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LE PLÉRÔME DRUIDIQUE
(ALBIOBITOS ET ANDERODUBNO)
Tome II.
ANGES DJINNS OU DÉMONS
DU PANTHÉON CELTIQUE.
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REGAIN, RÉSURGENCE ET RENAISSANCE, OUI !
RÉSURRECTION À l’IDENTIQUE, NON !
« C’est en suivant le cheminant que l’on trouve le chemin ».
La comparaison est un processus mental fondamental : regrouper certains faits dans des catégories communes, mais aussi observer les différences. De tels liens et relations sont à la base de la pensée et de la science. Sans cela il n’y a que des faits isolés sans liens entre eux. C’est donc sur la base de la comparaison que naissent les généralisations, les interprétations et les théories. La comparaison crée de nouvelles façons de voir et d’organiser le monde.
Le comparatisme religieux est donc vieux comme le monde. Hérodote en faisait déjà. En ce qui concerne les religions antiques, cette démarche intellectuelle a produit de nombreux ouvrages rangés dans les rayonnages « mythologie comparée » depuis Max Muller (1823-1900).
En ce qui concerne les religions non antiques il en va tout autrement.
Chaque religion s’est bien entendu comparée à celles avec lesquelles elle était en concurrence, mais d’abord pour les dénigrer ou affirmer sa supériorité.
Les premiers éléments d’un début de comparatisme religieux plus objectif se trouvent actuellement éparpillés sous l’étiquette « dialogue religieux » et proviennent généralement des religions se définissant elles-mêmes comme monothéistes vu leur extension de par le monde. Le tout dans un but apologétique ou missionnaire évidemment. D’où problème.
Nous trouvons également des réflexions utiles dans les cercles relevant plus ou moins de l’athéisme, mais elles sont……
— Soit détaillées, mais focalisées sur une religion particulière.
— Soit plus générales, mais assez sommaires.
Et relèvent d’ailleurs aussi le plus souvent de l’histoire une optique non croyante.
De grands noms jalonnent cette histoire depuis William Robertson Smith (religion des Sémites) jusqu’à Mircea Eliade en passant par Émile Durkheim.
D’autres auteurs ont ouvert de nombreuses pistes en ce domaine.
Notre idée est D’EN PROLONGER UN CERTAIN NOMBRE EN ALLANT ENCORE PLUS LOIN DANS CE COMPARATISME RELIGIEUX (élargissement du champ des recherches anthropologiques, approfondissement des soubassements psychologiques, fin des survalorisations, décolonisation, antiracisme nouvelles hypothèses…) ET EN REPRENANT LE FIL INTERROMPU DE LEUR PASSIONNANTE QUÊTE DU GRAAL INACHEVÉE CAR, l’ancien druidisme est un peu comme le célèbre conte du Graal de Perceval et de Gauvain.
C’est une histoire inachevée, qui s’interrompt brutalement après les 9000 premiers vers. Notre projet est d’en écrire la suite. Une continuation disait-on à l’époque. Ces petits cahiers destinés aux futurs très-sachants, se veulent à la fois une continuation et une mise en garde. Une continuation ou un ultime prolongement, car ils ont été composés à la manière des théologiens (chrétiens, bouddhistes, hindouistes, musulmans, etc.) du moins dans ce qu’ils avaient, tous, de meilleur (des éléments souvent d’origine païenne en fait). Une des fonctions de l’imitation a toujours été, en effet, dans les littératures orales populaires, de répondre à l’attente du public, frustré par l’interruption de la création originelle [en l’occurrence la philosophie druidique]. À cette attente a répondu au Moyen-âge, la technique narrative cyclique de la poésie épique des chansons de geste ou celle des Romans de la Table ronde.
La voie du pastiche est celle qui consiste à enrichir l’original en le complétant par des touches successives, en développant des détails à peine esquissés, ou en interprétant ses ombres. Et ça, la pensée de nos ancêtres en avait bien besoin !
Mais cette compilation raisonnée, due à la plume de Pierre de La Crau, est aussi en un sens une mise en garde, car il ne fut jamais question, néanmoins, pour le maître d’œuvre de ce travail collectif, d’avaliser tel quel et sans réserve aucune, l’ensemble de ces doctrines. Il a au contraire souhaité, par toutes sortes de moyens littéraires (retournement des arguments, contre-pied, ou autres…) en faire ressortir les aspects souvent négatifs, néfastes, aliénants ou obscurantistes ; et si ce texte peut sembler parfois, rendre indirectement hommage à la capacité de réflexion des diverses Écoles théologiques actuelles, chrétiennes, musulmanes, juives, ou autres, c’est involontairement ; car son but est bien de tout faire, pour leur arracher, des mains, le monopole du discours sur le divin (voir à ce
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sujet les propos d’Albert Bayet), quitte à achever de les discréditer définitivement aux yeux du public. Sauf en ce qui concerne ce qu’elles ont emprunté de mieux au paganisme, évidemment, et qui est énorme ; car dans ce dernier cas, il s’agit, rappelons-le encore une fois, de la part du maître d’œuvre de cette compilation, d’une réadaptation à notre monde, des réflexions de ces apprentis théologiens (le dieu des philosophes, l’Ahoura Mazda, l’immortalité de l’âme, les hommes-dieux, les fils de dieu, le messie Saoshyant, la trinité, le taouaf, les sacrifices, la vie après la mort, sans compter les chérubins le paradis, etc.)
En d’autres termes non pas de l’Histoire, mais une fiction historique, d’après les œuvres de… voir la bibliographie à la fin. En ce sens, notre « imitation » n’est qu’un retour aux sources. En bref un hommage.
« Le Druidisme » est une revue indépendante (indépendante de toute association religieuse ou politique) et qui n’a qu’un seul but : la recherche théorique ou fondamentale en matière de néopaganisme. La double question à laquelle essaie de répondre cette revue d’études théoriques pourrait se résumer ainsi :
« Que pourrait être ou que devrait être, un néo-druidisme actuel, moderne et contemporain ? »
Le « Druidisme » est une revue néopaïenne, strictement néopaïenne, héritière de tous les mouvements authentiques (c’est-à-dire non chrétiens) qui se sont succédé depuis deux mille ans, l’héritière indirecte, mais l’héritière, quand même !
À propos de notre tradition de référence ou de notre filiation intellectuelle soulignons que si les « poètes » du royaume de Domnall mac Muirchertach Ua Néill avaient toujours les imbas forosnai, les teimn laegda ainsi que les dichetal do chennaib 1) à leur répertoire (cf. la conclusion de l’histoire du pillage du château de Maelmilscothach, d’Urard Mac Coisé, un poète mort au XIe siècle), ils étaient peut-être déjà chrétiens quand même depuis plusieurs générations. Il est vrai que ces pratiques (imbas forosnai, teimn…) étaient formellement interdites par l’Église, mais qui sait, il y a eu peut-être des accommodements analogues à ceux des astrologues ou alchimistes du Moyen-Âge.
Quoi qu’il en soit notre « Druidisme » est aussi une volonté, la volonté de se rapprocher, au maximum, du druidisme antique, tel qu’il fut (scientifiquement parlant). La volonté aussi néanmoins de moderniser ce druidisme, un retour total au druidisme antique étant exclu (il serait de toute façon impossible).
Exemples de modernisation de ce druidisme païen.
— Abandon aux associations laïques du côté culturel (médecine, poésie, mathématique, etc.). Principe de séparation de l’Église et de l’État.
— Spécialisation par contre dans la spiritualité celtique, ou païenne en général, l’histoire de la religion, la philosophie et la métapsychique (dite aujourd’hui parapsychologie).
— Utilisation dans certains cas du vocabulaire actuel (Église, religion, baptême, et ainsi de suite).
Un juste milieu est évidemment à trouver entre un retour total au druidisme antique (fondamentalisme ou intégrisme) et une modernisation radicale trop révolutionnaire (plus de saie).
L’AAP (athée agnostique panthéiste) celte ayant accepté de cosigner cette petite bibliothèque *, dont il n’est que le rassembleur, le druide Hesunertus (Pierre de La Crau), ne se considère pas comme l’auteur de cet ouvrage collectif. Mais comme le simple porte-parole de l’équipe l’ayant composé. Pour ce qui est des autres sources de cet essai sur le druidisme, voir les remerciements de la bibliographie.
* Ce petit camminus est néanmoins important aussi pour les jeunes… de 7 à 77 ans ! Mantalon siron esi.
1) Do ratath tra do Mael Milscothach iartain cech ni dobrethaigsid suide sin etir ecnaide 7 fileda 7 brithemna la taeb ogaisic a crech 7 is amlaidsin ro ordaigset do tabairt a cach ollamain ina einech 7 ina sa[ru]gad acht cotissad de imus forosnad [di]chetal do chollaib cend 7 tenm laida .i. comenclainn fri rig Temrach do acht co ti de intreide sin FINIT.
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PROLOGUE.
« Quand les caprices arrêteront-ils de me piquer afin que je puisse me concentrer sur la Vérité ? Quand mon angoisse se calmera-t-elle ? Quand mes inquiétudes prendront-elles fin ? Quand mon âme s’épanouira-t-elle dans la plénitude du grand tout (pariollon) ? Quand mon âme sera-t-elle absorbée dans l’Âme universelle comme une vague agitée s’apaisant dans le sein d’une mer calme ? Quand la lumière de la raison dissipera-t-elle le sombre nuage d’ignorance qui enveloppe mon Essence divine sous le voile de cette forme pitoyable ? »
« Niall mon père ne m’a pas permis de croire *, et m’a demandé d’être enterré sur les hauteurs de Tara. Comme les guerriers, parce que les païens ont coutume d’être armés dans leurs tombes, les armes et le visage tournés vers l’ennemi. Jusqu’au jour d’erdathe qui est le jour du jugement du Seigneur selon les druides » (Mémoires de Saint Patrice par Tirechan).
Un jour qu’au lever du soleil Patrice se trouvait près d’une source appelée Clibech sur les pentes de Cruachan, les filles du roi Loégaire, la blanche Ethne ainsi que la rousse Fedelm, vinrent de bonne heure à la fontaine pour se laver, comme elles en avaient l’habitude. En voyant tous ces clercs en vêtements blancs, elles furent surprises, crurent que c’étaient des Fir-Side (des gens du sid) ou des fantômes, et interrogèrent Patrice : « D’où êtes-vous, d’où venez-vous ? Êtes-vous vous du sid ? Êtes-vous des dieux ? »
Et Patrice de leur répondre : « Il vaut mieux croire en Dieu que nous demander quelle est notre race ».
Alors l’aînée des filles demanda : « Qui est Dieu ? Où est-il ? Où habite-t-il ? Où est sa demeure ? Est-il au ciel ou sur la terre, dans la mer, dans les fleuves, dans les montagnes dans les vallées ? A-t-il des fils et des filles, de l’or et de l’argent ? Y a-t-il beaucoup de richesses dans son royaume ? Comment l’aime-t-on ? Comment le trouve-t-on ? Est-il jeune, est-il vieux ? Est-il toujours vivant ? Est-il beau ? Y eut-il beaucoup de gens pour élever son fils ? Ses filles sont-elles belles et chères aux hommes de ce monde ? »
Patrice, rempli du Grand Esprit Sacré, répondit ce qui suit. « Notre Dieu est le Dieu de tous les hommes, le Dieu du ciel et de la terre, de la mer et des fleuves, du soleil et de la lune, de toutes les planètes, le Dieu des hautes montagnes et des basses vallées. Dieu a sa demeure sur le ciel, dans le ciel et sous le ciel, sur la terre et la mer et tout ce qui est en elles. Il inspire tout, il vivifie tout, il surpasse tout, il soutient tout. Il fait jaillir la lumière du soleil et la lumière de la nuit ; il fait jaillir des sources dans les terres arides et des îles dans l’Océan, il a fait les étoiles pour servir de lumières.
Il a un Fils coéternel à lui et entièrement semblable à lui, et le Fils n’est pas plus jeune que le Père, le Père n’est pas plus vieux que le Fils. L’Esprit sacré demeure en eux, et le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas séparés.
Quant à moi, je veux vous unir au roi céleste, car vous êtes filles d’un roi terrestre, etc. ».
Elles reçurent l’eucharistie de Dieu et s’endormirent dans la mort ; on les plaça sur un lit, couvertes de leurs vêtements. Leurs amis les pleurèrent à grands cris, et les druides qui les avaient aussi élevées vinrent pleurer sur elles, Patrice les prêcha. (Vie tripartite de Saint Patrice, deuxième partie).
La faible lumière de la raison est toujours éclipsée par les sombres nuages des passions et des convoitises. Comment distinguer ce qui est juste de ce qui est faux dans un tel récit, ce qui est pertinent de ce qui ne l’est pas ?
Car l’esprit d’une part nous conduit à la connaissance spirituelle certes, mais de l’autre il nous détourne vers les préoccupations de ce monde (Mediomagos).
* N’importe quoi ?
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DES DIVERSES FORMES QUE PEUVENT REVÊTIR LES DIEUX OU DÉMONS AUX YEUX DES HUMAINS DANS D’AUTRES TRADITIONS.
NOUS NE PARLONS PAS ICI DES MÉTAMORPHOSES D’UN ÊTRE HUMAIN, PAR EXEMPLE EN LOUP-GAROU, MAIS DES FORMES QUE PEUVENT REVÊTIR AUX YEUX DES HOMMES DES ENTITÉS VENUES D’UN AUTRE MONDE QUE LE LEUR AFIN DE COMMUNIQUER AVEC EUX.
Un ange est une créature céleste dans de nombreuses traditions, notamment dans l’Avesta et dans les trois religions de masse que sont le judaïsme le christianisme et l’islam. Ce terme désigne un envoyé de l’Être supérieur, c’est-à-dire un intermédiaire entre l’Être supérieur genre Ahoura Mazda et les hommes. Parfois il transmet un message divin, parfois il agit lui-même, mais toujours selon la volonté de l’Ahoura Mazda ou être supérieur qui a besoin d’intermédiaires.
Ainsi que nous l’avons dit, donc, le Zoroastrisme reconnaît que l’être supérieur qu’est Ahoura Mazda est accompagné par les Amesha Spentas, les Yazatas et les Fravashis.
Les Yazatas sont les “Anges”, des êtres spirituels honorés par les Perses, ils personnifient les idées et les vertus abstraites gardiennes de la morale humaine. Ils nous protègent contre le mal.
Dans l’angélologie zoroastrienne enfin, le fravashi ou fravasi est l’ange gardien d’un individu, qui envoie l’urvan (généralement traduit par « âme ») dans le monde matériel pour participer à la bataille du bien contre le mal. Le matin du quatrième jour après la mort, l’urvan retourne à son fravashi, qui recueille ses expériences dans le monde matériel.
Les juifs les chrétiens et les musulmans croient eux aussi aux anges (les musulmans en plus croient aux djinns ce qui n’est peut-être pas la meilleure preuve de leur intelligence collective, mais enfin).
Voici quelques-unes de leurs caractéristiques selon eux.
Les séraphins ont six ailes.
Les chérubins ont une épée à la lame flamboyante (avec laquelle ils gardent le Paradis terrestre)
Ils peuvent se battre contre des êtres humains, exemple Jacob (Genèse 32,22-32)
Enfin, et non des moindres, ils peuvent faire des enfants aux filles des hommes (Genèse 6, 1-8).
* À moins que ces djinns ne soient l’équivalent des élémentals ou égrégores (teutatès) du druidisme.
Pourquoi maintenant me direz-vous ne pas imaginer que les envoyés de Dieu puissent se présenter aux yeux des êtres humains sous la forme de serpents volants ou de limaces ??? Pourquoi pas en effet ? Des serpents (d’après certains gnostiques le serpent du Jardin d’Eden qui tenta Ève était un esprit qui voulait vraiment du bien aux hommes, lui), des extraterrestres aux formes biscornues… Ceci a déjà été tenté. Notamment au cinéma ! Et par les Irlandais avec leurs légendes sur les vouivres anguipèdes qu’ils appelaient Fomoires. Rien de plus beau qu’un crapaud pour une crapaude disait déjà Voltaire.
Convenons néanmoins qu’il est logique de penser qu’aux yeux d’un être humain il n’y a rien de plus beau que la forme humaine, et même, je ne sais pourquoi, je laisse aux spécialistes le soin de trouver, qu’un corps de femme. Peut-être que j’appartiens moi aussi à la race des poètes si décriée par certains théologiens (comme Varron Tertullien, etc.)
C’était d’ailleurs là déjà un des grands arguments des intellectuels païens de l’Antiquité puisqu’on le retrouve dans de Natura deorum de Cicéron.
NB. Nous ne parlons pas ici de l’être supérieur par définition, genre Ahoura Mazda, mais des êtres intermédiaires entre les hommes et lui. En ce qui concerne l’être supérieur il va de soi qu’on peut le concevoir autrement que sous une forme humaine : un cercle un point (en gallois lle bo cydbwys pob gwrth) une équation une lettre (eabadh dans l’alphabet oghamique) ou que sais-je encore. Mais là nous parlons des êtres intermédiaires notamment dans leurs rapports avec les hommes.
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Cicéron, de la nature des dieux, livre I.
Même chose quand il s’agit de la nature des dieux : si les dieux, sont formés d’atomes groupés ils périront par dissolution, conséquence qu’Épicure voudrait éviter, c’est pourquoi il dit que les dieux n’ont pas un corps, mais quelque chose qui ressemble à un corps, pas de sang, mais quelque chose qui ressemble à du sang.
XXVI. – On s’étonne qu’un haruspice puisse ne pas rire quand il voit un autre haruspice ; il est encore plus surprenant que vous puissiez vous tenir de rire quand vous êtes plusieurs épicuriens ensemble : « Ce n’est pas un corps, mais quelque chose qui ressemble à un corps. » Je comprendrais de quoi il s’agit si l’on pensait à des figures de cire ou d’argile, je ne puis comprendre ce qu’est en un dieu quelque chose qui ressemble à un corps, quelque chose qui ressemble à du sang…
XXVII. – Ce que je vois, c’est que, suivant la thèse défendue par toi, les dieux ont une forme extérieure telle qu’il n’y a rien en eux de consistant, de solide, aucun relief, aucune saillie, c’est une pure apparence, légère, diaphane. Il en est d’eux comme de la Vénus de Cos, ce n’est pas un corps, mais une image à la ressemblance d’un corps et ce rouge qu’on voit se répandre et se mêler au blanc n’est pas du sang, mais a seulement l’aspect du sang, si bien que les dieux n’ont pas de réalité, ce ne sont que des apparences.
Suppose cependant que tu m’aies persuadé, que j’admette la vérité de ce que je ne conçois même pas, quelle va être la configuration, quels vont être les traits de ces dieux sans consistance ? Vous ne manquez pas d’arguments pour établir que les dieux ont une figure humaine : d’abord, dites-vous, en vertu d’une idée bien arrêtée dans son esprit, quand l’homme veut se représenter un dieu c’est toujours ainsi qu’il l’imagine ; ensuite parce qu’un dieu devant l’emporter sur tous les êtres, il faut que la forme qu’il revêt soit la plus belle qui se puisse et il n’en est pas qui se puisse égaler à l’humaine en beauté.
En troisième lieu, vous mettez à contribution la raison seule la forme humaine peut être le siège d’un entendement. Voyons maintenant pour commencer ce que valent ces preuves, je crains en effet que vous ne vous arrogiez le droit de faire appel à des idées ne méritant pas du tout l’approbation. Qui a jamais été assez aveugle en cette matière pour ne pas voir que, si l’on a transféré aux dieux la forme humaine, c’est ou bien par un sage calcul pour amener des esprits peu dégrossis à leur rendre un culte et triompher des mauvais instincts, ou bien par superstition, pour qu’il y eût des dieux des effigies et qu’on crût, en se prosternant devant elles, rendre directement hommage aux dieux ?
Les poètes, les peintres, les sculpteurs ont contribué à répandre ces croyances, car il n’était pas facile de représenter sous une forme autre que l’humaine des dieux agissants, s’appliquant à quelque entreprise. À cela s’est ajoutée cette opinion que rien ne paraît à l’homme plus beau que l’homme même. Mais toi, qui te dis physicien, ne vois-tu pas quelle maîtresse d’illusions flatteuses est la nature, quelle adresse elle met à nous tromper sur la valeur des satisfactions qu’elle nous procure ? Penses-tu qu’il y ait sur la terre ou dans la mer un animal quelconque auquel un animal de la même espèce ne paraisse pas ce qu’il y a de plus charmant ? S’il n’en était pas ainsi, pourquoi un taureau n’éprouverait-il pas du désir pour une jument, un cheval pour une génisse ? Te figures-tu qu’un aigle, un lion, un dauphin puisse préférer une autre forme à la sienne propre ? Quoi d’étonnant dès lors si, conformément à une loi naturelle, l’homme juge que c’est l’homme ce qu’il y a de plus beau et que, pour cette raison, il imagine des dieux semblables à lui-même ? Qu’en penses-tu ? Si les animaux étaient des êtres doués de raison, n’accorderaient-ils pas tous le premier rang à leur espèce ?
XXVIII. – Pour ce qui est de moi – je vais dire mon sentiment sans ambages – si bienveillant que je sois pour moi-même, je n’oserais pas me déclarer plus beau que le taureau qui emporta Europe.
Il n’est pas question ici de l’intelligence humaine, du langage humain, mais de l’apparence, du physique. Imaginons un être mixte, un assemblage de parties empruntées à des espèces différentes, tel ce dieu marin appelé Triton, en qui le corps humain se complète bestialement par des nageoires à l’aide desquelles il se déplace, tu ne voudrais pas changer avec lui. Je traite un sujet délicat ; telle est cependant la force de l’instinct qu’aucun homme ne consent à ressembler à un être qui ne soit pas lui-même un homme. Et encore à quel homme voudrait-on ressembler ? Dans notre espèce, la beauté appartient-elle à tous indistinctement ? Quand j’habitais Athènes, c’est à peine si dans une troupe d’éphèbes, il s’en trouvait un qui fût beau. Je vois ce qui te fait rire, mais tel est le fait. Ajoute que nous, à qui les anciens philosophes donnent toute liberté d’aimer les jeunes hommes, il arrive que nous trouvions de l’agrément à des défauts physiques. Alcée faisait ses délices d’une envie qu’avait au doigt un garçon. Et cependant une envie est une tache. Pour Alcée c’était une parure. Q. Catulus, le père de celui que nous connaissons, qui est mon collègue et mon ami, a aimé ton compatriote
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Roscius et a composé pour lui ces vers : Je m’étais arrêté pour saluer avec respect l’aube naissante et tout à coup Roscius surgit à ma gauche. Pardonnez-moi de le dire, habitants du ciel, ce mortel m’a paru plus beau qu’un dieu. Pour Catulus donc, Roscius était plus beau qu’un dieu et cependant il louchait affreusement, il louche d’ailleurs toujours. Peu importe, cela donnait à sa physionomie du piquant, cela paraissait à Catulus une grâce de plus. Mais revenons aux dieux.
Et revenons à nos anges en tant qu’êtres intermédiaires entre les hommes et le dieu supérieur.
Les druides eux étaient quand même plus logiques que les auteurs de la Bible et du Coran, ils avaient eux aussi du mal à imaginer des corps d’homme réellement munis d’ailes, de deux ailes de quatre ailes et donc en un sens aussi mixtes ou hybrides que les horribles tritons évoqués plus haut par le personnage mis en scène par Cicéron.
Ils trouvaient plus simple de penser que les êtres venus de l’autre monde pour communiquer avec les hommes
REVÊTAIENT ENTIÈREMENT, POUR CE QUI EST DE L’EXTÉRIEUR, DE LA FORME, MAIS PROVISOIREMENT,
UN CORPS D’OISEAU QUE TOUT LE MONDE S’ACCORDAIT ALORS À TROUVER SPLENDIDE, AVANT DE REPRENDRE TOTALEMENT UNE APPARENCE HUMAINE AU MOMENT D’ENGAGER LE DIALOGUE. UN DIALOGUE « MUSCLÉ » D’AILLEURS.
Quoi de plus naturel en effet ?
Voir des hommes ailés arriver dans le ciel et se poser sur terre pour vous adresser la parole dans le meilleur des cas, voire se battre contre vous comme dans le cas de la lutte de Jacob contre l’ange ?
Ou…
Apercevoir des oiseaux sortant de l’ordinaire dans le ciel et quelques minutes plus tard voir des inconnus comme surgis de nulle part se diriger dans votre direction pour entrer en contact avec vous ?
Vous je ne sais pas, mais le deuxième scénario me semblerait moins contraire aux lois de la nature que le premier.
De toute façon les druides ayant composé ce récit ont eu la prudence de faire en sorte qu’il s’agisse d’une apparition en rêve. IL S’AGIT D’UN RÊVE !
Une des deuxièmes caractéristiques.
Si dans la Bible et le Coran les anges sont essentiellement de sexe masculin absolument indéniable (puisqu’ils sont capables de faire des enfants aux filles des hommes, à moins bien entendu qu’il ne s’agisse que d’une énième connerie de ces livres sacrés qui ont fait tant de mal à l’Humanité) chez les Celtes, ils sont très majoritairement de sexe féminin. C’est comme ça, peut – être que les femmes partent plus volontiers que les hommes à la recherche d’autrui et des étrangers, ou que les hommes sont plus casaniers, qui sait ?
Nous passerons par contre sur le petit côté un peu sado-maso de ce « dialogue » entre les anges et le Hésus Cuchulainn. Il est vrai que cette histoire de coups de cravache est pour le moins curieuse, mais c’est peut-être là une des conséquences du fait que le texte a été tronqué ou rattaché assez artificiellement à un autre.
Et puis de toute façon tout cela se produit… en rêve.
Remarquons également que certains des textes sacrés de nos frères irlandais sont…… passablement embrouillés ou déconcertants. Il y a aussi parfois soit des doublons soit des développements ultérieurs d’un même thème.
Ce phénomène est fréquent dans les textes sacrés de notre pauvre Humanité. Voir les deux récits de la création dans la Bible, le récit sacerdotal (Genèse 1,1 à 2 ,4) et le récit yahviste (2,4 à 2 ,24). De même il y a aussi de nombreuses répétitions dans le Coran, difficiles à repérer néanmoins, car ce livre émanant d’un homme ou de plusieurs et destiné à d’autres hommes, est un vrai mélimélo ne suivant aucun plan précis, ses chapitres à quelques exceptions près (une ?) étant simplement classés par
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ordre de grandeur décroissante. Ce qui est excellent pour la mémoire peut-être, mais constitue un véritable défi pour l’intelligence.
L’étude attentive des légendes irlandaises montre bien néanmoins que le panthéon irlandais est en en réalité double, sa partie la plus connue est désignée sous le nom d’Enfants ou Clan ou Tribus de la déesse Danu (bia), mais une autre fraction est désignée sous le nom d’Enfants de Taran/Toran/Tuireann (cf. l’Oidhe chloinne Tuireann).
Nous serons donc dans ce cas en présence d’un couple divin primordial de type « feu dans l’eau » c’est-à-dire le Tonnerre et l’Éclair (Tuireann, Taran sur le Continent) et le fleuve Danube vu comme un élément de nature féminine.
Mais n’oublions pas qu’il existe aussi une deuxième ou troisième famille divine, celle des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelait Fomors en Irlande et Andernas sur le Continent représentant les forces souterraines (souterraines mieux que négatives, en tout cas surtout pas du type anges contre démons, laissons ce manichéisme simpliste aux judéo-islamo-chrétiens) à l’œuvre dans l’univers voire dans le cœur de l’homme. La nature n’est ni parfaite ni imparfaite elle est ce qu’elle est et il n’y a qu’elle. Dieux-ou démons aériens, célestes, et chtoniens, forment un gigantesque panthéon, plus qu’un panthéon ordinaire à la grecque, un plérôme.
En ce qui nous concerne, c’est peut-être là une preuve supplémentaire que le mythe panceltique initial mettant en scène le conflit fondateur entre les deux grandes familles divines régissant le monde (les dieux aériens, fils de Danu–bia ou de Taran/Toran/Tuireann, et les dieux chtoniens ou souterrains fils de la déesse Domnu, etc.autrement dit les vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Fomors en Irlande)… a été tellement bricolé après son implantation en Irlande, qu’il en est devenu incohérent à maints égards.
N.B. Nous reviendrons dans un autre de nos opuscules sur la fonction surhumanisante des mythes celtodruidiques (alors que les mythes sumériens qui sont à l’origine de la Bible et donc du Coran sont infantilisants). L’important donc, ce qui compte, c’est de faire preuve d’esprit critique vis-à-vis de tous ces textes sacrés, et de ne retenir que le meilleur de leur esprit, pas l’esprit criminogène, mais l’esprit qui peut nous aider à nous dépasser en tant qu’être humain, car « à vous seuls il est donné de connaître, comme de les ignorer, les dieux et les puissances célestes ; les grands arbres des bosquets reculés sont vos demeures, etc. » (Lucain, la Pharsale, livre I.)
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AVERTISSEMENT AU LECTEUR
Les Tuatha Dé Danann ou enfants de la déesse, ou fée, Danu (bia), en Irlande constituent la tribu des dieux angéliques ou célestes au départ, équivalents des dieux olympiens dans la mythologie grecque ou des dieux Ases dans la mythologie germanique. Ils sont en conflit permanent avec leurs grands rivaux, les Tuatha Dé Domnan.
Les Tuatha Dé Domnan ou enfants de la déesse ou démone, Domnu, en Irlande constituent la tribu des dieux souterrains ou chtoniens au départ, équivalents des dieux titans de la mythologie grecque ou des dieux Vanes, maîtres du seidhr dans la mythologie germanique. Le seidhr est une sorte de magie. De la racine indo-européenne « sed/sidh ». Ils sont en conflit permanent avec leurs grands rivaux, les Tuatha Dé Danann.
L’équipe pluridisciplinaire ayant réalisé cette étude a préféré néanmoins renoncer à ce type de présentation ou de classification qui est par trop manichéenne.
L’hérésie qui s’est développée en Irlande sous l’influence du christianisme a dramatisé à l’excès la rivalité traditionnelle pouvant exister entre dieux ou démons célestes, ou le monde des fées si l’on préfère ; et dieux souterrains, vouivres, nymphes, et autres. Les Tuatha Dé Danann et les Tuatha Dé Domnan.
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LES DIEUX MINEURS OU ANDEDIOI (SECONDAIRES) ET LES CULTES DE DULIE.
« Je suis la loi des Celtes, et je déclare que, sans l’aide des dieux, rien ne réussit aux hommes » (Arrien. Cynégétique).
César B. G. VI, 16. Les Celtes sont une « gens admodum dedita religionibus ».
Ce qui caractérise le judéo-islamisme c’est que les monolâtres attribuent à une seule cause et toujours la même les divers phénomènes de la vie des hommes ou de la planète : la mystérieuse (les voies de Dieu sont impénétrables) entité supérieure qu’ils appellent Dieu ou Allah. Matthieu 10,28. « Ne vend-on pas deux passereaux pour un sou ? Cependant, il n’en tombe pas un à terre sans la volonté de votre Père. Et même les cheveux de votre tête sont tous comptés ».
Les druides primordiaux étaient un peu plus nuancés, et prudents, plus « pré-scientifiques », et attribuaient ces phénomènes à des causes multiples, variant suivant les cas.
Nous avons passé en revue dans le tome précédent les divinités plus ou moins liées à la nature, mais il y avait aussi la foule des divinités qui aidaient les dieu-ou-démons majeurs à remplir leur fonction et avec qui elles partageaient les honneurs. Ces divinités, qui agissent dans un domaine très restreint en général indiqué par leur nom, sont appelées andedioi en celte, certi en latin par Varron. Ucuetis ou Luchta en Irlande en sont de bons exemples.
La religion des premiers druides était plutôt de type : « tel ou tel dieu-ou-démon, tel ou tel esprit, est responsable de telle ou telle activité » ; elle attribuait à une puissance supérieure et incontrôlable chaque événement de la vie. Une multitude de dieu-ou-démons les accompagnait donc en toute chose, sans qu’il y ait une vraie limitation établie pour chacun d’entre eux, et il faudrait parler de « divinité » plutôt que de dieu ou de déesse, voire de poly-démonisme, plutôt que de poly-théisme, dans ce cas.
Les dieu-ou-démons et les déesse-ou-démones, ou fées si l’on préfère utiliser ce terme, n’étaient pas non plus clairement définis physiquement, comme le seront les principaux dieu-ou-démons du Panth-éon ou plérôme que l’on retrouvera durant l’Âge du fer, ou dans les légendes gaéliques.
La religion druidique primitive était en effet profondément différente de la religion grecque. Pour les anciens druides, l’univers ou bitos était rempli d’êtres divins ; le divin était présent partout et intervenait dans tout phénomène physique, dans tout acte de la vie individuelle, de la vie domestique, de la vie sociale, de la vie politique ; il n’était point d’objet, pour ainsi dire, où quelque part une divinité ne soit censée résider. Nulle grande religion * peut-être n’a imaginé un plus grand nombre de dieu-ou-démons ou de déesse-ou-démones, ou de fées, si l’on veut ; l’action de certains de ces êtres surnaturels était donc parfois très limitée, mais par là même aussi très précise.
* Encore que selon Daniel (7,10) il y ait des millions d’anges et que selon Pseudo-Denys l’Aréopagite, il existe neuf chœurs d’anges strictement hiérarchisés au sein desquels chacun a sa place.
Tout comme les anges donc des dieu-ou-démons présidaient aux événements capitaux et aux principales phases de la vie humaine, naissance, enfance et adolescence, mariage, mort, et il y avait aussi les dieu-ou-démons de la vie agricole et pastorale, ou artisanale. La religion druidique était ainsi polythéiste à un degré, au moins égal, sinon supérieur, à la religion grecque elle-même, mais d’une façon différente. Au départ elle n’était pas anthropomorphique. Peut-être vaudrait-il mieux dans son cas, ainsi que nous l’avons vu, parler de poly-démonisme. Les êtres divins n’étaient pas conçus, du moins ne paraissent guère avoir été conçus à l’origine, sous la forme humaine, par les druides. Les Celtes vénéraient les multiples forces de la nature, conçues comme des influences occultes, des volontés immatérielles, incorporées, pour ainsi dire, aux objets qu’elles animaient. Le fleuve qui coule, le vent qui passe, le feu qui s’allume, sont des actes, des manifestations, des produits de ces puissances invisibles ; dont nul ne connaît l’essence et que l’on désigne par des noms génériques, ou plus simplement par le nom commun de « dieux ». Ces êtres, rivés à une tâche éternellement recommencée, ne pouvaient être conçus comme des personnalités concrètes, à forme humaine, à volonté mobile et changeante. Leurs premières représentations étaient d’ailleurs appelées « simulacres » en latin.
« Ar ro ráidseom na aidérad clocha ná crunnu acht no adérad intí dosroni & ropo chomsid ar cul na uli dúla.i. in t – enDia nertchomsid ro crutaig na dúli… »
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« Car il [Cormac] disait qu’il n’adorait ni les pierres ni les arbres, qu’il adorait seulement celui qui les avait faits, et qui est le puissant protecteur de tous les éléments ; c’est-à-dire le Dieu Unique, puissant protecteur qui a créé les éléments… » (Senchas na relec. Histoire des cimetières).
La religion druidique, guidée par son imperturbable logique, se refusait à détacher ses dieu-ou-démons de la nature ou à leur reconnaître une personnalité distincte. En somme, ces dieu-ou-démons et ces déesse-ou-démones, ou fées si l’on préfère, étaient plutôt des forces divines que de véritables divinités. La seule distinction que la religion druidique faisait entre les êtres divins, auxquels elle rendait un culte, c’était la distinction du sexe. Elle connaît des dieu-ou-démons et elle connaît des déesse-ou-démones ; ou des fées si l’on préfère, elle connaît des couples divins. En dépit du petit nombre de cas connus, l’association par couples devait être la règle d’autant plus qu’il y avait des divinités spécifiquement féminines ou liées à la condition féminine.
Ces êtres divins n’ont ni sentiments ni passions ; ils exercent, en raison de leur puissance surhumaine, une action qui peut être favorable ou défavorable à l’individu, à la maison, à la famille, à la tribu. Mais les anciens druides ne donnaient comme source à cette action ni un sentiment sympathique ou hostile à l’homme ni la volonté de punir les méchants et de récompenser les bons. Autrement dit exactement ce que pensait Lovecraft à propos du dieu ou démon Noadatus/Nuada/Nodens dans son fameux Cycle de Cthulhu (l’étrange haute maison dans la brume, 1926).
La religion druidique a dû commencer, comme les autres, par l’animisme, par le morcellement infinitésimal des forces motrices de la nature. La multiplicité des puissances cataloguées dans les inscriptions découvertes à ce jour représente assez bien l’état primitif de la religion druidique. On peut même dire que, pendant longtemps, la religion druidique n’a connu que des dieu-ou-démons abstraits, quasiment désincarnés, dépourvus de mythologie, car représentant seulement des catégories mentales et/ou des fonctions.
À ces forces divines, auxquelles la foi populaire ne prêtait point la forme humaine, à la différence des judéo-islamo-chrétiens avec leurs anges, on ne pouvait attribuer de sentiments bienveillants ou malveillants concernant l’être humain. Il ne s’agissait donc pas au début de gagner ou de conserver leur faveur, de détourner ou de désarmer leur hostilité. Ce qu’il fallait obtenir, c’était que la force divine, nécessaire à l’accomplissement normal et heureux de tel ou tel acte de la vie individuelle, domestique, sociale, agisse au moment précis où cet acte était accompli. Enfin, il fallait savoir si telle ou telle action, que l’on se proposait d’accomplir, devait être soutenue par une force divine favorable (Arrien, Cynégétique) ou, au contraire, devait rencontrer l’obstacle invincible d’une force divine défavorable (anmat). Pour agir, dans un sens ou dans l’autre, sur des forces divines impersonnelles, pour essayer de connaître d’avance, comment ces forces devaient s’exercer dans tel ou tel cas particulier ; les anciens druides pratiquaient des rites, dont la ressemblance avec les rites de la religion grecque n’était qu’extérieure. Ce qui importait, dans les offrandes, libations et sacrifices, c’était plus la force intérieure ou la confiance en soi qui animait celui qui offrait la libation ou le sacrifice (comme s’ils étaient eux-mêmes des brahmanes), que l’observance rigoureuse des prescriptions liturgiques et rituelles par le druide.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire à maintes reprises, un autre caractère des dieu-ou-démons du druidisme est leur multitude infinie. Chaque tribu a sa divinité protectrice. Et il faut y ajouter les grands initiés, les héros, les vertus déifiées, voire même en l’occurrence les gestes ou les techniques déifiés, ces dii certi ou indigitamenta que Tertullien et saint Augustin comparent aux anges de la Bible ; on pourrait dire qu’ils font aussi penser à quelques-uns des saints des croyances populaires chrétiennes. On en avait pour tous les actes de l’existence, depuis la naissance jusqu’à la mort. Non seulement chaque tribu, mais chaque famille, chaque homme, honorait des dieu-ou-démons particuliers ainsi que des génies protecteurs de sa vie et de ses biens (matres). Cette démocratie divine échappait nécessairement à l’autorité ainsi qu’au contrôle des grands dieu-ou-démons et de leurs druides. C’est d’ailleurs pourquoi la tolérance religieuse fut donc une des bases du druidisme.
Les dieu-ou-démons innombrables de cette partie du panth-éon ou plérôme druidique formaient donc une classe à part. Ils avaient ce caractère singulier de présider à tous les actes de la vie, depuis la naissance jusqu’à la mort, même aux plus infimes, à tous les besoins de l’homme, nourriture, habillement, demeure, à tous ses travaux ; mais de telle sorte que chacun d’eux répondît à un seul de ces besoins. On ne les connaît que par l’épithète qui désigne leur fonction. Le besoin satisfait ou l’acte accompli, on ne leur adresse plus de prière, et ils semblent ne plus exister. Les uns s’occupent de la conception ou de la grossesse ; d’autres, de la délivrance ; ceux-ci veillent à l’allaitement de l’enfant ; ceux-là lui font pousser son premier cri, et, ainsi de suite pour la vie entière. Qu’il s’agisse de ses intérêts privés ou de l’intérêt public, le Celte voulait avoir un dieu-ou-démon sous la main. Un peu
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comme les catholiques avec leurs saints patrons. Ce peuple d’une si terrible énergie, ces hommes d’action, ne savaient rien faire tout seuls. « Je suis la loi des Celtes, et je déclare que, sans l’aide des dieux, rien ne réussit aux hommes (Arrien. Cynégétique) ». Les Grecs tenaient leurs assemblées politiques au théâtre, les Galates délibéraient dans leurs sanctuaires (drunemeton).
En plus ou en dessous des douze (3X4) tétrarques c’est-à-dire grands dieu-ou-démons panceltiques (7 ou 10 – archanges – dans le judéo-christianisme, 20 pour les Romains selon Varron), il existait donc toute une série de dieu-ou-démons spécialisés subalternes (ou auxiliaires) invoqués au cours d’activités particulières, comme la moisson, le labour ou les semailles, l’accouchement, la forge, la charpente, et ainsi de suite. Le nom de chaque divinité s’avère souvent dérivé du verbe qui exprime l’opération. Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, la première religion druidique n’est pas tant un polythéisme qu’un poly-démonisme : le concept de l’être invoqué ne dépasse guère son nom ou sa fonction, et son pouvoir se manifeste de façon très spécialisée.
La plupart des andedioi dont les auteurs chrétiens comme Tertullien ou saint Augustin ou Denys l’aréopagite firent des gorges chaudes, sont en réalité des divinités mineures (des anges) qui personnifiaient * les activités quotidiennes ou les valeurs celtes originelles, car les valeurs éthiques, garantes d’une société saine, étaient aussi divinisées à l’époque ; et on les invoquait lorsque c’était nécessaire. Ces dieux mineurs montrent donc l’importance accordée, à l’origine, aux activités qu’ils incarnaient. Il est à noter que beaucoup des fonctions et des rôles attribués à ces andedioi étaient, soit des fonctions féminines, soit des fonctions correspondant à un nom commun au féminin. Ces puissances obéissent à de subtiles règles de préséance, qui prennent en compte la structure hiérarchique du panth-éon ou plérôme, mais aussi le contexte particulier de chaque cérémonie ; accordant une place de choix au patron du sanctuaire qui l’accueille, mais aussi, naturellement, aux puissances dont on requiert particulièrement l’intervention. Leur statut connaît un léger décalage par rapport aux divinités uxedioi ou supérieures.
Ce type de divinités purement fonctionnelles et dépourvues de véritables personnalités a des équivalents dans la religion romaine (sans doute en raison d’une commune origine italo-celtique : cf. les dieux certains (latin certi), les dieux indigètes et les Indigitamenta) et dans l’angélologie chrétienne (sans doute à cause de son inspiration platonicienne).
* Avant tout, on doit dire que Dieu, essence suprême, a fait acte d’amour en donnant à toutes choses leur essence propre, et en les élevant jusqu’à l’être : car il n’appartient qu’à la cause absolue, et à la souveraine bonté d’appeler à la participation de son existence les créatures diverses, chacune au degré où elle en est naturellement capable. C’est pourquoi toutes, elles relèvent de la sollicitude providentielle de Dieu, cause universelle et suressentielle ; même elles n’existeraient point, si l’essence nécessaire et le premier principe ne s’étaient communiqués. Ainsi par cela même qu’elles sont, les choses inanimées participent de Dieu, qui par la sublimité de son essence est l’être de tout ; les choses vivantes participent de cette énergie naturellement vitale, si supérieure à toute vie ; les êtres raisonnables et intelligents participent de cette sagesse, qui surpasse toute raison et intelligence, et qui est essentiellement et éternellement parfaite. Il est donc certain que les essences diverses sont d’autant plus proches de la divinité, qu’elles participent d’elle en plus de manières.
Voilà pourquoi, dans cette libérale effusion de la nature divine, une plus large part dut échoir aux ordres de la hiérarchie céleste qu’aux créatures qui existent simplement, ou qui ont le sentiment sans la raison, ou même qui sont, comme nous, douées d’intelligence. Car s’essayant à imiter Dieu, et, parmi la contemplation transcendante de ce sublime exemplaire, saisis du désir de se réformer à son image, les purs esprits obtiennent de plus abondants trésors de grâce : assidus, généreux et invincibles dans les efforts de leur saint amour pour s’élever toujours plus haut ; puisant à sa source la lumière pure et inaltérable par rapport à laquelle ils s’ordonnent, vivant d’une vie pleinement intellectuelle.
Ainsi ce sont eux qui, en premier lieu, et à plusieurs titres, sont admis à la participation de la divinité, et expriment moins imparfaitement, et en plus de manières, le mystère de la nature infinie ; de là vient qu’ils sont spécialement et par excellence honorés du nom d’anges, la splendeur divine leur étant départie tout d’abord, et la révélation des secrets surnaturels étant faite à l’homme par leur entremise.…
Les anges sont aussi représentés sous forme humaine, parce que l’homme est doué d’entendement, et qu’il peut élever le regard en haut ; parce qu’il a la forme du corps droite et noble, et qu’il est né pour exercer le commandement ; parce qu’enfin, s’il est inférieur aux animaux sans raison pour ce qui est de l’énergie des sens, du moins il l’emporte sur eux tous par la force éminente de son esprit, par la puissance de sa raison, et par la dignité de son âme naturellement libre et invincible.
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On peut encore, à mon avis, emprunter aux diverses parties du corps humain des images qui représentent assez fidèlement les esprits angéliques. Ainsi l’organe de la vue indique avec quelle profonde intelligence les habitants des cieux contemplent les secrets éternels, et avec quelle docilité, avec quelle tranquillité suave, avec quelle rapide intuition, ils reçoivent la limpidité si pure et la douce abondance des lumières divines.
Le sens si délicat de l’odorat symbolise la faculté qu’ils ont de savourer la bonne odeur des choses qui dépassent l’entendement, de discerner avec sagacité et de fuir avec horreur tout ce qui n’exhale pas ce sublime parfum.
L’ouïe rappelle qu’il leur est donné de participer avec une admirable science au bienfait de l’inspiration divine.
Le goût montre qu’ils se rassasient des nourritures spirituelles et se désaltèrent dans des torrents d’ineffables délices.
Le tact est l’emblème de leur habileté à distinguer ce qui leur convient naturellement de ce qui pourrait leur nuire.
Les paupières et les sourcils désignent leur fidélité à garder les saintes notions qu’ils ont acquises.
L’adolescence et la jeunesse figurent la vigueur toujours nouvelle de leur vie, et les dents, la puissance de diviser, pour ainsi dire, en fragments la nourriture intelligible qui leur est donnée ; car tout esprit, par une sage providence, décompose la notion simple qu’il a reçue des puissances supérieures, et la transmet ainsi partagée à ses inférieurs, selon leur disposition respective à cette initiation.
Les épaules, les bras et les mains marquent la force qu’ont les esprits d’agir et d’exécuter leurs entreprises.
Par le cœur, il faut entendre leur vie divine qui va se communiquant avec douce effusion sur les choses confiées à leur protectrice influence ; et par la poitrine, cette mâle énergie qui faisant la garde autour du cœur maintient sa vertu invincible. Les reins sont l’emblème de la puissante fécondité des célestes intelligences.
Les pieds sont l’image de leur vive agilité, et de cet impétueux et éternel mouvement qui les emporte vers les choses divines ; c’est même pour cela que la théologie nous les a représentées avec des ailes aux pieds. Car les ailes sont une heureuse image de la rapide course, de cet essor céleste qui les précipite sans cesse plus haut, et les dégage si parfaitement de toute vile affection. La légèreté des ailes montre que ces sublimes natures n’ont rien de terrestre, et que nulle corruption n’appesantit leur marche vers les cieux. La nudité en général, et en particulier la nudité des pieds fait comprendre que leur activité n’est pas comprimée, qu’elles sont pleinement libres d’entraves extérieures, et qu’elles s’efforcent d’imiter la simplicité qui est en Dieu.
Mais puisque, dans l’unité de son but et la diversité de ses moyens, la divine sagesse donne des vêtements aux esprits, et arme leurs mains d’instruments divers, expliquons encore du mieux possible ce que désignent ces nouveaux emblèmes. Je pense donc que le vêtement radieux, etc., etc. (Hiérarchie céleste. Pseudo-Denys l’Aréopagite).
Note de la rédaction. Il y a là trois termes latins différents, si ce n’est trois notions différentes. Les dieux certains (les dii certi). Les dieux indigètes (dii indigeti). Le livre des invocations (les Indigitamenta).
Voici ce que nous apprend le dictionnaire des Antiquités grecques et romaines de Daremberg et Saglio à ce sujet.
Les Indigitamenta sont un recueil de prières où figuraient les noms de divinités romaines à invoquer dans diverses circonstances de la vie, avec des indications contenues soit dans le texte des incantations elles-mêmes, soit dans des explications à la suite, et définissant l’office propre attribué à chaque auxiliaire divin, office déjà « indiqué » par le nom lui-même. Les Indigitamenta sont mentionnés par des grammairiens qui ne prétendent nullement avoir vu les documents pontificaux en question, mais en parlent d’après Granius Flaccus, et d’après Varron. Il est d’ailleurs possible que Granius Flaccus ait emprunté à Varron les éléments de sa monographie sur le sujet, donc que tous les témoignages reposent, en fin de compte, sur l’autorité de ce dernier.
Ce qui est sûr par contre, c’est que Varron puisa ses renseignements dans les archives pontificales, lorsqu’il écrivit le XlVe livre de ses Antiquités divines, d’où sont extraits plus des neuf dixièmes des noms que nous considérons comme représentant les divinités mentionnées par les Indigitamenta. Seulement nous savons par saint Augustin que ce livre traitait des dii certi, un titre sur lequel les exégètes ne sont pas tout à fait d’accord, et il n’est d’ailleurs dit nulle part que ces « dieux certains » fussent ceux des Indigitamenta.
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Il faut donc établir d’abord que ces dii certi sont, ou incluent, les divinités enregistrées dans les Indigitamenta. On y arrive en comparant les offices dévolus aux uns et aux autres. C’est le même système d’analyse à outrance, le fractionnement de l’ingérence divine en une multitude de petites besognes distinctes, accomplies par autant d’acteurs différents, dénommés d’après leur besogne même. L’assimilation une fois faite, il faut se garder de la pousser trop loin, car il paraît bien que Varron a aussi classé dans ses dii certi les dieu-ou-démons dont il connaissait la fonction (tous ceux qui n’étaient pas incerti donc) et il y a même fait entrer pour cette raison un certain nombre de grands dieu-ou-démons, de dii praecipui atque selecti. Les petits dieu-ou-démons des Indigitamenta ne formaient donc qu’une catégorie entre autres, dans une collection amplifiée par Varron, et ainsi se pose la question embarrassante, insoluble même, de savoir ce qui, dans les débris du XlVe livre des Antiquités divines, doit être attribué ou non aux Indigitamenta. Comme les auteurs qui ont puisé dans Varron n’ont même pas eu l’idée de le tenter, le tri essayé par les érudits modernes reste toujours arbitraire.
L’auteur du travail le plus récent et le plus complet sur la matière, R. Peter, a consacré beaucoup de temps, de science et de patience, à la critique des sources, à l’analyse et au classement des opinions ; enfin à la recherche d’un critère permettant de déterminer l’apport personnel de Varron (que consultent directement Tertullien et saint Augustin), ou de Cornélius Labeo, un disciple de Varron (suivi par Arnobe) ; qui paraît avoir remanié ou mis en ordre alphabétique les listes de dii certi dressées par le maître. En éliminant de ces listes les dieu-ou-démons qui n’appartenaient point à la religion nationale, notamment les divinités grecques ou assimilées aux divinités grecques ; ceux qui, lui appartenant, étaient déjà pourvus d’un culte célébré par l’État ou étaient invoqués par des corporations sacerdotales ; les grands dieu-ou-démons, même homonymes des minuti dii par leurs épithètes ; enfin, les noms qui paraissaient avoir été forgés par Varron lui-même, R. Peter pense être arrivé à reconstituer ainsi la somme de débris authentiques provenant des Indigitamenta.
R. Peter a prétendu éclaircir la question en y introduisant de nouveau, après Klausen, au nom de l’étymologie, une donnée problématique, que je persiste à considérer comme un élément étranger voire perturbateur : l’assimilation de tous les dieu-ou-démons des Indigitamenta aux dii Indigetes. Pour ce chercheur, Indiges (d’indu et agere) signifie un dieu qui « agit dans » une circonstance, un temps et un lieu donnés : indigitare, c’est « faire un Indiges », c’est-à-dire, si je comprends bien la pensée de l’auteur, admettre en activité sa puissance virtuelle au moyen d’un charme ou d’une formule d’invocation, appelée pour cette raison indigitamentum. L’Indiges, dieu des Indigitamenta, est le type de divinité que Varron a multiplié, sous un titre de son invention et de sens identique, dans ses dii certi.
L’étymologie fournit toujours des arguments aux opinions préconçues, et il faut convenir que, entre Indigetes et Indigitamenta, le lien étymologique apparaît tout d’abord comme évident. C’est précisément pour cette raison qu’il faut nier résolument, sinon l’affinité d’étymologie (qui importe peu et reste toujours discutable), du moins l’affinité, à plus forte raison l’identité, que l’on prétend alors en induire, entre les Indigetes et les dieu-ou-démons des Indigitamenta. Si cette affinité réelle avait été un tant soit peu apparente ou simplement défendable, les Anciens, amateurs d’étymologies et de rapprochements faciles, n’auraient pas manqué de s’en prévaloir. Or, tandis qu’ils traduisent indigitare par invocare, precari, imprecari, implorare, exorare, supplicare, incalare, et indigitamenta par incantamenta, indicia ; ils entendent par Indigetes les dieu-ou-démons « indigènes », les patrons ou les ancêtres mythiques de la race, protecteurs du sol, symboles de la patrie. L’écart entre l’idée que l’on se faisait des Indigetes et le caractère attribué aux divinités des Indigitamenta, transparaît nettement dans l’assimilation des Indigetes aux dii patrii, les ancêtres divinisés de la race. La définition qui convient à ceux-ci : dii ex hominibus facti, est la négation absolue de celle qu’un scholiaste a donnée des dii certi de Varron ; et par conséquent également, si les dii certi comprennent les divinités du recueil pontifical, la négation de tout rapport entre Indigetes et Indigitamenta. De plus, les divinités des Indigitamenta sont des forces de la Nature, disponibles en tous lieux et en nombre indéfini. En fait d’Indigetes, au contraire, on ne cite jamais qu’un Jupiter ou Pater Indiges, localisé comme génie du fleuve Numicius et identifié après coup à Énée. On connaissait si peu les Indigetes, et on les distinguait si mal des Lares et Pénates, que certains avaient cru reconnaître en eux les mystérieux patrons de la Cité, ceux dont le nom ne devait pas être révélé, par crainte des évocations. Or, on suppose généralement que les rédacteurs des Indigitamenta avaient eu pour but, au contraire, de faire connaître, sinon au public, du moins aux consultants, les divinités secourables, leurs noms et leurs aptitudes particulières. Quelque piste que l’on suive dans ce fouillis de traditions et d’élucubrations contradictoires, on aboutit toujours à une opposition irréconciliable entre le type indigète, patriotique, fixé au sol, rare et mystérieux même, et la multitude affairée des ouvriers divins,
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nommés, puis définis, dans les Indigitamenta. Il demeure donc avéré que les Anciens ont jugé incompatibles les idées contenues dans les deux mots dont il s’agit, et il y a témérité à prétendre aller, sur la foi d’une étymologie conjecturale, à l’encontre de tous ces textes. Le tout sans résultat vraiment appréciable. Quand bien même il serait démontré que les dieu-ou-démons des Indigitamenta sont des Indigetes, nous ne tirerions de cette tautologie aucun éclaircissement, aucun motif de classification, rien qui nous aide à fixer la liste des susdites divinités.
Je vais maintenant indiquer les solutions, hypothétiques elles aussi, que je considère comme probables à ce sujet. Faisons d’abord la part de Varron aussi large que possible. C’est son livre, et non pas les Indigitamenta, qu’ont vu et cité tous les érudits postérieurs, sauf peut-être Granius Flaccus. C’est lui qui est responsable de la qualification de dii certi, applicable à d’autres dieu-ou-démons que ceux des Indigitamenta ; c’est de lui que proviennent le classement, les explications étymologiques. Mais lui au moins a consulté les Indigitamenta, et c’est à eux qu’il a emprunté ce type d’ouvrier divin, à office très circonscrit, qu’il a étudié dans son XIVe livre. Il n’y a pas lieu de croire que les Indigitamenta aient contenu autre chose, qu’ils aient été un répertoire général de tous les dieu-ou-démons nationaux, ou une collection de toutes les formules d’invocation usitées dans le culte romain. S’il en avait été ainsi, l’existence de ce recueil n’aurait pas été connue seulement des érudits ; et Granius Flaccus n’aurait pas eu besoin d’écrire un livre là-dessus pour renseigner César, lui-même pontife ou grand pontife. Il y a lieu également ici, de réagir contre les exagérations intéressées des polémistes chrétiens. Cicéron, qui n’était pas sans avoir entendu parler des Indigitamenta en question, assure, on l’a vu, que les noms divins n’étaient pas très nombreux dans ces livres pontificaux. Ni Censorinus, qui vise expressément les Indigitamenta, ni Servius, qui consulte Varron à tout propos, ne parlent d’une « multitude », ou d’une « cohue » de petits dieu-ou-démons ; à plus forte raison, d’énormes volumes à peine suffisants pour contenir leurs noms (Saint Augustin la Cité de Dieu livre IV, chapitre VIII).
Les polémistes chrétiens, voulant tourner en dérision le polythéisme romain, ont pris soin d’étaler les plus bizarres d’entre ses superstitions, mais il ne faut pas les croire sur parole quand ils disent qu’ils en passent beaucoup sous silence. Il faut encore se garder d’une illusion à laquelle se livre complaisamment l’érudition moderne, et d’autant plus qu’elle vise à être plus exactes. Elle consiste à prendre pour des divinités distinctes, découpées dans une même donnée par la subtilité pontificale, de simples variantes dans la dérivation ou l’orthographe des noms recueillis de divers côtés. Je me refuse à croire, par exemple, que Segetia soit autre que Segesta : il n’est pas évident que cette distinction verbale ait été considérée comme réelle, au point que les deux noms aient dû être invoqués dans des circonstances différentes. Il est, au contraire, infiniment plus probable, que les pontifes, constatant la coexistence des deux noms, afin d’éviter de se prononcer sur ce point et de peur de se méprendre, les accolaient dans la même formule. De même, c’est une erreur, à mon sens, de s’imaginer que les divinités classées dans un genre d’opérations déterminé y aient eu un office tellement limité qu’elles aient dû se relayer pour mener l’opération à son terme.
Note de l’éditeur. Il va de soi que le même raisonnement doit s’appliquer aux nombreuses divinités du panthéon celtique mentionnées par les découvertes épigraphiques ou les manuscrits irlandais.
La complication vient ici de l’érudition de Varron ou des Pontifes qui, compilant et rapprochant des traditions diverses, des superstitions sporadiques, leur ont donné l’apparence d’un système où la concurrence est évitée par le fractionnement des emplois. Ainsi se simplifie le fatras qui s’enfle et se boursoufle sous les coups de fouet de Tertullien et de saint Augustin. Tombe du même coup la foi aux subtiles abstractions méditées à loisir, au cours des siècles, par les pontifes. Nous touchons ici la question de fond, une question qui intéresse la psychologie autant que l’Histoire. Est-il vraisemblable que les pontifes, rédigeant les Indigitamenta, les aient remplis de leurs propres inventions, en décomposant les dieu-ou-démons primitifs en aspects divers exprimés par des épithètes différentes, puis en détachant ces épithètes de leur sujet, en leur infusant ainsi une vie propre ; de façon à pulvériser chaque jour davantage, pour en faire comme des remèdes surnaturels, la substance divine ?
On n’était pas loin de penser que, à Rome comme ailleurs, le polythéisme était allé en s’élargissant par prolifération des attributs divins, et que, en remontant vers le passé, au plus lointain de la perspective, des yeux exercés distingueraient un couple ou même un androgyne primordial. Il n’y avait
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pour cela qu’à suivre la voie tracée par Varron, Varron, sur qui repose toute notre connaissance de la théologie romaine et qui pourrait bien y avoir introduit le panthéisme à la mode stoïcienne dont nous nous plaisons à relever les traces. Et on le suivait d’autant plus volontiers que l’on arrivait ainsi à se mettre d’accord avec la tradition biblique du monothéisme primitif, une idée tenace, qui régente encore l’histoire des religions ; exemple l’islam. C’est Varron qui reconnaissait Janus dans Consivius ; Jupiter dans Ruminus et même dans Pecunia ; Junon dans Fluonia, Lucina, Iterduca, Domiduca, Opigena, Ossipagina, Unxia, Cinxia ; Vénus dans Lubentina ; la Fortune dans Barbata et Virginiensis ; de façon à ce que, comme le remarque saint Augustin lui-même, un certain nombre de grands dieu-ou-démons (dii selecti) finissent par figurer dans le menu fretin des dieu-ou-démons à fonction fixe. Ce n’était pas pour les désapprouver qu’il citait les vers où Valerius de Sora définit Jupiter comme Progenitor genitrixque deum, deus unus et omnes. S’il relevait dans la mythologie romaine jusqu’à trois cents Jupiters, son but n’était pas de les différencier, mais au contraire de les confondre dans l’unité de leur nom commun.
Note de l’éditeur. Les remarques qui suivent et qui précèdent peuvent très bien s’appliquer à la religion celtodruidique qui était animée par un double mouvement ascendant et descendant, synthétique et analytique, pour arriver à un paganisme philosophique et réfléchi de type philosophie indienne à la Sankara.
Le moment est venu d’opposer à l’autorité de Varron une expérience plus large que la sienne, aux théories de Jules Ambrosch ou de Max Müller. L’étude comparative des religions montre en effet qu’elles ne vont pas de la synthèse à l’analyse, mais bien de l’analyse à la synthèse ; cette dernière œuvre de réflexion et de combinaison, œuvre sacerdotale là où il y a un sacerdoce capable d’élaborer une doctrine théologique [les anciens druides]. Nous voici, du coup, en contradiction absolue avec les idées courantes. La religion romaine a dû commencer, comme les autres, par l’animisme, par le morcellement infinitésimal des forces motrices de la Nature, forces brutales qui ne peuvent être dominées que par l’incantation magique, et s’acheminer ensuite par le syncrétisme vers une conception plus haute et plus large de la Divinité. La multiplicité des puissances (numina) cataloguées dans les Indigitamenta, représente assez bien l’état primitif de la religion romaine, arrêtée à ce stade de son développement par le formalisme de la race et la ténacité des superstitions populaires. C’est là le vieux fonds de croyances indigène, à demi caché sous le décor étrusco-hellénique, qui constitue le culte officiel et la mythologie littéraire. Les pontifes qui ont collationné ces reliques ont eu vraisemblablement pour but de les sauver de l’oubli : ce n’étaient plus des croyants, capables de créer des entités nouvelles en concentrant sur un thème restreint l’énergie de la prière, mais déjà des archéologues et presque des savants. II n’est même pas sûr qu’ils aient conservé intact, dans toute sa puérilité archaïque, ce legs des temps anciens. Au dire de Servius, ils donnaient, avec les noms des divinités, les « raisons des noms eux-mêmes ». Comme le fit Varron après eux, ils expliquaient donc eux-mêmes ce qu’ils connaissaient mal.
Je suis frappé du fait que, à l’exception de quelques noms, peut-être même du seul nom de Mutunus-Tutunus, tous les autres noms cités par Varron sont parfaitement intelligibles et s’insèrent sans difficulté dans le vocabulaire du latin classique. Or il n’est pas possible d’admettre que ces noms soient contemporains du chant des prêtres saliens, et proviennent des Pompiliana Indigitamenta remontant au temps de Numa. Du reste, on n’a pas besoin pour cela de récuser le témoignage d’Arnobe : des archéologues faisant l’inventaire des traditions ont pu classer sous cette rubrique celles qui leur paraissaient dater de l’époque primitive. En tout cas, on peut les soupçonner d’avoir rajeuni la forme des noms, ou même traduit en langue plus moderne ceux qui étaient devenus inintelligibles. Cette thèse paraîtra insoutenable à ceux qui pensent que les rédacteurs des Indigitamenta tenaient à composer eux-mêmes pour cela des formules efficaces et pesaient anxieusement mots et syllabes. L’objection tombe s’il s’agit d’antiquaires à la façon de Varron, pour qui ces noms et formules n’avaient plus que l’intérêt de la curiosité, mais qui ne croyaient pas interdit de retoucher, pour les rendre abordables, la lettre des vieux grimoires. Allons plus loin : on a exagéré à plaisir l’importance et l’efficacité magique des noms dans les formules pontificales en général, et dans celles-là en particulier. Sans doute, les pontifes étaient-ils méticuleux et ils avaient la superstition de la lettre, les « actions de la loi » le prouvent ; mais, quand il s’agissait de noms, l’excès même de leur scrupule produisait le même effet que l’indifférence. Je veux dire que, de peur d’omettre la forme efficace et vraie, ils entassaient dans leurs invocations plusieurs formes possibles, en ajoutant sive quo alio nomine fas est nominare. Ils avaient à leur disposition des formules, si deus, si dea es, sive mas, sine femina, qui leur permettaient de traiter avec des divinités dont ils prétendaient ne connaître ni le nom, ni le sexe. Ils préféraient même de beaucoup ces adjurations anonymes au risque que l’on courait à se tromper de nom. Et l’on voudrait que ces mêmes pontifes, préoccupés de rédiger des formules
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efficaces, aient sévèrement proscrit toutes les variantes, et décidé, par exemple, que Statanus et Statilinus étaient bien deux génies distincts ! N’est-il pas plus probable, au contraire, qu’ils rapprochaient les noms analogues et les dieu-ou-démons ayant un office analogue ; en un mot, qu’ils atténuaient de leur mieux (comme dangereuses, s’ils étaient croyants ; comme indifférentes en soi, si c’était pour eux affaire d’érudition) ces subtiles distinctions que nos philologues modernes s’exténuent à restaurer ? Nous arrivons ainsi, en respectant, ce me semble, les textes et les règles de la critique, à prendre l’exact contre-pied des doctrines qui ont cours depuis Ambrosch. Pour nous, le fonds des Indigitamenta est bien effectivement un legs des vieux âges, plus vieux même qu’on ne l’a dit, mais la rédaction en est relativement très récente, précédant peut-être de peu les études de Varron ; « indigiter » n’est pas invoqué à la manière sacerdotale, mais à la façon des sorciers populaires ; c’est la foi populaire, et non pas le collège des pontifes en quête de précision juridique, qui a librement créé noms et formules, au hasard des circonstances, sans souci de classification ni de distinctions quintessentielles.
Puis sont venus des pontifes, qui, en théologiens professionnels, ont recueilli ces épaves, non pour en diviser et subdiviser les éléments, non pour en faire un corps de doctrine et obliger les particuliers à venir leur demander des recettes tenues secrètes ; mais par curiosité d’érudits ou, comme on dirait aujourd’hui, de folkloristes, pour ne rien laisser perdre de ce qui pouvait être encore conservé des traditions nationales. Curiosité, mais aussi devoir en même temps ; car un certain nombre des petits dieu-ou-démons à office déterminé avaient des sanctuaires archaïques, dont les pontifes eux-mêmes auraient fini par oublier le sens commémoratif et les titulaires. Voici donc à moitié résolue, c’est-à-dire, autant qu’elle peut l’être, la question qui tourmente si fort nos érudits, c’est-à-dire quelles divinités se trouvaient donc inscrites dans les Indigitamenta et lesquelles en étaient exclues. Si les pontifes cherchaient à fixer des traditions flottantes et disséminées, ils n’avaient nul besoin de s’occuper de celles qui étaient déjà fixées dans les rituels, les leurs ou ceux des autres corporations sacerdotales. C’était le cas pour toutes les divinités pourvues d’un culte public et officiel, y compris les sacra popularia, et surtout pour celles qui avaient des desservants particuliers, dépendants du collège des pontifes. Ce n’est pas qu’il y eût dissemblance de nature entre ces divinités, ou entre toutes ces divinités en question, et celles qu’il s’agissait de cataloguer : les limites du recueil des Indigitamenta ont été posées d’une façon tout à fait empirique. C’était le réceptacle de tout ce qui n’était pas officiellement connu, comme n’appartenant ni à la religion d’État, ni aux cultes privés. Ainsi se résout, par surcroît, l’antinomie que l’on crée en admettant que des dieu-ou-démons utiles à tout le monde étaient « des dieux de prêtres », ensevelis dans le secret des archives pontificales. Les Indigitamenta n’étaient ni secrets de par leur origine, ni cachés à dessein, mais simplement ignorés du public, qui s’en souciait fort peu.
Que Varron ait eu, comme Granius Flaccus, l’idée que le « Génie » était le Lare domestique, ou qu’il ait suivi l’opinion commune, laquelle adjugeait un génie à chaque individu, d’une façon comme de l’autre, il devait se refuser à reconnaître des « Génies » et des « Junons » dans des dieu-ou-démons publics, accessibles et secourables à tout un chacun. En tout cas, les deux sexes se trouvaient représentés dans les dii certi de Varron et, par conséquent, dans les puissances occultes des Indigitamenta. Toutes les religions du monde ont donné des sexes à leurs entités divines, et, l’idée de sexe appelant nécessairement l’idée d’union, elles ont plus ou moins apparié ces êtres surhumains, même conçus comme des entités plutôt incorporelles. Si abstrait que soit le sexe des divinités romaines, on rencontre parmi elles des couples : seulement ce sont des couples inféconds. Il n’y a pas à Rome de généalogies divines. Toutes les divinités, ou, pour limiter la question, toutes les divinités des Indigitamenta, vivaient-elles en couple, et devons-nous imputer aux lacunes de la tradition les places vides où manquent les conjoints ? Ces lacunes existaient déjà dans le catalogue de Varron, car Sénèque se moquait des dieu-ou-démons célibataires et des déesse-ou-démones, ou fées, non mariées. Saint Augustin lui-même dit positivement qu’il y avait une dea Pertunda, mais point de Pertundus. Il y a même une paire de noms dont Varron n’a pas voulu faire un couple conjugal, Ruminus (Jupiter) et Rumina.
Sans doute parce que, Ruminus étant un Jupiter, c’est-à-dire un aspect reconnu de Jupiter, il jugeait Rumina de trop mince envergure pour en faire une Junon, au sens où il l’entendait. À première vue, il est impossible de saisir une règle quelconque dans cet amas de noms juxtaposés ; mais il faut songer que ce sont là des débris d’une collection née incomplète, bouleversée, mise à sac par des polémistes chrétiens dont l’unique but était de souligner les contradictions et l’incohérence de la théologie païenne romaine. S’il y a eu quelque règle observée, nous sommes mal placés pour la saisir. Cependant, il ne nous est pas interdit de chercher à introduire dans la question quelques idées plus générales, susceptibles de l’éclairer. En dépit du petit nombre des couples assortis par Varron, je suis
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persuadé que le mariage à la mode romaine, l’association par couples homonymes, était la règle pour les dieu-ou-démons des Indigitamenta, règle fondée elle-même sur le fait qu’il y avait à Rome une religion pour les hommes et une religion pour les femmes. Sauf exception, il y en a pour toutes les règles, les dieu-ou-démons masculins y étaient invoqués par et pour les hommes ; les divinités féminines par et pour les femmes. L’habitude était sur ce point si formelle, que les théologiens se préoccupèrent de chercher des compagnes aux dieu-ou-démons publics, de culte officiel, qui n’en avaient pas. Mais c’étaient là des mariages à la mode récente, l’épouse gardant son nom au lieu de prendre celui du mari.
Les dieu-ou-démons issus de l’imagination populaire étaient mariés à la romaine, et l’épouse pouvait dire : « Ubi tu Gaius ego Gaia ! » (Là où tu seras Gaius, je serai Gaia.) Il n’est pas nécessaire néanmoins d’admettre qu’ils le fussent tous. On voit très bien pourquoi certaines divinités, soit n’ont pas été couplées, soit ont perdu leur parèdre. Les divinités d’office purement gynécologique, comme les sages-femmes, n’avaient pas besoin d’un double. L’existence de certains couples dans les divinités protectrices de l’enfance donne à penser que l’un des deux conjoints était invoqué pour les garçons, l’autre pour les filles ; et peut-être même, par stricte application de la règle, l’un pour les garçons et par le père, l’autre pour les filles et par la mère. Que l’on suppose les pères se désintéressant de ces pratiques, et l’usage (ou la casuistique pontificale) autorisant les mères à invoquer les divinités féminines pour leurs enfants des deux sexes ; et toute une moitié du personnel divin, le côté masculin, disparaît alors, la désuétude amenant l’oubli.
Les dieu-ou-démons masculins sont, en effet, en infime minorité dans cette série, et c’est à peine si l’on en voit reparaître quelques-uns, parmi les dieu-ou-démons présidant à l’éducation des enfants. On comprend aussi pourquoi la plupart des dii conjugales protègent la femme, et non le mari. La raison ici alléguée ne suffit pas néanmoins à tout expliquer. L’agriculture, qui était aux mains des hommes, compte parmi ses ouvriers divins une proportion considérable de divinités féminines, proportion qui s’accroît encore si nous éliminons de l’œuvre populaire les douze noms épithètes (de Tellumo probablement), invoqués par le flamine de Cérès. Si ce sont des débris de couples dépareillés, on peut supposer que les conjoints masculins ont disparu parce que l’idée dominante, incluse dans ces noms, est l’idée de la Terre, et que l’imagination du peuple, guidée par la langue courante, a commencé par éliminer le génie masculin de la Terre (Tellumo), pourtant postulé par cette règle des couples et d’ailleurs conservé dans les rituels. Il est inutile de multiplier les conjectures : le sexe des entités divines est l’effet de causes analogues à celles qui ont déterminé le genre des noms d’objets inanimés, celles-ci au moins aussi inconnues des grammairiens que celles-là des mythographes.
Telle divinité a pu être imaginée de préférence masculine ou féminine, et être complétée ensuite par un conjoint de l’autre sexe, ou rester isolée ; tel couple original a pu se dépareiller par désuétude. Disons en terminant que, dans un sujet aussi encombré d’hypothèses, il n’est pas de système contre lequel on ne puisse élever des objections. Le meilleur est le plus intelligible, et, à défaut de preuves positives, celui qui donne le moins de prise aux réfutations 1). Les religions se font comme les langues : le peuple crée, les doctes enregistrent, et la réflexion les porte non à multiplier les concepts particuliers, mais au contraire à les rattacher à des idées plus générales. Les tentatives faites pour limiter l’étendue des Indigitamenta et les dégager des dii certi de Varron, de ce fait ont posé des règles et abouti à des résultats tout à fait arbitraires. Il est permis, sans avoir à rejeter autre chose que les exagérations de polémistes chrétiens dont aucun n’a vu ni ne vise directement les Indigitarnenta, il est permis, dis-je, de considérer ce recueil comme ayant été de dimensions modestes, incomplet, représentant une enquête superficielle ; tel enfin que Varron a pu en absorber d’un coup toute la nomenclature, et même l’allonger dans son chapitre consacré aux dii certi. On s’explique mieux ainsi que ces fameux documents ont en leur temps, avant d’être livrés à la risée des philosophes ou des chrétiens, tenu si peu de place, et fait si peu de bruit dans le monde. Je conclurai donc cet article en répétant ce que disait Varron lui-même, après Xénophane, et aussi à propos de théologie : quid putem, non quid contendam, ponam : c’est ce que je pense, non ce que je puis affirmer ou soutenir 2).
A. BOUCHÉ-LECLERCQ.
1. Sage maxime qui peut nous guider pour ce qui est du regard à porter sur les religions de masse actuelles.
2. Sage maxime que l’auteur de ce fascicule reprend d’ailleurs à son compte en ce qui concerne le contenu des Indigitamenta du druidisme qui vont suivre.
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LES INDIGITAMENTA DU DRUIDISME.
Nous avons vu dans le tome précédent ce qu’il fallait penser des dieux chtoniens voire aériens (que nous avons regroupés aussi dans cette catégorie vu leur nombre assez réduit).
Les dieux ou démons aériens sont des personnifications des forces atmosphériques comme le vent (le Santa Ana, le Circius dans la vieille Europe, la Galerne en France, etc.) L’orage les éclairs.
Les dieux célestes ne sont « aériens » que par convention, mais ils sont surtout actifs dans le monde des hommes (le mythe druidique originel les localise d’ailleurs souvent sur le même plan que les humains, mais dans des îles lointaines).
Et il y a bien sûr le cas des dieux ou démons comme le dieu de la foudre ou du tonnerre (Taran/Toran/Tuireann) qui sont à la fois aériens et célestes.
Dieux-ou démons aériens, célestes, et chtoniens, forment un gigantesque panthéon, plus qu’un panthéon ordinaire à la grecque, un plérôme.
Nous utilisons le terme plérôme qui signifie en grec « plein » afin de bien montrer ici que nous ne nous contentons pas des seules entités surhumaines célestes, mais que nous incluons également dans ce que nous entendons aborder… les entités surhumaines chtoniennes souterraines inconscientes.
Nous en viendrons maintenant aux dieux qui ne sont ni chtoniens, ni aériens, ni aquatiques.
La religion celtique était (dans les premiers temps, et dans la plupart des cas, au quotidien du moins) d’abord une religion privée ; chacun donc invoquait l’un ou l’autre de ces dieu-ou-démons selon ses besoins, le chaman (le druide) n’intervenant que dans les cas les plus graves. Ce type de divinités a des équivalents dans la religion romaine ainsi que nous avons pu le voir, en raison d’une commune origine italo-celtique, mais n’a pas d’équivalent dans la religion grecque par contre.
Les difficultés de la transmission orale d’abord, puis écrite, mais entre les mains des moines copistes chrétiens par la suite, ont eu pour conséquence de brouiller complètement les caractères de certains de ces personnages surnaturels en Irlande ; et le rôle joué par nombre des divinités gaéliques de la liste qui suit (nos Indigitamenta « druidiques » à nous en quelque sorte) n’est donc plus du tout aussi clair et net. La confusion la plus totale règne même par moments, il faut bien le reconnaître.
Une bonne comparaison peut être trouvée dans la notion musulmane de tawassoul. Le tawassoul est une pratique religieuse fondée sur le concept d’intercession. Sa méthode et sa définition exacte sont sujettes à de nombreux litiges au sein de la communauté musulmane. Si l’intercession par les vivants est acceptée par toutes les Écoles de jurisprudence islamique (fiqh), le tawassoul par les morts est interdit par l’Islam sunnite orthodoxe, autorisé par les courants soufi, chiite et alaouite.
Mais la meilleure comparaison qui soit pour mieux faire comprendre les dieux Indiges du druidisme est encore la liste des saints patrons intercesseurs de l’Église catholique et le concept d’intercession.
Un saint patron est un saint, protecteur d’un groupe de personnes.
Il peut être attaché :
— à un lieu, comme saint Michel, saint patron de la ville de Bruxelles ;
— à un métier ou une activité, comme saint Sébastien, saint patron des archers, saint Patrice, saint patron des ingénieurs, saint François d’Assise, saint patron de l’écologie, saint Isidore de Séville, saint patron des informaticiens, des utilisateurs de l’informatique, de l’internet et des internautes ;
— à des risques, dangers ou maladies, comme le Père Damien, saint patron des lépreux (la nature n’est ni parfaite ni imparfaite elle est ce qu’elle est et il n’y a qu’elle ! La liste des saints guérisseurs est donc longue), sainte Rita de Cascia et saint Jude Thaddée patron des causes désespérées.
Sans oublier Saint Antoine de Padoue pour les objets perdus, etc., etc.
Car les dieux il faut bien le dire n’existent que pour les hommes, sans les êtres humains il n’y aurait pas de dieu, les hommes ont conçu les dieux à leur image. Le dire est presque une tautologie. Et le dieu d’Abraham d’Isaac et de Mahomet n’échappe point à cette règle.
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Les Grecs avaient placé leur cité des dieux sur une montagne, les Celtes eux, ont fait venir leurs dieux d’îles lointaines, lieux de tous les possibles, écliptique de la pensée. Les dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu (bia) en Irlande, avaient été en effet exilés dans des îles au nord du monde avant d’atterrir dans le monde des hommes (la Terre du milieu ou Mediomagos).
Une île, c’est une terre, mais dans l’esprit des très-sachants appelés druides, de telles îles appartenaient beaucoup plus au monde céleste qu’au monde purement terrestre. Ces îles lointaines étaient de toute façon des portes ou des points de contact avec l’autre partie de l’univers. De tels dieu-ou-démons peuvent venir sur la terre. On peut conclure des marchés avec eux.
Bien sûr, nous n’accordons plus aucune importance à ces vieilles lunes poétiques, mais il n’en demeure pas moins que l’île produit du rêve. Elle crée ou suscite ou réactive des fantasmes très anciens, inscrits dans la conscience des hommes de tous les temps. Elle est présente dans toutes les mythologies.
Lieu paradisiaque, monde clos, cosmos en réduction, l’île a valeur de temple, ou de sanctuaire. Lieu d’élection, de science et de paix, refuge ultime ou ultime étape. L’île, à laquelle on ne parvient qu’à l’issue d’une navigation souvent difficile, ou d’un vol, est par excellence le symbole d’un centre spirituel primordial.
Sa couleur de prédilection est le blanc. Blanche l’île de Thulé des légendes celtiques. Blanche par excellence, l’île dans laquelle les druides allaient parfaire leur instruction dans les sciences sacrées : Alba, devenue Albion (qui n’était pas encore la perfide Albion).
Les îles à l’horizon ou même derrière l’horizon à l’extrême ouest ou à l’extrême nord sont des mondes à part.
Ce n’est pas le monde des hommes, ce n’est pas le monde marin, ce n’est pas le monde céleste.
N.B. Peuple des dieux… peuple des dieux… Il s’agit en fait plus exactement du peuple… DE LA DÉESSE.
De la déesse Danu. Sans doute l’ancien beau Danube bleu. Pour les druides antiques il s’agissait d’une déesse fécondée par le dieu de l’éclair (métaphore du feu dans l’eau) : Taranis, Tuireann en Irlande.
La remarque prouve par ailleurs que cette « divinité » n’était pas évidente aux yeux des Irlandais du Moyen-âge qui avaient un peu tendance à considérer les Tuatha dé Danann comme de simples superhéros si l’on peut dire. Des magiciens ou des sorciers, mais pas des dieux. Heureusement d’ailleurs, sinon ils auraient été soit totalement censurés soit systématiquement diabolisés, ce qui n’est que partiellement ou ponctuellement le cas.
Et ces dieux sont également des dieux du Ciel puisque pour venir en Irlande ils ont dû emprunter la voie aérienne (du moins selon une des variantes de nos manuscrits).
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LES INDIGES CELTES POUVANT INTERCÉDER AUPRÈS DU DESTIN TOUT PUISSANT (TOCAD) POUR L’INFLÉCHIR.
(Indigitamenta faite sans manichéisme bébête aucun, c’est-à-dire incluant « anges et démons » puisque les démons celtes ne sont en réalité que des entités surhumaines AMBIVALENTES (c’est-à-dire ni bonnes ni mauvaises, ou à la fois bonnes et mauvaises, selon les cas, bref neutres) démonisées par le Christianisme.
— Abarta/Abartach. Abarta est un des dieu-ou-démons de la tribu de la déesse ou démone, ou fée, Danu (bia), en Irlande. Son nom signifie « Le réalisateur de prouesses ». Il offre ses services à Vindos/Finn, le chef des Fénianes, mais afin de leur nuire. Pour cela, il ira jusqu’à donner un cheval sauvage au pelage gris, au chef des Fénianes, en se présentant sous le nom de « Giolla Decair ». Ce cheval était si fougueux, que personne ne pouvait le monter. Quatorze des guerriers de Vindos/Finn s’accrochèrent à l’animal pour le dompter, mais le cheval refusa d’avancer. Ce n’est que lorsque Abarta monta derrière les quatorze guerriers ainsi défiés, que l’animal s’élança au galop, entraînant même derrière lui un quinzième homme qui n’avait pas eu le temps de lâcher sa queue. Abarta les emmena de la sorte jusque dans l’autre monde, car tel était son objectif en réalité ! Le reste de la tribu des Fénianes se procura un navire afin de les retrouver ou de châtier Abarta. De tous les poursuivants, le meilleur fut incontestablement un guerrier dénommé Foltor, le bras droit de Vindos/Finn, car il parvint jusqu’à l’autre monde justement. Abarta fut obligé de relâcher les captifs et de revenir avec eux accroché à la queue du cheval. L’honneur étant sauf, Vindos/Finn et ses guerriers acceptèrent de faire la paix avec lui. Transposé en mode chrétien cela nous donnerait : Abartach était le saint patron des dompteurs de chevaux.
— Adsagsona. Justice ou vengeance. On retrouve son nom sur le plomb du Larzac, une tablette trouvée en 1983, dans le Larzac justement. La phrase la mentionnant se lit ainsi : TIGONTIAS SO ADSAGSONASEUE. Il s’agit de l’équivalent druidique de la Némésis grecque.
— Aed Abrat. Aedh Abrath. Une des nombreuses divinités du panth-éon druidique, ou alors un des nombreux noms d’une des divinités du panth-éon druidique. Il est le père d’Oengus, de Fand et de Li Ban (cette dernière se voit parfois attribuer Eochaid comme père). Du moins dans la déviance irlandaise. Il est notamment cité dans le Seirglige ConCulaind & oenet Emire (La maladie de Cúchulainn et l’unique jalousie d’Aemer), comme étant le père des « femmes oiseaux » (Fand et Li Ban), seules à pouvoir soigner le Hésus Cuchulainn. Son nom signifie littéralement « le feu de l’œil ». En tant que Túatha dé Danann, et surtout père de Wanda/Fand et d’Oengus, il n’y a pas de doute sur le caractère divin du personnage.
— Aed Ruad ou Aed le rouge. L’un des trois rois régnant en alternance sur l’Ulster, dans la légende de Macha. N.B. Le nom d’Aed est à rapprocher de celui de la tribu des Éduens qui jugea bon de faire appel aux Romains en général et à César en particulier.
— Aericura, Aeraecura, Herecura, Heracura, Herequra, Aeraecura. Les sources qui l’identifient sont de nature épigraphique et datent principalement de la période de l’Empire romain. Un grand nombre de représentations de cette déesse a été trouvé dans la région du Danube, en Slovénie et dans le sud de l’Allemagne. Il en existe cependant aussi des traces en Italie, en Grande-Bretagne, en France et même en Algérie. Les inscriptions sont concentrées à Stuttgart et le long du Rhin. L’inscription trouvée à Sulzbach en Allemagne l’associe à Dispater par interpretatio romana. L’inscription trouvée à Mautern en Autriche l’associe à Pluton, Jupiter, Junon ; d’autres inscriptions l’associent à Sylvain. Il s’agit donc d’une déesse-ou-démone liée au monde des morts, peut-être des âme/esprits de défunts en instance de réincarnation dans notre monde (très rares cas vraisemblablement, appelés bacuceos) ; les autres, l’immense majorité, devant se réincarner dans l’autre monde paradisiaque appelé Vindomagos, Mag Meld, ou autrement.
— Airmed/Armeditrina. Fille du rebouteux Diancecht. Son nom signifie « mesure, pesée ». Durant la seconde bataille de la Plaine des menhirs ou des tumuli, elle participera au soin des guerriers blessés en se servant de la fontaine de Santé. Un bain dans cette eau guérissait les guerriers blessés ou ressuscitait les morts. Elle a deux frères Miacos/Miach (« le boisseau ») et Aremiacos/Ormiach (un doublet du précédent). Essaiera, mais en vain, de recueillir toutes les herbes ou plantes médicinales ayant poussé sur la tombe de Miacos/Miach. Sainte patronne des herboristes, mais la fonction médicale chez les Celtes a toujours été en réalité assumée par différents dieu-ou-démons guérisseurs
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et ne fut jamais réservée à une seule entité divine. Une petite stèle votive en pierre trouvée à Grand la représente dans ce qui paraît être une pharmacie (actuellement au musée d’Épinal).
— Alaisiagae. Les semeuses de terreur. Il s’agit de deux déesse-ou-démones, ou fées si l’on préfère, agissant de concert, Beda et Boudihillia. Connues par des inscriptions découvertes dans le fort de Vercoviciivm sur le Mur d’Hadrien (Housesteads, Northumberland).
DEO MARTI ET DVABVS ALAISIAGIS ET N AVG, GER CIVES TVIHANTI CVNEI FRISIORVM, VER SER ALEXANDRIANI. Au dieu Mars et aux deux Alaisagae ainsi qu’au génie de l’empereur, les tribus germaniques de Tuihantis du détachement frison…
DEABVS ALAISIAGIS BAVDIHILLIE ET FRIAGABI ET N AVG. Aux déesses Alisiagae Boudihillia et Friagabis ainsi qu’au génie de l’empereur.
DEO MARTI THINCSO ET DVABVS ALAISAGIS BEDE ET FIMMILENE. Au dieu Mars Thincsus et aux deux Alaisagae, Beda et Fimmilena.
Du celtique *ad – (vers) *lai (j)-sija – (envoyer) *agai (des frayeurs).
Frigabis (Freya ??) et Fimmilena étant des déesse-ou-démones, ou fées, germaniques ; nous avons donc là quatre déesse-ou-démones, ou fées, deux celtiques, Beda et Boudihillia, et deux germaniques qui leur sont associées.
— Alatrom. Roi des vouivres anguipèdes gigantesques surtout connu par ses trois fils, Dubros, Dub, et Mell.
— Andarta/Andraste. D’après Dion Cassius (Histoire romaine. Livre LXII) déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, de la victoire, invoquée par la reine des Iceni appelée Boudicca, lors de sa révolte contre les Romains en l’an 61.
« À ces mots, elle lâcha un lièvre de son sein, comme pour une sorte de divination, et la course de l’animal ayant donné un présage heureux 1), la multitude tout entière poussa des cris joyeux ; Boadicée levant alors une main vers le ciel, s’exclama : Je te rends grâces, dit-elle, Andraste ! Femme, j’invoque une femme ; moi qui commande non aux portefaix d’Égypte, comme Nitocris, ou aux marchands d’Assyrie, comme Sémiramis (c’est des Romains que nous avons appris ces exemples), ou aux Romains eux-mêmes, comme jadis Messaline et ensuite Agrippine (aujourd’hui, Néron a bien un nom d’homme, mais, en réalité, c’est une femme ; et la preuve, c’est qu’il chante qu’il joue de la lyre et s’occupe à se parer), mais à des hommes, à des Bretons. Qui ne savent pas, il est vrai, cultiver la terre ou exercer un métier, mais qui ont parfaitement appris à faire la guerre. Et qui tiennent pour communs tous leurs biens, pour communs leurs enfants et leurs femmes, lesquelles ainsi ont autant de cœur que les hommes. Reine de tels hommes et de telles femmes, je t’adresse mes vœux et je te demande la liberté le salut et la victoire. Sur des hommes violents, injustes, insatiables, sacrilèges. Si l’on peut appeler hommes d’ailleurs des gens qui se baignent dans de l’eau chaude, qui mangent toutes sortes de mets cuisinés avec recherche, qui boivent du vin pur, qui se frottent de parfums, qui ont une couche moelleuse ; qui dorment avec des jeunes gens, et des jeunes gens hors d’âge 2), qui sont les esclaves d’un joueur de lyre, et encore, d’un mauvais joueur de lyre. Que désormais cette Néronis, cette Domitia, ne règne plus sur moi ni sur vous, qu’elle soit donc, avec ses chants, la maîtresse des Romains (ils méritent bien d’être les esclaves d’une pareille femme, puisqu’ils souffrent depuis si longtemps sa tyrannie) ; mais toi, ô notre maîtresse, puisses-tu toujours seule marcher à notre tête…
Boadicée mena ensuite son armée contre les Romains qui se trouvaient sans chef (Paulinus, leur général, dirigeait alors une expédition contre l’île de Mona, une île située dans le voisinage de la Bretagne). Grâce à cette heureuse circonstance, elle mit à sac et pilla deux villes romaines, et y fit, comme je l’ai dit, un inénarrable carnage. Il n’est pas d’horreur qui ne fut infligée à leurs prisonniers. Mais voici ce qu’ils firent de plus horrible et de plus féroce : ils pendirent les femmes les plus nobles et les plus distinguées après les avoir dénudées ; ils leur coupèrent les seins et les leur cousirent sur la bouche, afin de les leur voir pour ainsi dire manger, après quoi ils leur enfoncèrent des pieux aigus à travers le corps de bas en haut. Et tous ces outrages, c’est pendant leurs sacrifices et leurs festins qu’ils s’y livraient dans leurs temples, et notamment dans le bois sacré d’Andraste. C’est ainsi qu’ils appellent la déesse Victoire, et ils avaient pour elle une dévotion toute particulière ».
Voir également la rubrique consacrée à l’égrégore des ours, Artio, dans le tome précédent, puisque son nom signifie « Grande Ourse », car nous éprouvons les mêmes difficultés que Varron pour classer rationnellement tout ce petit peuple des auxiliaires du destin (neutre tokad, masculin tocad, féminin tocade d’après mes correspondants parisiens).
1. Si l’animal s’enfuit à gauche, c’est un bon présage, s’il s’enfuit à droite c’en est un mauvais.
2. Un peu comme un futur ministre de la culture français à la fin du XXe siècle, mais lui, c’était avec des boxeurs thaïlandais à Patpong.
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— Arnemetia. Du celtique ar (devant) et nemeton (temple dans les bois). Gardienne de l’entrée des temples ou sanctuaires. Elle était notamment honorée dans la station thermale d’Aquae Arnemetiae (Buxton, dans le Derbyshire).
— Arnomecta, Arnomecte, Arnomectae. Déesse-ou-démone, ou bien fée, connue par une inscription trouvée à Brough-on-Noe dans le Derbyshire.
DEAE ARNOMECTE, AEL MOTIO…
À la déesse Arnomectis, Aelius Motio…
Étymologie incertaine. Isarno = fer et mect = grand. Peut-être une déesse-ou-démone, ou fée, des forgerons, parèdre de Gobannos.
— Arvalus. Dieu-ou-démon de l’agriculture connu par une inscription trouvée à Blackmoorgate dans le Derbyshire. Associé à Saturne et Dis Pater, Hercule et Apollon. Du celtique *aro – (agriculture) et *-walo – (puissant).
— Aufanie. Au pluriel Aufaniae. Déesse-ou-démone, ou fée, celte, de la catégorie des matres ou matronae, connue par plus de 90 inscriptions. Elle est tantôt représentée en tant que déesse-ou-démone ou fée, unique, tantôt en tant que triade.
À Bonn, en Allemagne, par exemple, elle est connue par une inscription sur un bas-relief dédié aux MATRONIS AVFANIABVS.
Ses fonctions : aider en cas de besoin, protéger, veiller sur la famille ou le clan, fécondité, maternité, aide en cas de guerre. N.B. Je fais remarquer à mes correspondants parisiens qu’elle aurait plutôt sa place dans les égrégores du tome précédent.
— Aveta. Connue par des figurines en terre cuite découvertes à Toulon-sur-Allier en France et diverses inscriptions trouvées à Trèves en Allemagne, ou Avenches en Suisse. Fait partie des déesse-ou-démones, ou fées, mopates, car elle est souvent représentée avec des enfants dans les bras et un petit chien. Déesse-ou-démone, ou bonne fée, des accouchements et des sages-femmes. cf. Gwenn Teir Bronn au Pays de Galles. Dans les Indigitamenta de Varron ce serait Partula.
— Bé Chuille/Becuille/Bé Chuma : la femme de Chuille. Présentée dans une des légendes rapportées par le Dindshenchas métrique comme une bonne sorcière qui aidera les hommes de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu, à se débarrasser de leurs derniers ennemis : la princesse gauloise Carman et ses trois fils. Elle avait le pouvoir de transformer les pierres les mottes de terre et les arbres en une gigantesque armée de féroces guerriers. Dans les aventures d’Art fils de Conn (Echtrae Airt meic Cuinn) elle apparaît comme la femme d’Eogan Inbir, mais commet l’adultère avec Gaidiar, fils de Belenos Barinthus Manannan. Elle sera donc exilée sur terre pour cela, et rencontrera le roi des rois Conn aux cent batailles qu’elle épousera. Ce mariage causera d’ailleurs la ruine de son royaume et elle en sera donc également exilée.
— Beda. Fosse, tombe. Le mot bedum a donné « bief » (partie d’un canal) en vieux français. Déesse-ou-démone des tombes. Avec Boudihillia, Beda forme un tandem de déesse-ou-démones, ou fées si l’on préfère, connu sous le nom d’Alaisiagae.
— Béfinn/Bebhinn/Bebhionn/Bebinn/Befind/Beibhinn/Bevin/Vevina. De nombreuses héroïnes de légende portent ce nom en Irlande. L’une d’elles est dite femme du dieu-ou-démon Áed Alainn ou du simple mortel appelé Idath. Son nom signifie « la belle » ou « la douce ». Déesse-ou-démone ou bonne fée, des naissances, sœur de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, irlandaise, Boann, qui personnifie la Boyne. Dans certaines légendes concernant les Fénianes, elle est décrite comme une femme de très grande taille et d’allure aristocratique, poursuivie par un horrible géant, et venant chercher refuge et protection auprès d’eux. D’autres sources mentionnent une Bébinn fille d’Elcmar. Certains auteurs la rapprochent du personnage de la fée Viviane. La fée Viviane ou Dame du Lac est un personnage des légendes arthuriennes. Cette fée y joue plusieurs rôles ; elle fournit l’épée que l’on appelle Excalibur au prince Arthur, guide le roi mourant vers Avallon après la bataille de Camlann, enchante Merlin, ou éduque Lancelot du Lac après la mort de son père. Les différents auteurs et copistes ont donné à cette Dame du Lac divers noms : Viviane, mais aussi Niniane, Nyneve…
— Blatoveda/Blodeuwedd. Créature féminine de la mythologie galloise qui apparaît dans la quatrième branche du Mabinogi : Math fils de Mathonwy. Le sens de son nom est « visage de fleur ».
Llew Law Gyffes est sous le coup d’une interdiction (geis) de sa mère Arianrod, qui l’empêche d’avoir une épouse humaine. Le roi Math, qui est aussi magicien, et son neveu Gwydion, lui fabriquent donc une femme avec des fleurs et des plantes (genêt, primevère, reine-des-prés, aubépine, et autres). Grâce à cette magie, leur « créature » est plus belle que la plus belle des femmes. L’union est célébrée puis Llew est doté d’un cantref (d’un fief). Mais un jour que Llew rend visite au roi Math, dans sa résidence de Caer Dathyl, Blodeuwedd reçoit un dénommé Goronwy (parfois appelé Gronw Pebyr), seigneur de Penllyn, qui chasse dans les environs. Elle en tombe amoureuse et les amants projettent aussitôt de tuer le mari. Mais Llew est un dieu-ou-démon qui ne peut être tué que selon
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certaines modalités très précises : il ne peut être tué ni à l’intérieur ni à l’extérieur, ni lorsqu’il chevauche, ni lorsqu’il marche. En fait, il ne peut être assassiné que dans une seule position : en se baignant, un pied sur une chèvre et l’autre sur un chaudron, par une lance forgée spécialement à cet effet. Ces conditions étant un jour miraculeusement réunies, le dieu-ou-démon est abattu et se transforme en aigle. Afin de la punir de son crime, Gwydyon transforme Blodeuwedd en hibou, et ranime Llew en lui redonnant forme humaine.
Le personnage de Blodeuwedd correspond à celui de Blathnat ou Blathnait dans les légendes irlandaises. C’était l’épouse du prince Cû Roi du Munster. Amoureuse du hésus Cuchulainn, elle trahit son époux en indiquant à notre héros le moyen de pénétrer dans sa forteresse, jusqu’alors imprenable. Au cours de la bataille qui s’ensuivit, Cû roi mourut et le hésus Cuchulainn put donc s’en aller avec Blathnat.
Mais cette dernière fut tuée par Fer Chertne ou Cherdne, le fidèle barde de Cû Roi, qui l’entraîna dans la mort en se précipitant avec elle du haut d’une falaise.
— Brangaine/Branwen. Déesse-ou-démone ou fée, de l’amour NAISSANT (alors que Wanda/Fand est la déesse de l’amour tout court ou finissant. Il y a en effet entre Brangaine/Branwen et Wanda/Fand la même différence qu’entre Éros/Cupidon et Aphrodite/Vénus. Fille du dieu-ou-démon de la mer Lero/Llyr par Iweridd. Sœur de Bran le béni, épouse du roi d’Angleterre (sic) Matholwch. Apparaît dans la légende médiévale de Tristan et Iseut. C’est la suivante ou la dame de compagnie qui se trompe de vase et sert à Tristan et Iseult le célèbre philtre qui va les rendre amoureux fous l’un de l’autre. Son nom est vraisemblablement une francisation du gallois Branwen (Bronvinda < vinda bronnia/vinda brannia = blanche poitrine ou blanche corneille) héroïne de la deuxième branche du Mabinogi gallois ; où elle y joue apparemment aussi le rôle de déesse-ou-démone, ou bonne fée, de l’amour, à tout le moins celui de « femme fatale ».
Ce mabinogi est presque la continuation de la légende irlandaise intitulée « l’ivresse des Ulates », ce qui constitue donc une belle preuve de l’unité culturelle celtique. Comme toutes les grandes divinités druidiques, cette déesse-ou-démone, ou fée, de l’amour, est descendue aujourd’hui sur le plan humain, et s’est aussi morcelée dans la multiplicité. Elle est dans chaque femme, et dans chaque homme aussi d’ailleurs.
Brangaine ou Brangien était la servante d’Iseut. Iseut avait été promise en mariage au roi Marc de Cornouailles. Tristan, son neveu, se rend donc dans ce pays pour l’escorter. Avant le départ du bateau, la mère d’Iseut remet à Brangaine un philtre d’amour, à donner à Iseut et au roi Marc le soir de leurs noces ; cette potion garantissant à ceux qui la buvaient de s’aimer jusqu’à la fin de leurs vies. Mais lors de la traversée, Tristan boit le philtre par mégarde avant d’en offrir à Iseut.
Malgré les difficultés, Brangaine leur restera dévouée jusqu’au bout et partagera leurs secrets ; comme lorsque Tristan fut introduit dans le château du roi Marc, alors qu’on le prenait pour un ermite ; ou encore lorsqu’elle prit la place d’Iseult dans le lit du roi la nuit des noces. Comme dans le cas de la malheureuse Wanda/Fand, l’animal qui lui est associé par (fausse) étymologie est l’hirondelle ou le vanneau. C’est en effet une hirondelle qui déclenchera toute l’histoire en apportant un des cheveux d’Iseut à la cour du roi Marc…
— Bregsos/Bres ou Eochaid Bres, Eochu Bres (Eochu le beau). Équivalent celtique de la Segetia de Varron.
Très ancien dieu de l’agriculture « diabolisé » par la mythologie d’Irlande. Sa mère est la belle Ériu (personnification de l’Irlande) et son père Elatio/ Elatha, un grand seigneur vouivre anguipède gigantesque, du peuple des Andernas (sur le Continent. Fomore en Irlande). Le nom vient peut-être du proto-celtique *bregso-s, le brillant, celui qui brille, de la racine *bhreg – briller, scintiller. Sa beauté diabolique est devenue légendaire. À sept ans, il avait déjà la taille d’un enfant deux fois plus âgé. De son union avec Brigitte naîtra un fils, Ruadan. Lors de la première bataille de la Plaine des menhirs ou des tumuli, contre les Gaulois Fir Bolg, il affronte un de leurs champions appelés Srengos.
Une de nos nombreuses légendes à son sujet le fait mourir au cours d’une beuverie d’après chasse.
« Ensuite les Toutai Devas firent de Bregsos leur roi des rois et il régna sur eux pendant sept ans. Il mourut après avoir bu lors d’une chasse dans la montagne de Gam et Noadatus/Nuada/Nodons/Lludd, son bras ayant été remplacé, devint roi. Telle est la bataille de la plaine de Magos Turation/Mag Tured Cunga ».
Pourtant il réapparaîtra bien vivant pour la deuxième bataille de Magos Turation toujours selon les bardes irlandais ainsi que nous allons le voir.
Ce phénomène est fréquent dans les textes sacrés de notre pauvre Humanité. Voir les deux récits de la création dans la Bible, le récit sacerdotal (Genèse 1,1 à 2 ,4) et le récit yahviste (2,4 à 2 ,24). De même il y a aussi de nombreuses répétitions dans le Coran, difficiles à repérer néanmoins, car ce livre
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émanant d’un homme ou de plusieurs et destiné à d’autres hommes, est un vrai méli-mélo ne suivant aucun plan précis, ses chapitres (sourates) à quelques exceptions près (une ?) étant simplement classés par ordre de grandeur décroissante. Ce qui est excellent pour la mémoire peut-être, mais constitue un véritable défi pour l’intelligence.
En ce qui nous concerne, c’est peut-être là une preuve supplémentaire que le mythe panceltique initial mettant en scène le conflit fondateur entre les deux grandes familles divines régissant le monde (les dieux aériens, fils de Danu–bia ou de Taran/Toran/Tuireann, et les dieux chtoniens ou souterrains fils de la déesse Domnu, etc.autrement dit les vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Fomoire en Irlande)… a été tellement bricolé après son implantation en Irlande, qu’il en est devenu incohérent à de nombreux égards.
L’important donc, ce qui compte, c’est de faire preuve d’esprit critique vis-à-vis de tous ces textes, et de ne retenir que le meilleur de leur esprit, pas l’esprit criminogène de tous ces textes, mais l’esprit qui peut nous aider à nous dépasser en tant qu’être humain. Nous reviendrons dans un autre de nos opuscules sur la fonction surhumanisante des mythes celtodruidiques (alors que les mythes sumériens qui sont à l’origine de la Bible et donc du Coran sont infantilisants).
Tout cela n’est donc pas à prendre au pied de la lettre. Ne faisons pas comme les judéo-chrétiens qui soutiennent qu’il y aurait eu deux Goliaths puisque ce guerrier philistin est dit avoir été tué par deux hommes différents, par le jeune David… ou par un homme de la garde du roi David (Elhanan, 2 Samuel 21,19). Ne soyons pas aussi bêtes et ne retenons que les grandes lignes, outre le fait que les dieux ne meurent pas vraiment, l’idée qu’il y a eu jadis au tout début de la méta histoire une gigantesque guerre entre les hommes et les dieux pour le contrôle de la Terre. Il importe donc de ne retenir que ces grandes lignes : hommes et dieux ont fini par faire la paix en se partageant la terre. Car il va de soi dans ce mythe que les Gaulois Fir Bolg ne sont qu’une métaphore de l’Humanité.
Ce qui est certain c’est que dans le mythe irlandais, il devient roi par intérim des dieu-ou-démons dits enfants de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu (bia), peu après la blessure au combat de leur prince Noadatus/Nuada. Noadatus/Nuada sera en effet blessé au cours de la « Première bataille de la Plaine aux menhirs ou aux tumulus » (Cath Maighe Tuireadh), et en sortira sans son bras. Cette mutilation entraînera d’ailleurs sa déchéance, puisque l’exercice de la souveraineté celtique exige que le roi soit exempt de toute infirmité.
À peine élu par les femmes de la tribu, Bregsos devint rapidement très impopulaire en augmentant les impôts et en favorisant outrageusement les Andernas appelés Fomore. Sous son règne les Tuatha Dé furent accablés de corvées (très désagréables). Ogmios devait continuellement approvisionner le palais du nouveau roi en bois de chauffage et le Suqellos Dagda Gargant creuser des fossés. Quand Bregsos recevait, il n’y avait presque rien à boire ou à manger dans sa maison. Carprios/Cairpre, un des satiristes de la tribu de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia), lui jeta donc un sort pour cette raison et ce fut le premier du pays, dit-on. Au bout de sept années de règne tyrannique, l’ancien roi des dieu-ou-démons, Noadatus/Nuada, revint sur le devant de la scène, et Bregsos fut contraint d’abdiquer. Ce qui provoquera la deuxième bataille de la Plaine aux menhirs ou aux tumulus.
— Bricriu. Sorte de Thersite celtique. Nous nous permettons d’inclure ici dans notre panth-éon ou plérôme, le légendaire Bricriu Nemthenga (« langue empoisonnée »), car il nous semble plus relever de la Mythologie que de l’Histoire. Son nom signifie « tache de rousseur », mais il est surtout renommé pour semer la zizanie et susciter les disputes.
Bricriu apparaît principalement dans la légende irlandaise intitulée Fled Bricrend (Le Festin de Bricriu). Il décide de donner un somptueux festin, dans sa résidence de Dún Rudraige (actuellement Dundrum) en l’honneur du roi d’Ulster, Conchobar Mac Nessa, et des guerriers Ulates. Nombre d’invités refusant son invitation, il doit les menacer d’une brouille générale, les amis entre eux et les parents contre leurs enfants, pour qu’ils acceptent de venir. Le festin commencé, il ordonne que l’on serve la part du héros habituelle, au plus illustre d’entre eux. Les trois champions du royaume, le Hésus Cuchulainn, Conall Cernach et Lóegaire Búadach, se disputent aussitôt ce morceau de choix ; chacun prétendant être le plus illustre et y avoir droit. Pour mettre un terme à leur querelle, il fut décidé que l’on ferait appel à un géant monstrueux pour mesurer le courage de chacun. Bricriu les met au défi de trancher la tête de ce géant, à condition que le jour suivant le vainqueur à son tour accepte de poser sa tête sur le billot.
Le Hésus/Cuchulainn fut le premier à se présenter. Il décapita le monstre, après quoi celui-ci se releva, prit sa tête, et s’en alla. Le lendemain, le Hésus/Cuchulainn offrit sa propre tête en retour, et le monstre le proclama l’homme le plus courageux du pays.
Quand Fergus Mac Roeg sera dépossédé de son royaume et qu’il s’exilera dans le Connaught, Bricriu décidera de l’y accompagner et il exercera donc aussi ses « talents » à la cour de la reine Medb. Mais en dépit de tous ses efforts, Bricriu ne joue pas dans la même équipe que la déesse ou démone de la guerre Catubodua (Bodb). Tout ce qu’il est capable de faire, lui, c’est d’être une mauvaise langue et de déclencher une bagarre générale (dans le café du coin). La déesse ou démone de la guerre, elle,
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c’est autre chose, elle pousse réellement les hommes à s’entretuer. Elle fait tout ce qu’il faut pour qu’il y ait des guerres parce que c’est à travers elles qu’elle se révèle ; bien qu’elle puisse avoir au besoin la beauté d’un ange (ou d’une fée) quand elle le veut ; afin d’être plus convaincante.
La mort de Bricriu sera tragique, lors de l’enlèvement des vaches de Cooley (Táin Bó Cuailnge). Ayant été chargé d’arbitrer le combat des taureaux, il sera piétiné.
Bricriu symbolise la discorde et, comme de bien entendu, puisque les dieu-ou-démons ne peuvent mourir qu’en rêve ou symboliquement, il est toujours bien vivant et à l’œuvre dans l’esprit de beaucoup de nos contemporains, hélas !
— Britovius. Britus. Brutus. Le juge. Dieu-ou-démon des jugements connu par une inscription trouvée à Nîmes, qui l’assimile à Mars par interpretatio romana. Du celtique *brito-/a – (jugement) avec une finale masculine latinisée en – us. Son association avec Mars en fait sans doute aussi un dieu-ou-démon juge du sort des batailles ou du sort des individus (ceux qui doivent mourir, ceux qui doivent vivre). Ce dieu-ou-démon est également connu sous le nom de Britus à Dijon ainsi qu’à Antigny en France.
— Calatin. Un druide de la race des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Fomore en Irlande, Andernas sur le Continent, et qui aurait, selon la légende, étudié la magie pendant dix-sept ans. Medb (la reine du Connaught dans la version évhémérisée du mythe panceltique originel) l’envoie en compagnie de ses 27 fils pour affronter le hésus Cuchulainn, lors de l’enlèvement des bœufs de Cooley. Il leur manquait à tous la main gauche et le pied droit, mais ils ne rataient jamais leur cible avec leurs lances empoisonnées. Le hésus Cuchulainn ne parvint à les battre qu’avec l’aide d’un guerrier du Connaught qui désapprouvait ce combat inégal. L’élimination des Calatin ne signifia pas pour autant la fin de tout danger pour le hésus Cuchulainn, car peu après, l’épouse dudit Calatin donna naissance à trois filles, que la reine Medb fit éborgner pour en faire des sorcières. Les trois sœurs devinrent donc de puissantes enchanteresses et se servirent de leur magie contre notre héros, ce qui entraînera finalement sa mort, crucifié sur le menhir de Murthemné.
— Cagiris. Dieu-ou-démon des champs clôturés. Connu par une inscription trouvée à Saint-Béat, dans la Haute-Garonne en France. Du celtique *kagyo – (muret, clôture) et rix (roi).
— Carpentos/Carpentus. Dieu-ou-démon technicien connu par une inscription trouvée en France à La Farlède dans le Var (sous la forme Carpantus) ainsi qu’à Huos, Peguilhan, et Sarrevave en Haute-Garonne, sous la forme Carpentus. Du vieux celtique *carbanto (char de guerre). Serait aujourd’hui en quelque sorte le saint patron des constructeurs de voitures ou des garagistes.
— Cairpre/Coirpre/Carprios. Satiriste jeteur de sort de la tribu de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia). Fils d’Etanna. Fut abattu par Nechtan. Cairpre/Coirpre/Carprios est un filé, c’est-à-dire un poète, qui apparaît dans le récit du « Cath Maighe Tuireadh » (bataille de la Plaine des menhirs ou des tumulus) en tant que premier druide ayant composé ou prononcé une satire. Ce sort fut jeté sur Bregsos/Bres, roi intérimaire des hommes de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu (bia), qui était un très mauvais souverain, du fait de son avarice et de sa tyrannie. La satire du poète entraînera son abdication et sa déchéance. Saint patron des journalistes critiques, donc !
— Catubellona/Cathlionn/Cethlenn. Dans la légende irlandaise, épouse de Balor, le chef des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Fomoires en Irlande (Andernas sur le Continent). Ils ont une fille, Eithne, qui sera la mère de Lug. Elle prédit la défaite des Andernas/Fomoires face aux dieu-ou-démons dits enfants de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu, la tribu de Danu (bia), et c’est ce qui se passera effectivement. Lors de la bataille de la Plaine des menhirs ou tumulus (Cath Maighe Tuireadh), elle parviendra néanmoins à blesser le Suqellos Dagda Gargant. Elle a donné son nom à la ville irlandaise d’Enniskillen (Inis Ceithleann), dans le comté de Fermanagh (Ulster, Irlande du Nord). C’est un autre des aspects de Catubodua, la Kali celtique.
— Cetturo/Cethor, mais aussi Mac Greine en irlandais, ce qui signifie « fils du soleil » : Grannognatos en iarnbelre ou en vieux celtique. Un des derniers rois des dieu-ou-démons avant l’avènement des hommes. Fils du Suqellos Dagda Gargant. Sa parèdre s’appelait Iveriu voire Ériu, du moins si l’on en croit les apocryphes irlandais. « Fils du soleil » est un surnom difficile à comprendre. S’agissait-il d’un dieu-ou-démon solaire ou, comme Ogmios, d’un dieu-ou-démon au visage brûlé par le soleil ?? Le saint patron des bronzages réussis donc en quelque sorte.
— Cicolluis/Cicollus/Cicholl Gri-Cenchos. Dieu-ou-démon guerrier souterrain devenu roi des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Fomoires en Irlande, Andernas sur le Continent. La documentation continentale (inscription découverte dans le département français de la Côte-d’Or à Dijon, Aignay-le-Duc et Mâlain) n’en fait pourtant qu’un simple équivalent du Mars de nos amis romains. Qui croire ? Inscriptions le mentionnant également découvertes à Xanten en Allemagne, et Windisch en Suisse. Son nom signifie « aux gros muscles ». Parèdre : la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère ce terme, Litavis. À Mutigney en France a été découverte en l’an 2000 une plaque en bronze datant du IIe siècle, et mentionnant cette divinité. Il s’agit de la dédicace d’un grand prêtre du
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culte impérial, dénommé Tutillus. Elle était placée à l’intérieur d’un temple, probablement en dessous d’une imposante statue la représentant. La dédicace mentionne une somme de 48 000 sesterces, ce qui représente une somme colossale pour l’époque.
— Clota/Clouta/Cluta. La déesse-ou-démone, ou bien fée, de la renommée ou de la célébrité. Voir le nom de la rivière écossaise appelée la Clyde. La renommée alors était quelque chose d’important dans la société celtique. Dans une société marquée par l’oralité, la réputation était le seul moyen de mesurer la valeur de quelqu’un. On attendait de tout un chacun qu’il soit généreux, honnête, brave, loyal. Mais plus on était haut placé dans l’échelle sociale, plus on se devait de satisfaire à ces critères. Les bardes étaient ceux qui faisaient ou défaisaient les réputations. La peur de faire l’objet d’une satire composée par l’un d’entre eux constituait sans aucun doute la première des craintes de tout grand seigneur celte. Une chanson se moquant de vous pouvait signifier votre perte, un poème en votre honneur vous valoir une gloire traversant les siècles. César oublie donc dans le compte rendu de ses campagnes une catégorie de personnages que les autres compilateurs placent pourtant au premier plan. Les bardes, ces chantres équivalents des anciens aèdes grecs, qui se situaient sur un terrain à la fois politique et religieux et avaient en charge la louange autant que le blâme, des nobles. Dit autrement, ils jouaient un rôle assez proche de celui des censeurs de la Rome archaïque, cautionnant par leurs hymnes la place politique et honorifique de chacun.
— Credno Cerdos/Credne Cerd. Cred = bronze, cerd (anos) = artisan. Dans la mythologie d’Irlande, Credne Cerd est le bronzier des hommes de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu(bia). Il fabrique des rivets de lances, des poignées d’épée ainsi que des umbos de boucliers. Il est le fils de Brigit et de Taran/Toran/Tuireann. Il appartient à la classe artisanale et relève donc de la troisième fonction productrice. Il apparaît dans le récit du Cath Maighe Tuireadh, qui nous narre la guerre opposant les dieu-ou-démons aux vouivres anguipèdes que l’on appelle Fomoires en Irlande, Andernas sur le Continent ; on l’y voit fabriquer des armes avec ses frères Gobannos et Luxtanios/Luchta. Il aide aussi Diancecht à fabriquer une prothèse en argent pour Noadatus/Nuada qui a eu le bras coupé au cours de la bataille.
— Cú Roí (Cú Ruí, Cú Raoi) mac Dáire. Roi du Munster, qui pouvait changer de forme à volonté. Il intervient dans deux récits du cycle d’Ulster, le festin de Bricriu (fled Bricrenn) et l’ivresse des Ulates (Mesca Ulad). Son nom signifie « le chien du champ de bataille ».
Le festin de Bricriu. Bricriu, connu pour semer la zizanie, a organisé un festin au cours duquel il va pouvoir susciter les querelles. Quand Cúchulainn, Conall Cernach, et Lóegaire Búadach se disputent la part du champion, Cú Roí fait partie des jurés. Il apparaît sous les traits d’un géant hideux, nommé Uath (horreur) et leur propose une épreuve : chacun est invité à couper la tête du géant avec une hache, à la condition d’accepter lui-même un tel sort le lendemain. Seul Cúchulainn aura donc assez de courage et de noblesse pour accepter, il sera déclaré vainqueur. Autre aventure. Cú Roí et le hésus Cúchulainn font une expédition sur Inis Fer Falga (l’île de Man). Ils s’emparent du trésor royal et enlèvent Blathnat, la fille du roi. La princesse est amoureuse du hésus Cúchulainn, mais quand l’on demandera ensuite à Cú Roí de choisir sa part de butin, il prendra Blathnat.
Le hésus Cuchulainn tente de s’y opposer, mais son rival lui coupe les cheveux et le plonge dans de la bouse de vache jusqu’au cou, avant de s’enfuir avec la jeune fille. Par la suite, Blathnat trahira Cú Roí par amour pour Cúchulainn. Après le siège de sa forteresse, le champion d’Ulster parvient à tuer son rival. L’âme/esprit de Cú Roí se réfugie dans une pomme, qui se trouve dans le ventre d’un saumon. Le poisson vit dans un torrent des montagnes de Slieve Mish et ne revient à la surface que tous les sept ans. Blathnat découvre le secret et le dit à Cúchulainn, qui tue le saumon, anéantissant ainsi l’âme/esprit de Cú Roí. Mais, Ferchertne, le druide de Cú Roí, furieux que son seigneur ait été ainsi trahi, saisira Blathnat par les épaules et sautera d’une falaise avec elle, en l’entraînant ainsi dans la mort.
Les ruines du fort de Caherconree (en irlandais Cathair Con Raoi, le château de Cú Roí), dans le comté de Kerry, conservent le nom de ce roi mythique.
— Derbavergillia/Derbfogaille. Fille du roi de Loccolandon/Lochlann (Norvège). Dans le récit de la mort violente de Lugaid et de Derbfogaille (Aided Lugdach ocus Derbforgaille), amoureuse de Cúchulainn. Avec sa servante, elle se métamorphose en cygnes reliés par une chaîne d’or. Mais Derbfogaille est blessée aux côtes par un tir de fronde de Cúchulainn. Revenue à son état de femme, elle se plaint du traitement cruel, qu’elle vient de subir. Cúchulainn, pour la soigner, lui suce le flanc pour en extraire la balle qui vint avec un caillot de sang. Soignée, elle déclare sa flamme à Cúchulainn. Mais ce dernier lui annonce qu’il ne peut s’unir avec une femme dont il a sucé le sang. Il lui propose un autre parti, Lugaid Reo nDerg. Elle devint donc la compagne de ce dernier. Les autres femmes, par jalousie, lui arrachent les yeux, le nez, les oreilles, les cheveux, et la chair de ses cuisses, puis la ramènent chez elle. Se doutant qu’un drame venait de se dérouler, Cúchulainn et Lugaid Reo nDerg, se précipitent vers la maison. Mais la porte est fermée, et Derbfogaille chante une
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lamentation tout en faisant ses adieux. Les deux héros finissent par entrer, mais Derbforgaille est déjà morte (l’histoire n’est pas très claire).
— Dergos Boduos/Bodb le rouge. Bodb Derg en gaélique. Fils aîné du Suqellos Dagda Gargant. Son nom signifie « corbeau » ou « corneille » rouge (de sang ?). Avec Belinos Barinthus Manannan, il deviendra roi du monde des dieu-ou-démons, quand ces derniers se seront réfugiés sous terre pour fuir les humains. Dergos Boduos (Bodb Derg) apparaît aussi après, dans le récit intitulé en gaélique « Aislinge Oenguso ». Les Irlandais en ont fait un roi du Connaught au moment de la deuxième bataille de la plaine des menhirs ou des tumuli. Il était seigneur et maître de différents sides, appelés Femen, na mRen, Mumu, suivant les textes, et il est dit également avoir habité le Brug na Boinne. Il eut trois fils nommés Angus, Artrach et Aedos/Aedh, ainsi qu’une fille appelée Scathniamh. Certains textes lui attribuent deux autres fils appelés Aodh Aithfhiosach et Fergus Fithchiollach, chargés de retrouver les enfants de Lero/Lir ainsi que trois autres filles : Doirend, Mesca, et Sadv. Il avait un musicien réputé appelé Fertuinne. Lors de la bataille de Ventry, Bob le rouge vint en aide aux Fénianes en passe d’être submergés par le nombre.
— Elatio/Elatha (mythologie gaélique). Fils de Delbaeth. Un des chefs vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Fomoire en Irlande (Andernas sur le Continent), ayant pris part à la seconde bataille de la Plaine aux menhirs ou aux tumuli. Elatha signifie « savoir, science ». Il était jeune, beau, présentait bien et il était séduisant au point que certains ont même voulu en faire un dieu-ou-démon lunaire. De son union avec la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère utiliser ce terme, Ériu, naîtra Bregsos/Bres, roi intérimaire des Tuatha Dé.
— Ennéade d’Avallon. Diverses traditions celtiques nous parlent de neuf sœurs vivant dans une île. Pomponius Mela, De Chorographia III, 6,48. « L’île de Sena, située dans la mer britannique, en face des Osismiens, est célèbre par un oracle, dont les prêtresses, vouées à une virginité perpétuelle, sont au nombre de neuf. Elles sont appelées Gallisènes, et on leur attribue le pouvoir singulier de déchaîner les vents ou de soulever les mers, de se métamorphoser en animaux à leur gré, de guérir des maux partout ailleurs regardés comme incurables, de connaître et de prédire ; faveurs qu’elles n’accordent néanmoins qu’à ceux qui viennent tout exprès dans leur île pour les consulter ».
Geoffroi de Monmouth. Vie de Merlin. « L’Île des Pommes, également connue sous le nom d'« Île Fortunée », s’avère ainsi nommée parce qu’elle est prolifique. Les paysans n’y ont nul besoin de labourer les champs, la nature pourvoit elle-même à tout et rend la culture inutile. Grâce à ses arbres et à ses champs, l’île donne d’elle-même récoltes, raisins et pommes. De lui-même le sol, généreux, produit toutes sortes de choses comme de l’herbe, et en ce lieu on vit au moins cent ans. Là, neuf sœurs édictent d’aimables lois pour ceux qui, de chez nous, se rendent chez elles, et de ces sœurs, la plus éminente est une experte en l’art de guérir, mais elle supplante également ses sœurs pour ce qui est de la beauté. Morgane est son nom, et elle a jadis appris les vertus de toutes les plantes, si bien qu’elle sait guérir les corps malades. Elle connaît l’art qui lui permet de changer d’aspect ou de voler avec des ailes à la manière de Dédale. Quand elle le veut, elle est à Brest, Chartres ou Paris ; quand elle le veut, elle se coule dans l’air jusque sur vos rivages. On dit que cette femme a enseigné les mathématiques à ses sœurs, Moronoe, Mazoe, Gliten, Glitonea, Gliton, Tyronoe, et Thiten, qui se distingue à la cithare. C’est là qu’après la bataille de Camlann, nous portâmes Arthur, blessé, sous la conduite de Barinthus, qui connaît la mer et les étoiles. Grâce à ce guide, notre barque accosta en ces lieux, et Morgane nous a reçus du mieux qu’elle a pu. Elle a placé le roi sur une couche dorée, ensuite de sa main honorable, elle a découvert sa blessure et l’a inspectée un long moment ; puis à la fin elle nous confia qu’il pourrait recouvrer la santé s’il restait avec elle et acceptait de suivre son traitement. Nous lui avons donc laissé le roi et pour revenir avons livré nos voiles aux vents favorables ».
— Eogabal/Eogabail. Obscure figure du légendaire irlandais. Un des nombreux fils adoptifs ou pupilles de Belenos Barinthus (Manannan mac Lir). Roi du síd de Knockainy. Père ou peut-être grand-père d’Aine ainsi que de Grian, frère de Fer I. On ne peut s’empêcher de penser à l’empereur romain Héliogabale.
— Eogan de l’embouchure. Autre personnage difficile à identifier. Apparemment donc encore un résident de l’autre monde des dieux.
— Eis enchenn. Gaélique éis, bande, troupe, Énchenn : tête d’oiseau. Grotesque adversaire féminine de Cuchulainn. Notre héros la croise sur un pont très étroit lors de son départ de chez Scathache.
— Esdrios/Esras/Urias. Druide de l’île de Gorre (Gorias pour les Irlandais). C’est de là que fut apportée la lance de Lug.
— Ethliu/Ethniu. La plupart des légendes de l’hérésie développée en Irlande en font une fille de Balaros/Balor, le roi des vouivres anguipèdes gigantesques appelés Andernas sur le Continent, mais que l’on désigne sous le nom de Fomore là-bas. Le texte irlandais appelé « Baile in Scáil », la dit
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« maic Tigernmais », ce qui veut dire « fils de Tigernmas » (ou « maic Smretha maic Tigernmais » selon les versions, ce qui signifie cette fois « fils de Smretha fils de Tigernmas »).
Le baile in Scail ou « transe du fantôme » est un récit très curieux. Un revenant issu de l’autre monde entre dans une transe prophétique et donne au roi de Tara, Conn Cétchathach, la liste de ses descendants.
Certains auteurs font de ce Tigernmas un autre nom de Balor, mais quand même…
Bref, une antique prophétie ayant prédit que Balaros/Balor mourrait de la main même de son petit-fils, ce dernier avait fait enfermer sa fille Ethniu dans une tour solidement gardée par douze matrones. Mais en vain, car elle deviendra quand même la mère de Lug, par Ceno/Cian. Elle vint à Tara après la seconde bataille de la Plaine des menhirs ou des tumuli et y épousa Tadg, devenant ainsi également la mère de deux filles nommées Tuiren et Muirne, elle-même mère de Vindos/Finn. Variantes du nom : Ethlinn, Ethnea, Eithliu, Ethlend, Ethnen, Ethlenn, Ethnenn, Aithne, Etney, Eithnenn, Eithlenn, Eithna, Eithne, Ethni, Ethne, Edlend, Edlenn.
— Fedelma/Videlma. Déesse-ou-démone, ou fée, de la destinée.
La légende irlandaise de l’enlèvement des bovins de Cooley nous en fournit une excellente description.
« C’est ainsi qu’était la jeune fille : en train de tisser, une épée de bronze blanc à la main droite, avec sept raies d’or rouge jusqu’à la pointe. Elle portait un manteau vert tacheté, une broche ronde à forte tête sur le manteau couvrant son sein. Elle avait un visage pourpre à la forme admirable, l’œil bleu et rieur, les lèvres rouges et minces, des dents brillantes comme des perles. On aurait dit une averse de perles blanches dont sa bouche était remplie. Ses lèvres étaient semblables à du cuir parthe neuf. Aussi mélodieux que des cordes de harpes quand elles sont effleurées par les mains d’un grand musicien, était le son de sa voix et de ses paroles. Aussi blanc que la neige tombée dans la nuit était l’éclat de la peau et de la chair qui sortait de ses vêtements. Elle avait les pieds blancs et bien faits, des ongles pourpres également ronds et bien faits, une longue chevelure dorée, blonde et claire, trois tresses autour de la tête, et une autre qui lui tombait sur les mollets ».
Nous savons, par la version plus ancienne de l’enlèvement des bœufs de Cooley, celle du Lebor na hUidre, qu’il s’agit là d’une ambividtu versonnions (imbas forosnai) ou « incantation par illumination » ; que la voyante a donc appris en Écosse la science des vellèdes (filid) et qu’elle est, d’après cette ancienne version, experte en maniement des armes. Elle possède donc une initiation sacerdotale, non pas complète, mais très étendue. Elle a aussi la parfaite beauté physique des femmes de l’Autre Monde ; mais tout son poème, sinistre pour l’armée d’Irlande, n’est qu’une longue prophétie annonçant les malheurs que causeront, tout au long de l’expédition, les interventions du Hésus/Cuchulainn. Ajoutons que, à la différence de la prédiction du druide, sa prophétie n’a pas été sollicitée. Fedelma est venue d’elle-même, en tant que membre de la « famille » de la reine Medb dont elle se dit la « servante ». On doit noter enfin le détail du tissage d’une étoffe, détail qui n’était plus compris des transcripteurs, et qui ne l’a pas été davantage des commentateurs contemporains. Il suffit à faire du personnage une déesse-ou-démone, ou fée, de la destinée, raison d’ailleurs pour laquelle elle prophétise avec tant d’exactitude.
— Fer Í (l’Homme de l’if). Dans le légendaire irlandais, harpiste divin, demeurant dans un arbre près ou au-dessus d’une chute d’eau. Frère (ou probablement fils) d’Eogabal, et oncle (ou probablement père) d’Aine ainsi que de Grian. Sa musique avait le pouvoir de faire rire, pleurer, ou dormir, selon ce qu’il voulait. Une sorte d’élémental des cascades en réalité.
— Fininne, Finnen (et Fennel ?) sœur d’Aine. Elle résidait à Cnoc Finnine, près du Lough Gur, en Irlande, dans le Munster. Associée au fenouil par jeu de mots sur son nom.
— Forgall le rusé. Personnage du cycle d’Ulster (Mythologie irlandaise). Il habite Luglochta (les jardins de Lug). Notre gentil seigneur de Murthemné, le hésus Cuchulainn, s’éprendra de sa plus jeune fille, Emer, mais Forgall s’opposera à cette union, apparemment parce que sa fille aînée Fial n’est pas encore mariée. Il ira en Ulster déguisé en roi gaulois et suggèrera que Cuchulainn aille en Albion (plus précisément en Écosse) pour s’entraîner au métier des armes auprès de la reine-guerrière Scathache, en espérant bien qu’il n’en reviendra pas. Après son retour d’Écosse où il est devenu un maître en art martial, Forgall continue à refuser que Cuchulainn épouse Emer. Notre héros prendra d’assaut la forteresse de Forgall, tuera 24 de ses hommes, enlèvera Emer et emportera les trésors de Forgall. Forgall lui-même mourra en tombant des remparts.
— Giolla Decair/Gilla Dacar. Voir Abarta/Abartach. Fils d’Alchad. Il arrive un jour avec la jument qu’il avait dressée, sous la forme d’un homme d’une grande laideur et se met au service de Vindos/Finn.
— Inciona. Caractéristique ou technique de la forge connue par deux inscriptions trouvées à Widdenberg au Luxembourg.
La première.
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[LE] NO. MARTI VERAVDVN. ET INCIONE. MILITIVS. PRISCINVS. À Lenus Mars Veradunus et à Inciona, le soldat Priscinius.
La deuxième.
IN.H.D.D. DEO. VERAVDVNO/ET. INCIONAE M. PL. RESTITVTVS/EX. VOTO ALPINIAE/LVCANAE. MATRIS.
En l’honneur de la maison des dieux, Veraudunus et Iconia, M. Pl. Restitutus.
À Mensdorf, elle est associée par l’interprétation romaine, à Mars Lenus.
Du celtique *ind – (feu) et *ken-o (faire naître, sortir).
— Labraid le rapide. Un des rois de l’autre-monde, marié avec Li Ban. Il avait donc envoyé cette dernière demander de l’aide au Hésus Cuchulainn contre un de ses ennemis, en lui promettant donc en échange la main de sa belle-sœur Wanda/Fand. Qui était déjà mariée néanmoins. Alors qu’en conclure sur la moralité chrétienne des uns et des autres ? Peut-être se serait-il agi d’un mariage temporaire ou à l’essai. On retrouve là en tout cas le thème des « amours de loin » cher aux troubadours du sud de l’Europe comme le prince de Blaye près de Bordeaux (Jaufré Rudel), mais de la part d’une femme. Labraid n’est peut-être aussi qu’une épithète d’Ogmios. Voir donc aussi à la rubrique Ogmios.
— Luxtanios/Luchtaine/Luctar/Luchta mac Luachaid. Dans la mythologie d’Irlande, Luchta est le dieu-ou-démon charpentier des hommes de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia), il appartient à la classe artisanale et relève donc de la troisième fonction productrice. Dans le récit du Cath Maighe Tuireadh ou bataille de la Plaine des menhirs, qui nous narre la guerre opposant les dieu-ou-démons aux vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent et Fomoires en Irlande, il est chargé de faire le bois des lances ; ses frères sont Gobannos et Credne Cerd.
— Miacos/Miach. Fils de Diancecht, le rebouteux et guérisseur des dieu-ou-démons. En quelque sorte le saint patron des chirurgiens. Son nom signifie « le boisseau ». Comme Diancecht son père, il est expert en médecine, il a une sœur appelée Airmed (« la mesure ») et un frère doublon : Ormiach. Il apparaît notamment dans la légende épique intitulée « Cath Maighe Tuireadh » (la bataille de la Plaine des menhirs ou tumulus), qui nous relate la guerre (mythique) ayant eu lieu entre les dieu-ou-démons et les vouivres anguipèdes gigantesque. Le roi des dieu-ou-démons d’alors, Noadatus/Nuada, ayant eu le bras droit sectionné, Diancecht, le dieu-ou-démon-médecin des Irlandais lui fabrique une prothèse en argent, d’où son surnom d'« Airgetlam » (c’est-à-dire « au Bras d’Argent ») ; cette opération lui permet de recouvrer son trône, mais Miacos/Miach va tenter ensuite, et réussir, un exploit plus remarquable encore : la greffe d’un vrai bras. Ce qui déchaînera la fureur du grand rebouteux : il tuera son fils de trois coups d’épée.
« Medocios se mit en quête d’un autre bras de la même longueur et de la même épaisseur afin de lui en greffer un et tous les gens de la déesse Danu (bia) furent interrogés pour cela, mais on ne trouva pas (chez eux) de bras qui puisse lui aller, à part celui de Modhan, le porcher.
« Les os de ce bras vous conviendront-ils ? » demandèrent les médecins. « C’est ce que nous préfèrerions ».
Quelqu’un sortit le chercher par conséquent et le ramena ensuite à Temhair où il fut donné à Medocios.
Medocios demanda ensuite à Auromedocios : « Que choisis-tu de faire, greffer le bras ou partir chercher des herbes médicinales afin de faire repousser les chairs dessus ? »
Il répondit : « je préfère greffer le bras ».
Sur ce Medocios partit chercher des herbes médicinales et les ramena, ensuite le bras fut greffé.
Ensuite Medocios s’exclama : « jointure sur jointure et nerf sur nerf » et put le guérir en trois fois trois jours et trois nuits. Les trois premiers jours, il lui colla le long de son flanc et il se couvrit de peau. Les trois jours suivants, il le mit sur sa poitrine. Les trois derniers jours, il se couvrit de ???? blancs comme des joncs noirs quand ils ont été noircis au feu ????
Cette guérison n’eut pas l’heur de plaire à Diancecht. Il brandit son épée sur le sommet du crâne de son fils et lui enleva la peau jusqu’à la chair ».
Le moins que l’on puisse dire donc est que ce rebouteux était contre tout ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à un trafic d’organes.
La sœur de Miacos, Airmed, spécialiste des plantes médicinales, s’occupera ensuite des trois cent soixante-cinq plantes qui ont poussé sur sa tombe.
La fonction médicale a toujours été assumée par différents dieu-ou-démons guérisseurs chez les Celtes, et ne fut jamais réservée à une seule entité divine.
— Mirene/Muirne/Muirenn/Munchaem. Mère de Vindos/Finn. Elle avait beaucoup de prétendants, mais comme on avait prédit à son père, le druide Tadg, que son mariage serait le début de sa ruine, et qu’il perdrait son domaine d’Almu, il leur opposait à chaque fois un non catégorique. Camulos/Cumal,
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chef des Fénianes, préféra donc l’enlever. Tadg fit appel au roi des rois d’Irlande, Conn aux cent batailles, qui mit aussitôt Camulos/Cumal hors-la-loi.
Ce dernier perdit la vie lors de la bataille de Cnucha, mais Mirène/Muirne était déjà enceinte et Tadg ordonna donc qu’elle soit brûlée vive. Conn s’y opposa et fit placer Mirène/Muirne sous la protection de Fiacal Mac Conchin ainsi que de sa femme, la fée Bodhmall, qui était la sœur de Camulos/Cumal. Mirène/Muirne y accouchera d’un fils qu’elle appela Demné (le daim) : le futur Vindos/Finn. Elle confia ensuite l’enfant à Bodhmall et à une dénommée Liath Luachra, qui partirent vivre avec lui au fin fond de la forêt de Sliabh Bloom, ensuite elle épousa le roi de la région, Gleor Lámderg.
— Nehalennia. Fluctuat nec mergitur. Il [le navire, nauson en celte] est battu par les flots, mais ne sombre pas.
Néhalennia est une déesse-ou-démone ou une fée si l’on préfère, connue par diverses inscriptions trouvées à Deutz, en Allemagne ainsi qu’à Domburg et à Zierikeeze en Zélande, aux Pays-Bas. Plus de 160 autels votifs ont été trouvés dans cette région et deux autres ont été trouvés à Cologne en Allemagne. La plupart représentent une jeune femme, accompagnée par un chien, assise sur un trône, entre deux colonnes, et portant une corbeille contenant des pommes ou des pains dans certains cas, un pied reposant sur la proue d’un navire. Les pommes de Nehalennia évoquent l’autre monde (Avallon) et cela n’exclut donc nullement que cette déesse ou démone soit aussi psychopompe, et chargée de conduire les âme/esprits dans les îles situées à l’ouest du monde.
Une des inscriptions en l’honneur de la déesse-ou-démone, ou fée, Nehalennia, peut être lue comme suit.
DEAE NEHELENIE, VEGISONIUS MARTINVS, CIVE SEQVANVS NAVTA VSLM (à la déesse Nehalennia, Vegisonius Martinus, citoyen séquane et négociant).
Une autre inscription, conservée au Rijksmuseum van Oudheden, aux Pays-Bas, est lue ainsi. DEAE NEHELENIAE, M. EXCINCIUS AGRICOLA, CIVES TREVERVS NEGOTIATOR SALATIV CA C A A VSLM (aux déesses Nehalennia, Marcus Exginggius Agricola, citoyen trévire, marchand de sel pour la Colonie Claudia Ara Agrippinensium).
Une autre enfin se lit comme ci-dessous.
DEAE N (e) HALENNIAE OB MERCES RECTE CONSERVATAS M. (arcus) SECVND (inius) SILVANVS NEGOTIATOR CRETARIVS BRITANNICIANVS V (otum) S (olvit) L (ibens) M. (erito) : à la déesse Nehalennia, cet acompte sur les marchandises arrivées sans dommage à bon port, Marcus Secundinius Silvanus, marchand de poteries à destination de la [grande] Bretagne…
Ces inscriptions prouvent sans ambiguïté que Nehalennia fut donc une divinité honorée par des Celtes, afin de s’assurer une bonne traversée de la mer du Nord. Et que pour certains c’était une déesse-ou-démone, ou fée, multiple (une triade ??). On ne sait quand le culte de Nehalennia débuta ni quand il prit fin, mais il est généralement admis qu’il connut son apogée aux IIe et IIIe siècles. Et qu’il y avait au moins deux et probablement trois temples situés dans la région de ce qui est maintenant la Zélande. À l’époque, l’endroit était un important carrefour commercial entre le Rhin et la Grande-Bretagne.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le dire, les pierres votives découvertes la représentent assise, avec un panier de pommes, un chien à son côté, parfois un sceptre à la main. Dans certaines représentations, elle pose un pied sur un bateau ou tient l’aviron d’un bateau.
En août 2005, une reconstitution du temple de Nehalennia situé près de l’ancienne ville de Ganuenta en Zélande a été inaugurée à Colijnsplaat, toujours aux Pays-Bas.
De nombreux auteurs rapprochent cette déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère utiliser ce terme, de la sorte d’Isis adorée par la tribu germanique des Suèves, selon Tacite (Germanie Livre IX).
« Parlons de leurs dieux. C’est Mercure qu’ils vénèrent le plus. Pour se le concilier, ils vont même jusqu’à lui sacrifier certains jours des êtres humains, et trouvent cela conforme aux lois divines. Quant à Hercule et Mars, ils les apaisent en leur offrant les animaux requis pour ce rite. Une partie des Suèves sacrifie également à Isis. Sur la raison d’être et l’origine de cette pratique religieuse venue d’ailleurs, je n’ai pas vraiment appris grand-chose, sauf ceci. L’emblème de cette divinité, un navire de la catégorie des liburnes, prouve de lui-même qu’il s’agit d’un culte importé. Conscients de la majesté des êtres célestes, ils…, etc., etc. »
En dehors de la représentation du navire, il n’y a néanmoins que de bien maigres indices pour étayer une telle hypothèse.
— Nemglan. Ce dieu relativement obscur n’est mentionné que dans une légende irlandaise celle de Mess Buachalla, à qui il apparaît sous la forme d’un oiseau afin de la séduire. Certains auteurs en font l’égrégore des oiseaux, mais il s’agit peut-être simplement d’un prince de l’autre monde. Et pour tout dire d’une légende comme il en existe tant, destinée à conférer aux grands de ce monde une origine fabuleuse et surhumaine. Leur fils, le grand Conaire Mor, fut élevé par son mari Etarscel comme son propre fils.
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— Ocelus. Du celtique *okita – (herse). Technique agricole connue par trois inscriptions trouvées en Grande-Bretagne.
La première trouvée à Caerwent : DEO MARTI OCELO AEL AGVSTINVS. Au dieu ou démon Mars Ocelus Aelius Augustinus.
La deuxième : DEO MARTI LENO SIVE OCELO VELLAVN ET NVM AVG M. NONIVS ROMANVS. Au dieu ou démon Mars Lenus ou Ocelus Vellaunus et à l’esprit de l’empereur, Marcus Nonius Romanus.
Troisième inscription trouvée à LVGVVALIVM (Carlisle, Cumbrie) : DEO MARTI OCELO ET NVMINI IMP ALEXANDRI AVG ET IVL MAMAEAE, MATR CASTR ET SENATVS, PATR ET TOTI DOMVI DIVINAE. Au dieu ou démon Mars Ocelus et à l’esprit de l’empereur, Alexandre Auguste et Julia Mamaea, Mère du Camp et du Sénat, de la patrie et de toute la maison divine.
Le nom d’Ocelus est de la même famille que celui d’Ocaere, trouvé dans un temple édifié à São João do Campo (Portugal).
— Ratis. Technique des forteresses connue par des inscriptions trouvées dans les forts du Mur d’Hadrien.
La première trouvée à Birdoswald, Cumbrie [RIB 1903] :
DEA RATI VOTVM IN PERPETVO. À la déesse Ratis, en ex-voto pour toujours.
La seconde trouvée à Chesters, dans le Northumberland [RIB 1454] : DEA RAT. À la déesse Rat [is].
Du celtique *rati : barrière rempart.
Un des plus célèbres lieux consacrés à cette déesse-ou-démone, ou à cette fée si l’on préfère utiliser ce terme, est le bourg des Saintes-Maries-de-la-Mer en France. La première mention explicite qui en fut faite date du IVe siècle. Elle nous vient du poète et géographe Festus Avienus, qui, signalant plusieurs peuplades dans la région, cite l’oppidum priscum Ra. « Oppidum » signifiant forteresse et « priscum » ancienne, ce serait donc « l’ancienne forteresse de Ra ».
En 513, le pape Symmaque reconnut à saint Césaire le droit de porter le pallium, et fit de lui son représentant dans la région. À cette époque, l’évêque d’Arles christianisait les campagnes en transformant si nécessaire d’anciens lieux de culte païens en édifices chrétiens. Il fonda ainsi un monastère ou une église aux Saintes Maries de la Mer : Sancta Maria de Ratis. C’est seulement au XIIe siècle que ce nom se transformera en Notre-Dame-de-la-Mer.
En 1448, sous l’impulsion du roi René, « invention » (autrement dit découverte) des reliques de sainte Marie Jacobé ainsi que de sainte Marie Salomé. Les comptes rendus de l’époque signalent une église primitive à l’intérieur de la nef actuelle. Pour certains, ce bâtiment pourrait correspondre à la chapelle mérovingienne du VIe siècle.
La légende. Marie Salomé, Marie Jacobé, Marie-Madeleine, Marthe, et peut-être Sara, leur servante, Maximin, Lazare, quittent Jérusalem chassés par les Romains. D’autres versions de la légende incluent Joseph d’Arimathie, le porteur du saint Graal. À Joppé (Jaffa), ils sont capturés puis jetés dans un bateau sans voile, sans rames. La barque portée par les courants dérive en Méditerranée, puis s’échoue en Camargue. Sur la plage, ils élèvent un autel pour prier puis se dispersent. Maximin part à Aix, et devient le 1er évêque de la ville ; Marie-Madeleine se retire dans la grotte de la Sainte Baume ; Lazare s’installe à Marseille et devient le 1er évêque de la cité, Marthe monte à Tarascon. Marie Salomé ainsi que Marie Jacobé, trop âgées, restent sur place avec leur servante Sara.
L’histoire diverge quant à son origine. Certains pensent qu’elle était déjà leur servante en Palestine, d’autres qu’elle fut recrutée sur place après le débarquement. Dans la tradition gitane, lors des migrations qui conduisirent les Gitans des pays de l’Est vers l’océan, il y a une femme à la peau noire qu’ils identifient à cette Sara, devenue leur grande patronne. Sa statue se trouve dans la crypte et fait l’objet d’un culte important, de nombreux cierges y sont brûlés, ce qui donne à l’endroit une température d’étuve.
Il va de soi que cela n’a rien d’historique, et n’est encore qu’une des multiples impostures de la religion chrétienne.
Quoi qu’il en soit, en 1838, le village prend le nom de « Saintes-Maries-de-la-Mer » et peu après se trouve mentionné pour la première fois le pèlerinage des Gitans. Le 24 mai, ils viennent de toute l’Europe pour honorer leur sainte patronne, Sara, la vierge noire. La fête de sainte Sara se déroule néanmoins le 19 août de chaque année. Sa statue est tirée de la mer pour rejouer son arrivée. Le film de Tony Gatlif, Latcho Drom (1993) nous montre bien cette cérémonie annuelle.
— Rocloisio. Jeune dieu-ou-démon, le cou orné d’un torque et greffé d’une oreille animale, que l’on a retrouvé ici ou là, sans doute une personnification de l’ouïe et de l’écoute. Ou du sommeil, dont la
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réceptivité à l’égard des prières des simples mortels est amplifiée, voire égalée à l’ouïe la plus fine des quadrupèdes sauvages au sommeil léger.
— Ruad. Père de Dervogilla/Derbforgaille. Voir ce nom.
— Rudianus (documentation continentale). Fureur guerrière. Du celtique *roudo – (rouge). Caractéristique humaine connue par des inscriptions trouvées en France. À Saint-Michel-de-Valbonne dans le Var, on a découvert une étrange statue portant des têtes d’homme dans chaque main, et représentant sans doute le dieu ou démon en question.
N.B. La légende irlandaise de la destruction de l’hôtel de Da Derga (Togail Bruidne Dá Derga), met en scène trois guerriers vêtus de rouge appelés Ruadchoin, et ce Da Derga est, lui aussi, un « dieu ou démon rouge ». Conaire Mor, le grand roi d’Irlande, après avoir transgressé un à un tous ses tabous, y perdra la vie. L’aristie (aristeia), l’une des grandes caractéristiques de l’Iliade, amplifiée par les procédés habituels de la rhétorique épique (grandissement du héros, énormité des masses, ampleur des métaphores), se présente toujours à nous sans nuances. L’absence de nuances est une manifestation de cet énoncé : c’est elle qui interdit au héros d’évoluer ou de déchoir gravement ; c’est elle qui explique aussi que les faits à venir soient souvent annoncés, comme le signe d’un arrangement universel auquel le roi des dieu-ou-démons lui-même est contraint de se soumettre. Cette perfection du modèle destiné à légitimer l’ambition hégémonique est particulièrement sensible dans les caractéristiques du héros selon Homère et, surtout, dans la figure d’Achille. Il est jeune, fort et rapide dans son domaine d’élection qui est l’action guerrière. Il est beau, car le domaine du paraître est aussi celui de la fonction guerrière : les kouroi ou aristoi sont les figurants obligés des célébrations, danses, festins et jeux. Mais cette apparence est aussi terrifiante : cela explique la solennité avec laquelle Achille se prépare au combat (chant XIX, 330-374), et cette fascination qu’il exerce par le flamboiement de son armure (XXII, 120-150).
Il a le sens des valeurs morales (l’arété, qui désigne toute qualité par laquelle on excelle). Ainsi Hector est-il plus occupé par son sens du devoir à l’égard des autres, que par sa propre gloire : en cédant, lui aussi, à la fureur guerrière, il perd son identité héroïque. Car il est avant tout le protecteur de son peuple, celui pour qui n’existe d’autre augure que de « défendre sa patrie » (XII, 240), celui qui, lié à la famille, représente un héros inscrit dans la conformité sociale. C’est pourtant ici qu’Hector rencontre sa tragédie : car ce souci de l’autre s’allie en lui avec la peur de l’outrage et du déshonneur. Ses parents le supplient donc, en vain, de renoncer à combattre Achille : la crainte du déshonneur l’emporte (XXII, 74-120). Hector accepte le combat et meurt sans véritable gloire.
Il est entraîné à toutes les formes de lutte, y compris les joutes oratoires puisque l’art de la dispute, plus que de la discussion, contraint et soumet l’adversaire aussi bien que les armes (ambassade de Nestor, XI, 660-800).
Il est en proie aussi à l’hubris, cette démesure qui lui fait fuir les justes milieux et l’entraîne hors des limites communes, quitte à déroger aux règles éthiques. C’est la fureur guerrière (Achille au combat, XX, 459-504), mais aussi la violence des passions (ainsi le chagrin d’Achille, XVIII, 1-110).
Il jouit de la faveur divine, ce qui explique qu’il soit aussi objet particulier de malédiction pour certains dieu-ou-démons. Enfin il est promis à une mort précoce : sa vocation est de tuer ou d’être tué, un sort accepté librement (Achille tue Hector en sachant qu’un oracle a pourtant associé sa propre mort à celle du Troyen). Mais que serait un héros vieillissant ? Bref, on dirait Cuchulainn.
— Sadbh/Sadb/Sahv. Épouse de Vindos/Finn et mère d’Ossian/Oisin. Comme elle avait refusé les avances du druide Fear Doirche, elle fut transformée en biche et se réfugia sur les terres des Fénianes. Bran et Sceolan, les deux célèbres chiens de chasse, l’épargnèrent en la voyant, et elle fut ramenée par ces redoutables guerriers dans leur demeure, où elle se retransforma en une splendide jeune femme. Mais un jour, ayant été attirée à l’extérieur, elle fut de nouveau transformée en biche. Sept ans plus tard, les deux chiens de chasse de Vindos/Finn découvrirent, dans la forêt, un enfant : son fils, qu’elle avait dû abandonner pour suivre Fear Doirche.
— Scothache/Scathache/Scota/Scata/Scotia et ainsi de suite. L’ombrageuse déesse ou démone guerrière et guérisseuse qui vivait en Écosse (île de Skye), experte en techniques de combat. Elle initie les guerriers aux arts martiaux les plus divers, mais leur apprend à se soigner aussi et plus généralement à survivre. C’est elle qui formera le hésus Cuchulainn. Scothache a une rivale : Aifé. Le hésus Cúchulainn la vaincra en combat singulier puis lui demandera de respecter trois promesses : faire la paix avec Scothache, accepter sa suprématie, et lui accorder « l’amitié de ses cuisses ». Scothache a donné son nom à l’Écosse (avant on l’appelait Calédonie). Les bardes du Moyen-âge lui
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ont attribué une imaginaire origine égyptienne. Certaines légendes en font la mère de trois filles appelées Inghean Bhuidhe, Lasair, et Latiaran.
— Semios/Semias. Druide de l’île d’Ogygie (Murias pour les Irlandais). C’est de la cité d’Ogygie que fut apporté le chaudron du dieu-ou-démon bon à tout (le Suqellos Dagodevos Gargant). On ne le quittait que le ventre plein et rassasié.
— Senach le démoniaque. Une prière en gaélique (la Cétnad nAíse) commence ainsi : Admuiniur Senach sechtamserach : j’invoque Senach des sept âges…, etc. Nous rendons par démoniaque l’adjectif gaélique siaborthe qui renvoie sans doute à la notion de siabra ou de serriti. Mais cette qualification est certainement due aux manipulations haineuses et racistes d’un moine chrétien ayant tenté de le diaboliser, car ce personnage apparaît sous un jour tout ce qu’il y a de plus sympathique (il s’agit d’accorder une longue vie).
— Setros/Sethor, mais aussi Mac Cuill en irlandais, ce qui signifie « fils du noisetier ou du coudrier » : Coslognatos en berla féné ou en vieux celtique Iarnbelre. Un des derniers rois des dieu-ou-démons avant la venue des hommes. Fils du Suqellos Dagda Gargant. Sa parèdre s’appelait Banuta/Banba/Banva (ce qui signifie « laie/truie » ou « la cornue »). « Fils du coudrier ou noisetier » est un surnom difficile à comprendre. S’agissait-il d’un dieu-ou-démon du noisetier ou coudrier, ou d’un dieu-ou-démon faisant souvent usage d’une baguette magique taillée dans ce bois ?
— Sualtam fils de Beccaltach fils de Moraltach fils d’Umendruad. Père adoptif de Cuchulainn. Mais contrairement au Joseph du christianisme, il est lui aussi d’origine divine. Enfin en principe.
— Sunuxsalis/Sunucsallis/Sunuxalis/Sunxalis. La bonne nuit. La nuit propice. Du celtique *su – (bon, très) et *noxt – (nuit). Connue par des inscriptions trouvées à Bonn, Cologne, Cornelimünster, Eschweiler, Heimbach, et Hoven, en Allemagne. Nombreuses variantes de son nom dues à la difficulté de l’écrire en se servant de l’alphabet latin. Sunucsallis à Zülpich, Sunuxalis à Remagen, Sunxalis à Neuss, en Allemagne. Peut-être aussi un dieu ou démon psychopompe.
— Sinquatis/Sinquates/Sinquatos. Divinité connue par une inscription trouvée à Géromont, en Belgique, où elle est assimilée par les Romains au dieu-ou-démon Sylvain. Sinquatis était aussi l’élémental de la région de Saincaize en France. Le nom du village de Cinqueux en Picardie en est peut-être issu également. Une des hypothèses les plus couramment avancées à propos de son nom, est qu’il viendrait du protoceltique sindo (démonstratif ce) et quati/kwati (verbe ayant le sens de vanner ou passer au crible). Sinquatis serait donc celui qui décide qui doit vivre ou mourir lors d’une chasse. Il serait par conséquent à la fois un dieu-ou-démon des chasseurs et du gibier.
— Tetturo/Tethor, mais aussi Mac Cecht en irlandais, ce qui signifie « fils du soc de la charrue » : Cextiognatos en berla féné ou en vieux celtique Iarnbelre. Un des derniers rois des dieu-ou-démons avant la venue des hommes. Fils du Suqellos Dagda Gargant. Sa parèdre s’appelait Votala (Fotla en irlandais, ce qui signifie la souterraine). « Fils du soc de la charrue » est un surnom difficile à comprendre. S’agissait-il d’un dieu-ou-démon de la charrue ou d’un dieu faisant souvent usage de la charrue ?
— Tuiren/Tuirne/Uirne (documentation irlandaise). Sœur de Muirne, donc tante maternelle de Vindos/Finn. Épouse du Fian Eachtach Iollan. Un jaloux la transformera en chienne et elle donnera ainsi naissance à deux lévriers appelés Bran et Sceolan avant de reprendre forme humaine. Bran et Sceolan deviendront les deux chiens de chasse favoris, et quelque peu exceptionnels, de Vindos/Finn. En quelque sorte donc, une sainte patronne des chiens de chasse. Un saint Hubert féminin.
— Uaithne. Dieu-ou-démon de la musique, proche du Suqellos Dagda Gargant dans la mythologie d’Irlande. Son nom signifie « harmonie » en gaélique. Le soin avec lequel sa harpe a été fabriquée, ainsi que la qualité des matériaux, suffit évidemment à expliquer son charme et son pouvoir : endormir ou faire mourir. Sa musique ne se définit pas en mesures ni en notes, mais en vibrations, qui rendent toute musique dite instrumentale, à la fois hors du temps et indistincte de la parole, du chant ou de la voix. Autrement dit une musique de l’Autre Monde. Uaithne porte également le nom de Coir-cethar-chuin.
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— Ucuetis. Aspect très spécialisé de Gobannos, l’aspect « trempeur » du dieu-ou-démon forgeron bronzier, ou le saint patron de cette action décisive si l’on veut, mentionnée sur trois inscriptions, dont le célèbre fragment de texte en langue celte d’Alésia (Alise-Sainte-Reine, département français de la Côte-d’Or). Sur un vase de bronze découvert également sur le site d’Alésia, il a pour parèdre la déesse-ou-démone, ou fée, Bergusia.
Première inscription.
MARTIALIS DANNOTALI IEVRV VCVETE SOSIN CELICNON
(ETIC GOBEDBI DVGIIONTIIO VCVETIN IN ALISIIA).
Martialis, fils de Dannotalos, a dédié à Ucuetis cet édifice
(avec les forgerons qui honorent Ucuetis à Alisia).
Seconde inscription.
DEO VCVETI ET BERGVSIAE, REMVS PRIMI FIL (ius) DONAVIT.
Au dieu ou démon Ucuetis et à Bergusia, Remus, fils de Primus, a donné (cette offrande).
Ucuetis était donc le nom d’un des patrons des bronziers. Sa parèdre était Bergusia.
Dans la cité d’Alésia, au nord du forum, a été retrouvé le monument dit « d’Ucuetis », siège de la corporation des bronziers. Il servait aussi de sanctuaire pour y honorer les divinités Bergusia et Ucuetis.
Selon le linguiste français P.-Y. Lambert, son nom, basé sur un thème indo-européen *okuo – (aigu, aiguisé), suivi d’un nom d’agent en *-ti, signifierai plutôt : l’aiguiseur.
Quel que soit le sens exact du terme, il est certain que nous avons là une divinité en rapport avec les métaux et les métallurgistes, puisque sur l’inscription en question les dédicants sont des forgerons.
— Uiscios/Uiscias/Arias. Druide de l’île d’Abalum (Findias pour les Irlandais). C’est de là que fut apportée l’épée de Noadatus/Nuada. Personne ne pouvait lui échapper ou lui résister quand on la tirait du fourreau de la Bodua (de la Bodb), et celui qu’elle avait rougi de sang, ne serait-ce que d’une goutte, ne pouvait plus fuir après cela.
— Vocusmnaca/Fuamnach. Première épouse ou épouse légitime de Medros/Midir. C’était une redoutable magicienne ayant été formée par le druide Bresal Etarlam. Medros/Midir décide de rencontrer la belle Etanna/Étain, dont on lui a vanté les charmes (selon certaines versions, il aurait réclamé la plus belle fille d’Irlande en réparation d’une blessure subie à l’œil, et c’était justement Étain). Il en tombe amoureux sur-le-champ et en fait sa maîtresse, ce qui provoque la fureur bien compréhensible de Fuamnach ; qui poursuivra donc sa rivale en se servant des sortilèges les plus puissants. Elle la transforme en mare d’eau en la touchant avec une branche de sorbier, puis en papillon qu’un vent magique emporte dans les airs pendant sept ans. Elle devient alors un minuscule moucheron et tombe dans une coupe de boisson. Sous cette forme, elle est avalée puis « accouchée » par l’épouse du roi d’Ulster, Etar. Elle renaît donc ainsi à une nouvelle existence, mais sur terre cette fois. Vocusmnaca/Fuamnach ne pourra reconquérir Medros/Midir qui, lassé de ces péripéties, la fera ensuite assassiner.
— Wanda/Fand. Déesse des amours finissants. Sainte patronne celte des séparations.
On explique habituellement le nom de cette malheureuse par celui de la larme (fand) ou du vanneau et de l’hirondelle (fannal) en gaélique. Il faut sans doute aller plus loin et remonter à une racine indo-européenne wen – que l’on retrouve dans le nom de Vénus. Wanda/Fand serait donc une sorte de Vénus, mais pour les Celtes. Certains experts en font un archétype du personnage appelé Laudine ou Lunet dans les romans de la Table Ronde.
Déesse-ou-démone ou fée, de l’amour malheureux. Elle avait une sœur appelée Li Ban.
À la suite d’une querelle avec son mari Belenos Barinthus Manannan, Wanda/Fand le quitte et se retrouve en butte à l’hostilité de trois vouivres anguipèdes (des entités que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomoire en Irlande). Elle décide donc de faire appel au hésus Cuchulainn. Certaines versions avancent qu’il l’aurait alors blessée involontairement, car elle s’était transformée en oiseau. Dans l’autre monde, ils deviennent amants pendant un mois puis elle essaiera de le garder avec elle, d’où la réaction bien compréhensible d’Aemer, l’épouse légitime. Poussée par la jalousie, cette dernière, avec cinquante servantes munies de couteaux, essaiera de l’assassiner. S’ensuivra une querelle entre Aemer, le Hésus/Cuchulainn et Wanda, qui s’en retournera finalement avec Belenos Barinthus (Manannan). Il agitera son manteau d’invisibilité entre lui et Wanda/Fand pour empêcher à jamais qu’ils se rencontrent une nouvelle fois.
Le hésus Cuchulainn étant devenu fou de douleur, Aemer alla trouver Conchobar et lui apprit dans quel état il se trouvait. Conchobar envoya aussitôt les poètes, les musiciens, et les druides, le chercher, le saisir, et le ramener avec eux en Ulster. Le hésus Cuchulainn essaya de tuer les
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médecins, mais ils récitèrent devant lui des prières, on lui prit les pieds ainsi que les mains et sa raison lui revint. Alors, il demanda quelque chose à boire. Les druides lui donnèrent de l’élixir d’oubli. Résultat : dès qu’il eut pris de ce breuvage, le Hésus oublia Wanda et tout le reste.
Les chamans donnèrent aussi à boire d’un tel élixir à son épouse Aemer afin qu’elle oublie sa jalousie, car elle n’était pas en meilleur état que le hésus Cuchulainn.
Le texte apocryphe irlandais nous ayant conservé l’essentiel de ce mythe est celui qui s’intitule « Serglige ConCulaind » (la maladie de Cuchulainn).
Comme d’habitude vu la dislocation qui a suivi la christianisation, les généalogies ont perdu toute logique et se sont emmêlées. Dans ce récit donc Aed Abrat est père de Wanda/Fand et de Li Ban. Mais dans d’autres légendes, Li Ban a pour père un dénommé Eochaid. Nous ne dirons pas que tout cela est sans importance, car nous regrettons au contraire qu’il soit si difficile maintenant de s’y retrouver. Enfin heureusement reste l’âme ou l’esprit de tous ces récits.
Quant au personnage masculin appelé Oengus, s’agit-il du Mabon/Maponos/Oengus de nos récits de base ou d’un autre ??? Difficile à dire. Voir nos brochures sur le panth-éon druidique et la mythologie. De toute façon la Bible est bien tout aussi embrouillée alors… Encore une fois ce qui doit faire la différence c’est l’état d’esprit présidant à ces récits : il existe un monde parallèle au nôtre peuplé d’êtres vivant à cent coudées au-dessus de nous. Et il n’existe pas de barrière étanche entre les deux mondes.
Des habitants de l’autre-monde peuvent se manifester dans le nôtre et réciproquement des humains peuvent se retrouver dans l’autre.
Les moments privilégiés pour les manifestations de ce phénomène tournent autour de la fête de Samon (1er novembre).
Il existe également des lieux plus propices que d’autres à ces contacts.
Il va de soi que ce que nous appelons nous autres pauvres humains monde parallèle doit sans doute en toute bonne logique être mis au pluriel, la meilleure des images dans ce cas étant celle du millefeuilles (l’être-univers existant est comme un mille-feuilles dont nous n’occuperions qu’un tout petit bout).
À part ça nous sommes bien incapables d’en dire plus. À chacun de voir !
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DEUXIÈME LISTE DES DIEUX INDIGES DU DRUIDISME.
(Petit cahier retrouvé par le fils aîné de Pierre de La Crau, Jean-Loup, déchiré dans un carton) et intitulée par lui
« LES 1000 ET 1 FACETTES OU REFLETS (OU AVATARS) DU GRAAL.
LES 1000 ET 1 ANGES DÉCHUS OU DJINNS, DU DRUIDISME ».
Il s’agit d’hypostases divines ou épithètes ou épiclèses, difficiles à bien attribuer.
Par difficiles à bien attribuer, nous voulons dire par là que nous n’avons pas suffisamment de renseignements pour déterminer s’il s’agit d’une figure divine vraiment indépendante (du type hypostase) ou s’il s’agit en réalité seulement au départ d’un adjectif pouvant qualifier telle ou telle divinité, voire de la forme locale ou particulière revêtue par telle ou telle divinité.
Les bardes du Moyen-âge avaient en effet une grande imagination, et ils étaient capables de broder toute une histoire à partir de rien. À nos successeurs donc de trouver la réponse à ce défi.
Nous avons regroupé dans ce chapitre les divers théonymes collectés ici (légendes irlandaises) ou là (inscriptions celto-romaines de Grande-Bretagne ou d’Europe). Mais comme chacun le sait désormais, toutes ces appellations divines ne sont que des aspects ou manifestations de dieu-ou-démons plus importants, eux-mêmes aspects, manifestations, ou avatars, de dieu-ou-démons supérieurs, et ne sont donc en définitive que les différents attributs d’un même Être Un.
N.B. Ce bref inventaire des représentations divines ou hypostases a été réalisé en grande partie, en majeure partie même, grâce au véritable travail de Romain effectué en ce domaine par notre confrère Dyfed Lloyd Evans.
— Abeianos/Abhean (documentation irlandaise). Fils de Bicelmos. Un des poètes harpistes des Tuatha Dé Danann et de Lug en particulier.
— Abianius (documentation continentale). Du celtique abon = rivière ?
— Adsullata (documentation continentale). Connue par une inscription trouvée à Saudörfel en Autriche, où elle est associée au dieu ou démon éponyme Savus (vallée de la Save en Slovénie). Peut-être s’agit-il à l’origine d’une déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, solaire et guérisseuse, ensuite associée à une rivière ?
— Aebh/Aobh (documentation irlandaise). Femme de Lero/Lir. Mère d’une fille et de trois garçons qui seront changés en cygne par sa sœur Aife/Aoife. Cette métamorphose durera neuf cents ans.
— Aed Abrat (documentation irlandaise). Père de Wanda/Fand.
— Aedos/Aedh/Aodh (documentation irlandaise). Un des quatre enfants de Lero/Lir. Métamorphosé en cygne par sa belle-mère pendant neuf cents ans.
— Aedos/Aedh (documentation irlandaise). Le plus séduisant des trois fils de Bodb Derg. Il aimait à s’entourer de poètes et l’on appelait donc sa demeure « le château d’Aedh le poète ».
— Aedos/Aedh (documentation irlandaise). Un des hommes de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), fils du Suqellos Dagda Gargant. Tué par un mari jaloux nommé Corrgenn.
— Aedumanda/Aimend (documentation irlandaise). Le nom signifie littéralement « tache brûlante ». Une déesse-ou-démone, ou fée, solaire, rapprochée de Brigitte par certains. Les légendes irlandaises en font une fille du roi des Corcu Loigde.
— Aeron (documentation galloise). Dieu ou démon guerrier dont le nom signifie le « tueur ».
— Aerten/Aerfen (documentation galloise). Déesse ou démone de la guerre invoquée dans les luttes contre les Saxons. Elle avait un temple à Glyndyfrdwy sur la Dee, et présidait aux déclarations de guerre. Des sacrifices humains étaient accomplis à cette occasion par immersion et noyade dans la rivière.
— Afagddu/Afang le noir (documentation galloise). Ceridwen, ou Kerridwen (nombreuses graphies possibles), principalement connue en tant que magicienne, était une déesse-ou-démone galloise de la mort et de la fertilité. Femme de Tegid Foel, elle donna naissance à deux enfants complètement opposés : Afagddu qui passait pour l’homme le plus laid de la terre, et une superbe fille, Creirwy. Ne parvenant plus à supporter le handicap de son fils Afagddu, Ceridwen fit bouillir dans un chaudron une
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potion magique destinée à lui permettre de devenir au moins en revanche un sage respecté. Elle confia la tâche de veiller sur le chaudron à Morda et Gwion Bach, mais une goutte tomba sur le doigt de ce dernier, il la lécha et reçut ainsi le don en question à la place d’Afagddu. Afagddu était d’une laideur peu commune. Il s’agit sans doute à l’origine d’un dieu-ou-démon de l’autre monde souterrain, de la famille des vouivres anguipèdes gigantesques appelés Andernas sur le Continent, Fomore en Irlande. Il était aussi connu sous le nom de Morvran.
— Agaunus (documentation continentale). Connu par une inscription trouvée à Vienne en Autriche. Il y est associé aux dieu-ou-démons celtes Danubius et Salacea, ainsi qu’aux dieu-ou-démons romains Jupiter IOM [Jupiter Optimus Maximus] Neptune et les nymphes. Son association avec l’élémental du Danube (Danubius) tend à montrer qu’il devait là aussi s’agir d’un élémental des eaux. De *ag-e/o – (aller, sortir, avancer) + la particule – un/on, et le suffixe masculin – us.
— Agrona (documentation brittonique). Déesse-ou-démone guerrière et déesse-ou-démone, ou fée, des eaux des sources ou des fontaines. A donné le personnage d’Aeron dans la documentation galloise.
— Ai/Aoi (documentation irlandaise). Un des enfants de la déesse-ou-démone ou fée, Danu (bia). Dieu-ou-démon de la poésie. Fils d’Ollaman.
— Aillbhe (documentation irlandaise). Fille de Medros/Midir donnée en mariage à un des fils de Lugaid Menn.
— Aillen (documentation irlandaise). Fantôme qui s’échappe du side de Finnahaidh chaque année à Samon (1er novembre). Fils de Midhna. Selon la légende, il aurait volé la harpe de Dagda, et en joue à chaque fois pour endormir tout le monde, ensuite il met le feu à la cité (Tara) en soufflant dessus. Il sera tué par Vindos/Finn, que protège la pointe de lance magique qu’il a héritée de son père, ce qui lui vaudra d’ailleurs de devenir roi des Fénianes.
— Ainge (documentation irlandaise). Fille du Dagda.
— Airgoen (documentation irlandaise). Une des filles de Flidais.
— Airne (documentation irlandaise). Fille de Modharn, qui donna un célèbre cuisinier aux fils de Lugaid Menn.
— Aixtacos/Echtach (documentation irlandaise). Père de Noadatus/Nuada.
— Alauda (documentation continentale). Dieu-ou-démon à l’alouette ou dieu-ou-démon des alouettes ?? Les Alauduni portent son nom (région de Laon, France).
— Alaunus. Inscription trouvée à Mannheim en Allemagne. Le dieu-ou-démon y est assimilé par les Romains à un génie de type mercurien. Il existe également une inscription le mentionnant trouvée à Salzbourg (Autriche), et une le mentionnant sous le nom d’Alaunius à Lurs dans le Var en France (CIL 12, 01517)… VS TACITVS […] ALAVNIO […] S (VA) P (ECVNIA) V (OTVM) S (OLVIT) L (IBENS) M (ERITO). Le même égrégore est sans doute évoqué dans une inscription en grec trouvée à Nîmes (Alauneinous), et il doit correspondre à la halte routière appelée Alaunio (de nos jours Notre-Dame-des-Anges) dans le sud de la France. Il s’agit de l’élémental au masculin d’une rivière très poissonneuse, ou de l’égrégore d’une fraction de tribu portant ce nom.
— Allitio (documentation brittonique). Dieu ou démon connu par une inscription (sur terre cuite) découverte à Corstopitium (Corbridge dans le Northumberland) et qui représente un guerrier. Il ne reste que les pieds ainsi que les jambes, mais le nom y figure à deux reprises. Ann Ross y voit un dieu ou démon de l’autre monde. Une étymologie possible est celle qui fait découler son nom d’un vieux celtique ulido « le festin, le banquet », ce qui n’est pas incompatible.
— Allos fils d’Ollamos ou Ai/Aoi mac Ollaman (documentation irlandaise). Barde des Tuatha Dé Danann. Participe à la protection des récoltes dévastées par les fils de Carman (qui faisaient partie du peuple des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomoire en Irlande).
— Ambirenae (documentation continentale). Élémentale connue par deux inscriptions découvertes à Deutz en Allemagne. La première est une inscription dédiée à toute une série de divinités parmi lesquelles on relève le nom d’Ambiorenesibus (les Ambiorenses). C’est-à-dire celles qui vivent de part et d’autre du Rhin. Il s’agirait donc d’une triade de fées. La seconde est une pierre votive s’adressant à Hercule Magusanus, mais sa lecture est plus incertaine (matronis Abirenibus ???)
— Angus (documentation irlandaise). Un des trois fils de Bodb Derg.
— Antargalios/Etargal (documentation irlandaise). Un des Tuatha Dé Danann.
— Antenociticus, Anociticus, Antocidius (documentation brittonique). Deux autels consacrés à ce dieu ou démon ont été découverts à Conderecum (Benwell) sur le Mur d’Hadrien. Dans les inscriptions le dieu-ou-démon est honoré sous les noms d’Antenociticus et Anociticus. À Cilurnum (Chesters), il est honoré sous le nom d’Antocidicus. Alors que dans la plupart des cas, il s’agit de divinités locales invoquées par des soldats indigènes, il est à noter que ce dieu-ou-démon est dit honoré par toutes les
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légions stationnées en Grande-Bretagne, et par les officiers des unités auxiliaires. La tête du dieu-ou-démon a une chevelure ressemblant aux bois d’un jeune cerf.
— Aodh Aithfhiosach (documentation irlandaise). Un des fils de Bodb Derg, chargé de retrouver les enfants de Lero/Lir métamorphosés en cygnes pour neuf cents ans.
— Aremiacos/Ormiach (documentation irlandaise). Frère ou doublon de Miacos/Miach, dieu-ou-démon de la médecine et des chirurgiens. Son nom signifie « le grand boisseau ». La fonction médicale a toujours été en réalité assumée par différents dieu-ou-démons guérisseurs chez les Celtes, et n’a pas été réservée à une seule entité divine.
— Arentius/Arentia (documentation continentale). Couple divin bien attesté par plusieurs inscriptions découvertes au Portugal.
— Ares (documentation continentale). À l’époque romaine, on précise « Lusitani » pour le distinguer du dieu-ou-démon homonyme du panth-éon classique. Il est connu au nord du Tage. Tite-Live rapporte qu’on lui sacrifiait des bœufs et des chevaux de guerre.
— Artrach (documentation irlandaise). Un des trois fils de Bodb Derg. Sa maison avait sept portes. Maître d’armes du fils du roi d’Irlande et d’Écosse.
— Aupa/Aife/Aoife (documentation irlandaise). Fille de Medros/Midir donnée en mariage à un des fils de Lugaid Menn.
— Aupa/Aife/Aoife (documentation irlandaise). Une des trois filles d’Oilell d’Aran, élevée par Bodb Derg ; elle épousa Lero/Lir après la mort de sa sœur, et changea les enfants de cette dernière en cygnes du lac Dairbhreach. La métamorphose dura neuf cents ans. Son crime ayant été découvert, elle fut métamorphosée en vautour, condamné à errer dans les airs éternellement.
— Aupa/Aife/Aoife (documentation irlandaise). Sœur ou rivale de Scothache. Déesse-ou-démone guerrière, mère du fils unique de Cuchulainn.
— Aupa/Aife/Aoife (documentation irlandaise). Amoureuse d’Illbrech, transformée en grue par un rival jaloux. À sa mort, Manannan, parfois décrit comme étant son mari, confectionnera un sac avec sa peau afin d’y ranger ses objets précieux.
— Bé Thite/Bé Téite/Bétéide (documentation irlandaise). Fille de Flidais à la réputation douteuse (dévergondage et luxure).
— Beag (documentation irlandaise). Une des enfants de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu (bia), connue pour sa source ou sa fontaine magique (un puits de science). Cette source ou cette fontaine était gardée par ses trois filles. Elles tentèrent, mais en vain, d’empêcher Vindos/Finn de boire de son eau.
— Beli le grand (documentation galloise). Beli Mawr est un personnage plus que légendaire de la documentation galloise. Il est le fils de Manogan, l’époux de Dôn, ainsi que le père de Caswallawn, Arianrhode Lludd et Llefelys. Plusieurs lignées royales du Moyen-âge gallois en font leur ancêtre fondateur. Il apparaît aussi dans l’Historia regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth et les Triades galloises. Beli Mawr est souvent surnommé « ap Manogan » et son père Manogan, surnommé Druid Eneid. Certains auteurs pensent que son nom est en réalité issu de la mauvaise lecture d’un texte de Suétone. Nihil autem amplius quam Adminio Cynobellini Britannorum regis filio, qui pulsus a patre cum exigua manu transfugerat, in deditionem recepto, quasi uniuersa tradita insula, magnificas Romam litteras misit, monitis speculatoribus, ut uehiculo ad forum usque et curiam pertenderent nec nisi in aede Martis ac frequente senatu consulibus traderent.
« Adminio Cynobellini » par la suite aurait donné « Ad Miniocyno Bellini » puis Bellinus filius Minocanni dans l’Historia Brittonum. Nennius aurait ensuite, à tort, assimilé Cassivellaunus à Belinus, d’où le personnage de Caswallawn fils de – Beli Mawr. Ce Beli aurait été roi de l’île de Grande-Bretagne, sous le nom d’Heli, fils de Cligueillus. Selon le chroniqueur gallois, il aurait régné pendant quarante ans, et aurait eu trois fils : Lud, Cassibellan, et Nennius.
— Bergusia. Celle qui accorde la force. Déesse-ou-démone, ou fée, des bronziers, parèdre d’Ucuetis, honorée dans l’oppidum d’Alise-Sainte-Reine, en France. DEO VCVETI ET BERGVSIAE REMVS PRIMA FIL DONAVIT V S L M (ERITO). Ce qui signifie : au dieu Ucuetis et à Bergusia, Remus, fils de Primus, a donné (cet objet). Il s’est acquitté de son vœu avec joie et à juste titre.
— Betach (documentation irlandaise). Père de Fiachna.
— Bicelmos/Bec-Felmas (documentation irlandaise). Père d’Abhean, un harpiste de la tribu de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia).
— Birog (documentation irlandaise). Druidesse qui aida Ceno/Cian à pénétrer dans la tour où Balor avait enfermé sa fille Ethniu et qui plus tard sauva la vie de Lug quand il fut jeté à l’eau par ce dernier, après l’accouchement.
— Blathnat/Blathnait/Blaanid (documentation irlandaise). Fille de Medros/Midir. Enlevée par Cu Roi qui en fera sa femme, mais elle se vengera de ce rapt avec l’aide de Cuchulainn. Au cours de la féroce bataille qui s’ensuivit, Cû roi mourut et Cuchulainn s’enfuit avec Blathnat. Cuchulainn prit
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également avec lui Fer Cherdne ou Ferchertne, le barde de Cû roi. Ce dernier profitera d’une halte au sommet d’une falaise pour venger la mort de son maître, en se saisissant de Blathnat et en se précipitant avec elle dans le vide. Voir Blodeuwedd.
— Bodhmall ou Bodmall (documentation irlandaise). Une des deux fées qui ont élevé Vindos/Finn au cœur de la forêt. Sœur de Camulos/Cumal son père. Elle lui apprendra à chasser puis l’aidera dans ses premières aventures. Elle enverra ensuite Vindos/Finn de par le vaste monde pour le mettre à l’abri de Goll mac Morna.
— Boudiga/Boudicca (documentation continentale). Épithète attestée à Bordeaux (département français de la Gironde) dans une inscription trouvée sur les vestiges d’un temple gallo-romain (aujourd’hui disparu), où elle est assimilée à la déesse-ou-démone, ou fée, romaine, Tutela. De par son assimilation, sa fonction était probablement d’assurer la protection de la ville, et compte tenu de son nom, de l’enrichissement ou de la prospérité de cette dernière. Son nom composé de *boudi – signifie « la victorieuse », et peut être rapproché directement de celui de la célèbre reine des Iceni (Boadicea, Boudicca).
— Boudihillia (documentation brittonique). Déesse-ou-démone de la bataille. Avec Beda, Boudihillia forme un tandem de déesse-ou-démones, ou de fées si l’on préfère utiliser ce terme, connu sous le nom d’Alaisiagae. Du celtique *boudi – (victoire) et hillia (plénitude, perfection).
— Boudina/Boudena (documentation continentale). La victorieuse. Du celtique *boudi (victoire). Épithète mentionnée dans deux inscriptions trouvées en Allemagne. La première, découverte à Coblence, l’associe à Smertrius et Vindoridius. La seconde, trouvée à Pantenburg, l’associe à Voroius et Alauna.
— Braciaca (documentation brittonique). Élémental de la bière ou attribut divin de Gobannos. Connu par une inscription trouvée sur le site d’Haddon Hall, dans le Derbyshire.
DEO MARTI BRACIACAE Q. SITTIUS CAECILIANUS… Au dieu-ou-démon Mars Braciaca, Quintus Sittius Caecilianus…
L’association au dieu-ou-démon Mars par interpretatio romana, découle des pratiques de l’époque (fureur guerrière, et autres) : on buvait beaucoup avant de partir au combat.
— Brea (documentation irlandaise). Un des Tuatha Dé Danann.
— Bresal Etarlam (documentation irlandaise). Druide des Tuatha Dé Danann, protecteur de Vocusmnaca/Fuamnach, l’épouse légitime de Medros/Midir. Il est resté célèbre pour avoir tenté d’élever un tumulus qui atteindrait le ciel. À cet effet, sa sœur arrêta la course du soleil, mais comme il essaya de la violer, elle mit fin à cet enchantement, et décida que le nom de ce tumulus serait désormais Dubad : « ténèbres ». Actuellement Dowth (le tombeau fait 15 mètres de haut et 85 mètres de large. Il contient deux tombes).
— Bri (documentation irlandaise). Fille de Medros/Midir. Mourut d’amour pour un dénommé Leith, d’où le nom de sa tombe : Bri Leith.
— Bricta (documentation continentale). Déesse-ou-démone, ou fée, des hauteurs. Connue par une inscription trouvée à Luxeuil, en France, où elle est associée à Lusovius. Du celtique brig (sommet, hauteur) et du suffixe intensif *-ati. À Blackmoorgate dans le Derbyshire, elle est associée à Dis Pater, Hercule, Apollon et Arvalus. À Brescia, en Italie, elle est associée à Bergimus.
— Brixia (documentation continentale). Peut-être une source divinisée (la Brêche à Luxeuil en France ?) cette déesse-ou-démone ou fée s’avère associée au dieu-ou-démon Luxovius.
— Buan (documentation irlandaise). Ses neuf coudriers ou noisetiers avaient des noix qui tombaient dans une fontaine (le puits de science) et ensuite étaient avalés par des saumons.
— Buanann (documentation irlandaise). Son nom signifie « celle qui dure ». Est citée dans les aventures du Hésus Cuchulainn et de Vindos/Finn, où elle est qualifiée de « mère des Fénianes ».
— Buarainech/Buareinech (documentation irlandaise). Un des monstres vouivres anguipèdes gigantesques. Le père de Balor/Balar. Aussi appelé Dot.
— Brunios/Buidne/Bruinne (documentation irlandaise). Un des druides satiristes des Tuatha Dé Danann. Abattu par Ochtriallach lors de la seconde bataille de la Plaine aux menhirs ou aux tumuli.
— Cacher (documentation irlandaise). Fils de Nama/Namha, frère de Nechtan.
— Cadra Eburomatia/Caer Ibormaith (documentation irlandaise). Fille d’Ethal, un des hommes de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia), roi du side d’Uamuin. Elle vit une année sur deux sous la forme d’un cygne. Le dieu ou démon Mabon/Maponos/Oengus en tombe amoureux après l’avoir aperçue en rêve. Une fois guéri, ce dernier cherche à savoir qui est cette mystérieuse jeune fille. Mabon/Maponos/Oengus réussit à contraindre Ethal à lui dire où elle se cache. Le jour de Samon, après avoir pris, lui aussi, l’apparence d’un tel animal, Mabon/Maponos/Oengus se rend au lac de la gueule du dragon, la reconnaît entre 150 autres cygnes, et lui prend la main. Leur chant nuptial est si beau qu’il endormira tous ceux qui l’entendront. Cette légende a son parallèle dans la Bhagavad-Gità
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indienne avec l’histoire de Rada et Krishna. Cadra Eburomatia/Caer Ibormaith sera la mère adoptive de Diarmat, un des Fénianes les plus connus de l’époque.
— Cainte (documentation irlandaise). Dieu-ou-démon du chant ou des incantations. Ses trois enfants sont Ceno/Cian (le père de Lug) ainsi que Cuno/Cu et Ceithenn. En conflit avec Taran/Toran/Tuireann (du moins dans la documentation irlandaise).
— Cairpré Cuanach (documentation irlandaise). Nom d’un prince des enfants de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia), dans le récit relatif à la mort de Curoi.
— Calmos/Calma (documentation irlandaise). Un des trois fils de Carman. Appelé aussi Dian.
— Camel (documentation irlandaise). Un des druides portiers de Tara lorsque Lug y viendra pour la première fois.
— Cas Corach, Cascorrach, Cas Corrach (documentation irlandaise). Un harpiste des Tuatha Dé Danann qui aurait joué pour saint Patrice. Il aurait tué les trois filles d’Airitech transformées en loups-garous. Mais les loups-garous au sens strict du terme ne font pas partie de la mythologie celtique.
— Cathmann (documentation irlandaise). Fils de Tabarn et roi de la mystérieuse île de Fresen. Il capturera Tadg, sa femme, et ses deux frères.
— Catumailos/Casmael/Casmhaol (documentation irlandaise). Un des druides satiristes des Tuatha Dé Danann. Abattu par Octriallach lors de la seconde bataille de la Plaine des menhirs ou des tumuli.
— Cé (documentation irlandaise). Druide du roi Noadatus/Nuada. Mort de ses blessures contractées au cours de la deuxième bataille de la Plaine des menhirs ou des tertres. Il sera enterré près de Carn Corrslebe et un lac recouvrira sa tombe : le lac Cé.
— Ceno/Cian (documentation irlandaise). Fils de Cainte puis époux d’Ethniu, fille du roi des vouivres anguipèdes gigantesques (Balor). Assassiné par les enfants de Toran/Taran/Tuireann, du moins selon la mythologie élaborée en Irlande. La terre refusera de recouvrir son corps. La tribu celte des Cenomanni en France (Le Mans) était placée sous sa protection.
— Cermatos/Cermat/Cermait (documentation irlandaise). Fils du Dagda. Ses trois fils régneront simultanément sur les Tuatha Dé Danann et périront lors de la bataille pour la possession de la Talantio, livrée contre les envahisseurs humains. L’épithète divine qui lui est couramment attribuée, « milbel » (bouche « mielleuse »), incite à penser qu’il s’agit en fait du dieu-ou-démon Ogmios/Ogma, mais cette hypothèse est loin de faire l’unanimité.
— Cet (documentation irlandaise). Fils de Scothache.
— Cethe/Ceitheann/Ceithenn (documentation irlandaise). Fils de Cainte, frère de Ceno/Cian et de Cuno/Cu.
— Cigva/Kigva/Cigfa/Kigfa (documentation galloise). Femme de Pryderi.
— Colum Cuaillemech (documentation irlandaise). Un des forgerons des Tuatha Dé Danann.
— Compar (documentation irlandaise). Un des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomore en Irlande. C’était un messager ou un collecteur d’impôts impitoyable.
— Corann (documentation irlandaise). Le meilleur harpiste de la maisonnée du Dagda, et harpiste du dieu-ou-démon guérisseur rebouteux Diancecht. Sa musique attirait le célèbre porc appelé Cailcheir.
— Corb (documentation irlandaise). Un des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomore en Irlande. Son nom signifie « souillure ».
— Coron (documentation irlandaise). Un des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomore en Irlande. C’était un collecteur d’impôts.
— Correopennos/Corrchend (documentation irlandaise). Un des Tuatha Dé. Tue Aed, fils du Suqellos Dagda Gargant, après avoir séduit sa femme.
— Cosunae (documentation continentale). Inscription trouvée à Roriz au Portugal. Leite de Vasconcelos et Blázques Martinez y voient une ou plusieurs nymphes.
— Creirwy (documentation galloise). Fille de Ceridwen et de Tegid Foel.
— Cridionobetlos/Cridenbel/Cridhinbhéal (documentation irlandaise). « Bouche en cœur ». Un des druides satiristes de la tribu de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu (bia), qui finira par les trahir. Il sera victime d’une ruse du Suqellos Dagda dont il volait un tiers de la nourriture tous les jours.
— Cron (documentation irlandaise). Mère de Fianlug. Elle était avec Gobannos/Goïbniu le forgeron quand Ruadan tenta de l’assassiner.
— Crougin toutadigoe (documentation continentale). Inscription trouvée à Santa Maria de Ribera en Espagne. cf. irlandais cruach (montagne, colline) et gallois crug (tumulus, hauteur). Toudadi – est vraisemblablement à rapprocher de Toutati (Teutates).
— Cuar (documentation irlandaise). Fils de Scothache.
— Cuno/Cu (documentation irlandaise). Fils de Cainte. Frère de Ceno/Cian et de Cethe/Ceitheann/Ceithenn.
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— Custennin/Custinhin. Géant fils de Dyfnedig et frère d’Yspadadden Pencawr. Son nom signifie « le travailleur ». Dans le Mabinogi de Culhwch et Olwen, est l’oncle d’Olwen. Bien que Custennin se soit vu doté de toutes les richesses de la terre et des animaux, Yspaddaden son frère les lui a volés puis l’a réduit au statut de simple berger. Il aidera donc Culhwch à en triompher.
— Cymidei Cymeinfoll (documentation galloise). Épouse du géant Llassar llaes Gwfnewid. Elle pouvait avoir un enfant toutes les six semaines.
— Daire Donn (documentation irlandaise). Un des rois du monde (sauf de l’Irlande bien entendu) venu livrer bataille aux Fénianes à Ventry, afin de reprendre sa femme, fille du roi de France Vulcain (sic).
— Dare ou Daire MacDedad (documentation irlandaise). Une des divinités du peuple pré gaélique des Erainn (Hiberniens) qui a donné son nom à l’Irlande. Père de Curoi. Voir également Mor Muman.
— Daireann/Doirend (documentation irlandaise). Fille de Bodb Derg. Amoureuse de Vindos/Finn. Lui jettera un sort pour se venger de son refus.
— Dedad (documentation irlandaise). Divinité primitive des Hiberniens, le peuple non gaélique qui a donné son nom à l’Irlande.
— Demetos/Dyfed (documentation galloise). Dieu-ou-démon de l’hydromel (med/met/fed) et de l’ébriété sacrée. A donné son nom à la tribu des Demetae au Pays de Galles. Équivalent masculin de la déesse-ou-démone, ou méchante fée Medb, en Irlande.
— Deorgreine (documentation irlandaise). Fille de Fiachna, du Mag Meld. Épouse de Laegaire.
— Dergroche (documentation irlandaise). Fils de Bodb Derg. Un des deux rois de la mystérieuse île d’Inislocha située à l’extrême ouest du monde.
— Dianann/Dinann (documentation irlandaise). Une des magiciennes des Tuatha Dé, fille de Flidais, capable de transformer les pierres, les mottes de terre, et les arbres, en une gigantesque armée magique.
— Dichu (documentation irlandaise). L’intendant du Suqellos Dagda père d’Etain/Etanna.
— Doirenn/Doirind (documentation irlandaise). Fille de Medros/Midir donnée en mariage à un des fils de Lugaid Menn.
— Dolb (documentation irlandaise). Un des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas en Irlande, Fomore en gaélique. Il était forgeron.
— Donall Donn-Ruadh (documentation irlandaise). Donall aux cheveux roux. Un des fils de Manannan. Frère adoptif de Lug.
— Dot (documentation irlandaise). Voir Buarainech.
— Druimne (documentation irlandaise). Fils de Luchair. A fabriqué à Tara un four géant pour le Suqellos Dagda.
— Duach Dall (documentation irlandaise). Un des hommes de la déesse-ou-démone ou fée, Danu (bia). Père d’Eochaid Garbh. Voir Dui Dall.
— Dubios/Dubh (documentation irlandaise). Un des trois fils de Carman.
— Dui Dall. Voir Duach Dall.
— Dwyn (documentation galloise). Un des dieu-ou-démons mineurs du folklore gallois. Signification assez obscure. Deivonos/Deivenos ?
— Dyrnwch/Diwrnach, dit Wyddel (l’Irlandais) ou Gawr (le géant). Documentation galloise. Personnage du mabinogi de Culhwch et Olwen. C’est le géant possédant le chaudron magique que Culhwch doit se procurer pour la célébration de ses noces. Il habite en Irlande où il est au service du fils du roi nommé Odgar. Son nom, Dyrnwch ou Diwrnach, vient peut-être du celtique durno : poing.
— Eab (documentation irlandaise). Fils de Neto/Neith. Une des principales vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomore en Irlande.
— Eathfaigh (documentation irlandaise). Une des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomore en Irlande. C’était un collecteur d’impôts.
— Echdonn Mor (documentation irlandaise). Un fils de Manannan.
— Ecne (documentation irlandaise). Le sage. Le poète. Petit-fils de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia), de Brigitte selon d’autres. Certaines variantes lui donnent comme pères Brian, Iuchar et Iucharba ?
— Edelatio fils d’Allodios/Edleo mac Allai (documentation irlandaise). Fils d’Aldui. Tué au cours de la bataille de la Plaine des menhirs ou des tumuli.
— Eine (documentation irlandaise). Un des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomore en gaélique. C’était un collecteur d’impôts.
— Eithne/Eithniu (documentation irlandaise). Outre la mère de Lug, il existe plusieurs Eithne. Dans certaines variantes, femme de Medros/Midir. Équivaut à Boann, et a un fils (Mabon/Maponos/Oengus), par adultère avec le Suqellos Dagda.
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— Elathan (documentation irlandaise). Fils de Lobos. Un des chefs vouivres anguipèdes géants ayant pris part à la seconde bataille de la Plaine aux menhirs ou aux tertres.
— Elcmar (documentation irlandaise). Frère du Dagda (le dieu-ou-démon bon à tout) dont il est le contraire, l’aspect négatif. Le nom d’Elcmar signifie « envieux, jaloux ». Le Dagda commet l’adultère avec son épouse Boand, à l’occasion d’un voyage d’Elcmar qui dure neuf mois, mais ne semble à ses yeux durer qu’une seule journée. De cette relation adultère naîtra Mabon/Maponos/Oengus. C’est peut-être l’avatar ou plus exactement le surnom d’un autre dieu-ou-démon évoqué dans la déviation irlandaise. Certains pensent qu’il s’agirait d’un doublet du dieu-ou-démon Ogmios/Ogma. D’autres un doublet du dieu-ou-démon irlandais Nechtan. Un équivalent gaélique du dieu-ou-démon continental Borbo/Bormo.
— Emrys (documentation galloise). Vraisemblablement une ancienne divinité assimilée à tort à un personnage historique nommé Ambrosius Aurelianus.
— Eochaid Garbh (documentation irlandaise). Fils de Duach Dall. Voir le suivant.
— Eochu Garb (documentation irlandaise). Fils de Dui Dall. Un des Tuatha Dé Danann (deuxième époux de Tailtiu).
— Eogabail (documentation irlandaise). Fils adoptif de Barinthus Mananann Mac Lir et père d’Aine.
— Erc (documentation irlandaise). Fils d’Ethaman, un des bardes de la tribu de la déesse-ou-démone ou fée, Danu (bia).
— Ernomos/Ernmas (documentation irlandaise). Une des Tuatha Dé Danann. Mère d’Ériu, Banba, Fodla, Badb, Macha, Morrigan. Mère également de trois fils appelés Glonn, Gnim, Coscar, ainsi que de deux autres appelés Fiacha et Ollom. Tuée lors de la première bataille de la Plaine aux menhirs ou aux tumuli.
— Esarg (documentation irlandaise). Le Tuatha Dé Danann qui a introduit ou inventé les parties de jeu d’échecs, de balle, et les courses de chevaux.
— Etan/Etain, fille de Diancecht, était la mère de Tuirill et l’épouse d’Ogmios/Ogma. Une des patronnes possibles des artisans et ouvriers. Selon certaines variantes aurait eu pour mari Tuireann Biccreo Delbaeth, grand-père de Cairpre le poète.
— Etarlam (documentation irlandaise). Un des enfants de la déesse-ou-démone ou fée, Danu (bia). Fils de Noadatus/Nuada.
— Etiona (documentation continentale). Déesse-ou-démone ou fée, connue par une inscription trouvée à Etrechy, dans le Cher (France), où elle figure en compagnie des déités Gnatus, Isoa, Carantana, Hidua, et Mercure. Du celtique ett (n) jo – (noix). Noix et noisettes étant associées à l’idée de connaissance, Etiona en l’occurrence a peut-être été une déesse-ou-démone, ou fée, de la connaissance, parèdre de Gnatus.
— Evrain (documentation galloise). Roi de Brandigan. Oncle et seigneur de Mabonagrain/Maboagrain. Riche, bienveillant, généreux, honnête et loyal. Sa cité abrite le verger de la Joie de la Cour.
— Excingoregia (documentation continentale). Sainte patronne des émigrations.
— Fer Caille (documentation irlandaise). Un homme des bois monstrueux, figurant dans la légende irlandaise intitulée Togail Bruidne Da Derga. Il n’a qu’un œil et s’occupe des troupeaux.
— Fer Ferdiad (documentation irlandaise). Un des enfants de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia). Druide. Tuera son père adoptif Manannan afin de venger la mort d’un dénommé Tuag.
— Fergus Fithchiollach (documentation irlandaise). Un des fils de Bodb Derg, chargé de retrouver les enfants de Lero/Lir transformés en cygnes pour neuf cents ans.
— Fertuinne (documentation irlandaise). Fils de Trogain. Magicien donné par Bodb Derg aux enfants de Lugaid Menn.
— Fiachna (documentation irlandaise). Un des rois des dieu-ou-démons. Fils de Delbaeth et de la déesse-ou-démone ou fée, si l’on préfère, Ernomos/Ernmas. N’a pas laissé grand souvenir apparemment.
— Fianlug (documentation irlandaise). Fils de Cron.
— Findemas (documentation irlandaise). Père de Findgoll.
— Findgoll (documentation irlandaise). Druide ayant conseillé Nechtan (équivalent du Borbo continental).
— Fionnuala, Fionnghuala, Finnouala, Finnghooala ou Fionnghualagh (documentation irlandaise). Une des filles de Lero/Lir, sera métamorphosée en cygne par leur belle-mère, et condamnée à errer sur les lacs et les rivières avec ses frères pendant neuf cents ans. Jusqu’à ce que le mariage de Lairgren et de Deoch mette fin à cette malédiction.
— Gaible (documentation irlandaise). Fils de Noadatus/Nuada.
— Gaidiar (documentation irlandaise). Fils de Manannan. Ayant commis l’adultère avec Bé Chuille/Becuille/Bé Chuma.
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— Gamal (documentation irlandaise). Fils de Figal. Un des deux druides portiers de Tara quand Lug y viendra pour la première fois.
— Garbhan (documentation irlandaise). Un des deux architectes au service du Suqellos Dagda Gargant. Il construira la forteresse autour de la tombe d’Aedh appelée « colline d’Aileac ».
— Gilvaethwy/Gilfaethwy (documentation galloise). Personnage mineur de la quatrième branche du mabinogi. Gilvaethwy/Gilfaethwy était fils de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère user de ce terme, Dôn, et frère de Gwyddion ainsi que d’Arianerodh. Bien que mentionné dans diverses généalogies galloises, il est en réalité surtout connu comme faire-valoir de son frère Gwyddion, dans le mabinogi de Math fils de Matholwch.
— Gebann (documentation irlandaise). Fils de Treon, père de Cliodna. Premier des druides du pays de Manannan.
— Gleibal Garb (documentation irlandaise). Fils de Manannan, frère adoptif de Lug.
— Gnatus (documentation continentale). Signifie tout simplement « fils » ???
— Goitne Gorm-Shuileach (documentation irlandaise). Un des fils de Manannan. Frère de Donall aux cheveux roux et frère adoptif de Lug.
— Goll (documentation irlandaise). Une des vouivres anguipèdes gigantesques ayant participé à la deuxième bataille de la Plaine aux menhirs ou aux tumuli.
— Goreu (documentation galloise). Un des fils de Custennin ou Custinhin.
— Goronwy/Gronw Pebyr (documentation galloise). Seigneur de Penllyn. Amant de Blodeuwedd, tué par son mari Lleu Llaw Gyffes.
— Gweir ap Geirioed (documentation galloise). Connu surtout comme prisonnier, retenu captif dans la petite île de Lundy, anciennement Ynys Weir.
— Gwern (documentation galloise). Mabinogi de Branwen. Il est né de l’union de Matholwch, roi d’Irlande, et de Branwen, fille de Llyr ainsi que sœur de Bran le Béni. Ce mariage fut décidé, sans l’accord d’Evnissyen, le demi-frère de la jeune femme, qui n’aura donc de cesse de se venger de cet affront. Le couple royal arrive en Irlande où Branwen donne naissance à un garçon : Gwern. Puis, Matholwch se lasse de son épouse, la déchoit de son titre de reine et la fait travailler aux cuisines du château. Secrètement, elle élève un étourneau et l’envoie par la suite à son frère, un message attaché à la patte. Bran le béni entreprend alors une expédition militaire, au cours de laquelle Evnissyen jette l’enfant au feu.
— Gwyddno Garanhir (documentation galloise). Père d’Elffin ap Gwyddno, sauveur du barde gallois Taliesin, et souverain du royaume de Cantre’r Gwaelod, l'« Atlantis du Pays de Galles ».
— Gwythur ou Gwythyr ap Greidawl (documentation galloise). Éternel rival de Gwynn ap Nudd pour l’amour de Cordélia (Creiddylad) fille de Lludd Llaw Eraint.
— Hafgan (documentation galloise). Rival d’Arawn, dieu-ou-démon de l’autre monde souterrain. Hafgan a un domaine voisin et a les mêmes pouvoirs que lui.
— Hefaid/Hyveidd (documentation galloise). Il existe plusieurs personnages de ce nom dans l’hérésie galloise. Dans le mabinogi de Math, il est dit fils de la déesse-ou-démone ou fée, Dôn, mais il existe également un Hyveidd unllen ou « à un seul manteau » dans le mabinogi de Kulhwch et Olwen, mentionné dans le songe de Rhonabwy, et un Hefaidd hen ou « le vieux », père de Rhiannon, l’Épona galloise…
— Ilbrech d’Ess Ruadh (documentation irlandaise). Un des hommes de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia), ayant failli monter sur le trône après leur défaite devant les êtres humains (batailles de Tailtiu et Druim Lighean).
— Imheall (documentation irlandaise). Un des deux bâtisseurs au service du Suqellos Dagda. Il construira la forteresse autour de la tombe d’Aedh appelée « tertre d’Aileac ».
— Indicios/Indech (documentation irlandaise). Une des vouivres anguipèdes que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomore en Irlande. Fils de Domnu et père d’Ochtriallach. Son nom signifie « vengeance ».
— Ingol (documentation irlandaise). Une des vouivres anguipèdes gigantesques ayant participé à la seconde bataille de la Plaine aux menhirs ou aux tumuli.
— Iweridd (documentation galloise). Épouse de Llyr, mère de Bran et Branwen/Brangaine. Son nom signifie tout simplement « Irlande ». Il s’agirait donc d’une élémentale du genre Britannia.
— Karnuntina (documentation continentale). Connue par une inscription trouvée à Bad Deutsch-Altenburg en Autriche, où il est assimilé à la déesse-ou-démone ou fée romaine, Fortuna, par interpretatio romana. Du celtique cern – « corne ». Peut-être donc, un attribut de la G. D. M. C*. Danu.
* Grande Déesse Mère Cosmique pourrions-nous écrire en abrégé en recourant, honte à nous, mais c’est bien pratique, au style des inscriptions latines.
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— Karnuntinus (documentation continentale). Connu par une inscription trouvée à Bad Deutsch-Altenburg en Autriche, où il est assimilé à Taran/Toran/Tuireann, ou plus exactement Jupiter par interpretatio romana. Du celtique cern – « corne ».
— Labraid Loingsech (documentation irlandaise). Ancêtre plus ou moins mythique de la dynastie des Laigin. Également connu sous le nom de Labraid Lorc. Haut roi ou empereur d’Irlande légendaire. Peut-être un dieu-ou-démon évéhémérisé à rebours.
— Laebus (documentation continentale). Nom de divinité figurant sur l’inscription en alphabet celtibère du Cabeço-das-Fraguas au Portugal. « Une brebis à Trebopala, et un porc à Laebus, offrande à Iccona la Lumineuse, une brebis (mouton) d’un an à Trebaruna et un taureau à Reva Trebaruna ».
— Laegaire (documentation irlandaise). Fils de Crimthan Cass. Roi de Mag Meld après avoir capturé la fille de Fiachna.
— Latis (documentation brittonique). Nom de deux divinités honorées en Grande-Bretagne. L’une en tant que déesse-ou-démone (Dea Latis), l’autre en tant que dieu-ou-démon (Deus Latis).
La dédicace Die Latis (à la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Latis) a été trouvée dans le camp romain de Birdoswald. La dédicace Deo Latis Lucius Ursei (au dieu-ou-démon Latis, de la part de Lucius Urseus) a été trouvée à Burgh-by-Sands. Elle figurait sur un autel trouvé non loin de la statue d’un dieu-ou-démon qualifié de « Belatucadros ».
— Leat Glas (documentation irlandaise). Poète du prince du peuple des Andernas, Fomore en Irlande, appelé Indech. A participé à la deuxième bataille de la Plaine aux menhirs ou aux tertres.
— Len Linfiaclach (documentation irlandaise). Forgeron au service du Suqellos Dagda.
— Liath (documentation irlandaise). Fils de Lobais. Un des principaux chefs des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomore en Irlande.
— Liath Luachra (documentation irlandaise). Le nom signifie, « la grise de Luachair ». Mère adoptive de Vindos/Finn. C’est une grande guerrière qui l’élèvera dans la forêt de Sliabh Bladhma.
— Llassar llaes Gwfnewid ou Gyfnewid (documentation galloise). Géant censé vivre sous un lac irlandais. Il détenait un chaudron magique. Époux de Cymidei Cymeinfoll. Le roi d’Irlande Matholwch se fera remettre ce chaudron et le donnera par la suite à Bran le béni. Cf la seconde branche du mabinogi.
— Llwyd ap Cil Coed (documentation galloise). Magicien apparaissant dans l’histoire de Manawydan ap Llyr (troisième branche du mabinogi gallois). Il jette un sort à Pryderi et à Rhiannon.
— Lobais (documentation irlandaise). Un des chefs des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomore en Irlande. Père de Liath.
— Lodan (documentation irlandaise). Fils de Lero/Lir et frère de Manannan, père de la déesse-ou-démone, ou fée, Sinend, Sionna ou Sinnan (le Shannon).
— Luachad (documentation irlandaise). Un des enfants de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia), père de Luchta le charpentier.
— Luath (documentation irlandaise). Vouivre anguipède gigantesque au service de Bregsos/Bres pour qui Luath lèvera une armée.
— Maeltine Mor-Brethach (documentation irlandaise). Maeltine au grand jugement. Un des sages des Tuatha Dé Danann qui, après la seconde bataille de la Plaine des menhirs ou des tumuli, conseillera de ne pas laisser la vie sauve à Bregsos/Bres.
— Maga (documentation irlandaise). Fille d’Oengus (Mabon/Maponos/Oengus), épouse du druide Cathbad. Aurait eu aussi un fils avec Ross le rouge selon certains.
— Mamos (documentation irlandaise). Père de Figol.
— Manogan/Mynogan (documentation galloise). Père du légendaire Beli. Son nom est peut-être dû à l’erreur de lecture d’un texte de Suétone. Nihil autem amplius quam Adminio Cynobellini Britannorum regis filio, qui pulsus a patre cum exigua manu transfugerat, in deditionem recepto, quasi uniuersa tradita insula, magnificas Romam litteras misit, monitis speculatoribus, ut uehiculo ad forum usque et curiam pertenderent nec nisi in aede Martis ac frequente senatu consulibus traderent.
« Adminio Cynobellini » aurait donné « Ad Miniocyno Belli » d’où Miniocyn, Miniocan, etc.
— Math (documentation irlandaise). Fils d’Umor. Un des druides des Tuatha Dé Danann.
— Mathonwy (documentation galloise). Père de Don et de Math. Peut-être un dieu-ou-démon de l’autre monde souterrain.
Matugenos/Mathgen (documentation irlandaise). Un des magiciens de la tribu de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia). Il avait le pouvoir de faire s’écrouler les montagnes. Fils d’Uxomaros/Umor.
— Mechi (documentation irlandaise). Fils de la Morrigu. Tué par Tethor Mac Cecht, fils de Cermat, petit fils du Suqellos Dagda.
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— Meduio (documentation continentale). Divinité connue par une seule inscription, trouvée à Noves en France. Peut-être un dieu-ou-démon de l’ivresse et des ivrognes équivalent au Romain Bacchus (cf. vieux gallois meddwy, s’enivrer).
— Mellt (documentation galloise). Le père de Mabon/Maponos/Oengus dans la tradition galloise.
— Modharn (documentation irlandaise). Père d’Aine.
— Mór Muman (documentation irlandaise). Une des divinités du peuple pré gaélique des Erainn (des Hiberniens), le peuple qui a donné son nom à l’Irlande.
— Nama (documentation irlandaise). Fils d’Eochaid Garbh, fils de Duach Dall. Frère de Nechtan, l’équivalent du Borvo ou Borbo continental.
— Nemanach (documentation irlandaise). Un des fils d’Oengus (Mabon/Maponos/Oengus).
— Nemeturios/Nemthur (documentation irlandaise). Dit le rouge. Une des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomore en Irlande.
— Niamh (documentation irlandaise). Fée de l’autre monde, fille de Barinthus Manannan, venue sur terre sous la forme d’un cheval magique à la crinière d’or, Enbarr, par amour pour Ossian/Oisin. Voir Épona.
— Nindid (documentation irlandaise). Nom du devin ayant élevé Mabon/Maponos/Oengus dans certaines variantes de la légende.
— Nousantia (documentation continentale). Attribut de la triple déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère se servir de ce vocable, appelée Naria, connu par une inscription découverte à La Neuveville, en Suisse.
NORIAE NOVSANTIAE, T FRONTIN HIBERNVS.
Aux déesse-ou-démones Norias Nousantias, Titus Frontinus Hibernius.
Nousantia était donc une des déesse-ou-démones ou fées de cette triade, un des trois aspects de la déesse-ou-démone ou fée Naria, et elle avait sans doute des capacités divinatoires. Du celtique *nowio – (nouveau), et *sanesso – (conseil secret).
— Octoreuillagos/Ochtriallach (documentation irlandaise). Une des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomore en gaélique. Fils d’Indicios/Indech. C’est lui qui, lors de la seconde bataille de la Plaine aux menhirs ou aux tumuli, aura l’idée de combler avec des pierres la fontaine de Santé (Slane) des Tuatha Dé Danann.
— Oilell d’Aran (documentation irlandaise). Père d’Aobh, Aoife, Ailbhe.
— Olcos (documentation irlandaise). Un des trois fils de Carman. Appelé aussi Dother.
— Oonagh (Onaugh, Una, Oona, Oonagy). Reine des fées du folklore irlandais, épouse du roi Vindobarros/Finvarra. Elle passe pour être la plus belle femme du monde. Elle est traditionnellement décrite comme ayant de très longs cheveux blonds, touchant presque le sol, et des robes argentées miroitant dans la rosée. Elle résidait à Knockshegouna, une colline située à l’est du Loch Derg, dans le comté de Tipperary.
— Penna Arduona/Penarddun (documentation galloise). Fille de Beli Mawr, femme de Lero/Lyr et d’Euroswydd. Mère des jumeaux Efnysien et Nisien.
— Rabach Slaitin (documentation irlandaise). Fils de Manannan, frère adoptif de Lug.
— Reus/Reue. Inscription trouvée à Lugo en Espagne. Une variante ou un avatar de Taran/Toran/Tuireann, associé aux sommets ou hauteurs d’après Juan Carlos et Olivares Pedreño (Los dioses de la Hispania céltica).
— Rigru Rosclethan (documentation irlandaise). Fille de Lodan.
— Riocalatis/Ariocalatis (documentation brittonique). Attribut de Gobannos ou du dieu-ou-démon de la guerre, connu par une inscription découverte dans le Cumberland en 1875 [RIB 1017].
RIOCALAT ET TOVTAT MAR COCIDO VOTO FECIT VITALIS.
À Riocalatis et à Toutatis, Mars Cocidius, ex-voto fait par Vitalis.
Du celtique *arios seigneur et * latis boisson.
— Rocloisia (documentation continentale). Épithète qualifiant certaines fées du sud de la France et signifiant quelque chose comme « compatissante » (interprétation romaine faite à Saint-Rémy-de-Provence : auribus bonae deae).
— Rothniam (documentation irlandaise). Fille d’Ume Urscathach, du side appelé Cliath. Vient régulièrement à chaque Samon rendre visite à Fingen fils de Luchta.
— Ruadan (documentation irlandaise). Fils de Bregsos/Bres et de Brigitte. Espionne les hommes de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia) durant la seconde bataille de la Plaine aux menhirs ou aux tumuli, et tente, mais en vain de tuer Gobannos/Goïbniu leur forgeron, après avoir dérobé une arme, mais ce dernier, bien que blessé, réussit à tuer son agresseur. À en croire la légende, Brigitte, apprenant la mort de son fils, se serait mise à pleurer, ses larmes auraient même été les premières de toute l’histoire de l’île.
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— Rudrach (documentation irlandaise). Fils de Bodb Derg, un des deux rois de la mystérieuse île d’Inislocha située à l’extrême ouest du monde.
— Samthainn (documentation irlandaise). Frère de Ceno/Cian et de Gobannos/Goïbniu. Vit avec eux à Druim na Teine.
— Scathniamh (documentation irlandaise). Une des filles de Bodb Derg, tombée amoureuse de Caletios/Caoilte.
— Sedatus (documentation continentale). Celui qui siège. Du vieux celtique *sed-e/o – (siéger, être assis). Épithète connue par des inscriptions découvertes à Székesfehérvár en Hongrie, Bucarest en Roumanie, Leskovec en Slovénie, et Saint-Maurice en Suisse.
— Segomana (documentation continentale). Épithète connue par une inscription trouvée à Serviers-Labaume en France. Du celtique *sego (s)- (force/victoire). Parèdre de Segomo ?
— Senchab/Seanchab (documentation irlandaise). Petit-fils de Netho/Neith. Un des chefs vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomore en gaélique.
— Sengann (documentation irlandaise). Roi des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomoire en Irlande, vaincu par le Nemet Cornunnos en compagnie de son frère Gann. À noter : un autre Sengann apparaît dans l’hérésie gaélique, Sengann fils de Dela, roi des simples humains désignés sous le nom de Fir Bolg. Est-ce possible ? N’y aurait-il pas eu une confusion de la part de nos amis d’Irlande en ce domaine ?
— Sgoith Gleigeil (documentation irlandaise). Un des fils de Manannan. Frère de Donall aux cheveux roux et frère adoptif de Lug.
— Sine Sindearg (documentation irlandaise). Un des fils de Manannan. Frère de Donall aux cheveux roux et frère adoptif de Lug.
— Siodhmall (documentation irlandaise). Fils de Cairbre Crom.
— Sital Salmhor (documentation irlandaise). Une des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomore en gaélique.
— Solimara (documentation continentale). La seule grande. Inscription trouvée à Bourges en France, où elle est associée à une pierre gravée représentant un cheval surmonté par un poisson ou un serpent. Également déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, tutélaire, de Soulosse-sous-Saint-Élophe. Peut-être une déesse-ou-démone, ou fée, de la santé, aussi psychopompe.
— Stanna (documentation continentale). Déesse-ou-démone guerrière et protectrice. Du celtique *sta-ne/o – *stam – (se tenir debout). Connue par une inscription découverte à Périgueux en Dordogne, où elle est associée à un dieu-ou-démon nommé Télo.
— Tabalenos/Taballaenus (documentation continentale). Du celtique *tab (a) l – (jeter, lancer). Connu à Grases, en Espagne sous le nom de Taballaenus et assimilé au dieu-ou-démon local nommé Dulovius. Connu également par une inscription découverte à Tabala, en Turquie. Un dieu ou démon de la chasse peut-être. Il y est honoré avec Artémis.
— Tadg (documentation irlandaise). Un des Tuatha Dé Danann. Druide. Fils de Noadatus/Nuada. Marié avec Ethlinn, et père de Mirène/Muirne/Muirenn/Muireannee. Vivait sous le sid (colline) d’Almu. Comme Muireanne venait souvent à la cour du roi des rois (Conn), à Tara, Camulos et Muireanne tombèrent amoureux l’un de l’autre. Tadg ne voulant pas que sa fille épouse un simple mortel, il insista pour qu’elle revienne chez eux, dans son domaine souterrain d’Almu (Allen). Mirène épousa néanmoins Camulos/Cumal. Tadg le fit assassiner par le roi des rois d’Irlande (Conn), mais Mirene, qui était enceinte, réussit à s’enfuir et à cacher son fils au fin fond d’une forêt. Tadg finira par céder sa résidence souterraine d’Allen ou Almu à son petit-fils (Vindos/Finn).
— Tegid Voel/Hoel (documentation galloise). Grand seigneur marié à Ceridwenn. Habitait au milieu du lac Tegid. Son nom signifie d’ailleurs « le chauve du Tegid ».
— Teyrnon ou Teirnon (documentation galloise). Père adoptif de Pryderi, le fils de Rhiannon. Son nom vient peut-être du vieux celtique Tegernionos. L’histoire est racontée dans le conte des mabinogion intitulé « Pwyll, prince de Dyved ». Teirnon était le seigneur de Gwent Is Coed et le beau-père de Pryderi. Teyrnon possédait une belle jument qui, tous les ans au premier mai, mettait bas un poulain qui disparaissait ensuite mystérieusement. Une année, Teirnon décida de veiller pour voir ce qui allait se produire. Une main griffue géante passa par la fenêtre de l’écurie et s’empara du poulain. Il coupa la main, mais entendit un cri venant de l’extérieur, et il trouva un enfant de trois jours gisant sur le pas de la porte. Teirnon et sa femme élevèrent l’enfant comme leur propre fils, mais, plus il grandissait, plus il ressemblait à Pwyll, ce qui leur fit comprendre qu’il s’agissait du fils disparu de Pwyll et de Rhiannon.
— Tongoenabiagus (documentation continentale). Source divinisée ? À Braga au Portugal, on a retrouvé une inscription le mentionnant. Peut-être était-il le dieu-ou-démon sur lequel on prêtait serment (tongo). En tout cas il devait être aussi considéré comme un dieu-ou-démon de la prospérité agricole.
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— Trebopala (documentation continentale). Nom de divinité figurant sur l’inscription en alphabet celtibérique de Cabeço-das-Fraguas au Portugal. « Une brebis à Trebopala, et un porc à Laebus, offrande à Iccona la Lumineuse, une brebis (mouton) d’un an à Trebaruna et un taureau à Reva Trebaruna ».
— Treon (documentation irlandaise). Un des enfants de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), cf. Gebann.
— Tribans (documentation continentale). Divinité attestée par une unique inscription surmontant une statue découverte à Langensoultzbach (France) en 1844. « INHDDDEOTRIBANTI QVARTVS IVVENIS SOLVIT ». « C’est en l’honneur de la divine maison et pour le dieu-ou-démon Tribanti, que Quartus Juvenis a accompli ce vœu ». La statue représente le dieu-ou-démon tenant une hampe (ou un sceptre ?) dans la main droite, et coiffé d’une couronne à trois cornes. Son nom semble justement être un composé *tri-ban-, signifiant littéralement : aux trois cornes. Certains en font une épithète ou une figuration du dieu-ou-démon de la guerre celte.
Langensoultzbach possédait aussi un fanum (temple gallo-romain) dédié à Lug (appelé Mercure par les Romains). Des stèles et autres vestiges en provenance de ce sanctuaire se sont retrouvés dans le chœur et la nef de l’église du village. Au lendemain de sa démolition en 1844, on découvrira un autel à quatre dieu-ou-démons en haut du mur de clôture du cimetière, et des bas-reliefs scellés dans le mur au-dessus de l’autel.
— Tuirbe (documentation irlandaise). Père de Gobannos/Goïbniu. Possède une hache géante et magique.
— Tuirill (documentation irlandaise). Fils de Cat. Grand-père de Cairpre le poète.
— Uathach (documentation irlandaise). Fille de Scothache. Amoureuse du hésus Cuchulainn. Alors qu’Uathach servait à manger à notre héros, il oublia sa force et, en prenant le plat qu’elle lui tendait, lui cassa un doigt. Ses cris alertèrent son amant, mais le hésus Cuchulainn le tua du premier coup dans le combat qui suivit, et Uathach transféra son amour sur le vainqueur.
— Ubelkabae, Ubelkae, Matres Ubelkae, Matres Ubelkabae. Du vieux celtique *ufelo – (mal, démon) et *catu – (combat). Fées gardiennes de la famille connues par une inscription trouvée à Saint-Zacharie en France, où elles sont mentionnées sous le nom de Matres Ubelkabus.
— Udravarinehae, Udrovarineae Matronae. Du vieux celtique *udro – (gris) et *wâro – (héros). Fées gardiennes de la famille connues par des inscriptions trouvées en Allemagne à Cologne, et dédiées aux Matronis Udravarinehis (CIL XIII 08229).
— Ume Urscathach (documentation irlandaise). Seigneur et maître du side appelé Cliath.
— Uxomaros/Umor (documentation irlandaise). Un des Tuatha Dé Danann. Père de Matugenus/Mathgen.
— Vegula/Figol (documentation irlandaise). Fils de Mamos. Druide de la tribu de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia), ayant le pouvoir de faire tomber des averses de feu.
— Vaea/Fea la détestable (documentation irlandaise). Une des déesse-ou-démones de la guerre, sœur de Morrigan, Badb et Nemain.
— Viliaegus (documentation continentale). Qualifie une entité nommée Virrora, honorée à Lugo en Espagne.
— Veco/Fiachna (documentation irlandaise). Fils de Betach et père de Deorgreine. Son épouse fut enlevée par Eochaid puis donnée à son neveu Goll. Mais ce dernier fut tué par Laegaire, et sa femme lui fut donc rendue.
— Vecorix/Fiachra (documentation irlandaise). Un des quatre enfants de Lero/Lir et d’Aobh, changé en cygne (pour neuf cents ans) par la jalousie de sa belle-mère.
— Vena Tigerna Brondae/Gwenn Teir Bronn (documentation galloise). Son nom signifie quelque chose comme « amour à la poitrine généreuse ». Sainte patronne des nourrices ou des femmes qui allaitent. Sans doute un thème du paganisme repris par les premiers chrétiens. Cf. La déesse-ou-démone, ou bonne fée, Aveta.
— Virodactis/Viradecdis (documentation brittonique). Culte continental, adopté par des Germains, et importé par eux en Grande-Bretagne. Signifie « la protectrice » ??? La forme Viradecdis a été trouvée à Vechten aux Pays-Bas. Cette déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère utiliser ce terme, est connue par une inscription trouvée à Birrens [RIB 2108], qui se lit comme suit : DEAE VIRADECTHI PAGVS CONDRVSTIS MILIT IN COH II TVNGROR SVB SILVIO AVSPICE PRAEF. À la déesse Viradecthis la tribu condruse servant dans la deuxième cohorte des Tongriens, sous Silvius Auspex, préfet.
— Vocomarcios/Fochmarc (documentation irlandaise). Un des sages des Tuatha Dé Danann.
NOTE DE LA RÉDACTION.
Rappelons que cette liste ou que cette classification de divinités secondaires, principalement extraite des travaux et des patientes recherches, ô combien érudites de notre confrère du vieux continent
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Dyfed Lloyd Evans, pilier de l’association Nemeton (www.celtnet.org.uk) n’est ni exhaustive ni complète, que ce n’est ni un dogme ni un article de Foi. Il s’agit surtout d’un défi à relever (pour tous ceux à qui rien de ce qui est humain n’est étranger).
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le remarquer à plusieurs reprises, mais il importe de le souligner ; si quelqu’un se trouve par hasard d’accord avec tout, y compris dans le moindre détail, alors cela signifie qu’il est incapable de réflexion personnelle. Être conscient des problèmes soulevés par cette liste ou cette tentative de classification, est la seule attitude féconde et positive à cultiver en l’espèce. Est véritablement d’esprit celte non pas celui qui est d’accord avec tout ce qui précède, mais celui qui est capable d’en voir les points faibles, afin de les corriger ou de les améliorer. Le but de ces quelques notes est de nous amener à réfléchir sur le divin et rien de plus.
Rappelons aussi qu’au-dessus de tous ces dieux-ou-démons celtes, ou pas, d’ailleurs (Nerthus n’est qu’à demi celte par exemple) existent des entités plus haut placées dans l’échelle des émanations divines en cascades.
Et rappelons enfin que toutes ces personnes divines, toutes ces hypostases, ne forment pourtant qu’un seul Dieu-ou-Diable. La toute-puissance de Dieu-ou-Demiurge fait qu’il peut être Un en plusieurs personnes.
Pour plus de renseignements à ce sujet voir la partie théologie.
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LES 1000 ET 1 NOMS DU DIVIN (suite).
Francs les cumandent à Deu et à ses nuns (Chanson de Roland, vers 281).
Les Francs les * recommandent à Dieu et à ses noms.
Le judéo-islamo-christianisme, comme l’islam, a donc toujours connu cette notion des noms ou attributs de Dieu.
* Il s’agit des corps de Roland, d’Olivier, de Turpin, que Charlemagne ramène.
ÉPITHÈTES OU HYPOSTASES DIVINES DE SENS INCERTAIN ET DIFFICILES À BIEN ATTRIBUER.
L’idée maîtresse qui a engendré la religion druidique tout entière, c’est que tout humain, tout groupe (famille, corporation, cité), tout objet, tout acte, tout phénomène naturel, en un mot toute chose, animée ou inanimée, a son « dieu-ou-démon ». La religion druidique primitive se résumait à une « démonologie ». C’était un panthéisme très simple dans son principe, mais très varié dans ses applications par contre. Le nombre des dieu-ou-démons, autrement dit des génies qui présidaient à toute chose, était pour ainsi dire infini ; mais en un certain sens, tous se ressemblaient, parce que tous étaient suscités par le même procédé. Il en résultait que ces dieu-ou-démons n’avaient pas de physionomie individuelle, n’étaient pas conçus sous des traits humains ; la religion druidique, à ses débuts, était aussi peu anthropomorphique que possible. Aux premiers temps, on ne savait même pas dire avec certitude si telle ou telle divinité que l’on invoquait dans les prières était un dieu-ou-démon, ou une déesse-ou-démone, ou une fée, si l’on préfère. Tel fut, semble-t-il, le fonds primitif de la religion druidique. De toutes ces divinités, nous ne connaissons guère que les noms ; de bonne heure, et dans le cadre de l’Empire d’Ambicatus, elles furent presque toutes assimilées à des divinités panceltiques ; et leurs attributions primitives furent effacées, voire oubliées. Il n’en serait même resté aucune trace, si l’esprit obstinément conservateur de la théologie et du culte de nos lointains ancêtres n’était pas quelque part demeuré obstinément fidèle au souvenir de leur culte. D’où tous ces noms au sens incertain que nous a gardé l’épigraphie.
Ainsi que nous l’avons déjà dit, par difficiles à attribuer à bien attribuer, nous voulons dire que nous n’avons pas suffisamment de renseignements pour déterminer s’il s’agit de figure divine vraiment indépendante ou s’il s’agit d’un adjectif pouvant qualifier telle ou telle divinité, voire de la forme locale ou particulière revêtue par telle ou telle divinité. À nos successeurs de trouver la réponse à ce défi.
Ce bref inventaire des hypostases ou des attributs de divinités druidiques, ou de l’Être supérieur selon les druides, a été réalisé en grande partie, en majeure partie même, grâce au véritable travail de Romain effectué en ce domaine par Patrick Lajoye, du Centre national de recherche scientifique, et pour le compte de la S. M. F. en utilisant des sources multiples : textes antiques, vies de saints du haut Moyen-âge, et surtout inscriptions antiques. Ces inscriptions sont nombreuses (plusieurs dizaines de milliers), pour la plupart en latin, quelques autres en grec. Pour les retrouver, il a donc fallu recourir aux grands corpus épigraphiques, comme le RIB (Roman Inscriptions of Britain) ou le CIL (Corpus Inscriptionum Latinorum). D’où une liste de près de 1800 noms, de la Grande-Bretagne à la Hongrie, de la Turquie au Portugal. Il n’est pas impossible d’ailleurs que quelques divinités ibères, germaniques, ou thraces, s’y soient glissées. Dans le cas des théonymes, les frontières linguistiques sont hélas souvent très floues. Mais il vaut mieux en prendre trop qu’en oublier…
Abandinus (Godmanchester, Grande-Bretagne). Abna (San Martinho do Campo, Portugal). Aciannus (Camaret, Vaucluse, France). Acilus (Trets, Bouche du Rhône, France). Acorus (Lançon-Provence et Cucuron, France). Acpulsoius (Lagunilla, Espagne). Adacrius (Vernais, France). Adido (Le Puy, France). Aduana (Trêsmina, Portugal). Advernus (Cologne, Allemagne). Aecorna (Ljubljana, Slovénie). Aecus Rougiauesucus (Minhotaes, Espagne). Aegassis (Galié, France). Aegiamunniaegus (Viana del Bollo, Espagne). Aereda (Siradan, France). Aernus (Cerezo, Espagne). Aesontius (San Pier d’Isonzo, Italie). Aethucolis (Antibes, France). Agramianus (Pesch. Allemagne). Airo (Uclès. Espagne). Aivossivaeius (Plasenzuela-Trujillo, Espagne). Alantedoba (Ossima, Italie). Alateivia (Xanten, Allemagne). Albarinus (Le Barroux, France). Albiorica (Saint-Saturnin-d’Apt, France). Albius
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(Aignay-le-Duc, France). Albocelus (Vilar de Maçada, Espagne). Albucelaincus (Repeses, Portugal). Alletius (Corbridge, Grande-Bretagne). Alma (Barretos, Portugal). Alus (Brescia, Italie). Ambieiceris (Braga, Portugal). Ambiorebis (Braga, Portugal). Ambisagrus (Aquilée, Italie). Ameipicer (Quinta de Orjais, Portugal). Ananca (Duklja, Monténégro). Ancasta (Bitterne, Grande-Bretagne). Ande (Caumont, France). Andicrose (Thetford, Grande-Bretagne). Andinus (Kacanik, Hongrie). Anextiomara (Avenches, Suisse). Angeficus (Ventas de Caparra, Espagne). Ansotica (Nin, Croatie). Antia (Cousance-du-Jura, France). Antiscreus (Castro de Monte Redondo, Portugal). Anvalus (Autun, France). Apecius (Rom, France). Aponianicus Poliscinius (Lisbonne, Portugal). Aracus, Aranius, Aracoaranius (Manique de Baixo, Portugal). Aramo (Aramon, France). Arbugio (Biot, France). Arcanua (Born-Buchten, Pays-Bas). Arciaco (York, Grande-Bretagne). Arco (Riba de Saelices, Espagne). Argenta (Cologne, Allemagne). Arnomecta (Brough-on-Noe, Grande-Bretagne). Arpaniceus (La Varse, Espagne). Arpeninus (Burgalays, France). Arubinus (Graz, Autriche). Arus (Castro Daire, Portugal). Asurnia (Chaves, Portugal). Atesmerta (Chaumont, France). Atta (Niv, Monténégro). Ausecus (Thetford, Grande-Bretagne). Aveha (Gleuel, Allemagne). Averanus (Melles, France). Avita (Grésy-sur-Isère, France). Bacurdus (Cologne, Allemagne). Baginus (Bellecombe, France). Baicorixus (Balesta, France). Baiosis (Gourdan-Polignac, France). Balaesu (Mata de Alcantara, Espagne). Baldruus (Utrecht, Pays-Bas). Bedaius (Chieming, Allemagne). Beiradiegus (Vila Nova de Famalicão, Portugal). Belestis (Klagenfurt, Autriche). Belgo (Gazost, France). Belsourdos (Perinto, Italie). Bemiluciovis (Ampilly-les-Bordes, France). Benacus (Moniga del Garda, Italie). Bergantis (Longwood, Grande-Bretagne). Bergimus (Brescia, Italie). Bergonia (Viens, France). Besencla (Senhoram, Portugal). Besua (Bèze, France). Blanda (Ambléon, France). Bletis (Barrantes, Portugal). Blotugus (Thetford, Grande-Bretagne). Bodus (Villadepalos, Espagne). Boutrix (Vaison, France). Brasennus (Noboli, Italie). Bregans (Slack, Grande-Bretagne). Briganitius (Rome, Italie). Brigus (Delaes, Portugal). Brixantos (Moulins-Engilbert, France). Broccus (Bonar, Espagne). Brogduos (Ptuj, Slovénie). Budenicus (Bézuc, France). Bugius (Haegen, France). Burorina (Domburg, Pays-Bas). Cabar (Pinho, Portugal). Cabuniaeginus (Aguilar de Campo, Espagne). Caeduradius (Braga, Portugal). Caepus (Quinta de São Domingos, Portugal). Caielonus (Algodres, Portugal). Caiiarus (Aix-en-Provence, France). Caiva (Büdesheim, Allemagne). Calaedicus (Nieva de Cameros, Espagne). Calonna (Chalonnes-sur-Loire, France). Camlorica (Soissons, France). Camulorix (Pont-lès-Bonfays, France). Candeberonius (Braga, Portugal). Candua (Gajan, France). Canduedia (San Esteban del Toral, Espagne). Cantunaecus (Ciudad Rodrigo, Espagne). Caraeciquaelicqus (Raso, Espagne). Caraedudis (Astorga, Espagne). Carantana (Etrechy, France). Carinus (Bov, Bulgarie). Carius (San Juan de los Banos, Espagne). Carneus (Arrayolos, Portugal). Carvonia (Dobrteša Vas, Slovénie). Casius (Heddernheim, Allemagne). Castaecae/Castaeci (Santa Eulália de Barrosas, Portugal). Caulaecisacus (San Cristobal de Castro, Espagne). Ceaiius (Wardal, Grande-Bretagne). Ceilneus/Celeus (Pourrières, France). Celeia (Celje, Slovénie). Celiborca (Villasbuenas, Espagne). Centondis (Nice, France). Cerunincus (Steinsel-Rëlent, Luxembourg). Cesandus (Lences, Espagne). Cesius (Evora, Portugal). Ciniaemus (Rakos-Palota, Hongrie). Cobeia (Mandeure, France). Coius (Brandomil, Espagne). Colloveseus (Algodres, Portugal). Coronus (Serzedelo, Portugal). Cosigus (Algodres, Portugal). Cossua (Noceda del Bierzo, Espagne). Cosunea (Sanfins de Ferreira, Portugal). Crarus (San Miguel de Laciana, Espagne). Creto (Morbach, Allemagne). Crouga (Viseu, Espagne). Cuda (Cirencester, Grande-Bretagne). Cusa (Cousance-du-Jura, France). Cusenemeoecus = Neneoecus (Burgaes, Portugal). Cusus Paetaicus (Ageda, Portugal). Dadruvilus (Vilarelho da Raia, Portugal). Daev (Cabra, Espagne). Dafa (Castro de São Lourenço, Portugal). Danigus (Marecos, Portugal). Deganta (Cacabelos del Bierzo, Espagne). Degovex (Walschied. France). Densus (Cilhades, Espagne). Deona (Laudun, France). Dercetius (San Cristobal, Espagne). Deviatis (Saint-Didier, France). Devorix (Outeiro Seco, Portugal). Dexteratis (Körny, Hongrie). Diaecus (Espagne). Diseta (Kelvedon, Grande-Bretagne). Divona (Bordeaux, France). Dorminus (Acqui, Italie). Ducavavius (Romeno, Italie). Dulovius (Grases, Espagne). Dunisia (Bussy-Albieux, France). Durbedicus (Ronfe, Portugal). Duredius/Dueroeicus (Granginha, Portugal). Durius (Porto, Portugal). Edelatis (Eoux, France). Elausia (Grésy-sur-Isère, France). Eluontios (Genouilly, France). Eniragillus (Casas de Millan, Espagne). Enobolicus (Villaviçosa, Portugal). Epointa (Massa, Italie). Erdiste (Toulouse, France). Erge (Montsérié, France). Erudinus (Caceres, Espagne). Erumus (Brumath, France). Expercennius (Cathervielle, France). Fonio (Aquilée, Italie). Frovida (Braga, Portugal). Gargarix (Espagne). Genius Conimbricae (Conimbriga, Portugal). Genius Cor (Soutinho, Portugal). Genius Depenoris (Castro do Mau Vizinho, Portugal). Genius Tiauranceaicus (Ponte de Lima, Portugal). Gesacus (Amiens, France). Grinovantis (Ménestrau, France). Hammia (Carvovan, Grande-Bretagne). Helioucmounis (Martres-Tolosane, France). Heroto ragus (Rellinars, Espagne). Hidua (Etrechy, France). Iboita (Lambesc, France). Ibosus (Néris-les-Bains, France). Iccona (Guarda, Portugal). Icovellauna (Trèves, Allemagne). Idennica (Colias, France). Igaedus/Igaeditanus (Idanha a
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Velha, Portugal). Ilurbeda (Covas dos Ladrões, Góis, Portugal). Inciona (Mensdorf, Luxembourg). Isosa (Etrechy, France). Issibaeus (Miranda do Corvo, Portugal). Itsacurrina (Izcue, Espagne). Ivilia (Forua, Espagne). Iuno Meirurnarum (São Veríssimo, Portugal). Iuno Veamuaearum (Freixo de Numão, Meda, Portugal). Iupiter Assaecus (Lisbonne, Portugal). Kamoulatis (Saint-Rémy-de-Provence, France). Laburus (Kaltenbrunn, Slovénie). Laepus (Sabugal, Portugal). Laesus (Torre, Portugal). Laneana (Aldeia da Ponte, Portugal). Lanovalus (Cadenet, France). Lares Caireieses (Zebreira, Portugal). Lares Cusicelenses (Couta de Algeriz, Portugal). Lares Findenetici (Chaves, Portugal). Lares Erredici (São Pedro de Agostém, Portugal). Lares Lubanc (Conimbriga, Portugal). Larocus (Curral de Vacas, Portugal). Laurusinis (Tasque, France). Lavaratus (Carros, France). Leiossa (Cabeza del Griego, Espagne). Letinno (Lédenon, France). Leucina (Comunion, Espagne). Leucitica (Glovizza, Italie). Lobbonus (Utrecht, Pays-Bas). Louccianus (Belluno, Italie). Loucis Iuteris (Pozoblanco, Espagne). Lualda (Casalo, Italie). Luca (Santa Cruz de la Sierra, Portugal). Lucena (Mayence, Allemagne). Lucubus (Nîmes, France). Lucuttectus (Cucuron, France). Ludrianus (Belluno, Italie). Lurunus (Vendas, Portugal). Macarius (Lisouros, Portugal). Magalus (Séraucourt, France). Magla (Sisak, Croatie). Maglomatonius (Agen, France). Magutis (Kovatchovetz, Bulgarie). Maiduna/Meduna (Avila, Espagne, et Bertrich, Allemagne). Maiurrus (Grasse, France). Mandica (Ponferrada, Espagne). Mandiceus (Sintra, Portugal). Mantounus (Salins-les-Thermes, France). Maramagius (Sankt Margarethen, Autriche). Marcos (Bordeaux, France). Mavida (Bourges, France). Medigenus, Medugenus (Thetford, Grande-Bretagne). Medilavinus (Pieve di Ledro, Italie). Medurinis (Rome, Italie). Meldius (Saint-Rémy-de-Provence, France). Melosocus (Carnizza, Italie). Mentiviacus (Zamora, Espagne). Metunus (Londres. Grande-Bretagne). Minuris (Hérapel, France). Mocio (Limia, Portugal). Moelius Mordoniecus (Cornoces, Espagne). Mogontia (Metz, France). Moricilus (Casas de Millan, Espagne). Mountis (Old Penrith, Grande-Bretagne). Mounus (Lezoux, France). Munida/Munidia (Chaves, Portugal). Naga (Gièvres, France). Nana (Rom, France). Nefa (Monte Louredo, Espagne). Netaciveilebrica (Espagne). Obana (Celsa, Espagne). Obela (Trèves, Allemagne). Obiledus (Murstetten, Autriche). Obio (Estollo, Espagne). Obuldinus (Voltino, Italie). Ocaera (Sao Joao do Campo, Portugal). Ocririma (Sao Salvador de Aramenha, Portugal). Onuava (Bordeaux, France). Orcia (Zrnov, Serbie). Orgenus (Lughero di Guardasone, Italie). Paramaecus (Fojos, Portugal). Paronnus (Côme, Italie). Pindusa (Cabeza del Griego, Espagne). Pipius (Vallauris, France). Pisintus (Trèves, Allemagne). Poecosuosucivus (Ubeda, Espagne). Poemana (Lugo, Espagne). Ratamatus (Saône-et-Loire, France). Rea (Lugo, Espagne). Rego (Lugo, Espagne). Reva (Mosteiro da Ribeira, Espagne). Reva Langanidaegus (Medelim, Portugal). Revinus (Gargnano, Italie). Ricoria (Béziers, France). Robeo (Demonte, Italie). Ronea (Lioux, France). Roquetius (Cabasse, France). Rotona (Rotavella, Italie). Rubacascus (Demonte, Italie). Sacanus (Carpentras, France). Saga (Bonar, Espagne). Salamas (Espagne). Salsocrarus (Fouzilhon, France). Sandravdiga (Groot-Zundert, Pays-Bas). Santius (Miltenberg, Allemagne). Sarmandus (Feigendorf, Roumanie). Saternius (Thetford, Grande-Bretagne). Satiada, Saitada, Sattada, Saiiada (Beltingham, Grande-Bretagne). Seitundus (Susqueda, Espagne). Seixomnia (Glovizza, Italie). Selatsa (Barberin, Espagne). Senaicus (Braga, Portugal). Seneucaega (Zennewijnen, Pays-Bas). Sentona (Labin, Croatie). Serana (Budapest, Hongrie). Seranus (Chester, Grande-Bretagne). Sibulca (Herne, Allemagne). Sigerius Stilliferus (Merida, Espagne). Sivelia (Le Mans, France). So Meobrigus (Espagne). Solimara (Bourges, France). Somastoreicus (Braga, Portugal). Stoiocus (Asque, France). Subremis (Neuvy-sur-Baranjon, France). Sucabus (Newcastle upon Tyne, Grande-Bretagne). Sueta (Acqui, Italie). Surburus (Le Donon, France). Tabudicus (Coimbra, Portugal). Tameobrigus (Portugal). Temavus (Aquilée, Italie). Thucolis (Antibes, France). Tiana (Topusko, Croatie). Tincus (Ossola, Italie). Tinus (Voltino, Italie). Titaca (Blankenheim, Allemagne). Toga (La Torre de la Mata, Espagne). Tongo (Freixo, Portugal). Torolus Gombiciegus (Pias, Espagne). Trenicus (Ancaster, Grande-Bretagne). Tridamos (Michaelchurch, Grande-Bretagne). Tristiaecius (Torremanga, Espagne). Tritta/Trittia (Pierrefeu et Trets, France). Tueraeus (Concelho de Feira, Portugal). Turculla (Puerto de Santa Cruz, Portugal). Turiacus (Santo Tirso, Portugal). Udunnaeus (Santibanez, Espagne). Uncia (Juliers/Jülich, Allemagne). Ussubius (Le Mas-d’Agenais, France). Uvarna (Miranda, Espagne). Urobrocis (Carpentras, France). Uxellicus (Buoux, France). Uxellus (Hyères, France). Uxovinus (Bonnieux, France). Uxsacanus (Bédoin, France). Vabusoa (Utrecht, Pays-Bas). Vacocaburius (Astorga, Espagne). Vaelicus/Velicus (Candeleda, Espagne). Vagadavergusta (Brescia, Italie). Vagdaevercustis (Adony, Hongrie). Vagodonnaegus/Vacocaburius (La Milla del Rio, Espagne). Valanis (San Pedro de Avioso, Espagne). Valmus (San Pedro de Avioso, Espagne). Vanauns (Castlesteads, Grande-Bretagne). Varneno (Kornelimünster, Allemagne). Vaxus (Montauban-de-Luchon, France). Vegeta (Lisbonne, Portugal). Ventis (Auch, France). Verpantus (Le Langon, France). Vercana (Bertrich, Allemagne). Veriugodumnus (Saint-Acheul, France). Vestius (Lourizan, Espagne). Viama (Sassenage, France). Videtillus (Dijon, France). Vihansa (Hern-Saint-Hubert, Belgique). Vindedus (Yverdon, Suisse).
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Vindoridius (Coblence, Allemagne). Vinovia (Binchester, Grande-Bretagne). Virlontia (Villars, France). Vironius/Vironus (Atenor, Portugal). Virrora (Lugo, Espagne). Vitiocelus (Coudoux. France). Vorio (Trèves, Allemagne). Voroius (Pantenburg, Allemagne). Vosugonus (Titelberg, Luxembourg). Vracellus (Millau, France). Vurovius (La Bureba, Espagne).
MYTHOLOGIE D’IRLANDE.
Nous avons préféré créer une rubrique particulière pour les noms extraits de la documentation irlandaise, pour plusieurs raisons.
a) L’évolution séparée dans cette île et durant des siècles, coupée de tout contact régulier avec le reste du monde celtique, du panth-éon ou plérôme celtique originel.
b) Les déformations entraînées par la christianisation et l’évolution de la société irlandaise au Moyen-âge (évhémérisme, historicisation, fausses généalogies, ou du moins généalogies plus que douteuses, etc.
c) Qu’on le veuille ou non, plus on se rapproche, que ce soit dans l’espace ou le temps, du berceau celtique originel, c’est-à-dire quelque part en Europe, au nord des Alpes, vers le IIe millénaire avant notre ère, plus on a des chances d’être dans le vrai du druidisme ou de la spiritualité celtique authentique. Le panth-éon ou plérôme celtodruidique authentique a certainement été moins déformé, caricaturé, ou incompris, par les auteurs classiques grecs ou romains, qui étaient eux aussi païens, qu’il ne l’a été sous la plume des judéo-chrétiens.
Voir donc tous les noms inconnus cités dans les textes irlandais.
Aed Minbhrec. Allaoi. Alatrom. Brott. Buaid. Cairbre Crom. Ceol. Dil. Dob. Dobur. Doirche. Dubhlongseach. Dubros. Enna. Eolas. Ethal Feisc. Ethaman. Fiachaid. Fis. Flesc. Fochmarc. Glan. Glei. Gleisi. Indolb. Iondaoi. Linad. Lobos. Luam. Mell. Mesca. Midhna. Ollam. Ordan. Rabb. Robb. Rusc. Radarc. Saime. Seith. Seor. Sid. Suba. Tabharn. Tae. Taig. Talc. Talom. Tat. Tetbin. Togad. Tren. Très. Trog, etc., etc.
MYTHOLOGIE GALLOISE.
Moronoe, Mazoe, Gliten, Glitonea, Gliton, Tyronoe, Thiten, U… le texte s’interrompt ici par déchirure de la feuille de papier. Les héritiers de Pierre de Crau estiment qu’il en manque les trois quarts…
Par contre sur la page suivante Jean-Loup, le fils aîné de Pierre de La Crau, a retrouvé la note suivante barrée en croix.
Ainsi que l’a dit le poète, les dieu-ou-démons en question ne sont « que les plus hauts, les plus connus, les plus renommés. Mais il y en avait d’autres encore qui leur étaient comparables ou peu s’en faut, quant à l’honneur, la force, la beauté, la richesse, la puissance, la renommée, la gloire, et dont les noms étaient connus et vénérés par tous, de par le Continent et les îles. Car de la race des dieu-ou-démons sont sorties des générations innombrables qui peuplèrent ciel et terre, mers et eaux, forêts et monts ».
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NOTES SUR L’HÉRÉSIE GALLOISE.
(Le terme employé par le chercheur breton C.-J. Guyonvarc’h dans son petit livre consacré à la « Civilisation celtique » est « déviation » (et il le réserve à la tradition irlandaise).
Quant à nous, nous qualifions ici d’hérésie au sens large du terme la documentation galloise, car la littérature médiévale de ce pays a été beaucoup trop christianisée, elle reflète par conséquent très mal la mythologie druidique primitive. Qui, ne l’oublions pas, est celle des peuples ayant vécu au nord des Alpes, dans la région des sources du Danube, du Rhin, et du Rhône ; autrement dit Sud de l’Allemagne, Est de la France, Suisse et Autriche (au premier millénaire avant notre ère).
— Amaethon. Fils de Don. Frère de Gwydion, Hyveidd, Gobannon, Gilvaethy et Arianerode. Dieu-ou-démon gallois de l’agriculture. Son nom signifie « le laboureur ». Il vole un chien, un vanneau et un chevreuil à Arawn, le dieu-ou-démon gallois du royaume souterrain des morts en attente de réincarnation sur cette terre (l’anwynn, différent donc de l’autre monde paradisiaque où vont la majorité des défunts). Il en résulte une guerre entre Amaethon et ses parents, les enfants de Don/Danu, et les dieu-ou-démons du monde souterrain dirigés par Arawn. Le frère d’Amaethon, Gwydion, transformera les arbres en guerriers grâce auxquels les forces du monde souterrain seront défaites (cf. le Cad Goddeu).
— Branwen. Le roi d’Irlande, Matholwch débarque un jour à la cour de Bran le béni avec l’intention de l’épouser pour conclure une alliance avec son voisin. Le mariage est célébré promptement, mais un demi-frère de Branwen, Evnissyen, en prend vite ombrage et mutile les chevaux du roi. Bran réussit à ramener le calme en donnant son chaudron magique pour dédommager le roi. Branwen part ensuite en Irlande avec son époux et donne le jour à un enfant. Malheureusement, de mauvaises langues ébruitent l’affaire de la mutilation des chevaux et Branwen sera mise au ban de la société. Elle élèvera un étourneau qu’elle charge d’un message pour son frère Bran. L’ultime effort de conciliation échouera quand le demi-frère de Branwen jettera son fils au feu. Le massacre sera général : il n’y aura que sept survivants. Branwen en mourra de chagrin.
— Cerridunia/Cerridwen, ou Kerridwen (nombreuses graphies possibles). Déesse-ou-démone, ou fée, galloise, qui semble initialement avoir été une déesse-ou-démone, ou bonne fée si l’on préfère, des céréales, mieux connue pour son rôle dans l’histoire de l’enfance du poète Taliesin. Principalement connue en tant que magicienne, était en fait une déesse-ou-démone galloise de la mort et de la fertilité. Femme de Tegid Foel, elle donne naissance à deux enfants complètement opposés : Afagddu qui passait pour être l’homme le plus laid de la Terre, et une superbe fille, Creirwy. Comme elle ne supportait pas le handicap de son fils Afagddu, Ceridwen fit bouillir dans un chaudron une potion magique destinée à lui permettre de devenir sage et respecté. Elle confia la tâche de veiller sur le chaudron à Morda et à Gwion Bach, mais une goutte tomba sur le doigt de ce dernier, il la lécha et reçut ainsi le don magique à la place d’Afagddu. Furieuse, Ceridwen poursuivit Gwion Bach qui se transforma donc à de multiples reprises pour lui échapper, mais en vain. Il finit par se changer en grain de blé, mais Ceridwen en profita pour l’avaler. Cela ne servit qu’à féconder Ceridwen, qui, plus tard, donna naissance à un Gwion Bach complètement différent (régénéré). Elle enferma le nouveau-né dans un sac en cuir et le jeta dans une rivière. L’enfant fut sauvé par un pêcheur qui, frappé par sa beauté, le nomma Taliesin (« front radieux »). Ceridwen eut un autre fils, du nom de Morfran, qui était si laid par contre que personne ne voulut le combattre lors de la bataille de Camlann ; tous le prirent pour un démon, tant sa laideur était grande.
— Cordelia/Creiddylad. Son nom vient du vieux celtique Cridilatia. Déesse ou démone galloise, fille de Lludd Llaw Ereint (ou Nudd) et donc membre de la famille de la déesse-ou-démone, ou fée, appelée Dôn dans l’histoire de Culhwch et Olwen. Elle apparaîtra plus tard dans le Roi Lear de Shakespeare, en tant que Cordélia fille du roi Lero/Llyr. Originellement promise à Gwythr ap Greidawl, elle sera enlevée par Gwyn ap Nudd (Vindos/Finn ?) ce qui déclenchera une guerre implacable entre les deux rivaux. Le roi de Bretagne Arthur apaisera la situation en ne les autorisant à se battre pour elle que chaque premier mai seulement, mais jusqu’à la fin des temps.
— Culhwch/Kulhwch. Dans la mythologie galloise était le fils de Cildydd, l’un des chevaliers du roi de Bretagne Arthur. Sa belle-mère le détestait à tel point qu’elle lui lança une terrible malédiction selon laquelle il ne pourrait se marier qu’avec Olwen, la fille du géant Yspaddaden. Ce sort, toutefois, fut moins terrible qu’il n’y parut de prime abord : lorsque Culhwch trouva Olwen, une aventure qui lui prit
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plus d’un an, ils tombèrent en effet immédiatement amoureux l’un de l’autre. Le seul problème fut d’arriver à convaincre Yspaddaden de consentir à leur union. À l’instar du roi des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Balaros/Balor en Irlande ; les paupières d’Yspaddaden devaient être soulevées puis maintenues dans cette position pour qu’il puisse voir. Comme Balaros/Balor toujours, le géant n’était pas favorable à ce que sa fille épousât un homme. Lors des entretiens qu’ils eurent à plusieurs reprises, Yspaddaden lança un javelot empoisonné sur Culhwch et ses compagnons, mais ils réussirent à l’attraper à chaque fois et à le lui renvoyer. Après que Culhwch eut fini par toucher un œil du géant désarmé en renvoyant ainsi l’une de ses lances, Yspaddaden consentit au mariage… à condition qu’il accomplisse une série d’exploits tous plus impossibles les uns que les autres. Avec l’aide des hommes d’Arthur et de quelques alliés divins, Culhwch surmonta toutes ces épreuves puis tua Yspaddaden et ensuite épousa Olwen.
— Dylan Eil Ton. Dylan fils de la vague. Dans la mythologie galloise, frère jumeau du dieu-ou-démon Llew Llaw Gyffes, il apparaît dans la Quatrième Branche du Mabinogi (Math fils de Mathonwy). C’est un fils d’Arianerode et de Gwydion. La naissance de Dylan et de Llew Llaw Gyffes sera le fruit d’une pratique magique (quand le roi Math voudra s’assurer de la virginité de leur mère Arianrode). Courroucée d’avoir été démasquée, elle poursuit Llew de sa colère en prononçant trois geisa. Peu après, Dylan se rendit au bord de la mer, s’y baigna et nagea « aussi bien que les poissons les plus agiles » ; ce qui lui valut le surnom de « fils de la vague » (Eil Ton). Il fut malencontreusement tué par son oncle Gofannon. Dylan Eil Ton est aussi mentionné dans un poème du « Livre de Taliesin » intitulé Marwnad Dylan Ail Don, dans lequel il est qualifié de magicien.
— Gwalw. Gwawl est, dans la mythologie celtique galloise, le trouble-fête du mariage de Pwyll/Pellès et de Rhiannon. Le roi Pwyll/Pellès (Pellehan ou Pellinor), piégé, ne peut refuser. Pwyll/Pellès (Pellehan ou Pellinor), bien décidé à reprendre son bien le plus cher, rumine sa revanche pendant un an. Au jour dit, fixé pour les noces, il se déguise en mendiant, muni d’une besace magique. Nul ne parvient à remplir ce sac : il faut que Gwawl, le nouveau roi, foule au pied ce qu’il y a dedans afin de le tasser, pour y arriver. Mais dès que Gwawl est entré dans la besace pour cela, Pwyll serre le cordon et son rival se trouve enfermé dedans. Il devra donc rendre Rhiannon à Pwyll/Pellès (Pellehan ou Pellinor).
— Gwydion/Gwydyon. Dieu-ou-démon guerrier, barde et magicien, dispensateur de bienfaits, propagateur des arts et grand héros civilisateur, vénéré dans deux comtés du Pays de Galles. Il était le fils de Don et de Beli, et avec sa sœur Arianrhode il sera le père de Lleu et de Dylan. Frère d’Amaethon. Gwydion est un magicien qui apparaît principalement dans la Quatrième branche du Mabinogi et dans un poème faussement attribué à Taliesin, le Cad Goddeu (le « Combat des arbrisseaux »). Dans la Quatrième Branche du Mabinogi, Gwydion aide son frère Gilfaethwy à violer Goewin, la malheureuse « repose-pieds » du roi Math. Pour cela, il vole les cochons de Pryderi prince du Dyfed, forçant ainsi Math à partir en guerre et donc à quitter sa position. Gwydion et Gilfaethwy entrent alors discrètement à la cour de Math où Gilfaethwy couche de force avec Goewin. Quand Math, qui est aussi un magicien, apprend la chose, il métamorphose les coupables en couples de différents animaux. Gwydion devient un cerf pendant une année, puis une truie l’année suivante et finalement un loup ; Gilfaethwy, quant à lui, est transformé en biche, en sanglier, puis en louve. De ces métamorphoses naîtront un faon (Hyddwn), un marcassin (Hychtwn) et un louveteau (Bleiddwn). Au bout de ces trois années, Math graciera ses neveux. La « repose-pieds » de Math devant impérativement être vierge, Goewin devra néanmoins être remplacée. Arianerhod, la sœur de Gwydion, sera pressentie pour cela, mais l’épreuve magique montrera qu’elle n’est plus vierge.
— Math fils de Mathonwy. Roi du Gwynedd, réputé pour sa magie. Son nom est apparenté à celui de l’ours, qui est l’animal emblématique de la royauté. Ne s’occupe que de guerre ou de prospérité. Il ne peut vivre que les pieds dans le giron d’une vierge, excepté en temps de guerre justement. La jeune fille qui remplit cet office se nomme Goewin, elle est fiancée à Gilvaethwy/Gilfaethwy. Le druide Gwyddyon, neveu de Math, déclare la guerre à Pryderi pour forcer son oncle à intervenir, et permettre ainsi à Gilvaethwy/Gilfaethwy de reprendre la jeune fille. Usant de sa magie, le roi berné les transforme en animaux. Arianerhode devra prendre la place de Goewin, et Math vérifiera sa virginité avec une baguette magique.
— Matholwch. Dans la mythologie galloise, Matholwch est un roi d’Iwerddon (Irlande), connu pour être l’un des protagonistes du Mabinogi de Branwen. Il débarque à la cour de Bran le béni, fils de Llyr, pour lui demander la main de sa sœur Branwen, et conclure ainsi un traité de paix avec lui. Evnissyen, le demi-frère de la jeune fille, furieux de ne pas avoir été consulté, coupe les lèvres, les oreilles, et la queue, des chevaux irlandais, dans l’espoir de faire échouer les négociations. L’offense sera compensée par la fourniture de nouvelles montures ainsi que d’un chaudron magique. Matholwch ramène sa nouvelle épouse dans son royaume, où elle est d’abord bien accueillie ; de cette union va naître un fils Gwern. Puis elle tombe en disgrâce, perd son titre de reine, et doit travailler aux cuisines.
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Ce traitement va durer pendant trois ans, durant lesquels la malheureuse élève un étourneau. Elle envoie ensuite l’oiseau porteur d’un message à la patte, à son frère, qui entreprend immédiatement une expédition militaire. Evnissyen jette l’enfant (Gwern) dans un brasier. La bataille tourne au massacre général.
— Pritrios/Pryderi. Dans la mythologie celtique galloise, Pryderi apparaît notamment dans deux des quatre Mabinogion gallois : « Manawyddan fils de Llyr » et « Math fils de Mathonwy ». Il est le fils de Pwyll ou Pellès prince de Dyved et de Rhiannon, la « Grande Reine », son nom signifie « souci ». Son épouse a pour nom : Cigva/Kigva/Cigfa/Kigfa. Enlevé à sa naissance, il est abandonné dans une écurie du prince de Gwent, Teirnon, qui recueille l’enfant et l’élève. Lorsqu’il retrouve sa mère Rhiannon, sept ans plus tard, elle le nomme Pryderi, à cause de l’angoisse provoquée par sa disparition et la fausse accusation d’infanticide qui avait entraîné pour elle une peine humiliante. À la mort de son père Pwyll/Pellès, il devient prince de Dyved, puis sa mère épouse Manawyddan Fab Llyr. Dans la troisième branche du Mabinogi, un brouillard magique dévaste la région, et la famille est contrainte de s’exiler en Angleterre pour travailler et subsister. Dans le conte suivant, il est tué par Gwydion, dans la guerre qui l’oppose à Math.
— Pwyll/Pellès (Pellehan ou Pellinor). Pwyll ou Pellès est un personnage de la mythologie galloise qui apparaît notamment dans le premier conte des Mabinogion gallois, qui a pour titre « Pwyll, prince de Dyved ». Son nom signifie la « Sagesse ». Dans cette légende plus que tardive, on retrouve de manière altérée quelques thèmes fondamentaux de la mythologie druidique : l’essence divine de la royauté, l’union avec la jument qui symbolise la souveraineté ainsi que le séjour dans l’Autre Monde. Lors d’une chasse, Pwyll/Pellès (Pellehan ou Pellinor) se dispute la dépouille d’un cerf avec un autre chasseur, qui n’est autre qu’Arawn, roi d’Anwyn, c’est-à-dire de l’Autre Monde infernal destiné aux bacuceos. Arawn lui propose alors un arrangement : échanger leurs identités pendant un an. C’est ainsi que Pwyll deviendra, lui aussi, roi d’Anwyn. Durant ce temps-là, il partagera le lit de l’épouse d’Arawn et éliminera son rival, Hafgan. Il s’empare des cochons magiques qui confèrent l’Immortalité, puis devient Pwyll Penn Anwyn. De retour en son royaume du Dyved, son règne sera caractérisé par l’équité, la justice et la générosité, mais il devra se trouver une épouse, et ce sera donc sa rencontre avec Rhiannon. Celle-ci, dont le nom (issu de Rigantona) signifie « Grande Reine », est un avatar de la divinité celtique féminine Épona. Afin de l’épouser, Pwyll devra éliminer tous ses rivaux. Ils engendreront Pryderi. Cette figure de la mythologie galloise a survécu sous les noms de Pellès, Pellehan ou Pellinor, d’après Marx.
— Yspadadden. Chef des géants, qui, dans l’hérésie galloise, apparaît dans le conte médiéval de Kulhwch et Olwen. Équivalent de Balor dans la tradition irlandaise. Une antique prédiction veut qu’il perde la vie lorsque sa fille, la belle Olwen (« trace blanche »), se mariera. Et bien sûr, un prétendant se présente : Kulhwch. L’accueil sera violent. Le géant reçoit le prétendant et les gens de sa suite, en leur lançant des pierres et des lances empoisonnées. Ces trois lances lui sont renvoyées, la première lui blesse le genou, la seconde lui transperce la poitrine, et la troisième pénètre dans son œil pour ressortir par la nuque. Finalement, il impose à Kulhwch une série d’épreuves extrêmement difficiles à réaliser, au terme de laquelle il aura Olwen.
Après avoir promis au chef des géants qu’il ne lui fera aucun mal, Kulhwch doit effectuer ce qui suit.
— Essarter, labourer, fertiliser, puis ensemencer un terrain de sorte que le blé puisse être moissonné le lendemain.
— Convaincre Amaethon de venir labourer le terrain, car il est le seul à pouvoir le faire.
— Convaincre Gofannon de venir nettoyer le soc de la charrue.
— Obtenir de Gwlwlyd Wineu qu’il lui prête ses deux bœufs pour labourer le sol.
— Faire pousser du lin dans un champ impropre à toute culture afin de confectionner le voile de la mariée.
— Trouver un miel rarissime pour préparer l’hydromel du repas de noces.
— Ramener la cuve de Llwyr pour faire l’hydromel en question.
— Ramener le plat de Gwyddneu Garabhir pour que le monde entier puisse s’y rassasier.
— Ramener la corne nommée Gwlgawt Gododdin pour servir la boisson.
— Demander à Teirtu sa harpe magique, celle qui fait de la musique toute seule.
— Attraper les oiseaux de Rhiannon.
— Aller chercher le chaudron de Diwrnach l’Irlandais, pour y cuire les aliments du repas de noces.
— Arracher la défense du sanglier Yskithrwynn vivant, pour qu’Yspaddaden puisse se raser la barbe. La défense du sanglier devra être gardée par Caw de Prydein qui, en principe, ne quitte jamais son royaume.
— Ramener du sang de la sorcière Gorwen pour assouplir les poils de la barbe d’Yspadadden ; le sang doit être impérativement conservé dans des vases magiques, appartenant à Gwiddolwyn Gorwen.
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— Ramener les seaux de Rhiannon, qui conservent le lait toujours frais.
— Ramener les ciseaux et le peigne qui se trouvent entre les oreilles du porc appelé trouyth (le twrch trwyth) afin de coiffer les cheveux d’Yspaddaden. Pour chasser ce sanglier fantastique, il faudra le chien appelé Drudwyn, la laisse de Cors, le collier de Canhastyr, ainsi que la chaîne de Kilydd Canhastyr. Le chien ne pourra être mené que par Mabon/Maponos/Oengus, dont on ne sait jamais où il se trouve.
— Réunir d’éminents chasseurs dans ce dessein, dont le roi de Bretagne Arthur en personne.
À la différence du conte irlandais qui nous relate la quête tragique des enfants de Taran/Toran/Tuireann (Brian, Iuchar et Iucharba), Kulhwch, lui, réussira tous ces exploits en question avec l’aide d’Arthur et de ses chevaliers. Et lorsqu’il revient avec ses compagnons à la cour du roi des géants, Caw de Prydein lui coupe la barbe, la peau, la chair et les oreilles. Les épreuves ayant été surmontées, Yspaddaden doit accorder la main de sa fille et se préparer à mourir. Goreu lui coupe la tête que l’on plante sur une lance. Kulhwch et Olwen passent leur première nuit ensemble.
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NOTE SUR L’HÉRÉSIE CELTIBÉRIQUE.
Les dieu-ou-démons ou déesse-ou-démones, ou fées, celtes, apparaissent très peu sur la côte Sud/Sud-Est de l’Espagne, là où la population était en contact avec le monde méditerranéen. Ces cultes sont par contre très présents au nord du Portugal et en Galice, où l’on ne dénombre pas moins de 35 divinités (Tranoy, 1981). Entre le Douro et le Tage, on en compte 55 ; au sud du Tage, 87. Ils ont pu également s’implanter dans certains centres urbains romains, tels que Bracara Augusta (Braga), où l’on ne dénombre pas moins de six divinités celtes.
Celtes et Celtibères voyaient le divin tout autour d’eux et d’abord dans les éléments de la nature environnante (fleuves sources et bosquets sacrés). Ce n’est que sur le tard qu’ils en sont venus à représenter leurs dieu-ou-démons ou à leur bâtir des temples. Les seuls sanctuaires préromains connus sont ceux de Mirobriga et de Garvão, mais ce sont des sanctuaires phéniciens. Cette absence de temples ou de représentations des divinités a pu faire dire à certains (voir Strabon, Géographie, III, 4, 16) qu’ils étaient athées ! Ce prétendu athéisme résulte manifestement de l’incompréhension du caractère spécifique de la religion ibérique préromaine.
Les spécialistes classent en général les divinités celtes de la péninsule ibérique en trois catégories.
— Les divinités révérées sur une grande partie de la péninsule (Endovellicus, Ategina, Runesocesius, Banda, Nabia).
— Les divinités circonscrites à une région déterminée (Quangeius…).
— Les Divinités propres à un groupe ethnique, à une tribu (Aernus, Calaicia).
À en juger par l’importance des dédicaces, le plus important des dieu-ou-démons du panth-éon ou plérôme de la péninsule ibérique, était Endovelicus (ou Endovellicos) ; divinité de la santé ou du bien-être, dont le nom d’origine celte – Andevellicos – signifiait « le très bon ». Un peu à l’instar du Suqellos Dagda Gargant, c’est le dieu-ou-démon souterrain et protecteur de la vie après la mort. Le culte de ce dieu-ou-démon tutélaire a pu s’apparenter à celui d’un dieu-ou-démon guérisseur comparable à l’Esculape romain, mais semble avoir revêtu également une fonction infernale de dieu-ou-démon des demeures d’outre-tombe, parfois symbolisé par un sanglier. Son culte s’est d’abord répandu à travers toute la péninsule ibérique puis, au-delà, dans tout l’Empire. Un temple lui était dédié à Sao Miguel da Mota, près de Terana dans l’Alentejo. Endovelicus pourrait être considéré comme le Dieu-ou-démon principal d’une trinité divine comprenant également Ategina et Runesocecius. On a retrouvé de nombreuses inscriptions à son nom et on l’identifie aussi avec le sigle D. E. S (Deo Endovellico Sacrum). Il fut en partie adopté par les Romains, mais son culte resta principalement implanté en Lusitanie, et il ne disparut qu’avec l’apparition du christianisme dans la péninsule, au Ve siècle.
— Ategina. Son nom vient des termes celtes ate + gena et fait allusion à la notion de renaissance. Le culte de la déesse-ou-démone-mère Ategina, était principalement répandu dans la vallée du Guadiana en Espagne, en Lusitanie et en Bétique, où on lui consacrait des ex-voto représentant des chèvres. Son culte est attesté à Beja, Serpa et Mertola. Peut-être existait-il aussi des sanctuaires dédiés à cette déesse-ou-démone, ou fée, à Elvas au Portugal, à Cáceres et à Mérida en Espagne. « Ô déesse Ataecina Turibrigense Proserpina ! Je t’implore, je te supplie et je te demande, par ta majesté, d’être ma vengeresse » (inscription retrouvée à Mérida).
Il s’agit en fait d’une triple divinité : de la nature, de la santé, de la mort. Elle fut immédiatement identifiée par les Romains à Proserpine.
Comme la déesse-ou-démone, ou fée, romaine, elle symbolise la renaissance, la fécondité, la terre et la nature ou la végétation, qui renaissent chaque printemps. De nombreuses mentions la désignent sous le titre d’Ataegina Turibrigensis Proserpina. Son sanctuaire principal était donc peut-être situé à Turobriga. Elle est aussi parfois désignée comme étant la déesse-ou-démone, ou bien fée si l’on préfère, de la Lune ; ce qui a conduit certains à penser qu’elle pouvait être une transposition ibérique de la divinité phénicienne Astarté. Elle est par ailleurs considérée comme une déesse-ou-démone, ou bien fée si l’on veut, de l’enfer, qui disparaît dans les profondeurs de la terre pour renaître ensuite. Cette divinité ne semble pourtant pas provenir de la même sphère ethnoculturelle que celle de Banda ou de Cosus. Son culte a donc probablement été introduit dans le Sud portugais par les Celtes, et sa présence au nord du pays doit s’expliquer par une migration interne.
Une troisième divinité de type martial venait peut-être compléter cette triade. Runesocesius : dieu-ou-démon guerrier de la région d’Evora. Selon Leite de Vasconcelos, son nom viendrait du mot celte runo (= secret, mystère, rune). Le terme Cesius, lui, proviendrait de la latinisation et signifierait javelot. Voici la seule inscription évoquant cette divinité : SANCTO RUNESO CESIO SACRUM Gaius Licinius Quintinus Balsensis.
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NOTES SUR LES DIFFÉRENTES FORMES DE CULTE À CE NIVEAU DU PANTHÉON DRUIDIQUE.
Diogène Laërce. Vies et doctrines des philosophes éminents. Livre I Prologue.
« Honorer les dieux, ne rien faire de mal, et être un homme, un vrai ».
Le verbe grec que l’on traduit habituellement par « honorer » est le verbe sebein. Il signifie « révérer, respecter ».
Vu que nombre de saints guérisseurs sont d’anciens dieux celtiques, on peut penser qu’un bon équivalent serait le très catholique « culte de dulie ».
LES CULTES DE DULIE LOCAUX OU PARTICULIERS À TEL OU TEL GROUPE SOCIAL.
Certains dieu-ou-démons-forces se sont retrouvés saints patrons de diverses activités. Lug devenu dieu-ou-démon du commerce et des voyages par exemple.
Le lien entre voyage et commerce dans l’Antiquité semble évident, mais pourquoi les voyages ?? Les raisons n’en sont plus nettement perçues aujourd’hui. Parce qu’il faut beaucoup d’ingéniosité pour surmonter les difficultés d’un long voyage ?? Ce qui est sûr donc, c’est que les membres de la société celtique avaient toujours des liens plus étroits ou plus marqués avec certains dieu-ou-démons qu’avec d’autres. Les cordonniers avaient par exemple pour saint patron (diraient les chrétiens) le dieu-ou-démon Lug lui-même. Le prouve l’inscription découverte à Osma en Espagne et qui se lit comme suit.
LVGOVIBUS
SACRVM
L.L. VRCI
CO. COLLE
GIO SVTORV
M. D.D.
Lugovibus sacrum L.L. Urico collegio sutorum d [ono] d [edit].
Ce qui signifie : L.L. Urico a offert ceci au triple Lug de la part de la corporation des cordonniers (collegio sutorum).
Lug, sous le nom de Llew, est d’ailleurs carrément connu comme étant aussi cordonnier (Histoire de Math fils de Mathonwy, 4e branche du mabinogi), au Pays de Galles.
Il existait donc des communautés se consacrant au culte d’une forme divine polarisant toute leur attention.
— Soit localement (cas par exemple des divinités protectrices de tel ou tel lieu, du plus petit au plus grand). Déesse-ou-démone, ou fée, des forêts, dieu-ou-démon de telle ou telle montagne, génie d’une ville comme Lyon, triade de fées symbolisant l’Irlande…
— Soit racialement voire ethniquement parlant : dieu-ou-démon de tel ou tel groupe familial, clanique, tribal. Des Matres anges gardiens des familles aux innombrables teutates de clan ou de tribu.
Et la piété populaire d’ailleurs était souvent mobilisée par ces manifestations particulières d’une divinité plus générale.
Même situation en réalité avec le christianisme actuel et ses innombrables saints plus ou moins fantaisistes, sans compter la Vierge Marie pour les catholiques (La Dame de Lourdes, la Dame de Fatima, de Lorette, et autres).
Les druides de haut niveau relieront néanmoins toujours ces divinités particulières aux figures majeures de leur panth-éon ou plérôme. Et de ce fait, un culte particulier ne rejette rien de l’apport panceltique. Tous admettent, en principe, l’ensemble des grandes lignes de la religion panceltique. On opère simplement un choix parmi ses éléments afin d’en mettre en valeur certains plus que d’autres. Ce sont néanmoins les traits originaux de la forme divine élue retenue, qui attirent toujours la dévotion des fidèles, même si, théoriquement, ils la considèrent comme la simple manifestation relative d’une divinité panceltique plus générale.
Le Lug des Arvernes – voir la statue géante que lui avait sculptée Zénodore – n’est pas le Lug du village de Canetonnum (canetonnensis), n’est pas le Lug des légendes irlandaises… et pourtant, tous ont en commun un certain nombre de caractéristiques remarquables.
Les druides veillaient à l’unité ou l’harmonie de leur religion de deux façons différentes.
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En tenant chaque année en un lieu consacré, de grands conciles nationaux ou internationaux, destinés à régler ces questions, mais aussi à régler par arbitrage les différents problèmes agitant la société laïque (guerre entre clans, etc.) ; et en entretenant de grands centres de formation internationaux (exemple celui de l’île de Mona en Grande-Bretagne).
« À une certaine époque de l’année, ils se réunissent en un lieu consacré du pays… que l’on tient pour le centre. Là viennent de toute part tous ceux qui ont des contestations et ils se soumettent à leur avis ou à leurs jugements… Aujourd’hui encore la plupart de ceux qui veulent mieux connaître cette doctrine partent là-bas [en Grande-Bretagne] pour l’apprendre » (César. B. G. VI, 13).
Tous ces dieu-ou-démons sont évidemment sujets à culte. Les Celtes rendent aussi un hommage domestique ou culte de dulie aux divinités protectrices de la maison (les matres nessamae) ainsi qu’à leurs divinités préférées, chargées d’assurer la prospérité (déesse-ou-démones-mères, Épona… Voir l’autel domestique d’Argentomagus.
À la maison, dans des sanctuaires (lieux naturels plus ou moins aménagés), ou dans des temples « en dur », au niveau étatique (ancien druidisme).
[Ici se trouvaient quelques dizaines de lignes supprimées par les héritiers de l’auteur puisqu’il n’était pas pour une quelconque théocratie].
Ce culte de dulie comporte aussi des prières, des sacrifices (des sacrifices animaux, ou des offrandes, ateberta, et ainsi de suite). Les offrandes ou les ex-votos qui sont offerts aux dieu-ou-démons de la santé symbolisent, ou représentent, le plus souvent, la partie du corps malade (sculpture sur bois, plaque de bronze représentant des yeux, ou autres). Sans oublier divers rituels ainsi que des fêtes (exemple la Lugnasade) avec concours sportifs, équestres, martiaux, ou artistiques (poésie musique).
Les lieux de culte.
Les lieux sacrés sont souvent à ciel ouvert : les bois, les sources, les sommets, les lieux de passage. À partir du Ier siècle, le sanctuaire peut être construit en pierre, selon les nouvelles techniques apportées par les Romains. Les sanctuaires comportent un espace sacré, clos par une enceinte, ils renferment un ou plusieurs temples – fana-, parfois des bâtiments annexes : bassins, thermes, portiques, théâtre… En Grande-Bretagne (et en Gaule) après la conquête romaine, s’est en effet installé un évident décalage entre les cultes officiels et les cultes populaires.
Le peuple, en grande majorité, continue d’honorer les divinités druidiques dans des sanctuaires où le temple (le fanum) présente toujours des caractéristiques celtes. Plan centré (carré, circulaire, polygonal) comportant deux éléments architecturaux emboîtés, la cella (chambre qui abrite la statue du dieu-ou-démon et/ou le puits à sacrifices) ainsi que la galerie abritant les processions de fidèles. Exemples de temples qui restent fidèles à la tradition celtique : la « tour de Vésone » à Périgueux, le temple de Janus à Autun (en France). Certains ont des vocations particulières : sanctuaires des eaux où les malades vont demander la guérison en offrant des ex-voto corporels : plaques de bronze en forme d’yeux ou représentations en pierre de diverses parties du corps 1). Plusieurs sanctuaires ont livré des statuettes représentant des enfants ou personnages emmaillotés, des sculptures figurant des parties du corps : têtes, torses, seins, mains, organes sexuels. Parfois, les organes montrent des anomalies correspondant à certaines maladies.
L’inscription découverte à Vila Real de Tras-os-Montes au Portugal prouve que l’on sacrifiait des animaux, y compris aux élémentals des sources, dans le monde celtique. On peut la lire comme suit.
DIIS DEABVSQVE AE
TERNVM LACVM OMNI
BVSQVE NVMINIBVS
ET LAPITEARVM CVM
HOC TEMPLO SACRAVIT
G. C. CALP. RVFINVS
IN QVO HOSTIAE VOTO
CREMANTVR
Le nom LAPITEARVM se réfère sans doute aux élémentals du lac en question.
Une autre des inscriptions découvertes parle des victimes que l’on sacrifiait ou que l’on immolait « à l’intérieur », en dehors de l’enceinte carrée ; cela devait être le lieu religieux proprement dit, peut-être le lac sur lequel on répandait le sang.
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Dans tous les sanctuaires, les fidèles offrent des ex-voto : autels, statuettes de la divinité, vaisselle plus ou moins précieuse, feuilles d’argent découpées, mais aussi estampées, pièces de monnaie, fibules, vases, anneaux…
1. Quand l’usage de mettre à mort des êtres humains pour obtenir la guérison d’une maladie, tomba en désuétude, les anciens druides prirent l’habitude d’offrir aux dieu-ou-démons un substitut, et ce fut l’image du malade ou de l’organe affecté.
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NOTE SUR LES MÉTAMORPHOSES TEMPORAIRES DE CERTAINS DIEUX.
SUR LES ANGES OU LES MESSAGÈRES DE L’AUTRE MONDE (les apparitions angéliques) DANS LA TRADITION CELTIQUE (etnosos en iarnbelre sur une inscription de Bourges).
Ces dieu-ou-démons-etnosoi correspondent aux Victoires du paganisme gréco-latin. Les Irlandais du Moyen-âge ont assimilé d’emblée certains de leurs dieux à des anges. Ils avaient en effet reconnu en eux la même fonction divine et sacrée que celle qui est assumée par les anges dans la tradition judéo-chrétienne, c’est-à-dire celle d’apporter des messages (en Irlande Liban venant de la part de Wanda/Fand par exemple). Cette notion n’est d’ailleurs en aucune façon typiquement chrétienne, juive, ou musulmane.
La Bible a emprunté ce concept aux mythologies de l’antique Mésopotamie (Sumer, etc.) où ils étaient vus comme une sorte de cour céleste vivant auprès des grands dieu-ou-démons. Les chérubins judéo-chrétiens correspondent par exemple aux keroubim assyriens (qui étaient des taureaux ailés). La « Révélation » directe (de la vérité) était apparemment insuffisante…
Il existe cependant trois grandes différences entre la notion d’etnosos dans la tradition celtique et la notion d’ange chez les judéo-islamo-chrétiens.
— Chez les judéo-islamo-chrétiens, il s’agit d’entités créées, mais immortelles, ayant leur vie propre.
Pour les Celtes, il s’agit seulement de l’état temporaire de métamorphose revêtu par certains dieux ou démons pour venir sur terre. Dès leur retour dans l’Autre Monde (dans le Sedodumnon), les dieu-ou-démons etnosoi en question reprennent aussitôt évidemment leur état surhumain « habituel » anthropomorphe, et abandonnent leur apparence d’oiseau.
— Chez les judéo-islamo-chrétiens les éléments empruntés aux oiseaux sont uniquement les ailes (une paire, deux paires ou trois paires, etc.). Chez les Celtes cela peut être beaucoup plus (complète transformation en cygne par exemple).
— Chez les judéo-islamo-chrétiens, les anges sont de sexe masculin (Genèse, 6,4 : ils font des enfants aux filles des hommes). Chez les Celtes, ils sont le plus souvent (mais pas toujours) du sexe féminin.
Le concept d’etnosos (d’ange) dans le néo-druidisme désigne donc l’apparence, et non la nature profonde, de l’entité en question. L’apparence, rappelons-le, est celle d’un oiseau (d’un cygne par exemple), mais la nature reste celle d’un esprit divin.
En tant qu’êtres purement spirituels ou presque, n’ayant que des apparences de corps animal, ces métamorphoses d’entités de l’Autre Monde, ont toujours leur intelligence et leur volonté de dieu-ou-démon (ou de déesse-ou-démone, ou de fée). Ce sont toujours des êtres personnels immortels.
Leurs ailes ou leur transformation totale en oiseau symbolisent la rapidité de leur mouvement, mais ces dieu-ou-démons ou déesse-ou-démones, ou bien fées, sont aussi en général le signe de la proximité de l’Autre Monde
La majorité de ces apparitions angéliques est de sexe féminin. Seule une minorité de ces entités passagèrement métamorphosées en créatures ailées sont de sexe masculin, avons-nous dit. Voir par exemple l’etnosos du lai de Marie de France intitulé Milon. Voir aussi le lai de Yonec.
Un vieillard se marie pour avoir des enfants. Méfiant, il séquestre sa jolie femme, sans grands effets. Elle se désole et appelle de ses vœux le héros qui la délivrera. Le voici qui apparaît, sous la forme d’un oiseau, qui se change en beau jeune homme. Très correct, il s’offre à communier pour prouver qu’il est bien homme et reste avec la dame : rien n’arrive. Ayant pris la communion, il reprend place dans ses bras. Ils s’aiment, mais il doit repartir. Il reviendra dès qu’elle l’appellera, mais ne devra jamais être vu.
Essai de classification.
1) Les oiseaux de l’Autre Monde, visibles par des êtres humains en état de veille, et non de rêve, ou de sommeil normal ou provoqué.
Voir le très bref passage gallois relatif aux oiseaux de Rhiannon ; une réminiscence assez confuse du thème celtique primitif.
« Ils se rendirent à Harddlech et s’y installèrent. Ils commencèrent à se pourvoir en abondance de nourriture et de boisson, et se mirent à manger et à boire. Trois oiseaux vinrent leur chanter un certain chant auprès duquel étaient sans charme tous ceux qu’ils avaient entendus. Les oiseaux se tenaient au loin au-dessus de flots et ils les voyaient cependant aussi distinctement que s’ils avaient été avec eux. Ce repas dura sept ans » (Mabinogi de Branwen).
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Même dans la mythologie dégradée du texte gallois, on remarquera que ces oiseaux de l’Autre Monde ont pour fonction première de chanter une musique douce qui endort, fait disparaître toute souffrance et détruit toute perception du temps.
2) Les oiseaux de l’Autre Monde, visibles par des êtres humains en rêve lors d’un sommeil normal ou provoqué.
Les femmes de l’Autre Monde sont les messagères des dieu-ou-démons avons-nous dit. Mais elles ne se montrent pas toujours de prime abord sous une apparence humaine : elles arrivent très souvent sous l’aspect d’oiseaux (de cygnes en l’occurrence).
C’est un jour de chasse aux oiseaux par exemple que deux belles jeunes filles viennent prendre contact avec Cuchulainn pour qu’il se rende dans l’Autre Monde.
Un Autre Monde où l’attend Wanda/Fand, l’épouse du dieu-ou-démon Belenos Barinthus Manannan. Ces oiseaux, quels qu’ils soient, quand ils surgissent, viennent du nord [ou de l’est, en tout cas de l’Autre Monde] et ce sont des cygnes qui chantent une musique merveilleuse. Même quand le thème de la messagère du sid (du sedodumnon) est déformé en celui d’une amoureuse du roi des guerriers d’Irlande, le cygne reste une image. Derba Vergilia (en gaélique Derb Forgaill), fille du roi de Loccolandon (la Norvège), aima Cuchulainn à cause des histoires que l’on racontait à son sujet. Elle (et une suivante) vinrent donc de l’est sous la forme de deux cygnes, et arrivèrent à Loch Cuan, reliées entre elles par une chaîne en or.
Le thème le plus mystérieux de la littérature mythologique insulaire est en effet celui des déesse-ou-démones, ou fées, ou plus simplement des femmes, que l’on envoie ou qui viennent chercher puis entraîner dans leur éternelle félicité, les mortels à qui elles ont donné leur amour.
Les messagères de l’Autre Monde des dieu-ou-démons (quand ce ne sont pas des dieu-ou-démons eux-mêmes venant sur terre), sont appelées en vieux celtique Benai Sedi. Terme ayant donné Bean Sidhe puis Banshees en irlandais. Elles sont appelées aussi Leanan ou Liannan Sidhe en gaélique. Ces déesse-ou-démones ou bien fées, si l’on préfère ce terme, dépassent en perfection tous les animaux ailés connus. L’éclat de leur gloire le montre (elles sont bellissima).
3) Survivances médiévales. Ces fées messagères de l’autre monde ont donné naissance au personnage de la fée ou de la sainte partiellement ornithomorphe. L’Église en effet n’a pas réussi à complètement les évincer ; elle a dû tolérer leur survivance en les reléguant dans un monde parallèle et inférieur. Sans toujours les maudire, elle en a fait un petit monde imaginaire propre tout au plus à distraire les enfants et les innocents.
De ce qui était souvent un attribut caractérisant jadis une de leurs fonctions, elle a fait un signe distinctif et infamant ; et c’est ainsi que certaines sont dites avoir des pieds en forme de patte d’oie. Elles ne furent jamais entièrement oubliées pour autant : ce sont les Dames blanches, c’est aussi Mélusine.
Jean-Baptiste Bullet, théologien et auteur en 1754 d’un savant mémoire destiné à prouver que le breton était la langue primitive de l’Humanité ; ainsi qu’en 1773, d’une « Réponse aux difficultés des Incrédules », qui faisait suite à son ouvrage sur « l’existence de Dieu prouvée par les merveilles de la nature » (1768) ; a démontré comment Robert 1er avait épousé en 996 Berthe de Bourgogne, dont il était le cousin au quatrième degré. Aussitôt excommunié par le pape Grégoire V pour cette union contraire aux canons de l’Église ; il ne fallut rien moins que l’interdit jeté sur son royaume, et l’abandon où le laissèrent tous ses serviteurs, pour qu’il accepte de répudier Berthe ; qu’il chérissait tendrement. Le cardinal Pierre Damien, qui écrivait soixante ans après cet événement, et se fit vraisemblablement l’écho de la tradition populaire, raconte que Berthe accoucha durant cette période. Et, par « effet de la colère divine, mit au monde un fils dont la tête et le cou étaient d’une oie et non d’un homme ». Il est donc très probable que l’on voulut éterniser le souvenir de cette prétendue vengeance céleste pour épouvanter, par la vue perpétuelle de ce châtiment, ceux qui oseraient braver les censures ecclésiastiques. Cette Berthe, portant sur elle le signe de réprobation dont Dieu l’avait frappée en la personne de son fils, devint donc un symbole menaçant pour tous les adversaires du pouvoir temporel de l’Église. Si l’on observe, d’autre part, que Robert fut le bienfaiteur de l’abbaye de Saint-Bénigne, à Dijon ; et que sa statue et celle de la reine Pédauque s’y trouvent placées l’une en regard de l’autre ; tout cela semble évident. Mais une Berthe peut en cacher une autre. Certains érudits ont pendant longtemps cru aussi que cette fameuse reine Pédauque était Berthe au grand pied femme de Pépin le Bref et mère de Charlemagne. C’était chercher là bien loin et s’amuser à se perdre.
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On ne sait pas trop en réalité, qui se cache derrière l’étrange dénomination de « reine au pied d’oie ». Vu la confusion perpétuelle entre l’oie et le cygne dont l’Antiquité classique offre déjà de nombreux exemples, il s’agit vraisemblablement d’une femme-cygne.
Dans bien des récits qui courent en Europe, le héros s’attire les bonnes grâces d’un animal fabuleux, sous forme de cane, de cygne, mais le plus souvent d’oie. Sous l’apparence d’oiseau se cache une fée qui se métamorphosera en jolie dame que le héros épousera.
Les pédauques sont des images de femme, que l’on voit représentée avec des pieds d’oie sur quelques monuments du Moyen-âge, et notamment au portail de certaines églises. Exemple le portail de Sainte-Marie de Nesle-La – Reposte dans le diocèse de Troyes, le portail de Saint-Pierre de Nevers, le portail de l’église Saint-Bénigne de Dijon.
C’est soit une reine dont les pieds sont palmés comme ceux des oies (languedocien péd’auco, italien pede d’occa). Ou une petite sainte affligée de la même et curieuse infirmité. Néomadie, Neomoise, Neomoye, Néomaye, Néomaie, Néomée, Némoise, ou Ennemoye, dans l’ouest de la France. Sainte patronne des bergères. En Languedoc les Encantadas sont des fées à patte-d’oie qui détiennent des trésors ; la nuit, elles les étalent sur des draps blancs.
Il existe une étrange association d’idées que l’on retrouve dans divers récits du Haut-Poitou. On a pu y recueillir des récits qui s’organisent autour d’un puits, une oie, un trajet souterrain et des fées. L’association fée oie est également suggérée par des récits normands. Ces mondes souterrains, ne véhiculent-ils pas des mythes anciens qui furent en partie christianisés ? La patte-d’oie est un signe de l’ambivalence, de l’être dont l’humanité n’est pas première. Pire, à un moment donné de leur vie, ce sont des femmes oiseaux. Ces fées laissaient sur le sol des traces de patte d’oie, de pied palmé. L’appellation « ma mère l’Oie » serait liée au souvenir de ces fées médiévales, qui laissaient des empreintes d’oie juste après leur passage.
Quant à nous, dont la grand-mère maternelle a jadis gardé les oies du côté de Pont-Varin avant de devenir la cuisinière attitrée du château de Cirey-sur-Blaise, nous préférons encore la réponse de l’immortel académicien auteur des dieux ont soif. « Qu’est-ce que ma mère l’oie, sinon notre aïeule à tous, et les aïeules de nos aïeules ; femmes au cœur simple et aux bras noueux qui accomplirent leur tâche quotidienne avec une humble grandeur et qui, desséchées par l’âge, filaient en devisant au coin du feu, sous la poutre noircie ; et tenaient à tous les marmots de la maisonnée ces longs discours qui leur faisaient voir mille choses ?… Le château et ses grosses tours, la chaumière, la forêt mystérieuse, et les belles dames, les fées… ».
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LES FIGURES DIVINES FAISANT L’OBJET
D’UN CULTE D’HYPERDULIE MAINTENANT.
RAPPEL À L’USAGE DES VELLÈDES (des maîtres).
C’est en suivant le cheminant que l’on trouve le chemin (proverbe druidique).
Essai de synthèse.
11. [Qui sont les Semons ?] Ils appelaient Semons les dieux qu’ils considéraient comme indignes du ciel en raison de la pauvreté de leurs mérites, tels Priape, Épona et Vertumnus, mais qu’ils ne voulaient pas non plus considérer comme seulement terrestres à cause de la grande vénération dont ils étaient l’objet (Fulgence. Expositio Sermonum Antiquorum 11).
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BREF RAPPEL SUR LES CONCEPTIONS VIRGINALES OU DIVINES CHEZ LES CELTES.
Notons pour commencer que le thème de la naissance virginale est universel. Un de mes correspondants parisiens m’envoie en effet l’extrait suivant du livre de Marthe de Chambrun-Ruspoli intitulé Le retour du phénix.
« S’étant recueilli en lui-même selon son grand pouvoir celui de matérialiser l’immatériel, Tum en sa qualité de Créateur, envoya à travers l’abîme l’âme de son fils, le Verbe, qu’il avait engendré en lui-même de sa propre substance et il prononça les mots « sois fait chair ». Et l’esprit (Thot) traversant l’abîme jusqu’à la terre, s’arrêta devant le sycomore au pied duquel se tenait Nout la Vierge. Il fit pénétrer dans son sein le germe divin » ???????????
Tout ce que le néo-païen celte que je suis peut confirmer c’est que dans la religion égyptienne antique le soleil en tant que principe créateur était bien appelé Tem, Tum, Temu, Atem, Atum ou Atmu. Et que la caractéristique première d’Atoum résidait dans le fait qu’il s’était autocréé.
Il existait quand il n’y avait pas de ciel, pas d’eau, pas d’homme ; les dieux n’étaient pas nés, et il n’y avait pas de mort, nous disent les textes de Pépi 1er. C’est donc du monde archétypal, de la nuit primordiale ou du préocéan que surgit Atoum pour donner naissance à Shu et Tefnout qui engendrent eux-mêmes Nout et Geb, les pères d’Osiris, Isis, Seth et Nephtys.
Thot est le traducteur de la pensée d’Atoum, il la transforme en paroles.
Et Nout est la Lumière primordiale avant la différenciation des couleurs, elle est représentée comme une femme dont le corps se courbe au-dessus de la terre et dont les bras pendants constituent les piliers de l’univers.
Mais revenons à nos moutons. Le thème de la fécondation par voie orale est attesté à plusieurs reprises dans le monde celte : c’est celui de la conception de Conchobar, celui aussi de la naissance de Conall Cernach, et il n’a dans le contexte insulaire rien d’extraordinaire. Avec une légère variante (la reine consomme la chair d’un saumon), c’est aussi le thème de la conception ultime de Tunos Carilligenos/Tuan Mac Cairill.
Les druides admettaient donc très bien que de simples mortelles puissent être fécondées par des entités « non-humaines, extra-humaines, sur-humaines ». La preuve, ce que nous dit saint Augustin des duses (pour les dénigrer bien sûr). « Et quosdam daemones, quos Dusios Galli nuncupant, hanc assidue immunditiam, et tentare, et efficere : plures, talesque asseuerant, ut hoc negare, impudentiae videatur » (De Civitate Dei, ad Marcellinum XV, 23). Comme les Celtes dont saint Augustin parlait au commencement du cinquième siècle, les Irlandais du septième siècle croyaient qu’il pouvait y avoir des dieu-ou-démons amoureux ou séducteurs de femmes. Et dans la légende de Mongan, ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le voir, l’événement principal ce n’est pas la bataille de Degsastan en 603 contre les Saxons, ou la bataille contre les guerriers du roi de Scandinavie, c’est la conception et la naissance de Mongan lui-même. La naissance de Mongan appartient en effet au thème classique et presque usé des amours d’un dieu-ou-démon et d’une mortelle. Dans le cas de Mongan, l’union de la reine et du dieu-ou-démon, est le prix ou la condition d’une aide guerrière. Transaction, marché ou convention, qui, s’il est bien dans l’esprit pragmatique de l’Irlande, est incompatible avec la morale chrétienne du mariage. Et l’incompatibilité est encore aggravée par l’attitude du mari qui, non seulement ne se sent pas outragé, mais accepte l’intervention sans rien voir de répréhensible dans la conduite de son épouse. Le propos du récit étant d’affirmer clairement, sans ambiguïté ni équivoque, la filiation divine de l’enfant ; l’origine divine de Mongan, futur roi d’Ulster, est soulignée par la décision de Belenos Barinthus Manannan de l’emmener, dès le troisième jour de sa vie, dans l’Autre Monde, pour y parfaire son éducation. Fiachna n’est qu’un père putatif et le cas est similaire à celui de Cuchulainn qui, fils putatif de Sualtam, si ce n’est du roi Conchobar, est, en fait, un fils du dieu-ou-démon Lug.
On a aussi un peu la même chose avec la naissance de Pryderi le fils de Pwyll ou Pellès, chef de l’Annwn, et de Rhiannon, au Pays de Galles (voir le mabinogi de Pwyll).
La signification de toutes ces naissances hors du commun est au fond très intelligible : la Souveraineté humaine est un reflet de la Souveraineté divine, et c’est en définitive le Souverain des dieu-ou-démon, qui conçoit les souverains des hommes. Ce que n’ont pas du tout compris les premiers chrétiens quand ils ont fait de leur nazôréen Jésus un fils de dieu ou du démiurge ; conçu grâce à l’opération du Saint-Esprit et de l’archange Gabriel (Belenos Barinthus Manannan Mac Lir ou Lug chez les Gaëls). En copiant ce thème sur les païens pour échafauder leur christologie ou leur culte marial, ILS L’ONT DÉFORMÉ.
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Le polémiste taliban chrétien ou parabolan appelé en latin Lucius Cæcilius Firmianus, dit Lactantius, dans son pamphlet anti-écologiste en diable intitulé « Institutions Divines », a, certes, raison d’écrire que l’on ne saurait assimiler à l’Être Un Supérieur… fleuves et montagnes, fleurs et animaux ; mais eux aussi font partie de l’œuvre divine, eux aussi sont dotés d’une certaine forme de vie, parfois bien mystérieuse il est vrai. Eux aussi participent de la divinité ou de la beauté de notre vaisseau spatial commun qu’est cette planète. Il vaut d’ailleurs mieux, pour la bonne santé de la Terre, et donc la nôtre en définitive, les respecter en tant que tels, et inculquer ou au moins transmettre, ce respect, aux nouvelles générations, à nos enfants. Et qu’y a-t-il de mieux encore pour cela, que de montrer publiquement le respect que nous leur vouons ? Peu importe que l’on appelle culte de dulie ou idolâtrie une telle manifestation ; ce qui compte c’est le souci écologique, l’efficacité de point de vue de l’écologie. Ci-dessous pour mémoire, le texte de Lactance.
« La terre que nous foulons aux pieds, que nous remuons et que nous cultivons pour en tirer de quoi nous nourrir, n’est pas un Dieu, les plaines ni les montagnes ne sont pas des dieux : l’eau dont les animaux se servent pour boire et pour se laver n’est pas un dieu, les sources d’où elle coule, les fontaines, les rivières, les fleuves et la mer même, qui se grossit de ces fleuves, ne doit pas passer pour un dieu. Ni le ciel, ni la terre, ni la mer, qui sont les principales parties du monde, ne sont des dieux, le monde entier n’est pas non plus un dieu, bien que les stoïciens lui aient reconnu la vie, la sagesse et la divinité. Ils s’accordent néanmoins si peu en cela avec eux-mêmes, qu’ils renversent ce qu’ils avaient dessein d’élever. Car voici comment ils raisonnent : il n’est pas possible que ce qui produit des êtres qui ont du sentiment soit privé du sentiment ; le monde produit l’Homme qui a du sentiment ; le Monde en a donc, aussi bien que l’Homme. De plus, le tout dont une partie a du sentiment a aussi du sentiment ; or le Monde est un tout dont l’Homme qui en est une partie, éprouve du sentiment ; donc le monde en éprouve [du sentiment]. Les deux premières propositions de chaque syllogisme sont bonnes ; ce qui produit un être qui a du sentiment doit avoir du sentiment lui-même, et un tout dont une partie a du sentiment en a aussi. Mais les deux prémisses mineures qui suivent ne le sont pas : le Monde ne produit point l’Homme, et l’Homme n’est point une partie du Monde… »
Telle est du moins l’opinion du pamphlétaire chrétien nommé Lactance, dans son ouvrage intitulé Institutions divines. Livre II. Chapitre VI.
Qu’il nous soit permis dans ce modeste essai, de dire que nous n’adhérons guère à son raisonnement, car la Science, de l’astrophysique à la paléontologie, laisse entendre exactement le contraire : le Monde a bien produit l’Homme (en plusieurs millions d’années d’évolution), et l’Homme est bien une partie intégrante de cet Univers physique. Il est aussi un animal, même s’il n’est pas que cela !
En matière de culte en effet il faut donc toujours bien distinguer trois niveaux.
Le niveau de base est constitué par les multiples entités à l’œuvre en permanence au sein de ce monde. Ce sont des auxiliaires indirects de la Divine Providence, du Destin ou Tokade en quelque sorte. Un simple culte de dulie peut leur être associé.
Mais parmi ces êtres divins presque innombrables, et que nous venons ainsi de passer en revue, quelques-uns paraissent avoir acquis de bonne heure une importance particulière. Il importe donc ici d’en dire à notre tour quelques mots ainsi que du culte d’hyperdulie qui leur est souvent associé.
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LA TRIADE CORNUNNOS, ÉPONA, HESUS.
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CORNUNNOS.
Cernenus, Karnonos : l’Amitâbha/Amitayus de la Terre Pure des anciens druides.
Dieu chamanique de la nature, et de la renaissance dans l’autre monde. Représenté avec des cornes ou des bois de cerf, et assis en position du lotus.
Les Indiens Pawnees chantaient (lors de la cérémonie du Hako) le cerf annonciateur de lumière qui guide vers la lumière du jour. Les animaux sont éveillés. Ils sortent des gîtes où ils ont dormi. Le Cerf les conduit. Il vient du sous-bois où il demeure, menant ses petits vers la Lumière du Jour.
Voici, le cerf ! Voilà, le cerf, le grand cerf
Il sort du gîte où il a passé la nuit !
Le jour est là ! Le jour est là, est là !
Voilà le cerf ! Voici le cerf, le cerf !
Tous les animaux de la forêt se réveillent et voient la lumière.
Et là évidemment on ne peut que penser à l’archétype jungien du vieux sage représenté par une figure masculine, âgée, bonne et pleine de sagesse, qui, grâce à son savoir et à son expérience, peut aider et guider les autres.
Les opinions divergent néanmoins à propos de ce mystérieux Cornunnos.
Certains en font une sorte de Bouddha ou de grand initié, régnant sur un autre monde bienheureux, un monde des richesses spirituelles.
D’autres en font une sorte de Bouddha ou de grand initié régnant sur un monde un peu moins bienheureux ressemblant plus à l’antichambre du paradis qu’au paradis lui-même.
D’autres enfin en font un dieu des morts et des richesses matérielles.
Sans doute était-il un peu tout ceci à la fois.
Thèse qui d’ailleurs n’exclut pas d’autres « fonctions » pour Cornunnos, ainsi que nous l’avons déjà vu (chaman primordial, premier des hommes, divinité de la vie animale, etc.). Cornunnos a donc peut-être été vu, en mythologie celtique, comme une hypostase ou un avatar au niveau de la surface du sol, de la divinité de la désincarnation/réincarnation des individus, appelée Dis pater par César. Également origine des êtres humains en tant que divinité de la nature animale à laquelle l’Humanité appartient génétiquement parlant ; mais aussi divinité de la décomposition des corps dans ce monde au crépuscule de la vie. Quoi qu’il en soit, ce qui est certain, c’est que Cornunnos est, pour les druides, un « dieu » de la nature animale (y compris de l’Homme), mais aussi une divinité chtonienne veillant sur l’entrée du royaume des morts, voire un grand initié.
À l’origine Cornunnos est comme le créateur de l’Humanité ou son protecteur. On le vénère en tant que « Maître des troupeaux », qui protège non seulement le bétail ; ce qui l’apparente à un dieu-ou-démon chasseur ; mais aussi les âme/esprits humaines (même chose dans l’hindouisme où les âme/esprits humaines sont explicitement désignées par le terme pasu).
Ce genre de dieu-ou-démon à caractéristiques animales n’a pas l’air exactement indo-européen. On peut donc les attribuer à une population primitive, dont les idées religieuses semblent s’être montrées plus ouvertement à partir de la fin de l’empire d’Ambicatus. Le personnage néolithique mi-humain, mi-animal, apparaissant dans certaines grottes est un argument de poids plaidant pour cette hypothèse. On a parlé de magie cynégétique, mais ces grottes étaient peut-être aussi des lieux de culte, où le seigneur des bêtes sauvages était adoré.
Les peintures les plus étonnantes représentent non pas des animaux, mais des humains [et comme nous l’avons déjà vu] l’une d’elles, le Magicien dansant (grotte des Trois Frères, Pyrénées) montre une forme vaguement humaine à tête de daim. Avec des bois, un visage de hibou, des oreilles de loup, et une queue de cheval. Seules les jambes sont celles d’un être humain.
Est-ce le grand sorcier, le seigneur des animaux, le dieu-ou-démon des chasseurs, le chef qui préside aux rites magiques qui permettront de dominer les animaux ? Autant de questions qui n’ont pas encore trouvé de réponse.
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CORNUNNOS ET SA FAMILLE : L’HOMME PRIMORDIAL ?
À en croire l’iconographie, Cornunnos était considéré par les druides comme le père spirituel (dis pater ?) de tous les Celtes. Une filiation spirituelle que le peuple devait prendre évidemment au pied de la lettre (Galli se omnes ab Dite Patre prognatos. B. G. VI, 18,1) comme nous allons le voir.
Iconographie. Sur un pilier tronqué, trouvé à Metz, et encore peu connu, un dieu-ou-démon jeune, imberbe et cornu – et d’ailleurs les cornes placées sur un « casque calotte », ce qui fait beaucoup penser à la légende anglaise d’Herne le chasseur – ; tient par la taille deux enfants qui passent un bras derrière le cou du dieu-ou-démon, alors que de leur autre main, ils brandissent une corne d’abondance.
Le dieu-ou-démon de Vendœuvres est figuré sous des traits particulièrement jeunes, son visage est imberbe, et les tiges de ses andouillers ont seulement des amorces de ramification.
De plus, assis jambes croisées au centre d’un relief – comme à Reims – il est entouré, non plus de divinités romaines, mais de deux jeunes enfants complètement nus ; et qui sont juchés, l’un sur un socle, l’autre sur un serpent, pour atteindre d’une main les bois du dieu-ou-démon. Dans une pose familière, et par attouchement de la ramure sacrée, ils établissent sûrement un lien privilégié avec la jeune divinité, comme amical et empreint d’intimité. Rien de solennel en tout cas.
Le dieu-ou-démon de Reims. Stèle du IIe siècle de notre ère. Cornunnos y est entouré d’Apollon et de Mercure.
Ce qui est remarquable, il faut le redire, dans le cas de cette stèle votive, c’est la préséance du dieu-ou-démon qui, tel un père vénérable, est entouré de ces deux jeunes gens et comme salué par eux. Peut-on aller jusqu’à hasarder l’idée d’une filiation biologique ?
L’écart est donc si énorme entre le physique âgé du Cornunnos de Reims, et l’allure presque enfantine de celui de Vendœuvres, lui-même encadré par des enfants plus jeunes encore ; que l’on pourrait soupçonner une filiation divine, d’autant plus que l’on connaît deux déesse-ou-démones, ou fées, dotées d’une ramure. Celle qui a été trouvée à Broye-lès-Pesmes (Haute-Saône) et qui est actuellement conservée au British Museum, et celle du Musée de Clermont-Ferrand en France.
Cornunnos étant donc apparemment entouré de tout un clan, comme dans le cas du Nemed irlandais, un examen plus attentif de tout cela s’impose.
Les représentations de cette déité vont de l’Italie du Nord au Danemark (chaudron de Gundestrup). L’homme aux bois de cerf est généralement représenté sous la forme d’un dieu-ou-démon assis dans la très bouddhique position du lotus, avec un visage large, un crâne portant des cornes de cerf et un torque autour du cou. Le lien fait entre ces diverses représentations iconographiques d’un dieu-ou-démon d’apparence humaine, mais avec des cornes de cerf ; dont le plus ancien exemplaire connu est une image gravée du IVe siècle avant notre ère, découverte à Val Camonica dans le nord de l’Italie ; nous vient d’un monument érigé par les nautes de la tribu des Parisii au Ier siècle de notre ère (et trouvé dans la cathédrale Notre-Dame de Paris). Malheureusement il manque la première lettre du nom, mais ce qui en reste se lit. ernunnos. Une découverte ultérieure faite à Polenza en Italie nous a permis d’avoir le nom complet.
La variante Cernenus a été découverte sur une inscription de Verespatak en Roumanie (où il fut assimilé à Jupiter par les Romains). Une autre inscription a été découverte à Seinsel-Rëlent en Allemagne (Deo Cernunico) et une autre en lettres grecques à Montagnac en France (Alleteinos Karnonou Alisonteas).
Certains l’ont associé au symbolisme de la mort, qui, dans la pensée druidique, précédait la vie comme la nuit précède le jour. Ce personnage « aux cornes de cerf » est nommé Cornunnos à l’ouest et Cernenos plus à l’est. Connu à Rome ensuite sous le nom de Jupiter Cernenus.
Il semble y avoir aussi un rapport étroit entre cette figure sacrée, mise en évidence par la statuaire, et le célèbre Donn des textes irlandais.
Le nom gaélique de Donn remonte en effet à une forme * dhus-no, apparentée au latin fuscus, et signifie « noir » ou à tout le moins « sombre » (couleur traditionnelle pour le royaume des morts). Certains textes irlandais le disent capable de se métamorphoser en cerf (Sherman Loomis) ce qui le rapprocherait donc de Cornunnos.
Les textes irlandais semblent aussi faire allusion à ses rapports assez complexes (sacrifice humain ?) avec les divinités de la Terre-Mère (les matres Banva, Ériu et Votala en Irlande). Il meurt noyé juste après être arrivé en Irlande et sa tombe (Tech Duinn ou Maison de Donn en gaélique) localisée dans
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une petite île au sud-ouest de l’Irlande, sera considérée comme une des portes du royaume des morts.
Cu cum dom thig tissaid uili iar bir n-écail.
Voir le poème de Mael Muru, d’Othan (mort en 887), le dindsenchas métrique et le texte intitulé en gaélique Bruiden da Derga.
La lecture de l’épopée irlandaise nous instruit de la place éminente que tenaient les récits héroïques dans la mythologie des Celtes. Ces héros [comme le Nemed des textes gaéliques. N.D.L.R.] sont des ancêtres, chefs de clans ou de tribus qui se sont illustrés par des exploits guerriers OU PAR LEUR SAGESSE [cas du Nemed gaël justement. N.D.L.R.].
Entrés vivants dans la légende, ces héros furent divinisés après leur mort. Ensuite la différence qui sépare à l’origine le héros du dieu-ou-démon s’estompe avec le temps.
Cornunnos est le type même du Grand Sorcier ou Héros primordial de ce genre justement (chaman chef de clan ou de tribu, entré vivant dans la légende à cause de sa Sagesse, etc.) autrement dit du Père Spirituel selon les Celtes ; car son image traversera les siècles et se réincarnera dans toutes les générations, pour servir de guide et de phare à l’Humanité.
En même temps animal et homme, père spirituel de tous les êtres humains, des vivants comme des morts, son esprit traversera les temps et sera, sous une forme ou sous une autre, de toutes les époques ; afin de répéter son message d’un temps où la division entre le bien et le mal était inconnue ; du moins si l’on en croit notre amie Margaret Murray ainsi que son « dieu des sorcières » (oui, c’est ainsi que cet auteur voit Cornunnos !).
Le sorcier Cornunnos n’étant pas de la Tribu des Dieu-ou-démons de Dana, n’étant pas un des Tuatha irlandais, mais un être fait de chair et de sang, comme nous ; il ne se retirera pas dans le Sedodumnon (dans le Side) sous la direction de Belenos Barinthus Manannan, après la bataille pour la possession de la Talantio. Il restera néanmoins ancré dans le cœur des hommes. C’est lui que les chrétiens verront sans cesse pendant des siècles sous le nom de Diable ou de Grand (dieu) Cornu, en le confondant d’ailleurs quelque peu avec Lug en l’occurrence.
Le « dieu » cornu dans ce cas, c’est le principe générateur de toute l’évolution humaine, le symbole même de tout renouveau spirituel ou social. Quelle que soit l’époque où il apparaîtra, ce grand cornu symbolisera toujours cette tension vitale qui va de l’animal à l’homme-dieu-ou-démon en passant par l’Homme, le vrai, celui qui a une éthique supérieure, surhumaine (kission).
En Irlande, cet homme primordial est appelé Nemed, ce qui veut dire « noble ou privilégié ». Le nom irlandais venant du celtique commun Nemetos, qui signifie « sacré », la traduction de Nemed par « noble ou personne privilégiée » doit être prise au sens fort dans son cas.
Les Irlandais attendaient de l’homme primordial un service majeur : la transmission du savoir traditionnel justifiant leur existence tout au long de l’Histoire, jusque et y compris à travers le changement de religion. C’est donc pour cela que le jour de sa fête, pour la Samon, il était décidé des lois et des coutumes, ainsi que de tout ce qui touchait à la paix ou à l’ordre social.
Rappelons néanmoins que toute cette partie de la mythologie gaélique (mythe au mauvais sens du terme) a été fabriquée par les bardes irlandais médiévaux ; et que seuls des fragments isolés de ce récit peuvent être tenus, ici et là, pour authentiques ; c’est-à-dire remonter à des mythes panceltiques originels.
Bien plus tard, la mythologie galloise, elle, de son côté, eut en effet un dieu-ou-démon Hyddwn < Sidodunios = cerf-homme ou homme-cerf, placé certes très bas dans la généalogie des divinités mise au point par les bardes de l’époque, mais qui semble être une réminiscence de ce Cornunnos.
Dans le Mabinogi de Math mab Mathonwy, Gwydion et Gilfaethwy sont punis par leur oncle pour le viol de la vierge nommée Goewin, en étant transformés tour à tour en sangliers, en cerfs, et en loups. Hyddwn sera le premier des enfants mis au monde par le couple maudit. Lui et ses frères Hychddwn Hir et Bleiddwn, deviendront les grands champions de la cour du roi Math.
SURVIVANCES MÉDIÉVALES.
Cornunnos apparaît dans plusieurs pièces de Shakespeare (qui d’autre pouvait en parler ?) sous le nom de Herne et notamment par exemple en 1597, dans sa pièce ayant pour sujet les joyeuses commères de Windsor. C’est un personnage connu dans l’est du Berkshire, le sud du
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Buckinghamshire, le nord-est du Hampshire, et le nord-ouest du Surrey. La racine Herne ou Cerne, vient du Brittonique corn, et signifie « corne ». Cornunnos est donc littéralement « le Cornu ».
HERNE LE CHASSEUR MAUDIT.
En Grande-Bretagne Herne est un cavalier chasseur fantôme, associé à la forêt de Windsor. La confusion avec le mythe de la chasse sauvage est évidente. La légende en fait un garde forestier du roi Richard II (1377-1399). Il aurait sauvé la vie du roi, des charges d’un mystérieux cerf blanc, mais aurait du coup été mortellement blessé par ce dernier. Un sorcier du pays aurait alors réussi à le ramener à la vie en lui fixant sur la tête les andouillers de l’animal. Les autres gardes l’auraient ensuite accusé d’être un voleur, et on l’aurait retrouvé le jour suivant, pendu à un chêne. Depuis, son fantôme hanterait la forêt. La localisation du chêne en question a fait l’objet d’autant de controverses sans intérêt que dans le cas du site d’Alésia en France. Il poussait peut-être au nord de Frogmore House dans le parc contigu au grand parc de Windsor.
LE NEMET CORNUNNOS IRLANDAIS.
HISTOIRE DE TUNOS CARILLIGENOS POUR FINEN DE MAG BILE NARRÉE AINSI
en gaélique
SCEL TUAIN MAIC CAIRILL DO FHINNEN MAIGE BILE INSO SIS.
(Tunos Carilligenos/Tuan Mac Cairill était un être surnaturel, une sorte de demi-dieu-ou-démon qui, s’étant réincarné à plusieurs reprises, avait connu les différents peuplements du pays ; or il est intéressant de noter que le grand sorcier primordial et chef de clan appelé Nemet Cornunnos, était de la même tribu que lui).
« Nemed, fils d’Agnoman, le frère de mon père, s’empara de l’Irlande.
Je les vis (lui et ses gens) des rochers où je les fuyais,
Moi qui avais les cheveux et les ongles longs,
Qui étais décrépit, gris, nu, misérable et malheureux.
Une nuit que j’étais plongé dans le sommeil
Je me vis prendre la forme d’un faon.
Je me retrouvais donc sous cette apparence,
J’étais jeune et de bonne humeur.
Ils vinrent alors vers moi, ô doux Seigneur
Les enfants de Nemed fils d’Agnoman.
Ils attendirent avec férocité que je verse mon sang
Afin de venger mon premier meurtre.
Il me poussa sur la tête
Deux cornes à soixante pointes
Si bien que je devins rude et gris d’apparence.
Après cela je fus le prince des cerfs d’Irlande
Puisque j’avais la forme d’un cerf.
Il y avait autour de moi un grand troupeau de faons,
Quel que soit l’endroit où j’allais.
C’est ainsi que j’ai passé mon temps
À l’époque de Nemed et à celle de ses enfants […]
Après quoi ils moururent tous.
L’âge et la vieillesse m’accablèrent
Et je m’enfuis loin des hommes et des loups ».
De quels loups s’agissait-il ? Cela, on ne le sait pas, mais ce qui est évident dans ce texte, c’est l’association Nemed-cerf-hommes. Nemed est le chef d’une population de cerfs ou d’hommes ayant le cerf pour totem, et c’est pour cela que Tunos Carilligenos (Tuan Mac Cairill) se transforme, lui aussi, de la sorte, afin de pouvoir vivre avec eux.
La seule erreur de la tradition irlandaise liée au nom de Tuan Mac Cairill est d’avoir fait totalement périr ce premier vrai peuplement du pays ; car on sait par ailleurs (y compris par le Livre des
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Conquêtes) que le chef de clan à la fois roi et chaman appelé Nemet Cornunnos, n’est pas « mort » sans descendance.
Ses fils se disperseront au contraire un peu partout. Beitacos et Bivanos (Bethach et Beoan) en Écosse, Semiviso (Semeon) et ses descendants vers le sud, Vergustios (Fergus) et son fils Britanos Magilos (Britain Mael) à l’est, mais ils reviendront par la suite sous le nom de Viroi (Fir) Bolg, et autres. Ce grand chaman primordial conducteur de tribus, Nemet Cornunnos, est peut-être même aussi le lointain ancêtre des Tuatha Dé (c’est-à-dire de certains dieu-ou-démons, ainsi littéralement frères des hommes). Cela fait beaucoup pour quelqu’un présenté comme mort sans descendance.
Le mythe de Cornunnos et ses péripéties étaient certainement liés aux cérémonies qui avaient lieu chaque année, mais qui furent maintes fois interdites par les conciles du haut Moyen-Âge ou par les prédicateurs. Hommes et femmes se déguisaient en cerfs et en biches et dansaient au moment des calendes de février.
La légende de la ville d’Is est particulièrement instructive à cet égard. Lorsque les religions judéo-chrétiennes remplacèrent les anciens cultes, le peuple des campagnes garda un secret attachement aux divinités primitives. Pour des raisons souvent politiques, les nobles [Gradlon par exemple] et les habitants des cités adoptèrent les nouvelles croyances, et les habitants les propagèrent. Peu à peu, les rites du passé se mêlèrent aux nouveaux cultes (on songe aux premiers siècles du christianisme, lorsque des croix étaient sculptées sur les menhirs). Les légendes finiront par raconter qu’au solstice d’Été le dieu cornu apparaît dans la forêt, prêt à conférer l’initiation phallique aux jeunes filles qu’il rencontrera et fascinera.
Le serpent de notre dieu cornu représente aussi la puissance sexuelle que les hindous situent le long de la colonne vertébrale (la kundalini). Mais, comme le dit si bien le grand historien français de l’occultisme rival de Margaret Murray, J. P. Bourré, à propos de Cornunnos et du dieu cornu, « rebaptisé » Diable par les chrétiens ; « du fond des abîmes, les forces des ténèbres s’élancent à la conquête du monde. Elles ne sont pas les noirs et monstrueux démons des théologiens médiévaux, mais les légitimes aspirations et les désirs naturels trop longtemps refoulés au plus profond de l’être humain. Une fois encore « Satan » [c’est-à-dire le grand chaman chef de tribu appelé Cornunnos] se lève, et annonce à l’Homme sa liberté, son droit au bonheur dès ici-bas ! »
SAINT CORNÉLY.
La légende de saint Cornély (sant Korneli), pape à Rome de 251 à 253 (en Grande-Bretagne, il existe une paroisse nommée Saint-Cornelly. Elle est située en Cornouailles). En France saint Cornély est tout particulièrement connu à Carnac en Bretagne.
Il va de soi qu’aucun pape de ce nom (Corneille) n’est jamais venu en ces lieux, cela constitue encore une des innombrables contre-vérités auxquelles le christianisme nous a, hélas, habitués, mais la légende n’en demeure pas moins très intéressante !
Alors que saint Cornély, pape à Rome au IIIe siècle, fuyait les persécutions (sur la réalité des dites persécutions voir notre essai sur, ou plus exactement contre, le christianisme), ses pas l’amenèrent jusqu’en Armorique. Accompagné de deux bœufs qui transportaient ses bagages, il avait un jour d’avance sur les légionnaires qui le poursuivaient.
C’est ainsi qu’il arriva dans un village où il voulait s’arrêter, mais il entendit une jeune fille qui insultait sa mère et… continua sa route. Chemin faisant il vit des paysans qui semaient de l’avoine.
— Que semez-vous là ? leur demanda-t-il.
— De l’avoine, répondirent les laboureurs.
— Alors vous pourrez moissonner cette avoine demain, répondit saint Cornély.
Et à la grande surprise des paysans, l’avoine fut effectivement mûre le lendemain ; ils s’empressèrent donc de la faucher.
Le même jour arrivèrent les Romains.
— Avez-vous vu un homme avec deux bœufs ?
— Oui, lorsque nous étions en train de semer l’avoine.
— Alors, il a trop d’avance sur nous et nous ne le rattraperons jamais.
Les Romains [ne pouvant imaginer un seul instant que du grain semé la veille pouvait être mûre dès le lendemain] pensèrent en effet que, dans ces conditions, l’homme qu’ils poursuivaient avait dû passer par là bien des mois auparavant. Et ils décidèrent donc de s’arrêter pour camper.
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Mais non loin de là, caché derrière un repli de terrain, près du lieu-dit « Le Moustoir », saint Cornély se vit tout de même en grand péril et se cacha donc dans l’oreille d’un de ses bœufs. Quand il aperçut trois des soldats venant dans sa direction, il prit une terrible décision et, usant d’une « grande imprécation », il changea tous les Romains alentour en pierre.
C’est là l’origine des alignements, appelés depuis lors « soudardet san Cornily » ou « soldats de saint Cornély » et voilà pourquoi dès lors on peut apercevoir ces alignements de menhirs au nord du bourg de Carnac… Saint Cornély, devenu plus tard le saint Patron des bêtes à cornes, est célébré chaque année en septembre. Cette tradition remonte à l’époque médiévale où, pour christianiser une fête païenne – une foire aux bestiaux en l’occurrence – on l’associa au Pardon, une procession chrétienne annuelle à l’issue de laquelle les pécheurs confessaient leurs fautes. On pouvait les voir défiler avec leurs bêtes qu’ils allaient faire bénir à la fontaine Saint-Cornély avant de les mener à la foire pour y être vendues. L’avantage était double puisqu’au-delà du pardon des péchés commis, un animal béni valait plus cher qu’un autre.
LA VÉRITÉ SUR LE PAPE CORNEILLE.
Vers le milieu du IIIe siècle, le christianisme ne se cachait plus. Avec l’argent et le droit de propriété, le style romain, était venue la respectabilité. À Nicomédie, la capitale de la partie orientale de l’Empire, « l’église se dressait, bien visible du palais impérial » (Lactance. De la mort des persécuteurs 12).
Pour un martyr avéré (ou prétendu tel), comme, par exemple, le pape Fabien, exécuté à Rome au début de l’année 250, combien de chrétiens, même parmi les plus éminents, échappent à toute poursuite avec une facilité confondante ! Alors que l’édit prévoyait, dit-on, la mort pour tous les irréductibles, le grand saint Cyprien de Carthage se retire simplement dans sa maison de campagne et, de là, continue à diriger sa communauté !
Son collègue d’Alexandrie connaît, grosso modo, le même sort.
Quant au grand théologien Origène, son cas est encore plus bizarre. Il est arrêté, horriblement torturé, paraît-il… et puis on le relaxe, comme s’il ne s’était rien passé ! D’autres chrétiens sont condamnés au bagne…
D’autres sont libérés après avoir « témoigné de leur croyance » devant le juge romain : les lapsi.
Et tout cela pourtant, alors que l’édit (perdu) de Dèce ne prescrivait, paraît-il, qu’une seule peine – la mort – pour tous ceux qui refusaient de sacrifier aux dieu-ou-démons de l’Empire. Finalement pour l’État, le résultat ne fut d’ailleurs pas celui qu’il espérait, car le ralliement de tous ces « lapsi » ne fut que superficiel et de courte durée.
Corneille ou Cornély est le vingt et unième pape et succède en mars 251 à Fabien, 16 mois en fait après le décès de ce dernier, le 10 janvier 250. L’élection est une surprise puisque c’est le prêtre Corneille qui est finalement choisi. La raison en est simple. De nombreux chrétiens, lors de la persécution de Dèce, ont abjuré leur foi par peur (on les comprend) ou opportunisme. Ils sont donc nombreux maintenant que la situation s’est détendue, à vouloir rentrer dans l’Église à nouveau. Deux attitudes s’opposent alors : les intransigeants autour de Novatien, et ceux adeptes du pardon qui réussissent à faire élire Corneille. Un nouveau schisme apparaît par conséquent aussitôt, car trois évêques italiens acceptent de sacrer Novatien alors que la quasi-totalité des autres Églises reconnaît Corneille. Un synode, réuni en automne 251, avec l’évêque Denys d’Alexandrie et Cyprien de Carthage, approuve la mansuétude de Corneille et même excommunie Novatien pour son excès de dureté envers les lapsi repentis. Le patriarche Fabien d’Antioche, partisan, comme de nombreux autres évêques orientaux, de plus de sévérité envers ceux qui ont momentanément failli lors des persécutions, sera le destinataire d’une lettre envoyée par Corneille, où celui-ci argumente son point de vue. Les fragments que nous en possédons encore révèlent que Rome, à cette époque (milieu du IIIe siècle) compte environ 150 ecclésiastiques chrétiens, dont 7 diacres, 46 prêtres et… 52 exorcistes. Tous nourris par la bonté divine et la charité de leurs frères. La persécution, sous Septime Sévère et ses successeurs, n’avait donc pas été, somme toute, très rigoureuse ; en beaucoup d’endroits, les chrétiens avaient joui d’une paix ininterrompue de trente années voire plus.
Mais le problème des lapsi déclenchera la crise novatienne après que le pape Corneille eut décidé de les réintégrer au sein de l’Église ; et par voie de conséquence, le plus grave des premiers schismes de l’Église, le schisme donatiste.
Corneille sera exilé sur ordre de l’empereur Trébonien Galle à Centumcellae Civitavecchia, vers la fin de l’année 252, où il meurt de façon naturelle, semble-t-il, probablement dans le courant de l’année 253. Son corps sera donc ramené à Rome et déposé dans la catacombe de Saint-Calixte [Fin de notre rappel de la vérité sur le pape Corneille].
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NOTRE DAME À LA LICORNE : LES ÉPONAS.
Ou plus exactement la triple Épona, qui est à la fois fée de la famille, de la prospérité, mais aussi de la bonne mort. Une sublimation des forces chtoniennes et aquatiques, analogue à Notre-Dame de la Vie en Savoie, mais… PLUS RÉCENTE.
Déesse-ou-démone ou bonne fée, européenne par définition, puisque l’on retrouve de ses figurations jusqu’à Rome (une peinture murale du Circus Maximus) voire Budapest (un petit marbre). 150 inscriptions la mentionnent, y compris en Bulgarie et en Roumanie.
Il existe trois hypothèses à propos de cette mystérieuse déesse.
— C’est une déesse des juments.
— C’est une déesse jument c’est-à-dire une jument déifiée.
— C’est une déesse pouvant revêtir accessoirement la forme d’une jument qui ne serait alors que son symbole.
Il appartient à chacun de trancher, ou pas, la question.
Épona au sens strict du terme est attestée uniquement sur le Continent (Gaule et Celtie danubienne).
Sa contrepartie insulaire brittonique était nommée jadis Rigantona « Grande reine », devenue Rhiannon en gallois. Son iconographie se divise en trois grandes familles de représentations.
Première famille de représentations : la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, sur un cheval, accompagnée, ou pas, d’un petit chien. La présence de ce chien fait d’ailleurs problème, car il peut simplement symboliser quelque chose ou quelqu’un, d’absent.
Deuxième famille de représentations : la déesse ou démone ou la fée assise entourée de chevaux.
Troisième famille de représentations : la déesse ou démone ou bien fée si l’on préfère, conduisant un char. Comme sur la plaque de bronze découverte dans le village d’Alise-Sainte-Reine, en Côte-d’Or (France).
Son culte était aussi bien public et solennel, comme dans le temple qui lui était voué à Entrains dans la Nièvre en France, que domestique et familier (de petites figurines).
Son iconographie en fait une déesse ou démone ou bonne fée de la fertilité (fruits, cornes d’abondance, poulains), mais avec des aspects chtoniens ou psychopompes (présence de chiens, voire de corbeaux).
Lorsque les Indo-Européens se sont répandus en Europe, ils y ont trouvé des populations pratiquant une religion dont la Déesse-ou-Démone-Mère était la figure centrale. Leur religion à eux, cavaliers des steppes, donnait la prépondérance aux divinités masculines, et enseignait la survie dans l’au-delà plutôt que la réincarnation. Comme il est de règle en semblable circonstance, leurs croyances se sont donc superposées à celles des habitants vivant sur place, sans les faire disparaître. La Déesse-ou-Démone-Mère devint donc une « déesse ou démone-jument », comprenez par là une conductrice des âme/esprits, puisque le cheval est symboliquement la monture qui transporte les défunts vers l’Autre-Monde.
Certains documents font clairement pressentir une pluralité des Éponas. Sans parler d’une dédicace trouvée en Roumanie (Sarmizegetusa/Varhély) qui s’adresse « aux Éponas », on peut voir, sur la stèle d’Hagondange en France, deux écuyères figurées à droite et à gauche d’une déesse-ou-démone ou fée centrale, assise dans un fauteuil. Un bloc de Strasbourg montre Mercure encadré de deux Éponas qui se dirigent en sens contraire.
Les linguistes sont d’accord pour faire dériver le nom d’Épona d’Epo-, d’où sont issus d’une part l’adjectif eponos/-a/-on = chevalin, et d’autre part le théonyme Épona ; ainsi parent d’epos = cheval, epa = jument, epalos = poulain, epala = pouliche, etc.
Cet « et cœtera » couvre de nombreux mots composés (noms et adjectifs), ainsi que des noms propres plus nombreux encore du celtique – p, continental et brittonique, mais pas goïdélique, qui était l’héritier du celtique – q, antérieur au celtique – p.
Cela indique peut-être un théonyme ne remontant pas au-delà du début de l’époque laténienne. En effet, on ne détient aucune attestation d’une Eqona, forme celtique en – q, antérieure par définition à celle d’Épona… Mais notre manque d’attestation ne veut pas dire qu’Equona n’ait pas existé en tant que théonyme, donc prudence quant à l’ancienneté de cette identification. Une Eqona en celtique-q puis goïdélique aurait abouti à Eachna en gaélique. Nous ne l’avons pas repérée en tant que théonyme dans la littérature celtique gaélique, mais peut-être nous a-t-il simplement échappé.
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Par contre, il existe SOUS D’AUTRES NOMS des divinités irlandaises de ce type, comme nous le verrons un peu plus loin.
Mais pourquoi donc les Celtes ont-ils éprouvé le besoin de concevoir une déesse ou démone, ou fée, au cheval, et que signifie le cheval d’Épona ?
Venons-en maintenant au contenu théologique et mythologique de ces Éponas. Ces deux facettes de la divinité cavalière ont dû fort probablement avoir une position plus élevée dans la croyance des anciens druides. Certains situent même Épona dans la série la plus ancienne des divinités celtiques majeures. C’est pourquoi les druides d’aujourd’hui situent Rigantona-Épona au minimum à une place de premier rang parmi les hypostases ou « aspects » de la Grande Déesse Mère Aquatique (G.D.M.A.). Si éminemment bienfaisante qu’elle en devient le symbole même de la Bonté personnifiée. Sollicitude maternelle envers les enfants (n’est-elle pas comparable aux « mopates » ?) comme envers les animaux domestiques. Dispensatrice d’abondance agricole. Guide des âme/esprits vers l’Autre Monde, alors accompagnée par un chien : donc une « psychopompe » pour employer ce terme savant.
Rôle et fonction en effet d’Épona chez les Celtes continentaux (les druides insulaires ayant utilisé dans ce dessein d’autres allégories légendaires, comme celle de la fée Niamh par exemple) : emmener au ciel sur son dos les âme/esprits des guerriers morts au combat (ou dans leur lit). Autrement dit presque tout le monde à l’époque. Ce qui la caractérise en effet, dans ce cas, c’est le gonflement de sa cape au-dessus de sa tête, sous l’action du vent, et en contradiction avec l’allure au pas, de sa monture ; une convention de sculpteurs que l’on retrouve sur certaines stèles du cavalier thrace : l’âme/esprit du défunt est transportée par Épona dans les plis de son manteau.
Somme toute, ces Éponas sont un des symboles des échanges entre notre monde terrestre (le Médiomagos) et les autres mondes : (Vindomagos, Sedodumnon), Rigantona étant surtout son aspect « Autre Monde ».
Mère adoptive aussi de divinités secondaires ou de réincarnations de divinités majeures, comme nous l’évoquons ailleurs.
La triple Épona est par conséquent polymorphe ou composite, syncrétique, et plurifonctionnelle, mais cet engagement plurifonctionnel est quand même réduit ou limité à quelques grands domaines, vu son archaïsme. Épona n’est en aucune façon guerrière par exemple, ni une déesse-ou-démone, ou fée, de l’amour érotique.
NDLR. Cette appréciation est basée sur une synthèse critique des différentes Éponas qu’atteste le recoupement des sources tant scripturales qu’archéologiques.
Les représentations d’Épona constituent la scène la plus charmante jamais tiré e de la mythologie celtique. Quoi de plus gracieux en effet qu’une jeune écuyère assise à l’amazone, tenant la corne d’abondance ou caressant d’une main légère le cou de sa monture, tandis que le poulain folâtre autour de la jument ? Au Luxembourg, la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère ce vocable, se tient souvent à califourchon. Exceptionnellement, elle est debout près de la jument. D’où le thème de la Dame à la Licorne au Moyen-âge.
En tout cas, ce qui est sûr, c’est que l’on a depuis longtemps souligné à quel point l’attitude, le costume, et les attributs, d’Épona, rappellent les figurations des Mères.
La corne d’abondance, la patère, la corbeille de fruits ne diffèrent en rien. Ce n’est donc pas sans raison que certains voient en elle une « Mère équestre ».
Protectrice des juments et des poulains, Épona garantit la prospérité agricole d’une façon générale : c’est pourquoi on lui voit entre les bras souvent une corne d’abondance, une patère ou une corbeille de fruits. Elle ressemble alors aux déesse-ou-démones-mères au point que l’on a pu la considérer comme l’une d’elles (car sur certains bas-reliefs, elle tient un ou deux enfants) ; mais elle s’en distingue par sa solitude et son célibat résolu, chose rare dans la société divine des Celtes.
Voici pourtant quelques observations moins générales.
Sur une trentaine de reliefs, localisés presque tous en Bourgogne, un poulain s’ajoute au groupe d’Épona et de la jument.
Le poulain est tantôt couché entre les pattes de sa mère, tantôt il est debout et s’applique à téter avec avidité ; ou encore il flaire la patère offerte par Épona, comme si la déesse-ou-démone, ou la fée si l’on préfère, était sa véritable nourricière, ou bien, dans une attitude familière, il présente son dos pour
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servir d’appui aux pieds de la puissante protectrice. Ces groupes constituent un symbole évident de fécondité ou d’éternel renouvellement.
Épona est aussi invoquée en faveur des défunts. Plusieurs statuettes ont été retrouvées dans des sépultures, notamment à Bagacon (Bavay, département français du Nord). L’image d’Épona figure sur des stèles funéraires en forme de maison. Protectrice des foyers, des domaines ruraux, garante de fécondité, secourable, voilà un bilan qui ressemble étrangement aux aptitudes de la Bonne-Mère. Sa présence courante dans les nécropoles traduit bien en effet le double rôle attribué à la matra ou mère : elle introduisait les défunts dans une vie seconde, elle étendait sa protection jusque dans l’au-delà.
Il y a donc une parfaite concordance entre toutes les données. Dispensatrice des fruits de la terre, nourrice des enfants des hommes, gardienne des tombeaux, la Mère est celle qui suscite la vie végétale aussi bien qu’animale ; elle préside à toutes les forces génératrices de la Nature. Elle vivifie et entretient la santé pendant la vie terrestre. Ce que nous appelons « la mort » n’est que le passage d’une forme de vie à une autre forme de vie, celle de l’au-delà, où la Mère continue son action bienfaisante.
Le chien est aussi un compagnon fréquent de la déesse-ou-démone-mère. Tantôt le petit quadrupède figure à terre en avant de la déesse ou démone ou bien de la fée si l’on préfère (cf. la statue de Naix), tantôt la Mère le tient familièrement sur son giron. Il est agréé, voire aimé, semble-t-il. Une manière d’attendrir ou de remercier la Mère est justement de lui offrir un chien. Plusieurs monuments associent en fait Épona et les Mères. Le moins que l’on puisse conclure, à la suite de ces remarques volontairement limitées, c’est qu’Épona présente avec les fées de type matres un lien de parenté sensible.
Sa protection était alors escomptée jusque dans la vie de l’au-delà : les divinités auxquelles on a demandé la guérison des maux tout au long de cette vie, ont également la charge d’assurer l’éternelle pérennité dans l’au-delà ; dans les tombes, on glisse l’image de la déesse-ou-démone-mère.
C’est pourquoi Épona eut donc un tel succès, notamment dans l’armée, qui a répandu son culte loin sur le Danube et jusqu’en Italie. C’est l’une des deux divinités druidiques qui se sont vues honorer dans la capitale même de l’Empire romain. Ce qu’a très bien vu aussi le dernier grand celtisant français, Pierre Lance, quand il note : « Non seulement elle ne perdit aucun de ses adorateurs nationaux, mais la nature même de ses fonctions la fit connaître à d’autres ». C’est une déesse-ou-démone, Épona, qui a fourni le plus bel exemple de vitalité dans le monde divin de l’Occident. Sous ce nom celtique, en l’étrange et gracieuse attitude que lui prêtent ses images, assise sur un cheval, un poulain et un chien courant à ses côtés, elle continua durant tout l’empire à régenter les écuries et les cirques. Bref, non seulement elle ne perdit aucun de ses adorateurs nationaux, mais la nature même de ses fonctions la fit connaître à d’autres.
Mais ce culte était réprouvé par certains Romains. On en a la preuve chez deux auteurs anciens : Plutarque, grec, mais romanolâtre (50 – 125 environ), et plus tard Prudence, auteur latin et chrétien (348 – 410 environ).
Voici d’abord la citation du païen.
« Fuluios Stellos misôn gunaikas hippôi sunémigéto. E dé kata khronon étéké korèn eumorphon kai onomasén Eponan ; ésti dé théos pronoian poiouménè hippôn ôs Agèsilaos é tritôi Italikôn ».
« Fulvius Stellus ayant horreur des femmes s’accoupla à une jument. Celle-ci mit au monde à terme une fille bien faite et la nomma Épona ; c’est la divinité devenue providence des chevaux selon Agésilas au troisième livre des Italiques ». (Plutarque. Œuvres morales. Parallèles d’histoires grecques et romaines).
Bel exemple de dénigrement d’une croyance celtique : faire naître la Dame à la Licorne (N. D. de Vie des Druides) de l’accouplement contre nature d’un détraqué sexuel romain.
On comprend aisément qu’une telle divinité celtique ait été irréductible aux « interpretationes » des Romains. « Ils appelaient Semons les dieux qu’ils considéraient comme indignes du ciel en raison de la pauvreté de leurs mérites, tels Priape, Épona et Vertumnus, mais qu’ils ne voulaient pas non plus considérer comme seulement terrestres à cause de la grande vénération dont ils étaient l’objet (Fulgence. Expositio Sermonum Antiquorum 11).
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Elle avait pourtant pénétré dans leurs syncrétismes, comme on peut le constater au travers d’un abondant recueil d’inscriptions, en compagnie de divinités du panthéon gréco-latin. Sa fête, que l’on mentionne sur un calendrier romain, cas unique, eut lieu le 18 décembre d’une année donnée. Cette datation en calendrier julien nous permet ainsi de la situer à la pleine lune du mois de Riuros du calendrier luni-solaire des druides.
Passons à la citation du polémiste chrétien Prudence (Apotheosis 197) : « Nemo Cloacinae aut Eponae super astra deabus dat solium, quamvis olidam persoluat acerram sacrilegisque molam manibus rimetur et exta ».
« Personne ne donne place au-dessus des étoiles aux déesses Cloacina ou Épona, même s’il leur offre un infect encensoir, et par des mains sacrilèges, manipule de la farine sacrée ou des viscères ».
Venant d’un chrétien adepte du Dieu d’Amour, il n’y a pas lieu de s’étonner d’un racisme celtophobe. Mais il est intéressant de noter ici l’extravagance consistant à mettre sur le même pied Cloacina, mot à mot « l’égoutière », ex-Vénus sabine devenue patronne des lupanars de Rome, et Notre-Dame à la Licorne.
Enfin, Épona est aussi citée par Fulgence (467- 532) ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le souligner. Une réflexion sur Épona très intéressante d’ailleurs qui pourrait tout aussi bien s’appliquer à Cornunnos voire à notre seigneur de Muirthemné : « Ils appelaient Semons les dieux qu’ils considéraient comme indignes du ciel en raison de la pauvreté de leurs mérites, tels Priape, Epona et Vertumnus, mais qu’ils ne voulaient pas non plus considérer comme seulement terrestres à cause de la grande vénération dont ils étaient l’objet ».
Tout cela montre bien à quel point le concept « Épona » resta incompréhensible pour les Romains, et notamment l’incroyable jalousie des chrétiens à son sujet. Voir les réactions de Giraud de Cambrie au XIIe siècle à propos d’un rituel irlandais d’intronisation royale.
« Il existe dans la partie septentrionale la plus éloignée de l’Ulster, près de Kennelcunnil, une peuplade accoutumée, par un rite plus que barbare et abominable, à se donner un roi de la façon suivante. Toute la population s’étant rassemblée au même endroit, on amène au milieu de l’assemblée une jument blanche. Et celui que l’on va élever, non à la dignité de prince, mais de bête, s’approche devant tous et, avec non moins d’effronterie que d’ignorance, joue avec elle le rôle d’un animal (d’un étalon).
La jument étant tuée aussitôt et cuite par morceaux dans de l’eau, on lui prépare un bain de ce liquide. Il s’y plonge, mange les morceaux de viande qu’on lui présente, entouré de son peuple qui en mange avec lui. Du bouillon dans lequel il baigne, il puise et boit tout autour de lui, non avec un récipient, non avec la main, mais à même la bouche. Ceci accompli, selon le rite et non selon la dignité, sa souveraineté, ainsi que son autorité sont consacrées ».
Dans la mythologie très dégradée des manuscrits transcrits par les bardes christianisés Épona la psychopompe apparaît aussi comme la déesse gardienne des chevaux du roi Conchobar mac Nessa : Duxtir/Dechtire.
Fille du druide Catubatuos/Cathbad. Sœur et cochère du roi Conchobar. Mère du Hésus Cuchulainn, mais l’identité du père reste un mystère. Certains apocryphes irlandais laissent entendre qu’il s’agit du dieu-ou-démon Lug. Le « séducteur » aurait profité du sommeil et de la voie des rêves de Duxtir/Dechtire, endormie durant une partie de chasse organisée par le roi Conchobar. Mais il faudra trois accouchements successifs et un mariage en catastrophe pour officialiser tout cela et dissiper le soupçon d’inceste. Si vous n’y comprenez rien, ce n’est pas grave : les Irlandais médiévaux eux-mêmes n’y comprenaient déjà plus rien à l’époque, et se posaient beaucoup de questions à ce sujet, mais cela ne les empêchait pas de dormir. VOIR ÉPONA, son équivalent continental.
Dans la mythologie gaélique, Épona la psychopompe apparaît aussi sous la forme d’une gracieuse cavalière appelée Niamh. La légende la plus connue la concernant est celle qui nous décrit sa rencontre avec le célèbre Ossian des Fénianes.
Ossian rencontre Niamh alors qu’il chasse près des rives d’un lac. Elle lui apparaît brusquement sur un cheval aux sabots d’argent et à la crinière d’or, appelé Enbarr (dont le nom signifie en irlandais « imagination ». Tout un programme !) Niamh lui explique qu’elle vient de très loin spécialement pour lui, afin de l’inviter à venir dans le royaume de son père, dans l’autre monde, le Pays d’éternelle
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jeunesse. Il monte sans hésiter sur le coursier et son père ne le revit plus jamais. Après diverses aventures dans l’autre monde (il se bat contre un géant sous-marin), Ossian commença d’éprouver de la nostalgie pour son pays natal. Niamh lui confia donc son cheval magique pour qu’il puisse visiter son pays, mais le prévint également de ne jamais mettre pied à terre sous peine de ne plus pouvoir revenir. À son retour l’Irlande lui sembla un pays étranger, car tous ceux qu’il avait connus étaient morts depuis longtemps. Les gens lui semblèrent beaucoup plus pauvres, misérables ou petits, que les héros avec qui naguère encore il avait grandi. Ayant rencontré par hasard des hommes vêtus de haillons qui essayaient de pousser un rocher, il le souleva d’une main, mais sa selle glissa et il tomba au sol. Alors son beau cheval magique s’évanouit aussitôt et le vaillant et jeune guerrier qu’il était, se transforma en un vieillard aveugle et frêle. Un moine copiste chrétien a introduit saint Patrice dans ce mythe. Comme tout le monde semble le prendre pour fou, on amène Ossian au saint homme qui écoute son histoire et lui explique tous les changements survenus en Irlande depuis l’avènement du christianisme et s’efforce de le convertir. Mais Ossian lui répondit qu’il ne concevait pas un Paradis qui ne tiendrait pas en honneur les Fénianes désireux d’y entrer ni un Dieu qui ne serait pas fier de compter Vindos/Finn parmi ses amis. À quoi ressemblerait une vie éternelle où l’on ne pourrait ni chasser ni faire la cour aux belles dames ? Il préféra donc cet Enfer dont ses compagnons les Fénianes, d’après saint Patrice, subissaient les tourments, et mourir comme il avait toujours vécu afin de les rejoindre.
Ainsi que nous l’avons vu un peu plus haut, on connaît le jour de la principale fête d’Épona, puisque le calendrier de Guidizzolo mentionne à son propos le XV Kalendas Januarias, soit environ le 18 décembre en calendrier romain ; ce qui la situe aux alentours du solstice d’hiver (la pleine lune de Riuros en calendrier de Coligny).
Ce souvenir de la déesse-ou-démone ou bien fée, fut conservé sous la forme d’une cérémonie annuelle, encore en usage en Rhénanie et en Angleterre durant le haut Moyen-âge. La nuit des Mères, ou Modranecht, Mutternacht, qui avait lieu dans la nuit du 24 au 25 décembre. Voir à ce sujet le témoignage de Bède le vénérable.
On dressait une table, on y laissait trois places vides pour les mères, et l’on festoyait la nuit durant. Ce qui était ainsi célébré, c’était le passage des mères de ce monde dans l’autre, et l’on pensait les accueillir au passage, leur offrir à boire et à manger pour les réconforter. C’est d’ailleurs là l’origine de notre Réveillon.
Un autre témoignage de cette croyance est constitué par les petits oratoires païens d’époque gallo-romaine, en pierre, appelés aedicula en latin. Assez courants, car Apulée nous apprend que l’on prévoyait toujours dans les écuries une aedicula où se dressait la statue, couronnée de fleurs, d’Épona [N.D.L.R : une crèche ?]
Épona se retrouve sur la croix de Hilton of Cadboll en Écosse, ainsi que sur deux chapiteaux, à Saint-Bertrand-de-Comminges et à Saint-Benoît-sur-Loire, en France. Ce type de déesse-ou-démone, ou bien fée, assise de face sur un cheval passant, a influencé celui de Marie portée sur l’âne dans sa fuite en Égypte, tout comme celui des mères a influencé l’iconographie des trois Bethen en Allemagne, et notamment à Worms. En tout cas, sur la colonne de Mayence, Épona est accompagnée d’un âne. Et son culte est sans doute aussi à l’origine du symbolisme de la Dame à la Licorne.
ET MAINTENANT POURQUOI PRIER NOTRE DAME À LA LICORNE ?
Pour demander son aide et son appui, pour faire appel à elle afin qu’elle intercède pour nous auprès des dieu-ou-démons et du Tocade (n’est-elle pas Mopatis ? Anextlomara ?)
COMMENT PRIER NOTRE DAME À LA LICORNE ?
Qu’est-ce que prier tout d’abord ?
Prier c’est émettre ou concentrer des ondes ou pensées positives ; ayant pour effet d’abord de renforcer le mental de celui qui prie et ayant ensuite vis-à-vis du cosmos un effet papillon, ou de foule dirait Gustave Le Bon, la production d’un égrégore dirait Eliphas Lévi. Ce que d’autres appelleraient la chance ou une coïncidence.
Nous avons vu avec Diogène Laerce que les Grecs traduisaient ce concept druidique par le mot « sebein » et que selon Fulgence dans son Expositio Sermonorum Antiquorum les Romains ne savaient trop où placer Notre-Dame à la Licorne, sur terre ou au ciel.
Sortons-nous de cette difficulté en considérant qu’il doit s’agir dans son cas d’un culte d’hyperdulie, à cette différence près que si les Catholiques associent leur sainte vierge à un serpent qu’elle foule au pied ; nous autres Celtes l’associons à une jument.
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À DÉFAUT DE LA PRIER AU MOINS HONORONS-LA DANS NOS ETUDES HISTORIQUES.
La triple Épona peut être la source d’inspiration par excellence de tous les artistes de notre touta, car elle est la sublimation des forces chtoniennes ou aquatiques passées en revue ci-dessus. Aimer Notre-Dame à la Licorne c’est s’ouvrir comme elle au rayonnement du divin et de l’autre monde.
Et honorer les Éponas dans les familles, c’est simplement entrer dans le mouvement séculaire des clans (les Epidii, une tribu de la péninsule de Kintyre, constituaient peut-être un peuple voué à son culte) qui l’ont toujours reconnu comme mopatis ou théoktos (Mère de dieu-ou-démons par adoption).
Respecter et louer les Eponas ce n’est évidemment pas adorer cette triple déesse-ou-démone ou cette triple fée, à l’égal d’un dieu supérieur, cette adoration n’est due qu’au Destin suprême ou aux grands dieu-ou-démons panceltiques. C’est simplement entrer dans le culte du peuple des dieu-ou-démons pour la Vierge sans parèdre.
NOTE À PROPOS DU THÈME DE LA VIRGINITÉ D’ÉPONA.
Le célibat quasi constant d’Épona dans la statuaire gallo-romaine a fait beaucoup couler d’encre puisque certains en ont fait l’origine du thème médiéval de la Dame à la Licorne. Pourquoi Épona est-elle donc ainsi sans parèdre réel ? Pourquoi est-elle sans époux durable ? Cette notion de virginité (d’état de femme non mariée) toujours renouvelée n’est que le symbole de l’éternel recommencement et de l’éternelle jeunesse d’une divinité primordiale. Elle n’est pas évidemment à prendre au pied de la lettre.
La virginité découlant du fait qu’Épona est sans parèdre évident, est le symbole de la consécration totale de la Mère aux derniers-nés du clan, le signe de la disponibilité totale d’Épona dans l’éducation des petits d’homme.
Les chrétiens ont « emprunté » cette idée aux païens pour leur culte marial, et en la matière ce sont donc eux qui ont copié, non le contraire !
NOTE SUR LA DORMITION OU APOTHÉOSE D’ÉPONA LA MOPATIS (THEOTOKTOS?).
Comme chacun sait, Arthur ne meurt pas vraiment. Il est emporté dans l’île d’Avallon par sa sœur la fée Morgane. La légende ajoute que les Bretons croient qu’il reviendra un jour. Arthur n’est qu’entré en dormition.
Et bien pour certains auteurs, qui refusent la notion même d’apothéose à son sujet, il y a eu la même chose pour cette Épona, si justement nommée mopatis (la théoktos). Elle n’est pas vraiment morte malgré son enterrement et son enfouissement dans la terre, elle est seulement, comme Arthur, entrée en dormition, mais n’a pas fini de jouer un rôle dans notre imagination et nos rêves de licorne. N.B. Epona ne fait pas partie des Tuatha Dé Danan, des enfants de la déesse Danu (bia). Il n’y a donc pas lieu dans son cas de parler d’occultation comme pour les autres dieux du druidisme, mais de dormition.
Pourtant, d’après l’archéologue français J.-J. Hatt, Épona est aussi elle-même en un sens une « Regina cœli ». Et il est difficile de ne pas faire d’allusion aux idées chrétiennes, actuelles après avoir été médiévales, qui en découlent, car elles sont étrangères à l’Écriture sainte. J.-J. Hatt qui a écrit ; à propos il est vrai d’une autre déesse-ou-démone, ou fée, selon lui ; « l’assomption vers Taran/Toran/Tuireann de la déesse est attestée par le fronton d’un édicule [d’un édicule analogue à la crèche d’Épona dans les écuries ?] décoré d’esses ou doubles spirales, et situé dans l’agglomération d’Alésia. Il était adossé à la basilique, juste en face du temple de Jupiter. Sur ce fronton était représenté le buste d’une divinité féminine, emportée dans les airs par deux Éros ailés » : des Etnosoi en berla féné ou Iarnbelre (cf. le théonyme Etnosos signifiant « qui a des ailes », et trouvé à Bourges).
NOTE SUR LE CONCEPT D’APOTHÉOSE.
Nous avons eu l’occasion de voir que les Anciens hésitaient sur la place à reconnaître à Épona : uniquement terrestre ou au contraire céleste ? « Ils appelaient Semons les dieux qu’ils considéraient comme indignes du ciel en raison de la pauvreté de leurs mérites, tels Priape, Épona et Vertumnus, mais qu’ils ne voulaient pas non plus considérer comme seulement terrestres à cause de la grande vénération dont ils étaient l’objet (Fulgence. Expositio Sermonum Antiquorum 11).
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Prise dans un sens général, l’idée d’apothéose était exprimée de différentes manières ; on en trouve de nombreux spécimens sur les vases peints, les miroirs de bronze, les camées, les bas-reliefs et les peintures murales. Dans l’art grec et romain, nous voyons figurer l’apothéose soit au moyen d’un personnage (homme ou femme), emporté vers le ciel sur un quadrige, et accompagné de l’aigle ou de la victoire, un peu comme Cuchulainn en Irlande donc, soit sous les traits d’une femme couronnée d’un diadème et enlevée dans les airs par un aigle ou un cygne. Quelquefois aussi (c’est le cas pour les peintures de Pompéi) l’apothéose est représentée par un génie ailé, emportant une femme qui tient alors d’une main un voile déployé au-dessus de sa tête, de l’autre un flambeau allumé, symbole de l’immortalité.
Dans l’antiquité grecque, Héraclès est le personnage dont les exploits fabuleux ont été les plus fréquemment glorifiés par les artistes. Il existe une peinture sur vase où l’apothéose de ce grand héros est traitée d’une manière très expressive : sur le bûcher du mont Oeta gît le tronc d’Héraclès. À droite, Philoctète qui vient de l’allumer s’en va en emportant les flèches et le carquois ; tandis qu’à gauche, une nymphe s’efforce d’éteindre les flammes avec l’eau d’une hydrie. Au-dessus, Héraclès, revenu à la vie, est emporté dans un quadrige que conduit la Victoire ailée. Hermès introduit le char dans l’Olympe, au seuil duquel Apollon accueille le héros, qui va prendre place parmi les immortels.
Dans la Rome antique, l’apothéose était le rite funéraire le plus honorifique qui soit : il élevait le défunt au rang des dieux. L’apothéose était marquée par le lâcher d’un aigle depuis le bûcher funèbre : il était censé accompagner l’âme/esprit du défunt vers le céleste séjour des dieux. Le défunt recevait alors le qualificatif de divinus (divin). Jules César fut le premier à bénéficier d’une telle apothéose, sur décision du Sénat romain, fortement sollicité par Auguste.
Auguste a peut-être emprunté son idée de la divinisation des empereurs à l’Égypte où César et lui sont allés chercher le modèle de presque toutes les institutions de la monarchie romaine. Nous avons vu, en effet, que l’apothéose des souverains existait au temps des Pharaons, et nous savons d’autre part que cet usage fut conservé par leurs successeurs sur le trône d’Égypte, les rois grecs de la dynastie des Ptolémées : tous les héritiers d’Alexandre qui se sont succédé à la cour d’Alexandrie ont été adorés comme des dieux après leur mort. Ici les Romains n’ont fait qu’imiter l’Égypte.
Le christianisme ne supprima pas immédiatement cet usage. Constantin, Constance, Jovien, Valentinien Ier, Gratien, Théodose, Honorius, ont été proclamés divins après leur mort. Chose étrange par contre, on ne trouve pas, dans la liste de ces « divins », l’empereur Julien, dernier défenseur des idées anciennes et du paganisme. Après Honorius, on ne rencontrera plus de divus. Il y en aura eu au total soixante et onze.
Bref, les druidisants croient donc en une Assomption/Apothéose finale de l’âme/esprit d’Épona tout comme celle de son fils le chien de Culann, sur un char glorieux (voir le manuscrit irlandais intitulé « Siaburcharpat Conculainn »).
SURVIVANCES MÉDIÉVALES.
En Irlande Épona ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, correspond d’une part à Duxtir/Dechtire, fille du druide Cathbad et de Maga, elle-même fille du dieu-ou-démon de l’Amour Mabon/Maponos/Oengus et sœur de Conchobar mac Nessa. Mais aussi d’autre part à la fée Niamh, amoureuse d’Ossian. Les Gaëls ont donc apparemment dédoublé sa fonction.
Épona est connue au Pays de Galles sous le nom de Rigantona la Grande Reine (Rhiannon) héroïne de la première et troisième branche du Mabinogi : Pwyll, prince de Dyved et Manawydan fils de Llyr. Mais à la différence de la situation irlandaise, plusieurs siècles de christianisation sont passés par là et c’est désormais plus de la littérature qu’une pépite de pure mythologie. Aucun des conteurs ou des membres du public ne voit ça autrement que comme un conte de fées ou une légende.
Dans le premier conte, elle devient l’épouse de Pwyll/Pellès (Pellehan, voire Pellinor). De cette union va naître Pryderi, un garçon qui sera enlevé à la naissance, ce qui vaut à sa mère d’être accusée d’infanticide. En guise de peine, elle sera condamnée à rester assise aux portes de la ville, à raconter son histoire aux visiteurs, et à les faire entrer dans la cité en les portant sur son dos.
Dans le second conte, après la mort de Pwyll/Pellès, elle épouse Manawyddan Fab Llyr. Au cours d’une promenade, un brouillard magique s’abat sur la région et la dévaste. Avec son époux, son fils Pryderi, et Kigva, l’épouse de ce dernier, ils sont obligés de partir pour l’Angleterre, où ils vont exercer différents métiers, pour survivre.
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Lady Godiva, aussi appelée Godgifu, est une dame saxonne qui, d’après la légende, aurait traversé complètement nue et à cheval, les rues de Coventry, en Angleterre, vers l’an mil ; afin de convaincre son mari de diminuer les impôts qu’il prélevait pour financer ses campagnes militaires.
Ayant fondé un monastère sur le conseil de sa femme, la noble comtesse Godiva ; le comte Leofric y installa des moines. Et les enrichit de tant de terres, de bois et d’ornements sacrés, qu’on n’aurait pas trouvé dans toute l’Angleterre un monastère avec une telle abondance d’or, d’argent, de pierres précieuses et de vêtements coûteux. La comtesse Godiva, qui avait une grande dévotion pour la mère de Dieu, mourait d’envie d’affranchir la ville de Coventry de l’oppression d’un péage insupportable. Et souvent, de façon insistante, elle implorait son mari que, par égard pour Jésus Christ et pour sa mère, il libérât la ville de cette charge et de toutes les autres qui pesaient tant sur elle. Mais le comte la réprimandait méchamment chaque fois en lui demandant d’un air moqueur en quoi cela lui faisait du tort à lui, et lui défendait à chaque fois de lui parler encore de cette affaire. Mais comme, avec l’opiniâtreté d’une femme, elle ne cessait jamais d’importuner son mari sur cette question, il finit par lui faire la réponse suivante. « Montez sur votre cheval et allez devant toute la population, à travers le marché de la ville, complètement nue ; parcourez-le d’un bout à l’autre, et à votre retour, vous aurez ce que vous demandez ». Sur quoi Godiva répondit : « Mais me donnerez-vous la permission, si je suis disposée à le faire ? – « Bien entendu ! » répondit-il. Après quoi la comtesse, aimée de Dieu, dénoua ses cheveux et fit tomber ses boucles pour qu’elles recouvrissent son corps tout entier comme un voile ; ensuite elle monta sur son cheval et, protégée par deux chevaliers, elle alla par la place du marché, sans que l’on vît quoi que ce soit d’elle, si ce n’est ses superbes jambes. Puis, ayant accompli ce voyage, elle revint avec joie vers son mari tout surpris et obtint de lui ce qu’elle avait demandé. Le comte Leofric libéra la ville de Coventry et ses habitants de la charge dont nous avons parlé plus haut, et il confirma par une charte ce qu’il avait décidé ».
La forme la plus ancienne de la légende raconte la traversée du marché de Coventry par Godiva seulement habillée de ses cheveux, alors que le peuple était rassemblé, seulement escortée par deux cavalières (vêtues normalement, elles, par contre). Cette version est narrée dans le Flores Historiarum de Roger de Wendover (mort en 1236), un collectionneur d’anecdotes assez crédule, qui citait d’ailleurs lui-même un autre auteur, plus ancien.
Une des variantes de la légende veut que les habitants de Coventry, pour montrer leur reconnaissance envers leur Dame, se soient tous enfermés chez eux durant son passage. Seul un curieux, nommé Tom, aurait osé enfreindre cette consigne informelle et aurait jeté un coup d’œil à la dérobée sur la belle cavalière ; mais il serait devenu aveugle sur-le-champ.
N.B. Malgré l’étrangeté de la chose, il arrive que des boutiques de vêtements prennent le nom de « Lady Godiva ».
Note sur feuille volante retrouvée par les enfants de Pierre de La Crau.
LA DÉVIATION IRLANDAISE DUE À NOS AMIS BARDES : MAGOSIA/MACHA.
Son lien avec le cheval apparaît non seulement dans l’histoire de sa course, mais aussi dans le nom de la monture de Cúchulainn, le Gris de Macha. C’est une figure complexe : prophétesse, guerrière, reine et déesse-ou-démone ou fée, de la souveraineté ou de la fécondité, très étroitement liée au sort du pays lui-même.
La première des trois Macha est censée, d’après la légende irlandaise, être la femme du Nemed Cernunnos, l’homme ayant dirigé une des toutes premières invasions du pays. C’est une prophétesse qui voit en rêve la destruction qu’entraînera le conflit provoqué par l’enlèvement des bœufs de Cooley (la Tain Bo Cualnge).
La deuxième Macha, Macha Mongruad (Macha la rousse) est une souveraine guerrière de l’Irlande. C’est une personnalité assez difficile à cerner. Il s’agit soit d’une évhémérisation, soit d’une historicisation. En tout cas d’un singulier mélange de données strictement humaines et de données mythiques ou divines. L’hérésie gaélique voit les choses comme suit. Trois rois se partagent la souveraineté d’Irlande et chacun règne trois fois sept ans. Il s’agit de Dithorba, d’Aed le Rouge et de Cimbaeth. Aed le Rouge meurt le premier, mais il n’avait qu’une fille comme héritière, « Macha Crinière Rouge ». Dithorba et Cimbaeth n’entendent pas partager le pouvoir avec une femme, tandis que Macha tient, elle, à exercer aussi la royauté. Il s’ensuit une guerre, dont Macha sort victorieuse. Puis Dithorba meurt, laissant cinq fils qui réclament, à leur tour, la première place. Macha ne cède toujours pas, car elle estime avoir acquis par sa victoire le droit d’être souveraine. Nouvelle guerre, nouveau carnage. Une fois encore, Macha l’emporte. Elle exile les cinq fils de Dithorba et épouse Cimbaeth. Elle peut alors régner en maîtresse incontestée. Avec sa broche, elle trace l’enceinte de sa future capitale et ce sont les vaincus qui la construisent : ce sera Emain Macha.
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La troisième Macha est une fée mariée à un être humain, Crunnchû, un riche veuf appartenant à la classe laborieuse. Comme elle est rapide à la course, lors de l’assemblée annuelle des Ulates (des habitants de l’Ulster), son mari parie qu’elle est capable de distancer les chevaux du roi. Conchobar en prend ombrage et veut tuer le paysan. Macha se sacrifie pour lui et accepte de courir, bien qu’elle soit sur le point d’accoucher. Elle devance les chevaux du roi, mais meurt sur la ligne d’arrivée, en donnant naissance à des jumeaux, un garçon et une fille. Avant d’expirer, elle lance une incroyable malédiction contre les hommes : en période de crise, ils seront victimes d’une faiblesse qui leur infligera des souffrances semblables à celles qu’endure une femme en couches, et cela pendant cinq jours et quatre nuits. Tous les hommes du pays auront à subir le mal de l’enfantement, la « fièvre neuvaine », et cela jusqu’à la neuvième génération. Nous retrouvons ici associés les thèmes de la fée qui visite l’homme, de la fée qui court plus vite que tout le monde, de l’homme privé de sa valeur virile. La force de Macha est féminine et bienfaisante d’abord ; elle ne devient malfaisante, et ne se retourne contre l’homme, qu’ensuite, par la faute de ce dernier : on a trahi ses secrets ; on l’a forcée à courir enceinte. Rappelons la mère du roi Conchobar : elle s’appelait d’abord Assa « la facile » ; elle est devenue après la « pas facile », Niassa (Ness), une redoutable guerrière, pour venger l’assassinat de ses tuteurs.
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UN PEU DE TERMINOLOGIE MAINTENANT AVANT DE POURSUIVRE.
Nous allons beaucoup utiliser dans cet opuscule consacré au Plérome druidique, le terme “Hésus” (vieux celtique “vesus”).
Sa meilleure traduction en Grec en est le terme « théios aner », mais à cette remarque près qu’il s’agirait d’un théios aner.martial. Un theios aner chevaleresque et spécialiste ès arts martiaux.
Sans doute – ce que ne niera pas notre rapide panorama – le theios aner est-il, pour une part, une sorte de construction abstraite, élaborée par les modernes à partir de textes composés principalement entre le IIe et le Ve siècle de notre ère, qui cependant se rattachent à une très ancienne tradition.
On ne niera pas non plus qu’un certain nombre de récits à caractère biographique mettant en œuvre de nombreux procédés présents dans la littérature de l’Antiquité tardive dépeignent des hommes divins. L’homme divin ne nous semble donc pas être une “invention” moderne. S’il est abusif de le voir partout, et notamment dans la tradition chrétienne où il se trouve littérairement mal attesté, rien n’interdit de nous demander s’il joue un rôle dans les Vies de philosophes, ouvrages issus de cercles intellectuels nourris par le spiritualisme hellénistique ambiant.
La Vie d’Apollonios offre une belle illustration d’un de ces personnages hauts en couleur. Philostrate en effet ne s’est-il pas inspiré de ces figures emblématiques de la sagesse pour brosser le portrait de son héros en homme divin, le mettant ainsi à l’abri des ambiguïtés de la magie ?
Malgré de nombreuses difficultés liées au laconisme de nos sources – laconisme volontaire de la part des auteurs qui empruntent souvent les chemins de l’ésotérisme afin d’entourer leur héros d’un voile de mystère –, relevant d’une tradition littéraire plus ou moins mythique, il nous est possible d’identifier ces représentants du merveilleux, de cerner leur personnalité, de brosser un portrait du philosophe en mage, car d’une figure à l’autre leurs traits se recouvrent ou se complètent.
Les caractéristiques communes à ces individus, relevées par les exégètes, nous autorisent à les rassembler en une catégorie intermédiaire entre les hommes et les dieux, sorte de confrérie d’élus que J.-P. Vernant décrit de la manière suivante : « ce sont des hommes divins, des theioi andres qui de leur vivant s’élèvent de la condition mortelle jusqu’au statut d’êtres impérissables ».
L’expression theios aner est communément utilisée par les auteurs de l’Antiquité, relayés ensuite par les chercheurs (philologues et historiens qui essaient de reconstituer le profil de l’homme divin à partir d’un matériau majoritairement livresque), pour désigner un type de personnage, ayant vécu en des lieux et en des époques différentes, auquel on attribue les identités diverses de mage, philosophe, prophète, homme inspiré, individu à charisme, devin, purificateur… Theios est utilisé ici au sens où l’homme possède des pouvoirs surnaturels et n’est pas soumis à la mort.
Le substrat chamanique sur lequel repose le modèle de l’homme divin.
Toute société comprend de ces hommes, ou de ces femmes, passés maîtres de la connaissance des choses matérielles ou immatérielles et vénérés pour leur grande sagesse. On les appelle voyants, chamanes, magiciens, astrologues, sorciers, saints ou alchimistes. Ils agissent sur le cours des choses, contrôlent les éléments, les météores, récitent le passé oublié, tracent le parcours des âmes après la mort, décrivent le futur, modifient la forme des objets grâce à la sympathie universelle qui les unit aux choses. Leur esprit est ainsi riche d’une “science” complexe qui fait vaciller leur statut d’homme.
Pythagore, auréolé par la légende, est considéré comme le chef de file de ces individus hors du commun qui se font reconnaître par deux éléments essentiels : une pratique de l’ascèse et le thème de l’âme itinérante (voyages extatiques et cycle des réincarnations). Pour pouvoir bénéficier de ce titre, une autre qualité est également requise : la bonté parfaite.
Les auteurs anciens étant singulièrement prolixes sur le sujet, nous sommes parvenus à mettre en évidence un certain nombre de traits descriptifs permettant de dégager un profil type de l’homme divin selon les Grecs, c’est-à-dire le petit côté « Mahomet » en moins.
Élection divine : naissance extraordinaire (épiphanie) ; grâce physique ; précocité intellectuelle.
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Ascèse : adoption de la loi d’une école philosophique ; stricte hygiène de vie ; emploi du temps sanctifiant : prier, jeûner, veiller ; refus des contraintes de la vie sociale.
Aspect physique : longue chevelure peu soignée et barbe ; pauvreté vestimentaire : tunique de lin (refus de la laine animale) ; pieds nus ou sandales.
Errance, voyages : long périple de type initiatique (quête de l’Orient originel) en Inde ou en Égypte ; voyage souterrain ou catabase ; bilocalisation ; enseignement prodigué de ville en ville, dans le monde méditerranéen.
Vision de l’univers : connaissance des secrets de l’univers ; cosmologie ; expérience de la survie de l’âme.
Dons, charisme : thaumaturgie ; exorcisme ; divination ; don d’ubiquité ; pratique de la théurgie ; don des langues.
Vertus morales : humanisme ; compassion ; bonté parfaite ; sens de l’écoute.
Piété : participation aux rituels et fêtes de la religion officielle ; critique des dérives de ces mêmes rituels (refus des sacrifices sanglants) ; pratique d’exercices spirituels ; fuite dans l’expérience intérieure (voie du mystique) ; voyage de type extatique.
Maître de la dialectique : orateur brillant ; habile rhéteur qui séduit la foule (langue imagée : paraboles, métaphores).
Formation d’une école de la sagesse, d’une secte : chef de file d’un courant de pensée, d’une nouvelle école, d’une règle de vie ; s’attache de nombreux disciples.
Participation à une forme d’agir en politique : conseiller des princes ; successeur des grands législateurs ; purificateur de l’espace public.
Adulation par les hommes : fascination du grand public ; divinisation de son vivant.
UN EXEMPLE INCONTESTABLEMENT HISTORIQUE DE THEIOS ANER CELTE
MARICCOS LE HÉROS PROPHÈTE ET DEMI-DIEU (+ 69).
Ainsi que nous e l’occasion de la dire dans notre précédent opuscule, mais Napoléon ne disait-il pas que la répétition est la plus forte des figures de rhétorique ; le druide Mariccos fut la dernière réincarnation (ou avatar ou envoyé) connue, d’un dieu-ou-démon celte.
Avec lui nous avons affaire à une personnalité de type Mahomet, c’est-à-dire une extraordinaire combinaison de spiritualité alliée à un puissant effort de libération nationale (ver sacrum ambicatusien). Mariccos fut lui aussi et tout comme Mahomet entouré de son vivant de toute une isma confinant presque à l’idolâtrie. Mais attention, dans son cas ce ver sacrum façon Ambicatus (qui combat des deux côtés) est à rapprocher du petit djihad des musulmans et non de leur grand djihad (la lutte… contre soi-même). Et l’isma qui doit être vouée à Mariccus doit être une isma de type dulie voire hyperdulie, mais certainement pas un culte de lâtrie.
Notes de lecture sur la vie et la mort du grand prophète, que les nouvelles générations vendirent aux occupants (sans cette trahison, ils n’auraient pu le capturer). Certains auteurs ont été jusqu’à penser que ce sont les chrétiens qui le livrèrent aux Romains. À en croire les chrétiens eux-mêmes, le christianisme avait en effet pu gagner ces contrées dès le Ier siècle, avec différents missionnaires envoyés par les apôtres eux-mêmes, et notamment saint Pierre.
« Les Apôtres auraient envoyé sept de leurs disciples, ou même un bien plus grand nombre, fonder les Églises de Gaule et du Rhin. Valère à Trèves, Martial à Limoges, Austremoine (Stremonius) à Clermont, Gatien ou Gratien à Tours. On cite de même pour les pays rhénans, à Trèves, Euchaire, dont Valère semble n’avoir été que le successeur, Crescent à Mayence (ou à Vienne en France), Maternus à Cologne, Clément à Metz. On fait aussi remonter à l’âge apostolique l’Église d’Auxerre, ainsi que celle de Périgueux, avec l’évêque saint Front.
Sur l’apostolat de saint Lazare [à Marseille et à Autun. N.D.L.R.] de sainte Madeleine, et des saintes Marthe en Provence [à Tarascon plus précisément pour sainte Marthe. N.D.L.R.]. Lehrbuch der Kirchengeschichte fur Studierende. Franz-Xaver Kraus. Tome I. (Traduction sous toutes réserves, mes 4 ans d’allemand sont loin.)
Duchesne dans ses Origines chrétiennes, chap. XXVI remarque d’ailleurs fort judicieusement : « Saint Pothin est le premier évêque gallo-romain dont le nom se soit conservé. Cela ne signifie pas pour autant qu’il soit le plus ancien évêque ou que ce pays n’ait pas reçu la lumière de l’Évangile dès le temps des apôtres. Les faits connus sont une chose, une autre chose les faits réels. Le Christianisme doit être aussi ancien dans ce pays que dans les pays de situation géographique analogue, l’Afrique
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par exemple ». Si nous comprenons bien les diverses traditions à ce sujet (notamment le traité sur la Trinité, De mysterio sanctae trinitatis, attribué aujourd’hui à saint Césaire d’Arles), il y aurait donc eu des chrétiens sur place dès la fin du 1er siècle de notre ère. « Civitas Arelatensis discipulum apostolorum sanctum Trophimum habuit fundatorem, Narbonensis sanctum Paulum, Tolosana sanctum Saturninum, Vasensis sanctum Daphnum. Per istos enim quatuor apostolorum discipulos, in universa Gallia ita sunt ecclesiae constitutae, ut eas per tot annorum spatia numquam permiserit Christus ab adversari occupari. La cité d’Arles a eu saint Trophime, un disciple des apôtres, pour fondateur, celle de Narbonne saint Paul, celle de Toulouse saint Saturnin, celle de Vaison saint Daphnus. Ces quatre disciples des apôtres ont fondé des Églises dans tout le pays, si bien que leur siège n’a jamais été occupé par des hérétiques ».
Mais comme toujours avec les chrétiens, la vérité se trouve ailleurs ! À travers la carence des textes, il est plus vraisemblable de supposer que le christianisme a été introduit dans le pays par des Orientaux et des Grecs. Il a pénétré dans la région en remontant le Rhône. Mais le caractère complètement étranger de ces premiers prosélytes, et notamment le fait qu’ils parlaient plutôt la langue grecque, a freiné sa diffusion. Cette dernière ne s’accéléra vraiment qu’au début du IVe siècle, avec l’appui de l’empereur Constantin…
Il semble donc peu vraisemblable que les chrétiens d’Autun aient pu jouer un rôle actif dans l’arrestation finale de Mariccos, même avec l’aide de ceux de Lyon.
Ce qui est vraisemblable par contre, c’est que les premiers chrétiens n’ont rien fait pour s’y opposer, n’ont rien fait pour dénoncer ce scandale, même entre eux. Ils se sont d’emblée retrouvés dans le camp romain, au lieu d’être du côté de cette malheureuse bagaude.
L’empereur Claude avait voulu « romaniser » l’aristocratie celte du territoire. Il tenta de le faire en interdisant l’exercice du culte druidique. Des résistances naquirent, des soulèvements se produisirent, tandis qu’à Rome même, après l’assassinat de Néron, les généraux se disputaient le pouvoir.
Voici comment l’historien français Maurice Bouvier (oui, oui, comme Jacqueline Kennedy) présente les choses dans son livre spécialement consacré aux empereurs.
Le druidisme était en pleine renaissance au moment où le Capitole romain flamba, funeste présage pour l’Empire.
Druides et bardes qui avaient survécu aux persécutions, commencèrent d’appeler à la résistance, en exaltant Mariccos, l’homme prédestiné choisi par les dieu-ou-démons, descendu du ciel pour délivrer le pays du joug étranger. Rome a été prise par les Celtes, mais, le temple de Jupiter étant demeuré intact, l’Empire romain a subsisté. Le feu – qui la ravage maintenant – est le signe de la colère céleste. L’Empire des choses terrestres va maintenant passer aux peuples transalpins. Voilà ce que les druides – et donc Mariccos – chantaient (sic) à l’époque.
Bref, les très-sachants de la druidiaction (druidecht), s’appuyant sur diverses croyances populaires, préparent le soulèvement du peuple vers + 69 ; regroupant de huit à dix mille hommes autour de Mariccos qui, pour assurer son recrutement, promettait l’affranchissement des esclaves et le droit de vivre à l’abri des exactions romaines.
Bientôt il contrôla une partie des terres et surtout des forêts, occupant la moitié de l’actuel département français de l’Allier. [Il s’agissait donc d’une des toutes premières bagaudes. N.D.L.R.]
Pour que la rébellion s’étende et s’affirme irrévocablement, il eût fallu que les Éduens se joignent à Mariccos, mais en un siècle, l’influence romaine avait déjà profondément modifié le comportement de leur jeunesse, surtout vu les précédentes répressions. En outre, des intérêts les rattachaient à Rome. Aussi, soit par combat, soit par traîtrise, Mariccos tomba entre leurs mains. Ils le livrèrent à l’empereur Vitellius qui le condamna sur le champ à être livré aux fauves. Au milieu de l’arène, Mariccos, le Boïen, regarda les fauves affamés bondir vers lui, puis s’arrêter, lever la tête, flairer l’air, et enfin reculer puis venir se coucher à ses pieds. Cet homme au regard fascinant, était-il un dompteur né ? Sur les gradins le peuple s’apprêtait à l’applaudir, étonné ou heureux de voir Mariccos démontrer que son invulnérabilité n’était pas une légende.
Un tel rebondissement évoquait en effet, pour la foule présente sur les lieux, le vieux mythe druidique de la divinité domptant les animaux. C’est elle que l’on voit, sur le chaudron de Gundestrup, tenir en respect les éléphants et réduire à l’impuissance le carnassier dévorateur.
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Mais l’empereur Vitellius comprit aussitôt le danger et donna l’ordre à ses soldats d’égorger Mariccos qui, frappé à mort, s’écroula dans l’arène où son sang se répandit. Cette exécution fut plus que la mort d’un homme : la fin d’un idéal [celui de la Bagaude de ce temps-là. N.D.L.R].
Les Éduens et les troupes de Vitellius dispersèrent les Boïens et rayèrent de l’Histoire leur cité, la Gergovie « Boïorum », la Gergovie des Boïens, dont l’emplacement reste encore aujourd’hui du domaine de la conjecture.
Ci-dessous le texte exact de Tacite (Hist. II, LXI).
« Parmi toutes ces aventures d’hommes illustres, on éprouvera quelque honte à relater comment un certain Mariccos, un Boïen de basse extraction, prétendant être inspiré par les dieux, tenta de s’immiscer dans le jeu de la Fortune, et de défier Rome par les armes. Se décernant lui-même les titres de champion de la Celtique et de dieu (car il assumait cette appellation), il avait déjà réuni huit mille hommes, et prenait possession des villages voisins des Éduens, quand cette formidable tribu-état le fit attaquer par les meilleurs de ses jeunes gens, épaulés par des cohortes de Vitellius, et dispersa cette foule de fanatiques. Mariccus fut capturé dans cet engagement, et fut vite jeté aux bêtes après, mais comme il n’avait pas été d’emblée mis en pièces par elles, il fut un moment considéré comme invulnérable par la foule des insensés, jusqu’à ce qu’il soit exécuté en présence de Vitellius ».
Conclusion : Mariccos était une sorte d’Orphée celte et il fascinait parce qu’on voyait bien qu’un dieu-ou-démon l’habitait. Il était l’auteur d’hymnes sacrés ou d’incantations magiques. La nature entière semblait réagir à sa voix, il avait toujours une bonne explication à fournir au frémissement des arbres et en l’entendant même les animaux féroces se couchaient à ses pieds.
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NOTES ET REMARQUES DIVERSES.
Les coïncidences font partie de la vie. Les êtres humains ont une compréhension et une connaissance en général assez limitées des probabilités, nous ne comprenons pas les lois relatives aux grands nombres, et nous succombons facilement à la mémoire sélective et à la validation subjective : cette tendance à se souvenir des corrélations positives et à oublier le plus grand nombre de cas où rien ne se passe de significatif. Le seul point commun en réalité de toutes ces coïncidences est notre désir de les expliquer. Or les coïncidences, aussi remarquables qu’elles puissent parfois paraître, ne sont aucunement surprenantes. En fait, la plupart ne sont que des événements sans aucune signification. Des événements inhabituels deviennent hautement probables lorsqu’assez d’individus sont impliqués. Ceci lève la chape de mystère entourant certains phénomènes et conduit tout simplement vers la réflexion scientifique.
La signification réelle de coïncidences bizarres peut être comprise et expliquée par ce qu’on appelle la loi des très grands nombres. Cette loi statistique établit qu’avec un échantillon suffisamment large, même le plus improbable devient probable, et donc devient « surnaturel ».
1. Mariccos druide et même « grand druide » ?
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire dans notre précédent opuscule, mais repetere = ars docendi ; rien ne le prouve et rien ne le dément. Le seul historien qui le mentionne le dit « sorti de la plèbe des Boïens », donc de la 3e fonction, mais il pourrait très bien avoir été un druide clandestin. De toute façon, vu le ton du texte de Tacite (dénigrement raciste systématique) tout est possible.
2. Les chrétiens ont influencé les Éduens qui l’ont vendu aux Romains ? L’envoi de missionnaires en Gaule par les Apôtres n’est guère vraisemblable. Les premiers missionnaires chrétiens sont sans doute arrivés cinquante ans plus tard, vers la fin du premier siècle. La communauté chrétienne d’Autun n’est pas connue avant le IIe siècle (mission d’Andoche et de Thyrse chez les Éduens).
3. Souvenir de Mariccos en Bourbonnais, car natif de Neris ? Neris faisait partie de la cité des Bituriges, assez loin de la zone d’implantation boïenne. Neriomagos fut chef-lieu d’un « pagus minor » des Bituriges Cubi, dont le nom fut conservé comme Narzenne < Nericiana, couvrant grosso modo la pointe sud du département actuel du Cher et les zones ouest et sud de l’arrondissement de Montluçon ; loin donc de l’aire boïenne dans la mouvance éduenne (entre Loire et Allier dans la Nièvre, et entre Allier et Aubois dans le Cher). La Guerche sur l’Aubois n’est probablement pas la Gergobia des Boïens : son nom vient du germanique wirkia > guircia. Saint Parize est plus probable, mais pas certain non plus.
4. Mariccos « homme de l’inextricable Pontiniacensis Sylva » (sic) ? Faux, c’est trop loin de l’aire boïenne !
5. Les vraies raisons du non-soutien des Éduens à la cause de Mariccos. Elles sont, au fond, aisées à deviner compte tenu de l’Histoire. Les Éduens s’étaient depuis près d’un siècle, targués d’être « amis du Peuple Romain », même au détriment des intérêts de leurs compatriotes. On retrouve la même mentalité cosmopolite et mercantile, antinationale, aujourd’hui dans ce malheureux pays, car si les Français sont connus pour leur gauche en politique, ils sont également connus pour avoir deux types de droite : la droite nationale et la droite d’affaires, les deux n’ayant pas grand-chose à voir. Leur droite nationale vola au secours de la victoire de Vercingétorix à Gergovie en – 51 (avant notre ère) et soutint la révolte de Sacrovir en 21. Ce qui leur avait valu d’ailleurs une féroce répression dans le deuxième cas.
Quarante-huit ans après, ils n’étaient guère pressés de recommencer, d’autant que le mouvement populaire de Mariccos préfigurait les Bagaudes : à la fois maquis de résistants et jacqueries paysanne. Ce second aspect n’était pas fait pour rallier la classe possédante dont les rejetons comme saint Symphorien constituaient la jeunesse dorée d’Augustodunum (Autun) devenue capitale des Éduens à la place de Bibracte.
6. La divinité attestée de l’Entre-Loire et Allier, pays des Ambivaritoi où les Boïens avaient trouvé refuge, était Sinquatis, éponyme de l’actuelle ville de Saincaize.
La lecture du fascicule d’Auguste Dupont sur le sujet, paru sous le titre « Essai sur la Révolution religieuse tentée par le Boïen Mariccus au pays entre Loire et Allier évangélisé par saint Patrice » (en 1870) nous a laissés songeurs…
Il est vrai que d’aucuns ont fait de ce héros de l’indépendance celtique une sorte de saint ; car on appelle sainteté (sanctitas) dans le monde britto-romain et gallo-romain, en Narbonnaise notamment, la relation charismatique (le patronage divin) pouvant exister entre le dieu-ou-démon souverain
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(Taran/Toran/Tuireann = Jupiter) et les rois ou les chefs. Cette notion de patronage divin rendue par le terme latin de sanctitas, est un concept religieux à la fois latin et celtique.
Les Celtes connaissaient en effet une forme particulière de rapports entre leurs dieu-ou-démons et leurs dirigeants, bien rendue par le fait qu’ils se pensaient d’origine divine (descendants d’Ogmios, ou d’Héraklès pour les Grecs, voire descendants de Belin/Belen/Belenos, dit Apollon en interpretatio graeca). Il leur a donc été relativement aisé d’interpréter à leur manière la « sanctitas » : la force divine descendant des dieu-ou-démons jusqu’aux grands chefs politiques ou guerriers, comme étant transposable au cas de Mariccus.
Le panégyrique de Maximien par Mamertin, texte particulièrement important parce qu’exprimant les idées des rhéteurs celtes de l’époque, commence par la formule suivante « ille siquidem Diocletiani auctor deus… » Ce qui signifie : « le dieu-ou-démon, patron de la lignée de Dioclétien… » Nous avons donc affaire dans ce cas précis à un exemple de syncrétisme celto-romain. Le nom latin de sanctitas étant utilisé pour exprimer une idée druidique : une certaine forme de descendance mythique, ou de patronage divin, des grands dieu-ou-démons celtes, et principalement de Taran/Toran/Tuireann.
Le même processus a eu lieu avec saint Céneri et Saint-Léonard des Bois, des chefs de bagaude opérant aux confins des futurs départements français de la Sarthe et de l’Orne, au IIIe siècle, selon Maurice Bouvier (Les empereurs…
N.B. La thèse de cet historien français est acceptable à condition de bien préciser qu’il y aurait eu ensuite fusion ou confusion de ces légendes avec des personnages historiques ultérieurs portant des noms semblables aux VIe et VIIe siècles.
Les fidèles du malheureux Mariccos ayant survécu ont transmis aux générations suivantes, soit ce qu’ils ont appris de sa bouche, en vivant avec lui, et en le voyant agir, soit ce qu’ils ont compris ensuite à la lumière de son malheureux exemple. Car le malheureux exemple de Mariccos nous montre comment l’homme divinisé peut faire la paix avec les animaux et la nature, par l’émission de vibrations positives. Mais aussi que la politique est une chose (qui peut être recommandable) et la spiritualité une autre (son royaume n’était pas destiné à être de ce monde). Il faut donc là aussi rendre à César ce qui est à César (la vie en société, le conformisme social, la vie de tous les jours) et réserver aux dieux ce qui appartient aux dieux (la spiritualité, la vie privée, la liberté d’opinion).
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HESUS = SETANTA (CUCHULAINN en Irlande).
Le Hésus dit Cuchulainn sera classé ici dans la catégorie des divinités animales comme Épona et le grand Cornunnos à cause de son extraordinaire capacité à revêtir des formes monstrueuses et à proprement parler INHUMAINES lors de ses accès de fureur guerrière (riastrade et en blaith, lon gaile, lon laith, luan laith, etc.)
En ce qui concerne la vie et la mort de notre gentil seigneur (de Muirthemné d’après Lady Gregory) nous recommandons vivement la magistrale thèse de Lisa Gibney intitulée « La biographie héroïque de Cu Chulainn) soutenu en 2004 (Université nationale d’Irlande Maynooth) et qui n’a qu’un seul défaut, elle ne souligne pas assez qu’il ne s’agit que de l’historicisation en Irlande d’un mythe pan celtique pour ne pas dire universel (celui du héros demi-dieu qui se sacrifie pour son peuple) apparu quelque part en Europe centrale il y a 4000 ans (période supposée de la formation du proto celtique de la civilisation des champs d’urnes) ou plus (6000 avant notre ère pour Peter Forster et Alfred Toth 2003).
Mais le mot histoire a deux sens.
D’une part, il renvoie à des faits ou à des événements qui se sont produits et ont eu un impact à l’intérieur de la vie de l’Humanité. L’apparition et le développement du mythe de la sortie réussie des glaces de l’antichambre du Paradis par le hésus Cuchulainn et son apothéose constituent bien dans cette optique un événement réel pour les croyants, à commencer par les anciens druides ayant approché Setanta dit le Chien du Forgeron quelque part en Europe centrale 2000 ans avant l’ère vulgaire ; et dont l’impact historique est évident, puisque des millions d’Irlandais au cours des âges ont placé leur espérance dans son exemple, un des derniers en date étant d’ailleurs Patrick Pearse et son École du courage (Saint Enda 1908).
Le terme d’Histoire désigne aussi, tout simplement, la science historique. Celle-ci essaie d’établir la preuve de la réalité des faits à l’origine des diverses croyances, non sans les interpréter, elle aussi, au passage. La neutralité de la science historique est elle-même un mythe. Nous le voyons bien en France aujourd’hui.
Il est très important que l’historien fasse son métier scrupuleusement et rende compte avec rigueur de ce que les documents lui font percevoir de la civilisation celtique, du témoignage des anciens druides ; y compris dans ce qu’il avait d’étrange, d’inouï, ou d’irréductible, pour ceux qui l’entendent pour la première fois.
Ces légendes irlandaises sont en effet les lointaines réminiscences ou l’ultime écho d’un grand mythe panceltique sur l’homme-dieu (les pouvoirs préternaturels ou paranormaux des super héros) élaboré quelque part en Europe centrale 2000 ans avant notre ère (l’ère vulgaire) par les premiers druides ou druides primordiaux.
Parmi les plus anciennes mentions concernant les Celtes se trouve toute une série de textes ; dans lesquels les auteurs classiques se gaussent abondamment d’eux ; et dont on retrouve l’écho dans l’Éthique à Eudème ou à Nicomaque d’Aristote. « Un homme n’est pas courageux s’il affronte des événements effrayants par ignorance (si à cause d’un accès de folie par exemple, il affronte la foudre qui éclate) ni s’il les affronte comme par emportement bien que sachant parfaitement la grandeur du danger, comme les Celtes qui prennent les armes et marchent avec elles contre les flots ; le courage des barbares se fonde d’ailleurs toujours en général sur un tel excès de passion ».
« Parmi ceux qui dépassent la mesure, celui qui pèche par trop d’absence de crainte ne porte pas de nom particulier (nous avons vu précédemment que nombre de nos états intérieurs n’ont pas de terme spécifique pour les caractériser), mais on pourrait dire que s’il ne craint vraiment rien, ni les tremblements de terre ni les flots, ainsi que le font les Celtes dit-on, alors c’est une sorte d’inconscient ou de fou, tandis que celui qui fait preuve d’une confiance excessive face à ce qui constitue réellement un danger sérieux peut être qualifié de téméraire ».
C’est une allusion à un trait des mœurs celtiques qui, probablement observé par les premiers voyageurs d’origine grecque, servait d’exemple pour caractériser la folie, l’excès, dans le monde grec à la fin du Ve siècle.
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On se heurte là cependant à un moment donné, aux limites de toute méthode, qui ne permet de voir que ce qu’elle vise.
Le fait que l’apothéose/assomption du Hesus incarné en Cuchulainn est unique en son genre ; et qu’elle se laisse mal enfermer dans les limites de l’espace et du temps. Nous avons vu à quel point il était difficile de la circonscrire dans l’espace et dans le temps (Europe centrale au – Ve siècle ? Irlande aux alentours de l’an zéro de notre ère ?) ; peut-être parce qu’elle relève plus de la Métahistoire que de l’Histoire tout court.
L’historien n’est pas pour autant réduit au silence à ce sujet.
Il peut analyser rigoureusement les témoignages et conclure légitimement qu’il est certain que les druides de l’époque ont reconnu en Setanta plus qu’un simple mortel (forcément puisque c’était un demi-dieu-ou-démon) ; et que dans la documentation irlandaise les princesses d’Emain ont attesté avoir vu Cuchulainn monter au Ciel.
Il n’est pas possible néanmoins d’affirmer la réalité de la divinité du Hesus Setanta Cuchulainn dans toute sa splendeur
SANS AVOIR DÉJÀ LA FOI ET UNE FOI CELTIQUE À SOULEVER DES MENHIRS.
Note de la rédaction. Tigernach, un annaliste du Xle siècle, a placé la mort du Hesus incarné sous la forme « Cuchulainn » en l’an 2 de notre ère. Il semble en réalité qu’elle soit quelque peu antérieure (autour de l’an zéro ?) ce qui la ferait alors coïncider à peu près avec la naissance du grand rabbi nazaréen, né, lui, vers – 6 ou – 7.
D’autres experts en religions ou mythologies comparées placent l’apparition du Grand Hesus incarné en Cuchulainn dans la documentation irlandaise, au – VIIe siècle avant J. C. (au – VIIe siècle avant Jules César). La datation des récits mythiques ou relevant de la métahistoire est toujours un exercice périlleux ! Le cycle mythologique remonte aux origines de la civilisation celtique et semble en Irlande avoir reçu des aménagements jusqu’à l’ère chrétienne.
Les historiens au sens scientifique du terme ne doivent pas ignorer ou occulter ces textes, ils doivent même se pencher dessus. Mais sincèrement animés du désir de comprendre nos prédécesseurs, et non de celui de le condamner a priori. Autrement dit, les historiens au sens scientifique du terme doivent appliquer à tous ces faits religieux qui dérangent leurs idées reçues en la matière, ou l’idéologie dominante à laquelle ils adhèrent (car l’idéologie dominante, ça existe, surtout chez ceux qui font profession de nous dire ce qu’il faut penser) ; bref, la philosophie que Térence a un jour résumée dans cette formule : « Je suis un homme et rien de ce qui est humain ne m’est donc étranger ».
LES ORIGINES DIVINES DE CUCHULAINN.
Conception de Cuchulainn (Compert Conculainn)
En principe son père était le dieu Lug, mais on peut avoir quand même des doutes, ce ne serait pas la première fois que la tradition irlandaise embrouillerait les filiations. Et pourquoi pas un fils rebelle de Taran/Toran/Tuireann ?
Ce n’est pas possible ?
De toute façon peu importe, car même Sualtam, le père adoptif de notre héros, avait lui aussi des ascendances surnaturelles ou divines.
Sualtam fils de Beccaltach fils de Moraltach fils d’Umendruad. Or ce Beccaltach était aussi le père de deux êtres surnaturels appelés Dolb et Indolb.
Mais le registre utilisé ici dans ces relations légendaires (du latin legenda « ce qui doit être lu ») à propos de l’enfance – maponiaca – et de la mort du Hesus en tant que Setanta Cuchulainn, est anthropomorphique.
Cuchulainn n’avait néanmoins au début qu’une conscience humaine de sa divinité, ainsi que de ce qu’elle impliquait pour sa mission.
Il a été informé de sa nature divine (‘Cía tai-siu eter?’ ‘or Cú Chulaind.’ ‘Iss messe do athair a s – sídib.i. Lug mac Ethlend.’) mais tardivement (il avait alors 17 ans) et ce qui a compliqué les choses c’est que toute cette partie de la biographie de Sétanta Cuchulainn a fait l’objet de la part des
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chrétiens d’un véritable sabotage dans sa transmission (Iss ed atberat araili ro fich Lug mac Eithlend la Coin Culaind Sesrig m-Breslige)… Fils de Lug, petit-fils du Destin, et donc un demi-dieu-ou-démon. Mais dans sa courte vie, l’expérience a dû néanmoins, pour l’homme qu’il était, jouer le rôle qui lui revient dans la connaissance des choses qui relève précisément de l’expérience.
Notons en effet qu’il a eu d’après la légende une croissance extraordinairement rapide non seulement pour ce qui est de sa taille, mais aussi de diverses autres qualités.
Ce qui fait donc que notre héros avait de nombreux charismes : búaid crotha, búaid delba, búaid ndénma, búaid snáma, búaid marcachais, búaid fidchilli & branduib, búaid catha, búaid comraic, búaid comluind, búaid farcsena, búaid n-urlabra, búaid comairle, búaid foraim, búaid mbánaig, búaid crichi a crích comaithig.
Le don de la beauté, le don des formes, l’art de ? l’art de la nage, l’art de l’équitation, le don du tablut et des échecs, l’art de livrer des batailles, l’art de la guerre, l’art des combats, le don de voir, l’art de parler, de donner des conseils… ?…… l’art du pillage dans les pays voisins.
Mais il n’en était pas moins un homme ainsi que nous avons déjà l’occasion de le dire.
« Nous ne ferons pas grand cas de lui », répliqua Medb, « il n’a qu’un corps, il évite les blessures, il évite de se laisser faire prisonnier ».
Dans le Lebor na hUidre, p. 59 : il peut être blessé, il peut être capturé ; Fodaim guin. ni mou gabail. cf. O'Keeffe, p. 15, Winifred Faraday, p. 17, ligne 14.
Hesus est donc à la fois vrai homme, mais aussi vrai dieu-ou-démon dans ses incarnations, car comme dieu-ou-démon en l’occurrence, on ne saurait trouver plus sérieux (plus semnothée).
Alors qu’il n’avait que cinq ans ; il avait entendu le druide Catubatuos annoncer que quiconque prendrait les armes ce jour-là, aurait une vie glorieuse, mais courte.
Setanta était allé aussitôt demander des armes et un char au roi Cunocavaros (Conchobar), et Catubatuos lui avait prédit presque à regret :
« Tu seras effectivement illustre et renommé, mais sans longévité aucune, très vite parti au contraire ! »
Peu m’importe ! s’exclama le petit Hesus Cuchulainn, de ne vivre qu’un seul jour voire une seule nuit, si mon histoire et celle de mes hauts faits doit perdurer très longtemps après moi.
« Très bien ! » reprit alors Catubatuos/Cathbad, monte dans un char, mon garçon, puis essaie-le en personne, même si ce que je viens de dire est vrai ».
Commentaires : Hesus avait donc déjà pleinement conscience, à cinq ans, que sa vie devait constituer un exemple à étudier ou à réétudier, sans cesse, par les générations futures.
Mais comment dans ces conditions se répartissent sa divinité ainsi que son humanité ?
Afin d’éviter les critiques assez méprisantes à ce sujet de la raison (grecque ou juive d’ailleurs) face au vivant paradoxe de l’incarnation des avatars du Tokad, de nombreux celtisants ou certains érudits ont eu tendance à exagérer surestimer ou grossir, la distance qui peut exister entre la divinité d’Hesus et son humanité. Le divin habiterait l’homme Setanta/Cuchulainn un peu comme un Graal habitant son château ou son temple.
Pourtant c’est bien le même être, arrière-petit-fils du Destin, qui est aussi à la fois vrai dieu-ou-démon et vrai homme. Les deux natures, la nature humaine et la nature divine se rencontrent en la personne de Hesus Cuchulainn. L’expression peut paraître abstraite, mais son sens réel est fondamental. Il vient préciser comment ce Hesus incarné en Setanta dit Cuchulainn, est à la fois vraiment dieu-ou-démon et vraiment homme. Les légendes devant être lues à propos de la vie de Cuchulainn ne laissent planer aucun doute sur la conscience qu’a rapidement eue Cuchulainn d’être le dernier petit-fils né du Destin, de ne faire qu’un avec Lui ; et, par conséquent, donc, en un sens, d’être lui-même un peu en quelque sorte le « destin fait homme ».
En traitant de l’identité du Hesus vrai dieu-ou-démon et vrai homme lors de ses incarnations (Morfessa, Setanta), en rappelant sa vie et son œuvre, en nous penchant sur le témoignage des druides médiévaux à propos de sa mort et de son apothéose ; nous parlons bien évidemment d’une certaine conception du Destin, solidaire des hommes par définition puisqu’ils sont les seuls à percevoir ces coïncidences, et qui se décline en une multitude de destinées individuelles (le gaefa des
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Vikings, c’est-à-dire la part de capital chance que les fées qui se penchent sur votre berceau vous accordent dès la naissance), et non d’une loi des mondes, abstraite, comme dans le bouddhisme.
Avant ce cycle, à proprement parler métahistorique, vivant dans les îles au nord du monde (Hyperborée) avec plus de divinité que d’humanité (on le retrouve dans le livre des conquêtes et sous le nom de Marovesos comme roi d’une île mystérieuse, Thulé : Morfessa maître de Falias dans les déviations apocryphes irlandaises) ; puis né en ce cycle pour nous aider par son exemple à faire notre salut. Cet exemple incarné n’est ni partagé ni divisé en deux personnes, il est un seul et même dernier-né du Destin suprême, un dieu fait homme à cette occasion.
LES SURNOMS OU TITRES DE GLOIRE DE NOTRE SEIGNEUR DE MURTHEMNE (pour reprendre une appellation chère à Lady Gregory).
Les principaux titres de ce « demi-dieu-ou-démon » sont ceux de Marovesos maître de Thulé, Setanta, Chien de Culann, Roviros (vrai homme) Semnotheos (sérieux comme dieu), contorsionniste (cf. riastrade), roi des guerriers, etc.
LE GRAND HESUS (si ce nom dérive bien de vesus).
C’est la traduction celtique d’un terme indo-européen signifiant quelque chose du genre « qui sait, qui peut, qui excelle à, qui est bon à », comme dans les expressions bellovesos (qui sait combattre) sigovesos (qui sait vaincre), ou autre.
Avec l’épithète de Setanta, c’est alors celui qui sait aller de l’avant, celui qui sait avancer. Par chute du « v » le terme vesus se serait ensuite réduit à esus tout court. Sentovesus serait donc celui qui sait faire le chemin, le chemin à suivre. C’était le cas des rois (rix, riges), mais aussi des druides et des satiristes. Ce devait donc être aussi le cas du Hesus que le Destin enverrait pour libérer puis sauver son peuple par l’exemple : il serait roi ou plus exactement digne d’être roi sans le devenir lui-même (ce sera son fils adoptif), mais aussi druide et poète, à la différence d’un roi ordinaire de la Terre.
Note retrouvée sur une feuille volante par les héritiers de Pierre de La Crau.
MAROVESOS MAÎTRE DE THULÉ (Morfessa maître de Falias en irlandais).
Cette île [Thulé], d’une position indéterminée, car plutôt légendaire, constituait, pour les Anciens l’extrême limite septentrionale du monde connu, et l’épithète ultime lui était toujours attachée. Elle aurait été découverte par Pythéas dans la région de l’Islande ou des îles Shetland. (Voire des Féroé. Bref quelque part au nord de l’Écosse. N.D.L.R.) On pourrait rapprocher son symbolisme de celui des contrées hyperboréennes, si souvent évoquées par les Grecs. Thulé devint en effet dans la poésie et les légendes un pays fabuleux, avec des jours sans fin autour du solstice d’été, des nuits sans fin au solstice d’hiver. Thulé symbolise donc la limite du monde connu. Peut-être est-ce le sens de la fameuse ballade de Goethe.
Es war ein König in Thüle… Il était une fois un roi de Thulé, etc.
Cette ballade rappelle curieusement le thème celtique de la Souveraineté qui, sous l’apparence d’une belle jeune fille, se laissant volontiers épouser, remet au souverain désigné la coupe symbolique remplie de boisson enivrante. Voir les histoires de l’Extase du fantôme et de la Coupe de Cormac. Par contre Goethe fait de cette coupe, au moins en partie, un souvenir romantique, tout à fait dans le ton du Lied du XVIIIe siècle. Néanmoins il a gardé l’essentiel, puisque la coupe ne peut passer aux héritiers après le décès du roi.
« Et quand il vint à mourir, il compta ses villes et ses empires. Il fit cadeau de tout à ses héritiers, mais pas de la coupe ».
Le thème de la ballade ne rappelle rien de connu en mythologie ou folklore germanique et Goethe nous semble être le seul à traiter le thème dans la littérature allemande. Quelle fut donc sa source ? Le poème date de la pleine époque ossianique (Mac Pherson a été très lu en Allemagne).
Ce qui est certain c’est que l’ambiance cadre exactement avec celle qui se dégage de la légende du Hesus incarné plus tard en Cuchulainn (son royaume ne sera pas de ce monde puisqu’il échouera devant la pierre du Destin qui fait les rois, etc.)
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SETANTA.
Le véritable nom du deuxième avatar de notre Hésus était Setanta, ce qui signifie ainsi que nous l’avons vu en celte « celui qui chemine, celui qui fait son chemin ». Car c’est en suivant le cheminant que l’on trouve son chemin, encore une fois répétons-le !
Dans la mythologie irlandaise, Séadanda (ou Setanta en anglais) est le premier nom de Cúchulainn jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de cinq ans ; il a le sens de « chemin », « guide ».
Il est évidemment gaulois, puisque l’irlandais ne peut conserver le n immédiatement suivi d’une sourde. Setanta = Setantios est un nominatif singulier dont le pluriel Setantii est le nom d’un peuple gaulois de Grande – Bretagne. Le récit épique des exploits de ce demi-dieu, localisé en Irlande, remonte à une haute antiquité, et il nous a été conservé par les bardes grâce à l’alliance de leur corporation avec les prêtres chrétiens.
Quand cette épopée a été mise par écrit pour la première fois, au VIIe siècle de notre ère, les Irlandais étaient chrétiens.
De là l’introduction d’un certain nombre d’expressions qui attestent le christianisme des scribes.
Tel est le mot cétâin « premier jeûne » employé pour désigner le mercredi et rappelant ainsi l’antique usage chrétien de jeûner le mercredi et le vendredi de chaque semaine.
On peut citer également demna « démons ».
L’influence personnelle de saint Patrice est visible. La doctrine celtique de l’autre vie ne comportait pas de jugement après la mort. Saint Patrice semble avoir, dans ses prédications, insisté avant tout sur le jugement dernier ; de là son juron familier ; au milieu des Irlandais, il prononçait en vieux gallois, c’est-à-dire en sa langue maternelle : mo dé broth « jugement de mon Dieu. » De là l’expression debrad, prononciation irlandaise du dé broth de saint Patrice, mise dans la bouche de Cùchulainn, sorte de juron que M. Windisch la traduit par bei Gott.
CU-CULANTI ou CHIEN DU FORGERON CULANN.
Contrairement à ce qui se passe chez les Gréco-Romains, le chien est en effet, chez les Celtes, l’objet de comparaison ou de métaphores flatteuses. Comparer un héros à un chien était lui faire honneur en rendant hommage à sa valeur guerrière. Toute idée péjorative en était absente. L’envoyé de Dante, le veltro, est par exemple un lévrier de type vertragus > vieux français veautre, animal que l’on retrouve aussi chez Dürer. Le chien maléfique genre chien des Baskerville n’existe que dans le folklore, probablement sous l’influence du christianisme.
Les Celtes, tant insulaires que continentaux, ont eu des chiens dressés pour le combat et la chasse (vertragoi, segusioi, agassaioi, et ainsi de suite).
Chien de Culann est donc le surnom que l’on attribua au hésus Setanta dans sa jeunesse (Cu Chulainn en est la traduction en gaélique), car il s’engagea un jour à remplacer le chien du forgeron Culann, afin de défendre ses biens et son bétail.
ROI DES GUERRIERS.
Nous rendons ainsi faute de mieux le terme gaélique vlad : souveraineté, royauté, qui lui est souvent associé, ne serait-ce qu’au travers de celui de son peuple ADOPTIF, les Ulates. Cette souveraineté ne doit néanmoins en aucune façon être confondue avec la souveraineté pure et simple d’un monarque sur son peuple. Ni même avec une souveraineté de type « Christ-roi », car le royaume du Hésus Cuchulainn n’a que la valeur d’un exemple pour la jeunesse.
La souveraineté du Hésus Cuchulainn ne concerne pas en effet l’ensemble de la société, du peuple, mais seulement sa jeunesse ainsi que l’a très bien vu Patrick Pearse (à Saint Enda).
Le Hesus Cuchulainn a donc été reconnu en son temps souverain des jeunes gens d’Ulidia. Mais il ne deviendra pas pour autant roi de ce pays, pour diverses raisons liées à son destin personnel (gaefa/gaesa).
Pour simplifier disons que sa souveraineté ou sa chefferie n’est pas vraiment pas de ce monde, à la différence de ce que prétendent hypocritement les chrétiens à propos de leur maître le grand rabbi nazaréen. Son royaume n’est pas de ce monde, son royaume n’est pas de ce monde… oui, mais ils attendent néanmoins avec impatience que sa volonté soit faite… sur la terre ! Et ils y travaillent activement comme les musulmans !
Or ce n’est pas le cas des admirateurs ou fidèles de Cuchulainn. La vie et l’œuvre du jeune seigneur de Muirthemné, ainsi que l’appelle Lady Gregory, ne sont en effet pour nous que des exemples, des
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sources d’inspiration, voire de méditation pour ce qui est de ses points faibles. Setanta Cuchulain est certes fils d’un dieu (Lug, Taran/Toran/Tuireann ???), mais ce n’est aussi qu’un homme, comme tout le monde, ainsi que le rappellera son grand adversaire la reine Medb (il peut être blessé ou capturé).
Aucune personne prétendant s’appuyer sur cette chefferie ou souveraineté du Hésus Cuchulainn, pour fonder une loi quelconque, pour régenter nos vies, nous dire comment il faudrait manger, dormir, étudier, travailler, boire ou aimer, bref comment il faudrait vivre (selon une sorte de charia druidique)
… ne saurait avoir notre accord ni notre soutien. De minimis non curat druis. Dieu ne saurait s’occuper de notre façon de boire, de dormir, de nous laver, de nous brosser les dents, de déféquer, comme en terre d’Islam (dar al islam).
Le royaume du Hésus Cuchulainn n’est vraiment pas, lui, et à la différence des autres que l’on met assez hypocritement donc, en avant, DE CE MONDE. Nous devons maintenir une distinction absolue entre le rôle du roi et du druide, entre la spiritualité et la vocation des princes qui nous gouvernent (protéger et faire vivre leur peuple).
« Toute la nation celte est férue de rites religieux ; ceux qui sont atteints de maladies très graves, ceux qui sont engagés dans des guerres ou affrontent d’autres dangers, soit sacrifient des victimes humaines, soit font vœu de le faire ; et ils recourent pour cela aux druides en tant que maîtres de ces sacrifices, car ils pensent qu’à moins que la vie d’un homme ne soit offerte pour la vie d’un autre, l’esprit des dieux immortels ne peut pas être rendu propice à des intérêts humains, et ils ont des sacrifices de cette nature décidés dans l’intérêt de la nation tout entière » (César, B.G. Livre VI, chapitre XVI).
L’approche druidique du sacrifice du Hesus Setanta/Cuchulainn se fonde évidemment sur une certaine croyance en la valeur rédemptrice de la souffrance ou du sacrifice LIBREMENT CONSENTI. Le sacrifice du Hesus est essentiellement un sacrifice existentiel, c’est-à-dire un don de sa propre vie pour servir d’exemple aux hommes. Afin de leur montrer qu’il est possible de se libérer de la maladie congénitale de la race des Seigneurs, qui affecte en réalité tout un chacun de nous, puisque si elle est capable d’affecter la race des seigneurs (les Ulates) elle est aussi a fortiori capable de nous affecter nous autres simples mortels. Cette mystérieuse malédiction, lancée par une autre écuyère, ou un double d’Épona (qui serait alors ambivalente ?) est une image de notre faiblesse originelle en tant qu’être de chair et d’os et non pur esprit.
En ce sens, ce sacrifice diffère radicalement des sacrifices humains ou animaux juifs (holocaustes, boucs émissaires, etc.) dans lesquels le geste extérieur suffit ; sans qu’il y ait besoin de la conversion de l’âme/esprit tout entière de celui qui veut se racheter de ses fautes déontologiques (le vrai chevalier par exemple, comme Cuchulainn, ne doit jamais tuer ni les cochers, ni les messagers, ni les gens sans arme).
Ce que notre conception de la divinité suggère, ce n’est pas des holocaustes ou des boucs émissaires, mais avant tout le redressement des âme/esprits ayant failli à leurs devoirs (à leurs gessas éthiques).
La mort de Cuchulainn se situe dans le droit fil des sacrifices VOLONTAIRES ET LIBREMENT CONSENTIS de l’ancien druidisme, tout en présentant une singularité radicale.
La singularité du sacrifice de Cuchulainn vient de ce que le contenu de son exemple, ce fut sa propre vie, de son plus jeune âge à sa mort sur le menhir de Moritamna, Murthemne sous la plume de Lady Grégory. La vie du Hesus en tant que Cuchulainn est devenue depuis l’exemple même de la voie sacrificielle celtique. Patrick Pearse l’avait très bien compris. Le sacrifice celte est d’abord un sacrifice spirituel, celui de l’âme/esprit qui consent ; et ensuite seulement un sacrifice physique.
Sur le Continent, il n’y a qu’un seul autre exemple d’une devotio de ce type, c’est celle de Vercingétorix après la défaite d’Alésia. Comme dans le cas du hesus Cuchulainn, l’événement a marqué les consciences, non seulement des druides présents (il devait bien y en avoir dans l’oppidum ou dans l’armée de secours), mais aussi des Romains, pendant plusieurs générations. Il est rare qu’un événement historique à cette période soit relaté par quatre auteurs s’appuyant chacun sur des sources différentes. C’est pourtant le cas dans l’exemple de sacrifice qui nous occupe ici : César évidemment, Florus reprenant un livre perdu de Tite-Live, Plutarque et Dion Cassius.
César qui retouche, comme un peintre le ferait en atténuant les traits les plus contrastés, la scène de la reddition proprement dite, est le seul à décrire le moment de cette devotio. « Ayant convoqué le
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conseil, Vercingétorix déclare que la guerre n’a pas été entreprise par lui pour son propre intérêt, mais pour la liberté commune, et, parce qu’il faut céder à la déesse-ou-démone Fortune, il s’offre à eux de deux manières. Qu’ils apaisent les Romains par sa mort, ou qu’ils le livrent vivants ».
César a certainement appris ces détails, après coup, par des espions ou des alliés qui ont pu assister directement à la scène. Il n’en retient que ce qui sert l’économie de son récit, les raisons alléguées par Vercingétorix, et il omet, volontairement ou non, le rituel d’une cérémonie religieuse dont le « conseil armé » constituait le cadre idéal. César ne pouvait reproduire une scène qui révélait trop le caractère religieux de ce qu’il voulait rapporter seulement comme une simple reddition, mais la reddition proprement dite, telle qu’elle apparaît dans le texte de Plutarque, prouve néanmoins que Vercingétorix a mis en scène un authentique rituel religieux. Que César lui-même prolongera, six ans plus tard, en le concluant par le véritable sacrifice humain, sans aucune autre forme de procès, du malheureux. Mais dans des conditions très différentes de l’apothéose de Cuchulainn sur son char céleste.
Voici le récit de Plutarque : « Vercingétorix, celui qui avait suscité puis conduit toute cette guerre, s’étant muni de ses plus belles armes, et aussi ayant paré ou orné de même son cheval, sortit par les portes de la ville ; et alla faire un tour à cheval à l’entour de César, assis sur son trône. Puis, après avoir mis pied à terre, il ôta tous les ornements de son cheval, et se dépouilla de toutes ses armes, qu’il jeta par terre, puis il alla s’asseoir aux pieds de César sans dire mot ».
On pourrait être tenté de voir dans cette scène dramatique l’effet d’un enjolivement littéraire. On aurait tort. Plusieurs détails ne trompent pas. Vercingétorix se pare de ses plus belles armes, celles qui habituellement sont destinées aux dieu-ou-démons. Il accomplit ce rite guerrier en compagnie de son cheval, ce même cheval qui est comme le prolongement du chevalier à la guerre, un autre corps qui le transporte, qui porte ses armes et ses trophées. Mais surtout, en tournant autour de César, Vercingétorix accomplit un véritable rite religieux, celui de la circumambulation. Dans la défaite et dans sa devotio, Vercingétorix se montrait donc plus grand que celui qu’il faisait reconnaître publiquement comme son maître.
Accompli par Vercingétorix qui voulait restaurer la royauté et qui prônait les anciennes valeurs, ce don de soi-même apparaît, à l’évidence, comme une pratique religieuse ancienne que le jeune aristocrate remet au goût du jour ; en n’oubliant aucun détail, et en ajoutant peut-être encore au décorum. L’exemple qu’il nous donne demeure unique, mais parfaitement révélateur, de l’abnégation du guerrier, du don qu’il fait de sa personne aux des dieu-ou-démons et, au-delà, au bénéfice du peuple au nom duquel est accompli le rituel. La devotio de Vercingétorix fut efficace : César mit à part les prisonniers de guerre éduens et arvernes, qu’il rendit à leurs peuples, les autres furent attribués aux soldats romains en guise de butin, à raison d’un par tête.
Ce qui semble se présenter d’abord comme un don des hommes aux dieu-ou-démons, est en réalité un don du Destin Suprême à l’Homme, vu la valeur rédemptrice de toute souffrance librement consentie. Aujourd’hui encore ne gracie-t-on pas le criminel qui a accompli un acte héroïque et qui s’est ainsi racheté ? Contrairement aux sacrifices humains ou animaux juifs, le sacrifice druidique n’est donc pas d’abord ce qui fait souffrir les autres : il est ce qui peut nous re-mettre en communion avec l’autre monde.
Est d’ailleurs aussi « vrai sacrifice » toute œuvre rapportée à cette valeur supérieure qu’est la valeur rédemptrice de la peine ou du travail, grâce auxquels nous pouvons exister véritablement (existentialisme celtique).
Il était donc nécessaire que ce soit un homme-dieu-ou-démon qui donne le premier l’exemple et un homme-dieu-ou-démon sérieux (semnothée donc). Cela fut l’œuvre du Hesus en tant que Setanta/Cuchulainn. En compensant du poids de l’exemple de sa vie et de sa mort jetées dans la balance, la faiblesse congénitale des Ulates (que nous sommes tous quelque part) ; le hesus Setanta/Cuchulainn a fourni aux hommes l’exemple salutaire par excellence. Car si la race des seigneurs que sont les Ulates est terrassée par cette bien mystérieuse maladie (ces noinden), que dire alors de nous autres qui ne sommes que des hommes ordinaires ? Il a tracé pour nous la voie que nous devons suivre et nous a obtenu, du même coup, la force d’y passer après lui.
ROVIROS (ROFIR en gaélique) : SUR HOMME.
En tant qu’incarnation d’Hesus, Cuchulainn est consubstantiel aux dieu-ou-démons, demi-dieu-ou-démon né d’un vrai dieu-ou-démon (Lug). Après son apothéose/assomption sur un char glorieux, la
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filiation divine de Hesus apparaîtra, dans toute sa splendeur, et son ascension sur un char magique comme ceux des tombes champenoises confirmera cette relation toute particulière avec le monde des dieu-ou-démons. Hesus en tant que demi-dieu-ou-démon voire dieu-ou-démon incarné, préfigure le sort de l’avant-garde de l’Humanité tout entière. Hesus en est l’avenir, en est le modèle surhumain, à venir.
Pour les druides de l’époque, nous l’avons vu, l’humanité du grand Hesus incarné en Setanta Cuchulainn fut aussi une évidence.
Il n’en alla plus de même par la suite. Certains intellectuels subissant des influences philosophiques développant un certain mépris des corps (comme le christianisme par exemple) éprouvèrent quelques difficultés à reconnaître que le divin ait pu s’unir à un corps. Ces tendances existent encore aujourd’hui d’ailleurs, y compris dans certaines formes d’hyperspiritualisation du druidisme, dues à l’influence du christianisme justement, et qui ne reconnaissent pas au corps, et donc à l’incarnation des avatars, toute leur place et toute leur importance.
N.D.A. Mais si Hésus n’a pas été un vrai homme comme chacun d’entre nous, alors ce n’est pas nous qu’il peut sauver en donnant l’exemple. Ce n’est pas notre souffrance qu’il peut vaincre en donnant l’exemple, ce n’est pas de notre maladie des Ulates (cf. la Ces noinden Ulad) ou de notre possible réincarnation en bacuceos, qu’il peut nous libérer. Comment celui qui n’aurait en aucune façon assumé une nature vraiment humaine, pourrait-il en effet libérer notre humanité ?
LE MARTYRE DU HÉROS.
Avertissement au lecteur. Nous emploierons ici le mot martyre en son sens originel ; c’est-à-dire d’épreuve terrifiante imposée et que l’on pouvait facilement éviter mais que l’on recherche néanmoins pour être logique avec soi-même ; et aussi dans son sens musulman actuel. Les musulmans appelant « martyr » tout homme mort au combat, même s’il est tombé les armes à la main lors d’une grande offensive ou lors d’un attentat suicide (chahid). Bref, notre seigneur (précisons « de Muirthemné » Lady Gregory y tient beaucoup) à nous, c’est à la fois Jésus (Cuchulainn ne tuait jamais ni les cochers, ni les messagers, ni les gens sans armes) et Mahomet.
Tu crains de mourir, mais tu ne t’y es pas dérobé… On a souvent dit que notre héros ne pouvait en aucun cas être un exemple de vrai courage, car il ne craignait jamais rien, car il était en fait inconscient du danger, en général, ce qui en faisait en réalité un être in-humain, non humain. Ce passage du mythe le concernant nous prouve exactement le contraire ! Le Hésus Cuchulainn y apparaît comme craignant la mort au point de presque en défaillir, mais il l’affrontera néanmoins jusqu’au bout, afin de tenir sa parole.
Bien que fils d’un dieu (Lug ou Taran/Toran/Tuireann, peu importe) notre jeune seigneur de Muirthemné a donc bien été un homme, un vrai, il a vécu pleinement la condition humaine qui est la nôtre, il a eu peur, il a été terrorisé, il a failli en défaillir. Notre seigneur de Muirthemné n’est pas qu’un dieu, la divinité lugienne qui était en lui ne l’a pas placé en dehors de la condition humaine, et c’est donc pourquoi nous pouvons le prendre comme beau modèle, enfin disons comme étoile polaire pouvant guider notre cheminement dans la vie, notre quête du Graal sur cette Terre. C’est en suivant le cheminant qu’on trouve le chemin, qu’on trouve la voie.
À la grande différence du christianisme, malgré toute la valeur du sacrifice dans la philosophie du druidisme antique, malgré toute l’importance du sacrifice dans la spiritualité du druidisme antique (apaiser la colère divine) ; que ce qui nous sauve avec le Hésus Mars dit le Chien de Culann, pour le néo-druidisme que nous représentons, c’est moins son sacrifice en lui-même (ne soyons pas aussi stupides que les chrétiens) que son exemple : le bel exemple qu’il nous donne.
Et d’ailleurs tout comme l’exemple de Jeanne d’Arc (presque une « payse » à moi ma mère étant née à Echenay) l’exemple de Cuchulainn a encore joué un grand rôle dans la lutte contre les Anglais pour l’indépendance de notre chère Irlande (Erin go Bragh au début du XXe siècle : beaucoup d’œuvres d’art le représentent, et notamment une statue d’Olivier Sheppard devant la grande poste centrale de Dublin).
Catubatuos/Cathbad et les vellèdes s’empressant toujours autour de lui, le Hésus Cuchulainn se rendit au château de Duxtir/Dechtire, afin de faire ses adieux à sa mère, l’aurige du roi Conchobar.
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Dès qu’il eut pénétré sur la pelouse, Duxtir/Dechtire alla le retrouver, sachant très bien que ce qu’il était impatient de faire c’est de tomber à bras raccourcis sur les Irlandais. Elle lui tendit alors la coupe (ballan) dans laquelle il avait l’habitude de boire chaque fois une gorgée avant de partir en voyage ou en expédition, en gage de victoire ; mais ce qu’il y avait dedans cette fois-ci c’est uniquement du sang vermeil.
Hélas Duxtir, s’exclama-t-il, que tout m’abandonne n’est assurément pas étonnant, quand la coupe que tu me tends est ainsi [pleine de sang]
Duxtir/Dechtire prit la coupe une seconde fois, la remplit et lui tendit ; et une seconde fois elle fut remplie de sang.
Elle remplit une troisième le récipient et là encore il fut plein de sang.
Une grande colère contre cette coupe s’empara du Hésus Cuchulainn alors qui la lança violemment contre un rocher où elle se brisa, d’où le nom jusqu’à ce jour de l’endroit, Colline de la Coupe (Tulach an bhallain).
Mère, tu n’as rien à reprocher en vérité, car cela signifie seulement que mes interdits (gessa) ont tous été rompus et que la fin de ma vie est proche : de mon combat contre les Irlandais cette fois-ci je ne reviendrai pas vivant.
Ensuite il récita le lai suivant :
Ô, Dechtire, ta coupe est vide…
Le terme gaélique ballan signifie « récipient pour donner à boire », mais bol bail boil, etc. signifie également chance prospérité efficacité, d’où jeu de mots peut-être. On se perd en conjecture sur la signification exacte d’une telle transsubstantiation. De la bière ou du vin transformé littéralement en sang (symboliquement il doit s’agir du sang de notre héros). John Tillotson (archevêque de Cantorbéry au XVIIe siècle) a dénoncé en son temps le caractère « barbare » d’une telle idée, et considérait comme impie de croire que les fidèles qui participent à la communion « mangent et boivent vraiment de la chair et du sang ». De l’homme Jésus en l’occurrence.
On n’ose donc pas penser à une influence chrétienne, cela aurait constitué un blasphème impensable à l’époque ! Nos contes et légendes fourmillent d’exemples de boissons et de récipients (chaudron, etc.) magiques mais là il s’agit de tout autre chose, d’une transformation de bière ou de vin en sang de demi-dieu. Toute la question est donc de savoir s’il s’agit là vraiment de son sang ou d’un symbole poétique.
L’idée du symbole est évidemment la première qui vient à l’esprit, mais il ne faut pas oublier que ces textes ont été composés à une époque où tout le monde croyait aux prodiges au surnaturel au préternaturel à la magie, etc.et cette image n’était peut-être pas considérée comme une simple métaphore à l’époque, mais comme un prodige.
La transsubstantiation est, littéralement, la conversion d’une substance en une autre. Le terme désigne, pour certains chrétiens (en particulier les catholiques), la conversion du pain et du vin en corps et sang du Christ lors de l’Eucharistie.
Lorsque Jésus dit pendant la Cène : « Ceci est mon corps », ce qu’il tient dans ses mains a l’apparence d’un pain, mais, selon la doctrine romaine catholique, la substance de ce pain a été convertie en chair du Christ. C’est donc vraiment son corps, même si les apparences accessibles aux sens ou aux études scientifiques demeurent celles du pain. La même conversion survient lors de chaque célébration de l’Eucharistie.
La consubstantiation est la doctrine protestante luthérienne par laquelle, lors de la Cène, le pain et le vin conservent leurs substances propres avec lesquelles coexistent les substances du corps et du sang du Christ. Cette notion, définie par Guillaume d’Occam ou Duns Scotus, fut reprise par Luther.
Les membres de l’Ollotouta druidique qui ont recours à ce rituel de la coupe sont plus pragmatiques et considèrent que finalement tout est une question de foi, l’effet placebo le démontre.
Ils admettent aussi l’opinion que le Hésus Mars de l’Antiquité ou le Sétanta Cuchulainn du Moyen-âge n’est pas corporellement présent dans la boisson de cette coupe de protection au moment de la communion, mais présent dans le cœur, l’esprit et la vie de ceux qui participent à ce rituel.
« À vous seuls il est donné de connaître comme de les ignorer les dieux et les puissances célestes » (Lucain, la Pharsale livre I)
Finalement tout est question de foi, l’effet placebo le démontre.
LA MORT DU HÉROS.
L’éternelle histoire de la mort du héros. Nous pouvons résumer ainsi le drame qui s’est joué là-bas ce jour-là. Quelque part aux temps lointains de la méta-histoire. En Irlande ou en Europe centrale. Fadó, fadó, fadó.
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Pour sauver les siens, le héros a dû affronter tout ce qu’il y avait de bêtise et de méchanceté humaine sur terre. Y compris celle de nos lointains ancêtres. Y compris celle des ancêtres des Français, les Gailioin. Cela est dit sans aucun racisme anti-français bien entendu, car en l’occurrence les Gailioin ne sont qu’une métaphore de l’Humanité, mais si cela pouvait contribuer à un peu moins d’orgueil et un peu plus de modestie (notre époque n’en prend pas le chemin)… ce serait toujours ça de pris. Disons que le hésus Cuchulainn dans cette éternelle histoire de la mort du héros joue un peu le rôle que joue le Shaoshyant dans la mythologie perse. Mais dans un lointain passé, in illo tempore, et non dans un lointain futur eschatologique.
N.B. Shaoshyant est le nom du sauveur suprême dans la mythologie iranienne. Son avènement marquera l’arrivée des derniers jours et du Frashokereti, l’ultime renouveau. D’après nos frères parsis en effet, la durée du monde se divise en quatre âges durant chacun 3000 ans (les anciens druides avaient des cycles beaucoup plus longs et jonglaient avec des chiffres qui pouvaient sembler astronomiques pour l’époque).
Le début du quatrième et dernier âge, qui comprend l’époque actuelle, a connu l’apparition du réformateur religieux Zoroastre et verra l’avènement du sauveur Saoshyant, qui viendra pour renouveler le monde et ressusciter les morts. Un torrent de métal en fusion submergera la planète pour la purifier, et Angra Mainyou sera définitivement vaincu. L’humanité sera soumise à un torrent brûlant, qui la nettoiera de toutes ses taches et lui permettra de vivre en compagnie d’Ahoura Mazda. Â ceux qui auront mené une vie irréprochable, ce torrent brûlant ne fera pas plus d’effet que du « lait tiède ». Le Saoshyant sacrifiera un taureau et mélangera sa graisse avec l’élixir magique appelé haoma, pour créer un breuvage d’immortalité qu’il donnera ensuite à chaque membre de la race humaine…
Enfin, tout cela selon nos frères parsis.
Mais répétons-le encore une fois ce qui importe c’est l’état d’esprit présidant à ces récits : il existe un monde parallèle au nôtre peuplé d’être vivant à cent coudées au-dessus de nous. Il n’existe pas de barrière étanche entre les deux mondes et c’est dans une partie (bienheureuse et paradisiaque) de ce monde-là que vont les âmes/esprits des défunts après la mort (à l’exception des quelques-uns qui restent bloqués un certain temps dans son antichambre).
Des habitants de l’autre-monde peuvent se manifester dans le nôtre et réciproquement des humains peuvent se retrouver dans l’autre.
Le moment privilégié pour les manifestations de ce phénomène tourne autour de la fête de Samon (1er novembre).
Il existe également des lieux plus propices que d’autres à ces contacts.
Il va de soi que ce que nous appelons nous autres pauvres humains monde parallèle doit sans doute en toute bonne logique être mis au pluriel, la meilleure des images dans ce cas étant celle du millefeuilles (l’être-univers existant est comme un mille-feuilles dont nous n’occuperions qu’un tout petit bout). Et un jour dans notre monde ne régneront plus que le feu et l’eau (d’après Strabon). À part ça nous sommes bien incapables d’en dire plus. À chacun de voir !
Il existe deux principales versions de la mort de notre héros.
La plus ancienne, la version A, est celle figurant dans le recueil de manuscrits connu sous le nom de livre du Leinster.
Brislech Mór Maige Murthemne 7 Derg-Ruathar Conaill Chernaig.
Pokorny en date le noyau initial du milieu du VIIIe siècle. Cette version a deux défauts majeurs.
Le premier des deux est qu’il manque le début de l’histoire.
Le second est que sa compréhension en est difficile.
La plus récente, la version B, date du XVe siècle au plus tôt. Il en existe plusieurs manuscrits dont celui de la collection Egerton du Britsih Museum connu sous le numéro 132.
Puisque le début de l’histoire manque à l’appel, le lecteur nous pardonnera d’y suppléer quelque peu.
Notre héros s’étant fait beaucoup d’ennemis au cours de sa courte carrière, il succombera en fait à leur coalition menée par la reine Maeve. Maeve, désireuse de se venger de l’humiliation qu’il lui avait fait subir lors de son expédition destinée à capturer le taureau brun de Cualnge, va donc ourdir contre
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lui un sinistre complot, en s’appuyant notamment sur les trois filles d’une de ses victimes de naguère, pourtant tuée à la loyale lors d’un des innombrables duels ayant jalonné la retraite de l’armée de Maeve hors du royaume d’Ulidia : Calatin.
Le problème est que ce serait alors à notre connaissance le seul exemple d’une telle bataille dans la littérature irlandaise, les batailles de Mag Tured n’étant pas des batailles eschatologiques, mais des événements fondateurs
Une innombrable armée d’ennemis ? D’un point de vue strictement militaire et pour ce qui est de la stratégie, c’est complètement nul ! Il doit s’agir d’une bataille eschatologique avec le Hésus Cuchulainn dans le rôle du Saoshyant de la spiritualité zoroastrienne ainsi que nous l’avons dit plus haut.
Pour en revenir à cette bataille finale livrée par nos héros, ne soyons pas stupides pour autant. Tout comme dans le cas des Gailioin ancêtres des Français, il serait ridicule d’en vouloir aux Irlandais de l’actuel Connaught pour quatre raisons.
La première raison est que, à supposer que les faits se soient bien déroulés en Irlande, les habitants actuels du Connaught n’ont plus rien à voir avec ceux qui ont été responsables de la mort de notre héros à l’époque.
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis, et il y a même eu de nombreux métissages (par exemple avec les Français de l’armée Humbert restés sur place, après la bataille de Castlebar le 27 août 1798).
Et si les faits se sont produits quelque part en Europe centrale plusieurs siècles plus tôt, même chose. Allemands du Sud Autrichiens ou Tchèques, etc. actuels, n’ont plus rien à voir avec les auteurs de cette bien lâche action il est vrai. Des Français de Lorraine ou d’Alsace se sont installés au XVIIIe siècle (de 1716 à 1788) en Hongrie ou en Roumanie par exemple. Le gros de ces émigrés (plusieurs milliers de personnes) resta fixé sur les terres du Banat. Là, où le Prince Eugène de Savoie, et plus tard Marie-Thérèse et l’empereur Joseph II les avaient invités à s’établir.
La deuxième raison est qu’il est manifeste que les auteurs de cette saga ont tenu pour des raisons évidentes à grossir à l’infini le nombre des ennemis du Hésus Cuchulainn résolus à causer sa perte et à se venger de lui.
Ont donc été enrôlés par eux dans leurs rangs des personnages qui peut-être n’eurent rien à voir avec, initialement. Tout comme par exemple Cu-Roi n’avait rien à voir initialement avec la légende du Hésus Cuchulainn. Bref, vu le penchant bien connu des Celtes pour l’hyperbole, le Hésus Cuchulainn victime d’une embuscade tendue par quelques-uns de ses ennemis est rapidement devenu dans les récits bardiques le Hésus Cuchulainn contre des multitudes, seul contre tous, ou presque, seul contre le monde entier ou presque.
Maeve et les gens du Connaught sont l’archétype des hommes et des femmes ivres de pouvoir de vengeance et de jalousie. Bref des hommes.
La troisième raison est que les péripéties de l’action d’alors ont amené notre héros à violer un à un tous ses interdits, donc à faire lui-même son malheur.
La dernière raison enfin est que cette mort tragique (aided) est peut-être un effet de la justice immanente, le Hésus Cuchulainn ayant auparavant tué lui-même son propre fils, le fils unique d’Aife. L’enfant l’avait maudit avant de mourir et le Hésus Cuchulainn avait d’ailleurs accepté à l’avance de subir le juste châtiment de ce crime.
En ce qui concerne nous préférons donc lire ce récit de façon doublement symbolique.
Le Hésus Cuchulainn est mort à cause des fautes de cette multitude de nos congénères humains jaloux de ses charismes (boudismes) exceptionnels. Búaid crotha, búaid delba, búaid ndénma, búaid snáma, búaid marcachais, búaid fidchilli & branduib, búaid catha, búaid comraic, búaid comluind, búaid farcsena, búaid n-urlabra, búaid comairle, búaid foraim, búaid mbánaig, búaid crichi a crích comaithig.
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Mort à cause de nous et de nos lâchetés quotidiennes voire de nos crimes. Mort pour nous donner l’exemple du sacrifice et de l’abnégation. Car seuls le sacrifice et l’abnégation de quelques-uns peuvent sauver la multitude. En l’occurrence le royaume d’Ulidia et même les gens du Conaught (qui ont dû beaucoup réfléchir après ça).
Et c’est aussi une dramatique illustration de la toute-puissance de cet ensemble de causes secondes que l’on appelle le Destin, suzerain suprême de l’univers, y compris des dieux (les chrétiens appellent ça la providence divine, les bouddhistes le dharma, nous nous appelons ça le Tocad. Tocade si on le met au féminin pour ne choquer personne).
LA RÉSURRECTION DU HÉROS.
Le transcripteur de la légende irlandaise a noté que, quelques jours après, Cuchulainn fut aperçu par les cent cinquante reines qui avaient en vain essayé de le retenir le jour de son fatal départ à la guerre.
Elles virent quelque chose : Cuchulainn dans son char en l’air au-dessus d’Emain Macha.
Cuchulainn chantait ou leur parlait…
Dans cette légende que le transcripteur a lui-même reçue sans doute d’une tradition antérieure remontant au 1er millénaire avant notre ère quelque part sur le Continent, puisqu’il s’agit de littérature orale couchée par écrit, se trouve donc cette affirmation de l’ancien druidisme sur l’apothéose ou montée au ciel, du Hésus Setanta Cuchulainn. Mais bien sûr, c’est plus un acte de foi ou une légende, une croyance donc, qu’un constat historique bien documenté.
En tant que Setanta, Hésus est réellement mort à Moritamna (Murthemne). Sa mort a été constatée par des milliers de guerriers. Personne par contre n’a eu l’occasion d’assister aux débuts de l’apothéose du Hesus en tant que Cuchulainn bien entendu ; malgré les billevesées chrétiennes contées à ce sujet par saint Bénin (saint Patrice convertissant notre héros) ; mais si personne n’a pu assister aux débuts de cette apothéose, le Hesus, lui, en tant que Cuchulainn, s’est montré après sa mort à des témoins. Les « cent cinquante reines » qui n’avaient pas voulu le laisser partir. C’est donc de la bouche de ces cent cinquante princesses-là que les druides de l’époque ont appris la nouvelle : le Hésus Cuchulainn est monté au Ciel sur son Siaburcharpat (sur son char bellissimos).
Telle est la manière dont cette expérience, avec sa dimension spectaculaire, est généralement rendue à travers les traditions mythologiques irlandaises.
Chrétiens juifs et musulmans peuvent bien entendu mettre en doute la parole de ces cent cinquante femmes. Il faut pourtant se garder de réduire cette « vision » à une apparition ordinaire.
À la même époque ou presque, sur le Continent, on enterrait toujours les rois et les chevaliers celtes avec leur char.
Cette allégorie a pour but de signifier que le corps du Hésus (celui de Cuchulainn) n’était plus alors enfermé dans les limites du monde physique que nous connaissons et où pourtant, très réellement, il avait vécu, il était bellisssime. Il n’était plus arrêté par les obstacles du syllogisme de la reine Medb.
« Nous ne ferons pas grand cas de lui », répliqua Medb, « il n’a qu’un corps, il évite les blessures, il évite de se laisser faire prisonnier ».
Dans le Lebor na hUidre, p. 59 : il peut être blessé, il peut être capturé ; Fodaim guin. ni mou gabail. cf. O'Keeffe, p. 15, Winifred Faraday, p. 17, ligne 14.
La montée au ciel du Hesus dans un corps glorieux et sur un siaburcharpat glorieux, conformément à la tradition des tombes à char champenoises (quelle curieuse méthode), est une rumeur qui a dû marquer son temps. L’Irlande de cette époque si les faits se sont bien déroulés dans cette île. La grande Celtie libre et indépendante, si les faits se sont en réalité produits sur le Continent, avant d’être associés à leur île par les bardes irlandais.
Cette montée au ciel ou apothéose fut la récompense du Destin (Tokade) accordée à l’héroïsme du Hesus incarné sous la forme Cuchulainn. Son courage a payé, la Loi des Mondes a reconnu son action d’auxiliaire ou de cause seconde ou d’agent du destin (quel paradoxe) en le couronnant de la lumière des grands héros (en blaith, lon gaile, lon laith, luan laith). En faisant monter l’incarnation d’Hésus au ciel sur son char de gloire, le Tokad a ainsi validé bien entendu son exemple (c’est un beau modèle tout comme Mahomet), mais aussi ses actes et ses paroles, lors de son passage sur cette terre.
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COMMENTAIRES.
La bonne nouvelle dans toute cette histoire (suscetlon) c’est qu’en descendant ainsi dans les glaces de l’antichambre du paradis pour en ressortir dans un corps glorieux, mais intact ; le hésus Cuchulainn a ainsi prouvé que l’on pouvait triompher de la mort et de la réincarnation à l’infini en bacuceos.
À la mort de Cuchulainn, Hesus a repris sa vraie vie, celle sur laquelle la mort ne peut plus avoir de pouvoir. En retrouvant son intégrité corporelle apparente (sa tête, sa main, etc.) Hesus a aussi montré l’importance d’une telle intégrité corporelle dans la métaphysique celte (voir le cas du roi pêcheur d’hommes Noadatus/Nuada/Nodons, etc.).
Nos légendes ont toujours vu dans son aventure, avec sa double face de souffrance et de gloire, le sommet de l’enseignement par l’exemple.
Comme l’a dit un jour un poète parlant d’Hesus (non, non, ce n’est pas Patrick Pearse) :
Le récit gaélique intitulé Siabur charpat Con Culaind, nous explique par définition et malgré les manipulations chrétiennes du texte, que notre héros commença par séjourner un certain temps dans les profondeurs glacées de l’antichambre du Paradis après sa mort et avant son apothéose.
Une triple ou quadruple descente dans l’enfer du non-monde glacé (andumnon) ou dans les antichambres du paradis comme Donnotegia ?
Ainsi que nous avons pu le voir, le Grand Hésus est d’abord dit, dans la tradition apocryphe irlandaise (sous le nom de Marovesos ou Morfessa) : maître de Falias. Or ce terme gaëlique vient d’une forme « Vo-Alas » « Fo-Al » signifiant : « sous les roches ».
Marovesos ou Morfhessa est donc un dieu-ou-démon du monde souterrain et l’île de Thulé, appelée Falias par les Gaëls, n’est jamais qu’une des entrées de ce monde souterrain. Mais on en est là réduit aux hypothèses.
La question qui se pose alors est donc la suivante : à la suite de quel processus Hesus a-t-il pu acquérir ce pouvoir, à la suite de quelle « descente dans les glaces de l’enfer » ? Descente symbolique évidemment, ou EN ESPRIT plus exactement, le corps, lui, restant sur place.
Comme l’a bien établi Henri Lizeray en parlant d’un tout autre personnage il est vrai : « Ulysse reste au bord de la fosse en état de somnambulisme » (page 85 de La D S. D D.) Il s’agit donc uniquement d’un voyage « astral » de l’âme/esprit dans le non-monde, un procédé chamanique bien connu (la sortie de l’âme/esprit hors du corps).
L’hypothèse la plus vraisemblable nous l’avons vu est celle d’une descente dans les glaces de l’antichambre du paradis juste après sa décapitation sur le menhir de Murthemné. Un bref séjour d’ailleurs et non comme l’affirment les chrétiens jusqu’à l’époque de saint Patrice. Quelle foutaise. Et après ce bref séjour sans avoir aucunement besoin de l’aide de saint Patrice ; notre héros serait monté au ciel selon la méthode « champenoise » des tombes à chars. Les chrétiens n’auraient fait que mettre en scène cette apothéose.
Certains mythologues avancent néanmoins qu’il existe dans la vie de notre héros d’autres moments susceptibles d’avoir permis une telle expérience.
— Durant la bataille du tertre de Lerga ? Quand Lug le remplace pendant trois nuits et trois jours ? Pour l’archéologue français J.-J. Hatt, le lech de Kernuz (en France) représente justement Mercure (Lug) en train de protéger le Hesus.
Enlèvement des bœufs de Cooley.
Et alors que Loeg était là, il vit quelque chose : un homme solitaire allant droit sur lui en venant du nord-est à travers le camp des quatre grandes provinces.
Un homme seul approche maintenant, petit chien de Culann,
Quelle sorte d’homme est-ce demanda le Hésus Cuchulainn.
Ní handsa ! Ce n’est pas difficile ! Un homme grand et beau, à la chevelure ample, bouclée, blonde. Il a un grand manteau vert qui l’enveloppe avec une broche d’argent blanc dessus fixée sur la poitrine. Il porte une tunique de satin royal brodée d’or rouge à même sa peau blanche qui descend jusqu’aux
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genoux. Il porte un bouclier noir avec un umbo de bronze blanc. À la main il a un javelot à cinq pointes et avec une javeline fourchue. Les démonstrations et les moulinets qu’il fait avec ces armes sont prodigieux. Mais personne ne l’accoste et il n’aborde personne, comme si personne dans le camp des quatre grandes provinces d’Irlande ne le voyait.
Tu t’es battu avec courage jusqu’au bout, Setanta, lui dit le guerrier inconnu, mais il est temps maintenant que j’intervienne pour t’aider.
Qui es-tu, demanda Cuchulainn au guerrier fantôme ?
Is messe do athair a ssidib, Lug mac Ethlend
Je suis ton Père de l’Au-Delà, Lug, fils d’Ethliu.
Dors un peu Setanta, lui répondit le guerrier tout étincelant et je m’occuperai de tes ennemis pendant ce temps-là.
Lug examina chacune des blessures d’Hesus, puis il chanta le virodordo (« la mélodie des basses », ferdord en gaélique), et Setanta s’endormit aussitôt.
Cotail-siu ém bic, a Chú Chulaind,’ or in t-ócláech, do thromthoirthim chotulta. Le Hésus Cuchulainn dormit alors d’un profond sommeil sur le tertre funéraire de Lerga pendant trois jours et trois nuits. Il était nécessaire que la durée de son sommeil corresponde à la grandeur de son épuisement, car [on lúan re samain sainriuth cossin cétaín iar n-imbulc] du jour de la lune après Samon (ios) exactement au mercredi après Ambolc, le Hésus Cuchulainn n’avait pas dormi une seule nuit, sauf quand il somnolait un petit instant appuyé contre son javelot après midi, a chend ar a dorn, a dorn imm a gai, a gai ar a glùn, la tête sur son poing fermé, son poing serré autour de son javelot et son javelot sur les genoux, car il n’avait pas cessé de frapper, d’abattre, de pourfendre et d’exterminer, les quatre grandes provinces d’Irlande, durant tout ce temps-là. Ensuite le guerrier mit des plantes du sidh et des herbes médicinales (lubi ícci & slánsén i cnedaib) dans les blessures, les coupures les entailles et les nombreuses autres plaies du Hésus Cuchulainn de sorte qu’il puisse recouvrer toute sa santé sans même s’en apercevoir durant son sommeil.
Et ensuite il le remplaça pendant son sommeil en combattant à sa place les enfants de Calatin ainsi que les Gallioin [eh oui, les ancêtres des Français, à en croire les ancêtres des Irlandais, ont toujours combattu… notre héros].
Le mystère de cette apparition de Lug à Hesus occupe encore une place importante chez certains auteurs. Comme le dit très justement John Sharkey en commentant ce passage dans son ouvrage intitulé « Mystères celtes », dans l’épopée de Cuchulainn, le dieu-ou-démon du soleil se matérialise pour assumer les fonctions du guerrier qui, parce qu’il reste mort pendant trois jours, peut redevenir mortel. Dans cet état, il passera par les trois mondes mystiques de la vie de l’Au-Delà celtique : du corps terrestre à l’esprit physique, puis à la radieuse lumière de l’âme où le soleil lui-même est présent. Durant son sommeil, Cuchulainn ne fait qu’un avec sa propre lumière matérialisée, il habite les trois mondes en même temps.
Un de ces trois mondes étant le non-monde et ses glaces (sa terre gaste : l’andumnon) ; cela signifie donc qu’Hesus est aussi allé proclamer son message de justice (sa suscetla) dans le non-monde infernal, à tous ceux qui s’y trouvaient enchaînés par leur bran (leur carma).
— Mais rappelons-le encore une fois, le moment le plus logique serait après sa mort et avant sa montée au vindobitus (au ciel) sur un char de gloire (Siaburcharpat en gaélique) ?
Cela aurait au moins le mérite d’être conforme à l’antique notion païenne d’apothéose. Voici ce que nous apprend à ce sujet le dictionnaire des antiquités grecques et romaines de Daremberg et Saglio (1877).
« Le naturalisme était le principe de la plupart des religions antiques ; mais comme les anciens peuples se représentaient leurs dieu-ou-démons sous les traits des hommes, ils arrivèrent aisément à croire que les hommes pouvaient devenir des dieux. Cette croyance avait pénétré à des degrés divers chez une grande partie des nations de l’Ancien Monde.
En Égypte, les Pharaons se donnaient le titre de « fils du Soleil », les monuments nous les montrent adorant leurs prédécesseurs. Ils réunissent si bien en eux la nature divine et la nature humaine qu’on les voit quelquefois s’honorer eux-mêmes et rendre un culte à leur propre image. La dynastie des Ptolémée recueillit avec grand soin cette part de leur héritage. Ils organisèrent solennellement dans leur capitale le culte de tous les princes qui avaient gouverné l’Égypte depuis Alexandre. La célèbre
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inscription de Rosette nous montre que le roi régnant, majeur ou mineur, était tenu pour dieu-ou-démon comme les autres et associé aux hommages que recevaient ses prédécesseurs.
Les Grecs comme les juifs admettaient l’existence de grands héros ou demi-dieu-ou-démons, c’est-à-dire d’êtres issus d’un dieu-ou-démon et d’une mortelle, donc participante des deux natures : la divine et l’humaine. Parmi ces héros, on rangeait ordinairement les fondateurs de villes et les éponymes de nations qui étaient devenus illustres (epônumoi, ktistai, archêgetai), et ils recevaient un culte : on leur assimila par la suite, et on admit aux mêmes honneurs des hommes remarquables par des mérites extraordinaires. Héraclès fut placé dans l’Olympe, quoiqu’il eût commencé, d’après la légende généralement acceptée, par être un homme, et mis sur le même rang que les immortels. Cet exemple porta plus tard ses fruits…
C’est à Rome que l’apothéose/assomption a pris sa forme la plus régulière et la plus curieuse ; elle y a produit des conséquences religieuses et politiques fort importantes : c’est là aussi qu’il convient surtout de l’étudier. Les Romains semblaient pourtant par eux-mêmes n’être pas trop portés à élever des hommes dans le ciel. Leur mythologie primitive contient peu de héros. On raconte que leur premier roi, Romulus, fut divinisé après sa mort et identifié avec le dieu-ou-démon sabin Quirinus ; mais après lui, aucun autre personnage de leur histoire légendaire n’obtint le même honneur. Le seul précédent qui pouvait autoriser chez eux l’apothéose/assomption, c’était cette croyance fort répandue qu’après sa mort le père de famille devenu dieu-ou-démon sous le nom de Lare, protège les siens [Lares]. Comme l’État est constitué sur le modèle de la famille, il est naturel que le roi aussi bien que le père soit divinisé de la sorte et devienne le Lare de l’État. Le premier prince à qui l’apothéose/assomption fut officiellement décernée à Rome après Romulus fut Jules César…
L’exemple était donné. Le successeur de César, Auguste eut à se défendre contre l’empressement des peuples qui voulaient à toute force le diviniser. La conduite qu’il adopta en cette occasion fut très prudente…
Après son apothéose/assomption, Auguste ne fut plus désigné que par le nom qu’il avait donné lui-même à César : on l’appela divus Augustus. Primitivement, le mot divus n’était pas différent de deus. Varron inclinait même plutôt à croire qu’il s’appliquait aux dieu-ou-démons qui l’avaient toujours été, tandis que deus convenait mieux à ceux qui avaient commencé par être des hommes (dii manes), et [le petit fils de druide] Virgile a employé une fois ces deux mots dans le sens indiqué par Varron, mais l’usage en décida autrement. Le mot divus fut si bien réservé aux princes qui avaient donc été déifiés après leur mort, que l’on regarda comme un mauvais présage pour Néron qu’un consul l’eût appelé divus au Sénat. Quelquefois, mais rarement, on donna aux princes divinisés le nom d’un dieu-ou-démon. On trouve, dans des inscriptions, Livie appelée Cérès, et Hadrien appelé Jupiter ; ce genre d’hommage était très usité chez les Grecs ; les Romains paraissent avoir toujours répugné à faire de même. Cependant, on possède beaucoup d’images de princes et de princesses représentés avec les attributs de dieu-ou-démons et de déesse-ou-démones, voire de fées.
L’apothéose/assomption était ordinairement désignée par certains symboles que l’on rencontre sur les monuments et surtout sur les monnaies des empereurs déifiés. C’est notamment l’image d’un aigle ou d’un paon, soit placés sur un autel ou sur un globe céleste, soit portant l’empereur et l’impératrice qui montent au ciel. Ces princes sont représentés eux-mêmes, avec les attributs des dieu-ou-démons, assis sur un trône, tenant à la main le sceptre, le foudre ou la hasta pura, portant sur la tête la couronne radiée, quelquefois surmontée d’un nimbe. Sur une belle médaille d’Auguste (restitution de Titus), on voit aussi devant l’empereur un autel allumé. À partir de Néron, la couronne radiée se retrouve même sur les monnaies des empereurs vivants… Nous ne suivrons pas néanmoins de bout en bout toute l’histoire de l’apothéose/assomption impériale. Qu’il nous suffise de dire qu’elle fut souvent décernée à des princes et à des princesses qui ne méritaient guère un tel honneur, comme Claude et les deux Faustines…
L’apothéose/assomption a eu dans l’Empire romain des conséquences politiques très graves dont il faut dire un mot en finissant. On a vu qu’Auguste avait permis aux provinces de lui bâtir des temples en compagnie de la déesse-ou-démone Rome. Autour de ces temples de Rome et d’Auguste se réunirent partout les députés qui formaient le conseil de la province (concilium en latin, en grec koinon). Ces réunions n’avaient lieu d’abord que pour célébrer les fêtes impériales ; mais bientôt ces conseils s’arrogèrent des prérogatives importantes. Ils envoyèrent des legati au souverain et se permirent de louer ou de blâmer les administrateurs de la province. C’est par eux qu’une sorte de réveil de l’esprit provincial eut lieu dans tout l’empire. Les députés, réunis dans le temple de Rome et d’Auguste, nommaient un président qui s’appelait en Orient grand prêtre (archiereus), et en Occident prêtre ou flamine de la province. Ces grands prêtres et ces flamines finirent, quand on organisa la
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hiérarchie du clergé païen, sous Maximin et sous Julien, par obtenir un droit de suprématie et de surveillance sur les autres prêtres et furent à peu près ce qu’ont été plus tard les métropolitains du christianisme, qui les remplacèrent. Le culte des Césars était célébré aussi dans chaque municipe, et il avait à peu près les mêmes caractères qu’au chef-lieu de la province. Le flamine de l’empereur était aussi le prêtre le plus important de la ville et prenait quelquefois le titre de flamine du municipe. Enfin, s’il est vrai, comme on le croit généralement, que la corporation des Augustales, qui se composait d’affranchis et de petits négociants, s’était constituée pour rendre les honneurs divins aux empereurs, elle devait former comme le dernier échelon du culte impérial dans les provinces. C’est ainsi que le culte des Césars s’étendit à tout l’empire et, par une série d’institutions diverses qui s’adressaient aux différentes classes de la société, l’embrassa tout entière ». G. Boissier.
Réflexion sur le développement du rite d’inhumation des tombes à char dans le monde celte.
Cette croyance nous reporte plus loin encore que les temps romains ou celtiques, à l’époque préhistorique où le soleil, qui disparaît chaque soir à l’horizon, et chaque matin renaît dans la gloire de l’aube.
Mais à la différence des chamanes les druides virent dans le retour quotidien du grand luminaire, la promesse d’une résurrection de l’homme parmi les astres. À l’intérieur de l’Ordre chamanique ancien, qui a désormais fait son temps, l’image ou l’allégorie de l’âme/esprit de cette incarnation de Hesus, montant au ciel sur son siaburcharpat (documentation irlandaise), va donc comme susciter un gigantesque appel d’air dans la civilisation celtique naissante. Voir les tombes à char de Champagne. Si l’on enterrait un char avec le défunt, c’était bien afin que son âme/esprit puisse s’en servir pour monter au ciel, non ?
« Une lampe que l’on allume ne représente rien de fâcheux pour quiconque, mais si on l’éteint elle est cause de peine pour maintes personnes. Aussi, quand elles brillent de tout leur éclat, les grandes âmes/esprits font-elles du bien et ne font jamais de mal, mais quand elles viennent à s’éteindre ou à périr […] alors cela provoque souvent des tempêtes » (Plutarque. De Defectu oraculorum).
Un certain néo-druidisme affirme parfois plus simplement, que le Hésus est toujours vivant dans nos cœurs (voir le cas de Patrick Pearse), parce qu’il est le révolutionnaire par excellence comme Crixus et Spartacus donc immortel.
N.B. L’affirmation de Patrick Pearse qu’Hesus Cuchulainn est toujours vivant dans nos cœurs se réfère plutôt à la notion d’Inconscient collectif, mais cela revient au même.
En réalité il est difficile de déterminer à quelle date précisément a commencé à se diffuser cette nouvelle conception du passage de l’âme/esprit dans l’au-delà. Ce qui est certain, c’est que la montée au ciel d’Hesus marque aussi l’avènement d’une nouvelle spiritualité donc d’une nouvelle civilisation.
La montée au vindobitu (au ciel) du Hesus incarné en Sétanta.
Dans la tradition celtique, le manichéisme étant inexistant, ce qui fait mourir est aussi ce qui fait vivre, et ce qui est capable de ressusciter les morts.
Hesus qui était mort en tant qu’être incarné se retrouve désormais vivant, mais en tant que dieu monté au ciel.
Élevé dans la lumière de l’én laith ou de la lon laith par la puissance du Destin. Il a même prédit ce qui allait arriver peu de temps après son départ (le triomphe momentané du judéo-christianisme).
Les druidisants d’aujourd’hui, à la suite des anciens druides de ce temps, ont donc la lourde charge de répéter inlassablement cette bonne nouvelle (suscetlon). On peut triompher de la mort, et du cycle infernal de la réincarnation sans fin en bacuceos ; puisque Hesus, en tant que Setanta, l’a fait devant nous.
Pour plus de détails sur la vie du Hésus, incarné en Setanta dit Cuchulainn, voir les légendes irlandaises, mais avec les plus grandes précautions. Après l’introduction en Irlande du mythe panceltique originel, des ajouts et des modifications importantes ont été effectués par les bardes locaux (ah ces bardes !) ; véhiculant des spéculations ou un imaginaire parfois très éloigné de la sobriété de la mythologie continentale qui privilégiait l’esprit par rapport à la lettre, l’oral par rapport à l’image.
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« En conséquence de quoi certains y suivent leurs cours pendant vingt ans. Ils répugnent à les mettre par écrit…
… parce que, en ce qui concerne ceux qui étudient chez eux, moins faire travailler la mémoire en recourant à l’écriture fait qu’il arrive généralement à la plupart, devenus dépendants de l’écrit, qu’ils relâchent leurs efforts pour apprendre et mémoriser (César, Livre VI, chapitre XIV).
Le mythe panceltique originel a également été défiguré par les manipulations apocryphes du christianisme et son inénarrable besoin de déformer les faits. Or les vrais fragments de mythologie répondent à tout autre chose qu’au pur « merveilleux à la chrétienne ».
La tête du Hesus incarné en Cuchulainn abandonnée aux Gallioin c’est-à-dire aux Gaulois, signifie la totalité de sa force et de son esprit donnée à leur race. Mais ce don de sa vie (de la lumière des héros ou luan laith) que Setanta notre modèle à tous a réalisé au pied du menhir de Muirthemné, nous est aussi communiqué à chaque fois que nous revivons sa passion, un jour, il y a longtemps, dans la plaine de Moritamna (Murthemne). C’est en suivant le cheminant que l’on trouve le chemin.
Ce qui est en effet très net en effet dans le récit du martyre du Hesus, c’est que le Chien de Culann a vécu sa mort comme un sacrifice. Hesus incarné en Setanta meurt pour les siens, mais aussi, assez paradoxalement, pour ses ennemis également, qui vont pouvoir bénéficier de sa force en le décapitant. Ce sacrifice, c’est donc le don de soi aux hommes de son peuple, mais aussi à l’Humanité tout entière, dans l’accomplissement jusqu’au bout du commandement divin qui résume tout : « Honorer les dieux, ne rien faire de bas et être un homme un vrai ».
N.B. La tête et la main droite du Hesus incarné en Setanta furent emmenées à Temra (à Tara). C’est là que fut longtemps localisée leur chasse scellée avec la plaque de couverture de son bouclier. Du moins d’après les légendes, car en réalité plus personne ne sait où ont été cachées les reliques du corps de Cuchulainn.
Mais encore une fois, répétons-le, le contraste est grand entre la sobriété des vrais récits mythologiques, traditionnels, centre-européens ; et le caractère merveilleux ou fantastique de certains passages des légendes irlandaises, que John Toland lui-même n’a jamais voulu prendre comme point de départ de sa réflexion.
Attention par conséquent aux textes irlandais, ils contiennent beaucoup d’erreurs, moins que les textes gallois, il est vrai !
Ces textes constituent cependant une source incontournable, faute de transcription écrite plus ancienne sur Hesus.
Nous l’avons vu, il est bien difficile de dire comment se sont exactement passés cette descente et ce retour de l’infernal royaume des morts ou de l’antichambre glacé du Paradis. Hasardons une autre hypothèse : cela s’est peut-être passé comme dans ce que nous dit d’Arbois de Jubainville du retour sur terre de Caletios/Cailté (cf. la légende de Mongan).
Mais une telle description pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. On ne s’explique pas de prime abord en effet comment, ayant à son décès laissé son corps dans la tombe, Caletios/Cailté revient du pays des morts avec une forme physique que rien ne distingue de celle du reste des humains. Il en est revenu visible, et parlant une langue que tous ont comprise.
N.B. Cette légende n’a pas pour base une croyance propre aux Irlandais, puisqu’en Angleterre, et surtout en Écosse, encore aujourd’hui, dans le peuple, persiste la crainte des revenants. (D’Arbois de Jubainville. Le cycle mythologique).
La morale de cette histoire c’est que, par cette quasi-mort puis descente dans le non-monde, le hésus Cuchulainn a montré que l’enfer n’était pas sans retour (donc n’existait pas en tant que punition éternelle). Une telle descente dans les glaces infernales du non-monde constitue donc une phase peut-être très condensée dans le temps (deux jours et trois nuits ne sont qu’une durée symbolique évidemment), mais à la portée immense.
« Tu seras effectivement illustre et renommé, mais sans longévité aucune, très vite parti au contraire ! »
« Peu m’importe de ne vivre qu’un seul jour voire une seule nuit, si mon histoire et celle de mes hauts faits doit perdurer très longtemps après moi. »
Pour le reste, pour ce qui est du scénario, l’étude attentive des textes nous laisse entrevoir que notre Hésus sera finalement victime d’une vengeance fomentée par les trois filles d’un dénommé Calatin, tué en combat singulier à la guerre avec ses 27 fils (en un duel tout à fait loyal et régulier pourtant). Ce
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sont ces trois filles assoiffées de sang, qui assouviront leur vengeance en le faisant tomber dans toute une série de pièges qui le conduiront à une mort injuste, dans la fleur de l’âge ; conformément aux prophéties (du druide Catubatuos).
Notre Hésus sera victime d’un double concours de circonstances ; le premier en l’occurrence, est le fait que ces enfants de Calatin ont été formés et instruits « à Babylone » par le dieu-ou-démon grec « Vulcain », ce qui veut dire, dans le langage de ces apocryphes irlandais d’alors : « en Orient ». De par les mutilations contre-initiatiques de la reine Medva, ils sont devenus borgnes, manchots et unijambistes. Mais ils sont aussi fous de guerres et de massacres, puisque les filles de Calatin sont également appelées les trois corneilles (Bodb) dans certains autres apocryphes, par allusion à la conception irlandaise de la déesse-ou-démone des combats, Catubodua > Bodb Catha en irlandais.
Après leur initiation par ce Vulcain « babylonien », les trois sorcières en question, un peu comme dans Shakespeare, manient en virtuose l’illusion et l’hypnose.
Et leurs ruses auront un effet dévastateur sur notre Hesus, un effet paralysant d’ailleurs plus la réflexion et la volonté que la capacité d’action proprement dite, ce qui est l’exacte définition de la mystérieuse maladie des Ulates. Prisonnier de ses gessa, le Hésus, en tant que Setanta, sera en fait déjà virtuellement vaincu quand ces trois sorcières auront réussi à lui faire manger un morceau de viande de chien.
Amené petit à petit au point de folie maximum, il sombrera définitivement dans un cauchemar digne d’une Walpurgisnacht ; et les objurgations des druides Cathbad (Catubatuos) ou Genann Gruadhsolus, ne pourront rien contre ces visions de cauchemar, même si les guerriers en question ne sont faits que d’herbe sèche.
L’élément déclencheur de ce drame sera le coup de main tenté par les Gallioin contre la plaine de Moritamna. Et la trahison de certains druides locaux (les satiristes de la légende irlandaise).
Voir aussi le rôle plus qu’ambigu de Fergus et des siens. La vérité demeure que Fergus a trahi son pays et donc le Hesus Cuchulainn, pour une sombre histoire de bonne femme (notre héros n’a que 17 ans), la reine Medva, voilà tout ! Les manuscrits les plus anciens sont d’ailleurs très clairs à ce sujet. Le poème intitulé Conailla Medb Michuru, le dialogue intitulé Corugud Aile de la Tain Bo Cuailnge Recension I de C. O’Rahilly, le texte intitulé Aided Etarcomail et celui qui est intitulé Cormac Fergusa Fri Coin Culaind.
Ce n’est que bien plus tard que certains apocryphes irlandais en ont fait un héros, candidat malheureux au trône, gravement offensé par le roi Conchobar, et obligé de s’exiler avec ses hommes. Bref, passons !
Ce qui est évident dans tout ceci c’est que, par ce moyen ; les auteurs du récit de la passion de notre seigneur Hésus/Setanta/Cuchulainn, le grand chien cheminant qui sait, ont montré que sa mort du type « seul contre tous » fut la tragique conséquence d’un complot quasi universel ; ourdi par les Irlandais renforcés de mercenaires gaulois. Qui se seront en quelque sorte ligués dans une même complicité coupable pour le conduire à la mort, les siens l’ayant laissé seul face à sa destinée. Eh oui, c’est comme cela ! Nos ancêtres (irlandais ou français) ont tous participé à la crucifixion de notre héros sur le menhir de Murthemné.
Sa passion et sa mort à Moritamna (Murthemne) justement, et les signes ou les prophéties l’ayant précédé.
« Il leur a dit que le nom de tout jeune qui prendrait les armes pour la première fois ce jour-là, serait le plus glorieux de tous les hommes de la verte Erin, et qu’il n’en résulterait pour lui aucun inconvénient, hormis que sa vie serait par contre éphémère et brève ».
“Et c’est bien vrai en ce qui me concerne », confirma Catubatuos/Cathbad ; « tu seras effectivement illustre et renommé, mais sans longévité aucune, très vite parti au contraire ! »
Le texte capital nous décrivant le commencement de cette agonie a malheureusement disparu. Ce qui en reste dans les versions irlandaises et apocryphes commence ex abrupto par les mots suivants écrits en gaélique : nad fordamarsa gol ban…, etc.
C’est au cours de son adieu aux femmes d’Emmi Magosias (d’Emain Macha) qu’Hesus (du moins selon ces apocryphes) a dévoilé le sens de toute vie humaine selon lui.
Geib leic Loíg.
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La araid airitiud.
La errid imdegail.
La cunnid comairle.
La firu ferdacht.
La mná mifre.
Tair rium don chath.
Na frithail in n-airchisecht
Nachit chobradar.
Avance Loeg.
C’est au cocher de conduire les coursiers,
Au guerrier (à char) de protéger,
Aux officiers ?? de donner des conseils,
Aux hommes d’être virils,
Aux femmes de pleurer (?).
Pars affronter l’ennemi,
Ne te complais pas en gémissements,
Qui ne te serviront à rien.
Le char tourna vers gauche. En voyant ce présage, les femmes poussèrent une grande clameur faite de pleurs de gémissements et de battement des mains. Elles avaient compris que le Hésus Cuchulainn ne reviendrait plus jamais à Emain Macha.
Chacun est libre de penser ce qu’il veut d’une telle philosophie, qui n’est d’ailleurs peut-être que celle des derniers rédacteurs de la légende.
Ce qui est certain en tout cas c’est que Hesus, en tant que Setanta, va dès lors entrer mentalement en agonie. Car agonie est bien le mot qui désigne les souffrances mentales ou physiques qui précéderont la mort définitive d’Hesus en tant que Setanta ; la lutte intérieure entre le légitime désir d’échapper à la mort sanglante et mutilatrice (tête, main) qui s’annonce, et celui d’accomplir jusqu’au bout sa destinée.
La mort de Cuchulainn est sans aucun doute une des scènes les plus pathétiques de sa légende. Maintenant qu’il a pressenti que c’est la plus atroce des morts (l’éviscération et la décapitation), qui l’attend vraisemblablement au pied du menhir de Moritamna (Murthemné) ; le Hesus en tant que Cuchulainn tente désespérément de retarder son départ pour l’autre monde comme cela s’était fait la veille justement. Mais en vain !
En retournant à Murthemne (à Moritamna) sur les lieux de son enfance, là où il a été heureux avec ses parents adoptifs, Cuchulainn sait qu’il va en fait vers sa mort. Mais cette mort, il ne la subira pas comme une fatalité, il l’acceptera en toute liberté (il l’avait d’ailleurs acceptée d’avance) et il lui donnera un sens. Car suivre son destin c’est en fait se libérer de son destin.
Duxtir/Dechtire ainsi que Catubatuos/Cathbad le supplièrent de reporter son départ et d’attendre Conall ; mais il leur répondit : je n’attendrai certes pas, car ma vie et mes triomphes sont arrivés à leur terme ; je ne sacrifierai pas mon renom et mes vertus guerrières pour les vains mensonges de ce monde, considérant que depuis le jour où j’ai eu les armes d’un guerrier en main je n’ai jamais fui un combat ou une bataille. Et maintenant donc plus que jamais, car ma gloire sera moins éphémère que ma vie.
Et il s’en fut de nouveau sur les vertes prairies d’Emain…
Cuchulainn tentera une nouvelle fois de retarder son sort en essayant d’éviter le repas qui doit signer le terme de son existence sur cette terre, mais toujours en vain, comme nous le verrons.
La route de Mediolucarion (Midluachair) sera le révélateur à la fois de la bêtise humaine, mais aussi de la puissance du Destin et de la bêtise humaine. Car la plus grande des leçons de Cuchulainn nous est peut-être donnée par son dernier repas, qu’il partagera paradoxalement avec ses plus mortelles ennemies, de vrais Judas, sur la route de Mediolucarion (Midluachaïr).
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Il suivait la route de Mid-Luachair, et il avait passé le champ de Mogna, quand il aperçut quelque chose : c’étaient trois vieilles sorcières borgnes de l’œil gauche, devant lui sur la route. Elles avaient fait cuire un chien sur des broches de sorbier avec du poison en récitant des formules maléfiques. Et un des interdits du Hesus Cuchulainn (une de ses gessa) était de passer devant un foyer sans consommer de sa nourriture. Et une autres des choses qu’il ne devait pas faire (une autre de ses gessa donc) était de manger de la viande de son homonyme [c’est-à-dire de chien]. Il accéléra, et il était presque sur le point de les dépasser, car il savait qu’elles n’étaient pas ici pour lui faire du bien.
Une des vieilles sorcières lui dit alors : « viens nous rendre visite, ô Hésus Cuchulainn ».
Je ne vous rendrai certainement pas visite, répondit le Hésus Cuchulainn.
Il n’y a que du chien à manger, répondit-elle. Si c’était de la grande cuisine, tu nous rendrais certainement visite. Mais comme ce n’est ici qu’un très modeste foyer, tu ne viens pas. Ni tualaig mór nad ulaig no nad geib in bec. Ceux qui ne sont pas capables de supporter ou d’endurer le petit ne sont pas capables de grand-chose.
Il s’approcha d’elle et la vieille sorcière lui tendit de la main gauche une moitié du chien.
En acceptant cette invitation, le Hesus incarné en Setanta nous donne aussi un exemple. Ceux qui veulent suivre son chemin sont appelés à la courtoisie et à la simplicité des grands seigneurs (des nobles de cœur), y compris envers leurs pires ennemis.
La scène finale avec le Leitos Magosias (le Gris de Macha) ou le Dubis Carnocrula (le Sabot Noir), ses deux poulains devenus grands, et avec les oiseaux, les corbeaux ou les corneilles ; dégage bien le sens que le Hésus en tant que Setanta, ou du moins le poète auteur de sa légende, a voulu donner à sa mort : une conquête de son vivant du monde des dieux.
Un de nos correspondants parisiens nous prie néanmoins encore une fois de bien souligner ce qui suit.
Le langage anthropomorphique et naïf par moments, des apocryphes irlandais, ne doit pas pour autant nous laisser croire que les Gaulois (les Gallioin) ne sont plus un des peuples choisis par les dieux et réciproquement s’étant donnés eux-mêmes tous ces dieux, DONT ON RETROUVE LES NOMS DE PART ET D’AUTRE DE LA MANCHE. Même si certains des chefs Gallioin avec leurs partisans et leurs satiristes, ont poussé à la mort du Hésus incarné en Setanta Cuchulainn (c’est incontestable) ; ce qui a été commis à Moritamna (Murthemne), ce qui a été perpétré durant le martyre de notre Grand Hesus, ne peut être imputé indistinctement à tous les Gallioin vivant alors dans le monde, ni à leurs descendants d’aujourd’hui. Les Gaulois ne doivent pas être présentés comme maudits à la suite de cet assassinat inouï. Dont acte ! Mais ceci vaut d’ailleurs aussi pour nos cousins Irlandais !
Et d’ailleurs, comme notre Hesus lui-même l’a dit, ceux à qui ce crime profitera vraiment, ce seront les chrétiens de saint Patrice et non les vrais Irlandais ou les vrais Gallioin. Voir sa prédiction finale : Emania-Rigia, Emania-Rigia (Emain, Emain), puissant royaume !
Tan ré Talcind trebfait iathu Emna. Ticfat de Eoraip Elpae. Di usciu ethar domuin dobním co sluagaib Succet, etc., etc., etc.
Un temps viendra où des hommes à la tête rasée [des prêtres chrétiens] viendront habiter sur les terres d’Emain. Ils viendront des Alpes d’Europe sur des navires entre la terre et les cieux, Patrice et ses nombreux compagnons, etc., etc., etc.
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DOCUMENTATION CONTINENTALE.
Nos ancêtres se savaient déjà « héritiers spirituels du dieu-ou-démon de la mort et de la nuit » (Dispater chez César). Setanta le cheminant a été plus loin : il est mort en nous laissant un exemple salutaire (c’est donc en suivant ce cheminant que l’on peut trouver le chemin).
Sa montée au ciel par apothéose ou assomption, révèle la possibilité pour nous d’échapper au cercle vicieux des réincarnations sans fin, la possibilité de notre salut, en même temps qu’elle en fournit un exemple.
Telle est d’ailleurs encore la symbolique de l’anuanacton (de la cérémonie du nom).
Par ce rituel nous sommes symboliquement décapités, mais avec lui aussi nous ressuscitons, parce que nous croyons en la force du rameau d’or (du gui) qui a été capable de ramener Setanta d’entre les âme/esprits des morts sur un char féerique. Car les rituels nous régénèrent en nous faisant participer à la vie d’Hesus donc en nous communiquant sa force (sunartio). Comme par magie (sympathique).
Hesus est l’exemple type de l’élaboration d’une mythologie à forte dose d’évhémérisation individuelle et/ou collective. Ce phénomène religieux complexe appelle donc d’abord de notre part les remarques suivantes.
On retrouve le terme Hesus dans les noms Aisunertos/Esunertos (qui a la force d’Ésus) à Phalsbourg, où il est assimilé à Mercure par les Romains (à moins que ces deux derniers noms ne soient que des noms d’hypostases). Esumagius (puissant comme Ésus), Esugenus (fils d’Ésus). Signalons également l’inscription découverte sur un buste d’Évreux en 1830 : ESUMOPAS CNUSTICUS USLM, où l’expression ESUMOPAS CNUSTICUS désigne vraisemblablement un enfant ou un fidèle d’Ésus faisant la cueillette… du gui. Le nom « Esugenos » se retrouve en gallois sous la forme « Owain » et en irlandais dans « Eogain ». Il est aussi présent dans le nom de plusieurs peuples : Esubii ou Esuvii, Esubiani. La tribu des Esuvii (en Normandie) lui était donc peut-être consacrée.
Hesus est une déité connue également par des inscriptions trouvées en Afrique du Nord (à Chercel/Cherchell en Algérie). Aesus dans une inscription trouvée à Florence en Italie.
L’archéologue français J.-J. Hatt, voit le grand Hésus, dans l’art celtique, passé par lui au peigne fin, représenté sous des traits juvéniles ou enfantins. Du moins si nous avons bien compris cet auteur, qui évoque aussi une possible liaison symbolique entre ce Hesus et les teutatès.
Hesus dieu-ou-démon de la mort donnant aux teutatès les richesses souterraines. Hesus dieu-ou-démon des Enfers et des Morts, dispensateur des richesses, contaminé par le Mars indigène et un dieu-ou-démon cerf préexistant. Seule la reconstitution du mythe celtique, d’après le chaudron de Gundestrup et les reliefs gallo-romains, permet d’apercevoir l’unité du personnage divin Ésus, à travers la multiplicité de ses métamorphoses.
Tel est ce que pense cet archéologue. Qui ajoute à propos des diverses formes prises par Hesus, lui aussi polymorphe si nous comprenons bien : « assimilé depuis le Ve siècle avant notre ère à Dionysos, il est tantôt jeune enfant, tantôt adolescent, homme mûr et vieillard. Il a été identifié à Orphée, parce qu’en certaines circonstances du mythe, sa tête séparée de son corps continuait à vivre par elle-même ».
J.-J. Hatt est donc sur ce point d’un avis différent de celui d’Henri Lizeray qui, lui, assimilait à Orphée, non pas Hésus, mais Ogmios.
La plus ancienne figuration du Grand Hesus est la stèle de Holtzgerlingen représentant le dieu-ou-démon sous la forme d’un Janus, dont les deux têtes étaient séparées par des appendices en forme de feuille de gui. Le Janus et la feuille de gui, simple, double ou triple, sont en effet les symboles habituels d’Hesus, d’après cet auteur.
En tout cas, c’est Hesus qui figure sur le chaudron de Gundestrup, et il est bien difficile de nier l’importance de l’arbre dans son mythe. Comme dans le cas de Llew Llaw Gyffes au Pays de Galles. Comme dans le cas d’Odin suspendu neuf jours et neuf nuits à l’Arbre du monde. Lucain, qui est seul à le mentionner nommément, dit ce dieu-ou-démon avide de sang. Une scholie précise que la victime était suspendue à un tronc et saignée à mort.
Son nom (le « dieu » ? Le « bon maître » ? « Celui qui sait » – vesus – ?) surmonte son portrait sur l’un des bas-reliefs parisiens de l’époque de Tibère, et une image analogue, mais anonyme, se trouve
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à Trèves, en Allemagne. Or le dieu-ou-démon se présente sous un aspect peu redoutable et très particulier. Vêtu en travailleur, d’une courte tunique découvrant le côté droit du torse, il abat un arbre. À Paris donc, il coupe les branches avec une large serpe (un vouge : il prépare un arbre pour un sacrifice rituel) ; à Trèves en Allemagne, il attaque le tronc avec une cognée au fer allongé.
À Trèves, le feuillage de l’arbre laisse voir la tête d’un taureau, et trois gros oiseaux perchés sur les branches ; à Paris, le bas-relief voisin montre un taureau parmi les arbres et, sur sa tête ainsi que sur sa croupe, trois gros oiseaux que l’inscription en celte permet d’identifier : Tarvos Trigaranos, autrement dit le Termagant : « le Taureau et les Trois Grues ».
Esus est ainsi mêlé, dans une action légendaire connue par ces seuls bas-reliefs, à la destinée d’un taureau divin qu’accompagnent trois grues ; il paraît abattre l’arbre, détruire la forêt où se cachent ces animaux, poursuivre le taureau.
Sans doute n’avons-nous là qu’un épisode de sa légende dont l’ultime écho se retrouve dans les aventures du Gallois Llew Llaw Gyffes. Rappelons aussi que pour l’Odin germanique, des victimes étaient, comme pour Ésus, suspendues à un arbre.
Le taureau, la forêt qui le soustrait à son poursuivant, ainsi que les trois oiseaux qui l’avertissent successivement du danger, appartiendraient au vieux fonds de la mythologie celtique ; car le héros irlandais Cuchulainn, en quête des vaches de Cooley, poursuit, lui aussi, un taureau divin. Mais pourquoi Ésus ?
Il jouerait ici le rôle de Cuchulainn. Le mythe se dessine grâce à des éléments parallèles, fournis par la littérature insulaire : poursuite d’un énorme taureau légendaire que guident dans les bois protecteurs des oiseaux amis.
Du point de vue de l’iconographie, sur le pilier des nautes parisiens découvert sous la cathédrale Notre-Dame de Paris en 1711 ; il apparaît comme un homme barbu et musclé, vêtu d’une simple tunique, en train d’abattre ce qui est peut-être un saule. Sur un relief de Trèves (Allemagne), il est représenté avec un taureau et trois grues.
En Armorique, des types monétaires évoquent certains épisodes de la légende irlandaise de notre héros. Le rayon (luan laith) qui sort du sommet de la tête comme un mât, les petites têtes coupées comparables aux « crânes de Bodb », peut-être les contorsions du corps et surtout du visage qui poussent notamment l’œil au milieu de la joue. Les concordances sont si précises que Marie-Louise Sjoestedt admettait naguère comme possible, l’origine continentale du thème.
Ce dieu-ou-démon est en effet aussi mentionné par Lucain dans sa Pharsale (où il est assimilé à Mars par cet auteur).
C’est peut-être un dieu-ou-démon de la destruction et de la mort violente. Mais le hésus Cuchulainn, dieu-ou-démon des jeunes guerriers, dieu-ou-démon des super-guerriers appelés Gésates, dieu-ou-démon de la fureur guerrière et du sacrifice, est aussi le dieu-ou-démon de la transe chamanique à cause de ses fameuses riastrades.
D’après l’historien allemand Gehrard Herm, on peut faire un parallèle entre les chamans scythes et les druides, et avoir ainsi une idée de l’initiation suprême de Hésus.
Les chamans scythes semblent avoir eu également une conception de la mort très proche de celle des druides et, comme chez les druides, les arbres jouaient un grand rôle dans les initiations. La mythologie regorge d’arbres magiques : arbre d’or planté devant la forteresse de Lug, arbre aux mille chandelles de la « Quête », pin aux mille oiseaux dans « Yvain », arbre cultuel de Manching en Allemagne…
Il s’agit d’un tronc recouvert d’une feuille d’or, portant une branche avec des feuilles de lierre en bronze, auquel ont été ajoutés des bourgeons et des glands dorés. Il était conservé dans un coffret en bois également recouvert d’une feuille d’or.
L’arbre est en quelque sorte une quintessence de la divinité. C’était particulièrement vrai en ce qui concernait le culte de Taran/Toran/Tuireann (d’où la cueillette du gui). Concrètement c’étaient les arbres qui empêchaient le ciel de tomber, ils constituaient pour les initiations une échelle permettant d’atteindre le monde des dieu-ou-démons célestes. Félice Romani n’avait pas complètement tort dans le fond en plaçant l’Irminsul des Saxons (un chêne) dans la clairière druidique de sa Norma.
Les arbres participent aux rites. On y pend les victimes d’Ésus, les trophées, les offrandes. L’arbre du monde est planté au milieu du territoire tribal, les arbres sacrés près des sources. Un arbre de vie,
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très feuillu, est représenté sur les monnaies. L’arbre porteur de gui est élu par les dieu-ou-démons. Dès lors on procède à ses pieds aux festins et aux sacrifices. Ce qui est certain ; et ça, c’est toujours un des indéniables points forts de l’analyse d’Henri Lizeray en ce domaine ; c’est que l’arbre coupé de la statuaire gallo-romaine évoquant ce mythe signifie qu’Aesus exerce son pouvoir sur le monde invisible et souterrain ; tandis que la moitié supérieure de l’Univers reste le domaine de Cronos (sic) père des dieu-ou-démons manifestés.
Nos auteurs favoris hésitent sur la période à retenir pour cette initiation de notre héros.
Certains pensent à son séjour chez Scotaca en Écosse, ce qui donc irait très bien avec son nom qui signifie « l’ombrageuse ».
Il convient néanmoins à ce sujet de bien distinguer deux choses.
L’initiation chamanique et le sacrifice humain en l’honneur d’Esus.
Le sacrifice humain en l’honneur du Hesus Cuchulainn.
Si l’on en croit ces scholies bernoises du texte de Lucain en effet, les victimes de sacrifices en l’honneur d’Hesus (Esus Mars) étaient pendues par les pieds dans un arbre jusqu’à ce que leurs membres se détachent.
« Hesus Mars sic placatur : homo in arbore suspenditur usque donec per cruorem membre digesserit. Hesus est apaisé ainsi : un homme est attaché à un arbre, jusqu’à ce que ses membres se détachent après s’être vidés de tout leur sang ».
Ce qui fait quelque peu penser à Lleu Llaw Gyffes au Pays de Galles.
Le texte du Mabinogi concernant Lleu Llaw Gyffes donne la raison du sacrifice décrit par la scholie du texte de Lucain : il s’agit d’un sacrifice royal, à valeur initiatique. Le sacrifié représente le futur roi (Frazer).
On peut penser en effet que l’homme sacrifié de la sorte et laissé à pourrir ainsi était, en fait, un substitut du roi, comme il en a existé dans diverses cultures indo-européennes.
En tout cas, voici ce qui nous en est dit sur le Continent.
« Adsuetum olim humanis placari capitibus, nunc vero gaudere pecorum. Ayant eu jadis l’habitude d’être apaisé par des têtes humaines, il se contente actuellement de têtes de bétail ». (Lucani Commenta Bernensia. Gloses bernoises du texte de Lucain, malgré une tout autre attribution de la part du texte original. N.D.L.R.)
Ainsi que l’a noté Mircea Eliade (un des plus grands historiens européens en matière de religion), on devenait chaman soit par vocation soit par désignation. Dans les deux cas, il fallait une formation à base de songes, de visions, d’extases et autres états de transe de ce type, destinés à leur faire vivre en quelque sorte leur propre mort avant de revenir à la vie.
Du moins toujours si l’on en croit évidemment Gehrard Herm.
Précisons donc que dans le cas de l’initiation suspendu dans un arbre par les pieds, il fallait impérativement
— soit se décrocher soi-même
— soit être décroché par quelqu’un
JUSTE AVANT LE MOMENT FATAL.
Sinon voici ce que cela donnait ainsi que nous avons pu le voir.
« Hesus Mars sic placatur : homo in arbore suspenditur usque donec per cruorem membre digesserit. Hesus est apaisé ainsi : un homme est attaché à un arbre, jusqu’à ce que ses membres se détachent après s’être vidés de tout leur sang ».
Hypothèse sur les initiés de type Esus (empruntée à Eliade).
Des voix, intérieures ont sans doute poussé le premier Esus à partir dans la forêt hercynienne. Arrivé là-bas il a eu des visions confinant à la folie ou presque. Il a assisté en rêve ou en vision à son propre démembrement et notamment à sa décapitation, on lui a arraché un œil…
Le dépècement et la dévoration du corps (informations empruntées à Eliade et Hamayon).
Dans la plupart des récits de démembrement, les chamanes rapportent avoir été attaqué et avoir vu leur corps détruit jusqu’aux os. Ces expériences spectaculaires concernent surtout les peuples de
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Sibérie, mais le phénomène est également très répandu chez les Inuits, les Aborigènes d’Australie et d’autres peuples à chamans.
Les universitaires et les anthropologues n’ont pas trouvé d’explication aux expériences de cet ordre. Certains d’entre eux ont avancé l’idée que les chamanes étaient soit des menteurs, soit des psychotiques.
À la fin néanmoins ce premier Hesus, du moins à l’en croire, a atteint le ciel en escaladant un poteau géant ou un arbre (bilios). C’est après cela seulement qu’il a pu redescendre sur terre.
Ce premier Esus est revenu ensuite de la forêt hercynienne les habits complètement déchirés, le visage en sang, et les cheveux ébouriffés. Et ce n’est qu’au bout de 9 jours qu’il a recommencé à bredouiller quelques mots cohérents.
Conclusion.
Il y a donc eu dissolution de la personnalité ordinaire de ce premier Esus dans un véritable chaos psychique, dans un véritable dérangement mental, puis naissance d’une nouvelle individualité, celle d’un homme ayant passé par les deux phases mystiques cruciales : la mort et la renaissance.
Contre-lai N° 1.
L’arbre qui cache la forêt. Chez les Celtes il s’agissait peut-être aussi tout simplement d’une allégorie signifiant que l’initiation ne peut se trouver qu’au bout d’un plus ou moins long séjour dans la forêt, ce qui est d’ailleurs peut-être l’exacte définition du rite chamanique originel.
Contre-lai N° 2.
En réalité le morcellement du corps, ou dépècement, ou dévoration, est une mort rituelle qui est suivie d’une résurrection. Elle marque le passage du profane au sacré, l’initiation par les esprits, et s’inscrit dans le cadre de la maladie initiatique. De telles expériences sont à la base de toute religiosité humaine, car elles ont pour objet de triompher de la mort. Celui qui, comme le chaman, a vécu, lui aussi, une telle expérience, a réussi à pénétrer dans le royaume d’outre-tombe et à en revenir, ne peut qu’être plus fort que les autres pour pouvoir les diriger, voire même les sacrifier si besoin est.
Contre-lai N° 3.
La lame du tarot appelée le « pendu » est bien entendu un lointain souvenir, un de plus, de cette initiation du Esus dans la forêt. Elle est le symbole d’une initiation passive, mystique. Le corps est inactif, impuissant, car l’âme libérée fuit dès lors la réalité de la matière. Sa tunique, où le blanc et le rouge alternent avec le rouge et le jaune, rappelle l’innocence et la pureté, mais aussi la résistance face aux influences néfastes. Très grande est sa force, non plus exercée par les muscles, mais par le pouvoir occulte de son âme qui a dépassé la phase initiatique.
Le pendu symbolise l’abnégation, le désintérêt pour les choses de ce monde, l’altruisme, le sacrifice, le renversement de la situation actuelle grâce à une décision personnelle, des idéaux atteints, la libération par le sacrifice.
Contre-lai N° 4.
Ce qui est certain en tout cas c’est que dans les bois sacrés d’Uppsala, selon Adam de Brême, les godi germaniques immolaient aussi des hommes, en les pendant à des arbres comme Hésus. Le mot « pendu » est d’ailleurs fréquemment utilisé pour parler des crucifiés dans cette région du monde.
Voici ce que cette initiation dans la forêt a donné dans le Havamal, que le Français Jean Renaud (dans son livre sur les Vikings et les Celtes) nous affirme être, au moins en partie, d’origine celtique.
LES DITS DU TRÈS-HAUT.
Je sais que je fus pendu
À l’arbre battu par les vents
Neuf nuits entières
Blessé d’un coup de la lance
Et voué à Odin,
Autrement dit moi-même à moi-même,
À cet arbre a)
Dont nul ne saura jamais
Quelles sont les racines.
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Pour me réconforter,
Ni pain ni corne à boire.
J’ai regardé en dessous (pendu par les pieds ?)
J’ai ramassé les runes, b)
En hurlant, je les ai ramassées,
De là je suis retombé.
J’ai appris neuf chants puissants
Du célèbre fils de Bôlthorn, père de Bestla, c)
Et j’ai bu
Du précieux hydromel
De l’Odrerir.
Alors je me suis mis à germer,
À savoir,
À croître et à prospérer.
De parole en parole
La parole me guidait.
D’acte en acte, l’acte me guidait.
Tu découvriras les runes d)
Et les tablettes de la destinée,
Très importantes tablettes,
Très puissantes tablettes,
Écrites avec du sang par le très-sachant,
Et que firent les dieux tout-puissants,
Et que grava le maître des dieux. e)
Sais-tu comment il faut graver ?
Sais-tu comment il faut lire ?
Sais-tu comment il faut teindre (de sang) ?
Sais-tu comment il faut éprouver ?
Sais-tu comment il faut demander ?
Sais-tu comment il faut offrir ?
Sais-tu comment il faut sacrifier ?
Sais-tu comment il faut immoler ?
Mieux vaut ne pas prier du tout
Que trop sacrifier.
Qu’il y ait toujours une récompense pour un don.
Mieux vaut ne rien offrir du tout
Que trop immoler.
Voilà ce qu’a écrit Thundr f)
Avant les origines de l’Humanité.
Quand il ressuscita
Quand il revint ».
a) Voir le rôle de l’arbre dans le mythe d’Hesus.
b) Irlandais run, gallois rhin = mystère.
c) De Dragenicos père de Bessula ? Voir Mac Draigin en Irlande.
d) L’alphabet lépontique ?
e) Callirios ? Voir le nom du héraut en irlandais : Callaire.
f) Ce qu’a écrit Taran/Toran/Tuireann ?
En réalité on ne sait que peu de choses finalement de l’initiation du jeune Marovesus réincarné en Cuchulainn.
Ces données des légendes apocryphes à lire à propos d’Hesus en tant que Setanta, s’expliquent par une représentation du monde largement marquée par son époque. Hesus est descendu dans l’antichambre du paradis « aryen », avec tout ce que ce non-monde infernal comporte de froid,
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d’obscur, ou d’opaque. Il est descendu au cœur de notre bran (notre carma) et en a brisé les liens. Suscetlon : finalement tout le monde ira au paradis.
« Heureux donc sont les peuples qui regardent la Grande Ourse
Car ils ignorent
Cette peur suprême qui effraie tous les autres,
De là cet esprit [en latin mens] enclin à se jeter sur le fer
Cette force de caractère [latin anima] capable d’affronter la mort » (Lucain).
Force de caractère qui n’a d’analogue que celle du Croyant en l’existence de la Terre Pure où selon Shinran (1173-1263) les Nabuchodonosor les Hitler ou les Staline se réincarneront en vertu du principe bouddhiste du tariki. Amida sauve les humbles ou les mauvais qui n’ont ni le temps de connaître la vérité en se livrant à l’étude ou à l’ascèse ni les moyens de racheter leurs fautes. Le salut est destiné à tout le monde, même les sourds-muets incapables de réciter le nembutsu. Ce qui est très druidique effectivement.
HESUS ACÉPHALE OU HESUS DIEU-TÊTE : NOTE SUR LA DÉCAPITATION.
Terminologie Jean-Jacques Hatt, archéologue français spécialiste des religions, mythes et dieux.
D’après le grand archéologue français J.-J. Hatt, Hesus a été identifié à Orphée, par interpretatio celtica parce qu’à en croire son mythe, sa tête séparée de son corps continuait à vivre par elle-même. La descente de Hesus comme Orphée dans les enfers gelés du non-monde aryen symbolise sa victoire sur cette ategeneto indo-européenne ; et sur les zones d’ombre qui, depuis les origines de la civilisation humaine, depuis le Nemet Cornunnos, restaient présentes dans l’inconscient collectif de l’Humanité. Il a donc en quelque sorte vaincu les enfers de type aryen (l’anderodomnon) dans la tête de chacun de nos congénères.
Une légende de ce genre est signalée à propos du héros divin Bran. Il s’agit d’ailleurs d’une croyance générale chez les Celtes. La tête semble avoir été conçue comme existant par elle-même, indépendamment du corps. Dans le monde celtique, la tête était l’objet de pratiques et de croyances diverses, mais dans l’ensemble très homogènes, que l’on retrouve dans les mythes concernant saint Denis ou les autres saints céphalophores du même type.
Les Celtes, aussi bien en Irlande que sur le Continent, coupaient la tête de leur ennemi vaincu en combat singulier. Cette coutume n’avait pas qu’une base religieuse, car d’après leurs druides, la résurrection et la guérison étaient impossibles si les organes essentiels (cervelle, moelle épinière, membrane du cerveau) avaient été endommagés.
Les têtes coupées de la sorte étaient conservées comme des reliques, et subissaient un traitement particulier destiné à cet effet. La tête du roi gallois Bran, rapportée par ses compagnons, fut par exemple enterrée sur la colline blanche de Londres (Gwynrryn) et protégea l’île de toute invasion pendant des siècles.
NOTE DE LA RÉDACTION :
La partie de l’élégie galloise parlant de la tête du malheureux roi Llywelyn le Grand (mort en 1282), étant visiblement inspirée de poèmes irlandais consacrés à la tête de Cuchulainn – vu son vocabulaire archaïque à la limite du compréhensible – ; il n’est pas sans intérêt d’en rappeler ici quelques strophes afin de mieux faire comprendre à nos lecteurs LE CULTE DU SACRÉ CHEF DE HESUS.
Marwnad Llywelyn ap Gruffudd.
“Bychan lles oed ym am vyn twyllaw,
Gadel penn arnaf heb penn araw.
Penn pan las ny oed lessach peidyaw ;
Penn pas las oedd lessach peidyaw ;
Penn milwr, penn molyant rac llaw,
Penn dragon, penn dreic oed arnaw ;
Penn Llywelyn dec dygyn a vraw byt
Bot pawl heaarn trwydaw ;
Penn varglwyd, poen dygyngwyd am daw,
Pan veneit heb vanac aranw ;
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Penn a vu berchen a barch naw canwlat
A naw canwled idaw ;
Penn teyrn, heyrn heeit oe law,
Penn teyrn, walch balch bwlch y geifnaw ;
Penn teyrneid vleid vlaengar ganthaw,
Penn teyrnef, nef y nawd arnaw !”
Marounad pour Llywelyn fils de Gruffudd.
« L’âpre vérité la voici,
Sa tête est coupée, j’ai la mienne sur mes épaules.
Sa tête en tombant a rempli les hommes de terreur.
Quand sa tête est tombée, il ne restait qu’à plier.
Tête de combattant, qui sera chantée désormais.
Une tête de dragon, de héros, le couronnait.
Belle tête de Llywelyn, l’effroi nous frappe.
Qu’un fer la fixe pour le monde !
Tête de mon seigneur, la douleur de sa fin m’atterre,
Tête de mon âme, tête qui défie les noms,
Tête que neuf cents peuples ont honorée,
Neuf cents fêtes ont exaltée.
Tête royale et main qui lançait le fer,
Orgueilleuse tête d’un roi faucon,
Que les têtes des rois du ciel
Étendent sur lui leur protection ! »
Si restait encore à faire l’élégie funèbre du hésus Cuchulainn, on pourrait y rappeler ceci. Toute la vie du Hesus en tant que Setanta aura été en définitive une existence vouée au service de son peuple. Au service des trois fonctions de la société, selon ce qui avait été décidé lors de la célèbre dispute des Ulates à propos de l’éducation à lui donner ; c’est-à-dire pour tous, c’est-à-dire donc également, et par-delà les siècles, POUR NOUS AUSSI EN DÉFINITIVE. Ce « pour nous autres » est inscrit dans les rêves de Patrick Pearse.à saint Enda. Il deviendra la base de la réflexion de tout celtisant qui se respecte à propos des moyens de se libérer de notre maladie des Ulates à nous, la nouvelle trahison des clercs et la faiblesse du niveau intellectuel de nos élites médiatico-politiques (non M. le Président, l’islam pur et dur n’est pas compatible avec la démocratie puisque c’est par définition une soumission (à Dieu). Non M. le premier ministre, pas plus que le catholicisme est une chance pour notre doux pays, les musulmans fanatiques ne sont une chance pour notre pays, et le faux islam, celui des faux 5 piliers (Coran + Hadiths+ sira de Mahomet+ Fiqh et Charia) n’est pas une religion de tolérance, de respect et de dialogue AVEC TOUS (athées agnostiques panthéistes amoureux de la nature et autres apostats hommes de mille livres et non d’un seul). Vous confondez avec le paganisme philosophique et réfléchi du druidisme de nos ancêtres. Ceci dit, ce qui est certain, hélas, c’est que
Le Hésus Cuchulainn a été condamné à mort par les druides de Medva et les enfants de Calatin (les satiristes de l’époque), condamné à subir le plus atroce des supplices (les entrailles se répandent alors en général les premières et avant même que la mort ne fasse son œuvre).
Il fallait que Hesus en tant que Setanta et pour accomplir les prophéties (de Catubatuos) périsse dans la fleur de l’âge.
Avant de se reposer un instant dans l’eau du lac de Lamiorate (Lamraïth), notre seigneur a eu quelques paroles dont il faut se remémorer.
« Je vous demanderai, a dit alors le Hesus incarné (en Setanta), si je ne reviens pas moi-même, de venir vous-mêmes à ma rencontre ». Car tel fut son dernier message.
Ces paroles sont évidemment à comprendre en un sens métaphorique.
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Non seulement Setanta a été en quelque sorte condamné par les enfants de Calatin, eux-mêmes à la solde des Irlandais ou des Gallioin, en bref poussés par un peu tout le monde, mais il a aussi été torturé par Lugidios (Lugaid) et décapité par lui.
Son dernier souffle sur les lieux mêmes de son enfance dans son fief de Moritamna (Murthemne) s’accompagnera d’un ultime miracle. Les ancêtres des Français et les hommes d’Irlande l’encerclèrent, mais n’osèrent l’approcher : il leur sembla en effet qu’il était encore vivant [évidemment, la lumière du héros le nimbait de gloire], en tout cas encore plus grand mort que vivant.
Le Gris de Macha, son loyal coursier, revint alors vers Cuchulainn pour le veiller tant que son âme/esprit serait en lui et que la lumière du héros émanerait de son front. Il livra trois assauts sanglants autour de lui et cinquante Gaulois ou Irlandais périrent sous chacun de ses sabots*.
Puis trois oiseaux vinrent se poser sur l’épaule du Chien.
« Ce pilier n’avait pas l’habitude de porter des oiseaux », dit Ercos Carprigenos (Erc Mac Cairpre).
Ensuite le fils de Curix (Curoi) prit les cheveux de Cuchulainn et lui coupa la tête.
De superbes couleurs, des couleurs merveilleuses, surgirent alors de son visage.
L’une de ses joues s’embrasa et devint aussi rouge que le soleil ; l’autre devint blanche, comme la neige par une nuit très froide. L’épée glissa de la main de Cuchulainn et trancha la main droite du fils de Curix (Cûroi), qui tomba sur le sol.
Pour le venger, on coupa donc aussi la main droite de Cuchulainn. Puis les ancêtres des Français et des Irlandais s’en allèrent en emportant sa tête et sa main.
Mais Cunovallos Cernacos (Conall Cernach) retrouva néanmoins ensuite la tête de notre héros et la rapporta immédiatement à sa femme, la belle et fidèle Aemer, qui en mourut de chagrin.
* Rappelons que les chevaux de Setanta Cuchulainn avaient une intelligence presque humaine, et le cheval en ce temps-là jouissait d’un grand prestige auprès des hommes.
Le Gris de Magosia (de Macha), qui était le roi des chevaux d’Irlande, guidera Cunovallos Cernacos (Conall Cernach), le frère de lait de Cuchulainn, vers le corps de son maître, avant de disparaître définitivement ; et le Sabot Noir ira se noyer de désespoir.
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PREMIER RAPPEL À L’USAGE DES VELLÈDES (des maîtres).
C’est en suivant le cheminant que l’on trouve le chemin (proverbe druidique).
Essai de synthèse.
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PRINCIPALES ÉTAPES DE LA VIE DU GRAND HESUS.
Rappelons pour commencer qu’Hesus est mentionné dans le Livre des Conquêtes sous le nom de Marovesos (le grand Hesus), en tant que maître de la mystérieuse île hyperboréenne de Thulé, appelée Falias par les Irlandais.
Donc bien avant sa venue dans notre monde en tant qu’homme, car au tout début du cycle hyperboréen.
Et qu’ensuite dans la seconde partie de sa vie, Hesus viendra au monde dans une cuisine près d’une écurie abritant deux poulains.
Rappelons donc ici les traits marquants de la véritable histoire de ce dieu-ou-démon celte nommé Setanta (le sentier) puis Cu Culanti (« le chien de Culann »), en Irlande.
Quelques grands personnages des cycles mythologiques et épiques ont une naissance double, humaine et divine, qui implique cette fois, non une métamorphose, mais un changement d’état, nuancé d’une certaine inquiétude, au moins chez le transcripteur chrétien du récit concernant le hésus Cuchulainn.
Dans les mythes de la grande Celtie libre et indépendante, Épona était qualifiée de Duxtir afin de souligner son célibat et sa virginité. Mais dans le mythe irlandais, cela nous donne ceci : la sœur du roi Cunocavaros (Conchobar), Duxtir (Dechtire, en fait donc Épona, puisque Duxtir/Dechtire était une spécialiste des chevaux. N.D.L.R.) s’enfuit un jour d’Emain Macha suivie de cinquante compagnes.
Trois ans plus tard, une troupe d’oiseaux s’abat sur la plaine d’Emain, ne laissant ni racine, ni herbe, ni plante, sur la terre. Les Ulates attelèrent donc neuf chars pour chasser ces oiseaux loin de chez eux. La nuit survint et la neige commença de tomber, les obligeant à interrompre leur course.
Afin de leur trouver un abri pour la nuit, Cunocavaros (Conchobar) envoya quelques-uns de ses hommes dans les environs. Ils découvrirent alors dans la plaine une maison inconnue. Les Ulates s’y réfugièrent avec leurs chevaux. Le couple qui habitait ce château leur fit servir de la nourriture et de la boisson en abondance.
Le maître de maison apprit ensuite aux Ulates que sa femme était dans les douleurs de l’enfantement et cette dernière donna naissance à un fils.
La jument qui était à la porte entre l’écurie et le palais mit bas deux poulains en même temps (le lien avec le mythe d’Épona se précise. N. D L. R). Les Ulates prirent le nouveau-né avec eux et l’homme donna les poulains pour l’enfant. Ces deux poulains deviendront les deux chevaux de Cuchulainn, le Gris de Macha et le Sabot Noir – Dub Sainglen en gaélique – qui à la mort du héros s’en retourneront dans l’au-delà.
Quand ce fut le matin, les Ulates se retrouvèrent sans maison, sans oiseau, et seulement avec leurs chevaux, et l’enfant aux poulains. L’enfant fut élevé par eux jusqu’à sa petite enfance. Puis il tomba malade et mourut. On chanta sa lamentation. Duxtir/Dechtire (autrement dit Épona. N.D.L.R.) en éprouva un grand chagrin.
En revenant de la lamentation funèbre, elle demanda quelque chose à boire. On lui apporta une coupe avec de la boisson, mais de quelque manière qu’elle la portât à ses lèvres, un petit animal sautait du liquide vers sa bouche. Quand elle éloignait la coupe de ses lèvres par contre, il disparaissait.
Cette nuit-là, elle vit en rêve un homme qui venait à elle. Il lui adressa la parole et il lui apprit qu’elle était enceinte de ses œuvres. C’était lui qui l’avait fait venir dans la maison aux poulains. C’était chez lui qu’ils avaient dormi.
Commentaires : le texte est évidemment assez confus. On ne sait pas très bien, vu l’état très dégradé de la légende en Irlande, si c’est le grand Hesus maître de Thulé (Morfessa) qui s’adresse à Duxtir-Dechtire-Epona dans son rêve, ou quelqu’un d’autre (Taran/Toran/Tuireann voire Lug ?) ; et cela laisse planer le soupçon d’inceste avec le « chien géant » (puisque telle est la signification du nom de Conchobar – Cunocavaros –).
Quoi qu’il en soit, on éleva les poulains pour l’enfant et une troisième fois Duxtir/Dechtire [Épona] se retrouva enceinte. Ce fut un grand problème pour les Ulates : on ne lui connaissait pas de compagnon
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attitré. On estima et l’on craignit que ce fût Cunocavaros (Conchobar) en état d’ébriété, parce que c’était avec lui que sa sœur avait dormi. Cunocavaros/Conchobar maria donc en toute hâte sa sœur à Vergustios (Fergus), fils de Roecos (Roech). Sa honte fut grande de s’unir ainsi à un homme tout en étant de nouveau enceinte. Avant de se mettre au lit, elle rejeta donc une seconde fois ce qui était dans son sein et se retrouva par conséquent de nouveau vierge. [Soulignons le mot, car il ne manque pas d’importance. Est-ce là l’origine du symbole ou de l’image d’Épona toujours vierge ?] Ensuite Duxtir/Dechtire/Épona put s’unir à son mari et elle se retrouva enceinte rapidement une troisième fois. Elle donna naissance à un enfant que l’on appela Setanta.
Nous trouvons dans une des versions les plus intéressantes de ce mythe, sans doute du 16e siècle, qui figure dans le manuscrit Egerton 1782, la version E, ce qui suit.
Aitherruc ellum, ocus bert mac, ocus ba he dono mac na teoru m-bliadan in sin, ocus ba Setanta a ainm iarum, gommo marb laiss iarum cu Caulaind cerddo. Is osin ille ro hainmnigter do Cu Chuluinn.
« Grande fut sa honte, d’aller vers son mari, étant enceinte. Elle alla alors à l’arbre de lin (?), elle vomit, et perdit le germe qu’elle portait dans son sein ; et ainsi, redevint vierge.
Elle alla ensuite vers son mari, et devint de nouveau enceinte. Elle mit au monde un fils ; et ce fils était l’enfant des trois années. Il porta le nom de Setanta jusqu’à ce qu’il eût tué le chien de Culann le forgeron : car c’est seulement alors qu’il fut appelé « le chien de Culann ».
La seule chose de claire dans tout ceci c’est que ce nom de Cuchulainn jeune ou enfant… n’est pas du gaélique. Peut-être a-t-il été emprunté à un des tribus non gaéliques d’Irlande, Les Erainn ou d’autres de la même famille par exemple. Ce qui expliquerait assez bien qu’il ne se considère pas comme étant « Irlandais ».
La morale de toute cette histoire la voici.
Des druides antiques, NON GAELS de l’ancien druidisme, ont élaboré ce mythe pour traduire en termes simples à l’usage de leurs ouailles de la classe guerrière, ET DES DEUX AUTRES FONCTIONS INDO-EUROPÉENNES, l’idée que le modèle surhumain qu’ils proposaient à leur imitation, à la différence du Mahomet de l’Islam à venir, était vraiment exceptionnel.
Les premiers chrétiens d’Irlande qui ne comprenaient rien à la notion d’homme-dieu, rendus intellectuellement incapables de par leur orgueil de Romains, tout comme les juifs et les musulmans d’ailleurs, de concevoir que Dieu ou le divin est assez puissant pour apparaître et prendre chair comme il veut quand il veut et là où il veut ; ne comprenaient plus rien à ce mythe destiné à garder la classe guerrière dans le droit chemin de ce que la société était en droit d’attendre d’elle ; et ils l’ont mis à toutes les sauces.
Il ne sera pas inutile à l’enseignement des vellèdes en outre de rappeler que le titre de la version la plus intéressante de cette légende, Feis Tige Becfoltaig, peut se traduire littéralement par « la fête dans la maison pauvre ». Et que c’est donc littéralement dans une écurie des plus misérables qu’est né le plus grand des héros que nos légendes aient jamais chanté. D’où son lien symbolique avec Épona peut-être.
Du fait de cette naissance miraculeuse, Hésus ainsi incarné (en Setanta Cuchulaïnn) échappera par contre à la maladie héréditaire qui atteint périodiquement la tribu ; cette étrange maladie des Ulates symbolisant la faiblesse congénitale inhérente à chaque homme, du fait de son origine animale, et due à une Épona nommée Magosia – Macha en gaélique – justement. La naissance de Setanta sera aussi, bien sûr, entourée de toute une série de prédictions.
SECOND RAPPEL À L’USAGE DES VELLÈDES (DES MAÎTRES).
Le grand rabbi Jésus (de Nazareth ?) n’est pas né à Bethléem, mais… au sein d’une famille juive moyenne pour l’époque : un père charpentier, plusieurs frères (ou sœurs).
L’épisode tout entier de la naissance à Bethléem, dans une étable, entre un âne et un bœuf, etc., etc. est une fable rajoutée 80 ou 90 ans après les événements ; et tirée des légendes païennes du Moyen-Orient (ou d’ailleurs comme nous allons le voir) concernant Mithra (né dans une grotte lui aussi), voire Tammouz-Adonis.
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En tant que tel (en tant que mythe hellénistique, un de plus, sur le thème des naissances miraculeuses) il intéresse donc les druides ayant les idées assez larges pour se pencher aussi sur des paganismes frères.
Arrivés à ce point de notre exposé, il importe de réaffirmer encore une fois, et de la façon la plus énergique que l’interprétation généralement faite par les chrétiens de l’épisode des rois mages est fausse et archifausse.
Dans ces rois mages, représentant des religions païennes environnantes, les chrétiens voient le symbole des diverses nations du monde. Et la venue des mages à Jérusalem pour rendre hommage au roi des juifs montrerait qu’ils cherchent en Israël, à la lumière messianique de l’étoile de David, celui qui sera le roi du monde (biturix). Leur venue, selon eux, signifie que les païens ne peuvent découvrir la vérité puis l’adorer qu’en se tournant vers les juifs, et en recevant d’eux leur promesse messianique, telle qu’elle est contenue dans l’Ancien Testament. L’épiphanie manifesterait que l’ensemble des païens entre dans la famille des patriarches et acquiert ainsi l’ISRAELITICA DIGNITAS (cf. Catéchisme de l’Église catholique).
Cet acharnement digne de la pire des méthodes Coué à vouloir à tout prix être reconnu comme l’héritier légitime et direct de la religion juive et d’Abraham ; alors qu’il est évident que seuls certains détails du vernis le sont, et que le fond est païen (la notion d’homme-dieu la nourriture, etc., etc.) EST PITOYABLE. C’est à la fois la manifestation hors du temps d’un incroyable racisme envers les autres religions doublé d’un TOUT aussi incroyable complexe d’infériorité, celui de l’enfant illégitime. Sans parler d’une ignorance crasse de la science historique et des découvertes de l’archéologie (le début de la Bible jusqu’à l’épisode de la tour de Babel est emprunté aux mythes sumériens, Abraham est une légende, Moïse n’a pas existé, l’esclavage en Égypte non plus, etc.).
Malgré l’incroyable ethnocentrisme ou sentiment de supériorité confinant au racisme d’une telle idée ; certains druides du XXe siècle ont d’ailleurs voulu faire du fameux Melchior un roi mage d’origine celte. Ceci est faux et archifaux et montre bien à quel point le néo-druidisme du Français Paul Bouchet, manquait d’intelligence ou de profondeur ; et constituait en réalité une sous-culture, bien représentative de la médiocrité intellectuelle et morale des néo-druides d’aujourd’hui.
N’en déplaise à Paul Bouchet ainsi qu’aux néo-druides français de sa filiation intellectuelle, l’israelitica dignitas n’a jamais constitué le but recherché par ces rois mages. L’épisode des rois mages ne prouve en aucune façon la soumission des païens adeptes du dieu des philosophes à cette « israelitica dignitas », ne prouve en aucune façon que c’est vers les juifs que l’on doit toujours se tourner pour obtenir le salut. Il n’y a pas besoin d’être spirituellement sémite (Pie XI 1938) pour être « DIGNE ».
Le thème des rois mages est bien néanmoins un thème d’origine païenne, inséré a posteriori dans les Évangiles comme nous venons de le voir. Il est par exemple évident que la galette des Rois est un symbole d’origine solaire.
Le paganisme de ce thème des rois mages étant ainsi définitivement établi, quid de sa celticité par contre ?
Nous avons vu quels rapports avec les Celtes avait naguère établis le défunt néo-druide Paul Bouchet.
Malgré le caractère profondément erroné de cette étymologie de circonstance, il est néanmoins possible qu’il y ait eu quand même quelque chose d’analogue à certains thèmes celtiques, dans cet épisode. L’écurie d’Épona et son « aedicula » (crèche en latin) sont par exemple des faits de civilisation celtique connus.
Les rois mages symboliseraient alors les différentes nations et tribus venant honorer une nouvelle incarnation divine.
Comme dans le cas de la vénération des trois Bethen, les druidisants sont donc moralement autorisés à se référer à ce thème, dans ces conditions, si c’est bien dans cette optique, et non dans celle des chrétiens.
Mais encore une fois, répétons-le, tous ces récits étant largement apocryphes et connus surtout depuis le Moyen-âge, la plus grande prudence s’impose à leur égard.
Cette adoration légendaire des rois mages venant rendre hommage pose de nombreux problèmes.
Le thème est repris par la littérature néo-druidique depuis plus de deux siècles. On le retrouve par exemple dans le livre du Français René Bouchet (fils du précédent) intitulé « Druidisme et Christianisme ». Selon ce néo-druide français, il s’agirait d’astrologues venus d’un peu partout et notamment de l’Iran aryen, attirés par l’étoile inconnue ayant annoncé la naissance de l’enfant dieu
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sur la paille d’une écurie. Leur nombre en réalité ne fut jamais précisé. Le chiffre de trois fut adopté vers 450 lors de l’occidentalisation du mythe.
Le titre de « roi » (« les rois mages ») leur fut alors donné par allusion aux psaumes concernant les rois de Tarsis (« les rois de Tarsis offriront l’encens ») ; Tarsis étant la Tartessos des Celtes du sud-ouest de l’Espagne. cf. son célèbre roi nommé Arganthonios.
Les noms qu’on leur a donnés lors de l’occidentalisation du mythe sont Melchior, Balthazar et Gaspard. Deux noms sémites, Melchior et Balthazar, et un nom germanique, Gaspard (enfin peut-être).
Au XVe siècle, on a pensé que chacun d’eux devait représenter une race différente. Melchior représentant les Blancs, on pouvait penser dans ce cas que c’était lui le roi de Tarsis/Tartessos en question venu offrir l’encens.
Mais vu la date de naissance généralement attribuée à Hesus, cela ne pouvait pas être le roi celte Arganthonios. René Bouchet, à la suite de son père Paul Bouchet, a fait de Melchior un nom celte signifiant « le prince des korrigans ». Ceci est totalement faux puisque le nom est sans doute sémite. Si cependant ce nom était bien d’origine celtique, il ne pourrait venir que d’une forme Magalocorreos devenue Maelcorr en breton et signifiant quelque chose comme « héron royal ». Toujours ces fameux oiseaux dans la vie de Hesus…
Balthazar, lui, serait venu d’Iran, et son nom aurait signifié « que les Baals protègent la vie du roi » puisque Balthazar est le nom (estropié) du roi de Babylone appelé Belsarusur, nom sémite par excellence (akkadien) et non iranien avestique.
La seule chose de sûre c’est que la fête de la galette (ronde et dorée) dont on fait attribuer les parts par un enfant caché sous la table (le petit roi ou l’enfant soleil) ; se rattache à un de nos plus anciens cultes solaires.
La Rochelle 12 02 1990.
NOUVELLE ANALYSE DES APOCRYPHES IRLANDAIS CONCERNANT LA VENUE AU MONDE DU GRAND HESUS (MAROVESOS/MORFESSA) SOUS LE NOM DE SETANTA DIT « LE CHIEN DE CULANN ».
Que ce Hesus, adoré ou non par les rois mages venus de Tartessos/Tarsis ou d’Iran, soit à la fois vrai dieu-ou-démon et vrai homme, venu nous apporter la carte des îles des ponts ou des gués à emprunter pour sauver nos âme/esprits ; est un thème majeur et essentiel du néo-druidisme. Et peu importe la légende des rois mages dans tout cela. La venue de ces énigmatiques visiteurs que sont les mages, dans la version de la famille Bouchet, peut néanmoins suggérer PAR ANALOGIE que l’enfant en question était la lumière qui se lève à l’Occident, venant du royaume des morts (quel symbole) une sorte d’étoile polaire guidant les nations comme un phare. Il serait alors dans ce cas le véritable roi du monde (biturix), celui auquel les païens d’esprit celte doivent venir rendre hommage de toute part.
La fête de l’épiphanie est par conséquent, dans cette hypothèse, une fête païenne rappelant que l’exemple donné par Hesus est destiné à tous.
Mais pour croire en Hesus comme Maître suprême de notre enseignement de base, il faut d’abord évidemment avoir appris à connaître sa vie, son œuvre sa mort et sa montée au ciel. Car ses paroles et ses actes d’homme ont prouvé qu’il y avait en lui… plus qu’un homme.
1. Le personnage de Dechtire. Dechtire est un nom gaélique correspondant au substantif celte duxtir, attribut habituel d’Épona signifiant « fille » et donc « vierge ». Ainsi que nous avons pu le voir, Dechtire est celle qui s’occupe des chevaux de Conchobar. Le mythe est donc encore clair malgré la désorganisation entraînée par la christianisation. Duxtir/Dechtire doit néanmoins être rapprochée de la grande reine du Mabinogi gallois de Pwyll, Rhiannon, et en ce sens le parallèle Épona-Rhiannon-Macha-Dechtire est donc possible. Du moins d’après certains auteurs devant lesquels nous nous inclinons.
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Françoise Le Roux pense plutôt que Dechtire symbolise, en fait, le personnage éternel de la mère adoptive ; mère des dieu-ou-démons, personnification du pays comme terre conquise. Mais ceci est justement aussi un des symbolismes d’Épona, d’où l’identification.
À la différence de Françoise Le Roux par contre, J. Gricourt, dans son essai sur Épona, Macha et Rhiannon, a souligné la nature hippomorphe desdites Rhiannon et Macha, qui seraient donc respectivement, selon lui, des Épona galloise et irlandaise.
La version 2 est très différente de la version1. Dechtire, sœur de Conchobar, s’enfuit avec cinquante jeunes filles du pays des Ulates et de la maison de Conchobar. On les chercha pendant trois ans. Elles revinrent sous la forme d’oiseaux dans la plaine d’Emain, etc.
Les oiseaux ont donc pour rôle d’attirer les Ulates dans le château du Graal où doit naître (à côté de l’écurie) Cuchulainn.
2. Les caractéristiques de ce château du Graal sont nettes.
Il est sans dimension humaine, il semble petit aux éclaireurs envoyés par Conchobar (Bricriu), mais tous les Ulates y pénètrent néanmoins avec leurs chars et trouvent à s’y loger sans peine avec leurs chevaux.
Il est dépourvu de localisation précise dans le temps et dans l’espace. Les joyeuses beuveries et ripailles cérémonielles terminées, le château s’évanouit comme un rêve, laissant les Ulates seuls dans la plaine. Enfin, le détail de la porte (porte reliant l’écurie où les Ulates ont trouvé refuge, au palais proprement dit) mieux exploité dans le manuscrit D. 4, 2 ; nous renseigne sur l’identité du maître de maison.
« Le maître de maison, un élégant et noble guerrier, invita ensuite Bricriu à s’approcher en s’adressant à lui par son nom. Et la femme de cet homme souhaita également la bienvenue à Bricriu.
Bricriu demanda pourquoi la femme lui avait aussi souhaité la bienvenue.
C’est à sa demande que je vous accueille, répondit l’homme. Ne vous manque-t-il pas quelqu’un à Emain ??
Si, répondit Bricriu. 50 jeunes filles, depuis 3 ans.
Les reconnaîtrais-tu si tu les voyais ? demanda l’homme.
Je pense que non, répondit Bricriu. Comme trois années se soient écoulées depuis je ne me souviens plus très bien.
L’homme lui apprit alors que ces cinquante jeunes filles étaient chez lui, et que leur Dame, Duxtir Duxtir/Dechtire (Epona) était la femme qui se tenait à ses côtés en tant qu’épouse.
C’étaient elles qui s’en étaient allées à Emain Macha sous forme d’oiseaux, pour s’efforcer de faire venir les guerriers ulates jusqu’ici ».
3. Tout cela doit sans doute se passer autour de Samon.
L’arrivée des oiseaux est un des thèmes favoris du légendaire irlandais. La version 1 de la naissance de Cuchulainn nous donne une description très précise des oiseaux en question.
Le paragraphe 2 de cette version nous renseigne sur leur nombre (180) leur chant (qui était magnifique) leur équipement (un joug pour chaque couple et un joug d’argent au couple de tête de chaque groupe), leur itinéraire. Ces oiseaux en fait auront pour mission d’attirer volontairement les Ulates dans le château du Graal où Cuchulainn va venir au monde avec l’aide de Lug comme on l’a vu.
4. La dispute des Ulates à propos de l’éducation à dispenser à Cuchulaïnn. Sencha le druide et Amorgen le vellède représentent la classe sacerdotale, sous ses deux aspects, spéculatif et engagé.
Fergus, champion et ambassadeur, représente la classe militaire. Blai Briuga, « aubergiste », représente la classe productrice.
Autrement dit, c’est toute la société qui va concourir à l’éducation de l’enfant prodige, et c’est bien ce que résume le paragraphe 12.
« C’est également qu’il sera instruit par tous, guerriers à char, rois, et sages… »
Cuchulainn n’est pas un enfant incestueux, mais un héros destiné à sauver le monde. Et pour engendrer un tel demi-dieu-ou-démon, il fallait bien la participation effective du roi d’Ulster et d’un père nourricier, ainsi que le concours des trois classes de la société.
Nous y reviendrons.
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Une enfance (Maponiaca, Mabinogi en gallois) vraiment peu ordinaire.
(Opinion individuelle du druide Leonorios.) Ce qui est sûr, c’est que dès le début de son action sur cette terre, le Hesus incarné en Setanta a dérangé tout le monde. Que ce soit son propre oncle Cunocavaros (Conchobar d’après les Irlandais) ou bien d’autres rois plus haut placés que lui : Alpillis et Medua (Ailill et Medb). Ou bien encore des sorciers formés « à Babylone » comme les enfants de Calatin.
Mais la force d’un constat ayant valeur de prédiction est telle que, après l’avoir fait, un druide est impuissant à changer le cours du destin qu’elle marque. C’est sans doute ce qu’avait déjà très bien compris le petit Hésus encore appelé Setanta quand, alors qu’il n’avait que cinq ans ; il avait entendu le druide Catubatuos annoncer que quiconque prendrait les armes ce jour-là, aurait une vie glorieuse, mais courte.
Setanta était allé aussitôt demander des armes et un char au roi Cunocavaros (Conchobar), et Catubatuos lui avait prédit presque à regret :
« Tu seras effectivement illustre et renommé, mais sans longévité aucune, très vite parti au contraire ! »
Peu m’importe ! s’exclama le petit Hesus Cuchulainn, de ne vivre qu’un seul jour voire une seule nuit, si mon histoire et celle de mes hauts faits doit perdurer très longtemps après moi.
« Très bien ! » reprit alors Catubatuos/Cathbad, monte dans un char, mon garçon, puis essaie-le en personne, même si ce que je viens de dire est vrai ».
Commentaires : Hesus avait donc déjà pleinement conscience, à cinq ans, que sa vie devait constituer un exemple à étudier ou à réétudier, sans cesse, par les générations futures.
Mais beaucoup trop de gens ne pourront admettre ou tolérer son sens de la justice et du devoir. Redécouvert par Patrick Pearse qui en fera l’archétype même du révolutionnaire. Tout au long de sa courte existence sur cette terre, ils seront donc de plus en plus nombreux (Bricriu, Medb, Calatin, et ainsi de suite) à vouloir sa mort : il dérangeait.
Quand on dit que le grand Hesus a, en tant que Sétanta, vécu comme un homme, cela ne signifie pas qu’il a été « un simple mortel » parmi d’autres. Son comportement, ses relations, et le rayonnement de sa personnalité manifestaient dès sa plus tendre enfance qu’il était homme d’une manière unique, ainsi que nous venons de le voir.
L’apparence physique de Cuchulainn d’après le récit de l’enlèvement des bœufs de Cooley.
« Et ce fut assurément un beau garçon qui ressortit de leurs mains expertes : il avait à chaque pied sept doigts, et autant à chaque main ; ses yeux étaient brillants et avaient sept pupilles chacun, dans toutes scintillaient sept gemmes éclatantes. Sur chacune de ses joues, il y avait quatre tibri (des grains de beauté ? des mouches ?) : un bleu, un pourpre, un vert, et un jaune. D’une oreille à l’autre il avait cinquante tresses blond clair (comme la cire jaune des abeilles ? Ou comme une broche qui brillerait en plein soleil ?) Il portait un manteau vert attaché par un fermoir d’argent sur sa poitrine, une chemise à fils d’or. Le petit Hesus Cuchulainn prit sa place entre les genoux de Cunocavaros/Conchobar et le roi commença de lui caresser les cheveux ».
Tous ces détails, quelque peu inquiétants d’ailleurs, devaient avoir un sens, mais lequel ?
Autre fragment de texte montrant bien la perplexité dans laquelle se trouvaient plongés les contemporains du hésus Cuchulainn face à ses prouesses.
Enlèvement des vaches de Cooley.
Ailill posa une question à Fergus : « Je m’émerveille et me demande bien qui a pu venir à notre rencontre à la frontière et tuer aussi rapidement les quatre qui nous précédaient. C’est sûrement Cunocavaros/Conchobar fils de Fachtna Fathach le haut roi des Ulates qui est venu sur nous ? ».
Certainement pas, répondit Fergus, et il est lamentable de lui faire injure de la sorte en son absence.
Il n’y a rien qu’il ne ferait pour préserver son honneur. Si c’était lui qui était venu, les armées les armadas et l’élite des hommes de la verte Erin qui sont à son service seraient venues également ; et même si les Irlandais les Écossais les Bretons et les Saxons, s’opposaient à lui quelque part, à l’occasion d’une rencontre et d’un engagement, lors d’un bivouac ou sur une colline, il leur livrerait bataille à eux tous, et c’est lui qui remporterait la victoire, ce n’est pas lui qui serait mis en déroute.
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Dis-moi donc, qui a bien pu venir nous rencontrer ?
Cela ne peut être que le petit garçon, mon fils adoptif et fils adoptif également de Cunocavaros/Conchobar. Celui que l’on appelle le chien de Culann le forgeron.
Oui effectivement, répondit Ailill, je vous ai entendu parler de ce petit garçon un jour à Cruachan. Quel est l’âge de cet enfant maintenant ?
Ce n’est pas son âge qui compte le plus assurément, répondit Fergus, car ses exploits furent déjà ceux d’un homme alors qu’il était bien plus jeune que maintenant.
Comment ça ? s’exclama Maeve.
N’y a-t-il pas aujourd’hui parmi les Ulates un de ses égaux en âge qui soit plus redoutable que lui ?
Il n’y a pas de loup plus assoiffé de sang ni de héros plus féroce et aucun de ses contemporains ne peut accomplir ne serait-ce que le tiers ou le quart des exploits guerriers du Hesus Cuchulainn. Tu ne trouveras pas, poursuivit Fergus, de héros qui le vaille ni un tel marteau de forgeron pour ce qui est de frapper, ni un tel bourreau pour ce qui est des armées, ni un tel champion pour ce qui est du courage, qui ait plus de valeur que le Hésus Cuchulainn. Tu ne trouveras personne qui puisse l’égaler pour ce qui est de a áes & a ás & a forbairt & a ánius & a urfúath & a urlabra, a chrúas & a chless & a gasced, a forom & a ammus & a ammsigi, a brath & a búadri & a búadirsi, & a déini & a dechrad & a tharpige & a díanchoscur co cliss nónbair ar cach find úasu mar Choin Culaind son âge et de sa croissance, de sa taille et sa sa splendeur, l’épouvante qu’il inspire et son éloquence, sa bravoure, sa maîtrise des arts martiaux ses armes et ses attaques ou ses assauts, sa force, son agressivité ainsi que son travail de bourreau, sa frénésie, son excitation, sa vitesse, sa furie, sa violence, sa maîtrise du coup des neuf hommes pointant chacun une arme sur lui.
Nous n’en faisons pas grand cas, rétorqua Maeve. I n-óenchurp atá. Imgeib guin immoamgeib gabáil. Il n’a qu’un corps, il est sujet à blessure et peut être fait prisonnier. Il a l’âge d’une jeune fille et ce jeune farfadet sans poil au menton dont vous parlez ne l’emportera pas sur des hommes résolus.
Moi je ne dis pas ça, lui rétorqua Fergus, car les exploits de ce petit garçon furent ceux d’un homme alors qu’il était pourtant beaucoup plus jeune que maintenant.
Une éducation trifonctionnelle hors pair avons-nous dit.
« Les Ulates commencèrent à se quereller pour savoir lequel d’entre eux devrait se charger d’élever le garçon. Ils demandèrent à Cunocavaros/Conchobar de prendre une décision. Il commença par suggérer que sa sœur Finnchoem s’en occupe. Mais Sencha protesta : « c’est moi, et non Finnchoem, qui devrait l’élever. Je suis fort et adroit ; noble et habile au combat, sage, instruit et prudent. J’ai la préséance sur tous les autres quand il s’agit de parler au roi ; je le conseille avant qu’il ne parle. Je juge de tous les différends qui viennent devant lui en toute impartialité. Personne à part Cunocavaros/Conchobar en personne ne pourrait être un meilleur tuteur que moi pour cet enfant ». « Non », s’exclama Blai Briugu. « Laisse-moi m’occuper de lui. Il ne lui arrivera rien de mal et il ne manquera de rien avec moi. Ma maisonnée peut nourrir tous les hommes de la verte Erin pour une semaine ou une dizaine de jours, et je traite équitablement de toutes leurs disputes. Mais qu’il en soit de ma juste requête comme Cunocavaros/Conchobar le désire ». « N’avez-vous donc aucun respect ? » s’exclama Fergus. Son bien être me concerne. Je serai son tuteur. Personne ne m’égale en dignité ni en richesse, ni en courage, ni dans le maniement des armes. Mon honneur fait de moi le père adoptif idéal. Je suis le fléau des forts, et le défenseur des faibles ». Amorgen s’exclama : « Écoutez-moi, et sans faux-fuyant. Je suis digne d’élever un roi ! Je suis renommé pour mes exploits, ma sagesse, ma fortune, mon éloquence, mon ouverture d’esprit, mon courage ainsi que pour le statut de ma famille. Et si je ne suis pas prince de sang, le fait que je suis poète me confère déjà un statut presque royal. Je peux vaincre n’importe quel chef de char. Personne n’est au-dessus de moi hormis le roi lui-même, et je ne dois donc allégeance à personne hormis à lui ». « Arrêtons-là cette discussion », s’exclama Cunocavaros/Conchobar. « Finnchoem s’occupera du garçon jusqu’à ce que nous ayons atteint Emain Macha et Morann décidera ». Et quand ils furent arrivés à Emain, Morann rendit son jugement.
« Il sera donné à Cunocavaros/Conchobar, puisqu’il est emparenté à Finnchoem. Sencha lui enseignera l’éloquence et l’art oratoire ; Blai Briugu fera que rien ne lui manque ; Fergus le prendra dans son giron ; Amorgen sera son précepteur ; Conall Le Victorieux sera son frère de lait (par adoption), et Finnchoem le nourrira. De la sorte tout le monde participera ainsi à son éducation, qu’il soit chef de char, prince ou sage. Ce garçon sera l’enfant chéri de tout le monde. Il combattra en duel pour votre honneur et remportera vos batailles ainsi que vos combats sur les gués ».
Et c’est ainsi que le petit Hésus Sétanta Cuchulainn fut confié à Finnchoem et Amorgen puis élevé à Dun Imrith dans la plaine de Muirthemne ».
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Commentaires : notre texte est assez confus en général, ce qui n’est guère étonnant, car il ne s’agit que d’un texte apocryphe assez dégradé ; mais il est quand même clair sur un point. L’éducation d’Hésus incarné en tant que Setanta/Cuchulainn, est hors pair, hors classe (trifonctionnelle plus exactement), afin qu’il soit l’ami de toute la société.
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NOUVELLES CONSIDÉRATIONS SUR LE SACRIFICE DU GRAND HÉSUS INCARNÉ EN CUCHULAINN
(opinion individuelle du druide Leonorios.)
De par sa prédiction finale le Hésus dit Chien de Culann (Cu-Culanti) notre jeune et qui sera toujours éternellement jeune seigneur, monté au ciel, a préparé les siens à la terrible occultation (au terrible affrontement de valeurs) qui allait suivre quelques générations plus tard. L’invasion totale par le judéo-christianisme et les persécutions antipaïennes. Car le hésus Setanta dit Cuchulainn, est resté plus que jamais présent parmi nous. Sous une forme nouvelle, il est vrai : comme un germe agissant au fond de nos consciences. C’est d’ailleurs à Pearse que revint l’honneur de proclamer la République sur les marches de la Grande Poste de Dublin, en 1916, et de prendre la direction du gouvernement provisoire. Il fut évidemment exécuté par les Anglais. Ci-dessous (de mémoire) un poème de Pearse que les Français feraient bien de méditer.
Mise Éire :
Sine mé ná an Chailleach Bhéarra
Mór mo ghlóir :
Mé a rug Cú Chulainn cróga.
Mór mo náir :
Mo chlann féin a dhíol a máthair.
Mór mo phian :
Bithnaimhde do mo shíorchiapadh.
Mór mo bhrón :
D’éag an dream inar chuireas dóchas.
Mise Éire :
Uaigní mé ná an Chailleach* Bhéarra.
Je suis l’Irlande :
Je suis plus âgée que la vieille de Beara.
Grande est ma gloire :
C’est moi qui ai enfanté le vaillant Cuchulainn.
Grande est ma honte :
Ce sont mes propres enfants qui ont vendu leur mère.
Je suis l’Irlande :
Je suis plus seul que la vieille de Beara.
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PLAIDOYER POUR UNE RÉCONCILIATION AVEC NOS FRÈRES LES DIEU-OU-DÉMONS.
(Les dieux, ou démons d’après les religions de masse, sont en effet aussi nos frères puisqu’issus, eux aussi, du Nemet Cornunnos.)
Opinion individuelle du druide Jean-Pierre MARTIN.
Sinn fein ! Notre fierté à nous en tant qu’hommes, c’est d’être le peuple du Destin, le peuple des dieux, le peuple des hommes dieux. Le hésus Cuchulainn s’est offert à son destin et l’or de son ericfine (de son wergeld) à lui, ce fut son sang. L’adjectif « Intarabos » (« médiateur ») qui lui est aussi attribué par certains ne fait que préciser ce rôle. Un Intarabos est celui qui, par sa solidarité avec les deux parties en cause, est capable de leur permettre de « faire la paix », de se réconcilier, de vivre en harmonie.
Hesus a-t-il vraiment été un guerrier historique ? La seule chose certaine en réalité c’est qu’il s’agit là d’un thème mythologique originaire du Continent et importé en Irlande par des immigrants arrivant avec leur littérature orale. L’incarnation sur terre et sous l’apparence d’un héros guerrier, du dieu-ou-démon maître de Falias/Thulé (le grand Hesus).
Les chercheurs en Tradition celtique ont noté qu’Hesus n’était attesté que sur le Continent. Ils se sont demandé, dans le cadre des croyances panceltiques antiques, s’il y avait des équivalents insulaires. Deux pistes mythiques ont alors été considérées.
1. La mention d’un Morfhessa, grand maître de l’île hyperboréenne de Falias dans la mythologie gaélique. Rapprochement sérieux, car rattaché au cycle si étoffé des Tuatha Dé gaéliques. Étymologiquement Marovesos « Grand Sachant », Maître de « Thulé ». Divinité assimilée par confusion due à la désorganisation consécutive à la christianisation, à un druide primordial. En réalité donc, un « dieu-ou-démon » ni plus ni moins que les autres membres non subalternes de la Tribu de la Déesse-ou-Démone, ou de la fée. Appelée Danu (bia).
2. Le cycle légendaire si important de Setanta dit Cu Chulainn = « Chien de Culann ».
D’après d’Arbois de Jubainville, ce personnage central de l’épopée (tardive) de la Tain Bo Cualnge (Enlèvement des bœufs de Cooley) aurait été un guerrier originaire du Continent, arrivé avec l’une des vagues d’immigrants conquérants débarquant dans l’île d’Ériu. Son nom nullement gaélique de Setanta s’expliquerait par un * Sentons antérieur = « cheminant », mot à mot : « l’itinérant », donc Sentons ou Sentontios au départ. La chute en gaélique du n de sa première syllabe donnera par la suite un jeu de mots avec le nom ethnique des Bretons Setantioi (actuel Lancashire) ; d’où par un phénomène de coalescence, son nom gaélique tardif de Setanta.
Hésus n’a pas été un roi (des guerriers) comme les autres. Il a été l’achèvement de la notion même de royauté sacrée. En tant que roi (des guerriers), il a été le lien vivant entre les royaumes terrestres et ceux de l’Autre Monde. Notre néo-druidisme reprend donc volontiers le symbole représenté par Hesus comme celui d’une hypostase exemplaire des mystères du Tocad (du Destin : Toicthech en irlandais).
Pour mémoire voici ce qu’en disait en son temps feu Henri Lizeray dans son livre : « Aesus ou la doctrine secrète des druides ».
Sous l’invocation d’Aesus, on enseignait une doctrine mettant à nu la formation du monde.
Aesus, débarrassé de sa désinence latine, c’est l’As, l’Unité, l’Être en soi (avec l’analogie d’esse, être) qui, en se manifestant, produit les essences et les espèces. Aesus, dans sa signification secondaire, désigne aussi le feu central : Hadès en grec (radical irlandais : aod, feu). On offrait à Aesus des sacrifices de sang humain comme le plus convenable à sa nature de fluide vivant, mais c’était le sang des criminels qui rougissait les bois sacrés, puisque leur nom de németh amène logiquement celui de Némésis.
Henri Lizeray ajoute enfin que (selon lui en tout cas) Notre-Dame était l’épouse d’Aesus (page 139 de la D S. D D.)
Les progrès de la recherche historique nous ont obligés à réviser de fond en comble toutes les conceptions de ce grand celtologue du 19e siècle. Revoyons donc ensemble le problème.
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L’une des divinités principales du panth-éon ou plérôme celte, Hesus, est donc par excellence un « aisuvios », autrement dit une divinité positive, active et dynamique. Ses représentations, étudiées magistralement par les archéologues, ont permis de reconstituer la mythologie le concernant.
On le voit en certaines occasions associées avec le Termagant ou Tarvos Trigaranos (Taureau à trois cornes et/ou accompagné de trois grues) souvent représenté en défricheur coupant des arbres dans des bois peuplés d’animaux. Était-il « avide de sang humain » comme l’affirme un des commentateurs anonymes de Lucain ? On a pu noter, entre autres péripéties mythologiques, et comme nous l’avons déjà vu, l’épisode de la pendaison de type « chaman » sous un arbre, des victimes qui lui étaient consacrées.
De toute façon, le personnage même d’Hesus en tant qu’archétype du révolutionnaire idéal a longtemps été difficile à cerner, faute de détails écrits authentiques, et à cause d’une certaine obscurité des images due à la christianisation.
C’est que la mythologie druidique antique, dont bien des détails nous échappent encore, était riche en symboles.
Les druides antiques trouvaient là leurs thèmes de paraboles ; ils illustraient par ce moyen les messages qu’ils faisaient passer au peuple pour en améliorer la religion, et pour lui inculquer une éthique de haut niveau.
Hésus était donc l’une des figures de cette mythologie, tenue pour une divinité majeure par les Celtes continentaux., pour un personnage de légende par les Celtes irlandais. Son nom est attesté au nominatif (Esus) et au datif (Esu) dans les inscriptions celtiques et romaines.
Pour certains, ce nom, relevant du vieux fond indo-européen, est une variante d’Aisus, forme celtique parallèle aux noms génériques connus ailleurs : as (pluriel asar) des Germaniques et Asa deva des Aryens védiques.
Pour d’autres, vu leur propension aux jeux de mots visant à une pluralité de significations, les Celtes devaient l’entendre aussi comme le « meilleur » (vesos). Ce substantif avait un adjectif paronyme, dérivé de vidtu = savoir et signifiant « sachant », « qui sait », d’où Vesos en goïdélique, puis Fessa en irlandais ancien.
C’est en suivant le cheminant que l’on trouve le chemin (proverbe druidique).
Avant de s’incarner sur terre, Hesus ayant été, sous le nom de Marovesos, d’où Morfessa, mentionné en tant que maître de Falias par le Livre des Conquêtes, examinons un peu les problèmes que cela soulève.
Cette mystérieuse île hyperboréenne de Falias ne peut en effet être que celle de Thulé. L’explication ou l’étymologie par le germanique n’est guère possible. Le nom de Thulé n’apparaît dans aucune source allemande ou scandinave. Il n’en est fait par exemple aucune mention dans l’Altgermanische Religionsgeschichte de Jan De Vries. Et il est caractéristique qu’on ne le retrouve que dans des textes anglais : vieil anglais thyle, thyla, moyen anglais tile.
Si l’on interprète correctement les données géographiques fournies par Pline, qui semble être l’auteur le plus clair sur le sujet, le toponyme s’applique à la limite extrême, septentrionale, de ce monde-ci ; au-delà de laquelle est un Autre Monde, où les humains n’ont pas normalement accès. L’explication par le celtique, pour délicate qu’elle soit, s’impose donc, d’autant plus que les formes gréco-latines les plus anciennes sont en u et que les plus récentes passent à i (y) ; ce qui correspond à l’évolution du u indo-européen en celtique commun, puis en goïdélique et en brittonique.
Il est par ailleurs rationnel de penser que les formes gréco-latines sont empruntées à des intermédiaires brittoniques.
Mais la situation géographique de Thulé, à l’extrême nord de l’Écosse, oblige à supposer au départ une forme goïdélique ou picte (la différenciation du goïdélique et du brittonique était achevée depuis longtemps à l’époque de Pythéas).
Sous toutes réserves, on comparera le moyen irlandais tola (ou tolae dans une glose de Milan), nom verbal de * to-uss-lin ou * to-fo-lin, flot, déluge, ou encore abondance, grande quantité, armée. Cela rejoint tout ce que l’on sait des conceptions druidiques sur l’Autre Monde et sur l’origine nordique de la tradition.
Thulé n’est pas l’Islande. Cependant, les descriptions incluent, y compris le nord de la Grande-Bretagne, toutes les régions hyperboréennes, sans la moindre esquisse de distinction ethnique entre
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Celtes et Germains, la plupart des îles fréquentées par les Grecs étant du reste peuplées de Celtes. Les Hyperboréens de la tradition littéraire grecque ne peuvent avoir été que des Celtes et la mer de Pythéas, si elle n’est pas une image ou un symbole du passage dans l’autre monde, semble au moins aussi mythique que les îles de Plutarque.
En conséquence, Thulé symboliserait la limite extrême où finit ce monde, et où commence l’Autre. À cette limite se trouve la connaissance supérieure, ou révélation primordiale, que symbolise la coupe, de la ballade de Goethe.
Mais cette connaissance sacrée, à la différence des royaumes qui peuvent se transmettre par héritage, ne se communique pas par une décision autoritaire : elle ne peut être que l’objet d’une expérience personnelle, d’une intuition : il faut boire personnellement la coupe.
Quant à la Falias des légendes irlandaises, que l’on assimile à Thulé, son étymologie la plus probable est Fo-Alias < Vo-Alias < Vo-Ales = sous les rocs. Par coalescence sémantique (dont, comme les Aryas védiques, les Celtes antiques raffolaient), rapprochement ou convergence évolutive ont provoqué l’amalgame avec l’autre filière étymologique proposée. D’où Foula aux Shetlands par exemple. Mais s’agit-il bien de l’île en question ?
Aussi surprenant que cela puisse paraître, Hesus et Setanta, dit Cuchulainn en irlandais, ne font sans doute qu’un seul et même personnage, et ce, de l’aveu même des spécialistes en la matière. Il ne fait pas de doute, depuis les démonstrations de R. Mac Allister, que les œuvres ainsi conservées, si pieusement, ont été apportées du Continent dans cette île ; tantôt par des immigrants, tantôt par suite de la circulation des idées sur l’aire celtique ; et qu’elles ont fait l’objet d’adaptation au sol ainsi qu’à l’histoire du pays. Le remarquer n’ôte rien à leur mérite ni à celui qu’ont eu les Irlandais à les garder, à les embellir, ainsi qu’à les transmettre. Eux-mêmes ont cru longtemps et très sincèrement que c’était leur propre histoire qu’ils chantaient de la sorte, et il y a quelques dizaines d’années encore, des auteurs très sérieux cherchaient à dater les vagues décrites par le Livre des conquêtes. Travail proprement titanesque puisque cette théomachie n’a pas d’âge.
Les adaptations sont allées très loin : chaque nom de lieu, chaque ruine ancienne, a reçu son origine historique, les dynasties royales ont été rattachées aux dynasties mythiques, les dieu-ou-démons panceltiques sont devenus de grands héros. Cependant, la vérité a toujours montré le bout de son nez, on n’a qu’à ouvrir un livre pour en ramasser les preuves. Les trois « races » qui servent de support au mythe, les Tuatha (et leurs doubles), les Ulates, les Laigin, sont toutes trois d’origine étrangère, et récemment débarquées en Irlande ; les auteurs le disent eux-mêmes avec raison. Les grands « dieu-ou-démons » irlandais sont des dieu-ou-démons panceltiques connus ou à tout le moins attestés.
Toute la question maintenant est de savoir quel est le dieu-ou-démon druidique qui peut avoir donné naissance, en Irlande, aux personnages de Morfessa et de Cuchulainn, par historicisation des mythes le concernant.
Il n’existe sur le Continent, comme nous l’avons vu, qu’un seul dieu-ou-démon aussi étroitement associé au taureau et aux oiseaux que le fut Cuchulainn ; c’est celui qui est désigné dans les inscriptions comme Esus ou Esu. Voir l’autel des nautes parisiens et celui de Trèves en Allemagne, sur lequel on retrouve aussi des oiseaux, comme lors de la mort de Cuchulainn justement. La conclusion est donc claire. Hesus est le surnom celte continental, et Cuchulainn le surnom gaélique, d’un même « dieu-ou-démon ».
N.B. Il existe d’ailleurs un cas similaire avec Cornunnos, qui est appelé Nemet en Irlande (le grand sorcier chef du premier peuplement vraiment humain).
La mythologie concernant Hesus Setanta est ensuite passée en Irlande, où elle a été considérablement déformée.
Malgré cette déviation apocryphe irlandaise, qui fut considérable (les bardes gaéliques en ont fait ou un druide primordial régnant sur une mystérieuse île hyperboréenne au nord du Monde ou un simple demi-dieu-ou-démon, modèle de tous les grands héros humains) ; le caractère typiquement panceltique de notre héros est resté.
Le sérieux de l’équation Hesus = Cuchulainn ayant ainsi été démontré (c’est possible, plausible, et même probable) essayons maintenant de théoriser un peu plus cette notion illustrée par le demi-dieu-ou-démon en question.
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Le grand archéologue français J.-J. Hatt pense qu’il y a un rapport étroit entre Cornunos et Hesus, l’un devant être l’avatar de l’autre.
« Chez les Celtes ceux qu’ils appelaient druides, eux aussi étaient versés dans l’art de la divination ainsi que dans toute science en général. Les rois n’étaient pas autorisés à faire ou décider quoi que ce soit sans l’assistance d’un de ces sages, de telle sorte qu’en réalité ce sont eux qui gouvernaient le pays, et que les rois n’étaient que leurs ministres ou les serviteurs de leur volonté, bien qu’assis sur des trônes en or, habitant dans de grandes maisons, et faisant de somptueux festins ». (Dion Chrysostome, Discours, 49, 8.)
Deux hommes auraient donc, en quelque sorte, marqué la mémoire collective des Celtes. Le premier, notre chef de clan primordial, encore animal par certains côtés, mais ayant pris conscience de la différence entre les deux mondes, est le Nemet Cornunnos. Ce grand sorcier chef de clan est en outre le premier qui ait eu le sens du Sacré (d’où son nom, Nemetos. En cela il est incontestablement notre Père Spirituel à tous). Le second, le grand Hesus mentionné d’abord dans les îles du Nord (aux Shetlands ou aux Féroé) sous le nom de Marovesos (Morfessa en gaélique) ; se serait incarné plus tard (engendré par Lug et conçu par une Épona nommée Duxtir/Dechtire) sur le continent européen (bien que sa mythologie ait surtout été préservée dans les Îles). Né homme, il regagnera très vite le rang de véritable dieu-ou-démon du Panth-éon celtique.
Hesus, le nouveau nemet Cornunnos, le nouveau roi-chaman (par avatar ???) a inauguré par sa triple conception une nouvelle étape de l’Humanité. (N. B. La différence entre les adeptes du culte de Lug-ifer et ceux du culte d’Hesus est un peu la différence qui existe entre juifs et chrétiens).
La souffrance a, certes, chez les Celtes, une valeur rédemptrice, mais d’abord pour celui qui souffre. Le sens de la souffrance du héros chez les Celtes est donc radicalement différent de celui du christianisme. Chez les chrétiens les souffrances du christ rachètent, non pas le christ lui-même (qui n’en a pas besoin), mais l’Humanité tout entière. Or, répétons-le encore une fois, si la souffrance héroïque peut racheter quelqu’un, c’est celui qui l’a librement acceptée, pour une noble cause, mais personne d’autre.
Quelqu’un qui a mal agi peut se racheter en risquant ou en sacrifiant sa vie pour autrui : jamais il ne pourra racheter son voisin ou sa concierge. Si la mythologie druidique insiste tant sur les souffrances librement consenties du Hesus Cuchulainn, c’est donc dans un seul but : montrer à tout un chacun que l’on peut éventuellement se racheter de ses fautes en acceptant le sacrifice suprême. Qui meurt courageusement va au paradis (au Vindomagos. Irlandais Findmag, gallois Gwynfa, breton Gwenva) et ne se réincarne plus sur cette terre en bacuceos.
N.B. Les exploits du Grand Hesus Setanta à l’étranger.
Dans l’Aided Guill Meic Carbada, du XIIe siècle, 1) Cu Chulainn tue le géant Goll Mac Carbada, qui nous est décrit comme un roi de Scandinavie venu s’emparer de l’Irlande. Dans le Siaburcharpat Con Culainn 2) il est question d’une expédition irlandaise en Lochlann c’est-à-dire en Norvège. Un autre récit, parmi les derniers qui entrent dans le cadre du cycle d’Ulster, a pour héros Aemer et Tuir Glesta. Ce dernier, fils du roi de Lochlann (du roi de Norvège donc. N.D.L.R.) a enlevé Aemer qui tombe amoureuse de lui, en l’absence de Cu Chulainn, qui le poursuit jusque dans l’île de Man, aux Hébrides et jusqu’en Argyll où il le tue et reprend Aemer. Une des dernières Islendingasögur, la Kjalnesinga saga, qui date du début du XIVe siècle, rappelle certains exploits du jeune Cu Chulainn. La saga mentionne d’ailleurs le roi irlandais Konofogur qui n’est autre, dans le cycle de l’Ulster, que le roi Conchobar, l’oncle de Cu Chulainn. On remarque aussi que le héros de la saga, Bui, est armé d’une fronde – qui n’a jamais été l’arme favorite des grands héros nordiques – et qu’il est qualifié de « chien ». Or le récit des « enfances » de Cu Chulaïnn explique justement ainsi l’origine de son nom, « le chien de Culann ».
Comme la saga vient d’une terre où l’on sait qu’il y avait des Celtes, il est vraisemblable qu’elle est l’écho des récits irlandais sur Cu Chulainn apportés par les colons de Kjalarnes.
Cependant, c’est avant tout dans les fornaldasögur et les lygisögur que l’on rencontre les motifs celtiques les plus évidents. Dans la Ala flekks saga, qui date du XIVe siècle, on trouve par exemple un épisode analogue à celui de la maladie de Cu Chulainn (Serglige Conculainn) où notre héros, sous
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l’influence d’un charme magique, tombe endormi. Pendant son sommeil, deux femmes, l’une vêtue de vert, l’autre de rouge, lui apparaissent et le frappent si violemment qu’à son réveil, il sera plus mort que vif, et restera prostré pendant un an. Pour plus de détails, voir « La maladie de Cu Chulainn et l’unique jalousie d’Aemer ».
1. L’exécution de Colnos Mapos Carbanti.
2. Le char enchanté de Cuchulainn.
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LES VRAIS UXEDIOI ET LES CULTES DE LATRIE.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir, en matière de culte en effet il faut toujours bien distinguer trois niveaux.
Le niveau de base : les multiples entités à l’œuvre en permanence au sein de ce monde. Ce sont des auxiliaires indirects de la Divine Providence, du Destin ou Tokad en quelque sorte. Un simple culte de dulie peut leur être associé.
Le niveau intermédiaire et qui concerne quelques entités divines paraissant avoir acquis de bonne heure une importance particulière. Il y a lieu de leur vouer plus qu’un simple culte de dulie. On parle donc d’hyperdulie en ce qui concerne les rituels en leur honneur.
Le niveau le plus élevé (culte de latrie puisque idolâtrie est le terme utilisé par les talibans du christianisme – les parabolans – pour qualifier ce type de spiritualité si différent du leur). Il s’agit des auxiliaires directs de la Divine Providence, des anges du Destin ou Tokad en quelque sorte. Ce sont les moins nombreux. Ils sont quasiment présents dès la naissance du monde (Taran/Toran/Tuireann, la G.D.M.A. ou grande déesse Mère aquatique, mais aussi Lug, Ogmios, Mabon/Maponos/Oengus…) Varron en distinguait 20. Ce sont certainement des « dii certi », qui, plus heureux ou plus vivaces que les autres, ont survécu en absorbant les pouvoirs de leurs congénères et ont fait j’objet d’un culte de niveau « latrie ». Dans la pratique, ces dieu-ou-démons étaient surtout invoqués par les aristocrates. D’où d’ailleurs leur appellation en latin par Varron : dii praecipui atque selecti.
La tendance des premiers druides au monisme (au monothéisme philosophique et réfléchi) a eu en effet de très importantes conséquences sur la mythologie et sur le panth-éon ou plérôme indo-européens primitifs, dont ils avaient jadis hérité. La trifonctionnalité aryenne pure et dure des origines a été modifiée par eux et les dieu-ou-démons donc, ont, en grande partie, dans la mythologie celtique, perdu leurs étroites spécialisations du début. Ils sont devenus plus ou moins polyvalents, voire même parfois interchangeables. Cela est particulièrement clair en ce qui concerne la fonction médicale ou guérisseuse, et en ce qui concerne la fonction guerrière et protectrice ; que les druides ont toujours vue plus éclatée, ou éparpillée, en de nombreuses figurations divines, que ne le pensaient au départ les prêtres aryens. Il s’agit, selon toute probabilité d’une série de contaminations et de métissages entre dieu-ou-démons indo-européens et dieu-ou-démons préceltiques, propres aux populations antérieures. Les druides ont donc très rapidement fini par comprendre que ces nombreuses entités divines, aryennes ou pas d’ailleurs, étroitement spécialisées, renvoyaient toutes en définitive à un seul et même Être Supérieur, quel que soit son nom (Tokad, Tokade, Destin, ou autre). Ce qui suit n’est donc qu’un regroupement assez théorique et abstrait, destiné à faciliter la présentation détaillée de cette spiritualité.
La religion druidique peut être considérée comme un agrégat de croyances et de rituels divers ; dont certains remontent au Paléolithique et au Mésolithique (déguisements divers en cerfs et en bovins), d’autres au Néolithique (culte d’une déesse-ou-démone-mère associée à un dieu-ou-démon guerrier), d’autres à l’âge du Bronze ancien et moyen (signes astraux, cultes de sources), d’autres au Bronze final (dieu-ou-démons tribaux polyvalents). Bien qu’elle ne se soit certainement pas constituée en tant que telle avant la fin du premier âge du Fer, entre 650 et 450 avant notre ère environ, cette religion paraît bien avoir conservé des survivances de presque toutes les époques antérieures. On peut la comparer à ces stratigraphies de grottes, dans lesquelles se superposent, en couches successives, les restes de vingt à trente millénaires d’Histoire. Au cinquième et dernier niveau, se développe, à partir de ces éléments hétérogènes, une religion de caractère national et unificateur, celle de la Tène. Apparue à l’aube des grands déplacements de tribus celtiques vers l’Italie et les régions Danubiennes ; cette religion fut rapidement et largement diffusée par le truchement d’un code de symboles et de signes, constituant le répertoire de base de l’art de la Tène. Cette « koinè », religieuse laténienne comprend les grands dieu-ou-démons de caractère indo-européen, Taran/Toran/Tuireann, dieu-ou-démon du ciel et de la souveraineté, Danu (bia) mor-rigani, déesse-ou-démone ou fée si l’on préfère, souveraine plurifonctionnelle, à la fois céleste, sociale et guerrière. Nous assistons alors à l’apparition d’un art religieux schématique, qui paraît correspondre simultanément à l’expression d’une religion antérieure aux Celtes, et à un métissage, entre cultes celtiques et préceltiques ; aboutissant à la création d’un panth-éon ou plérôme mixte. Il est impossible d’expliquer ; aussi bien l’apparition, entre la fin du VIe siècle et le début du Ve siècle, d’un panth-éon ou plérôme condensé, à l’usage de tous les Celtes ; que l’évolution ultérieure des croyances au cours des IVe, IIIe et IIe siècles avant notre ère ; sans supposer qu’il existait une élite intellectuelle capable de canaliser, d’orienter voire de systématiser les idées ainsi que les tendances religieuses de la collectivité celtique continentale. Cette élite existait. Les Anciens en témoignent : c’étaient les druides.
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Les dieu-ou-démons uxedioi ne sont que les maillons d’immenses chaînes aussi vieilles que l’espèce humaine. Ils mourront peut-être un jour (avec notre univers ou bitos), mais pour renaître aussitôt sous une autre forme et une autre appellation (la justice, l’éloquence, la guerre… ?).
Ces dieu-ou-démons ne sont que des émanations des deux éons primordiaux que sont l’esprit universel (le menman cosmique représenté par Taran/Toran/Tuireann) et la matière (la grande déesse mère aquatique Danu ou G. D. M. A). Ils ne sont ni omniscients ni omnipotents (ils peuvent être trompés, ils ont une personnalité, ils peuvent être tués, ils ne voient pas tout partout). Ils sont donc soumis comme tout le monde à un destin (au minimum l’obligation et de naître et de mourir).
Leur sanctuaire principal est situé dans une île sacrée. Primitivement il devait s’agir d’une île sur le Danube quelque peu analogue à celles de Lobau, Schütt, ou à celle de Peuké, plus loin, plus tard, dernier refuge des Triballes des Gètes et des Thraces de Syrmos face à l’avancée des troupes d’Alexandre le Grand en – 335. Des îles sur le beau Danube bleu devenues plus tard symboliquement parlant des îles au nord du monde, quand les Celtes eurent atteint les rives de l’Océan et de la Mer du Nord.
Car à en croire les légendes irlandaises, ces dieu-ou-démons auraient commencé par évoluer de façon obscure et inconnue dans des îles au nord du monde, avec quatre objets plus ou moins magiques.
La Pierre du destin ou pierre de Fal (lia Fail) dite aussi Pierre de Scone. D’après nos amis écossais (à quand l’indépendance à ce propos ??), cette pierre du destin existerait toujours. Elle aurait été rendue par les Anglais en 1996 et installée dans le château d’Édimbourg. À voir…
La lance de Lug (Gae Assail, la lance d’Assal) dont on ne pouvait contrôler la puissance guerrière qu’en en trempant la pointe dans un chaudron rempli de sang humain.
Le chaudron ou olla du Suqellos Dagda Gargant.
L’épée de Noadatus/Nodons/Nuada. Dans la tradition galloise, l’épée se nomme Caledfwlch, ce qui signifie « dur tranchant », car elle avait la réputation d’être incassable (tout comme la Durandal du neveu de Charlemagne) ou de trancher toute matière. Son nom viendrait de Caladbolg : « dure foudre », d’où le nom de Caliborn, puis d’Escalibor, Excalibur.
Le premier roi de ces dieu-ou-démons aurait été Noadatus/Nodons/Nuada, mais le doute subsiste *, car on ne sait pas grand-chose de cette méta-histoire avant leur débarquement, disons dans notre univers. Une île au nord du monde est toujours une terre, mais dans l’esprit des druides irlandais, de telles îles appartenaient beaucoup plus au monde céleste qu’au monde purement terrestre. Ces îles lointaines et mystérieuses étaient des portes ou des points de contact avec l’autre monde. Ce qui est certain en effet c’est que quand ils ont débarqué sur la terre ferme, ce fut après des siècles d’évolution à notre insu dans des mondes inconnus de nature hyperboréenne.
Ces dieu-ou-démons lointains et insulaires venus d’un autre monde auraient été un temps arrêtés par l’immense armée des divinités souterraines ou chtoniennes, mais auraient quand même réussi à débarquer ; avant de devoir, plusieurs siècles plus tard, abandonner la surface de la Terre aux êtres humains que nous sommes (bataille de Tailtiu et bataille de Druim Lighean dans la mythologie gaélique).
Suite à ces deux défaites, ils se seraient réfugiés sous terre, sous les tertres et les tumuli [dans les îles à l’ouest du monde ou ailleurs dans les cieux, rapportent d’autres traditions…] et seraient dès lors devenus invisibles à nos yeux. Dit autrement : ils se trouvent désormais dans des dimensions parallèles, mais restent néanmoins reliés au monde des simples mortels comme votre serviteur, par les rituels de leurs fidèles, et leurs lieux sacrés (les Lugdunums par exemple, ou les sides en Irlande) ; qui sont autant de portes de communication entre leur monde et le nôtre, ainsi que le montre bien l’expression même de « deuogdonion ».
Les sides (vieux celtique « Sedos ») sont des portes d’entrée ou de sortie de l’autre-monde. Chaque dieu-ou-démon possède une ou plusieurs de ces portes et y habite (demeure derrière). Mais il n’y a pas qu’en Irlande qu’il y a des sides, il y en a dans le monde entier. En Allemagne et Tchéquie en Grande-Bretagne, etc. et même Delphes en un sens, qui est un side appartenant à Belenos/Abellio appelé Apollon par les Grecs. Et même Lourdes pour les catholiques. Lourdes est le side d’une déesse ou d’une superhéroïne appelée la Vierge Marie.
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Et tous ces sides communiquent entre eux. Enfin, malgré la mention d’un roi des sides différent suivant les époques ou les textes il serait plus juste à cet égard de considérer qu’il s’agit d’une sorte de république, les Sids Unis, dirigée par un président élu et doté de pouvoirs forts.
Sur le Continent ces dieux ont d’ailleurs Taran/Toran/Tuireann comme roi ou vergobret (président) doté d’un pouvoir exécutif fort : il fait appliquer la Loi des mondes, ou les décrets du Destin.
Ce faisant, les dieu-ou-démons de l’ancien druidisme sont pourtant restés si près des hommes, qu’ils en ont aussi certaines faiblesses. Ces dieu-ou-démons supérieurs du druidisme n’en sont pas moins des personnifications de concepts, infinis et immortels. Ogmios représente par exemple le pouvoir de l’éloquence (cf. les travaux de Gustave Le Bon sur la psychologie des foules), noïba Brigitte la sagesse, et ainsi de suite. Gardiens de la propriété, des contrats, de la justice, protecteurs de l’agriculture, dispensateurs de tous les biens terrestres, présidant aux actions des hommes ; ces dieu-ou-démons sont des dieu-ou-démons utiles, à qui, pendant des siècles, des fidèles intéressés n’oseront adresser que de justes prières. Ces divinités, somme toute modestes ne pouvaient montrer les redoutables exigences que l’on trouve dans les théogonies d’Orient. Elles ont rarement demandé du sang humain sur leurs autels (moins que Moloch en tout cas) ; mais acceptaient les sacrifices volontaires, le rachat du peuple par le dévouement (latin devotio) d’une victime, ou les exécutions de criminels (retardées).
Les populations celtes ont imaginé des démons qui ne pouvaient jamais être totalement mauvais, car leur vie simple et laborieuse les forçait à rechercher tout particulièrement des dieu-ou-démons qui protègent la propriété ou les conventions. La tablette de Botorrita 1 en est la preuve. Un des traits qui distinguent ces cultes de la grande Celtie libre et indépendante du temps d’Ambicatus (Letavia), est donc la supériorité morale de leurs démons, qui étaient virotoutis, iovantucarus, anextiomaros, dunatis, toutatis, mopatis, etc.
Le culte de ces divinités panceltiques était souvent le seul lien qui unissait les tribus. C’étaient de véritables amphictyonies que les druides présidaient. Quelques dieu-ou-démons avaient en effet de plus nombreux adorateurs que d’autres, par exemple Lug, le dieu-ou-démon des arts, et des voyageurs si l’on en croit César, ou noïba Brigitte, qui était bien plus que l’humble Minerve romaine, ainsi que quelques autres.
En religion comme en politique, les druides se distinguaient du reste des peuples, auxquels, ils prirent ou donnèrent des dieu-ou-démons. Leurs doctrines religieuses admettaient l’existence d’un être supérieur, l’esprit du monde, généré par l’interpénétration réciproque de l’âme cosmique la plus pure et de la matière universelle (l’eau selon eux), qui avait pour assistants ou causes secondes les dieu-ou-démons, personnifications des forces de la nature présente, et destinés à périr avec elle ; car la croyance en une destruction et un renouvellement périodique du monde se retrouvait aussi dans leur métaphysique : « Un jour régneront seuls le feu et l’eau » (Strabon IV, 4).
Ces entités surhumaines ou angéliques peuvent donc prendre part à la vie des hommes, mais ne peuvent l’influencer que localement et temporairement. Plus haut, beaucoup plus en amont, en effet, demeure une force mystérieuse (le Tocad) à laquelle même ces dieu-ou-démons sont soumis ; et qui servait aux anciens druides à expliquer l’insondable mystère de la vie. Ce que les Vikings appelaient gaefa (gaefa et pas gaesa).
Le rôle de Taran/Toran/Tuireann est incompréhensible en Irlande (tout ce que l’on devine c’est qu’il existe une rivalité ancestrale entre sa famille et celle de Lug), mais sur le Continent
Taran/Toran/Tuireann représente la partie esprit ou menman du gdonios celte (de l’être humain). Il se situe donc à la jonction ou à la rencontre entre l’âme (pure) et la matière inanimée. L’âme pure et la matière étant généralement, mais bien que paradoxalement, associées au genre féminin, l’esprit ne pouvait donc qu’être masculin pour les druides. Féminin + féminin quand cela s’interpénètre cela donne du masculin chez les Celtes. L’entité divine Taran/Toran/Tuireann était donc considérée comme mâle ou masculine dans le panth-éon druidique.
En dessous des dieux, bien plus bas, cachés dans les profondeurs insondables de la terre, il existait aussi des déités mystérieuses dont on ne connaissait pas vraiment les noms, et symbolisées par des vouivres anguipèdes gigantesques, que l’on appelait andernas sur le Continent, fomore en Irlande. Elles jouaient un grand rôle, et, avec le Destin, servaient aussi aux druides à rendre compte de l’inexplicable.
Que ce soit à titre individuel ou collectif, la religion était un contrat conclu avec les dieu-ou-démons bien plus qu’une prière ou un acte de reconnaissance. Le fameux « dadami se dehi me » sanscrit, formule grossièrement traduite par les Latins avec leur « do ut des ».
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« Brennus victorieux ne rencontrant aucune résistance ravagea les campagnes à travers toute la Macédoine. Peu de temps après, comme si les dépouilles des mortels n’étaient point assez pour lui, alors il tourna ses pensées vers les temples des dieux immortels, et plaisanta de façon blasphématoire en disant que « les dieux, étant riches, doivent être généreux envers les hommes ». Ensuite et soudainement il dirigea sa marche sur Delphes, considérant plus les richesses que la religion, se préoccupant davantage de l’or que de la colère des dieux, « qui », disait-il, « n’ont pas besoin de richesses, accoutumés qu’ils sont à plutôt les prodiguer aux mortels » (Trogue Pompée, Histoires philippiques, XXIV, 4,6, d’après Justin, Epitoma historiarum philippicarum).
Entre les dieu-ou-démons et l’homme, il y a néanmoins un rapport d’intérêt. Les dieu-ou-démons veulent être honorés ; comme un patron fier du grand nombre de ses obligés ou de ses vassaux, ils tiennent à ce que la foule entoure leurs autels. Ils demandent des victimes et des libations, des chants, et des danses sacrées, des couronnes de fleurs et de feuillage autour de leurs sanctuaires et de leurs autels, avec une nombreuse assistance ; afin que leur dignité en soit rehaussée dans le monde des dieu-ou-démons, ou leur crédit parmi les hommes. En échange, ils promettent leur protection et, comme on les craint aussi quand même, on cherche à les apaiser ; comme on croit qu’ils peuvent donner la santé, la fortune, la victoire, on accomplit tous les actes qui peuvent les contraindre à concéder ces biens. Le Celte a néanmoins confiance en ses dieu-ou-démons, qui sont protecteurs (virotoutis) qui aiment la jeunesse (iovantucarus), qui sont secourables (anextiomarus)… et qui savent écouter (rocloisia, rocloisiabus).
Dans un rituel le dieu-ou-démon doit être clairement identifié par son nom, généralement précisé par une épithète fonctionnelle. On reprochera sans doute à cet ouvrage d’utiliser fréquemment des noms multiples (triples) pour désigner une même entité divine, mais c’est qu’en fait, il s’agit souvent de s’adresser à une divinité dont on ignore le nom exact. Il y a eu également très tôt tendance à entasser ou accumuler les noms pour accroître les pouvoirs. Ce que faisaient d’ailleurs aussi les Romains en remplaçant le nom absent par des circonlocutions, comme « si deus, si dea es, sive mas, sive femina », ou d’autres du même genre. Ils ajoutaient même au nom connu, par surcroît de précaution : « sive quo alio nomine fas est nominare », ou « sine quo alio nomine te appellari volueris ».
* Ce qui est certain en effet c’est que le positionnement de Taran/Toran/Tuireann et de ses enfants par rapport à la famille de Lug dans le panth-éon irlandais…… a de quoi susciter beaucoup de questions.
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LE DODÉCAÈDRE SACRÉ SELON JULES CÉSAR ET FLORUS
(5 + 1 + 1).
Voici ce que le « Divin Jules » a écrit à ce sujet (il s’agit des dieu-ou-démons ou déesse-ou-démones, ou fées, multifonctionnels, dont César avait le plus souvent, lors de ses campagnes, entre deux massacres, entendu parler, vu leur caractère non étroitement spécialisé).
« Le dieu qu’ils honorent le plus est Mercure. Il a un grand nombre de simulacra (simulacres) ; ils le considèrent comme l’inventeur de tous les arts, comme le guide des voyageurs, et comme présidant à toutes sortes de gains ou de commerce. Après lui ces hommes adorent Apollon, Mars, Jupiter et Minerve. Ils ont de ces divinités à peu près la même idée que les autres nations. Apollon guérit les maladies, Minerve enseigne les éléments de l’industrie et des arts ; Jupiter tient l’empire du ciel, Mars celui de la guerre […] Ils se vantent d’être issus de Dis Pater, tradition qu’ils disent tenir des druides » (B. G. Livre VI).
La plupart des commentateurs se focalisent sur ce texte de César traitant brièvement, bien trop brièvement, des dieu-ou-démons celtes, et en concluent qu’il n’y en a que 5 : 4 dieu-ou-démons et une déesse-ou-démone, ou fée. C’est oublier que César mentionne également un dieu-ou-démon qu’il assimile au Dis pater romain comme nous l’avons vu ; et que l’existence d’un dieu-ou-démon de la forge est attestée par un texte de Florus (Épitome, Livre I, 20, 4) : « Sous Viridomar, ils avaient promis à Vulcain les armes romaines ».
Il nous a donc semblé bien plus judicieux de considérer que, comme chez les Grecs d’ailleurs en fait, il y avait douze dieu-ou-démons principaux, d’où le symbole du dodécaèdre.
À noter. Ainsi que nous l’avons dit, les grands dieu-ou-démons celtiques sont tous plus ou moins multifonctionnels. Un même dieu-ou-démon peut avoir plusieurs fonctions, et il est plutôt rare d’ailleurs, à ce niveau du panth-éon ou plérôme druidique, qu’un dieu-ou-démon ou une déesse-ou-démone, ou une fée, ne soit cantonné qu’à une seule fonction ; comme la majorité des dieu-ou-démons inférieurs ou andedioi (Ucuetis patron des bronziers par exemple).
Certains exercent des fonctions assez logiquement liées. Mabon/Maponos/Oengus est à la fois un dieu-ou-démon de la chasse, de la guerre, des jeunes gens… et de l’amour.
Guerre et chasse étaient très liées à cette époque, et il est évident que ce sont là des activités qui ne peuvent guère être pratiquées par des personnes âgées. Il n’y a pas de champion sportif ou de soldat d’élite âgé de soixante-dix ans.
Ogmios est le dieu-ou-démon de l’éloquence, mais aussi le dieu-ou-démon de l’écriture (en Irlande notamment) ce qui est assez logique.
Quant à la primauté de Lug dans dodécaèdre sacré selon César, elle est sans doute due au fait que César a surtout eu affaire à des mercantis romains lors de ses pérégrinations dans le pays.
On est par contre un peu plus étonné de voir Lug, dieu-ou-démon de la foudre et de la guerre, également saint patron des cordonniers, mais si cela peut sembler curieux, c’est attesté. Pour une bonne et simple raison. C’est qu’en réalité, ainsi que nous l’avons déjà dit et répété aussi, tout grand dieu-ou-démon druidique est plus ou moins l’hypostase d’une sorte de sainte poly-unité ; un peu à la façon du Père du Fils et du Saint-Esprit de la Trinité chrétienne.
Bref, font donc aussi partie des fils ou enfants de la Déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia) en Irlande, les 12 dieux-ou-démons suivants qui, réunis, forment le dodécaèdre druidique.
Rappelons néanmoins encore une fois qu’une grande partie de nos analyses provient de ce que l’on appelle l’interpretatio celtica ou plus exactement druidica en l’occurrence. Après la conquête romaine, parallèlement à l’interprétation romaine des divinités celtiques par les vainqueurs, il s’est produit aussi à l’inverse, dans l’esprit indigène, une interprétation druidique (l’interpretatio celtica) des dieu-ou-démons gréco-romains. Le rapprochement possible entre les deux religions s’est donc fait dans les deux sens, mais de façon approximative, avec des différences selon les lieux ou les époques. La langue latine et l’art gréco-romain apportaient aux indigènes des noms et des images de divinités, ils les ont utilisés, au gré de leurs préférences, au hasard des ressemblances… et tel grand dieu-ou-démon romain a été assimilé ici à tel dieu-ou-démon druidique, ailleurs à tel autre. Mais ne nous y trompons pas, lorsqu’un Britto-Romain ou un Gallo-Romain fait référence au dieu-ou-démon Mercure, il ne s’agit pas du Mercure romain, mais d’une divinité celtique assimilée nominalement à Mercure. Sur les quelque 500 divinités connues, les 3/4 n’apparaissent qu’une seule fois. Dans ces conditions de diversité, il est donc très difficile de s’y retrouver : il est rare que deux divinités celtiques et romaines se superposent totalement. Tout s’est passé comme si les Celtes avaient gardé leurs
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propres dieu-ou-démons, mais en leur donnant des noms de dieu-ou-démons romains. On constate en effet que certains dieu-ou-démons portent un nom romain, mais sont représentés dans le costume indigène, que d’autres portent à la fois le nom celte et romain accolés ou le nom romain auquel on ajoute une épithète celte, que d’autres encore ont leur parèdre (équivalent féminin) dans l’autre panth-éon (un dieu-ou-démon celte est par exemple associé à une déesse-ou-démone ou fée romaine et vice-versa). L’art traduit cette ambivalence, soit les œuvres qui représentent les dieu-ou-démons sont totalement classiques (gréco-romaines), soit elles demeurent de facture indigène, ou alors elles sont composites.
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LE DODÉCAÈDRE SACRÉ SELON LES DRUIDES (EMPYRÉE CHEZ LES GRECS).
Le polythéisme druidique n’est pas un polythéisme hiérarchisé à la grecque mais un polythéisme des valeurs. Jungien dirait-on aujourd’hui. Car personne n’est enchaîné à un seul archétype. On peut être un guerrier en travail et un poète en amour. On peut être une reine au théâtre et se révéler un vrai magicien en cuisine.
Même si chacun de nous porte en lui tous les archétypes de Jung, il en est quelques auxquels on revient plus souvent, ce sont nos archétypes de prédilection.
Les archétypes ne sont pas des « cases » mais des « zones ». Tout homme est un point qui se situe quelque part dans la zone, peut-être plus proche d’un archétype voisin que parfaitement au centre. Il peut même être exactement entre deux archétypes.
En outre nous ne sommes jamais une seule catégorie à la fois, mais un peu toutes selon les moments.
A l’opposé des guerrier(e)s se trouvent les poètes. Ils sont dans la réflexion plutôt que l’action, comme les rois/reines sont davantage tournés vers tout ce qui est artistique, poétique, humain. Si les rois/reines excellent en Q.I, les poètes ont un Q.E (quotient émotionnel) bien supérieur. Leur faculté à comprendre l’autre en fait les meilleurs confidents qui puissent exister.
Le poète est celui/celle qui va voir en clin d’œil qui va bien, qui ne va pas bien, ce qui motive chaque personne au plus profond de son être. Comme son symbole le représente, le poète a un talent artistique. La musique, l’écriture, la peinture, le dessin, la photographie, etc.
Le poète comprend l’art, et ne juge jamais les autres. Il/elle est ouvert(e), ce qui renforce davantage son côté confident(e) et chaleureux(se). Ils sont également volontiers spontanés, ce qui accentue leur créativité et leur adaptabilité aux évènements.
Si le/la guerrier(e) est un(e) meneur/meneuse, le poète est plutôt suiveur/suiveuse. Celui/celle qui inspire et à qui on ne laisserait personne faire du mal.
A force de passer du temps dans l’émotion et dans la réflexion, le/la poète peut développer la même lâcheté que les rois/reines. Ils ont beaucoup de mal à se mettre en colère, à dire NON et peuvent devenir de vraies éponges de tristesse.
N’ayant pas peur par contre d’aller au bout de leurs émotions, les poètes peuvent en devenir masochistes et se bloquer dans des schémas de souffrance psychique intenses.
COURRIER DES LECTEURS.
Il y a des inductions comportementales par répétition des mêmes schémas : l’enfant fait comme sa mère, qu’il en ait conscience ou pas, l’employé fait comme son chef ou le chef comme son employé, etc.
Qu’est-ce qu’un archétype si ce n’est un déterminant sociologique voire physique (on voit tous avec des yeux…) des individus ?
Quand il voit le Soleil se lever, un aztèque pense à ne pas oublier de sacrifier quelques prisonniers pour que ça continue, un physicien pense à la gravitation, etc. et dans ces communautés il y aura des convergences de pensée et d’action du simple fait que les gens appartiennent au même milieu.
De temps en temps, il y a des coïncidences, d’autant plus fréquemment que la similitude psychologique est grande.
Y'a-t-il besoin d’aller chercher des expressions aussi compliquées que « archétypes ombres inconscient collectif » pour dire qu’il y a un conditionnement des phénomènes non seulement selon des chaines causales simples mais aussi selon un environnement causal difficile à analyser, parfois inanalysable ?
RETOUR AU POLYTHÉISME DRUIDIQUE.
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« Medros/Midir prit ses armes dans la main gauche et la femme il la prit sous son bras droit puis il s’envola ensuite avec elle par la lucarne du toit ».
Il est de bon ton aujourd’hui, après deux mille ans de judéo-christianisme conquérant, de se moquer de toutes ces idées que les druides avaient sur le monde visible ou invisible.
Disons pour simplifier que les dieux ou démons druidiques ont un peu les mêmes pouvoirs que les anges déchus ou pas déchus d’ailleurs du judéo-islamo-christianisme mais qu’au lieu d’obéir à Dieu ils sont subordonnés au destin appelé Tocad (ou Tocade si on veut féminiser le terme).
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le voir, pour le dictionnaire électronique de la langue irlandaise, les pouvoirs des dieux (cumachta) sont simplement des pouvoirs préternaturels, c’est-à-dire les pouvoirs qu’avait l’Homme avant sa chute et son expulsion du paradis terrestre. Ce qui bien entendu ne saurait être, puisque l’homme n’a pas été créé par Dieu contrairement à ce que nous répètent les monolâtries que sont le judaïsme le christianisme et l’islam.
Mais à propos de ces pouvoirs, nous en trouvons donc ici deux autres : le pouvoir de voler dans les airs et le pouvoir de se métamorphoser en oiseau. Ajoutons-y certainement pour Medros/Midir une force peu commune et pour Etanna un don pour servir les boissons (ce don qui nous fait plutôt penser à une héroïne de la série télévisée hero corp… est sans doute une ancienne métaphore dont le sens a été perdu).
Aucune étude détaillée de ce que recouvre le terme gaélique cumachta n’ayant été tentée jusqu’à ce jour ; essayons quand même d’en dire deux mots.
Dans les religions « polythéistes », les dieux ou démons ont entre eux des traits communs qui les rendent à la fois très proches, mais aussi très au-dessus des hommes.
Le corps des dieux a des qualités nettement supérieures à celui des hommes : éclat, jeunesse, lignes parfaites et ainsi de suite. Bref il est bellissamos pour les hommes et bellissama pour les femmes. Ce que les Iraniens antiques appelaient xvarnah, les anciens Irlandais En laith ou Luan laith et les chrétiens « gloire ».
Les pouvoirs attribués aux dieux, qui ne sont pas plus omniscients ni omnipotents que les anges, sont simplement surhumains (vitesse, force, invisibilité, capacité de voler), comme le sont leur taille et leur éclat quand ils apparaissent physiquement.
Ils n’ont créé ni l’univers (qu’ils ont seulement contribué à organiser ou faire sortir du chaos) ni les hommes avons-nous dit, mais comme ces derniers, ils naissent, ils ont une naissance, un commencement, du moins d’après les mythes *. Ils ont un nom propre, des attributs propres, une apparence physique et des attitudes caractéristiques, une histoire personnelle avec un état civil et des aventures. Ils ont reçu en outre une multitude d’épithètes cultuelles qu’on appelle épiclèses en grec, variant selon le lieu du culte et l’aspect particulier du dieu qui est invoqué.
Ces épiclèses renseignent donc sur les fonctions très diverses que peut assumer une divinité (iovantucarus = qui aime la jeunesse par exemple, virotutis = qui protège les hommes, anextlomarus = protecteur, dunatis = gardien de la forteresse, etc.).
Mais cette multiplicité d’aspects n’exclut pas un principe d’unité ; chaque dieu a en effet, son mode d’action spécifique, son type de pouvoir, ses domaines réservés, dans les grandes sphères d’activité où les hommes sollicitent leur aide ; si différents dieux interviennent dans un même domaine d’activité, leurs actions alors ne se confondent pas, mais se complètent.
À côté de ces traits communs, les dieux ont chacun des traits distinctifs et individualisés qui permettent leur reconnaissance.
Cette variété se retrouve dans la façon dont les anciens druides ont représenté leurs dieux. Ils ont connu toutes les formes de figuration : pierre brute, pilier de pierre ou totem de bois, masque, figure animale, représentation humaine, et ce, dans des matériaux fort divers, bois, pierre, terre cuite, bronze… Ces formes ne marquent pas une évolution chronologique, mais ont coexisté et sont traitées avec les mêmes égards.
Mentionnons au passage la grande statue cultuelle représentant Lug (Mercure dans l’interprétation romaine) dont la ressemblance avec l’homme était corrigée par sa dimension bien supérieure à la
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taille humaine. Elle fut érigée par un sculpteur grec nommé Zénodore qui vivait du temps de Néron (dix ans de travail, prix 4 millions de sesterces).
* Par contre ils ne meurent pas (sauf dans les documents influencés par le christianisme), si ce n’est pour ressusciter aussitôt. Leur véritable disparition ne se fera que lors de l’aredengto générale de l’univers (sa fin et sa régénération au bout d’un cycle cosmique d’une immense durée… dont l’estimation faite à l’époque par les druides semblait ridicule aux yeux des Grecs des Romains et des Juifs.
Dans le livre de Lismore (fo.151, b 2) on trouve en effet le passage suivant.
« Trois ans pour le champ (assolement triennal ?).
Trois durées de vie du champ pour le chien.
Trois vies de chien pour le cheval.
Trois vies de cheval pour l’être humain.
Trois vies d’être humain pour le cerf.
Trois vies de cerf pour le merle.
Trois vies de merle pour l’aigle.
Trois vies d’aigle pour le saumon.
Trois vies de saumon pour l’if.
Trois vies d’if pour le monde du début à la fin ».
Que notre auteure préférée [Éléonore Hull, « Le faucon d’Achill ou la légende des plus vieux animaux du monde », Folklore, Tome. 43, No.4 (1932 pp. 376–409] commente ainsi.
« Nous arrivons ainsi à 59 050 ans, soit deux multiples de trois en plus que le calcul de Westminster, qui nous donne 6561 ans ; c’est-à-dire la durée de vie d’un saumon dans la liste irlandaise ».
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Les pouvoirs préternaturels des anges et des hommes… Il est de bon ton aujourd’hui, après deux mille ans de judéo-christianisme conquérant, de se moquer de toutes ces idées que les druides avaient sur le monde visible ou invisible avons-nous dit.
Mais les pouvoirs des superhéros de nos très modernes bandes-dessinées sont la preuve que de tels rêves de surhumanité ont toujours un grand pouvoir de séduction sur les esprits… même à notre époque ; et ils constituent un excellent point de comparaison.
Dans les œuvres de science-fiction, un super-pouvoir est une capacité surhumaine extraordinaire.
Les super-pouvoirs peuvent être physiques ou mentaux. Ils peuvent avoir été obtenus par les héros de façon innée ou avoir été acquis de façon fortuite voire au terme d’une longue quête. On trouve des héros possédant un unique pouvoir, d’autres en possédant une multitude.
Les types de pouvoirs les plus récurrents sont : la maîtrise des éléments, des champs magnétiques, la télépathie, la télékinésie, la pyrokinésie, la cryokinésie… et quelques autres du même genre.
La diversité des pouvoirs est donc grande et dépend également des genres ainsi que des civilisations auxquelles appartiennent les héros qui en jouissent. Cela peut être, par exemple, une chance phénoménale, une force surhumaine, une grande vitesse, un don de téléportation, un don de télépathie, la capacité de voir la nuit, de maîtriser divers éléments (l’eau, la terre, le feu, le vent, la foudre…), de voler, de devenir un fantôme. On peut également citer une immense intelligence, un instinct « animal », le pouvoir de se multiplier, celui de pouvoir renvoyer les coups, de voyager dans le temps, le pouvoir de se régénérer ou encore de prendre une autre forme.
Certains pouvoirs obtenus par les super-héros peuvent parfois être apparemment dérisoires : le fait de dégager une odeur répugnante, d’être doté d’une toute petite taille ou encore de pouvoir avaler n’importe quoi.
La force physique démesurée par rapport à un être humain ordinaire est un super-pouvoir fréquemment rencontré.
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Il n’est pas rare de voir, dans des bandes dessinées, des héros porter des charges importantes (voitures, menhirs, etc.) ou casser des objets particulièrement résistants (portes blindées, coffres-forts, murs, etc.). Cette capacité est souvent accompagnée d’une grande résistance aux attaques corporelles à mains nues, voire aux armes à feu. À noter que certains héros ont une résistance surhumaine sans que cela s’étende à leurs vêtements, ce qui conduit parfois Colossus à finir un combat vainqueur et indemne, mais quasiment nu.
Certains personnages de fiction peuvent se déplacer très rapidement. Flash est capable de se déplacer à une vitesse hors du commun ; Steve Austin, l’homme qui valait six millions de dollars, possède également cette faculté grâce à des prothèses électroniques.
Il existe des héros capables de traverser des objets ; Cyclope et Superman peuvent quant à eux lancer un rayon d’énergie au travers de leurs yeux.
Le don de téléportation y compris à travers des parois est parfois conféré à certains héros. Un personnage qui possède ce don peut généralement se téléporter lui-même d’un lieu à un autre, mais ce n’est pas la seule forme de ce pouvoir que l’on rencontre. La téléportation en question peut s’appliquer à quelqu’un d’autre.
Une capacité souvent associée aux « méchants » est le pouvoir de se régénérer rapidement.
Un autre don récurrent est celui de la métamorphose, à savoir celui de changer d’aspect, que ce soit pour prendre une ou plusieurs apparences différentes.
Les Animorphs peuvent acquérir l’ADN d’un être vivant par contact physique, ce qui leur permet ensuite de prendre la forme de cet être vivant pour une durée de deux heures. Stanley Ipkiss/Le Masque peut changer à volonté de vêtements et de silhouette, tout en gardant son visage vert.
Il existe des pouvoirs plus compliqués : Magnéto peut manipuler les champs électromagnétiques (ce qui lui permet aussi bien de dévier les balles que de menacer de supprimer la magnétosphère). Sebastian Shaw, toujours dans les X-Men, absorbe l’énergie des coups qu’on lui porte pour devenir plus fort. Doomsday, s’il est tué, ressuscite en étant impossible à tuer de la même manière. Will Stanton, le héros des Portes du Temps, peut se déplacer dans le temps. William Dunbar (Code Lyoko) peut se changer temporairement en nuage de fumée noire volante et très rapide.
Les pouvoirs mentaux, eux, sont en général attribués à des personnages ne disposant pas d’un physique extraordinaire.
Wonder Woman possède divers objets magiques, dont un lasso d’or obligeant tous ceux qu’il emprisonne à dire la vérité et des bracelets indestructibles, tout comme le bouclier de Capitaine America.
Stanley Ipkiss/Le Masque tire tous ses pouvoirs d’un masque magique d’origine viking qui, lorsqu’il l’enfile, le transforme en personnage vert et burlesque ayant des pouvoirs presque sans limites, alors qu’il n’est qu’un humain ordinaire en temps normal.
Faiblesses et limitations.
Pour équilibrer les personnages, les héros possèdent souvent un point faible. La kryptonite et l’exposition prolongée à la lumière rouge rendent Superman vulnérable ; Cyclope ne peut se passer de ses lunettes spéciales en quartz rubis ; Benoît Brisefer perd ses pouvoirs lorsqu’il est enrhumé ; le Martian Manhunter et Miss Martian sont pyrophobes, et perdent leur pouvoir s’ils sont exposés au feu ; Iron Man est obligé de porter en permanence un électro-aimant pour survivre à cause d’éclats d’obus coincés dans sa poitrine.
De manière plus générale, les faiblesses d’un super-héros peuvent résider dans son caractère, sa personnalité. Une faiblesse de Wolverine est de vouloir agir seul, de refuser l’aide extérieure. Tornade est quant à elle claustrophobe.
Durée et accessibilité des pouvoirs
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Les super capacités de nos héros ne sont pas forcément toujours les mêmes. Elles peuvent évoluer dans le temps, et parfois suivant d’autres facteurs.
Ainsi, Bruce Banner se transforme en Hulk, une bête d’une grande force physique, sous l’effet de la colère ou de l’angoisse. L’angoisse accroit d’ailleurs ses capacités.
* AVERTISSEMENT AU LECTEUR : NOUS NE PARLONS PAS ICI DES MÉTAMORPHOSES D’UN ÊTRE HUMAIN, PAR EXEMPLE EN LOUP-GAROU, MAIS BIEN DES FORMES QUE PEUVENT REVÊTIR AUX YEUX DES HOMMES DES ENTITÉS VENUES D’UN AUTRE MONDE QUE LE LEUR AFIN DE COMMUNIQUER AVEC EUX.
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LES DOUZE ALVÉOLES DE LA RUCHE DIVINE.
Venons-en maintenant à l’étude proprement dite des 12 tétrarques divins.
On peut donc, comme dans le cas des Aditya hindous, distinguer diverses forces cosmiques ou humaines qui fondent l’existence du monde et l’harmonisent.
Il y a les forces à l’œuvre sur le plan humain, personnifications des principes moraux et intellectuels régissant l’humanité.
Il y a les forces à l’œuvre sur le plan cosmique.
Douze de ces dieux du plérôme druidique, constituant sa partie supérieure, ont des fonctions sur le plan humain. En liaison avec les douze mois du calendrier solaire, ils structurent le Temps et son déroulement.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir les légendes irlandaises en font les enfants de la déesse ou démone druidique appelée Danu (bia) la divinité des eaux ou du fleuve des origines, de l’énergie pure et libre ; mais cette donnée semble très contestable.
« On n’atteint pas l’illumination en imaginant des figures de lumière, mais en portant à la conscience l’obscurité intérieure » (Carl Jung. Études alchimiques, paragraphe 335).
« Qui regarde l’extérieur rêve. Qui regarde en lui-même s’éveille ». (Carl Jung, Lettres tome 1, page 33.)
Il n’est d’ailleurs pas le premier à évoquer la possibilité d’existence d'« images primordiales » conditionnant l’imaginaire et la représentation ; avant lui en effet de nombreux philosophes en ont postulé l’influence sur la nature humaine.
Les archétypes apparaissent dans les mythes, mais aussi dans les rêves ; ils y forment des catégories symboliques structurant les cultures et mentalités et orientant le sujet vers son évolution intérieure, nommée individuation dans la psychologie de Jung.
Jung identifie 12 tendances innées à générer des images avec une intense charge émotionnelle qui expriment la suprématie relationnelle de la vie humaine. Il s’agit de sortes d’empreintes digitales de l’humanité restant immergée dans l’inconscient de tout un chacun. Et elles finissent par définir les traits particuliers de chacun d’entre nous.
Des douze archétypes ainsi définis par lui seul celui du sage peut à la rigueur se retrouver dans le monde celtique.
Le sage représente le libre penseur qui fait de l’intellect et des connaissances sa principale raison d’être et son fondement. L’intelligence et la capacité d’analyse sont pour lui la meilleure façon de se comprendre soi-même et de comprendre le monde. Il correspond à celui qui a toujours une donnée, une citation ou un argument logique en tête.
Peut-être faudrait-il élargir la définition tout en restant dans le cadre de la pensée jungienne.
L’archétype est un processus psychique fondateur des cultures humaines exprimant les modèles élémentaires de comportements et de représentations issus de l’expérience humaine en lien avec un autre concept jungien, celui d’inconscient collectif. Ce faisant, ils sont des « potentiels d’énergie psychique » constitutifs de toute activité humaine et orientant la libido.
NB. Il est facile de parler tranquillement des archétypes, mais se trouver réellement confronté à eux est une tout autre affaire. La différence est la même qu’entre le fait de parler d’un lion et celui de devoir l’affronter. Affronter un lion constitue une expérience intense et effrayante, qui peut marquer durablement la personnalité ».
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Jung a évidemment raison, mais il faut bien reconnaître que le panthéon celtique se coule difficilement dans le moule de ses douze archétypes primordiaux.
Nous avons d’ailleurs un peu le même phénomène avec la tripartition dumézilienne.
Le modèle classique de la trifonctionnalité indo-européenne est le panth-éon védique. Cette structure se retrouve dans d’autres peuples indo-européens, plus ou moins bien conservée : les Iraniens, les Germains, les Grecs. Les besoins de la métrique aidant, notamment dans l’hérésie irlandaise (ah ces bardes !) on a doté la divinité que l’on célébrait, à un moment déterminé, de la totalité ou d’une partie seulement des fonctions afférentes aux autres dieu-ou-démons.
En sorte que la mythologie druidique est devenue rapidement une chose assez complexe (en Irlande notamment, encore une fois : ah ces bardes !)
Chez les Celtes, il n’y a jamais eu de hiérarchie fixe, comme dans la mythologie romaine. Un dieu-ou-démon peut d’ailleurs être plus âgé que son grand-père, et même peut naître avant sa mère.
Ensuite, il n’y a pas de tâches spécifiques attribuées à chaque divinité. Toutes sont hors catégories, hors normes, même s’il existe certaines parentés. Donc pas de dieu-ou-démon unique de la guerre ou de l’amour, mais des dieu-ou-démons de la guerre (dii casses) des dieu-ou-démons de l’amour (Mabon/Maponos/Oengus, Brangaine, Wanda/Fand…), etc.
Les principaux dieu-ou-démons celtiques sont multifonctionnels, un même dieu-ou-démon peut avoir plusieurs fonctions ; et il est assez rare dans le panth-éon ou plérôme druidique effectivement, qu’un dieu-ou-démon ou une déesse-ou démone, de rang supérieur, soit cantonné à une seule fonction, comme Ucuetis patron des forgerons continentaux par exemple.
Certains d’entre eux exercent des fonctions assez logiquement liées. Exemple Mabon/Maponos/Oengus, qui est à la fois un dieu-ou-démon de la chasse, de la guerre, des jeunes gens… et de l’amour.
Guerre et chasse étaient très liées en ce temps-là et il est donc évident que ce sont des activités qui ne peuvent plus guère être pratiquées par des personnes âgées. Il n’y a pas de champion sportif ni de soldat d’élite âgé de soixante-dix ans.
Ogmios est le dieu-ou-démon de l’éloquence, mais aussi le dieu-ou-démon de l’écriture (en Irlande notamment) ce qui est assez logique.
On est par contre un peu plus étonné de voir Lug, dieu-ou-démon de la foudre et de la guerre, également saint patron des cordonniers, mais cela est attesté. Nombre de dieu-ou-démons du panth-éon ou plérôme druidique (exemple Taran/Toran/Tuireann, Ogmios, Lug) ont donc en réalité de multiples fonctions débordant du cadre fixé un peu abusivement par le grand mythographe français.
La psychologie analytique appliquée aux peuples celtes nous donne aussi des archétypes moins tranchés.
L’inconscient collectif des Celtes ne pouvait peut-être pas donner un dodécaèdre analogue à celui dégagé par Jung.
Rappelons néanmoins que dans la plupart de ses ouvrages Carl Gustav Jung affirme que les hommes et les femmes ne deviennent des « individus » à part entière, des êtres accomplis, qu’au terme d’un long travail d’introspection, qu’il appelle « processus d’individuation », au cours duquel leurs préoccupations évoluent du stade purement instinctif à un certain niveau de spiritualité.
Ce travail est semé d’épreuves, dans la mesure où il repose sur une différenciation entre les réalités de l’existence et les contenus (ou “complexes” ou encore “archétypes”) provenant de l’inconscient et que l’on a tendance à projeter sur elles. Au premier rang de ces contenus figurent l’anima, « la part féminine de l’homme », et l’animus, « la part masculine de la femme ».
Les principes (personnifiés) qui gouvernent la société des hommes sont donc ceux qui suivent. Mais tous ces dieux ne sont que les reflets imparfaits des principes immortels ou électréons qui seront examinés ultérieurement.
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BELIN/BELEN /BARINTHUS/ MANANNAN ET LES DIVINITÉS DE TYPE BELIN (OS).
(Belinus, Belenos, Belennos Belen, Beli, Bel.)
Autres surnoms de Belin/Belen.
Atepomaros (le grand cavalier).
Cermillenos (?)
Mogounos (grand) [dans l’inscription APOLLINI GRANNO MOGOUNO].
Cosumis (?)
Siannos (?)
Nerios (fort).
Etc.
Son nom en gaélique est Manannan, ce qui signifie littéralement le Mannois (de l’île de Man). Il s’agissait donc à l’origine d’un dieu ou démon ayant un grand sanctuaire dans l’île de Man, et par conséquent d’une divinité appartenant au panth-éon druidique BRITONNIQUE. Il occupe d’ailleurs une place à part dans le panthéon irlandais, et n’y apparaît pas comme faisant vraiment partie de la branche principale des Tuatha dé Danann, celle de la famille de Lug. Même cas que celui de Taran/Toran/Tuireann donc.
En Irlande assez curieusement, la seule allusion à ce dieu-ou-démon SOUS SON NOM D’ORIGINE se trouve dans un texte attribué au hesus Cuchulainn : « Jusqu’à Beltine, c’est-à-dire feu bienfaisant, c’est-à-dire les deux feux que les druides faisaient avec de grandes incantations. Ils faisaient passer les troupeaux entre eux (pour les protéger) contre les épidémies chaque année.
Ou jusqu’à Bel-dine, Bel étant alors le nom d’une idole : les premiers-nés (dine) de chaque troupeau étaient attribués à Bel » (version III de la Tochmarc Emire – la Cour faite à Aemer –).
Le vocable est donc apparenté à l’irlandais Beltène, nom de la fête religieuse du 1er mai, début de la saison claire, que l’on retrouve sur le continent associé à Belenos et à Belisama (« la Très Brillante »), sa parèdre. Enfin peut-être.
Ci-dessous ce qu’Henri Lizeray, à la suite de John Toland, avait cru bon de noter à propos de Bel.
La seconde fête avait lieu le premier mai, jour encore nommé Beltène : Feux de Bel. La nuit du premier mai, on éteignait tous les feux sur chaque terre, et défense était faite par le roi, sous peine de mort, d’allumer aucun feu en Irlande, avant celui de Tara.
Les tours rondes nommées Tuir aghas, Tuir ain, c’est-à-dire tours à feu, servaient à apercevoir le nouveau feu allumé à Tara, à en communiquer la nouvelle au moyen du feu qui donnait le signal des réjouissances *.
La fécondité solaire, autrefois exprimée par des emblèmes phalliques, nous a fourni l’explication de la forme donnée aux Tours à feu. On trouve encore de semblables monuments dans les Indes et dans la Perse. Ils sont toujours annexés à des bâtiments consacrés au culte. Leur exigüité et l’absence de toute trace de lutte ne permettent pas de les considérer comme des forteresses…
Les solennités du mois de mai et du mois de novembre sont des institutions primitives. Au printemps, on offrait en sacrifices au dieu, c’est-à-dire à ses prêtres, les prémices et les premiers-nés des animaux, d’après les Dinnsenchus, cités dans la Vie tripartite de saint Patrice.
Comme les religions ne sont que des symboles, on sacrifia des victimes à Crom par analogie avec le Temps qui consomme tout, edax rerum. On reconnaissait les mêmes dispositions à Bel, le soleil du printemps, car le mot bel signifie bouche [erreur d’Henri Lizeray]. Le soleil, en effet, est la bouche béante vers laquelle se précipitent, après plus ou moins de durée, tous les êtres animés, pour être rénovés et refaits sous une forme plus pure **.
* Ou alors elles jouaient un peu le rôle de lanternes des morts.
** Sans doute une mauvaise lecture par Henri Lizeray du scholiaste de Lucain.
Belin/Belen était adoré à Stonehenge. Sous le nom d’Apollon si l’on en croit Diodore de Sicile.
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« Maintenant, pour notre part, comme nous avons fait mention des régions de l’Asie qui sont au nord, nous croyons qu’il n’est pas hors de propos de discuter de la légende des Hyperboréens. Selon ceux qui ont écrit sur les anciens mythes, Hécatée ainsi que certains autres auteurs disent que dans les régions situées au-delà des Celtes, il y a dans l’Océan une île pas plus grande que la Sicile. Cette île, continue le récit, est située au nord, elle est habitée par les Hyperboréens, qui sont appelés ainsi, car leur pays est l’endroit d’où souffle le vent du nord ; l’île est à la fois fertile et productrice de toute culture, et s’il arrive que le climat soit tempéré, elle produit deux récoltes chaque année. Mieux encore, la légende suivante est racontée à son propos : Leto est née sur cette île, et c’est pour cette raison qu’Apollon est honoré par eux plus que les autres dieu-ou-démons ; ses habitants sont considérés comme des prêtres d’Apollon, d’après l’habitude qu’ils ont de prier le dieu chaque jour, continuellement et en chanson, voire de l’honorer avec excès. Il y a aussi sur l’île à la fois une magnifique enceinte consacrée au dieu Apollon et un temple remarquable [Stonehenge ?] orné de nombreuses offrandes votives, qui est de forme sphérique. De plus, il y a une ville entière qui est consacrée au dieu, et dont la majorité des habitants sont des joueurs de cithare ; ceux-ci jouent continuellement de leur instrument dans le temple, et chantent des hymnes de louange au dieu, en glorifiant ses actions » (Diodore de Sicile : Bibliothèque historique, XLVII).
À en croire d’autres légendes, le temple d’Apollon à Délos devait son origine aux Hyperboréens tout comme l’oracle d’Apollon à Delphes.
XXXII. Ni les Scythes, ni aucun autre peuple de ces régions lointaines, ne parlent des Hyperboréens, si ce n’est peut-être les Issédons. Cependant, Hésiode en fait mention, et Homère aussi dans les Épigones, en supposant qu’il soit l’auteur de ce poème.
XXXIII. Les Déliens en parlent beaucoup plus amplement. Ils racontent que les offrandes des Hyperboréens leur venaient enveloppées dans de la paille de froment. Elles passaient chez les Scythes : transmises ensuite de peuple en peuple, elles étaient portées le plus loin possible vers l’occident, jusqu’à la mer Adriatique. De là, on les envoyait du côté du sud. Les Dodonéens étaient les premiers Grecs qui les recevaient. Elles descendaient de Dodone jusqu’au golfe Maliaque, d’où elles passaient en Eubée, puis, de ville en ville, jusqu’à Caryste. De là, sans toucher à Andros, les Carystiens les portaient à Ténos, et les Téniens à Délos. Si l’on en croit les Déliens, ces offrandes parviennent de cette manière dans leur île.
Ils ajoutent que, dans les premiers temps, les Hyperboréens firent parvenir ces offrandes par l’intermédiaire de deux vierges, dont l’une, suivant eux, s’appelait Hypéroché, et l’autre Laodicé ; que, pour assurer la sécurité de ces jeunes personnes, les Hyperboréens les firent accompagner par cinq de leurs citoyens, que l’on appelle actuellement Perphères, et que l’on tient en grand honneur à Délos. Mais les Hyperboréens ne les voyant point revenir, et considérant évidemment comme une chose regrettable de ne jamais revoir leurs députés, ils décidèrent de seulement porter sur leurs frontières leurs offrandes, enveloppées dans de la paille de froment ; ils les remettaient ensuite à leurs voisins, en les priant instamment de les accompagner jusqu’à une autre nation. Elles passent ainsi, disent les Déliens, de peuple en peuple, jusqu’à ce qu’elles parviennent enfin dans leur île. J’ai remarqué, parmi les femmes de Thrace et de Paeonie, un usage qui s’approche beaucoup de celui qu’observent les Hyperboréens relativement à leurs offrandes. Elles ne sacrifient jamais à Diane la royale sans faire usage de paille de froment.
XXXIV. Les jeunes Déliens de l’un et de l’autre sexe se coupent les cheveux en l’honneur de ces vierges hyperboréennes qui moururent à Délos. Les filles accomplissent ce devoir avant leur mariage. Elles prennent une boucle de leurs cheveux, l’entortillent autour d’un fuseau, et la déposent sur le monument de ces vierges, qui se trouve dans le lieu consacré à Diane, à gauche en entrant. On voit sur ce tombeau un olivier qui a poussé là de lui-même. Les jeunes Déliens entortillent leurs cheveux autour d’une herbe particulière, et les mettent aussi sur le tombeau des Hyperboréennes. Tels sont les honneurs que les habitants de Délos rendent à ces vierges.
XXXV. Les Déliens disent aussi que, à la même époque où ces députés vinrent à Délos ; deux autres vierges hyperboréennes, dont une s’appelait Argé, l’autre Opis, y étaient déjà venues, avant Hypéroché ou Laodicé 1). Celles-ci apportaient à Ilithye (Lucine) le tribut qu’elles étaient chargées d’offrir pour le prompt et heureux accouchement des femmes de leur pays. Mais Argé ainsi qu’Opis étaient arrivées en la compagnie des dieux mêmes (Apollon et Diane). Aussi les Déliens leur rendent-ils d’autres honneurs. Leurs femmes quêtent pour elles, et célèbrent leurs noms dans un hymne qu’Olen de Lycie a composé en leur honneur.
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Les Déliens disent encore qu’ils ont appris aux insulaires et aux Ioniens à célébrer ou à citer dans leurs hymnes Opis et Argé, voire à faire la quête pour elles. C’est cet Olen qui, à Délos, a composé le reste des hymnes anciens qui se chantent sur cette île. Les mêmes Déliens ajoutent qu’après avoir fait brûler sur l’autel les cuisses des animaux sacrifiés, on en répand la cendre sur le tombeau d’Opis et d’Argé, qu’on emploie tout entière à cet usage. Ce tombeau se trouve derrière le temple de Diane, à l’est, et près de la salle où les Céiens font leurs festins.
XXXVI. En voilà suffisamment sur les Hyperboréens. Je ne m’arrête pas en effet à ce que l’on raconte d’Abarix, qui était, dit-on, Hyperboréen, et qui, sans manger, voyagea par toute la terre, sur une flèche. Au reste, s’il y a des Hyperboréens, il doit bien y avoir aussi des Hypornotiens. En ce qui me concerne, je ne peux m’empêcher de rire quand je vois des gens, qui ont donné des descriptions de la circonférence de la Terre ; prétendre, sans raison, que la terre est ronde comme si elle eût été travaillée au tour d’un potier ; que l’Océan l’environne de toute part… (Hérodote. Histoire. Livre quatrième).
Le plus célèbre grand prêtre de ce temple dédié à l’Apollon hyperboréen aurait donc été un dénommé Abarix. Il serait venu autrefois en Grèce pour renouveler l’ancienne alliance des Hyperboréens avec les Déliens. On disait qu’il avait reçu d’Apollon une flèche avec laquelle il volait, ainsi que le don de divination ; et on lui attribuait aussi de très grandes connaissances en médecine. Platon le regarde comme un grand maître dans l’art des incantations. C’est un représentant de la sagesse des Barbares, dont les contemporains d’Hérodote commençaient à s’éprendre déjà, et des purifications mystiques, chères aux disciples de l’orphisme ou aux pythagoriciens. On faisait circuler sous son nom quantité d’ouvrages apocryphes, entre autres des Catharmes ou rites purificatoires, des Oracles scythiques, une Théogonie en prose…
Pausanias Livre X [Histoire de Delphes].
Boeo, native du lieu et connue par des hymnes qu’elle fit pour les habitants de Delphes, dit que ce furent des étrangers venus du pays des Hyperboréens, qui bâtirent le temple où Apollon a depuis rendu ses oracles ; que plusieurs d’entre eux y prophétisèrent, et entre autres Olen, qui le premier inventa le vers hexamètre et s’en servit à cet usage :
Ci-dessous les vers de Boeo :
« C’est ici en vérité que fut établi un oracle mémorable
Par des Hyperboréens nommés Pagasus et le divin Agyïeus.
Après avoir aussi énuméré quelques autres de ces Hyperboréens, elle termine cet hymne en citant Olen :
« Et Olen, qui devint le premier prophète de Phoebus,
Et fut le premier à avoir composé un oracle en vers antiques «
On croit donc généralement que c’est un dénommé Olen, ancien poète et pontife, antérieur à Orphée, qui aurait lancé à Delphes l’oracle d’Apollon et qui aurait ensuite institué le culte de ce dieu-ou-démon à Délos. Olen était, suivant la légende, Lycien ou Hyperboréen, c’est-à-dire né dans un pays où Apollon aimait séjourner. Il passait pour être l’auteur de l’hymne en l’honneur des vierges Opis et Argé, compagnes d’Apollon et de Diane. C’est lui qui aurait composé la plupart des anciens hymnes qui se chantaient dans cette île. On lui attribuait aussi des sortes de stances très simples, combinées avec certains airs fixes, et propres à être chantées dans les rondes d’un chœur. Enfin, c’est à Olen que quelques-uns apparemment rapportent l’invention du vers épique, ou dactylique hexamètre. Si cette opinion a quelque fondement, Olen serait donc antérieur y compris aux aèdes thraces, car tous les vers qui ont couru sous leur nom sont précisément des hexamètres, et prouvent, authentiques ou non, que c’était un mètre dont ils avaient dû se servir.
Mais revenons à Belin/Belen/Barinthus/Manannan. Il apportait chaleur et réconfort, fertilité, richesses. D’où sa fête, Beltène, le 1er mai, qui commémore le retour de la période lumineuse. Il est, du moins pour certains auteurs, le fils de Taran/Toran/Tuireann, il est donc la jeune représentation de la Lumière, un dieu-ou-démon juvénile et beau comme l’éclat du soleil. Il est l’harmonie ou la beauté sous toutes ses formes. Il réchauffe l’âme l’esprit et le corps. Il provoque l’illumination spirituelle. Il sait
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guérir tous les maux. Il est médecin. Il est invoqué notamment pour les problèmes d’yeux et il est en outre associé aux rêves, notamment aux rêves prémonitoires. À Beltene (les feux de Belenos : 1er mai), on allume de grands feux en son honneur, et l’on purifie le bétail en le faisant passer à travers la fumée ou entre eux, avant d’être conduit dehors sur les pâturages.
Parèdre de Belin/Belen/Barinthus/Manannan : Belisama donc noïba Brigitte, puisque Belisama, la Très Brillante, est un de ses surnoms.
Sur le continent Tertullien évoque son culte dans les Alpes noriques (Apologeticus 24,7).
« Chaque province, chaque cité, a son dieu à elle ; la Syrie a son Atargatis, l’Arabie a son Dusarès, la Norique a son Bélénus, l’Afrique a Célestis, la Maurétanie ses petits rois. Ce sont des provinces romaines que je viens de nommer ; pourtant leurs dieux ne sont pas des dieux romains ; car, à Rome…»
C’est un dieu-ou-démon très important évidemment, si important qu’il fut souvent appelé, avec respect, « Prince ou Seigneur Belin ». En parlant de lui, César a écrit « Apollinem morbos depellere ». L’interpretatio romana un peu rapide de César (il en fait un Apollon) ne facilite pas la compréhension. Reste à résoudre les questions suivantes : quelle est la nature foncière de cette divinité, d’où tire-t-elle ses vertus essentielles, par quels moyens se produit son action bienfaisante ?
À propos de notre seigneur Belin, un de nos correspondants nous apporte les précisions suivantes.
On retrouve aussi notre seigneur Belin sur une dédicace découverte au château de Belac, à Beaulard, sur le versant italien des Alpes.
« Deo Apollini Beleno Lucius Erax bardus ex responso antistis, aedem cum ornamentis de suo dedit ».
« Au dieu Apollon Belenus, Lucius Erax, barde, sur la réponse du prêtre, a dédié un temple avec ses ornements à ses frais ».
Cette inscription est donc des plus intéressantes, car elle témoigne de l’existence, en pleine époque romaine, d’un barde, fidèle de Belenus, ayant fait une importante offrande à la divinité.
Belenus est une graphie attestée en Italie du Nord, précisément dans le Frioul, à Bellune et sur le territoire Aquilée, au IIIe siècle. Les druides de son temple prophétisaient (sans doute en partant de l’analyse de certains rêves) la défaite de Maximin. Dioclétien et Maximien préféreront l’honorer de façon satisfaisante afin d’éviter un « dérapage » du dieu-ou-démon ou plus exactement de ses prêtres.
Voici ce que l’on peut lire à ce sujet dans le livre VII de l’Histoire des empereurs romains de Marc-Aurèle à Gordien III (par Hérodien). Chapitre VIII.
« Crispinus, dit-on, ne persévérait si fortement à poursuivre la guerre commencée, que parce qu’il y avait dans la ville un grand nombre d’aruspices, d’hommes habiles à lire dans les entrailles des victimes, et qu’ils donnaient les plus favorables augures à son entreprise. Les Italiens ont la plus grande confiance dans ces consultations mystérieuses. Circulaient en outre quelques oracles qui annonçaient que le dieu-ou-démon de la ville promettait la victoire. Ils appellent ce dieu-ou-démon Belenos, l’honorent d’un culte presque fanatique, et prétendent que cette divinité n’est autre qu’Apollon. Quelques soldats de Maximin affirmaient même que l’image de ce dieu-ou-démon leur était apparue dans les airs, en combattant pour la défense de la ville. Je ne puis dire s’ils avaient vu réellement ce dieu-ou-démon, ou s’ils le supposaient, afin qu’une aussi grande armée que la leur n’eût pas à rougir de n’avoir pu résister à une troupe de citoyens bien inférieure en nombre, et qu’elle parût n’avoir été vaincue que par des dieu-ou-démons, non par des hommes ».
On a retrouvé à Gréasque en France une inscription gallo-romaine dédiée à Belin. « BELINO PRO SE ET SVOS », qui signifie « À BELIN POUR LUI-MÊME ET LES SIENS » ; et le nom de nombreuses sources dérive aussi de ce théonyme : exemple la fontaine Belenin dans la région de Beaune. Quant au village de Bellenot en Côte-d’Or, les spécialistes estiment que le nom de ce village remonte à Bellin-avus, c’est-à-dire à un radical Bellin- ; qui correspond à l’une des formes du nom divin suivie du suffixe – avus, fréquent dans les noms de cours d’eau.
On a mis au jour, vers 1954, dans un site proche de l’étang de Berre (toujours en France) une vasque en pierre voisine d’un puits antique, et qui portait sur la bordure extérieure une dédicace à Beleinos. La forme archaïque Beleinos, avec diphtongue ei, ainsi que le nom et la filiation du dédicant, sont des indices de haute antiquité.
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Les différentes inscriptions connues nous donnent donc les formes celtes Beleinos, puis, avec influence du latin, Bellinus, Belinus, Belenus, Bellenus, assorties de variantes d’accentuation ! L’élément constant est le radical Bel – [Belos est d’ailleurs aussi attesté comme théonyme N.D.L.R.] que l’on ne peut s’empêcher de rapprocher de Bel-tene, nom de la fête du premier mai en Irlande.
Sur une dizaine de monuments dispersés de la Méditerranée au Rhin, le dieu-ou-démon porte la couronne radiée, ou bien du sommet de sa tête jaillissent les rayons de l’astre lumineux. De telles particularités invitent à croire que le grand dieu-ou-démon guérisseur était donc conçu comme une divinité solaire. Ce qui est sûr, c’est que César le considérait bien comme un dieu-ou-démon de la guérison et du salut.
Belin/Belen/Barinthus/Manannan, c’est un esprit sain dans un corps t sain. Belin/Belen/Barinthus/Manannan, c’est l’être humain épanoui et libéré dans sa totalité, que ce soit dans sa dimension physique ou dans sa dimension psychique. D’où la tâche que s’étaient donnée les druides antiques attachés à son culte : soigner les corps, mais aussi les âme/esprits.
L’élixir d’oubli des druides associé à de véritables cures de sommeil soigne les troubles psychiques. L’hypnose et l’hallucination, l’autosuggestion, tous procédés médico-magiques associés aux drogues, peuvent aussi être guérisseurs, ou du moins servir d’anesthésiques.
Leurs plus célèbres patients ? Le futur empereur romain Constantin à grand vers 309, mais aussi Caracalla (sans résultat semble-t-il dans son cas si l’on en croit Dion Cassius), ainsi que Dioclétien et Maximien (sanctuaire d’Aquilée).
Les judéo-chrétiens et les athées ont beaucoup glosé sur le caractère profondément immoral ou amoral du paganisme druidique. Les spécialistes de l’étude des religions comme le judaïsme l’hindouisme le christianisme le zoroastrisme ou l’islam… en ont déduit que ces dieux ou déesses étaient ambivalents, à la fois anges et démons. En tout cas au-delà du manichéisme simpliste et bébête opposant le bien au mal.
Il n’en demeure pas moins que nous avons au moins en ce domaine un exemple de dieu druidique plus sensible aux pensées ainsi qu’aux actions, qu’à la valeur marchande de leurs sacrifices ou de leurs offrandes, des fidèles de son culte, c’est Belin/Belen/Belenos SOUS SA FORME VARIANTE OU AVATAR GRANNOS (Temple de Grand, Germanie supérieure, ou Belgique, pour les Romains).
Selon Dion Cassius en effet (livre LXXVIII chapitre XV) parlant de l’empereur romain Caracalla
« Ce qui montra clairement qu’ils prenaient en considération, non pas ses offrandes ou ses sacrifices, mais seulement ses pensées ainsi que ses actions. Il ne reçut aucune aide d’Apollon Grannus, ni d’Esculape, ni de Sérapis, en dépit de ses supplications et de son inusable insistance. Car, même étant à l’étranger, il leur adressait des prières, des sacrifices et des offrandes votives, et de nombreux émissaires couraient un peu partout chaque jour pour leur faire parvenir des présents ; il alla même les voir lui-même, dans l’espoir de les faire fléchir en apparaissant personnellement, et fit tout ce que les dévots ont l’habitude de faire ; mais il n’obtint jamais rien qui contribua vraiment à lui rendre la santé ».
Belin/Belen/Belenos, du moins sous sa forme Grannos, était donc le dieu moral ou éthique (disons le dieu de la beauté morale, de la beauté du geste) par excellence, car à en croire Dion Cassius, il tenait compte plus des pensées ou des actions (positives) que de la valeur marchande des offrandes qu’on lui faisait.
Sous le nom de Grannos notre seigneur Belin était honoré dans différents autres sites, notamment à Rome, à Erp en Germanie, à Aix-la-Chapelle (Aquae Granni), en Écosse ; et peut-être même en Suède où l’on a trouvé un vase portant l’inscription suivante.
APOLLONI GRANNO DONUM AMMILIUS CONSTANS, PRAEF. TEMPLI. IPSIUS V.S.L.L.M.
Le nom de Grannos renvoie en fait à celui du soleil (cf. irlandais Grian).
La bannière prise par Constantin en 309 au temple de Grand, dans l’est de la France (le plus beau de la Terre) afin de lui servir de drapeau, était l’oriflamme du grand dieu-ou-démon celte vénéré à cet endroit. C’est ce « labarum » qui, dans sa guerre contre Maxence, conduira les armées de Constantin à la victoire. Autre récupération chrétienne : la croix de saint André ou de saint Patrice en Écosse et en Irlande.
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Ce qui est certain en tout cas, c’est que cette ville, connue alors sous le nom d’Andesina, et vouée tout entière à notre seigneur Belin, était alors une des plus importantes métropoles de l’Empire romain, une véritable Lourdes païenne.
Une touchante légende est attachée au culte du Prince Belin à Grand. Cet Apollon celtique était encore reconnu comme un grand dieu-ou-démon sauveur en plein Ve siècle, puisque la réputation de cette entité divine était toujours vivante un siècle après la vision de Constantin. Le prouve cet extrait d’un poème chrétien de Claudius Marius Victor. Alethia, III, 204 : « Plus tard l’illusoire Apollon s’imposa aux nations. Mais contraint de changer de résidence, il se fit médecin des Leuques (N.D.L.R. C’est-à-dire sans doute à Andesina-Grand). Dépassant les campagnes avec son nuisible charlatanisme, il s’attaque donc même aux peuples barbares maintenant et abuse leurs cœurs ».
L’expression « abuse leurs cœurs » prouve que le paganisme de type abellinien était encore plus que vivace au Ve siècle.
Le rêve est un des niveaux de conscience situés entre le sommeil et l’état de veille. Une fois écartés les rêves de digestion (comme après un banquet) ou de compensation (voir la psychanalyse), le rêve peut être en effet aussi une forme de vision inspirée par les dieu-ou-démons (rêves prémonitoires). Il peut donc constituer une aide précieuse, à condition de savoir en comprendre le sens, qui n’est pas toujours évident.
Certains druides se sont efforcés d’en étudier le symbolisme.
La possibilité de se placer en état de « rêve » malgré le lieu (ou l’heure) est une faculté toujours actuelle, qui, de pair avec la rêverie ou la méditation, est à la base de toute magie ou de tout contact avec le divin ; comme dans le cas des vierges consacrées de l’île de Sein.
Belin/Belen/Belenos était donc devenu, à partir d’une date comprise entre le début du Ier siècle et la fin du IIe, le médiateur entre les dieu-ou-démons d’en bas et les dieu-ou-démons d’en haut, ainsi que celui qui rétablit l’harmonie de l’Univers physique. Cette fonction de médiateur est d’ailleurs prouvée par l’épithète de narios intarabos qui lui est attribuée. Elle signifie « le discret intermédiaire ». Belin a toujours eu, plus ou moins, en effet, un rôle de médiateur. Avec en outre un jeu de mots entre narios et nerios. Et intercesseur, il l’a été historiquement, comme nous le prouvent les citations d’Ausone sur les professeurs de Bordeaux, entre les derniers descendants des druides restés fidèles aux traditions celtiques, et les Romains respectueux de son pouvoir prophétique ou de ses capacités thérapeutiques.
L’harmonie de l’Univers et aussi celle du bon fonctionnement des organes humains, car, comme l’a très bien vu Ausone (dans son églogue sur l’emploi du mot libra : « divinis Humana licet componere… aux choses divines, on peut comparer les choses humaines ». Maxime de type abellinien qui ne doit pas nous étonner outre mesure, vu son cursus scolaire à Bordeaux. Et si ce concept abellinien n’a été introduit dans le panth-éon ou plérôme druidique que tardivement ; il a rapidement joué un rôle prépondérant, à la fois dans la mythologie par ses fonctions de médiation et d’intercession, et dans les sanctuaires par la prophétie ou divination et la médecine. Belin se servait des rêves pour venir en aide aux hommes et sa volonté était que les druides ses serviteurs s’en servent pour guérir les corps ET LES ÂMES OU LES ESPRITS.
L’intelligence de l’imaginaire n’est pas pure affaire d’imagination. Le rêve est une mythologie personnelle. Le rêve de l’homme est une manifestation cosmique, et parfois une théophanie [comme dans le cas de Belin apparaissant à Constantin de passage à Grand. N.D.L.R.] tout comme un rêve de la nature en lui et un rêve de lui à propos de la nature. Autrement dit, un signe du Divin en lui et un signe de lui au Divin (représenté par Belin).
Il y a toujours eu échange incessant chez les hommes entre le rêve et le mythe, car la porte est toujours entrouverte entre les deux moitiés de la vie de l’être humain (le sommeil et l’état de veille). Manifestant un courant psychique sous-jacent et les nécessités d’un programme vital inscrit au plus profond de l’être, le rêve exprime les aspirations profondes de l’individu et, partant, sera pour nous une source infiniment précieuse d’information de toutes sortes. Tout rêve possède un sens. Depuis Freud l’Occident le cherche en arrière et dans les causes supposées.
Méthode étiologique et rétrospective. Les druides de Grand voués à Belin, eux, le cherchaient en avant, dans les intentions inconscientes du sujet venant consulter leur dieu-ou-démon (méthode téléologique et prospective).
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Jung a d’ailleurs depuis bien démontré que les rêves ne sont souvent que des anticipations (des anticipations n’ayant plus guère de sens justement si on ne les examine que d’un simple point de vue causal). Si les druides du Belin surnommé Grannos, à Grand, croyaient faire la volonté de leur dieu-ou-démon en se donnant pour tâche d’aider les hommes, en les faisant rêver puis en étudiant leurs rêves ; c’est parce que le rêve accélère les processus d’individuation qui déterminent l’évolution ascensionnelle et intégrante de l’homme.
L’analyse, comme nous le verrons, permet d’entrer en communication quasi régulière avec la conscience et de jouer alors un rôle de facteur d’intégration à tous les niveaux.
Non seulement le rêve exprimera la totalité du soi, mais il contribue à la former. Les prêtres de l’Apollon celte l’avaient très bien compris. Les druides de Belin/Belen avaient en effet depuis longtemps réalisé que l’équilibration psychologique de l’être humain se fait, entre ses plans conscients, et ses plans inconscients, dans la dimension de la verticalité, tel un voilier entre sa voile et sa quille.
Interprétation du rêve et décryptage du symbole ne répondent pas en effet qu’à une simple curiosité. Ils élèvent à un niveau supérieur les relations entre le conscient et l’inconscient, et améliorent leurs réseaux de communication. Un homme mieux éclairé, mais aussi plus équilibré tend à se substituer à l’homme écartelé entre ses désirs, ses aspirations, et ses doutes. Belin est donc le dieu-ou-démon symbolisant l’intégration totale de la personnalité, puisque tel était le but thérapeutique et salvateur recherché par les druides attachés à son culte.
Les prêtres voués à un dieu-ou-démon peuvent-ils d’ailleurs faire autre chose qu’accomplir ses volontés ? Si Belin n’avait pas été pour (pour cette intégration harmonieuse de la personnalité, corps et âme ou esprit) les druides de Grand et d’ailleurs ne se seraient jamais donné un tel but. L’intégration harmonieuse de la personnalité, du corps, de l’âme, et de l’esprit, voilà l’idéal abellinien.
Les prêtresses ou les vierges consacrées au Belin de Sena par contre avaient bien compris, elles, qu’il existe aussi une autre catégorie de rêve. Le rêve de type Sena nous transporte dans un monde imaginal et présuppose dans l’être humain, à un certain niveau de conscience, des puissances que notre civilisation occidentale a certainement atrophiées ou paralysées. Il s’agit là, non pas de présage, ni de voyage, mais de vision. La psychanalyse de l’École druidique de Sena (de Sein) diffère donc sensiblement de celle de l’École druidique d’Andesina (de Grand).
Dans le cas des prêtresses ou des vierges consacrées de Sena, il s’agit de prophétie ou de divination ; dans le cas des druides de Grand (on l’a bien vu avec l’épisode constantinien), il y a prévision ou anticipation du mouvement général.
Tout rêve est une réalisation irréelle, et seulement virtuelle, mais qui aspire à une réalisation pratique. C’est pourquoi les utopies sociales préfigurent les sociétés futures, les alchimies préfigurent les chimies et les ailes du dieu-ou-démon etnosos de Bourges préfigurent les ailes de l’avion. Chaque rêve tend à créer l’ambiance la plus favorable à un but lointain. On ne trouve que ce que l’on cherche.
Cette finalité du rêve de type grand se distingue donc du simple rêve prémonitoire de type Sena.
Elle n’annonce pas un événement à venir, elle révèle et libère une énergie qui tend à créer l’événement. Comme nous l’avons vu dans le cas des prévisions des druides d’Aquilée à l’encontre de Maximin.
Revenons sur ce tragique épisode des guerres civiles romaines, car certains athées y ont vu un cas manifeste d’intervention du religieux dans le politique (ou alors les druides d’Aquilée étaient visiblement pour diverses raisons résolument contre Maximin). En effet, Belin est censé dans ce cas être intervenu personnellement aux côtés des soldats défendant la ville.
Du moins si l’on en croit cette citation : « quand Maximin trouva qu’il assiégeait Aquilée en vain, il envoya des ambassadeurs dans cette ville. Et le peuple leur aurait presque cédé, s’il n’y avait pas eu Ménophile et son collègue pour s’y opposer, en disant que le dieu Belenos avait déclaré par l’intermédiaire des devins que Maximin serait vaincu. À la suite de cela les soldats de Maximin prétendirent, dit-on, qu’Apollon [c’est-à-dire Belin/Belen/Belenos. N.D.L.R.] devait avoir combattu contre eux, et qu’en fait la victoire n’appartint pas au Sénat et à Maxime, mais aux dieux. D’un autre côté, d’autres disent qu’ils avançaient cette explication parce qu’ils avaient honte que des hommes armés comme eux aient été vaincus par des civils pratiquement désarmés » (Julius Capitolinus. Histoire Auguste).
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C’est toute la différence entre le prophétique et le prévisionnel, entre le divinatoire et l’opérationnel. Le rêve est une préparation à la vie ; l’avenir se conquiert par des rêves avant de se conquérir par des expériences. Le rêve est le prélude de la vie active. Au lieu de se situer sous la dépendance d’un conscient qui la précède, comme la fonction compensatrice, la fonction prospective du rêve se présente, au contraire, sous la forme d’une anticipation, surgissant dans l’inconscient, de l’activité consciente future ; elle évoque une ébauche préparatoire, une esquisse à grandes lignes, un projet de plan exécutoire.
Belin/Belen, c’est aussi la symbolisation ou la représentation de l’étonnante faculté psychosomatique qu’a toujours eue l’homme, de guérir par lui-même (grâce à l’effet placebo ou à l’autosuggestion…) Ce qui est en jeu dans ce cas, c’est le pouvoir guérisseur de la nature, interprété de façons diverses en fonction de conditions et de traditions locales que l’eau symbolise, voire réalise effectivement, dans la plupart des cas. La foi peut aussi sauver, car la puissance de l’esprit sur le corps est indéniable. Or notre seigneur Belin, c’est aussi la puissance de cet esprit sur le corps !
La notion de Belin ou d’Apollon celte éclaire l’idée que les druides se font de l’Homme.
Pour certaines écoles druidiques en effet, comme pour celle de Grand par exemple, un homme doit être à l’image de cet Apollon celte appelé Belin. Image de Belin, l’Homme, le Gdonios, se doit donc d’être créateur de beauté. Créateur de beauté, il se doit de faire surgir des libertés tout autour de lui. Ni dominateur ni dominé, il se doit d’être libre, de cette extraordinaire liberté que l’on reconnaît toujours comme étant un don des dieu-ou-démons.
Si notre seigneur Belin/Belen avait alors à l’époque demandé à ses serviteurs d’analyser avec autant de soin les rêves de ses patients, ce n’était pas pour rien évidemment. Ceux qui venaient les consulter y puisaient en effet bien sûr, des prédictions pour leur avenir, MAIS SURTOUT DES INSTRUCTIONS SUR LE COMPORTEMENT QU’ILS DEVAIENT AVOIR.
Le rêve fournissait, à l’époque un code de conduite pour vivre en harmonie avec sa destinée (ce que les Vikings appelaient gaefa, gaefa et non gaesa). Le contact avec le monde invisible et avec les dieu-ou-démons est toujours plus facile à établir pendant le sommeil qu’à l’état de veille. Au cours de leur sommeil – et ceux qui ne pouvaient dormir étaient endormis par des druides spécialisés – le dieu-ou-démon apparaissait en songe au consultant et lui indiquait les remèdes capables de le guérir. Telle est la légende entourant le culte de Belin. Mais que signifie-t-elle en réalité, comment les guérisons s’opéraient-elles vraiment ? L’homme ne peut se guérir seul, il a besoin d’un vortex de foi créé par une foule de croyants pour y réussir. Le rêve est l’autoreprésentation spontanée tout autant que symbolique de la situation actuelle de l’inconscient (cf. Jung.)
L’interprétation des rêves est donc la voie royale de la connaissance de l’âme/esprit et voilà pourquoi Belin voulait que ses prêtres s’y consacrent.
Les druides antiques avaient donc une conception positive du rêve et ils ont, eux aussi, tenté de percer le mystère des songes. Le sommeil a en effet quelque chose de magique. Il plonge provisoirement le dormeur dans un autre monde. Le rêve, communication avec les esprits divins, permet de rencontrer l’homme ou la femme de sa destinée (Maxen, Oengus), les hommes du passé (Ronabwy), les dieu-ou-démons en personne. Pour décrypter ce « message » des dieu-ou-démons, les druides antiques élaborèrent donc toute une technique : ils pratiquent la cure de sommeil avec une variété de leur élixir « la boisson d’oubli ». Le hesus Cuchulainn en prendra pour se consoler de la perte de Fand (Wanda). On l’applique aussi aux grands blessés, aux initiés qui sont épuisés par les épreuves. Le sommeil peut également être provoqué par des chants particuliers, accompagnés à la harpe. Certains aliments, viandes, glands ou bouillon, donnent la connaissance au dormeur. Ces pratiques druidiques évoquent un peu l’École pythagoricienne, elle aussi très versée dans l’oniromancie.
Quelques exemples glanés au hasard dans la littérature irlandaise. Un homme se gavait de viande et de bouillon puis s’endormait, ensuite quatre druides psalmodiaient sur lui une parole de vérité. Il voyait alors en rêve l’homme qui devait être élevé à la royauté.
« Ils organisèrent alors une fête du taureau afin de découvrir à qui donc ils pourraient confier la souveraineté sur le pays.
Une telle fête se déroulait ainsi : un taureau blanc était tué, ensuite un homme mangeait à satiété de sa chair et de son bouillon ; puis s’endormait repu. Quatre druides psalmodiaient alors une prière sur lui et il voyait lui apparaître en rêve la silhouette de l’homme qui devait être fait roi, ainsi que son allure, à quoi il ressemblait, voire ce qu’il était en train de faire.
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L’homme sortit donc de son sommeil et décrivit à tous ces rois ce qu’il avait vu, à savoir un jeune homme, noble, ayant la bonne force avec lui (sonairt), avec deux bandes (chris) rouges autour de lui, assis au chevet d’un homme malade à Emain Macha.
Un message fut envoyé aussitôt à Emain avec cette description.
Les Ulates étaient alors rassemblés autour de Cunocavaros/Conchobar et le Hésus Cuchulainn.
Le courrier délivra son message à Cunocavaros/Conchobar ainsi qu’aux nobles ulates présents.
Il y a bien avec nous un jeune noble descendant d’une grande famille correspondant à cette description, répondit Cunocavaros/Conchobar, à savoir Lugaid aux raies rouges, le fils des trois beaux (find ?) d’Emain, l’élève du Hésus Cuchulainn ; au chevet duquel il veille en personne aujourd’hui afin de consoler son tuteur ; à savoir le Hésus Cuchulainn actuellement cloué dans son lit ».
Plus fort encore est le songe du roi irlandais Muirchertach, dans lequel un druide discerne l’annonce d’une mort inéluctable.
« Le roi se réveilla et demanda que sa vision soit rapportée à son frère de lait, au fils de Saignen, le druide, c’est-à-dire Dub Da Rind ; et ce dernier fit le diagnostic suivant : le navire dans lequel tu as été, dit-il, c’est le navire de la souveraineté sur la mer de l’âge, c’est toi qui le conduisais. Mais le bateau sombra pour que vînt la fin de ta vie. Le griffon aux fortes serres qui t’a emporté dans son nid, c’est la femme qui est venue partager ta vie, pour t’enivrer, pour te mettre dans son lit ; et pour te retenir dans la maison de Cleitech jusqu’à ce qu’elle soit incendiée avec toi encore à l’intérieur. Et le griffon qui tombe sur toi, c’est cette femme qui mourra justement à cause de toi. Voilà ce que signifie cette vision ».
Mais revenons à nos moutons c’est-à-dire à notre mystérieux Prince Belin, car la psychanalyse des rêves sur le Continent était souvent d’un type très différent. Moins prédictif et moins totalement invraisemblable, mais plus thérapeutique. Les malades ou les pèlerins de toutes sortes venant dans un des innombrables sanctuaires de cet Apollon indigène consultaient le dieu-ou-démon dans des portiques d’incubation, où ils passent la nuit et reçoivent en songe (somno jussu) une prescription ou un rêve ; que les médecins, dont des druides, des chirurgiens et des ophtalmologues attachés à l’établissement thermal, décryptaient ensuite.
La thèse de l’historien français Jean-Jacques Hatt est que les druides médecins attachés au culte de notre seigneur Belin/Belen ; sous l’Empire romain, après les persécutions de Claude, se sont réfugiés dans les sanctuaires de sources ; où se pratiquaient des rites divinatoires et une médecine par incubation, notamment dans les temples dits d’Apollon ; qui semblent devenus pour eux des asiles où ils ont souvent exercé des fonctions subalternes.
À partir de la fin du IIIe siècle, sous la Tétrarchie et sous Constantin, les druides ont en effet reparu en pleine lumière, à la faveur des circonstances. Ils ont été intégrés aux universités de Bordeaux et d’Autun, où ils ont contribué, avec d’autres professeurs issus de l’aristocratie civile, à la formation des cadres supérieurs, dont l’administration impériale avait le plus grand besoin.
Nous en avons la preuve dans les deux extraits suivants d’Ausone.
Commemoratio professorum Burdigalensium, IV, 7.
« Issu d’une famille de druides baiocasses, si la renommée n’a pas trompé ma bonne foi, tu tires ton origine d’une famille consacrée à un temple de Belenus. C’est de là que vous tirez vos noms. Le tien est Patera, c’est ainsi que les initiés au culte d’Apollon nomment les ministres du culte ».
Commemoratio professorum Burdigalensium, X, 22. « Je me garderai d’omettre le nom de Phoebicius, un vieil homme qui fut sacristain d’un temple de Belenus. Il n’en tira nul profit. Issu d’une famille de druides armoricains, grâce à son fils, il obtint une chaire à Bordeaux ».
Nous apercevons très bien, grâce à ces deux textes, le processus de conservation des druides et du druidisme à cette époque.
Et l’inscription d’Avenches en Suisse nous montre qu’il existait dans certains grands sanctuaires régionaux une communauté de prêtres, de médecins et de professeurs, constituant une esquisse de service hospitalier. Les rapports étroits entre médecine chirurgie et religion sont confirmés par l’inscription de Riez, qui nous montre en action le processus du sommeil prophétique aboutissant à l’intervention chirurgicale.
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« Deo Aesculapio Val(erii) Symphorus et Protis signum Somni aereum, torquem aureum ex dracunculis duobus p(ondo) enchiridium argenti p(ondo) anabolium ob insignem circa se numinis eius effectum v(otum) s(olverunt)
I(ibentes) m[erito) ».
« Au dieu Esculape, Valerius Symphorus et Protis ont offert une statue en bronze du dieu du sommeil (Somnus), un torque d’or composé de deux serpents, de tel poids, un enchiridium d’argent de tel poids et un anabolium argent, en récompense de l’insigne efficacité de sa puissance divine, se sont acquittés de leur vœu de bon gré et à juste titre ».
Cet éminent service est, d’après les instruments chirurgicaux offerts (un enchiridium et un anabolium), probablement une opération de la cataracte. L’association entre médecine et religion paraît en effet avoir été particulièrement fréquente dans le cas d’affection de la vue et de troubles ophtalmiques.
En Grande-Bretagne, le nom de Bellinus apparaît en tout cas à Binchester (Vinovia), dans le Comté de Durham. Certains chercheurs pensent aussi que le marché aux poissons appelé Billingsgate à Londres, au bord de la Tamise, était un sanctuaire consacré à Belin/Belen (principe druidique bien connu du feu dans l’eau). Il s’agissait peut-être aussi d’un sanctuaire où l’on gardait les dépouilles des guerriers tombés sur le champ de bataille. Des centaines de squelettes datant de cette période ont été en effet découverts en ce lieu. Ce qui en fait un équivalent de la fontaine de Santé que la tradition irlandaise associe au rebouteux Diancecht. Ou un équivalent des sanctuaires « belges » du Continent comme Gournay-sur-Aronde ou Ribemont.
Les fouilles réalisées dans les deux ailes d’une maison romaine située à cet endroit ont permis de mettre au jour un bâtiment initialement construit à la fin du IIe siècle, et adjacent au quai romain situé sur la rive nord de la Tamise. Une petite construction séparée comportant des thermes y fut ajoutée au cours du IIIe siècle. Ces différents édifices continuèrent à être utilisés jusqu’au début du Ve siècle, époque à laquelle une grande partie de la ville fut désertée par ses habitants. Ils constituent donc un ultime témoignage de la fin de l’époque romaine à Londres.
N.B. Mais comme dans le cas de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, de Bath, Sulis ; ce Belin/Belen est plus associé à la notion de chaleur et d’énergie ou au pouvoir purificateur du feu, qu’à l’astre solaire qui éclaire notre Terre. Belinos symbolise l’ordre, la symétrie, la beauté ou l’harmonie de l’univers matériel. Il est la source d’où notre univers tient son apparence d’unité.
SURVIVANCES MÉDIÉVALES.
PAYS DE GALLES.
Beli Mawr (Beli le Grand) est un dieu-ou-démon majeur du panth-éon ou plérôme gallois hypothétique.
Dans la tradition médiévale galloise, Beli Mawr est souvent surnommé « ap Manogan » ainsi que nous venons de le voir, et son père Manogan Druid Eneid ; mais le nom de Manogan vient de la mauvaise lecture d’un texte latin traitant du personnage historique d’Adminius, fils de Cunobelinus.
Nihil autem amplius quam Adminio Cynobellini Britannorum regis filio, qui pulsus a patre cum exigua manu transfugerat, in deditionem recepto, quasi uniuersa tradita insula, magnificas Romam litteras misit, monitis speculatoribus, ut uehiculo ad forum usque et curiam pertenderent nec nisi in aede Martis ac frequente senatu consulibus traderent.
Après transmission par Suétone (vie de Caligula) et surtout d’Orose, l’expression devint « Bellinus filius Minocanni » dans l’Historia Brittonum.
Ainsi, bien que Belin soit devenu un personnage différent dans la légende de Cunobelinus (Cymbeline), il est généralement présenté comme un roi ayant régné juste avant l’occupation romaine. Beli apparaît aussi dans l’Historia regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth, en tant que roi de l’île de Bretagne, sous le nom d’Heli, fils de Cligueillus (XXXV-XXXVIII). L’auteur y évoque un long conflit ayant opposé deux frères nommés Belinus et Brennius.
Selon le chroniqueur gallois, Heli règne pendant quarante ans, il a trois fils : Lud, Cassibellan, et Nennius.
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L’existence de son fils Caswallawn, elle, a été confondue avec celle du personnage historique de Cassivellaunos.
Selon nos amis gallois, il aurait été l’époux de Dôn et le père de Caswallawn, Arianrhod, Lludd et Llefelys. Plusieurs lignées royales du Moyen-âge gallois en font leur ancêtre. Ce Beli est en effet censé être le fondateur à la fois de la lignée royale du Rheged et du Gwynnedd ; et avoir eu comme épouse une dénommée Anna, cousine de la Vierge Marie (mater eius, quam dicunt esse consobrina Mariae uirginis, matris Domini nostri Iesu Christi). Pour d’autres il aurait été l’époux de Dôn, fille de Mathonwy, et donc par elle mère d’Arianrode, Gwydion, Gilfaethwy, Gobannon et Amaethon. Ifor Williams était d’avis que ce Beli était un lointain écho du dieu-ou-démon Belenos, ou à tout le moins qu’un personnage historique portant le même nom, voire un nom proche, avait été confondu avec lui. John Koch a néanmoins fait observer que, dans ce cas, le nom de Belenos aurait dû donner Belyn en gallois, et non Beli. Bref, un beau méli-mélo !
Manawyddan est un autre de ses noms au Pays de Galles. Mais il n’y est plus un dieu-ou-démon de la mer : très humanisé, le récit de ses aventures contient toutes sortes d’éléments chrétiens. Tout donne à penser d’ailleurs que la tradition galloise tout comme la tradition irlandaise s’est fortement éloignée de ses origines. Bon cultivateur et habile cordonnier, il a bâti à l’aide d’ossements humains la forteresse d’Annotion (Annoeth). Une allusion à la pratique druidique de conserver les cadavres des guerriers morts dans les sanctuaires comme à Ribemont-sur-Ancre en France ??
IRLANDE : MANANNAN.
(Autres noms : Orbasio et Cadros, Orbsiu et Gaer en irlandais).
Manannan ou le Mannois (de l’île de Man). Car c’est très exactement ce que signifie le mot gaélique Manannan. Il s’agissait d’un des puissants maîtres de l’autre monde parallèle des dieux, tout particulièrement vénéré dans l’île de Man. Son doute un avatar
— soit de Taran/Toran/Tuireann
— soit de Lug
— soit enfin justement, ce qui correspond le mieux à sa personnalité, de Belin /Belen appelé par la suite Barinthus ou saint Barrind/Barri dans la documentation chrétienne (la navigation de saint Brendan). La mention « fils de Lir » ne sert peut-être en l’occurrence qu’à souligner le caractère étroitement insulaire de cet avatar de la grande divinité en question. Une sorte d’équivalent de nos modernes « Saint-Michel au péril de la mer ».
N.D.A. Nous avons beaucoup hésité à créer une notice séparée pour ce qui suit, car Barinthus Manannan en réalité n’est qu’un avatar particulier (propre à l’île de Man) du dieu-ou-démon connu ailleurs dans la grande île voisine sous le nom de Belin/Belen.
À propos d’avatar voici la définition qu’en donne une grande religion sœur.
La notion d’avatar n’a été pleinement développée que dans la mythologie tardive, mais elle se trouve déjà contenue dans les Upanishad.
Dans l’hindouisme, un avatar (ou avatara, « descente » en sanscrit) est l’incarnation d’une divinité sur terre.
Le vishnouisme distingue plusieurs types d’avatars, Krishna y étant seul considéré comme un avatar complet de Vishnu (Purnavatara) en tant que principe ultime. Les autres avatars sont considérés comme des incarnations partielles ou des manifestations de certains aspects du divin. La fonction première de l’avatar est cependant chaque fois la même : rétablir le dharma ou la loi éternelle en instaurant les principes de connaissance appropriés à l’époque à laquelle il se manifeste. À cette fin, l’avatar est parfois assisté de pouvoirs particuliers (vibhûti dans l’hindouisme), alors personnifiés sous forme de compagnons qui le soutiennent dans sa tâche.
Dans les textes irlandais du Moyen-âge, Barinthus est appelé Manannan. Ce nom, qui signifie « le mannois » (c’est-à-dire qui vient de l’île de Man), est évidemment lié à celui de cette île, mais cela ne signifie pas évidemment qu’il s’agit d’une divinité originaire de cet endroit. En fait, c’est tout simplement le dieu-ou-démon particulièrement adoré dans cette île. C’est la raison pour laquelle on en fait parfois un dieu-ou-démon protecteur des navigateurs allant sur les mers entourant l’île ou, au contraire, un naufrageur de navires. Il est qualifié de « navigateur » (moritex ou moritasgos) à cause
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de sa connaissance des étoiles et de la mer située entre la Grande-Bretagne et l’Irlande, mais aussi du fait qu’il maîtrise le temps et les éléments. Contrairement à ce que l’on pourrait penser néanmoins, Barinthus Mannanan n’est pas un dieu-ou-démon de la mer analogue à Neptune, les Celtes étant à l’origine surtout des terriens.
Dit également Manannan Mac Lir en gaélique. Manawyddan ap Lyr en gallois (un mabinogi lui est d’ailleurs consacré). Sous cette forme son nom signifie « le Mannois fils de l’océan ».
C’est lui qui remplacera Lug après la chute et la déchéance de ce dernier dans l’anti-taranisme (dans l’odinisme ou le varunisme). Voir la légende irlandaise intitulée « la mort tragique des enfants de Tuireann ». C’est un dieu-ou-démon assez mystérieux, car il ne fait visiblement pas partie à l’origine de la tribu de la Déesse-ou-démone (des Tuatha Dé). Il n’apparaît pas dans les premières versions du Cath Maighe Tuireadh par exemple.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir ci-dessus, c’est un avatar soit de Taran/Toran/Tuireann, soit de Belin/Belen, voire de Lug, suivant les auteurs. Donc un dieu-ou-démon souverain de l’Autre Monde celtique, le Side, Tir Tairngiri, Mag Meld, etc. Il en est le régisseur, et à ce titre, il fournit aux autres dieu-ou-démons les cochons fabuleux qui seront servis par Gobannos le forgeron, au Festin d’Immortalité. Il possède deux vaches qui donnent du lait en permanence.
L’interpretatio romana en fait un Apollon, mais son surnom (moritex, moritasgos) évoque la mer (mori) ainsi que nous l’avons vu, et signifie sans doute quelque chose comme « marin ». Le monde des dieu-ou-démons (le sedodumnon) ou le royaume paradisiaque des morts (Mag Meld, etc.) étant traditionnellement placé chez les Celtes de cette région dans des îles à l’ouest du monde ; c’est en effet par la mer que ce Moritasgos était censé arriver le plus souvent. D’où son surnom de « marin ».
Il y a aussi certainement dans ce cas jeu de mots avec le nom de son père qui signifie « océan », mais océan aussi en tant qu’élément ou source de vie (Lero).
Une de ses caractéristiques typiquement divines est le don d’ubiquité ou de métamorphose. Il intervient dans le monde des mortels que nous sommes sous diverses formes.
C’est à lui que les autres dieu-ou-démons doivent le vegtos vidtuos (feth fiada en irlandais) souvent symbolisé par un manteau à capuchon genre bardocucutlon (coule de barde). Un manteau d’invisibilité que Manannan justement, à la fin du récit gaélique intitulé « la maladie de Cuchulainn », agitera entre sa femme Wanda/Fand et le hésus Setanta, pour la rendre définitivement invisible aux yeux de ce dernier.
Notons néanmoins que l’histoire n’est pas très claire et que finalement Wanda/Fand n’aura plus que Manannan comme ultime soutien. Comme quoi le mariage n’est pas toujours ce que l’on croit.
Bref, c’est donc ce vegtos vidtuos ou feth fiada en gaélique ; accordé par l’avatar de Taran/Toran/Tuireann, ou de Belin/Belen, ou de Lug ; qui, depuis leur retraite dans l’Autre Monde, rendra les dieu-ou-démons physiquement distincts des humains ; qu’ils peuvent désormais voir SANS ÊTRE VUS.
Le sens exact de ce mot (vegtos vidtuos/feth fiada) est indéterminable, compte tenu de la multiplicité des significations susceptibles d’être prêtées à chacun des deux termes, mais il implique sans doute quelque chose comme brouillard ou voile magique rendant invisible.
Seule une certaine science divine en effet permet de « voir les dieu-ou-démons ». Belin/Belen/Manannan/Barinthus aussi un dieu-ou-démon guérisseur, notamment des maladies d’yeux. Si Belin/Belen/Manannan/Barinthus était invoqué pour de telles maladies, comme dans la cité d’Alise-Sainte-Reine (ex Alisiia ou Alésia) ; c’est sans doute parce que les populations locales reconnaissaient bien en lui justement, le dieu-ou-démon maître du brouillard d’invisibilité, le vegtos vidtuos/feth fiada, qui permet de ne pas voir (ou de voir, quand ledit brouillard d’invisibilité s’est dissipé). Le raisonnement de ces malades était simple : ils invoquaient tout naturellement pour guérir de leur mal voyance ou de leur cécité, le dieu-ou-démon qui personnifiait en ce temps-là, le pouvoir de rendre visible ou invisible.
Les Dindsenchas le considèrent comme un druide artiste (un drui, un cerd et un cendaige). On nous dit de plus qu’il avait un cheval extraordinairement rapide. L’histoire des enfants de Tuireann l’appelle « Etnobarros (Enbarr) à la crinière flottante » ; il se peut que cela fasse allusion aux vagues couronnées d’écume du ressac, que l’on appelle d’ailleurs « les chevaux de Mac Lir ». Le Lebor Gabala lui donne pour père Allodios (Elloth ou Alloïd en gaélique) et nous apprend qu’il portait deux autres noms : Orbasio et Cadros (Orbsiu et Gaer en irlandais).
En tant que gardien des îles situées à l’ouest du Monde, Belin/Belen/Barinthus/Manannan est aussi associé à l’île appelée « Abelliomagos » : la pommeraie. Ces îles mystérieuses au-delà des mers
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étaient considérées comme des moyens de communication avec l’Autre Monde, du moins si l’on en croit les légendes celtes, des lieux où les âme/esprits se retrouvaient après la mort. Belin/Belen/Barinthus/Manannan était considéré comme le gardien de ces passages reliant les deux mondes. Il était donc aussi l’Homme au bateau qui transporte les âme/esprits des morts.
C’est sur cette île que l’on trouvait la branche d’argent magique avec trois pommes d’or. Quand on l’agitait, sa musique endormait les simples mortels.
Il arrivait qu’un héros courageux réussisse à en faire le tour avant de rentrer au pays pour raconter ce qu’il avait vu. La fabuleuse expédition de Bran Mac Febal est le plus connu de ces voyages dans « la Terre des vivants ». Le troisième jour Bran aperçut Belin/Belen/Manannan traversant la mer comme le christ marchant sur l’eau, sur un char magique tiré par une jument blanche. Cette jument était aussi à l’aise sur les vagues que sur la terre, et Belin/Belen/Manannan conduit donc son char aussi bien sur les flots que dans les plaines. Comme tous les dieu-ou-démons de la mer aryens, il est en effet plus ou moins en relation avec des chevaux magiques.
L’aventure du roi Corbomapos (Cormac) est un autre exemple de voyage au pays de Belin/Belen/Manannan. Le roi s’étant rendu dans la terre d’éternelle jeunesse, Belin/Belen/Manannan lui remit une coupe d’or merveilleuse : la coupe de vérité. Le moindre mensonge la brisait. Belin/Belen/Manannan aurait aussi fait visiter à Corbomapos (Cormac) le puits de connaissance d’où s’écoulent cinq ruisseaux. Cinq saumons nageaient dedans et y mangeaient des noisettes, car il y avait neuf noisetiers tout autour. Belin/Belen/Manannan est en outre le gardien de nombreuses autres merveilles.
Il avait une épée appelée la Moralltach, mais dont il fit cadeau à Mabon/Maponos/Oengus. Il en avait une autre nommée « Atearegaracos » (Fragarach en irlandais ; celle qui répond), à laquelle nulle armure ne pouvait résister longtemps et qu’il prêtera aussi à Lug. Il possédait une cuirasse qu’aucune arme ne pouvait transpercer ainsi qu’un casque flamboyant.
Il portait aussi une grande cape qui pouvait prendre toutes les couleurs. Et c’est d’ailleurs ce manteau qu’il secouera entre Wand/Fand, sa femme, et le hésus Cuchulainn, son amant, afin de les séparer à jamais, en empêchant le hésus Cuchulainn de la voir.
Un autre de ses plus intéressants trésors était son sac en plumes de grue, fabriqué avec la peau d’Aupa (Aoife) deuxième femme de Lero (Aupa/Aoife avait trahi les enfants de Lero : être transformée en grue avant de mourir fut son châtiment). Ce que ce sac contenait semble a priori plutôt hétéroclite : le squelette du cochon d’Assal (ou d’Essach), le casque du roi de Loccolandos/Lochlann, la ceinture et le crochet du forgeron divin (Gobannos), etc.
Le sac sera successivement donné à Lug, à Camulos Tridoricenos (Cumhal Mac Tredhor), et enfin à son fils Vindos Camulogenos (Finn Mac Cumhal).
Belin/Belen/Manannan, après la défaite subie par les dieu-ou-démons devant les êtres humains (bataille pour la Talantio/Tailtiu, bataille de Druim Lighean) leur trouvera un refuge sous les plus belles collines du pays.
Note.
Les druides ou plus exactement bardes du haut Moyen-âge, déjà esclaves des impératifs d’un mythe transcrit en pseudohistoire, n’étaient plus à même d’exprimer, encore moins de comprendre la notion druidique antique d’Autre Monde. Ils ont donc eu recours à l’image d’un partage du monde ou du cosmos entre les hommes, les Fir (Gallioin ou Belg, etc.) et les dieu-ou-démons (la tribu de la Déesse-ou-démone ou bien fée appelée Tuatha Dé).
Les premiers à la surface du sol et les seconds, grâce à Belin/Belen/Manannan, dans un Autre Monde, souterrain, céleste ou insulaire, très loin à l’ouest d’après les légendes.
Mais cet Autre Monde qu’est le Sedodumnon étant doué d’ubiquité, les contacts occasionnels de l’humain et du divin se font toujours dans le sens de l’irruption du divin dans le monde humain ; car notre monde baigne littéralement dans le monde divin (sans le voir !). Le temps étant suspendu dans un tel cas, c’est l’homme qui a l’impression contraire de pénétrer dans le monde des dieu-ou-démons, et c’est la raison de l’éternelle jeunesse [accordée par Belin/Belen/Manannan. N.D.L.R].
Identiquement, le retour dans ce monde ci, cause de vieillesse subite, de maladie, et de mort, par accélération multipliée du temps humain, pour ceux qui ont l’imprudence d’y revenir ; est moins alors un retour qu’un évanouissement ou un retrait de l’Autre Monde.
Par la suite Belin/Belen/Manannan aidera Mabon/Maponos/Oengus à obtenir in extremis le Brug na Boinne. Certains manuscrits apocryphes ajoutent qu’il fut tué par un dénommé Uillenn Faebarderg, lors d’une bataille livrée à Mag Cuilenn. Belin/Belen/Manannan aurait alors été inhumé debout dans sa tombe, aussitôt recouverte par un lac depuis lors appelé lac Orbsen (autre nom de
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Belin/Belen/Manannan). La chose est assez bizarre, car Belin/Belen/Manannan était, en tant que dieu-ou-démon, en réalité immortel).
Spéculations diverses sur l’identité réelle de Manannan.
Le gallois, Manawyddan Fab Llyr, double du Manannan Mac Lir irlandais, suggère l’idée que Lug et Manannan ne font qu’un. Dans le Mabinogi de Manawyddan, le héros, accompagné de Pryderi fils de Pwyll, voyage de ville en ville, chassé de leur pays par une malédiction. Dans chacune d’entre elles Manawyddan développe une activité artisanale envahissante (fabrication de selles, de boucliers, de chaussures). Si bien qu’à chaque fois, les autres artisans expulsent nos deux héros qui doivent donc partir s’établir ailleurs. Cet aspect polytechnicien de Manawyddan Fab Llyr correspond en Irlande au dieu-ou-démon Lug, un dieu-ou-démon-roi qui englobe toutes les fonctions de la société (voir les fonctions tripartites indo-européennes de la société aryenne).
Lug serait donc double. Il serait dieu ou démon-roi lumineux sous son propre nom (Lugh/Llew) et il serait aussi seigneur du Side (sur l’île de Man, Manannan/Manawyddan « le mannois »), engendré par les eaux primordiales (Mac Lir/Fab Llyr).
Mais les écrits apocryphes irlandais sont particulièrement aberrants à son sujet et placent à plusieurs reprises l’île de Man son pays d’adoption supposé… à l’ouest !
L’hypothèse la plus vraisemblable est donc que Manannan Mac Lir est un avatar ou un aspect localisé particulier du grand dieu-ou-démon de l’île de Man : Belin/Belen.
CHRISTIANISME CELTIQUE : BARRIND, BARINTUS, BARRI.
Sous le nom de saint Barinthus ou saint Barrind, il fera même une brève apparition dans l’hagiographie légendaire irlandaise, notamment dans la navigation de noïbo Brendan, pour lui parler de la terre de Mag Meld appelée insula deliciosa en latin.
Saint Brendan, fils de Finloch, petit-fils d’Altus, de la lignée d’Éogène, était natif de la région marécageuse des Mumenensiens. C’était un homme d’une grande abstinence et célèbre pour ses vertus, père spirituel de trois mille moines environ. Comme il était en son lieu de combat (spirituel), habituel, un lieu appelé depuis « lande des vertus de Brendan » (« saltus virtutum » ou Cluain Ferta-Clonfert), il arriva qu’un soir vînt à lui un des pères, du nom de Barinthus, un de ses disciples. Et comme il était interrogé sur de nombreuses choses par le saint père, il se mit à pleurer, à se prosterner aussi, et à demeurer ainsi plongé dans les prières. Saint Brendan le releva de terre et l’embrassa en lui demandant : « Père, pourquoi tant de tristesse pour ton arrivée ? N’est-ce pas pour nous consoler que tu viens ? Manifeste au contraire ta joie de revoir tes frères ! Indique-nous la parole de Dieu et réconfortent nos âmes en nous racontant les très nombreux miracles que tu as vus sur l’Océan ! » Saint Barinthus commença donc à leur parler en ces termes d’une île mystérieuse.
« Mon filleul Mernocatus, intendant des pauvres du Christ, me quitta un jour pour vivre en ermite. Et il découvrit pour cela une île située près d’une montagne de pierre – son nom est l’Île Délicieuse –. Bien des années après, on m’annonça qu’il avait de nombreux moines avec lui, et que Dieu manifestait par lui de nombreux miracles. Je décidai donc de lui rendre visite. Et comme je n’en étais plus très loin, au bout de trois jours de voyage, il se hâta de venir à ma rencontre avec ses frères, car le Seigneur lui avait annoncé mon arrivée. Alors que nous approchions de son île à bord de notre embarcation, les frères restés à terre accoururent à notre rencontre en sortant de leurs cellules comme un essaim d’abeilles. Leurs habitations étaient en effet dispersées un peu partout. Et pourtant régnait toujours chez eux l’unité la plus complète, dans l’espoir, la foi et la charité, grâce à l’existence d’un réfectoire unique. Ils se nourrissaient de pommes, de noix, de racines, et de toutes sortes de légumes. Après la dernière prière de la journée, chacun regagne sa cellule et y demeure, jusqu’au chant du coq ou le son de la cloche. Après y avoir passé la nuit et visité l’île, mon filleul me conduisit sur le rivage, face à l’occident, où se trouvait une embarcation. Et il me dit : Père, montez à bord et mettons cap à l’ouest, vers l’île appelée Terre Promise aux Saints, que Dieu va bientôt donner à nos successeurs.
Mais juste après avoir commencé notre navigation, nous fûmes recouverts d’une brume si épaisse que c’est à peine si nous pouvions encore apercevoir la poupe ou la proue de l’embarcation. Au bout d’environ une heure à peu près, s’étendit autour de nous une immense lumière, et une terre spacieuse, herbeuse, porteuse de pommes en abondance, apparut. Comme le navire avait touché
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terre, nous accostâmes et commençâmes à parcourir cette île durant quinze jours, du moins d’après ce que nous pensions, sans pouvoir en découvrir l’extrémité. Nous ne vîmes point d’herbe si ce n’est des fleurs, et point d’arbres sans fruit. Toutes les pierres de cette île étaient des pierres précieuses. Le quinzième jour, nous aperçûmes un fleuve serpentant vers le Couchant. Nous restâmes là un instant sans savoir que faire, puis nous prîmes la résolution de traverser. Mais nous attendions un avis de Dieu pour cela.
Après que nous en eûmes ainsi délibéré apparut soudain devant nous un homme d’une merveilleuse splendeur. Il nous appela aussitôt par nos propres noms et nous salua en disant : Quelle merveille, mes valeureux frères ! Le Seigneur vous a révélé la terre qu’il va donner à ses saints. Ce fleuve coule en son milieu. Mais il ne vous est pas permis d’aller au-delà. Retournez donc d’où vous êtes venus…
Je l’interrogeai aussitôt sur son origine et sur son nom et il répondit : Pourquoi me demandes-tu d’où je suis et quel nom je porte, mais rien concernant cette île ?
Telle que tu la vois maintenant, telle elle fut depuis l’origine du monde. As-tu besoin de nourriture, de boisson, ou de vêtements ? Non ! Or tu es ici depuis un an ! Et jamais tu n’as eu besoin de sommeil. La nuit ne t’a jamais recouvert de ses ténèbres, car le jour y est perpétuel. Notre Seigneur Jésus Christ est la lumière de cette terre.
Nous fîmes route ensemble jusqu’au rivage où était notre embarcation, mais l’homme disparut dès que nous fûmes montés à bord. Et toujours enveloppés de la même brume si épaisse, nous mîmes le cap sur l’île Délicieuse. Dès que les frères nous virent, ils se réjouirent grandement de notre retour, et déplorèrent notre absence qui avait duré une année, en disant : « Pourquoi donc, pères, avez-vous laissé si longtemps vos brebis sans pasteur ? Nous étions habitués seulement à ce que notre abbé se retire de cette île pour une semaine ou deux, voire un peu plus ou un peu moins. Mais jamais pour une année entière ! »
J’entrepris alors de les réconforter en leur disant : « Mes frères, ne pensez à rien qui ne soit du bien. Votre île est aux portes du Paradis. Non loin se trouve l’île appelée Terre promise aux saints, la nuit n’y descend jamais, le jour y est infini ! C’est là-bas que votre abbé se rend si souvent. Un ange du Seigneur veille sur elle. Ne sentez-vous point à l’odeur qui imprègne nos vêtements que nous t
Cet avatar de Belin/Belen ou de Taran/Toran/Tuireann voire encore de Lug, a pour parèdre Wanda/Fand, la Vénus celte dont le nom signifie également « hirondelle » en irlandais (Vadnalo/Vandalo en berla féné ou en vieux celtique). Wanda/Fand qui aura une aventure amoureuse avec le hesus Cuchulainn. Belin/Belen/ Manannan est le père de nombreux enfants divins ou humains. Il a notamment pour fils Donall Donn-Ruadh, Sgoith Gleigeil, Goitne Gorm-Shuileach, Sine Sindearg et Ilubrectos/Elubrectos (Ilbrech en gaélique).
Il sera aussi chargé d’élever un certain nombre de dieux, dont Lug en personne. Il aurait pris l’enfant menacé de mort par son grand-père Balaros/Balor, dans sa cape magique, et l’aurait ensuite emmené avec sa barque de cristal ou de bronze, dans l’Autre Monde, son royaume au-delà des mers.
Il sera aussi le père de Monganos par Cantigerna, la femme de Fiacha, car Monganos (Mongan) n’a sans doute été qu’une réincarnation ou un avatar… de cet avatar de Belin/Belen en Irlande. Il fut par exemple transporté dans la « Terre de Promesse » (christianisation du Sedodumnon) trois jours (ou plus exactement trois nuits) après sa naissance.
Au nombre de ses pouvoirs, comme nous avons pu le voir, il y a ses dons de métamorphose et d’ubiquité, ainsi que son rôle psychopompe. Si le Side se situe sous terre, on y accède toujours en effet par-delà les eaux (mers, lacs, fleuves). C’est donc lui également qui guide les âme/esprits des défunts vers le paradis celtique situé au-delà des mers ; du moins sur une partie du parcours, et c’est donc toujours lui par conséquent qui guidera Merlin et Taliesin accompagnant le roi de Bretagne Arthur dans son dernier voyage vers l’île d’Avallon (cf. Geoffroy de Monmouth, Vita Merlini).
Barinthus/Manannan avait une embarcation magique qui naviguait d’elle-même. Cette embarcation n’avait ni voile ni rame, mais se rendait automatiquement ou d’un seul coup là où l’on voulait.
S’il vous arrive un jour ou une nuit de tempête, de vous promener au bord de la mer, face aux vagues montant et déferlant devant vous ; alors vous aurez peut-être, vous aussi, la chance d’apercevoir Belinos Barinthus Manannan dans son bateau magique courant sur les flots ; ou bien la chance d’entendre la merveilleuse et envoûtante musique de la branche de pommier en argent se trouvant dans cette île. Car Belinos Barinthus Manannan vit toujours dans le cœur des vrais Celtes.
FRANCE.
La déformation et la disqualification (ou la diabolisation) de l’idéal Abellinien au Moyen-âge en France.
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Le Prince Belin du Jura et le seigneur Belin du Bas-Maine sont les ultimes avatars de ce dieu-ou-démon celtique.
Il y avait autrefois un Monsieur de Belin, seigneur impétueux et redoutable. Chassé de la ville du Mans (dont la christianisation précède évidemment celle de la campagne), il s’était réfugié dans son château d’Orthe. Il montait un cheval blanc merveilleux nommé, à cause de sa rapidité, l’Oiseau. Ce cheval, qui devait l’emmener d’un bond à quatre lieues de là, était le démon en personne. Il a imprimé son talon sur un bloc de granit, à deux kilomètres de la chapelle de Notre-Dame. C’est la « pierre talonnée » ; qu’un document de 1455 appelle la Roche-Belin. Madame de Belin, elle, est une damnée. Toutes les nuits, elle revient dans un char de feu, traîné par des coursiers vomissant également des flammes par les naseaux. Quant au chêne enfermé dans la chapelle, ce n’est plus qu’un très vieux tronc mort, protégé par un grillage. En son temps, avant qu’il y eût là une chapelle, Monsieur de Belin avait vu un bœuf qui regardait l’arbre. Le bœuf était toujours jeune et vigoureux, bien qu’il ne mangeât point. Etc. Etc. Suivent des détails qui marquent les tentatives de christianisation primitives : Monsieur de Belin voulut chasser le bœuf ; le bœuf faillit le mettre en pièces ; Monsieur de Belin dut implorer la Vierge. Elle lui imposa de bâtir une chapelle au chêne. Il répara ses scandales passés par une vie édifiante. Madame de Belin, elle, un moment chrétienne, est morte impénitente, etc., etc.
Belinos a survécu dans le français dialectal « belin » avec le sens de « sorcier » d’après W. von Wartburg et, autre indice qui ne saurait tromper longtemps, c’est la disqualification chrétienne dont témoigne le toponyme « Maubelin » (le « mauvais Belin »).
Le Prince Belin de nos légendes se retrouve d’ailleurs aussi dans diverses chansons de geste du Moyen-âge (la chanson de Fierabras par exemple, etc.)
Tout Sarrasin qu’il soit, Balan y apparaît en effet avec les cheveux blonds, les yeux clairs, et un cheval blanc.
Il est le type parfait du héros solaire et son nom ne fait qu’ajouter à son caractère. Le pays de Balan se présente un peu comme l’Autre Monde druidique : pour y parvenir, il faut franchir une montagne et un pont magique dans la plus pure tradition celtique.
La fille de Balan se nomme Floripas, ce qui est à rapprocher de la légende galloise de Blodeuwedd, qui forme la dernière partie du Cad Goddeu.
Notre seigneur Belin apparaît sous la forme Balan ou Balin dans le cycle arthurien (le chevalier aux deux épées).
La tragique histoire de Balin nous est en effet racontée dans la suite en vieux français du Merlin et dans la Morte d’Arthur de Malory en anglais. Balin et Balan sont deux infortunés frères qui, en dépit de leur noblesse, finiront tôt ou tard par s’entretuer. Balin notamment semble particulièrement maudit. Quand il offre sa protection à un chevalier de rencontre, il s’avère par exemple incapable d’entrevoir ni même de voir le danger qui finira par avoir raison de ce chevalier, le traître Garlon qui est invisible à cheval. Et en essayant de venger sa mort, il fera de même dans le château du roi Garlon et finira en se défendant par tuer le seigneur du château, le roi Pellam, avec la lance sacrée qui avait percé le flanc du Christ. Bien que le coup ait été porté sans savoir et en état de légitime défense, ce sera le coup douloureux, qui dévastera le pays (hommes malades, estropiés ou morts, arbres abattus, moissons perdues, foudres, avalanches) et infligera une blessure qui ne guérira que quand la quête du Graal sera terminée. Il faudra donc pour cela attendre Galaat, seul chevalier digne de rompre cet enchantement.
Belain ou Balainn le sauvage finira par mourir dans une île au cours d’un duel avec son frère (qu’il n’a pas reconnu).
DERNIÈRE MINUTE. NOTE À PROPOS DU MESSIANISME DE TYPE ABELLINIEN.
L’Église a dû se résoudre à christianiser superficiellement Belin/Belen en faisant de lui saint Michel, qui se substitua donc au dieu-ou-démon Belenos. Le mont Saint-Michel s’appelait d’ailleurs autrefois Tombelaine, c’est-à-dire Tombe-Belen.
Belin/Belen peut-il revenir un jour, du dernier long voyage entrepris par lui (son occultation par disparition dans l’Autre Monde) ? Notre réponse est « Oui, un jour Belin reviendra ! Car le soleil revient toujours, invaincu ! » Et ce, malgré les insultes racistes proférées à son égard par le Livre des chrétiens qui assimile notre pauvre « Apollyon » à un petit satan nommé Abaddon (Apocalypse, 9, 11).
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Le christianisme va en effet très rapidement développer une vision très négative du rêve, et sous sa férule, il commencera une longue descente aux enfers, le diable ou les démons étant censés être à son origine. Dès 813, des mesures répressives seront prises contre ses diverses interprétations. Il faudra donc attendre, ainsi que nous l’avons vu, Carl Gustav Jung, pour que le rêve retrouve son rôle d’avertissement, voire de prémonition.
Mais pour Jung les songes exprimeront aussi, et ça, ce sera nouveau, les angoisses et les aspirations de notre société.
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LE DIEU CHIRURGIEN, DES GUÉRISSEURS ET DES SORCIÈRES : DIANCECHT/ DEINOCACECTIS.
L’atténuation de la douleur, la guérison au moins apparente, l’éloignement de l’inéluctable échéance, comptent parmi les aspirations les plus légitimes de l’être humain.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le souligner dans le chapitre qui précède, comme la médecine druidique ancienne (que l’on ne se méprenne pas, ce n’est pas parce que nous en parlons ici que nous recommandons d’y revenir absolument) comme la médecine druidique ancienne était de type holistique, des dieux différents ou spécialisés pouvaient intervenir pour tout faire rentrer dans l’ordre en ce domaine.
Nous venons de voir le cas de Belin (Borvo Grannos Moritasgos) en tant que dieu guérisseur, mais il y avait aussi Lug.
À Mandeure (département français du Doubs), il a été découvert deux cachets d’oculiste (la médecine ophtalmologique sur le Continent était en effet une spécialité druidique comparable à la médecine grecque de l’époque) qui portaient la signature du médecin gaulois L.F. Mercurialis. L’adoption d’un tel surnom signifie certainement que le praticien se plaçait sous le patronage de Lug qui aurait été alors gratifié de vertus curatives avec une spécialisation dans l’ophtalmie.
Les compétences médicales de Lug apparaissent d’ailleurs clairement dans un épisode de la Táin bo Cuailnge, lorsqu’il vient prêter secours à son fils Cu Chulainn.
On connaît en Irlande de très nombreux tobar na suil « fontaine des yeux » qui guérissaient des affections oculaires. À l’occasion des festivités populaires de Lugnasade, il était courant de se rendre à une source ou à un puits. C’était notamment le cas à Tristia (comté de Mayo) où l’un des pouvoirs curatifs associés à un puits concernait les maux des yeux. Ce n’était pas un cas isolé puisque des rites de guérison de cet organe se retrouvent à plusieurs endroits de l’île.
En France, certaines sources étaient dédiées à saint Gengoult, comme à Ormes (Aube), où elle avait le pouvoir de guérir les ophtalmies ; en tant que patron des « mal mariés », la guérison des yeux apportée par Gengoult devait permettre aux conjoints trop crédules d’ouvrir les yeux. Dit autrement, thérapie holistique à l’envers, tu es mal marié, va te faire soigner les yeux ! Humour !
Disons que la médecine celto-druidique est une médecine qui prend en compte tous les aspects d’une personne pour soigner ses maux. C’est-à-dire prend en compte son état psychique, spirituel et son état de santé général, plutôt que de se concentrer uniquement sur un symptôme. La médecine celtodruidique insiste sur le fait que les maux psychiques des êtres humains se traduisent souvent par des maux physiques, et qu’il est inutile de traiter l’aspect physique sans traiter l’aspect mental. C’est donc la globalité de l’être humain qui est soignée.
N.D.L.R. La relation entre l’œil et le soleil peut se comprendre de la sorte : les peuples issus des Indo-Européens – avec des attestations formelles en Inde et en Grèce – ont défini la vision comme un feu dans l’eau de l’œil ; avec l’homologie microcosme-macrocosme, la vision est décrite comme une émission de lumière ignée provenant des astres – en particulier le soleil – qui sont les yeux qui voient.
Depuis l’aube des temps, l’homme a essayé de soulager les souffrances corporelles de ses semblables. Il s’est d’abord servi de ses mains pour cela et s’est donc très vite rendu compte qu’elles pouvaient soulager, voire guérir. C’est ainsi que toutes les traditions de l’Humanité ont connu les thérapies manuelles sous diverses formes. Le docteur Still, le fondateur de l’ostéopathie moderne, était d’ailleurs non seulement médecin, mais aussi rebouteux.
Pendant des millénaires, bien avant l’apparition de la médecine prémoderne, de type druidique ou grec, les guérisseurs furent des personnes respectées, voire craintes.
Ces hommes et ces femmes que l’on appelait communément « guérisseurs » « rebouteux » ou « sorcières » faisaient profiter de leurs dons et de leurs savoirs des plantes médicinales les personnes qui venaient les consulter.
Au Moyen-âge en Europe, il n’existait pas de frontière bien définie entre médecins, guérisseurs, sorcières.
Notons néanmoins d’emblée que le temps des guérisseurs traditionnels, qui exerçaient en milieu rural et disposaient d’un véritable savoir en pharmacopée, est pratiquement révolu. Il n’en subsiste plus
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sous nos latitudes (nous ne parlons pas ici des chamans amazoniens ou autres). De nos jours par contre nos villes abritent un grand nombre de charlatans.
L’Irlandais Deinocacectis (Diancecht) est l’ultime descendant intellectuel des chamans guérisseurs de la forêt hercynienne (des chasseurs-cueilleurs de la forêt hercynienne).
Autre nom d’après nos textes : Scal Balb. Il est dit fils du Suqellos Dagda Gargant. Son harpiste était un dénommé Corann. Diancecht était le père de Ceno/Cian (et donc le grand-père de Lug) Cu et Cethné. Ses autres enfants s’appelaient Miacos/Miach (le boisseau), Aremiacos/Ormiach (le grand boisseau), Aremedia/Airmed (la mesure) ainsi qu’Etan la poétesse selon certains manuscrits.
En Irlande, Diancecht est aussi connu sous les noms de Cainte, Canta, autrement dit par une référence à la notion d’incantation. Diancecht aurait-il été un vulgaire caragius ?
Saint Césaire d’Arles est le premier, semble-t-il, à avoir utilisé ce mot. Après lui, il a été utilisé, notamment dans l’article IV des actes du synode d’Auxerre, tenu en 578, à l’initiative de saint Aunaire, évêque de cette ville : « Non licet ad sortilegos, vel ad auguria respicere, vel ad Caragios » « Il est défendu de consulter les sorciers, les augures, les devins… »
Dispositions reprises, en 598 par un autre concile tenu à Narbonne : « Si qui viri ac mulieres divinatores, quos dicunt esse Charagios atque sorticularios… » (Si des hommes et des femmes, qu’on dit être des magiciens et des sorciers…)
Pour certains son nom signifierait : « prise rapide » et il évoquerait la précision du geste du rebouteux qui peut remettre en place les nerfs « froissés » ou les tendons « qui sautent », dénouer les muscles, soigner les « foulures » et les articulations démises voire les fractures.
Dans la mythologie gaélique Diancecht/Deinocacectis est le dieu-ou-démon-médecin de la tribu de la déesse-ou-démone ou bien fée si l’on préfère, Danu (bia) ; le dieu-ou-démon par excellence de la médecine militaire et guerrière.
Sa fonction relève des trois classes du schéma indo-européen (sacerdotale, militaire, artisanale), tel qu’il a été naguère étudié par Georges Dumézil. Il est spécialisé dans la médecine sanglante et son pouvoir est surtout celui de détenir le secret des herbes et des sortilèges. Non celui de guérir comme le soleil abellinien et sa médecine mentale (ou psychanalytique comme à Grand).
À en croire les bardes irlandais, c’est lui qui aurait jadis sauvé l’Irlande et aurait été à l’origine indirecte du nom de la Rivière Barrow.
La Morrigu, féroce épouse du dieu du ciel, avait donné naissance à un fils à l’aspect si terrible que le médecin des dieux y voyant un possible danger conseilla qu’il soit tué avant de devenir adulte. Cela fut fait et Diancecht ouvrit donc le cœur du nourrisson. Il trouva à l’intérieur trois serpents, capables, une fois devenus adultes, de faire périr tous les habitants d’Irlande. Il écrasa donc sur le champ ces serpents et les réduisit en cendres. Ensuite il jeta les cendres dans la rivière la plus proche, car il craignait qu’elles ne constituent encore quelque danger ; et effectivement, ces cendres étaient encore si venimeuses que la rivière se mit à bouillir et que toutes les créatures qui vivaient en son sein périrent. C’est pourquoi la rivière fut dès lors appelée Barrow, la « bouillante ».
Ah ces bardes irlandais !
Il aurait enchanté une fontaine appelée Slane, située à l’ouest de Mag Tured et à l’est du lac Arboch, où les Tuatha Dé venaient se baigner après avoir été blessés, ils en ressortaient guéris et pouvaient reprendre aussitôt le combat. Cette fontaine en effet guérissait tout sauf la décapitation.
Dans le récit du « Cath Maighe Tuireadh » (bataille de la plaine des piliers) en effet, il soigne et rétablit les blessés, ou ressuscite les morts en les immergeant dans la Fontaine de Santé (Slane), tout en chantant des incantations rituelles et magiques ; Aremedia/Airmed collecte les plantes médicinales destinées à la fontaine. Lorsque Noadatus/Nuada Airgetlam a le bras sectionné dans la première bataille de la plaine des piliers de pierre, il lui fabrique une prothèse en argent pour pallier cette infirmité et donc lui redonner la souveraineté. Par la suite, par jalousie, professionnelle en quelque
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sorte, ou pour une autre raison, il tue son fils Miacos qui avait greffé un véritable bras humain à Noadatus/Nuada. C’est donc un dieu-ou-démon vindicatif et belliqueux.
Du moins toujours à en croire les bardes du Moyen-âge irlandais. La sœur de Miach ; Airmed (une petite image en pierre trouvée à Grand, et actuellement conservée au musée d’Épinal, la représente dans une officine de pharmacie) s’effondra en pleurs sur la tombe de son frère et de sous ses larmes sortirent toutes les herbes médicinales du monde. Airmed rangea et classa toutes ces plantes, mais Diancecht en éprouva de nouveau colère et jalousie et il dispersa toutes ces herbes, en détruisant ainsi l’œuvre de sa fille et de son fils. Voilà pourquoi dit-on il est impossible à un être humain de connaître vraiment les propriétés curatives de toutes ces plantes.
Diancecht aurait été aussi capable de guérir Medros/Mider quand il eut perdu son œil après avoir été touché par une baguette de noisetier.
À en croire les gloses de Saint-Gall certains Irlandais en plein 8e siècle lui adressaient encore ainsi qu’à Gobannos/Goibniu, des prières de guérison.
« Admuinur in slánicid foracab dian cecht liamuntir coropslán ». « Je fais appel au remède que Diancecht a enseigné aux siens, afin que toute partie du corps où il pénètre recouvre son intégrité ».
L’exploit peu commun que les apocryphes irlandais prêtent à ce dieu des guérisseurs et des sorcières comme Airmed (une prothèse en argent pour remplacer une main coupée) ne doit pas nous faire oublier que dans le monde réel qui est le nôtre le recours à un guérisseur ne donne souvent d’excellents résultats que lorsque la pathologie est d’ordre psychologique. En prenant en charge le stress notamment, les effets cliniques d’un eczéma ou d’un psoriasis ont de bonnes chances de diminuer rapidement ! Les guérisseurs les plus souvent reconnus sont ceux qui traitent les verrues récidivantes ou arrêtent les zonas. Effet placebo ou phénomène inexplicable ?
Mais si le patient peut tirer une amélioration de son état en complément et sans interférence avec son traitement médical, pourquoi se priver de cet adjuvant ?
Un guérisseur vraiment guidé par une éthique druidique de haut niveau ne se substituera jamais à votre médecin. Il ne vous dira pas d’arrêter tout traitement (sans avoir éventuellement consulté ce dernier). Si le charlatan fait payer son supposé don au prix fort avant même le début du traitement, celui qui possède un réel pouvoir est généralement plus modeste. Il connaît les limites de son art et ne demande qu’une participation minime voire même rien du tout ! Si le traitement s’avère efficace, il sera toujours temps pour la personne traitée de rendre le service à « l’homme de l’art ». Méfiez-vous donc des sommes folles que l’on peut vous réclamer, dans ce cas, mieux vaut fuir…
NOTE À PROPOS DU MESSIANISME DE TYPE DIANCECHT.
(« Un beau matin Diancecht reviendra et ce sera pour toujours ».)
D’après le poète gaélique Eochaid Ua Flainn, mort autour de l’an mil, Diancecht a toujours eu l’habitude d’entreprendre de longs voyages : Dian Cécht fri dul rot roichthle. Fri dul rot roichthle signifie : aimait bien faire de longues tournées.
Cette phrase d’Eochaid Ua Flainn nous amène donc à poser la question suivante : Diancecht reviendra-t-il un jour du dernier long long voyage entrepris par lui (son occultation par disparition dans l’Autre Monde) ? Notre réponse est « Oui, Diancecht un jour reviendra ! C’est même déjà fait ». La science redécouvre aujourd’hui les anciennes recettes empiriques, et beaucoup de médicaments sont à base de plantes. C’est très bien ! Mais attention, les plantes contiennent des principes actifs. Il est donc indispensable de demander préalablement l’avis de votre phytothérapeute ou de votre pharmacien. Il y a toujours un risque d’allergie, dont les conséquences peuvent être graves. Certaines plantes peuvent être contre-indiquées, ou diminuer, voire annuler, l’action de médicaments qui vous sont indispensables.
Si nous avons en un siècle gagné plusieurs décennies d’espérance de vie, c’est bien grâce aux progrès de la médecine officielle. Priorité à la science : on ne guérit pas d’un cancer avec des tisanes.
Au quotidien, les remèdes de rebouteux peuvent être utiles pour les traitements d’appoint. Après vérification qu’il n’y a pas, médicalement parlant, de contre-indication.
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CAMULOS SMERTRIOS.
Contrairement à ce que pensent les Français depuis que Lucien de Samosate s’est fait rouler dans la farine par un druide de Marseille à ce sujet, le véritable Hercule celte n’est pas Ogmios/Ogma, mais Camulos.
Ce que nous en dit la documentation irlandaise est d’ailleurs très clair à cet égard. Il est dit fils de Trenmor, ce qui signifie grand et fort.
Camulos sera donc représenté dans notre documentation comme un véritable Hercule au sens strict du terme c’est-à-dire comme un homme de grande taille si ce n’est un géant, et doué d’une force physique peu commune. Un point c’est tout.
Camulos est un théonyme figurant sur une inscription trouvée à Bar Hill dans le Dunbartonshire : Deo Marti Camulo. On le retrouve aussi dans les noms de lieux Camulodunum (Colchester, Almondbury, Yorkshire) Camulosessa Præsidium (Castle Greg en Écosse). Le toponyme Camilty vient sans doute également lui aussi du nom de Camulos (Camulos Treb, le « village de Camulos ») et le nom de Camulos se retrouve peut-être même dans celui de la cité arthurienne de Camelot.
La récente découverte à Londres d’une plaque de bronze portant l’inscription NVM AVGG DEO MARTI CAMVLO TIBERINIVS CELERIANVS C BELL MORITIX LONDINIENSIVM MVS ; semble associer Camulos aux combats de gladiateurs (C BELL peut en effet se comprendre comme « custos bellatorum », autrement dit « responsable des gladiateurs »). Ce qui ferait dans ce cas de Camulos un patron des arts martiaux. L’inscription signifie : « au divin empereur et au dieu Mars Camulos, Tiberinius Celerianus, responsable des gladiateurs, Moritex de Londres ».
Dans la mythologie d’Irlande, ainsi que nous l’avons déjà vu, Cumhal (ou Cumal) est un dieu-ou-démon guerrier, fils du roi des enfants de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), Noadatus/Nodons/Nuada, époux de Muirné ainsi que père de Vindos/Finn, appelé Demne (le daim) lorsqu’il était enfant. Voulant épouser la belle Muirné, contre l’avis de son père le druide Tagd, maître du side d’Almu, il doit l’enlever. En guise de représailles, Tagd fait intervenir le roi d’Irlande, Conn Cetchathach (Conn aux cent batailles), qui le déclare hors-la-loi. La bataille de Cnucha opposera donc Conn et Cumhal. Ce dernier y sera tué par Goll mac Morna, qui prendra dès lors la tête des Fénianes.
Camulos est aussi un théonyme qui, sur le Continent, se retrouve dans diverses inscriptions. À Mayence et à Rindern en Allemagne où il est assimilé à Mars, à Solin en Croatie, où il est associé à Jupiter ainsi qu’à Épona, en Italie à Rome où il est associé à Jupiter, Arduinna, Mercure, et même Hercule, à Reims. La pierre de Rindern est intéressante : un arbre et une couronne de feuilles de chêne y sont gravés. À Sarmizegetusa en Roumanie, on trouve la forme Camulus. Voir également l’anthroponyme Camulogenos par exemple. Ce nom est très proche de celui de Cumhal (un héritage celtique commun ?). Ce qui porte à croire que ce héros ne serait donc qu’une figure évhémérisée du dieu-ou-démon de la guerre, mais l’importance de cette divinité dans le monde celtique trahit très nettement la préférence des Celtes pour le combat singulier ou le duel. Les Romains vont néanmoins l’assimiler à Mars.
À noter que le pendant gallois de Vindos/Finn fils de Cumhal, est Gwynn ap Nudd, autrement dit Gwynn fils de Nudd. Le nom de ce Nudd (doublon du roi Llud) est l’aboutissement phonétique du nom du dieu-ou-démon brittonique Nodons (Mars) et correspond à l’Irlandais Nuada. Comme Nodons et Camulos sont des surnoms se rapportant au dieu-ou-démon romain de la guerre Mars, il est possible que Cumhal ne soit en définitive qu’un double héroïque de son père, le roi des dieu-ou-démons Noadatus/Nodons/Nuada.
La présence de Smertrios (du celtique *smer – abondance, et *tris – trois) sur le pilier des nautes parisiens, prouve à l’évidence qu’il faisait partie des dieu-ou-démons les plus connus du panth-éon ou plérôme druidique ; mais qu’il s’agit peut-être d’un aspect ou avatar du dieu-ou-démon Noadatus/Nodons/Nuada. Lludd au Pays de Galles est, lui aussi, un chasseur vainqueur de serpents. On retrouve son nom dans celui des Smertae, une tribu des Hautes Terres d’Écosse, mais aussi à Grossbuch en Norique (région à cheval sur l’Autriche et la Slovénie, civilisation de Hallstatt).
Les monstres, quand ils ne sont pas divins, sont aussi ennemis de l’Homme et du bétail : le dieu-ou-démon qui les supprime et rend ainsi possible la prospérité, porte un beau nom, le « Pourvoyeur », en celte Smertrios. Même radical que dans le nom de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Rosemartha.
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Ainsi que nous l’avons vu, il est figuré sur l’un des bas-reliefs de Paris, sous les traits d’un athlète barbu qui lève sa massue sur un grand serpent dressé devant lui. Ce champion de la force physique ressemble à Hercule dont le sculpteur lui a d’ailleurs donné l’aspect, mais son nom, bien celte (Smertrios) met l’accent sur son caractère bénéfique. Cet Hercule celtique n’emploie sa vigueur exceptionnelle qu’à exterminer les ennemis naturels de l’espèce humaine. Ces monstres représentent les forces du mal, perpétuelle menace contre l’harmonie du monde.
Comme dans le cas du monstre appelé Tauriscus par Ammien Marcellin, ou à Tarascon en Provence.
Notre conviction à nous néanmoins, très sachants de la druidiaction d’aujourd’hui, c’est que le dragon « cracheur de feu par l’anus » dont il va être question n’a jamais été un monstre ayant réellement existé (une sorte de moufette géante hybride ?), mais un symbole représentant ou synthétisant les peurs ancestrales de l’Humanité. D’où le mythe celte de Camulos Smertrios terrassant Tauriscus, le serpent à tête de taureau cracheur de feu (son venin)
Quant au Nerluc des légendes (dorées) chrétiennes, c’est certainement plus un « Bois Noir » qu’un « Lac Noir », un « Bois Noir » sans doute analogue à la mystérieuse forêt des environs de Marseille décrite par Lucain. Cette forêt aussi hantée par des dragons cracheurs de feu ayant été aussi par la suite de la même façon à Marthe (la Sainte Baume) il ne sera donc pas sans intérêt d’en dire deux mots également.
« Non, loin de la ville, il y avait un bois sacré.
Que, depuis les temps les plus anciens
Aucune main humaine n’avait osé violer ;
Il s’étendait dans l’ombre d’un ubac
Et retenait dans ses branches entrelacées
Les ténèbres ainsi que les ombres glacées.
En ce lieu ne demeuraient ni Pans paysans
Ni Sylvains ni même des Nymphes
Mais des rites sauvages et des cultes barbares,
D’horribles autels érigés sur des tertres sinistres ;
Chaque arbre y dégouttait de sang humain.
S’il est possible d’accorder quelque crédit à la crédule Antiquité
Aucun oiseau ne s’est jamais posé sur ses branches
Et aucune bête sauvage n’y a jamais aménagé de tanière,
Le vent ne s’abat jamais dans ce bois
Ni la foudre jaillissant des nues.
L’air y est lourd, stagnant, immobile,
Mais les feuilles frissonnent quand même mystérieusement ;
L’eau s’écoule de sombres fontaines ;
De sinistres effigies [latin simulacra] des dieux, grossièrement façonnées,
Figurent sur des troncs d’arbre tombés,
La pâleur même du bois vermoulu
Ainsi que la décomposition de leurs formes,
Répandent la terreur
Car les hommes craignent moins les divinités
Dont les représentations leur sont familières
Tant ajoute à la terreur le fait de ne pas connaître les dieux.
On disait déjà que des tremblements de terre faisaient mugir certaines cavernes,
Que des ifs qui n’avaient pas poussé droit se redressaient ;
Que des langues de feu ardent avaient été vues dans les profondeurs de la forêt,
Mais que les arbres n’y brûlaient pas pour autant,
Et que des dragons s’enroulaient autour de ses troncs en de multiples anneaux.
Les hommes fuient ce lieu
Et ne s’en approchent pas pour célébrer leur culte,
Même le prêtre
Que Phébus soit à son zénith
Ou que la nuit noire obscurcisse le ciel,
N’approche de ce bois sacré qu’avec crainte
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Et redoute d’y surprendre son seigneur ».
À se demander donc si, dans cette légende de la tarasque, sainte Marthe ne figure pas le christianisme triomphant du paganisme et cette légende dorée chrétienne n’est peut qu’une adaptation locale d’un tel mythe (nos ancêtres avaient beaucoup d’imagination).
Les Romains ont également assimilé Camulos Smertrios à Mars et notamment à Mohn (Smertulitanus est sans doute une variante du nom) ainsi qu’à Coblence en Allemagne par interpretatio romana, où il est invoqué en compagnie de Vindoridius et Boudena. En tant qu’Hercule de nombreux souverains et notamment les empereurs gaulois du IIIe siècle ont favorisé son culte : sur les monnaies de Postumus, le dieu-ou-démon porte même des surnoms indigènes.
Une des particularités du culte celto-romain d’Hercule est que les femmes n’en étaient pas exclues, comme c’était le cas par contre à Rome. Ainsi à Corbridge, l’une d’elles était même prêtresse du dieu-ou-démon. Cette participation féminine semble être typiquement celtique.
Surnoms du Camulos Smertrios (appelé Hercule par les Romains).
Alabuandus, Andossus, Devsoniensis, Graius, Hveteris/Hvitiris/Vitris, Hunnus, Ilunnus, Magisus, Magusanus, Mertronnus, Saegon, Saxanus, Toliandossus.
Divers auteurs ont rapproché cette divinité du Mogons ou Moguns mentionné par certaines inscriptions. Mogetios, Mogounos, Mogti, Mounti, Mogont, Mogunt. Le terme ne semble ni latin ni germain, et se réfère peut-être à une notion de « puissance » au sens propre du terme (force physique). Le fait que ses dédicants soient pour la plupart de simples soldats plaide en faveur de cette interprétation littérale du terme. D’autres auteurs l’ont rapproché d’un des noms d’origine de saint Patrice : Magonus. Sur le continent l’on a Magunia, Magunius, Maguno, Magunna, Magonus, Magunus, Magono-rix.
Pour d’autres enfin, Smertrios ne serait, lui aussi, qu’un aspect de Noadatus/Nodons/Nuada. Phénomène bien connu sous le nom de pempedulie. Le fidèle de base se choisit une divinité ou un aspect concret du divin, un avatar, auquel il s’intéresse tout particulièrement et à qui, par conséquent, il s’abandonne entièrement, ce que l’on appelle istadevata (en Inde) ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de signaler.
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NOADATUS/NODENS/NUADA/NUDD ET LE ROI ARTHUR.
L’archétype jungien du bon roi. Bon roi Noadatus ? Ce qui est certain c’est qu’il fut un roi meilleur ou du moins plus apprécié de ses sujets que son successeur Bregsos/Bres, l’usurpateur qui prit sa place après qu’il eut perdu un bras ou une main accidentellement. Et qu’il a été de nouveau choisi comme roi des dieux avant même que ce dernier soit militairement vaincu.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le constater, la hiérarchie du panthéon irlandais diffère en de nombreux points de la hiérarchie du panthéon indo-européen.
Dyeus Pater est par exemple le grand dieu du ciel diurne et l’empereur des dieux du panthéon indo-européen. Son nom survit dans le grec Zeus avec un vocatif de type Zeu Pater, le latin Jupiter (du latin archaïque Iovis pater, Diespiter), le Sanscrit Dyaus Pita. Et cela correspond formellement à Taran/Toran/Tuireann.
Ce panthéon irlandais semble notamment constamment en mouvement et traversé d’évolutions diverses, contrairement au panthéon celtique de Grande-Bretagne ou du Continent.
La principale raison en est évidemment que le panthéon celtique a survécu dans cette île beaucoup plus longtemps qu’ailleurs et que les bardes christianisés ont eu tout le temps de le remanier à leur guise.
Mais il existe peut-être aussi d’autres causes que nos chercheurs en druidisme découvriront sans doute un jour.
Une chose saute aux yeux dans les légendes irlandaises néanmoins, la rivalité entre la famille de Taran/Toran/Tuireann et celle de Lug.
Autre singularité, l’étrange succession des rois de cette société divine qui ne peut qu’être due qu’à l’influence des bardes chrétiens qui n’étaient plus accessibles à la notion d’immuable et ont fini par la concevoir comme la société humaine, encore plus qu’avant. Alors que le mythe est globalement an-historique et intemporel.
Mythologie gaélique donc.
Noadatos en vieux celtique, Nuada Airgetlam en gaélique, Nudd ou Lludd Llaw Ereint en gallois. Formes latinisées : Nodens, Nudens, Nodons en Grande-Bretagne.
Julius Pokorny fait venir son nom d’une racine proto-indo-européenne *neu-d – signifiant « acquérir, utiliser, pêcher ». Cette hypothèse étymologique tire son importance du fait que Noadatus est parfois cité comme un dieu-ou-démon psychopompe, pêchant les âme/esprits des hommes ; et à ce titre, le Roi pêcheur du cycle arthurien, qui tente d’attraper le saumon de la sagesse, Pellès, est donc souvent considéré comme étant inspiré par le personnage de Noadatus. Les deux ont en commun le pouvoir de guider les hommes vers un autre état : la mort pour Noadatus, un état de conscience supérieur (symbolisé par le Graal) pour Pellès.
En Grande-Bretagne, les fouilles du parc de Lydney (sur l’embouchure de la Severn) ont mis à jour un grand site comprenant un temple, une maison d’habitation, et des thermes. Noadatus y apparaît sur diverses inscriptions (dont une defixio) trouvées dans le temple de Mars Nodens (Templum Marti Nodentis). Le temple mesure 72 mètres de long et 54 mètres de large, et il a une cella mesurant 49 mètres de long pour 29 mètres de largeur. Son extrémité nord-ouest est constituée de trois pièces de six mètres. Ce temple fut construit un peu après 364 et continua d’être utilisé jusqu’au Ve siècle. Il a fourni plusieurs inscriptions dédiées à Noadatus. Un bras en métal y a été trouvé, ainsi que nous allons le voir.
Texte de la defixio trouvée sur place.
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DEVO NODENTI SILVIANVS ANILVM PERDEDIT DEMEDIAM PARTEM DONAVIT NODENTI INTER QVIBVS NOMEN SENICIANI NOLLIS PETMITTAS SANITATEM.
Au dieu Noadatus, Silvianus a perdu un anneau, il a donné la moitié [de sa valeur] à Noadatus. Au dénommé, entre autres, Senicianus, n’accorde plus la santé.
Une autre inscription, qui figure sur un plat en bronze, assimile Noadatus au dieu-ou-démon Mars par interpretatio romana.
D M. NODONTI FLAVIVS BLANDINVS ARMATVRA.
Au dieu Mars Nodons, Flavius Blandinus, entraîneur de gladiateurs.
Un autre plat porte l’image d’un chien de chasse en train d’aboyer, semble-t-il, et assimile également Noadatus à Mars par interpretatio romana.
PECTILLVS VOTVM QVOD PROMISSIT DEO NVDENTE M. DEDIT.
Pectillus offre cet ex-voto qu’il avait promis au dieu Noadatus Mars.
Par contre, deux autres inscriptions du parc de Lydney semblent assimiler Noadatus à Mercure, ce qui montre bien que les Romains hésitaient en ce qui le concerne.
La cella était dotée d’un sol en mosaïque. Ce qui en reste laisse entrevoir des dauphins, des poissons et des monstres marins. Les objets en bronze découverts sur place comportent des reliefs montrant une déité marine, des pêcheurs et des tritons. Un autre des objets en bronze découverts lors des fouilles représente un dieu-ou-démon marin conduisant un char, entre des putti porte-torches (des représentations de nourrissons joufflus et moqueurs) et des tritons. En outre ont été trouvés sur place neuf chiens en pierre ou en bronze, dont certains semblables aux lévriers irlandais, une plaque en bronze avec une femme gravée dessus, un bras en bronze, un cachet d’oculiste, environ 320 fibules, près de 300 bracelets ; ainsi que plus de 8 000 pièces de monnaie qui ont permis de dater la construction.
L’iconographie met donc en évidence une nette association de ce dieu-ou-démon à la mer, alors que les chiens, les fibules, et les bracelets, font plutôt penser à une divinité guérisseuse. Le chien est un compagnon de l’aspect guérisseur de Mars, et les fibules ou épingles de nourrice sont associées aux accouchements. Les chiens, et l’assimilation à Silvain par contre, font plutôt penser à la chasse.
Une autre inscription mentionnant Noadatus, gravée sur une statuette en argent, a été découverte en 1718, à Cockersand Moss dans le Lancashire.
LVCIANVS. D M. N. COL LIC APRILI Lucianus. Au dieu Mars Nodontis. Le Collège des Licteurs et Aprilis.
Noadatus est aussi connu par une inscription trouvée à Mayence en Allemagne, où il est assimilé à Mars par interpretatio romana. Une statue le représentant a été découverte au sommet du Donon en France. Un dieu-ou-démon à moitié nu, vêtu simplement d’un pan de manteau couvrant son épaule gauche, laissant le bras et l’épaule droite à découvert. Ce personnage tenait, de la main droite, horizontalement et devant lui, une épée nue. Sa main gauche n’était pas visible, mais remplacée par une sacoche, sacoche qui vraisemblablement recouvrait afin de le protéger, un moignon.
Noadatus entre dans l’Histoire (ou plus exactement dans la mythologie gaélique ce qui n’est pas tout à fait la même chose) comme premier roi des dieu-ou-démons. Mais il est vrai que l’on n’a guère de renseignements sur les siècles d’évolution séparée des enfants de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu, à l’écart du monde, dans leurs îles situées tout au nord, en bref sur leur métahistoire. Les généalogies gaéliques sont contradictoires à son sujet. Selon certains manuscrits, Noadatus serait le fils préféré de Dagda, il serait fils d’Echtach, fils d’Etarlam, fils d’Ordan, fils d’Ionnaoi, ou d’Allaoi selon d’autres.
Certains auteurs affirment cependant que le premier roi de la tribu de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), fut en réalité Taran/Toran/Tuireann.
Mais à en croire toute cette mythologie née en Irlande ; Noadatus, roi des dieu-ou-démons dits enfants de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia) ; aurait amené de l’île de Findias (Abalum ?) une épée invincible. Dans la tradition galloise, cette épée se nomme Caledfwlch, ce qui signifierait « dur tranchant » et elle avait la réputation d’être incassable (tout comme la Durandal du neveu de Charlemagne) ou de tout trancher. Pour d’autres son nom viendrait de Caladbolg : « dure foudre », d’où le nom de Caliborn, puis d’Escalibor, Excalibur.
Noadatus perdra son bras droit ou plus exactement sa main au cours de la première bataille de la Plaine aux menhirs ou aux tumuli.
Après avoir provisoirement dû céder son trône à un roi intérimaire nommé Bregsos (Bres) à cause de la perte de l’usage de son bras droit ; il reviendra au pouvoir à la demande des autres dieu-ou-démons avec une prothèse en argent à la place de la main. D’où la 2e bataille de la Plaine aux
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menhirs ou aux tumuli, livrée contre les vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent et Fomore en Irlande. Les dieu-ou-démons dits enfants de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), finiront par l’emporter, mais Noadatus y laissera la vie (symboliquement parlant évidemment, puisque les dieu-ou-démons ne meurent jamais vraiment).
Un moment éclipsé par Lug (nouveau venu entré en scène tardivement) ce sera donc en fin de compte par Belinos/ Manannan/Barinthus (un autre nouveau venu) qu’il sera définitivement remplacé ; Lug ayant sombré dans l’anti-taranisme, dans le varunisme ou l’odinisme (bref, étant devenu « lugiférien »).
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir, en Irlande Noadatus est surnommé Argantolamios (Airgetlam = à la main d’argent).
Au pays de Galles, Noadatus sera par la suite appelé Nudd ou LLud llawereint (c’est-à-dire là aussi « à la main d’argent », Lamargantios).
Il est difficile d’expliquer le passage de Nudd à Ludd. On croit généralement à une assimilation : Nudd Llawereint serait devenu Llud Llawereint.
Mais il faut prendre aussi en compte une autre donnée du mythe, le fait que Noadatus, à cause de sa fameuse blessure au bras (ou à la main), a un moment perdu son trône à cause de cette infirmité. Cela nous donne, dans le roman du Graal, le personnage du roi Méhaigné (c’est-à-dire blessé, en vieux français), qui est, lui aussi, un roi pêcheur, dont la blessure est due à un coup douloureux, ou à un coup félon. Or la conséquence en est que son royaume devint une terre désolée, un pays ayant perdu toute fertilité. L’hiver est le décor glacé, neigeux, désolé, de cette Terre Gaste.
Dans les romans de la Table Ronde (le Perceval de Chrétien de Troyes par exemple), le « nautonier » ainsi que l’homme à la jambe d’argent (vieux français « eschacier ») correspondent visiblement à Noadatus.
Noadatus est donc le symbole même des nécessités d’un sain eugénisme. Voici en effet ce que le Français Jean-Marie Ricolfis écrit à propos du roi ou du chef, du seigneur.
« Son intégrité physique doit être totale. Cette particularité celtique est un reste très curieux des temps où le « roi » était le mâle le plus fort de la horde ; mutilé, blessé gravement, il doit être remplacé. Il doit beaucoup manger ou boire pour montrer sa vigueur et l’assurer. Il ne peut accéder au trône que s’il a prouvé sa virilité ainsi que sa fécondité. S’il devient stérile (c’est le fameux coup douloureux des légendes), les saisons sont déréglées, les femmes n’ont plus d’enfants ».
CONCLUSION.
La tradition irlandaise nous le présente comme ayant été le premier roi des dieu-ou-démons dits enfants de la déesse-ou-démone ou fée, Danu (bia). Mais avant que les hommes de la déesse-ou-démone ou de la fée Danu (bia), ne quittent leurs quatre îles situées au nord du monde, ils avaient déjà eu vraisemblablement une longue histoire dont la mythologie irlandaise ne nous rend pas vraiment compte. Certains auteurs affirment d’ailleurs que le premier roi de la tribu de la déesse Danu (bia) aurait été Taran/Toran/Tuireann ; mais cette partie-là de la métahistoire des dieu-ou-démons aurait été oubliée en Irlande. À l’instar d’autres divinités aryennes de la première fonction judiciaire et législative, comme Tyr et Mucius Scaevola, Noadatus est figuré en manchot. Son arme favorite est le glaive. C’est également un dieu-ou-démon associé aux guérisons et donc au chien, un animal qui passait pour être capable de se guérir lui-même en léchant ses blessures.
Parèdres, suivant les manuscrits : Magosia/Macha, Nemain, ou Etain/Etanna.
Père de Tadg et de Gaible.
NOTES DU DRUIDE JEAN-PIERRE MARTIN SUR LE PERSONNAGE DE NOADATUS AU MOYEN-ÂGE.
Bien qu’il apparaisse pour la première fois dans Perceval, le Roi pêcheur plonge ses racines dans la mythologie celtique. Il s’agit d’une figure plus ou moins dérivée de Noadatus/Nodens/Nuada.
Dans les textes du Moyen-âge tardif, on le qualifie de « Riche Roi Pêcheur » en référence à l’inestimable trésor dont il assure la garde (un trésor spirituel plus que matériel).
Depuis sa blessure, son royaume semble partager ses souffrances, comme si l’infirmité du roi rendait la terre stérile. C’est le mythe de la « Terre Dévastée » (en vieux français Terre Gaste). Il ne lui reste donc plus rien à faire que de pêcher dans la rivière auprès de son château. De tous les horizons, les
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chevaliers accourent afin de soigner le Roi pêcheur, mais seul l’élu, le bon chevalier, pourra un jour accomplir ce miracle. Dans les premiers récits, ce sera Perceval, accompagné par Bohort et Galaat, remplacé par ce dernier, dans les versions suivantes.
Ce qui prête à confusion, c’est la présence à plusieurs reprises de deux rois blessés dans toutes ces légendes – un père (ou grand-père) et son fils – vivant dans le même château et protégeant le Graal. Le père, plus sérieusement blessé, reste au château, uniquement gardé en vie par le pouvoir du Graal, alors que le fils, plus alerte, peut encore accueillir les invités ou aller pêcher.
Le Roi pêcheur apparaît pour la première fois dans le roman inachevé de Chrétien de Troyes, Perceval ou le Conte du Graal, aux environs de 1180. Ni sa blessure ni celle de son père ne sont alors expliquées. Perceval découvre par la suite que les rois auraient été guéris s’il les avait questionnés sur le Graal, mais son tuteur lui avait enseigné à ne point trop poser de questions. Perceval apprend qu’il est lié aux deux rois par sa mère, la fille du Roi blessé. Le récit s’interrompt avant le retour de Perceval au château qui abrite le Graal 1).
À noter que Chrétien de Troyes ne désigne jamais l’objet de la quête par le terme de Saint Graal. Il semble bien qu’il ait utilisé le mot en sachant que l’objet en question serait familier au lecteur. Ce n’est qu’avec Robert de Boron (voir ci-dessous) que le Graal sera explicitement lié à Jésus de Nazareth. De la même manière, des auteurs plus tardifs ont associé la Sainte Lance, utilisée par le centurion romain Longinus qui aurait blessé le Nazoréen au flanc, et sur laquelle se trouverait donc du sang du Christ, au javelot de Lug.
Dans le roman gallois intitulé « Peredur » qui se base sur le récit de Chrétien de Troyes tout en apportant de nombreuses évolutions, le Graal a totalement été abandonné. Le personnage du Roi pêcheur, même s’il n’est plus nommé ainsi, apparaît seul, et présente à Peredur une tête coupée sur un plateau. Ce dernier apprend par la suite qu’il a des liens de parenté avec ce roi, et que la tête est celle de son cousin, dont il devra venger la mort.
La christianisation du Roi pêcheur se fera dans le Joseph d’Arimathie de Robert de Boron (première partie de son histoire du Graal), il sera le premier à rattacher explicitement ce mystérieux vase à l’histoire du Nazoréen Jésus.
Le « riche roi pêcheur » y est dit beau-frère de Joseph d’Arimathie, qui a recueilli le sang du Christ grâce au calice en question. Joseph découvre une communauté religieuse qui voyage jusqu’en Grande-Bretagne, et il confiera donc là-bas le Graal à un dénommé Bron, surnommé le « riche roi pêcheur », car c’est lui qui attrape quotidiennement le saumon devant nourrir toute sa tablée.
Le cycle associant le Graal et Lancelot va plus en avant dans l’histoire qui entoure le Roi pêcheur, dont de nombreux parents auraient été blessés pour leurs échecs.
Les deux seuls rois de la lignée survivant à l’époque arthurienne sont Pellam (ou Pellehan), le roi blessé, ainsi que Pelles, qui suscite la naissance de Galaat en amenant Lancelot à retrouver dans un même lit sa fille Élaine de Corbénic ; cette dernière prenant, sous l’effet d’un sort de Brisène l’enchanteresse, les traits de Guenièvre.
La prophétie qui clôt cette histoire est que c’est Galaat qui découvrira enfin le Graal, et ramènera donc à la vie cette Terre « Gaste ».
Dans le Roman du Graal, de même que dans La Morte d’Arthur de Thomas Malory (écrit vers 1470) ; le Roi pêcheur Pellam a été blessé par un seigneur appelé Balin (voir plus haut) qui, pour se défendre, lui inflige le « Coup douloureux », avec la lance de la Destinée. Pellam et son royaume doivent alors traverser une période de désolation jusqu’à la venue de Galaat.
Ce qui n’est pas sans ressembler au sort du royaume de Noadatus/Nodens/Nuada juste après la perte de son bras droit au cours de la première bataille de la Plaine des menhirs ou des tumuli, mais il est vrai que la blessure est sensiblement différente.
D’autres auteurs préfèrent rattacher le mythe du roi pêcheur à celui de Vindos/Finn, fils de Camulos. Le saumon est en effet le poisson le plus souvent cité dans les légendes celtes. Il est à la fois connaissance, vie et nourriture, offertes par l’élément liquide et les divinités de l’Océan. Comme le sanglier, l’ours et le cerf, le saumon fait partie des animaux primordiaux de la religion druidique, on le dit porteur de connaissance, de sagesse, et de science.
La figure de Noadatus a été reprise en un tout autre sens par le grand écrivain qu’est Lovecraft, dans son fameux Mythe de Cthulhu (L’étrange haute maison dans la brume, 1926) ; mais ce dernier a
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considérablement infléchi l’idée que l’on s’en faisait jusque-là. On retrouve dans « L’étrange haute maison dans la brume » la poésie un peu triste du cycle onirique de Lovecraft. Les dieu-ou-démons sont cléments et parfois empreints de bonté, mais c’est toujours au détriment des mortels. Il faut s’y faire, les rêveurs cèdent la place aux cartésiens. La folie n’en sera que plus grande. Nodens est connu pour avoir visité notre planète en plusieurs occasions. Il fait partie des Dieu-ou-Démons Très Anciens et dispose à son service des Nightgaunts ou bêtes de la nuit et de l’obscurité. Il chasse les créatures mauvaises comme les Shantaks, ainsi que les serviteurs des Grands Anciens (les Andernas rebaptisés Fomore en Irlande ?) qui lui causeront un peu plus de difficultés en raison de leur intelligence. Ces chasses l’amènent donc à aider les humains, par accident plus que par désir de secourir l’humanité. On le retrouve par la suite dans certains autres textes tels que « À la recherche de la mystérieuse Kadath » où il apparaît en éternel ennemi de Nyarlathotep. Cette relation n’est d’ailleurs pas fortuite. Mais Nodens est loin d’être un « bon » dieu-ou-démon. Son aspect humain et son détachement vis-à-vis de l’Humanité (il ne s’en soucie guère, donc il ne lui veut pas de mal non plus) ; en font néanmoins une entité intéressante et à l’écart des modèles auxquels nous a souvent habitués Lovecraft. On peut aussi voir Nodens comme un des rares dieu-ou-démons cherchant à aider les humains. Il se déplace souvent au moyen d’un chariot constitué d’un énorme coquillage, traîné par des monstres extra-terrestres, ou des créatures fantastiques issues des légendes de notre terre (des Andernas ou Fomore ??).
1. Une des innombrables suites ou continuations de ce roman inachevé a retenu l’attention du grand érudit français qu’est Jean-Marie Ricolfis. Perlesvaux est encore plus riche en détails archaïques extraordinaires et surtout authentiques. Arthur séjourne dans une demeure aux têtes coupées ; un roi donne son fils mort, convenablement bouilli et dépecé en morceaux, à manger à ses vengeurs ; Perlesvaux venge sa mère en décapitant onze meurtriers, dont il verse le sang dans une cuve ; le douzième y est plongé la tête en bas, beau rappel des sacrifices aux teutates. Enfin, il disparaît sur une barque royale qui porte le roi méhaigné avec les objets sacrés, etc.
NOTE DU DRUIDE LEONORIOS SUR LE MYTHE NOADATUS/NODENS/NUADA/NUDD ET LE ROI ARTHUR.
Noadatus personnifie donc la fonction royale selon les Celtes, c’est-à-dire non pas la recherche des richesses, mais la (re) distribution des richesses. Les historiens antiques nous ont transmis, des souverains celtes, une image éclatante, conservée vraisemblablement dans la mémoire populaire par les chants des bardes. Le roi Luernios, qui vivait vers le milieu du second siècle avant notre ère, est par exemple resté célèbre pour sa richesse et ses prodigalités. Il avait fait enclore, nous raconte Posidonios, un carré de douze stades de côté (plus de 2000 mètres) ; à l’intérieur duquel étaient disposées des cuves pleines d’une boisson remarquable ; et une telle quantité de victuailles que, pendant plusieurs jours, tous ceux qui le voulaient purent entrer pour profiter de ces provisions accumulées, servies sans interruption. Le monarque avait fixé une date pour ce festin. Un des poètes de l’époque étant arrivé en retard et pourtant ayant rencontré le roi, chanta sa magnificence tout en se lamentant d’avoir manqué le rendez-vous.
Flatté, le roi, prenant une bourse pleine d’or, la lança donc au poète qui suivait son char en courant. Après l’avoir ramassée, le barde aurait alors entonné un nouveau chant à sa gloire : « Des sillons laissés dans le sol par le char royal, lève pour les hommes une moisson d’or et de bienfaits, etc., etc. »
D’Arbois de Jubainville lui, de son côté, nous décrit les fastes d’un nommé Ariamnès, qui avait annoncé qu’il nourrirait pendant un an tous les Galates, d’Asie Mineure, qui se présenteraient. Il fit construire des salles en bois et osier, assez vastes pour contenir plusieurs centaines de convives.
Il avait fait fabriquer l’année précédente d’énormes chaudrons de cuivre, où chaque jour les cuisiniers faisaient cuire bœufs, moutons, et porcs, par douzaines. Même les étrangers pouvaient y venir. On servait du vin à discrétion.
Ce qui nous semble évident à nous chercheurs en druidisme d’aujourd’hui c’est que ce Noadatus/Nodens/Nuada/Nudd symbolise la justice sociale et la fonction redistributrice de l’État. C’est en quelque sorte le Premier ministre de la république des sides unis, Taran/Torann/Tuireann en étant le président (renversé par un mystérieux coup d’État dans le cas irlandais).
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Et si la métaphore choque, disons que Noadatus c’est une sorte de roi Arthur, mais un roi Arthur ayant un supérieur.
Le roi unique et incontesté n’ayant jamais existé dans la civilisation celtique (ce qui semble y avoir existé par contre c’est une sorte de pyramide vassalique généralisée, du chef de clan au roi des rois en passant par le roi de province. (Vergobret ou Président sur le Continent) ; les druides de l’époque ont donc cru bon de cultiver à l’intention de leurs ouailles l’image du roi idéal de type arthurien : un homme fort, bon guerrier, mais sage, fédérateur et bien conseillé. Ce roi c’est Ambigatus sur le Continent, Arthur en Grande-Bretagne, Nuada en Irlande.
Car s’il faut donner à chacun ce qui lui revient, qu’est ce qui revient alors à chacun ? La solution qui vient immédiatement à l’esprit consiste à diviser les biens par le nombre de bénéficiaires potentiels. J’ai soixante pommes et nous sommes trente : il faut donner deux pommes à chacun. C’est ce que les Grecs appelaient l’égalité arithmétique,
À la suite de sa critique du tirage au sort, Platon proposa d’ailleurs une autre formulation : l’égalité qui consiste à donner à chacun selon sa nature. Mais qu’est-ce que la nature de chacun et comment se détermine-t-elle ? L’exemple de nos soixante pommes met cette difficulté en relief : devrai-je donner quatre pommes au lieu de deux à celui qui a très faim même s’il ne contribue jamais au bien commun, ou plutôt à celui qui contribue le plus au bien commun même s’il est en pleine indigestion ? La question ici posée est celle de la prise en compte de la différence. Quelle différence faut-il alors prendre en compte, et au nom de quoi ? Les inégalités ne sont tolérables qu’à partir du moment où elles sont à l’avantage de tous, et donc aussi (et peut-être en premier lieu) à l’avantage du plus défavorisé.
Les inégalités sont donc acceptables du moment que la situation du plus défavorisé s’en trouve améliorée, même si pour autant l’égalité arithmétique ne s’en trouve pas réalisée. La notion de justice se trouve ainsi profondément disjointe de celle d’égalité arithmétique. Il ne faut pas oublier en effet que des inégalités de fait existent et qu’elles peuvent être aggravées par une égalité abstraite devant la loi et une application mécanique ou intransigeante de celle-ci. La Révolution française commença par prôner un égalitarisme abstrait : tout sujet de droit était égal devant la loi. En vertu de quoi une mère qui volait du pain pour ses enfants mourant de faim était passible d’une lourde peine.
La rigueur de la justice pénale a donc dû être peu à peu tempérée par l’esprit d’équité. Être équitable, c’est précisément ne pas se conformer aveuglément à la loi et tenir compte des situations particulières. L’équité permet de pallier les lacunes de la loi. La vraie justice ne se réduit pas à la pure et simple légalité, mais exige une intelligence pratique de ce qui est juste, une vertu de clairvoyance qui permet de trouver la situation la plus équilibrée possible et de concilier le général avec le concret.
La justice renvoie ainsi au problème du jugement. Il ne suffit pas en effet d’appliquer un critère (celui de l’égalité) ou une norme (celle du droit positif) pour être juste ; encore faut-il avoir cette disposition à la justice qui définit le juste. Si les règles ne suffisent pas pour juger, c’est qu’il faut un don naturel, un talent particulier pour cela. Le jugement est un don particulier qui ne peut pas du tout être appris, mais seulement exercé.
Ce qui est équitable n’est pas ce qui est égal, et juger, ce n’est pas appliquer un instrument mathématique d’égalité.
Kant y voyait une forme du bon sens. Il ne suffit donc pas de raisonner pour juger : tout le monde est capable de raisonner, fort peu de juger. C’est donc au fond le juste qui fait la justice, parce qu’il a cette disposition à juger en fonction du bien, disposition qui ne se déduit d’aucune règle.
Ceci nous ramène tout droit évidemment au mythe du roi Arthur. Aucune loi donnée ne peut être appliquée telle quelle dans le jugement si l’on veut que le jugement soit juste et fasse sens.
Et le glaive de Noadatus comme l’Excalibur d’Arthur rappelle que la justice n’est rien sans la force qui permet de la faire appliquer : juger ne consiste pas seulement à examiner, peser, équilibrer, mais encore à trancher et sanctionner. Le glaive désigne ainsi ce que juger peut avoir de douloureux : la détermination du juste n’est pas seulement affaire d’appréciation intellectuelle, elle implique surtout une décision finale, exécutoire, tranchant définitivement un conflit entre des intérêts divergents. Le droit sans la force n’est rien.
Nous voyons donc se préciser peu à peu le portrait d’une divinité importante que l’on a même pu assimiler à Jupiter parfois. C’est en effet un personnage important pour les mortels que nous sommes, car c’est lui le maître de la Justice. C’est le dieu-ou-démon qui pose les limites du monde civilisé puis les protège. Son épée possède deux tranchants. L’un guérit, l’autre châtie (ou tue), un peu comme le maillet ou la massue du Suqellos Dagda Gargant d’ailleurs.
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MEDROS (MIDIR EN IRLANDE, MEDYR FILS DE METHREDYDD
AU PAYS DE GALLES).
Personnification de la ruse que l’on peut déployer pour arriver à ses fins, donc de l’obstination et de la persévérance.
Ulysse diraient les Grecs. Le dieu du système « D » diraient les Français.
Dans la première recension du Lebar Gabala, Medros/Midir est dit fils d’Indui fils d’Echtach fils d’Etarlam.
Parèdres : Vocusmnaca/Fuamnach puis Etanna/Etain. Certaines variantes lui donnent comme filles Aife, Doirenn, et Aillbhe.
Le nom de Medros peut être rapproché du Teutatis Meduris de Grande-Bretagne. Il trouve également son analogue dans le héros divin Midir, de l’épopée irlandaise. Ce dieu-ou-démon a donc été transformé suivant un processus assez habituel, en un héros légendaire aux aventures compliquées, aux fonctions incertaines.
On a invoqué l’étymologie de ce nom. Elle ne nous avance guère comme c’est souvent le cas. On peut le rattacher à la racine * med « mesurer, supputer ». Cela indiquerait une activité intellectuelle. Mais il est aussi possible qu’il soit de la famille de mid (hydromel). S’il est légitime de le rapporter à la racine indo-européenne * med, « mesurer, supputer », cela pourrait indiquer un dieu-ou-démon particulièrement plein de science.
Osons une hypothèse personnelle à propos de ce membre éminent du dodécaèdre druidique : vu la pluralité de sens en général des théonymes celtes, Medros signifie également « habile », et c’est peut-être là, en fait, la véritable signification de son nom. Au Pays de Galles, le personnage apparaît dans l’histoire de Kulhwch et Olwen. Il s’agit de Medyr, fils de Methredydd, qui, de Kelliwic à Esgeir Oervel en Iwerddon (en Irlande), était capable de passer, en un clin d’œil, entre les deux pattes d’un roitelet. Medyr a ici le sens d’habileté ou d’habile à viser ; Methredydd (medrydydd) en est un dérivé.
Son nom peut aussi être rapproché du terme cymrique medr (force, aptitude) et peut donc suggérer qu’il signifie « capable de tout ».
Documentation irlandaise.
Le dieu-ou-démon irlandais Midir n’apparaît guère que dans les récits du cycle de la Cour faite à Etain (Tochmarc etaine)
Medros est un dieu-ou-démon de l’Autre Monde du Sedodumnon, « frère » du Suqellos Dagda Gargant, le dieu-ou-démon des contrats et de l’amitié (entre autres). Il est d’ailleurs parfois considéré comme son double.
Après la défaite subie par les dieu-ou-démons face aux humains (bataille pour la possession de la Talantio/Tailtiu et bataille de Druim Lighean) il se réfugiera dans le sidh de Leita-Briga (Bri-Leith en irlandais) ; un des multiples palais ou portes d’entrée du Sedodumnon, mis à sa disposition par le roi des dieu-ou-démons ; et deviendra un très important personnage de cette étrange république des Sides Unis. Certains disent même qu’il manqua de peu en devenir le roi.
Le peu de choses que nous savons d’autre à propos de ce membre éminent du dodécaèdre druidique, tient en quelques mots. Il sera chargé de l’éducation d’Oengus (aussi appelé Mac Oc ou Maponos), l’enfant-dieu-ou-démon que son frère avait eu avec la déesse-ou-démone ou la bonne fée de la Boyne (la Bo vinda damona ou Boand).
Le petit Mabon/Maponos/Oengus ayant été confié à Medros/Midir (coutume du « tutelage ») ; celui-ci mène à bien son éducation et ne lui cache pas qu’il est le fils de ce grand seigneur dont la résidence au Sedodumnon est le merveilleux Palais de la Boyne (Brug Na Boinne dans l’évhémérisation irlandaise du Moyen-âge).
Le Suqellos Dagda Gargant ayant oublié Mabon/Maponos/Oengus dans son partage du Sedodumnon entre les dieu-ou-démons [là il y a certainement confusion avec Manannan] ce dernier se retrouva donc sans domaine attitré.
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Mabon/Maponos/Oengus réussira néanmoins à tromper son père sur ses intentions et obtiendra pour lui seul finalement, l’usage dudit Palais de la Boyne.
Du moins d’après le récit apocryphe irlandais intitulé « La Prise du Side ». Dans les récits appelés « La Maison des deux seaux à lait » ou « la cour faite à Etanna » (Etain en irlandais), c’est au détriment du frère du Suqellos Dagda Gargant, Elcomaros (Elcmar en gaélique) ; et non au détriment du Suqellos Dagda Gargant lui-même ; que s’opérera ce transfert de propriété. Ce qui est nettement moins compréhensible du point de vue de la théologie.
Medros/Midir ayant rendu visite à son fils adoptif quelque temps après, il y perd un œil, à la suite d’un malencontreux accident. Bien que guéri (par Diancecht) il réclame alors à Mabon/Maponos/Oengus, à titre d’indemnisation pour son invalidité temporaire, compte tenu de sa qualité, un char, un manteau, et la plus belle fille du pays. Qui se trouve être Etanna (Etain) [enfin, toujours d’après l’apocryphe en question].
Voilà donc notre Mabon/Maponos/Oengus obligé de se lancer dans une quête d’un genre un peu particulier. Elle sera finalement couronnée de succès : Mabon/Maponos ramènera Etanna/Etain à son oncle Medros/Midir.
Dès qu’il la voit, Medros/Midir en tombe immédiatement amoureux, et décide d’en faire sa maîtresse. Mais il a déjà une épouse légitime, la magicienne Vocusmnaca/Fuamnach. Cette dernière poursuivra donc sa rivale en se servant des sortilèges les plus puissants de sa magie. Elle la transforme successivement en flaque d’eau en la touchant avec une branche de sorbier, puis en papillon qu’une tempête emporte dans les airs pendant sept ans. Elle devient ensuite un minuscule moucheron et tombe dans une coupe à boire. Elle sera ensuite avalée sous cette forme puis « accouchée » par l’épouse du roi d’Ulster, Etar. C’est ainsi donc qu’elle pourra renaître sur terre, mais en ayant tout oublié de sa vie antérieure.
Etanna/Étain épouse Ivocatuos/Eochaid Airem, l’Ard ri Érenn (roi des rois d’Irlande), mais Medros/Midir qui veut la reprendre, regagnera ensuite Etanna/Etain aux échecs après avoir piégé le roi Ivocatuos. En perdant volontairement les deux premières parties pour le mettre en confiance. Ivocatuos/Eochaid perd donc à son tour, mais ne tient pas parole et chasse le dieu-ou-démon de sa capitale : Tara. Medros/Midir parvient à revenir dans la ville et dans le château, puis rejoint Etanna/Étain. Tous les deux se transforment en cygnes et s’envolent. Les guerriers du roi ne pourront que constater leur disparition à l’horizon, métamorphosés en cygnes, unis par une fine chaînette d’or 1). Le roi les poursuivra et fera fouiller tous les sides d’Irlande, mais le dieu-ou-démon use de ses pouvoirs magiques. Il transforme cinquante jeunes filles en sosies d’Etanna/Étain et demande à Ivocatuos/Eochaid d’en choisir une. Le roi s’exécute et, sûr de son choix, couche avec l’élue de son cœur, qui s’avère en fait être la fille d’Etanna/Etain, et donc sa propre fille aussi. De cette relation incestueuse sortira une célèbre dynastie de rois.
CONCLUSION.
On peut considérer l’aptitude que personnifie Medros comme ce qui amène la fraude ou au contraire, comme ce qui crée la surprise et la revanche du plus faible. Le coup de Jarnac en quelque sorte ! 2) Cette tournure d’esprit peut d’un côté prendre la figure du mensonge, de la fourberie ; de l’autre, elle est l’arme absolue, qui assure en toutes circonstances la victoire sur autrui.
Le côté positif de Medros/Midir c’est aussi l’extraordinaire fidélité qu’il manifestera au dernier grand amour de sa vie, la belle Etain. En ce sens c’est un modèle de persévérance voire d’obstination. Secondée par une très grande ingéniosité. C’est donc un personnage complexe puisqu’il peut apparaître aussi comme un archétype de la fidélité chez les Celtes comme Khiomara, que ce soit en affaires (fidélité à la parole donnée, etc.) en amitié, en amour. Et ce malgré son adultère évidemment. Chez les Celtes les vrais voyants, ce sont les aveugles, le dieu ou démon de la parole est bègue, etc.
1. Le pays de Medros/Midir dans lequel ils s’en sont retournés (pays dont le dieu-ou-démon avait pendant un an vanté les charmes à Etanna), c’est bien entendu le monde parallèle dont Medros/Midir était le roi.
2. Le fameux coup de Jarnac ne fut pas en réalité un coup de poignard dans le dos, mais un coup de revers dans le jarret, donc un coup parfaitement régulier, bien que très inhabituel.
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Documentation continentale.
Dans la forêt d’Haguenau en France, on a trouvé un bas-relief sur lequel figure un homme qui tient une lance dans sa main gauche, et s’appuie, de la droite, sur une tête de taureau. En voici l’inscription : D [eo] Medru Matutina Cobnert [i filia]. Ce qui signifie : « Au D [ieu] Medros, Matutina fille de Cobnertos » (CIL XIII 06017).
Le lien avec le taureau est intéressant, car il suggère que cette déité figurait à un échelon assez élevé du panthéon druidique puisque le taureau était un symbole généralement associé à la royauté.
Medros est représenté sur le bas-relief en question avec une lance et un casque, mais cela ne suffit nullement à en faire un dieu-ou-démon guerrier, un dieu-ou-démon de la guerre. Et rien ne prouve que le taureau qui figure derrière lui soit « une prise de guerre ».
De toute façon, si c’était un dieu-ou-démon de la guerre, il s’agirait alors certainement d’un dieu-ou-démon de la guerre plein de ruse, à l’instar d’Odin, par exemple. Faut-il attacher de l’importance au fait que l’un et l’autre sont borgnes ?
Un second monument du même genre, reproduisant la même divinité, presque trait pour trait, mais avec un casque légèrement différent, a été découvert à Gunstett, sur la lisière nord de la forêt, à huit kilomètres de l’autre. Ce Medros appartient à un groupe de divinités spécialement adorées dans une région que l’on peut considérer comme ayant été le territoire occupé, après l’invasion d’Arioviste, par la tribu des Triboques.
Medros a même été honoré à Rome (privilège qu’il partage avec Épona). La religion qui dominait dans les provinces celto-romaines a donc eu la force de mettre au service de l’Empire certaines valeurs morales de sa mythologie, laquelle était plus vivante dans la réalité que les monuments ne le laissent croire.
CONSIDÉRATIONS SUR LA RUSE EN GÉNÉRAL.
L’imagination des prisonniers candidats à la liberté est la représentante typique de l’intelligence « rusée ». Elle suppose de la créativité : détourner le sens d’un objet, se jouer de la vigilance par l’inattendu. Et jouer justement contre les routines intellectuelles ou les façons de penser habituelles.
Parler de la ruse revient à réhabiliter cette intelligence pratique qui, le plus souvent, ne s’écrit ni ne se démontre, mais sans laquelle nos sociétés ne pourraient survivre, nos pouvoirs se maintenir et nos ingénieurs construire. Il y a des arts du savoir, du commenter ou du faire savoir, et nous produisons pour cela des « intellectuels » comme autrefois notre société produisait des moines. Il y a aussi des arts du faire qui impliquent le geste et son prolongement la machine, et des arts du savoir-faire qui s’apprennent en observant, en exécutant et en créant. Et selon les lieux, des façons de valoriser l’une ou l’autre de ces familles de l’intelligence humaine. Mais les dichotomies demeurent avec les oppositions redoutables entre « le manuel » et « l’intellectuel », « la connaissance » et « l’habileté ». Si le fait majeur de l’évolution de l’espèce humaine est le développement toujours plus grand du cerveau et de ses connexions neuronales, il ne faut jamais perdre de vue que le corps et le système nerveux forment un tout et qu’il est tout à fait arbitraire de les séparer.
Les manifestations de l’intelligence pratique accompagnent ainsi le lent devenir de l’humanité. Elle se construit durant des millénaires à travers les techniques de chasse, de pêche, d’élevage, de culture, de construction d’habitats, de moyens de transport. Elle est le produit d’habiletés progressives dans les manipulations et de dextérités transmises du geste puis peu à peu reproduites par les machines.
Animaux, insectes et mollusques pratiquent l’art du camouflage. Avec la ruse, nous sommes en présence d’une catégorie mentale, jouant sur divers registres. Il y a de tout dans la ruse, mais jamais de cette « fourberie » au sens de l’opinion commune aujourd’hui. Jeu de l’esprit, de l’habileté et de l’expérience. Jeu aussi des compositions que l’on saura opérer en fonction de ce que l’on sait et de ce dont on dispose, en regard de ce que l’on voit, ou encore qu’on peut prévoir.
La ruse est l’intelligence pratique du bûcheron, du charpentier, du vannier. Elle est l’habileté du politique, du médecin et du stratège. Pour chacun de ceux-là, la ruse consiste à traquer la circonstance favorable, voire à la créer.
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La ruse est ce qui économise l’effort, évite la brutalité. C’est la ruse de l’opprimé contre une domination, la ruse du citoyen contre le pouvoir en place.
Dans toute situation de conflit ou de compétition, la victoire peut s’obtenir de deux façons.
Soit parce qu’on est le plus fort sur le terrain en question, soit par l’utilisation de procédés destinés à fausser l’épreuve et de faire triompher celui que l’on croyait battu d’avance. Exemple le baron de Jarnac en 1547.
L’art de la guerre enseigne en effet comment tirer parti d’un accident de terrain, d’une faiblesse de l’adversaire. De même, la vie quotidienne impose à chaque instant de tirer parti de l’événement, d’investir dans des possibles, des virtuels. La ruse permet, face aux circonstances, de ménager ou de créer ses propres espaces de liberté.
Les Celtes ont donc personnifié sous le nom de Medros ou Midir la forme d’intelligence particulière, qui mêle tactique et finesse. Difficile à définir, elle est pourtant présente partout : dans l’esprit du stratège, du chasseur ou du bricoleur…
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COBANNOS/GOBANNOS.
Divinité relevant de la troisième fonction artisanale, selon l’idéologie tripartite des Indo-européens définie par Georges Dumézil.
Il est le maître des artisans, forge les armes et préside un festin d’immortalité [Ulida Gobannionos, Fled Goïbnenn en gaélique] où les dieu-ou-démons se régénèrent en mangeant les cochons magiques [de Belin/Belen/ Manannan]. Et acquièrent ainsi l’immortalité ou l’éternelle jeunesse, en consommant l’hydromel qui lui appartient. Gobannos est aussi associé à la fabrication de la bière qui soigne ou guérit tout, et préserve des maladies ; servie lors du festin d’immortalité qui réunit périodiquement les dieu-ou-démons, et qui est capable de ressusciter les morts.
Cobannos/Gobannos jouera un si grand rôle dans la supériorité technique des Tuatha Dé ou Tribu de la Déesse-ou-démone (c’est lui qui fabrique, avec l’aide de Credne et de Luchta, les armes des dieu-ou-démons, et même une prothèse en argent pour leur chef Noadatus/Nodons/Nuada) ; que lors de la célèbre bataille de la Plaine aux menhirs ou aux tumulus – la deuxième – il manquera d’être assassiné par un espion à la solde des vouivres anguipèdes que l’on appelle andernas sur le Continent, et fomore en Irlande, nommé Roudianos (Ruadan).
En Grande-Bretagne le dieu forgeron semble avoir été particulièrement révéré dans le nord du pays où toute une série de récipients décorés avec des outils de forgeron a été découverte. Ils couvrent une vaste zone allant de Malton (Yorkshire) à Corbridge (Northumberland). La ville romaine nous a même dernièrement livré un portrait de Cobannos lui-même. Un homme barbu portant une tunique à ceinture et un couvre-chef conique, il se tient au-dessus de son enclume avec dans une main des tenailles et dans l’autre un marteau. D’après John Leach ces objets trouvés à proximité du mur d’Hadrien dateraient de la fin du IIe siècle.
Notons aussi qu’il y a eu jadis un fort et une colonie romaine appelée Gobannium à Abergavenny dans l’actuel pays de Galles.
Au Pays de Galles, Gobannos est appelé Gofannon. Il est le fils de la déesse-ou-démone Dôn et du dieu-ou-démon Beli. Frère d’Amaethon, d’Arianrode, de Gilvaethwy, de Gwydyon et de Nudd. Oncle de Lleu et de Dylan. Son nom signifie là aussi forgeron, et il est l’équivalent du dieu-ou-démon irlandais Goïbniu. Gofannon semble être surtout un spécialiste des charrues dans le Mabinogi de Kulhwch. Il apparaît aussi dans la Quatrième Branche du Mabinogi relatant les aventures de Math fils de Mathonwy, lors de la mort de Dylan Eil Ton.
Riocalatis Ariocalatis est peut-être un attribut de Gobannos [ou du dieu-ou-démon de la guerre ?], connu par une inscription découverte dans le Cumberland en 1875 [RIB 1017].
RIOCALAT ET TOVTAT MAR COCIDO VOTO FECIT VITALIS.
À Riocalatis et à Toutatis, Mars Cocidius, ex-voto fait par Vitalis.
Du celtique *arios seigneur et * latis boisson.
Braciaca est peut-être aussi un autre attribut divin de Cobannos. Connu par une inscription trouvée au château d’Haddon Hall, dans le Derbyshire.
DEO MARTI BRACIACAE Q. SITTIUS CAECILIANUS…
Au dieu Mars Braciaca, Quintus Sittius Caecilianus…
Braciaca = aux nombreuses armes ?
L’association au dieu-ou-démon Mars, par interpretatio romana, découle des pratiques de l’époque (ivresse du combat, fureur guerrière, etc.) : on buvait beaucoup avant de partir à la bataille (ivresse sacrée ?).
Parèdre possible : Arnomecta, Arnomecte, Arnomectae. Déesse-ou-démone ou bien fée, connue par une inscription trouvée à Brough-on-Noe dans le Derbyshire.
En Irlande Cobannos est dit fils d’Esarg ou de Tuirbe Tragmar, le “lanceur de haches”. Frère de Ceno/Cian et de Samthainn. Sa résidence est située à Druim na Teine.
Il est souvent associé avec Credné et Luchta le charpentier fabricant de chars. Ou alors avec Credne et Diancecht le guérisseur.
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Gobannos a également survécu dans le folklore irlandais sous le nom de Gobhan Saor, un géant qui construit des ponts en une nuit.
Un très intéressant texte irlandais traitant des aventures des 5 fils d’Eochaid Mugmedon (en gaélique Echtra Mac nEchach Muigmedóin) nous en dit plus sur le symbolisme du forgeron dans la société irlandaise. C’est lui qui aura la charge de désigner le futur roi des rois d’Irlande en imposant une étrange épreuve aux cinq garçons. Les cinq garçons arrivent chez le forgeron. Il met le feu à sa forge avec eux à l’intérieur.
Brian sauve les marteaux du forgeron, Ailill, le coffre où il y avait les armes, Fiachna, un tonneau de bière et le soufflet, Fergus, le bois mort, mais Niall prend l’enclume et le billot.
Alors Eochaid déclare que Niall sera roi.
Le motif de l’enclume renfermant l’épée de Souveraineté nous fait remonter aux temps anciens et nous transporte dans des civilisations où forgeron et royauté étaient très étroitement liés.
Cet épisode est d’ailleurs de beaucoup antérieur au conte dans lequel il figure ; on le rencontre en effet déjà, séparément et comme une sorte d’anecdote, dans un texte qui date du VIIIe siècle d’après Rachel Bromwich.
Enfin c’est peut-être également Gobannos qui apparaît sous le nom de Culann dans la biographie du hésus Cuchulainn justement. Il y aurait donc là tout un pan du mythe panceltique originel concernant notre éternellement seigneur de Muirthemné… disparu corps et bien sans doute sous l’effet de la christianisation. Voir d’ailleurs à ce sujet la façon dont les moines copistes ou les clercs ont remanié l’histoire du Graal.
À en croire le manuscrit de Saint-Gall en Suisse, les Irlandais faisaient encore appel à lui au VIIIe siècle quand ils avaient été piqués par une épine.
Ni artu ní nim ni domnu ní muir… rogarg fiss goibnen aird goibnenn renaird goibnenn ceingeth ass.
Rien n’est plus haut que le ciel, rien n’est plus profond que la mer… la science de Gobannos est très pointue, que l’aiguillon de Gobannos disparaisse devant l’aiguillon Gobannos.
L’homologue breton armoricain de ce Gobannos irlandais de Saint-Gall semble bien être saint Gobrien dont le nom est construit sur la même racine (gob) que l’on va prier en apportant des clous et qui guérit les furoncles.
Sur le Continent, parmi les dédicaces à Vulcain trouvées dans les provinces occidentales de l’empire, le seul groupe un tant soit peu consistant et homogène est d’origine celte ; et l’examen des documents figurés nous montre que le dieu-ou-démon a été honoré là comme nulle part ailleurs ; surtout dans l’est et le nord-est qui, seul, a frappé monnaie à son effigie. En dehors de l’Italie et des provinces de peuplement celtique en effet, on n’a pas trouvé trace de son culte.
À Berne en Suisse, il s’agit d’une inscription en lettres grecques.
DOBNOREDO GOBANO BRENODOR NANTAROR.
Au grand voyageur Gobanos, de la part des habitants de Brennoduron dans la vallée de l’Aare (Nantaror).
Cobannus est aussi mentionné dans une inscription trouvée dans les années 1970 à Fontenay-près-Vézelay, pouvant se lire comme suit : AVG(VSTO) SAC(RVM) [DE]O COBANNO ; c’est-à-dire « À Auguste et au dieu Cobannus ».
Et à la fin des années 1980 apparemment un certain nombre de pièces en bronzes offertes en son honneur avec un chaudron dédicacé au Deus Cobannus ont été acquises par le musée du Centre Getty de Californie.
Il est donc certain qu’il y avait, dans la mythologie et dans le culte des populations celtes et germaniques, une divinité analogue tout au moins comparable au Volcanus des Latins. Volcanos ou Bolcanos faisait partie des surnoms du forgeron divin en vieux celtique. cf. le toponyme irlandais Glen Bolcain, anciennement Glanna Bolcani, ce qui signifie « la pure (eau) de Bolcanos » (l’eau qu’il utilise pour tremper ses épées. N.D.L.R).
Divinité si comparable qu’elle a été totalement recouverte par le dieu-ou-démon romain, et que son nom et son aspect indigène ont complètement disparu. Il ne pouvait qu’être semblable au forgeron
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gréco-romain, le seul dieu-ou-démon artisan de l’Olympe, très fortement caractérisé par son équipement technique.
INTERPRETATIO CELTICA DU MYTHE GRÉCO-ROMAIN.
Il semble néanmoins que Vulcain ait atteint dans ces pays une dignité de très grand dieu-ou-démon, qu’il n’avait pas au même degré dans la mythologie romaine. On le voit, sur un bas-relief de Paris, une hampe à la main, majestueusement debout entre Vénus son épouse et Mars son rival ; mais, au lieu d’être rendu ridicule comme il l’était chez Homère par la liaison des deux amants, c’est la victoire remportée sur eux par son astuce et son art qui est ici magnifiée.
Cette représentation unique en son genre souligne le rôle exceptionnel de Vulcain dans les pays celtes de l’Empire romain.
Certes, c’est aux Germains que César attribue le culte de Vulcain (B. G., VI, 21). Mais il n’a pu pousser bien loin au-delà du fleuve ni sa conquête ni son enquête et, ces riverains du Rhin, on suppose aujourd’hui qu’ils n’étaient guère différents des Celtes : Celtes eux-mêmes ou pénétrés de civilisation celtique. D’ailleurs, les Celtes insubres sacrifiaient depuis longtemps à un « Vulcain ». Florus, Épitome. Livre deuxième, IV : « Ils avaient promis à Vulcain les armes romaines. Leur vœu se réalisa d’une manière toute différente. Leur roi fut tué au combat par Marcellus et… »
Les secrets de la forge, c’est donc un dieu ou démon celtique qui les détenait sur le Rhin comme ailleurs. Il est remarquable que le nom celtique du fer, * isarno-, soit apparenté à un nom indo-européen du « divin », eisar : ce don des dieu-ou-démons est bien en effet le trésor de cette époque que nous appelons l’Âge du Fer. Il a des propriétés magiques ; aussi le forgeron qui le détient [le Gobannos] a-t-il en plus des prestiges du feu, le don des sortilèges, les vertus du guérisseur.
Il s’agit donc d’une figure archétypale, qui dans beaucoup de cultures préchrétiennes exerçait des fonctions magico-religieuses et qui continua de fait à correspondre aux « attitudes magiques » et aux « techniques d’initiation » subsistant « dans l’Europe occidentale jusqu’à la fin du Moyen-âge ».
SURVIVANCE MÉDIÉVALE.
Cobannus apparaît vraisemblablement sous le nom de Trébuchet c’est-à-dire « le boiteux » dans l’histoire du Graal.
Loomis estime que ce mystérieux forgeron n’a rien à faire dans l’histoire du Graal. Mais en prenant en compte la valeur également symbolique de l’épée, et surtout en rattachant celle-ci au thème de la souveraineté, nous pouvons au contraire considérer la brisure de l’arme puis sa réparation par le forgeron comme une géniale trouvaille de Chrétien de Troyes.
Chrétien de Troyes nous dit néanmoins très peu de choses à propos de Trébuchet.
Ce forgeron vit dans une région difficile à atteindre, et dans ou près d’un lac appelé Cotoatre.
Il n’a fait que trois épées et il ne pourra pas en forger une quatrième parce qu’il ne tardera point à mourir.
Il est le seul qui pourra réparer l’arme quand elle se brisera (ce qui arrivera au moment où Perceval sera engagé dans une bataille décisive, ce qui fait quelque peu penser à la mystérieuse maladie des Ulates – Ces Noinden Ulad – qui arrive toujours au mauvais moment).
Contrairement à ce que pense Loomis, la nécessité de mettre en scène le forgeron avant que Perceval n’achève sa Quête était apparemment si impérieuse que deux continuateurs différents ont fini par l’introduire quand même dans leurs récits. On peut douter qu’ils aient fait cela pour la seule raison qu’ils avaient hérité d’une épée capricieuse.
Ces continuateurs de Chrétien, Manessier et Gerbert, n’ajouteront pourtant que quelques détails. Les deux insistent sur la haute compétence professionnelle du forgeron. Néanmoins ils font réparer l’épée qu’a reçue Perceval uniquement quand il arrive plus ou moins par hasard chez Trébuchet.
Gerbert ajoute néanmoins plusieurs détails qui nous montrent Trébuchet sous un jour étrange. La forge, un « manoir », se trouve au pied d’un château appelé Cothoatre, dans un lac ; un grand feu y brûle sans cesse.
Le pont qui mène à cette habitation est gardé par deux dragons afin d’empêcher que le possesseur de l’une des trois épées jadis fabriquées par Trébuchet n’entre pour réclamer que celui-ci la répare : le forgeron n’y survivrait pas longtemps. Pendant que Perceval est occupé à tuer les deux « serpents », il est plus d’une fois question de leurs « pieds » ; plus tard, quand il pénètre dans la forge, son écu
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portant les marques profondes de deux griffes, le vieux Trébuchet lui demande s’il est arrivé par les airs !
Le forgeron, à peine esquissé chez Chrétien, acquiert ici décidément des traits fort intéressants.
Il apparaît donc que Trébuchet doit être mis en rapport aussi bien avec les origines de Perceval, ses racines et son « clan », qu’avec son avenir, sa destinée ; il est dans le roman une figure plus importante qu’il n’y paraît. La grande salle du château du Graal, au centre de laquelle flambe, dans la cheminée quadrangulaire, cet énorme feu « ouvert », fait d’ailleurs étrangement penser à une forge. Cette importance du forgeron Trébuchet s’exprime également dans la structure de l’épisode en question ; les deux passages relatifs à l’épée et à Trébuchet encadrent la partie centrale : repas, allées et venues du Cortège, silence de Perceval, et ces passages contiennent des éléments équivalents qui les relient l’un à l’autre. Premièrement, bien entendu, le forgeron lui-même, qui est mentionné dans le texte peu avant et peu après l’épreuve (cf. l’apparition momentanée de « l’unijambiste » juste avant l’aventure de Gauvain).
CONCLUSION.
À cause de son nom, et du bateau dans la rivière profonde, on a tendance à rattacher le Roi Pêcheur uniquement à l’eau.
Mais ce sont bien deux éléments qui sont évoqués dans cet épisode essentiel où l’auteur met son Roi de l’Eau tout près du Feu, tout comme sont associés les deux éléments fondamentaux, de la métaphysique druidique selon Strabon : « Un jour seuls prévaudront le feu et l’eau » (Géographie IV, 4).
Les événements qui se produisent au château du Roi Pêcheur se rapportent donc à un ancien rituel magico-religieux servant à mettre à l’épreuve le futur souverain et à lui conférer son rang privilégié. Certains auteurs ont vu EN EFFET dans le défilé du Graal une cérémonie d’initiation ratée ou en deux temps.
Le cortège avait en effet pour finalité d’amener Perceval à poser certaines questions : « Pourquoi la lance saigne-t-elle ? De qui est la tête posée sur le Graal ? »
Mais lors de sa première visite au château mystérieux, Perceval échoue, car il ne pose pas les questions salvatrices attendues
Ensuite Perceval aurait trouvé le forgeron par hasard, mais… où « aventure » le mène-t-elle au bout de cinq années d’errances ? Chez un oncle ermite, qui l’éclaire sur sa famille, qui dévoile le secret du Graal (c’est-à-dire raconte ce qui aurait dû être de nouveau montré pour déclencher, cette fois, la réaction juste) et qui, après un enseignement religieux et un rituel de purification se rapportant au « péché » de Perceval, lui apprend quantité de noms secrets du Seigneur. Autrement dit, l’ermite transmet à Perceval un savoir ésotérique.
Scénario initiatique universel : Perceval, qui s’est armé d’une hache (!), s’isole des gens vivant à « Cothoatre » afin de pénétrer dans un Autre Monde via un périlleux trespas comportant une traversée d’eau. Il tue les monstres chtoniens qui lui infligent (infligent à son écu qui le remplace) la mutilation initiatique, arrive au feu perpétuel qui le fascinait depuis longtemps et dans lequel le vieux Trébuchet reforge enfin son épée en refaisant la lettre dessus, et retourne dans la communauté acclamé par la foule en liesse. Comme effrayé par son audace toute païenne notre auteur fera donc mourir aussitôt le vieux forgeron.
On peut penser que l’histoire de Perceval, couronnée par un mariage ou non, aurait dû se terminer à peu près ainsi. À son deuxième essai, Perceval atteint ce que le Roi Pêcheur lui avait assigné comme objectif, à savoir la perfection totale, mais ce n’est pas le Roi Pêcheur qui l’en informe. Et c’est seulement après sa rencontre avec le forgeron que l’ex-« simplet tombé du nid » retournera au château du Graal comme « le meilleur de tous » et qu’il recevra la souveraineté pour laquelle il était né.
Que l’on soit en présence d’une tradition en rapport avec le culte de la Déesse-mère et de son fils est évident. Que dans cette histoire sacrée le thème de la Vengeance ait occupé une place centrale est tout aussi évident. Faut-il en rester là ? Certains faits conduisent à penser qu’au sens littéral exotérique du mythe s’en ajoutait un autre ésotérique, en un mot que nous nous trouvons en présence d’une sorte de parabole transmise par une caste sacerdotale qui en connaissait le sens caché.
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Un des thèmes centraux du texte autrement complexe de Chrétien est sans doute celui de l’exercice et de la transmission d’une souveraineté symbolisée par le Graal en tant que récipient porté par une femme. Ce symbolisme se réfère à une société de type matrilinéaire où le pouvoir, s’il est exercé par les hommes, est transmis par les femmes, ce qui expliquerait la prépondérance, dans notre histoire, de la mère et de la famille maternelle de Perceval. Or, s’il en est ainsi et que, d’autre part, la cérémonie qui se déroule au château du Graal doit être interprétée comme un rituel de caractère initiatique, il est assez curieux que le forgeron n’y participe point, non seulement comme initiateur et transmetteur de savoir, mais aussi comme étant lui-même directement concerné par la désignation de l’héritier de la souveraineté appartenant à sa famille, qui est une famille royale.
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L’ARCHÉTYPE DU CHEF DE GUERRE : LE TRICÉPHALE BRENOS, IVOCAROS, ET IVOCARBOS.
Un mélange de plusieurs archétypes, l’explorateur le héros le magicien, etc.
Brian, Iuchar et Iucharba (Brennos, Ivocaros et Carbos) sont dits fils de Tuireann (Tuirenn or Tuirill Biccreo) dans les apocryphes irlandais restés à notre disposition, c’est-à-dire essentiellement l’Oidhe Chloinne Tuireann.
Une des plus fascinantes légendes irlandaises est en effet celle qui met en scène la mort tragique des enfants de Taran/Toran/Tuirean, en gaélique Oidhe Chloinne Tuireann. À savoir Brian, Iuchar et Iucharba dit Uar (c’est-à-dire « froid », dans le dialogue des deux Sages).
Certains passages du Lebor Gabala Erenn néanmoins nous présentent ces Brian, Iuchar et Iucharba comme fils de Delbáeth Mac Ogma.
Tout cela est bien compliqué et prouve si besoin en était que le paganisme philosophique et réfléchi des mythes panceltiques originels, avait fini par dégénérer sous les coups de boutoir répétés de la sous-culture chrétienne de l’époque. Les bardes irlandais ne traitaient plus du tout cette matière comme de la mythologie intemporelle, mais comme des généalogies analogues à celles de leurs mécènes de patron.
Ce qui émerge néanmoins de tout ce méli-mélo c’est que Brian Iuchar et Iucharb (Brennos Ivocaros et Ivocarbos en vieux celtique), sont bien des membres actifs et haut placés du panthéon druidique, même s’il semble y avoir eu en Irlande et par rapport à la Grande-Bretagne ou au Continent, une sorte de révolution de palais (matriarcale ?) ayant détrôné Taran/Toran/Tuireann au profit de Noadatus/Nuada et de Lug.
La racine brenn, latinisée en brennus, signifie « chef de guerre » ; mais la récurrence de ce nom dans notre documentation historique incite en effet à penser que ce fut plus un titre qu’un nom propre.
Un moderne archétype du chef de guerre a été pendant longtemps par exemple incarné par l’Allemand Erwin Rommel (1891-1944) et sa célèbre Afrikakorps.
La légende du soldat brillant et intègre Erwin Rommel a en effet prévalu pendant au moins trente ans. Elle arrangeait tout le monde. Les Anglais cachaient derrière le génial « renard du désert » leur médiocrité militaire crasse. Les Allemands, et notamment Speidel qui a exercé de hautes responsabilités à l’OTAN, redoraient leur blason avec un Rommel talentueux, mais pas nazi, voire même conjuré du 20 juillet 1944.
Il aura fallu attendre David Irving, dans les années 70, pour que la vérité commence à se faire jour à son sujet.
Erwin Rommel : un homme courageux, meneur d’hommes, à qui aucun crime de masse n’est reproché, mais quand même fasciné par Hitler et nullement brillant stratège.
Car il ne faut surtout pas confondre stratégie et tactique. La stratégie c’est la planification des grandes lignes, la tactique ce sont les opérations sur le terrain destinées à engranger les résultats escomptés de ladite stratégie.
Ces deux notions sont néanmoins il est vrai indissociables : pas de tactique efficace sans l’élaboration préalable d’une stratégie cohérente, et d’un autre côté, une stratégie cohérente ne peut fonctionner sans la mise en œuvre d’une tactique efficace.
À Erwin Rommel on préférera donc paradoxalement la réalité, la réalité vraisemblable, du roi Arthur.
Les sources qui le mentionnent sont rares, mais laissent apparaître les éléments suivants :
— il aurait été nanti du titre de dux bellorum ou d’Imperator (commandant en chef),
— il aurait remporté environ 12 batailles,
— il aurait combattu avec des cavaliers, contre des forces barbares comportant une majorité de fantassins.
La légende idéalisera plus tard cette chevalerie médiévale avec ses « chevaliers de la table ronde ».
Contexte historique.
Face aux invasions généralisées sur tout l’Empire romain, l’empereur Honorius décide dès le début du Ve siècle d’abandonner la Grande-Bretagne qui est trop difficile à protéger : les « Romano-Bretons » sont donc invités à se défendre tout seuls.
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Une certaine résistance de la population « romano-bretonne » s’organise donc progressivement : elle souffre évidemment au début d’un manque d’union, et c’est dans ce contexte donc que des chefs de guerre émergeront.
Ces derniers sont souvent issus de l’ancienne aristocratie romaine, et sont par conséquent de grands propriétaires fonciers, base originelle de la future classe féodale.
Parmi ces chefs, un certain Artus ou Artorius a vraiment existé durant la seconde moitié du Ve siècle et le début du VIe. Il serait parvenu à unifier provisoirement les Romano-Bretons dans leur lutte contre les barbares irlandais, pictes et saxons.
CE QUE NOUS DIT L’HÉRÉSIE GAÉLIQUE (le récit intitulé « La mort tragique des enfants de Tuireann »).
Pour résister aux vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomoire en Irlande, Ceno/Cian, le père du dieu-ou-démon Lug, part à la recherche de renforts. Malheureusement, sur son chemin, il croise les trois fils de Taran/Toran/Tuireann, ses ennemis jurés. Il se métamorphose en sanglier, mais Brennos/Brian le voit et prévient ses frères, Iuchar et Iucharba. Puis, fort de sa propre science, il transforme ses frères en chiens et se lance à la poursuite de Ceno/Cian qu’il transperce d’un javelot. Il l’achève à coups de pierres. Pour ce meurtre Lug exigera trois pommes, une peau de porc magique appartenant à un roi grec, une lance empoisonnée appartenant à un roi perse, deux chevaux attelés à un char, les porcs du roi des Colonnes d’Or, Assal, un chien, une broche à rôtir appartenant aux nymphes d’un royaume sous la mer ; et enfin trois cris à pousser au sommet d’une colline appartenant au roi Miodhchaoin. Les trois frères ont de la chance et arrivent à bout de six des huit épreuves. Lug leur jette alors un sort et ils oublient leurs deux dernières missions.
Ils rentrent chez eux, mais doivent en repartir aussitôt afin de ramener la broche qui se trouve au fond de la mer et pousser les trois cris au sommet de la colline. Ils seront mortellement blessés par Miodhchaoin ou ses fils ; et Lug, malgré les supplications de Taran/Toran/Tuireann, les laissera mourir.
Ce récit gaélique ne nous cache donc nullement l’hostilité qui oppose les enfants de Taran/Toran/Tuireann ; Brenos, Ivocaros et Ivocarbos (Brian Iuchar et Iucharba) ; des proches du Suqellos Dagda Gargant pourtant, si nous en croyons le Livre des Conquêtes irlandais ; aux enfants de Cainte, c’est-à-dire Cu (le chien), Céno (le lointain) et Ceitheann/Catuenos. On ne sait pas très bien ce que signifie Ceitheann/Catuenos en gaélique (le batailleur ?) ; mais il est plus gênant que notre texte n’indique point la raison, car il y en a certainement une, de la rivalité ouverte qui oppose ainsi ces deux branches familiales.
De surcroît, Lug est issu de celle qui est de loin, la plus obscure. De tout cela il convient de retenir avant tout, l’ancienneté d’une légende dont la base est un conflit interne, une grave querelle de souveraineté entre deux branches collatérales de la famille (au sens juridique irlandais) des hommes de la déesse-ou-démone ou bien fée si l’on préfère, Danu (bia). Autrement dit un conflit ouvert entre Taran/Toran/Tuireann et Lug. En Irlande, le culte de Lug a donc supplanté celui de Taran/Torann/Tuireann et de ses enfants.
Comme l’a écrit le grand historien français C. -J. Guyonvarc’h à propos de la fin tragique de Brenos dans la légende irlandaise, et en guise de conclusion de ce mythe, « il fallait bien, de temps à autre, mettre fin au cycle [infernal justement. N.D.L.R.] des vengeances, et préserver ainsi une relative cohérence ou une stabilité indispensable à l’existence d’un État ».
La justice, comme la vérité, est une nécessité sociale et non pas seulement morale. S’il y a, dans ce mythe, une part manifeste de responsabilité, disons « lugiférienne », elle est largement atténuée par la fatalité divine et le véritable filet de geasa qui enserre toute vie individuelle. Lug lui-même n’y échappe pas.
Il ne faut pas nous indigner de la dureté dont fait ici preuve Lug : nous n’avons nullement affaire à des êtres humains, mais à des émanations de la puissance divine, qui incarnent des principes surnaturels.
L’idée fondamentale contenue dans ce mythe, c’est que la quête de l’initiation est un rachat, qu’elle conduit à la mort certes, mais que cette mort est une victoire. C’est par exemple dans la mort et en devenant un héros que le traître ou le criminel se rachète.
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Si Bran au Pays de Galles est un héros formidable, à l’instar de Cúchulainn, certaines légendes en font un dieu-ou-démon de l’Autre Monde, à la fois devin, musicien et guerrier. Son surnom est bien évidemment un attribut chrétien, tardif. Dans la mythologie celtique galloise, Bran le Béni (ou Bran
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Vendigeit) apparaît dans le Mabinogi de Branwen, dont il est le frère, avec Manawyddan Fab Llyr. Comme son nom l’indique, il est le fils de Lero/Lir. Ce qui n’est pas fait pour simplifier les choses, car les données ne concordent guère avec celles de la tradition irlandaise médiévale, qui incorpore parfois des éléments historiques ultérieurs.
C’est un géant qui ne peut entrer dans aucune maison, à cause de sa taille, ni monter sur aucun bateau. Son nom signifie « corbeau », animal associé à la mort. Il est le souverain d’un des royaumes du Pays de Galles, et habite Harddlech c’est-à-dire le « bel endroit » (aujourd’hui Harllech dans le Merionethshire). Matholwch, roi d’Iwerddon (Irlande), vient demander la main de sa sœur et, par la même occasion, conclure un traité de paix. Evnissyen, son demi-frère, furieux de ne pas avoir été consulté, coupe les lèvres, les oreilles et la queue des chevaux irlandais. Afin de dédommager ses hôtes, Bran le Béni fournit aux victimes de nouvelles montures, ainsi qu’un chaudron magique. Trois ans après le mariage, informé par un message apporté par un étourneau, des mauvais traitements que subit Branwen de la part de son époux, il organise une expédition militaire contre le roi irlandais, qui se termine par un massacre. Les Gallois gagnent la guerre, mais seuls sept hommes survivent à la bataille. Bran lui-même meurt d’une blessure au pied. Il ordonne que sa tête soit détachée du reste de son corps, et enterrée sur la colline blanche de Londres, afin de protéger le pays. Au cours des 87 années qui suivent, les sept survivants continueront à dialoguer avec la tête qui peut toujours leur parler. Le roi Arthur l’aurait fait retirer du site, en proclamant que la Grande-Bretagne devait être protégée par la valeur de ses hommes plutôt que par des moyens surnaturels.
En remontant plus loin encore dans le temps, il y a lieu de noter que le texte de Pausanias nous relatant les débuts de l’expédition du prétendu Brennos historique sur Delphes est assez surprenant. Ce Brennos en principe historique est comme doué d’ubiquité (un dieu-ou-démon de la guerre ??).
« Alors Brennus, se multipliant partout, tantôt dans les assemblées publiques, tantôt chez chacun des Galates qui étaient au pouvoir, suscitait une expédition contre l’Hellade… » (Description de l’Hellade. Livre X. Phocis. XIX, section 8).
Quant à Tite-Live, lui, apparemment, il associe le premier Brennos à la tactique, en bref à la science militaire. « Et ainsi la science militaire aussi bien que la fortune se trouvèrent du côté des Barbares » note-t-il à son sujet (Histoire de Rome depuis sa fondation. Ab Vrbe Condita. Livre V. XXXVIII).
Brenos serait donc, non un dieu-ou-démon de la guerre, mais un dieu-ou-démon personnifiant l’art et la manière de conduire une expédition. En quelque sorte une source d’inspiration pour les chefs de guerre ou les généraux, et non pour les simples soldats. Ce qui correspond assez bien au rôle et à l’action du personnage de Brian dans la légende irlandaise.
Ainsi que le prouve l’existence même du nom de Taranucnus, qui signifie né de Taran-, Taran/Toran/Tuireann pouvait très bien avoir des enfants. Ivocaros > Iuchar et Ivocarbos > Iucharba sont évidemment des doublets l’un de l’autre.
Ou Iuchar est une forme abrégée par apocope de Iucharba, si ce dédoublement s’est fait en Irlande ; ou c’est Ivocarbos qui est dérivé d’Ivocaros (ami de l’if) si le dédoublement remonte au berla féné c’est-à-dire au vieux celtique, par insertion de la désinence obos > * Ivocarobos > Ivocaros. Comme dans le cas de Rudios « le rouge » qui a donné Rudiobos « le rougeoyant » sur le Continent.
Ce qui ne nous laisserait donc que Brennos > Brian et l’un de ses frères. Mais il y a sans doute eu en réalité triplement de Brenos, Ivocarbos n’ayant guère plus de personnalité qu’Ivocaros et vice-versa.
La suite du récit nous montre que Brenos est à la fois le chef et la tête pensante du trio, ses deux frères étant des personnages secondaires sans autonomie d’action. Une sorte de tricéphale donc en réalité. Il y a [sur le Continent] trente images d’un dieu-ou-démon doté de trois faces. Parfois les trois têtes sont l’une à côté de l’autre, parfois elles sont si bien fondues que, bien que l’on voie les trois nez ; les deux yeux de la face centrale appartiennent aussi aux deux autres faces (cf. l’autel de Reims).
Un certain nombre de ces statues tricéphales se rapportent incontestablement à Lug (Mercure), mais ce n’est pas le cas de toutes, exemple celles de Reims et Malmaison, puisque dans ce cas MERCURE (donc Lug) Y FIGURE À CÔTÉ. Le tricéphale donc dans ce cas, c’est tout simplement Brenos.
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N.B. Sur un plan plus général et plus philosophique, le tricéphale représente aussi pour les druides les composantes de l’être (corps/âme/esprit) les trois dimensions (hauteur, longueur, largeur) le passé, le présent et l’avenir, ainsi que les trois états différents d’un même être (sommeil, rêve et veille). Ce tricéphale représente donc aussi en fait les manifestations principales de la puissance divine. Il s’agit par conséquent de forces primordiales hypostasiées, dotées d’une commune affinité. On retrouve là exactement la notion slave de Triglav c’est-à-dire de « tricorne ».
La notion de tricéphale se résume par conséquent dans la formule : trois personnes égales et distinctes en une seule nature.
Sur le plan militaire, c’est la personnification d’un homme qui prend toujours sans tarder les bonnes décisions, et qui peut être partout à la fois, qui réagit au quart de tour et exactement comme il faut.
Le terme brennos, latinisé en brennus, signifie « chef de guerre » avons-nous dit. Brennos ou Brennus est le nom qu’ont retenu respectivement l’historiographie grecque et l’historiographie latine pour désigner deux chefs des Celtes de la période des « migrations celtiques ». On ignore en réalité leur nom propre. Tout ce que l’on peut en dire c’est que, dans les deux cas, il devait s’agir d’adorateurs ou de fidèles du dieu-ou-démon de la conduite des guerres.
Forcément !
Le premier de ces brenn mena ses guerriers en Italie et s’illustra en rançonnant Rome, en 390 avant notre ère. C’est lors de cet événement que ledit « Brennus » aurait été l’auteur de la sentence « Malheur aux vaincus ! » (Uai uictebo, en latin Vae victis), devenue célèbre par la suite.
Il devait y avoir dans la famille de Tite-Live, qui était d’origine celte, des contes et légendes se rapportant à l’invasion du nord de l’Italie ; et notamment au rôle décisif joué par le dieu-ou-démon « Brian » (désolé pour l’anachronisme !) dans la motivation des troupes ayant vaincu Rome. Tite-Live a donc repris toutes ces traditions familiales et a fait le contraire de ce que l’on appelle généralement l’évhémérisme, en les présentant comme de l’Histoire. (On appelle historicisation l’évhémérisme à rebours.) Et Pausanias aussi tellement ce qu’il rapporte est peu crédible !
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LE DIEU DE L’AMOUR ET DE LA JEUNESSE MABON/MAPONOS/OENGUS.
Oengus (ou Aengus dans les plus récentes graphies) ce qui signifie « unique désir », en Irlande. L’autre nom de Mabon dans ce pays est Mac Oc ou Mac Ind Oc, ce qui peut se traduire par « fils jeune » ou « fils du jeune » ou « de la jeunesse ». Mabon tout court au Pays de Galles.
Dieu de la jeunesse et de tout ce qui va avec (santé, amour, plaisirs de son âge… Autrement dit la jeunesse et ses plaisirs. Le caractère solaire du personnage est également bien mis en évidence par le fait que, dans le roman de Diarmat et Grannia, où il nous est présenté comme étant le père adoptif de Diarmat, protégeant les deux amants (il sauve Grannia en la couvrant de son manteau d’invisibilité) ; il apparaît dans des vêtements étranges avec un manteau à larges rayures d’or.
Dans la mythologie écossaise, Mabon/Maponos/Oengus est le parèdre de Brigitte (Bride) et se retrouve pour cette raison maintes fois en conflit avec la Vieille de Beara (Cailleach Bheur). Mabon/Maponos/Oengus est également un des saints patrons des arts martiaux, avec l’Écossaise Scothache et quelques autres divinités de ce type.
Dans l’organigramme de la tribu de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia) en Irlande, Mabon/Maponos/Oengus est un dieu-ou-démon qui participe des trois fonctions (sacerdotales, guerrière et artisanale). Dans l’épisode préliminaire à la seconde bataille de la Plaine des menhirs ou des tumuli, c’est lui qui suggérera aussi à son père, le Suqellos Dagda Gargant, comment se débarrasser de l’odieux Cridenbel, et quelle récompense demander au roi Bregsos/Bres. Après la seconde bataille de la Plaine des menhirs, c’est lui qui, avec l’aide de la Morrigani, expulsera du pays les cinq derniers vouivres anguipèdes que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomore en Irlande. Il fut aussi un moment pressenti pour devenir roi des dieu-ou-démons après la défaite que leur infligeront les êtres humains (bataille pour la possession de la Talantio/Tailtiu et la bataille de Druim Lighean).
À en croire la documentation irlandaise et d’après les bardes irlandais (Ah ces bardes !).
Parents : le Suqellos/Dagda/Gargant et une nymphe de rivière appelée Bovinda (cf. Sequana sur le Continent).
Le Suqellos/Dagda/Gargant donc a une aventure amoureuse avec Bovinda, femme du dieu des eaux (Nechtan en Irlande, Lero sur le Continent). Afin de dissimuler leur faute, le Suqellos/Dagda/Gargant, plus fort que Josué à la bataille de Gabaon (10 ,12), arrête la course du soleil pendant 9 mois ; le temps nécessaire pour que cet enfant de l’amour naisse avant le retour de l’infortuné mari ; dont le nom varie suivant les versions (Elcmar ?? Ogmios ?? Nechtan ??).
Mabon/Maponos/Oengus est donc conçu porté et mis au monde le même jour. Selon la coutume de l’époque (tutelage), il sera élevé par Medros/Midir, un frère de son père, seigneur du side de Leita Briga (Bri Leith).
Devenu adulte Mabon/Maponos/Oengus se vengera de cet abandon à sa naissance en contraignant le Suqellos/Dagda/ à le reconnaître et à lui céder son domaine appelé le Brug Na Boinne ; à la suite d’une ruse restée célèbre et qui nous a été conservée par un récit apocryphe intitulé « La prise du Side » (De Gabail in t-Sida).
Mabon/Maponos/Oengus étant parti retrouver le Suqellos/Dagda/Gargant un soir de Samon, il se présente, se fait reconnaître par lui comme son fils, et lui réclame un fief. Le Suqellos/Dagda/ Gargant n’ayant plus rien à lui offrir, Mabon/Maponos/Oengus lui demandera donc de pouvoir disposer de son palais de la Boinne au moins une nuit et un jour. Le Suqellos/Dagda/Gargant accepta. Mais comme faute d’article cette phrase était ambiguë et pouvait signifier aussi « jour et nuit », c’est-à-dire « tout le temps », le Suquellos/Dagda/Gargant ayant compris trop tard le jeu de mots, Mabon/Maponos/Oengus put donc disposer ad vitam eternam de ce fameux Brug na Boinne.
Dans une autre version de cette anecdote figurant dans la Cour faite à Etanna/Etain, Mabon/Maponos/Oengus se sert de la même ruse pour attirer Ogmios/Elcmar hors du Brug na Boinne avec la complicité du Suqellos/Dagda/Gargant.
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À en croire les histoires nous narrant les décès des Tuatha De Danann, Mabon/Maponos/Oengus aurait tué son père adoptif Ogmios/Elcmar pour venger le meurtre de Medros/Midir.
Mabon/Maponos aurait aussi tué le poète attitré de Lug à cause de ses mensonges, d’après lui, sur son frère Cermat. Le poète racontait en effet que Cermat avait eu apparemment une liaison avec une des femmes ??? de Lug.
Le caractère solaire de ce dieu-ou-démon de la jeunesse est également prouvé par la variante de son nom chez Chrétien de Troyes : Mabonagrain. Grain vient du celtique grannos (= soleil rayonnant), mais il apparaît aussi très nettement dans le récit de la cour faite à Etanna/Etain.
Le père adoptif de Mabon/Maponos/Oengus, Medros/Midir, ayant perdu un œil à cause de lui, Mabon/Maponos/Oengus l’indemnisera en allant chercher pour lui la belle Etanna, dont il tombera aussi amoureux bien tendu.
Mais pour l’avoir, Mabon/Maponos/Oengus sera obligé de faire défricher douze plaines dans la forêt, de façon à ce que l’on puisse y construire des maisons, rassembler du bétail, et y organiser des fêtes. Cette allusion au soleil dont la course à travers les douze signes du sonnocingos [du zodiaque] obtient de la toute-puissance divine (le destin ou Tocade) la fécondité de la terre ; démontre bien encore une fois que l’astre du jour est indubitablement lié, d’une façon ou d’une autre, au personnage de Mabon/Maponos/Oengus. Ensuite, après bien des péripéties, la malheureuse Etanna/Etain, transformée en papillon, étant tombée dans un des plis de son manteau, il l’emportera dans sa demeure du Brug Na Boinne afin de la protéger ; « dans sa chambre de cristal l » 1) qu’il remplit pour elle de bonnes herbes vertes et de fleurs pour lui rendre des forces. Il avait coutume de dormir dans cette chambre de soleil chaque nuit auprès d’elle, et il la réconforta ainsi jusqu’à ce que sa joie et ses couleurs lui revinssent. Amour platonique, bien sûr, puisqu’Etanna/Etain se trouve, à ce moment-là, sous la forme d’un papillon ? Etanna/Etain restera dans cette chambre solaire avec Mabon/Maponos/Oengus jusqu’à ce que Vocusmnaca/Fuamnach, ayant entendu parler de l’amour et de l’estime en lesquels elle était tenue chez lui ; revienne la persécuter de nouveau et la chasser (en définitive, elle finira par tomber sur terre).
Intéressant parallélisme des situations avec ce célèbre passage de la folie de Tristan.
J’emmènerai Iseult là-haut « entre le ciel et la nue, dans ma belle maison transparente. Le soleil la traverse de ses rayons, les vents ne peuvent l’ébranler ; j’y porterai la reine dans une chambre de cristal, toute fleurie de roses, toute lumineuse au matin quand le soleil la frappe ».
Dans l’histoire de la maison aux deux seaux à lait, une femme du side fille adoptive de Mabon/Maponos/Oengus s’égare et finit en compagnie de Saint Patrice. La pauvrette se convertit au christianisme, et Mabon/Maponos/Oengus n’arrive point à la reconquérir. Il l’abandonne donc à son sort et elle meurt de chagrin quelques semaines plus tard (que ceci serve donc de leçon à ceux des nôtres qui par conformisme intellectuel seraient tentés par le christianisme).
Le récit gaélique apocryphe intitulé le rêve d’Oinogustios (Aislinge Oenguso en irlandais) nous relate sa belle et touchante histoire d’amour avec Cadra Eburomatia (Caer Ibormaith).
Une nuit, en rêve, Mabon/Maponos/Oengus s’éprend de la belle Cadra Eburomatia/Caer Ibormaith, que son père, Ethal, refuse de lui donner en mariage sous prétexte que Cadra Eburomatia/Caer Ibormaith est plus puissante que lui et que celui-ci devra donc la conquérir sans aucune aide.
Oengus le contraint à lui dire où elle se cache ; et le jour de la fête de Samon (1er novembre) il la découvre nageant sur le lac de la gueule du dragon (aujourd’hui le lac de Muskry dans les montagnes de Galtee) ; sous la forme d’un cygne, au milieu de cent cinquante autres, car elle avait été condamnée à vivre ainsi une partie de sa vie. Mabon/Maponos/Oengus se transforme lui aussi en cygne à son tour, la reconnaît au milieu des 150 autres semblables à elle, lui prend la main, et Cadra Eburomatia/Caer Ibormaith le suivra jusqu’à son palais du Brugh na Boinne.
Notons ici à la décharge de ces maudits bardes irlandais qu’il s’agit là d’une des plus belles histoires d’amour de la littérature universelle. Rien que pour cela donc on les pardonnera.
Mabon/Maponos/Oengus et Cadra Eburomatia/Caer Ibormaith adopteront par la suite Diarmat Ua Duibhne, lui aussi une sorte de dieu-ou-démon de l’amour. Les filles ou les femmes qui apercevaient son grain de beauté en tombaient instantanément amoureuses. Mabon/Maponos/Oengus aura également une fille appelée Curcog.
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Bref, c’est un dieu-ou-démon de la jeunesse, de la santé, associé à la croissance des jours après le solstice d’hiver. D’où son assimilation, à tort néanmoins, au dieu-ou-démon Apollon, par les Romains. C’est un poète et un musicien accompli. Également dieu-ou-démon de la beauté ou de la perfection des formes. Vu son rôle dans le célèbre roman irlandais de la poursuite (par Finn) de Diarmat et Grannia, il s’agit incontestablement d’un dieu-ou-démon protecteur des amoureux. Ses baisers sont censés être inoubliables, car ils se métamorphosent aussitôt en oiseaux merveilleux. Il est d’ailleurs lui-même constamment accompagné par trois ou quatre magnifiques oiseaux voletant autour de sa tête.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, en plusieurs endroits du Continent, une divinité, tantôt d’apparence masculine, tantôt d’apparence plutôt féminine, est représentée en compagnie de deux oiseaux ; les sites sont le mont Auxois, Nevers, Alésia, ainsi que Compiègne en France, et Luxembourg. Sur les monuments de Nevers, ce personnage est associé au dieu-ou-démon au marteau. Comme à Compiègne, Alésia, et Beaune, les oiseaux figurent au-dessus de l’épaule de la divinité, vers laquelle ils tournent le bec.
Sur la statue de Compiègne, il y a, outre les deux oiseaux qui tendent le bec vers l’oreille du dieu-ou-démon, deux autres qui sont à la hauteur de sa poitrine. Sur la statue d’Alésia, il y a un personnage masculin entre deux oiseaux ; à ses pieds se trouve assis un chien. La même image figure aussi sur des chapiteaux : à Martigny (Suisse) le personnage est masculin, pour ce qui est d’Avenches (Suisse toujours) il fait plutôt féminin.
Il est souvent difficile de dire quel oiseau on a voulu représenter. En général les sculptures sont trop grossières pour cela. Les traits de la divinité sont tout aussi vagues ; c’est en général un dieu-ou-démon, mais qui est soit vieux, soit jeune. En 1932, à Alise-Sainte – Reine le lieu-dit « la Fandrolle » a livré une image plus complète : le dieu-ou-démon, debout, est adossé à des branchages de chêne enrichis de glands nombreux ; sa tête barbue est coiffée d’un boisseau.
Si ce n’est pas là une figuration de Pipius, l’égrégore des oiseaux, il s’agit peut-être d’une représentation de notre Mabon/Maponos/Oengus.
Mabon/Maponos/Oengus sera donc lui-même le père adoptif et le protecteur de Diarmat et Grannia. Il les tirera d’affaire à deux reprises lors de leur poursuite par les Fénianes.
Il possédait une épée appelée la Moralltach, la Grande Fureur, que Belin/Belen/Manannan lui avait donnée. Cette épée il en fit don à son tour à son fils adoptif Diarmat. Il avait aussi une épée appelée Beagalltach ou petite fureur, ainsi que deux javelots redoutables : le Gae Buide ainsi que le Gae Derg, dont il fera également présent à Diarmat. Quand le jeune homme mourra, Mabon/Maponos/Oengus ramènera son corps au Brug na Boinne afin de lui redonner vie à chaque fois qu’il voudrait deviser avec lui. D’autres légendes nous le montrent capable de guérir les corps mutilés afin de les ramener à la vie. Une sorte de Docteur Frankenstein en quelque sorte, mais en beaucoup plus élégant donc.
Mabon/Maponos/Oengus est donc un dieu-ou-démon de la jeunesse. Mais de quelle jeunesse ? Il vaut sans doute mieux admettre qu’il était précisément un dieu-ou-démon des jeunes gens ayant l’âge de faire la guerre. L’hypothèse la plus plausible est en effet celle d’un dieu-ou-démon protégeant les adolescents mâles, et s’il a pu être assimilé au dieu-ou-démon classique Apollon par interpretatio romana, c’est à cause de son rôle de protecteur de la jeunesse (Iovantucaros). Et il n’y a rien de surprenant à ce qu’un dieu-ou-démon de la jeunesse procure aussi la santé.
Deux inscriptions le mentionnent sous l’appellation Maponos, un nom dérivé du celtique mapos/maqos « fils » ainsi que nous l’avons vu.
AE 1975, 00568 : Chesterholm (Vindolanda). Deo Mapono (pour le dieu Maponos).
CIL 13, 05924 : Bourbonne-les-Bains (France). Maponus/histrior ocaba/tus decessit ann (orum) XXX.
Quatre inscriptions l’assimilent au dieu-ou-démon Apollon par interpretatio Romana.
RIB 1120 (Corbridge) : Apollini Mapono, Q Terentius Q F (pour Apollon Maponus, Quintus Terentius Firmus, fils de Quintus).
RIB 1121 (Corbridge) : Deo Mapono Apolloni P AE […] lus/Leg VI (Au dieu Maponus Apollon, Publius Ae [lius Lucul] lus, centurion de la sixième légion).
RIB 1122 (Corbridge) : [Deo]/[M] apo [no]/Apo [llini] (au dieu Maponos Apollon).
RIB 583 (Ribchester) : Deo san (cto)/[A] pollini Mapono/[pr] o salute d (omini) n (ostri)… au saint dieu Apollon Maponos pour le salut de notre seigneur.
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Une très curieuse inscription trouvée à Nettleton Shrub, dans le Wiltshire.
DEO APOLLINI CVNOMAGLO COROTICA IVTI [F]. Au dieu Apollon Cunomaglus, Corotica fils d’Iutus.
Cunomaglus vient de cuno chien et magalo grand.
Il s’agit soit d’un chien de chasse soit d’un chien gardien de l’autre monde (ou les deux à la fois évidemment).
L’assimilation par interpretatio romana de Mabon/Maponos/Oengus au dieu Apollon fait néanmoins problème.
En tant que dieu-ou-démon des jeunes hommes, Mabon/Maponos/Oengus est également associé à la chasse. La chasse était jadis une activité très importante. C’était un des moyens de nourrir la tribu. C’était aussi un moyen de passer de l’enfance à l’âge adulte. C’était enfin un moyen pour les guerriers de s’entraîner en temps de paix. L’association de cette activité aux dieu-ou-démons ou au sacré, nous est d’ailleurs confirmée par le célèbre propos d’Arrien : « Je suis la loi des Celtes, et je déclare que, sans l’aide des dieux, rien ne réussit aux hommes (Cynégétique chapitre XXXV) ».
Son appellation galloise complète est Mabon Ap Modron, ce qui signifie simplement « le fils de la mère ». La dédicace à Maponos trouvée à Bourbonne-les-Bains en France, non loin de la source de la Marne, semble aussi associer cette divinité à la déesse-ou-démone ou fée Matrona, et ceci explique peut-être cela (le thème mythologique du feu dans l’eau).
Certains auteurs pensent que ce fut peut-être à l’origine une divinité spécialement honorée par la tribu celte des Parisi qui vivaient… à Paris justement ! Une fraction de ces Parisi aurait donc émigré en Grande-Bretagne dans le Yorkshire.
Corbridge, où trois dédicaces à Maponos ont été trouvées, se trouve dans le Northumberland, et Chesterholm ainsi que Ribchester, dans le Lancastershire. Deux régions voisines de la zone d’établissement de ces Parisi en Grande-Bretagne. Ajoutons que la ville de Locus Maponi, mentionnée dans la Cosmographie de l’anonyme de Ravenne, est sans doute l’actuelle Lochmaben (Dumfries et Galloway), non loin du Cumberland. Le culte de Maponos semble donc avoir été surtout centré sur le nord de l’Angleterre et le sud de l’Écosse, région qui devint au début du Moyen-âge le royaume de Rheged. Ce qui explique peut-être les relations pouvant exister entre Mabon et Owain ap Urien. Il existe en effet plusieurs légendes évoquant Urien et son fils Owain, et mentionnant également Mabon et Modron. Dans un des manuscrits de la Collection Peniarth (le numéro 147), il est par exemple précisé que les enfants d’Urien avaient pour mère Modron, fille du roi d’Annwfn. Cette légende est peut-être l’écho d’une antique hiérogamie ou d’un rituel de fécondité disparu. Dans un des poèmes attribués à Taliesin, Owain semble assimilé à Mabon. Que tous ces détails figurent dans des légendes de la région où fut jadis implanté le culte de Maponos, ne peut être un simple hasard. Il y a donc un lien entre Maponos et Mabon. La question est de savoir dans quelle mesure les mythes concernant Maponos recoupent ceux qui sont relatifs à Mabon. Le point commun semble être le thème cosmologique du feu dans l’eau. Mabon serait né de l’union de Taran/Toran/Tuireann surnommé Meldos (Mellt en gallois) et de Matrona (la rivière-mère). En Irlande, Mabon/Maponos/Oengus est par exemple associé à la rivière appelée La Boyne.
Dans le légendaire gallois, Mabon est enlevé à sa mère à l’âge de trois jours et retenu captif à Caer Lowy, Gloucester, qui signifie également « cité de la lumière ». Et il ne pourra être localisé qu’en interrogeant le plus vieil animal de la création. Il est dit aussi être un grand chasseur. Le nom de Mabon apparaît dans plusieurs autres légendes galloises : « Culhwch et Olwen », « Pa Gur », et les « Englynion y Beddau ».
Mabon/Maponos/Oengus est un avatar de Taran/Toran/Tuireann puisque son père est l’éclair : Mellt (Taran peut en effet avoir des fils si l’on en croit les diverses mentions du terme Taranucnus dans l’épigraphie). Ainsi que signalé plus haut, c’est un jeune héros enlevé à sa mère dès le troisième jour de sa naissance et détenu, depuis, en prison. Il est le seul à pouvoir chasser avec le chien appelé Drutwyn, sans lequel on ne peut prendre le porc nommé Trouyth. Afin de pouvoir entreprendre cette chasse, le roi de Grande-Bretagne Arthur en personne délivrera Mabon/Maponos/Oengus. Cette libération du jeune dieu-ou-démon symbolise peut-être celle du soleil prisonnier de la nuit, et sans qui la vie ne peut se poursuivre.
Sur le Continent, on retrouve également son nom sur une tablette de défixion magique découverte à Chamalières (France) en 1971, au lieu-dit « sources des roches ». Le texte en cursive latine est lisible et complet.
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Andedion uediíumi diíiuion risunartiu mapon (on) aruerriíatin
J’invoque Maponos arueriiatis par la force magique des dieux d’en bas ;
lopites sníeððdic sos brixtía anderon
Harcèle ? les personnes suivantes… ? par la magie des (dieux) infernaux
c lucion floron nigrinon adgarion aemilíon paterin claudíon legitumon caelion pelign claudío pelign marcion uictorin asiatícon aððedillí
Caius Lucius Florus Nigrinus accusateur (adgarion), Aemilius Paterinus, Claudius Legitimus, Caelius Pelignus, Claudius Pelignus, Marcius, Victorinus, Asiaticus fils d’aððedillos
etic secoui toncnaman toncsiíontío
et tous ceux qui prêteraient ce faux serment
meíon toncsesit buetid ollon reguccambion
Quant à celui qui a prêté ce faux serment, que ses os soient complètement tordus ????
exsops pissíiumítsoccantí rissuis onson bissíet
Bien qu’aveugle je verrai???? grâce à vous il nous sera livré ?
luge dessummiis luge/dessumíis luge dessumíís
luxe.
Viens à ma droite, viens à ma droite, viens à ma droite
Viens ?????????????????????????????????????????
Ce que l’on demande donc à Mabon/Maponos/Oengus, dans ce cas, et si nous comprenons bien, c’est, dans le cadre d’une procédure judiciaire, de punir et d’envoûter les auteurs d’un faux serment.
SURVIVANCE MÉDIÉVALE.
Mabon/Maponos/Oengus apparaît dans la littérature arthurienne (l’Erec de Chrétien de Troyes) sous la forme Mabonagrain. Chevalier ou écuyer du roi Lac. Neveu du roi Evrain, qui l’adoube. Amant de la cousine d’Énide. Il est connu pour être prisonnier d’un verger magique, parce qu’il a donné sa parole de ne pas quitter ce lieu avant d’y être vaincu par un chevalier. Vaincu par Erec, il sera donc libéré, à la plus grande joie de la Cour du roi. Dans le Lanzelet d’Ulrich von Zatzikhoven, il est appelé Mabuz et dit « fils de la dame du lac ». Il est parfois confondu avec Pryderi.
1. Allusion sans doute à la chambre funéraire de ce monument mégalithique (Newgrange) situé dans le Comté de Meath, au nord de Dublin. C’est un tumulus de 85 mètres de diamètre à l’intérieur duquel on atteint la chambre funéraire par un long passage couvert. Il a été construit autour de 3200 avant notre ère, soit près de six cents ans avant la grande pyramide de Gizeh en Égypte, et près de mille ans avant Stonehenge en Angleterre. Le site a été restauré entre 1962 et 1975. Il consiste en un gros tumulus circulaire au centre duquel se trouve une chambre funéraire à laquelle on accède par un très long couloir couvert. Le mur extérieur du tumulus est flanqué de pierres monumentales sur lesquelles il est possible d’observer des dessins en spirale et quelques triscèles. Chaque année, le jour du solstice d’hiver (le 21 décembre), à 9 h 17 du matin, le soleil pénètre directement dans la chambre centrale pendant à peu près 15 minutes. La précision dans l’orientation de l’édifice est donc spectaculaire. L’objectif de la construction semble avoir été de « conserver » les ancêtres, ou les personnages importants dont les corps étaient déposés dans la chambre funéraire centrale, pour qu’ils interviennent et que les jours recommencent à croître. Rappelons néanmoins que les monuments mégalithiques n’ont pas été construits par les Celtes. Il s’agit là simplement d’une récupération par les druides ou les bardes d’un monument et d’un concept ayant eu cours dans les populations antérieures : l’idée qu’un mort placé dans cette chambre funéraire pouvait ressusciter, au moins lors du solstice d’hiver.
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LES TROIS PILIERS DU PANTH-ÉON DRUIDIQUE.
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LE DIEU DE LA GUERRE PSYCHOLOGIQUE OGMIOS.
Les Celtes étaient des orateurs nés. Ils avaient donc un dieu de la rhétorique et de l’art de bien parler (argute loqui) sur le Continent, un dieu de l’écriture en Irlande.
Dans la mythologie druidique irlandaise, le dieu-ou-démon Ogmios est désigné par les variantes orthographiques : Ogma/Ogme. Un h est parfois accolé au g de son nom, montrant ainsi qu’il est quasiment inaudible en irlandais.
Jules César l’assimile à Mars, mais Lucien de Samosate (IIe siècle) le rapproche d’Héraclès.
Voici ce qu’Henri Lizeray avait en son temps (1903), pensé sur Ogmios. « C’était un des principaux personnages de la tribu de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia), qui prirent possession de l’Irlande vers l’année 1796 avant Jésus-Christ, suivant les annales irlandaises. Outre les chefs militaires, il y avait des maîtres ès arts et métiers, comme charpentiers, forgerons et fabricants d’armes, et médecins. Ogma était leur poète. Ce peuple pratiquait surtout la magie. Leur nom de Tuatha Dé Danann signifie « peuple de la déesse-ou-démone ou bien fée si l’on préfère, Danu (bia) ». C’était une tribu du peuple des Némétiens, qui occupèrent l’Irlande à plusieurs reprises. Le mot « némétiens » (de nem, ciel) signifie « célestes » (Henri Lizeray. Ogmios et Orphée).
La théologie celtique ayant beaucoup progressé depuis 1900, l’intuition de base d’Henri Lizeray a été confirmée certes, mais tout le reste a été démenti ou presque, par les découvertes ultérieures.
Et tout d’abord le nom de ce dieu-ou-démon est Ogmios et non Ogma (on le trouve intact dans le témoignage de Lucien de Samosate). Ogma n’est qu’une forme gaélique tardive.
Le nom d’Ogmios paraît bien celtique, étant cité sur deux tablettes de conjuration (defixio) trouvées à Bregenz ; il appartient, dit Lucien, à la langue du pays ; le nom du dieu-ou-démon irlandais Ogma trahit une phonétique non gaélique et doit s’expliquer par un emprunt.
La localisation en Irlande n’est qu’une évhémérisation tardive du mythe primitif ; qui concernait certainement un autre pays à l’origine (réel ou imaginaire, peu importe !) Et l’an 1796 avant notre ère est évidemment une date assez arbitraire, les spécialistes ont actuellement tendance à remonter beaucoup plus haut dans le temps, cet événement.
En outre, la poésie n’était pas vraiment la seule spécialité d’Ogmios. Le fait qu’on lui attribuait d’une manière générale une activité intellectuelle, est néanmoins confirmé par le fait qu’il est censé descendre d’Elada ; ce nom signifie en effet « art poétique » ou « science ». Il est appelé en outre grian-ainech, « qui a un visage de soleil », en gaélique ; est-il permis de rapprocher cela de la face riante d’Ogmios sur le tableau dépeint par Lucien de Samosate ?? Mais lors de la deuxième bataille de la Plaine des menhirs ou des tumuli, le dieu-ou-démon Ogma fait aussi figure de Trenfer, c’est-à-dire d’homme fort. Il parvient à s’emparer d’Orna, l’épée du roi des Andernas ou Fomore nommé Tethra. Les Irlandais, de façon quelque peu hérétique, ont oublié l’éloquence d’Ogmios et ont fait d’Ogme surtout un Hercule au sens physique du terme.
D’après le texte de Lucien de Samosate, Ogmios est le dieu-ou-démon celte de l’éloquence et de la rhétorique, et non celui de la force brutale. C’est pourquoi il a été représenté en Hercule, mais en Hercule âgé ou vieillissant, avec des chaînes d’or partant de sa bouche pour aboutir aux oreilles des humains qui le suivent ; symbole du lien subtil unissant, par la parole sacrée, le ciel et la terre, le monde divin et le monde humain.
Dans la mythologie bardique irlandaise, le dieu ou démon Ogmios est peut-être aussi désigné par le surnom de Labraid. < labratios (cf. labaron ou labarum en latin) ce qui signifie « le parleur ». Il est bègue, mais cela est normal pour un dieu-ou-démon de l’éloquence ! En tant que patron de la poésie et de l’éloquence, il est aussi souvent appelé en gaélique Milbel (ce qui signifie « bouche de miel »).
Le Labraid le plus connu est celui qui est appelé Loingsech en Gaélique (l’exilé, l’ultra-marin). C’est a priori un personnage historique, roi des rois d’Irlande, ancêtre des Laginiens du Leinster. Sans doute un aventurier venu s’installer là à la tête d’une puissante troupe de guerriers venus de Continent, et plus précisément d’Armorique selon T.F. O'Rahilly.
Láithe gaile Galián
gabsit inna lamaib laigne
Lagin de sin
slóg Galain glonnach.
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Rien de tout cela n’aurait à voir avec notre sujet (le panthéon druidique) si certains documents irlandais ne nous présentaient pas ce Labraid « historique » comme un roi régnant sur les hommes et les dieux.
Ór ós gréin glemair
gabais for doine domnaib sceo déib
dia oín ace Moín
macc Áine oen-ríg.
Labraid étant un adjectif signifiant quelque chose comme éloquent ou bavard, cela devait être donc une épithète désignant un dieu plus connu sous un autre nom et on a recyclé ici dans la biographie du Labraid historique des détails extraits par les bardes de la mythologie ou du culte par entourant cette figure divine.
Certains des lais traitant de ce personnage ressemblent fort par exemple au genre de prière que l’on pourrait adresser à une telle divinité à la fois dieu de l’éloquence et de la guerre comme Ogmios sur le Continent.
Il est parfois (peut-être) appelé aussi Elcmar < Elcomaros (le mauvais, l’envieux), dans le cycle d’Etain, ce qui nous renvoie au symbolisme du loup (Volcomaros). Certains pensent que l’on peut également lui attribuer l’épithète de Celtchar « le rusé ».
Labraid, Cermat Milbel, Elcmar et Celtchar, seraient donc autant d’aspects ou avatars d’Ogmios.
Ogmios apparaît aussi dans la légende irlandaise qui traite de l’enlèvement des vaches de Cooley (la fameuse Tain Bo Cualnge). Du moins suivant MacCulloch, car, selon lui, parmi les forces d’Ulster, il y a un groupe conduit par un homme sombre et rapide qui a sept chaînes autour du cou, sept hommes se trouvant au bout de chaque chaîne. Il traîne ces sept fois sept hommes de telle sorte que leurs bouches frottent la terre ; ils lui font alors des reproches à ce propos, et il y renonce » (Mythologie celtique de John Arnott MacCulloch, mythologie de toutes les races Tome III, introduction page 11).
Tout cela incite à voir dans cet énigmatique Ogmios un dieu-ou-démon du type Hercule-Mars. On sait qu’en Inde, Indra était accompagné par la foule de ses Marouts. Mais on peut aussi comparer cette compagnie céleste à la troupe des Einherjar que la mythologie scandinave attribue à Odin. L’image d’un général et de ses troupes semble donc bien convenir à un dieu-ou-démon de la guerre et des guerriers.
Si nous songeons, de plus, que César nous affirme avec quelle fidélité les guerriers celtes suivaient leur chef jusque dans la mort (voir ses notes sur les soldurs) ; on peut très bien penser qu’à côté du dieu-ou-démon de la guerre proprement dit, s’est élaborée une seconde figure mythique, symbolisant la fidélité des armées cette fois-ci.
Une des techniques de combat des Celtes antiques a laissé plus d’un observateur dubitatif : le fait de combattre enchaîné. La chose est mentionnée chez les Cimbres à la bataille de Verceil aux dires de Plutarque : Marius, XXVII.
« La plus grande partie des ennemis et les plus agressifs furent écrasés. Pour ne pas rompre leurs rangs, ceux des premières lignes s’étaient attachés les uns aux autres par de longues chaînes reliées à leurs baudriers ».
L’auteur grec n’a manifestement pas compris la signification religieuse de la chaîne : même si elle empêchait les premiers rangs de reculer, elle était, tactiquement, beaucoup plus une gêne qu’un avantage. Il s’agissait en fait, pour ces guerriers, de manifester leur allégeance à Ogmios. Cet exemple prouve que l’usage guerrier de la chaîne est impossible à séparer de son usage religieux. « La chaîne est un des signes auxquels on reconnaît une intervention de l’Autre Monde. Car tous ces guerriers, germaniques ou celtiques, étaient voués à la guerre et à la fureur guerrière ».
Ci-dessous le texte de Lucien de Samosate parlant d’Ogmios.
« Notre Héraklès est connu chez les Celtes du Continent sous le nom local d’Ogmios ; et l’apparence qu’il a dans leurs fresques est vraiment grotesque. Ils l’ont représenté en vieillard aussi vieux qu’il est possible, les quelques cheveux qui lui restent (il est presque complètement chauve sur le devant) sont
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totalement blancs, et sa peau est ridée, mais aussi tannée, comme brûlée par le soleil. On le prendrait presque pour quelque déité infernale, pour Charon ou Japet, enfin pour n’importe qui plutôt qu’Héraklès. Tel qu’il est néanmoins, il a tous les attributs particuliers de ce dieu : la peau de lion pend sur ses épaules, sa main droite tient la massue, sa main gauche l’arc tendu, et un carquois est accroché à son côté ; rien ne manque de l’équipement d’Héraklès. Au début je crus que c’était par haine des dieux grecs ; qu’en prenant de telles libertés avec l’apparence personnelle d’Héraklès, les Celtes ne faisaient que se venger sur le plan pictural pour son invasion de leur territoire ; quand dans sa quête des troupeaux de Géryon, il avait parcouru et pillé la plupart des peuples d’Occident. Je dois néanmoins, maintenant, mentionner le trait le plus remarquable de ce portrait. Cet antique Héraklès entraîne derrière lui une grande foule d’hommes, tous sont attachés par les oreilles au moyen de chaînes faites d’or et d’ambre, ressemblant beaucoup plus à de très beaux colliers qu’à n’importe quoi d’autre. Et malgré ce lien assez ténu, ils ne faisaient aucun effort pour s’échapper, bien qu’il leur soit très facile de le faire. Il n’y a pas le plus petit signe de résistance : au lieu de planter leurs talons dans le sol et de se jeter en arrière, ils suivent au contraire avec une joyeuse alacrité, en chantant les louanges de leur ravisseur ; et vu l’ardeur avec laquelle ils se hâtent derrière lui pour éviter que les chaînes ne se tendent, on pourrait dire que s’enfuir est bien la dernière chose qu’ils désirent. Mais je ne vous cacherai pas plus longtemps le très curieux détail qui m’a le plus frappé. La main droite d’Héraklès étant occupée par la massue, et la gauche par l’arc, comment lui faire solidement tenir l’autre extrémité des chaînes ? Le peintre a résolu le problème en faisant un trou au bout de la langue du dieu, et en faisant le point d’attache desdites chaînes ; sa tête est donc tournée vers eux, et il regarde ceux qui le suivent ainsi l’air souriant. Je dus rester longtemps stupéfait à contempler ainsi un tel tableau, je ne savais que penser de tout cela et je commençais même à m’en irriter quand je fus abordé en un grec admirable par un Celte qui se tenait à côté de moi, et qui en plus d’avoir des connaissances très précises dans leur science nationale, s’avéra ne pas être complètement ignorant de la nôtre. « Noble étranger, je vois que cette fresque vous laisse perplexe », me dit-il, « laissez-moi donc vous en donner la clé. Nous autres Celtes, nous n’associons pas l’éloquence à Hermès, comme vous, mais au puissant Héraklès.
Ne soyez pas non plus surpris de le voir ainsi représenté en vieil homme. Car la prérogative de l’éloquence est d’atteindre la perfection avec l’âge ; du moins si nous pouvons en croire vos propres poètes, qui nous disent que…
« La jeunesse a l’esprit qui erre,
Alors que la vieillesse s’exprime plus sagement que la jeunesse ».
C’est pourquoi nous trouvons dans leurs poèmes que du miel coule des lèvres de Nestor ; et que les discours des conseillers de Troie sont semblables à des lis, qui, si ma mémoire est bonne, sont des fleurs de chez vous.
En conséquence de quoi, si vous voulez bien considérer la relation qui existe entre la langue et l’oreille, vous ne trouverez rien de plus naturel que la façon dont notre Héraklès, qui est l’éloquence personnifiée, mène les hommes, les oreilles enchaînées à sa langue. Et ce n’est pas pour lui faire affront que le bout de sa langue a été percé, car je me souviens aussi des vers d’un de vos poètes comiques disant que…
Il y a toujours un trou dans la langue du bavard.
En effet, nous nous attribuons tous les exploits de l’Héraklès initial, du premier au dernier, à sa sagesse, ainsi qu’à la force de persuasion de son éloquence. Ses traits ne sont rien d’autre que ses paroles : rapides, acérées, propres à toucher les âmes et à les émouvoir ». Pour conclure, il me rappela notre propre image : « Les paroles ont des ailes ». (Discours, Hercule 1-7.)
Bref, le dieu-ou-démon celte dépeint par cette fresque est vieux et laid, à la différence d’Hercule, et c’est ce qui a choqué Lucien de Samosate. La religion gréco-romaine n’a en effet rien de semblable, Ogmios ne menace pas, il n’effraie pas, il ne répand pas la terreur ; c’est au contraire un chef souriant, qui invite à le suivre. La religion classique ne possède pas de Charon joyeux. Ogmios n’en reste pas moins un dieu-ou-démon de la violence et de la magie (de l’écriture, en bref de tout ce qui est sombre, chaotique, sinistre, mais aussi démagogique).
Le deuxième intellectuel ayant reconnu et pressenti l’essence même de ce dieu-ou-démon, est Albrecht Dürer. Mais quand on sait de quelle minutie, de quelle richesse de détails, Dürer était capable ; on se défend mal contre la double impression que son dessin n’est pas fini et qu’il n’est pas
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seulement l’illustration de l’Ogmios de Lucien de Samosate. Car ce dernier auteur est loin d’avoir énuméré ou décrit tout ce que contient le dessin de Dürer.
De même que le temps est un dérèglement de l’éternité, l’écriture est une fixation magique et parfois mortelle de la voix ; et c’est la raison pour laquelle la double magie de la voix ainsi que de l’écriture, échoit en partage au dieu-ou-démon de la nuit et de la violence.
On le retrouve associé à Brigitte et au Dispater romain dans la defixio (malédiction) de Bregenz en Autriche. (Brigid Dagda et Ogma ??)
Il existe en effet deux autres documents, épigraphiques cette fois, relatifs à Ogmios.
Une tablette de plomb découverte à Bregenz en 1865, CIL III, 11882.
Au recto : Domitius Niger et Lollius et lulius Severus et Severus Nigri ser (v) us adve [rs] ar (ii) Bruttae et quisquis adversus itam loqu’(i) t (ur) itam loqu’(i) t (ur) omnes par [ea] tis.
Et au verso : [ro] g (o) vos omnes [q] ui illi malum [pa] ratis dari… dm. o, dari O [g] moi, a [bs] umi mort [e]… t… t… t… nti et Nige [r] dim… o… Valerium… a et Ni [g] er.
Une autre tablette de plomb découverte en 1930 à Bregenz, lors de travaux de voirie, et que Rudolf Egger a magistralement étudiée.
De (fi) go AMC ea (m) re (m) i (m) p/e (u) id D (is) p (at) er ad era (m) Ogm/ius salute (m) cur talus re [n (es]/anum genital (ia), c… m auri/s cest < h > ula (m) utens (ilia)/dav (it) ispiridebus/- aci – ne qu/iat nubere. ira de [i].
Ce que l’on demande à Ogmios dans ce cas, et d’une manière très précise, c’est de gêner ou de « paralyser » quelqu’un dans son existence ; ou, mieux encore, de l’intégrer au nombre des sujets qui le suivent, enchaînés par les oreilles, ad patres. Car, si nous comprenons bien, Ogmios est avant tout le dieu-ou-démon des morts.
La deuxième malédiction vise plus précisément plusieurs parties ou organes du corps, talons, reins, anus, genitalia, avec une intention très claire : ne quiat nubere, « pour qu’elle ne puisse pas se marier ». Afin que l’effet soit complet, le dieu-ou-démon est prié de s’en prendre aussi aux biens (cestula et utensilia) de la victime.
Ces deux inscriptions appartiennent au genre gréco-romain bien connu des defixiones ou malédictions. Les défixions ou tabellae defixionum sont des instruments de magie GRÉCO-ROMAINE (une defixio celtique devrait être gravée sur du bois d’if) et se présentent sous la forme de lamelles de plomb rectangulaires, de petites plaques ou petites barres qui peuvent être roulées ; que traverse un grand clou. Elles sont gravées d’inscriptions et de formules magiques, le plus souvent d’exécration ou d’envoûtement, et leur nom vient du verbe latin « defigere », fixer, transpercer. Elles participent d’une opération magique par laquelle on plante un clou afin de torturer quelqu’un ou son substitut : la plaquette elle-même. Cette magie est largement répandue, surtout autour du bassin méditerranéen. Les tabellae sont déposées dans des puits, ou bien dans des tombes (le Plomb du Larzac fut découvert dans une sépulture rutène), des sources (comme la Tablette arverne de Chamalières) ou encore des fosses ; qui sont des voies d’accès traditionnelles à l’Autre Monde, par lesquelles on peut communiquer avec les divinités chtoniennes.
La magie des tabellae defixionum est liée à l’importance que l’on accorde au Verbe et au Nom. Les Celtes de Bregenz ont emprunté ces techniques au monde gréco-romain. Mais l’emploi de ces defixiones correspond à celui des runes celtiques, gravées parfois sur des planchettes de bois d’if (fidlanna) par les druides, ou exceptionnellement par un guerrier ; à ceci près encore que les runes gravées par le hésus Cuchulainn, dans le récit de l’enlèvement des vaches de Cooley notamment, expriment des interdictions et non une ou des malédictions. Ce sont à proprement parler des obstacles, dont la magie intrinsèque est assez forte pour que personne n’ose les franchir.
La plus ancienne écriture connue des Celtes est l’alphabet lépontique dérivé de l’alphabet étrusque, au VIIe siècle avant notre ère, soit mille ans avant l’écriture oghamique (Italie du Nord, Lugano, lac de Côme, lac Majeur)…
L’écriture oghamique ou ogam par contre, est la plus ancienne écriture connue des Irlandais, qui tenaient le dieu-ou-démon Ogme pour son inventeur (d’après le traité irlandais intitulé Auraicept na nEces). C’est une écriture alphabétique composée de vingt lettres qui était en usage dans les îles Britanniques, et aurait été inventée vers le IIIe siècle, à partir de l’alphabet latin. L’alphabet oghamique
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est composé de quatre groupes de cinq encoches chacun, à gauche, à droite, en travers et au milieu d’une ligne verticale. Plus tard, on y a ajouté un cinquième groupe de cinq diphtongues ou lettres supplémentaires, les forfeda, pour représenter des sons étrangers.
La plupart des textes retranscrits en alphabet oghamique le sont en vieux gaélique ; sauf quelques inscriptions supposées être en langue picte. On a retrouvé, aussi, dans les annales d’Inisfalen, une inscription oghamique écrite en latin. Écriture sacrée, on en a retrouvé des traces gravées sur différentes pierres levées, ou des vestiges en bois, mais aussi en os.
Notes de Pierre de La Crau retrouvée par ses héritiers.
L’alphabet oghamique comprend vingt lettres différentes (feda), divisées en quatre familles (aicm, pluriel d’aicme). Chaque aicme en question était appelée d’après sa première lettre : Aicme Beithe, Aicme Húatha, Aicme Muine, Aicme Ailme.
Il n’existe pas de lettre pour p, puisque le phonème a disparu dès le protoceltique, il n’apparaît qu’avec les apports du latin (Patrice, et ainsi de suite). À l’inverse, on trouve une lettre pour q, alors que le phonème n’existe plus en Ancien Irlandais.
D’autres lettres ont été ajoutées dans certains manuscrits, à une époque très tardive, et sont appelées forfeda. Elles sont en complète rupture avec les précédentes en ce qui concerne la graphie et sont peut-être dues à des moines chrétiens.
— EA : ébad.
— OI : óir.
— UI : uillenn.
— IO : iphín.
— AE : emancholl.
Les caractères de l’alphabet oghamique, qui ont aussi un rôle divinatoire ou magique, correspondent symboliquement à des arbres groupés en trois catégories.
— Arbres nobles.
— Arbres rustiques.
— Arbrisseaux.
Mais rappelons-le encore une fois ! L’alphabet oghamique n’est pas le plus ancien des alphabets utilisés par les Celtes ! Il est même relativement récent comparé aux runes de l’alphabet lépontique.
L’Ogmios gaulois décrit par Lucien de Samosate (dieu-ou-démon vieillard, à moitié chauve, aux longs cheveux blancs qui lui tombent dans le dos, à la peau sombre, tannée, ridée, tirant des chaînes) ; l’Ogmios des tablettes de défixion de Bregenz, qui lie les parties génitales et empêche le mariage ; l’Ogmios de Dürer, ses chaînes et ses nœuds ; les guerriers irlandais imitant Ogme dans la première bataille de la plaine des menhirs ou des tumulus, tous entrent sans mal dans le cadre varunien décrit par Dumézil. Ogmios est en effet l’équivalent celtique du Varuna védique, il a prise sur tout ce qui est obscur, déréglé, violent, magique. Il est le frère ennemi (ou le fils ?) du Suqellos Dagda Gargant qui, lui, est un dieu-ou-démon bon, correspondant à Mithra.
Dans la hiérarchie du panth-éon irlandais, Ogmios arrive en troisième position derrière Lug, le dieu-ou-démon polytechnicien supérieur, et le Suqellos Dagda Gargant, le dieu-ou-démon-druide, dont il est le frère (ou le fils) ainsi que le complément. Il est au même rang que Noadatus/Nuada, fait donc partie des Tuatha Dé Danann, les Gens de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia) et relève de la deuxième classe guerrière, dont la fonction est de diriger les héros et guerriers. En tant que dieu-ou-démon de la magie, Ogmios a le pouvoir de paralyser ses ennemis.
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LE DIEU DES TECHNIQUES DU COMMERCE ET DES AFFAIRES LUG/LUGOS.
L’historien français Bernard Sergent a proposé une hypothèse sur l’absence d’un dieu-médecin au Pays de Galles : à l’époque indo-européenne, le dieu médecin était du type Apollon/Bélénos ; le Pays de Galles serait resté fidèle à ce modèle alors que l’Irlande aurait créé une figure détachée de Lug avec Dian Cecht. Leur proximité se révèle sur deux points : Dian Cecht est proche de Lug au niveau familial.
Le dieu-médecin originel des Celtes aurait pu être Lugus, même si la littérature galloise ne donne aucune information sur les éventuelles compétences médicales de Lleu.
Le fait que Lugus soit également attaché à la guérison des yeux n’est peut-être pas un hasard. En effet, ces organes sont souvent associés au soleil, cet astre qui caractérise justement le dieu celtique.
Même si súil ne signifie qu’« œil », son rapport avec le soleil est admissible. Cette double association se comprendrait comme une métaphore remontant à l’époque indo-européenne, où les yeux étaient appelés « les lumières » de la tête.
La rareté des documents trouvés dans certaines régions fait naître des doutes au sujet de la position hors pair que César accorde au « Mercure » celte. D’autres indices vont dans le même sens. À cette première constatation s’en ajoutent deux autres, qui ne sont pas moins significatives. En dépit du très grand nombre des dédicaces adressées au Mercure celte, la qualité des signataires apparaît, dans l’ensemble, nettement inférieure à celle des fidèles attachés au Mars celte (Noadatus/Nuada). Si l’on considère enfin le nombre et l’importance matérielle des sanctuaires, la place morale qu’ils tiennent au sein d’une communauté, l’avantage va nettement au Mars celtique. On ne discerne que rarement le cas où tel temple du Mercure celte paraît jouer un rôle dans la vie politique de la cité. Mais pourquoi une telle chute ou une telle déchéance du dieu-ou-démon porteur de la lumière de l’éclair sur le Continent ? C’est là sans doute un des mystères majeurs de la tradition occidentale.
Le dieu-ou-démon Lug fait problème (c’est le propre terme employé par le Français J.- J. Hatt) notamment par ses relations assez ambiguës avec Taran/Tuireann (Rivalité ? Révolte ?).
« On peut se demander si Lug, élevé par la Terre-Mère, n’a pas, comme Dis et Pluton, épousé sa fille. Il est remarquable que, comme d’autres héros irlandais, par exemple Conchobar, Lug soit désigné par le nom de sa mère. Le nom de son père étant incertain et varié. Dans le livre des Conquêtes, Lug est dit fils de Ceno, fils de Cantios ou Deinocacectis (Diancecht) fils d’Isarcos (Esarg), fils de Nanto (Net en irlandais) et Ogmios fils d’Elatio (Elada) fils de Deluato (Delbaeth) fils de Nanto (ce qui signifie « vigueur » ou « éclat de soleil » en vieux celtique). Seule chose de sûre, delbæth ou deluato est une épithète qualifiant souvent Taran/Toran/Tuireann autrement dit Taranis sur le Continent. En ce qui concerne ce problème donc, voir notre exposé sur la mythologie.
En Espagne et en Suisse, des inscriptions mentionnent ce dieu-ou-démon au pluriel : Lugoves. En Suisse (Avenches) ne demeure que le mot Lugove. À Osma en Espagne, il s’agit de la dédicace d’une corporation de cordonniers.
LUGOVIBUS, SACRUM, LL VRICO, COLLEGE SVTORVM. AUX LUGOVES, CET OBJET SACRÉ, LL URCO [DE LA PART] DU COLLÈGE DES CORDONNIERS.
Le nom même de Lug, en rapport avec la lumière (cf. loucetios, leucetios) en fait un dieu-ou-démon solaire. Lug est hors fonction et hors classe parce qu’il peut assumer toutes les fonctions et parce qu’il transcende toutes les classes. Il est le dieu ou démon celte par excellence, mais il est, lui aussi, triple : un regroupement de plusieurs « lugoues ». Ce qui suffit à expliquer le pluriel dans une inscription gallo-romaine d’Avenches en Suisse, et le datif pluriel lugovibus dans deux autres inscriptions, à Osma en Espagne Tarraconnaise, ainsi qu’à Bonn en Allemagne. Les lug (oues) sont tous les dieu-ou-démons de type Lug exprimés en un seul théonyme.
Tout ce que les druides primordiaux avaient cherché à signifier dans les multiples Lug ou Épona, etc. se trouvait ainsi ressaisi par la croyance en un unique Lug, en une unique Épona, et ainsi de suite.
Le culte de Lug s’est étendu sur de vastes régions d’Europe. Son nom est identifiable dans une quinzaine de toponymes comme Carlisle (ex Luguvalium), Loudon en Écosse, Leyde aux Pays-Bas, Lugano, Locarno et Lugarus en Suisse, Lugo en Italie et en Espagne, Legnica/Liegnitz en Pologne, Lugoj en Roumanie, Lugansk en Ukraine (il y a eu jadis des Celtes en Ruthénie), etc. À propos de Lugansk relevons que la presse internationale s’est définitivement déshonorée en traitant de la guerre civile qui a déchiré le sud-est de l’Ukraine à partir du 2014 : le panurgisme sans vergogne dans le manque d’esprit critique, le deux poids deux mesures, la désinformation, le silence fait sur les souffrances de l’autre camp. Un dernier et tragique exemple de soumission et de trahison des clercs
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auquel Julien Benda n’avait pas pensé, de double langage à la Orwell, à l’échelle mondiale. Tout cela au bénéfice d’un gouvernement fortement noyauté par des néonazis ou de l’extrême droite pure et dure. Une véritable et lâche psychopathie collective.
Mais revenons à des moutons plus dignes d’intérêt !
Il arrivait donc que des groupes humains entiers, grands ou petits, se placent sous la protection de ce Mercure celte en le prenant comme saint patron en quelque sorte. Cas par exemple des cordonniers en question.
Dans la tradition galloise, Lleu Law Gyffes apparaît d’ailleurs aussi comme un cordonnier (dans la troisième et quatrième branche du mabinogi notamment). Lleu est également cité comme un des trois cordonniers aux mains d’or des triades galloises. Si Lleu Law est bien une forme de Lug, il est donc possible d’y voir Lug comme cordonnier, associé à l’idée d’anonymat.
César l’appelle Mercure et le dit inventeur de tous les arts. Il faut toutefois s’entendre sur ce que cela signifie. Les adorateurs du Mercure celte se recrutent parmi les travailleurs et les artisans. Rien ne permet de soupçonner que l’on ait placé sous l’invocation de Mercure les trafics de banquiers véreux, l’usure, les scandaleux bénéfices caractéristiques de notre société actuelle (les milliards perdus en bourse, les salaires faramineux de certains cadres ou présidents-directeurs généraux… César, qui a largement pratiqué ces méthodes pour faire face à ses immenses besoins d’argent, les a peut-être évoquées quand il parle des profits pécuniaires attendus de la bienveillance de Mercure. Mais dans la Celtie d’Ambicatus, le contexte est tout différent : la fortune est avant tout celle que l’on acquiert au prix d’un travail soutenu, dirigé par l’intelligence avisée, pour la simple raison que Mercure y est non pas le dieu-ou-démon des voleurs, mais l’initiateur des arts et techniques. Les arts dont il est parlé ici concernent l’ensemble des créations et des perfectionnements, nés de l’esprit ingénieux de l’Homme.
On peut se persuader que beaucoup de dédicaces non explicites s’adressent à Mercure inventeur et inspirateur. Le Mercure celte protège également les voies fluviales et les ports, en témoigne le sanctuaire de Maia, compagne italique du Mercure celte, installé en face du port de Genève.
Le patronage du Mercure celte n’est pas limité aux entreprises de type industriel ou artisanal. Le surnom latin de cultor, qui lui est parfois décerné, concerne bien évidemment la production agricole. C’est que les travaux de la terre, s’ils mettent en jeu la force musculaire, requièrent encore plus une observation toujours attentive, la recherche de méthodes mieux adaptées ainsi que le perfectionnement de l’outillage, qui permettent d’augmenter les rendements. Bien entendu, cela ne signifie pas pour autant et même bien au contraire, qu’il faille polluer la terre ou assassiner notre bonne vieille Terre-Mère, Rosemartha, en la saturant de produits chimiques divers.
C’est dans la documentation irlandaise qu’il est le plus question de ce dieu-ou-démon, en particulier dans le « Cath Maighe Tuireadh » ou « Bataille de la Plaine des menhirs »). Lug est également appelé Lamfada (au long bras), « ildanach » (le polytechnicien), Samildanach (super – poly-technicien). Lonnansclech ou Maicnia (jeune guerrier). N.B. Mais tous ces surnoms sont donc aussi en fait des tentatives d’approche du Un divin, rappelons-le !
Note des héritiers de Pierre de La Crau. Ci-dessous un texte retrouvé (barré en croix) dans les manuscrits de notre père.
LA THÈSE DU FRANÇAIS JEAN-PAUL BOURRE SUR LE DIEU LUG.
LES IRLANDAIS SONT-ILS LUGIFÉRIENS ???
Ainsi que nous avons pu le voir, les relations du dieu-ou-démon Lug avec Taran/Toran/Tuireann font problème.
À un moment difficile à déterminer de la métahistoire, Lug a sans doute commencé à devenir encore plus « varunien », encore plus berserker, encore plus « odinique » (disent les spécialistes), bref anti Taran/Toran/Tuireann.
Cette odinisation accrue de Lug, qui était jusque-là plutôt en majorité de ses caractéristiques de type Taran/Toran/Tuireann, a été très lourde de conséquences.
Lug est assez différent des autres dieu-ou-démons célestes indo-européens. Le seul qui lui ressemble vraiment est Wotan, ce qui s’explique assez logiquement par le fait que Wotan, dont le nom signifie « le furieux », s’est emparé des fonctions célestes de l’antique dieu-ou-démon germanique Tius,
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connu chez les Scandinaves sous le nom de Tyr. Mais sa place dans le panth-éon ou plérôme est fondamentale.
Lug a volé le feu du ciel (cf. son surnom de loucetius) pour rendre à l’Homme ses pouvoirs perdus (les neuf dixièmes de notre cerveau sont toujours inutilisés apparemment) et Lug est donc un dieu-ou-démon vraiment porteur de lumière (loucetios). Mais il sera diabolisé par les judéo-chrétiens, sous le nom médiéval de Lucifer. Éthique et science lugiennes remontent à la nuit des temps, avant qu’apparaissent les notions judéo-chrétiennes de Bien et de Mal. Il est donc parfois difficile de les déceler à travers leurs actions, car elles ne répondent pas aux normes morales de notre civilisation actuelle, construite sur deux millénaires de philosophie chrétienne.
Ce que nous trouvons horrible aujourd’hui (les sacrifices humains par exemple) était en fait à l’époque parfaitement accepté ou du moins compris, et par la victime et par l’exécuteur de ces hautes œuvres. Le nom même de Lugos était celui d’une variété de corbeaux. Le corbeau appartient au monde céleste, puisqu’il est oiseau, qu’il vole dans l’azur, descend dans les rayons du soleil ; mais il appartient aussi, de par sa couleur noire, au monde des ténèbres. Et c’est bien cela le caractère spécifique de Lug : il est tout à la fois. Il réalise en sa personne l’union des deux mondes, celui d’en haut et celui d’en bas, l’union de l’esprit et de la matière, de la vie et de la mort, de la pensée ainsi que de l’action.
Strabon parle d’un « port des deux corbeaux » sur la côte de l’Océan, et nous apprend que ces oiseaux, qui avaient une aile blanche, apaisaient les conflits. Certes certes… mais quid de l’autre aile de ces corbeaux, celle qui n’était pas blanche ? La réalité, c’est que ces corbeaux de Lug ont une aile faite de lumière pure, la droite, et une aile noire, la gauche. Lorsque de l’aile du corbeau descend un rayon de lumière, ce rayon de lumière illumine les âmes/esprits et apporte la paix. Mais de l’aile gauche du corbeau, celle qui comporte une certaine mesure de ténèbres, une ombre descend, et c’est de cette ombre que provient le monde des illusions ou de la guerre.
Vérités ainsi que réalités spirituelles sont attisées par l’aile droite du corbeau de Lug, alors que le monde de l’illusion est l’ombre de son aile gauche. Violence, misère et vicissitude sont attisées comme un incendie par l’aile gauche du corbeau de Lug.
Comme le dit lui-même le célèbre historien de l’occultisme, pour nous aujourd’hui la vie c’est l’homme dans son action quotidienne. La sécurité de cette enveloppe de chair à laquelle se réduit notre conscience. Mais pour les vrais Celtes, la vie se situait sur un autre plan, au plus profond de l’individu, derrière l’apparence du corps, là où l’esprit secret correspond avec l’illimité, par-delà le temps et l’espace connus des hommes. L’homme de tous les jours, cette ombre privée de sa propre verticalité, ne peut prétendre juger ce qu’il ne comprend pas, et que des millénaires ont affirmé comme science. Seul l’homme divinisé a le pouvoir de pénétrer les secrets de la nature, sans risquer cette désintégration que l’on appelle communément la folie. Lug est un état de conscience différent, modifié, le plus haut niveau de conscience possible, l’état divin porteur de lumière que l’homme peut atteindre grâce à un continuel dépassement de lui-même.
Lug est le génie de l’Homme, le degré le plus haut de son évolution, la pointe extrême du savoir, la lucidité, la vision cosmique universelle. L’Homme terrestre reconnaît en lui un frère idéal, un but à atteindre… le visage de son propre futur. L’auréole de la véritable sainteté (én laith lon laith), celle du guerrier vainqueur de lui-même et de ses peurs.
Le culte de Lug, le porteur de lumière qui a ravi une parcelle du feu céleste comme son nom l’indique (loucetius), offre donc une multitude d’épreuves émotionnelles qui permettent à l’Homme de transgresser ses propres terreurs, de se forger UN et indestructible, dans un corps et un esprit nouveaux (pour reprendre les propres termes de Jean-Paul Bourre là encore). Cette philosophie favorise la mutation et prépare ses dagolitoi (ses fidèles) aux exigences du futur : l’éveil du Surhomme, de l’Homme nouveau, du Fils de l’Homme. C’est donc pourquoi Lug a proclamé, avant la deuxième bataille de la Plaine aux menhirs ou tumulus : « Allez donc et aplanissez le terrain devant, les dieux arrivent ! » Le symbolisme de cet aplanissement est clair. Il s’agit de préparer les cœurs à la venue du surhomme en nous, même si cela doit se faire au prix d’une longue bataille intérieure.
DE LUG À « LUGIFER » (sic).
C’est là sans doute un des mystères majeurs de la tradition occidentale. Osons quelques hypothèses. La « chute » de Lug et de certains des autres dieu-ou-démons dans l’anti-taranisme primaire et viscéral, genèse du Luciférisme occidental, était la condition nécessaire à la venue sur terre des instructeurs devant apporter la science du bien et du mal aux hommes.
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Seul Lug, le porteur de lumière, et non Taran/Toran/Tuireann, pouvait vraiment devenir Prince des Ténèbres c’est-à-dire tomber du Ciel comme la foudre afin de descendre dans le temps humain et pouvoir ainsi apporter le savoir. Car lorsque l’homme rêvera de devenir dieu-ou-démon à son tour, il n’aura pas de meilleur allié que lui. En tombant dans le temps humain, comme la foudre tombant sur la terre, Lug s’est rapproché de l’Homme. Lug nous attend donc dans le monde du vrai savoir et du vrai pouvoir, où l’Homme peut enfin posséder la science et la puissance qui lui sont refusées dans celui-ci.
La catastrophe céleste en question (la chute de Lug dans l’anti-taranisme dans le varunisme et l’odinisme) a certes laissé le champ libre à un avatar de Belin/Belen (Barinthus Manannan Mac Lir en Irlande), mais elle a rendu le monde de nouveau informe et ténébreux (tabula rasa), terrifiante contrepartie de la Nature cosmique éternelle. En tant que chef des dieu-ou-démons, Lug avait fini par entraîner peu à peu un certain nombre d’entités divines dans une terrible et orgueilleuse révolte contre Taran/Toran/Tuireann.
Son caractère odinique était devenu de plus en plus marqué, c’était devenu un dieu-ou-démon encore plus sombre, encore plus guerrier. Cette évolution anti Taran/Toran/Tuireann était d’ailleurs amorcée déjà bien avant, cela se voit dans les versions les plus récentes de la bataille de la Plaine des menhirs ou des tumulus (CMT III) et dans le récit intitulé « la mort tragique des enfants de Tuireann ». Lug y apparaît sous un aspect vengeur très sombre.
Cette chute de Lug, le dieu-ou-démon porte lumière, correspond à la matérialisation excessive de l’Esprit, involuant et finalement tombant comme la foudre dans la matière.
La chute de Lug dans l’anti-taranisme dans l’odinisme ou le varunisme, c’est tout le problème du Mal.
Son existence, qui n’est due qu’à l’ignorance humaine, n’est qu’une réfraction de la Lumière originelle qui, ensevelie en la Matière, enveloppée dans l’obscurité, réfléchie dans le désordre de la conscience humaine, tend constamment à se faire jour.
Cette distorsion de la lumière originelle, par les souffrances qu’elle entraîne, peut être le moyen de reconnaître la véritable hiérarchie des valeurs, et constituer le point de départ d’une transmutation de la conscience, qui devient capable de réfléchir la pure lumière originelle.
L’Homme d’aujourd’hui meurt, parce qu’en lui la vie n’a plus la possibilité de se renouveler. Cette asphyxie de tous les jours est une véritable atrophie de l’âme/esprit, et, quoi qu’en pensent les papes de l’information ou des médias, nous n’assistons nullement à un progrès spirituel de notre civilisation, mais bien à un déclin. Ou à une décadence. L’Homme a disparu, et pour faire écho à certaines prophéties nous pouvons affirmer que nous sommes déjà dans la fin du monde (c’est-à-dire la fin d’une certaine catégorie d’hommes).
Que nous reste-t-il ? Des individualités, en marge des courants spiritualistes et des Écoles de philosophie, des pseudomages et des charlatans de tous bords ? Crier bien haut les valeurs profondes de l’Homme traditionnel ne suffit pas, pas plus que ne peuvent suffire les vitrines de librairie débordant de livres de magie et d’occultisme. Il est grand temps que les fils et les filles d’Hyperborée brandissent la flamme des temps nouveaux et du surhomme divin, héritier de leur Destin. Jean-Paul Bourre a eu mille fois raison de le souligner. La seule race de nouveaux païens qui compte c’est la race mentale des éveillés qui osent regarder le soleil en face comme le druide Mog Ruith des légendes irlandaises. Les disciples de ce nouveau Lug ne doivent pas évidemment rechercher le Mal pour le Mal. Ils ne doivent chercher qu’à dépasser la nature humaine, ce qui est considéré comme un mal par leurs adversaires (le pouvoir de la parole et du verbe : labaron ou labarum en latin ; le sang des sacrifices, véhicule d’énergie vitale, l’énergie sexuelle, presque entièrement cérébralisée comme dans le tantrisme blanc, ne dit-on pas que la femme y est alors comme possédée par la foudre ?) n’est en fait qu’une étape vers le Bien Absolu, car personne ne peut rechercher le Mal pour le Mal. D’ailleurs qu’est-ce que le Mal ?
Dieu-ou-démon céleste jadis le plus proche de Taran/Toran/Tuireann, Lug a gardé la beauté ainsi que la séduction du grand dieu-ou-démon qu’il a été. Mais loin d’être une simple allégorie, le mythe lugiférien répond bel et bien à une vérité : le retour à l’homme divin ; le theios aner des Grecs.
Certaines traditions parlent d’un temps futur appelé Âge de Cristal (une allusion aux glaces d’Hyperborée ?), où l’Homme réintégrerait sa transparence ancienne, où il atteindrait le maximum de ses possibilités mentales par une étonnante mutation. La magie est le rapport direct unissant l’homme aux perspectives cosmiques qui vivent en lui et qu’il méconnaît, une sorte de lien vibratoire entre chacun des aspects de la nature, de la plus petite parcelle de vie jusqu’à la galaxie la plus lointaine, de l’émotion simplement humaine jusqu’aux pouvoirs préternaturels redoutables qui font de l’Homme un demi-dieu-ou-démon, c’est-à-dire un être éveillé à ses véritables possibilités, car en vérité il n’y a pas eu chute, mais amnésie, oubli des valeurs profondes. Les neurones de notre cerveau ne sont-ils
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pas aux neuf dixièmes inutilisés ? Le nouveau Lug reste donc un dieu-ou-démon civilisateur même si, comme pour le Zarathoustra de Nietzsche, sa bonté paraît terrible aux yeux des hommes qui expliquent le monde à partir de valeurs différentes.
Ce nouveau Lug n’est pas « le dieu du Mal » opposé au dieu ou démiurge de la Bible (censé être un dieu du Bien. N.D.L.R. Ce qui est plus que contestable), mais un principe divin que l’on retrouve dans le combat mythologique du Mahasoura, le « Lucifer » Hindou luttant pour pénétrer dans le temps humain : le feu instructeur tombé du ciel pour que l’Homme puisse s’éveiller à sa propre divinité.
Le « Lugiférisme », c’est la reconquête des pouvoirs perdus, un véritable savoir permettant à l’Homme de transgresser les lois du temps afin de devenir l’égal des dieu-ou-démons. Une science fabuleuse visant la réintégration de l’Homme sur le plan divin. Comme le héros nietzschéen, l’adepte de l’Antique Audace possède le pouvoir de la démystification : il sait rire sur les ruines. En cela rien ne peut l’atteindre, sinon le sacrifice qu’il s’impose à lui-même.
Le « Lugifer » occidental n’est pas un ange maudit et foudroyé, c’est le dieu-ou-démon qui éclaire et qui régénère en brûlant, mais bien sûr, comme le notait l’occultiste Eliphas Lévi en son temps, « il est aux dieu-ou-démons de paix ce que la comète est aux paisibles étoiles des constellations du Printemps ». Dit autrement « c’est une véritable comète pas une étoile du berger au printemps ».
Lug a cependant réellement ouvert une route de lumière et d’espoir. Le dieu ou démon déchu est toujours un maître et un modèle, mais en un sens totalement différent, il est vrai.
Le « lugiférisme » est donc :
— authentique éthique lugienne, constamment dressée contre la révélation judéo-chrétienne et l’ordre juridique ou social qui, au cours des siècles, en est issu.
— souffrance qu’il faut dépasser afin de naître à nouveau, à l’image de son dieu-ou-démon, insensible aux lois humaines, anticipant par sa présence le retour de l’Homme porteur de foudre, maître incontesté de lui-même et du monde. Une nouvelle naissance qui permettrait donc la contemplation de ce que l’Homme ne distingue plus, la vision terrible de l’univers ou bitos perçu sous tous les angles de sa manifestation dans le temps. Voir le Horla de Maupassant.
CONCLUSIONS PLUS PRUDENTES SUR LA VÉRITABLE BIOGRAPHIE DE LUG OU SON SYMBOLISME.
Ainsi que nous avons pu le voir, Lug ne fait pas partie des dieu-ou-démons primordiaux du panth-éon druidique, malgré son caractère panceltique évident. C’est en réalité un nouveau venu.
Le roi des vouivres anguipèdes gigantesques, Balor, enferme sa fille Eithne dans une tour de cristal construite sur une petite île afin de l’empêcher de devenir mère (une antique prophétie annonçait en effet qu’il serait un jour tué par son petit-fils). Mais Ceno/Cian, avec l’aide d’une dénommée Birog, réussit à entrer dans cette tour et à la séduire. Eithne donne naissance à des triplés. Balor les jette à la mer. Deux d’entre eux meurent noyés ou sont métamorphosés en bébés phoques, mais Birog réussit à sauver le troisième, le futur Lug, et le confie à Belin Belen Manannan mac Lir, qui devient donc ainsi son père adoptif.
S’il faut en croire cette version de la légende, Lug, après une enfance assez obscure, finira néanmoins par rejoindre le camp des hommes de la déesse-ou-démone ou fée, Danu (bia), juste avant leur grande bataille contre les vouivres anguipèdes gigantesques, que l’on appelle Andernas sur le Continent et Fomore en gaélique.
Le gardien des portes du château de Noadatus/Nuada ne voulant pas le laisser entrer, à moins qu’il ait une compétence pouvant être utile au roi, Lug offre successivement ses services comme forgeron, escrimeur, champion, harpiste, poète, historien, sorcier, artisan… Et à chaque fois il est refusé, car les enfants de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia) ont déjà des hommes remarquables dans tous ces domaines. Mais lorsque Lug demande s’ils ont quelqu’un possédant toutes ces compétences à la fois, là le portier doit reconnaître que non, et il le laisse donc entrer. Il est admis à la cour et remporte une ultime épreuve imposée par le champion des champions appelé Ogma. C’est néanmoins en qualité de joueur d’échecs qu’il sera définitivement accepté : il dispute une partie avec le roi qu’il bat en un clin d’œil. Cette partie est purement symbolique puisqu’il s’agit d’une joute intellectuelle, à l’issue de laquelle Lug prend le pouvoir. Dieu-ou-démon magicien, Lug protégera l’armée des siens en gesticulant d’un seul bras, en sautant à cloche-pied et en fermant un œil, puis tuera son grand-père Balor à l’aide d’une fronde. C’est donc en quelque sorte un dieu-ou-démon borgne proche du védique
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Varuna semble-t-il, à l’instar du Scandinave Odin. On retrouvera Lug combattant avec son fils le hésus/Cuchulainn, lors de l’invasion de du pays des Ulates par la reine Medb.
Lug peut se montrer vindicatif et obscur. Il possède une lance magique, une arme qui tue à tous les coups, mais qui sert aussi à l’adoubement royal ; elle est inséparable du Chaudron du Suqellos/Dagda/Gargant rempli de sang : il faut qu’elle y soit plongée afin d’éviter qu’elle ne détruise tout (il s’agit de la Gae Assail, une évidente symbolisation de la foudre). Taran/Toran/Tuirean apporte la lumière du ciel et de l’esprit et combat les ténèbres, mais Lug, lui, apporte la foudre destructrice et la mort des ennemis, de tous les ennemis, même simplement humains. Dans le domaine artistique, il a une harpe qui joue de la musique toute seule, mais dont il sait se servir admirablement lui aussi : elle peut endormir, faire rire ou pleurer.
D’après certains auteurs, en Irlande Lug est aussi appelé Trefuilngid Tre-Eochair (notamment dans le récit de la fondation du domaine de Tara. Le sens le plus vraisemblable en est « Démiurge à la triple clé »).
Dans la mythologie galloise, ce dieu-ou-démon correspond à Llew Llaw Gyffes (à la main adroite), un personnage qui apparaît dans la Quatrième Branche du Mabinogi, celui qui est intitulé Math fils de Mathonwy. Le sens de son surnom « qui a la main rapide » est à rapprocher de celui de « lamfada » (« au long bras ») que l’on donne à Lug en Irlande parfois, et dont il est un équivalent, sans en être l’exacte réplique.
Sa naissance, ainsi que celle de son jumeau Dylan Eil Ton, résulte d’une pratique magique, utilisée par le roi Math voulant éprouver la virginité d’Arianrhode. Pour se venger de l’outrage, sa mère prononce trois geisa sur l’enfant : elle le prive de nom, lui interdit de porter des armes, et lui interdit également d’avoir une femme de la race humaine. L’enfant ayant grandi, sa mère constatera son adresse et se servira d’une appellation en rapport (Llaw Gyffes) pour le désigner, ce qui aura donc pour effet de lever le premier sort jeté sur lui.
Puis, son oncle et tuteur Gwydion le contraindra ensuite à prendre les armes en simulant une attaque contre sa demeure, ce qui aura pour effet de lever la deuxième geis jetée sur lui. Afin de contourner le troisième interdit, le roi Math, qui est aussi magicien, et son neveu Gwydion, lui fabriquent une femme avec des fleurs et des plantes (genêt, primevère, reine-des-prés, aubépine…, etc.). Leur « créature » sera plus belle que la plus belle des femmes, et sera nommée Blodeuwedd, ce qui signifie « visage de fleurs ». Leur mariage sera célébré, mais un jour que Llew rend visite au roi Math, dans sa résidence de Caer Dathyl, Blodeuwedd reçoit Goronwy (appelé parfois Gronw Pebyr), le seigneur de Penllyn, qui chasse dans le voisinage. Elle tombe amoureuse de lui et les deux amants essaieront de tuer Llew. Mais Llew est un dieu-ou-démon qui ne peut être tué que selon certaines modalités très précises : il ne peut être tué ni à l’intérieur, ni à l’extérieur, ni lorsqu’il chevauche ou qu’il marche. En fait, il ne peut être assassiné que dans une seule position : en se baignant, un pied sur une chèvre et l’autre sur un chaudron, et par une lance fabriquée spécialement à cet effet. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ces conditions seront un jour réunies (voir les prophéties du Merlin d’Alfred Huth) , et Llew sera abattu puis transformé en aigle. Mais Gwydion métamorphosera Blodeuwedd en hibou, et redonnera forme humaine à LLew, ce qui lui permettra de se venger en tuant l’amant. Ainsi qu’on peut le voir, le récit gallois, bien que très détaillé, n’a plus grand-chose à voir avec le mythe panceltique originel.
Ce mythe celtique originel, on s’en éloigne moins sur le Continent avec l’iconographie gallo-romaine.
Divers monuments représentent un dieu-ou-démon d’âge mûr, barbu, parfois couvert d’un lourd manteau. Tantôt debout, tantôt et plus fréquemment assis, dans ce cas, il a une allure majestueuse. En dehors de ces monuments, si aberrants du point de vue du monde gréco-romain que leur identification à Mercure a parfois été contestée, on a relevé la présence d’éléments inattendus : serpents familiers, figurations phalliques.
L’observation attentive a décelé des nuances moins évidentes. Dans plusieurs modèles de terres cuites, le pétase est réduit à une sorte de calotte ou béret, surmonté d’excroissances informes [N.D.L.R. Des cornes ?] où l’on peine à reconnaître les ailerons traditionnels du Mercure gréco-romain.
Par contre les serpents du caducée reçoivent un développement spectaculaire. Le souci d’évoquer, à propos du « Mercure » celte, le concept de fécondité, justifie l’insistance avec laquelle est souvent figuré le sexe du dieu-ou-démon, sur un grand nombre de figurations en pierre, en terre cuite, aussi bien qu’en bronze. Il arrive même que la représentation isolée du membre viril se rencontre sur un monument consacré au Mercure celte. Une dédicace à Poitiers s’avère flanquée d’une telle sculpture et l’on aurait tort de prendre ce motif pour un simple élément décoratif : il symbolise quelque chose.
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Le Mercure de Saint-Révérien en France ne porte qu’une seule sandale, au pied gauche, le pied droit étant nu. Or Lug, lorsqu’il fait le tour de l’armée des hommes de la déesse-ou-démone ou fée Danu (dans la version irlandaise du mythe. N.D.L.R.) le fait à cloche-pied. Un curieux Mercure au pétase ailé de Strasbourg (Espérandieu. 5490) brandit de la main droite un marteau, et présente en plus l’intéressante particularité d’avoir un œil ouvert et un œil fermé. Ce détail correspond à un épisode de la lutte de Lug contre Balor. Il permet donc de rapprocher le Mercure de Strasbourg du Lug panceltique.
La plus grande des statues de ce dieu-ou-démon connues à ce jour est peut-être celle qui fut réalisée par le sculpteur grec nommé Zénodore au Ier siècle de notre ère, et qui trônait dans un temple construit au sommet du Puy-de-Dôme, en France 1), détruit en 256 si l’on en croit Grégoire de Tours : « Veniens [Chrocus rex] vero Arvernus, delybrium illud, quod Gallica lingua Vassogalate vocant, incendit, diruit atque subvertit ». (Historia Francorum I, 29.) « Étant arrivé en Auvergne, le roi Chrocus incendia, renversa, et détruisit, le temple que les habitants appellent Vassogalate ».
Ce temple était d’une grande beauté, mais aussi très solide, car ses murs étaient doubles ; ils étaient bâtis à l’intérieur, avec de petites pierres, au-dehors à l’aide de grands blocs carrés, et avaient trente pieds d’épaisseur. L’intérieur était décoré de marbre et de mosaïques, le sol était en marbre et le toit en plomb. N.B. Le mur des Sarrasins situé rue Rameau, en face de l’école Nestor Perret, à Clermont-Ferrand, est peut-être tout ce qui subsiste de ce temple. Il est constitué de petits blocs de lave bien taillés alternant avec des couches de briques plates.
Ce qui est curieux par contre c’est l’utilisation de l’indicatif présent « vocant » par Grégoire, mais il est vrai que le Celte était encore parlé au VIIe siècle dans ce qui allait devenir la Suisse alémanique.
À noter aussi. Pour beaucoup d’auteurs, et non des moindres, le dieu-ou-démon ainsi représenté sous le nom latin de Mercure ; par interpretatio romana, grossièrement erronée qui plus est ; serait le génie national ou tribal des Arvernes (leur teutatis ou leur égrégore) et non le dieu-ou-démon panceltique Lug.
Sur le Continent, Lug a des dizaines de surnoms, attestés soit par l’épigraphie, soit par la littérature celtique ultérieure. Quelques exemples.
Cissonios, ce qui signifie en gros « voiturier », donc sans doute par extension « protecteur des voyageurs ». Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le remarquer, le lien entre voyage et commerce dans l’Antiquité semble évident, mais pourquoi les voyages ?? Les raisons n’en sont plus nettement perçues aujourd’hui. Parce qu’il faut beaucoup d’ingéniosité pour surmonter les difficultés d’un long voyage ??
Visucios, ce qui signifie « qui sait », ou « qui voit » (grâce aux corbeaux qui le renseignent tous les jours ?) On ignore si le Mercure celte était devin, mais ses yeux sont souvent mis en valeur. Les témoignages ne manquent pas de cette particularité. À Châteaubleau en France, par exemple, on a trouvé une statue à la tête ornée de grands yeux oblongs accompagnée de la dédicace « à Mercure Solitumaros (à la Grande Vue) ».
Lug est aussi le saint patron des émigrations pour cause religieuse si l’on en croit deux de ses attributs divins, Excingiorigiatis, et Atepomarus, qui est le nom d’un des fondateurs de la sainte cité de Lyon, ce qui est somme toute, assez logique, Lugdunum signifiant « la cité de Lug ou des corbeaux ».
Le culte de Lug a disparu sur le Continent, non lors de l’interdiction, théorique et probablement appliquée seulement de façon progressive, du druidisme, sous l’empereur Claude, mais lors de la christianisation des campagnes qui débuta au IVe siècle avec Saint-Martin. D’après Sulpice-Sévère, historien ecclésiastique de langue latine, né en Aquitaine vers 363, et décédé au cours du premier quart du Ve siècle, le soudard pannonien passé à la postérité sous le nom de saint Martin aura d’ailleurs eu affaire plus à Lug qu’à Taran/Toran/Tuireann.
« Quant aux démons, dès qu’ils venaient vers lui, Martin apostrophait chacun d’eux par son nom. Il souffrait surtout des attaques de Mercure (Lug) ; mais Jupiter (Taran/Toran/Tuireann), il le traitait de brute stupide ». (Sulpice Sévère. Dialogues sur les miracles de saint Martin, II, 13).
N.B. Chez les Celtes, Lug est le dieu-ou-démon céleste qui gouverne l’éclair comme son nom l’indique, mais c’est Taran/Toran/Tuireann qui règne ainsi que nous avons pu le voir.
En Irlande, la parèdre de Lug est la princesse celte appelée Talantio/Tailtiu. Il s’agit en fait de sa mère adoptive et non de son épouse. Sur le Continent, il s’agit d’une déesse-ou-démone, ou d’une fée si l’on préfère user de ce terme, appelée Rosemartha, voire de l’Italique Maia.
Son animal favori est le corbeau et peut-être le loup.
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Son arme est la javeline, mais cette javeline (Gae Assail, la lance d’Assal) désigne aussi, l’éclair de l’inspiration et l’intuition.
La grande fête de la moisson, Lugnasade, était célébrée dans tous les pays celtes y compris en France, sous le nom de goule d’août (le premier jour d’août).
Aussi étonnant que cela puisse paraître, nous possédons des représentations de Lug sous son propre nom, dues aux Romains. Par exemple en France sur des monnaies de Lugdunum : y figure au revers l’image du génie de la ville (donc Lug) debout et nu près d’un monticule portant un corbeau. Sur des monnaies frappées par Clodius Albinus (195-197). Y figure au revers l’image du génie de la ville couronné de tours, regardant vers la droite, tenant un sceptre et une corne d’abondance, un aigle à ses pieds. L’inscription « GEN LVG COS II » l’identifie sans équivoque à Lug.
1. La tribu des Arvernes avait en effet commandé au sculpteur de Néron une statue en bronze de quarante mètres de haut. Dix années de travail furent nécessaires.
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LE MYTHE DU BON GÉANT.
Dans la bible les géants sont censés être issus de relations sexuelles que divers anges auraient eues avec des femmes bien de chez nous. Ce sont les Néphilim. Voir Genèse Chapitre 6.
Nous ferons ici l’impasse sur l’existence historique éventuelle de cette race de géants dont nous ne voyons pas l’intérêt et nous nous concentrerons ici surtout sur le symbole qu’ils représentent.
Les géants apparaissent dans les mythologies pour expliquer ce que les anciens ne pouvaient pas comprendre (du moins dans la zone européenne actuelle) : en Irlande (pour certaines formations géologiques comme la Chaussée des géants), en France (pour expliquer nombre d’éléments du paysage) en Scandinavie (pour expliquer les origines des phénomènes naturels : glaciers, etc.), chez les Grecs pour les constructions cyclopéennes (comme Mycène).
Les géants sont des êtres généralement anthropomorphes et de très grande taille. Les croyances indo-européennes font souvent des géants des êtres primordiaux, associés à la cosmogonie et aux forces de la nature. Ces géants caractérisés par leur force et brutalité sont souvent en conflit avec les dieux, notamment dans les mythologies grecque, et ossète.
Les Géants (jötunn, au pluriel jötnar), immenses et généralement hostiles, jouent un rôle primordial dans les mythes nordiques. Ils représentent généralement les forces du Chaos et du Mal contre l’influence desquelles les dieux doivent lutter pour maintenir l’ordre de leur univers. Bref, ils ont un caractère fomoréen marqué (avec cette importante différence qu’en Irlande les Fomore ne sont qu’à moitié anthropomorphe).
Les Celtes par contre, eux, ont eu des bons géants, censés notamment expliquer certains traits du paysage.
D’après le chanoine de Cossé-Brissac notre actuel Père-Noël serait issu de la synthèse de plusieurs géants mythiques, tel Gargan, un géant bienfaisant portant de lourdes bottes et sur le dos (en France) une hotte pleine de cadeaux, ou bien Thor, le dieu nordique du feu parfois représenté en vieillard avec la barbe blanche, qui portait des vêtements rouges, et descendait par les cheminées pour rejoindre son élément.
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LE DIEU PÈRE NOËL SUQELLOS/DAGDA/GARGANT.
Sucaelus, Suecelus. Du celtique *su – (bon, très) + *keld – (frapper). Son nom, qui désigne sans doute en celtique « celui qui frappe bien (su) » voire qui « tape-dur », est une preuve d’ancienneté, mais nous n’avons aucun document pouvant le concerner avant l’époque romaine.
Certains de nos textes comme la cour faite à Ferb (Tochmarc Feirbe) mentionnent par exemple un « Château de Gurgunt ». Nous rendons ainsi l’expression gaélique Dunud Geirg. Geirg est un nom gaélique où l’on retrouve la racine gar/ger à la signification incertaine. Dans cette histoire il est visiblement associé à la notion d’abondance et de ripailles gigantesques. C’est un personnage assez mystérieux souvent associé par certains mythologues au Dagda. Il passe pour être à l’origine de beaucoup de lieux-dits, par exemple la cité de Norwich dans l’est de l’Angleterre. C’est à tort cependant que certains auteurs français l’associent au Mont Gargano situé en Italie. C’est historiquement impossible…
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Inscription découverte sur un anneau trouvé à York (RIB 2 2422).
Son nom est également transcrit Sucaelus dans une inscription trouvée à Mayence en Allemagne et rapproché de Jupiter ou de Sylvain, le gardien des forêts, maître de l’agriculture, par les Romains, qui visiblement hésitent à son sujet.
Voir les inscriptions découvertes à Worms en Allemagne, où il est assimilé par l’interprétation romaine à Silvanus, à Vichy dans l’Allier, Ancey-Mâlain en Côte-d’Or, Metz et Sarrebourg dans le département de la Moselle (où il est honoré avec Nantosuelta) et Lyon dans le département du Rhône. Il est aussi honoré à Yverdon et à Augst en Suisse (où il est une fois de plus assimilé à Sylvain par interpretatio romana).
In honor (em) d (omus) d (ivinae) deo Sucello Silv (ano), Spart (us).
En l’honneur de la maison du dieu Suqellos Silvanus, Spartus.
César en fait un équivalent druidique de Dispater, le grand maître de la mort, de la terre, et de la vie, ancêtre de toute l’espèce humaine.
Mais il s’agit là, non de la paternité de l’Homme en tant qu’être doté d’une âme et d’un esprit, mais de la paternité de l’Homme en tant que corps physique. Le prouve le fait que, pour César, ce dieu-ou-démon est associé, non à la richesse spirituelle, mais à la richesse… matérielle ! D’où sa transformation en Père-Noël par la suite.
D’âge mûr et barbu, il est vêtu, comme tout bon Celte qui se respecte, d’une tunique courte à ceinture, d’un capuchon, de braies ou de bottes. Les vraies divinités de ces pays aux hivers froids et rigoureux sont en effet généralement vêtues (souvent à la mode des humains), contrairement aux dieu-ou-démons méditerranéens. Suqellos est habituellement représenté avec un maillet, parfois haut comme un sceptre, donnant la vie d’un côté ou la mort de l’autre, et un vase pansu (une olla), auquel peuvent s’ajouter, posés à côté de lui, un ou deux tonnelets : autant de symboles nourriciers. En outre, un chien l’accompagne souvent. Il doit vraisemblablement conduire les morts dans l’au-delà. Les chiens (principalement ceux qui sont blancs avec des oreilles rouges) sont en effet toujours liés à l’au-delà dans le légendaire celtique. La tunique du dieu-ou-démon est quelquefois parsemée de signes qui peuvent être interprétés comme des symboles astraux, évoquant le séjour céleste des âme/esprits ou la nuit étoilée (d’où le nom de Sucaelus ?). Quand il a une compagne, c’est souvent une déesse-ou-démone ou bien une fée portant une corne d’abondance. Suqellos est donc dispensateur d’aliments : il offre, sur le plat de la main, le pot où l’on peut voir l’équivalent continental du chaudron irlandais, source inépuisable de porridge. Tel est donc ce dieu-ou-démon, seigneur de la vie et peut-être de la mort, puisque la richesse du sol plonge ses racines dans le domaine souterrain, où se cachent les trésors et il semble être resté lui-même tout au long de l’époque romaine (exception faite de son assimilation partielle à Silvain).
L’autel de Sarrebourg (Moselle) représente un personnage debout, tenant de la main gauche un maillet à très long manche de la main droite une olla (une petite marmite). À sa droite est une femme de même grandeur, complètement drapée, tenant de la main gauche levée une longue hampe surmontée d’une sorte de maison miniature et abaissant la main droite, qui tient une patère, vers un autel. Une inscription placée au-dessus du bas-relief nous apprend que le dieu-ou-démon s’appelle
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Suqellos et sa parèdre Nantosuelta. Si le second nom est assez obscur, Suqellos, lui, est évidemment celtique ; le premier terme se retrouve dans les noms celtes Su-carus, Su-naritu, et le sens du mot semble être « qui frappe bien » ou « qui a un bon marteau ». Le dieu-ou-démon au maillet en question est une divinité dont on a trouvé d’autres représentations qui, le plus souvent, ne diffèrent guère du Suqellos de Sarrebourg. La plus singulière représente un dieu-ou-démon barbu revêtu d’une peau de lion (un rapprochement avec Hercule ?) s’appuyant de la main gauche sur une hampe et tenant de la main droite une olla ou chaudron en miniature ; derrière lui se dresse au-dessus de sa tête un énorme maillet dans lequel sont fichés cinq maillets plus petits rangés en demi-cercle.
Suqellos a un double symbolisme. Dieu-ou-démon de la fête et de l’abondance (il met les tonneaux en perce), mais aussi dieu-ou-démon psychopompe, dieu-ou-démon de la bonne mort, ou de la mort sereine et paisible, invoqué par les vates pour accompagner les derniers instants d’un mourant. D’où le nom de Sucaelus peut-être avons-nous dit. Le tonneau en perce, dans ce cas, symbolise l’âme ou l’esprit qui s’échappe du corps.
La déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Nantosuelta, était une déesse-ou-démone ou fée de la fertilité, associée aux rivières, et comparable en cela aux aspects « déesse-ou-démone ou bonne fée de la fertilité » de la déesse Danu (bia) gaélique en Irlande. Une des interprétations du nom de Nantosuelta (qui fleurit la vallée) n’est pas sans évoquer le nom de l’Irlandaise Blathnat et de la Galloise Blodeuwedd. Ce qui fait du Suqellos Dagda Gargant un parallèle de Curoi mac Daire dans la déviation irlandaise, et un parallèle d’Arawn prince d’Annwn dans l’hérésie galloise. Lui aussi d’ailleurs a des chiens aux oreilles rouges.
Le couple divin Suqellos/Sucaelus et Nantosuelta, diffère notablement des dieu-ou-démons de la première fonction comme Lug, car il devait sans doute plutôt relever de la troisième (puisqu’assurant la fertilité des humains des animaux et des végétaux).
Le couple Sucaelus et Nantosuelta est un couple divin que l’on retrouve dans toute l’Europe celte. Ils sont associés aux notions de fertilité ou de fécondité ; leur union, ou leur bonne entente, vraisemblablement conçue comme devant être manifestée lors de la fête de Samon, assurait la prospérité du pays. Bref, ce Suqellos Dagda Gargant fait un peu office de père Noël et ce qui le caractérise est l’abondance ou la générosité. En Irlande, il est d’ailleurs connu pour avoir des arbres fruitiers inépuisables et deux cochons magiques, l’un étant toujours à la broche et l’autre toujours à l’engraissement.
Il ne suffit pas que le maillet figure avec le chaudron sur une monnaie des Unelli pour que l’on puisse y voir un attribut divin, mais ce qui est certain, c’est qu’il est bien une arme (appelée Meldos – Mellt en gallois). Le Meldos de ce Dis Pater celte symbolise le pouvoir qu’a Suqellos de faire passer les âme/esprits dans l’autre monde. Il peut en effet libérer les âme/esprits en peine en leur frayant un passage dans la matière (un peu comme un maillet faisant sauter la bonde d’un tonneau et libérant ainsi la bière qu’il contenait). En tapant avec son maillet, Suqellos peut donc libérer l’âme/esprit en attente de réincarnation dans l’autre monde et qui, selon les anciens druides, était dans la tête. D’où peut-être la célèbre prière gallo-romaine : Sucellum propitium nobis !
Et inversement. Les bacuceos seraient donc tous issus de l’action ô combien libératrice du Dis Pater celte gardant le réservoir d’âme/esprits. L’enfer druidique n’était pas un lieu de damnation éternelle, mais seulement le royaume souterrain où erraient dans la froidure les âme/esprits en peine en attente de réincarnation, sur terre. Une infime minorité selon certains.
En Grande-Bretagne, cette idée se retrouve peut-être dans le personnage de Gurguit Barbtruc, appelé aussi Gurgunt ou Gurgiunt (gallois Gwrgant Varf Drwch). Geoffroy de Monmouth en fait un personnage fabuleux vivant du temps de Partholon au IVe siècle de notre ère (Livre III, chapitre XI). L’Historia regum Britanniae ou Histoire des Rois de Bretagne est un livre de Geoffroy de Monmouth écrit entre 1136 et 1139, censé relater l’histoire des premiers souverains de l’île de Bretagne depuis Brutus, arrière-petit-fils d’Énée, jusqu’à Cadvalladr ou Caedwalla, roi du Nord du Pays de Galles (VIIe siècle). Geoffroy de Monmouth prétend faire œuvre d’historien, mais son livre est en grande partie un travail d’imagination mêlant une multitude de fables à des traditions nationales comme celles du roi des Bretons Arthur. Il jouira toutefois d’un grand crédit auprès des écrivains postérieurs, y compris Shakespeare (pour son roi Lear). Autrement dit, beaucoup de légendes et bien peu d’Histoire ! Geoffroy de Monmouth en fait un fils de Belinus. Mais nous avons vu combien ce personnage était mythique au mauvais sens du terme.
Ayant rencontré la tribu de Partholon en mer au retour d’une expédition victorieuse, Gurgiunt ne les aurait pas autorisés à s’installer en Grande-Bretagne, mais leur aurait attribué l’Irlande alors inhabitée
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(ce qui est encore une fois bien entendu complètement faux !) Gurgiunt serait mort après un long et grand règne, et aurait été enterré à Caerleon, une cité fondée par son père.
En France en tout cas, ce concept divin du bon gros géant a donné Gargantua au Moyen-âge. Gargantua certes, est l’un des deux héros favoris du Français Rabelais, mais cet auteur, né vers 1494, ne l’a pas inventé. La première mention que l’on connaisse de lui (où son nom est d’ailleurs orthographié Gargantuas) se trouve sur le registre du receveur de l’évêque de Limoges à Saint-Léonard, et elle est datée de 1471.
Dans les « grandes et inestimables chroniques du grand et énorme géant Gargantua contenant sa généalogie », parues à Lyon en 1532, il est associé au roi de Bretagne Arthur et à la fée Morgane.
LES GRANDES ET INESTIMABLES CRONICQUES DU GRANT ET ÉNORME GÉANT GARGANTUA. CONTENANT SA GÉNÉALOGIE (1532).
Chevaliers et gentilshommes, vous devez savoir qu’au temps du bon roi Artus, il y avait un grand philosophe appelé Merlin, expert dans l’art de la nigromancie plus que personne au monde…
Dès que Merlin eut entendu ses marteaux, il fit apporter les ossements d’une baleine mâle, les arrosa du sang de ladite ampoule, et les mit sur l’enclume, lesdits ossements furent consumés immédiatement ou presque, et réduits en poudre. C’est donc ainsi, par la chaleur du soleil, de l’enclume et des marteaux, que fut engendré le père de Gargantua, au moyen de ladite poudre…
Et c’est ainsi que vécut Gargantua au service du prince Arthus l’espace de deux cents ans trois mois et trois jours exactement. Puis il fut porté en féerie par la fée Morgaine et Mélusine, avec plusieurs autres.
Derrière notre géant truculent et glouton se cache une très ancienne divinité apparemment bienveillante qui remonte peut-être, comme l’édification des pierres dressées, au-delà des Celtes.
La « vie inestimable » de Gargantua, selon Rabelais, ne fait que reprendre un ancien fond qui transparaît dans d’innombrables traditions populaires, sur tout le territoire.
L’étude des indications données par Rabelais, qui en a fait son Gargantua, ne nous apprend pas grand-chose, car, comme l’avait déjà bien vu Henri Lizeray en son temps, « les généalogies railleuses de Rabelais sont destinées à pasticher les interminables pedigrees qui encombrent la Bible et qui sont sans utilité ».
On peut considérer qu’en France, la fée Mélusine est sa compagne, bien que de mémoire humaine, ils n’aient pas été mariés (dans le roman écrit à la fin du XIVe siècle par Jean d’Arras, l’époux de Mélusine est Raymondin).
Gargantua est la personnalisation imagée de l’énergie gigantesque, mais bienfaisante, qui met en ordre le chaos primordial. Dans ses voyages, il modifie les paysages en laissant tomber le contenu de sa hotte. Les traces ou dépôts de ses souliers donnent collines et buttes, ses déjections forment des aiguilles, et ses mictions des rivières ! Beaucoup de mégalithes sont des palets de Gargantua donc, appelés chaise, fauteuil, écuelle… C’est une énergie non consciente, mais orientée, reconnue comme bienfaisante. Les pierres de Gargantua donnent lieu à des cultes de fécondité, sa troisième jambe (son membre viril) est célèbre ! Voir en cela le géant de 54 mètres gravé sur la pente de Cerne Abbas dans le Dorset en Grande-Bretagne. C’est une divinité phallique qui sera aussi représentée sous forme anguipède, avec parfois une tête de bélier.
Le christianisme le diabolisa en rebaptisant les lieux, gouffres, chaos rocheux, pierres dressées, dits de Gargantua ; en lieux, gouffres, chaos, pierres… du Diable. Dans le même temps, il est christianisé en saint Gorgon qui le remplace pour le culte de la fécondité, comme à Rouen. Le Mont-Saint-Michel était un ancien lieu de culte à Gargantua et l’îlot de Tombelaine serait la sépulture de Gargamelle. Sans compter les rivières Gargas, Gargelle ou Jarjattes, les grottes comme la grotte préhistorique de Gargas, célèbre pour les traces de mains qu’on y trouve. Il est tout à fait vraisemblable que ces toponymes soient des rappels de ce géant qui fut populaire sur tout le territoire.
Même s’il lui arrive de tarir des cours d’eau à cause de sa soif ou d’avaler quelques individus, c’est dans l’ensemble plutôt un bon géant. Trait de caractère qu’il partage avec le Dagda. Il pouvait être pasteur, bien qu’il ne rechignât point à dévorer du bétail. Il était aussi faucheur ou bûcheron.
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Gargantua est vraisemblablement la survivance de ce dieu-ou-démon celte de la bonne mort, dont le culte était beaucoup trop enraciné dans les mentalités pour être éradiqué. Sa popularité fait un peu penser à celle du Dagda irlandais. Ces deux personnages possèdent d’ailleurs plusieurs points communs, comme leur taille gigantesque et leurs liens avec la nourriture.
Le texte qui suit, extrait de l’Anthologie de l’Albret, due à l’abbé Léopold Dardy, mérite d’être cité : « Il y avait une fois dans la lande un géant qui s’appelait Gargantua. Sa mère était une vache. Elle n’eut que lui ; seul, il chassa les Anglais de par ici [durant la guerre de Cent Ans]. Il arrachait les chênes comme des poireaux et les lançait contre les Anglais tels de simples bâtons… Gargantua ne se nourrissait que de moutons et de gibier ». Ce caractère quelque peu militaire de Gargantua fait écho aux exploits guerriers du Dagda en Irlande.
En Irlande, ainsi que nous avons pu le voir, ce concept divin a donné, de façon quelque peu hérétique il est vrai, le dieu-ou-démon bon à tout, appelé Dagda. En Irlande en tout cas ce Dagda occupe une place à part dans le panthéon.
C’est le plus vieux des dieu-ou-démons d’Irlande. Il apparaît notamment dans le récit du « Cath Maighe Tuireadh » ou « Bataille de la Plaine des menhirs ». Il est le gardien des serments, des contrats, et de l’amitié. Dans la légende irlandaise intitulée « Tochmarc Etainne », nous pouvons lire qu’il juge tout contrat en fonction des intentions de celui qui le signe (concerta sidhe cor caich amal a indelle). Le Dagda règne sur le temps, l’éternité ainsi que sur les éléments. Il est habituellement censé résider dans le Brugh na Boinne. Son intendant est un dénommé Dichu (père d’Etain) et son forgeron un dénommé Len Linfiaclach. Mabon/Maponos/Oengus, son fils, lui ravira cette demeure sous prétexte d’en avoir la jouissance pendant une nuit et un jour. Cette résidence, qui n’est autre qu’un side ou une des portes d’entrée de la République unie des sides, est assimilée, du moins en Irlande, au site mégalithique de Newgrange (au nord de Dublin).
Le Dagda est associé à son frère Ogmios (l’Ogme des Irlandais), le dieu-ou-démon de la magie guerrière, dont il est le complément. De par sa fonction, c’est aussi un puissant guerrier. Il a un côté paternel et nourricier. Certes, tout puissant et omniscient, mais rustre, ventru, paillard, vêtu d’une courte tunique et d’un capuchon, chaussé de bottes de cuir et traînant après lui son énorme massue montée sur roue, qui tue par un bout, mais ressuscite par l’autre ; ce géant est également pourvu d’un chaudron inépuisable qui nourrit tous ceux qui l’approchent. Ses accouplements avec les déesse-ou-démones ou fées du panth-éon, sont nombreux.
On lui connaît en effet plusieurs talismans, dont le chaudron d’abondance (olla ou symbole de prospérité sur le Continent), la massue qui tue et ressuscite (symbole de sa puissance), et une harpe magique appelée Daurblada ou Coir Cethar Chuir. Cet instrument a la particularité de connaître toutes les mélodies du monde, et de pouvoir les jouer tout seul. Le soin avec lequel cette harpe avait été fabriquée, ainsi que la qualité des matériaux, suffit évidemment à expliquer son pouvoir : endormir ou faire mourir. Dans le récit intitulé la Seconde Bataille de la Plaine des menhirs ou des tumulus (Cath Maighe Tuireadh), cette harpe est volée par les vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent et Fomoire en Irlande. Le Suqellos Dagda se met à sa recherche, accompagné de Lug et Ogme. Ils la retrouvent accrochée au mur d’une résidence de leurs ennemis. À l’appel du dieu-ou-démon, la harpe s’envole et tue neuf des anguipèdes l’ayant volée au Dagda.
Elle joue l’air des lamentations et les femmes se mettent à pleurer, puis elle joue l’air du sourire et les garçons se mettent à rire ; enfin elle joue l’air du sommeil, et l’armée adverse s’endort. Le Dagda est donc aussi le dieu-ou-démon tutélaire des musiciens. À ce titre il a parfois recours aux services d’un harpiste du nom d’Uaithne (ce qui signifie « harmonie »).
Le chaudron est un autre élément important de la mythologie celtique. Celui du Dagda provient de l’île de Murias, une île située au nord du monde et qui avait pour maître le druide Semias. Il symbolise la souveraineté, l’abondance et la résurrection (voir chaudron de Gundestrup). On le retrouve dans la statuaire gallo-romaine sous forme d’une simple olla. On le retrouve dans la légende arthurienne sous la forme du « graal ».
Ainsi que nous l’avons vu plus haut, le Dagda irlandais a donc pouvoir de vie ou de mort sur les êtres humains : sa massue tue par un bout et ressuscite de l’autre. Elle peut écraser neuf guerriers d’un seul coup. Elle est si lourde qu’il faut huit hommes pour la porter, elle laisse un sillon dans le sol qui peut servir de frontière. Elle est montée sur roues. Tout cela nous fait donc un peu penser au Gargantua français. D’où peut-être ses capacités d’architecte ou de bâtisseur (lors de la phase qui
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précède la deuxième bataille de la Plaine des menhirs ou des tumuli, il est chargé par le roi intérimaire Bregsos/Bres de construire des forteresses).
Le Suqellos est aussi connu en Irlande sous les surnoms d’Ivocatuos Ollater (celui qui combat par l’if) père de tous (Eochaid Ollathair en gaélique), mais aussi roudianos rovesos (le rouge qui sait tout : d’où ruadh rofessa en gaélique), dergodercos (l’œil rouge = le soleil, deirgderc, en irlandais) et enfin dagodevos (le dieu-ou-démon « bon à tout ») d’où Dagda en gaélique toujours.
Ses frères sont Elcmar, Nechtan et Medros/Midir. Il est père d’Ériu, Votala et Banuta (Eire, Fodla et Banuta/Banba/Banva), et même d’Ainge ou de Diancecht selon certains. De sa relation adultère avec Boand (Vinda Damona), il aura un fils : Mabon/Maponos/Oengus. Il est aussi le père de Brigit selon certaines variantes, ainsi que du roi Dergos Boduos (Bobd Derg). N.B. Les Celtes du Continent allaient plus loin puisqu’ils faisaient de leur Suqellos également l’ancêtre du genre humain ; mais pour ce qui est des corps physiques, pas pour le reste de la personnalité de l’Homme. Le prouve le fait que, pour César, ce dieu-ou-démon est associé, non à la richesse spirituelle, mais à la richesse… matérielle.
Sa parèdre est la déesse de la guerre Morrigani (Catubodua sur le Continent).
Le Suqellos Dagda est, avec Lug, et Ogmios, un des trois plus grands dieu-ou-démons du panth-éon ou plérôme celtique. Il est donc ainsi que nous l’avons vu plus haut, par la grande divinité féminine aquatique (assimilée à la Boyne en Irlande) le père du dieu-ou-démon de la jeunesse, Mabon/Maponos/Oengus (Mabonagrain chez Chrétien de Troyes).
Du moins si l’on en croit les légendes apocryphes irlandaises et la très compliquée histoire d’adultère commis avec Bo-Vinda/Damona-Vinda (Boand) qu’elles nous relatent.
DOCUMENT.
GARGANTUA SELON NOS AMIS CORRESPONDANTS ET HOMOLOGUES FRANCOPHONES.
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Son nom apparaît dans la toponymie et le folklore dans plus de 300 lieux. C’est un héros civilisateur qui défriche le territoire : il se rattache ainsi aux plus anciennes races (Partholon et Nemed de la tradition irlandaise). Il est tour à tour bûcheron (comme Ésus) et faucheur. Il règne…
a) Sur les montagnes qu’il a élevées en transportant les matériaux dans sa hotte (et dont les bretelles se sont souvent cassées) ; ce sont quelquefois ses tombeaux.
b) Sur les buttes, tumuli et oppida, qui sont les restes de la terre collée à la semelle de ses sabots ; de même, les tertres irlandais appartiennent aux hommes de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia).
c) Sur les eaux, car il a creusé des lacs, bu ou alimenté des rivières et des marais.
d) Sur les blocs erratiques et les mégalithes, qui sont ses excréments ou des graviers sortis de ses sabots ; les menhirs sont aussi des pierres pour aiguiser sa faux, ou les quilles avec lesquelles il joue, les tables des dolmens lui servant de palets.
Le Gargantua picard est fils d’un ours (ce qui pourrait faire supposer un rapport avec le mythe arthurien) et naît dans une grotte (au centre du Cosmos).
Dans sa jeunesse, Gargantua est invité à creuser un puits, mais il semble bien qu’il s’agisse là d’un rite d’initiation, la légende belge précise que Gargantua « meurt » ; il ne s’agit que d’une mort symbolique, ainsi que le montre la suite du mythe.
Il fonde des villes de même que l’Hercule gaulois qui a fondé Alésia. Repoussé de Quantilly (Cher), le géant lance son marteau dans les airs et construit à l’endroit où il tombe, la forteresse d’Avaricum (Bourges). Ce geste rituel se retrouve dans le légendaire chrétien : Jean-Charles Varennes mentionne une source sacrée du Bourbonnais, jaillissant à l’endroit où saint Mazeran a lancé son marteau.
Un statère des Baïocasses représente un cavalier, brandissant une épée, qui vient de lancer un marteau dont la trajectoire est figurée par une ligne brisée ; sous le cheval se trouve une sorte de chaudron. De même, le géant de Guérande (Loire-Atlantique), outre sa faux et son fléau, est armé de trois marteaux.
Gargantua est une figure riche et complexe qui paraît avoir hérité des traits particuliers à plusieurs divinités celtiques. Il n’est pas méchant, mais glouton et habillé comme un rustre, et les paysans ont complaisamment retenu certains aspects obscènes de son mythe. Par tous ces traits, il évoque
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Eochaid « Oll-Athair » (le père de tous) dit « Dag-Da » (le Dieu-ou-démon Bon à Tout), le Dieu-ou-démon-Druide de « l’État-major » des hommes de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia).
Gargantua s’appuie sur un gourdin (qui est le plus souvent un chêne déraciné, d’où son surnom de « Tord-Quêne », « Teurd-Quêne », etc.) et porte une hotte. Ces deux attributs sont symboliquement équivalents à la massue de chêne et au Chaudron du Dagda.
De même que la trace d’une seule des roues du chariot servant au transport de la massue du Dagda est un fossé aussi large que la frontière de deux provinces, Gargantua trace derrière Quantilly un fossé de dix kilomètres de long sur trois kilomètres de large. Une fois par an, l’écuelle de pierre du géant versait le vin aux pauvres de Bourges, de même nul ne quittait le chaudron du Dagda sans être rassasié.
Eochaid Ollathir s’accouple rituellement, au bord d’une rivière, à certaines périodes de l’année, avec les divinités féminines du pays, et nous voyons Gargantua traverser la Loire pour aller « rencontrer les filles de Saint-Genouph », sur les rives du grand fleuve médian. Rappelons brièvement les conclusions d’une étude sur le Dagda qui semble valable pour Gargantua : « Dieu-ou-démon-chef, il est en tant que tel considéré comme le père de son peuple dont il est, par sa science, le premier magicien, par sa masse, le défenseur, par son chaudron, le nourricier. Ses orgies de nourriture sont à la fois démonstrations de vitalité, mais aussi rites d’abondance. Par ses accouplements périodiques avec les divinités du sol, il assure à son peuple la protection de celles-ci et consacre en sa personne l’union de l’homme et de la terre ».
Par ailleurs, le Gargantua d’Avranches (département français de la Manche) est accompagné d’un blaireau qui lui sert de chien, de même que Suqellos, le dieu-ou-démon au maillet ou à la coupe, est représenté avec un chien à sa droite. Ce dieu-ou-démon a été assimilé au Dis Pater de César, maître de la vie et de la mort, père de l’espèce humaine. Mais il s’agit là d’une paternité purement biologique, ne concernant que les corps. Le prouve, ainsi que nous avons eu l’occasion de le remarquer, le fait que, pour César, ce dieu-ou-démon est associé, non à la richesse spirituelle, mais à la richesse… matérielle.
Gargantua possède un marteau, et règne sur les tumuli, séjour des morts. Comme le dieu-ou-démon au maillet, il est barbu et son juron « Par ma barbe ! » évoque le caractère sacré, mais aussi magique à la fois, de l’ornement mâle par excellence, comme dans le « Honte sur nos barbes » des Gallois.
La plupart des sites à légendes et toponymes se rapportant au mythe gargantuesque jalonnent d’anciennes voies romaines et préromaines. Gargantua facilite le « passage », il boit aux gués, construit des ponts, établis la communication entre la terre et le ciel, entre le monde sensible et le monde suprasensible. On retrouve d’ailleurs le même symbolisme, lorsque Gargantua inscrit dans le firmament bressan un magnifique arc-en-ciel.
Non seulement il construit des ponts, mais dans plusieurs légendes, il « est » lui-même le pont, suivant la formule galloise bien connue (« Que le Chef soit Pont »), et le présomptueux mortel qui emprunte ce pont est précipité dans la rivière.
Gargantua est le Chef ou Roi du Monde (Bitu-Rix) de la tradition celtique continentale, et cela explique pourquoi il fonde Avaricum (Bourges), capitale des Bituriges, pourquoi la population de cette ville communiait une fois par an dans une sorte de beuverie rituelle.
Le protecteur des voies de communication est, dans la mythologie romaine, Mercure, substitut de Lug « grianainech » (au visage de soleil). Or nous voyons Gargantua en action près du « dun » de Lug [Loudun ?] : il joue avec un palet près de Lyon et construit l’oppidum de Laon (Aisne).
Henri Dontenville a insisté sur la course d’est en ouest qu’effectue Gargantua, du Donon (dans les Vosges) au Mont-Tombe (Mont-Saint-Michel, département français de la Manche). Saint Christophe, substitut chrétien du géant, fait le tour de la terre en 24 enjambées gigantesques et dans le Vexin normand, les rayons du soleil qui filtrent entre les nuages sont appelés de façon assez imagée : les « jambes de Gargantua ».
Si le nom de Gargantua n’apparaît pas dans la tradition irlandaise, les chroniques galloises, nous l’avons vu, mentionnent un Gurgiunt, « roi » doux et ferme, fils de Belinus, fondateur de Caerleon (N.D.L.R. Ville ruinée du Pays de Galles, une des principales places fortes d’Arthur) et l’effigie de ce Gurgiunt était encore portée en procession sur les remparts de Norwich (Norfolk. Angleterre) en 1578.
« Les Grandes et Inestimables Chroniques » mentionnées plus haut, qui représentent des réminiscences folkloriques à son sujet, rapportent que les parents de Gargantua ont été « fabriqués », sur la plus haute montagne de l’Orient avec les ossements d’une baleine mâle et d’une baleine femelle, dans lesquelles M. Henri Dontenville a reconnu les divinités Belenos et Belisama.
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Remarquons que Gargantua est parfois décrit à cheval sur sa Grande Jument, qui est l’exact équivalent du nom de la déesse-ou-démone, ou fée, si l’on préfère user de ce terme, Épona. Le nom du dieu-ou-démon irlandais auquel nous avons comparé Gargantua est, dans le Livre de Ballymote, Eochaid ; que l’on explique par le vieux celtique iuo-katus, « qui combat au moyen de l’if », c’est-à-dire avec un javelot en bois d’if, arbre des morts ; mais dans le Livre de Leinster, antérieur de deux siècles, on trouve la forme « Eocho » (génitif Echach) qui représente un vieux gaélique Eqos (gaulois et vieux brittonique Épos) signifiant « cavalier, chevalier ».
DOCUMENT.
GARGANTUA SELON NOS AMIS CORRESPONDANTS ET HOMOLOGUES IRLANDAIS.
EXTRAIT DE LA LÉGENDE INTITULÉE : LA FONDATION DU DOMAINE DE TARA (SUIDIGUD TELLAIG TEMRA).
Un jour que nous tenions une grande assemblée des hommes d’Irlande présidée par Conaing Bec-eclach, un grand héros magnifique et puissant s’approcha de nous en venant de l’ouest alors que le soleil se couchait. Nous étions tous très étonnés par l’éclat de sa silhouette. Ses épaules étaient aussi hautes qu’un arbre, on apercevait le ciel et le soleil entre ses jambes, vu sa taille et sa beauté. Il était drapé dans un voile de cristal, brillant comme un vêtement de lin précieux et personne ne savait de quelle étrange matière étaient faites ses sandales. Ses cheveux bouclés blonds de l’or lui arrivaient jusqu’aux cuisses.
Il avait des tablettes de pierre dans la main gauche et dans la main droite une branche chargée de trois sortes de fruits verts différents : des noix, des pommes et des glands, gros comme ceux de Printemps.
Il tourna autour de nous en agitant sa branche d’or aux couleurs chatoyantes. L’un de nous alors lui cria : pourquoi ne te présentes-tu pas au roi Conaing Bec-eclach ? Il répondit : que voulez-vous donc exactement ? Savoir d’où tu viens, où tu vas, quels sont ton nom et ton surnom.
Je viens du pays où le soleil se couche et je vais là où il se lève. Mon nom est Trefuilngid Tre-Eochair [Seigneur à la triple clé, en gaélique. N.D.L.R.].
Pourquoi t’appelle-t-on ainsi demandèrent les hommes ? Parce que c’est moi qui suis la cause du lever du soleil et de son coucher.
Pourquoi es-tu donc allé là où il se couche puisque tu retournes maintenant au pays d’où il se lève ?
Un homme vient d’être crucifié puis mis à mort par les juifs aujourd’hui. Comme il était un peu lui aussi comme un vrai soleil pour eux, je suis allé au pays du couchant, pour savoir ce qu’il était devenu. Après l’avoir découvert, je suis allé à Inis Gluairi au large d’Irrus Domnan.
Mais il n’y avait plus rien à l’ouest de cette île, car c’est là l’endroit où le soleil disparaît pour de bon. Et vous, d’où venez-vous, de quelle race êtes-vous donc issus ? Et où habitiez-vous avant de venir dans cette île ? demanda-t-il.
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Suivent alors plusieurs paragraphes assez obscurs, profondément marqués par la sous-culture des moines chrétiens de l’époque : biblisme forcené, mélanges entre culture grecque et latine, le petit Jésus, la crucifixion, le rôle des juifs, etc. Nous écourterons donc tout ce passage qui n’offre aucune espèce d’intérêt en l’occurrence et nous n’en rappellerons que le début, pour en donner une idée à nos lecteurs.
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Combien êtes-vous à demeurer ainsi dans cette île ? demanda Trefuilngid. J’aimerais vous voir tous rassemblés au même endroit.
En fait, nous ne sommes pas si nombreux que cela répondit Conaing, et c’est donc fort possible, mais comment pourrons-nous te nourrir, en attendant que tout le monde soit rassemblé ?
Ne vous faites aucun souci à ce sujet, répondit-il, le parfum qui émane de cette branche suffira en effet à me nourrir et à me désaltérer.
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Il resta donc ainsi pendant quarante nuits et quarante jours, le temps que tous les habitants du pays puissent être rassemblés devant lui. Quand enfin il vit tout le monde rassemblé en ce lieu, il leur demanda : où sont vos chroniques et vos archives ? Puis-je les voir ?
Impossible, répondirent-ils, car il n’y a jamais eu d’historien pour noter cela chez nous.
Bien, répondit-il je vais donc m’occuper de ceci pour commencer. Je vais dérouler pour vous l’histoire et la chronique du royaume de Tara, ainsi que des quatre points cardinaux de l’île, je suis exactement le témoin qu’il vous faut pour cela.
Que l’on m’amène les historiens du roi qui savent écrire et que sept hommes viennent des quatre points cardinaux du pays, choisis parmi les plus sages et les plus avisés, car il faut que chacune des régions prenne part au partage des tâches et des terres, et que chacune ait sa part des archives du royaume.
Il s’entretint donc avec les historiens après cela et il leur raconta l’histoire de chacune des quatre provinces. Après cela et pour finir il dit au roi Conaing lui-même : venez donc maintenant aussi, toi et tes hommes, que je vous explique comment l’Irlande a été partagée, ainsi que je l’ai fait savoir aux quatre groupes de 7 hommes issus de chaque province.
Il en fut fait ainsi, et c’est à moi, dit Vindosenos Fintan, qu’il confia ensuite le soin de rapporter tout ceci à cette assemblée, car j’étais le plus ancien des historiens du pays. J’habitais déjà en effet à Tul Tuinde avant le déluge, et j’avais même continué à y habiter après, bien que m’étant retrouvé alors seul dans l’Irlande devenue déserte alors, et ce pendant 2000 ans.
Trefuilngid Tre-Eochair posa ensuite toute une série de questions à Fintan.
Dis-moi, O Fintan, et l’Irlande, comment a-t-elle été partagée, qu’en a-t-il été à cet égard ?
« À l’ouest il y a la science, au nord la bataille, à l’est la prospérité, au sud la musique, au centre la souveraineté ».
Fintan détailla les qualités de chaque province, et « Trefuilngid Tre-Eochair confirma cet arrangement, pour toujours. Ensuite il fit don pour finir, à Fintan, de quelques-unes des baies de la branche qu’il avait en main, et Fintan, fils de Bochra, les planta aux endroits où il lui parut probable qu’elles pousseraient bien. Voici les arbres qui sortirent de ces graines : l’Arbre de Tortu, l’If de Ross, l’If de Mugna, la Branche de Dathe, et l’Arbre d’Usnech »…
Après avoir raconté cette histoire, Fintan rendit son jugement : « Qu’il en soit ainsi que vous l’avez trouvé, n’allons pas contre les dispositions que Trefuilngid nous a laissées, car c’était un ange de Dieu, ou Dieu lui-même ».
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LA FEMME PAR EXCELLENCE BRIGANTIA/BRIGINDO/BRIGITTE.
Les Irlandais l’ont sublimé au sens jungien du terme.
Le concept de femme de sublimation est assimilé par la psychologie analytique à un archétype, processus psychique émanant de l’inconscient collectif, plus précisément celui de l’anima, considéré comme correspondant à « la part féminine de l’homme ».
Représenté le plus souvent en Occident sous la figure de la Vierge, mais également sous les traits de déesses telles qu’Isis (Égypte antique) ou Kali (hindouisme), pour les jungiens ce concept constitue le troisième niveau de l’anima, qui en comprend quatre.
En 1946, dans son livre Psychologie du transfert, Jung distingue en effet quatre niveaux de l’anima.
— La « femme primitive », dont « Eve » est la représentation la plus connue : le niveau purement instinctuel.
— La « femme d’action », ou « Hélène » (en référence au personnage du Faust de Goethe) : le niveau romantique et esthétique.
— La « femme de sublimation », dont la « Vierge Marie » constitue la principale illustration : stade confinant à la dévotion spirituelle.
— La « femme sage », ou « Sagesse » : quatrième et ultime stade inspiré du gnosticisme.
Le stade de la femme sublimée correspond à un niveau de maturité psychoaffective assez élevé : l’individu entretient une vie spirituelle, voire religieuse, assez riche et il est capable de différencier clairement ses désirs des réalités existentielles.
Le mieux néanmoins serait peut-être de faire de noïba Brigitte un archétype de la femme sage.
Dans le processus d’individuation, le stade de la femme sage correspond au niveau de maturité psychoaffective le plus élevé et rares sont les hommes, selon Jung, à l’atteindre, car « l’expérience archétypique est une expérience intense et bouleversante.
Le nom de cette grande déesse-ou-démone ou fée, se trouve écrit de différentes façons : Bridig, Brigit, Brigindona, Brighid, Bríd, Bride, Brigan, Brigandu, Braidd, Breg, et elle se manifeste en d’innombrables avatars.
Elle a été comparée à Minerve/Athéna par César et elle partage effectivement un certain nombre de ses fonctions avec cette déesse-ou-démone ou fée, romaine.
« Le dieu qu’ils honorent le plus est Mercure […] Après lui donc ils adorent Apollon, Mars, Jupiter et Minerve. Ils se font de ces dieux à peu près la même idée que les autres peuples : Apollon guérit les maladies, Minerve enseigne les principes des travaux manuels, Jupiter est le maître des dieux, Mars préside aux guerres » (De Bello Gallico, VI, 17).
Comme le remarque très bien Henri Lizeray dans sa D S. D. D. César n’est pas commode à expliquer quand il range Minerve au nombre des divinités celtes. Quelle est la déesse-ou-démone ou fée affublée de ce nom romain ? On ne soulignera jamais assez ce que César en a dit : d’après lui les Celtes qu’il a rencontrés s’en font à peu près la même idée que les peuples du monde gréco-latin.
Minerve étant la déesse-ou-démone ou fée des arts et des métiers, la déesse-ou-démone ou fée celte en question doit donc être, elle aussi, d’abord une déesse-ou-démone ou fée des arts et des métiers, rien d’autre, pas une déesse-ou-démone cosmique, ni une déesse-ou-démone mère céleste, ou aquatique. Les historiens tenant, contrairement au texte de César, à en faire une grande déesse-ou-démone-mère cosmique, sont dans l’erreur.
Noïba Brigitte présente la particularité, dans cette interpretatio romana, d’être l’unique principe divin féminin mentionné par César, et cela explique peut-être, au moins en partie, la série des incestes de la mythologie gaélique vue par les bardes. Elle ne peut en effet, dans ce schéma, qu’être à la fois la mère, l’épouse, la sœur et la fille, des autres dieu-ou-démons. Situation exactement semblable à celle des Pandavas de l’hindouisme qui, à eux cinq, n’ont qu’une seule épouse, la belle Draupadi.
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Lors d’une de ses expéditions, Arjouna, l’un des cinq Pândava, fait la conquête de Draupadî, la plus belle femme du monde. Elle est l’incarnation de Shri, déesse-ou-démone ou bonne fée de la prospérité voire de la splendeur (du royaume). Au retour d’Arjouna, Kountî, la mère de celui-ci, est convaincue qu’il rapporte de la nourriture et l’invite à partager son butin avec ses frères.
Elle déclare : « Quoi que ce soit jouissez-en tous en commun ». Or, la parole d’une mère est toujours sacrée. Draupadî devra donc devenir la femme commune des cinq frères Pândava qui « jouissent d’elle cycliquement, l’un après l’autre, à intervalles convenus ». Régime matrimonial scandaleux (c’est un cas très rare de polyandrie) pour la morale des anciens Aryens, sinon encore pour la nôtre. Le plus difficile fut de faire accepter au père de Draupadî que sa fille devait avoir cinq maris 1).
La grande divinité centrale du schéma césarien étant unique, elle concentre en elle tous les états, toutes les qualités, tous les aspects ainsi que toutes les manifestations de la féminité : mère, fille, épouse, sœur. Autrement dit, elle est Minerve, mais aussi Vénus, et ainsi de suite (polymorphisme et plurifonctionnalisme).
Il pourrait s’agir de la grande déesse-ou-démone, ou fée, à laquelle les nautes parisiens apportent, sur l’une des faces de leur pilier, un torque d’honneur. Identification faite sous toutes réserves. Les historiens n’ayant pas réussi à se mettre d’accord sur le nom celtique exact de la Minerve/Athéna en question.
Noïba Brigitte participe peu ou prou des trois fonctions. Première fonction : les poètes et les voyants ou médecins. Deuxième fonction : les armes fabriquées par les forgerons. Troisième fonction : la fécondité ainsi que la fertilité, puisqu’elle fait partie des déesse-ou-démones ou bonnes fées « mopates », ce qui signifie « ayant un enfant dans les bras ». C’est donc aussi une déesse-ou-démone ou fée, du foyer.
Dans la mythologie d’Irlande, mais tout est-il bien conforme au druidisme originel né au IIe millénaire avant notre ère quelque part en Europe au nord des Alpes, dans cette mythologie gaélique donc, noïba Brigitte est dite fille du Suqellos Dagda et femme de Bregsos/Bres. Mère de Brennos, Iuchar et Iucharba, par Taran/Torann/Tuireann dans d’autres versions, toujours irlandaises, du mythe panceltique originel. Pas simple !
Elle avait deux bœufs exceptionnels, Fea et Men, ayant défriché la plaine de Feimhean. Elle possédait aussi Torc Triath, le roi des sangliers.
C’est elle qui aurait poussé le premier cri de douleur entendu dans le pays après la mort de son fils Ruadhán, au cours de la seconde bataille de la Plaine aux menhirs.
La tradition irlandaise insiste aussi sur sa triplicité.
— Déesse ou démone des forgerons. En tant que sainte patronne des forgerons, certains auteurs la rapprochent d’ailleurs de la fameuse dame du lac ayant confié l’épée magique Excalibur, au jeune Arthur.
— Déesse ou démone des intellectuels, la bélisama Brigindo est donc également une déesse-ou-démone ou fée de la connaissance, de la science, elle purifie et enrichit l’esprit. Déesse-ou-démone ou fée des arts et de la musique, elle joue de la harpe.
— Déesse ou démone ou fée de la médecine. Ainsi que nous avons eu l’occasion de le remarquer, chez les Celtes la fonction médicale était en effet apparemment éparpillée un peu partout et répartie entre différents dieux, mais pour ce qui est des maladies du corps elle était surtout portée par des éléments féminins (sauf pour la chirurgie qui était réservée aux hommes et donc aux druides guerriers). Certains se demandent même si l’image de la bonne sorcière anonyme représentée sur une petite stèle votive (trouvée à Grand et maintenant conservée au Musée d’Épinal) dans ce qui semble être une officine de pharmacien, en train de concocter quelques potions, ne serait pas une représentation de cette Airmed continentale.
D’autres légendes lui attribuent la possession d’une pommeraie dont le pollen butiné par les abeilles produisait un hydromel légendaire.
On trouve dans un vieux dictionnaire, rédigé vers l’an 900 et appelé le Glossaire de Cormac, que noïba Brigitte, pour les Gaëls, est une poétesse fille du Suqellos Dagda ou plus exactement que c’est la déesse-ou-démone ou fée Brigitte qu’honoraient les vell7des (file) à cause de la protection qu’ils recevaient d’elle.
Il y avait trois sœurs du même nom : outre Brigit la poétesse, une seconde Brigit qui pratiquait la médecine, et une troisième Brigit, qui forgeait le fer. Toutes trois étaient déesse-ou-démones, ou fées si l’on préfère utiliser ce terme, filles du Suqellos/Dagda/Gargan ; chez les Irlandais le nom de Brigit les désignait donc toutes les trois. C’est par conséquent, à en croire le glossaire de Cormac, une triple
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déesse-ou-démone, ou fée, dont les compétences s’étendent à la création poétique, à la médecine et au feu de la forge.
N’oublions pas néanmoins que la poésie de cette époque n’est pas ce que nous entendons aujourd’hui sous ce nom. Les poètes étaient alors aussi des voyants, des prophètes, ou des jeteurs de sorts. En tant que patronne des vellèdes ou filid, noïba Brigitte doit être considérée comme une déesse-ou-démone ou fée, de l’inspiration, de type voyante ou médium. Et c’est sans doute à cause de ses compétences dans le domaine de la magie que sa protection s’étendait aussi aux forgerons dont le métier fascinait les hommes de l’époque. Même chose pour la médecine. La sainte chrétienne qui a succédé à Brigit n’est-elle pas la grande patronne des herbes et de la guérison ?
Bref, noïba Brigitte règne donc sur les arts, la magie et la médecine. Elle est la patronne de certains druides, des bardes (poètes), des vates (divination et médecine) ainsi que des forgerons assez curieusement (du moins en Irlande).
Dans la croyance chrétienne, noïba Brigitte est devenue sainte Brigitte, protectrice du bétail, dispensatrice de la fertilité, tant pour les animaux domestiques que pour les êtres humains. Elle préside même aux accouchements, puisqu’on en fera la sage-femme ayant délivré la Vierge-Marie.
Noïba Brigitte est associée à la fête d’Ambolc, la purification du 1er février, censée protéger les troupeaux et favoriser la fécondité.
Note sur noïba Brigitte vue par les chrétiens. Sainte Brigitte d’Irlande ou de Kildare (451-523) est née à Faughart près de Dundalk, dans le comté de Louth, en Irlande. Les faits certains à propos de sa vie sont peu nombreux, car les récits à son sujet n’ont commencé à être couchés par écrit qu’au VIIe siècle, avec la vita prima sanctae Brigitae.
Les récits la concernant ne concordent pas. Ils consistent surtout en des récits de miracles ou des anecdotes, dont certaines sont enracinées dans le folklore irlandais.
D’après les origines légendaires du clan royal des Fotharta, dont elle serait membre, sa naissance fut annoncée par un druide, tout comme celle d’une autre Marie, mère du grand Seigneur, d’où son surnom de « Marie des Gaëls ».
Certaines légendes font de sainte Brigitte une fille du druide appelé Dubthach le brun. Ce druide ne pouvait être nourri que par du lait d’une vache blanche à oreilles rouges. D’autres indiquent au contraire que ses parents étaient d’humble origine ; d’autres encore que son père Dubhthach, était un chef de clan du Leinster, et sa mère une captive chrétienne appelée Brocca.
Les récits s’accordent cependant sur un point : tous la disent baptisée par saint Patrice et la future sainte l’aurait bien connu ; mais en réalité il n’est pas certain qu’elle l’ait jamais rencontré.
Comme elle voulait rester vierge, Brigitte aurait prié le Seigneur de lui faire don d’une infirmité quelconque afin de ne pas être demandée en mariage. Elle perdit donc un œil (voir la cécité de certains druides comme Mog Ruith, qui s’éborgna volontairement afin de renforcer ses dons de voyance) et le fait de devenir borgne la fit devenir si laide, que plus personne n’en voulut comme femme.
Même schéma légendaire avec la petite sainte française appelée Néomaye, Néomoise, Néomée, Néomadie ou Ennemoye, d’ailleurs, qui pour échapper à ses prétendants, obtint de Dieu ou du Diable la grâce d’avoir un pied transformé en patte d’oie.
Quelques églises ou chapelles de l’ouest de la France la représentent d’ailleurs encore ainsi. La sainte y était figurée en bergère ou gardienne d’oies [ce qu’a été un moment ma grand-mère maternelle avant de devenir cuisinière attitrée du château, des comtes de Salignac-Fènelon] ou avec une patte d’oie.
Mais revenons à nos moutons. Lorsque saint Macaille lui donna son voile de religieuse, il aperçut alors sur la tête de la future sainte, une colonne de feu. Au moment où elle se pencha pour baiser l’escalier qui menait à l’autel, son bois se mit à reverdir et Brigitte retrouva son œil ainsi que toute sa beauté (quand on épouse le Dieu-ou-Diable d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, il vaut mieux être belle en effet).
Livre de Lismore. Vers 468, Brigitte et quelques autres jeunes filles allèrent recevoir le voile de l’évêque Mel à Telcha Mide. Il fut heureux de les voir. Par humilité, Brigitte resta en arrière afin d’être la dernière à recevoir le voile. Une rose rouge tomba sur sa tête, du faîte du toit de l’église. L’évêque, quelque peu troublé, lui dit alors : « Avance-toi maintenant, Brigitte, que je puisse orner ta tête du voile avant les autres ». Et par erreur il récita ou lut alors pour elle… le rituel des ordinations épiscopales.
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Macaille protesta que l’ordination épiscopale ne devait pas être conférée à une femme, l’évêque lui répondit qu’il était trop tard et qu’il ne pouvait plus rien y faire.
N.D.L.R. Cette histoire a sans doute été inventée pour justifier le statut très particulier de sainte Brigitte en son temps. Elle a dû exercer des fonctions semi-épiscopales, comme prêcher, recevoir les confessions (sans absolution), ou diriger les chrétiens de sa région même si certains de nos textes mentionnent que ce fut par l’intermédiaire de son ami saint Conleth (Conlaed), choisi par elle comme évêque de Kildare vers 490. De toute façon, pour le Vatican, il n’y a eu d’évêque officiel à Kildare qu’à partir de 519.
Avec celles de ses amies, qui avaient pris le voile en même temps, elle se dirigea vers la forêt qui s’étendait non loin de Dublin. Elles y choisirent un énorme chêne et y aménagèrent trois cellules dans son tronc. D’où le nom de ce lieu après ça : « Kill-Dara », c’est-à-dire « église du chêne ». Trois cellules dans le tronc d’un chêne géant ou trois cabanes au pied d’un chêne, voire dans un bosquet de chênes ?
Brigitte est une des patronnes des enfants et de l’allaitement. À Brigitte étaient dédiées de nombreuses sources dont les eaux passaient pour guérir la stérilité ainsi que les maux de la tête, et son principal attribut était un manteau (brat en gaélique). D’après la légende, elle s’en servit un jour pour débarrasser un malheureux des oreilles d’âne dont il était affublé : elle lui en recouvre la tête que, à genoux devant elle, il avait posée dans son giron ; ou encore, pour acquérir des terres et y faire paître sa vache : on lui accorde la surface que pourra couvrir son manteau, mais ledit manteau se met alors à croître tout seul de façon exponentielle. Brigitte possédait en effet une vache qui lui donnait un lait exceptionnel. Un jour qu’elle recevait des évêques, n’ayant rien à leur donner, elle pria Dieu ou le Démiurge et put ainsi traire sa vache 3 fois dans la journée. De quoi sustenter les évêques affamés, mais cela fait beaucoup penser au chaudron d’abondance ou à la fameuse marmite (olla) du Suqellos Dagda Gargan.
Le plus vraisemblable est qu’il y a eu conversion au christianisme d’un collège de druides et de prêtresses jusque-là voués à la déesse-ou-démon, ou fée si l’on préfère ce terme, Brigitte, et il est possible que celle qui allait devenir sainte Brigitte ait alors présidé au destin des deux communautés devenues chrétiennes.
À l’intérieur du sanctuaire, il y avait une flamme perpétuelle, et Giraud de Cambrie au XIIIe siècle (1220 ?) note qu’il était entouré d’un cercle de buissons dans lequel aucun homme n’avait le droit de pénétrer. Ce feu était encore, à l’époque, entretenu par 20 religieuses.
Le rituel d’Ambolc ou grande lustration (Ambivolcos) se célèbre normalement le 31 janvier ou le 1er février, à l’aide de petit houx et de gui, recueillis à la Cintusamoni précédente. Ambolc est surtout une fête des landiers ou des chenets, donc du foyer familial, et des enfants. Ses rituels sont célébrés en intérieur.
Cette fête est celle de la grande Brigitte (Brigindo sur le Continent) c’est pourquoi l’officiant ce jour-là ne peut être un homme, mais doit être une prêtresse.
Malgré la date cela correspond au nettoyage de Printemps. Au moment de la fête de sainte Brigitte, la nature elle-même semble reprendre son souffle. Ce retour du soleil doit cependant être associé à sa purification (à son baptême en quelque sorte) d’où le nom de cette fête : Ambivolcos. Tout doit donc être propre et briller. Il faut avoir les pieds et la tête lavés trois fois (grande ablution) pour célébrer ce rituel.
Un certain nombre des divinités du druidisme sont par définition célestes, puisque leur nom même en fait des êtres situés dans les hauteurs au-dessus des contingences de notre monde. Il s’agit de tous les théonymes commençant par ber bre bir ou bri (Brixia, Bricta, etc.).
Les théonymes Brigindo et Brigantia dérivent de l’ancien celtique (certains disent protoceltique) « brigantiia » ou « brigantis », dont le sens est « très haute », « très élevée ». L’origine en est le mot « briga » (hauteur, forteresse) qui, utilisé comme préfixe, a donné de nombreux toponymes, tant dans l’espace insulaire, qu’en Gaule et dans la péninsule ibérique.
Il est aussi présent dans la composition du nom de certains peuples. Brigantia se retrouve notamment dans le nom du peuple des Brigantes (actuels territoires du Yorkshire et du Northumberland) et des Brigantii (près du lac de Constance), dont la capitale Brigantion (Bregenz) est de même origine ; idem pour Briançon. Cette signification confirme le rôle primordial de cette déesse-ou-démone. Ou de cette fée.
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L’inscription trouvée à Vaison-la-Romaine : MINERVAE BELISSIMAE SACRUM, devait être celle d’un de ses temples, puisque le mot belisama, qui signifie « la très brillante, la flamboyante », est une de ses épithètes. On trouve également en France des inscriptions mentionnant Brigindo (à Auxey en Côte-d’Or).
À Bregentz en Autriche, on a trouvé une defixio (une malédiction) gravée sur du plomb, mentionnant Ogmios et le Dis Pater romain. Ce qui n’est pas sans faire penser à la triade irlandaise Brighid, Dagda et Ogma.
À Brampton, dans le Cumberland et à Irthington dans le Yorkshire, elle est invoquée comme deae Nymphae Brigantiae (déesse et nymphes Brigantiae) ce qui en fait aussi une déesse-ou-démone ou fée multiple, en relation avec le thème mythique du feu dans l’eau.
À Corbridge, dans Northumberland, elle est associée à Taran/Toran/Tuireann (Jupiter dans l’interpretatio romana).
À Greetland, dans le Yorkshire, elle est honorée en tant que Victoria (victoire).
À Blackmoorgate dans le Derbyshire, elle est associée à Dis Pater, Hercule, Apollon et Arvalus.
À Brescia, en Italie, elle est associée à Bergimus.
À Luxueil dans le département français de la Haute-Saône, elle est associée à Lusovius.
En Écosse, sous le nom de Bride, elle est associée à Mabon/Maponos/Angus. Sur le Continent, il semble qu’elle ait plutôt des rapports avec Belin/Belen).
Ainsi que nous avons eu l’occasion de l’écrire, belisama est une des épithètes couramment associées à la Brigindo/Brigantia/Brigitte. Mais il en existe une autre, tout aussi connue, nantosuelta.
À East Stoke dans le Nottinghamshire, on a trouvé une petite pierre représentant une déesse-ou-démone ou fée, aux cheveux ébouriffés, tenant une coupe contenant des fruits, sans doute des pommes. En France une déesse-ou-démone ou bien fée si l’on préfère, ayant la même allure, figure aussi sur un autel trouvé à Metz.
Son nom nous est connu par des inscriptions trouvées à Sarrebourg dans le département de la Moselle, où elle est associée à Suqellos. Deo Svcello Nantosvelte Bellavsvs Mas se Filivs. Au dieu Suqellos et à Nantosuelta, Bellausus, fils de Massa.
La déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, tient dans sa main gauche la représentation assez schématique d’une petite maison au bout d’une hampe et dans la main droite une patère dont elle semble verser le contenu sur un autel. La présence d’un corbeau sur certaines de ses représentations en fait peut-être une déesse-ou-démone, ou fée, psychopompe, d’où sa présence dans les cimetières.
On se perd en conjecture sur la signification de l’édicule qu’elle tient au bout d’une hampe (certains ont voulu y voir non la représentation d’une maison, mais une ruche) ainsi que sur le sens à donner à son nom. Le premier terme doit se traduire par « vallée », mais le second, suelta, est plus énigmatique, et dérive peut-être d’un des noms du soleil : sul. Certains en déduisent une signification du genre « vallée ensoleillée ou heureuse », ce qui, évidemment, dans ce cas, en ferait une image à l’exact opposé de la célèbre « vallée de l’ombre de la mort » ou « de larmes » de la Bible.
Bref, sous son aspect « déesse-ou-démone ou fée, des rivières », Brigindo/Brigantia/Brigitte était donc une déesse-ou-démone ou une bonne fée de la fertilité, associée aux cours d’eau, et comparable en cela aux aspects « déesse-ou-démone ou fée de la fertilité », de la Morrigani gaélique, en Irlande. Une des interprétations du nom de Nantosuelta (qui fleurit la vallée) n’est d’ailleurs pas sans évoquer le nom de l’Irlandaise Blathnat et de la Galloise Blodeuwedd. Ce qui fait du Suqellos Dagda un parallèle de Curoi mac Daire dans la déviation irlandaise, et un parallèle d’Arawn prince d’Annwn dans l’hérésie galloise. Lui aussi d’ailleurs a des chiens aux oreilles rouges. Le parèdre de cet aspect de Bringindo/Brigantia/Brigitte est indubitablement le dieu ou démon Suqellos (= Dagda) sur le Continent. Mais cela nous l’avions déjà remarqué.
1. Les Pandava sont les cinq fils de Pandu. Arjouna, Yudhishthira, Bhîmasena, Nakula et Sahadeva. Ils sont en conflit avec leurs cousins, les Kauravas. Cet épisode célèbre nous est narré dans la Bhagavad Gîtâ, l’un des livres du Mahâbhârata. Ce texte-fleuve, écrit en vers entre le Ve siècle avant notre ère et le IIIe siècle, retrace les luttes fratricides de deux clans au sein d’une même famille de divinités. Ces dix-huit chants sont à l’origine des mythes fondateurs de la culture et de la civilisation indiennes. Le chant premier témoigne de l’ambition englobante du poème et de son orientation philosophique : Pour tout ce qui concerne les « buts de l’homme », conformité au Dharma (l’Ordre cosmique), richesses matérielles, désir amoureux, délivrance [des renaissances], ce qui se trouve dans ce texte se trouve aussi ailleurs. Ce qui n’y est pas n’existe nulle part.
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CONCLUSION.
Ces douze dieu-ou-démons réunis forment donc le dodécaèdre sacré druidique, mais n’oublions pas que cette liste ou que cette classification des principales divinités, surtout extraite des travaux et des patientes recherches, ô combien érudites de notre confrère du vieux continent Dyfed lloyd Evans, pilier de l’association Nemeton (www.celtnet.org.uk) n’est ni exhaustive ni complète, que ce n’est ni un dogme ni un article de Foi.
Il s’agit d’un défi à relever (pour tous ceux à qui rien de ce qui est humain n’est étranger). Si quelqu’un se trouve par hasard d’accord avec tout y compris dans le moindre détail, alors cela signifie qu’il est incapable de réflexion personnelle. Être conscient des problèmes soulevés par cette liste ou cette classification est la seule attitude féconde et positive à développer mentalement. Est véritablement d’esprit celte non pas celui qui adhère à 100 % avec tout ce qui précède, mais celui qui est capable d’en voir les points faibles pour les corriger ou les améliorer, car rien de ce qui est humain ne doit nous être étranger nous autres Fénianes hommes de mille et un livres et non d’un seul. Le but de ces quelques notes est d’amener à réfléchir sur le divin et rien de plus.
Tout comme dans une entreprise, le président délègue certains ses pouvoirs à des collaborateurs efficaces, ces entités, ou ces hypostases (que les judéo-islamo-chrétiens appellent anges ou djinns et les hindous vyouha) s’étagent en une hiérarchie descendant des plus spirituels (les plus proches du démiurge ou du dieu-ou-démon supérieur) jusqu’aux plus dilués ; les dieu-ou-démons qui structurent et organisent la matière, voire moins (la matière universelle elle-même). Appelés vouivres anguipèdes ou Andernas sur le Continent, Fomore en Irlande.
La croyance en l’existence de ces dieu-ou-démons constitue bien évidemment du chirk akbar ou chirk à la puissance dix pour les théologiens musulmans.
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LES FONDEMENTS DE LA TRINITÉ SUPRÊME : LA PERSONNIFICATION DE LA DYADE ÉLÉMENTAIRE
ÂME/MATIÈRE, FEU ET EAU OU LE FEU DANS L’EAU.
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LA GRANDE DÉESSE MÈRE AQUATIQUE : DANU/ANU.
Arrivés à ce niveau du plérôme les archétypes jungiens ne nous servent plus à grand-chose, et il y a lieu de revenir aux analyses habituelles en la matière.
Chez les Celtes, écologie oblige, les fleuves étaient divinisés en tant que fils ou filles de l’océan (Lero/Lir) et pères ou mères d’une foule de fées des eaux.
L’eau est dans beaucoup de traditions, la materia prima, ou océan des origines. La notion d’eaux primordiales, d’océan des origines, est quasi universelle. Les eaux primordiales figurent en effet dans de nombreuses cosmogonies : « Les druides, mais aussi tous les autres, disent que les âmes ainsi que l’univers, sont indestructibles, mais qu’un jour le feu et l’eau prévaudront sur eux » (Strabon Livre IV, chapitre IV, section 4).
Le symbolisme de l’eau peut donc nous mener très loin, de la source à l’estuaire, puis de l’estuaire à la source. Le circuit de l’eau est riche de nombreux enseignements. C’est la fin qui engendre son commencement, car, par l’éternité de son cycle perpétuel, l’eau semble ne jamais finir ni commencer.
Le Feu et l’Eau sont souvent associés dans les rituels initiatiques de purification et de ré-génération. Ces éléments se complètent l’un l’autre, mais à différents niveaux. Si l’eau purifie l’âme jusqu’à la suprême spiritualité, le Feu rend la chose effective par la réalisation du plus haut degré de spiritualité : l’illumination. Avec l’Eau, l’être progresse lentement, tandis qu’il est complètement transformé avec le Feu.
Différents auteurs illustrent l’importance de l’eau à l’aube de l’Humanité en insistant également sur la combinaison de l’eau et la terre, et la formation de cette pâte originale, que l’homme malaxe et façonne pour lui donner une forme, donc une vie (sur un tour de potier par exemple).
L’eau c’est la vie, l’origine du monde : eau de pluie, eau de mer, eau tranquille des lacs, eau tumultueuse des torrents. L’eau est Mère et matrice, source de toutes choses. L’eau est partout, même dans les déserts, sous forme d’oasis. L’eau est l’origine et le véhicule de toute vie, le fluide vital, le sang de nos veines, la sueur de nos efforts, les larmes de nos yeux. Dans la nature, l’eau est partout. La sève des plantes, c’est de l’eau. Un arbre est un fleuve dressé vers le ciel : l’eau, par la sève, s’avance dans l’arbre à la rencontre de la lumière.
L’eau est fluide elle épouse toutes les formes qu’elle rencontre sans jamais les contrarier, l’eau suit son cours, elle semble faible alors qu’en réalité elle est la force. Des trois éléments terrestres, elle domine toujours. Que ce soit par la douceur lorsqu’elle érode les rochers au fil des siècles et dessine les côtes en forme de dentelles. Par ses colères, en torrent ou en pluie, elle soumet la terre à son courroux. Même le feu, qui possède lui aussi la vertu symbolique de purification, ne lui résiste pas. Si par hasard le feu devient vengeur, l’eau le ramène toujours à la raison.
L’eau est libre et sans attaches. Elle coule en suivant la pente du terrain ou en suivant le courant. La force de l’eau est une force féminine. Mais elle a aussi ses côtés sombres. La force de l’eau, on peut la voir lors d’une inondation ou lors des plus célèbres crues du Danube. Elle s’insinue partout, elle va dans tous les sens. On peut arrêter un incendie, on ne peut contenir une inondation.
Le symbolisme du fleuve et de l’écoulement des eaux est celui de la possibilité universelle et celui de l’écoulement des formes. C’est aussi le symbole de la fertilité, de la mort et du renouvellement.
La descente vers l’océan est le rassemblement des eaux, le retour à l’indifférenciation, l’accès au Grand Tout du Pariollon. Remonter le courant comme le font les saumons c’est retourner à la source divine, au principe.
Le fleuve descendant des montagnes, sinuant dans les vallées, se perdant dans les lacs et les mers, symbolise l’existence humaine avec sa succession de désirs, de sentiments, d’intentions, et la variété de leurs fluctuations.
La dernière propriété de l’eau, que l’on retrouve dans la religion druidique est celle du plan d’eau immobile qui se comporte comme un miroir. La poésie, l’écriture artistique comme l’opéra, ont en effet beaucoup utilisé les associations de beauté ou de calme véhiculées par l’eau dormante. L’eau y devient alors l’instrument de cet état, que nous recherchons tous dans notre for intérieur.
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Les eaux douces reviennent également dans de nombreuses histoires ou contes comme élixir de vie, de connaissance et de vérité. Les eaux calmes symbolisent l’harmonie et la paix. L’eau fait partie de tous les rites initiatiques. Tout lieu de pèlerinage a son point d’eau, sa source sacrée ou sa fontaine de guérison.
L’eau est aussi évidemment un aliment, mais c’est le seul aliment qui soit sans forme, ni odeur, ni couleur, ni goût ! Le nouveau-né ne peut se nourrir que d’aliments liquides, ce qui renvoie donc à l’eau-lait, symbole de vie et d’affection.
L’eau fait du bruit, et le chant des ruisseaux est souvent associé à l’insouciance enfantine, fraîche, claire et « gazouillante ».
L’eau-aliment a aussi une tout autre portée symbolique dès qu’elle est identifiée comme véhicule. Les civilisations qui se sont construites autour de fleuves ont intégré la notion de départ et de voyage à celle de la mort : partir loin sur le fleuve ou la mer, « c’est mourir un peu ». L’eau apparaît donc aussi comme un moyen de transport.
D’après Saintine * les Celtes utilisaient différents moyens pour faire disparaître les dépouilles humaines. Par exemple, dans certaines régions, les corps étaient enfouis dans un tronc d’arbre creusé puis ce tronc livré à la rivière. On a en effet retrouvé de tels troncs à l’embouchure du Rhin. Cette coutume mêle un culte de l’arbre, seul élément permettant de passer de la terre vers le ciel (cf. Jacques et le haricot magique) et le culte de la rivière.
À l’autre bout du monde aryen le Gange est sans aucun doute possible le fleuve le plus sacré de l’Inde, il est vénéré depuis des temps immémoriaux comme une véritable mère, dispensatrice de vie et de bienfaits incomparables. Une mère parfois redoutable, qui rappelle constamment l’évanescence des choses et l’impermanence du monde, qui emporte, submerge et dévaste. Une mère surtout protectrice et aimante, qui nourrit et féconde généreusement, qui lave ses enfants de leurs péchés et éveille en eux l’aspiration spirituelle. Aucun fleuve ne semble pouvoir revendiquer une mythologie aussi complexe et grandiose que celle du Gange. Plusieurs légendes étonnantes évoquent ainsi la descente prodigieuse de la déesse Ganga sur la terre, venue des cieux pour sauver l’humanité.
Dans la mythologie mésopotamienne, comme l’atteste le poème « de la naissance des dieux beaux et gracieux », retrouvé à Ougarit en Phénicie, l’eau est à l’origine de la création du monde et de la vie.
Les Mésopotamiens imaginent les origines du monde de la manière dont ils considèrent l’univers. Ki, la Terre est un disque flottant sur Apsou, l’Eau douce, qu’entoure un grand océan bordé de montagnes. L’ensemble est enfermé dans une sphère dont la partie supérieure constitue An, le Ciel, et la partie inférieure, le monde des Enfers. Cette sphère baigne dans la mer primordiale.
L’Enûma Elis est l’Épopée de la Création, version Sumer. Ce poème de 1 100 vers, rédigé sous le règne de Nabuchodonosor 1er (1124-1103 avant l’ère vulgaire), relate le récit le plus célèbre du mystère des origines.
Au commencement était Apsou, l’Eau douce, élément masculin primordial, étendue infinie des eaux douces souterraines et son épouse Tiamat (terme akkadien désignant la mer), l’Eau salée, élément féminin et maternel, composée de l’immensité des eaux salées. Ces deux entités suprêmes indéfinies forment un élément unique et indifférencié. Rien n’existe en dehors d’elles avant que leurs eaux ne se mêlent. L’union de ces deux éléments liquides engendre de nouveaux éléments primordiaux d’où naissent les autres Dieux et d’où surgit la Terre qui va permettre le développement de la vie humaine.
L’union d’Apsou et de Tiamat donne donc naissance au Tumulte des flots, Moummou, puis aux premières créatures divines, deux serpents monstrueux, Lahmou et Lahamou. Ces deux serpents enfantent Anshar, « Ciel Total », le principe mâle associé au monde céleste, et Kishar, « Terre Totale », le principe femelle assimilé au monde terrestre. De ces deux mondes naissent Anou, dieu du Ciel et deux autres sortes de divinités : les Igigi, petits dieux qui peuplent le Ciel, et les Anounnaki, génies des enfers. Cette pléiade de nouveaux dieux se révèle turbulente et bruyante. Elle trouble le repos de Tiamat, qui, appuyée par Apsou et Moummou, décide de les anéantir…
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* La mythologie du Rhin. Joseph Xavier BONIFACE, dit Saintine). 1798-1865. Vu la druidomanie ou la celtomanie de l’époque, nous émettons néanmoins les plus vives réserves sur cette information.
Mais revenons à nos moutons c’est-à-dire à notre beau Danube Bleu.
DOCUMENT DE TRAVAIL : LE DANUBE BLEU.
Par Franz von Gernerth.
Mon beau Danube bleu,
Si beau et si bleu,
Dans la vallée au milieu des champs
Tu coules paisiblement,
Notre Vienne te salue,
Ton ruban d’argent
Relie tous nos pays,
Et tes rives admirables.
Font battre nos cœurs à l’unisson.
Loin de ta Forêt-Noire
Tu roules vers la mer
En répandant tes bénédictions
En tous lieux où tu passes
Tu cours vers l’est
Entraînant tes frères au passage
Vivante image d’unité
Pour toujours !
Nos vieux castels te contemplent
De haut en bas
Et te saluent bien
De leurs sommets lointains ;
Et le cirque des montagnes,
Avec la lumière du matin
Se mire dans la danse de tes vagues.
Les nixes sorties de terre
Font entendre des chuchotements familiers
Ce que l’on peut voir dans le ciel
Donne à tes ondes une couleur bleue.
…………
Tu connais bien ton frère le Rhin,
Sur ses rives naît un vin divin,
On y monte également jour et nuit
La plus ferme et la plus fidèle des gardes.
Mais ne lui envie pas ses dons du Ciel
Tu prodigues maints bienfaits toi aussi
Et la main d’un brave
Protège cette patrie.
………
La barque vogue doucement sur les flots,
Aucun bruit ne trouble la nuit,
Seul l’amour veille encore,
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Le batelier murmure dans l’oreille de sa bien-aimée
Que depuis longtemps son cœur lui appartient.
Ô Ciel, aie pitié de ce couple d’amoureux,
Protège les bien toujours !
Et mène-les dans un havre de paix ;
O frêle esquif, continue toujours d’avancer.
Chez les premiers Celtes, les eaux primordiales ont donc été surtout personnifiées ou représentées sous la forme de la déesse Danu en Europe centrale (lieu de culte une île au milieu du Danube?) Danu devenue la déesse Nerthus plus au nord (lieu de culte une île dans la mer du Nord ou dans la Baltique ?)
Mais cette déesse-ou-démone, ou bien fée, si l’on préfère user de ce terme, telle qu’elle apparaît dans le druidisme antique, est déjà, elle aussi, une synthèse. C’est à la fois une déesse-ou-démone, ou fée, des eaux, mais aussi une ancêtre divine, mère des dieu-ou-démons. C’est elle qui les nomme et les individualise : le fait de dire, de nommer les choses, c’est, d’une certaine façon, leur donner une existence. Dans l’histoire de Culhwch et Olwen par exemple, un des contes figurant dans les mabinogion gallois, elle est d’ailleurs précisément la mère du dieu ou démon de la jeunesse et de l’amour, Mabon/Maponos/Oengus.
À l’instar de l’ancêtre primordiale des dieu-ou-démons et des hommes (puisque la mythologie d’Irlande est formelle à cet égard, hommes et dieu-ou-démons pour elle, ont la même origine, voire parlent la même langue, le celte), cette grande déesse-ou-démone mère aquatique, après avoir procréé avec lui notre monde, s’en est retirée ou n’y joue plus un rôle actif. Elle est devenue en quelque sorte une dea otiosa, ayant délégué son pouvoir d’intervention à ses trois principales composantes, à ses trois principaux aspects. D’où le fait que la tradition irlandaise ne nous apprend presque rien à son propos
Aspect maternel ou procréateur de la G. D. M. A. (Danubia ou Nerthus ?)
La plus ancienne divinité dont nous ayons quelque connaissance est par conséquent Danu (bia) elle-même, la déesse-ou-démone ou la fée dont toute la hiérarchie des dieu-ou-démons a reçu son nom de Tuatha Dé Danann en Irlande. C’était la mère universelle. Son époux n’est jamais mentionné nommément ainsi que nous le verrons à la fin de ce chapitre (le Bilios/Irminsul ?).
À ce propos, nous suivrons en gros la thèse du grand archéologue français Jean-Jacques HATT, qui est fondée sur l’interpretatio celtica des monuments ou de la statuaire, britto-romaine et gallo-romaine. Mais sur certains points néanmoins, nous nous en écarterons quand même, vu les réactions suscitées par ses thèses dans la communauté scientifique (il n’existe pas, par exemple, de dieu ou démon toutatis ou teutates ; ainsi que nous avons eu l’occasion de le souligner à maintes reprises, mais une multitude de divinités tribales appelées ainsi, ce que signifie justement le terme teutates qui est un nom commun, ou le nom d’une catégorie de dieu-ou-démons, et absolument pas le nom d’une entité bien précise).
A. La présence sur les images du chaudron de Gundestrup d’une divinité féminine tantôt isolée, tantôt accompagnée soit de deux personnages identiques de taille plus réduite, soit de deux personnages masculins différents, soit d’un seul personnage de sexe masculin, prouve qu’il existait dans le panth-éon ou plérôme druidique une déesse-ou-démone, ou une fée si l’on préfère user de ce terme, occupant une place bien plus importante que la pauvre Minerve romaine signalée par César. Le chaudron de Gundestrup représente la grande déesse-ou-démone-mère celtique (Nerthus ? Danubia ?), domptant un redoutable monstre carnassier, avec la collaboration de deux griffons pacifiques, et tenant aussi en respect deux éléphants, symboles du danger de mort existant sur les champs de bataille pour les guerriers. Les mercenaires celtes combattant dans les armées carthaginoises ou helléniques étaient en effet parfois confrontés à ces animaux redoutables, qui représentaient pour eux un péril mortel.
B. Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le voir, une grande déesse-ou-démone ou fée, souveraine, unique, se trouve nommée dans le panth-éon ou plérôme druidique décrit par César, par interpretatio romana.
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Ce dernier comportait, outre les trois divinités masculines, correspondant aux trois fonctions indo-européennes, une divinité féminine, assimilée par ce dernier à la Minerve romaine. Il va de soi que cette interpretatio romana est plus que réductrice, et peut être due aux préjugés du conquérant sur les femmes.
C. Cette déesse-ou-démone, ou fée, Jean-Jacques HATT a d’ailleurs commencé par l’appeler « la déesse mère » en 1965.
D. En ce qui nous concerne, et afin d’éviter toute équivoque en renchérissant sur son appellation, nous l’appellerons « la grande déesse-ou-démone mère aquatique » en utilisant un sigle, G. D. M. A.
E. D’après Jean-Jacques HATT son véritable nom apparaît sur une terrine en argile cuite, découverte à Lezoux en France. Cette inscription se lit ainsi : E… ieuru Rigani Rosmertiac. Elle peut signifier, soit…
— J’ai offert ceci à Rigani et à Rosmerta.
Soit…
— J’ai offert ceci à Rigani, autrement dit Rosmerta.
Le problème est donc le suivant : s’agit-il de deux divinités distinctes, ou de la même divinité portant deux noms différents ?
Jean-Jacques Hatt a opté pour la seconde hypothèse, en accord sur ce point avec l’opinion suivante de Dumézil apparemment : « Il semble qu’il faille reporter à la communauté indo-européenne un type de déesse-ou-démone ou fée, dont la trivalence est mise en évidence, et qui est intentionnellement liée aux dieu-ou-démons fonctionnels. Cette déesse-ou-démone ou fée, que son sexe et son point d’intersection dans les listes rattachent à la troisième fonction, est cependant active aux trois niveaux, et il semble que sa présence dans les listes exprime le principe théologique d’une omnivalence ou « polyvalence » féminine, doublant la multitude des spécialistes masculins. (L’idéologie tripartite des Indo-Européens.)
Évidemment, dans ce cas, si ce que pense ce grand spécialiste français des Indo-Européens n’est pas une simple précaution oratoire ; cela ne nous simplifie guère la tâche. Et l’on se prend à regretter la sainte et biblique simplicité du christianisme, version romaine et catholique, avec tous ses saints ou bienheureux.
Pierre-Yves Lambert, autre grand spécialiste de la culture celte sur le Continent, lui, a opté pour la première hypothèse, puisqu’il fait de Rigani et de Rosmerta, deux déesse-ou-démones, ou bonnes fées, différentes. Ce qui simplifie bougrement les choses.
D’après Jean-Jacques Hatt la déesse-ou-démone ou fée appelée Rigani = Reine, possédait en fait trois noms fonctionnels.
— Cantismerta, la distributrice à la roue.
— Catubodua/Cassibodua, la déesse-ou-démone de la guerre et de la destruction. C’était cette Catubodua/Cassibodua toujours assoiffée de sang et de meurtres qui choisissait ceux qui allaient mourir et qui accompagnait leur âme/esprit au paradis des guerriers (on appelait alors les têtes ramenées par les guerriers vainqueurs « des glands »). Rigani, tout comme Épona, figurait sur les tombes et dans les cimetières, l’une comme gardienne des tombeaux et protectrice des défunts, l’autre comme conductrice des âme/esprits.
— Et et… Alors là nous ne sommes pas d’accord avec l’identification faite par Jean-Jacques Hatt du troisième aspect de la grande déesse-ou-démone-mère aquatique, et nous reviendrons d’ailleurs sur ce point. L’autre grand spécialiste français Pierre-Yves Lambert est en effet formel, Rigani et Rosmerta sont deux divinités distinctes. En ce qui nous concerne, nous opterons donc pour l’aspect…
— Danubia (Danu/Anu en Irlande, Don au pays de Galles).
Des Romains
La Grande Déesse-ou-démone Mère Aquatique est un motif présent dans toutes les parties du monde. La jeune fille, la mère et la vieille femme : tels sont en effet le plus souvent les trois aspects de la grande divinité féminine.
La jeune fille, déesse-ou-démone ou fée, forte et individualisée ; la mère, divinité nourricière, la source de toute nourriture ; et la vieille femme, déesse-ou-démone de la mort et de la transformation.
Ce symbolisme couvre toute l’activité de la grande déesse-ou-démone-mère supérieure, dans les diverses phases de l’existence : de la naissance à la mort, et de la mort à la renaissance.
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Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, mais repetere = ars docendi, l’idée que cette déesse-ou-démone-mère aquatique est héritée d’un substrat pré-indo-européen peut être acceptée à certains égards. Il est, en effet, certain qu’elle recouvre une divinité d’une très haute antiquité. Les dieu-ou-démons de l’Inde ont, eux aussi, une Aditi pour mère commune. Il est donc incontestable que, dès leur origine (la région des sources du Rhin, du Danube, et du Rhône, au IIe millénaire avant notre ère) les Celtes ont connu une Puissance Première féminine, dont est issue toute la génération ultérieure des dieux-ou-démons, voire des hommes.
Comme toutes les déesse-ou-démones ou les fées, la grande déesse-ou-démone-mère en descendant sur le plan humain depuis la fin des temps hyperboréens, s’est morcelée dans la multiplicité.
La Déesse-ou-démone ou fée archaïque est la Déesse-ou-démone ou fée archétypale que certaines femmes ressentent naturellement, et certains hommes aussi d’ailleurs. Elle est, en tant qu’archétype, dans chaque femme et dans chaque homme. Mais pour pouvoir en saisir l’essence, il faut se connecter aux aspects de la femme les plus primitifs : la féminité, la force morale, la séduction, les menstruations, la sexualité, la grossesse, l’accouchement, l’allaitement, la relation à l’enfant, la ménopause, etc.
Cette liste non exhaustive fait appel à tout ce qui existe chez la femme depuis les débuts de l’Espèce humaine, et les femmes d’aujourd’hui sont encore très proches de cette femme archaïque, qui est avant tout un mammifère. Je ne pense pas qu’il faille penser que c’est insultant, bien au contraire.
Il est évident qu’au début de l’Humanité, les hommes ont été impressionnés par cette faculté que la femme avait de donner la vie. Leur société ne se fondait pas alors sur une discrimination sexuelle, mais sur l’importance accordée au féminin, la femme incarnant la reproduction de l’espèce et son espoir de pérennité pour ne pas dire d’immortalité.
L’existence de ce matriarcat durant la préhistoire n’est plus guère mise en doute aujourd’hui, même si ethnologues, archéologues, et anthropologues ne sont pas d’accord sur sa définition. Ce qui pose davantage problème est de savoir pourquoi et comment le patriarcat s’y est substitué pour s’imposer avec l’invention de l’agriculture, entre – 5000 et – 3000.
Dans les sociétés du paléolithique supérieur, où la mère était considérée comme la seule et unique parente, où le culte des ancêtres constituait apparemment la base des rites ou rituels, et où la généalogie ne tenait compte que de la lignée des femmes, l’image que le clan se faisait du créateur de la vie humaine, était celle d’une toute première femme déifiée comme Ancêtre Divine. Les nombreuses statuettes de femmes, qui ont été très souvent appelées Vénus, nous en fournissent des preuves tangibles. Ces statuettes retrouvées représentent, telle la Vénus de Willendorf, des femmes corpulentes dont les attributs ressortent (gros seins, gros ventre, parfois grosses vulves comme les Sheela na Gig).
Nous trouvons la même idée chez Mircea Eliade dans son livre intitulé « Le sacré et le profane ». La femme est mystiquement rendue solidaire de la Terre ; et l’enfantement se présente comme une variante, à l’échelle humaine, de la fertilité tellurique. Toutes les expériences religieuses en relation avec la fécondité ainsi qu’avec la naissance, ont une structure cosmique. La sacralité de la femme dépend de la sainteté de la Terre. La fécondité féminine a un modèle cosmique : celle de Nerthus la Terra Mater des Romains, la Genitrix universelle. Dans certaines religions d’ailleurs, la Terre-Mère est vue comme étant capable de concevoir seule, sans l’aide d’un parèdre. La grande déesse-ou-démone mère aquatique Nerthus est celle qui règne sur ce que l’on sent confusément sans le voir : l’intuition, la connaissance, l’esprit… Elle règne sur les eaux : mers, océans, fleuve, rivière, ruisseau et sources, artères et veines de la Terre Mère, sur les lacs, les puits profonds, les sentiments et les émotions.
Ces valeurs matriarcales sont souvent considérées comme une sorte d’âge d’or par certaines femmes, une vie merveilleuse et paisible… pour elles. Et certes, il est certainement toujours plus agréable d’être du côté de ceux qui gouvernent et ont le pouvoir, mais il n’est pas évident pourtant que ces périodes aient toujours été caractérisées par la plus profonde des harmonies. Le patriarcat n’est pas bon pour les femmes, puisqu’il véhicule des valeurs qu’elles doivent absorber dans leur quotidien au détriment de leurs propres valeurs, mais le matriarcat n’est pas non plus satisfaisant pour les hommes qui constituent, qu’on le veuille ou non, l’autre moitié de l’Humanité, qui doivent donc avoir les mêmes droits. Les hommes égalent les femmes en droits et en dignité. Les rivalités ou les jalousies entre femmes devaient en permanence déchirer le clan et les mâles servir de bras armé ou d’exécuteurs des hautes œuvres de telle ou telle maîtresse femme. Or les hommes et les femmes sont faits pour vivre ensemble par définition, que ce soit au stade de la petite enfance, en étant élevés
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ensemble, ou plus tard, au moment de la nécessaire reproduction de l’espèce, pas pour passer d’un état de domination à un état de soumission. L’idéal est donc de mettre en place une coopération qui prenne en compte la personne même des hommes et des femmes, afin de leur permettre de vivre, et de mourir, dans la dignité.
La religion celtique, plus tard druidique, primitive, est par définition la religion du peuple dont la langue s’est peu à peu forgée au cours du IIe millénaire avant notre ère, quelque part en Europe centrale, et plus précisément dans les Alpes, dans la zone des sources du Danube, du Rhin et du Rhône. Évidemment, puisqu’il s’agit là du berceau des peuples celtes, descendants des premiers cultivateurs indo-européens ayant remonté le Danube. Rappelons aux Français qui sont plus que jamais fâchés avec la géographie que les sources du Danube ne sont qu’à quarante kilomètres de leur cher Colmar.
— 1250 : naissance de la civilisation des Champs d’urnes en Europe centrale. Vivant dans des clairières défrichées où il y a peu de place pour les grandes sépultures, les premiers Celtes brûlent les cadavres et mettent leurs cendres dans des urnes regroupées dans des cimetières collectifs hors des villages. Mais plus tard, ils reprendront pour leurs chefs l’usage des tumuli. – 1200 : premiers champs d’urnes celtiques en Allemagne du Sud puis dans l’est de la France.
La civilisation à proprement parler « celtique » s’est ensuite lentement développée par diffusion culturelle sur un substrat de peuplement préhistorique antérieur 1).
L’existence, de la Bohème jusqu’à l’Alsace et la Lorraine, de très anciens toponymes d’origine celte pour désigner les montagnes et les rivières ; la permanence, à travers les époques successives des âges du cuivre, du bronze ancien et du bronze moyen, d’une zone de peuplement et de civilisation homogène, s’étendant sur la partie méridionale et occidentale de l’Allemagne et sur la France de l’Est, attestent l’idée qu’il s’agit bien là du berceau originel des Celtes 2).
Dans cette région, une véritable continuité se manifeste, à la fois dans les rituels funéraires (le tumulus à construction interne), les aspects divers de la civilisation matérielle (céramique et objets de bronze) et, dans une certaine mesure, dans les types anthropologiques.
Vers -900 à -800, une innovation technologique considérable vient bouleverser une civilisation relativement stable : la métallurgie du fer. Les débuts de cette métallurgie sont connus dans le sud de l’Allemagne, l’Autriche et l’est de la France : ils semblent associés à l’émergence d’une aristocratie guerrière dont le prestige repose sur l’usage de l’épée ainsi que sur la possession d’attelages d’apparat (les premiers chars celtiques). C’est la civilisation de Hallstatt. Il faut moins de cent ans pour que ces technologies se diffusent dans l’ensemble du monde celtique, preuve d’une grande cohésion de ce peuplement. Parmi les sites de cette époque, l’un des plus connus est le tombeau de la princesse de Vix, en France. Les autres sites funéraires connus sont situés en Allemagne, notamment les sépultures de Hochdorf, Waldalgesheim, Reinheim, Kleinaspergle, réalisées de la même façon (un char, des bijoux en or, torques et bracelets, des pendentifs en ambre provenant des contrées scandinaves ou baltes, des poteries en bronze originaires des cités grecques ou étrusques).
On trouve des traces d’établissement celtique dans le sud de la Pologne dès le Ve siècle avant notre ère. Ils venaient sans doute de Bohême-Moravie et s’installèrent en Haute Silésie près de Glubczyce (frontière tchèque) ainsi qu’en Basse Silésie entre Wroclaw, Legnica et le Mont Sleza (Zobten). Un autre groupe semble être venu de Moravie au IIe siècle avant notre ère, pour s’installer dans la région de Cracovie, où ils contribuèrent à la formation de la civilisation de Przeworsk.
1. Il existe une autre thèse, tout aussi sérieuse. Une vague de peuplement préceltique ou celtique de l’Europe aurait eu lieu, se superposant à un ou plusieurs peuplements précédents. Le problème est alors de savoir quand et à partir de quel foyer serait partie cette première vague. Les études de certains auteurs comme Venceslas Kruta tentent de montrer qu’en réalité l’invasion de l’Europe occidentale par les Celtes historiques (c’est-à-dire ceux qui se répandirent en Europe dans la première moitié du Ier millénaire, en provenance du « berceau » celtique d’Europe centrale) aurait été précédée dans une grande partie du Continent, au centre et à l’ouest, d’un fort substrat protoceltique remontant à une période bien plus ancienne, d’au moins six ou sept siècles. Les Celtes historiques auraient envahi des régions déjà occupées par des peuples protoceltes, ou culturellement apparentés, c’est-à-dire parlant une langue proche du celte ancien, et disposant de structures sociales ou religieuses tout aussi proches de celles de leurs envahisseurs. Le peuplement celtique de l’Europe serait donc en fait antérieur de plusieurs siècles à l’hypothèse classique, qui le date des VIIe ou VIIIe siècles avant notre ère, environ.
Certains auteurs présentent ainsi la Grande-Bretagne comme protocelte dès le XVe siècle avant notre ère, en voulant découvrir dans la civilisation dite du Wessex qui régnait alors dans cette partie du
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Monde, des caractéristiques sociales héroïques conformes à celles des premiers mythes celtiques irlandais. Issu d’un fort substrat non indo-européen, ce peuple aurait été acquis dès cette époque à des langues et à une culture indo-européennes.
De la même façon, Venceslas Kruta pense à un lien de filiation directe entre les Celtes et une civilisation plus ancienne, dite des tumulus (petite butte artificielle à vocation funéraire). Cette civilisation, qui occupait la même partie de l’Europe centrale ainsi qu’une partie de la France du Centre-Est à partir du IIe millénaire, aurait d’ailleurs fini par donner naissance aux Celtes « historiques ». Les premières migrations celtiques auraient donc commencé entre le XVIe et le XIIIe siècle avant notre ère, avec l’extension de la civilisation des tumuli et les Goidels, occupants celtes de l’Irlande, s’y seraient installés au début du IIe millénaire. Les Celtibères seraient issus d’une évolution de ces civilisations protoceltiques de l’âge du bronze, plutôt que d’une fusion entre les Celtes historiques et la civilisation précédente (même si les Celtes historiques parvinrent jusque-là et laissèrent des traces dans cette péninsule). Comment expliquer autrement, par exemple, l’apparente antériorité du peuplement celtique de la péninsule ibérique ?
Comment expliquer la facilité avec laquelle se seraient implantées les langues celtiques dans les régions conquises par eux, quand on sait le temps qu’il faut à une langue pour en supplanter une autre ? Comment expliquer l’absence de traces visibles, en ce qui concerne les mutations culturelles qu’engendre inévitablement toute invasion, dans une île au peuplement et à la culture pourtant aussi évidemment celtique que l’Irlande ?
2. Note des héritiers de Pierre de La Crau. Notre père nous a d’ailleurs toujours expliqué que le berceau de la famille en 1635 (Attancourt) faisait bien partie de cette zone de peuplement celtique initial.
Mais revenons à cet aspect de la grande déesse-ou-démone mère, méconnu par notre archéologue (Jean-Jacques Hatt) : son aspect Dana ou Danu (bia).
Le Danube est le fleuve le plus anciennement connu des Celtes. En Europe aucun fleuve ne semble pouvoir revendiquer une mythologie aussi complexe et grandiose que celle du Danube. Plusieurs légendes à son propos sont même parvenues jusqu’aux oreilles des navigateurs grecs commerçant avec la région.
Le Danube est en effet une des plus anciennes et des plus importantes routes commerciales européennes. Dès la préhistoire, ce cours d’eau servait de moyen de transport, par exemple pour les fourrures, qui furent transportées le long du fleuve sur des radeaux, ou pour l’ambre jaune de la Baltique.
Hésiode dans sa théogonie au VIIIe siècle avant notre ère, connaît déjà notre beau Danube bleu, qu’il rattache au dieu-ou-démon de l’océan (Lero ???).
« Téthys donna donc à l’Océan des fleuves au cours sinueux, le Nil, l’Alphée, l’Éridan aux gouffres profonds, le Strymon, le Méandre, l’Ister aux belles eaux… Elle enfanta aussi la troupe sacrée de ces Nymphes qui, etc. ».
Hésiode énumère toute la race des descendants de Lero, principe des eaux. Cette énumération est faite sans ordre ; Hésiode n’avait, comme ses contemporains, que des notions incomplètes en géographie : à l’exception du Nil, du Pô, du Danube et de l’Ardesque, que le scholiaste place en Scythie, tous les fleuves dont parle Hésiode appartiennent à la Grèce et à l’Asie Mineure.
Au VIIe siècle avant notre ère, les Grecs remontaient le Danube en venant de la mer Noire, en passant par la ville de Tomis, l’actuelle Constanta. Leur voyage s’arrêtait près de Bazias, où commencent les Portes de Fer, un endroit où le Danube emprunte sur plusieurs dizaines de kilomètres une vallée très étroite et encaissée, et où le lit du fleuve rendait impossible leur progression vers les Carpates du Sud, ou les monts métallifères serbes.
Selon certains, Jason et ses argonautes, sur le chemin du retour, seraient arrivés jusqu’à Ljubljana, la capitale de la Slovénie actuelle. Il s’agit bien sûr d’un récit mythologique. Ce qui est certain par contre, c’est que l’endroit fut occupé dès le néolithique, qu’un habitat lacustre s’étendait au sud de la cité, qu’Illyriens puis Celtes s’installèrent dans le bassin de la Ljubljanica, et qu’au siècle précédant notre ère, les Romains y installèrent un camp militaire.
L’autre plus ancien témoignage sur le Danube se trouve chez l’historien Hérodote (environ 484 à 430 avant notre ère).
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« Le Nil vient de la Libye, qu’il coupe par le milieu ; et, comme je le conjecture en m’aidant du connu pour expliquer l’inconnu, son cours doit au moins avoir un développement égal à celui de l’Istros. L’Istros vient du pays des Celtes et de la ville de Pyréné, il partage l’Europe en deux. L’Istros traverse donc toute l’Europe et se jette dans le Pont-Euxin, à l’endroit où les colons de Milet ont fondé Istria » (II, 33).
« L’Istros en effet traverse toute l’Europe : il naît chez les Celtes, le dernier peuple de l’Europe après les Cynètes, du côté du soleil couchant ; il traverse toute l’Europe et vient heurter le flanc de la Scythie » (IV, 49).
Hérodote, qui n’a jamais séjourné dans cette région, se réfère probablement à un texte encore plus ancien d’Hécatée de Milet, du milieu du VIe siècle avant notre ère. Nous ne possédons pas de sources plus anciennes. Le nom de Pyréné ressemble évidemment beaucoup à celui de la célèbre chaîne de montagnes séparant l’Espagne de la France, mais certains indices laissent à penser que cette ville est plutôt l’oppidum d’Heunebourg, sur le Haut Danube (près de Hundersingen en Allemagne).
Les Keltoï sont donc des « Danubiens », ce qui ne nous en dit pas plus, sauf si l’on remarque que Danube se disait Ister en grec, et qu’en grec hyster signifie aussi « matrice ». Le Danube serait donc une matrice de peuples, et même plus précisément la matrice des peuples celtes. Hérodote a sans doute été influencé par cette conception religieuse druidique puisqu’il a fait des sources du Danube le pays d’origine des Celtes.
Si Celtes se dit Keltoi en grec, remarquons qu’un peu plus au nord, en finlandais, keltos signifie… ambre. Les Keltoi seraient donc également « ceux de l’ambre » pour les Grecs. L’Ister/Danube étant manifestement la route (fluviale) de l’ambre, cela se pourrait.
Il est difficile de doter d’une source géographique toute simple un fleuve si complexe, issu tout droit des eaux primordiales (Lero). On la voudrait introuvable, cette source, perdue à jamais, mais les Romains ont su la situer avec exactitude.
Il y a eu un premier progrès dans la connaissance de la chaîne des Alpes et des sources des grands fleuves qu’elle abrite, grâce à la campagne militaire de Terence Varron contre les Salasses en 25 avant notre ère et grâce aux opérations militaires de Tibère et de Drusus, sous Auguste, en 16 et 15 avant notre ère, qui ont permis de mieux connaître la région du Rhin supérieur, du Danube, et du lac de Constance.
Ces campagnes militaires du début de l’Empire servirent aussi à corriger l’erreur d’Hérodote sur la localisation des sources du Danube, appelé d’abord seulement Istros ou Ister, et par conséquent à mieux connaître les montagnes dont est issu le fleuve. Depuis Hérodote (II, 33), repris par Aristote (Météorologie, livre I, XIII, 19), qui faisait une confusion entre les Alpes et les Pyrénées, où il situait les sources de l’Ister, on n’avait en effet guère fait de progrès.
Tibère découvre les sources du Danube après la soumission des Vindéliciens du lac de Constance, en – 16 – 15. Les textes postérieurs à cette campagne témoignent des connaissances nouvelles de la région et les situent alors avec exactitude, près des sources du Rhin, dans les montagnes de la Forêt-Noire. Strabon se pose ainsi en témoin de son temps et revendique le progrès de la connaissance de ces montagnes en donnant le repère historique de la campagne de Tibère (VII, 1, 5) : « On trouve près d’elle (la forêt Hercynienne) la source de l’Istros et celle du Rhin […] Tibère avait progressé d’une journée de marche quand il vit les sources de l’Istros ».
Il est vrai que la découverte des sources du Danube a été perçue comme un tel progrès qu’Horace l’a chantée dans deux de ses Odes (IV, 14, 15). Pomponius Méla précisa que le Danube prend sa source en Germanie et parle aussi de la découverte de ses sources ainsi que de l’assimilation enfin faite, entre le Danube et l’Istros/Ister. Il explique que c’est le cours supérieur qui est appelé Danuuius, et le cours inférieur Ister (II, 8). « Le fleuve qui sépare les Scythes de leurs voisins porte, à sa naissance en Germanie où ses sources ont été découvertes, un nom différent de celui qu’il a dans sa partie terminale ».
Pline l’Ancien cite même un nom propre (IV, 24) : « L’Hister naît en Germanie, au col du mont Abnoba ».
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Tacite reprend l’information, mais utilise le nom Danuuius, ce qui prouve que l’assimilation est vraiment faite entre les deux noms, quel que soit l’endroit du fleuve dont on parle (Germ., I, 1) : « Le Danube, qui coule des pentes douces et faiblement inclinées du col du mont Abnoba ».
Or en réalité le Danube n’a pas une source, mais deux. Il est formé par deux petits affluents. La réunion des deux forme le Danube. La Breg (nom d’origine celte) est le plus long des deux ruisseaux qui s’unissent pour former le Danube (l’autre est la Brigach, nom également d’origine celtique). Elle sourd à 1078 m d’altitude dans le massif de la Forêt-Noire au-dessus de Furtwangen. Sa source est, pour les géographes, la véritable source du Danube, car la Breg est un peu plus longue que la Brigach. C’est un site naturel. Après un cours de 49 km, la Breg rejoint la Brigach à Donaueschingen, début du grand fleuve qui parcourt toute l’Europe avant de se jeter dans la mer Noire. Le bassin versant de la Breg couvre une superficie de 291,2 km ; la source est à une centaine de mètres de la ligne de partage des eaux entre Rhin et Danube. À 200 mètres de là en effet se trouve la source d’un autre ruisseau, l’Elz, dont les eaux rejoindront, par le Rhin, la mer du Nord. La source symbolique du Danube se trouve néanmoins à Donaueschingen ainsi que nous l’avons dit, car c’est seulement à partir de là que le cours d’eau prend son nom de Danube.
À LA RECHERCHE DU PARÈDRE DE LA DÉESSE DANU.
Il est devenu fréquent de nos jours, dans certains cercles celtisants ou druidisants, de parler de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia). Certains se disent même d’ardents fidèles de son culte. Telle est notamment l’opinion de Charles Squire (Celtic Myth and Legend, Poetry and Romance. 1905). Pour cet auteur, Danubia aurait eu pour époux Bilios (Bile dans la mythologie galloise). Elle représente la terre et ses fruits. Tous les autres dieu-ou-démons sont, au moins théoriquement, ses enfants.
Peter Berresford Ellis (The Chronicles of the Celts.1999). Pour cet auteur, Danu(bia) aurait eu également pour époux Bilios et engendré Dagda ainsi que Brigitte.
Toutes ces affirmations sont pour l’instant de pures spéculations à prendre avec les plus grandes précautions.
Rappelons d’abord que Danu est une forme théorique jamais trouvée en tant que telle dans le livre des conquêtes irlandais (Lebor Gabála Érenn). Ce que l’on trouve dans ce livre, c’est la forme Danand ou Donand, notamment dans l’expression « la mère de Brian, Iuchar et Iucharba ». Les linguistes considèrent bien néanmoins effectivement cette forme (Danand) comme un génitif de Danu.
Quant au Bilios, en dépit de son association assez logique avec l’eau (source dans la forêt) rien ne prouve que c’est bien cet arbre cosmique qui serait à l’origine des dieux ou des êtres humains.
Pour ce qui est de sa signification voir l’Irminsul abattu par Charlemagne en 722 et qui était vraisemblablement un chêne sacré grossièrement aménagé (un simulacrum aurait dit Lucain).
Le nom de Bile apparaît dans le Livre des Conquêtes (de l’Irlande) sans lien avec Danu (bia) et uniquement pour désigner un des fils de Bregon ou Breogan frère d’Ith, père de Mile, et ainsi de suite.
Mais la Danu de notre documentation irlandaise correspond indubitablement par contre, à la Dôn de la littérature galloise médiévale (mère des dieu-ou-démons nommés Gwydion, Gofannnon, Amaethon, Arianrode, etc.). Et la triade de l’Île de Bretagne N° 35 considère Beli comme père d’Arianrode (Aryanrot Merch Veli). Le lien est ténu, mais plausible.
Bile/Beli… peut-il s’agir du même nom ?
L’étymologie la plus plausible du nom irlandais de Bile (voir billard ou billet ainsi que le nom déshabillé) nous ramène en tout cas au mot « bilios » qui désigne tout particulièrement un arbre sacré. Exemple le toponyme Biliomagus dans le Massif central (étymologie de la ville de Billom). Inutile de dire que, dans ce cas, l’arbre en question devait être un chêne, même si l’Irlande médiévale en a connu quelques autres. De toute façon, peu importe, pour ce qui est du symbole, l’image s’impose : l’eau et la forêt hercynienne, l’arbre et la source. Danubia et Bilios.
Notons néanmoins que dans la même région que la source de la Danu (bia), le poète latin Avienus nous parle d’une montagne appelée « colonne du soleil » (solis columna). Une colonne localisée par notre auteur à la source du Rhône, mais vu l’époque (le VIe siècle avant notre ère) on peut se demander s’il n’y a pas eu confusion. Hérodote plaçait bien la source du Danube dans les Pyrénées, alors ?
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« Il est nécessaire que je te donne plus de détails sur le fleuve du Rhône. Souffre que je m’arrête, sur ce sujet, Probus : nous dirons la naissance du fleuve, son cours vagabond, quelles nations il baigne de ses flots, quel grand avantage son cours procure aux habitants, et ses différentes embouchures. Du côté de l’orient, les Alpes dressent dans les airs leurs pics neigeux ; les campagnes celtes sont coupées par cette chaîne de montagnes, et les vents y soufflent toujours la tempête. Le fleuve, sortant de la bouche béante d’une caverne, et se répandant à travers la campagne, y creuse son lit par la violence de son courant ; il est navigable à sa naissance et dès son apparition. Le flanc de la haute montagne qui donne naissance au fleuve est appelé par les indigènes Colonne du Soleil ; sa tête monte si haut dans la région des nuages, qu’elle cache aux regards le soleil à son midi, quand il s’approche des limites du septentrion pour porter le jour. Car tu sais que telle était l’opinion des épicuriens ; que le soleil ne plonge pas sous l’horizon, qu’il ne s’enfonce dans aucune mer, qu’il ne se cache jamais, mais qu’il fait le tour du monde, suit une course oblique dans le ciel, donne la vie à la terre, nourrit de sa lumière bienfaisante l’immensité des cieux ; enfin que Phébus refuse tour à tour à certaines régions son ardent flambeau (une montagne s’y oppose avec son haut sommet qui, se prolongeant depuis l’occident jusqu’à l’extrême septentrion, divise en deux parties l’étendue du monde et la route du soleil). Lorsque le soleil a dépassé son midi, qu’il a incliné sa lumière vers l’Atlantique, afin de porter ses feux chez les Hyperboréens les plus reculés, puis de reparaître pour les contrées Achéménides (Perse), il se dirige, en suivant son orbite, vers cette autre partie de l’espace ; il dépasse la limite du mont en question, et quand il a dérobé à notre vue son éclat, une sombre nuit descend du ciel, d’épaisses ténèbres couvrent aussitôt nos climats ; mais un jour brillant éclaire alors ceux qui habitent, au-dessus de nous, le rigoureux septentrion. Quand de nouveau l’ombre des nuits enveloppe la grande ourse, toute notre race jouit alors d’une lumière éclatante » (Aviénus. Les régions maritimes).
Nous sommes là bien plus près de l’image du mont Mérou indien que du frêne Yggdrasil des Germains ou de l’Irminsul saxon.
Pétrone : Satyricon, 122. « Dans les Alpes proches des cieux, à l’endroit où le dieu grec [Graius ?] a écarté les roches qui descendent vers la plaine et se laissent aborder, il est un lieu consacré où se dressent des autels d’Hercule : l’hiver, une neige durcie l’entoure de toute part et dresse sa blanche tête vers les astres. On croirait que, pour lui, alors, il n’est plus de ciel ; jamais il ne s’adoucit, aux rayons d’un soleil déjà haut ni à la brise printanière ; des aiguilles de glace le hérissent, ainsi que les frimas de l’hiver ; il pourrait supporter, sur ses épaules menaçantes, la voûte du ciel tout entière ».
BALLADE IRLANDAISE.
Sous le nom de ANU//ANA les bardes irlandais (ah ces bardes !) ont accentué le caractère Nerthus ou terrestre de la grande déesse mère aquatique Danu (bia), mais ils en ont quand même gardé l’essentiel.
Le Sanas Cormaic ou glossaire de Cormac, un vieux dictionnaire irlandais du IXe ou Xe siècle, précise : Ana.i. mater deorum hibernensium. Robumaith din rosbiathadsi na dee (deos. de cujus nomine anæ dicitur.i. ímbed 7 de) cujus nomine da cich (n) Anainne iar Luachair nominantur ut fabulaverunt (vel fertur). vel ana quod est annio vel aniud graece quod interpretatur dapes.
Autrement dit : Ana i.e. mater deorum hibernensium. Mère nourricière des dieux (deos de cujus nomine anæ dicitur.i.e abondance) et de cujus nomine les deux tétons d’Anu situés à l’ouest de Luachair nominantur ut fabulaverunt (vel fertur). Vel ana quod est annio vel aniud graece quod interpretatur dapes.
Ana est donc aussi la mère biologique ou la nourrice des dieu-ou-démons, dits enfants de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu (bia), en Irlande et plus précisément des trois dieu-ou-démons de Danu.
Mais, comme le dieu ou démon Janus qui avait deux faces, Anu est non seulement une déesse-ou-démone ou fée de la fertilité, mais aussi une déesse-ou-démone de la mort, du monde souterrain et de l’au-delà, régnant sur les marais (ana, en celte), considérés comme l’entrée des enfers. Déesse-ou-démone ou fée de la vie et de la mort, elle est à la fois, comme la terre elle-même, symbole de la fécondité certes, mais aussi de la décomposition, tout naissant de la terre et retournant à la terre.
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D’où les célèbres vers du grand poète parisien que fut Villon (Ballade pour prier Notre Dame).
Dame du ciel, régente terrienne
Impératrice des infernaux palus…
Le culte de la déesse-ou-démone ou fée Anu s’est perpétué, soit dans celui de sainte Anne, mère de la vierge Marie et patronne des Bretons ou des Canadiens, soit dans le culte de Marie en tant que « vierge noire ». Lorsque le grand poète parisien François Villon prie Marie en la nommant « impératrice des marais infernaux », il veut dire par là que Marie règne, comme Danu/Anu sur le monde souterrain, dont les marais sont un accès.
Les Germains celtisés que sont les Cimbres ou les Teutons avaient fait de la grande déesse-ou-démone mère celtique une simple terre mère, avec leur Nerthus. Du moins d’après le Romain Tacite, car sa demeure est un lac ou une île. Même phénomène donc de localisation tardive par évhémérisation et dégénérescence du mythe en Irlande, avec la légende concernant les deux collines de la région de Killarney, comté de Kerry, dans le Munster, qui sont appelées « Da chich Anan », les « deux seins d’Anu » si l’on en croit le glossaire de Cormac. Dans son livre consacré à la religion celtique, Jan De Vries lui-même reconnaît que cela désigne bien une déesse-ou-démone ou bonne fée de la fertilité, que cela exprime avec évidence que cette Anu ou Ana est assimilée à l’eau-mère, qui donne la fertilité au Munster, et non pas au Munster seulement d’ailleurs, mais à toute l’Irlande. L’île, en effet, s’appelle aussi « iath nAnnan » ce qui signifie « terre ou pays d’Anu ».
Certains auteurs avancent une autre hypothèse. On retrouverait le nom d’Anu dans l’Anaitis/Anahita irano-aryenne et l’Annapurna des Indo-Aryens, ce qui veut dire Anna la pourvoyeuse, appellation attribuée ensuite à un sommet de l’Himalaya, ainsi que dans l’Anna-Perena des Romains. Donc une Déesse-ou-démone-mère primordiale indo-européenne, mère des dieu-ou-démons et des mortels.
Que nos lecteurs comme d’habitude se fassent leur propre opinion après mûr examen des faits. Tout cela est secondaire ! Ce qui compte c’est l’esprit et non la lettre de notre démarche spirituelle ! Nous ne sommes pas des gens d’un seul livre, mais de douze. Nous sommes des Fénianes.
DOSSIER : LA DÉESSE DANU DANS LA STATUAIRE BRITTO-ROMAINE OU GALLO-ROMAINE.
Sur le chaudron de Gundestrup, Danu/Nerthus est, de toute évidence, au centre du mythe, dont elle est le personnage principal. Elle y paraît en majesté, souveraine de la terre au côté de Taran/Toran/Tuireann, protectrice des guerriers. On la voit par exemple tenant en respect les éléphants, donc protégeant par là les mercenaires celtes combattant contre ces monstrueux auxiliaires des armées carthaginoises ou méditerranéennes.
Par la suite, au cours de la période romaine, et toujours pour le grand archéologue français Jean-Jacques Hatt, on assistera donc à deux phénomènes inverses, mais concomitants.
a) Le dédoublement de la grande déesse-ou-démone mère aquatique Danu en deux ou trois épigones « romains » bien séparés : Minerve, la Fortune, Junon. La première constatation qui s’impose en effet dans son cas est l’importance (relative) du culte de Junon chez les Britto-Romains ou Gallo-Romains. De nombreuses inscriptions en témoignent. Mais nous avons aussi Diane et Vénus, Vénus et la Fortune.
b) L’élévation de certaines divinités spécialisées au rang de déesse-ou-démones ou fées polyvalentes, par suite des besoins et des exigences des fidèles. Un certain nombre de divinités secondaires, archaïques ou récentes, comme les déesse-ou-démones-mères, Épona, Sirona, voire les déesse-ou-démones ou fées, des rivières des fleuves et de la Mer, comme Sequana [et l’on pourrait y ajouter la Boinne en Irlande] sont présentées dans leurs figurations de telle façon qu’elles prennent la forme et l’aspect de la grande déesse-ou-démone mère aquatique Danu (Rigani chez Jean-Jacques Hatt).
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Les divinités qui vont être brièvement passées en revues ci-dessous par Jean-Jacques Hatt, qu’il s’agisse de Junon Reine, de la Fortune, de Diane, de Minerve, ou de la Victoire, appartiennent toutes, en apparence, à un panthéon purement gréco-romain. Pourtant, suivant le processus bien connu de l’interprétation celtique des images et des concepts helléniques, puis romains, elles recouvrent des divinités ou des concepts d’origine druidique. Cela est particulièrement vrai pour Junon Reine, qui n’est autre que la forme romanisée de la Danu celtique. D’autres divinités, comme la Fortune, Minerve, la Victoire, isolément, ou en couples, sont chargées de représenter les différentes fonctions de Rigani, en s’identifiant partiellement avec elle.
Interpretatio druidica de Jean-Jacques Hatt.
Sur quelques chapiteaux d’art helléno-celtique trouvés à Saint-Rémy (en Provence) est représenté un groupe de divinités comprenant un Taran/Toran/Tuireann barbu, associé à trois divinités différentes, représentant les trois formes de la déesse-ou-démone ou fée, souveraine. Les trois divinités associées sur ce chapiteau de Glanum, permettent de mieux se représenter concrètement le concept de la triple compétence de Danu, ainsi que ses dédoublements ultérieurs, dans la pratique du culte, en plusieurs divinités gréco-romaines différentes, composant donc, en quelque sorte, ses hypostases : le plus souvent Junon, Minerve, la Fortune, parfois Vénus. La présence de Vénus dans la triade de divinités présentée au jugement de Pâris par Hermès, sur le mont Ida, était connue des druides indigènes, qui l’ont probablement interprétée dans le sens de leurs propres traditions religieuses. Comme l’a fait le druide ayant expliqué à Lucien de Samosate l’interprétation celtique d’Hercule.
Interpretatio druidica de Jean-Jacques Hatt.
Une déesse-ou-démone ou fée, reine, indigène, est connue en Alsace : c’est la dea Rigina Candida, qui est invoquée sur deux bas-reliefs inscrits découverts à Ingwiller, malheureusement détruits par l’incendie de Strasbourg en 1870, mais dont le souvenir nous a été conservé par deux dessins du chanoine Straub.
La graphie de la seconde inscription « Deae Can… Riginae… ex voto p. l. l. m. » est particulièrement intéressante, car elle atteste la survivance d’une forme provinciale : Rigina, du celtique Rigani. Sur l’un des bas-reliefs, la déesse-ou-démone ou fée, reine, est accompagnée d’un compagnon masculin, sur l’autre, de deux parèdres, probablement féminines.
La liste des inscriptions mentionnant Regina Candida s’est récemment accrue de deux exemplaires, mis au jour à l’occasion des fouilles exécutées par le Landesdenkmalamt du Bade-Wurtemberg dans un sanctuaire voisin du camp du Limes à Osterburken. Il s’agit de deux autels, dédiés l’un à Deae Candidae Reginae, l’autre à Diae Candide Regine.
Interpretatio druidica de Jean-Jacques Hatt.
Une statuette en bronze, trouvée à Strasbourg, au bord de l’Ill, mais aujourd’hui disparue, nous présente une Fortune drapée, tenant de la main gauche une corne d’abondance et de la main droite un gouvernail. D’une grappe de raisin qui déborde de la corne d’abondance, sort un aigle. Le fait que l’aigle de Jupiter soit posé sur la corne d’abondance exprime l’idée de l’union de Jupiter-Taranis avec l’Abondance, autre forme de la déesse-ou-démone ou fée Danu-Cantismerta. Cette union favorise la fertilité du sol et l’abondance des récoltes. Il s’agit là encore d’une interprétation celtique de la déesse-ou-démone Fortune, en tant que distributrice des biens terrestres, par la voie céleste. C’est dire que la Fortune est ici assimilée à la forme céleste de la déesse-ou-démone ou fée souveraine des druides.
Interpretatio druidica de Jean-Jacques Hatt.
Espérandieu Émile 4475 : la Fortune assise, drapée, couronnée d’un diadème, dans une niche au sommet arrondi. Elle tient de la main droite une patère, de l’autre main une corne d’abondance. À sa droite une boule, à sa gauche, posée sur le sol, un bouclier. Cette représentation illustre la polyvalence de la Fortune : souveraine du monde, en raison du diadème qui couronne sa tête, et du globe qui est posé à sa gauche, présidant aux drames de la guerre et de la défense, en vertu du bouclier qui se trouve à sa droite. Elle contribue également à prouver que la Fortune a été une des formes prises, dans l’interprétation celtique, par Danu.
Interpretatio druidica de Jean-Jacques Hatt.
La déesse-ou-démone ou fée aquatique, a pris l’aspect, à Naix (déesse-ou-démone ou fée de Naix Nº 1) d’une matrone, mais cette matrone dérive en droite ligne de la déesse aquatique celtique Danu, car son monument conserve le souvenir du code des signes religieux laténiens. Toutefois, cette divinité,
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accompagnée de ses servantes, prend simultanément un aspect très réaliste, celui d’une grand-mère. Ses deux servantes, porteuses de cruches, la rattachent au culte des sources.
La déesse-ou-démone ou fée souveraine Danu, sous la forme de Cantismerta, distributrice à la roue, a aussi pris l’aspect, à Naix (déesse-ou-démone ou fée de Naix Nº 2) d’une déesse-ou-démone ou fée assise, le torse nu, la partie inférieure du corps drapée. Les deux X de son siège sont remplacés par deux cornes d’abondance croisées en sautoir. Une roue repose sur le siège, à droite de la divinité. S’il s’agit là d’un type iconographique classique de l’art gréco-romain, la Fortune ; il est modifié dans le sens de l’interprétation indigène, pour représenter la divinité aquatique souveraine dans ses fonctions cosmiques, comme elle partage avec son époux saisonnier, Taran/Toran/Tuireann, le pouvoir sur la foudre et sur le temps qu’il fait ; elle est aussi distributrice des fruits de la terre. Si ses cornes d’abondance sont disposées en sautoir, c’est pour rappeler par ce signe en X, la puissance fécondante de la foudre, déjà évoquée par la présence de la roue placée verticalement sur le siège à droite de la déesse-ou-démone. Ou de la fée, si l’on préfère ce terme.
Interpretatio druidica de Jean-Jacques Hatt.
Sur une stèle à quatre divinités mise au jour en 1949 à Toul : au centre, Jupiter, le torse nu sur un siège à dossier. Il est accompagné, à sa droite, par une divinité féminine, le torse également découvert (ses seins, bien marqués, ainsi que son ventre légèrement proéminent, démontrent clairement son sexe). Elle est assise et repose son pied sur une sphère en réduction. Elle tient de la main gauche une corne d’abondance. À gauche du dieu-ou-démon, un personnage debout, également le torse nu, représente peut-être Hesus. La sphère, la corne d’abondance, le sexe féminin de la déesse-ou-démone ou fée, caractérisent à l’évidence Danu, en tant que divinité souveraine de l’eau responsable de l’abondance. L’ensemble représente un épisode condensé des tribulations de la déesse-ou-démone ou fée Danu.
Interpretatio druidica de Jean-Jacques Hatt.
Le dessin soigné, paraissant exact et relativement fidèle, d’un monument disparu provenant du sanctuaire du Châtelet (Espérandieu Emile. VI 4742), nous conserve le souvenir d’une Fortune assise, l’épaule droite dénudée. Elle tient de la main droite une corne d’abondance, appuyée sur un autel, et de la gauche un globe entouré d’un ruban formant une croix. Sur chacun des deux autels encadrant le siège de la divinité, repose un pied d’enfant, vestige d’une statue disparue. La déesse-ou-démone ou fée, si l’on préfère ce terme, était donc entourée de deux personnages enfantins.
Je pense qu’il y a là une image de la déesse-ou-démone ou fée, reine, souveraine du ciel et de la terre, accompagnée des dioscures ou jumeaux divins celtes. Le globe symbolise non pas la Terre, mais l’univers, et associe en une seule et unique sphère, les deux hémisphères, l’une du monde inférieur, l’autre du monde supérieur. Les deux jumeaux étaient précisément les symboles des deux hémisphères. Nous avons vu plus haut que la mythologie druidique leur avait attribué le rôle du passage d’un hémisphère à l’autre. Quant au ruban formant une croix, il me paraît symboliser la puissance sidérale de Taran/Toran/Tuireann, maître du feu du ciel, associé à la déesse-ou-démone ou fée souveraine représentée en Fortune.
Interpretatio druidica de Jean-Jacques Hatt.
Sur un chapiteau de Toul, aujourd’hui en mauvais état, mais dont le développement, par chance, en un état meilleur et plus ancien, nous a été conservé par un excellent dessin (Espérandieu Émile. 4107), un groupe de trois divinités comprend : au milieu, un Jupiter nu, ayant à sa droite une Minerve casquée, cuirassée ; à sa gauche une Vénus nue tenant à la main gauche une torche. Ce groupe ternaire est encadré par deux groupes de trois géants anguipèdes.
L’ensemble a certainement la même signification que celui du Jupiter cavalier à l’anguipède.
Le Jupiter Taranis, au milieu, est accompagné et assisté, dans sa lutte contre les Titans, personnifiant les forces vives et indomptées de la terre (les Andernas sur le Continent, les Fomore en Irlande), par une Minerve, à sa droite, qui symbolise l’aspect guerrier de la déesse-ou-démone ou fée souveraine Danu, et à sa gauche par la Vénus à la torche, qui en symbolise l’aspect chtonien et infernal. Le chapiteau de Toul exprime donc à la fois l’idée d’un conflit, d’une victoire, puis d’une réconciliation entre la puissance céleste et les forces vives de la terre. Cette harmonie retrouvée s’exprime par la présence, aux côtés de Jupiter, de Vénus à la torche, symbole de la déesse-ou-démone ou fée reine dans ses fonctions chtoniennes et funéraires.
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Interpretatio druidica de Jean-Jacques Hatt.
La découverte, en 1973, à Kerguilly-en-Dinéault, d’une grande statuette représentant une divinité celtique de la guerre, permet de retrouver la figure de Danu dans son aspect guerrier.
La comparaison avec une stèle de Birrens, du Musée d’Édimbourg, est fort instructive. Si la déesse-ou-démone ou fée figurant sur ce monument porte le nom de Brigantia, c’est parce que cette divinité n’est autre qu’un avatar régional de Danu. En effet, elle porte sur le cimier de son casque le signe trifide de la déesse-ou-démone ou fée souveraine. Elle tient à la main gauche une pomme, une lance de la main droite. Son bouclier est schématisé à l’extrême, à sa gauche par un simple segment de cercle en relief. À sa droite, une stèle repose sur le sol. La pomme comme la stèle font allusion au culte des guerriers morts, dont la déesse-ou-démone ou fée, si l’on préfère user de ce terme, est la protectrice. Il s’agit donc ici de la fonction tutélaire sur les défunts, assurée pour les guerriers par cet épigone de Danu.
Interprétatio druidica de Jean-Jacques Hatt. Sur le fronton d’un petit édifice cultuel d’Alésia, situé sur l’aire du temple principal vraisemblablement dédié à Taran/Toran/Tuireann, figure une des représentations de l’un des épisodes du mythe de Danu : sa montée vers le ciel pour rejoindre son époux Taranis. Sur ce fronton, Danu est représentée alors qu’elle est enlevée vers le ciel par deux amours. Le sommet de la coiffure de la déesse-ou-démone ou fée, si l’on préfère ce vocable, est constitué par deux touffes de cheveux dressés au-dessus de la tête, et se terminant par un motif évoquant la fausse lyre, symbole de Danu.
Interpretatio druidica de Jean-Jacques Hatt.
Le groupe des trois lièvres fait partie du folklore de l’Est de la France et en Alsace. S’agit-il d’une série d’offrandes, rituellement conservées dans les usages populaires, longtemps après que leur signification eut disparu ? Des lièvres sont offerts à la déesse-ou-démone ou la fée par des jeunes gens, sur un bas-relief d’Entremont (Espérandieu. 7844). Des lièvres offerts à cette date ? Serait-ce la lointaine justification des usages folkloriques du lièvre de Pâques ? Nous sommes dans le domaine des pures hypothèses, mais je pense que c’est dans ce sens qu’il faut chercher des preuves précises et convaincantes, soit dans le folklore, soit dans la littérature et les traditions celtiques insulaires.
Quant aux pommes d’or des Hespérides, il faut observer que les pommes sont souvent portées dans le giron des déesse-ou-démones mères, qui sont parfois en étroit rapport avec la déesse-ou-démone ou fée, reine, Danu, si elles ne sont pas confondues avec elle. Nous savons que les pommes avaient, aux yeux des Celtes, une valeur de talisman, pour le passage d’un monde à l’autre.
Interpretatio druidica de Pierre de La Crau.
Comment alors concilier ces différentes conceptions de la grande déesse-ou-démone mère aquatique ?
Par la philosophie druidique des cinq niveaux de vérité (pempedulie) dans lesquels peut résider tout dieu ou démon.
Son état suprême, invisible, inaccessible à l’œil humain ; en l’occurrence et pour la G. D. M. A. celle de mère de tout ce qui vit.
Les hypostases de cette forme suprême, rendues nécessaires par notre condition humaine.
Éventuellement des incarnations passagères plus précises, beaucoup étant néanmoins fort controversées. La diversité foncière de la grande déesse-ou-démone mère aquatique s’exprime tout naturellement dans ces hypostases et ces incarnations. Henri Lizeray lui-même a longtemps hésité entre Épona (qu’il assimile à Proserpine) et cette Fata Dana ou Morrigani. La citation exacte est : « Notre-Dame en laquelle on peut reconnaître Proserpine ou la fée Morgane des temps anciens » (Henri Lizeray. Ogmios ou Orphée).
La présence invisible de la déesse-ou-démone, ou de la fée, dans l’âme/esprit humaine.
La forme, enfin, sous laquelle on peut lui rendre hommage, c’est-à-dire la statue, la représentation, ou le symbole (simulacra/arcana – en sanscrit –-) dans lesquels une cérémonie de consécration a introduit comme un reflet de la divinité.
Conclusion (toute provisoire selon nous) de Jean-Jacques Hatt.
D’après Jean-Jacques HATT, la grande déesse-ou-démone mère aquatique est tantôt triple, tantôt double.
Cette apparente anomalie résulte de la réunion, en Danu (bia), de deux conceptions provenant de traditions différentes.
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Le « principe théologique » indo-européen des trois fonctions, le concept, d’origine préceltique (chamane ??? Appartenant à la civilisation des peuples chasseurs-cueilleurs), de la participation de la divinité à deux espaces distincts. Dans le mythe en effet, l’existence de la grande déesse-ou-démone mère aquatique est continuellement, ou plutôt successivement, partagée entre les deux parties de l’univers : la partie céleste avec Taran/Toran/Tuireann, et la partie chtonienne avec le Suqellos Dagda Gargant. Cette dualité apparemment est antérieure à la réforme indo-européenne des druides, puisque l’on retrouve la même conception chez certaines divinités plus anciennes, comme Nerthus la Terre Mère d’après le Romain Tacite, même si elle siège dans une île, qui présente également deux hypostases : une Fortune-Déesse-ou-Démone-Mère, de l’espace supérieur, et une Vénus-déesse-ou-démone, ou fée, des eaux, des espaces inférieurs.
Les signes ou symboles de la grande déesse-ou-démone mère aquatique Danu.
Avant la conquête romaine, Danu domine par ses signes, dans l’art celtique, les représentations symboliques des dieu-ou-démons et de leurs rapports mythiques. Les symboles de sa puissance figurent dans la décoration des objets les plus divers : récipients, armes, bijoux, monnaies. En raison même de sa double, ou triple nature, Danu est certainement de toutes les divinités celtiques, celle qui possède le plus grand nombre de symboles sur le Continent.
La puissance féminine est aussi symbolisée par le losange. Le losange est symbole de la femme dont il représente le sexe et par conséquent la fécondité. Un autre des signes les plus anciens est constitué par trois cercles groupés en triangle isocèle, ou trois globules, ou trois cabochons ; il a fait sa première apparition dès l’époque hallstattienne finale, pour continuer d’exister pendant toute la période de la Tène. Ces multiples symboles de la grande déesse-ou-démone mère aquatique que notre auteur désigne sous le vocable Rigani (= reine), correspondent, à n’en pas douter, à la pluralité de ses fonctions : les trois disques représentent sa triple nature, sidérale, chtonienne, terrestre, la fausse lyre aux extrémités retournées, ainsi que les boucles étranglées, symbolisent sa souveraineté, les deux esses symétriques affrontées, sa double nature sidérale et chtonienne, le cœur sa féminité ainsi que sa maternité, le bouclier d’amazone (pelte) son pouvoir de protection des guerriers, le pistil, ses liens avec la fécondité de la nature et son pouvoir de distribution des biens terrestres. Elle partage aussi avec Taran/Toran/Tuireann la roue, symbole du ciel foudroyant et de la foudre fécondante, mais aussi roue du destin ou roue cosmique. Bref, cet ensemble de signes, en général associés dans le décor celtique à ceux des autres dieu-ou-démons, constitue donc une sorte de livre ouvert sur les croyances et les mythes, à l’usage d’une civilisation qui ne recourait guère à l’écriture. En même temps, ils possédaient une valeur magique de talisman, protégeant leurs porteurs dans la vie comme dans l’outre-tombe.
Sur le chaudron de Gundestrup, Danu/Nerthus est par exemple, de toute évidence, au centre du mythe, dont elle est le personnage principal. Elle y paraît en majesté, souveraine de la terre au côté de Taran/Toran/Tuireann, protectrice des guerriers. Avons-nous dit.
Après la conquête romaine les figurations de Junon semblent bien représenter une survivance de cette grande déesse-ou-démone mère cosmique dans sa double nature, aquatique et chtonienne, avec une nette prédominance de la première fonction, attestée d’ailleurs par son titre de Regina, et son épithète de Candida, en Alsace, à Ingwiller. Et de même la déesse-ou-démone ou fée, Romaine, Fortune, a parfois aussi pris la place de la déesse-ou-démone ou fée Rigani Cantismerta dans la statuaire. C’est en effet, avec Junon et Minerve, la seule déesse-ou-démone ou fée qui soit dite, tantôt reine (rigani), tantôt sainte.
Sur des séries de chapiteaux de Saint-Rémy de Provence (Glanum), par interpretatio celtica, elle apparaît sous trois aspects, accompagnée d’un Taranis barbu. Cantismerta, portant le diadème de la souveraineté, la Catubodua/Cassibodua coiffée, suivant l’usage des figures hellénistiques de l’Afrique, d’un trophée d’éléphant, et enfin une déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère user de ce terme, chtonienne, distributrice et tutélaire, aux cheveux dénoués.
Cette image rappelle, de toute évidence, celle du chaudron de Gundestrup, sur laquelle on la voit tenant en respect les éléphants, donc protégeant par là les mercenaires celtes combattant contre ces monstrueux auxiliaires des armées carthaginoises ou méditerranéennes.
Cette accumulation des trois fonctions sur une seule divinité de type féminin est conforme à un concept indo-européen, remarquablement perçu et mis en valeur par G. Dumézil. Cependant, à cette trifonctionnalité s’ajoute une bipolarisation. La déesse-ou-démone ou fée en question est double pour ce qui est de ses déplacements saisonniers entre les deux parties de l’univers, les deux espaces cosmiques séparés par la surface de la Terre entre eux : céleste avec Taran/Toran/Tuireann dans le ciel, mais aussi chtonienne avec le Suqellos Dagda Gargant !
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Cette alternance, qui lui confère une dimension supplémentaire, remonte à des conceptions sans doute antérieures aux idées des Indo-Européens sur le classement ternaire des fonctions, correspondant aux classes sociales. Elle est aussi très répandue dans les populations étrangères aux Indo-Européens. On la retrouve aussi bien en Égypte qu’en Chine. D’ailleurs, l’apparition, au IVe siècle, sur certaines œuvres celtiques, du symbole de l’esse encerclée ou Yin Yang, révèle probablement une influence extrême-orientale sur les conceptions religieuses des Celtes, au temps des royaumes combattants de la Chine, le tout par l’intermédiaire des peuples scythes. Mais les Celtes n’avaient nullement attendu cette époque pour faire voyager leurs déesse-ou-démones ou fées entre les deux parties de l’univers. S’ils ont adopté le signe de l’esse encerclée ou du Yin Yang, c’était pour exprimer leurs propres croyances au dualisme de l’univers.
Il est néanmoins vraisemblable que les druides, remaniant les croyances en fonction des concepts indo-européens, se sont efforcés de rassembler, sur la tête de cette divinité, les fonctions de multiples déesse-ou-démones ou fées préexistantes remontant à des périodes diverses.
L’unité de Danu est donc une unité nominale, couvrant des traditions plutôt disparates.
Conclusion tout aussi provisoire de Pierre de La Crau.
DANUBIA, CANTISMERTA, ET CATUBODUA/CASSIBODUA, symbolisent donc respectivement.
A. La création. La femme est la mère, la procréatrice. Mais aussi la croissance, le développement et la préservation. Étant Déesse-ou-démone ou fée de la Terre, au sens large, c’est-à-dire y compris ses eaux, elle est aussi celle de la Souveraineté, le roi ne peut obtenir le pouvoir qu’en l’épousant lors d’une cérémonie solennelle.
B. La croissance, le changement et, donc, l’illusion ; de même que la lune change d’aspect, la grande Déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère user de ce terme, endosse tour à tour de nombreux rôles. La jeune fille, la mère et la vieille femme sont le plus souvent les trois aspects de la grande divinité féminine.
C. Le Déclin la Destruction et la Mort, la déesse-ou-démone de la Nuit et du Monde d’en bas, de la grotte et de la tombe. Car ce qui naît doit grandir, vieillir et mourir. La grande déesse-ou-démone mère aquatique, sous sa forme Catubodua/Cassibodua, présidera par conséquent à la destruction de l’univers. Catubodua/Cassibodua est donc aussi la déesse-ou-démone de la fin des cycles (setlokeniae). Des cycles dont l’incroyable longueur (pour l’époque) faisait rire les Romains et les Grecs comme Strabon.
Dans le Livre IV chapitre IV section 4 de Strabon on trouve en effet le passage suivant :« Les druides, mais aussi tous les autres, disent que les âmes ainsi que l’univers, sont indestructibles, mais qu’un jour le feu et l’eau prévaudront sur eux ».
Et dans le livre de Lismore ((fo.151, b 2).
« Trois ans pour le champ (assolement triennal ?).
Trois durées de vie du champ pour le chien.
Trois vies de chien pour le cheval.
Trois vies de cheval pour l’être humain.
Trois vies d’être humain pour le cerf.
Trois vies de cerf pour le merle.
Trois vies de merle pour l’aigle.
Trois vies d’aigle pour le saumon.
Trois vies de saumon pour l’if.
Trois vies d’if pour le monde du début à la fin ».
Que notre auteure préférée [Éléonore Hull, « « Le faucon d’Achill ou la légende des plus vieux animaux du monde », Folklore, Tome. 43, No.4 (1932) : pp. 376–409] commente ainsi.
« Nous arrivons ainsi à 59 050 ans, soit deux multiples de trois en plus que le calcul de Westminster, qui nous donne 6561 ans ; c’est-à-dire la durée de vie d’un saumon dans la liste irlandaise ».
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C’est d’ailleurs Catubodua qui, en Irlande, sous le nom de Morrigani, prophétisera les âges sombres à venir (pour l’Humanité). Se faire les échos relayant cette prophétie et tout faire pour sortir le plus vite possible, et sans trop de dégâts, de cette Kâli Yuga celtique ; sera d’ailleurs une des tâches fondamentales des druides primordiaux. Car il est évident qu’aucun druide digne de ce nom ne peut accepter de gaieté de cœur une telle situation, et qu’il faut tout faire pour l’éviter, ou du moins pour en sortir le plus rapidement possible.
« Paix jusqu’au ciel
Du ciel jusqu’à la terre
Terre sous le ciel
Force à chacun ».
Ça, c’est la première partie du message, dont les druides se font l’écho d’âge en âge depuis, depuis… des milliers d’années. C’est un idéal positif (paix, santé, force…) et les druides sont évidemment heureux de le répéter sans cesse en le faisant connaître aux quatre coins du monde.
La deuxième partie du message de la grande déesse-ou-démone mère aquatique par contre, n’est reprise par les druides que pour dénoncer ce qui ne va pas dans la société :
« Je verrai un monde
Qui ne me plaira pas
Été sans fleurs
Vaches sans lait
Femmes sans pudeur
Hommes sans courage
Captures sans roi
Arbres sans fruits
Océan sans frai
Mauvais avis des vieillards
Mauvais jugement des juges
Chaque homme sera un traître
Chaque garçon un voleur
Le fils ira dans le lit du père
Le père ira dans le lit du fils
Chacun sera le beau-père de son frère
Le fils trahira son père
La fille trahira sa mère
Un mauvais temps ».
Ça évidemment c’est moins gai, mais c’est bien la situation que nous vivons actuellement, qui oserait le nier ? On ne peut que constater (ou répéter) cette vérité. Pour plus de détails sur cette prophétie quelque peu inquiétante, voir notre fascicule sur l’éthique.
D. Certains ajoutent à cette grande déesse-ou-démone ou fée un quatrième aspect, celui de la renaissance, car de la mort surgit toujours la vie en définitive. « Ils se vantent d’être issus de Dis Pater 1), tradition qu’ils disent tenir des druides. C’est pour cette raison qu’ils mesurent le temps, non par le nombre des jours ; mais par celui des nuits. Ils calculent les jours de naissance, le commencement des mois et celui des années, de manière que le jour suive la nuit » (César. B. G. VI, 18).
1. Ce qui est exact à condition de bien comprendre qu’il s’agit dans ce cas des corps physiques seulement et non de la totalité de l’être humain ; c’est-à-dire y compris son âme et son esprit.
NOTES À PROPOS DE L’AMBIVALENCE ORIGINELLE DE LA DÉESSE DANU.
Comme toute eau qui coule, comme toute rivière, le Danube est femme, le Danube est mère. Une mère redoutable qui emporte, submerge, dévaste. Mais une mère protectrice aussi, qui féconde et nourrit. Le Danube tient donc une place extrêmement importante dans la religion druidique originelle
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qui est, rappelons-le, par définition, celle des peuples vivant dans cette région des Alpes vers le IIe millénaire avant notre ère.
C’est en effet plus qu’un fleuve, c’est la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère ce terme, Danu elle-même, descendue des monts Abnoba pour le plus grand bien des hommes. Cette rivière primordiale était perçue comme une déesse-ou-démone ou fée des eaux, une déesse-ou-démone mère, une ancêtre divine. Cette Danubia druidique est l’équivalent du Gange des brahmanes indiens.
La figure de cette déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, à la fois créatrice et destructrice de par son existence même, va peu à peu s’affirmer au sein d’Écoles qui révèrent le pouvoir créateur de l’âme cosmique universelle, sous l’aspect féminin qui lui est coexistant, c’est-à-dire la matière, concrétisation de son énergie potentielle.
Une des épithètes de cette grande déesse-ou-démone mère aquatique, est d’ailleurs celle de Matrona, d’où le nom de la grande rivière de l’est de la France portant ce nom (la Marne) ; qui correspondait sans doute au Danube dans l’esprit des premières vagues celtiques arrivant dans la région. De même que le Destin ne crée pas le monde lui-même, mais en remet le soin à Taran/Toran/Tuireann, maître des causes secondes, Taran/Toran/Tuireann, principe immuable, de son côté, charge sa parèdre Danu de régler ce qui concerne le relatif.
Et un glissement de sens (de l’énergie à la matière) a peut-être entraîné aussi, chez certains druides antiques, la notion de « matière qui n’est qu’une apparence plus ou moins trompeuse… »
D’après le grand spécialiste français J.-J. Hatt en tout cas une de représentations de cette ambivalence de la grande déesse ou démone mère aquatique au service du Destin est Cantismerta, la déesse-ou-démone ou fée, à la roue, voire « de la roue ».
Il s’agit bien entendu dans ce cas de la roue du Destin comme le prouve l’assimilation de cet aspect de la grande déesse-ou-démone mère aquatique à la déesse-ou-démone ou fée Fortune des Romains. Le dessin (Espérandieu VI 4742) représentant la déesse-ou-démone Fortune du Châtelet, entourée des Dioscures et tenant le globe terrestre, nous révèle pourquoi et comment l’interprétation celtique a parfois choisi la déesse-ou-démone Fortune pour représenter la grande déesse-ou-démone mère aquatique.
On doit bien admettre qu’il était facile pour des druides, ou certains de leurs héritiers comme les professeurs cités par Ausone, d’interpréter les représentations gréco-romaines de la Fortune de façon à les faire cadrer avec leurs propres conceptions à eux. Il suffisait de légères modifications de type iconographique, notamment en ce qui concerne l’emplacement de la roue.
Pour Jean-Jacques Hatt, la première apparition de sa représentation figure sur une monnaie des Ambiens représentant une cavalière nue, tenant de la main droite un torque et de la main gauche une roue. Sur une monnaie des Parisii, la tête de la déesse-ou-démone, ou de la fée si l’on préfère, surmonte un segment de roue. Cette monnaie appartient à la série la plus ancienne des monnaies d’or, encore proche des modèles helléniques et de bon style. Il s’agit donc bien de Cantismerta selon J.-J. Hatt. À droite de la tête de la déesse-ou-démone, en oblique, deux dauphins encadrent un disque, symbole funéraire représentant le voyage des défunts vers le paradis situé au-delà de l’océan. À l’époque romaine, sont également connues plusieurs représentations de la déesse-ou-démone ou fée, à la roue. Le thème de la déesse-ou-démone ou bonne fée tenant une roue, se trouve représenté sur un vaste espace, depuis Pont Saint-Esprit en France jusqu’à Tongres en Belgique.
Note de Pierre de La Crau. Vu ses liens avec le Destin, la grande déesse-ou-démone mère cosmique aquatique était bien évidemment censée connaître l’avenir. On retrouve d’ailleurs cette grande déesse-ou-démone mère cosmique sous son aspect de « voyante connaissant l’avenir » dans l’enlèvement des bœufs de Cooley, sous le nom de Fedelma. Nom gaélique probablement dérivé de Vedilama et signifiant « opiniâtre ». Fedelma y annoncera en effet à la reine Medb, ce que le hésus appelé Cuchulainn va faire de ses armées : un carnage. Les faits sont têtus !
SURVIVANCE MÉDIÉVALE.
Cette ambivalence de la G.D.M.A. enchantant le monde, mais pouvant aussi le conduire à sa destruction (cf. la bataille de Camlann), se retrouve d’ailleurs aussi dans le personnage de la fée Morgane.
Morgane apparaît pour la première fois dans la Vie de Merlin (1150) de Geoffroy de Monmouth comme une magicienne très savante occupant une position importante dans l’île d’Avallon où elle accueille Arthur mortellement blessé. En l’occurrence elle joue donc clairement ici dans ce récit le rôle
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d’une déesse des morts. Elle apparaît aussi dans la Matière de France où elle a pour amant et complice Ogier le Danois. Dans Huon de Bordeaux, elle a un fils de Jules César, Obéron. Elle est mentionnée dans les Chroniques de Gargantua comme la marraine de ce dernier sous le nom de Morgan-la-Fay, alors que dans Pantagruel, elle est appelée Morgue, fée de l’île d’Avallon. Morgane est la femme de Gargantua dans certains contes populaires, et sa marraine chez Rabelais ; elle porte comme lui une sorte de tablier dans lequel apparemment elle transporte des pierres. Le personnage de Morgane a survécu en France sous le nom de fée Margot, et l’on trouve un peu partout dans ce pays donc des « Caves à Margot », des « chambres de la fée Margot », ou des « Roche Margot ». Tout comme il y a de nombreux Monts « Gargan », il y a des monts (Morgon, Margantin, Mercantour…), des rivières (Morgon, Mourgon, Morge, Mourgues…), des fontaines (de la Mourgue), qui pourraient lui devoir leur nom (thèse du grand folkloriste français Henri Dontenville).
Dans les autres textes les plus anciens où apparaît la fée Morgane, tout comme chez Geoffroy de Monmouth, son rôle est positif : chez Chrétien de Troyes (Erec et Énide, Yvain ou le Chevalier au lion), elle guérit son frère ainsi qu’Yvain et Lancelot ; chez Wace (le Roman de Brut), elle emmène Arthur sur l’île d’Avallon pour soigner ses blessures. Thomas Malory reprendra d’ailleurs cet épisode dans le récit intitulé en moyen français « La Morte d’Arthur ».
À partir du Lancelot-Graal, elle apparaît comme la fille d’Ygerne et de Gorlois, duc de Cornouailles, sœur d’Elaine et de Morgause et demi-sœur d’Arthur. Envoyée dans un couvent lorsqu’Uther Pendragon tue son père puis épouse sa mère, elle y entame l’étude de la magie, qu’elle poursuivra plus tard avec Merlin. Uther la contraint à épouser Urien qu’elle n’aime pas. Différents récits du cycle lui donneront plusieurs amants et la font bannir de la cour par Guenièvre pour cette raison. Néanmoins, cette dernière n’étant pas elle-même un modèle de fidélité, on voit, dans certains contes, Morgane, chercher à se venger en la prenant elle-même en défaut, par exemple en apportant à la cour une coupe magique qui révèle les infidélités (Tristan en prose).
Son animosité s’étend à d’autres membres de l’entourage du roi, en particulier Lancelot. Dans Sire Gauvain et le chevalier vert, Morgane est la complice de la belle dame de Hautdésert, toutes deux recherchant la mort de Gauvain au moyen de diverses traîtrises. Certaines sources lui attribuent la maternité de Mordred, conçu de façon « fortuite » : Morgane, lors d’une fête païenne, joue le rôle de la vierge offerte au dieu cornu qui n’est autre qu’Arthur déguisé, sans qu’aucun des deux ne connaisse la véritable identité de l’autre.
Dans le récit de Thomas Malory sur la mort d’Arthur, elle s’empare d’Excalibur et pousse son amant Accolon à tuer le roi, mais le plan échoue. Dans certains récits, elle s’empare du fourreau – dans lequel réside, selon quelques auteurs, le pouvoir protecteur de l’épée magique – et le jette dans un lac.
N.B. Prolongements contemporains. Dans le cycle d’Avallon de notre amie Marion Zimmer Bradley, Morgane habite une île (Avallon) identifiée à l’Atlantide, et y joue le rôle de protectrice des traditions religieuses ou magiques bretonnes, contre l’avancée du christianisme oppresseur et patriarcal. Elle y est présentée comme disciple de la grande prêtresse Viviane et mère de Mordred.
Notre conclusion à nous sera donc simple. Cette évolution du positif au négatif du personnage de la fée Morgane n’est que la conséquence de l’ambivalence de la déité initiale. Le nom de Morgain est issu de celtique *mori-gena qui signifie « née de la mer ». On peut aussi le rapprocher de celui de la déesse-ou-démone ou fée irlandaise, Morrigan. Mais une des sources du personnage de Morgane réside aussi dans la déesse-ou-démone ou fée, Modron, équivalent insulaire de la Dea Matrona continentale, telle qu’elle apparaît dans la littérature galloise médiévale. Fille d’Avallach ou du roi d’Avallach (Avallon ?) dans les Triades galloises, elle est, comme dans le cycle arthurien, liée au roi Urien de Rheged (ou Urien de Gorre dans divers textes ultérieurs). Et comme la fée Morgane est également censée être l’épouse d’un dénommé Urien dans d’autres documents ; il est vraisemblable qu’il s’agit là d’une seule et même personne… divine. Elle en a deux fils, Owain et Morvydd où l’on reconnaît sans peine le nom de Mordred. cf. Rachel Bromwich, Trioedd Ynys Prydein, page 195. Pages 449 – 451.
La fée Morgue ou Morgane est donc l’ultime évolution de la grande déesse-ou-démone mère aquatique et terrienne à la fois, symbolisant la nature au sens large du terme, l’ultime évolution de la grande déesse-ou-démone ou bonne fée, du paganisme protoceltique. Son nom celtique médiéval de Morgana est issu de la triple coalescence des appellations de Morigena (née de la Mer), Mori Rigana (Reine de la Mer), Mara Rigana (Grande Reine) cette dernière forme ayant donné Morrigu, génitif Morrigain en gaélique.
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[Manuscrits retrouvés par Mélisande de La Crau et insérés par elle à cet endroit.]
LA GARCE MANGEUSE D’HOMMES MEDUA/MEDB.
(ou Maeve, Mav Medhbh, Meadhbh, Meabh, dans l’hérésie élaborée en Irlande.)
Déesse-ou-démone ou fée de la souveraineté, voire de l’ivresse du pouvoir. Particulièrement agissante dans certains milieux. Par exemple en France à partir de 2002. Son nom signifie « Celle qui enivre ».
Les Irlandais en ont fait la légendaire reine Medb en inventant toutes sortes d’histoires à son sujet. Mais la meilleure preuve que c’est un personnage plus mythique qu’historique, est encore le fait qu’elle apparaît dans certains récits mettant en scène des personnages de l’autre monde ; comme celui qui est intitulé en gaélique Aislinge Oengusso (le rêve d’Oengus). Elle apparaît aussi dans la légende de « l’enlèvement des vaches de Cooley » (Táin Bó Cúailnge), un long récit mythique appartenant au cycle d’Ulster. Son fait d’armes le plus célèbre est en effet l’invasion de cette province pour y capturer son célèbre taureau brun (le termagant de Cooley). Medua/Medb règne à Tara ou à Cruachan, mais c’est en réalité, ainsi que nous avons pu le voir, une figure divine évhémèrisée à rebours ; elle semble en outre appartenir au groupe des déesse-ou-démones ou fées insulaires, de la guerre, de la sexualité, mais aussi du territoire.
Son premier époux est le roi Conchobar. Ensuite, deux rivaux prétendent à sa main et le roi Tinde a le dessus à l’issue d’une rude bataille. À son tour il est tué lors en duel et un autre roi, Eochaid Dala, lui succède dans les faveurs de la reine. Le quatrième sur la liste est Ailill. Lui aussi tue son prédécesseur, obtient le mariage et accède à la royauté. Fergus mac Roth sera le dernier.
Séductrice lascive, Medua/Medb symbolise la sexualité. Le fait que son nom soit associé à un type de breuvage alcoolisé (l’hydromel en l’occurrence) peut faire penser à la notion d’union ou d’hiérogamie entre la déesse-ou-démone ou fée, allégorie du pouvoir, et le roi mortel ; que la déesse-ou-démone sanctifie en lui offrant une coupe de liqueur. Un peu comme la Rosemartha étudiée ci-dessus d’ailleurs.
Le caractère divin de Medua/Medb est également attesté par sa faculté de changer de forme et de se métamorphoser, par exemple de vieille harpie en jeune fille.
Elle partage aussi le pouvoir de destruction des divinités comme Catubodua : elle est à l’origine de la mort de Fergus, de Conall Cernach, de son mari Ailill et enfin de Cuchulainn. La présence de Medb, qui tourne autour du champ de bataille sur son char, peut ôter tout courage aux guerriers ; en outre elle est capable de courir à une vitesse surhumaine (plus vite qu’un cheval) et elle a des animaux totémiques, un oiseau et un écureuil.
Le grand conflit entre l’Ulster et le Connaught a essentiellement pour point de départ la jalousie de Medb. À la suite d’une querelle à propos de leurs richesses personnelles, il s’avère qu’Ailill possède un taureau de plus, le magnifique Blanc – Cornu d’Ai. La chose est importante puisque dans la société celtique irlandaise, la richesse détermine la préséance royale.
Elle fait demander à Dare, un noble seigneur d’Ulster, de lui céder son taureau, le célèbre Termagant brun de Cualnge, mais ce dernier refuse en dépit de la fortune qu’elle lui offre. Medb suscite une vaste coalition des autres provinces d’Irlande (Leinster, Munster et Meath), et organise une expédition contre l’Ulster, afin de capturer le taureau en question. Mais la voyante de Medb, Fedelma, prédit que son ennemi, Cuchulainn, détruira la plus grande partie de son armée. Medb ruse avec lui, tente de le suborner en lui offrant sa fille Finnabair. Mais Cuchulainn massacre un grand nombre de ses hommes et après le réveil des Ulates (qui avaient été affectés par une bien mystérieuse maladie symbolisant la faiblesse humaine) les Irlandais seront définitivement mis en déroute.
La mort de Medua/Medb sera le résultat d’une vengeance. Elle sera tuée par son neveu, Forbai (Furbaidhe), dont elle a naguère assassiné la mère, Clothra. Fils du roi Conchobar Mac Nessa, il avait découvert qu’elle avait l’habitude de se baigner dans un étang. Il mesura donc avec précision la distance qui séparait l’endroit où elle se baignait du rivage, et retourna ensuite à la forteresse d’Emain Macha, en Ulster ; où il s’entraîna au lance-pierres jusqu’à être capable de toucher une pomme placée sur un mât planté à la même distance.
La grande reine-déesse-ou-démone ou fée, eut par conséquent une fin peu glorieuse, tuée par un morceau de fromage rance jeté par le lance-pierres de Forbai.
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REMARQUES À PROPOS DE L’ASPECT BACCHUS DE MEDUA/MEDB.
Le druidisme recense et permet une ouverture à différents niveaux de conscience, grâce à différentes techniques. Souvent à l’aide de processus physiques : contrôle de la respiration ou danse extatique dans le cas des guerriers, mais aussi quelquefois en recourant à des artifices extérieurs, exemple l’ivresse ou ébriété sacrée. Le druidisme a en effet toujours pris acte de l’existence d’une certaine transcendance dans les manifestations de la nature qui l’entoure. Il s’en imprègne, entame le dialogue… et la nature lui répond, en lui offrant des « pouvoirs ». Naturels ou surnaturels ? Là n’est pas la question, au fond. Le surnaturel n’est que du naturel non mesurable…
La symbolique chrétienne assimile le vin au sang de Jésus, les païens l’associaient au monde des dieu-ou-démons.
Les substances hallucinogènes ont toujours procuré à l’humain des expériences fondamentales, obligeant à remettre en question du tout au tout, les délimitations habituelles sujet-objet, intérieur-extérieur. Certains individus ont ainsi perçu un sentiment d’unité avec l’univers entier ou bitos, d’autres ont pu « projeter » leur conscience dans un aigle ou un loup. La plasticité de la psyché humaine (voir à ce sujet l’édifiante légende irlandaise traitant d’Etain) s’est traduite pour eux en une ubiquité réelle et ontologique de la conscience. Mais il n’y a pas que sous l’effet de substances hallucinogènes que le monde peut être perçu différemment. Un certain nombre de vécus intérieurs amènent la personne concernée à ressentir l’univers ou bitos comme un grand être vivant, ou un océan de conscience. Mais l’interprétation de ces expériences est-elle correcte ? Le cerveau humain produit constamment du sens à partir de données incohérentes, comme l’ont montré diverses expériences en psychologie sociale. Ces rites et ces substances sacrés mènent à la catharsis par le biais d’un assainissement ou d’une purification. Une mort clinique suivie de « résurrection » causée par l’intensité de la situation, qui produit une rupture de niveau en enlevant le sujet à son espace et son temps habituel pour le placer au centre de lui-même. Ce qui équivaut à une réalité différente ou à une autre lecture de la réalité. Les Celtes comme l’immense majorité des peuples traditionnels ont employé, durant leurs cérémonies, l’alcool, afin de promouvoir la connaissance et d’établir par son intermédiaire le contact avec les dieu-ou-démons (re-lier).
Les Amérindiens du Nord, du Centre et du Sud, absorbaient d’ailleurs aussi traditionnellement des boissons alcooliques fermentées : pulque, balché, chicha. L’ingestion de drogues hallucinogènes à des fins rituelles (le peyotl, les champignons, l’ayahuasca) est étroitement apparentée à ce processus.
L’ancienne Medua personnifiait donc chez les Celtes antiques les états de conscience modifiée, ou les états seconds dus à ces substances.
« Dans l’Océan, il rapporte qu’il y a une petite île, pas très loin en pleine mer, située au large de l’embouchure de la Loire, et que cette île est habitée par des femmes Namnètes [en grec Samnitôn]. Elles sont possédées par l’esprit de Dionysos et se rendent ce dieu propice en l’apaisant par de mystérieuses initiations aussi bien que par d’autres cérémonies sacrées ; aucun homme ne met le pied sur cette île, bien que ces femmes la quittent parfois en se servant d’un bateau. Elles ont alors des relations avec des hommes, et ensuite y retournent de nouveau. Et, raconte-t-il, une de leurs coutumes une fois par an consiste à enlever le toit de leur temple et à le remettre le même jour avant le coucher du soleil, chaque femme portant son fardeau à mettre sur le toit. Mais la femme qui le laisse tomber de ses bras est mise en pièces par les autres, et alors elles portent ses restes en tournant autour du temple avec des cris d’enthousiasme (dionysiaque) sans s’arrêter, jusqu’à ce que leur frénésie retombe. Et il arrive toujours, ajoute-t-il, que l’une d’entre elles bouscule la femme qui doit subir ce destin. L’histoire suivante qu’Artémidore raconte à propos du port des corbeaux est encore plus fabuleuse : il y aurait un port… » (Strabon Livre IV, chapitre IV).
En ce monde sensible, il n’y a pas de « Vérité » (synonyme de réalité) objective, mais « des » vérités, chacun devant trouver la sienne, issue de son chemin de vie personnel (quête du Graal).
Chaque vérité n’est pas nécessairement erronée, mais reste subjective, partielle, attachée au mental et à la personne qui la détient. Il y a entre la Vérité et nous un gouffre incommensurable. Il arrive, parfois, lorsque l’on est prêt, qu’un hasard invisible révèle ce que l’on a sous les yeux, mais que l’on ne voit pas ! Et c’est « toujours » un instant émouvant que celui de la découverte d’un Graal longtemps recherché… On est, si la tentative réussit, « terrifié », « pétrifié », « annihilé », par la simple évocation de la puissance divine « infinie » (nous disons infinie, mais l’infini n’existe qu’au regard de nos limitations) cachée au fond de nous-mêmes et du gouffre qui nous sépare d’Elle.
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Seule Medua en tant que personnification des états de conscience modifiés, bénis soient ces derniers pour cela, peut, dans son immense compassion, nous entrouvrir la porte… Mais attention ! « La Vérité », rappelons-le, nous est incompréhensible sans le secours du divin.
Conclusion. L’allégorie ou la personnification de cette expérience chamanique qu’est l’ébriété sacrée, n’était donc pas inconnue de l’enseignement druidique. C’est un symbole archaïque universellement répandu dans la quête de l’initiation. L’ivresse sacrée lors des pratiques cérémonielles des Celtes, était habituelle. Le motif du Celte ivre figure d’ailleurs parmi les clichés les plus constants de la littérature antique traitant des peuples barbares. Du IVe siècle avant notre ère au VIe siècle de notre ère, pas moins d’une trentaine de textes font état du goût immodéré des Celtes pour les boissons alcoolisées, indigènes ou importées, pillées ou acquises au prix fort. Mais contrairement à une idée très répandue, il apparaît clairement que la diffusion du vin n’est pas liée à celle du symposium gréco-romain. Ses accessoires (simpula, situles, cruches, patères, bassins en bronze, cratères et services à boire en vaisselle campanienne) n’apparaissent, en dehors de la Narbonnaise, qu’à une date très tardive, postérieure à la conquête romaine. Et plus d’un siècle après l’arrivée des premières amphores vinaires. Grands chaudrons, landiers en fer et paires de seaux, en revanche, témoignent de l’attachement à une tradition festive traditionnelle, abandonnée depuis longtemps dans le monde gréco-romain. Le conservatisme propre au banquet celtique, qui intègre le vin sans modifier ses autres prescriptions alimentaires, se traduit également par l’absence d’autres produits méridionaux (huile ou saumures). Les amphores restituent l’image d’un produit importé indépendamment des usages et de l’idéologie qui l’entouraient, dans sa civilisation d’origine.
La consommation de vin revêtait une tout autre dimension culturelle qu’au sud des Alpes, et ne participait pas initialement du domaine alimentaire ou physiologique. Elle répondait à un choix conscient et sélectif, opéré par des sociétés indigènes habituées aux boissons fermentées locales (bière et hydromel). La permanence des accessoires du banquet traditionnel montre que le vin ne se substitue aucunement à leur consommation : il vient s’y greffer, dans le cadre de rituels préexistants.
Ces rituels étaient pratiqués à différentes échelles. Dans l’enceinte de grands sanctuaires confédéraux, comme sur de petits lieux de culte ruraux ; en pleine nature ou au sein d’enceintes palissadées de tailles diverses (des plus vastes, calqués sur le modèle des Viereckschanzen, aux plus modestes, rattachés à l’habitat) ; voire au sein même de l’espace domestique.
Certains lieux de culte concentrant dans leur enceinte des quantités considérables de vin semblent avoir été voués spécifiquement à cet usage. Cette activité faisait appel à des dispositifs pour libation bien identifiés, puits, fosses, favissae ou autres « autels creux », garnis d’amphores, de vaisselle métallique et de céramiques utilisées lors des festivités ou de l’exercice du culte. Le parcours des amphores au sein de l’espace sacré obéit à des constantes : leur ouverture, suivie de libations, se faisait à l’intérieur ou à proximité des temples ; la consommation du vin, dans de vastes espaces ou galeries monumentales aménagés à leur périphérie ; leurs débris étaient enfouis ou relégués en périphérie de l’aire cultuelle, le long du mur d’enceinte.
Ces « sanctuaires à libations » s’inscrivent en marge du champ d’identification des sanctuaires traditionnels, essentiellement centrés sur l’aspect militaire, et limités dans leur diffusion aux franges septentrionales et occidentales. Leur activité apparaît souvent centrée sur des cultes de la fertilité, matérialisée par le dépôt d’amphores, de meules et d’outils agricoles. Une nette césure culturelle sépare, à cet égard, les régions situées de part et d’autre du cours de la Loire et de la Seine. Longtemps cantonnés à l’Aquitaine, ces sanctuaires s’étendaient en fait à l’ensemble du Centre-Est et du Sud-Ouest. Le dépôt d’amphores vinaires dans des puits « à offrandes », en particulier, recouvre une réalité commune à l’ensemble du domaine celtique occidental, proportionnelle au volume d’importation régional. Il matérialise la rencontre de pratiques de libations axées sur la symbolique du vin, connues dans le monde méditerranéen depuis le VIIIe siècle avant notre ère, d’une part ; et d’autre part une tradition d’enfouissement de vaisselles et d’offrandes alimentaires développée en zone tempérée depuis l’Âge du Bronze, où les boissons indigènes tenaient vraisemblablement la première place.
Ces pratiques s’étendent à une vaste série d’enclos fossoyés de plan quadrangulaire, caractérisés par leur position isolée ainsi que par l’absence de structures d’habitat et de mobiliers domestiques. Les quantités considérables d’amphores qu’ils ont livrées, souvent associées à de l’armement, de la vaisselle métallique et autres biens de prestige, désignent certains d’entre eux comme des espaces réservés aux assemblées festives d’ordre religieux, politique et juridique. Ces « enclos à banquet » présentent, à l’instar des sanctuaires, de nettes différences d’échelle, en fonction de l’importance des manifestations qui s’y déroulaient, mais aussi, bien sûr, du nombre de convives. Les plus vastes
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d’entre eux rejoignent la première interprétation des Viereckschanzen du sud de l’Allemagne, comme espaces de rassemblement à vocation festive et religieuse. Ces structures d’enclos sont l’équivalent protohistorique des « théâtres » qui servaient, selon Posidonios, de cadre, aux festins celtiques ; ils ont sans doute précédé, dans leur fonction, ces édifices à spectacle britto ou gallo-romains voués aux rassemblements communautaires et/ou à l’exercice du culte. Leur position frontalière souligne leur rôle probable dans la définition des alliances ou le règlement des conflits territoriaux.
Certains bâtiments monumentaux à vocation collective et/ou religieuse semblent avoir rempli la même fonction : les temples et de grands portiques en bois qui constituent l’aménagement de certains sanctuaires sont identifiés comme étant des espaces dévolus au banquet.
La reproduction de ces pratiques dans la sphère privée se devine dans de petits enclos à vocation festive et/ou cultuelle plus ou moins intégrés à l’habitat ; version réduite des grands enclos et sanctuaires publics, ils étaient adaptés à des manifestations organisées à l’échelle de la famille, du clan ou de la communauté agraire au sens large, présidées par une élite habilitée à l’exercice du culte privé. Certains dépôts votifs en fosse ou en puits, composés d’amphores, d’armement, de restes humains et/ou vaisselle métallique, enfouis dans l’espace domestique, témoignent de certaines libations pratiquées au cœur de l’habitat, un peu à l’image des « laraires » d’époque romaine.
L’exercice du festin et des libations dans un cadre funéraire transparaît à travers l’omniprésence du vin et des amphores sur les sites d’incinération ou d’inhumation de cette période ; la frontière avec le domaine cultuel n’est pas toujours aisée à mettre en évidence. L’utilisation du vin dans le banquet mortuaire et pour éteindre le bûcher funèbre, constituent des réalités objectives, attestées sur certains sites funéraires, il est probable que le dépôt d’amphores dans les tombes ou à leur périphérie recouvrait des fonctions multiples et complexes.
Comme au premier Âge du Fer, il semble possible de distinguer deux faciès différents de consommation du vin.
Le premier, dit « hiératique », propre aux sociétés plutôt « égalitaristes » du Sud, consiste en une redistribution ostentatoire de grandes quantités de vin destinées à alimenter toutes les classes sociales.
Le second, dit « hiérarchique », propre aux sociétés plus élitistes du Nord, prône la valorisation de faibles quantités de vin sacralisé à l’extrême, par le biais d’accessoires métalliques mis en valeur dans les tombes.
Au premier faciès correspondent les régions du Centre et du Centre-Est (Arvernes, Éduens, Ségusiaves), où le vin figure en grandes quantités sur les sites de sanctuaires ou d’enclos dédiés à la pratique du festin. Fondés sur une logique redistributrice et clientéliste, ils témoignent, avec l’absence de sépultures « riches », de sociétés peu hiérarchisées, et divisées par les luttes de pouvoir.
Au second faciès correspondent les régions de Belgique orientale, de l’Atlantique et du Nord-Est ; où des quantités de vin plus restreintes se concentrent principalement, à l’instar de la vaisselle métallique, entre les mains d’une élite foncière et militaire ouverte aux apports commerciaux et culturels extérieurs. La majorité des découvertes en effet concerne les sanctuaires, les sépultures et les résidences à caractère « aristocratique », où elles étaient valorisées dans le cadre d’une liturgie traditionnelle d’abord fondée sur les boissons locales.
Ces différents faciès recouvrent des oppositions culturelles, politiques et sociales, très profondes, dont la logique dépasse la vision d’une nation simplement divisée entre « égalitaires » ou « élitistes », entre partis « traditionalistes » et « proromains ». Banquets ainsi que rites de boisson marquent la rencontre de concepts aussi opposés qu’idéologie du vin (amphores, cratères, situles, simpula, coupes à boire) et idéologie de la bière ou de l’hydromel (seaux, chaudrons, situles, vases à boire indigènes) ; symposium et festin archaïque ; enclos à banquet ou sépultures aristocratiques… Ces options civilisationnelles connaissent, selon les régions, des limites très nettes ou des zones de transition, qui évoluent au fil du temps. Elles témoignent d’un « choc » civilisationnel et historique dont les textes se font l’écho, et dont les principaux emblèmes, l’amphore et le chaudron, illustrent les monnaies.
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CATUBODUA/MORRIGANI/ NEMAIN.
LA TRIPLE DÉESSE-OU-DÉMONE
DE LA DESTRUCTION DES MASSACRES
DE LA MORT ET DU NÉANT.
La Kali celtique, hors norme et hors fonction contrairement à Ogmios ou autres dieux de la guerre du dodécaèdre druidique sacré.
Précisons d’emblée que cette déesse ou démone celte n’a pas qu’un aspect négatif. Les très sachants d’autrefois savaient que de tout mal peut surgir un bien et en en faisaient plutôt une déesse qui sait faire table rase, qui détruit pour mieux reconstruire.
« Ils se vantent d’être issus de Dis Pater, tradition qu’ils disent tenir des druides. C’est pour cette raison qu’ils mesurent le temps, non par le nombre des jours ; mais par celui des nuits. Ils calculent les jours de naissance, le commencement des mois et celui des années, de manière que le jour suive la nuit » (César. B. G. VI, 18).
Ce qui nous induit en erreur c’est que les anciens druides donnaient un autre visage aux aspects créateurs et positifs de cette démone, celui de l’Eau-Mère. L’eau qui certes d’un côté détruit tout sur son passage, mais qui d’un autre côté abreuve les bêtes et fait pousser la vie.
Hélas pour les amateurs de simplicité biblique, ainsi que nous allons le voir, la déesse-ou-démone ou fée qui préside aux batailles, est en même temps symbole de sexualité.
Une antique légende marseillaise, destinée à maquiller une défaite infligée à la ville par les tribus celtes alentour, est un des premiers témoignages de cet aspect guerrier de la grande déesse-ou-démone mère aquatique ou cosmique des druides.
« Mais après un certain temps, quand Massilia [aujourd’hui Marseille] fut au faîte de la distinction, aussi bien à cause de la renommée de ses exploits que de l’abondance de ses richesses, voire de l’excellente réputation de ses forces, les peuples alentour conspirèrent soudainement pour détruire jusqu’à son nom, comme s’il s’agissait d’éteindre un incendie qui les menaçait tous. Catumandus, un de leurs petits princes, fut alors unanimement reconnu comme leur général, et il assiégeait la ville ennemie avec une grande armée de soldats d’élite quand il fut effrayé durant son sommeil par la vision d’une femme à l’air menaçant, qui lui expliqua qu’elle était déesse : il en eut si peur qu’il fit la paix avec les Massaliotes. Ayant après cela demandé la permission d’entrer dans la cité afin de rendre hommage à leurs dieux, après avoir pénétré dans le temple de Minerve, et vu sous le portique la statue de la déesse qu’il avait aperçue dans son sommeil, il s’exclama soudain que c’était elle qui lui avait fait peur cette nuit-là ; que c’était elle qui lui avait ordonné de lever le siège ; ensuite, après avoir félicité les Massaliotes de s’être placés sous la protection, ainsi qu’il s’en était lui-même rendu compte, des dieux immortels, et après avoir offert un collier [en latin torquis, un torque] en or, à la déesse, il s’allia donc avec eux en toute amitié, pour toujours…». (Justin, épitome des Philippiques de Trogue Pompée, XLIII, chapitre V, 4 et suivants).
Un peu plus loin il est raconté que les Marseillais, informés de la prise de Rome par les Celtes, auraient disposé de tout l’or et de tout l’argent du trésor public aussi bien que des particuliers pour aider les Romains à payer la rançon exigée par les guerriers de Brennus (Justin, 43). Admirable générosité ! Le plus vraisemblable est que, si Cheval de guerre (Catumandus) est entré dans Marseille, ce fut à la tête de ses troupes, oui, et que si les Marseillais livrèrent tout ce qu’ils possédaient, ce fut pour le payer, lui, et non pour payer la rançon de Rome. La formule « Ayant après cela demandé la permission d’entrer dans la cité afin de rendre hommage à leurs dieux… » est évidemment un peu curieuse, mais le témoignage n’en demeure pas moins capital.
Konrad Lorenz, homme pacifique s’il en fut, a réfléchi à l’apport de l’agressivité tout au long de la lente évolution qui a conduit aux espèces actuelles, spécialement au cas de l’Homme. Il estime que l’agressivité a été un facteur fondamental de la survie et du développement des espèces à travers l’évolution.
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Par le biais de la sélection sexuelle : le plus fort, agressif (et intelligent, chez l’hominien), a le plus de chances de procréer. À noter que, dans certaines espèces, ce comportement s’étend aux femelles, entre elles ; par exemple chez le loup. Plus cruelle que le mâle, la louve dominante tue la jeune rivale qui recherche les faveurs de son conjoint.
Pour la défense du groupe, spécialement des jeunes, contre les prédateurs.
Pour la conquête de l’alimentation du groupe face à la concurrence des autres espèces du même biotope ; les carnivores dans le cas de l’homme.
Des études récentes, au microscope, de dents fossiles, ont montré que la base de l’alimentation de l’Homme a été, en moyenne, de plus en plus carnée jusqu’au Néolithique. Ce qui constitue donc une différence radicale avec les grands primates, encore que le chimpanzé puisse, à l’occasion, être carnivore. Ceci, avec une prédominance marquée pour l’homme mâle chasseur-pourvoyeur, par rapport à la femme qui, plus contrainte à la sédentarité par ses charges maternelles, trouvait plus souvent un complément par la cueillette de végétaux. Conséquence millénaire, ou meilleure adaptabilité de la femme, les restrictions du dernier conflit (1939-1945) ont montré qu’elle s’accommode plus facilement que l’homme d’une alimentation surtout végétale.
Or les capacités physiques de nos ancêtres hominiens – dentition, musculature, ongles, rapidité à la course, etc. – étaient bien médiocres pour assurer la pérennité d’une espèce à la fois prédatrice et proie ; vivant dans une zone, la savane, où, si le gibier s’avère abondant, les grands carnassiers ne le sont pas moins, et les refuges rares. Très tôt il a donc fallu suppléer aux déficiences physiques par des moyens artificiels, les armes de chasse, et par l’intelligence. Par ailleurs, que cela nous plaise ou non, descendant de ceux qui n’ont pu nous transmettre la vie que parce qu’ils étaient parmi les plus forts, les plus rusés, les plus agressifs surtout, nous portons leur héritage biologique. Par nature l’être humain est agressif. La civilisation, la conscience individuelle, peuvent et doivent canaliser cet instinct, voire le sublimer. Pour certains philosophes, l’instinct de curiosité ou de recherche, qui nous a donné l’énergie nucléaire, l’informatique ainsi que le laser, et conduit sur la Lune, serait un substitut à l’agressivité ; de même, naturellement, que la plupart des sports où la chose est plus évidente. Reculer les bornes du savoir serait une sorte « d’action-réaction » au défi lancé par notre ignorance.
Mais nier ou ignorer cet héritage est une dangereuse ineptie (qui veut faire l’ange fait la bête), même si elle domine de façon écrasante chez les journalistes intellectuels ou gens de média, de notre époque. Évidemment puisqu’ils ne donnent pas aux esprits plus lucides qu’eux l’occasion de s’exprimer. Il suffit de regarder les débats télévisés en France *. Oh certes, les intervenants s’expriment tous très bien, mais quelle médiocrité dans la réflexion, quelle superficialité de la part d’hommes ou de femmes ayant en principe pour vocation d’éclairer l’opinion publique. Tout cela est certes brillant, mais guère profond. Que de lâchetés ! Trop de conformisme et pas assez d’indépendance intellectuelle peut-être. On est entre gens bien, gentils intelligents et qui n’ont qu’un seul défaut (ils sont pauvres puisqu’ils donnent tout aux plus pauvres qu’eux). Comme le dit le vieil adage « chez nous on met en prison ceux qui sonnent le tocsin et on décore les incendiaires ».
Peu avant sa mort, le polémologue français Gaston Bouthoul notait, avec tristesse, mais sans surprise, qu’ayant souvent eu à parler du racisme devant des auditoires se réclamant de l’antiracisme le plus intégral, il y avait toujours senti les réactions haineuses d’une idéologie combative (l’intelligence en effet s’éclipse devant les réactions passionnelles dès qu’on aborde la question du racisme). Les pacifistes se croient pacifiques, mais leur subconscient ne l’est pas. Le langage courant actuel confond souvent les termes pacifique et pacifiste, qui ont pourtant des significations très différentes.
* Le manque d’empathie de ces médiocres élites autoproclamées (ce sont incontestablement des natiopathes), qui s’explique sans doute par un orgueil inversement proportionnel à leur intelligence EN PROFONDEUR des situations, est assez effarant.
Précisons que chez les peuples dits primitifs, les femmes, si elles ne participent pas aux opérations d’agression, contribuent cependant énergiquement à la défense du groupe. Au XXe siècle par exemple, dans les tribus Hmongs des hauts plateaux (avant leur extermination par armes chimiques à la fin des années 1970), face à leur ennemi démocrate (viet-minh, puis viêt-cong) l’attaque – embuscades essentiellement – était l’affaire des hommes. Mais pour la défense du village assailli par les Bodoï de la très populaire démocratie vietnamienne, les femmes adultes se battaient avec le même acharnement que les hommes, voire avec férocité pour celles qui avaient des enfants. Ce constat peut surprendre, mais c’est là pourtant un réflexe très commun dans les espèces animales supérieures : la mère défend ses petits avec une ténacité inflexible ; et que nous le voulions ou non, l’évolution du mammifère à l’homme ne représente qu’une très faible partie de la durée de la vie sur Terre. (K. Lorenz. Das sogenannte Böse. Zur Naturgeschichte der Aggression. Chapitre III).
Traduction donnée sous toute réserve, mes 4 ans d’allemand sont loin.
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La première mention de la personnification de cette constante de la nature et notamment de la nature humaine, a été découverte à Mieussy en Savoie : CATUBODUA.
Une variante (Cassibodua= Corbeau hérissé, bouclé, ou frisé) nous est connue par une inscription trouvée à Herbitzheim en Alsace, où elle est assimilée à la déesse ou démone romaine Victoria, par interpretatio romana. Du vieux celtique *cassi, bouclé + *boduo, corbeau corneille. Le terme « cassi » est peut-être une allusion à l’habitude qu’avaient les Celtes de se laver les cheveux avec de l’eau de plâtre ou de la chaux, ce qui donnait de grosses mèches collées ensemble et entremêlées, leur conférant un aspect quelque peu hirsute, mais plutôt efficace (meilleure résistance aux coups).
Bricriu, malgré tous les efforts qu’il déploie à la cour de la reine Meb, n’arrive jamais à la cheville de Catubodua en ce domaine. Tout ce qu’il est capable de faire c’est d’être une mauvaise langue et de susciter une bagarre générale dans le salon. La Kali celtique, elle, c’est autre chose, elle pousse réellement les hommes à s’entretuer. Elle fait tout pour qu’il y ait la guerre, car elle s’en délecte ; bien qu’elle puisse revêtir la beauté d’un ange (ou d’une fée) quand elle le veut, afin d’être plus convaincante.
Ce qui caractérise cet aspect de la grande déesse-ou-démone mère aquatique Danu (bia) dans son acception la plus ancienne c’est qu’elle est guerrière en plus d’être souveraine, mais une guerrière d’un genre un peu spécial, une guerrière qui ne combat pas personnellement, mais excite les combattants. Car même dans la mythologie apocryphe irlandaise, les déesse-ou-démones de la guerre ne sont pas essentiellement des combattantes.
Et si Lug ou Ogmios manie la massue, la lance ou l’épée, la Catubodua/Cassibodua, elle, règne sur le champ de bataille, appelé « Le jardin de la Badb » (en Irlande) sans avoir à y intervenir, au moyen de sortilèges ou d’incarnations animales. Quand la grande déesse-ou-démone mère cosmique aquatique sous sa forme Cassibodua ou Catubodua se manifeste sur le plan guerrier, c’est en effet par une influence en quelque sorte mystique, et jamais directement par les armes. Elle excite certains combattants ou aveugle ceux qu’elle veut perdre, voilà tout.
Si l’on en croit la légende irlandaise intitulée Tochmarc Ferbe (la cour faite à Ferb), les redoutables vouivres anguipèdes gigantesques (Fomorach) dont nous avons si souvent parlé dans cet opuscule, sont par exemple visiblement aux ordres de la déesse ou démone des combats, Catubodua, et composeront par conséquent la quasi-totalité des troupes de Cunocavaros/Conchobar. Ce qui fait de ce raid sanglant (Tochmarc Ferbe) une opération pas très naturelle digne des pires manipulations de l’opinion publique destinées à entraîner un pays dans la guerre (rôle de la Kali celtodruidique qu’était Catubodua si nous comprenons bien).
L’action de cette Kali celtique, tout au moins dans les plus anciens des récits qui nous sont parvenus, est donc de nature magique. Comme dans le célèbre duel ayant opposé le Romain Marcus Valerius et un guerrier celte anonyme en l’an 349 avant notre ère. Tite-Live. Livre VII. CAR LES DIEUX AVEUGLENT TOUJOURS CEUX QU’ILS VEULENT PERDRE.
« Alors que les Romains des avant-postes passaient le temps à observer sans agir, un Celte s’avança, remarquable par sa grandeur et par son armure. De sa lance, il heurte son bouclier, impose silence, et, par le truchement d’un interprète, provoque un des Romains afin de l’affronter en combat singulier. Il y avait là un tribun des soldats, un jeune homme, Marcus Valerius, qui s’estima non moins digne de cet honneur que T. Manlius. Il sollicite les ordres du consul, et s’avance hors des rangs avec ses armes.
L’intervention des dieux dans cette lutte fit perdre à l’homme une part de sa gloire.
Un corbeau se percha sur son casque, faisant face à l’ennemi, ce qui parut un augure envoyé du ciel ; le tribun l’accepte avec joie, et il prie, « le dieu ou la déesse qui lui envoie cet heureux message, de lui être favorable et propice ». Chose merveilleuse : non seulement l’oiseau demeure à la place qu’il a choisie, mais, chaque fois que la lutte recommence, se soulevant de ses ailes, il attaque du bec le visage et les yeux de l’ennemi ; qui, tremblant à la vue d’un tel prodige, les yeux et l’esprit troublés tout ensemble, tombe égorgé par Valerius. Le corbeau disparaît ensuite, emporté vers l’orient ».
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le souligner, mais enfin repetere = ars docendi, le corbeau en l’occurrence n’est pas une métamorphose de circonstance, mais l’animal emblématique de la bataille. Il permet à Marcus Valerius, en se posant sur son casque et en attaquant le visage de son
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adversaire, d’en triompher en l’aveuglant. LES DIEUX AVEUGLENT TOUJOURS CEUX QU’ILS VEULENT PERDRE.
Ce miracle est la transposition romaine d’un mythe druidique que l’on retrouve en Irlande, dans l’épisode de l’enlèvement des bœufs de Cooley (la déesse-ou-démone, ou fée, Morrigu, assiste même à l’agonie de Cuchulainn, perchée sur son épaule).
Conclusion. Sous le nom de Catubodua (Bodb-Catha en Irlande), la grande déesse-ou-démone-mère aquatique Danu (bia) est en effet aussi une déesse-ou-démone de la guerre, un peu analogue à la Kali de l’Hindouisme.
Et en Irlande comme sur le Continent le nom de cette Kali celte signifie « Corbeau » (bodua) des combats (catu), car, pour exercer cette fonction, elle revêt souvent l’aspect d’un oiseau survolant les champs de bataille. Corbeau, corneille vautour, ou tout autre animal charognard de ce type d’ailleurs.
LA VARIANTE IRLANDAISE. MORRIGU/MORRIGAN. La grande déesse-ou-démone ou fée de l’Irlande, Mara Rigana (Grande Reine) cette dernière forme ayant donné Morrigu, génitif Morrigain en gaélique, déesse-ou-démone ou fée de la fertilité, de la sexualité, de la guerre.
La signification du nom de la plus fameuse déesse ou démone de la guerre irlandaise a fait couler beaucoup d’encre chez les spécialistes, car son orthographe diffère d’un texte à un autre. Mórrígain / Mórrígu ou Morrígain / Morrígu. Le second élément de son nom est dépourvu de toute ambiguïté. En vieil irlandais, rígain signifie « reine », comme le gallois rhiain, qui originellement signifiait « reine », mais a aujourd’hui le sens de « jeune dame, jeune fille, vierge ». Ils sont tous les deux dérivés d’un terme vieux celtique rîgani / rîgana signifiant « reine » équivalent du latin regena. La terminaison en « u » est due à une analogie avec les autres mots féminins ayant une terminaison du génitif en « an », comme dans le cas de Mórrígain (génitif singulier Mórrígan).
Par contre le premier élément de son nom est plus problématique, car il est parfois écrit avec une voyelle courte, c’est-à-dire mor signifiant « fantôme » ou « cauchemar », et parfois avec un accent sur la voyelle, c’est-à-dire mór signifiant « grand ». Cette différence d’orthographe change la signification du nom de la déesse ou démone. Surtout que « muir » signifie également mer en vieil irlandais.
La forme Morrígain c’est-à-dire « reine fantôme » est généralement considérée comme étant la plus ancienne et la plus primitive. Mais de nos jours on est plus enclin à considérer que la forme Mórrígain, c’est-à-dire « Grande reine » est l’écriture la plus correcte, étant donné que l’adjectif mór est souvent utilisé pour qualifier une déesse de la terre dans la tradition irlandaise, par exemple Mór Muman (« la grande nourricière ») qui est la déesse-mère du Munster. Ce que signifie peut-être tout simplement son nom d’ailleurs. En outre, il semble bien que l’appellation « Grande reine » soit plus pertinente pour une déesse que l’évocation d’un « fantôme », encore que cette dernière signification puisse se référer à son lien avec la mort. Son association avec le carnage et sa fonction de messager annonciateur de la mort seraient donc plus récentes que ses attributs de déesse de la terre, et c’est la raison pour laquelle certains auteurs choisissent d’écrire son nom Mórrígain plutôt que Morrígain.
Sans éliminer totalement l’hypothèse que ce soit aussi une reine de la mer ou née de la mer, reconnaissons que dans ce cas tout s’éclairerait : sa fonction ne serait pas seulement la mort et le massacre, mais ce serait aussi, et primordialement peut-être, une déesse mère ou une déesse de la fertilité, en bref un des nombreux avatars de la terre mère en Irlande, une sorte de Rosemartha irlandaise. Toute la spécificité irlandaise (ne parlons pas d’hérésie) aurait consisté, sous l’influence du christianisme peut-être, à développer un peu trop son aspect sombre lié à la mort, voire à en faire une déesse de la guerre, alors qu’elle a aussi un côté infiniment plus sympathique et lumineux. Ce dernier aurait été oublié ou relégué au second plan, mais il continue d’affleurer néanmoins ici ou là puisque la déesse de la guerre et des massacres en Irlande sait aussi apparaître aux hommes parfois, sous des dehors infiniment plus séduisants : ceux d’une fée. Mais revenons donc à son aspect « Kâli » ou « déesse de la destruction ».
De même que l’Irlandaise Cath-Badbh est similaire à la déesse celtique continentale Cathubodua, la Mórrígain est donc étymologiquement parlant liée à l’épithète ou nom de déesse Rigani qui est attesté sous une forme latine dans trois inscriptions romaines découvertes en Grande-Bretagne et en Allemagne. La dédicace trouvée à Worringen (Allemagne), sur le territoire des Ubiens, se lit ainsi : « In h(onorem) d(omus) d(ivinae) deae Regin(ae) vicani…… » « en l’honneur de la maison divine et de la déesse Reine, les habitants… ». Celle découverte avant 1732 à Lanchester, dans le nord-est de la Grande-Bretagne, est gravée sur un autel, qui porte un sanglier sur le côté gauche : « Reginae votum
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Misio v(otum) l(ibens) s(olvit) », « À la déesse reine, Misio a de bon cœur exécuté son vœu ». Le monument le plus intéressant est le bas-relief de Lemington, une ville située à quelques kilomètres au nord de Lanchester, car il porte une inscription associée à une représentation de la déesse : DEA RIIGINA. La déesse est représentée portant une robe lui descendant jusqu’aux genoux. Dans la main gauche, elle tient un javelot reposant à terre et sa main droite repose sur un objet cylindrique ressemblant à la partie inférieure d’une colonne de temple torsadée. Ces attributs symbolisent sans doute sa souveraineté ainsi que son pouvoir.
Cette fée Morgane fait preuve dans l’antique légende irlandaise intitulée Tochmarc Ferbe ou courtise de Ferb, de beaucoup de duplicité en tenant aux deux partis le même langage, mais inversé afin de mieux les monter les uns contre les autres. Pour être théologiquement plus précis elle personnifie donc dans ce cas tout ce qui en l’homme peut le pousser à s’en prendre (collectivement) à son prochain.
Après tout, pour qu’il y ait guerre, ne faut-il pas que les deux camps aient envie d’en découdre ? Il n’y a pas de guerre si, comme à Munich en 1938 *, un des deux camps refuse de se battre. Afin d’illustrer cette idée, la fée Morgane joue donc dans ce cas le rôle d’une déesse ou plus exactement d’une démone de la guerre, dont la fonction essentielle par définition est de pousser les hommes à s’entretuer.
La couleur associée à cette déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, était le rouge. Elle pouvait revêtir une multitude de formes différentes et se métamorphoser en oiseau, en anguille, en louve, en génisse… La Morrigan appartient d’emblée à l’épopée mythique. Point n’est besoin dans son cas de rechercher l’être surnaturel sous la forme humaine. Elle se présente d’emblée à l’échelle cosmique, et de « la taille des dieux ». Avant la bataille de la Plaine des menhirs ou des tumuli, elle retrouve le grand dieu ou démon irlandais Dagda dans la maison qu’il possédait près d’un gué. « L’un des pieds de la femme dans l’eau touchait Allod-Echae au sud ; l’autre pied aussi dans l’eau touchait Loscuinn au nord ». Neuf tresses flottaient, autour de sa tête. Le Dagda lui parla et s’unit alors à elle. Cet endroit s’appela dès lors « le lit du couple ». Ensuite elle annonça au Dagda le débarquement des Fomore (Andernas sur le Continent) à Mag Scene, et le jour de la bataille « elle versa du sang du roi des Andernas, Fomore en gaélique, appelé Indech, plein ses deux mains, devant l’armée qui attendait sur le gué ». Ce gué s’appela désormais « gué de l’anéantissement ».
Morrigan est une bien curieuse déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère. Elle occupe une place à part dans la théogonie et la cosmogonie irlandaise. Sa naissance (elle était née de la Mer) lui donnait une sorte de préséance sur les autres divinités. Elle était gardienne de la paix, mais aussi de la guerre. Son champ d’action avait l’univers entier pour cadre, c’est pourquoi elle fut souvent identifiée à d’autres déesse-ou-démones, la Dea Danu (bia) par exemple. Comme l’a très bien vu Jan De Vries à propos de cette Rigani d’Irlande, les sources à son sujet nous parlent d’une déesse presque démoniaque qui a parfois un caractère nettement sexuel. Elle est même liée au rite de la naissance. Rien d’étonnant donc à ce qu’il y ait eu des savants pour vouloir la faire rentrer dans la catégorie des déesse-ou-démones-mères. Avec raison ? Son appellation en tout cas, s’y oppose formellement. Son vrai nom gaélique est en effet Morrigu/Morrigain ; on l’a traduit : « Reine des fantômes », mais à tort.
Dans l’hérésie propagée en Irlande, elle est dite épouse du dieu-ou-démon Dagda, elle est aussi parfois présentée comme une parèdre de l’éon Neto/Neith/Neit. Sur les éons, voir ci-après. Ses rapports avec notre héros sont aussi très ambigus. Contrairement à la version du manuscrit Egerton, le manuscrit conservé dans le livre du Leinster nous montre en effet la déesse ou démone de la guerre rendant inutilisable le char de notre Seigneur (de Muirthemné) afin de l’empêcher de partir.
Cette divinité joue donc un rôle très ambigu dans ce drame en passant successivement de la haine à l’amour. Mais peut-être est-ce le propre de toute haine ou de tout amour, excessifs. Tout le monde sait que haine et amour sont les deux faces d’une même médaille.
Malheureusement pour ceux qui ne rêvent que de simplicité biblique ce qui caractérise donc cette déesse-ou-démone ou fée, c’est donc son polymorphisme, voire son pluralisme fonctionnel. La Morrigan a par conséquent un triple aspect à tout le moins et porte plusieurs noms.
Note sur feuille volante retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau.
Nemain ou Nemhain, Neman, Nemon. Dans la mythologie celtique irlandaise, est une déesse-ou-démone guerrière, qui apparaît notamment dans le récit mythique de l’enlèvement des vaches de
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Cooley (Táin Bó Cúailnge). C’est une représentation de la Bodb, elle-même avatar de Morrigan, déesse-ou-démone de la mort. Son nom signifie « frénésie », « colère ». Enfin peut-être !
CATUBODUA-MORRIGANI-ET-NEMAIN : L’ASPECT DESTRUCTEUR
DE LA GRANDE DÉESSE MÈRE AQUATIQUE (DANU) EN TANT QU’AGENT DU DESTIN.
De même que Danu (bia) apparaît sur certaines monnaies dans sa fonction de Cantismerta, déesse-ou-démone ou fée céleste ; de même elle apparaît en tant que déesse-ou-démone de la guerre sur d’autres. Sur toute une série de monnaies des Namnètes, on la voit représentée en furie guerrière, courant vers la gauche et tenant de la main une courte épée dans son fourreau. Ce dernier d’ailleurs est orné, à son extrémité, du signe de la déesse-ou-démone ou fée, en forme de bouclier d’amazone (pelte). Sur une importante série de monnaies des Redons, elle est figurée nue, sur un cheval au galop, tenant un bouclier d’une main et de l’autre une lance. Sur une autre de ces monnaies, elle tient son bouclier de la main droite, et brandit de la main gauche vers le ciel son signe : les trois boules.
Danu est donc une divinité complexe : prophétesse, guerrière, reine, et déesse-ou-démone ou fée de la souveraineté ou de la fécondité, très étroitement liée au sort du pays lui-même.
Danu peut incarner l’énergie maternelle, tendre, protectrice et aimante, de la Mère divine, elle incarne également l’aspect inverse, car elle est une totalité, une plénitude, possédant à ce titre des polarités qui, si elles semblent s’opposer, sont en réalité tout à fait complémentaires.
Elle possède donc une face sombre (la Badb-Catha), mystérieuse et terrifiante, qu’il nous faut bien reconnaître et admettre au même titre que ses aspects lumineux. Puisque tout ce qui naît doit mourir, et que la grande déesse-ou-démone mère aquatique symbolise la matière, il est logique que son rôle soit également associé, de près ou de loin, à la cessation de la vie, à la mort. La fin, la mort, qui effraie tant les humains, les a conduits aussi à voir et à redouter la grande déesse-ou-démone mère aquatique sous cet aspect terrifiant. Et dans ce cas, effectivement, la Morrigan peut prendre la forme d’une déesse-ou-démone cruelle, sanglante et sans merci. La Badb-Catha se délecte du sang des guerriers morts sur le champ de bataille.
Cette conception de la femme qui peut paraître monstrueuse à des judéo-chrétiens, pour qui la femme évoque plus le péché ou la mort spirituelle que la mort physique, est pour les vrais druides un défi dépourvu de toute agressivité personnelle, car c’est la même déesse-ou-démone ou fée si l’on préfère, qui conduit au paradis des guerriers l’âme/esprit de ceux qui sont morts au combat.
PROLONGEMENTS POPULAIRES DANS LE FOLKLORE.
Note de Pierre de La Crau retrouvée sur feuille volante et insérée à cet endroit par ses héritiers.
Épigones de (l’aspect) Danu (bia), Cantismerta, ou Bodua. Les fées annonciatrices de décès. Il existe diverses appellations selon les pays, puis selon les régions.
Irlande : Bansidh, Bean Si, signifiant « femme du Side » (le Sidhe est un tertre ou une colline réputé pour être la demeure des fées).
Écosse : Bean Sith, Bean Nighe (la lavandière du gué), Caointeach (la pleureuse).
Pays de Galles : Cyhiraeth ou Gwrach y Rhibyn.
Bretagne : Kannerezed-noz (les lavandières de la nuit).
La fée annonciatrice d’une mort prochaine est un être légendaire, issu du folklore irlandais ou écossais, que l’on retrouve également dans le folklore du pays de Galles breton, voire celui de Bretagne. Ses hurlements étaient censés annoncer une mort prochaine.
Banshee est le terme anglais dérivé du gaélique. La Banshee peut revêtir plusieurs apparences. On la rencontre sous la forme d’une belle jeune fille au visage dévoré par les pleurs ou au contraire d’une vieille femme hideuse aux longs et maigres cheveux, vêtue d’une robe verte et d’un manteau gris. Elle apparaît aussi parfois sous la forme d’une corneille.
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Le cri de la Banshee est le plus horrible qui puisse s’imaginer. Il tient à la fois du hurlement du loup, des appels de l’enfant abandonné, des plaintes de la femme qui accouche, et des cris de l’oie sauvage. Ceux qui l’ont entendu affirment que ce cri réveillerait n’importe qui, et qu’il reste audible même au milieu d’une violente tempête.
Lorsqu’une Banshee émet ce cri, celui qui l’entend sait qu’un membre de sa famille est mort, ou s’apprête à mourir. Il arrive parfois que des Banshees se réunissent pour hurler à l’unisson, annonçant l’arrivée d’une grande catastrophe ou le décès d’une personne importante.
La Banshee se tient parfois près d’un gué, où elle se lamente en lavant le linceul du futur décédé. C’est notamment le cas des lavandières de nuit armoricaines. Ce rôle de lavandière, assez curieusement, ne fait que renforcer l’étroite association qui existe en général entre l’eau ou les rivières notamment, et la grande déesse-ou-démone mère cosmique.
Initialement la banshee est une sorte d’ange de sexe féminin servant d’intermédiaire entre le monde des dieu-ou-démons et le monde des hommes. Elle n’a pas nécessairement le funeste rôle d’annoncer les décès en lavant le linge ensanglanté de la future victime ou son linceul, mais les deux thèmes ont fini par se confondre dans le folklore. La christianisation a dégradé le rôle de la Morrigani ou Morrigu pour la reléguer, dans le folklore, au niveau des fées, des sorcières et des fantômes. Le personnage de la lavandière nocturne est donc un avatar de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère ce terme, Danu (bia), Cantismerta, ou Bodua, influencé par le thème druidique des messagères de l’autre monde. Le hésus Cuchulainn lui-même rencontrera une lavandière lavant son linge dans une rivière, peu de temps avant sa mort, crucifié sur le menhir de Muirthemné.
N.D.L.R. En France, certaines Dames Blanches sont clairement des banshees. On connaît notamment l’exemple de la Dame du palais des Bourbons, qui se manifestait la veille de la mort d’un des membres de cette famille. L’évolution moderne du mythe l’a transformé en légende urbaine : elle apparaît le plus souvent aujourd’hui sur des routes isolées en se faisant le plus souvent voir des conducteurs.
Épigones de (l’aspect) Bodua. Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, la reine irlandaise Medb est sans aucun doute un des avatars de l’aspect Catubodua ou Cassibodua de la G.D.M.A. Se reporter à ce que nous avons noté à ce sujet plus haut.
Mais le caractère passablement terrifiant de cette Catubodua/Cassibodua est aussi à mettre en relation avec le type de représentation appelé Sheela na Gig par les spécialistes.
On appelle sheela na gig les figurations (gravées sculptées ou dessinées) représentant une horrible vieille femme nue, chauve, aux yeux exorbités, au sexe dilaté (qu’elle écarte de ses propres mains). Le symbolisme de la Sheela na Gig est assez clair : celle qui donne la vie est aussi celle qui préside à la mort, car, de la sorte, elle reprend son bien.
Les plus anciens spécimens ont été trouvés dans le sud-ouest de la France (11, Cleyrac en Charente, Fontaine d’Ozillac, etc.) et datent du XIIe siècle, mais ces sculptures romanes sur pierre ont dû être précédées par des sculptures sur bois ayant depuis disparu.
Certains manuscrits de la littérature médiévale irlandaise y font sans doute également allusion, sous diverses appellations (l’idole, la vieille, la sorcière, cailleach…)
L’immense majorité des exemplaires qui nous ont été conservés se trouve maintenant d’ailleurs dans ce pays (plus de cent) d’où l’étymologie de leur nom. La première mention du terme Sheela Na Gig se trouve dans un livre publié en 1840, et désigne une sculpture de l’église de Rochestown dans le comté de Tipperary en Irlande. Une autre mention, toujours en 1840, est rapportée par un officier d’artillerie parlant de l’église de Kiltinane dans le même comté.
Gig est habituellement interprété en gCioch ou Giob signifiant seins, fesses (Sile-ina-Giob). Il y a polémique par contre en ce qui concerne l’origine et la signification du premier terme. Il est possible en effet de rencontrer les termes Sheila, Sile et Sila. Eamonn Kelly mentionne une expression irlandaise contenant les termes Sighle na gCíoch et signifiant la vieille sorcière aux seins ou Sile-ina-Giob signifiant Sheila sur les genoux (Sheila venant de l’irlandais Sile, Cécile ou Cécilia). Mais ces interprétations sont contestables, car peu de Sheela Na Gig ont les seins visibles.
D’autres auteurs rapprochent le terme sheela du terme gaélique side signifiant Autre Monde (comme dans ban shee).
Le nom le plus ancien utilisé pour désigner une de ces sculptures est néanmoins celui d’idole, il est mentionné par R. WORSLEY en 1781, dans son « Histoire de l’île de Wight ». Le terme « idole » fut également utilisé pour désigner une de ces représentations aujourd’hui perdue, mais qui existait toujours à Lusk en Irlande à la fin du XVIIIe siècle.
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Le cas des îles d’Inishkea (au large de la péninsule de Mullet dans le comté de Mayo) étant un peu différent, rien ne prouvant que cette idole, encore adorée au début du XXe siècle, ait été une Sheela Na Gig.
Jusqu’au XVIIe siècle, ces sheela na gig figuraient en bonne place (souvent au-dessus de l’entrée) dans les églises, les châteaux, ou d’autres monuments de ce type, où elles étaient considérées comme des représentations de saintes locales, mais dans de nombreux cas, il s’agissait plutôt de la réutilisation d’une sculpture ou d’un bas-relief provenant d’un monument plus ancien. À partir de cette époque, elles ont commencé à être reléguées hors de la vue des visiteurs avec d’autres images devenues indésirables. L’expansion de ce type de représentation en Irlande, où il y en a 101, prouve que dans ce pays tout au moins cela devait correspondre à une idée toujours bien vivante. Et si l’on en trouve beaucoup moins au Royaume-Uni (45. La plus célèbre se trouve dans le château de Kilpeck, dans le Herefordshire), c’est vraisemblablement parce que ce processus de relégation ou de destruction a dû commencer dans ce pays beaucoup plus tôt qu’en Irlande.
Ces représentations ne sont en aucune façon réalistes, et soulignent lourdement certaines parties du corps, tout comme dans ce que l’on connaît de l’art celte antique. Les yeux notamment (leur taille a été nettement exagérée sans doute afin d’évoquer l’âme ou l’esprit de ce personnage. Ne dit-on pas couramment que les yeux sont le miroir de l’âme ?)
La Sheela na gig se tient parfois sur une seule jambe comme à Kiltinane et à Fiddington.
La plus grande incertitude règne à propos de ces représentations féminines souvent grotesques, mais toujours avec les parties génitales surdimensionnées.
Cinq ou six significations possibles ont été retenues par les historiens de l’art.
Un culte de la fertilité. La dilatation de la vulve peut évidemment attirer l’attention sur cette fonction, et le fait que de nombreuses femmes venaient la toucher pour avoir des enfants aussi, mais le reste ne s’y prête guère, et il ne s’agit donc toujours que d’une hypothèse.
Des protections contre le mal, des talismans apotropaïques destinés à porter chance et à écarter le mauvais œil (un peu comme les crânes d’autres monuments). Surtout dans les cas où ces représentations étaient bien en vue à l’entrée des bâtiments en question (Doon, Cashel, abbaye de Fethard, Ballynahinch).
Des avertissements pudibonds et misogynes des chrétiens, destinés à mettre en garde les fidèles contre la sexualité féminine associée au péché ou au satanisme.
Cela peut être vrai des sheela na gigs trouvées dans les églises avec des représentations d’autres péchés (Kilpeck) et aussi en France.
D’antiques représentations de saintes, notamment sainte Catherine (Tugford Sheelas). Cela vaut pour l’Irlande aussi bien que la Grande-Bretagne.
Les Sheela Na Gigs seraient une sorte d’équivalent des gargouilles et des représentations de démons dans les églises et cathédrales d’Europe.
Un aspect de la déesse-ou-démone Morrigani. Porte d’entrée dans la vie, l’utérus serait alors dans ce cas le symbole du retour à la terre mère par la mort, et la sheela na gig ferait de cet aspect de la Morrigani l’exact équivalent de la déesse-ou-démone Kali en Inde.
La théorie, adoptée par Joanne McMahon et Jack Roberts, est que les Sheela Na Gig sont une réminiscence d’un culte préchrétien de la fertilité ou de la Déesse-ou-démone-Mère. Selon eux, les Sheela Na Gigs se rencontraient dans des édifices du culte préchrétien, mais auraient ensuite été intégrées dans l’architecture des églises.
Anne Ross et Margaret Murray pensent que ces sculptures représenteraient soit des déesse-ou-démones ou fées, de la Terre, soit des déesse-ou-démones de la guerre. Ce serait une divinité celtique, une sorcière telle que la Cailleach des mythologies écossaises et irlandaises. C’est la théorie la plus populaire, mais elle n’est pas partagée par la majorité des universitaires.
Maureen Concannon associe ces représentations à la Déesse-ou-démone-Mère et Joergen Andersen évoque une vague influence païenne dans un contexte résolument médiéval. On trouve en effet souvent des sculptures d’hommes, de femmes et d’animaux, à côté de bêtes dévorant des êtres humains, dans les représentations de l’enfer. Ces figurations auraient eu pour but de rappeler aux populations de l’époque, largement illettrées, les préceptes de la religion chrétienne. Dans le cas qui nous occupe celui de ne pas succomber aux plaisirs de la chair.
Une autre hypothèse avancée par Joergen Andersen puis reprise par James Jerman et Anthony Weir, est que ces sculptures sont apparues au XIe siècle en France et en Espagne avant d’être introduites dans les îles Britanniques au XIIe siècle. Des différences ont été en effet relevées avec les sculptures du Continent où les figures masculines et des positions extravagantes sont beaucoup plus présentes que dans les îles britanniques, ce qui accrédite la thèse d’une assimilation ultérieure de ses
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représentations en Irlande et au Royaume-Uni. Ces auteurs pensent donc que ce type de représentation est remonté dans les îles Britanniques en suivant les routes de Saint-Jacques-de-Compostelle. Eamonn Kelly, conservateur des antiquités irlandaises au Musée National d’Irlande à Dublin remarque que la distribution des Sheela Na Gig en Irlande correspond aux zones envahies par les Anglo-normands. Les Sheela Na Gigs des églises auraient été apposées ainsi pour dénoncer la convoitise et la perversion que représenteraient les femmes, mais Barbara Frietag conteste ce point. Cette théorie n’explique pas les représentations se trouvant sur des monuments qui n’ont rien de religieux comme les châteaux.
Aucune de ces théories n’est donc applicable à toutes ces représentations, et il existe des cas particuliers pour chacune d’elles. Certaines des femmes représentées sont minces avec de petits seins, d’autres sont plus grosses et ont un contexte sexuel évident, d’autres encore ont des stries évoquant des marques ou des tatouages.
DOCUMENT DE TRAVAIL : L’HÉRÉSIE GALLOISE.
Les mabinogi ne sont plus, hélas, que des légendes romanesques.
Don/Dôn. Déesse-ou-démone ou fée galloise. Épouse du géant Beli. Mère d’Amaethon, de Gwydion, d’Arianrhode, de Govannon et de Llûdd. Elle est donc la génitrice de la dynastie divine « des enfants de Don », en lutte contre la famille des géants dits « les enfants de Llyr ».
La grande déesse-ou-démone mère aquatique est également appelée Modron dans les mabinogion gallois (voir l’histoire de Culhwch et Olwen). Modron est la mère divine (eau-mère), la fille d’Avalloc, ou du roi d’Avallach (Avallon ?) dans les Triades galloises. Elle est similaire à la déesse-ou-démone ou fée Matrona du Continent, à la déesse-ou-démone ou fée irlandaise Danu (bia), et constitue vraisemblablement le prototype initial de la fée Morgane de la légende arthurienne. Elle est mère de Mabon, dont le nom complet est Mabon ap Modron « Mabon, fils de Modron ».
Mais cela nous l’avons déjà signalé.
Note de la rédaction. Cette grande déesse-ou-démone centrale a donc tellement de noms différents qu’une sage précaution serait peut-être de la désigner seulement par un sigle genre G. D. M. A. (grande déesse-ou-démone Mère aquatique), car la grande déesse-ou-démone centrale est en réalité une ennéade (une ennéade est la réunion de neuf divinités, hiérarchisées ou complémentaires).
La plus ancienne de ces ennéades est d’ailleurs celle des Gallisenae. La première mention de leur existence remonte en effet à un dénommé Artémidore (125 – 27 avant notre ère.). Selon Pomponius Mela (géographe du Ier siècle), elles sont neuf et ont fait vœu de chasteté. Elles ont le don de prophétie, le pouvoir de calmer vents et tempêtes, et de prendre la forme animale qu’elles désirent.
« L’île de Sena, située dans la mer britannique, en face des Ossismes, est célèbre pour son oracle, dont les prêtresses, vouées à la virginité perpétuelle, sont au nombre de neuf. Elles sont appelées Gallicènes, et on leur attribue le pouvoir singulier de déchaîner les vents et de soulever les mers, de se métamorphoser en tels animaux que bon leur semble, de guérir des maux partout ailleurs regardés comme incurables, de connaître et de prédire, faveurs qu’elles n’accordent néanmoins qu’à ceux qui viennent tout exprès dans leur île pour les consulter ».
Au commencement du XIIe siècle, Geoffroi de Monmouth dans sa Vita Merlini, décrit l’île des Pommiers ou île Fortunée (Avallon) habitée par neuf sœurs, dont l’aînée s’appelle Morgane. Car Morgane a huit sœurs, ne l’oublions pas !
« L’île des Pommes, également connue sous le nom d'« Île Fortunée », s’avère ainsi nommée parce qu’elle est prolifique. Les paysans n’y ont nul besoin de labourer les champs, la nature pourvoit d’elle-même à tout et rend toute culture inutile. Grâce à ses arbres et à ses champs, l’île donne spontanément récoltes, raisins et pommes. De lui-même le sol, généreux, produit toutes choses comme de l’herbe, et en ce lieu on vit cent ans ou plus. Là neuf sœurs édictent d’aimables lois destinées à ceux qui, de chez nous, se rendent chez elles, et de ces sœurs, la plus éminente est experte en l’art de guérir, mais elle supplante également ses sœurs en beauté. Morgane est son nom, et elle a jadis appris les vertus de toutes les plantes médicinales, si bien qu’elle sait guérir les corps malades. Mais elle connaît aussi l’art qui lui permet de changer d’aspect ou de voler avec des ailes. Quand elle le veut, elle est à Brest, Chartres ou Pavie ; quand elle le veut, elle se coule dans l’air jusque sur vos rivages. On dit que cette femme a enseigné les mathématiques à ses sœurs… C’est là qu’après la bataille de Camlann nous portâmes Arthur, blessé, sous la conduite de Barinthus, qui
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connaît la mer et les étoiles. Grâce à ce guide, notre frêle esquif accosta sans dommage en ces lieux, et Morgane nous a reçus du mieux qu’elle a pu. Elle a placé le roi sur une couche dorée, puis de sa main honorable, elle a découvert sa blessure et l’a inspectée un long moment ; ensuite elle nous assura qu’il pourrait recouvrer la santé s’il restait avec elle et acceptait de suivre son traitement. Nous lui avons donc confié le roi et pour revenir nous avons livré nos voiles aux vents favorables ».
Attention ! Nous ne voulons par-là en aucune façon signifier que ces deux textes caractérisent et définissent exactement la G.D.M.A. Nous voulons seulement dire en recourant à cette métaphore, qu’il arrivait aux druides de l’époque de rendre la complexité d’une poly-unité en se servant à cet effet de l’image de l’ennéade.
N.B. Le tout étant supérieur à la somme des parties ces trois entités se retrouvent à la puissance dix dans cette reine d’Irlande.
PROLONGEMENTS SAVANTS DANS LA SCIENCE D’AUJOURD’HUI.
Note de Pierre de La Crau retrouvée sur feuille volante et insérée à cet endroit par ses héritiers.
Une illusion d’optique créée par Dame Nature : la Fata Morgana. La Fata Morgana est un phénomène optique qui résulte d’une combinaison de mirages (perturbations des rayons lumineux lors de leur passage à travers un gradient thermique dans l’atmosphère). L’apparition d’une Fata Morgana est apparemment favorisée par la présence d’îles, car la terre et les roches changent de température beaucoup plus vite que l’eau. Les trajectoires des rayons sont alors imprévisibles et entrelacées de façons diverses. On peut obtenir ainsi des combinaisons exceptionnelles de mirages supérieurs et inférieurs, où des images simultanément droites et renversées s’empilent, en formant une colonne verticale.
Ce mirage est un des plus complexes qui soient. On utilise aussi le terme de mirage latéral pour le nommer. Ce mirage fait apparaître des formes comparables à des falaises, des palais de cristal, ou encore des temples. Les conditions nécessaires de vision pour ce type de mirages sont quelquefois réunies dans le golfe de Botnie, entre la Suède et la Finlande, ou au-dessus de la mer Baltique, au printemps, lors du dégel. La Fata Morgana est aussi observable dans les régions polaires et a joué de nombreux tours aux explorateurs du Grand Nord. On la retrouve également, assez fréquemment dans le détroit de Messine, entre l’Italie et la Sicile. Le nom de Fata Morgana a été par la suite attribué à tous les mirages ayant des formes fabuleuses, étranges ou étonnantes.
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TARAN/TORAN/TUIREANN.
(Toiraecus, Tueranneus, Tueraeus, en Espagne.)
La mythologie irlandaise accorde à cette entité divine une place à part dans le panth-éon.
En principe il devrait avoir la première place, mais ce que l’on peut constater c’est qu’en Irlande ce n’est pas le cas.
Hérésie ? Disons plutôt des siècles d’évolution séparée et de désintégration sous les coups de boutoir du christianisme. Les moines copistes n’ont pas fait que copier ou recopier à l’infini d’antiques légendes, ils en ont brûlé aussi beaucoup.
Dans le dodécaèdre de Jung, correspond à l’archétype numéro12, celui du roi.
Il faut néanmoins souligner que dans la psychologie analytique druidique personne n’est prisonnier d’un seul archétype. On peut très bien être roi, mais être aussi un excellent guerrier.
Les rois/reines sont introvertis et plutôt cartésiens, factuels. Ils aiment les règles, l’ordre et l’éthique. Ils aiment prendre du temps pour définir la meilleure stratégie. La notion de justice leur est importante, et ils aiment être vus comme des gens intelligents. Ils savent très bien déceler les failles d’un système, d’une création ou d’une idéologie. Les rois et les reines n’aiment pas les imprévus, et ont du mal à être spontané(e)s. De plus, ils peuvent en venir très facilement aux jugements critiques voire de valeurs des autres. La pathologie liée à quelqu’un qui ne serait QUE roi/reine tout le temps serait le narcissisme (estime de soi exagérée, vision des autres comme des objets, etc.)
Les jungiens ont parfaitement raison de voir qu’on peut très bien être roi, mais être aussi guerrier.
Les guerriers sont des gens précis avec une forte détermination. Ils n’ont pas peur des conflits et arrivent très bien à « défendre leur territoire ». Ils/elles aiment la compétition et les défis et arrivent facilement à faire avancer les choses.
Comme les rois, ils disposent d’un haut sens moral avec des valeurs affirmées, notamment un grand sens de la famille.
Orientés action, les guerrier(e)s n’aiment pas perdre trop de temps à réfléchir, aussi ils cèdent facilement à l’impulsivité voire à l’agressivité. Tout ce qui ressemble de près ou de loin à un sentiment est vu avec méfiance par un guerrier(e) qui voit ces côtés humains comme des faiblesses.
La pathologie liée à quelqu’un qui n’est QUE guerrier, c’est la psychopathie où la personne commet des actes impulsifs graves sans le moindre remords. Le guerrier deviendra agressif pour vous faire peur. La culpabilité n’est pas un problème pour les guerriers. Il niera en bloc et se mettra en colère.
Et il est vrai que l’on trouve un peu de tout ça dans la personnalité du premier des dieux, mais à un niveau très symbolique.
Tuireann (vieil irlandais : Tuirenn ou Tuirill Biccreo) d’après les apocryphes irlandais à notre disposition (essentiellement l’Aided chloinne Tuireann) nous est présenté comme étant le père de Credne, Luchta, et Cobannos.
Ses autres fils (par Dana) sont appelés en gaélique Brian, Iuchar and Iucharba. Ce sont eux qui d’après ces apocryphes auraient tué le père de Lug, et provoqué de ce fait une terrible vengeance de la part de ce dernier.
Certains passages du Lebor Gabala Erenn néanmoins nous présentent Brian, Iuchar and Iucharba comme étant les fils de Delbáeth Mac Ogma.
Tout cela est bien compliqué et prouve que le paganisme philosophique et réfléchi des mythes panceltiques originels avait fini par dégénérer sous les coups répétés de la sous-culture chrétienne de l’époque.
Taran/Toran/Tuireann était en effet une autre des figures majeures de la théologie druidique. Il représentait la partie esprit ou menman du gdonios celte (de l’être humain). Il se situait donc à la jonction ou à la rencontre entre l’âme (pure) et la matière inanimée. L’âme pure et la matière étant généralement, mais bien que paradoxalement, associées au genre féminin, l’esprit ne pouvait donc qu’être masculin pour les druides. Féminin + féminin quand cela s’interpénètre cela donne du masculin chez les Celtes. L’entité divine Taran/Toran/Tuireann était par conséquent considérée comme mâle ou masculine dans le panth-éon druidique.
Le nom de Tuireann se réfère à une racine proto-indo-européenne qui nous a donné le mot tonnerre (cf. l’actuel gaélique tomach)
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N.B. Les bardes irlandais devenus chrétiens ont donc fini par ne plus du tout traiter ça comme de la mythologie intemporelle, mais comme des généalogies analogues à celles de leurs mécènes de patron.
EN TERRES GERMANIQUES CETTE ENTITÉ DIVINE EST CONNUE SOUS LE NOM DE DONAR OU THOR.
Thor est le fils du dieu Odin et de la déesse Jörd. C’est le dieu des éclairs, du tonnerre et de la pluie. Il représente le combat, la force et le courage. Armé de son marteau magique appelé Mjollnir ou Mjolmer, il défend les hommes et les autres dieux contre les monstres et les géants. La plupart des peuples de l’Europe septentrionale utilisent sa racine pour désigner le jeudi ; Thurs-day (Thor's day).
Tout comme Indra en Inde ou Thor dans le monde germanique, Taran/Toran/Tuireann (Toiraecus, Tueranneus, Tueraeus, en Espagne) était vu comme celui qui triomphait des forces maléfiques du chaos, le plus souvent personnifiées par des géants ou des serpents (et d’ailleurs la plupart du temps les bardes fusionnaient ces deux caractéristiques, les forces de la nature brute étaient représentées par des géants anguipèdes : ce que l’on appelle des vouivres sur le Continent, des fomore en Irlande). Taran/Toran/Tuirean est donc, dans leur optique, celui qui maintient l’univers physique en bon état.
Le nom de Taran/Toran/Tuireann se retrouve à plusieurs reprises dans les inscriptions sous des formes relativement variées, Taranoou à Orgon, dans les Bouches-du-Rhône, France ; Taranucnus à Boeckingen et Godramstein (où il est assimilé à Ravinis) en Allemagne, Taranucnus à Budapest en Hongrie (où il est assimilé à Jupiter) ; Taranucus à Scardona, en Croatie (où il est assimilé à Jupiter) ; Taranis à Baudeced, en Belgique, et Taranuos sur le territoire d’Amiens, dans la Somme, en France. Il apparaît aussi dans le théonyme Etirun cité par les Dindshenchas, mais selon certains auteurs la forme véritable du nom serait Taranus. Du celtique *toranos – la foudre l’éclair, de la racine indo-européenne *ten – qui a le sens de « tonner, gronder ». La fonction orageuse apparaît clairement dès l’origine donc, ce qui explique pourquoi les Romains l’ont assimilé très naturellement à leur Jupiter, lui aussi dieu-ou-démon de l’orage et de la foudre. Mais Taran/Toran/Tuireann est également un dieu ou démon du ciel, d’où son association au symbole de la roue, symbole solaire par excellence, tout autant que symbole de l’orage.
L’origine de Taran/Toran/Tuireann n’est pas moins mêlée que celle de la grande déesse-ou-démone-mère aquatique. Le dieu ou démon, tel qu’il apparaît, semble lui aussi être une synthèse. L’unité de Taran/Toran/Tuireann n’est donc qu’une unité nominale, couvrant des traditions disparates. La représentation la plus frappante que l’on se fait alors de lui est celle d’un dieu ou démon du tonnerre, chef de file des divinités atmosphériques. Il est particulièrement présent dans les régions montagneuses où il est considéré comme étant le « dieu ou démon des cieux » « celui qui chevauche les nuages ». Il est « roi du ciel, seigneur de la pluie, et donc maître de la terre aussi ». Ce dieu ou démon est au départ dépourvu de formes précises et il est en général évoqué par différents symboles comme la roue, l’esse, le triscèle, ou le svastika.
Dès l’aube de l’Humanité, l’homme a été terrorisé par la foudre et le tonnerre. Il a longtemps rattaché ces phénomènes à une cause surnaturelle. Ainsi la foudre était-elle associée à la colère des dieu-ou-démons, ou à la notion de châtiment des fautes et des péchés. On en retrouve des représentations chez tous les peuples et dans toutes les religions. Dès l’ère préhistorique, des peintures rupestres décrivent la foudre comme une pierre ou une hache lancée du ciel, détruisant tout sur son passage. Chez les Grecs, le maître des dieu-ou-démons était Zeus et son attribut distinctif était la foudre, symbole de sa divinité. Chez les Romains, son équivalent était Jupiter, et chez les anciennes peuplades germaniques, Thor avec son marteau. Ce dernier avait une barbe rousse qu’il secouait dans ses moments de colère, et d’où s’échappait alors la foudre. En Inde le dieu ou démon de la foudre se nommait Indra, en Égypte Seth ; en Chine la divinité qui présidait au mystère de la foudre, était Lei Tsu ; et sur le continent américain, les Aztèques avaient le dieu ou démon Tlaloc.
Au Moyen-âge, une très ancienne coutume consistait encore à porter dans sa poche, par temps d’orage, une pierre de foudre : une fulgurite (roche formée par la vitrification de sols siliceux sous l’effet de l’intense chaleur produite par le courant de foudre lors de son impact au sol). On récitait en même temps : « Pierre, pierre, garde-moi du tonnerre » ou l’on adressait des prières à des saints comme saint Donat, saint Aimable, voire sainte Barbe.
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On retrouve ce dieu ou démon en Bretagne romaine et il correspond exactement au dieu-ou-démon gallois (et probablement irlandais) Taran, père d’un certain Glineu dans les mabinogion (Glineu ap Taran, Glineu fils de Taran) ainsi qu’au dieu-ou-démon écossais Taranaich.
Il est connu en Irlande sous le nom de Biccreo Delbaeth (Deluato) et il est aussi appelé Tuirell ou Tuirill… dans certains apocryphes. Delbaeth ou Deluato signifie « qui a la forme d’un feu ». Comprenne qui pourra !
Sur le Continent, Jules César lui attribue l’empire du ciel. « Le dieu qu’ils honorent le plus est Mercure […] Après lui donc ils adorent Apollon, Mars, Jupiter et Minerve. Ils se font de ces dieux à peu près la même idée que les autres peuples : Apollon guérit les maladies, Minerve enseigne les principes des arts manuels, Jupiter est le maître des dieux, Mars préside aux guerres » (De Bello Gallico, VI, 17).
Il s’agit donc du premier des dieu-ou-démons ouraniens ou célestes. Les commentateurs de Lucain en font, eux aussi, un maître du ciel, mais aussi de la guerre. « Praesidem belloreum et caelestium deorum maximun Taranin Iouem, adsuetum olim humanis placari capitibus, nuc uero gaudere pecorum ». « Ils tiennent Taranis Jupiter pour le dieu tutélaire de la guerre et le plus grand des dieux du ciel, jadis il était de coutume qu’on lui offre les têtes [des guerriers vaincus] maintenant il se contente de bétail ». (Gloses ou scholies bernoises du texte de Lucain.)
Mamertin, lui, nous en parle comme suit.
« Non content d’avoir jadis empêché les Titans de s’emparer du Ciel, et d’avoir livré bataille contre les monstres à double forme (les vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Fomore en Irlande ? N.D.L.R.) il gouverne, d’un soin ininterrompu, son empire, tout harmonisé qu’il soit ; fait tourner d’une main infatigable cette masse énorme ; et assure avec une vigilance extrême l’ordre et la succession de tous les phénomènes. Il ne bouge pas seulement quand il fait retentir le tonnerre et qu’il lance la foudre, car, même lorsqu’il a pacifié les éléments naturels en désordre et tumultueux, il ne néglige pas pour autant de régler les destinées, ou d’exhaler de sa paisible poitrine les brises qui glissent silencieusement… » (Panégyrique de Maximien par Mamertin.)
Mamertin était, certes, un collaborateur de l’occupant et un courtisan de la pire espèce, mais il était d’origine celte. Ce texte est donc important, car il reflète bien les idées à la mode dans le milieu des successeurs des druides ou des bardes, les rhéteurs de l’époque, et il fait bien de Taran/Toran/Tuireann un souverain, mainteneur des lois cosmiques et morales dont les ennemis sont des vouivres anguipèdes gigantesques (les Titans pour les Gréco-Romains, les Andernas pour les Celtes continentaux, les Fomore pour les Gaëls).
Certains ont voulu, bien inutilement d’ailleurs, dénier à Taran/Toran/Tuireann tout caractère lumineux ou fulgurant. Et il est exact effectivement que son nom n’évoque a priori que le tonnerre, au sens strict du terme (tanar-/taran-).
Pourtant, tout dans sa symbolique (swastika, triscèle ou spirale, et ainsi de suite…) y compris son assimilation à Jupiter par l’interpretatio romana, nous renvoie quand même à cette notion de lumière fulgurante, y compris la roue d’ailleurs, car la roue symbolise le soleil, mais aussi la foudre. Rappelons ici que la Croix de Taran/Toran/Tuireann est identique à la rune lépontique du don des dieu-ou-démons (gebo), un X qui nous indique les quatre stations solaires sacrées des levers, mais aussi couchers, du soleil, lors des deux solstices.
Selon le grand archéologue français J.-J. Hatt, la foudre aurait été considérée par les anciens druides comme une émanation du feu céleste accumulé dans le soleil. Et notre auteur d’évoquer, à l’appui de sa thèse, des monnaies sur lesquelles apparaît un conducteur lançant au bout d’un trait ondulé un maillet, ou un pavillon aux diagonales apparentes (un labarum ?) Il s’agirait alors du mythe de Taranis-Jupiter lançant la foudre sur la terre pour la fertiliser ainsi et la faire fructifier. Mais notre auteur relève aussi par ailleurs que sur d’autres monnaies, tout comme sur le chaudron de Gundestrup, Taran/Toran/Tuireann semble lutter contre la terre ou des divinités chtoniennes. Ambivalence donc du thème du feu (dans l’eau) qui peut être, soit bénéfique, soit destructeur.
On l’assimile également au temps atmosphérique, si l’on en croit Mamertin (il exhale de sa paisible poitrine des brises, etc.) S’il est de ce fait un dieu ou démon redoutable et terrible, il est aussi le père de la tribu (teutanus), épithète qu’on lui décerne peut-être dans une intention propitiatoire, mais qui correspond à un certain nombre des légendes à son sujet. Sa maîtrise du ciel et des tempêtes ou des orages (éclair tonnerre foudre : il peut aussi bien les écarter que les déchaîner), en fait un dieu ou
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démon utile à l’agriculture. Ceux qui sont essentiellement ou de façon plus circonstancielle, animés par des sentiments négatifs, peuvent toujours l’invoquer, afin d’abîmer les récoltes ou de provoquer la sécheresse, mais il garantit plutôt l’abondance agricole. Sa chaleur et sa force nourrissent et entretiennent tous les êtres.
Un petit bronze trouvé au Châtelet (Gourzon, département français de la Haute-Marne) nous a livré à son sujet une image étonnante. Cette figuration représente un dieu-ou-démon debout, de noble allure, pourvu d’une abondante chevelure et d’une barbe vénérable, où l’on ne peut manquer de reconnaître Jupiter, mais un Jupiter affublé d’un attirail bien insolite (donc Taran/Toran/Tuireann en fait).
Le personnage appuie sa main gauche sur une roue à six rayons, tandis que la droite brandit le foudre classique. Le plus inattendu, c’est que, sur son épaule droite, il y a un cercle de métal, dans lequel sont enfilés, comme des clés dans un anneau, neuf objets en forme de spirales.
Après des années de discussions, aujourd’hui on s’accorde à identifier ces mystérieuses spirales à des éclairs, dont elles imitent le tracé en zigzag.
Les neuf spirales suspendues à l’épaule comme un carquois constituent la provision d’éclairs que le dieu ou démon céleste tient en réserve pour ses besoins immédiats. Figure touchante de naïveté, qui réunit le symbole romain de la foudre ainsi les symboles non romains de la spirale et de la roue. D’autres figurations montrent la roue de ce Jupiter celtique accostée d’un troisième symbole, le « swastika » (croix gammée, sorte de roue à quatre rayons et à jante interrompue, dont les rayons se replient à angle droit dans la direction du mouvement solaire apparent).
Directement ou non, la roue est un symbole du soleil, soit qu’elle rappelle par sa forme le disque même de l’astre ou le tracé qu’il décrit dans l’immensité du ciel, soit qu’on la considère comme la réduction du quadrige solaire. La roue qui lui est souvent associée doit symboliser un char plus difficile à représenter. Mais dans ce dernier cas, elle était fort apte à évoquer le bruit terrifiant que perçoivent les hommes, quand le divin conducteur fait entendre le roulement du tonnerre. Rappelons que la roue figure aussi sur le chaudron de Gundestrup. Ce qui est caractéristique, c’est que, à la différence de beaucoup de peuples d’origine indo-européenne, les Celtes paraissent avoir été moins frappés ou impressionnés par la lumière proprement dite, que par les effets de l’éclair et de la foudre. Tandis que le maître du ciel est avant tout 'le lumineux', aux yeux des Grecs, qui lui donnent le nom de Zeus, ou des Romains, qui l’appellent Jupiter, et même à ceux des Germains, qui le nomment Tiwaz (Ziu en vieux haut-allemand), les Celtes, eux, ne connaissent que Taranis, dont le nom évoque le tonnerre. Mais celui-ci est toujours accompagné de l’éclair (loucetios) ainsi que de la foudre. Taran/Toran/Tuireann est donc une trinité à lui tout seul (Éclair-Tonnerre-Foudre).
Voici ce qu’en pense de son côté l’autre grand spécialiste français de ces questions, Paul-Marie Duval.
Taran/Toran/Tuireann. Ce nom désigne en celte le « tonnerre » (en gallois taran) qu’évoque très probablement le symbolisme de la roue. Le grand dieu-ou-démon indo-européen du ciel, dont les parallèles se répondent d’un peuple à l’autre, grec, romain, celte, est même figuré en cavalier militaire, tenant le foudre, parfois la roue [colonnes du dieu ou démon cavalier terrassant un monstre à queue (s) de serpent ou de poisson, que l’on appelle traditionnellement « l’anguipède géant »]. Le symbolisme de ces monuments est manifestement d’ordre cosmique ou métaphysique. L’emploi même de la colonne, si particulier pour supporter l’image d’un dieu-ou-démon, est destiné à le rapprocher du ciel, son royaume, d’où elle paraît dominer le monde. Ces colonnes de pierre du monde gallo-romain sont les exacts successeurs du bilios/Irminsul ou des totems (simulacra) du temps de l’indépendance.
En bas de ce groupe sculptural figurent quatre dieu-ou-démons variés (ou six ou huit), inférieurs au maître de l’univers. Cette iconographie exprime le triomphe de la lumière céleste qui voit tout, sur les forces souterraines et cachées (car le géant paraît sortir du sol et sa nature serpentiforme souligne son caractère chtonien) le jour l’emportant sur la nuit, les forces pures sur les forces impures, et même peut-être la vie éternelle sur la mort.
Le caractère céleste et lumineux de Taran/Toran/Tuireann, est particulièrement évident dans le cas de la colonne découverte à Cussy dans le département français de la Côte-d’Or. Le soleil et la lune, figurés à Cussy et ailleurs, définissent le théâtre de son activité : le ciel. Plus qu’un dieu ou démon solaire pur et simple, il règne sur l’ensemble des grands luminaires. Le positionnement face à l’est du dieu ou démon de Cussy semble signifier que le soleil se lève à son commandement. Il est ainsi le dieu ou démon de la lumière, de l’éclair et de l’orage. La colonne a longtemps passé pour un phare, et le chapiteau dit d’Auvenet en outre, était appelé « la lampe ». L’appellation populaire doit s’entendre au sens figuré, elle se réfère à la lumière céleste dont le dieu ou démon est la personnification. Dieu-
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ou-démon de clarté, mais aussi de vie, le dieu ou démon cavalier peut enfin accorder son appui aux défunts, en les faisant accéder à la lumière éternelle de l’au-delà. On a souvent signalé des tombes familiales expressément placées dans le voisinage immédiat des colonnes, ce qui en ferait ce que l’on appelle dans les cimetières druidiques un équivalent de nos médiévales lanternes des morts. Mais cet aspect funéraire du dieu ou démon cavalier, n’est ni aussi constant, ni aussi essentiel, que son caractère céleste ; il s’agit d’un aspect occasionnel, il est néanmoins logique et mérite d’être signalé. Cette conception de la divinité céleste s’est matérialisée sous la forme de monuments de types très variés : dédicaces à Taran/Toran/Tuireann, autels dédiés à Jupiter, associé ou non à l’ancienne appellation locale du dieu ou démon indigène ; monuments exhibant seulement les attributs de la divinité, foudre et aigle classiques, roues, croix gammées, spirales rappelant le caractère solaire et fulgurant du dieu ou démon ; figurations d’un dieu ou démon « à la roue » le plus souvent anonyme ; figurations d’un cavalier au sommet d’une colonne et vainqueur d’un monstre anguipède ou, plus simplement, d’un dieu-ou-démon debout, dominant un misérable anguipède. Les vouivres anguipèdes étant la représentation symbolique classique des Andernas sur le Continent, Fomore en Irlande.
Entre tous ces types de représentations, deux particularités incontestables établissent un lien, et montrent qu’il s’agit, dans tous les cas, d’un dieu ou démon de même ordre : l’assimilation à Jupiter, attestée par une inscription, et la présence de la roue. Mais l’interprétation comme Jupiter n’a que la valeur d’une indication générale, conférant à cette divinité le caractère lumineux et la puissance.
L’examen détaillé des faits révèle des aptitudes infiniment plus variées, tandis que l’étude des colonnes permet de soupçonner une mythologie druidique originale. Le dieu ou démon, par exemple, est souvent d’une taille qui dépasse largement celle de l’anguipède, alors que l’on pourrait s’attendre au contraire.
Cette inégalité, certainement voulue, est un procédé artistique destiné à faire comprendre que ce dieu ou démon est supérieur en force à son adversaire, et triomphera donc de son ennemi.
Les attitudes ne sont pas uniformes dans le détail. Il arrive que le dieu ou démon enjambe simplement le monstre étendu ou agenouillé à ses pieds. Le plus souvent l’anguipède est figuré sous les traits d’un petit personnage, debout, voire agenouillé, appuyé contre la jambe gauche du dieu-ou-démon, qui fait peser sa main sur la tête du vaincu, dans un geste de domination (non de protection, comme on l’a cru parfois). Les jambes du monstre se terminent en serpent, dont la tête se retourne et essaie de mordre la jambe de ce Jupiter druidique.
Les groupes sculpturaux ne sont pas tous aussi bien conservés, ni aussi explicites, et il se peut que le vaincu ne soit pas toujours anguipède. Dans un très petit nombre d’exemplaires, il semble même avoir été remplacé par une femme. Une vouivre au sens strict du terme donc. La signification du cheval, celle du monstre anguipède, ont fait l’objet d’interminables discussions. On a pensé que le cheval pourrait correspondre aux nuées qui soutiennent le dieu ou démon dans les hauteurs de l’atmosphère. Ce qui est en cause, ce n’est pas la guerre humaine, si brillamment conduite soit-elle, car la lutte évoquée de la sorte est infiniment plus sublime et se déroule sur un tout autre plan : c’est l’antagonisme des forces qui régissent le monde. Ces circonstances montrent assez clairement la nature foncière de l’anguipède. Le monstre est l’antithèse du cavalier qui le terrasse ; et puisque le dieu ou démon se laisse définir, ainsi que nous l’avons dit, on peut supposer que le rôle du monstre consiste à contrecarrer cette action.
Dans un autre groupe sculptural, mis au jour en 1964, le dieu ou démon tient du bras gauche, qui pend le long du corps, une roue à quatre rayons, disposés en forme de croix pattée, qui rappelle de très près la roue tenue par le dieu ou démon cavalier découvert à Meaux. De plus, le petit personnage est réduit à une tête humaine barbue et chevelue, sculptée au ras du sol, comme si le monstre avait quelque peine à s’arracher de la terre ; sur cette tête la roue est, pour ainsi dire, imposée ; geste qui traduit la victoire de Taran/Toran/Tuireann, dieu ou démon de la foudre.
Taran/Toran/Tuireann était aussi parfois évoqué pour la guérison des maladies concernant la vue physique. Le raisonnement des malades est facile à comprendre : ils invoquaient tout naturellement, pour la sauvegarde de leur vue, le dieu ou démon qui personnifiait la lumière.
Le feu symbolise l’énergie transformante des actes de Taran/Toran/Tuireann. La tradition druidique a retenu ce symbolisme du feu comme l’un des plus expressifs de son action. À ce feu sacré, il revient de régner ou d’animer ‘univers, car Taran/Toran/Tuireann est un dieu ou démon auxiliaire du Destin (Tokade). Avec le Destin et la G.D.M.A. il doit recevoir même adoration et mêmes honneurs. Il en est inséparable, mais en honorant cette trinité sacrée, vivifiante et indivisible, les druides distinguent quand même bien toujours ces trois entités.
Certains assimilent Taran/Toran/Tuireann, notamment à cause de son caractère victorieux, au premier des archanges zoroastriens (Vohu Manah). Cela est peu vraisemblable.
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Ce qui est certain, par contre, c’est que Taran/Toran/Tuireann prépare les hommes, et leur ouvre l’esprit, par des éclairs de génie fulgurants comme des coups de tonnerre (l’illumination). Il vient aussi au secours de notre faiblesse en nous dotant parfois de la force (lumière) des héros, symbolisée par l’èn laith lon laith dans la culture irlandaise (représentée sur certaines monnaies armoricaines par une sorte de mât ou rayon sortant de la tête figurant dessus).
Le dieu ou démon de Moïse se manifestait parfois dans un buisson ardent, eh bien Taran/Toran/Tuireann, lui, simple dieu ou démon des druides, se manifestait dans un chêne.
Maxime de Tyr, Dissertation, XXXVIII : les Celtes rendent un culte à Zeus, mais l’image de Zeus, chez eux, est un grand chêne.
Pline, Histoire Naturelle, XVI, 249-251. « Signalons à cette occasion l’admiration dont font preuve les Celtes du Continent à l’égard de cette plante. Les druides – puisque tel est le nom qu’ils donnent à leurs mages – n’ont rien de plus sacré que le gui, et l’arbre qui le porte, à supposer que ce soit un [chêne de l’espèce quercus] rouvre. En fait, il s’agit chez eux de l’idée selon laquelle tout ce qui pousse dessus procède directement du ciel, et que le gui sur cet arbre est donc la preuve qu’il a été choisi par le dieu lui-même ».
D’où le culte du Bilios/Irminsul chez les Saxons. Encore que l’on ne sache pas grand-chose à son sujet en définitive.
Irminsul (allemand Irminsäule, vieux saxon Irminsûl : « grande ou puissante colonne ») était soit un arbre – plus précisément un frêne – soit un tronc totémique sculpté, dédié à une divinité saxonne (teutonique) de la guerre, nommée simplement Irmin. Il était connu chez les anciens Saxons, à la fin du VIIIe siècle.
Le moine Rodolphe de Fulda († 865), à qui l’on doit la description la plus complète d’Irminsul, rapporte au chapitre 3 de son hagiographie « De miraculis sancti Alexandri » : Truncum quoque ligni non parvae magnitudinis in altum erectum sub divo colebant, patria eum lingua Irminsul appellantes, quod Latine dicitur universalis columna, quasi sustinens omnia.
Il y avait aussi un tronc d’arbre d’une taille peu commune, dressé verticalement, qu’ils vénéraient en plein air, et qu’ils appelaient dans leur langue « Irminsul », qu’on peut rendre en latin par « pilier du monde », comme s’il soutenait toutes choses.
Taran/Toran/Tuireann était symbolisé ou représenté par un totem ou un tronc totémique appelé Bilios-ou-Irminsul, un peu analogue à celui de nos frères indiens de la côte du Pacifique nord, MAIS EN BEAUCOUP PLUS SIMPLE ET AVEC UNE FONCTIONALITÉ OU UNE INTENTION DIFFÉRENTE. Le bilios/Irminsul associé au culte de Taran/Toran/Tuireann est en fait le plus souvent un simple tronc d’arbre sommairement ébranché et planté dans le sol (bilios= bille), ce que les Romains appelaient un simulacrum.
Ce Bilios/Irminsul ne doit donc pas être confondu avec l’arbre du monde qui est un symbole cosmique.
La notion d’Arbre du Monde est un archétype renvoyant plutôt, dans certaines mythologies, à l’existence d’un arbre cosmique reliant les différentes parties de l’Univers – généralement les mondes céleste, terrestre et souterrain.
Cette notion apparaît ainsi chez de nombreux peuples indo-européens2, tels les Perses, les Slaves et les Germains. Elle revêt une forme particulièrement aboutie dans la religion scandinave, où l’arbre cosmique Yggdrasil (certainement un frêne), dont les branches se déployaient dans les cieux et les racines menaient au pays des géants, à celui des hommes et aux enfers.
C’est à cet arbre qu’Odin (germanique Woden) comme notre Hesus Mars resta suspendu neuf jours et neuf nuits, toujours selon la mythologie scandinave et l’Edda, en se sacrifiant ainsi lui-même à lui-même. Il y aurait appris le secret des runes et en serait quand même revenu vivant.
La popularité de ce mythe auprès des anciens Saxons est attestée chez les Anglo-Saxons du haut Moyen-âge, notamment à travers nombre de représentations qui mêlent mythes germaniques et religion chrétienne et qui associent Odin / Woden (aussi appelé Wotan) au Christ sur la Croix (voir notamment l’inscription runique figurant sur la Croix de Ruthwell, enfin peut-être).
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La version celtique de ce dieu indo-européen appelé Donar ou Thor, a souvent, à tort, été assimilé par les Romains à Mars, mais son assimilation la plus fréquente en fait un équivalent de Jupiter, ce qui montre bien que la protection défensive ou offensive n’était qu’une de ses fonctions et pas la plus importante. Toran/Taran/Tuireann règne par définition sur les autres dieu-ou-démons mais, bien que maître des cieux au sens large du terme, et notamment des éléments, Taran/Toran/Tuireann est en fait une entité qui n’intervient pas dans la vie quotidienne des hommes, sauf de façon exceptionnelle. Il règne, mais ne gouverne pas personnellement. Un peu comme dans certains pays ayant toujours des monarchies (Royaume-Uni, etc.). Et d’ailleurs la rareté du gui… de chêne en est l’illustration même. De même que le Destin (Tocade) ne crée pas le monde lui-même, mais en remet le soin à Taran/Toran/Tuireann, qui va, de son côté, charger les dieux de régler les détails, ce qui concerne le relatif. De minimis non curat Taranis, aurait pu dire Virgile dont le grand-père était druide.
Afin de faire comprendre cette situation (un roi qui règne, mais ne gouverne pas personnellement), paradoxale il est vrai, à leurs peuples, druides et bardes ont élaboré à ce sujet un certain nombre de discours.
Il est intéressant de noter dans cette optique que, si Taran/Toran/Tuireann est le premier des dieu-ou-démons sur le Continent, son rôle chez les Gallois est on ne peut plus modeste. Il y apparaît comme père d’un certain Glineu dans les mabinogion (Glineu ap Taran : Glineu fils de Taran) et dans l’épithète ou dans le titre reconnu à Pwyll : Pendaran (littéralement Chef, pen, de l’éclair, daran).
En Irlande il a quasiment disparu, au profit de Lug et d’un dieu ou démon proprement irlandais, Dagda, qui semble avoir récupéré certaines fonctions de Taranis.
Autrement dit les Irlandais en ont fait un deus otiosus, en transférant une grande partie de ses pouvoirs sur un de ses subordonnés. On peut rapprocher de cette idée le phénomène du « deus otiosus » bien attesté dans les religions indo-européennes : par exemple Tyr chez les Germains, dieu-ou-démon sans doute souverain à l’origine, mais dont le culte a disparu au profit de celui des « esprits spécialisés » du panth-éon ou plérôme tardif.
La fonction d’un tel dieu ou démon est habituellement d’être le père ou du moins l’ancêtre de tous les autres dieu-ou-démons, par l’intermédiaire de la grande déesse-ou-démone-mère cosmique, commune à toutes les religions.
L’hérésie ou la dérive, voire la déviance, irlandaise, a été jusqu’à en faire un dieu-ou-démon détrôné par Lug et les siens, et ravalé à un rôle subalterne, simple seigneur du side de Benn Eadair. Nom irlandais de la colline d’Howth au nord-est de Dublin, autrefois une île. Sur la carte de Ptolémée, l’île est appelée en grec Edrou Heremos (désert d’Edri).
Benn Eadair est considéré comme le point le plus à l’est de l’Irlande. Également connu sous le nom de Dun Etair ou forteresse d’Etar (le père d’Etain ??). Le dernier roi des Fénianes y aurait eu des navires et Oscar son petit-fils y serait enterré avec sa femme, une certaine Etain encore (en fait Aideen) !
En Irlande, Taran/Toran/Tuireann, mais aussi Tuirenn, Turenn, Tuirill, voire Biccreo, Picreo, Delbaeth… est donc aussi connu pour une de ses maladies, passée à la postérité dans une des variantes de la légende racontant la tragique destinée de ses enfants.
« Un jour que Tuireann Biccreo Delbaeth souffrait d’une grave maladie et qu’il ne trouvait pas de remède il alla trouver Diancecht. Diancecht lui donna une gorgée de potion à boire sur Cnoc Uachtat Archae qui le fit vomir trois fois. La première fois qu’il renvoya cela donna Loch Uair, la seconde fois Loch Iairn et la troisième Loch Aininn ».
Ces extraits de la légende apocryphe irlandaise ne sont guère explicites : nous n’avons aucune indication sérieuse sur la maladie de Tuireann (Taran/Toran), sa guérison, et les rapports éventuels de cette maladie avec les péripéties du meurtre de Cian (Ceno) ou de la quête expiatoire qui s’en est ensuivie. Taran/Toran/Tuireann et Eithne/Etain paraissent ici pour la première fois dans le récit. Taran/Toran/Tuireann donne des conseils et la pauvre Eithne se lamente sur les malheurs que ce crime va entraîner pour ses frères.
LA FAMILLE (OU LES AVATARS ???) DE TORAN/TARAN/TUIREANN.
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En Irlande Delbaeth (fils de Net ?) est dit grand-père de Tuirill Biccreo par certains passages du Lebar Gabala Erenn, mais d’autres passages de ce livre font de « Tuirill Biccreo » ou « Tuirill Picreo » un autre des noms de Delbaeth, et lui donnent pour enfants Brian (Brenos) Iuchar et Iucharba. Ce qui l’assimilerait donc à Tuireann et par conséquent finalement à Taran/Toran.
La parèdre ou épouse de Taran/Toran/Tuireann semble être soit Etanna (Etain), qui représente l’âme/esprit humaine toujours déchirée dans ses choix, ou la Grande Déesse-ou-démone Mère Aquatique Danu.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, bien que maître des cieux au sens large du terme, et notamment des éléments, Taran/Toran/Tuireann est une entité qui n’intervient plus dans la vie quotidienne des hommes. Il règne, mais ne gouverne pas. Comme au Royaume-Uni avons-nous dit. Par contre, lumière ou esprit de Taran/Toran/Tuireann continue à œuvrer dans l’histoire du peuple par excellence des dieu-ou-démons (les Celtes, de cœur ou d’esprit). Et suscite maints héros en son sein, en illuminant de son feu intérieur sacré de simples mortels que rien ne semble pourtant prédestiner à de telles responsabilités.
Croire en Taran/Toran/Tuireann cela signifie donc simplement, admettre que le feu intérieur sacré peut illuminer un homme de ses éclairs de génie, ou que le feu sacré du héros peut parfois illuminer certains êtres exceptionnels.
Ainsi que le prouve l’existence même du nom de Taranucnus, qui signifie né de Taran (CIL, T13, N° 6094) ce dieu ou démon était vu comme pouvant avoir des enfants. Mais de quel dieu ou démon pouvait-il s’agir dans ce cas, cela, personne n’en est très sûr.
Les Irlandais ont attribué à leur Tuireann Biccreo Delbaeth 3 enfants nommés Brian, Iuchar et Iucharba. En vieux celtique Brenos, Ivocaros et Ivocarbos. Une sorte de tricéphale là aussi en réalité. Le plus intelligent était Brennos (Brian) et devint en quelque sorte leur roi. Pour plus de détails à son sujet, voir ci-dessus le sous-chapitre concernant l’histoire des douze dieu-ou-démons, de Danu (bia).
Afin de protéger l’ordre cosmique et moral évoqué par Mamertin. Vu l’importance de ce texte, n’hésitons pas ici à le soumettre de nouveau à la sagacité de nos fidèles lecteurs.
« Non content d’avoir jadis empêché les Titans de s’emparer du Ciel, et d’avoir livré bataille contre les monstres à double forme (les vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomore en Irlande ? N.D.L.R.) il gouverne, d’un soin ininterrompu, son empire, tout harmonisé qu’il soit ; fait tourner d’une main infatigable cette masse énorme ; et assure avec une vigilance extrême l’ordre et la succession de tous les phénomènes. Il ne bouge pas seulement quand il fait retentir le tonnerre et qu’il lance la foudre, car, même lorsqu’il a pacifié les éléments naturels en désordre et tumultueux, il ne néglige pas pour autant de régler les destinées, ou d’exhaler de sa paisible poitrine les brises qui glissent silencieusement… » (Panégyrique de Maximien par Mamertin.)
Le rôle de Taran/Toran/Tuireann est donc aussi de restaurer l’ordre et la justice lorsqu’ils sont menacés d’une façon ou d’une autre, et pour protéger l’ordre cosmique et moral lorsqu’il est en péril, Taran/Toran/Tuireann peut envoyer sur terre le dieu ou démon le plus propice à ses desseins (avatar ou enfant).
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, son culte a disparu, non lors de l’interdiction, théorique et sans doute difficilement appliquée, du druidisme sous l’empereur Claude, mais lors de la christianisation des campagnes, qui débuta sur le Continent au IVe siècle avec saint Martin et en Irlande au Ve avec saint Patrick (car il y avait déjà des chrétiens en Irlande avant saint Patrice dans certains ports évidemment). Cette première tentative de christianisation n’aboutira d’ailleurs véritablement que plusieurs siècles après, avec les moines celtiques.
L’Église dut se résoudre à christianiser Taran/Toran/Tuireann très superficiellement d’ailleurs, en faisant de lui saint Georges, le tueur de dragons. Diverses villes maintinrent cependant l’essentiel de sa légende. Ainsi en France, à Metz, on fêtait au Moyen-âge la défaite du Graouilly, un dragon censé personnifier le paganisme vaincu, mais en réalité une variante locale des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent et Fomore en Irlande, ennemis traditionnels de Taran/Toran/Tuireann.
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ATTRIBUTS DE TOUS CES DIEUX.
Tout grand dieu ou démon avait toujours plusieurs épithètes ou épiclèses.
Les Romains en ce domaine nous ont préparé le travail et facilité la tâche. Ils ont en effet cherché les équivalents latins des dieu-ou-démons rencontrés par eux en terre celte, et leur ont systématiquement rattaché les attributs ou les épiclèses (épithètes) trouvés par eux sur l’immense territoire de l’ex-empire celte d’Ambicatus.
L’impérialisme culturel romain s’est d’abord évidemment imposé sous sa forme la plus brutale : l’apposition pure et simple du nom de la divinité gréco-romaine, sans référence religieuse indigène, sur l’autel votif. Mais on constate aussi, sur tous ces territoires soumis à la romanisation, une forme de syncrétisme ou d’acculturation, par exemple lorsque le nom du dieu ou démon indigène reste accolé à celui de la divinité romaine. D’autres formes de syncrétisme ou d’acculturation se sont aussi développées, chacune correspondant à une réaction différente des individus, face à l’invasion et à l’installation en position de force, des cultes gréco-romains.
Ainsi que nous avons pu le voir tout au début de cet opuscule destiné aux écoliers en druidisme, toute entité divine peut revêtir cinq formes différentes (pempedulie), un peu comme un trèfle à cinq feuilles (qui est beaucoup plus rare que celui à quatre feuilles).
La première est la forme supérieure de ce dieu ou démon, sa forme normale si l’on peut dire, invisible, et inaccessible à l’œil nu.
Le deuxième de ces niveaux est celui des hypostases constitutives de cette forme suprême, liées à son être même (exemple le père, le fils, et le Saint-Esprit, chez les chrétiens, et pourtant il s’agit du même dieu ou démon).
Le troisième niveau est celui des incarnations occasionnelles (avatars), qui sont produites dans un dessein précis et peuvent être totales ou partielles. Exemple le hésus Cuchulainn en Irlande, qui est un avatar de Lug, Manannan Mac Lir qui est un en réalité un avatar de Belin/Belen s’étant manifesté dans l’île de Man (entre la Grande-Bretagne et l’Irlande, etc.
Le quatrième niveau est celui de la présence du dieu ou démon dans le cœur humain. Alors là, évidemment, tout est possible.
Le cinquième et dernier niveau d’existence de la divinité enfin, est la forme sous laquelle on peut lui rendre hommage (arcana ou simulacra), c’est-à-dire la statue la peinture ou le symbole, dans lequel un artiste a introduit un reflet de sa divinité.
Ce n’est pas là la moindre des difficultés du druidisme, et ce trèfle à cinq feuilles, bien plus rare que le trèfle à quatre feuilles voire que le vulgaire shamrock de noïbo Patrice en Irlande, explique aussi en partie la longue liste d’épithètes ou d’attributs divins qui suit.
Les théonymes (noms de dieu-ou-démons) sont souvent dans les faits, des qualificatifs servant à désigner une même entité. Pensons à la pléiade de noms servant à désigner la Sainte Vierge du christianisme version romaine catholique ; Notre-Dame des Vaux et des Monts, des Bois et des Prés, des Lacs et des Rivières, etc. Ou aux 99 noms d’Allah.
Il s’agit là en fait d’une évhémérisation à rebours (processus d’assimilation) de théonymes plus anciens. Tout le monde connaît aussi (ou devrait connaître) le fameux Yahvé Sabaoth (dieu ou démon des armées) de la Bible juive. Eh bien de même que les juifs envisagent leur dieu-ou-démon sous son aspect guerrier, ou sous son aspect père, voire sous son aspect fils chez les judéo-chrétiens, les druides, eux, désignaient parfois un dieu ou démon par un de ses attributs supposés (Caturix = roi des combats, albiorix = roi des cieux, etc.)
À une différence près, dans le cas des druides, ces épiclèses ou épithètes divines n’impliquaient pas l’obligation de n’adorer qu’un seul dieu-ou-démon (monolâtrie) ou une trinité divine (comme dans le cas du christianisme), mais l’existence d’une sainte poly-unité composée de nombreuses personnes divines, ces attributs ou ces épithètes s’appliquant tantôt à l’une, tantôt à l’autre, de ces entités.
Cette épithète ou cette épiclèse avait pour but de préciser l’aspect précis de la divinité auquel on se référait. Elle pouvait être de différents types.
— Toponymique : selon le nom du lieu de culte où se trouve établi le sanctuaire, et plus particulièrement, selon le nom de sa tribu État d’origine.
— Topographique : elle précise le cadre naturel du culte.
— Utilitaire : selon l’action spécifique du dieu-ou-démon.
— Mythologique : selon les mythes liés au dieu-ou-démon envisagé.
— Liturgique : elle évoque un rituel particulier.
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Le syncrétisme religieux est donc le résultat du contact entre les pratiques religieuses apportées par les vainqueurs, et la religion druidique. Le conquérant romain amène en même temps que ses colons, ses marchands ou ses soldats, son panth-éon (plérôme) ; le premier problème qui se pose est donc de savoir comment va se faire la rencontre entre les deux.
Les différents niveaux de syncrétisme ou d’acculturation.
Le « baptême linguistique ». Une première étape est franchie dans le syncrétisme ou l’acculturation avec la simple mise par écrit, gravée dans la pierre, d’un théonyme jusqu’alors uniquement évoqué en paroles. Toutes les divinités druidiques dont on trouve trace sur les autels votifs relèvent de ce phénomène. Des noms de dieu-ou-démons ou déesse-ou-démones, ou de fées, peuvent en outre être accompagnés d’un qualificatif (sanctus, sacrum) ou du mot deus. Les termes deus, sacrum, sanctus, sont avant tout usités par des individus présentant une onomastique assez fortement romanisée. Ces titres témoignent d’une volonté de précision du contenu religieux des divinités druidiques pouvant être mal comprises par le milieu romain.
L’interprétation. Le second niveau du syncrétisme ou de l’acculturation accole au nom du dieu-ou-démon indigène celui d’une divinité romaine, puis fait disparaître le théonyme indigène. Concrètement, il y a donc association puis fusion entre un dieu-ou-démon classique et un dieu-ou-démon indigène, en fonction de points communs que les fidèles ont cru déceler entre les deux divinités. C’est l’interpretatio.
Ce processus peut revêtir plusieurs formes en fonction du degré d’assimilation entre les deux panth-éons : soit la divinité classique porte un surnom indigène, soit le nom de la divinité indigène est remplacé par le terme deus joint au théonyme romain, soit le nom de la divinité romaine apparaît seul, il a totalement absorbé le théonyme indigène. Il existe quelques exceptions à cette règle, les cas où c’est le théonyme indigène qui a survécu, seul. Exemple le culte de Lénus Mars en Allemagne.
Autre exemple d’interpretatio romana. Héraclès a été assimilé à plusieurs dieu-ou-démons celtes par référence à leur force physique. Il a tout particulièrement été rapproché d’Ogmios. Lucien de Samosate (IIe siècle).
« Les Celtes appellent Héraclès Ogmios dans la langue du pays, mais l’image qu’ils se font de ce dieu est bien étrange. Pour eux, c’est un vieillard sur la fin de sa vie, chauve sur le devant de la tête, tout blanc de cheveux pour ce qu’il en reste, de peau rugueuse et brûlée par le soleil au point d’en être noircie comme celle des vieux marins. On le prendrait pour Charon ou Japet du Tartare souterrain, pour tout enfin plutôt qu’Héraclès. Tel qu’il est cependant, il a l’équipement d’Héraclès, car il porte la dépouille du lion, tient de la main droite la massue, a le carquois passé à l’épaule et de la main gauche présente un arc tendu : et c’est bien tout Héraclès, que cela ».
Dans une perspective analogue, mais cette fois en milieu rural, nous avons les curieux monuments de pierre en forme de colonnes historiées que l’on voit éclore aux IIe et IIIe siècles entre Meuse et frontière rhénane.
De telles statues ont également été trouvées en Armorique à Corseul, Saint-Méloir-des-Bois, Plouaret (Côtes-d’Armor), Briec, Landudal, Plomelin et Plobannalec (Finistère), mais d’autres statues de ce type existent en Allemagne et en Belgique, ainsi que nous l’avons dit.
Les archéologues les appellent, d’après le groupe sculpté qui les surmonte, « au Jupiter cavalier » ou encore, considérant le vaincu plutôt que le vainqueur, « à l’anguipède géant », c’est-à-dire dont le corps finit en queue de dragon ou de serpent. On ne saurait imaginer condensé plus achevé des croyances et des aspirations, à quoi se sont sans doute ajoutées, en filigrane, des réminiscences de vieilles gigantomachies celtiques, dont l’épopée irlandaise a conservé le souvenir (les Andernas rebaptisés Fomore dans ce pays).
Dans les groupes sommitaux de nos colonnes, la monture terrasse un géant au masque hideux ou souffrant, et dont le corps se termine en queue de reptile, en signe d’attache avec le monde infernal, où résident les forces des Profondeurs voire du Chaos.
L’ensemble est fait d’éléments qui ont chacun des modèles iconographiques et stylistiques reconnaissables (comme le thème du Jupiter à la roue, du héros cavalier, fréquent sur les stèles rhénanes ; le décor fait de feuilles ou d’écailles imbriquées, ciselées, des colonnes de monuments funéraires ; l’ancienne imagerie des gigantomachies de Pergame… Mais l’assemblage, éminemment syncrétique, est d’inspiration proprement locale, et nous pouvons suivre la progression du type, cette fois encore, le long des marches orientales, depuis le pays éduen (en gros, la Bourgogne méridionale) jusqu’aux Champs Décumates (position avancée du Limes, dans l’actuel Bade-Wurtemberg). À en
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juger par les dédicaces conservées, l’initiative de l’érection de ces monuments revient généralement à des particuliers.
Un pareil syncrétisme, où se combinent cosmologie, forces du bien et du mal, dans une perspective à la fois eschatologique et politique ; où s’assemblent et se confondent des divinités de provenances diverses, caractérise un état où le polythéisme en était venu à ne plus concevoir qu’une seule puissance surnaturelle profuse, universelle ; dont les dieu-ou-démons nationaux et individuels n’apparaissaient plus que comme des aspects, des sortes d’épithètes invocatoires.
La plupart de ces surnoms, appliqués en terre celte, aux dieu-ou-démons romains, sont d’origine celtique. On peut se demander quelle en est la valeur. Cette valeur est évidemment variable. Certains de ces surnoms sont employés tantôt comme épithètes, tantôt seuls : Borvo, Grannus, Belenus, Segomo, Camulus, Belatucadrus, Nodons (Nodens ou Nudens), Sulis, Belisama. Dans ce cas, il est probable que ces surnoms sont les noms mêmes des divinités druidiques correspondantes. Quelquefois le surnom a une signification locale. Arvernus : Arverne, Cimbrianus : de Cimbrie, Condates : de Condé, Pœninus : des Alpes Pennines ; il est alors vraisemblable que nous avons affaire à une divinité romaine, objet d’un culte local. Restent les surnoms qui n’ont pas un sens local et qui ne s’emploient que comme épithètes. Un certain nombre d’entre eux peuvent désigner des divinités druidiques que l’on a vraisemblablement assimilées à celles des divinités romaines qui avaient des attributs analogues.
« Le dieu qu’ils honorent le plus est Mercure. Il a un grand nombre de statues ; ils le considèrent comme l’inventeur de tous les arts, comme le guide des voyageurs, et comme présidant à toutes sortes de gains ou de commerce. Après lui ces hommes adorent Apollon, Mars, Jupiter et Minerve. Ils ont de ces divinités à peu près la même idée que les autres nations. Apollon guérit les maladies, Minerve enseigne les éléments de l’industrie et des arts ; Jupiter tient l’empire du ciel, Mars celui de la guerre […] Ils se vantent d’être issus de Dis Pater, tradition qu’ils disent tenir des druides » (B. G. Livre VI).
L’étude des inscriptions britto – romaines [RIB] complète donc et rectifie le texte de César. Les dieu-ou-démons romains auxquels les dieu-ou-démons celtes ont été assimilés sont bien Mercure, Mars, Apollon, Jupiter et Minerve. Il faudrait y ajouter peut-être Hercule et Silvain. Le nom de Mercure est bien moins fréquent dans les inscriptions que celui de Mars. Peut-on en conclure qu’à l’époque britto – romaine, le grand dieu-ou-démon des Celtes était, comme à l’époque des invasions, un Mars plutôt qu’un Mercure ?
Nous nous contenterons de suivre les conclusions des colons romains ou romanisés en ce domaine, d’où les regroupements suivants, voir liste ci-dessous.
TARAN/TORAN/TUIREANN (appelé Jupiter ou IOM par les Romains).
Accio. Adceneicus. Addus. Agganaicus.
Albiorix. Roi du monde blanc, roi des cieux. Épithète de Taran/Toran/Tuireann trouvée à Vaison et à Montsalier dans les Alpes. À Oulx en Italie, on a par contre associé cette épiclèse au dieu-ou-démon romain Apollon. Il s’agirait donc d’une épithète convenant aussi bien à un dieu-ou-démon puissant et fort qu’à un dieu-ou-démon de la beauté ou de l’harmonie.
Ambisagrus. Anvalonnacus (suprême, souverain). Appenninus. Aramo. Arubianus. Assaecus (épithète du dieu romain Jupiter à Lisbonne). Baginatis. Brixianus. Bussumarus. Bussurigius. Cacus. Candamius. Candiedo. Cernenus. Cornutus. Digus. Eaecus. Erusenus. Geius. Halamardus. Karnuntinus. Ladicus. Latrobius. Poeninus. Reinimus. Saranicus. Taenos. Tamitenus. Tanarus. Tavianus. Teutanus. Uxellinus.
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LUG (appelé Mercure par les Romains).
Abgatiacus. Adsmerius. Alannus. Alaunus. Alounis. Andescociuoucus. Arcecius.
Arciacon. Le grand approvisionneur, le grand commerçant. Attribut divin de Lug connu par une inscription trouvée à York.
DEO ARCIACON ET N AVGST MAT… VITALIS ORD………
Au dieu-ou-démon Arciacon et au divin empereur Mat…… Vitalis, Officier supérieur…
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Du celtique*kik-ako – (muscle) avec le préfixe intensif *ar placé devant.
Artaius, attribut divin de Lug symbolisant sa force et sa fureur guerrières ou d’autres caractéristiques. Arterancus. Atesmerius. Atesmertius. Aruernorix. Aruernus. Atepomarus. Biausius. Bigentius. Cambus. Canetonnensis. Channinus. Cimabrianus. Cimbrianus. Cimbrius. Cimiacinus. Cisonius/Cissonius. Clauariates. Colualis. Cosumis. Devoris. Dubnocaratiacus. Dumias. Dumiatis. Epadatextorix. Excingiorigiatis. Friausius. Gabrus. Gebrinius. Gebrinnius. Harcecius. Hranno. Ildanach (mot gaélique signifiant « polytechnicien »). Iouantucarus. Iuiacus. Lamhfhada (mot gaélique signifiant « qui a le bras long »). Limetus. Lonnansclech. Magniacus. Maicnia (mot gaélique signifiant « jeune guerrier »). Matunus/Matutinus. Moccus. Naissatis. Oueniorix. Samildanach (mot gaélique signifiant « polytechnicien »). Senus. Solitumarus. Susurrius. Tourevus. Toutenus. Uassocaletis. Uellaunus. Uiducus. Uisucius. Uisugius.
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BELIN/BELEN (appelé Apollon par les Romains).
Albarinus.
Arecurius. Le juge ou l’arbitre. Attribut divin connu par une inscription découverte à Corstopitum, Corbridge, dans le Northumberland.
DEO ARECVRIO APOLLINARIS CASSI…
Au dieu-ou-démon Arecurius Apollon, Cassius… Du celtique *are – (se tenir devant, présider) et *corio – (clan ou tribu) avec la finale masculine latinisée us.
Amarcolitanus.
Anextiomarus/Anextlomarus. Le sauveur. Attribut divin connu par une inscription sur une poterie découverte dans une épave trouvée dans l’estuaire de la Tyne près de South Shields. Semble avoir été l’offrande que des légionnaires romains venant de Strasbourg et en route pour renforcer les troupes montant la garde sur le mur d’Hadrien, prévoyaient de déposer dans un temple de la région. Du celtique *an (a)- (préfixe intensif), *exs – (hors de), *-ti – suffixe et *maro – (grand) latinisé en – us.
Atepomarus. Bassoledulitanus. Cobledulitavus. Cunomaglus (Nettleton Shrub dans le Wiltshire). Demioncus. Gangarensis. Livicus. Matuicos. Magiorix. Manannan (le Mannois). Mogounus. Moritasgus. Siannus. Toutiorix. Vindonnus/Vinotonus. Virotutis. Vorocius.
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NOADATUS/NODENS/NUDD/NUADA/LUDD (appelé Mars par les Romains).
Alator. Albiorix. Armogios. Arvernus. Barrex.
Barrecis. Du celtique barro, sommet ou hauteur boisée. Se retrouve dans le nom de la tribu irlandaise des Ui Bairrche ainsi que dans les différents « Bar » de France (Bar-le-Duc, Bar-sur-Aube).
Belado. Beladonnis.
Belatucadros. 28 inscriptions dans le voisinage du Mur d’Hadrien, particulièrement dans le Cumberland et le Westmorland.
Balatocadrus, Balatucadrus, Balaticaurus, Balatucairus, Baliticaurus, Belatucairus, Belatugagus, Belleticaurus, Blatucadrus et Blatucairus, sont vraisemblablement des variantes de ce nom qui signifie quelque chose comme : « celui à qui la mort va bien » « celui qui tue avec élégance ». Les autels dédiés à Noadatus dit Belatucadros sont en général très pauvres et ce dieu-ou-démon dit belatucadros semble donc avoir été honoré surtout par les simples soldats.
Bellodunnus.
Bolvinnus. Le rempart. Attribut divin du dieu-ou-démon de la guerre. Il était honoré à Baugiacus aujourd’hui Bouhy en France, département de la Nièvre, à l’égal d’un certain dunatis. Du celtique *balko – (fort) et *wi-na – (barrière, clôture).
Borus. Britus. Bruatus. Budenicus. Buxenus. Cabetius. Caisivus. Cariecus. Cariociecus. Carrus. Caturix. Cemenelus. Cnabetius. Cicinus. Cocidius. Condatis. Coronacus. Corotiacus. Cososus. Cuntinus. Curmissus. Dinomogetimarus. Divanno. Dunatis. Exalbiovix.
Exsobinus. Celui qui inflige des blessures. Attribut du dieu-ou-démon de la guerre connu par une inscription trouvée à Virton en Belgique. Du celtique nexso – (blessure) et bi-na – (frapper, infliger).
Giarinus. Gradivus. Intarabus. Iovantucarus. Lacavos. Latobius. Lavictus. Lenumius. Lenus (tilenus). Leucetius. Loucetius. Leucimalacus. Leusdrinus. Medocius. Melovius. Magianus. Marimogius.
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Masuciacus. Mogetius. Mogons. Mullo. Nabelcus. Nobelius. Ocaere. Ocellus. Ollodagus. Olloudius. Randosatis. Riga.
Rigisamus. Le plus royal. Attribut divin du dieu-ou-démon de la guerre. Connu par deux inscriptions trouvées, l’une à Bourges dans le Cher en France, où il est assimilé à Mars par interpretatio romana, la seconde à West Coker, dans le Somerset [RIB 187].
DEO MARTI RIGISAMO, IVENTIVS SABINVS.
Au dieu-ou-démon Martius Rigisamus, Juventius Sabinus.
Du celtique *rig – (roi) et *-samo – (le plus).
Rigonemetis. Attribut divin du dieu-ou-démon de la guerre connu par une inscription découverte à Nettleham, dans le Lincolnshire [RIB 245.b]
DEO MARTI RIGO NEMETI ET NVMINIBVS AVGVSTORVM Q NERAT.
Au dieu-ou-démon Mars Rigonemetis et au divin empereur, Quintus Neratius Proximus.
Du celtique *rig – (roi) et *nemeto – (clairière sacrée).
Saccetius. Sediammus.
Segomo. Du celtique *sego (s)- (force/victoire). Connu aussi en France par des inscriptions trouvées à Nuits-Saint-Georges, en Côte-d’Or ; Arinthod, dans le Jura, et à Lyon où il est assimilé à Mars par interpretatio romana. Il est aussi honoré à Culoz, dans l’Ain, sous le nom de Mars Segomo Dunatus. Semble associé aux équidés. Une statuette représentant un cheval lui a été offerte à Neuvy-en-Sullias dans le Loiret en France. L’appellation Nia Segamoin témoigne également de son culte en Irlande.
Semnocosus. Sinatis. Smertatius. Smertrios. Sutugius. Tarbucelis. Thincsus.
Tilenus. Inscription trouvée à Quintana del Marco, en Espagne. Du celtique *-ti – et *li-n-a, celui qui s’occupe des blessures.
Tritullus. Tullinus. Vegnius. Vellaunos. Veracinius. Veradunus. Vernostonus. Vintius. Visucius. Volmio. Vorocius.
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CAMULOS SMERTRIOS (appelé Hercule par les Romains).
Alabuandus. Andossus. Devsoniensis. Graius. Hveteris/Hvitiris/Vitris. Hunnus. Llunnus. Magisus.
Magusanus. Mertronnus. Saegon. Saxanus. Toliandossus.
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BRIGITTE (appelée Minerve par les Romains).
Arnalia. Belisama (la très brillante, la Dame blanche).
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NOTES MANUSCRITES SUR FEUILLE VOLANTE, DE PIERRE DE LA CRAU, ET RETROUVÉES PAR SES ENFANTS.
ÉPITHÈTES DIVINES DE LA TRADITION IRLANDAISE.
Boadach/Buadach. Le victorieux. Épithète qualifiant un des rois du paradis celtique dans la déviation irlandaise.
Delbaeth. Épithète de Taran/Toran/Tuireann. Vieux celtique Deluato. Qui a la forme d’un feu.
Eochaid : « Le cavalier ». Autre nom du Suqellos Dagda Gargant.
Ollathir : « Père de tous ». Autre nom du Suqellos Dagda Gargant. Vieux celtique « ollater ».
Picreo ou Biccreo. Synonyme de Tuirill.
Tuirill. Synonyme de Taran/Toran/Tuireann.
Ruad Rofessa. « Le rouge maître de la grande science ». Autre nom du Suqellos Dagda Gargant.
Trefuilngid Tre-Eochair. « Le triple porteur des Trois Clés ». Épithète de Lug ou de Taran/Toran/Tuireann.
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Pour ce qui est des divinités portugaises ou espagnoles, consulter…
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Blázquez, J. M. 1962. Religiones primitivas de Hispania. Fuentes literarias y epigráficas. Madrid : Consejo Superior de Investigaciones Científicas.
Encarnação, J. 1975. Divindades indigenas sob o dominio romano en Portugal. Lisboa : Imprensa Nacional-Casa da Moeda.
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RAPPEL SUR CERTAINS THÉONYMES
DE LA LITTÉRATURE IRLANDAISE.
Les généalogies sans valeur ou très embrouillées (quelque peu analogues à celles de Jésus dans Matthieu et Luc), fournies par Seathrún Céitinn (Geoffrey Keating), le Livre des conquêtes de l’Irlande (Lebor Gabala Erenn) et quelques notations extraites du manuscrit de la bataille de la plaine aux tumulus (Cath Maige Tuireadh) nous disent en effet à propos de ce dieu-ou-démon de la guerre, qu’il était fils d’Andedeiwos, fils d’Ollodeiwos, fils de Tatos. Autrement dit fils d’Indui fils d’Alldui fils de Tat : mac Indui/maic Alldui/maic Thait.
— Indui.
Le premier terme, in, est un préfixe intensif signifiant quelque chose comme grand ou supérieur.
Dui est un terme issu du brittonique (ivernien selon O’Rahilly) deiwos = dieu-ou-démon. En gaélique, on aurait eu dia. Voir vieux celtique andedeiwos.
— Alldui.
Le premier terme, all, oll, exprime la notion de totalité. Alldui est donc la divinité dans sa totalité ???
Dui est, idem, un terme issu du brittonique (ivernien selon O’Rahilly) deiwos = dieu-ou-démon. Voir vieux celtique ollodeiwos. En gaélique, on aurait eu dia.
— Tat. Tat (en gaélique on aurait eu atir). Il s’agit d’un terme brittonique (ivernien selon O’Rahilly) signifiant « papa ». Voir vieux celtique tatos.
Tat est donc une déité primordiale analogue au pro-père des gnostiques orientaux. Elle doit même être synonyme d’éon primordial.
Ainsi que nous l’avons déjà vu plus haut, dans l’hérésie qui s’est développée en Irlande (dégénérescence due à la raréfaction des contacts ou des échanges avec le reste du monde celtique) Neit ou Neth était aussi un électréon considéré ou vu comme un simple dieu-ou-démon de la guerre, ancêtre des enfants de la Déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), et des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Fomore dans cette déviation.
La mythologie irlandaise lui attribue en effet une très nombreuse progéniture, mais assez curieusement on sait très peu de choses à son sujet. L’hérésie irlandaise (nous voulons dire par là que c’est une déviation un peu poussée par rapport au druidisme continental antique) ; lui attribue comme parèdre ou shakti (Catu) Bodua (Bodb), Nemetona (Nemain en Irlande), et Féa, voire la triple Morrigan elle-même. Il s’agit évidemment d’une erreur due à la dégénérescence du druidisme local. Ou alors cela signifierait que cet éon était capable de former des paires avec des émanations divines de rang inférieur comme chez les gnostiques… d’Orient.
L’homme et le monde ne surgissent pas de façon absurde et sans explication du néant, ex nihilo disent les chrétiens (afin d’y retourner un jour ?), car ils sont porteurs de sens. Les généalogies divines, assez embrouillées il est vrai, ainsi que nous avons pu le voir, du Livre des Conquêtes irlandais, sont la déformation d’une explication détaillée, par les très-sachants de la druidiaction (druidecht), primordiaux ; du processus cosmique ayant abouti à l’apparition de la vie telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Prenons le cas de la suite généalogique irlandaise Ogma fils d’Elatha fils de Delbaeth fils de Neth.
Les Elatha et Delbaeth de nos manuscrits font problème. Delbaeth (vieux celtique Deluato) est un qualificatif souvent associé à Taran/Toran/Tuireann. Mais il s’agit, soit de personnages différents portant le même nom, soit de traditions différentes concernant les mêmes personnages.
Quant à Neth, ainsi que nous l’avons vu ci-dessus, il s’agit d’une entité considérée comme un simple dieu-ou-démon de la guerre ; ancêtre des enfants de la Déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia) ou Anu et des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Fomore dans l’hérésie (déviation par rapport au druidisme de référence) irlandaise.
Ce fragment de généalogie signifie peut-être simplement à l’origine : Guerre et Magie (Ogmios) sont issues du pouvoir scientifique et technique (Elatio), né de la forme indifférenciée (Deluato), elle-même issue de l’explosion des contraires. Ou, en sens inverse : Neth (dont le nom signifie confrontation des contraires) donne naissance à Deluato (la forme indifférenciée) ; qui donne naissance à Elatio le savoir-faire (très exactement l’art, la capacité, le savoir ou la technique) ; qui donne naissance ensuite à Ogmios le dieu-ou-démon de la guerre et de la magie, et ainsi de suite.
Cette explication en vaut une autre ! (Le plus troublant dans l’affaire, c’est que delbaeth ou deluato est une épithète souvent associée à Taran/Toran/Tuireann).
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Ce raisonnement de type généalogique (anthropomorphique certes, mais de façon nettement moins poussée que dans le christianisme) était en effet courant chez les très-sachants appelés druides.
Rien ne le prouve mieux que cette réponse du jeune Nédé à son aîné Ferchertne, dans le dialogue des deux sages.
Poésie fille de réflexion
Réflexion fille de méditation
Méditation fille de Connaissance
Connaissance fille d’enquête
Enquête fille de recherche
Recherche fille de Grande Science
Grande Science fille de Grande Intelligence
Grande Intelligence fille de Compréhension
Compréhension fille de Sagesse
Sagesse fille des trois dieux de Dana.
Il serait aussi enfantin [ce qu’ont pourtant fait les Irlandais devenus chrétiens. N.D.L.R.] de prendre tout cela au pied de la lettre, que de méconnaître la pensée profonde qui s’exprime sous ces fantaisies.
Tout homme un tant soit peu cultivé (comme le célèbre philosophe rencontré par Lucien de Samosate dans les environs de Massilia par exemple) sait ce qui est arrivé à Ouranos et à Kronos (émasculation et ensuite exil).
Ce qu’il faut penser des dieu-ou-démons irlandais comme Ceno/Cian (le lointain ? Voir la relégation de Kronos par Zeus) Neth, Delbaeth, et ainsi de suite, EST ENCORE PLUS RADICAL.
Ces dieu-ou-démons ne sont pas de vrais dieu-ou-démons, ce ne sont que des instants ou des étapes du processus de procréation du monde actuel. Le feu et la lumière vont toujours en décroissant.
De toute façon, les généalogies de ces dieu-ou-démons, complexes et souvent contradictoires, sont uniquement un moyen de les expliquer, de telle sorte que le fait de leur naissance soit concevable par l’intelligence humaine. Nous renvoyons, pour comparaison, à l’explication des Aditya védiques que l’on propose souvent. Avec, en outre, le rappel de la situation paradoxale de la Vierge Marie, mère de celui qui l’a faite, dans le christianisme.
Après la christianisation, ces images ou ces comparaisons, mises au point pour rendre compte de façon très philosophique, du processus cosmique ayant donné naissance au monde actuel, ont été victimes de deux phénomènes très différents, mais tous les deux redoutables.
1) Elles ont été prises au pied de la lettre, et l’anthropomorphisme grossier inhérent à la sous-culture chrétienne a évhémérisé tous azimuts ces allégories cosmogoniques de haut niveau (les Irlandais du Moyen-âge en ont fait des dieu-ou-démons voire des hommes).
2) Elles ont perdu leur cohérence originelle à force d’être copiées et recopiées, et ont été situées à des niveaux ontologiques erronés.
Il est donc vain de vouloir les reconstituer dans le détail ! Ce qui nous en reste dans les manuscrits est beaucoup trop incohérent ! Ce qui précède (la séquence généalogique : Ogmios fils d’Elatio fils de Deluato = Taranis, fils de Neto) n’est par exemple qu’une hypothèse de travail, et en aucune façon une certitude.
Tout ce que l’on peut faire donc, c’est au moins essayer d’en retrouver l’esprit, afin de le restituer aux hommes d’aujourd’hui.
1. L’univers tout entier oscille entre deux pôles opposés. Les êtres et les phénomènes qui se reproduisent dans l’univers sont des agrégats multiples et complexes de ces manifestations contraires.
2. Les êtres et les phénomènes sont des équilibres dynamiques divers ; rien n’est stable ni fini dans l’univers, tout est en mouvement incessant, parce que la polarisation, la source des êtres, est sans commencement ni fin.
3. Les pôles opposés s’attirent l’un l’autre.
4. Rien n’est totalement d’un pôle, tout est agrégat des deux en proportion variable.
5. Rien n’est neutre. La polarisation est incessante et universelle.
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6. La force d’attraction entre deux êtres est fonction de la différence entre leurs charges d’actions opposées (oxymore).
7. La répulsion entre deux êtres de même charge est d’autant plus grande qu’ils sont plus proches (Neto).
8. Les contraires engendrent leurs contraires. La vie vient de la mort, le jour vient de la nuit.
« Les Celtes affirment qu’ils descendent de Dis Pater, et disent que cette tradition leur vient des druides. Pour cette raison ils établissent les divisions de chaque saison, non en jours, mais en nuits ; et ils calculent les anniversaires ainsi que les commencements de mois ou d’année en suivant un ordre tel que le jour y suit la nuit » (César. B.G. Livre VI, XVIII).
À noter enfin ! Les gnostiques d’Orient ne connaissaient à ce niveau que les couples, ou syzygies dans la gnose d’origine iranienne (chaque dieu-ou-démon a sa parèdre) ; et ces couples de dieu-ou-démons et de déesse-ou-démones, ou fées, primordiaux, constituent, l’Albio-bitos (plérôme à tort chez saint Irénée).
Sans ignorer la chose, les gnostiques d’Occident, ou druides, eux, qui étaient de meilleurs astronomes, connaissaient aussi la syzygie à trois éléments ou triade. Car en astronomie, une syzygie (du grec suzugia, conjonction, puis bas latin syzygia) est une situation où trois corps sont alignés. Ce terme est généralement utilisé pour le Soleil, la Terre et la Lune ou une planète. Par exemple, les éclipses de lune ou de soleil sont des syzygies ; mais on parle aussi de syzygie pour désigner les nouvelles et pleines lunes, lorsque le Soleil et la Lune sont en conjonction et en opposition, bien qu’ils ne soient pas parfaitement alignés avec la Terre.
Ainsi que nous pouvons le voir, l’observation de la nature a joué un grand rôle dans l’élaboration des premiers concepts théologiques druidiques. Une autre des caractéristiques de la pensée druidique est en effet sa tendance, non à dédoubler, mais à carrément détripler les choses. Sur le Continent, cette façon de voir est illustrée par le nombre impressionnant de corps à trois têtes que l’on a retrouvés ici et là. Les personnages de ces triades ne sont pas fixés pour ce qui est des détails, et la composition varie constamment ; le dieu-ou-démon tricéphale lui-même qui apparaît sous un certain aspect sur un monument, est figuré d’une façon différente dans une autre localité.
Les monuments à trois visages présentent tantôt trois faces complètes autour d’un même bloc, tantôt une face centrale à laquelle sont juxtaposées deux moitiés de face, chacun des deux yeux centraux faisant paire avec un autre œil situé sur le côté. Ce qui est le cas du monument retrouvé à Reims par exemple.
Les monuments à trois têtes se subdivisent en deux séries. La première figure une divinité à trois visages partant d’un même cou et la seconde une divinité dont la tête centrale est figurée avec deux plus petites têtes collées à la hauteur des oreilles, à niveau égal ou différent.
Il ne semble pas qu’il y ait de différence entre les représentations dans leur conception mythique, tout au plus une approche différente dans l’exécution du monument.
Il est impossible de dire si la figure tricéphale représente une même divinité ou si plusieurs dieu-ou-démons différents se cachent sous une même représentation, car la figure est tantôt imberbe, tantôt barbue.
Ces éléments que nous venons de survoler permettent de croire ; que ce soit au travers des représentations figurées ou au travers des textes irlandais ; à l’existence, chez les très-sachants de la druidiaction (druidecht), d’une conception suivant laquelle un même être divin pouvait réunir en sa propre personne trois entités différentes. Cas par exemple des trois fils de Tuireann (Brian, Iuchar et Iucharba) dits aussi les trois dieu-ou-démons de Dana.
Pour la petite histoire, rappelons que le dieu-ou-démon tricéphale se retrouve aussi dans l’Inde védique, ainsi que dans l’art chrétien. La collégiale Notre-Dame-en-Vaux, à Châlons-sur-Marne, possède une des plus belles figures tricéphales, sur le mur intérieur de la chapelle nord, près du chœur. Pour la voir, il faut, après avoir longé le déambulatoire, prendre un petit passage privé de lumière et, avant de déboucher sur la chapelle, lever les yeux vers la droite. Le visage triple est là, quatre yeux, trois nez, trois bouches. La cathédrale de Bayeux, en Normandie, possède, elle aussi, une très belle représentation tricéphale visible par tous, pour peu qu’on lève les yeux vers le triforium.
Le dieu-ou-démon tricéphale lui-même semble une représentation réduite de la triade. Mais que dire lorsque l’on voit sur les monuments figurés le tricéphale encadré de deux autres dieu-ou-démons ? On ne peut plus parler ici de triade, car la triplicité n’est plus respectée. Bref, c’est du chirk akbar, du chirk tous azimuts…
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AU-DESSUS DES DIEUX : LES NUAGES AUTOUR DE LA MONTAGNE,
LA SPHÈRE DU NUMINEUX (au sens non jungien du terme).
Ce qui caractérise le premier des plans supérieurs issus de cette émanation, c’est sa très grande proximité d’avec le Grand Tout divin ou Pariollon. Il s’agit simplement de la personnification non éphémère d’un des attributs de la divinité (père, fils, et même esprit, sont par exemple les hypostases du Dieu ou Démiurge des chrétiens).
Cet albiobitos est donc habité par des êtres au corps fait tout de lumière et de pureté. Ils sont à l’abri de toute souillure et n’ont ni père ni mère au sens strict du terme, car ils correspondent à un degré de l’être un peu moins primitif que celui que nous sommes capables d’imaginer.
La notion d’Albiobitos est ce qui, à nos yeux de modernes, paraît le plus aberrant dans l’ancien druidisme. On la considère souvent comme une loufoquerie qui n’a plus d’intérêt qu’historique ; pourtant elle a joué un rôle important dans toute la spiritualité occidentale.
Plutôt que de la critiquer en la reléguant dans les limbes d’un ancien druidisme hypothétique, nous allons donc tenter ici de montrer les raisons profondes qui ont poussé les anciens druides à défendre une théorie en apparence aussi étrange.
Numen, pl. numina, est un terme latin signifiant « divinité », ou « présence divine », « volonté divine »
Le numen n’est pas personnifié (bien qu’il puisse être un attribut personnel) et doit donc être distingué du deus (dieu).
Le terme était utilisé dans le culte impérial de la Rome antique, pour désigner la « divinité » ou la puissance divine d’un empereur vivant ; cela permettait d’adorer un empereur vivant sans le qualifier littéralement de dieu.
Dans l’histoire des religions le terme renvoie à une phase préanimiste ; c’est-à-dire un système de croyances hérité d’une époque antérieure.
Peuple religieux, mais sans grande imagination, les Romains n’avaient pas personnifié leurs dieux. Les dieux étaient « ceux qui vivent là-haut ». Les Romains les désignaient d’un terme générique : Les NUMINA, c’est-à-dire : « les Puissances ».
Les NUMINA devaient être « utiles », ils protégeaient la famille et toutes les activités de la vie familiale.
Saturne, Ops, et Janus, étaient à l’origine des Numina.
L’arrivée des dieux grecs leur donna une véritable personnalité et une histoire pleine de récits qui embellirent la mythologie romaine. Saturne devint le patron des semeurs et des semences. Ops favorisait les moissons. Janus devint le dieu des entreprises propices.
Peuple très religieux, mais doués d’une grande imagination, les Celtes personnifièrent rapidement la plupart de leurs numina hérités de la préhistoire néolithique et reconnurent une grande importance à ceux qui restèrent rebelles à tout anthropomorphisme.
Équivalents dans d’autres religions.
Kami dans le shinto japonais.
Mana en Polynésie.
Shekhinah en hébreu.
Le numineux a une réalité objective et constitue une force, une énergie ou un champ, qui pénètre certaines choses et provoque une évolution qui touche – et attire – certains aspects de la Nature.
Dans la pratique ce sont des forces universelles premières.
AUTREMENT DIT DES ÉONS (du celtique AIU = « longue vie » « siècle » « éternité ») OU PRÉ-DIEUX, UNE ENNÉADE DE PRÉ-DIEUX.
[Cahier de notes partiellement abîmé par l’humidité et retrouvé au fond d’un carton par la fille de Pierre de La Crau Mélisande ou son fils cadet Alix.]
En quoi la théorie de l’Albiobitos consiste-t-elle ? Il n’est pas difficile d’en brosser les grandes lignes.
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Les raisons ontologiques de croire en l’existence du monde des électréons.
Pour les anciens druides, le monde dans lequel nous vivons, contenant les objets que nous percevons, n’est donc pas le seul monde qui existe. Il existe un monde des dieux, mais il existe également un monde idéal, séparé du monde sensible dans lequel nous évoluons, et même distinct du monde des dieux qui n’en est qu’un pâle reflet imparfait. Ce monde idéal (comme son nom l’indique) est entièrement composé d’éléments essentiels dont même les plus beaux et plus puissants des dieux ne sont que des copies très imparfaites ; et que l’on peut désigner de noms divers (les Gnostiques d’Orient les appelaient par exemple éons). Ce sont les différents hypostases ou electr-éons de l’Être UN surgi du néant (croire en l’existence de ces hypostases est évidemment du koufr voire du grand koufr aux yeux des musulmans).
Avant de hurler à l’incongruité, la croyance en ces électr-éons libres est évidemment du koufr akbar à la puissance dix pour les théologiens musulmans ; penchons-nous un peu sur le raisonnement à la suite duquel les anciens druides ont jugé nécessaire d’élaborer ce concept.
Le monde sensible dans lequel nous vivons est imparfait : si l’on réfléchit bien, on constatera par exemple qu’il n’existe pas dans le monde un seul vrai triangle (même un triangle dessiné à la règle est irrégulier, ses côtés sont imparfaits) ni deux objets absolument identiques. Dans ces conditions, comment pouvons-nous avoir l’idée de triangle, puisqu’à proprement parler il n’y a pas de triangle dans le monde ? De même, comment pouvons-nous concevoir l’idée d’égalité, puisque tous les objets que nous pouvons voir sont inégaux ?
La seule manière de rendre compte de nos connaissances mathématiques, consiste à dire qu’il existe un vrai triangle, une vraie égalité (dans un autre monde, un monde idéal) et que c’est par la connaissance de ces Idées de ces Electréons ou de ces Éons que l’on peut par la suite dire de tel ou tel objet qu’il ressemble à un triangle, ou qu’il est presque identique à un autre.
Prenons un autre exemple : nous sommes entourés d’un grand nombre de beautés toutes différentes, certaines sont grandes, d’autres petites, en chair et en os, en bois, constituées de montagnes, de myriades de fleurs, etc.,… Pourtant, malgré ces différences, toutes sont reconnues « belles » par les humains que nous sommes, preuve que toutes ces merveilles sont aussi, d’une certaine manière, semblables. C’est à cette essence du beau, du bien, du bon, du juste, etc. ce qu’il y a d’identique dans toutes les beautés, ou bontés, ou justices, que les anciens druides pensaient en évoquant cet autre monde des éons ou des électréons ou des idéaux. Tout ce qui dans notre monde existe en de nombreux exemplaires (actes justes, objets beaux…) existe de manière unique, et parfaite dans le monde idéal de l’Albiobitos.
Ce qui caractérise l’ancien druidisme c’est donc la croyance que cette « beauté en soi », cette essence de la beauté, comme beaucoup d’autres principes, existe véritablement dans un monde séparé, indépendant du nôtre : le monde idéal des électréons, que les Gnostiques d’Orient appelaient éons tout court. Mais les anciens druides ne s’arrêtaient pas là, car pour eux les électréons n’étaient pas isolés, ils entretenaient aussi des rapports entre eux.
Mais attention, ce monde idéal n’est pas la résultante de l’activité de notre esprit ni de notre raison. Il existait avant même que les hommes fussent. C’est bien cela qui paraît farfelu pour nous autres modernes (en effet, nous pensons généralement que ce qui unit, par exemple, les multiples tables que nous voyons, c’est ce que l’on appelle le concept de table, et que ce concept est le produit de notre intelligence qui compare les tables, voit ce qu’il y a d’identique en elles…). Pour les druides, le monde sensible (dans lequel nous vivons) et le monde des électréons existent tous les deux et ils sont également indépendants de notre raison.
Pour les anciens druides, la première manière de définir l’Être, c’était en le distinguant de l’apparence et donc de la sensation. Ainsi, ne suffit-il pas de voir une sirène ou un éléphant rose pour que cet éléphant rose ou cette sirène existe, qu’ils aient de la consistance. Si donc l’Être ce n’est pas ce que l’on voit, qu’est-ce qu’il peut être dans ce cas ?
Il semble qu’il faille, pour qu’on ait de l’Être et pas seulement de l’apparaître, une certaine stabilité, une certaine persévérance dans l’Être. Ainsi, à quoi reconnaît-on que l’éléphant rose n’est qu’une illusion ? À ce qu’il finit par disparaître, il ne perdure pas. L’Être, c’est donc le stable, le durable, tandis que ce qui devient, ce qui change n’est que du paraître ou de l’avoir.
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Or dans le monde dans lequel nous vivons, tout change, rien ne demeure identique à lui-même, aussi, en toute rigueur ne devrait-il pas d’ailleurs y avoir d’Être dans ce monde.
Prenons un autre exemple afin d’illustrer cela : imaginons le corps d’un animal donné ; nous disons bien que cet animal est, et pourtant, si l’on y réfléchit bien, chaque seconde cet animal n’est plus le même, les cellules qui constituent son corps meurent et sont remplacées, lui-même bouge, change… Comment peut-on dire qu’il y a là un Être, alors qu’il n’y a pas d’Être… d’Être immuable ? Tout ceci pour les anciens druides n’était donc pas vraiment de l’Être, car alors il n’y aurait aucune différence entre l’être et l’illusion ou l’apparence. Tout se passe comme si, à chaque instant les êtres disparaissaient pour en devenir d’autres.
Pourtant, puisqu’on parle bien de l’Être des choses : c’est qu’elles doivent tenir leur être d’ailleurs, et cet ailleurs, c’est le monde idéal. La notion druidique d’électréon assure la stabilité des choses, il est la forme, l’essence de la chose qui perdure en elle à travers le changement. Ainsi, si l’on reprend l’exemple de l’animal, on voit que ce qui fait que l’on peut parler d’un animal, c’est une certaine forme, certains rapports entre les éléments de l’animal (les cellules, les organes) qui ne changent pas, alors même que ces éléments sont en perpétuel changement.
Le monde idéal des électréons ou éons, parfait et immuable, existait avant le monde sensible et avant même le monde des dieux ; celui-ci en est une copie imparfaite : là où dans le monde des Idées n’existe qu’une Idée parfaite de triangle (par exemple), il existe dans le monde sensible une infinité de triangles particuliers dont aucun n’épuise l’essence du triangle. Dès lors, comment pouvons-nous reconnaître la notion générale de triangle ? Il faut bien pour cela (puisque, comme nous l’avons vu, la sensation ne suffit pas) que nous ayons eu préalablement accès d’une manière ou d’une autre audit monde idéal.
Certaines Écoles de l’ancien druidisme eurent recours pour expliquer en termes imagés les conditions d’accession de l’homme à la connaissance ainsi que la non moins difficile transmission de cette connaissance ; à l’allégorie de la chute de l’âme hors de l’Albiobitos, pour tomber dans la matière ; d’autres à la théorie de la métempsychose ou passage de l’âme d’un corps dans un autre (exemple en Irlande avec Fintan et Tuan mac Cairill).
Le philosophe grec Platon lui eut recours à l’allégorie de la caverne. Dans une demeure souterraine, en forme de caverne, des hommes sont enchaînés. Ils n’ont jamais vu directement la lumière du jour, dont ils ne connaissent que le faible rayonnement qui parvient à pénétrer jusqu’à eux. Des choses et d’eux-mêmes, ils ne connaissent que les ombres projetées sur les murs de leur caverne par un feu allumé derrière eux. Des sons, ils ne connaissent que les échos.
Mais notons ici une importante différence entre les anciens druides et Platon. Pour les anciens druides cet Albio bitos ou monde des électréons n’était peuplé que de principes essentiels en nombre limité (exemple : le monde sensible est partagé entre les contraires qui le constituent, ago, nertio, adiantu, etc.) ; alors que pour Platon il était infini puisque comprenant également les idées de chaise de table, etc.
Cette théorie a notamment été très critiquée avec l’ascension du christianisme. Les premiers chrétiens jugèrent qu’il était trop aberrant de supposer l’existence d’un autre monde, parallèle au nôtre. À maints égards cette théorie druidique des électréons nous paraît aujourd’hui étrange et farfelue, pourtant, elle a pourtant inspiré bien des mouvements religieux, ou bien des renouveaux spirituels.
C’est peut-être en éthique et en politique que cette notion d’Albiobitos ou monde des électréons (et de manière générale la spiritualité druidique) a le plus mal vieilli depuis Pélage. On peut en effet lui reprocher d’avoir la naïveté de croire que nul ne fait le mal volontairement.
Reste à savoir maintenant ce qu’est exactement un électréon ou éon. Nous allons nous y atteler, tant bien que mal et plutôt mal que bien, car il reste quelques bribes ou traces de cette Weltanschauung disparue.
L’Être Dieu ou Démiurge Un englobe en effet le multiple et le fonde. Ces hypostases divines ou vyouha dans l’hindouisme sont comme autant de facettes des Pouvoirs du Divin qui est Un. Il existe des systèmes philosophiques à 2 hypostases, à 3 hypostases, à 4, à 5, à 6, à 7 (l’heptade des Sabéens de Carrhes/Harran ou de Zoroastre, etc.) Pour mémoire les hypostases de la triade
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chrétienne sont le Père le Fils et le Saint-Esprit, des personnes égales en nature et se définissant uniquement par leurs relations aux hommes.
Redonnons néanmoins ici, à titre indicatif et brièvement, la liste de ces premières puissances qui avaient déjà été clairement repérées par nos ancêtres. Ces électr-éons sont hiérarchisés. Il existe de grands éons et des petits éons, suivant leur degré de proximité avec l’origine de tout (mais chacun est une hypostase de la vie de l’Abîme divin, un échelon descendant ou remontant jusqu’à lui).
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ÉTUDE D’UN ÉLECTREON PARTICULIER.
Un des plus importants électréons de l’époque mégalithique. L’Aiu (l’Éternité supporte le temps). Le Grand Tout non limité par le temps et l’espace, se donne à lui-même, de par sa propre volonté, en vertu de sa toute-puissance, les formes limitées du temps et de l’espace.
La durée ou le temps est ce, tout au long de quoi, expie l’ex-istence sortie de l’être. Pour Plotin, le Temps est produit par l’Âme, et pour Proclus, le Temps est une hypostase supérieure à l’Âme.
L’émanation se déroule en effet suivant les rythmes en spirale du Temps, de révolution cosmique en révolution cosmique. Le Principe ultime à partir duquel naissent toutes choses reste transcendant ou immanent à cette manifestation. De ce point de vue, il est possible de dire que toute existence se trouve dans le Temps, mais que le Temps lui-même est la fluctuation d’une Réalité qui ne change pas et dans laquelle toute existence reste située. Telle est, rapidement ébauchée, la représentation mythique des rapports du temps et de l’aiu (de l’éternité) dans la pensée druidique.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le dire à maintes reprises, les mythes s’astreignent à cerner de proche en proche la réalité la plus haute, dans un cadre d’équivalences ou d’identifications entre microcosme et macrocosme. « Divinis humana licet componere ». « Aux choses divines, on peut comparer les choses humaines » Ausone (dans son petit poème sur l’emploi du mot libra).
Ce que nous venons d’exposer de la philosophie des druides y laisse encore beaucoup d’obscurité. Comment apprécier la juste valeur de leurs métaphores ? Comment interpréter leurs symboles ? Comment suivre le fil de leurs abstractions ? Comment exalter notre imagination au point d’atteindre à la leur ?
Contentons-nous donc du peu que nous en savons, et jugeons sainement de ce que nous avons, pour ne pas regretter ce qui nous manque.
Les légendes druidiques ont donc abordé le thème du temps qui passe, voire ont essayé de le figurer, de le représenter, au moyen de diverses allégories. En voici quelques exemples.
Immram Brain Maic Febail ocus a echtra andso sis (la navigation de Bran, fils de Febal et ses aventures).
Bran est le fils de Febal, son nom signifie « corbeau ». Alors qu’il se repose à l’extérieur de son château, il entend un chant étrange ; dont la voix lui vante les délices d’Emain Ablach, la Terre des Pommiers (symbole d’aiu c’est-à-dire d’éternité), une île au milieu de l’océan. Bien qu’il soit entouré de nombreuses personnes, il est le seul à entendre l’appel de la messagère de l’Autre Monde. Ne pouvant résister à l’invitation, il se procure un bateau et part avec « trois fois neuf » compagnons de voyage. Sur la mer, il est accueilli par Belinos Barinthus Manannan Mac Lir, le dieu-ou-démon souverain du Side. La première île qu’ils abordent est occupée par des gens qui ne font que rire, et ne leur prêtent aucune attention. Un des marins débarque, il est aussitôt pris d’un rire frénétique, et refuse de remonter à bord. Enfin, ils approchent de l’Île des Femmes (Tir na mBân), la reine lance un fil à Bran de façon à tirer le bateau, et tous débarquent. Les femmes sont toutes jeunes et magnifiques, chaque compagnon en choisit une, la reine se réserve Bran. Ils vivent là plusieurs « mois » dans une totale félicité.
Mais la nostalgie du pays natal commence à saisir les hommes et Nechtan, fils de Collbran, décide Bran à rentrer. La reine leur adresse une sévère mise en garde : ils passent outre. Mais une fois parvenus à bon port, personne ne les reconnaîtra, et eux-mêmes ne reconnaissent plus personne. Nechtan descend à terre, mais se transforme aussitôt en un tas de cendres. Bran qui a compris, reprendra donc la mer pour une navigation sans fin.
Le récit de cette navigation est typique d’un voyage dans le Side : au départ il y a l’invitation de la fée, puis le séjour merveilleux dans l’Île des Femmes, qui ne sont autres que des déesse-ou-démones, ou des fées si l’on préfère. Sur l’île, le temps n’existe pas, ou du moins, l’île est hors du temps pour ceux qui séjournent là. Si Bran et ses compagnons ne sont pas reconnus à leur retour, et si Nechtan tombe en poussière en mettant le pied à terre (c’était la mise en garde de la reine) ; c’est que leur séjour a duré plusieurs siècles, et qu’ils sont morts depuis longtemps. Le retour dans le monde des hommes s’accompagne de l’emprise du temps auquel ils avaient provisoirement échappé.
Il n’est pas certain que les clercs qui ont retranscrit cette tradition, transmise oralement pendant des siècles, aient réellement compris de quoi il s’agissait. Le mythe druidique est une figuration dans
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laquelle prennent place les forces de la Nature, dans leur déploiement à partir de l’Origine de la procréation du monde. Le mythe druidique raconte l’expression de l’aiu (de l’éternité) dans le temps. Bien sûr, le problème que nous pose cette mythologie, c’est qu’elle se place surtout sur le plan des images et que son langage est propre à une culture donnée. Le philosophe voudrait, lui, entendre le langage de la raison plus que celui du mythe. Mais l’intelligence peut-elle, par la seule voie de la spéculation, tenter de comprendre la relation de l’aiu (de l’éternité) au temps ?
C’est peut-être dans cette direction qu’il faut chercher pour comprendre les paroles de Spinoza dans son livre intitulé « L’Éthique » : « nous sentons et nous savons par expérience que nous sommes éternels ». Certains spécialistes ont avoué eux-mêmes leur perplexité devant une telle affirmation ! Pourtant, le texte est assez clair, à condition de retrouver le sentiment panthéiste qui le porte. Spinoza présente la Réalité ultime sous le nom de Substance de laquelle il dérive les attributs de l’étendue (la matière/matrona) et de la pensée. Des attributs découlent des modes spécifiques et l’Homme y participe par le corps et par l’esprit, de manière nécessaire.
Si la Substance qui est Dieu ou le Démiurge, ou la Nature, enveloppe la totalité de ce qui est, elle enveloppe à la fois la durée, tout en demeurant elle-même en deçà du temps. Par le corps, l’Homme est saisi dans la durée. Par la pensée l’Homme s’élève à l’ordre des essences, qui résident dans la Pensée de Dieu ou du Démiurge, ce qui signifie que l’Homme, dans la rencontre de la vérité de ce qui est, connaît l’ordre éternel des choses. Il est dans la nature même de la raison de connaître sous l’angle de l’aiu (de l’éternité), car connaître, c’est connaître ce qui est, tel qu’il est de toute éternité. Notre esprit, en connaissant dans l’ordre éternel des choses, éprouve, dans son élévation au-dessus du temps, sa participation à l’aiu (à l’éternité). Nous « sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels », à chaque fois qu’abandonnant à elle-même la fuite du temps, nous nous élevons à la vérité éternelle des choses. Nous sentons alors que nous participons de cette éternité qui nous est ouverte, parce que nous ne sommes pas seulement un corps périssable, mais aussi une essence dans l’entendement infini de la Substance divine.
D’après John Toland, la principale représentation de cet électr-éon primordial (le temps) était une pierre couverte d’or entourée de douze autres pierres plus petites recouvertes de cuivre. Il est certain en effet que nombre de monuments mégalithiques sont en rapport avec le temps qui passe (les solstices et les équinoxes à Stonehenge par exemple).
La mythologie gaélique fait remonter son culte au temps du roi milésien Eremon, mais comme ce dernier s’avère mythique au mauvais sens du terme, nous ne sommes guère avancés pour autant. Il est difficile de se faire une idée précise de ce qu’était à l’origine cette importante entité surhumaine voire surnaturelle, car cette dernière fut encore plus diabolisée que les vouivres anguipèdes gigantesques que l’on connaît sous le nom de Fomore en Irlande, et d’Andernas sur le Continent. Les chrétiens ont fait de cet éléctréon (le temps qui passe) une puissance des Ténèbres monstrueuse, souvent représentée par un serpent ou un dragon. Saint Patrice est censé avoir mis fin aux sacrifices humains en son honneur.
Si l’on en croit le poème du XIIe siècle consigné dans les Dindsenchas, un symbole ou une représentation de cet électr-éon (un simulacrum ?), était érigé au milieu de la plaine des prosternations appelée Mag Slecht. Tigernmas, le roi de la région, aurait péri avec les trois quarts de son peuple en se prosternant devant sa statue un jour de Samon (1er novembre).
« Mag Slecht, d’où vient ce nom ? C’est là que se trouvait l’idole royale d’Irlande, c’est-à-dire Crom Cruaich, et autour d’elle douze idoles de pierre. Elle était en or et elle fut le dieu-ou-démon de tous les peuples qui avaient occupé l’Irlande jusqu’à l’arrivée de Patrice. C’est à elle que l’on offrait les premiers-nés de chaque portée ainsi que les premiers-nés de chaque clan. C’est vers elle que vint Tigernmas, fils de Follach, roi d’Irlande, à Samon, avec les hommes et les femmes d’Irlande, pour l’adorer : ils se prosternèrent tous devant elle. La partie supérieure de leurs fronts, le cartilage de leurs nez, les rotules de leurs genoux ainsi que les pointes de leurs coudes, se brisèrent alors ; si bien que les trois quarts des hommes d’Irlande moururent dans ces prosternations. D’où le nom de plaine de la prosternation pour désigner ce lieu depuis lors » (Dindshenchas de Rennes. Autre version dans le Dindshenchas métrique : poème ou histoire N° 7).
L’épisode ne figure ni dans les propres écrits de saint Patrice ni dans les deux biographies rédigées par Muirchu et Tirechan au VIIe siècle. La représentation terrestre de cet electr-éon apparaît sous le nom de Cenn Cruach dans la vie tripartite de saint Patrice rédigée au IXe siècle. Saint Patrice lève sa crosse contre elle, la pierre levée centrale tombe face contre terre, et les douze autres pierres plus
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petites tout autour, s’enfoncent dans la terre. L’électr-éon ainsi représenté apparaît à saint Patrice qui le maudit et l’envoie au diable.
« Il y avait une idole à Mag Slecht, ornée d’or et d’argent, et douze dieu-ou-démons de cuivre placés de côté, en face de l’idole. Le roi et tout le peuple adoraient cette idole dans laquelle se cachait un très méchant démon qui donnait des réponses au peuple ; pour cette raison, ils l’adoraient donc comme un dieu ou démon… Quand saint Patrice aperçut l’idole dont le nom est Guth Ard, après s’en être approché, il leva la main afin de poser sur lui le « bâton de Jésus ». Alors elle s’inclina du côté droit en direction du soleil couchant. On voit encore la marque du bâton sur son flanc gauche. La main de Patrick qui tenait ce bâton ne trembla pas pour autant et la terre engloutit aussi les douze autres idoles jusqu’à la tête : voilà tout ce qui reste de ce miracle. Le démon, qui avait longtemps habité dans l’idole et qui abusait les hommes, sortit sur l’ordre de Patrice. Quand les peuples, avec leur roi Loegaire, le virent, ils eurent peur et ils prièrent saint Patrice d’ordonner à cet horrible monstre de s’en aller. Saint Patrice lui ordonna donc d’aller dans les abîmes. Alors tous les peuples rendirent grâce au Dieu tout-puissant, qui avait daigné les libérer, par l’intermédiaire de saint Patrice, de la puissance des ténèbres ».
Même histoire puérile (prendre une figuration symbolique du temps qui passe inexorablement, un zodiaque, pour un démon !) sous la plume de Jocelin au XIIe siècle (la vie et l’œuvre de Saint-Patrice chapitre LVI), mais là l’électréon est appelé Cenncroithi, ce qui est censé signifier « chef de tous les dieux ».
On appelait Masraige la tribu habitant Magh Slecht du temps de saint Patrice. Le nom de Masraige signifie « Roi des morts » et le nom du haut roi ayant introduit son culte dans l’île, Tigernmas, signifie donc « Seigneur des morts ».
À en croire l’hérésie gaélique à ce sujet, saint Patrice aurait donc été en quelque sorte le nouveau Taran/Toran/Tuireann terrassant cet anguipède géant (sur ce thème de la statuaire gallo-romaine, voir ce qui précède). La légende chrétienne (que de mensonges dans la tradition chrétienne !) nous explique en effet que c’est saint Patrice qui a mis fin au culte de Crom Cruach, mais tout semble indiquer…
— Premièrement qu’il ne s’agissait pas là du culte célébré en l’honneur d’un dieu ou démon, mais d’un monument mégalithique liée aux solstices et aux équinoxes.
— Deuxièmement que ce site avait été abandonné longtemps auparavant, car bien antérieur aux Celtes et donc aux druides.
Il existe une autre pierre prétendument consacrée au culte de ce dieu-ou-démon sur le territoire de Drumcoo, dans le comté de Fermanagh. Un homme en train de marcher figure dessus et une statue le représentant se trouvait peut-être aussi à Clogher, dans le comté de Tyrone (le menhir de Kermand Kestach). D’après John Toland, l’évêché de Clogher tirait d’ailleurs son nom de cette pierre, recouverte d’or (Clogher signifiant Pierre dorée) sur laquelle se tenait ledit Kermand Kelstach, la principale déité d’Ulster, toujours selon lui.
La pierre de Crom a été redécouverte en 1921, près du cercle de pierres d’un tertre voisin où elle avait été enfouie. Elle avait auparavant été brisée en plusieurs morceaux. Une fois dégagée puis redressée, il est apparu qu’elle penchait à gauche, ce qui explique peut-être aussi son nom : Crom Cruaich, « l’incliné du tertre ». Le nom de la représentation de ce pré-dieu peut en effet s’interpréter de plusieurs façons. Crom : le courbe ou le tordu, cruach : sanglant, ou tertre.
La pierre avait été recouverte au Ier siècle avant notre ère de symboles de la civilisation de La Tène de type Waldalgesheim. C’était aussi un symbole phallique semblable à la pierre de Turoe dans le comté de Galway. Bien que très endommagée la statue a pu être reconstituée. La pierre a été rebaptisée pierre de Killycluggin, du nom du faubourg où on l’a découverte, elle se trouve maintenant dans le musée de Cavan. Une reproduction en a été installée au bord de la route. Près du tertre se trouve l’église de Kilnavert, qui a été fondée par saint Patrice afin de remplacer le culte de Crom. Il y a également un Tobar Padraig (puits de saint Patrice) tout près, comme précisé dans les manuscrits.
Se peut-il vraiment que saint Patrice ait mis fin à l’utilisation de ce monument néolithique en détruisant sa figure centrale, non à coups d’explosifs comme les talibans musulmans l’ont fait pour les statues de bouddha en Afghanistan, mais à coups de marteau ou de masse ainsi que l’affirme la tradition chrétienne ?
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Ce qui est certain, c’est qu’elle a dû être reconstituée, car elle fut découverte brisée en plusieurs morceaux, sans doute à l’aide d’un feu et de solides barres à mine.
D’après Henri Lizeray, Croucacrumbas/Crom Cruach/Cromm Cruaich/Cenn Cruach/Cenncroithi. Crom Cróich, Cenn Cruach, Crom Cruagh, Crom Crooach, Crom Cruaidh, Ceancroitihi, Crom Dubh, Crom-Cruaghair, etc., etc. était une représentation terrestre et humaine du temps qui passe.
Crom est la même déité que Saturne, Cronos en grec [là il s’agit visiblement d’une erreur d’Henri Lizeray]. César l’appelle Dis. Le mot Crom… signifie courbe et désigne la révolution circulaire des astres.
Crom le sanglant, Cromdubh, Crom le Noir, Cenn Cruac, la Tête sanglante, tels étaient les noms de la principale idole adorée en Irlande. Ce culte du dieu de la terreur se célébrait dans la Plaine de la prosternation (Mag Sleact) située dans l’actuel comté de Cavan, baronnie de Tullyhaw. Le dieu y était représenté par une statue d’or ou d’argent, entourée de douze idoles en bronze. Ce monument semble avoir été le prototype des cromlechs (pierres de Crom) composés d’une large dalle (dolmen) toujours inclinée à l’est, et placée au milieu de douze pierres disposées en cercle. La principale fête en l’honneur de Crom avait lieu le jour de Samon, correspondant au premier novembre. Le dimanche qui précède la Toussaint est encore appelé par les Irlandais Dimanche de Crom le Noir… Les solennités du mois de mai et du mois de novembre sont des institutions primitives. Au printemps, on offrait en sacrifices au dieu, c’est-à-dire à ses prêtres, les prémices et les premiers-nés des animaux, d’après les Dinnsenchus, cités dans la Vie tripartite de saint Patrice. En novembre, premier des mois noirs, lorsque les productions du sol faisaient défaut, on y suppléait par l’abattage du bétail ou par la chasse ouverte après le dépouillement des forêts.
Cependant ces explications ne justifient pas le surnom de dieu de la terreur.
Crom est Cronos, c’est-à-dire le Temps avons-nous dit. Comme les religions ne sont que des symboles, on sacrifia des victimes à Crom par analogie avec le Temps qui consomme tout, edax rerum
Assez curieusement bien des siècles plus tard c’est l’écrivain Robert E. Howard qui a été le plus sensible à cet aspect inexorable de l’éon en question.
Robert E. Howard s’est en effet inspiré de cet électr-éon pour créer son personnage de Cromm. Son panth-éon « cimmérien » (sic), dont Crom est le chef suprême, est donc principalement composé de dieu-ou-démons sombres et cruels, car l’existence ne fait pas de cadeaux. Elle est cruelle et s’en prend aux faibles, seul celui qui sait se battre mérite de vivre. Cette vision howardienne de Cromm Cruach est très fataliste, mais a l’avantage d’être simple. L’une des caractéristiques principales de la foi de ce temps-là, selon Robert E. Howard, est qu’elle était totalement exempte d’adoration ou de servilité. Les hommes de ce temps-là, du moins toujours selon Howard, croient en leurs dieu-ou-démons, mais ne les adorent pas. On est donc là aux antipodes des religions de masse.
SILIUS ITALICUS. Livre III.
Les Celtes qui ont ajouté à leur nom celui d’Ibères vinrent aussi.
Pour eux mourir sur le champ de bataille est ce qu’il y a de plus glorieux ;
Et ils considèrent qu’il est sacrilège de brûler le corps de ces guerriers ;
Car ils croient que l’âme/esprit s’en ira rejoindre les dieux dans les cieux,
Si le corps est dévoré sur place par des vautours affamés.
Les coutumes funéraires des Cimmériens selon Robert E. Howard sont donc très simples et rapides. Les corps des guerriers morts au combat sont laissés là où ils sont tombés et l’on ne s’occupe que très simplement des autres cadavres. Hommes et femmes ne se préoccupent pas vraiment du corps des défunts en réalité, puisque l’âme/esprit s’en est allée ailleurs et que, selon eux, les soins apportés au cadavre n’auront aucune répercussion sur son état. Ils croient en effet que, dans tous les cas, l’âme/esprit voyage jusqu’à un royaume gris, froid et brumeux dans lequel la malheureuse errera sans joie pour l’éternité. Sur ce point donc total désaccord avec les croyances druidiques ! Sauf si l’on veut bien admettre que ceci ne concerne que l’infime minorité de bacuceos séjournant provisoirement dans un tel royaume, qui fait plutôt grec ou latin, avant de se réincarner sur terre. Rappelons en effet que la théologie druidique classique implique que tout le monde ou presque se réincarne après la mort dans un au-delà paradisiaque, fait de joie et de paix sans fin, que l’on appelle Mag Meld, Vindomagos, ou autrement.
Les vivants organisent une veillée pour le mort où ils boivent en son honneur, en versant sur le sol le fond de leurs coupes pour lui (libation).
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Force et volonté sont les seuls cadeaux de Crom aux êtres humains. En dehors de ces caractéristiques, il n’offre rien, et bien mal inspiré serait celui qui oserait lui réclamer autre chose. Ni culte ni prêtres, pour une figure divine qui fait pourtant partie du quotidien de cette peuplade.
En appeler à Crom ou le prier n’est que le meilleur moyen de le mettre en colère (on retrouve bien là le portrait traditionnel du vrai Crom Cruach), ce qu’un bon Cimmérien évite à tout prix de faire. Prier dans ce cas est une forme de faiblesse, et Crom ne tolère pas les faibles, les préférant morts qu’en train de supplier. Les aider par conséquent est donc hors de question, plutôt les laisser mourir puisqu’ils ne méritent pas la force et la volonté qui leur ont été données.
Les autres divinités du panthéon cimmérien selon Robert E. Howard sont du même acabit, aussi sombres et sans pitié, donc on ne les vénère pas plus que leur chef de file.
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LA DYADE (OU TÉTRADE ?) ÉLÉMENTAIRE.
Strabon, Géographie IV, 4 : « Ils disent que les âmes, ainsi que l’univers, sont indestructibles, mais qu’un jour seuls le feu et l’eau régneront ».
Pour les gnostiques d’Occident appelés druides, il existe un « Être-Un », supérieur, totalement immanent-transcendant, ineffable, au-delà du langage. L’être, ou l’existence, est un attribut, et le Un se trouve au-delà de ces attributs, puisqu’il est à leur source. Le Un n’est pas « n’importe quel existant » ni la somme de ces existants, mais précède tous les existants.
Du Un a émané le reste de l’univers en tant que séquence d’êtres inférieurs. Si certaines Écoles druidiques ont pu voir à partir de là des centaines d’êtres intermédiaires comme émanations situées entre le Un et l’Humanité, la doctrine d’autres Écoles, elle, est beaucoup plus simple au départ et sans doute inspirée de leur observation de ce que donne un morceau d’ambre frotté par du tissu (il attire des brindilles de paille par exemple).
Tout comme le bouddhisme et le brahmanisme, certains très-sachants de la druidiaction (druidecht), antiques, affirmaient en effet l’éternité ou l’indestructibilité des matières élémentaires constitutives de l’univers selon eux, le feu et l’eau (symboles sans doute de l’âme et de la matière) ; sans intervention de la volonté ni de la puissance d’un dieu-ou-démon créateur personnel en même temps amour justice et ainsi de suite…
Tout ce que l’on appelle improprement la Création, le Macrocosme comme le Microcosme, « le Grand Univers » et « le Petit Univers », résulte de l’action d’Éléments à l’œuvre dans le grand chaudron cosmique. Tout élément a deux polarités, l’une de nature positive ou et l’autre de nature négative ou passive. La polarité positive est toujours constructive, créatrice et productive ; la polarité négative est, au contraire, déstructurante et destructrice. Il faut donc toujours tenir compte de ces deux propriétés fondamentales existant dans les objets constituant notre univers. Certaines religions apparemment ont d’ailleurs attribué à la polarité positive le bien ou l’âme et à la polarité négative le mal ou la matière. En vérité, le bien et le mal, comme les humains les conçoivent, n’existent pas. Dans l’Univers, il n’y a pas de bonnes ni de mauvaises choses, car tout a été procréé selon des Lois immuables, celles du Destin ou Tocade. L’Univers est semblable à une horloge dont les parties sont interdépendantes. Idée taghout par excellence pour nos frères musulmans évidemment !
Même la notion de « Divinité », cette dernière étant conçue comme étant un Être sublime, implique une vision fragmentée de ce qu’elle est en réalité. C’est donc uniquement au travers de la connaissance de ces lois que nous pouvons approcher Dieu ou le Démiurge.
Parmi tous les couples d’opposés possibles, la syzygie feu et eau semble avoir particulièrement retenu l’attention des gnostiques d’Occident. Les anciens très-sachants de la druidiaction (druidecht) paraissent en effet avoir distingué cette dyade (Feu/Eau) des autres électr – éons ou hypostases évoqués dans ce petit résumé de la foi druidique.
Sans doute parce que, pour eux, ces deux hypostases de l’Être des êtres faisaient déjà partie du monde d’en-dessous, le monde des hommes. La citation de Strabon à ce sujet de toute façon est ambiguë. « Les âmes et l’univers sont indestructibles, mais un jour seuls le feu et l’eau régneront » (Géographie IV, 4).
Pour certains druides donc, le monde intelligible ou perceptible n’était formé que des deux hypostases ou substances suivantes.
L’eau. L’élément primordial associé à la matière est en général l’eau. Voilà pourquoi on a jadis prétendu que la terre ferme flottait sur de l’eau. La conception des gnostiques d’Occident appelés druides : une terre flottant, comme un disque bombé (un bouclier rond avec umbo ?), sur l’eau ; et un univers sphérique (cruinne *) rempli de matière originelle, c’est-à-dire envisagée comme une masse liquide, s’accorde avec la notion d’eau primordiale, divisée en deux masses distinctes : des eaux supérieures d’où viennent les pluies, et des eaux inférieures sur lesquelles flotte la terre ferme, ainsi qu’un gigantesque bouclier (ou une île).
Les très-sachants de l’ancien druidisme ont été amenés à partager cette idée, parce qu’ils avaient observé que l’humide est l’aliment de tous les êtres vivants, et que la chaleur elle-même vient de l’humide, ou en vit (l’activité microbiologique dégage de la chaleur lorsqu’elle se produit dans un endroit isolé, comme dans un amas de compost). Or, ce dont viennent les choses est leur principe.
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C’est donc vraisemblablement de là que les gnostiques d’Occident tirèrent cette doctrine, et aussi du fait que les germes des plantes ou des végétaux sont par nature humides. Telle était d’ailleurs aussi l’idée des Égyptiens (Noun) et des Babyloniens.
N.B. La raison de cette préférence pour l’eau provient par conséquent de l’importance de celle-ci dans la croissance et la nutrition des êtres vivants.
Le Feu (Aedos ?). Le Feu est à l’évidence l’origine de la Lumière. C’est pourquoi, au commencement du monde, le Feu et la Lumière furent parmi les premiers à venir à l’existence. Du Feu, à l’instar de l’eau, réside dans tout l’Univers, aussi bien dans le plus petit grain de sable que dans l’immensité visible, mais infiniment lointaine ; et l’un ne pourrait subsister sans l’autre, son contraire. Ces deux Éléments, le Feu et l’Eau, sont les Énergies fondamentales créatrices de toute chose. Par conséquent, dans tous les cas qui se présentent à nous, nous devons toujours considérer ces deux Éléments et leur manifestation respective, ainsi que leurs polarités internes et opposées.
Chez les Celtes, les druides croyaient donc que tout feu particulier (c’est-à-dire ayant une forme unique conditionnée par son support) n’était que la manifestation d’un feu cosmique primordial. Celui dont parle la fameuse remarque de Strabon : « Les âmes et l’univers sont indestructibles, mais un jour seuls le feu et l’eau régneront » (Géographie IV, 4). Le Feu est actif et latent dans tout ce qui a été (pro) créé. Quand un feu donné s’éteint, par exemple celui des trinouxtion Samoni (os), il n’est donc pas éteint ni anéanti, mais retourne à un état non manifesté. Le feu ne se manifeste pas seulement sur notre plan matériel, mais dans tout ce qui a été suscité. Les propriétés fondamentales du Feu sont la Chaleur et l’Expansion.
Une cosmogonie beaucoup plus vraisemblable nous est en effet fournie par ce que les bardes médiévaux irlandais racontaient à propos des trois vagues d’Ochain et des boucliers. Pour répondre à la question que se posait à ce sujet le père Edmond Hogan en 1892, indiquons qu’à notre avis ceci est une lointaine réminiscence de l’antique conception druidique selon laquelle la terre était analogue à un bouclier bombé flottant sur un océan primordial : les trois ou neuf vagues (d’où l’image du serpent géant cornu à tête de bélier enserrant la terre ferme de ses anneaux). Ce qui affecte les vagues (le serpent à tête de bélier) affecte la terre ferme (le bouclier bombé). Une façon peut-être d’expliquer les tempêtes.
On objectera peut-être aussi que ce qui est certain, c’est que pour Dicuil en tout cas la terre était ronde ainsi que l’atteste le titre même du livre de Dicuil consacré à ce sujet vers 825 : De mensura orbis terrae.
Peut-être ! Mais ne serait-ce pas un peu trop beau pour être vrai ? Il est vrai que la découverte de la machine d’Anticythère en 1900 montre bien que certains milieux païens de l’Antiquité étaient arrivés à un degré de connaissance stupéfiant avant que ne s’abattent sur l’Occident les ténèbres du christianisme médiéval. La machine d’Anticythère prouve en effet que les païens préchrétiens étaient déjà parvenus à un haut niveau de compréhension scientifico-philosophique du monde, avant que le triomphe de l’obscurantisme judéo-chrétien (quelle incroyable régression intellectuelle !) ne les renvoie dans les ténèbres des âges sombres (le Moyen-âge).
*Cruinne. Cruind. Crudnios. Le terme évoque la notion de rondeur ou de sphère, mais il est difficile de dire s’il faut le traduire vraiment par « globe terrestre ». Le sens de « globe » prêté à ce mot (pluriel cruinnean) n’est peut-être qu’une interprétation du Xe siècle ; date du manuscrit ayant ce mot dans son texte.
Il ne faut pas demander une parfaite logique à la cosmogonie celtique, ni sans doute à aucune cosmogonie.
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De cette dyade élémentaires les druides antiques en ont très vite déduit l’existence d’une autre, l’esprit et la matière, mais pas la matière au sens ordinaire, la matière au sens platonicien de matière première. Platon est en effet le premier à avoir formulé explicitement ce qui n’était jusque-là qu’une intuition avant lui chez les mystiques hyperboréens comme Abaris ou Olenos : l’existence de réalités intelligibles, à la fois distinctes des choses sensibles et en rapport avec elles. Cette hypothèse, Platon l’a formalisée pour expliquer comment ce monde, où tout ne cesse de changer, présente pourtant
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assez de permanence et de stabilité pour que l’homme puisse le connaître, y agir et en parler. Convaincu que cette stabilité et cette permanence ne pouvaient dériver du sensible, Platon postula donc qu’il devait exister une réalité d’une autre sorte qui réponde à ces exigences, et qui explique pourquoi, dans tout ce changement, il est quelque chose qui ne change pas.
— L’awenyddio ou âme du monde.
La différenciation en pôles opposés, mais complémentaires, concourant à une œuvre commune, en bref à la vie (feu et eau, âme et matière, masculin et féminin, etc.) du Un atomique originel (du point oghamique éabad dirait Henri Lizeray) ; semble donc être la plus ancienne découverte du druidisme. Mais sur le plan moral, encore une fois, répétons-le, cela n’aboutissait en aucune façon à un dualisme absolu (manichéisme). Cela se traduisait par un dualisme relatif et modéré, compatible avec le monisme le plus pur sur le plan philosophique (de la coïncidence des contraires).
Strabon : « Les druides, mais aussi tous les autres, disent que les âmes ainsi que l’univers, sont indestructibles » (Géographie Livre IV, chapitre IV, section 4). Les âmes sont indestructibles… les âmes sont indestructibles…
L’âme du monde ou l’âme universelle est de même nature que l’anamone individuelle de chaque être humain.
L’Awenyddio ou âme du monde est une entité unique, un électr – éon ou une hypostase de première génération, suscitant toute existence et animant tous les êtres vivants. L’Awenyddio, c’est la puissance de l’âme résidant à la fois dans l’infini de l’Univers, et dans la finitude de l’Humanité ; tout en restant inaccessible, elle fait partie intégrante du quotidien : force active, conscience manifestée du grand tout elle est présente en toute chose et en chacun de nous, elle est le lien entre le macrocosme et le microcosme. « Divinis humana licet componere ». « Aux choses divines on peut comparer les choses humaines ». Ausone (églogue sur l’emploi du mot libra).
Ce grand réservoir psychique universel, appelé awenyddio (pour reprendre un terme gallois) est symboliquement vu comme une flamme primordiale ou un feu cosmique. Son origine, ou son principe, en était le feu intellectuel. Un feu parfait et absolument pur. Source de tous les êtres, immatériels et matériels.
Les êtres immatériels forment un monde. Les matériels en forment un autre.
Le premier a conservé la pure lumière de son origine ; le second l’a perdue. Il est dans les ténèbres, et ces ténèbres s’accroissent à mesure que la distance du premier principe devient plus grande.
C’est là évidemment un système de pensée considéré comme complètement taghout par les monolâtres créationnistes.
— La matière universelle. Matrona. Essentiellement vue comme une eau primordiale.
La matière est en mouvement perpétuel et tend sans cesse à se spiritualiser, à devenir lumineuse et active.
Devenue plus spirituelle, active et lumineuse, elle retourne à sa source, au feu pur, où disparaît son imperfection et où elle jouit d’une félicité supérieure. Cette idée a été générale ; elle a été celle de maints philosophes anciens ; et ce qui est très remarquable, c’est qu’elle fut adoptée par les théosophes chrétiens. Les disciples de Basilide, ceux de Valentin et tous les autres chrétiens gnostiques, y ont puisé leur système des émanations, qui a joui d’une grande célébrité dans l’école d’Alexandrie.
Le feu et la lumière vont toujours en s’affaiblissant. Où cessent la chaleur et la lumière, commencent la matière, les ténèbres et le mal, dont Zoroastre fait le monde d’une entité qu’il appelle Ahriman. Le monde de la lumière et du bien étant attribué par lui à une entité appelée Ahoura Mazda. [Le druidisme ne va pas jusque-là et laisse ce dualisme aux judéo-islamo-chrétiens].
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L’ADIANTU (L’ATTIRANCE DES CONTRAIRES).
Héraclite d’Ephèse VIe siècle avant notre ère : « Polemos pantôn mèn pater esti », la guerre est la mère [le père] de toutes choses.
Divitiacos de Bibracte Ier siècle avant notre ère : « le désir (adiantu) est le père de toutes choses »
Il s’agit d’un autre électréon libre de la métaphysique druidique (une des plus anciennes des lois de la nature).
La scission initiale à l’origine de toutes choses apparaît dans les couples de contraires : positif-négatif, vie-mort, chaud-froid, féminin-masculin, etc. Cela se retrouve également dans les phénomènes d’alternance : le jour et la nuit, le mouvement et le repos, le flux et le reflux…
Ces contraires peuvent d’opposer (voir ce que nous avons dit de l’ago celtique dans nos cahiers de note précédents). Une opposition des contraires pouvant aller jusqu’à une guerre des contraires théorisée non par les druides qui lui préféraient l’adiantu mais par Héraclite (Polemos est le père de toutes choses). Il ne nous reste plus que quelques fragments des écrits de ce philosophe grec présocratique du VIe siècle avant notre ère et leur interprétation ne va pas de soi. Que signifie réellement par exemple la citation ci-dessus qu’on lui attribue ?
Le mystère de la vie reposant sur un constant échange, quelle est la nature de cet échange ? L’AGO, la lutte, la guerre. L’univers est une lutte, la justice un conflit. Tel est l’aspect foncier du cosmos. Tout y est choc de forces, et par ce choc, par cette lutte, les choses viennent à l’existence, mais aussi conservent cette existence. Si l’harmonie est présente dans le cosmos, c’est parce que, dans son processus, le cosmos est guerre, tension, opposition, équilibre des éternels contraires. L’Ago a créé le monde, l’Ago est le monde, la force par sa violence maintient le monde, la force mettra fin au monde et le récréera éternellement.
Mais les contraires peuvent aussi coïncider dans l’unité, puisqu’ils proviennent tous d’un seul et même être, qui en se séparant de lui-même, s’unit avec lui-même. Un pwngc rhyddyd, sef y bydd lie bo cydbwys pob gwrth ». De toutes ces oppositions naît l’harmonie du monde, qui éclate à nos yeux. Il existe un état de conscience où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le futur et le passé, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement. D’où d’ailleurs le calendrier luni-solaire des très-sachants appelés druides et trouvé à Coligny, qui est typique de leur pensée.
Voici en effet ce que l’on peut comprendre du calendrier luni-solaire de Coligny. Voici ce qu’il faut comprendre de toutes les descentes du feu dans l’eau qu’évoque la mythologie druidique. Il faut saisir l’harmonieuse fusion des deux principes attirés par un « amour » ; qui n’est pas encore « érotique », dans les plans inférieurs de notre monde, puisqu’il n’y est pas encore question d’hommes et de femmes ; mais « attractif » comme la force qui invite les atomes à se combiner entre eux.
D’où dans la mythologie celtique, et conformément au comput luni-solaire qu’est le calendrier de Coligny donc, le fait que les dieu-ou-démons en ce qui les concerne, ont presque tous une parèdre, une compagne ou une épouse ; et vont donc par couples, comme Jéhovah et son Ashera dans la Torah biblique par exemple. L’Univers s’est construit sur l’opposition de forces qui se sont équilibrées réciproquement : âme et matière, feu et eau, masculin et féminin, soleil et lune…
Les choses sont des assemblages de forces contraires, et le monde est une émulsion qui doit sans cesse être secouée pour qu’elles y apparaissent. Est-ce dû au fait que les Celtes étaient des rhéteurs redoutables et cultivant plus que quiconque l’art de bien parler ? Toujours est-il qu’une de leurs façons de penser était l’oxymore, c’est-à-dire la possibilité de lier ou de coupler des contraires. Exemple le Gwenn ha Du (drapeau breton).
En linguistique, l’oxymore est une figure de style où deux mots désignant des réalités contradictoires, ou fortement contrastées sont néanmoins associés par la syntaxe. En exprimant ce qui est inconcevable, le poète crée ainsi une nouvelle réalité qui suscite un effet de surprise.
Si certains oxymores ont été imaginés pour attirer l’attention de l’auditeur (ou du lecteur aujourd’hui), d’autres ont été mis au point par les rhéteurs ou druides pour créer une catégorie verbale décrivant une réalité difficile à concevoir.
Toute langue certes a ses antonymes, mais les langues celtiques semblent avoir particulièrement développé cet aspect de la communication intra-humaine, sans pour autant verser dans le manichéisme simpliste des judéo-islamo-chrétiens.
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La conception du monde comme résultant de la tension de forces ou de principes opposés (eau et feu) structure par conséquent toute la weltanschauung ou pensée druidique. Elle se retrouve d’ailleurs, ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le voir, clairement exprimée dans la dernière partie de la première des triades bardiques du Pays de Galles (la seule authentique peut-être), car l’éon « Dieu » est bien évidemment le trucage dû à un barde chrétien un peu trop zélé.
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« Tri un cyntefig y sydd, ag nis gellir amgen nag un o honynt, un Duw, un gwirionedd, ag un pwngc rhyddyd, sef y bydd lle bo cydbwys pob gwrth ».
« Il y a trois unités primitives, et de chacune il ne saurait y avoir qu’une seule ; un Dieu, une vérité et un point de liberté ; c’est-à-dire (le point) où se trouve l’équilibre de toute opposition ».
Repetere = ars docendi. Il existe donc selon les druides, dans l’univers, des forces opposées, mais complémentaires, lesquelles expriment la dichotomie fondamentale APPARENTE du monde, et son équilibre (du moins d’un point de vue strictement humain). Le feu et l’eau, le jour et la nuit, l’ombre et la lumière, le chaud et le froid, le positif et le négatif, le masculin et le féminin.
Cet adiantu (mot celtique signifiant désir) est une force fondamentale issue du chaudron ou chaos primitif ; qui domine le monde avant même l’apparition des dieu-ou-démons et des hommes ; et qui, en assurant l’union et la complémentarité des parties dissemblables, permet à l’univers de prendre forme.
Son pouvoir de cohésion s’étend à tout ce qui peut exister : aux dieu-ou-démons, aux humains, aux animaux, aux plantes, aux roches, etc. En cela, il est assez proche des forces physiques qui régissent le cosmos, et n’a pas de représentation anthropomorphique possible.
Or, donner un caractère sexué au Principe d’animation de la matière par l’âme, c’est déjà en quelque sorte anthropomorphiser ; donner un caractère terrestre permettant le culte.
Certaines Écoles druidiques conçoivent donc le monde ou la divinité (panthéisme) comme polarisée en deux aspects, masculin et féminin, l’aspect féminin étant celui qui est actif, celui de la puissance au quotidien : la Brigo. Le cosmos physique y est donc perçu comme étant le déploiement de l’énergie féminine (la brigo) et le culte consiste à manipuler cette puissance.
Mais s’il est légitime de privilégier l’un de ces deux pôles, il ne faut pas néanmoins aller jusqu’à ignorer l’autre, qui a toujours une place dans le « Grand Tout » du Pariollon.
On peut ainsi parler de deux états complémentaires, sexuellement opposés, mais tous deux nécessaires, à l’apparition du mouvement et de l’énergie.
La divinisation du concept abstrait passe donc très souvent, par l’attribution d’un genre, masculin ou féminin ; et si l’essence ou la force, même divine (nertio), est une chose, son activité concrète et quotidienne en est une autre.
Un certain nombre de déesse-ou-démones ou fées druidiques, n’ont pas réellement de personnalité autonome ou indépendante, et ne sont que des parèdres personnifiant l’énergie dynamique féminine, ou principe actif, des divinités mâles du panth-éon ou plérôme druidique (Brigo). Il devait arriver néanmoins dans certains cas, le principe mâle étant devenu presque ce que l’on appelle un « deus otiosus », un dieu-ou-démon « oisif », au-dessus de tout, n’intervenant pas directement dans les affaires humaines, qu’il laissait en quelque sorte à sa parèdre le soin de se salir les mains dans lesdites affaires. Si la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère ce terme, en question, ne se définit là encore, que par rapport à son époux, dans certains récits mythiques c’est souvent elle qui a le pouvoir réel, cas par exemple de la reine Medua/Medb, dont le nom nous renvoie même à la notion d’ivresse du pouvoir. On a la même chose dans l’Hindouisme avec les déesse-ou-démones ou bonne fées Sarasvati (Brigitte, culture et créativité selon les druides), Lakshmi (Rosemartha, prospérité ainsi qu’abondance, confort matériel, selon les druides) ou Kali (Catubodua, mort et renaissance, toujours selon les druides).
Les divinités druidiques sont par conséquent souvent, dans les dédicaces, groupées deux à deux, un dieu-ou-démon et une déesse ou démone (ou fée). Par exemple Suqellos et Nantosuelta. On trouve de plus dans les inscriptions britto – ou gallo-romaines, Noadatus/Nodons/Nuada/Lludd (assimilé à Mars par les Romains en Grande-Bretagne) associé à Nemetona, dont le nom rappelle celui de Nemon, fée guerrière de l’épopée irlandaise, Lug (appelé Mercure par les Romains) associé à
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Rosemartha, déesse-ou-démone ou fée dont le nom est certainement celtique, Borvo, le dieu-ou-démon de Bourbonne-les-Bains, de Bourbon-Lancy et d’Aix-les-Bains en Savoie, associé à Damona ; Belin/Belen (appelé Apollon par les Romains) associé à Sirona ; et ainsi de suite.
Mais si pratiquement chaque dieu-ou-démon a une épouse attitrée, il existe également des divinités féminines autonomes comme Épona. Ces déesse-ou-démones ou fées prennent des formes très nombreuses et spécifiques selon les régions, car tout comme l’Être supérieur, la Brigo ou énergie féminine a des milliers de noms…
LA VOIE DES FEMMES NAMNÈTES.
Les dagolitoi ou fidèles de ce genre de culte conçoivent donc la divinité comme polarisée en deux aspects, notamment masculin et féminin. Le Bitos ou Cosmos y est perçu comme le déploiement de l’énergie dans la matière et le culte consiste à utiliser cette puissance.
Le principe de la magie sympathique ou magie imitative est une des plus vieilles idées qui soient. Les lois de la magie sympathique ont été décrites par Tylor (1871), Frazer (1890-1981) et Mauss (1902-1950). On peut les diviser en deux grandes catégories : les lois de contagion ou contact et les lois de similitude.
Il existait donc des rites et des pratiques qui visent à réaliser concrètement cette unification par l’accomplissement codifié de l’acte sexuel (car bien sûr dans le paganisme celtique comme dans le druidisme aucune connotation de péché n’obère la sexualité).
Strabon, Géographie, Livre IV, Chapitre IV. 6. « Il y a une petite île, pas très loin en pleine mer, située au large de l’embouchure de la Loire, et cette île est habitée par des femmes Namnètes [en grec Samnitôn]. Elles sont possédées par l’esprit de Dionysos et se rendent ce dieu propice en l’apaisant par de mystérieuses initiations aussi bien que par d’autres cérémonies sacrées ; aucun homme ne met le pied sur cette île, bien que ces femmes la quittent parfois en se servant d’un bateau. Elles ont alors des relations avec des hommes, et ensuite y retournent de nouveau ».
Paraphrase de Denys le Périégète.
« À proximité se trouve une autre trainée d’ilots, en ce lieu les femmes des nobles Amnites qui demeurent en face célèbrent avec des transports d’enthousiasme les fêtes en l’honneur de Bacchus couronnées de grappes de lierre aux feuilles noires et le bruit de leur tumulte s’élève distinctement dans la nuit.
Sur les bords de la rivière des Absinthes en Thrace les Bistonides invoquent le retentissant Iraphiotès, avec leurs enfants le long du Gange aux sombres tourbillons les Indiens mènent leurs joyeux cortèges en l’honneur du bruyant Dionysos : Mais c’est avec beaucoup plus d’ardeur que les femmes en ce lieu crient « Évohé ! »
N.B. Il s’agit ainsi, dans ces rites, pour la femme, de réaliser, d’éprouver ou de ressentir, personnellement, au plus profond d’elle-même, l’action béatifique des grands principes abstraits, métaphysiques et cosmologiques. La femme met en jeu (joue) avec ces concepts pour les réaliser sur le plan physique.
Mais s’il est légitime de privilégier l’un des deux pôles en question, il ne faut jamais aller jusqu’à ignorer l’autre, qui a toujours sa place dans le Grand Tout.
Ce type de druidiaction (la voie des Namnètes) remontant peut-être au matriarcat néolithique, vise donc aussi à l’unification des polarités sur tous les autres plans et dans tous les autres domaines (principe de la magie sympathique).
Dans sa conception la plus élevée, ce type de druidisme, transcende par conséquent les oppositions superficielles entre contemplation et action, repos et mouvement, ascèse et jouissance ; et vise à réunir les deux pôles majeurs, l’âme et la matière qui demeurent indissolublement unis dans le Tout Englobant Universel.
Cet aspect de notre druiderie, bien que rare, a fortement marqué les Grecs et les Romains *, notamment Strabon. Il a donné lieu à de multiples spéculations, dues à l’imagination fertile des hommes dès qu’il est question de mystère et de secret. Voir les mystères d’Éleusis. Voir aussi à ce sujet l’épisode, plus anecdotique il est vrai, de l’adultère de la femme de Partholon.
En Irlande l’union sexuelle, qui transcende les corps physiques pour rappeler l’union primordiale de l’âme énergie au quotidien (Brigo) et de l’esprit (le dieu-ou-démon), est symbolisée par la pierre de Scone ou de Fal qui représente le principe mâle, et sa base, qui représente un vagin, matrice de la vie, qui figure l’énergie circulant dans la Nature, la Brigo.
Ces pierres, que nous rencontrons en grand nombre dans le domaine celtique, et notamment irlandais (pierres de Castlestrange, de Killycluggin-Turoe…) représentent l’union des contraires surgis de
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l’immensité primordiale indifférenciée du chaudron des origines ou Dieu-Par, mais elles n’ont rien d’obscène pour le druidisme : il ne s’agit pas de sexualité physique, mais plutôt d’une union d’ordre cosmique reproduite comme par magie sympathique ou imitative.
Toute création est considérée comme une procréation. Le culte autour de ces symboles que sont la pierre de Scone, la pierre de Fal, sans oublier les innombrables pierres de Castlestrange ou Turoe-Killycluggin que nous venons d’évoquer, permet d’adorer l’invisible à travers le visible, et constitue un lien entre l’immanent et le transcendant.
* Pourtant déjà familiarisés avec ce type de spiritualité, voir l’affaire des bacchanales en -186.
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LA WELTANSCHAUUNG DRUIDIQUE.
Dieu ou le Démiurge, voire le Diable si l’on préfère user de ce terme, est fondamentalement inconnaissable en son mystère avons-nous dit, mais l’on peut néanmoins connaître quelques modalités de Son être et de Son agir.
Toutes les civilisations et les mythologies ont témoigné d’un intérêt particulier pour le phénomène des jumeaux. Quelles que soient les formes sous lesquelles ils sont imaginés, parfaitement symétriques, ou bien l’un obscur et l’autre lumineux, l’un tourné vers le ciel et l’autre vers la terre, l’un noir et l’autre blanc, rouge ou bleu ; le mythe des jumeaux exprime à la fois une intervention de l’au-delà et la dualité de tout être, ou le dualisme de ses tendances, spirituelles et matérielles, diurnes et nocturnes.
Quand ils symbolisent ainsi les oppositions internes de l’Homme et le combat qu’il doit livrer pour les surmonter, ils revêtent une signification sacrificielle… mais il arrive que les jumeaux soient absolument semblables, doubles ou copies l’un de l’autre. Ils n’expriment plus alors que l’unité d’une dualité contrebalancée… la réduction du multiple à l’un. Le dualisme surmonté, la dualité n’est plus qu’une apparence.
Le mythe druidique des jumeaux symbolise le dualisme relatif (la dialectique) cher aux anciens druides.
Dieu-ou-démons astraux et protecteurs de la navigation, cavaliers comptant des admirateurs ou des fidèles parmi les jeunes hommes, les jumeaux divins ont connu jadis une popularité incontestable chez les druides et dans leur enseignement.
Timée (cité par Diodore, IV, 56,4), dès le – IIIe siècle leur donne l’Océan pour domaine : les Celtes riverains de l’Océan ont une vénération toute particulière pour les Dioscures. Selon une tradition très ancienne chez eux, ces dieu-ou-démons sont arrivés là par l’Océan.
L’Océan pour domaine… Qui dit tradition dit druides. Il s’agit là sans aucun doute du lointain écho d’un mythe druidique de haut niveau sur la coïncidence des contraires. Qui ne correspond que de très loin aux Alci de la tribu celto-germanique des Naharvales (une tribu de Lugiens de l’actuelle Silésie) voire aux Efnisien et Nisien de la seconde branche des Mabinogi gallois
Malgré son apparente complexité, le monde qui nous entoure est en réalité animé seulement par deux forces, ou plutôt par une force unique, mais ayant une double polarité, comme l’électricité.
Tout, dans l’univers, est mû par cette force fondamentale, cette énergie, qui fait circuler les électrons dans les atomes, se multiplier les cellules, croître les plantes et les êtres vivants ; qui anime le mouvement du vent et des astres. On ne peut la voir ou la toucher ; tout comme pour l’électricité, on ne peut que percevoir ses effets. Chez l’humain, cette force soutient aussi bien les fonctions du corps que celles de l’esprit.
Ces lois universelles sont immanentes, absolues et intangibles, elles ne se laissent pas travestir au gré de nos fantaisies, quelles qu’en soient les motivations.
La seule triade galloise philosophiquement valable est peut-être celle dont la troisième proposition s’énonce ainsi et qui est la première « Un pwngc rhyddyd, sef y bydd lle bo cydbwys pob gwrth ».
Il y a toujours un point de liberté ; c’est-à-dire (un point) où se trouve l’équilibre de toute opposition. Des forces opposées, mais complémentaires, lesquelles expriment la dichotomie fondamentale APPARENTE du monde, et son équilibre (du moins d’un point de vue strictement humain). Le feu et l’eau, le jour et la nuit, l’ombre et la lumière, le masculin et le féminin, le chaud et le froid, le positif et le négatif.
Mais cet équilibre n’est jamais statique, il oscille toujours entre ces deux forces opposées, complémentaires et interdépendantes, représentées dans le symbole du « s » (les esses de l’art celtique). Une des spirales représente les forces de type passif : ombre, froid, profondeur, humidité, et ainsi de suite ; alors que l’autre représente celles de type actif : lumière, chaud, surface, sécheresse… Tout a besoin de ces deux forces. Elles sont toujours en relation dynamique : lorsque l’une croît, l’autre décroît (principe des vases communicants).
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C’est la bataille éternelle entre néguentropie et entropie, « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». L’ordonné ne peut exister sans le désordre, toute « structure » (néguentropie) nécessite un immense gaspillage d’énergie (entropie). C’est ainsi que le soleil est la source (il la permet sans en être l’origine) de la vie terrestre.
Expansion, structuration, transformation, tout est vibration dans le Bitos ou cosmos, « rien n’existe en soi », tout dépend de tout…
Depuis des lustres on se bat pour savoir si notre univers est en expansion indéfinie ou s’il se repliera sur lui-même à la fin de son « expansion ». En fait, cela n’a aucune importance pour ce qui nous préoccupe, selon les théories « physiques » actuelles. Dans un cas il se vide de sa « substance » par « évaporation », dans l’autre il devient de nouveau un point ogham (ea-badh) de l’espace-temps (lle bo cydbwys pob gwrth). On parle dans l’étude des systèmes dynamiques de dysentropie. Dans un tel système, une néguentropie partielle mène à un état d’auto-organisation de niveau supérieur par un phénomène de percolation.
L’entropie est considérée dans le second principe de la thermodynamique comme étant spontanément croissante en système fermé. Dans ce cas, la notion de néguentropie est donc nécessairement limitée dans le temps ou l’espace ou ne peut s’appliquer qu’à un système ouvert.
Dans tous les cycles naturels, chaque force succède à l’autre comme le jour succède à la nuit, l’action au repos, l’inspiration à l’expiration. L’équilibre n’est jamais statique, mais dynamique.
Rien n’est donc plutôt ceci que cela, mais tout le devient. Les choses ne sont jamais achevées, mais sont continuellement suscitées par les forces qui s’exercent dans les phénomènes. Le devenir sert de lien entre les phénomènes.
On retrouve la même idée chez les philosophes grecs. Fragments d’Héraclite, conservés par Hippolyte de Rome, Réfutation de toutes les hérésies, Livre IX.
L’AGO (vieil irlandais ag, génitif aig).
L’esprit de la prière typiquement celtique appelée « lorica » est également tout entier fondé sur ce goût pour les oppositions qu’avaient les anciens druides et qui leur permettait d’achever ou de clore une liste. En effet, si l’on évoque le noir, pourquoi ne pas évoquer le blanc, le mouvement ne va-t-il pas aussi avec l’arrêt, le haut avec le bas ? Tout cela suggère en effet l’idée de totalité, que rien n’a été oublié ni ne peut l’être, que tout est pris en compte.
Le système de nomination celte est d’ailleurs lui aussi largement organisé en paires d’antonymes. Cette structuration binaire permet souvent de mieux cerner le sens des éléments des noms propres composés. Quelques exemples d’après Xavier Delamarre (Approche linguistique du vieux celtique continental).
Jeune/vieux.
Iouinco-rix « Jeune-Roi ». Seno-rix « Vieux – Roi ».
Élevé/Bas (D’en haut/D’en bas).
Uxsa-canus « Roseau-Élevé ». Ande-canus « Roseau-Bas ».
Uxo-unna « Eaux-d’en-Haut ». Ando-unna « Eaux-d’en-Bas ».
Blanc/Noir (Clair/Sombre).
Uindo-ridio – « Cavalier-Blanc ». Dobno-redo « Cavalier-Noir ».
Uindio-rix, Albio-rix « Roi-Céleste ». Dubno-rix « Roi-des-Ténèbres ».
Argio-talus « Front-Blanc ». Dubno-talus « Front-Sombre ».
Uindiacos. Dumnacos.
Uindedo. Dumnedo.
Bon/Mauvais.
Su-carus « Bien-Aimé ». Du-carus « Mal-Aimé ».
Su-ratus « Bonne-Grâce ». Du-ratus « Mauvaise-Grâce ».
Daco-uir (os) « Bon-Homme ». Doiros (*Du-uiros) « Mauvais-Homme ».
Su-leuia « Bonne-Conductrice ». Du-louius « Mauvais-Guide ? »
Su-melo « Bonne-Douceur ». Du-melus « Mauvaise-Douceur » (« Hypocrite » ?)
Daco-toutus « Bonne-Gauche ? ». Du-teutos « Mauvaise-Gauche ».
Su-caelus « Bon-signe ». Dus-celinatia « Mauvais présage ».
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Susus. Dusius ?
D’ici/d’ailleurs.
Nitio-broges « Du-Pays ». Allo-broges « Étrangers ».
Eni-genos, Enignus « Indigène ». Egenus, eskenino – (celtib.) « Allogène, étranger ».
Errants, Nomades/Sédentaires.
Alauni « Errants, Nomades ». Anauni « Qui restent, Sédentaires ».
Ami/Ennemi.
Amantos/Namanto ?
La première opposition utile (oxymore ou gwenn ha du) pour exprimer le sentiment d’humanité a sans doute été l’opposition ami/ennemi ; mais il est nécessaire en théologie druidique de bien faire la distinction entre la guerre sans haine (ago, vieil irlandais ag, génitif aig) et l’attirance ou l’attachement sans amour de nature humaine (oxymore). Il n’y a jamais eu chez les très-sachants de la druidiaction (druidecht) de dualisme brut entre Âme/Matière, Bien/Mal, Dieu/Diable, la matière (matrona) pouvant être aussi par moments matrice créatrice (même si c’est surtout d’illusions).
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir plus haut, la seule triade galloise philosophiquement valable est peut-être celle dont la troisième proposition s’énonce ainsi et qui est la première « Un pwngc rhyddyd, sef y bydd lie bo cydbwys pob gwrth ».
Il y a toujours un point de liberté ; c’est-à-dire (un point) où se trouve l’équilibre de toute opposition. Des forces opposées, mais complémentaires, lesquelles expriment la dichotomie fondamentale APPARENTE du monde, et son équilibre (du moins d’un point de vue strictement humain).
En d’autres termes, malgré son apparente complexité, le monde qui nous entoure est en réalité animé seulement par deux forces, ou plutôt par une force unique, mais ayant une double polarité, comme l’électricité.
Neit ou Neth est une figure peu connue des légendes irlandaises. Par rapport à Lug, Neto, Neith, Neit est un peu ce qu’est, en Grèce, Ouranos à Zeus. Il n’apparaît pas en dehors des listes ou des mentions généalogiques (le mythe irlandais des origines s’est cristallisé autour du nom des dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu). Mais son antériorité, qui est celle du chaos-chaudron originel, explique que ce pré-dieu-ou-démon soit aussi guerrier.
L’existence de ce pré-dieu des combats dans le panth-éon panceltique originel est attestée par ce que dit Macrobe à propos d’une divinité celtibère du même nom dans la région de Cadix. Saturnales Livre I, chapitre XIX section 5. « Les Accitains, nation espagnole, honorent très religieusement, sous le nom de Néton, un ersatz (simulacrum) de Mars ornée de rayons ». Il était aussi connu des Celtibères puisqu’une ville de la Lusitanie espagnole (région de Cadix toujours) lui était vouée (Netobriga). Mais peut-on faire confiance à l’interprétation romaine des faits de civilisation celtique ?
Vu la faible consistance d’une telle déité au niveau mythologique (le terme latin utilisé est le mot simulacrum), mieux vaut peut-être ne pas la considérer comme une divinité à part entière, comme un dieu à part entière, mais comme simple… simulacre, numen, shékinah, mana, kami ? Disons électr-éon et n’en parlons plus.
À moins, bien sûr, qu’il ne s’agisse là encore d’un cas local de dégénérescence de la spiritualité druidique authentique. Mais cet électréon, pour ne pas dire ce dieu, était suffisamment connu des Celtibères, pour que toute une ville du sud-ouest de l’Espagne lui soit consacrée (Netobriga). Il est vrai que Macrobe a un peu tendance à tout mélanger ! Ce qui est certain c’est qu’un simulacrum n’est pas une statue. Ersatz ne serait pas mal non plus.
Pour conclure sur Neto/Neith disons que la lutte est génératrice de forces qui permettent à l’Homme de laisser sa marque dans l’univers, et ça, les anciens druides l’avaient bien compris. D’où leur utilisation du mot ago pour désigner ce phénomène.
Dans l’hérésie qui s’est développée en Irlande (dégénérescence due à la raréfaction des contacts ou des échanges avec le reste du monde celtique) Neit ou Neth était donc un électréon considéré ou vu comme un simple dieu-ou-démon de la guerre, fils d’un dénommé Andedeiwos.
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Concluons donc de ce Neto qu’il s’agit, soit d’un électr-éon, soit d’une divinité primordiale à l’origine à la fois des dieu-ou-démons aériens et des dieu-ou-démons souterrains du monde celte (Tribu de Danu-bia et Fomoire en Irlande).
Humainement parlant et d’un point de vue strictement humain (est-il possible d’en avoir un autre ??) une chose ne peut exister que par son opposé. Le Un non encore différencié se divise, pour donner naissance à deux forces opposées, mais complémentaires.
Ainsi que déjà mentionné dans cet opuscule, mais repetere = ars docendi, on retrouve la même idée chez les philosophes grecs. Fragments d’Héraclite, conservés par Hippolyte de Rome, Réfutation de toutes les hérésies, Livre IX.
CONSÉQUENCES ÉTHIQUES DE LA LUTTE DES CONTRAIRES OU AGO.
Ce qui est contraire a aussi son utilité, la mer est à la fois l’eau la plus pure et la plus souillée ; potable et salutaire aux poissons, elle est non potable et funeste pour les hommes. Bien et Mal sont tout un.
La guerre est la mère et la reine de tout, elle a fait de certains des dieux, d’autres des hommes, elle en a fait quelques-uns esclaves et d’autres des hommes libres.
Ce monde est le même pour tout le monde, aucun des dieux ni des hommes ne l’a fait, mais il a toujours été, est et sera, un feu toujours vivant.
L’harmonie du monde est une harmonie des contraires, comme dans le cas d’un arc ou d’une lyre. Les contraires ne forment qu’un, des différences résulte l’harmonie la plus belle qui soit, tout naît de ces différences. Tout se tient. S’il n’y avait pas de soleil, il n’y aurait que la nuit. L’individu vient de l’ensemble et l’ensemble vient de l’individu. Le va-et-vient de la navette des artisans ne forme qu’un seul et même mouvement. Descendre et monter sont une seule et même chose. Commencement et fin ne font qu’un. Le jour et la nuit, l’hiver et l’été, la guerre et la paix, l’abondance et le besoin, ne font qu’un. Tout et partie, accord et désaccord, concorde et discorde idem. La rivière dans laquelle nous descendons nous baigner est à la fois la même et une autre. Le froid devient chaud, le chaud, froid ; l’humide devient sec, et le sec, humide. Être vivant ou mort, éveillé ou endormi, jeune ou vieux, c’est la même chose. Ces différents états ne sont que des métamorphoses l’un de l’autre. Les Immortels sont mortels, les mortels immortels, vivant dans leur mort et mourant dans leur vie. Toute émulsion se décompose si elle n’est plus agitée. C’est dans le changement qu’est le repos.
Le bien et le mal sont identiques. Au regard de l’être supérieur tout est beau bon et bien, même si les hommes pensent que certaines choses sont bien et d’autres mal.
Que les hommes aient tout ce qu’ils souhaitent ne serait pas une bonne chose. La maladie rend agréable et bonne la santé ; la faim la satiété ; la fatigue le repos.
L’originalité d’Héraclite, par rapport aux autres physiciens, réside dans le fait qu’il cherche, derrière les modifications des apparences naturelles, à saisir l’unité cosmique résultant de leur contradiction. En témoigne notamment le célèbre fragment : « On ne se baigne jamais deux fois dans la même rivière ». Un autre fragment est également significatif : « L’opposé s’avère utile, et des choses différentes naît la plus belle harmonie (ou toutes choses sont engendrées par la discorde) ».
Héraclite affirme donc que la loi du remplacement des contraires est la condition du devenir des choses. Entre contraires, il y a une lutte aboutissant à la création.
Pour Zoroastre, où cessent la chaleur et la lumière, commencent la matière, les ténèbres et le mal, dont Zoroastre fait le monde d’une entité qu’il appelle Ahriman. Le monde de la lumière et du bien étant attribué par lui à une entité appelée Ahoura Mazda. [Le druidisme ne va pas jusque-là et laisse ce dualisme aux judéo-islamo-chrétiens]. Contrairement à ce qu’ont fini par écrire les Irlandais devenus chrétiens, les vrais dieu-ou-démons, au sens strict du terme, commencent donc aux niveaux en dessous.
Strabon IV, 4 : « Un jour seuls le feu et l’eau régneront ! »
Dans le cas des anciens druides, le questionnement et les observations empiriques des anciens très-sachants de la druidiaction (druidecht) sur le monde lui-même ; leur ont permis de poser, comme fondement de ce monde, l’opposition des contraires, le mouvement universel et l’éternel recommencement des choses, selon un cycle. Si tout s’oppose, l’amour et la haine, la guerre et la
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paix, le silence et la parole… les contraires, dans leur opposition même, sont néanmoins embrassés par l’unité : sur l’échiquier, les blancs et les noirs jouent la même partie.
Dire que toute chose passe ainsi continuellement d’un contraire à l’autre, c’est dire que l’ago ou guerre (vieil irlandais ag, génitif aig) est en quelque sorte la mère et la souveraine de l’univers ; elle est la logique des choses. Ce qui se sépare s’unit : partout il y a des tensions opposées, comme dans un arc ou une lyre. Le divin est à la fois jour et nuit, printemps et automne, surabondance et famine : il prend des formes variées, voire contraires.
Conclusion. Bien qu’ils soient trop souvent présentés comme des apologistes de la « guerre universelle », les très-sachants de la druidiaction (druidecht) privilégient au contraire l’unité résultant des contraires, au détriment de leur lutte.
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LA VIE (CELTIQUE BIVITONA).
L’être vivant est un être naturel qui a en lui-même le principe de son mouvement vital. La définition de la vie selon Aristote renvoie au concept de mouvement. La vie et le mouvement sont intimement liés, sans pourtant être simplement identiques. « Chaque être naturel, en effet, a en soi-même un principe de mouvement et de fixité, les uns quant au lieu, les autres quant à l’accroissement et au décroissement, d’autres quant à l’altération. Au contraire un lit, un manteau et tout autre objet de ce genre, en tant que chacun a droit à ce nom, c’est-à-dire dans la mesure où il est un produit de l’art, ne possède aucune tendance naturelle au changement, mais seulement en tant qu’ils ont cet accident d’être en pierre ou en bois ou en quelque mixte, et sous ce rapport ; car la nature est un principe et une cause de mouvement et de repos pour la chose en laquelle elle réside immédiatement, par essence et non par accident. » (Phys., II, 1).
La science n’a pas dévoilé suffisamment ses mystères pour être en mesure de nous dire ce qu’elle est. Les savants ne peuvent même pas s’accorder pour savoir si des entités comme les virus, qui se multiplient et mutent, sont vivants ou non. Tout ce que nous savons vraiment sur la vie, c’est qu’elle existe et se manifeste en tant qu’énergie.
Différentes cosmogonies mentionnent la genèse du monde comme résultant d’un long et difficile partage entre deux entités, ou deux forces antagonistes, qui s’attirent et qui se repoussent. C’est grâce à la présence de ces deux forces, de ces deux pulsions, que la vie est appelée à l’être. Deux forces totalement opposées, mais complémentaires et fondamentales, qui s’affrontent en permanence, et engendrent ainsi l’équilibre de l’univers. Un équilibre, certes précaire, mais sans lequel il n’y aurait ni vie, ni mort, ni action, ni passivité. Il n’y aurait rien. L’univers serait immobile, pour ne pas dire cataleptique.
Les mythes montrent comment tout monde dépend de l’interaction de forces et polarités variées, dont l’équilibre ou l’union maintient la vie. Ce que nos amis gallois appellent lle bo cydbwys pob gwrth. Ces forces ou « polarités » sont décrites de différentes manières – feu et eau, ombre et lumière, masculin et féminin, force (répulsion) et sensation (attraction) – et, combinées, elles forment le Tout.
Cas par exemple de la cosmogonie de nos cousins germains du nord avec leur notion de Ginnungagap, et par les impressions de chaud et de froid qui se répartissent autour de ce vide. À l’ouest se trouve Niflheim, monde du froid, de la glace, des ténèbres et des brumes, et à l’est se trouve Muspellheim, monde de la chaleur, de la lumière et des flammes. Ces deux mondes sont séparés par la crevasse géante que forme le Ginnungagap. Le monde de glace et le monde de lave en fusion agissent l’un sur l’autre et tout fond pour donner le monde.
La vie universelle provient donc d’une essence immortelle et indestructible, qui est elle aussi comme un abîme insondable (Bythos donc chez Irénée de Lyon). Mais elle s’est manifestée d’abord en des couples (des syzygies sous la plume d’Irénée toujours), qui se sont complétés par une sorte de génération en cascade.
Nous savons que l’énergie ne peut être ni créée ni détruite, seulement transformée. Tout ce que nous savons vraiment sur la vie, c’est qu’elle a commencé un jour et qu’elle se poursuit. La vie de la Terre, la vie sur Terre, a débuté il y a des milliards d’années. Tout ce que nous observons de vivant est la continuation de la vie qui se multiplie et se divise en permanence dans de nouvelles manifestations. Par exemple, quand un spermatozoïde vivant s’unit avec un ovule vivant, ils cessent tous deux d’exister en tant qu’entités indépendantes. Ils deviennent un zygote ; une nouvelle manifestation de la continuation de la vie. Ce n’est pas une nouvelle vie, c’est une fusion et une continuation de la vie, qui existait dans le spermatozoïde et dans l’ovule ; qui existait dans les organismes qui ont produit ces gamètes ; et ainsi de suite, depuis des milliards d’années.
La Terre est vivante. Nous, les êtres qui sommes nés d’Elle et marchons sur Elle, sommes une part d’Elle et de Sa vie. Nos corps sont composés des mêmes minéraux qui constituent Son corps. De même, notre esprit et notre âme sont une part de Son esprit et de Son âme. La terre est un être vivant total, et nous sommes une part de Son être vivant total, de même que les cellules de nos corps sont des parties vivantes de notre être vivant. Son corps est vivant de la même façon que nos corps le sont. Même les pierres sont vivantes de la même façon que les os de nos corps le sont.
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Lorsque nos corps cessent de fonctionner puis commencent à se décomposer, alors c’est que nous sommes morts. La décomposition est le moyen utilisé pour réabsorber les minéraux de nos corps, afin qu’ils puissent être réutilisés par d’autres formes de vie : comme nourriture pour les bactéries, les vers, les insectes, les animaux, les plantes, et ainsi de suite. L’énergie vitale du corps est ainsi « réincarnée » ou transformée en l’énergie vitale d’autres êtres.
N.B. Les druides semblent avoir personnifié cette eau-mère (terre mère pour le Romain Tacite) sous le nom de Nerthus, mais aussi avoir dédoublé cette Nerthus en diverses hypostases toutes de nature féminine (l’image était évidente) : Rose-Martha la terre cultivée (Tailtiu en Irlande), mais aussi des triades, des fées des bois et des forêts, des rivières, etc.
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LA FORCE (NERTIO OU BRIGO).
Autre concept essentiel du druidisme. Le premier des hyperthéos sur dieux ou prédieux, de l’hypermonde ou albiobitos druidique, est peut-être tout simplement la force ou nertio. Appelée brigo (irlandais bricht) dans son application individuelle au niveau des résultats du verbe être (les étants).
Pour mieux comprendre de quoi il s’agit, revenons sur la façon dont le druidisme conçoit la vie du monde.
L’univers tel que nous le percevons s’inscrit à la fois dans l’espace et dans le temps. Or, dans la conception du monde druidique, le temps n’est pas conçu de façon linéaire comme dans la pensée judéo-islamo-chrétienne, mais de façon cyclique. On peut ainsi distinguer deux phases qui se succèdent alternativement : un temps de venue à l’être du verbe être et un temps de destruction. Lorsque la venue à l’être se matérialise, l’univers se déploie dans toute sa majesté à partir d’une masse de matière et d’énergie (Nertio) qui n’est autre que le reste d’un univers précédent. À la fin des temps, lorsque la roue du destin suprême a fait un tour complet, l’univers se résorbe peu à peu ; en concentrant tous ses éléments dans un nouveau reste, qui à son tour servira de base à la procréation d’un autre univers ; et ainsi de suite. Dans ce mouvement cyclique à deux temps, l’univers, bien qu’il change de forme, perdure. Il n’y a ni véritable commencement ni fin absolue ; la création, tout comme la destruction, est relative, et d’un point de vue supérieur, il n’y a ni création ni anéantissement. On rejoint ici Héraclite.
La Brigo joue un rôle tout à fait central dans les mythes de procréation de l’univers. Tantôt primordial, tantôt secondaire, son rôle est indispensable : elle permet le passage de l’essence à l’être, de l’être à l’avoir, du concept à la matérialisation.
Dans certains mythes cosmogoniques, la puissance originelle est plutôt appelée Brigo ou Nertio plutôt que Pariollon ; utilisant ainsi un vocabulaire féminin et non neutre, et par voie de conséquence, rendant possible l’assimilation de cette puissance à une déesse-ou-démone, ou à une fée si l’on préfère ce terme, et non à un dieu-ou-démon.
Ce qui a donné le culte de la Mère universelle, le culte de la maternité de la matière/énergie, dont tous les êtres et tous les phénomènes matériels sont les enfants. Cette conception de la Brigo renvoie aux mythes fondateurs dans lesquels la Nertio est vue comme la partie véritablement essentielle et indispensable, primordiale, la seule entité réellement digne de culte, parce que c’est elle qui engendre le monde.
Si la Nertio personnifie l’énergie maternelle, tendre, protectrice et aimante de la Mère divine, elle en incarne également l’aspect inverse. Car la Nertio est une totalité, une plénitude possédant elle-même à ce titre, des polarités qui, si elles semblent s’opposer, sont en réalité tout à fait complémentaires. Elle possède donc une face sombre mystérieuse et terrifiante qu’il nous faut reconnaître et accepter, voire aimer au même titre que ses aspects lumineux : la Catubodua sous son aspect Morrigani or Sheela na gig.
En effet, puisque tout ce qui naît doit mourir un jour, et que la Nertio symbolise la matière/énergie créatrice, l’impulsion qui permet à la vie de se manifester ; il est logique que son rôle soit également associé, de près ou de loin, à la sublimation de cette manifestation : la mort. La Nertio ou Brigo prend alors la forme d’une déesse-ou-démone cruelle, sanglante et sans merci : la Catubodua ou la Morrigani (dont l’animal est la corneille… ou le corbeau). Bien qu’effrayant, nous avons pu constater que cet aspect demeure très présent dans les légendes irlandaises. Ces aspects de l’énergie féminine, qui peuvent paraître monstrueux pour des non avertis, sont pour les très-sachants appelés druides matière à symboles salvateurs, dépourvus de toute agressivité personnelle. On ne peut en effet dissocier les aspects maternels, doux et lumineux, de la Nertio, de ses aspects plus redoutables. La matière/énergie créatrice est tout à la fois la vie et la mort, et l’Homme doit apprendre à l’honorer ou l’aimer dans ces deux cas.
Tous les grands mystiques insistent sur le fait qu’on ne peut finalement connaître la Brigo qu’en en faisant l’expérience… Or, si la Nertio a bien des façons de se manifester en ce monde, elle en est la seule maîtresse : sa caractéristique est de déborder l’individu qui s’est enfermé dans des repères mentaux, pour le surprendre là où il ne s’y attend pas. L’effet de la Nertio peut se réduire à des événements plus ou moins extraordinaires comme des visions, ou des extases. Il conduit à bien plus : l’émergence d’un nouvel état de conscience, comme si l’on voyait le monde pour la toute première fois. Il est très difficile de parler de l’état de saisissement des âmes individuelles par la Brigo, car il s’agit d’une expérience qui va bien au-delà des mots et des concepts descriptifs que peut fournir une
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personne. Parler de la Brigo dans ces conditions, sans en avoir fait l’expérience, est comme parler d’un choc électrique à des personnes… qui ne connaissent pas l’électricité… Dans cet état, l’observateur objectif ne peut que constater les choses, sans pouvoir ni vouloir les qualifier. La merveilleuse effervescence de la matière/énergie universelle ne doit être troublée par aucune évaluation, par aucun préjugé.
La Nertio est vénérée sous des formes paisibles tout comme dans des visions plus destructrices ou effrayantes… Car les aspects de la Nertio sont complémentaires : elle englobe toutes les réalités et toutes les abstractions. À la fois puissance et conscience, force et sens qui oriente cette force, elle est une médiatrice, un relais entre le corps et l’âme, entre l’homme et le divin. L’âme ne peut régir le corps qu’avec l’assistance de la Nertio qui l’habite ».
Dans cette médiation entre l’Homme et ce qui le transcende, on peut distinguer trois manières d’être par lesquelles la Nertio se manifeste selon les plans.
— Universelle : la nertio cosmique, qui anime et qui dirige les forces et les processus du monde phénoménal. Dans son aspect externe, elle se manifeste alors dans la Nature de toute chose. La nertio primordiale qui se tient au-dessus des mondes et sert de trait d’union entre l’homme et le mystère non manifesté de l’Être supérieur. Au niveau cosmique la nertio c’est l’énergie, ce qui fait bouger les choses dans la nature.
— Individuelle : dans le gnosticisme, cette brigo est rattachée à l’âme/esprit, que possèdent psychiques et pneumatiques.
— Transcendante ou immanente : dans ce monde d’ignorance et de brutes épaisses, le monde de la vie et du corps, la Brigo nous soutient et nous conduit à travers l’obscurité vers notre but. Subjectivement, au niveau microcosmique, la Brigo c’est l’énergie en nous, sous son double aspect : activité, mais aussi souffrances.
La Nertio (ou Brigo), l’énergie cosmique, l’énergie créatrice réside à la fois dans l’infini de l’univers et dans la finitude de l’Humanité ; tout en restant inaccessible, elle fait partie intégrante du quotidien : force active, conscience manifestée, Nature Primordiale, elle est présente en toute chose et en chacune de nous, elle est le lien entre le macrocosme et le microcosme. Nous l’avons déjà dit, mais il importe de le répéter (repetere = ars docendi).
Les épouses des dieu-ou-démons du panth-éon ou plérôme druidique, sont des personnifications de cette Énergie primordiale représentée dans ses différents pouvoirs.
La nertio ou le brio (bricht en irlandais) correspond à l’énergie potentielle ou virtuelle que les hindouistes appellent shakti et les philosophes grecs essence. Shekina ou Sakina diraient peut-être les juifs ou les musulmans. Ce brio ou brigo est la contrepartie « féminine » d’un dieu (sa parèdre), en fait son pouvoir de transformation/création, sans lequel il ne peut agir.
Derrière chaque homme qui réussit, dit-on, il y a une femme. On peut aujourd’hui interpréter de diverses façons cette boutade. L’interprétation la plus courante est celle qui consiste à y voir une évocation du fait que, traditionnellement, dans un couple, c’est la femme, et en premier lieu la femme au foyer, qui se sacrifie le plus, du moins qui fait le plus de sacrifices, en se consacrant à son mari et à ses enfants. D’autres voient dans cette formule une allusion à la part féminine qui peut exister en tout homme.
Le vocable irlandais bricht, briocht, est une formation de nom verbal sur le thème brig – « montrer, manifester », qui se rattache à la racine *bherek – ou *bh(e)regh – « briller, ou éclairer ».
Le terme musicologique italien « brio » (du provençal briu), et désignant le caractère brillant et résolu d’une composition, ou d’une exécution, musicale, est sans doute aussi un lointain écho de cette notion linguistique. Si un homme a du brio, alors cherchez la femme qui est derrière lui et qui s’en occupe, qui se charge de ses problèmes d’intendance, qui le conseille ou qui le pousse. Enfin peut-être.
Quoi qu’il en soit, les druides, apparemment, avaient fait leur cet adage puisqu’une des particularités de la religion des Celtes est le culte rendu à des divinités semblant vivre en couple. C’est là une forme singulièrement développée de l’humanisation du divin…
Il y a des couples purement indigènes : Suqellos et Nantosuelta, Bormo ou Albius et Damona, Bormanus et Bormana, Ucuetis et Bergusia, Cicolluis et Litavis, Telo et Stanna, Luxovius et Bricta…
Comment faut-il expliquer ces couples ? Il n’est absolument pas sûr que ce soient toujours des époux. Comme dans le cas de Jéhovah et de son Ashéra dans la Torah par exemple. Il est plus vraisemblable que les deux divinités soient de même nature, donc relevant du même domaine.
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La différence entre un Dieu ou Démiurge et sa brigo est la même qu’entre un feu et son pouvoir de brûler, un mot et sa faculté de donner du sens. L’union des dieu-ou-démons mâles (mise en œuvre, extériorisation) et de cette Brigo universelle et multiforme (l’essence, l’énergie potentielle ou virtuelle) est le fondement de la vie de notre univers. Dans le druidisme antique, la caractéristique du binôme Brigo et dieu-ou-démons masculins est d’être une dualité s’épousant pour ne former qu’une seule entité, l’être conscient de lui-même. Cette entité possède deux modalités complémentaires.
NOTE SUR L’ÉTERNEL FÉEMININ.
Le sentiment qu’une fée ou déesse-ou-démone est présente en chaque femme, est très largement répandu en terre celte. Dans certaines conditions, il peut même y avoir des femmes permettant à l’être humain de se faire une idée de l’âme humaine. Cas par exemple d’Etanna en Irlande dans le célèbre récit de la nourriture de la maison aux deux seaux à lait (Altrom Tige Da Medar). Vu sa pureté et sa beauté elle fut quasiment sacralisée.
Et vu la sensibilité religieuse des Celtes de cœur et d’esprit (admodum dedita religionibus remarque César) à la limite, tout mot celte féminin pouvait devenir une déesse-ou-démone ou une fée, s’il désignait quelque chose de bénéfique (une force, un pouvoir, et ce justement parce que la nertio au quotidien (la Brigo) c’est le féminin.
Vision très féministe des choses donc : l’homme ne peut rien sans la femme qui est plus que son repos du guerrier, qui est sa force ou son soutien quotidien, sans lequel il ne serait rien, ou du moins pas grand-chose et pas longtemps. Ce qu’avaient bien pressenti à leur façon certains auteurs de l’Antiquité parlant de la femme chez les Celtes.
Ammien Marcellin (Histoire. Livre XV, chapitre XII, 1) : « Une troupe entière d’étrangers ne serait pas capable de tenir tête à un seul de ces hommes s’il appelle sa femme à la rescousse, car elle est généralement très forte quand elle est folle de rage, et spécialement quand, le cou gonflé, les dents serrées, ses énormes bras blanchâtres brandis en avant, elle commence d’asséner des coups, y compris avec les pieds, comme autant de traits envoyés par une catapulte ».
Et même si les déesse-ou-démones sont des épouses, elles ne sont pas toujours mères comme c’est le cas des femmes humaines : même Épona/Dechtire, mère du petit Hésus Cuchulainn, ne l’a pas conçu de façon normale : elle l’a conçu en avalant un papillon tombé dans sa coupe. La mythologie celtique donne aux déesse-ou-démones ou aux fées le beau rôle, quitte à presque négliger dans certains cas la puissance du dieu-ou-démon correspondant. Dans le druidisme, les figures féminines sont non seulement très présentes, mais aussi très populaires auprès des fidèles.
Pourtant, si la liste des noms divins féminins est assez longue, on ne peut pas pour autant parler de mythologie ouvertement féministe chez les Celtes. Ce n’est que bien après la période des débuts que se construira, peu à peu, une mythologie dans laquelle les personnalités féminines pourront s’épanouir pleinement. Elles adopteront alors un rôle de fille, d’épouse, de mère, et gagneront en importance et en autonomie. Bien qu’il arrive dans quelques rares cas que des déesse-ou-démones soient désignées de façon autonome, cette apparente autonomie ne fait pas néanmoins référence à une indépendance véritable : Danu (bia) par exemple n’existe que par rapport aux Tuatha Dé Danann dont elle est la mère… et d’une façon générale, la plupart des noms de déesse-ou-démone ou de fée, ne sont que des appellatifs anthropomorphes de phénomènes naturels…
Ce qui caractérise la Brigo, c’est d’une part le mouvement d’intériorisation, afin d’accéder à la connaissance la plus intime, la plus sensible, des êtres, à la prise en compte de tout le potentiel contenu dans l’ombre. D’autre part un mouvement d’extériorisation pour signer sa présence et faire valoir sa personne, pour resplendir et s’illuminer, pour manifester sa nature dans la lumière, dans la connaissance de soi en tant qu’objet. C’est la divinité masculine qui se charge de ce rôle.
Quand le binôme Brigo/dieu, donne dans l’introversion, c’est pour montrer à sa propre conscience ce qu’il est (le verbe Être) à savoir un Étant doué de modalités. Quand il donne dans l’extraversion, c’est pour manifester à ses propres yeux tout ce qu’il possède (le verbe avoir), c’est-à-dire un Étant doué de puissance. Le reflet de ces deux tendances (l’Être et l’Avoir, la brigo et le dieu-ou-démon) se retrouve dans les couples divins celtiques que l’on connaît.
Quoi qu’il en soit, cette parité hommes/femmes n’était sans doute que l’application au monde des dieu-ou-démons, d’un principe philosophique druidique beaucoup plus général, celui de l’attirance ou de la coïncidence des contraires.
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La conjonction des contraires (eau/feu, vide/plein, etc.), était, selon les anciens très-sachants de la druidiaction (druidecht), nécessaire à la vie ou au mouvement. Et ceci, sans aucun manichéisme, puisque, dans leur conception de ce dualisme relatif, il n’était nullement question qu’un des contraires finisse un jour par l’emporter sur l’autre.
La preuve, leur fin du monde à eux, les gnostiques d’Occident appelés druides ne la voyaient pas comme résultant de l’action d’un seul élément, mais comme résultat de l’action conjuguée de deux éléments traditionnellement contraires, le feu et l’eau. « Ils affirment que les âmes et l’univers sont indestructibles, mais qu’un jour seuls le feu et l’eau régneront » (Strabon Géographie IV, 4).
Tout comme le caractère d’un homme est sa destinée ou son horoscope, la Nature a ses propres lois, et ces lois sont par conséquent son destin (son dharma diraient les bouddhistes. Héraclite était d’ailleurs du même avis).
N.B. 1. L’existence est empirique et ne permet pas de connaître les êtres : c’est le domaine de l’accidentel et du contingent, du multiple et de l’altérité irréductible. L’apparence apparaît comme le contraire de la réalité.
Or, si une telle explication répond aux questions que peut se poser la métaphysique, elle ne satisfait pas la conscience religieuse qui s’émerveille devant l’harmonie et la beauté de l’ordre universel. L’Homme a donc besoin d’une figure personnalisée à qui adresser ses louanges, son émerveillement et sa reconnaissance.
D’un être, on peut dire qu’il est (l’âme), ou ce qu’il a. Ce qui nous renvoie aux deux corrélats, l’essence l’énergie la force ou l’être profond, la brigo, et l’existence ou l’avoir, le pôle masculin. Afin de répondre à cette exigence, la cosmologie druidique fait donc appel à deux idées fondamentales : l’Essence l’énergie ou la force (nertio) et l’Existence manifestée (les dieu-ou-démons masculins).
La Brigo ou Nertio est le concept druidique qui désigne la réalité persistante d’un être à travers les modifications de ses accidents représentés par le dieu-ou-démon de type masculin. La synthèse druidique a par conséquent pourvu chaque dieu-ou-démon d’une figure féminine qui symbolise (irlandais bricht) la puissance virtuelle de ce dieu-ou-démon.
Cet aspect féminin, cette énergie créatrice c’est la Brigo, la forme (conceptuelle) qui permet à l’être de se manifester, de se matérialiser.
N.B. 2. Même si c’est généralement l’aspect masculin qui est au centre des mythes relatifs à la cosmogonie druidique, il en existe qui semblent « oublier » le rôle du père qui engendre, au seul profit de la mère. La Brigo est en quelque sorte la grande déesse-ou-démone de l’énergie omniprésente, qui donne la vie et le mouvement. La Brigo est en quelque sorte la Mère Divine qui enfante le monde ; et toutes les déesse-ou-démones, ou fées, sont des filles de cette Brigo.
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L’ALBIOBITOS.
On appelle Albiobitos l’association de ces constantes représentant les forces nécessaires à la formation du monde organisé qui ont jailli des flots du chaudron primordial ayant précédé l’existence de ce premier monde.
Le druidisme néolithique représente de façon symbolique chacune des grandes énergies causales et immanentes ou transcendantes à l’œuvre dans notre univers. Le temps qui passe par exemple. Toutes ces énergies (conçues dès lors tels des pré-dieu-ou-démons) sont aussi des aspects divers d’une substance universelle.
Pour Zoroastre les éons affectés à cet univers étaient une heptade représentant Ahoura-Mazda, le « Seigneur Sagesse ». Chacun de ses sept éons avait une fonction bien définie dans la mécanique divine. En dessous de cette heptade d’éons se déployait toute une hiérarchie de dieu-ou-démons, voire d’anges, aux missions positives ou négatives bien réparties. Même chose chez les sabéens de Carrhes (aujourd’hui Harran en Turquie). Mais pourquoi une heptade de dieu-ou-démons et pas douze ou quatorze comme dans le petit catéchisme précédent ? À nos lecteurs de voir.
L’albiobitos est l’ensemble formé par ces électr-éons qui ont jailli des flots glacés de l’océan primordial précédant l’existence du monde tel que nous le connaissons. Ces pré-divinités de l’Albiobitos ne sont pas préexistantes, mais elles ne sont pas créées non plus. L’Être supérieur les anime ou leur donne vie du fait de sa seule existence. Par une volonté un verbe ou une parole… implicite (labarum *). Inclus initialement dans ce non-monde, informe et désincarné, ces électr-éons ou pré-divinités sont notre façon à nous de voir et concevoir les éléments du chaudron ou chaos cosmique qui a précédé l’organisation de notre monde.
Seul cet hypermonde a été organisé par des entités assez indépendantes pour être libres (ce qui n’est pas le cas de notre monde à nous). Le préfixe « hypo » parfois utilisé à propos des éons, suggère bien l’idée que ces électréons occupent un degré inférieur par rapport à l’unité supérieure, laquelle mérite ainsi bien mieux son nom grec d’Hyperthéos, où l’on retrouve le préfixe « hyper » qui signifie au-dessus. De la sorte, on distingue donc plus facilement cet univers parallèle, qui est le Pariollon bouillonnant, donc un Sur-dieux, d’avec ces hypostases qui apparaissent ainsi comme des proto-dieux. Mais le Supérieur transcende toujours les hypostases.
La découverte fondamentale des druides primordiaux quelque part en Europe centrale il y a 3500 ans fut celle du déterminisme.
Le déterminisme consiste à reconnaître que les événements se suivent dans la Nature avec la même nécessité que les liens de cause à effet en logique. Ce qui se produit devait se produire et il ne pouvait en être différent. Tout ce qui arrive dans l’univers obéit à une stricte nécessité. La contingence est une illusion due à l’ignorance humaine ; en réalité, le cours des choses dans la Nature est strictement déterminé.
Nous retrouvons cette position chez les anciens druides qui, sans être fatalistes, admettent cependant l’existence du Destin. La nuance est subtile, mais importante. Le Destin gouverne tout ce qui advient dans la Nature : ce qui relève de l’extériorité ne dépend pas de nous. Ce qui dépend de nous, c’est de prendre les choses comme elles viennent, avec une attitude juste que nous pouvons assimiler à une sorte d’amour du destin (amor fati dira Marc Aurèle). Mais l’acceptation de sa destinée n’est pas la résignation pour autant, car c’est le fondement d’une décision juste, basée sur le principe de réalité. Ce que la légende du Hésus Cuchulainn enseigne, c’est le renoncement à une conception immature, capricieuse et fantaisiste de la liberté. L’action nous appartient en ce monde. Nous devons comme un bon aurige tenir fermement les rênes de notre volonté, mais tout en acceptant que le cours des choses ne nous appartienne jamais entièrement ; puisque les anciens druides avaient fait du « hasard » (sic) un Dieu-ou-Démiurge. Du moins si l’on en croit saint Colomba d’Iona et une de ses loricae qui en parle (pour dire qu’il est contre).
« Notre sort ne dépend pas des éternuements
Ni d’un oiseau sur une branche,
Ni du tronc d’un arbre tordu,
Ni d’un sordan ????
Je ne crains pas le chant des oiseaux,
Ni les éternuements ni les enchantements,
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Ni un enfant du hasard ni une femme ;
Ni un fils, ni la chance, ni une femme.
Na mac, na mana, na mnan,
Mon druide est le Christ, Fils de Dieu, etc. » ;
* Sordan = bruit du vent ? Dans les branches ?
Il convient de revenir sur cette donnée centrale du savoir druidique, et ce d’autant plus qu’elle est loin aujourd’hui d’être toujours bien entendue ou bien comprise.
Le fatalisme musulman a souvent été mal compris. Eh bien même chose pour le fatalisme celtodruidique. Aimer le destin, aimer sa destinée (amor fati en latin), ce n’est pas être fataliste au sens passif ou négatif du terme. Dans les pays de culture « chrétienne » en effet, la notion de fatalisme en est rapidement venue à désigner le défaitisme ou le pessimisme de celui qui, se sentant voué à l’échec, laisse le destin suivre son cours et abandonne le combat, ou quitte une situation délicate en baissant les bras.
Or le Destin selon les druides, en la personne de ses dieu-ou-démons, pouvait être un Destin sauveur. PUISQU’IL ÉTAIT LUI-MÊME AUSSI VIROTUTIS, ANEXTIOMAROS, IOVANTUCAROS, DUNATIS, TOUTATIS, si l’on en croit les multiples épithètes divines relevées ici et là.
Entrelacement universel des causes, la notion druidique de Tocade agrège deux types de causes, les causes “générales” et les causes “individuelles”.
Les causes principales relèvent du déterminisme et désignent l’ensemble des facteurs extrinsèques, circonstances et événements qui affectent l’homme : elles représentent la part de l’existence due au destin, la part de nécessité à laquelle il doit se résigner. Mais si ces causes externes déterminent l’être humain à réagir, elles ne déterminent pas la nature de sa réaction qui dépend de facteurs intrinsèques. Le déterminisme se heurte ici à la liberté humaine. L’individu échappe à la nécessité en tant qu’il réagit à l’impulsion du destin en fonction de sa nature propre. Si je ne puis rien modifier aux événements qui m’affectent, je reste cependant le maître de la manière dont je les accueille et dont j’y réagis. Le Destin me laisse la jouissance de l’essentiel : le bon usage de ma raison. La conception druidique du destin est individualisée par la personnalité de chacun. Loin de faire violence aux hommes, elle suppose leur spontanéité : le Tocade ne détermine pas le destin des hommes indépendamment de leur nature.
L’universalité du destin en effet n’exclut pas l’action humaine : il l’intègre au sein de ses causalités.
On m’a beaucoup reproché de faire de mon Destin ou Tocade un simple équivalent du Dharma hindouiste ou bouddhiste. D’avoir démarqué la notion de Dharma sous le nom de Destin ou Tocade.
Ceci est inexact ou n’est que très partiellement vrai.
Mon Destin ou Tocade ne correspond qu’à une des multiples significations du dharma. Celle qui fait du dharma un Ordre universel cosmique, une Loi éternelle, une vérité éternelle.
Et surtout pas celle qui le place ontologiquement parlant avant ou au-dessus de notre équivalent celtique du Brahman quel que soit le nom sous lequel il est désigné, car le druidisme place son équivalent du dharma en dessous de son équivalent du brahman.
Et les autres significations de ce terme hindouiste ou bouddhiste n’ont pas leur place dans le paganisme philosophique et réfléchi de notre druidisme.
Notons d’ailleurs que le dharmachakra bouddhiste correspond plus à la rouelle ou roue solaire qu’à notre célèbre roue de la Fortune ou tarabara en breton dixième arcane majeur du tarot.
Par contre notre idée du destin se situe bien dans le droit fil de la notion de rta ou rita en sanscrit, puisque c’est une notion étroitement liée à celle de « vérité », et que dans le Rig-Véda la préservation de l’Ordre cosmique passe par la punition des « menteurs ». Il existe en effet dans l’hindouisme une relation étroite entre le Rita et la notion de Dharma en tant que conformité à l’Ordre « cosmique ».
Mais en attendant le jour béni du retour des dieux (ou démons selon les points de vue) aujourd’hui éclipsés par le matérialisme le plus individualiste et victimes d’une certaine occultation, du désenchantement du monde, l’épanouissement individuel de l’âme ou anamone est annoncé par la vie du Hésus Mars. Il n’y a ni enfer ni damnation éternels puisqu’il en a triomphé avec son char éthérique (siabur charpat). Voilà la bonne nouvelle au sens littéral du terme en celte : suscetlon.
* Le labarum est donc en quelque sorte le signe ou messager du Destin. Mais il faut être simpliste comme un juif un chrétien ou un musulman pour s’imaginer qu’il s’agit d’un commandement hurlé dans une langue humaine inconnue !
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LE PYRAMIDION.
(La totalité des puissances situées au-dessus des dieu-ou-démons. Plérôme sous la plume de saint Irénée, mais à tort).
Ce qui caractérise le premier des plans supérieurs issus de cette émanation, c’est sa très grande proximité d’avec le Grand Tout divin ou Pariollon. Il s’agit simplement de la personnification non éphémère d’un des attributs de la divinité (père, fils, et même esprit, sont par exemple les hypostases du Dieu ou Démiurge des chrétiens).
Cet albiobitos est donc habité par des êtres au corps fait tout de lumière et de pureté. Ils sont à l’abri de toute souillure et n’ont ni père ni mère au sens strict du terme, car ils correspondent à un degré de l’être un peu moins primitif que celui que nous sommes capables d’imaginer.
Au-dessus et autour du Destin ou Tocade en effet, comme des nuées autour du sommet de la montagne, il y avait donc selon les anciens druides une nébuleuse d’électréons libres, les constantes ou dimensions qui donnent sens aux phénomènes et les fondent, participant ainsi de toutes les réalités de l’expérience ordinaire. Dans la conception druidique première, ces pré-dieu-ou-démons, en tant que « principes » métaphysiques (éons) appartiennent au domaine de l’infini, et ne sont pas réductibles à la finitude. Les ramener à l’état humain revient à les atrophier.
Ces forces à l’œuvre dans le cosmos ou bitos forment le niveau supérieur de l’univers spirituel dans lequel vivent les dieu-ou-démons (le plérôme). Nous ne nous étendrons pas de nouveau sur la nébuleuse de ces électr-éons, qui ne sont pas des dieu-ou-démons au sens strict du terme, mais plutôt des concepts, ou des lois cosmiques, premier démembrement connu de la grande loi de vie de l’univers.
Redonnons néanmoins ici, à titre indicatif et brièvement, la liste des concepts ou des entités qui avaient déjà été clairement repérés par nos ancêtres spirituels à ce titre.
— L’âme universelle, le grand réservoir psychique universel, appelé awenyddio (pour reprendre un terme gallois). Essentiellement vue comme une flamme primordiale ou un feu cosmique ayant une nature non matérielle.
— Le feu primordial ou chaleur physique.
— La matière ou étoffe de l’univers.
— L’oxymore ou affrontement des contraires (Gwenn-ha-Du).
L’Être supérieur n’a pas de personnalité, et demeure toujours totalement inconnaissable. C’est un abîme insondable. Sa perfection et sa plénitude ne peuvent néanmoins que se transmettre à d’autres étants, par voie d’émanation. Ainsi que nous avons pu le voir, à ce stade de la (pro) création du monde il n’y a que le chaos, ou grand chaudron de la soupe cosmique universelle (le tohu-bohu dit la Bible).
Les pouvoirs ou attributs de l’Être des êtres qui étaient auparavant cachés dans l’abîme insondable, évoluent hors de lui et deviennent les principes de tout développement ultérieur de l’existence ; ils se déroulent par vagues d’émanations successives jusqu’à ce qu’ils se soient tout à fait éloignés de la pureté divine initiale, et peu ou prou imprégnés de matière.
L’Albiobitos (ou Plérôme dans le monde grec, mais indûment avons-nous dit) est constitué du Pariollon (Parinirvana pour les bouddhistes), de la Loi des mondes ou Destin appelée Tocade, et des électr-éons voire pré-dieu-ou-démons qui en ont émané en premier. Cet Albiobitos qui est lumière s’oppose à l’Anderodubno qui est le Vide spirituel.
Au-dessus des dieu-ou-démons au sens habituel du terme, ou autour d’eux comme des nuées entourant le sommet d’une montagne, de grandes forces abstraites animent en effet le monde. L’albio-bitos ou hyper monde est un univers clos contenant le Divin par définition et d’autres êtres spirituels en plus.
L’Albiobitos est, initialement, la réunion de ces pré-divinités, hiérarchisées ou complémentaires, dont l’action rend compte de toutes les forces élémentaires en action dans notre univers.
Elles forment une chaîne ininterrompue entre Dieu ou le Démiurge et notre monde à nous, celui des hommes. Elles constituent la trame de notre monde et la Loi qui les dirige et les lie, est la loi des mondes appelée Destin ou Tocade.
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Ainsi que nous avons pu le voir, au départ il y a l’Unité immanente absolue du Dieu ou du Démiurge, le principe de l’existence, la lumière des lumières. Cette Unité créatrice, inaccessible à l’entendement humain, produit par émanation une diffusion d’être ou de vie qui, procédant du centre à la circonférence, va en perdant insensiblement de son éclat et de sa pureté, à mesure qu’elle s’éloigne de sa source ; jusqu’aux confins des ténèbres dans lesquelles elle finit par se perdre. En sorte que ses rayons divergents, devenant de moins en moins spirituels, et d’ailleurs repoussés par les ténèbres, se condensent en se mêlant avec elles, et prenant une forme matérielle, forment toutes les espèces d’êtres que le Monde peut renfermer. Il y a donc entre l’Être supérieur et l’Homme, une chaîne incalculable de puissances intermédiaires, dont les perfections diminuent en proportion de leur éloignement du Principe procréateur. Ces émanations sont projetées par ordre décroissant.
Il s’agit là d’une notion un peu plus pointue que la notion de création ex nihilo, soutenue par les juifs, les chrétiens, et les musulmans, qui affligent Dieu des délibérations d’un esprit et des actions d’une volonté semblable à celle de l’Homme [il est vrai que le texte de la genèse parle plus précisément d’élohim, ce qui est un pluriel, et non de Dieu au singulier]. Cette Emanatio ex Deo, confirme au contraire l’absolue et immanente transcendance du Dieu-Par, faisant du déploiement cosmique une coïncidence de son existence. Ces émanations ne l’affectent en aucune manière, pas plus qu’elles ne le diminuent. Il ne se divise pas en une multitude d’êtres inférieurs, ni ne se morcelle. Un peu comme le soleil dont émane la lumière sans qu’il en soit diminué pour autant, ou comme un reflet, qui ne diminue en rien l’objet reflété.
Ce ne sont pas des dieu-ou-démons créateurs personnels au sens strict du terme. Il s’agit plutôt de formes massives de vie, des courants d’énergie. Des forces qui forment les nuées supérieures de l’univers dans lequel nous vivons, c’est-à-dire le plérôme au sens grec du terme ou albiobitos. Là vivent des entités en réalité presque pures âme/esprits ou pures énergies, indifférentes au sort de notre Humanité, car trop absorbées par la dialectique cosmique de leur interaction mutuelle. Ces pré-déités ont une durée de vie extrêmement longue (plus longue encore que celle des autres dieu-ou-démons), mais limitée néanmoins à celle de leur monde (notre setlokénie).
Les « sur-dieu-ou-démons » qui composent ce monde, sont des manifestations de l’unique divin qui est fusion métamorphique de l’âme et de la matière ; union intime et quasi absolue, sous des formes impensables en tout cas, de l’âme universelle et de la matière.
Les mages des Perses, qui voyaient en ces éons des génies plus ou moins parfaits, leur donnaient des noms relatifs à leurs perfections, et se servaient de ces noms mêmes pour les évoquer. De là vint la magie des Persans, que les juifs, l’ayant reçue par influence culturelle, durant leur captivité à Babylone, appelèrent cabale.
Platon qui considéra, quelques siècles après, ces mêmes êtres, comme des idées, cherchait à pénétrer leur nature, à les soumettre, par la dialectique et la force de la pensée. Synésius, qui réunissait la doctrine de Pythagore à celle de Platon, appelait Dieu tantôt le Nombre des nombres, et tantôt l’Idée des idées. Mais, non contents d’assimiler les êtres de la hiérarchie céleste à des idées, à des nombres ou à des principes de volonté, il y eut des philosophes qui préférèrent les désigner par le nom de Verbes [labarum chez les druides]. Plutarque écrit par exemple quelque part que les verbes, les idées, ainsi que les émanations divines, résident dans le ciel et dans les astres. Philon donne en maint endroit le nom de verbe aux anges ; et Clément d’Alexandrie rapporte que les Valentiniens appelaient souvent ainsi leurs éons. N.B. Dans ce système, l’homme ainsi que tous les autres êtres du monde visible sont désignés sous le nom commun de matière.
Expérimentalement nous appréhendons ces électr-éons surtout d’abord par notre connaissance de nous-mêmes : l’Albiobitos (plérôme mais à tort sous la plume de saint Irénée) se décrit donc lui-même à nous-mêmes par nous-mêmes.
Autrement dit, un peu comme dans la mécanique quantique, les électr-éons dépendent des êtres qui les nomment, tels que ces êtres les découvrent et les éprouvent dans et par leur propre mode d’être. C’est pourquoi ces attributs ou épithètes divins constituent les différents niveaux ou degrés de l’être.
CONCLUSION.
Ainsi que nous avons pu le voir dans la partie précédente, la partie théologie, avant les dieu-ou-démons au sens classique du terme, au-dessus des dieu-ou-démons au sens classique du terme, il existe tout un halo de constantes à l’œuvre dans le cosmos ou bitos, appelées jadis éons. Du celtique aiu, « force vitale, vie », d’où « durée de la vie », puis « éternité » enfin « substance éternelle émanée de l’Être divin et par laquelle s’exerce son action sur le monde ».
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Fin de ce bref rappel sur les éons druidiques. Pour plus de détails sur ces émanations divines primordiales, les électr-éons (du celtique aiu) ; qui habitent une région de lumière céleste appelée Plérôme, située autour de la partie supérieure du monde des dieu-ou-démons appelé Albio bitos ; voir notre fascicule sur la théologie.
Mais assez curieusement (il est difficile de se décrire objectivement soi-même), ce sont les musulmans qui ont le mieux décrit cette principale caractéristique de notre druidisme ancestral : le Chirk (des mouchriqines). Autrement dit l’émanation des éons puis des dieu-ou-démons ou des hypostases divines (vyouha dans l’hindouisme) à partir du UN originel via le passage obligé du grand Tout.
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ENTRE FATALISME ET DÉTERMINISME ?
Au-dessus des dieu-ou-démons ou à l’écart, une grande force abstraite régit le monde. Le Destin c’est l’ensemble des causes secondes de l’univers (du bitos). Le destin providence ou nécessité est un réservoir méta-divin de puissances impersonnelles auxquels même les dieux ou élohim sont soumis. C’est l’Ahoura Mazda ou être supérieur du panthéon druidique. cf. aussi le El Elyon de la Bible en quelque sorte. Nous traduisons le terme vieil irlandais Tocade par ce mot, mais en réalité le Tokad était toute autre chose : à la fois loi cosmique, justice immanente, providence. À la fois « ordre » cosmique et « ordre » rituel ou moral. Le caractère est par exemple son horoscope.
Chez les druides le destin est la force qui façonne la matière, qui imprègne et qui organise le monde d’après un ordre systématique.
Le destin est la cause séquentielle des êtres qui préside à l’administration du monde. Le destin est la cause éternelle des choses, en vertu de laquelle les faits passés sont arrivés, les présents arrivent et les futurs arriveront. Rien n’arrivant sans cause, tout arrive donc selon des causes antécédentes dont l’enchaînement constitue le destin selon les druides. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, rien n’arrive qui ne soit nécessaire et qui ne pouvait être prédit de toute éternité. L’état présent de l’univers, l’effet de son état antérieur, et la cause de celui qui va suivre.
La doctrine druidique authentique a toujours été très claire à ce sujet. L’Être Supérieur est implacable et impersonnel (contrairement à ce que prétendent les judéo-islamo-chrétiens) et la nature forme un tout unifié dont les êtres interagissent constamment. Cette conception du destin est d’ailleurs l’exact équivalent du védique « rita » ou du bouddhiste « dharma ».
Le seul problème est : « comment concilier le caractère implacable et impersonnel du destin au niveau local ou régional des choses, et l’illusion que l’homme a d’être libre ? ».
La réponse est : « l’être humain n’est jamais totalement libre. Mais ceux dont le déterminisme est plus favorable peuvent parvenir à élargir leur degré d’autonomie ».
Le Destin suprême inclut aussi bien le passé avec ses conséquences que le futur ; c’est-à-dire toutes les potentialités ou virtualités possibles. Car il faut insister sur ce point, comme l’avaient très bien vu les druides antiques, le mouvement général de l’univers, le mouvement interne du grand Tout divin, son Destin donc, va du non-être à l’être, du néant relatif à l’être relatif. Le néant relatif n’est pas le néant absolu, simplement l’état de ce qui n’est pas encore, mais va être (cf. Les Éléments de cosmogonie celtique du grand universitaire belge Claude Sterckx et sa notion de Vie potentielle ou de virtualité absolue, devenant existence).
NB. Le Néant absolu, lui, ne fait pas partie de ce Chaudron cosmique en ébullition. Mais l’espace et le vide en font néanmoins partie, en tant qu’éléments de l’univers physique.
En ce sens le véritable dieu-ou-démon supérieur des druides, c’est l’Évolution, d’où le symbole du peuple mi-homme mi-cerf (celui du grand sorcier chef de clan appelé le Nemet – Cernunnos – en Irlande).
Il n’y a pas eu de création absolue, il n’y a pas d’un côté un créateur et de l’autre une création ou des créatures, l’Univers physique ne saurait être distinct de la divinité de l’Être, il y a autocréation continue, tout est consubstantiel dans le chaudron de vie cosmique. Le monde matériel dans lequel nous vivons, le monde de la grande déesse-ou-démone mère aquatique, n’est qu’une des faces de ce véritable dieu-par qu’est le chaudron cosmique en ébullition, l’autre face étant l’âme universelle.
Le Chaudron de vie cosmique est Tout. Le Chaudron de vie cosmique est tout, cela veut dire qu’il est l’univers entier visible et invisible ou Bitos, qu’il est ce qui est. Quelle tautologie ! Qu’il est ce qui est, ce qui a été, ce qui sera. Il contient tout ce qui fait l’univers, car il faut de tout pour faire un monde.
Mais il y a quand même une hiérarchie dans ces manifestations de l’invisible. Les premières manifestations de l’Être sont éclatantes de lumière et leur conceptualisation ou leur visualisation est quasiment insoutenable. Ce sont les éons (du celtique aiu, temps, éternité, force vitale).
Les dernières manifestations de l’Être par contre, ne sont pas perceptibles pour les hommes parce que l’être y atteint son anti-pôle, le degré où il disparaît. Ce degré de non-présence de l’être, de non-être, ce sont les ténèbres absolues.
Entre ces deux pôles, Lumière et Ténèbres se mélangent en des proportions diverses. Comme l’a très bien vu le grand philosophe français Pascal, le Gdonios, l’Homme, est mi-ange mi-bête. L’un est
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sauvé par sa connaissance, l’autre par son ignorance. Entre les deux, l’être humain ou gdonios, est en litige.
Ce concept, le monisme druidique (monothéisme philosophique et réfléchi), permet de comprendre qu’il n’existe absolument rien d’extérieur au Destin suprême, même le mal qui n’est qu’un éloignement extrême par rapport à la source de toute lumière, une zone d’ombre.
À cause de cet éloignement, certains dieu-ou-démons initialement porteurs de lumières eux aussi, deviennent alors de beaux ténébreux (voir le cas d’Elatio/Elatha dans la mythologie gaélique par exemple, ou encore celui de Bregsos/Bres) parce qu’ils ne reçoivent et ne diffusent plus la lumière divine. En dessous (voire à côté ?) des esprits incorporels ou des énergies spirituelles, susceptibles d’apparitions que notre âme/esprit retranscrit en corps de gloire (les dieu-ou-démons supérieurs bellissimes) il y a aussi des énergies préternaturelles plus reliées au monde matériel et pouvant être les supports d’influences bénéfiques OU maléfiques, donc ambivalentes en fait, et pouvant tout aussi bien faire le Mal que le Bien, du moins à nos yeux de simples mortels.
N’oublions pas non plus que certaines âme/esprits obligées de redescendre sur terre, pour y renaître au lieu de se réincarner normalement dans un univers parallèle de nature paradisiaque, peuvent au contraire errer ici et là de par le vaste monde (quelques dizaines de cas par siècle).
Ce sont alors elles les « démons » qui séduisent les hommes de toutes sortes de façons (voir les notions de bran carmique et de bacuceos).
N.B. Il existe néanmoins aujourd’hui une École druidique rattachant ces phénomènes de « possession » (les guillemets s’imposent) à des cas extrêmes de troubles dissociatifs de la personnalité. De tels troubles, quoique rares, ont été décrits depuis des temps très anciens, et puis plus particulièrement à la charnière entre le XIXe et le XXe siècle dans les travaux de Pierre Janet. Les patients atteints présentent des alternances de personnalité (ou d’états de personnalité), différents, et peuvent passer de l’un à l’autre sans pouvoir le contrôler (une femme adulte peut par exemple subitement parler avec la voix d’une fillette de cinq ans et s’exprimer comme telle, puis « devenir » un homme de cinquante ans, et ainsi de suite)… Ou alors à des phénomènes d’hystérie, tant féminine que masculine (Charcot).
Le Jupiter celte (Taran/Torann/Tuireann) était fréquemment représenté sur un cheval en train de terrasser ou de soumettre des vouivres anguipèdes (les Andernas appelés Fomore en Irlande). Dans la statuaire, ces monstres sont l’antithèse du cavalier ; et puisque le dieu-ou-démon se laisse définir, nous ne saurions nous éloigner beaucoup de la vérité en attribuant à l’anguipède des caractéristiques opposées à celles du dieu-ou-démon. Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, si le dieu-ou-démon est avant tout Lumière et Prospérité, l’anguipède (du peuple des Andernas) est donc une force de l’Ombre. Puisque le dieu-ou-démon trône dans le ciel, le domaine de l’anguipède est souterrain. Tandis que le dieu-ou-démon se manifeste en octroyant le bienfait de l’eau, le rôle du monstre consiste à contrecarrer cette action. En mythologie celtique les anguipèdes sont donc les forces chtoniennes et souterraines ou à tout le moins celles des éléments naturels incontrôlés dans la mythologie celtique. Quelques exemples de vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomore en Irlande, et représentant les forces de la nature sauvage de type dusios, et autres…
Balor (Balaros en vieux celtique, Yspaddaden Penkawr au Pays de Galles), Ceithleann Craoisfhiaclach (l’épouse de Balor) autrement dit Catullina Crapouesclaca (?) : « aux dents acérées », Bres (Bregsos en vieux celtique, métis d’enfant de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia), et de vouivre ou d’anguipède) Tethra (maître des profondeurs océaniques), Calatin et ses enfants, etc., etc.
Ce livre étant essentiellement un essai de théologie (druidique) et non un livre de démonologie (celtique), nous ne dirons rien de plus des démons au sens primaire du terme (forces du mal extérieures à l’Homme, extérieures à la Nature, mais ayant quand même une existence objective), chez les Celtes (l’analyse de cette notion typiquement judéo-islamo-chrétienne fera l’objet d’un autre ouvrage).
Quant au destin (tocade) dont les racines plongeaient si profondément dans le druidisme de la haute époque, il est donc évident que même avant la romanisation, son culte déclinait. On ne l’invoque plus guère individuellement.
Originellement d’ailleurs, il n’était que la personnification d’un Grand Tout neutre. Dans les mythes de la haute époque, il jouait le rôle de créateur de l’univers physique. Mais la plénitude même du grand Tout dont il est issu empêchera, par la suite, qu’on l’identifie justement à ce grand tout en question.
Le culte du Tokad en tant que tel n’existe donc plus. En dépit de son appartenance à la triade suprême dont on retrouve des traces presque partout, le Destin ne reçoit plus d’adoration particulière. On ne lui construit guère de sanctuaires ; rares seront les témoignages qui lui sont consacrés. Peut-être celui de Strabon.
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« Les Callaïques sont athées, mais les Celtibères et les peuples qui les bornent au nord, ont une divinité sans nom, à laquelle ils rendent hommage en formant, tous les mois, au moment de la pleine lune, la nuit, devant la porte de leurs maisons, et chaque famille au complet, des chœurs dansants qui se prolongent jusqu’au matin » (Strabon, Livre III, chapitre IV, 16).
Le destin est d’ailleurs personnifié ou symbolisé dans les légendes druidiques par un vieux roi vivant retiré hors du monde, dans une île mystérieuse correspondant sans aucun doute à la technique dite des imrama ou navigations. Bêtement assimilé à Saturne ou Cronos par les Gréco-Romains. En tant que Destin bien sûr, c’est lui qui connaît l’avenir, et c’est lui que l’on va consulter pour le savoir. Ainsi que mentionné plus haut, on ne l’invoque plus guère individuellement ; il ne joue plus qu’un rôle secondaire, conséquence probable du fait qu’il avait épuisé toutes ses possibilités « humaines » à l’époque antérieure. Il est le plus souvent remplacé par des triades de fées du genre Matrae Matres ou Matronae.
Voici le texte de Plutarque en question. « Rien n’est plus enchanteur que la nature de cette île, où l’air est d’une charmante douceur. Quelques-uns pensaient à la quitter, mais le Dieu les en dissuada en se présentant à eux comme à des familiers ou à des amis : ce n’est pas en effet en songe uniquement ou par des visions symboliques, que beaucoup de ces insulaires voient des démons et conversent avec eux, c’est face à face. En ce qui concerne Saturne lui-même (le Destin ??????), il demeure dans une grotte profonde, où il dort sur un rocher brillant comme de l’or ; car c’est par le sommeil que Jupiter [Taran/Toran/Tuireann ?] a imaginé de le lier. Des oiseaux dont la demeure est en haut de ce rocher viennent en voltigeant apporter au Dieu de l’ambroisie. Une odeur délicieuse s’exhale de ce rocher comme d’une source, parfume l’île entière. Les Démons dont nous avons parlé entourent Saturne (le Destin ????) et lui prodiguent leurs soins. Ils faisaient partie de sa cour quand il régnait sur les dieux et les hommes. Possédant eux-mêmes le don de divination, ils font un grand nombre de prédictions et, sur les événements les plus importants, font des révélations précieuses dont ils assurent qu’elles sont les songes du Dieu » (Plutarque. De facie in orbe Lunae, 26).
Bref, Le Tokad est le procréateur de la matière et de l’univers, mais il est le plus abstrait des trois dieu-ou-démons de notre triade suprême. C’est une figure devenue bien discrète malgré sa puissance. Il conserve néanmoins une fonction procréatrice d’une importance capitale. À la fin de chaque cycle, c’est lui qui remet en marche la grande horloge de l’Univers le processus évolutif. Taran/Toran/Tuireann assure la conservation de l’univers matériel quand celui-ci se manifeste, tout en en déléguant le soin quotidien à sa parèdre ou ashéra Danu, mais quand celui-ci implose (car un jour ne règnent plus que le feu et l’eau si l’on en croit les druides cités par Strabon, Géographie IV, 4) le Tokad ou Destin conserve en sa pensée le schéma du monde prêt à reparaître lors d’une nouvelle procréation générale.
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Jean-Edouard Gwynn a publié en 1910 un très intéressant article sur la notion de destin ou de destinée dans la littérature irlandaise. D’où il ressort que le Destin, la Providence ou la Nécessité, sont un réservoir méta-divin de puissances impersonnelles auxquels même les dieux sont soumis.
Ce Destin en tant que notion vague, impersonnelle (les formes passives pour reprendre la terminologie de Gwynn) est partout présent dans la littérature irlandaise la plus ancienne. Cette idée sous-jacente qu’il existe un ordre du monde prédéterminé correspondait bien en effet aux concepts religieux des auteurs d’alors, en ce sens qu’elle exprimait bien l’idée que le cours des choses est déterminé par un élément surnaturel extérieur à l’être humain ; mais tout en restant assez vague sur l’identité ou les contours exacts dudit facteur, ce qui permettait donc à tout chrétien d’y voir en fait derrière, la main de son Dieu tout puissant, ou de croire (comme les anciens druides) en l’existence d’une grande loi cosmique régissant et le monde des dieux et celui des hommes. Ce que certains appellent aussi la justice immanente et d’autres encore le Dharma.
L’idée plus précise d’une entité divine extérieure à l’être humain, mais intervenant, dans le cours de sa vie, se trouve plus rarement dans les textes irlandais, car elle figure surtout en fait dans les traductions ou adaptations, en Moyen irlandais, de textes appartenant à la littérature classique, notamment latine. Elle prend la forme allégorique bien connue des déesses Parques Moires ou Nornes filant la destinée humaine. Et alors elle est souvent attribuée à des païens, mais non irlandais, comme si les peuples préchrétiens d’Irlande n’avaient jamais eu, eux aussi, l’impression que leur vie était prédéterminée par
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un ordre cosmique quelconque, déterminée par une force surnaturelle extérieure et quelque peu mystérieuse, régnant au-delà même des dieux.
N.B. Sur le même sujet voir A.G. Van Hamel, « la notion de destin dans la religion teutonne ou celte primitive », Tom Sjöblom, les tabous irlandais anciens, ainsi que Jacqueline Borsje : du chaos à l’ennemi, l’affrontement des monstres dans les textes irlandais anciens (enquêtes sur le processus de christianisation).
Pour en revenir à Jean-Edouard Gwynn, ce dernier distingue donc deux catégories ou deux types différents de « destin » dans la littérature irlandaise ancienne : le Destin en tant que notion vague, impersonnelle, exprimée par des formes passives, bien rendu par le terme destinée en fait, et le destin en tant qu’entité surnaturelle déterminant par exemple le cours de sa vie et son terme.
Gwynn était apparemment surtout intéressé par cette deuxième manière de concevoir le destin même si la première implique bien entendu elle aussi un certain type de conceptions religieuses ou morales.
La notion de destin couvre un vaste champ sémantique allant de l’idée de hasard à celle de prédestination. La croyance au destin peut donc se traduire de différentes façons, de l’impression la plus instinctive au plus élaboré des systèmes philosophiques.
Un des meilleurs moyens d’appréhender cette notion de destin est donc encore effectivement d’étudier quelque peu comment les individus censés avoir eu des prémonitions ou des visions du futur (tels que les druides antiques) sont présentés dans la littérature irlandaise ancienne, et quelles sont précisément les techniques qui leur sont attribuées.
Gwynn a commencé sa première étude de la notion de destin par une approche purement lexicale qu’il a ensuite apparemment abandonnée, car les termes irlandais renvoyant à la notion destin qu’il trouvait dans les dictionnaires d’alors ne rendaient guère sa notion d’élément surnaturel extérieur à l’être humain, ou alors étaient des termes tardifs, voire ne traduisant pas vraiment cette notion de Destin en tant que puissance agissante. Gwynn ne trouva en effet comme terme ayant vraiment un rapport que le mot « tru » qui désigne un malheureux, un homme maudit (vieux celtique trougo, vieux français truand vieil anglais truant).
Il en existait pourtant d’autres qui permettent de bien cerner la conception irlandaise du destin, ou du moins celle que s’en faisaient les auteurs de la première littérature irlandaise.
I LE DESTIN EN TANT QUE NOTION VAGUE ET IMPERSONNELLE.
Le premier groupe de références à la notion de destin est constitué par les formes verbales tocaid ou cinnid.
Le premier exemple figure dans une incantation en vieil irlandais, figurant dans le codex de Saint Paul (Carinthie, un manuscrit datant du neuvième siècle (Thesaurus Palaeohibernicus).
Adgúisiu fid nallabrach 7 arggathbrain etir tenid 7 fraig.
Adgúisiu na tri turcu tercu. tairi siabair mochondáil [con]ith 7 mlicht neich arindchuiriur.
ma rom thoicthersa inso rop ith 7 mlicht adcear manim rothcaither ropat choin altai 7 ois 7 imthecht slebe 7 oaic féne adcear.
Adgúisiu fid.. Adgúisiu na tri turcu tercu.
Adguisiu est la forme passive du présent du subjonctif (troisième personne du singulier) de * tocaid et se réfère en l’occurrence à une divination sur la technique de laquelle nous reviendrons ultérieurement.
Le second exemple est extrait du texte en vieil irlandais intitulé « le rêve d’Oengus » et date du VIIIe siècle.
Rotogad duit cairdes frie. Ton destin (rotogad) était de l’aimer.
Le troisième exemple est tiré de la seconde des trois histoires composant la Tochmarc Etaine, un manuscrit datant du IXe siècle.
Is suachnid ni rodchadh mo iccsa. Il est évident qu’il ne m’était pas destiné de guérir.
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Le contexte semble indiquer que tout ceci (l’oubli du rendez-vous qui devait guérir l’amoureux transi) est le fait du dieu Medros/Midir.
L’exemple suivant figure dans le texte intitulé Baile in scail, un récit dont le fond est du vieil irlandais remontant au IXe siècle, mais réécrit au XIe.
Ni dam rothocad a rad fritt, ol in drui. Ce n’est pas à moi qu’il appartient de te les énumérer, dit le druide.
N.B. Ce texte est un bon exemple de la façon dont la notion de destin a été reçue par les auteurs de cette première littérature irlandaise. Le récit étant censé se dérouler du temps de l’Irlande préchrétienne, les différents protagonistes de cette histoire ne peuvent donc par définition adhérer à la vision du monde chrétienne. Il y a eu néanmoins un ajout visible, une interpolation due aux moines copistes, afin de le christianiser quelque peu (une prophétie annonçant la venue de saint Patrice).
Un autre exemple de cette conception impersonnelle et vague du destin figure dans le texte en vieil irlandais tardif intitulé Scéla cano meic Gartnain. Dont Binchy fait remonter le substrat initial à la seconde moitié du IXe siècle, avec réécriture au temps du Moyen irlandais.
Ma ra-tocad dam-sa, as mé do-méla(d) a n(d)-argat-sa. Si cela m’a été destiné, alors je saurai utiliser cet argent.
Dieu comme cause et origine de l’ordre cosmique est incontestablement le sens profond du texte intitulé In tenga bithnua. Dans ce texte en vieil irlandais datant du IXe siècle nous trouvons également une telle conception impersonnelle du destin (une forme passive dirait Gwynn).
Tipra Shion i tirib Ebra sund nocon rodcad ar in da fogbad nach baeth. La source de Sion dans le pays des Hébreux n’est pas faite pour que n’importe quel imbécile la trouve.
Figure dans la suite de la même histoire un exemple d’utilisation du verbe cinnid.
Bés is ed ro-c[h]indead dun ar an oic. Mais bien sûr, c’est ce qui nous était destiné, dirent les guerriers.
À noter : la forme verbale cinnid est remplacée par la forme tocaid dans certains manuscrits.
Dans la seconde version de la Compert Conchobuir, datée du Xe ou XIe siècle, le druide Catubatuos/Conchobar conclut sa demande auprès de la reine Ness par la formule suivante (il s’agit du premier de ses trois vœux) :
Ar ris ed ro cinded dam, inillius frim, ol Cathbad. Car c’est ce qui m’a été destiné (te protéger ???)
On retrouve là le même cas de figure qu’avec le texte intitulé Baile in Scail. Le fond est indubitablement païen, mais des considérations typiquement chrétiennes y sont insérées. Il prédit la naissance et la mort de Cunocavaros/Conchobar, mais précise également qu’elles concorderont avec la naissance et la mort du Christ.
N.B. Il va de soi que nul ne peut dire avec certitude si le druide Catubatuos/Cathbad était bien capable de prédire l’avenir, mais apparemment les premiers chrétiens de ce pays, eux, le croyaient dur comme fer.
La vague notion de destin, telle qu’elle est exprimée dans ces formes passives du verbe, laisse donc place sans problème aux conceptions chrétiennes.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir avec les textes intitulés In tenga Bithnua et Scéla Cano meic Gartnain, cette conception païenne de Destin pouvait aussi se retrouver dans des textes plus chrétiens ou du moins plus christianisés.
Une autre occurrence nous en est par exemple fournie par la vie d’Adamnan, un texte en moyen irlandais (début de période puisque datant des années 956 à 964).
Ma ro-m-thoiccthi écc i n(dh)I. Si mon destin est de mourir à Iona.
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L’entité qui a décidé de cette mort n’est pas mentionnée, mais un croyant chrétien de l’époque pouvait supposer qu’il s’agissait de Dieu.
Notre dernier exemple sera une exception à la règle évoquée plus haut, il s’agit d’une forme verbale active de cinnid, dans une anecdote concernant saint Ciaran.
Rucad in dichennach la Ciarem co Cluain iar sain dia lessugud airet no chind fed dia a bethu. L’homme sans tête fut alors emmené par Ciaran à Clonmacnoise afin d’y être nourri aussi longtemps que Dieu n’aurait pas décidé de mettre fin à sa vie (sic). Thème bien connu des saints céphalophores.
C’est d’ailleurs le seul exemple d’une forme verbale active de cinnid dont le sujet s’avère être explicitement Dieu.
Dans tous les autres exemples en vieil irlandais ou en moyen irlandais que nous avons il s’agit de forme verbale impersonnelle.
Une autre façon d’exprimer la notion de destin en gaélique est la préposition i suivie soit de la forme substantivée de cinnid, soit de la forme substantivée de tocaid, dan, tairngire ou scoth, avec souvent la préposition do, ce que l’on peut traduire par « il m’est destiné de, « il m’est réservé de » et ainsi de suite.
Un exemple avec le verbe cinniud nous est fourni par un poème du texte en Moyen irlandais tardif intitulé Acallam na Senorach. Ata i cinnedh dhamh dhul ann. Il m’était destiné d’aller là-bas.
On trouve un exemple de la forme substantivée du verbe tocaid dans le Moyen irlandais du Dindshenchas (XIIe siècle).
Innocht, ar Assal, mu brath, ità i tucthin mo marbath. Cette nuit, dit Assal, sera celle de ma trahison. Ma mort est écrite.
Deux autres expressions synonymes figurent dans le texte en Moyen irlandais de la Tochmarc Luaine 7 aided Athairne.
Ro bai i ndan 7 i tairngiri in aided ud diar mbreith do réir fhaistine in druad. Que cette mort-là nous emporterait était écrit et décidé, conformément à la prophétie du druide.
N.B. Le sens quelque peu extensif du terme tairngire fait qu’il peut impliquer tout aussi bien, qu’il existe des individus capables de lire dans l’avenir, que la croyance au pouvoir magique du verbe (ce qui est dit se réalise, tôt ou tard : même principe que celui du Coran incréé en terre d’islam).
Scoth n’est utilisé que dans des narrations. Par exemple dans la Scel Baili Binnbérlaig où un mystérieux personnage joue le rôle de messager ou d’auxiliaire surnaturel du destin, empêchant ainsi deux amoureux de se retrouver.
Ar ni fuil a scoth doib coristais a m-bethatd no nech dib d’faircsin aroili ina m-biu. Car il n’était pas dans leur destin de se trouver réunis dans cette vie ni même que l’un d’entre eux puisse revoir l’autre vivant.
N.B. Cette construction : in = cinniud/tocad/dan/tairngire/scoth (+do) correspondait à la notion impersonnelle du destin (selon Gwynn).
PRONOMS POSSESSIFS, ADJECTIFS, ADVERBES ET NOMS COMBINÉS AVEC DES TERMES SIGNIFIANTS DESTIN.
Cette seconde catégorie rassemble les expressions signifiant destin, combinées avec un adjectif un adverbe un pronom possessif, un nom au génitif ou précédé de la préposition do.
Dans la sous-catégorie comprenant les adjectifs, nous trouvons des expressions telles que « truag in garg-dil rognid and for ingin ard-rig hErend. Triste fut le sort qui fut ensuite réservé à la fille du roi des rois d’Irlande ».
Cet exemple tiré des Dindshenchas montre que la notion de destin peut être exprimée par des euphémismes voire des litotes. Ce type d’expression relève de la catégorie des conceptions impersonnelles du destin : ce qui attend quelqu’un, sa destinée, le tout qualifié par un adjectif.
Très similaires sont les formulations dans lesquelles un pronom possessif ou un nom au génitif est combiné avec un terme signifiant destin. Exemple tiré du texte en Moyen irlandais (première période) intitulé Togail na Tebe is.
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Is truag am linde, ar se, an toicthi (in toicthe) Thiabanda. Le sort des Thébains dit-il, nous attriste en effet.
Un exemple de pronom possessif avec la forme substantivée de tocaid nous est donné dans l’adaptation en Moyen-irlandais de la Pharsale de Lucain.
Tallsat muinter Césair a céill annsin do conach catha tire, 7 is i comairle doronsat, a toicthi mara do innsaigid. Les gens de César perdirent ensuite tout espoir de l’emporter dans les combats sur terre, et voici donc le plan qu’ils échafaudèrent pour tenter leur chance sur mer.
Le terme latin traduit ainsi est Fortuna, mais il y a lieu de noter que l’auteur de ce texte (In cath catharda) utilise la même forme substantivée de tocaid pour rendre à la fois Fortuna et Fatum malgré la différence de signification. Le terme Fortune équivaut à la notion de pur hasard (donc tout le contraire d’un destin écrit d’avance) alors qu’avec le Fatum tout est écrit d’avance au contraire. Du moins en latin.
N.B. Il découle d’une variante de cette idée que non seulement le destin peut déterminer ce qui arrive à quelqu’un, mais que les dieux également influent sur le cours de sa vie. De façon assez curieuse, cette idée s’avère attribuée à des païens non irlandais, qui apparemment étaient donc considérés par les auteurs de ces textes comme encore plus païens au mauvais sens du terme que les Irlandais placés dans la même situation, c’est-à-dire préchrétiens.
Un chef danois dit en effet dans les fragments d’annales d’Irlande (Moyen irlandais) :
biaidh do berad ar ndee 7 ar dtoicthe duin. Nous aurons ce que nous accorderons nos dieux et notre destin.
De la même façon, selon le texte en Moyen irlandais intitulé « Histoire de Philippe et d’Alexandre » l’empereur perse Darius doit sa défaite à la décision des dieux ainsi qu’à son propre destin.
III LE DESTIN EN TANT QUE SUJET AGISSANT.
Ainsi que nous venons de le voir donc, la plupart des exemples se référant à la notion de destin dans les textes en vieil irlandais ou en moyen irlandais, sont des exemples de conception impersonnelle du destin (des formes passives dirait Gwynn).
Mais il existe aussi quelques cas de références au destin sous une forme plus active, avec un sujet. Le destin avec un D majuscule en quelque sorte.
La première catégorie d’exemples nous est fournie par les traductions ou les adaptations en gaélique de la littérature latine. Nous pouvons lire par exemple dans la Togail na Tebe : Acht chena is dimain duit-si sin, uair tainic crich tsaogail an gille sin, 7 ni fetann tiachtain ri toicthi. Pourtant cela ne te sert à rien, car la fin de la vie de cet homme est venue et il ne peut pas lutter contre son destin.
Cette phrase est un très bon exemple du destin conçu comme une force surnaturelle extérieure à l’homme et que l’on ne peut fuir, mais placé dans la bouche de païens non irlandais. Le texte originel, la Thébaïde de Stace utilise d’ailleurs les deux notions, le Fatum impersonnel et neutre et l’image des déesses de la destinée (latin Fata) qui en sont bien évidemment une personnification.
Second type d’allusion à une notion plus personnelle et plus active du destin. Dans le texte en vieil irlandais de la prière pour une longue vie (Cétnad n-aise), qui date du VIIIe siècle, il est fait référence aux 7 filles de la mer qui mettent en forme le fil de la vie.
N.B. Cette allégorie du destin représenté sous forme de déesses fileuses a de nombreux parallèles dans le monde indo-européen.
IV L’ACTION DIVINE DU DESTIN PAR L’INTERMÉDIAIRE DES CAUSES SECONDES QUE SONT LES ÉPÉES.
L’épée celte est en fer, car les Celtes maîtrisent très bien sa métallurgie. De ce fait elle est d’une qualité irréprochable et redoutée par de nombreux peuples en même temps qu’admirée. Elle est
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davantage conçue pour trancher que pour porter des coups d’estoc. Ces épées sont même imitées et exportées chez certains peuples italiques.
Il n’a pas manqué bien entendu d’intellectuels adeptes de la religion d’amour pour estimer que les Celtes les traitaient comme de véritables idoles alors qu’elles n’étaient pour eux par définition que des auxiliaires du destin (de la victoire ou de la mort) ou des causes secondes.
La célèbre lorica ou cuirasse attribuée à Saint Patrice met par exemple en garde contre les auxiliaires du mal que sont la magie des femmes des forgerons, et des druides évidemment.
L’épée chez les Celtes, tout comme chez les Germains d’ailleurs, paraît avoir été considérée comme la plus importante manifestation de la puissance du dieu terrible qu’invoquaient les guerriers dans les batailles.
Les Quades, peuple germain, ayant à conclure un traité, tirent leurs épées, dit Ammien Marcellin, et jurent sur elles, car ils les considèrent comme des dieux.
Les Celtes du Continent réunis contre Rome jurent sur leurs étendards militaires réunis en faisceaux (César. B.G. VII. 2).
Les Anglais après Culloden font jurer sur leur dague les Écossais.
Une description de l’Irlande, écrite en 1600 et publiée en 1887 par le Père Hogan, constate que la coutume du serment par l’épée était encore usitée en Irlande à la fin du seizième siècle (1598) et qu’alors on attribuait à l’épée fichée en terre une sorte de caractère divin.
L’antiquité du serment par l’épée, en Irlande, est prouvée par un passage du texte épique intitulé Serglige Conculain, où l’on voit Cuchulainn retenu au lit par une maladie. Cette maladie le prit à l’assemblée des guerriers qui se tenait à Murthemné du 29 octobre au 3 novembre. Les guerriers venaient s’y vanter de leurs succès à la guerre, et comme pièces justificatives, y apportaient les langues des ennemis qu’ils avaient tués. Quelques-uns de ces guerriers étaient de mauvaise foi et présentaient des langues d’animaux au lieu de langues d’hommes. Mais pour savoir la vérité et confondre les menteurs, on avait trouvé un moyen infaillible. Les guerriers, avant de parler et de montrer leurs trophées, devaient jurer sur l’épée d’être véridiques, et s’ils manquaient à leur serment, leur épée, replacée sur leur cuisse, prenait la parole pour les confondre. L’auteur chrétien de la rédaction qui nous est parvenue, et qui écrivait probablement au onzième siècle, ajoute une glose à ce récit antique. La raison d’une telle habitude était que les démons avaient coutume de se manifester à partir de leurs armes ; et c’est d’ailleurs pour cela que leurs armes étaient sacrées (comarchi).
L’épée du guerrier, aux yeux du Celte comme du Germain, a donc quelque chose de divin ; c’est elle qui décide du sort des guerriers dans le duel judiciaire, ainsi qu’à la guerre.
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ALORS ATHÉISME, AGNOSTICISME, OU PANTHÉISME ???
Et s’il y avait une création sans créateur ? Non pas un commencement et une fin absolus mais des commencements et des fins relatives en vertu du grand principe de conservation de l’énergie attribué à Lavoisier : « rien ne se perd rien ne se crée tout se transforme » ?
Les Celtes ne pensaient-ils pas que l’Humanité était issue d’un existant appelé Dis pater par les Romains et les druides ne disaient-ils pas contrairement à la Bible que le jour vient de la nuit ?
Je dis contrairement à la Bible car si j’en crois son mythe de la création avant que la lumière soit il avait non pas la nuit MAIS RIEN !
Cette notion de création absolue de notre univers par un Dieu tout puissant soulève deux problèmes qui sont autant d’apories que traînent comme des boulets les théologie juive chrétienne et musulmane.
La première est « Pourquoi Dieu a-t-il créé le monde ? »
Les Sumériens répondaient (au pluriel) que c’était pour être adoré prié et se voir offrir des sacrifices.
Les chrétiens répondent plus hypocritement « par amour ».
Et la deuxième aporie est, puisque ces religions de masse monolâtres ont une telle eschatologie, pourquoi Dieu mettra-t-il fin à ce monde un jour ?
En résumé : « pourquoi faire surgir le monde du néant pour l’y renvoyer presque aussitôt (aussitôt car comparée à l’éternité la durée de vie de notre univers selon leurs premières générations... devait être relativement courte) » ?
Laissons donc l'anthropomorphisme à nos ancêtres biologiques ou spirituels ! L'être des êtres est indifférent à tout ça, IL EST un point c'est tout !
Et telle était peut-être en définitive la substance ou la quintessence de la philosophie de Diviciacos de Bibracte ainsi résumée par Strabon (qui n’y a visiblement rien compris): « les âmes et l'univers sont indestructibles, mais un jour le feu et l'eau prévaudront ».
L’idée de Dieu que se font les religions de masse, monolâtres (judaïsme christianisme et islam) est en tout cas le plus grand commun diviseur de l’Humanité, évitons par conséquent de le mêler à nos affaires d’hommes ;
Dieu est en effet une inconnue qui rend toute équation impossible à résoudre
Les maîtres mots du vieux druide de la forêt marseillaise étaient peut-être mais avant la lettre évidemment, panenthéisme panthéisme athéisme agnosticisme (dixit le vieux druide de la forêt des environs de Marseille d’après Lucain de La Pharsale….ou Lucien….de Samosate) car il faut savoir parler aux Grecs en grec.
Dieu-ou-Diable est fondamentalement inconnaissable en son mystère avons-nous dit et même répété, mais on peut néanmoins connaître quelques modalités de Son être et de Son agir. Ces modalités, ce sont les dieu-ou-démons du panth-éon ou de l’angélologie druidique. Toutes les religions de masse du monde ont leur panth-éon ou leur angélologie, y compris le zoroastrisme ou le judaïsme (dieu-ou-démon suprême, dieu-ou-démons, anges, démons, djinns, saints ou marabouts). Cet ensemble varie considérablement d’une culture à l’autre. Mais, quelle que soit leur forme, humaine, animale ou hybride, les dieu-ou-démons et les déesses-ou-démones, présentent de nombreux points communs. Ils sont souvent spécialisés dans un domaine, comme la guerre ou l’agriculture. Ou alors ils veillent sur une région du monde, voire sur des individus en particulier. Ils se comportent en général comme les êtres humains, mais à une échelle différente. Comme eux, ils connaissent l’amour, l’amitié, les
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conflits, la jalousie. Le cas de l’entité appelée Lucifer ou Iblis, dans le judéo-islamo-christianisme, est exemplaire à cet égard.
Le nombre des dieu-ou-démons druidiques est pratiquement infini : grands dieu-ou-démons, spécialisés ou non, petits dieu-ou-démons, dieu-ou-démons subalternes, demi-dieu-ou-démons, dieu-ou-démons étrangers… Mais si le polythéisme religieux du druidisme nous fournit une très grande liste de divinités à invoquer lors des cérémonies, ces divinités sont surtout des divinités masculines. Ces dieu-ou-démons assument des fonctions cosmiques semblables à celles des chefs de famille dans le monde terrestre.
Le monde des dieu-ou-démons étant censé être le reflet du monde humain et de sa vie sociale, ces dieu-ou-démons devaient donc avoir des épouses et de temps à autre effectivement, la statuaire nous donne des indications sur les parèdres de certains dieu-ou-démons druidiques (mais d’autres d’entre eux néanmoins n’ont pas d’épouse attitrée).
Le pays fut progressivement unifié par les Indo-européens, ligures d’abord, puis celtes, mais chaque région, chaque vallée, chaque village, continua d’honorer ses dieu-ou-démons propres, et si, au cours des siècles, de nouvelles croyances apparurent, les anciennes se maintinrent le plus souvent. La religion d’avant la grande Celtie antique honorait, depuis la préhistoire, des centaines de dieu-ou-démons. Comme l’Empire d’Ambicatus était constitué de différentes tribus ou communautés ; chacune continua de vénérer ses propres entités. Aux dieu-ou-démons locaux, attachés à une ville ou à une province, se mêlèrent des dieu-ou-démons cosmiques indo-européens, c’est-à-dire des éléments naturels divinisés : le Ciel, la Terre, le monde souterrain, le Soleil, la Lune, l’Océan, ainsi que des divinités fonctionnelles du dodécaèdre druidique (les douze). Celles-ci jouaient un rôle de tout premier plan au sein d’un peuple très religieux (admodum dedita religionibus, note César) qui attendait leur intervention dans la vie quotidienne.
Le druidisme compte un nombre considérable de déités aux aspects réconfortants, souriants (virotutis, iovantucarus, anextiomarus, dunatis, mopatis, contrebis) ou au contraire guerriers, voire terrifiants (la Catubodua), chacune d’elles étant liée à des coutumes ou des fonctions particulières.
Suivant la sensibilité religieuse à laquelle l’on appartient, on peut en effet se représenter les déités d’une manière très diverse. On peut par exemple imaginer des déités paisibles, lorsque l’on développe, ou veut développer, en soi, ou chez les autres, des qualités qui relèvent de la méthode, de la raison, de l’harmonie, donc de l’amitié ou de la compassion en définitive (voir notre essai sur l’éthique et la déontologie).
Certaines sont des divinités de type dieu-ou-démon sauveur (anextiomaros, iovantucaros, ou virotoutis, etc.) dont le culte vise à écarter tous les obstacles.
On peut aussi faire appel à des déités d’aspect plus guerrier pour symboliser la lutte à mener, contre les ennemis pouvant agresser son peuple ou sa tribu, ou contre l’injustice dont sont victimes des amis, voire de façon plus subtile contre les éléments perturbateurs de toutes sortes pouvant affecter la vie de notre univers ou la nôtre, et notamment la vie sociale (dans la mythologie d’Irlande par exemple, la révolte contre l’usurpateur Bres, qui, bien qu’ayant la beauté du diable et la faveur des femmes, écrase le peuple d’impôts, et sera donc ainsi à l’origine de la deuxième bataille de la Plaine des menhirs ou des tumulus).
Il y a aussi des divinités de l’abondance, dont la mise en œuvre vise à permettre l’aisance matérielle.
La personnalité de chaque dieu-ou-démon druidique est très jungienne. Il n’y a pas de divinité monolithique. Les caractères de chaque dieu-ou-démon sont d’ailleurs parfois contradictoires. On peut cependant distinguer à l’origine deux grandes familles : les dieu-ou-démons de la nature, atmosphériques et surtout souterrains, les dieu-ou-démons célestes ou fonctionnels, détachés de tout lien avec les éléments naturels extérieurs à l’homme.
Ce que l’évolution ultérieure, déviante d’ailleurs pour ne pas dire hérétique, a transformé en dieux censés être uniquement bénéfiques, les hommes de Danu (bia) dits Tuatha Dé Danann en Irlande, et en démons en principe uniquement maléfiques (les vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent et Fomore en Irlande) alors que la réalité originelle était, bien entendu, infiniment moins simpliste.
Ou en dieu-ou-démons rivaux, mais possédant les mêmes caractéristiques (la rivalité des enfants de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Dôn, et des enfants de Llyr, dans l’hérésie galloise).
Bref, répétons-le encore une fois, les dieu-ou-démons du paganisme sont, comme le Christ ou le Messie des Juifs, des êtres capables d’émotions, de colère, de peur, de pitié. Bref, ils ressemblent à des êtres humains ordinaires, comme le Christ et le Messie, à part qu’ils sont immortels et ont des pouvoirs préternaturels dépassant ceux de la simple Humanité. Ils personnifient les forces de la nature humaine ou les éléments.
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Avec le druidisme, on peut donc utiliser toutes les énergies possibles et imaginables, certaines sont considérées comme bonnes, d’autres comme mauvaises, mais on peut transformer toute énergie, quelle qu’elle soit, en force bénéfique (sunaritu). Ces conceptions de la divinité ou ces visualisations nous permettent de modifier les éléments qui sont en jeu. La nature du dieu-ou-démon ne change pas, ce qui change, ce sont les facteurs pris en compte, les buts et les intentions.
ANNEXE N° 1.
LA BIBLE DE PIERRE.
Il existe une bible de pierre, encore méconnue, les gravures rupestres alpines. La connaissance des religions qui n’ont pas disposé de l’écriture pour s’immortaliser n’est rendue possible que par l’étude détaillée, mais aussi statistique, des représentations artistiques qui nous sont parvenues. Détaillées, mais aussi statistiques, parce que s’il faut bien entendu examiner avec soin chaque sujet pour essayer d’en tirer le maximum d’informations, on ne peut avancer dans leur compréhension que par l’étude comparative des sujets ; sujets qui peuvent appartenir à différents sites, différentes civilisations, diverses époques. Ainsi, à cause ou grâce à cette étude à la fois microscopique et macroscopique ; on peut sans risquer de « se mordre la queue » chercher à interpréter des représentations rupestres sur la base de ce que nous savons déjà, quitte à préciser dynamiquement nos connaissances s’il y a lieu.
Au nord de la plaine du Pô en Italie, le Val Camonica nous a conservé des milliers de scènes et de figures gravées s’étalant du Néolithique à l’âge des Métaux. Les sujets figuratifs sont nombreux et permettent de connaître quelques activités habituelles des paysans d’alors : maisons, chars, araires, armes, outils, animaux (canidés, cervidés), cadastres (avec champs, chemins), scènes de chasse au cerf, combats, etc.
On y trouve la première représentation connue du grand dieu-ou-démon druidique appelé Cornunnos, ainsi que du serpent cornu. Non loin, d’étranges peintures rupestres nous décrivent aussi de bien curieux personnages, comme vêtus de combinaisons ou de scaphandres, et de mystérieux objets dans le ciel. Pour ce qui est des combinaisons et des scaphandres, il doit y avoir une explication (des habits rituels ???)
La Vallée des Merveilles, quant à elle, se trouve à proximité de la vallée de la Roya et du col de Tende. Elle a une altitude de 2300 m et a un climat dur où la violence légendaire des orages qui se déchaînent sur le mont Bégo qui la domine est sans doute liée à la nature de son sous-sol riche en minerai de fer. Le mont Bégo fut sans doute une ancienne montagne sacrée, car ce qui est certain, c’est que de tout temps cette vallée semble avoir impressionné les populations locales. Cette peur, ou ce respect réapparaissent dans la toponymie des lieux. Vallée des Merveilles, mont Bego (celui qui domine), la Valmasque (Masca = sorcière), cime du diable…
Ce qui frappe le visiteur de la vallée des Merveilles, c’est le grand nombre de figures cornues que l’on rencontre et qui constituent en fait la grande majorité des gravures. Un tel culte, nous l’avons vu, est caractéristique des civilisations agricoles primitives, et il s’est sans doute transmis au cours des âges. On peut donc en déduire que le peuple responsable du tracé de ces figures était avant tout un peuple agricole (ou éleveur) et non chasseur.
On dénombre actuellement plus de cent mille gravures réparties dans la vallée des Merveilles et la vallée de Fontanalba. Ces gravures ont été exécutées par piquetage, et apparaissent en gris vert assez clair sur la patine rose. Dans l’état actuel des recherches, l’emplacement des roches gravées semble n’être dû qu’au hasard. En ce qui concerne les gravures elles-mêmes, on peut les classer en quatre groupes de thèmes iconographiques.
— Les animaux.
— Les armes.
— Les figures anthropomorphes.
— Les figures géométriques.
Les animaux.
Le groupe est essentiellement représenté par les corniformes ou figures cornues, qui représentent la grande majorité des figures gravées. Leurs dimensions varient à l’infini, et certaines sont même utilisées comme charpente pour des motifs plus complexes : le sorcier, le christ, certaines structures réticulées (du latin reticulum = filet)… Il est à peu près certain que ces figures représentent le taureau et le bœuf en projection verticale ; dans ce sens, plusieurs attelages représentant ces formes avec un araire sont disséminés sur le site. La valeur sacrée de ce signe, en accord avec le mythe du taureau,
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est mise en évidence par le grand nombre de fois où il est employé ; ainsi que par son association avec des anthropomorphes très particuliers voire uniques, tels le chef de tribu et le sorcier.
Les armes.
Ce groupe comprenant à la fois des gravures représentant des armes (poignards, épées, hallebardes…) et des outils (faux, faucilles…) est un outil extrêmement précieux, et le seul qui soit à notre disposition pour dater les gravures.
Les figures anthropomorphes.
On peut distinguer dans ce groupe deux sous-groupes constitués des « petits personnages » et des « grandes figures ». Les petits personnages sont les plus nombreux et apparaissent, soit isolés dans la position de l’orant, soit en relation avec d’autres gravures comme dans le cas d’attelages. Plus rares et souvent uniques, les grandes figures paraissent plus complexes et plus significatives, bien que leur sens nous soit encore caché. Leur facture est remarquable et leurs emplacements semblent avoir été choisis avec soin. On retrouve souvent, comme motifs de charpente ou comme motifs associés, des figures cornues qui « sacralisent » en quelque sorte le sujet représenté.
Les figures géométriques.
On a rangé dans cette catégorie diverses figures d’aspects très différents et parmi lesquelles se distinguent les figures appelées « réticulés ». On notera qu’il existe, plus bas dans la vallée, d’énormes structures de murettes qui rappellent le dessin de certains réticulés ; on peut supposer aussi que certaines figures pouvaient servir à l’élaboration d’un cadastre en représentant champs, maisons… Enfin, on trouve des signes dont la signification nous est totalement inconnue dans le contexte : cercles, cercles concentriques, points, rectangles…
La datation des gravures, comme on l’a déjà signalé, se fonde sur l’étude des armes et des outils représentés. Les figures plus anciennes (topographiques, réticulés) datent du Néolithique final (2e moitié du IVe millénaire avant notre ère), les armes (poignards et hallebardes) datent du Chalcolithique (IIe millénaire avant notre ère) et du Bronze ancien (– 2200 à – 1800 avant notre ère).
STÈLE I DE LA VALLÉE DES MERVEILLES : couple primordial ou première génération divine.
La scène se laisse interpréter d’elle-même comme l’une des représentations classiques du couple primordial, formé par le Ciel-Père et la Terre-Mère. Trois éléments iconographiques suggèrent l’accomplissement de leur union : l’échelle ou les deux échelles associées à l’image du Ciel, les bras levés de la Terre, et enfin les deux poignards parallèles entre les deux figures divines. Les premiers textes indo-européens permettent d’aller plus loin dans ce décodage.
Les neuf traits ou marches de ce schéma en échelle pourraient incarner les neuf étapes ou « mondes » qui, selon une croyance indo-européenne commune, séparaient le Ciel de la Terre… « au ciel, par une échelle à neuf barreaux » dit un rituel hittite.
La divinité céleste indo-européenne commune, Dyeu, littéralement le « Ciel lumineux » dont les écrits gardent quelques réminiscences, est définie dans les Védas indiens comme « Ciel Père ». Il y figure également dans le binôme « le Ciel et la Terre ». Le décodage de cette scène réfléchit, tel un miroir, un archétype idéologique et graphique du panth-éon ou plérôme indo-européen. Celui qui se trouve à l’origine de la première fonction divine, ou plus exactement, de son concept binaire incarné par une double divinité : les deux entités cosmiques : Ciel et Terre, Ouranos et Gaia.
Il y eut ensuite (du moins si l’on en croit ce que disent certains auteurs, de ces premiers prêtres proto-indo-européens au Proche-Orient) séparation entre ce Ciel et cette Terre.
Étape difficile à conceptualiser pour ces prêtres pré-druidiques, qui virent cela comme le résultat de l’action d’un principe séparateur. Ce principe séparateur fut-il alors ressenti comme étant de nature masculine, ou de nature féminine ?
Si l’on se réfère à la scène du Jugement dernier peinte par Canavesio dans la nef de la chapelle de Notre-Dame des Fontaines (encore !) près de La Brigue ; une guivre héraldique aux multiples gueules le long du ventre en train d’avaler chacun en même temps un petit corps d’enfant ; chez les Proto-Celtes cette guivre (ce principe séparateur) fut conçue comme étant de nature féminine.
La matière se séparant de l’âme par lente condensation sur elle-même ? La matière prenant conscience d’elle-même ? L’esprit prenant conscience de lui-même grâce à l’apparition de la matière ? Peu importe !
STÈLE II DE LA VALLÉE DES MERVEILLES (cela fait penser à la mystérieuse déesse-ou-démone, ou fée, figurant sur le chaudron de Gundestrup. Il manque le poignard et l’élévation des mains, mais le collier autour du cou y figure bien par contre. N.D.L.R.)
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Le couple procréateur initial dont l’union, indispensable au début, devient après un danger, car de leur étreinte incessante résulte une procréation en désordre.
Le niveau inférieur sert de support à la deuxième génération divine, celle qui va ensuite accomplir l’acte de séparation entre ses parents. L’éloignement du Ciel et de la Terre mettra fin à une « procréation périlleuse » et permettra l’émergence d’un monde nouveau, peuplé d’êtres divins et humains. De cette séparation symbolisée par une guivre dévorant ses enfants naît une autre génération divine.
STÈLE III DE LA VALLÉE DES MERVEILLES.
La troisième stèle prend également place dans ce contexte naturaliste et mythologique. Son emplacement et son orientation comportent déjà un message. Située au niveau le plus bas et à partir duquel se dégage un sentier de transhumance le reliant aux deux paliers supérieurs, sa gravure devrait normalement relater l’épisode de la troisième génération divine ; celle qui sera concernée par la création d’un nouveau monde, où interviennent les mortels. Mais, outre le niveau, sa position au bord d’une eau vive, symbole par excellence du Principe de toute Vie dans les traditions indo-européennes, et bien d’autres, n’est pas moins éloquente. Une position qui, au milieu de ce chaos de blocs rocheux, semble étudiée d’autant plus subtilement qu’elle offre, à la période où les neiges fondent, une parfaite mise en scène cosmogonique évoquant la naissance des Univers successifs à partir des Eaux. La composition de cette scène, de loin la plus complexe et la plus riche en messages, rejoint d’emblée ces données matérielles.
RETOUR À JUNG (archétype du roi).
Conçue en deux parties symétriques, ainsi que les deux autres, elle montre une structure à la fois plus recherchée, mais aussi plus rigoureuse avec, d’abord les trois poignards alignés verticalement qui séparent ses deux zones non sans suggérer l’existence de deux domaines différents. À dextre, on trouve, ici également, une imposante figure anthropomorphe qui montre, à son tour, une iconographie originale, dont seuls les pieds orientés vers l’intérieur constituent un trait commun aux effigies divines ou sacerdotales. Il s’agit en conséquence d’une divinité nouvelle dont l’image était conçue en fonction de sa personnalité propre ; laquelle est indiquée d’emblée par le sexe masculin et par trois dessins stylisés de bucrane, qui forment en partie son corps et les traits du visage. Un poignard, à lame longue et fine, est fiché dans la tête : il occupe une position analogue à celle du dessin qui jouxte l’auréole du soleil et indique ainsi la même fonction. Enfin, le dieu-ou-démon a les bras écartés, ainsi que les mains ouvertes, le pouce gauche pointant vers le haut et le pouce droit vers le bas.
Ces dessins font apparaître sans équivoque les attributs du dieu-ou-démon de l’orage qui figurent, dans les panth-éons ou plérômes les plus divers, les aspects bio-cosmiques de ce dieu-ou-démon. Maître des conditions atmosphériques, il possède, pour arme principale la foudre, figurée le plus souvent sous la forme d’un javelot. Au niveau cosmique, il combat démons et dragons qui incarnent le mal, et suscite ainsi la bataille qu’est l’orage. Par la même occasion, il devient maître des pluies et des intempéries, et de ce fait, octroie, au niveau terrestre, la fertilité tout comme la prospérité. À ce titre, le taureau est son animal sacré voire, le cas échéant, son hypostase parmi les humains.
Dans ces conditions donc, on retrouve sur notre gravure les deux éléments iconographiques de base relatifs à ce dieu-ou-démon : le poignard très allongé symbolise la foudre, alors que les bucranes stylisés évoquent le dispensateur des richesses naturelles. Sous une apparence, à première vue différente, la figurine du dieu-ou-démon-guerrier d’Enkomi (Chypre, XIIIe XIIe siècle avant notre ère), la coiffe pourvue de cornes et en train de lancer un javelot, montre plus d’une analogie avec le dessin du mont Bego. La représentation du dieu-ou-démon de l’Orage sur cette stèle complète, et confirme définitivement l’hypothèse d’un récit cosmogonique en images. Dans le canevas mythique, le dieu-ou-démon de l’orage est bien le dieu-ou-démon de la troisième génération divine, ainsi que le vainqueur, de ce combat cosmique. À lui revient la tâche de mettre en ordre l’Univers physique, afin que de cet ordre émerge un monde nouveau, peuplé de dieu-ou-démons et d’hommes. Sur ce monde, il va régner en souverain absolu. Maître de la justice qui répartit avec équité les rôles entre tous ; garant de l’ordre et de l’équilibre, il assurera ainsi la continuité de ce nouveau monde. Les deux bras de notre effigie, écartés symétriquement et les deux pouces pointant, l’un vers le haut, et l’autre vers le bas ; ont-ils pour but d’évoquer cette notion d’égalité et d’équilibre, notion que symbolisera par la suite une balance ?
Les dessins qui accompagnent l’effigie divine traduisent, chacun à sa façon, un aspect de ce récit mythique. Les deux groupes les plus proches font apparaître, à travers les schémas différents, une disposition et un message analogues. Il y a d’abord les deux poignards identiques qui s’opposent par les pommeaux dans un alignement vertical qui sert en même temps à démarquer les deux zones de la
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stèle. Leurs lames, pointées respectivement vers le haut et vers le bas, parachèvent cette idée d’opposition, en suggérant un mouvement dans l’espace, voire un écartement.
Les deux tracés du second groupe, moins nets à première vue, présentent en réalité des schémas courants depuis l’époque paléolithique du phallus et de la vulve : de même que les poignards, les deux sexes s’opposent, par leurs parties supérieures. Dans ces conditions, nos deux groupes traduiraient deux parties d’un même message. Message qui concerne, selon toute vraisemblance, les deux principaux phénomènes dont dépendent l’ordre universel et, à travers lui, la vie ou la survie. Comme l’avait déjà vu Dumézil, une « fécondité abusive » et une « procréation désordonnée » constituent dans ces mythes d’éloignement les deux menaces majeures pour le maintien de cet ordre tellement désiré. Préserver l’écart voulu entre le Ciel et la Terre, après les avoir séparés, constitue de ce fait l’un des soucis constants des humains. Autant que sur une fécondité ordonnée, le souverain du nouveau monde devra veiller sur une sexualité contrôlée, représentée ici au moyen des deux sexes qui s’opposent. L’opposition des deux poignards sur notre gravure s’inscrit en conséquence dans toute une série de scènes plus élaborées, visant à traduire la même idée de l’équilibre cosmique. À titre de parallèles, on peut citer l’image des deux monstres bucéphales qui maintiennent l’écart entre le Ciel et la Terre, sculptée sur la paroi rupestre du monument hittite de Yazilikaya (XIIIe siècle) ; et surtout le très beau relief sur le monument hittite d’Eflatun Pinar qui émerge, lui aussi des eaux vives. Voilà sans doute le véritable sens de la seule peur que l’on attribue traditionnellement aux Celtes, pour s’en moquer plus ou moins : que le ciel leur tombe sur la tête. Les ambassadeurs des Celtes Danubiens de l’époque ont en effet, au IVe siècle avant notre ère, répondu à Alexandre qui leur demandait ce qu’ils craignaient le plus : « Personne ; nous ne craignons qu’une chose, c’est que le ciel tombe sur nous » (Strabon VII, 3,8).
Sur le plan sénestre de cette composition, la figure d’homme, petite et réaliste, apparaît symétriquement à l’imposante effigie divine.
Il s’agit en conséquence du domaine réservé aux mortels, qui vivront désormais en association étroite avec leurs dieu-ou-démons. Cette proximité des hommes et des dieu-ou-démons, est une idée que l’on retrouvera effectivement dans le druidisme. Pour mener une existence paisible et heureuse sur la « glèbe nourricière », l’espèce humaine se doit donc avant tout de bien « observer le respect dû aux Immortels », honorer les dieu-ou-démons, stipule précisément la plus célèbre des triades druidiques authentiques, celle qui nous a été conservée par Diogène Laërce.
Un engagement que traduit sans équivoque la position d’orant de cette effigie. Le dessin, réaliste cette fois-ci, d’un bucrane à sénestre, forme avec l’homme la même composition que l’on voit sur la Voie sacrée. Ici, comme à Fontanalba, il incarne l’activité agropastorale et, par-là, l’association étroite entre l’homme et la bête. Une échelle, gravée entre la figure humaine et le bucrane, exprime-t-elle le lien entre les domaines des dieu-ou-démons et des hommes, voire leur caractère indissociable, tout en suggérant un long parcellaire de cadastre ?
Un grand schéma, mais plus abstrait, surmonte la composition relative aux humains : sur cette dalle, comme plus loin, le long du torrent (chemin processionnel) il montre un poignard qui pénètre dans un espace circulaire. Il doit s’agir d’un symbolisme essentiel traduisant peut-être la coexistence de deux mondes.
La symétrie et l’harmonie dans le concept général de cette scène reflètent, à leur tour, l’organisation du monde nouveau, fondé sur l’équilibre, la réciprocité, autre grand thème de l’éthique druidique, en un mot sur l’ordre universel. Sur ce fruit de sa victoire, le dieu-ou-démon de l’orage veillera en maître absolu. Son effigie, ainsi que les dessins qui l’entourent, si rudimentaires soient-ils, expriment de manière aussi éloquente que les textes, ses qualités de faiseur de pluie, de dispensateur des richesses naturelles et, sur le plan social, de justicier.
Bien avant Teilhard de Chardin et ses allusions au conflit entre les serviteurs de la terre et les serviteurs du ciel (in L’avenir de l’Homme. Les bases possibles d’un credo humain commun) les prêtres pré-druidiques de la vallée des Merveilles étaient donc déjà parvenus à cette notion de Dieu-ou-Démon du Ciel et de la Terre, du moins si l’on en croit divers auteurs.
Ces conceptions métaphysiques sont évidemment passées ensuite dans la pensée druidique…………
Le groupe le plus caractéristique est peut-être le couple anonyme dont le culte eut pour centre le pays des Éduens. Dans la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère ce terme, il est permis de reconnaître la Terre-Mère, c’est-à-dire la vieille divinité des temps préhistoriques, dont les premières images apparaissent dans les grottes de la vallée du Petit-Morin. Son compagnon ne peut être qu’un Dieu-ou-démon… Père.
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Mais tout ceci est encore passablement obscur alors que les panth-éons grecs et romains, eux, sont clairement établis, et que leur anthropomorphisme nous les rend facilement accessibles. Chaque dieu-ou-démon, chaque déesse-ou-démone, chaque fée, possède une généalogie précise, des attributions claires, et une histoire longuement décrite par différents auteurs.
Rappelons à ce sujet que les différentes généalogies divines de la documentation irlandaises sont incohérentes, et doivent sans aucun doute plus à la fertile imagination des bardes christianisés qu’à la réflexion en profondeur, même imagée, de très-sachants païens authentiques.
Voici quelques ouvrages où l’on peut puiser de-ci de-là des éléments de filiation plus ou moins contradictoires.
Peter Berresford Ellis, The Chronicles of the Celts. Carroll & Graf Publishers, Inc., New York, 1999.
T. W. Rolleston, Celtic Myths and Legends. Dover Publications Inc., New York, 1990.
Charles Squire, Celtic Myth and Legend, Poetry and Romance. Newcastle Publishing Co. Inc., 1975.
Rien de tel donc chez les druides continentaux antiques. Il n’y a pas, par exemple, UN dieu-ou-démon du soleil, mais plusieurs divinités rattachées à la lumière ou au soleil. Pas de déesse-ou-démone-mère, mais DES représentations et des visages de la déesse-ou-démone-mère. Pas de dieu-ou-démon de la médecine, mais des dieu-ou-démons pouvant guérir telle ou telle maladie, pas de dieu-ou-démon de la guerre, mais des dieu-ou-démons pouvant intervenir en cas de guerre. César a bien tenté d’assimiler les dieu-ou-démons druidiques aux dieu-ou-démons romains, mais son essai manque de cohérence : il n’y a pas, par exemple, d’équivalent pour Junon ou Saturne.
En outre, en Gaule et en Grande-Bretagne, après la conquête romaine, le druidisme a été totalement interdit, dès le règne de Claude (vers 45 de notre ère). Les dieu-ou-démons du druidisme ont continué d’être vénérés, mais sous une apparence humaine qu’ils n’avaient pas précédemment, et en outre souvent sous le nom d’un équivalent romain (interpretatio romana).
Ensuite est arrivé le christianisme, religion qui se distingua par le fait qu’elle récusa tous les autres cultes. Quand il devient, en 392 l’unique religion autorisée, les dieu-ou-démons et les déesses-ou-démones disparaissent officiellement, même si bien des croyances antiques survivent. L’Irlande, quant à elle, bascula massivement, dans le christianisme, au cours du Ve siècle.
Le défi que nous relèverons ici sera donc de décrire un panth-éon ou plérôme de dieu-ou-démons et de déesses-ou-démones, qui appartiennent à un monde, à une époque et à un mode de pensée, très différents des nôtres aujourd’hui.
Autres difficultés. La plupart des études actuellement produites sur la religion druidique suivent le canevas élaboré par Georges Dumézil en ce domaine, celui de la tripartition fonctionnelle. Georges Dumézil, né le 4 mars 1898, mort le 11 octobre 1986, est en effet un philologue et un académicien français ayant beaucoup influencé notre connaissance des sociétés ou religions indo-européennes.
En comparant les mythes anciens de nombreux peuples indo-européens, dans les textes (il connaissait environ trente langues), Georges Dumézil a démontré qu’ils obéissaient à des structures narratives identiques ; que ces mythes traduisaient une vision de la société organisée en trois fonctions. La fonction du sacré ou du juridique ; la fonction guerrière ; la fonction de production. Ces trois fonctions se retrouvent aussi bien dans la mythologie, dans les récits fondateurs de la Rome antique, que dans des institutions sociales (prêtres ou castes indiennes par exemple). Cette tripartition se retrouve dans le vocabulaire, l’organisation sociale et le corpus légendaire de tous les peuples indo-européens. On a, par exemple, la société médiévale divisée en oratores (ceux qui prient, le clergé), bellatores (ceux qui combattent, la noblesse) et laboratores (ceux qui travaillent, le tiers état). La société indienne est divisée en brahmanes, ksatriyas, et deux autres castes productives. Dans le grand poème épique du Mahabharata, chaque héros agit selon le schéma trifonctionnel, en fonction du caractère et de la place du dieu-ou-démon dont il est le représentant.
Pour Dumézil, la civilisation indo-européenne obéit donc à « l’idéologie tripartite », c’est-à-dire que toutes les activités sociales et religieuses se répartissent d’après ces trois fonctions. La fonction sacrée (le prêtre ou le roi sacré), la fonction martiale (le guerrier), la fonction nourricière (artisans, commerçants, agriculteurs). Et cette tripartition se retrouve dans le domaine social (ordres, castes), dans l’organisation politique, et commande même une sorte de hiérarchisation à l’intérieur du cosmos (ciel, terre, eau, vent) permettant de comprendre certains mythes parfois confus.
Par contre, et c’est là que nous nous séparerons de ce grand chercheur français : en ce qui concerne la société celtique, tout n’obéit pas de la sorte à cette loi d’airain, et il existe de nombreux faits inclassables, irréductibles à cette organisation.
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John Brough a bien mis en évidence les limites du travail de Dumézil, en montrant que les prétendues valeurs originales de la civilisation indo-européenne se retrouvaient aussi, par exemple, dans la Bible. Or ce dernier texte appartient quand même à une tout autre civilisation, la civilisation sémite, liée à une autre famille de langues (l’hébreu, l’arabe).
Nous nous référerons donc fréquemment dans ce qui va suivre à cette trifonctionnalité mise en évidence par Dumézil, mais avec la plus grande prudence, et en ce qui concerne le panth-éon druidique, nous adopterons même carrément d’autres critères, notamment jungiens.
Pour une bonne et simple raison. C’est qu’en réalité, ainsi que nous l’avons déjà dit et répété, tout grand dieu-ou-démon druidique, est plus ou moins l’hypostase d’une sorte de sainte poly-unité ; un peu à la façon du Père du Fils et du Saint-Esprit dans la Trinité chrétienne.
Il est par conséquent normal que, dans un système polythéiste, chaque dieu-ou-démon ait deux aspects : l’un spécialisé dans un domaine préféré (le vent, la mer, le tonnerre, la moisson, l’amour, la guerre, etc.) l’autre universel. Car tous ces dieu-ou-démons ne sont que l’image compréhensible d’une même puissance divine universelle et incompréhensible. La religion hindoue l’explique fort bien. Une spécialisation trop limitative serait une négation de sa qualité divine.
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ANNEXE Nº 2.
LES DIEUX CELTES EN IRLANDE.
Nombre de manuscrits médiévaux irlandais traitent des dieux ou démons du panthéon ou plérôme irlandais. Il est difficile d’en faire une synthèse tant ils varient et sont même parfois contradictoires sur certains points.
Les deux premiers essais de synthèse sont néanmoins ceux tentés par Seathrún Céitinn (Geoffrey Keating, 1569-1644. Section XI et XII de son histoire d’Irlande) et Micheál Ó Cléirigh (Michael O'Clery, 1590-1643).
Aucune de ces tentatives n’étant en elle-même scientifiquement suffisante, nous citerons donc à titre d’exemple la dernière, en présumant que son auteur (Micheál Ó Cléirigh, 1631) avait été le mieux placé de tous, étant le plus jeune, pour tenir compte des écrits antérieurs et prendre un peu de recul par rapport à leurs élucubrations.
La première diffusion connue de cette dernière tentative de synthèse que nous qualifierons de « pré-moderne » dans une des grandes langues modernes du monde actuel, fut celle effectuée par O’Dwyer et Henri Lizeray en 1884 (le Livre des invasions de l’Irlande).
En voici quelques extraits (Leabhar Gabahála Livre des Conquêtes de l’Irlande MS. 23K32, Recension Mícheál Ó Cléirigh).
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DE L’INVASION DES TUATA DÉ DANAN.
DES VOYAGES D’IOBAITH, FILS DE BÉOTAG, FILS D’IARBANEL, FILS DE NÉMID ET DE SA COMPAGNIE, DEPUIS QU’ILS PARTIRENT D’IRLANDE, APRÈS LA PRISE DE LA TOUR DE CONAN, JUSQU’À LA CONQUÊTE D’IRLANDE, PAR LES TUATA DÉ DANAN SUR LES FIR-BOLGS. DU NOMBRE DE LEURS ROIS, DE LA DURÉE DE LEURS GOUVERNEMENTS ; DES EXPLOITS QU’ILS ACCOMPLIRENT, AVEC L’HISTOIRE D’UNE DE LEURS FAMILLES.
D’Adam jusqu’à l’invasion des Tuata Dé Danan en Irlande : 3303 ans.
Du déluge jusqu’à l’arrivée des Tuata Dé Danan : 1061 ans.
lobait, fils de Béotac, fils d’Iarbanel, fils de Némid après son départ d’Irlande et après la démolition de la Tour ci-devant mentionnée, rassembla son peuple et occupa les îles au nord de la Grèce. Ils apprirent le druidisme et chaque autre science semblable, dans ces îles où ils demeurèrent, entre autres la sorcellerie, la magie, les enchantements et la nécromancie principalement, de sorte qu’ils devinrent instruits, savants et très experts en ces domaines. Ils furent appelés Tuata Dé, parce que chez eux les dieux étaient leurs hommes de l’art ; et le peuple des agriculteurs les non-dieux, à cause de leur génie en chaque science et en chaque secrète connaissance druidique. Et ce fut pour cette raison que leur vint le nom de Tuata Dé.
Voici les cités dans lesquelles ils furent instruits : Falias, Gorias, Finias, Murias. Il y eut des professeurs dans chacune de ces cités, voici leurs noms : Morfésa, à Falias, Esras à Gorias, Usicias à Finias, et Sémias à Murias. De Falias Lia Fail, la Pierre de la destinée (depuis lors à Téamair) fut amenée par Lug. Ce fut cette pierre qui rugissait sous chaque roi gouvernant l’Irlande, depuis le temps de Lug main-longue jusqu’au temps de la naissance du Christ, et qui ne résonna plus après ce temps-là sous aucun roi : car un démon était à demeure en elle et on n’invoqua plus l’assistance des idoles après la naissance de celui qui naquit de la Vierge Marie. C’est de cette Lia Fail que vient le nom d’Île de la Destinée pour l’Irlande, comme l’a dit Cionaed O' Artagain, dans ces vers :
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La pierre sous mes pieds,
D’elle vient le nom d’île de la Destinée.
Entre deux rivages remplis de vagues,
Plaine de Fal désigne toute l’Irlande.
À Gorias fut trouvée la lance qui appartint à Lug. Une bataille ne pouvait être perdue quand on l’avait en main. À Finias, on trouva l’épée de Nuadat dont personne ne pouvait éviter les coups. À Muirias on trouva le chaudron du Dagda : nulle compagnie ne le quitta jamais sans être rassasiée.
Après l’achèvement de leurs études, ils allèrent chez les Hathanensin et les Félistinu, et habitèrent entre ces deux peuples. Des conflits et des guerres s’élevèrent ensuite entre ces deux tribus furieuses et ennemies l’une de l’autre. Elles se livrèrent bataille avec toutes leurs forces et la victoire fut gagnée sur les Hathanensin de sorte que, toutes leurs troupes furent abattues, sauf un petit nombre d’entre elles.
Alors les Tuata Dé se mirent à soigner les Hathanensin et grâce à leur druiderie mirent des démons dans le corps des héros Hathanensin tués, qui furent encore prêts pour la bataille et firent de nouvelles incursions contre les Félistinu. Grande fut la surprise des Félistinu en voyant les hommes qu’ils avaient tués les combattre encore le lendemain. Ils en instruisirent leurs druides ; le doyen des druides leur donna son avis et leur dit : apportez, dit-il, des lances de bois de coudrier ou de sorbier à la bataille de demain, et si vous remportez la victoire, plantez ces lances de bois dans la nuque des hommes que vous aurez tués demain : si ce sont des démons, un tas de vers viendra sur eux.
Ils s’exécutèrent. Les Felistinu triomphèrent encore ; ils enfoncèrent des lances de bois dans la nuque des héros qu’ils tuèrent et des vers furent sur eux le lendemain. Mais les Hathanensin perdirent leur puissance et les Felistinu accrurent leurs forces. Ils se souvinrent ensuite de l’inimitié et de l’animosité que leur avaient témoignées les Tuata Dé, et ils assemblèrent toutes leurs forces pour les massacrer.
À cette nouvelle, les Tuata Dé s’enfuirent loin des Félistinu jusqu’au nord de l’Albanie. Ils y restèrent sept années, avec Nuadat comme souverain. Ils se consultèrent les uns les autres à la fin de ce temps-là, pour aller en Irlande…
Ils tinrent conseil et prirent la mer. On ne sait rien de leur traversée jusqu’à ce qu’ils atteignent une baie dans l’est de l’Irlande, le lundi des Calendes de mai. Ils brûlèrent leurs vaisseaux et leurs chaloupes. Ils répandirent, après cela, une obscurité miraculeuse autour d’eux, jusqu’à ce qu’ils aient atteint la montagne de Conmaicné, en traversant le Connact, à l’insu des Fir-bolgs.…
Alors ils livrèrent la bataille de Mag Tured de Conga, à Conmaicné de la grande forêt, dans le Connact. Le roi des Fir-bolgs, à cette époque, était Eocad, fils d’Erc, que nous avons déjà mentionné. Tailltiu fille de Magmor, roi d’Espagne, était sa femme et Nuadat, fils d’Eocad, fils d’Eadarlam était roi des Tuata Dé. Ceux-ci furent longtemps engagés dans cette bataille, et ils triomphèrent enfin des Fir-bolgs, de sorte qu’ils consommèrent leur destruction dans le nord et qu’ils en tuèrent onze-cents depuis Mag Tured jusqu’au rivage d’Eotailé.
Les Tuata Dé poursuivirent les Fir-bolgs jusqu’à ce qu’ils atteignent le roi Eocad, fils d’Erc dans la plaine que nous avons dite, et il fut tué par les trois fils de Némid fils de Badraoi, à savoir Céasair, Luam et Luacra. Par contre, les Tuata Dé furent tués et massacrés en grand nombre, et ils laissèrent leur roi, c’est – à-dire Nuadat, sur le champ de bataille, après que sa main eut été détachée de son épaule. Diancect le médecin et Créidné le mécanicien fabriquèrent une main d’argent avec des articulations dans chaque doigt et chaque jointure. Après cela Miac, fils de Diancect, prit la main d’argent et joignit ensuite articulations avec articulations, veine par veine, en se servant de trois onguents et il fut ainsi guéri au bout de trois fois neuf jours. Mais Diancect, son père, en fut jaloux. Ce fut pour cette raison que le roi fut appelé Nuadat « Main d’argent ».
Tailltiu, fille de Magmor roi d’Espagne était la femme d’Eocad, fils d’Erc, et la reine des Fir-bolgs. Elle fit la paix avec Eocad le Dur, fils de Duac l’aveugle des Tuata Dé Danan après la fin de la bataille de Mag Tured, dans la forêt de Cuan, et elle essarta la forêt de sorte qu’elle en fit une plaine de gazon florissant en moins d’une année, ensuite elle demeura là. Cenn, fils de Diancect (Scal le Bégayeur fut
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un autre nom de ce Cenn) donna son fils à savoir Lug, fils d’Etné, fille de Balar à Tailltiu pour l’élever…
Des jeux funèbres en son honneur y furent tenus chaque année par Lugad et par les rois après lui. Une quinzaine avant la foire d’août et une quinzaine après. La Lugnasade c’est-à-dire la foire de Lug (Nasade veut dire réunion) est l’anniversaire commémoratif de la mort de Tailltiu. Les Fir-bolgs furent tous tués dans la bataille ainsi que nous l’avons dit, sauf un petit nombre, qui prit la fuite devant les Tuata Dé Danan, vers les promontoires et les Îles éloignées dans la mer, où ils demeurèrent ensuite après cela.
* Les Athéniens, ou une colonie athénienne et les Philistins.
HISTOIRE D’UNE TRIBU DES TUATA DÉ CI-DESSOUS.
Les enfants d’Ealatan, fils de Déalbaot, fils de Ned, fils d’Iondaoi, fils d’Alldaoi, fils de Tatt, fils de Tabarn, fils d’Enna, fils de Baat, fils d’Iobat, fils de Béotag, fils d’Iarbanel le Prophète, fils de Némid, fils d’Agnoman furent Bréas, Elloit, Dagda, Déalbat et Ogma.
Eré, Fodla et Banba, furent les trois filles de Fiacna, fils de Déalbaot, fils d’Ogma, fils d’Ealatan, fils de Déalbaot.
Féa et Némain furent les deux filles d’Elcmar du Brug, fils de Déalbaot, fils d’Ealatan : elles furent les femmes de Ned, fils d’Iondaoi, d’où le nom d’Oileac de Ned.
Badb, Maca et Moirriogan furent les trois filles de Déalbaot, fils de Ned, fils d’Ionda. Earnbas, fille d’Eatarlam, fils d’Ordan, fils d’Ionda, fils d’Aldaoi, fut la mère des femmes ci-dessus mentionnées. Moirriogan * eut un autre nom, Ana, d’où le nom de tétons d’Anann dans l’est de Luacair.
Danan, fille de Déalbaot, fils d’Ogma, fils d’Ealatam, fut la mère de Brian, Iucarba et Iucar : ceux-ci furent appelés les trois dieux de Danan d’où le nom de Peuple de la déesse Danan (tuata dé Danan) parce que Peuple de la Déesse fut le nom qu’ils eurent d’abord, et Peuple de la Déesse Danan, leur nom après.
Goibnean fut le forgeron, Luctné le maçon, Creidné le mécanicien, Diancect le médecin. Ce dernier était fils d’Easarg le tacheté, fils de Ned, fils d’Iondaoi.
Aengus, le cadet, était fils du Dagda, fils d’Ealatan, fils de Déalbaot, fils de Ned ; Lug fils de Cen, fils de Diancect ; Cridenbel, Bruidné « à la bouche dans la poitrine » et Casmael, les trois jeteurs de sorts ; Bécuellé et Dinan, les deux nobles femmes.
Eatan la savante fut fille de Diancect, fils d’Easarg le Tacheté, fils de Ned ; Cairbré, le poète fut fils de Tuara, fils de Torill, fils de Catcind, fils d’Ordan, fils d’Iondaos, fils d’Alldaoi. Eatan la poétesse fut la mère de ce Cairbré. Les trois fils de Cearmat à la Bouche mielleuse, fils de Dagda, fils d’Ealatan, fils de Déalbaot furent : Dormit, Ermitt et Aod.
* La grande reine.
C’est à propos de ces personnages qu’Eocad O' Floinn a dit…
Suit un long poème qui disait grosso modo la même chose que ce qui précède, mais en plus compliqué encore.
LES ROIS DES TUATA DÉ DANAN, LEUR HISTOIRE, LEURS RÈGNES ET LEURS ACTES EXPLIQUÉS CI-DESSOUS.
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Bréas, fils d’Ealatan, fils de Ned, fils de Ciolcag, fils de Plosg, fils de Libéarn, fils de Golam, fils de Largairé, fils de Mercill, fils de Saitclar, fils de Starn le Denté, fils de Siporn, fils de Sadal, fils d’Ucad, fils d’Effic, fils de Pélist, fils de Fédil, fils de Cus, fils de Cam, fils de Noé, exerça la souveraineté d’Irlande pendant sept ans jusqu’à ce que la main de Nuadat fût remplacée, après la blessure reçue dans la première bataille de Mag Tured, comme nous l’avons dit ; et pour récompenser sa mère ; c’est-à-dire Eré, fille de Déalbaot, les Tuata Dé s’accordèrent à laisser Bréas souverain d’Irlande, aussi longtemps qu’il fallut pour remplacer la main de Nuadat. Bréas mourut, ensuite, au carn du petit-fils de Ned. On l’enterra dans le carn qui fut appelé d’après lui.
L’opinion néanmoins de certains historiens, telle que cela ressort des nobles histoires de ce même carn appelées Dinnséancas, est que le père de Bréas faisait partie des Tuata Dé Danan : Bréais, fils d’Ealattan, fils de Dealbaot, fils de Ned, fils d’Iondaoi, fils de Tait, fils de Tabarn, fils d’Enna, fils de Baat, fils d’Iobat, fils de Béotac, fils d’Iarbanel le Prophète, fils de Némid, fils d’Agnoman, etc.
Nuadat Main d’Argent, fils d’Eocad, fils d’Eatarlan, fils d’Ordan, fils d’Iondaoi, fils d’Aldaoi, fils de Tatt, fils de Tabarn, fils d’Enna, fils de Baat, fils d’Iobat, fils de Béotac, fils d’Iarbanel le Prophète, fils de Némid exerça la royauté pendant vingt ans, jusqu’à ce qu’il soit tué par Balar au Coup-puissant à la bataille de Mag Tured des Fomoriens. Âge du Monde 3330.
Lugad main-longue, fils de Cen, fils de Diancect, fils d’Easrag le Tacheté, fils de Ned, fils d’Iondaoi, fils d’Alldaoi, régna quarante ans après quoi il fut tué par Mac Cuil, dans Caendrum. Âge du M. 3340.
Eocad le Grand Patriarche, nommé le Dagda, fils d’Ealatan, fils de Déalbaot, fils de Ned, fils d’Iondaoi, exerça la souveraineté pendant quatre-vingts ans jusqu’à ce qu’il meure, dans son Brug, d’un incurable coup de flèche que lui avait lancée Ceitlen lors de la première bataille de Mag Tured. Âge du Monde 3450 ans.
Déalbaot, fils d’Ogma Soleil-généreux, fils d’Ealatan, fils de Déalbaot, fils de Ned, fils de Ionda, régna dix années, après lesquelles il fut tué de la main de son propre fils Fiaca, fils de Déalbaot. Âge du Monde 3460 ans.
Fiacha, fils de Déalbaot, fils d’Ogma, régna dix années après lesquelles il fut tué par Eogan d’Inbher. Âge du Monde 3470 ans.
Ermit c’est-à-dire le fils du Noisetier, Dermit, c’est-à-dire le fils de la Charrue, Aod, c’est-à-dire le fils du Soleil *, les trois fils de Céarmat Bouche de miel, fils du Dagda, fils d’Ealatan, régnèrent trente années après lesquelles ils furent tués dans la bataille de Taillten par les fils de Miléad, comme il est dit ci-dessous. Âge du Monde 3500 ans.
Etor, Tétor et Cétor étaient les autres noms des fils de Céarmat. Le premier fut surnommé le Fils du noisetier parce que le noisetier était son dieu, Etor fut son vrai nom, Banba, sa femme. Le fils du soleil était ainsi appelé parce que le soleil fut son dieu ; Cétor était son vrai nom, Eré sa femme. Le fils de la charrue fut ainsi nommé parce que la charrue était son Dieu. Tétor était son nom, Fodla sa femme.
* Mac Cuill, mac Cecht, mac Greinin.
Suit un très court poème absent du manuscrit MS. 23K32 de l’Académie d’Irlande, mais présent dans celui du Collège de la Trinité ; reprenant les mêmes informations.
Mananan, fils d’Eliot, fils d’Ealatan fils de Déalbaot, fils de Ned, porta les deux surnoms de Gaer et Oirbsean et c’est d’après lui qu’est nommé le lac Oirbsean : le, lac apparut au moment où fut creusée la tombe d’Oirbsean, de là vient son nom.
HISTOIRE D’UNE AUTRE FAMILLE DES TUATA DÉ DANAN.
Miodair de Bri Leith, fut fils d’Iondaoi, fils d’Ectra, fils d’Etarlam, fils d’Ordam, fils d’Iondaoi, fils d’Alldaoi.
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Caicéar et Néactan, furent les deux fils de Namad, fils d’Eocad le Rude, fils de Duac le Pacifique, fils de Brès, fils d’Ealatan, fils de Déalbaot, fils de Ned, fils d’Iondaoi, fils d’Alldaoi, fils de Tat, fils de Tabarn.
En outre, Bodb du Side de Feimin, fut fils d’Eocad le Rude, fils de Duac le Pacifique, fils de Breas, fils d’Ealatan, fils de Déalbaot.
Siugmall, fut fils de Cairbré le Courbé, fils d’Ealcmairé, fils de Déalbaot, fils d’Ogma, fils d’Ealatan, fils de Déalbaot, fils de Ned.
Aoi, fut fils d’Ollam, fils d’Ogma, fils d’Ealatan, fils de Déalbaot, fils de Ned.
Les six fils de Déalbaot, fils d’Ogma, fils d’Ealatan, fils de Déalbaot, c’est-à-dire Fiacna, le Grand, Ollam. Brian, lucarba et Iucar, les trois dieux Dananiens comme nous avons dit.
Aengus, qui fut le cadet, Aed le Beau et Cearmat Bouche-de-miel, furent les trois fils du Dagda, fils d’Ealatan.
Les : descendants de Diancect, fils d’Easarg le tacheté, sont Cu, Céatéan, Cen, Miac, Ciac, Eatan, qui est la prêtresse mère de Cairbré, Airméad la femme-médecin, ces deux dernières filles de Diancect. Brigit, la femme poète, fut la fille du Dagda.
Boind fut fille de Dealbaot, fils d’Ogma, fils d’Ealatan ; Abcan, fils de Biccfealmhas, fils de Cu, fils de Diancect le poète de Lug, fils d’Etlen ; En, fils de Biccéon, fils de Starn, fils d’Edléo, fils d’Aldaoi, fils de Tatt, fils de Tabarn, etc.
Mystères de l’art, enchantement scientifique et connaissance en médecine, furent le fait des Tuata Dé Danan et bien que vint la religion du Christ, leurs secrets ne furent pas rejetés, car ils étaient bons.
Sur les noms et les règnes des rois des Tuata Dé Danan fut composé par Tainiré O Maoil-Chonaire le poème suivant.
Les Tuata Dé Danan… un peuple du sang et de la chair d’Adam.
Des actions des Tuata Dé Danan, ainsi que les chanta Flann le Moine :
Edléo, fils d’Aldaoi des Troupes
Fut le premier homme des Tuata Dé Danan
Tué dans la verte Erin
De la main d’Ercon, petit-fils de Séméon.
Ernbas, dont la valeur fut grande
Tua Fiaca, Ectac, Eadargal,
Tuiréal Biccreo, de la ville de Bréag
Dans la première bataille de Mag Tured.
Ellot le valeureux,
Père très-féroce de Mananan, fut tué,
Ainsi que Donan la fine lame
Par Dé Domnan des Fomoriens.
Ceitin et Cu périrent
D’une horrible mort sur les hauteurs de Céaltra.
Cen périt loin de chez lui
Assassiné par Brian, Iucarba et Iucar
Etc… Etc… Ce poème brode abondamment sur des faits apparemment connus de tous en Irlande, à l’époque.
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DE L’OCCUPATION PAR LES FILS DE MILEAD.
Titre de chapitre ne figurant pas dans le manuscrit.
D’Adam jusqu’à ce que les fils de Mildad envahissent l’Irlande : 3500 ans.
Du déluge jusqu’à l’arrivée des fils de Miléad en Irlande, 1258 ans.
Noé divisa le monde en trois parts entre ses fils Sem, Cam, Japhet.
Sem eut le milieu de l’Asie, depuis la rivière d’Euphrate jusqu’aux confins orientaux du monde ; Cam, l’Afrique et la moitié sud de l’Asie, Japhet la moitié nord de l’Asie et toute l’Europe.
Japhet était fils de Noé, fils de Lamec, fils de Matusalem, fils d’Enoc, fils d’Iared, fils de Malaléel, fils de Caïnan, fils d’Enos, fils de Seth, fils d’Adam. Voici les enfants de Japhet : Gomer, Magog, Tiras, Javan, Masoc, Madai et Tubal.
Magog, le deuxième fils de Japhet…………
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ANNEXE Nº 3.
DIFFICULTÉS DES GÉNÉALOGIES DIVINES IRLANDAISES TRADITIONNELLES.
Signification des sigles.
AIT = Ancient Irish Tales. Tom P. Cross et Clark Harris Slover.
CML = Celtic Myth and Legend. Michael Dixon-Kennedy.
DCM = Dictionary of Celtic Mythology. James MacKillop.
AIMC = An Irish Myth Concordance. Mike Nichols. Il s’agit de l’index des lieux et places mentionnés dans la première partie du livre d’Isabella Augusta-Gregory (1852-1932).
CML = Celtic Myth and Legend, Poetry and Romance. Charles Squire.
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Eithne, Fille de Balor, un roi du peuple des Andernas appelés Fomore en Irlande.
DCM page 155 en fait la mère (par Elatha, un roi fomore) du Dagda et d’Ogmios.
Par ailleurs dit aussi fils du Dagda.
DCM page 155 en fait aussi la mère de plusieurs autres enfants (par Ceno/Cian).
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Seraient frères selon une des versions du Livre des conquêtes irlandais (DCM page 228).
Le Dagda.
Noadatus/Nodons/Nuada/Lludd à la main d’argent (par ailleurs dit fils du Dagda).
Credne (par ailleurs dit fils d’Esarg selon DCM page 228).
Luchta (par ailleurs dit fils de Luachad ou d’Esarg).
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Neto/Neit « dieu » de la guerre.
Neit engendre (selon DCM page 228) Esarg.
Qui engendre à son tour selon DCM page 228 : Gobannos (par ailleurs dit fils de Tuirbe Tragmar).
Credne. Par ailleurs dit frère du Dagda, de Noadatus/Nodons/Nuada/Lludd.
Luchta (par ailleurs dit fils de Luachad ou frère du Dagda, de Credne et Noadatus/Nodons/Nuada/Lludd, par des parents non précisés).
Diancecht (par ailleurs dit fils du Dagda).
Épouse : Bodua et/ou Nemetona (Badb et Nemain). Les deux sont une seule et même personne divine selon DCM page 303.
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Petits-enfants de Neit.
Balor (petit-fils de Neit selon DCM page 228). Épouse : Cathleann (dans certains textes cette Cathleann répond en effet à Balor que Lug est « le fils d’une de nos filles ». AIT page 52. La fille en question est Etanna/Eithne. Voir Ceno/Cian).
329
Aurait eu 12 fils, selon AIT page 53. Dont Bregsos/Bres, par ailleurs dit fils d’Elatha et d’Ériu. Père d’un certain nombre de dieu-ou-démons ou déesse-ou-démones, ou de fées, par Brigindo/Brigitte. Eab. Petit-fils de Neto selon AIT page 52. Senchab. Petit-fils de Neto selon AIT page 52.
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Le Dagda.
Parfois considéré comme fils d’Eithne/Etanna.
Parfois considéré comme fils de Neto/Neit.
Engendre avec des femmes non précisées.
— Aedh Minbhrec (= Aedh selon AIMC).
— Ainge (fille du Dagda selon CML page 18, AIMC, ainsi que DCM page 111).
— Bodb le rouge (fils du Dagda selon CML page 56, CML page 100, DCM page 111).
Ce Bodb le rouge aurait engendré selon AIMC. Aedh, Angus, Artrach, Aodh Aithfhiosach, Fergus Fithchiollach. Ainsi que (selon DCM page 42) Doirend (une fille), Mesca (une fille), Sadv la mère d’Ossian, Scathniamh (fée ou déesse ayant une histoire d’amour avec Caoilte/Caletios selon AIMC).
— Cermait selon DCM page 111 (Cermait à la bouche d’où coule du miel, fils du Dagda selon AIMC). Cermat a trois fils qui se partagent le trône de la tribu de la déesse-ou-démone ou fée, Danu (bia), du temps des Gaëls selon AIMC.
Mac Cecht selon AIMC, ainsi que CML pages 205-206 (épouse Fodla/Votala).
Mac Cuill selon AIMC ainsi que CML page 206 (épouse Banba/Banva/Banuta).
Mac Greine selon AIMC ainsi que CML page 206 (épouse Eirin/Ériu).
Etc. Etc. Etc. Etc. Etc. Etc. Etc. Etc. Etc. Etc. Etc. Etc. Etc. Etc. Etc. Etc. Etc. Etc. Etc. Etc. Etc. Etc. Etc. Etc. Etc. Etc.
Vu les innombrables contradictions de l’hérésie concoctée en Irlande en matière de généalogie divine, et ce sans aucun doute à cause de la fertile imagination des bardes royaux ou seigneuriaux, désireux de flatter leur maître ; ou à cause des maladresses des moines copistes chrétiens ; il est maintenant devenu impossible d’arriver à mettre au point une généalogie unique ou unifiée, de ces différentes entités.
Il existe en effet trois grandes familles de généalogies possibles.
La première grande famille de généalogies possible est celle qui accorde une importance prééminente à la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère ce terme, Danu (bia) ou Anu/Ana.
La deuxième grande famille de généalogies possibles est celle qui accorde une importance prééminente à Ethniu et qui fait des sept principaux dieux irlandais, Dagda, Nuada, Diancecht, Goïbniu, Credne, Luchta, Lug, des enfants de cette Ethniu.
La troisième grande famille de généalogies possibles est celle qui fait des Enfants de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia) et des Fomore (Andernas sur le Continent) des cousins issus d’une même origine : une entité ou un électréon appelé Alldui. Le premier terme, all, oll, exprime la notion de totalité. Alldui ou Ollodeiwos est donc la divinité dans sa totalité, ou la divinité du tout. Cet ollodeiwos étant lui-même dit, ainsi que nous allons le voir, fils de Tat, qui signifie tout simplement « le père ». En gaélique, on aurait eu « atir ». Il doit donc s’agir d’un terme brittonique (ivernien selon O’Rahilly). Tat (os) est par conséquent une déité primordiale (un éon ?) analogue au pro-père des gnostiques orientaux. Et ce Tat (os) est lui-même considéré comme étant fils de Tabarn, fils d’Enna, fils de Iobath, fils de Beothach, fils de Iarbonel, fils enfin du Nemet Cornunnos.
Ce qui est peut-être là un raccordement un peu forcé. On a quand même l’impression qu’il s’agit de deux séries différentes, celle qui va du Nemet Cornunnos à Tabarn en étant une ; et celle qui part de Tatos pour aller à Neto, etc. via Indui et Alldui, en étant une autre (peut-être fir bolg).
N.B. Les généalogies sans valeur ou assez embrouillées du Lebor na Gabala irlandais, nous rapportent, à propos de l’éon de la guerre appelé Net, qu’il est fils d’Indui, fils d’Alldui, fils de Tat : mac Indui/maic Alldui/maic Thait.
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Dui est un terme issu du brittonique (ivernien selon O’Rahilly) signifiant deiwos = dieu (en gaélique, on aurait eu dia). Et « in » un préfixe issu du brittonique « ande » signifiant peut-être inférieur, qui vient juste en dessous.
ANNEXE Nº 4.
LISTE IRLANDAISE DES DIFFÉRENTS ROIS DIVINS
AYANT RÉGNÉ SUR LE PAYS D’APRÈS L’HÉRÉSIE GAÉLIQUE.
Première ligne de dates : chronologie tirée des Annales des Quatre Maîtres.
Deuxième ligne de dates : chronologie tirée de Keating (Foras Feasa ar Eirinn).
À noter : dans cette « cosmogonie » irlandaise, les hommes (les Gaulois Fir Bolgs) précèdent les dieux (Les Tuatha Dé Danann). La chose est assez singulière pour être soulignée.
Rois des rois Fir Bolg ou Gaulois.
— 1934 – 1897.
— 1514 – 1477.
Sláine.
— 1934 – 1933.
— 1514 – 1513.
Rudraige.
— 1933 – 1931.
— 1513 – 1511.
Gann et Genann.
— 1931 – 1927.
— 1511 – 1507.
Sengann.
— 1927 – 1922.
— 1507 – 1502.
Fiacha Cennfinnán.
— 1922 – 1917.
— 1502 – 1497.
Rinnal.
— 1917 – 1911.
— 1497 – 1491.
Fodbgen.
— 1911 – 1907.
— 1491 – 1487.
Eochaid mac Eirc.
— 1907 – 1897.
— 1487 – 1477.
Rois des rois de la tribu de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia). Il existe très peu de renseignements sur leurs règnes dans les îles au nord du Monde. Pour ce qui est de la période irlandaise, voir ci-dessous.
— 1897 – 1700.
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— 1477 – 1287.
Bres.
— 1897 – 1890.
— 1477 – 1470.
Nuada.
— 1890 – 1870.
— 1470 – 1447.
Lug.
— 1870 – 1830.
— 1447 – 1407.
Eochaid Ollathair.
— 1830 – 1750.
— 1407 – 1337.
Delbáeth.
— 1750 – 1740.
— 1337 – 1327.
Fiachna.
— 1740 – 1730.
— 1327 – 1317.
Mac Cuill, Mac Cecht et Mac Greine.
— 1730 – 1700.
— 1317 – 1287.
Bodb le rouge, fils du Dagda.
— 1700 + 250 ?
— 1287 + 250 ?
Finvarra, Finn Bheara ou Fionnbharr.
+ 250 à nos jours.
Commentaires.
La souveraineté suprême de l’Irlande est une construction littéraire du Moyen âge. La liste conventionnelle des « ard ri Érenn » ou « rois des rois d’Irlande » emprunte autant à la mythologie et à la légende, qu’à l’Histoire. Ceci n’a donc aucune valeur historique au sens strict du terme. Les dates sont par exemple complètement fantaisistes, et toutes sont calculées en fonction de la date de création théorique de la Terre ou de l’Univers d’après la Bible à savoir le 22 octobre – 4004 à 9 h selon James Ussher, archevêque d’Armagh et primat d’Irlande.
Les Fir Bolg sont des envahisseurs gaulois ayant occupé l’Irlande avant la montée en puissance des Gaëls et ils sont sans aucun doute à l’origine de toutes les légendes entourant les Andernas appelés Fomores (d’anciens dieux fir bolg diabolisés par les Gaëls). Quant aux Milésiens ou fils de Mil, ancêtres des Gaëls, ce sont des peuples mythiques au mauvais sens du terme, mentionnés en dernier dans le Lebor Gabála Érenn.
Le roi Finvarra, également appelé Finvara, Finn Bheara, Finbeara ou Fionnbharr, est un joueur et un séducteur invétéré, si l’on en croit les légendes irlandaises qui en parlent.
Que l’on permette ici au vieux républicain ou démocrate que je suis de penser que, depuis le XVIIIe siècle au moins, dans notre pays, on ne conçoit plus la société idéale comme une monarchie, mais comme des « side » unis habités par des citoyens libres et que donc depuis l’occultation ou le retrait de ces dieux dans un autre monde parallèle au nôtre, tous sont à égalité. « Catuvolcus, roi de la moitié des Éburons, qui s’était associé aux projets d’Ambiorix, accablé par l’âge et ne pouvant supporter les fatigues de la guerre et de la fuite, ayant maudit Ambiorix… »
Les Éburons avaient donc deux rois. Se partageaient-ils le territoire à la manière de ces roitelets irlandais qui ne régnaient que sur quelques cantons ? Ou bien y a-t-il chez César une imprécision, et ces deux princes avaient-ils, en régnant sur un même territoire, des attributions différentes ? Ou bien encore régnaient-ils alternativement, chacun pendant une période déterminée ? L’Irlande mythique fournit au moins un exemple de chacun des deux systèmes.
Dans la légende de Macha la guerrière, trois rois règnent à leur tour chacun pendant sept ans sur l’Ulster : Aed Ruad, Dithorba, et Cimbaeth. Le bon fonctionnement de l’alternance est assuré par un traité que garantissent sept druides, sept poètes et sept chefs.
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Dans la légende de Mongan, deux rois règnent en même temps sur l’Ulster, Fiacha Find (le Blanc) et Fiacha Dub (le noir).
Mais il est vrai que pour l’hérésie élaborée en Irlande règne actuellement, sur les hommes de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère utiliser ce terme, Danu (bia), la déité appelée Finvarra ou Fionnbharr.
ANNEXE N° 5.
LES FIERS SEIGNEURS DU SIDE.
Ainsi que nous avons pu le voir plus haut, en Irlande subsiste le souvenir d’un certain nombre de dieu-ou-démons, dont Lug n’est pas nécessairement le plus important. Un des poèmes du livre des conquêtes de l’Irlande, compilé dans le Livre du Leinster 1) évoque en effet dans ses vers, toute une série de divinités : Bres 2) Dagda, Delbaeth, Ogma, Ériu, Banba, Fotla, Fea, Neman, Danann/Danand, Badb, Macha, Morrigu, Ernmas, Goïbniu, Luichtne, Creidne, Dian Cecht, Mac ind Oc, Lug, Cridinbel, Bruinde, Be Chuille, Casmael, Coirpre, Etan, Cermat, Mac Cuill, Mac Cecht, Mac Greine.
Mais l’auteur des quatrains en question (un certain Eochu ??) prend bien soin évidemment d’ajouter (fin du paragraphe 64) que s’il chante ou commémore tous ces noms, cela ne veut pas dire pour autant qu’il les adore. Le cas est fréquent dans la littérature irlandaise, d’où son caractère quelque peu hérétique. Les Tuatha Dé Danann sont souvent bien identifiés comme étant des dieux, mais ils sont souvent également, soit diabolisés, soit évhémérisés, par les moines copistes ayant retranscrit toutes ces légendes. La meilleure preuve en est qu’après leur occultation ou retraite plus ou moins volontaire, consécutive à leur défaite contre les humains dans la bataille pour la Talantio (pour la possession de la terre cultivée : Tailtiu en gaélique), ou suite à la christianisation, les légendes irlandaises les font vivre sous terre en tant qu’aes sidhe ou banshees 3), même quand ils sont de nature plus céleste que souterraine. On ne saurait imaginer plus radicale diabolisation ! Les déesse-ou-démones ont été transformées en simples banshees ! Bravo Messieurs les moines !
Ce processus de diabolisation s’est d’ailleurs achevé en 2001 avec leur rattachement au thème de la chasse sauvage opéré par le groupe de musique celtique black metal, connu sous le nom d’Aes Dana.
Les fiers seigneurs du Sidhe
Vêtus de sang séché
Se mêlent aux déments
Dans une danse obscène
Leur cri rauque excite la bête
Qui les entraîne un peu plus loin.
Écarte-toi, mortel
De la chasse sauvage
Que tes yeux ne rencontrent point
Le regard des seigneurs elfes
Qui, souillés par la boue et les excréments
Suivent le fou de la forêt.
Détourne-toi, mortel
De la chasse sauvage
De peur que ta raison
Ne suive le cortège
Et se mêle à la terre.
Écarte-toi
Car tous accompagnent le cerf
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Personne qui ne l’ait vu
N’est resté en arrière 4).
1. Livre du Leinster. Rédaction R1.
2. En fait, il ne s’agit pas d’un homme de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), mais d’une des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent et Fomore en Irlande.
3. Banshee. Voir Bean Sidhe. Littéralement, « femme des collines » à cause du rattachement des antiques dieu-ou-démons celtes au monde des élémentals souterrains. Populairement connu comme Banshee, un genre de déesse ou de fée qui pleure lorsque la mort approche.
4. Il va de soi qu’il ne s’agit pas ici de stigmatiser ce groupe musical français. Pierre de la Crau apprécie au contraire grandement leurs spectacles, qu’il recommande à tout celtisant sincère. Ils ont le mérite d’exprimer une des nombreuses, mais tout aussi légitimes conceptions du celtisme lui rappelant sa jeunesse. Quand par exemple il a débarqué à Paris en 1977. Un peu à la façon d’un Américain à Paris (1952, son année de naissance), mais dans le genre film d’horreur fantastique, pas dans le genre comédie.
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POSTFACE À LA JOHN TOLAND.
Les pseudodruides à la filiation initiatique mirobolante (la fameuse et inénarrable tradition primordiale) s’étant multipliés depuis quelque temps ; il nous a paru nécessaire de mettre à la disposition de tout un chacun ces quelques notes, hâtivement rédigées un soir de novembre, afin de donner à nos lecteurs envie d’en savoir plus sur le vrai druidisme. Ce travail se veut honnête, mais en aucune façon neutre. Il s’est donné pour objectif de défendre ou de réhabiliter la cluto (renommée) de cette antique religion.
Rien ne remplace la méditation personnelle y compris sur les lais obscurs ou incompréhensibles parsemant ces livres et qui ont été insérés à dessein afin de vous obliger à réfléchir pour trouver votre propre voie. Ces livres ne sont pas des dogmes à suivre aveuglément et à la lettre. Ainsi que vous le savez sans doute, il faut se méfier comme de la peste de la lettre. La lettre tue, seul l’esprit vivifie. Rien ne remplace non plus l’expérience personnelle et c’est en cheminant que l’on trouve le chemin. Ne comptez donc que sur vos propres forces pour cette quête du Graal. Ce qui compte c’est l’attitude à adopter dans la vie et non les détails du dogme. Le druidisme a moins d’importance que la druidiaction (Jean-Pierre Martin).
Ces quelques feuillets griffonnés à la va-vite ne sont néanmoins en aucune façon LES LIVRES À LIRE SUR LE SUJET, ils n’en sont qu’un pâle reflet. La seule bibliothèque druidique digne de ce nom n’est pas en effet composée de seulement 12 (ou 27) livres, mais de plusieurs centaines.
Les quelques opuscules constituant cette mini-bibliothèque ne constituent pas un approfondissement et ne sont que quelques manuels destinés aux écoliers du druidisme. Ces résumés simplifiés destinés aux cours primaires de druidisme seront remplacés par des cours d’un niveau quelque peu supérieur, pour ceux qui voudront vraiment l’étudier de façon plus pertinente.
Cette petite bibliothèque est par conséquent un premier essai d’adaptation (destinée aux jeunes adultes) des diverses réflexions sur le savoir et la vérité druidiques, auxquelles ont abouti les premiers résultats de la nouvelle laïcité positive et ouverte, mondiale, en train de s’instaurer.
À la différence du judaïsme, du christianisme, et de l’islam, qui fourmillent littéralement, à propos de l’Être supérieur, d’anthropomorphismes puérils pris au pied de la lettre (fondamentalisme) ; notre druidisme, lui, n’en utilisera que très peu, et s’en tiendra, en ce domaine, au minimum absolu.
Mais pour parler de Dieu-ou-Diable nous allons bien être obligés, nous aussi, d’utiliser un langage, et donc un certain nombre de ces anthropomorphismes. Ou alors il faudrait totalement renoncer à en discuter.
Ce premier rayon de notre future bibliothèque consacrée au sujet a pour objet de montrer avec précision l’harmonieuse authenticité de la volonté et du savoir néo-druidiques. De montrer à quel point ses grandes thèses actuelles ont des racines anciennes, car la Mythologie, c’est notre Bible à nous. Les adaptations de ce bref exposé, exigées par les différences de culture, d’âge, de maturité spirituelle, de situation sociale, etc. seront à faire par les druides concernés (les vellèdes et les autres ?).
À noter cependant. Important ! Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, ne sont pas (en vrac).
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Une révélation divine. Une loi (toujours aussi divine). Une loi (profane ou laïque). Une loi (scientifique). Un dogme. Un Ordre ? Ce que je cherche surtout à faire partager c’est un état d’esprit, rien de plus. Ainsi que l’a très bien dit un jour notre vieux maître :
« NOTRE CIVILISATION N’A PAS LE CHOIX : CE SERA LE CELTISME OU CE SERA LA MORT » (P. Lance).
Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, sont. Du rêve. Une aventure. Un voyage. Une évasion. Un cri de révolte contre la laideur morale et matérielle de cette société.
Une tentative d’atteindre à l’universel en partant du particulier. Un défi. Un obstacle fécond à surmonter. Une incitation à la réflexion. Un guide pour l’action. Une carte. Un plan. Une boussole. Une étoile polaire ou l’étoile du berger là-haut dans la montagne. Un feu la nuit dans une clairière ?
Ce que le rassembleur de ce noyau de bibliothèque, Pierre de La Crau, n’est pas.
— Un dieu.
— Un demi-dieu.
— Un quart de dieu.
— Un petit saint.
— Un philosophe (reconnu, officiel, et breveté ou patenté, comme ceux qui passent à la télévision. Sauf évidemment à prendre le terme en son sens originel, qui est celui d’amateur de sagesse et de savoir).
Ce qu’il est : un homme, et rien de ce qui est humain ne lui est donc étranger. Pierre de la Crau n’a aucun pouvoir surhumain ou exceptionnel. Rien de ce qu’il a dit écrit ou fait ne saurait avoir de valeur intemporelle. Tout au plus espère-t-il que son extrême lucidité à propos de notre société et de son idéologie dominante (voir ses philosophes officiels, ses journalistes, ses masses médias et le politiquement correct des bien-pensants) ; ainsi que son non-conformisme, et son franc-parler, alliés à un solide esprit de contradiction (qui lui ont d’ailleurs valu pas mal de déboires ou d’avanies) ; pourront être utiles.
La présente petite bibliothèque pour débutant « contient la dose d’humanité exigée par l’état actuel de la civilisation » (Henri Lizeray). Elle n’est d’ailleurs qu’un rassemblement de matériau attendant l’architecte ou le maçon ? ad hoc.
Prochainement paraîtra toute une série de fascicules approfondissant ces éléments de base. Cette présentation différente du savoir druidique préservera néanmoins l’unité et la profonde harmonie entre ces divers exposés d’une seule et même philosophie.
Cas des traductions dans une langue étrangère (espagnol, allemand, italien, polonais, etc.)
Les fautes d’orthographe de grammaire de style, ainsi que l’écriture des noms propres, pourront être corrigées. Toute autre amélioration du texte pourra également être apportée si nécessaire (par ajout suppression ou modification, de détails) ; Pierre de La Crau ayant toujours regretté de ne pouvoir atteindre à la perfection en ce domaine. Mais à condition de n’altérer ni trahir en rien la pensée de l’auteur de cette compilation raisonnée. Toute illustration sans légende peut être changée. De nouvelles illustrations peuvent être apportées. Mais les illustrations ayant une légende ne devront être qu’améliorées (par substitution d’une bonne photo à un mauvais croquis par exemple ?)
Il va de soi que le coordonnateur de cette rapide et sommaire compilation raisonnée, Pierre de La Crau, ne prétend nullement avoir inventé (ou découvert) lui-même, tout ceci ; qu’il ne prétend en aucune façon que ceci est le fruit de ses recherches personnelles (sur le terrain ou en bibliothèque). Ce qui suit est en effet essentiellement issu des excellents ouvrages ou sites internet référencés en bibliographie et dont la consultation directe est fortement recommandée. Nous n’insisterons jamais assez sur notre volonté de ne pas être les hommes d’un livre (du Livre), mais d’au moins douze, comme les Fénianes d’Irlande, pour d’évidentes raisons d’ouverture d’esprit, la vérité étant notre seule religion.
Encore une fois, répétons-le ; le coordonnateur de la mise par écrit de ces quelques notes hâtivement jetées sur le papier ne prétend nullement avoir passé sa vie dans la poussière des bibliothèques ; ou
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sur le terrain, dans la boue des fouilles archéologiques de sauvetage ; afin d’exhumer des témoignages inédits sur le passé de l’Irlande (ou du Pays de Galles ou des Indes ou de la Chine ?)
PIERRE DE LA CRAU NE SE VEUT DONC EN AUCUNE FAÇON L’AUTEUR DES TEXTES QUI PRÉCÈDENT.
IL N’ESSAIE NULLEMENT DE S’EN ATTRIBUER LES MÉRITES. Il n’en est que l’éditeur ou le compilateur. Il s’agit pour la plupart de documents diffusés sur internet à quelques exceptions près. IL EN REVENDIQUE PAR CONTRE TOUS LES DÉFAUTS ET TOUTES LES INSUFFISANCES. Pierre de La Crau ne revendique qu’une chose, les fautes erreurs ou imperfections diverses de ce livre. Lui seul est à blâmer dans ce cas. Mais il fait confiance à ses contemporains (la nature humaine étant ce qu’elle est) pour les lui signaler avec vigueur.
Note retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau et insérée par eux à cet endroit.
J’avoue tout de suite afin de faciliter le travail de mes juges que les hommes comme moi étaient chrétiens à Rome sous Néron, païens à Jérusalem, sorciers à Salem, hérétiques anglais, catholiques irlandais, et aujourd’hui racistes, sexistes, homophobes, islamophobes, en attendant d’être demain koufar ou de nouveau chrétien l’antéchrist le plus bestial de toutes les apocalypses, etc. Bref ainsi qu’on l’aura compris je suis pour le néant la mort la maladie la souffrance……
Par respect pour l’Humanité, afin de gagner du temps, et ne pas lui en faire perdre, je vais faciliter le travail de ceux qui tiennent absolument à être du bon côté de la barrière en combattant (héroïquement bien sûr) afin de sauver le monde de mes griffes (mes idées ou mes penchants, mes tendances).
À ces courageux et implacables détracteurs, dont la profondeur de réflexion digne d’un marquis de Vauvenargues n’a d’égale que l’ampleur de la culture générale, digne d’un Pic de la Mirandole, je dis…
Prenez une feuille de papier, de traitement de texte si vous préférez, mettez-y par ordre d’importance les 20 caractéristiques qui vous semblent les plus graves, les plus odieuses, les plus haïssables, dans l’histoire de l’Humanité, depuis les hommes préhistoriques et Nabuchodonosor, selon vous… ET DITES-VOUS BIEN QUE JE SUIS TOUT LE CONTRAIRE DE VOUS, CAR JE LES AI TOUTES !
On a toujours besoin de boucs émissaires ! Hérétique au Moyen âge, sorcière à Salem au 17siècle, raciste au 20e siècle, lézard extraterrestre au 21e, je suis l’homme que vous aimerez haïr pour vous sentir supérieur.
Je suis au choix et dans l’ordre d’importance que vous voulez : athée, sataniste, stupide, mongolien, raciste, bestial, homosexuel, pervers, communiste, nazi, menteur pathologique, voleur, suffisant, psychopathe, un monstre d’orgueil faussement modeste, et que sais-je encore, à vous de voir.
Voilà, je ne peux pas faire mieux (pour vous aider à sauver le monde).
[À la différence de mes contempteurs qui sont tous des gens bien, c’est-à-dire jeunes ou modernes et dynamiques, courageux, positifs, gentils, intelligents, instruits, ou du moins qui savent ; faisant preuve de beaucoup de recul dans leur méditation en profondeur sur les tendances lourdes de l’Histoire ; et sur le plan moral ou éthique : généreux, altruistes, mais pauvres évidemment, car donnant tout aux autres ; en outre profondément respectueux de la volonté de Dieu et de la Constitution…
Moi je suis un vieux réactionnaire ankylosé, conformiste, déconnecté de son temps, parano, schizophrène, incohérent, capricieux, jamais content, méchant, bête, n’ayant fait aucune étude ou du moins ignorant tout sur le sujet en question ; coutumier des jugements à l’emporte-pièce fondés sur des préjugés dénués de toute réflexion ; égoïste et riche ; suppôt de Satan et nazo-bolchevick ou stalino-hitlérien de nature. On disait hitléro-trotskiste quand j’étais jeune. En bref un criminel psychopathe dès le petit-déjeuner… ce qui me permet donc de penser ce que je veux, mes critiques aussi d’ailleurs, et d’essayer de le faire savoir à la cantonade].
Signé : le coordonnateur des travaux, Pierre de La Crau dit Hésunertus, chercheur en druidisme. Un homme à qui rien de ce qui est humain ne fut étranger. Chômeur, facteur, divorcé, sans domicile fixe, vagabond, contribuable, justiciable, électeur cocufié ? Un des huit milliards d’êtres humains ayant transité sur ce vaisseau spatial donc. Né sur la planète Terre le 13 janvier 1952.
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BIBLIOGRAPHIE DES GRANDES LIGNES.
Pour ce qui est de la bibliographie des détails voir annexe de la dernière leçon, car, comme le dit si bien Henri Lizeray, les traditions, ça doit s’interpréter. C’est là toute la différence qu’il peut y avoir entre ancien druidisme et néo-druidisme.
Le Lebar gabala ou Livre des invasions. Paris 1884 (William O’Dwyer)
Base de l’église druidique. Le druidisme restauré. Henri Lizeray, Paris, 1885.
Les traditions nationales retrouvées. Paris 1892.
Aesus ou la doctrine secrète des druides. Paris 1902.
Ogmios ou Orphée. Paris 1903.
TABLE DES MATIÈRES.
Prologue
Les diverses formes que peuvent revêtir les dieux ou démons
aux yeux des humains
Les dieux mineurs ou andedioi et les cultes de dulie
Les Indigitamenta du druidisme
Les indiges celtes pouvant infléchir le Tout-Puissant Destin
Deuxième liste des dieux indiges du druidisme
Troisième liste (épithètes ou hypostases divines)
Note sur l’hérésie galloise
Note sur l’hérésie celtibère
Note sur les différentes formes de culte à ce niveau
Note sur les anges ou les messagères de l’Autre Monde
dans la tradition celtique
Les figures divines faisant l’objet d’un culte d’hyperdulie
Bref rappel sur les conceptions virginales ou divines chez les Celtes
Cornunnos
Notre Dame à la licorne : les éponas
Un peu de terminologie maintenant : Mariccos le héros prophète et demi-dieu
Notes et remarques diverses
Le Hésus//Cuchulainn
Documentation continentale
Principales étapes de la vie du grand Hésus Mars
Nouvelles considérations sur le sacrifice du grand Hésus
incarné en chien de Culann
Plaidoyer pour une réconciliation avec nos frères les dieux ou démons
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Les vrais uxedioi et les cultes de latrie
Le dodécaèdre sacré selon Jules César
Le dodécaèdre sacré selon les druides
Les douze alvéoles de la ruche divine
Belin/Belen et les divinités de type Belin (os)
Le dieu chirurgien des guérisseurs et des sorcières : Deinocacectis/Diancecht
Camulos Smertrios
Noadatus/Nodens/Nuada/Nudd
Medros/Midir/Medyr
Cobannos/Gobannos
Le dieu tricéphale appelé Brenos/Brian
Le dieu de l’amour et de la jeunesse Mabon/Maponos/Oengus
Le dieu de la guerre psychologique Ogmios
Le dieu des techniques du commerce et des affaires Lug/Lugos
Le mythe du bon géant
Le dieu Père-Noel Suqellos/Dagda/Gargant
La femme par excellence Brigantia/Brigindo/Brigitte
Conclusion
Les fondements de la Trinité suprême
La Grande Déesse Mère aquatique
La mangeuse d’hommes Medua/Medb
Catubodua/Morrigani/Nemain
Catubodua/Morrigani/Nemain (bis)
Taran/Toran/Tuireann
Attributs de tous ces dieux
Rappels sur certains théonymes de la littérature irlandaise
Au-dessus des dieux
Étude d’un électréon particulier
La dyade ou tétrade élémentaire
L’adiantu (l’attirance des contraires)
Weltanschauung druidique
La vie
La force
L’Albiobitos
Le pyramidion
Entre fatalisme et déterminisme
Alors athéisme agnosticisme panentheism ou panthéisme ?
Annexe N°1 : La Bible de pierre
Annexe N°2 : Les dieux celtiques en Irlande
Annexe N°3 : Les difficultés des généalogies divines irlandaises traditionnelles Annexe N°4 : Liste irlandaise des différents rois divins
ayant régné sur le pays
Annexe N°5 : Fiers seigneurs du side.
Postface à la John Toland
Bibliographie des grandes lignes
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DU MÊME AUTEUR.
1. Citations des auteurs antiques parlant des Celtes ou des druides.
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2. Généralités liminaires diverses sur les Celtes.
3. Histoire du pacte avec les dieux tome 1.
4. La Bible du druidisme : histoire du pacte avec les dieux tome 2.
5. Histoire du pacte avec les dieux tome 3.
6. Histoire de la paix avec les dieux tome 4.
7. Histoire de la paix avec les dieux tome 5.
8. Des Fénianes aux Culdées ou « la grande science qui illumine » tome 1.
9. Textes apocryphes irlandais.
10. Des Fénianes aux Culdées ou « la grande science qui illumine » tome 2.
11. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande Science qui illumine » tome 3.
12. Les cent voies du paganisme. Science et philosophie tome 1 (mythologie druidique).
13. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 2 (mythologie druidique).
14. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 3 (mythologie druidique).
15. Le grand Camminus : éléments de théologie druidique tome 1.
16. Le grand catéchisme : éléments de théologie druidique tome 2.
17. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 1.
18. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 2.
19. Mystagogie ou théâtre sacré des Celtes antiques.
20. Poèmes celtes.
21. Le génie du paganisme celte tome 1.
22. Le complexe de Roland.
23. Au pied de la lanterne des morts.
24. Les secrets du vieux druide de la forêt ménapienne.
25. Le génie du paganisme celte tome 2 (liberté réciprocité simplicité).
26. Rhétorique : la trahison des clercs).
27. Petit dictionnaire de théologie druidique tome 1.
28. Des philosophes antiques au druide irlandais.
29. Judaïsme christianisme et islam : première partie.
30. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 1.
31. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome2.
32. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 3.
33. Troisième partie tome 1 : Qu’est-ce que l’Islam ? Bref historique de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
34. Troisième partie tome 2 : Qu’est-ce que l’Islam ? Premières approches de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
35. Troisième partie tome 3 : Qu’est-ce que l’Islam ? Les 5 vrais piliers de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
36. Troisième partie tome 4 : Qu’est-ce que l’Islam ? Coups de sonde dans l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
37. Couiro anmenion ou Petit dictionnaire de théologie druidique tome 2.
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