de grandes capitales et en désirant les doter de magnifiques édifices publics (temples, bibliothèques, monuments, théâtres, parcs, rues bordées de colonnades, etc.), les monarques stimulèrent la production artistique en donnant aux artistes l'occasion d'exercer leur talent. Ces monarchies ont le goût du grandiose et du colossal. Il en fut de même pour les riches commerçants de cette période qui, en cette époque plus individualiste, se firent construire de somptueuses demeures qu'il fallait décorer de mosaïques et de sculptures. Même la peinture fut affectée puisqu'il était maintenant plus acceptable de faire faire son portrait. L'art devient de plus en plus le reflet d'un certain luxe. On assiste donc à une prolifération de la création de tout genre à l'époque hellénistique.
Toute évaluation de l'art est très personnelle. Nous avons tous une conception personnelle de la beauté, de ce que nous aimons. Plusieurs jugent que l'art grec a atteint l'apogée de son développement à l'époque hellénistique.
Le fondement principal de l'art hellénistique fut l'art de la Grèce classique. On reconnaît immédiatement l'art hellénistique comme un art grec. On y retrouve le même souci d'ordre, d'esthétique et de rationalité. Les thèmes artistiques du classicisme, les divinités et la mythologie, continuent d'être exploités. Mais le style a nettement évolué sous l'effet conjugué des influences extérieures, surtout d'Asie, et de la montée de l'individualisme. Les thèmes de l'art hellénistique sont beaucoup plus variés. Ils sont d'une grande hétérogénéité. Des enfants, des femmes, des « barbares », des vieillards sont aussi représentés. L'exemple du Gaulois mourant*, d'une grande noblesse de représentation et dont on perçoit la douleur, est typique de la période. Les artistes se rendent à l'agora pour trouver le sujet de leur création. On s'inspire de scènes quotidiennes et de sujets qui provoquent l'émotion. Ces œuvres sont souvent d'un réalisme qui touche encore aujourd'hui. Dans ce sens, l'art hellénistique reflète bien la tendance de voir dans tous une valeur humaine et constitue un rejet de l'idéalisme, de l'élitisme, du manque de réalisme du classicisme. Le caractère individualiste de l’art est accentué par le fait que l’œuvre est souvent attribuable à un artiste précis.
On note aussi dans les œuvres des artistes de l'époque hellénistique un souci de détails qui n'existait pas auparavant. Les vêtements ont souvent plusieurs plis qui accentuent la grâce du personnage. Le goût du précieux mène à la confection de bijoux, de miniatures et de statuettes. Bien qu'on utilise toujours le marbre, la pierre et la terre cuite pour façonner les sculptures, une chaleur se dégage souvent de ces œuvres. On accentue les caractéristiques physiques des personnages, même lorsqu'ils sont laids. Le sujet est souvent présenté en mouvement, ce qui lui donne plus de vie, plus d’humanité.
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Les cinq œuvres les plus connues de la période sont la Vénus de Milo retrouvée en 1820, la Victoire de Samothrace Lacoon et ses deux fils, le Galate mourant (en Italien Galata Morente) ou le Gladiateur mourant conservé au musée du Capitole à Rome sans oublier Paetus et Arria de la collection Ludovisi du Musée des Thermes à Rome.
Le Galate mourant.
Il s'agit de la copie d'une sculpture aujourd'hui perdue de la période hellénistique (-323-31 avant notre ère) que l’on suppose avoir d’abord été réalisée en bronze. L'original a peut-être été commandé entre -230 et -220 avant notre ère par Attale Ier de Pergame pour célébrer sa victoire sur les Galates, un peuple celte occupant certaines parties de l'Anatolie (Turquie moderne). On pense que le sculpteur d'origine fut Épigone, un artiste travaillant pour la cour de la dynastie Attalide de Pergame.
La statue de marbre blanc, qui a peut-être été peinte à l'origine, représente un Celte galate blessé et gisant à terre, sculpté avec un réalisme et un pathos remarquables, en particulier en ce qui concerne le visage. La sanglante blessure due à une épée se voit très bien dans la parte inférieure de son flanc droit. Le guerrier est représenté avec une chevelure et une moustache caractéristiques, un torque celte autour du cou. Il est assis sur son bouclier tandis que son épée, sa ceinture et sa trompette, gisent à côté de lui. La poignée de l'épée porte une tête de lion.
La statue sert à la fois à rappeler la défaite de ces guerriers celtes, tout en démontrant la puissance de ceux qui les ont vaincus, et d’hommage à leur bravoure. Ce Galate mourant est devenu l'une des œuvres les plus célèbres de l’Antiquité, reproduite à l'infini par des artistes, pour qui il s'agissait d'un modèle classique de représentation d'une grande émotion, et même par des sculpteurs.
La qualité artistique et le pathétique saisissant de la statue ont suscité beaucoup d’émotion au sein des classes instruites du XVIIe ou XVIIIe siècle d’où un célèbre passage du poème de Byron intitulé « le pèlerinage de sire Harold ». Thomas Jefferson voulait avoir l'original ou une reproduction à Monticello.
On retrouve la même émotion dans les statues du grand monument qu’Attale 1er fit ériger sur l’acropole de Pergame.
« Les adversaires des habitants de Pergame n’y sont pas traités avec mépris, mais sont figurés avec attention et sens de l’observation. Le chef, qui voit sa cause perdue, a tué sa femme d’une entaille dans la carotide et enfonce son épée dans le creux de sa clavicule, du haut vers son cœur. En tendant la jambe gauche pour offrir un dernier soutien à sa compagne ; qu’il retient de son bras gauche, tandis qu’elle s’effondre en sens contraire ; il redresse son corps appuyé sur les orteils du pied droit vers le haut jusqu’à la main tournée dans une puissante torsion ; tandis qu’il détourne furieusement la tête, pour éloigner de son regard ardent un possible poursuivant. C’est le dernier sursaut de vie de ce chef qui se consacre lui-même à la mort » (Bernard Andreae). La statue figure sous l’appellation erronée Arria et Paetus dans la collection Ludovici du Musée des Thermes à Rome. Mais ça nous l’avons déjà dit plus haut.
Autres exemples de la civilisation hellénistique
1)La machine d’Anticythère.
La machine d'Anticythère, appelée aussi mécanisme d'Anticythère, est considérée comme étant le premier calculateur analogique antique permettant de calculer des positions astronomiques. C'est un mécanisme de bronze comprenant des dizaines de roues dentées, solidaires et disposées sur plusieurs plans. Il est gravé de nombreuses inscriptions grecques.
On ne connaît de la machine d'Anticythère qu'un exemplaire, dont les fragments ont été trouvés en 1901 dans une épave, près de l'île grecque d'Anticythère, entre Cythère et la Crète. L'épave d'Anticythère était celle d’une galère romaine, longue d'une quarantaine de mètres, qui a été datée comme antérieure à 87 avant notre ère.
La machine d'Anticythère est le plus vieux mécanisme à engrenages connu. Ses fragments sont conservés au musée national archéologique d'Athènes.
Faute d'indices plus complets, les premières études avaient assimilé l’âge du mécanisme à la date du naufrage du navire, soit entre 87 et 60 avant notre ère. Cette date de -87 correspond historiquement à l'époque hellénistique, avec la présence de la dynastie des Lagides en Égypte, qui aurait repris le savoir des anciens Égyptiens, et ce notamment, grâce au zodiaque de Dendera. À cette époque
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existaient de nombreux échanges entre la Grèce et l’Égypte. Il est donc possible, selon l'astrophysicien et astronome Denis Savoie, que la machine d'Anticythère se soit retrouvée dans les fonds marins des côtes grecques à la suite du naufrage d'un navire provenant d'Alexandrie.
En 2014, deux chercheurs, l'un argentin, Christian Carman, historien des sciences à l'Université de Quilmès, et l'autre américain, James Evans, professeur à l'Université de Puget Sound de l'État de Washington ont proposé une datation assez ancienne, fondée sur la forme des lettres grecques de l'inscription figurant au dos de la machine, et situent la date de fabrication du mécanisme entre 150 et 100 avant notre ère. Mais le fait nouveau, selon l'estimation de ces chercheurs, est que le calendrier du mécanisme d'Anticythère aurait été connu dès 205 avant notre ère., c'est-à-dire sept ans seulement après la mort d'Archimède.
La preuve que le mécanisme d'Anticythère n'était pas unique conforte l'idée qu'il existait alors une antique tradition grecque de technologie mécanique qui a ensuite été, au moins en partie, transmise aux mondes byzantin et musulman, où des dispositifs mécaniques assez complexes, bien que plus simples, ont été élaborés au Moyen-âge. Des fragments d'un calendrier à engrenages fixés sur un cadran solaire, byzantin du 5e ou 6e siècle ont été retrouvés ; ce calendrier a pu être utilisé pour indiquer l'heure. Dans le monde islamique, le Kitab al-Hiyal de Banou Mousa, ou Livre des mécanismes ingénieux, fut commandé par le calife de Bagdad au début du IXe siècle. Ce texte décrit plus d'une centaine de dispositifs mécaniques, dont certains peuvent remonter à des textes grecs anciens conservés dans des monastères. Un calendrier à engrenages similaire au dispositif byzantin a été décrit par le scientifique al-Birouni autour de l’an 1000, et un astrolabe du XIIIe siècle parvenu jusqu’à nous contient également un dispositif d'horlogerie similaire. Il est donc possible que cette technologie médiévale ait pu être transmise en Europe et y ait contribué au développement des horloges mécaniques.
2) Alexandrie.
La ville d’Alexandrie est sans conteste le plus grand symbole de la culture hellénistique. Le site a d'abord été signalé par Alexandre lui-même, à cause notamment de ses qualités portuaires, mais c'est sous le règne de Ptolémée Soter que les constructions ont débuté.
3) La bibliothèque d’Alexandrie.
La bibliothèque d’Alexandrie fut créée par Ptolémée 1er à l’instigation de Démétrios de Phalère qui fut disciple d’Aristote. Ptolémée mit à la disposition de son protégé un énorme budget pour constituer la plus grande bibliothèque de l’Antiquité. Son but était de faire d’Alexandrie la capitale culturelle de la Méditerranée. La bibliothèque fut établie dans le même complexe que le palais royal. L’intention était de faire de cette institution une bibliothèque universelle, d’être le dépôt de toutes les connaissances humaines. On appréciera l’évolution qui avait eu lieu depuis l’époque où les Grecs considéraient les autres comme des barbares. En pratique, la bibliothèque devait servir aux recherches que les chercheurs et les savants poursuivaient au Mouseion.
Pendant des décennies, des acheteurs écumèrent, au nom des Ptolémées, les quatre coins de l’univers connu pour obtenir des copies de toutes les créations humaines. Des sommes énormes auraient été investies dans un tel projet. Une loi permettait de fouiller tous les navires accostant à Alexandrie et de chercher si des œuvres s’y trouvaient. Si c’était le cas, on les copiait pour pouvoir en avoir un exemplaire dans la bibliothèque.
À son apogée la bibliothèque d’Alexandrie eut plus de 500,000 livres (700,000 selon certaines sources). Un système complexe de classification dut être développé. Ce système fut copié par plusieurs autres bibliothèques. L’institution contenait des sections sur la rhétorique, le droit, les tragédies, les comédies, la poésie lyrique, l’histoire, la médecine, les sciences naturelles et autres non classés. Sa section sur les ouvrages grecs était la plus importante, reflétant l’ampleur de la production artistique et savante des Grecs. Mais rien n’était exclu. Sa section sur l’Égypte était importante. Il en était de même pour les écrits venant de Perse et de l’Inde. On aura une idée de la richesse de cette bibliothèque en examinant brièvement la liste des auteurs représentés.
Deux des bibliothécaires chargés de l’institution devinrent célèbres. L’un d’eux fut Ératosthène de Cyrène qui calcula la circonférence de la Terre ; un autre fut Aristophane de Byzance qui est bien connu pour sa prodigieuse mémoire et pour le travail qu’il fit sur les différentes éditions de l’œuvre d’Homère.
La bibliothèque fut partiellement détruite à l’époque de Jules César. Elle subit d’autres coups durs par la suite. Néanmoins, Alexandrie continua de jouer un grand rôle culturel à l’époque romaine.
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On considère aujourd’hui que seulement 10 % de la production savante et artistique de l’Antiquité nous est connue. Il nous est permis de rêver à ce que contenait l’autre, 90 % ! Néanmoins, si même au moins des bribes des connaissances anciennes sont parvenues jusqu’à nous, c’est en grande mesure grâce au désir des grands rois hellénistiques de l’Égypte ancienne de préserver les connaissances de l’humanité.
4) Le Mouseion d’Alexandrie.
En réalité, la bibliothèque d’Alexandrie faisait partie d’un ensemble plus large constituant un institut de recherche consacré aux Muses et qu’on connaît sous le nom de Mouseion. Ce Musée (dans le sens ancien) était en fait un institut de recherches supporté financièrement par les Ptolémées.
L’institut comprenait un jardin botanique pour l’étude des plantes, des laboratoires où des recherches étaient poursuivies, un zoo, des salles de dissection, etc. Rien n’était rejeté. Les savants de l’époque hellénistique étaient curieux de tout ce que l’esprit humain avait pu produire.
Les chercheurs venaient de partout pour poursuivre leurs recherches à cet endroit. Ils trouvaient là des mécènes pour les aider financièrement et un environnement riche pour stimuler l’esprit. À tout moment on pouvait compter jusqu’à une centaine de savants au Musée. Au cours des cinq siècles qui suivirent la fondation du Musée, presque toutes les grandes découvertes occidentales faites furent attribuables aux chercheurs qui vinrent au Musée d’Alexandrie et poursuivirent des recherches dans sa bibliothèque. Parmi les plus grands savants qui l’ont fréquenté, on compte Euclide qui développa la géométrie.
5) Pharos.
Alexandrie est aussi bien connue pour son phare qui fut construit sur l’île de Pharos, à l’entrée du port de la ville. La construction en avait été confiée à Sôstratos de Cnide. Elle s’échelonna de 297 à 283 avant notre ère. Elle fut complétée sous l’administration de Ptolémée Philadelphe.
Les Anciens l’ont immédiatement considéré comme l’une des sept merveilles du monde. Pharos était un puissant symbole de la période hellénistique. Son phare non seulement protégeait les marins, mais faisait rayonner au loin la culture d’Alexandrie et du monde hellénistique.
MAIS PEUT-ON ATTRIBUER À LA RELIGION GRECQUE TOUTES CES MERVEILLES COMME LE PHARE D’ALEXANDRIE ?
La réponse est non, car le déclin de la polis amena inévitablement l’affaiblissement de la religion civique et son remplacement progressif par les cultes mystérieux venant de l’Asie.
L'EMPIRE PARTHE.
En 247, la puissance de l’Empire séleucide faiblissait considérablement, aussi en Parthie, un chef de tribu, Arsace I, se détacha des Séleucides et fonda la dynastie des Arsacides (ou Parthes) qui régna durant près de quatre siècles (141 avant notre ère à 224 de notre ère). À l’Ouest, les Parthes ne cessèrent de lutter contre les Séleucides, puis contre les Romains, devenus maîtres de la Syrie et de la Palestine.
Leur histoire est assez mal connue par rapport aux autres grands Empires comme les Achéménides et les Séleucides, l'Empire parthe n'ayant pas laissé de chronique historique. Les Rois portèrent très souvent le même nom d'une génération à l'autre et il y eut parfois des corégences.
Profitant des périodes d'instabilité dynastique ou d'invasions sur la frontière est de l'Empire, d'anciens Satrapes ou des chefs autoproclamés n'hésitèrent pas à s'affranchir de la tutelle royale. Ainsi, durant le règne d’Artaban III (10-38 ou 12-38/40), deux brigands juifs, Anilai et Asinai, parvinrent à conserver un fief au nord de Ctésiphon durant 15 ans avant que les Parthes n'y mettent un terme. Dans le même ordre d'idée, le Satrape de Characène, Hyspaosinès (209-124) se proclama indépendant. Le dernier
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Roi parthe, Artaban V (216-224) fut renversé en 227 par Ardachêr I (224-241), fondateur du nouvel Empire Perse des Sassanides.
L’EMPIRE SASSANIDE.
On peut se poser la même question à propos de l’empire sassanide.
PEUT-ON ATTRIBUER À LA RELIGION ZOROASTRIENNE LES SPLENDEURS DE SA CIVILISATION ?
Empire sassanide ou dynastie sassanide est le nom utilisé pour désigner la troisième dynastie iranienne et le Second Empire perse qui va dominer la région de 224 à 651.
On retient traditionnellement comme territoire de l'Empire sassanide les régions correspondant actuellement à : L'Iran, l'Iraq, l'Arménie, l'Afghanistan, l'est de la Turquie et certaines parties de la Syrie, le Pakistan, le Caucase, l'Asie centrale et l'Arabie. Les Sassanides appelaient leur Empire Eranshahr « Domaine des Iraniens (Aryens) ».
Les arts et la Science.
L'influence culturelle des Perses sassanides s'étendit bien au-delà des frontières territoriales de l'Empire jusqu'à atteindre l'Europe de l'Ouest, l'Afrique, la Chine et l'Inde et joua un rôle de premier plan dans la formation de l'art médiéval, à la fois européen et asiatique. Les Rois sassanides furent instruits et friands de lettres et de philosophie. Chosroès I (531-579) avait les œuvres de Platon et d'Aristote traduites en Pehlevi et les fit enseigner à Gondishapour. Durant son règne de nombreuses annales historiques furent rassemblées, dont la seule survivante est le Kar-Namag i Ardashir i Pabagan (Actes d'Ardachêr), un mélange d'histoire et de romantisme qui servit de base à l'épopée nationale iranienne, le Shahnameh.
Lorsque l'Empereur Justinien I (527-565) ferma les écoles d'Athènes, sept de leurs professeurs fuirent vers la Perse et trouvèrent refuge à la cour de Chosroès I. Sous le règne de ce dernier, le collège de Gondishapour, qui avait été fondé au IVe siècle, devint le plus grand centre intellectuel de l'époque. Il formait des étudiants et des enseignants de toutes les parties du monde. Nestoriens et chrétiens y furent reçus et travaillèrent en médecine et en philosophie. Les néo-platoniciens vinrent aussi à Gondishapour.
Les traditions médicales de l'Inde, de la Perse, de Syrie, de la Grèce s'y mêlèrent pour produire une école de médecine florissante. Artistiquement, la période sassanide vit quelques-unes des plus hautes réalisations de la civilisation perse. Littérature et art de la peinture s'épanouirent. Quand un Roi sassanide mourait, le meilleur peintre de l'époque était appelé à faire un portrait du défunt conservé dans le trésor royal.
L'art textile sassanide. Soie, broderies, brocart, damas, se retrouvent sur des couvertures, dans des abris, des tentes, sur des tapis et sont tissés avec patience et dextérité. Ils sont teints dans des teintes chaudes de jaune, bleu et vert. Chaque Perse même les paysans et les Prêtres aspiraient à se vêtir au-dessus de sa classe. Il se présentait souvent avec de somptueux vêtements. Les deux douzaines de textiles sassanides qui ont survécu comptent parmi les plus précieux tissus actuellement existants.
Les tissus sassanides furent admirés et imités de l'Égypte à l'Extrême-Orient et jusqu'au Moyen-âge. Lorsque l'Empereur byzantin Héraclius I (610-641) prit le palais de Chosroès II Parviz (591-628) à Dastagird, ses broderies et un immense tapis firent partie de son butin. Le plus célèbre est le « tapis d'hiver », également connu sous le nom de « Printemps de Chosroès ». Le motif vise à faire oublier l'hiver avec des représentations de scènes de printemps et d'été. Les fleurs et les fruits sont ornés de rubis et de diamants, les ruisseaux sont faits de perles.
La sculpture.
La sculpture sassanide a surtout été développée sous la forme de gravures rupestres. Les sites les plus riches sont ceux de Taq-e Bostan et Naqsh-e Rostam. Ce type de sculpture est une tradition
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iranienne qui va connaître son apogée sous les Sassanides. Trente-huit reliefs sont connus, dont la majeure partie est située dans le Fars. Huit des onze premiers Rois sassanides se sont fait représenter sur un relief sculpté, et 200 ans plus tard, Chosroès II a pris la suite. Il s'agit d'un art qui glorifie la personne du Roi, qui est censé immortaliser le pouvoir, la gloire et la grandeur du souverain. Les autres personnages comme les divinités, les dignitaires, les soldats, les prisonniers, les batailles, etc. ne sont que secondaires. Ils sont destinés à mettre en valeur le personnage central qu'est le Roi. Ces sculptures étaient peintes, mais seules quelques infimes traces de peinture sont encore visibles.
Il existe très peu de statues en pierre en ronde-bosse (sculpture totalement réalisée en trois dimensions et donc observable sous n'importe quel angle) datant de l’époque sassanide. L'une des seules que l'on puisse citer est celle de Sapor I (241-272) dans la grotte de Mudan-e Shapur, près de Bishapour, dont la hauteur dépasse les 7 m. Sa fonction est encore inconnue et les avis divergent : lieu de sépulture, de culte du roi défunt, fonction honorifique ? Quoi qu'il en soit, on peut remarquer que l’habit et l’armement du roi sont représentés de manière très détaillée. Par contre, en métal on en trouve deux types.
Le premier consiste en un groupe de bustes royaux en bronze, ou en argent. De grande qualité, ils prennent une place importante dans l’art sassanide et mesurent en général 30 à 40 cm. Il existe des éléments communs à ces bustes dont le principal est, une couronne à deux croissants (korymbos) avec une paire d’ailes de part et d’autre.
La deuxième série est constituée de statuettes en bronze, mesurant 10 à 12 cm de hauteur représentant des personnages masculins, portant un long pantalon bouffant et une courte tunique. Leur chevelure est séparée en deux touffes et une longue épée se balance entre leurs jambes.
L'argenterie.
La vaisselle de métal, notamment d'argent, est sans doute une des productions les plus caractéristiques et les plus emblématiques de l'Empire sassanide. La plupart des pièces sont conservées au musée de l'Ermitage, à Saint-Pétersbourg.
Les pièces de vaisselle de métal peuvent être classées en plusieurs types.
-Les plats : Ils portent souvent des scènes de chasse, la plupart du temps royale, sauf au début des IIIe-IVe siècles où elles peuvent être princières et/ou religieuses, l'animal étant alors une incarnation des concepts zoroastriens. La surface externe peut parfois être cannelée, avec un décor figurant souvent un animal, en général assez naturaliste.
-Les vases. Un grand type se distingue, avec plusieurs caractéristiques, une hauteur de 17/18 cm, une ornementation au repoussé sur la panse, de la dorure sur la bordure du fond et sur la bordure de la partie supérieure, un corps piriforme. Le décor se compose de motifs figuratifs dionysiaques ou mythologiques. D'autres types existent néanmoins, comme les rhytons.
-Les aiguières : Une série est marquée par les influences des aiguières d’argent de l’antiquité tardive (forme et décor). Les pièces s'y rattachant possèdent un corps ovoïde, un col cylindrique étroit et une embouchure ovoïde. Une autre forme d’aiguière est connue par les reliefs rupestres, mais peu représentée dans le corpus d’œuvres connues.
-Les bols. Ils présentent de nombreuses formes : sur pied, hémisphériques, elliptiques, elliptiques et lobés. Certaines formes sont aussi uniques.
Les décors de ces pièces de vaisselle ne comportent ni scènes religieuses ni scènes de guerre.
Toutefois on éprouve quelque difficulté à distinguer les vaisselles sassanides de celles des débuts de l’ère musulmane. Ces pièces de vaisselle étaient souvent utilisées pour des cadeaux diplomatiques, comme objets de commerce ou comme butin. Elles pouvaient être offertes parfois même plusieurs siècles après leur fabrication.
À partir de Kavadh I (488-498) et Chosroès I (531-579), la production d'argenterie dans le royaume augmente à nouveau avec toujours des plats à l’effigie royale, mais aussi de nouvelles formes et de nouveaux décors figuratifs et non royaux : des danseuses, des animaux, des plantes ou encore simplement des motifs géométriques. C’est également la période où naît une argenterie moins somptueuse, avec beaucoup de cuivre et un décor plus simple.
La production sassanide se poursuivit un peu après l’arrivée de l’islam dans les régions encore dominées par des souverains indépendants. Plusieurs influences ont marqué l'argenterie sassanide. On voit ainsi l'apparition de bols sur pied dérivés de modèles occidentaux, de bols ovales et d'aiguières dérivés de modèles est-iraniens et de la vaisselle à décor de nielle se rapprochant de la verrerie, qui dénotent d'une influence de la Méditerranée orientale.
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Les techniques de décor sont elles aussi très variées. La plus sophistiquée est le damasquinage d’éléments d’argent sur le dessous du récipient, mais la décoration peut aussi tout simplement être gravée et/ou ciselée. La dorure se fait au mercure, sur le motif au début (IIIe-Ve siècle) puis sur le dessous du récipient (Ve-VIIe siècle) et parsemant les zones décorées, pour les centres « provinciaux ».
La verrerie.
Malgré de nombreux objets, la verrerie sassanide reste difficile à séparer de celle des périodes précédentes et suivantes, car peu d’œuvres proviennent de fouilles, ce qui rend la datation quasi impossible. La plupart des verres sont transparents, mais il existe des verres opaques colorés en bleu, en pourpre ou en vert. De nombreuses techniques, connues depuis longtemps, sont développées : le soufflage, le soufflage dans un moule, le pressage dans un moule pour mise en forme, les taches et filets colorés, la taille à la meule, le polissage à froid pour le décor. Les formes sont assez comparables à celles du monde Romain.
L'architecture.
Ce qui nous est parvenu des palais illustre la splendeur dans laquelle ont vécu les rois sassanides. On peut citer les palais de Firouzabad (Ardashir Khwarrah) et Bishapour dans le Fars ainsi que celui de la capitale Ctésiphon (à 30 kilomètres au sud de l’actuelle Bagdad). En plus des traditions locales, l'architecture sassanide a été influencée par celle des Parthes, mais possède ses propres caractéristiques architecturales. Elles sont caractérisées notamment par des voûtes monumentales et des coupoles de pierre ou de briques. Les Sassanides reprennent aussi le matériau traditionnel, la brique crue et des techniques de construction parthes.
Au cours de la période sassanide, les voûtes atteignent des proportions énormes, en particulier à Ctésiphon. Dans la cité, l'arche de la grande salle voûtée, attribuée au règne de Sapor I (241-272), a une portée de plus de 24 m et atteint une hauteur de 36 m. Cette magnifique structure a fasciné les architectes de tous les siècles qui ont suivi sa conception et est considérée comme l'un des plus importants exemples de l'architecture perse.
Les Perses ont aussi à leur actif d'autres réalisations comme les iwans qui sont des salles voûtées ouvertes sur un côté seulement par une grande arcade. Les iwans étaient déjà utilisés à l'époque parthe, mais ils sont devenus un élément majeur de l'architecture sassanide. La coupole sur trompes constitue une grande avancée de l'architecture sassanide. En effet, la coupole circulaire était déjà connue des Parthes et des Romains (rotondes), mais le passage du plan carré au plan circulaire n’est maîtrisé pour la première fois que chez les Sassanides.
Ces coupoles sont souvent d’un diamètre élevé, atteignant 14 m dès le règne d’Ardachêr I (224-241) dans son temple du feu. Le dôme de chambre dans le palais de Firouzabad est le plus ancien exemple encore debout d'utilisation d’une coupole.
La brique est aussi utilisée pour créer des éléments architecturaux ou décoratifs tels les escaliers, frises à festons, rosettes, faux-arcs, linteaux avec armature de bois. Les décors de stuc ne sont connus que depuis le début du XXe siècle et leur étude présente de grandes lacunes, en raison de la multiplicité des décors et des nombreuses disparitions notamment. Le plus ancien décor de stuc conservé est celui du complexe de Chapour I à Bishapour.
Les mieux préservés sont ceux de Chaleh Tarkhan près de Téhéran, de Ctésiphon, et de Kish en Mésopotamie. Les panneaux de stuc montrent des chiffres, des animaux mis en médaillons, des bustes humains et des motifs géométriques ou floraux. À Bishapour certains des étages ont été décorés de mosaïques montrant des scènes de banquets. L'influence romaine est ici très claire, les mosaïques ont d'ailleurs été posées par des prisonniers romains.
Bref, la société iranienne sous les Sassanides rivalisait avec la civilisation byzantine. Les nombreux échanges d'intellectuels et de scientifiques entre les deux Empires témoignent de la concurrence, mais aussi de la coopération de ces deux berceaux de la civilisation.
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ALORS PEUT-ON ATTRIBUER AU ZOROASTRISME LES MERVEILLES DE L’EMPIRE SASSANIDE ?
Malgré toute la sympathie que peut nous inspirer le zoroastrisme, nous sommes dans l’incapacité de répondre avec certitude par oui ou par non à cette question.
La religion zoroastrienne, développée vers 1000 avant notre ère par Zoroastre est un hénothéisme. Si elle comporte un Dieu principal, Ahoura Mazda (Dieu du ciel), elle en reconnaît néanmoins d'autres, comme Anahita (Déesse guerrière et de la fécondité) et Mithra (Dieu du soleil et de la justice).
Sous les Sassanides, on note une évolution vers un dualisme entre Ahoura Mazda (ou Spenta Mainyou voire Ormazd) et Ahriman (Angra Mainyou), les principes du bien et du mal qui sont expressément déclarés « jumeaux », au début se réunissent pour créer la vie et la mort et mettent en place la façon dont le monde doit être. Aucun des deux n'était supérieur à l'autre. Ce dualisme restera présent dans l'islam chiite duodécimain.
Comme toute religion, le Zoroastrisme, aussi appelé Mazdéisme, comporte plusieurs rites liés aux principes fondateurs dont : La vénération du feu éternel. L'importance de la pureté rituelle, pas de pollution par le monde extérieur (notamment par les cadavres) ni par le monde intérieur (comme lors des accouchements). Cette recherche de pureté explique l'importance accordée aux ossements avec la coutume funéraire remontant aux Achéménides, qui consiste à laisser le corps être décharné par les charognards et à en récupérer les os. Les rites consistent généralement en sacrifices animaux et en libations. On note le peu de représentations purement religieuses auxquelles donne lieu le culte mazdéen sous les Sassanides.
LE CAS DES VIKINGS DU GROENLAND.
Chronologie des faits.
Si l’on en croit les sagas islandaises, un certain Gunnbjörn Ulfsson aurait découvert vers 930 les rochers qui portent aujourd'hui son nom, alors que son navire était détourné de son voyage en direction de l'Islande. Ces rochers, qu'il nomma Gunnbjarnarsker (rochers de Gunnbjörn), se situent probablement à proximité d'Angmagsalik. Il n'y débarqua pas, mais ramena la nouvelle en Islande.
En 978 Snaebjörn Galti débarque sur la côte ouest.
En 982, Erik le Rouge, riche propriétaire terrien banni de Norvège puis d'Islande pour meurtres part à la recherche de cette terre, il explore la côte est puis la côte ouest. Si l’on en croit certaines sagas, il nomma cette terre « Pays vert », car les gens auraient fort envie d'y aller si ce pays portait un beau nom. En fait, si ce nom peut paraître étonnant pour le pays, il n’en est pas moins justifié : à la belle saison, le Groenland peut, sur ses côtes, présenter de vastes étendues d'un vert effectivement peu banal. Par ailleurs, d'après certains le Groenland était à l'époque bien plus vert qu'aujourd'hui et un peu plus hospitalier notamment sur les côtes (en raison de l'optimum climatique médiéval).
Bien que les Scandinaves aient manqué cruellement de terres arables, leur installation en Groenland n’aurait pas été motivée par son potentiel agricole, plus médiocre que sa voisine islandaise, mais bien par ses richesses en ivoire de morse. Selon des comptes rendus écrits de 1327, une seule cargaison de 520 défenses vendues en Norvège valait autant que 780 vaches ou 66 tonnes de poissons et ceci sans compter l’utilisation de leur fourrure et de leur graisse. Cette théorie développée par la chercheuse danoise Karin Frei du musée national du Danemark insiste également sur le fait que le marché européen de l'ivoire souffrait alors d’une pénurie d’approvisionnement dû à la conquête musulmane de l’Afrique du Nord, entraînant du même coup une ruée vers l’ivoire groenlandais.
Erik le Rouge revint en Islande trois ans plus tard pour convaincre d'autres colons de l'accompagner au Groenland. Une nouvelle expédition partit alors d'Islande en 985 avec 25 navires. Seuls 14 arrivèrent à destination.
La colonie fondée par Erik le Rouge a compté jusqu'à environ 5 000 personnes (3 000 seulement selon Régis Boyer), en 250 fermes regroupées autour de quatorze églises principales, réparties pour
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les trois quarts dans les « établissements de l'Est » (Eystribyggd) situés tout au sud-sud-ouest (Qaqortoq), et pour un quart dans les « établissements de l'Ouest» (Vestribyggd), situés cinq cents kilomètres plus au nord.
L'ensemble des colonies fondées au Groenland va se calquer presque en tout point sur leur patrie d'origine, l'Islande. Ainsi, jusqu'à sa disparition, cette colonie reste radicalement européenne, adoptant immédiatement toutes les évolutions culturelles, vestimentaires et autres de la métropole. Comme les établissements sont restés déserts du XVIe siècle presque jusqu'à nos jours, leurs ruines constituent les restes les mieux conservés d'habitats ruraux européens du Moyen-âge.
Comme les Vikings de Norvège et des autres colonies atlantiques, les colons sont des paysans qui pratiquent essentiellement l'élevage. Dans les premières années, les espèces élevées sont les mêmes qu'en Norvège ou en Islande (vaches, cochons), mais, comme en Islande, des espèces moins prestigieuses (moutons, chèvres), mais plus robustes, les remplacent progressivement. En effet, le climat groenlandais impose de nourrir les vaches et les cochons à l'étable la plus grande partie de l'année et donc de cultiver du fourrage, qui pousse mal sous ces latitudes. Seuls les fermiers les plus riches continuent à élever des vaches, surtout pour leur lait. Les fermes les plus importantes, comme celle d'Erik à Brattahlid ou celle de l'évêque à Gardhar, comptent plus de cent vaches. Il n'y a en revanche aucun vestige d'animaux de basse-cour dans les établissements.
Selon Jared Diamond, qui se base sur des relevés archéologiques, les colons pratiquent également la chasse (rennes et phoques, ces derniers pouvant constituer les trois quarts du régime alimentaire dans les fermes les plus pauvres), mais bizarrement pas du tout la pêche, même au cours de la dernière période, où les rations alimentaires deviennent insuffisantes.
Cette absence du poisson dans le régime alimentaire des colons, alors que les eaux douces et de mer sont particulièrement poissonneuses et que les Norvégiens d’Europe ont un régime composé pour moitié de poisson, est un des principaux mystères archéologiques de la colonie, avant même sa disparition. Cette théorie sur l'alimentation des Vikings du Groenland ne fait toutefois pas l'unanimité. Else Rosedahl affirme ainsi que les colons exploitaient aussi les riches ressources de poissons […] et baleines.
Les colons pratiquent une sorte de transhumance, occupant des refuges situés sur les hautes terres (400 mètres au maximum) au cours de l'été. Ils se dépêchent d'y faire une maigre récolte et y font paître leurs bêtes le temps pour les pâturages de la ferme principale de se remettre du pâturage de printemps.
Les établissements, particulièrement ceux de l'Ouest, se trouvent à l'extrême limite de la zone où l'agriculture est possible et une année un peu plus froide ou un hiver un peu plus long peuvent compromettre l'alimentation du bétail, et, partant, la survie des habitants. En effet il n'est pas envisageable au Moyen-âge d'importer de la nourriture même depuis l'Islande : compte tenu des voyages recensés, le volume moyen des importations doit être seulement de trois kilos par personne et par an.
Les principales exportations du Groenland sont l'ivoire de morse (qui constituait un substitut à l'ivoire d'éléphant avant que les croisades ne permettent de retrouver accès à cette ressource) et la fourrure d'ours blanc, ainsi que, comme en Islande, le vadmal, un tissu de laine. Les principales importations sont également des produits de prestige, ainsi que le bois (extrêmement rare au Groenland), le fer (dont la fabrication aurait nécessité de trop grandes quantités de bois) et le goudron (obtenu par chauffage de bois résineux).
Les colons ne disposent que de quelques bateaux à rames, de petite taille, utilisés pour la chasse au morse, mais d'aucun bateau de haute mer.
Malgré la pauvreté de la colonie, des constructions de prestige ont été élevées. L'église de Hvalsey est l'un des rares monuments en pierre des colonies norvégiennes de l'Atlantique, la cathédrale de Gardhar était aussi grande que les deux cathédrales d'Islande qui desservaient une population dix fois plus importante, et une grande partie des importations, réduisant d'autant les chargements de bois et de fer, était destinée au mobilier religieux.
DÉCOUVERTE DE L’AMÉRIQUE DU NORD.
Vers 985, selon la Saga des Groenlandais, Bjarni Herjólfsson, se rendant d'Islande au Groenland, est dérouté et aperçoit une terre couverte de forêts au sud-ouest du Groenland.
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En 1000, Leif le Chanceux, fils d'Erik, acheta le bateau de Bjarni et se mit en quête de terre neuve. Il découvrit plusieurs parties du continent américain, probablement la terre de Baffin, le Labrador, et Terre-Neuve, où il érigea des « baraques ». Puis il rentre au Groenland.
Son frère Thorvald passa l'hiver suivant dans les « baraques de Leif » puis explora la région. Les Norvégiens rencontrèrent neuf Indiens, et ils en tuèrent huit. Les représailles ne se firent pas attendre : Thorvald fut tué dans les combats qui s'ensuivirent et les survivants rentrèrent au Groenland.
En 1005 Thorfinn Karlsefni, ex-gendre d'Erik le Rouge, emmena une soixantaine d'hommes pour coloniser la région explorée par Leif. Après deux hivers, les relations avec les Indiens devinrent trop mauvaises pour que la colonie puisse être viable et les Norvégiens renoncèrent alors définitivement à l'Amérique.
L'exploration du site de L'Anse aux Meadows (qui correspond probablement au Straumfjord où se serait implanté Thorfinn Karlsefni selon la Saga d'Erik le Rouge, les « Baraques de Leif » étant sans doute situés sur l'actuel site de Bay St Lawrence, au nord du cap Breton en Nouvelle-Écosse) a montré que cet abandon s'était traduit par un déménagement calme et méthodique.
Il est néanmoins probable que des expéditions aient encore été menées vers le Labrador pour en ramener du bois, dont le Groenland manquait cruellement. On en trouve une trace dans un texte de 1347.
VENONS EN MAINTENANT AU CŒUR DU PROBLÈME, LES CAUSES DE LA DISPARITION DE CETTE COLONIE VIKING DU GROENLAND.
Les dernières sources écrites concernant les Vikings du Groenland proviennent d'un mariage ayant eu lieu dans l'église de Hvalsey en 1408 ; aujourd'hui la ruine viking la mieux conservée.
La civilisation européenne médiévale implantée au Groenland a DONC disparu au XVe siècle d'abord dans l'établissement de l'Ouest, puis, sans que les historiens aient de traces des événements qui ont provoqué cette disparition, dans l'établissement de l'Est. Toutefois l'archéologie fournit un certain nombre d’indices.
Les chercheurs ont pu constater que le Groenland a progressivement connu une grave pénurie de fer ; les archéologues n'ont par exemple retrouvé que très peu d'objets en fer (clous, etc.) et aucune arme, alors que l'analyse des cadavres montre qu'il s'agissait d'une société particulièrement violente. Les quelques outils retrouvés étaient usés jusqu'à la dernière limite.
L'étude des dépotoirs de l'établissement de l'Ouest montre que les derniers habitants avaient épuisé leurs réserves de combustible et de nourriture, et qu'ils sont certainement morts de faim et de froid. Avec la disparition de l'établissement de l'Ouest, les colons perdirent l'accès à leurs principales exportations de haute valeur.
À l'heure actuelle toutefois, aucune certitude ne peut être présentée et les réponses à apporter à cette question ne font pas l'unanimité. Il sera donc nécessaire de présenter plusieurs points de vue différents dans ce chapitre.
Le collapsologue Jared Diamond considère que l'ensemble des cinq facteurs qu'il a recensés comme causes de l'effondrement des sociétés ont joué simultanément dans le cas du Groenland : dégradation anthropique de l'environnement, changement climatique, voisins hostiles, défection de partenaires commerciaux amicaux (chute des cours de l'ivoire et de la fourrure d'ours), réponses inadaptées aux autres facteurs.
La palynologie montre que les Norvégiens découvrirent un pays couvert de forêts de saules et de bouleaux qu'ils s'empressèrent de défricher pour créer des pâturages. L'analyse des sédiments montre que l'érosion s'accéléra brutalement dès leur arrivée, au point que même le sable présent sous la terre végétale fut entraîné dans les lacs.
La colonisation du Groenland avait commencé vers le début de l' «optimum climatique du Moyen-âge», mais le climat commença à se refroidir à partir du XIVe siècle, et en 1420 le petit âge glaciaire était bien installé.
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Contrairement aux Inuits qui se chauffaient et s'éclairaient à l'aide de graisse animale, les Norvégiens continuèrent jusqu'à la fin à n'utiliser que le bois et la tourbe, aggravant ainsi leurs problèmes environnementaux. Ils n'ont jamais tenté non plus d'imiter les techniques de chasse des Inuits.
En plus des problèmes de nourriture et de climat, Régis Boyer mentionne également les négligences de la Norvège et du Danemark. Le Groenland Knörr, qui assurait une liaison annuelle entre le Danemark et le Groenland, ne sera pas remplacé après sa destruction en 1367.
La théorie de Jared Diamond ne fait toutefois pas l'unanimité. Kirsten A. Seaver avait déjà auparavant contesté quelques-uns des points les plus communément admis concernant la disparition des colonies norvégiennes au Groenland. Elle estimait par exemple que la colonie était plus saine que ce que l'on pensait généralement dans les années 1980 et que les colons n'étaient pas simplement morts de faim. Ils auraient plutôt été exterminés lors d'attaques européennes ou venant de populations locales, ou auraient abandonné leurs colonies pour se rendre soit en Islande, soit au Vinland. L'absence d'effets personnels sur ces sites suggérerait par exemple que les Vikings sont simplement partis. Leur occupation a toutefois duré plus de cinq siècles.
En 1540, un bateau visite l'établissement de l'Est et rencontre uniquement des fermes désertes et, dans l'une d'elles, un cadavre non enseveli.
Lorsqu'en 1578 l'explorateur anglais John Davis atteint le Groenland, il ne trouve que des Inuits.
Alors même que tout contact avec le Groenland était rompu, les rois du Danemark continuèrent inlassablement à proclamer leur souveraineté sur l'île. Au cours des années 1660, l'ours polaire fut même ajouté aux armoiries du royaume du Danemark.
En 1721, les Danois et les Norvégiens redécouvrent l'île, les Inuits sont les seuls habitants du Groenland depuis plusieurs siècles déjà.
En 1721, une expédition clérico-commerciale menée par le missionnaire norvégien Hans Egede fut envoyée au Groenland, ne sachant pas s'il y avait encore une civilisation et, si c'était le cas, s'ils étaient toujours catholiques 200 ans après la Réforme ou, encore pire aux yeux d'Egede, s'ils étaient redevenus païens. En plus de ces éléments religieux, le Groenland était également intéressant du point de vue de l'économie piscicole (pêcheries, industrie baleinière). Enfin, cette expédition peut être vue comme l'une des manifestations des tentatives de colonisation danoises de l'Amérique.
En 1723, Hans Egede recueille des traditions orales selon lesquelles les Inuits auraient eu avec les Norvégiens des relations alternant entre hostilité et amitié.
L’HYPOTHÈSE INUIT.
Les Inuits, dont la civilisation est centrée sur des techniques particulières de chasse (phoque, morse, baleine, caribou), pénétrèrent au Groenland par le détroit de Smith vers 1250. Ils y développent la culture de Thulé.
À partir de 1300 environ, ils descendent le long des côtes du Groenland en raison du refroidissement du climat (petit âge glaciaire). C'est probablement à cette époque qu'ils apprennent de la culture de Dorset la construction des igloos.
Au cours de leurs migrations, ils découvrent les établissements vikings, celui de l'Ouest d'abord, puis, vers 1400, celui de l'Est, avec lesquels ils entrent certainement en concurrence. Les Inuits ont un avantage évident, leurs techniques de chasse étant plus élaborées. Une colonie de plusieurs centaines d'habitations s'installe alors à Sermermiut (Ilulissat), sur les principales zones de chasse à l'ours et au morse des Norvégiens.
Le petit âge glaciaire a néanmoins une influence néfaste sur l'économie inuit également, et de nombreuses familles meurent de faim et de froid. Ils ont toutefois survécu à cette période difficile, contrairement aux descendants des Vikings.
LE CAS MAYA EN AMÉRIQUE CENTRALE ET NOTAMMENT AU YUCATAN.
La controverse fait également rage à propos des causes exactes de l’effondrement de la civilisation maya,
Crise économique, changement de climat, invasion étrangère...
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Les origines des tribus mayas les plus anciennes se perdent dans la nuit des temps. Les manuscrits indigènes du XVIe siècle ont oublié l'emplacement du berceau de la civilisation maya, que ce soit le Chilam Balam (écrit dans la péninsule du Yucatán), ou le Popol Vuh des K’iche, la branche des Indiens mayas du Guatemala.
Et même le premier chroniqueur espagnol des Mayas, le frère Diégo de Landa (1566), n'a pu en mentionner clairement la situation.
Les premiers Mayas vivaient très vraisemblablement sur le littoral atlantique du Mexique, d'où ils descendirent vers l'Amérique Centrale en remontant le Río Usumacinta pour arriver au Petén. Un vieux groupe maya, les Huastèques, resta cependant dans le nord, dans la région allant de Veracruz à Tamaulipas. C'est peut-être l'expansion des Nahuas, un peuple de la grande famille aztèque ou mexicaine, qui coupa en deux le peuple maya en rejetant un groupe au nord et l'autre au sud. Les groupes rejetés vers le sud sont ceux qui développèrent la grande civilisation maya dont la disparition nous préoccupe aujourd’hui.
Au commencement de la période historique, ils vivaient dans un triangle délimité par Palenque dans le Chiapas, Uaxactun, au Guatemala, et Copán au Honduras, une aire très importante avec des voies de communication très difficiles au milieu de la jungle, traversée par de grandes rivières, comprenant le bassin de l'Usumacinta, le Petén guatémaltèque et les vallées du Motagua ou du río Copán.
Les preuves archéologiques montrent que l'architecture cérémonielle maya démarre vers 1000 avant notre ère.
Vers 300 avant notre ère on assiste à la multiplication des sites et à une activité architecturale intense, signe d'un fort accroissement de la population, particulièrement dans les cités d’El Mirador, Nakbe, Komchén, Cerros et Tikal. Chaque site se développe de façon autonome. Néanmoins, signe d'une indéniable unité culturelle, on utilise partout la même céramique rouge et noire.
Entre 150 et 250 de notre ère, période souvent dénommée « protoclassique », des tensions apparaissent : crise de croissance ou invasion, nul ne le sait. Certains sites disparaissent tels que Cerros, El Mirador ou Komchén, tandis que d'autres s'imposent comme Tikal.
L'Époque classique s'étend de 250 à 900. Elle est subdivisée en Classique ancien (de 250 à 600) et Classique récent (de 600 à 900). Certains auteurs insèrent à la charnière du Classique et du Postclassique une période appelée Classique terminal ou final.
Cette période, que nous connaissons de mieux en mieux grâce au déchiffrement de l'écriture maya, est marquée par de perpétuelles rivalités entre de nombreuses cités-États. Les Basses-Terres mayas n'ont jamais été unifiées politiquement, et il n'y a jamais eu d'« empire maya», comme on l'imaginait au milieu du XXe siècle. Chaque entité politique avait à sa tête un souverain appelé k'uhul ajaw (« divin seigneur » en maya), qui tirait sa légitimité de ses ancêtres et occupait une fonction non seulement politique, mais aussi religieuse. Il constituait une « interface » entre la communauté qu'il dirigeait et le monde surnaturel. Chaque entité politique était dotée d'un glyphe-emblème.
Dans les Basses-Terres du Sud, le Classique ancien est dominé par deux grandes métropoles : Tikal et Calakmul. Chacune se trouve à la tête d'une confédération aux liens très lâches, où les renversements d'alliance sont fréquents.
Tikal joue un rôle prédominant dans la première partie de cette époque qui marque l’apogée de la civilisation maya. Les débuts de l'histoire de Tikal sont mal attestés. La Stèle 29 porte la première date en compte long de cette cité. Son rôle semble être renforcé par les liens qui l'unissent à la grande métropole du Mexique central, Teotihuacán. Ces échanges se manifestent dans l’architecture, la céramique et la sculpture.
Vers le milieu du VIe siècle, Tikal est vaincue par Calakmul. On note alors un ralentissement des activités, qui se traduit par l’interruption de l’érection de monuments datés dans cette cité. Cet arrêt marque la fin du classique ancien.
La fin du VIIe siècle voit un retournement de situation : Calakmul, vaincue par Tikal, amorce un déclin. Un renouveau s’opère, organisé autour de cités-États qui rivalisent de prestige. La culture maya des Basses-Terres du Sud atteint son apogée : il durera jusqu'au IXe siècle. On assiste à une « balkanisation » du paysage politique. Des centres secondaires se livrent à d'incessants conflits. Une
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rivalité oppose par exemple Piedras Negras à Yaxchilan, tandis qu'un peu à l'écart des autres centres, Quiriguá entre en conflit avec Copán.
Dans les Basses-Terres du Nord, au Yucatán, d'autres centres prennent le relais : les cités Puuc d'Uxmal, Labná, Kabah, Sayil, etc. Leur épanouissement est bref : elles sont également désertées au Xe siècle.
Les années 750 à 1050 marquent l’effondrement des cités-États des Basses-Terres du Sud, l'arrêt des constructions monumentales et des inscriptions associées. La dernière inscription connue datée sur un monument des Basses-Terres du Sud remonte à 822 pour Copán (au sud-est), 869 pour Tikal (au centre) et à 909 pour Tonina (ouest).
La cause du dépeuplement quasi total des puissantes cités mayas à l'aube du IXe siècle reste mal connue. Des hypothèses ont été avancées pour expliquer la chute brutale de la civilisation maya classique en plein âge d'or, les spécialistes n'étant toujours pas d'accord sur les causes d'un bouleversement aussi radical. Guerres, désastres écologiques, famines ou une combinaison de ces facteurs sont les raisons généralement avancées pour expliquer ce déclin. Les centres mayas sont abandonnés entre la fin du VIIIe siècle et le début du Xe siècle, puis recouverts par la forêt. Ce n'est qu'au cours de la seconde moitié du XIXe siècle et au début du XXe qu'ils ont été découverts et restaurés.
Les faits.
On constate l'arrêt progressif de toute activité de construction dans les cités mayas des Basses Terres du sud, au Guatemala et au Mexique actuels à partir de la fin du VIIIe siècle (on prend généralement en compte la dernière date en compte long retrouvée sur chacun des sites, de 780 à Pomona jusqu'à 909 à Toniná). Ce phénomène correspond à l'effondrement du système politique de la royauté divine (appelée aussi royauté sacrée) qui caractérise le monde maya classique.
Les chercheurs ont également établi qu'à cette période la démographie avait été en forte baisse.
La chute ne fut pas violente : les ruines mayas ne sont pas des villes détruites, mais des cités abandonnées. On ne trouve pas non plus de trace d'hécatombes, charniers ou fosses communes.
Les hypothèses.
Tellement d'hypothèses ont été émises sur l'effondrement maya qu'en 1973 deux ouvrages ont été publiés, par Richard E. Adams et Jeremy A. Sabloff pour les répertorier et les classifier. À l'époque, presque toutes les hypothèses n'envisageaient qu'une cause unique, de type interne ou externe. Les études récentes privilégient désormais des explications plus complexes basées sur l'interaction de plusieurs facteurs négatifs parmi ceux évoqués dans les études antérieures.
Causes internes.
Une crise écologique et climatique. Selon cette hypothèse qui se développe depuis les années 1990 des sécheresses et une surexploitation des sols auraient rendu les zones de culture, de pêche et de chasse moins productives (voire parfois stériles), obligeant les Mayas à retourner à des formes d'organisation sociale en communautés plus réduites, dans les zones fertiles et moins vulnérables aux sécheresses (au nord), car disposant d'eaux souterraines. La surexploitation, liée à une déforestation massive et aux besoins de terres arables, pourrait aussi être due à l'augmentation de production de stuc. En effet, les notables mayas s'enrichissant, ils ont construit des demeures aux murs en stuc de plus en plus épais. Les parements en stuc étaient en effet considérés comme des signes de richesse. Or, la quantité de bois nécessaire pour chauffer le calcaire et le transformer en stuc est considérable. Une déforestation massive aurait alors entraîné une érosion accélérée des sols, dégradant les cours d'eau et recouvrant notamment les terres agricoles fertiles de matières non fertiles, comme l'argile par exemple.
C.W. Ceram insiste sur l'arrêt de toute construction de bâtiments dans une ville au moment où cette même activité démarre quatre cents kilomètres plus loin. Selon lui, une catastrophe écologique liée à un épuisement des sols aurait imposé un déplacement de capitale ajournant le problème, mais sans le résoudre. Les archives sédimentaires montrent que plusieurs sécheresses extrêmes successives ont
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rapidement affecté l’accès à l’eau domestique et d'irrigation alors que la maïsiculture, centrale dans l’alimentation maya dépendait des saisons des pluies.
Une crise démographique : l'augmentation de la démographie à l'époque classique aurait été trop rapide par rapport à ce que les avancées technologiques permettaient de gérer, en termes d'organisation, notamment en termes d'approvisionnement en nourriture.
La religion : cette thèse se fonde sur la religion maya elle-même, prépondérante dans les cités dont la naissance va de pair avec la construction de grands centres cérémoniels. La création des arts et des sciences était toujours intimement liée à la religion. Or, celle-ci se fondait sur des observations astronomiques qui avaient donné naissance à deux calendriers complexes structurant la vie de la cité et avaient profondément marqué leur cosmogonie. Les Mayas distinguaient ainsi cinq cycles dans leur histoire de l'Univers se terminant tous par la destruction du monde précédent ; celle correspondant à l'Humanité était la quatrième, et le calcul fondé sur le croisement des deux calendriers indique que cette période devait s'achever au Xe siècle. Ainsi, les prêtres ayant prédit l'approche imminente de l'apocalypse, ce peuple fervent aurait soudain été pris de panique et se serait enfui…
Cette hypothèse très controversée avancée au milieu des années 1970 par Pierre Ivanof n'explique ni la forte baisse de la démographie constatée par les chercheurs ; ni pourquoi les Mayas ne sont pas retournés vivre dans les cités après s'être rendu compte que les prévisions des prêtres étaient erronées.
Causes externes.
Les invasions : des guerres endémiques entre cités, ou bien des révoltes internes de la plèbe contre l'élite (ou de la noblesse contre le roi), auraient affaibli les cités mayas au point de les rendre incapables de résister aux agressions de peuples de l'ouest et du nord. Ces hypothèses de fragmentation politique se fondent sur des traces d’abandon brutal, laissant penser que les activités quotidiennes auraient été délaissées en quelques jours (constructions encore en chantier).
Le déchiffrement des hiéroglyphes a en tout cas permis d'établir que, dans une société politiquement morcelée en cités-États, les souverains étaient continuellement en compétition pour des raisons économiques (pour le contrôle d'une route commerciale ou la levée de tributs, par exemple) ou de simple prestige (comme lors de l'inauguration d'un nouveau souverain). La situation échappa au contrôle des dirigeants à la fin du VIIIe siècle et la guerre devint endémique. La région du Petexbatun devint alors, selon les termes d'Arthur Demarest, le « pays de la peur ». Toutes les Basses-Terres mayas du sud sombrèrent ensuite peu à peu dans la violence.
À l'époque postclassique, la société maya des Basses-Terres du Nord se militarisa et on assista à l'émergence d'une classe de guerriers, dont les « atlantes » en armes du Temple des Guerriers à Chichén Itzá constituent une représentation emblématique. Dans les Hautes-Terres mayas, des royaumes guerriers et expansionnistes, tels que ceux des K'iche et des Kaqchikel, s'affrontèrent au postclassique récent jusqu'à l'arrivée des Espagnols au XVIe siècle.
Catastrophes naturelles.
Certains chercheurs ont émis l'hypothèse que la population maya aurait pu être en grande partie décimée par une série de très puissants séismes, de fortes perturbations climatiques (ouragans, sécheresse), d'épidémies ou encore de nuées de sauterelles. Par exemple, une très importante diminution des pluies sur une longue période corroborée par plusieurs études géologiques et par des études menées autour des conséquences du phénomène El Niño et La Niña aurait ainsi pu entraîner de mauvaises récoltes, des famines, des épidémies, des guerres, des révoltes, etc. Des historiens du climat ont ainsi montré qu'une sécheresse importante en Amérique centrale toucha le Mexique entre 897 et 922, qui aurait pu contribuer à la chute des Mayas. Une autre période de sécheresse eut lieu entre 1149 et 1167, coïncidant avec le déclin de la culture toltèque et l'abandon de sa capitale.
Causes mixtes.
La plupart des études récentes privilégient dans leur grande majorité une accumulation de facteurs défavorables, qui auraient entraîné des conflits sociaux internes et externes, jusqu'à la faillite et l'abandon du système sociopolitique des cités-États.
Ces modèles explicatifs complexes se fondent sur un des éléments déclencheurs, interne ou externe, évoqué ci-dessus.
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Par exemple, à la suite des fouilles menées à Naachtun depuis 2009, il est envisagé qu'une modification durable de l'écosystème et les guerres à répétition aient provoqué la fin de l'ère classique.
L'Époque postclassique va de 900 à la conquête espagnole. Elle est subdivisée en Postclassique ancien (de 900 à 1200) et Postclassique récent (ou tardif) (de 1200 à la conquête espagnole).
Le Postclassique maya voit la montée en puissance de l'influence des Nahuas du Mexique central, tant dans les Hautes Terres du sud que dans le nord du Yucatan. Cette influence se caractérise par l'introduction de styles nouveaux, de nouvelles techniques comme la métallurgie, et par de grands changements dans l'organisation sociale et politique : la royauté n'est plus sacrée, le roi est désormais accompagné d'ordres militaires et différents corps sociaux (conseillers, prêtres). Les causes de cette montée en puissance des Nahuas sont incertaines. Il semblerait que l'affaiblissement du monde maya ait entraîné des mouvements de populations chichimèques et par là même un renouveau du pouvoir nahua, dorénavant aux mains des Toltèques, centrés sur Tula (ou Tollan). Ces derniers étendent leur influence à toute la Mésoamérique, jusque dans le nord du Yucatan, apportant des traits nahuas aux Mayas.
Les quelques cités mayas qui avaient perduré pendant l'Épiclassique et le Postclassique ancien, notamment les cités Puuc comme Uxmal, Sayil, Labna, K'abah, Yaxuna, et d'autres cités déjà anciennes comme Edzna, Coba ou Dzibilchaltun, après un âge d'or entre le IXe et le Xe siècle, connaissent une grave crise et se dépeuplent pour la plupart.
Seule Chichén Itzá continue de prospérer : les Toltèques, menés par Kukulkan selon la légende, y auraient fondé une dynastie et importé des cultes du centre du Mexique, comme celui de Quetzalcoatl (Kukulkan), Tlahuizcalpantecuhtli (Tawizcal dans le codex de Dresde), Cactunal… Cependant, au XIIIe siècle, Chichén Itzá décline à son tour au profit de Mayapan, dirigée par Hunac Ceel ; Mayapan deviendra donc le nouveau centre du monde maya des Basses Terres, une cité prospère, fortement mexicanisée, gouvernée par des lignées aristocratiques. Puis au XIVe siècle, des rivalités entre ces lignées et la dynastie régnante des Cocom entraîneront une longue période de guerres civiles, qui aboutira à la chute de Mayapan.
Le Postclassique dans les Hautes Terres du sud présente aussi de grands changements et une mexicanisation importante. Les anciens centres du pouvoir classiques, comme Kaminaljuyu ou les cités de la vallée de Chuyub, sont abandonnés. S'ensuivent de vastes mouvements de populations, des intrusions mexicaines, un morcellement ethnique et politique, qui aboutissent à la création d'une mosaïque de centres régionaux et d'États indépendants. Parallèlement à ces changements, on assiste à l'introduction de traits culturels nahuas, tels que les temples jumeaux et les Tzompantli, les cultes d'origine mexicaine (Quetzalcoatl sous le nom de Kukumatz, le Tohil des K'iche, Xipe Totec…), la métallurgie, de nouveaux types de céramiques (fine orange, comales, molcajetes…).
Le pouvoir est aux mains d'ethnies telles que les K'iche, les Kaqchikel, les Mam, les Pokomam, les Tz'utuhil, les Q'eqchi, qui fondent des royaumes expansionnistes et bien défendus, comme le royaume des K'iche qui, centré sur Chi Izmachi puis Q'umarkaaj (Utatlan), sera intégré à l'Empire aztèque sous Ahuizotl, comme celui des Kaqchikel, d'abord vassal des K'iche, puis centré sur Iximche, celui des Pokomam centré sur Mixco Viejo, de Rabinal centré sur Cayuup… Ces États sont dirigés par des lignées (Ilocab, Nihaib, Kawek, Tamub…) qui disent tenir leur pouvoir des Toltèques. Les conflits politiques qui agitent la région tout au long du Postclassique sont connus grâce à des documents de l'époque coloniale écrits en langues indigènes, tel que le Popol Vuh des K'iche, l’El Titulo de Totonicapan, les Annales des Kaqchikel, le Memorial de Solola…
L’écriture hiéroglyphique maya continue à être utilisée. Les quatre codex, conservés et authentifiés, datent de l'Époque postclassique.
Après avoir vaincu les Aztèques en 1521, les Espagnols se lancèrent à la conquête des territoires mayas. Grâce à leur supériorité technologique et aux antagonismes entre royaumes mayas des Hautes-Terres du Guatemala, qu'ils poussèrent à se monter les uns contre les autres, ils les écrasèrent rapidement en 1524. Les Mayas du Yucatán, en revanche, opposèrent aux envahisseurs une résistance farouche. Les deux premières tentatives de conquête par Francisco de Montejo, en 1527-28 et ensuite de 1531 à 1535, échouèrent. En 1541, son fils, Montejo le jeune, profitant de
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l'hostilité entre les clans Cocom et Xiu, parvint à s'implanter dans la région et fonda Mérida en 1542. Protégé par son relatif isolement dans la jungle du Petén, le dernier État maya, le royaume itzá de Tayasal, ne succomba aux Espagnols qu'en 1696-97.
Les maladies importées d'Europe par les Espagnols et inconnues des indigènes ne furent pas étrangères à la défaite des Mayas. Dès 1521, une épidémie de variole emporta le tiers de la population des Hautes-Terres du Guatemala. Il en alla de même au Yucatan. À leur arrivée dans la région, les Espagnols firent donc face à des adversaires déjà affaiblis.
REQUIEM.
Économie.
Les outils en métal n’existaient pas. Les Mayas utilisaient des meules en pierre appelées metate.
Les Mayas tiraient à l'origine le plus gros de leur subsistance d'une agriculture sur brûlis : on brûle les broussailles – la cendre constitue un excellent engrais – avant d'ensemencer au moyen d'un bâton pointu. La découverte de Cerén, un petit village maya enseveli par une éruption volcanique au VIe siècle, a permis aux archéologues d'observer in situ comment les Mayas de l'Époque classique cultivaient sur une même parcelle maïs, haricots et courges. Les grands arbres étaient laissés en place et contribuaient à la régénération de la parcelle. Après une ou plusieurs années, les éléments nutritifs contenus dans la cendre étant épuisés, il fallait laisser la parcelle en jachère pendant une période qui variait selon la qualité du sol : jusqu'à vingt ans dans le nord du Yucatán. Sauf dans les Hautes-Terres, où le sol volcanique des vallées est très riche, le rendement était relativement faible dans les Basses-Terres où la couche d'humus est généralement mince. Pour nourrir des populations de plus en plus nombreuses, les Mayas valorisaient des terres moins fertiles en pratiquant l'agriculture en terrasse pour contrecarrer l'érosion. Les archéologues ont constaté que cette forme d'agriculture avait été particulièrement pratiquée dans la région de Rio Bec – près de 150 000 hectares – et dans la région de Caracol. Les anciens Mayas connaissaient également une autre forme d'agriculture intensive : dans des zones marécageuses appelées « bajos», ils aménageaient des champs surélevés; on creusait des canaux de drainage et on mettait en culture les monticules formés par les remblais de boue contenant des éléments nutritifs. De cette manière on peut obtenir plus d'une récolte par an. Par ailleurs, on peut obtenir une ressource supplémentaire en faisant de la pisciculture dans les canaux.
Pour assurer leur subsistance, les Mayas pratiquaient aussi la chasse et la pêche, l'élevage et l'agriculture. L'élevage était limité à quelques espèces, dindon et chien. Dans certaines régions, pour éviter les carences en protéines, les Mayas chassaient une variété d'animaux, tels que le cerf, le pécari, le tapir, l'agouti, le paca ou encore deux espèces de singes, sans compter diverses espèces d'oiseaux ainsi que de vers et d'insectes.
Les Mayas connaissaient aussi l’apiculture.
Les différents peuples mayas entretenaient de nombreuses relations commerciales avec des cités lointaines. Les fèves de cacao et les clochettes en cuivre servaient de monnaie d’échange ; le cuivre était aussi utilisé à des fins décoratives, comme l’or, l’argent, le jade, les coquillages et les plumes de quetzal.
La société maya est divisée en classes : nobles, religieux, militaires, artisans, commerçants, paysans (la majorité) et l’équivalent des serfs. Elle est dirigée par des chefs héréditaires, de filiation patrilinéaire, qui délèguent leur autorité sur les communautés villageoises à des chefs locaux. La terre, propriété de chaque village, est distribuée en parcelles aux différentes familles.
La structure sociale est complexe et est fondée sur une organisation familiale patrilinéaire, une division sexuelle du travail et une répartition par secteurs d'activité. Les agriculteurs, la majeure partie de la population, se divisaient en paysans, serviteurs et esclaves. L'élite, de son côté, se répartissait en guerriers, prêtres, administrateurs et dirigeants. L'élite et le peuple ne formaient pas des catégories antagonistes, car des liens de parenté ou d'alliance unissaient dirigeants et serviteurs, chefs et paysans. Ainsi, les nouvelles découvertes montrent l'existence d'une classe fort importante de commerçants-guerriers, notamment à partir du Ve siècle à Tikal et il y aurait eu un partage du pouvoir entre l'ancienne aristocratie chargée des affaires intérieures de la cité et religieux et la nouvelle classe de commerçants-guerriers.
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Les Mayas vivaient selon un système de cités-États. Cette indépendance relative des communautés a d'ailleurs été un facteur facilitant la conquête par les Espagnols, qui n'eurent pas à affronter un peuple présentant un front uni.
Le clergé constitue également une classe nombreuse. Les prêtres (ah kin) se succèdent de père en fils et leur savoir ne se transmet qu'à l'intérieur de la famille. Cela est compréhensible puisque le savoir maya était fort étendu : de l'écriture à la chronologie, des almanachs sacrés à la médecine, des cérémonies à la formation des jeunes prêtres. Parmi les prêtres se distingue le chilam, spécialement chargé de recevoir les messages des dieux et d'énoncer les prophéties. Leur influence et la grande religiosité des Mayas expliquent les nombreux jeûnes très sévères pratiqués par le roi et la noblesse ainsi que les mortifications et automutilations puisque la religion maya donne au sang une très grande valeur magique.
En bas de l'échelle se trouve le peuple. C'est à lui qu'incombe la tâche de fournir les aliments et les vêtements, la main-d'œuvre pour les travaux publics. Ces ouvriers mayas ne disposent que d'outils en pierre ou en bois ; ils ne connaissent ni le métal, ni la traction animale, ni la roue. Le seul moyen de transport connu s'effectue à dos d'homme. Enfin, les esclaves constituent une classe à part. Les délinquants de droit commun sont condamnés à l'esclavage. Les prisonniers deviennent souvent des victimes sacrificielles.
CONCLUSION ET RAPPEL.
Île de Pâques Mayas et Vikings du Groenland sont trois cas particuliers.
Ce qui change tout c'est qu'il y a aujourd'hui sur Terre une civilisation mondiale, ce qui n'était pas le cas il y a plusieurs siècles. Il y aura donc des survivants, qui pourront repartir de zéro, processus que seule une apocalypse nucléaire pourrait radicalement empêcher. Et quand nous disons « repartir de zéro », nous pensons à une civilisation de type planète des singes selon Pierre Boulle, mais avec des hommes à la place des singes, et non Europe Néandertalienne.
Les peuples heureux n’ont pas d’Histoire dit-on. On peut inversement en déduire que l’Histoire n’est qu’une succession de malheurs. Qu’elle n’est faite que de peuples ou civilisations qui naissent, grandissent, ET DISPARAISSENT.
Afin de nous changer un peu des éternelles références à Gobineau en ce qui concerne la vie et la mort des grandes civilisations humaines (1853) disons ici quelques mots des Anasazis.
Pour Jerry J. Brody, la culture anasazie est la « plus connue des civilisations préhistoriques du Sud-Ouest américain ». Il est vrai que les Anasazis n'avaient pas d'écriture et ne connaissaient ni la roue ni la monnaie. Ils ne maîtrisaient pas les techniques de la métallurgie et n'ont pas vraiment apporté d'innovation majeure. Leur histoire n'est pas aussi brillante que celle de Mésoamérique ou des Incas.
Pourtant, les conquistadors estimaient qu'un peuple qui tisse le coton était civilisé. La maîtrise de l'irrigation, les maisons en pierres et à étages (Pueblo Bonito en compte cinq), les connaissances en astronomie témoignent d'une culture dynamique et riche. Si l'on mesure les civilisations à leur degré d'urbanisation, il est certain que les Anasazis en sont une. Certaines agglomérations auraient compté six mille habitants. Les villages du Chaco Canyon étaient si rapprochés qu'ils formaient une conurbation rassemblant 15 à 30 000 habitants. Les Anasazis réussirent la prouesse de construire, dans des endroits difficilement accessibles, sans animaux de trait ni outils métalliques. Les grandes maisons de Chaco Canyon ont nécessité des centaines de millions de blocs de grès et des centaines de milliers de poutres.
Et à l’intention de notre main gauche * pour compléter Arthur de Gobineau j’ajouterai à ce triste constat de la perte de la biodiversité humaine… le cas des langues. Découvert à l’occasion de mon étude sur le recul du breton en Armorique (Ligne Loth) et le bilinguisme français/breton, alors que j’avais tout juste trente ans.
Car la mort des langues n’est pas un phénomène nouveau. Depuis au moins 5000 ans, les linguistes estiment qu’au moins 30 000 langues sont nées et disparues, généralement sans laisser de trace.
On peut résumer schématiquement le processus de l'assimilation ou de remplacement de la langue dans l'espace selon quatre étapes. L'assimilation commence avec le bilinguisme systématique de l'élite sociale pendant que la masse demeure unilingue. Puis celle-ci devient progressivement bilingue dans les villes, alors que la population des campagnes reste unilingue. Les villes évoluent ensuite vers un bilinguisme grandissant, tandis que le bilinguisme gagne les zones rurales. Lors de la dernière étape, celles-ci passent massivement à l'unilinguisme tout en ne laissant subsister que quelques îlots bilingues.
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OR PARLER UNE LANGUE C’EST UNE FAÇON DE PENSER.
Charlemagne disait : « Parler une autre langue, c'est avoir une deuxième âme ».
Il y a environ 7000 langues parlées dans le monde. Toutes ces langues fonctionnent différemment les unes des autres. Elles ont des sons différents, des vocabulaires différents et, surtout, une structure qui leur est propre.
Lera Boroditsky, une scientifique américaine spécialisée dans le langage et la cognition ** mentionne une tribu aborigène, les Thaayore en Australie qui utilisent les points cardinaux : Nord, Sud, Est, Ouest, pour décrire le monde qui les entoure. Ce peuple n'utilise ni la « gauche » ni la « droite » pour se diriger. Exemple, lorsque l'on salue un membre de la communauté, la question posée est « Dans quelle direction allez-vous ? » au lieu de « comment allez-vous ? ».
Dans cette communauté, vous ne pouvez pas dire « bonjour » à quelqu’un si vous ne savez pas où il va.
Dans certaines langues, on ne compte pas avec des chiffres, c'est pourquoi ses locuteurs du mal à maîtriser les quantités exactes.
Il y a des langues qui ont une perception différente des couleurs. L'exemple que nous donne Lera Boroditsky est celui de l'anglais et du russe pour la couleur bleue. En effet, en anglais, le mot « blue » est utilisé pour désigner toutes sortes de bleus, clairs ou foncés, alors que les Russes distinguent deux couleurs, un bleu clair « goluboy » et un bleu foncé « siniy ». Il en résulte que si l’on fait passer à des russophones des épreuves de reconnaissance des couleurs, ils franchissent plus rapidement cette frontière linguistique, et peuvent distinguer plus rapidement le bleu clair du bleu foncé. Au niveau cérébral, on remarque chez ces sujets une certaine surprise lorsque les couleurs passent du plus clair au plus foncé. Il s’agit pour eux d’un changement de catégorie alors que les sujets anglophones ne remarqueront aucune différence.
Autre exemple : la langue celtique utilise le même terme « glaston » pour le bleu et le vert. Pour ses locuteurs, le bleu et le vert ne sont que des nuances de « glaston ».
Etc. ; etc.
Le linguiste français Claude Hagège estime, pour sa part, qu'une langue disparaît « tous les quinze jours », c'est-à-dire 25 annuellement. Autrement dit, à ce rythme, si rien n'est fait, le monde aura perdu dans un siècle la moitié de son patrimoine linguistique, et sans doute davantage à cause de l'accélération due aux prodigieux moyens de communication. Ce phénomène touche particulièrement les langues indonésiennes (plus de la moitié des 600 langues serait moribonde), néo-guinéennes (plus de la moitié des 860 langues de Papouasie-Nouvelle-Guinée serait en voie d'extinction) et africaines.
Le pire, c’est qu’on ne le remarquera peut-être même pas, car la disparition d'une langue ne représente jamais un événement bien spectaculaire. Pourtant, on peut parler d'un véritable « cataclysme » qui se produira dans l'indifférence générale. Exemple le cornique de Grande-Bretagne vraisemblablement disparu au début du I9ème siècle.
Il y a bien sûr des gens qui pensent que la disparition des langues est un événement positif concourant à une plus grande intercompréhension entre les êtres humains et qu’il ne faut pas s'en inquiéter. Le chroniqueur américain du National Review, John J. Miller, ne voit pas en quoi, par exemple, les quelque 800 langues de la Papouasie-Nouvelle-Guinée pourraient constituer un « modèle ». Il ne voit pas non plus pourquoi nous devrions nous alarmer, car ces populations n'auraient rien à donner aux autres, si ce n'est quelques babioles artisanales.
On ne peut qu’être dubitatif en ce qui concerne l’efficacité du monolinguisme pour faire le bonheur de l’HUMANITÉ quand on voit à quel point on ne se comprend pas y compris à l’intérieur d’un même pays officiellement unifié au point de vue linguistique.
Concluons à l’intention de ces incurables optimistes que le meilleur moyen de contribuer à l’intercompréhension linguistique serait alors DE PROMOUVOIR UNE LANGUE ARTIFICIELLE COMME L’ESPERANTO ET NON DU GLOBISH.
* Celle qui ignore ce que fait notre main droite. À moins que ce ne soit le contraire.
* * Boroditsky, Lera, et Alice Gaby. "Remembrances of Times East Absolute Spatial Representations of Time in an Australian Aboriginal Community".
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DE L’ÉCOSSE À L’AMAZONIE : PARTOUT UNE MÊME NÉCESSITÉ !
L'environnement écossais est le produit de la longue association d'un peuple avec la terre depuis la fonte des derniers glaciers, épais de deux mille mètres, il y a dix mille ans. Un climat océanique relativement doux permit alors l'établissement d'une agriculture sédentaire dans la majeure partie du pays. Avec le temps, une grande partie de ce pays est devenue un « paysage culturel » modifié par des activités humaines telles que l'agriculture, la pâture et les brûlis. On a découvert, par exemple, que les bois de Catta Ness, au nord-est des Shetlands, avaient disparu en l'espace de cent cinquante ans, vers 3 120 avant notre ère, et que la terre était restée déboisée depuis lors.
Dans l'Écosse d'aujourd'hui, il reste donc fort peu de territoire non altéré par l'homme. Il est très difficile de déterminer de façon réaliste l'état de la base des ressources naturelles aux différentes époques ; en effet, le processus de changement a été long, il a été lent et de nombreuses causes potentielles se sont combinées. Un des faits manifestes est la disparition du couvert forestier originel qui couvrait jadis 75% de la superficie terrestre de l'Écosse («la grande forêt calédonienne »).
Conséquences écologiques du colonialisme dans les Hautes-Terres d’Écosse.
Il est largement admis que, d'une manière générale, la productivité de la terre a souffert. Une économie de subsistance essentiellement basée sur le bétail a été remplacée par le mouton, le daim, le coq de bruyère et d'autres gibiers, remplacement qui s'est accompagné d'une diminution des diverses formes indigènes de recyclage des éléments nutritifs ainsi que d'une intensification des pressions de la pâture et des brûlis. La densité de prédateurs (faucons, putois, etc.) a, semble-t-il, connu un déclin radical depuis l'avènement des domaines de chasse et de pêche.
Les inquiétudes du public écossais informé ont conduit à la fondation, en 1991, du mouvement Reforesting Scotland.
L'efficacité d'un tel groupe tient notamment au fait que les professionnels britanniques du développement sont de plus en plus nombreux à constater, à leur retour au pays, que les progrès accomplis en foresterie communautaire au Népal ou en Papouasie Nouvelle-Guinée, par exemple, sont non seulement absents en Écosse, mais sont vraiment tournés en dérision, comme n'étant pas pertinents pour des régions telles que les Highlands et les îles.
Pour mémoire informations Alastair McIntosh et Andy Wightman publiées dans le journal de recherche interculturelle et transdisciplinaire international de Montréal tome XXVII 1994.
Le domaine de Mar Lodge, dans les monts Cairgorm, en Écosse, couvre 310 kilomètres carrés de certaines des terres montagneuses de Grande-Bretagne les plus importantes du point de vue de la conservation de la nature. Il comprend trois des quatre plus hautes montagnes britanniques, une partie de la zone la plus vaste et diversifiée du plateau subarctique, les neiges les plus permanentes, l'ensemble des sources de la Dee et l'un des plus importants vestiges de la pinède boréale qui persistent en Écosse.
Le cas de Mar Lodge est symptomatique d'un malaise plus large qui existe en Écosse. Le Dr Adam Watson, écologiste écossais de réputation internationale, a récemment présenté les vestiges de la forêt naturelle d'Écosse comme étant «... l'une des parties de la forêt boréale et tempérée les plus dégradées et ayant subi le plus d'abus au monde, et il ajoute «Nous avons vraiment de l'audace lorsque nous exhortons le peuple brésilien à veiller sur les forêts tropicales, alors que nous avons fait un tel gâchis dans nos propres forêts indigènes d'Écosse.» Un appui grandissant à une reforestation substantielle se manifeste. Une nouvelle politique gouvernementale de subventions, qui a pris effet par l'intermédiaire de la Commission de foresterie au début des années 1990, est exemplaire dans son aide à la plantation d'espèces natives. Mais elle devra s'inscrire dans un plus large train de mesures, incluant une réforme agraire, pour que les communautés humaines puissent devenir plus autosuffisantes, responsables et influentes dans les décisions relatives à l'utilisation des terres.
Bien que la destruction de la forêt se poursuive depuis plusieurs siècles, c'est au cours des 200 dernières années que la situation est devenue critique. Comme tant de régions des Highlands d'Écosse, Mar Lodge fut converti en domaine de chasse à la fin du XVIIIe siècle et la population d'exploitants agricoles fut alors expulsée. La gestion de la chasse a conduit à privilégier le maintien
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d'un grand nombre de daims rouges sauvages qui ont empêché la régénération naturelle de la forêt. Pendant 200 ans, aucune régénération importante ne s'est produite et les quelques arbres qui subsistent actuellement sont de vieux pins d'Écosse.
Le domaine de Mar Lodge, à l'instar d'une grande partie du territoire écossais, est la propriété exclusive d'un individu, un multimilliardaire américain, M. John Kluge ; celui-ci l'avait acheté comme cadeau pour son épouse, une danseuse exotique. À la suite de son divorce, il était, jusqu'à tout récemment, à la recherche d'un acheteur. Un consortium d'organismes de conservation avait déjà tenté d'acheter le domaine, mais avait suspendu ses efforts en raison des difficultés à réunir des fonds suffisants et de la puissance du milieu des propriétaires fonciers écossais. Il n'existe en Écosse ni réglementation ni contrôle des ventes foncières. Pour un domaine tel que Mar Lodge, le marché se limite donc au petit nombre d'individus dans le monde qui s'intéressent à la chasse et sont en mesure d'y mettre le prix. Même à l'heure actuelle, avec les nouvelles propositions relatives à la future gestion globale des monts Cairngorm, le Gouvernement table toujours sur le « principe du volontariat », selon lequel les propriétaires fonciers ne sont ni contraints, ni obligés ni tenus de prendre quelque mesure que ce soit pour protéger et restaurer l'environnement, ils le font volontairement. Si le Gouvernement brésilien prétendait qu'un tel principe assurerait la préservation des forêts pluviales d'Amazonie, il serait sans doute taxé pour le moins de naïveté, et plus vraisemblablement de corruption.
Rappelons à toutes fins utiles que ce phénomène ne date pas d’hier. Blanqui lui-même l’a dénoncé en son temps, et en des termes assez lyriques d’ailleurs qui ont nui à sa pensée si j’en crois ces quelques notes datant de ma folle jeunesse.
« Le sacrifice de l'indépendance individuelle, conséquence forcée de la division du travail, a-t-il été brusque ? Non ! Personne ne l'aurait consenti. Il y a dans le sentiment de la liberté personnelle une si âpre saveur de jouissance, que pas un homme ne l'eût échangée contre le collier doré de la civilisation.
Cela se voit bien par les sauvages que le monde européen tente d'apprivoiser. Les pauvres gens s'enveloppent dans leur linceul, en pleurant la liberté perdue, et préfèrent la mort à la servitude. Les merveilles du luxe, qui nous paraissent si éblouissantes, ne les séduisent pas. Elles dépassent la portée de leur esprit et de leurs besoins. Elles bouleversent leur existence. Ils les sentent seulement comme des étrangetés ennemies qui enfoncent une pointe acérée dans leur chair et dans leur âme. Les peuplades infortunées que notre irruption a surprises dans les solitudes américaines ou dans les archipels perdus du Pacifique vont disparaître à ce contact mortel.
Depuis bientôt quatre siècles, notre détestable race détruit sans pitié tout ce qu'elle rencontre, hommes, animaux, végétaux, minéraux. La baleine va s'éteindre, anéantie par une poursuite aveugle. Les forêts de quinquina tombent l'une après l'autre. La hache abat, personne ne replante. On se soucie peu que l'avenir ait la fièvre. Les gisements de houille sont gaspillés avec une incurie sauvage.
Des hommes étaient apparus soudain, nous racontant par leur seul aspect les premiers temps de notre séjour sur la terre. Il fallait conserver avec un soin filial, ne fût-ce qu'au nom de la science, ces échantillons survivants de nos ancêtres, ces précieux spécimens des âges primitifs. Nous les avons assassinés.
Nous répondrons du meurtre devant l'histoire. Bientôt, elle nous reprochera ce crime avec toute la véhémence d'une moralité bien supérieure à la nôtre.
……………….
L'usure est devenue la plaie universelle.
Son origine se perd dans la nuit du passé. Cette forme de la rapine n'a pu se montrer avant l'usage de la monnaie. Le troc en nature ne la comporte pas, même avec la division du travail. L'écriture n'existait certainement point alors. Elle eût conservé un souvenir précis de cette grande innovation. Or la tradition est muette.
L'usure fut un mal, non pas nécessaire, ce serait du fatalisme par trop dévergondé, mais inévitable. Ah ! Si l'instrument d'échange avait porté, dès le principe, ses fruits légitimes, s'il n'avait pas été faussé, détourné de sa destination !... Oui, mais si... est toujours une niaiserie. Faire du présent une catilinaire contre le passé n'est pas moins absurde que de faire du passé la règle, ou plutôt la routine de l'avenir.
Chaque siècle a son organisme et son existence propres, faisant partie de la vie générale de l'Humanité. Ceci n'est point du fatalisme. Car la sagesse ou la débauche du siècle ont leur retentissement sur la santé de l'espèce. Seulement, l'Humanité, être multiple, peut toujours guérir d'une maladie. Elle en est quitte pour quelques milliers d'années d'hôpital. L'individu risque la mort.
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Il serait donc oiseux et ridicule de perdre ses regrets sur l'abus lamentable qu'on a fait du moyen d'échange. Hélas ! Faut-il l'avouer ? C'était l'inconvénient d'un avantage, l'expiation, disaient les chrétiens, doctrinaires de la souffrance. C'était la substitution de l'escroquerie à l'assassinat... un progrès. La dynastie de Sa Majesté l'Empereur-Écu venait d'éclore. Elle devait pour longtemps filouter et pressurer le monde. Elle a traversé la vie presque entière de l'humanité, debout, immuable, indestructible, survivant aux monarchies, aux républiques, aux nations et même aux races.
Aujourd'hui, pour la première fois, elle se heurte à la révolte de ses victimes. Mais un si antique et puissant souverain compte plus de serviteurs que d'ennemis. Les thuriféraires accourent en masse à la rescousse, avec l'encensoir et la musique, criant et chantant : « Hosannah ! Gloire au veau d'or, père de l'abondance ! » Une sévère analyse fera justice de ces cantiques et, dépouillant le sire de ses oripeaux, le montrera nu… (Manuscrits de Blanqui publiés en 1885. Chapitre III l’usure).
La destruction d’une forêt se révèle toujours néfaste parce que le couvert y protège le sol contre l’assèchement, qui provoque une altération des régimes pluviométriques, une évaporation excessive, et l’assèchement général du climat.
La terre sans arbre est une terre gaste. Elle sèche, se pulvérise. Le vent ne chasse plus devant lui qu’une poussière stérile.
Sous la pression de ces forces véritablement « gigantesques et anguipèdes » (fomoréennes aurait-on dit naguère en Irlande), animaux et plantes disparaissent du globe à une vitesse vertigineuse. Il ne faut pas oublier une chose ; c’est que ce parricide (matricide) de notre bonne vieille Rose-Martha, n’est pas l’apanage des seuls pays industrialisés. La construction de l’autoroute transamazonienne a détruit plusieurs centaines de milliers d’hectares de forêt, déstabilisant le climat de la planète entière, réduisant l’apport d’oxygène et perturbant les cycles de pluie. Le social capitalisme mondial accule les peuples du Tiers-Monde ou du Sud à massacrer, eux aussi, leurs terroirs, leurs écosystèmes. Le génocide de la forêt amazonienne (plantes, animaux et Indiens) est la révoltante illustration de cette biblique fuite en avant (« Soumettez la Terre et dominez les animaux ». Genèse 1, 28). Il suffit de lire un peu ce qu’a écrit notre bon René Dumont, dans le droit-fil de Pierre La Ramée, pour s’en convaincre.
Il est vrai que les goffinets ou les tartuffes ne vont pas manquer d’objecter « Thoreau et Dumont ? Mais ce sont des démocrates, des libéraux, des hommes de gauche, des anarchistes ! »
Et alors, et alors ?
Si pour être un vrai enfant de la terre qui nous porte (Litavis) il faut être globalement d’accord avec ce qu’Henri David Thoreau ou René Dumont, ont retenu de Pierre Ramus ; alors, soyons quand même de véritables enfants de la Terre, des fils et des filles respectueux.
Les druides ne sont pas d’accord avec tout ce qu’ont écrit Thoreau et Dumont, pour ce qui est des détails, mais il faut bien reconnaître qu’ils ont absolument raison dans les grandes lignes ; et ceci n’a rien à voir avec le fait d’être démocrate ou républicain, royaliste ou monarchiste, libéral, homme de gauche ou de droite, n’en déplaise aux goffinets ou aux pharisiens de toutes sortes. C’est une question de survie ! DE L’ÉCOSSE À L’AMAZONIE : PARTOUT UN MÊME COMBAT POUR NOTRE MÈRE LA TERRE !
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LETTRES OUVERTES AUX PRINCES QUI GOUVERNENT CE MONDE.
L’Histoire nous offre le triste exemple de civilisations dont la décadence et la disparition semblent liées à l’absence de toute réflexion un tant soit peu écologique.
Voir le cas des Mayas par exemple, celui des Vikings du Groenland étant plus controversé.
Or ce qui est arrivé hier à ces civilisations pourrait se produire demain pour nous. Rien en tout cas ne semble nous garantir le contraire. Qui ne tire pas les enseignements de l’Histoire s’expose, dit-on, à la revivre.
Les premières mesures écologistes de l’Histoire.
Beaucoup de lois ont été promulguées qui peuvent être qualifiées d’écologistes, et ce, depuis l’Antiquité. De la protection des forêts à Ur vers – 2700, aux édits de protection des animaux de l’empereur Açoka en Inde (– 256) ; de la première « réserve naturelle » (un sanctuaire de la vie sauvage) instituée quelques décennies plus tard par le roi Devanampiya Tissa, jusqu’à la première loi de protection des oiseaux sur l’île écossaise de Farne en 676. Voir vie de saint Cuthbert de Lindisfarne. Sur cette île de la Mer du Nord, il institua des lois spéciales afin de protéger les oiseaux qui venaient nicher. Ces lois pourraient même avoir été les toutes premières sur la protection des oiseaux.
Plus près de nous, l’Île Maurice est restée célèbre pour avoir vu la disparition du dodo, un oiseau endémique de l’île, mais elle a été aussi le cadre des premières mesures à caractère écologique.
Lorsqu’en 1710, elle passe sous le contrôle de la France, son premier gouverneur, qui est botaniste, conscient des effets de la colonisation, prend des dispositions législatives visant à obliger au maintien d’un quart des propriétés en forêt ; afin de lutter contre l’érosion des sols, et garantir des microclimats favorables.
Le simple fait de poser la question de la société que nous voulons est évidemment déjà une contestation radicale de l’idéologie dominant actuellement (par dominant nous voulons dire qu’hommes politiques, intellectuels, et journalistes, c’est d’ailleurs en gros la même chose, trouvent comme allant de soi, du moins dans ses grandes lignes, et qu’ils combattent, dénigrent, caricaturent, ou tournent en dérision, les rares malheureux qui se risquent à mettre en doute son bien-fondé) ; est évidemment déjà une contestation radicale du tout économique dominant, de l’économie comme seul horizon de notre avenir. Face au libéralisme qui triomphe sur les ruines du politique (aujourd’hui l’économique prime le politique), seule l’écologie peut construire un nouveau projet de société crédible, qui réponde aux limites planétaires comme aux leçons de l’Histoire : une société ouverte et coopérative pour une planète limitée.
L’expérience historique catastrophique des divers totalitarismes ayant sévi au vingtième siècle, le socialisme national des travailleurs allemands (Hitler) le socialisme réel (Staline) ; interdit encore aux esprits non conformistes et qui n’ont pas l’habitude de hurler avec les loups, de poser la question de notre commune destinée ; la liberté humaine se reniant à cause de ses crimes. Tant de haine, de la part de la pensée libérale ou de la gauche « caviar », n’a produit qu’un post-modernisme sans consistance dans sa négation du totalitarisme. Or ce n’est pas la liberté illimitée du Marché ou des capitaux apatrides, responsable de tant de destructions (voir la crise de 2008), que nous devrions défendre, mais les conditions d’une véritable autonomie de l’être humain.
Le totalitarisme qui nous menace, est en effet plutôt celui de la marchandise, et l’idéologie qu’il faut combattre, c’est celle du libéralisme économique total : le politique doit primer l’économique.
L’écologie n’est pas une utopie, c’est la poursuite sans fin du capitalisme productiviste qui est complètement utopique. C’est notre système de développement qui n’est pas durable. Il ne s’agit pas de prophéties concernant l’avenir, « la catastrophe a déjà eu lieu » ! On constate chaque jour un peu plus l’étendue du désastre.
L’écologie politique ni de gauche ni de droite (druidique en quelque sorte) est un projet de société alternatif au capitalisme productiviste, un projet de relocalisation de l’économie, fondé sur l’indivisible triptyque : revenu garanti, coopératives villageoises, et monnaies régionales ou locales. L’écologie politique ainsi définie comme développement local et humain est la construction par le bas d’une réponse globale au totalitarisme marchand, qui menace nos conditions de vie. Il se pourrait que notre époque non seulement rende possible ce qui n’était qu’un rêve inaccessible, mais qu’elle l’impose même avec l’autorité de l’urgence.
Un autre courant de pensée estime que le XXIe siècle sera celui de la noosphère, où la principale ressource sera celle de l’information et de la culture. Les partisans de la société de l’information considèrent que l’Homme est entré dans une nouvelle ère technologique ; et qu’il est désormais possible, grâce à l’informatique et aux télécommunications, de créer de la richesse (c’est-à-dire de la croissance) en produisant des services et de l’information. Cette production « immatérielle » serait
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non-polluante. L’expression « la dématérialisation de l’économie » est un concept désignant la progressive transformation d’une économie essentiellement fondée sur les secteurs primaires (la production de matières premières) ; et secondaire (la transformation desdites matières premières) ; en une économie continuant, certes, de croître, mais où le secteur tertiaire (celui des services) serait de plus en plus important, et utiliserait donc moins de ressources naturelles, notamment moins d’énergie.
Il ne faut pas en effet seulement subordonner l’économie à la société, ou aux cycles écologiques (le druide doit primer le roi, le politique doit primer l’économie) ; mais aussi tirer parti de la révolution informationnelle exigeant de plus en plus d’autonomie et de formation. Ce qui devrait donc se traduire par une réorientation de l’économie vers le développement humain, l’immatériel et les services, plutôt que les consommations matérielles, vers la coopération des savoirs plutôt que la compétition marchande… Les technologies informationnelles se révèlent également indispensables, en multipliant les capacités de rétroaction, d’évaluation des résultats, et de correction ou d’ajustement, de l’action publique.
Il est temps d’en finir avec cette notion de croissance économique illimitée ou infinie, et de retourner à un mode de vie plus simple, plus naturel, celui qui a été le nôtre pendant nos 4000 ans d’histoire. Ce que montre très bien la dédicace de l’histoire d’Astrée et de Céladon par Honoré d’Urfé.
« Ces bergers ayant entendu dire tant de merveilles de vos grandeurs n’eussent jamais eu la hardiesse de se présenter devant Vos Majestés ; si je ne les avais pas auparavant assurés que les grands rois, dont l’Antiquité se vante le plus, ont été pasteurs ; et ont porté la houlette et le sceptre dans une même main. Cette considération, et le fait qu’ils ont depuis appris que les plus grandes gloires de ces bons rois ont été celles de la paix et de la justice, dans lesquelles ils ont heureusement conservé leurs peuples ; leur ont fait par conséquent espérer que comme vous les imitiez et les surpassiez en ce soin tout paternel, vous ne mépriseriez pas non plus ces houlettes, et ces troupeaux qu’ils vous présentent ». Le très humble, très affectionné, et très fidèle sujet de Votre Majesté : HONORÉ D'URFÉ.
Le néo-druidisme estime que cette part du sacré a été perdue au cours des temps, et que le responsable en est la tradition judéo-chrétienne. Cette dernière a en effet répandu l’idée d’une temporalité linéaire, ce qui est une aberration. Cette linéarité, renforcée par la notion de progression vers un but d’accomplissement — de Jugement Dernier — instille dans les esprits (en particulier occidentaux) l’idée selon laquelle l’Humanité ne peut aller que dans un seul et même sens.
Il faut la foi en Dieu inébranlable des gens gentils et intelligents, ceux qui savent, avec une majuscule ; alors que vous, vous n’êtes au mieux qu’un imbécile, au pire un méchant, voire les deux à la fois ; pour croire, comme Messieurs Adam Smith, ou Bernard Mandeville que l’homme est une abeille et qu’une main invisible corrige toujours, et avant qu’il ne soit trop tard, les néfastes conséquences des actions guidées par notre seul intérêt individuel.
N.B. La fable des abeilles est un poème passé complètement inaperçu au moment de sa première publication en 1705 par l’écrivain néerlandais Bernard Mandeville, mais dont les commentaires publiés en 1714 firent couler beaucoup d’encre cette fois-ci. Son auteur y écrivait en effet noir sur blanc que « Si l’on vole 500 ou 1 000 guinées à un vieil avare qui, riche de près de 100 000 livres sterling, n’en dépense que 50 par an, et qui n’a pas d’héritier, il est certain qu’aussitôt cet argent volé vient à circuler dans le commerce et que la nation gagne à ce vol. Elle en retire le même avantage que si une même somme venait d’un pieux archevêque l’ayant léguée au public. »
Quant à la main « dite » invisible, c’est une célèbre théorie due à Adam Smith, un économiste anglais (1723 — 1790), considéré comme le père de l’École libérale. Dans son ouvrage le plus connu, « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations » (1776), il décrit comment, par la recherche de l’intérêt individuel et du profit, et par les mécanismes du marché ; chaque citoyen contribue non seulement à s’enrichir personnellement, mais à également accroître la richesse de la collectivité.
C’est une théorie que l’on peut résumer ainsi.
Ce n’est qu’en vue d’un profit qu’un homme emploie son capital argent. Il tâchera toujours d’employer son capital dans le genre d’activité dont le produit lui permettra d’espérer gagner le plus d’argent. À la vérité, son intention en général n’est pas de servir en cela l’intérêt public, et il ne sait même pas jusqu’à quel point il peut être utile à la société. En cela, il est comme conduit par une main invisible, ou
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l’heureux résultat de la fable des abeilles à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions ; et que cette fin n’entre pour rien dans ses intentions n’est pas toujours ce qu’il y a de plus mal pour la société. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société, que s’il avait réellement pour but d’y travailler.
La théorie de la main dite invisible a pour corollaire que, si chaque consommateur peut librement choisir ses achats ; et si chaque producteur peut choisir librement les produits qu’il vendra, ainsi que la façon de les produire ; le marché alors évoluera vers une situation mutuellement bénéfique pour tous ses agents.
Le penchant naturellement égoïste des individus conduira chacun à se comporter d’une manière qui sera profitable à la société. Dans les secteurs en surproduction, les agents se retireront sous l’effet de profits nuls ou négatifs. Dans le domaine de l’éducation, les étudiants seront naturellement conduits à choisir les carrières qui manquent de travailleurs, donc les plus rémunératrices, etc., etc. Tous ces effets se produiront automatiquement, comme sous l’effet d’une « main invisible ». D’où le nom de cette théorie. Ce mécanisme providentiel jouera également dans le domaine de l’égalité des chances. Les habitants d’un pays pauvre seront prêts à travailler pour un faible salaire, ce qui incitera les investisseurs à construire des centres de production dans ce pays. La demande de travail s’en trouvera donc accrue, et les salaires (variable d’ajustement sur le marché du travail) augmenteront. Les habitants consommeront davantage, ce qui poussera les producteurs locaux à embaucher davantage pour satisfaire à cette demande. À la fin de ce processus, les salaires auront augmenté au point qu’il ne sera plus intéressant de délocaliser vers ce pays, qui aura donc alors atteint un niveau de vie comparable à celui des pays riches.
La naïveté vraie, fausse ou supposée, arrange décidément beaucoup de gens ! Le Suisse Sismondi l’a très bien vu en son temps : la concurrence ne produit jamais l’harmonie des intérêts ou l’égalité des conditions, mais au contraire la concentration de la fortune ; si elle n’est pas contrebalancée par une grande générosité du cœur et de l’esprit.
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L’ÉCOLOGIE OU LA MORT !
Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse de la vue élevée des druides ou de celle plus magique du Celte moyen, cette Vérité fondamentale était alors une nécessité évidente pour la Société dans son ensemble. Elle contribuait à son harmonie.
Et la récompense offerte par cette harmonie était immédiatement tangible, terrestre, et non réservée à l’Autre Monde : la joie de vivre. Joie de la vie en rapport direct avec l’Amour de la Vie ; au fond, la joie d’être. Il va de soi qu’elle était contrariée par les zizanies tant externes (en relations humaines) qu’internes (perturbations, conflits de sentiments)… donc, inversement, cette Harmonie, tant externe qu’interne, était cause de joie.
« La joie de la vie est la joie que l’on tire de soi-même et de sa force vraie. Son autre nom est l’Amour de la Vie, car on ne peut aimer la vie que dans la mesure où l’on en jouit authentiquement. Celui qui sait satisfaire sa volonté de souveraineté trouve les autres hommes satisfaisants. Il sait les aimer malgré leurs défauts. Il ne craint plus leurs réactions perverses, et n’a plus besoin de triompher d’eux. Il aime la vie sous toutes ses formes » (TR. Nº 22).
L’éthique de l’environnement peut être définie comme l’ensemble des doctrines écologiques proposant, pour résoudre les crises actuelles, de repenser le rapport Homme/Nature d’un point de vue philosophique, esthétique, voire religieux.
Ce vaste réseau très complexe du monde vivant, la biodiversité globale, qui littéralement anime la surface de ce globe sans cesse en mouvement, est d’autant plus intéressant et intrigant que nous en faisons nous-mêmes partie : nous vivons de et dans la Biosphère. L’ethnodiversité prolonge la biodiversité, car parler une langue différente c’est penser…différemment. Avoir une deuxième âme disait Charlemagne.
Albert Schweitzer a raconté dans Ma Vie Et Ma Pensée (1931) comment lui était venue son idée fondamentale de respect de la vie. C’était sur le fleuve Ogooué, dans la lumière du soleil couchant, à la vue d’un troupeau d’hippopotames que le bateau avait dérangés puis dispersés. « Soudain, sans que je l’aie pressentie ou cherchée, l’expression Ehrfurcht vor dem Leben s’imposa. La porte d’airain avait cédé. La piste était apparue à travers le fourré. Je savais maintenant que la conception du monde qui nous incline à dire oui au monde et oui à la vie, avec tous les idéaux de civilisation qu’elle porte, se trouve fondée dans la pensée ». Page célèbre, devenue une référence obligée. Anecdote ou légende : à quelqu’un qui lui avait demandé quel rôle il fallait accorder aux hippopotames dans sa découverte du principe du respect de la vie, Schweitzer aurait répondu, avec humour : « Simple garniture de viande » ! Et pourtant, on dirait bien, d’après le texte, que ces grosses bêtes lui avaient en quelque sorte soufflé ces mots. Si des animaux d’apparence aussi incongrue que les hippopotames existent dans ce monde, la vie doit bien avoir un sens. Leur existence a du sens, puisqu’ils sont là. A fortiori, l’existence de l’Homme.
L’Homme n’est-il pas, selon l’expression d’Élisée Reclus, la Nature prenant conscience d’elle-même ? Pour les grands évolutionnistes du 20e siècle, comme Théodose Dobjansky ou Pierre Teilhard de Chardin, l’Homme est l’Évolution prenant conscience d’elle-même.
La notion de Biosphère est d’origine géologique et traduit l’impact de la révolution darwinienne sur les sciences de la Terre, sans oublier les idées de Lamarck et de quelques autres comme Buffon et Hutton. Des naturalistes surtout, comme Teilhard et Vernadsky, ont utilisé ou valorisé cette notion holistique de Biosphère, mais avec des perspectives théoriques et des intentions philosophiques très diverses. Un même mot a donc masqué une évolution conceptuelle multiple et divergente.
La Biosphère est le système écologique global intégrant tous les êtres vivants et les relations qu’ils tissent entre eux, avec les éléments chimiques de la lithosphère (les roches), de l’hydrosphère (l’eau) et de l’atmosphère (l’air) ; dans un métabolisme global qui transforme sans cesse la surface de la Terre. Il faut imaginer l’homéostasie du grand métabolisme qui relie la Biosphère et la Géosphère. La Vie dépasse les individus.
Le concept interdisciplinaire et holistique de Biosphère associe l’astronomie, la géophysique, la météorologie, la biogéographie, la biologie évolutive, la géologie, la géochimie et, en fait, toutes les sciences de la Terre et du Vivant. La Vie et la Terre sont des phénomènes de même grandeur. Tout nous conduit à penser leur co-évolution simultanée. C’est l’essence même de l’idée de Biosphère, qui désigne la partie « biologique » douée d’une autonomie fonctionnelle et d’une « évolution créatrice » ; qui fait de la Terre, depuis quarante millions de siècles, une « planète vivante » en évolution, unique
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en son genre dans le système solaire ; et peut-être (nous n’en savons strictement rien !) dans tout l’univers.
Ce que la recherche scientifique est en train de découvrir, c’est que cette Biosphère qui nous fait vivre, et que nous sommes en train de transformer d’une manière accélérée tout autant qu’inconsidérée ; pour l’essentiel est la création collective d’une fantastique variété d’organismes et d’espèces vivantes qui forment la diversité des écosystèmes ; avec une richesse biologique nettement plus concentrée sous les tropiques que dans les régions polaires.
Il ne s’agit donc pas seulement du respect de la vie humaine, même dans les guerres, en y évitant les massacres inutiles (Cuchulainn ne tuait jamais « ni les cochers, ni les messagers, ni les hommes désarmés ») et a fortiori, en interdisant les génocides. L’écologie, c’est aussi le respect de la vie des animaux, même dans les plaisirs de la chasse élevée au rang d’un art cynégétique (Arrien), en s’interdisant de décimer les espèces… sans pour autant s’astreindre à un régime uniquement végétarien comme Schweitzer… Au titre de cette harmonie et du respect de la vie qui est son corollaire, cette éthique s’entend comme une mise en conformité des règles de vie en commun et des biorythmes dans une solidarité d’écosystème, pour employer ici des mots « modernes ».
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CROISSANCE OU DÉCROISSANCE.
Note de Pierre de La Crau retrouvée par ses héritiers puis insérée par eux à cet endroit.
La sagesse est la qualité qui dispose la raison pratique à discerner en toutes circonstances notre véritable bien, et à choisir les justes moyens de l’accomplir. Elle ne se confond ni avec la timidité ou la peur, ni avec la duplicité ou la dissimulation. Elle est dite en latin auriga virtutum : autrement dit celle qui conduit les autres vertus, en leur indiquant règle et mesure. L’homme prudent décide et ordonne sa conduite suivant ce jugement. Grâce à cette vertu, nous appliquons sans erreur les principes éthiques aux cas individuels et nous surmontons les doutes sur le bien à faire ou le mal à éviter. Le druidisme est entièrement d’accord avec cette très païenne image du char et de son aurige, utilisée par les moralistes antiques.
Ce précepte des druides s’explique par leur notion de l’interdépendance des choses dans notre monde. Notre survie, notre propre bonheur, dépendent de nombreux facteurs. De la même façon, la douleur et la tragédie dépendent de nombreux facteurs. Tout se tient tout est lié, ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, mais il est utile de le répéter. Un battement d’ailes de papillon à Paris peut provoquer quelques semaines plus tard une tempête sur New York. Cette image décrit l’effet qui a été mis en évidence par le météorologue Édouard Lorenz. Ce grand scientifique américain a découvert que dans les systèmes météorologiques, une infime variation d’un élément peut s’amplifier progressivement, jusqu’à provoquer des changements énormes au bout d’un certain temps. Cette notion ne concerne pas seulement la météorologie, elle a été étudiée dans différents domaines.
Vu cette interdépendance généralisée des choses, nous devons donc être attentifs aux causes immédiates. Tout comme nous sommes concernés par l’expérience des conséquences de nos actes, nous devons être attentifs aux causes immédiates comme aux causes à long terme, ou éloignées.
En résumé, comme le disent les équivalents germaniques des teagasc flatha, ou teagasc na riogh (le havamal : plusieurs strophes, notamment la 129, la 138 et les suivantes, sont en partie d’origine gaélique) : ne mange pas trop, on pourrait croire que tu n’as pas assez à manger chez toi, ne bois pas trop, tu pourrais dire des sottises que tu regretterais ensuite, ne parle pas trop, comme ça, on ne se moquera pas de toi, etc.
Comme en toute chose ce qui compte, c’est donc le juste milieu. Pas d’ascétisme et de vie trop spartiate, point de débauches ou d’orgies à la romaine non plus !
Les « goffinets » ou tartuffes de service pourront évidemment penser que ce juste milieu est une idéalisation trop poussée de l’éthique druidique. À en croire certains, loin d’être des fils de roi, les Celtes ne seraient que des monstres de démesure.
Or c’est pourtant à la conclusion radicalement inverse qu’arrivent les chercheurs indépendants. Ces peuples ne passaient pas tout leur temps au lit ou à table et ne devaient « rien faire de bas », c’est-à-dire être nobles, ajoute le Français J. M. Ricolfis, « et d’abord dans la tenue corporelle et vestimentaire ».
La propreté ainsi que le chic de ces « Barbares » sont soulignés par les voyageurs.
Ce sens de la mesure et de la dignité s’étend également à l’homme social. Il est « courtois, distingué, voire amateur de bonnes manières. Il ne sait pas faire la cour ni flatter, mais seulement se comporter simplement et franchement de la même façon avec tout le monde » [en grec « haplos de kaì eleutheros ek tou ísou pasi prospheresthai »]. Même chose pour les fils de rois irlandais. Ainsi que nous avons pu le voir, nous possédons leur code écrit [les teagasc na riogh, le même que celui qui fut donné par Odin dans le havamal ou par Mélusine à ses enfants selon la légende. N.D.A].
Ils ne doivent pas se prêter aux plaisanteries de mauvais goût, ils doivent fuir les bagarres, savoir écouter ou se taire, ne pas se vanter ou bavarder inutilement, ne pas railler ou calomnier, être courtois envers les femmes, y compris la leur. Ils ne doivent pas bavarder, ni boire, ni mentir, ni fréquenter les méchants les bouffons ou les avares, ni faire violence aux femmes, au peuple, aux poètes. Ils doivent respecter les femmes, ne pas se marier pour la dot, user d’égards et de gentillesses envers les enfants, respecter les opinions d’autrui.
Les femmes ont d’ailleurs elles aussi leurs qualités à cultiver. Aemer, la fiancée de Cuchulainn par exemple, qui est sage et pudique malgré sa grande beauté, sa jolie voix et sa conversation agréable.
La question du confort et du luxe a pareillement toujours posé problème par ses excès dans l’un ou l’autre sens. Il y a toujours eu ceux qui sont partisans du progrès matériel, et ceux qui sont partisans d’une vie pure et dure, à la façon des plus lointains aïeux.
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Strabon rapporte que certains Celtes s’efforcent de ne devenir « ni gras ni ventrus » et qu’ils punissent tout jeune homme dont l’embonpoint dépasse la mesure fixée par une ceinture. Mais Strabon se hâte d’ajouter qu’il prend le renseignement dans Éphore.
Un texte antique va même plus loin et nous montre des Celtes s’exerçant à surmonter la douleur. Des guerriers blessés par des flèches élargissent leurs blessures ; et Tite-Live dit nettement qu’ils veulent ainsi acquérir de la gloire.
En ce qui concerne la culture physique, l’endurcissement contre les variations de température, la marche, les veilles, les témoignages venus jusqu’à nous sont contradictoires. Voir la sentence d’Aristote sur les enfants : « Il est aussi utile de les habituer au froid quand ils sont tout petits ; car c’est très profitable à leur santé ; et aussi de les préparer à la guerre, voilà pourquoi de nombreux barbares ont coutume soit de plonger leurs enfants dans des rivières quand l’eau est froide ; soit de les habiller seulement de légers vêtements, comme chez les Celtes ; car, quel que soit ce à quoi il faut les habituer, le mieux c’est de le faire dès leur plus jeune âge, mais petit à petit; en outre les garçons aiment habituellement le froid, justement à cause de leur chaleur ».
Hors du champ de bataille, plusieurs peuples mènent une vie très simple à laquelle peuvent se référer les adeptes actuels de la Décroissance. Posidonios écrit que ceux qui habitent la région de Toulouse n’ont rien de somptueux dans leur mode de vie, et Strabon note que, sur ce point, Posidonios est d’accord avec beaucoup d’autres auteurs. On pourrait croire, il est vrai, que la morale n’est pour rien dans cette simplicité, que la pauvreté seule est en cause. Mais Posidonios remarque que les habitants de la région possèdent aussi de grandes quantités d’or. C’est donc bien par principe qu’ils se contentent d’une vie aussi rude et non par nécessité.
Albert Bayet cite également Polybe parlant des peuples installés dans les contrées transpadanes, et qui habitent des bourgades isolées, sans muraille, « dans un état ignorant l’art et la science ». Ils dorment sur des lits de feuilles ou de paille, mangent de la viande. Bref, leur vie est rude et simple.
Or ces peuples étaient loin d’être pauvres, Polybe le signale lui-même. Et les Belges, disent les Commentaires de César, sont les plus simples « parce que les marchands y vont très rarement et, par conséquent, n’y introduisent pas ce qui est propre à ramollir les cœurs ». Strabon note aussi que les Belges ressemblent aux Germains pour le genre de vie ; leur usage est de coucher sur la dure. Ammien Marcellin rapporte qu’ils doivent leur courage à ce qu’ils sont éloignés d’une civilisation délicate, et ne sont pas efféminés par des jouissances étrangères : « ab humaniore cultu longe discreti nec adventiciis effeminati deliciis ». Les Nerviens quant à eux se distinguent par leur horreur de tout luxe.
« Les marchands n’avaient aucun accès auprès de leur peuple ; ils ne souffraient pas que l’on introduisît chez eux du vin ou quelque autre produit de luxe, estimant que cela ramollissait leurs esprits et détendait les ressorts de leur courage ; c'étaient des hommes rudes, féroces, et de grand courage ; ils accablaient les autres Belges de sanglants reproches pour s’être soumis à Rome et avoir fait litière de la vertu de leurs ancêtres » (César livre II, 15).
La fin de cette phrase montre qu’il y a en fait conflit et contradiction entre deux tendances chez les Celtes de cette époque. Les Nerviens attachés aux traditions reçues de leurs aïeux préfèrent mener une vie simple et rude et ils attribuent la lâcheté des autres au luxe qui les amollit. Mais justement, cela prouve aussi a contrario qu’il y a d’autres Celtes qui, eux, se prononcent nettement en faveur du progrès technique et de l’amélioration des conditions de vie.
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LA VIE DES FORÊTS.
Quand les Romains sortiront d’Italie, ce sera pour découvrir une immense forêt primaire, la forêt hercynienne. Plusieurs millions d’hectares. Elle s’étendait du Rhin à l’Erzgebirge (Hercynii Montes) et au Gabretamons.
Les avis divergent quant à la localisation de ce massif forestier. Après avoir mentionné l’Ainos (Inn) et sa confluence avec le Danube, Ptolémée indique que ce dernier reçoit les eaux d’une rivière venant du nord et de la forêt de Gabreta. Cette rivière pourrait être l’une de celles qui descendent des collines de l’Ober-Pfälzer Wald et du Bohmerwald. La seconde mention de la forêt de Gabreta paraît confirmer cette hypothèse, puisque Ptolémée la mentionne entre les montagnes Soudeta (Sudètes) et les montagnes sarmates (Carpates occidentales). Le toponyme Gabreta est celte, on y retrouve le terme *gabros qui signifie « chèvre/chevreuil ».
La Forêt-Noire, ainsi que les bois qui couvrent les montagnes du Harz et de l’Erzgebirge, n’en sont que des restes. Harz, Ers, sont probablement les radicaux du mot Hercynia (herkunios en grec, hercinia en latin). Le terme remonte à perkwuniâ. Le nom qui apparaît dans la désignation de cette forêt prouve donc une chose, il a été connu lorsque le p celtique était devenu un souffle ou un coup de glotte. On sait en effet que les Celtes du Continent avaient des difficultés avec les p initiaux issus du kw indo-européen. Cette racine peut sembler étrange, pourtant elle est familière. Elle correspond au latin quercus, nom du chêne dans cette langue.
Pour les Romains en tout cas c’est l’inconnu, tout ce qu’ils savent c’est que cette forêt commence après les Alpes de Suisse et de Bavière, et finit, on ne sait où, en Scandinavie, au pôle Nord ?
La tribu des Hercuniates mentionnée par Pline dans le sud-ouest de la Hongrie porte bien évidemment un nom en rapport avec celui de cette immense forêt ; soit qu’elle lui ait donné son nom, soit qu’elle ait été ainsi désignée à cause de son voisinage.
César, B. G., VI, 24 : « Il y a eu un temps où les Celtes surpassaient les Germains en prouesses militaires, leur faisait la guerre de façon conquérante, et vu leur nombreuse population, ainsi que l’insuffisance de leurs terres, envoyaient des colonies au-delà du Rhin. Les Volques Tectosages se sont par exemple emparés des régions de la Germanie qui comptent parmi les plus fertiles, autour de la forêt dite hercynienne (qui, à ce qu’il me semble, était déjà connue par ouï-dire d’Ératosthène et de quelques autres Grecs, qui l’appelaient Orcynie) ; et s’y sont installés. Cette nation s’est maintenue en ces lieux jusqu’à nos jours, et fait preuve d’un très grand sens de la justice ainsi que de beaucoup de mérite militaire.
La largeur de cette forêt d’Hercynie, évoquée ci-dessus, équivaut, pour un bon marcheur, à un voyage de neuf jours. Elle ne peut être calculée autrement, les Germains ne connaissant pas les mesures d’itinéraire. Elle commence à la frontière des Helvètes, des Némètes, ainsi que des Rauraques, et s’étend après en ligne droite le long du Danube, jusqu’au pays des Daces et des Anartes ; là elle tourne sur la gauche dans une direction différente de celle du fleuve, et vu son étendue constitue les confins de nombreuses nations. Il n’y a personne de cette partie de la Germanie qui puisse dire, soit qu’il s’est retrouvé un jour à l’extrémité de cette forêt après avoir marché pendant soixante jours, soit qu’il a entendu parler de l’endroit où elle commence. Plusieurs espèces d’animaux sauvages y vivent que l’on ne voit nulle part ailleurs.
Il existe une troisième espèce faite de ces animaux que l’on appelle urus. Ils sont un peu plus petits que l’éléphant pour ce qui est de la taille, et ont l’apparence, la couleur ainsi que la forme, d’un taureau. Leur force et leur rapidité sont extraordinaires, ils n’épargnent ni l’homme ni la bête sauvage. On les capture non sans peine dans des fosses et on les tue. Les jeunes gens s’endurcissent et s’entraînent donc avec ce genre de chasse. Ceux qui ont tué le plus grand nombre de ces urus, après en avoir produit les cornes, en guise de preuves, reçoivent de grands éloges. Même capturés très jeunes on ne peut pas les domestiquer ni les apprivoiser. La taille, la forme, et l’apparence de leurs cornes, diffèrent beaucoup de celles de nos bœufs. Elles sont très recherchées : serties d’argent sur les bords, elles servent de coupe lors de leurs plus somptueux festins ».
Tacite, Germanie, XXVIII 2 : « Ainsi, les Helvètes s’établirent-ils entre la forêt hercynienne, le Rhin et le Main, tandis que les Boïens se fixaient encore plus à l’intérieur. Ce sont là deux peuples celtes. Le nom de Bohème subsiste encore, qui évoque d’antiques souvenirs liés à ce lieu, même si les occupants en ont changé ».
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Tite-Live, Histoire Romaine, V, 34 : « Le sort assigna donc à Ségovèse les forêts hercyniennes ; mais à Bellovèse, les dieux indiquèrent un plus beau chemin, celui de l’Italie ».
Pomponius Méla, Description de la Terre, III, 29 : « Le sol est entrecoupé d’une multitude de fleuves, hérissé de montagnes, et en grande partie impraticable à cause des bois et des marais. Ses plus grands marais sont le Suesia, le Metia et le Melsiagum ; ses forêts les plus étendues sont l’Hercynie, et quelques autres, qui ont aussi un nom ; mais, comme celle-là couvre un terrain de soixante jours de marche, et qu’elle est la plus considérable, elle est aussi la plus connue ».
Julien, Misopogon, XXI : « Ne soyez donc pas surpris si je suis aujourd’hui dans les mêmes sentiments vis-à-vis de vous, car je suis plus sauvage que lui, et plus farouche ou têtu en proportion, comme le sont les Celtes par rapport aux Romains. Lui était né à Rome et avait vécu parmi les citoyens romains jusqu’au seuil de sa vieillesse. En ce qui me concerne, j’ai dû le faire parmi les Celtes et les Germains en pleine forêt d’Hercynie, dès que je fus considéré comme adulte, et j’ai vécu avec eux pendant longtemps, comme un chasseur associé ou mêlé aux bêtes fauves. Là j’ai rencontré des tempéraments qui ne savent ni faire la cour ni flatter, mais seulement se comporter en homme libre et simple, également avec tout le monde [en grec haplos de kaì eleutheros ek tou ísou pasi prospheresthai] ».
Pline, Histoire Naturelle, III, 28, 2 : « Ce sont là les peuples principaux ; on y trouve en outre les Arivates, les Azales, les Amantes, les Belgites, les Catares, les Cornacates, les Eravisces, les Hercuniates, les Latoviques, les Osériates, les Varcians ».
À quoi pouvait ressembler cette sylve primordiale ? Sans doute à la forêt dont Lucain nous a laissé une description dans sa Pharsale, et dont voici un aperçu.
Pharsale III.
« Il y avait un bois sacré qui, depuis les temps les plus anciens, n’avait jamais été profané. Il entourait de ses branches entrelacées les ténèbres et les ombres glacées, à l’écart des mouvements du soleil. Celui-là, ce ne sont pas les Pans paysans, ni les Sylvains maîtres des bois, ni même les Nymphes, qui le possèdent, mais ce que l’on a consacré aux dieux suivant des rites barbares. Des autels y sont érigés sur des tertres sinistres, et tout arbre y est purifié d’un sang humain.
Si l’antiquité admiratrice des puissances célestes, mérite quelque foi, les oiseaux mêmes craignent de se poser sur ces branches, et les bêtes sauvages d’y trouver un repaire. Le vent ne vient pas coucher dans de tels bois ni la foudre jaillissant des nues obscures. Ces arbres qui ne présentent leur feuillage à aucune brise, font frissonner d’horreur. L’eau abondante s’écoule de noires fontaines ; les sinistres simulacres des dieux manquent d’art et se dressent, informes, sur des troncs coupés. La pâleur même du chêne pourri frappe d’épouvante. Ce ne sont pas les divinités dont l’image est ainsi donnée que l’on redoute, tant il s’ajoute de terreur à ne pas connaître les dieux que l’on doit craindre. Déjà on disait que des cavernes profondes mugissaient sous l’effet des tremblements de terre. Que des ifs courbés se redressaient, que des incendies éclairaient des bois qui ne brûlaient pas, que des dragons enlaçant les chênes se répandaient en abondance. Les populations ne s’en approchent plus pour pratiquer leur culte, mais cèdent le bois aux dieux. Que Phébus soit au zénith ou qu’une nuit noire remplisse le ciel, le prêtre lui-même a peur d’y pénétrer, il redoute d’y surprendre le maître du lieu.
César ordonne d’abattre cette forêt au moyen du fer, car voisine des travaux et non touchée par la guerre précédente, elle se tenait seule, très épaisse, parmi les monts dénudés. Mais la main tremble même aux plus courageux, respectueuse de la majesté du lieu ; ils craignaient que, s’ils frappaient les arbres sacrés, les haches rebondissent sur eux. Quand César vit les cohortes arrêtées par cette soudaine torpeur, il osa le premier brandir une hache qu’il venait de saisir puis fendre de son fer un chêne très haut ; et quand le fer fut enfoncé dans le tronc ainsi violé, il déclara :
« Désormais pour qu’aucun de vous n’hésite à abattre ce bois, dites-vous que c’est moi qui ai commis le sacrilège ».
Alors, toute la troupe obéit au commandement, elle n’était pas libérée de la peur, mais elle avait pesé avec soin la colère des dieux et celle de César. Les ormes tombent, l’yeuse noueuse est frappée, ainsi que les bois de Dodone (les chênes), l’aune propre au tremblement, et le cyprès qui témoigne de deuils non plébéiens. Alors, pour la première fois ils laissèrent choir leur chevelure, et sans leur feuillage laissèrent entrer le jour ; cependant, bien que poussée en avant, la forêt dans sa chute se retient par la densité de ses troncs. Les populations gémissent à ce spectacle, mais la jeunesse
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guerrière enfermée dans ses murs exulte. Qui peut croire que les dieux peuvent être offensés impunément ? Pourtant, le Destin épargne beaucoup de coupables et les divinités ne peuvent s’irriter que contre les malheureux. Quand suffisamment de bois fut coupé, on le transporte sur des chariots qui ont été volés dans les champs, et les paysans, voyant leurs bœufs arrachés à la charrue pleurent une année perdue ».
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HISTOIRE DES PAYSAGES D’EUROPE DE L’OUEST.
(Par G. Rupnel 1932).
La forêt a toujours constitué une source de vie, et ce, dans de nombreux domaines. Viande de cerfs et de sangliers ou d’autres gibiers divers. Fourrures (exemple fourrures de martres). Pour les porcs glands et faines (glandée). Pour les animaux à laine ou pour le gros bétail : pacage de l’herbe sous futaie (quand il s’agit d’une forêt claire où les bêtes peuvent être menées en pâture). Cueillette : champignons, racines et pousses d’arbres, orties et plantes odoriférantes. Le millepertuis ou la marjolaine peuvent servir de condiment ou de remèdes. Cueillette de fruits : merises, pommes sauvages, nèfles, fruits de l’aubépine, cynorhodons, noisettes, prunelles, framboises, mûres, fraises. La châtaigne constitue à elle seule un aliment presque complet. Récolte des sucres d’érable et de bouleau, du miel ou de la résine des pins. Sans oublier le bois par lui-même (vendu après abattage ou sous forme de charbon de bois), le bois mort, le petit bois qui est utilisé pour allumer un feu et certaines feuilles. Outre la coupe de bois de chauffage, on récolte des feuilles et des écorces de chêne ou des bois résineux, on peut en extraire du tanin, de la poix, et du goudron (sans oublier les bouchons quand il s’agit de chêne-liège).
Les petits métiers de la forêt. Les élagueurs décapitent certains feuillus pour faciliter leur abattage et surtout éviter l’éclatement des fûts lors de leur chute. Les bûcherons abattent les arbres. Les fabricants de balais : récupèrent les cimes des bouleaux pour en faire des balais. Les écorceurs ou leveurs d’écorce pèlent les chênes abattus (l’écorce pulvérisée, tanin, est utilisée pour la préparation des cuirs). Les équarrisseurs, ou doleurs, rendent le bois d’équerre pour faciliter le travail des scieurs. Les charbonniers fabriquent du charbon de bois. Les fendeurs produisent des bardeaux pour les toitures, des lattis, des piquets de vigne, etc. Les mérandiers fendent des merrains pour la tonnellerie. Les feuillardiers confectionnent des cerceaux de tonneaux avec des branches flexibles de châtaignier fendues en deux. Les schlitteurs (dans les Vosges) descendent sur des chemins de traverse aménagés (sortes de rails en bois) en retenant une grosse luge (la schlitte) chargée de rondins de bois.
N.B. Affouage : droit d’usage autorisant à se servir du bois de chauffage. La plupart des coutumes limitaient le droit au bois mort, ou au bois vif des essences inférieures de la forêt. Les fagoteurs ramassaient le petit bois dont ils avaient besoin pour se chauffer et faire la cuisine.
Le mélange heureux des clairières culturales et des forêts constitue sans aucun doute le trait caractéristique de nos campagnes. L’étendue champêtre et la nappe forestière se succèdent et se pénètrent, comme pour se connaître de toute leur intimité ou s’aider de toute leur vertu.
Ici, c’est la forêt, la société exubérante, la foule primitive et libre, où, comme un sang barbare, gronde la sève anarchique. La sève qui dresse les grands arbres — individus et vies superbes — et qui jette à tous les vents son échevèlement de feuillages, son désordre irrité de branches.
Là, c’est le champ avec ses herbes soumises, son monotone règlement de sillons, sa discipline de tâches humaines.
La campagne est l’incessant mélange, où les bois et les champs se sont adaptés, un relief qui change sans cesse, et un sol qui appelle à chaque pas sa sève particulière, varie son aspect à chaque mouvement.
Toute la campagne est faite de la succession de ces claires étendues et de ces vastes ombres ; comme elle est faite aussi du mélange plus intime, qui donne sa valeur à chaque petit coin et à chaque creux blotti, à chaque boqueteau et à chaque source ombragée. Partout la campagne se disperse et se varie, se renouvelle et se nuance ; mais partout sa diversité même est un recommencement sans monotonie et sans lassitude, du mariage heureux de la moisson qui mûrit avec la forêt qui murmure. Le regard se repose avec une confiance clairvoyante et un sens averti, sur ces alternances heureuses, qui mêlent et associent la foule des arbres et le sol dépouillé.
Car les bois et les champs, la forêt ou la clairière culturale, ne sont pas deux mondes étrangers qui s’opposent et se combattent ; mais ils forment une association. Pour comprendre la signification et les bienfaits de cette association, il en faut étudier séparément les deux termes.
La forêt d’abord. Elle n’est pas le monde barbare ou l’élément rebelle qui résista de toutes ses forces à l’Homme. Elle fut au contraire un des éléments essentiels de l’activité rurale. L’homme qui commença un jour à vivre de la terre et des champs, au néolithique, n’a jamais rompu toutes les attaches qu’il conservait avec ses origines. La vie de la forêt a marqué de son empreinte indélébile l’homme des sociétés anciennes. Elle a même légué à l’homme des sociétés historiques
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d’indestructibles habitudes, un fonds inaliénable qui enfouit sous la civilisation moderne les goûts et les aptitudes de la préhistoire, aux frontières de la vie animale.
On sait combien il est difficile aux gagne-petit de la campagne de ne pas être braconniers. Ils aiment les bois d’un instinct qui réveille en eux des sensibilités endormies et des adaptations perdues. Ils sont un témoignage vivant de la manière dont l’homme est accablé par les vieux souvenirs, de la violence avec laquelle il est attaché par toutes les racines de sa mémoire à la vie primitive, et retenu dans la familiarité farouche de la forêt.
Ne nous étonnons donc pas que le villageois primitif, à peine délivré des origines et sorti des âges préalables, ait conservé avec la forêt une association avantageuse. Il n’a rien voulu perdre de l’expérience et du profit qu’il en avait. D’une certaine manière, il n’a rien renié de son passé. Il conserve ses habitudes de chasseur, ses aptitudes de pisteur et de guetteur. La forêt continue de lui fournir la nourriture animale. Avec ses cerfs, ses sangliers, ses chevreuils, ses lièvres, elle renferme une bien autre ressource de chair que les étables étriquées ou les maigres troupeaux du villageois. On continua longtemps d’y poursuivre l’aurochs, l’élan, d’y attaquer à l’épieu l’ours et le sanglier, d’y surprendre le coq de bruyère et la gelinotte.
Ces pratiques de chasse se sont perpétuées jusqu’à l’époque celte. Les Celtes furent de grands chasseurs ; leurs meutes de chiens étaient célèbres ; et plus tard, les Romains reconnurent les Celtes comme leurs maîtres en matière cynégétique (Arrien).
Mais différents témoignages nous révèlent que ces habitudes reposaient sur de très vieilles traditions, et qu’elles étaient un héritage riche de l’expérience des siècles anciens et de la vocation des temps primitifs.
La chasse était pour les Celtes, moins une science toujours adaptée, mais aussi sans cesse renouvelée, qu’un art composé de ces pratiques rituelles, investies par leur ancienneté d’une sorte de caractère religieux. Nos modernes messes de saint Hubert, avec leurs meutes bénies, ont succédé à ces étranges fêtes sacrées qu’évoque Arrien, où les chiens de chasse festoyaient couronnés de fleurs. Reconnaissons aussi l’influence de la tradition primitive dans le discrédit qui s’attachait naguère encore à la chasse au loup. Le primitif, en effet, méprisa toujours cette chair impropre à l’alimentation. De fiers chasseurs, dédaigneux de chasser pour manger, auraient, eux, aimé cette poursuite périlleuse. Par contre, jusqu’à l’époque historique, l’estime où l’on tint la venaison, considérée comme seule viande noble, resta le vivant témoignage des temps où le gibier était la seule viande consommée.
Cette viande, l’élevage ne la donnait pas en effet à l’agriculteur primitif. Les bêtes à cornes, nerveuses et musclées, ne servaient qu’au labour. Moutons et brebis n’étaient pas utilisés pour l’alimentation, et dans maintes campagnes, un préjugé persiste contre cette viande. En fait, la seule chair que l’on consommait, c’était celle du porc.
Or l’élevage des porcs ne se faisait alors qu’en forêt. D’immenses troupeaux en vivaient sous l’abri des étendues forestières. À demi sauvages, avec des verrats robustes comme des fauves, ils erraient ici et là, et couchaient librement dans les bois. Leurs bergers nomades et barbares étaient à l’occasion de redoutables bandits. Certaines grandes forêts, à l’époque étaient de véritables parcs d’élevage pour le porc, et peut-être ne les conservait-on qu’à cette fin. Ce massif forestier fut traité, en effet, par l’administration impériale, comme une sorte de vaste réserve, où il n’y avait pas d’autres exploitations rurales que des porcheries. De multiples postes militaires gardaient les routes de ce pays redouté. Au Moyen-âge, certaines forêts d’ailleurs étaient réservées au pacage des porcs.
Il en était ainsi dans les régions encore boisées, mal peuplées, voire arriérées. Par la suite, ces pays se déboisèrent ; le peuplement et l’agriculture s’en améliorèrent ; et la pratique du pacage des porcs fut abandonnée. Mais l’habitude de cet élevage persista dans le pays en s’y adaptant à une tout autre organisation agricole. Et c’est dans la solitude de sa bauge souillée que s’élève maintenant l’animal qui fut celui des grands troupeaux, de la vie libre, et des vastes forêts.
D’une façon générale, la forêt servait à la pâture de tout le bétail. Chevaux, vaches et moutons, y étaient envoyés puis parqués tout l’été. La forêt, avec son sous-bois et ses frais ombrages, ses fougères et ses feuillages, servait ainsi d’abri heureux à tous les troupeaux, et leur fournissait la litière et le fourrage. La forêt, qui nourrissait le laboureur de son gibier, lui nourrissait donc aussi en partie son bétail. Elle servait de pâturage d’appoint.
Mais pour l’homme ancien, la forêt d’alors était riche de mille autres ressources. Le villageois primitif exploita dans la forêt l’arbre et le bois dont il avait besoin. Le chêne dont il édifiait la charpente de ses édifices, l’orme dont il faisait des chars et des roues.
L’antique campagnard sut trouver aussi dans ces bois les fruits estimables, les pommes et les noisettes dont il faisait grand cas, l’airelle sauvage, les champignons ; et il continua d’y venir chercher les plantes et les simples dont une très ancienne expérience lui avait appris les vertus.
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La forêt, avec son gibier innombrable, avec ses chênes robustes, d’où sortirent les maisons et dont se bâtirent plus tard les villes, avec l’ombrage et la nourriture qu’elle offrait aux troupeaux… La forêt, avec toutes les ressources évidentes ou secrètes que la nature y a mises ou enfouies, fut, pour l’antique laboureur, le domaine indispensable qui prolongeait ou complétait ses champs. Elle joua sans doute aussi pour lui un rôle militaire. Ses étendues difficiles le préservaient ; ses fourrés lui assuraient un abri ; ses mille sentiers secrets lui ménageaient une retraite ; et son ombre voisine et familière lui fut une constante protection.
Dans ces retraites, dans ces profondeurs, longtemps sans doute la forêt avait entretenu la vie, et protégé l’indépendance de clans indomptés, rebelles aux disciplines pacifiques des sociétés villageoises. Est-ce le souvenir de ces êtres redoutés ou de ces violences sanglantes qui donna sa vie surnaturelle à la vieille sylve, et la peupla de ses légendaires effrois ? Pour le villageois, la forêt resta en effet animée de toutes les puissances qui avaient sollicité sa vigilance, troublé son inertie ou inquiété son repos. Et comme il savait qu’il était venu d’elle, et qu’il la rencontrait au fond de tous ses souvenirs, elle devint le berceau des Origines, et elle décida des Destinées.
Dans cette forêt emplie alors d’invisibles présences, de sortilèges et de génies, l’homme ne fut plus chez lui, mais chez les Dieux et chez les Morts. Dans cette ombre auguste, dans cette obscurité solennelle qui entourait, mais aussi protégeait ses champs, l’Homme ancien relégua les mystères et les Dieux dont il entourait ou protégeait sa vie. La forêt fut un lieu de funérailles et de sépultures, qui retirait, loin des vivants, les morts redoutés de tous, et retenait leurs esprits courroucés. C’est chez elle que se firent les opérations magiques, les incantations et les apparitions, les réunions de sorciers, les assemblées de druides, les sacrifices humains, les actes sanglants du culte. Et en toutes les grandes circonstances de sa vie alarmée, c’est dans la forêt que la tribu rurale retournait chercher une impérieuse assistance, et placer ses engagements sous l’autorité de serments supérieurs et d’immortels témoins. C’est dans la forêt que la Société allait pour éprouver sa valeur souveraine, entretenir avec les morts son statut, renouveler son pacte avec les Dieux !….
Sur ce seuil sacré que tout protégeait, le défricheur primitif arrêta donc une fois pour toutes ses entreprises profanes. Les Néolithiques qui ont créé nos campagnes avaient pour le moins autant de raisons de maintenir la forêt que d’étendre leurs champs. Ils n’ont créé que les champs nécessaires ; ils n’ont défriché que l’indispensable. Ils ont fait sa part au labour ; ils ont laissé la sienne au bois. Et tous les siècles ont, depuis, confirmé les conditions de ce règlement initial ; solennel contrat que l’Homme a passé avec la Nature, à une époque où il en avait encore l’expérience avertie, engagée dans l’ordre des choses sans calcul et sans fièvre des instincts.
Ce que fut la forêt primitive, telle à peu près elle restera.
Voyons ce qu’elle est au moment où sa part vient de lui être faite, ce qu’elle est quand son domaine se stabilise, quand sa lisière se fixe ; et voyons après ce qu’elle est devenue dans la suite des siècles historiques.
La forêt donc est la formation végétale naturelle. Mais cette forêt naturelle n’est pas le taillis : c’est la futaie. La forêt originelle était surtout composée d’arbres de grande hauteur. Le chêne et le hêtre y avaient une prépondérance heureuse ; le tremble et le bouleau, le frêne et le pin, y alternaient par petits groupes ou y intervenaient en individus isolés ; le sureau, le saule, et l’aulne, prospéraient dans les clairières ou dans les lieux humides ; les épines et les ronces garnissaient les lisières et les plaques rocheuses ; les genêts, les fougères, et les ajoncs, couvraient le sol ombragé.
Sous les dômes élevés de cette puissante sylve, entre les fûts des grands chênes et des hêtres, la circulation était facile, et les troupeaux y avaient libre parcours. C’est cette forêt majestueuse et fraîche, emplie de circulation et d’ombre, qui s’accommoda si complètement de l’Homme, et qui, de tout temps, lui prêta ses abris et lui offrit ses ressources ; c’est cette forêt vénérable donc qui en imposa aux défricheurs primitifs. Le taillis buissonneux n’eût pas trouvé auprès d’eux un même respect, car il ne leur eût pas donné les mêmes profits.
Il est probable que cette forêt se maintint dans son état et dans son aspect originels jusqu’au début des temps modernes. Mais vers le XIVe siècle, elle entama une transformation qui ne se termina qu’à la fin du XVIe siècle. Les déprédations exercées au Moyen-âge, et provoquées par les droits d’usage, achevèrent alors leurs funestes effets. Les cantons bordiers, abandonnés au villageois, et où celui-ci prenait depuis longtemps son bois de construction et de chauffage ; se trouvèrent si complètement et si systématiquement exploités, que le bois ne s’y reconstituait plus en arbres de grande hauteur, mais juste en taillis hâtifs. L’habitude d’y laisser paître le bétail dans les coupes jusqu’à la troisième pousse, ne laissa rien prospérer. Les souches n’y repoussaient qu’en rejets rabougris. Le taillis devint la règle, et l’arbre l’exception. Ce fut ainsi que, dans tous ces cantons de bordure, la futaie disparut finalement partout, pour faire place au taillis sous futaie.
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Pendant longtemps encore, pourtant, derrière ces franges dégradées, la réserve et les parties centrales, en général affranchies des servitudes du droit d’usage (bois de chauffage et de construction) , se maintinrent à l’état de futaie. Mais à la fin, et surtout à la faveur des troubles du XVIe siècle, le villageois, tenté par ces réserves où prospéraient les grands arbres ; y pénétra, y exerça le droit d’usage, y introduisit tous les abus d’une exploitation hâtive, faite sans règle et sans ménagement. Et la forêt tout entière prit, jusque dans ses quartiers de réserve, l’aspect déchu de ses bordures. Partout le taillis sous futaie remplaça la haute futaie.
Celle-ci ne se maintint qu’en les lieux où la forêt avait une adaptation particulière au sol, c’est-à-dire sur les pays de sable ou de grès restés couverts par de vastes superficies boisées. Celles-ci, protégées par leur étendue même, résistèrent aux abus et aux déprédations. À cause de leur importance, ces grandes forêts appartenaient d’ailleurs pour la plupart, non à des communautés villageoises ou à de besogneux laïques, mais à des abbayes ; à de riches seigneurs, au roi, à des autorités capables de faire respecter leurs domaines et leurs droits.
Prétendre que les époques historiques ont respecté la forêt, ou que celle-ci conserve les dimensions et la configuration imposées par les défrichements primitifs ; affirmer que notre carte forestière est la même qu’aux époques où se fondèrent le champ et le village… proclamer l’intégrité du statut ancien… tout cela, c’est nier les défrichements de l’époque historique !…. Ceux de l’administration impériale et des riches propriétaires britto ou gallo-romains !…. Ceux du Moyen-âge et des moines !…. Ceux des temps modernes !…. C’est nier la civilisation de Rome, le zèle monastique !….
L’opinion généralement admise est que de grands défrichements ont été opérés, à partir du XIe siècle, sous l’influence des abbayes et autour des centres monastiques.
Cette opinion, l’analyse des faits la confirme-t-elle ? Les moines ont-ils été ces grands défricheurs dont la tradition nous brosse le portrait ?
Distinguons d’abord les périodes successives correspondant à des organisations monastiques différentes.
Une première époque de défrichements monastiques aurait eu lieu, au VIIe et au VIIIe siècle, sous l’influence des abbayes carolingiennes où les moines celtes venus d’Irlande jouèrent un très grand rôle. Mais tous ces défrichements sont localisés dans des vallées prospères, dans des pays de sol fertile où abondent les ruines. Ces défrichements ont été en fait la hâtive reprise de possession, des situations les plus anciennes et les plus importantes.
Le mouvement qui reprit au XIe siècle sera de caractère différent, et les moines celtes n’y joueront plus aucun rôle. En cette deuxième période, nous distinguerons surtout l’activité des abbayes clunisiennes. Mais cette activité fut spéciale. Les clunisiens, soucieux de revenus fonciers, ont surtout eu des domaines de bon et facile rapport, composés d’éléments complexes, résultats d’acquisitions avantageuses, et surtout de legs heureux. Ils sont devenus ainsi les propriétaires de sols privilégiés, de terres entretenues, de bien-fonds urbain, de fermes prospères. Leurs doyennés administrés habilement sont une source de revenus. Riches propriétaires et administrateurs avisés, les clunisiens ont mieux su exploiter les bonnes terres que conquérir de nouveaux territoires.
Au XIIe siècle enfin, entrent en activité les grandes abbayes cisterciennes. Et c’est maintenant, semble-t-il, que le zèle monastique va réaliser ses prodiges. Depuis Bernard de Clairvaux (qui n’avait rien d’un comrunos ou initié celte rappelons-le, malgré ce qu’affirment certaines hérésies néo-druidiques), les cisterciens sont réputés avoir été les plus actifs des défricheurs historiques. Leurs abbayes sont en effet toutes situées au fond de solitudes boisées.
Mais dans ces profondes forêts, les cisterciens qui trouvèrent là un asile conforme à leur piété ne s’y considérèrent pas comme en territoire de combat. Ils n’étaient pas entrés au sein de la grande sylve pour la détruire, mais pour l’exploiter. Ils sont venus vivre dans la forêt avec l’intention de s’en servir, et non de la ruiner. Autour de presque toutes les abbayes cisterciennes, la forêt maintient donc encore ses étendues compactes.
Les exploitations cisterciennes ont moins été en effet des exploitations agricoles que des entreprises d’élevage. Les cisterciens ont surtout été des éleveurs. Et c’est bien pourquoi la forêt fut l’élément essentiel de leur richesse domaniale. Elle était le pâturage nécessaire. Elle offrait ses frais pacages et ses asiles ombragés aux nombreux troupeaux qu’entretenaient les prairies.
L’établissement de ces prairies a été la véritable œuvre agraire des cisterciens. Ils n’ont défriché que les lieux où le pré pouvait se substituer avantageusement à la forêt. Ils ont mis ainsi en état les fonds bourbeux et les vallées humides. Les conquêtes qu’ils ont faites ont été réalisées plus sur le marécage que sur la forêt. Ils ont été ainsi des constructeurs d’étangs, de ponts, de digues, et de barrages. Ils ont lutté contre les eaux, et jamais contre le bois.
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Passés maîtres dans l’art de l’élevage, il se trouva que précisément les cisterciens complétaient ainsi l’œuvre d’assainissement qu’ils avaient préparée, en assurant le drainage des terroirs humides. Ils en arrivèrent en effet à faire disparaître le paludisme de ces lieux bas où il sévissait. En même temps que l’assèchement des marais supprimait les funestes moustiques ; la construction des étables détournait de l’homme les méfaits de l’anophèle. Celui-ci en effet s’attaque de préférence au bétail ; et les troupeaux jouèrent ainsi le rôle d’un écran protecteur. Cette œuvre de salubrité ne fut d’ailleurs pas méconnue. Plus tard, au XVe siècle, les papes firent venir les cisterciens dans la campagne romaine, pour y lutter contre la malaria, et ce, avec le même succès qu’ils en avaient triomphé en Bourgogne.
Les cisterciens ont donc eu la grande tâche de reconquérir aux cultures utiles ces terres basses, qui depuis longtemps avaient été vouées à un funeste abandon. Il est certain qu’en effet, au temps de l’agriculture originelle, ces lieux humides avaient été déjà souvent acquis à la culture. Les barrages, les digues, et les étangs, existaient bien avant la conquête romaine. Depuis longtemps les vallées par exemple étaient asséchées : les grandes routes primitives qui les traversaient ne les franchissaient pas sur digues. Par la suite cependant, aux époques historiques de crises et de troubles, les digues cessèrent d’être entretenues ; les barrages et les étangs disparurent, les eaux reprirent leur cours divaguant, vallées et plaines recouvrèrent leur humidité ainsi que leurs marécages.
Cependant, il serait excessif de prétendre que les abbayes, et notamment les abbayes cisterciennes, ont été hostiles aux entreprises de défrichement. Elles les ont favorisées toutes les fois que ces entreprises furent destinées à rendre à la culture un sol particulièrement propice. La plupart du temps, les moines n’étaient pas les propriétaires de ces forêts ; mais ils agissaient comme mandataires ou « entrepreneurs », pour le compte de riches seigneurs laïques. Ceux-ci se dessaisissaient de la propriété du sol à la condition d’en partager les revenus nouveaux et les produits accrus. De même, dans les régions de l’Ouest, c’est par l’entremise des moines que les seigneurs mal outillés firent procéder aux défrichements.
Mais il est remarquable que dans tous ces lieux « défrichés », où sur un sol propice prospérèrent les cultures, maintes ruines de l’époque romaine témoignent que ces prétendus « gains » de la campagne cultivée ne lui ont été en fait que des restitutions.
Par ailleurs pourtant, il est des pays dont les défrichements médiévaux transformèrent totalement les aspects. Je veux parler de ces régions argileuses et humides, sur lesquelles n’avait pu ni su se développer, le système des anciens terroirs à champs groupés, associés. Ces régions, qui étaient restées des enclaves forestières compactes, commencèrent à être entamées par de larges essarts. Des campagnes s’y introduisirent. Des villages neufs s’y alignèrent le long de routes nouvelles ; et, derrière ces deux rideaux d’habitats, les longs champs qui leur étaient contigus s’enfoncèrent vers la forêt. Mais, le plus souvent, c’est un modeste hameau, ou c’est une grange isolée, qui s’installe au milieu de ces nouvelles terres. Ces défrichements, qui relèvent d’un plan méthodique, furent souvent le fait des églises. Il fallait leurs capitaux, il fallait surtout leur esprit de suite, leurs patientes prévisions, leurs calculs désintéressés à longue échéance, pour susciter ces œuvres coûteuses. Il est vrai que ces fonds neufs surent presque toujours rembourser leurs frais. La prospérité de ces établissements tardifs, qui ne relevaient pas du vieux système de la terre, contrasta souvent avec la misère des anciens terroirs, où l’agriculture persistait sous ses formes traditionnelles.
Le défrichement n’est donc pas seulement une entreprise qui varie selon les époques. Mais c’est aussi le sol qui en décide. Les régions humides étaient encore une conquête à faire, alors que dans les pays de « vieux terroirs » tout était dit depuis longtemps.
Au Moyen-âge, ces pays de l’agriculture traditionnelle ont été ainsi, dans l’ensemble, plus hostiles au défrichement qu’au reboisement. Dès l’époque carolingienne, on voit d’ailleurs apparaître le mécontentement des propriétaires féodaux, devant les progrès de déboisements qu’ils jugeaient excessifs.
Au Moyen-âge féodal, en effet, c’est toute la société qui collaborait à la préservation de la forêt. À côté des moines qui l’exploitaient, les féodaux laïques y prenaient leur plaisir. Plus que jamais la forêt fut territoire de chasse, réserve de bêtes et de gibier. Plus que jamais, elle fut livrée aux folles chevauchées ainsi qu’aux meutes.
Les communautés villageoises y trouvaient aussi des avantages. Les villageois d’alors avaient la jouissance d’une partie des ressources de la forêt. Ils avaient le droit d’y prendre le bois et d’y faire pâturer leurs troupeaux. Rien de plus variable d’ailleurs que ces droits d’usage. À l’origine, leur extension était telle qu’ils apparaissent comme la survivance d’une sorte de propriété collective. Des restrictions vinrent par la suite limiter, progressivement, le droit initial. En général, on détermina les essences de bois dont les usagers pouvaient disposer, ou la quantité de têtes de bétail qu’ils pouvaient y faire pâturer. Le Crith Gablach irlandais le suggère clairement.
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Mais dans ces vastes étendues boisées, la surveillance était difficile ; les empiétements des villageois étaient incessants, et leurs usurpations, favorisées par une indulgence qui était de l’impuissance, s’autorisaient de la tradition.
Le villageois trouvait donc dans la forêt toutes les ressources que ne lui donnaient pas ses champs. Il y prenait les bois nécessaires à son chauffage, à ses constructions et à ses clôtures. Il y trouvait le pâturage frais pour ses troupeaux, et la glandée pour ses porcs. À l’occasion enfin, la forêt lui fournissait du gibier. Elle était au paysan d’une si complète assistance, que la vie humaine semblait associée à l’existence de ces massifs boisés ; comme aux époques primitives, le village du Moyen-âge continua de vivre près des bords de sa forêt.
Cette association du village avec la forêt se manifeste d’ailleurs souvent de façon précise. Telle fut par exemple en Normandie la fédération des « Sept-Villes-de-Bleu ». Bleu était un petit pays au sens géographique et non politique du terme (une division du comté), et les 7 villes étaient bien sûr en réalité 7 villages. Ladite fédération ou coutume réunissait en un groupement organisé les sept villages riverains de la forêt de Bleu… Les notables des « Sept Villes » se réunissaient en assemblées fédérales pour administrer en commun la jouissance des « usages », en assurer la défense, et délibérer de tous les intérêts dont la forêt de Bleu était pour eux l’occasion (coutume du pays de Bleu).
En bien d’autres régions, la forêt constituait une analogue occasion d’entente, en réunissant dans la possession des mêmes coutumes, les villages qu’elle semblait séparer. La culture, elle, créait puis entretenait le particularisme villageois. D’incessants conflits de bornage et de traditionnelles rivalités avaient leur fondement dans les chétives frontières qui séparaient les champs d’un village, des champs du village voisin. Rien ne divisait ou n’opposait davantage les campagnards que leurs campagnes, lorsque celles-ci se prolongeaient en une continuité sans obstacle, semblaient se fondre en une paisible et amicale unité de la terre. La forêt, au contraire, constituait le terrain d’entente. Habituellement chevauchée par les limites des territoires communaux, elle unissait plus qu’elle ne séparait. Chaque forêt communiquait, à tous les villages qui participaient d’elle, une communauté d’intérêts ou de vie.
L’homme du Moyen-âge a aimé la forêt autant qu’il a vécu de ses champs.
Elle était aussi un monde avec sa vie particulière. L’été, le pâtre y conduisait ses troupeaux. Mais c’est l’hiver surtout que ses solitudes boisées s’animaient d’une foule de gens besogneux. Bûcherons, charbonniers, chasseurs, transporteurs, sabotiers, verriers, forgerons et mineurs, fabricants de « bardeaux », scieurs…, et cela, sans compter la foule des rôdeurs, des faux sauniers ou des vagabonds. Beaucoup de ces rudes métiers se prêtaient assistance, et la forêt développait ainsi, en elle, aux confins de la vie villageoise, de salutaires associations, ou d’équivoques ententes. C’est en son antique sein, empli des rappels et des souvenirs de la vie libre d’autrefois, que venaient se réfugier la secrète rumeur et l’activité, affranchies des contraintes sociales.
Au seuil des temps modernes 1), la forêt, plus que jamais préservée par les habitudes de la vie sociale, maintenait ainsi partout son domaine, et prospérait de tout ce qu’elle apportait au villageois comme ressources légales ou clandestines assistance. La forêt sort du Moyen-âge, de cette époque de prétendus défrichements, sinon accrue, du moins confirmée dans ses étendues originelles et ses conquêtes historiques. Mais, sensiblement altérée dans son aspect ainsi que dans sa composition, elle a cédé aux cultures les terrains lourds, et laissé aux prairies la majeure partie du territoire.
G. Rupnel (Histoire de la campagne 1932).
1) Le 16e siècle fut celui des maîtres de forges. Le professeur Koichi Horikoshi de l’université de Tokyo a bien mis en évidence le rôle des Taillefumier (Nicolas ou Demange) des Tremel (Hector et françois) ou des Rouyer dans le saccage des forêts d’alors (L'industrie du Fer en Lorraine aux XIIe-XVIIe siècles).
« Nicolas Taillefumier, alias Godart, originaire de Commercy, est un sidérurgiste remarquable du Barrois dans la seconde moitié du XVIe siècle vers 1562-1565………….son fils Demange sera aussi maître de forges de Commercy jusqu’à la fin du siècle. Quant à Hector Tremel, il était marchand à Vaucouleurs. Leur exploitation en commun peut donc être considérée comme un exemple d’association entre un ingénieur-sidérurgiste et un marchand capitaliste ». En français dans le texte original bien que Koichi Horikoshi soit Japonais.
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Il importe, avant de replanter des arbres, de bien se mettre d’accord sur le type d’écosystème ou de paysage visé. On se base donc pour cela sur un écosystème de référence qui est en général l’écosystème ayant historiquement prévalu. Il peut être soit totalement naturel (avant installation
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humaine), soit parfois déjà modifié, mais non dégradé. Sa définition fait généralement appel à une approche paléoécologique, régionale (palynologie) ou locale (pédoanthracologie…) ou à des études historiques pour les temps modernes.
On distingue la restauration active (les travaux et les plantations artificielles) de la restauration passive qui met à profit la dynamique naturelle une fois les causes de dégradations supprimées.
La restauration passive ou le recours à la dynamique naturelle. Après réduction drastique des pressions qui s’exercent activement sur elle, la nature a bien souvent la capacité de se restaurer elle-même (résilience) au bout d’un certain laps de temps. Cette dynamique naturelle peut être renforcée par des actions simples (aide à la dissémination des essences, etc..).
La restauration active : l’homme et son labeur. On peut envisager de faire des reboisements artificiels d’essences pionnières pour faciliter (effet d’abri) la transition vers la restauration complète de l’écosystème. Toutefois, cela implique dès le départ que des actions favorisant le retour et la réinstallation des autres variétés indigènes sous ce couvert forestier, soient planifiées, ceci requérant des moyens spécifiques, souvent difficilement mobilisables des années après les premiers travaux. Aussi est-il conseillé de n’utiliser les arbres non indigènes qu’en dernier recours, et dans des conditions très strictes. Dans tous les cas, les travaux doivent avoir pour objectif de restaurer au plus vite la diversité des arbres et des structures forestières d’origine, en utilisant au mieux le comportement pionnier de certaines essences. La question du patrimoine génétique (provenance locale) est importante à considérer.
La réhabilitation consiste en la création d’un écosystème forestier alternatif, écologiquement viable, éventuellement différent pour ce qui est de la structure, de la composition, ou du fonctionnement de l’écosystème avant sa dégradation, et présentant une certaine valeur pour ce qui est de l’usage ainsi que pour la biodiversité. Le passage par un état intermédiaire réhabilité demeure souvent nécessaire pour la restauration elle-même, compte tenu des délais nécessaires à la reconstitution d’un écosystème forestier très dégradé.
Un paysage est une entité complexe en termes écologiques ; certains auteurs parlent d’ailleurs d’écocomplexe (ou complexe d’écosystèmes.). De plus, notons d’emblée ici que cette notion de paysage est tout aussi importante à appréhender en termes sociaux et économiques (équivalant à la notion de territoire).
En écologie, la réflexion sur la notion de paysage nous renvoie aux questions concernant l’organisation spatiale et fonctionnelle des écosystèmes et des espèces ; la réorganisation induite par les modifications ou dégradations dues aux activités humaines, les connexions entre écosystèmes ; ainsi que leur évolution. La réflexion au niveau du paysage écologique est d’autant plus fondamentale que la question de la fragmentation des paysages forestiers fait problème.
D’un point de vue scientifique, la surface minimale pour atteindre la viabilité d’une population peut être évaluée suivant différents seuils génétiques (50/100 individus, 100/500 individus ou 500/5000 individus).
Pour la conservation d’un écosystème forestier complet (ainsi que de tous les réseaux trophiques associés), la surface correspond le plus souvent à l’aire de vie nécessaire à la survie des grands mammifères. Elle est de l’ordre de 10 000 ha dans les écosystèmes forestiers tempérés.
La restauration d’une forêt dégradée constitue donc une entreprise engageant la responsabilité du restaurateur sur le long terme, et ce, pour trois raisons principales.
— Restaurer un écosystème détruit ou fortement dégradé demande d’autant plus de temps qu’il est complexe et diversifié. Or, rappelons que les actions de restauration sont le plus souvent limitées dans le temps (quelques années), pour des raisons politico-financières comme techniques.
— En milieu forestier, même tropical, la dynamique s’effectue selon une échelle de temps dont l’unité est la décennie.
— Tout échec ou toute erreur peut avoir des conséquences écologiques sur le long terme également. Aussi est-il nécessaire de concevoir une telle restauration en tenant compte le plus possible des fonctionnements écologiques, de façon à réduire les problèmes (ou les actions correctives nécessaires) apparaissant plusieurs décennies après la restauration de cet écosystème.
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Une fois dégradé, l’écosystème est parfois lent à se reconstruire, voire incapable d’y arriver. Engager des travaux complexes et coûteux, de restauration, n’a donc de sens que s’il s’agit d’aider la nature à dépasser ses seuils d’irréversibilité. En l’absence de seuil d’irréversibilité, ou en complément de travaux pour les lever, la dynamique naturelle peut suffire à restaurer l’écosystème dans des délais raisonnables. Quand elle existe, cette éventualité constitue donc sans nul doute le choix le moins coûteux.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir plus haut, le Dr Adam Watson, écologiste écossais de réputation internationale, a récemment présenté les vestiges de la forêt naturelle d’Écosse comme l’une des parties de la forêt boréale et tempérée les plus dégradées ou ayant subi le plus de dégâts au monde; mais bien que la destruction de cette forêt ait été entamée il y a des siècles, c’est au cours des 200 dernières années seulement que la situation est devenue critique. Comme tant d’autres régions des Hautes-Terres d’Écosse, Mar Lodge fut converti en domaine de chasse à la fin du XVIIIe siècle, et la population de petits exploitants agricoles expulsée. Les besoins de la chasse ont conduit à privilégier le maintien d’un grand nombre de cerfs sauvages, qui empêchent la régénération naturelle de la forêt. Les quelques arbres qui subsistent actuellement sont de vieux pins.
Le domaine de Mar Lodge, à l’instar d’une grande partie du territoire, est la propriété personnelle d’un multimilliardaire, M. John Kluge ; celui-ci l’avait acheté pour en faire cadeau à sa femme, une danseuse exotique.
Les inquiétudes des Écossais informés ont conduit à la fondation, en 1991, du mouvement appelé Reforesting Scotland, qui s’occupe principalement de réhabilitation écologique et sociale. Il s’agit d’une petite association radicale, qui fonctionne en réseau, au niveau international, avec des institutions telles que le Fonds mondial pour la nature ; et dont les 700 membres pensent avoir trouvé la solution à ce problème dans un statut juridique de propriété, non privée, dans laquelle les citoyens, à l’échelon local, auraient des parts.
Cela implique évidemment une réforme radicale de la propriété, tant publique que privée, pour que les communautés rurales recouvrent enfin leurs droits et puissent se stabiliser. L’efficacité d’un tel mouvement tient notamment au fait que les professionnels britanniques du développement sont de plus en plus nombreux à constater, à leur retour au pays ; que les progrès accomplis dans le domaine des forêts domaniales au Népal ou au Papouasie-Nouvelle-Guinée, par exemple ; sont non seulement inconnus en Écosse, mais même tournés en dérision dès qu’il s’agit de régions telles que les Hautes-Terres et les îles.
En Écosse, ainsi que nous avons pu le voir, la fin du système clanique a entraîné un véritable désastre écologique et humain pour les Hautes-Terres ; qui sont devenues depuis une biorégion éloignée des villes, inhospitalière pour les étrangers, en majeure partie montagneuse ; qui fait vivre de nos jours une population clairsemée de quelque 350 000 personnes.
Il est en effet largement admis maintenant que, d’une manière générale, la productivité de la terre en a beaucoup souffert. Une économie de subsistance essentiellement fondée sur le bétail a été remplacée par le mouton, le daim, le coq de bruyère, et d’autres gibiers du même genre ; une substitution qui s’est accompagnée d’une diminution des diverses formes locales de recyclage des éléments nutritifs, ainsi que d’une intensification des pressions de la pâture et des brûlis. La densité de prédateurs (faucons, putois, etc.) a, semble-t-il, connu un déclin radical depuis l’avènement des grands domaines de chasse et de pêche. Une tendance à la dégradation a été pareillement observée en ce qui concerne la chasse au coq de bruyère dans les landes, les taux d’érosion, et la productivité de la pêche en eau douce ; dans certains secteurs. Entre 1880 et 1975, les taux de vêlage ont décliné de 1 % tous les quatre ans.
Frank Fraser Darling, un autre écologiste de renommée internationale, a réalisé la première grande enquête sur l’écologie humaine des Hautes-Terres de l’Ouest dans les années d’après-guerre. Ses travaux, publiés finalement en 1955, furent d’abord mis sous le boisseau par le gouvernement (l’Office écossais ne daigna même pas en accuser réception) à cause de la nature assez accusatrice de ses conclusions.
« Finalement tout cela met en évidence le fait que les Hautes-Terres et les îles sont dans une large mesure une zone sinistrée, et c’est surtout pour cette raison qu’elles ne comptent plus que peu d’habitants et qu’un problème économique récurrent y existe » et « aucune politique ignorant ce fait ne peut espérer réussir leur réhabilitation ».
Il ne reste que fort peu de territoire non modifié par l’homme dans l’Écosse d’aujourd’hui. Un des faits les plus évidents est la disparition du couvert forestier d’origine qui occupait jadis 75 % de la superficie (« la grande forêt calédonienne ») et dont les restes ne couvrent plus actuellement que 1 % du pays.
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Jadis, même si cela semble difficilement concevable aujourd’hui, des forêts de chênes et de bouleaux recouvraient au contraire toutes ces terres du Nord.
Or l’arbre est indispensable à la vie. Le Niçois Louis Auguste Blanqui lui-même l’a très bien dit (voir plus haut) : « Notre détestable race détruit sans pitié tout ce qu’elle rencontre, hommes, animaux, végétaux, minéraux. La baleine va s’éteindre, anéantie par une poursuite aveugle. Les forêts de quinquina tombent l’une après l’autre. La hache abat, personne ne replante. On se soucie peu que l’avenir ait la fièvre. Les gisements de houille sont gaspillés avec une incurie sauvage ».
N.B. Mon père ayant été, avec son GMC *, durant ma prime jeunesse (les années 1950) un petit exploitant forestier ÉCOLOGIQUEMENT RESPONSABLE, je lui devais bien ce modeste hommage.
* À volant en bois.
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LE SYLVOPASTORALISME.
La forêt ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le voir, est une émanation de la nature, et jadis les païens entretenaient une relation quasi mystique avec elle ; les bois étaient le théâtre de leurs plus grandes représentations spirituelles (cf. le chêne et le nemeton).
Faire pâturer les troupeaux en forêt permet de profiter de la ressource fourragère présente sous les arbres (herbes, buissons…) et parallèlement d’améliorer son bois en pratiquant des coupes d’éclaircies et des élagages. La pratique du sylvopastoralisme présente également un intérêt social et environnemental ; limiter la fermeture du milieu et donc rendre la forêt plus pénétrable ou plus attractive pour le public.
Les opérations d’ouverture de la forêt aux troupeaux sont délicates à mettre en œuvre. Bien souvent la première opération consiste en la réalisation d’une éclaircie et d’un élagage, qui se feront au profit des plus belles ou plus hautes tiges.
Mais avant d’abattre des arbres pour permettre la mise en lumière du sol et donc la production d’herbe, il faut réfléchir à la façon dont la parcelle sera gérée pour ce qui est du pastoral ; si les bêtes pâtureront au printemps, en été, ou toute l’année, quel sera leur densité à l’hectare, etc.
Le plus difficile n’est pas de mettre en œuvre une éclaircie, mais de pouvoir maîtriser par la suite le développement des « broussailles ». Attention à ne pas enlever trop d’arbres ! L'un des intérêts du sylvopastoralisme est de produire de l’herbe à l’ombre quand il n’y en a plus au soleil.
Cette pratique permet de rentabiliser des surfaces peu productives, d’améliorer le paysage, de prévenir les incendies, de préserver la diversité des espèces et des milieux et permet de mobiliser des énergies renouvelables : l’herbe et le bois.
Le sylvopastoralisme peut être mis en place sur tout type de peuplement et dès que les arbres sont hors de portée de la dent du bétail. Néanmoins, on le pratique généralement dans des peuplements à faible potentiel forestier, pour lesquels on cherche une valorisation supplémentaire (taillis de chêne pubescent ou futaie de pin sylvestre).
Quelques expériences d’agroforesterie incluant des élevages en milieu forestier ont eu lieu, notamment dans la Forêt-Noire en Allemagne, comme cela se faisait en Europe au Moyen-âge. Reste à étudier les effets du sylvopastoralisme afin d’ajuster la densité du bétail et le temps de séjour, à la capacité du milieu à se régénérer. Car les vaches et chevaux sont souvent plus lourds et moins rustiques qu’au Moyen-âge. Ils se frottent sur les troncs, mangent des écorces et les pousses, piétinent le sous-étage. Les porcs (panage) consomment une grande part des fructifications qu’ils trouvent, les champignons souterrains (truffe par exemple) et piétinent l’humus. Les moutons éradiquent le sous-étage, mais ce sont les chèvres qui font le plus de dégâts, étant capables de détruire le peuplement forestier en écorçant les troncs et en montant aux arbres. Au Liban et au Maroc, le sylvopastoralisme, vieux de plusieurs millénaires, est considéré comme la principale menace des dernières cédraies. Ces animaux peuvent-ils jouer en forêt le rôle qu’y jouaient les grands mammifères de la préhistoire, alors que nous avons fait disparaître ou fortement régresser les grands prédateurs ? C’est une question que se posent les scientifiques. Tout est question d’équilibre !
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LA RÉINTRODUCTION DES ESPÈCES ANIMALES DISPARUES.
Nous parlons bien ici de réintroduction des espèces animales disparues et non d’introduction.
Une introduction ce sont des lâchers d’espèces exogènes dans des milieux qui ne sont pas originellement les leurs. Ces introductions « contrôlées » ont bien souvent une finalité cynégétique ou halieutique. Des introductions « involontaires » sont également constatées depuis plusieurs années : ragondin, raton laveur, tortue de Floride, vison d’Amérique, cygne noir… De telles introductions provoquent le plus souvent des déséquilibres au détriment d’espèces autochtones vulnérables (vison d’Europe, cistude, sans oublier de nombreuses espèces de plantes).
Les espèces à réintroduire sont les espèces ayant été victimes de l’action de l’Homme, essentiellement par destruction massive (armes à feu, poison). Bien souvent, les habitats et les ressources trophiques sont encore présents, et capables de maintenir ces espèces naturellement. Des oiseaux comme les vautours ou le gypaète ont été facilement éliminés à cause du fait qu’ils se reproduisent très lentement et qu’ils sont naturellement peu farouches. Il est heureux de constater que ces espèces se maintiennent sans difficulté dans un monde moderne, pour peu qu’on leur garantisse un minimum de place et de considération.
Une réintroduction n’est ni plus ni moins qu’une mesure de conservation s’inscrivant dans la restauration des biocénoses perturbées par l’Homme. On pourra, certes, dire que c’est un « luxe » de pays riches et que l’on en oublie les véritables enjeux de la protection de notre environnement. C’est un juste retour des choses pourtant, que de pouvoir offrir de nouveaux espaces à cette faune disparue. Les programmes de réintroduction s’articulent avec les autres problématiques environnementales et se déclinent aisément sur une gamme plus large d’objectifs de conservation. La gestion d’une population animale réintroduite se répercute ainsi au-delà de l’espèce stricto sensu, par une gestion globale des écosystèmes et des biocénoses qui y sont associés.
Comment restaurer une population animale menacée d’extinction ??
Plusieurs types d’opérations existent.
Relocalisation. Transfert volontaire par l’Homme d’individus d’une espèce en un lieu faisant historiquement partie de son aire de répartition géographique naturelle, mais où elle n’est plus présente. Si nous voulons restaurer une espèce qui a été absente durant un ou deux siècles, nous sommes alors plus proches de l’introduction que d’une réintroduction.
Renforcement. Transfert volontaire par l’Homme d’individus en un lieu faisant historiquement partie de l’aire de répartition naturelle de l’espèce, mais où elle s’est considérablement raréfiée (sans pour autant s’y éteindre). On peut citer à titre d’exemple, le renforcement de la population de vautours moines sur l’île de Majorque, aux Baléares, à la fin des années 1980.
Translocalisation. Idem, mais plus restrictif : à partir d’individus prélevés dans la nature, dans une autre partie de l’aire de répartition naturelle.
Introduction à des fins de conservation. Transfert volontaire d’individus d’une espèce en un lieu propice à son développement, mais où elle n’a jamais naturellement été présente.
Ces opérations s’effectuent dans un cadre bien défini.
— Les causes principales de la raréfaction, ou de l’extinction doivent avoir cessé.
— Un habitat favorable doit être disponible pour accueillir une population viable, idéalement en un lieu où l’espèce était encore présente récemment.
— Une étude de faisabilité doit préalablement avoir lieu, et s’attacher aux caractéristiques taxinomiques, écologiques, voire éthologiques, de l’espèce en question.
— Les causes des échecs de tentatives précédentes concernant la même espèce ou une espèce proche doivent être prises en compte.
— Le site de réintroduction doit être inclus dans l’aire naturelle de répartition passée de l’espèce, et doit bénéficier d’une protection juridique.
— La population donneuse ne doit pas être mise en péril par le prélèvement d’individus.
— Les individus réintroduits doivent être compatibles génétiquement et aussi exempts de maladies ou parasites.
— L’acceptation de la réintroduction par les populations humaines locales doit être acquise.
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— Les individus relâchés doivent faire l’objet d’un suivi scientifique approfondi.
Dans de nombreux cas, il vaut mieux laisser la nature se gérer toute seule, mais les agressions de l’Homme justifient certaines interventions. Quand la nature fait défaut, il ne faut pas hésiter à créer de toutes pièces. Le « génie écologique » doit réparer, reconstituer et inventer aussi parfois, carrément. Notre légitime souci de conserver la nature peut en effet se heurter au fait que des éléments essentiels pour assurer la fonctionnalité du milieu ont disparu.
Installer des structures artificielles permet donc, dans certains cas, de remédier à cet état de choses. De telles structures sont parfois qualifiées de prothèses. Ce sont, par exemple, les échelles à poissons qui permettent, entre autres, de relier l’aval à l’amont d’un obstacle, ou les passages à faune (écoduc) pour le franchissement des obstacles linéaires, comme les autoroutes.
Pour rétablir une fonctionnalité disparue, on peut aussi faire appel à d’autres espèces animales.
Prenons l’exemple des « grands » herbivores. Les fonctions qu’ils exercent par rapport à la structure d’un habitat sont bien connues : en limitant la pousse des ligneux, ils freinent la fermeture des milieux.
La comparaison des réserves africaines avec ou sans éléphants est à cet égard édifiante. Ces grands herbivores ont, la plupart du temps, disparu. Il en est ainsi dans certains pays d’Europe de l’élan, de l’aurochs, du bison, ou du cheval sauvage. Leur absence modifie la dynamique des écosystèmes et, pour remplacer ces espèces, on fait de plus en plus appel aux animaux domestiques, équins ou bovins, appartenant à des races rustiques.
Veiller à ce que le retour de l’espèce se fasse dans un contexte socioculturel favorable, en privilégiant, longtemps avant le début des opérations de lâchers, une forte sensibilisation et une implication sans faille des autres usagers du milieu naturel. Rappelons à ce sujet que les frontières écologiques doivent évidemment prendre le pas sur les frontières politiques.
N’oublions pas également que deux sociétés humaines riveraines peuvent avoir des attitudes différentes et très contrastées vis-à-vis d’une même réintroduction.
Le cas des ours en France dans les Pyrénées, ou du loup dans le parc national du Mercantour, est très édifiant à ce sujet. La réintroduction de l’espèce animale en question peut se heurter à l’opposition de personnes ; qui, peut-être par manque de communication sur le projet ou par peur (ancestrale, pour leurs élevages) ; refusent le retour de certaines espèces comme le loup.
Le loup est une espèce « clé » dans tout écosystème. La notion « d’espèce clé de voûte » désigne une espèce dont la présence est indispensable à l’existence même d’un écosystème ; non pas par son effectif, mais par l’action qu’elle exerce sur les comportements et/ou effectifs des autres espèces qui composent le système. Bien que le parc national de Yellowstone ait été créé en 1872 pour satisfaire à une exigence du Président Grant, les loups continuèrent à y être exterminés à tel point qu’en 1927, ils disparurent définitivement. 31 loups capturés au Canada, y furent donc relâchés en 1995, et en 1996.
Alors que les orignaux avaient investi indifféremment la totalité des espaces disponibles, avec une prédilection pour des zones « faciles » comme le lit des ruisseaux et le fond des vallées ; le retour des loups les a contraints à se retirer dans des secteurs d’estives, escarpés ou situés plus haut en altitude, de manière à limiter leur proximité avec le prédateur.
Les conséquences écologiques sont triplement surprenantes, et chacune à sa manière illustre le statut « d’espèce clé de voûte », du loup.
1) D’abord a jailli, du lit des ruisseaux et des fonds de vallées désormais libérés du pâturage déplacé ou excessif des orignaux, toute une flore ; entre autres deux espèces essentielles, le saule et le tremble, qui avaient disparu du parc depuis que le loup en avait été naguère éliminé.
Ensuite avec cette flore, c’est toute une faune qui s’est restructurée : le tremble et le saule étaient en effet indispensables à la survie de beaucoup d’autres espèces animales.
2) Une étude du biologiste Rick McIntyre s’est plus particulièrement intéressée aux impacts de cette réintroduction du loup sur les espèces de charognards comme le grizzly, les corbeaux, les pies… Les loups génèrent en effet tout autour d’eux un cortège de carnivores charognards, dont la subsistance dépend de la quantité de nourriture qui leur sera dès lors abandonnée par ce prédateur.
3) Enfin, cette réintroduction du loup offre la possibilité de préciser, tout en la comprenant mieux, la notion de « régulateur écologique ». Le loup joue un rôle de gestionnaire des milieux plutôt que de gestionnaire des effectifs des populations d’orignaux. L’utilité de ce prédateur ne réside pas dans sa capacité à diminuer les effectifs (ce qu’il ne fait pas tant que cela d’ailleurs) ; mais dans son aptitude à modifier les comportements alimentaires et d’occupation de l’espace, des ongulés.
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Conclusion.
La réintroduction du loup à Yellowstone n’a pas seulement atteint l’objectif initialement fixé (rétablir une population animale ayant existé) elle a aussi permis de reconstruire et de rendre fonctionnel un système biologique diversifié (cf. Paul Schullery).
La réintroduction de loups en Écosse, dont la dernière attestation remontait à deux cents ans auparavant, a été même bénéfique à l’environnement, mais aussi en termes économiques, selon certaines études. Une équipe de scientifiques dirigés par Erlend Nilsen, de l’université d’Oslo, dont le travail est publié par l’Académie des sciences britannique ; affirme que la présence de loups permet de maîtriser la population de cerfs ; qui doivent être actuellement abattus en raison des dégâts qu’ils infligent à l’environnement. Évaluant l’impact de l’introduction de trois nouvelles meutes dans les Hautes-Terres, cette étude estime que la population de cerfs diminue rapidement, tandis que celle des loups augmente de manière proportionnelle. Les forêts ainsi que les populations d’oiseaux, en tireraient aussi des bénéfices, ainsi que les propriétaires de cerfs, dont les troupeaux rapportent environ 550 livres par kilomètre carré, notamment grâce à la chasse. Mais avec la présence des loups, ce montant passerait à 800 livres, notamment en raison des économies réalisées, car il ne serait quasiment plus nécessaire d’abattre des cerfs. L’étude précise que ce montant ne tient pas compte des bénéfices additionnels que rapporterait le tourisme lié à la présence des loups. Elle reconnaît que les troupeaux de moutons constitueraient alors bien évidemment une cible de choix pour les loups, mais affirme que les fermiers — qui sont subventionnés pour l’élevage de moutons et pourraient être dédommagés pour les pertes subies — ne sont pas particulièrement préoccupés. La population apparemment, là-bas, est assez favorable à la réintroduction. Les populations de loups sont en augmentation en Europe centrale et orientale, et l’animal a fait sa réapparition en France, en Allemagne ainsi qu’en Suisse, au cours des dernières années, au grand dam parfois des propriétaires d’ovins français. En France, le loup est revenu à pied d’Italie par le Mercantour. Il a colonisé de nombreuses zones où il est maintenant présent : dans le massif alpin principalement, mais aussi dans les Pyrénées, l’Auvergne, le Jura, le Massif central. Il a été vu dans le sud des Vosges. Mais pour que le loup soit accepté quelque part, il faut en général dix ans. Il est trop présent dans l’imagerie populaire pour que les peurs ne réapparaissent pas instantanément.
L’ours. Après avoir autrefois occupé une très grande partie des régions de l’Eurasie, la place de l’ours dans les montagnes n’a cessé de régresser sous la pression humaine. Le recul de l’ours brun en France débute par exemple très tôt, dès l’époque romaine. Jusqu’au XVIe siècle, on peut encore l’observer dans les Alpes, le Jura, le Massif central, les Pyrénées, les Vosges. Puis il disparaît de la quasi-totalité du Massif central et des Vosges à la fin du XVIIIe siècle. Au milieu du XIXe siècle, l’ours brun ne subsiste plus que dans quatorze départements français (des Alpes, du Jura, et des Pyrénées). Il est ensuite classé comme nuisible, processus qui accélère son extinction. Aujourd’hui, l’ours ne subsiste plus que dans les Pyrénées. Trois ours bruns, de la même espèce, ont été capturés en Slovénie et relâchés dans les Pyrénées centrales en 1996 et 1997. Il était en effet nécessaire de prélever les animaux depuis un autre pays, au sein d’une population sauvage d’ours dont les caractéristiques se rapprochaient le plus possible de celles des ours indigènes. (En Slovénie, le cheptel d’ours est encore important, environ 7000 à ce jour). Les ours issus de la réintroduction se sont adaptés à leur nouveau milieu. Plusieurs naissances ont eu lieu, mais également quelques cas de mortalité, dans des proportions qui sont toutefois celles habituellement observées pour l’espèce. Avec les quelques ours de souche pyrénéenne qui vivent encore dans ces montagnes, on dénombre donc actuellement quatorze à dix-huit ours bruns sur l’ensemble des Pyrénées.
La sauvegarde d’une espèce en voie de disparition dans cette région est nécessaire, mais la réintroduction de l’ours dans le pays est aussi bénéfique écologiquement parlant. Il est en effet nécessaire d’avoir des prédateurs dans les Pyrénées : leur présence contribue à la régulation des populations d’ongulés forestiers (sangliers, chevreuils…) dont les effectifs sont en augmentation pour des raisons variées. Or ces espèces ont actuellement un fort impact sur les milieux forestiers. L’ours, en tant que grand mammifère, espèce omnivore et prédateur plutôt de caractère opportuniste, est un indicateur de la qualité de l’écosystème. Si celui-ci peut accueillir et intégrer des grands prédateurs, c’est un signe du degré de complexité du milieu, et donc de sa richesse. De plus, la réintroduction des ours va permettre de repeupler ces montagnes, et de redonner à la région un patrimoine culturel ou historique éminent. Encore faut-il que des introductions d’ours soient faites régulièrement, car lors des dernières tentatives, des « accidents » ont eu lieu : l’ourse « Cannelle » par exemple, a été tuée par un chasseur, en novembre 2004.
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Le bison. Le bison d’Europe vit surtout en forêt. Le bison américain, qui lui ressemble étonnamment, est un animal de plaine, à l’exception de la sous-espèce athabascae, ou bison des forêts. Le bison était très fréquent sur tout le continent européen, de l’Atlantique à l’Oural (excepté l’Espagne, l’Italie, la péninsule scandinave, et les îles Britanniques), et ce, jusqu’au Moyen-âge. Charlemagne chassait le bison ainsi que l’aurochs, dans la région de Liège et d’Aix-la-Chapelle. Le Bison d’Europe disparut de Suisse au XIe siècle, d’Allemagne au XVIIe siècle, de Transylvanie (Roumanie) au XVIIe siècle, et de Pologne, son ultime refuge, dans les années vingt du XXe siècle.
Ces disparitions sont largement dues à la chasse humaine, mais aussi à la régression de ses habitats, concurrencés par l’agriculture.
Gibier de rois, des mesures furent décidées assez tôt pour sa protection, mais sans succès. Il était interdit de le tuer dans la Pologne du XVIe siècle. Des élevages furent entrepris et une tentative de réintroduction fut menée avec des bêtes d’élevage dans le Mecklembourg en 1689, puis en Saxe en 1733, sans succès.
À la fin des années 1920, les seuls bisons d’Europe encore vivants (54, dont 29 mâles et 25 femelles) ne survivaient plus que dans les zoos. En 1952, les Polonais ont réalisé la première réintroduction du bison d’Europe dans la grande forêt de Bialowieza. Cette réintroduction a été une réussite, et d’autres ont suivi dans l’est de l’Europe. On trouve aujourd’hui des bisons sauvages en Pologne, en Ukraine, en Biélorussie, en Russie, en Lituanie.
Le cas de l’aurochs.
L’aurochs, mammifère puissant (3,2 m de long, hauteur au garrot 1,90 m, poids 800 kg) appartenait à la famille des cervidés. Cet ancêtre du bovin domestique, peuplant jadis les forêts d’Eurasie, a survécu en Pologne jusqu’au XVIIe siècle. Il y était protégé depuis le XIVe siècle (le roi était seul habilité à le chasser), mais vers la moitié du XVIe siècle, le troupeau ne comptait déjà plus que cinquante spécimens. Le dernier aurochs a été abattu en 1627.
Depuis quelques années, on assiste en France à un engouement pour la race bovine issue des expériences faites par les frères Heck. Mais les informations diffusées sur le « retour » de cet animal prétendument « préhistorique » sont à plusieurs titres préoccupantes. À tel point que l’on peut se poser la question de savoir si son introduction, et son utilisation dans la gestion des milieux naturels défavorisés, ne couvrent pas une tentative de justification des manipulations génétiques, pour ne pas dire supercheries, opérées il y a quelques décennies par les nazis.
Nul n’ignore, et certainement pas les spécialistes, que la femelle morte en 1627 dans la forêt de Jakotorow en Pologne, était le dernier spécimen vivant d’aurochs. Il est toujours possible aujourd’hui de consulter les documents établis avec une grande précision par l’administration royale de l’époque, qui décrivaient périodiquement les environs de Sochaczew, et qui nous relatent l’histoire de cette disparition dans ses moindres détails.
Entre les deux guerres, Lutz Heck et son frère Heinz, deux zoologistes allemands, voulurent « régénérer » l’aurochs. Heck était convaincu que des « fragments du patrimoine génétique » d’aurochs avaient survécu, et demeuraient présents dans diverses races bovines, considérées comme primitives ou peu transformées. Comme dans un jeu de patience, il suffisait de retrouver ces « gènes primitifs » afin de les réunir en un seul animal, par une série d’hybridations entre toutes ces races primitives. Il espérait ainsi obtenir à chaque génération successive des individus qui ressembleraient davantage à l’aurochs qu’à leurs propres géniteurs. Cet animal devait, entre autres, réunir la couleur de la race corse (couleur représentée par le célèbre tableau d’Augsbourg, une peinture à l’huile datant du premier quart du XVIe siècle d’après Charles Hamilton Smith) ; la corpulence du taureau de combat espagnol ; et les cornes de la vache de Camargue. Heck fixa un modèle « d’aurochs » en déterminant les qualités à sélectionner, comme les cornes, le poids, la couleur, l’aspect de la robe, le pis de la femelle, et l’agressivité. Son objectif fantasmagorique était de remonter génétiquement le temps, et d’effacer ainsi au fur et à mesure des nouvelles hybridations, les effets de la domestication et de la sélection artificielle, pour s’approcher de plus en plus de l’aurochs. Heck utilisait comme principal matériel pour sa sélection, les races de Camargue, de Corse, les taureaux de combat d’Espagne, le bœuf des parcs anglais, plus quelques autres races, dans des proportions beaucoup moins importantes.
Au bout de quinze ans d’expérimentations, Heck déclara donc avoir réussi à sélectionner un « aurochs régénéré », c’est-à-dire un animal qui avait toutes les qualités du modèle établi au départ (l’aurochs du tableau d’Augsbourg). La sélection naturelle devait continuer et parfaire ses travaux. La phase finale de cette expérimentation se concrétisa par l’introduction de ces hybrides dans la nature,
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tout d’abord dans les forêts de Prusse-Orientale puis dans la Pologne occupée par l’armée allemande, dans la forêt de Bialowieza.
Il existe un aspect de l’expérience de Heck qu’on ne saurait occulter. Une partie importante de « la régénération de l’aurochs » a eu lieu dans l’Allemagne nazie, et la propagande hitlérienne accorda une grande importance à ces expériences. Il était d’ailleurs logique que de telles « recherches » suscitent un engouement particulier chez les dirigeants nazis. Dans ses travaux, Heck s’occupait beaucoup des questions de dégénérescence ou de pureté des races et des espèces animales. Or ces sujets justement, étaient particulièrement chers aux idéologues du IIIe Reich. Heck organisa et surveilla personnellement, assisté des SS, le pillage des collections naturalistes des pays occupés, particulièrement celles du parc national de Bialowieza. Parmi les animaux volés se trouvaient des bisons et des chevaux « konik polski », tous issus des expériences du professeur T. Vetulani.
Après la victoire des Alliés, Heck échappa comme de nombreux criminels de guerre, à la justice, en profitant du Rideau de fer. Les témoins originaires d’Europe centrale sous domination soviétique eurent l’interdiction de se rendre dans les tribunaux situés en zone américaine.
Tous ces éléments ont amené plusieurs naturalistes à la conclusion que l’animal obtenu à la suite des expériences des frères Heck, n’avait rien à voir avec l’aurochs. W. Herre, spécialiste des animaux domestiques, a démontré que « les aurochs de synthèse » ne correspondaient nullement au portrait de l’ancêtre éteint, dont ils n’avaient ni la taille ni le dimorphisme sexuel, si frappant.
Le Lynx.
La chasse et la réduction des surfaces forestières sont les principales causes de la régression de l’espèce. Mais il fut aussi piégé ou empoisonné pour sa fourrure, et à cause de sa réputation de voleur de gibier ou d’ennemi de l’Homme. Son extermination totale survint en France au XIX siècle, dans les Vosges en 1850, dans le Massif central en 1875, et dans le Jura en 1885. De nos jours, il n’est plus question de vendre des peaux de lynx, qui est considéré comme animal en voie de disparition.
Dans les Pyrénées, le lynx s’est maintenu de 1850 à 1950, et après 1960 on observa un nouveau développement de l’espèce. Il existe dans cette région une particularité qui tient au fait qu’il y a en réalité deux espèces de lynx : le lynx d’Eurasie et le lynx d’Espagne. Il semblerait que le lynx d’Espagne descende du lynx d’Eurasie, mais qu’il en diffère essentiellement par la taille ; ce qui est logique, car les espèces vivant plus au sud ont tendance à être plus petites que celles du nord. Un programme de réintroduction a vu le jour dans les années 1970. Les lynx sont capturés dans un pays où ils sont nombreux, ou viennent d’un zoo. Avant d’être relâchés dans leur nouveau domaine, ils sont vaccinés, tatoués, ensuite munis d’un collier émetteur sous anesthésie, puis ils subissent un traitement fortifiant à base de vitamines et d’huile de foie de morue. Lors du lancement de ce programme, il y eut un problème avec des animaux élevés en captivité, qui n’avaient plus peur de l’Homme. Ils rôdaient trop près des habitations et allaient même jusqu’à visiter les poulaillers ou les enclos d’animaux domestiques. En fait, ils ne savaient plus se débrouiller d’eux-mêmes ; il fallut donc les recapturer puis ne prendre que des animaux restés sauvages. Le timide retour du lynx en Belgique, le long de la frontière allemande en 2005, permet d’envisager la réintroduction de ce petit fauve discret dans les Ardennes. Quelques lynx ont déjà été réintroduits légalement dans l’Eifel allemand.
Le castor. Bebros en celte. D’où d’innombrables noms de lieux ou de rivières : Bièvre, Beuvron, Beuvray, etc. Le Castor a disparu de la plupart des régions d’Europe entre le XVIIIe siècle et la fin du XIXe siècle, à cause principalement de la chasse, qui procurait fourrure, viande, et castoréum. La modification du milieu, sous l’effet de l’intensification des cultures agricole, a pu également jouer un rôle important dans certaines régions. Au début du siècle, ne subsistaient plus que quelques isolats de populations : au sud de la Norvège, sur le cours moyen de l’Elbe en Allemagne, dans la basse vallée du Rhône en France, en Pologne, et dans quelques régions de Russie.
Le XXe siècle verra le renouveau de l’espèce. Des réintroductions de castors ont été pratiquées, d’abord dans les pays scandinaves (vers les années 1930), puis en France et en Suisse (à partir des années 1960), ensuite en Pologne (à compter des années 1970), et plus récemment aux Pays-Bas.
Le saumon. Le saumon atlantique (Salmo Salar) est un magnifique poisson migrateur, autrefois présent dans tous les grands fleuves et rivières de l’Europe de l’Ouest, depuis le nord du Portugal jusqu’au Cercle Arctique. De nos jours, il a disparu de tous ces grands fleuves justement, excepté, en France, la Loire et son affluent principal : l’Allier. Le saumon représentait une importante source de revenus, que ce soit pour les pêcheurs professionnels ou pour le tourisme lié à la pêche amateur. À la fin du XIXe, on prenait encore dans l’estuaire de la Loire 100 tonnes de saumons, soit 10 000
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saumons. Sur le Haut-Allier, avant la construction du barrage de Saint-Étienne du Vigan, les villes de Luc, Langogne, La Bastide, exportaient vers le sud 10 tonnes de saumons, soit environ 1000 poissons. Au début du XXe siècle, on venait de partout en Europe pêcher le saumon de l’Allier à Brioude, ancienne capitale européenne du saumon.
Cette disparition de l’espèce, sur l’ensemble du territoire français, a quelque chose de « remarquable ». Au début du XXe siècle, le saumon était encore si abondant dans ce pays ; que les employés des grandes villes (Paris, Bordeaux, Clermont-Ferrand, Orléans…) réclamaient, sur leurs contrats de travail, une clause précisant qu’il était interdit de leur servir du saumon plus de trois fois par semaine !
De cette civilisation ancestrale du saumon, plus rien ne subsiste, pas même dans la mémoire commune. La cause en est la destruction de l’habitat du saumon, par pollution de l’eau, envasement des frayères (manque de débit des rivières), absence ou inefficacité des échelles à poissons, due à la construction systématique de barrages ; notamment sur les bassins hydrologiques de l’Yonne, de la Loire, et de l’Allier. En dehors de quelques petits fleuves côtiers de Bretagne, et de quelques rivières des Pyrénées (gave d’Oloron, gave de Pau…) et malgré les efforts de réintroduction ; la quasi-disparition du saumon a causé la disparition d’une activité économique et civilisationnelle ayant fait vivre des centaines d’hommes ou de femmes, du néolithique à la deuxième moitié du XXe siècle.
Le lion de l’Atlas. Nettement plus gros que son cousin africain, ce lion de l’Atlas vivait principalement dans les massifs montagneux. Le dernier spécimen avait été abattu en 1922 (ou 1942 ?) au Maroc. Quelques spécimens avaient cependant pu être sauvegardés grâce à la fauverie royale d’Hassan II, et l’on trouve actuellement une cinquantaine de lions répartis dans divers zoos ; dont un peu plus de la moitié vivent dans le zoo de Témara (banlieue de Rabat).
Il est actuellement question de le réintroduire. Cette réintroduction devrait s’étaler a priori sur une dizaine d’années. Une zone protégée de 10 000 hectares a été délimitée dans une région très peu habitée, qui devra être clôturée. Il faudra y réacclimater le gibier de prédilection du grand fauve, c’est-à-dire des cerfs, mouflons, sangliers, singes et gazelles. Parallèlement, les scientifiques auront la tâche de sélectionner les géniteurs les plus purs, dans le but de démarrer un programme de reproduction en captivité. Enfin, un couple ou deux de lions seront relâchés dans la zone protégée, puis devront faire l’objet d’un suivi par les scientifiques.
L’un des buts avoués du gouvernement marocain est de profiter des retombées économiques de ce projet. Cependant, plusieurs facteurs sont à prendre en compte.
D’abord, la population locale, qui ne semble guère enthousiaste vis-à-vis du projet, la réputation de férocité du lion de l’Atlas suscitant des inquiétudes. Par ailleurs, quel sera le système mis en place pour réguler la population des fauves, surtout s’ils sont destinés à vivre sur une surface délimitée (10 000 hectares pour des grands fauves, c’est bien peu). Les naissances seront-elles contrôlées ou, à l’instar de certains parcs africains, le tir sélectif et les permis de chasse feront-ils partie des solutions proposées ?
Du côté du gibier réintroduit, quelles seront les conséquences sur son environnement ? Aucune indication n’est donnée quant au nombre de bêtes à réintroduire, et à leur impact sur l’écosystème de la réserve.
Il est certain que la disparition du lion de l’Atlas (son extinction totale est prévue dans une dizaine d’années si rien n’est fait) constituerait une tragédie supplémentaire pour la biodiversité ou la conservation des espèces ; mais les conditions de réintroduction de l’animal au Maroc ne paraissent pas idylliques. Il serait intéressant d’établir un parallèle avec les grands carnivores, l’ours et le loup en particulier, qui suscitent la même méfiance chez certains éleveurs et rencontrent les mêmes obstacles sur le terrain, en particulier en France.
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LA CHASSE ÉCOLOGIQUE OU SPORTIVE.
Nous n’avons plus besoin de chasser pour nous nourrir. Le seul but du chasseur doit être de rester un prédateur intelligent, pour éviter la prolifération catastrophique des animaux sauvages de nos forêts. Pas de « bouchers » ou de fanatiques du trophée, mais une immersion dans la nature.
Quelques goffinets se sont offusqués de notre défense de la chasse à courre et de la fauconnerie (qui osera nier que les Celtes ont toujours été de grands chasseurs devant l’Éternel ?) Si quelqu’un a déclaré un jour que la chasse à courre était une forme de chasse idéalement écologique, servie par une éthique rigoureuse, ce n’est pas un grand druide celtomane, mais… un maire de la ville de La Rochelle, Michel Crépeau.
Car la vénerie est en effet la seule chasse exclusivement écologique qui puisse être, puisqu’elle repose entièrement sur le chien, et non sur la rapidité du tir ou la qualité du fusil. Il suffit de lire les remarques admirables que Flavius Arrien a faites à propos de cet art, dans son traité de chasse. La vénerie n’est d’ailleurs pas seulement un art cynégétique, elle contribue aussi au repeuplement des forêts, puisque les équipages ne prennent que relativement peu de gibier (20 % de cerfs ; 0,5 % de sangliers ; 2 % de chevreuils : 0,002 % de lièvres) rien à côté de ce qu’ils réintroduisent (lâchers de lièvres et autres animaux de ce genre…)
Tout animal couru n’est pas nécessairement pris, soit il l’est, ce qui est loin d’être acquis d’avance, et ne souffre pas en agonisant des heures, blessé par une balle ; soit il ne l’est pas, et alors il s’en remet assez vite. 3 ou 4 heures de course n’épuisent pas mortellement un cerf. La vénerie enfin assure des débouchés importants à l’élevage des chevaux et des chiens. Les manifestations pour l’interdiction de la chasse à courre ont néanmoins un avantage, elles permettent de compter les « goffinets » ; c’est-à-dire tous ceux qui demandent la suppression de la chasse à courre sans demander en même temps l’interdiction de la chasse au fusil. Autrement dit ceux qui réfléchissent plus avec leur muscle (cardiaque) qu’avec leur tête. Hélas !
Quant à la fauconnerie, n’oublions pas qu’elle s’allie aujourd’hui à la plus parfaite des modernités, puisque les rapaces apprivoisés peuvent contribuer à débarrasser les aéroports de la multitude des oiseaux dangereux pour les avions.
La technique de la fauconnerie a plus de 4000 ans. Elle est fondée sur la patience, la confiance et la complicité réciproques. Un oiseau bien dressé répond au geste de l’homme : s’il lève le bras, même à 1000 m d’altitude, l’oiseau plane et redescend vers le sol en piqué, pour venir se poser sur le bras du dresseur. Il y reçoit évidemment sa récompense. Un aigle de 3 m d’envergure volant si haut et venant se poser sur le bras du dresseur, laisse toujours un spectateur ébahi. Ces oiseaux ont une vue de « lynx » : une souris est aperçue à un kilomètre, un pigeon à plus de quatre kilomètres ! Certains ne mangent que des cadavres, d’autres se régalent de lézards ou de petits serpents, d’autres percutent leur proie en plein vol pour les tuer par effet de choc.
On trouve les premières traces écrites sur la chasse au vol au VIIe siècle avant notre ère dans un livre japonais relatant les chasses d’un empereur chinois nommé Wen-Wang. Le monde antique grec et romain a eu connaissance de cet art sans le pratiquer (une plaque de ceinturon gallo-romain évoque la chasse au vol). Les Celtes l’ont apprise des Germains lors des grandes invasions, et ce n’est que vers le VIIe siècle que le monde arabe la découvrit.
Le haut vol (chasse utilisant principalement les faucons) était jadis réservé aux rois et à la noblesse qui le pratiquaient comme passe-temps, avec des faucons gerfauts ou pèlerins, sacres, et laniers. Le bas vol (chasse utilisant principalement les éperviers ainsi que les buses) était pratiqué par des chasseurs plus défavorisés, voire pauvres et permettait à certains d’améliorer leur maigre repas quotidien.
Les pays « jeunes », sans passé historique en matière de chasse au vol, pratiquent une fauconnerie « contemporaine » en perpétuelle évolution et ne cessent d’innover ; que ce soit dans les méthodes de dressage, d’entraînement, et d’élevage en captivité, des oiseaux, ou celles de leur utilisation à la chasse, voire dans les techniques de reproduction en captivité.
La seule chose qui compte pour l’Homme est donc, non pas de s’interdire de chasser, mais de se comporter en prédateur intelligent *.
Dans la plupart des sociétés traditionnelles, la relation Homme-Nature est ou était envisagée à travers sa dimension mythologique et religieuse, au travers de cultes, de rituels. Les éléments naturels étaient habités d’esprits ou de divinités (par exemple, divinités des arbres), d’où l’existence d’un certain respect voire d’une certaine crainte pour l’aspect sacré de la Nature. Tout citoyen doit contribuer
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personnellement aux activités de la communauté suivant ses capacités ses talents et son âge, c’est sur cette base que doivent être déterminés ses devoirs, conformément aux lois de la justice distributive.… (Morelly. Code de la Nature 1755). Aujourd’hui que le chaudron d’abondance des énergies fossiles de notre mère la terre, la bonne vieille Rose-Martha, s’est mué en un chaudron de sorcières dignes de Shakespeare (pollution, réchauffement climatique, et ainsi de suite) ; il est plus que jamais nécessaire de s’en souvenir.
La Terre n’appartient à personne, en particulier, mais ses fruits appartiennent à tout le monde (Sylvain Maréchal) « à l’exception des choses dont on fait un usage actuel, soit pour ses besoins, ses plaisirs ou son travail journalier » (Morelly toujours).
Ce qui est certain, c’est que la Terre est un Tout, plus grand que la somme de ses parties, que la vie des êtres vivants influe sur la vie de notre planète ; et que les humains sont aujourd’hui une espèce clé dans ce processus. Les climatologues ont démontré la réalité d’un réchauffement climatique dû aux activités humaines. Ce changement risque d’aboutir d’ici trente ans à une diminution des ressources alimentaires et forestières dans la zone actuellement tempérée. La submersion de certaines zones côtières et même de pays entiers (les Maldives par exemple) apparaît probable, si rien n’est fait pour réduire les émissions de CO2 (combustion du charbon, du pétrole, du bois, etc.) et d’autres molécules gazeuses à effet de serre.
Les druidisants doivent donc chercher à empêcher les modifications climatiques catastrophiques ou préjudiciables, les extinctions d’espèces animales, la destruction des forêts anciennes… bref, ils doivent œuvrer pour restaurer l’équilibre de notre planète.
Rose-Martha, en bonne terre-mère qu’elle est, a toujours récompensé ceux qui prennent soin d’elle, de ses forêts, de ses cours d’eau et de ses créatures vivantes. Notamment en offrant de bonnes récoltes et des réserves giboyeuses. Mais, si l’on continue à la maltraiter, à détruire ses forêts, à tuer ses enfants, ou si l’on continue à polluer ses rivières et ses lacs, alors elle se vengera.
Mais voilà, il est plus simple et plus rentable (on joue sur la sensiblerie) de manifester contre la chasse à courre d’Arrien, ou contre le nucléaire ; que de manifester contre les véritables vouivres anguipèdes gigantesques (andernas sur le Continent, fomore en Irlande) de notre époque, le monstre automobile, qui est pourtant le problème nº 1. Il met en jeu les constructeurs, les automobilistes et les autres.
Le coût médical est catastrophique : des milliers de morts, de handicapés physiques. Les citadins à demi gazés. Coût pour la collectivité : 120 milliards par an. En outre, cette vouivre anguipède géante gaspille la matière première, presse la main-d’œuvre immigrée ou délocalisée comme un citron ; (il est vrai que c’est ce que veulent ceux qui se disent démocrates, ou libéraux, ou de gauche apparemment, ils appellent ça « s’enrichir de nos différences ») ; sans pour autant créer des emplois. Tout est conçu en fonction de ce César sans gêne et mal élevé. L’urbanisme et l’urbanité en crèvent.
Quelques pistes, au hasard.
– Développement qualitatif et quantitatif des transports en commun et de l’usage des bicyclettes.
– Développement de la multiutilisation et de la multipropriété de la voiture (taxi collectif, minibus, etc.)
– Multiplication des moyens de transport (rivières, canaux, cabotages, et autres).
– Diversification de l’offre de transport.
Quant au sport… on est loin aujourd’hui de la chasse au sanglier, à pied, tout nu dans la neige, avec pour seule arme un épieu. Ce qui suit est surtout issu des réflexions d’un historien du sport sur la situation de la France à cet égard*, mais certains de ses enseignements (pas tous) peuvent plus ou moins concerner les autres pays. Par contre bien entendu cela ne concerne nullement le sport vraiment amateur *.
* Il suffit de se plonger dans l'histoire des Coupes du monde pour en extraire la longue infamie politique e de la stratégie d'aliénation planétaire. Les hélicoptères, les milliers de policiers ou de militaires, ne sont là que pour contrôler, parquer la misère et protéger le luxe, pour permettre aux passionnés de football de « vibrer ». La mobilisation de masse des esprits autour des équipes nationales induit la mise en place d'une hystérie collective obligatoire. Tout cela relève d'une diversion politique évidente, d'un contrôle idéologique d'une population. Le panem et circenses des Romains. Les jeux du Cirque et les courses de chars à Byzance sous l’œil de Barbares…
Pourtant, les Français sont assez critiques avec leur équipe nationale. Pour que le désamour des Français à l'égard des équipes de mercenaires millionnaires évolue en véritable prise de conscience, je souhaite que l'équipe de France n’aille pas au-delà du premier match de barrage. Leur manière de jouer si mal tout en étalant de manière indécente un rythme de vie particulièrement nauséabond est la preuve d'une morgue terrible vis-à-vis des principes éthiques et moraux élémentaires.
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Malheureusement, chaque victoire de l'équipe de France fait reculer de milliers de kilomètres la pensée critique sur le sujet, dans ce pays.
Comment appréhendez-vous alors le succès français en 1998 analysé et célébré par de nombreux intellectuels comme un événement positif dépassant le simple cadre sportif ?
La victoire de l'équipe de France a généré une défaite de la pensée. De nombreux intellectuels ont choisi de descendre dans les vestiaires au lieu de s'emparer de domaines sociopolitiques d'importance. Ils mettent en œuvre une pensée caricaturale qui consiste à constater amèrement les dérives du sport, mais à noyer le tout dans un discours idéaliste sur les « valeurs positives » du sport. Ce sont eux qui légitiment à présent l'horreur sportive généralisée : violences, dopage, magouilles, crétinisme des aficionados, etc.
Une grande partie de ceux qui défendent le sport et le football les dédouane en leur conférant le simple effet miroir d'une société violente. Or le football est également producteur de violences sociales, générateur de violences nouvelles. Il impose un modèle de darwinisme social. Cela tient à sa structure même : le football est organisé en une logique de compétition et d'affrontement. Faire jouer ce spectacle par des acteurs surpayés devant des smicards et des chômeurs est aussi une forme de violence. Une logique contradictoire se fait d'ailleurs jour. D'un côté, les supporteurs ont conscience du fait que les sportifs gagnent des sommes folles par rapport au néant qu'ils produisent, mais d’un autre côté, il leur est impossible de ne pas « rêver » devant cette marchandise vivante qui démontre que l'on peut se hisser au sommet de l'échelle.
Le football exacerbe les tensions nationalistes et suscite des émotions patriotiques d'un vulgaire et d'une absurdité éclatants. Le sport provoque une forme de violence différente, moins évidente qu'une bombe, mais ne participe nullement à un recul de la violence. Il y a de multiples coups d'épingle à la place d'un grand coup d'épée.
Il paraît incroyable que cela soit des multinationales privées qui décident de ce qu'un État doit mettre en œuvre en matière de politique économique. Le sport est indéniablement politique. À ce titre, il génère des valeurs politiques. Il est intéressant d'essayer de savoir si ces valeurs sont républicaines ou royalistes, démocrates ou aristocratiques, de droite ou de gauche.
N.B.A propos des intellectuels français (quand un sage montre la lune du doigt, un intellectuel français regarde le doigt) voir le reste de ces quelques notes.
* Fabien Ollier est directeur de la revue « Quel sport » ? Il a publié un grand nombre d'ouvrages participant de la critique radicale du sport dont notamment l'Intégrisme du football en 2002, Le Livre noir des Jeux olympiques de Pékin en 2008.
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LE JARDINAGE.
Le plan de Saint-Gall organise le jardin en espaces thématiques et ordonnés, tradition probablement héritée de l'organisation rationnelle des cultures décrite par Varron (Marcus Terentius Varro, – 116 – 27 avant notre ère) dans son « De rustica », et influencée par les Perses ; notamment par leurs fameux jardins en damiers, inspirés des échiquiers.
Arrivés à ce point de notre exposé, certains de nos lecteurs s’exclameront alors, « que viennent faire ici les Perses et les Romains ?
Rappelons donc !
Primo que notre néo-druidisme n’est en aucune façon racialiste, ou obsédé par les questions raciales.
Secundo que ces jardins en damiers, à la fois rationnels et géométriques, seront la norme de tous les jardins du Moyen-âge jusqu’au quinzième siècle (et souvent plus tardivement), qu’ils soient laïques ou religieux.
Le tout est clos par une palissade de bois, ou un muret de pierres.
Le potager en principe est généralement plus grand que le jardin médicinal, ou jardin des simples, mais il est organisé de la même façon, en parterres réguliers appelés planches, en carrés, surélevés, délimités.
C’est Albert le Grand (1193 – 1280) qui préconisa la disposition par carrés des parterres consacrés aux simples, aux plantes alimentaires, et aux fleurs odoriférantes.
Quel que soit le matériau dont il était bordé, le carré le plus souvent était bordé de passages, probablement de façon à faciliter le drainage et l’irrigation.
La forme en damier donnée aux parterres n’est pas un hasard : par leur réverbération, ils réchauffent la terre beaucoup plus vite, et l’hiver, ils protègent une grande partie des racines ; ils maintiennent aussi une plus grande humidité, ce qui favorise la croissance des plantes et leur précocité.
Par contre, la largeur de chaque carré doit permettre de travailler tout autour sans empiéter dessus. En conséquence, on calcule (la moitié de) sa largeur en rapport avec la longueur moyenne d’un bras. On établit les mesures avec une corde. Cette pratique fut probablement inspirée par Columelle, qui précise qu’ainsi, celui qui désherbe ne sera pas forcé de marcher sur les jeunes pousses, mais pourra en revanche avancer dans les allées ou désherber une moitié des carrés de l’allée, puis l’autre.
Au centre, il doit y avoir un puits ou une fontaine, qui sert de point d’eau pour l’arrosage. Un jardin requiert près de six heures de travail minimum par semaine, aux saisons printemps, été : semis, désherbage, arrosage, binage, entretien courant, récolte, floraison. Un budget conséquent est nécessaire chaque année culturale : achats de semis ou de plants, traitement. Mais le jardinier peut diminuer ce budget, en produisant lui-même ses graines, semis et traitements (à base d’orties par exemple) et en faisant lui-même manuellement le plus de travail possible.
Le jardin potager type est un jardinet ou une partie de jardin, où se pratique la culture vivrière. Il a donc essentiellement une fonction utilitaire, mais ce type de jardinage est aussi un passe-temps agréable, et parfois une passion.
Il y a plusieurs carrés dans le jardin en fonction du type de plantes que l’on y fait pousser. Le potager, où « poussent les légumes à cuire au pot » (c’est-à-dire ceux que l’on cuisine). On y trouve principalement aujourd’hui les plantes suivantes. Des choux, des cardons, des cornichons et des concombres, des fraisiers, des pommes de terre * des carottes, de l’ail et des oignons *, des salades (laitue * et chicorée), des plants de tomates *, des poireaux, des petits pois, des haricots rouges verts ou blancs, des fèves, des artichauts *, des radis, des choux-fleurs, des melons *, des échalotes * ; ainsi que des condiments et des aromates ou fines herbes (plantes utilisées pour parfumer les plats) comme la ciboulette.
Le carré des plantes médicinales. On trouve parmi les plus connues : la sauge, la menthe, l’absinthe…
En plus de tout cela, on trouvait souvent un verger où poussaient plusieurs sortes d’arbres fruitiers (pommiers, pruniers…)
Les fleurs. Les plus représentées sont les violettes, les roses, les lys, l’iris, la marguerite…
Etc. Etc. Il y a aussi les variétés sauvages de toutes ces plantes, merisier, églantine, et ainsi de suite…mais ceci est une autre histoire.
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AGRICULTURE AMISH OU BIOLOGIQUE ? CLOSERIE POUR CE QUI EST DE LA PROPRIÉTÉ DES TERRES ?
Les amish sont une communauté religieuse chrétienne d’Amérique du Nord ayant fait le choix délibéré en ce qui concerne la civilisation matérielle d’en rester au niveau du 19e siècle.
À strictement parler, la seule agriculture « naturelle » est la chasse et la cueillette. Faire pousser des récoltes est déjà un changement de civilisation qui requiert de la connaissance et un effort constant. Rappelons à cet égard que nos ancêtres étaient d’excellents agriculteurs, et que d’après Pline ils avaient inventé des procédés naturels de fertilisation des sols (en utilisant de la marne = chaulage) et avaient même inventé la charrue (un araire monté sur roue) et la moissonneuse (en latin vallus), sans oublier la faux le tonneau, etc. bref tout ce que les paysans ont utilisé avant la révolution industrielle.
Quant à l’agriculture totalement naturelle voire « sauvage » ou permaculture, voici ce que l’on peut en dire d’après l’œuvre du scientifique japonais Fukuoka Masanobu (la révolution d’un seul brin de paille).
L’agriculture biologique assume la production d’aliments avec des méthodes de culture respectueuses de l’environnement, par exemple en excluant l’utilisation des pesticides et des engrais chimiques de synthèse.
L’agriculture biologique est un système de production agricole ; fondé sur la gestion rationnelle du sol, dans le respect des cycles biologiques et de l’environnement, tenant compte des connaissances en écologie ; pour une production de qualité, plus autonome, plus économe et non polluante.
L’agriculture biologique est fondée sur l’observation et les lois de la vie ; et consiste à nourrir non pas directement les plantes avec des engrais solubles, mais les êtres vivants du sol qui élaborent et fournissent aux plantes tous les éléments dont elles ont besoin.
Le fondement théorique de l’agriculture biologique est lié à la notion de fluide vital (il s’agit de ne pas polluer ni amoindrir ce fluide en lui incorporant des éléments artificiels) ; à la notion de système (il ne faut pas nourrir directement la plante seulement, mais gérer tout le système air-eau-sol-plantes-animaux sans le forcer) ; ainsi que de respect de ses éléments (nourrir une vache avec de l’herbe, et non avec des concentrés contenant des sous-produits animaux). Pour cette raison, la culture biologique n’utilise pas de produits de synthèse pour lutter contre les ravageurs et les maladies (pesticides, insecticides, fongicides…) ni d’engrais chimiques…
Le docteur Fukuoka Masanobu a développé au Japon (près d’un petit village de l’île de Shikoku, dans le Sud) une méthode d’agriculture naturelle révolutionnaire ne nécessitant ni machines, ni produits chimiques, et très peu de désherbage. Masanobu Fukuoka n’a jamais labouré la terre de ses champs , et cependant leur rendement a pu être comparé à ceux des fermes japonaises les plus productives. Sa méthode agricole demande moins de travail qu’aucune autre méthode. Elle ne suscite aucune pollution et ne nécessite pas d’énergie fossile.
À strictement parler, la seule agriculture « sauvage » est la chasse et la cueillette avons-nous dit. La différence fondamentale est que Masanobu Fukuoka cultivait ses jardins en coopérant avec la nature, plutôt qu’en essayant de « l’améliorer » de façon artificielle.
Il a consigné toute son expérience dans une œuvre majeure intitulée « la révolution d’un seul brin de paille » publiée en 1975.
Son premier principe est de ne pas cultiver, c’est-à-dire de ne pas labourer ou retourner la terre. Pendant des siècles, les agriculteurs ont tenu pour acquis que la charrue était essentielle, afin de faire venir des récoltes. Cependant, ne pas cultiver la terre est le fondement même de l’agriculture sauvage. La terre se cultive elle-même, naturellement, par la pénétration des racines des plantes, et l’activité des micro-organismes, des petits animaux ou des vers de terre.
Le second principe de cette expérience est de ne pas utiliser de fertilisant chimique ou de compost préparé. Pour fertiliser, Masanobu Fukuoka faisait pousser une légumineuse en couverture du sol, le trèfle blanc, remettait la paille battue sur les champs, et ajoutait un peu de fumier de volaille. Laissé à lui-même, le sol entretient naturellement sa fertilité, en accord avec le cycle ordonné de la vie des plantes et des animaux.
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Son troisième principe est de ne pas désherber. Les mauvaises herbes jouent leur rôle dans la fertilité du sol et l’équilibre de la communauté biologique. Les mauvaises herbes doivent être contrôlées, non éliminées.
Le quatrième grand principe de Masanobu Fukuoka était le refus d’utiliser des produits chimiques. Fukuoka fait pousser ses récoltes de céréales sans produit chimique d’aucune sorte. Sa conception de la lutte contre les maladies et les insectes est de faire pousser des récoltes vigoureuses dans un environnement sain.
Ces grands principes sont pour le moins révolutionnaires. Fukuoka Manasobu a expérimenté ces techniques pendant près d’un demi-siècle. Au bout de plusieurs dizaines d’années d’efforts, il avait réussi à obtenir une variété de riz devenue très robuste à force de sélections naturelles, et il obtenait des rendements identiques à ceux de la riziculture classique au Japon. Mais à la fin des années quatre-vingt, l’armée a saisi et détruit l’intégralité de sa récolte ainsi que ses semences.
La permaculture ou culture totalement naturelle d’après Masanobu Fukuoka est fondée sur trois principes éthiques.
Prendre soin de la Terre.
Prendre soin des hommes.
Limiter la consommation/redistribuer les surplus.
La permaculture, ou quelque chose s’en approchant, a été pratiquée par nos ancêtres pendant des millénaires, voir le soin avec lequel on exploitait les forêts au Moyen-âge.
Au nord de la Tanzanie, le peuple de Chagga, ainsi que les habitants du plateau de Kandy au Sri Lanka, ont par exemple cultivé des jardins qui étaient en fait des versions à peine modifiées de la végétation forestière naturelle. Ces copies de forêt naturelle permettent à ceux qui les entretiennent de s’alimenter (céréales, fruits, légumes), de s’habiller (fibres naturelles), de se soigner (plantes médicinales) et de se chauffer (au bois).
Idée ! « On pourrait changer la presqu’île de Gennevilliers à Paris en une magnifique forêt en y plantant des plantes et des arbres avides d’engrais, qui soient aromatiques et d’agrément ».
De quel célèbre écologiste de notre temps est ce projet ?? Il s’agit d’Henri Lizeray dans son célèbre livre Ogmios ou Orphée.
Certains écologistes d’aujourd’hui pensent même qu’il faudrait appliquer ce principe aux villes et développer toutes sortes de cultures de type jardins suspendus, y compris sur des terrasses ; ce qui aurait en outre pour résultat de contribuer à l’amélioration de la qualité de l’air.
Un peu donc comme dans le cas des jardins de Babylone (une des sept merveilles du monde). Ces jardins étaient composés de plusieurs étages en terrasses, soutenus par des voûtes et des piliers de brique. Un immense escalier de marbre reliait ces terrasses, où l’eau, par des vis hydrauliques, était amenée depuis l’Euphrate. C’était un véritable jardin botanique où l’on cultivait les plantes et les arbres de Mésopotamie, et ceux des montagnes de Médie.
DAVID HOLMGREN.
La permaculture est une méthode pour créer des environnements humains durables, en harmonie avec la nature, et dotés de bonnes liaisons entre ses différents éléments (maison, propriété, village).
Elle vise à créer un système nourricier diversifié, stable, proche des écosystèmes naturels dont la diversité semble être le meilleur atout contre les maladies, intégrant plantes pérennes, arbres fruitiers, animaux.
Les 12 principes développés par David Holmgren en ce domaine.
Observer puis interagir.
Récupérer, emmagasiner puis recycler les énergies.
Obtenir une production.
Appliquer l’autorégulation et accepter les rétroactions.
Utiliser ou mettre en valeur les ressources et services renouvelables.
Ne pas produire de déchet.
Concevoir de la structure aux détails.
Intégrer plutôt que séparer.
Des solutions petites et lentes.
Utiliser ou mettre en valeur la biodiversité.
Utiliser les frontières (exemple lisières) et mettre en valeur le marginal.
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Utiliser ou répondre aux changements avec créativité.
Mais aussi.
Concevoir les positions relatives des éléments de l’écosystème (faune, flore, énergie, etc.).
Chaque élément a des fonctions multiples (exemple coupe-vent, fourrage, aliment, support de plante grimpante, engrais naturel, etc.).
Chaque besoin est satisfait par des sources multiples.
Concevoir l’implantation des éléments du système en fonction de la fréquence d’usage, des microclimats, etc.
Utiliser les ressources biologiques.
Empiler verticalement les composants de l’écosystème (exemple, arbres plus ou moins grands, buissons, herbes, racines, plantes grimpantes).
Anticiper ou concevoir les successions naturelles des espèces dans le temps.
Autres caractéristiques de la permaculture.
Couvrir les sols avec des déchets végétaux afin de garder l’humidité, protéger des mauvaises herbes, apporter de l’engrais…
Rôle des arbres et des essences pérennes (noix, fruits, etc.).
Faible densité de forêts pour développer les étages plus bas.
Création de lisières et de haies (diversité des espèces présentes et meilleure productivité).
Implantation de microclimats (par des coupe-vent, des étangs, la topographie, les ombres…)
Importance de l’apiculture et des animaux de ferme.
Planification de parcours pour les animaux (afin qu’ils se nourrissent et déposent leurs engrais tout seuls).
L’agriculture biologique est en plein développement et comprend tout un éventail de techniques allant de l’agriculture biologique intensive à des pratiques agricoles fondées sur une vision plus sensible de la nature ; comme l’agriculture biodynamique qui prend en compte le cycle des saisons, le cycle lunaire et des planètes de façon très précise ; afin d’augmenter le rendement des cultures et de permettre leur développement de manière naturelle et plus efficace.
L’agriculture biologique, si elle est soutenue par une volonté politique, peut ce qui suit.
– Contribuer à la sécurité alimentaire, y compris celle des pays riches également menacés par la crise des énergies fossiles, le réchauffement climatique et certaines faiblesses de la chaîne alimentaire.
–Réduire les impacts de nouveaux problèmes (dont le réchauffement climatique, grâce à une fixation améliorée du carbone et une meilleure résilience).
– Renforcer la sécurité hydrique (qualité de l’eau, moindres besoins en irrigation, restauration humique du sol, rendements meilleurs en cas de stress hydrique dû aux aléas climatiques).
– Protéger l’agro-bio-diversité, en garantir un usage durable.
– Renforcer l’autosuffisance alimentaire (diversification accrue des aliments biologiques plus riches en micronutriments).
– Stimuler le développement rural (dans des zones où le seul choix est la main-d’œuvre, grâce aux ressources et savoirs locaux).
Agriculture biologique et agriculture conventionnelle.
L’opposition entre ces deux types d’agriculture n’est pas aussi radicale qu’il peut paraître à première vue. D’une part, le cahier des charges de l’agriculture biologique préconise un certain nombre de mesures de gestion, qui peuvent s’appliquer en agriculture classique ; par exemple la rotation des cultures, ou le délai minimal d’abattage des animaux, qui s’imposent aussi pour certaines reconnaissances de qualité.
D’autre part, l’interdiction de produits chimiques (les cahiers des charges les définissent précisément) n’est pas totale en agriculture bio, elle est seulement plus restrictive. Les pyrèthres naturels et la roténone, deux insecticides naturels tirés de végétaux sont autorisés. Ils ont une biodégradabilité rapide et, s’agissant des pyrèthres, sont moins nocifs qu’un grand nombre d’insecticides issus de la chimie de synthèse. L’usage de la roténone est néanmoins contesté, d’abord à cause de son très large spectre, et enfin suite à la découverte du fait qu’elle provoque la maladie de Parkinson chez les rats.
Les agriculteurs bio préfèrent maintenir les équilibres de la faune auxiliaire en favorisant la faune utile et les prédateurs naturels, plutôt qu’éliminer indistinctement toute activité animale, même si l’usage autorisé de roténone n’est pas très sélectif.
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L’agriculture biologique a aussi permis de maintenir ou de développer de nombreuses technologies et techniques innovantes dont la plupart se diffusent lentement dans l’agriculture intensive, et qui possèdent des avantages non négligeables.
– Elle supprime la plupart des nuisances liées aux pesticides que ce soit pour les nappes phréatiques ou les eaux de surface, la faune et l’homme.
– En relocalisant les productions, elle revitalise le tissu socio-économique local, crée des emplois, évite des flux de marchandises facteurs d’effet de serre, et diminue les infrastructures d’extraction de matières premières, infrastructures extrêmement polluantes en général. Le problème est que les antiracistes sont contre ces relocalisations.
– Elle utilise beaucoup moins de matériaux issus de la pétrochimie, et donc tend, de ce point de vue, à retarder le pic pétrolier ; en revanche, elle est davantage consommatrice d’énergie fossile pour la réalisation des travaux mécaniques qui remplace l’utilisation de produits chimiques.
– Elle est très favorable à la biodiversité.
– Elle augmente le nombre d’actifs par unité de surface et permet de diminuer l’exode rural en améliorant la viabilité à long terme des exploitations et l’image des paysans.
– Son rôle en matière d’érosion est ambivalent, d’une part avec l’utilisation de cultures fixatrices d’azote qui occupent le sol, comme la luzerne, elle freine cette dernière ; en revanche, l’utilisation quasi obligatoire du labour pour lutter contre de nombreux bio-agresseurs dont les plantes adventices, l’augmente.
Nombreuses sont les collectivités territoriales à favoriser activement l’agriculture biologique afin de faire de grosses économies et d’améliorer la santé des populations, telle que la ville de Munich depuis 1991 pour protéger les ressources en eau.
L’agriculture biologique étant globalement 30 à 50 % moins productive que l’agriculture conventionnelle, pourrait-elle remplacer celle-ci et nourrir la population mondiale ?
Si l’on supprime le gaspillage actuel (près de la moitié de la nourriture produite finit à la poubelle) ; et que l’on accepte un régime un peu moins riche en viandes (l’alimentation du bétail requiert une surface agricole très importante, surface qui serait utilisée pour l’alimentation humaine si la demande en viande diminuait) ; tout en tenant compte du fait que les pays les moins productifs pourraient bénéficier du surplus des autres ; la généralisation de l’agriculture biologique serait alors largement possible.
Un tel bouleversement agricole serait avantageux économiquement (dépense énergétique nettement moindre, secteur plus rentable, moins de dépenses liées aux traitements des pollutions, moins de dépenses pour la santé), créateur d’emplois, sain et donc écologique. Cela supposerait des méthodes dérivées du maraîchage (microagriculture bio-intensive par exemple). L’agriculture biologique, de par ses contraintes, implique un système économique de proximité, alors que l’agriculture conventionnelle a été développée pour une diffusion très large, aussi bien en ce qui concerne la commercialisation qu’au niveau des intrants (fourniture pour l’agriculteur).
La question : « L’agriculture biologique peut-elle nourrir la planète ? » est une fausse question dans la mesure où nourrir la planète dépend plus de la politique et de l’économie que de n’importe quelle innovation technique (qui ne demande qu’à se perfectionner). Question complexe qui pose déjà le problème de la redistribution des excédents alimentaires, des véritables coûts internes et externes (et donc des indices) des différents types d’agriculture. Dans l’attente de politiques plus réalistes en la matière, l’agriculture biologique continue donc son chemin laborieux vers plus de santé, de bien-être et d’espoir pour l’avenir de notre planète. Enjeu majeur, notre façon d’exploiter la terre n’a jamais été autant sujette à polémique (surtout quand on parle d’argent) ; mais il est de la responsabilité de chacun de défendre le bien commun et non de se cantonner à un acte unilatéral de consommation irresponsable.
N.B LE MODE DE VIE AMISH.
Des activités physiques soutenues au quotidien, comme travailler manuellement, bouger, marcher beaucoup, peuvent aider à prévenir l’obésité.
Des recherches récentes ont montré que la communauté des amish 1) a un taux d’obésité de seulement 4 %, et cela malgré un régime alimentaire à base de viande, de pommes de terre, de sauces, d’œufs, de gâteaux et de tartes. Leur secret : des activités physiques vigoureuses, sous forme de travail dans les champs et à la ferme, et de la marche, beaucoup de marche.
L’étude a consisté à mesurer le nombre de pas de 98 adultes amish, équipés d’un podomètre, au cours de leurs déplacements quotidiens. Il apparaît que les hommes font 18 425 pas par jour, et les femmes, 14 196. Un homme avait même marché 51 000 pas en un seul jour, en labourant son champ
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avec un attelage de chevaux ! En comparaison, les études similaires menées au Canada et aux États-Unis donnent une moyenne de 2 000 à 3 000 pas par adulte.
On a aussi calculé le temps consacré hebdomadairement aux activités physiques. Ainsi, les hommes font, chaque semaine, 10 heures d’activités physiques vigoureuses (soulever des bottes de foin, bêcher, creuser, ou labourer), 43 heures d’activités modérées (jardiner, nourrir les animaux) et 12 heures de marche ; les femmes font 3 heures et demie d’activités physiques intenses, 39 heures d’activités physiques modérées ainsi que 6 heures de marche.
1) Mennonites expulsés du royaume de France en 1712, car ils n’appartenaient à aucune des trois religions mentionnées dans le traité de paix signé à Westphalie (1648) à la fin de la guerre de Trente Ans. Cette décision du roi Louis XIV porta un coup sensible aux amish et aux mennonites qui souffraient encore de persécutions socio-économiques. Un petit nombre d’entre eux émigra en Lorraine, qui n’était pas encore française, une autre partie rejoignit la principauté de Montbéliard qui était dans le même cas. Un nombre relativement important d’amish et de mennonites émigra aussi en Pennsylvanie, où la première communauté amish fut établie en 1737.
Réponse à un courrier des lecteurs sur la philosophie amish.
Nous n’avons jamais dit que tout le monde devait devenir amish. Nous n’avons jamais dit que les amish avaient toujours et à 100 % raison. Nous n’avons jamais dit qu’il fallait renoncer à tout progrès technologique. Ce que nous disons seulement, c’est qu’il faut essayer de privilégier les technologies légères au détriment des technologies lourdes, et qu’il faut cesser de détruire la planète. Ordinateur oui (mais avec modération) voiture automobile individuelle non ! Le rêve en réalité ce serait le mariage de la fine fleur du progrès technique et du mode de vie amish. À nous d’inventer les règles de ce mariage, et de le rendre fécond. Cela est possible, car comme le disait si bien le sculpteur Horatio Greenough en substance (citation de mémoire) ; « Si l’excès en tout est raboté, le superflu supprimé, le nécessaire même, réduit à sa plus simple expression, nous nous apercevrons alors, quelle que soit l’organisation, que la beauté nous attendait ».
Au sein des communautés amish, le rendement se mesure à l’aune de ce que peut produire un cheval au cours d’une journée. Malgré la fée que l’on appelle « électricité », rien ne remplacera jamais dans le travail l’union sacrée de l’homme et du cheval.
Certes, on peut sourire de les voir se déplacer dans leurs carrioles, si incongrues dans le flot des voitures modernes. Mais, si l’on réfléchit cinq minutes, au vu des embouteillages, ils circulent aussi vite que « l’homme moderne » ! En outre, ils polluent moins ! L’odeur du crottin est certes plus « précise » que celle de l’oxyde de carbone, mais elle est sûrement moins néfaste à l’environnement et à la santé !
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ARCHITECTURE ET CONSTRUCTION.
« Sa maison étant située au milieu des bois (comme le sont généralement celles des Celtes qui, pour éviter la chaleur, cherchent le voisinage des forêts et des fleuves) Ambiorix put s’échapper… » (César. B. G. VI, 30).
On a beaucoup exagéré la précarité de l’habitat villageois primitif. On a voulu voir, dans les « mardelles », les seuls témoignages qui pouvaient en subsister. Ces dépressions circulaires peuvent bien être, évidemment, les vestiges des huttes arrondies de l’âge primitif. Mais en réalité, l’habitation villageoise fut, dès les origines, une œuvre susceptible de toutes les variations qui correspondent à une adaptation au climat et surtout au sol. Et le type d’habitat réalisait, selon les lieux, et peut-être même selon les circonstances, toute la diversité possible du plan et des matériaux. Les maisons de type rectangulaire du village néolithique de Grossgartach, en Wurtemberg, témoignent que ces habitations anciennes pouvaient avoir, à l’occasion, spacieuse ampleur et aussi élégance de décor. À la même époque, au néolithique, existait déjà en Pologne la maison ruthène d’aujourd’hui, avec ses murs en pisé, ainsi que sa pièce unique où était installé un vaste poêle en terre cuite (aujourd’hui en faïence). À l’âge du bronze, les habitations de l’Allemagne centrale semblent toutes du type rectangulaire. Et c’est la même disposition d’habitat que, dès le quatrième millénaire avant notre ère, les gens des steppes de la Russie méridionale apportèrent dans la Grèce préhistorique.
À l’âge du fer les bâtisseurs des régions septentrionales emploient les mêmes matériaux qu’aux époques précédentes : le bois, le chaume, et le torchis, qui sont des matériaux périssables.
À la base, les techniques de construction demeurent également identiques. Des poteaux de bois sont érigés verticalement et calés dans des trous creusés dans le sol. Ils sont reliés entre eux dans leur partie haute par des poutres sur lesquelles viennent se poser les chevrons du toit.
Les parois sont constituées d’un clayonnage de baguettes souples que vient recouvrir un mélange de boue et de paille hachée, le torchis. Les toitures, qu’elles soient donc à deux, quatre ou même trois pans, sont couvertes de paille ou de roseau. C’est leur forte pente et l’épaisseur du chaume qui garantissent une bonne étanchéité.
La construction une fois terminée, l’entrée sera protégée par un auvent. La toiture descend très bas et protège les murs recouverts de torchis. Une ouverture au sommet de la maison permet la ventilation de l’espace intérieur.
ET AUJOURD’HUI ???
Le secteur de la construction est le secteur industriel qui mobilise le plus de ressources (matières et énergies).
Nous passons 80 % de notre temps à l’intérieur d’un bâtiment, d’où l’importance des ambiances visuelles et acoustiques ainsi que de la qualité de l’air.
L'Agence internationale de l'énergie a publié un rapport estimant que les bâtiments existants sont responsables de plus de 40% de la consommation totale de l'énergie primaire du monde et de 24% des émissions globales de dioxyde de carbone.
L’architecture écologique (construction verte ou durable) utilise des méthodes de construction respectueuses de l’environnement et économes en ressources : tant pour ce qui est du choix de l’emplacement que de la construction, de l'exploitation, de l'entretien, de la rénovation, ou de la démolition. En d'autres termes, cette architecture implique de trouver un juste équilibre entre construction de maisons et respect de l’environnement. Ceci nécessite une étroite coopération entre les concepteurs, les architectes, les ingénieurs, et le client à tous les stades du projet.
Bien que de nouvelles technologies soient constamment développées pour compléter les pratiques en vigueur en construisant des bâtiments plus écologiques, l'objectif commun reste de réduire l'impact global sur la santé humaine et l’environnement naturel par :
Une utilisation efficace de l'énergie, de l'eau, et des autres ressources
Une meilleure protection de la santé des occupants et une amélioration de la productivité des employés
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Une diminution des déchets, de la pollution et de la dégradation de l’environnement
Une notion similaire est celle de construction naturelle, habituellement réservée à de plus petites constructions centrées sur l'utilisation des matériaux naturels localement disponibles.
La Durabilité peut être définie comme le fait de répondre aux besoins des générations actuelles sans compromettre les possibilités des générations futures en ce domaine.
Les principes de la « construction verte » peuvent s’appliquer tant à la rénovation de bâtiments anciens qu’à la construction de nouveaux bâtiments.
Les pratiques en matière de bâtiment « vert » visent à réduire l'impact du bâtiment sur l'environnement.
Première règle.
Puisque la construction dégrade presque toujours le site construit, ne rien construire du tout est évidemment préférable à une construction même « verte » pour ce qui est de la réduction de l'impact sur l'environnement.
Règle numéro 2 pour le cas où l’on ne pourrait respecter la première.
La deuxième règle est que chaque bâtiment devrait être aussi petit comme possible.
La troisième règle est de ne pas contribuer à l’accroissement des zones urbaines, même si les méthodes les plus économes en énergie, et sans danger pour l’environnement, sont utilisées dans la conception et la construction.
Cette approche intègre le cycle de vie du bâtiment à toutes les méthodes utilisées en vue de créer une synergie entre elles.
Ce type d’architecture recourt à une vaste gamme de méthodes, de techniques, et de compétence afin de réduire voire éliminer l’impact des constructions sur l'environnement et la santé des personnes. Il met l’accent sur l’utilisation optimum des ressources en énergie renouvelable, par exemple la lumière du soleil grâce à des panneaux photovoltaïques, en utilisant des plantes ou des arbres pour constituer des toits végétaux, et en récupérant l’eau de pluie.
Il existe beaucoup d'autres techniques, comme l’utilisation de matériaux de construction à faible impact sur l’environnement, de béton perméable au lieu de béton classique ou d'asphalte pour ne pas nuire aux nappes phréatiques.
Les pratiques ou les technologies utilisées dans la construction écologique évoluent constamment et peuvent varier d’une région à l’autre, mais les principes fondamentaux persistent : choix de l’emplacement et efficacité de la conception des structures, rendement énergétique, utilisation optimum de l'eau, efficacité des matériaux, amélioration de la qualité environnementale intérieure, optimisation du fonctionnement et de l’entretien, réduction des déchets et des toxiques.
L'essence même de la construction écologique c’est d’optimiser un ou plusieurs de ces principes. En outre, par effet de synergie les différentes technologies peuvent avoir un effet cumulatif.
Sur le plan esthétique, la philosophie de l’architecture « verte » est de concevoir des bâtiments qui soient en harmonie avec les caractéristiques et les ressources naturelles entourant le site.
Il existe plusieurs étapes capitales dans la conception de bâtiments durables : choisir des matériaux de construction locaux, réduire les charges, optimiser les systèmes, et avoir de l'énergie renouvelable sur place.
Une bonne évaluation de la durée de vie (du bâtiment) peut éviter d’avoir des perspectives trop étroites en matière de problèmes environnementaux, sociaux ou économiques, en réfléchissant à toute la gamme des impacts découlant de chaque étape du processus : de l'extraction des matières premières au traitement des matériaux, à la fabrication, à la distribution, à l’utilisation, à la réparation et à l’entretien, ou réutilisation. Les impacts pris en considération incluent (notamment) la capacité globale de chauffage, l'utilisation des ressources, la pollution atmosphérique, la pollution de l'eau, et les déchets.
Les éco-maisons de l’éco-village de nos amis de Findhorn avec toit de gazon et panneaux solaires sont de très bons exemples de bâtiments à énergie réduite ou à énergie positive.
Ce type de bâtiment inclut en effet souvent des mesures de réduction de la consommation d'énergie. Pour réduire l'utilisation d'énergie, les concepteurs utilisent des astuces qui réduisent les déperditions d’air à travers les murs du bâtiment. Ils choisissent également des fenêtres performantes et une isolation supplémentaire pour les murs, les plafonds, et les planchers. Une autre stratégie, celle des maisons solaires passives, est souvent mise en œuvre dans les maisons à énergie réduite. Les architectes orientent les fenêtres les murs les auvents les, porches, et les arbres pour mettre à l’ombre les fenêtres et les toits pendant l'été tout en maximisant le gain de soleil durant l'hiver. En outre, lune disposition judicieuse des fenêtres peut donner plus de lumière naturelle et diminuer le besoin
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d'éclairage électrique au cours de la journée. Les chauffe-eau solaires réduisent encore plus les dépenses énergétiques.
L’utilisation sur place de l'énergie renouvelable (l'énergie solaire, énergie éolienne, électricité hydraulique, ou biomasse) peut de manière significative réduire l'impact du bâtiment sur l'environnement. Or la production d'électricité est généralement l’équipement le plus cher à ajouter à un bâtiment.
La réduction de la consommation d'eau et la sauvegarde de la qualité de l'eau sont les objectifs principaux de la construction durable. Un des problèmes critiques de la consommation d'eau est que, dans beaucoup de régions, ce que l’on puise dans la nappe phréatique excède sa capacité à se remplir. Les installations doivent donc au maximum dépendre de l’eau recueillie sur place, usée, puis purifiée, et réutilisée sur site. La protection et la conservation de l'eau peuvent se faire en concevant une double tuyauterie qui recycle l'eau des toilettes ou en se servant de l'eau utilisée pour laver les voitures. Le gaspillage d’eau peut être réduit au minimum en utilisant les équipements tels que les toilettes et les pommeaux de douche à très faible débit. Les bidets contribuent à limiter l'utilisation du papier hygiénique, à réduire l’utilisation des égouts et augmenter les possibilités de réutiliser l'eau sur place. Les stations de traitement des eaux usées améliorent la qualité et le rendement énergétique de l'eau tout en réduisant la quantité d'eau utilisée.
Les matériaux de construction typiquement écologiques incluent le bois de charpente des forêts qui ont été certifiées ainsi que les matériaux végétaux rapidement renouvelables comme le bambou et la paille, les pierres de taille, les pierres de récupération, les métaux recyclés ainsi que d'autres produits qui sont non-toxiques, réutilisables, renouvelables, et/ou recyclables.
L'APE (Agence pour la Protection de l'Environnement) suggère également d'utiliser les produits industriels recyclés, tels que les produits de combustion du charbon, le sable de fonderie ou de moulage, et les débris de démolition.
Ces bâtiments sont desservis par un système de ventilation conçu (passivement/naturellement ou mécaniquement actionné) pour fournir la ventilation adéquate d'air pur de l’extérieur ou recyclé.
La plupart des matériaux de construction et des produits de nettoyage/entretien émettent des gaz, certains d'entre eux toxique, tels que beaucoup de COVs dont le formaldéhyde. Ces gaz peuvent avoir un effet nuisible à la santé, au confort, et à la productivité, des occupants. Éviter ces produits augmente la QEI d'un bâtiment.
Une enveloppe bien-isolée et bien scellée réduira des problèmes d'humidité, mais la ventilation adéquate est également nécessaire pour éliminer l'humidité des sources intérieures c'est-à-dire le métabolisme humain, la cuisine les bains, la lessive, etc.
Le contrôle de la température et du flux d'air du système de CVC, outre une enveloppe de construction bien conçue, améliorera également la qualité thermique d'un bâtiment. La création d'un environnement lumineux de haute performance par une soigneuse combinaison de la lumière du jour et des sources lumineuses électriques améliorera la qualité de l’éclairage et la performance énergétique d'une structure.
L'utilisation de produits en bois peut également améliorer la qualité de l'air en absorbant ou relâchant l’eau dans l’air ambiant pour réguler l'humidité.
N.B. La fondation Asthme et Allergie recommande le bois dur, le vinyle, la tuile de linoléum ou le plancher d'ardoise au lieu du tapis.
Les interactions entre les composants intérieurs et les occupants déterminent les processus qui régissent la qualité de l'air d'intérieur.
Prolonger la vie utile d'un bâtiment réduit également les déchets, les matériaux de construction tels que le bois qui sont légers et faciles à travailler, rendent plus facilites les rénovations.
Néanmoins, quand les bâtiments ne servent plus à rien, ils doivent être démolis et transportés à la décharge. La déconstruction est un moyen de recycler ce qui est généralement considéré comme « déchets » et de les récupérer en tant que matériaux de construction utiles.
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CONCLUSION.
G. Rupnel (Histoire de la campagne 1932).
Le dernier mot appartiendra donc à l’âme paysanne. Plus que les ressources de ce sol, ce sont en effet la résistance et les vertus humaines qui décideront de l’avenir, et fixeront les destinées de notre campagne. Car cette âme – qui parle sans cesse au fond de chacun de nous – elle est, elle aussi, le fruit austère des champs !….Cette âme, c’est la vie même qui l’élabora. Ce sont ses activités qui en décidèrent les habitudes et les aptitudes. Ce sont les rigueurs de son labeur qui en ont fait la vigueur. Ce sont ses douceurs qui en ont fait les tendresses. Il est banal de reconnaître que l’activité professionnelle a déterminé le caractère de l’homme des campagnes. Ce sont les durs travaux de la vie agricole qui ont entretenu, dans l’âme paysanne, ce génie de sombre résistance qui en constitue le trait saillant et la noblesse.
Les travaux de la campagne exigent en effet du muscle et de la vigueur, la patience et la sûreté de l’effort, l’infinie résistance à la peine. Seul ou à deux dans les champs, le cultivateur doit sans cesse réussir sans assistance les tâches grosses et pénibles tâches. Faire lever une luzerne, labourer un terroir compact, charger la voiture de gerbes, la décharger, conduire les charrois les plus difficiles, à travers les chemins défoncés, diriger les attelages rétifs, triompher de l’impulsive ardeur des chevaux ou de la lourde inertie des bœufs… tout cela, qui ne semble mettre en œuvre qu’une force brutale, est en réalité une tâche qui réclame autant de vigilante attention et d’experte volonté, que d’énergie.
Cet incessant effort, où l’homme met tout son courage et sa puissance… c’est la peine de toute la vie ! C’est la loi de tous les jours !…. C’est la matière de chaque heure et de chaque instant. Jour après jour, saison après saison, toute l’existence sera ce spasme de l’effort, cette vaillance réfléchie dont chaque moment semble devoir faire la complète dépense, et que pourtant la vie entière n’épuisera pas. C’est ce courage têtu, né derrière les charrues, qui a fait la force des races * d’Occident et la fortune de nos destinées. Mais à ces influences de la vie professionnelle, s’associe la subtile action de la vie sociale et privée. Les habitudes de la société ont fait l’homme. D’intimes émotions et de doux mystères en ont fait l’esprit.
La vie rurale se manifeste à nous comme la réunion de deux activités contraires et complémentaires. Elle est, en effet, une puissante vie de groupe. Elle est aussi une tâche accomplie dans la solitude et le silence, où l’individu prend toute sa valeur.
L’âme/esprit de l’Occident s’est ouverte du même large geste que ces plaines dépouillées comme l’espace, au fond desquelles vont s’enfouir les nues et descendre les cieux. L’angoisse et la grandeur de notre âme sont déterminées par cette solitude. Elles en sont nées de la même manière que les rudesses du caractère sont l’humaine expression de l’austérité des champs.
Nous sommes les fils spirituels des vieux terroirs. Notre âme a reçu sa noblesse et son tourment de ces familières immensités faites de main d’homme.
C’est dans cet esprit, poussé comme l’herbe des champs, que l’homme d’Occident a créé sa civilisation intellectuelle et morale. Ce sont les contemplations solitaires, enfouies au fond de notre esprit par la vieille humanité des campagnes, qui composent encore la matière de nos émotions. En l’âme paysanne, d’innombrables jours ont déposé leurs souvenirs et leur atmosphère. C’est là que puise le génie ancestral. Il est cette moisson de lumière sur le champ des morts. Toute l’œuvre de l’Occident a été la dépense de cette provision millénaire rentrée des champs, soir après soir, comme on en rentre les denrées ou les gerbes. Souffle humain qui inspirez notre Monde actuel, vous avez vos origines sur nos champs ; et c’est du vent qui frissonne sur l’herbe et les blés que vous avez appris à entraîner l’Humanité !….
Puissent ces quelques vues jetées sur les origines de l’Occident, ses aspects ainsi que son histoire, aider à retrouver, dans les calmes et sobres lignes du paysage rural, l’ordre humain naturel !…. Je me plais à l’espérer.
G. Rupnel.
* Rappelons bien entendu qu’il n’existe pas de race celtique pure ni même de race celtique tout court, que l’on trouve dans les tombes de cette civilisation aussi bien des alpins , brachycéphales, des nordiques, dolichocéphales, que des dinariques, également brachycéphales, en proportion variable. Sous la plume de Rupnel comme sous la plume de Gobineau, il faut comprendre « civilisations ».
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BUAÏDH N°2 : ÉVITER LES VIOLENCES INUTILES.
« Les druides sont considérés comme les plus justes des hommes, et à ce titre on leur confie l’arbitrage, non seulement des litiges privés, mais aussi publics ; de sorte que, jadis, ils décidaient même des guerres, et faisaient s’arrêter les belligérants, alors même qu’ils étaient déjà rangés en ordre de bataille ; mais ce sont les affaires de meurtre en particulier qui sont soumises à leur jugement » (Strabon Livre IV, IV).
« À maintes reprises par exemple, alors que deux armées s’approchent l’une de l’autre, rangées en ordre de bataille, l’épée nue à la main et les lances pointées en avant, ces hommes s’interposent entre eux et les font s’arrêter, un peu comme s’ils avaient jeté un sort à quelque espèce d’animaux sauvages. Ainsi, même chez les plus sauvages Barbares, la passion cède-t-elle devant la raison, et Arès respecte les Muses » (Diodore de Sicile Livre V, chapitre XXXI).
Ce qui a donné en gaélique…
Na sir 's na seachainn an cath [Ne cherche pas la bagarre, mais ne la fuis pas non plus].
Gach cuis gu cumhnant [Que tout se fasse d’un commun accord].
N.B. Bien entendu, cette règle générale souffre, elle aussi, quelques exceptions. Les nécessités de la survie (chasse, pêche, légitime défense, etc.) les nécessités sociales justifiées (la mise hors d’état de nuire de certains individus dangereux étant impossible à réaliser autrement), la guerre…
DEUXIÈME RÈGLE À VALEUR GÉNÉRALE DONC : L’ÉCONOMIE DES VIES HUMAINES.
Il existe tout un courant de pensée, depuis les Anciens et les premiers chrétiens jusqu’aux modernes antiracistes plutôt démocrates ou de gauche, d’aujourd’hui, qui affirme avec force témoignages à l’appui, que nos ancêtres étaient tous ivres de sang du matin jusqu’au soir. Il importe donc de faire le point sur cette question.
L’historien de la morale Albert Bayet a passé au peigne fin tous les témoignages antiques à cet égard en 1930 et voici quelle est sa conclusion.
Les auteurs antiques nous ont laissé des anciens Celtes un tableau apocalyptique : à les en croire c’est en tout cas l’impression qu’ils donnent, la vie dans la société celte d’alors, de la tribu état au dernier des villages, n’aurait été qu’une longue suite de massacres ou de sacrifices humains, et tout le monde s’entre-tuait quotidiennement allègrement (et cela sans même parler des crimes de guerre).
À se demander dans ces conditions comment les Celtes ont fait pour étendre jadis leur civilisation aux deux tiers de l’Europe antique, et servir en quelque sorte d’instituteurs aux peuples germaniques.
Ils auraient dû disparaître à peine venus au monde dans leur berceau d’Europe centrale, en tant que premières victimes de ces tueries quotidiennes généralisées, suicidés en quelque sorte.
Or ce ne fut pas le cas l’histoire l’atteste.
Rappelons pour ce faire quelques évidences.
La peine de mort n’existait pas dans la société celtique antique (la vengeance était par contre admise, mais elle n’était pas exercée par le roi au nom de la société, agissant au nom de la société : disons qu’elle était comprise, admise, tolérée), la prison à vie n’existait pas non plus, d’ailleurs les prisons n’existaient même pas dans la philosophie du droit druidique antique. Comme chez tous les peuples du nord ce qui existait c’était l’indemnisation des victimes ou l’exil, l’élude. Le texte de César est formel à ce sujet.
Bref, la conclusion s’impose donc d’elle-même : le respect de la vie humaine est donc bien, a contrario, la règle générale régissant une société celtique digne de ce nom.
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PREMIÈRE NOTE SUR LES ATTEINTES A L’INTÉGRITÉ PHYSIQUE D’AUTRUI (retrouvée dans la bibliothèque de Pierre de La Crau).
L’INTERDICTION DE L’HOMICIDE VOLONTAIRE SANS JUSTIFICATION (APPELÉ INDETHBIRE EN GAÉLIQUE).
C’est bien évidemment une règle vieille comme le monde. On ne se tue pas entre membres du clan, on ne se mange pas entre membres du clan. Des étrangers des inconnus peut-être, mais pas des membres du clan. Il en va d’ailleurs de même chez les singes qui n’ont pas eu besoin de Moïse pour pratiquer une telle éthologie.
Le droit irlandais interdit donc formellement le parricide. Dans un manuscrit du neuvième siècle, l'homicide du père ou de la mère de la 1re lettre à Timothée est rendu par quatre mots irlandais qui signifient : « Celui qui tue les membres de sa famille : nech orcas a fini ». Appelé par ailleurs, toujours en gaélique, fin-galach. Il y a parricide quand le mort est le parent du meurtrier au-dessous du huitième degré des jurisconsultes romains, quatrième degré des canonistes, c'est-à-dire le cas où le mort faisait partie de la famille légale, fine, du meurtrier.
Il n’y a pas de composition pécuniaire prévue dans le cas du parricide ; mais comme celui qui tue un membre de sa famille était de fait exclu de ladite famille ; il devenait par conséquent hors la loi. Tout le monde pouvait le tuer sans courir le risque de payer une composition pour meurtre.
S’il est bien vrai que les druides ont également très tôt interdit le meurtre des étrangers, interdiction mise au compte d’un dieu, assimilé à Hercule par les Grecs, alors cela fait de leur éthique une morale encore plus respectueuse de la vie que celle des anciens Hébreux qui ont beaucoup tué au nom de Dieu ou sur ordre de Dieu au cours de leur Histoire (Dieu Dieu toujours Dieu, c’est bien pratique ça comme excuse, s’il n’existait pas il faudrait l’inventer, en le faisant à notre image tant qu’à faire).
D’une façon plus générale le droit irlandais interdit le meurtre indethbire c'est-à-dire qui n’est en aucune façon justifiable ou excusable et qui n’est que le simple résultat d'une volonté préalable déclenchée par l’appât du gain. D’où son nom, indethbire, ce qui implique qu’une indemnisation pécuniaire pourra être alors exigée.
Le droit irlandais interdit également l’homicide qui ne saurait être assimilé à un duel loyal, et qui constitue ce qui est appelé par lui un « meurtre dissimulé » (duinethaide).
Rappelons enfin que la peine capitale n’est pas systématiquement la peine de mort et que le droit irlandais lui préfère a priori la composition pécuniaire.
Et le principe de la solidarité familiale implique que le meurtrier peut ne pas être le seul débiteur de la composition pécuniaire due pour son crime. Des 35 têtes de bétail de valeur moyenne qui forment le prix de la composition, il ne devra par exemple à lui seul que les 5 bêtes à cornes dont la famille du défunt a droit d'exiger la valeur à titre de restitution, aithgin. La dette du reste de la composition se partagera entre lui et ses parents les plus proches, par exemple son fils ou son père ; c'est-à-dire qu'une partie de la composition sera ainsi à la charge des parents qui, au cas de son décès, seraient ses plus proches héritiers.
Dans les procès pour meurtre, pour héritage, pour limites, écrit César, les druides jugent ; ils fixent les praemia et les poenas (peines).
Praemia semble désigner, pour le demandeur, un avantage plus grand que la simple réparation d'un dommage matériel, et, en effet, partout la composition est plus élevée que le dommage.
Praemia est le nom donné par César aux récompenses promises à ceux qui parviendront à tuer Indutiomaros. Indutiomaros s'était créé une armée personnelle en attirant à lui, par de grands présents, tous les mauvais sujets, c'est-à-dire tous ceux qui, ayant commis un meurtre et ne pouvant payer la composition, n'avaient pu sauver leur vie que par l'exil. Comment César appelle-t-il ces présents ? Praemia. Dans la bouche de César, praemia c'est aussi la rémunération due par lui aux Aedui pour leur concours dans ses guerres contre les autres peuples.
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La praemia, c'est donc un gain important. Ce gain enrichit celui qui le reçoit. Il n'est pas la simple réparation du préjudice causé par un crime ou un délit.
Poenas, c'est peut-être le prix du corps de la victime (coirpdire) ou le prix de rachat de la vie du meurtrier insolvable, tandis que praemia serait le prix de l'honneur du mort. On peut proposer une autre explication. Les peines, poenas, c'est ce que payera le défendeur s'il perd son procès et s'il est solvable, ou c'est ce que payera sa famille s’il fait défaut, et si elle n'est pas insolvable elle-même ; c'est le supplice qu'il subira en cas d'insolvabilité de lui-même et de sa famille. Praemia, c'est la composition considérée sous un autre aspect ; c'est ce que se partagera la famille du mort, ce que recevra elle-même la personne qui n'a été que blessée ou injuriée.
Les atteintes à l’intégrité physique sont sanctionnées dans le droit druidique (des brehons) puisqu’une partie de la composition pécuniaire demandée en cas de meurtre ou de blessure est appelée justement « prix du corps » (coirp dire) l’autre étant destinée compenser l’atteinte à l’honneur de la victime (enechlan).
L'Irlande a conservé le sens primitif du mot * direia/dire, composition pour meurtre, payée à la famille du mort. L'idée que ce mot exprime en Irlande a été un des éléments du droit gallois avant la conquête romaine. Cette conquête a ôté aux familles le droit de venger les meurtres par la mort des meurtriers, ou de laisser la vie aux meurtriers en acceptant d'eux le paiement de la composition ; elle a imposé aux Gallois le système moderne de la vindicte publique exercée par les magistrats.
Au départ des Romains, la composition pour meurtre fut néanmoins rétablie en Grande-Bretagne, mais alors un nouveau mot désigna le prix du corps, ce fut galanas et la galanas, au lieu d'être fixe, devint variable, fut plus ou moins élevée, suivant la dignité de la personne tuée ; cela ne l'empêchait pas d'être cumulée avec le prix de l'honneur, appelé en ce cas par les Gallois saraad. Saraad d vient de sar, mot gallois et irlandais dont le sens est « injure et offense », mais qui n'appartient pas à la langue technique du droit irlandais. Le gallois saraad est le même mot que sarugad, qui signifie « injure » en irlandais. Un tiers de la saraad et de la galanas revient au roi et à ses officiers, deux tiers à la famille du mort.
Circonstances aggravantes. « La préméditation double l’amende » est une maxime conservée par le livre d'Aicill or voici, suivant la glose, le sens de ce dicton juridique. Le débiteur dont la dette est doublée est : 1° celui qui a tué un homme sur une montagne ou dans un endroit désert 2° celui qui, après le meurtre, a caché le cadavre. Le droit gallois a la même règle.
L'antiquité de la réprobation dont est l'objet la tentative de dissimulation du meurtre est prouvée par la concordance qu'offre ici le droit irlandais avec la loi salique. En cas de meurtre dissimulé, la loi salique triple la composition, le droit irlandais la doublait, sans compter que le clergé irlandais imposait en sus un pèlerinage au coupable de meurtre secret. Cacher un meurtre était alors considéré comme le procédé malhonnête de quelqu’un qui voulait échapper au paiement de la composition. D’où le fait que l’on devait bien se garder de se battre en duel sans témoin, puisque c'était s'exposer à être considéré comme coupable de meurtre dissimulé.
DEUXIÈME NOTE SUR LES ATTEINTES À L’INTÉGRITÉ PHYSIQUE D’AUTRUI.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le dire, la société celtique antique était très inégalitaire. Tout à fait comme à l’apogée du Moyen-âge européen, c'est-à-dire divisée en clergé (druides), noblesse (nemed en terminologie gaélique) et peuple. Nous reviendrons sur le cas des esclaves qui n’étaient le plus souvent que des prisonniers appartenant à des peuples vaincus, les Atectai (ce que les musulmans appellent des dhimmis) ou des paysans très pauvres attachés à la terre (des serfs).
Et le montant de la composition pécuniaire due pour atteinte à l’intégrité physique d’autrui, dépendait de l’honneur de la victime, en bref de son statut social.
Ce qui est particulier au droit celtique en effet, c'est la distinction entre le prix du corps, fixé invariablement pour tous les hommes libres ; et le prix de l'honneur, qui s'ajoute au prix du corps et dont le montant dépend de la dignité de celui qui a été tué, blessé ou injurié.
Il y avait donc deux parties distinctes dans la composition pécuniaire due pour atteinte à l’intégrité physique.
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Une correspondant au prix du dommage corporel proprement dit, et qui était la même pour tout le monde (enfin pour tous les hommes libres, pas pour les prisonniers de guerre réduits à l’état d’esclave), à savoir trente-cinq bêtes à cornes de valeur moyenne (un septième de cette valeur pour un serf). Et cette distinction semble avoir été commune aux Celtes et aux Germains comme nous l’avons vu plus haut.
Une correspondant à ce qui était appelé alors « le prix de l’honneur ». En d’autres termes blesser ou tuer un homme riche coûtait plus cher que blesser ou tuer un pauvre (je sais, ce n’est pas juste, mais l’ancien druidisme n’est pas forcément un modèle à toujours suivre. On ne doit s’en inspirer qu’en ce qu’il avait de bien ou de meilleur).
Ces paradoxes étaient en fait une conséquence du sens très particulier de l’honneur qu’avaient les Celtes antiques.
L’honneur des uns et des autres c’était la valeur sociale, l’importance dans la société. On considérait en effet à l’époque par exemple qu’un roi valait infiniment plus qu’un miséreux, donc que son honneur était infiniment plus important que celui des pauvres gens. D’où des différences importantes dans le prix de l’honneur de l’un ou de l’autre.
Ce prix de l'honneur était néanmoins aussi proportionné à la gravité de l'atteinte à l’intégrité physique de la victime.
Un coup mortel donnait à la famille du mort le droit d'exiger la totalité du prix de l'honneur. Pour une blessure qui causait simplement une effusion de sang et qui avait été faite dans un accès de colère, le blessé n'avait droit qu'au quart du prix de son honneur. Quand la blessure n'avait provoqué qu’un hématome, il ne pouvait réclamer que l'indemnité dite airer ; c'est-à-dire le septième du prix de son honneur.
N.B. Les hommes libres de classe inférieure n'ont pas droit au prix de l'honneur, mais ils ont quand même droit bien entendu au prix du corps.
TROISIÈME NOTE SUR LES ATTEINTES A L’INTÉGRITÉ PHYSIQUE D’AUTRUI (retrouvée dans un livre sur un autre sujet).
Le montant de la composition est en général déterminé par le rang de la victime avons-nous dit. Il existait néanmoins du moins en Irlande des exceptions à cette règle. Il s’agit de ce que l’on appelle smacht en irlandais. La règle est donnée comme il suit par le livre d'Aicill : « Toutes les fois qu'on paye la composition appelée smacht, le paiement se fait conformément à la condition, aicned, du payeur ; toutes les fois qu'il s'agit du prix de l'honneur enechlann, le paiement se fait conformément à la condition du payé ».
Le montant complet de l’amende, appelé smacht en irlandais, est de 35 bêtes à cornes de valeur moyenne, c'est exactement le prix du corps d'un homme libre, coirp dire. Mais le smacht peut en grand nombre de cas être réduit au septième, c'est-à-dire à cinq bêtes à cornes de valeur moyenne. C'est ce qui arrive quand le débiteur est un serf : le prix de son corps est réduit à la valeur de 5 bêtes à cornes : telle est la composition qu'il doit payer pour racheter sa vie quand il a commis un meurtre. Le principe juridique dont le mot smacht est l'expression en irlandais : rachat de la vie, appartient au droit germanique et au droit romain le plus ancien comme au droit celtique. Il remonte à l'antiquité la plus reculée.
LA PEINE CAPITALE.
Si l’on excepte le cas des sacrifices humains qui, tout le monde en conviendra, ne relèvent pas franchement du droit pénal druidique (encore que, nous faisons bien de préciser « franchement », car nous verrons que là aussi cette règle générale connaissait des exceptions) la peine capitale n’était généralement pas la peine de mort avons-nous dit.
Mais me direz-vous, et tous ces témoignages qui nous montrent les Celtes avec la caution des anciens druides condamnant à mort pour oui ou pour un non un nombre incalculable de crimes voire de ce qui nous semble aujourd’hui de simples délits, qu’en faites-vous ?? Le témoignage de César qu’en faites-vous ??
Il y a le témoignage de César effectivement, ainsi que ceux de Cicéron (tiens, pour une fois c’est lui qui témoigne au lieu de se contenter de son rôle habitue d’avocat marron) de Diodore de Sicile et de bien d’autres.
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Il n’en demeure pas moins et c’est là tout ce que nous voulons dire et donc écrivons, que dans le droit pénal celto-germanique des peuples du Nord, la peine capitale la plus couramment appliquée n’était pas la peine de mort, mais l’excommunication ou l’exil. Un autre texte de César est lui aussi formel à ce sujet.
En terre celte le meurtrier a donc, en général , le choix entre le paiement de la composition et l'exil. Nicolas de Damas, né en l'an 64 avant notre ère et mort vers le commencement de l'ère chrétienne, nous apprend que, chez les Celtes, l'exil était l'échappatoire du citoyen qui tuait son concitoyen ; mais, dit-il, celui qui tuait un étranger était mis à mort. Si ce meurtre n'avait pas été sévèrement puni, on devait s'attendre à des représailles et à une guerre avec le peuple voisin auquel appartenait l'étranger.
Le meurtrier d'un étranger mettait donc en grand danger la sécurité de sa propre patrie : il avait commis un crime de haute trahison ; il était arrêté, traduit devant l'assemblée du peuple, condamné à mort et exécuté. Mais tuer un concitoyen ne pouvait que provoquer une querelle entre deux familles et ne compromettait pas la sûreté de l'État. L'auteur de ce meurtre était laissé libre, et s'il n'obtenait pas, en payant la composition, l'abandon du droit de vengeance par la famille du mort, il pouvait sauver sa vie par l'exil, c'est-à-dire en sortant du territoire de sa Tribu-État et en se réfugiant dans celui d'une autre tribu-État. De tels « exilés » ont fourni deux fois de forts contingents aux armées levées pour combattre les Romains, d'abord par le Trévire Indutiomaros,en 55 avant notre ère, ensuite en 51 par le Sénon Drappes .
La réalité du droit pénal des peuples du Nord est que le meurtrier se voyait généralement, non pas condamné à la peine de mort ni même à la prison (puisque de toute façon les prisons n’existaient pas), mais, soit condamné à payer une amende, une composition pécuniaire, de type wergeld /wergild ou prix du sang ; soit abandonné à la vengeance de la famille de la victime.
La composition pour meurtre était encore usitée en Irlande, à la fin du seizième siècle. En Irlande, raconte à cette époque un Anglais (T. Haynes) « quand un homme est assassiné, le brehon, c'est-à-dire le juge, fait conclure une transaction entre le meurtrier et les proches du mort, en sorte que, moyennant une indemnité qu'ils appellent iriach, le meurtrier échappe à tout châtiment » (Observations sur l’état de l’Irlande en 1600).
On a cru longtemps que ce procédé de pacification, encore en usage dans le droit international, était spécial aux Germains. De nos jours, on a démontré qu'il a été général dans le droit privé des populations aryennes et qu'il a été connu hors de ce groupe, par exemple chez les Hébreux, chez les Arabes, chez les Hongrois. Par contre la loi de Moïse défend de recevoir le prix du sang ; elle décide que le meurtrier sera puni de mort.
Sauf le cas de crime contre l'État, les condamnations ne sont que pécuniaires pour tout homme solvable et le tarif des compositions est donc l’élément le plus important du droit pénal.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir, la composition n'était pas demandée pour un homicide nécessaire (en cas de légitime défense par exemple). Mais elle était demandée pour une blessure qui n'avait pas été mortelle, pour un coup, pour une insulte, pour un tort quelconque fait à autrui, enfin pour un meurtre prémédité que le devoir de vengeance ne justifiait pas.
Dans tous ces cas, la composition est due en totalité par le coupable ; sa famille n'est débitrice qu'à son défaut, mais elle peut se décharger de toute dette en livrant le coupable soit à l'offensé vivant, soit à la famille de la victime, si cette victime a perdu la vie. C'est l'abandon noxal. Lorsque la composition était due pour un meurtre qui n'était pas nécessaire (légitime défense par exemple), la famille pouvait échapper à l'obligation de payer la composition en abandonnant la fortune et la personne du meurtrier.
De cette règle, il y a une formule irlandaise la résumant cach rob in a-chinaid et qui peut être traduite ainsi : « À chacun pour son crime… ».
Et la conséquence de cette maxime a été exprimée par la formule : « Que chacun meurt pour ses crimes prémédités quand il ne trouve pas le montant de la composition (eiric-fine) ».
N.B. Sur le Continent, tous les cinq ans, les druides supervisaient l’exécution, assimilée à un sacrifice, de tels condamnés.
Quand la famille ne pouvait livrer le coupable, elle devenait alors débitrice elle-même de la composition, déduction faite de l'avoir du coupable. En cas d'insuffisance des ressources de la famille, si le coupable était vassal d'un noble, ce noble devenait responsable ; à défaut de ce noble, était responsable toute personne qui donnait au coupable lit, vêtement, nourriture ; enfin, quand la victime ou la famille du mort ne pouvait, à l'aide de ces responsabilités diverses, recouvrer tout ce qui lui était dû, ils avaient la ressource de s'adresser au roi. Il y avait en Irlande une formule qui peut se traduire ainsi : « Pour tout homme sans chef, allez jusqu'au roi ». 1)
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Transposée en terme moderne une telle maxime juridique impliquerait que c’est l’État en dernier ressort qui doit intervenir afin que la victime soit effectivement indemnisée comme elle doit l’être. Comme quoi l’éthique druidique même ancienne peut sur certains points apparaître étonnamment moderne.
1) Ces règles, qui sont données par des textes de droit civil irlandais dont la date ne peut être déterminée d'une façon rigoureuse, se retrouvent à peu près exactement, sauf quelques différences de détail, dans la « Collection canonique irlandaise » publiée en 1874 par Hermann Wasserschleben (page 196), qui date des environs de l'an 700 de notre ère. Cette compilation attribue à un concile irlandais la décision suivante : Primum delictum uniuscujusque mali hominis……in qua est ecclesia ista ». Le crime de chaque méchant homme viendra d'abord sur sa fortune ou sur ses troupeaux, puis il viendra sur ses régions ( = ses parents et son chef); si cet homme n'a pas de région (ni parents ni chef), son crime viendra sur son roi ; si cet homme n'a pas de roi, son crime viendra sur la personne qui a donné des vivres et des vêtements au coupable ; à défaut de cette personne, le crime viendra sur celle qui a donné à cet homme la nourriture et le lit. Si, enfin, on ne peut rien tirer de tous ces gens et si cet homme commet un crime contre une église, cette église se fera payer par le plus grand roi de la province où elle est située (Traduction sous toutes réserves, mes 7 ans de latin sont loin).
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LES EXCEPTIONS À LA RÈGLE GÉNÉRALE DU RESPECT DE LA VIE HUMAINE (légitime défense, etc.).
Ce titre de chapitre, de sous-chapitre, ou de paragraphe, peut sembler paradoxal pour des peuples chez qui, en matière de vie, on pratiquait abondamment la loi juive (du talion. Voir à ce sujet la question du sacrifice des prisonniers de guerre). Mais il ressort indéniablement de l’étude du droit celtique, ou de ce qui nous en reste, que la règle générale était bien le respect de la vie d’autrui. Les lois irlandaises non chrétiennes semblent n’avoir employé la peine de mort que comme alternative au paiement ou à l’esclavage.
Aucune loi n’ordonnait de tuer tout ce qui pouvait bouger autour de vous. Tuer ne pouvait se faire légitimement que dans certains cas bien précis (guerre, exécution de criminels, etc.) et le châtiment suprême était plutôt l’excommunication et la mise au ban de la société. En Irlande les grands criminels étaient embarqués de force sur des bateaux puis abandonnés aux vents et aux courants marins (envoyés au diable dirait-on aujourd’hui). Les druides privilégiaient aussi, dans leurs jugements, la réparation financière.
Le wergeld dans l’Antiquité barbare, littéralement « prix de l’homme » (également écrit weregild, wergeld ou weregeld) était une somme d’argent demandée en réparation à une personne coupable d’un meurtre, ou d’un autre crime grave de ce genre. Cette coutume exerçait un rôle important dans les anciennes civilisations d’Europe du Nord.
Les druides connaissaient cet usage, sous le nom d’eric en Irlande ou galanas au pays de Galles. Le montant de l’ericfine en cas de meurtre dépendait assez largement du rang social auquel appartenait la victime (si elle appartenait à la classe des nemed ou des doernemed, etc.).
Le grand spécialiste français du droit et de la littérature celtique, d’Arbois de Jubainville, a confirmé dans l’ensemble cette position relativement modérée de l’éthique celtique antique pour ce qui est de la mort infligée à autrui ; en faisant la liste des exceptions à cette règle générale. C'est-à-dire la liste des cas où infliger la mort à autrui n’était pas considérée comme un meurtre condamnable et où il n’y avait donc aucune indemnité à payer.
La loi irlandaise, d'accord avec la plupart des législations primitives, a en effet sur l’homicide prémédité une doctrine fort différente de celle qui prévaut dans les législations modernes ; puisqu’elle admet la légitimité de l’homicide dans des circonstances où chez nous de nos jours il n'est pas même excusable ; elle emploie dans ce cas pour désigner cet acte l'expression de « meurtre nécessaire » ou de « meurtre excusé » : marbad dethbire en irlandais.
Le droit irlandais reconnaissait en effet certaines formes d’homicide qui n’entraînaient aucune pénalité, aucune amende, et qui devaient donc être considérées comme des « meurtres légaux ». Ce qui allait de l’homicide commis durant une bataille (guerre) jusqu’au fait de tuer un voleur pris sur le fait, en passant par l’exécution d’un condamné à mort dont la rançon n’était pas payée (cimbid). Il pouvait en effet être tué par un individu ou une famille auxquels il avait fait tort. L’homicide était également légal en cas légitime défense (bien que ce soit là une matière assez complexe). Bref, chez les druides, on ne tuait pas sans bonne raison.
N.B. Dans certaines circonstances, les blessures aussi pouvaient ne pas être illégales et aucune amende n’était exigée. Parmi celles-ci, l’effusion de sang par un médecin compétent pendant une opération, ou par un enfant pendant un jeu (sauf faute de sa part), ou par les adversaires d’un duel, etc.
Ci-dessous les divers cas d’homicide volontaire « justifiés » ou « excusés » * dits dethbire par le droit irlandais.
Le meurtre « excusé » est celui qui n'a pas été prémédité, ou qui prémédité, a une cause légitime : en cas de guerre par exemple (on ne poursuit pas en justice les héros).
Premier cas. La peine de mort par défaut.
La plus grave atteinte à l’intégrité physique d’autrui c’est de le tuer. Cependant, à la différence de beaucoup d’autres systèmes juridiques, le meurtre n’était pas puni en faisant subir à l’auteur la même fin que sa victime, la coutume autorisait le meurtrier à réparer son crime par un paiement. À ce qu’il semble, ce paiement était composé de deux types fondamentaux d’amendes, et devait généralement être payé à la parenté de la victime.
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Le premier type d’amende était celui qui correspondait à un homicide, et qui se montait à sept cumal pour tout homme libre, quel que soit son rang. Elle était généralement désignée par le terme « éraic » ou « éric » (remplacé en vieil irlandais tardif par « cró »). Elle allait à la famille (derbfine) de la victime (KELLY 1988, page 126).
La deuxième sorte d’amende était basée sur le prix de l’honneur (« lóg n-enech ») de la parenté de la victime. Chaque membre de la parenté de la victime obtenait une fraction du prix de son honneur ; en commençant par le prix de l’honneur total si la victime était un très proche parent (père, mère, fils, fille, frère et sœur) ; la moitié s’il y avait un degré (oncles et tantes paternels et maternels) ; et ainsi de suite jusqu’à un septième pour le meurtre d’un frère de lait ou d’un « parrain ou tuteur » par altrom/daltachas. Il ressort donc clairement des faits qu’en Irlande le meurtre pouvait coûter très cher (si la victime était de haut rang).
N.B. L’ironie de l’histoire veut que, dans certains cas, la jurisprudence chrétienne aboutissait à une peine par définition plus sévère, car c’était la peine de mort puisque « En règle générale, le droit canonique semble avoir préféré la peine de mort dans les cas où le prix d'honneur du coupable s’avérait inférieur à la pénalité et rendait et rendait en outre sa parenté responsable du paiement de l’amende prévue » ????? (Raimund Karl. Archéologue d’origine autrichienne titulaire d’une chaire d’Histoire à l’université de Bangor au Pays de Galles).
NOTE DE LA RÉDACTION. Un cumal = trois vaches laitières = trois onces d’argent. Encore une fois, rappelons qu’il s’agit là d’ancien druidisme et que nul n’est tenu aujourd’hui d’approuver de telles discriminations entre riches et pauvres.
Si pour quelque raison que ce soit, le paiement n’était pas effectué, la parenté de la victime pouvait tenir le meurtrier captif et agir avec lui à sa convenance (cf. l’abandon noxal), le vendre comme esclave par exemple, ou le mettre à mort. Si le meurtrier prend la fuite et si sa parenté ne paie pas l’amende, la parenté de la victime se doit d’engager une vendetta jusqu’à complète vengeance (dígal) de la victime. Si la victime était un seigneur, ses obligés ou ses vassaux devaient se joindre à la vendetta.
En cas de meurtre à l’intérieur de la parenté, le système de rachat par paiement ne pouvait plus fonctionner (la parenté aurait dû alors se compenser elle-même). En outre, le meurtre ne pouvait pas être vengé par d’autres membres de la parenté, car ils auraient alors commis, eux aussi, le crime le plus abominable qui soit, un parricide (fingal). La peine habituelle pour ce genre de crime, dans ce cas, était que son auteur se voyait donc exclure de sa famille et perdait ainsi toute existence légale. Il devenait plus ou moins une non-personne. Un hors-la-loi, un banni.
B.G. VI, 16. « Le supplice de ceux qui ont été arrêtés en flagrant délit de vol ou de brigandage, ou à la suite de quelque crime, passe pour plaire aux dieux… »
Même si César rapporte que les brigands, les meurtriers, ainsi que les autres criminels de ce genre, étaient parfois punis de mort par sacrifice aux dieu-ou-démons ; à l’évidence le châtiment le plus typique pour les crimes les plus graves (meurtre, usurpation du pouvoir, vol) était l’excommunication ou l’exclusion des cérémonies religieuses (voire avec cela, très probablement, de la tribu et de la famille). Et cela de l’aveu même de César.
B.G. VI, 13. « Ce sont les druides, en effet, qui tranchent presque tous les conflits entre États ou entre particuliers. Si quelque crime a été commis, s’il y a eu meurtre…Un particulier ou un peuple ne s’est-il pas conformé à leur décision, ils lui interdisent les sacrifices. C’est chez les Celtes la peine la plus grave. Ceux qui ont été frappés de cette interdiction, on les range au nombre des impies et des criminels, on s’écarte d’eux, on fuit leur abord et leur entretien, car on craint de leur contact impur des effets funestes : ils ne sont plus admis à demander justice ».
Alors, contradiction de César, opposition entre bras séculier ou justice laïque et justice religieuse de type excommunication ? Ou encore différences de mœurs suivant les peuples et les tribus ?
Une autre peine consistait en une « peregrinatio » en mer qui condamnait le criminel à naviguer, privé de rames et de gouvernail, là où le vent le porterait. Ce genre de pèlerin forcé ne pouvait compter que sur la Providence. Dans les deux cas, on note que l’homme était privé de sa communauté d’origine et que cela constituait donc la peine la plus grande pouvant l’affecter.
Si un criminel traité de la sorte est rejeté sur la côte de son propre peuple, la façon dont il sera traité dépend de son crime. S’il s’agissait d’un délit mineur, il était rendu à son statut initial. Si la faute était plus grave, il semble qu’il était condamné à servir comme paysan non libre (serf).
Cette peine n’est que rarement mentionnée dans les textes juridiques. Elle paraît avoir été l’une des méthodes favorites pour traiter les fautes graves commises par des femmes.
Deux légendes irlandaises semblent se rapporter à ce type de peine, la navigation de Snedgus et de Mac Riagla, et celle des Hui Corra.
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La navigation des Hui-Corra nous raconte comment trois garçons, nés grâce à l’intervention du Diable, devenus adultes, pillent, tuent, et s’attaquent aux églises ; jusqu’à ce que l’un d’eux ait l’aisling (la vision, en songe), de l’Enfer (1er épisode) et décide ses frères à faire amende honorable. Puis, à la vue du soleil qui se couche, ils se demandent si rien n’est plus merveilleux que ce spectacle (2e épisode) et finissent par entreprendre de partir en mer pour en savoir plus. Après maints spectacles de merveilles, ils reviennent, alors qu’un vieillard leur a prédit que leur renommée irait jusqu’à Rome et qu’ils feraient bâtir une église (3e épisode).
La navigation de Snedgus et Mac Riagla nous conte comment deux moines envoyés pour demander la commutation d’un jugement rendu contre des révoltés (meurtriers de leur souverain) décident de suivre l’exemple de ces hommes que l’on a condamnés à être bannis. Poussés par la curiosité, ou le besoin d’absolu, ils s’embarquent, découvrent diverses îles aux spectacles surprenants, puis finissent sur une autre île où ils retrouvent les bannis heureux et bien accueillis (cette île est la demeure d’Enoch et d’Élie) et ils apprennent que l’Irlande sera la proie d’une multitude de pilleurs, en raison des péchés de ses habitants.
Le droit celtique des brehons faisait de la peregrinatio d’un peuple ou d’une tribu à l’autre un mode d’exil ou de sanction. Une des peines prévues par la tradition irlandaise consistait en effet en un abandon aux flots condamnant un criminel à naviguer, privé de rames et de gouvernail, là où le vent le porterait. Dans les deux cas, l’homme était privé de l’aide de sa communauté et cela constituait la peine la plus grande qui pouvait lui arriver. Ce pèlerin forcé ne pouvait ainsi compter que sur la Providence divine.
On en a un excellent exemple dans la Cain Adomnain de 697, il s‘agit de la peine remplaçant le prix du sang pour les femmes (les coupables de sexe féminin).
45… Une femme mérite la mort pour avoir tué un homme ou une femme, ou pour avoir administré un poison mortel, ou pour avoir brûlé une église, ou pour y avoir creusé… elle sera abandonnée dans une barque à une seule pagaie sur l'océan pour y dériver sous l’effet de la brise de terre avec un seau de nourriture et un seau d’eau. Il lui adviendra ce que Dieu aura décidé.
Notons au passage qu’on peut se demander si un lourd wergeld à payer comme dans le cas des coupables de sexe masculin (la société celtique ancienne en effet ne connaissait pas la prison et pratiquait rarement la peine de mort, mais recourait le plus souvent au principe du wergeld s’il y avait mort d’homme) n’aurait pas été une peine plus douce, mais les voies de Dieu sont impénétrables. Surtout dans le christianisme (les dieux païens, eux, étaient plus faciles à comprendre, car plus logiques).
Bref, un hors la loi par définition ne bénéficiait plus d’aucune protection de la part de la société, personne n’était poursuivi en justice pour l’avoir tué. Exemple le parricide. Le parricide se plaçant lui-même par définition hors la loi de son groupe familial, personne n’avait de composition pécuniaire à payer pour son meurtre.
Deuxième cas : la légitime défense.
Il n’y a ni crime ni délit lorsque les blessures, les coups, voire éventuellement l’homicide, sont commandés par la nécessité de se défendre soi-même ou de protéger autrui (légitime défense). Pour que l’action soit considérée comme une défense légitime, il doit s’agir d’une situation de défense : la personne doit répondre à une agression, être attaquée en premier, faute de quoi c’est elle l’agresseur. Le danger doit être imminent : c’est au moment de l’attaque qu’il faut se défendre, pas après (ce qui serait alors de la vengeance) ; l’action doit s’arrêter une fois la personne neutralisée ou en fuite.
En droit irlandais ancien comme dans certains de nos actuels États d’ailleurs, on a le droit de tuer le voleur en cas de flagrant délit quand il ne dit pas son nom, quand on ne sait pas qui il est et qu'on ne peut l'arrêter. En droit indo-européen, le meurtre du voleur a toujours été licite quand il y a flagrant délit. Le droit russe et le droit norvégien exigent seulement que le voleur soit surpris dans la maison ou dans l'enclos de la victime.
Un texte légal l'affirme en ajoutant que la mort du voleur ne peut occasionner un procès entre deux familles.
En France par contre de nos jours à Oléron par exemple des gendarmes de l’île peuvent même tronquer, donc truquer, une enquête afin de faire condamner celui dont la tête ne leur revient pas. Quitte à falsifier une enquête postérieure pour étouffer l’affaire (la France d’aujourd’hui n’a plus rien à envier aux républiques bananières).
Troisième cas.
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La vengeance légale. Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le voir, dans une société sans état sans prison, la vengeance du meurtre d’un proche était non seulement un droit, mais même un devoir.
Toute mauvaise action vengée constitue un renforcement du paganisme (saint Patrice. Senchus Mor. I, p. 9).
Mais il y a vengeance et vengeance !
Les druides, tout comme ils ont essayé de limiter les sacrifices en les encadrant soigneusement, ont également essayé de remplacer les vengeances privées par des paiements de compositions pécuniaires. Il y avait en effet un moyen de prévenir toute effusion de sang par suite d’une vengeance : c'était le paiement de la composition par le coupable, par sa famille, par son peuple.
Mais tout comme dans le cas des sacrifices humains les druides n’ont réussi qu’à moitié en ce domaine, étant divisés eux-mêmes sur le sujet.
Ainsi que nous avons pu le voir, comme la vindicte publique n’existait pas dans la société celtique antique, les victimes ou les familles des victimes avaient donc toujours la faculté de se faire justice elles-mêmes, ce dont elles ne se privaient pas. C’était même une obligation morale dans certains cas.
Le devoir de vengeance est imposé au père adoptif dont on a tué le fils adoptif, à l’oncle maternel quand le fils de la sœur a été tué. Le fils de la sœur est alors assimilé au fils du frère. Le degré le plus éloigné auquel le devoir de vengeance s'étende, en droit irlandais, est le quatrième suivant le mode de compter du droit romain ; passé les cousins germains, cette obligation n'existe donc plus.
Les druides antiques n’encourageaient donc pas les vengeances puisque dans ce cas on se passait de leurs arbitrages et par conséquent des honoraires qui allaient avec : une part variable du prix du sang ou wergeld. Mais ils les toléraient.
Le lecteur voudra bien nous excuse si sur ce point nous utilisons un mot d'origine germanique (wergeld), mais il y a sur de nombreux points concordance entre le droit celtique et le droit germanique pour une raison bien simple : la domination longtemps exercée par les Celtes sur les Germains.
Les deux lois présentent aussi une concordance absolue quant au nombre des commandements, trois, et quant à la durée des trois délais qui les suivent, dix nuits chacun, en tout trente nuits.
Le même fait historique rend compte de l'identité de certains éléments fondamentaux dans le tarif franc et dans le tarif irlandais de la composition ; il fait comprendre pourquoi, dans les deux législations :
1° l'esclave ou le serf vaut le septième de l'homme libre
2° l'usage momentané du cheval d'autrui, sans consentement du propriétaire, donne à celui-ci le droit d'exiger une composition égale à la valeur d'un esclave ou d'un serf.
Bref, si nous parlons désormais de wergeld, c’est en pensant aux termes irlandais ou gallois correspondants : eric et galanas.
Répétons-le encore une fois, car repetere ars docendi : les anciens druides n’encourageaient pas la vengeance privée, car cela revenait à les priver d’une substantielle source de revenus : le pourcentage prévu pour leur médiation en tant qu’arbitre fixant le montant des compositions pécuniaires ou wergeld.
Ne pouvant réussir à totalement éradiquer la pratique de la vengeance (le voulaient-ils vraiment d’ailleurs) ils ont par contre essayé de l’encadrer (juridiquement). Ils ont essayé de faire primer le droit sur la force brute symbolisée par le Termagant ou Tarvos trigaranos. Nous reviendrons d’ailleurs sur le sujet (le seul fait que les druides conseillaient les rois prouve que chez eux le droit essayait de primer la force).
Ceci dit, l'homicide était licite en Irlande, même dans le cas de l’Irlande chrétienne (ce n’est pas moi qui le dit mais d’Arbois de Jubainville), toutes les fois que, par ce meurtre, on vengeait la mort d'un membre de sa famille tué par un membre d'une autre famille y compris dans la même Tribu-État. Il ne faut pas en effet exagérer ! Chrétien certes, mais quand même ! Pas jusqu’au point de laisser les siens se faire massacrer impunément.
Intud i ngeindtleacht gnim olc mad indechur / il y a renforcement du paganisme si une mauvaise action est vengée (saint Patrice Senchus Mor, I, page 9) ; et comme le disait la reine Boadicée en personne : « Les dieux sont favorables à une juste vengeance ».
Mais quand la vindicte publique n'existe pas, c’est-à-dire quand ce n’est pas l’État (le roi ou le vergobret) qui s’occupe de faire punir comme il se doit les coupables, le consciencieux accomplissement du devoir de vengeance privée assure la pérennité de la société, qui autrement ne pourrait exister, conformément à une doctrine qui semble avoir été jadis commune à toute l'humanité.
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Tuer le meurtrier d'un parent jusqu'au degré de cousin germain inclusivement était donc considéré comme un meurtre excusable ou justifiable ; la conséquence en est en effet que les deux meurtres se compensent. Aucune indemnité n'est due dans ce cas pour le second meurtre, à moins que la famille du meurtrier n'ait prévenu l'exercice de la vengeance en payant l'indemnité fixée par la coutume ; en ce cas l'indemnité payée doit être restituée.
Comme le devoir de vengeance s'impose à tous les proches parents par ordre de parenté, les plus proches parents supportent tous les conséquences de l'acte que ce devoir exigeait.
Y compris quand il y a dans ce cas quand même quelque chose à payer. Mais comment, dira-t-on, un meurtre qui en venge un autre peut-il donner lieu au paiement d’une composition pécuniaire ?
Pour le premier meurtre que le meurtre dit « justifié » a vengé, une composition était déjà due à la famille de la première victime, mais cette composition pouvait être moins élevée que la composition due pour la victime à qui l'accomplissement du devoir de vengeance a ôté la vie. L'auteur du second meurtre dans ce cas devait la différence entre les deux compositions.
Et c'est cette différence qui était supportée concurremment avec lui par ses parents les plus proches.
En résumé, quand le meurtre était nécessaire, le paiement de la composition était en totalité obligatoire pour la famille, sauf la portion afférente au meurtrier à titre personnel qui, outre les 5 bêtes à cornes de restitution de la valeur du corps, devait supporter sa quote-part
1° dans le prix des 30 bêtes à cornes qui complètent le prix du corps,
2° dans le prix de l'honneur.
Quatrième cas : le duel.
Le demandeur irlandais a trois manières de procéder pour obtenir justice : 1° la saisie mobilière, aithgabail ; 2° la saisie immobilière, tellach, 3° le duel, comrae.
Un exemple antique de cette espèce de duel nous est offert par les Celtes d'Espagne, en l'an 206 avant notre ère.
P. Cornelius Scipio, qui dut plus tard à sa victoire contre Hannibal le surnom d'Africanus, était alors en Espagne, et il y avait obtenu contre les Carthaginois des succès multipliés. Il voulut, à Carthagène, s'acquitter d'un vœu qu'il avait fait pour honorer la mémoire de son père et de son oncle, tous deux tués six ans auparavant, en -212, à la tête d'armées romaines en luttant comme lui, en Espagne, contre les Carthaginois. C’étaient des combats de gladiateurs qu'il avait promis aux dieux. Les gladiateurs des Romains étaient ordinairement des esclaves qu'on achetait, et le plaisir que ces malheureux, se tuant les uns les autres, procuraient aux spectateurs, coûtait beaucoup d'argent à celui qui donnait les jeux. Mais Scipion n'eut aucune dépense à faire. Son habileté avait détaché les Celtibères du parti des Carthaginois et leur avait fait embrasser la cause des Romains. Parmi ses nouveaux amis, il trouva sans frais autant qu'il voulut de guerriers qui lui procurèrent la satisfaction de s'entre-tuer sous ses yeux sans demander d'autre salaire que le plaisir et l'honneur de se battre les uns contre les autres.
Mais les gladiateurs fournis gratuitement par l'ardeur belliqueuse des Celtibères ne combattirent pas tous seulement pour le plaisir et l'honneur : dans quelques-unes des paires en question, le duel avait un intérêt pratique, la gloire du succès n'était pas le seul enjeu : les deux adversaires avaient un procès, et n'ayant voulu ni transiger ni s'en rapporter au jugement d'un arbitre (d’un druide) ils étaient convenus que l'objet en litige serait adjugé au vainqueur. À cette catégorie, aussi étrange que l'autre pour les spectateurs romains, appartenaient deux grands seigneurs espagnols : Corbis et Orsua, tous deux fils de rois. Leurs pères étaient frères et avaient régné l'un après l'autre par ordre de primogéniture : la question était de savoir qui des deux fils devait succéder au dernier mort des deux frères. Le père de Corbis, étant l'aîné, était monté le premier sur le trône ; le père d'Orsua était le second qui avait succédé sur le trône à son frère. Orsua prétendait que le trône était compris dans l'héritage que son père lui transmettait. Corbis, plus âgé qu'Orsua, voulait exercer le droit d'aînesse comme son père en avait donné l'exemple. Scipion fit, pour les concilier, d'inutiles efforts ; ils refusèrent d'accepter son arbitrage : « Nous ne voulons pas, » dirent-ils, « d'autre juge que le dieu de la guerre. » Corbis, grâce à la supériorité de son âge, était plus vigoureux que son cousin. Orsua, dominé par l'orgueil, qui est si souvent la passion principale des jeunes gens, ne se rendait pas compte des chances de succès qu'avait son cousin. Chacun d'eux préférait la mort à l'humiliation
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d'obéir à son parent. Corbis, plus exercé au maniement des armes, plus adroit et plus fort que son adversaire, n'eut pas de peine à le vaincre et à le tuer. Ce fut donc lui qui obtint la couronne.
Ce duel, si contraire aux mœurs des Romains, frappa vivement leur imagination. Plus de deux siècles après, Valère Maxime, qui écrivait, comme on sait sous Tibère, en a parlé dans son recueil d'exemples mémorables, et pour rendre l'impiété de ce combat meurtrier plus choquante, il a fait des deux adversaires deux frères qui se disputaient la succession paternelle ; l’ainé, suivant Valère Maxime, aurait volontiers suivi les conseils pacifiques de Scipion. Ce serait le jeune qui aurait refusé de les accepter, et sa mort aurait été le juste châtiment de sa perverse obstination.
La partie de l'ouvrage de Valère Maxime où se trouve cet arrangement du récit antique conservé par Tite-Live, date de l'an 32 de notre ère, ou lui est postérieur de peu. Cinquante ou soixante ans plus tard, Silius Italicus, qui écrivait sous Domitien (81-96), embellit plus encore cette anecdote tragique. Il ne se contente pas de faire des combattants deux frères comme Valère Maxime l'avait imaginé : pour rendre leur lutte encore plus horrible, il les fait se tuer l'un l'autre ; il peint les deux épées perçant chacune la poitrine qui lui est opposée ; il nous montre les deux frères étendus mourants sur le sol et s'accablant de réciproques injures, à leurs derniers soupirs sont mêlés des cris de haine. On voulut ensuite, dit Silius Italicus, réunir leurs cadavres sur le même bûcher, mais les flammes qui s'échappèrent de ces funèbres débris s'élevèrent en se divisant, et les cendres des deux frères refusèrent de reposer dans le même tombeau.
Silius Italicus constate cependant que ce duel était conforme aux usages nationaux des deux combattants. Une partie des gladiateurs volontaires qui, en 206 avant notre ère, s'entre-tuèrent gratuitement aux jeux donnés par P. Cornelius Scipio à Carthagène, étaient donc des plaideurs qui recouraient au duel conventionnel pour mettre fin à des procès interminables.
Le duel était une manière d'éviter la guerre privée entre deux familles et donc de restreindre l'effusion de sang.
On ne paye pas donc pas non plus la composition pécuniaire due pour homicide quand dans un duel engagé régulièrement on a tué son adversaire.
N.B. Au Moyen-âge de tels duels judiciaires étaient qualifiés de jugement de Dieu, quant aux duels d’honneur les derniers eurent lieu à La Nouvelle-Orléans en 1843 (se termina par la mort de George A. Wagman sénateur de Louisiane) et en 1859 près de San Francisco (décès du sénateur David C. Broderick).
En Irlande le duel est régulièrement engagé dans deux circonstances :
1° quand il a pour cause le refus par le défendeur de laisser le demandeur procéder à une saisie dans les formes déterminées par la coutume (aithgabail la saisie mobilière ; et tellach la saisie immobilière).
Dans cette hypothèse, les deux parties, s'exprimant à haute et intelligible voix devant témoins, déterminent les conséquences qu'aura la défaite pour le vainqueur et pour la partie vaincue, c'est-à-dire, par exemple, restitution d'un objet déterminé au plaignant s'il est vainqueur, et abandon définitif de cet objet au défendeur si ce dernier obtient la victoire, en général fixation de l'objet du litige et de la solution que donnera à la question litigieuse le résultat du combat.
2° quand le duel a été précédé d'un contrat conclu avec le concours de la famille et qui a déterminé les effets du duel.
Accepter valablement un duel sans le consentement de sa famille était, pour un Irlandais, aussi impossible que de se placer dans la servitude d'un chef ou, en général, que d’aliéner la fortune familiale sans ce consentement. « Chaque membre d'une famille, » dit le Senchus Mor, « peut garder son bien de famille, mais non le vendre, l’aliéner où le donner ». « Is mesiuch each fear fine cunai a fintiud; naid inrean, naide sannu ». Si la famille donne son assentiment aux contrats désavantageux faits par un de ses membres, tous les membres de la famille supportent en commun les conséquences légitimes de ces contrats.
Quand un homme n'avait pas de famille, la famille était remplacée par le chef de cet homme. La règle ici est la même à peu près que lorsqu'il s'agit de savoir qui payera la composition pour crime.
Celui qui provoquait un autre en duel devait donc, avant de se battre, faire prévenir non seulement la famille, mais le chef de son adversaire, pour les mettre en demeure, ou d'accepter le duel, ou de l'empêcher en transigeant au sujet de la querelle et en accordant la réparation fixée par la coutume pour l'acte délictueux, ou simplement injuste, qui allait occasionner le duel ; cette notification servait de garantie au demandeur contre la demande d'une composition pour meurtre s'il était vainqueur.
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« Si le duel a lieu en l’absence ou à l’insu de la famille, en cas de blessure mortelle ou non, l’indemnité due pour homicide ou blessure doit être payée intégralement par l'homme qui l'a voulu si c’est lui qui est vainqueur, mais le vainqueur ne doit rien si c’est lui qui a été forcé de se battre ».
« Si un homme majeur en possession de ses droits civils, étant provoqué, se bat en duel avec l'autorisation de ses parents [et s'il est vaincu]… soit qu'il survive à ses blessures, soit qu'il meure, le vainqueur n'encourt aucune responsabilité ».
Le contrat par lequel un duel devient conventionnel n'est pas valable sans le consentement de la famille qui, par ce consentement, perd le droit à la composition pour meurtre, avons-nous dit.
Et bien de même quand le duel a pour cause le refus par le défendeur de se soumettre aux conséquences de la procédure extrajudiciaire commencée par le demandeur, le demandeur qui veut être sûr d'éviter après le duel les réclamations de la famille du défendeur, doit préalablement mettre cette famille elle-même en demeure d'acquitter la dette que le défendeur refuse de payer ; autrement, après avoir tué son adversaire, il s'expose à devoir payer la composition pour meurtre.
Un duel régulier donnait au vainqueur la propriété du corps, des armes et des vêtements de son adversaire. Le corps lui appartenait, c'est-à-dire qu'il avait le droit de couper la tête du vaincu et de la ramener chez lui comme un trophée : en Irlande, la légende épique et l'histoire offrent de nombreux exemples de ce procédé qui a aussi existé sur le Continent bien entendu.
C'était l'usage à la guerre, et les usages antiques ne font pas de distinction entre la guerre publique et la guerre privée : des deux, le duel est une forme adoucie.
Mais la présence de témoins était requise pour bien faire la distinction entre le meurtre autorisé (celui commis à l’occasion d’un duel) et le meurtre considéré comme une mauvaise action répréhensible. Il y a là une distinction qui doit avoir appartenu au droit primitif de la plupart des peuples.
Un usage général en matière de duel apparemment était en effet celui des témoins. Un texte légal irlandais le constate. C'est un récit légendaire qui a la prétention d'enseigner comment et à quelle date le délai de cinq jours prit place dans la procédure de la saisie mobilière.
Un jour, un créancier, ayant rempli les formalités de la saisie mobilière, voulut procéder à l'enlèvement des objets saisis. Par la résistance de son débiteur, il fut mis dans la nécessité de le provoquer en duel. Le moment critique était venu, les deux adversaires étaient arrivés dans l'emplacement choisi pour le combat. Près d'eux, on voyait leurs armes toutes prêtes ; pour les prendre et se précipiter l'un sur l'autre, chacun d'eux n'attendait plus que les témoins. Ces témoins devaient être des hommes. Au lieu d'hommes ce fut une femme qui vint, et par ses supplications, elle obtint que le saisissant donnât au saisi un délai supplémentaire.
Cinquième cas : la peine de mort pour meurtre d’un étranger.
Le meurtrier a, en général, le choix entre le paiement de la composition et l'exil. Nicolas de Damas, né en l'an 64 avant notre ère et mort vers le commencement de l'ère chrétienne, nous apprend que, chez les Celtes, celui qui tuait un concitoyen avait toujours la ressource de s’exiler ; mais, dit-il, celui qui tuait un étranger était mis à mort. Si ce meurtre n'avait pas été sévèrement puni, on devait s'attendre en effet à des représailles et à une guerre avec le peuple voisin auquel appartenait l'étranger. Le meurtrier d'un étranger mettait donc en grand danger la sécurité de sa propre patrie : il avait commis un crime de haute trahison ; il était arrêté, traduit devant l'assemblée du peuple, condamné à mort et exécuté.
Sixième cas : les sacrifices humains.
Le grand celtologue breton Christian-Joseph Guyonvarc’h a raison quand il écrit : « L’homme est victime de prêtre et de ce fait une victime exceptionnelle » (La civilisation celtique) et « Le sacrifice humain a été à coup sûr très rare » (Les druides).
Pourtant depuis 2000 ans il ne manque pas de « goffinets » assez tartuffes pour prétendre que les Celtes se repaissaient de sacrifices humains.
Or rien n’est plus faux : il est temps ici de rendre justice à ces pauvres « Welches » et de rappeler que même les juifs, les Grecs et les Romains, ont, eux aussi, eu recours aux sacrifices humains, en certaines circonstances.
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En 216 avant notre ère, suivant Tite-Live, les Romains sacrifièrent aux dieu-ou-démons (en les enterrant vivants) un Celte et une Celte, un Grec et une Grecque. Leur coutume voulait aussi que le prêtre du sanctuaire de Nemi n’accède à cette charge… qu’après avoir tué son prédécesseur.
Tertullien (Apologétique IX) rapporte que des enfants furent encore offerts en holocauste à Saturne sous le proconsulat de Tibère.
Dion Cassius (XLII, 24) rappelle le sacrifice à Mars de deux soldats au temps de Jules César.
Chez les Grecs, on sacrifiait chaque année à la déesse Artémis Triclaria le plus beau garçon et la plus belle fille du pays. Selon Phanias de Lesbos, Thémistocle lui-même aurait immolé trois prisonniers afin d’assurer le succès de la bataille de Salamine.
Quant aux Hébreux ancêtres des juifs, outre le quasi-sacrifice humain d’Abraham sur son fils (brrr, le pauvre garçon l’a échappé belle, vu l’inquiétant degré d’obéissance de son père) il suffit de lire la Bible pour être « édifié ».
I Samuel 15, 2 et 3 : voici ce qu’a dit Yahweh. « Tu devras aussi abattre Amalec et le vouer à la destruction avec tout ce qui est à lui, tu ne devras pas avoir compassion pour lui, tu devras les mettre à mort, l’homme comme la femme, l’enfant comme le nourrisson ». On est là aux antipodes de la morale celtodruidique. On est loin de Cuchulainn qui ne tuait jamais, ni les hommes sans armes, ni les femmes, ni les enfants.
Et ça prouve au passage combien ce dieu-ou-démon était un dieu-ou-démon mini ethnique, puisqu’il n’était même pas le dieu-ou-démon de tous les Hébreux (Les Amalécites étaient aussi des Hébreux, Amalec étant un petit-fils d’Ésaü, donc un descendant d’Abraham lui aussi).
Juges 11, 30 à 40 : Jephté sacrifie sa fille à Yahweh (pauvre Iphigénie). II Samuel 21, 9 : David fait sacrifier par les Gabaonites (sacrifice par démembrement) sept fils ou petits fils de Saül pour mettre fin à une famine de trois ans. Faut-il rappeler aussi I Rois, 16, 34. Hiel le Béthélite sacrifie ses deux fils à Yahweh pour fortifier Jéricho (Aviram pour les fondations et Segouv pour les portes). Même usage que chez les autres peuples sémites de Phénicie ou de Carthage : voir les « tophets » retrouvés par les archéologues.
Septième cas : le crime contre l’État.
Il n’est sans doute pas nécessaire de s’étendre longuement sur le sujet. Il va de soi qu’en ce domaine la sanction ne peut plus être une simple composition pécuniaire, mais la fuite à l’étranger (l’exil) ou la mort. Les auteurs d’un coup d’État raté sont exécutés, parfois même après avoir été soumis à la torture. Les vaincus d’une guerre civile sont tués quand ils sont capturés. Malheur aux vaincus est une loi universelle même s’il ne manque pas d’imbéciles ou d’hypocrites pour prétendre agir par altruisme démocratique. Et de journalistes assez gogos bobo pour les croire.
Notons au passage que l’intervention en Libye en 2011 des forces armées de MM. Sarkozy * et Cameron, afin de renverser Mouhammar Khadafi, au nom des droits de l’Homme et de la protection des civils (quelle tragique hypocrisie) a sans doute rendu désormais psychologiquement (et diplomatiquement ou politiquement) impossible, toute autre résolution de l’ONU de ce type, vu la façon dont elle a été alors grossièrement outrepassée par lesdits Sarkozy et Cameron. D’où ensuite le cas syrien ! L’impossibilité politique pour la communauté internationale de faire efficacement pression sur le régime syrien, fut la conséquence directe du fait que MM. Cameron et Sarkozy ont, à tort ou raison, donné aux Russes et aux Chinois l’impression qu’ils se moquaient d’eux. Russes et Chinois n’étant que des hommes, ils ont très mal vécu ces libertés prises par Sarkozy * et Cameron par rapport à la résolution initiale de l’ONU.
* Vraisemblablement pour des motifs de gloriole personnelle en ce qui concerne M. Nicolas Sarkozy de Nagy Bocsa : il voulait entrer dans l’Histoire comme un héros libérateur défenseur de la veuve et de l’orphelin.
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LA GUERRE ET LES DROITS DE L’HOMME CELTIQUES (FIR FER) AU COURS D’UNE GUERRE.
Comme le lui avait appris son maître Sencha (« un grand peuple ne viole jamais les règles du franc-jeu (fir fer) avec un inconnu ») ; Setanta Cuchulainn ne tuait ni les cochers, ni les messagers, ni les gens désarmés ; en outre il ne lui semblait ni noble ni beau de prendre les chevaux, les vêtements, ou les armes, des hommes abattus (autrement dit de les dépouiller. Voir le récit de l’enlèvement des bœufs de Cooley). On est là aux antipodes du comportement d’un Mahomet.
La conclusion s’impose donc d’elle-même : le respect de la vie humaine est bien par conséquent, a contrario, la règle générale régissant une société celtique digne de ce nom. On ne se massacrait pas tous les jours et on ne faisait pas tous les jours des hécatombes de sacrifices humains chez les Celtes antiques (là encore, répétons-le, nous ne parlons pas du cas des guerres, mais de la vie quotidienne à l’intérieur d’une tribu état, ou d’un village).
Et pourquoi donc me direz-vous ?? Pour une raison toute simple, et basique.
La première règle générale du druidisme antique, son premier commandement pourrait-on dire depuis l’éthologie animale des grands singes, était le respect de la vie sous toutes ses formes (écologie globale). Répétons-le encore une fois puisque repetere ars = docendi, la règle générale était le respect de la vie. De la vie sous toutes ses formes. Comment pouvait-il d’ailleurs en être autrement à une époque où l’homme n’était qu’une goutte d’eau perdu dans la nature.
Mais bien entendu comme toute règle cette règle générale du respect de la vie avait ses exceptions, la plus connue étant le phénomène appelé « guerre ».
Dans son essai intitulé tradition nationale retrouvée (page 13) Henri Lizeray a néanmoins fort justement mis en doute que la guerre soit l’état nécessaire de l’Humanité ainsi que l’a dit Jordanès à propos des Goths qui n’adoreraient que Mars c'est-à-dire dire le dieu de la guerre.
L’idée qu’il existe un droit de la guerre implique d’une part le jus ad bellum ; soit le droit de faire la guerre ou d’entrer en guerre, pour un motif tel que celui de se défendre d’une menace ou d’un danger ; il suppose une déclaration de guerre qui prévient l’adversaire ; la guerre doit être un acte loyal ; et d’autre part, le jus in bello ; autrement dit le droit en cas de guerre ou de conflit armé ; qui implique de se comporter en soldats investis d’une mission pour laquelle toutes les violences ne sont pas autorisées.
Dans tous les cas, l’idée même d’un droit de la guerre repose sur une idée de la guerre définie comme un conflit armé, circonscrit dans l’espace, limité, dans le temps, et par ses objectifs.
La guerre commence par une déclaration (de guerre), s’achève par un traité (de paix) ou un accord de reddition, de partage, etc.
Grotius, lorsqu’il rédige le « De jure belli ac pacis » (Du droit de la guerre et de la paix), donne au droit de la guerre son fondement et son cadre ; qui demeureront jusqu’à l’époque contemporaine, les références du droit international en matière de conflits armés.
Le droit de la guerre pose par principe l’interdiction de la guerre totale : le droit international n’autorise pas la guerre totale qui implique le rejet de toute règle, de tout principe de conduite, car elle est la négation même du droit.
Ces règles furent d’abord édictées sous forme religieuse avant d’être codifiées sous une forme laïque au XVIe siècle par Grotius. Grotius est en effet le premier à distinguer le Droit [et le droit de la guerre, en particulier] de la Religion, pour l’émanciper de cette dernière. Dans le discours préliminaire de son ouvrage, il affirme que le droit des gens peut être construit, quand bien même Dieu ou le Démiurge n’existerait pas.
Les règles du droit de la guerre quant aux moyens mis en œuvre, étaient telles, que, en principe, au Moyen-âge, il était interdit d’utiliser les arcs et les flèches ; car l’on pouvait tuer l’ennemi à distance et dans le dos. C’était initialement ce que l’on a pu appeler la guerre ou le combat chevaleresque et noble, avec un combat au corps-à-corps analogue au célèbre combat des trente ayant eu lieu en Bretagne le 26 ou 27 mars 1351. Il doit être loyal (Fir Fer).
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Le droit de la guerre dans les divers traités ou textes édictant des règles ; s’il a pu intervenir pour réglementer plus particulièrement tel ou tel point (par exemple le traitement des prisonniers, les armes permises, le partage du butin, etc.) ; et s’il a pu également introduire des différences par rapport à d’autres codes qui l’ont précédé sur tel ou tel autre point ; relève d’un précepte fondateur invariable. Il s’agit de ne faire que le mal utile à l’objectif de la guerre en question : ne pas faire plus de mal que nécessaire.
Cuchulainn ne violait jamais le fir fer, ne tuait ni les cochers, ni les messagers, ni les hommes désarmés ; et il ne lui semblait ni noble ni beau de prendre les chevaux, les vêtements, ou les armes, des combattants abattus (autrement dit de les dépouiller. Voir non pas la sourate du Coran traitant du butin, mais le texte du vol des bœufs de Cooley).
Le premier principe impose donc la règle de ne pas tuer un innocent, et suppose la distinction entre civils et combattants. Il a pour conséquence l’interdiction du meurtre des femmes et des enfants, voire de soldats ne portant pas les armes puisque le « soldat nu » redevient un homme, selon la logique du droit de la guerre énoncée depuis toujours.
En Inde, les lois de Manou chapitre VII 92-93 imposent que le combattant ne frappe ni celui qui est désarmé ; ni celui qui se rend, ni celui qui fuit, ni celui qui est à terre « ni un homme endormi, ni celui qui n’a plus de cuirasse, ni celui dont l’arme est brisée, ni celui qui est grièvement blessé ».
Le second principe implique d’éviter de tuer inutilement des soldats une fois l’objectif atteint, et de n’employer que des armes adaptées à ce que nécessite cette guerre. En somme, la guerre n’est pas un acte de sauvagerie, elle ne doit pas donner lieu à des cruautés sans raison, à des actes de violence inutiles : tout n’est pas permis et il ne faut ni détruire ni imposer de souffrances au-delà de ce que requiert le but recherché.
« On dit qu’autrefois notre ville fut prise par les plus sauvages des barbares ; mais les Celtes ne coupèrent la tête à personne ; ils n’outragèrent point les morts ; ils ne disputèrent point à ceux qui leur faisaient la guerre le droit de se cacher ou de fuir… » (Appien, Guerres civiles, livre IV chapitre XCV).
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POUR COMPARAISON MAINTENANT.
L’AHIMSA HINDOU.
Les premières mentions de l'Ahimsâ dans la philosophie indienne remontent aux écritures védiques appelées Upanishad (datant au moins de -800). En fait, « non-nuisance » ou « volonté de ne pas faire souffrir » transcrit mieux l'idée véhiculée par le terme sanscrit. D'autant plus que ce concept vaut autant pour le plan physique que psychique.
Fondée sur la compassion, pouvant prendre un rôle actif en incarnant la générosité et le désintéressement (œuvres charitables par exemple), cette doctrine est à la base de l'éthique hindoue qui est personnifiée par la déesse Ahimsâ, la femme du dieu Dharma (dharma, « ordre socio-cosmique » dans l'hindouisme). C'est le premier des cinq renoncements auxquels le yogi à la recherche de l'Illumination doit se soumettre, bien qu'il ne soit pas spécifiquement yogique, mais recherché par tout « honnête homme ».
L'ahimsâ est le cœur de l'hindouisme, du jaïnisme et du bouddhisme, avec toutefois des nuances plus ou moins prononcées. Ceux qui pratiquent l'ahimsâ sont par exemple, sur le plan alimentaire, végétariens, voire végétaliens.
L'hindouisme étant une civilisation, et non une religion au sens strict et occidental du terme, le végétarisme n'a rien d'obligatoire pour être « hindou » et s'affirmer en tant que tel (quoique le terme hindou n'est consacré par aucun texte sacré « hindou » : il est issu des invasions islamiques pour nommer la population non musulmane de l'Inde).
Ci-dessous néanmoins quelques citations de textes sacrés hindous sur l'ahimsâ et le végétarisme :
« Qui connaît les principes du dharma ne devrait jamais offrir de la viande [des poissons ou des œufs] à l’occasion des cérémonies de la religion, même si sans sa vie normale il mange de la viande. On tire la plus grande satisfaction de la nourriture [végétarienne] des sages et non de la nourriture [obtenue] par une [inutile] violence exercée contre des animaux. Pour quelqu’un cherchant à être un vrai juste il n’est pas de religion plus haute que celle-ci : renoncer dans son esprit, ses paroles et ses actes, à toute violence à l’encontre d'autres êtres vivants » (Bhâgavata Purâna 7.15.7-8).
L’AHIMSA JAÏNISTE.
“Quelqu’un de pleinement conscient des principes de la religion ne devrait jamais offrir à manger quelque chose comme de la viande des œufs ou du poisson lors des cérémonies de Saddam, et même si c’est un kshatriya (guerrier) il ne devrait rien manger de tel » (Bhagavata Purana 7.15.7).
« Est-il besoin de dire que ces créatures innocentes et en bonne santé sont faites pour l’amour de la vie, alors qu’elles sont recherchées pour être tuées par de misérables pécheurs vivant dans les boucheries ? Pour cette raison, ô monarque, sache que le refus de la viande est le plus grand refuge de la religion, du ciel, et du bonheur. S’abstenir de blesser est le plus grand des principes. Il est, là encore, la plus grande des pénitences. Il est également la plus grande des vérités parmi toutes les preuves d'affection. La viande ne peut pas être retirée de l’herbe ou du bois ou de la pierre. À moins qu’une créature vivante soit tuée, cela ne peut être réalisé. Donc, tu es dans la faute en mangeant de la chair » (Mahâbhârata 13,115).
« Les pécheurs ignorant ces principes religieux, mais se considérant néanmoins comme vraiment pieux, commettent sans aucune hésitation des violences contre des animaux innocents qui leur font confiance. Dans leur vie future, ces pécheurs seront mangés par les créatures qu’ils ont tuées en ce monde » (Bhâgavata Purâna 11.5.147).
S'opposer à un système, l'attaquer, c'est bien ; mais s'opposer à son auteur, et l'attaquer, cela revient à s'opposer à soi-même, à devenir son propre assaillant. Car la même brosse nous a peints ; nous avons pour père le même et unique Créateur, et de ce fait les facultés divines que nous recélons en nous sont infinies. Nuire à un seul être humain, c'est nuire à ces facultés divines, et par là même faire tort non seulement à cet être, mais, avec lui, au monde entier.
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Alors qu'une bonne action doit appeler l'approbation, et une mauvaise, la réprobation, le fauteur de l'acte, qu'il soit bon ou mauvais, mérite toujours respect ou pitié, selon le cas. « Hais le péché, non le pécheur » – c'est là un précepte que l'on applique rarement, s'il est aisé à comprendre ; et c'est pourquoi le venin de haine se répand si vite dans le monde.
Le Jaïnisme est sans doute la spiritualité qui aura poussé le plus loin le principe de l’ahimsa ou respect de la vie quelle qu’elle soit…………
Éliminons donc cet extrême d’un point de vue philosophique, en démontrant que son prétendu respect absolu de la vie n’est pas aussi absolu qu’on le prétend et que le jaïnisme ne le pense lui-même…
Il est totalement impossible à un être humain de vivre sans que cela se fasse plus ou moins au détriment d’autres vies, que la sienne. Il ne peut pas y avoir de respect absolu de la vie, en toutes circonstances. Et les microbes ou les bactéries alors. Le jaïnisme absolu est une impasse. Il n’est qu’une illusion ou un jeu de mots. Il ne peut y avoir que des respects relatifs (non-respect absolu de la vie animale inférieure, mais respect relatif de la vie des animaux supérieurs, respect de la vie d’autrui allant jusqu’au refus de la légitime défense, etc.)
La nature elle-même est d’une cruauté sans nom. Les graminées mangées par un troupeau d’herbivores ne souffrent peut-être pas (et encore, qui le sait vraiment, nos amis de Findhorn ne sont pas de cet avis, car il convient au préalable de définir ce qu’est la souffrance). Mais l’adorable petite chèvre de Monsieur Seguin traquée par une meute de loups et dévorée par eux à la fin, si ! Car le seul grand principe qui anime la nature est « manger ou être mangé ».
Nous reviendrons sur les équilibres qui s’installent alors entre proies et prédateurs et qui évitent la prolifération de certaines espèces, qui se fait toujours au détriment de quelque chose.
La nature, quand l’homme n’y intervient pas et ne la dérègle pas, est toujours bien faite. Son autre grande règle est en effet l’équilibre, lle bo cydbwys pob gwrth. L’équilibre entre les différentes formes de vie, chacune dans son biotope. Un prédateur élimine toujours les plus faibles de ses proies, pas les plus vigoureuses. Si Bambi se fait déchiqueter par une bande de loups affamés, ce n’est pas par hasard, et il y a des causes à un tel phénomène.
Le respect de la vie en général et sans inutile sensiblerie fait donc partie intégrante de toute écologie qui se respecte.
Avons-nous dit et démontré. Or qui osera prétendre que nos ancêtres n’étaient pas des écologistes avant la lettre, eux qui vouaient un véritable culte aux forces de la nature ?
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JUSTICE DROIT ET FORCE.
L’ENCADREMENT ÉTHIQUE DE LA FORCE BRUTE (SYMBOLISÉE PAR LE TERMAGANT < TARVOS TRIGARANOS).
Le druide prime (conseille) le roi, mais le droit sans la force ne sert à rien non plus aurait pu dire Sun Tzu.
« On dit qu’autrefois notre ville fut prise par les plus sauvages des barbares ; mais les Celtes ne coupèrent la tête à personne ; ils n’outragèrent point les morts ; ils ne disputèrent point à ceux qui leur faisaient la guerre le droit de se cacher ou de fuir… » (Appien, Guerres civiles, livre IV chapitre XCV).
L’affirmation d’Appien peut sembler surprenante à l’heure de l’antiracisme et du djihadisme triomphant, au nom d’une certaine idée de l’islam (des origines), mais ce qui est certain c’est qu’un des principes de base du druidisme antique était sa volonté de ne nuire à personne. Il ne s’agit pas de pacifisme à tout prix néanmoins, car ce druidisme admet la légitime défense, individuelle ou collective, et impose même un certain devoir d’ingérence pour venir en aide à des alliés ou à des amis.
Tite-Live. Livre XXI. Chapitre XX. « Dans un discours où ils vantaient la gloire, la valeur du peuple romain, et la grandeur de leur empire ; les envoyés de Rome demandèrent de ne point donner passage, sur leurs terres et par leurs villes, aux Carthaginois qui allaient porter la guerre en Italie. On entendit alors des éclats de rire si violents et de tels murmures, que les magistrats et les vieillards purent à peine calmer les jeunes guerriers.
Quelle impudence ! Quelle sottise ! s’écriait-on ! Demander que nous attirions sur nous la guerre, pour l’empêcher de passer en Italie ! Que nos campagnes soient dévastées, pour préserver du pillage celles de l’étranger !
Le tumulte enfin apaisé, on répondit aux ambassadeurs qu’on n’avait ni à se louer des Romains ni à se plaindre des Carthaginois, pour servir la querelle de Rome contre ses ennemis. En outre, on savait que le peuple romain chassait les Celtes du territoire et des frontières de l’Italie, leur faisait payer tribut et subir mille outrages. Cette réponse fut à peu près celle des autres peuplades ».
Il s’agit donc de quelque chose de très différent de la notion indienne d’ahimsa. Ici la non-violence a deux niveaux : si nous pouvons aider d’autres êtres humains, faisons-le, mais de façon chevaleresque ; si nous ne le pouvons pas, au moins ne leur faisons pas de mal sans raison.
La vengeance est l'attaque d'un premier acteur contre un second, motivé par une action antérieure du second, perçue comme négative (concurrence ou agression) par le premier. Il peut s'agir de personnes, de personnes morales, de groupes familiaux ou ethniques, d'institutions, notamment pour le second acteur. Ce comportement n'est pas exclusivement humain, mais c’est chez eux que la vengeance est la plus fréquente.
Le besoin de se venger est basique dans l'espèce humaine ainsi que le montre bien le tableau du Musée du Louvre intitulé « la Justice et la Vengeance poursuivant le Crime ». En décembre 2000, le journal saoudien Al Riyadh a rapporté qu'un groupe de babouins hamadryas s'étaient embusqués sur le bord de la route pendant trois jours afin de lapider un automobiliste, qui avait précédemment écrasé un des membres du groupe. En France il y a aussi le célèbre exemple de la mule du pape.
De ce fait, les textes de loi les plus anciens décrivent une forme de loi du talion, dans le but de définir une réponse proportionnée au tort causé par l'agresseur. La loi du talion est en effet une première tentative de la société pour encadrer ce besoin de vengeance souvent destructeur, mais qui peut aussi établir ou renforcer une communauté, unie par ce désir commun.
Intud i ngeindtleacht gnim olc mad indechur / il y a renforcement du paganisme si une mauvaise action est vengée – Senchus Mor, I, page 9 – Intud i ngeindtleacht gnim olc mad indechur ; et comme le disait la reine Boadicée en personne : « Les dieux sont favorables à une juste vengeance ».
La vengeance est un acte d'origine émotionnelle (qui peut être ou non passionnel) auquel on ne peut se soustraire.
La justice se doit d’être d’abord réparatrice et ensuite seulement corrective puis dissuasive, mais si elle ne tient pas compte de la dimension cathartique de la vengeance elle perd beaucoup de son
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efficacité, car la vengeance a une vertu cathartique que la justice ne saurait ignorer sans conséquence pour sa capacité à ramener la paix civile. Toute bonne justice doit donc répondre d’une façon ou d’une autre à ce sentiment que peuvent éprouver les victimes.
La vengeance qui consiste à directement faire payer son crime à un assassin, dans sa propre chair, est donc compréhensible ; cela revient à faire justice soi-même, mais s’en prendre à des innocents ne peut en aucune façon se justifier par contre.
« Les Celtes prennent volontiers en main la cause de celui que l’on opprime. Ils ont en effet au plus haut degré le sentiment de l’équité, du droit et de l’honneur. Ils ne peuvent souffrir que l’on manque à la foi jurée. La réputation de justice de certaines de leurs tribus, comme les Volques Tectosages qui habitaient au-delà du Rhin, s’étendait au loin […] Les Grecs nous ont transmis l’éloge d’un de leurs rois de la région d’Andrinople : Cavaros, de Tylis » (Albert Grenier).
Il est tout à fait légitime qu’un druide participe personnellement à la défense de son peuple, ou à la défense d’amis, mais il faut également savoir raison garder et proportionner sa riposte. La loi juive du talion, à la rigueur, en vertu du principe de réciprocité, œil pour œil dent pour dent à la rigueur (c’est basique), mais pas pour un œil les deux yeux, pour une dent toute la mâchoire. Louer un tel excès constitue incontestablement une déviation des bardes irlandais, presque une hérésie.
« Mais il y aura encore plus de morts quand Medb sera venue ». On touche là aux limites de toute vengeance bêtement menée à chaud. À part pouvoir dire « tout est perdu fors l’honneur », on aboutit à un carnage inutile. La meilleure des vengeances en outre est un plat qui se mange froid, jamais chaud.
Que faisaient donc les druides irlandais lors de l’enlèvement du bétail de Cooley ??? N’y avait-il donc que des Diviciacos chez eux ??? Étaient-ils donc à ce point si peu philosophes et si « mondains », si englués dans les affaires de ce monde, de ce siècle, de ce temps ? Si englués dans le séculier ou le temporel ???
L’encadrement éthologique, par les très-sachants de la druidiaction (druidecht), de l’usage de la force, transparaît nettement dans la triade rapportée par Cailte à saint Patrice : pureté morale, force dans les bras, rhétorique (Dialogue des Anciens. Acallam na Senorach).
Sur le Continent à la même époque à en croire Diodore de Sicile « À maintes reprises par exemple, alors que deux armées s’approchent l’une de l’autre, rangées en ordre de bataille, l’épée nue à la main et les lances pointées en avant, ces hommes s’interposent entre eux et les font s’arrêter, un peu comme s’ils avaient jeté un sort à quelque espèce d’animaux sauvages. Ainsi, même chez les plus sauvages Barbares, la passion cède-t-elle devant la raison, et Arès respecte les Muses » (livre V, chapitre XXXI).
Notons donc cette insistance du druidisme sur la paix ; bien que ce ne soit pas pour la paix à tout prix ou dans le déshonneur. Les druides ont toujours admis qu’il pouvait y avoir des guerres justes et ont même fait de la défense des siens, des amis ou des faibles, un impératif moral. Ci-dessous pour mémoire les devoirs du monarque idéal dans la Compert Con Culainn : Am túalaing mo daltai. Am dín cech dochraite. Dogníu dochur cech tríuin, dogníu sochur cech lobair…. être le fléau des forts le défenseur des faibles (Fergus).
Bref, le druide prime le roi et le droit prime donc la force, mais le droit sans la force pour le faire appliquer (le druide sans le roi) n’est que vœu pieux ou ruine de l’esprit.
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LA DUODÉCUPLE VOIE DU DRUIDISME (12 CONARA FUGILL).
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BUAÏDH N° 3
AMOUR AMITIÉ OU PITIÉ.
D’après Rogério G. Fernandes et Steve Hansen du site internet Galáthach hAthevíu les Celtes connaissaient les différentes nuances du verbe aimer. Un certain nombre de verbes peuvent en effet être identifiés qui semblent exprimer ces sentiments (les numéros de page se réfèrent à Delamarre 2003).
Cára: aimer (p. 107).
Ama: aimer (dérivé de namanto- = ne + ama + nto, p. 231).
Náma: ne pas aimer (p. 231).
Lúvi: adorer (<lubi p. 209).
Arúer: plaire / donner satisfaction (<arueriiatis p. 56-57).
D’où (toujours selon nos deux auteurs)…
Cára mi ti: je t'aime.
Ama mi ti: je t'aime.
Náma mi ti: je ne vous aime pas.
Lúva mi ti: je t'adore.
Arwéra i mi: ça me fait plaisir.
À propos des penchants homosexuels attribués aux Celtes antiques, ci-dessous quelques citations concernant également les Germains ou d’autres peuples nordiques (les Finnois ?? Les Baltes ?)
Commençons tout d’abord par les auteurs chrétiens.
Bardesane. Le livre des lois de chaque pays.
« Au nord, en pays germain, ainsi que chez leurs voisins, les garçons qui sont bien faits servent de femmes pour les hommes, et un banquet de mariage est alors organisé pour cela. La chose n’est pas considérée comme honteuse ni n’est tenue pour méprisable puisque la loi permet de telles unions. Il est pourtant impossible qu’en Celtique tous ceux qui se rendent coupables d’une telle infamie soient venus au monde alors que Mercure était en conjonction avec Vénus dans le signe de Saturne, tout comme dans le domaine de Mars, pour ce qui est des signes du Zodiaque d’Occident. Or les hommes qui sont nés sous cette étoile, est-il écrit, sont considérés comme devant de façon éhontée, servir de femmes.
Loi des [Grands] Bretons.
Chez les [Grands] Bretons, beaucoup d’hommes se partagent une seule femme.
Loi des Parthes.
Chez les Parthes…
Mais nos frères qui habitent en Celtique ne se marient pas avec des hommes, et ceux qui vivent chez les Parthes… »
Ces propos pas très clairs de Bardesane sont peut-être tirés d’Eusèbe de Césarée.
Préparation évangélique. Livre VI, chapitre X.
« Chez les Celtes les jeunes hommes se marient et ne considèrent pas la chose comme moralement condamnable, car chez eux c’est légal. Il n’est pourtant pas possible qu’en Celtique tous ceux qui s’adonnent à une telle honte soient nés avec l’étoile du matin (Vénus) en conjonction avec Mercure dans le signe de Saturne et dans le domaine de Mars. En [Grande] Bretagne de nombreux hommes ont une femme en commun : mais en pays parthe… »
Répétons-le encore une fois, nous mettons fortement en doute le caractère religieux de telles unions. Sur ce point Celtes et Romains devaient avoir les mêmes sentiments : il devait sans doute s’agir de simples unions civiles en aucune façon placées sous le regard des dieux.
Les auteurs plus anciens comme Diodore de Sicile ne nous présentent aucunement ces relations comme entrant dans le cadre d’un mariage, mais comme une pratique acceptée dans des groupes masculins comme ceux constitués par des guerriers.
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Diodore de Sicile. Livre V, 32, 7.
« Bien que leurs épouses soient avenantes, ils s’occupent très peu d’elles, mais s’adonnent avec passion à des amours contre nature entre mâles. Ils ont l’habitude de coucher à même le sol sur des peaux de bête sauvages et de dormir avec un giton de chaque côté. Le plus étonnant de tout est qu’ils ne se soucient aucunement de leur propre dignité, mais qu’ils prostituent ainsi sans aucune gêne la fleur de leur jeunesse ; et ne considèrent pas cela comme honteux ; ce qu’ils considèrent plutôt comme honteux c’est de refuser leurs avances quand ils s’offrent à quelqu’un ».
Strabon recopie sans doute Diodore à ce sujet (Livre IV,4, 6).
« Et ce qui suit, aussi, est l'une des choses répétées maintes et maintes fois à leur sujet, à savoir que les Celtes sont tous des fous de guerre, mais qu’il n’est pas considéré comme honteux chez eux pour les jeunes hommes de prodiguer leurs charmes d’éphèbes ».
Ainsi qu’Athénée de Naucratis. Deipnosophistes. Livre XIII. 79.
« Et les Celtes aussi, bien qu’ils aient les plus belles femmes de tous les Barbares, préfèrent de loin les garçons. De sorte que certains d’entre eux vont souvent dormir avec deux amants sur leur couche faite de peau de bête ».
Le cas d’Aristote est plus douteux, car il avait un peu tendance comme tout Grec qui se respecte, à considérer comme normaux les mariages homosexuels aussi son témoignage est-il sujet à caution.
Aristote. Politique. Livre II. Section 1269 b.
« De sorte que l’inévitable résultat est que dans une telle société la richesse est recherchée, surtout quand les hommes sont dominés par leurs femmes, comme c’est souvent le chez les peuples belliqueux guerriers, à l’exception des Celtes et de quelques autres peuples semblables qui tiennent en grande estime les amours entre mâles ».
Notons néanmoins que là encore il n’est toujours pas question de mariage homosexuel au sens strict du terme, mais seulement d’amours homosexuelles. Ce qui n’est pas la même chose !
L’homosexualité n’était nullement pénalisée par le paganisme gréco-romain, mais par contre ce qui était saint pour lui, c’était l’union d’un homme et d’une femme. L’union de deux hommes (ou de deux femmes) ne l’était en aucune façon. Sans toutefois être interdite ou réprimée. L’homosexualité ne relevait pas du pénal comme en terre d’islam (dar al islam).
Et « l’amour grec » dans tout ça ? Aujourd’hui que l’on n’a pas (ou plus, ou moins) peur des mots, il est possible de se demander, sans détour, si la Grèce antique était vraiment un paradis pour homosexuels. Il est nécessaire, avant et afin de répondre à cette question, de caractériser la sexualité des Grecs anciens, et plus particulièrement leur attitude face à l’homosexualité.
Le Français Maurice Sartre, à qui nous empruntons la quasi-totalité du contenu de cette digression, qualifie la sexualité grecque « d’indivisible » : la même personne peut avoir tour à tour un comportement hétéro ou homosexuel.
Autrement dit, les Grecs ne se répartissent pas en « homos » et « hétéros ». Ces deux termes n’existent même pas en grec ancien : les Grecs disaient qu’il y en avait qui étaient « plus portés vers les femmes », et d’autres « vers les hommes ». C’est donc le même individu qui va admirer les beaux garçons au gymnase pendant la journée, et, le soir, rentre retrouver son épouse, auprès de laquelle il se montre empressé, comme il se doit. Dans la Grèce antique, l’homosexualité en elle-même n’est ni condamnée par la loi ni même frappée d’opprobre.
Ceci ne doit pas nous faire croire que tout était permis en matière de sexualité. Les Grecs eux aussi manifestaient leur réprobation face à certains comportements « déviants », dont ils se plaisaient à stigmatiser leurs adversaires en politique ou en justice, et dont la loi punissait, parfois sévèrement, certains. Seulement leurs catégories différaient considérablement des nôtres. D’abord, l’opinion publique se gaussait des obsédés, des goinfres sexuels incapables de se contrôler. Encore plus mal vus étaient les hommes, qui, dans une relation sexuelle, jouaient le rôle passif qui faisait d’eux une femme, inversant ainsi les fonctions sociales. Par exemple, dans la relation entre le client et le travesti ou prostitué mâle, ce n’était pas sur le premier que retombait l’infamie (quoi de plus normal que d’aller voir les prostitué (e) s, pensaient-ils) ; mais sur le second, qui faisait commerce de son corps, surtout s’il était citoyen. L’homme libre ne peut ni ne doit se mettre au service d’autrui. Les citoyens prostitués ou travestis ne pouvaient exercer aucune charge au Conseil (des 500), aucune magistrature, qu’elle soit attribuée par élection ou tirage au sort, et n’avaient pas droit de prendre la parole à l’Assemblée. Notons qu’en gros, cette attitude mentale se retrouve chez les Romains, dont témoigne ce refrain sarcastique que les légionnaires chantèrent lors du triomphe célébrant la victoire de César sur les
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Gaulois ; rappelant ainsi avec une délicatesse typiquement militaire ses relations de jeunesse avec le roi Nicomède IV de Bithynie, où il aurait joué le rôle de la femme.
« Gallias Caesar subebit,
Nicomedes Caesarem ».
Les comportements sociaux et sexuels athéniens trouvent leur explication dans les coutumes et lois crétoises. Là les relations entre adultes et adolescents étaient, non seulement admises par l’opinion publique et les usages, mais même codifiées par les lois et sacralisées par des rites religieux.
Cependant, il subsiste une contradiction : si l’homosexuel passif est considéré avec mépris, comment se fait-il que l’éromenos échappe à cet opprobre, bien au contraire ? La réponse : c’est une question de poils. Tant que les siens ne commencent pas à noircir, l’éromène n’est pas considéré comme un homme fait, n’a pas atteint l’âge adulte, ni, a fortiori, acquis le statut de citoyen. Autrement dit, cette relation est licite et valorisée entre les 12 et 16 ans du jeune homme, période durant laquelle celui-ci n’est plus un enfant, mais pas encore un adulte : c’est un non-homme, donc symboliquement considéré comme une femme. Une fois que ses poils poussent dru, la relation amoureuse doit s’interrompre. Certains éromènes tentent néanmoins de la prolonger en s’épilant, signe qu’ils y trouvent des avantages…
Ne nous laissons pas néanmoins, prendre au piège des mots et des belles théories : les Grecs eux-mêmes dénonçaient la limite parfois floue entre éromène et adolescent prostitué, quête amoureuse et recherche du seul plaisir.
Nous pouvons également faire justice d’une interprétation qui fait de l’homosexualité grecque une conséquence de la « camaraderie militaire ». Pour résumer : faute de femmes, les soldats encasernés ou en campagne se « rabattent » sur leurs compagnons.
C’est méconnaître plusieurs faits.
Les armées grecques, comme toutes les armées antiques, étaient accompagnées d’une horde de suiveurs, et surtout, dans le cas qui nous occupe ici, de suiveuses. Servantes plus ou moins libres, cabaretières, lavandières et vivandières, prostituées (oui, il y avait aussi des prostituées), et parfois le tout à la fois, sans compter les compagnes voire les épouses, des hommes et de leurs officiers. Et puis, il y a les captives qui, comme dans l’Iliade, doivent tout à leur propriétaire, y compris leur corps ; en outre, il y a toutes les occasions de viol qu’offre le passage dans les bourgs et villages, et la mise à sac des villes.
En ce qui concerne le soldat encaserné, il faudrait prouver, statistiques à l’appui, que la vie en commun de mâles adultes favorise l’homosexualité. Admettons que cela soit le cas : j’imagine que, si enquêtes internes il y a eu, les autorités militaires préférèrent rester discrètes. Cependant, mon expérience militaire personnelle me porte à croire que le soldat préférera toujours à la « facilité » des relations homosexuelles la dépense d’énergie et la prise de risque ; (je pense à un certain trou dans la clôture d’un ancien quartier militaire belge proche de Cologne) ; pour « aller voir les filles », qu’elles soient en deux ou en trois dimensions. Est-il besoin de mentionner le courrier attendu impatiemment, les files devant les cabines téléphoniques, les « trucs infaillibles » pour obtenir une permission prolongée ; ainsi que les malédictions dont est accablé l’état-major de la compagnie lorsqu’il refuse (pour de forcément mauvaises raisons) la « permission » si méritée ou convoitée.
Et c’est bien ce qui se passait dans le cas grec. Les jeunes mariés, qui devaient vivre en caserne jusqu’à trente ans, usaient de toutes les ruses pour échapper à la vigilance des officiers, quitter la caserne et rejoindre madame.
Dernier mystère à résoudre : le Bataillon Sacré de Thèbes. Plutarque note que « selon certains », il était composé de 150 couples d’amants. Le Bataillon sacré (en grec ancien hiéros lokhos) était un corps d’élite de l’armée thébaine, dont la cohésion pouvait s’évaluer à 9 sur une échelle de 0 à 10, et créé selon Plutarque par le commandant thébain Gorgidas. Il l’avait composé de trois cents hommes d’élite dont la cité prenait en charge l’entraînement et l’entretien, et qui campaient dans la Cadmée. Ce bataillon sacré fut détruit à la bataille de Chéronée en 338 avant notre ère, par la cavalerie menée par le jeune Alexandre le Grand : 254 des 300 soldats furent alors tués, tous les autres blessés. Selon la tradition, Philippe II de Macédoine, s’arrêtant devant l’endroit où le Bataillon avait péri, se serait alors écrié : « Maudits soient ceux qui peuvent penser que ces hommes ont pu faire ou subir quoi que ce soit de honteux ».
Quel est le problème ? Si ces couples sont constitués d’adultes, vu que le citoyen hoplite est nécessairement majeur, il est donc exclu qu’ils entretiennent une relation amoureuse qui implique, on l’a vu, des relations sexuelles, sans que l’un d’eux ne soit considéré comme « déchu ». S’il y a relation amoureuse et sexuelle admise par les usages, l’un des deux partenaires du couple est
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nécessairement un adolescent, ce qui entre en contradiction avec le fait que l’hoplite est un citoyen, donc un adulte.
Mon hypothèse, qui vaut ce qu’elle vaut : ces couples sont constitués d’ex-amoureux, ce qui réconcilie l’obligatoire majorité du soldat-citoyen et les relations pédérastiques. Ceci implique qu’au-delà et après la relation proprement amoureuse, les érastes thébains, au moins dans le milieu particulier que constituait le Bataillon Sacré, auraient continué à exercer une influence morale sur leur ex-éromène. Poussons plus loin. Si cette hypothèse est valable, les Thébains auraient donc recyclé une coutume initiatique archaïque en instrument de formation et d’encadrement militaires ; le plus âgé montrant l’exemple des vertus et compétences guerrières, guidant, surveillant et conseillant le plus jeune dans sa vie de soldat. Les titres mêmes de ces 300 hoplites sont révélateurs : il y a les « Guerriers » (parabataï) et les « Cochers » (hèniochoï), désignations qui renvoient à l’époque où l’aristocratie guerrière était, au moins pour les déplacements, les parades, et le sport, montée sur char ; et qui supposent une hiérarchisation à l’intérieur de chaque couple ; ce qui confirme l’origine aristocratique et les intentions éducatives d’une certaine pédérastie grecque (Daniel Vranckx. Site internet Locus Danielis. Bruxelles).
L’opinion publique, après avoir longtemps brocardé les amours à la grecque (N.D.L.R : l’homosexualité) tend aujourd’hui à en faire une autre manière de vivre sa vie. Certains paganismes frères, à côté de l’amour romantique à la Amadis ou à la Tristan et Iseut, ont aussi admis l’homosexualité compatible avec le mariage et la reproduction, le paganisme grec par exemple. Les partisans de l’amour de type grec doivent donc être traités avec le respect dû à toute autre approche de la sexualité humaine, MAIS SANS HYPOCRISIE.
En outre, il ne faut pas confondre les tendances, homosexuelles, avec les actes (homosexuels) tout court. S’il est un domaine où la liberté mais aussi l’équilibre se conquièrent lentement et difficilement, c’est bien celui de la sexualité. La sexualité affecte tous les aspects de l’homme, dans l’unité de son corps et de son âme. Elle concerne l’affectivité, la capacité d’aimer puis de procréer voire, d’une manière plus générale, l’aptitude à nouer des liens avec autrui. L’harmonie de la société dépend de la manière dont sont vécus les identités sexuelles, la complémentarité, les besoins et les appuis mutuels.) Les formes de la pudeur varient bien sûr d’une culture à l’autre. La pudeur protège le mystère de l’amour. Elle est modestie, inspire le choix des vêtements, se fait discrétion, tout comme dans le cas d’Aemer la femme de Cuchulainn (voir leur première rencontre).
VIEIL IRLANDAIS GRAD, GRATUS ? CARO ? CARE ?
Amadis nous reporte à la primitive époque des preux chevaliers dits errants, partant à la recherche des aventures, accompagnés seulement d’un jeune écuyer en âge de porter les armes. C’est l’époque qui précède immédiatement celle de l’institution de la Table Ronde […] ce merveilleux n’est pas oublié dans le roman d’Amadis. L’île Ferme, où se trouve l’Arc des loyaux amants, fut célèbre en son temps. Il fallait passer sous cet arc et subir quelques épreuves pour arriver à la Chambre défendue… Dans cette traduction mitigée du texte original, on peut reconnaître les préliminaires de l’hypnose amoureuse (Henri Lizeray. La D.S.D.D.)
Pour cet auteur, l’Éros ou l’Amour était donc le principe le plus cultivé par nos ancêtres.
« Qui tinrent toujours en grande considération ce principe créateur, qui exalte le courage individuel, sélectionne la race, embrase et épure les âmes, mais non pas les vulgaires. L’amour était la grande préoccupation, si l’on en juge d’après les cours d’amour, instituées de temps immémorial, en Provence ; et d’après les tournois, qui fournissaient aux chevaliers l’occasion de faire valoir, auprès de leur dame, leur adresse et leur bonne grâce. Amadis nous fait toucher à l’âme/esprit de l’Occident. Il porte en lui le cœur de la race, ce beau ténébreux (castillan beltenebros) communiquant par le lien sympathique des pensées ainsi que des sentiments avec la belle à laquelle il consacre ses vaillantes actions. Cette nouvelle conception de l’amour sentimental est supérieure à toutes celles de l’Antiquité. Elle s’éloigne de la passion érotique (Éros) des Grecs qui, sur le même sujet, nous présentent les piètres amours de Mars et de Vénus ».
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La première version de ce roman, parue en portugais vers la fin du XIVe siècle, fut attribuée à Vasco de Lobeira. Une seconde édition parut en 1547, rédigée en Castillan par Rodriguez de Montalvo, et contenant la suite des Amadis. Les quatre premiers livres, qui portaient le nom d’Amadis, étaient très estimés de Cervantès.
Louis-Élisabeth de la Vergne, comte de Tressan, auteur de la traduction libre de 1779, croit que le texte original a été écrit en Picard sous le règne de Louis le Jeune ou de Philippe-Auguste. Il affirme avoir vu des manuscrits d’Amadis en langue picarde. Il invoque à l’appui de son opinion des passages de l’ouvrage où il est fait mention d’Ungan (sic), un philosophe picard, et d’Iseult (ah les amours de Tristan et d’Iseult…).
Pourquoi en effet, serait-il venu à l’esprit d’un auteur portugais de citer ces personnages des romans de la Table ronde ? Herberay des Essarts relève encore le ton général des trois premiers livres de l’ouvrage, écrits dans le goût de l’époque.
Son opinion était aussi celle de Desmasures, secrétaire du cardinal de Lorraine (1555). Desmasures félicite le traducteur d’avoir rendu au pays le livre que détenaient les Espagnols.
Voir aussi Plutarque : Des vertus des femmes.
Notamment l’exemple des Deirdre galates que furent la belle Khiomara, épouse du roi Ortiagon (tout comme Deirdre en effet, la femme d’Ortiagon avait juré, elle aussi, de ne pas connaître plus de 2 hommes dans sa vie) ainsi que la pure et douce Camma, prêtresse d’Ancyre.
La malheureuse avait pris pour refuge et consolation le ministère sacré l’attachant au temple d’Artémis en tant que vestale consacrée à cette déesse [ou plus exactement à la déesse-ou-démone celte, ou fée, dissimulée sous ce nom]. Mais, obligée par sa famille d’épouser l’assassin de son premier mari, elle versa du poison dans la coupe de leur mariage, et elle mourut en entraînant ce dernier dans sa mort.
Ses dernières paroles furent celles-ci : « Je te prends à témoin, ô déesse la plus révérée, que c’est uniquement pour que vienne ce jour que j’ai survécu au meurtre de Sinatus, je n’ai goûté à aucun des plaisirs de la vie durant tout ce temps-là hormis l’espoir que justice soit faite un jour ; mais maintenant que je tiens ma vengeance, je peux descendre rejoindre mon époux. Quant à toi, le plus exécrable de tous les hommes, que tes parents te préparent une tombe au lieu d’une chambre nuptiale et d’un mariage ».
Ensuite elle enlaça l’autel et y mourut devant une immense foule frappée de terreur.
De telles conceptions de la fidélité jusqu’à la mort ont étonné le monde antique (et même médiéval si la légende de Deirdre n’est pas plus ancienne), mais il ne faut pas pour autant se tromper sur son sens profond.
Et n’oublions pas non plus cette Deirdre celte que fut la fameuse Éponine.
Voici ce qu’en dit Plutarque (Œuvres morales, De l’amour, chapitre XXV) et ce sera là notre conclusion.
Julius, celui qui avait suscité le soulèvement, comptait, comme il est naturel, un grand nombre de complices ; et entre autres un certain Sabinus, homme jeune, plein de courage, et le plus remarquable de ceux de son parti à cause de son crédit et de sa richesse. L’entreprise était grande. Ils échouèrent ; et comme ils prévoyaient le châtiment qui leur était réservé, les uns se donnèrent la mort, les autres s’enfuirent. Ces derniers furent repris. Sabinus se trouvait dans des circonstances telles qu’il aurait pu, en tout autre moment, s’échapper sans peine et se réfugier chez les Barbares. Mais il était marié à une épouse la plus vertueuse du monde. Dans son pays, elle s’appelait Empone [Éponine] nom qui en grec répondrait à « héroïne ». Il ne se sentait pas plus capable de l’abandonner qu’il ne pouvait la prendre avec lui. Sabinus avait dans ses domaines des caveaux souterrains destinés à cacher ses richesses, et connus de deux de ses affranchis seulement. Il éloigna ses autres esclaves, sous prétexte qu’il allait se suicider par le poison, et prenant avec lui les deux serviteurs auxquels il se fiait, il descendit dans ces souterrains. Il dépêcha en même temps vers sa femme son affranchi Martalius, afin de lui annoncer qu’il avait succombé au poison, et que sa maison de campagne avait été brûlée avec son corps. Il voulait que le désespoir de sa femme accréditât la nouvelle de sa mort. Ce fut ce qui advint. Dans l’état même où la trouva cette nouvelle, Empone [Éponine] se précipita le visage contre terre en poussant des lamentations et des sanglots, et elle resta trois jours entiers ainsi que trois nuits sans prendre aucune nourriture. Sabinus en ayant été informé, eut peur qu’elle ne se laissât mourir. Il lui envoya donc dire en secret par Martalius qu’il était toujours vivant, qu’il était caché, mais qu’il avait besoin qu’elle continuât un peu de temps ces scènes de désespoir, en donnant à son affliction simulée une parfaite vraisemblance. Pour tout le reste, Empone joua résolument ce rôle, de manière à faire croire à sa douleur ; mais comme elle brûlait du désir de voir son époux, elle partit une
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nuit, et elle fut de retour le lendemain. Depuis ce moment-là, et sans que personne s’en aperçût, elle vécut à peu de chose près au fond des Enfers, partageant la retraite de son mari…
Seulement, de temps à autre, elle retournait en ville, et y circulait pour s’y faire voir de ses amies ou de ses parentes. Mais ce qui est plus incroyable que tout, c’est que les compagnes avec qui elle prenait des bains ne s’aperçurent pas qu’elle était devenue grosse. La composition avec laquelle les femmes frottent leurs cheveux pour les rendre roux et brillants comme de l’or ; est faite d’une substance grasse, qui donne aux chairs plus d’épaisseur ou de développement, de manière à ce que le corps se dilate ou se gonfle. Elle s’en frotta partout avec profusion, et elle déroba ainsi aux conjectures la grosseur de son ventre, dont le volume s’arrondissait tous les jours. Quant aux douleurs de l’enfantement, elle les supporta, réduite à elle seule, comme une lionne qui met bas dans son antre, et elle donna ainsi à son mari deux enfants mâles, j’allais dire deux lionceaux, qu’elle nourrit de son lait. De ces fils, l’un est mort à la guerre, en Égypte ; l’autre était ces jours derniers à Delphes avec nous, il s’appelle, lui aussi, Sabinus. Pour en revenir à Empone [Éponine], l’empereur la fit mettre à mort. Mais ce meurtre eut son expiation : car à peu de temps de là, toute la postérité du tyran fut anéantie. Ce règne ne produisit pas de forfait plus hideux, et il n’y eut pas de spectacle dont les dieux et les génies dussent détourner leur regard avec plus d’horreur. Cependant, la pitié disparut devant l’admiration inspirée par l’audace et la magnanimité d’Ernpone [Éponine], lorsqu’on la vit exciter au plus haut degré la fureur de Vespasien. Elle déclara qu’elle n’acceptait aucune grâce, et qu’elle demandait à être réunie à Sabinus. Oui, dit-elle, dans les ténèbres et sous la terre, j’ai vécu plus heureuse que toi sur ton trône ».
D’après certains auteurs, Éponine se serait convertie au christianisme. Ce qui est totalement faux bien entendu ! Les chrétiens ont un peu tendance à voir des chrétiens partout, sauf là où ils étaient (Hitler, Staline).
Sur ce qu’il y a lieu de penser de l’homosexualité, on nous oppose souvent ce qu’aurait dit la grande reine Boudicca selon Dion Cassius à propos de Néron.
Que l’on nous permette ici de pratiquer un peu nous aussi la taqyia.
Il faut tenir compte du contexte. Une atroce guerre civile venait d’éclater dans le pays suite au massacre par les Romains des vieux druides et de leurs familles à Mona (une île qui n’était même pas fortifiée). Les Celtes de l’époque ne se révoltaient pas quand on brûlait un livre, sacré ou pas sacré, mais par contre là une vague de colère et d‘indignation submergea le pays tout entier. Juste avant une des batailles décisives de ce conflit, la reine des Iceni a cru bon de se présenter en tant que vraie femme par opposition à un faux mâle comme Néron afin de galvaniser ses troupes face aux redoutables légions romaines.
Ci-dessous donc les propos qu’on lui attribue pour les lui reprocher.
Levant les mains au ciel, Boudicca s’écria : « Je te rends grâce, Andrasta, et je t’invoque comme une femme s’adressant à une autre femme ; car je ne règne pas… sur les Romains comme le fit Messaline un jour et après elle Agrippine puis maintenant Néron (qui, bien que portant un nom d’homme, est, en fait, une femme, comme cela est prouvé par ses chansons, ses airs de lyre, et les autres embellissements de sa personne) ; non, ceux sur lesquels je règne sont des [Grands] Bretons…
En tant que reine donc, de tels hommes et de telles femmes, je te supplie et je te prie de nous accorder la victoire, la vie sauve, et la liberté, face à des hommes insolents, injustes, insatiables, impies — si, bien sûr, nous devons appeler ainsi des individus qui prennent des bains d’eau chaude, consomment des mets surfaits, boivent du vin pur, s’enduisent le corps de myrrhe, dorment sur des couches moelleuses avec des garçons et des garçons hors d’âge qui plus est — et sont esclaves d’un joueur de lyre, d’un piètre joueur de lyre qui plus est. Par conséquent que cette Madame Domitia Néron ne règne plus un jour de plus sur moi et sur vous, qui êtes des hommes ; laissez cette fille chanter tout son saoul et régner sur les Romains, car ils méritent bien d’être les esclaves d’une telle femme puisqu’ils se soumettent à elle depuis si longtemps, etc.
Pour en savoir plus sur la personnalité ou sur le tragique destin de notre héroïne nationale se reporter à son dictionnaire habituel. De toute façon la malheureuse a payé de sa vie de tels propos, alors…
On nous jette également souvent à la figure les mots très durs de Plutarque
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Condamnant l’homosexualité, mais est-ce notre faute à nous druides d’aujourd’hui si cet auteur de l’antiquité classique gréco-romaine a cru bon de commenter ainsi l’émouvant exemple du mariage d’Éponine et Sabinus dans le cadre de ses œuvres morales??
Voici ce qu’il a effectivement déclaré à cette occasion :
« Vous n’êtes pas sans savoir que les amours homosexuelles sont considérées par beaucoup comme les plus incertaines et les moins durables qui soient au monde, et qu’ils sont moqués par ceux qui, quand ils s’y réfèrent, affirment que l’amour des garçons est comme un œuf qui peut être détruit par un cheveu ; ou que ses adeptes sont comme les nomades scythes qui, ayant passé leur été dans des pâturages verdoyants et fleuris, en décampent un beau jour précipitamment, comme s’ils fuyaient un pays ennemi…
Je dirai même que l’amour inspiré par une compagne honnête, non seulement conserve sa vivacité quand l’épouse a pris des cheveux blancs et des rides, mais qu’il persiste encore au-delà du sépulcre et de la tombe. Contre un bien petit nombre d’amours de garçons dont la constance s’est maintenue, on citerait des milliers d’époux restés, avec autant de dévouement que d’ardeur, fidèles jusqu’au dernier moment à la tendresse qui les unissait. Je veux en citer un exemple qui s’est produit de nos jours et sous le règne de l’empereur Vespasien ».
Et là Plutarque enchaîne sur l’histoire d’Éponine et Sabinus.
Que l’on nous permette d’être un peu plus poètes que Plutarque. Il n’y a rien de plus émouvant que cette force de la nature qui pousse irrésistiblement les hommes vers les femmes, les femmes vers les hommes, qui se cherchent comme à tâtons, mais avec obstination dans l’obscurité de la nuit (car l’amour est un espoir auquel personne ne saurait renoncer) , cet instinct basique qui fonde la société humaine par définition (sinon nous serons tous des paramécies) puisqu’il nous pousse vers celui qui est autre, autrui, différent, qui est homme quand on est femme ou qui est femme quand on est homme, et qui, d’un point de vue plus pragmatique, redistribue les cartes génétiques à chaque nouvelle génération (le processus de reproduction à l’identique et à la non identique à la fois, qui est la divine clé de voûte de toute évolution).
Le député français Christian Vanneste encarté disons « majorité républicaine » a été jusqu’à remettre en cause le terme même d’homosexuel pour la raison que le préfixe latin « homo » renvoie bien en définitive à la notion de narcissisme ou du moins de recherche et de préférence pour ce qui est semblable à soi, par conséquent estime-t-il, inévitablement le refus de ce qui est autre autrui différent voire opposé.
Mais il est non moins vrai que l’on peut aimer son semblable sans pour autant haïr l’autre celui qui est différent. Heureusement encore ! À l’instant où je parle vient de naître un petit X ou Y à l’autre bout de la planète. Or de fait je ne l’aime pas. Mais ça ne veut pas dire pour autant que je le hais. Je viens tout simplement de vous dire que je ne le connaissais pas personnellement. Mais qui sait, le monde est petit, et un jour viendra peut-être où nos chemins se croiseront et où je l’apprécierai. En attendant, nous n’en sommes pas là. Sur ce point donc le député de l’ex-majorité se trompe comme tous ceux qui pensent qu’aimer quelque chose ou quelqu’un implique automatiquement la haine pour tout le reste (une idée reçue ou un réflexe conditionné très répandu).
Et tout ce qui nous intéresse nous autres, c’est l’avenir et le renouvellement des générations, les forces de vie, le ver sacrum. Nous ne pouvons donc à cet égard que répéter avec force et insistance ce que notre philosophie nous enseigne et que le bon sens commande, à savoir que ce qui importe dans tout cela c’est le sort des enfants pouvant naître de ces fécondations.
Ainsi que le montre la pratique généralisée de l’athair altroma dans les tribus celtes ; c’est en effet la société tout entière qui est comptable ou responsable du processus en question c'est-à-dire concrètement.
- De la bonne croissance physique des enfants.
- De leur éducation dans de bonnes conditions.
C’est là notre devoir sacré : le ver sacrum (terme latin pour évoquer un concept celtodruidique), car tant qu’il y a des hommes il y a de l’espoir et si l’Humanité disparaît la conscience du monde disparaît avec elle.
Pour ce qui est des adultes nous estimons qu’il est trop tard, qu’ils se débrouillent comme ils peuvent avec leurs égoïsmes leur agressivité ou leurs paranoïa chevillés au corps.
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Nous commençons à être fatigués de toutes ces polémiques. Nous tout ce que nous inspire l’histoire d’Éponine et Sabinus c’est qu’une des idées de base du druidisme antique était celle de la complémentarité voire de la coïncidence des contraires, des couples de forces opposées, comme le chaud et le froid, le masculin et le féminin, l’eau et le feu, etc.
Ajoutons en outre que la conception du mariage chez les Celtes antiques, elle, n’avait sans doute rien à voir avec la conception petite-bourgeoise de l’amour qui prévaut dans nos modernes sociétés (encore qu’aujourd’hui seuls les homosexuels et les prêtres veulent se marier), mais s’apparentait plutôt à une alliance entre deux familles, eux clans. Les druides se sont contentés d’ajouter sagement la condition du libre consentement des époux, mieux même, que l’on tienne compte de leurs affinités, afin de rendre possible un véritable amour conjugal à la longue.
Ajoutons enfin que nous n’appliquons pas le principe souvent pratiqué jamais reconnu, pouvant s’énoncer ainsi : « pas de liberté pour les ennemis de la Liberté », car en ce domaine comme en beaucoup d’autres nous sommes plus plutôt de l’opinion du grand philosophe français que fut Voltaire qui disait « Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'au bout pour que vous puissiez le dire »
Nous ne sommes donc pas de ceux qui refusent la différence bien au contraire puisque nous acceptons même ceux qui refusent la différence, ceux qui sont homo quelque chose, qui sont hétérophobes ou pour l’homophonie l’homogénéité l’homonymie l’homophilie, etc.
POUR COMPARAISON (mais rien ne vaut son appréciation d’Amadis).
Nous ne citons ce texte d’Henri Lizeray pour mémoire uniquement, car il vaut mieux oublier ses considérations de soudards de midinettes ou de poètes sur les Patagons les paysans voire les gaz pensants
« Je suis l’ami des fleuves et des montagnes…il y a aussi des liquides vivants… des gaz vivants sidéraux, éthéréens ».
Même suivies de la prudente remarque : tout ce qui est entre parenthèses n’est qu’hypothèses.
Notre vieux maître Henri Lizeray, qui devait être encore bien jeune alors, avait une conception très romantique de l’amour qui peut unir un homme et une femme. Nous la rappellerons ici pour mémoire.
Il s’agit d’un dialogue imaginaire publié en 1881 (à Paris, sous le titre dialogue d’amour)…
PLUS CONCRÈTEMENT.
Plus concrètement il est à noter que le droit irlandais distinguait deux sortes de viol, même si des peines identiques s’appliquaient aux deux.
Le forcor était le viol commis en usant de violence, alors que le sleth couvrait toutes sortes de situations où une femme était soumise à des relations sans consentement.
Quel que soit le genre de viol, le violeur devait payer le prix de son honneur (généralement au père, au mari, au fils ou au tuteur) ; l’eraic complet si la victime était une fille en âge de se marier, ou une femme de chef ; et la moitié pour toute autre femme. Si le viol avait lieu dans une ville ou un village, la femme était obligée d’appeler à l’aide, mais pas si l’agression avait lieu dans la nature.
Si la victime devenait enceinte à la suite du viol, le violeur devenait entièrement responsable de l’éducation de l’enfant pouvant naître d’une telle union forcée, au moins matériellement parlant.
Cependant, il y avait certains cas où le viol n’entraînait aucune pénalité, quel que soit le genre d’agression sexuelle commis. Dans la plupart des cas lorsque la femme était de mœurs légères ou adultère, comme les prostituées, ou une femme mariée acceptant de rencontrer un autre homme.
N.D.L.R. Là encore ancien druidisme, ancien druidisme et ancien druidisme !
Le harcèlement sexuel.
Un agresseur devait payer dix onces d’argent pour avoir touché une femme ou mis sa main dans son corsage, et sept cumal ainsi que trois onces d’argent pour avoir mis sa main sous sa robe afin de la souiller.
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Le prix de son honneur au complet devait être payé à une femme que l’on avait embrassée sans son consentement. Si sa robe était soulevée, elle devait aussi être dédommagée (bien que nous ne sachions pas comment, car ce n’est pas spécifié).
CONCLUSION.
La grandeur d’une union pour des conjoints, c’est de transmettre cette vie qu’ils ont eux-mêmes reçue. Refuser de transmettre la vie, alors qu’on le peut, est un crime contre l’esprit. Signe d’une réalité qui la dépasse (l’amour) la sexualité n’est pas qu’une affaire privée. Elle est aussi une réalité sociale comme toute réalité humaine, notamment à cause de son pouvoir de procréer ou d’engendrer.
C’est pourquoi il est préférable, en cas d’union d’un homme et d’une femme, que ce contrat soit reconnu par le groupe humain dont ils font partie, nation ou société, mais ce n’est pas une obligation. Un couple doit parfois savoir surseoir, ou renoncer, à de nouvelles naissances, mais l’acte d’amour doit rester en principe toujours ouvert à la possibilité de la transmission de la vie. Pas d’automutilation donc pour les druidisants.
Du point de vue sexuel, si la chasteté a de la valeur, ce n’est pas en raison de l’excellence morale qu’on lui prête aujourd’hui, mais en raison de notions d’ordre mystique relatives à la pureté cérémonielle.
Le célibat permet à certains de mieux consacrer leur liberté au service de leurs amis, de leur famille, de la vie du pays, du comté, ou de la druidiactio. Tel est le sens, le seul sens, de ce célibat consacré, car chez les druides célibat et chasteté ne sont ni des obligations ni des vertus en soi.
CARANTIA ?
Contrairement à ce qu’affirment les chrétiens, le prochain ne saurait être un lointain ou un atome de la collectivité humaine mondiale. Pour les druides, le prochain est quelqu’un qui, de par ses origines connues, mérite une attention et un respect particuliers.
L’amitié ou carantia (caratrad en irlandais) est le titre d’un des grands chapitres du « décalogue » de l’ancien druidisme. C’est par exemple un thème très fréquent dans l’anthroponymie sous la forme carantos (ami, parent) ou caratacos (aimable).
L’amitié entre Ferdéadh et Cuchulainn est restée dans toutes les mémoires. Voir l’émouvant chant funèbre composé par notre héros sur le corps de son ami mort.
Triste est ta broche en or
Fer Diad des champions !
O fort et vaillant cogneur
Victorieux était ton bras.
Ta blonde chevelure épaisse
Bouclait comme autant de joyaux
Ta ceinture en cuir souple gravé de feuilles,
Serra tes flancs jusqu’au dernier moment.
Notre belle camaraderie
Faisait plaisir à voir
Ton bouclier bordé d’or
Ton échiquier qui était un vrai trésor.
Que tu aies dû tomber sous mes coups
Ne fut pas juste je le reconnais
Notre combat ne fut pas chevaleresque
Triste est la broche en or.
Tout n’était que jeu ou sport
Jusqu’à ce que vienne l’heure de ma rencontre avec Fer Diad sur ce gué.
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J’avais comme le sentiment que mon bien-aimé Fer Diad
Vivrait avec moi pour toujours.
Hier il était immense comme une montagne [et je ne voyais que lui]
Aujourd’hui ne subsiste plus que son ombre (scáth).
Et celui-ci encore.
« Quelle pitié que les Ulates à la valeur incommensurable,
Que ce soient ses tuteurs ou frères de lait,
Ne soient pas partis de par le vaste monde
Chercher un remède pour guérir leur ami le Hésus Cuchulainn.
Si c’était Fergus qui ne pouvait trouver le sommeil,
Et qu’aucune science de druide puisse le soigner
Le fils de Duxtir/Dexivatera/Dechtire ne resterait pas chez lui à ne rien faire
Tant qu’il n’aurait pas trouvé un druide pour le faire.
Si c’était Conall, de la même manière
Qui souffrait de de tels maux et blessures
Le Chien de Culann retournerait la terre entière
Jusqu’à ce qu’il lui ait trouvé un médecin (liaig) capable de le guérir.
Si c’était Loegairé le triomphant
Qui était sorti gravement blessé d’une quelconque bataille
Il aurait sillonné la terre d’Erin
Pour guérir le fils de Connad fils d’Iliach.
Si c’était Celtchar le Rusé
Qui était tombé dans un tel coma
C’est nuit et jour que l’on verrait voyager
Dans le pays des Sid, Setanta [Cuchulainn] ».
Mais un tel sens de l’amitié entraîne évidemment toute une série de conséquences et notamment « la division de la société en amis (alliés, parentèle, affidés) ou ennemis. La neutralité est intenable, on doit être l’ami de son ami, mais il ne faut pas être l’ami de son ennemi » (Régis Boyer Les Vikings).
TROUGOCARIA ? (vieil irlandais troige, trogaire.)
Ainsi que nous l’avons déjà dit, mais vu l’importance de la chose, il n’est pas inutile de le répéter, sur le continent aussi la conduite de la guerre devait être soumise à des règles bien définies.
« Dans les luttes entre les Tribus-États, on voit les vainqueurs imposer aux vaincus des livraisons d’otages, des cessions de terre, des tributs ; mais on ne voit jamais un peuple chercher à anéantir un autre peuple » (Albert Bayet) comme dans le cas du herem ou kherem juif. Il faut au contraire être chevaleresque. Rien d’étonnant donc à ce que les Commentaires de César en fassent état comme d’une notion déjà très répandue chez les Celtes en matière de tueries ou de violences. La trougia ou trougocaria (merci) occupe donc une assez large place parmi tous ces prétendus Barbares. Ils se plaignent volontiers de la cruauté de ceux qui les oppriment, et ils font maintes fois donc, appel à la pitié des Romains. Dès le lendemain de l’arrivée de César, Diviciacos, tout en larmes, conjure le chef romain d’épargner Dumnorix […] quand les légions avancent sur Bratuspantium, les enfants et les femmes demandent la paix « passis manibus suo munere » ; à Gergovie, les femmes, le sein découvert, implorent les soldats romains (Albert Bayet). Évidemment, on peut se demander si César n’exagère pas un peu, mais il est moins suspect quand il nous dépeint les habitants d’Avaricum suppliant leur généralissime de ne pas brûler la ville ; et quand il nous montre Vercingétorix « se laissant toucher par leurs prières et par un sentiment de pitié envers le peuple », « concedente et precibus ipsorum et misericordia vulgi ». De même, au cours du siège d’Avaricum, lorsque les hommes renoncent à défendre la ville et cherchent à s’échapper, les mères de famille accourent sur les places et se jettent en larmes à leurs pieds […] On voit les Atuatuques supplier César d’agir « pro
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sua clementia ac mansuetudine ». Les Bellovaques font appel à sa clémence et à son humanité : « pro sua clementia atque humanite » (Albert Bayet).
Bref, le principe de base de ce chapitre de l’éthique druidique est qu’il faut faire aux autres tout le bien que l’on souhaiterait en recevoir. Principe mis en évidence par Marcel Mauss avec son célèbre « dadami se dehi me » sanscrit, formule grossièrement traduite par les Romains avec leur « do ut des ». Et inversement bien sûr, il ne faut pas faire aux autres ce que l’on ne voudrait pas soi-même subir. Règle d’équilibre élémentaire.
Il est intéressant ici de relever la différence fondamentale entre le druidisme et les thèses actuelles du néo-odinisme, dont les promoteurs suppléent aux lacunes par injection de Nietzschéisme : pour eux, toute pitié, toute merci, est faiblesse, donc faute ; le faible est automatiquement un coupable, ce qui est aux antipodes de la trugocaria des rois celtiques, faite de clémence et de générosité, même intéressées (il s’agissait, dans un système où ce qui comptait c’étaient les relations d’homme à homme, ou le prestige, et non l’argent ; de se faire un maximum d’obligés voire d’alliés).
Rappelons en outre que pour les Celtes éduqués par le Druidisme, le Droit prime la Force. C’était concrétisé par une préséance protocolaire : le druide (qui dit le droit) parle avant le roi (détenteur de la force armée en tant que chef des guerriers).
Certains goffinets affirment que la mythologie celtique est un univers sans pitié ni pardon. Cela est faux !
En dépit de la vivacité ou du caractère emporté de la plupart des héros irlandais, les absences de pitié sont rares : Conchobar martyrisant et avilissant la douce Deirdre, Finn refusant de secourir Diarmat, quelques mauvais druides, et c’est à peu près tout.
L’attitude des trois frères, de leur père et de leur sœur, dans le récit de la mort tragique des enfants de Tuireann, leur insistance à demander de l’aide, leur déception et leur surprise qu’elle ne soit pas accordée ; tout indique que l’attitude cruelle de Lug est exceptionnelle et incomprise. L’Irlande ancienne a connu la pitié.
En Irlande, certaines peines n’apparaissent que dans le droit canon chrétien. Comme elles n’apparaissent dans aucun texte juridique séculier, nous pouvons en conclure qu’elles ne faisaient pas partie de la mentalité irlandaise d’avant l’avènement du christianisme.
La mutilation.
Aucun texte juridique ancien ne mentionne la mutilation, à l’exception du Cáin Adomnáin (un texte canonique d’inspiration musulmane ??) qui fixe une peine à deux volets comprenant la mutilation (du pied gauche et de la main droite) en premier, puis la mise à mort ensuite. La première mutilation connue en tant que peine criminelle date de 1224 : un voleur eut les mains et les pieds coupés.
La flagellation.
Très souvent mentionnée dans les anciens textes juridiques, en particulier comme peine pour les esclaves, la flagellation n’apparaît en Irlande que dans les textes de droit canon. Il n’y est fait aucune référence dans les anciens textes juridiques séculiers donc d’esprit druidique.
Nota Bene.
Ouvrage de référence mentionné : Fergus Kelly, a guide to early Irish law. Dublin 1988.
A contrario L’intégrité physique des individus était donc une valeur, et une valeur importante pour les druides (voir le cas du roi Noadatus/Nodons/Nuada/Lludd et de son bras coupé, dans la mythologie irlandaise) ; toute atteinte à l’intégrité physique d’autrui était sanctionnée par des amendes (eric ou galanas).
Pour les blessures, on devait aussi payer des compensations qui variaient selon la gravité, ou les séquelles. Si une personne atteinte n’était pas pleinement guérie au bout de neuf jours, un médecin l’examinait pour savoir si elle guérirait ou non. Dans la négative, l’auteur devait payer la lourde amende prévue pour « crólige báis » (blessure entraînant la mort), plus élevée que l’amende habituelle pour meurtre. Toutefois, cette amende le libérait de toute obligation ultérieure, que la victime meure ou guérisse.
La torture qui use de violence physique ou morale pour arracher des aveux, châtier, effrayer des opposants, est donc contraire au respect du caractère nemet de la personne humaine.
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Le terrorisme qui menace, blesse et tue sans discrimination, est aussi gravement contraire à cette geis. Il devra donc être combattu, mais les renseignements nécessaires pour cela pourront être obtenus par tout moyen autre que la torture physique ou morale (élixir de vérité, pentothal, etc.)
En dehors d’indications médicales d’ordre strictement thérapeutique, les amputations, mutilations, ou stérilisation, de personnes non consentantes, sont, elles aussi, contraires à ce caractère nemet de la personne humaine, même si ces dernières ne sont pas innocentes. Le druidisme s’oppose en cela totalement à la charia islamique ou à la loi juive (du talion). Ce qui compte c’est la réparation ! Mais les expérimentations scientifiques, médicales, ou psychologiques, sur les personnes ou les groupes humains, peuvent concourir à la guérison des malades, et au progrès de la santé publique. La recherche scientifique de base, tout comme la recherche appliquée, constituent également une légitime expression de la destinée des hommes et des dieux.
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BUAÏDH N°4 : LE FIR FER SOCIAL.
La vie quotidienne étant de nos jours devenue un véritable combat de tous les instants, le Fir Fer DOIT CONCERNER TOUT LE MONDE AUJOURD’HUI.
Il y avait par exemple en Irlande une règle voulant que quiconque avait blessé autrui dans son corps était obligé de payer non seulement l’amende fixée, mais aussi le prix des soins de sa victime. Neuf jours après que la blessure avait été infligée, un médecin donnait son avis. S’il pensait que le patient devait pouvoir recouvrer la santé, le défendeur était tenu de le prendre chez lui, ou chez un parent, et de pourvoir à ses besoins jusqu’à ce qu’il soit guéri. Le régime et le traitement du patient sont expliqués en détail. Les prescriptions relatives au logement sont tout aussi exigeantes. Le malade ne doit pas être réveillé brusquement et personne ne doit bavarder à côté de lui quand il est couché. Il ne doit y avoir ni cri ni hurlement. De même qu’aucun aboiement de chien ni grognement de porc. Mais tout cela ne constitue qu’une partie des obligations du coupable qui devait aussi pourvoir aux besoins de la suite du malade pendant tout le temps de sa maladie ; et c’était finalement le responsable qui devait trouver un remplaçant pour faire le travail du malade (d’après Myles Dillon et Nora K. Chadwick : petit résumé de leur avis sur le sujet).
Le code d’honneur des chevaliers de la Table ronde condamne aussi apparemment la non-assistance à personne en danger, du moins si l’on en croit leurs nombreuses aventures au service de la veuve et de l’orphelin.
La morale élémentaire confère en effet à tout le monde l’obligation d’assister une personne en danger ; dans la limite de ses moyens physiques et de ses compétences évidemment (ne pas alerter les secours ou fuir en l’absence de danger pour soi est moralement condamnable).
Lorsqu’une personne est consciente d’un danger, elle doit donc tout faire pour le combattre et venir en aide aux victimes dans la mesure de ses connaissances ou de ses moyens, sans toutefois mettre en danger sa vie ou celle des autres. Le minimum est d’assurer une protection, de mettre les personnes alentour en sécurité — puis de prévenir ou faire prévenir les secours.
L’absence de compétence pour effectuer des gestes ou des actes médicaux mêmes vitaux, ne dispense pas en effet de l’obligation de prévenir le plus rapidement possible, et par tout moyen, un service d’assistance compétent ; de veiller à la protection des lieux et des victimes jusqu’à l’arrivée des secours, et de se soumettre à leurs demandes.
La protection de la vie (évacuation en cas de danger) passe avant l’alerte ou le secours direct, mais même après l’alerte, il faut rester à proximité, les secours pouvant avoir besoin de vous. Le secours peut ne consister qu’à réconforter la victime ou à la maintenir en vie, à surveiller ses affaires (ce qui l’aide à rester calme, car les victimes conscientes s’en préoccupent).
Phrases supprimées par Pierre de La Crau et rétablies par ses héritiers.
Il va de soi que l’auteur de cette compilation, Pierre de La Crau, ne se prend en aucune façon pour une réincarnation du roi de Bretagne Arthur, et ce pour 3 raisons.
Personnellement et tout d’abord, il ne croit guère à la réincarnation. La réincarnation, rarement heureuse, puisqu’elle a pour saint patron le roi vouivre anguipède gigantesque (un membre des Andernas sur le Continent, Fomore en gaélique) appelé Tethra, est exceptionnelle, mais alors vraiment exceptionnelle, dans le monde celtique. Si exceptionnelle que l’on peut se demander s’il ne s’agit pas d’une erreur des transcripteurs.
Deuxième raison : la littérature galloise n’est ni la plus importante ni la meilleure source de compréhension de la spiritualité druidique authentique.
Troisième raison. Le roi Arthur est surtout un mythe même si des faits historiques sont à l’origine de cette légende.
Notes sur le messianisme celtique.
Le cadre historique. Nous sommes au Ve siècle de notre ère. La Bretagne (l’actuelle Grande-Bretagne) est, comme le reste de l’Europe, occupée depuis des siècles par les Romains. Elle est très romanisée tant au niveau de la culture que de la religion, et l’armée comprend de nombreux soldats d’origine bretonne tout simplement. La ville d’Eburacum/York est très rapidement christianisée. Seules les tribus celtes vivant dans des contrées difficiles d’accès restent à dominante païenne. Mais, comme sur Continent avec les Goths, Francs ou Burgondes, ce pays est victime d’invasions de la part…
– De tribus barbares germaniques, Angles, Jutes, Saxons et Frisons, attaquant l’Est du pays.
– De tribus venant d’Irlande ou du nord du pays. Pictes, Irlandais ou Scots assaillant le nord et l’ouest de la province.
Ces tribus mènent des raids de plus en plus fréquents, et les légions officielles sont débordées. L’empereur Honorius décide donc dès le début du Ve siècle d’abandonner la Grande-Bretagne, trop
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difficile à protéger. Les « Britto-Romains » sont par conséquent obligés de se débrouiller tout seuls en s’organisant au besoin en milices d’autodéfense locales.
Aucun chef ne parvient à se faire reconnaître sur l’ensemble du territoire, et par tous les peuples. Il n’y a, par conséquent, pas de chef suprême, et encore moins de roi commandant à l’ensemble des forces armées. Dans le Nord, c’est l’ancien dux des Romains, basé à York, qui administre la région devenue indépendante.
Dans le Sud par contre, tous se rangent tous sous la bannière d’un dénommé Artorius. Ce guerrier, probablement né vers 470-475 dans les Cornouailles, est le chef d’une milice de cavaliers très mobiles (les fameux chevaliers de la Table ronde, du nom de la table installée au centre de leur celicnon). Artorius est donc nommé commandant en chef de toutes les milices de cette partie de l’île ; et, pour une fois tous unis, les Bretons ancêtres des Gallois remportent, quelque part dans le sud-ouest de l’Angleterre, vers 500-518, une victoire qui arrêtera l’envahisseur pendant une quarantaine d’années. C’est la bataille du Mont Badon (ou Bath, ou Badbury). Mais Artorius trouvera la mort dans une autre bataille, celle de Camlann (près de Camelford en Cornouailles) aux alentours de 540-542. Fin de l’indépendance bretonne donc : les Saxons occupent les trois quarts de l’île.
Cependant, à en croire la légende, Artorius n’est pas vraiment mort : il est en dormition seulement (dormant), sur l’île d’Avallon, l’Île des pommiers, veillé par des Fées. Et il est dit qu’un jour le roi Arthur reviendra pour reconquérir son royaume à la tête de ses chevaliers, afin de restaurer cet idéal de paix ou de justice ; car sur sa tombe est gravé : « Hic jacet Arthurus rex quondam rex futurus » (ci gît Arthur, celui qui fut roi et le sera).
Puisse cette prophétie se réaliser bientôt, car de justice, de vérité ou de « partage », nous avons effectivement grand besoin, et ce n’est pas les politiciens ou les pseudo-intellectuels d’aujourd'hui (ce sont souvent les mêmes d’ailleurs) qui pourront nous rapporter ce Graal.
PRÉCISION TERMINOLOGIQUE.
Le mot « merci », traduit assez exactement TRUGOCARIA, devenu en gallois trugaredd. : soin (caro) des malheureux (truga : d’où d’ailleurs truand/truant).
Il s’entendait à la fois comme SOLLICITUDE, CLÉMENCE, ET GÉNÉROSITÉ ; son application la plus directe est l’assistance à ceux qui sont en difficulté ; notamment aux blessés, aux vaincus, aux malades, c’est par conséquent une philanthropie active, et non contemplative.
Les druides étaient aussi des médecins ou des chirurgiens hors pair s’occupant de réparer les corps. Si la victime n’était pas entièrement guérie après neuf jours, mais si le médecin pensait qu’elle allait pouvoir se remettre quand même, alors l’auteur des blessures devait le prendre en « folog n-othrusa » (hébergement). Cela impliquait d’emmener la personne blessée dans la maison d’un tiers pour y être soignée aux frais du responsable jusqu’à complète guérison. L’entretien du blessé lui-même était considéré comme un contrat, et devait donc comporter gages et garants. De plus, des provisions devaient être rassemblées à cet effet. Cela incluait le nombre de personnes que la victime pouvait avoir avec elle (sa suite), si elle y avait le droit, et la nourriture pour eux durant tout ce temps-là.
Cette solidarité était aussi intergénérationnelle c’est-à-dire concernait aussi les anciens et les retraités, du moins en théorie, si l’on en croit un curieux passage du Colloque des anciens (Acallam na senorach)
« J’ai l’intention de procéder à ma grande tournée d’inspection de l’Irlande, et mon vœu est que tu restes à Tara pour t’occuper des anciens afin qu’aucun homme d’Irlande ne puisse me faire de reproche ou de remarque à ce sujet ».
La reine répondit : « Il en sera fait comme tu l’auras voulu et qu’eux même l’auront dit, afin qu’il en soit fait selon leur bon plaisir ».
Ensuite le roi et la reine entrèrent tous deux dans la maison dans laquelle les vétérans fénianes Ossian et Cailté, se trouvaient, puis le roi leur expliqua [ce qu’il avait décidé de faire]. Mais de caractère Ossian était le plus modeste des hommes d’Irlande, et il répondit : « Il ne doit pas en être ainsi, noble sire notre roi, que ta femme aille avec toi ; et en ce qui nous concerne, commets-nous d’office ton maître d’hôtel ». « Et bien alors », dit le roi, « que l’intendant nous soit donc amené ». Il fut mandé avec sa femme chez le roi qui leur dit : « Voici la façon dont je vous demande de nourrir les anciens qui sont ici : mettez sept vingtaines de vaches dans un enclos d’herbe grasse, elles devront être traites pour eux chaque nuit ; des rations pour dix centaines de personnes devront leur être également fournies par les hommes d’Irlande ; qu’ils aient aussi des boissons et du lait à Tara, qu’ils
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aient de quoi prendre un bain tous les deux jours, et que dans leurs lits on étale une couche de joncs frais. Encore une chose : qu’ils n’aient pas le temps de boire le reste de leur boisson avant d’en avoir de nouveau encore une autre de servie entre les mains. « Et toi l’intendant » ajouta le roi pour finir, « en plus de toi-même tu as sept fils, que je tuerai avec toi-même si les vétérans manquent de la moindre de ces choses ».
La merci est donc la qualité procurant l’équilibre nécessaire dans l’usage de la force. Elle assure la maîtrise de la volonté sur les instincts et maintient les désirs dans les limites de l’honneur. La merci évite toutes les sortes d’excès.
L’avortement et l’euthanasie sont des cas spéciaux.
Cela dit, la règle générale est de tout faire pour sauver la vie des personnes en danger de mort, sauf en cas de suicide (autorisé et même recommandé dans certains cas) et d’euthanasie, demandée en toute lucidité par le malade.
Le mot euthanasie est formé de deux éléments tirés du grec, le préfixe eu, « bien », et le mot thanatos, « mort » ; il signifie donc littéralement bonne mort, c'est-à-dire mort dans de bonnes conditions. Au sens de « meurtre par compassion légalement sanctionné » est attesté en anglais en 1869.
À l'origine, l'euthanasie désigne l'acte mettant fin à la vie d'une autre personne pour lui éviter l'agonie. Dans une acception plus restreinte, c'est une pratique (action ou omission) visant à provoquer le décès d'un individu atteint d'une maladie incurable qui lui inflige des souffrances morales et/ou physiques insupportables, particulièrement par un médecin ou sous son contrôle.
L’Église catholique combat par définition toute euthanasie. L'Homme ne s'appartient pas, la vie n'appartient qu'à Dieu qui la donne (ou la reprend) comme il veut... Pour ses adversaires, l’issue logique de toute notion d'euthanasie est illustrée par l’Histoire et particulièrement par les crimes commis par le régime nazi au nom de ce principe. Les fondements mêmes de l’euthanasie, en particulier de par leur opposition aux volontés divines, contiennent en germe des éléments qui conduisent nécessairement à des évolutions contraires aux lois de la morale humaine élémentaire.
Repetere = ars docendi. Les discontinuistes, dont font partie les néo-druides, affirment au contraire qu’une position favorable à l'euthanasie, encadrée par des dispositions morales et juridiques suffisantes, peut signifier un progrès pour l’Humanité.
Dans le monde antique, le principe ne posait généralement pas de problèmes moraux : la conception dominante était qu'une mauvaise vie n'est pas digne d'être vécue. L'euthanasie a donc été pratiquée par les Celtes. C'est le « dieu au maillet », Suqellos qui était, selon les croyances, le saint patron de ces pratiques. En Bretagne armoricaine, surtout dans le Vannetais, un « maillet bénit » (mel béniguet) a été utilisé jusqu'au début du XXe siècle pour achever ceux dont la mort s'éternisait sur la demande de la famille et sous l'autorité du prêtre et de quelques notables de la paroisse. L'utilisation du « mel béniguet » a été attestée à Guénin, Locmariaquer, Carnac, Guern ou encore Brec'h.
L'espérance de vie ayant augmenté dans les pays industrialisés de pair avec une considérable modernisation scientifique et technologique de la médecine, la part jouée par la décision médicale dans les décès a augmenté corrélativement à cette hausse. L'accélération de la fin de vie peut englober des formes très différentes, de l'interruption du traitement médical à l'injection de produits létaux, en passant par l'arrêt de la nutrition et de l'hydratation ou l'administration de sédatifs en dose importante. On estime ainsi que, en Europe, la part de la décision médicale dans les décès concerne 40 à 50 % des décès. Mais ces pratiques ne sauraient toutes être regroupées sous le terme « euthanasie », dans la mesure où le but visé n'est pas la fin de vie elle-même. Par ailleurs, certaines pratiques sont acceptées par la législation, d'autres non.
On emploie l’expression « aide au suicide » pour désigner le fait de fournir l’environnement et les moyens nécessaires à une personne pour qu'elle se suicide, quelles qu'en soient les motivations. Dans ce cas, c'est le « patient » lui-même qui déclenche sa mort et non un tiers. L'aide au suicide demande une manifestation claire et libre de la volonté de mourir, ce qui la distingue de l'incitation au suicide.
Un autre usage abusif du mot est son application aux soins palliatifs, qui ne visent jamais à hâter le décès ou éviter la prolongation de l'agonie des patients même si, pour soulager la douleur, il arrive aux soignants d'user de doses d'analgésiques ou d'antalgiques risquant de rapprocher le moment du décès.
L'acharnement thérapeutique désigne « une obstination déraisonnable, refusant par un raisonnement buté de reconnaître qu’un homme est voué à la mort et qu’il n’est pas curable ».
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LE DÉCALOGUE DRUIDIQUE.
Nous ne savons pas exactement où le très catholique et français Chateaubriand a trouvé le décalogue qu’il attribue aux druides (Première partie livre II chapitre IV vertus lois morales) et qui figure ci-dessous.
L’univers est éternel, l’âme immortelle.
Honore la nature.
Défendez votre mère, votre patrie, la terre.
Admets la femme dans tes conseils.
Honore l’étranger, et mets de côté la part de ta récolte qui lui est destinée.
Que l’infâme soit enseveli dans la boue.
N’élève point de temple, et ne confie l’histoire du passé qu’à ta mémoire.
Homme, tu es libre, sois sans propriété.
Honore le vieillard, et que le jeune homme ne puisse déposer contre lui.
Le brave sera récompensé après la mort, et le lâche puni.
Certaines de ces dix lois font effectivement très celtes.
« Un jour régneront seuls le feu et l’eau » (Strabon, IV, 4). L’âme est immortelle (nombreux auteurs parlant des druides). Sur l’admission des femmes dans les conseils, nous avons aussi le témoignage de Plutarque.
« Avant que les Celtes eussent passé les Alpes et occupé en Italie le pays qu’ils habitent maintenant, il y eut entre eux une sédition qui aboutit à une terrible guerre civile. Alors leurs femmes, s’avançant au milieu des armes et prenant leurs querelles en main ; furent pour eux des arbitres et des juges si exempts de reproches qu’il naquit entre eux tous, et de ville à ville, de maison à maison, une merveilleuse amitié. Depuis lors ils n’ont cessé, quand ils avaient à délibérer sur la guerre et la paix, d’admettre leurs femmes au conseil et de les prendre pour arbitres dans leurs différends… » (Plutarque, des vertus des femmes, VI.)
Nous ne savons donc pas exactement où le très catholique et français Chateaubriand a trouvé le décalogue qu’il attribue aux druides, MAIS EN TOUT CAS VOICI LE NÔTRE.
LISTE DES CHAPITRES LES PLUS IMPORTANTS.
Hospitalité.
Générosité.
Réciprocité.
Courage.
Fidélité.
Vérité.
Sens de la justice.
Liberté.
Simplicité.
Sens de l’honneur.
Le druidisme n’a pas à se préoccuper des détails un peu trop bassement matériels. De minimis non curat druis. Le druidisme n’a pas introduit par exemple de norme uniforme en ce qui concerne le comportement sexuel et le droit familial : il tolère aussi bien la polygamie de ceux qui en ont les moyens — les chefs et les puissants — que la polyandrie ou la monogamie. L’important est de ne pas contredire les principes généraux de la conduite éthique selon le druidisme.
Les gessa qui suivent sont donc facultatives. Facultatives cela signifie qu’il est louable de suivre ces gessa, ces conseils, mais ne pas le faire est seulement regrettable.
Il existe bien entendu de nombreuses variantes de cette duodécuple voie du druidisme aux multiples embranchements.Avec des qualités ou des défauts à éviter, différents, ou classés différemment. Ces bons réflexes ne sont pas à suivre séquentiellement, mais simultanément, et la pratique du tout doit essentiellement, être une pratique intégrée ; c’est pourquoi l’image la mieux adaptée pour l’évoquer reste encore celle du dodécaèdre druidique et non celle du décalogue judéo-chrétien.
N.B. LES PRÉCEPTES QUI SUIVENT ONT ÉTÉ NUMÉROTÉS POUR LES BESOINS DE LA DISCUSSION, MAIS CELA NE VEUT PAS DIRE QUE CERTAINS SONT MOINS IMPORTANTS QUE D’AUTRES. TOUS SONT ÉGALEMENT IMPORTANTS.
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LES DIX CHAPITRES DE LA LOI (MORALE) LES PLUS CONNUS.
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BUAÏDH N° 5.
LE SENS DE L’HOSPITALITÉ (NOBLESSE OBLIGE).
Évacuons d’emblée une ambiguïté. Nous ne parlons pas ici d’accueillir définitivement chez soi ou sur ses terres de parfaits inconnus, à demeure ; mais d’accueillir temporairement des hommes ou des femmes déjà plus ou moins connus en raison de certains liens tribaux familiaux ou traditionnels, ou inconnus, mais pour diverses raisons auxquelles les conseils « weberiens » prodigués par la littérature des miroirs des princes ou les Teagasc na riogh doivent s’appliquer (un responsable politique ne doit pas confondre sa bourse personnelle avec celle de sa famille de son clan de sa tribu).
Le terme général pour « hospitalité » en gaélique ancien est « oígidecht » (irlandais moderne « íocht »), de « oígi » « étranger, nouvel arrivant », un substantif venant d’une racine impliquant la notion de déplacement hors de son territoire. Le terme était appliqué à la manière de traiter les voyageurs ou des gens n’appartenant pas à sa maisonnée. Inutile de souligner l’importance de la chose à une époque où l’on ne se déplaçait pas aussi facilement que maintenant.
La plupart des civilisations tribales prônent l’hospitalité envers des invités, incluant habituellement nourriture et boisson. De nombreuses cultures ont des mythes parlant de dieux déguisés en voyageurs afin de mesurer la générosité des gens. Outre des conseils à suivre pour les hôtes il y en avait aussi pour les invités sur la façon de se comporter. Ne pas abuser de l’hospitalité de son hôte en était un, ne pas chercher de vaine querelle avec son invité en était un autre, tout aussi élémentaire. Voir plus haut notre sélection de proverbes valables pour tout le monde.
L'une des principales vertus celtiques, évoquée maintes fois, était donc l'hospitalité. Certaines vertus, comme l’hospitalité, sont en effet revêtues du double caractère d’obligations morales et de prescription sacrée (ada). Il se dégage de différents textes sur la question que les étrangers, sauf exception, étaient bien traités, que l’hospitalité constituait la règle y compris aux niveaux les plus modestes.
Ce qui importait avec les cadeaux et les divertissements destinés aux visiteurs c’était que ces derniers se sentent reconnus à leur juste valeur et recherchés, afin qu’ils gardent des liens étroits avec les gens de la tribu et les voient comme autant d’alliés potentiels.
L’hospitalité à l’époque était donc considérée comme une vertu cardinale et les voyageurs (nous disons bien les voyageurs) étrangers, devaient être reçus le mieux possible. Peut-être par précaution. Le mendiant loqueteux venant frapper à votre porte pouvait très bien en effet être un dieu-ou-démon ou un redoutable personnage capable de vous jeter un sort comme dans le cas de Philémon et Baucis et de l’interpretatio graeca de Lug, à savoir Hermès).
Prudence donc ! Il ne s’agissait pas seulement de recevoir des visiteurs des amis ou des invités, mais d’établir des liens réciproques. Il s’agissait d’un contrat synallagmatique.
L’hospitalité, c’est la cordialité accueillante, sans xénophobie, c’est-à-dire sans aversion automatique envers l’étranger ; mais c’est aussi la solidarité envers les compatriotes dans le besoin, les « consanguins » au sens très large du terme latin consanguinei , (ceux qui sont du même sang), de façon privée ou collective (exemple antique en accordant des terres aux Boïens vaincus par les Romains, aujourd’hui en accordant couverture médicale, retraite, assurance, aux compatriotes dans le besoin. Dans le cas des Boïens les Héduens firent une bonne affaire, car cela leur procura des alliés reconnaissants et pas difficiles, mais valeureux bien que peu nombreux).
L’éthique druidique enseigne le respect du lien d’hospitium. On s’étonnera peut-être de nous voir mettre ainsi un terme latin dans la bouche des druides. C’est uniquement parce que nous n’avons pas dans notre langue de mot lui correspondant intégralement. L’hospitium n’est pas seulement l’hospitalité au sens moderne du terme, l’hospitium consiste aussi à établir avec les étrangers, des liens de coopération fraternelle, et de le faire généreusement, comme un grand seigneur (ulatios).
Ce lien, à l’époque de César, lie tantôt deux peuples tantôt deux individus, tantôt un individu et un peuple. Ainsi y a-t-il par exemple hospitium entre les Éduens et les Romains ; l’hospitium unit Ambiorix à la nation des Ménapes, et César estime même que ce lien est assez fort pour entraîner une alliance militaire ; même chose entre Commios et les Bellovaques ; au moment de la grande coalition contre les Romains, les Bellovaques, bien que fermement décidés à s’abstenir, accordent à Commios un secours de deux mille hommes, « pro eius hospitio ». Les liens entre individus ne semblent pas moins
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solides. Une seule fois on voit Ambiorix abuser de l’hospitium qui l’unit à Titurius (pour lui tendre un piège et le perdre). Par contre, les Bituriges battus se réfugient dans des cités voisines « privatis hospitiis confisi ».
Procillus, hôte de César, le sert avec un tel dévouement que le proconsul abandonne, pour parler de lui, le ton froid qu’il adopte généralement dans ses commentaires. L’hospitium l’emporte parfois sur la fraternité qui unit les hommes d’une même patrie : quand Dumnorix essaie d’ameuter les Éduens contre Rome, César en est averti par ses hôtes.
Les pactes d’hospitalité celtibères étaient gravés sur des documents appelés tessères, équivalent de nos modernes passeports. Il s’agissait de plaques de bronze en forme de main ou d’animal, par exemple un sanglier ou un taureau. Le plus célèbre est le bronze de Luzaga, un pacte d’hospitalité unissant les villes d’Arecoratas et de Lutiakos (les clans Belaik et Kariko).
Ci-dessous la lecture de José Luís González.
arekoratikubos karuo kenei
kortika lutiakei aukis barazioka
erna uela tikerzeboz so
ueizui belaikumkue
kenis karikokue kenis
stam kortikam elazunom
karuo tekez sa kortika
teiuoreikis.
Au nom de l’amitié des Arecoratiques envers la noblesse
Je pactise avec Lutiakos ? pour Lutiakos ? Etc.
………………………
Au nord des Pyrénées ce devoir d’hospitalité fut très tôt étendu, y compris aux simples étrangers ; l’assassinat d’un étranger y était d’ailleurs plus sévèrement puni qu’un autre. « Chez eux on est frappé d’une peine plus rigoureuse pour le meurtre d’un étranger que pour celui d’un concitoyen : dans le premier cas la mort, dans le second l’exil seulement » (Nicolas de Damas. Recueil des coutumes extraordinaires. Fragment Nº XLIV, 41, conservé par Stobée).
Tout étranger au contraire était invité d’office dans les plus nobles maisons, en échange d’informations sur son pays ou les pays traversés. Cette heureuse discrimination raciale positive est tout le contraire de certains des préceptes des religions de masse d’aujourd’hui, exception faite du christianisme il est vrai (voir la parabole du bon Samaritain).
Qui est le plus raciste en l’occurrence ???
L'hospitalité ne consiste pas seulement à nourrir les invités, mais à faire en sorte qu’ils se sentent bienvenus et appréciés. Un mauvais hôte est celui qui ne donne pas d’attention particulière à ses invités, mais les ignore complètement. Dans la mythologie irlandaise Bres, un chef des Tuatha, fut par exemple victime d’une satire du poète Cairbre pour avoir été avare et avoir négligé ses invités. Un mauvais hôte est celui qui met son invité mal à l’aise.
Briugas/brugas, briugamlacht, brugaide (cht), brughachus, brugamnus.
En Irlande l’hospitalité sous toutes ses formes était considérée comme un devoir pour un homme libre. La loi disposait en effet expressément que tous les membres de la tribu étaient tenus d'offrir l'hospitalité aux étrangers. Les seules personnes qui en étaient exemptées étaient les enfants mineurs, les fous, et les personnes âgées.
Les personnes âgées visées étaient surtout celles qui étaient devenues trop faibles pour travailler. La pratique courante était en effet de répartir les biens d'une telle personne entre les divers membres de sa famille, un peu comme une donation-partage avant héritage.
Dans l’ancienne Irlande tout ménage se devait donc de nourrir chauffer et divertir l’invité surprise se présentant pacifiquement à sa porte. Le prouve la célèbre loi dite « des Fiannas ». Cette loi d’hospitalité (promulguée au Ve siècle) imposait aux riches de recevoir des hôtes « sans poser de questions ». Partout dans l’île, il y avait donc des repas prêts à être servis à tout instant, et
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nombreuses étaient les cuisines où le feu ne s’éteignait jamais. Ce devoir est communément traduit par le terme d’hospitalité, mais cette traduction n’est qu’approximative.
L’idéal était d’accorder une hospitalité illimitée, mais le droit irlandais a très rapidement défini et donc limité cette notion pour les hôtes en précisant ce qu’il fallait accorder selon les circonstances. Et a même institué des fournisseurs officiels d’hospitalité pour le compte des autres (« briugu », irlandais moderne « brughaidh »). (Kelly 1988, page 36.)
Il n’était donc pas question que cette hospitalité se transforme en un puits sans fond.
Au fil du temps ces fonctions furent donc dévolues à des individus particuliers, les brugaid, qui se voyaient attribuer pour cela des terres agricoles destinées à entretenir et faire tourner des sortes d’auberges gratuites appelées brugh. Certains de ces hôtels semblent avoir été réservés aux visiteurs de marque, les autres étant destinées aux voyageurs ordinaires. Ces hôtels-restaurants gratuits ont sans doute été conçus pour éviter de trop lourdes charges financières aux ménages ordinaires dont les invités restaient plus longtemps que prévu.
Chez les grands seigneurs ou chez ceux qui aspiraient à cet honneur, cette sorte d’intendant appelé brewry ou briugu se chargeait donc de cette tâche. Mais pour un hospitalier, brewry ou briugu, cette obligation à la différence de celle de l’hôte était dite sans limites (cf. KELLY 1988, page 36). Il avait l’obligation de fournir l’hospitalité à quiconque, aussi souvent qu’il venait, et de ne pas tenir de comptes. Un hospitalier conservait ce rang tant qu’il ne refusait pas l’hospitalité. La charge de briugu semble donc avoir été l’une de celles par lesquelles un homme riche, mais de naissance non noble pouvait acquérir un rang plus élevé (KELLY 1988, page 36).
Le refus d’hospitalité était un délit prévu par la Loi.
L’hospitalité étant considérée comme un devoir pour tout homme libre, refuser à quelqu’un à manger ainsi qu’un abri était donc constitutif du délit de « esáin » (littéralement « chasser », aussi appelé « etech » : rejet, refus), et demandait une compensation appropriée au rang de la partie lésée. Les seules exceptions à cette pratique étaient les métayers de type midboth et ócaire, qui à cause de leur manque de moyens, devaient seulement l’hospitalité à leur seigneur, comme stipulé dans leur contrat
Si une personne obligeait indirectement un tiers à refuser l’hospitalité (par exemple en ne lui rendant pas de la nourriture empruntée, après le délai convenu), il devait lui-même payer le prix de son honneur à l’hôte embarrassé.
Ouvrage de référence mentionné: Fergus Kelly, a guide to early Irish law. Dublin 1988.
N.B. Il va de soi que dans l’éthologie celtique antique, l’hospitalité n’était jamais à sens unique, mais réciproque et mutuelle, à charge de revanche par définition. Les peuples étudiés par Albert Bayet peuvent cependant faire la leçon à certains politiciens démocrates. Comme le signale cet auteur, aussi peu xénophobes que possible, ils n’ont à aucun degré le mépris ou la haine de l’étranger… Même lorsqu’il n’y a pas hospitium, leur éthologie ordonne de le respecter.
Ce qui tend à le faire croire c’est la célèbre et gracieuse légende de la fondation de Marseille. Cette légende prouve que les « Ligures » n’étaient vraiment pas xénophobes.
Cette absence de haine pour l’étranger de la part des peuples étudiés par Albert Bayet nous est encore attestée par la facilité avec laquelle ils s’adaptent aux milieux sociaux dans lesquels les jettent les hasards de la conquête.
En Asie Mineure, ils acceptent assez vite la langue grecque et, avec elle, l’hellénisme. On voit naître une civilisation « gallo-grecque » (Albert Bayet. Histoire de la Morale).
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BUAÏD N°6.
LA GÉNÉROSITÉ (TECHTAE).
LES TROIS OBLIGATIONS : DONNER, RECEVOIR, RENDRE. NOBLESSE OBLIGE.
Toute civilisation a sélectionné un certain nombre de comportements sociaux, qu’elle contraint à respecter souvent à l’aide d’une initiation ou d’un apprentissage, ressemblant presque à un « dressage ». Tout chef, ou tout seigneur, devait nourriture et vêtement aux personnes de son entourage qui, en retour, devaient lui apporter un appui inconditionnel, y compris les armes à la main.
« Cûroi m’a donné dix beaux domaines. Dix servantes, dix chevaux à tête blanche, dix mors pour eux, dix beaux habits à franges, dix poignards, dix paires d’épées toutes plus superbes les unes que les autres. Dix lames, dix bonnes ruches avec leurs abeilles, dix bouviers, dix chiennes avec des chaînes d’argent.
Cûroi m’a donné dix chaudrons. Dix coupes, vingt gobelets, dix trompes en corne de bœuf, dix sangliers sauvages, dix bœufs capables de labourer même les pierres, dix plats en or, dix troupeaux de génisses.
Cûroi m’a donné cent porcs, mille brebis, dix ceintures, dix couronnes en or, dix serviteurs, dix chevaux hongres, dix jougs pour les bœufs, dix chaînes et aussi des entraves en fer-blanc.
Cûroi m’a donné dix plats d’argent, dix bracelets, dix brides pour mes chevaux, dix pierres à feu, dix cuves à bière, dix vases, dix gros tonneaux, dix tambourins, dix couvertures, dix vêtements de laine, dix toiles de tente tachetées de mille couleurs, dix aiguillons dignes d’un roi.
Cûroi m’a donné dix pommes d’or, dix boucles d’or, dix bassins d’or, dix bassines d’or ainsi que les dépouilles de ses ennemis de Babylone.
Il m’avait donné dix tuniques rouges, dix chemises blanches, dix damiers brillant de mille feux, dix porte-lances remplis de javelots, trente rênes, et enfin trente chevaux ».
La sociologie du début du XXe siècle a mis l’accent sur le rôle de ces comportements celtiques ressentis par les auteurs classiques (en dehors de toute dialectique de la barbarie) comme autant de bizarreries morales des Celtes en général.
Ces sources anciennes suscitent un certain nombre de difficultés d’interprétation. Les auteurs classiques ont rapporté, souvent sur le mode pittoresque, des traits qui tranchaient sur leurs observations courantes, élaborant ainsi un corpus d’informations d’une extraordinaire richesse.
Ci-dessous les neuf catégories de faits rapportés par les auteurs classiques à propos des Celtes, et notamment Posidonios. Mais les fragments de Posidonios mêlent quelques-uns de ces thèmes à d’autres motifs qui n’ont pas grand-chose à voir avec la réciprocité.
C’est en somme le tableau d’une société aristocratique et chatoyante que l’ethnographe nous brosse, et le résultat se rapproche étonnamment des récits insulaires tardifs de la mythologie celtique. Au cours de fastueux banquets, les protagonistes comparent leurs mérites individuels (naissance, richesse, habileté à la guerre, etc.), parfois même avec le concours des bardes. Sous l’emprise de la boisson, l’excitation fait éclore des défis qui parfois dégénèrent.
Pour l’époque historique, on retient le comportement de Luern : son hospitalité démesurée, ses bombances effrénées, ses prodigalités insensées. Mais pour une époque antérieure, et sans doute de beaucoup, Posidonios rapporte des traits surprenants qu’il ne connaît que par ouï-dire. Dans l’outrance générale des cérémonies que l’on a évoquées, il arrivait autrefois — dit l’ethnographe — qu’un personnage vînt à réclamer des largesses exorbitantes de son entourage et, plutôt que de s’engager à les rembourser, y préférât un suicide quasi rituel. C’est d’ailleurs ce dernier passage qui a servi de base à l’analyse de Marcel Mauss. À partir du fameux texte de Posidonios cité par Athénée (IV, 37), ce sociologue a élaboré toute une théorie du don et du contre-don, de la prestation et de la contre-prestation. Autrement dit la prestation totale, car « tout, nourriture, femmes, enfants, biens, talismans, sol, travail, services, offices sacerdotaux et rangs, est matière à transmission et reddition » (Marcel Mauss. Sociologie et anthropologie. Essai sur le don).
Voici les faits de société en question.
1. Les offrandes à caractère plus ou moins funéraire. A)
2. Les dons de nature privée intervenant dans le cadre de la solidarité familiale, ainsi que les donations qui accompagnent les échanges matrimoniaux. B)
3. La dette du sang, que l'on pourrait sans doute rattacher au phénomène général de la compensation. C)
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4. Les dettes remboursables dans l’au-delà. D)
5. Le sacrifice de type dévouement ou dévotion militaire. E)
6. Le devoir d’hospitalité. F)
7. Les dons publics intervenant lors de la conclusion d’alliances.
8. Les cérémonies de redistribution, apparemment, comme les banquets. G)
9. Les neutralisations et destructions de biens, notamment dans des circonstances funéraires H) hormis les pratiques sacrificielles sur les armes et les objets, dont rend compte si éloquemment l’archéologie.
A) STRABON, IV, 1, 13 (l’or de Toulouse) ; 4, 5 (torques et bracelets) ; DIODORE, V, 27, 3-4 (l’or de Toulouse) ; TAC., Germ., 15, 3 (torques) (à rapprocher de TITE-LIVE, VII, 10, 11 ; 15, 8) ; QUINTILIEN de lnst. orat., VI, 3, 79 ; EUTROPE, Brev. a. u.c., IV, 22-23.
B) CÉSAR B. G., I, 3, 5 ; 9, 3 (Orgétorix) ; I, 18, 6-8 (Dumnorix), etc. TACITE, Germ., 12, 2 ; 15, 3 ; 20, 5 ; 21,1 ; 3.
C) TACITE, Germ., 21, 1. (cf. Paradoxographus Vaticanus, Admiranda, frag. 44 (sur une ébauche de droit pénal).
D) POSIDONIOS + POMP. MELA, Chorographie, III, 2 (18-20) ; VAL. MAX., II, 6, 10-11.
E) CÉSAR, B. G., III, 22, 2-3 (les soldurii), implicitement le VII, 40, 7 ; DIODORE V, 29, 2 (les servants sont choisis parmi les moins favorisés socialement) ; TACITE, Germ., 13, 2-5 ; 14, 2 et 4.
F) DIODORE, V, 28, 5; TACITE, Germ., 21, 2-4.
G) Outre les textes de Posidonios, DIODORE, V, 28, 5 ; TACITE, Germ., 14, 4 ; 21, 3 ; POLYEN, II, 19, 4 ; DION de Pruse, Discours pour refuser l’archontat, 49,7. Il n’est pas impossible qu’il faille joindre à ces références celles qui mentionnent l’ivresse et le goût prononcé pour le vin : TITE-LIVE, V, 33, 2-3 ; DENYS D’HAL. XIII, 10-11 ; PLINE, h.n., XII, 2, 5 ; PLUT., CamilIe, 15, 1-6 (tous ces textes se rapportent à la tradition de l’Étrusque jaloux) ; CÉSAR, B. G., II, 15, 4 ; IV, 2, 6 ; TAC., Germ., 23, 2 ; DIODORE, V, 26, 3 [a contrario, ce n’est pas le cas des Germains] ; PLATON, Lois, I, 9
; ARISTIDE QUINTILIEN, sur la musique, II, 6 ; peut-être ÉPHORE, cf. STRABON, IV, 4, 6 8 (à propos des jeunes gens obèses).
H) CÉSAR, B. G., VI, 19, 4 ; SOPATROS, fragment cité par Athénée Livre IV (concerne les Galates) ; TACITE, Germ., 27, 1-3.
I) Gournay-sur-Aronde, Ribemont-sur-Ancre (département français de la Somme).
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TOUJOURS SE COMPORTER EN GRAND SEIGNEUR PERSONNELLEMENT
ET PAS EN BOUTIQUIER ACTE I.
L’hospitalité chez les Celtes s’élargissait généralement en générosité pure et simple. Une générosité personnelle et spontanée évidemment, et non une générosité imposée et anonyme. Un chef cultivait en effet la loyauté de ses guerriers en leur abandonnant le butin de guerre. Une des plus grandes insultes à faire à quelqu’un était de le traiter d’avare, comme dans le cas du personnage des légendes galloises médiévales, connu sous le nom de Bran le pingre (sa corne était célèbre). À ce sujet les historiens antiques nous ont transmis des souverains celtes une image éclatante, conservée vraisemblablement par les chants des bardes.
Un richissime Galate, nommé Ariamnès (Ariomanos ?) annonça en effet un jour qu’il nourrirait pendant un an tous les Galates qui se présenteraient. Il fit construire de tous côtés dans le pays celte d’Asie Mineure, des salles en osier recouvertes de branchages, assez vastes pour contenir plusieurs centaines de convives. Il avait fait fabriquer l’année précédente d’énormes chaudrons de cuivre, où chaque jour ses cuisiniers firent cuire bœufs, moutons, et porcs, par douzaines. Les étrangers mêmes pouvaient y venir. On servait du vin à discrétion.
« Ariamnès le Galate, étant excessivement riche, annonça un jour qu’il organiserait chaque année un banquet pour tous les Galates, ce qu’il fit en procédant de la manière suivante. Il quadrilla le pays d’installations bien adaptées le long des routes, et en tous ces lieux, il fit monter des tentes entourées de palissades, de joncs et d’osier, chacun d’entre eux pouvant accueillir quatre cents hommes ou même plus, selon ce que nécessitait le secteur, et en fonction du nombre de personnes que l’on pouvait s’attendre à voir affluer des villages et des villes proches de ces installations. Ensuite il fit placer en ces lieux d’immenses chaudrons, remplis de toutes sortes de viandes, chaudrons qu’il avait fait fabriquer l’année précédente en faisant venir des artisans des autres cités. Il fit abattre chaque jour beaucoup de bétail, de bœufs, de porcs, de moutons, ainsi que d’autres animaux ; et fit mettre en place du vin dans des tonneaux ainsi qu’une grande quantité de farine de froment. Et non seulement il fit en sorte, continue notre auteur, que tous les Galates des villages et des villes environnantes puissent en profiter, mais même les étrangers de passage furent, eux aussi, fermement invités par les esclaves qui se tenaient devant, à venir y manger de ce qui avait été préparé » (Athénée, IV, 34).
Le roi arverne Luernios qui vivait vers le milieu du second siècle avant notre ère, est aussi passé à la postérité pour sa richesse et ses prodigalités. Il avait fait enclore, raconte Diodore, un carré de douze stades de côté (plus de deux mille mètres) ; à l’intérieur duquel étaient disposées des cuves pleines d’une boisson excellente et une telle quantité de victuailles ; que pendant plusieurs jours, tous ceux qui le voulaient pouvaient entrer afin de profiter de ces provisions accumulées, servies sans interruption. Le monarque avait néanmoins fixé une date pour ce festin. Mais un des poètes qu’ont ces Barbares (sic. Il s’agissait donc d’un membre de la sodalité druidique) étant arrivé en retard, et par la suite ayant rencontré le roi, il chanta sa magnificence tout en se lamentant d’avoir manqué le rendez-vous. Flatté, le roi, prenant une bourse pleine d’or, l’avait alors lancée au poète. Après l’avoir ramassée, le barde avait improvisé le poème suivant : « Des sillons creusés dans le sol par le char royal, lève pour les hommes une moisson de bienfaits ».
Depuis les travaux classiques de Mauss, peu de choses réellement nouvelles ont été apportées à la théorie générale des prestations totales, et à celle que l’on applique aux sociétés celtiques.
Après tri et décryptage, reste le tableau d’une société qui paraît envisager tous ses types de rapports dans le cadre d’une réciprocité permanente, élevée au rang d’une règle sociale particulièrement prégnante. C’est l’ensemble de ces attitudes que l’on désigne, à la suite des études concordantes de Malinowski, Mauss et quelques autres, du nom de don (et de contre-don). Parmi celles-ci, le potlatch.
D’excellents auteurs s’offusquent de l’utilisation, à propos de la société celtique, d’un vocabulaire emprunté à d’autres époques historiques, trouvant que cela obscurcit le débat, flairant quelque manœuvre idéologique. Tout en leur en donnant acte, on admirera que les mêmes recourent sans état d’âme à un terme chinook désignant des mœurs kwakiutl. Des Indiens kwakiutl et d’autres populations du nord-ouest de l’Amérique. Le chinook s’est imposé comme sabir de la traite des fourrures, mais la langue kwakiutl n’en a pas disparu pour autant : elle reste instructive. Par exemple, le terme potlatch y
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signifie don, tout simplement ; ce n’est qu’en chinook (et donc tardivement) qu’on lui découvre la connotation agonistique qui a fait le succès de la théorie de Marcel Mauss.
Le potlatch, la distribution des biens, est l’acte fondamental de la « reconnaissance » militaire, juridique, économique, religieuse. On « reconnaît » le chef ou son fils et on lui devient « reconnaissant ».
L’obligation de donner constitue l’essence même du potlatch. Un chef doit donner, pour lui-même, pour son fils, son gendre ou sa fille, pour ses morts. Il ne conserve son autorité sur sa tribu et sur son village, voire sur sa famille, il ne maintient son rang — nationalement et internationalement — entre chefs, que s’il prouve qu’il est favorisé par les esprits et la fortune ; et il ne peut prouver cette fortune qu’en la dépensant, ou en la distribuant. Dans toutes ces sociétés, on se presse de donner. Il n’est pas un instant sortant de l’ordinaire, même en dehors des solennités ou rassemblements d’hiver ; où l’on ne soit obligé d’inviter ses amis, de leur partager les aubaines de la chasse ou de la cueillette qui viennent des dieu-ou-démons ; où l’on ne soit obligé de leur redistribuer tout ce qui vous vient d’un potlatch dont on a été bénéficiaire ; où l’on ne soit obligé de reconnaître par des dons, n’importe quel service, ceux des chefs, ceux des vassaux, ceux des parents ; le tout sous peine, au moins pour les nobles, de violer l’étiquette et de perdre leur rang.
L’obligation d’inviter aussi, est bien évidente quand elle s’exerce de clans à clans ou de tribus à tribus. Elle n’a même de sens que si elle s’offre à d’autres qu’aux gens de la famille, de la fratrie, ou du clan, il faut convier qui peut et veut bien venir assister à la fête, au potlatch. L’oubli a des conséquences funestes (Marcel Mauss 1923-1924).
Sur le plan des apparences, il s’agit, pour l’individu, de provoquer chez son partenaire une situation débitrice dont celui-ci ne sortira qu’en restituant intérêts et principal, et quelquefois beaucoup plus encore. Mais si l’on est soi-même démuni, que rendre de plus que ce que l’on avait accepté, sinon sa liberté ou sa vie même ?
Si le prototype mythique de cette prodigalité calculée est l’histoire de Luern selon Posidonios (source principale des autres auteurs) ; le texte de César signale à plusieurs reprises de ces formes d’acquisition du pouvoir et de l’autorité 1) « de quoi pourvoir à ses largesses ». C’est, somme toute, la règle élémentaire d’application tant dans les rapports privés qu’en public 2). Ce système est à la base du contrat qui lie un patron à ses obligés ou ses vassaux, un chef à ses compagnons et, d’une manière générale, de tout système de prestation totale 3). La vie joue souvent le rôle d’ultime « valeur d’échange », non seulement dans le contexte guerrier, mais parfois dans des circonstances qui touchent aux dettes personnelles 4). Caractère, peut-être davantage celtique que germanique 5).
Les devoirs d’un roi se confondent avec les qualités qu’on en exige, tel est le principe même de la royauté sacrée ; non l’usage de la nertis comme chez les Germains où le roi est seulement le « puissant » (King, König), mais le don. Cela commence dès le commencement ou même avant : Arthur jette les cadeaux dès qu’il est élu par les dieux, Conchobar affermit son pouvoir en couvrant ses hôtes de présents, Branwen devenue reine acquiert gloire et honneur par ses dons magnifiques faits aux dames. Bien plus, quand le roi reçoit, il doit aussitôt rendre et ne peut même pas refuser le « don contraignant ». Certains y perdent leur propre épouse. Le don est allégorique, il est aussi politico-économique : le roi redistribue les biens du royaume et établit ainsi une sorte d’équilibre social.
Bayet a noté en effet que la vraie morale enseigne toujours la générosité sociale et qu’elle fait « de l’intérêt du groupe un des principes de l’éthique ». Avec ce terme, notre langue conserve la trace d’une vieille idée, celle de la générosité comme qualité du noble (l’adjectif latin generosus signifie « de bonne race »). Les poètes védiques célèbrent les généreux donateurs et vilipendent les patrons avares. Chez les Celtes un roi avare est indigne de régner. Celui-là seul est digne de gouverner qui est capable de donner : reflet des pratiques de potlatch bien connues des ethnologues.
1) B. G., I, 18, 3-4 (Dumnorix).
2) Id., I, 13, 5 ; 15, 3 ; V, 55, 4 ; peut-être Diodore, V, 28, 5, dans ses propos sur l’hospitalité celte.
3) Id., V, 55, 1-3 ; Vl, 2,2 ; 31,4 ; VlI, 1,5 ; 37,6 ; 64,8 ; 32,2.
4) B. G., III, 22, 1-4 ; Nicolas de Damas chez Athénée, VI, 54 ; Valère Maxime, II, 6, 10-11.
5) Quoique dans certaines circonstances, le comportement des Germains s’apparente fort à celui des Celtes (Tacite, Germania, 21, 2-4).
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TOUJOURS SE COMPORTER PERSONNELLEMENT EN GRAND SEIGNEUR
ET PAS EN BOUTIQUIER ACTE II.
LES LIMITES IMPOSÉES AU DEVOIR DE GÉNÉROSITÉ.
Le respect de la vie EN GÉNÉRAL ET DANS SA GLOBALITÉ implique naturellement dans sa version active une généralisation et une universalisation du devoir d’hospitium : nourrir, vêtir et loger tous ceux qui en ont besoin sur terre, soigner les malades.
Les tribus (aujourd’hui les pouvoirs publics) doivent veiller au respect du principe celtique qui place l’hôte sous la protection de ceux qui le reçoivent.
L’idéal était donc bien entendu d’accorder une hospitalité illimitée, mais le droit irlandais a très rapidement défini et donc limité cette notion pour les hôtes, ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, en précisant ce qu’il fallait accorder selon les circonstances. (Kelly 1988, page 36). La druidiaction ce sont les principes que l’on peut déduire de l’action concrète de certains ténors de l’ancien druidisme. L’équivalent des hadiths dans la religion musulmane.
L’immigré séjournant légalement dans le pays est donc tenu de son côté de respecter de bon gré le patrimoine matériel et culturel de son pays d’accueil, d’obéir à ses lois, et de contribuer aussi à ses charges dans la mesure de ses moyens (comme les indigènes).
Les autorités politiques ont le droit de subordonner toute immigration au respect par le migrant de ses devoirs à l’égard du pays d’accueil, et à diverses autres dispositions économiques, juridiques ou sanitaires, prises en vue du bien commun (immigration choisie, co-développement, etc.).
Bref, n’hésitons pas à le dire : tout le contraire de ce que fit en son temps le grand Brennus.
« Comme les députés romains demandaient quel tort avaient bien pu leur faire les Clusains pour qu’ils marchent ainsi contre leur ville, le roi des Galates, Brennos, se prit à rire, et leur répondit ce qui suit.
Les Clusains nous ont fait tort en ce qu’ils trouvent juste d’avoir beaucoup de terre et de pays, alors qu’ils ne peuvent en exploiter beaucoup, sans nous en donner un peu à nous qui sommes étrangers, nombreux et pauvres.
C’est le même tort que vous faisaient jadis, à vous, romains, les Albains, c’est celui que vous font aujourd’hui les Volsques, contre qui d’ailleurs vous avez pris les armes. Et là vous trouvez normal, s’ils ne partagent pas leurs biens avec vous, de les réduire en esclavage, de les piller, de ruiner leurs villes.
Ce faisant vous ne commettez pas une incroyable injustice, vous suivez simplement la plus ancienne des lois, celle qui accorde au plus fort ce qui est au plus faible, et qui va de Dieu aux bêtes. La nature, en effet, a mis en elles cet instinct, que les plus fortes essaient d’avoir plus que celles qui sont plus faibles. Cessez donc de prendre en pitié les Clusains assiégés, car les Galates pourraient finir par se montrer bons et compatissants envers ceux à qui les Romains font du tort » (Plutarque. Vies parallèles. Camille).
Aider tout homme qui en a besoin à se nourrir, à se vêtir, à se loger, sur cette terre, est un devoir éthique plus important que la lutte contre le petit racisme. Les millions engloutis dans certaines campagnes antiracistes, parfois paradoxales (à côté de ça on ne fait rien pour les drames encore pires, comme ceux de l’ex-Yougoslavie en 1992-1993) ; seraient en effet plus efficaces s’ils étaient utilisés à lutter contre la faim dans le monde, au besoin avec l’aide d’une force armée. Comme l’a écrit un jour lui-même le parti communiste français (tract sorti pour le 22 mars 1992) :
« Transformer radicalement les rapports entre pays riches et pays pauvres est nécessaire pour sauver ces peuples ; c’est le moyen de mettre fin à l’afflux d’immigration. Le P.C.F. […] propose l’arrêt de toute nouvelle immigration, des sanctions sévères contre les patrons qui font venir clandestinement des étrangers. Ceux qui vivent en France, quelles que soient leurs origines, doivent en respecter les lois, mêmes devoirs pour tous ! »
Le P.C.F. avait-il médité le tabou druidique mis sur les étrangers par nos ancêtres ?
[« Chez eux on est frappé d’une peine plus rigoureuse pour le meurtre d’un étranger que pour celui d’un concitoyen : dans le premier cas la mort, dans le second l’exil seulement » (Nicolas de Damas. Recueil des coutumes extraordinaires. Fragment Nº XLIV, 41, conservé par Stobée)].
Nul ne sait ! Mais ce qui est certain c’est que nos « Barbares » en question n’avaient pas attendu le « Romain » Fabius pour faire de la protection des étrangers une priorité morale !
À condition bien sûr, comme l’a rappelé le P.C.F. dans son tract, que lesdits étrangers respectent les lois et la nation qui les accueille. Ce qui n’est pas toujours le cas, hélas ! Car cette protection des étrangers ne doit pas se faire au détriment des indigènes évidemment. (Comme ce fut le cas par exemple lors du colonialisme romain voir Calgacus.)
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Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, l’hospitalité étant considérée comme un devoir pour tout homme libre, refuser à quelqu’un à manger ainsi qu’un abri était donc constitutif du délit de « esáin » (littéralement « chasser », aussi appelé « etech » : rejet, refus), et demandait une compensation appropriée au rang de la partie lésée. Mais il y avait des exceptions à cette obligation, en fonction des situations et de la plus ou moins grande richesse personnelle des uns ou des autres. Les métayers de type midboth et ócaire par exemple, à cause de leur manque de moyens, ne devaient l’hospitalité qu’à leur seigneur (c’était d’ailleurs stipulé dans leur contrat).
La druidiaction ce sont les principes que l’on peut déduire de l’action concrète de certains ténors de l’ancien druidisme, avons-nous dit : voir le cas du druide Marban. Qui apparemment trouve que le devoir d’hospitalité du roi Guaire doit avoir quand même des limites.
Un récit comme celui de la Lourde Compagnie Imtheacht na Trom-dhaimhe, composé au 14e siècle donc relativement moderne, mais dont l’action est censée se dérouler au 7e et relatant les mésaventures du roi Guaire, attire l’attention sur l’idée d’hospitalité ou générosité illimitée. On ne doit pas non plus abuser de l’hospitalité d’autrui.
« Un jour le vellède Sencha, le vieux et grand barde d’Irlande, vint avec sa nombreuse et importune compagnie au château de Guaire fils de Colman roi du Connaught […] Guaire dut leur procurer tout ce qu’ils désiraient durant tout ce temps-là, ou bien craindre les satires de toute la troupe. Et bien qu’il fût difficile d’obtenir tout ce qu’ils désiraient, ainsi qu’on le lit dans le livre dit « de la lourde compagnie », Guaire réussit à tout leur trouver, par la grâce de Dieu, et les miracles de sa générosité. C’est alors que vint chez lui Marban, le porcher frère de Guaire, un saint homme, afin de leur reprocher leur méchanceté leur injustice et leur ignorance, car il était très affecté par la multitude des demandes injustes dont ils accablaient Guaire les habitants du Connaught et toutes les tribus d’Irlande. Il les menaça des pires sorts et malédictions du Dieu tout puissant s’ils passaient plus d’une nuit quelque part ou s’ils demandaient quelque chose d’injustifié à quiconque en Irlande tant qu’ils ne lui auraient pas rapporté l’histoire entière de l’enlèvement du bétail de Cualnge » (Betha Colaim Chille. Vie de saint Colomban).
Il faudra donc la puissance et l’affection fraternelle du druide Marban frère du roi ou la magie de saint Colomban (Columcille : druidiaction là aussi), pour atténuer la gravité de cet embarras causé à Guaire ; par le comportement abusif du vellède en question, et y mettre le holà. C’est pourquoi de tels abus relevaient aussi du Bratuspantium ou Conseil de discipline de la Sodalité (de l’Ordre) sur le Continent.
Mais enfin tout cela nous avons déjà eu l’occasion de le dire.
Ce qui ressort de l’étude des termes gaéliques esáin, etech, snádud ou turtugud, c’est qu’hospitalité et générosité devaient être le fait des individus et non des collectivités comme la parenté.
Aucun individu ne devait pratiquer la générosité ou l’hospitalité avec les biens d’autrui. Personne ne devait contraindre autrui et notamment les ocaire et midboth à être généreux et hospitalier contre son gré ou malgré sa situation personnelle.
Le cas des rois ou des chefs de tribu étant un peu différent puisqu’ils appointaient un brewry ou un briugu pour cela et qu’apparemment leur générosité ou leur hospitalité se pratiquait envers des membres supposés de leur groupe (envers des personnes qui leur étaient subordonnées ou dépendaient d’eux). Dans la plupart des sociétés traditionnelles en effet, les détenteurs de l'autorité se devaient de justifier leur pouvoir et leur prestige en distribuant une partie de leurs richesses à leurs subordonnés, sous la forme de dons, de prébendes ou d'assistance soit d’égal à égal, de chef à chef, ou entre rois. En quelque sorte donc après accord entre chefs d’État. Rappelons enfin que dans ce cas le brewry ou briugu était non un pauvre ocaire ou midboth, mais un riche agriculteur.
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L’OCTUPLE VOIE DU DRUIDISME (OCHT CONARA FUGILL) OU PETIT KISSION.
Les chemins menant hors de ce bas monde sont multiples, mais peuvent se ramener à quelques-uns. La méthode varie, mais le but reste le même et ces méthodes se réduisent à la pratique d’un minimum de discipline morale ou mentale : les huit gessa ou buada de base.
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BUAÏDH N°7.
LA RÉCIPROCITÉ.
La réciprocité est fondée sur la notion d’équilibre (équilibre cosmique équilibre entre clans entre familles, etc. etc.). Gwirionedd ag, un pwngc rhyddyd, sef y bydd lle bo cydbwys pob gwrth. Quand cet équilibre est rompu, il faut le rétablir afin de repartir du bon pied.
Il existe tout un courant de pensée, une École, assimilant la réciprocité à un échange. À la thèse que les prestations de réciprocité conduiraient à des échanges s’oppose le fait que, lorsqu’un homme reçoit des biens de prestige, même s’il est séduit par les objets précieux que l’autre lui donne, leur possession n’est pas le seul moteur de la transaction, c’est plutôt le prestige qu’il obtiendra de les redonner. Lorsqu’un homme de la fin du néolithique introduit une hache de cuivre dans une société de la fin de l’âge de pierre, cet outil excite, certes, la convoitise des membres du groupe en question, mais pour eux cette convoitise n’est rien à côté de la joie qu’ils obtiendront de redonner cette hache, c’est-à-dire de la joie d’être reconnus par autrui comme donateurs.
Il faut distinguer la joie de recevoir un objet de la joie d’être reconnu comme donateur. Le bonheur de s’assurer de l’amitié d’autrui est supérieur au plaisir de capitaliser un objet de valeur : c’est pourquoi, dans les communautés de réciprocité, l’objet précieux reçu est toujours redonné. Nul dans les communautés dites primitives, plus précisément primordiales, n’a de cesse en effet de redonner les objets de valeur ou d’autres richesses plus grandes encore, pour s’attirer la reconnaissance et l’amitié d’autrui. La relation des personnes commande la relation des choses et non l’inverse. L’objectif immédiat des premiers hommes a été de susciter, non pas des échanges, mais des structures de réciprocité, pour que tout soit occasion de reconnaissance.
Une autre démarche est donc possible : distinguer le primitif du primordial et montrer que si les structures de réciprocité d’origine sont naturellement primitives, le principe de réciprocité, lui, n’en demeure pas moins partout à l’origine des valeurs humaines fondamentales.
La thèse de l’échange ne contraint pas seulement à imaginer des conditions idoines pour justifier la vengeance, mais aussi pour expliquer deux autres sortes de violence concurrentes de la vengeance : la sanction et le sacrifice. Si l’agresseur d’un groupe est un membre de la communauté, la vengeance est en effet remplacée par l’une des deux autres solutions, la première pénale, la seconde sacrificielle.
Les trois réponses possibles à l’agression, vengeance proprement dite, châtiment et sacrifice doivent donc évidemment s’interpréter aussi comme des échanges. La pénalité serait alors un échange entre l’individu et le groupe.
Nous sommes ainsi conduits à étudier la vengeance comme système — ou sous-système — à la fois d’échange et de contrôle social de la violence. Ce qui était illustré par le symbole du tarvos trigaranos dans la mythologie celtique (l’encadrement éthique de la violence).
Mauss ramenait le capital de vie du groupe au prestige, à la renommée, au mana du groupe, Verdier le ramène à l’honneur.
Pour Verdier, la vengeance est attachée tout autant que le don à l’identité du groupe. De même que le don est offrande d’une part de mana de la communauté, la vengeance est récupération d’une part de mana pour la communauté. Ainsi, lorsqu’un crime est perpétré vis-à-vis de la communauté par l’un de ses membres, il ne paraît pas nécessaire de retrancher la vie de l’agresseur. La vengeance rencontre en effet une limite : aucun des membres de la communauté ne peut en être retranché sans grave dommage pour le capital-vie du groupe.
L’on choisirait dès lors d’immoler un animal à la place du coupable afin de pouvoir réintégrer celui-ci dans la communauté. Mais si un tel sacrifice est un échange de victimes, à qui sacrifier l’animal ? Aux dieu-ou-démons ! répond Verdier. Les dieu-ou-démons ont été offensés par les vivants, et comme ils sont les protecteurs jaloux de l’intégrité du groupe, les vivants se doivent de les dédommager.
Réduire le sacrifice à un échange oblige donc à concevoir un partenaire virtuel : les dieu-ou-démons.
Cette solution est cependant la même que celle qu’imaginait Mauss pour le potlatch. Lorsque le donateur vainqueur de la joute des dons ne connaît plus de rival, et qu’il ne peut plus montrer sa puissance faute de donataire capable de relancer le cycle agonistique du don ; il ne donne plus que
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pour être socialement, et il ne distribue sa fortune que pour le prestige, de façon ostentatoire, pour montrer sa puissance. Ce qui devait être le cas des princes celtes qui ne se suicidaient pas pour échapper au déshonneur comme dans le célèbre cas évoqué par Posidonios (cité par Mauss).
Mais voilà ! Dans le potlatch, le donateur vainqueur des joutes ne donne pas une partie de ses biens pour montrer sa puissance, mais il donne tous ses biens ! Mauss alors suggère que le donateur parie sur la reconnaissance des esprits ou des dieu-ou-démons. Mauss évoque les esprits des ancêtres pour expliquer que le sacrifice final n’est pas gratuit, qu’il est la prolongation du potlatch, mais avec les dieu-ou-démons. Le don apparemment gratuit serait en fait une fois de plus calculé, car il serait adressé aux dieu-ou-démons dans l’espoir d’une contrepartie supérieure. Le prestige ne serait qu’une monnaie qui attendrait d’être réalisée par les dieu-ou-démons. Mauss soutient que les donateurs espèrent donc recevoir plus qu’ils ne donnent. Lorsque Mauss constatait que, dans le potlatch, le dernier donateur donne en vain puisque nul ne saurait lui répondre ; il imaginait, pour satisfaire l’idée que le don est bien dans ce cas un échange, que le donateur n’acquiert un prestige insurpassable que pour être désigné comme interlocuteur privilégié des dieu-ou-démons. Le sacrifice, dit Mauss, est un don aux esprits des ancêtres et aux dieu-ou-démons dont on espère en retour de plus grandes largesses.
Mais si les dieu-ou-démons donnent pour la gloire, et sans esprit de lucre, pourquoi les hommes n’en feraient-ils pas autant dans l’espoir d’être comme les dieu-ou-démons ? Ne serait-ce pas pour le bonheur d’être reconnus par les dieu-ou-démons comme des hommes « grands et puissants » ou pour être élevés au rang des dieu-ou-démons, que les hommes se tournent vers eux et leur offrent des sacrifices ?
Beaucoup d’auteurs soutiennent que le sacrifice est lié une purification, et que la sanction pour sa part indiquerait l’émergence d’une autorité extérieure aux uns et aux autres, puisque capable d’interdire la vengeance. La vengeance ne serait plus qu’une forme primitive de justice, caractéristique des systèmes non encore unifiés politiquement.
D’où la séquence suivante : les groupes se définissent par leur identité primitive, s’affrontent, et s’ils sont de force égale, se stabilisent. La paix s’instaure, et avec elle le politique. Dans ce cadre, il devient possible de substituer aux violences des dons et des alliances. La chefferie se constitue qui interdit la vengeance en son sein et la remplace par la sanction pénale, puis elle procède à la purification de la souillure, à laquelle la transgression des interdits condamne la communauté entière par le sacrifice aux dieu-ou-démons.
Dès lors, en effet, la parole du roi ou du chef de clan domine celle des protagonistes de la vengeance, tandis que l’expression de la valeur de la réciprocité positive devient le bien, et celle de la réciprocité négative le mal.
La question du sacrifice demeure néanmoins ambigüe. Pourquoi la purification exigerait-elle d’immoler une vie aux dieu-ou-démons ?
Certains auteurs ont été conduits à opposer sacrifice et vengeance de façon radicale.
Et quand on examine la relation entre le bourreau et la victime, on remarque même que la vengeance est le contraire du sacrifice, puisque le vengeur hait sa victime, et veut la faire souffrir ; tandis que ce que le sacrifiant éprouve pour la sienne, c’est de la reconnaissance : il reconnaît en la victime l’alter ego qui lui permettra de préserver sa propre personne ; il veut lui épargner toute douleur inutile ; il lui promet le ciel, qui est son propre désir ; si forte est la sympathie, la volonté d’identification qui le porte vers sa victime, qu’il cherche dans son attitude un signe d’assentiment avant de l’immoler. Charles Malamoud parle de l’Inde brahmanique, mais ses conclusions pourraient s’appliquer aux druides primordiaux.
La réciprocité n’est donc pas seulement la matrice du sentiment d’humanité, mais, dès lors qu’elle est aussi la vie spécifique de ce que l’Homme a de meilleur, l’intelligence ; elle devient la matrice du sens pour tout ce qu’elle met en jeu entre ses partenaires. Dans la réciprocité des dons, la chose donnée se mue en symbole : le don est une parole silencieuse, parole d’amitié, de paix, d’alliance… Mais si la réciprocité constitue la matrice de la compréhension, si elle donne sens au don, elle lui impose aussi sa loi, c’est-à-dire à qui donne, d’accepter, à qui reçoit, de donner : les fameuses obligations redécouvertes par Marcel Mauss. Ainsi s’éclaire l’obligation que ce célèbre ethnologue avait remarquée pour chacune des prestations vis-à-vis de son opposée : en ce qui concerne le donateur,
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la nécessité de recevoir, et pour le donataire, l’obligation de donner. Donner se conçoit en même temps que recevoir et réciproquement.
Parce qu’elle est la condition de la compréhension mutuelle, la réciprocité affecte immédiatement toutes les activités humaines, même la violence, même la guerre.
La division de base chevillée au corps de tout être humain est en effet la division entre ami ou ennemi. La réciprocité peut dès lors être reproduite consciemment de plusieurs manières, suivant qu’elle est plus ou moins parfaitement équilibrée, ou que domine l’amitié/inimitié.
La réciprocité dans ce cas est créatrice de sens. Dès lors, si les guerres elles-mêmes demeurent fondées sur la réciprocité, elles concourront à créer de la reconnaissance mutuelle. Si le don est refusé ou impossible, la violence, pourvu qu’elle soit subordonnée à la réciprocité, devient créatrice de comportements (cf. l’éthologie celtique).
Nous savons depuis les travaux de Mauss et de Malinowski que toutes les sociétés humaines sans exception connaissent la réciprocité. On appelle « réciproque » toute manifestation vis-à-vis d’autrui confrontée à la même manifestation d’autrui, de sorte que chacun puisse à la fois et agir et subir la même chose.
La réciprocité implique un échange de services (réciprocité positive) ou la punition d’un acte répréhensible (réciprocité négative). Les systèmes du don et de la vengeance sont semblables parce qu’ils sont des systèmes de réciprocité. Le prestige du don et l’honneur du guerrier ont une essence commune, car ils sont produits par des structures de réciprocité.
La réciprocité sous toutes ses formes est la matrice de ce que Mauss appelle le lien (social), que celui-ci soit réciprocité de vengeance, réciprocité d’alliance, ou réciprocité de don.
Presque toutes les activités des hommes sont soumises à ce principe. Elles sont confondues dans la même matrice, et sont appelées, depuis Marcel Mauss, des prestations totales. Mais lorsque la réciprocité se spécialise, chacune acquiert son propre sens.
On peut classer les structures élémentaires en deux groupes : réciprocité binaire et réciprocité ternaire. Par ternaire on entend une relation où l’on agit sur un partenaire et où l’on subit d’un autre partenaire. La chaîne est donc ininterrompue, et se referme soit en réseau soit en cercle. Elle peut être linéaire, ou bien, lorsqu’un seul partenaire sert d’intermédiaire à tous les autres, en forme d’étoile : on la dit centralisée.
Polarisée par la bienveillance, la réciprocité d’origine devient la dialectique du don, et l’équilibre des contraires se trouve rétabli par la violence sous la forme d’une compétition entre les dons. C’est pourquoi Mauss parlait de don agonistique. Polarisée au contraire par la violence, la réciprocité devient la dialectique de la vengeance ; et l’équilibre des contraires est rétabli par le fait que la violence n’est exercée que contre ceux qui sont reconnus coupables d’un très lourd manquement.
L’objectif du don et de la vengeance est de construire ou reconstruire de nouvelles structures de réciprocité.
Lorsque la réciprocité permet une relativisation de soi et d’autrui, qui tend vers un état intermédiaire équilibré, le résultat est un sentiment d’appartenance à une Humanité commune.
Lorsque cette relativisation est déséquilibrée par l’un des pôles qui domine l’autre, ce sentiment reflète les caractéristiques du pôle opposé ! Par exemple, le donateur (qui perd ce qu’il donne) aura le sentiment d’acquérir de la valeur (le prestige) tandis que le donataire, qui reçoit, aura le sentiment de perdre la face. D’où, pour lui, le désir de reconquérir du prestige, ce qui se traduit par l’obligation de réciprocité, l’obligation de redonner. On ne peut avoir la conscience d’acquérir du prestige lorsque l’on donne, sans avoir celle de perdre la face lorsque l’on reçoit.
L’obligation du contre-don est la même loi que celle du talion. Il s’agit dans les deux cas de rétablir un équilibre mis en cause par un excès. Ce dernier ouvre un vide que le « donataire » se doit impérativement de combler, sous peine de la plus grande humiliation : on rend le mal pour le mal, de même qu’un cadeau pour un cadeau ou une femme pour une autre.
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La Thèse de Mauss sur l’origine de l’échange ne traite pas d’une forme de réciprocité, aussi ancienne que celle des dons, aussi importante sans doute, la réciprocité négative, dite encore de vengeance. Pourtant, que la réciprocité de vengeance et la réciprocité des dons aient un rôle comparable dans les sociétés primitives, ressort clairement du seul fait que les compensations et les compositions qui servent de gages pour mettre un terme à l’une et à l’autre, sont souvent identiques.
Presque toutes les sociétés humaines sinon toutes, ont tenté d’appréhender la vengeance, de la maîtriser, de la contrôler, enfin de l’assujettir au principe de réciprocité.
Marcel Mauss concluait à propos du potlatch que les donateurs s’affrontent, chacun désirant surpasser l’autre, mais en s’obligeant à recevoir un contre-don pour cela (Mauss parle à ce sujet de don agonistique).
De la même façon, la violence est organisée pour définir une hiérarchie. La règle de réciprocité constitue donc une donnée fondamentale du système vindicatoire, en tant qu’elle permet aux groupes de se définir les uns par rapport aux autres, en termes de complémentarité antagoniste et d’équilibre dynamique. Dans le jeu réglé du système vindicatoire, les groupes s’affrontent en cherchant à surpasser l’autre, mais non à le détruire ; chacun tend à montrer sa supériorité, mais non à réduire à néant son adversaire.
L’honneur représenté par le bétail est le fruit des relations sociales. Ainsi que nous avons eu l’occasion de le dire, l’honneur peut s’analyser comme un capital symbolique ; dans la mesure où tout homme possède par définition de l’honneur, et qu’en même temps l’honneur est susceptible de varier, on peut parler d’un capital fixe et d’un capital variable, pour continuer dans la métaphore économique. La vengeance capitalise l’honneur, car sans offense à réparer, on ne peut administrer la preuve de sa vraie valeur, authentifier l’honneur dont tout homme dispose « par nature » (capital fixe).
Par-delà les individus, il existe une entité qui est une totalité dont l’unité est insécable.
Ayant perdu l’un des siens, le clan se sent amoindri et par conséquent déshonoré. Pour rétablir l’ordre perturbé par le crime, il appartient à l’un des siens, en l’occurrence le vengeur, d’infliger une perte égale au groupe antagoniste.
La vengeance pose pourtant un problème difficile. Qu’échange-t-on à coups de destructions ou de meurtres ? L’échange apparaît pour le moins négatif puisqu’il se solde par une soustraction symétrique de biens ou de vies humaines ! Quel peut être l’intérêt d’un échange négatif ?
Les communautés s’équilibrent entre elles, et cet équilibre est une condition de prospérité pour toutes. S’il est rompu, les communautés tentent de le rétablir. À toute agression qui détruit une part de la communauté répond une vengeance qui empêche que l’agresseur puisse bénéficier d’une situation plus favorable ou préjudiciable aux autres. Il s’agit de rétablir un équilibre positif.
Dans de nombreuses sociétés, la vengeance est prohibée entre membres d’une même parenté. La vengeance à l’extérieur du groupe a donc pour autre face la solidarité à l’intérieur du groupe. « Solidarité interne / vengeance externe ».
Il existe par conséquent une relation de proximité où la vengeance est interdite, mais remplacée par une pénalité (une compensation financière chez les Celtes) ; une relation (d’éloignement) où la vengeance est inefficace, mais où la guerre peut prendre le relais dans certains cas ; et une distance intermédiaire où la vengeance est pertinente.
Se situant à mi-chemin entre la relation d’identité ou l’altérité absolue, la vengeance essentiellement est une relation d’adversité, liant des partenaires qui se reconnaissent à la fois comme identiques et différents. Cette relation d’adversité, interdite avec les proches, mais aussi interdite avec les inconnus, est réservée à ceux qui sont à la fois identiques et différents.
Type de relations : mode de violence.
a) Identité………….pénalité.
b) Adversité……….vengeance.
c) Hostilité…………guerre.
La réciprocité négative n’est pas généralisation de la violence comme on l’a parfois prétendu, mais une façon de maîtriser la violence. Et dans ce cas, l’enjeu de la réciprocité négative est de soumettre la violence à la justice.
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Maîtrise de la guerre ou interdiction de la guerre, la réciprocité négative apparaît comme l’une des plus importantes inventions humaines qui permettent la vie en société. Elle l’emporte bien des fois sur la réciprocité positive qui ne peut empêcher que la guerre, quand guerre il y a, ne soit l’anéantissement de l’adversaire, et la disparition de toute réciprocité.
On peut le démontrer en se référant aux prestations de réciprocité négative qui ont lieu en termes réels dans les sociétés archaïques. La vengeance est légitime à la condition que le clan victime puisse à son tour reproduire le cycle de la vengeance, car la vie et la vitalité de l’ennemi sont la condition nécessaire à la réciprocité. Si cette vitalité n’est plus suffisante, on peut recourir à des compensations pour la restaurer. Par exemple dans les sociétés archaïques en compensant la perte de guerriers par des épouses, afin que la fécondité des mariages lui restitue des guerriers en assez grand nombre pour qu’ils puissent perpétuer la réciprocité de vengeance. Donc pas de herem ou de génocide des peuples vaincus ordonné par Dieu comme dans la Bible.
Les Ossètes du centre du Caucase ont un capital d’honneur qui se compte en vies d’hommes tués par l’ennemi, et vengées. Tant que les victimes ne sont pas vengées, elles ne sont pas comptées dans le capital de vie de la communauté. L’honneur ne peut donc être restauré que par la vengeance. Prendre une vie ennemie, c’est par conséquent restaurer une vie imaginaire dans son propre univers mythique.
« Qui as-tu donc tué pour demander la main de ma fille ? » est la question traditionnelle que pose un futur beau-père à son gendre chez les Ossètes.
Le meurtre est la première étape, obligatoire du destin d’un homme… Il est suivi par le mariage qui lui donne le droit de construire sa propre habitation, de percevoir une part des revenus communs, de participer aux décisions collectives, et ouvre la voie ensuite à une autre étape qui est la naissance d’enfants.
La question rituelle posée par le beau-père à son futur gendre met bien en évidence à la fois l’obligation du meurtre et sa fonction d’intégration dans la société (en particulier en tant qu’il est la condition du mariage). On saisit là toute la signification et le rôle de la vengeance : il s’agit bien et avant tout de protéger le capital de vie du groupe.
À moins qu’il ne s’agisse d’engendrer des guerriers futurs et que le mariage ne soit subordonné à la vengeance ! Quiconque ne se définit pas en fonction de la réciprocité de vengeance serait exclu du groupe social.
Pourtant, avant que le mariage n’ait transformé l’autre en parent, celui-ci est l’ennemi potentiel tout autant que le parent potentiel ; l’adversité dans ce cas est la même chose que l’altérité.
L’ambiguïté des relations avec les alliés demeure constante. Les beaux-parents — des non-parents, par définition, puisque l’on peut épouser une de leurs filles — sont en quelque sorte, à la première génération, des « ennemis apprivoisés ». À la génération suivante, ils sont devenus de tendres parents maternels avec lesquels les rivalités ou les conflits d’autorité ne sauraient se produire, alors qu’ils constituent la trame des rapports entre parents paternels. Comme le disent explicitement les chefs de clans à l’occasion de leurs invocations publiques : « Nous sommes fils de tel ancêtre. Les habitants de tels villages et quartiers, nous ne les épousons pas, ils sont fils du même ancêtre. Mais les autres clans, nous leur faisons la guerre et nous les épousons ! ».
La Loi du talion consiste en la réciprocité du crime et de la peine. Cette loi est souvent symbolisée par l’expression « œil pour œil, dent pour dent ». C’est l’une des plus anciennes lois humaines existantes.
Elle caractérise un état intermédiaire de la justice pénale, entre le système de la vendetta et le recours à un arbitre ou un juge. Cette loi (du talion) a permis d’éviter que les hommes ne se fassent justice eux-mêmes, et ainsi d’introduire un début d’ordre dans la société en ce qui concerne le traitement des crimes.
Exprimée de façon positive, cette loi entendait lutter contre une éventuelle escalade de la violence individuelle en limitant celle-ci au niveau de la violence subie. Notre moderne notion de légitime défense procède du même esprit en exigeant que toute riposte soit proportionnelle à l’attaque. Les premiers signes de la loi du talion connus figurent dans le Code d’Hammourabi, en 1730 avant notre ère, dans le royaume de Babylone.
Considérée comme injuste, et de toute façon contraire aux intérêts de l’ordre public, chez les Celtes elle fut remplacée, par les druides, et pour certains crimes, par des amendes (eric, galanas, ou wergeld) voire des peines d’exil ; que l’on peut considérer comme les premières peines alternatives au monde.
La formule « œil pour œil, dent pour dent » revient trois fois dans le Pentateuque, mais avec le christianisme on passe à un autre extrême puisque l’on attribue le propos suivant au nazoréen Yehoshoua Bar Yosef.
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« Vous avez appris qu’il a été dit : « Œil pour œil et dent pour dent ». Et moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui également l’autre. À qui veut te mener devant le juge pour prendre ta tunique, laisse aussi ton manteau. Si quelqu’un te force à faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos » (Matthieu 5, 38-42). Or on sait depuis 100 000 ans au moins que la non-résistance (active) au Mal (au Non-Bien) ne peut que le faire croître.
Toutes les législations modernes admettent qu’il n’y a ni crime ni délit lorsque les blessures, les coups, voire éventuellement l’homicide, sont commandés par la nécessité de se défendre soi-même, ou de protéger autrui.
Pour que l’action soit considérée comme une défense légitime, il doit s’agir d’une situation de défense, la personne doit répondre à une agression, être attaquée en premier, faute de quoi c’est elle qui devient l’agresseur. Ceci pose évidemment le problème des guerres, des attaques, ou de la légitime défense, préventives.
Le danger doit paraître imminent à la personne attaquée : c’est au moment de l’attaque qu’il faut se défendre, pas après (ce qui serait alors de la vengeance, un acte prémédité) ; ensuite l’action doit s’arrêter une fois la personne neutralisée ou en fuite. Par ailleurs, il doit y avoir une juste proportion entre les moyens de défense mis en œuvre et la gravité du danger encouru.
Il est permis de défendre ses biens par tout moyen (sous réserve des limitations ci-dessus) autre qu’un homicide volontaire. Si, concernant la défense des individus, la morale élémentaire accorde une présomption de proportionnalité en faveur de la victime de l’agression ; il appartient par contre à la personne demandant le bénéfice de la légitime défense pour ses biens, de prouver que sa riposte était mesurée par rapport à l’agression.
La légitime défense ne peut être admise en matière d’atteinte aux biens que lorsque l’acte commis a pour objet d’interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit.
En résumé, on peut dire que l’utilisation de la force ne peut se faire que de manière proportionnelle, pour repousser une agression injuste, actuelle ou imminente, contre une ou plusieurs personnes.
Il existe actuellement tout un courant de pensée (intellectuels de gauche, religieux chrétiens, antisémites, etc.) récusant le principe même de la légitime défense ou de l’assistance à personne en danger. Pour ces intellectuels, seuls le dialogue et les prières doivent être utilisés dans ce cas-là. Ce qui n’est pas sans faire problème, y compris dans la juste compréhension à développer de la loi du talion (refuser de la comprendre est en effet faire preuve d’un antisémitisme incurable).
La raison de la réciprocité de vengeance comme celle de la réciprocité d’alliance ou du don, est bien plus qu’un lien social, bien plus que la conscience d’appartenir à une même communauté, mais le sentiment même d’être humain.
La réciprocité de vengeance est, comme la réciprocité du don, une catégorie structurant l’être humain.
La réciprocité peut se construire par la vie, l’alliance ou le don, mais elle peut aussi se construire par la mort et le meurtre. Ce n’est donc pas le don qui est à la base de la société, mais la réciprocité.
Lorsqu’elle ne pourra se réaliser par l’alliance ou le don, la réciprocité se réalisera autrement et quel qu’en soit le prix.
Tout don ou vengeance doit être réciproque. Seule, en effet, la réciprocité permet de métamorphoser le fait de donner ou celui de recevoir en une valeur nouvelle, dont témoigne le prestige. C’est la même chose pour la violence, le meurtre ou le vol. S’ils ne s’inscrivent pas dans la réciprocité, ils n’ont aucun sens : seule la réciprocité leur donne sens en rendant de l’honneur.
Dès lors, les sociétés donnent le plus souvent la préférence à la réciprocité positive et réservent la réciprocité négative à leur périphérie.
Le prestige et l’honneur illustrent le sentiment d’Humanité créé par la réciprocité des dons ou de vengeance, mais ils polarisent dans leur non-contradiction respective la reproduction du cycle. D’où la dialectique du don et la dialectique de la vengeance. Dans chacune de ces dialectiques, la relation contradictoire fondamentale (amitié/inimitié) demeure, mais elle est déséquilibrée en faveur soit de l’une soit de l’autre, de sorte que chaque nouveau cycle dialectique permet de l’amplifier.
CONCLUSION.
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Néanmoins, chacune de ces dialectiques peut se relativiser, cette relativisation conduit à une troisième forme de réciprocité, la réciprocité symétrique, à l’origine des valeurs éthiques. La réciprocité symétrique a ceci de remarquable de ne conduire à aucune forme de domination, et n’apparaît donc dans aucun rapport de pouvoir. Elle est le fondement d’une société « plus humaine ».
Nombreuses sont les sociétés construites à partir de ces trois formes de réciprocité, dites l’une positive, la réciprocité des dons ; l’autre négative, la réciprocité de vengeance ; la troisième symétrique.
La réciprocité symétrique appelle en effet chacun de ses protagonistes à relativiser son point de vue par celui de l’autre au bénéfice d’un espace de liberté propice à l’apparition de valeurs partagées. L’intérêt supérieur qui prévaudra dès lors ne sera plus celui de l’un ou de l’autre, mais celui qui pourra être attribué simultanément à l’un et à l’autre. Un tel intérêt supérieur est le bien commun, une parenté spirituelle, une entité irréductible à l’identité de l’un ou de l’autre. Comme il disparaît dès que se rompt la réciprocité, il est souvent rapporté à une puissance surnaturelle : les dieu-ou-démons.
Il s’agit en réalité de ce que l’on appellerait le sens de la justice, des responsabilités, ou autre.
Une telle éthique n’a aucun sens si elle est appliquée sans empathie, c’est-à-dire sans prendre en compte les besoins et les sentiments de l’autre. Une autre façon d’écrire cette règle éthologique est en effet « traite les autres comme tu voudrais être traité si tu étais à leur place ».
L’autre est le miroir où se reflète la première expression, la première manifestation de cette liberté de la conscience. Le sens de la vie se voit dans le regard de l’autre. Et l’autre est le visage de l’Homme.
La présence d’autrui (dans la relation de réciprocité) produit le sentiment d’une nature spécifique à l’Homme. L’inquiétude, le doute, voire l’angoisse, qui accompagne cette découverte de l’autre, se trouve immédiatement reporté à la périphérie de ce sentiment nouvellement apparu, sentiment qui, lui, est une certitude : « Nous sommes les vrais hommes ».
Tous les ethnographes ont noté que cette certitude est accompagnée d’une joie intense, peut-être simple joie de la découverte, mais plus essentiellement joie de vivre. Cette joie est au cœur de la relation de réciprocité ; elle n’appartient à personne en propre, mais resplendit en tout un chacun. Le sentiment qui accompagne la conscience d’être un homme n’est donc pas la jouissance d’une propriété ou d’un avoir.
L’éthique de réciprocité est par conséquent est une morale fondamentale dont le principe se retrouve dans pratiquement toutes les grandes civilisations (règle d’or) ; et qui peut se traduire simplement par des préceptes du genre « Traite les autres comme tu voudrais toi-même être traité » ou « Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse ».
Exemple dans le jaïnisme.
« Rien de ce qui respire, qui existe, qui vit, qui a l’essence ou le potentiel de la vie, ne devrait être détruit, dirigé, subjugué, blessé, se voir dénier son essence ou son potentiel. Pour établir cette vérité, je ne vous poserai qu’une seule question. Le désespoir ou la douleur sont-ils quelque chose de désirable pour vous ? Si vous répondez oui, ce serait un mensonge. Mais si vous répondez non, vous direz la vérité. Puisque le désespoir et la douleur ne sont pas désirables pour vous, il en est de même pour tout ce qui respire, existe, qui vit, ou a l’essence de la vie. Pour vous comme pour tout un chacun, ceci n’est nullement désirable, c’est au contraire douloureux, et cela répugne » (Acaranga Soutra, Soutra 155-6).
Exemple dans le Zoroastrisme.
« Ne pas faire aux autres ce qui déplairait à soi-même » (Shayest na shayest chapitre 13, 29. Texte pahlavi traduit par E.W. West).
De Georges Bernard Shaw à Iain King en passant par Kant et Nietzsche cette règle d’or a évidemment aussi ses limites, nous y reviendrons, et elle ne saurait constituer un absolu. La plus grande naïveté de ses thuriféraires étant de la voir à l’œuvre partout et dans toutes les religions de masse sans exception, confondant ainsi allègrement textes fondateurs (comme le Coran ou les évangiles) et dérivés ou commentaires de commentaires (hadiths, bulles papales) elle doit donc être suivie avec discernement (Iain King 2008).
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LA RÉCIPROCITÉ DES DONS
PEUT-ELLE CONSTITUER UN PRINCIPE D’ÉCONOMIE POLITIQUE ?
C’est tous les jours que nous recevons autrui, l’invitons à partager des vivres, lui offrons l’hospitalité ou notre protection, de façon privée ou collective (aujourd’hui couverture médicale, retraite, assurances…).
Dans les sociétés présumées les plus proches des sociétés d’origine, la réciprocité mobilise toutes les activités de la vie : nourrir, soigner, protéger… Pour entrer en relation de réciprocité avec autrui, réellement, il faut en effet tenir compte de ses conditions d’existence. En plus du principe retenu par les économistes du libre-échange, l’intérêt pour soi, il existe donc un autre principe d’organisation politique qui induit une économie, car pour donner il faut produire.
Si la sphère de la circulation est régie par ces deux principes qui se ramènent à l’échange et à la réciprocité, il en est de même de celle de la production : la plupart des êtres humains produisent davantage pour donner, que pour posséder.
On peut distinguer deux structures élémentaires de réciprocité : le partage, qui produit la confiance, et la réciprocité ternaire centralisée, dans laquelle les membres de la communauté sont tous reliés entre eux par un seul intermédiaire, qui devient le centre de la redistribution et l’autorité suprême (le roi -ou le vergobret- par exemple dans la société celtique antique).
Nous pratiquons la réciprocité dans le réel, car nous sommes du réel, et plus de la moitié de notre activité productrice est destinée à cette réciprocité, sans que nous le sachions, car nous interprétons tout selon le paradigme dominant de l’échange.
Nous essayons de vivre socialement et nous nous inquiétons de la destruction du lien social sans savoir ce qu’est le lien social, un mot vague qui recouvre en fait les valeurs produites par la réciprocité symétrique, les sentiments de responsabilité, de liberté, de justice, de confiance (selon les structures de réciprocité en jeu, mais que nous ignorons).
Là où ces structures sont brisées, nous sommes conscients que le lien social se défait, alors les uns se réfugient dans le crime organisé, dans l’intégrisme religieux, d’autres enfin dans ce qu’ils appellent des économies alternatives, parallèles, ou souterraines, en bref toutes précapitalistes.
Mais ce retrait nous permet de retrouver autrui dans la proximité, la solidarité, la citoyenneté ; sans savoir non plus quel est le secret de ces notions et pratiques élémentaires. Et, faute de compétences sur le sujet, ici aussi, le paradigme de l’échange nous rattrape et nous impose sa loi.
La confusion conduit toujours à la même impasse, et la désillusion s’accroît. Aussi, faut-il réfléchir, et se demander ce que l’on veut produire : quelles valeurs, valeur d’échange, de justice, de responsabilité, de confiance, de foi ?
Les hommes répondent le plus souvent : « La liberté d’abord ! ». C’est la première valeur que propose toute révolution. Et ensuite « l’égalité ».
Toutes les structures de réciprocité sont génératrices de liberté, car toutes mettent fin aux déterminismes de la nature.
Mais il faut entendre ici par liberté la répudiation de toute sujétion, la sujétion à l’honneur, au prestige et au sacré. Or, cette liberté-là est aussi celle de pouvoir être juste ou injuste.
Depuis longtemps les libéraux se demandent donc comment concilier la liberté avec l’égalité, comment concilier la liberté avec la justice ? John Rawls, champion du libéralisme contemporain, au terme d’une réflexion de plusieurs dizaines d’années, concède que l’individu rationnel ne peut être considéré comme un individu complet, qu’il ne peut pas atteindre aux principes de justice par lui seul. Il lui faut encore être raisonnable, c’est-à-dire vivre en réciprocité avec autrui pour acquérir ce que Charles Taylor décrit comme des capacités qui ne peuvent surgir que de la participation de chacun à une communauté. Or, la communauté universelle, qui s’affranchit donc de toutes limites pratiques ou imaginaires, se construit par la réciprocité généralisée.
Un autre débat, tout aussi important, bien qu’il soit actuellement toujours en suspens, est de savoir comment concilier l’égalité avec la responsabilité. Il existe en effet deux formes de réciprocité généralisée, l’une qui promeut la responsabilité, l’autre qui promeut la confiance (et dans sa version totalitaire, la soumission). La difficulté vient de ce que ces deux valeurs sont exclusives l’une de
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l’autre. La méconnaissance des matrices de ces deux valeurs fondamentales et de leur exclusion mutuelle est l’écueil sur lequel s’est brisée l’économie du socialisme réel des pays de l’Est européen à la fin du 20e siècle.
Aux yeux de l’ancien druidisme en tout cas, corollaire obligé de la générosité donc, la réciprocité sous toutes ses formes était le principe de base de la société celtique. Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, on peut classer les structures élémentaires en deux groupes : réciprocité binaire et réciprocité ternaire. Par ternaire on entend une relation où l’on agit sur un partenaire et où l’on subit d’un autre partenaire. La chaîne est donc ininterrompue, et se referme soit en réseau soit en cercle. Elle peut être linéaire, ou bien, lorsqu’un seul partenaire sert d’intermédiaire à tous les autres, en forme d’étoile : on la dit centralisée.
L’exemple en ce domaine, c’est le bon roi ou grand monarque idéal (Noadatus/Nuada/Nodons/Lludd le distributeur et les autres rois plus ou moins légendaires comme Ambicatuos) envers qui remontent impôts et tributs ; mais qui les redistribue aussitôt en les faisant redescendre vers ses serviteurs ou ses fidèles.
Cette notion de réciprocité des dons est la base de tout lien d’homme à homme ou de peuple à peuple dans le monde celtique, en bref la base du contrat féodal type.
Ce sens de la réciprocité concerne aussi la possession des biens et des richesses. Comme le remarque fort judicieusement Albert Bayet : « Ce qui est hors de doute, c’est que le grand a, de par les mœurs, une obligation précise de pourvoir à la subsistance d’un grand nombre de personnes ». La geis ou mieux l’ada en ce domaine est celle de la réciprocité absolue des prestations, ainsi que l’a très bien vu Marcel Mauss dans son célèbre « Essai sur le don ».
Et l’honneur, c’est ici en fait l’obligation à l’égard d’un partenaire qui s’est constitué une avance par un don, obligation exactement corrélative au devoir de vengeance.
Dans le livre I de Sa Politique Aristote affirme à tort, que l’économie domestique est la plus « naturelle » parce qu’elle concerne les biens de consommation uniquement, et nullement le profit (chrématistique). Or, avec les sociétés dont fait état Marcel Mauss, nous voyons une autre forme d’échange, qui ne concerne ni le profit du marché ni l’argent, d’une part ; ni même la survie matérielle d’un groupe défini comme la famille (l’économique), d’autre part ; mais bien une forme de prestation sociale totale, dans laquelle toute la communauté s’engage triplement : dans une obligation de donner, une obligation de recevoir, et, de nouveau, une obligation de contre-don. La déviation de ce système intervient quand un des partenaires veut trop donner ou surpasser l’autre par ses contre-dons.
Ce principe s’appliquait aussi à la religion. Dans un sanctuaire une partie des atebertas ou offrandes était toujours détruite par les membres de la sodalité (de l’ordre) druidique desservant le lieu évidemment (par dépôt dans un puits à sacrifice ou crémation) ; mais le reste était redistribué aux pauvres ou consommé sur place.
Brennus de Delphes : « Les dieux n’ont nul besoin de richesses, accoutumés qu’ils sont à plutôt les prodiguer aux mortels ».
Don et contre-don sont donc la marque de tout Celte d’esprit qui veut se comporter en grand seigneur, car noblesse oblige. On doit se montrer généreux quand on est riche et puissant et non avare.
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LA RÉCIPROCITÉ OU LAÏCITÉ EN MATIÈRE DE RELIGION.
Arrivé à ce point de notre exposé sur la réciprocité en matière d’économie, il convient de dire quelques mots sur la réciprocité dans le domaine religieux.
Il va de soi que dans l’éthologie celtique antique, l’hospitalité n’était jamais à sens unique, mais réciproque et mutuelle, à charge de revanche par définition.
Il ne s’agissait pas seulement de recevoir des hôtes des amis ou des invités, mais d’établir des liens réciproques. Il s’agissait d’un contrat synallagmatique.
Et bien il en allait de même en matière cultuelle. Les dieux étrangers ou les interprétations étrangères d’un même dieu (Taranis/Jupiter/Zeus par exemple) étaient admis. Les druides allaient même jusqu’à reprendre certaines des divinités locales des peuples vaincus (les Atectai).
C’est là justement un des points sur lequel nouveau druidisme et ancien druidisme s’accordent parfaitement.
Il est vrai qu’il ne peut pas exister par définition d’écritures saintes. Une écriture est toujours profane, car le sacré c’est l’Esprit, c’est l’Homme.
Bible et Coran ont été créés par des hommes, ne sont que des amas de mots souvent incohérents d’ailleurs (que vient faire dans la Bible un livre quasiment athée comme l’ecclésiaste ?) couchés sur des chiffons de papier et contenant rarement le meilleur. Pris au pied de la lettre Bible et Coran sont intolérables, car en matière de spiritualité le gel de la pensée par l’écriture a toujours été la pire des choses qui peut lui arriver (elle ne peut plus évoluer si ce n’est avec les plus grandes difficultés, elle est figée). Pris au sens symbolique ou allégorique on peut en faire dire autant au livre de recettes de cuisine de ma grand-mère (vous savez la gardeuse d’oies de Pont-Varin qui a été quelques années cuisinière du château de Cirey). Disons au Maha Bharata ou à Bouddha.
L’attitude la plus normale à leur égard est donc de respecter Bible et Coran…dans l’exacte mesure où ils respectent eux-mêmes tous ceux qui ne pensent pas comme eux, les matérialistes athées les spiritualistes athées les agnostiques les panthéistes les polythéistes en bref les mécréants ou kouffar de tout poil auxquels nous nous flattons d’appartenir. La réciprocité positive ou négative en matière de relations humaines est le commencement de la sagesse.
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DE LA RÉDUCTION DE LA RÉCIPROCITÉ DES DONS À L’ÉCHANGE,
OPÉRÉE À GRANDE ÉCHELLE ET DE FAÇON SYSTÉMATIQUE
PAR LA CIVILISATION OCCIDENTALE.
Il importe à cet égard de commencer par bien distinguer la réciprocité des dons et l’échange. La réciprocité des dons et l’échange vont en effet conduire à des principes de régulation économique différents : l’équivalence de réciprocité dans le premier (la réciprocité des dons) ou l’équilibre de l’offre et de la demande dans le second cas (l’échange).
Mais les choses sont-elles données ou échangées primitivement ? Que l’alternative existe dès l’origine, Lévi-Strauss l’a indiqué en faisant la distinction entre un premier temps, celui de la rencontre au cours de laquelle tout est donné sans marchandage ; et un deuxième temps, celui de la réflexion sur les choses reçues, qui peut conduire à l’échange.
Il est toujours possible, en effet, de se servir de la paix instaurée par la réciprocité pour échanger dans son intérêt puis de retourner la réciprocité de façon à ce qu’elle serve à son contraire : son intérêt privé, le souci égoïste de soi. Mais il est toujours possible aussi de dépasser cet intérêt personnel pour susciter davantage d’amitié.
La réciprocité promeut entre les partenaires un lien social, de justice, de responsabilité, de confiance, etc. (selon la structure de réciprocité considérée) ; mais ce sont des valeurs qui ne se comptent pas en quantités matérielles, comme dans le cas de l’échange.
Si le puritain ne l’avait pas emporté au Nord, et le jésuite au Sud, le processus de l’accumulation matérielle à partir de l’échange ne se serait-il pas produit de toute façon ; avec les conséquences sur la planète que l’on connaît aujourd’hui, et qui deviennent de plus en plus menaçantes ? On peut évidemment se le demander.
Dans les religions de masse monolâtres le premier donateur est Dieu ou le Démiurge, et c’est à Dieu ou le Démiurge donc qu’est due toute gloire. Cette aliénation atteint à son paroxysme dans l’Europe du Nord à partir du XVIIe siècle.
Fin du colbertisme en France, Fable des abeilles (1705 puis 1714) et Adam Smith (1776) en Angleterre. C’est l’heure du libre-échange, désormais choisi comme référence. Il réalise l’égalité des choses entre elles, une égalité qui se comprend comme leur complémentarité en vue d’une efficacité supérieure. En somme, il mesure leur utilité. Voilà donc la nouvelle puissance qui remplacera l’honneur, le prestige et le sacré : l’utilité.
Alors que dans l’Antiquité, le profit était rejeté hors les murs ou confié à des parias comme indigne d’un citoyen, il est désormais justifié comme principe moral, étant supposé faire le bonheur des riches, mais améliorer aussi la condition des pauvres. Pour A. Smith, par exemple, bien que le riche construise des palais somptueux et fasse seul bonne chère, il doit faire appel aux ouvriers puis les payer, de sorte que la production entraîne malgré tout une certaine redistribution, donc une justification du système capitaliste.
L’échange libère donc le spirituel de toute compromission avec le matériel. Dieu ou le Démiurge peut être dit un pur esprit. Il y a là un paradoxe bien vu par Weber : d’un côté une sujétion ramenée à un principe (Dieu) qui supprime tous les intermédiaires, princes et évêques, mais qui peut être aussi sujétion absolue à ses propres fantasmes ; et, de l’autre côté, la sortie de la sujétion par le matérialisme économique. La conjonction de ces deux aliénations majeures, pourtant antagonistes, celle du pouvoir spirituel absolu, mais arbitraire, et celle du pouvoir de nature (objectif, mais inhumain) c’est le triomphe du système capitaliste et chrétien en Occident, car ces deux pouvoirs ne sont pas contradictoires.
L’échange, pourvu qu’il soit concurrentiel, n’a-t-il pas le même résultat que la réciprocité des dons ?
Certains auteurs tentent donc de faire apparaître l’échange comme une forme évoluée de la réciprocité, ce qui revient à interpréter la réciprocité des dons comme une forme archaïque de l’économie. La thèse repose sur l’idée de Marcel Mauss que les communautés d’origine mélangeraient relations objectives et subjectives, matérielles et spirituelles. Avec le temps, ces prestations dites totales se scinderaient en relations intersubjectives, de réciprocité pure, à la base du droit et de la morale, et relations objectives soumises à l’intérêt propre des individus. Une fois la paix,
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la confiance et la compréhension mutuelle, établies par la réciprocité, les hommes pourraient donner libre cours à toutes leurs envies, et restaurer le primat de leur intérêt individuel. À partir du XVIIIe siècle, l’échange s’impose en effet dans les sociétés occidentales. Les transactions ne sont plus envisagées pour engendrer des valeurs humaines, mais de plus en plus pour une valeur d’échange dont le statut se précise ; elle n’est plus un moyen terme entre deux marchandises, mais un pouvoir d’accumulation qui permettra bientôt aux uns de définir à leur avantage le prix du travail des autres. Et cette accumulation de pouvoir aveugle s’amplifie encore de nos jours alors que déclinent les forces de la religion qui lui est associée.
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BUAÏDH N° 8.
LE COURAGE.
Le courage personnel, physique ou moral (calmacht, galia en vieux celtique).
Les poètes ont souvent attribué aux druides antiques un pacifisme « à tout prix ou bêlant ». Il s’agit d’une erreur fondamentale remontant au XVIe ou au XVIIe siècle. Les druides n’ont jamais été des pacifistes à tout prix (en français populaire « bêlants » ). Ils étaient pour la paix, mais nullement à tout prix (voir le cas du druide éduen Diviciacus qui s’est même fourvoyé en allant trop loin dans la collaboration avec Rome). Leur idée n’était pas la non-violence à tout prix, mais la volonté de ne pas prendre l’initiative de nuire sans raison ni de façon totalement gratuite à qui ne vous a rien fait, ce qui n’est pas du tout la même chose. S’ils avaient vécu à notre époque ils auraient pu déplorer avec Churchill en 1938, à propos des accords de Munich : « La Grande-Bretagne et la France devaient choisir entre la guerre et le déshonneur. Elles ont choisi le déshonneur. Elles auront et la guerre et le déshonneur ».
Avoir du courage est une vertu des guerriers, mais aussi des femmes celtes, puisqu’elles participent aux combats […] les vieillards eux-mêmes se battent jusqu’au bout. Voir le cas de Camulogène et Vertiscos, si vieux qu’ils ne se tiennent plus, ni sur leurs jambes, ni sur leur cheval. Les suicides collectifs des Alpins, des Numantiens, ainsi que des combattants nus des guerres italiques (gésates) sont restés célèbres.
Quoi de plus nôtre que notre vie ? Et pourtant elle nous est donnée. On ne peut que la recevoir et y consentir, ou se suicider. Si je dois commencer par respecter la vie des autres, je puis être, par contre, appelé à renoncer à ma propre vie pour un bien qui lui est supérieur. La vie terrestre n’est pas un absolu (cf. les sacrifices humains de l’ancien druidisme). Donner sa vie pour ceux que l’on aime, pour la justice, ou par amitié, c’est reconnaître qu’il y a des valeurs encore plus importantes.
C’est à ce prix seulement que l’être humain peut acquérir sa vraie liberté. S’il refuse d’envisager l’éventualité de ce don, il est mûr pour tous les esclavages. Plutôt rouge, ou blanc, que mort, ne saurait être un slogan celte.
En gaélique « meisnech » (moderne « misneach ») signifie courage au sens d’être capable de tenir tête à quelqu’un », et vient de la racine « med » qui signifie « compter, mesurer, se mesurer à »). Il implique le sens de « capable de se contrôler ». « Calmacht » vient de l’adjectif « calma », d’une racine signifiant « dur » (vieux celtique caletos) et implique la notion d’endurance. Même chose pour « cródacht » (moderne « crógacht »), dérivé de « cródae » (moderne « cróga »), qui signifie originellement quelque chose comme « assoiffé de sang », autrement dit qui évoque la dureté de celui qui n’a aucune pitié au combat. Le terme en est venu à simplement signifier « bravoure » au sens habituel du terme. « Uchtach » vient de « ucht » « poitrine, sein » et désigne originellement une cuirasse, mais a ensuite acquis le sens de protection, plus mentale que matérielle ou physique. Les langues brittoniques utilisent « calon » (« kalon »/« kolonn ») « cœur » pour dire « courage » (terme venant également de la racine signifiant « dur »). Le gallois se sert aussi du mot « gwroldeb » dérivé de « gwrol » signifiant « masculin, mâle », de même que « dewrder », mot venant de « dewr », ayant un sens comparable. L’ancien gallois se servait aussi du terme « glew » qui signifiait fondamentalement « hardi, audacieux » comme dans le nom du portier du roi Arthur appelé Glewlwyd Gafaelfawr : « Le Hardi Grisonnant à la Poigne Puissante ».
Mais le courage ce n’est pas seulement le courage physique, cela peut être aussi le courage moral ou intellectuel, la force de caractère (menos en grec). Menos s’applique à l’ensemble de la vie psychique. Il s’agit du caractère, de l’ardeur. La liaison avec la racine dhrs « être audacieux » souligne la connotation héroïque du ménos dont les vrais fils de roi doivent faire preuve.
Ci-dessous comment nos amis de Druid network interprètent la première proposition de la célèbre maxime attribuée aux fénianes par Cailte répondant à saint Patrice l’interrogeant sur la question : neart inár lámhaibh.
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Force dans nos mains et nos pieds ne veut pas dire « gros muscles », mais courage et bravoure face à un ennemi. Cela vaut non seulement pour les guerriers s’affrontant à coups d’épée, mais pour faire face à toutes sortes de peur afin de les surmonter. Il nous semble également évident que cela se réfère aussi au courage dont il faut faire preuve face à des échecs, des revers, des déceptions ou autres coups durs de toutes sortes.
Il y a des gens qui se retirent dans leur coquille et en sortent rarement, par excès de timidité, crainte d'être blessé, angoisse ou complexe d’infériorité. Ces perspectives sont tout à fait étrangères aux mythes, qui regorgent de personnages s’emparant de leur existence à pleines mains et la vivant pleinement. Pour nous, la force en question est donc celle qui vient du fait de vivre sa vie intensément, avec passion, énergie.
Ce à quoi nous ajoutons que les Celtes ont néanmoins toujours pris soin de leurs corps, et veillaient à être fin prêts pour d’éventuelles expéditions guerrières. Force dans les mains signifie aussi gros muscles, et mains qui ne tremblent pas. Mens sana in corpore sano disaient de leur côté les Romains.
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BUAÏD N°9.
LA FIDÉLITÉ (dilestos).
Le terme souvent utilisé pour traduire cette notion est celui de dilis, vieil irlandais « díles », qui vient du terme vieux celtique dilestos, gallois dilys « inaliénable », « appartenant manifestement à quelqu’un et non à un autre ». Entre en composition dans certains termes de droit gallois médiéval. En gallois moderne « dilys » signifie souvent « authentique ». Tairisiu en vieil irlandais signifie plutôt ténacité (une ténacité impliquant une confiance réciproque). La fidélité à un homme, à une famille, à une tribu.
668, arrivée de Saint Colman à Inishbofin (l’île de la vache blanche, 200 habitants au large du Connemara, comté de Galway) en provenance de Iona, afin de continuer à pouvoir célébrer Pâques à sa façon, et non conformément à la date imposée au siège de l’église northumbrienne ainsi qu’au grand scriptorium situés à Lindisfarne de son temps (663) dont les richesses finiront par attirer l’attention des vikings en 793 (nombre de moines tués ou réduits en esclavage inconnu).
Conclusion : mieux vaut rester soi-même et pauvre qu’être riche, mais devenu un autre.
Rester soi-même (Sinn Fein en gaélique) est aussi une valeur et une valeur aussi importante que celles à la mode actuellement ; du moins si l’on en juge d’après la résistance au christianisme des derniers druides de Grande-Bretagne comme Merlin lors de la bataille d’Arfderydd en 573, ou d’Irlande, et tel est peut-être l’ultime message que, de par leur exemple même, ils nous ont légué.
Les druides de haut niveau ne se sont en effet jamais ralliés à la cause de saint Patrice, les seuls à l’avoir fait furent des druides intellectuellement très subalternes (des bardes ou des vellèdes).
Les druides druides ont toujours ressenti une sainte horreur du faux ou de l’inauthentique, car leur religion était une religion de la vérité.
Tout le monde connaît, ou devrait connaître, le célèbre discours de Critognatos aux combattants d’Alésia.
« Les Cimbres ont ravagé le pays et y ont déchaîné un grand fléau : pourtant un moment est venu où ils ont quitté notre sol pour aller dans d’autres contrées ; ils nous ont laissé notre droit, nos lois, nos champs, notre indépendance. Mais les Romains, eux, que cherchent-ils ?… Si vous ignorez ce qui se passe pour les nations lointaines, regardez, tout près de vous, dans cette partie du pays qui, réduite à l’état de province, ayant reçu des lois, des institutions nouvelles, soumise aux haches des licteurs ; ploie sous une servitude éternelle » (César. B. G. VII, 77).
Le discours de Critognatos a-t-il été inspiré par les druides ? Impossible de le savoir, mais celui qui suit l’a sans doute été.
« Niall mon père ne m’a pas permis de croire *, et m’a demandé d’être enterré sur les hauteurs de Tara. Comme les guerriers, parce que les païens ont coutume d’être armés dans leurs tombes, les armes et le visage tournés vers l’ennemi. Jusqu’au jour d’erdathe qui est le jour du jugement du Seigneur selon les druides » (Mémoires de Saint Patrice par Tirechan). N.D.L.R. Erdathe individuelle = réintégration dans le Grand Tout, erdathe collective = renouveau du bitos ou de l’univers.
* N’importe quoi ?
Cette brève citation de la vie tripartite de saint Patrice, mettant en cause les druides, est fort claire, et l’attitude du roi Niall a évidemment été inspirée par ces magi, c’est-à-dire par les druides, de son entourage.
Mieux vaut rester soi-même mais pauvre qu’être riche, mais devenu un autre.
Un tel désir de rester soi-même peut étonner aujourd’hui, mais il est indéniable chez les druides antiques, puisque même chez les traîtres à la foi de leurs pères, il en restera des traces.
Voir le cas ci-dessus (repetere = ars docendi) du saint irlandais nommé Colman lors d’une des innombrables querelles à propos de la date de Pâques, ayant émaillé le christianisme anglais du haut Moyen-âge (Synode de Whitby 664). Le roi de Northumbrie, Oswy, clôtura les débats en disant que Pierre était un porte-clés auquel il se garderait bien de résister, de peur de ne trouver personne pour lui ouvrir lorsqu’il se présenterait aux portes du paradis. Le roi, la majorité de l’assemblée, l’évêque Cedd lui-même, élevé par les Scots à l’épiscopat et qui servit, en la circonstance, d’interprète à Colman, se rangèrent à la manière de voir du porte-parole de Rome, saint Wilfrid. Les moines irlandais ainsi qu’environ trente Northumbriens de la communauté de Lindisfarne restèrent attachés à la doctrine de Colman. Se voyant vaincu, celui-ci demanda donc à Oswy de lui nommer un successeur à Lindisfarne, résolu qu’il était à se retirer en Irlande.
Eata, l’abbé de Melrose, qu’il proposa, fut agréé. Alors il s’en vint à Lindisfarne, où il prit une partie des ossements de saint Aidan, et, avec la maigre troupe des disciples qui lui étaient restés fidèles, se
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rendit à lona. De là il fit voile vers Inishbofin, l’île de la Vache Blanche, située au large de la côte du comté de Galway ; où il finit ses jours vers 675.
Note de l’auteur. Il y a quelque chose de pathétique dans le cas de cet obstiné qui s’en va, chargé des reliques vénérées d’un saint de sa race, chercher au pays des ancêtres le droit de conserver la discipline qu’ils lui ont léguée.
LA FIDÉLITÉ SEXUELLE.
Le goût le besoin ou la volonté de se reproduire constitue une des données de base du comportement humain. Et si nous voyons bien l’intérêt de canaliser ou encadrer un tel instinct, moteur des plus grandes réalisations, nous ne voyons pas l’intérêt de le nier ou de le combattre frontalement comme le font les intellectuels d’aujourd’hui.
L’homme n’est ni ange ni bête, mais le malheur est que qui veut faire l’ange fait la bête. On le voit aujourd’hui dans maintes guerres « civiles » dramatiques.
Pour des raisons évidentes tenant à la fois à la biologie (ce sont les femmes qui font les enfants) et à la sociobiologie, depuis que les mâles dominants ont réalisé que les enfants naissaient de leurs copulations et tenaient d’eux pour moitié (atavisme), la fidélité féminine est devenue une valeur imposée, défendue bec et ongle, voire recherchée.
Il existe donc de nombreux exemples de femmes restées fidèles jusqu’à la mort à leur mari ou leur fiancé.
Voir à ce sujet Plutarque : Des vertus des femmes. Notamment l’exemple des Deirdre galates dignes de l’Acadien Longfellow que furent la belle Khiomara, épouse du roi Ortiagon (tout comme Deirdre en effet la femme d’Ortiagon avait juré, elle aussi, de ne pas connaître plus de deux hommes dans sa vie) ; ainsi que la pure et douce Camma, grande prêtresse d’Ancyre.
Rappelons tout d’abord à son sujet que du point de vue druidique la chasteté n’a de valeur, quasi magique, que dans le domaine rituel et non dans le domaine moral ou social. L’homme ou la femme qui accomplit un rite, à part dans le tantrisme de la voie des femmes Namnètes, doit s’être abstenu de tout acte sexuel dans les heures qui ont précédé.
La malheureuse Camma donc avait pris pour refuge et consolation le ministère sacré l’attachant à la déesse Artémis [ou plus exactement à la déesse celte dissimulée sous ce nom] ; mais, obligée par sa famille d’épouser l’assassin de son premier mari, elle versa du poison dans la coupe de leur mariage et elle mourut en entraînant ce dernier dans sa mort.
Ses dernières paroles furent celles-ci : «« Je te prends à témoin, ô déesse la plus révérée, que c’est uniquement pour que vienne ce jour que j’ai survécu au meurtre de Sinatus, je n’ai goûté à aucun des plaisirs de la vie durant tout ce temps-là hormis l’espoir que justice soit faite un jour ; mais maintenant que je tiens ma vengeance, je peux descendre rejoindre mon époux. Quant à toi, le plus exécrable des hommes, que tes parents te préparent une tombe au lieu d’une chambre nuptiale et d’un mariage ».
Ensuite elle enlaça l’autel et y mourut devant la foule frappée de stupeur.
Khiomara était la femme d’un notable de la région d’Ankara (Turquie) appelé Ortiagon. Polybe, qui la connut personnellement et admirait son héroïsme, nous a conté son histoire.
Elle avait été capturée à l’époque où les Romains écrasaient les Galates. Cette femme d’une rare beauté se trouvait, avec une foule de prisonniers comme elle, sous la garde d’un centurion avide et débauché (un vrai soudard). Voyant que ses propositions infâmes la faisaient reculer d’horreur, il viola la malheureuse que les hasards de la guerre mettaient en son pouvoir. Puis il flatta sa victime de l’espoir d’être rendue aux siens, mais fixa un prix pour cela, et, pour ne mettre aucun des siens dans la confidence, il permit à la captive de choisir un de ses compagnons d’infortune afin d’aller traiter de sa rançon avec les siens. Rendez-vous fut donné près du fleuve : deux amis de la captive, deux seulement, devaient s’y rendre, avec l’or, la nuit suivante, pour procéder à l’échange. Or, par un hasard fatal au centurion, se trouvait précisément dans la même prison un domestique de cette femme. Ce fut donc lui qu’elle prit pour cette mission et, à la nuit tombante, le centurion le conduisit hors du camp romain.
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La nuit suivante, se trouvèrent au rendez-vous les deux parents, et le centurion avec sa captive. On lui montre l’or ; pendant qu’il s’assure si la somme convenue y est, la femme ordonne, dans sa langue, de tirer l’épée puis de tuer le centurion penché sur sa balance [d’après Plutarque « alors qu’il lui manifestait des marques d’affection »]. On l’égorge, on lui coupe la tête, et, l’enveloppant dans sa robe, la captive va rejoindre son mari. Celui-ci, rescapé de la bataille du mont Olympe, était retourné dans sa maison. Avant de l’embrasser, elle jeta donc à ses pieds la tête du centurion. Et comme il s’en étonnait quelque peu et lui faisait remarquer « qu’il était bien de respecter un marché », elle lui rétorqua : « Il est encore plus beau qu’il n’y ait de vivant qu’un seul homme ayant eu des relations intimes avec moi ».
Viol, vengeance, elle avoua tout à son mari ; et, tout le temps qu’elle vécut depuis (ajoute-t-on), sa conduite soutint jusqu’au dernier moment la gloire de son action. Plutarque. Des vertus des femmes. Tite-Live. Histoire romaine XXXVIII, 24.
N’oublions pas non plus cette autre Deirdre celte que fut la fameuse Éponine. Autre exemple de fidélité féminine cité par Plutarque (Œuvres morales, De l’amour, chapitre XXV).
Elle déclara fièrement à Vespasien qu’elle ne craignait nullement la mort, la vie ayant été plus douce pour elle sous terre avec son mari, que pour lui du haut de son trône.
« Je dirai même que l’amour inspiré par une compagne honnête, non seulement conserve sa vivacité quand l’épouse a pris des cheveux blancs et des rides, mais qu’il persiste au-delà du sépulcre et de la tombe. Contre un bien petit nombre d’amours de garçons, dont la constance s’est maintenue, on citerait des milliers d’époux restés, avec autant de dévouement que d’ardeur, fidèles jusqu’au dernier moment à la tendresse qui les unissait. Je veux en citer un exemple qui s’est produit de nos jours et sous le règne de l’empereur Vespasien…
Julius, celui qui avait suscité le soulèvement, comptait, comme il est naturel, un grand nombre de complices ; et entre autres un certain Sabinus, homme jeune, plein de courage, le plus remarquable de ceux de son parti à cause de son crédit et de sa richesse. L’entreprise tentée par eux était grande. Ils échouèrent ; et comme ils prévoyaient le châtiment qui leur était réservé, les uns se donnèrent la mort, les autres s’enfuirent. Ces derniers furent repris. Sabinus se trouvait dans des circonstances telles qu’il aurait pu, en tout autre moment, s’échapper sans peine et se réfugier chez les Barbares.
Mais il était marié à une épouse la plus vertueuse du monde. Dans son pays, elle s’appelait Empone [Éponine] nom qui en grec répondrait à « héroïne ». Il ne se sentait pas plus capable de l’abandonner qu’il ne pouvait la prendre avec lui. Mais il avait dans ses domaines des grottes destinées à cacher ses richesses, et connues de deux de ses affranchis seulement. Il éloigna ses autres esclaves en leur disant qu’il allait s’empoisonner, puis, prenant avec lui les deux serviteurs auxquels il se fiait, il descendit dans ces souterrains. Il envoya en même temps vers sa femme son affranchi Martalius, afin de lui annoncer qu’il avait succombé au poison, et que sa maison des champs avait été brûlée avec son corps. Il voulait que le désespoir bien véritable de sa femme accréditât la nouvelle de sa mort. Ce fut ce qui advint. Dans l’état même où la trouva cette nouvelle, Empone [Éponine] se précipita le visage contre terre en poussant des lamentations et des sanglots, et elle resta trois jours et trois nuits sans prendre aucune nourriture. Sabinus en ayant été informé eut peur qu’elle ne se laissât vraiment mourir. Il lui fit dire en secret par Martalius qu’il vivait, qu’il était caché, mais qu’il avait besoin qu’elle continuât un peu de temps ces scènes de désespoir, en donnant à son affliction simulée une parfaite vraisemblance. Empone joua résolument ce rôle tragique, de manière à faire croire à sa douleur ; mais comme elle brûlait du désir de voir son époux, elle partit une nuit, et elle fut de retour le lendemain. Depuis ce moment-là, et sans que personne s’en aperçût, elle vécut à peu de chose près au fond des Enfers, partageant la retraite de son mari…
Elle retournait seulement de temps à autre en ville, et elle y circulait pour s’y faire voir de ses amies et de ses parentes. Mais ce qui est plus incroyable que tout, c’est que les compagnes avec qui elle prenait des bains ne s’aperçurent pas qu’elle était devenue grosse. La composition avec laquelle les femmes frottent leurs cheveux pour les rendre roux et brillants comme de l’or ; est faite d’une substance grasse, qui donne aux chairs plus d’épaisseur ou de développement, de manière à ce que le corps se dilate ou se gonfle. Elle s’en frotta donc partout avec profusion, et elle déroba ainsi aux conjectures la grosseur de son ventre, dont le volume s’arrondissait tous les jours. Quant aux douleurs de l’enfantement, elle les supporta, réduite à elle seule, comme une lionne qui met bas dans son
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antre, et elle donna donc à son mari deux enfants mâles, j’allais dire deux lionceaux, qu’elle nourrit de son lait. De ces fils, l’un est mort à la guerre, en Égypte ; l’autre était ces jours derniers à Delphes avec nous, et il s’appelle Sabinus. Pour en revenir à Empone, l’empereur la fit mettre à mort. Mais ce meurtre eut son expiation : car à peu de temps de là toute la postérité du tyran fut anéantie. Ce qui est certain, c’est que ce règne ne connut pas de forfait plus hideux, et qu’il n’y eut pas de spectacle dont les dieux et les génies dussent détourner leur regard avec plus d’horreur. Mais la pitié disparut devant l’admiration inspirée par l’audace et la magnanimité d’Ernpone, lorsqu’on la vit exciter au plus haut degré la fureur de Vespasien. Elle déclara qu’elle n’acceptait aucune grâce, et qu’elle demandait à rejoindre Sabinus dans la mort. Car, dit-elle, dans les ténèbres et sous la terre, j’ai vécu plus heureuse que toi sur ton trône ».
D’après certains auteurs, Éponine se serait convertie au christianisme. Ce qui est totalement faux bien entendu. Les chrétiens ont un peu tendance à voir des chrétiens partout sauf là où ils étaient (Hitler, Staline).Mais ça nous l’avons déjà dit.
De telles conceptions de la fidélité sexuelle ou sentimentale jusqu’à la mort ont étonné le monde antique apparemment (et même médiéval si la légende de Deirdre n’est pas plus ancienne) ; mais il ne faut pas pour autant se tromper sur le sens profond de la virginité ou de la chasteté dans l’ancien druidisme
Pour les très-sachants de la druidiaction (druidecht), antiques, en effet, la chasteté et la virginité n’étaient que des offrandes ou des épreuves temporaires voire intermittentes ; uniquement destinées à condenser les forces de la fécondité et de la nature et devant donc un jour leur être sacrifiées avec ardeur.
La pensée druidique, vue à travers ce qu’en ont dit les auteurs de l’Antiquité classique, à travers les légendes irlandaises et galloises, les romans arthuriens et aussi les contes populaires traditionnels, qui en sont la continuation ; se caractérise par un refus total du dualisme sous toutes ses formes.
On ne peut en effet y remarquer de distinction nette entre le Bien et le Mal. La notion de péché s’avère inconnue dans la tradition druidique. Il y a seulement faute quand un individu se révèle incapable d’accomplir ce qu’il doit faire, quand il est incapable d’assurer son propre dépassement, d’assumer sa destinée. Mais cette notion de faute se réfère davantage à la constatation de la faiblesse de l’individu (ah cette maudite maladie des Ulates qui peut tous nous affecter un jour ou l’autre) plutôt qu’à la transgression d’une liste de péchés capitaux ou non, mortels ou véniels. Il y a ce qui permet d’accomplir sa destinée ou la destinée de la communauté dont on est membre, et ce qui empêche d’aller vers cet accomplissement ; faute d’avoir suffisamment conscience de la difficulté, d’être bien préparé, ou par manque d’informations.
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BUAÏDH N° 10.
LA VÉRITÉ (fir).
Ponce Pilate : « Qu’est-ce que la vérité ? » (Jean, 18, 38.)
MAIS QU’EST-CE QUE LE MENSONGE TOUT D’ABORD ?
Mentir c’est refuser la vérité à qui, pourtant, y a droit. …
Notre atavisme occidental nous a habitués à regarder le monde en noir et blanc : le paradis et l’enfer, les pécheurs et les justes, Lucifer et Jéhovah. Plus près de nous les parangons du moralisme, nous ont fait croire que l’histoire de notre bonne vieille terre se résume en une bataille entre les bons et les méchants : Superman et John Wayne d’un côté ; Saddam Hussein, Milosevic et Fidel Castro ou les Français de l’autre.
Mais le Mensonge est-il si flagrant que cela ? Lucifer est-il donc si stupide, qu’il montre son visage à découvert, afin d’être plus facilement repéré ? Si c’était le cas, il y aurait belle lurette que les Force du Bien auraient remporté la bataille contre les forces du Mal et que nous évoluerions dans un monde harmonieux, sans guerres, sans injustices, sans souffrance voire sans mort, car le mal tout le monde est contre. Celui qui a bien raison dans tout cela c’est le grand penseur bien de chez nous quand il écrit : « L’homme n’est ni ange ni bête, mais le malheur est que qui veut faire l’ange fait la bête ». Que notre mesure en ce domaine soit donc le Pascal en question.
D’ailleurs, les critères de moralité changent d’une époque à une autre. Les Indiens, qui hier étaient les méchants et les cruels sauvages des westerns, se retrouvent aujourd’hui portés au pinacle parce qu’ils étaient écologistes avant l’heure et spiritualistes bien avant que les Français n’arrivent avec leur Bible et leurs gros sabots.
La réalité c’est bien en effet qu’ils ont été les victimes d’un génocide, qu’on les a chassés de leurs terres, qu’on les a tués et qu’on ait mis leurs enfants dans des écoles chrétiennes, où ils ont perdu le sens de leur civilisation, de leurs racines et appris à mépriser les coutumes de leurs ancêtres.
Voilà bien le Mensonge, qui se déguise en Bien, la cupidité, la méchanceté et la cruauté qui prennent des airs de civilisation. Maudits Français va ! Les hindous, toujours eux, ont trouvé un mot merveilleux pour définir ce qui freine, retarde ou même détruit en quelques secondes des siècles d’évolution : l’Asura. L’asura, l’instrument du Mensonge sur terre, est le plus grand des comédiens et est capable de prendre tous les déguisements, surtout celui du Bien et de la Vertu.
Les plus grands massacres de l’Histoire n’ont-ils pas d’ailleurs été commis sous prétexte d’apporter la civilisation aux « sauvages », ou bien au nom du « vrai » Dieu ? Jamais on ne dira assez le terrible génocide des Aztèques et des Incas aux mains des Espagnols, ou celui des hindous par les musulmans…
Le plus redoutable des mensonges est toujours celui qui endosse des airs de vérité ; le vrai Mal, c’est celui-là même qui prétend faire le Bien ; car le véritable Lucifer se cache souvent sous des allures d’archange. « L’homme n’est ni ange ni bête, mais le malheur est que qui veut faire l’ange fait la bête ». Le mal il est en nous ! Il réside dans notre faiblesse animale. L’esprit est prompt, mais la chair est faible. Le mal vient du regard que nous portons sur le monde. Pour paraphraser quelque peu le grand rabbi nazoréen nous pourrions dire : « le mal ne vient pas du fait qu’une femme soit nue, mais du regard que l’on jette à une femme nue » (Marc 7, 21 : Car c'est du cœur des hommes que sortent les mauvaises pensées, l’impudicité, les meurtres, les vols, la cupidité, la méchanceté, la fraude, les regards envieux, la calomnie, l'orgueil, la folie.… )
Les hindous ont parfaitement compris cela : il n’y a pas de Lucifer ni de Belzébuth dans l’hindouisme, pas de péché, pas de faute originelle, de chute, et tout ce tralala de notre éducation judéo-chrétienne, qui nous poursuit toute notre vie et nous rend éternellement coupables, même si nous n’avons rien fait de mal. Non, pour les hindous, tout ce qui vous aide à progresser est bon ; et tout ce qui vous retarde sur le chemin est mauvais. Seul le but compte ; et si votre but est juste et dans le droit fil du Bien
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(dharma), peu importent les moyens du moment qu’ils ne nuisent pas à autrui : « tous les chemins mènent à Dieu », disent les Oupanishades.
Passons rapidement sur la définition des forces négatives symbolisées par les Fomore ou les Andernas dans le monde spirituel celte, et que nous décrit sous le nom d’Asura ou de force asourique François Gautier, né à Paris en 1959, mais vivant désormais à Auroville près de Pondichéry en Inde, depuis 1969.
Bien sûr, les Fomore ou les Andernas c’est d’abord Hitler ou Staline, qui rappelons-le tout de même, ont été admirés pendant longtemps – et c’est pour quoi ils ont été capables de faire tant de mal.
Mais les forces négatives peuvent également s’incarner dans un Chamberlain, qui temporise avec Hitler sous prétexte de ne pas le radicaliser, ou même chez un mahatma Gandhi, une « grande âme », dont la non-violence exacerbée précipita la partition de l’Inde et coûta la vie à des millions d’Indiens.
La force négative des Fomore ou Andernas ne se matérialise pas uniquement chez des individus comme Bricriu. Cela peut être une force qui fait bouger les foules, influence les opinions, fait apparaître ce qui est sans profondeur comme élevé, donne au Mensonge une apparence de vertu.
La force fomoréenne, telle le Bress des légendes irlandaises, peut également se faire anodine, invisible. Bress sourit, il est gentil ; c’est lui qui donne l’illusion du politiquement correct, même si c’est le mensonge incarné ; c’est lui qui empêche les gens de voir, d’entendre et de comprendre quand ils ont la vérité sous les yeux. Au moins les femmes dans la légende Irlande (misogynie ?).
Les fomores ou les Andernas sont des archanges qui ont chuté du haut de l’albiobitus dans le non monde ou andumno, qui se sont coupés de leur source de Lumière. En fait, il n’y a rien de diabolique, il n’y a pas de notion de péché ni même de Chute dans ce concept hindou : les fomores ou andernas c’est tout simplement le Divin oublié ; c’est le transcendant qui est devenu immanent ; le Gwenn ha du ou oxymore, le clair-obscur, Dieu qui se bat contre lui-même afin d’atteindre une plus grande perfection.
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FIR FLATHA ET FIR FLAITHEMON : LE POUVOIR SURNATUREL DE LA VÉRITÉ
CECI DIT AFIN DE RÉPONDRE À LA QUESTION DE PILATE.
Et le Singe devint con ou l’Aurore de l’Humanité, a dit un jour (en 1972) le dessinateur italien François Cavanna. D’après Yuval Noah Harari l’homo sapiens est en effet le seul primate capable de croire en des choses qui n’existent pas et capable d’évoquer avant même de prendre son petit déjeuner à l’occasion de sa prière matinale 6 choses impossibles (Brève histoire de l’Humanité).
Celtes et druides antiques étaient eux aussi dans ce cas bien entendu mais on ne connaît malheureusement pas le détail de l’approche philosophique ou éthique des anciens druides sur le concept du « Vrai ». Par contre, nous détenons la certitude de l’importance capitale qu’ils lui ont attachée, à travers deux témoignages insulaires, en sus de sa mention laconique dans la triade citée par Diogène Laërce.
Le mensonge (gaua), même mot que pour « tromperie », est l’un des deux maux majeurs (l’autre étant l’ignorance).
L’exigence de vérité, notée dans l’éthique des « vellèdes » d’Irlande, autrement dit des « fili », membres de la sodalité ou ordre druidique. N.B. Bien sûr, cette règle générale souffre quelques exceptions, comme nous le verrons dans l’histoire de la morale d’Albert Bayet.
QU’EST-CE QUE LA VÉRITÉ MAINTENANT ?
Il importe de commencer par donner de ce terme une définition satisfaisante.
Il y a d'une part la réalité, d'autre part des jugements qui sont en accord avec ; il n'existe pas une troisième chose qui serait la vérité en elle-même. La vérité est le caractère que revêtent certains jugements, et rien de plus. Par suite, la vérité n'est pas une donnée toute faite, elle se fait, elle est le fruit de l'effort et de la recherche.
Nous autres très sachants de la druidiaction moderne nous appelons donc vérité l’accord de nos jugements de perception ou de connaissance avec la réalité.
Et la réalité ce sont les perceptions qui s'imposent inévitablement à moi ainsi qu’à toute personne consciente se trouvant comme moi en état de veille et dans un état normal.
On peut dire que la vérité est l'affirmation de ce qui existe ou la négation de ce qui n'existe pas ; donc, finalement, l'accord de nos jugements avec la réalité.
On objectera que la réalité métaphysique et absolue n'est point accessible à la connaissance. À quoi l'on peut répondre que la plupart de nos jugements ne concernent en rien la réalité métaphysique et absolue, mais simplement les différents êtres et phénomènes qui sont, pour nous, objets d'expérience, autrement dit de perception.
Une idée peut être dite fausse, en ce sens qu'elle ne correspond à rien de réel ni de possible (par exemple les concepts de chimères, de centaures, etc.), ou vraie en ce sens qu'elle correspond à des choses réelles (par exemple, les concepts homme ou bison ; ou lion dirait Yuval Noah Harari Yuval). Mais c'est seulement dans le jugement exprimant une connaissance que semble résider l'erreur ou la vérité proprement dite. Il n'y a erreur que pour celui qui affirme l'existence de la chimère ou du centaure, de même il n'y a de vérité que pour celui qui nie leur existence, ou qui affirme par exemple celle de l'homme, ou du cheval. Une telle théorie de la vérité repose sur l'idée que celle-ci doit être en adéquation, ou en correspondance, avec un état de choses réel.
Notons néanmoins que chez les Celtes la vérité allait souvent de pair avec justice, la recherche de la justice dans une affaire se ramenant souvent à la recherche de la vérité.
Et à la différence des hommes politiques d’aujourd’hui pour qui la vérité n’est qu’une option (comme une autre), nos ancêtres eux accordaient une très grande importance à cette notion à qui même ils attribuaient des vertus quasiment magiques. Les mensonges brisent la coupe de Cormac, mais une parole de vérité la ressoude.
La croyance à ce pouvoir magique de la vérité a donné naissance non seulement à l’ordalie judiciaire de l'eau froide où l'accusé était jeté tout entier, mais aussi à l’ordalie judiciaire de l'eau bouillante dans laquelle il ne mettait que la main. L'épreuve de l'eau bouillante est indo-européenne, on ne la trouve
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pas seulement chez les Celtes et chez les Germains, on a constaté son existence chez les Slaves, chez les Perses et chez les Indiens.
Un des plus anciens exemples connus est donné par Grégoire de Tours, dans son livre intitulé : In gloria martyrum. À propos d'une discussion théologique entre catholiques et ariens : deux ecclésiastiques, l'un catholique, l'autre arien, voulurent recourir au jugement de l'eau bouillante ou, comme on disait en Irlande et dans le monde germanique, du chaudron. Qu'on mette, dit l'un d'eux, un chaudron sur le feu ; que dans l'eau bouillante on jette un anneau, et que chacun de nous essaie de retirer cet anneau du chaudron.
Cette épreuve s'appelle, dans divers textes latins aeneum caldaria. Il y a en Irlande une métaphore analogue ; l'épreuve de l'eau bouillante s'appelle fir caire, « vérité du chaudron ».
Le défendeur, contre lequel on exécute la procédure de la saisie, a droit aux délais les plus longs qu'on puisse exiger, quand pour un autre procès il a pris l'engagement de subir l'épreuve du chaudron ; littéralement, quand il est Fir fora nascar fir caire, « homme lié par l’épreuve du chaudron ».
L'analogie que nous offrent la formule irlandaise et la formule germanique est un des nombreux traits communs au droit des Celtes et au droit des Germains. Mais cet accord entre les langues juridiques de deux peuples voisins est un détail accessoire, et l'épreuve dont il s'agit ici repose sur une doctrine qui nous fait remonter à la période primitive de l'unité indo-européenne.
L'eau bouillante dans laquelle l'accusé plonge la main a vu le crime, elle sait quel est le coupable, elle va répondre à l'appel qu'une incantation lui a préalablement adressé.
N.B. Ceux qui plus tard, ont appelé « jugement de Dieu » l'épreuve de l'eau bouillante, croyaient à la justice d’un être supérieur unique ayant créé le monde, etc., etc., et comptaient trouver, dans le résultat de l'épreuve, une manifestation de cette justice aussi infaillible que la précédente.
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DIRE ET FAIRE LA VÉRITÉ.
Ainsi que l’a bien remarqué Albert Bayet dans son Histoire de la Morale, l’exigence de vérité implique aussi la recherche du savoir et de la connaissance. Si on veut dire la vérité au sens large, il faut savoir ce dont on parle et avoir un peu étudié le sujet au préalable. Il n’y a rien de plus nuisible que tous ces faiseurs d’opinions journalistes ou hommes politiques ou religieux qui répètent comme des perroquets les idées qu’ils ont reçues sans savoir de quoi il retourne exactement et à qui les slogans ou les idées toutes faites servent de réflexion. Notre cher Barack Obama n’est ni noir ni fils d’immigré, contrairement à ce que la plupart des intellectuels (sic) français ont répété à satiété en 2008 (quel manque de profondeur dans l’analyse, quelle superficialité !) ; mais un mulâtre (un métis si l’on veut) né en territoire américain, de l’union (assez brève d’ailleurs) d’une blanche d’Hawaï et d’un étudiant noir du Kenya, reparti dans son pays après l’obtention de son diplôme ; et qui s’est toujours voulu américain d’abord (la meilleure preuve, c’est qu’il lui a fallu du temps pour avoir l’appui de la communauté noire américaine) ; sans autre référence à un quelconque communautarisme. Ce qui est déroutant avec les partisans (français ou autres) du métissage, c’est qu’ils refusent d’en reconnaître le fruit quand ils l’ont sous les yeux. Cela ne présage rien de bon. En tout cas quant à la profondeur de leur réflexion sur le sens des choses de la vie, ce qui est dangereux.
Dans un monde où des cohortes d’intellectuels disciplinés et de médias asservis servent de prêtrise séculière aux puissants, lire Chomsky représente un acte d’autodéfense. Il peut permettre d’éviter les fausses évidences et les indignations sélectives du discours dominant. Noam Chomsky considère d’ailleurs que les intellectuels qui gardent le silence à propos de ce qu'ils savent, qui se désintéressent des crimes qui bafouent la morale commune, sont encore plus coupables quand la société dans laquelle ils vivent est libre et ouverte. Ils peuvent parler librement, mais choisissent de ne rien en faire…
Ci-dessous comment nos amis de Druid network interprètent la troisième proposition de la triade attribuée aux Fénianes par Cailte répondant à saint Patrice qui l’interrogeait à ce sujet. Après la proposition traitant de la force et celle traitant de la vérité, cette dernière proposition de la célèbre devise des Fénianes semble traiter de l’éloquence. Une langue peut être une chose admirable et peut servir à rendre votre vie et celle des autres plus agréable. C’est d’ailleurs pourquoi le règne sans partage du globish sur cette planète ne peut que se traduire par un appauvrissement de notre vraie langue maternelle : la précision les finesses les subtilités ou les idiotismes disparaissent.
Notons en outre que les fonctions jumelles du fili (poète) sont la louange et la satire. Si quelqu'un a fait une action honorable, le barde le chante. Ce n’est pas de la lèche (sic, c’est le mot utilisé par nos amis de Druidnetwork). Si cette bonne action est passée sous silence, personne d'autre n’en entendra parler, et personne d’autre ne sera donc incité à faire de même, le bien ne se répandra jamais. En outre, une personne qui reçoit des éloges pour ce qu’elle a fait sera beaucoup plus encline à de nouveau agir ainsi, que celle qui est constamment oubliée ou ignorée. Inversement, un acte déshonorant qui passe inaperçu laisse les autres ignorer l’identité de son auteur et donc toujours vulnérables à ses abus. En outre, ceux qui ont dans l’idée de faire de même peuvent se sentir encouragés à se comporter de façon aussi déplorable à volonté tout en échappant à ce qu’ils mériteraient. La satire est également une façon de rendre justice à la victime, la reconnaissance publique que ce qui a lui été fait était incontestablement une honte. Cet accomplissement par la parole n’est donc pas vraiment le fait d’utiliser des mots rares ou précieux, mais le fait de parler (en louant ce qui est bon, en stigmatisant ce qui est mauvais), d’avoir l’audace de poser des questions ou d’exprimer des idées. Le silence n’était pas d’or chez nos ancêtres !
Le caractère très aléatoire de toute prise de position politique impose aux druides, aux vates, vellèdes et gutuatres/gutumatres, un devoir de réserve plus impérieux que celui des simples laïcs. Ils ne doivent jamais absolutiser ce genre de querelles à propos de la gestion de la Cité (du Pagus ou de la Tribu-État) et garder au contraire un sens aigu de la relativité des choses du monde de la déesse Maïa (en latin médiéval la Fata Morgana). Il n’en demeure pas moins que les devoirs et les droits découlant de cette fonction pédagogique du magistère druidique comprennent aussi la charge de rappeler constamment aux princes qui nous gouvernent et au pouvoir régalien, les gessa ou ada fondamentales de l’éthologie celte ; même en ce qui concerne l’ordre social, et de juger des affaires de la Cité ou de la Tribu-État (pagus) ; mais seulement dans la mesure où l’exige le salut de l’âme des peuples ou des hommes. Les rois ou le pouvoir régalien doivent, eux aussi, se soumettre aux légitimes impératifs de l’éthique et des lois fondamentales du droit naturel (rectu adgenias). Perdre
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son âme est le plus grand des malheurs menaçant l’Homme. Il vaut mieux être pauvre et rester soi-même, qu’être riche de je ne sais quoi en devenant un autre. A pu dire saint Colman (voir plus haut) en se retirant à Inishbofin. L’authenticité, il n’y a que ça de vrai ! Sinn-Fein dit-on en gaélique ! Ce sont d’ailleurs sans doute de semblables raisons qui ont présidé jadis à la fondation de la ville de Lugdunum en France. « Près de l’Arar se trouve le mont Lugdunon qui changea aussi de nom pour la raison que voici : Momoros et Atepomaros, chassés par Sereroneos, vinrent sur cette colline pour y bâtir une ville. On creusait des fossés pour les fondations quand tout à coup apparurent des corbeaux qui, volant çà et là, couvrirent les arbres des alentours. Momoros, qui était habile dans la science des augures, appela cette ville nouvelle Lugdunon » (d’après le Pseudo-Plutarque. De Fluviis VI, 4).
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NOTES À PROPOS DE LA DÉONTOLOGIE À RESPECTER PAR LE QUATRIÈME POUVOIR LES JOURNALISTES ET AUTRES FAISEURS D’OPINIONS PROFESSIONNELS PAR L’IMAGE.
« Les tribus-état les mieux gouvernées ont une loi (…) pour éviter que de fausses nouvelles n’agitent la foule et ne la portent à des décisions fâcheuses dans des affaires de la plus haute importance » (B. G. VI, 20).
Réflexions à propos des armes de destruction massives prétendument possédées par l’Irak de Saddam Hussein en 2003.
L’affaire des charniers de Timisoara en Roumanie, qui a précipité la chute du régime communiste roumain de Nicolae Ceaușescu en 1989, pourtant exemplaire en ce domaine (un cas d’école du manque d’esprit critique voire tout simplement d’intelligence et du panurgisme voire tout simplement du manque de courage, de la part de la classe journalistique occidentale) n’a en aucune façon servi de leçon puisqu’elle n’a jamais empêché les médias occidentaux de se re-livrer périodiquement aux plus folles propagandes au lieu de faire leur métier C’EST À DIRE D’INFORMER EN SOUMETTANT DES FAITS AVÉRÉS À LA RÉFLEXION DE LEUR PUBLIC.
Il aura fallu attendre un article de Colette Braeckman publié dans les colonnes d’un grand quotidien belge du soir, le 27 janvier 1990, sous le titre « je n’ai rien vu à Timisoara », pour que ce vent de folie retombe peu à peu.
Jusque-là et depuis des semaines les télévisions du monde entier avaient passé en boucle des images censées montrer des milliers de cadavres nus mutilés torturés et exhumés à la hâte des charniers de la police.
La presse française se distingua particulièrement dans la couverture de cette macabre mise en scène en reprenant le chiffre de 4630 victimes asséné par l’Agence France-Presse dès le 22 décembre 1989.En France il n’y a que le ridicule qui ne tue pas (Nicolae Ceaușescu, atteint de leucémie, aurait eu besoin de changer son sang tous les mois !)
L’intelligence se renie en se contentant de la bonne foi et de la sincérité. L’intelligence humaine se renie en ne cherchant pas au-delà de ces états d’esprit subjectifs. Il existe, certes, de nombreux cas où la vérité peut être relative, mais il existe aussi des cas ne souffrant aucune discussion et où une tierce solution est exclue. Telle chose est vraie ou fausse, mais ne peut être les deux à la fois. Le problème, tout le problème, est qu’il peut y avoir plusieurs définitions de la Vérité. La meilleure est peut-être effectivement… L’ADÉQUATION DE L’INTELLIGENCE ET DE LA RÉALITÉ.
La vérité ne fait pas tant de bien dans le monde que ses apparences y font de mal (LaRochefoucaud).
Les questions éthiques autour du problème de la vérité prennent une nouvelle dimension avec les moyens modernes de communication sociale. Ceux-ci élargissent pour chacun le devoir de s’informer, mais ils appellent des règles précises pour les journalistes de la presse écrite, parlée ou télévisée ; et notamment les journalistes d’obédience ou de mentalité chrétienne (c’est-à-dire y compris ceux qui font du christianisme sans christ).
Ces derniers jouent un rôle positif pour divulguer la vérité, informer les hommes des réalités qui les concernent, pour rendre publiques des pratiques préjudiciables au bien commun, éduquer les citoyens ; mais le christianisme étant aussi une religion du ressentiment et de la haine (voir tous les travaux de la libre-pensée moderne athée ou laïque à ce sujet) ; leur pouvoir peut également servir à répandre le mensonge ou à créer des climats passionnels peu propices à l’éclosion des vérités nécessaires. Les chrétiens ont joué et jouent encore un rôle considérable dans ce qui a été incontestablement le plus grand drame de tous les temps, la venue au pouvoir en Russie en 1917 de la démocratie (non tribale) et du socialisme réel (des millions de victimes). C’est par contre assez curieusement autour des hommes ayant combattu ce bolchevisme au nom de l’Europe (en 1920, en 1940, en 1952, etc.) que les chrétiens hurlèrent avec les loups en déchaînant leur haine quotidienne (lynchage médiatique, etc.) ; en contradiction complète avec le message d’amour et de pardon de leur maître nazoréen. Ils montrent ainsi que leur message est bien une religion du ressentiment (encore une fois, voir à ce sujet les travaux de la libre-pensée moderne, de Voltaire et même de Vauvenargues…) ; et ils contribuent DE LA SORTE à rendre plus faciles tous les crimes ultérieurs, du même genre, mais ayant une autre étiquette (l’auto-génocide perpétré par les communistes khmers rouges en 1976, par exemple).
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Les buada ou gessa de l’ancien druidisme n’autorisent pas le mensonge, sauf dans quelques cas bien précis (résistants comme Gutuater torturés, otages à sauver, etc.). Les lois sur la presse (diffamation), la présomption d’innocence, sans compter la jurisprudence, constituent l’essentiel des textes qui mettent les journalistes en face de leurs responsabilités.
La liberté rend l’Homme responsable de ses actes volontaires. L’exercice de la liberté n’implique pas le droit de tout dire. La liberté des uns s’arrête où commence celle des autres.
L’homme a une part de responsabilité dans les fautes ou les erreurs commises par d’autres quand il y coopère....
– En y participant directement et volontairement.
– En les ordonnant, les conseillant, les louant ou les approuvant (voir les propos du ministre français des Affaires étrangères à propos du « bon boulot » fait par le Front Al Nosra, Laurent Fabius a donc là aussi encore du sang sur les mains dans ce drame).
– En ne les révélant pas ou en ne les empêchant pas.
– En protégeant ceux qui agissent ainsi.
Cas de la dramatique guerre ayant ravagé la Syrie à partir de 2011 par exemple.
Une intention bonne (lutter contre le chauvinisme, le racisme de domination ou de mépris…) ne rend ni bon ni juste un comportement par lui-même fautif (comme le mensonge ou la calomnie par exemple) ; et une intention mauvaise surajoutée (le désir d’être à la mode, de faire comme les autres, d’être bien vu, d’être populaire dans certains milieux, d’augmenter ses chances d’être élu, et ainsi de suite…) ; rend mauvais un acte qui, en soi, aurait pu être bon.
Il ne faut pas confondre ce qui est, avec ce qui devrait être (selon soi).
Tout homme a le droit d’avoir ses idées sur la société idéale et de les diffuser, même Avigdor Lieberman, l’actuel ministre des Affaires étrangères de l’État d’Israël, mais ceux qui font profession d’objectivité, font de l’objectivité un métier, n’ont pas le droit moral de faire passer pour ce qui est (déjà)… ce qui n’est pas (encore)……surtout en avançant masqué. Ou alors il faut prévenir clairement qu’il s’agit d’une fiction.
« Est-ce que l’on pourra un jour dans ce pays critiquer les journalistes ? » On peut critiquer toutes les professions, mais pas celle-là. Est-ce que l’on pourra demander un jour à nos amis journalistes qu’ils se penchent sur la formation des leurs et sur leur sélection, sur cette façon répétitive, à partir d’une dépêche ou d’un fait, de l’amplifier à l’infini ? »
Ce que je reproche aux médias, c’est leur suivisme moutonnier, a expliqué un célèbre avocat en 1990 (à propos de l’affaire des charniers de Timisoara en Roumanie : des milliers de morts selon la presse française). Quand une information fausse, parfaitement repérable comme telle par toute intelligence citoyenne même moyenne sort, l’ensemble des médias suit. Plus que la révélation d’une information, qui est le métier des journalistes, la vérification devrait compter ; il devrait y avoir une ligne jaune entre le travail d’enquête du journaliste et la désinformation. Car à Timisoara il n’y eut en réalité que quelques dizaines de victimes.
COMMENTAIRES.
Les mises en cause injustes, les imputations mensongères, les attaques personnelles auxquelles on ne peut répondre, ne devraient pas pouvoir être proférées, colportées, répétées jusqu’à la nausée. Il y a des mots, des caricatures, des images, qui ont la puissance des balles. De la part des druides en tout cas, de telles satires sont même passibles d’excommunication immédiate (voir à ce sujet l’édifiante histoire du druide Nédé, qui fut sévèrement châtié après avoir, par une satire injuste, usurpé le trône de son chef) ; ou à tout le moins d’un passage devant le bratuspantium (conseil de discipline de la Sodalité). Les druides d’aujourd’hui enfin sont donc pleinement d’accord avec le Président quand il déclare ce qui suit à propos de certains journalistes. « Toutes les explications du monde ne justifieront pas que l’on ait pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme, et finalement sa vie ; au prix d’un double manquement de ses accusateurs aux lois fondamentales, celles qui protègent la dignité ainsi que la liberté, de chacun d’entre nous. L’émotion, la tristesse, la douleur, lanceront-elles le signal à partir duquel de nouvelles façons de s’affronter tout en se respectant donneront un autre sens à la vie politique ? Je le souhaite, je le demande ».
La société a droit, certes, à une information fondée sur la transparence, la vérité, la liberté, la justice, et la solidarité ; mais le bon exercice de ce droit requiert que la communication soit, quant à son objet,
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toujours véridique, et dans ce dessein jamais tronquée ni manipulée par choix délibéré de telle ou telle image (les autres étant délibérément écartées) de tel ou tel commentaire, de telle ou telle traduction. Traduire « répudiation » par « divorce », ou charia par code pénal, c’est induire en erreur, et volontairement, nos concitoyens. Répétons-le encore une fois, car repetere ars docendi, * « Les tribus-état les mieux gouvernées ont une loi (…) pour éviter que de fausses nouvelles n’agitent la foule et ne la portent à des décisions fâcheuses dans des affaires de la plus haute importance » (B. G. VI, 20).
Chacun doit donc avoir aussi à cœur de se former une opinion éclairée afin de résister aux influences moins honnêtes. Le respect de l’honneur d’autrui interdit toute attitude et toute parole susceptibles de lui causer un injuste dommage. En cela nous sommes complètement d’accord avec notre Président.
Les pouvoirs publics doivent donc eux aussi donner à temps et honnêtement les informations qui concernent le bien général, ou répondent aux légitimes inquiétudes de leurs citoyens. La peur est un sentiment naturel et fort utile si elle ne se transforme pas en panique. La peur a, de tout temps, permis, et permet encore, de survivre. Craindre la survenue de régimes totalitaires, théocratiques, intolérants ; est par exemple une peur légitime qu’il est criminel de stigmatiser bêtement. D’ailleurs nombre de ceux qui se moquent ou dénoncent certaines peurs (quand elles se manifestent chez les autres), sont eux-mêmes, et fort légitimement d’ailleurs, mus par de telles peurs, face, par exemple, à d’éventuelles montées de l’intolérance ou de nouveaux fascismes, pour ne pas dire nazismes, autour de nous.
Ainsi que signalé plus haut, l'intelligence est l'ensemble des facultés mentales permettant de comprendre les choses et les faits, de découvrir les relations entre eux ; l'aptitude à relier des éléments qui, sans elle, resteraient séparés.
L'homme intelligent est souvent celui qui perçoit comme processus unique ce que ses contemporains voient comme des phénomènes indépendants. Et inversement, qui perçoit bien comme distincts des phénomènes qui sont vus comme formant un tout par les autres.
Puisque nous ne vivons plus aujourd’hui dans des sociétés gouvernées par des monarques ou des grands seigneurs, mais sous le régime de la vergobreture, il importe de souligner qu’en ce qui concerne nos concitoyens briguant une charge politique quelconque et se présentant donc à nos suffrages, deux cas sont à distinguer soigneusement.
Le cas où cette femme, ou homme, politique, met surtout en avant ses qualités personnelles, sa personnalité, son caractère, et accorde moins d’importance (pragmatisme) à la philosophie ou à la théorie sociopolitique, aux concepts, aux idées, ou à sa vision du monde ; tout en ne se référant qu’à un programme portant sur des éléments relativement secondaires.
Le cas où cette femme, ou homme, politique, met surtout en avant une philosophie ou théorie sociopolitique ; en bref des concepts, des idées, ou une vision du monde, ainsi qu’un travail collectif, pouvant se traduire par un programme portant sur des actions en profondeur, voire radicales, ayant des conséquences importantes à court, moyen ou long terme ; et ne portant pas uniquement sur des éléments secondaires que l’on peut assimiler à des détails.
Dans le premier cas, le citoyen ne peut se déterminer lors de ces élections qu’en fonction de la personnalité du candidat briguant son suffrage, donc en fonction de ses qualités ou défauts, en tant qu’individu, en tant qu’homme, ou femme. Et pour cela rien de plus révélateur que le comportement du candidat dans sa vie professionnelle ou privée (âpreté au gain ou générosité, altruisme, fidélité, sincérité, ou au contraire dissimulation, fourberie, mensonges, etc..).
Bref à chaque électeur de voir ce qui importe pour lui afin de compléter cette courte liste qui n’est pas exhaustive, loin de là…à chaque électeur de peser l’importance de l’alcool ou du sexe et ainsi de suite…dans la personnalité d’un homme, ou d’une femme qui se présente à ses suffrages.
Dans le second cas, il importe de rappeler quelques notions de base.
Il y a médisance quand, sans raison objectivement valable, on dévoile à des personnes qui les ignorent les défauts et les fautes d’autrui.
Il y a calomnie quand, par des propos contraires à la vérité, on nuit à l’honneur des autres en donnant matière à de faux jugements à leur égard.
Médisance et calomnie détruisent l’honneur et la réputation. Or l’honneur est le témoignage social rendu à la dignité humaine, et chacun jouit d’un droit naturel à l’honneur de son nom, à sa réputation et au respect. Quand une faute ou une erreur, due à notre humaine faiblesse, fait du tort à quelqu’un qui ne l’a en aucune façon mérité ; il faut alors faire tout son possible pour le réparer (par exemple, rétablir la réputation de celui qui a été injustement calomnié, compenser les blessures ou les handicaps, restituer les choses volées…). Toute faute à l’égard de la justice et de la vérité appelle de
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la part des médias et des journalistes un devoir de réparation. Le droit légitime à la communication de la vérité n’est pas inconditionnel. Personne n’est tenu de révéler la vérité à qui n’a pas droit de la connaître.
Bien et sécurité d’autrui, respect de la vie privée ou du bien commun, doivent faire taire ce qui ne doit pas être connu, ou faire user de discrétion dans son expression.
Les secrets professionnels (médecins, militaires, etc.) doivent être observés, sauf dans les cas, exceptionnels, où la rétention de cette information pourrait causer des dommages très graves, seulement évitables par la divulgation de la vérité.
On ne doit pas dénoncer uniquement pour dire la vérité, les défauts ou les vices d’autrui. Sauf si ces défauts ou ces vices peuvent représenter une menace. On ne doit pas non plus porter de fausses accusations à l’encontre de quelqu’un (de satire injuste) ; car ces calomnies atteignent injustement et mensongèrement leur victime, ce qui est très grave, même si l’on s’efforce ensuite de réparer, car il en reste toujours quelque chose.
De la part des druides de telles satires seraient même passibles du Bratuspantium (conseil de discipline). Voir à ce sujet l’édifiante histoire du druide Nédé, qui mourut après avoir, par une satire injuste, usurpé le trône de son roi.
Toutes ces pratiques rendent la vie en société conflictuelle.
La déontologie des médias et des journalistes a donc encore de grands progrès à faire pour une information vraie, respectueuse des faits et des personnes, fût-ce des hommes de gauche, de droite, ou des criminels nazis et staliniens.
Les autres pouvoirs (politique, judiciaire, économique) ont suscité des pouvoirs compensateurs faisant contrepoids (magistrature, syndicats, etc.) ; le quatrième pouvoir, celui des médias, n’a d’autres contre-pouvoirs que le sens des responsabilités de chacun. Les médias pouvant manipuler les foules comme ils veulent (voir à ce sujet les travaux de Gustave Le Bon). Il est si facile de choisir ou de mettre en avant la conception de la société idéale selon soi, sans le dire, de façon masquée, alors même que la réalité objective ou statistique n’est pas encore au diapason ; a contrario de taire ou d’écarter les cas ou les images qui ne cadrent pas en réalité avec ses propres idées sur ladite société idéale, voire de les tourner en ridicule.
Que des cinéastes engagés le fassent est tout à fait normal, mais la question est : le monde que le journaliste nous donne à voir doit-il être le monde réel ou doit-il refléter le monde idéal selon lui ?
Les très-sachants de la druidiaction hier comme aujourd’hui, ont le droit de faire savoir qu’ils réprouvent ceci ou cela quand cela touche directement leur domaine de compétence actuel qui est la spiritualité; il va de soi en effet qu’ils ont le droit absolu comme tout simple citoyen de désapprouver moralement les décisions prises par les responsables de la cité (du pagus ou de la Tribu-État) ; et qu’ils ont le droit de cesser d’apporter leur soutien aux médias attaquant ouvertement le druidisme et ses valeurs (par exemple en cessant d’écrire dans leurs colonnes ou en ne participant plus à leurs émissions, sauf évidemment pour dénoncer ces atteintes). Ce que les druidisants doivent faire en résumé, c’est se débarrasser des opinions fausses.
Les laïcs, par leur cérémonie du nom et leur virolaxton (adoubement), sont cependant eux aussi habilités à œuvrer en ce sens, et peuvent donc participer de cette magistrature morale du druidisme. Bien que nullement infaillibles, les druidisants doivent respecter ce devoir moral, mais il doit cependant s’agir dans ce cas d’une adhésion de la volonté, mais aussi de l’intelligence, et non d’une soumission aveugle aux diktats des uns ou des autres. Sont principalement concernés par cette magistrature morale à l’égard des nations qui sont les leurs : les vates, vellèdes ou gutuatres/gutumatres, ayant directement et concrètement charge d’âme.
Cette magistrature morale du druidisme implique que soient utilisés tous les moyens possibles et imaginables. L’éducation des jeunes, la prédication directe, la défense et l’illustration du druidisme dans les écoles ou les académies, au moyen de conférences ou de réunions en tout genre ; sa diffusion par des prises de position publiques à l’occasion de certains événements, ainsi que par les médias et les autres instruments de communication sociale ; adaptés à la compréhension des auditoires ou aux nécessités de l’époque ; que les très-sachants doivent absolument utiliser pour dissiper ces erreurs. Car si la vérité sur cette Terre est toujours une ; l’erreur, elle, est toujours multiple. Par tous les moyens, mais sans perdre de vue pour autant les faits de civilisation celtique authentiques et attestés. La démonstration du savoir druidique doit toujours être faite à partir de ces éléments, et ne pas être désincarnée.
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CONCLUSION.
La Vérité donc est la valeur supérieure dans le monde indo-européen ; le respect de la vérité par conséquent est le premier des devoirs communs. C’est plus qu’une obligation morale… Orientée tantôt vers le serment (aussi vrai que…), tantôt vers l’ordalie (s’il est vrai que…), tantôt vers l’action (puisque je possède telle vérité…). Tout cela est lié indissociablement sans que l’on puisse discerner ce qui est premier : la pratique de « l’acte de vérité » (sanscrit satyakriya), affirmation d’une vérité qui assure la réalisation d’un souhait, est magique ; mais cette affirmation d’une vérité se rapporte le plus souvent à l’accomplissement d’un devoir de son état (par exemple pour un guerrier, à ses actes d’héroïsme). Elle a donc une base politique. Dans le monde celtique tout comme dans le monde aryen, la véracité du roi est la condition première du succès de son règne. On trouve de nombreux parallèles à ces assertions dans le monde aryen ; particulièrement en Iran, où le Saint Immortel Arta (la Vérité), « le bien suprême », est le principe qui caractérise le monde du bien, dit Arta-van « ce qui est juste ».
À l’autre bout du monde aryen, les Celtes en tirèrent même l’idée du « pouvoir magique de la vérité », en la liant à la notion de « Vérité du Prince » (Uirà Ulatii, d’où Fir Flatha en gaélique) responsable du bonheur ou du malheur de son peuple. Au niveau des gouvernants et des politiques, la vérité impliquait en effet la droiture et la justice (Fir flaithemon), donc l’harmonie et la prospérité. La notion de vérité donc était très importante dans le druidisme antique, et avait presque une valeur cosmique comparable aux rta, rita, arta, ou asha, aryen, zoroastrien, ou indien. Ce qui est vrai, c’est ce qui est conforme à l’ordre du monde.
« La vérité dans le cœur ». Notons ici l’éclairage intéressant qu’apporte la linguistique, puisque sincérité se disait COUIRIA ou COUIRA, et Vérité, UIRIONA, deux mots issus de la même racine UIR- ; qui a engendré par la suite les mots gaéliques fir = vérité, fior = vrai, gallois gwir = vérité, gwir et cywir = vrai, breton gwir et gwirionez = vérité, gwir et gwirion = vrai.
Ci-dessous les commentaires de nos amis de Druid network à propos du devoir druidique de faire et dire la vérité.
Un vieux dicton irlandais rappelle que trois bougies éclairent les ténèbres : la vérité, la nature, la connaissance.
Et la deuxième proposition de cette fameuse maxime attribuée aux fénianes par Cailte dans sa réponse à saint Patrice l’interrogeant à ce sujet, la vérité dans nos cœurs, est reprise par d'autres devises celtes soulignant l'importance de la vérité. Une maxime druidique galloise ne parle-t-elle pas de «la vérité face au monde » (Y gwir yn erbyn bid) se dressant à l’appui de ce que vous savez être vrai, même si tout le monde pense que vous avez tort.
Bon ! D’accord ! Mais chacun sait que toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, du moins qu’il faut parfois y mettre les formes. Et les cas de conscience en ce domaine sont vieux comme le monde. Doit-on par exemple dire à un malade qu’il est condamné ? Doit-on dire la vérité à un ennemi qui n’est plus en guerre ouverte contre vous ? Vaste problème maintes fois traité par la casuistique (taqiya) musulmane. Nous y reviendrons.
Vérité dans le cœur suggère peut-être néanmoins qu'il est plus important de savoir la vérité, que de la proclamer. La vérité ne doit pas être utilisée pour blesser, si elle est assénée sans ménagement. Si quelqu'un demande « Ai-je l'air grosse dans cette robe ? », et qu’on lui répond qu’elle a l’air d’une grosse baleine échouée sur une plage, cela peut être vrai, mais c’est inutilement cruel. Une réponse du type : « moi je trouve qu’elle ne te va pas » suffit. La vérité doit parfois être exprimée diplomatiquement. Les druides avaient aussi souvent le rôle d’ambassadeurs, et servaient donc également à faire passer certaines vérités d’une façon assez diplomatique pour ne pas susciter trop de réactions agressives hostiles ou négatives.
Au niveau du simple toutiois (citoyen), la vérité avait aussi évidemment une grande importance. La vérité en tant que rectitude du dire, a pour nom véracité, sincérité, ou franchise. Cela consiste à ne pas mentir et à dire vrai dans ses paroles. La sincérité par conséquent est un autre facteur, lui aussi capital, de l’harmonie sociale.
Les relations humaines reposent sur la confiance, et la confiance n’est pas possible sans la vérité. On doit donc dire la vérité. On peut, certes en faisant cela, se tromper, mais de telles erreurs ne sont pas des mensonges. Ce défi de la vérité dans les relations humaines est particulièrement délicat. Comme
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l’avait déjà très bien vu l’ancien druidisme, il met en jeu un rapport à la vérité, mais aussi un rapport à la justice et à l’amitié réglant les relations.
Le mensonge (parce qu’il est violation de la véracité) est une violence faite à autrui. Le mensonge contient en germe la division des esprits et les maux qu’elle suscite. Il est funeste pour une société. Il sape la confiance entre les hommes et déchire le tissu des relations sociales. Mais cette véracité doit observer un juste milieu entre ce qui doit être exprimé et le secret qui doit être gardé. Elle implique la discrétion dans certains cas. La règle d’or est de savoir discerner, dans les situations concrètes, s’il convient ou non de révéler la vérité à celui qui la demande.
Les gessa de l’ancien druidisme n’autorisent pas le mensonge, avons-nous dit. Mais ils n’obligent pas nécessairement pour autant à dire toute la vérité. Toute vérité n’est pas forcément bonne à dire. L’ancien druidisme avait d’ailleurs déjà senti le problème. Les tribus-états les mieux gouvernées, avait remarqué César (VI, 20) avaient des lois ordonnant à chacun de réserver aux magistrats ce qu’il a pu apprendre touchant la politique ; afin d’éviter que des nouvelles n’agitent la foule et ne la portent à des décisions fâcheuses. C’était alors aux magistrats de décider ce qu’ils devaient divulguer, etc.
On peut donc dans certains cas où il y a danger de mort, individuelle ou collective, taire la vérité. Certaines Écoles druidiques ont d’ailleurs fait remarquer que toujours dire la vérité quoi qu’il arrive, est une position difficilement tenable dans certains cas, voire même très risquée. Transposé à aujourd’hui cela nous donne d’ailleurs la problématique suivante.
Le patriote résistant arrêté puis torturé par la soldatesque d’un dictateur ou d’une armée d’occupation doit-il parler en révélant où se cachent ses compagnons ? Doit-on dire à un malade qu’il n’a plus que quelques jours à vivre ? Le témoin accidentel d’une infidélité conjugale fait-il vraiment le bien en allant aussitôt raconter partout ce qu’il a vu par hasard, sans qu’on lui demande ? Il y a en effet des vérités qui tuent, des vérités dangereuses. Un industriel a parfois le droit de cacher la situation difficile de son entreprise. Un ministre des finances, non seulement n’est pas obligé d’annoncer une dévaluation décidée, mais doit, au contraire, tout faire pour la cacher, sous peine de donner libre cours à des spéculations ruineuses pour le bien commun.
Ces différentes situations ne sont cependant que tolérées. Un avocat par exemple doit toujours faire et dire la vérité, sauf si c’est pour sauver la tête de son client quand cet avocat est personnellement contre la peine de mort. Le mensonge est-il admissible dans d’autres cas?? Dans l’émouvante histoire de Camma, on voit une femme vertueuse feindre d'accepter pour époux le meurtrier de son premier mari et l'empoisonner au dernier moment. Sa feinte est visiblement approuvée, passe pour un acte héroïque (elle venge son mari).
La druidiaction tolère donc…
– L’ambiguïté (argute loqui d’après Caton).
– Le silence (il vaut mieux se taire que d’en rajouter ou de médire).
– Le secret (le fait de ne pas parler, de cacher une vérité, en refusant de la révéler, même sous la torture).
– La restriction mentale.
L’éthologie druidique est par conséquent une morale nuancée qui, tout en condamnant l'atteinte à la vérité, estime qu'il y a mensonge et mensonge et que cette règle générale peut souffrir quelques exceptions si la fin en justifie les moyens.
Et si on peut parler d’un droit légitime à la vérité, c’est à la condition d’ajouter qu’il n’est pas inconditionnel, et que la vérité dans la pratique est de l’ordre des relations humaines. On ne doit pas cacher la vérité à qui a le droit de la connaître. En revanche, un secret confié doit être gardé.
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BUAÏDH N°11.
LE SENS DE LA JUSTICE (cert).
La droiture ou la rectitude (Rectos ou Coviros, mais coviros renvoie à la notion de vérité).
Une rapide plongée dans la philologie celtique nous montre que les idées de Vérité, Sincérité, Exactitude, Justesse, Justice et Droit, sont exprimées par des mots relevant de la même racine ; ce qui met en évidence une association mentale de ces idées, plus marquées chez les Celtes que dans les autres langues indo-européennes ; limitant plus ou moins l’usage des dérivés de l’I.E. *weros à la seule notion de « vrai ».
On peut classer les structures élémentaires en deux groupes : réciprocité binaire et réciprocité ternaire. Par ternaire on entend une relation où l’on agit sur un partenaire et où l’on subit d’un autre partenaire. La chaîne est donc ininterrompue, et se referme soit en réseau soit en cercle. Elle peut être linéaire, ou bien, lorsqu’un seul partenaire sert d’intermédiaire à tous les autres, en forme d’étoile : on la dit centralisée.
Cette forme de réciprocité, la réciprocité centralisée ou en étoile, ayant été très importante dans la société celtique, vu le rôle des rois (ou des vergobrets) en son sein, commençons par en dire quelques mots.
Le terme générique pour désigner cette vertu en ancien irlandais est indracus, irlandais moderne ionracas, de « indraic » (moderne « ionraic »). Ce qui désigne généralement quelqu’un ou quelque chose dont l’intégrité n’a jamais été mise en cause. Le terme racus remonte sans doute à la racine indo-européenne reg-rag. Le sens originel fut donc celui de droit, correct, ou bien rangé. En irlandais plus tardif, les verbes « cneasta » (ancien irlandais « cnesta » « guéri, retourné à sa forme initiale ») et « macánta » (« se comporter comme le fils ou l’enfant de quelqu’un ») sont aussi souvent utilisés pour signifier cette notion. L’idée donc est celle de la candeur, de la franchise, et de l’amitié dans ses relations avec autrui. Le gallois utilise le mot « didwyll » (« sans supercherie ») le breton « reizh » (« droit, juste ») pour signifier « intègre », quoique les deux aient emprunté également le terme « onest » au français.
Faire les lois ne semble pas faire partie des privilèges ou devoirs royaux en terre celte, le droit étant seulement une jurisprudence, entre les mains de druides spécialisés qui plus est. En cas d’urgence, le roi pouvait néanmoins publier des ordonnances (rechtgae). Son rôle par contre était de rendre la justice. La justice que doit rendre le pouvoir régalien était appelée fir flaithemon en Irlande.
Cette obligation est l'une de celles que l'on retrouve le plus dans les textes épiques. Les princes qui nous gouvernent doivent être les garants du droit et de la justice, notamment vis-à-vis des femmes, comme le rappelle Gauvain à Gréorréas : « Au royaume du roi Arthur, les pucelles vont en toute sécurité. Le roi leur accorde son secours : il les garde et il les protège ».
Le roi représente donc ce lien social en étant devenu, après son intronisation, à la fois le descendant de grands ancêtres et le « père » de tous les habitants. Le sacrifice des taureaux royaux vient régulièrement réaffirmer ce principe.
La valeur « royale » est une valeur supérieure, englobante, et qui affirme constamment que la totalité n’est pas une addition, une juxtaposition d’éléments unitaires semblables ou symétriques, mais la réunion symbolique des opposés ; que, d’autre part, ce niveau est toujours supérieur aux états où ces opposés sont perçus séparément. Ici le principe d’union l’emporte sur le principe d’opposition. Le tout est supérieur à la somme des parties, il y a synergie.
La royauté dans ce cas est l’expression de l’unité d’une totalité de forces qui, ailleurs, se trouvent séparées. Elle réunit dans une seule main le pouvoir de la vengeance et de l’alliance. Grâce à elle, le symbole de l’humanité pourra s’interpréter simultanément dans l’imaginaire de la vengeance et dans l’imaginaire de l’alliance.
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La royauté réunit le pouvoir de vengeance et de pardon. Le roi tient dans sa main les valeurs de la réciprocité positive puisqu’il est le redistributeur de tous les biens matériels et spirituels ; mais aussi les valeurs de la réciprocité négative : la décision de la vengeance ou de la guerre.
Lorsque l’autorité du roi se hiérarchise, elle se délègue de façon continue du centre de la communauté vers la périphérie en s’affaiblissant progressivement pour disparaître aux limites de la communauté. Elle s’exprime soit par la parenté soit par la richesse symbolique. Dans ce cas, on constate que le même symbole, souvent du bétail, vaut à la fois pour les relations de réciprocité positive ou les relations de réciprocité négative. Cette équivalence n’est pas due à une quelconque loi d’échange, mais au principe d’union qui impose une référence unique pour des opérations antithétiques. D’où probablement l’équivalence entre ce que l’on appelle le prix du sang et le prix de la fiancée.
Dans l’Inde brahmanique, Charles Malamoud observe : « Le roi, d’autre part, n’est assuré d’être en accord avec le dharma que s’il dispose des avis et de la caution de conseillers brahmanes. À vrai dire, quand il agit sous l’inspiration des brahmanes, le roi est comme l’incarnation du dharma ». Et enfin : « Analogie fréquente, presque mécanique, dans l’Inde du brahmanisme ancien : toute activité un peu complexe, humaine ou divine, à condition d’être orientée vers un but compatible avec le dharma ou avec une forme de dharma, est volontiers analysée comme un sacrifice… »
Ces brèves citations suggèrent que le roi est l’exécutif du principe d’union et du pouvoir religieux des prêtres, d’un pouvoir issu du sacrifice. Sa propre vie est assimilée à un long sacrifice, mais il est aussi le juge vis-à-vis de quiconque ne règle pas sa vie sur l’observance des pratiques génératrices du dharma. Le dharma est la puissance éthique commune à tous les membres de la communauté. Le roi est l’homme qui applique ou fait appliquer la parole religieuse, le Veda, code juridique, mise en forme pratique de l’éthique, sur les conseils ou la dictée du conseil des brahmanes. Le roi est consubstantiellement dharma lorsqu’il obéit aux brahmanes. La domination du principe d’union est ici écrasante ; mais dès que le roi ne respecte plus ses obligations, c’est alors le retour aux règles claniques de la réciprocité selon le principe d’opposition ; comme l’indique la longue légende plus ou moins mythique que rapporte Malamoud (une interminable histoire d’offenses et de vengeances entre deux clans)…...
« Les Celtes prennent volontiers en main la cause de celui que l’on opprime. Ils ont en effet au plus haut degré le sentiment de l’équité, du droit et de l’honneur. Ils ne peuvent souffrir que l’on manque à la foi jurée. La réputation de justice de certaines de leurs tribus, comme les Volques Tectosages qui habitaient au-delà du Rhin, s’étendait au loin. Les Grecs nous ont transmis l’éloge d’un de leurs rois de la région d’Andrinople : Cavaros, de Tylis » (Albert Grenier).
« Que l’épouse d’un homme bien a de la chance ! ». Nous traduisons ainsi la formule gaélique is maith ben ben dagfir qui est volontairement sans doute, imprécise, voire qui ne veut rien dire, qui est à la limite du pléonasme ou de la tautologie ; et qui serait donc parfaitement à sa place dans les discours de notre époque. Dans le genre consensuel en effet on ne fait pas mieux. Le mal tout le monde est contre. Le seul problème c’est que nous n’avons pas la même définition de ce qu’est le mal (la preuve les psychopathes, ceux qui assimilent l’État la Nation ou le Pays et leur personne, leur petite personne souvent, etc.). En vieux celtique en tout cas dagos n’a aucune connotation morale, mais se réfère plutôt à la notion d’habileté comme dans le cas du dieu irlandais Dagda.
L’évaluation de la justice en connaissance de cause exige deux considérations : de qui s’agit-il et de quoi s’agit-il ?
Les judéo-chrétiens et les athées ont beaucoup glosé sur le caractère profondément immoral ou amoral du paganisme druidique. Les spécialistes de l’étude des religions comme le judaïsme l’hindouisme le christianisme le zoroastrisme ou l’islam….en ont déduit que ces dieux ou déesses étaient ambivalents, à la fois anges et démons. En tout cas au-delà du manichéisme simpliste et bébête opposant le bien au mal.
Il n’en demeure pas moins que nous avons au moins en ce domaine un exemple de Dieu druidique plus sensible aux pensées ainsi qu’aux actions, qu’à la valeur marchande de leurs sacrifices ou de leurs offrandes, des fidèles de son culte, c’est le dieu Grannos du temple de Grand (Germanie supérieure, ou Belgique, pour les Romains).
Selon Dion Cassius en effet (livre LXXVIII chapitre XV) parlant de l’empereur romain Caracalla.
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« Ce qui montra clairement qu’ils prenaient en considération, non pas ses offrandes ou ses sacrifices, mais seulement ses pensées ainsi que ses actions. Il ne reçut aucune aide d’Apollon Grannus, ni d’Esculape, ni de Sérapis, en dépit de ses supplications et de son inusable insistance. Car, même étant à l’étranger, il leur adressait des prières, des sacrifices et des offrandes votives, et de nombreux émissaires couraient un peu partout chaque jour pour leur faire parvenir des présents ; il alla même les voir lui-même, dans l’espoir de les faire fléchir en apparaissant personnellement, et fit tout ce que les dévots ont l’habitude de faire ; mais il n’obtint jamais rien qui contribua vraiment à lui rendre la santé ».
On connaît la célèbre distinction grecque entre justice distributive et justice commutative.
Il est évident en effet qu’il ne faut pas donner à manger à un travailleur manuel la même chose qu’à un nourrisson âgé de trois mois. Pour ce dernier du lait, au biberon ou au sein, pour l’autre du pain du vin ou de la bière et du saucisson (justice distributive). Il faut donc tenir compte des situations des uns ou des autres.
La justice commutative par contre ignore les différences entre les individus et accorde à chacun les mêmes choses.
Si une blessure était infligée, la victime était par exemple, à leurs yeux, en droit de demander réparation. Mais la justice commutative de nos jours, dans les sociétés égalitaires comme la nôtre, est surtout revendiquée en matière de droits politiques ou civiques. Les hommes naissent et demeurent inégaux physiquement parlant, mais égaux… en droits *. ET EN DEVOIRS !
Les anciens druides qui étaient des juristes invétérés ont pratiqué d’instinct comme Cavaros l’une et l’autre de ces conceptions de la justice. Surtout en matière de compensation des dommages subis puisque prison et peine de mort leur étaient de fait étrangères.
En matière de droit celtique, les règles de l’instruction des affaires relevant de la procédure, nous considérerons seulement ici le « de qui s’agit-il ? » : la personnalisation.
La personnalisation, c’est la prise en considération d’un certain droit à la différence, pour autant qu’il ne lèse pas autrui ; c’est donc considérer éventuellement des circonstances atténuantes d’ordre social ou psychique, quand il y a lieu d’examiner quelque délit.
Mais ceci porte surtout sur le côté NÉGATIF, l’aspect potentiellement « répressif » de la notion de justice. Or il n’appartient à personne d’être soi-même juge ou homme de loi. Exception faite des magistrats spécialisés en ce domaine. Par contre, il est du devoir individuel de chacun d’être juste.
Être juste : telle est l’exigence éthique fondamentale : c’est là le côté POSITIF du sens de la justice et celui-ci combine les deux notions de Vérité, mais aussi de Responsabilité donc de Solidarité (justice distributive ou commutative). Ce qui n’est pas toujours facile, assurément, car c’est ce qui manque le plus dans la jungle de la vie en société avec le système de la débrouille généralisée ou du chacun pour soi (d’ailleurs prônés par certains républicains pseudo-nietzschéens ou pseudo-libéraux, de nos jours).
L’exigence de Justice passait donc avant la « Charité » (Caro). Logique, car plus une société sera juste et solidaire, moins elle aura besoin de compensation caritative.
* Et encore une fois, répétons-le, contrairement aux délires médiatico-politiques actuels sur la notion d’égalité (un lit de Procuste), ce dont parlaient vraiment les révolutionnaires parisiens en 1789 ne se conçoit (bien) que par opposition aux privilèges de la noblesse d’alors. Il importe de le rappeler.
L’ACTION DIVINE DU DESTIN PAR L’INTERMÉDIAIRE DES CAUSES SECONDES QUE SONT LES ÉLÉMENTS.
Intud i ngeindtleacht gnim olc mad indechur : il y a renforcement du paganisme si une mauvaise action est vengée – Senchus Mor, I, page 9, et comme le disait la reine Boadicée en personne : « Les dieux sont favorables à une juste vengeance ».
Les conceptions politiques et religieuses des peuples sont solidaires.
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Un des plus anciens mots pour « juste » et « justesse » en irlandais, outre celui de « fir », est sans doute « cóir » (anciennement « coair », lequel vient d’un ancien celtique « co-uero »- « conforme à la vérité ». cf. le terme gallois transparent de « cywir », qui signifie correct en gallois moderne). Comme d’habitude, nous y retrouvons la fondamentale notion druidique de Vérité, de conforme à l’ordre cosmique que les hommes doivent respecter. Autres termes celtiques, le gallois « cyfiawnder », de « cyfiawn » « juste » (littéralement « ce qui convient »), breton « reizh » (de l’ancien celtique « rextion » : « ce qui est réglé, en ordre »).
Ceux qui plus tard, ont appelé « jugement de Dieu » différents duels judiciaires croyaient à la justice d’un être supérieur unique ayant créé le monde etc. etc., et comptaient trouver, dans le résultat de ces duels une manifestation de cette justice aussi infaillible et toute puissante qu’indirecte.
Les druides antiques n’ignoraient pas cette idée, mais ils croyaient aussi que les éléments pouvaient concourir à cette justice divine.
Pour les druides primordiaux, les forces de la nature ne sont pas transformées, comme déjà la plupart du temps dans la Grèce homérique, en personnages à forme humaine qui des hommes ont les idées et les passions ; exemple Zeus, le ciel ; Poseidôn, la mer ; Hadès, la terre. Dans la croyance druidique primordiale (de l’époque), chacun des éléments constitutifs du monde matériel que nous voyons est encore un être mystérieux qui entend nos invocations et qui voit nos actes, c'est d'eux que dès cette vie, quand on a provoqué leur intervention, on reçoit la punition méritée par ceux qui n'observent pas leurs engagements. Le serment celtique nous transporte en effet dans un milieu bien différent du milieu chrétien et antérieur même à celui de la Grèce épique où, dans le serment, on invoquait le couple divin qui, aux enfers, punit les parjures. À l'époque primitive, où une des formules du serment celtique nous fait remonter, il y a trois puissances que l'homme redoute surtout ; ce sont : le ciel, la terre et l'eau. Mais l'eau ne se trouve pas seulement dans la mer, elle coule dans les fleuves ; on peut aussi en mettre sur le feu dans un chaudron. N.B. L'eau a les mêmes puissantes facultés, sans distinction entre l'eau de la mer, l'eau des fleuves et l'eau contenue dans un chaudron.
Cette conception de la justice immanente qui est l'expression des idées naturalistes des druides en la matière se rencontre dans le document irlandais mentionné plus haut et qui fait état…
1° Des événements qui ont, dit-on, motivé l'établissement de l'impôt dit Boromé.
2° Des faits postérieurs qui ont été la conséquence de la perception de cet impôt dû aux rois suprêmes d'Irlande par les habitants du Leinster (Le Boroma Laigen).
Synopsis du récit.
Loégairé, le roi des rois d'Irlande, contemporain de saint Patrice, au cinquième siècle de notre ère, prend l'engagement de ne plus exiger le Boromé. Il donne comme garants de sa parole tous les éléments : le soleil et la lune, l'eau et l'air, le jour et la nuit, la mer et la terre. Mais il viola ce serment et en subit les conséquences funestes : la terre l'engloutit, le soleil le brûle, le vent lui refuse son air. Le parjure du roi Loégairé fut donc ainsi puni de mort.
Le texte légendaire qui nous rapporte ces prodiges ne les explique pas encore par la justice divine, dont la notion n'avait pas encore pénétré dans la littérature profane de l'Irlande quand ce récit fut rédigé pour la première fois. Il présente le châtiment de Loégairé comme le résultat de l'action directe des forces de la nature auxquelles le roi parjure avait fait appel par un serment solennellement prêté d'abord, puis enfin violé.
Le soleil, pris à témoin par Loégairé, le brûle quand le serment est violé. C'est que le soleil a entendu le serment et en a vu la violation. C’est un des éléments visibles de ce monde, à la vengeance desquels, en Irlande, au cinquième siècle, le roi païen Loégairé s'est soumis d'avance pour le cas où il violerait son serment. La terre, le vent, l'eau, ne sont ni plus sourds ni plus aveugles que le soleil. Quand celui qui conclut un contrat leur demande de le sanctionner, ils entendent sa voix, et, si le contrat n'est pas exécuté, ils infligent le châtiment qui est dans leurs attributions ; voilà pourquoi la terre a englouti Loégairé, pourquoi le vent lui a refusé l'air nécessaire à la respiration.
Au quatrième siècle de notre ère, chez les Celtes riverains du Rhin, quand un mari doutait de la fidélité de sa femme, il mettait l'enfant nouveau-né sur un bouclier et posait le bouclier sur le fleuve ; si
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le fleuve engloutissait le frêle esquif, l'enfant était convaincu de bâtardise et la mère d'adultère ; le Rhin, pensait-on, avait vu cet adultère et il avait entendu l'appel fait à sa justice par le mari outragé.
L'empereur Julien parle de cet usage dans une lettre au philosophe Maxime. Dans son second discours à l'empereur Constance, il revient même sur cette coutume.
L'usage celtique dont parle Julien a d’ailleurs fourni le sujet d'un poème anonyme recueilli dans l'anthologie grecque.
Ces trois textes sont d'accord pour constater qu'aux yeux des Celtes le Rhin était un juge en dernier ressort ; chez eux existait donc la notion d'une puissance supérieure (le Tocad, ou la Tocade, au féminin) dont le fleuve, par une sorte de manifestation surnaturelle, exprimait la décision.
Le dernier de ces documents est formel sur un autre point, sur lequel il est d'accord avec la formule du serment : « Que la mer débordante nous submerge. » Le Rhin prononçait la condamnation en submergeant, l'acquittement en faisant surnager l’enfant.
Il est plus que vraisemblable qu'en 336 avant notre ère, les Celtes faisaient usage d'une formule de serment que nous retrouverons encore en Irlande au Moyen-âge. En 336 avant notre ère, des ambassadeurs celtes (donc des druides si l’on en croit Christian J. Guyonvarc’h) vinrent en effet trouver Alexandre le Grand, alors au début de son règne. Ils firent alliance avec lui et confirmèrent le traité par le serment suivant : « Si nous n'observons pas nos engagements, » dirent-ils, « que le ciel en tombant sur nos têtes nous écrase : que la terre en s’ouvrant sous nos pieds nous engloutisse ; que la mer en débordant nous submerge ».
De deux textes d'auteurs grecs contemporains d'Alexandre le Grand, on doit conclure que cette formule a bien été employée par les Celtes à la date que nous indiquons, à savoir – 336.
Après avoir fait boire les ambassadeurs, Alexandre leur demanda : « Que craignez-vous le plus ? »
Au lieu de lui répondre : « C'est vous » comme l'espérait très certainement Alexandre, les Celtes, après s’être concertés, répondirent : « Nous ne craignons personne ; nous ne redoutons qu'une chose, c'est que le ciel tombe sur nous ».
Cette réponse nous a été conservée parmi les fragments qui subsistent d'un livre écrit par un des plus célèbres lieutenants d'Alexandre, Ptolémée, mort roi d'Égypte en -283.
Alexandre considéra la réponse des Celtes comme une vantardise. Son maître, Aristote, vit la chose autrement puisqu’il nota que les Celtes ne craignaient ni les tremblements de terre ni les inondations. Donc ils sont tous fous à lier ou insensibles à la douleur. Telle fut la manière de voir les choses d'Aristote, mort en -322, soit quatorze ans après l'entrevue d'Alexandre avec les ambassadeurs celtes.
Complètement idiot bien entendu !
Dans les anciennes sociétés primitives on ignore la notion d’un l'État condamnant à mort et faisant exécuter le meurtrier d'un citoyen, ou contraignant le voleur à restituer le produit de son larcin ; on n'avait pas non plus la notion d'un dieu, ou châtiant dans une autre vie l'homme qui en ce monde s'est rendu coupable d'un crime contre son semblable, ou dans une autre vie récompensant l'homme juste et charitable envers son prochain.
De nombreuses légendes celtiques nous montrent néanmoins des félons punis par le sort et finissant très mal. Ce sont des illustrations de la notion éminemment païenne de justice « immanente ». Le félon n’aura pas pu profiter un seul instant du bien mal acquis. Comme le reconnaît saint Patrice lui-même dans la préface du Senchus Mor, il y a toujours renforcement du paganisme, c’est-à-dire de la foi en les dieux, quand une mauvaise action est punie ou vengée (Intud i ngeindtleacht gnim olc mad indechur).
Les dieux primitifs (d’avant même l’ancien druidisme) étaient indifférents à la justice ou à l'injustice des actes humains avons-nous déjà dit. Telle était la notion fondamentale de la religion primitive d’avant la réforme druidique ayant eu lieu quelque part en Europe centrale 1000 ou 2000 ans avant notre ère.
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Mais les anciens druides ont néanmoins trouvé un moyen de positiver en ce domaine. Les dieux sont certes indifférents à la justice ou à l’injustice des actes humains, mais pas à leur honneur. Ou à leur parole ou à leur réputation.
Les anciens druides ont donc imaginé que les hommes pouvaient placer leurs contrats sous la protection de tel ou tel dieu.
Celui qui après avoir sanctionné un contrat par le serment n'exécute pas ce contrat, insulte par là même les dieux qui se vengeront, non par amour de la justice, mais par respect pour leur propre dignité.
Cette conception de la justice divine ou du rôle des dieux est l'expression d'un état d'esprit intermédiaire entre la conception théologique primitive et la conception égyptienne, qui est celle des chrétiens : le serment est un procédé à l'aide duquel on force les dieux à sortir de leur indifférence naturelle pour les choses humaines et à devenir les défenseurs du droit.
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RAPPEL SUR LE TRIPLE CHEMIN DU DRUIDISME. LA REDA.
« Comprendre les dieux, ne rien faire de mal et être un homme, un vrai » (Diogène Laërce. Vies et doctrines des philosophes célèbres. Livre I, prologue 6). « Ne rien faire de mal… » Donc ne rien faire d’incorrect à l'encontre de l’éthique positive qui précède : la fidélité (dilestos), la générosité (techtae), l’hospitalité (briugas), la droiture (rectos), la vérité (firinne), la justice (coviros)… Ne rien faire qui cause indûment du tort à autrui.
REMARQUES À L’INTENTION DES COMBENNONES.
« Les druides nient que les âmes puissent périr
[Driadae negant interire animas]
OU ALLER EN ENFER »
[aut contagione inferorum adfici] et
« Ils ne disent pas que les Mânes existent »
[ Manes esse, non dicunt].
Adnotationes ad versum Lucani I, 454.
Et puisque l’enfer n’existe pas, il faut bien que les âmes/esprits de nos combenonnes aillent quelque part dans l’univers, visible ou invisible, après la mort. C’est une loi métaphysique implacable, une des constantes de notre univers tant que ce dernier vivra de sa longue vie (setlocenia).
Le salut ne peut donc pas, par définition, puisque l’enfer n’existe pas, être réservé à quelques rares ascètes de type kinges, ou à une minorité d’ategnati druidisants, mais doit aussi être accessible à tous les êtres humains. Le chemin conduisant au château du Graal est ouvert à tous. En venir à bout n’est qu’une question de temps.
Les anciens druides n’ont d’ailleurs jamais prétendu qu’il fallait absolument suivre la voie héroïque et ascétique des fénianes ou celle des ategnati druidisants de type awenyddion (kission) ; pour parvenir à l’épanouissement de son âme (moksha dans l’hindouisme) ; pour pouvoir contempler le Graal (rebaptisé Kronos par Plutarque) en quelque sorte les yeux dans les yeux, dans sa mystérieuse île d’Avallon.
Absorbé qu’il est par la « lutte pour la survie », le peuple des gens ordinaires en effet n’a pas cette possibilité. Mais la grande loi cosmique de l’équilibre universel, la dynamique des fluides ou des vases communicants au niveau cosmique (Tocade), fait qu’ils peuvent trouver une autre issue, et aussi heureuse, à leur pérégrination sur cette terre, puisque l’enfer n’existe pas et qu’il n’existe que la Terre Pure après la mort (c’est le principe du Shinjin du druide japonais Shinran).
C’est pourquoi ils peuvent aussi trouver leur salut dans les simples gessa éthiques du druidisme (reda), autrement dit dans la non-accumulation de bran, cause éventuelle d’ategeneto. Comment pourrait-il en être autrement ?
Si tout le monde devenait vercinget ou kinges, la société en serait gravement perturbée (voir la célèbre prophétie de la Morrigan à ce propos).
La grande loi de l’équilibre universel et des vases communicants au niveau cosmique (Tocad) fait qu’au petit peuple des combennones ou des broges doit suffire le fait de se préparer de meilleures conditions à la définitive réintégration dans le chaudron cosmique universel ; après réincarnation provisoire dans le Vindomagos appelé Tir na nOg, Tir na mBan, Mag Meld et ainsi de suite, selon les peuples et les époques.
Ils jouiront donc dans cet autre monde de milliers d’années de plaisir et de puissance divine, avant de fusionner dans le Grand Tout.
Voie des bonnes actions ou voie des œuvres (de l’action quotidienne et concrète) ; telle pourrait être le nom de ce 3e gué. Cette voie, les druides antiques l’ont peut-être appelée aussi Deivosentio, à la fois « voie lumineuse » (divosentio) et « voie divine » (devosentio), par référence à son but ultime, à sa direction, à son orientation. Voire sentio tout court.
Cette druidiaction découle, elle aussi, de la voie du sacrifice ou des actes rituels, des ategnati druidisants (voire même des vercingets ou kinges), mais d’une façon beaucoup plus simple. Ou plus exactement, le Hesus Cuchulainn ayant pleinement joué son rôle, on a aussi adjoint à la voie du
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sacrifice et des exercices rituels, une autre dimension, celle de l’action éthique, afin de faciliter aux combenonnes l’accès au monde des dieux.
Dit sous forme d’une ada et non d’une geis : « Sois un bon brogis (un bon brewry ou briugu), acquitte-toi de tes devoirs de troisième fonction sans égoïsme et en faisant attention à ne pas trop accumuler de bran (de mauvais potentiel d’ategeneto) » et tu t’élèveras toi aussi au rang supérieur du sacré (nemet).
Note de l’éditeur. Devenir briugu était effectivement un moyen de s’élever dans l’échelle sociale et de rejoindre les rangs de la noblesse dans l’ancienne Irlande. cf. Kelly, guide du droit irlandais primitif.
Voilà qui est encore toujours plus facile à dire qu’à faire évidemment, et ce ne sont pas les Bricriu de toute espèce qui manquent pour détourner chacun du droit chemin.
Observer les gessa de base de la reda (être courageux, honorer les dieux, ne pas mentir, ne rien faire de bas, etc.) suffit aux hommes de type combennones ou broges pour assurer le salut de leur âme/esprit.
Cette voie ne réclame ni émigration extérieure, sauf en cas de nécessité, ni émigration intérieure. Pas de fuite hors de l’agitation du monde et pas de mise à l’écart loin de la société.
Ce n’est que dans quelques cas bien déterminés que des druidisants ont parfois ressenti un appel divin les invitant à suivre une voie particulièrement monacale, comme Merlin. Mais l’idéal des druides d’aujourd’hui n’est, pas plus qu’hier, le moine célibataire. Les célibataires chez les druides sont simplement ceux qui n’ont pas encore trouvé l’âme sœur. Les ascètes eux-mêmes que sont les vercingets ou kinges, étaient souvent des pères de famille.
Les plaisirs de la table sont légitimes. Il est normal de savoir apprécier les dons de la nature, seuls l’excès ou l’abus sont des poisons. (Drogues et alcoolisme peuvent aboutir à une horrible déchéance, comme tout ce qui est excessif et inharmonieux !).
L’humanité de Cuchulainn est tout ce qu’il y a de plus authentique et elle n’est pas feinte comme dans le christianisme. Ainsi que le dit très bien à son sujet la reine Medb, il n’a qu’un corps, est sujet à blessure, et n’est pas à l’abri d’une capture.
I n-óenchurp atá. Imgeib guin immoamgeib gabáil.
La voie royale balisée par Hesus Setanta Cuchulainn, la divodurum, est donc en réalité pour nous un chemin du juste milieu entre les extrêmes de la sensualité ou du culte de la souffrance, entre l’hédonisme et le masochisme.
Beaucoup de choses erronées ont été écrites sur cette idée de cert ou justice chez les druides. Oui bien sûr il y a le pardon à conseiller, mais après réparation seulement, et pas avant (atescalto/wergeld). Il ne faut pas confondre d’ailleurs pardon et renoncement à la justice, pardon et faiblesse. Le pardon ne doit pas signifier renoncement a priori à toute riposte en cas de légitime défense. Le pardon ne doit pas être sans limites.
La position du christianisme en la matière est d’ailleurs incompréhensible ; car si nos informations sont bonnes, le rabbi Yehoshoua Bar Yosef lui-même n’a pas tendu l’autre joue quand on l’a frappé au tribunal lors de la phase juive de son ignoble procès ; il n’a pas fait lui-même ce qu’il conseillait aux autres (tendre l’autre joue) alors…».
Toute mauvaise action vengée constitue un renforcement du paganisme (saint Patrice. Senchus Mor. I, p. 9).
Les dieux sont toujours du côté de ceux à qui l’on a fait du tort (Boadicée. Reine des Iceni. An 61 de notre ère, d’après Dion Cassius LXII, 11).
Le sens éthique de nos ancêtres était plus exigeant que celui de nos modernes chrétiens, de gauche ou d’ailleurs ; qui s’absolvent un peu trop facilement et comme presque à l’avance de toute faute ou de toute responsabilité personnelle, avec leur notion de Mal extérieur à l’homme, car venant de Satan ou du Diable.
Saül de Tarse lui-même l’écrivait aux Romains : « Je ne fais pas le Bien que je veux, et je fais le Mal que je ne veux pas ». Autrement dit : « Ce n’est pas de ma faute !!! » Trop facile !
Le catholique va se confesser, la peur de l’enfer au ventre, se repent, « sincèrement » bien entendu, vu sa peur de l’enfer, et sort absous de tout, bref, prêt à recommencer !
Facile un tel manque de responsabilité ! Le sens des responsabilités personnelles, individuelles et portatives, voilà ce qui distingue un vrai païen d’un monolâtre.
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Sauf à l’égard des autres évidemment, car alors, là, les chrétiens, démocrates, républicains ou loyaux envers leur souverain [de gauche, du centre, de droite, ou d’ailleurs] sont imbattables ! Nul mieux qu’eux ne sait souligner ou rappeler la responsabilité des autres dans ce qui ne va pas bien. La religion catholique n’est sévère qu’en apparence. En fait, elle pardonne tout… pourvu que l’on fasse appel à ses professionnels. On voit tout de suite à qui peut profiter un tel système (d’indulgence), qui rend indispensable cette fonction sacerdotale très particulière. Mais se confesser n’a jamais rien réparé.
L’homme qui a une éthique vraiment exigeante ne doit pas pouvoir s’absoudre comme cela, sans avoir réparé. Ce serait trop facile !
L’éthique druidique est supérieure à celle du christianisme, car en plus de son extrême lucidité (qui n’est nullement absence de toute exigence, mais simplement réalisme et indulgence envers les faiblesses humaines) ; elle prend aussi en considération la nature tout entière, végétaux et animaux compris. L’exploitation aveugle d’autres formes de vie par l’Homme peut provoquer des catastrophes.
Conclusion : « Comprendre les dieux, ne rien faire de mal et être un homme, un vrai » (Diogène Laërce. Vies et doctrines des philosophes célèbres. Livre I, prologue 6). « Ne rien faire de mal… » Donc ne rien faire d’inapproprié à l'encontre de cette éthique positive, ne rien faire qui cause indûment du tort à autrui.
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BUAÏDH N°12.
LIBERTÉ.
Ce qui est vraiment libre en ce bas monde puisque c’est lui qui conditionne notre liberté, c’est le Tocade ou destin, décliné au niveau cosmique, collectif ou individuel.
Dire de la liberté humaine qu’elle est seulement absence d’entraves posées par autrui ne signifie pas de la part des druides contester ou nier sa réalité, mais seulement la relativiser, car on ne peut pas dire d’elle non plus qu’elle n’existe pas, elle s’arrête seulement là où commence celle des autres.
Bien que la liberté au sens où nous l’entendons maintenant n’ait pas été un souci particulièrement évident des organisateurs de l’ancienne société celtique, elle paraît quand même avoir revêtu deux aspects particulièrement recherchés.
– L’autonomie ou souveraineté mentale de l’individu d’élite ayant su acquérir sa propre maîtrise.
– La liberté de la communauté (touta), devenue par sédentarisation un terroir (peion, pagus en latin) et par réunion de terroirs, une tribu-état, vis-à-vis de toute domination étrangère.
Commençons par traiter de son contraire, l’esclavage. Car de même que dans les réflexions de la Révolution de 1789, l’égalité des droits se définit par opposition à son contraire, l’existence de privilèges (pour la noblesse) * la liberté dans la société celtique antique ne se conçoit que par opposition à son contraire.
Le druidisme antique, tout comme le judaïsme le christianisme et l’islam, n’a jamais interdit ou prohibé l’esclavage. Tout comme on pouvait donc être chrétien ou musulman et posséder des esclaves *, on pouvait très bien être druidisant et avoir des esclaves. Le druidisme antique exigeait simplement que l’on traite bien ou à tout le moins de façon humaine ces malheureux.
Deux grandes différences distinguaient néanmoins l’esclavage pratiqué par les Celtes et l’esclavage pratiqué dans les autres sociétés du monde antique.
L’économie des sociétés celtiques ne reposait pas autant que chez les Grecs ou les Romains, sur l’esclavage.
Les esclaves étaient la plupart du temps des guerriers vaincus ou des familles de peuples vaincus. Et comme il n’y avait pas toujours beaucoup de survivants à ces batailles (beaucoup préférant la mort à l’esclavage justement) il y avait nettement moins d’esclaves chez les Celtes que chez les Grecs ou les Romains, et leur statut s’apparentait plutôt à celui des captifs. Dans son livre sur les racines de l’Europe, Michel Rouche reconnaît lui-même qu’en Irlande par exemple les esclaves paraissent absents pour cause de rareté des prisonniers de guerre.
Tertio enfin. Rien ne prouve que le statut d’esclave se transmettait aux enfants, ce qui était assurément le cas chez les Grecs et les Romains par contre.
Donc sur ce point ce qui se passait dans l’ancien druidisme était quelque peu comparable à ce qui se passait dans l’Ancien Testament : peu de prisonniers (car beaucoup de massacres ordonnés par Dieu dans ce cas) et un statut d’esclave limité dans le temps (maximum sept ans) pour les nationaux dans le cas de l’ancêtre spirituel antique du judaïsme).
Notre religion n’étant qu’une religion de la vérité, quelques vérités justement sur l’esclavage, maintenant.
Les grands blonds ou roux aux yeux bleus ont longtemps constitué un gibier de prédilection pour les trafiquants d’esclaves du monde antique.
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Les blancs chrétiens idem en Afrique du Nord à partir de 1500 (plus d’un million ?? Vers 1675 en tout cas les esclaves chrétiens formaient le quart de la population d'Alger).
Le principal rédacteur de la Déclaration d'Indépendance du 4 juillet 1776, Thomas Jefferson, avait des esclaves (exemple Sally Hemings).
La guerre de Sécession n’a pas été déclenchée pour abolir l’esclavage (le Parti républicain était opposé à l'expansion de l'esclavage, mais pas à l'esclavage en lui-même) et Lincoln n’a aboli l’esclavage que le 1er janvier 1863 pour les États sécessionnistes du Sud (c’était un moyen de les affaiblir), mais le 31 janvier 1865 seulement pour l’ensemble de l’Union (donc y compris les États du Nord) .La ratification, nécessitant l’adhésion des trois quarts des états, fut obtenue quelques mois plus tard et le 18 décembre 1865 ce 13e amendement fut donc promulgué.
Ce qui est certain c’est que les Confédérés firent sécession au nom de leur droit à l’autodétermination, pour protester contre l’élection du républicain Abraham Lincoln et qu’inversement l’objectif initial des nordistes fut le maintien de l’unité territoriale du pays.
L’esclavage demeura aussi très longtemps légal dans le nord au nom de la « loi sur les esclaves fugitifs » de 1850 et d’ailleurs 5 États reconnaissant toujours l’esclavage (Delaware, Kentucky, Maryland, Missouri, et Virginie-Occidentale) se rangèrent dès le début dans le camp yanqui : les États dits frontaliers **.
Les Arabes ont commencé la traite des Noirs (des millions de Zendj en Iraq?) bien avant les Européens (à partir du VIIIe siècle) et l’ont poursuivi bien après.
Les dernières traces d’esclavage légal ont été observées en Mauritanie avec les Harratines (l’esclavage n’ayant été officiellement aboli dans ce pays qu’en 1981).
Eh oui, la vérité vraie n’est jamais simple et le réel est toujours complexe, ce qui n’est pas le cas du mensonge ou de l’erreur.
Il va de soi que nous n’avons pas à faire comme les Témoins de Jéhovah ni les musulmans qui, prisonniers de la lettre de leurs textes sacrés (Bible Coran) et de la monolâtrie qui en découle (voir le véritable culte qui entoure l’homme Mahomet ainsi que le tas de feuilles reliées entre elles, appelé Coran) se sentent donc tenus de toujours justifier (plus ou moins) les pratiques de leurs prédécesseurs. Nous avons, nous autres païens celtisants, et plus précisément druidisants, cet avantage sur eux d’avoir toujours accordé plus d’importance à l’esprit qu’à la lettre (les anciens druides n’acceptaient l’écriture que pour des usages profanes dit César), et donc d’être moins liés par les pratiques de nos ancêtres spirituels ou pas. C’est pourquoi nous le rappellerons ici pour le cas où cela s’avèrerait nécessaire, à toutes fins utiles (car ce ne sont pas les goffinets qui manquent sur terre) : l’esclavage fut certes toléré par l’ancien druidisme, mais le néo-druidisme ne saurait en faire autant. L’esclavage doit être fermement condamné par le néo-druidisme. On ne saurait être celtisant ou druidisant aujourd’hui et avoir des esclaves. Être celtisant ou druidisant et posséder des esclaves, il faut choisir.
Maintenant, abolir l’esclavage et le remplacer par des salariés réduits à la misère ne suffit pas. Il va de soi pour le néo-druidisme que tout être humain doit être en mesure concrètement et pas seulement théoriquement, de gagner correctement sa vie, et de subvenir à ses besoins ou à ceux de ses enfants sans être obligé de se prostituer, y compris au sens large du terme.
Les princes qui nous gouvernent ont une obligation de moyens à cet égard. Tout doit être mis en œuvre par les vergobrets ou bons rois celtiques d’aujourd’hui afin d’atteindre ce résultat. La déontologie du métier de roi ou de vergobret celte exige qu’ils fassent tout pour que chacun de leurs sujets puisse disposer du minimum vital leur permettant de vivre dignement.
Quant à la société idéale, la doctrine sociale de l’Église étant devenue visiblement une incongruité pour ceux qui la fréquentent (les hypocrites et les pharisiens de nos jours, qui vont s’incliner devant le pape et vont à la messe tous les dimanches), nous proposons à nos lecteurs de se reporter à nos légendes sur l’autre monde.
Toutes mettent en scène une société où plus n’est besoin de travailler durement pour vivre, pour se nourrir et s’alimenter, une société où on ne meure jamais, où résonne partout une musique divine, où les femmes sont toujours jeunes et belles et même où les jeunes gens qui ne rêvent que de plaies ou de bosses sont servis. Bref qui ressemble beaucoup au paradis selon l’islam (oui oui oui, n’hésitons point à le reconnaître, la ressemblance est frappante).
NB. Dire de la liberté humaine qu’elle est seulement absence d’entraves posées par autrui ne signifie pas de la part des druides contester ou nier sa réalité, mais seulement la relativiser, car on ne peut pas dire d’elle non plus qu’elle n’existe pas, elle s’arrête seulement là où commence celle des autres.
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* Sur l’esclavage dans la société antique ayant donné le judaïsme voir la Genèse le Lévitique et l’Exode.
Genèse 12,5. Abram prit avec lui sa femme Saraï, son neveu Lot, tous les biens qu’ils avaient accumulés ainsi que les esclaves qu’ils avaient acquis à Harran, et ils se mirent en route pour le pays de Canaan.
Lévitique 25, 43 à 46. Vos esclaves devront être des nations qui vous entourent, c’est d’elles que vous pourrez acheter des esclaves. Vous pourrez aussi en acheter des résidents demeurant temporairement parmi vous et des membres de leurs clans nés dans votre pays, ils deviendront votre propriété. Vous pourrez les léguer à vos enfants à vous en toute propriété et les traiter à perpétuité comme des esclaves.
Note de l’éditeur. Comment a-t-on pu prétendre si longtemps que de telles horreurs racistes étaient des paroles de Dieu ??? Ainsi qu’aurait pu le dire John Toland, l’aveuglement de certains m’étonnera toujours.
Sur l’esclavage chez les chrétiens voir les piètres arguties de la lettre de saint Paul à Philémon ainsi que le cas de sainte Blandine de Lyon et son fils Ponticus (arrêtés en même temps que leur propriétaire, qui était donc aussi chrétienne apparemment). Nous reviendrons ultérieurement sur ce qu’il convient de penser de ces fanatiques montanistes et de leur agressivité vis-à-vis des autres cultes, notamment celui de Cybèle.
** S'y ajoutaient ce qui allait devenir l'Oklahoma l'Arizona et le Nouveau-Mexique qui, bien qu'ayant peu d'esclaves, avaient des lois autorisant l'esclavage.
LIBERTÉ I : SITUATION DE DÉPART (IL Y A 2000 OU 2500 ANS).
La responsabilité collective positive, c'est-à-dire pour le meilleur (en tant que partie civile).
Trop de faits montrent qu’il existe une solidarité familiale qui n’est pas un vain mot.
Le groupe intervient lorsque le père de famille est assassiné, car cela ne peut guère qu’être lui qui réclame la composition dont le druide fixe le montant.
La responsabilité collective négative, c'est-à-dire pour le pire, au pénal.
Albert Bayet a consacré d’intéressantes remarques à ce type de responsabilité.
Il existe dans la société celtique antique quelques traces de responsabilité collective. Les mœurs admettent que l’on demande et que l’on donne des otages, et il est alors considéré comme normal que ces otages soient mis à mort pour un acte auquel ils sont étrangers.
Le droit pénal celtique antique admet aussi dans certains cas la confiscation des biens : lorsqu’elle est prononcée, c’est le groupe tout entier qui pâtit de l’acte commis par son chef.
La confiscation des biens admise par les lois est une peine qui frappe la famille du condamné autant que le condamné lui-même (B.G. VII, 43, V, 56).
Il va de soi que des esprits modernes ne sauraient accepter toutes les conséquences du principe celtique de responsabilité collective en matière de sanctions ou de pénalités.
En particulier en ce qui concerne les peines d’emprisonnement ou plus. Par contre il est vrai que toucher aux biens matériels des parents d’un voleur, ayant bénéficié de ses larcins, peut se concevoir. La confiscation d’une partie plus ou moins grande de leurs biens, afin notamment d’indemniser les victimes de leur parent, peut se concevoir. Ces parents pourraient alors être considérés ou traités comme des recéleurs, ayant participé à une sorte de recel.
N.B. Rien à voir avec le principe de la responsabilité intellectuelle mais intéressant quand même. L’étude des documents traitant de la procédure d’appel, cóir n-athchomairc, littéralement nouvelle demande, montre qu’en Irlande les juges ou arbitres (brehon) étaient responsables sur leurs biens propres en cas d’erreur procédurale de leur part.
« Les brehons, comme les anciens juges saxons, mais contrairement aux juges modernes, étaient passibles de dommages et intérêts ou d'autres sanctions si leurs jugements étaient illégaux ou injustes… Les causes d'appel les plus fréquemment relevées sont les « jugements soudains » ce qui voulait dire vraisemblablement les jugements rendus sans toute la réflexion nécessaire » (Laurence Ginnel Les lois Brehon pages 84 et 88 Londres 1894).
Ceci dit pour mémoire, il nous semble plus judicieux ici de songer à un élargissement de la responsabilité individuelle, mais avec discernement. Il serait par exemple parfaitement judicieux que tous ceux qui ont participé à l’élaboration de décisions politiques en assument les conséquences, y
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compris sur leurs biens propres, y compris après plus de trente ans. Cela aurait au moins le mérite de responsabiliser un peu plus les élites de ce pays. Cela impliquerait de développer considérablement le travail de recherche des responsabilités. Ce qui pourrait se faire efficacement peut-être en attribuant un pourcentage des sommes ou valeurs saisies à toute personne physique ou morale ayant contribué utilement à l’établissement desdites responsabilités. Il y aurait alors très vite des sortes de chasseurs de primes spécialisés en recherche de responsabilités.
Mais pour cela tout un encadrement législatif devrait être mis en place, afin de définir au plus juste ce que peut être une responsabilité intellectuelle dans de tels cas.
Il va de soi que les hommes doivent avoir les mêmes droits (ni plus ni moins) que les femmes ; pour ce qui est des droits civils (héritage, conduite d’une voiture ou que sais-je encore). Et politiques (élire ou se faire élire, gouverner). Cela ne se discute pas ! Cela va de soi ! Tout comme l’égalité en dignité.
En matière professionnelle par contre il faut tenir compte des capacités en moyenne supérieures (sur le plan physique), des hommes. On peut en attendre plus (en moyenne). Encore qu’il faille tenir compte également de l’âge et de la santé (justice distributive).
En ce qui me concerne par exemple je vois mal une femme ramper pendant des heures dans de la boue le couteau entre les dents pour égorger une sentinelle ennemie, mais je vois très bien une femme amiral par contre.
Il faut en outre respecter la vocation naturelle des femmes, qui est de porter des enfants (si l’on veut que la société se renouvelle).
DE LA DÉTERMINATION À L’AUTONOMIE.
Prendre conscience des forces chthoniennes qui nous habitent peut nous aider à mieux les maîtriser comme nous l’avons vu avec la technique que les chrétiens, à la suite de saint Patrice, ont eu l’intelligence de récupérer, celle de la lorica. « Cuirasse de foi pour la protection du corps et de l’âme contre les démons, les hommes et les vices. Quiconque la répétera chaque jour en pensant totalement à Dieu, les démons n'oseront s’opposer à lui. Ce sera une protection contre tout poison et contre toute envie ».
Les démons, les vices, les envies, et les poisons, ce sont les idées néfastes et négatives qui hantent trop souvent notre inconscient. Mais en les formulant explicitement (comme nous suggère de le faire l’exemple des druides antiques) autrement dit en les faisant passer de l’inconscient au conscient, on a des chances de réussir à s’en libérer. D’où le fameux gnôthi seauton des philosophes grecs successeurs des prêtres hyperboréens de Delphes comme Abaris et Olenos.
La détermination, ça existe (l’homme n’est pas totalement libre au départ), mais on peut s’en affranchir progressivement et s’élever ainsi de la détermination à la liberté en passant par l’autonomie ; car la liberté de l’Homme existe bien, au sens habituel du terme même si elle est toujours éphémère (elle est sans essence ni sans substance).
Le caractère relatif de la liberté est une thèse fondamentale de l’éthique druidique.
La liberté de choix la réalité quotidienne est relative parce qu’elle résulte de circonstances, et qu’elle disparaît avec. Elle ne dure donc que le temps d’un clin d’œil, elle n’existe que la durée d’un atome de temps.
L’Homme, le Gdonios, est le seul être de ce monde qui puisse dire non, même aux dieu-ou-démons (voir le livre des Conquêtes irlandais ainsi que la victoire finale remportée par les Hommes, les Fir Bolg, et les autres tribus de cette grande famille de peuples, SUR LES DIEU-OU-DÉMONS).
Mais cette liberté de choix ne peut donc pas, répétons-le encore une fois, avoir de nature propre, car elle est causée, prend naissance, et s’avère donc vouée à disparaître. Et c’est justement parce qu’elle ne possède pas de nature propre qu’elle est éphémère, qu’elle peut, certes, surgir, mais aussi disparaître, donc qu’on ne peut dire d’elle qu’elle existe vraiment.
Répétons-le, car repetere = ars docendi, ce qui est vraiment libre en ce bas monde puisque c’est lui qui conditionne notre liberté, c’est le Tocade ou Destin, décliné au niveau cosmique, collectif ou individuel.
Mais cette absolue et immanente liberté du Destin ou Tokad (moyen gallois tynghed, breton tonket, destiné, vieil irlandais tocad, destin, toicthech « fortunatus », tonquedec en breton. Le labarum est son signe) ; ne nie pas la liberté relative de l’Homme. C’est un cadre qui lui permet au contraire de s’exprimer, voire même la conforte, dans la mesure où l’infini n’est pas la limite du fini, mais ce qui le définit, le détermine, et donc le crée ou le rend possible, donc en un sens l’accomplit. Sans infini pas de fini.
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Les dieu-ou-démons donc ont donc laissé les humains se révolter contre eux et tomber dans l’Histoire pour y exercer leur liberté, mais pour quelles raisons ? Pour quel avenir ?
Même les druides ne le savent pas très bien en réalité, eux qui étaient déjà si divisés sur la question de l’existence des dieu-ou-démons et de leurs pouvoirs. « À vous seuls il est donné de connaître, COMME DE LES IGNORER, les dieux et les puissances célestes » (Lucain la Pharsale, I, 444-462).
Depuis l’humain est comme un dieu-ou-démon sur terre (le dernier demeurant à sa surface d’ailleurs), mais sa force mentale réduite à néant (l’esprit est prompt, mais la chair est faible — Mt 26, 41. Tiens pour une fois !) fait de lui un quasi-esclave.
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DE L’AUTONOMIE OU DE LA LIBERTÉ DANS LES CHOIX OPÉRÉS QUOTIDIENNEMENT PAR L’INDIVIDU.
Do ba maith an mac do bi ann sin... Nir er nech riam im séd na im ilmáine, agus ni tarda tuarasdal o rígh dó, agus nír gab séd ríam.
Il est inutile, voire nuisible, de cultiver un sens de la faute directement issu du mythe sumérien d’Eve et Adam, car une telle attitude n’est pas un remède contre le Mal. Mais cette maudite légende du paradis terrestre a marqué des générations entières (et d’ailleurs, on n’en est pas encore sorti) ainsi que l’a bien vu Gustave Le Bon dans son livre sur la psychologie des foules.
Bref rappel du mythe sumérien en question.
Voici en effet un homme et une femme comblés par la vie et insouciants. Jamais ils ne pensent à prier ni Dieu ni Diable. Un jour, ils sont confrontés à l’Arbre de la science du Bien et du Mal. Dieu, personnage fantasque figurant le Bien, leur demande de ne pas y toucher. Le Diable, personnage figurant le Mal, les invite à s’en nourrir en leur disant qu’après ça, ils seront comme Dieu, capables de voir le Bien et le Mal. Dieu veut qu’ils restent insouciants et heureux. Le Diable veut qu’ils soient conscients et avertis. Ève et Adam choisissent de consommer le fruit de l’Arbre de la science du Bien et du Mal. Du coup, le paradis terrestre disparaît, pour faire place à une terre hostile où il faut lutter pour survivre. Dieu et Diable avaient tous deux raison mais l’humain a fait son choix. Il peut toujours choisir, encore aujourd’hui d’ailleurs, entre l’insouciance de penser que Dieu s’occupe de tout (Matthieu 6 : 25-26. Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez ni pour votre corps de quoi vous serez vêtus. La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, et ils n’amassent rien dans des greniers ; et votre Père céleste les nourrit. Matthieu 10 : 30. Même vos cheveux sont comptés) et l’inquiétude de devoir sans cesse se préoccuper du lendemain. Mais peut-on véritablement parler de choix quand nous sommes soumis tout autant que libres ? Nous sommes libres parce que nous pouvons faire et penser ce que nous choisissons, mais nous sommes contraints aux aléas de la vie. Voilà bien la condition humaine.
Les hommes sont en outre inconscients des pulsions chthoniennes qui les habitent, qui les hantent, car ils ne choisissent pas grand-chose en toute liberté, y compris leurs grandes orientations de base (sexuelles, sociales et donc politiques, religieuses, ou autres).
« À vous seuls il est donné [druides] de connaître, COMME DE LES IGNORER, les dieu-ou-démons et les puissances célestes » (la Pharsale, I, 444-462).
La terre qui tremble, qui se fend, qui engloutit l’homme et son œuvre ; l’eau qui se soulève et inonde ou noie toute chose, la tempête qui emporte tout devant soi ! Voilà les « maladies » que nous savons depuis longtemps être dues aux attaques d’autres êtres vivants, et enfin l’énigme douloureuse de la mort, de la mort à laquelle aucun remède n’a jusqu’ici été découvert, et ne le sera sans doute jamais. Avec ces forces, la nature se dresse contre nous, sublime, cruelle, inexorable, elle nous rappelle notre faiblesse, notre détresse, à laquelle nous espérions échapper grâce au labeur de notre civilisation (Freud. L’Avenir d’une illusion). L’esprit est prompt, mais la chair est faible ! Cette faiblesse humaine congénitale est, ainsi que nous l’avons vu, symbolisée, de façon assez imagée, il est vrai, par la légende de la célèbre maladie des Ulates.
Le libre arbitre absolu n’est qu’une illusion ou un mensonge bien pratique de la part des monolâtres judéo-islamo-chrétiens. Ce qui existe pour l’Homme, ce n’est pas le libre arbitre absolu, mais une plus ou moins grande autonomie de l'individu ; JOINTE À L’ILLUSION D’ÊTRE DOTÉ D’UN LIBRE ARBITRE TOTAL ; et provenant des deux pôles (purement théoriques et nullement manichéens) que sont l’Âme et la Matière. Les objets qui se manifestent devant nous existent bien, mais par le biais de nos sens. Ils n’ont pas d’existence absolue en eux-mêmes, mais dans la réalité courante (celle de notre mental), ils existent bien. TEL est aussi le cas du libre arbitre humain.
« Arrange-toi donc avec cela et tâche d’être heureux. Sache qu’il y a toujours deux aspects aux choses : un que tu aimeras, l’autre que tu détesteras. Dieu ne les distingue pas. Il est au-dessus de tout ça, il est tout. Il est. Mais si tu as besoin de réconfort et de consolation, tu peux toujours t’adresser aux innombrables entités divines plus ou moins spécialisées, que toute religion propose pour te soutenir. Tu peux même simplement t’adresser à un ami en t’imaginant que c’est Dieu qui l’inspire ». Arrien, Cynégétique, chapitre XXXIV. « Moi et mes compagnons, nous suivons cette loi, car je déclare qu’aucune entreprise humaine ne peut avoir d’issue heureuse sans l’intervention des dieux ».
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Quant au Non-Bien, la divinité en est innocente. Et il ne vient pas non plus d’une quelconque entité diabolique, quel que soit son nom (grand ou petit Satan, Lugifer, Iblis, etc.). Il est exclusivement l’œuvre de l’Homme. Dieu ou le Démiurge est un être impersonnel (bien que pouvant être personnellement ressenti par tout un chacun) et nous n’avons donc pas à juger s’il fait le Bien ou le Mal. Mal et péché sont d’ailleurs en réalité une illusion, nous séparant de notre propre divinité intérieure.
Car si Dieu veut le bien, et qu’il est tout puissant, comment se fait-il qu’il n’anéantisse pas le mal pour l’éliminer à jamais ? Le mal n’est-il pas un point de vue spécifiquement personnel ? Si l’on observe les deux côtés de la médaille, on peut aussi penser que ce qui est vu comme « mal » par l’un, peut (toujours) être aussi considéré comme positif par un autre. Un volcan qui vient d’entrer en éruption apporte chaos et destruction, mais après cette catastrophe, le magma fertile portera de meilleures récoltes. La guerre détruit des vies et des villes, elle permet aussi de reconstruire des villes nouvelles plus fonctionnelles. C’est souvent également une occasion d’échanger des techniques ou des produits. Les arabo-musulmans ont ramené le papier de la bataille de Talas en 751, et les croisés ont ramené d’Orient le figuier, le grenadier, l’abricotier, le mûrier, le cotonnier, la canne à sucre, l’indigo, le riz, le safran, etc. (ne parlons même pas du tabac rapporté d’Amérique). Comme quoi la mondialisation dont se gargarise nos beaux esprits ne date pas d’hier, ce qui est relativement nouveau c’est LA MONDIALISATION DE MASSE QUASI INSTANTANÉE DE TOUT ET DE SON CONTRAIRE DUE AUX PROGRÈS DES TRANSPORTS.
Bien entendu, pour pouvoir considérer ces avantages du « Mal », il faut adopter une perspective impersonnelle. Car d’un point de vue personnel, rien ne pourra jamais nous faire accepter que la destruction et la mort soient des aspects tout aussi enviables que le bien, la fête et le renouveau. Mais ce jugement de valeur entre ce qui est souhaitable ou non, est spécifiquement humain. Le Dieu ou le Démiurge impersonnel est au-dessus de tout cela, ainsi que nous l’avons déjà souligné à maintes reprises ; il est le bien et le mal à la fois. Il est l’être, il est tout, et c’est uniquement notre point de vue strictement humain qui nous fait à considérer les choses positivement ou non.
Comme tout se tient dans la nature, il y a interdépendance mutuelle de tous les phénomènes. L’Homme étant aussi un animal chthonien (gdonios en vieux celtique) il est déterminé au départ, et son libre arbitre absolu n’existe jamais, hormis dans la tête de certains manichéens acharnés. La liberté humaine est un produit de relations innombrables, conditionné de toutes parts et de tous côtés, dans l’ensemble de la Vie et du Cosmos (Bitos), elle est donc relative. La liberté humaine est prise dans un flux constant d’interactions de divers facteurs (émotionnels, physiques, mentaux, etc.). Elle est donc relative. Elle naît, grandit, et passe.
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AUTONOMIE ET LIBRE ARBITRE.
Do ba maith an mac do bi ann sin... Nir er nech riam im séd na im ilmáine, agus ni tarda tuarasdal o rígh dó, agus nír gab séd ríam.
Chez les Celtes le terme celte Tokad désigne la « disposition » normale de toutes choses (de la racine tonk- « jeter un sort, prédestiner »), ou l’Ordre, la Norme. Le Tokad ou Destin est l’émanation divine qui fait passer l’inarticulé au stade articulé (rta en Inde).
Toutes les multiples destinées sont régies par le Tocade, la grande Loi universelle. Le Destin est donc aussi un ensemble de résignations ou d’acceptations gouvernant de façon purement extrinsèque la société idéale. La notion de bien ou mal n’y a pas de place au niveau individuel, ce sont des logiques ou des déontologies de métier.
Les destinées individuelles peuvent être très différentes selon le métier exercé. Tuer un autre homme est par exemple interdit, mais il va de soi que tuer d’autres êtres humains ou être soi-même tué fait partie de la vocation des militaires.
Dans la sphère humaine, agir selon sa destinée, c’est agir selon la déontologie de son état. On parlera dans ce cas de destinée propre à chaque classe, et finalement à chaque individu.
Dans la sphère cultuelle, agir selon le Tokad, c’est d’abord accomplir les rites correctement selon les règles. Mieux, dans l’ancien druidisme prévaut l’idée que l’acte sacrificiel reflète la norme de l’univers tout entier. Il y a syntonie ou harmonie entre le tokad cultuel et le tokad cosmique. Le sacrifice entretient le Tokad.
Les anciens druides avaient-ils fait du hasard « sic » un Dieu ? Saint Colomban d’Iona se défendant justement et en toutes lettres, dans une de ses loricae, de l’adorer. « Je n’adore ni le chant des oiseaux…, ni un fils du hasard, ni une femme. Mon druide est… etc. »
L’évocation du chant des oiseaux est sans doute une allusion aux pratiques divinatoires de certains druides de la décadence irlandaise. Ils auraient pratiqué un mode d’ornithomancie qui consistait à prédire, non par le vol des oiseaux, mais par leur chant. Le roitelet servait spécialement à ces consultations augurales.
Soyons monganiens jusqu’au bout et n’hésitons pas une seconde à le dire ; ces chrétiens n’ont évidemment rien compris à la façon dont les druides antiques concevaient le Destin ou Tokad (moyen gallois tynghed, breton tonket, destiné, vieil irlandais tocad, destin, toicthech « fortunatus », tonquedec en breton. Le labarum est son message).
Il s’agissait d’une divination inexorable à long terme, mais souple et gardant quand même l’essentiel de l’autonomie humaine, pour ce qui est des détails à court ou moyen terme.
Diodore de Sicile. Bibliothèque historique. Livre V, XXXI évoque « des hommes qui connaissent les dieux et parlent leur langue » (homophônôn en grec) ; mais, précise Lucain (la Pharsale, I 444-451) « À eux seuls il est donné de connaître OU d’ignorer les dieux et les puissances célestes ».
Il y a dans ce « ou » de Lucain toute la différence qu’il peut y avoir entre les réponses du type : « vous vaincrez parce que telle est la volonté des dieu-ou-démons » (prédiction) ; et les réponses du type : « vous vaincrez parce que vous êtes les plus forts » (prévision de type rationnel où le divin n’a plus grand-chose à voir).
Distinction capitale confirmée par les propos du druide éduen Diviciacos lui-même, « qui disait prévoir l’avenir d’une part par les augures, d’autre part au moyen de la conjecture » (Cicéron, De Divinatione I, 41,90).
Bref, le cadre dans lequel se déploie notre (très relative) liberté d’être humain est préexistant. Notre liberté n’est pas sans limites, la première de ces limites étant d’ailleurs notre animalité (pour ce qui est de son corps l’homme est un animal).
Cette faiblesse humaine congénitale est d’ailleurs symbolisée, de façon assez imagée, il est vrai, par la célèbre légende de la maladie des Ulates (Ces noinden). Cette faiblesse de la race des seigneurs (des Ulates) peut tous nous frapper, nous aussi, un jour ou l’autre. Les Gdonioi (les Hommes) sont en général inconscients de ces pulsions chthoniennes qui les habitent, car ils ne choisissent pas grand-chose en toute liberté, y compris leurs grandes orientations de base (sexuelles, sociales et donc politiques, religieuses…)
L’Homme n’est libre que dès lors qu’il se trouve confronté à un choix. La liberté humaine est surtout affaire de choix. L’homme n’a que la possibilité de choisir entre plusieurs solutions, il n’a jamais la possibilité de se situer hors de ces dilemmes ou de ces alternatives. Il s’agit donc en quelque sorte d’une liberté au coup par coup. La contrepartie de cette autonomie des individus doit être une responsabilisation accrue de ces derniers.
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L’Homme a notamment le pouvoir de choisir sa propre mort volontairement ou en quelque sorte par défaut et le suicide a même toujours été un devoir pour les druides. DANS CERTAINS CAS. Face à ce qu’Albert Bayet appelle la « morale simple », qui condamne tout suicide, il existe – et a donc probablement toujours existé – une autre morale, non pas favorable, la chose est inconcevable, mais plus « nuancée », admettant voire prescrivant le suicide, dans certaines circonstances.
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LIBERTÉ DE CULTE OU LAÏCITÉ POSITIVE.
La place des anciens très-sachants était d’être toujours aux côtés du roi avons-nous dit. Aux côtés, mais non à sa place !
Le terme irlandais ainsi traduit est bien le mot gaélique rig. Mais il ne faut pas s’y tromper. Il est vrai certes que dans l’ancien druidisme, en l’absence de gouvernement véritable au sens moderne du terme (des ministres des secrétaires d’État, etc.) les druides servaient en quelque sorte de conseillers techniques des rois dans toutes sortes de domaines. Pour une bonne et simple raison, c’est que les druides de l’époque faisaient plus que s’occuper de religion ou de spiritualité, c’est que les druides de l’époque faisaient plus que s’occuper du culte ou du soin des âmes, ils s’occupaient aussi du soin des corps en tant que médecins ou chirurgiens, ils étaient enseignants et formaient la jeunesse, etc. etc. Bref c’étaient les intellectuels de l’époque ! La société celtique antique n’était donc pas une théocratie, et il n’y avait pas de religion d’État précise avec un seul dieu et un seul culte, puisque tout le monde admettait comme allant de soi l’existence de dieux multiples et donc de cultes divers.
Le sectarisme était une notion inconnue. Il s’agissait donc d’une sorte de séparation de l’Église et de l’État avant même que ladite notion soit (ré) inventée au XVIIIe ou au XIXe siècle. Ce que nous définissons nous autres néo-druides depuis 1718 ( Probabilité et imminence de la chute du pape par John Toland) ) comme une liberté religieuse totale : aucune loi privilégiant une religion ou interdisant son libre exercice, et que mes correspondants parisiens laïcité : doivent être par principe et a priori interdites les lois qui favorisent une religion par rapport à une autre voire qui aident une ou plusieurs religions, il y a lieu à cet égard d’ériger un véritable mur entre les diverses Églises et l’État. Mais en insistant également sur le fait que concrètement et sur le terrain, localement, le principe de la liberté religieuse totale ne doit pas être générateur de troubles à l’ordre public ni d’incitation à la haine personnelle des individus en tant que tels (en tant qu’hommes, en tant que femmes, leurs croyances leur idéologie leur projet de société, c’est autre chose ) et ne doit en aucun cas entraver la paix civile ou l’acceptation d’une vie commune en bonne intelligence, y compris dans des domaines aussi sensibles que celui du mariage entre hommes et femmes (polygamie polyandrie union libre, etc.) le respect à manifester envers les symboles d’une précieuse unité nationale transcendant toutes les différences de sensibilité religieuse (drapeau, etc..) ; donc que les autorités locales ont le droit de l’encadrer dans la mesure où toutes les religions sont traitées de la même façon. Ce qui passe avant tout en effet ce sont les devoirs des hommes les uns envers les autres, étant bien entendu que les devoirs des hommes envers les dieux relèvent du domaine de la vie privée. La liberté des croyances et des opinions religieuses entre adultes consentants ne légitime pas pour autant toutes les pratiques d’inspiration religieuse comme le sacrifice humain par exemple (qu’il soit de type abrahamique ou agamemnonien voire autre).
Afin de pousser jusqu’au bout la logique de notre non-sectarisme en matière de religion, ajoutons à cette remarque que dans le propos qui précède l’absence de toute religion ou agnosticisme doit être également traitée comme une religion (à part entière) puisque certains Celtes étaient athées * selon Strabon. Comme l’a très bien remarqué notre vieux maître Henri Lizeray, une tradition cela doit toujours s’interpréter, largement même, et chacun dans la société celtique antique interprétait donc à sa façon en son âme conscience et selon sa raison, les grands mythes panceltiques mis à disposition par les druides. Et de nos jours encore si d’aventure et pour de bonnes raisons donc on en venait à lire ou étudier nos bibles à nous dans les écoles ou les universités, chacun devrait être laissé libre d’interpréter en son âme et conscience les passages ainsi retenus et sélectionnés. Ce qui ne serait plus tout à fait le cas bien entendu en cas de lecture faite dans un lieu de culte un de nos sanctuaires ou un de nos temples, à l’occasion de telle ou telle fête religieuse. Là bien entendu de telles lectures pourraient parfaitement donner lieu à interprétation orientée qui plus est.
La citation de Strabon maintenant :« Ils vivent dans l’abjection sur plan moral, c’est-à-dire qu’ils ne se préoccupent guère de mener une vie civilisée, mais plutôt de satisfaire leurs besoins physiques et leurs instincts bestiaux, à moins évidemment qu’on ne veuille considérer que ces hommes se préoccupent aussi de bien-être en se lavant à l’aide d’urine qu’ils ont laissé vieillir dans des citernes, et en se brossant les dents avec, eux et leurs femmes ; comme on dit que le font aussi les Cantabres et leurs voisins. Mais cette coutume, ainsi que celle de dormir à la dure à même le sol, est partagée par les Ibères et les Celtes. Certains disent que les Galiciens n’ont pas de dieu, mais que les Celtibères et leurs voisins au nord offrent des sacrifices à un dieu sans nom, chaque pleine, lune, la nuit, devant les portes de leurs demeures, et que toute leur maisonnée danse alors en chœur la nuit entière » (Géographie Livre III, chapitre IV, 16).
Bref, nous reviendrons ultérieurement dans nos petits cahiers sur cette importante distinction qu’il y a lieu de faire entre les affaires de l’État et celles de la Religion. Nous avons trop souffert jadis des
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excès de cette dernière (Inquisition, guerres de religion, sorcières de Salem ou d’ailleurs –la dernière malheureuse condamnée légalement et officiellement pour sorcellerie l’a été en 1782 en Suisse : il s’agissait d’une certaine Anna Goeldin *** ) pour considérer qu’il s’agit là d’un sujet d’importance secondaire. Car nous sommes vraiment sincères et nous ne pratiquons là aucune casuistique spéciale ni taqiya quand nous déclarons, nous autres « Point de contrainte en matière de religion ! ». Il convient donc d’être neutre et de ne pas faire de discrimination en fonction de l’appartenance religieuse, mais cette exigence n’a de sens que s’il y a réciprocité, que si les hommes et les femmes qui demandent à bénéficier d’une telle neutralité ou d’une telle non-discrimination sont également les premiers à pratiquer une telle neutralité ou une telle non-discrimination en dehors de leurs lieux de cultes et de leurs domiciles privés.
* Tout comme moi qui suis un des derniers vassaux de la Duchesse de Normandie reine d’Angleterre et du Canada, etc. pour mon fief d’Écréhou.
** En réalité Strabon confond peut-être le fait de ne pas avoir de temples de pierre ou en dur avec le fait de ne pas avoir de dieux.
*** En France il y eut encore par la suite d’autres victimes de brûlées pour cause de sorcellerie dans certaines régions arriérées du pays, mais en dehors de tout cadre officiel ou légal : le 28 juillet 1826 à Bournel et en 1856 à Camalès en Bigorre (la malheureuse fut jetée dans un four).
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LA LAÏCITÉ GARANTIE DE LA LIBERTÉ.
César ne semble pas avoir bien compris l’attitude des druides par rapport à ce qu’il appelle justement la regia potestas ; spéculation doctrinale qui, du reste, ne devait guère intéresser un général préoccupé par des problèmes politiques ou militaires immédiats.
Les druides ne s’attribuent jamais la fonction royale. Le druide conseille et le roi, lui, agit : l’autorité spirituelle n’a jamais prétendu (sauf par déviation insigne) à l’exercice du pouvoir temporel, et le druide ne donne aucun ordre. Ce ne sont pas les druides qui choisissent le roi, mais les guerriers (les politiques)
Le nom du roi en italo-celtique, rix (irlandais ri, génitif rig, vieux-gallois et vieux-breton ri), ne sert pas lui-même à désigner une notion religieuse, mais uniquement la fonction régulatrice envisagée sur le plan social. C’est-à-dire qu’elle ne comporte aucun principe religieux si le druide n’est pas là pour la représenter.
Le druide oublie rarement qu’il est au service du roi. Le roi le sait et en use très librement. On ne pourrait citer qu’un nombre très restreint de « rois-druides » ou de « druides-rois » [le roi-prêtre ou sorcier Cornunnos, appelé Nemet en Irlande, étant préceltique, Dejotarus étant un prince galate d’Orient. N.D.L.R.].
Ainsi que nous avons déjà eu maintes fois l’occasion de le souligner, mais repetere ars docendi, disait mon professeur de latin ; il y a cependant un druide — et non un guerrier — qui termine tragiquement ses jours pour cause d’usurpation du pouvoir politique. C’est un druide mythique, bien sûr, mais il est caractéristique de l’interprétation celtique de la Souveraineté que sa faute, triple au demeurant, ne soit ni la démesure ni l’ignorance, ni même la soif ou l’appétit de puissance ; mais le fait de s’emparer du pouvoir. Ce file (ou druide), appelé Nédé, commet successivement trois fautes graves.
1. Au niveau de la première fonction sacerdotale : il prononce une satire injuste et il abuse ainsi de son sacerdoce en réclamant au roi un poignard que ce dernier ne peut lui donner sans violer un tabou (geis).
2. Au niveau de la deuxième fonction guerrière (et royale) il usurpe la royauté de façon indigne et cette usurpation est aggravée dans notre récit par la poursuite et la mort du malheureux monarque : déchu physiquement par les ulcères, il meurt de honte.
Le châtiment de ce druide coupable de forfaiture sera symboliquement exemplaire.
Il est tué par un éclat de la roche qui saute et « flambe » pour le punir de la mort du roi qu’il a injustement satirisé (nos modernes journalistes pourraient méditer cette légende) César ne semble pas avoir bien compris l’attitude des druides par rapport à ce qu’il appelle justement la regia potestas ; une spéculation doctrinale qui, du reste, ne devait guère intéresser un général préoccupé par des problèmes politiques ou militaires immédiats, ainsi que nous l’avons déjà dit (tout cela n’est d’ailleurs que répétition destinée aux goffinets qui ne manqueront pas de se manifester).
La place des anciens très-sachants était d’être toujours aux côtés du roi disions-nous. On n’est pas obligé de revenir à cette situation, sur laquelle d’ailleurs il ne faut pas se méprendre. Il ne s’agit pas d’une théocratie, le druide conseille (ce sont en quelque sorte les intellectuels de l’époque), mais le roi décide souverainement et c’est à cela qu’on le reconnaît. C’est à cela que l’on reconnaît un grand monarque ou un bon roi, un Louis XIV ou un Louis XVI diraient mes correspondants parisiens. Nous reviendrons longuement sur cette claire distinction des rôles du roi (ou du vergobret aujourd’hui, c'est-à-dire du président) et du druide (laïcité ouverte avant la lettre ?)
N.B. Ce rôle de conseiller des anciens druides de l’époque s’appuyait beaucoup alors sur l’analyse des rêves (voir ce que nous avons déjà écrit à ce sujet) ainsi que sur l’étude des présages. Le présage est un événement tout à fait normal, mais qui suscite un sentiment d'inquiétude de perplexité ou autre. Là encore donc, comme dans le cas de la voyance (voir ce que nous avons déjà écrit à ce sujet), tout dépend des qualités intrinsèques de celui qui se charge de l’analyser ou de le décortiquer. Nous y reviendrons. Les « druides » d’aujourd’hui se penchent plutôt sur l’évolution des courbes statistiques économiques ou sur l’étude des photos prises par satellites.
Il n’appartient pourtant pas aux druides druides d’aujourd’hui de faire la loi. Cette très nette distinction des rôles entre les rois ou les vergobrets (les présidents), et les druides, constitue encore la meilleure chance d’avenir et de cohésion civique de la Société, à condition d’en respecter l’esprit. Nulle confusion entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, aucun roi-prêtre aucune théocratie, mais pas non plus de conflit ou d’opposition entre les deux. Distinction, mais collaboration et coopération dans l’intérêt de la société (laïcité positive). Rien ne saurait justifier un retour en amont en arrière, à la confusion des deux lois, la loi civile commune qui s’impose à tous sans distinction et l’autodiscipline religieuse personnelle basé sur le volontariat et la spiritualité, même partiels. La quête du Graal ne
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saurait être qu’être individuelle tout comme la haire et la discipline de Tartuffe (qui d’ailleurs demande à son valet Laurent de les ranger dans leur placard).
C’est même au contraire à un renforcement de cette distinction et de cette autonomie qu’il faut procéder, afin d’assurer des modalités de vie civique et sociale harmonieuse. Or, au fil des décennies, les forces politiques rétrogrades, obstinément soucieuses de confondre les deux, ont multiplié les attaques contre l’esprit et le contenu du principe de séparation entre le Roi ou le Vergobret (le Président) et les druides (entre l’État et l’Église).
– Tentatives pour associer les associations cultuelles aux affaires publiques et faire des clergés ou prosélytes militants religieux des partenaires de la vie officielle de l’État.
– Subventions publiques aux associations religieuses de fait.
– Port d’insignes et d’emblèmes religieux à l’intérieur du service public d’enseignement.
– Etc.
Tout cela, répétons-le, est absolument contraire à l’esprit du principe de distinction absolue entre le rôle du roi ou du vergobret (on dit aujourd'hui président) et celui des druides.
Il faut mettre les princes qui nous gouvernent et leurs hommes (les services publics), à l’abri des usurpations confessionnelles.
C’est le roi (ou le vergobret autrement dit le président) qui doit toujours avoir le dernier mot.
« C’était un des interdits des Ulates que de parler avant leur roi, mais c’était un des interdits du roi que de parler AVANT ses druides ». (Variante de la Mesca Ulad ou « Ivresse des Ulates ».) Le mot « préséance » est dépourvu de toute signification dans le contexte des rapports du roi et du druide, mais c'est bien de cela qu’il s’agit. Le druide parle avant le roi, ès qualités, mais il doit au roi le conseil. Rappelons une fois de plus que cette supériorité du spirituel est celle de la science et de la connaissance, et rien d’autre (laïcité positive).
Si, au niveau historique en Irlande, le druide s’était considéré comme supérieur au roi, nous aurions des traces de cette absorption de la classe guerrière par la classe sacerdotale ; et l’organisation politique de l’Irlande chrétienne aurait été toute différente, plus théocratique que militaire. Or nous n’avons aucune trace dans ce pays d’un phénomène social analogue à la « brahmanisation » des kshatriyas hindous.
Les druides ne sont pas des fonctionnaires à proprement parler, mais des spécialistes qui aident le roi (ou le vergobret) à gouverner. Le roi (ou le vergobret) n’est pas tenu de suivre les conseils du druide, mais le druide doit le conseil au roi ou au vergobret. Un roi ne peut pas devenir druide et, inversement, un druide ne peut pas prétendre au nom ou à la dignité de roi.
L’éthique (ou du moins son ancêtre l’éthologie) est indépendante de toute religion, quelle qu’elle puisse être puisqu’ayant existé avant l’apparition de toute notion de divinité, avant même l’apparition de toute religion, aussi primitive soit-elle ; à moins bien entendu que l’on veuille considérer… que les dieux ont pu aussi en doter les animaux.
Or nos modernes sociétés (judéo islamo chrétiennes) ont réussi à inverser ce rapport primitif de l’éthique à la religion : ce que Dieu veut, ce qui plaît à Dieu, c’est ce que les êtres humains doivent trouver bien, beau, ou bon. Cela est particulièrement vrai en terre d’islam (dar al islam) où des comportements fort discutables (contraires aux droits de l’Homme) sont considérés comme bien (licites) uniquement parce que Dieu l’a voulu et commandé, ou toléré (en la personne de Mahomet).
Les druides de l’Antiquité, eux, avaient fait tout le contraire. Ils avaient à l’inverse essayé de placer sous la protection de leurs dieux un certain nombre de valeurs auxquelles ils croyaient (serment, respect de la parole donnée…) ; ils avaient tenté de leur donner une caution divine (les dieux étaient par exemple censés foudroyer ou condamner à terme les parjures comme Loégaire). Or qu’était donc l’éthique des Celtes de l’Antiquité sinon un long et multiforme serment permanent ?
Il importe donc de renverser cette fausse valeur que nous ont inculquées des siècles de judéo-islamo-christianisme. Ce n’est pas parce que quelque chose plaît aux dieux, que les hommes doivent le trouver bon beau et bien ; c’est parce que les hommes trouvent quelque chose bon beau et bien que cela doit plaire aux dieux. Les très sachant de la druidiaction de jadis, l’avaient apparemment bien compris qui traduisaient cela généralement sous une forme du genre : « les dieux veulent, le dieu a dit, la divinité commande que…etc. »
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Ceci dit, remarquons bien avec Albert Bayet (tome I de son histoire de la morale) qu’ils ne sont jamais allés jusqu’à totalement assimiler l’éthique à la religion, et à prétendre par exemple qu’il ne saurait par principe exister de morale sans religion. Ils ont toujours au contraire admis la possibilité d’une éthique relativement autonome par rapport à la religion.
Disons-le donc tout net, les néo-druides d’aujourd’hui ne peuvent donc pas reprendre à leur compte l’idée judéo-islamo-chrétienne que des athées ou des agnostiques (kouffar) ne sauraient avoir une éthique. Athées ou agnostiques peuvent très bien avoir une éthique aussi élevée, aussi profonde, aussi complexe, que celle des plus grands religieux. Ce n’est pas parce que l’actuel président français l’a dit * en subordonnant les instituteurs aux curés ou aux pasteurs dans un de ses discours (celui du Latran le 20 décembre 2007) afin de flatter le pape et son peuple que c’est vrai. D’ailleurs il a existé aussi des tribus celtes athées aux dires de Strabon.
« Certains auteurs affirment que les Gallaeci sont athées, tandis que les Celtibères et leurs voisins plus au nord sacrifient à un dieu sans nom, la nuit, à chaque retour de la pleine lune, devant les portes de leurs bourgades ; se livrant alors, avec toute leur maisonnée, à des rites divers agrémentés de danses » (Strabon, Géographie, III, 4, 16).
Cela ne les empêchait pas d’avoir eux aussi une éthique sans doute globalement comparable à celle de leurs voisins. Le plus grand des péchés n’est pas l’athéisme ou l’agnosticisme, mais la bêtise humaine (qui donne bien effectivement une idée de l’infini).
CONCLUSION.
Outre le fait I.E. de l’importance donnée au Vrai, au Réel ; cette étude (orientée comme les autres de la rubrique ÉLÉMENTS DE PHILOSOPHIE CELTIQUE vers une lecture des faits actuels, un essai d’adaptation dans la fidélité) souligne donc une notion importante. « Il n’y a pas de liberté possible sans vérité. Vérité libératrice, mais aussi Vérité souveraine, impérieuse : c’est l’ULATIA UIRA, plus tard Fir flathemon en gaélique, et aussi UIRI ULATO, la souveraineté du vrai. Ce sera bien plus tard encore, la formule de Jean Huss, devenue devise de la nation tchèque : « Pravda vitezi » = « La vérité emporte le reste ».
Cet impératif catégorique cadrant bien dans l’éthique druidique, nous apparaît ainsi comme une valeur pan-I-E, à vocation universelle, une notion antérieure donc au druidisme, mais mise au premier plan par les druides primordiaux.
Andrew McQuaid a écrit des choses très bien à ce sujet dans sa thèse sur les Tecosca (les miroirs du prince irlandais) et notamment sur le sens exact du mot flaith (roi ou seigneur ?) donc sur le public auquel ils étaient destinés.
« Vu la critique faite par Jaski de la notion de royauté sacrée, on ne peut plus présumer que la fir flathemon ne concernait que les rois ».
* « Dans la transmission des valeurs et l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance ».
N.B. Quelle hypocrisie de la part d’un homme dont le premier souci en accédant à la présidence fut de s’augmenter de 140 % alors qu’il était déjà nourri blanchi logé de par sa fonction, et que son traitement de chef d’État ne lui servait donc en aucune façon à régler ses factures quotidiennes comme du temps du général de Gaulle, dont il se revendique néanmoins.
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LE POLYTHÉISME DES VALEURS.
De tous les croyants avec lesquels les druides se soucient d’entrer ou de demeurer en contact, les hindouistes sont ceux qui occupent la place la plus privilégiée. Ils appartiennent en effet aux derniers grands peuples ayant gardé des bribes de la lointaine tradition hyperboréenne, aux derniers des grands peuples favoris des dieu-ou-démons. La religion hindoue ne doit pas nous être étrangère au sens strict du terme, elle doit être pour nous une religion sœur ; même si elle a, depuis longtemps, évolué dans un sens bien différent (transformation des classes de la tripartition aryenne primitive en castes, exclusion de la plèbe des shoudras, etc.).
Notre druidisme peut donc avoir avec l’hindouisme des rapports qu’il n’a avec aucune autre religion. Le dialogue avec ces autres païens, également adorateurs des vrais dieu-ou-démons, mais n’ayant pas pleinement atteint la vérité, doit donc être une de nos priorités.
Ce travail œcuménique implique bien évidemment une attitude d’esprit franchement polythéiste, c’est-à-dire hénothéiste et reconnaissant pleinement l’existence de ces dieu-ou-démons des autres pour les autres, un important effort de connaissance mutuelle et réciproque ; ainsi que beaucoup de patience, de persévérance et de tolérance (le druidisme est naturellement cantamantaloedis). Mais ceux qui s’y livreront, là aussi, s’apercevront bien vite qu’ils auront utilement contribué à se renouveler dans l’intelligence de leur foi.
Une telle ouverture d’esprit doit également concerner les zoroastriens, les derniers païens de l’Hindou Koush (les Kalash), les yézidis, les odinistes, etc. Ce dialogue polythéiste doit même s’élargir au peuple juif afin qu’il revienne aux dieu-ou-démons sumériens (du père) d’Abraham, et rentre enfin dans le droit chemin.
N.B. Nos rapports avec le peuple juif ? Un vrai druide doit prier pour que le peuple juif, qui a tué ses dieux, ou plus exactement, comme les dieux ne peuvent pas mourir, perdu ses dieu-ou-démons, revienne lui aussi, un jour, au bercail, en empruntant la voie royale du paganisme sumérien, ou un autre, et retrouve ainsi la plénitude de son génie national. Un tel mouvement existe d’ailleurs déjà. Pour tout renseignement à son sujet contacter : MICHTAV-HABIRU, c/o ELIEZER IBN RAPHAËL.
Il s’agit d’une association juive s’occupant de ce retour au paganisme sémite, cananéen, ougaritique et donc hébreu ; dans le droit-fil du pré-nietzschéisme du grand philosophe Simon de Samarie dit Simon le Magicien (ce panthéiste juif identifie en effet Dieu ou le Démiurge à un flux de vie incréé. Quiconque prend conscience en lui d’une telle présence, lui devient semblable, conformément à l’antique promesse du Serpent de la Genèse biblique « et vous serez comme des dieux : Élohim »).
Idem pour les musulmans d’Afrique du Nord qui doivent, pour leur plus grand bien, retrouver au plus vite l’antique religion berbère de leurs ancêtres d’avant La Mecque et d’avant Rome. Un vrai druide doit donc aussi prier pour que la révélation de la vérité MONISTE ET RELATIVISTE parvienne enfin à ces malheureux déracinés ou colonisés de l’intérieur.
Ce dialogue doit d’ailleurs s’étendre à ceux qui n’adorent aucun dieu-ou-démon en particulier (communistes, marxistes et autres athées ou agnostiques), car le dialogue avec eux peut enrichir notre réflexion. D’après Strabon certains Celtes, et notamment les Galiciens d’Espagne, étaient d’ailleurs athées. S’agit-il d’un manque de nuance de la pensée de Strabon, incapable de comprendre les subtilités de certaines Écoles druidiques. En tout cas, vu son importance, voici de nouveau la citation exacte. « Certains auteurs affirment que les Gallaeci sont athées, tandis que les Celtibères et leurs voisins plus au nord sacrifient à un dieu sans nom, la nuit, à chaque retour de la pleine lune, devant les portes de leurs bourgades ; se livrant alors avec toute leur maisonnée à des rites divers agrémentés de danses » (Strabon, Géographie, III, 4, 16).
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UNIVERSALISME ET INTERNATIONALISME DU DRUIDISME.
Il s’agit plus, que jamais à notre époque, de montrer aux hommes les voies (divines) qui ont été trouvées depuis longtemps afin de réussir l’épanouissement de son âme (moksha dans l’hindouisme) ; ou son salut (tôt ou tard, puisqu’il n’y a ni enfer ni damnation éternelle, et que tout le monde finira, un jour ou l’autre, par aller « au Paradis » comme on dit un peu familièrement).
Vous êtes une nation sainte, une nation hyperboréenne, une langue élue des dieux, et un peuple voué à la vérité. Telle est d’ailleurs la formule que les druides primordiaux de jadis auraient pu mettre en exergue du chapitre sur le magistère druidique. La mission des druides (celtiser les cœurs et les esprits) est internationale. Elle concerne tous ceux qui se sentent Celtes, profondément Celtes, quel que soit l’endroit où ils habitent (Nouvelle-Zélande, Australie, Canada, et même les pays dits latins comme la Galice, voire le Brésil la France et l’Argentine, etc.).
Les premiers concernés par ce combat pour la vérité sont, bien entendu, les hommes et les femmes habitant sur le même territoire que les druides primordiaux, puisqu’il en a partout conservé les traces les souvenirs et les exemples. On bute dessus à chaque pas ! Vu la puissance de fécondation et de vie du druidisme, il serait bien égoïste de ne pas vouloir en faire profiter aussi les autres, en la partageant avec eux.
La tradition celtique bien comprise peut être le ferment du monde à venir, à bâtir avec le meilleur de l’ancien. Le druidisme doit donc être la voie royale que l’Homme peut parcourir afin de retrouver le sens du sacré qu’il a perdu. Toutes les ressources didactiques de la pédagogie des adultes doivent être utilisées à cet égard.
Un vrai druide, poussé par les exigences de cette conviction, ne peut oublier non plus les pays où le druidisme a jadis été florissant. De la Mer Noire à l’embouchure du Guadalquivir (Tartessos), du nord de l’Écosse à la Galatie au cœur de l’Asie Mineure (dikastes d’Ankara). Les druides doivent dialoguer avec tous ceux qui s’intéressent à ces questions, même dans les pays où le druidisme a disparu depuis longtemps (La Ruthénie, la Pologne, l’Asie Mineure…).
Ils ne doivent pas non plus faire l’impasse sur les peuples qui en sont issus et qui se sont établis maintenant un peu partout dans le monde ; du Canada à l’Australie en passant par la Louisiane, l’Afrique (du Sud) le Zimbabwe *, etc. Les très-sachants doivent veiller à ce que ces vérités libératrices parviennent jusqu’aux non-croyants de ces régions du Cruinne (Cruinne = Globe terrestre ; c’est un terme gaélique dérivé du celtique crundnios signifiant sphérique, la sphéricité de la Terre ayant aussi été découverte par les druides antiques). Pour un vrai Celte, défendre les droits de la vérité, partout et en tous lieux, est un devoir fondamental (une dligeto), c’est pourquoi les druidisants conscients de leurs responsabilités doivent aussi s’occuper de cette remise en culture de tant de jachères humaines. La druidiactio doit également rayonner dans les régions du monde où elle n’est plus représentée depuis longtemps, mais aussi dans celles où elle ne fut jamais implantée. À condition qu’elle y fasse l’objet d’une acculturation ou d’une enculturation de qualité. Le seul moyen pour cela est d’avoir dans ces pays des druidisants capables de fonder de nouvelles communautés (touta) qui, une fois développées, pourront continuer le combat de leur propre initiative.
Les druides montreraient qu’ils ne comprennent plus rien au principe celte du sacerdoce royal hyperboréen de Diodore Livre II chapitre 47 (« Ils sont tous, pour ainsi dire, les prêtres de ce dieu…le gouvernement de cette ville et la garde du temple sont confiés à des rois appelés Boréades, les descendants et les successeurs de Borée ») d’une nation à tu et à toi avec les dieux (admodum dedita religionibus) s’ils renonçaient à suivre le vol des oiseaux du ver sacrum ou prendre leur coracle pour aller ensemencer ces nouvelles nations comme le fit jadis Abarix. Que ce soit en chevalier solitaire errant à la quête de son Graal, un petit reste de fidèles ou une communauté tout entière chacun est un maillon de la chaîne d’ambre sacrée, comme une lumière dans la nuit. Les Celtes d’esprit sont le doigt qui désigne la lune, car vue de leur île, elle apparaît si proche de la terre qu’on peut en voir le relief, mais la réalité les dépasse et leur rôle est de l’ordre du témoignage, non du commandement.
Debout les morts (Péricard 1915), nation sainte, nation sacerdotale, nation hyperboréenne, langue élue des dieux, et peuple voué à la vérité, car le combat pour la vérité n’incombe pas qu’aux seuls druides, vates, vellèdes ou gutuatres/gutumatres, car depuis sa cérémonie du nom tout druidisant participe d’office à cette fonction sacerdotale et royale hyperboréenne du peuple celte tout entier.
Le Renan de la prière sur l’Acropole, et non de la définition de la nation dont nos élites ont fait un oxymoron vide de sens en faisant l’impasse sur son prérequis essentiel et pourtant longuement traité, que nous rappellerons également ici néanmoins tant elle a failli être définitive ; avait raison qui voyait
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en nos frères, dans les vaincus de toutes ces guerres, mythologie, lyrisme, épopée, imagination romanesque, enthousiasme religieux. Renan qui ajoute : « Pourquoi la réflexion leur manquerait-elle maintenant ? »
Ci-dessous la conception de la nation d’Ernest Renan débarrassée des quelques lignes explosives qui ont malheureusement provoqué son autodestruction (en recourant au procédé bien connu de « l’arbre qui cache la forêt », la forêt des bonnes idées sur ce qu’est une nation).
« Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. L'homme, Messieurs, ne s'improvise pas. La nation, comme l'individu, est l'aboutissant d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements. Le culte des ancêtres est de tous le plus légitime ; les ancêtres nous ont faits ce que nous sommes. Un passé héroïque, des grands hommes, de la gloire (j'entends de la véritable), voilà le capital social sur lequel on assied une idée nationale. Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple. On aime en proportion des sacrifices qu'on a consentis, des maux qu'on a soufferts. On aime la maison qu'on a bâtie et qu'on transmet. Le chant spartiate : « Nous sommes ce que vous fûtes ; nous serons ce que vous êtes» est dans sa simplicité l'hymne abrégé de toute patrie.
Dans le passé, un héritage de gloire et de regrets à partager, dans l'avenir un même programme à réaliser ; avoir souffert, joui, espéré ensemble, voilà ce qui vaut mieux que des douanes communes et des frontières conformes aux idées stratégiques ; voilà ce que l'on comprend malgré les diversités de race et de langue. Je disais tout à l'heure : « avoir souffert ensemble » ; oui, la souffrance en commun unit plus que la joie. En fait de souvenirs nationaux, les deuils valent mieux que les triomphes, car ils imposent des devoirs, ils commandent l'effort en commun.
Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par [censuré]
À l'heure présente, l'existence des nations est bonne, nécessaire même. Leur existence est la garantie de la liberté, qui serait perdue si le monde n'avait qu'une loi et qu'un maître.
Par leurs facultés diverses, souvent opposées, les nations servent à l'œuvre commune de la civilisation ; toutes apportent une note à ce grand concert de l'humanité, qui, en somme, est la plus haute réalité idéale que nous atteignions. Isolées, elles ont leurs parties faibles. Je me dis souvent qu'un individu qui aurait les défauts tenus chez les nations pour des qualités, qui se nourrirait de vaine gloire ; qui serait à ce point jaloux, égoïste, querelleur ; qui ne pourrait rien supporter sans dégainer, serait le plus insupportable des hommes. Mais toutes ces dissonances de détail disparaissent dans l'ensemble. Pauvre humanité, que tu as souffert ! que d'épreuves t'attendent encore ! Puisse l'esprit de sagesse te guider pour te préserver des innombrables dangers dont ta route est semée !
Je me résume, Messieurs. L'homme n'est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d'hommes, saine d'esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s'appelle une nation. Tant que cette conscience morale prouve sa force par les sacrifices qu'exige l'abdication de l'individu au profit d'une communauté, elle est légitime, elle a le droit d'exister. Si des doutes s'élèvent sur ses frontières, consultez les populations disputées. Elles ont bien le droit d'avoir un avis dans la question… Peut-être, après bien des tâtonnements infructueux, reviendra-t-on à nos modestes solutions empiriques. Le moyen d'avoir raison dans l'avenir est, à certaines heures, de savoir se résigner à être démodé ».
Mais revenons à nos moutons. Comme d’après Diodore les peuples spirituellement hyperboréens ont toujours fait preuve de beaucoup d’intérêt envers les Grecs et que ces sentiments remontent à des temps très reculés puisqu’un de nos druides primordiaux Abarix aurait voyagé en Grèce pour y déposer une flèche magique dans le temple délien d’Apollon, interpretatio graeca de notre Belin/Belen ou Abellio national, ci-dessous quelques lignes de la prière sur l’Acropole du poète né de parents barbares, chez les Cimmériens bons et vertueux qui habitent au bord d'une mer sombre, hérissée de rochers, toujours battue par les orages. On y connaît à peine le soleil; les fleurs sont les mousses marines, les algues et les coquillages coloriés qu'on trouve au fond des baies solitaires. Les nuages y paraissent sans couleur, et la joie même y est un peu triste; mais des fontaines d'eau froide y sortent
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du rocher, et les yeux des jeunes filles y sont comme ces vertes fontaines où, sur des fonds d'herbes ondulées, se mire le ciel. Mes pères, aussi loin que nous pouvons remonter, étaient voués aux navigations lointaines, dans des mers que tes argonautes ne connurent pas. J'entendis, quand j'étais jeune, les chansons des voyages polaires; je fus bercé au souvenir des glaces flottantes, des mers brumeuses semblables à du lait, des îles peuplées d'oiseaux qui chantent à leurs heures et qui, prenant leur volée tous ensemble, obscurcissent le ciel. Des prêtres d'un culte étranger, venu des Syriens de Palestine, prirent soin de m'élever. Ces prêtres étaient sages et saints. Ils m'apprirent les longues histoires de Cronos, qui a créé le monde, et de son fils, qui a, dit-on, accompli un voyage sur la terre. Leurs temples sont trois fois hauts comme le tien, ô Eurhythmie, et semblables à des forêts; seulement ils ne sont pas solides; ils tombent en ruine au bout de cinq ou six cents ans; ce sont des fantaisies de barbares, qui s'imaginent qu'on peut faire quelque chose de bien en dehors des règles que tu as tracées à tes inspirés ô Raison. Mais ces temples me plaisaient; je n'avais pas étudié ton art divin; j'y trouvais Dieu. On y chantait des cantiques dont je me souviens encore: «Salut, Étoile de la mer… reine de ceux qui gémissent en cette vallée de larmes.» Ou bien: «Rose mystique, Tour d'ivoire, Maison d'or, Étoile du matin…» Tiens, déesse, quand je me rappelle ces chants, mon cœur se fond, je deviens presque apostat. Pardonne-moi ce ridicule; tu ne peux te figurer le charme que les magiciens barbares ont mis dans ces vers, et combien il m'en coûte de suivre la raison toute nue ».
Suivent quelques lignes en l’honneur de l’interpretatio Graeca de la Mère des Gaëls, notre Brigitte nationale que nous n’avons aucune raison de censurer.
« Ô Déesse dont le culte signifie raison et sagesse, toi dont le temple est une leçon éternelle de conscience et de sincérité, j'arrive tard au seuil de tes mystères; j'apporte à ton autel beaucoup de remords. Pour te trouver, il m'a fallu des recherches infinies. L'initiation que tu conférais à l'Athénien naissant par un sourire, je l'ai conquise à force de réflexions, au prix de longs efforts……..
Si tu savais combien il est devenu difficile de te servir! Toute noblesse a disparu. Les Scythes ont conquis le monde. Il n'y a plus de république d'hommes libres; il n'y a plus que des rois issus d'un sang lourd, des majestés dont tu sourirais.
[ici se greffe une longue évocation par Renan, mais en des termes très littéraires de son travail de démystification du christianisme] …
J'ai écrit, selon quelques-unes des règles que tu aimes, ô Théonoé, la vie du jeune dieu que je servis dans mon enfance; ils me traitent comme un Évhémère; ils m'écrivent pour me demander quel but je me suis proposé; ils n'estiment que ce qui sert à faire fructifier leurs tables de trapézites. Et pourquoi écrit-on la vie des dieux, ô ciel! Si ce n'est pour faire aimer le divin qui fut en eux, et pour montrer que ce divin vit encore et vivra éternellement au cœur de l'humanité?
Te rappelles-tu ce jour, sous l'archontat de Dionysodore, où un laid petit Juif, parlant le grec des Syriens, vint ici, parcourut tes parvis sans te comprendre, lut tes inscriptions tout de travers et crut trouver dans ton enceinte un autel dédié à un dieu qui serait le dieu inconnu. Eh bien, ce petit Juif l'a emporté; pendant mille ans, on t'a traitée d'idole, ô Vérité; pendant mille ans, le monde a été un désert où ne germait aucune fleur. Durant ce temps, tu te taisais, ô Salpinx, clairon de la pensée. Déesse de l'ordre, image de la stabilité céleste, on était coupable pour t'aimer, et, aujourd'hui qu'à force de consciencieux travail nous avons réussi à nous rapprocher de toi, on nous accuse d'avoir commis un crime contre l'esprit humain en rompant des chaînes dont se passait Platon.
Toi seule es jeune, ô Cora; toi seule es pure, ô Vierge; toi seule es saine, ô Hygie; toi seule es forte, ô Victoire. Les cités… énergie de Zeus, étincelle qui allumes et entretiens le feu chez les héros et les hommes de génie, fais de nous des spiritualistes accomplis. Le jour où les Athéniens et les Rhodiens luttèrent pour le sacrifice, tu choisis d'habiter chez les Athéniens, comme plus sages. Ton père cependant fit descendre Plutus dans un nuage d'or sur la cité des Rhodiens, parce qu'ils avaient aussi rendu hommage à sa fille. Les Rhodiens furent riches; mais les Athéniens eurent de l'esprit, c'est-à-dire la vraie joie, l'éternelle gaieté, la divine enfance du cœur.
Le monde ne sera sauvé qu'en revenant à toi, en répudiant ses attaches barbares. Courons, venons en troupe. Quel beau jour que celui où toutes les villes qui ont pris des débris de ton temple, Venise, Paris, Londres, Copenhague, répareront leurs larcins, formeront des théories sacrées pour rapporter
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les débris qu'elles possèdent, en disant : «Pardonne-nous, O déesse! C'était pour les sauver des mauvais génies de la nuit», et rebâtiront tes murs au son de la flûte….
* Zimbabwe. Note retirée par les héritiers de Pierre de La Crau. La politique de Robert Mugabé, grâce à l’aide de la communauté internationale, ayant réussi à chasser tous les Blancs de ce pays, cela risque d’être assez difficile aujourd’hui.
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BUAÏDH N° 13.
NE RIEN FAIRE DE BAS OU AVOIR LE SENS DE L’HONNEUR (eniepos).
« Les druides ont formulé leur enseignement sous forme de courtes sentences énigmatiques, recommandant par exemple d’honorer les dieux, de ne rien faire de bas, et d’être un homme, un vrai » (Diogène Laerce. Vies et doctrines des philosophes célèbres. Livre I, prologue 6).
« Ne rien faire de mal… » Par conséquent, ne rien faire de déshonorant. Les « enfants du déshonneur » nous sont nommément cités dans un texte irlandais, la Tochmarc Luaine, transcrivant d’ailleurs comme tant d’autres une longue tradition orale préalable : ce sont l’avarice, le refus, le déni, la dureté, la rigueur, la rapacité… (traduction Withley Stokes). De quoi donner matière à maintes triades…
Jullian a raison de noter que « la fierté ainsi que le souci de sa gloire demeurent, jusqu’à ce que l’Humanité acquière une vertu plus haute, les principaux motifs de progrès qui soient déposés en nous ». « La gloire est aussi un des ressorts de la vie en commun ; avec son opposé la honte (le massacre des prisonniers à Azincourt), elle maintient les hommes et d’abord les chefs, dans le droit chemin ».
Le terme gaélique cliu est souvent traduit par honneur, et cela est tout à fait exact au regard de la définition historique de l'honneur en tant que réputation et statut. Mais nous serions dans l’erreur si nous en faisions simplement le fait d’avoir personnellement et clairement conscience de ce qui est juste ou injuste, ainsi qu’on le pense souvent aujourd'hui. Cette dignité personnelle ne doit pas être confondue avec la dignité humaine en général. L’honneur c’est l’image que chacun a de lui-même et qu’il veut que les autres aient de lui, c’est l’estime de soi, qui évidemment est différente d’un individu à l’autre, et peut changer, augmenter ou diminuer, et dépend grandement de l’influence d’autrui.
Concrètement donc l’honneur peut s’analyser comme un capital symbolique ; dans la mesure où tout homme possède par définition de l’honneur et qu’en même temps cet honneur est susceptible de varier, on peut parler d’un capital fixe et d’un capital variable, pour continuer la métaphore économique.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire plus haut, les deux fonctions jumelles du fili (poète) étaient à l’instar des prophètes de la Bible la louange et la satire. Si quelqu'un a accompli un acte honorable, le barde chante ses louanges. Ce n’est pas de la lèche (sic. Le mot est de nos amis de Druid network). Si cette bonne action est passée sous silence, personne d'autre n’en tendra parler, et personne d’autre ne sera donc incités à faire de même, le bien ne se répandra jamais. En outre, une personne qui reçoit des éloges pour ce qu’elle a fait sera beaucoup plus encline à agir de nouveau ainsi, que celle qui est constamment oubliée ou ignorée. Inversement, un acte déshonorant qui passe inaperçu laisse les autres ignorer l’identité de son auteur et donc toujours vulnérables à ses abus. En outre, ceux qui envisagent de faire de même peuvent se sentir encouragés à agir aussi lamentablement à volonté tout en échappant à ce qu’ils mériteraient. La satire est également une façon de rendre justice à la victime, la reconnaissance publique que ce qui a lui été fait était incontestable une honte. Cet accomplissement par la parole n’est donc pas vraiment le fait d’utiliser des mots rares ou précieux, mais le fait de parler (en louant ce qui est bon, en stigmatisant ce qui est mauvais), d’avoir l’audace de poser des questions ou d’exprimer des idées. Le silence n’était pas d’or chez nos ancêtres !
Dans le droit médiéval irlandais, toute atteinte à l’honneur d’autrui était réprimée, y compris l’agression verbale.
Cela incluait tout un éventail d’insultes, comme le fait de se moquer de l’apparence physique de quelqu’un, d’inventer un sobriquet qui restait, ou de composer, voire de répéter, une satire. Le simple fait de se moquer par gestes des défauts de quelqu’un pouvait rendre un individu coupable de satire.
On avait à l’époque une conception de la liberté de la presse plus restrictive qu’aujourd’hui en la matière.
La satire pouvait être publiquement retirée en composant un poème de louange. Un tel acte annulait la satire initiale.
Une satire pouvait être légale, et être utilisée comme instrument de justice, car cela constituait aussi un moyen de pression, en particulier contre les gens de haut rang.
Pour avoir satirisé une personne (« áerad », frapper ou « rindad », couper), l’amende équivalait au paiement du prix complet de l’honneur de la victime.
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Et si quelqu’un faisait l’objet d’une satire après sa mort, le prix de son honneur complet devait être payé à sa parenté, comme s’il était toujours vivant.
Si une personne, surtout un roi ou un noble, tolérait une satire, il perdait le prix de son honneur. Si la satire était injuste, il devait obtenir compensation de l’offenseur, sinon il devait offrir un gage assurant qu’il paierait désormais toutes les amendes dues.
Le mot irlandais classique qui est habituellement traduit par « honneur » est « oineach », un terme qui (via la forme « ainech ») remonte au vieil irlandais « enech » mot signifiant à l'origine « face » (du vieux celtique «eniequos ») – apparenté au gallois «wyneb », au cornique et au breton (de même sens) « enep ». La notion d’honneur est ainsi principalement liée à celle de la « face » qui doit être montrée aux yeux de la communauté. Un concept étroitement lié, souvent mentionné dans les mêmes contextes, est celui de « clú » (« réputation » ou « renommée »), qui vient d’une racine indo-européenne signifiant « entendre » et donc se réfère à ce que l’on raconte à propos de quelqu'un. Être honorable, donc, c’est quand on peut sauver la « face » vis-à-vis du groupe et quand on « parle » de vous en bien. Le déshonneur surgit quand on perd la « face » et quand on « parle » de vous en mal. Le terme « enech » exprime aussi l'idée de pouvoir personnel, puisque, tant que l’on n’a pas « perdu la face » on est en mesure d'influencer les autres membres du groupe. C’est ainsi que des personnes ou des choses dont vous êtes responsables ou qui sont placées sous votre protection peuvent être dites comme étant « sur » ou « sous » votre « face ». Lorsque vous perdez la « face », bien sûr, vous n'êtes plus en mesure d'assurer cette protection. Ce qui ressort de tout cela donc c’est un sens de l'honneur et du déshonneur très dépendant du groupe, plutôt que des codes d'honneur personnels qui sont plus caractéristiques de notre manière moderne de penser » (Imbas.org Alexei Kondratiev. Valeurs celtiques).
Christopher Thompson dans un bref article publié par la nouvelle Tara canadienne a également consacré à la cliu quelques lignes remarquables.
La Cliu gaélique, ou réputation (littéralement, « ce que l’on entend dire ») était un concept important dans la société gaélique traditionnelle. Dans la société étroitement soudée, fondée sur la parenté, des hautes terres écossaises de jadis, la réputation était un moyen important d’apprécier quelqu’un par rapport aux normes de la communauté. Les attentes du groupe poussaient les individus à être accueillants, honnêtes, fiables, braves et loyaux. Ces critères importaient encore plus pour ce qui est de la noblesse des clans, qui devait faire preuve d’une hospitalité et d’une générosité sans borne envers leur entourage ou les membres de leur clan, ainsi qu’envers la classe des lettrés genre bardes. Les bardes étaient en effet les vrais arbitres de la cliu de la noblesse, les bardes se devaient d'observer les chefs et leurs guerriers, et faire l'éloge de leur générosité ainsi que de leur courage tout en stigmatisant la cupidité, la lâcheté, ou les comportements déshonorants. La peur d’une satire de barde constituait un important contre-pouvoir à la puissance des classes dirigeantes.
Les textes que nous avons assimilent systématiquement les cainte ou satiristes à des sorciers. C’est là sans doute une interprétation due au christianisme. Le cainte n’est pas un sorcier au sens strict du terme. C’est un barde qui, au lieu de chanter les louanges de quelqu’un, compose une satire à son sujet. Dans une société comme la société celtique antique où l’on avait vraiment au plus haut point le sens de l’honneur et de la dignité personnelle -rien à voir avec le monde politique d’aujourd’hui, où ne subsistent plus que bassesse et flagornerie envers le pouvoir, où l’on répète sans vergogne à l’adresse des citoyens que deux plus deux ça fait 3, ou 5, quand le chef ou le puissant du jour en a décidé ainsi 1) - de telles satires étaient catastrophiques pour la réputation des grands, car ces poèmes du genre pamphlet ou libelle circulaient. D’où ensuite perte de crédit, d’influence, d’alliés même, ce qui pouvait vite très mal finir (la défaite assurée lors de la prochaine confrontation armée faute d’effectifs ou de soutiens suffisants??) …
Les bardes de village improvisés remplissaient la même fonction pour les membres ordinaires du clan. Une chanson ou un poème moqueur pouvaient détruire la réputation d'un homme à jamais, tandis qu'un chant de louange pouvait littéralement préserver sa mémoire pendant des siècles.
Citations diverses sur l’honneur maintenant.
« Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée ». Le prince galate Déiotaros expliqua un jour à Cicéron pour se justifier de ne pas avoir été arriviste ou opportuniste au point de rallier le parti de
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César (De la divination. Livre I, chapitre XV) que pour lui le sens de l’honneur ou le sens de sa dignité personnelle lui importait plus que la fortune : « Ma réputation m’importe plus que ma richesse ».
Plus près de nous.
Dáig níbá miad nó níba maiss leiss echrad nó fuidb nó airm do brith óna corpaib no marbad. Car il [Cuchulainn] ne lui semblait pas honorable de prendre les chevaux les habits ou les armes des cadavres de ceux qu’il avait tués.
Duxtir/Dexivatera/Dechtire ainsi que Catubatuos/Cathbad le supplièrent de reporter son départ et d’attendre Conall ; mais il [Cuchulainn] leur répondit : je n’attendrai certes pas, car ma vie et mes triomphes sont arrivés à leur terme ; je ne sacrifierai pas mon renom et mes vertus guerrières pour les vains mensonges de ce monde, considérant que depuis le jour où j’ai eu les armes d’un guerrier en main je n’ai jamais fui un combat ou une bataille. Et maintenant donc plus que jamais, car ma gloire sera moins éphémère que ma vie.
Thomas Mathewson dans son nouveau traité consacré à l’épée à garde en panier en 1805 (Cité par Brian Walsh le fondateur de la Nouvelle Tara canadienne) a évoqué ce genre d’éthique fondée sur le qu’en-dira-t-on et qui est celle que nous trouvons dans la notion gaélique de cliu. Les facteurs déterminant cette cliu sont nombreux. Il n’existe aucune liste précise comme dans le code des Samouraïs ou Boushido. Il existe néanmoins de nombreuses sources nous permettant de l’appréhender. Proverbes gaéliques, poésie, légendes savoir traditionnel, nous en fournissent tous de nombreux exemples.
L’honneur est donc toujours un effort, c’est-à-dire une force, une puissance, ce qui lie la notion de façon inéluctable à l’action. L’honneur est à conquérir, mais surtout à défendre.
-L’officier anglais : « Vous autres Français, vous vous battez pour l’argent – tandis que nous, Anglais nous nous battons pour l’honneur ! »
-Surcouf : « Monsieur, chacun se bat pour ce qui lui manque le plus ».
L'honneur peut donc être défini comme un lien entre une personne et un groupe social qui lui donne son identité. L'honneur se gagne par des actes admirés par la collectivité ; et la honte la conséquence d'actes méprisés. En ce sens, l'honneur est un attribut collectif, alors que la vertu est un attribut individuel. Il peut y avoir des vertus secrètes ; d'honneur secret, point.
L’honneur est une valeur collective, puisqu’il dépend de l’estime que l’on a de vous. Les actes d’honneur n’existent que reconnus comme tels par un groupe de gens partageant des valeurs communes. L'honneur, mais surtout le déshonneur et la honte se transmettent aux proches en quelque sorte par contagion.
Et c’est sans doute là une des explications du succès… Cette lettre sera lue en chaire dans les églises et les cathédrales du Royaume et le résultat ne se fit pas attendre, les paysans et petits artisans s’engagèrent pendant que des nobles et des bourgeois allèrent jusqu’à vendre leur vaisselle pour financer la levée de régiments et la fabrication d’armes…rencontré par la lettre d’appel au peuple publiée à Paris en 1709 ci-dessous quelques extraits.
« L’espérance d’une paix prochaine était si généralement répandue dans mon royaume que je crois devoir à la fidélité que mes peuples m’ont témoignée pendant le cours de mon règne, la consolation de les informer des raisons qui empêchent encore qu’ils ne jouissent du repos que j’avais dessein de leur procurer…J’avais accepté, pour le rétablir, des conditions bien opposées à…joindre mes forces à celles de La Ligue, et de contraindre le roi, mon petit-fils, à descendre du trône, s’il ne consentait pas volontairement à vivre désormais sans États, à se réduire à la condition d’un simple particulier. Il est contre l’humanité de croire qu’ils aient seulement eu la pensée de m’engager à former avec eux une pareille alliance. Mais, quoique ma tendresse pour mes peuples ne soit pas moins vive que celle que j’ai pour mes propres enfants ; quoique je partage tous les maux que la guerre fait souffrir à des sujets aussi fidèles, et que j’aie fait voir à toute l’Europe que je désirais sincèrement de les faire jouir de la paix, je suis persuadé qu’ils s’opposeraient eux-mêmes à la recevoir à des conditions également contraires à la justice et à l’honneur du nom ….Je veux en même temps que mes peuples, dans l’étendue de votre gouvernement, sachent de vous qu’ils jouiraient de la paix, s’il eût dépendu seulement de ma volonté de leur procurer un bien qu’ils désirent avec raison, mais qu’il faut acquérir par de nouveaux efforts, puisque les conditions immenses que j’aurais accordées sont inutiles pour le rétablissement de la tranquillité publique… Puisqu’il faut faire la guerre, j’aime mieux la faire à mes ennemis qu’à mes enfants… » Le maréchal de Villars lit la lettre à ses troupes, résultat bataille de Malplaquet le 11 septembre 1709.
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Cette conception de l’honneur est conforme avec la notion d’honneur telle qu’on l’a comprise en Europe et en Amérique jusqu'à la fin du 20e siècle, quand l'ère des duels a pris fin, et que la conception individualiste de l'honneur est devenue dominante.
La définition du sens de l’honneur dans l’ancien druidisme nous dit finalement peu de choses sur ce qu’est l’honneur, si ce n’est de manière négative : ne rien faire de bas. Sans le fardeau de la honte et de l’infamie, donc des bardes spécialisés dans la satire, l’honneur ne serait qu’une abstraction.
Qu’il soit permis au très sachant débutant que je suis de remarquer néanmoins qu’aujourd’hui, et à la différence de ce qu’écrit notre camarade reconstructionniste Alexei Kondratiev d’Imbas.org, à propos de l’ancien druidisme ; le sens de l’honneur doit jouer même quand on est seul à savoir ce que l’on a fait ou pas, que le sens de l’honneur doit également peser dans le secret des consciences. Car l’honneur doit être aussi un sentiment individuel, subjectif. Ce n’est pas trahir l’esprit de l’ancien druidisme que de prôner une telle attitude, ce n’est que réaliser ce qui était sa vocation de grain de blé dans les consciences : germer pousser et mûrir.
Ainsi que nous l’avons vu plus haut, le terme irlandais habituellement traduit par « honneur » est « oineach » qui, par l’intermédiaire de la forme « ainech » remonte en définitive au vieil irlandais « enech » signifiant originellement « la face » (vieux celtique eniequos). Gallois « wyneb », Breton « enep » (même signification). L’idée de base est donc de ne pas perdre la face ou de sauver la face. Le terme « enech » exprime aussi l’idée d’autorité, d’influence, de crédibilité, ou de respect. On écoute en effet plus volontiers quelqu’un dont on dit beaucoup de bien, que quelqu’un dont on dit beaucoup de mal. On ne s’en prend ni à ses biens ni à ses gens. Quand on perd la face par contre, une telle protection disparaît.
Le concept connexe, souvent mentionné dans ce contexte, est celui de « clú » (« réputation » ou « renom »), lequel vient d’une racine indo-européenne « entendre » et se réfère ainsi à ce qui est dit de quelqu’un. Être honorable dans ce cas signifie jouir d’une bonne réputation. Personne ne dit de mal de vous.
Les diverses bases de cet honneur ont été passées en revue plus haut : la loyauté, le sens de la parole donnée, etc.
Nous ignorons si la loi pénale punissait le mensonge et la fourberie, mais nous savons que les compatriotes d’Indutiomaros, ainsi que le note scrupuleusement Albert Bayet « se lient volontiers par des serments 2). Les Commentaires nous en donnent de nombreux exemples. La preuve qu’ils doivent respecter leur serment, que la morale commune les y oblige, c’est qu’au cas où ils manquent à leur parole, on ne craint pas de faire périr les otages qu’ils ont livrés. Dans un récit de Parthenios de Nicée, une femme mariée répondant au nom d’Erippè se retrouve un jour enlevée par des Galates. Son mari apporte la rançon demandée. Mais ladite Erippè, se souciant peu de repartir avec son légitime époux, demande au Galate de le tuer puis de garder l’argent. Le Galate, indigné d’une telle mauvaise foi, la tue lui-même.
Cette légende citée par Albert Bayet, par ses outrances mêmes, nous prouve que la loyauté était bien déjà dès cette époque considérée comme une règle éthique fondamentale.
La possibilité de prêts remboursables dans l’Autre Monde est également une preuve de l’importance de cette loyauté dans l’éthique druidique. Bayet d’ailleurs est catégorique à cet égard en ce qui concerne un autre domaine : le respect des traités. « En principe, il n’est pas douteux que le respect des traités ne soit prescrit. La preuve en est que souvent les parties se lient par serment et échangent des otages. Au moment du grand soulèvement, les délégués prêtent serment « autour des étendards réunis en faisceaux » 2. Il est évident que des traités de ce genre doivent théoriquement être respectés » (Albert Bayet).
Il n’est pas faux donc, bien au contraire, d’affirmer que l’honneur est le moteur de tous les sentiments et de tous les gestes du guerrier celte. Thurneysen avait déjà noté en son temps – et il serait facile d’en produire maints exemples — que le héros celte mettra toujours un point d’honneur à respecter la geis qu’il s’est donnée, même au prix de sa vie ; car chez les Celtes la vie est subordonnée à l’honneur.
L’éthique druidique de la guerre (fir fer) exigeait par exemple que tout combat se passe à égalité d’armes et sans attaque par surprise (il devait être précédé par une déclaration d’intention en bonne et due forme : un défi ou des provocations, voire des insultes). Celui qui avait été défié en duel devait affronter seul son adversaire. Personne ne devait intervenir dans un tel combat. Et avant de commencer, les adversaires devaient se mettre d’accord sur les règles à suivre : combat à mains nues ou avec des armes, combat à mort ou devant s’arrêter au premier sang versé, etc.
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Ainsi que nous avons pu le voir, les druides enseignaient même le respect des simplets ou des malades mentaux comme Suibhne en Irlande ; une des maximes des fénianes étant formelle à ce sujet. « Ne t’en prends jamais à un fou durant le combat, parce qu’il est simple d’esprit ». Noblesse oblige en effet ! Si un des adversaires ne respectait pas les règles, le fir fer cessait de droit, et toutes les parties devaient intervenir pour faire cesser le combat.
L’honneur était donc une valeur très importante pour les druides qui lui accordaient littéralement un grand prix (en têtes de bétail par exemple). On ne badinait pas avec les plaisanteries à ce sujet. La fierté en ce temps-là était la règle générale (on n’avait pas comme aujourd’hui, après 2000 ans de christianisme, que l’on soit rouge blanc ou noir, à rougir de sa race, de ses ancêtres, de son métier, ou de n’importe quoi d’autre. En être fier était légitime). Le prouvent certaines étymologies de l’anthroponymie antique. Aclutius « très-renommé ». Ueni-clutius « renommé par sa lignée ». Cluto-rigi « roi fameux ». Ueru-cloetius « à la vaste renommée ».
L'IMPORTANCE DE L'HONNEUR ET DONC DU SENS DE L'HONNEUR dans la société celtique de jadis est démontrée amplement par le fait que le droit de l'époque traitait beaucoup DU PRIX DE CET HONNEUR suivant le rang social ou la richesse des individus.
Le droit brehon est le plus ancien droit connu en Irlande. On le retrouve dans de nombreux manuscrits. La plus importante des compilations est le Senchus Mor.
Un autre ouvrage intitulé « Crith Gablach » nous fournit également d’utiles précisions à ce sujet.
Dans ces ouvrages la notion d’honneur est évoquée par le terme enech qui signifie également « face ». Comme dans l’expression « sauver la face » ou « perdre la face ».
Enech était également un terme juridique lié à la conformité aux normes sociales ou guerrières appropriées et à la véracité en général. Parmi les termes étroitement liés, on peut citer : óg n-enech prix de l’honneur ou cacc fora enech (le fait de ne pas réfuter une satire diffamatoire, de porter un faux témoignage ou de se soustraire à des cautions, entraîne « des excréments sur le visage »).
Il s’agissait de quelque chose de si précis qu’un tarif financier très détaillé lui était associé, un barème monétaire ayant prévu tous les cas de figure. Cette « valeur monétaire » des individus servait à calculer le montant des dommages et intérêts qui leur étaient dus en cas de blessures physiques (ou morales). Ou qui étaient dus à leur famille s’il y avait eu homicide. Elle entrait aussi en ligne de compte quand ils se portaient cautions.
Le prix de l’honneur d'une femme dépendait généralement de celui de son responsable légal, à savoir son père puis son mari.
N.B. Ça, c’était ce qui était admis par l’ancien druidisme. Une situation à la musulmane.
Mais rien n’empêche des femmes ou des hommes d’esprit celte contemporains de préférer une stricte égalité des droits dans le couple.
Ce qui est sûr c’est que dans les temps anciens la nature du mariage contracté contribuait à déterminer le prix de l’honneur d’une femme ou d’un homme marié et donc ce qu’était une conduite honorable ou au contraire déshonorante.
L’ancien droit irlandais distinguait plusieurs types d’union entre un homme et une femme selon les apports respectifs des conjoints.
Lanamnas for ferthinchur : « union avec apport (sous-entendu supérieur) du mari ».
Lanamnas for banthinchur : « union avec apport (sous-entendu supérieur) de la femme ».
Lanamnas for comthinchur : « union avec apport égal ».
La forme de mariage la plus respectable était celle où la femme et le mari étaient de même rang et de même richesse. C'était la forme normale du mariage pour la noblesse (air túise). Les femmes de cette catégorie étaient appelées cémuinter, ce qui signifie « propriétaire » ou « chef de famille », bien que le terme puisse également s'appliquer au mari. Dans ces mariages, la femme contribuait à hauteur d'un tiers ou de la moitié aux biens du couple.
1) Seconde nature des politiques pourtant qui n’ont aucune conviction personnelle à part être du côté du pouvoir. Et s’il faut pour cela expliquer que le chef a raison quand il affirme que deux plus deux = cinq alors on explique gravement que 2 + 2 = 5. Vous avez des doutes ? On feint de voir Satan ou de l’Hitléro-trotskisme dans votre scepticisme, avant d’affirmer deux ou trois ans plus tard d’ailleurs qu’on a toujours dit ça (que 2+ 2 = 4). La période 2007-2012 en France a été remarquable à cet égard.
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2) Un des plus anciens rituels connus (gaélique oeth, gallois tyngu). C’est un engagement pris devant la Divinité, normalement assorti de l’acceptation d’une sanction ; en cas de défaillance si la promesse était positive (je jure de faire ceci ou cela) ; ou de transgression s’il s’agissait d’une interdiction faite à soi-même.
Le contenu d’un tongoïto (d’un serment) peut donc être analogue à celui d’une geis, le serment n’étant jamais qu’une geis que l’on se donne.
L’un est spontané et vient de soi-même, l’autre est donnée ou notifiée par un druide.
La formule de l’oïto (du serment) commence généralement par « je jure par le dieu sur lequel jure ma communauté » ou si l’on veut, moins mot à mot : « Je jure par le dieu qu’invoque ma tribu ». En gaélique médiéval, c’est devenu la formule très répétitive : « Tongu do dia toingeas mo tuath ».
Il est facile par remontée étymologique de retrouver sa formulation probable dans la langue antique : « Touongo adge deuu iom touongeti ma touta », référence est ainsi faite au dieu-ou-démon ancêtre et divinité tutélaire de la tribu en question, au « toutatis » local, divinité veillant aussi au respect des contrats et des serments, une attribution parmi d’autres. Mais pour un athée ou un agnostique, le serment peut, sans problème, être prêté sur son honneur.
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BUAÏD N° 14 : LA SIMPLICITÉ.
« Des tempéraments qui ne savent ni faire la cour ni flatter, mais seulement se comporter en homme libre et simple, également avec tout le monde ». Julien. Le Misopogon ou « ennemi de la barbe ».
À en croire les auteurs grecs et romains, nos ancêtres spirituels se distinguaient par leur manque de modestie voire leur vantardise ou leur arrogance.
Notamment dans deux circonstances précises : les préliminaires d’une bataille ou des duels, et les harangues politiques. Donc acte !
Mais rien ne nous dit qu’il en allait de même dans la vie quotidienne. Le grand empereur Julien (331-363) nous dit même précisément le contraire dans son Misopogon.
« Ne soyez donc pas surpris si je suis aujourd’hui dans les mêmes sentiments vis-à-vis de vous, car je suis plus sauvage que lui, et plus farouche ou têtu en proportion, comme le sont les Celtes par rapport aux Romains. Lui était né à Rome et avait vécu parmi les citoyens romains jusqu’au seuil de sa vieillesse. En ce qui me concerne, j’ai dû le faire parmi les Celtes et les Germains en pleine forêt d’Hercynie, dès que je fus considéré comme adulte, et j’ai vécu avec eux pendant longtemps, comme un chasseur associé ou mêlé aux bêtes fauves. Là j’ai rencontré des tempéraments qui ne savent ni faire la cour ni flatter, mais seulement se comporter en homme libre et simple, également avec tout le monde [en grec haplos de kaì eleutheros ek tou ísou pasi prospheresthai] ».
À PROPOS DE NOTRE COMMENTAIRE DE LA COUR FAITE À FERB (TOCHMARC FERBE).
Sualtam, sans être un mauvais guerrier, n’était pas un surhomme, c’était un bon et brave guerrier sans plus. « Is amlaid ra boí Sualtaim acht nírbo drochláech é & nírbo degláech acht múadóclách maith ritacaemnacair ».
À en croire les antiques légendes irlandaises, une des vieilles sorcières ayant précipité la fin de notre Seigneur (de Muirthemné) lui aurait dit alors qu’il arrivait à leur hauteur :
- « Viens nous rendre visite, ô Hésus Cuchulainn ».
-Je ne vous rendrai certainement pas visite, répondit le Hésus Cuchulainn.
-Il n’y a que du chien à manger, répondit-elle. Si c’était de la grande cuisine, tu nous rendrais certainement visite. Mais comme ce n’est ici qu’un très modeste foyer, tu ne viens pas. Ni tualaig mór nad ulaig no nad geib in bec. Ceux qui ne sont pas capables de supporter ou d’endurer le petit ne sont pas capables de grand-chose.
On nous a beaucoup reproché ce qui suit dans notre commentaire de la cour faite à Ferb (Tochmarc Ferbe contre-lai N° 59) : « Pour tout ce qui dépend d’un bon javelot… Que l’on permette au chercheur en druidisme que je suis d’être un peu lassé par : cette propension à se servir surtout de ses muscles au lieu de sa tête ; l’éternel manque de modestie de toutes ces rodomontades guerrières ; le cycle infernal et sans fin des vengeances.
Il va de soi qu’une mauvaise action doit toujours être punie et que c’est bien là un indispensable renforcement de toute éthique qui se respecte (à la différence du curieux principe chrétien consistant à tendre l’autre joue) ; mais l’application du principe basique de la responsabilité collective doit aussi se faire avec discernement, et en ayant toujours à l’esprit de ne pas susciter des vendettas sans fin.
Quant à la modestie de tous ces guerriers ou milieux guerriers, bien comparable au comportement de nos actuels hommes politiques de par le monde (il suffit de voir les rodomontades ou l’arrogance de l’actuel président français, M. Nicolas Sarkozy de Nagy Bocsa), le chercheur en druidisme que je suis n’oubliera pas d’y revenir. Rappelons en outre qu’il va de soi qu’on ne saurait attendre d’un guerrier ou d’un combattant, la modestie d’un sage. Ce n’est pas pour autant qu’il s’agit d’un défaut. On peut aussi rêver d’une élite combattante (un peu comme les Fénianes) sachant allier aux qualités proprement guerrières des qualités d’un autre ordre d’idées (les fameux douze livres).
La modestie n’est généralement pas ce qui étouffe les hommes ou les femmes au tempérament guerrier ; mais il vaut mieux néanmoins dans de nombreux cas, faire preuve d’un minimum de sagesse (druidique). Car la modestie est aussi une qualité ! Pour les druides en tout cas ! »
Le contraire absolu de la simplicité que nous prônons est donc l’orgueil. L'orgueil est l’opinion très flatteuse, le plus souvent exagérée, qu'on a de sa valeur personnelle aux dépens de la considération due à autrui, à la différence de la fierté qui n'a nul besoin de se mesurer à l'autre ni de le rabaisser.
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L'un n'étant pas possible sans l'autre, on dit que l'orgueil ne se manifeste que lorsque les circonstances n'emmènent pas l’homme ou la femme faisant preuve de fierté, où ils veulent. L'orgueil est donc le revers de la médaille quant à la fierté.
À tout hasard et sans être vraiment convaincu, quelques mots à la Vauvenargues à ce sujet, en tant qu’humble très sachant de notre époque.
Notre langue ne distingue pas suffisamment l’orgueil de la simple et légitime fierté. La principale différence entre les deux tient au motif de ces deux sentiments.
Si le motif de ce sentiment est bien attribuable à ses propres mérites, à son travail, à ses efforts, à ses sacrifices (pas à la chance ou aux hasards de la naissance) est vraiment d’une importance non négligeable, alors on peut parler de fierté.
Si le motif de ce sentiment n’est pas vraiment attribuable à ses propres mérites, à son travail, à ses efforts, à ses sacrifices (mais à la chance ou aux hasards de la naissance, voire à de graves défauts de la personnalité comme le mensonge le vol la déloyauté) ou qu’il est d’une importance négligeable, alors on peut parler d’orgueil (on parle d’ailleurs aujourd’hui d’égo « surdimensionné » ou « décomplexé ».
Toute la difficulté bien sûr est d’apprécier à sa juste valeur l’importance de ce motif de fierté ou d’orgueil ainsi que les mérites qui en sont la cause et l’origine. L’orgueilleux se rend rarement compte ou alors sur le tard, de son orgueil. La fierté par contre n’est nullement incompatible avec la lucidité. On peut être fier de soi pour ce qu'on a réalisé, justement parce que l’on a suffisamment de lucidité pour prendre conscience que l'on a fait beaucoup pour le mériter.
La fierté individuelle est le sentiment qui fait suite à un succès après la conduite d'un projet, d'une action, ayant exigé des efforts pour surmonter des difficultés. Ce sentiment est légitimé par trois critères : - l’engagement personnel dans l'action et/ou le projet à mener - la présence d'épreuves à surmonter - le succès.
Une fierté aussi légitime est bien compréhensible et constitue donc une valeur morale.
On peut être également fier d'appartenir à un clan, un corps de "braves", tel celui des pompiers, ou à une école, une famille ayant construit bien des choses, à la force du "poignet".
Orgueil ou égo surdimensionné sont par contre des maladies, ou boursouflures de l'esprit, du caractère. Être orgueilleux ou avoir un égo surdimensionné c'est avoir le sentiment d'être plus important et plus méritant que les autres, de ne rien devoir à personne, ce qui se traduit par un mépris pour les autres. L'orgueil est une espèce de kyste, qui doit être travaillé afin d'être partiellement ou totalement annihilé, il étouffe celui qui en est pétri, même s'il ne s'en rend pas compte, et pompe purement et simplement l'air des autres.
La modestie n’était pas le principal défaut des Celtes laïcs et les très sachant de la druidiaction antiques devaient sans doute avoir fort à faire en ce domaine. Tout comme ceux d’aujourd’hui d’ailleurs. Notre civilisation ne sait plus ce qu’est la modestie (ardergna ?) et multiplie les égos surdimensionnés (surtout en politique) confondant la (légitime) fierté de ce que l’on a vraiment fait avec l’orgueil (excessif) ou hybris en Grec, du parvenu (qui surestime ses mérites personnels). Quelle époque !
Pour en revenir à une définition plus positive de la simplicité.
La notion druidique de simplicité peut signifier plusieurs choses : (1) Le sentiment de ne pas être grand-chose, d’être petit par rapport au monde qui nous entoure. (2) L’attitude consistant à ne pas se croire au-dessus des choses et des autres et par laquelle on respecte ce dont le hasard, la destinée ou Dieu, selon ses hypothèses personnelles, nous a gratifiés.
N.B. La simplicité, c'est-à-dire la retenue dans la manière de parler de soi, l’absence d'orgueil, de prétention, était certainement une qualité des premiers chevaliers puisqu’ils ne faisaient pas partie de la noblesse à l’origine.
Liberté égalité simplicité avec tout le monde [en grec haplos de kaì eleutheros ek tou ísou pasi prospheresthai] sera donc notre slogan dans cet ouvrage.
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ANCIENNES LOIS ET INSTITUTIONS D’IRLANDE (SENCHUS MOR) TOME 1.
A ro siacht recht aicnid mar nad rochat recht litri.
Le droit naturel était en vigueur avant que n’apparaisse le droit écrit… Le monde était sur un pied d’égalité avant que le Senchus Mor ne se mette en place. La source de toute injustice avant le Senchus Mor était l’égalité devant la loi ????
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LA QUINTUPLE VOIE DU DRUIDISME (5 CONARA FUGILL)
POUR BIEN JUGER ET ÊTRE BIEN JUGÉ.
Nous regrouperons sous ce titre les considérations qui nous semblent nécessaires à la vie en société si l’on en croit un traité de doit irlandais du 8e siècle intitulé Coic Conara Fugill, ce qui signifie littéralement les cinq voies du bon jugement. Les cinq questions que devait sans doute se poser un juge pour bien raisonner. Si l’on en croit le traité de droit intitulé en gaélique Uraicecht Becc datant grosso modo de la même époque cela devait d’ailleurs initialement correspondre tout simplement à la tripartition aryenne.
Vérité (fir). La voie royale par définition.
Devoir (dliged). Rubrique à laquelle on peut rajouter le sens de l’honneur le sens du sacrifice (voie des guerriers).
Justice élémentaire ou droit naturel (cert et aicned).
Choses dues (techta). Ou pas. Troisième fonction, celle des producteurs.
Appel (coir n-athchomaic).
En ce qui nous concerne nous laisserons de côté les arguties juridiques du coir n-athchomairc (appel) pour ne nous occuper que de l’éthique que ces traités de droit impliquent. Voir ci-dessous.
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LES DEVOIRS DE L’HOMME.
DLIGETO. La solidarité jusqu’à l’ambicatu.
Le terme gaélique « dliged » est un des plus ambigus ou ambivalents qui soient.
Le dictionnaire électronique de la langue irlandaise en fait un synonyme de ……une page.
Charles-Edwards, Celtica XXIV 75-78, suggère ce qui suit…
I (a) ce qui revient à un individu, ses droits. i) ce à quoi donne droit un contrat équitable par opposition à naidm ou « caution exécutoire »…
I En vieil irlandais diverses gloses du Lat. ratio traduit fréquemment.
(a) Dans le sens de Lat. ratio, principe directeur, loi ou théorie (considéré comme la base de la croyance ou de l'action).
D'où…
(b) Principe, règle, norme.
(c) Maxime, déclaration faisant autorité.
d) Raison, argument.
(e) Compte, calcul.
(f) Nature, condition, catégorie, usage.
II D'où la loi au sens large, de prescription, code ou tradition fondée sur une autorité quelconque et demandant obéissance ; « à la fois le droit en général et un droit juridique subjectif ».
III Ce qui est licite ou incombe à quelqu’un, devoir, obligation.
IV Ce qui est de droit ou dû (à quelqu'un) ; dû, droite, prérogative.
V Dû, impôt, tribut.
VI La Raison en tant que faculté.
Albert Bayet dans son histoire de la Morale (1930) en fait pourtant un simple synonyme de « devoir » « obligation » « dette ».
Il est vrai que les droits des uns correspondent a contrario évidemment aux devoirs ou aux obligations des autres.
Essayons d’y voir plus clair en élargissant notre point de vue.
La société celtique antique était aux antipodes de la société judéo-chrétienne actuelle, qui est urbanisée, unitaire, égalitariste (ce qui ne signifie pas égalité des chances, mais nivellement par le bas) et complètement individualiste. Elle était fondée sur la solidarité naturelle ou obligatoire de ses membres et sur autre chose que la simple responsabilité individuelle. Cette conception pouvait même dans certaines circonstances aller jusqu’à la notion de responsabilité collective, puisque les membres d’un groupe étaient aussi responsables de ce qu’avait fait un des leurs.
Ainsi que l’écrit la revue multilingue Carn, dans un article sur le droit celtique, un des devoirs collectifs de la tribu était de soutenir ses membres. La tribu prenait donc soin de ceux qui n’avaient personne pour s’occuper d’eux dans la vieillesse, la maladie ou la nécessité. Aucun membre de la tribu, à moins d’être hors-la-loi, n’avait à craindre d’être abandonné dans la gêne.
Cette solidarité sociale obligée allait très loin. Un chapitre de la loi irlandaise particulièrement intéressant, puisqu’il conserve une très ancienne tradition à ce propos, est celui qui concerne l’obligation de soigner les malades.
Il existe deux traités à ce sujet. L’un a pour titre « Jugements dans les affaires de sang » Bretha Crólige (Bretha Crlige) et l’autre « Les jugements de Dian Cecht » (Bretha Déin Chécht).
Le groupe dont il est fait mention le plus souvent dans les textes juridiques, du moins en Irlande, est la derbfine ou « vraie parenté », qui comprend tous les descendants d’un arrière-grand-père commun. Ce groupe a des droits considérables sur ses membres. Chaque groupe parental possède sa terre ancestrale, appelée fintiu, envers laquelle chacun des adultes mâles jouissant de tous ses droits a une certaine responsabilité. Cette terre ne peut être vendue qu’avec le consentement du groupe. Un homme peut annuler les contrats des autres membres de sa parenté en ce domaine s’il pense qu’ils sont préjudiciables audit groupe.
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D’un autre côté, la parenté en question est légalement responsable des infractions commises par ses membres — les biens d’un membre du groupe peuvent être saisis pour payer les dettes d’un autre. Si quelqu’un est assassiné, les parents reçoivent une part de l’eraic (wergeld ou prix du sang), et si le coupable ne paie pas, les membres de la famille peuvent déclencher une vendetta contre lui. L’acte de tuer un membre de sa parenté (fingal) est particulièrement abhorré. L’assassin perd sa part de la terre familiale, mais reste toujours assujetti au paiement des amendes pour les infractions commises par les autres. Le chef de cette famille élargie est appelé ágae fine ou cenn fine (parfois conn fine). Il est choisi parmi la parenté, probablement par élection, sur la base d’une richesse et d’un rang supérieurs ou du bon sens, et il agit et parle au nom de sa parenté dans les grandes occasions.
La parenté maternelle joue aussi un rôle. En se mariant, la femme ne rompt pas tous ses liens avec la famille qui l’a vu naître. La parenté maternelle peut être amenée à prendre part à une vendetta. Si l’enfant d’une de ses filles est tué, si le coupable ne paie pas, elle reçoit une part de l’éraic prévu pour un tel meurtre, et elle doit intervenir si l’éducation d’un enfant n’est pas correctement assurée.
La communauté tout entière en effet doit s’occuper des enfants et ce soin ne doit pas être laissé à la seule famille biologique. D’où le développement généralisé de ce que l’on appelle altrom ou daltachas chez les Celtes (les enfants vont parfaire leur éducation dans d’autres familles, où ils seront traités comme les propres enfants du couple).
On nous rebat les oreilles aujourd’hui avec le statut des orphelins en terre d’islam. Mahomet lui-même ayant été orphelin, il aurait consacré beaucoup d’attention à leur éducation et à leur sort. C’est oublier que nous avons, nous aussi, nos propres traditions chevaleresques en ce domaine (la défense de la veuve et de l’orphelin justement). Très différentes d’ailleurs de l’altrom ou daltachas. Les Français de la fausse France, la France d’avant (qui a disparu corps et âme depuis), avaient en ce domaine inventé une intéressante notion, celle de pupille de la nation. Loi du 29 juillet 1917 article L461 :
La nation adopte les orphelins.
1º Dont le père ou le soutien de famille a été tué.
Soit à l’ennemi.
Soit sur l’un des théâtres des opérations extérieures, postérieurement à la guerre de 1914.
2º Dont le père, la mère, ou le soutien de famille, est mort de blessures, ou de maladies, contractées ou aggravées du fait de la guerre.
Tout membre d’un clan avait droit, venant de sa tribu, à ce qui lui était nécessaire pour gagner sa vie (voir l’exemple antique de l’Ambigatus de Tite-Live).
La communauté doit donc s’occuper intégralement et directement du soin et de l’éducation des orphelins ou des enfants abandonnés, quelles qu’en soient les raisons d’ailleurs ; car le savoir et la culture de chaque individu peuvent contribuer au maintien, voire à l’amélioration, de la société (ils peuvent devenir ingénieurs, inventeurs, magistrats, pédagogues…)
La solidarité entre peuples celtes (due sans doute à cette coutume de l’échange d’enfants) n’était pas un vain mot à la haute époque du druidisme ; comme le prouve la citation qui suit de Tite-Live.
« Vantant dans leur discours la gloire et la valeur du peuple romain, la grandeur de son empire, les ambassadeurs leur demandèrent de ne pas laisser l’armée d’Hannibal traverser leur territoire et leurs villes au cas où elle se dirigerait vers l’Italie ; alors, à ce que l’on raconte, ils partirent d’un tel éclat de rire que les magistrats et les plus âgés eurent bien du mal à calmer la jeunesse, si absurde et insolente leur paraissait cette demande. Penser que pour éviter la guerre en Italie, ils la feraient venir chez eux et qu’ils exposeraient leur territoire aux dévastations pour défendre celui des autres !
Quand le calme fut rétabli, on répondit aux ambassadeurs qu’aucun service rendu par les Romains, aucun outrage de la part des Carthaginois, ne justifiait qu’ils se mobilisent pour les Romains contre les Carthaginois.
AU CONTRAIRE, ILS ENTENDAIENT DIRE QU’EN ITALIE ON EXPULSAIT DE LEURS TERRES ET DE LEUR PAYS DES PEUPLES DE LEUR RACE, QU’ON EXIGEAIT D’EUX UN TRIBUT, ET QU’ON LEUR FAISAIT SUBIR TOUTES SORTES DE VEXATIONS. CE FUT À PEU PRÈS LE MÊME SCÉNARIO DANS LES AUTRES ASSEMBLÉES, IL NE FUT PRATIQUEMENT JAMAIS QUESTION D’AMITIÉ OU DE PAIX [AVEC ROME] AVANT L’ARRIVÉE À MARSEILLE ».
N.D.L.R. Le terme « race » bien entendu est dû au traducteur de Tite-Live et ne convient nullement à cette fondamentale notion d’ambicatu qui n’avait absolument aucun caractère racial ; mais bien plutôt un caractère spirituel (le devoir sacré de lutter pour la justice et la vérité, notions de toute façon liées chez les Celtes).
Et bien sûr, les peuples en question n’ont pas tous basculé dans le camp d’Hannibal (même si sa victoire à Cannes leur doit beaucoup) ; mais au minimum ils ont refusé d’aider un peuple (les
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Romains) qui se comportaient si mal, c’est le moins que l’on puisse dire, avec leurs frères. Avec les peuples dont ils sentaient confusément qu’ils faisaient partie de la même famille – ô certes pas raciale, mais au moins culturelle et spirituelle – qu’eux. Le terme celtique « ambicatu » « ambigatu » illustre à merveille cette notion : il signifie « qui combat de tous côtés, ou qui combat des deux côtés ». Certains ajoutent même qu’il s’agit d’un combat temporel, mais aussi spirituel (Fin du paragraphe sur l’ambicatu).
Historiquement parlant et sur le continent, c’est en effet à l’empereur (haut roi) biturige appelé Ambicatuos, qu’il revint de développer le premier une pratique politique authentiquement druidique.
Ambicatuos apparaît comme le représentant par excellence de l’humanisme et de la tolérance druidiques (cantamantaloedisme). Ambicatuos peut être considéré comme le fondateur d’une pensée politique reposant sur des principes druidiques.
Le roi celte doit mettre en place un État de Droit prospère, producteur d’une abondance de biens matériels qui permette de satisfaire aux obligations sociales de la tribu à l’égard des pauvres et des malades ; mais qui permette aussi au plus grand nombre d’hommes possible de progresser spirituellement sur la voie menant à l’épanouissement de son âme-esprit (erdathe individuelle).
N.D.L.R. Un bon monarque celte doit défendre et encourager toutes les communautés religieuses (polythéisme), mais en se sentant des obligations particulières à l’égard du druidisme naturellement. Et comme le disait le roi cité par César, Ambiorix : « Mon pouvoir est de telle nature que la multitude a autant d’autorité sur moi que moi sur la multitude ». De la démocratie participative ???
Des preuves complémentaires de cette mentalité nous sont offertes par la linguistique avec le succès des thèmes anextlo- et uoreto- dans les noms de personnes comme dans les épithètes divines. Or ces deux mots expriment des notions découlant directement de la philanthropie druidique.
– Anextlo (ou anextio) = protection/intercession. Nombreux sont les cas d’intervention en ce sens, relatés dans l’histoire ancienne des Celtes, et César lui-même en cite dans son De Bello Gallico.
– Uoreto = secours/sauvetage, est lui aussi matière à des noms élogieux comme Uoretouiros, Anauuoretos, etc., et des exemples historiques peuvent être aussi dégagés.
Le fait que ces mots faisaient partie de l’onomastique des Celtes, si orientée vers l’éloge, indique que ces notions étaient bien vues chez eux ; contrairement à ce que certains voudraient faire croire d’une soi-disant « mentalité européenne » polarisée sur le seul culte de la force.
Ladite force victorieuse et dominante (sego) était, certes, une vertu chez les Celtes (malheur aux vaincus en effet si l’on en croit le grand Brennus).
« Quand les ambassadeurs demandèrent quel tort ils avaient subi de la part des Clusains, pour qu’ils aient ainsi investi leur ville, Brennus, le roi des Celtes, éclata de rire, et fit la réponse suivante. « Les Clusains nous font tort en ce que, bien qu’ils soient en mesure de ne cultiver qu’une petite partie de leur territoire, ils possèdent pourtant beaucoup de terres, mais ne veulent pas nous en céder un peu, nous qui sommes étrangers, nombreux et pauvres. C’est le même tort que celui dont vous avez souffert aussi, ô Romains, jadis, de la part des Albains, des Fidénates, des Ardéates, et naguère encore de la part des Véiens, des Capénates, ainsi que de beaucoup de Falisques ou de Volsques ; et à qui vous avez trouvé normal alors de faire la guerre, s’ils ne vous cédaient pas une partie de ce qu’ils possédaient, de les réduire en esclavage, de dévaster ou dépouiller leur pays, et de ruiner leurs villes. Mais en agissant ainsi, vous ne vous êtes montrés ni cruels ni injustes, simplement des observateurs de la plus ancienne de toutes les lois, celle qui accorde au puissant les possessions du plus faible et qui s’applique aussi bien aux dieux qu’aux bêtes ; puisque chacun essaie toujours d’avoir ce qui appartient à moins fort que lui. Et arrêtez donc de prendre en pitié les Clusains que nous assiégeons, car il pourrait prendre l’envie aux Celtes de se montrer bon et compatissant avec ceux que vous opprimez, voire même de leur venir en aide » (Plutarque. Vies parallèles. Camille).
Mais le druidisme avait su tempérer cette force par un équilibre éthique, facteur de cohésion sociale.
Il faut néanmoins noter que cette démarche éthique relevait bien plus du concept de la solidarité que de celui de la « charité » plus ou moins intéressée par l’appât du salut. La trugocaria du druidisme n’était pas cette charité déformée au cours des siècles dans le sens que lui donnent aujourd'hui les chrétiens.
Il existe, dans la tradition celte, un fort sentiment de justice. « Ils prennent volontiers en main la cause de celui que l’on opprime. Ils ont en effet, au plus haut degré, le sentiment de l’équité, du droit et de l’honneur. Ils ne peuvent souffrir que l’on manque à la foi jurée. La réputation de justice de certaines de leurs tribus comme les Volques Tectosages qui habitaient au-delà du Rhin s’étendait au loin » (Albert Grenier).
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Pour en revenir à la dligeto ou sens du devoir. Pour un simple citoyen (à la différence du fir flathemon qui concerne les gouvernants).
Pour les druides de la Haute Époque, et à la différence des chrétiens d’aujourd’hui, devenir religieux ou initié druidique (comrunos) ne dispensait en aucune façon de l’obligation d’accomplir ses devoirs sociaux, notamment l’éducation ou l’établissement de ses enfants. Là encore, noblesse oblige !
D’après Albert Bayet, l’idée d’obligation morale, de devoir, était exprimée par le radical indo-européen qui donne en celtique dligeto. César la rend soit par le participe en -dus, soit par les verbes « debere, necesse est », soit par le substantif « officium ». Évidemment, cela ne prouve pas qu’il y avait dans la langue de Litaviccos ou d’Indutiomaros un mot qui soit l’équivalent du terme officium ; mais cela prouve qu’en faisant appel à l’idée qu’expriment ces mots, César pensait qu’il serait compris par des hommes comme Indutiomaros ou Litaviccos.
En vieil irlandais dliged signifie « chose à laquelle on a droit » plutôt que « chose que l’on doit », mais le deuxième sens (celui d’obligation) est aussi attesté : l’expression dlegair (dligthir) ní duit, signifie par exemple en gros : « vous devez quelque chose ». Le terme vient de la racine indo-européenne dleg- qui signifie s’engager. En droit irlandais toute action humaine était soit dliged (ou dligid) soit indliged (indligid).
Le principe de base était celui de la fidélité à la parole donnée (les Celtes antiques allaient même jusqu’à se prêter des sommes d’argent REMBOURSABLES DANS L’AUTRE MONDE), avons-nous déjà dit.
Tout individu doit assumer la responsabilité de son statut, de son état, ou de ses gestes, et réparer de manière adéquate, de préférence dans cette vie, les torts causés à autrui. Si la personne en question ne le fait pas, la responsabilité de cette réparation le suivra dans l’Autre Monde (s’il existe).
Un des principes reconnus du droit, du moins en Irlande, était, pour un homme libre, la possibilité d’offrir une protection légale (« snádud », ou « turtugud ») pour un certain temps, à une autre personne de rang égal ou inférieur. Tuer ou blesser quelqu’un placé sous une telle protection constituait même le délit de « díguin » (violation de protection) ; un délit pour lequel l’auteur devait payer le prix de l’honneur du protecteur en question, en plus de toute autre amende payable par lui du seul fait de son acte.
N.B. Il était cependant illégal d’offrir sa protection à certaines catégories de fugitifs, par exemple un meurtrier en fuite. (KELLY 1988. Page141).
Tout homme libre était censé par conséquent exercer une protection permanente sur sa propre maison et ses environs, appelée « maigen dígona ». Cette responsabilité couvrait généralement la surface qu’il avait clôturée pour en faire sa cour. Si quelqu’un était tué ou blessé à l’intérieur de cet espace, cette action rendait son auteur coupable de díguin contre le maître de maison.
LES DEVOIRS DE SON ÉTAT.
Importante note de l’auteur de cette compilation.
Cette morale individuelle (mentionnée ci-dessus) ne doit en aucun cas être confondue, surtout dans des démocraties (la confusion peut avoir lieu dans des monarchies), avec les devoirs de son état, les devoirs qu’a chacun en fonction de sa situation familiale, de sa profession, de sa charge.
À titre individuel, on peut par exemple être généreux. Mais quand on est responsable d’autrui, d’une famille, d’une collectivité, on ne peut pas se permettre de gaspiller ses ressources, sauf si tout le monde est d’accord évidemment. On est comptable de ses deniers. Ce que max Weber a redécouvert 2000 ans plus tard en distinguant l’éthique de conviction de l’éthique de responsabilité.
Ce que l’Église catholique définissait autrefois de la façon suivante : « les obligations particulières que chacun a par suite de son état, de sa condition, et de la situation qu’il occupe ». (Pie X, Catéchisme). Les mots « états », « conditions » et « situation » désignent respectivement les états de vie (mariage, célibataire, consacré, salarié, bénévole, etc.), comment nous nous situons dans cet état (fiancé ou marié, débutant, professionnel ou amateur, etc.), les circonstances particulières (chef d’entreprise, avocat, journaliste, étudiant, retraité, etc.).
Il y a donc les devoirs……..
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1. Envers Dieu (envers les dieux disent les païens polythéistes, envers l’être supérieur et ses hypostases disent les adeptes du paganisme philosophique et réfléchi).
2. Envers ses parents, son conjoint, ses enfants (aide financière, affectivité, temps consacré, etc.).
3. Envers la nation et la communauté dont nous faisons partie (impôt, vote, service militaire, etc.).
4. Dans le cadre professionnel (rigueur, assiduité, honnêteté, etc.).
5. Dans les relations sociales (amis, voisins, etc.).
L’Église catholique précise qu’un jeune marié par exemple n’a pas les mêmes obligations qu’un homme marié depuis longtemps, car leurs situations sont différentes : les besoins sexuels, la connivence conjugale, l’âge des enfants, les difficultés professionnelles entraînent des devoirs différents.
Il appartient donc à chacun de discerner son état, sa condition ainsi que la situation où il se trouve et les exigences qui en découlent. De façon plus prosaïque, ou laïque, on peut dire que l’étudiant doit étudier du mieux possible, les parents doivent éduquer leurs enfants du mieux possible, l’entrepreneur doit gérer son entreprise du mieux possible. Ces exigences sont tellement importantes qu’elles ont valeur d’obligations morales.
Cette très celtique notion de devoir de son état permet de hiérarchiser ses efforts, en étant sûr de respecter un ordre juste. Certaines personnes rêvent parfois d’un idéal de vie qui semblerait plus juste, voire plus grand (éthique de conviction dit Weber), mais elles oublient la situation concrète dans laquelle elles se trouvent. Ou bien, elles vont faire des efforts sur des points secondaires, tout en oubliant l’essentiel.
LES DEVOIRS DE L’HOMME POLITIQUE OU DE L’HOMME D’ÉTAT DANS UN RÉGIME DÉMOCRATIQUE.
Le bien commun. Qui, comme l’a très bien défini Rousseau, ne se résume pas à la simple addition des volontés individuelles. Le concept de volonté générale, conçu par Jean-Jacques Rousseau dans son ouvrage intitulé « Du contrat social », désigne ce que tout citoyen devrait vouloir pour le bien de tous y compris pour son intérêt propre. C'est sur la volonté générale que repose le contrat social.
La « volonté générale » (ou volonté du peuple) fonde la légitimité du pouvoir politique.
Les forces de l’État peuvent seulement être dirigées par la volonté générale (l’accord des intérêts particuliers) pour tendre vers le bien commun. La souveraineté populaire peut être déléguée, en s’accordant provisoirement avec la volonté d’un homme, mais ne saurait se soumettre dans la durée à la volonté d'un seul homme. Il est à noter que la volonté générale ne correspond pas à la volonté de la majorité. « Il y a souvent bien de la différence entre la volonté de tous et la volonté générale ; celle-ci ne regarde qu’à l’intérêt commun, l’autre regarde à l’intérêt privé et n’est qu’une somme de volontés particulières : mais ôtez de ces mêmes volontés les plus et les moins qui s’entredétruisent, reste pour somme des différences la volonté générale » (Du Contrat social livre II chapitre 3).
Oui je sais la démocratie c’est compliqué, le mieux c’est d’avoir un bon roi.
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LE DROIT NATUREL OU RECHT AICNID (RECTU ADGENIAS).
Mot à mot le « droit de l’espèce » (adgenia) en celtique ancien, d’où recht aicnid en vieil irlandais poétique et juridique.
De son origine animale le Gdonios (l’Homme) hérite en effet un certain nombre de comportements sociaux (même les animaux ont des règles de vie, aussi surprenant que cela puisse paraître). Les primates nos ancêtres ne passaient pas leur temps à se battre et à se tuer les uns et les autres. Ils avaient déjà des règles de vie.
Les premiers gdonioi (les premiers hommes) n’étaient donc pas dénués de toute règle dans leur progressive sur-animalisation (hominisation). Ils avaient déjà, inscrite dans leurs mœurs, la morale élémentaire de nos ancêtres animaux. Les primates ont en effet une vie familiale et sociale très structurée et développée : rares sont ceux qui vivent en permanence en solitaires. Les portées se réduisent souvent à un seul jeune, dont la croissance, très lente, permet une longue période d’apprentissage. Chez les espèces solitaires, chaque individu vit sur un territoire qui lui est propre. Les mâles sont seuls, et les femelles peuvent être accompagnées de leur progéniture, qu’elles tolèrent jusqu’à la puberté. Mâles et femelles ne se rencontrent que lors de la période de reproduction. C’est le cas de certains prosimiens nocturnes africains ou malgaches, et des orangs-outangs d’Asie. Mais on peut observer, chez les autres primates, un certain nombre de structures sociales variées.
La plus simple étant représentée par la famille monogame : un père, une mère et leurs enfants, jusqu’à leur puberté. Le couple d’adultes, en général stable, dure plusieurs années. Cette organisation s’observe chez quelques lémuriens, comme l’indri, chez certains cercopithèques d’Afrique, comme le singe de Brazza, chez un singe d’Amérique, le titi, et surtout chez les gibbons d’Asie. Chez ces derniers, chaque famille vit sur un territoire relativement restreint, activement défendu contre les familles voisines par l’émission rituelle, notamment le matin au réveil, de chants modulés très puissants. La structure sociale la plus répandue chez les primates est néanmoins la communauté sans couples permanents : plusieurs mâles vivent avec plusieurs femelles. Certains groupes peuvent être fortement dominés par les mâles, d’autres par les femelles ; enfin, quelques groupes n’ont pas de hiérarchie très nette. Les hiérarchies se traduisent en de nombreuses règles que chaque membre doit respecter, sous peine d’exclusion. Le plus fréquemment, ce sont les mâles qui dominent les femelles. C’est le cas chez les macaques japonais, les babouins et les gorilles. Chez certains lémuriens, en revanche, les individus dominants sont les femelles. Chez les chimpanzés ou les singes hurleurs d’Amérique du Sud, il n’y a pas de hiérarchie, mais chaque groupe est constitué de nombreuses cellules de base représentées par les femelles et leurs enfants. Chez les gorilles et les chimpanzés, les groupes sont très stables. Toutefois, les femelles, plus mobiles, peuvent passer d’un groupe à l’autre, alors que les mâles restent dans leur groupe de naissance. Outre ces communautés, on observe aussi fréquemment une structure de type famille polygame : un mâle rassemble un groupe de femelles autour de lui, un « harem ». Chez les cercopithèques africains, la troupe est en général formée d’un groupe familial contrôlé par un seul mâle adulte. Un même mâle adulte peut vivre plusieurs années avec plusieurs femelles, sur un territoire restreint, défendu de la voix et du geste contre d’éventuels groupes de célibataires. Cette vie sociale élaborée a permis le développement de comportements sociaux très complexes qui assurent la cohésion du groupe. Beaucoup échangent de multiples signaux subtils et sophistiqués, au moyen de la voix, de l’expression faciale, des gestes, de la posture ou du comportement.
La nature a donc donné au Gdonios (à l’Homme) dès le départ, le moyen de découvrir, comme à tâtons, ce qui allait plus loin dans le sens de sa sur-animalisation, de sa dignité ainsi que de sa liberté. Ils n’ont pas eu besoin pour cela d’une révélation du Dieu ou le Démiurge d’Abraham d’Isaac ou de Jacob.
Une excellente définition nous en a été fournie par le Langrois Denis Diderot. Était-ce à cause de sa proximité des sources de la Matrona où fut naguère fondée l’Ollotouta druidique par Ronan ab Lug et Gal Crae ?? Nul ne le sait.
La notion de rectu adgenias renvoie en définitive au caractère « nemet » de la personne humaine. C’est sur l’existence du pacte avec les dieux-ou-démons, conclu après la bataille pour la Talantio dite aussi 3e bataille de Magos Turadion, ou 3e bataille de la plaine aux tertres funéraires et aux menhirs, que repose ce caractère « nemet » de toute personne humaine (son inviolabilité sacrée). Ce pacte avec les dieu-ou-démons est la condition sine qua non qui rend tout gdonios « nemet », c’est-à-dire « vivant dans la paix avec les dieu-ou-démons ».
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En pays celte était nemetos toute personne détentrice d’un savoir ou d’un savoir-faire. Nemet le boaire, nemet l’aes dana, nemet le barde, et ainsi de suite. Ce qui nous conduit à une autre définition du rectu adgenias, celle qui a été proposée par Régis Boyer. « Le droit que possède, par nature, et par élection, un individu donné, d’être traité sur un certain pied par ses semblables, et la légitimité de ses prétentions à un certain type de redressement des atteintes portées à son honneur ; c’est-à-dire au sentiment très fort qu’il a de participer, lui aussi au sacré, à l’ordre sacré instauré et garanti par les Puissances supérieures. La vengeance est un droit sacré qui vient du sentiment très vif du caractère intolérable du sacrilège ». Comme le reconnaît noïbo Patrice lui-même dans l’introduction du Senchus mor : il y a renforcement du paganisme si une mauvaise action est vengée.
« Tout est prévu pour protéger la dignité de l’individu, à travers lui l’honneur de sa famille et, donc, l’intégrité de la famille à laquelle ils appartiennent ». Ainsi que l’a très bien noté Régis Boyer, tout crime ou délit est donc « une atteinte au caractère sacré — nemet. N.D.L.R. — de l’individu offensé, à sa famille, sans laquelle il n’existerait pas, et à la communauté dans laquelle il s’inscrit. Atteinte qu’il faudra compenser. La peine de mort n’existait que dans des cas extrêmes, car la disparition de l’offenseur ne résout rien. On ne « répare » pas le sacré (nemet) en supprimant celui qui l’a violé, on le restaure en comblant la solution de continuité ».
Certains monolâtres ont évidemment fait semblant de ne pas comprendre cette notion druidique fondamentale. Ils opposent le rectu adgenias à la liberté (à leur conception de la liberté plus exactement).
Ils ont raison de défendre la liberté, mais la « loi » dont il est question dans ce rectu adgenias n’est pas un commandement de despote divin limitant la liberté humaine. Bien au contraire, le rectu adgenias indique une direction, un chemin pour que cette liberté ne reste pas seulement théorique, mais puisse prendre corps dans une certaine conception du monde.
D’autres disent que le Gdonios (l’Homme), par sa civilisation, se distingue de la nature. Et ils ont raison, mais le mot nature est ici pris dans un autre sens. L’adgenia de cette loi se réfère à la nature profonde du Gdonios (de l’Homme), c’est-à-dire à ce qui le constitue dans sa dignité, sa raison, sa spiritualité, sa responsabilité, voire sa capacité d’aimer (caro/care). Nos philosophes ont été les premiers à reconnaître la sagesse de ce rectu adgenias
Les religions monolâtres modernes (judaïsme, islam, christianisme, etc.) insistent beaucoup sur la question de la culpabilité, mais faut-il toujours culpabiliser à tout prix ? Il existe en chacun de nous comme une boussole intérieure qui aide à sentir où se trouve le vrai, donc également le faux par conséquent, c’est ce que l’on appelle la conscience. Avec elle, chacun apprend à discerner ce qui est bon pour lui et pour les autres. Les druides ont toujours souligné la noblesse du rôle de la conscience, cette petite voix intérieure qui ne cesse de l’exhorter à honorer les dieu-ou-démons, à être courageux et à ne rien faire de déshonorant. La conscience est le centre initiatique le plus secret du Gdonios (de l’Homme), le sanctuaire où il est seul avec le divin et où sa voix se fait entendre.
Bien qu’assimilé au droit coutumier des brehon par les auteurs chrétiens, il est évident que le recht aicnid ou droit de nature a précédé ; les lois des brehon étant déjà très élaborées visiblement et ne pouvant donc en aucune façon être ramenées à un simple droit naturel.
Il n’en demeure pas moins que le recht aicnid ou loi de nature est un éclairage utile et intéressant sur le vrai bien de l’Homme. Mais le gdonios bénéficie aussi, bien sûr, d’un autre éclairage sur le vrai, le beau, le bon et le bien : le savoir druidique naturellement. Car les consciences doivent être formées, ont besoin de sortir de ce rectu adgenias assez confus au départ. Telle fut la tâche de la Loi des Brehon. Nous sommes responsables devant notre conscience, mais nous sommes responsables aussi de notre conscience. Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Pour qu’elle devienne droite et vraie, il nous faut sans cesse la tenir en éveil, l’exercer dans les décisions concrètes et l’éprouver ; car il arrive aussi que le Gdonios (l’Homme) arrête de se soucier du vrai ou du bien, et que sa cornunnienne faiblesse originelle rende peu à peu sa conscience presque aveugle.
Mais où aller dans ce cas chercher une éthique qui conduise au vrai authentique du Gdonios et de l’Humanité, c’est-à-dire en définitive à sa surhominisation ? Tant de systèmes s’offrent aux hommes, et si différents !
Contrairement à notre Président, qui n’est pas un modèle en la matière, le nouveau druidisme ne pense pas que toute éthique est impossible sans religion (Discours du Latran le 20 décembre 2007). Outre le fait que cette vision, bassement utilitaire, des dieu-ou-démons, est choquante, l’expérience montre que la simple éthologie de nos lointains ancêtres constitue pour nos diverses déontologies un fondement solide se suffisant à lui-même. On ne voit pas pourquoi liberté, amitié, solidarité clanique… seraient impossibles sans référence directe aux dieu-ou-démons. Il ne faut pas nier la légitime autonomie des valeurs terrestres que sont la politique au sens noble du terme (comme dans
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l’expression « le politique doit primer l’économique »), la culture, l’éthique ou la science ; ce que font aujourd’hui allègrement les religions monolâtres issues d’un coup de soleil raciste (la notion biblique de peuple élu, le thème du message divin éternel écrit en langue arabe depuis toujours, etc..) Personne ne possède toute la vérité. Même les matérialistes athées ou kouffar en ont leur part et, parfois, ce sont eux qui nous montrent l’exemple. Si le matérialisme athée n’est que refus honnête de l’intelligence et du cœur de concevoir qu’il y a en nous quelque chose qui ne disparaît nullement avec la mort de notre corps, l’existence de choses ou de forces qui nous dépassent, voire d’un Être supérieur ; sans empêcher une vie normale, ni même une interrogation sérieuse sur le destin de l’Homme ; le matérialisme athée alors est plus digne de respect que la croyance aveugle, et il vaut mieux que bien des conversions religieuses suspectes. D’après Strabon certains Celtes, et notamment les Galiciens d’Espagne, étaient d’ailleurs athées. Nous avons déjà eu l’occasion de nous interroger à ce propos. Est-ce vraiment possible ou s’agit-il plutôt d’un manque de nuance de la pensée de Strabon incapable de comprendre les subtilités de certaines Écoles druidiques ? En tout cas, pour mémoire, voici sa citation. « Certains auteurs affirment que les Gallaeci sont athées ; tandis que les Celtibères et leurs voisins plus au nord sacrifient à un dieu sans nom, la nuit, à chaque retour de la pleine lune, devant les portes de leurs bourgades, se livrant alors avec toute leur maisonnée à des rites divers agrémentés de danses » (Strabon, Géographie, III, 4, 16).
Le Gdonios (l’Homme) se veut à la ressemblance des dieu-ou-démons ; mais il ne peut devenir comme l'un d’entre eux qu’en acceptant de se muer en ce pour quoi il est fait, en ce que, fondamentalement, il est déjà.
Même battues en brèche par toutes sortes de faiblesses indignes (héritées de l’Homme primordial symbolisé par le malheureux Cornunnos) ; sa raison, sa responsabilité, son inclination vers le beau, le bon, le bien, en bref vers le vrai ; le poussent à des choix qui lui permettent déjà de s’accomplir le plus naturellement du monde en commençant à se libérer soi-même de la nature.
Son cheminement vers plus de responsabilité, d’amitié, donc vers la délivrance de son être même, est bien sûr souvent long et chaotique, hésitant. Voir à ce sujet toutes les aberrations, errements ou crimes, des autres religions, que ce soit le christianisme, l’islam, voire même l’Hindouisme (son indigne système de castes), etc. Sa cornunnienne faiblesse originelle l’entrave. Il est difficile de devenir pleinement Gdonios (Homme). Il faut parfois faire des sacrifices pour cela. Pour accomplir sa vocation évolutive et commencer à gagner l’épanouissement (moksha en Inde) auquel il est destiné, le Gdonios (l’Homme) a un combat incessant à mener.
Pour remporter les premières victoires sur lui-même, il peut s’appuyer sur la force du droit naturel. Rectu adgenias.
La nature, et à son sommet le Gdonios (l’Homme), sont en eux-mêmes la première des sources morales. Le Gdonios (l’Homme) étant un animal social dès l’origine, sa nature y a inscrit les règles d’un fonctionnement coopératif à défaut d’être harmonieux.
Cette loi de la nature profonde de l’être humain, en relation avec les autres et avec son environnement, permet au Gdonios (à l’Homme) de voir ce qui n’est pas bon pour lui.
La liberté du Gdonios (de l’Homme) se heurte à des contraintes. Elle est handicapée, freinée par toutes sortes de pesanteurs, de séquelles d’une éducation mal faite, d’habitudes anciennes. Par les mauvais exemples de l’entourage, ou certaines structures déshumanisantes de la société, sans compter la secrète faiblesse originelle dont nous avons maintes fois parlé (son origine animale, qui fait que si l’esprit est prompt, la chair est faible, voir à ce sujet la Ces noinden ou neuvaine des Ulates). La liberté, dans le rectu adgenias, nous est donnée plus comme un germe à faire grandir que comme une réalité bien constituée.
Aussi l’éthique doit-elle demeurer un combat permanent dans le cœur du Gdonios (dans le cœur de l’Homme), et dans le monde. Ce combat dépend du degré de liberté de chacun ; mais personne n’est à même de vraiment bien mesurer le degré de liberté des autres. Il est plus facile de juger des comportements et des situations (par exemple les comportements des chrétiens, de l’islam, du judaïsme, des démocrates, des républicains, des royalistes, de la gauche, de la droite, les comportements aussi de certains druides ou soi-disant tels, etc.). Car tout n’est pas acceptable.
Juger les comportements, c’est se conduire en homme, mais juger les hommes c’est se prendre pour un dieu-ou-démon.
Accomplir son dur métier d’homme sur cette terre n’est facile pour personne. Certains ont d’ailleurs plus de mal que d’autres. Il peut même arriver parfois que des consciences puissent s’égarer, par suite d’ignorances diverses, sans pour autant perdre leur dignité. (Excepté pour les tortionnaires de l’Inquisition chrétienne, grands brûleurs de sorcières devant l’Éternel, les grands capitaines hébreux
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massacreurs de Philistins, de Cananéens et même d’autres Hébreux ; Lénine, Hitler, Staline, Beria, Pol Pot, et autres hommes de gauche genre René Bousquet en France, le célèbre auteur de la déshonorante rafle antisémite du Vélodrome d’Hiver en juillet 1942 en France. René Bousquet était en effet un des jeunes loups de la gauche française d’alors. Etc., etc.).
Comment savoir dans ces conditions si une loi est imbécile ou pas, antinationale ou nationale, empreinte de racisme anti-noir, anti-indien, anti-arabe, anti-juif, anti-blanc ou pas ? Les droits de l’Homme sont certes un repère, mais de valeur bien inégale et parfois changeante. Il peut donc arriver qu’une loi, pour plaire à une opinion publique donnée (démocrate ou républicaine, populiste ou monarchiste, de gauche ou de droite, raciste hier, antiraciste aujourd’hui, etc.) ; légalise des pratiques complètement opposées au droit naturel ou attentatoire à la liberté de conscience.
Ces lois deviennent dans ce cas immorales. Ce qui est légal n’est pas toujours moral en effet, et c’est même une banalité que de le faire remarquer. Le druidisant doit donc travailler à ce que les lois immorales selon lui deviennent plus conformes au droit naturel, sans empêcher pour autant autrui, autrement que par une désapprobation manifeste, mais relevant de la liberté d’opinion et/ou d’expression, de s’y conformer lui-même. Étant bien entendu que si les lois immorales en question ne l’obligent en rien à titre personnel, il se doit dans ce cas de ne pas user des facultés qu’elles accordent, mais tout au contraire de militer ou d’user de ses libertés politiques reconnues et notamment de son droit de vote, pour changer cette situation ou au moins la faire évoluer dans le bon sens selon lui (magistrature morale du druidisme)
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DE LA SURVIVANCE DE LA PROPRIÉTÉ CLANIQUE EN ÉCOSSE.
La principale raison pour laquelle le mouvement des enclosures a représenté un changement civilisationnel important fut que cette « bonification », comme disaient ses thuriféraires, fut associée à la notion de profit, tout comme le terme « développement », apparu par la suite, fut associé à la notion de « croissance économique ». Les enclosures ne représentent donc pas seulement un « vol » des terres utilisées par les communautés vivant d’une agriculture de subsistance, mais une étape décisive vers la politique consistant à considérer la terre et ses habitants comme objets de commerce et d'exploitation. Ainsi que l'explique Carolyn Merchant, le mouvement des enclosures représente une rupture significative dans la conception organique du cosmos ; une rupture liée à la transformation idéologique issue de la Renaissance (d’où la Réforme tire ses origines) ainsi qu'à la révolution scientifique ; une rupture qui entraîna la transformation de la production agricole et industrielle, au détriment de la Terre plutôt qu'en la respectant.
Le mouvement d'enclosure progressive des communs, en Angleterre, vit le remplacement progressif du système médiéval de gestion communautaire des terres par des fermes qui pratiquaient des cultures céréalières spéculatives de rente ou par des enclos qui servaient de pâturages aux moutons et au bétail. Les prairies et les landes d'antan furent livrées à la production intensive. À l'époque des Tudor, comme de nombreux paysans dépossédés suscitaient des troubles dans les villes et les campagnes, diverses mesures juridiques limitèrent le mouvement des enclosures, avec un succès mitigé. Lorsque la Révolution anglaise de 1649–1660 amena au pouvoir les classes sociales qui avaient bénéficié des enclosures, le processus reprit sérieusement. On édicta tout un arsenal d’actes d‘enclosure privés, quelque 4 000, portant sur environ 7 millions d'acres de terre, avant même la Loi décrétant l’enclosure générale, promulguée en 1845, et il est probable qu'au moins la même superficie de terres fut convertie en enclosures sans recourir au Parlement.
Tout comme leurs prédécesseurs romains qui n'avaient jamais dépassé l'Écosse des Basses-Terres, les « Grands Bonificateurs » qui réalisèrent les enclosures en Angleterre et dans les Basses-Terres écossaises ne parvinrent que tardivement dans les Highlands et les îles d'Écosse. Dans cette biorégion éloignée des villes et en majeure partie montagneuse, qui fait vivre de nos jours une population clairsemée de quelque 350 000 personnes, les établissements humains vivaient alors de chasse et de cueillette ainsi que d'une agriculture de subsistance mixte (cultures sur les terres arables et élevage de bétail), gouvernés par des chefs de clans familiaux et patriarcaux ; ces clans, ayant pour seul fondement les liens du sang, guerroyaient souvent entre eux.
En 1707, les parlements d'Écosse et d'Angleterre fusionnèrent, pour toutes sortes de raisons en rapport avec la religion, la sécurité et l'accès réciproque aux marchés. Cela entraîna beaucoup de ressentiment populaire et le grand poète national Robert Burns assimila même à une « bande de forbans » les « traîtres » du Parlement écossais dont beaucoup trouvaient là des avantages mercantiles ou autres bénéfices.
Suite à cette évolution et aux événements qui entourèrent la première Union des Couronnes (1603), l'Écosse se retrouva, en état de guerre civile.
Le Prince Charles Edward Stewart (« Bonnie Prince Charlie »), prétendant catholique au trône, leva une armée chez les chefs des Highlands et marcha sur le Sud, rencontrant peu de résistance. Parvenus à 150 km de Londres, ces « Jacobites » ne se sentirent pas assez forts pour continuer. L'armée britannique se regroupa donc pour les poursuivre et, sous la conduite du « boucher » Cumberland, massacra les jacobites à Culloden (dernière bataille livrée sur le sol britannique) en 1746. Il n'est pas sans intérêt de noter que cela se passait trois ans seulement après que le « dernier loup » d'Écosse eut été abattu, l'extinction locale d'une espèce présageant, significativement, la désintégration culturelle.
Afin d'éviter la poursuite de la rébellion, la pacification des clans devint la priorité de l'État britannique, lequel comprenait désormais les Anglais, les Écossais des Basses terres et les chefs de clan royalistes. Un processus connu sous le nom de « proscription » fut mis en place pour éradiquer la culture traditionnelle des Hautes-Terres tout en laissant intactes, à fins administratives, de nombreuses structures externes. Sous d'autres vocables — « civilisation », « éducation », « christianisation » — un processus analogue allait devenir la pierre angulaire de la politique coloniale à travers le monde. À propos de l'Amérique latine, Paulo Freire devait décrire plus tard ce phénomène comme étant une véritable invasion civilisationnelle.
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« Dans ce phénomène, les envahisseurs pénètrent le contexte culturel d'un autre groupe et, sans reconnaître le potentiel de celui-ci, imposent à ceux qu'ils envahissent leur propre vision du monde, inhibant ainsi leur créativité et brimant leur expression... L'invasion civilisationnelle est donc toujours un acte de violence contre les membres de la culture envahie, qui perdent leur authenticité... (Elle) mène à l'inauthenticité des populations envahies ; elles commencent à répondre aux valeurs, aux normes et aux objectifs des envahisseurs ».
L'Acte de Proscription qui prit effet en août 1747 ne fut pas révoqué avant 1782 ; et ses effets furent intériorisés en ce que Freire a appelé une « culture du silence ». Cette loi rendait les habitants des Highlands « passibles de déportation pour sept ans, dans une plantation de Sa Majesté outre-mer » ; elle leur interdisait de porter le costume traditionnel, de se réunir, de jouer de la cornemuse, de se livrer à d'autres formes de divertissements traditionnels, ainsi que de porter des armes. La cornemuse fut traitée comme un instrument guerrier que l'on ne pouvait jouer que dans l'armée britannique où elle fut employée pour impressionner d'autres autochtones de pays étrangers. Les chefs de clan furent destitués de leurs pouvoirs traditionnels, mais la plupart restèrent en place à titre personnel. Ceux qui ne se soumirent pas à la juridiction royale virent leurs terres confisquées et placées entre les mains d'intendants nommés par le pouvoir central.
Traditionnellement, les chefs de clan pratiquaient un système d'usufruit sous patronage. On entendait par là des droits d'usage de la terre et des eaux, se recoupant et se distinguant du régime absolu de la propriété romaine. Les terres du clan n'étaient pas la propriété privée du chef, la, mais propriété publique des membres du clan ». C'était donc autour de la personne du chef, non de « ses » terres, qu'était centrée la parenté. Le régime qui s'installa après la bataille de Culloden allait changer cela en un système de style latifundiaire, dans le cadre duquel la terre devenait une marchandise avec l'introduction de l'enclosure.
« Nombre de chefs de clan se trouvaient aussi à l'aise à Édimbourg ou Paris que dans les Hautes-Terres... Éloigné de son clan, le chef typique, conscient depuis l'enfance de son statut, se sentait obligé d'imiter, voire de surpasser, le style de vie des courtisans et des nobles auxquels il se mêlait. Ainsi naquit un conflit inconciliable entre les deux rôles du chef de clan du XVIIIe siècle : comme membre de la haute société mondaine du Sud, le chef avait toujours davantage besoin d'argent, alors qu'en sa qualité de patriarche tribal, il ne pouvait faire que fort peu de choses pour se procurer cet argent ».
En Écosse, la perception d'un fermage ou d'une taxe sur le cheptel était le moyen de se procurer des revenus. Lorsque cela ne fut plus suffisant pour couvrir les dépenses consacrées au jeu, à la boisson, aux femmes et aux nouveaux tartans que proposaient les tailleurs parisiens, on appliqua des mesures plus sévères, qui consistaient par exemple à imposer des fermages exorbitants ou à obliger les tenanciers à travailler comme salariés pour le propriétaire terrien. Si ces mesures ne procuraient pas des rentrées monétaires suffisantes, le domaine pouvait être vendu sur le marché foncier en plein essor. En général, le nouveau propriétaire, on parlerait aujourd’hui d'un investisseur de capital-risque, n'avait (à quelques remarquables exceptions près) que peu ou pas de liens traditionnels avec le peuple ; il avait donc encore moins de scrupules quant à la façon d'exploiter la nature et ceux pour lesquels il était (et est aujourd'hui encore) le « suzerain féodal ». Souvent sous le prétexte que c'était pour le bien des gens eux-mêmes, on imagina la solution ultime que constituaient les évictions, afin de faire place à la première spéculation moderne à grande échelle dans les Hautes-Terres, l'élevage ovin destiné à la production de laine. Aux thuriféraires des évictions qui soutenaient qu'elles étaient pratiquées dans de bonnes intentions, John McGrath, auteur de « The Cheviot, the Stag and the Black Black Oil», a répondu ceci : « Il n’en demeure pas moins que les méthodes de culture intensive (sic) des Gaëls entretenaient jadis un nombre de personnes par hectare bien supérieur à ce qu'un hectare faisait vivre ailleurs, que le niveau de vie n'était pas le seul critère du bonheur ou de la valeur, et que, même si beaucoup de gens s'en allaient volontairement — comme ils le faisaient déjà avant le début des évictions — la majorité ne voulait pas partir. De plus, le sol fertile qui avait fait vivre tant de gens au fil des siècles était maintenant reconverti en une terre inutile, apte seulement à l'élevage du mouton. Le fait le plus cruel, et le plus important de tous est que le critère d'utilisation optimale de la terre cessa d'être le nombre d’hommes qu'elle pouvait faire vivre, pour devenir le montant des profits réalisables ».
Les évictions furent particulièrement brutales dans le Sutherland et les îles d'Uist. Carmichael, dans une étude réalisée autour de 1928, publie un récit de Catherine MacPhee, de South Uist.
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« J'en ai vu des choses, de mon temps et dans ma génération ! Tant de choses, ô Marie ! mère du noir chagrin! J'ai vu les communes vidées de leurs habitants, et les grands domaines qu'on en a faits en expulsant les gens du pays pour les expédier dans les rues de Glasgow ou les étendues sauvages du Canada, du moins ceux d'entre eux qui n'étaient pas morts de faim, de peste ou de variole en traversant l'océan. J'ai vu les femmes mettre les enfants dans des charrettes envoyées de Benbecula et de Iochdar à Lochboisdale, tandis que leurs maris étaient retenus prisonniers dans des enclos à bétail et pleuraient auprès d'eux sans pouvoir leur tendre une main secourable, les femmes elles-mêmes se lamentant bruyamment et leurs jeunes enfants criant à fendre l'âme. J'ai vu ces hommes grands et solides, ces champions de la campagne, ces piliers du monde, attachés sur le quai de Lochboisdale puis poussés dans le bateau comme on l'aurait fait pour des chevaux ou du bétail, avec derrière eux les régisseurs, les gendarmes et les policiers qui les pourchassaient. Le Dieu de vie et Lui seul sait quel travail répugnant ces hommes firent ce jour-là ».
Pour ceux qui restaient au pays, les conditions étaient souvent misérables sur les terres marginalisées. La grande famine de la pomme de terre en Irlande et en Écosse fut l'une des conséquences de l'éviction de ceux qui étaient relégués sur des parcelles inaptes à la culture et contraints de remplacer une agriculture diversifiée par une monoculture « efficace ». En 1811, la pomme de terre constituait les quatre cinquièmes de la consommation alimentaire des insulaires des Hébrides. La catastrophe survint en 1846 quand la récolte, attaquée par la moisissure phytophthora infestans, pourrit sur pied dans pratiquement tous les champs. Norman MacLeod, envoyé aux Hébrides en 1847 pour y distribuer des secours de première nécessité, écrit ce qui pourrait être un rapport de terrain pour Oxfam.
« Les scènes de dénuement dont nous avons été les témoins dans la propriété du Colonel Gordon étaient déplorables, elles crevaient le cœur. Toute la population du pays semblait être rassemblée sur le rivage, occupée à ramasser leurs précieuses coques (coquillages)... Jamais je n'avais vu pareilles expressions — la famine sur beaucoup de visages, le regard mélancolique des enfants aux gros genoux, aux jambes arquées, les orbites creuses et le ventre enflé — Dieu leur vienne en aide, jamais je n'ai rencontré pareille misère! »
Mettant en évidence le lien entre le mouvement d'enclosure dans les Highlands et l'assujettissement des peuples d'outre-mer, John Murdoch un douanier retraité du Nairnshire ayant travaillé une partie de sa vie en Irlande, écrit en 1851 « Le gémissement mourant du Peau-Rouge berné résonne à nos oreilles à travers l'Atlantique ». Plus tard, tout en critiquant la politique impérialiste britannique dans les éditoriaux du Highlander, il reste toujours prompt à montrer que les luttes des petits fermiers sont semblables à celles des peuples opprimés ailleurs dans le monde. Apprenant l'invasion de l'Afghanistan par la Grande-Bretagne, il s'exclame : « Quelle gloire retirer de la lutte contre des montagnards à demi civilisés, mais braves et patriotes ? Nobles montagnards afghans, nos sympathies sont avec vous ! » Par-dessus tout, il souligne que « la cause du peuple des Highlands ne doit pas être défendue dans un esprit étroit et exclusif ni dans un esprit d'antagonisme avec d'autres peuples ». La question capitale est l'éveil d'un état d'esprit qui permettra aux Highlanders d'entrer dans le vaste monde : « Leurs sympathies se sont élargies, leurs vues se sont élevées et ils apprennent à se tenir debout, pas seulement comme Highlanders, épaule contre épaule, mais comme l'un des bataillons du grand déploiement des peuples auxquels il est donné de livrer les combats du progrès moral et social de l'humanité ».
En 1873 donc Murdoch lancera un journal (The Highlander) pour mener campagne sur la question des droits culturels et fonciers écossais. Il n'est certainement pas le seul acteur important de cette campagne, mais nous nous intéresserons ici à son travail parce qu'il est particulièrement perspicace et bien documenté. Ne se bornant pas à produire son journal, Murdoch entretient des contacts étroits avec les closiers, ainsi qu’avec les communautés locales.
Là où, jadis, des sociétés fières et indépendantes parlaient leur propre langue gaélique, une population subjuguée avait maintenant succombé à ce que les critiques allaient définir plus tard comme une culture de l'opprimé, avec la langue anglaise imposée par le système éducatif. Craignant d'exposer ouvertement leur sort, les habitants des Hautes-Terres avaient à un tel point intériorisé leur oppression qu'ils en étaient incapables d'exprimer leurs plaintes, et à plus forte raison de les faire prendre en note.
Murdoch conclut : « Le mépris dans lequel ont été traités la langue et les usages des gens des Hautes-Terres tendait à saper leur amour-propre et à réfréner la capacité de se prendre en charge sans laquelle aucun peuple ne peut progresser ». Les effets de la « domination étrangère », ainsi que
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les expériences de l'enclosure et des évictions, avaient suscité une « si forte crainte, universellement présente chez les gens », que ceux-ci « craignaient d'ouvrir la bouche ».
Précurseur des idées qu'allait adopter la Highland Land League, Murdoch insiste : « Nos amis des Highlands doivent compter sur eux-mêmes et se rappeler que l'union fait la force... Nous ne préconisons pas qu'ils se battent ou recourent à des moyens violents, car il existe une meilleure voie. Pourquoi ne forment-ils pas des associations d'auto-bonification et d'autodéfense ? S’ils le faisaient, ils se rendraient compte qu'ils possèdent plus de force qu'ils ne le pensent ».
La grève des fermages de Skye le 7 avril 1882 marque le début de la « guerres des closiers », qui fut remarquablement non-violentes. Dix jours plus tard, le 17 avril 1882, des arrestations sont opérées. De la boue et des pierres sont lancées lorsque 47 policiers amenés de Glasgow affrontent une foule de plus de 1400 protestataires, arrivés de tous les coins de Skye et conduits par leurs cornemuseux respectifs. Constatant que l'autorité de l'État perd de son emprise, le gouvernement britannique répond à l'appel à l'aide du shérif Ivory par des mesures qui seront répétées à maintes occasions dans les Highlands et d'autres colonies : il envoie les canonnières avec des renforts de police, plus de 400 marines et cent tuniques bleues.
La loi sur les closiers, adoptée en 1886, accorde pour la première fois une sécurité de tenure, transmissible, avec des fermages contrôlés, pour les petites exploitations relevant du régime des closeries.
Cette loi de 1886 est loin de restituer aux populations les terres qui leur avaient été enlevées auparavant. Les plus vastes superficies resteront en dehors du régime des closeries. Mais cette loi assurera jusqu'à nos jours la survie de ce régime et de ce mode de vie.
À l'époque Thatcher, pendant les années 1980, les prix des terres ont monté en flèche et de plus en plus de gens dont le style de vie et les activités professionnelles avaient détruit leurs propres campagnes, ont voulu acheter en Écosse. Les communautés semblaient impuissantes, qu'il s'agisse des questions écologiques ou de qui exerçait le contrôle sur elles. Le virage actuel est sans doute dû à la fondation en 1985 de l’Union des closiers d’Écosse. Parallèlement à une renaissance culturelle qui voit beaucoup de jeunes commencer à se réapproprier leur histoire, leur musique, leur langue et leur poésie, ainsi qu'au constat de la faillite grandissante, sur le plan social et économique, du mode de vie occidental dominant, la création de ce mouvement a entraîné une prise de conscience de la possibilité de s'organiser dans la solidarité mutuelle, en s'appuyant sur l'ancien enracinement dans la communauté et le lieu.
Ainsi que l’a observé Angus McHattie de l’union des closiers d’Écosse : « De retour à Skye après un voyage en Norvège, j'ai eu l'occasion de comparer les paysages du haut des collines granitiques, d'environ 1000 mètres d'altitude, qui sont similaires dans les deux pays. En Norvège, je voyais dans la vallée un village autonome d'une vingtaine de petites fermes, avec leurs cultures, leur alimentation en électricité, leur école, etc. — un endroit prospère et heureux, avec un bon excédent commercial et une population présentant une saine pyramide des âges. À Skye, la vallée était peuplée de vingt brebis à tête noire et douze agneaux. Par comparaison avec les conditions dans lesquelles les Norvégiens ont démarré, nous sommes assis sur une mine d'or. Il y a un immense potentiel de développement dans les Highlands et dans les îles ».
En 1991, un closier de Scoraig (Hautes-Terres de l’Ouest), Tom Forsyth, crée une fondation, ayant l’ambitieux objectif de faire passer sous contrôle communautaire la propriété de l'île d'Eigg. Le propriétaire Keith Schellenberg, « le laird anglais le plus connu d'Écosse » rachètera la part de son ex-épouse et retirera la propriété du marché. Le West Highland Free Press du 3 juillet 1992 affiche ce gros titre : « Un paradis perdu : Eigg revient entre les mains de l'Empereur Schellenberg : coup dur pour l'Eigg Trust et son rêve d’autogestion communautaire ! »
Dans de puissants discours, dont plusieurs seront diffusés dans le monde entier par la télévision, le président de l'Assynt Crofters Trust, Allan MacRae, fera un parallèle entre les revendications des closiers visant à récupérer leurs terres et celles des Africains, des Amérindiens et des Aborigènes. Fait significatif, et sans doute pour la première fois dans l'histoire moderne, il revendique avec fierté pour les Highlanders l'appellation de « peuple autochtone ».
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Ce fut le premier renversement de l'enclosure en Écosse opéré à grande échelle à l'instigation des closiers eux-mêmes, « même si, ainsi que le dit Allan MacRae, même s'il nous a fallu racheter ce qui nous appartenait de droit ! »
Un second rachat communautaire vient d'être effectué par les crofters de Borve et d'Anniesdale (île de Skye). D'autres sont envisagés.
Il est reconnu que le régime des closeries, en tant qu'élément d'une agriculture mondialisée, n'a pas de véritable avenir dans le cadre des réformes. Mais comme mode de vie permettant aux gens de vivre sur une base économique diversifiée, en commun et avec la terre, sinon principalement de la terre, son étoile est peut-être bien en train de monter. Même un programme de télévision tel que Le Monde de Demain a souligné la viabilité à long terme et démontrable, de beaucoup des pratiques du régime des closeries, en voyant donc en elles une voie d'avenir, et non du passé. Le Prince Charles a lui aussi redoré l’image des closeries, tant en prenant des vacances parmi les closiers des Hébrides qu'en participant à la conférence de l’Union des closiers d’Écosse à Stornoway, en 1993, où il a déclaré : « Les closeries constituent un modèle dont beaucoup d'autres communautés rurales dans le monde feraient bien de s'inspirer ».
Mais qu'en est-il de l'Angleterre et même du reste de l'Europe dont les populations, de plus en plus, tournent leur regard vers la frange celtique pour retrouver quelque chose de leur propre identité ? « Nous continuons à combattre les « Romains » et leurs longues routes toutes droites ! » proclament à Twynham Down les manifestants anti-autoroute du mouvement Dongas and Earth First !
Et c'est là l'essentiel. Une bonne relation avec soi-même et avec la communauté se développe à partir d'une bonne relation avec le milieu. La terre est elle-même un de nos plus grands enseignants. C'est pourquoi il est essentiel d'être proche de la nature pour être entièrement homme et pourquoi la perte est si terrible lorsqu'elle nous est ôtée.
Si l'on veut que les leçons de l'ex-Yougoslavie ne soient pas vaines, il faut reconnaître que l'appartenance ne peut plus se définir en termes étroitement ethniques. Au lieu de cela, l'ancien concept celte de parenté fondé sur le lieu, la communauté et la culture, est peut-être ce qui devrait importer le plus. Ainsi que le dit le proverbe gaélique : « Les liens du lait sont plus forts que ceux du sang », qui veut dire que ce dont on se nourrit compte plus que le lignage familial. Ce qui ouvre la voie à une identité inclusive, à « une unité supérieure ». 1)
Cela n'a rien à voir avec la haine ethnique, comme ses détracteurs cherchent à l'insinuer. Ce dont il s'agit, c'est de trouver un lieu de respect mutuel dans une pluralité globale de civilisations, lieu où les injustices du passé seront reconnues, pardonnées et, autant que possible, redressées.
Francis Thompson termine sa brève histoire des closeries en soulignant leur apport national, voire international. Sa conclusion vaut sans doute également pour nombre de communautés paysannes similaires dans le monde.
Ces communautés contribuent à engendrer des hommes qui se révèlent toujours comme une « banque » de valeurs et d'idées sociales pour la nation dans son ensemble. Et c'est de ces réserves de force morale que l’on peut tirer l’espoir de résister aux intérêts des pouvoirs multinationaux et nationaux (Alastair McIntosh).
1) Le proverbe gaélique en question s’énonce ainsi : Is caomh le fear a charaid ach 's e smior a' chroidh a chomhalt et il est traduit ainsi par Donald Macintosh du moins dans l’édition de 1785 : le parent d’un homme lui est cher mais un frère de lait est une partie de son cœur. Ce qui renvoie à la pratique du fosterage et à ses limites. Voir l’étude d’Alix MacAnTsaoir (cahier numéro 11). Cela dépasse le cadre de la famille réduite au couple avec enfants mais reste dans le cadre de la famille au sens large du terme : cousins, sous-clan, clan). Ce qui n’est nullement incompatible avec une unité plus large que celle du clan effectivement (une nation ?)
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HISTOIRE DES CLOSERIES ÉCOSSAISES.
Robert Vachon. Revue internationale de recherche interculturelle et transdisciplinaire. Montréal. Canada.
« J’ai reçu, le 4 février 1994, une lettre d’Alastair McIntosh, directeur du programme de maîtrise en écologie humaine à Édimbourg…
Notre peuple, s’inspirant des actions des Amérindiens, des aborigènes, et de beaucoup d’autres, s’éveille à la question des droits fonciers des Écossais. Cet éveil est accompagné, mais aussi animé par une véritable renaissance culturelle et historique. Le drame a eu des conséquences directes pour les Canadiens, étant donné que nombre des Écossais qui ont été chassés de leurs terres il y a plus de 200 ans ont émigré au Canada. Le lien presque intime que nous avons avec les Canadiens (et aussi la « Auld Alliance » conclue avec les Français jadis) est la raison pour laquelle je m’adresse à Interculture pour faire publier ce texte. C’est un excellent exemple de la résistance du peuple écossais au colonialisme culturel induit par une certaine modernité.
Sommes-nous prêts à découvrir notre histoire ? À la relire à l’évoquer à la revisiter en retrouvant le peuple que nous sommes ; en nous rappelant par exemple qu’un million d’Écossais ont été chassés de leurs terres au XIXe siècle afin de faire place à des élevages de moutons uniquement destinés à faire de l’argent ou à des terrains de golf pour aristocrate fortuné…
La question que je désire soulever aujourd’hui est celle-ci. Avons-nous besoin d’une thérapie culturelle transatlantique, d’un mouvement visant à guérir les plaies des antiques communautés brisées par les grands seigneurs acquis au libéralisme économique ; qu’il s’agisse des communautés du Vieux Monde abandonnées à elles-mêmes, ou des semblants de communautés du Nouveau Monde en voie d’effritement ? »
Oui, Alastair ! Écossais, Français, mais aussi Indigènes, en nous rencontrant et en nous souvenant tous ensemble de la résistance de nos ancêtres respectifs ; mais en nous éveillant également à la résistance contemporaine de nos trois peuples au même colonialisme culturel qui est en train de se perpétrer à notre égard ; parfois même par des hommes ou des femmes de nos propres peuples, au nom de la modernité (Robert Vachon).
Le processus d’expropriation par lequel les Écossais des Hautes-Terres ont été contraints d’abandonner leur pays, entre la fin du XVIIIe et le début du XXe siècle ; a été un épisode de génocide culturel conforme aux schémas de conquête coloniale qui se déroulèrent ailleurs dans l’Empire britannique ; et à bien des égards, il en fut le modèle. Son effet se perpétue jusqu’à nos jours dans la psyché nationale : un douloureux sentiment de dépouillement, que masque seulement un mince badigeon de relative prospérité matérielle, et une conscience grandissante de l’importance de recouvrer nos terres « nationales ».
Un rapide coup d’œil sur la presse des Hautes-Terres des années 1990 a tôt fait de révéler que, dans une large mesure, les expulsions sommaires, les expropriations, les retards dans l’aménagement du territoire, ainsi que les démolitions d’habitations ; s’expliquent toujours par le contrôle qu’exercent encore les grands propriétaires. Le West Highland Free Press, par exemple, expose en détail dans son numéro du 30 avril 1993, comment les régisseurs (gérants légaux) d’un des propriétaires terriens absentéistes les plus riches du monde, le cheikh Mohammed bin Rachid al Maktoum, de Doubaï ; a fait raser des maisons dans son vallon de Wester Ross, le « vallon du chagrin », afin qu’elles ne soient plus habitées. Sans doute à cause « du braconnage nocturne » de la population locale. Douze demeures ont donc été rasées, dans une zone où la liste d’attente pour l’attribution de logements compte pourtant 800 demandeurs. Le cheikh a des appuis dans certains milieux locaux grâce à ses dons en faveur de petits organismes caritatifs.
Quant aux propriétaires terriens d’un exotisme plus ordinaire, leur « balmoralisme » ou leur « ossianisme » de pacotille n’est nulle part mieux exposé, dans toute sa splendeur, que dans l’édition d’août 1992 du Harpers & Queen ; qui se prétend « le magazine de luxe le plus intelligent du monde ». Rien que cela ! Parmi des publicités pour des cosmétiques conçus pour remédier aux « agressions des agents extérieurs » ; (autrement dit, à l’intensification du rayonnement solaire qui peut « causer jusqu’à 80 % du vieillissement prématuré de la peau des « élites » dont le mode de vie est responsable au premier chef du trou dans la couche d’ozone) ; ce magazine nous présente tour à tour la Reine à Balmoral ; Mohammed al Fayed (propriétaire des grands magasins Harrods et du Ritz)
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avec ses « cornemuseux », au château des Hautes-Terres où il fait de rares séjours ; « trois familles sensass » d’aristocrates écossais anglicisés, « physique de lévrier… super-intelligence… et sens du devoir public » ; cinq jeunes aristocrates élèves d’écoles privées, dont « l’allure royale » fera rêver les dames ; six des « plus charmantes débutantes d’Écosse », qui « adorent l’odeur des chevaux » et se plaisent à prendre des poses érotiques dans de fantastiques robes de tartan fendues jusqu’en haut des cuisses ; et enfin Lord Edmund Vesty, propriétaire des fameux domaines Sutherland, exhibant à Royal Ascot son haut-de-forme et son héritière guindée.
En Écosse, de nos jours, 80 % des terres appartiennent à 4 000 personnes seulement. Il s’agirait là de 0,08 % de la population, si bon nombre d’entre elles n’étaient même pas en fait des propriétaires absentéistes ; aristocrates anglais, cheikhs arabes du pétrole, banquiers suisses, industriels sud-africains, pilotes de course, vedettes de musique pop, marchands d’armes et tutti quanti ; pas spécialement connus pour leur conscience sociale ou écologique. Parmi ces propriétaires figurent des artistes comme Terry Wogan ou Steve Davis, des caisses de retraite comme celle de Rolls-Royce, la Poste, Prudential Insurance ou la Midland Bank ; et des représentants d’intérêts spéculatifs étrangers comme Mme Dorte Aamann-Christensen, la Fondation Jensen et la Fondation Horsens Folkeblad du Danemark ou M. Paul van Vlissingen (Pays-Bas). Selon une étude de 1976, 35 familles ou sociétés possédaient un tiers des 2,99 millions d’hectares de terres des Hautes-Terres d’Écosse.
Fin juillet, la Bonne Société internationale range ses escarpins vernis pour gagner les villas du midi de la France ou les gros yachts de Sardaigne. Mais pas les Britanniques de vieille souche ! Pour eux, un seul choix : les Hautes-Terres… Rien de tel que l’Écosse au mois d’août pour dépenser son énergie ; le coq de bruyère, le daim ou la rivière à saumons attirent irrésistiblement les garçons pendant la journée. Le soir venu, ils sirotent quelques whiskies, ceux qui peuvent se prévaloir de cette prérogative se mettent en kilt ; et ils s’en vont singer de célèbres danses écossaises jusqu’à l’aube avec des jeunes filles bronzées, promptes à échanger les tweeds tachés de boue du terroir pour les robes de bal au large nœud de tartan… Rien de tel que l’Écosse en effet pour traquer le gros gibier social et les futurs maris fortunés ».
Pendant ce temps, un million d’Écossais, 20 % de la population, vivent juste au-dessus du seuil européen de pauvreté ou même en dessous. Sur l’île d’Eigg, en 1991, l’un de nous a d’ailleurs pu conclure en ces termes son intervention lors d’une réunion publique en faveur de la restitution des terres aux habitants.
« Telle est aujourd’hui la situation d’une grande partie des Hautes-Terres et des îles. Les expropriations se poursuivent sous prétexte de modernité. Le tourisme, par exemple, l’une des rares perspectives qui s’offrent à l’industrie locale, tombe trop souvent sous la mainmise des grands domaines ; et des maisons sont converties en lieux de séjour à temps partagé. Les gens du pays sont évincés, ce qui appauvrit la communauté. Allez voir dans les quartiers pauvres d’Édimbourg, de Glasgow, de Govan, où tant des nôtres vivent maintenant. Il est vrai que les plus chanceux ont parfois suffisamment réussi pour oublier leurs racines ; mais beaucoup des noms figurant sur les portes des logements, dans les tours et les zones d’intervention prioritaire, sont des noms bien de chez nous ».
En exposant les conséquences actuelles de ce processus d’expropriation, nous montrerons comment la conscience écologiste se conjugue à la conscience sociale, pour produire une pression politique favorable au changement. Le processus par lequel les communautés humaines des Hautes-Terres ont rétabli leur emprise au cours des siècles passés sera esquissé brièvement, et des parallèles seront faits avec les processus de libération analogues qui ont eu lieu dans les pays du Sud. Il sera démontré que, du fait de ce « colonialisme interne », nous n’avons pas seulement été victimes d’une spoliation des terres, mais aussi d’une spoliation des esprits et des âmes. Il est clair qu’il faut rompre ces chaînes si, au nord comme au Sud, nous voulons libérer notre potentiel humain, afin de retrouver un minimum de justice sociale et un mode de vie écologiquement viable ; et cela pas seulement pour vivre dans la dignité, mais aussi afin qu’il y ait en chacun de nous, en tant que partie intégrante de la nature, au sein d’une communauté internationale apaisée, une vie plus créative.
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La question des origines de la propriété à Rome reste très discutée : était-elle initialement de type collectif, ou bien chaque paterfamilias était-il propriétaire individuellement ? Ce problème relève plus de l’anthropologie que de l’histoire du Droit, car dès l’époque historique (Loi des XII Tables), c’est de la propriété individuelle dont traitent les sources.
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La propriété civile (dominium ex iure quiritium) se présente comme l’une des formes du pouvoir absolu qu’avait le paterfamilias sur les personnes et les biens familiaux. Elle comprend le droit d’utiliser ces biens à volonté (uti), d’en percevoir les fruits (frui), d’en disposer en fait (par la destruction) ou en droit (par l’aliénation) ; tout comme le droit de ne pas utiliser, de ne pas percevoir les fruits ou de ne pas disposer des biens, et celui d’empêcher les tiers d’user des mêmes prérogatives sur les biens, sans le consentement du propriétaire.
La propriété romaine a souvent été qualifiée de droit illimité ou absolu. Des nuances doivent être apportées.
Au milieu du XIe siècle, les concepts les plus élémentaires du droit romain (propriété, contrat, obligation, responsabilité, etc.) sont peu utilisés, voire oubliés. Dans cette économie médiévale, on ne connaît pas la propriété individuelle, les biens appartiennent aux familles. Les hommes ne sont que des usufruitiers de ce capital familial durant leur vie, et ils n’ont pas le droit de l’aliéner, car il doit servir à la subsistance des générations suivantes. Le capital passe de génération en génération.
L’économie féodale a connu deux sortes de propriétés : l’alleu ou franc-alleu (latin allodium) propriété pleine, franche et indépendante ; (exemple l’îlot anglo-normand d’Écréhou pour lequel la France et le Royaume-Uni se sont affrontés devant la Cour internationale de Justice de La Haye en 1953) ; et la tenure, propriété divisée en un domaine direct ou éminent réservé au seigneur, et un domaine utile appartenant au vassal ou tenancier. L’alleu était l’exception tandis que la tenure constituait la forme commune de la propriété foncière. La règle générale est, en effet, sous le régime féodal que nul homme, qu’il soit seigneur, vassal, tenancier, ou serf, ne possède de terre qu’en vertu d’une concession, et à charge de services dus au concédant. Le concédant ne se dessaisit jamais complètement, il n’abandonne que la possession, la jouissance, en d’autres termes le domaine utile, et se réserve une partie de la pleine propriété : le domaine éminent ou direct. Quelquefois même, et les actes que nous étudierons nous en fourniront un curieux exemple, le concédant n’abandonne qu’une partie strictement délimitée du domaine utile, se réservant, outre le domaine éminent, les droits utiles qu’il n’a pas expressément octroyés. Le tenancier, qui a la possession et la jouissance, a tous les avantages de la propriété. C’est le vrai propriétaire. Le seigneur n’a cependant pas abandonné tout droit sur la tenure et retire des profits pécuniaires de la terre concédée.
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CROISSANCE OU DÉCROISSANCE ?
Les opinions exprimées dans le présent chapitre ne coïncident pas nécessairement avec les vues ou les politiques du gouvernement.
Pierre de La Crau n’est qu’un vieux monsieur qui s’est retiré dans sa closerie (vieux français borie) sise au cœur de l’île d’Oléron, non loin de la réserve ornithologique et des marais, dans une petite chaumière à l’ombre (au sens large du terme) du clocher (chrétien) et de la lanterne des morts (païenne) de la ville de Saint-Pierre.
Il est loin d’être aussi intelligent, aussi instruit, aussi sage, et aussi altruiste, que les princes qui nous gouvernent (nos présidents et leurs conseillers politiques, les journalistes, et ainsi de suite…) eux qui donnent tout aux pauvres, en ne gardant presque rien par-devers eux ; à peine leur chemise et de quoi manger. Pour tout dire et en finir sur ce chapitre, c’est donc un hitléro-trotskiste, un nazo-stalinien, un suppôt de Satan sur cette Planète, torturant des petits enfants innocents chaque jour, dès son petit déjeuner. Raciste, sexiste, antijeune (car il n’a jamais été jeune et a toujours fait plus que son âge), partisan de la gérontocratie, milliardaire, et ainsi de suite…
Tout ce qu’il constate par contre (car pour cela point n’est besoin d’avoir fait autant d’études, ni de faire preuve d’autant de profondeur dans la réflexion qu’un journaliste ou qu’un homme politique) c’est que notre monde est entré dans une profonde crise financière, qui va enchaîner sur une crise économique ; par raréfaction des matières premières (absolue ou relative, absolue pour ce qui est, par exemple, des énergies fossiles ; relative pour ce qui est du partage planétaire des richesses, étant donné l’accroissement de la population mondiale et la montée en puissance des pays dits émergents). Le tout sur fond de crise climatique sans précédent. Comme Pierre de la Crau est un égoïste qui ne fait pas partie des élites qui savent, et qui partagent, tout ce qu’elles possèdent, et qui ont donc déjà la réponse à tous ces défis, puisqu’ils savent, alors il se pose des questions. Des questions comme celles qui suivent. Que nos lecteurs aient la bonté d’en pardonner à l’avance la futilité ou la redondance. La Boirie, le 13 01 2010.
La crise financière majeure qui frappe les marchés mondiaux suite à la crise des subprimes (février 2007) a contribué à un regain important de critiques envers le capitalisme et l' « ultralibéralisme ». Alan Greenspan lui-même, président pendant dix-huit ans de la banque centrale, et « libertarien » proclamé, qui défendait la supériorité de l’autorégulation des marchés sur la régulation étatique ; a d’ailleurs admis, jeudi 23 octobre 2008, face à la commission de contrôle d’action gouvernementale, qu’il avait eu « partiellement tort » de faire plus confiance au marché qu’au gouvernement pour réguler le système financier. Il nous a même fait part de son désarroi à ce propos.
M. Waxman : « Avez-vous eu tort ? »
Greenspan : « En partie. J’ai découvert une faille [dans mon idéologie]. Je ne sais pas à quel point elle est significative ou durable, mais ce fait m’a plongé dans un grand désarroi ».
Bruce Scott est Professeur de gestion des affaires, à la Harvard Business School, et auteur d’un ouvrage intitulé « capitalisme, démocratie et développement ».
Capitalisme et démocratie n’ont pas fait simultanément leur apparition dans l’Histoire, note Bruce Scott, et la question se pose de savoir s’ils pourront continuer à dominer les systèmes d’échanges commerciaux ou de gouvernement du monde.
Depuis 1835, date de la parution du remarquable ouvrage d’Alexis de Tocqueville « De la démocratie en Amérique » ; les États-Unis sont connus pour leur mariage particulier du capitalisme et de la démocratie, qui entraîne une décentralisation des pouvoirs décisionnels, tant en économie qu’en politique.
Bien qu’il n’y ait pas de consensus sur la définition du capitalisme, celui-ci est devenu, depuis 1990, le système économique quasi universel, englobant la Chine et l’Inde ; Cuba et la Corée du Nord faisant figure d’exceptions.
La démocratie est encore plus difficile à définir, et le nombre de démocraties dans le monde varie selon la définition retenue. Le politologue Robert Dahl, de l’université de Yale, estime que plus de la moitié des 200 pays membres des Nations unies, regroupant les deux tiers de la population mondiale, peuvent être classés parmi les démocraties.
Le capitalisme, bien que défini de manière peu précise, est donc parvenu à une domination quasi totale de l’économie mondiale, et la démocratie est devenue la norme ; encore que moins dominante dans les faits, puisque la Chine a bâti un système capitaliste remarquablement efficace, mais a conservé un régime politique autoritaire.
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Nous devons donc définir le capitalisme et la démocratie avec plus de précision avant de pouvoir déterminer s’ils conserveront leur position dominante en tant que modes de commerce et de gouvernement.
Immanuel Wallerstein et la crise terminale du capitalisme ??????????????
Nous sommes aujourd’hui clairement dans la phase B d’un cycle de Kondratieff qui a commencé il y a trente à trente-cinq ans ; après une phase A qui a été la plus longue (de 1945 à 1975) des cinq cents ans d’histoire du système capitaliste.
Dans une phase A, le profit est généré par la production matérielle, industrielle ou autre ; dans une phase B, le capitalisme doit, pour continuer à générer du profit, se réfugier dans la spéculation. Depuis plus de trente ans, les entreprises, les États et les ménages, s’endettent, massivement. Nous sommes aujourd’hui dans la dernière partie d’une phase B de Kondratieff, lorsque le déclin virtuel devient réel, et que les bulles explosent les unes après les autres ; les faillites se multiplient, la concentration du capital augmente, le chômage progresse, et l’économie connaît une situation de déflation réelle.
Mais, aujourd’hui, ce moment du cycle conjoncturel coïncide avec, et par conséquent aggrave, une période de transition entre deux systèmes de longue durée.
Je pense en effet que nous sommes entrés depuis trente ans dans la phase terminale du système capitaliste. Ce qui différencie fondamentalement cette phase de la succession ininterrompue des cycles conjoncturels antérieurs, c’est que le capitalisme ne parvient plus à « faire système », au sens où l’entend le physicien et chimiste Ilya Prigogine (1917-2003). Quand un système, biologique, chimique ou social, dévie trop, et trop souvent, de sa situation de stabilité, il ne parvient plus à retrouver l’équilibre, et l’on assiste alors à une bifurcation.
La situation devient chaotique, incontrôlable pour les forces qui la dominaient jusqu’alors, et l’on voit émerger une lutte, non plus entre les tenants et les adversaires du système, mais entre tous ses acteurs, pour déterminer ce qui va le remplacer.
La crise la plus récente, similaire à celle d’aujourd’hui, est l’effondrement du système féodal en Europe, entre les milieux du XVe et du XVIe siècle, et son remplacement par le système capitaliste. Cette période, qui culmine avec les guerres de religion, voit s’effondrer l’emprise des autorités royales, seigneuriales, et religieuses, sur les plus riches communautés paysannes et sur les villes. C’est là que se construisent, par tâtonnements successifs, et de façon inconsciente, des solutions inattendues, dont le succès finira par constituer un système en s’étendant peu à peu, sous la forme du capitalisme.
La période de destruction de valeur qui clôt la phase B d’un cycle Kondratieff, dure généralement de deux à cinq ans, avant que les conditions d’entrée dans une phase A, lorsqu’un profit réel peut de nouveau être tiré des nouvelles productions matérielles décrites par Schumpeter, soient réunies. Mais le fait que cette phase corresponde actuellement à une crise de système nous a fait entrer dans une période de chaos politique ; durant laquelle les acteurs dominants, à la tête des entreprises et des États occidentaux, vont faire tout ce qu’il est techniquement possible pour retrouver l’équilibre ; mais il est fort probable qu’ils n’y parviendront pas.
Nous sommes dans une période, assez rare, où la crise et l’impuissance des princes qui nous gouvernent laissent une place au libre arbitre de chacun. Il existe aujourd’hui un laps de temps pendant lequel nous avons chacun la possibilité d’influencer l’avenir, par notre action individuelle. Mais comme cet avenir sera la somme du nombre incalculable de ces actions, il est absolument impossible de prévoir quel modèle s’imposera finalement. Dans dix ans, on y verra peut-être plus clair ; dans trente ou quarante ans, un nouveau système aura émergé. Je crois qu’il est tout aussi possible de voir s’installer un système économique, hélas encore plus violent que le capitalisme, que de voir au contraire se mettre en place un modèle plus égalitaire et plus redistributif.
La crise que nous vivons correspond aussi à la fin d’un cycle politique, celui de l’hégémonie américaine, entamée aussi dans les années 1970. […] Les conflits internes vont donc s’exacerber aux États-Unis, qui sont en passe de devenir le pays du monde le plus politiquement instable. Et n’oubliez pas que nous, les Américains, nous sommes tous armés (sic. En français dans le texte)…
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Wallerstein a raison de rappeler le caractère historique (et donc transitoire) du « capitalisme ».
Le capitalisme n’a rien de naturel ou de normal, il n’est nullement l’horizon nécessaire et indépassable de l’Histoire, il est au contraire une longue et laborieuse construction sociale. Or ce qui a été construit peut aussi se déconstruire et, avec les matériaux accumulés, autre chose peut prendre sa place.
Bref, l’hypothèse d’une transition en cours comparable par son ampleur à la transition du système « féodal » au système « capitaliste » mérite donc examen……..
[Note des héritiers de Pierre de La Crau : fin de la page contenant ces remarques].
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L’OPTION DÉCROISSANCE.
On nous sollicite de toutes parts pour connaître notre position sur la décroissance. La voici.
La croissance a été ignorée pendant des siècles. La notion de loi du marché était totalement inconnue de nos ancêtres, en revanche, la politique, ils savaient très bien ce que c’était (l’alliance avec Rome, ou avec les Germains, l’immigration helvète, etc.)
« Ils prennent volontiers en main la cause de celui que l'on opprime. Ils ont en effet, au plus haut degré, le sentiment de l’équité, du droit et de l’honneur. Ils ne peuvent souffrir que l’on manque à la foi jurée. La réputation de justice de certaines de leurs tribus comme les Volques Tectosages qui habitaient au-delà du Rhin s’étendait au loin. En Thrace, la sagesse de leur roi Cavaros lui valut d’être pris comme arbitre entre Byzance et les cités grecques voisines ».
La notion de croissance, elle, est récente (XVIIe XVIIIe siècle, et elle est propre à l’Occident).
Au XVIe siècle encore, d’ailleurs, le grand philosophe et penseur Réformé Pierre de la Ramée (1515-1572) auteur de deux ouvrages contre Aristote, « Dialecticae partitiones » et « Aristotelicae, animadversiones » ; insiste sur deux aspects qui se trouvent, il est vrai, dans les témoignages des auteurs anciens : la liberté ainsi que la frugalité. Ramus y voit un idéal de vie, le travail manuel n’est pas un déshonneur pour les élites et ne fait pas déroger les nobles (l’obsession française de l’époque). La Ramée se référait peut-être au cas du prince galate Déjotarus 1) qui s’occupait lui-même de son exploitation agricole si l’on croit Cicéron.
Les hasards de l’histoire ont fait que l’avocat marron le plus connu du prétoire romain a en effet heureusement pour nous, été amené à défendre ce grand prince galate dans le cadre d’une affaire au plus haut point politique, n’ayant rien à voir avec des magouilles financières.
Le malheureux resté fidèle au Sénat romain et à Pompée avait en effet pris parti contre César. Aïe ! On ne sait si la plaidoirie de Cicéron fut efficace puisque César fut assassiné avant d’avoir rendu son verdict, mais elle nous a par contre gardé de précieuses informations sur Déiotaros.
« Singularis et admiranda frugalitas…..diligentissimus agricola et pecuarius haberetur …O tempora, o mores !»
Cicéron en fait donc un bon agriculteur et un fermier actif à la vie très frugale (il avait tout pour plaire à Pierre La Ramée effectivement)
Si besoin était la chose est confirmée par Diophane de Nicée qui en son temps a jugé bon de lui dédier son traité d’agriculture.
En France plusieurs siècles plus tard on pouvait voir, parfois, des gentilshommes de grandes familles à la noblesse immémoriale labourer eux-mêmes leurs terres, l’épée fièrement portée au côté.
MAIS UNIQUEMENT PARCE QU’ILS ÉTAIENT RUINÉS ET QU’IL S’AGISSAIT DE LEURS TERRES PERSONNELLES (ce qui donc ne les faisait pas déroger).
Noël Taillepied, lui (1540-1589) développera les principales caractéristiques d’une société où le plein-emploi ainsi que la spécialisation professionnelle assurent un parfait équilibre de fonctionnement.
Masqués sous le nom de « civilisation », les Européens ont colonisé les terres nouvellement découvertes, et par la même occasion apporté à des peuples différents nos nouvelles valeurs. Et aujourd’hui, ce ne sont plus seulement les États-Unis et l’Europe qui se réclament de cette théorie infernale de l’économie de marché, mais aussi les pays que nous avons qualifiés d’émergents, la Chine, l’Inde…
Nous sommes donc en faveur d’une décroissance… juste et durable ! Socialement juste et durable du point de vue de l’économie.
Rappelons tout d’abord qu’il ne s’agit en aucune façon pour nous d’une nouveauté. Quand nous avons débarqué à Paris à la fin des années 1970, nous avons alors publié dans le journal intitulé « la Cause du Peuple » (reconstituée) un article parlant de groupements d’exploitations agricoles en commun (GEAC) et de villages abandonnés ; à faire revivre au moyen d’une vie plus saine, après avoir brûlé tous nos diplômes, genre kibboutz. Article qui avait, m’a-t-il été dit, réveillé au moins l’un des lecteurs de ce journal (en passe de disparaître définitivement).
Il est en effet nécessaire de s’inspirer un peu plus de la sagesse de nos ancêtres. Nous sommes les seuls êtres pensants sur cette planète, et donc les seuls à pouvoir enrayer la descente aux enfers que nous avons nous-mêmes initiée.
L’idée de croissance est relativement moderne et l’Homme n’en était pas moins homme avant que cette idée ne s’impose. Il ne s’agit donc pas de créer un « Homme nouveau », mais bien de le
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retrouver. Par « retrouver l’Homme », nous voulons dire retrouver les valeurs qui font de nous des Hommes, et non des bêtes ; et ces valeurs ne sont pas financières ni cotées en Bourse, mais philosophiques et spirituelles. Il ne s’agit plus de gérer notre monde au seul regard de l’économie, mais aussi d’y réintégrer les notions de spiritualité, de solidarité, de culture, d’écologie, et bien d’autres choses encore.
Ce qui fait de nous des hommes n’est pas l’argent, alors pourquoi est-il la condition sine qua non à toute décision politique aujourd’hui… ?
Culture, philosophie, spiritualité, bonheur, ne sont jamais pris en compte pour estimer les gains/pertes dans les décisions politiques fondées sur l’argent.
L’idée de croissance illimitée n’est pas soutenable. La croissance ne peut être indéfinie, car elle se heurte aux limites mêmes de la terre mère.
Si l’on prend comme indicateur du « poids » environnemental de notre mode de vie, « l’empreinte » écologique de celui-ci en superficie terrestre nécessaire ; on obtient des résultats insoutenables, tant du point de vue de l’équité dans les droits de tirage sur la nature, que du point de vue de la capacité de régénération de la biosphère. Nous consommons en effet en moyenne 9,6 hectares (un Canadien 7, 2, un Européen moyen 4,5, etc.). On est donc très loin de l’égalité planétaire, et plus encore d’un mode de civilisation durable, qui nécessiterait de se limiter à 1,4 hectare par habitant de la planète (en admettant que la population actuelle reste stable).
Les symptômes d’une crise planétaire qui va en s’accélérant sont manifestes. La crise s’enracine dans l’échec de l’entreprise moderne, c'est-à-dire la substitution de la Machine à l’Homme. Nul n’a besoin d’être grand clerc pour comprendre qu’un individu, ou une collectivité, tirant la majeure partie de ses ressources de son capital, et non de ses revenus, est voué à la faillite. Tel est pourtant bien le cas des sociétés occidentales, puisqu’elles puisent dans les ressources naturelles de la planète, notre patrimoine commun, sans tenir compte du temps nécessaire à leur renouvellement. Non content de piller ce capital, notre modèle économique, fondé sur la croissance infinie, induit en plus une augmentation constante de ces prélèvements.
Dans ces conditions, l’idée de croissance illimitée n’est ni soutenable ni souhaitable. Fondée sur l’accumulation des richesses matérielles, et en aucun cas spirituelles, la croissance pour la croissance est destructrice de la nature et génératrice d’inégalités sociales. « Durable » ou « soutenable », elle n’en demeure pas moins à terme un marché de dupes. L’élévation du niveau de vie dont pensent bénéficier la plupart des citoyens des pays concernés, est de plus en plus une illusion. Ils dépensent certes plus en matière d’achat de biens et services marchands, mais ils oublient d’en déduire l’élévation supérieure des coûts. Celle-ci prend des formes diverses, marchandes et non marchandes. Dégradation de la qualité de vie non quantifiée, mais subie (air, eau, environnement) ; dépenses de « compensation » et de réparation (médicaments, transports, loisirs) rendues nécessaires par la vie moderne ; élévation des prix des denrées raréfiées (eau en bouteilles, énergie, espaces verts…) ; perte de temps et d’énergie. Exemple les divorces en France, voire même toute affaire judiciaire dans ce pays, qui nécessite des mois et des mois de procédure pour au final aboutir souvent à un résultat aberrant. En matière de divorce, il peut arriver que ce soit le conjoint subissant la plus sérieuse chute de son niveau de vie, qui soit néanmoins obligé de verser une prestation compensatoire. Le fonctionnement de l’institution judiciaire, pourtant primordiale dans un pays qui interdit à ses citoyens de se faire justice eux-mêmes, faute d’argent et de moyens ; consacrés en réalité à enrichir personnellement les hommes politiques qui nous gouvernent, puisque faire de la politique est devenu aujourd’hui un moyen de s’enrichir ; est devenu un gouffre non productif, non constructif, mais engloutissant des années d’efforts du justiciable. La qualité de l’administration de la justice, privilège régalien par excellence (sa rapidité, son degré de reconnaissance du réel, son équilibre…) devrait être prise en compte dans tout calcul du produit intérieur brut.
On pourrait par exemple parler de l’Indice de Santé Sociale, qui tient compte de facteurs bien plus réalistes que le PIB d’un pays ; et qui montre que, s’il y a croissance du PIB, il y a décroissance pour l’Indice de santé sociale.
Pour les druides antiques, la notion de richesse d’un pays (d’un royaume, d’un règne, opposée à celle de terre gaste) embrassait toutes les choses, matérielles ou intellectuelles, tangibles ou non ; qui procuraient de l’utilité ou du plaisir à l’espèce humaine. Elle intégrait donc tout autant les biens produits par les hommes, que la qualité des rapports sociaux ou celle de l’environnement. Mais, de nos jours, on ne prend en compte que les richesses « mesurables ». Au fil de l’Histoire, la focalisation sur ces indicateurs a donc progressivement orienté la définition de la richesse vers les seules productions marchandes. Si bien qu’il existe aujourd’hui un consensus politique sur une corrélation entre croissance du PIB et amélioration du bien-être. Or, de nombreux éléments de la richesse ne sont pas pris en compte dans la mesure du PIB. Les ressources naturelles, mais aussi les loisirs, les
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activités sociales et politiques, la qualité de la justice, de l’enseignement, la médecine et la santé, le respect des individus, qui sont des déterminants importants de la qualité de vie du citoyen.
Quand on corrige un produit intérieur brut (PIB) en tenant compte des pertes dues à la pollution, à la dégradation de l’environnement, au dysfonctionnement de l’enseignement, de la médecine ; alors on s’aperçoit que, depuis les années 1970, cet indicateur stagne et même régresse, tandis que celui du PIB ne cesse d’augmenter.
Faisons donc de nécessité vertu, et concevons la décroissance comme un objectif dont on peut tirer des avantages. Ainsi comprise, la décroissance ne signifierait pas une régression du bien-être. La décroissance ne propose pas de vivre moins, mais mieux, avec moins de biens et plus de liens.
Mais encore une fois, répétons-le, cette décroissance ne doit pas être une croissance négative, expression antinomique et absurde qui signifierait à la lettre : « Avancer en reculant ».
La décroissance durable peut faire partie des bases d’une autre société possible, et souhaitable, où l’on distingue l’essentiel du superflu ; où les rapports ne sont pas ceux de commerçants à consommateurs, où les valeurs supérieures ne sont pas la croissance économique, le travail coûte que coûte, la compétitivité, la satisfaction des actionnaires, au détriment de critères sociaux ou environnementaux. Ce qui ne signifie pas revenir à l’éclairage à la bougie, mais démythifier ces valeurs reines.
On sait que le ralentissement de la croissance plonge nos sociétés dans le désarroi, en raison du chômage et de l’abandon des programmes sociaux, culturels et environnementaux, qui assurent un minimum de qualité de vie. On peut imaginer quelle catastrophe serait un taux de croissance négatif ! De même qu’il n’y a rien de pire qu’une société du travail sans travail, il n’y a rien de pire qu’une société de croissance sans croissance. C’est ce qui condamne républicains, démocrates, libéraux, royalistes, loyalistes, ou gauche et droite institutionnelles, faute d’oser une véritable révolution, au social-libéralisme. La décroissance n’est donc envisageable que dans une société aux valeurs très différentes.
Pour concevoir une société de décroissance sereine et y accéder, il faut littéralement sortir de l’économie. Cela signifie remettre en cause sa domination sur le reste de la vie, en théorie et en pratique, mais surtout dans nos têtes.
De toute façon à quoi sert la croissance si elle ne rend pas heureux ? À quoi sert la croissance puisqu’on ne vit pas mieux ? Exemple : les téléphones portables faussent les rapports de vive voix, sont très peu recyclables, et ont besoin de 630 fois leur poids en combustibles fossiles pour être fabriqués, contre deux fois son poids pour une voiture. En bref, les bénéfices augmentent pour les actionnaires, mais la qualité de vie diminue (la justice devient par exemple de plus en plus boiteuse et borgne, et pourrit la vie des simples citoyens).
De même que le druide prime le roi, le politique doit primer l’économique. C’est à la société en tant que corps constitué de décider des priorités qu’elle se donne, étant donné que dans ce monde, tout n’est pas possible (du moins à la fois et en même temps). Et c’est à l’économie de suivre, non l’inverse. Le projet de construction, au Nord comme au Sud, de sociétés conviviales, mais aussi autonomes et économes implique, à parler rigoureusement, davantage une « a-croissance », comme on parle d’a-théisme, qu’une décroissance. C’est d’ailleurs très précisément de l’abandon d’une foi et d’une religion qu’il s’agit : celle de l’économie à tout prix. Il faut inlassablement déconstruire la monolâtrie du développement.
Une saine politique de décroissance pourrait d’abord consister à réduire, voire à supprimer, le poids sur l’environnement des charges qui n’apportent aucune satisfaction réelle. La remise en question du volume considérable des déplacements d’hommes et de marchandises sur la planète, avec leur impact négatif correspondant ; celle non moins considérable de la publicité tapageuse et souvent néfaste ; celle enfin de l’obsolescence accélérée des produits et des appareils jetables, n’ayant d’autre justification que de faire tourner toujours plus vite la machine infernale et remplir les poches de nos pseudo-élites, obsolescence programmée déjà dénoncée par Teilhard de Chardin en son temps.
On peut synthétiser tout cela dans un programme en six points : réévaluer, restructurer, redistribuer, réduire, réutiliser, recycler. Ces six objectifs interdépendants devraient enclencher un cercle vertueux de décroissance sereine, conviviale et soutenable. On pourrait même allonger la liste avec les points suivants : rééduquer, reconvertir, redéfinir, remodeler, repenser, etc. ; et bien sûr relocaliser, mais tous ces principes sont déjà peu ou prou inclus dans les six premiers.
On voit tout de suite quelles sont les valeurs qu’il faut mettre en avant et qui devraient prendre le dessus par rapport aux valeurs dominantes actuelles. L’altruisme devrait prendre le pas sur l’égoïsme, la coopération sur la compétition effrénée, l’importance de la vie sociale sur la consommation illimitée, le goût de la belle ouvrage sur l’efficacité productiviste, etc.
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Le problème, c’est que les valeurs actuelles sont systémiques : elles sont suscitées mais également stimulées par le système et, en retour, elles contribuent à le renforcer. Les mutations de la Poste française de 1990 à 2010 sont un parfait exemple de l’incroyable gaspillage d’énergie humaine auquel peut conduire, dans un grand service public, la prise de pouvoir par des médiocres ; des cadres à l’intelligence limitée, mais à la mentalité de mercenaire.
Manger des aliments sains, avoir moins de bruit, vivre dans un environnement équilibré, ne plus subir de contraintes de circulation, et ainsi de suite ; doit donc être vécu comme un plus, comme quelque chose d’intrinsèquement positif, et non simplement comme la conséquence obligée d’un renoncement à un tel niveau de vie.
La décroissance est un concept politique, économique et social, se plaçant à l’opposé du consensus politique actuel autour de la croissance économique. Il remet en cause l’idée dominante selon laquelle l’augmentation de la production de marchandises (sous forme de biens ou de services) conduit à l’augmentation du bien-être social ; et propose de diminuer la consommation et la production afin de respecter le climat, l’écosystème et les êtres humains.
Dans les situations où le seuil d’une empreinte écologique correspondant à une planète entière est dépassé individuellement et collectivement, il n’y a plus de développement économique compatible avec le maintien d’un environnement viable. La seule évolution durable passe par une révision des mécanismes qui amènent à dépasser ces limites. Cela conduit à la nécessité politique d’organiser, voire d’imposer ces changements ; tout en gardant une certaine croissance pour les zones peu développées ainsi que les communautés ou les individus les plus pauvres, voire dans certains secteurs stratégiques (à déterminer : par exemple la santé, l’éducation, la justice, la recherche…). La décroissance doit commencer par surtout concerner les plus riches, pas les plus pauvres !
Il faut toujours bien différencier le développement qualitatif et humain (le développement du bien-être, scolaire, culturel, et de règles de fonctionnement communautaire harmonieux, etc.) ; des aspects matériels limités par leur consommation en ressource.
Il s’agit de réduire progressivement l’impact écologique et l’intensité du prélèvement des ressources naturelles, afin d’atteindre un niveau compatible avec les capacités reconnues de notre planète.
Il nous faut mettre en place une nouvelle économie, fondée sur une nouvelle technologie, moins lourde, moins matérielle, et relativement plus immatérielle.
Le développement devient alors nécessairement un « éco-développement » plus respectueux de l’environnement et de l’Homme.
Pour atteindre ce but, il faut préserver les populations d’une conjoncture mondiale de fin des ressources vitales.
Concrètement, une décroissance soutenable pourrait être atteinte par une modération de notre mode de vie, par une réflexion sur les besoins de base, et par l’arrêt d’une surconsommation absurde et destructrice, par la simplicité volontaire. Le passage à cette simplicité volontaire permettrait en outre de mutualiser les dons de ceux qui se débarrassent de leur trop-plein d’objets.
Évidemment, cela vaut pour les pays occidentaux qui ont atteint un niveau de développement permettant plus que largement de satisfaire les besoins vitaux de leur population ; tout en sachant que des poches de pauvreté subsistent — et s’accroissent — en leur sein. Au contraire, les pays où la population ne mange pas encore à sa faim, où l’accès à l’eau est un privilège rare, où l’électricité demeure un rêve lointain… ne peuvent pas envisager une baisse de leur niveau de vie. Donc, il s’agirait d’envisager des croissances/décroissances suivant les cas.
La décroissance nous oblige aussi à repenser le concept de travail. En effet, pour le libéralisme, l’exploitation du travail salarié constitue le premier moteur de la croissance, conjugué à l’obligation de consommer, voire de surconsommer. Travailler plus pour gagner plus, pour consommer plus, pour plus de croissance et plus d’inégalités et d’injustices : on réalise vite que cela relève d’une obsession quasi - pathologique. Beaucoup aimeraient travailler voire consommer moins, pour avoir plus de temps à consacrer aux autres, à leurs familles, et privilégier le lien social à l’accumulation des richesses matérielles.
La décroissance permettrait enfin aux producteurs d’être les maîtres réels de leur travail, un peu comme les compagnons d’autrefois ou les guildes médiévales. Tout cela constituerait le vrai changement.
Cessons par ailleurs de penser que le travail est l’unique source de profits pouvant faire vivre. Cette conception rétrograde et irréaliste du travail ne tient aucun compte des formes de travail non aliénantes et altruistes comme le travail associatif, artistique ou autre…
Une réduction massive du temps de travail imposé pour assurer à tous un emploi satisfaisant pourrait être l’heureuse conséquence d’une telle décroissance. Pas plus de deux heures par jour pour se
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nourrir, se vêtir, se loger, se soigner, reste effectivement un idéal, mais une telle démarche ne pourrait être menée à son terme que si le monde entier en fait autant. Mettre au point en quelques décennies un « paradis » qui serait détruit par de nouveaux « barbares » serait la pire erreur à commettre.
L’acceptation d’un mode de vie personnel en harmonie avec une simplicité volontairement analogue à celle de nos ancêtres d’il y a 2000 ou 3000 ans peut être un de ces moyens. Autrement dit, les gains de productivité doivent être investis en temps gagné pour des loisirs non « consommateurs » de ressources naturelles, et non pas réinvestis pour accélérer cette consommation.
Certes, le choix d’une éthique personnelle différente, comme celui de la simplicité volontaire, peut infléchir la tendance et saper les bases fantasmatiques du système, mais, sans une remise en cause radicale de ce dernier, le changement risque d’être limité. Il faut donc envisager aussi d’autres approches.
La relocalisation des économies (priorité à la production et à la consommation locales ainsi qu’à la réduction des transports motorisés) peut en être une autre, malgré la farouche opposition des milieux antiracistes en ce domaine. On se demande bien pourquoi d’ailleurs.
La décroissance soutenable est une voie que l’on peut qualifier d’alternative face aux dérives du système économique ultralibéral qui entraîne des dégâts écologiques, sociaux, politiques, et autres, catastrophiques. Ce n’est en aucun cas une forme de totalitarisme ; il ne s’agit pas d’imposer quelque forme de politique — économique ou autre. C’est bien en cela que l’adjectif « soutenable » est important ; il suggère d’agir maintenant, et ensemble, volontairement, d’abord individuellement (simplicité volontaire), mais aussi collectivement, donc politiquement (réseaux de relocalisation de l’économie, prise en main de la politique par le citoyen, et ainsi de suite).
Les solutions sont politiques, mais aussi individuelles avons-nous expliqué, autrement dit prenons la liberté personnelle de renoncer à la consommation de masse. Nous conseillons pour cela un site canadien très bien fait sur la simplicité volontaire : www.simplicitevolontaire.org. Commencez par les préceptes simples, qui sont uniquement du bon sens.
Conclusion. Il nous faut travailler à une société fondée sur la qualité plutôt que sur la quantité, sur la coopération plutôt que sur la compétition, et se donnant la justice sociale comme objectif. Notre bonheur ne passe pas nécessairement par plus de croissance, plus de productivité, plus de pouvoir d’achat, et donc plus de consommation.
Le politique au sens noble du terme doit primer le profit économique à court terme. Il s’agit non d’éviter les effets secondaires négatifs de la croissance, mais de vivre autrement pour vivre mieux, en mangeant des aliments sains, avec moins de bruit, d’être dans un environnement équilibré, sans subir de contraintes de circulation, etc.
La construction d’alternatives suppose de cesser de penser le bien-être des peuples d’abord en termes de production croissante, de richesse économique, d’augmentation du Produit Intérieur Brut. Cette construction doit impérativement échapper à la tyrannie de la croissance ! Pour cela, nous devrons tous opérer un « décloisonnement de nos imaginaires », pour inventer des modes de vie alliant solidarité, sobriété, convivialité, mais aussi démocratie. C’est à ce chantier politique, au sens le plus noble du terme, que les très-sachants d’aujourd’hui convient leurs contemporains.
La décroissance sera, tôt ou tard, imposée par la raréfaction des ressources naturelles. Nous proposons donc de l’anticiper de manière à ce qu’elle affecte le moins possible notre qualité de vie, car cette décroissance doit être soutenable. Par soutenable nous voulons dire que les politiques engagées ne doivent pas provoquer d’effondrement catastrophique de la société. Le qualificatif soutenable traduit à la fois la nécessité de reconnaître les contraintes de notre environnement, et celle de ne pas faire le lit d’une nouvelle barbarie.
Être objecteur de croissance comme nous en ce domaine, ne doit pas signifier être pour l’arrêt du progrès, mais être à la recherche de réponses justes aux besoins matériels et sociopsychiques (incluant la santé, mais aussi la sécurité affective, individuelle et collective) ; et en faveur d’une croissance partagée de la qualité ou du plaisir de vivre, du savoir et des cultures. Une moderne quête du Graal en somme !
Mais à la condition qu’elle ne remette pas en cause la défense nationale au sens large (identité culturelle, langue, liberté…) ; car comme l’a dit un jour un grand stratège antique (en latin) vae victis !
« Comme les ambassadeurs romains demandaient quel tort avaient bien pu leur faire les Clusains pour qu’ils marchent ainsi contre leur ville, le roi des Galates, Brennos, se prit à rire, et leur répondit ce qui suit.
Les Clusains nous ont fait tort en ce qu’ils trouvent juste d’avoir beaucoup de terre et de pays, alors qu’ils ne peuvent en exploiter beaucoup, sans nous en donner un peu à nous qui sommes étrangers, nombreux et pauvres.
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C’est le même tort que vous faisaient jadis, à vous, romains, les Albains, c’est celui que vous font aujourd’hui les Volsques, contre qui d’ailleurs vous avez pris les armes. Et là vous trouvez normal, s’ils ne partagent pas leurs biens avec vous, de les réduire en esclavage, de les piller, de ruiner leurs villes.
Ce faisant vous ne commettez pas une incroyable injustice, vous suivez simplement la plus ancienne des lois, celle qui accorde au plus fort ce qui est au plus faible, et qui va de Dieu aux bêtes. La nature, en effet, a mis en elles cet instinct, que les plus fortes essaient d’avoir plus que celles qui sont plus faibles. Cessez donc de prendre en pitié les Clusains assiégés, car les Galates pourraient finir par se montrer bons et compatissants envers ceux à qui les Romains font du tort » (Plutarque. Vies parallèles. Camille).
La décroissance doit être…
1) Soutenable (supportable). La croissance dans un monde fini nous amènera tôt ou tard à une décroissance subie composée de crises, voire d'effondrements. L'idée de décroissance soutenable est de nous épargner cette décroissance « insoutenable », cette « croissance ratée ».
2) Équilibrée (en proportions harmonieuses). Pour éviter les crises et pour que personne ne soit exclu, trois processus doivent se combiner simultanément : réduction de la consommation (du « vouloir acheter »), réduction de la production et partage (du travail notamment).
3) Démocratique. La réorganisation à différents niveaux de la société ainsi que le partage requièrent davantage de « démocratie » : plus participative et directe.
4) Conviviale (prenant en compte l'intérêt d'autrui autant que le sien), écologique (respect des écosystèmes), sociale (respect entre humains), positive, culturelle. La décroissance matérielle (physique) et donc économique doit laisser la place à de nombreuses autres croissances (qualitatives en grande partie) : des relations désintéressées, du temps pour soi et pour les autres, de l'équité, de la santé, de la chaleur humaine, de la nature, de la sécurité, de l'art, de la perception de ce qui nous environne, de la poésie, de l'empathie...
5) Équitable. Elle doit s'appliquer en premier lieu aux 20 % de favorisés vivant principalement dans les pays industrialisés. Il doit s'agir d'une décroissance différenciée de façon à tendre vers une société plus juste dans les pays industrialisés, mais aussi au niveau mondial.
6) Introduisant des nouveautés ou revenant au meilleur du passé, voire du communisme primitif, car il n’y a rien de nouveau sous le soleil, car il n’y a rien de plus nouveau que ce qui a été oublié. Il s'agit d'une remise en cause de la situation actuelle (faite notamment d'autoroutes et des centrales nucléaires...), afin de bâtir un futur fondé sur une moindre consommation de ressources, dans lequel l'innovation a intégré la notion de limite, plutôt que de tendre à s'en soustraire. Certaines innovations feront l'objet de débats démocratiques et seront refusées si elles font fi de limites éthiques ou écologiques (OGM, Nucléaire, Nanotechnologies, etc.).
7) Diversifiée. Le but de la décroissance est d'atteindre une société durable où chaque mode de vie est unique tout en étant potentiellement généralisable et partageable. L'urgence et la gravité des problèmes impliquent des démarches à portée et échéance diverses.
8) Ciblée. Elle n'implique pas une décroissance à tous les niveaux pris séparément. Les alternatives agricoles, énergétiques ou de transports durables (etc.) doivent croître, si elles entraînent une réduction d’autant des techniques agricoles, énergétiques ou de transport, non durables.
9) Locale. Elle est fondée sur des économies de proximité, ouvertes néanmoins sur le Monde, mais une décroissance locale qui entraîne une croissance ailleurs ou dans le futur n'est pas une décroissance.
10) Seulement transitoire. Il ne s’agit pas de faire de la décroissance pour la décroissance. La décroissance ne constitue pas un but en soi, mais seulement un moyen. Elle doit constituer une étape devant aboutir à une société durable, juste, durable écologiquement, démocratique, participative, répondant aux besoins humains, localisée ; d'une grande diversité humaine, culturelle, linguistique, ethnique ; en chaque lieu si le maintien durable d’une telle diversité s’avère démocratiquement possible à cette échelle, ou au niveau planétaire ; mais aussi ouverte sur le reste du monde ; et dont l'économie sera stationnaire.
En bref, une nouvelle devise à graver aux frontons de nos monuments publics : simplicité volontaire, relocalisation, partage.
- SIMPLICITÉ VOLONTAIRE = développement par exemple d’une alimentation plus locavore.
- RELOCALISATION : de la production, des échanges et donc de la monnaie.
- PARTAGE = revenu inconditionnel d’existence pour tous, revenu maximum autorisé pour certains, mais aussi gratuité des biens communs (comme l’eau, l’air ou la terre), etc.
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Le défi à relever dans les prochaines années sera de savoir où faire passer la ligne de démarcation entre ce qui peut être utilement concerné par la décroissance (le confort par exemple…) ; et ce qu’il serait imprudent d’y sacrifier. Contrairement à ce que font en pratique et concrètement, les gens gentils et intelligents, antiracistes, modernes, etc. la diversité des peuples, des langues, des cultures, des civilisations, des gastronomies, des façons de faire la cour, etc. constitue la richesse de l’Humanité ; toute langue qui meurt serait-ce celle d’une tribu amazonienne de 300 personnes ou le romanche du canton suisse des Grisons, l’appauvrit. À chacun d’avoir l’intelligence de ne pas mettre bêtement le doigt dans l’engrenage aboutissant fatalement à l’uniformisation et au nivellement mondialisés. L’enfer est pavé de bonnes intentions disent les chrétiens lucides. Que font par exemple les jeunes et modernes antiracistes pour empêcher la disparition du gaélique ou du Romanche ??? Pour mémoire, rappelons ici aux antiracistes qu’une langue de cette famille linguistique, le frioulan, est également parlée en Italie du Nord Est (Udine).
La réponse est simple : rien ! Pas même la promotion de l’espéranto comme langue de communication internationale NEUTRE (à titre personnel nous sommes effectivement espérantistes).
« C’est aux hommes, princes et gouvernants, épris de ces principes, que nous devons ce que nous possédons aujourd’hui de liberté religieuse. Pour le plus grand bien des lettres du commerce et de la concorde entre les citoyens. C’est aux hommes extravagants ou méticuleusement pieux que nous devons, je vous l’affirme, discorde, guerre civile, peines financières, rapines, flétrissures, incarcération, exil et mort. Il faut donc nécessairement être seulement dans son cœur, dans son for intérieur, différent de ce que l'on est dans la foule, et dans les réunions publiques » (John Toland. Le panthéisticon. Dissertation traitant de la philosophie double des panthéistes).
Nous sommes, pour une fois, en désaccord avec ce grand maître du druidisme moderne. Un petit nombre d’individus (environ 1 %) appartenant à un groupe donné, développant un haut degré de cohérence en son sein, peut induire un effet de cohérence dans tout le groupe. C’est un principe constant dans la nature, que l’on retrouve dans l’effet laser, où la cohérence de quelques photons suffit à rendre tout le faisceau lumineux lui aussi cohérent. Une extension de l’effet 1 % appelée super-effet 1 %, permet d’atteindre un résultat identique avec beaucoup moins de moyens. Si les individus développent une cohérence très intense, il n’est plus nécessaire d’avoir un pour cent de la population pour cela, mais la racine carrée d’un pour cent, pour développer la même influence.
Le style de vie du paganisme « bestial » style Astrée, entraîne un certain nombre de changements psychologiques ; comme la diminution de l’anxiété ou des dépressions, une diminution du stress (baisse du taux de cortisol sanguin, la principale hormone de stress), une baisse de l’hypertonie musculaire, une normalisation de la tension artérielle.
Autres modifications entraînées par le style de vie du paganisme genre Astrée : diminution du nombre des viols, canalisation de l’agressivité, accroissement de l’harmonie dans les relations familiales, baisse du comportement criminel.
Fondé en 2000, le Réseau québécois pour la simplicité volontaire est un organisme sans but lucratif qui fonctionne grâce à une permanence minimale (une personne employée à temps partiel) ; et qui se développe grâce à l’implication bénévole de ses membres au sein de groupes régionaux ou de divers comités.
Le Réseau québécois pour la simplicité volontaire recommande les trois ouvrages suivants :
- La simplicité volontaire de Duane ELGIN (Bantam Books, New York, 1981).
– La simplicité volontaire, plus que jamais… de Serge MONGEAU (Montréal, Éditions Écosociété, 1998).
– La voie de la simplicité pour soi et la planète de Mark Alan BURCH (Montréal, 2003).
1) Il édifiera des fermes modèles, participera de son intelligence et de ses mains à leur exploitation ; se plaira même à conduire la carruca, la fameuse charrue à quatre roues, à plusieurs socs et tirée par huit bœufs. Il sera comme Kémal, bien des siècles plus tard, éleveur de bestiaux, habile et diligent ; et de chevaux (Fernand Lequenne. Les Galates 1959).
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LA DÉCROISSANCE OU PLUS EXACTEMENT NON CROISSANCE VOLONTAIRE
CHEZ LES CELTES.
Arrivé à ce point de notre bref, trop bref, exposé, pour débutant (ou disons destiné à donner un avant-goût du druidisme dans toute sa plénitude, se voulant une initiation au druidisme, à creuser ou développer par la suite pendant quelques années, avec d’autres) ; notre lecteur se demandera peut-être s’il est bien vrai qu’une telle problématique [celle de la décroissance ou de simplicité volontaire] a pu être théorisée jadis par les peuples celtes ?
Et bien c’est le cas comme nous allons le voir. Reprenons.
Du temps de l’indépendance de toutes ces sociétés, il y a deux millénaires ou plus, avant notre ère ; ce qui frappe les archéologues c’est l’énorme disparité des degrés de civilisation entre peuples celtes. Prenons le cas de la Grande-Bretagne par exemple. Les peuples jouissant de la civilisation matériellement la plus riche vivent au sud-ouest, dans le Kent plus précisément même (enfin du moins aux dires de César) et les moins avancés (toujours sur le plan de la civilisation matérielle) au nord : les fameux Pictes (qui ne parlent même pas une langue celte d’après certains auteurs).
Très bien me direz-vous, c’est sans doute vrai, il n’y a rien d’étonnant à cela d’ailleurs, mais ces peuples étaient-ils conscients d’un tel décalage, et en avaient-ils vraiment tiré une théorie ou des principes ?
Et bien si justement, nous en avons la preuve dans les commentaires de César, ainsi que nous allons le voir. Mais en attendant, passons en revue le cas des peuples celtes ayant jadis fait le choix volontaire d’une vie plus simple que celle que la technologie contemporaine leur permettait.
Ainsi que l’a fait Albert Bayet dans le tome I de son histoire de la morale, commençons par les plus anciens témoignages.
« Sur la question du luxe, nous retrouvons dans le monde celte les mêmes conflits qui divisent le monde grec et le monde romain : d’un côté les partisans de ce que nous appellerions aujourd’hui la croissance indéfinie et de l’autre les partisans de la vie rude et simple qui se réclament de la tradition des aïeux ; les écologistes dirions-nous aujourd’hui.
Sur ce point les mœurs indiquent nettement l'existence de deux attitudes, dont l'une exige la simplicité, tandis que l'autre admet ou approuve une vie confortable, voire fastueuse.
Hors du champ de bataille, plusieurs peuples mènent une vie très simple. Posidonios dit que ceux qui habitent la région de Toulouse « n'ont rien de somptueux dans leur genre d'existence », et Strabon note que, sur ce point, Posidonios est d'accord avec beaucoup d'autres auteurs. Polybe, parlant des Celtes installés dans les contrées transpadanes, nous les montre « vivants dans des villages ouverts, et sans constructions en dur. Comme ils dormaient sur des litières faites de paille ou de feuilles, mangeaient de la viande, et n’avaient d’autres buts que ceux de la guerre et de l’agriculture, ils menaient donc une vie très simple, ignorant les sciences et les arts ».
On pourrait croire, il est vrai, que la morale n'est pour rien dans cette simplicité, dont la pauvreté seule est cause. Mais Polybe note que, bien loin de paraître pauvres au reste du monde celtique, les Celtes d'Italie sont considérés comme exceptionnellement opulents ; et Posidonios remarque que les habitants de la région de Toulouse possèdent de grandes quantités d’or. C’est donc bien par principe qu’ils se contentent d’une vie aussi rude.
Entre tous les Nerviens se distinguent par leur horreur du luxe : « Les marchands, dit César, n'avaient aucun accès auprès d'eux ; ils ne souffraient pas qu'on introduisît chez eux du vin ou quelque autre produit de luxe (rerum ad luxuriam pertinentium), estimant que cela amollissait leurs âmes et détendait les ressorts de leur courage ; c'étaient des hommes rudes, feros, et de grand courage ; ils accablaient les autres Belges de sanglants reproches pour s'être soumis à Rome et avoir fait litière de la vertu de leurs ancêtres ».
La fin de cette phrase montre clairement qu'il y a conflit entre deux morales : les Nerviens, attachés aux traditions reçues de leurs aïeux, veulent une vie simple et rude et attribuent la lâcheté des autres Celtes au luxe qui les effémine. Mais ailleurs, on se prononce nettement en faveur de ce qu'est la civilisation, c'est-à-dire en faveur d'une vie plus raffinée. Car les beaux guerriers couverts d’or qui déferlent par-delà les Alpes n’ont pas attendu l’influence romaine pour avoir des bijoux. Et ce n’est pas non plus aux Romains que les Celtes doivent l’éclat bigarré de leurs habits, vergetés, marquetés,
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mouchetés et fleuris de dessins aux mille nuances. Les fabricants indigènes font des tapis de laine aux couleurs vives, des matelas moelleux ; l’émaillerie est un art typiquement celtique dont ces « Barbares » ont le secret ; les verriers fabriquent des bijoux aux teintes savantes ; à côté des poteries lourdes, solides et vulgaires, on voit paraître des urnes et des vases ornés de dessins compliqués et d’animaux fantastiques ».
Notons néanmoins que ce luxe ou ces raffinements de la civilisation nous sembleraient bien barbares à nous autres hommes de notre temps et que les plus ardents partisans de la décroissance ou de la simplicité volontaire n’envisagent même pas serait-ce un instant de retourner à un stade aussi « primitif » par rapport au nôtre, de la civilisation.
Observons pourtant que, vu notre place dans le temps, il n’y aurait rien de plus facile pour nous de concilier les deux positions…en nous en tenant au niveau de vie matériel atteint par les Arverni, les Aquitani, les Aedui, les Helvetii ou les Cantii (du Kent) de l’époque ; tout en évitant soigneusement de scandaleuses disparités ou inégalités sociales entre pauvres d’un côté et riches de l’autre.
En prenant comme exemple ou référence ou source d’inspiration le niveau de vie matériel atteint par les les Aquitani, les Helvetii ou les Cantii (du Kent) de l’époque ; dans tout ce qui est agriculture bio, écologie, mode de vie (un peu moins de télé, mais un peu plus de veillées le soir au coin du feu, ou de fête au village, etc.)
Excepté peut-être pour ce qui est de la médecine, de l’informatique, voire de la défense nationale……………………....
Bref, on l’aura compris, la synthèse entre ce retour en arrière sur certains points et le progrès technique (ne parlons pas du progrès moral, l’être humain n’y est jamais arrivé) RESTE À INVENTER, mais ce faisant il importe d’éviter de nous retrouver dans une situation à la Métropolis de Fritz Lang…
Le bon exemple à méditer, le plus pertinent, est peut-être encore celui des amish.
La première règle amish est : « Tu ne te conformeras point au monde qui t’entoure ». On croirait entendre Saint Colman l'ex-abbé de Lindisfarne.
Les amish viennent des communautés anabaptistes installées en Suisse, particulièrement sur le territoire relativement vaste à l'époque du canton de Berne. Mais l'anabaptisme pose un problème aux autorités de l'époque qui pensent que les enfants morts non baptisés ne peuvent être sauvés. Le 4 janvier 1528, l’Édit de Spire l'interdit. Les anabaptistes se maintiennent cependant dans les régions rurales où ils entretiennent des relations de bon voisinage. Ils sont même renforcés par les abus du patriciat bernois qui provoquent un exode de certains paysans mécontents de l’Église réformée officielle vers ces groupes dissidents qui pratiquent les valeurs évangéliques et mènent une vie simple.
La violence de la répression menée par les autorités bernoises qui écrasent deux révoltes paysannes au cours du XVIIe siècle conduit divers groupes à émigrer notamment vers Montbéliard et l'Alsace, et d'abord vers les territoires qui accueillent volontiers les migrants à des fins de repeuplement après la tragédie de la guerre de Trente Ans.
Le seigneur de Ribeaupierre, un noble de confession protestante, tente de trouver des agriculteurs pour ses terres ravagées par la guerre. Une soixantaine de familles d'anabaptistes mennonites, qui viennent d'être expulsées du canton de Berne, y trouvent refuge. Ils se réfugient autour de la communauté de Sainte-Marie-aux-Mines, en Alsace, dans les montagnes vosgiennes. Ils bénéficient d'une exemption militaire en échange de la promesse de ne pas faire de prosélytisme.
La présence des anabaptistes en Alsace est attestée notamment par le « synode » d'Ohnenheim du 4 février 1660 ; dans ce petit village alsacien, les représentants de toutes les communautés anabaptistes d'Alsace dont de nombreux Suisses récemment immigrés ratifient sous la présidence de Jean-Paul Oser la Convention de foi commune à tous les anabaptistes. Cette confession de foi, dont le texte remonte à 1632, est toujours en vigueur actuellement dans les communautés amish américaines.
Le schisme amish se déclenche à partir de 1693. Le pasteur anabaptiste de Sainte-Marie-aux-Mines Jakob Amman (1645-1730) provoque un débat avec l'ensemble des communautés y compris celles restées implantées dans des régions reculées de l'Oberland bernois et de la vallée de l'Emmenthal. Il a plusieurs inquiétudes sur le relâchement doctrinal et le manque de rigueur dans la discipline qu'il croit observer notamment dans les communautés suisses. Il faut dire que celles-ci vivent toujours
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sous la persécution, ne devant leur survie dans ces régions isolées qu'à la bienveillance et au respect de leurs voisins, alors que les Alsaciens bénéficient d'une tolérance totale. Les six points d'opposition sont la fréquence de la cène (que Jakob Amman voudrait faire passer d'une fois par an à deux fois par an), la généralisation de la pratique du lavement des pieds, le salut des âmes des non-anabaptistes (que les Suisses reconnaissaient aux « sincères » parmi leurs voisins non anabaptistes) et trois points sur la discipline : les péchés qui devaient donner lieu à admonestation voire à excommunication, la procédure disciplinaire et la rigueur de l’excommunication, les amish insistant pour que l'excommunié ne soit pas seulement exclu de la table de communion, mais privé de tout contact ou relation sociale avec les membres de la communauté. Faute d'accord, le schisme divise la communauté anabaptiste. Sur 69 pasteurs, 27 furent en faveur de Jakob Amman dont 20 en provenance d'Alsace et cinq du Palatinat. La grande majorité des anabaptistes alsaciens devient donc amish. La notion d'exclusion totale mise en avant par les amish est ce qui va donner à leur communauté la capacité de résister à toute intégration et à toute influence extérieure, particulièrement lorsqu'elle est regroupée dans une région isolée.
En 1712, Louis XIV tente d'expulser ces immigrants amish. La majorité d'entre eux se réfugient dans la principauté de Montbéliard, qui était alors une enclave protestante indépendante, tandis que d'autres choisissent de rester autour de Sainte-Marie-aux-Mines, malgré l'ordre d'expulsion. Lors de l'avènement de Louis XV, certains réfugiés en profitent pour revenir en Alsace. Montbéliard passe sous le contrôle français lors de la Révolution française, et en 1792, les amish bénéficient à nouveau d'une exemption de service militaire. Ils perdent ce privilège au début du XIXe siècle, sous l'autorité de Napoléon Bonaparte. Les amish de France se rendent compte de leurs difficultés à concilier leur mode de vie avec celui de leurs compatriotes, et quittent massivement le pays pour s'installer aux États-Unis d'Amérique et au Canada.
À partir de 1781 en effet, William Penn, membre de la Société religieuse des Amis ou Quakers et fondateur de la Pennsylvanie, y accueille tous les réprouvés, à la seule condition qu'ils tolèrent les autres. Les mennonites puis les amish s'installent donc à partir de ce moment aux États-Unis (Pennsylvanie). Regroupées fortement sous l'autorité de leur conseil presbytéral, dit « Conseil des Anciens », sous une très forte discipline appuyée sur l'arme suprême de l'excommunication et de l'exclusion sociale (en allemand Meidung, en anglais shunning), ces communautés rejettent tout ce qui peut inciter à s’éloigner de l’Évangile ou à se diviser, en particulier l'orgueil (en allemand Hochmut). Les « Conseils des anciens » de chaque communauté ont statué peu à peu sur toutes les innovations techniques et sociales, interdisant le plus souvent d'y avoir recours, ce qui a conduit les amish à refuser d'entrer dans le progrès technique et dans la société de consommation, et à conserver un mode de vie devenu aujourd'hui marginal, avec parfois quelques différences entre communautés. Si les communautés amish ont disparu en France, il n'en fut pas de même aux États-Unis.
Entre les différentes communautés, les pratiques diffèrent, mais en général les amish se vêtent de couleurs foncées. Les hommes laissent pousser leur barbe dès le mariage. Les femmes portent une coiffe proche de la quichenotte du pays vendéen. L'idéal de tous consiste à être modeste. Les amish du Vieil Ordre ont des particularités : ils ont, encore aujourd'hui, seulement des voitures à cheval, le buggy, les labours se font sans tracteur (certaines communautés possèdent des tracteurs sans pneus, avec des roues en fer).
Les amish commercialisent une partie de leur production agricole dans les circuits de distribution classiques. Ces produits connaissent un fort succès auprès des consommateurs américains, car ils apparaissent comme des produits sains, cultivés sans OGM ni produit phytosanitaire, selon les méthodes traditionnelles des amish : ce serait les équivalents des produits issus de « l'Agriculture Biologique ».
La vie quotidienne des amish exige d'importants efforts physiques. Les hommes font en moyenne 18 500 pas par jour et les femmes un peu plus de 14 000, beaucoup plus que les 10 000 pas par jour recommandés pour être en bonne santé (les amish, notamment les enfants, marchent aussi très souvent pieds nus). Leur activité physique serait six fois plus importante que celle d'un adulte moyen en Amérique du Nord.
Leur alimentation est très riche en matières grasses et en sucre puisqu’ils consomment beaucoup de viande, de pommes de terre, de pain, de gâteaux et d’œufs. La cuisine amish est simple et copieuse, proche de celles des pays du nord de l'Europe, dont les membres de cette communauté sont souvent originaires. On peut notamment citer les soupes aux huiles végétales (à base de poulet), les Boova
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Shenkel (beignets de pommes de terre), les Shoo-fly pies (sortes de crumble à la cannelle et noix de muscade) ou le Gâteau des Écritures.
Malgré cela, les amish sont moins victimes d'obésité que la majorité des Américains et des Canadiens. D’après des chercheurs de l’université du Tennessee, aucun des fermiers amish n'est obèse et seulement 9 % des femmes de la communauté le sont, ont conclu les chercheurs.
Les amish privilégient les médecines traditionnelles, comme la naturopathie. Si nécessaire, ils font appel à la médecine moderne, fréquentent les hôpitaux américains et acceptent les transplantations d'organes. Ils acceptent souvent, même si c'est avec réticence, les vaccinations (en fait cette acceptation peut varier de communauté à communauté)
À partir de 16 ans, dans les communautés conservatrices vient le rumspringa (terme issu du Pennsylvania Dutch qui signifie littéralement « courir dans tous les sens »), sorte de rite de passage durant lequel les adolescents sont temporairement libérés des règles de la communauté. Ils sont autorisés à sortir le weekend avec leurs amis, la plupart du temps réunis sous la forme de groupes de jeunes. Certains groupes sont chaperonnés par des adultes. Ils se réunissent pour des tournois sportifs, des goûters, aller nager ensemble... D'autres groupes sont autogérés par les jeunes eux-mêmes. Parmi eux, certains s'essaient aux pratiques de la vie moderne, comme boire de l'alcool, fumer, porter des vêtements modernes, écouter du rock et de la pop music… Ils peuvent éventuellement quitter la communauté durant cette période. Cette pratique est controversée au sein même des Églises amish. Beaucoup l'ont abandonnée et tentent de promouvoir un comportement décent et conforme à la morale biblique à tous les âges de la vie.
À la fin de cette période, environ 90 % des jeunes amish demandent le baptême et vivent selon les traditions de la communauté. Une infime minorité d'adolescents quitte la communauté définitivement et se décide pour la vie moderne. S'ils font le choix de quitter la communauté après avoir été baptisés, ils sont bannis et ne peuvent plus revenir voir leur famille.
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DE L’IMPORTANCE POUR LES ROIS
D’UNE BONNE REDISTRIBUTION DES RICHESSES (TECHTAE).
Précisons néanmoins d’emblée qu’en droit médiéval irlandais le terme gaélique techtae concerne uniquement la part des récoltes qui doit revenir aux seigneurs ou aux propriétaires des terres ; mais on peut élargir cette notion au partage des revenus, à savoir ce qui peut être gardé et la part qui revient (à l’époque) au seigneur.
Tous les historiens des Celtes sont d’accord sur ce point, le grand monarque ou bon roi par définition est celui qui se montre généreux avec ses hommes. Le vrai grand roi ne cherche en aucune façon à s’enrichir personnellement (comme l’a fait par exemple le président français nouvellement élu en 2007 : sa première préoccupation après être arrivé au pouvoir, après l’expédition de son divorce, fut d’augmenter son salaire ou son traitement). Le bon monarque est celui qui redistribue aussitôt les richesses dont il peut se rendre maître. C’est d’ailleurs dans son intérêt : il s’assure ainsi de la loyauté ou de la fidélité des siens, car il n’y a de véritable richesse que d’homme. Plus un grand à une clientèle nombreuse au sens ancien du terme, à savoir des obligés, plus il a de pouvoir.
Ci-dessous par exemple le portrait du jeune prince appelé Mané tel qu’il nous est décrit dans la légende irlandaise intitulée Tochmarc Ferbe.
Bá ségda súairc sobesach in rígmacc boí rempu. & ciarbo maccoem iar n-aís ropo mílid iar mórgasciud.ba halgen curmthigi. is ba dúr debtha. & ba nathir nemi. Bá cumnech écraiti. Ba oíbel ága. bá comnart comergi. ba logthanach sét. ba hanaccarthach imgona. ba tene aradna. bá nertlia fergi. ba tond bratha ar buirbe. bá íaru ar athlaimi. ba dair ar damgni. ba hé rind ága & imgona na teora Connacht. & ba hé a cendmíl airechta & a lám thairberta sét & a sodomna ríg.
Majestueux, charmant, et à l’allure aimable, était le fils de roi qui marcha contre eux. Bien qu’aux yeux d’un homme plus âgé il eut semblé n’être qu’un enfant, il s’avéra être un guerrier d’une grande valeur. Il était fort aimable dans une salle des fêtes, mais dur dans les combats ; c’était alors un vrai serpent venimeux ; il était attentif à la force de ses adversaires ; il était l’âme des combats ; il rivalisait de prouesse avec ses ennemis ; il était généreux avec ses trésors ; il savait faire preuve de compassion avec les blessés ; il s’enflammait à la moindre insulte ; il était la force personnifiée; ba tond bratha ar buirbe, il était comme un déferlement de justice sur l’ignorance brute ? il était vif comme un ? il était fort comme un chêne, il était à la pointe des combats et des batailles des trois provinces du Connaught, il était le chef de leurs assemblées, leur bras distributeur de trésors, et a sodomna rig le roi de leurs grands seigneurs ?
La fonction redistribution des richesses d’un roi y est soulignée : il était généreux avec ses trésors… leur bras distributeur de trésors.
Cette « politique » authentiquement « celte » devait se décliner bien entendu à tous les échelons de la société. Les sous-rois ou les rois de province subordonnés devaient faire de même tout comme les grands seigneurs et ainsi de suite.
Notre position éthique à nous autres druides du IIIe millénaire est donc claire : nous estimons que les princes qui nous gouvernent aujourd’hui doivent se préoccuper prioritairement non de leur enrichissement personnel, mais de la redistribution des richesses produites collectivement par ceux qui dépendent de leur autorité.
Trois problèmes se posent alors immédiatement.
Ceux qui ne sont pas rois ni monarques à vie, mais présidents « démocratiquement » élus (vergobrets) sont-ils soumis de notre point de vue au même impératif éthique ?
Réponse oui, car le caractère électif de sa fonction ne dispense nullement le gouvernant moderne d’un tel devoir ; puisque les rois celtes antiques étaient eux aussi le plus souvent élus (par et parmi les grands guerriers). Les vergobrets qui ont succédé aux rois sont donc tenus de suivre la même
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politique qui est d’ailleurs dans leur intérêt comme le montre le conflit ayant opposé les grands seigneurs héduens et leur vergobret en l’an 5 de notre ère.
Ceci dit les druides d’aujourd’hui laissent aux économistes le soin d’élaborer la meilleure façon de redistribuer lesdites richesses.
L’enrichissement des amis politiques suffit-il à être un bon roi (de type celte) ?
Non, car s’il est bien vrai que le roi celte antique enrichissait d’abord ses amis politiques, tous ses vassaux étaient pareillement tenus à une telle générosité ou redistribution des richesses envers leurs subordonnés. Si les amis politiques du roi ou du vergobret n’agissent pas de même, s’ils ne se comportent pas en bons relais du mécanisme de redistribution des richesses, il y a dans ce cas atteinte au contrat moral les liant à leur tour à leurs vassaux à eux, à leurs clients au sens ancien du terme. Et la société se bloque, ce qui peut d’ailleurs se révéler dangereux pour le roi ou le vergobret présidant aux destinées du peuple. Il est donc dans l’intérêt bien compris des princes qui nous gouvernent, des modernes vergobrets ou des rois élus, de veiller eux-mêmes soigneusement à ce qu’il y ait une bonne redistribution y compris jusqu’au bas de l’échelle sociale, des richesses produites par la collectivité à la tête de laquelle ils se trouvent, voire de s’en assurer y compris en « court-circuitant » lesdits relais objectivement défaillants (voir le cas du Suisse Orgétorix dans les commentaires de César ainsi que de tous ceux qui alors comme lui s’appuyaient sur le peuple et non sur une aristocratie en train de s’embourgeoiser .
Avant de redistribuer des richesses, ne faut-il pas commencer par les produire ? Bien entendu. On ne peut pas en effet distribuer ou répartir des richesses qui n’existent pas, ou plus.
Cette remarque primaire au sens neutre du terme ne doit pas pour autant justifier l’accumulation des richesses entre les mains seulement de quelques-uns, en attendant une future et hypothétique redistribution que l’on devrait à leur « grande » générosité. La fable des abeilles et la main invisible ne sont que des avatars de la notion chrétienne de divine providence.
N.B. Et en cas de pénurie, alors l’exemple doit venir de haut, car noblesse oblige. En cas de désastre économique ou de guerre, il est en effet scandaleux, voire dangereux, qu’une minorité en soit moins affectée que les autres, et puisse continuer à mener grand train. Car encore une fois rappelons-le, ce qui compte ce n’est pas l’accumulation d’argent, même dématérialisé, puisqu’il n’est d’autre véritable richesse que d’hommes. En cas de guerre économique ou de crise, ceux qui sont en haut de l’échelle sociale se doivent d’adopter un niveau de vie d’une grande simplicité. Ce qui de toute façon devrait être le cas s’ils appliquaient la règle tacite du contrat social celte : la redistribution des richesses.
Nous laissons aux économistes modernes le soin de traduire dans les actes ces principes (égalité devant l’impôt, politique fiscale, décroissance socialement juste, etc.)
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REDISTRIBUTION DES RICHESSES (TECHTAE) PRODUITES PAR LA COMMUNAUTÉ.
Rappelons qu’en Irlande au Moyen-âge des chapitres entiers de tout traité de droit qui se respectait étaient sous l’appellation de techtae consacrés à la question et notamment pour déterminer la part des récoltes qui devait revenir au seigneur ou au roi.
« C’était un bon garçon que le jeune homme qui était là, Illann le Beau fils de Fergus. Il n’avait jamais refusé à quiconque de donner des joyaux et même de nombreux trésors ; il n’avait jamais été à la solde d’aucun roi ; et il n’avait jamais accepté de joyaux si ce n’est de Fergus [son père] uniquement ».
Cet extrait d’une de nos légendes montre bien l’importance de la générosité (redistribution des richesses quand on a des hommes ou des femmes en dessous de soi) dans la société irlandaise médiévale.
La société celtique considère en effet le roi beaucoup plus comme un équilibreur ou un distributeur de richesses que comme un détenteur de pouvoirs civils et militaires. C’est vers lui que montent les impôts et les tributs des vassaux et des peuples soumis, des alliés, mais c’est de lui aussi que viennent les dons, les largesses, les générosités.
Les historiens antiques nous ont transmis des souverains celtes une image éclatante, conservée vraisemblablement par les chants des bardes. Le roi Luern, qui vivait vers le milieu du second siècle avant notre ère par exemple, est resté célèbre par sa richesse et ses prodigalités. Il avait fait enclore, raconte Posidonios, un carré de douze stades de côté (plus de deux mille mètres) à l’intérieur duquel étaient disposées des cuves pleines d’une boisson excellente, et une telle quantité de victuailles que, pendant plusieurs jours, tous ceux qui le voulaient pouvaient entrer profiter de ces provisions accumulées, servies sans interruption.
Le monarque avait fixé une date pour ce festin gigantesque. Un des poètes était arrivé en retard, mais après avoir quand même rencontré le roi, il chanta sa magnificence, tout en se lamentant d’avoir manqué le rendez-vous.
Le roi, prenant une bourse pleine d’or, la lança au poète qui improvisa un nouveau chant : des sillons laissés dans le sol par le char royal levait pour les hommes une moisson d’or et de bienfaits.
N.B. La royauté était alors sans doute plus favorable au peuple que l’aristocratie, car c’est dans la plèbe qu’elle cherchait son soutien contre les nobles.
Un richissime Galate, nommé Ariamnès (Ariomanos ?) annonça néanmoins lui aussi un jour, qu’il nourrirait pendant un an tous les Galates qui se présenteraient. Il fit construire de tous côtés dans le pays celte d’Asie Mineure, des salles en osier recouvertes de branchages, assez vastes pour contenir plusieurs centaines de convives. Il avait fait fabriquer l’année précédente d’énormes chaudrons de cuivre, où chaque jour ses cuisiniers firent cuire bœufs, moutons, et porcs, par douzaines. Les étrangers mêmes pouvaient y venir. On servait du vin à discrétion.
Désireux de surpasser en savoir-vivre tous les autres tétrarques de Galatie « il fit savoir qu’il organiserait un festin ouvert à tous, une année entière. Il fit construire un vaste enclos d’osier couvert de feuillages et dresser des tables permanentes pouvant recevoir plus de quatre cents personnes » (Athénée, IV, 34).
L’archétype même du souverain celtique est celui à qui une bonne administration et une chance matérielle remarquable permettent de donner sans compter, sans avarice ni refus. Sous le règne d’un grand monarque ou d’un bon roi, l’abondance est universelle : la terre est fertile, les animaux sont féconds, la justice est facile et bénigne. Le mauvais roi est au contraire celui qui accable ses sujets d’impôts et de tributs.
SANS RIEN LEUR DONNER EN CONTREPARTIE…
Pour avoir mal reçu un filé ou « poète », autrement dit un druide, le roi intérimaire Bres ou Bregsos se vit par exemple réclamer, par les hommes d’Irlande, la restitution de la souveraineté qu’ils lui avaient confiée…
Mais attention, il ne s’agissait pas de supprimer les impôts (les rois celtiques consacraient au contraire beaucoup de temps aux tributs qu’on leur devait, voir par exemple le texte irlandais intitulé le siège de Druim Damhghaire) ; seulement de faire profiter de leur redistribution le maximum de personnes.
La propriété celtique par excellence était la propriété clanique ou tribale et la morale druidique a toujours été sans équivoque à ce sujet. Bois, mines, champs, pâturages, étangs et rivières, n’appartenaient pas à des individus en particulier, mais à la collectivité, au clan ou à la tribu-État, et
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les très-sachants de la druidiaction (druidecht), en répartissaient l’exploitation entre leurs concitoyens (combroges) pour que chacun puisse y vivre au mieux.
« Chaque année les Vaccae se partagent la terre pour la cultiver ; ils mettent ensuite en commun ses fruits et les distribuent équitablement à chacun. Ceux qui en cachent une partie sont punis de mort ». (Diodore de Sicile. Bibliothèque historique. Livre V, XXXIV).
Les héritages étaient distribués avec équité. Voir cette citation de César à propos des très-sachants de la druidiaction (druidecht). « Ils se réunissent en un lieu consacré du pays des Carnutes… Là viennent de toutes parts tous ceux qui ont des contestations. Ce sont eux en effet qui tranchent tous les différends, publics et privés ; et si un crime a été commis, s’il s’élève une contestation relative à un héritage ou à des limites, ce sont eux qui décident, évaluent les dommages, ainsi que les peines » (César. B. G. VI, 13).
Si le bien hérité consiste en un cours d’eau qui fait tourner un moulin, il appartient par exemple à tous. Mais quid du propriétaire, par contre, du miel de l’essaim d’abeilles qui s’y installe ? Eh bien le jugement a été rendu.
Les Irlandais ont au moins 6 termes traditionnels différents pour désigner les diverses variétés d'essaims d'abeilles sauvages. Le Bechbretha, un vieux traité législatif irlandais du 7e siècle sur l'apiculture, les détaille ainsi que beaucoup d’autres anciennes pratiques relatives à l’apiculture. Si les abeilles appartenant à quelqu’un essaimaient sur la terre de quelqu’un d’autre, le produit était partagé entre les deux. Si les abeilles appartenant à quelqu’un butinaient sur les terrains environnants, les propriétaires des quatre fermes adjacentes avaient droit à une partie du miel en question : au bout de trois ans, chacun bénéficiait à son tour du miel de cet essaim.
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QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LA REDISTRIBUTION DES TECHTAE (RICHESSES) GLANÉES SUR WIKIPEDIA (druidisme moderne).
De façon globalement neutre force nous est de constater qu’il y a toujours eu transfert de richesses ou économiques entre les différents acteurs d’une société, plus ou moins organisée par les autorités politiques du moment (du chef de tribu préhistorique à la multinationale moderne).
Il existe différents degrés d’intervention des autorités politiques dans l’économie d’un pays, allant du Politique primant l’Économique au contraire, l’Économique, supplantant le Politique, voire réduisant à néant le champ du politique.
Mise en commun des moyens de production ET DES BIENS (de consommation).
Mise en commun des moyens de production seulement.
Économie mixte, coexistence d’entreprises privées et d’entreprises appartenant à la collectivité.
Il y a dans ce cas généralement distinction entre petites entreprises (privées) moyennes entreprises (en coopérative ou appartenant à une collectivité locale) et grandes entreprises (plus ou moins nationalisées ou étatisées)
Colbertisme (intervention de l’État dans l’économie pour l’orienter dans telle ou telle direction).
Capitalisme.
N.B. En raison du caractère profondément a-moral attaché par définition à cette conception socio-économique qui renvoie en définitive au rôle de l’argent dans la société, ce terme est souvent remplacé par les euphémismes libéralisme ou libre entreprise * ; mais notre condamnation absolue du rôle néfaste de l’argent dans maintes circonstances ne va pas jusqu’à condamner ce dernier en tant que tel. L’argent est une invention humaine qui a en effet avantageusement remplacé le troc, et son utilisation en tant que moyen d’échange vraiment très pratique a permis un essor économique inouï. Mais ainsi que l’a noté Pierre de La Ramée, l’argent ne doit pas être accumulé pour lui-même, il doit être réinvesti. Car encore une fois répétons-le, il n’est de richesse (véritable) que d’hommes. Ce que nous condamnons absolument c’est l’argent pour l’argent, les spéculations financières.
Les mesures sont souvent d'ordre fiscal et social (prélèvements obligatoires d'un côté, prestations sociales, dégrèvement et subventions de l'autre).
Ces transferts économiques peuvent avoir plusieurs résultats dont certains sont parfois ouvertement érigés en but à poursuivre, d’autres non.
Exemples.
Réduction, maintien ou amplification des inégalités de la stratification sociale.
Développement économique.
Accroissement de la puissance militaire.
Politique nataliste.
Etc. etc.
Cette redistribution peut se faire sous formes monétaires (impôt sur la fortune, impôts sur les sociétés, taxation du capital) qui permettent le versement ou le rééquilibrage des prestations sociales (maladie, retraites, minima sociaux), ou en nature selon différentes formes : mise en commun des moyens de production et notamment des terres (principalement dans les sociétés anciennes où la terre était souvent la propriété du dieu local ou du clan)ou redistribution des terres dans le cadre d’une réforme agraire. Nationalisations (expropriation par l'État et versement d'un dédommagement inférieur à la valeur réelle du bien).
La redistribution entre classes sociales peut se faire également au moment des successions ou au moyen des droits de succession.
Néanmoins l'ampleur et les formes optimales de cette redistribution restent sujettes à débat.
L'analyse malthusienne soutient que l'état social dépend de lois profondes liant la croissance des ressources et celle de la population, et qu'une politique de redistribution qui de facto contribuerait à la croissance de la population ferait donc plus de mal que de bien.
Certains critiques soulignent le risque de « réduire la taille du gâteau » si l’on contrarie trop les intérêts de ceux qui ont les moyens financiers de produire, par des redistributions trop fortes, des taux d'imposition poussant à l'exil fiscal de certains acteurs économiques (personnes physiques ou entreprises).
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Il y a officiellement à peu près consensus dans nos modernes sociétés « démocratiques » et pour cause sur l'idée qu'il doit y avoir un minimum de redistribution des richesses vers le bas, ne serait-ce que pour assurer le maximum possible d'égalité des chances dans la vie (au départ).
L’inefficacité des mesures prises soulève alors dans ce cas le problème de la sincérité, ou de l’incompétence (du réel degré d’intelligence au-delà des livres et des brillantes réparties), de leurs décideurs.
Depuis 1768 et Turgot on connaît très bien en effet la dure loi d’airain économique des rendements décroissants : plus un impôt augmente, moins il est efficace. La nature humaine étant ce qu’elle est, augmenter un impôt de 5 % ne rapporte pas 5 %, mais un peu moins. Turgot pour s’en apercevoir était en effet parti d’un principe très simple : on commence toujours par faire porter son effort là où il est le plus rentable, et on n'exploite le reste que si cela se révèle vraiment nécessaire.
N.B. Pour ce qui est de juger de la sincérité des hommes politiques, le citoyen ne dispose que de peu de moyens.
Son milieu d’origine (mais il arrive souvent que l’on puisse s’en détacher).
Le passé de l’homme politique en question. Étant bien entendu que l’on peut toujours changer ou évoluer.
Ses amitiés politiques (ses affiliations, son parti, ses alliances, en bref qui fréquente-t-il).
Ses idées ses écrits (quand il y en a, de pertinents).
Ses qualités ou ses défauts en tant qu’homme (ou femme). Bref sa vie privée (la façon dont il se comporte). Surtout important quand ses idées sont minces, inexistantes sur le fond ou plutôt conformistes, ce qui revient au même).
D’où l’importance de la réflexion ou de l’esprit critique, en matière politique, de la liberté de la presse, d’information (de la transparence) voire d’opinion, de la culture générale, de la curiosité ou de la volonté de savoir.
* Encore que l’on connaisse la célèbre blague à ce sujet : celle parlant du renard libre dans un poulailler, libre lui aussi évidemment (tout le monde est libre …). Il faudrait se décider une fois pour toutes à appeler les choses par leur nom, un chat un chat e Rollet un fripon, les défis à relever seraient d’autant moins ardus voire insolubles. Comme le disait Camus : « Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde » (à méditer par les journalistes).
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POUR UNE DÉMOCRATIE QUI NE SOIT PAS
LE PIRE DE TOUS LES RÉGIMES
À L’EXCEPTION DE TOUS LES AUTRES.
On m'a reproché à plusieurs reprises de citer un ouvrage de Friedrich Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État. Friedrich Engels décrit en effet la société matriarcale iroquoise comme la réalisation de son idéal : une société sans état, sans banque, sans classes, sans forces de l’ordre, sans juges, sans prisons, sans pauvres, égalitaire, féministe.
« Et avec toute son ingénuité et sa simplicité, quelle admirable constitution que cette organisation gentilice ! Sans soldats, gendarmes ni policiers, sans noblesse, sans rois ni gouverneurs, sans préfets ni juges, sans prisons, sans procès, tout va son train régulier. Toutes les querelles et toutes les disputes sont tranchées par la collectivité de ceux que cela concerne, la gens ou la tribu, ou les différentes gentes entre elles – c’est seulement comme moyen extrême, et rarement appliqué, qu’intervient la menace de vendetta, dont notre peine de mort n’est d’ailleurs que la forme civilisée, nantie de tous les avantages et de tous les inconvénients de la civilisation. Bien que les affaires communes soient en nombre beaucoup plus grand que de nos jours – l’économie domestique est commune et communiste dans une série de familles, le sol est propriété de la tribu, seuls les petits jardins sont assignés provisoirement aux ménages, – on n’a quand même nul besoin de notre appareil administratif, vaste et compliqué. Les intéressés décident et, dans la plupart des cas, un usage séculaire a tout réglé préalablement. Il ne peut y avoir de pauvres et de nécessiteux – l’économie domestique communiste et la gens connaissent leurs obligations envers les vieillards, les malades, les invalides de guerre. Tous sont égaux et libres – y compris les femmes. Il n’y a pas encore place pour des esclaves, pas plus qu’en général pour l’asservissement de tribus étrangères. Quand les Iroquois, vers 1651, eurent vaincu les Ériés et la « Nation neutre », ils leur offrirent d’entrer avec des droits égaux dans la confédération ; c’est seulement quand les vaincus s’y refusèrent qu’ils furent chassés de leur territoire. Et quels hommes, quelles femmes produit une pareille société, tous les Blancs qui connurent des Indiens non corrompus en témoignent par leur admiration pour la dignité personnelle, la droiture, la force de caractère et la vaillance de ces barbares.
Quant à cette bravoure, l’Afrique nous en a fourni des exemples tout récents. Les Zoulous, il y a quelques années, les Nubiens – deux tribus chez lesquelles les institutions gentilices ne sont pas encore mortes -, ont fait, il y a quelques mois, ce que ne peut faire aucune armée européenne. Armés seulement de lances et de javelots, sans armes à feu, sous la pluie de balles des fusils à tir rapide de l’infanterie britannique – reconnue la première du monde dans la bataille rangée -, ils se sont avancés jusqu’à ses baïonnettes et l’ont plus d’une fois bousculée et même repoussée, malgré l’énorme disproportion des armes, et bien qu’ils ignorent le service militaire et ne sachent pas ce que c’est que faire l’exercice *. Ce qu’ils peuvent endurer et accomplir, les Anglais eux-mêmes en témoignent lorsqu’ils se plaignent qu’un Cafre puisse, en vingt-quatre heures, parcourir plus vite qu’un cheval un plus long chemin ; le plus petit muscle fait saillie, dur et tendu comme une lanière de fouet, dit un peintre anglais.
Voilà ce qu’étaient les hommes et la société humaine, avant que s’effectuât la division en différentes classes. Et si nous comparons leur situation à celle de l’immense majorité des civilisés de nos jours, la distance est énorme entre le prolétaire ou le petit paysan d’aujourd’hui et l’ancien membre libre de la gens » (L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État – Friedrich Engels.)
Il importe de replacer cette citation dans son cadre et notamment dans notre évocation des Indiens puisque notre thèse est que certains Amérindiens furent très proches des Celtes antiques.
Dans tout l’est de l’Amérique du Nord, les nations indiennes avaient formé des confédérations ** avant l’arrivée des immigrants européens : les Séminoles dans ce qui est aujourd’hui la Floride, les Cherokees et les Choctaws dans les Carolines, et les Iroquois et leurs alliés les Hurons dans le nord de l’État de New York et dans la vallée du Saint-Laurent. Les colons connaissaient surtout le système de confédération des Iroquois, car ces derniers jouaient un rôle clé dans le domaine diplomatique, non
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seulement en ce qui concerne les relations entre les Anglais et les Français, mais également sur le plan des relations avec les autres confédérations indiennes. Appelés Iroquois par les Français, et Cinq Nations (et plus tard Six Nations) par les Anglais, les peuples iroquois s’appelaient eux-mêmes Haudenosaunee, ce qui signifie le Peuple aux longues maisons. Ils contrôlaient le seul passage terrestre relativement plat entre les colonies anglaises de la côte est et les comptoirs français de la vallée du Saint-Laurent.
La famille iroquoienne est constituée de six confédérations, chacune regroupant de nombreuses nations amérindiennes. Les Hurons, les Pétuns, les Neutres, les Ériés, les Susquenhannocks et les Iroquois forment les six confédérations. Chacune d’elles regroupe un certain nombre de nations. Les Hurons-Wendat et les Iroquois sont les deux nations les plus connues de cette famille, avec la nation du tabac (Pétuns), qui en comptait toutefois plusieurs autres à l’arrivée des Européens. Au sein de cette grande famille, deux sous-groupes se distinguent, qui s’étalent sur un territoire de plusieurs centaines de kilomètres carrés : les tribus sédentaires de la côte est qui vivent surtout d’agriculture et de pêche, et les tribus de chasseurs migrateurs, qui sont dispersées entre la côte nord-est, le centre et le nord du Québec, autour des Grands Lacs Érié, Ontario et Huron, au nord du lac Supérieur et la vallée du Saint Laurent.
* Bataille d’Isandhlwana 22 janvier 1879.
** Les confédérations sont des alliances politiques et stratégiques entre plusieurs nations qui, ainsi regroupées, peuvent assurer la défense de leur territoire.
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DE LA DISTINCTION ENTRE LE RÔLE DU DRUIDE ET CELUI DES POUVOIRS RÉGALIENS.
Dans la société celtique, le roi qui ne protège pas la vie de ses sujets contre les violences de leurs concitoyens, n'intervient pas davantage pour assurer à chaque citoyen la libre jouissance de ses biens. Toute contestation peut donner occasion à une guerre privée, à moins que les deux parties ne s'entendent pour accepter un arbitrage, ou, qu'épargnant le sang de leurs parents et de leur clientèle, ils ne conviennent de recourir, soit au duel, soit au roi.
Rappelons ici qu'en droit celtique le mot arbitre, dans une contestation entre particuliers, est plus exact que le mot juge. C'est d’ailleurs une règle générale dans toutes les législations primitives que nous connaissons. Les juges ne sont que des arbitres chargés de faire une tentative de conciliation. La procédure druidique primitive n’était qu’une tentative de conciliation. Si elle n'aboutissait pas, la guerre pouvait commencer ou recommencer entre les parties.
Les druides, au premier siècle de notre ère, n’ont donc eux aussi été que de simples arbitres. Posidonios nous a laissé un poétique tableau de leur pacifique intervention : « Souvent chez les Celtes alors que les préparatifs d'une bataille sont déjà commencés : les deux armées s'approchent l'une de l'autre, déjà les épées sont tirées , les lances abaissées vers l'ennemi , quand les druides , s'avançant dans l'intervalle encore vide, arrêtent les guerriers qui allaient s'entre-tuer ; on dirait des enchanteurs calmant la fureur de bêtes féroces ; ainsi, chez les Barbares les plus sauvages, la colère se soumet-elle à la sagesse et le dieu de la guerre respecte la suprématie des Muses ».
Dans les contestations entre particuliers, il n'y avait en effet pas de juridiction obligatoire, et seul était connu l’arbitrage. Encore une fois, répétons-le, dans la société celtique antique en effet, quand il s'agit d'intérêts privés, le jugement est purement arbitral et les deux parties ne se présentent devant le juge que si préalablement elles se sont entendues pour le faire. Et les jugements étant arbitraux, ils ne sont exécutés que si les deux parties l’acceptent.
Les druides (file en Irlande) qui exerçaient la profession de jurisconsultes devaient une partie de leur crédit à la menace d'excommunication qui pesait contre ceux qui ne se soumettaient point à leurs décisions.
Le texte de César est formel à cet égard.
LES POUVOIRS RÉGALIENS.
Le recours à l’autorité régalienne de l’État (au roi de la tribu-État) ne s’appliquait donc qu’en cas de refus d’arbitrage des deux parties ou quand une des parties était inconnue, mais le crime manifeste. Là il y avait trouble à l’ordre public et le pouvoir régalien devait intervenir.
Ordinairement, le jugement était rendu par le roi sur le rapport du jurisconsulte ou brehon et d'accord avec l'assemblée des citoyens (pour les affaires importantes).
En général, quand, dans le vieux droit irlandais, on veut distinguer l'acte du jurisconsulte qui propose une décision, et l'acte du peuple ou du roi qui accepte et impose cette décision, on exprime l'acte du jurisconsulte par les formules beru breith, ruceim breith « je porte jugement » ou par le verbe midiur « je pense, j'estime » et l'acte du peuple ou du roi par le verbe fuigillim « je décide » voire par le substantif fuigell, « sentence, arrêt ». Le terme technique qui désigne le jurisconsulte, brithem, au pluriel brithemon, « brehon » avec transcription anglaise de la prononciation irlandaise moderne, dérive non de fuigell, décision du peuple ou du roi, mais de breth, à l'accusatif singulier breith, dénomination technique de la solution proposée par le jurisconsulte.
Ainsi le jurisconsulte proposait une sentence, le roi ou le peuple acceptait cette sentence et lui donnait valeur légale, et on pouvait distinguer ces deux actes l'un de l'autre par des termes différents, c'est quelque chose d'analogue à ce qui se passe chez nous aux assises, mais l'ordre est inverse (le représentant du roi ou du peuple, le procureur, propose une sentence, le jury décide). En Irlande, le jurisconsulte rendait le verdict et le peuple l'arrêt qui était prononcé par le roi.
On a beaucoup glosé ici et là sur l’absence d’État ou sur la faiblesse de l’État chez les Celtes et sur la signification exacte du passage de la royauté à la vergobreture (régime présidentiel) dans un certain nombre de tribu-États du temps de César.
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Notre propos ici n’est pas d’en discuter puisque nous admettrons d’emblée que la notion d’État chez les Celtes antiques n’avait que très peu de choses à voir avec ce que l’on entend généralement sous ce terme aujourd’hui.
L’État chez les Celtes antiques était encore embryonnaire, réduit au minimum, l’exercice des fonctions régaliennes, et encore, même avec un vergobret élu à la place du roi.
Tel est le sujet de cette réflexion, qui n’est surtout pas politique au sens où nous l’entendons actuellement. Nos lecteurs peuvent aussi bien à titre personnel être en faveur d’une monarchie * plus ou moins constitutionnelle que d’une république à régime présidentiel, ou d’un régime d’assemblée, de conseils, en faveur de la démocratie directe ou indirecte, en faveur du vote électronique, voire partisans d’une pacifique anarchie, ou que sais-je encore, et nous n’avons que faire ici des notions de droite de gauche (Lucterios était-il de gauche est par exemple une question qui n’a pas sa place ici) voire de centre, car la vérité comme toujours est ailleurs. Répétons-le encore une fois, nous ne faisons pas de politique, et nos lecteurs sont libres à titre personnel de faire ce qu’ils veulent en ce domaine. Nous ne leur demandons que d’être en règle avec les lois du pays et de ne pas être poursuivi par la justice pour des délits (excepté peut-être pour des délits mineurs genre stationnement interdit, etc.)
Ce qui nous importe nous c’est la spiritualité. Mais comme l’homme vit en société par définition nous ne pouvons éviter d’avoir des remarques à faire à ce sujet. À chacun ensuite de voir à quelle distance il lui plaît de se situer par rapport à tout cela. Une totale adéquation serait inquiétante, car cela tendrait à prouver qu’il ne sait pas faire preuve de réflexion personnelle et qu’il se comporte en ce qui concerne nos écrits comme un musulman croyant tout ce qui est écrit dans le Coran et les hadiths. Une totale opposition et sur tout devrait par contre l’inciter à se demander ce qu’il fait dans les rangs de notre maigre cohorte (et ce d’autant plus qu’être néo-païen d’esprit celte est une gageure ou un défi toujours risqué de nos jours : il n’est pas question de l’être à La Mecque ni même ailleurs en Arabie Séoudite par exemple, le pays tout entier se trouvant assimilé à une mosquée par les musulmans pieux).
Ces précautions oratoires ayant été prises venons-en maintenant à notre sujet proprement dit.
Voici quelle était, en temps de paix, la semaine d'un roi irlandais de tribu-État (tuath) selon le Crith gablach.
Le dimanche, il boit de la bière avec ses sujets, aux yeux desquels le mérite d'un grand monarque dépend de la libéralité avec laquelle il distribue le précieux breuvage.
Le lundi il donne audience aux plaideurs.
Le mardi il joue aux échecs (en fait au tablut).
Le mercredi il regarde ses chiens chasser.
Le jeudi est consacré à l’accomplissement de ses devoirs conjugaux.
Le vendredi il fait une promenade à cheval.
Le samedi il rend ses jugements. Et il a intérêt à ce que ce ne soient pas de mauvais jugements. « Il y a en effet, dit la préface du Senchus Mor, « quatre dignitaires de la tribu-État qui peuvent être déchus de leur rang ; le roi, qui a rendu un faux jugement ; l'évêque, qui a failli ; le file (druide) qui a trompé les gens ; l'aire (noble) qui n’a pas accompli son devoir (eisindraic) : ils ne remplissent pas leurs devoirs, on ne leur doit pas de composition » (ils sont hors la loi ?)
Notons néanmoins que ces jugements rendus par le roi lui étaient en fait dictés par son druide (son jurisconsulte ou brehon), en sorte que ni la solution des questions de droit ni la rédaction ne lui donnaient grand-peine, et qu’il était rendu en accord avec l’assemblée des citoyens, ce qui exclut donc les litiges ne concernant que de simples particuliers. Le jugement, quand il s'agit d'intérêts privés, est purement arbitral en droit celtique. Les deux parties ne se présentent devant le juge que si d'un commun accord elles se sont entendues pour le faire. Le roi celte en réalité ne faisait donc que proclamer les résultats des affaires engageant plus ou moins la collectivité.
Ce qui devait se faire tous les lundis si l’on en croit le Crith Gablach un traité de droit irlandais du 8e siècle (Luan, do breithemnas, do choccertad tuath).
Rappelons aussi que la responsabilité financière du roi était engagée dans certaines affaires où il se retrouvait responsable sans être coupable de quoi que ce soit. D’où la nécessité pour lui d’avoir des ressources financières en conséquence.
Cette responsabilité du roi n'est pas spéciale au droit irlandais. On la retrouve en Inde : un code brahmanique oblige le roi à indemniser la victime d’un vol, quand il ne peut retrouver et faire rendre
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l'objet soustrait. La responsabilité du roi n'est qu'une forme de la responsabilité de la communauté ou du canton qui se rencontre dans un grand nombre de vieilles législations. On dirait aujourd’hui qu’en dernier ressort c’est l’État qui indemnise ou qui paie. Comme quoi ce n’est pas là une idée bien neuve.
* La notion de despotisme éclairé a été défendue avec brio par certains auteurs, car il est certain que le mieux c’est encore un bon roi. Mais tout le problème des monarchies héréditaires c’est que de bons rois peuvent en engendrer de « mauvais ». D’où la célèbre réaction de Churchill sur le problème : « la démocratie est le pire des régimes… à l’exception de tous les autres ! »
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UNE CONSTITUTION OU UNE MAGNA CARTA AVANT LA LETTRE.
Les pouvoirs de ce roi étaient de toute façon étroitement encadrés par une sorte de magna carta avant la lettre (1215), à la différence du roi germanique, dont le nom (könig, king) renvoie essentiellement à la notion de puissance, le roi celte (rix) ne pouvait pas faire n’importe quoi.
En Irlande par exemple, l’article 42 du traité de la saisie immédiate (athgabail tul) couché par écrit dans le Senchus Mor, permet certes à un roi ou un chef de clan d’exproprier définitivement un de ses sujets récalcitrants (ne remplissant pas ses devoirs envers lui ) au bout d’un délai de trois jours, mais l’article 26 du traité de la saisie avec délai (athgabail iar fut) , lui, prévoit que le roi ou le chef de clan ne peut exproprier un de ses sujets avant l’expiration d’un délai de 9 jours. Ou plus exactement avant l’expiration de trois délais successifs de trois jours chacun (aurfocre ou apad puis anad). La longue procédure de l'article 26 est donc plus favorable aux sujets et aux vassaux que celle de l'article 42.
Le seul fait que l'on puisse parler sur le Continent d'une constitution héduenne prouve qu'il existe, au moins dans certaines Tribus-États celtiques, une philosophie politique déjà développée et soucieuse de concilier les droits de l'État et ceux des individus (des chevaliers).
Sur le Continent, et plus précisément chez les Héduens, l'amour de la liberté conduit les aristocrates à élaborer ce que nous appellerions aujourd'hui une constitution. Il s'agit d'assurer l'unité de la Tribu-État sans avoir à redouter le pouvoir personnel. On élit donc un vergobret (nous ne savons pas comment est composé le collège électoral : autrement dit qui vote) ; mais on prend des précautions minutieuses pour qu'il ne puisse régner en tyran. Son pouvoir ne dure qu'un an. Il n'a pas le droit de quitter, même en temps de guerre, le territoire de la Tribu-État ; par suite, il ne peut commander l'armée sauf en cas de campagne strictement défensive : et, en effet, au moment suprême de la guerre de l'Indépendance, ce n'est pas le vergobret qui est à la tête des troupes héduennes. Ce n'est pas non plus un chef religieux puisqu'on le voit, en un cas exceptionnel avoir recours à l’arbitrage des druides. D'après César, il a droit de vie et de mort. Mais il ne saurait être question d’un pouvoir discrétionnaire, au moins en ce qui concerne les aristocrates : aucun d’entre eux ne peut être exécuté indicta causa. En outre, les pouvoirs du vergobret sont limités, en matière judiciaire, par l’existence des justices domestiques (famliales) et militaires et par la possibilité de l’arbitrage des druides.
Au point de vue politique, même souci de restreindre la puissance du magistrat suprême. Sans doute a-t-il théoriquement tous les droits qu’avait le roi : regiam potestatem. Mais s’il règne seul, il ne gouverne qu’avec le concours de l’aristocratie. Les conseils aristocratiques sont au nombre de deux : le Sénat et l’assemblée « du peuple » c'est-à-dire la masse des chevaliers ou des guerriers. Il est probable que, en temps de paix, ce peuple n'a pas de droits considérables : quand éclate le conflit entre Cotos et Convictolitavis, il prend les armes, mais il semble bien qu'il n'aurait aucun moyen légal de faire prévaloir sa volonté. De même, lorsque les Aulerques Eburovices et les Lexovii décident de faire la guerre, ils n'ont pas d'autre moyen de faire prévaloir leur avis que de tuer leurs sénateurs : cela prouve bien que les droits du populus, quels qu'ils soient, demeurent inférieurs à ceux du Sénat.et c'est pourquoi Strabon a raison lorsqu'il qualifie ces tribus-États d’« aristocraties ».
Mais, en temps de guerre, tout change. Tous les pouvoirs tombent devant celui qu'ont les guerriers réunis en armes. Le premier acte, lorsqu'une Tribu-État donc a décidé de se battre, est la convocation d'un concilium armatum ; pour que tous les guerriers s'y rendent sans retard, l'usage veut qu'on mette à mort celui qui arrive le dernier (une sorte de sacrifice humain en quelque sorte), et c'est devant cette assemblée que les chefs exposent leur plan. César dit expressément que c'est là une lex communis que l’on retrouve dans toutes les tribus-État. Nous voyons en effet Indutiomaros soumettre à une assemblée de ce genre son plan d'attaque contre les Rèmes et contre Labienus.
« Telle est la nature de mon pouvoir, dit Ambiorix au cours d'une campagne, qu'elle ne me soumet pas moins à la multitude qu'elle ne la soumet à moi ». D'après Strabon, la « multitude » aurait même le pouvoir de choisir son général, et cela expliquerait peut-être que, pendant la campagne contre les Helvètes,
Dumnorix commande la cavalerie héduenne, bien qu'il soit l'adversaire résolu du vergobret en exercice.
Ces faits montrent que l'aristocratie, éprise de liberté, entend définir avec soin les pouvoirs du vergobret. La « constitution » héduenne ne sépare pas les trois pouvoirs législatif, exécutif, et
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judiciaire comme nous le faisons généralement de nos jours ; mais elle sépare au sein de l’exécutif les pouvoirs d'administration intérieure et les pouvoirs militaires. En matière de politique étrangère, les droits du vergobret sont limités par ceux du Sénat. En matière de justice, ils sont limités par ceux des tribunaux de famille, et des tribunaux druidiques, et, d'ailleurs, rien ne nous dit qu'au tribunal de la Tribu-État, l'avis du vergobret soit souverain. César ne nous parle pas du pouvoir législatif. Mais l'esprit général de la constitution donne à penser qu'il est, lui aussi, divisé ; les iura et leges qui rognent la puissance du magistrat suprême ont été évidemment votés par des assemblées.
Mais on s'est parfois demandé si des constitutions de ce genre n'étaient pas pure façade, si les nobles, les grands, n'étaient pas, en fait, les seuls maîtres.
Luctérios a pendant quelque temps une grande influence sur ses concitoyens et, en raison de ses aspirations révolutionnaires, semper auctor rerum novarum, il a beaucoup d’autorité. Mais l’exemple n’est pas probant. Nous voyons bien que le génie entreprenant de Luctérios, ses goûts révolutionnaires, lui assurent une grande influence chez les Cadurques. Mais rien ne nous montre en lui un agitateur bravant les pouvoirs établis. Rien ne nous dit que, dans sa propagande en faveur d’idées neuves et hardies, il sorte des voies légales. Luctérios est évidemment, comme Dumnorix, un adversaire des Romains ; mais nous n’avons aucune raison de penser qu’il foule aux pieds les lois de sa Tribu-État.
On le voit, tous ces exemples destinés à prouver l’omnipotence des grands comme Orgétorix, prouvent plutôt le contraire. Nulle part au 1er siècle on ne trouve trace d’un régime du coup de poing supprimant de fait le droit politique et livrant la nation aux individus.Ce qui a fait qu’on a pu s’y tromper c’est que la vie politique était très active chez nos aïeux.
En outre l'omnipotence relative des grands, a une conséquence inattendue. Elle assure aux plébéiens une certaine indépendance et peut-être même, aux heures critiques, une certaine influence. Parlant de l'organisation des factiones (partis), César dit : « Il y a là une institution très ancienne qui semble avoir pour but d'assurer à tout homme de la plèbe, ex plebe, une protection contre plus puissant que lui : car le chef de faction défend ses gens contre les entreprises de violence ou de ruse, et, s'il lui arrive d'agir autrement, il perd tout crédit ». À première lecture, on pourrait croire qu'il y a là une allusion à la clientèle, aux devoirs de patronage du noble. Mais, comme César dit que les familles elles-mêmes, les gens d'une même maison, sont divisés en factions (etiam in singulis domibus factiones sunt), il ne peut pas être question de « clients » au sens ordinaire du mot ; en outre, les factiones (partis) sont dans chaque Tribu-État au nombre de deux, alors que les « patrons » sont évidemment beaucoup plus nombreux. Il faut donc bien admettre que, au sein d'un canton, au sein d'une maison, l'un peut appartenir au « parti Dumnorix », l'autre au « parti Diviciacos » ; le rôle des deux chefs est d'empêcher que les membres de l'un ou l'autre parti ne soient molestés par des gens puissants.
Non seulement ce régime garantit aux plébéiens eux-mêmes une certaine liberté politique ; mais il peut arriver qu'un chef de parti s'appuie, en des circonstances graves, sur la masse plébéienne qui l'approuve et qui se trouve ainsi intervenir indirectement dans la vie publique. C'est en ce sens, à mon avis, qu'il faut interpréter l'histoire de Corréos dont il est question plus haut. César a raison de se montrer sceptique quand on vient lui dire que c'est la plebs imperita qui a fait déclarer la guerre contre le gré du Sénat et des principes. Mais ce qui est vrai, c'est que Corréos et les autres principes partisans de la lutte contre Rome se sont sans doute appuyés sur la masse de leurs partisans plébéiens pour forcer la main au Sénat : ainsi l'opinion de la plebs infima, fortifiant un des deux partis, a suffi à faire pencher la balance. Sans doute cette intervention de la plèbe peut se faire brutale et sortir de la légalité, comme quand les Aulerques et les Lexovii massacrent leurs sénateurs. Mais ce n’est pas sur une exception de ce genre qu'on peut juger de l’éthique politique des Celtes d’alors. En principe, la plèbe n'intervient que comme soutien d’un des deux grands partis politiques qui se disputent le pouvoir. Ce qu’il faut noter, c’est qu’elle ne met pas alors sa puissance au service d’ambitions personnelles (qui existent évidemment de part et d’autre), mais au service d’idées, de programmes proposés par un parti.
D’où de nouveau l’exemple de Luctérios.
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CONCLUSION.
La vie politique des tribus-États n’est donc pas dominée par l’action individuelle et déréglée de quelques grands aventuriers, et les constitutions analogues à celle des Héduens ne sont pas un simple trompe-l’œil. L'amour de la liberté qui anime les membres de l'aristocratie ne dégénère pas en initiatives anarchiques. La Tribu-État gère et discipline les individus.
Ainsi que nous avons pu le voir, le roi ou le vergobret celte était loin de s’occuper autant de la vie des simples citoyens que nos modernes administrations ou que les fonctionnaires travaillant dans nos modernes capitales.
La plus ancienne conception de l'État est toute différente de celle que des habitudes séculaires imposent à nos esprits. L'État, à nos yeux, a deux missions principales à remplir.
La première consiste dans le gouvernement à l'intérieur : l'État est justicier, il doit régler conformément au droit et, autant que possible, équitablement, les rapports des citoyens entre eux, punir tout crime commis par un citoyen contre un autre citoyen, contraindre à restitution celui qui s'est emparé du bien de son concitoyen.
La seconde obligation de l'État concerne les relations extérieures : c'est de protéger les personnes et les biens des citoyens contre les attaques de l'étranger, c'est de défendre le territoire menacé d'invasion par l'ennemi national.
De ces deux rôles de l'État, le second était le seul que l'on comprît à l'origine des sociétés. À la date de la conquête romaine, le monde celtique n'attribuait encore à l'État d'autre fonction que de maintenir l'indépendance de la tribu et l'intégrité des biens du peuple ou de la nation contre les agressions des peuples ou des nations voisines. L'État, la cité, était un groupe de familles liguées contre l'étranger, mais les familles qui composaient l'État réglaient à leur gré leurs relations entre elles, sans que l'État eût le droit d'intervenir pour déterminer le mode de ces relations.
Les conceptions politiques et religieuses des peuples sont solidaires. Dans les sociétés primitives, on n'imagine pas un État condamnant à mort et faisant exécuter le meurtrier d'un citoyen, ou contraignant le voleur à restituer les biens volés ; on n'imagine pas non plus un dieu châtiant dans une autre vie l'homme qui en ce monde s'est rendu coupable d'un crime contre son semblable, ou dans cette autre vie récompensant l'homme juste et charitable envers son prochain.
Chez les Celtes, la croyance à l'immortalité de l'âme avait une puissance qui a frappé les esprits (les Romains, mais cette croyance n'était pas, comme chez les chrétiens, associée à la doctrine théologique du paradis ou de l'enfer. Le mort, pensait-on, retrouvait dans l'autre monde une vie semblable à celle-ci, et d'où, comme dans celle-ci, toute répartition divine entre enfer purgatoire ou paradis ou toute justice immanente était absente).
Les Celtes n'avaient donc pas en ce monde ci la notion de vindicte publique, à moins qu'il ne s'agît de crime contre l'État. Dans les relations entre particuliers, la vengeance privée qu'exerce, avec l'appui de sa clientèle ou de son patron, la famille victime, était chez eux le moyen le plus simple et le plus direct de se faire rendre justice.
Le roi de la tribu primitive est donc indifférent à la justice ou à l’injustice des rapports de ses sujets entre eux. Mais les Celtes antiques avaient trouvé deux moyens de remédier à cette carence de la tribu-état primitive.
Premier moyen : la féodalité avant la lettre. Grâce à l’ancêtre de ce qui allait devenir bien des siècles plus tard la féodalité, les pauvres et les faibles s'assurent l'appui des puissants contre l'injustice.
Deuxième moyen. Et par le serment, les hommes placent leurs contrats sous la protection des dieux. Celui qui après avoir garanti un contrat par le serment n'exécute pas ce contrat offense ainsi les dieux qui se vengeront.
Le serment est un procédé à l'aide duquel on force les dieux à sortir de leur indifférence naturelle pour les choses humaines et à devenir les défenseurs du droit.
N.B. Rappelons ici avec force que ce qui précédait n’était qu’une analyse de l’ancien druidisme, afin d’en dégager les meilleurs principes *, ici en l’occurrence celui du recours à l’arbitrage dans le maximum de cas possible. Mais il est évident qu’un retour intégral à cette situation ne serait ni
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possible ni souhaitable vu la complexité actuelle de nos sociétés. Il y a un juste milieu à trouver entre le fait que les citoyens se font justice eux-mêmes et la tatillonne intervention dans tous les domaines (une cabine téléphonique dans un village ou au « fin fond » d’un district montagneux par exemple) de l’armée des fonctionnaires du monarque et de sa capitale. L’État et les fonctionnaires de sa capitale s’occupent d’un peu trop de choses de nos jours. L’État ne devrait intervenir qu’en cas de carence d’arbitrage dans la société civile. Et inversement, il y aurait peut-être lieu d’encourager ou de développer le recours à l’arbitrage dans notre pays.
* Notre but est en effet de construire un homme nouveau avec le meilleur de l’ancien.
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POUR COMPARAISON CI-DESSOUS QUELQUES MOTS SUR LA GAYANASHAGOWA.
Une constitution exemplaire qui surpasse le droit romain.
La Gayanashagowa, « grande loi qui lie » ou « grande loi de paix », est la constitution orale de la confédération des 6 nations iroquoises. Ces lois se sont transmises, depuis le XIVe siècle selon la tradition indigène ou depuis le XVIe siècle selon les observateurs d'origine européenne, sous la forme de maximes écrites sur toute une série de ceintures en ouampoums (des petits coquillages) qui sont actuellement conservées par les Onontagués. Le prophète Deganaouida, appelé le Grand Pacificateur, et son disciple Hiaouatha, qui prêchaient la Grande Paix, rassemblèrent les chefs à un Congrès chez les Onontagués durant lequel ces lois furent édictées.
Écrite en anglais en 1720, La Gayanashagowa est composée de 117 paragraphes qui comprennent une constitution et quelques rares dispositions de droit coutumier. Son fonctionnement avait été décrit en détail dès 1702 par Louis Armand Delom d'Arce.
La Gayanashagowa codifie les fonctions du Grand Conseil des Iroquois et indique comment les cinq, puis six nations iroquoises doivent s'y prendre pour résoudre leurs différends, équilibrer leurs échanges et coexister pacifiquement
En 1744 à Lancaster, en Pennsylvanie, le tadodaho (chef de la confédération) Canassatego a d'ailleurs présenté ainsi aux Blancs de la région leur conception de la démocratie.
« Nos ancêtres dans leur sagesse ont établi une union et l’amitié entre les Cinq Nations. Cette décision nous a rendus puissants ; elle nous a donné un grand poids et une grande autorité vis-à-vis des nations voisines. Notre confédération est puissante ; si vous suivez les méthodes adoptées par nos sages, vous disposerez vous aussi de cette force et de ce pouvoir. Ainsi, quoi qu’il arrive, ne rompez jamais votre union. »
En 1751 afin de faire honte aux colons anglais réticents et les encourager à accepter une union Benjamin Franklin a d'ailleurs cité en exemple la démocratie iroquoise : « Il serait tout de même étrange que six nations de sauvages incultes soient capables de former une union et de la maintenir au cours des âges de manière apparemment indissoluble, et qu’une dizaine ou une douzaine de colonies anglaises soient incapables de former une telle union, qui leur est pourtant encore plus nécessaire et qui présente pour elles certainement plus d’avantages. »
En 1787, dans une lettre à Edward Carrington, Jefferson avait établi un lien entre la liberté d’expression et le bonheur, en donnant les Indiens d’Amérique comme exemple : « Je suis convaincu que les sociétés qui [comme les Indiens] vivent sans gouvernement jouissent dans l’ensemble d’un niveau de bonheur infiniment plus élevé que celles qui vivent sous l’empire des gouvernements européens. »
La Confédération Iroquoise a été l’entité politique la plus puissante d’Amérique du Nord, pendant les deux siècles qui ont précédé ou suivi Christophe Colomb.
« Tous ses membres sont des hommes libres, tenus de protéger leur mutuelle liberté, égaux en droits personnels – ni les sachems ni les chefs militaires ne revendiquent de prérogatives quelconques ; ils forment une collectivité fraternelle, unie par les liens du sang. Liberté, égalité, fraternité, sans avoir été jamais formulés, étaient les principes fondamentaux de la gens, et celle-ci, à son tour, était l’unité de tout un système social, la base de la société indienne organisée. Ceci explique l’indomptable esprit d’indépendance et la dignité de l’attitude personnelle que chacun reconnaît aux Indiens. » (Lewis Henry Morgan : La Société archaïque.)
Les 34 premiers articles de la constitution de la nation iroquoise organisaient le pouvoir politique et le système de représentation en définissant les fonctions des cinquante porte-paroles, appelés royaneh, les sachems, qui siègent au Conseil des nations. Cette constitution est confédérale : elle n'établit pas un régime unitaire et donne à chaque nation des rôles différents.
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Droits, devoirs et titres des seigneurs (articles 17 à 34).
Élection des « chefs du Pin » (article 35).
Noms, devoirs et droits des chefs de guerre (articles 36 à 41).
Clans et consanguinité (articles 42 à 54).
Symbolique officielle (articles 55 à 66).
Lois d'adoption (articles 66 à 70).
Lois sur l'émigration (articles 71 à 72).
Droit des nations étrangères (articles 73 à 78).
Droits et pouvoirs de la guerre (articles 79 à 91).
Trahison ou sécession (article 92).
Cérémonies religieuses garanties (articles 99 à 104).
Chant d’intronisation (articles 105 à 107).
Le système de prise de décision est fondé sur le principe de subsidiarité.
Dispositions coutumières.
Droits des peuples des Cinq Nations (articles 93 à 98).
Protection des maisons (article 107).
Cérémonies funéraires (articles 108 à 117).
Les Mohawks (Agnires) et les Onneiouts comptaient trois clans, les autres nations iroquoises en avaient de huit à dix. Pour la plupart, ces clans portaient des noms d’animaux (Ours, Loup, Tortue, Aigle, etc.). La ligue était gouvernée par un conseil de 50 sachems, et chacune des nations fondatrices de la confédération était représentée par une délégation de 8 à 14 membres. Les tribus et villages individuels étaient gouvernés par leur propre conseil de sachems et de chefs.
Aujourd’hui encore, la Confédération Haudenosaunee se considère comme une nation souveraine, sur son territoire de Grande Rivière, en Ontario, au Canada. Depuis 1977, ils disposent de leur propre passeport, reconnu internationalement à l’ONU.
Pour plus de détails, voir GAÉTAN PELLETIER. Québec Info. Les sauvages américains, des peuples démocratiques.
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ÉPILOGUE : LE DRUIDISME, UNE RELIGION ANCIENNE POUR DES TEMPS NOUVEAUX.
Dans une vraie démocratie (celle du conseil d’un vieux chef de tribu indienne), la politique ne doit pas être un métier. Nul n’a le droit de s’enrichir en gouvernant ses semblables. Nul même ne doit gagner sa vie en gouvernant ses semblables. La société ne doit que compenser son manque à gagner afin que ce ne soit pas un privilège réservé aux riches, qui par ailleurs dans l’absolu ne devraient pas plus exister que les pauvres. Les parasites profiteurs de ce système seront évidemment contre ce que je dis, et toujours soi-disant au nom de la démocratie bien entendu (les riches se réfugient toujours derrière les pauvres pour défendre leurs privilèges).
Un retour au druidisme ancestral peut-il, d’une certaine façon, apporter une solution au lamentable écroulement de notre société dû à la consternante médiocrité de nos (pseudo) élites, politiques, médiatiques, journalistiques, intellectuelles, philosophiques, et autres ? Des élites incapables de distinguer citoyenneté (allégeance étatique) et nationalité (la communauté à laquelle on appartient de naissance) race, religion, culture, non-homophilie et homophobie ?
Alors là, soyons honnêtes, je n’en sais rien. Serait-ce même souhaitable ? Tout ce que l’on peut dire c’est ceci.
Les religions monolâtres, ou religions de masse, issues des coups de soleil que l’on attrape dans les déserts égyptiens ou sur les chemins menant à Damas, sont surtout dogmatiques et antiscientifiques, en bref obscurantistes, car fondées sur de prétendues révélations (ah les visions dues aux insolations ! N’est-ce pas Saül ?) Sans aller jusqu’à réclamer que l’on jette Mahomet dans un fossé pour le faire mordre ou piétiner par les porcs et les chiens comme le dit en France la chanson de Roland ; rappelons quand même que dans ses rapports avec la Divinité, le musulman est principalement un esclave (soumis) le chrétien est un pécheur (repenti), alors que le Celte d’esprit, lui, reste toujours un avocat (contestataire) un peu comme Jean Jaurès.
Peu nombreux sont ceux qui, actuellement, peuvent comprendre le druidisme entièrement et dans son intégralité, c’est-à-dire y compris le druidisme de type amarcolitanos ou aventieticos (les anatiomaroi, semnothées, vates vellèdes ou gutuatres/gutumatres).
Cette percée décisive dans l’histoire de l’Humanité fut une nouvelle étape, vers plus de vérité ou de connaissance, comme nous avons pu le voir (par exemple la notion de setlocenia ou cycles de vie aux durées immenses en ce qui concerne la vie de l’univers).
Dans le livre de Lismore ((fo.151, b 2) on trouve en effet le passage suivant.
« Trois ans pour le champ (assolement triennal ?).
Trois durées de vie du champ pour le chien.
Trois vies de chien pour le cheval.
Trois vies de cheval pour l'être humain.
Trois vies d'être humain pour le cerf.
Trois vies de cerf pour le merle.
Trois vies de merle pour l'aigle.
Trois vies d'aigle pour le saumon.
Trois vies de saumon pour l'if.
Trois vies d'if pour le monde du début à la fin ».
Que notre auteure préférée [Éléonore Hull, « Le faucon d’Achill ou la légende des plus vieux animaux du monde », Folklore, Tome. 43, No.4 (1932) : pp. 376–409] commente ainsi.
« Nous arrivons ainsi à 59 050 ans, soit deux multiples de trois en plus que le calcul de Westminster, qui nous donne 6561 ans ; c'est-à-dire la durée de vie d’un saumon dans la liste irlandaise ».
La citation de Strabon sur la fin de ce monde dans une conflagration générale semble d’ailleurs impliquer des durées de cycle encore plus phénoménales si l’on estime qu’eau et feu symbolisent en réalité la matière et l’esprit.
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« Les druides, mais aussi tous les autres, disent que les âmes humaines ainsi que l’univers, sont indestructibles, mais qu’un jour le feu et l’eau prévaudront sur eux » (Géographie Livre IV, IV, 4).
Chamanisme et paganisme indo-européen n’ont donc pas été inutiles, et ils ont constitué des ébauches, des ébauches, certes, imparfaites, mais des ébauches bénéfiques aux hommes tout de même.
Il n’y a de Dieu-ou-Diable que la fabuleuse Destinée qui nous attend et les très-sachants de la druidiaction (druidecht) ont été ses meilleurs interprètes. Contrairement à toutes les inepties racistes véhiculées par les bien-pensants à propos du caractère prétendument « barbare » de cette langue (le juriste romain Ulpien a pourtant lui-même reconnu, dans ses « digestes », que les documents fiduciaires [ latin fideicomissa ] en langue celte pouvaient être aussi probants que ceux qui étaient rédigés en latin ou en grec) ; c’est aux Celtes (ou en celte ?) que le Divin a le plus clairement parlé aux hommes, du moins si l’on en croit Diodore de Sicile (ils étaient homophonon. V, 31) ou le druide primordial appelé « Fenius Farsaid » dans les légendes irlandaises. Les Celtes sont donc une langue élue, et les hommes du IIe millénaire avant notre ère (ceux d’Europe centrale) ont donc eu raison de suivre leurs druides primordiaux à la conquête du monde.
Ces premiers très-sachants de la druidiaction (druidecht) se sont attelés à la simplification des rites chamaniques et à une plus grande démocratisation des rituels indo-européens.
On a retrouvé en Allemagne dans une tombe exhumée à Obermenzing en Bavière, le corps d’un homme qui fut vraisemblablement un très-sachant chirurgien, vivant vers l’an 200 avant notre ère. Il avait bien été enterré avec une épée, une lance et un bouclier, mais c’était avant tout un médecin et non un guerrier ; puisque l’on a trouvé dans sa tombe un trépan (permettant de retirer du crâne de petites sections d’os afin d’alléger la pression exercée par la boîte crânienne sur le cerveau), une sonde et un écarteur. Cf José Maria de Navarro et son étude sur la tombe d’un chirurgien de la Tène trouvée en Bavière, publiée en 1955 par la Société préhistorique.
Le but des très-sachants de la druidiaction antiques, n’était-il pas aussi « la guérison des blessures de toutes les blessures, la fin de toute faiblesse, l’éloignement de la mort » autrement dit en gaélique « Slanugudh cnedh, esbaidh cach, ac dichur euga » ?
Ce faisant, ils se sont élevés à un niveau religieux sans précédent ainsi que nous avons pu le constater tout au long de cet opuscule ; avec leur idée de la non-existence de l’enfer, de la non-lapidation des femmes adultères et de la protection à accorder prioritairement aux étrangers de passage. Une xénophilie raisonnée en l’occurrence, car il s’agissait d’obtenir des renseignements pouvant s’avérer utiles sur les peuples environnants et d’éviter des représailles des autres nations ou tribus en cas d’agression contre leurs ressortissants. Cela détonne évidemment par rapport aux pénibles et laborieuses arguties de la loi juive (halakhah) sur les rodef ou moser ; avec les pénibles et laborieuses considérations de la loi islamique (charia) sur les femmes adultères (dans la mythologie gaélique d’Irlande traitant de Partholon, c’est le chien qui est lapidé, pas sa femme !)
Et nos ancêtres ont reçu de ces druides primordiaux une inspiration, un courage et une force, incommensurables alors que l’Homme est pourtant au départ littéralement un être « Chthonien » puisque tel est le sens de ce mot en celte (Gdonios).
C’est d’ailleurs sans doute cette étymologie qui est à l’origine de la fameuse remarque de César : « Ils se disent issus de dis Pater…c’est une tradition druidique » (B. G. VI, 18).
Ammien Marcellin. « Dans ces contrées, les hommes peu à peu se sont civilisés, l’étude des arts et des sciences louables a fleuri […] les vates, explorant les domaines les plus élevés, entreprenaient de révéler les merveilles de la nature. Parmi eux, les druides, supérieurs sur le plan de l’intelligence, étroitement liés en sodalités, se sont élevés par leurs recherches dans les domaines les plus obscurs et les plus profonds. Dédaignant la réalité, ils proclamèrent que les âme/esprits sont immortelles » (Rerum gestarum libri. Histoire de Rome XV, 9,8).
Pomponius Méla : « Ils ont cependant… Et des maîtres de sagesse, les druides ». En latin : « Habent tamen… magistrosque sapientiae druidas » (Chorographie, III, 2, 18).
Strabon : «…Chez tous ces peuples sans exception se retrouvent trois classes d’hommes qui sont l’objet d’honneurs extraordinaires, à savoir les bardes, les vates et les druides… qui, indépendamment de la physiologie ou philosophie naturelle, professent l’éthique ou philosophie morale. Ces derniers sont réputés être les plus justes des hommes, et, à ce titre, c’est à eux que l’on confie… » (Géographie IV, 4, 4).
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César : « Ils ont en charge les sacrifices publics OU PRIVÉS, ET RÈGLENT LES PRATIQUES RELIGIEUSES ». (B. G. VI, 13).
Cet autre commentaire de César prouve à l’évidence que les très-sachants de la druidiaction, antiques, s’occupaient aussi bien de la religion privée que de la religion publique et même de bien d’autres choses encore.
La religion celtique antique, à la différence de ce qui se passait chez bien d’autres peuples, a donc dû également être une religion impliquant aussi personnellement l’individu. D’où l’ultime remarque du célèbre conquérant à ce propos : « Ce peuple s’adonne tout entier aux choses de la religion » (B. G. VI, 16).
Les Celtes ont donc été littéralement adoptés par le Divin dès leur enfance en tant que peuple. Ce sont des enfants chéris des démons (gesta deorum per Gallos) si l’on en croit les légendes grecques, quelque peu contradictoires il est vrai, à propos des Hyperboréens (ou des Galates).
La pratique chrétienne celtique de la confession auriculaire fut surtout monastique au départ et venait donc sans doute (à l’origine) d’une très ancienne pratique druidique : la confiance accordée à l’anamchara (l’ami de l’âme/esprit) des Irlandais, ou au periglor gallois, par ses élèves.
C’était une des conditions indispensables au progrès dans la voie choisie, mais les laïcs pouvaient, eux aussi, évidemment, avoir recours à cette « médecine de l’âme/esprit » du druide de type anamocaros.
En cas de faute contre l’éthique de sa fonction sociale (contre sa déontologie), le druide anamocaros demandait alors le plus souvent au coupable de réparer ses torts, et la réparation était fonction évidemment du dommage causé ainsi que des moyens de leur auteur. Tout était prévu par la coutume. Ces lois non écrites à l’origine nous paraissent aujourd’hui étranges et tatillonnes (voir le Senchus Mor, le Crith Gablach, les pénitentiels irlandais…).
Très celtes dans l’esprit comme dans la forme, elles n’en avaient pas moins une vocation universelle, puisqu’elles se sont peu à peu imposées à la catholicité, comme la suite l’a prouvé.
Ce système, et notamment les pénitentiels irlandais, très rigide pour notre époque, était assoupli par le moyen des commutations de peines : la réparation prévue pouvait être remplacée par une peine plus dure, mais plus courte. Il n’est pas interdit de voir là l’origine lointaine de la pratique catholique des indulgences. Les très-sachants de la druidiaction semblent avoir été plus loin et avoir admis, en certaines occasions, non plus la commutation des peines, mais carrément la commutation des pénitents. C’est une autre personne qui réparait le tort ou le dommage causé, l’essentiel étant qu’il y ait réparation.
Ces coutumes druidiques et notamment celle de l’anamocaros ont donc été d’admirables instruments de conseil spirituel, et ont permis d’affiner la conscience morale et religieuse de l’Occident, bien avant la venue du christianisme. Mais il ne s’agit pas seulement d’être bon, il s’agit aussi d’être soi-même. SINN FÉIN dit-on en gaélique. Sinn-Fein, même dans la pauvreté s’il le faut comme saint Colman d’Inishboffin, car ce qui compte ce sont les richesses de l’âme et non l’or ou l’argent ! Mieux vaut vivre libre et pauvre, que vautré dans une cage dorée. Comprendre une partie de tout cela peut déjà beaucoup aider.
IL EST DONC GRAND TEMPS DE REDÉCOUVRIR UN PEU CET IMMENSE CONTINENT PERDU DE LA PENSÉE HUMAINE. EN ESSAYANT DE RECONSTITUER AUSSI SCIENTIFIQUEMENT QUE POSSIBLE, MAIS AUSSI « DE L’INTÉRIEUR » LA FOI DES CELTES ANTIQUES. À PARTIR DES RÉALITÉS HISTORIQUES SÛRES ET ATTESTÉES OU À PARTIR DU SENS DONNÉ PAR LES ETHNOLOGUES À DES FAITS DE CIVILISATION COMPARABLES.
Même si l’usage de modèles « analogues » (comparatisme religieux) a ses limites.
D’OÙ CES NOUVEAUX ÉLÉMENTS DE BASE ET CES QUELQUES FASCICULES, À LIRE DE TOUTE URGENCE, VU L’IGNORANCE OU LES IDÉES REÇUES À CE SUJET QUI LES MASQUENT.
Si le druidisme antique authentique avait pu subsister comme le brahmanisme en Inde, il aurait pu évoluer de lui-même. Mais voilà, on n’en est pas là, on en est même très loin !
Notre religion n’étant en quelque sorte qu’une religion de la vérité, il est nécessaire de ne pas le cacher. La filiation lolo Morgannwg est surtout culturelle (folklorique disent certains !) et elle est neutre en matière de religion (trop bienveillante envers le christianisme, voire cryptochrétienne disent certains). Elle est en outre très marquée par la littérature médiévale galloise ou bretonne, et elle n’a que peu de rapports avec la réalité historique panceltique ou, disons, celtique commune, authentique (vocabulaire, et ainsi de suite).
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Il vaut donc mieux se référer nettement à l’état d’esprit de John Toland qui, outre le fait qu’il a commencé bien avant lolo Morgannwg (en 1717) ; a eu aussi le mérite d’être vraiment non chrétien (soyons un peu monganiens, que diable !) et même non-musulman ; et d’avoir eu aussi un peu plus de profondeur philosophique ou métaphysique (les tisanes à base de gui n’étaient pas sa tasse de thé !)
Notre religion étant une religion de la vérité comme nous l’avons vu, il fallait donc que ces choses-là soient dites !
Il y a de vulgaires ambitieux et des médiocres dans le milieu néo-druidique. Plus qu’ailleurs ? Ce n’est pas certain ! Ce qu’il y a de spécifique au milieu néo-druidique, c’est qu’il y existe des coefficients multiplicateurs au taux particulièrement élevé.
Par médiocres ou ambitieux (au sens petit et bas du terme), je veux dire des charlatans sans scrupule (matériellement intéressés, par l’argent ou les honneurs…) ou des individus voulant être chefs à tout prix.
Voire des semi-lettrés qui veulent compenser leur médiocrité intellectuelle en brillant facilement ou qui veulent impressionner le profane. Mais ceci, assez paradoxalement, n’est qu’une des conséquences obligées de l’immense importance intellectuelle qu’eurent les très-sachants de la druidiaction antiques, les vrais. Tout le monde veut se parer des plumes de l’aigle disparu.
Un des premiers vrais coefficients multipliant à l’infini le degré de nuisance de ces personnages, c’est évidemment l’absence de consensus, même minimal, sur ce que fut réellement la doctrine druidique antique. Il s’agit là, bien sûr, de la première conséquence du coma intellectuel qui frappa le druidisme authentique entre le Ve et le XVe siècle.
On peut désormais trouver tout et n’importe quoi sous l’étiquette « druidisme » (de l’Atlantide aux soucoupes volantes).
Une telle situation susciterait déjà quantité de disputes entre druidisants sincères, alors quand il s’agit d’ambitieux au sens vulgaire du terme en plus, n’en parlons pas !
Rien de plus facile que de travestir en désaccord idéologique ce qui n’est que rivalité personnelle. Il ne manquera pas de gogos pour voir les choses ainsi.
Ce que tous ces beaux Messieurs, ces grandes Dames ou ces gentils Damoiseaux, oublient, c’est qu’il est bien de s’inspirer aussi de l’exemple donné par le père nourricier de notre Seigneur (de Moritamna/Muirthemné).
C’était un homme comme tout le monde, modeste, effacé, vivant très simplement, et sans faire d’histoires, bien que n’ayant rien à se reprocher. Du moins si l’on en croit ce que le texte même de l’Enlèvement des Bœufs de Cooley nous apprend à son sujet : Sualtam, sans être un mauvais guerrier, n’était pas un surhomme, c’était un bon et brave guerrier sans plus. « Is amlaid ra boí Sualtaim acht nírbo drochláech é & nírbo degláech acht múadóclách maith ritacaemnacair ».
Il existe aussi un autre coefficient multiplicateur découlant directement de ce naufrage du druidisme authentique de haut niveau… le fait qu’il s’agit d’un milieu aux effectifs réduits et divisés. Cette absence de transparence et de confrontation publique des idées (aucune sélection démocratique valable, style élitisme républicain, n’est envisageable dans un trop petit groupe) rend possibles toutes les manœuvres que l’on peut imaginer, toutes les magouilles.
Ce qui manque au druidisme actuel, c’est 300 millions de paires d’yeux pour juger de tout cela, pour observer qui fait quoi et comment.
3e coefficient multiplicateur enfin, le fait qu’il s’agit toujours d’une démarche marginale de la part de ses passionnés.
Personne ne peut se prétendre médecin, architecte, ou avocat, sans avoir fait la preuve d’un minimum de connaissances et de rigueur. Et bien en matière de néo-druidisme si ! N’importe qui peut se dire super vrai druide traditionnel de père en fils ou d’initiation secrète en initiation secrète… et il n’y a aucun contrôle !
Il y a un Ordre des médecins, des avocats, ou des architectes, ce qui manque c’est un Ordre druidique et un conseil (de discipline, Bratuspantium ?) pouvant sanctionner tout abus en la matière, efficacement et officiellement.
Le principal obstacle au développement du néo-druidisme ce sont… les néo-druides eux-mêmes ! Le néo-druidisme actuel est une sous-culture. La plupart de ses animateurs sont, hélas, ou peu instruits, et donc crédules à l’égard des balivernes de leurs prédécesseurs, ou peu intelligents et, donc, manquant d’esprit critique, voire les deux à la fois. Ils ne brillent pas par leur courage non plus (la règle est plutôt de se sauver en laissant les copains seuls face aux difficultés). La plupart des mauvais coups se font toujours, évidemment, dans le dos des principaux intéressés, ou à 10 contre 1 ; et il s’agit de coups bien bas, bien en dessous de la ceinture (on se mêle des vies privées, des mariages,
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des divorces, des patronymes, des filiations, etc.). Le milieu néo-druidique actuel est un milieu bien petit, y compris au sens moral du terme.
Mensonges, vols, tricheries et abus de confiance ou lâches trahisons – mettons manque de loyauté si le terme choque – y sont monnaie courante ; il s’agit toujours d’avoir son propre groupe à soi ou de monter en grade de façon fulgurante.
Et je ne parle pas des escrocs matériellement intéressés, des hurluberlus, des illuminés, ou des affaires de mœurs.
Les « druides » d’aujourd’hui sont trop souvent décidément bien bas, et pas du tout à la hauteur de leur religion en tout cas !
Car la foi de nos ancêtres était aussi une religion, puisque les très-sachants de la druidiaction (druidecht), antiques, étaient des prêtres parlant la langue même des dieux (Diodore de Sicile, V, 31 : ils étaient homophonon).
Mais une religion à forte connotation philosophique. À la différence de ces pauvres petits néo-druides aux idées si étriquées, ou bien des religions soi-disant monothéistes (en réalité monolâtres), qui sont, elles, globalement incompatibles avec la science et avec la réflexion « libres ».
Mais pourquoi parler de religion à propos du druidisme me direz-vous ?
Parce que toute religion est une rencontre vécue avec le Sacré, que ce Sacré soit compris comme divin a-personnel ou comme dieu-ou-démon personnel, comme Dieu-ou-Diable unique ou comme Dieu-ou-démons, ou encore tout simplement comme un Tout Englobant Universel dans lequel se fondre.
« La religion est la relation réalisée au niveau social-individuel, destinée à s’exprimer de façon vivante dans une tradition et une communauté (dans une doctrine, une éthique et souvent aussi des rites) ; relation à quelque chose qui dépasse ou englobe l’homme et son monde, à une réalité vraie ultime quelle que soit la façon dont on la conçoit ; un système de coordonnées fondé dans la transcendance et se déployant dans l’immanence, grâce auquel l’Homme s’oriente intellectuellement, émotionnellement, existentiellement » (Hans Küng. Christentum und Weltreligionen. Mais ai-je bien compris ? Mes quatre ans d’allemand à l’EMP d’Autun sont loin !)
La religion celtique a dû être avant tout une religion individuelle. La religion était surtout une affaire privée, et il n’y avait que quelques cas dans l’année où la présence de chacun était obligatoire et où des prescriptions (des prescriptions, et non des interdits), alimentaires, étaient à observer ; lors de cérémonie d’ailleurs plus nationales ou politiques qu’autre chose, exemple la fête des trinouxtion samoni (os) ou fête des morts le premier novembre.
Ou les sept búada du roi de Tara.
A sheacht mbúadho .i. íascc Bóinne, fíadh Luibhnighe, mess Manann, fráechmess Brígh Léthi, biror Brossnaighi, uisci thopuir Thlachtga, mílrath Náissi nó Maisten. Hi kalaind Auguist doroichtis sin uile do rígh Themruch. Dans blíadain dano i toimliuth insin ní théghed i n-áirim sháeghuil dó, ocus is ríam no maidith for gach leth. Le poisson de la Boyne, le cerf de Luibnech, les faînes de Mana, les myrtilles de Brí Léith, le cresson de Brossnach, l'eau du puits de Tlachtga, les lièvres de Naas (ou de Maistiu). Tout cela était apporté au roi de Tara et l'année où il les consommait, il était victorieux de tous les côtés.
C’est ce caractère qui a fait remarquer à César que les Celtes sont tous très adonnés aux choses de la religion (admodum dedita religioibus). C’est ce qui explique que les pratiques religieuses ne furent jamais codifiées par écrit et à une échelle plus grande que celle du lieu où elles s’exerçaient. De la même manière, les druides ne se soucièrent jamais de coucher par écrit les mythes, ni les règlements cultuels, pas même les généalogies divines. Les croyances et les cultes ne devaient leur existence qu’à celle des dieu-ou-démons, qui paraissaient les avoir produits. Or soit ces dieu-ou-démons étaient sur place depuis des temps si reculés qu’ils semblaient du domaine de l’éternité, soit ils avaient été apportés avec les populations nouvelles lors de leurs migrations.
La religion, comme l’art, des Celtes, procède d’un dynamisme jouant sans cesse de son aptitude à la métamorphose, qui la rend unique dans le monde antique. La mentalité religieuse des Celtes était infiniment plus souple que ne le fut jamais celle des Romains, qui associaient pragmatisme et juridisme. L’expression artistique nous en donne l’image la plus pure, même si pour elle nous ne disposons d’aucun code de déchiffrement, ce qui nous la fait demeurer à jamais énigmatique. La liberté qui s’exprime dans le style dit « plastique » aux environs du IIIe siècle sur les tores ininterrompus des bracelets ou des torques et sur les plats démesurés des fourreaux ; n’a pu se
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développer que sur un terrain spirituel où régnaient sans limites l’esprit d’invention et le sens du fantastique.
Jusqu’à une époque tardive, contemporaine ou postérieure à la conquête, ces œuvres furent dénuées de toute forme de réalisme. Or il s’agit à chaque fois de l’ornementation d’objets sacrés ou possédant un caractère magique évident (torques, vaisselle peut-être liturgique, fourreaux d’épée…), ornementation qui puisait son inspiration dans le bestiaire mythologique ou dans les généalogies divines. Nous sommes donc conduits à penser que ces chefs-d’œuvre de l’art celtique nous livrent, à leur manière, la quintessence de la spiritualité des Celtes qui, au cours des IIIe et IIe siècles avant notre ère, dut également atteindre son expression la plus épurée.
Le druidisme n’est pas une religion valant seulement pour les très-sachant de la druidiaction (druidecht) au sens strict du terme (druides de type aventieticoi et autres). Le druidisme n’a jamais été une technique psychosomatique s’adressant seulement à une minorité capable d’un choix radical ; ayant tout le loisir de méditer ou de s’adonner aux exercices spirituels et mentaux les plus divers (le druidisme ne nie pas la société à ce point !) Le druidisme concerne au contraire tout le monde, y compris ceux qui sont obligés de travailler, pour vivre et faire vivre, les leurs. Le message druidique est ouvert à différentes formes de vie possibles et peut donc être vécu diversement. Il existe plusieurs voies ou embranchements (divodoron) pour atteindre le Graal, la voie des druides bien sûr, mais aussi la voie héroïque (kission) ou la voie des producteurs de richesse qui travaillent pour eux-mêmes, mais aussi pour la communauté (les combennones de la reda).
L’enseignement (druidique) était accessible à quiconque était capable de le saisir et ne consistait pas en une transmission ésotérique hermétique ou occulte (bref secrète), accessible seulement à quelques heureux élus. Comme l’a très bien dit le druide irlandais Nédé, dans le Dialogue des deux sages (Immacallam in da thuaraid) : « Toujours bienvenue est l’intelligence même blessante de la sagesse ».
Le message du druidisme s’adresse à tous, mais, bien sûr, vu la diversité des hommes, chacun le comprend d’une façon différente. Revenons par exemple sur la citation de Strabon qui visiblement s’en étonne concernant la fin de ce cycle.
« Ils affirment que les âmes et l’univers sont indestructibles, mais qu’un jour seuls le feu et l’eau régneront » (Strabon Géographie IV, 4). Les cycles cosmiques ou setlocenia envisagés par les très-sachants de la druidiaction (druidecht) se terminent donc, non comme ceux couramment évoqués en ce temps-là ; c’est-à-dire par l’action de l’eau OU du feu, suivant le cas, mais par l’action des deux RÉUNIS. Ces super-cycles « druidiques » englobant ou dépassant, et de loin, les autres, surprennent toujours évidemment ceux qui ne sont guère habitués à des durées aussi importantes en matière de cosmogonie.
Quelques-uns comprennent donc le druidisme dans sa totalité, d’autres ne le comprennent qu’à moitié, mais même dans ce cas-là le druidisme peut leur être utile. Le renoncement aux biens matériels ne s’impose (de lui-même) qu’aux dernières étapes de certains chemins permettant d’accéder au vrai monde ; mais on peut y accéder après la mort tout simplement, sans renoncer à la possession, à son chez-soi ou au mariage.
Le druidisme ne rejette ni le corps, ni la sexualité, ni les femmes, ni les hommes. Le mariage n’a rien d’impur à ses yeux, et monogamie ou polygamie, polygynie, voire polyandrie, sont également admissibles si la situation des hommes ou des femmes en cause le permet (il faut pouvoir aimer pareillement et ne pas être injustes).
Les très-sachants de la druidiaction ne sont les envoyés ni les mandataires d’aucun clan, et ils n’ont pas reçu de révélation de qui que ce soit même s’ils parlent la même langue que les dieux (dieux et druides sont homophonon).
Leur religion n’est qu’une réflexion, une connaissance à laquelle ils sont parvenus par leurs propres moyens (grâce à d’innombrables générations de chercheurs et de philosophes, des chamans préhistoriques et des prêtres indo-européens aux druides primordiaux). Ces voies ne dépendent pas de la personnalité de ceux qui les ont expérimentées en premier.
Il est possible de s’y engager sans jamais en avoir entendu parler. Les très-sachants de la druidiaction (druidecht) sont seulement les premiers sages ayant pu reconnaître et baliser ces voies, un point c’est tout.
C’est pourquoi, parallèlement à la défense et à l’illustration de leur foi, les vrais druides exhortent aussi à ne pas se contenter d’y croire bêtement, mais à vérifier par soi-même et par la pratique, la
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justesse de cet enseignement ; car il est toujours dangereux de s’accrocher aveuglément à une religion, serait-ce celle du druidisme le plus pur !
Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Ainsi que l’a un jour magnifiquement réalisé Renan sur l’acropole d’Athéna, il vaut mieux renoncer aux dieux que l’on ne comprend plus. Oh certes il l’a dit à sa façon, mais il l’a dit.
« Un immense fleuve d'oubli nous entraîne dans un gouffre sans nom. Ô abîme, tu es le Dieu unique. Les larmes de tous les peuples sont de vraies larmes; les rêves de tous les sages renferment une part de vérité. Tout n'est ici-bas que symbole et que songe. Les dieux passent comme les hommes, et il ne serait pas bon qu'ils fussent éternels. La foi qu'on a eue ne doit jamais être une chaîne. On est quitte envers elle quand on l'a soigneusement roulée dans le linceul de pourpre où dorment les dieux morts.»
Mais il y a plus fort plus celtique plus druidique. Distinguer entre croire et savoir.
Croire est une chose, savoir en est une autre, comme l’avait déjà très bien vu en son temps le prince celte Indutiomaros mis en cause par Cicéron dans son Pro M. Fonteio Oratio.
Répéter le slogan « Le Druidisme est le meilleur des interprètes de l’approche humaine de la pensée du Divin » ne signifie pas pour autant qu’il est infaillible comme le pape ou Mahomet.
Et c’est pourquoi il ne faut en aucun cas imposer le druidisme. Le druidisme est cantamantaloedis. En matière de religion, il ne doit y avoir aucune contrainte ! Ceci dit sans taqiya. Cette tolérance doit d’ailleurs aller bien au-delà de la simple indulgence. Le druidisme peut parfaitement coexister avec d’autres formes d’expression religieuse, y compris à l’intérieur d’un même individu.
Les druides ou saint Patrice, Termagant, Mahomet ou notre seigneur Belin, cela doit être possible ! On doit pouvoir choisir, ou ne pas choisir d’ailleurs.
Il est seulement demandé d’écouter, de comprendre, et d’en tirer toutes les conséquences qui s’imposent. Le druidisme est un moyen qui n’a pas de fonction propre, un peu comme une barque (de cristal, de bronze, peu importe) que l’on peut abandonner dès que l’on a touché l’autre rive (le vrai monde). Mais cette barque, il faut savoir quand même la conduire, c’est pourquoi le druidisme est une barque qui « même battue par les flots, ne sombre pas » (devise des constructeurs de bateaux de Paris. Traduction latine : « fluctuat nec mergitur »).
Le message druidique est pourvoyeur de sens, de certitudes, d’assurance ; mais il est aussi source d’explication, de doute et de libération (voir l’athéisme de certaines tribus selon Strabon).
Il n’y a pas nécessairement contradiction entre méditation et action, entre intégration ou émancipation, entre ordre et justice ; l’expérience mystique de type aventieticos et l’action sociale ne s’excluent pas. Le mysticisme n’implique pas nécessairement la négation du monde ou la passivité. Dans le druidisme authentique, la libération de l’Homme par la Divinité ainsi que la libération de l’Homme par l’Homme, vont de pair.
Le néo-druidisme doit donc remplir une fonction de clarification et d’éclaircissement, par la critique des autres religions notamment, car sa tolérance (cantamantaloedisme) est une tolérance qui attire aussi l’attention sur certaines non-vérités, en dépit de toute la vérité. Ce n’est ni un aveuglement, ni une lâcheté intellectuelle, ni une démission intellectuelle (irénisme) comme celles qui déshonorent les « élites » depuis la fin du XXe siècle, en France.
Sans aller jusqu’à jeter Mahomet dans un fossé pour le faire mordre ou piétiner par les porcs et les chiens, comme le réclame avec insistance en France la chanson de Roland ; disons quand même que l’on ne doit jamais a priori exclure de la critique certaines positions ou certaines décisions religieuses.
Un tel indifférentisme ne pourrait conduire qu’à une tolérance à bon marché, une disposition à tout admettre, un libéralisme mal compris, qui minimiserait la question de la vérité ou n’oserait même plus la poser.
Dialogue critique par conséquent (qui appelle les autres religions, non à tout justifier, mais plutôt à dire d’elles-mêmes ce qu’elles ont de meilleur ou de plus profond).
La plupart des rites du pèlerinage musulman à La Mecque sont par exemple d’origine préislamique, et donc païenne. Ah païens mes frères, si vous n’aviez pas existé il aurait fallu vous inventer. Même si Mahomet en a considérablement changé le sens. Mais cela nous l’avons déjà dit !
Pour cela, le druidisme ne cessera jamais d’en appeler constamment à la raison et aux capacités de connaissance de l’Homme. Athéisme dira-t-on !
Il est vrai que d’après Strabon, certains Celtes et notamment les Galiciens d’Espagne étaient athées. Est-ce possible ou s’agit-il plutôt d’un manque de nuance de la pensée de Strabon, incapable de comprendre les subtilités de certaines Écoles druidiques ? En tout cas voici son texte. « Certains auteurs affirment que les Gallaeci sont athées ; tandis que les Celtibères et leurs voisins au nord
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sacrifient à un dieu sans nom, la nuit, à chaque retour de la pleine lune, devant les portes de leurs bourgades, se livrant alors avec toute leur maisonnée à des rites divers agrémentés de danses ». (Géographie, III, 4, 16).
Le druidisme est un enseignement s’accordant avec la raison, n’en appelant aucunement à des croyances aveugles du type credo quia absurdum en latin, mais invitant au contraire chacun à éprouver sa vérité par la pratique et la méditation. Le druidisme est un savoir correspondant à une réalité universelle ; ou plus exactement une science ne dépendant pas d’Écritures saintes ni d’une quelconque révélation intangible, définitivement couchée par écrit 1000, 2000 ou 3000 ans auparavant, comme dans le cas du judéo-islamo-christianisme. Car le sacré, c’est d’abord l’homme (nemed). Et la foi druidique n’est pas d’abord l’adhésion à une ou plusieurs personnes, fussent-elles divines ou semi-divines comme le Hesus Cuchulainn, mais l’adhésion à une ou plusieurs vérités.
Ces vérités de toujours ont été progressivement découvertes par les druides primordiaux, successeurs des chamanes préhistoriques et des prêtres indo-européens venus de l’Est, il y a trois ou quatre mille ans, et elles ont été donc expérimentées, vécues, et enfin répandues, par eux, un point, c’est tout. « Suis ta propre destinée (ton Tokade individuel) et non les druides », pourraient même dire certains aujourd’hui, car ces lois cosmiques, découvertes par les premiers très-sachants de la druidiaction (exemple l’enfer n’existe pas, pour une bonne nouvelle ça c’est une bonne nouvelle), sont en effet plus importantes que la personnalité de ses premiers découvreurs voire même que la personnalité de ses dieux.
Le message druidique ne tire pas sa vérité du fait que ce sont les druides qui l’ont proclamé, car c’est tout le contraire : les très-sachants de la druidiaction l’ont proclamé parce qu’il était vrai.
Et cette vérité de toujours est une, en dépit de toutes les approches différentes que l’on peut en faire. Mais attention, la vérité en l’occurrence ne s’identifie pas au fait, même historique. Vérité et faits historiques sont deux choses différentes.
L’histoire de Tristan et Iseut par exemple, n’est qu’une légende, mais elle contient beaucoup plus de vérité sur la puissance de l’amour que mille traités de sexologie.
Et de même la Geste de Cuchulainn en Irlande, exemple de courage surhumain en dépit des défaillances de ses compatriotes (la fameuse maladie des Ulates ou Ces Noinden) ou des crimes de ses lâches ennemis (les Irlandais de la reine Medb). Bref en dépit de notre condition humaine, car l’esprit est prompt, mais la chair est faible.
Un ce sens le druidisme est une vérité universelle, valant pour tous les hommes, et saisissable par leur raison, car il s’identifie à la Destinée de l’Univers qui fonde l’ordre des choses.
Mais à la vérité conventionnelle du druidisme habituel, adaptée aux capacités de compréhension des druidisants d’alors, doit maintenant succéder une vérité plus haute. Il est temps de proclamer des enseignements plus profonds que ceux de l’Ancien Druidisme des druides primordiaux ou antiques.
Il ne faut chercher à comprendre le druidisme, tel que l’ont appréhendé les Celtes du temps des anciens druides, que pour l’appliquer aux conditions de vie actuelles si cela s’avère être un mieux. Car, rappelons-le, le but est de réussir à faire grandir un homme nouveau, MAIS AVEC LE MEILLEUR DE L’ANCIEN.
Les très-sachants de la druidiaction (druidecht) d’aujourd’hui, recherchent toujours « la guérison des blessures (de toutes les blessures) la fin de toute faiblesse, et l’éloignement de la mort » (slanugudh cnedh, esbaid cach, ac dichur euga). Mais il n’est plus indispensable pour eux d’être également thaumaturges, les druides d’aujourd’hui (les vrais en tout cas) ne prétendent pas faire de miracles.
Le néo-druidisme doit réussir son aggiornamento en faisant preuve d’adaptation, d’assimilation, et d’intégration. Qu’il s’agisse du contenu de la foi ou des pratiques, il doit en effet adapter l’ancien et absorber le nouveau. Le mythique doit se voir doté de significations nouvelles, ce qui est dépassé doit être réinterprété, ce qui n’a plus sa raison d’être (les sacrifices humains, l’exclusion des femmes de la prêtrise, et ainsi de suite) doit être purement et simplement abandonné.
Comme le dit si bien Solin, cité par Henri Lizeray dans sa D. S. D. D. « La théologie païenne doit être interprétée avec largeur de vues ».
Il ne faut pas se contenter de recevoir purement et simplement la tradition celtique, il faut l’actualiser ou la réinterpréter, à la lumière de notre expérience personnelle, afin de répondre aux questions suivantes : à quoi l’Homme doit-il s’en tenir ? Comment faut-il comprendre le Destin suprême ? Comment peut-on le reconnaître ? Quelle est sa volonté, que doit-on faire pour accomplir sa destinée à soi au niveau individuel ?
Le druidisme est un témoignage qui peut et doit être transmis sous une forme sans cesse renouvelée, variable, en fonction du temps, du lieu et des personnes, afin de prévenir tout décalage avec la
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société ; afin d’éviter de façon constructive les conflits spécifiques pouvant éventuellement l’opposer aux sciences de la nature.
Il nous faut notamment repenser complètement la question des dieu-ou-démons à la lumière des derniers progrès de l’étude scientifique des phénomènes métapsychiques comme la télépathie, l’hypnose, et ainsi de suite (cf. à ce sujet les travaux de Charles Richet, Pierre Janet, ainsi que ceux de tous leurs autres confrères). Enfin, bref, pour plus de détails, voir à ce propos la parabole d’Ogmios/Héraklès expliquée à Lucien de Samosate par un druide de Marseille (il faut parler en grec aux Grecs, et ainsi de suite).
« Nous n’avons pas l’assurance que le Grec a bien tout compris et répété, mais les témoignages anciens sont trop rares pour que l’on puisse en négliger un. Il se pourrait que le Celte ait nuancé son interprétation pour apaiser l’irritation de son interlocuteur. Cependant la forme de l’explication qui trahit une grande finesse d’intelligence, devait pour le moins émaner d’un bon connaisseur en théologie […] Pour désigner son interlocuteur, il écrit en effet textuellement philosophos. Philosophos n’est employé dans la phrase que comme adjectif ; mais comme substantif c’est le mot usité généralement par les écrivains grecs pour désigner les druides […]
Il est important de remarquer la présence dans ce pays que nous croyons barbare et inculte, de personnalités capables de discuter d’égal à égal et dans sa langue, avec Lucien de Samosate.
Rien ne dit que cet érudit, capable à la fois de citer des vers grecs et d’effectuer une brillante mythologie comparée entre Ogmios et Hercule, soit un druide ; mais la présomption est assez forte. Enfin, il faut noter que si le Celte surclasse le Grec, il n’en profite pas pour essayer de le convertir et c’est peut-être là l’enseignement le plus important de ce texte » (Françoise LE ROUX).
N’hésitons pas pour cela donc, à remettre en question les traditions et les soi-disant « ésotérismes », hermétismes ou occultismes, considérés comme « druidiques ».
Soyons néanmoins clairs sur un point : le nouveau druidisme n’est pas là pour abolir l’ancien, MAIS POUR L’ACCOMPLIR. L’objectif, je le répète, est d'engendrer un Homme Nouveau avec le meilleur de l’ancien.
Les très-sachants de la druidiaction (druidecht) d’aujourd'hui, n’amènent du nouveau que dans la mesure où l’ancien druidisme a été oublié, car il n’est rien de plus nouveau que ce qui a été oublié. Ils ne prétendent nullement à la vérité absolue, comme dans le cas des judéo-islamo-chrétiens.
Les nouveaux druides ne sont que des hommes ; qui s’intéressent à l’ancien druidisme ou au druidisme médiéval, et à leurs messages ; qui les interprètent et les traduisent en des situations et des temps nouveaux ; qui les expliquent en fonction des lieux, des temps, et des personnes. Le néo-druidisme doit donc être, comme le druidisme antique, une harmonieuse juxtaposition d’interprétations différentes, mettant l’accent sur des aspects nouveaux, ou voyant les choses autrement ; une juxtaposition qui ne conserve pas inutilement des traditions dépassées, mais une juxtaposition qui tient compte des différents niveaux d’expérience de chacun. Car la foi druidique authentique n’est pas l’adhésion à une (ou à plusieurs) personne (s), mais l’adhésion à une (ou à plusieurs) vérité (s) ; avons-nous dit. C’EST UNE QUÊTE DU GRAAL !
Le message néo-druidique n’implique pas un ordre juridico-social, ce n’est pas une Nouvelle Droite style fondamentalistes chrétiens ou G.R. E. C. E. (en Europe).
Notons à ce sujet que, vingt-huit ans après, on vient d’identifier l’auteur du fameux attentat qui avait ému toute la France en 1980. L’attentat commis le 3 octobre contre la synagogue de la rue Copernic à Paris, par un Canadien nommé Hassan Diab.
Je m’en souviens très bien ! À l’époque, je travaillais de nuit et j’avais donc la possibilité de beaucoup lire pendant mes pauses. La France entière avait alors manifesté en rangs serrés dans les rues pour protester contre l’extrême droite et ce malheureux G.R.E.C.E….
Preuve s’il en était besoin du caractère profondément nuisible (perte de temps d’argent d’énergie de crédibilité, abandon momentané des autres grands défis à relever, comme ceux de l’écologie, du réchauffement climatique, ou de la décroissance nécessaire) de l’antiracisme ; SANS RÉFLEXION ET SANS INTELLIGENCE. CAR L’ANTIRACISME NON RÉFLÉCHI PERMET EN FAIT AUX VÉRITABLES COUPABLES D’UN CRIME D’ÉCHAPPER POUR UN BON BOUT DE TEMPS À LA JUSTICE. ET LEUR DONNE MÊME LARGEMENT LE TEMPS DE RECOMMENCER, AVANT LEUR ARRESTATION.
Et il est certain que le meilleur moyen d’ôter toute intelligence à un être humain pourtant normal est aujourd’hui de l’aiguiller sur le terrain du racisme ou plus exactement de l’antiracisme. On assiste alors immanquablement à un véritable festival de non-vérités, de contrevérités, d’ignorances, d’idées
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reçues, de sophismes, d’illogismes, voire même souvent évidemment, de racisme à rebours. À croire que toute intelligence normale a besoin d’un point mort ou d’un point aveugle pour pouvoir fonctionner normalement par ailleurs. Et en France, dans ce pays qui fut grand naguère (après la bataille de Denain en 1712, entre 1914 et 1962 ?) apparemment ce triangle des Bermudes où font naufrage régulièrement des pans entiers de ces grandes intelligences que sont les intellectuels, les journalistes ou les hommes politiques - ce sont souvent les mêmes d’ailleurs - c’est le racisme et son double. L’œil pour fonctionner correctement a besoin d’une tache aveugle dite aussi tache de Mariotte*. Et bien pareillement sans doute pour l’intelligence humaine. Elle a besoin d’un point aveugle pour pouvoir fonctionner correctement par ailleurs. Le malheur est que sous nos latitudes, ce point aveugle des intelligences est le racisme/antiracisme (ou la religion et particulièrement l’islam). Deux domaines où réflexion, objectivité, culture générale et relativismes, devraient être au contraire de la plus grande nécessité, afin de réussir à vraiment faire avancer les choses, au lieu de faire du sur place, voire de reculer (génocides aux Rouanda, disparition des chrétiens d’Orient, et autres yézidis).
Notre religion n’est pas une loi (din), et notre spiritualité ne détermine pas jusque dans les moindres détails comment l’homme doit honorer ou adorer les dieu-ou-démons, prier, jeûner, voire quelles règles hygiéniques il doit observer. De minimis non curat druis. Il n’y a d’ailleurs pas d’interdits alimentaires permanents chez nous, seulement des prescriptions alimentaires certains jours de fête. Notre religion n’est pas là pour porter un droit laïc qui concernerait tous les domaines ou chaque situation de la vie quotidienne, de la politique au commerce en passant par les soins dentaires, la façon de se tenir à table, de faire sa cour, etc., etc. Encore une fois, répétons-le ! De minimis non curat druis. Ce n’est pas une multitude de lois que doit proclamer le druidisme d’aujourd’hui, mais des appels simples, transparents, libérateurs, renonçant aux arguments d’autorité ou de tradition.
Le druidisme n’a pas besoin d’une restauration (finalement sans espoir), mais bien d’une transformation, porteuse d’avenir.
Il nous faut donc, dans l’ancien druidisme et même dans le druidisme médiéval, distinguer entre ce qui porte la marque de son temps et ce qui a valeur permanente ; entre ce qui est essentiel et ce qui est secondaire ; entre ce qui est constructif et ce qui est destructeur.
Homme d'esprit celte mon frère quelle est ta devise ? « Le soleil est mon père, la terre est ma mère rien de ce qui est humain ne n'est étranger, un peu d'internationalisme éloigne de la patrie beaucoup y ramène, la Terre est mon vaisseau spatial ».
Le druidisme ne peut pas résoudre tous les conflits du monde ni les empêcher, mais il peut contribuer à réduire les intransigeances, les haines, et les inimitiés (entre peuples ou entre individus).
Il ne s’agit pas de nier les épreuves. Ce que veulent dire les très-sachants de la druidiaction (druidecht) d’aujourd’hui, c’est qu’elles peuvent changer de signe ; et comme dans le cas du Hesus = Cuchulainn passer du couiocanton (du négatif) au couocanton (au positif) pour laisser circuler le courant de la vie. Et c’est dans ce chaudron que se trouveront l’abondance et la résurrection. Mais cela nous l’avons déjà dit.
Signé : un simple « avocat » du druidisme de nos ancêtres.
PIERRE DE LA CRAU.
*C’est au XVIIe siècle, en procédant à la dissection d’un œil humain, que le physicien Edme Mariotte découvrit en effet la région de la rétine où se rattache au globe oculaire le nerf optique. Il en déduisit comme elle était dépourvue de cellules photoréceptrices, que la lumière ne devait pas stimuler cette région et que, par conséquent, chaque œil devait posséder une petite région du champ visuel où il est aveugle. Ce qui fut montré par la suite.
Cela dit rappelons quand même que nous ne sommes pas favorables au G.R.E.C.E, nous sommes totalement neutres à son égard, ce qui nous intéresse nous, ce sont les Celtes.
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ANNEXE N° 1.
LA VÉRITABLE HISTOIRE DES DIX COMMANDEMENTS.
SUR DE NOMBREUX ET MÊME D’INNOMBRABLES POINTS pourtant fondamentaux, le druidisme diffère donc du judéo-christianisme. Les chrétiens actuels attribuent au christianisme tout ce qu’il a jadis ou naguère combattu : les Droits de l’Homme, la démocratie, le respect des étrangers (des Barbares ou des goyim)… Une telle volte-face ne contribue pas évidemment à éclaircir la situation dans le domaine de l’éthique. La recherche du Bien étant l’affaire de la Religion, le reste (la recherche du Vrai) étant affaire de la Science. Il nous a donc semblé utile de dire quelques mots de son décalogue et de son contexte. Vous avez sûrement vu cela au cinéma ou à la télévision, mais un petit rappel s’impose quand même !
LA LOI JUIVE !
« Si un homme provoque une infirmité chez un compatriote, on lui fera ce qu’il a fait, fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent, on provoquera chez lui la même infirmité » (Lévitique, 24, 19.)
Loi du talion que l’on retrouve d’ailleurs de façon plus complète, dans l’Exode.
« Si un malheur survient, tu paieras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure » (Exode. 21, 23-25).
Après la sortie d’Égypte, Moïse et les Hébreux s’engagent dans le désert. Arrivé devant la montagne du Sinaï, Moïse y grimpe, seul, et là, dans un déluge de feu, il reçoit de Dieu dix commandements gravés dans la pierre, que les Hébreux doivent respecter (s’ils ne veulent pas qu’il leur arrive des ennuis). Ces dix commandements sont un résumé destiné à faciliter la mémorisation des lois les plus importantes de la communauté, celles qui incluent la peine de mort pour un membre du clan, quel qu’il soit. En somme, on aurait ici une sorte de liste des « péchés mortels ».
La Torah nous rapporte que Moïse les reçut sur le Sinaï et les présenta au peuple, au cours d’une cérémonie solennelle, au pied de la montagne.
Mais le récit de l’Exode relatant cet épisode (19, 25) comporte une singularité qui ne peut qu’intriguer toute personne dotée d’un minimum de réflexion. Il y est écrit en effet que Moïse descendit de la montagne et prit la parole pour dire… Pour dire… Mais on ne sait pas quoi, car le récit s’interrompt justement à cet endroit. Et aussitôt après ce n’est plus Moïse qui est censé parler, mais Dieu lui-même, qui promulgue en personne les dix commandements (20, 1). Exactement comme si l’on avait remplacé à cet endroit un propos attribué à Moïse par un autre, plus tardif, mais attribué à Dieu cette fois-ci.
Force est d’ailleurs de constater que ces commandements ne semblent pas vraiment correspondre au temps de Moïse, qui fut un temps de pérégrination à travers le désert et de vie nomade. On peut par conséquent supposer qu’ils furent plutôt établis à l’époque des juges, vers l’an 1100, soit quelque cent cinquante ans après sa mort supposée.
En outre, la Bible répète que ces commandements (ces « paroles ») sont au nombre de 10 (Deutéronome 4,13 ; 10,4) ; or lorsqu’on les compte, on en trouve non pas 10, mais… 12.
Les voici (Exode 20, 3-17) :
1. Tu n’auras pas d’autres dieux que moi (verset 3).
2. Tu ne feras aucune image sculptée, etc., etc. (verset 4).
3. Tu ne te prosterneras pas devant ces images ni ne leur rendras un culte, etc., etc. (verset 5).
4. Tu ne prononceras pas à tort le nom de Yahvé, ton Dieu (verset 7).
5. Souviens-toi du jour du sabbat pour le sanctifier, etc. (verset 8).
6. Honore ton père et ta mère (verset 12).
7. Tu ne tueras pas (verset 13).
8. Tu ne commettras pas d’adultère (verset 14).
9. Tu ne voleras pas (verset 15).
10. Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain (verset 16).
11. Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain (verset 17, a).
12. Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain ni son serviteur, etc., etc. (verset 17, b).
Il y a donc là de quoi être intrigué.
Quel sens peut bien avoir en effet la défense de convoiter la « maison » du prochain, pour des peuples qui n’habitent pas encore dans des maisons, mais sous des tentes ? Ce n’est qu’après leur
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installation en Terre promise que les Hébreux bâtiront des maisons en dur. Le commandement interdisant le faux témoignage suppose, quant à lui, l’existence de tribunaux, de juges et de procès légaux. Chose impossible durant la traversée du désert. Et quand est imposé le repos du sabbat, il est précisé : « Tu ne travailleras pas, ni toi, ni ton fils, ni ton esclave, homme ou femme ». Mais comment ces gens pouvaient-ils avoir des esclaves, alors qu’eux-mêmes étaient tous des fugitifs, récemment sortis d’Égypte ?
Tout cela donc a conduit les historiens à penser que les dix commandements appartiennent en fait à une époque postérieure ; celle où le peuple est déjà installé en terre de Canaan, et possède une organisation incluant des normes morales ou juridiques, adaptées à une autre époque.
Hypothèses sur le processus ayant abouti à ce résultat.
À un moment donné, face à l’abondance des lois et à la nécessité de disposer d’un résumé où figureraient les crimes les plus graves, de nature à mettre en danger la vie de la communauté ; on se résolut à dresser une courte liste de ces derniers. Dans ce but on chercha parmi les lois toutes celles qui incluaient la peine de mort, c’est-à-dire toutes celles qui se terminaient par la formule : « Ainsi tu feras disparaître le mal du milieu de ton sein ». La plupart de ces prescriptions se trouvaient d’ailleurs dans le Deutéronome, puisque ce livre, par définition (deutéronome veut dire deuxième loi en grec) en était un recueil.
Note de la Rédaction. Le seul des commandements qui ne figurait pas déjà dans le Deutéronome est celui qui a trait au repos du sabbat. Sans doute parce qu’anciennement, n’étant pas considéré comme une matière suffisamment grave pour constituer un « péché mortel », il ne figurait pas dans la série des infractions punies de la peine de mort. Mais plus tard, au retour d’exil, quand l’observance du sabbat devint un critère décisif, on l’ajouta donc à la liste.
Ci-après donc, les prescriptions légales figurant de-ci de-là isolément, dans le Deutéronome.
13, 2-6. Si quelqu’un survient parmi vous et dit : « Allons suivre d’autres dieux », distincts de Yahvé, cet homme doit mourir. Ainsi tu feras disparaître le mal de ton sein.
17, 2-7. Si un homme ou une femme va servir d’autres dieux et se prosterner devant eux, ou devant le soleil, la lune et les étoiles, tu les lapideras jusqu’à ce que mort s’ensuive. Tu dois faire disparaître ainsi le mal de ton sein.
17, 8-13. Qui ne fait pas ce que lui dit le juge ou le prêtre siégeant au nom du Seigneur ton Dieu doit être mis à mort. Tu dois faire disparaître ainsi le mal du sein d’Israël.
21, 18-21. Si un homme a un fils rebelle qui refuse d’obéir à ses parents, on lapidera le coupable, jusqu’à ce que mort s’ensuive. C’est ainsi que tu dois faire disparaître le mal de ton sein.
19, 11-13. Si un homme en tue un autre, il devient homicide et doit être remis au vengeur du sang versé pour être exécuté.
22, 13-21. Si une jeune fille épouse un homme et qu’il s’avère ensuite qu’elle n’est pas vierge, on la lapidera jusqu’à ce que mort s’ensuive. C’est ainsi que tu devras faire disparaître le mal de ton sein.
24, 7. Si un homme en enlève un autre, ce voleur doit mourir. Ainsi tu feras disparaître le mal de ton sein.
19,16-19. Si un témoin injuste se lève contre un homme et porte un faux témoignage, fais-lui subir ce qu’il entendait infliger à l’autre homme. Ainsi tu feras disparaître le mal de ton sein.
22, 22. Si l’on prend sur le fait un homme couchant avec une femme mariée, tous deux mourront. Tu éloigneras ainsi le mal de ton sein.
N.D.L.R. En ce qui vous concerne nous ne savons pas, mais en ce qui nous concerne nous, une chose est sûre, nous ne voyons rien de divin dans de telles lois tout juste dignes de l’islam le plus barbare (c’est-à-dire non soufi non moutazilite, etc.),
Avec le temps, cette liste prit une telle importance parmi les Hébreux, qu’on en vint à l’attribuer à Moïse lui-même.
On tenait alors pour certain le fait que Moïse avait été le législateur et l’organisateur de la vie légale du peuple juif. Écrire que Moïse avait donné ces lois au Sinaï, c’était donc, d’une certaine façon, ne pas mentir, en tout cas rester dans le domaine du possible, voire du vraisemblable.
Notons que les diverses religions du Livre ne sont pas tout à fait d’accord sur ce décalogue ; et que le catholicisme utilise pour son enseignement un texte qui n’est pas reconnu, par exemple, par les biblistes forcenés que sont les Témoins de Jéhovah.
S’il y a bien dix commandements, comment les compter pour arriver à ce nombre ? De longue date, juifs et chrétiens ont débattu ce problème et proposé diverses manières de le résoudre.
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Les premières tentatives furent celles du juif Philon d’Alexandrie et de l’historien Flavius Josèphe. Cette classification distingue quatre commandements relatifs à Dieu et six relatifs au prochain. Elle fut acceptée par plusieurs écrivains anciens, tels Origène, Tertullien et saint Grégoire de Nazianze. Elle est aussi celle qu’adoptent actuellement les luthériens, calvinistes ou anglicans.
Le judaïsme officiel récusa la classification de Philon et de Flavius Josèphe. Quand les rabbins rédigèrent le Talmud, leur livre sacré, ils proposèrent une autre façon de répartir les commandements.
À partir du XVIe siècle, quand les catéchismes commencèrent à se répandre, on entrevit la nécessité de fixer les dix commandements dans la mémoire des fidèles ; afin de faciliter l’examen de conscience préparatoire à la confession, et de donner un stimulant à la vie spirituelle. Cependant, tels qu’ils étaient rédigés, ces commandements parurent quelque peu surannés, voire caducs, étant donné qu’ils se référaient à une époque où les israélites observaient encore une morale primitive.
Le Décalogue faisait par exemple mention d’autres dieux, puisqu’en ce temps-là, les israélites croyaient qu’il existait différentes divinités pour les autres peuples ; il prohibait les images, alors que, dans le Nouveau Testament (Col 1,14), le Christ est présenté comme l’image du Dieu invisible, et qu’il est donc permis aux chrétiens de se servir d’images pour exprimer leur foi. Il ordonnait de sanctifier le sabbat, alors que les chrétiens célébraient le dimanche, considéré par eux comme le jour du Seigneur.
L’Église résolut donc d’élaborer un nouveau Décalogue pour son catéchisme. Elle avait d’ailleurs déjà agi dans le même sens, en excluant de ses règles les sacrifices d’animaux, prescrits par l’Ancienne Loi, l’égorgement de brebis, la crémation de taurillons, et la sanglante immolation d’agneaux, qui devaient avoir lieu chaque jour au Temple.
L’islam par contre a maintenu les égorgements de moutons.
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ANNEXE N° 2.
LES LIMITES DE LA RÈGLE D’OR.
« Ne fais pas à autrui ce que tu n'aimerais pas que l'on te fasse ».
Harry Gensler : « Faire A à X est incompatible (ne peut être combiné) avec le fait de ne pas accepter que X te fasse la même chose dans une situation exactement semblable = ne fais aux autres que ce que tu acceptes qu’ils te fassent dans la même situation ».
Sous cette forme la « règle d'or » ne constitue qu’une geis, qu'une règle négative, passive (« Ne fais pas... ») en matière de morale et d'éthique, ne donnant qu'une vision minimaliste de la relation à autrui. Elle ne fait référence à aucun culte, à aucune divinité, et n'est donc pas incompatible avec l'absence de religion ou de croyance en Dieu. Dans sa version laïque, par définition respectueuse de la liberté de conscience de chacun, de telles restrictions ne sauraient exister.
Formulée positivement la règle d’or en question pourrait se traduire ainsi : « fais à autrui tout le bien que tu aimerais en recevoir ».
On retrouve ce principe sous des formulations voisines dans beaucoup de religions, de philosophies ou de civilisations du monde. C'est la barrière que la morale dresse contre l'égoïsme et contre ceux qui pensent ne pouvoir réaliser pleinement leur liberté qu'en piétinant celle des autres (les psychopathes ou sociopathes). Ce précepte, basé sur la réciprocité, est d'une grande simplicité et facile à comprendre, ce qui a sans doute contribué à son succès. Sa reconnaissance par la plupart des civilisations et des cultures semble en faire un dénominateur commun à l'humanité.
On ne doit pas néanmoins oublier que cette règle d’or a souvent été appliquée avec une forte restriction, implicite, voire explicite, à savoir que « autrui » « l'autre », « le prochain », le « frère »... est le frère en religion, le coreligionnaire…
Seul le christianisme a été très explicite en la matière avec sa parabole du bon Samaritain: « autrui », « l'autre », « le prochain », le « frère » ce n'est pas forcément quelqu'un qui a la même religion que vous. Tant pis pour les infidèles, les mécréants les koufar ou les adeptes d'une autre religion comme les yézidis les chrétiens (trinitaristes).... mais ceci est un autre débat. C'est là une incontestable supériorité morale du christianisme sur le judaïsme ou l'islam, supériorité qu'il ne partage qu'avec le druidisme si l’on en croit Nicolas de Damas.
Recueil des coutumes extraordinaires. Fragments conservés par Jean Stobée. « Chez eux, on est puni d’une peine plus rigoureuse pour le meurtre d’un étranger que pour celui d’un concitoyen : dans le premier cas, la mort, dans le second l’exil seulement ».
Rappelons enfin qu’en la matière on ne saurait mettre sur le même plan pour ce qui est de l’autorité les extraits des textes fondateurs et les commentaires de commentaires postérieurs du genre « bulle du pape ou hadith » voire « débat entre Hillel et Shammaï ».
La première des limites de la règle d’or a bien été mise en évidence par la célèbre boutade de Georges Bernard Shaw : « Ne faites pas aux autres ce que vous voudriez qu'ils vous fissent. Il se peut que leurs goûts ne soient pas les mêmes » (Maximes pour révolutionnaires).
La plus radicale des critiques de ce principe est en effet qu’il est difficile de savoir comment autrui voudrait être traité. La façon la plus simple est de leur demander, mais cela suppose qu’ils soient capables de comprendre ladite question et soient dotés d’un minimum de compréhension, ce qui exclut déjà les enfants trop jeunes et certains handicapés mentaux.
Karl Popper a donc précisé : « La règle d'or est une bonne norme de conduite qui peut être améliorée par la recommandation de faire à autrui chaque fois que cela est raisonnable ce qu’il voudrait qu’on lui fasse. « Chaque fois que c’est raisonnable… ». Karl Popper introduit donc la raison dans la problématique.
Iain King dans son ouvrage intitulé « Comment prendre de bonnes décisions et ne jamais se tromper » remarque tout d’abord que la formulation généralement négative de la règle d’or (ce qu’il ne faut pas faire plutôt que ce qu’il faut faire) a évidemment pour conséquence le maintien d’un statu quo favorisant le mal et l’égoïsme. Quant à la formulation positive (fais à autrui tout le bien que tu souhaiterais en recevoir) de type potlatch, elle peut mener à la ruine des individus et des sociétés.
Car il faut également tenir compte du fait que les intérêts des uns et des autres peuvent différer (quid des masochistes ou des kamikazes qui recherchent le martyre ou la mort au combat ?) Que les situations peuvent différer (quid du travail d’un juge, quid de celui qui a été JUSTEMENT condamné ?)
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Donc que la règle d’or ne saurait être la seule geis (guide) à prendre en considération. Une règle de platine reste à élaborer pour cela.
Il y a toujours des différences liées à l’âge, aux capacités physiques, aux aptitudes intellectuelles ou morales, aux échanges dont chacun a pu ou non bénéficier, à l’inégale répartition des richesses…
L’éthique des très-sachants s’est élaborée à partir d’une longue réflexion sur la tripartition fonctionnelle des activités humaines (religion, politique, économie), idéologie mise en lumière par les travaux de Dumézil.
Note de la rédaction de ce travail collectif. On tient là, encore une fois, une preuve de l’inauthenticité, donc du caractère mensonger, des groupuscules néo-druidiques dont les noms suivent : G… C… C… d. l. F… d….C… d. B… ( ouf !) Bulletin A. G… animé par J… T… ; C… d… d. G… Bulletin A. G… animé par H… C… etc.
Pourtant, à les entendre, tous plus traditionnels les uns que les autres. Car c’est dans le domaine de l’éthique que leur imposture est la plus flagrante. Ils sont si chrétiens d’esprit que cela en est même inconscient de leur part. Leur morale est celle des dix commandements de la Bible dont nous venons de parler. Il n’est jamais venu à l’esprit de ces super druides que ce décalogue chrétien n’était qu’une des approches possibles du difficile métier d’Homme sur cette Terre, et pas la meilleure d’ailleurs. Il n’est jamais venu à l’esprit de ces « super druides », soi-disant traditionnels et authentiques, que des groupes humains pussent avoir d’autres conceptions de l’éthique ou de la déontologie.
Car le principe de base de l’idéologie tripartite des vrais druides ce n’était pas « une même morale unique et universelle pour tout le monde », mais une « morale en quelque sorte professionnelle, ou une morale différente suivant les cas, en bref une morale différenciée ». À côté de quelques principes de base également valables pour tous, quoique à des degrés divers, une multitude de déontologies. Particulières.
N.D.L.R. Nous dirons donc « décalogue » entre guillemets, car chez les anciens Très-Sachants, ce genre de préceptes allait plutôt par trois (triades).
Le premier des commandements druidiques, s’il y avait un « décalogue » celtique unique, aurait vraisemblablement été : « Le druide prime le roi *, le droit (le recht aicnid) prime la nertis (prime la force) ». Autrement dit : les militaires et les policiers ne doivent pas s’occuper des questions intellectuelles (religion, constitution, art, etc.).
Les désordres du monde ont presque toujours pour cause le fait que la troisième fonction n’est plus conçue en fonction des services qu’elle rend à la société ; mais aussi que la deuxième fonction, le politique, cherche à s’emparer de l’autorité intellectuelle (ou spirituelle). Ce que l’Hindouisme nomme péjorativement révolte de kshatriyas (le nazisme par exemple en Allemagne dans les années 1930 a été une révolte de kshatryas). Il aurait fallu remettre la nertis à sa place, qui est la deuxième (la défense de la nation) et ne pas la mêler autrement ou plus, à la politique au sens supérieur du terme.
* La formule exacte est « c’était un interdit des Ulates que de parler avant le roi, c’était un interdit du roi que de parler avant ses druides ». Gaélique « Is amlaid ra batar Ulaid: geiss d'Ultaib labrad rena ríg, geis don ríg labrad rena druidib».
Une formule assez ambigüe d’ailleurs, car elle implique aussi que c’est le roi qui doit avoir le dernier mot.
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ANNEXE N° 3.
DOCUMENT DE TRAVAIL.
« Au royaume du roi Arthur, les pucelles vont en toute sécurité. Le roi leur accorde son secours : il les garde et il les protège ».
LES IDÉAUX D’UNE MODERNE TABLE RONDE.
Ou « les neuf commandements » (les neuf responsabilités sacrées, les 9 buada les 9 gessa).
Insistons bien pour finir, sur le caractère personnellement désintéressé qui devrait caractériser tout homme politique digne de ce nom ; alors que de nos jours, il faut bien le reconnaître, comme jadis pour la caste des seigneurs du Moyen-âge, la politique est devenue un moyen d’enrichissement personnel, ou de faire carrière. La féodalité n’est-elle pas née d’un démembrement du pouvoir central ?? Nous l’avons bien vu avec ce qui s’est produit en Grande-Bretagne, après le départ des Romains. Ces territoires devenus indépendants, sans l’avoir vraiment voulu, ont commencé par être administrés par les capitaines ou les hauts fonctionnaires restés sur place, puis à leur mort leurs circonscriptions ont été partagées. Ce fut là le début de la féodalité dans ce pays.
La nouvelle race des seigneurs aujourd’hui, ce sont les cadres ou les hommes politiques de haut niveau. Être cadre ou faire de la politique est même devenu aujourd’hui le seul moyen de s’enrichir personnellement. Il suffit de n’avoir aucun scrupule, de mentir comme on respire, d’être intellectuellement peu courageux, mais d’être assez infatué de sa personne pour se croire indispensable. Ayant eu dans la famille (par alliance) un député-maire n’ayant rien apporté à la nation ou à son peuple, mais ayant quitté le monde politique bien plus riche que quand il y était entré, nous sommes bien placés pour le savoir.
Or toute communauté humaine digne de ce nom doit bien confier à des hommes ou à des femmes, triés sur le volet, la responsabilité du bon fonctionnement ou du bon déroulement des nécessités publiques qui suivent.
Nourrir (aliments solides ou liquides). Vêtir. Loger (éventuellement chauffer). Soigner. Éduquer. Instruire. Faire régner la paix ou la concorde civile (justice et police). Assurer la défense contre les ennemis de l’extérieur.
(On appelait autrefois en Irlande briougou le fonctionnaire ou l’intendant chargé de veiller aux trois premières activités.)
Mais il y avait aussi ne l’oublions pas. Soigner (les corps ET les âme/esprits). Protéger (contre les agressions extérieures). Éduquer (les enfants ou les populations). Produire (ou se procurer, ce qui est nécessaire aux précédentes activités). Rendre la justice. Maintenir l’Ordre. Perpétuer (veiller au minimum au renouvellement des générations).
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Le tout sous la houlette d’un vergobret (pouvoir exécutif) chargé de coordonner l’activité de ces différents ministères sacrés.
…………………………………………………………………………………………………………………..
Note à propos du verbe « éduquer ».
Il s’agit bien sûr d’une éducation au sens élevé du terme (daltachas), c’est-à-dire de qualité. Il s’agit de transmettre les valeurs de base constitutives de toute communauté digne de ce nom : philosophie, culture, éthique, sens du sacrifice (dévouement), histoire des religions, us et coutumes, etc.
En qualité, mais aussi en quantité suffisante ! De moins en moins d’hommes ou de femmes doivent être aveuglés par l’obscurantisme religieux, le fanatisme, l’intolérance, l’ignorance des conditions (réelles) ayant présidé à la naissance du Monde et de l’Humanité… Éclairer ou libérer nos frères humains est aussi un devoir digne des idéaux de la Table Ronde.
L’idéal même serait que ce ministère, ou du moins la structure spécialisée de ce ministère se fixe chaque année des objectifs chiffrés à réaliser.
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Bien que ne figurant pas en tête de liste, ce ministère (le mot ministère est bien celui qui s’impose vu son objectif) est primordial ; et sa direction ne doit être confiée qu’à un membre du groupe ayant de très sérieuses qualités humaines.
Un homme ou une femme aux antipodes, par exemple, des cadres de la Poste française de la fin du XXe siècle (ou du début du XXIe) ; qui n’étaient ni très intelligents, ni très instruits (culture générale faible), sans scrupule vis-à-vis de leurs subordonnés ; mais lâches ou courtisans vis-à-vis de leurs propres supérieurs à eux (en bref préoccupés surtout de bâtir leur carrière sans se soucier de l’intérêt de la collectivité ou des autres).
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ANNEXE N°4.
LA PARABOLE DU RICHE AVISÉ.
Évangile selon Luc, chapitre 16, versets 1 à 9 :
« Jésus dit aussi à ses disciples : un homme riche avait un économe, qui lui fut dénoncé comme dissipant ses biens. Il l'appela, et lui dit : qu'est-ce que j'entends dire de toi ? Rends compte de ton administration, car tu ne pourras plus administrer mes biens. L'économe dit en lui-même : Que ferai-je, puisque mon maître m'ôte l'administration de ses biens ? Travailler à la terre ? Je ne le puis. Mendier ? J'en ai honte. Je sais ce que je ferai, pour qu'il y ait des gens qui me reçoivent dans leurs maisons quand je serai destitué de mon emploi. Et, faisant venir chacun des débiteurs de son maître, il dit au premier : combien dois-tu à mon maître ? Cent mesures d'huile, répondit-il. Et il lui dit : Prends ton billet, assieds-toi vite, et écris cinquante. Il dit ensuite à un autre : et toi, combien dois-tu ? Cent mesures de blé, répondit-il. Et il lui dit : Prends ton billet, et écris quatre-vingts. Le maître loua l'économe infidèle de ce qu'il avait agi prudemment. Car les enfants de ce siècle sont plus prudents à l'égard de leurs semblables que ne le sont les enfants de lumière. Et moi, je vous dis : faites-vous des amis avec les richesses injustes, pour qu'ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels, quand elles viendront à vous manquer. »
PASTICHE DANS L’ESPRIT CELTE.
« Il était une fois un homme très riche, inquiet sur son avenir. Je sais ce que je ferai, pour qu'il y ait des gens qui me reçoivent dans leurs maisons quand….la fin manque.
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ANNEXE N° 5.
LE DIALOGUE DES SEIGNEURS ET DES PAYSANS.
(pastiche de l’histoire de Philémon et Baucis).
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, un des concepts clés du druidisme après celui d’occultation des dieux, est sa notion de parousie des dieu-ou-démons, ou de retour des dieu-ou-démons, ou de nouveau règne des dieu-ou-démons. Devant survenir juste avant l’erdathe ou fin du Monde destinée à faire place nette à un nouvel univers, à un nouveau Bitos.
Ci-dessous le dialogue imaginaire, sans doute inspiré des aventures de Trefuilngid Tre-Eochair sur terre, composé par un de nos plus célèbres poètes, à propos de ce retour des dieu-ou-démons, afin en quelque sorte de ré-enchanter le monde ; et des comptes que les hommes seront éventuellement appelés à leur rendre à propos de son usage.
LES DIEUX OU DÉMONS DU SEDODUMNON.
Oh vous les hommes, qu’avez-vous fait de la terre et des troupeaux que nous vous avons confiés ; après l’incroyable bataille que vous avez livrée pour en avoir la possession ?? Qu’avez-vous fait de nos forêts, de nos montagnes, de nos rivières et de nos lacs, ainsi que de tous leurs hôtes ??
Les dieu-ou-démons diront ensuite aux mauvais briugu pour les satiriser : « Sans nourriture rapidement servie sur un plat, sans lait de vache qui fait grandir un veau, sans abri humain quand la nuit est venue, sans conteurs, qu’ainsi soit toute votre prospérité ! Il n’y a pas de richesse dans votre demeure ! Car nous avons eu faim et vous ne nous avez pas donné à manger. Car nous avons eu soif et vous ne nous avez pas donné à boire, car nous étions nus et vous ne nous avez pas vêtus ».
ALORS LES MAUVAIS BRIUGU DE RÉPONDRE.
« Mais seigneurs, quand donc nous aurions vous vus, avoir faim et soif, être nus et malades, sans vous aider ? »
LES DIEU-OU-DÉMONS DU SEDODUMNON.
« En vérité nous vous le disons, chaque fois que vous ne l’avez pas fait aux derniers des guerriers fénianes venant frapper à votre porte une nuit d’hiver, aux derniers des kingetes qui nous cherchaient, aux derniers des prêtres qui nous servaient, aux derniers des hommes qui nous honoraient du fond de leur cœur, c’est à nous que vous l’avez refusé ! »
LES DIEU-OU-DÉMONS DIRONT ENSUITE AUX BONS BRIUGU POUR LES BÉNIR.
« Venez et avancez, combennones, pour prendre possession de ce nouveau pays qui vous attendait depuis toujours, la grande plaine lumineuse où pousse l’herbe toujours verte. Car nous avions faim et vous nous avez donné à manger. Car nous avions soif et vous nous avez donné à boire. Nous étions nus et vous nous avez habillés. Bénis soient les bons briugu. Sunaritu !!!
ET DAME CAMHA DE RÉPONDRE.
Seigneurs, mais quand donc nous aurions vous vus ? ? Vous avez eu faim et nous vous avons nourris ? Vous avez eu soif et nous vous avons donné à boire ? Vous étiez nus et nous vous avons habillé ? ? Mais quand donc cela est-il arrivé ? ? Nous n’avons reçu jusqu’ici que des vagabonds ou des miséreux en loques.
LES DIEU-OU-DÉMONS DU SEDODUMNON.
Chaque fois que vous l’avez fait au moindre des guerriers fénianes ou à un de ceux qui cheminent sur la voie de la Kingeto, aux derniers des prêtres qui nous servaient, aux derniers des hommes qui nous honoraient du fond de leur cœur, c’est à nous que vous l’avez fait. Et maintenant voulez-vous revenir en arrière pour vivre de nouveau comme avant ce jour béni de notre retour parmi vous ? ? Nous pouvons, si vous le désirez, vous y renvoyer.
LES BONS BRIUGU.
« De grâce seigneurs, épargnez-nous, ne nous empêchez pas de naître enfin à la vraie vie, ne cherchez pas notre mort, ne nous livrez pas de nouveau entre les griffes des séduisantes ou dangereuses illusions du monde d’avant, mais délivrez-nous-en définitivement. Laissez-nous
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demeurer dans la pure lumière de la plaine éternelle, au pied du rocher d’or sur lequel trône le Graal de Plutarque, car c’est alors que nous serons vraiment pleinement hommes, voici le moment où nous allons être enfantés pour de bon ! Qu’avons-nous à faire du monde d’avant ?
ET TOUS ALORS S’EN IRONT !
Les bons briugu pour aller prendre possession de la terre promise destinée aux saints (réenchantée) avant le retour au Grand Tout de toutes choses et de leurs contraires ; les brebis galeuses, les briugu avaricieux et tous les anmati, pour aller rejoindre les âme/esprits en peine (seibaros) qui errent ou se morfondent dans le non-monde de Tethra ou de Donn/Cornunnos.
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ANNEXE N° 6.
LES 4 VALISES
(pastiche de rien du tout, simple conte moderne).
HISTOIRE DE L’HOMME À LA VALISE ORANGE
Il était une fois un vieux monsieur qui avait travaillé toute sa vie, 25 heures par jour, au développement d’une extraordinaire invention due à son labeur : la pilule-repas.
Il avait en effet mis au point, à force de recherches, une vraie source de richesse en soi, une toute petite pilule orange, aussi nourrissante que deux ou trois repas bien copieux (la pilule était d’ailleurs sécable).
Toute sa vie, dès l’âge de sept ans, et en se levant tous les jours à trois heures du matin ; alors que ses frères et sœurs, eux, continuaient à dormir ou à jouer aux jeux de leur âge, il avait travaillé à son invention. Et un jour, à l’âge de dix-huit ans, il avait su prendre ses responsabilités : il avait utilisé son argent de poche et ses cadeaux de Noël pour fabriquer, à grande échelle, sa pilule miracle. Les débuts furent difficiles, mais le succès fut au rendez-vous, et le responsable de cette extraordinaire entreprise se retrouva peu à peu très riche.
Devenu bien vieux, à l’âge de quatre-vingts ans, il décida de convertir toutes ses économies en pilule-repas orange de son invention ; et de partir à l’autre bout du monde rejoindre son fils ; afin de prendre à ses côtés une retraite bien méritée.
Malheureusement pour notre homme, l’avion à destination de la ville de l’autre bout du monde où habitait son fils s’écrasa sur une île déserte avant d’y arriver à bon port.
Le vieux monsieur et sa valise bourrée de pilules-repas orange en réchappèrent, ainsi que 99 autres passagers.
Un an plus tard, les secours les découvrirent.
Le vieux monsieur avait pu survivre grâce à ses petites pilules orange (sa valise en était d’ailleurs encore presque pleine) ; mais tous les autres survivants de cette catastrophe aérienne, eux, étaient morts de faim.
Le vieux monsieur s’installa chez son fils, et il s’apprêtait à y finir ses jours dans un luxe et une volupté bien mérités, quand éclatèrent dans la région de sanglantes émeutes de la faim ; suivies d’une terrible révolution et d’une guerre civile atroce.
Le président Honorius, avant d’évacuer le pays, promulgua un dernier rescrit très simple.
Article 1 : que chacun désormais se débrouille comme il peut ! Il n’y a plus assez d’argent pour assurer la continuité des services publics, ni même pour payer les soldats et les policiers.
Article 2 : la loi de la jungle est rétablie.
La foule affamée se rua chez le vieux monsieur qu’elle n’avait pas reconnu, afin de s’emparer de tous ses biens, et se livrer à ce que font d’ordinaire les foules dans de tels cas : le pillage.
Son fils supplia qu’on l’épargne ; mais une voix, terrible et comme surgie d’outre-tombe, s’écria aussitôt : « Et lui, est-ce qu’il a eu pitié des membres de nos familles quand il s’est retrouvé seul à côté d’eux sur cette île déserte ; avec cette maudite valise bourrée de pilules orange qui auraient pu les sauver ? »
HISTOIRE DE L’HOMME À LA VALISE DORÉE (conte moderne).
Il était une fois un jeune homme de bonne famille dont le père venait de décéder. Il avait jusque-là vécu dans la plus complète débauche, en se levant tous les jours à midi passé pour faire la fête, toute la nuit.
Il décida un jour de convertir tout son héritage, qui était immense, en pilules-repas dorées pouvant nourrir un homme pendant deux ou trois jours. Une extraordinaire invention du père d'un de ses amis ; et il prit l’avion pour le retrouver au bout du monde, afin de continuer à faire la fête avec lui.
Malheureusement pour notre homme, l’avion à destination de la ville de l’autre bout du monde où habitait son ami s’écrasa sur une île déserte avant d’arriver à bon port.
Le jeune et riche héritier débauché ainsi que sa valise bourrée de pilules-repas dorées en réchappèrent, ainsi que 99 autres passagers.
Un an plus tard, les secours les découvrirent.
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Le jeune homme avait pu survivre grâce à ses petites pilules dorées ; mais les autres rescapés de cette catastrophe aérienne aussi, car le jeune débauché avait partagé avec eux les pilules-repas de sa valise.
Le jeune homme se retrouva ruiné, mais comme il avait en revanche trouvé l’âme sœur sur cette île déserte, ils se marièrent et eurent donc beaucoup d’enfants ; et jamais ni émeutes de la faim ni guerre civile ne ravagèrent le pays.
HISTOIRE DE L’HOMME À LA VALISE D’ARGENT (conte moderne).
Il était une fois un vieux monsieur qui avait travaillé toute sa vie, 25 heures par jour, au développement d’une extraordinaire invention due à son labeur : la pilule-repas.
Il avait en effet mis au point, à force de recherches, une vraie source de richesse en soi, une toute petite pilule orange, aussi nourrissante que deux ou trois repas bien copieux (la pilule était d’ailleurs sécable).
Toute sa vie, dès l’âge de sept ans, et en se levant tous les jours à trois heures du matin, alors que ses frères et sœurs, eux, continuaient à dormir ou à jouer aux jeux de leur âge, il avait travaillé à son invention. Et un jour, à l’âge de dix-huit ans, il avait su prendre ses responsabilités : il avait utilisé son argent de poche et ses cadeaux de Noël pour fabriquer à grande échelle sa pilule miracle. Les débuts furent difficiles, mais le succès fut au rendez-vous et le responsable de cette extraordinaire entreprise devint peu à peu très riche.
Devenu bien vieux, à l’âge de quatre-vingts ans, il décida de convertir toutes ses économies en billets de banque, en actions, et en lingots d’or, et de partir à l’autre bout du monde rejoindre son fils ; afin de prendre à ses côtés une retraite bien méritée.
Malheureusement pour notre homme, l’avion à destination de la ville de l’autre bout du monde où habitait son fils s’écrasa sur une île déserte avant d’y arriver.
Le vieux monsieur et sa valise bourrée d’or en réchappèrent, ainsi que 99 autres passagers, tous des jeunes gens dans la force de l’âge et en parfaite santé.
Il y avait de quoi se nourrir sur cette île déserte, mais cela nécessitait beaucoup d’efforts. Il fallait marcher toute la journée pour trouver quelques fruits ou avoir quelques poissons, voire quelques oiseaux ou quelques œufs.
Le vieux monsieur, lui, bien sûr, le pauvre, ne pouvait pas en faire autant ; mais il put néanmoins tenir deux ou trois mois en mangeant du papier de ses actions ou de ses billets de banque, qu’il faisait bouillir dans de l’eau. Mais comme l’encre était très toxique, il mourut empoisonné.
Un an plus tard, les secours les découvrirent.
Les 99 jeunes gens étaient encore tous en vie, et à peu près en bonne santé, quoique très amaigris ; mais le vieux monsieur, lui, fut retrouvé mort à côté de sa valise encore pleine de lingots d’or, de billets de banque, ou d’actions.
HISTOIRE DE L’HOMME À LA VALISE VIDE (conte moderne).
Il était une fois un vieux monsieur qui avait travaillé toute sa vie, 25 heures par jour, au développement d’une extraordinaire invention due à son labeur : la pilule-repas.
Il avait en effet mis au point, à force de recherches, une vraie source de richesse en soi, une toute petite pilule orange, aussi nourrissante que deux ou trois repas bien copieux (la pilule était d’ailleurs sécable).
Toute sa vie, dès l’âge de sept ans, et en se levant tous les jours à trois heures du matin, alors que ses frères et sœurs, eux, continuaient à dormir ou à jouer aux jeux de leur âge, il avait travaillé à son invention. Et un jour, à l’âge de dix-huit ans, il avait su prendre ses responsabilités : il avait utilisé son argent de poche et ses cadeaux de Noël pour fabriquer à grande échelle sa pilule miracle. Les débuts furent difficiles, mais le succès fut au rendez-vous et le responsable de cette extraordinaire entreprise se retrouva peu à peu très riche.
Devenu bien vieux, à l’âge de quatre-vingts ans, il décida de convertir toutes ses économies en billets de banque, en actions, et en lingots d’or, et de partir à l’autre bout du monde rejoindre son fils ; afin de prendre à ses côtés une retraite bien méritée.
Malheureusement pour notre homme, l’avion à destination de la ville de l’autre bout du monde où habitait son fils s’écrasa sur une île déserte avant d’y arriver sain et sauf.
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Le vieux monsieur ainsi que sa valise bourrée d’or en réchappèrent, ainsi que 99 autres passagers, tous des jeunes gens dans la force de l’âge et en parfaite santé.
Il y avait de quoi se nourrir sur cette île déserte, mais cela nécessitait beaucoup d’efforts. Il fallait marcher toute la journée pour trouver quelques fruits ou avoir quelques poissons, voire quelques oiseaux ou quelques œufs.
Le vieux monsieur, lui, bien sûr, le pauvre, ne pouvait pas en faire autant ; mais il put néanmoins acheter tous les jours un peu de la nourriture de chacun de ces jeunes gens. Un an plus tard, les secours les découvrirent.
Les 99 jeunes gens étaient encore tous en vie, et à peu près en bonne santé, quoique très amaigris. Le vieux monsieur aussi, par contre il n’était plus du tout aussi riche qu’avant, mais il avait pu garder quand même par-devers lui un petit pécule, dans sa poche.
Le fils du vieux monsieur fit la connaissance d’une des jeunes rescapées ; ils se marièrent, et eurent beaucoup d’enfants. Le vieux monsieur mourut heureux, centenaire et entouré d’une foule de petits-enfants, et même aussi d’amis ; tous ceux avec lesquels il avait jadis partagé sa valise de billets de banque et de lingots d’or, sur l’île déserte où ils avaient vécu ensemble pendant un an.
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POSTFACE À LA JOHN TOLAND.
Les pseudo-druides à la filiation initiatique mirobolante (la fameuse et inénarrable tradition primordiale) s’étant multipliés depuis quelque temps ; il nous a paru nécessaire de mettre à la disposition de tout un chacun ces quelques notes, hâtivement rédigées un soir de novembre, afin de donner à nos lecteurs envie d’en savoir plus sur le vrai druidisme. Ce travail se veut honnête, mais en aucune façon neutre. Il s’est donné pour objectif de défendre ou de réhabiliter la cluto (renommée) de cette antique religion.
Rien ne remplace la méditation personnelle y compris sur les lais obscurs ou incompréhensibles parsemant ces livres et qui ont été insérés à dessein afin de vous obliger à réfléchir pour trouver votre propre voie. Ces livres ne sont pas des dogmes à suivre aveuglément et à la lettre. Ainsi que vous le savez sans doute, il faut se méfier comme de la peste de la lettre. La lettre tue, seul l’esprit vivifie. Rien ne remplace non plus l’expérience personnelle et c’est en cheminant que l’on trouve le chemin. Ne comptez donc que sur vos propres forces pour cette quête du Graal. Ce qui compte c’est l’attitude à adopter dans la vie et non les détails du dogme. Le druidisme a moins d’importance que la druidiaction (Jean-Pierre Martin).
Ces quelques feuillets griffonnés à la va-vite ne sont néanmoins en aucune façon LES LIVRES À LIRE SUR LE SUJET, ils n’en sont qu’un pâle reflet. La seule bibliothèque druidique digne de ce nom n’est pas en effet composée de seulement 12 (ou 27) livres, mais de plusieurs centaines.
Les quelques opuscules constituant cette mini-bibliothèque ne constituent pas un approfondissement et ne sont que quelques manuels destinés aux écoliers du druidisme. Ces résumés simplifiés destinés aux cours primaires de druidisme seront remplacés par des cours d’un niveau quelque peu supérieur, pour ceux qui voudront vraiment l’étudier de façon plus pertinente.
Cette petite bibliothèque est par conséquent un premier essai d’adaptation (destinée aux jeunes adultes) des diverses réflexions sur le savoir et la vérité druidiques, auxquelles ont abouti les premiers résultats de la nouvelle laïcité positive et ouverte, mondiale, en train de s’instaurer.
À la différence du judaïsme, du christianisme, et de l’islam, qui fourmillent littéralement, à propos de l’Être supérieur, d’anthropomorphismes puérils pris au pied de la lettre (fondamentalisme) ; notre druidisme, lui, n’en utilisera que très peu, et s’en tiendra, en ce domaine, au minimum absolu.
Mais pour parler de Dieu-ou-Diable nous allons bien être obligés, nous aussi, d’utiliser un langage, et donc un certain nombre de ces anthropomorphismes. Ou alors il faudrait totalement renoncer à en discuter.
Ce premier rayon de notre future bibliothèque consacrée au sujet a pour objet de montrer avec précision l’harmonieuse authenticité de la volonté et du savoir néo-druidiques. De montrer à quel point ses grandes thèses actuelles ont des racines anciennes, car la Mythologie, c’est notre Bible à nous. Les adaptations de ce bref exposé, exigées par les différences de culture, d’âge, de maturité spirituelle, de situation sociale, etc. seront à faire par les druides concernés (les vellèdes et les autres ?).
À noter cependant. Important ! Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, ne sont pas (en vrac).
Une révélation divine. Une loi (toujours aussi divine). Une loi (profane ou laïque). Une loi (scientifique). Un dogme. Un Ordre ? Ce que je cherche surtout à faire partager c’est un état d’esprit, rien de plus. Ainsi que l’a très bien dit un jour notre vieux maître :
« NOTRE CIVILISATION N’A PAS LE CHOIX : CE SERA LE CELTISME OU CE SERA LA MORT » (P. Lance).
Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, sont. Du rêve. Une aventure. Un voyage. Une évasion. Un cri de révolte contre la laideur morale et matérielle de cette société.
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Une tentative d’atteindre à l’universel en partant du particulier. Un défi. Un obstacle fécond à surmonter. Une incitation à la réflexion. Un guide pour l’action. Une carte. Un plan. Une boussole. Une étoile polaire ou l’étoile du berger là-haut dans la montagne. Un feu la nuit dans une clairière ?
Ce que le rassembleur de ce noyau de bibliothèque, Pierre de La Crau, n’est pas.
– Un dieu.
– Un demi-dieu.
– Un quart de dieu.
– Un petit saint.
– Un philosophe (reconnu, officiel, et breveté ou patenté, comme ceux qui passent à la télévision. Sauf évidemment à prendre le terme en son sens originel, qui est celui d’amateur de sagesse et de savoir).
Ce qu’il est : un homme, et rien de ce qui est humain ne lui est donc étranger. Pierre de la Crau n’a aucun pouvoir surhumain ou exceptionnel. Rien de ce qu’il a dit écrit ou fait ne saurait avoir de valeur intemporelle. Tout au plus espère-t-il que son extrême lucidité à propos de notre société et de son idéologie dominante (voir ses philosophes officiels, ses journalistes, ses masses médias et le politiquement correct des bien-pensants) ; ainsi que son non-conformisme, et son franc-parler, alliés à un solide esprit de contradiction (qui lui ont d’ailleurs valu pas mal de déboires ou d’avanies) ; pourront être utiles.
La présente petite bibliothèque pour débutant « contient la dose d’humanité exigée par l’état actuel de la civilisation » (Henri Lizeray). Elle n’est d’ailleurs qu’un rassemblement de matériau attendant l’architecte ou le maçon ? ad hoc.
Prochainement paraîtra toute une série de fascicules approfondissant ces éléments de base. Cette présentation différente du savoir druidique préservera néanmoins l’unité et la profonde harmonie entre ces divers exposés d’une seule et même philosophie.
Cas des traductions dans une langue étrangère (espagnol, allemand, italien, polonais, etc.)
Les fautes d’orthographe de grammaire de style, ainsi que l’écriture des noms propres, pourront être corrigées. Toute autre amélioration du texte pourra également être apportée si nécessaire (par ajout suppression ou modification, de détails) ; Pierre de La Crau ayant toujours regretté de ne pouvoir atteindre à la perfection en ce domaine. Mais à condition de n’altérer ni trahir en rien la pensée de l’auteur de cette compilation raisonnée. Toute illustration sans légende peut être changée. De nouvelles illustrations peuvent être apportées. Mais les illustrations ayant une légende ne devront être qu’améliorées (par substitution d’une bonne photo à un mauvais croquis par exemple ?)
Il va de soi que le coordonnateur de cette rapide et sommaire compilation raisonnée, Pierre de La Crau, ne prétend nullement avoir inventé (ou découvert) lui-même, tout ceci ; qu’il ne prétend en aucune façon que ceci est le fruit de ses recherches personnelles (sur le terrain ou en bibliothèque). Ce qui suit est en effet essentiellement issu des excellents ouvrages ou sites internet référencés en bibliographie et dont la consultation directe est fortement recommandée. Nous n’insisterons jamais assez sur notre volonté de ne pas être les hommes d’un livre (du Livre), mais d’au moins douze, comme les Fénianes d’Irlande, pour d’évidentes raisons d’ouverture d’esprit, la vérité étant notre seule religion.
Encore une fois, répétons-le ; le coordonnateur de la mise par écrit de ces quelques notes hâtivement jetées sur le papier ne prétend nullement avoir passé sa vie dans la poussière des bibliothèques ; ou sur le terrain, dans la boue des fouilles archéologiques de sauvetage ; afin d’exhumer des témoignages inédits sur le passé de l’Irlande (ou du Pays de Galles ou des Indes ou de la Chine ?)
PIERRE DE LA CRAU NE SE VEUT DONC EN AUCUNE FAÇON L’AUTEUR DES TEXTES QUI PRÉCÈDENT.
IL N’ESSAIE NULLEMENT DE S’EN ATTRIBUER LES MÉRITES. Il n’en est que l’éditeur ou le compilateur. Il s’agit pour la plupart de documents diffusés sur internet à quelques exceptions près. IL EN REVENDIQUE PAR CONTRE TOUS LES DÉFAUTS ET TOUTES LES INSUFFISANCES. Pierre de La Crau ne revendique qu’une chose, les fautes erreurs ou imperfections diverses de ce livre. Lui
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seul est à blâmer dans ce cas. Mais il fait confiance à ses contemporains (la nature humaine étant ce qu’elle est) pour les lui signaler avec vigueur.
Note retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau et insérée par eux à cet endroit.
J’avoue tout de suite afin de faciliter le travail de mes juges que les hommes comme moi étaient chrétiens à Rome sous Néron, païens à Jérusalem, sorciers à Salem, hérétiques anglais, catholiques irlandais, et aujourd’hui racistes, sexistes, homophobes, islamophobes, en attendant d’être demain koufar ou de nouveau chrétien l’antéchrist le plus bestial de toutes les apocalypses, etc....Bref ainsi qu’on l’aura compris je suis pour le néant la mort la maladie la souffrance……
Par respect pour l’Humanité, afin de gagner du temps, et ne pas lui en faire perdre, je vais faciliter le travail de ceux qui tiennent absolument à être du bon côté de la barrière en combattant (héroïquement bien sûr) afin de sauver le monde de mes griffes (mes idées ou mes penchants, mes tendances).
À ces courageux et implacables détracteurs, dont la profondeur de réflexion digne d’un marquis de Vauvenargues n’a d’égale que l’ampleur de la culture générale, digne d’un Pic de la Mirandole, je dis…
Prenez une feuille de papier, de traitement de texte si vous préférez, mettez-y par ordre d’importance les 20 caractéristiques qui vous semblent les plus graves, les plus odieuses, les plus haïssables, dans l’histoire de l’Humanité, depuis les hommes préhistoriques et Nabuchodonosor, selon vous… ET DITES-VOUS BIEN QUE JE SUIS TOUT LE CONTRAIRE DE VOUS, CAR JE LES AI TOUTES !
On a toujours besoin de boucs émissaires ! Hérétique au Moyen-âge, sorcière à Salem au 17siècle, raciste au 20e siècle, lézard extraterrestre au 21e, je suis l’homme que vous aimerez haïr pour vous sentir supérieur.
Je suis au choix et dans l’ordre d’importance que vous voulez : athée, sataniste, stupide, mongolien, raciste, bestial, homosexuel, pervers, communiste, nazi, menteur pathologique, voleur, suffisant, psychopathe, un monstre d’orgueil faussement modeste, et que sais-je encore, à vous de voir.
Voilà, je ne peux pas faire mieux (pour vous aider à sauver le monde).
[À la différence de mes contempteurs qui sont tous des gens bien, c’est-à-dire jeunes ou modernes et dynamiques, courageux, positifs, gentils, intelligents, instruits, ou du moins qui savent ; faisant preuve de beaucoup de recul dans leur méditation en profondeur sur les tendances lourdes de l’Histoire ; et sur le plan moral ou éthique : généreux, altruistes, mais pauvres évidemment, car donnant tout aux autres ; en outre profondément respectueux de la volonté de Dieu et de la Constitution…
Moi je suis un vieux réactionnaire ankylosé, conformiste, déconnecté de son temps, parano, schizophrène, incohérent, capricieux, jamais content, méchant, bête, n’ayant fait aucune étude ou du moins ignorant tout sur le sujet en question ; coutumier des jugements à l’emporte-pièce fondés sur des préjugés dénués de toute réflexion ; égoïste et riche ; suppôt de Satan et nazo-bolchevick ou stalino-hitlérien de nature. On disait hitléro-trotskiste quand j’étais jeune. En bref un criminel psychopathe dès le petit-déjeuner…ce qui me permet donc de penser ce que je veux, mes critiques aussi d’ailleurs, et d’essayer de le faire savoir à la cantonade].
Signé : le coordonnateur des travaux, Pierre de la Crau dit Hésunertus, chercheur en druidisme. Un homme à qui rien de ce qui est humain ne fut étranger. Chômeur, facteur, divorcé, sans domicile fixe, vagabond, contribuable, justiciable, électeur cocufié ? Un des huit milliards d’êtres humains ayant transité sur ce vaisseau spatial donc. Né sur la planète Terre le 13 janvier 1952.
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BIBLIOGRAPHIE DES GRANDES LIGNES.
Pour ce qui est de la bibliographie des détails, voir annexe de la dernière leçon, car, comme le dit si bien Henri Lizeray, les traditions, ça doit s’interpréter. C’est là toute la différence qu’il peut y avoir entre ancien druidisme et néo-druidisme.
Le Lebar gabala ou Livre des invasions. Paris 1884 (William O’Dwyer)
Base de l’église druidique. Le druidisme restauré. Henri Lizeray, Paris, 1885.
Les traditions nationales retrouvées. Paris 1892.
Aesus ou la doctrine secrète des druides. Paris 1902.
Ogmios ou Orphée. Paris 1903.
TABLE DES MATIÈRES.
PREMIÈRE PARTIE.
Sources
Principes et orientations de ce livre
Pour un total renversement des valeurs actuelles
(afin de générer un homme nouveau avec le meilleur de l’ancien)
Tradition et magistère druidique
De la magistrature morale du néo-druidisme (suite)
Éthique et déontologies
Éthique néo-druidique et vie en société
Bien penser bien agir et bien parler
Avantages de la tradition orale (Nate Nate…..)
Déontologies diverses.
DÉONTOLOGIE DE LA VOCATION DE DRUIDE
Remarques à propos de la magistrature morale du druidisme
Ancien druidisme, le droit prime la force ???
Faire la différence entre le saint et le sacré
Le rôle des druides dans les armées d’aujourd’hui
Druidisme et service militaire
Le syndrome de Stockholm première partie
Comprendre la celtisation des cœurs et des esprits (suite)
Note sur le caractère sacré de certaines guerres
Les différents types de guerres sacrées
Note sur la vergio et le vergilios
Plus prosaïquement aujourd’hui
Le druidisme et la domestication de la guerre
Les moyens ne posant pas de problème moral
Les guerres justes
Problématique des guerres justes
De la perversion de la notion de guerre juste
Saint Bernard et les templiers.
Rappel en guise de transition avec ce qui va suivre
DÉONTOLOGIE DU MÉTIER DE SOLDAT.
Le guerrier celte et la mort
Déontologie du métier de militaire professionnel
Pour comparaison les vertus chevaleresques
Les conseils de Mélusine à ses fils.
DÉONTOLOGIE DE CEUX QUI NE SONT NI DRUIDES NI MILITAIRES
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La loi d’or de la réciprocité
Histoire de l’argent
Réflexion sur l’argent
Les premiers chrétiens et l’argent
Plus prosaïquement
Conseils pratiques pour tout le monde
Le cas des Fénianes
Notice biographique sur Fionn
Document de travail N° 1.
Conseils pratiques suite
Le grand monarque idéal
Éthiques individuelles et éthique des responsables
Les instructions de Cuchulainn à son fils
Les conseils de Cormac à son fils
Les conseils de Vindobarros aux fénianes
Sagesse populaire.
Rappel sur les Teagasc na riogh.
DEUXIÈME PARTIE.
LE MONDE C’EST LA VIE. Celtique Bitus : monde,existence. Étymologie. Du Proto-Indo-Européen *gʷiH-tu- (« vie »). Apparenté au latin vita. Vieil irlandais bith – Gallois byd – Cornique bys- Breton bed – cf. Celtique continental Bituriges.
LA TÉTRADÉCUPLE VOIE DU DRUIDISME (14 CONARA FUGILL)
KISSION
Buaïdh N°1 : Rectu adgenias : être un enfant de la Terre.
Collapsologie critique/critique de la collapsologie
Parler une langue c’est une façon de penser
De l’Écosse à l’Amazonie partout une même nécessité
Lettres ouvertes aux princes qui nous gouvernent
L’écologie ou la mort !
Croissance ou décroissance
La vie des forêts
Histoire des paysages d’Europe
Le silvopastoralisme
La réintroduction des espèces animales disparues
La chasse écologique
Le jardinage
Agriculture amish et closeries
Architecture et construction
Conclusion
Buaïdh N° 2 : éviter les violences inutiles
Les exceptions à la règle
La guerre et les droits de l’Homme
Pour comparaison
Justice droit et force.
LA DUODÉCUPLE VOIE DU DRUIDISME (12 CONARA FUGILL).
Buaïdh N° 3 : amour amitié ou pitié
Buaïdh N° 4 : le Fir Fer social
Le décalogue druidique
LES DIX CHAPITRES (DE LA LOI MORALE, LES PLUS CONNUS).
Buaïdh N° 5 : le sens de l’hospitalité
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Buaïdh N° 6 : la générosité.
Toujours se comporter en grand seigneur I et II
L’OCTUPLE VOIE DU DRUIDISME (OCHT CONARA FUGILL).
Buaïdh N° 7 : la réciprocité.
La réciprocité des dons peut-elle constituer un principe d’économie politique.
La réciprocité en matière de religion.
De la réciprocité des dons à l’échange opéré à grande échelle
par le capitalisme
Buaïdh N° 8 : le courage
Buaïdh N° 9 : la fidélité
Buaïdh N° 10 : la vérité (fir)
Le pouvoir surnaturel de la vérité chez les rois Celtes
Dire et faire la vérité
Déontologie à respecter par les journalistes ou le 4e pouvoir
Buaïdh No 11 : le sens de la justice (cert).
LA REDA
Buaïdh N° 12 : la liberté
Autonomie ou liberté dans les choix quotidiens
Autonomie et libre arbitre
Liberté de culte
La laïcité unique garantie de la liberté
Le polythéisme des valeurs
Universalisme et internationalisme du druidisme
Buaïdh N° 13 : avoir le sens de l’honneur
Buaïdh N° 14 : la simplicité (à propos de la cour faite à Ferb)
LA QUINTUPLE VOIE DU DRUIDISME (5 CONARA FUGILL)
Les devoirs de l’Homme
Le droit naturel
De la survivance de la propriété clanique en Écosse
Histoire des closeries écossaises
Croissance ou décroissance ?
L’option décroissance
La décroissance chez les Celtes
De l’importance pour les rois d’une bonne redistribution des richesses
Redistribution des richesses produites par la Communauté
Réflexion sur la redistribution des richesses glanée sur Wikipedia
Pour une démocratie qui ne soit pas le pire des régimes
De la distinction entre le rôle du druide et celui du souverain
Constitution ou Magna Carta ?
Conclusion
Pour comparaison la démocratie chez les Iroquois
Épilogue.
ANNEXES.
Annexe N° 1: La véritable histoire des Dix commandements
Annexe N° 2: Les limites de la règle d’or
Annexe N° 3: Document de travail
Annexe N° 4 : La parabole du riche avisé
Annexe N° 5: le dialogue des seigneurs et des paysans
Annexe N° 6: les 4 valises
Postface à la John Toland.
Bibliographie des grandes lignes
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DU MÊME AUTEUR.
1. Citations des auteurs antiques parlant des Celtes ou des druides.
2. Généralités liminaires diverses sur les Celtes.
3. Histoire du pacte avec les dieux tome 1.
4. La Bible du druidisme : histoire du pacte avec les dieux tome 2.
5. Histoire du pacte avec les dieux tome 3.
6. Histoire de la paix avec les dieux tome 4.
7. Histoire de la paix avec les dieux tome 5.
8. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande science qui illumine » tome 1.
9. Textes apocryphes irlandais.
10. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande science qui illumine » tome 2.
11. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande Science qui illumine » tome 3.
12. Les cent voies du paganisme. Science et philosophie tome 1 (mythologie druidique).
13. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 2 (mythologie druidique).
14. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 3 (mythologie druidique).
15. Le grand Camminus : éléments de théologie druidique tome 1.
16. Le grand catéchisme : éléments de théologie druidique tome 2.
17. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 1.
18. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 2.
19. Mystagogie ou théâtre sacré des Celtes antiques.
20. Poèmes celtes.
21. Le génie du paganisme celte tome 1.
22. Le complexe de Roland.
23. Au pied de la lanterne des morts.
24. Les secrets du vieux druide de la forêt ménapienne.
25. Le génie du paganisme celte tome 2 (liberté réciprocité simplicité).
26. Rhétorique : la trahison des clercs).
27. Petit dictionnaire de théologie druidique tome 1.
28. Des philosophes antiques au druide irlandais.
29. Judaïsme christianisme et islam : première partie.
30. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 1.
31. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome2.
32. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 3.
33. Troisième partie tome 1 : Qu’est-ce que l’Islam ? Bref historique de l’ensemble COR.HAD.SIR. et CHAR.FIQ.MAD.
34. Troisième partie tome 2 : Qu’est-ce que l’Islam ? Premières approches de l’ensemble COR.HAD.SIR. et CHAR.FIQ.MAD.
35. Troisième partie tome 3 : Qu’est-ce que l’Islam ? Les 5 vrais piliers de l’ensemble COR.HAD.SIR. et CHAR.FIQ.MAD.
36. Troisième partie tome 4 : Qu’est-ce que l’Islam ? Coups de sonde dans l’ensemble COR.HAD.SIR. et CHAR.FIQ.MAD.
37. Couiro anmenion ou Petit dictionnaire de théologie druidique tome 2.
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