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LE PLÉRÔME DRUIDIQUE
(ALBIOBITOS ET ANDERODUBNO)
Tome I.
ANGES DJINNS OU DÉMONS
DU PANTHÉON CELTIQUE
(les racines non varroniennes
de la théologie druidique).
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ODE AUX TRÈS-SACHANTS.
La moitié du malheur de l’Humanité vient du fait que, il y a plusieurs milliers d’années, quelque part au Moyen-Orient, des peuples de par leur langue ont conçu la spiritualité ou la mystique…
— Non comme une quête de sens, d’espoir ou de libération avec les concepts qui s’y rattachent (distinction opposition ou différence entre matière et esprit, éthique, discipline personnelle, philanthropie, vie après la vie, méditation, quête du Graal, pratiques…).
— Mais comme une loi (DIN) gigantesque et protéiforme devant régir la vie quotidienne des hommes avec tout ce que cela implique.
Des obligations ou des interdits que tout un chacun doit respecter jour et nuit.
Des infractions ou des contraventions à cette multitude d’interdits quand ils ne sont pas suivis à la lettre. Des jugements quand une ou plusieurs de ces lois sont violées. Des condamnations. Pour les coupables. Des non-lieux ou des relaxes pour les innocents APPELÉS JUSTES…CETTE CONFUSION ENTRE LE NUMINEUX ET LE RELIGIEUX PUIS ENTRE LE SACRE ET LE PROFANE NOUS POURRIT LA VIE DEPUIS 4000 ANS VIA ISRAËL ET SURTOUT LES NOUVEAUX ISRAËL QUE VEULENT ÊTRE LE CHRISTIANISME ET L’ISLAM.
Le principe de base de notre Ollotouta nous a été donné, il y a longtemps déjà, par notre maître
à tous en ce domaine ; le grand barde gaélique fondateur de la Libre-pensée moderne, que l’on évoque habituellement sous le nom anglicisé de John Toland. Il ne peut pas y avoir par définition de choses contraires à la Raison dans de Saintes Écritures émanant vraiment du Divin. S’il y en a, il s’agit alors, soit d’erreurs, soit de mensonges ! Ou il n’y a aucun mystère, ou alors il ne s’agit en aucune façon d’une révélation divine ! Il n’y a aucun moyen terme…Nous ne reconnaissons pas d’autre orthodoxie que celle de la Vérité car, où qu’elle soit en ce monde, doit également se tenir, nous en sommes totalement convaincus, l’Église de Dieu, et pas celle de telle ou telle faction humaine… Nous sommes par conséquent partisans de ne faire aucun quartier à l’erreur sous quelque prétexte que ce soit, chaque fois que nous aurons la possibilité ou l’occasion de l’exposer sous ses vraies couleurs.
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1696. Le christianisme sans mystère.
1702. Vindicius Liberus. Réponse de John Toland aux détracteurs de son « christianisme sans mystère ».
1704. Lettres à Serena contenant l’origine de l’idolâtrie et les raisons du paganisme, l’histoire de la doctrine de l’immortalité de l’âme chez les païens, etc. (Version baron d’Holbach, un philosophe allemand).
1705. Le vrai socinianisme * en tant qu’exemple de débat courtois en matière de théologie *.
Précédé de l’Indifférence dans les disputes, recommandée par un panthéiste à un ami orthodoxe.
1709. Adeisidaemon ou l’homme sans superstition. Les origines juives.
1712. Lettre contre le papisme, et en particulier contre le fait d’admettre l’autorité des Pères ou des Conciles dans les controverses religieuses, par Sophie Charlotte de Prusse.
1714. Défense des juifs, victimes des préjugés antisémites, et plaidoyer pour leur naturalisation.
1718. Le destin de Rome, des papes, et la fameuse prophétie de saint Malachie, archevêque d’Armagh au treizième siècle.
Nazarenus ou le christianisme juif, goy, et mahométan (version d’Holbach), contenant :
I.L’histoire de l’ancien évangile de Barnabé, ainsi que le moderne évangile apocryphe des mahométans, attribué à ce même apôtre.
II. Le projet original du christianisme expliqué par l’histoire des nazaréens, résolvant du même coup diverses polémiques à propos de cette divine (mais si hautement pervertie) institution.
III. L’analyse d’un manuscrit des quatre Évangiles irlandais avec un résumé de l’ancien christianisme d’Irlande et de ce que fut la réalité des culdées (un ordre mi-laïc, mi-religieux opposé aux deux derniers évêques de Worcester).
1720. Pantheisticon, sive formula celebrandae sodalitatis socraticae.
Tetradymus.
I. Hodegus. La colonne de feu et de nuée qui a guidé les israélites dans le désert n’était pas un miracle, mais, comme le relate précisément l’Exode, une pratique également connue des autres nations ; et dans ces contrées non seulement utile, mais même nécessaire.
Il. Clidophorus.
III. Hypatie ou l’histoire de la plus belle, de la plus vertueuse, de la plus instruite, de la plus accomplie des femmes ; qui fut lapidée par le clergé d’Alexandrie, afin de satisfaire l’orgueil, l’ambition, voire la cruauté, de l’archevêque Cyrille, communément, mais très improprement, appelé saint Cyrille.
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1726. Histoire critique de la religion celte, contenant un aperçu sur les druides, ou les prêtres et les juges, sur les vates, ou les devins et médecins, et enfin sur les bardes, ou les poètes ; des anciens Bretons, Irlandais ou Écossais. Avec en plus l’histoire d’Abaris l’Hyperboréen, prêtre du soleil.
Un spécimen de la langue armoricaine (dictionnaire breton, irlandais, latin).
1726. Compte-rendu du livre de Giordano Bruno, sur l’infini de l’univers et la pluralité des mondes, traduit de l’édition italienne.
1751. Le Panthéisticon ou le mode de célébration de la société socratique. S. Paterson Londres. Traduction du livre publié en 1720.
« Le Druidisme » est une revue indépendante (indépendante de toute association religieuse ou politique) et qui n’a qu’un seul but : la recherche théorique ou fondamentale en matière de néopaganisme. La double question à laquelle essaie de répondre cette revue d’études théoriques pourrait se résumer ainsi :
« Que pourrait être ou que devrait être, un néo-druidisme actuel, moderne et contemporain ? »
Le « Druidisme » est une revue néopaïenne, strictement néopaïenne, héritière de tous les mouvements authentiques (c’est-à-dire non chrétiens) qui se sont succédé depuis deux mille ans, l’héritière indirecte, mais l’héritière, quand même !
A propos de notre tradition de référence ou de notre filiation intellectuelle soulignons que si les « poètes » du royaume de Domnall mac Muirchertach Ua Néill avaient toujours les imbas forosnai, les teimn laegda ainsi que les dichetal do chennaib 1) à leur répertoire (cf. la conclusion de l’histoire du pillage du château de Maelmilscothach, d’Urard Mac Coisé, un poète mort au XIe siècle), ils étaient peut-être déjà chrétiens quand même depuis plusieurs générations. Il est vrai que ces pratiques (imbas forosnai, teimn…) étaient formellement interdites par l’Église, mais qui sait, il y a eu peut-être des accommodements analogues à ceux des astrologues ou alchimistes du Moyen-âge.
Quoi qu’il en soit notre « Druidisme » est aussi une volonté, la volonté de se rapprocher, au maximum, du druidisme antique, tel qu’il fut (scientifiquement parlant). La volonté aussi néanmoins de moderniser ce druidisme, un retour total au druidisme antique étant exclu (il serait de toute façon impossible).
Exemples de modernisation de ce druidisme païen.
— Abandon aux associations laïques du côté culturel (médecine, poésie, mathématique, etc.). Principe de séparation de l’Église et de l’État.
— Spécialisation par contre dans la spiritualité celtique, ou païenne en général, l’histoire de la religion, la philosophie et la métapsychique (dite aujourd’hui parapsychologie).
— Utilisation dans certains cas du vocabulaire actuel (Église, religion, baptême, et ainsi de suite).
Un juste milieu est évidemment à trouver entre un retour total au druidisme antique (fondamentalisme ou intégrisme) et une modernisation radicale trop révolutionnaire (plus de saie).
L’AAP (athée agnostique panthéiste) celte ayant accepté d’être l’avocat du paganisme celtique antique et de cosigner cette petite bibliothèque **, dont il n’est que le rassembleur, le druide Hesunertus (Pierre de La Crau), ne se considère pas comme l’auteur de cet ouvrage collectif. Mais comme le simple porte-parole de l’équipe l’ayant composé. Pour ce qui est des autres sources de cet essai sur le druidisme, voir les remerciements de la bibliographie.
* Les sociniens, puisque c’est ainsi qu’ils furent appelés par la suite, désiraient plus que tout restaurer le vrai christianisme qu’enseigne la Bible. Ils considéraient que la Réforme n’avait fait disparaître qu’une partie de la corruption et du formalisme, présents dans les Églises, tout en laissant subsister le mauvais fond : les enseignements non bibliques (ce qui est très discutable d’ailleurs).
** Ce petit camminus est néanmoins important aussi pour les jeunes… de 7 à 77 ans ! Mantalon siron esi.
1) Do ratath tra do Mael Milscothach iartain cech ni dobrethaigsid suide sin etir ecnaide 7 fileda 7 brithemna la taeb ogaisic a crech 7 is amlaidsin ro ordaigset do tabairt a cach ollamain ina einech 7 ina sa[ru]gad acht cotissad de imus forosnad [di]chetal do chollaib cend 7 tenm laida .i. comenclainn fri rig Temrach do acht co ti de intreide sin FINIT.
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SUR LA PRÉDISPOSITION À LA SPIRITUALITÉ DES PEUPLES CELTES OU D’ESPRIT CELTE.
Les Celtes sont un peuple destiné à sauver le monde, par la contamination de son exemple en matière d’écologie.
L’innombrable quantité de dieux du panthéon celtique a pu faire dire à certains que les Celtes étaient vraiment le peuple élu des dieux, mais en réalité tout peuple est par définition élu par son ou ses dieux si l’on veut par là spécifier la relation toute particulière qui unit en général un fidèle à sa divinité : une projection ou un renversement de pulsion bien connu de la psychanalyse (notamment pour qualifier la relation sadomasochiste) et appelé métonymie et même plus précisément métalepse quand il s’agit d’une figure de style.
Ce qui est certain en tout cas c’est que le Celte était vraiment une langue élue des dieux puisque les druides étaient qualifiés d’homophonon par rapport à eux (dans l’œuvre de Diodore de Sicile) c’est-à-dire parlant la langue même des dieux, un peu comme s’ils descendaient d’ancêtres communs (cas des Celtes Fir Bolg dans le lebor Gabala Erenn).
Contrairement à ce qu’affirment certains néo-druides d’aujourd’hui, se tourner vers les déités divinités virotutis, anextiomarus, iovantucarus, dunatis, toutatis, contrebis, mopatis, etc. Bref secourables ou apaisantes, voire psychopompes, fait bien partie du druidisme.
Ce sont les personnifications de tous les sentiments humains positifs, altruistes, esthétiques et pacifiques, contenus dans le cœur. Elles peuvent se manifester dans notre dimension, ce qui peut surprendre si on n’y est pas préparé.
Se servir d’une de leurs images comme aide à la méditation ou à la concentration fait également bien partie du druidisme et ça peut aider à mourir, donc à vivre. C’est du druidisme populaire par excellence. Le dernier refuge du soldat broyé dans une tranchée.
Les écoles callaïque ou « lucanienne » du druidisme [Lucain. Livre I. 452. À vous seuls il est donné de connaître, comme de les ignorer, les dieux et les puissances célestes. Strabon. Livre III Chapitre IV, 16. Certains disent que les Galiciens n’ont pas de dieu, mais que les Celtibères et leurs voisins au nord offrent des sacrifices à un dieu sans nom, chaque pleine, lune, la nuit, devant les portes de leurs demeures, et que toute leur maisonnée danse alors en chœur la nuit entière] n’en font pas tant des divinités extérieures aux êtres humains, mais plutôt des personnifications des qualités intrinsèques ou préternaturelles de l’être humain favorisant une heureuse réincarnation dans l’au-delà.
Un équivalent celtique du bouddhisme se doit donc, par compassion, d’inclure des cultes de dulie ou d’hyperdulie centrés sur différentes déités dans les soubassements de sa philosophie. Le contraire serait une bien inutile iconoclastie.
Tout comme le bouddhisme des origines a su trouver aux déités locales d’avant lui une place acceptable et un rôle utile dans sa pratique au niveau populaire et quotidien (l’antique dieu de la mort Mara y symbolise par exemple la tentation et y est devenu un esprit maléfique, la déesse Tara une bodhisattva, etc.) l’important demeure de rejeter philosophiquement parlant le mythe du dieu personnel créateur tout puissant et censé être éternel, qui est effectivement incompatible avec notre triangle philosophique dont les trois extrêmes sont l’athéisme l’agnosticisme et le panthéisme (AAP).
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LA MAGIE DE LA VIE.
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DE LA NATURE DES DIEUX DU DRUIDISME.
« Le mouvement des astres, l’immensité de l’univers, la grandeur de la terre, la nature des choses, la force et le pouvoir des dieux immortels, tels sont les sujets de leurs discussions : ils les transmettent à la jeunesse » (César. B. G. Livre VI, 14).
La nature des dieu-ou-démons immortels, la nature des dieu-ou-démons immortels… Que peut-on dire d’autre aujourd’hui sur la nature des dieu-ou-démons du druidisme ?
Ainsi que nous venons de le voir, pour la plupart des pauvres créatures que nous sommes, la suprématie de l’Englobant impersonnel est plus théorique que ressentie ; et la multitude des êtres du panth-éon ou plérôme traditionnel, grossie de celle des divinités locales, reprend toujours dans la pratique l’avantage sur la tendance au monothéisme philosophique et réfléchi, en tout cas elle suscite bien plus de ferveur.
Il n’est possible d’atteindre le Divin qu’au travers de ces manifestations, dont chacune peut donner lieu à l’apparition d’un dieu-ou-démon particulier. Dans le polythéisme, on a toujours un dieu-ou-démon préféré (hénothéisme), que l’on vénère plus que tout autre, en raison de ce qu’il éveille comme écho favorable à notre appréhension personnelle du Divin. Cependant, l’on n’oublie pas pour autant contrairement aux musulmans * qu’il existe d’autres dieu-ou-démons, dont on sait bien qu’ils sont, eux aussi, malgré leur caractère étranger ou peu familier, des aspects du Divin, aussi légitimes que celui que l’on a choisi pour soi-même. C’est à partir du dieu-ou-démon que l’on est capable de concevoir, que l’on peut s’élever vers l’Immensité non duelle du Taouhid. Et vers ce que l’on croit être une « identification » à l’Englobant universel ; identification d’ailleurs toujours approximative et elle aussi, au sens strict du terme, illusoire.
Le slogan d’Allah Akhbar, maintes fois répété en terres d’islam, prouve bien qu’il s’agit au départ de la part des vraiment tout premiers musulmans d’un simple hénothéisme, et en aucune façon d’un monothéisme philosophique et réfléchi. Le taouhid philosophique n’est venu qu’après, la tolérance en moins. En clair, Allah au départ n’était conçu que comme un des dieux parmi d’autres du panthéon mecquois, associé au pouvoir de la lune, à la différence de Houbal (associé au soleil ?). Mais c’était le dieu qui focalisait l’attention du jeune Amine (Mahomet).
Mais revenons à la tolérance naturelle et innée ou agnosticisme en réalité, du paganisme philosophique et réfléchi.
Il n’en va pas du tout ainsi dans le cas des monolâtries évidemment. À travers le Dieu-ou-démon unique, que chacune de ces religions projette, c’est en fait une domination universelle qui est poursuivie. Tout peuple monolâtre devient nécessairement un « peuple élu », qui doit combattre les faux dieu-ou-démons, et apporter sa « bonne nouvelle » d’une révélation unique, en dehors de laquelle il n’est point de salut ; porte ouverte au fanatisme et à l’intolérance, aux persécutions, aux excommunications, et pour finir aux guerres de religion.
Pour le polythéisme, en revanche, il n’existe pas de faux dieu-ou-démons. Il n’y en a que de vrais, car il est impossible de concevoir qu’une voie quelconque puisse ne pas mener à l’Englobant Universel. Du moins est-ce là en ce domaine, la théorie ou la logique du système qui incite à la tolérance, ainsi qu’au respect d’autrui (cantamantaloedisme). Les dieu-ou-démons du druidisme ne font preuve d’aucune exclusivité jalouse. Ils ne conçoivent aucune amertume de l’incrédulité des hommes à leur sujet.
Cette tolérance du druidisme ne signifie pas, bien entendu, l’abandon de la vérité que l’on perçoit ou croit percevoir, voire une renonciation au goût de la formuler de la manière la plus précise et la plus rigoureuse. Il ne s’agit pas de syncrétisme à la romaine. L’exemple des différentes Écoles de druidisme que nous avons pu déceler dans le druidisme antique est à ce sujet très édifiant. Quoique certains de ces systèmes philosophiques soient plus ou moins complémentaires, il s’y trouve des positions parfaitement inconciliables.
— Quel rapport en effet entre l’athéisme des tribus galiciennes évoquées par Strabon, Géographie, III, 4, 16.
« Certains auteurs affirment aussi que les Callaïques sont athées, tandis que les Celtibères et leurs voisins au nord sacrifient à un dieu-ou-démon sans nom, la nuit, à chaque retour de la pleine lune, devant les portes de leurs bourgades ; se livrant alors avec toute leur maisonnée à des festivités diverses agrémentées de danses ».
— L’iconoclastie du fameux Brennos de Delphes. Diodore de Sicile, XXII, 9. 4.
« Brennus, le roi des Galates, quand il entra dans le temple, ne vit aucune offrande d’or ou d’argent. Se saisissant des statues de pierres et de bois, il se prit à rire de ce que les dieu-ou-démons soient montrés avec une forme humaine et soient dressés là, en bois ou en pierre ».
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— Et l’exclamation bien connue d’Arrien dans son traité de chasse « Quant à moi, je suis la Loi des Celtes, et je déclare que, sans l’aide des dieu-ou-démons, rien ne réussit aux hommes. Kai ego hama tois suntherois hepomai to Kelton nomo kai apophaino hos ouden aneu theon gignomenon anthropois es agathon apoteleuta » (Arrien. Cynégétique chapitre XXXV).
Ces positions sont irréductibles les unes aux autres, mais, si elles sont toutes reconnues comme celtes, c’est qu’aucune d’elles n’est conçue comme exprimant la vérité absolue. Ce ne sont toutes que des « points de vue » sur le monde. Or il n’existe pas de point de vue permettant de contempler le monde en sa totalité ; ou, plus précisément, les très-sachants de la druidiaction (druidecht) pensent qu’il n’existe point de philosophie ou de métaphysique qui puisse être plus qu’un point de vue. Mais, encore une fois, il ne s’agit pas de penser que l’on peut superposer un point de vue à un autre, que l’on puisse en quelque sorte échanger les points de vue. Chaque point de vue est vrai, absolument.
Si, du haut de la statue de la Liberté construite par Bartholdi à New York en 1886, je contemple l’Est de la ville, j’obtiens une vue réelle et indiscutable de New York, même si c’est Brooklyn. Si je me tourne vers le Sud-Est, j’obtiens une autre vue de New York, également réelle et indiscutable. Et ainsi de suite. Toutes ces vues sont réelles et indiscutables, mais seulement du point de vue adopté. Si je prétends qu’un de ces points de vue correspond à la ville entière de New York, je me trompe et je trompe autrui. Si, admettant l’égale vérité de ces différents points de vue, j’imagine qu’il est possible de remplacer l’un par l’autre, d’établir une équivalence entre le point de vue sur l’Est et le point de vue sur l’Ouest ; je m’abuse et j’abuse également autrui. Je ne peux pas voir New York en une seule fois. Personne ne peut voir New York en une seule fois. Je ne peux donc avoir sur New York qu’un point de vue ou une succession de points de vue. Chacun d’eux est nécessaire et vrai, chacun complémentaire de l’autre, mais nul ne peut remplacer l’autre.
Chaque « point de vue » sur le monde, chaque système philosophique, se définit à partir de sa méthode. La méthode d’observation des phénomènes, propre à la démarche scientifique, ne peut jamais par exemple, aboutir à une conclusion théiste. C’est seulement une accumulation quantitative de faits. Voilà l’attitude vraiment druidique.
Le druidisme est avant tout une philosophie de la connaissance. La connaissance est une sagesse inhérente, pure et lumineuse. Mais cette connaissance est obscurcie par l’ignorance qui, à travers nos fixations, est la cause de notre perpétuelle insatisfaction, voire de nos souffrances. C’est cet état d’esprit, assombri par l’ignorance, que le druidisme médiéval symbolise par la fée Morgane, et dont les différentes illusions ou univers (sortilèges, apparitions, etc.) ne sont que des aspects.
Tout comme le bouddhisme (ou l’islam avec ses djinns), le vrai druidisme ne nie pas l’existence des dieu-ou-démons. Mais ceux-ci, comme les hommes, sont soumis au Destin et à la Mort ou à la Réincarnation ; et, comme les hommes, ils auront un jour besoin d’achever leur purification avant de retourner au grand TOUT UNIVERSEL (Pariollon en celte, Parinirvana dans le bouddhisme).
Ces dieu-ou-démons ne sont pas des individus isolés, car ce sont en fait des forces de la nature humaine immortelles. Ces dieu-ou-démons ne sont que les maillons d’immenses chaînes aussi vieilles que l’espèce humaine. Ils peuvent mourir, mais pour renaître aussitôt sous une autre forme et une autre appellation (l’amour, la guerre, la patrie, la fidélité…).
Ces dieu-ou-démons ne jouissent que d’une puissance et d’un bonheur relatifs. Ils ne sont que des émanations des deux déités primordiales que sont l’Esprit (Taran/Toran/Tuireann) et la matière (Matrona) et soumis, comme tout le monde, à leur destinée (l’obligation et de naître et de mourir, un jour). Ce que les hindous appellent vyouha et les musulmans du chirk (pour le condamner).
Le druidisme de haute époque avait coutume d’utiliser comme support de pratiques pieuses de multiples « idoles », mais il ne faut pas prendre le terme « idoles » au sens devenu habituel. Il ne s’agissait au départ que de simulacra ou d’arcana (terme sanscrit pour désigner une offrande ou un support de méditation) pouvant être vus comme symbolisant ou représentant des déités par certains. Le terme latin simulacrum peut dans certains cas désigner une pierre levée ou un menhir, si l’on en croit la vie de Saint Samson. Dans la Vie de saint Samson, écrite au commencement du VIIe siècle, il est question en effet d’une pierre levée, simulacrum abominabile, sur laquelle le saint grava le signe de la croix et qui s’élevait sur une montagne dans le pagus Tricorius (en Domnonée insulaire).
La présence divine dans un lieu de culte était attestée par ces statues ou par ces fresques (simulacra ou arcana), car quand les dieu-ou-démons se montrent aux hommes (théophanie donc) ; ils sont bien obligés de prendre une forme perceptible aux sens humains (souvent celle d’une personne : dernier exemple une des tutelles ou divinités des eaux 1) à Lourdes en 1858)
N’oublions pas néanmoins que le corps des dieu-ou-démons druidiques est en réalité très différent de celui des simples humains, dont il n’a que l’apparence. Leur corps n’en connaît pas les contingences
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ou les limitations habituelles. Il peut par exemple passer à travers des murs ou franchir en quelques fractions de seconde d’incroyables distances, ainsi que l’a très bien dit le néo-druide Allan Kardec.
Les dieu-ou-démons du druidisme néanmoins ne « sont » pas que cette forme à travers laquelle ils se montrent, ils ne sont pas que cette représentation sensible. Leur essence abstraite la dépasse. 2)
Les dieu-ou-démons du druidisme ne sont pas non plus des esprits impersonnels flottant dans l’air. Quand les très-sachants de la druidiaction (druidecht) les invoquent en leur rendant un culte, ils s’adressent à des puissances aux caractéristiques précises. Comme pour les dieu-ou-démons grecs ou romains, le nom principal indique leur caractère général, auquel est lié un champ d’action (Taran/Toran/Tuireann : souveraineté, Lug le commerce et l’artisanat, Belin/Belen la santé, l’équilibre et l’harmonie, etc.). Un attribut dit épiclèse en grec suit souvent ce nom et précise la fonction pour laquelle l’entité surnaturelle, ou préternaturelle, est invoquée à un moment donné dans un contexte déterminé : Lugos vassocaletis (Lug le dur vassal) Belinos/Belenos moritasgus (dont le char fend la mer), etc.
Les dieu-ou-démons, tous ensemble, forment un panth-éon qui n’est pas figé, mais qui peut même s’élargir quand des très-sachants de la druidiaction (druidecht) découvrent l’existence de dieu-ou-démons inconnus d’eux jusque-là. Ce panth-éon est conçu sur la base d’une structure hiérarchique semblable à celles d’une société humaine. À sa tête se trouve Taran/Toran/Tuireann, le dieu-ou-démon souverain, et autour de lui les autres dieu-ou-démons majeurs : le Dodécahèdre.
En dessous une foule de divinités moins importantes, qui aident les dieu-ou-démons majeurs dans l’accomplissement de leur fonction et avec lesquels ils partagent les honneurs. Ces divinités, qui agissent dans un domaine très limité indiqué par leur nom, sont dites « divinités fonctionnelles » (Indigitamenta ou Sondergötter). Exemple Aveta la déesse-ou-démone ou bonne fée, des sages-femmes et des accouchements.
On trouve enfin des dieu-ou-démons topiques représentant les forces de la nature : sources, montagnes, forêts, animaux… (des âme/esprits animales ou des élémentals).
Les dieu-ou-démons du druidisme partagent avec les hommes l’espace civique ou politique et sont toujours consultés avant d’accomplir des actions qui concernent la communauté tout entière.
N.D.L.R. Ce dernier point est d’ailleurs caractéristique de l’ancien druidisme. Nul n’est moralement obligé de le suivre à la lettre aujourd’hui.
Dernière précision enfin qui concerne plutôt la partie supérieure de notre plérôme mais que nous tenons néanmoins à rappeler ici afin que nul ne se fasse une idée fausse de la spiritualité druidique !
Certains grands dieu-ou-démons, déesse-ou-démones, ou fées si l’on préfère ce terme, règnent sur un empire, ou un royaume, qui est une sorte d’univers parallèle au nôtre. Cette notion se retrouve également à l’autre bout du monde aryen, dans le bouddhisme. Bouddhakshetra, terre de bouddha ou champ de bouddha, est un terme bouddhiste qui désigne un domaine de l’univers dans lequel un bouddha donné exerce son activité ou son influence.
Ci-dessous quelques noms de terres pures.
La Terre de la Parfaite Béatitude (Soukhavati) du bouddha Amitabha, la plus connue, décrite dans les soutras de la Terre pure, elle serait située à l’ouest de notre monde.
La Terre de la Joie (Abhirati) du bouddha Akshobhya, située à l’est de notre monde.
La Terre d’Émeraude du bouddha Bhaisajyagourou ; décrite dans le Soutra Bhaisajyagourou, elle serait située à l’est de notre monde.
La Terre de la Solennité secrète du bouddha Vairocana, décrite dans le Mitsugon kyo.
La Terre pure du Pic du Vautour, où règne l’enseignement du Bouddha Çakyamouni ;
La Terre pure Potakala du bodhisattva Avalokiteshvara.
Alors pourquoi pas la Terre pure (au-delà celtique) du bouddha Cornunnos ou du bouddha Belenos ?
1) Les ruines du temple de Lourdes consacré aux tutelles ont été mises au jour entre 1904 et 1907 lors de la démolition de l’ancienne église paroissiale Saint-Pierre.
2) Tel est d’ailleurs aussi le point de vue de Varron, un philosophe romain du premier siècle avant notre ère (-116 -27) convaincu de l’existence de différents niveaux de vérité en matière de religion. On trouve chez ce théologien antique un développement original et novateur sur la fonction des images de culte et les intentions hautement valorisantes de ceux qui les ont instituées. La juxtaposition chez Varron d’une tentation iconoclaste et d’une exégèse positive des portraits de dieu-ou-démons, ou de
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déesses-ou-démones, s’explique par sa conception d’une religion à deux niveaux. D’une part les effigies des dieu-ou-démons s’accordant à la sensibilité populaire (comme dans le cas des saints de la religion chrétienne) de l’autre la spiritualité plus exigeante des philosophes qui préféreraient s’en dégager.
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LE TRÈFLE À CINQ FEUILLES DES DIEUX ou les cinq niveaux de toute émanation divine (pempedulie).
Au niveau supérieur le divin se manifeste sous plusieurs formes dans notre monde, et désigne plusieurs choses, qui sont liées, mais relativement différentes, et qu’il ne faut pas confondre. Ce que les hindous appellent vyouha et les musulmans du chirk (pour le condamner).
Toute entité divine peut en effet revêtir cinq formes différentes.
— La première de ces formes est la forme supérieure du dieu-ou-démon, sa forme normale si l’on peut dire, invisible, et inaccessible à l’œil nu.
— Le deuxième de ces niveaux est celui des hypostases constitutives de cette forme supérieure, liées à son être même (exemple le père le fils et le Saint-Esprit chez les chrétiens). Toute divinité a un certain nombre d’attributs, divins par définition (la puissance, la science, la bonté, l’ubiquité). On appelle hypostase la personnification d’une de ces composantes. La notion d’hypostase n’oublie ni ne méconnaît l’unité du dieu-ou-démon qui en est à l’origine. Il s’agit simplement de la personnification, non éphémère, d’un des attributs de la divinité. En ce sens, on peut d’ailleurs dire que les dieu-ou-démons du druidisme sont tous, peu ou prou, des hypostases d’une entité supérieure les englobant tous.
— Le troisième niveau est celui des incarnations occasionnelles (avatars), qui sont suscitées dans un but précis et peuvent être totales ou partielles. La diversité foncière du divin s’exprime tout naturellement dans les avatars comme Jésus. L’avatara est une descente sur terre destinée à rétablir l’ordre cosmique ; le nombre des avatars est variable suivant les Écoles, et ils ont souvent été confondus avec de grands héros ou des demi-dieu-ou-démons. À cette catégorie appartiennent les deux dieu-ou-démons les plus marquants. Exemple Cuchulainn en Irlande qui est un avatar de Lug, Belenos Barinthus Manannan Mac Lir qui est un en réalité un avatar de Taran/Toran/Tuireann (un taranucnus), s’étant manifesté dans l’île de Man entre la Grande-Bretagne et l’Irlande, etc.
On peut également rattacher à ce niveau les théophanies. La théophanie (des termes grecs théo – « dieu », et phan – « apparition ») est, dans le domaine religieux, la manifestation d’un dieu-ou-démon, au cours de laquelle a normalement lieu la révélation aux hommes d’un message divin ou simplement d’un avertissement. Abraham aurait ainsi vu la Trinité près du chêne de Mambré (une triade de trois anges qui partirent ensuite pour la ville de Sodome… Voir Genèse 18, 1). N.B. L’apparition du Buisson-ardent à Moïse et la naissance de Jésus-Christ, sont également des théophanies essentielles de l’histoire vétéro – et néo-testamentaire.
— Le quatrième niveau est celui de la présence du dieu-ou-démon dans le cœur humain. Alors là, évidemment, tout est possible.
— Le cinquième et dernier niveau d’existence de la divinité enfin, est la forme sous laquelle on peut lui rendre hommage (arcana ou simulacra) ; c’est-à-dire la statue la peinture ou le symbole dans lequel un artiste a mis un reflet de sa divinité. Comme la fresque représentant Ogmios, vue par Lucien de Samosate dans un temple de la région de Marseille.
Repetere = ars docendi. Le terme latin simulacrum peut dans certains cas désigner une pierre levée ou un menhir, si l’on en croit la vie de Saint Samson. Dans la Vie de saint Samson, écrite au commencement du VIIe siècle, il est question en effet d’une pierre levée, simulacrum abominabile, sur laquelle le saint grava le signe de la croix et qui était placée sur une montagne dans le pagus Tricorius (en Domnonée insulaire).
Les spéculations néo-druidiques ont ainsi élaboré un vaste panth-éon fondé sur un système complexe de références et de connotations. Chaque déité renvoie à une couleur de l’arc-en-ciel, un point cardinal, une saison, une prière, une rune de l’alphabet lépontique (la rune gebo se retrouve par exemple souvent, du moins dans la statuaire, sur le manteau du dieu-ou-démon au maillet : Suqellos).
Cette pempedulie n’est pas la moindre des difficultés du druidisme ; et ce trèfle à cinq feuilles, plus rare que le trèfle à quatre feuilles, voire que le vulgaire shamrock de noïbo Patrice en Irlande, explique aussi en partie les longues listes d’épithètes ou d’attributs divins que l’on a pu établir.
Lorsque l’on étudie les dieu-ou-démons du panth-éon druidique, il ne faut donc pas oublier de prendre en considération qu’une même déité (supérieure) peut être évoquée ou représentée, sous différentes formes, chacune d’elles exprimant certains principes fondamentaux et sacrés.
— Un des attributs spécifiques du dieu-ou-démon en question. Exemple la roue de Taran/Toran/Tuireann, dite aussi labaron (adaptation chrétienne : la croix de saint Patrice ou de saint André (sautoir) en Écosse, symbolisant la voix ou le verbe du Destin), la lance de Lug, un animal (la croix chez les chrétiens).
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— Une silhouette humaine portant ces attributs spécifiques ou représentée en compagnie de cet animal. La forme humaine des dieu-ou-démons en effet, les rend accessibles, plus proches des Hommes et plus ouverts à leurs préoccupations quotidiennes (exemple dans le christianisme, un homme portant une croix, un homme portant un mouton : le bon pasteur, etc.).
— L’animal représentant les qualités du dieu-ou-démon. Leur apparence animale étant alors une métaphore de leur fonction (cas du dieu-ou-démon continental Rudiobos, ou des corneilles de la tradition irlandaise).
Les myriades de divinités du panth-éon ou plérôme druidique sont donc une figuration des lois de la Nature ; des lois qui président à l’Ordre cosmique (Tokad/Tocade), ainsi que nous avons pu le voir avec les notions d’élementals ou d’égrégores animaux ; mais ne sont pas que cela. Le panth-éon ou plérôme druidique est par conséquent extrêmement riche.
Le néo-druide Allan Kardec dans son livre (paragraphes 573 à 541, paragraphe 668.) consacré à ce sujet, d’après les enseignements des sœurs Fox ; reconnaît très clairement que ce qu’il appelle, lui, esprit, était appelé dieu-ou-démon il y a plusieurs siècles, et notamment durant l’Antiquité.
Rien que pour voir, nous avons donc, dans son livre, remplacé systématiquement la notion d’esprit par celle de dieu-ou-démon, au sens païen du terme, et le résultat en est très surprenant ; mais intéressant à méditer néanmoins, malgré l’évidence de l’influence judéo-chrétienne sur ces propos.
76. Quelle définition peut-on donner des dieu-ou-démons ?
On peut dire que les dieu-ou-démons sont les êtres intelligents de la création. Ils peuplent l’univers en dehors du monde matériel.
79. Puisqu’il y a deux éléments généraux dans l’univers : l’élément intelligent et l’élément matériel, pourrait-on dire que les dieu-ou-démons sont formés de l’élément intelligent, comme les corps inertes sont formés de l’élément matériel ?
C’est évident ; les dieu-ou-démons sont l’individualisation du principe intelligent, comme les corps sont l’individualisation du principe matériel ; seuls l’époque et le mode de cette formation nous sont inconnus.
82. Est-il exact de dire que les dieu-ou-démons sont immatériels ?
Nous disons que les dieu-ou-démons sont immatériels, parce que leur essence diffère de tout ce que nous connaissons sous le nom de matière. Un peuple d’aveugles n’aurait pas de termes pour exprimer la lumière et ses effets. L’aveugle de naissance pense avoir toutes les perceptions par l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher ; il ne comprend pas les idées que lui donnerait le sens qui lui manque. Et bien de même, pour ce qui est de l’essence des êtres surhumains, nous autres simples mortels, nous sommes de véritables aveugles. Nous ne pouvons les définir que par des comparaisons toujours imparfaites, ou par un effort de notre imagination.
83. Les dieu-ou-démons dans ce cas ont-ils une fin ?
On comprend que le principe d’où ils émanent soit éternel ; mais ce que nous nous demandons, c’est si leur individualité a un terme ; et si, en un temps donné, plus ou moins long, l’élément dont ils sont formés ne se dissémine pas ou ne retourne point à la masse comme cela se produit pour les corps matériels. Il est difficile en effet de comprendre qu’une chose qui a commencé puisse ne pas finir.
Il y a bien des choses que l’on ne comprend pas, parce que notre intelligence est bornée, ce n’est pas une raison pour les repousser. L’enfant ne comprend pas tout ce que comprend son père, ni l’ignorant tout ce que comprend le savant. Nous disons que l’existence des dieu-ou-démons ne finit point ; c’est tout ce que nous pouvons dire maintenant.
N.D.L.R. Dans la philosophie hindoue, les dieu-ou-démons finissent néanmoins avec le cycle ou longue vie qu’ils caractérisent.
86. Le monde corporel pourrait-il cesser d’exister, ou n’avoir jamais existé, sans altérer l’essence du monde des dieu-ou-démons ?
Oui ; car ils sont indépendants, mais leur corrélation est incessante, puisqu’ils réagissent incessamment l’un sur l’autre.
87. Les dieu-ou-démons occupent-ils une région déterminée ou circonscrite dans l’espace ?
Les dieu-ou-démons sont partout ; les espaces infinis en sont peuplés à l’infini. Et il y en a sans cesse à vos côtés, qui vous observent et agissent sur vous à votre insu ; car les dieu-ou-démons sont une des puissances de la nature, et les instruments ou causes secondes dont le Tokad (le destin) se sert pour l’accomplissement de ses vues providentielles. Mais tous ne vont pas partout, car il est des régions interdites aux moins avancés.
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88. Les dieux ont-ils une forme déterminée, limitée, constante ?
À vos yeux, non ; aux nôtres, oui ; c’est, si vous voulez, une flamme, une lueur ou une étincelle éthérée.
— Cette flamme ou étincelle a-t-elle une couleur quelconque ?
Pour vous, elle varie du sombre à l’éclat du rubis, selon que le dieu-ou-démon est plus ou moins pur. On représente ordinairement les génies avec une flamme ou une étoile sur le front ; c’est une allégorie qui rappelle la nature essentielle des dieu-ou-démons. On la place au sommet de la tête, parce que là est le siège de l’intelligence.
89. Les dieu-ou-démons mettent-ils un temps quelconque à franchir l’espace ?
Oui, mais rapide comme la pensée.
— La pensée n’est-elle pas l’âme/esprit elle-même qui se transporte ?
Quand la pensée en question est quelque part, l’âme y est aussi, puisque c’est l’âme/esprit qui pense. La pensée, c’est un de ses attributs.
90. Le dieu-ou-démon qui se transporte d’un lieu à un autre a-t-il conscience de la distance qu’il parcourt ainsi que des espaces qu’il traverse ; ou bien est-il subitement transporté dans l’endroit où il veut aller ?
L’un et l’autre ; le dieu-ou-démon peut très bien, s’il le veut, se rendre compte de la distance qu’il franchit, mais cette distance peut également s’effacer complètement ; cela dépend de sa volonté, mais aussi de sa nature plus ou moins épurée.
91. La matière fait-elle obstacle aux dieu-ou-démons ?
Non, ils pénètrent tout : l’air, la terre, les eaux, le feu même, leur sont également accessibles.
92. Les dieu-ou-démons dans ce cas ont-ils le don d’ubiquité ; en d’autres termes, le même dieu-ou-démon peut-il se diviser ou exister sur plusieurs points à la fois ?
Il ne peut y avoir division du même dieu-ou-démon ; mais chacun est un centre qui rayonne de différents côtés, c’est pour cela qu’il paraît être en plusieurs lieux à la fois. Tu vois le Soleil, il n’est qu’un, et pourtant il rayonne tout à l’entour et porte ses rayons fort loin ; malgré cela il ne se divise pas.
— Tous les dieu-ou-démons rayonnent-ils avec la même puissance ?
Il s’en faut de beaucoup ; cela dépend du degré de leur pureté. Chaque dieu-ou-démon est une unité indivisible, mais chacun d’eux peut étendre sa pensée de divers côtés sans pour autant se diviser. C’est en ce sens seulement que l’on doit entendre le don d’ubiquité attribué aux dieu-ou-démons. Telle une étincelle qui projette au loin sa lueur et peut être aperçue de tous les points de l’horizon. Tel encore un homme qui, sans changer de place et sans se partager, peut transmettre des ordres, ou des signaux sur différents points.
96. Les dieu-ou-démons sont-ils égaux, ou bien existe-t-il entre eux une hiérarchie quelconque ?
Ils sont de différents ordres selon le degré de perfection auquel ils sont parvenus.
97. Y a-t-il un nombre déterminé d’ordres ou de degrés de perfection parmi les dieu-ou-démons ?
Le nombre en est illimité, parce qu’il n’y a pas entre ces ordres une ligne de démarcation tracée comme une barrière, et qu’ainsi on peut multiplier, ou restreindre les divisions à volonté ; cependant, si l’on considère les caractères généraux, on peut les réduire à trois. On peut placer au premier rang ceux qui sont arrivés à la perfection : les purs esprits ; ceux du second ordre sont arrivés au milieu de l’échelle : le désir du bien est leur préoccupation. Ceux du dernier degré sont encore au bas de l’échelle : ce sont les dieu-ou-démons imparfaits. Ils sont caractérisés par l’ignorance, le désir du mal, et toutes les mauvaises passions qui retardent leur avancement.
98. Les dieu-ou-démons du second ordre n’ont-ils que le désir du bien ; ont-ils aussi le pouvoir de le faire ?
Ils ont ce pouvoir suivant le degré de leur perfection : les uns ont la science, les autres ont la sagesse et la bonté, mais tous ont encore des épreuves à subir.
99. Les dieu-ou-démons du troisième ordre sont-ils tous essentiellement mauvais ?
Non, les uns ne font ni bien ni mal ; d’autres, au contraire, se plaisent au mal et sont satisfaits quand ils trouvent l’occasion de le faire. Et il y a encore les dieu-ou-démons légers ou follets, plus brouillons que méchants, qui se plaisent à la malice plutôt qu’à la méchanceté ; qui trouvent leur plaisir à mystifier ou à causer des contrariétés dont ils se rient.
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Ceci était donc le point de vue du néo-druide Allan Kardec dans son livre des esprits.
La mythologie des anciens très-sachants de la druidiaction (druidecht) ne peut donc pas être abordée aussi facilement que les mythologies grecque ou romaine ; et ce, pour plusieurs raisons (outre le fait qu’elle ne figure pas dans les programmes scolaires, on se demande bien pourquoi d’ailleurs.)
La première difficulté réside dans les documents écrits, rares, parcellaires et parfois contradictoires, qui l’évoquent. Avant l’introduction du christianisme, les très-sachants de la druidiaction n’écrivaient pas. Il faut donc se référer aux autres auteurs, grecs et latins. Mais il faut prendre ces textes avec prudence.
Les autres sources écrites apparaissent plus tardivement. Après la christianisation de l’Irlande, les moines ont transcrit les contes, les légendes ainsi que les traditions de leur pays. Mais ce travail a été entrepris à partir du Ve siècle, c’est-à-dire plusieurs centaines d’années après les faits. Ces témoignages s’avèrent parfois fiables, bien que teintés de christianisme (la place tenue par les déesse-ou-démones ou les fées, a certainement été minimisée). Les textes gallois du Moyen-âge, moins nombreux et plus influencés par la christianisation, sont moins révélateurs.
En ce qui concerne les représentations picturales ou sculpturales des divinités, tout ce que l’on peut dire est qu’il n’y en a pas beaucoup de traces avant l’arrivée des Romains, c’est-à-dire au 1er siècle avant notre ère. On raconte même que, lorsque les Celtes sont arrivés à Delphes en – 279, leur chef Brennus s’est montré stupéfait de voir que les Grecs avaient autant de représentations de leurs dieu-ou-démons, et sous des formes humaines qui plus est.
Un cas au moins est quand même attesté : la fresque représentant Ogmios et découverte par Lucien de Samosate sur les murs de la cella d’un sanctuaire des environs de Marseille.
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LE PLÉRÔME DRUIDIQUE.
Nous utiliserons ici le terme plérôme qui signifie en grec « plein, totalité » afin de bien montrer que nous ne nous contentons pas des seules entités surhumaines célestes, mais que nous incluons également dans ce que nous entendons signifier… les entités « surhumaines » souterraines invisibles ou inconscientes.
Jusqu’à une époque relativement récente, la littérature orale fut dans une situation de communication concrète. Le conteur interpellait son auditoire qui pouvait lui répondre et intervenir également. Ce fut le cas des bardes en Irlande jusqu’il y a peu.
Nos ancêtres avaient tendance à sacraliser plus ou moins tous ces récits. Ils en arrivaient à les canoniser et leur donner une valeur absolue, voire à en faire des Écritures saintes dans certains cas (début de la Bible, Coran, évangiles). Avec le temps néanmoins le degré de foi qu’ils leur accordaient varia.
Au début donc était le mythe avons-nous dit.
Les grand-mères à la veillée le soir autour du feu racontaient que… ou l’oncle de Mahomet lui racontait que… (cf. l’histoire des oiseaux ababil qui avaient bombardé des éléphants par exemple : Saint Coran chapitre 105).
Quelques caractéristiques essentielles du mythe.
D’un point de vue linguistique, c’est en général un type d’énoncé relatant des faits présentés comme « passés », et marqué par l’effacement du sujet qui parle, l’emploi de la troisième personne, ainsi que celui du passé simple et de l’imparfait.
Le mythe se situe dans l’intemporel. Alors que les récits historiques se situent dans un passé daté, le conte appartient à un passé indéterminé, et en général lointain. Les contes commencent en effet par des expressions telles que « Il était une fois… », « Il y a bien longtemps… », ou encore « En ce temps-là… ». Et bien pour le mythe c’est la même chose. Dans le mythe l’histoire se déroule dans un passé indéterminé. Les chrétiens bien entendu qui ont une conception linéaire et non cyclique de l’histoire s’efforceront de tout dater, en faisant souvent le grand écart pour cela évidemment.
Le mythe originel se situe dans un monde sans cadres géographiques précis. En général, les faits se situent dans des paysages typiques tels que la forêt, la montagne, la savane, etc.que les individus et les peuples évidemment se feront un plaisir d’appliquer à leur propre cas au besoin en recourant à beaucoup d’imagination dans les étymologies.
Ou alors dans un lieu hautement improbable et relevant de la plus pure fantaisie.
Le merveilleux y réside en grande partie dans la présence de personnages surnaturels et d’objets magiques.
Le mythe n’est pas absurde ou insignifiant, il a sa raison d’être. Le problème est que très souvent il ne nous ne reste plus que des fragments, difficiles à déchiffrer. Le mythe est depuis longtemps si ce n’est depuis toujours une énigme qui demeure, et c’est peut-être là son sens premier : donner à réfléchir, donner à rêver.
Contrairement au fantastique moderne ou « chrétien », le mythe n’entretient pas d’ambiguïté entre ce qui existe réellement et ce qui paraît surnaturel. Le mythe ne nécessite aucune justification et se donne souvent pour tel : ce sont des récits qui concernent les dieux.
Dans chaque cas, il y a surnaturel et merveilleux, mais les prodiges ne sont pas identiques, ni les miracles interchangeables ; alors que le fantastique moderne ou “chrétien” manifeste un scandale, une déchirure, une irruption insolite, presque insupportable dans le monde réel, le mythique du moins pour des esprits celtes est un univers qui s’ajoute au monde réel sans lui porter atteinte ni en détruire la cohérence. Les définitions des deux genres sont donc en fait opposées.
Le fantastique ne peut inquiéter que dans un monde moderne réglé par la science ; le mythe relève d’un état de civilisation très ancien où rien encore n’est expliqué.
En revanche, dans le fantastique, le lecteur ne doit pas se sentir d’emblée dans le surnaturel, il doit douter. Le fantastique a atteint son but lorsqu’il provoque un sentiment de malaise chez le lecteur qui découvre un monde inquiétant à mi-chemin entre le monde réel et l’autre monde.
La légende partage avec le mythe le fait d’être avant tout un récit à caractère merveilleux. Dans l’Odyssée, le voyage hors du monde fait surgir des monstres… Dans La Chanson de Roland, les
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Francs sont soutenus par les anges et les Sarrasins par les démons, lors de la bataille de Badr en 624, les musulmans sont soutenus par des milliers d’anges.
Certes les mythes se dégradent en contes à dormir debout et les mythographes les rassemblent en recueils où la grosse farce l’emporte sur le sérieux. Mais ils survivent et leur force d’illocution n’est pas complètement perdue.
Propp et les frères Grimm faisaient des mythes des contes de fées ou réciproquement ; nous laissons aux spécialistes le soin de trancher. Propp, dans sa Morphologie du conte, précise même : « le conte de fées, dans sa base morphologique, est un mythe ».
La légende comme le mythe est un objet de croyance contrairement au conte de fées. Ils sont exemplaires, ils racontent la vie et la mort d’un héros * qui nous montre la voie à suivre.
Cependant, une différenciation s’est faite au cours du temps : les légendes sont localisées, rattachées à un fait historique alors que les mythes au moins dans leur état initial ne se réfèrent à aucune réalité précise et c’est pour cela qu’ils se répandent plus facilement. Le mythe est plus général, plus vaste dans ses sujets alors que la légende s’est particularisée ; elle est plus colorée, plus pittoresque.
Encore une fois ce qui doit faire la différence c’est l’état d’esprit présidant à ces récits : il existe un monde parallèle au nôtre peuplé d’être vivant à cent coudées au-dessus de nous. Il n’existe pas de barrière étanche entre les deux mondes.
Des habitants de l’autre monde peuvent se manifester dans le nôtre et réciproquement des humains peuvent se retrouver dans l’autre.
Le moment privilégié pour les manifestations de ce phénomène tourne autour de la fête de Samon (1er novembre).
Il existe également des lieux plus propices que d’autres à ces contacts.
Il va de soi que ce que nous appelons nous autres pauvres humains monde parallèle doit sans doute en toute bonne logique être mis au pluriel, une des meilleures images dans ce cas étant celle du mille-feuilles (l’être-univers existant est comme un mille-feuilles dont nous n’occuperions qu’un tout petit bout).
Une autre des meilleures images pour évoquer cet autre monde est aussi celle de la ruche avec ses multiples alvéoles, chacune d’elle étant occupée par un dieu ou une déesse constamment occupé à intervenir dans les affaires humaines.
* Répétons-le encore une fois néanmoins. Il va de soi que les dieux pas plus que les anges ou les djinns ne sauraient mourir. S’ils meurent dans nos légendes ce n’est que suite à une convention littéraire accentuée par la christianisation qui a encouragé les populations à ne voir en eux que des hommes, certes sortant de l’ordinaire, mais rien que des hommes néanmoins. D’ailleurs on les voit souvent réapparaître aussitôt dans d’autres légendes. Les dieux par définition ne peuvent pas mourir, sauf peut-être avec le présent cycle. Mais ils réapparaîtront alors sous d’autres noms dans le cycle suivant, car ce sont essentiellement des forces de la nature ou de l’âme humaine.
À part ça nous sommes bien incapables d’en dire plus. À chacun de voir !
Nos ancêtres donc racontaient des mythes. En voici quelques-uns, voici quelques-uns de leurs sujets, de leurs objets.
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L’INTERPRETATIO CELTICA.
On appelle interpretatio le fait de comparer une divinité à son équivalent dans la mythologie que l’on a faite sienne, en étant élevé dans telle culture plutôt que dans telle autre. Ce mécanisme consiste donc à opérer une identification entre des dieu-ou-démons d’origine différente, sur la base d’une comparaison le plus souvent fonctionnelle.
« Qui serait assez insensé, assez dépourvu d’esprit pour nier l’existence d’un Dieu unique, d’un Dieu sans commencement et sans lignée, père tout puissant et magnifique de tous ? Nous adorons sous des noms différents ses perfections répandues dans le monde qui est son ouvrage, car son nom véritable nous est inconnu, à nous tous tant que nous sommes ; car Dieu est un nom commun à toutes les religions ; et tandis que la diversité de nos prières s’adresse en quelque sorte à chacun de ses membres en particulier, il semble que notre adoration le comprend tout entier » (Maxime de Madaure).
Il n’existe pas de culture homogène. Toutes les sociétés, au cours de leur histoire, ont connu diverses influences culturelles, plus ou moins nombreuses selon l’ampleur et la profondeur des contacts qu’elles entretenaient avec leurs voisines. Le syncrétisme religieux est donc un phénomène inévitable et il s’est notamment manifesté dans les sociétés anciennes où les religions polythéistes étaient, par nature, particulièrement perméables aux emprunts et aux assimilations.
Interpretatio graeca et interpretatio romana sont deux locutions latines qui désignent la propension des Grecs et des Romains de l’Antiquité à assimiler les divinités des barbares à leurs propres divinités. L’interpretatio graeca/romana est surtout connue par la « fusion » voire « confusion » des dieux grecs et romains.
Ceux qui n’avaient pas d’équivalence dans la religion romaine et/ou grecque étaient souvent assimilés par les Romains. On peut citer dans ce cas par exemple Apollon, dieu grec, directement assimilé au panthéon romain, ou bien la déesse celte Épona, déesse des chevaux, adorée par les militaires romains. Chez les Égyptiens ce sont Isis, Osiris, Anubis et Horus (sous sa forme d’Harpocrate).
Le mouvement a été initié par Hérodote au Ve siècle avant notre ère qui compare les dieux égyptiens et les dieux grecs. Le terme interpretatio romana a été utilisé pour la première fois cinq siècles plus tard par Tacite au Ier siècle. La bonne connaissance des dieux romains permet d’en savoir un peu plus sur les dieux des autres peuples, même si parfois la comparaison est hasardeuse.
On utilise aussi le terme d’interpretatio romana pour l’assimilation aux dieux romains, des dieux barbares par les premiers chrétiens…
Dans une homélie appelée De falsis deis, Wulfstan II, archevêque d’York assimile encore au XIe siècle Jupiter à Thor et Mercure à Odin.
« Maintenant les Danois disent dans leur hérésie que Jupiter, appelé Thor, est fils de Mercure, appelé Odin. Mais ils n’ont pas raison. Car l’on peut lire dans les livres, aussi bien chrétiens que païens, que Jupiter est le fils de Saturne ».
Le malheureux exemple de Thor montre les limites de l’utilisation de l’Interpretatio Romana ou Graeca pour avoir de la part des chrétiens des renseignements précis sur des dieux “barbares”.
Nous allons survoler l’intérêt, et aussi les limites, de l’interpretatio romana. Mais il faut bien tenir compte également avant du phénomène inverse, l’interpretatio celtica, fondement de la plupart des analyses de l’archéologue français Jean-Jacques Hatt. Parallèlement à l’interprétation romaine des divinités celtiques, il se produisit en effet, dans l’esprit indigène, une interprétation druidique (l’interpretatio celtica) des dieu-ou-démons gréco-romains. De ce fait, le rapprochement à faire entre les deux religions s’est effectué dans les deux sens, mais de façon approximative, avec des différences selon les lieux. La langue latine et l’art gréco-romain apportaient aux indigènes des noms et des images de divinités. Ils les ont utilisés, au gré de leurs préférences, au hasard des ressemblances… et tel grand dieu-ou-démon romain a été assimilé, ici à tel dieu-ou-démon druidique, là par contre à tel autre. Mais ne nous trompons pas, lorsqu’un Britto-Romain fait référence au dieu-ou-démon Mercure, il ne s’agit pas du Mercure romain, mais d’une divinité celtique assimilée nominalement à Mercure. Sur les quelque 500 divinités connues, les 3/4 n’apparaissent qu’une seule
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fois. Dans ces conditions, il est très difficile de s’y retrouver, car il est rare que deux divinités celtiques et romaines se superposent totalement. Tout s’est passé comme si les Celtes avaient gardé leurs propres dieu-ou-démons, mais en leur donnant des noms de dieu-ou-démons romains. On constate en effet que certains dieu-ou-démons portent un nom romain, mais sont représentés dans le costume indigène, que d’autres portent à la fois le nom celte et le nom romain accolés, ou le nom romain auquel on a surajouté une épithète celte ; que d’autres encore ont leur parèdre (équivalence féminine appelée shakti par les hindous) dans l’autre panth-éon (un dieu-ou-démon celte est par exemple associé à une déesse ou démone, ou fée, romaine, ou vice-versa). L’art traduit cette ambivalence, soit les œuvres qui représentent les dieu-ou-démons sont totalement classiques (gréco-romaines), soit elles demeurent de facture indigène, ou sont composites.
Une autre des caractéristiques de la pensée druidique est sa tendance non pas à dédoubler, mais à carrément détripler, les choses. Cette façon de voir est illustrée par le nombre impressionnant de statues à trois têtes que l’on a retrouvées ici et là. Sur le Continent il semble que la région de Reims en France détienne le record des découvertes. Sur le pilier dit des nautes parisiens figure aussi le fameux Termagant, le taureau aux trois grues, le tarvos trigaranos. Il est permis de penser que ce taureau était primitivement un taureau tricéphale. Et il est permis aussi de penser que ce pilier de pierre était primitivement un tronc d’arbre.
Les personnages de ces triades, d’après le Français Alexandre BERTRAND, ne sont pas fixés, la composition varie constamment. Le dieu-ou-démon tricéphale qui apparaît sous un aspect sur un monument, est figuré d’une façon différente dans une autre localité. Ces différences tiennent à ce que le dieu-ou-démon tricéphale n’était pas un dieu-ou-démon particulier, mais bien le dieu-ou-démon par excellence, réunissant tous les autres dieu-ou-démons dans sa personne ; et pouvant donc endosser toutes les formes divines existantes.
Les monuments à trois visages présentent tantôt trois faces complètes autour d’un même bloc, tantôt une face centrale à laquelle sont juxtaposées deux moitiés de faces ; chacun des deux yeux centraux faisant paire avec un autre œil situé sur le côté, ce qui est le cas par exemple du monument retrouvé à Reims.
Les monuments à trois têtes se subdivisent en deux séries, la première : une divinité à trois visages partant d’un même cou ; et la seconde dont la tête centrale est figurée avec deux têtes plus petites collées à la hauteur des oreilles, à niveau égal ou différent.
Il ne semble pas qu’il y ait de différence entre les représentations dans leur conception mythique, tout au plus une approche différente dans l’exécution du monument.
La plupart sont de provenance septentrionale, ainsi que nous l’avons dit, et une bonne quinzaine de ces représentations sur pierre ont pour origine le territoire des Rémi. L’étude de ces dernières permet de dire que ce sont là des représentations archaïques.
Il est impossible de dire si la figure tricéphale représente une même divinité, ou si plusieurs dieu-ou-démons différents se cachent sous une même représentation ; car la figure est tantôt imberbe, tantôt barbue. Le dieu-ou-démon tricéphale lui-même semble une représentation réduite de la triade. Mais que dire lorsque l’on voit sur les monuments figurés, le tricéphale encadré de deux autres dieu-ou-démons ? On ne peut plus parler ici de triade, car la triplicité n’est plus respectée.
Tous ces éléments (que nous venons de survoler) permettent néanmoins de croire, que ce soit au travers des représentations figurées, ou au travers des textes irlandais ; à l’existence, chez les très-sachants de la druidiaction (druidecht), d’une conception suivant laquelle un même être divin pouvait unir en sa personne trois personnes différentes. Cas par exemple des trois fils de Tuireann (Brian, Iuchar et Iucharba) dits aussi les trois dieux de Dana, ou Danu (bia) en Irlande).
Pour la petite histoire, rappelons que le dieu-ou-démon tricéphale se retrouve aussi dans l’Inde védique, ainsi que dans l’art chrétien. La collégiale Notre-Dame-en-Vaux de Châlons-en-Champagne, possède par exemple une des plus belles figures tricéphales qui soient, sur le mur intérieur de la chapelle nord, près du chœur. Pour la voir, il faut, après avoir longé le déambulatoire, prendre un petit passage privé de lumière, et avant de déboucher sur la chapelle, lever la tête vers la droite. Le triple visage est là, quatre yeux, trois nez, trois bouches. La cathédrale de Bayeux en Normandie possède, elle aussi, une très belle représentation tricéphale, visible par tous, pour peu qu’on lève les yeux vers le triforium.
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L’INTERPRETATIO ROMANA.
Ainsi que nous l’avons vu plus haut, on appelle interpretatio le fait de comparer une divinité à son équivalent dans la mythologie que l’on a faite sienne, en étant élevé dans telle culture plutôt que dans telle autre. Ce mécanisme consiste donc à opérer une identification entre des dieu-ou-démons d’origine différente, sur la base d’une comparaison le plus souvent fonctionnelle.
Les implications d’un tel mécanisme pour la compréhension des conceptions religieuses des Anciens sont d’ailleurs particulièrement intéressantes. Le jeu des équivalences entre divinités implique en effet que l’on conçoive une certaine permanence du divin, par-delà les différences ethniques. Les dieu-ou-démons sont ressentis comme étant potentiellement présents partout, et identifiables. Ce qui change d’un peuple à l’autre, c’est le nombre des dieu-ou-démons identifiés, ainsi que la forme linguistique de leur dénomination. Ce qui passe éventuellement d’un peuple à l’autre, par contre, c’est la capacité à identifier un dieu-ou-démon déjà potentiellement présent. Et dans ce cas, l’identification aboutit à des comportements rituels déterminés, conformes à la tradition, c’est-à-dire, en grec, au nomos de ceux qui les accomplissent. C’est d’ailleurs dans cette référence au nomos que se situe la limite de ce qui pourrait apparaître, chez les Grecs, comme une grande « tolérance religieuse ».
Le même phénomène de l’interpretatio caractérise aussi la civilisation romaine. Tacite est le premier à utiliser l’expression. Mais ce phénomène était déjà connu auparavant. Quand César parle des dieu-ou-démons celtes, il n’a aucun mal à leur donner des noms romains (Mercure, Mars, Apollon, Jupiter…). Il reconnaît donc dans les dieu-ou-démons des très-sachants de la druidiaction (druidecht), des traits qui lui permettent d’établir quels sont leurs « correspondants » à Rome. Les Romains étaient d’ailleurs habitués depuis longtemps à traduire en termes latins les divinités étrangères qui s’installaient chez eux. À un moment de leur histoire, par exemple, la déesse-ou-démone, ou fée, grecque, Leucothéa (« la blanche écume de la mer ») a été acclimatée en Italie en étroite association avec plusieurs divinités locales féminines, dont Mater Matuta. Et cette « traduction » s’élabora sur un socle de caractères communs aux deux déesse-ou-démones, ou fées si l’on préfère ce terme (caractère maternel, rapport aux enfants, proximité à l’eau, etc.).
Il faut cependant souligner que toutes ces « traductions » sont d’abord et avant tout des opérations intellectuelles. Elles ne sont pas imposées par les autorités religieuses, et ne modifient pas le culte.
L’exemple le plus détaillé de cette interpretatio romana des dieu-ou-démons druidiques est donc celui que nous fournit le commentaire de Jules César sur les guerres qu’il a menées au-delà des Alpes (de son point de vue), avons-nous dit.
« Le dieu-ou-démon que les Celtes honorent le plus est Lug (Mercure sous la plume de César) ; il a un grand nombre de statues, ils le regardent comme l’inventeur de tous les arts, comme le guide des voyageurs et comme présidant au commerce au sens large. Après ils adorent Belin/Belen (Apollon sous la plume de César) Noadatus/Nuada/Lludd (Mars sous la plume de César), Taran/Toran/Tuireann (Jupiter sous la plume de César) et la bélisama Brigindo Brigantia Brigitte (Minerve sous la plume de César). Belin/Belen (Apollon sous la plume de César) guérit les maladies, noïba Brigitte (Minerve sous la plume de César) enseigne les rudiments de l’industrie et des arts ; Taran/Toran/Tuireann tient l’empire du ciel, Noadatus/Nuada/Lludd/celui de la guerre. C’est à lui, quand ils ont résolu de combattre, qu’ils font vœu de consacrer les dépouilles de leurs ennemis vaincus… Ils se vantent d’être issus de Dis Pater, tradition qu’ils disent tenir des druides. C’est pour cette raison qu’ils mesurent le temps, non par le nombre des jours ; mais par celui des nuits…» (César. B. G. Livre VI, 17, 18).
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LIMITES ET PROBLÈMES
DE CETTE INTERPRETATIO ROMANA.
Le gros problème induit par ces assimilations faites par les Romains est qu’elles sont très approximatives. Quelques exemples, quelques cas (mais il y a en a cent autres).
Dans la péninsule ibérique, la divinité celtique masculine Banda fut assimilée à une déesse ou démone, ou fée si l’on préfère ce terme, dans la statuaire romaine. Du coup, on ne sait plus très bien s’il s’agit d’une déesse ou démone ou d’un dieu-ou-démon ; l’épigraphie utilise systématiquement le masculin alors que l’iconographie nous le présente sous des traits féminins. Dans l’une de ces représentations par exemple, cette entité porte une couronne et ses attributs évoquent la fonction de la déesse Fortune.
Même phénomène en Grande-Bretagne où l’entité divine nommée « Latis » dont le sexe n’avait jamais préoccupé jusque-là les très-sachants de la druidiaction (druidecht) ; s’est trouvée tout à tour considérée comme mâle (deo latis) ou comme femelle (dea latis), suivant les inscriptions en latin.
DEO LATI LVCIVS VRSEI : au dieu Latis (de la part de) Lucius Ursei. Autel découvert à Burgh-by-Sands (Abavalla).
DIE LATI : à la déesse Latis. Dédicace trouvée dans le camp romain de Birdoswald.
Autre problème dû à l’interpretatio romana.
L’appellation classique de Mars recouvre en réalité trois types différents de divinités celtiques.
A Des divinités locales tribales du genre élémental.
B Le dieu-ou-démon Noadatus. En Irlande Nuada Airgetlàm (« à la main d’argent »), roi des enfants de la déesse ou démone, ou fée si l’on veut, Dana, ou Danu (bia). Il ne combat pas en personne, mais « on ne gagne pas de bataille sans lui ». Le roi représente, en tant que « moteur immobile », l’aspect régulateur et calme de la fonction guerrière. Son attribut est le « Glaive (cladibo) de lumière », un des quatre talismans rapportés des Îles au nord du Monde. Il est « le Dispensateur » (sens du nom Noadatus), et le garant de la prospérité du pays. L’identification à Mars est confirmée par une inscription dédiée à Mars Nodons, retrouvée en Grande-Bretagne. L’équivalent gallois est Lludd (dérivé de Nudd).
C. Le dieu-ou-démon appelé Ogmios. Champion de la tribu des enfants de la Déesse-ou-démone Dana ou Danu (bia) en Irlande, sous le nom d’Ogma, le dieu-ou-démon aux liens, équivalent du védique Varuna. Ogmios est le conducteur des âmes/esprits le chef des morts, celui dont on ne pouvait prononcer le nom. C’est à lui qu’étaient vouées les armes et les armures des ennemis tués au combat. Ogmios est la partie sombre de la grande divinité souveraine, dont le Suqellos appelé Dagda en Irlande, ou Gurgunt = Gargant sur le Continent est la partie claire.
L’appellation Mars confond donc, sous un même nom, ces trois types différents de divinités, pourtant bien distingués par les très-sachants de la druidiaction (druidecht).
Les traces de ces trois genres de dieu-ou-démons bien différents demeurent d’ailleurs nettement perceptibles dans les épithètes attribuées à « Mars » durant l’occupation romaine. Avec des surnoms proprement militaires : Belatucadrus « Beau quand il tue », Caturix « Roi du Combat », Budenicus « Victorieux », Segomo « Vainqueur », Mullo « Au tas de butin », Latobius « Héros », Rudianus et Rudiobus « Rouge » ; des noms typiquement royaux, comme Albiorix « Roi du Monde », Nabelcus « Maître, Seigneur » (étymologiquement : « moyeu, centre ») ; et des noms purement locaux ou régionaux (voir les teutates).
La triade composée par la catégorie des dieu-ou-démons tribaux du genre teutates d’une part, et par Noadatus ou Ogmios d’autre part ; était irréductible à toute traduction correcte en latin parce que, pour les Celtes la guerre était un ensemble de combats singuliers ; enfin parce que leurs rois conduisaient les guerres, non pas en combattant eux-mêmes personnellement, mais en stratège chargé ensuite de la répartition du butin.
En Espagne, dans la région de Cadix, l’interpretatio romana a également trahi la pensée druidique authentique en faisant de l’éon (aiu) appelé par nos ancêtres Neto/Neith/Neit/Net, un vulgaire équivalent du dieu-ou-démon de la guerre romain.
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Macrobe. Saturnales I, 19,5. « Puisque Liber-Pater est le soleil, et que Mars est le même dieu-ou-démon que Liber-Pater, qui peut douter que Mars ne soit le même dieu-ou-démon que le soleil ? Les Accitains, nation espagnole, honorent très religieusement, sous le nom de Néto, une représentation (simulacrum) de Mars ornée de rayons ».
Alors qu’il s’agissait pourtant de bien plus que cela pour les Accitani en question. À moins, bien sûr, qu’il ne s’agisse là encore d’un cas local de dégénérescence de la spiritualité druidique. Cet éon était en effet bien connu des Celtibères, puisque toute une ville du sud-ouest de l’Espagne lui était consacrée (Netobriga).
Notons à ce sujet que le même genre de problème existe avec l’interprétation chrétienne ou laïque d’Allah.
Il existe d’autres exemples montrant à quel point l’interprétation romaine des dieu-ou-démons druidiques fait problème.
César ne mentionne par exemple qu’une seule déesse ou démone, ou fée si l’on préfère ce vocable, qu’il rebaptise Minerve. Une seule déesse ou démone, ou fée, pour au moins quatre dieu-ou-démons dans son organigramme. Il s’agit d’une situation exactement semblable à celle des Pandavas de l’hindouisme qui, à eux cinq, n’ont qu’une seule épouse, la belle Draupadi.
N.B. Les Pandava sont les cinq fils de Pandou. Yudhishthira, Bhima, Arjouna, Nakula et Sahadeva. Ils sont en conflit avec leurs cousins les Kauravas. Cet épisode est conté dans la Bhagavad Gîtâ, l’un des livres du Mahâbhârata. Ce texte-fleuve, écrit en vers entre le Ve siècle avant notre ère et le IIIe siècle, retrace les luttes fratricides de deux clans au sein d’une même famille de divinités. Ses dix-huit chants sont d’ailleurs à l’origine des mythes fondateurs de la culture et de la civilisation indiennes. Le chant premier témoigne de l’ambition englobante du poème et de son orientation philosophique.« Ce qui est dit à propos de la vertu, des richesses matérielles, des plaisirs, et du salut, peut se trouver ailleurs ; mais ce qui ne figure pas dans ce livre ne peut être trouvé ailleurs » (section LVII).
Parmi la multitude des récits que recèle le Mahâbhârata, l’un des plus originaux est celui du mariage de Draupadî. C’est un cas très rare de polyandrie dans la mythologie. Lors d’une de ses expéditions, Arjouna, l’un des cinq frères, a fait la conquête de Draupadî, la plus belle femme du monde. Elle est l’incarnation de Shrî, déesse ou démone, ou fée, de la fortune et de la splendeur du royaume. Au retour d’Arjouna, Kountî, la mère de celui-ci, convaincue que c’est de la nourriture qu’il rapporte, l’invite à partager son butin avec ses frères. La parole d’une mère étant sacrée, Draupadî doit donc devenir la femme des cinq frères Pândava. Un régime matrimonial fort scandaleux pour la morale des anciens Aryens, sinon pour la nôtre.
Bon, de toute façon, les très-sachants de la druidiaction (druidecht) ont été plus logiques, plus soucieux d’harmonie, puisqu’ils ont réduit ce nombre de dieu-ou-démons à 4, ce qui permet à la déesse ou démone, ou fée, d’être au centre.
La trifonctionnalité n’étant guère dans l’esprit celte, il n’existe pas non plus de dieu ou démon unique de la médecine. Il en existe plusieurs contrairement à ce que suggère le texte de César.
D’après César en effet, c’est Belin/Belen (appelé par lui Apollon) qui était censé chasser les maladies. Mais la fonction médicale a toujours été en réalité, en terre druidique, assumée aussi par différents autres dieu-ou-démons guérisseurs, et ne fut jamais réservée à une seule entité divine, comme dans l’hérésie irlandaise par contre (par hérésie, nous voulons seulement signifier une déviation un peu trop poussée par rapport aux grandes lignes du druidisme continental antique) avec les enfants de Diancecht : Armedia, Miacos et compagnie.
Des élémentals de rivières comme la Sequana. Des élémentals de sources ou de puits sacrés. Des élémentals associés aux sources thermales (Boruo/Bormo/Bormanus). Des élémentals associés au pouvoir guérisseur du soleil (Grannos). Et Taran/Toran/Tuireann était aussi, parfois, évoqué pour la guérison concrète des maladies concernant la vue physique. On comprend le raisonnement des malades : ils invoquaient tout naturellement, pour la sauvegarde de leur vue, le dieu-ou-démon qui personnifiait la lumière.
Autre erreur due à l’interpretatio romana (même le grand archéologue français Jean-Jacques Hatt est tombé dans le piège), l’existence d’un dieu-ou-démon appelé Toutatis ou Teutates.
Contrairement au panth-éon gréco-romain, très structuré, le panth-éon ou plérôme celte apparaît en effet plus chaotique ; et selon les tribus, c’est l’une ou l’autre des divinités qui passe au premier plan. Certains témoignages (et notamment la Pharsale de Lucain) laissent en effet entendre qu’il existe, ou
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a existé, une entité divine appelée Toutatis/Teutates. Or cela est complètement erroné ! Il n’existe pas et il n’a jamais existé, de dieu-ou-démon druidique appelé Toutatis/Teutates. Ce terme n’est pas un nom propre, mais un nom commun signifiant seulement tribal ou national, et désignant des divinités locales, ou au mieux régionales, dont nous ne connaissons pas le nom (propre). Il pourrait même s’agir d’un adjectif utilisé pour éviter de prononcer le nom du dieu-ou-démon en question. Bien des dédicaces qui lui sont attribuées sont donc en fait destinées à des divinités locales, et non à un dieu-ou-démon panceltique unique. Ce dieu-ou-démon n’était pas obligatoirement le même d’une tribu à l’autre. Chaque tribu-État se distingue par un panth-éon ou plérôme différent, un dieu-ou-démon principal différent : sa divinité tutélaire ou « poliade » (pour reprendre un terme grec), son dieu-ou-démon toutatis ou teutatès.
Ce qu’il faut bien comprendre, quand on parle du monde celtique antique, c’est son manque total d’unité politique, et sa division en une multitude de cités, chacune ayant sa religion. Mais quand on parle de cité dans ce cas-là, on ne désigne pas nécessairement une ville ou une agglomération, mais une communauté, humaine, autonome. Une « cité » celte pouvait très bien d’ailleurs ne pas avoir de centre urbain. Pour un observateur de l’époque, la cité, c’était d’abord et avant tout les hommes qui composaient cette tribu-État. La meilleure des preuves en est que de nombreuses villes, avec la romanisation qui a suivi, ont perdu leur nom d’origine pour n’être plus désignées que par le nom de la tribu-État dont elles étaient la capitale. C’est ainsi que la vile principale des Cantii (anciennement Durovernum Cantiacorum) devint Canterbury (Cantwarebyrig, signifiant la « forteresse des hommes du Kent ») tout comme Paris fut la ville des Parisii. Ces tribus État se sont construites lentement, par synœcisme, association de plusieurs villages proches autour d’un centre commun : lieu souvent dominé par une colline, et qui devient leur forteresse. Le caractère autonome de ces cités fut favorisé par le relief géographique, qui limitait les communications, renforçant ainsi leur autarcie. Chaque tribu État donc avait son dieu-ou-démon teutates, garant de son intégrité territoriale, et reconnaissait en lui son père fondateur. Il était par conséquent le dieu-ou-démon protecteur de la tribu, y compris au sens guerrier du terme, et on lui consacrait les dépouilles des ennemis vaincus. Ce grand nombre de tribu-États indépendantes, fut d’ailleurs la principale cause des guerres et de la rareté de toute action panceltique (exception notable : Ambicatus ou Arthur). Ce caractère personnel des dieu-ou-démons celtes explique aussi dans une très large part le développement ultérieur de la druidiaction. Les dieu-ou-démons du druidisme peuvent s’attacher à un lieu ou à une communauté.
L’interpretatio romana n’a pas toujours donné uniformément et partout le même résultat.
Prenons un exemple. La divinité qualifiée de « cocidius » (gallois coch) ce qui signifie « le rouge » au sens de « sanglant, qui a les mains couvertes de sang ». Cet adjectif ou cette épithète peut concerner un dieu-ou-démon chasseur aussi bien qu’un dieu-ou-démon guerrier, voire même aujourd’hui, si l’on voulait moderniser la notion, également un tueur en série. On retrouve donc cet adjectif aussi bien attribué au dieu de la guerre ou souverain, romain, qu’à un dieu-ou-démon de la chasse… également romain.
La principale inscription vient de Bewcastle dans le Cumberland, où deux plaques en argent à l’effigie du dieu-ou-démon, et dédiées en son honneur, ont été découvertes.
DEO SANCTO COCIDIO ANNIVS VICTOR CENTVR LEGIONIS.
Au saint dieu ou démon Cocidius, Annius Victor, centurion de la légion.
DEO MARTI COCID SANCTO ALIVS VITALIANVS.
Au dieu ou démon Mars Cocidius, Aelius Vitalianus.
DEO DO COCDIO AVNTINVS.
Au temple du dieu-ou-démon Cocidius, Auntinus.
Une inscription trouvée à Birdoswald en Cumbrie l’assimile à Jupiter, une autre trouvée à Risingham dans le Northumberland l’assimile au dieu-ou-démon romain Sylvain, par interpretatio romana.
Le Fanocodi de la Cosmographie anonyme de Ravenne, situé entre MAIA (Bowness on Solway) et BROCAVVM (Brougham, Cumbrie) est peut-être ce Bewcastle dont six autels sur neuf sont consacrés à Cocidius.
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EXTENSION
(Cueillette du gui des principes).
Ce processus mental peut également concerner outre les noms propres ÉGALEMENT LES NOMS COMMUNS. Les êtres intermédiaires entre Dieu et les hommes peuvent par exemple être considérés comme grosso modo équivalents QUELS QUE SOIENT LEURS NOMS anges djinns dieux.
« La méthode essentielle », en histoire des religions, c’est « la méthode comparative, où l’on supplée à l’insuffisance des renseignements sur l’histoire continue d’une croyance ou d’une institution, dans une race et une société, par des faits empruntés à d’autres milieux et à d’autres temps. » (E. Goblet d’Alviella au Troisième Congrès international d’Histoire des Religions, à Oxford, en 1908).
Cette définition met bien l’accent sur la nature et sur la finalité de nos interprétations tous azimuts : il s’agit d’une méthode qui permettra de mieux comprendre le druidisme antique en comblant les lacunes de la documentation sur cette religion par des éléments provenant d’autres religions.
On peut d’ailleurs aussi faire remonter à l’Antiquité classique les origines d’un tel comparatisme. Lorsque les Grecs et les Romains pratiquaient réciproquement l’interpretatio Graeca ou Romana, lorsque ces mêmes peuples désignaient ainsi que nous l’avons vu par le nom de leurs propres dieux des divinités égyptiennes ou phéniciennes, celtiques ou germaniques, lorsque les graveurs de miroirs étrusques représentaient des mythes grecs – comme la naissance d’Athéna – en donnant à tous les personnages des noms étrusques, tous affirmaient plus ou moins consciemment qu’ils reconnaissaient des similitudes entre Zeus, Jupiter, Tinia, Amon, Baal, Thor… Mais, à l’occasion, ce sont les noms locaux qui pouvaient aussi apparaître. À cet égard, des textes particulièrement significatifs sont dus à Apulée, qui a très bien vu que la Grande Déesse originelle de la Méditerranée, aux pouvoirs universels, était représentée, à époque historique, par diverses divinités dans les différents pays de la région. Il s’agit d’abord d’une invocation du héros Lucius à la « Reine du Ciel », qu’il désigne sous des noms divers (Met., 11, 2, 1-4)… il s’agit ensuite de la réponse de ladite déesse, qui reprend diverses appellations, avant de révéler son véritable nom… « Me voici, Lucius, émue par tes prières, moi la mère de la nature, la maîtresse de tous les éléments, l’origine première des générations, la plus haute des divinités, la reine des Mânes, la première des habitants du ciel, la figure uniforme des dieux et des déesses, qui gouverne au gré de mes volontés les sommets lumineux du ciel, les souffles salutaires de la mer, les silences éplorés des enfers ; moi, dont le monde entier vénère la puissance unique sous des aspects multiformes, avec des rites divers, sous des noms multiples. Ainsi les Phrygiens, premiers-nés des hommes, m’appellent la mère des dieux Pessinontienne, ici les Athéniens autochtones… »
La réflexion dépasse les correspondances univoques admises par tout le monde, en mettant simultanément en évidence les similitudes entre ces déesses – qui permettent de les rattacher à un archétype unique – et les particularités qu’elles peuvent présenter en divers lieux du monde antique. Les observations des modernes ne peuvent que confirmer la justesse du point de vue d’Apulée.
La fécondité de la recherche comparatiste à base linguistique et les dangers que nous avons signalés plus haut d’un comparatisme « sans frontière » ne doivent cependant pas dissuader d’explorer d’autres formes de comparatisme, en mettant notamment en jeu des populations unies non pas nécessairement par une origine commune (et éventuellement très éloignées les unes des autres dans le temps et dans l’espace), mais par une proximité géographique et chronologique. Comparer des populations voisines dans le temps et dans l’espace peut s’avérer fécond. Lorsqu’existent des conditions comparables sur le plan de la géographie et du climat, de la faune et de la flore, on peut s’attendre à voir apparaître des modes de vie similaires, et donc aussi des éléments semblables dans la vie religieuse. On sait bien que la religion est très liée dans la structure de son calendrier liturgique au cycle des saisons, qui commande celui des semailles et des récoltes, des saillies et des mises bas du bétail, du début et de la fin des guerres, des possibilités d’échange, de commerce entre peuples voisins. Et ces contacts eux-mêmes, pacifiques ou guerriers, avec les transferts de population auxquels ils peuvent donner lieu – qu’il s’agisse de capture de prisonniers ou de mariages –, sont également des facteurs d’influence réciproque entre populations voisines. De ce point de vue, Rome
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peut fournir un bon poste d’observation. Le rapprochement entre des éléments inexplicables à Rome par l’héritage indo-européen et des rituels mieux conservés dans d’autres sociétés méditerranéennes permet ainsi de mieux comprendre ce qui s’est passé dans le Latium. Au comparatisme « linguistique » – et en quelque sorte « généalogique » – se superpose ainsi un comparatisme fondé sur des proximités géographiques et chronologiques. L’exemple de Rome montre que ces deux formes de comparatisme ne sont pas exclusives l’une de l’autre, mais au contraire qu’elles sont également légitimes et complémentairement productives (Gérard CAPDEVILLE Université de Paris IV – Sorbonne).
COMPARAISON N’EST PAS RAISON, MAIS PERMET DE REMETTRE EN SELLE LA RAISON.
Notre pari un peu fou à nous très sachants d’aujourd’hui, est que…… « Ce n’est qu’en usant d’un large système d’équivalences que l’on peut dépasser l’altérité radicale du druidisme antique ».
Mais cet élargissement permet une libération accrue de nos actuels carcans par évacuation du satanisme ou des diverses croyances en l’action du Diable en ce monde et par la remise en selle de la raison dans le débat. Donc un anti racisme intégral.
« L’esprit d’observation est une marche sûre : il rassemble les faits pour les comparer, et les compare pour les mieux connaître. Les sciences naturelles ne sont en somme qu’une suite de comparaisons. Comme chaque phénomène particulier est ordinairement le résultat de l’action combinée de plusieurs causes, il ne serait pour nous qu’un profond mystère : mais en le rapprochant des phénomènes analogues, ils se renvoient les uns les autres une mutuelle lumière » (Joseph-Marie De Gérando Considérations sur les diverses méthodes à suivre dans l’observation des peuples sauvages, Paris, 1800).
D’Hérodote, le père de la religion comparée, à Friedrich Max Müller (1823-1900) le fondateur de la mythologie comparée, la méthode universaliste est celle qui a produit le plus de résultats, George Dumézil s’étant limité au cadre des langues indo-européennes et Claude Lévi-Strauss ayant proposé une vaste et impressionnante mytho-logique animée par la variation et la transformation continuelle de récits dont la matière sémantique serait organisée en codes et en oppositions binaires renvoyant en définitive aux structures universelles de l’esprit humain.
Le penseur d’extrême droite à la mode en France aujourd’hui chez les gens gentils et intelligents, disons chez les républicains démocrates de gauche et tout et tout, sur un sujet aussi fondamental que la nation, reste néanmoins Renan (comprenne qui pourra) alors que son comparatisme religieux assigne à l’esprit des langues indo-européennes un rang supérieur à celui des langues sémites (Histoire générale et systèmes comparés des langues sémitiques, Paris, 1855).
Conformément aux théories romantiques allemandes de l’époque, selon lesquelles les langues sont étroitement liées à l’esprit de chaque peuple (ce qui est vrai en grande partie), Renan y transpose en effet toute une série de considérations linguistiques sur un plan ethnoculturel. Sous sa plume les Sémites se reconnaissent presque exclusivement « à des caractères négatifs » puisqu’ils ne possèdent ni mythologie, ni science, ni philosophie, ni curiosité, ni objectivité, ni sentiment des nuances, ni arts plastiques, ni épopée, ni vie politique, ni organisation, ni variété. « La race sémitique – écrit Renan – comparée à la race indo-européenne représente réellement une combinaison inférieure de la nature humaine ». Renan précisera et clarifiera dans ses œuvres suivantes, surtout après 1870, ses positions sur les questions « sensibles » de la race et de l’antisémitisme, en enrichissant ses arguments d’une profondeur qui manque à son Histoire des langues sémitiques. La conception qui fait du monothéisme une intuition soudaine et immédiate des peuples sémitiques (caractéristique, au demeurant, que Renan considère d’une importance capitale pour le progrès de l’humanité) restera néanmoins toujours l’idée directrice de son œuvre alors que tout prouve qu’il y a eu évolution historique – du polythéisme au monothéisme – des religions sémitiques en question.
Tout langage humain étant par définition limité on ne saurait parler en termes scientifiques à la Leibniz des états mystiques. L’exercice relève plutôt de la poésie.
L’interprétation tous azimuts généralisée sera donc un des axes de travail essentiel de cette étude qui mettra un peu sur le même plan les hypostases et les hénades et les avatars, les awenyddion les illuminati et les ishraqioun, Dieu et le Destin, les dieux et les anges, lon laith xvarnah et belissama, etc.…
Sa finalité essentielle reste la compréhension d’une religion réelle, existant ou ayant existé, dans toute sa diversité.
Mais il n’est pas interdit de se poser aussi la question d’un système qui serait valable pour plusieurs de ces religions.
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LES DIEU-OU-DÉMONS (SOUTERRAINS OU AÉRIENS) INFÉRIEURS (CHTONIENS).
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L’AUTRE MAGIE DE LA VIE.
Objets inanimés avez-vous une âme ??
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir, le mouvement général d’évolution de la religion ou de la spiritualité druidique a été d’aller vers une plus en plus grande personnalisation des éléments ou des forces naturelles. Mais en ce domaine les anciens druides ne sont jamais allés aussi vite et aussi loin que les poètes grecs et leur polythéisme débridé tous azimuts.
Dans la spiritualité des druides de la même époque ou dans leur vision du monde, ce que nos frères en paganisme allemands appellent weltanschauung, il y avait encore de fortes traces d’animisme et il existait donc encore des éléments ou des forces naturelles n’ayant pas fait l’objet d’un anthropomorphisme aussi poussé qu’en Grèce, tout juste dotés de mouvements de réaction allant dans le sens d’une sorte de justice immanente avant la lettre *.
Chez les Celtes en effet, les forces de la nature ne sont pas transformées, comme déjà la plupart du temps dans la Grèce homérique, en personnages à forme humaine qui des hommes ont les idées ainsi que les passions ; exemples : Zeus, le ciel ; Poséidon, la mer ; Aidôneus, la terre, et tous les autres.
De l’action divine du destin par l’intermédiaire des causes secondes que sont les éléments.
Ceux qui plus tard, ont appelé « jugement de Dieu » différents duels judiciaires croyaient à la justice d’un être supérieur unique ayant créé le monde, etc., etc., et comptaient trouver, dans le résultat de ces duels, une manifestation de cette justice aussi infaillible et toute puissante qu’indirecte.
Les druides antiques n’ignoraient pas cette idée, mais ils croyaient aussi que les éléments pouvaient concourir à cette justice divine.
Dans la spiritualité druidique, chacun des éléments constitutifs du monde matériel que nous voyons reste un être mystérieux, un élémental qui entend nos invocations et qui voit nos actes, c’est d’eux que dès cette vie, quand on a provoqué leur intervention dans les affaires humaines, on reçoit la punition méritée par ceux qui n’observent pas leurs engagements.
Exemple l’empereur (roi suprême) d’Irlande, contemporain de saint Patrice, au cinquième siècle de notre ère, Loégairé. Il prit un jour l’engagement de ne plus exiger le Boromé, l’impôt prélevé sur les atectai (sur les dhimmi diraient les théologiens musulmans). Il donna comme garants de sa parole tous les éléments : le soleil et la lune, l’eau et l’air, le jour et la nuit, la mer et la terre. Si l’on en croit nos antiques légendes, il viola ce serment et en subit les conséquences funestes suivantes : la terre l’engloutit, le soleil le brûla, le vent lui refusa l’air respirable ; le parjure du roi Loégairé fut donc puni de la plus atroce des morts.
N.B. Le texte légendaire qui nous rapporte ces prodiges ne l’explique pas encore par la justice divine, dont la notion n’avait pas encore pénétré dans la littérature profane de l’Irlande quand ce récit fut rédigé pour la première fois. Il présente le châtiment de Loégairé comme le résultat de l’action directe des forces de la nature auxquelles le roi parjure avait fait appel par un serment solennellement prêté d’abord, puis enfin violé.
Le soleil, pris à témoin par Loégairé, le brûle quand le serment est violé… C’est que le soleil a entendu le serment et en a vu la violation. Le soleil « voit tout et entend tout ».
Mais la terre, le vent, l’eau, ne sont ni plus sourds ni plus aveugles que le soleil. Quand celui qui conclut un contrat leur demande de le sanctionner, ils entendent sa voix, et, si le contrat n’est pas exécuté, ils infligent le châtiment qui est dans leurs attributions ; voilà pourquoi la terre a englouti Loégairé, pourquoi le vent lui a refusé l’air nécessaire à la respiration.
Le serment celtique nous transporte en effet dans un cadre très différent du cadre chrétien et antérieur même à celui de la Grèce épique où, dans le serment, on invoquait le couple divin de dieux anthropomorphes qui, aux enfers, punissait les parjures.
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À l’époque primitive, où cette formule du serment celtique nous fait remonter, il y a trois puissances qui en sont encore restées au stade animiste et que l’homme redoute donc avant toutes les autres, ce sont : le ciel, la terre et l’eau (l’eau a les mêmes facultés puissantes, sans distinction entre l’eau de la mer, l’eau des fleuves et l’eau contenue dans un chaudron. Cf les ordalies).
De cela on en a la preuve dans les textes antiques.
Agamemnon, dans une vieille formule de serment, invoque les fleuves. L’antique spiritualité, à laquelle cette formule fait allusion, paraît avoir été encore vivante chez les Celtes riverains du Rhin au quatrième siècle de notre ère.
Quand un mari doutait de la fidélité de sa femme, il mettait l’enfant nouveau-né sur un bouclier et posait le bouclier sur le fleuve ; lorsque le fleuve engloutissait le frêle esquif, l’enfant était convaincu de bâtardise et la mère d’adultère ; le Rhin, croyait-on, avait vu cet adultère et il avait entendu l’appel fait à sa justice par le mari outragé.
L’empereur Julien évoque cet usage dans une lettre au philosophe Maxime. Dans son second discours à l’empereur Constance, il revient même sur cette coutume. L’usage celtique dont parle Julien a d’ailleurs fourni le sujet d’une pièce de vers anonyme recueillie dans l’anthologie grecque.
Ces trois textes sont d’accord pour constater qu’aux yeux des Celtes le Rhin était un juge en dernier ressort. Le Rhin prononçait la condamnation en faisant couler le bouclier portant le nourrisson, l’acquittement en les faisant surnager.
Chez eux existait donc la notion d’une puissance supérieure (le Tocad, ou la Tocade, au féminin) dont le fleuve, par une sorte de manifestation surnaturelle, exprimait la décision.
En 336 avant notre ère, des ambassadeurs celtes (donc des druides à l’époque si l’on en croit C.-J. Guyonvarc’h) vinrent trouver Alexandre le Grand, alors au début de son règne. Ils firent alliance avec lui et confirmèrent le traité par un serment : « Si nous n’observons pas nos engagements, » dirent-ils, « que le ciel tombant sur nos têtes nous écrase ; que la terre s’entrouvrant nous engloutisse ; que la mer en débordant nous submerge ».
De deux textes d’auteurs grecs contemporains d’Alexandre le Grand, on doit en effet conclure qu’une telle formule a été employée par les Celtes et à la date que nous indiquons.
Après avoir fait boire les ambassadeurs, Alexandre leur demanda sans doute : « Que craignez-vous le plus ? » mais au lieu de lui répondre : « C’est vous, » comme l’espérait vraisemblablement Alexandre, les Celtes répliquèrent en effet : « Nous ne craignons personne ; nous ne redoutons qu’une chose, c’est que le ciel ne nous tombe sur la tête ».
Une telle réponse nous a été conservée dans les fragments qui subsistent d’un livre écrit par un des plus célèbres généraux d’Alexandre, Ptolémée, mort roi d’Égypte en 283.
Alexandre considéra la réponse des Celtes comme une insolence. Son maître, Aristote, fit sans doute une observation différente de la chose si l’on en croit son livre intitulé l’éthique à Nicomaque. Les Celtes, remarqua-t-il, ne craignent qu’une chose, c’est que le ciel tombe sur eux, s’ils n’exécutent pas leur traité d’alliance ; ils croient donc n’avoir pas à se préoccuper des deux derniers articles de leur serment : par conséquent, ils n’ont peur ni des tremblements de terre ni des flots ; donc ils sont fous si ce n’est insensibles à la douleur. Tel fut le raisonnement d’Aristote, mort en 322, quatorze ans après l’entrevue d’Alexandre avec les ambassadeurs celtes.
Complètement idiot bien entendu !
* Notons bien néanmoins qu’en réalité la nature n’est ni parfaite ni imparfaite, elle est ce qu’elle est et il n’y a qu’elle.
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DU NATUREL AU SURNATUREL
EN PASSANT PAR LE PRÉTERNATUREL.
« Le mouvement des astres, l’immensité de l’univers, la grandeur de la terre, la nature des choses, la force et le pouvoir des dieu-ou-démons immortels, tels sont les sujets de leurs discussions : ils les transmettent à la jeunesse » (César. B. G. Livre VI, 14).
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire à maintes reprises, le monde est un univers clos ou Pariollon (ou Bitos), contenant « Dieu-ou-Diable » et d’autres êtres spirituels en plus de nous-mêmes, parce qu’il n’y a plus de non-être. L’Être Dieu-ou-Diable Un, englobe le multiple (ses hypostases) et le fonde. L’éternité (aiu en celte) supporte le temps. Les déités sont comme autant de Pouvoirs du Divin qui est Un par essence, un peu comme dans une entreprise, le président délègue ses pouvoirs à des collaborateurs.
Pour aller du multiple vers l’unique, on peut adopter une vision panthéiste et voir le divin qu’il y a en chaque chose. Ensuite, avec la vision polythéiste, on peut voir le divin à l’image de l’homme sous forme de dieu-ou-démons personnels. Pour ce qui est de la forme ou de l’apparence, les dieu-ou-démons du druidisme sont souvent vus comme des dieu-ou-démons personnels, à l’instar du christ ou du messie des juifs ; c’est-à-dire ayant une forme humaine, capables d’émotions humaines, et accomplissant des actions ressemblant à celles des humains. Même s’ils sont immortels et ont bien sûr, infiniment plus de pouvoirs. C’est sûrement la façon la plus accessible d’appréhender le divin, car ces dieu-ou-démons humanisés sont à notre image, avec chacun des particularités liées à des problématiques humaines concrètes. L’homme généralement ne peut adorer d’entités trop abstraites, et il projette donc sur elles des formes qui plaisent à son cœur. La multiplicité des formes divines que l’on trouve dans le monde divin, selon les très-sachants de la druidiaction (druidecht), traduit la multiplicité des manières dont les hommes aiment, désirent, craignent, espèrent et donc vivent.
On peut intercaler entre le polythéisme et le monisme, une couche qui est assez mince, celle du bithéisme. Enfin ; dans la vision moniste, on peut appréhender le divin comme un grand tout.
Bien entendu tous ces points de vue sont compatibles et il est même sain de chercher à les appréhender tous. On croise trop souvent des « néopaïens » persuadés que leur pensée s’avère incompatible avec le monothéisme (nous parlons, bien entendu, non de la monolâtrie institutionnelle, mais du monothéisme philosophique et réfléchi). On se rend pourtant compte, à travers l’expérience, que le monothéisme philosophique et réfléchi, mais aussi le polythéisme, que l’on pourrait croire opposés, se rejoignent. Tout comme il est sain dans l’expérience du divin à l’échelle monothéiste ainsi définie, de comprendre qu’il s’agit d’une forme du divin impersonnelle ; et qu’il ne faut pas lui donner une image de vieux barbu avec une personnalité voire un sexe (en faire un père par exemple, c’est pourquoi les anciens druides préféraient nettement l’image du chaudron ou parios pour en parler) ; il est sain de comprendre que les divinités polythéistes n’ont rien d’absolu en elles-mêmes. Même si les dieux ou démons du polythéisme sont une grande source d’enseignement, il faut toujours les relativiser, ne pas les prendre pour des vérités absolues en eux-mêmes.
« La force et le pouvoir des dieu-ou-démons immortels, tels sont les sujets de leurs discussions : ils les transmettent à la jeunesse ».
Que peut-on dire aujourd’hui de la nature des dieu-ou-démons selon les très-sachants de la druidiaction (druidecht) ? Qu’est-ce qu’un dieu-ou-démon vu par les druides ? Une réalité invisible (elle est perçue par une intuition de l’esprit) ; une essence immatérielle et immortelle ; un archétype de la réalité, conçue comme Forme intelligible, modèle de toutes choses, une réalité non perçue et néanmoins plus réelle que les êtres sensibles ?
En élevant à la condition de dieu-ou-démon toutes les énergies humaines ou cosmiques concevables, le polythéisme druidique idolâtre-t-il de simples illusions comme le clament les judéo-islamo-chrétiens ?
Sankara dans son très philosophique et très réfléchi commentaire de la magnifique chandogya upanishad a bien expliqué en effet que les dieux répondent ou correspondent aux inclinations de nos sens confortées par l’expérience.
C’est un autre grand philosophe indien, Karapatri, qui a trouvé la meilleure des réponses à faire à ce genre de critique (Shri Bhagavati Tattva, Siddhanta, tome V).
Il explique en effet qu’une illusion n’est certes qu’une apparence, et une apparence trompeuse, mais même une apparence a quand même toujours pour base une réalité, car rien d’illusoire ne peut exister
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sans un support, et la réalité du support emplit l’illusion. En rendant un culte à une illusion ou à ses manifestations, en réalité on adore toujours la vérité qui est derrière elle, c’est-à-dire l’Immensité à jamais inconnaissable sur laquelle repose cette « illusion ». Que ce soit par l’intermédiaire du savoir ou du non-savoir, toutes les choses tirent leur réalité de celui qui les perçoit.
Ce qu’à titre personnel je ne peux m’empêcher de rapprocher du passage de la Bhagavad Gita fondant de façon définitive à mon sens la tolérance à avoir vis-à-vis des autres cultes (domaine en lequel les religions de masse que sont le judaïsme le christianisme et l’islam sont nettement moins crédibles ou du moins inspirent moins confiance).
Bhagavad Gita 9, 23-29. « Toute oblation qu’avec foi l’homme sacrifie aux dieux est en fait destinée à moi seul, ô fils de Kounti, mais offerte sans le savoir, car je suis l’unique bénéficiaire et l’unique objet des sacrifices. Que l’on m’offre, avec amour et dévotion, une feuille, une fleur, un fruit, de l’eau, cette offrande, je l’accepte. Je n’envie, je ne favorise personne, envers tous je suis impartial. Mais quiconque me sert avec dévotion vit en moi et je suis son ami ».
Ce qu’à titre personnel je ne peux m’empêcher non plus de rapprocher du passage de l’Histoire des Cimetières où le roi Cormac défend intelligemment les vues traditionnelles du paganisme celtique en la matière
« Ar ro ráidseom na aidérad clocha ná crunnu acht no adérad intí dosroni & ropo chomsid ar cul na uli dúla.i. in t – enDia nertchomsid ro crutaig na dúli… »
« Car il [Cormac] disait qu’il n’adorait ni les pierres ni les arbres, qu’il adorait seulement celui qui les avait faits, et qui est le puissant protecteur de tous les éléments ; c’est-à-dire le Dieu Unique, puissant protecteur qui a créé les éléments… » (Senchas na relec. Histoire des cimetières).
Nous voilà dès lors très proches de Jung proclamant la réalité psychologique de l’illusion et sa valeur thérapeutique. Combien précieuse apparaît dans cette perspective l’énumération de dieu-ou-démons à laquelle procède le panth-éon ou plérôme celtique ! Les très-sachants de la druidiaction (druidecht) ont toujours su orienter les inclinations de chacun vers un culte particulier.
Vous désirez une nombreuse descendance ? Rendez un culte à vos ancêtres. Vous cherchez la paix dans votre couple ? Adressez-vous aux fées de type Matres lubicae ou nessamae (proxumae en latin). Voulez-vous la force ? Cherchez du côté de Camulos ou de Smertrios. Une femme ? Voyez la déesse ou démone, ou fée, Brangaine, du célèbre roman de Tristan et Iseult. La chance ? Offrez un sacrifice à Lug. Vous êtes fou de beauté ? Belin/Belen vous comblera. Pour ce qui est de l’illumination du savoir, vénérez la bélisama Brigindo Brigantia Brigitte. Et pour une plus longue vie, des visites régulières s’imposent, bien sûr, auprès des dieu-ou-démons guérisseurs. Bref exactement la même chose que dans le christianisme catholique avec ses saints.
En fin de compte, le très-sachant de la druidiaction (druidecht) considère ses dieu-ou-démons à la fois comme réalités et comme illusions, comme moyens de contact avec la part de réalité universelle à laquelle correspond le niveau psychologique ou spirituel de chacun.
C’est à la fois une croyance illusoire et une illusion véridique, analogues à la nature même de l’Homme dont l’existence ne peut pas plus se définir, se prouver, se nier ou s’affirmer, que celle de Dieu ou du Diable. Hommes et dieu-ou-démons se posent et s’affirment en même temps, et les dieux-ou-démons, tout comme les hommes d’ailleurs ; peuvent être considérés, soit comme de simples processus impersonnels privés de toute existence substantielle, soit comme des entités plus ou moins homogènes et durables.
Margot Adler a noté qu’une grande partie de nos progrès dans la connaissance du polythéisme vient de psychologues jungiens ; qui ont longtemps exposé que les dieu-ou-démons et déesse-ou-démones des mythes, légendes, ou contes de fées, représentent des archétypes, puissances et potentialités ancrées dans notre psyché.
Les travaux du Suisse Carl Gustav Jung apportent en effet un éclairage certain sur cette forme de spiritualité. Les archétypes représentent des thèmes, mythes, images symboliques, ou rêves, de l’Humanité, ou encore des modèles de comportement instinctif.
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Jung en a étudié le mode de fonctionnement et le rôle dans la vie psychique. Citons parmi les plus fondamentaux : la persona (le moi), l’ombre (l’inconscient personnel), l’anima (le côté féminin chez l’homme), l’animus (le côté masculin chez la femme).
Différents auteurs pensent d’ailleurs aujourd’hui que certains des dieu-ou-démons du paganisme antique, qu’un grand nombre des concepts théologiques ou des visions divines du druidisme antique, correspondent à ce que ce grand druide suisse appelle des archétypes ; autrement dit des organisateurs de la personnalité (au même titre que le programme génétique, contenu dans l’ADN, constitue l’organisateur de nos cellules), enracinés dans l’inconscient humain.
L’archétype est un symbole que l’on trouve dans toutes les races humaines et représente « une tendance instinctive ». Il est comme un instinct commun, se perpétuant dans le temps et l’espace.
Ainsi que l’a très bien vu Jung, certains dieu-ou-démons sont sans aucun doute des personnifications de ces forces psychiques… Ces divinités représentent en effet les qualités ou les défauts (schématisés) de l’homme. Exemples l’Archétype du Guerrier, l’Archétype du Guérisseur blessé.
Ces deux Archétypes mettent par exemple en valeur les qualités fondamentales suivantes :
— Le sens de l’honneur et l’utilisation judicieuse de la force.
— L’entraide et la compassion.
Mais il existe bien d’autres archétypes.
— L’Archétype du Vieux Sage.
— L’Archétype du Tricheur.
— L’Archétype du bon Roi.
— Etc., etc.
L’archétype est à la fois universel, mais aussi façonné par la culture. Le Guerrier par exemple, est symbolisé par le samouraï chez les Japonais, Bruce Lee à Hong Kong, Cuchulainn en Irlande. Qu’il s’agisse du Vieux Sage, du Héros, de la Grande mère, du Roi, les archétypes ne sont pas nécessairement isolés les uns des autres. Ils peuvent se combiner dans l’inconscient collectif, s’interpénétrer voire éventuellement fusionner. Ainsi, le Héros et le Vieux Sage produisent le roi philosophe et visionnaire ; alors que le Héros et le Démon mènent au tyran satanique. On retrouve ce même constat dans l’ambivalence de certains dieu-ou-démons ou de certains mythes, comme celui de la massue du Suqellos Dagda Gargant, qui tue d’un côté ou ressuscite de l’autre (sans oublier le dieu de l’agriculture Bregsos/Bres).
D’après notre homologue Jean Shinoda Bolen, ces schémas intérieurs peuvent expliquer les différences observées entre hommes et femmes dans les comportements. Différents archétypes sont en effet à l’œuvre dans l’inconscient de chaque femme à une période donnée de sa vie. Scathache la guerrière, la tentatrice, et ainsi de suite.
Dans le cadre de son travail, Jean Shinoda Bolen a aussi rencontré des hommes identifiant une part d’eux-mêmes avec une déesse ou démone, ou une fée. À l’inverse, il y a des dieu-ou-démons en chaque femme.
Bref, dieu-ou-démons et déesses-ou-démones, représentent les nombreuses qualités de la psyché humaine. À ce compte-là évidemment, Mabon/Maponos/Oengus pourrait très bien être le dieu-ou-démon de l’éternelle jeunesse et de sa frénésie (de nombreuses vedettes du monde du spectacle ont parfaitement incarné cet archétype, parfois même avec une issue tragique…)
D’accord, sur le principe, mais reconnaissons tout de même dans ce cas que Jung a été particulièrement mal inspiré dans le choix des noms de ses archétypes !
Les dieu-ou-démons et déesses-ou-démones du druidisme, diffèrent également des déités du bouddhisme vajrayana ou tibétain, en ce sens que le druidisme a toujours pensé que ce sont vraiment des forces agissant dans l’esprit des hommes ; que ces valeurs sont des moteurs de toute action humaine sortant du domaine du pur réflexe ; mais aussi que ce sont également des forces extérieures à l’homme, et relevant de l’ordre de la nature (un peu comme quand l’on parle de l’esprit des lieux ou de l’effet apaisant d’une promenade en forêt)…
La religion primitive est à la fois religion et science. Elle explique avec les moyens du bord les phénomènes naturels comme le soleil, les étoiles, les arbres, les tempêtes. Les mythes racontent comment le monde est apparu, qui sont les dieu-ou-démons, quels phénomènes ils contrôlent, et comment on peut se les rendre propices.
Les forces divines, les numina, préexistent à toute anthropomorphisation, garantissent le bon déroulement des différents moments de la vie de l’homme et tirent leur nom de l’action ainsi patronnée. Par la suite, ces numina ayant reçu un nom, leur fonction fut de protéger telle ou telle action humaine. Exemple la forge, la confection des chaussures, l’agriculture, la guerre, la poésie.
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Toute mythologie est, au fond, une classification, mais qui emprunte ses principes à des croyances religieuses, et non à des notions scientifiques. Les panth-éons bien organisés se partagent la nature, tout comme ailleurs les clans se partagent l’univers.
Attribuer telles ou telles choses naturelles à un dieu-ou-démon, revient à les grouper sous une même rubrique génétique, à les ranger sous une même classe ; et les généalogies, les identifications faites entre les divinités, impliquent des rapports de coordination ou de subordination, entre les diverses classes de choses que représentent ces divinités.
Les classifications primitives semblent se rattacher sans solution de continuité aux premières classifications scientifiques. C’est qu’en effet, si profondément qu’elles diffèrent de ces dernières à certains égards, elles en ont cependant tous les caractères essentiels.
Tout d’abord, elles sont, tout comme les classifications des savants, des systèmes de notions hiérarchisées. Les choses n’y sont pas simplement disposées sous la forme de groupes isolés les uns des autres, mais ces groupes entretiennent les uns avec les autres des rapports définis, et leur ensemble forme un seul et même tout. La science et son système de valeurs n’existant pas encore à l’époque, les phénomènes naturels (orage, foudre, vent…) ne trouvaient donc d’explication que dans la divinisation de ces forces cosmiques. Les dieu-ou-démons étaient la seule explication possible en ce temps-là.
Profitons également de l’occasion pour définitivement tordre le cou à la légende qui veut que les très-sachants de la druidiaction (druidecht) aient été idolâtres au sens strict du terme ; c’est-à-dire aient vraiment adoré des pierres, des arbres ou des animaux. Ainsi que l’a très bien démontré Francisco Marco Simon (de l’université de Saragosse et pour les prêtres celtes d’Hispanie donc), les peuples de cette terre ne semblent nullement avoir adoré directement les arbres, les montagnes ou certains animaux. Il n’y a pas de dieu-ou-démon-taureau ou de dieu-ou-démon-cheval, ou de déesse-montagne, mais simplement des théophanies, le fait que des divinités invisibles se manifestent ou se signalent dans ces éléments de la nature.
Cette remarque de Francisco Marco Simon à propos des Celtes de la péninsule ibérique est néanmoins à nuancer sur deux points.
Contrairement au grand philosophe français que fut Descartes, les druides antiques pensaient que les animaux avaient, eux aussi, une âme, un embryon d’âme, dirons-nous, qu’en tout cas il existait des sortes d’âme/esprits animales ; et que ces âmes/esprits animales pouvaient communiquer entre elles pour former une sorte d’âme/esprit animale collective : l’esprit de l’espèce ; ce que l’on appelle aujourd’hui un égrégore quand il s’agit de l’animal s’appelant lui-même et non sans beaucoup d’orgueil ou d’illusions, homo sapiens sapiens.
Égrégore. Du latin gregs, gregis = le troupeau, la foule, avec préfixe ex = sortant de. L’égrégore est donc le fruit actif, ou né de l’action, d’une foule. C’est un être collectif.
Un égrégore est la présence d’une force puissante, suscitée puis maintenue en activité par une foule psychologique, les désirs et les émotions de nombreux individus réunis dans un but commun. Exemple une meute de loups en chasse. Cette force vivante possède alors une certaine forme d’autonomie et de conscience.
En ce qui concerne le singe nu qui s’est baptisé homo sapiens, ainsi que l’a bien vu Gustave Le Bon dans son étude sur la psychologie des foules, l’égrégore est lié au sentiment d’appartenance et de dépassement de soi, quels qu’en soient la cause et le but.
La foi aveugle de millions de personnes dans les dogmes d’une religion, canalisée par des prêches enflammés, donne un des plus puissants égrégores connus, très redoutés des démocraties. Voir par exemple les manifestations de haine ou les foules haineuses que soulèvent les blasphèmes, généralement attribués à des chrétiens, au Pakistan : la haine à l’état pur, la haine personnifiée. Mais il faut savoir que la religion n’est pas la seule à créer des égrégores ! Un autre exemple : en Amérique, et maintenant aussi en Europe, fleurissent au sein des hôpitaux des « groupes de prières », qui prient pour la guérison des malades qui le leur ont demandé. On s’est aperçu, que des malades atteints de maladies graves, et pour qui priaient ces groupes, se remettaient beaucoup plus rapidement, et avaient des chances de guérison beaucoup plus élevée, que des malades qui ne bénéficiaient pas de ces groupes de prières ! Pourquoi ? Tout simplement parce que le « groupe de prières », par sa dévotion, va canaliser une énergie que l’on pourrait qualifier d’énergie de guérison, et qui va se mêler à l’énergie du malade concerné ; le rendant ainsi beaucoup plus fort ! Voilà un excellent exemple d’égrégore !
Un égrégore est donc une forme pensée provoquée par les désirs, les aspirations, les rêves, les décisions, les engagements, les idées, la volonté, d’un ou de plusieurs êtres humains. En se focalisant sur un objectif et en agissant pour lui donner vie, une personne est en mesure de créer un égrégore susceptible de se développer pendant un temps indéterminé. Suivant l’intensité de l’idée alors émise
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et du nombre de personnes qui y adhéreront, ce temps peut durer de quelques millénaires à plusieurs jours, voire seulement quelques heures pour Gustave Le Bon.
« Notre précédent ouvrage a été consacré à décrire l’âme des races. Nous allons étudier maintenant l’âme des foules.
L’ensemble de caractères communs que l’hérédité impose à tous les individus d’une race constitue l’âme de cette race. Mais lorsqu’un certain nombre de ces individus se trouvent réunis en foule pour agir, l’observation démontre que, du fait même de leur rapprochement, résultent certains caractères psychologiques nouveaux qui se superposent aux caractères de race, et qui parfois en diffèrent profondément ».
Bref, un égrégore est un agrégat de forces constituées de courants vitaux, émotionnels, mentaux et spirituels, suivant la qualité vibratoire de la forme pensée. Ces courants vitaux, créés par le groupe d’individus dont l’égrégore est issu, pénètrent la conscience du groupe sous forme de désirs, de concepts et d’aspirations.
Cette définition, mutatis mutandis, peut également s’appliquer aux animaux. Il s’agit alors de ce que l’on appelle dans d’autres circonstances des âme/esprits animales.
Les druides antiques pensaient aussi qu’il existait ce que l’on pourrait appeler des âme/esprit des lieux (Tu Di Gong en chinois), une énergie mystérieuse pouvant se dégager de certains lieux, et que certains éléments pouvaient profondément nous influencer nous autres simples mortels. Car ainsi que l’a dit mon célèbre compatriote auteur de la colline inspirée (Sion) il existe des lieux où souffle l’esprit.
La lumière est par exemple une source naturelle d’énergie qui influence notre humeur, et agit sur le biorythme de notre corps. Lorsque nous manquons de lumière, nous nous sentons souvent moins énergiques, nous perdons notre optimisme et nous pouvons même connaître des troubles du sommeil ou de l’appétit. Ne vous êtes-vous jamais senti plus maussade en hiver qu’en été ? D’ailleurs il est scientifiquement prouvé que le nombre de personnes dépressives augmente considérablement à l’approche de l’hiver.
Une étude de l’université de Munich (Ludwig-Maximilians-Universität München) a trouvé une augmentation de 10 % des suicides et accidents lors d’épisodes de fœhn. La mythologie populaire associe également diverses affections allant de la migraine à la psychose avec des vents de ce type, dont le Santana ou Santa Ana, en Californie du Sud, qui est appelé le vent des meurtres (Quand les collines de Los Angeles sont en flamme/Les palmiers sont comme des chandelles dans le vent des meurtres). Par contre, une balade en forêt peut nous détendre et nous faire un bien considérable (au point qu’il existe même une sylvo-thérapie).
Bref, il existe ce que l’on appelle des élémentals (un mot que mes correspondants francophones écrivent invariablement élémentaux, comme de bien entendu !)
Nous baignons littéralement dans un océan d’élémentals. Leur monde et le nôtre s’interpénètrent et, par conséquent, le monde élémental est éternellement présent dans le monde humain.
Les élémentals sont des êtres embryonnaires, à l’état latent dans la nature qui nous entoure. Mais ce serait une erreur de les considérer comme doués d’une conscience semblable à la nôtre voire à celle d’un animal. Ce ne sont que des centres de forces. Par eux-mêmes ils n’ont aucun caractère moral. Leur vie n’est pas suffisamment différenciée pour qu’ils aient de telles propriétés ou dispositions. Par contre un élémental est susceptible d’être dirigé, dans ses mouvements, par les pensées humaines qui peuvent, consciemment ou non, lui donner une forme quelconque et jusqu’à un certain point une intelligence humaine. Cette incessante irruption en nous d’êtres rudimentaires, dont la conscience est dynamisée par la nôtre, a d’énormes conséquences. En dehors des formes pensées où ils logent parfois, les élémentals ont bien évidemment, une enveloppe matérielle qui leur est propre, car aucune entité ne saurait réellement exister sans être pourvue d’un corps. Il n’y a pas dans l’univers de pur esprit, c’est-à-dire d’être constitué de conscience seulement.
Mais il est vrai que la remarque de Francisco Marco Simon vaut également pour l’Irlande.
« Ar ro ráidseom na aidérad clocha ná crunnu acht no adérad intí dosroni & ropo chomsid ar cul na uli dúla.i. in t – enDia nertchomsid ro crutaig na dúli… »
« Car il [Cormac] disait qu’il n’adorait ni les pierres ni les arbres, qu’il adorait seulement celui qui les avait faits, et qui est le puissant protecteur de tous les éléments ; c’est-à-dire le Dieu Unique, puissant protecteur qui a créé les éléments… » (Senchas na relec. Histoire des cimetières).
En d’autres termes.
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— Il n’y a pas d’autre dieu que Dieu, dit Patrice. Vous sculptez un morceau de bois, et vous l’appelez dieu. Mais c’est toujours un morceau de bois.
— Oui, répond Cormac, c’est en effet toujours un morceau de bois. Mais l’arbre dont il provient émane de ce que vous appelez Dieu, de même en vérité que tous les dieux inférieurs (hypostases). Il les a procréés afin que nous puissions le voir et le sentir à travers eux.
Objets inanimés avez-vous une âme ?? Pour les très-sachants de la druidiaction (druidecht), il n’y a donc pas de différence absolue entre le monde des êtres animés au sens où on l’entend habituellement et le monde des objets inanimés. Monde des êtres animés ainsi que monde des choses inanimées, sont unis dans une seule et même réalité qui est l’Existence. Ce qui est animé par définition EST, mais c’est le cas aussi de l’inanimé. Dans une telle conception du monde, l’être, qu’il soit humain, végétal, animal, métal ou pierre, qu’il vive ou qu’il meure, est toujours animé d’une force. Chaque force a sa place dans une hiérarchie qui va du grain de sable à l’Être supérieur, du visible à l’invisible, de l’audible à l’inaudible, du tangible à l’intangible.
Autrement dit, c’est du monisme. Une religion moniste fondamentalement axée sur la nature : pluie, vent, eau, animal, plante. Le comrunos (l’initié) peut communiquer avec les objets inanimés ou vice-versa, surtout si l’ours n’est pas seulement le roi de la forêt, mais, par exemple, le totem de la famille Matugenus.
Tout ceci rendait le monde plus facile à comprendre que s’il était régi par des forces impersonnelles et capricieuses, complètement indifférentes au sort des hommes. Ce qui est pourtant le cas en un sens !
Avoir des dieu-ou-démons même cruels, est préférable au chaos. Et des dieu-ou-démons personnels comme le hesus Hesus Cuchulainn le christ ou le messie des Hébreux, rendent le monde plus supportable, en valorisant la condition humaine.
Comme le christ ou le messie des judéo-chrétiens donc, ces forces de la nature environnementale ou humaine peuvent revêtir une apparence humaine. Les dieu-ou-démons du druidisme ANTIQUE, tels que les décrivent nos mythes, sont des êtres actifs, intervenant dans les affaires humaines.
Ils sont protecteurs, défenseurs, pourvoyeurs, nourriciers, secourables ; et ainsi de suite. Voir la longue liste de leurs épithètes ou de leurs attributs que nous a léguée l’interpretatio romana : iovantucarus, virotutis, anextiomarus, dunatis, contrebis ou contrebus (qui habite avec nous, qui vit avec nous, un peu comme un voisin, etc. cf. gallois cantref, communauté locale) ; mais plusieurs d’entre eux sont souvent assez ambivalents, voire dangereux.
Il était donc essentiel à l’époque d’entretenir des rapports harmonieux avec ces êtres puissants et mystérieux, notamment par des atebertas ou offrandes, déposées au seuil de la demeure de ces divinités. Des biens précieux comme des céréales, des bois d’animaux, des poteries, des roues, des armes et des bijoux… Voire même une petite amphore de vin, symbolisant du sang, que l’on abandonne en l’état ou dont on verse le contenu en un lieu approprié, après l’avoir débouchée ou en avoir brisé rituellement le col. Peut-être par un geste analogue à celui qui consiste à « sabrer » une bouteille de champagne, de nos jours.
Bref, tout ce qui avait de la valeur pouvait servir d’ateberta ou d’offrande.
Les Celtes, comme les autres peuples protohistoriques, tentaient de maîtriser leur destinée au moyen de ces offrandes dont les dépôts étaient soigneusement contrôlés par les très-sachants de la druidiaction (druidecht). C’est le fameux « dadami se dehi me » sanscrit : je te donne afin que tu donnes (la divinité ensuite est en quelque sorte obligée de rendre la pareille), formule grossièrement traduite par les Latins avec leur « do ut des ».
Le druidisme est en réalité monothéiste (moniste) au niveau ontologique, et polythéiste au niveau liturgique, car, abstraitement, philosophiquement, il semble bien que, même au niveau de la pensée populaire, on ne puisse penser Dieu-ou-Diable autrement qu’un. Mais quand il s’agit d’entrer en relation avec le divin à travers le rituel, cette image se décompose en une pluralité d’hypostases (comme la lumière dans un arc-en-ciel) qui facilite la projection des désirs humains et les contacts avec le divin.
Ici intervient un autre facteur : un système religieux n’est jamais perçu ou vécu uniformément par tout le monde. Sous aucune latitude « l’homme du commun » ne conçoit les choses de la même façon que le philosophe. À propos d’un culte ou d’un rituel, il faut donc toujours préciser le niveau de connaissance et de réflexion auquel se trouvent ceux que l’on interroge. On aura une image différente des croyances d’un peuple selon que l’on étudie la religion populaire, ou celle des philosophes qui parviennent à une vision plus précise des réalités ultimes.
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DÉFENSE ET RÉHABILITATION DE L’ANIMISME.
L’animisme est fondé sur un principe de base très simple : tout ce qui bouge ou agit (a un effet) a une âme non humaine, de force et d’intensité variable.
N.B. Mais attention, pas de méprise ! Nous ne voulons en aucune façon en parlant ici à cet endroit d’animisme, laisser entendre que la civilisation celtique n’avait que l’animisme comme seul horizon. Nous voulons seulement dire qu’il y avait dans la culture druidique des restes de pensée animiste bien comprise.
L’animisme (du latin animus, originairement esprit, puis âme) est la croyance en une âme ou du moins une force vitale, animant les êtres vivants, les objets, mais aussi les éléments naturels, comme les pierres ou le vent, ainsi qu’en des génies protecteurs du lieu (divinités topiques de chaque village lieu ou montagne un peu analogue au Tu Di Gong chinois). Ces âmes ou ces esprits mystiques, manifestations de défunts ou de divinités animales, peuvent agir sur le monde tangible, de manière bénéfique ou non. Il convient donc de faire attention à eux.
Ainsi défini, l’animisme peut caractériser des sociétés extrêmement diverses, situées sur tous les continents.
Introduit à la fin du XIXe siècle par l’anthropologue britannique Edward Burnett Tylor pour désigner les religions des sociétés qu’il qualifie de« primitives », le concept a connu un indéniable succès jusque dans les premières décennies du XXe siècle, devenant ainsi l’un des termes de référence majeurs de l’histoire de l’ethnologie religieuse. Cette ambitieuse tentative d’explication globale des croyances religieuses a perdu une large part de sa validité aujourd’hui et les travaux contemporains s’en écartent, notamment ceux de l’anthropologue français Philippe Descola qui ne voit pas dans l’animisme une religion, mais plutôt une manière de concevoir le monde, et de l’organiser.
Le terme lui-même, souvent entaché de connotations colonialistes, ou du moins perçues comme péjoratives, est parfois remplacé par des expressions telles que « croyances populaires », « religions traditionnelles », etc.
On oppose traditionnellement l’animisme et le chamanisme, qui ont leur source dans les mêmes principes de vie, aux religions de masse que sont le judaïsme le christianisme et l’islam.
En réalité toutes les religions reconnaissent l’existence de ces forces invisibles, que certains appellent, esprits, ou démons, ou djinns, ou anges, etc., que ces entités soient considérées bénéfiques ou maléfiques. Les trois religions monolâtres ont plusieurs théories sur ces êtres dotés de formes différentes.
Tout comme dans l’animisme, il y a aussi un lien entre les éléments perçus dans la nature et la pratique religieuse des monolatries abrahamiques. Une fête comme Noël est liée à un solstice, une fête comme Pâques est attachée au calendrier lunaire, et le ramadan est pareillement lié au calendrier lunaire d’ailleurs.
Chez les animistes, ces notions sont dites primitives en ce sens qu’elles concernent des êtres simples : la pierre, le vent, le rocher, le sable, l’eau, la feuille et les éléments comme le feu. On retrouve du reste à la base de toutes les religions structurées ces éléments transfigurés. La vénération de fleuve tel le Gange dans l’hindouisme ou dans l’Égypte ancienne tel le Nil divinisé, le culte du feu chez les Romains de l’antiquité avec les Vestales, ailleurs le culte des arbres, en sont quelques exemples.
Dans certaines civilisations d’Amérique du Sud comme au Pérou on offre des produits de la terre à la terre comme le tabac. L’offrande du pain et du vin dans le christianisme est bien entendu l’évolution d’un sacrifice effectué pour remercier la nature, ce qui est un principe de base de l’animisme.
L’animisme est souvent fortement rapproché du chamanisme ; une divinité de la terre est certes invoquée dans les deux cas. En réalité, le chamanisme désigne plutôt la croyance en la possibilité de
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communiquer (médiation) avec un autre monde, et l’existence d’individus (les chamans) ou de techniques privilégiés pour accéder à cet autre monde ; qui peut certes être celui des âmes ou esprits, mais aussi celui des morts, des animaux, des êtres supérieurs…
Dans la pratique cependant l’animisme implique un certain niveau de chamanisme en ce sens où postuler l’existence d’un monde des âmes sans laisser entrevoir aucun moyen d’y accéder ou d’échanger avec lui serait vain.
Les religions monolâtres postulent d’ailleurs elles aussi un moyen de communiquer avec leurs entités divines (exemple par la prière).
Le psychanalyste Antoine Fratini a attiré l’attention sur l’omniprésence des références au monde naturel des grands symboles de l’inconscient collectif : la Montagne et le Fleuve sacrés, l’Arbre cosmique ou sacré, la Mer, la Grotte, le Serpent, etc., qui prouverait l’existence d’un « inconscient animiste » reflet de l’animisme originel.
D’après Xavier Delamarre, le terme nerto signifierait « force, vigueur, puissance » et viendrait d’un radical indo-européen * ner, d’où vieil irlandais nert, force, vigueur, puissance, vertu.
En somme, ce mot subsume une foule d’idées que nous désignerions par les mots de : pouvoir de sorcier, qualité magique d’une chose, chose magique, être magique, avoir du pouvoir magique, être enchanté, agir magiquement ; il nous présente, réunies sous un vocable unique, une série de notions dont nous avons entrevu la parenté, mais qui nous étaient, ailleurs, données à part. Il réalise cette confusion de l’agent, du rituel et des choses qui nous a paru être en tout temps fondamentale dans l’espèce humaine (baptême et signe de croix ne sont-ils pas une sorte de magie ?).
En Inde, le fond mystique de la notion a seul subsisté. En Grèce, il n’en subsiste plus guère que l’ossature scientifique. Mais nous sommes en droit de conclure que partout a existé une notion qui englobe celle du pouvoir magique. C’est celle d’une efficacité pure, qui est cependant une substance matérielle et localisable, en même temps que spirituelle, qui agit à distance et pourtant par connexion directe, sinon par contact, mobile et mouvante sans se mouvoir, impersonnelle et revêtant des formes personnelles, divisible et continue. Nos idées vagues de chance et de quintessence sont de pâles survivances de cette notion beaucoup plus riche. C’est aussi, comme nous l’avons vu, en même temps qu’une force, un arrière-plan, un monde séparé et cependant ajouté à l’autre. On pourrait dire encore, pour mieux exprimer comment le monde de la magie se superpose à l’autre sans s’en détacher, que tout s’y passe comme s’il était construit sur une quatrième dimension de l’espace, dont une notion comme celle de nertio exprimerait, pour ainsi dire, l’existence occulte.
Cette notion peut très bien avoir existé sans avoir été exprimée : un peuple n’a pas plus besoin de formuler une pareille idée que d’énoncer les règles de sa grammaire. En magie, comme en religion, comme en linguistique, ce sont les idées inconscientes qui agissent. Ou bien certains peuples n’ont pas pris distinctement conscience de cette idée, ou bien certains autres ont dépassé le stade intellectuel où elle peut fonctionner normalement. De toute façon, ils n’ont pu en donner une expression adéquate. Les uns ont vidé leur ancienne notion de pouvoir magique d’une partie de son premier contenu mystique ; elle est alors devenue à demi scientifique ; c’est le cas de la Grèce. Les autres, après avoir constitué une dogmatique, une mythologie, une démonologie complète, sont arrivés à si bien réduire tout ce qu’il y avait de flottant et d’obscur dans leurs représentations magiques à des termes mythiques, qu’ils ont remplacé, au moins en apparence, le pouvoir magique, partout où il fallait l’expliquer, par le diable, les démons ou par des entités métaphysiques. Cas des religions de masse que sont le judaïsme le christianisme et l’islam.
La notion de nertio chez les Celtes se compose en réalité d’une série d’idées instables qui se confondent les unes dans les autres. Elle est tour à tour et à la fois qualité, substance et activité.
En premier lieu, la nertio est une force et spécialement celle des êtres spirituels, c’est-à-dire celle des âmes des ancêtres et des esprits de la nature. C’est elle qui en fait des êtres magiques. En effet, elle n’appartient pas à tous les esprits indistinctement. Les esprits de la nature sont, essentiellement, doués de nertio ; mais toutes les âmes des morts ne le sont pas ; ne sont nertio, c’est-à-dire esprits efficaces, que les âmes des chefs, tout au plus les âmes des chefs de famille, et même, plus spécialement, de ceux d’entre eux dont la nertio s’est manifestée, soit pendant leur vie, soit par des
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miracles après leur mort. Celles-là seules méritent ce nom d’esprit puissant, les autres sont perdues dans la multitude des ombres vaines.
Mais la nertio n’est pas nécessairement la force attachée à un esprit. Elle peut être la force d’une chose non spirituelle, comme une pierre genre lia fail pierre de Scone pierre du destin siège périlleux cloch labhrais lech lavar …, etc. Mais c’est une force consciente, c’est-à-dire qu’elle n’agit pas mécaniquement et qu’elle produit ses effets à distance.
S’il y a donc une infinité de nertios, nous sommes cependant amenés à penser que les divers nertios ne sont qu’une même force, non fixée, simplement répartie entre des êtres, hommes ou esprits, des choses, des événements, etc.
Nous pouvons même arriver à élargir encore le sens de ce mot, et dire que la nertio est la force par excellence, l’efficacité des choses, qui corrobore leur action mécanique sans l’annihiler. C’est elle qui fait que le filet prend du poisson, que la maison est solide, que le bateau tient bien à la mer. Dans le champ, il est la fertilité ; dans les médecines, il est la vertu salutaire ou mortelle. Dans la flèche, il est ce qui tue.
Il n’y a pas que dans le paganisme celtique que nous trouvons une semblable notion. Nous pouvons la reconnaître à certains indices, dans nombre de sociétés, où des recherches ultérieures ne pourront manquer de la mettre en lumière.
En premier lieu, nous constatons son existence en Océanie sous le nom de mana…
En Amérique du Nord, elle nous est signalée sur un certain nombre de points du territoire. Chez les Hurons (Iroquois), elle est désignée sous le nom d’orenda. Les autres Iroquois semblent l’avoir désignée par des mots de même racine. Jean-Napoléon Hewitt, Huron de naissance et ethnographe distingué, nous en a donné une précieuse description, description plutôt qu’analyse, car l’orenda n’est pas plus facile à analyser que la nertio.
C’est une idée trop générale et trop vague, embrassant trop de choses et de qualités obscures pour que nous puissions sans peine nous familiariser avec elle. L’orenda, c’est du pouvoir, du pouvoir mystique. Il n’est rien dans la nature, et, plus spécialement, il n’est pas d’être animé qui n’ait son orenda. Les dieux, les esprits, les hommes, les bêtes, sont doués d’orenda. Les phénomènes naturels, comme l’orage, sont produits par l’orenda des esprits de ces phénomènes. Le chasseur heureux est celui dont l’orenda a battu l’orenda du gibier. L’orenda des animaux difficiles à prendre est dit intelligent et malin. On voit partout, chez les Hurons, des luttes d’orendas, comme on voit, en Mélanésie, des luttes de manas. L’orenda, lui aussi, est distinct des choses auxquelles il est attaché, à tel point qu’on peut l’exhaler et le lancer : l’esprit faiseur d’orages lance son orenda représenté par les nuages. L’orenda est le son qu’émettent les choses ; les animaux qui crient, les oiseaux qui chantent, les arbres qui bruissent, le vent qui souffle expriment leur orenda. De même la voix d’un enchanteur est de l’orenda. L’orenda des choses est une sorte d’incantation. Justement, le nom huron de la formule orale n’est autre qu’orenda, et d’ailleurs orenda signifie, au sens propre, prières et chants. Ce sens du mot nous est confirmé par celui des mots correspondants dans les autres dialectes iroquois. Mais si l’incantation est l’orenda par excellence, Hewitt nous dit expressément que tout rite est aussi orenda ; par là encore, l’orenda se rapproche de la nertio. C’est l’orenda qui est efficace en magie. Tout ce qu’elle emploie est dit être possédé de l’orenda, agir par lui et non en vertu de propriétés physiques. C’est lui qui fait la force des charmes, amulettes, fétiches, mascottes, porte-bonheur, talismans, et, si l’on veut, médecines. Mais on le voit surtout agir dans les maléfices.
En résumé, l’orenda n’est ni le pouvoir simplement mécanique, ni l’âme, ni l’esprit individuel, ni la vigueur et la force ; Jean-Napoléon Hewitt établit, en effet, qu’il existe d’autres termes pour désigner ces diverses idées ; et il définit l’orenda comme étant une puissance ou une potentialité hypothétique de produire des effets d’une façon mystique.
La fameuse notion de manitou, chez les Algonquins, en particulier chez les Ojiboués, correspond également au fond à notre nertio celtique. Le terme manitou désigne en effet à la fois, suivant le père Thavenet, non pas un esprit, mais toutes sortes d’êtres, de forces et de qualités magiques ou religieuses.
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Un manitou est un individu qui fait des choses extraordinaires, le chaman est un manitou ; les plantes ont du manitou ; et un sorcier montrant une dent de serpent à sonnettes disait qu’elle était manitou ; lorsqu’on trouva qu’elle ne tuait pas, il s’exclama dès lors qu’elle n’avait plus de manitou. »
D’après Jean-Napoléon Hewitt, chez les Sioux, les mots de mahopa, Xube (Omaha), wakan (Dakota), signifient aussi pouvoirs et qualité magiques.
Chez les Shoshones en général, le terme pokunt a la même valeur, le même sens que le mot manitou chez les Algonquins ; et chez les Pueblos en général, la même notion est à la base de tous les rites magiques et religieux.
Sous le terme de naual, au Mexique et en Amérique centrale, nous pouvons reconnaître une notion correspondante. Elle y est si persistante et si étendue qu’on a voulu en faire la caractéristique de tous les systèmes religieux et magiques, appelés nagualisme. Le naual est un totem, d’ordinaire individuel. Mais il est plus ; c’est une espèce d’un genre beaucoup plus vaste. Le sorcier est naual, c’est un naualli ; le naual est spécialement son pouvoir de se métamorphoser, sa métamorphose et son incarnation. On voit par là que le totem individuel, l’espèce animale associée à l’individu lors de sa naissance paraît n’être qu’une des formes du naual. Étymologiquement, le mot signifie science secrète ; et tous ses divers sens et ses dérivés se rattachent au sens originaire de pensée et d’esprit. Dans les textes nauhatls, le mot signifie ce qui est caché, enveloppé, déguisé. Ainsi, cette notion nous apparaît comme étant celle d’un pouvoir spirituel, mystérieux et séparé, qui est bien celui que suppose la magie.
En Australie, on trouve une notion du même genre, mais elle est restreinte à la magie et même, plus particulièrement, au maléfice. La tribu de Perth lui donne le nom de boolya. Dans la Nouvelle-Galles du Sud, les Aborigènes désignent par le mot koochie le mauvais esprit, la mauvaise influence personnelle ou impersonnelle, et qui a probablement la même extension. C’est encore l’arungquiltha des Aruntas. Ce « pouvoir malin » qui se dégage des rites d’envoûtement est à la fois une qualité, une force et une chose existant par soi-même que les mythes décrivent et à laquelle ils attribuent une origine.
Nous en retrouvons également des traces en Inde. La notion fondamentale du panthéisme hindou, celle de brahman, s’y rattache.
In fine nous retrouvons aussi cette idée dans les religions de masse que sont le judaïsme le christianisme et l’islam, car qu’est-ce que le Coran en tant que livre sinon un objet doué de nertio, qu’est-ce que la croix, sinon un objet doué de nertio, tout comme le baptême est un rituel magique (traduction adaptation personnelle de l’étude cosignée en1902 par Marcel Mauss et Henri Hubert)
Conclusion sur la nertio chez les Celtes.
Il résulte de notre analyse que la notion de nertio est du même ordre que la notion de sacré. Dans un certain nombre de cas, les deux notions se confondent. Mais la notion de nertio est en réalité plus générale que celle de sacré. Le sacré est une espèce dont la nertio est le genre.
En second lieu, la nertio est une chose, une substance, une essence maniable, mais aussi indépendante. Et c’est pourquoi elle ne peut être maniée que par des individus à nertio, dans un acte nertio, c’est-à-dire par des individus qualifiés usant d’un rituel bien précis. Elle est par nature transmissible, contagieuse ; on communique la nertio qui est dans une pierre genre lia fail pierre de Scone pierre du destin cloch labhrais lech lavar … à d’autres pierres, en les mettant en contact. Elle est représentée comme presque physique ; la nertio fait du bruit dans les feuilles, elle s’échappe sous la forme de nuages, sous la forme de flammes. Elle est susceptible d’être spécialisée : il y a de la nertio pour devenir riche et de la nertio pour tuer.
En troisième lieu, la nertio est une qualité. C’est quelque chose que possède la chose « nerto » ; ce n’est pas la chose elle-même (il n’y a donc pas idolâtrie au sens strict du terme). On pourrait la décrire en disant que c’est quelque chose d’un peu analogue à la gaefa des Vikings.
REMARQUE.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir, la notion de nertio chez les Celtes est une de ces idées troubles, caractéristiques de notre pauvre humanité, que les paradoxes de l’École grecque des
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éléates avaient bien fait ressortir en leurs temps et que l’on retrouve beaucoup dans les discours politiques à la mode, qui sont des successions d’amalgames et de confusions. Un Président français a même un jour en trente secondes et une seule phrase réussi le tour de force d’enchaîner 3 concepts totalement différents qu’il présentait comme logiquement liés ou synonymes.
Nous croyons être débarrassés de ce genre d’idées ou d’associations d’idées vagues et troubles (mais il suffit d’écouter nos hommes politiques parler pour réaliser qu’il n’en est rien) et nous avons donc de la peine à les concevoir clairement, à les exprimer scientifiquement, mathématiquement. Elles sont obscures et vagues (que signifie « avoir de la chance » par exemple, ou « son heure avait sonné », « ces deux-là étaient faits pour se rencontrer », etc. Etc. Ces idées sont terriblement abstraites et générales et nous en avons besoin néanmoins pour parler de choses très précises et très concrètes. La nature primitive, c’est-à-dire complexe et confuse, de cette notion de nertio, nous empêche d’en faire une analyse scientifique et rationnelle aussi nous contenterons nous d’énumérer quelques-uns des objets matériels (talismans) auxquels la nertio peut s’appliquer.
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LES TALISMANS
(objets inanimés avez-vous une âme ?)
La « sunertio » (on dirait aujourd’hui « le fluide ») est une force supérieure répandue dans la nature, habitant certains êtres et certaines choses, auxquels cette « nertio » confère le pouvoir de dominer les autres par leur grande puissance physique, leurs dons quasi surnaturels, tenant à la fois de la magie et du sacré. La sunertio est en quelque sorte un fluide, que les guerriers cherchent notamment à posséder lorsqu’ils s’adonnent au rite des têtes coupées.
Il existe deux types de bénédiction païenne.
Le sens le plus courant aujourd’hui est celui de simples salutations et correspond à un hommage que l’on rend, voire à de la gratitude envers un bienfaiteur.
Mais primitivement la bénédiction signifiait une véritable force de salut de santé ou de prospérité. Bénir quelqu’un, c’était le doter d’une véritable force supplémentaire en nertio. Les signes de la bénédiction sont en effet une longue vie, la fécondité, la paix ainsi que la prospérité. Elle rend fécondes les œuvres que les êtres humains accomplissent. Quand on s’exclame devant une personne qu’elle est bénie, on reconnaît sa réussite et son bonheur comme le résultat d’une action merveilleuse de la surnertio (de Dieu disent les judéo-islamo-chrétiens).
Dans la Bible, le mot bénédiction est utilisé soixante-sept fois. Ainsi, les patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, bénissent-ils leurs fils afin de leur transmettre la bénédiction qu’ils ont eux-mêmes reçue de Dieu. La bénédiction est une sorte de sunertio liée à la transmission et à l’épanouissement de la vie. C’est donc en ce sens qu’il faut comprendre la bénédiction qu’un père mourant accorde à ses enfants.
Par l’imposition des mains et une parole irrévocable, le père leur transmet toutes les forces vitales dont il est porteur. Il en est de même de la bénédiction accordée à la jeune épouse qui quitte la maison familiale pour fonder un foyer.
Dans la religion chrétienne, le terme désigne également le geste effectué par les célébrants lors de cérémonies telles que l’ordination, le baptême, le mariage ou encore à la fin d’un office et qui consiste à invoquer le mana divin sur une personne ou sur l’assemblée. Dans le catholicisme et les Églises orthodoxes, la bénédiction peut être prononcée au moment de la consécration d’un monument (mémorial, autel, église), d’un objet servant au culte (cloche) ou d’autres objets (champ, maison, drapeau).
Sunertis se dit shekina ou sakina en Arabe. Avoir la shekinah/sakina ou pas, telle est la question qui hante aussi toute l’aire culturelle du Pacifique. Ce mana peut prendre différentes formes. En Polynésie, le mana est perçu comme une manifestation du pouvoir des dieu-ou-démons dans le monde des hommes. En Mélanésie, le mana est assimilé à un fluide invisible dont peuvent être pénétrés les objets ou les êtres humains. Dans les îles Marquises, sur les massues des guerriers, le motif de la tête – réputée être le siège du mana – était souvent répété, comme si la multiplication de cette image augmentait la force du combattant. Le mana dans la tête ? On comprend mieux pourquoi ces civilisations ont autant valorisé les crânes. Dans les îles Salomon, il y a quelques générations encore, on enfermait la tête des défunts dans une boîte ayant la forme d’un requin. Au Vanuatu, on l’enveloppait d’une couche d’argile peinte, et on la plaçait au sommet d’une structure de bambou afin de l’exposer aux yeux de tous. Dans les grandes occasions, et dans le cadre du culte des ancêtres, on venait déposer de la nourriture au pied de cette sorte de sculpture humaine.
Dans le monde celtique, cette notion de « mana » devait probablement se dire « nertis » ou « sunertis ». La sunertis ou force magique des dieu-ou-démons, équivalent druidique du mana, pouvait hanter différents objets ; et notamment bien sûr les crânes des ennemis vaincus ou des ancêtres, comme en Océanie.
« Quand leurs ennemis sont tombés, ils leur coupent la tête, l’attachent à l’encolure de leurs chevaux, et donnent à leurs assistants les armes de leur adversaire mort, encore toutes ensanglantées, puis les emmènent comme du butin, en chantant un péan sur eux et en commençant un autre hymne de
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triomphe, ensuite, ces prémices de leur victoire, ils les clouent sur leurs maisons, exactement de la même manière qu’on le fait dans certains types de chasse, avec la tête des bêtes sauvages qu’ils ont tuées. Ils embaument dans de l’huile de cèdre les têtes de leurs ennemis les plus distingués, puis les conservent précieusement dans un coffre, et les montrent ensuite aux étrangers, en assurant gravement que certains de leurs ancêtres, ou leur père, ou eux-mêmes, ont refusé d’échanger cette tête contre une forte somme d’argent. Certains d’entre eux nous a-t-on dit, se vantent même de ne pas avoir accepté de céder la tête qu’ils exhibent, y compris contre son poids en or, manifestant ainsi une sorte de grandeur d’âme quelque peu barbare ; car refuser de vendre ce qui constitue un témoignage ou une preuve de sa valeur est une noble chose, mais continuer à en quelque sorte faire injure, à quelqu’un de sa propre race, après qu’il est mort, c’est s’abaisser au rang des bêtes » (Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, V, 29).
L’Arche d’alliance hébraïque était sans aucun doute un réceptacle à shekina/sakina c’est-à-dire à mana (celtique sunertis), comme il en existait beaucoup en Égypte à l’époque.
L’arche est en effet un objet commun de l’Égypte pharaonique et selon toute vraisemblance l’Arche d’alliance hébraïque fut copiée sur de tels modèles (on a trouvé dans le trésor de Toutankhamon un objet qui lui ressemble ; ayant à peu près les mêmes dimensions, un coffre en bois plaqué d’or à l’extérieur et à l’intérieur, deux statuettes de personnages ailés au-dessus,) ; et les chérubins de l’Arche n’ont certainement rien à voir avec les angelots que l’on voit sur les représentations modernes : ils s’inspirent sûrement plus des entités surnaturelles sumériennes correspondantes.
De la sortie d’Égypte jusqu’à l’entrée des israélites dans le pays de Canaan, l’arche est portée par les Lévites, qui marchent à trois journées devant les autres tribus. Dans l’atmosphère sèche du désert, l’Arche s’auréolait parfois d’aigrettes de feu, quelque peu analogue au célèbre feu de saint Elme, et si quelque imprudent s’avisait de la toucher, elle donnait des secousses redoutables, véritables décharges électriques qui terrifiaient les profanes. L’arche fait partie du cortège qui permet la traversée du Jourdain sous la direction de Josué puis de celui qui permet de faire tomber les murailles de Jéricho, lors de sa conquête, racontée dans le livre de Josué.
Après l’installation des israélites dans le pays de Canaan, l’arche demeure à Guilgal, puis Silo et Kiryat-Yéarim (Premier livre de Samuel 7,1), et enfin conduite à Jérusalem par le roi David (I Chroniques 13, 5-8), dans un tabernacle.
— L’arche était accompagnée d’une nuée ;
— son pouvoir était immense ;
— sa taille était réduite (elle tenait dans un coffre) ;
— son poids était proche de 70 à 90 kilogrammes puisqu’il fallait quatre hommes pour la porter ;
— sa nature physique interne est inconnue, mais un passage de la Bible nous apprend qu’un dénommé Uzza serait mort foudroyé rien qu’en la touchant. Lorsque David voulut transporter l’Arche de la maison d’Abinadab à son palais. Elle fut en effet posée sur un chariot conduit par Uzza, fils d’Abinadab. Quand le convoi fut arrivé près de l’aire de Kidon, les bœufs qui le traînaient marquèrent une sorte d’hésitation. Le chariot, déséquilibré, pencha dangereusement et Uzza porta la main sur l’Arche pour la retenir. À la stupeur générale, il tomba foudroyé.
Premier livre des Chroniques, chapitre XIII : « Ils arrivèrent à l’aire de Kidon, et Uzza étendit sa main pour saisir l’arche, parce que les bœufs avaient bronché. Alors la colère de l’Éternel s’embrasa contre lui, et il le frappa, parce qu’il avait étendu sa main sur l’arche pour l’empêcher de tomber ; il mourut donc là, devant Dieu ».
Des ingénieurs électroniciens de Springfield ont voulu percer ce mystère. Ils en sont arrivés à la conclusion qu’en fait de mana (de shekina/sakina en arabe coranique), il s’agissait d’une sorte de condensateur d’énergie cosmique fonctionnant comme un énorme dispositif électrostatique. Mais comment Moïse le savait-il et comment recevait-il alors le message de « l’Éternel », c’est-à-dire les ondes que captait l’Arche ? En se revêtant non seulement d’une robe de lin touchant terre, mais aussi de l’éphod joint au pectoral carré composé de douze gemmes, toutes de quartz différents qui, nous le savons maintenant, sont des capteurs d’ondes d’une force incalculable ?
Finalement, l’explication par une énergie de type sunertio ou mana est encore moins irrationnelle…
La notion moderne de fétichisme implique un observateur comparant les croyances d’autrui, jugées primitives, à celles qu’il considère comme supérieures (ou non primitives). C’est ainsi que sont donc qualifiées de superstition les croyances qu’il ne parvient à comprendre autrement que par dépréciation
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par rapport à celles de son environnement habituel, ou du moins de l’idée qu’il se fait de la normalité de son environnement.
Le mot fétiche vient du portugais fetisso (objet féerique, enchanté) nom donné par les Portugais aux objets du culte des populations d’Afrique durant leur colonisation de ce continent, terme lui-même dérivé du latin fatum (destin). Le fétichisme consiste dans l’utilisation empirique d’objets naturels, comme les éléments, surtout le feu, les fleuves, les animaux, les arbres, les pierres mêmes ; ou d’êtres invisibles : génies bienfaisants ou malfaisants, créés par la superstition et la crainte ; tels que les grigris de l’Afrique centrale, les bourkhans de la Sibérie… En traitant du rapport entre les religions et le fétichisme, Alfred Binet a écrit un jour : « Il est certain que toutes [les religions] le côtoient [le fétichisme], et que quelques-unes même, y aboutissent ».
Le druidisme avait donc lui aussi une composante fétichiste évidente, si l’on entend par là que, dans le cadre de sa religion, et avec sa bénédiction en quelque sorte, on utilisait et on manipulait, à des fins cultuelles, des objets naturels ou artificiels, renvoyant à des puissances qui leur étaient donc extérieures. Pour les très-sachants de la druidiaction (druidecht) il existait en effet toute une catégorie d’élémentals qui, sans se distinguer radicalement des autres, avait en effet leur point de départ dans des objets concrets, visibles aux humains et proches d’eux, un peu comme l’arche d’alliance de la Bible. Il s’agissait d’objets plus ou moins magiques qu’il fallait parfois ramener de l’autre monde dans le nôtre.
En leur qualité de symboles et de représentations du sacré, ces objets (l’olla ou chaudron de Suqellos, l’arche d’alliance…) permettaient de rappeler concrètement la présence de l’Invisible, de concentrer ou de déployer les forces qui en émanent (shekinah/sakina), grâce à l’existence d’un support (la pierre de Fal ou de Scone, l’arche d’alliance et ainsi de suite). Mais quand une religion est soumise à des phénomènes de dégénérescence, ce qui fut le cas du druidisme après la conquête romaine ; on peut arriver en effet à une sorte d’identification de la puissance signifiée avec son signe, un manque de réflexion qui devient de la superstition par définition (on vénère alors l’objet pour lui-même).
Objets inanimés avez-vous une âme avons-nous demandé ?
Le meilleur moyen de définir quelque peu ces fétiches celtiques est encore d’en donner des exemples.
Quelques talismans ou fétiches celtes maintenant donc (l’arche d’alliance ne fait quand même pas partie de la liste, n’en déplaise aux partisans de l’équation Galiléens = Gaulois, Jésus le nazoréen = Druide).
On trouve en Irlande de nombreux vestiges de pierres sacrées. Une pierre appelée Cermand Celstach par exemple (pierre de Cornunnos ?) conservée dans la cathédrale de Clogher (Comté de Tyrone) gardait encore les traces des aménagements qui servaient à y fixer divers ornements d’or et d’argent.
« Le siège épiscopal de Clogher tire son nom d’une de ces pierres, entièrement recouverte d’or (Clogher signifiant Pierre dorée) sur laquelle se tenait Kermand Kelstach, la principale idole d’Ulster. La pierre est toujours là. Ce Kermand Kelstach n’était pas le seul Mercure à être représenté par une pierre brute, puisque le Mercure des Grecs n’était pas figuré anciennement sous la forme d’un jeune homme, doté d’ailes fixées aux talons et avec un caducée à la main, mais sans pied ni main, puisque ce n’était qu’un bloc de pierre, dit Phurnutus, et j’ajoute sans aucune fioriture » (John Toland. Histoire des druides).
Le centre spirite lyonnais Allan Kardec note à juste titre que parmi toutes ces pierres sacrées celtiques, certaines jouaient le même rôle que les tables tournantes de nos jours et répondaient par des mouvements ou des bruits divers à certaines questions.
Le Manuel pour servir à l’étude de l’antiquité celtique de Georges Dottin, page 253, parle de la pierre parlante cloch labhrais qui donnait des réponses comme la lech lavar des Gallois.
N.B. Une pierre servant de borne territoriale était appelée lia adrad (pierre d’adoration.)
La Pierre de Scone. Connue aussi sous les noms de pierre de tanist pierre du couronnement ou tout simplement pierre du destin. Linga en Inde.
Il s’agit au départ et selon la légende de la célèbre pierre de Phal ou Lia Fail dont nous venons de parler (quand le roi légitime d’Irlande mettait le pied dessus la pierre était censée rugir de joie).
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Dans la légende irlandaise du Colloque des Anciens (Acallam na senorach), ce linga est évoqué comme suit.
« Qu’avait donc de remarquable cette pierre de Fal, demanda Diarmait le fils de Cerball.
Si quelqu’un était accusé de quelque chose, répondit Ossian, et qu’on l’asseyait sur cette pierre, s’il avait dit la vérité, il devenait blanc et rouge, mais s’il avait menti, une tache noire et bien visible apparaissait sur lui.
Quand le vrai roi de Tara s’asseyait dessus, la pierre criait sous ses pieds immédiatement et les trois vagues d’Irlande lui répondaient comme en écho : la vague de Clidna, la vague de Tuaide et la vague de Rudraige.
Quel que soit le roi de province ennemi qui s’asseyait dessus par contre, la pierre rugissait aussitôt et grondait sous ses pieds.
Quelle que soit la femme stérile qui s’asseyait dessus, elle se couvrait d’une fine buée de sang noir ; mais quand c’était une femme féconde, elle se couvrait de buée de toutes les couleurs ».
La pierre de Scone ou Pierre du Destin passe pour avoir été utilisée comme pierre du couronnement pour les premiers rois écossais du Dal Riada lorsqu’ils vivaient en Irlande. Quand ils envahirent la Calédonie, la tradition assure qu’ils l’auraient emmenée avec eux afin de perpétuer cet antique usage. Les rois écossais étaient sacrés debout sur la pierre pendant la cérémonie du couronnement, probablement depuis celui de Kenneth Mac Alpin, vers 847. Elle était conservée pour des raisons historiques dans l’Abbaye de Scone, alors en ruine, située près de Perth. Aucun roi ne pouvait régner sur l’Écosse sans être monté auparavant sur la pierre de Scone, et selon une autre tradition, le royaume appartiendrait aux Écossais tant que la pierre resterait dans leur pays.
En 1296, la pierre fut prise par Édouard Ier comme butin de guerre et emportée à l’abbaye de Westminster où elle fut placée sous le trône sur lequel les souverains britanniques s’asseyaient (alors que les rois écossais, eux, se tenaient debout sur ladite pierre).
Dans le traité d’Édimbourg-Northampton signé par Édouard III en 1328, celui-ci s’engagea à rendre entre autres choses cette pierre, ce qu’il ne fit jamais.
En 1996, le gouvernement britannique décida néanmoins de rendre la pierre de Scone à l’Écosse et le 15 novembre de la même année, après une émouvante cérémonie ad hoc, elle fut installée en bonne place dans le château d’Édimbourg.
Le siège périlleux.
La Table ronde comporte un siège vide réservé à celui qui accomplira la quête du Graal : c’est le « Siège périlleux », appelé ainsi, car quiconque voudrait s’y asseoir sans en être digne risque d’être englouti sous terre ou brûlé vif. Pour autant, le siège suscite bien des convoitises. Le siège périlleux est, dans la légende arthurienne le siège inoccupé à droite du roi Arthur. Ce siège est réservé au chevalier qui doit mettre fin à la quête du Graal. Quand ce chevalier se sera élevé sur tous les autres, alors Dieu le conduira à la demeure du Roi-Pêcheur. Et lorsqu’il aura demandé ce que le Graal est devenu, alors le Roi-Pêcheur guérira, et la pierre, de ce siège de la Table ronde, sera ressoudée. Quiconque s’assied sur le siège périlleux sans être assez pur est englouti dans les profondeurs de la terre. L’aventure la plus extraordinaire qui peut tenter les chevaliers sera donc celle du « Siège Périlleux » et une hiérarchie se fera jour entre eux lorsqu’il s’agira d’occuper cette place de la Table ronde, laissée traditionnellement vide.
Le motif n’apparaît pas chez Chrétien de Troyes ; il a été inséré dans certains romans du XIIIe siècle. Une prophétie de Merlin annonce, en effet, que cette place est réservée à celui qui mettra fin aux aventures extraordinaires du royaume de Logres (c’est-à-dire du royaume d’Arthur).
Ce siège suscite donc la convoitise de chacun, en particulier de Perceval qui, ayant obtenu du roi la permission de s’y asseoir, provoque par son geste un bouleversement des éléments : la terre se fendit sous lui et le ciel se couvrit de ténèbres. Une voix venue du ciel explique ensuite comment un autre que Perceval est attendu pour occuper cette place exceptionnelle et l’épreuve du « Siège Périlleux " sera dès lors liée à l’existence du Roi-Pêcheur, de son infirmité et à la présence du Graal. C’est Galaat, fils de Lancelot du Lac, qui ramènera le Graal et sera capable de s’asseoir dessus sans problème.
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Le siège périlleux des légendes arthuriennes est sans doute le trône qui était placé sur une pierre analogue à celle du destin dont nous venons de parler, car le rôle d’un tel siège était bien de désigner (a contrario, en ne l’engloutissant pas) l’heureux élu.
On peut évidemment supposer qu’il était fait à l’origine pour être itinérant (la pierre de Scone étant assez légère apparemment être aisément transportée d’un lieu à un autre), ce qui le rapprocherait un peu de l’arche d’alliance. Table ronde et siège périlleux constitueraient un équivalent celtique de l’arche d’alliance chez les Hébreux.
L’épée chez les Celtes, tout comme chez les Germains d’ailleurs, paraît avoir été considérée comme la plus importante manifestation de la puissance du dieu terrible qu’invoquaient les guerriers dans les batailles (un scholiaste de Lucain assimile Hésus à Mars : ESUS id est Mars).
Les Quades, peuple germain, ayant à conclure un traité, tirent leurs épées, dit Ammien Marcellin, et jurent sur elles, car ils les considèrent comme des dieux.
Les Celtes du Continent réunis contre Rome jurent sur leurs étendards militaires réunis en faisceaux (César. B.G. VII. 2).
Les Anglais après Culloden font jurer sur leur dague les Écossais.
Une description de l’Irlande, écrite en 1600 et publiée en 1887 par le Père Hogan, constate que la coutume du serment par l’épée était encore usitée en Irlande à la fin du seizième siècle (1598), et qu’alors on attribuait à l’épée fichée en terre une sorte de caractère divin.
L’antiquité du serment par l’épée, en Irlande, est prouvée par un passage du texte épique intitulé Serglige Conculain, où l’on voit Cuchulainn retenu au lit par une maladie. Cette maladie le prit à l’assemblée des guerriers qui se tenait à Murthemné du 29 octobre au 3 novembre. Les guerriers venaient s’y vanter de leurs succès à la guerre, et, comme pièces justificatives, y apportaient les langues des ennemis qu’ils avaient tués. Quelques-uns de ces guerriers étaient de mauvaise foi et présentaient des langues d’animaux au lieu de langues d’hommes. Mais pour savoir la vérité et confondre les menteurs, on avait trouvé un moyen infaillible. Les guerriers, avant de parler et de montrer leurs trophées, devaient jurer sur l’épée d’être véridiques, et s’ils manquaient à leur serment, leur épée, replacée sur leur cuisse, prenait la parole pour les confondre. L’auteur chrétien de la rédaction qui nous est parvenue, et qui écrivait probablement au onzième siècle, ajoute une glose à ce récit antique. La raison d’une telle habitude était que les démons avaient coutume de se manifester à partir de leurs armes ; et c’est d’ailleurs pour cela que leurs armes étaient sacrées (comarchi).
L’épée du guerrier, aux yeux du Celte comme du Germain, a donc quelque chose de divin ; c’est elle qui décide du sort des guerriers dans le duel judiciaire, ainsi qu’à la guerre ; elle a été considérée comme l’image même du dieu de la guerre. Il devait en être de même pour les étendards représentant qui un sanglier qui une alouette qui un cheval qui un coq qui un labarum…(fétichisme ?)
Quelques épées célèbres maintenant.
L’épée magique de Noadatus/Nuada, SYMBOLE DE LA JUSTICE QUE TOUT POUVOIR RÉGALIEN DOIT FAIRE RÉGNER… Diverses autres épées ont d’ailleurs ce même pouvoir de type sunertis, à commencer par la fameuse Excalibur du roi breton Arthur.
Excalibur (ou Escalibor) : épée du prince Arthur. L’épée du dieu-ou-démon irlandais Noadatus/Nuada, qui tranche le fer et l’acier, peut avoir inspiré la légende d’Excalibur. Excalibur ou Escalibor signifierait : « Dure entaille ». Dans la tradition celtique, l’épée d’Arthur se nomme Caledfwlch en gallois et Kaledvoulc’h en breton, d’où est dérivé le nom de Caliborn, puis Escalibor et Excalibur.
Caladbolg, l’épée magique de Fergus Mac Roeg, dans la mythologie d’Irlande.
L’épée aux étranges attaches : épée de Galaat.
La Courte. C’était, selon la légende, l’épée d’Ogier le Danois ; elle portait l’inscription « Mon nom est La Courte, je suis du même acier et de la même trempe que Joyeuse et Durandal. » La Courte passait pour avoir été à l’origine été l’épée de Tristan, et avoir pris le nom de « Courte » après avoir été « raccourcie » pour convenir à Ogier.
Etc. Etc.
La Gae bolga (lance) de Lug, dont on ne pouvait maîtriser la puissance guerrière qu’en en trempant l’extrémité dans un chaudron de sang humain.
Le maillet massue et le chaudron magique ou olla du Suqellos Dagda Gargant.
Le Graal (le chaudron ou olla du Suqellos Dagda Gargant).
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Une harpe enchantée ajoute la légende irlandaise.
Le torque. Le torque est un collier porté par les Celtes puis à titre honorifique, par les soldats romains. Il est formé d’une épaisse tige métallique ronde, généralement terminée en boule à ses deux extrémités, plus ou moins travaillée ou ornée.
Les crânes humains.
Sans oublier les oursins fossiles, les médaillons en forme de sanglier, les colliers d’ambre jaune, les rouelles, les triscèles ou triquètres, etc.
LA MAGIE DES LIEUX : LES ÉLÉMENTALS.
Opinion personnelle du druide Jean-Pierre MARTIN.
Les anciens très-sachants de la druidiaction (druidecht), comme la plupart des peuples païens, avaient des cultes naturalistes.
Jadis on invoquait les éléments naturels ; soit parce qu’ils représentaient les limites importantes de l’espace habituel (le mont, le chêne, le carrefour, le point d’eau) ; soit parce que, plus éloignés, ils avaient représenté un danger, comme un col à franchir durant un voyage par exemple. On emploie volontiers dans ce cas le terme de sunertis, une certaine nertio se dégageant de ces objets que nous croyons inanimés. Or chacun de ces phénomènes est à sa façon un mode de révélation de la nature. La nature n’est ni bonne ni mauvaise, elle est ce qu’elle est, pire même il n’y a qu’elle ; il nous faut donc déterminer quelle « Puissance » l’homme a cru présente dans chaque élément naturel pris séparément.
Ces élémentals (ces « dieu-ou-démons ») sont l’expression de la multiplicité des forces divines dans la nature.
Nombreux sont ceux qui rendent tout simplement compte de l’ordre cosmique : ils sont préposés aux sources, aux sommets, aux carrefours, etc. Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le souligner à propos des djinns du monde arabo-musulman, le culte naturiste ou animiste n’est pas nécessairement comme on le dit souvent, primitif, puisqu’il voit le monde comme une objectivation de la pensée divine. Il concerne les eaux, les pierres, les arbres et forêts, la végétation en général. On connaît par dizaines des vocables qui désignent des montagnes (avec parfois les arbres qu’elles portaient), des fleuves et des rivières, de nombreuses sources aussi, ou simplement des lieux sans singularité physique pour nous aujourd’hui ; et beaucoup étaient divinisés. Globalement l’historien utilise souvent à leur égard l’expression « divinités topiques », pour exprimer les forces surnaturelles qui étaient prêtées à ces formes topographiques, car fréquemment, sur une dédicace, le nom topique se trouve précédé, en effet, des mots latins DEUS ou DEA.
Ce culte des dieu-ou-démons topiques ou géographiques, dans le druidisme, représente le vieux fonds de la religion naturiste des populations préhistoriques. Le culte des pierres qui s’était jadis extériorisé aux temps néolithiques sous la forme des menhirs, s’étendit aux rochers ainsi qu’aux montagnes. Dans le druidisme, il a également donné les pierres sacrées comme la pierre de Fal ou de Scone, cf. le linga en Inde.
Il est certain qu’à une lointaine époque les très-sachants de la druidiaction (druidecht) adoraient leurs dieu-ou-démons en plein air, sur les sommets des montagnes, autour des sources, au sein des forêts. Ils pouvaient se dispenser d’aménager un sanctuaire pour ces dieu-ou-démons qu’ils s’abstenaient de représenter.
Leur étonnement de découvrir à Delphes des statues et des temples, est caractéristique de cette première période.
Ce genre de divinités immatérielles et non humaines, pouvait en effet difficilement être enfermé dans une enceinte, abritées sous un toit. Elles avaient la nature pour domaine : un cours d’eau, un lac, le sommet d’une montagne, était le séjour d’une divinité. Les forêts surtout passaient pour abriter les dieu-ou-démons.
L’univers physique apparaissait en définitive comme une immense théophanie, et au sein de cette immense théophanie, les hommes reconnaissaient des lieux où l’énergie divine se révèle plus qu’ailleurs, devient immanente au monde, par l’intermédiaire d’un être spirituel, l’élémental. Les archéologues appellent dieu-ou-démons topiques ou chtoniens ces dieu-ou-démons des sources, des sommets, des vallées… Geniti glinne en gaélique, Tu Di Gong en Chinois.
Les dieu-ou-démons topiques sont l’âme/esprit des forces et des éléments naturels, l’âme/esprit des lieux, montagnes ou forêts.
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On croyait voir leur action dans le débit des sources. La source, la rivière, la montagne, ne faisait qu’un avec le dieu-ou-démon qui l’habitait.
L’Univers dans son ensemble, et pas seulement les astres, est donc placé sous la dépendance des dieu-ou-démons. Il y a des dieu-ou-démons du vent : la Galerne, le Cers…(de nos jours on dirait le Foehn le Santa Ana en Californie, etc.) des dieu-ou-démons du tonnerre (le Tanaros primitif des Celtes), et ainsi de suite.
L’héritage de la Préhistoire en ce domaine est certainement considérable : ciel et foudre, astres et planètes ; terre, montagnes et rochers. Les noms des rivières et du relief étant les plus vieux mots d’une langue, il se peut que l’adoration d’un fleuve à l’époque britto-romaine soit antérieure (surtout si son nom est pré-celtique). Mais le mot peut être ancien et le culte récent.
À la différence des grands dieu-ou-démons métaphysiques, ou panceltiques, plus sociaux, plus humains, bref plus logiquement anthropomorphes (allégorie de la Sagesse, de la Justice, de l’Amour, de la Courtoisie, etc.) ; les très-sachants de la druidiaction (druidecht) ont d’abord dû se représenter ces dieu-ou-démons (ces élémentals) comme de pures âme/esprits sans figure ni corps humains.
Mais au moment de la conquête romaine, il est non moins évident que certains druides en étaient arrivés à représenter ou figurer leurs dieu-ou-démons, voire même à les concevoir, sous forme humaine. Les représentations gallo-romaines du dieu-ou-démon assis en tailleur [du grand sorcier chef de clan que l’on appelle Nemet Cornunnos. N.D.L.R] et du serpent à tête de bélier n’ont pu évidemment être empruntées aux types gréco-romains. Elles procèdent d’une conception antérieure à la conquête et probablement d’un art figuré sur bois.
N.B. Les premières représentations de dieu-ou-démons à formes humaines sont d’ailleurs bien antérieures aux Celtes. L’idole des grottes sépulcrales de la Champagne nous reporte aux temps néolithiques ; viennent ensuite les statues-menhirs du département français de l’Aveyron.
L’adoration de phénomènes et d’objets naturels passe pour être particulièrement primitive.
On la range souvent parmi les formes les plus archaïques de la religion. Cela se peut, mais il faut noter que des cultes de ce genre existent encore aujourd’hui. L’homme éprouve un respect instinctif à l’égard des phénomènes de la nature.
En particulier, quand quelque chose d’exceptionnel se présente, on croit y trouver le signe du surnaturel.
Heureuse époque où la nature était un temple magique plein d’enchantements et de sortilèges ; et où forêts, montagnes, lacs et rivières, abritaient tout un monde de présences invisibles. Dans les clairières, on pouvait voir danser les fées, les elfes et les korrigans…
Il y avait les élémentals de l’eau (les sources les rivières). Ces matres ou fées avaient la charge des fontaines et des sources. Leurs pouvoirs étaient liés à la fécondité, à la séduction, à l’érotisme et à la passion (voir la légende de la Boinne ou Damona Vinda en Irlande).
De l’air (les vents comme le Cers, la Galerne, et autres.)
De la terre (les montagnes les plaines, et ainsi de suite).
De la végétation…
Les élémentals avaient pour rôle dans ce cas de veiller à la croissance et à la floraison du règne végétal.
Le rôle de tous ces élémentals est donc essentiel. Faisant corps avec la nature, ils représentent la vie et la créativité à l’état brut. C’est pourquoi seuls ceux qui fréquentent les domaines de l’imaginaire ou de la créativité sont susceptibles de les voir. Autrefois, dans chaque petit bois ou bosquet, il y en avait. Dans chaque arbre se cachait une fée ou un korrigan. Près de chaque mare il y avait une fée.
Passons donc maintenant brièvement en revue quelques-uns de ces dieu-ou-démons, sans corps à l’origine, mais finalement représentés aussi de façon anthropomorphe comme les autres, sous l’influence des conceptions méditerranéennes.
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BALAROS.
— Balaros/Balor. Dans la déviation irlandaise, Balor est le roi du peuple des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent et Fomoires en Irlande, ces dieu-ou-démons de la nature, et la nature n’est ni bonne ni mauvaise, elle est ce qu’elle est, qui ont été diabolisés par les poètes et les conteurs, avant même la christianisation. Ils sont donc inhumains, hideux et démoniaques, et personnifient le chaos et la destruction. Ils sont en guerre contre tous, et notamment contre les Tuatha Dé Danann, « les gens de la déesse Danu (bia) », autrement dit les dieu-ou-démons. Sa parèdre est Catubellona/Cethlenn. Et là on ne peut s’empêcher à la grande déesse Catubodua, qui est en quelque sorte la Kâli celtique.
En Irlande, Balaros est un géant borgne ou cyclopéen dont l’œil paralyse ou foudroie des armées entières. Il habite sur l’île de Tory, où il vit dans la crainte de voir s’accomplir un jour une antique prophétie, selon laquelle il mourra de la main de son propre petit-fils. Malgré ses efforts pour retarder cette fin en tenant Ethniu, sa fille, à l’écart des hommes, celle-ci se retrouvera enceinte et donnera naissance à des triplés. Balor ordonne alors de les jeter à la mer, mais l’un d’eux survivra : ce sera le dieu-ou-démon Lug.
Lors de la seconde Bataille de la Plaine des menhirs ou des tumuli, le dieu-ou-démon Lug l’affrontera et usera de tout son charme rhétorique ou verbal à son égard, si bien que Balor demandera lui-même à le voir. Il ordonnera donc à quatre guerriers de lui soulever la paupière avec des lances ou des crochets. Mais dès que ce sera fait, il recevra une pierre de fronde qui lui arrachera le globe oculaire et le fera tomber de tout son long au milieu de ses soldats, tuant ainsi involontairement des milliers d’entre eux. Dans le récit gallois de Kulhwch et Olwen, son nom est peut-être Yspadadden Penkawr. Il correspond bien évidemment au monstre anguipède de la statuaire continentale.
BALAROS OU TOUTADIS ATER ?
Il existe dans les légendes irlandaises de mystérieuses créatures, les Fomoire, dont les chefs avaient des noms évocateurs, Cicolluis (Cichol or Cíocal Gricenchos), Balaros (Balor) et ainsi de suite. Nos contemporains se perdent en conjectures à leur sujet.
Dans la religion grecque, on les appelait daimonen. En grec classique daimonios, daimonikos signifie « inspiré, médium vaticinateur » d’où le sens habituel de daimon. Platon, dans ses Lois, les définit comme des « êtres d’une race supérieure et plus divine » auxquels il confie la gestion de sa Cité pour éviter le despotisme inhérent aux hommes de pouvoir ; et les résultats de cette gestion divine sont : « La Paix, la Justice, l’Abondance ».
Les Daïmones grecs, Géants et Titans, étaient des forces créatrices à l’état brut, positives ou négatives, chaotiques, c’étaient des divinités de première génération dans leur théogonie. Pour Plutarque, c’étaient des êtres intermédiaires entre le dieu ou démons et les hommes. Pour les gnostiques d’Orient (les druides étant d’une certaine façon les gnostiques de l’Occident), ces êtres étaient plutôt appelés arkhontes. Le mot vient du grec « archai » ou « élémentaire, dès le début » parce que ces entités ont surgi dès que la terre a été formée. Leurs corps sont constitués de matières élémentaires se trouvant dans un état préorganique. Les Arkhontes sont des espèces d’êtres inorganiques, qui surgissent d’au-delà du monde céleste, dans les limbes, ou encore dans les profondeurs de la terre. Les archontes sont des formes inorganiques dotées d’intelligence.
Disons que la nature avait aussi son « divin » : les différentes entités ou pesanteurs appelées anges (comme celui de la piscine de Bethesda dans Jérusalem), voire diables ou démons, et même djinns, par les autres religions. Il s’agit de véritables individualités, douées d’un degré d’intelligence variable, mais parfois rival de l’entendement humain. Ces âme/esprits règnent hyper physiquement sur les
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différents états de la matière, ou selon la donnée traditionnelle, sur les 3 éléments que sont l’air, la terre, et l’eau.
Arrivé à ce point de notre trop court et trop succinct rappel sur le druidisme authentique, dont la brièveté ne se justifie que vu l’urgence de la situation (une récente multiplication des groupes ou charlatans abusant de l’appellation d’origine « druidique ») ; que l’on permette au modeste chercheur en druidisme que je suis ; quelques remarques sur le plus mystérieux des dieux celtes évoqués par César.
« Les Celtes affirment qu’ils descendent de Dis Pater, et disent que cette tradition leur vient des druides. Pour cette raison ils établissent les divisions de chaque saison, non en jours, mais en nuits ; et ils calculent les anniversaires ainsi que les commencements de mois ou d’année en suivant un ordre tel que le jour y suit la nuit. Pour ce qui est des autres usages, ils diffèrent de presque toutes les autres nations en ce que…, etc. » (César. B.G. Livre VI. Chapitre XVIII).
Selon l’archéologue et chercheur français Jean-Louis Brunaux, la personnalité du dieu celte qui est ainsi comparée au dieu des enfers romains ne peut se comprendre que si elle est mise en relation avec la croyance selon laquelle l’âme de certains défunts (la majorité ?) s’installerait dans un autre corps humain après la mort.
Pour Jean-Louis Brunaux, c’est dans ce royaume souterrain que s’opérerait cette mutation des âmes d’un corps à l’autre. D’où les remarques du scholiaste de Lucain à propos de l’expression orbe alio.
« = Aux Antipodes. Voilà ce qu’ils pensaient à propos de la métempsychose, et ils disaient que l’on doit être triplement purifié avant d’entrer dans un (nouveau) corps. Quant à son ardeur par la combustion, quant à son air par une chaleur tempérée, quant à son eau par le froid. Ou alors ils appellent autre monde le fait d’entrer dans des corps plus dignes ou moins dignes que les nôtres ici-bas.
Cette sentence impliquait peut-être que les âmes se reposaient alors dans des étoiles de même nature qu’elles. Puis redescendaient par le Signe du Cancer. En s’enrichissant par l’intermédiaire de ces planètes de divers éléments suivant leurs besoins et leur nature. À la fin après être entrées dans de nouveaux corps certaines accédaient plus rapidement au ciel en fonction de leurs mérites tandis que d’autres continuaient de passer de corps en corps jusqu’à ce qu’elles atteignent elles aussi le firmament ».
Qui n’aurait donc rien compris à l’affaire.
Bref, les âmes immortelles passeraient ainsi de corps en corps jusqu’à ce qu’elles atteignent un état de pureté les rendant totalement divines : les âmes des guerriers les plus braves étant ainsi appelées à échapper au cycle des réincarnations sans fin (samsara) et à rejoindre le séjour des dieux (toujours si nous comprenons bien Jean-Louis Brunaux : dieux rites et sanctuaires).
Dans le texte de César, c’est cette théorie qui serait donc évoquée, les corps humains n’étant que les véhicules de l’âme et le dieu en question serait donc le père de toutes les âmes : celles-ci seraient issues du monde souterrain qu’elles quitteraient pour gagner la vie colonisant la surface de la Terre.
Selon Paul-Marie Duval, il existe des parallélismes entre ce Dis Pater et Suqellos, Suqellos étant un dieu celte représenté avec un maillet, qui possède le don de frapper et de faire renaître.
Première remarque donc. Vu l’interpretatio romana qu’en a faite César, et vu tout ce que l’on sait de l’enseignement druidique sur le sort de l’âme après la mort, leur affirmation maintes fois répétée que les âmes des morts ne sauraient aller en enfer, IL NOUS SEMBLE DONC EXCLU QUE CETTE FILIATION DES CELTES D’AVEC LE DIEU EN QUESTION…… CONCERNE LES ÂMES.
Deuxième remarque. Le Dispater romain étant un dieu DES RICHESSES BIEN MATÉRIELLES, la filiation en question, évoquée par les druides, NE PEUT DONC ÊTRE QU’UNE FILIATION CONCERNANT LE DOMAINE MATÉRIEL, LE DOMAINE PUREMENT PHYSIQUE, CELUI DES CORPS. PUISQUE LES ANCIENS DRUIDES AVAIENT SUR LE SORT DES ÂMES APRÈS LA MORT… DE TOUTES AUTRES VUES.
La Rochelle le 7 juin 2009.
Les spécialistes actuels se perdent en conjectures sur le nom celtique que César a ainsi traduit.
Toutadis Ater ????
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Quand Jules César évoque les dieux celtes, il les désigne sous le nom de divinités romaines.
Or, d’après Jules César les Celtes se vantent d’être issus de Dis Pater, tradition qu’ils disent tenir des druides. C’est pour cette raison qu’ils mesurent le temps, non par le nombre des jours ; mais par celui des nuits. Ils calculent les jours de naissance, le commencement des mois et celui des années, de manière que le jour suive la nuit dans leur calcul, etc.
Chez les Romains, Dis Pater est un dieu assez obscur assimilé à Pluton. Littéralement Dis Pater pourrait donc signifier le Père des richesses. On peut donc dire de lui qu’il règne sur l’intérieur de la Terre, le sous-sol, comme son contraire Iu-piter, règne, lui, sur les cieux. Le terme Dis a peut-être d’ailleurs la même origine que Deus, c’est-à-dire divin en latin, via la racine proto-indo-européenne Dyeus désignant les dieux.
Cette affirmation relative à Dis Pater a donné lieu à plusieurs interprétations, les historiens et archéologues cherchant à identifier le dieu celte que César présente sous un nom latin.
Il semble plutôt à ce sujet qu’il convient de bien distinguer le plan physique du plan spirituel.
Sur le plan physique ou matériel c’est bien l’entité mentionnée sous le nom de Dis pater par César et ce Dis Pater romain correspond aux différents élémentals connus sur le territoire celte. Il est le dieu symbolisant les filiations physiques et les apparitions de tout nouveau corps : TOUTADIS ATER
N.B. Sur le plan spirituel ou intellectuel (les âmes) il semble que ce serait le nemet Cornunnos de la statuaire ou des légendes irlandaises et il n’est pas spécialement chtonien.
Pour ce qui est de la santé physique et du corps César en fait une divinité unique équivalente au Dispater romain mais en réalité il s’agit d’une multitude de dieux locaux voire topiques (désignés sous l’appellation d’élémentals par nos modernes occultistes, appelés Tu Di Gong en Chine, etc.), tous de la même famille il est vrai, sursumés * sous l’appellation de TOUTADIS ATER.
* Aufhebt chez Hegel.
La Rochelle le 11 juin 2009.
Certains auteurs ont aussi rapproché ce très césarien Dispater des vouivres ou anguipèdes gigantesques qu’on appelle andernas sur le Continent, fomore en Irlande, mais sur le continent ces vouivres anguipèdes gigantesques sont plutôt des pourvoyeurs de richesse et d’abondance, et leur célébration, ainsi que leur fonction, sont principalement focalisées sur la fertilité, l’érotisme ou le bien-être matériel. Avant la christianisation il s’agissait en effet d’entités pas spécialement démoniaques ou maléfiques, elles étaient seulement, disons ambivalentes. Le manichéisme a toujours été étranger à la spiritualité des anciens druides qui partaient du principe que « La nature n’est ni parfaite ni imparfaite elle est ce qu’elle est et il n’y a qu’elle ».
La Rochelle 25 juin 2009.
Le Toutadispater césarien serait-il le Balor/Balaros roi des Fomoire d’Irlande ??
Les anciens druides continentaux croyaient en l’existence d’entités souterraines représentées dans leur imaginaire collectif sous la forme de vouivres anguipèdes gigantesques, qu’on appelle Fomoire en Irlande et que nos modernes occultistes appellent élémentals. Dans la légende irlandaise intitulée Tochmarc Ferb ces redoutables vouivres anguipèdes gigantesques sont visiblement aux ordres de la déesse ou démone des combats, Catubodua, du moins dans cette histoire, mais elles composeront aussi la quasi-totalité des troupes du roi Cunocavaros/Conchobar, ce qui fera donc de cette sanglante expédition une opération pas très naturelle digne des pires manipulations de l’opinion publique destinées à entraîner un pays dans une guerre sanglante (rôle de la Kâli celto-druidique qu’était Catubodua si nous comprenons bien).
SUR LE CONTINENT PAR CONTRE ON PEUT SUPPOSER QUE TOUTADIS PATER ÉTAIT LE ROI DES VOUIVRES ANGUIPEDES GIGANTESQUES QUE LES DRUIDES IRLANDAIS APPELAIENT FOMOIRE.
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La Rochelle le 23 mai 2009
Certains pseudo druides d’aujourd’hui (ceux qui prétendent par exemple que le grand rabbi nazoréen Jésus qu’ils appellent le christ ou le messie, était un druide, ou que le christianisme a été acclamé par les druides à Lyon) proclament à tout va que le culte des morts ou des grands ancêtres n’a jamais existé chez les Celtes. Or la preuve même de l’importance du culte des grands morts chez les Celtes (merci à nos frères en paganisme d’Afrique noire de nous le rappeler) c’est que, pour finir, dieux et démons sont aussi allés habiter sous leurs collines, appelées side en Irlande. Les sides (vieux celtique « Sedos ») sont des portes d’entrée ou de sortie de l’autre monde. Chaque dieu-ou-démon possède une ou plusieurs de ces portes et y habite (demeure derrière). Mais il n’y a pas qu’en Irlande qu’il y a des sides, il y en a dans le monde entier. En Allemagne et Tchéquie en Grande-Bretagne, etc. et même Delphes en un sens, qui est un side appartenant à Belenos/Abellio appelé Apollon par les Grecs. Et même Lourdes en France pour les catholiques. Lourdes est le side d’une déesse ou d’une superhéroïne appelée Marie.
Et tous ces sides communiquent entre eux.
N.B. Malgré la mention de rois des Sides différant suivant les époques ou les textes, il serait plus juste à cet égard de considérer qu’il s’agit d’une sorte de république, les Sides Unis, dirigée par un président élu et doté de pouvoirs forts.
Le Toutadis Ater celte est donc l’entité patronnant le culte des morts… pour ce qui est de la transmission de la vie physique ou charnelle. À cet égard il devait donc être honoré un peu comme un grand ancêtre primordial associé à la terre mère puisqu’inhumé dans la terre mère ou dans un de ses succédanés.
Ou alors il s’agissait d’une divinité de l’anti chambre du paradis comme il y en a tant dans nos légendes,
CAR SI LE PARADIS CELTIQUE EST UNIQUE
PUISQUE C’EST UN ÉTAT DE L’ÊTRE (un résultat de l’action d’être) ;
les points de retour sur terre des âmes trop chargées de bran pour avoir pu atteindre leur vitesse de libération dans les cieux (quelques cas par siècle), étant, eux, MULTIPLES PAR DÉFINITION… PUISQU’ÉTANT DES LIEUX.
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ARIOMANOS/ARAWN.
Dans le premier des quatre contes des Mabinogion : Pwyll, prince de Dyved (c’est le mythe fondateur de la dynastie des princes de Dyved) ; Arawn/Ariomanos parcourt les forêts, avec une meute de chiens aux oreilles rouges, poursuivant un cerf. Il a un rival nommé Hafgan, qui possède un domaine voisin, et a les mêmes pouvoirs que lui. Un matin, il rencontre Pwyll et lui propose d’échanger leurs royaumes pendant un an et un jour. Cependant, il y a une condition : Pwyll devra battre (mais sans l’achever) Hafgan, lors d’un duel. Pwyll réussit dans sa quête et, en outre, respecte l’épouse d’Arawn/Ariomanos.
Il doit s’agir de l’équivalent du dieu-ou-démon hindou Aryaman. Dans le Rig-Veda, des dieu-ou-démons mineurs accompagnent Varuna et Mitra. Ce sont les Aditya, les fils de la déesse ou démone Aditi. En nombre variable selon les sources, les plus fréquemment nommés sont Aryaman et Bhaga, du côté de Mitra. Le dieu-ou-démon Aryaman protège l’ensemble des hommes qui se reconnaissent « arya », par opposition aux barbares. Il les protège non pas tellement comme individus, mais en tant qu’élément de l’ensemble « arya ». Bhaga, lui, s’occupe fondamentalement de distribution des richesses.
Et à ce propos voici un étrange passage d’Athénée qui nous a tout l’air d’être du mythe déguisé en histoire.
« Ariamnès, un Celte très riche, fit publiquement la promesse de nourrir tous ses sujets pendant une année. Il tint sa promesse de la manière suivante. En tous les lieux du pays bien desservis par des voies de communication, il fit construire des stations le long des voies principales ; entourées de palissades de roseaux et d’osier, chaque emplacement pouvant contenir trois cents hommes et même plus, l’aménagement étant prévu pour accueillir les foules qui devaient déferler des villes et villages environnants. On y trouvait de grands chaudrons qu’il avait pris soin de faire forger au cours de l’année précédente par des artisans venus d’autres cités. Un grand nombre d’animaux – bœufs, porcs, moutons, et beaucoup d’autres bestiaux – furent abattus chaque jour. D’immenses tonneaux de vin furent apprêtés, ainsi que de grandes quantités de farine d’orge ». (Athénée, Les Deipnosophistes, IV, 150).
Arawn/Ariomanos est le chef ou le conducteur d’une chasse sauvage traversant le royaume des hommes, chaque veille de 1er novembre ou de 1er mai ; avec une meute de chiens fantômes, au poil blanc, mais avec le bout des oreilles rouge sang, appelés les Cwn Annwn. Les aboiements de ces chiens ressemblent au sifflement ou au cacardage des oies sauvages, et les proies qu’ils traquent sont les âme/esprits des damnés qu’il veut rabattre vers les labyrinthes souterrains d’Annwn.
Gwynn ap Nudd est aussi un des souverains de cet autre monde, à en croire certaines légendes.
Il est le fils de Nudd et le frère d’Yder et de Bebhinn. Son nom provient du celtique vindos qui signifie « blanc, beau, éclatant ». Il est parfois assimilé à l’Irlandais Finn Mac Cumaill.
Dans le conte arthurien intitulé Kulhwch et Olwen, Cordélia, dite aussi selon les variantes des légendes ou des contes : Creiddylad/Creidylad/Creudylad/Creuddylad/Crieddlad/Kreiddylat ; fille de Lludd Llaw Ereint, la plus belle fille de toutes les Bretagnes, s’enfuit avec Gwythyr, fils de Greidawl. Mais avant qu’ils n’aient pu consommer leur union, Gwynn enlève la jeune fille. L’amant lève une armée, mais le ravisseur est victorieux et fait prisonnier de nombreux guerriers. Ces nobles seigneurs ne seront libérés que sur l’intervention du roi Arthur, qui décide que Creiddylad demeurera chez son père. Depuis, tous les ans, aux calendes de mai, Gwynn et Gwythyr se battent pour elle, et à en croire les conteurs gallois, cela durera jusqu’au Jugement dernier. L’allégorie est exemplaire et illustre bien le rôle de purgatoire ou de combat entre le bien et le mal attribué à cette histoire. L’âme/esprit, personnifiée par Creiddylad, est déchirée entre le bien et le mal, et ne peut accéder directement à l’autre monde parallèle de nature paradisiaque.
Gwynn ap Nudd participe aussi à la chasse mythique d’Arthur destinée à capturer le sanglier appelé Trouyth. Il a un rôle psychopompe puisque l’une de ses fonctions est aussi de rabattre les âme/esprits des morts vers l’Anwyn, accompagné de sa meute de chiens fantastiques : les Cwn Annwn. Cette chasse sauvage est connue dans tout l’Occident, et fait partie de la mémoire archaïque européenne. On se la représente généralement sous la forme d’une armée de morts, ou un cortège de revenants, à
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la tête desquels se trouvent différents personnages mythiques comme Arawn, Gwyn, Herne le chasseur, Arthur, ou Hellequin en France. Et malheur à celui qui les croise !
On ne revoyait plus jamais l’imprudent ou on le retrouvait le lendemain, pendu à proximité de l’endroit où son chemin avait croisé celui de cette troupe maudite.
Dans un manuscrit du XIIe siècle, on décrit ainsi ce redoutable équipage : « Un grand nombre de personnes ont vu et entendu les chasseurs. Ils étaient noirs, grands et répugnants, leurs chiens étaient sales et tout noirs avec de grands yeux. Ils chevauchaient des chevaux noirs… Des hommes dignes de confiance les ont vus la nuit et ont affirmé qu’il y avait bien là vingt ou trente personnes soufflant dans des cors de chasse ».
Gwynn a d’ailleurs été rapidement expédié en enfer par les prêtres chrétiens, et son nom est devenu synonyme de démon. Dafydd ab Gwilym, au lieu de dire : « Que le diable m’emporte ! » écrit : « que Gwynn, fils de Nudd, m’emporte ! » Mais la légende de saint Collen, qui a donné son nom à Llan-gollen, dans le Denbigshire, montre que ce n’est pas sans peine qu’ils ont réussi à diaboliser cet ancien dieu, dans l’esprit des Gallois.
Après une vie brillante et vaillante à l’étranger, Collen était devenu abbé de Glastonbury. Il voulut fuir les honneurs et se retira dans une cellule sur une montagne. Un jour, il entendit deux hommes célébrer le pouvoir et la richesse de Gwynn, fils de Nudd, roi d’Annwn. Collen ne put se contenir, et sortit sa tête hors de la cellule en leur criant : « Gwynn et ses sujets ne sont que des diables ! » « Tais-toi ! » répondirent les deux hommes, « et crains plutôt sa colère ». Le lendemain en effet, il reçut de Gwynn une invitation à venir le rencontrer. Collen la déclina. Le jour suivant, même invitation, même résultat. Mais la troisième fois, effrayé par les menaces de Gwynn, et prudemment muni d’un flacon d’eau bénite, Collen se résolut à s’y rendre. Il fut introduit dans un magnifique château. Gwynn était assis sur un trône en or, entouré de jeunes gens et de jeunes filles richement parés. Les habits des gens de Gwynn étaient rouges et bleus. Gwynn reçut très correctement Collen, et mit tout à sa disposition. Après une courte conversation, après avoir dit au roi qui lui demandait son impression sur la livrée de ses gens, que le rouge signifiait chaleur brillante, et le bleu, froid ; il l’aspergea d’eau bénite lui et ses gens, et tous disparurent d’un seul coup.
Il existe néanmoins de nombreux poèmes où Gwynn n’a pas encore ce caractère diabolique, et où il est seulement un héros comme tant d’autres (évhémérisme à rebours).
Dans le Livre noir de Carmarthen, il apparaît comme étant l’amant de Cordélia/Creiddylad, fille de Lludd ; ayant assisté à beaucoup de batailles, ainsi qu’à la mort de beaucoup de héros.
Le Mabinogi concilie légende chrétienne et païenne. Ne pouvant l’arracher de l’enfer, où saint Collen et ses amis l’ont irrévocablement installé, l’auteur explique en effet que c’est uniquement afin de mater les démons et les empêcher de nuire aux mortels, qu’on l’y a envoyé.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le dire déjà, plutôt brièvement, on appelle chiens d’Annwn ou Cwn Annwn dans le folklore gallois, les chiens fantômes participant à la chasse sauvage menée par Gwynn (ou Arawn ?) et donc considérés par les chrétiens comme étant les chiens de chasse du maître des enfers. Ils étaient associés aux migrations des oies sauvages dont le cacardage nocturne était censé être leurs aboiements. Certains récits nous les décrivent escortant les âme/esprits des défunts dans leur voyage vers l’au-delà.
Ces chasses sauvages n’avaient lieu que certaines nuits de l’année. La veille de la saint Jean, de la saint Martin, de la saint Michel archange, de la Toussaint, de Noël, du Nouvel An, de la sainte Agnès, de la saint David, et du Vendredi saint. Ou seulement en Automne et en Hiver, et pendant les gourdeziou (les douze jours allant de Noël à l’Épiphanie). Ces chiens étaient à l’occasion accompagnés par une horrible sorcière appelée Mallt-y-Nos (Mathilda de la Nuit).
Arawn est également dit, dans certaines variantes, roi d’Uffern, mot gallois généralement traduit par enfer, notamment dans les écrits de Taliesin. Ce qui en ferait donc un synonyme chrétien d’Annwn. Il est néanmoins difficile de dire si cette assimilation de l’Annwn à une sorte d’enfer est due à l’influence chrétienne ; ou si la conception païenne originelle allait déjà en ce sens. Un Mag Meld, mais aussi Tir na mBân, Tir na mBéo, Tir Tairngiri, Tir na nOg, Magh Ionganaidh, Magh Ildathach, Magh Imchiuin, Magh Argetnel, Magh Findargat, Magh Aircthech, Sen Magh, Caer Wydion, Caer Gwydion, Lly’s Don, Caer Arianrhod ou Gwynfa (au Pays de Galles) ou Vindomagos… de seconde zone !
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DONNOS/DONN.
Donnos/Donn, n’appartenant en aucun cas à la tradition celtique la plus authentique, mais plutôt à des légendes relevant de la fertile imagination des bardes irlandais. La légende milésienne du Lebor Gabala Erenn ou livre des conquêtes de l’Irlande par exemple. Et nous avons vu tout ce qu’il fallait penser de ce bric-à-brac.
Le nom gaélique de Donn remonte à une forme * dhus-no, apparentée au latin fuscus, et signifie « noir » ou à tout le moins « sombre » (couleur traditionnelle pour le royaume des morts). Certains textes irlandais le disent capable de se métamorphoser en cerf (Roger Sherman Loomis, mythes celtiques, p. 134) ce qui le rapprocherait donc encore plus de Cornunnos.
Le nemet Cornunnos a été en son temps une sorte de bouddha hyperboréen d’Extrême-Occident. Un grand chaman appelé anatiomaros par les Celtes et semnothée par les Grecs. Un peu comme dans le cas d’un roi se taillant un fief en territoire hostile ; le résultat des innombrables actions méritoires accomplies par ce grand chaman a été la découverte ou l’avènement d’une terre meilleure, et il a fait vœu d’y conduire les âme/esprits.
Chaque anatiomaros pleinement réalisé possède ainsi sa terre où il enseigne. Les caractéristiques propres à chacune de ces Terres meilleures dépendent des vœux que chaque semnothée a énoncés au début de sa carrière. Dans le cas du Nemet Cornunnos, cette terre meilleure n’est en fait qu’une antichambre du paradis, un état transitoire servant de passage vers l’autre monde paradisiaque au sens strict du terme. Un monde de saha dirait en quelque sorte nos amis bouddhistes, uniquement destiné à faire progresser ses habitants dans leur prise de conscience de la vérité.
Un anatiomaros évolué en effet peut s’avérer capable d’édifier un autre monde à lui tout seul, un peu comme un magicien, mais quelle en est l’utilité ? Il peut susciter une terre meilleure, il peut en donner un aperçu aux âme/esprits des défunts, il peut même les garder dedans un petit moment, mais il ne peut les y garder indéfiniment.
À en croire le poète du IXe siècle nommé Mael Muru d’Othan, Donno Tegia (Tech Duinn) est le lieu de rassemblement des morts (Cu cum dom thig tissaid uili iar bir n-écail) ; et ce, de par la propre volonté de ce dieu-ou-démon.
Un cairn de pierre a été construit en mer pour abriter son peuple.
Une très antique demeure appelée justement la maison de Donn.
Son testament stipulait à l’intention de ses descendants
Jusqu’à la centième génération :
« Vous viendrez tous à moi, dans ma demeure, après votre mort ».
(Kuno Meyer, Der Irische Totengott, und die Toteninsel page 538).
Dindsenchas métrique, tome IV, poème 114. Donn apparaît dans ce récit comme un roi s’étant librement offert en sacrifice pour les siens, mais aussi comme un ancêtre primordial. Sa tombe sera donc, du coup, inévitablement associée aux naufrages et aux tempêtes, dans le folklore populaire irlandais.
Tech Duinn (Donno Tegia), d’où vient ce nom ? Ce n’est pas difficile ! Quand les fils de Mil arrivèrent de l’ouest pour débarquer en Irlande, leur druide leur déclara la chose suivante. Si l’un d’entre vous grimpe au mât et récite des incantations contre les dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (contre les Tuatha Dé Danan donc) avant qu’ils puissent faire de même de leur côté, la bataille qui sera livrée contre eux nous livrera le pays ; mais celui qui leur jettera cette malédiction mourra.
Ils tirèrent au sort et ce fut à Donn de grimper. Aussitôt dit aussitôt fait. Donn monta au sommet du mât, récita des incantations contre les dieu-ou-démons de la déesse ou démone ou fée Danu (bia), puis redescendit. Ensuite il leur déclara : je jure par le dieu ou démons que, désormais, on ne leur fera pas de quartier, et qu’on ne leur accordera aucune grâce.
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Les hommes du clan de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu (bia) lancèrent à leur tour des incantations contre les fils de Mil. Après qu’ils eurent maudit Donn, une fièvre maligne s’abattit sur le navire. Donn mourra, dit alors Amorgen, et garder son corps ne nous portera pas bonheur, car nous attraperons aussi sa maladie. Mais si Donn est porté en terre, la maladie passera en Irlande.
Alors, transportez mon corps sur une de ces îles, décida Donn, et mon peuple me bénira ensuite à jamais.
Aussitôt après, grâce aux incantations des druides, une violente tempête se leva, et le bateau sur lequel se trouvait Donn se brisa. Faisons transporter son corps sur cette roche élevée, dit Amorgen, et ses gens viendront désormais ici. D’où le nom de ce lieu après cela : Tech Duinn (anciennement Donno Tegia), la demeure de Donn. Et c’est la raison pour laquelle, à en croire les païens, les âme/esprits des pécheurs passent par DonnoTegia (Tech Duinn) avant d’aller en enfer, afin de remercier Donn et lui rendre un dernier hommage avant de disparaître. Mais les âmes/esprits des justes, elles, peuvent apercevoir de loin cet endroit et, donc, l’éviter à temps. Voilà ce que croient les païens.
Les portes de Donno Tegia ou Tech Duinn étaient gardées par deux chiens des plus féroces : un noir et l’autre blanc.
Ce récit situe implicitement le royaume de Donn sous la mer, le cairn en question n’en étant qu’une entrée ; cela ferait donc de Donnotegia (tech Duinn) un pays sous les vagues un peu analogue à la ville d’Ys en France.
Il existe néanmoins deux autres localisations possibles de cette mystérieuse Donnotegia ou demeure de Donn.
Outre l’endroit où Donn est tombé à la mer ; (le rocher du taureau… pourquoi le taureau et pas le cerf d’ailleurs, à moins de rapprocher le personnage de Donn du taureau ou termagant brun de Cooley mis en scène par la Tain Bo Cualnge) ; deux autres lieux se disputent cet honneur : la grande dune de Dunbeg sur la côte ouest de l’Irlande, et Cnoc Firinne ou Knockfierna dans le comté de Limerick. Une cavité non loin du sommet passe pour être une des entrées du palais souterrain de Donn, et les morts y étaient jadis transportés « afin d’être avec Donn ».
Donn serait donc un dieu-ou-démon régnant sur les morts en transit vers l’autre monde druidique, quel que soit son nom : Mag Meld, Vindomagos, Tir na Nog et ainsi de suite.
Assez curieusement, il fait couple avec un autre de ses frères appelé, lui, Eber Finn (Eber le blanc). Ce qui semble attester un certain dualisme à ce niveau de la légende, contrairement à tout ce que l’on peut savoir de la pensée druidique authentique.
Donn est également connu dans le comté de Fermanagh comme ancêtre des Maguire, pouvant intervenir en leur faveur dans certaines batailles. Sa légende ressemble beaucoup à celle des chasses sauvages ou maudites : il est censé galoper sur un cheval blanc durant les nuits d’orage.
Les morts déshonorés ne passent nullement dans l’autre monde parallèle de type paradisiaque (Vindomagos, Mag Meld, etc.), mais retournent sur terre sous le nom de Sluagh. Du moins dans les croyances populaires et dans le folklore. En Irlande et en Écosse, sluagh était le nom donné aux âme/esprits errantes et sans repos. Sous l’influence du christianisme, ces sluagh furent considérés comme des pécheurs n’ayant leur place ni au paradis ni en enfer, et rejetés par les dieu-ou-démons, ainsi que par la terre elle-même. Ils étaient presque toujours décrits comme dangereux ou destructeurs et volant dans les airs en bandes, sous l’apparence d’oiseaux venant de l’ouest, pour s’introduire dans les maisons des mourants, afin d’essayer d’emporter avec eux leurs âme/esprits. Mais nous sommes là plus dans un folklore fortement influencé par la sous-culture chrétienne, que dans la pure théologie druidique. Les très-sachants appelés druides pensent tous qu’il y a différentes étapes à l’après-vie.
Donno Tegia ouTech Duinn était peut-être un royaume sous-marin où les âme/esprits des morts se réunissaient avant de passer à une autre étape de leur voyage. De là, les morts ordinaires pourrions-nous dire, entreprenaient un voyage vers l’ouest, vers Tir na Nog, la Terre de la Jeunesse ; où ils achevaient le reste de leur existence avec les dieu-ou-démons, avant de passer à un stade supérieur et de se fondre dans le Grand Tout. D’autres se réincarnaient afin d’apprendre les leçons d’une autre
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vie. La réincarnation comme animal totem, ou dans une lignée précédente, est un événement courant dans certaines cultures, mais beaucoup plus exceptionnel dans le monde druidique. Là aussi et encore une fois, cela nous fait beaucoup penser à la notion de possédé ou de bacuceos sur le Continent. Pour mémoire : « Ceux que le vulgaire appelle bacuceos, se haussaient au-delà de la taille normale de leur corps, et se grandissaient avec morgue ou en gesticulant […] Estimant être des gens illustres et importants, ils se montraient partout en train d’adorer de tout leur corps les puissances du ciel (sublimiores) ou alors ils se croyaient eux-mêmes adorés par les autres » (Jean Cassien. Conlationes, 7, 32, 2).
Certains auteurs, en raison de cet aspect quelque peu « chasse sauvage » entourant le mythe irlandais de Donn le sombre ; se demandent si ce personnage ne serait pas en fait à rapprocher d’Herne le chasseur, le cavalier fantôme à la tête ornée de bois de cerf, qui emmène la chasse sauvage au travers du ciel anglais ; voire même de l’entité appelée Cornunnos sur le Continent.
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LES ÉLÉMENTALS (APPELÉS ANDERNAS SUR LE CONTINENT FOMOIRE EN IRLANDE).
La déviation irlandaise connaît quelques entités difficilement classables.
« Alors le Hésus Cuchulain fils de Sualtam monta dans son char, lui le cogneur, le faiseur d’exploits, le vainqueur de toutes les batailles, le héros à l’épée rouge, et tout autour de lui les bánanaig & boccánaig & geniti glinni & demna aeóir, les bananach les bocanach les geniti glinni et les démons aériens, car les dieux (ou démons donc) de la déesse Danu (bia) avaient l’habitude de crier autour de lui afin que la peur la terreur l’horreur et l’effroi, qu’il inspirait, soient à leur comble dans tous les combats ou sur tous les champs de bataille et dans tous les conflits, où il intervenait…
Il secoua son bouclier, brandit ses javelots et agita son épée, puis poussa le cri du héros. Les bánanaig & boccánaig & geniti glinni & demna aeóir, les bananach les bocanach les geniti glinni et les démons aériens, épouvantés par ce cri qu’il avait poussé lu répondirent et la Nemania sema la confusion dans l’armée. Les quatre provinces d’Irlande firent sortir de la pointe de leurs javelots et de leurs armes un tel bruit, que cent de leurs guerriers moururent de terreur et d’effroi cette nuit-là en plein camp…
Ensuite il mit sur sa tête son casque de guerre à crête destiné aux batailles aux combats et aux affrontements, d’où il poussait le cri de cent guerriers, un cri comme démultiplié par par chacun de ses coins ou de ses angles, car les bánanaig & bocánaig & geiniti glinne & demna aeóir les bananach les bocanach les geniti glinni et les démons aériens, avaient l’habitude de hurler avec pareillement (sic, voir contre-lais précédents) devant lui au-dessus de lui et autour de lui, où qu’il aille, en annonçant de la sorte que le sang des guerriers ou des champions allait couler à flots. Ainsi fut jeté sur lui le caparaçon de protection (tlachtdillat) invisible de la Tir Tairngire (Terre promise) que lui avait remis Belin/Belen/Barinthus/Manannan fils de Lero, le roi de la Terre de Lumière (Tir na Sorcha) ».
C’est à notre connaissance la seule fois que des élémentals se manifestent ouvertement, ne serait-ce qu’à titre de réminiscence de la magie préchrétienne, dans un épisode de l’épopée irlandaise. Ce sont aussi des geniti glinne ou « esprits de la vallée » qui, maléfiques cette fois, dans un épisode du Fled Bricrend ou « Festin de Bricriu », s’en prendront à trois des plus valeureux héros d’Ulster, Loegaire, Conall Cernach et Cuchulainn. Seul Cuchulainn finira par en venir à bout et les tuer (ils sont au nombre de trois fois neuf), sans dommage pour lui.
Les Siabra ou Siriti siabairti. Le terme siabraid est utilisé pour désigner les contorsions qui déforment le corps ou rendent le visage méconnaissable (cia siabrad sin fil for do bil uair dochiamne h’fiacla uile nochta ? Quel est ce rictus qui te tord la bouche, nous voyons toutes tes dents qui en sortent complètement déchaussées ?).
Peut-être conviendrait-il de rapprocher de * se (i) bho – les termes celtes en seb, dont le seboddu de l’inscription du vieil Évreux (en France). En Irlande en tout cas, ce sont les Siabra qui, selon le Dindshenchas, furent le dernier instrument des druides contre le roi Cormac mac Art.
En Irlande, les vouivres anguipèdes gigantesques que l’on désigne sous le nom d’Andernas sur le Continent, correspondent à l’appellation de Fomoires (ou Fomores, Fomorii). Selon le Lebor Gabála Érenn (Livre des Conquêtes d’Irlande), les Andernas ou Fomoires ont débarqué en Irlande après le Déluge, et sont appelés parfois « Géants des Mers » ; mais ce sont des êtres en réalité présents tout au long de l’histoire mythique du pays, le premier d’entre eux étant d’ailleurs un dénommé Cicolluis sur le Continent, appelé Cicholl gri-Cenchos en Irlande.
Certains en font les dieu-ou-démons « normaux » des peuples pré-gaéliques ayant commencé par habiter cette partie du monde, avant que les « Fils de Mile » ne s’y installent. Notamment les Erainn ou Iverniens et les Fir Bolg.
Les Fir Bolg sont des envahisseurs gaulois ayant occupé l’Irlande avant la montée en puissance des Gaëls ; et ils sont sans aucun doute à l’origine de toutes ces légendes courant dans ce pays sur les Andernas appelés Fomores (qui auraient donc été des entités surnaturelles diabolisées par les Gaëls).
Selon certains auteurs, les Andernas rebaptisés Fomoire, ces guerriers terrifiants décrits par les Goidels sur la base de légendes plus anciennes que leur propre peuplement, ne seraient qu’une expression des craintes naïves de tout peuple face à l’inconnu.
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Les dieu-ou-démons et les déesse-ou-démones à queue de serpent, sont en effet fort nombreux dans toutes les civilisations, dans toutes les traditions, sous toutes les latitudes. Mais mieux encore, nous pouvons voir aussi des couples enlacés, homme et femme à queue de serpent. On peut ainsi mettre en parallèle un couple sculpté sur le porche latéral de l’église de Bodilis (département français du Finistère) avec le couple que forme Fou-Xi, l’inventeur des huit trigrammes primitifs du Yi King, héros civilisateur chinois ; et son épouse-sœur Nouwa, créatrice des hommes après le déluge, et victorieuse du dragon noir Gong-Gong. On trouve aussi de nombreux couples de Nâgas enlacés dans la statuaire indienne.
Les Anciens nous révèlent ainsi souvent « les racines souterraines de la divinité », selon l’expression d’A. K. Coomaraswamy. À Brennilis, la statue de la Vierge Marie, « Notre Dame de Bréac Ellis », a sous ses pieds, Mari Morgane la serpente. Or, en déplaçant la statue pour refaire les dorures, l’on s’est aperçu récemment que la queue de la serpente rejoint la natte de la vierge dans son dos, sans que l’on puisse faire la distinction. En regardant attentivement l’admirable peinture de l’arbre de Jessé qui se trouve dans l’église de Saint-Thégonnec (toujours le département français du Finistère), on peut voir que Jessé rêve, endormi, dans les replis du corps de la fée Mélusine !
La mythologie d’Irlande, elle, nous présente les Andernas appelés Fomoire (ou Fomores ou Fomorii) comme des êtres non humains sortis des profondeurs sous-marines pour envahir le pays, mais une lecture attentive de ces textes nous montre plusieurs choses.
Les Fomoire (Andernas sur le Continent) sont étroitement associés aux Gaulois Fir Bolg. Ils sont présents tout au long de l’histoire du pays. Le mot fomoire vient du vieil irlandais fo muire (irlandais moderne faoi muire), qui signifie « sous-marin ». Leur symbolisme, en Irlande du moins, semble associé à celui des icebergs (les tours de verre), mais le dernier élément de leur nom est peut-être à mettre en rapport avec le deuxième composant, le mot « cauche-mar » (terreur ??)
Cette race titanesque est liée à l’Irlande et nul texte ne parle de son arrivée ; à part quelques brèves mentions chrétiennes en relation avec le mythe du déluge. Keating nous rapporte par exemple une tradition irlandaise en vertu de laquelle le dieu-ou-démon Cicolluis (Cicholl Gri-Cenchos) serait arrivé sur place deux cents ans avant Partholon. Mais Cicolluis a été vaincu par Partholon lors de la bataille de Mag Itha. Les Némétiens auraient, eux aussi, affronté les vouivres anguipèdes gigantesques à plusieurs reprises, et auraient même tué Gann et Sengann, leurs chefs. Mais Gann et Sengann sont également les noms donnés à deux princes gaulois Fir Bolg, par les légendes irlandaises.
Deux nouveaux chefs vouivres anguipèdes gigantesques leur succèdent alors. Conan fils de Fébar, qui habitait dans une tour située sur l’île de Tory, et Morc fils de Dela (mais la première génération des Gaulois Fir Bolg sera aussi considérée comme étant celle des fils de Dela par la documentation irlandaise ultérieure, alors ????).
Après la mort du nemet Cornunnos, Conan et Morc réduisent son peuple en esclavage et l’écrasent d’impôts.
Les Némétiens se révoltent sous la conduite d’un de leurs chefs du nom de Fergus, et détruisent la tour de Conan. Mais leur victoire sera de courte durée, car ils subiront de lourdes pertes face aux troupes de Morc, et devront abandonner le pays.
Assez curieusement, l’invasion suivante, celle des Gaulois Fir Bolg, n’aura pas à combattre ces vouivres anguipèdes gigantesques (Andernas sur le Continent, Fomore en Irlande).
Inhumains et démoniaques, les Andernas ou Fomoire sont dotés de pouvoirs magiques et représentent le chaos. Ils sont décrits comme étant extrêmement affreux, avec un seul œil au milieu du visage, un seul bras, une seule jambe, et une tête d’animal (chèvre, cheval ou taureau). Mais certains de leurs plus illustres représentants peuvent également être décrits comme étant d’une grande beauté, par exemple Elatha, le père de Bregsos/Bres, et Bregsos lui-même, qui était renommé pour son charme et sa grâce.
Cette ambivalence des formes de nos arkhontes ou élémentals primaires se retrouve également sur le Continent. Sur le Continent, les Fomoire sont appelés Andernas et ce sont des anguipèdes ou des vouivres. L’Anguipède est une créature fantastique dont le corps finit en queue de serpent. Équivalent de l’Abrasax de la mythologie grecque, ce personnage symbolise les forces souterraines indifférenciées.
Vouivre est tout simplement un mot issu du latin vipera : la vipère, le serpent. Mais ce n’est là qu’une des multiples formes qu’a données, selon les dialectes, l’étymon latin.
Le mot vaivre, lui, provient d’un terme celte *vobero ou *vabero, désignant un petit ruisseau plus ou moins caché, l’endroit où de l’eau sourd de terre. C’est pourquoi on le retrouve dans divers lieux-dits pour désigner une source, un ruisseau, mais aussi un bois, une prairie ou une terre humide. Exemple :
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Pré de Vaivre, bois de Vaivre, source de Vaivre, Woëvre (quand j’étais petit, on disait « la ouavre » « de la ouavre » par exemple), etc.
Les Vouivres passant généralement pour hanter les lieux humides, on s’attendait tout naturellement à ce qu’il y en eût dans les lieux-dits « de vivre » ou « de voivre », qui devaient leur nom à l’humidité du sol.
On peut retenir quelques traits caractéristiques, permanents, qui forment comme le noyau de sa légende.
La Vouivre, conformément à l’étymologie du mot, est un serpent. Elle passe la plus grande partie de son temps sous terre. Son repaire peut être un trou qui s’ouvre à même le sol, une caverne au flanc d’une falaise, ou les souterrains d’un château en ruines. Mais elle fréquente aussi les milieux aquatiques : rivière tranquille miroitant sous les feuillages, étang paisible au milieu d’un bois, source courant sous la mousse ou s’étalant dans un bassin de pierre, parfois même fontaine en plein cœur d’un village. C’est là qu’elle va boire ou se baigner. La vouivre apprécie les lieux peu habités comme les marais, ou les grottes.
Tant qu’on ne la provoque pas, la vouivre n’est pas un animal dangereux. Obéissant, comme une belle mécanique, aux impulsions de sa nature, elle reste indifférente au monde des humains. Mais si l’on tente de s’emparer de son escarboucle, la bête devient alors furieuse, fond sur l’imprudent, et s’acharne sur lui avec une telle férocité qu’il est bientôt mis en pièces.
Certaines traditions sont beaucoup moins pures, et la Vouivre s’y présente sous des formes diverses. C’est qu’elles ont été contaminées par d’autres croyances, comme celles qui traitent des dragons.
Il est d’autres traditions encore où la Vouivre n’est plus seulement une bête monstrueuse, mais où elle s’humanise, soit en se présentant comme une créature mi-femme, mi-serpent, soit en ayant été femme dans une existence antérieure (cf. la fameuse Mélusine ancêtre des Plantagenêts).
La légende déborde largement les limites de la Franche-Comté (de Bourgogne). C’est ainsi qu’on la rencontre aussi dans l’ouest de la Suisse. Sa présence y est attestée par des toponymes : il existe par exemple un « bois des vouivres » dans le Jura bernois. Mais c’est surtout le Valais qui est encore riche de légendes la concernant. Un monstre, nommé « la Ouivre », hantait les flancs de la montagne du Louvye et s’attaquait au bétail, au grand désespoir des éleveurs. Ce serpent était dépourvu d’escarboucle, mais il était souvent affublé d’une tête de chat. On raconte que les montagnards du Valais sont parvenus à s’en débarrasser en l’appâtant par des taureaux qu’ils avaient nourris uniquement de lait, pendant sept ans ; et qu’ils avaient revêtus de cuirasses de fer contre lesquelles le monstre affamé serait venu se fracasser.
On retrouve également la vouivre par exemple aux sources de l’Areuse, dans le canton de Neuchâtel. La vouivre figure aussi dans les armoiries du pays d’Ajoie. En Suisse alémanique, on trouve Wira et Wura, également Lindwurm et Stollenwurm. Dans le Val d’Aoste on dit Ouibra. Guivre dans le Piémont. Dans le Val d’Aoste et en Savoie, la Vouivre passait pour garder des trésors, et de nombreux récits rapportent les stratagèmes employés par quelques audacieux désireux de s’en emparer…
La difformité tout comme l’anomalie physique (unicité de l’œil, de la jambe et du bras) font partie des signes ou des marques du monde infernal des Andernas ou Fomoire, lesquels sont donc l’équivalent celtique des Titans grecs ou des Vanes germaniques. Mais cela, c’est le résultat de la christianisation, qui a rejeté les Andernas rebaptisés Fomoire dans les ténèbres infernales.
Il y a eu visiblement exagération en ce sens de la part des Irlandais qui, avant même la venue du christianisme, ou juste après et à cause de ce dernier, ont diabolisé ces êtres surnaturels souterrains. L’unicité des membres n’est que le signe ou le symbole du caractère primordial des êtres divins, voire de l’autre monde en général.
En outre, tous les dieux au sens irlandais du terme, ont des liens de parenté avec eux. Le prince du peuple des Andernas ou Fomoire, Bregsos/Bres, sera même provisoirement roi de la tribu de la déesse ou démone, ou fée, Danu (bia). C’était d’ailleurs le candidat favori des femmes (à cause de sa beauté).
Les vouivres anguipèdes gigantesques (Andernas sur le Continent, Fomoire en Irlande) écraseront les habitants de tributs énormes et les obligeront à vivre dans une peur permanente. Par la suite aura donc lieu une grande et gigantesque bataille entre eux et les hommes de la déesse ou démone, ou fée, Danu (bia), la seconde bataille de la Plaine aux menhirs ou aux tumuli ; exact équivalent du combat des dieu-ou-démons olympiens et des titans dans la tradition grecque, ou du combat des Ases et des Vanes dans la tradition germanique. Sans oublier les épopées indiennes des Indes sur le même thème.
On peut en déduire ceci.
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Les mythes relatifs aux enfants de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), et aux Andernas ou Fomoires, ont été importés en Irlande. Le prouve de façon péremptoire le cas de Cicholl gri-Cenchos. Ce prince du peuple des Andernas ou Fomors nous est présenté comme ayant toujours habité l’Irlande. Or il est aussi connu comme demeurant sur le Continent sous le nom de Cicolluis. Les Celtes du Continent n’étant certainement pas originaires d’Irlande, il n’y a donc qu’une explication possible. Les Irlandais ont adapté à leur île des mythes continentaux.
Ces mythes et ces légendes ont influencé les mythes et légendes des populations qui leur ont succédé, avec de profondes altérations, jusqu’au Moyen-âge. La datation donnée par les annales irlandaises est erronée pour la période archaïque. Ces textes ont été remaniés à la fin du Moyen-âge par des copistes chrétiens qui ont tenté de les rendre compatibles avec une chronologie plus biblique.
Les termes « Fir Bolg », « Fir Gallioin » et « Fir Domnain », se rapportent aux Andernas rebaptisés Fomoires (les Fir Domnain) ou à des peuples gaulois qui leur sont associés.
Contrairement à ce que prétend une étymologie populaire, Fir Bolg ne signifie pas « Hommes-Sacs », mais « Hommes de la Foudre », c’est-à-dire possédant la métallurgie du bronze, voire du fer. De même, Fir Gallioin signifierait « Hommes de la Gaule », c’est-à-dire « gens du Continent » ; et « Fir Domnain » ne correspond nullement à « Hommes de Domnonée » (un des noms de la Bretagne continentale), mais « Hommes de l’Abîme », puisqu’il est dit que les Andernas ou Fomoires « adoraient » une divinité féminine des abîmes sous-marins : Domnu.
Une des caractéristiques fondamentales de la théologie druidique, était pourtant son refus du dualisme ou du manichéisme, et certaines des entités inférieures de son panth-éon, ou plérôme, étaient donc tout simplement ambivalentes (ni bonnes ni mauvaises, mais À LA FOIS BONNES ET MAUVAISES). Pas comme les djinns de l’islam toutefois.
Les bocanaig, les bananaig et les esprits des vallées (geniti glinne) sont aussi à ranger parmi les dieu-ou-démons (les Tuatha Dé Danann) ; si l’on en croit certains passages de la légende de l’enlèvement des bœufs de Cooley, nous parlant de la terreur que peut inspirer à ses ennemis le Hesus = Cuchulainn (voir notamment son combat contre Ferdiad).
Une de leurs caractéristiques était de pouvoir donner, à ceux qui en étaient victimes, l’impression d’entendre autour d’eux des cris ou des chuchotements.
Certaines de ces entités inférieures du panth-éon ou plérôme celtique primitif originel, encore indifférencié entre forces du bien et forces du mal (les égrégores et les élémentals. Voir l’ambivalence du thème folklorique de la vouivre) ont peu à peu été « démonisées » ou assimilées au camp des forces négatives. Le phénomène est particulièrement flagrant dans le cas de l’Irlande.
Par exemple dans le Livre des Conquêtes, où l’élémental appelé Cicolluis (Mars Cicolluis sur le continent) s’est retrouvé assimilé à un roi vouivre anguipède (un des Andernas ou Fomoire), ayant maille à partir avec le roi Partholon. Cicholl gri-Cenchos, Cicholl (ou Cigal) le sans-pied, sans pied et non aux pieds fourchus, attention !
Quant aux bocanaig, aux bananaig et aux esprits des vallées, voilà ce que cela donnera sous l’influence du christianisme dans les textes ultérieurs. « Les furies les monstres et les sorcières de malheur du jugement dernier crièrent alors si fort qu’on les entendit jusque dans les rochers les cascades ou les anfractuosités de la terre entière. C’était comme le cri d’agonie effrayant du jour du jugement dernier, quand la race humaine tout entière quittera ce monde ».
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir au début de cette étude, il y avait dans le druidisme antique un concept analogue à celui des élémentals de Paracelse, mais appelé « duses » (singulier dusius, pluriel dusii) ; autrement dit des forces semi-intelligentes demeurant dans divers domaines invisibles. Ce sont en quelque sorte les gardiens de la nature, ils veillent sur la croissance des animaux et des plantes, composent la part spirituelle de la Terre, des pierres, des rivières ou du vent.
Chez les Romains, les faunes et les sylvains étaient, à peu de différence près, ce qu’étaient les égipans et les satyres chez les Grecs. Dieu-ou-démons rustiques, on les représentait sous la même forme que les satyres, mais sous des traits moins hideux, avec une figure plus joyeuse, et surtout avec moins de brutalité dans leurs amours.
Sur les monuments, on voit des faunes qui ont toute la forme humaine, hormis la queue et les oreilles ; quelques-uns paraissent avec un thyrse et un masque. Généralement, le haut du corps est humain, tandis que le bas est celui d’animaux comme la chèvre (ou correspondrait alors plutôt à un égrégore animal selon les très-sachants de la druidiaction).
Les Romains distinguaient les faunes des sylvains, par le genre de leurs occupations, qui se rapprochent davantage de l’agriculture. Cependant, les poètes prétendaient que l’on entendait
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souvent la voix des faunes dans l’épaisseur des bois. Quoique demi-dieu-ou-démons, ils n’étaient pas immortels, mais ne mouraient qu’après une très longue existence.
D’ordinaire le dieu-ou-démon sylvain est représenté tenant une serpe, avec une couronne de lierre ou de pin, son arbre favori. Les sylvains demeuraient de préférence dans les vergers ou les bois.
Sylvain avait plusieurs temples à Rome, en particulier un sur le mont Aventin, et un autre dans la vallée du mont Viminal. Il en avait aussi au bord de la mer, d’où son appellation de littoralis.
Ce dieu-ou-démon était l’épouvantail des enfants qui se plaisent à casser des branches d’arbre. On en faisait une sorte de croquemitaine, qui ne laissait pas gâter ou briser impunément les choses confiées à sa garde.
La procession des Luperques, prêtres-loups, lors de la fête des Lupercales, le 15 février, lui était dédiée.
Mais laissons là nos amis romains, et tentons une approche plus sérieuse, plus druidique. En réalité, il est plus judicieux de dire que ces âme/esprits de la nature, appelées duses, ont pour corps des formes d’énergie qui ne sont pas strictement physiques ou matérielles, au sens commun du terme ; bien que toute énergie ait aussi un aspect matériel, et nous prouve chaque jour ses effets sur le plan physique de la matière.
L’existence d’états vibratoires intermédiaires entre l’énergie invisible et la matière visible, fait que l’homme peut accéder à l’observation des élémentals, sans même le rechercher. Le fait que ce que nous appelons « électricité » est une énergie normalement invisible, n’empêche pas qu’en parcourant la surface d’un câble métallique, elle produise des phénomènes matériels bien visibles ; telle la mise en mouvement d’une lourde machine.
Les élémentals ou duses, sont doués d’une réactivité beaucoup plus grande que la nôtre à leur environnement, leurs formes étant plus instables et plus dynamiques. Quand leur vibration se ralentit, ces formes se matérialisent davantage, et se voient plus facilement. Pour obtenir d’eux ce ralentissement vibratoire, les êtres humains qui souhaitent les percevoir et communiquer avec eux, doivent d’abord en exprimer la volonté avec force, mais sans agressivité ; car la moindre instabilité dans les consciences se répercute sur les âme/esprits de la nature, et les chasse vers leurs « refuges » énergétiques, ou les effets d’optique propres à leur extraordinaire pouvoir de se dissimuler dans les Éléments mêmes qu’ils habitent. Sous la désignation générale de génies ou djinns, ces âme/esprits des éléments apparaissent dans les mythes, les fables, les traditions, ou la poésie de toutes les nations anciennes et modernes. Leurs noms sont légion.
Arrivés à ce point de notre petit exposé sur le panth-éon druidique ; et malgré le caractère assez anti-scientifique ou non-scientifique de la chose (la croyance aux djinns est un véritable défi à la science moderne) ; il peut être utile de jeter aussi préalablement un rapide coup d’œil sur notre équivalent dans le monde arabe du temps de la Djahiliyya *, ou d’après (arabo-musulman). Les djinns sont des sortes d’ange-ou-démons dans les croyances sémitiques. Pour les très-sachants arabes de l’Antiquité (Djahiliyya), ces dieu-ou-démons représentaient une autre race de créatures habitant la terre, c’étaient des esprits qui habitaient les endroits déserts, les points d’eau, les cimetières et les forêts. Pour se manifester, ils prenaient diverses formes dont celles de l’homme ou des animaux, par exemple des serpents. Leurs noms, paroles ou comportements, qui demeuraient étranges, permettaient de les discerner des humains quand ils en prenaient la forme. Quelques-uns de ces esprits inspirèrent d’ailleurs certains poètes du temps de la Djahiliyya (on retrouve d’ailleurs là le sens du mot démon en grec).
À en croire Jacqueline Chabbi les adversaires politiques de Mahomet du temps où il était dans l’opposition à La Mecque, ne se sont d’ailleurs pas privés de faire circuler la rumeur qu’il était dans ce cas (inspiré ou possédé par un djinn) : Coran chapitre 37, verset 36 ; chapitre 51, verset 39, chapitre 52, verset 29.
Ce type d’ange-ou-démons appelé « djinn » est donc capable, du moins le croyait-on à l’époque, d’exercer une influence spirituelle et mentale sur le genre humain (contrôle psychique : possession), mais ne l’utilise pas nécessairement. Leur force est en outre à proprement parler « surhumaine ».
Comme l’Homme, ils se reproduisent et vivent partout sur terre (même dans le désert ou les mers) et au milieu des hommes. Mais contrairement à l’homme qui a été créé avec la fâcheuse tendance à oublier, les dieu-ou-démons que les Arabes appellent djinns, n’oublient rien de qu’ils ont pu vivre, voir, entendre ; et ce, de leur naissance jusqu’à leur mort.
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Les théologiens musulmans se sont beaucoup penchés sur leur cas, mais pensent que les découvertes essentielles en ce domaine ne doivent pas être divulguées (car elles pourraient être utilisées à mauvais escient). Mais voici quand même ce que l’on peut en dire.
Comme l’indique le Coran dans le chapitre intitulé en Arabe Ar-Rahman (« Le Tout Miséricordieux »), les djinns sont des êtres créés par Dieu ou le Démiurge à partir de Feu. Le Coran considère que l’Homme est supérieur à ce type de dieu-ou-démon (importante différence entre les très-sachants de l’islam et les très-sachants du druidisme sur ce point).
Contrairement aux anges, faits de lumière, qui n’ont pas de libre arbitre et ne font que ce que Dieu leur demande ; les djinns, comme les hommes, peuvent désobéir à Dieu et commettre des péchés. Comme les hommes également, ils sont organisés en royaumes, États, tribus, peuples, ils ont des lois, comme dans le cas des dieu-ou-démons du druidisme ; et des religions. Là, par contre, se trouve une autre des très importantes différences séparant les conceptions druidiques à ce sujet, de celles qui ont cours chez les musulmans ; qui vont jusqu’à penser que ces créatures intermédiaires peuvent aussi avoir une religion analogue à celle des hommes (puisque tous les prophètes ont été envoyés par Dieu à la fois pour les djinns et les hommes, d’après l’islam). Ces ange-ou-démons nommés djinns sont donc eux aussi appelés à croire, et devront par conséquent affronter le Jugement dernier, tout comme les êtres humains.
Il y a donc de bons et de mauvais djinns. Les mauvais sont appelés shayatîn (cf. satan pour le christianisme). À ce sujet, on rapporte dans les hadiths qu’un mauvais djinn qui « suivait » constamment Mahomet, finit par se convertir à l’islam et devenir un bon djinn avant sa mort, vu l’isma de ce dernier. Le plus connu de ces dieu-ou-démons appelés djinns est Iblis.
Pour l’islam, les djinns n’ont aucun pouvoir sur l’être humain à part celui de murmurer à son oreille, et ne peuvent pas entrer dans le corps humain ni le commander. Mais certains théologiens musulmans soutiennent néanmoins qu’ils ont le pouvoir de posséder ceux qui sont en état de souillure (c’est-à-dire ceux qui n’ont pas fait leur ablution rituelle) ou qui consomment des aliments interdits (drogue, alcool, sang, viande non licite).
De manière générale, l’alliance entre l’homme et le dieu-ou-démon de type djinn, donne un pouvoir immense à celui ou ceux qui s’appuie (nt) dessus. Le djinn peut aussi s’opposer à l’homme, ce qui représente un des deux cas, dans le bien comme dans mal, mais ils peuvent aussi tous les deux, seuls ou à plusieurs, créer des forces gigantesques en se complétant mutuellement ; là aussi pour le pire comme pour le meilleur. Dans ces conditions, ou l’homme soumet le djinn, de par sa propre science (que Dieu lui a donnée, ajoutent les théologiens musulmans) ou parce que Dieu l’a expressément voulu, tant dans le sens du bien que dans celui du mal. Il est dans le mal lorsque les objectifs poursuivis sont contraires aux lois imposées par Dieu-ou-le-Démiurge, ou lorsqu’il ne reconnaît pas que sa science lui a été donnée par Dieu ou le Démiurge. Généralement les deux sont liés.
Les musulmans pensent également (et ils ont raison) que personne ne peut prédire hormis Dieu ou le Démiurge selon eux bien sûr, mais ils croient néanmoins qu’une personne pactisant avec un djinn pourrait savoir beaucoup de choses… de par leur nature. L’intervention d’un ou plusieurs dieu-ou-démon (s) de ce type fait donc la force des grands magiciens ou sorciers… Fin de notre bref aparté sur les élémentals de la religion musulmane.
Laissons là nos amis arabo-musulmans, et revenons à des considérations plus prudentes et plus mesurées à ce sujet, une approche plus sérieuse, plus druidique. Le culte naturiste ou animiste revu et corrigé par le druidisme n’est pas nécessairement comme on le dit souvent, primitif, puisqu’il considère le monde comme une objectivation de la pensée divine. Mais en réalité, il est plus judicieux de dire que ces âme/esprits de la nature, appelées duses, ont pour corps des formes d’énergie qui ne sont pas strictement physiques ou matérielles, au sens commun du terme ; bien que toute énergie ait aussi un aspect matériel, et nous montre chaque jour ses effets sur le plan physique de la matière. Repetere = ars docendi.
* Djahiliyya = grosso modo laïcité.
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LES FÉES DE TYPE BONNES MÈRES, MAIRES, OU MATRES.
Certains auteurs, tels Marija Gimbutas, pensent que le culte de la Déesse-ou-démone, ou de la fée si l’on préfère ce terme, apparaît au paléolithique inférieur. Selon cette hypothèse, les premières traces de cette religion primordiale remonteraient à 35 000 avant notre ère, avec en particulier des vestiges tels que la Vénus de Willendorf.
Le culte ou la vénération de déesse-ou-démones, ou fées, au lieu de dieu-ou-démons comme par la suite, fait référence au culte de la transmission de la vie et de la fertilité, tel qu’il semble avoir été universellement pratiqué à la fin de la Préhistoire. Ce culte, dans lequel la figure de la femme tenait une grande place et revêtait une dimension sacrée, consistait surtout en une vénération du principe féminin universel.
Ce système n’impliquait aucune discrimination sexuelle, mais se fondait sur l’importance accordée au féminin, la femme incarnant la reproduction de l’espèce et son espoir de pérennité ; dans une dimension temporelle qui n’était pas linéaire comme elle le devint plus tard, mais circulaire et cyclique.
L’existence d’un tel système social durant la préhistoire n’est plus guère mise en doute aujourd’hui, même si ethnologues, archéologues et anthropologues ne sont pas toujours d’accord sur sa définition.
Ce qui pose davantage problème est de savoir pourquoi et comment le patriarcat s’y serait substitué pour s’imposer avec l’invention de l’agriculture, entre – 5000 et – 3000.
Les Déesse-ou-démones-mères seront appelées après la conquête romaine Matrae, Matres ou Matronae, elles sont, encore plus fondamentalement qu’Épona, les déesse-ou-démones basiques de l’abondance, de la richesse, de la famille, du clan, de la tribu. Souvent associées aux sources et aux fontaines, guérisseuses, guérisseuses ou pas.
Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio *.
Quoique l’idée de maternité tienne une large place dans les conceptions religieuses et dans les pratiques du culte chez les Romains [JUNO, P. 684 ; matronalia, mater matuta, matralia, etc.] ; il n’est question nulle part, dans les monuments littéraires de la latinité classique, de divinités appelées Mères et invoquées à titre collectif. Néanmoins l’existence de cette classe de divinités nous est attestée par des inscriptions en grand nombre (on en connaît aujourd’hui plus de quatre cents) et même par des monuments figurés ; la plupart originaires des provinces celtiques ou germaniques, les autres érigés en Italie par des Celtes ou des Germains, qui ont émigré dans cette région du monde, d’ordinaire pour cause de service militaire.
Les inscriptions se compliquent de vocables et de formules empruntés aux procédés de la piété romaine ; les représentations plastiques s’accommodent elles-mêmes à celles de l’art romain ; il y a là des documents intéressants pour l’histoire de la religion romaine, dans ses rapports avec celle des peuples conquis.
La recension et la comparaison des textes épigraphiques où survit le culte des divinités mères, prouvent qu’elles sont appelées indifféremment, suivant les régions, Matres ou Matrae (avec la forme matrabus), Matronae (qui a donné matronabus) et enfin Mairae. Matrae, mairae ainsi que les formes spéciales du datif, appartiennent à la langue populaire. Mairae a été contesté, tant qu’on n’en connaissait qu’un seul exemple, de lecture douteuse. Mais la forme est sûre, aujourd’hui qu’il en a été découvert trois autres, tous les trois dans la région où la Gaule Belgique confine à la Lyonnaise (dans celle de Dijon). C’est aux linguistes de discuter les rapports qui peuvent exister entre les fées de type Mairae, Matrae ou Matres ; il nous suffit de constater que ces termes désignent des personnifications identiques, et que Matronae en est un synonyme. Le plus vénérable et le plus fréquent est celui de Matres ; seules les fées de type Matres sont nommées augustae, une épithète qui leur donne une sorte de consécration officielle ; quelquefois divae ou deae, alors que divinae Matronae ne se rencontre qu’une seule fois, augustae ou deae Matronae… jamais ! Le caractère divin des unes et des autres ressort cependant de ce fait que toutes sont également invoquées à côté d’autres dieu-ou-démons romains, avec Jupiter, Mercure, Neptune, Minerve, Bona Dea, Diane, etc. ; avec des divinités de nom indéterminé (dis deabusque), avec des génies d’ordre inférieur comme Fortuna, les Junones, les Genii proprement dits. Dans certains cas, l’identité des Matres et des Matronae est garantie par les
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énumérations où elles figurent ensemble, sans préoccupation de préséance, par leur association avec des divinités de premier rang, enfin par la ressemblance générale des formules d’invocation et de dédicace. Il faut y regarder de près pour s’apercevoir qu’en fait, les Matronae sont subordonnées aux Matres, que les fonctions de celles-ci sont plus relevées ou leur pouvoir d’une application plus large. Aux Maires les hommes s’adressent plus que les femmes ; et les Matronae semblent honorées assez souvent dans des conjonctures ou dans des intérêts particuliers à leur sexe. Ce qu’elles furent au juste les unes et les autres, nous l’apprenons d’abord par les pays d’où elles sont originaires et par la nationalité de ceux qui, en pays latin, leur adressent des hommages. À Rome, la religion des Maires figure parmi les cultes pratiqués par les EQUITES SINGULARES, une garde impériale qui se recrutait surtout aux bords du Rhin et du Danube.
Sur les inscriptions découvertes au Latran, où ces cavaliers avaient une de leurs casernes, elles sont invoquées comme des divinités de la patrie absente. Les dédicants, soldats ou officiers de grade inférieur (le plus élevé en grade est un tribun), sont manifestement des étrangers installés dans la capitale. De même en pays latin, les adorateurs des fées de type Matres ou Matronae, quand ils ne sont pas soldats, sont des peregrini, marchands, esclaves ou affranchis, toujours des gens de basse condition, quelquefois des femmes. Les monuments modestes qu’on leur élève sont à placer entre le règne de Caligula et celui de Gordien ; c’est le IIe siècle qui en fournit le plus grand nombre. Hors de l’Italie, les inscriptions sont surtout fréquentes sur la rive gauche du Rhin, plus rares sur la rive droite ; elles se multiplient à mesure que l’on descend vers la Lyonnaise. Nombreuses aux pays des Voconces, des Allobroges, dans la Narbonnaise orientale, il y en a chez les Séquanes, les Helvètes, les Lingons. Dans tous ces pays domine la dénomination de matres ; matrona par contre est de règle dans la Gaule transpadane, exceptionnelle dans la Gaule proprement dite, très fréquente en pays germanique, où des vocables barbares, au sens le plus souvent obscur, les déterminent. En revanche, la Grande-Bretagne, qui nous fournit une ample moisson d’hommages aux Matres, semble ignorer les Matronae ; alors que l’Espagne, qui ne connaît pas davantage ces dernières, ne figure que pour de rares documents dans la statistique des fées de type Matres ; mais partout, dans ces deux derniers pays, les dédicants sont des soldats ou des voyageurs qui ont transporté en pays étranger un culte de leur patrie. Particularité curieuse : l’Aquitaine et la partie de la Narbonnaise qui l’avoisine semblent à peu près indifférentes, aussi bien aux fées de type Matronae qu’aux fées de type Matres, comme si ces provinces étaient purement romaines.
Cependant, si en Aquitaine les inscriptions sont rares, c’est cette province qui nous fournit deux des monuments figurés dont il sera question plus loin. À cet égard, une épithète caractéristique est celle de transmarinae que donnent aux Mères les inscriptions de la Grande-Bretagne, afin de signaler qu’elles y sont, dans ce cas, venues du Continent.
Non moins démonstratifs sont les hommages aux Mères d’Italie, de Germanie, de Gaule, de [Grande] Bretagne, d’Afrique, dont les auteurs sont des légionnaires stationnés à l’étranger. Quelques-uns généralisent en invoquant les déesse-ou-démones, ou fées si l’on préfère ce terme, à titre de domesticae, de matres omnium gentium, ce qui doit s’entendre des nations que les Romains appelaient barbares, donc à l’exclusion des Romains eux-mêmes. La distribution géographique de toutes ces inscriptions en général, l’origine de ceux qui les élèvent là où les ont conduits les hasards de leurs campagnes ; et par-dessus tout le grand nombre de vocables celtiques ou germaniques qui diversifient leur personnalité ; nous permettent de ramener la religion des Mères à son berceau ; on peut hésiter entre la Germanie occidentale et la Gaule. L’opinion la plus probable, c’est que les fées de type matres sont de provenance celtique et que celles qui ont l’allure germanique ont été importées sur la rive droite du Rhin. Puis acclimatées en Germanie, par les Celtes qui y formaient un élément notable de la population, comme elles ont été plus tard acclimatées en Italie par les Germains et les Celtes. L’adoption devait être d’autant plus aisée que les Germains aimaient diviniser la femme, à lui accorder l’intuition prophétique et une influence surnaturelle dans les affaires publiques et privées. Un fait qui, de ce point de vue, est important, c’est que les représentations encore subsistantes des fées de type Matres, ont toutes été trouvées dans les pays celtiques ; ou dans des régions de Germanie et d’Italie que les Celtes avaient occupées par immigration ou conquête.
Toutes ont subi l’influence de l’art romain pour l’ordonnance générale des monuments et pour le choix des attributs qui rendent les divinités reconnaissables. Elles sont d’ordinaire groupées en triade, ce qui les a fait identifier, dans l’Antiquité déjà, avec les trois Parques ou Fata, auxquelles elles ressemblent à d’autres égards. C’est pour cela que des mythologues modernes les ont rapprochées des Nornes de la légende germanique, et leur ont donné la même origine ; d’autres même ont voulu y voir la personnification des trois Gaules. Toutefois, ce nombre ne paraît pas exclusif d’autres groupements ; sans parler d’un bas-relief d’Avigliana sur lequel cinq femmes se tiennent par la main en dansant, au-dessus d’une invocation aux fées de type Matres, lesquelles ne sont pas sûrement ces femmes. Il est question ailleurs de divinités analogues aux Matres, groupées par deux. Il n’y a aucune témérité à
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interpréter comme des Matres ou Matronae individuelles, des figurines en terre cuite, la plupart découvertes en Gaule, qui représentent des femmes assises, dans l’attitude et avec le costume de celles qui sont groupées ailleurs par triade ; et portant dans la main ou une pomme, symbole de leur action bienfaisante et fécondante, ou la corne d’abondance. Tel est le cas de la figurine, qui a été trouvée à Angoulême, et dans laquelle on a voulu voir quelque divinité égyptienne, opinion aussitôt abandonnée que formulée. Nous estimons qu’elle doit être également cataloguée parmi les fées de type Matres.
C’est le groupement par trois cependant qui nous fournit la représentation caractéristique des fées de type Matres ou Matronae ; et parmi les monuments qui nous les présentent ainsi, le plus remarquable est la niche trouvée en 1875, dans le duché de Juliers en Prusse rhénane, aujourd’hui conservée au musée de Mannheim. Elle porte l’inscription : MATRON (is) CESAIEN (is) M. JUL (ius) VALENTINUS ET JULIA JUSTINA EX IMPERIO IPSARUM L (ibentes) M. (erito). Le vocable Cesaienae ou Gesaienae reste obscur ; Tacite mentionne un Julius Valentinus parmi les chefs du soulèvement des Bataves en 70, mais le nom est fréquent dans cette région. L’inscription, en grandes capitales, soutient la niche où les Matronae sont assises sur une banquette à dossier, munie de coussins, et dont les bras sont sculptés en forme de dauphins. Un chapiteau corinthien, sculpté à plat, est censé soutenir par le milieu l’entablement ; extérieurement, sur chacun des flancs, sont représentés en haut-relief deux personnages, dans la tenue et avec les attributs des sacrificateurs ; à droite un homme en tunique courte, à gauche une femme vêtue d’une longue robe transparente. Les déesse-ou-démones, ou fées si l’on veut, sont assises, drapées dans d’amples vêtements, épais, un manteau recouvrant la robe qui tombe jusqu’aux pieds : sur leurs genoux elles portent des paniers où sont placés des fruits ; celle de gauche appuie familièrement la main droite sur le bras de sa voisine ; celle-ci, qui occupe le milieu, est tête nue, de taille plus petite ; les deux autres sont coiffées de bérets (?) dont les bords s’élargissent en turbans et que certains interprètes ont pris à tort pour des auréoles [d’où la persistance de ce type de sculpture au Moyen-âge avec les trois Bethen : Einbeth, Warbeth et Wilbeth. N.D.L.R.]
On retrouve la même coiffure sur un monument de facture grossière, qui est originaire de Mümling-Crumbach ; ici encore, la figure du milieu est tête nue, mais de taille plus grande que ses compagnes et placée sur un siège plus élevé. Un bas-relief de Londres, dont seule subsiste la partie inférieure, offre la même disposition, avec traces du même costume, et sur les genoux des divinités, les mêmes paniers remplis de fruits. Lyon possède une niche analogue où les fées de type Matres, surnommées Augustae par l’inscription votive, sont coiffées simplement de leurs cheveux roulés en bandeaux épais ; celle du milieu tient une corne d’abondance de la main gauche et une patère de la droite ; toutes les trois portent des fruits dans les plis de leurs robes. Si l’on veut bien remarquer que nulle part les inscriptions ne mentionnent les fées de type Matres ou Matronae comme allant par trois ; on est fondé à croire que la triade est une sorte de synthèse artistique et religieuse à la fois, peut-être imitée de celles qui sont usuelles dans la religion gréco-romaine, et se résolvant dans l’idée plus générale de la pluralité ; laquelle est attestée par tous les monuments épigraphiques sans exception. D’autres monuments varient les attitudes, en ce que la figure du milieu est représentée debout et les deux autres assises, ou réciproquement, sans qu’il y ait lieu de voir là autre chose que des fantaisies artistiques. C’est à tort que M. J. Becker a cru pouvoir démontrer que les figures féminines chevauchant isolément sur des mulets ou des ânes, et dont un nombre assez considérable a été découvert en pays celtiques, représentent des fées de type Matres individuelles ; pour cette raison que la coiffure quelquefois, la corne d’abondance et aussi le fruit symbolique, les font ressembler aux Matres.
Cette opinion n’est plus défendable aujourd’hui, après la double réfutation dont elle a été l’objet ; au nom d’Épona par M. S. Reinach ; au nom des Maires par M. Ihm, qui s’est fait l’historien en titre de ces dernières divinités. Ce qui d’ailleurs n’est pas douteux, c’est que les cultes d’Épona et des fées de type Matres, sont pratiqués sur les mêmes lieux ; et que leur diffusion, partie du même berceau, s’est opérée sous l’influence d’une piété identique. On peut s’en convaincre en comparant les deux cartes dressées, l’une par M. Haversfield pour les Matres-Matronae, l’autre par M. S. Reinach pour Épona. De plus, les fées de type Matres sont souvent invoquées de concert avec Épona, et peut-être même associées à sa légende ; ainsi les Mairae sont nommées à côté d’Épona dans une inscription du pays de Dijon ; alors que les Equites singulares à Rome rendent des hommages communs à la protectrice des chevaux et aux fées de type Matres qui, sous le vocable de Campestres, sont les patronnes de la vie militaire et les gardiennes du camp. À Bregenz, sur le lac de Constance, on raconte encore la légende d’Hergotha, Gutha, Ehrguta, légende dont l’héroïne est vraisemblablement Épona *, qui exerce là une action tutélaire analogue à celle des Matres.
Deux espèces de vocables accompagnent d’ordinaire le titre de Matres ou de Matronae ; les uns latins, peu nombreux et de signification assez vague, qui nous permettraient à peine par eux-mêmes
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de déterminer leur nature ; les autres latinisés, mais à consonance celtique ou germanique, très fréquents, quoique le plus souvent obscurs et livrés aux interprétations les plus conjecturales. Quelques-uns cependant, dérivés de noms de lieux connus, nous fournissent des indications précises ; et tous ensemble sont suffisamment explicites pour nous faire distinguer les deux ordres d’idées qui ont inspiré puis répandu le culte de ces divinités. Tantôt elles sont redevables de leur désignation spéciale à une localité, tantôt elles les tirent d’une qualité morale, d’une influence surnaturelle. Nous avons déjà cité celles de domesticae, matres omnium gentium, transmarinae, qui impliquent des notions géographiques ou ethniques. D’autres laissent nettement transparaître quelque bourgade ou pays connu. Comme les Matres Mahlineae (Malines), Nersihenae (Neersen), Vacallainehae (Wakelendorp), Albiahenae (Elvenich), Gerudatiae (Gironde), Eburnicae (Ivours), Namausicabo = Nemausicis (Nîmes), Afrae, Britannae, Britannicae, Brittae, Gallae, Gallicae, Italae, Germanae, Noricae, Treverae, Suebae ; adjectifs parfois remplacés par des génitifs possessifs comme Delmatarum, Pannoniorum, qui sont connus ; Ausuciatium, Braecorium, Gallianatium, Masuonnum, etc. (nous ne mentionnons pas ici ceux qui sont germaniques), d’interprétation difficile ou conjecturale. D’une manière générale, on peut dire, avec un celtisant autorisé, qu’il est le plus souvent impossible de voir au premier abord si l’attribut est dérivé d’un nom de lieu ou non. Souvent on ne sait à quelle langue attribuer certains mots latinisés, mais d’origine évidemment non latine. Car, tandis qu’il arrivait quelquefois qu’un étranger rendît hommage aux divinités de sa résidence temporaire ; il n’arrivait pas moins souvent que l’un ou l’autre, se ressouvenant de ses dieu-ou-démons tutélaires, leur consacrait un monument à l’étranger. De même, il n’est pas douteux que, parmi les appellations de provenance celtique ou germanique, bon nombre ont eu alors une signification morale ; mais comme les linguistes sont loin d’être d’accord sur leur signification réelle, on ne sera pas surpris que nous nous bornions à les mentionner. Nous connaissons celles qui, de forme latine et classique, ont une valeur honorifique ; il y faut ajouter le titre de Dominae. Viennent ensuite les vocables qui font rentrer ces divinités dans le cercle des génies protecteurs du foyer familial ou de la patrie, comme domesticae, paternae, maternae, trisavae, ou simplement les possessifs meae ou suae. Une classe spéciale est celle des Matres campestres qu’ont honorées les Equites singulares à Rome, et aussi des soldats quelconques en divers lieux ; elles rappellent les Génies particuliers de l’armée et des camps, que nous avons cités ailleurs. En Grande-Bretagne, les Campestres s’associent à Britannia personnifiée, à Victoria, à Épona, ce qui achève d’accuser leur caractère militaire ; elles ont pour pendants, dans les Provinces danubiennes et en Afrique, des dii campestres qui sont, comme elles, et comme les Génies purement romains, auxquels les uns et les autres ressemblent, des protecteurs de l’armée dans les diverses conditions de son fonctionnement. Les Campestres figurent sur un bas-relief, au nombre de trois, pareilles aux Mères en général, c’est-à-dire assises et portant comme attributs des épis dans les mains, sur les genoux des corbeilles de fruits et de fleurs. Enfin, il y a des Matres appelées Viales, comme les Lares qui protègent les voyageurs ou les Fortunae qui les ramènent dans la patrie, ou encore les Tutelae qui veillent sur les villes et sur les nations ; d’autres sont dites conservatrices ou indulgentes, celles-ci invoquées en compagnie de Jupiter et de Mercure, protecteur du commerce : lucrorum potenti. Les inscriptions aux Mères Parques ont fait supposer que leurs adorateurs leur accordaient un pouvoir prophétique : aucun texte précis, aucun attribut figuré ne permet de l’affirmer **. Ce qui ressort sans conteste de l’ensemble de ces vocables comme aussi des attributs donnés aux Matres/Matronae sur les monuments figurés ; c’est que les Celtes et les Germains, de chez qui elles sont originaires, les considérèrent de tout temps comme des divinités inférieures, génies tutélaires des bourgades, des villes, des nations ; peut-être aussi comme les âme/esprits bienfaisantes dont l’empire s’étendait sur les campagnes et les bois ; d’une façon plus spéciale comme les protectrices de la femme, dont elles incarnaient la fonction la plus auguste. Au contact de la religion romaine, Celtes et Germains purent reconnaître les fées de type Matres dans les Junones, comme aussi dans quelques divinités au nom éminent, à la signification généralement archaïque ; telles que MATER MATUTA, la Mère des Lares, la Mater Magna [CYBÈLE], Juno Lucina honorée lors des MATRONALIA, etc., pour ne citer que les plus célèbres. Il est probable que les ressemblances entrevues, en bien des cas, eurent pour effet d’accentuer, dans les hommages publics, le caractère romain des Maires, par ceux-là mêmes qui les considéraient au fond comme leurs divinités nationales. Quant aux Romains, ils devaient accueillir d’autant mieux ces étrangères qu’ils les voyaient s’accommoder davantage à leurs propres conceptions religieuses. À l’époque du christianisme triomphant, les assimilations continuèrent suivant des procédés identiques : la triade des matres devint celle des trois Maries, transformation d’autant plus aisée que la forme populaire Mairae devenait sans peine Mariae. À Vaison une inscription en l’honneur des Matres est visible sur un autel de la Vierge Marie (J. – A. Hild. Charles Daremberg et Edmond Saglio).
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* Notre opinion néanmoins, malgré tout le respect que nous devons à ce dictionnaire des antiquités grecques et romaines, pourtant plus détaillé, plus récent, et de loin meilleur donc, que le dictionnaire de Smith, d’après Bill Thayer (LacusCurtius) ; est qu’Hergotha Gutha et Ehrguta ne sont qu’une variante locale des trois Bethen.
** À Vertault cependant, la mère du milieu tient ce qui peut sembler être un livre déroulé où est écrit ce qui attend le nouveau-né. Mektoub diraient nos frères musulmans.
LES SURVIVANCES MÉDIÉVALES.
L’arbre aux fées de Jeanne d’Arc.
Les historiens s’accordent à écrire qu’à proximité du village de Domrémy, se trouvait une forêt appelée le « Bois Chenu" ; et que Jeanne d’Arc se rendait souvent en cette forêt, pour rejoindre le site de l’arbre de Mai, ou arbre aux fées. Occupation somme toute bien innocente, mais qui souleva de nombreuses interrogations lors du procès que lui intenta l’Église catholique de Rouen ! Mais pourquoi une activité aussi enfantine interpela-t-elle les juges « anglais » ? Que cachaient ces promenades en forêt ?
Un problème se pose tout d’abord, quant à l’interprétation à donner au terme vieux français “chenu”. Certains l’ont compris dans le sens « planté de chênes », d’autres dans le sens classique « chenu ou blanchi par la vieillesse ». Il est difficile de trancher ici, dans la mesure où il existe autant d’arguments pour l’une ou pour l’autre version, mais il est patent que ce secteur, très pentu, possède plutôt un sol acide, pour preuve les nombreux pins qui y poussent.
Ensuite quels sont les noms exacts et la situation de ces sources qui descendent du Bois Chenu, le long de la Grande Côte, à Domrémy, et dont les actes des deux procès de Jeanne d'Arc nous ont laissé le souvenir ?
La plus renommée de ces fontaines est celle de l’Arbre des Fées, ou du Beau-May, où les malades souffrant de la fièvre allaient boire pour être guéris. Depuis bientôt deux siècles, les historiens nous donnent à leur sujet des indications variables, douteuses et parfois évidemment fausses.
Et maintenant à ceux dont l’ego n’a que secret mépris ou haine ouverte pour les gens du peuple, qui veulent donc à tout prix faire de notre pauvre Jeanne une fille de roi dissimulée ou une envoyée de Dieu d’après l’Église catholique, je réponds ceci, car Echenay, bien que n’ayant rien à voir avec le vieux français « Chenu » n’est pas très loin de Domrémy.
Le druidisme d’aujourd’hui n’a que faire de ces considérations déplacées, car lui ne méprise en aucune façon le peuple et n’a qu’indulgence pour lui. Mieux même, il ne se préoccupe que de son sort et du salut de son âme, ce qui est la définition même de la vraie démocratie et donc du populisme, qui ne se résume point à une oligarchie de la classe médiatico-politique si je ne m’abuse ; et abandonne les élites autoproclamées de ce monde à leur fol orgueil. Répétons-e donc encore une fois, le vrai druidisme respecte les peines et les durs labeurs de nos pères, leur vie simple et difficile, et n’a qu’indulgence pour ce qui les a aidés à vivre. Loin de toute idée de jugement dernier, il a au contraire un petit côté amidiste surprenant.
Jeanne d’Arc était donc simplement la plus jeune fille de Jacques d’Arc et d’Isabelle de Vouthon, dite Romée. Ses parents étaient dits « laboureurs », c’est-à-dire qu’ils étaient des paysans relativement aisés : sans être riches, ils possédaient quelques terres, quelques bêtes et une maison en pierre. Le père de Jeanne avait une excellente réputation dans le village et il a d’ailleurs plusieurs fois représenté ses habitants dans des procès. À sa naissance, la famille comptait déjà trois fils, Jacques, Pierre et Jean, et une fille, Catherine.
Jeanne d’Arc ne cherchait point à se distinguer des autres, et se mêlait à ses compagnes dans les fêtes du village. Sur la pente même où s’adosse le village de Domrémy, entre les bords fleuris de la Meuse et la sombre forêt de chênes, le bois Chesnu, qui en couronnait les hauteurs, il y avait un hêtre d’une remarquable beauté, « beau comme un lis », dit l’un des habitants, large, touffu, dont les branches retombaient jusqu’à terre. On l’appelait « loges-les-Dames, lobias Dominarum » ou encore « l’arbre des dames ». Le nom de dames, donné aux femmes de haut rang, était aussi le nom donné aux fées dans le langage populaire. On racontait qu’un chevalier, seigneur de Bourlémont, venait y
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voir une fée, conversait avec elle. L’arbre des Dames était donc aussi l’arbre des Fées et c’étaient donc les fées qui, dans les anciens temps, venaient danser sous ce magnifique hêtre ; on disait même d’ailleurs qu’elles y venaient encore.
Cela n’empêchait pas les habitants de Domrémy de faire ce que faisaient leurs pères. L’arbre était toujours aussi beau. Au printemps, on se rassemblait sous sa large voûte de verdure. On l’inaugurait, en quelque sorte, avec les beaux jours, le dimanche de la Mi-Carême (Lætare). En ce jour, qu’on nommait aussi le dimanche des Fontaines, les jeunes garçons et les jeunes filles venaient sous l’arbre faire ce qu’on appelait leurs fontaines, on dirait aujourd’hui un pique-nique.
Ils emportaient, comme provision pour la journée, de petits pains faits exprès par leurs mères, et se livraient en ce lieu aux amusements de leur âge, en chantant, dansant, et cueillant des fleurs aux alentours pour en faire des guirlandes dont ils ornaient les rameaux du bel arbre ; puis quand ils avaient mangé, ils allaient se désaltérer aux eaux limpides d’une source ombragée de groseilliers *. Jeanne y venait sans doute comme les autres ; Mengette, son amie d’enfance, dit d’ailleurs qu’elle y alla et y dansa aussi plus d’une fois, avec elle. Pourtant elle n’était point danseuse ; et souvent, au milieu de la fête, elle se détournait vers une petite chapelle élevée au voisinage sur l’un des points les plus riants de la colline, Notre-Dame de Domrémy, pour y suspendre en l’honneur de la Vierge Marie les guirlandes qu’elle avait faites avec les premières fleurs des champs
Son parrain, Jean Morel, laboureur à Greux, raconte : « Le dimanche où l’on chante à l’introït Lætare Jerusalem, dimanche appelé dans ces contrées le dimanche des Fontaines, les jeunes gens et les jeunes filles de Domrémy vont sous l’Arbre des Dames et aussi quelquefois durant le printemps et l’été, aux jours de fête. Ils y dansent, y font de petits repas, et, au retour, en s’ébattant, en chantant, ils viennent à la Fontaine des Rains ; et redeundo veniunt supra Fontem ad Rannos, spaciando et cantando ; ils boivent de son eau, et tout en batifolant cueillent des fleurs de-ci, de-là ».
Une des marraines de Jeanne, Béatrix Estellin, veuve d’un cultivateur de Domrémy, entendue dans l’enquête de réhabilitation en 1456, nous a laissé ce témoignage : « … Je suis allée autrefois me promener sous cet arbre, appelé l’Arbre des Dames, dont la beauté nous attirait ; il est près du grand chemin de Neufchâteau… »
Et elle répète les mêmes détails pour le pique-nique sous l’Arbre des Dames en ajoutant : « Au retour ils s’arrêtent à la Fontaine des Rains ; et redeundo veniam ad Fontem ad Rannos, et boivent de son eau. Lorsque la veille de l’Ascension, l’on porte les croix à travers les champs, le curé va sous cet arbre, il y chante l’évangile ; il va aussi à la Fontaine des Rains, ad Fontem Rannorum ».
Écoutons encore une amie d’enfance de Jeanne d’Arc, une compagne de ses jeux. Mengette, femme de Jean Joyart, laboureur de Domrémy : « Je suis allée plusieurs fois avec Jeanne aux Loges des Dames ad lobias dominarum, le susdit dimanche ; nous y mangions, et ensuite nous venions boire à la Fontaine des Rains ; et postea veniebant bibitum ad Fontem Rannorum ; quelquefois nous étendions une nappe sous l’arbre, et y prenions ensemble notre repas ; nous jouions ensuite et faisions des rondes, comme cela se pratique encore ».
Durant son enfance Jeanne d’Arc a donc joué et chanté autour de cette fontaine, tressé des guirlandes et pris son modeste goûter sous les branchages de l’Arbre des Fées, avec les filles et les garçons de son âge. Quel crime ! La veille de l’Ascension, le curé conduisait la procession des Rogations jusqu’à l’arbre, pour empêcher le retour des fées en revenant à l’église, il s’arrêtait aussi ad Fontem Rannorum pour y réciter les prières rituelles.
N.B. Il est de bon ton aujourd’hui dans la classe médiatico politique de contester la nationalité de notre Jeannette nationale en ne se fondant pour cela que sur l’emplacement exact de son lieu de naissance, comme s’il était question d’un hôtel ou d’une clinique moderne.
Son village était partagé, il est vrai, entre le Barrois dit mouvant (c’est-à-dire relevant du roi de France, mais seulement indirectement) et le domaine direct dudit roi de France, quelques maisons au nord dépendant de la paroisse de Greux. Un petit ruisseau marquait la frontière : la rive droite, où l’on comptait vingt à trente feux, dépendait du Barrois dit mouvant =inféodé) et ses habitants étaient serfs ; la rive gauche, appartenait à la Champagne, relevait de la châtellenie ou prévôté de Vaucouleurs, et ses habitants étaient de condition libre. Ou inversement, les historiens ne sont pas d’accord, le ruisseau ayant changé plusieurs fois de lit.
Mais quand bien même la maison natale de Jeanne d’Arc eût été sur l’autre rive du ruisseau, quelle différence cela aurait-il fait ?? Tous les habitants de Domrémy, ceux de la rive droite comme ceux de la rive gauche, excepté un, dit Jeanne d’Arc elle-même (il y a toujours eu en effet de tout temps et en
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tous lieux des traitres et des espions du parti de l’étranger) étaient Armagnacs de cœur et non Bourguignons. Et quel est d’ailleurs, après Dieu, celui que Jeanne d’Arc reconnaît comme son seigneur et son roi ? La meilleure preuve de sa nationalité demeurant d’ailleurs que c’est par Charles VII que les deux villages de Domrémy nord et de Greux qui formaient la même paroisse seront pour cela, par la suite exemptés d’impôts, et par nul autre.
CAR LA SEULE NATIONALITÉ QUI COMPTE, CONTRAIREMENT À CE QUE RÉPÈTE INLASSABLEMENT L’IDÉOLOGIE DOMINANT DANS L’ESPRIT DES INTELLECTUELS DE LA CLASSE MÉDIATICO POLITIQUE, C’EST LA NATIONALITÉ PSYCHOLOGIQUE, LE VOULOIR VIVRE ENSEMBLE (LA PHILIA), C’EST LA NATIONALITÉ DU CŒUR. LA NATIONALITÉ PAR LAQUELLE ON SE DÉFINIT SPONTANÉMENT ET SANS RÉFLÉCHIR, DANS SON INTIMITÉ, EN TANT QUE VÉRITABLE CRI DU CŒUR. ET NON CELLE DU PASSEPORT QUE L’ON PEUT DÉTENIR APRÈS AVOIR ACQUITTÉ LES TAXES Y AFFÉRANT.
Et si l’on veut parler uniquement du territoire, alors Jeanne d’Arc était une enfant de la Meuse : la Meuse étant la mère commune de tous ces villages qu’elle arrose, sans distinction, qu’ils soient de Lorraine, de Champagne, du Barrois dit mouvant ou du Barrois dit non mouvant (= non inféodé) c’est-à-dire de la partie du pays barrois continuant de relever théoriquement du Saint-Empire romain germanique.
* Remarquons néanmoins que la prononciation locale pour désigner cette fontaine est « groselle » et qu’il existe près de Malaucène au pied du Mont Ventoux une source vauclusienne dite « du Groseau ». Voir plus loin.
Le culte des trois vierges ou des trois « bethen ».
Les trois Beten, Bethen ou Beden, sont trois saintes des pays germaniques, vénérées dans de petites églises ou chapelles du sud du Tyrol, de la Bavière de la vallée du Rhin et du Luxembourg (ville de Troisvierges). Leur culte était très répandu au Moyen-âge et notamment au XIe siècle, mais elles ne font pas partie des listes officielles de saintes reconnues par l’Église catholique. L’évêque de Worms Burchard considérait même que leur rendre un culte était un péché. Dans son célèbre decretum, il mentionne les pénitences à faire pour ceux qui croient encore aux Parques c’est-à-dire aux fées de type matres ou matronae.
On les appelle généralement bethen à cause de la terminaison de leurs noms.
Einbet (h), Ambet (h), Embet (h), Ainbeth, Ainpeta, Einbede, Aubet, Worbet (h), Borbet, Wolbeth, Warbede, Gwerbeth,
Wilbet (h), Willebede, Vilbeth, etc.
Mais aussi :
Fürbeth, Firpet, Cubet…
Gutha, Ehrguta, Hergotha…
L’origine de leurs noms est sujette à caution. Certains les relient, et notamment celui de Borbet, au nom initial de la ville de Worms justement, Borbetomagus, dans lequel Borbeto signifie « source bouillonnante ».
Heiligendorf interprète leur nom comme signifiant « ce qui est », « ce qui était », « ce qui sera ». Cela en ferait donc des fées de type matres.
Sainte Einbeth ou Himberte était honorée à Strasbourg dans la seconde moitié du XIIe siècle. Dans la seconde moitié du XIVe siècle, on la retrouve accompagnée de Wilbeth et Worbeth. Elles étaient censées être des compagnes d’Aurélie, vierge et martyre, mortes en 237 à Strasbourg, d’après la légende chrétienne.
D’après d’autres légendes, ces trois vierges faisaient partie de la suite de sainte Ursule, fille d’un roi anglais qui entreprit au Ve siècle un pèlerinage à Rome avec ses dames de compagnie. Sur le chemin du retour, les 11 000 vierges furent assaillies par les Huns à Cologne, et moururent en martyres. Mais, tombées malades en chemin, les trois bethen, Kunigundis (Cunégonde), Mechtundis et Wibrandis, avaient dû auparavant s’arrêter à Bâle, où elles moururent.
Einbeth, Worberth et Willbeth, ont été également assimilées à sainte Marguerite, sainte Barbara et sainte Catherine. Étroitement liée à Einbede, Warbede, et Willebede, par leur iconographie, est la
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vénération de trois sœurs connues sous le nom de Foi, Espoir, et Charité. Trois martyres, filles de sainte Sophie, censées avoir été torturées sous le règne de l’empereur Hadrien en l’an 137.
Les trois Bethen apparaissent dans les sculptures de 22 églises ou chapelles édifiées entre le XIIIe et le XVe siècle dans le sud de l’Allemagne.
Quelques lieux de culte consacrés aux trois vierges. Du plus célèbre au plus modeste.
La cathédrale de Worms (chapelle Nicolas) en Allemagne. Sainte Embede, sainte Warbede, sainte Willebede. Les trois vierges sont représentées en femmes lourdement vêtues et la tête entourée d’une sorte d’auréole. Chacune tient un livre et une branche de palmier. La représentation de ces trois saintes martyres fait incontestablement penser aux diverses représentations de fées de type matres ou matrones, à l’époque romaine. Même genre d’habillement, les cheveux sont longs et lâches comme celle de la fée centrale des groupes de matres. Les auréoles évoquent les bérets dont les plus âgées sont coiffées. Elles tiennent des objets pouvant évoquer ceux des fées de type matres ou matronae. Dans une des mains des branches de palmier, des lis ou d’autres fleurs de ce type, dans l’autre un livre, une rose, une flèche, une baguette, ou un anneau d’or. L’interprétation chrétienne de ces objets ressemble à celle du fruit, de l’argent, ou du pain, des matres matronae, à savoir l’abondance, la fertilité, la puissance, et la richesse. Il est donc fort possible que les artistes qui ont sculpté ces œuvres aient été les héritiers de ceux qui avaient réalisé les représentations de matres ou matronae des temps romains, ou du moins qu’ils en aient eu sous les yeux. Les traditions iconographiques peuvent survivre, indépendamment des croyances, comme le prouve le cas du célèbre « jardin des délices » d’Herrade de Landsberg.
L’église d’Eichsel en Allemagne. Sur le Dinkelberg au-dessus de Rheinfelden dans le pays de Bade. Le lieu était déjà occupé à l’époque romaine et il est probable qu’un lieu de culte préchrétien existait à l’emplacement de l’actuelle église. Chaque troisième dimanche de juillet s’y déroule une fête traditionnelle en l’honneur des trois vierges : une procession au cours de laquelle des jeunes filles portent les reliques des trois saintes à travers le village, et qui s’achève par une petite fête. Les statues des saintes se trouvent sur le côté droit de l’autel de l’église.
La tombe des Trois Vierges en Alsace. Au centre de Wentzwiller, un village pittoresque situé près de Folgensbourg, se trouve un panneau indiquant le lieu-dit « Aux trois vierges ». Il mène à une clairière idyllique située dans la forêt entre Wentzwiller et Hagenthal, où trois vierges auteurs de miracles reposent à l’ombre des hêtres. L’origine de ces femmes reste mystérieuse ; d’après la légende, elles auraient vécu ici, solitaires et pieuses, et auraient prodigué leurs bienfaits avant d’être tuées par un inconnu. Les habitants de Wentzwiller les enterrèrent avec tous les honneurs dans la forêt qui devint aussitôt un lieu de pèlerinage. Il est rapporté que des personnes paralysées ou souffrant des dents, y trouvèrent de l’aide. Dans le village les trois vierges sont associées les trois disciples de sainte Ursule, Einbeth, Wilbeth et Worbeth.
Au XIXe siècle, le curé de Wentzwiller voulut mettre fin à leur culte, et fit ouvrir les tombes. À sa grande surprise, il trouva trois squelettes qu’il fit transporter au cimetière. Après la cérémonie, se serait mise à tomber une pluie diluvienne qui n’aurait cessé que lorsque les trois saintes retrouvèrent leur place dans la forêt.
L’historien anglais Bède le vénérable, à la fin du VIIe siècle, place leur fête la veille de Noël, sous le nom germanique de Modranecht ou Modraniht. « Ils commençaient leur nouvelle année le 8e jour des calendes de janvier [le 25 décembre] quand nous célébrons la naissance du Seigneur. Cette nuit par excellence, que nous jugeons si sacrée, ils avaient l’habitude de l’appeler du nom païen de Modranecht, c’est-à-dire « nuit des mères » à cause (du moins c’est ce que nous soupçonnons) des cérémonies qu’ils accomplissaient durant toute cette nuit-là ».
Pendant la nuit du solstice d’hiver, on célébrait donc un culte des fées de type Matres (bonnes mères) et pendant le repas, des places étaient laissées pour les fées et les morts.
Note de Pierre de La Crau retrouvée (biffée) par ses héritiers.
Que répondre à la question suivante de notre lecteur : « Doit-on également adorer les trois Bethen en question ? »
Réponse.
Adorer n’est certainement pas le nom qui convient, étant donné la position dans notre panth-éon ou plérôme de ces simples fées de type matres. Honorer serait sans doute le terme le plus approprié. Voire même vénérer (culte de dulie).
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Ensuite. Si vous voyez vraiment toujours en ces trois saintes femmes du christianisme, les trois fées de type matres mopates de nos ancêtres spirituels, malgré les siècles d’évolution ; si pour vous il s’agit toujours du même symbole, à peine modifié par les siècles ; alors, allez-y ! N’hésitez pas, rendez-leur le culte qu’elles méritent. Ne soyons pas sectaires ! Mais les catholiques accepteront-ils vos hommages ? Ceci est une autre histoire, l’intolérance de cette philosophie de l’amour est bien connue.
SURVIVANCES MÉDIÉVALES ET CONTEMPORAINES.
Rappelons brièvement ce qu’est le « répit ». Dans l’Europe chrétienne depuis le XIIe siècle au moins et jusqu’à la fin du XVIIIe (voire parfois du XIXe) ; vu la cruelle stupidité des dogmes de cette religion d’amour ; la naissance d’un enfant mort-né est un triple drame. Au chagrin de perdre un enfant s’ajoute pour les parents l’impossibilité de le faire baptiser (condamnant ainsi le petit mort à errer comme une âme/esprit en peine et pour l’éternité dans les limbes, sans espoir de salut), et l’interdiction de le faire inhumer dans terre consacrée du cimetière paroissial. Ce triste sort de l’enfant sans nom, sans trace dans la lignée, sans lieu d’ancrage ni repos, est insupportable.
Aussi, quand il s’avère que, décidément, l’enfant est bien mort (parfois, on l’a déjà enterré, mais ce sont les supplications de la mère torturée par l’angoisse qui poussent l’entourage à déterrer le petit corps) ; des proches, accompagnés de l’accoucheuse, transportent le cadavre jusqu’à un « sanctuaire à répit » (l’expression, tardive, date du XIXe siècle), où il sera exposé, souvent plusieurs jours, à proximité de l’autel d’un saint protecteur ou d’une Vierge. Durant le temps que dure l’exposition, l’entourage de l’enfant et l’assistance présente au sanctuaire guettent l’apparition de quelques « signes de vie » : un épanchement, une chaleur, une couleur vermeille qui monte au visage, un membre qui semble bouger… On court alors appeler le desservant, l’ermite, ou un membre de la confrérie attachée au sanctuaire, et l’enfant est baptisé séance tenante, parfois en présence d’un parrain et d’une marraine. Le répit ainsi accordé par « Dieu », fléchi par le saint ou la Vierge, ne dure que quelques minutes, voire quelques heures. Mais c’est suffisant pour faire de l’enfant un bienheureux assuré du salut éternel, un membre à part entière de la famille, et pour apaiser l’angoisse des parents qui peuvent alors « faire leur deuil. »
Des cartes précises permettent de saisir la répartition des sanctuaires à répit en Europe : Allemagne du Sud, Suisse, Autriche, Alpes italiennes, Belgique, et, en France, les régions d’Alsace et de Lorraine, la Bourgogne, l’Auvergne, le Dauphiné, la Provence…
La France de l’Ouest par contre ne connaît pratiquement pas de sanctuaires à répit ni la péninsule ibérique ni la majeure partie de l’Italie – alors que le dogme chrétien du baptême et ses conséquences négatives sur le sort des enfants mort-nés sont évidemment les mêmes qu’ailleurs. Certains auteurs expliquent cette absence du rite du répit par l’existence d’autres rites de substitution, publics ou dérobés. Des études plus poussées sur l’emplacement de certains lieux de répit permettent de voir les imbrications complexes de la géographie du sacré dans une Europe qui garde, même longtemps après la christianisation, les traces et le souvenir des cultes agropastoraux préchrétiens : sanctuaires à proximité de sources ou d’arbres, dans lesquels la statue miraculeuse au pied de laquelle s’opèrent les répits aurait été trouvée, ou encore de « pierres levées » servant d’antiques limites territoriales, de points de contact entre tribus celtes, gardant la trace des négociations et des accords de bon voisinage indispensables aux règlements des conflits, à l’instauration de la paix entre les communautés…
Les archives des sanctuaires à répit les plus célèbres ont conservé des centaines de témoignages de ces faits jugés miraculeux, consignés par des prêtres : 459 cas à Faverney, en Haute-Saône de 1569 à 1593 ; 138 cas entre 1625 et 1673 à Notre-Dame d’Avioth, dans la Meuse ; 336 entre 1666 et 1673 dans la chapelle Notre-Dame de Beauvoir, à Moustiers-Sainte-Marie. Il ne semble pas qu’il y ait eu supercherie ou hallucination collective dans ces récits, mais interprétation erronée de phénomènes physiques dus au processus de décomposition des petits cadavres, bien étudiés par la médecine légale du XIXe siècle : ramollissement, coloration, saignements, bruit des viscères. Pour les témoins, quelque chose d’extraordinaire se produisait.
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NOTRE DAME DE LA VIE.
La Fontaine de Vie est située près de la chapelle Notre-Dame de Vie dans la haute vallée du Doron, dans la Tarentaise. Cette fontaine qui coule dans un ancien sarcophage utilisé comme une auge était surmontée dans le mur de soutènement d’une statue de déesse-ou-démone-mère, qui se trouve maintenant adossée au mur ouest de la chapelle.
Ce lieu était visité dans deux buts distincts.
Tout d’abord, c’était un lieu de culte ayant pour but d’obtenir la fertilité ou de recouvrer la santé : les femmes immergeaient un linge et se lavaient yeux, visage et poitrine, principalement lors du pèlerinage du 8 septembre. Des offrandes étaient effectuées (monnaies, bijoux, nourriture, animaux vivants vendus ensuite aux enchères).
L’autre vocation du lieu était celle d’être un « sanctuaire de répit » : la célébration d’un office permettait de rappeler les enfants mort-nés à la vie le temps d’être baptisés.
Au début du XXe siècle en France une personne avertie a rapporté les scènes dont elle avait été le témoin étonné, en participant, un 8 septembre, au pèlerinage de Notre-Dame-de-la-Vie (Saint-Martin-de-Belleville, à 20 km au sud de Moutiers). Cette manifestation de foi donnait lieu à un afflux considérable de Savoyards, venus, souvent à pied, de villages éloignés, situés jusqu’en Maurienne.
Les pèlerins s’empressent de déposer leurs atebertas. D’autres offrandes en nature, produits de laitage, fromages variés, sont déposées près de l’autel, voire même sur l’autel.
Des présents d’une catégorie différente sont groupés à l’extérieur, dans une dépendance de l’église réservée à cet effet [sacrarium], et pour cause : ce sont des animaux, vivants, qui seront vendus aux enchères, à l’issue des processions de l’après-midi, au profit de la chapelle. Les atebertas ou offrandes au temps des Celtes, étaient destinées à disposer favorablement la déesse-ou-démone-mère, qui est la grande dispensatrice des biens de la terre.
C’est le fameux « dadami se dehi me » sanscrit : je te donne afin que tu donnes (la divinité ensuite est en quelque sorte obligée de rendre la pareille), formule grossièrement traduite par les Romains avec leur « do ut des ».
Sauf le cas de vœu précis, les catholiques espèrent de Marie le même secours, car les besoins des populations n’ont pas tellement changé.
On a fait appel à quatre étymologies différentes pour expliquer la qualification de Notre-Dame (de la Vie). L’abbé Hudry a vu juste en optant pour vita, la vie, solution de bon sens, qui est également la plus riche de signification, la seule qui s’harmonise avec l’ensemble des données. L’abbé Hudry cite pour cela deux procès-verbaux, l’un de 1664, l’autre de 1669 ; d’où il résulte que Notre-Dame-de-la-Vie, remplissant littéralement la fonction correspondant à son vocable, ressuscitait les enfants mort-nés [au moins pour la durée du baptême. N.D.L.R.].
La Mère primitive assurait la permanence du groupe social, en garantissant la fécondité, mais aussi en procurant les nourritures terrestres ; grâce à l’action purificatrice de l’eau, elle guérissait les maladies et repoussait l’échéance redoutée de la mort ; elle introduisait, enfin, ses dagolitoi ou fidèles, dans la vie de ce monde parallèle au nôtre que nous désignons généralement, nous autres pauvres humains, sous le nom d’au-delà.
La Vierge des chrétiens assume, elle aussi, les deux premières fonctions. Et à l’égard de la troisième, son action, quelque peu différente, aboutissait au même résultat ; elle redonnait un instant la vie aux enfants non baptisés, pour leur assurer, après baptême, la plénitude de la félicité paradisiaque. Nous avons là un exemple saisissant du prolongement, avec adaptation, d’un culte plusieurs fois millénaire. À la déesse-ou-démone-mère, personnification de la source de Vie, l’Église n’a même pas substitué le culte marial. Il lui a suffi de le juxtaposer discrètement, et l’antique statue a continué à recevoir son tribut d’hommages, de la même façon que le rituel des ablutions s’est perpétué. Les aptitudes de la Mère ont néanmoins été peu à peu attribuées à la Vierge Marie, dont la statuette porte l’enfant. Le
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passage du culte païen au culte chrétien s’est ainsi opéré sans heurts, par une transition lente et inconsciente.
NOTRE DAME DE LOURDES.
À Lourdes on a découvert entre 1904 et 1907, lors de la démolition de l’ancienne église paroissiale Saint-Pierre, les ruines d’un temple païen consacré à des déesses des eaux appelées « Tutelles » (trois autels votifs remployés dans les fondations de l’ancienne abside). Preuve s’il en est que ce territoire a toujours été celui d’une ou de plusieurs déesses de type matres ou bonne mère, l’Église catholique n’ayant fait que récupérer, avec le sens des affaires qu’on lui connaît, le phénomène. Aujourd’hui, Lourdes est l’un des plus grands pèlerinages catholiques du monde au même titre que Guadalupe… et Rome. Sur l’histoire du pèlerinage à Lourdes depuis les apparitions à Bernadette Soubirous en 1858 voir votre église habituelle.
FIN DE NOS GÉNÉRALITÉS SUR LA QUESTION, ILLUSTRÉE DE QUELQUES EXEMPLES. VENONS-EN MAINTENANT À L’ÉTUDE DÉTAILLÉE.
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LA PREMIÈRE DES DEUX GRANDES FAMILLES
DE DIEU-OU-DÉMONS :
LES ÉLÉMENTALS ET LES ÉGRÉGORES ANIMAUX.
Andernas appelés Fomore en Irlande et représentés par des vouivres anguipèdes gigantesques comme à Arlon en Belgique, terrassées par un cavalier considéré d’office comme étant un Jupiter.
Une reconstitution en couleur du type « anguipède couché sur le ventre » figure dans le musée romain (en plein air) de Hombourg Schwarzenacker en Allemagne ainsi qu’une reconstitution de fanum.
LES ÉLÉMENTALS (rappel de la thèse du druide Léonorios sur le sujet).
Le terme « élémentals » désigne les âme/esprits de la nature régissant les cinq éléments : la terre, l’eau, l’air, le feu, et le brouillard. Ils constituent la part spirituelle des pierres, des fleuves, rivières, océans, ou du vent et des plantes, et en tant que tels, ils dirigent les phénomènes de la nature liés à l’élément qu’ils gouvernent. Ils sont en quelque sorte les gardiens de la nature, ils veillent sur la croissance des animaux et des plantes. Ces entités sont appelées gandharva dans l’hindouisme.
Il ne s’agit pas d’âmes au sens strict du terme, c’est-à-dire détachées de tout, mais d’âmes « incarnées » dans un corps énergétique. Ces âme/esprits ne sont pas invisibles, mais elles ont un corps fait de pure énergie, qui se fond avec l’environnement naturel dont il adopte la forme et la couleur, comme dans le cas du duse appelé Viridis ou « homme vert » par exemple. C’est pourquoi il est en principe très difficile de les voir.
Ces élémentals sont représentés de multiples façons dans les légendes, car, à la différence des djinns arabo-musulmans, ils n’ont pas de forme propre ; si ce n’est celle qu’ils revêtent dans l’esprit de ceux qui se focalisent sur eux. D’où en général une forme plus ou moins anthropomorphique évidemment.
Dit autrement, il s’agit de phénomènes pouvant se manifester en utilisant les formes mentales que notre imagination élabore.
Ce ne sont pas de pures chimères pour autant ! Ils sont aussi réels que nous dans leur monde à eux (leur niveau vibratoire est différent, voilà tout). Ils appartiennent à un règne différent du nôtre, même s’ils partagent la même planète que nous.
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LES ÉLÉMENTALS DES SAISONS.
L’élémental de la mauvaise saison, de la saison froide ou de l’hiver, est appelé la vieille de Beara, ou de Bheur, en Écosse. Caillech Bérri/Cailleach Bheur. Les masques ou les déguisements représentant la Cailleach Bheur ou la vieille de Beara sont fréquemment utilisés lors des fêtes de fin d’année. Notamment lors de la cérémonie des douze jours de Grannos (les decamnotiaca), cette période de 10 nuits et 12 jours appelés gourdeziou en breton.
Conte des Hautes-Terres d’Écosse.
La Cailleach Beara, la terrible Vieille de Beara, faisait autrefois régner un hiver sans fin sur l’Écosse. Depuis le commencement des temps, le châle glacé de la Cailleach recouvrait de sa blancheur neigeuse plaines et sommets. Depuis toujours la Cailleach frappait plaines et sommets de son marteau d’acier pour les couvrir de glace. Mais un jour d’Ambolc, le premier jour de février, Mabon/Maponos/Oengus traversa l’océan pour défier la Cailleach. En chassant le froid éternel, il libéra sa bien-aimée, noïba Brigantia Brigindo Brigitte, la déesse-ou-démone-flamme (Bélisama), la Reine de la Belle Saison, jusqu’alors retenue captive par la Cailleach.
Ballade irlandaise.
Si Beare est bien effectivement un lieu concret ou localisable (c’est une île et péninsule au sud-ouest de l’Irlande), la Caillech Bérri d’Irlande est en réalité un personnage mythique, grande ancêtre des lignées royales de Munster, autour de Tipperary. Son nom signifie littéralement « la voilée », une épithète souvent appliquée à ceux qui appartiennent aux mondes cachés, mais qui plus tard en est venue à signifier simplement « vieille femme ».
Elle personnifie les vents perçants et la durée de l’hiver septentrional, qui est appelé « saison de la Cailleach ». Elle est l’âme/esprit du temps à l’origine des vents forts qui soufflent du nord-est, et les pêcheurs locaux lui donnèrent l’épithète ironique de « Douce Annie ». On dit qu’elle se transforme en pierre tous les 30 avril (Beltene) pour renaître chaque 31 octobre (Samon-ios). Le magnifique poème irlandais du IXe siècle intitulé en gaélique Sentainne Berri la met en scène avec des accents poignants. C’est un poème de dimensions moyennes (trente-cinq quatrains), composé en irlandais ancien (VIIIe ou IXe siècle), en vers courts. On ne sait rien de l’auteur, homme ou femme. Le ton surtout en est remarquable, la complainte semblant émaner d’une locutrice âgée se plaignant de son triste sort. L’œuvre se déroule ainsi d’un bout à l’autre, en prodiguant généreusement des ressources qui semblent illimitées. Le génie du poète anonyme culmine dans la façon dont il boucle son œuvre sur elle-même, en liant magnifiquement le flux et reflux des marées autour de l’île et celui de la vie humaine. Quant à savoir si les traits du poème sont proprement fictifs ou autobiographiques, renonçons-y : l’important est que l’impression de « vécu personnel » soit saisissante.
Le reflux est venu à moi comme la mer
Ma vie reflue en jaunissant
Et malgré mes cris et mes pleurs
Il s’avance joyeusement vers sa proie.
Is mé Caillech Bérri, Buí
C’est moi Buí, la vieille sorcière de Beare.
Autrefois, toujours vêtue de neuf.
Aujourd’hui, la misère m’étreint
Et j’erre sans un haillon pour me couvrir la peau.
La mer, je l’entends, son immensité crie
J’écoute l’hiver qui soulève ses vagues ;
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Homme libre ou fils d’esclaves,
Aujourd’hui je n’attends plus personne…
J’ai brûlé ma jeunesse
Et je ne regrette rien : j’ai tout voulu.
Je n’ai pas sauté loin derrière la haie
Mais mon manteau ne sera plus jamais neuf.
N.B. Soulignons la vigueur de la métaphore dans le retournement final.
Fils de Marie, que mon caveau un jour
Puisse t’accueillir, le savais-tu ?
Ce fut là toute mon hospitalité :
Je n’ai jamais dit non à personne…
Mes correspondants parisiens me signalent que cela peut être comparé au meilleur de Rutebœuf…
Que sont mes amis devenus
Que j’avais de si près tenus
Et tant aimés ?
De tels amis ne m’ont pas protégé,
Quand Dieu m’a assailli
De tous côtés,
Je n’en vois pas un seul dans ma demeure,
Je crois que le vent les a ôtés,
L’amour est morte.
Ce sont mes amis que le vent emporte
Et il vente devant ma porte.
Plus près de nous à cette chanson de Fréhel (1935).
Où sont tous mes amants
Tous ceux qui m’aimaient tant
Jadis quand j’étais belle ?
Adieu les infidèles,
Ils sont je ne sais où
À d’autres rendez-vous
Moi mon cœur n’a pas vieilli pourtant
Où sont tous mes amants ?
Dans la tristesse et la nuit qui revient
Je reste seule, et sans soutien
Sans nulle entrave, mais sans amour
Comme une épave mon cœur est lourd
Moi qui jadis ai connu le bonheur
Les soirs de fête et les adorateurs
Je suis esclave des souvenirs
Et cela me fait souffrir.
La nuit s’achève et quand vient le matin
La rosée pleure avec tous mes chagrins
Tous ceux que j’aime
Qui m’ont aimée
Dans le jour blême
Se sont effacés
Je vois passer du brouillard sur mes yeux
Tous ces pantins que je vois, ce sont eux
Je crois les étreindre encore.
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LES ÉLÉMENTALS DU VENT (Galerne Cers, etc.).
VETIROS/VITIROS au singulier, VETERIAE/VITIRIAE au pluriel (également transcrit Vitiris, Vheteris, Huetiris et Hueteris) est un dieu-ou-démon attesté par de nombreuses inscriptions romaines de Grande-Bretagne (une cinquantaine, la plupart provenant de la zone du mur d’Hadrien). On en sait très peu de choses. Un équivalent druidique du dieu-ou-démon grec Éole ?
Au IIIe siècle de notre ère, son culte fut particulièrement répandu dans l’armée romaine. Les dédicants sont généralement de simples soldats. Son nom n’a jamais été associé à un grand dieu-ou-démon du panth-éon classique, à l’exception de Mogons à Netherby. De nombreux autels élevés en l’honneur de cet Éole celte ont été découverts. Certaines inscriptions l’invoquent au singulier, d’autres au pluriel. Le principal centre de son culte semble avoir été localisé à Carvoran dans le Northumberland (le fort Magnis), où un certain nombre d’autels gravés de diverses inscriptions en latin ont été trouvés.
L’un des exemplaires les mieux conservés porte l’inscription « DEO VETIRI SANCTO ANDIATIS VSLM F » : au saint dieu Vetirus, les Andiates ont élevé cet autel. Et « DEO SANCT VETERI IVL PASTOR IMAG COH II DELMA VSLM » : au saint dieu Veterus Julius Pastor, le porteur de l’effigie de l’Empereur [pour] la Deuxième Cohorte des Dalmates.
À Carvoran son autel est décoré de figures de sanglier (chasse ou guerre) et de serpent (mort ou guérison).
Neuf autres inscriptions ont été trouvées sur ce site.
Des inscriptions en latin ont également été découvertes à Thirlwall Castle dans le Northumberland. Six autels ont été aussi trouvés à Chesternolm (Vindolanda), en Northumbrie. Une inscription de Chester-le-Street, Comté de Durham se lit ainsi : DEABVS VITBVS VIAS VADRI. Aux dieux Vitiriens. Protégez ce voyageur.
À Cataractibium (Catterick, Nord Yorkshire), l’inscription qui lui est dédiée se lit ainsi : DEO SANCTO VHETERI PRO SALVTE AVR MVCIANI VSLM (au saint dieu Veterus, pour le bien-être d’Aurelius Mucianus…)
La forme du nom semble ici germanique, ce qui a fait dire à certains qu’il ne s’agissait pas d’un dieu-ou-démon appartenant au panth-éon ou plérôme druidique. Mais la question demeure très controversée, vu l’imprécision des frontières ethniques à l’époque.
Le sens en est assez incertain. Vent ? Nourriture ? Vieillesse ? Et il est possible qu’il y ait tout simplement deux divinités différentes, l’une correspondant aux noms, au singulier ou au pluriel, de la famille vetiros, et l’autre aux noms, au singulier ou au pluriel, de la famille vitiros.
L’effet de fœhn est un phénomène météorologique créé par la rencontre du vent et du relief.
Le fœhn est un vent fort, chaud et sec, apparaissant quand un vent dominant est entraîné au-dessus d’une chaîne montagneuse et redescend de l’autre côté après l’assèchement de son contenu en vapeur d’eau. Lorsque le vent rencontre une montagne plus ou moins perpendiculairement, il suit le relief et s’élève. La pression atmosphérique diminuant avec l’altitude, la température de l’air diminue.
Lorsqu’il descend, l’air se comprime (puisque la pression augmente en descendant) et se réchauffe par compression, adiabatique.
L’effet de fœhn ne nécessite pas qu’il y ait des précipitations (pluie) ou des nuages produits du côté ascendant, mais l’effet sera d’autant plus fort que la masse d’air perd de son humidité. Dans ce cas, l’air a reçu de la chaleur par la condensation de l’eau, donc l’air est plus chaud et sec sur le versant sous le vent que sur le versant au vent. L’effet de fœhn se rencontre donc fréquemment sur les montagnes des régions côtières. Alors, le versant côté mer est humide, alors que le versant de l’intérieur est plus aride. Un cas extrême est la Vallée de la Mort. La vallée de la Mort est « protégée » par la Sierra Nevada de l’influence océanique et constitue un désert presque absolu.
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Une variante de ce processus se met en place lorsque l’air provient d’une région plus en altitude que la région en aval. C’est le cas du vent de Santa Anna qui provient de l’intérieur des montagnes et descend vers l’Océan Pacifique. Les vents de Santa Ana (ou vents de Santana) sont des vents chauds et secs qui apparaissent durant l’automne et le début de l’hiver. Ils sont à l’origine de nombreux incendies.
Dans ce cas, l’air ascendant n’a pas besoin d’atteindre la saturation et d’obtenir un apport de chaleur latente. La masse d’air ascendante suivra l’adiabatique sèche à la montée comme à la descente de la montagne. Le niveau final étant plus bas que celui de départ, la température finale sera plus élevée. Naturellement, on peut avoir une combinaison des deux effets, soit une différence de niveau entre le départ et l’arrivée ainsi qu’un dégagement de chaleur latente par condensation de la vapeur d’eau.
Les régions situées sous les fœhns peuvent voir leur température augmenter jusqu’à 30 °C en quelques heures. Ces vents sont appelés les « mangeurs de neige », de par leur capacité à faire rapidement fondre le manteau neigeux. Cette capacité de faire fondre la neige est principalement due à leur température, mais la déshydratation de la masse d’air y participe également. Les fœhns peuvent aussi favoriser les feux de forêt, en rendant les régions où ils sévissent particulièrement sèches et en attisant les flammes une fois le feu démarré. Cas du Santana ou Santa Ana en Californie.
Une étude de l’université de Munich (Ludwig-Maximilians-Universität München) a trouvé une augmentation de 10 % des suicides et accidents lors d’épisodes de fœhn en Europe. La mythologie populaire associe également diverses affections allant de la migraine à la psychose, avec des vents de ce type, dont le Santa Ana, qui est appelé le vent du diable, avons-nous noté plus haut. Le mot fœhn de l’allemand Föhn, a son origine dans les Alpes. Le vocable vient du latin flavonius (vent doux), et fut adopté par les dialectes germaniques alpins, certainement via le romanche. Le fœhn est donc dans son sens le plus strict, un vent de la région des Alpes. Le fœhn est un vent qui apparaît sur le versant méridional et se dirige vers l’Europe centrale, en provoquant une brusque élévation de température (souvent plus de 10 °C d’un coup), générateur d’avalanches par fonte brutale des neiges. Il sévit surtout en Suisse et en Autriche.
Un dicton allemand stipule : Kriegt der Knecht vom Föhn einen Wahn, schlachtet er den Wetterhahn (« Un garçon d’écurie rendu fou par le fœhn ira tuer une girouette »). D’ailleurs celui qui commet un crime passionnel un jour de fœhn en Bavière bénéficie de circonstances atténuantes, dit-on…
Autan blanc, Autan noir. Mes correspondants parisiens me font observer que des phénomènes similaires sont fréquents aussi en France. Le vent d’autan est un vent soufflant dans le sud/sud-ouest, en provenance du sud-est/sud-sud-est, qui affecte le Roussillon, l’intérieur du Languedoc, ainsi que la région toulousaine. L’autan dégage en effet de nombreux ions positifs. Il est conseillé par vent d’autan, de prendre de nombreuses douches (deux à trois par jour) : l’eau dégage en effet de nombreux ions négatifs, contrant ainsi les effets néfastes de ce vent sur notre organisme. On dit de lui, dans les régions où il sévit, qu’il peut rendre fou ! Ce qui est certain c’est que l’action de ce vent, sur les hommes et les animaux, est aussi très importante. Il est difficilement supporté par les personnes nerveuses et les rhumatisants. L’organisme des malades est affecté, il en résulte une aggravation de la maladie. Ce vent irrite les animaux qui deviennent capricieux et rétifs ; il interrompt pratiquement la chasse et la pêche : les chiens perdent leur flair ; les poissons dédaignent les appâts.
Les directions de l’autan sont variables et il existe donc plusieurs types de vents d’autan, avec parfois des caractères très particuliers pour l’autan de Sibérie ou manja fanga, ce courant du nord-est, très froid et très violent, qui sévit en février seulement. Il souffle plus généralement du sud-est, parfois du sud. Il est alors appelé vent d’Espagne, vent de Pamiers, voire vent de Libye. Plusieurs jours avant qu’il ne souffle, c’est un signe annonciateur, on peut voir très nettement les Pyrénées : « l’autan bol bufa » (l’autan va souffler) disent alors les paysans.
L’autan résulte d’abord d’un effet de barrière. En se heurtant aux Pyrénées, le flux (ou courant) méridien (orienté sud-nord) suscite, sous le vent de la chaîne, au nord, une petite zone de basses pressions dynamiques d’une extrême importance.
Ce centre d’action amorce toute une dynamique en attirant autour de lui l’air méditerranéen par le couloir du Lauragais. Un effet de fœhn peut s’y ajouter. Déchargé de son humidité sur le versant espagnol, l’air se comprime et se réchauffe sur le versant nord. Cet effet thermique vient renforcer la petite dépression dynamique, et active l’appel d’air méditerranéen. Au nord des Pyrénées, les hautes couches s’affaissent, créant un couvercle qui maintient l’autan dans les basses couches. Son épaisseur est en effet de l’ordre de 800 à 1200 mètres seulement. Coincé par le relief de la Montagne Noire et des Pyrénées ainsi que par le couvercle en altitude, l’autan subit une accélération ou effet de Venturi. Après Naurouze, un effet de dépression déclenche une brutale aspiration, non seulement de l’air du Sud-est, mais aussi de l’air supérieur. Ce qui explique la violente turbulence du vent, avec des tourbillons et de grosses irrégularités dans la vitesse.
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L’autan a parfois interprété comme une lutte manichéenne entre le bon vent ou « vent de Dieu » (représenté par le vent d’ouest ou Galerne) et le mauvais vent ou « envoyé du Diable » (celui de l’est).
Il ravage les récoltes, casse, brise les champs. Dans les barriques, le vin « tourne » et se transforme en vinaigre. Ce vent du Diable ou de Satan est donc détesté par les populations paysannes.
On distingue l’Autan noir, peu durable et annonçant la pluie, de l’Autan blanc, plus stable et associé à du beau temps. L’Autan noir, lié avant tout à la présence d’une dépression sur le golfe de Gascogne, est le prolongement d’un Marin très humide (ayant parcouru un long trajet maritime).
L’Autan blanc, qui provient autant de l’est que du sud-est, est associé à un Marin modérément humide. Il doit son existence à un anticyclone s’étendant du nord de la France à l’Europe centrale.
Nos ancêtres faisaient du feng-shui sans le savoir. Les anciennes habitations étaient adaptées à l’autan. L’axe principal était parallèle à la direction du vent qui se heurtait toujours à un mur sans ouverture. La cuisine était placée au midi et souvent protégée par un auvent appelé « capelada ». Aujourd’hui ces impératifs sont complètement oubliés des architectes et l’on s’étonne que, par vent d’autan, portes et fenêtres claquent brutalement avec souvent des bris de vitres…
Les hommes supportent très mal ce vent qui provoque des migraines, une fatigue anormale, ainsi qu’une excitation que les enseignants retrouvent chez leurs élèves. Un dicton stipule : « quand l’auta bufa, los fats d’Albi dansan » (quand l’autan souffle, les fous d’Albi dansent). Le vent agit également sur les animaux : les bœufs donnent des coups de cornes, les chevaux des coups de pied, les chiens mordent, les vipères attaquent. Même les poissons n’ont plus faim, d’où le dicton « l’auta es pas cassaire, es pas pescaire, es pas femnejaire », autrement dit « l’autan n’est pas chasseur, n’est pas pêcheur, n’est pas coureur de jupons ».
N.B. La même chose est d’ailleurs dite de vents comme la Tramontane, le Cers ou le Mistral.
UALARNOS. L’élémental du vent d’ouest était appelé Ualarnos (« le vent de Galerne », vent d’ouest ou de nord-ouest porteur de pluie). La galerne commence par une descente rapide des températures, des vents très forts et très froids accompagnés de fortes pluies courtes. Il souffle en rafale sur l’ouest, notamment en Touraine, dans le Berry, les Deux-Sèvres, le Béarn, le Quercy et la Bretagne (où il porte le nom de Gwalarn).
CERCIOS/CIRCIOS. L’élémental du vent du nord était appelé Cercios ou Circios. Ce vent prend de la vitesse le long de la vallée du Rhône, et débouche à Marseille avec des pointes qui peuvent dépasser 100 km/h. Il souffle sans discontinuer toute la journée, en violentes rafales qui finissent par énerver. D’où une indulgence particulière des vieilles générations à l’égard des crimes commis ces jours-là, le Cers faisant partie des vents qui rendent fou.
Strabon en parlait ainsi (Géographie, IV, I, 7).
« Entre Massalia [aujourd’hui Marseille] et les Bouches-du-Rhône, il y a une plaine qui est à 18 kilomètres de la mer, et dont le diamètre en mesure autant ; elle est de forme circulaire. On l’appelle la Plaine de pierres, en raison du phénomène qui s’y est produit. Elle est en effet remplie de pierres grosses comme le poing, sous lesquelles pousse l’agrostis, plante qui fournit aux troupeaux une abondante pâture. Au milieu séjournent des eaux, des mares salées, des dépôts de sel. Toute cette plaine et le pays au-dessus sont exposés aux vents ; mais celui qui règne surtout là est la bise noire qui déchaîne son souffle violent et glacial. On dit même qu’elle entraîne et roule une partie des pierres, qu’elle jette les hommes à bas de leurs chariots, et que la force du vent les dépouille de leurs armes et de leurs vêtements ».
Dans ses « Poèmes de Provence » (1873), l’écrivain Jean Aicard en parlait ainsi : « C’est l’âme/esprit du pays qui gronde et dans la nuit renverse nos piliers d’un souffle tempétueux ! Circius est un dieu-ou-démon qui parle dans ce bruit, car un dieu-ou-démon seul résiste à César qui s’avance… »
Les Romains lui vouèrent aussi un véritable culte, car il purifiait l’atmosphère et ils érigèrent plusieurs temples en son honneur. « À Circius, au dieu maître de la Provence » était l’inscription figurant sur leurs frontons.
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Cet élémental a en effet ses jours de colère comme un homme. Il souffle par périodes de trois, six, ou neuf jours, et certains très-sachants de la druidiaction (druidecht) affirmaient que c’est parce que ce chiffre de trois est sacré pour les hommes et les dieu-ou-démons, que le Circios a réglé son cycle dessus. Le Circios a longtemps régné en maître en Provence, sous le nom occitan de Mistral. Et les anciens de ce pays répétaient toujours : « Il fait trop de mal pour qu’on en dise du bien, il fait trop de bien pour que l’on en dise du mal ».
Le mistral est aussi considéré comme un vent qui rend « fou » ainsi que nous avons pu le voir et les anciens reconnaissaient des circonstances atténuantes aux meurtriers ayant opéré sous son emprise.
N.B. Il y a aussi la Cisampe ou Cisampo, vent de nord-est ou d’est glacé.
La rose des vents celtiques anciens connus n’est donc pas complète, mais sans tricher, on peut désigner les manquants par les adjectifs directionnels correspondants. Exemple Dexsiuatera pour le vent du Sud (Dexiua est la déesse ou démone, ou fée, du peuple des Dexivates, dont la capitale était l’oppidum du Castellar, à Cadenet ; et dont le territoire s’étendait entre la crête du Lubéron et la Durance, sur la rive droite de la rivière)… Dexsiua est donc une déesse ou démone, ou fée, du sud ou des vents du sud. Du vieux celtique dexs (i) wo : droite, et sud par conséquent, vu la façon de s’orienter des Celtes. Connue par des inscriptions découvertes au Castellar-de-Cadenet, dans les Alpes-de-Haute-Provence, et à Pertuis, dans le département français du Vaucluse.
LES BANANAIG ou BANNACHT.
Les Geniti Glinne sont peut-être tout simplement les vents soufflant dans certaines vallées. Mais il y a aussi l’élémental des brumes et des brouillards. Les Bananaig/Bananacht ou âme/esprits blancs, pâles et blêmes. Voir les Douze Bouches Blanches dont le père est le roi vouivre ou anguipède (du peuple des Andernas ou Fomore) Balor, dans la Bataille de la plaine aux piliers.
Le Français Paul Verlaine les compare, lui aussi, à des fantômes dans ses poèmes saturniens de 1866.
Promenade sentimentale.
Moi, j’errais tout seul, promenant ma plaie
Au long de l’étang, parmi la saulaie
Où la brume vague évoquait un grand
Fantôme laiteux se désespérant
Et pleurant avec la voix des sarcelles
Qui se rappelaient en battant des ailes
Parmi la saulaie où j’errais tout seul
Promenant ma plaie ; et l’épais linceul
Des ténèbres vint noyer les suprêmes
Rayons du couchant dans ces ondes blêmes.
Et puisque nous sommes dans le monde du rêve et de la poésie, voici ce que les Chants des Peuples du vent (http://oneira.net) disent des Bananaig ou Bananacht.
D’une taille sensiblement identique à celle des humains, il est pourtant difficile de définir l’apparence des êtres de brume avec précision, car elle est changeante et « floue » au gré des mouvements du brouillard. Ils sont insaisissables et sans consistance, d’un aspect translucide et, naturellement, brumeux. Il n’est pas réellement possible de dire qu’ils parlent (ils restent quoi qu’il en soit muets, sans voix et souvent immobiles, devant les étrangers). Mais ils savent se faire comprendre et on leur attribue les mystérieux chants et chuchotements que l’on entend souvent dans le brouillard. Leurs mouvements sont vifs et lestes, ils apparaissent et disparaissent à volonté dans le brouillard et ils évoluent avec une sorte d’insouciance et de mépris de la réalité « physique » des choses, qui peut paraître déroutante.
Les êtres de brume forment cependant un peuple bienveillant, et de nombreuses légendes ou récits rapportent qu’ils aident les voyageurs égarés à retrouver leur chemin.
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LE SOLEIL LA LUNE ET LES ÉTOILES.
GRIAN OCUS ESCA OCUS DULE DE ARCHENA.
Note à l’intention des lecteurs.
Certains s’étonneront peut-être de voir figurer ici avec des entités chtoniennes, des entités incontestablement célestes. L’explication en est bien simple. Comme il y a beaucoup moins d’élémentals aériens que d’élémentals chtoniens… nous avons donc renoncé à leur consacrer une partie séparée de ce modeste essai.
ESCA. Élémentale de la lune (Aranrhod en gallois). Son nom est généralement interprété comme signifiant « roue d’argent », « cercle argenté ». La vénération de la lune constitue un phénomène plus ancien que le culte de la force solaire. Cela se comprend aisément. Les différentes phases de la lune sont en effet plus perceptibles que celles du soleil ; et la lumière de la nuit est plus mystérieuse et plus magique. Dans la mythologie galloise, Ariane-Rode est la fille unique de Don, la déesse-ou-démone-mère. Enfin du moins au Pays de Galles. Arianrode est la sœur incestueuse du magicien Gwydion, avec lequel elle aurait conçu Dylan et Llew (ou Lleu Llaw Gyffes) « le lion à la main habile », dont le nom est certainement la transcription galloise du dieu-ou-démon Lug. Elle est associée à la nuit, à l’étoile Polaire et à la constellation Corona Borealis, appelée Caer Arianrod en gallois.
SIRONA. Du vieux celtique *ster – (étoile).
Sirona, Serona, Sarona, Dirona, Sthirona, Dirona. Connue par de nombreuses inscriptions trouvées à Mayence, Maximiliansau, Mühlburg et Wiesbaden en Allemagne.
À Bitburg, Grossbotwar, Hochscheid, Alzey, Nierstein, elle est honorée avec Apollon. À Augsburg, toujours en Allemagne, elle est invoquée sous le nom de Diana Sirona, et associée à Apollon Grannus.
Des inscriptions mentionnant cette déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, ont été aussi trouvées à Vienne en Autriche et à Augst en Suisse. À Rome en Italie, Breta et Sarmizegetusa en Roumanie, elle est mentionnée en compagnie d’Apollo Grannus. La variante Serana de son nom a été trouvée à Budapest, en Hongrie. La variante du nom commençant avec un « d » ou un « d » barré (tau gallicum), serait due à la difficulté de transcrire son nom en latin. Sirona est associée à Esculape le dieu-ou-démon grec de la médecine, dans une inscription découverte à Vienne (en Autriche).
I (ovi) O (ptimo) M (aximo) Apolloni et Sirona (Ae) sculap (io) P (ublius) Ael (ius) Lucius (centurio) L (egionis) X.
Le plus spectaculaire de ses temples était situé à Hochscheid en Allemagne. Son nom signifie « l’étoile ». En vertu du principe druidique bien connu du feu dans l’eau, c’était donc aussi une déesse-ou-démone, ou fée, de source guérisseuse, sous le nom de Sivelia. Sivelia est en effet un attribut de cette élémentale (son aspect guérisseur) connu par une inscription trouvée au Mans dans l’ouest de la France où elle est assimilée à Sirona et figure en compagnie d’Apollon Atesmerius. Du celtique *sî – (elle) et *uello – (meilleure).
GRIAN. La trajectoire de la terre dans le cosmos et l’intensité des rayons du soleil, déterminent les saisons et, partant, la fertilité des champs. Le Soleil physique est donc le symbole du principe premier, pur et rayonnant, qui s’offre sans le moindre égoïsme pour que d’autres croissent. Le Soleil a d’abord été considéré comme féminin chez les peuples celtes, et aujourd’hui encore en Irlande, Grian est un nom féminin. Il existe d’ailleurs une déesse ou démone, ou fée, solaire, appelée Greine ou Grainne. Cette Grainne avait neuf filles qui vivaient dans une demeure appelée Griannon (la maison du soleil levant). Elle apparaît dans une histoire populaire écossaise comme étant retenue prisonnière dans la terre des géantes (Tìr naBoireannachan Móra). La vieille de Beara, déguisée en renard, et un jeune homme nommé Brian, la feront évader.
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Voir également Grian la déesse-ou-démone, ou fée, tutélaire, du nord-est du Leinster (Cnoc Greine, comté de Limerick).
D’après la légende irlandaise, elle était fille d’un dénommé Fer Í ou Eogabal et sœur d’Aine, ce qui en ferait donc aussi une déesse ou démone ou fée de nature solaire. Une des légendes associées à Cnoc Greine rapporte qu’Eogabal fut attaqué un jour par les cinq fils de Conall, mais que Grian les mit en déroute et les transforma en blaireaux.
La vénération de nos lointains ancêtres spirituels s’adressait bien entendu à la plus intense de ces forces cosmiques, au plus haut symbole du spirituel, au symbole de l’amitié ou de la facette lumineuse de l’homme. Mais au-delà de sa signification métaphysique, le Soleil physique est d’abord et avant tout la source directe de l’énergie nécessaire à toute vie organique, donc à notre vie. (Le Soleil, en tant que dispensateur d’une énergie indispensable à toute vie, symbolise aussi la force du divin qui anime les rythmes de la vie).
Le tumulus de Newgrange. Grange est une anglicisation du mot irlandais « grian ». Newgrange est la plus grande et la plus élaborée des trois sépultures du néolithique découvertes dans la vallée de la Boyne.
Mais, ce n’est pas un tombeau comme les autres. Il s’agirait en fait d’une sorte de cathédrale préhistorique élevée à la gloire du Soleil, symbole de vie.
Au sud se dresse un mur de quartz blanc. Une entrée, protégée par un monolithe richement sculpté, se découpe au milieu de ce mur.
Ce tumulus recèle un chef-d’œuvre d’architecture mégalithique.
L’entrée débouche sur une galerie de 18 m de long, bordée de part et d’autre de 43 monolithes de près de 2 mètres de haut, pesant chacun 10 à 12 tonnes.
À l’extrémité de cette galerie, un enchevêtrement de pierres massives forme une chambre cruciforme.
Au pied de chacun des bras de la croix se trouve une large pierre, creusée en cuvette.
C’est au cœur de cette galerie qu’étaient déposés les morts.
Alors qu’ils travaillaient à la restauration de Newgrange, entreprise en 1960, deux archéologues irlandais ont découvert une ouverture verticale pratiquée entre les dalles du toit. Cette brèche comportait une structure décorée.
En 1969, pressentant que cette ouverture avait une fonction particulière, ils décidèrent de se poster à l’intérieur du tombeau le 21 décembre, jour du solstice d’hiver.
Quatre minutes après le lever du soleil, un premier rayon direct pénétra par l’ouverture du toit et longea la galerie pour atteindre la pierre en cuvette de la chambre du fond.
Le mince rai de lumière s’élargit et embrasa soudain la tombe. Chaque année, le jour du solstice d’hiver (le 21 décembre), à 9 h 17 du matin, le soleil pénètre donc directement dans la chambre centrale pendant à peu près 15 minutes. La précision dans l’orientation de l’édifice est spectaculaire.
N.B. Le soleil physique faisait l’objet de diverses croyances dans le monde celtique antique avons-nous dit. Une des plus poétiques consistait à voir en lui un lieu de passage des âmes après la mort. Du moins si l’on en croit Henri Lizeray *.
« Comme les religions ne sont que des symboles, on sacrifia des victimes à Crom par analogie avec le Temps qui consomme tout, edax rerum. On reconnaissait les mêmes dispositions à Bel, le soleil du printemps, car le mot bel signifie bouche. Le soleil, en effet, est la bouche béante vers laquelle se précipitent, après plus ou moins de durée, tous les êtres animés, pour y être rénovés et refaits sous une forme plus pure ».
* Il s’agit sans doute là de la part de notre vieux maître d’une mauvaise interprétation d’un des scholiastes de Lucain, celui qui parle [à tort lui aussi] des planètes comme lieu de régénération des âmes.
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LE FEU DANS L’EAU (APAM NAPAT).
Il existe dans les Védas une divinité nommée Apam Népat qu’on ne retrouve pas dans le druidisme sauf à l’état de trace dans le culte des eaux.
Les sources jouissaient alors notamment d’un prestige tout à fait particulier. C’est en effet un véritable bienfait du ciel que ces eaux pures de la pluie qui, souvent annoncées par le tonnerre, liées au merveilleux arc-en-ciel, ruissellent sur la terre, s’enfoncent dans ses profondeurs. Pour ressortir, chargées du mystère de leur cheminement souterrain, et fraîches de l’ombre traversée, en un point privilégié ou, après une seconde plongée sous terre, en une résurgence d’autant plus miraculeuse. Glacée par les neiges ou brûlante de la chaleur souterraine, l’eau murmure ou gronde, luit, purifie, féconde et guérit. Le mouvement – disons la vie – des eaux, leur utilité, qui peut faire place à la dévastation dans certains cas, ont fait que, très tôt, les peuples ont vu en elles des personnes, et même plus précisément des divinités. Le chuchotement mystérieux de la source semble être une voix venue du sein de la terre. Menace ou promesse ? Mais surtout, ce culte est certainement venu d’une constatation basique : sans eau, la vie humaine est impossible. L’homme ne peut s’établir que là où une source, un ruisseau, lui garantit de l’eau en suffisance. Comment n’aurait-il donc pas, dans ces conditions, éprouvé de la reconnaissance envers cet élément ? Et quand les eaux sont thermales, la source est a fortiori vénérée.
Les eaux courantes devaient prendre dans l’imagination populaire la forme de démons, animaux, monstrueux ou humains, et il semble que la croyance prévalait que dans les rivières habitaient, non des dieu-ou-démons, mais des déesse-ou-démones. Ou des fées. À quelques exceptions près.
Concrètement, beaucoup de ces élémentals des eaux sont donc perçus par les populations environnantes comme des fées qui n’aiment que l’amour et le cherchent dans la compagnie des hommes. On les voit souvent sous les traits de jeunes et jolies femmes, mais il leur arrive aussi d’apparaître sous la forme d’une biche ou d’une dame blanche… ces fées peuvent prodiguer aux humains, fortune et amour. Elles sont douées du pouvoir de guérison, et chassent les maladies. Leur présence n’a pu qu’être primordiale pour le développement des sources sacrées, des fontaines, et du thermalisme.
Elles peuvent aussi séduire les hommes et s’unir à eux. Mais leur exigence est si grande qu’elles ne peuvent jamais être satisfaites. Et de cette frustration, certaines en deviennent malades de langueur. Les sources, lieux de naissance des cours d’eau, étaient en elles-mêmes objets d’un culte parfois différent de celui du reste de la rivière (cas de la Boinne et de sa source la Segais par exemple). Elles sont en réalité le plus souvent placées sous le patronage d’un dieu-ou-démon aérien qui a la capacité de déclencher la pluie, ou qui apporte la chaleur. Et d’une déesse ou démone, ou fée, de la terre, qui la reçoit dans son sein et la rend féconde.
Tous ces couples offrent un point commun. La déesse ou démone ou fée porte les attributs de la fertilité, ou, ce qui revient au même, de la santé ; ou les uns et les autres. Elle représente la déesse-ou-démone-mère, d’où procède toute naissance en ce monde, et qui accueille en son sein tout ce qui meurt. Quant au dieu-ou-démon du couple, il s’agit toujours d’un dieu-ou-démon lumineux et aérien (Grannos, Vindonnos, Albios) assimilé au dieu-ou-démon Apollon par les Romains.
Salut à toi fontaine dont on ignore la source,
Sainte, bienfaisante, intarissable,
Cristalline, azurée, profonde, murmurante, limpide, ombragée.
Salut à toi génie de notre cité, dont nous pouvons boire des gorgées salutaires ;
Appelé divona dans la langue des Celtes,
Fontaine mise au rang des dieux.
Divona est la latinisation d’un celtique Devona, un vocable désignant l’élémental d’une source. Ce nom est un mot de la même famille que les mots « divin » ou « diurne ». Divos/-a/-on = lumineux. Devos/-a/-on = divin. Tous deux dérivés du proto-indo-européen * Deiwos (lumière divinisée). + onna (eau qui coule). Une Divonna est donc à la fois la divine et la lumineuse, mais en cornique divona signifie par contre « puits sacré ». Le nom de cette élémentale des eaux se retrouve dans Divonne-les-Bains, ville située au pied oriental de la grande barrière du Jura, dans la plaine de Genève ; la
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Fosse Dionne à Tonnerre, et Dions dans le Gard, en France. Il est associé à la fontaine des Chartreux de Cahors ; anciennement Divona Cadurcorum. Quelques rivières et quelques sources celtes sont donc dites simplement « la Divine » ; telle la Divona de Bordeaux, chantée par Ausone. De la source, le culte passe aisément à la rivière dont elle est le commencement. Le fait est probable pour la Boinne, le Shannon, la Seine, et la Marne, personnifiés sous des noms divins qui s’appliquent au cours d’eau lui-même : la dea Bovinda, la dea Sequana, la dea Matrona.
Une autre façon de désigner ces déesse-ou-démones, ces fées ou élémentals des eaux, est de faire suivre le nom de la rivière des termes niscai, ou nixai/nexai (d’où latin « neha »), comme dans Cantainiscai (les nixes de la rivière Cantai). Il s’agit du nom commun celte le plus connu pour les élémentals aquatiques et il signifie grosso modo « âme/esprit des eaux », naïade, nixe.
Exemples Abianexai (les filles de l’Abia) Albinexai (les filles de l’Albis) Alcianexai, Almanianexai, Amnesanexai, Anesaminexai, Asericinexai, Atuprapinexai, Auiaitinexai, Auitinexai, Axinexai, Axsinginexai, Boudunnexai, Caiminexai, Campanxai, Candrumanexai, Candrunexai, Cexanexai, Cuinexai, Cuxinexai, Etianexai, Etranexai, Iulinexai, Lanexai, Mamaitinexai, Mauiatinexai, Maxalinexai, Paxinexai, Pernouinexai, Reininexai, Rumanexai, Teniauanexai, Uacalinexai, Uallabunexai, Uataranexai, Udrauarinexai, Ulatuxinexai, Uocalinexai, Vesunianexai…
En Allemagne, de Cologne à Bonn, les fées de type Matrones sont qualifiées de surnoms locaux très variés. Ainsi que nous venons de le voir, ces appellations comportent fréquemment un suffixe – nehae. (Ce suffixe latinisé n’est que la transcription du celtique nexai où le x est un « khi », signifiant naïades. Nixe encore en pays germanique. Le nom distinctif est le plus souvent celui d’un cours d’eau local et nombre de ces naïades sont aussi effectivement souvent appelées « matres » ou « matrones ».
Mais arrêtons là cette liste qui serait trop longue à donner (des centaines de noms).
Surtout étant donné que l’on pouvait aussi avoir le nom du cours d’eau additionné du suffixe – genai, comme dans Gesagenai ou Nersigneai (les filles de la Gesa ou de la Nersis). – Icai, comme dans Griselicai (les filles du Grozeau ou Groseau. Voir Jeanne d’Arc). Ou tout simplement – ai, comme dans Ubelnai (les Mères de l’Huveaune, petite rivière des environs de Marseille). Il s’agit alors du nom de la rivière divinisée (Ubelna) tout simplement mis au pluriel.
Ce qui importe c’est de bien comprendre que ces Bonnes Mères sont donc les protectrices d’un territoire ou d’un terroir donné (source, mais aussi par extension vallée, plaine, massif, etc.) petit, ou grand comme celui de la nation trévire en Allemagne. Mais dans la pratique il y a eu évidemment, souvent, fusion entre cette entité protectrice du sol (les fées de type Matres) et l’entité protectrice du sang (le clan, la tribu demeurant à cet endroit).
Une fée de type matra ou matrona était rarement isolée, le plus souvent on la voit représentée avec deux compagnes, l’une à sa droite, l’autre à sa gauche, mais chacune devait avoir sa personnalité, donc pouvait avoir son culte particulier. Une inscription trouvée à Carnoules et à Pierrefeu dans le Var a en effet jadis été dédiée à la troisième des fées de la triade locale, Trittia. Du celtique tris : trois, qui a sans doute également donné son nom à la ville de Trets, dans le département voisin.
Les contacts avec ces entités ont lieu le plus souvent à l’improviste (voyageur égaré dans la forêt ou la montagne) par accident spatio-temporel (jour de Samon), maladie provoquant un état second, rêves, ou apparitions. Bref un peu comme saint Paul sur le chemin de Damas.
On demandait tout naturellement aux fées de type Matres, en cas de maladie, la guérison, notamment pour les enfants. On trouve leurs images dans des sanctuaires de sources, avec des bratou decantem (ex-voto) représentant soit les parties du corps malades, soit des nourrissons emmaillotés. À Lhuis, en France, en 1957, au cours de travaux effectués à l’intérieur de l’église, on a sorti du sol une fort intéressante dédicace aux Mères (Matris, datif pluriel latin de la forme celtique Matra). Il s’agissait sans doute de Mères guérisseuses, agissant au moyen de l’eau. Le donateur y proclame sa reconnaissance aux Bonnes Mères qui ont rendu la santé à ses enfants malades, en faisant construire un mur d’enceinte ainsi que des entrées (circumsaeptum et aditus). Fait qui ne nous étonnera guère, le sanctuaire chrétien en question était dédié à la Vierge, comme s’il avait prolongé, sur le même emplacement, l’antique dévotion aux Bonnes Mères.
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SULIS (l’élémental de la source de Bath). Sul. Déesse-ou-démone, ou fée, du soleil.
Mais cette déesse-ou-démone, ou fée, comme Grannos sur le Continent, et notamment à Aix-la-Chapelle en Allemagne, n’était pas le soleil physique éclairant notre univers, mais associée au feu cosmique en tant qu’énergie, d’où son lien avec les sources thermales. Élémental donc également issu de l’application à une source donnée, du grand principe druidique du feu dans l’eau. Il s’agit d’une source qui, aujourd’hui encore, déverse journellement 1 170 000 litres d’une eau minérale atteignant 46 degrés centigrades, un phénomène qui, à l’époque, était inexplicable, donc d’origine surnaturelle.
Certains historiens rapprochent les formes sulevia, suleviae, du nom de la déesse ou démone, ou fée, de Bath : Sul/Sulis, mais une inscription trouvée à Cirencester nous montre que le pluriel de Sulis était la forme Sulei.
Que Sul soit une déesse ou démone, ou une fée, associée au soleil, saute aux yeux quand on voit le fronton du temple que les Romains lui ont construit à Bath. La gigantesque tête de Gorgone qui figure sur son fronton est à l’évidence une représentation du soleil et de ses rayons. La tête du fronton triangulaire trouvé à Essarois en France, et portant l’inscription « à Vindonnus et aux fontaines », est l’exact équivalent de cette tête de Méduse ou de Gorgone solaire figurant sur le fronton du temple romain de Bath.
L’ambiance solaire du complexe thermal de Bath est évidente et elle est, bien sûr, due aux populations celtes de la région, en aucune façon à un apport romain.
En tant que déesse ou démone, ou fée, associée à la force du soleil, Sul était bien entendu guérisseuse (tout particulièrement des maladies féminines) et voyante, puisque le soleil voit tout..
On a retrouvé dans son temple de Bath des représentations de sein ou de déesse-ou-démone-mère.
Quant à ses dons de voyance, ils sont suggérés par les appels à la justice divine, gravés sur des tablettes de plomb et que les Romains appelaient « defixiones », que l’on a également retrouvés dans son temple de Bath.
D’après la légende, Bath fut fondée par un prince celte appelé Bladud en 862 avant notre ère. Du moins si l’on en croit Geoffroy de Monmouth et son Historia regum Britanniae (écrite vers 1135). L’histoire est plus qu’hypothétique étant donné le peu de fiabilité de ce moine (chrétien, pas bouddhiste) en matière d’Histoire. Il prétend par exemple s’appuyer sur une traduction du Britannici sermonis liber vetustissimus, source dont l’existence est fortement contestée.
L’Historia regum Britanniae est une histoire légendaire des rois de l’île de Bretagne depuis Brutus (aïe, ça commence mal), le mythe fondateur, jusqu’à Cadwaladr. C’est la première apparition de personnages marquants tels Merlin, Uther Pendragon ou le roi Arthur. Proche de la chronique, le texte présente la succession d’une centaine de règnes avec des passages épiques.
Il est néanmoins plus que probable que l’auteur, manquant un peu d’imagination, s’est inspiré pour cela de divers contes et légendes folkloriques locaux, qu’il a remaniés ensuite pour les insérer dans le cadre de son récit.
Après la guerre de Troie, Énée arrive en Italie, avec son fils Ascagne, et devient le maître du royaume des Romains. Son petit-fils Brutus est contraint à l’exil pour avoir accidentellement tué son père. Après une longue navigation, Brutus débarque dans l’île de Bretagne, l’occupe et en fait son royaume. Il épouse Innogen dont il a trois fils. À sa mort, le royaume est partagé en trois parties et ses fils lui succèdent. Locrinus reçoit le centre de l’île auquel il donne le nom de « Loegrie » ou « Logres », Kamber reçoit la « Cambrie » (actuel Pays de Galles) et lui donne son nom, Albanactus hérite de la région du Nord et l’appelle « Albanie » (l’Écosse). C’est le début d’une longue liste de souverains. Bladud est le fils du roi Rud Hudibras qui avait régné trente-neuf ans. Atteint par la lèpre, il devient porcher près de la rivière Avon. À son contact, les porcs contractèrent la même maladie que lui. Un jour, il conduisit ses cochons là où la source sortait de terre en bouillonnant. Lorsque les cochons découvrirent la boue chaude, ils s’y vautrèrent, et il fallut les attirer avec des glands pour les en faire partir. Quand la boue séchée fut tombée, Bladud s’aperçut que les plaies de ses cochons avaient disparu. Il plongea dans la source d’eau chaude à son tour et se couvrit de boue. Lorsqu’il en sortit
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quelque temps après, il était guéri. Il revint dans le royaume de son père, et une fois redevenu roi, bâtit une ville qu’il baptisa Caer Badon, où il aménage des bains chauds.
Bladud maîtrise la magie et suscite de nombreux enchantements. Il meurt en essayant de voler avec des ailes de sa fabrication, en s’écrasant sur le temple d’Apollon à Trinovantum.
Cette légende est peut-être une adaptation d’un mythe celte local, relatif à l’élémental de cette source. Resterait à expliquer le passage du masculin au féminin par la suite. À moins que nous ne soyons en présence d’un groupe divin composé d’un dieu-ou-démon et de plusieurs déesse-ou-démones, ou fées, comme Glan et les fées ou mères glaniques en Provence.
Ce qui est certain, c’est que le site a été occupé depuis la plus haute antiquité. Des outils en silex retrouvés sur le site indiquent qu’à l’âge de la pierre, les chasseurs passaient l’hiver à la chaleur de la source, et maints outils datant de l’âge du bronze ont également été retrouvés tout près. En l’an 43, sous l’empereur Claude, les Romains conquirent cette région et découvrirent à leur tour cette source d’eau chaude dont la température atteignait 46 degrés, tout en déversant plus d’un million de litres d’eau par jour. Ils construisirent vraisemblablement, dans un premier temps, un fort dans les environs, puis dans les années 60 et 70 commencèrent l’aménagement du site, qu’ils nommèrent Aquae sulis (les eaux de la déesse ou démone, ou fée, Sulis), en construisant une enceinte autour de la source. S’ensuivit la construction d’un temple dédié à la déesse ou démone, ou fée, Sulis Minerve. La construction de ce gigantesque « complexe thermal » s’échelonna du Ier au IVe siècle de notre ère.
Ces bains étaient placés sous la protection de Minerve et des feux brûlaient en permanence dans le sanctuaire qui lui était dédié.
Le temple devait ressembler à la maison carrée de Nîmes et son fronton portait, en son centre, la sculpture d’une tête de Gorgone, mais mâle et avec une moustache. Ce qui évoque irrésistiblement dans ce cas un dieu-ou-démon solaire de type masculin. Cette étrange tête de gorgone fut retrouvée lors de fouilles au XVIIIe siècle. La tête d’une statue de Sulis Minerve fut également mise au jour lors de ces fouilles.
En ce temps-là nombreux étaient les visiteurs à venir avec des atebertas ou des offrandes en l’honneur de la déesse ou démone, ou fée si l’on préfère, et de la source sacrée (soucoupes avec de la nourriture, pièces…)
L’eau de la source était beaucoup trop chaude pour que l’on puisse directement s’y baigner, mais un ingénieux système de canaux permettait d’alimenter, à des températures différentes, de multiples bassins. Au Ier siècle, on avait le choix pour se baigner entre une grande piscine, une plus petite, le caldarium ou le frigidarium. De multiples salles furent ajoutées à cet ensemble, les siècles suivants. On accédait au bassin, profond de 1,5 mètre, grâce à quatre marches qui en font le tour ; le fond est recouvert de grandes feuilles de plomb soudées. La salle du Grand Bain était autrefois voûtée, d’abord en bois puis en briques : on a retrouvé des morceaux de voûte alentour. Le curieux y découvrira encore d’autres bassins dans les parties couvertes, piscines d’eau froide ou chaude, rondes, carrées ou ovales. Les visiteurs actuels y jettent encore leurs pièces en faisant un vœu, comme les dagolitoi ou fidèles d’il y a 2000 ans, qui déposaient leurs atebertas ou offrandes au fond de la source sacrée des eaux du soleil.
Ce qui est certain également, c’est qu’un feu perpétuel, comme dans le cas de la déesse-ou-démone, ou bien fée si l’on préfère user de ce terme, Brigindo/Brigantia/Brigitte à Kildare, était bien entretenu dans le temple en l’honneur de la déesse ou démone, ou fée, d’après Solin (Caius Julius Solin. Collectanea rerum memorabilium. Polyhistor, chapitre XXIII). « Le tour de la [Grande] Bretagne est de quatre mille huit cent soixante-cinq millia passuum. Elle renferme des fleuves considérables et nombreux, des sources d’eau chaude appropriées aux besoins thérapeutiques des hommes. À ces sources préside la déesse ou démone, ou fée, Minerve, dans le temple de laquelle brûlent perpétuellement des feux qui jamais ne se réduisent en cendres, mais qui, lorsqu’ils sont consumés, se changent en rochers ».
On a découvert à Bath treize inscriptions mentionnant Sulis seule, dont trois sous la forme Sulis Minerva. Les autres inscriptions sont des malédictions (des defixiones). Onze invoquent Sulis et beaucoup plus encore Sulis Minerva. Un bon exemple étant celle dite « de Docilianus ».
À la très sainte déesse Sulis. Je maudis celui qui a volé mon manteau à capuchon, que ce soit un homme ou une femme, un esclave ou un homme libre, que… la déesse Sulis appelle la mort sur lui… et ne lui accorde aucun repos ni enfant. Que ce soit maintenant ou à l’avenir. Jusqu’à ce qu’il ait rapporté mon manteau dans le temple.
N.B. Une des variantes du nom de Sulis sur ces tablettes de défixion est « Sulla ».
Insistons sur un point, afin d’éviter toute équivoque ! Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, mais enfin, repetere = ars docendi, cette pratique des envoûtements par écriture sur une tablette de plomb, les Celtes ne l’ont pas inventée. Ils n’ont fait que l’emprunter.
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« Defixio » est un terme latin désignant à l’origine l’action de planter un clou, puis l’opération magique par laquelle on torture ainsi un substitut (par exemple, une plaque de plomb) en espérant provoquer les mêmes désagréments chez l’ennemi auquel on pense. Ce procédé de magie sympathique ou imitative, telle que nous la percevons en Grèce et à Rome, inclut la mise par écrit, sur la tablette, du nom de l’ennemi visé. Le texte inscrit peut d’ailleurs être développé par l’invocation de puissances surnaturelles, censées mettre en œuvre ce charme maléfique, et diverses stipulations portant sur les motifs de la condamnation ou les divers tourments qui serviront de punition. Il s’agit d’un type de procédure magique qui est attesté à travers tout le bassin méditerranéen, durant l’Antiquité.
Et si dans certains cas (Chamalières en France par exemple) les sorciers successeurs des très-sachants de la druidiaction (druidecht) ont cru devoir employer la langue celtique dans ce dessein ; c’est peut-être parce qu’ils adressaient le message magique à des entités surnaturelles celtes.
N.D.L.R. Soyons clairs à ce sujet, si le caragus caragius caraius du bas empire est bien le successeur immédiat du druide, c’en est quand même un enfant adultérin ou bâtard, ayant dégénéré du fait de l’interdiction des colloques et des rassemblements druidiques par les autorités romaines, qui n’ont certes pas interdit la religion druidique, mais qui ont persécuté les druides ; les réduisant ainsi à la clandestinité donc fatalement à la décadence, faute d’échanges.
Quelques exemples d’inscriptions votives en latin maintenant.
EAE SVLI MIN ET NVMIN AVG G CVRIATIVS SATVRNINVS C LEG II AVG PRO SE SVISQVE VSLM : à la déesse Sul Minerva et à l’Empereur divinisé [numen], Gaius Curiatius Saturninus, centurion de la seconde légion augustéenne, pour lui-même et sa famille.
PRISCVS TOVTI F LAPIDARIVS CIVES CARNVTENVS SVLI DEAE VSLM : Priscus fils de Toutus, tailleur de pierre de la tribu des Carnutes, à la déesse Sul.
SVLEVIS SVLINVS SCVLTOR BRVCETI F SACRVM F L M. : aux sulèves, Sulinus Scultor, fils de Brucetus.
N.B. Cette dernière inscription semble donc considérer Sulis comme une déesse ou démone, ou fée, multiple (triple ?) qualifiée de sulève. Ce qui en ferait alors une « mère » analogue à celles du Continent.
Une des images de Sulis Minerva trouvées à Bath porte en effet un couvre-chef ressemblant beaucoup à celui des fées de type matres de Xanten, ou de Nehalenia (un béret ?).
Sulis est également invoquée au pluriel à Corinivm Dobvnnorvm (Cirencester, Gloucestershire) dans l’inscription ci-dessous.
SVLEIS SVLINVS BRVCETI VSLM : aux sulèves, Sulinus Brucetus.
Des inscriptions comparables ont été trouvées en Suisse, à Berne, Avenches, Soleure, et Lausanne, ce qui tend à prouver que le culte de cet élémental n’était pas uniquement britannique.
Il y avait dans le sanctuaire une magnifique statue de Sulis, dont ne subsiste plus que la tête, le reste ayant sans doute été détruit par les talibans chrétiens du genre parabolani.
Sulis était donc une déesse ou démone, ou fée, guérisseuse. Une inscription trouvée à Bath l’associe d’ailleurs à une école locale de sages-femmes. À l’instar des sulèves, Sul était probablement une déesse ou démone, ou bonne fée, présidant aux naissances.
Le fait que Sulis a été assimilée à Minerve par les Romains nous fournit quelques indications de plus sur ses pouvoirs ou son domaine de compétence.
Minerve était l’homologue latine de l’Athéna grecque, déesse ou démone, ou fée, protectrice des foyers ou du pays. Elle était aussi considérée comme la déesse ou démone, ou bonne fée, des artisans et des agriculteurs, et personnifiait la sagesse, la raison, la pureté. Sulis devait donc avoir les mêmes attributions. L’aspect guerrier d’Athéna/Minerve se retrouve par exemple dans le fait que Sulis était censée punir les voleurs ou les parjures.
Le nom de Sulis est sans doute en relation avec un des noms celtiques du soleil (sul /sol) dont le vieux gallois haul et le vieil irlandais suil signifiant œil, dérivent. Car suil est un nom irlandais féminin signifiant à la fois soleil et œil.
Sulis, Sul, Sulei, Sulla, est donc invoquée pour tout ce qui touche à la santé et aux enfants, mais aussi dès qu’il est question d’honnêteté, de probité, de justice et de punition.
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GRANNOS (cf. mac Greine en Irlande).
Des inscriptions mentionnant ce dieu-ou-démon du panth-éon druidique ont été trouvées en Allemagne (14) en France (4) en Espagne (1) en Hongrie (1) en Italie (1) en Roumanie (1) et en Suède (1).
En Grande-Bretagne Grannus est connu par des inscriptions trouvées à Thetford (Norfolk), Inveresk (Midlothian) et Musselburgh.
Tous les temples ou les sites voués à Grannus sont associés à des sources thermales. Exemple en Allemagne à Aix-la-Chapelle (Aachen, anciennement Aquae Granni), ce qui explique son assimilation au dieu-ou-démon Apollon dans l’interpretatio romana.
Invoqué comme patron des eaux thermales, Grannos a pour parèdre (shakti disent les hindouistes) Sirona (« l’étoile »).
Aix-la-Chapelle est la ville aux sources les plus chaudes au nord des Alpes. Aix-la-Chapelle est en effet connue pour ses trente sources hydrominérales aux propriétés curatives. Les Celtes – et avant eux peut-être les hommes de l’âge de pierre et du bronze – connaissaient la force bienfaisante de l’aqua granni sortie en bouillonnant des profondeurs des thermes, et savaient l’utiliser.
Le site est occupé depuis le néolithique. La cuvette d’Aix-la-Chapelle possède en effet de nombreuses sources qui en font une zone marécageuse. Ce sont les hauteurs (le Lousberg) qui furent occupées par ces premiers hommes : des carrières attestent leur présence.
Frédéric le Grand parlait avec beaucoup de mépris de cet endroit, « où tant de gens viennent pour se distraire, et d’où tant d’autres partent sans être guéris ! Où la surestimation des bienfaits de la part des médecins, tout comme les intrigues amoureuses, se joue de la même manière ! Où enfin l’infirmité ainsi que les préjugés, attirent un si grand nombre de personnes de tous les confins du monde ». La science moderne a depuis longtemps réfuté les doutes de Frédéric sur les vertus thérapeutiques des eaux d’Aix-la-Chapelle. La chaleur, d’une part, et, en outre, pas moins de 19 éléments minéraux différents au total ; parmi lesquels le soufre, le sodium, le chlore, l’hydrogène et le carbonate ; ont une influence extrêmement positive sur les maladies des os, des muscles, des articulations et de la peau. Elles ont, en outre, un effet désintoxiquant lorsqu’elles sont administrées en traitement à boire.
Selon Dion Cassius (Histoire romaine, LXXVIII, 15, 6), l’empereur romain Caracalla (186-217), aurait voué un véritable culte à ce dieu-ou-démon.
« Mais aucun des dieux ne lui donna une réponse qui aboutît à la guérison de son corps ou de son âme/esprit, bien qu’il honorât tous les plus illustres… En effet, ni Apollon Grannus, ni Asklépios, ni Sérapis, ne lui vinrent en aide, malgré ses nombreuses supplications et sa grande persévérance ».
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Aux confins occidentaux des Vosges, les « Hauts-Pays » de Grand forment une avancée vers la Champagne, région à laquelle ils étaient rattachés autrefois. Ce plateau calcaire situé à l’extrémité méridionale de la Côte de Meuse, culmine aux environs de 400 mètres. Cette formation carbonatée a été dégagée puis entaillée par les cours supérieurs de la Meuse, de la Marne, de l’Ornain et de leurs affluents. Elle forme une puissante assise (90 mètres environ), propice à la formation de vallées sèches (combes, du celte cumba) et à l’installation de phénomènes karstiques. Le village de Grand, vu d’avion, apparaît avec son réseau de communication en étoile, au centre d’une zone défrichée encerclée par la forêt. La hêtraie-chênaie-charmaie, forêt climacique de l’étage collinéen lorrain, est partout présente. Elle témoigne, par son traitement en taillis sous futaie, de la demande ancienne de bois de chauffage et de bois d’œuvre.
La topographie de ce site, situé entre trois grandes vallées, a favorisé une implantation humaine précoce. Diverses trouvailles datant du néolithique final (–2500 –1800), ont été découvertes à Grand même et près de la source des « Roises » au nord du village. La présence d’un bracelet à tampons et nodosités (IVe siècle avant notre ère), d’une fibule, tous deux en bronze, de plusieurs pièces celtes dont un denier en argent ; témoigne de la permanence de l’occupation de ce territoire. En liaison,
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probablement, avec les points d’eau (exsurgence au centre du village actuel et source des « Roises »).
Le village se situe à 22 km à l’ouest de Neufchâteau. La localité, qui doit son nom au dieu-ou-démon Grannus, était appelée Andesina dans l’Antiquité. Le sanctuaire de Grand est mentionné sur la Table de Peutinger sous le nom d’Andesina, un nom associé à la vignette qui désigne les grands établissements thermaux de l’empire. Sa construction eut lieu entre l’an 70 et 140 de notre ère. Il comportait une enceinte de 1 750 m avec 22 tours et portes délimitant un espace de 70 hectares. Quinze kilomètres de galeries souterraines hydrauliques convergent vers le centre du sanctuaire qu’occupe la résurgence d’une rivière souterraine. Leur fonction était de régulariser le débit de la source. 307 puits ont également été répertoriés sur l’ensemble du site.
Un bratou decantem (ex-voto) trouvé sur le site en 1935 porte l’inscription « somno jussus », confirmant ainsi la pratique de l’incubation par les pèlerins. Ceux-ci passaient la nuit dans l’enceinte du sanctuaire et attendaient la visite du dieu-ou-démon au travers d’un songe. On peut supposer des purifications préalables et un rituel autour de l’eau.
Quelques dates.
213 : Visite de l’empereur Caracalla. Mais ce n’est qu’une hypothèse qui s’appuie sur Dion Cassius.
309 : Visite de l’empereur Constantin 1er. Selon la tradition chrétienne, c’est dans le temple de l’Apollon de Grand que Constantin se serait converti au christianisme. Selon les historiens, il y aurait plutôt adopté le culte solaire de Sol Invictus, comme le confirment les monnaies qu’il frappera donc à l’époque, et qui sont dédiées à SOLI INVICTO, ce qui n’est pas du tout la même chose. Un mensonge de plus !
Panégyrique de Constantin, VII, 21, 3-4. « Le lendemain du jour où, informé de cette agitation, tu avais fait doubler les étapes ; tu appris que tous ces remous étaient calmés depuis et que la tranquillité enfin était revenue, telle que tu l’avais laissée en partant. La fortune elle-même réglait toute chose de telle façon que l’heureuse issue de tes affaires t’avertit de porter aux dieux immortels les offrandes que tu leur avais promises, dès que la nouvelle t’en parvint ; à l’endroit où tu venais de t’écarter de la route pour te rendre au plus beau temple du monde, et même auprès du dieu-ou-démon qui habite ce lieu, ainsi que tu l’as vu. Car tu as vu, je crois, Constantin, ton protecteur Apollon, accompagné de la Victoire, t’offrir des couronnes de laurier dont chacune t’apportait le présage de trente années de règne ».
362 : Selon une tradition médiévale, martyre de saint Élophe et de sainte Libaire sous le règne de l’empereur Julien l’Apostat. Sur la réalité de ces persécutions, voir notre essai sur, ou plus exactement contre, le christianisme. À travers la Passion de saint Élophe et son extension la Passion de sainte Libaire, textes hagiographiques du Moyen-âge, on devine au contraire une première tentative de christianisation des rituels traditionnels de cette Lourdes païenne : Elophe et Libaire sont des saints céphalophores.
— Christianisation du culte de l’eau.
— Destruction du sanctuaire païen par les talibans ou parabolani du christianisme. L’église du village est construite sur un remblai archéologique comblant une cavité. La cavité en question est reconnue par les sondages et la géophysique. Cette cavité correspond probablement au bassin sacré, lieu du culte de Grannos. La comparaison avec le sanctuaire apollinien de Claros en Turquie, proche d’Éphèse, permet de comprendre l’aménagement du bassin sacré, antérieur à sa destruction et à sa disparition sous le lieu de culte chrétien.
— Abandon de l’amphithéâtre. C’était une vaste construction pouvant accueillir entre 16 000 et 20 000 pèlerins ; il s’appuyait sur le versant naturel d’un vallon étroit et peu profond : la combe « La Roche ». Conçu avec une arène elliptique complète, il avait pour particularité de présenter une cavea (partie réservée aux spectateurs) incomplète, formant une large demi-ellipse comportant trois maeniana, dont les gradins ont disparu, sur le versant face au nord ; tandis qu’elle est réduite à une rangée de gradins sur le versant face au sud. Il semble avoir été abandonné définitivement dans le dernier quart du IVe siècle. Depuis sa destruction par sainte Libaire, selon la légende, les blocs de calcaire ont servi à la construction des habitations du village actuel.
1789 : Colmatage de la source miraculeuse de sainte Libaire.
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D’après Frazer, on trouverait des traces du culte de Grannos dans le folklore d’Auvergne à l’occasion des feux allumés par des grannas mias, le premier dimanche suivant carême. Est-ce possible ?? Il est vrai que le culte des eaux sous tous leurs aspects, sources et ruisseaux, rivières, lacs, et mers, est à la fois l’un des plus anciennement attestés, mais aussi l’un des plus généralisés qui fût. Et contrairement à une idée reçue, les Indo-européens connaissaient aussi bien le vaste océan, *ekwor, que la mer en général, *mori ; car ils avaient un dieu-ou-démon qui patronnait à la fois les sources, les fleuves et rivières, l’eau souterraine, et la mer. Par ressemblance avec l’indo-européen nepot, « neveu », il était aussi appelé Akwam Nepot, par exemple dans l’hindouisme, ce qui signifie « le neveu des eaux » ; nom que l’on retrouve dans le dieu-ou-démon indo-iranien Apam Napat, et qui remonte à un mythe dont le sens nous échappe aujourd’hui. Dans la grande Celtie libre et indépendante du temps d’Ambicatus, il était appelé Lero.
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LE CLANN LIR.
« Il y avait en indo-européen un mot *ab-,*ap-, de genre neutre, désignant les eaux en tant qu’elles sont considérées comme des êtres qui agissent et, par suite, comme des forces naturelles de caractère religieux [Meillet LHLG 216] par opposition à l’eau considérée comme matière inanimée (I. E. uodr. Grec hydr). Xavier Delamarre.
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LERO/LIR/LLYR. LLYR LLEDYEITH, LLYR MARINI.
Élémental de l’Océan ou des eaux primordiales. Il règne sur l’abîme des eaux profondes (sur lequel repose la terre ferme) les sources et les fleuves.
La fraction de Celtie conquise en premier par les Romains est riche des trois mers qui la baignent ; de fleuves puissants et harmonieusement disposés, de lacs, d’étangs, de sources ; et de toutes les eaux ruisselantes qu’elle doit donc à l’humidité de son climat ou à ses massifs montagneux. Outre les anciens dieu-ou-démons des fleuves et les génies des sources, à côté d’Apollon parfois invoqué comme protecteur de la navigation, on s’attendrait donc à y trouver un culte de l’Océan. Or, ce dieu-ou-démon est inconnu chez les Celtes.
Toutefois Neptune s’y montre sous un aspect qu’il n’avait pas en Italie, dieu-ou-démon de toutes les eaux et non seulement des eaux marines. Si bien que l’on peut le croire assimilé, çà et là, par l’interprétation romaine, à certaines divinités de l’élément liquide. Et l’on pense alors tout naturellement à LERO/LIR/LLYR.
On a douté inutilement de l’existence de cette divinité, qui représente un des aspects des origines. Strabon par exemple, a voulu n’y voir qu’un héros ligure. Il a été humanisé ou personnifié (voire évhémérisé à rebours) sous les traits du roi Lear par Geoffroy de Monmouth (Histoire des rois de Grande-Bretagne) et William Shakespeare.
Le premier à nous en avoir parlé sans doute est donc Strabon (Géographie. Livre IV, 10) malgré l’interprétation erronée qu’il en donne.
Voici en effet ce que l’on peut trouver sous sa plume. « Les îles qui bordent cette portion si étroite de la côte sont, à partir de Massalia (Marseille), les îles Stoechades : il y en a trois grandes et deux petites. Les Massaliotes les cultivent. Ils y avaient même établi anciennement un poste militaire pour repousser les descentes des pirates, vu que les ports n’y manquent point. Aux Stoechades succèdent les îles de Planasia et de Léron, bien peuplées toutes deux. Léron, qui plus est, possède un heroon, celui du héros Léro. Elle est située juste en face d’Antipolis (Antibes) ».
Ce genre de lieu, appelé heroon par les Grecs, était destiné à célébrer le culte d’un héros, mi-homme mi-dieu. Ce culte de dulie ressemble peut-être à celui qu’aujourd’hui encore on célèbre pour les saints dans l’Église catholique. Les dagolitoi (fidèles) venaient sur les îles prier Léro, sans doute au pied de sa statue, et offraient un objet en échange de sa protection. On a d’ailleurs retrouvé un très joli petit couvercle de boîte en ivoire sur lequel était écrite, en grec, la dédicace d’un habitant de Naples, à Léro et à Lérina (« Athénaios, fils de Dionysos, de Néapolis – Naples ? – à Léroon et à Lérina »).
On peut dater avec une quasi-certitude l’occupation des îles par les Romains qui les baptisèrent « îles lériniennes ». Celle-ci eut lieu au cours de la seconde moitié du dernier siècle avant notre ère. Lero devint alors une étape pour les navires qui cabotaient entre Fréjus et Antibes.
Des découvertes archéologiques permettent de déterminer l’importance des installations réalisées au début du premier siècle. À l’emplacement présumé de Vergoanum, une acropole, avec ses sanctuaires, ses édifices et une citadelle importante, le tout ceint de remparts. Un peu partout, sur la côte septentrionale de Saint-Honorat, on retrouve des vestiges d’entrepôts, magasins, citernes, thermes, arsenal, établissements de pêcheries, ainsi que de luxueuses villas décorées de mosaïques et de peintures murales… Le port se trouvait vraisemblablement à l’extrémité nord-ouest de l’île, à la pointe du Bateguier, où un môle de 170 mètres de long a pu être localisé, entre l’étang du même nom et la mer…
À Sainte-Marguerite, on a retrouvé une inscription en l’honneur du Dieu-ou-démon Pan, et à Saint-Honorat, un cippe placé sous protection de Neptune…
Au tout début de notre ère, il y avait donc là une colonie active et florissante où commerce, religion et vie publique se côtoyaient harmonieusement.
Pline, quelques années plus tard, y mentionne néanmoins une ville en ruine, Vergoanum. « Il y a environ vingt autres petites îles dans cette mer peu profonde. À l’embouchure du Rhône, Métina ; puis celle qui est appelée Blascon ; les trois Staechades dénommées par les Marseillais, qui en sont
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voisins, dans l’ordre de leur situation, Proté, Mésé, appelée aussi Pomponiana ; et la troisième, Hypaea ; plus loin Sturium, Phoenice, Phila, Lero ; et, en face d’Antipolis, Larina, dans laquelle subsiste le souvenir de la ville de Vergoanum » (Histoire naturelle. Livre III, 2). Notons au passage que Sainte-Marguerite était donc alors connue sous la dénomination de « Lero » et Saint-Honorat sous celle de « Lerina ». Pline semble situer les vestiges de Vergoanum à Saint-Honorat, tandis que les auteurs modernes les voient plutôt à Sainte-Marguerite.
À en croire la légende reprise par Shakespeare, Lero à l’origine aurait été un des premiers rois de la tribu de la déesse ou démone, ou fée, Danu (bia). Car l’histoire du roi Lear et de ses trois filles ; telle qu’elle apparaît dès les plus anciens textes (Historia Regum Britanniae, Roman de Brut) ; ne s’explique ni par le substrat folklorique ni par l’assemblage de divers motifs de contes. Exemplum royal par excellence, elle puise sa matière, toute sa matière, dans la « mythologie du roi » propre aux Indo-Européens et à leurs héritiers. Figure du souverain et non image du père, le personnage central est modelé sur le type mythique ou légendaire du « premier roi ». Son règne, dans sa structure comme dans son enseignement, reproduit un schéma archaïque et une idéologie, qui sous-tendent et constituent aussi bien l’extraordinaire destinée de l’Indien Yayâti que la folle équipée de l’Iranien Yima. Roi des origines, Lear s’insère dans une histoire des commencements bretons qui n’est que la lointaine métamorphose d’une « Chronique des rois » déjà indo-européenne. Ce qui est certain en tout cas, c’est qu’avant la pièce de Shakespeare, il a existé une pièce intitulée la vraie chronique de l’histoire du roi Leir et de ses trois filles. Au sortir du Moyen-âge, à l’époque de Shakespeare, la version la plus courante raconte comment un roi a légué son royaume à ses deux filles aînées ; déshéritant sa cadette Cordélia, qui n’a pas su faire de belles phrases pour exprimer l’amour qu’elle lui porte. Désormais reines, les deux aînées se montrent ignobles envers leur père, le privant de tout, et le chassant de chez elles. Jusque-là, cette pièce de Shakespeare suit l’histoire existante. Mais alors que la tradition raconte que Cordélia, épouse du roi de France, débarque en Angleterre avec une armée, puis rétablit son père sur le trône, en se réconciliant avec lui, Shakespeare introduit un élément nouveau. Lear bascule dans la folie et, malgré un rétablissement dans les bras de Cordélia, est capturé avec elle. La pièce se conclut par la mort de la plupart des personnages, dont Lear et ses trois filles, dans un insoutenable déchaînement de passions.
Mais revenons au sanctuaire mentionné par Strabon dans les îles situées au large de Cannes. Une bien étrange légende évoque l’arrivée sur place de saint Honorat.
« Voici que le Christ nous ramène notre cher Honorat, et, en secret, sa main le guide sur le chemin du retour. Car tout ce qu’il touche sur son passage est illuminé. L’Italie se réjouit de l’arrivée de cet homme béni. La Toscane l’accueille avec vénération et par l’intermédiaire de ses prêtres le retient par les liens les plus doux. Cependant, la Providence de Dieu, qui veille sur nous, rompt toutes ces attaches et, alors que le désir du désert l’avait poussé à quitter son pays, le voici appelé par le Christ dans un désert proche de notre ville. Ainsi, gagne-t-il une île inhabitée à cause de sa nature particulièrement repoussante, où personne n’abordait par crainte des bêtes venimeuses ; et qui est située au pied de la chaîne des Alpes. Outre l’avantage de l’isolement, il appréciait le voisinage d’un homme (saint et bienheureux dans le Christ) l’évêque Léonce, auquel il s’était lié d’affection. Mais bien des gens s’efforçaient de le détourner d’un acte d’audace si nouveau. Les habitants des environs racontaient que ce désert était vraiment effrayant et, poussés par le désir de leur foi, ils rivalisaient afin d’obtenir qu’il s’installe plutôt sur leurs propres terres.
Mais lui, incapable de supporter la compagnie des hommes, brûlant du désir d’être retranché du monde, et qui plus est par la barrière de la mer ; portait ce lieu sur ses lèvres et dans son cœur, se disant tantôt à lui-même tantôt déclarant aux siens : sur l’aspic et sur le basilic tu marcheras, et tu fouleras aux pieds le lion et le dragon… Et, dans les Évangiles, la promesse faite par le Christ à ses disciples : « Voici que je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds les serpents et les scorpions ». Il s’avance donc sans peur et dissipe, par son assurance, la frayeur des siens. L’horreur de la solitude s’enfuit, la masse des serpents est vaincue. Mais quelles ténèbres n’ont-elles pas fui devant cette lumière ? Quels venins n’ont-ils pas été vaincus par ce remède ? Oui, vraiment, je pense que ceci est inouï et doit être rangé au nombre de ses miracles et de ses mérites. Dans ces lieux arides, la rencontre si fréquente, comme nous l’avons vu, de serpents, que les remous de la mer, surtout, faisaient sortir, ne fut plus jamais pour personne une cause de danger ni même de frayeur (Vie de saint Honorat par Hilaire d’Arles).
N.B. Cette histoire de serpents qui évoque un peu trop l’Irlande et saint Patrice pour être une coïncidence est bien mystérieuse. Quelles ténèbres n’ont-elles pas fui devant cette lumière ? Quels venins n’ont-ils pas été vaincus par ce remède ? Le Christianisme nous a habitués à de telles non-vérités. S’agit-il d’une image pour désigner les vagues (plutôt comparées à des chevaux en Irlande)
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ou d’une énième insulte de ce taliban ou parabolan du christianisme pour désigner les fidèles d’autres cultes que le sien ?
L’île Sainte-Marguerite, la plus rapprochée du continent, est aussi la plus grande. Orientée d’est en ouest, elle mesure trois kilomètres de long sur une largeur qui varie de 100 à 500 m. Elle renferme un étang, des pâturages, des coteaux couverts d’admirables bois de pins et une colline rocheuse sur laquelle a été construit, à 26 m d’altitude, un fort assez important. Elle possède aussi un petit port. Saint-Honorat, dont la direction est parallèle à Sainte-Marguerite, a environ 1,5 km de longueur et trois kilomètres de tour. Elle est assez bien cultivée.
On entend souvent dire que l’île Sainte-Marguerite était inhabitable, car elle n’avait pas de source, pas de puits, et qu’elle était donc inhabitable de façon permanente. On parle aussi du miracle de Saint-Honorat faisant jaillir une source sur la plus petite île et permettant ainsi l’installation d’une communauté permanente à l’abri de la soif. Or tout ceci est faux, puisque l’on a retrouvé les restes d’une petite ville sous le fort, preuve que des gens y ont habité. Le christianisme a toujours eu des rapports difficiles avec la vérité : il n’est pas tombé, tout petit et encore enfant, dans son grand chaudron.
Au pays de Galles et en Irlande, Llyr et son équivalent irlandais Lir, sont deux figures mythiques assez obscures, surtout connues pour être le père ou l’ancêtre de telle ou telle divinité. Les versions irlandaise et galloise de son mythe n’ont guère de point commun.
L’épithète letoiecto/lledyeith (« à la demi-langue ») que ce dieu-ou-démon porte au Pays de Galles, laisse entendre que l’on comprend mal ce qu’il dit. Ce qui signifie peut-être tout simplement qu’il était d’origine irlandaise, ou du moins que son culte était d’origine irlandaise. Marini est une épithète galloise signifiant tout simplement « marin ». La ville de Leicester (Llyrcestre) lui doit peut-être son nom.
Le plus connu de ses enfants est sans conteste Belinos Barinthus/Manannan, mais il en eut quatre autres avec la belle Aupa, trois garçons : Aedos, Connos, Veco (Aed, Conn, Fiachna en Irlande), et une fille, Vindula (Fionnula en gaélique).
Le roi Lero apparaît sous le nom de Lir en Irlande dans la légende intitulée Oidhe Chloinne Lir (la mort des enfants du roi Lir). Récit transmis tardivement et donc fortement christianisé (autrement dit apocryphe), mais nous apportant de précieux renseignements sur la tragique destinée d’Aedos, de Connos, de Veco et de Vindula leur sœur (d’Aed, de Conn, de Fiachna et de Fionnula).
Leur belle-mère (la deuxième femme de Lero, pourtant sœur de la pauvre Aupa) les ayant transformés en cygnes pour neuf cents ans, ils sont recueillis par saint Mochaomog. Qui les convertit au christianisme et, après leur retour à la forme « humaine », les assiste dans leurs derniers instants avant d’envoyer leurs âme/esprit dans le monde parallèle au nôtre que l’on dit meilleur. L’Acallam Na Senorach nous apprend par ailleurs que le roi Lero était le plus brave des Tuatha Dê Danan, et qu’il mourut au combat, tué par Caletios (Cailte). Ce qui est bien entendu pure fantaisie de barde.
Au pays de Galles, Lero est censé avoir eu pour épouse, non pas Lérina, mais une dénommée Penarddun, et pour enfants Manawydan (cordonnier, agriculteur, et bâtisseur) Brennos (appelé Bran le béni, autrement dit bendigeit Vran en gallois. Protecteur des bardes, roi des régions infernales et possesseur d’un chaudron d’abondance qui ressuscitait les morts), Branwen, Cordélia et ses deux sœurs, si l’on en croit Shakespeare.
Ce qui est curieux dans cette mythologie galloise, c’est que les enfants de Lero/Llyr (plant Llyr) sont tous censés avoir été des géants, ce qui évoque un peu les vouivres anguipèdes que l’on appelait Andernas sur le Continent et Fomore en Irlande. Et des géants plus ou moins toujours en guerre contre les enfants de la déesse-ou-démone Danu (bia) ou plus exactement Don dans ce cas (plant Don).
La position relativement haute dans les généalogies divines du roi Lero en fait un dieu-ou-démon complexe, bien que passablement oublié. Les Celtes (d’Irlande ou de Grande-Bretagne) ayant fini par se lancer sur les océans, ils en ont fait une sorte de dieu-ou-démon de la mer (en gaélique les vagues sont appelées « la plaine de Lir »). Mais initialement ce n’est nullement un dieu-ou-démon de la mer au sens classique du terme comme nous l’avons vu (pas comme Neptune en tout cas). Il s’agit seulement à l’origine d’un dieu-ou-démon « ayant des rapports avec la mer ».
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Et les vagues sont comparées à des serpents.
Le nom de Lero est bien entendu métaphorique (un sens secondaire est « multitude, abondance ») et il désigne au départ la mer en tant que source de vie.
Survivance folklorique. Écosse et Irlande. Seonaidh (anglicisé en Shony ou Shoney, voire « Johnny » en gaélique moderne) est le nom d’une âme/esprit des eaux marines dans l’île de Lewis. Le Dwelly, qui est au gaélique ce que l’Oxford dictionary est à l’anglais, donne du mot seonadh (sans « i ») les deux définitions suivantes : « 1. Augure, sorcellerie. 2. Druidisme ».
Il s’agissait sans doute à un stade antérieur d’une sorte de « Neptune » régnant sur l’Atlantique Nord. Au XVIIe siècle, les pêcheurs locaux avaient encore coutume de lui offrir des libations de bière, de la façon suivante d’après Martin Martin et sa description des îles situées à l’ouest de l’Écosse (1695). Ils se rendaient à l’église Saint Malvay, l’église saint Moluag ou Teampull Mholuaidh, à la pointe nord de l’île. Saint Moluag était un disciple de saint Colomba d’Iona, mais l’église fut par la suite dédiée à saint Maelrubha, un guérisseur réputé faire des miracles.
Chacun venait avec de quoi boire et manger, mais chaque famille donnait un peu de malt pour faire de la bière. Un homme était ensuite désigné pour avancer dans la mer, un verre de bière à la main. Arrivé à une certaine distance, il s’arrêtait puis criait : « Seonaidh, je t’offre cette bière, afin que ta bonté nous accorde les algues nécessaires à l’enrichissement de notre terre durant l’année qui vient ».
Ensuite il versait la bière dans les flots. Ce rituel était accompli de nuit. Puis tout le monde retournait à l’église, où un cierge avait préalablement été allumé sur l’autel. Après quelques instants passés à prier, ils ressortaient de nouveau pour aller festoyer avec de la bière dans les champs, avant de rentrer chez eux au petit matin.
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LES ÉLÉMENTALS DE L’EAU par José Maria Blazquez.
L’eau, dans les sanctuaires celtibères, pouvait avoir une des deux fonctions suivantes : soit servir à des lustrations, soit posséder des vertus thérapeutiques. Les croyants venaient y chercher la santé en s’y baignant.
Évangile selon saint Jean 5, 2-4. « Il existe à Jérusalem une piscine appelée la piscine des brebis [Bethesda, Bethzeta, etc. des fouilles archéologiques ont permis d’en dégager les ruines. N.D.L.R]. L’ange du Seigneur [le dieu-ou-démon de cette source thermale donc, N.D.L.R] descendait par intervalles dans la piscine ; l’eau s’agitait alors et le premier qui entrait dedans, après que l’eau avait bouillonné, se trouvait guéri, quel que soit son mal ».
Exactement comme la majorité des sources d’Espagne ou de la Gaule, qui comportent des inscriptions dédiées à des fées des eaux.
Dans l’imagination des dagolitoi (des fidèles), des divinités protectrices y habitaient. Dans la nécropole de Verdolay, on a découvert une céramique très intéressante, qui pourrait représenter, d’après A. García y Bellido, une femme à côté d’une fontaine. L’eau était donc probablement à la fois un moyen thérapeutique et un moyen de communiquer avec l’autre monde.
Et in Cantabria fontes Tamarici in auguriis habentar. Très sunt octonis pedibus distantes, in unum alveum colunt vasto singuli amne ; siccantur duodenis diebus, aliquando uicenis, citra suspicionem ullam aquae, cum sit uicinus iis fons sine intermissione largus, dirum est non profluere eos adspicere volentibus (Pline. Histoire naturelle XXXI, 18).
Et en Cantabrie les sources du Tamaricus fournissent aussi des présages. Elles sont au nombre de trois, séparées par un intervalle de huit pieds. Elles se réunissent en un seul lit, chacune formant une grosse rivière. Ces sources sont à sec pendant 12 jours, quelquefois 20, sans que l’on puisse y voir le moindre filet d’eau ; alors que pendant ce temps-là une source voisine, elle, conserve sans interruption un large courant. Lorsque ceux qui veulent les voir les trouvent à sec, cela constitue un mauvais présage.
Ce texte de Pline cité par José María Blázquez Martínez (le culte des eaux dans la péninsule ibérique) est intéressant à plus d’un titre ; car il nous montre bien à quel point les sources et leurs mystères (elles pouvaient disparaître ou revenir, on ne savait trop comment à l’époque) ont toujours fasciné les hommes. Qui donc y ont vu quelque chose de divin ou à tout le moins de surnaturel et en rapport avec les dieu-ou-démons ou leur destin à eux, simples mortels.
Cette source existait, il y a peu encore, sous le nom de Fuente de S. Juan de las Aguas Divinas et avait des propriétés médicinales. Actuellement, elle est encore intermittente ; on y voit les restes d’un arc romain et d’une ancienne voûte située au-dessus d’une piscine destinée aux bains. Le fait que rapporte Pline se passe en l’an 70.
Les pèlerinages, en grande faveur dans toute la Celtie, se dirigeaient souvent vers les sanctuaires construits au bord de ces sources et attiraient des foules considérables (voir l’exemple de Grand dans l’est de la France). Non seulement à l’occasion de telle ou telle fête particulière, mais aussi durant toute l’année. On allumait des torches devant les sources, et on leur apportait des atebertas ou offrandes. Ce culte, probablement d’origine néolithique, a survécu jusqu’en pleine époque chrétienne.
Le culte des eaux et particulièrement celui des sources thermales présente donc une continuité impressionnante. Aucune révolution religieuse n’a pu l’abolir ; alimenté par la dévotion populaire, le culte des eaux a fini par être toléré, même par le christianisme, après les infructueuses persécutions du Moyen-âge. La continuité cultuelle en ce qui concerne certaines sources, va du Néolithique jusqu’à
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nos jours (pour le culte des eaux et le symbolisme aquatique, voir Mircea Eliade, Tratado de Historia de las Religiones, Madrid 1954, pages 185-210).
La plupart des inscriptions se trouvent à proximité de sources thermales. Le même phénomène a été aussi observé par Mario Cardozo et Santos Júnior, dans leur récente étude du culte des élémentals au Portugal. Et par López Cuevillas lorsqu’il se réfère aux inscriptions consacrées à des divinités indigènes aquatiques, du nord-ouest de la Péninsule.
On peut en déduire, que pour ce qui est du culte des eaux, les dagolitoi (les fidèles) y cherchaient avant tout une utilité pratique. Les noms étaient peut-être la personnification des vertus salutaires résidant dans ces sources où accouraient les croyants à la recherche d’un remède à leurs infirmités. Il est plus que probable que toutes ces fontaines recevaient déjà un culte à l’époque néolithique. Chamoso Lamas a observé que de nombreuses sources galiciennes sont actuellement placées sous le patronage de la Vierge ou d’un saint, d’autres se rattachent à des sanctuaires. Ces fontaines étaient sûrement vénérées avant le christianisme ; avec la venue de celui-ci, leur culte a été soigneusement épuré de son paganisme originel, et on les a placées sous la protection de la Vierge et des saints.
Il existe deux témoignages importants concernant le culte des eaux, tous deux trouvés dans le nord de l’Espagne, ils sont romains, mais confirment pleinement le caractère que revêtait ce culte. Ces témoignages sont le monument de Santa Eulalia-de-Bóveda, et la patère consacrée à la Salus Umeritana.
A. Le monument souterrain de Santa Eulalia-de-Bóveda, province de Lugo, est l’un des documents les plus intéressants que nous avons conservés du culte des eaux dans l’Espagne romaine. Il fut découvert en 1926, et l’on a émis diverses hypothèses sur son origine et son utilisation primitive. Le monument se trouve dans la partie nord de l’atrium de l’église actuelle de Santa-Eulalia-de-Bóveda, située à 14 km environ de Lugo. Dans un endroit proche de la sacristie de l’église, une grande dalle d’ardoise cachait l’entrée, donnant accès à une crypte de 3,40 m de profondeur, dans laquelle on descendait par un escalier. Le plan du monument est rectangulaire, et représente un atrium ou cour intérieure. Sa disposition correspond à un édifice à trois nefs, parmi lesquelles la nef centrale s’avère très large, et les nefs latérales extrêmement étroites. Le monument présente un grand intérêt, à cause des motifs qui sont d’une grande perfection technique, et d’une grande richesse picturale, et qui embellissent une bonne partie des murs, des arcades et des voûtes. Les motifs sont de trois sortes, géométriques, végétaux et animaux. Les premiers semblent imiter un plafond à caissons. Les seconds sont représentés par des plantes aquatiques et exotiques, des feuilles, des arbres, et des grappes de raisin ; les motifs animaux sont très variés, faisans, canards, coqs, perdrix, colombes et cailles. L’ensemble est orné de quelques petits bas-reliefs, répartis séparément sur les murs du portique. Sur deux reliefs égaux, existant à l’extérieur des pilastres du vestibule, apparaissent cinq figures féminines, les bras levés, sauf une qui appuie une main sur l’épaule de sa voisine, tandis que de l’autre elle relève sa jupe.
Sur la face intérieure du côté nord du portique se voit un autre petit bas-relief. D’une ligne et d’une exécution très fine, il représente deux figures masculines, l’une nue et l’autre vêtue d’une tunique courte, qui par leur attitude paraissent se montrer leurs déformations corporelles ; l’un montre sa jambe rigide, et l’autre son bras difforme.
Les fouilles effectuées en 1947 ont mis à jour, sous le sol, l’existence d’une piscine pleine d’eau. H. Schlunk en 1935 (Santa Eulalia de Bóveda, in Goldschmidt Festschrift, 1935) a reconnu dans ce monument des parallèles avec des monuments d’Orient, du sud de la Russie et de la Syrie ; et a cru que celui de Santa Eulalia de Bóveda en l’occurrence, avait le même but. Hypothèse confirmée, apparemment, par les bas-reliefs qui ornent la façade, dans lesquels il voyait un rapport avec d’anciens symboles funéraires, ce caractère apparaissant plus clairement dans la scène des danseuses aux voiles. II attribuait le fait que l’on n’ait pas trouvé de restes humains ni de restes de sarcophages, aux transformations subies par l’édifice afin de l’adapter à d’autres fins, et précisément au culte chrétien. Il suppose que le monument fut élevé à l’époque romaine, et qu’il aurait été restauré après l’effondrement de la voûte ainsi que de la façade ; la reconstruction de la voûte et l’adjonction des arcades à l’intérieur se situeraient au IXe siècle, époque à laquelle l’édifice fut consacré au culte chrétien.
La découverte de la piscine, en 1947, a éliminé tous les doutes pouvant subsister sur l’usage de ce monument. Il s’agit d’un nymphée, d’un édifice public consacré au culte des élémentals, dans le but de rechercher leur protection et de recourir aux eaux minérales à des fins thérapeutiques. C’est ce que le relief paraît indiquer, du fait que deux personnages se montrent mutuellement leurs cicatrices ; de même par la découverte de la partie supérieure d’un autel romain, où on peut lire PRO SA (lute).
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Les eaux de la piscine de Santa Eulalia sont justement aptes à combattre les rhumatismes. Ce monument est une preuve de la christianisation du culte des eaux, puisque ce lieu a été adapté au culte chrétien.
B. La patère d’argent dédiée à Salus Umeritana, a été trouvée sur une hauteur nommée Pico del Castillo, près de la localité d’Otañes, dans la province de Santander, parmi les ruines d’un ancien édifice. Sur la partie supérieure figure une femme couchée sur le sol et à demi couverte d’un manteau, personnifiant les eaux. La nymphe tient dans la main droite une petite branche de laîche, une graminée qui pousse dans les régions très humides et marécageuses. Elle appuie le bras gauche sur un récipient d’où s’écoule de l’eau, qui, passant sous un petit pont, vient se déverser dans un étang. À côté se trouve un serviteur le genou droit posé à terre qui verse de l’eau dans un récipient avec une écuelle. Sous cette scène nous en voyons une autre, analogue à la précédente : un homme verse l’eau d’une amphore dans un tonneau placé sur une charrette à quatre roues, tirée par une paire de mules. À droite il y a un vieillard barbu, vêtu d’une toge, qui verse une libation sur un autel circulaire à large base. Du côté droit de la patère, on voit deux scènes indépendantes l’une de l’autre ; la scène supérieure montre un paysan, âgé, revêtu également d’une courte tunique, et s’appuyant sur une canne recourbée, qui jette sur un autel quadrangulaire une poignée de grains d’ambre ou d’encens (?). Dans la scène inférieure, il y a deux personnages, l’un, plus vieux, est assis sur un fauteuil au dossier élevé, tandis qu’un jeune homme, vêtu d’une courte tunique, lui présente un gobelet. Il s’agit probablement d’un malade auquel on apporte de l’eau.
Cette patère est d’une importance capitale pour bien comprendre le caractère du culte des eaux à l’époque romaine. Le caractère de ce culte, tel qu’il se dégage de l’atrium d’Otañes, coïncide pleinement avec l’impression que l’on retire de l’étude du monument de Santa-Eulalia-de-Bóveda ; et avec le fait que les inscriptions se trouvent près de sources aux propriétés thérapeutiques. Les dagolitoi (les fidèles) recherchaient dans le culte des élémentals et des eaux, un résultat précis : être délivrés de leurs maux physiques, grâce à cette eau. La patère d’Otañes, dans deux des scènes qui sont représentées sur cette coupe à boire (transport de l’eau, et offrande de cette eau à un malade) indique que l’eau ayant des vertus curatives était apportée aux malades. Elle signale aussi en quoi pouvait consister le culte des eaux : en libations et en offrandes d’encens (sans doute primitivement d’ambre jaune) ; et la manière dont l’imagination populaire se représentait les eaux en question : sous les traits de jeunes filles à demi nues habitant les lieux humides.
Les indications sur le culte des eaux transmises par les Conciles coïncident avec les informations qu’en donne involontairement sainte Martin Dumiensis, ou de Braga, dans son traité intitulé De correctione rusticorum (XVI). Quand il demande que l’on n’allume plus de cierges sur les rochers, dans les arbres, en l’honneur des fontaines ou des carrefours de chemin, et que l’on offre plus de pain aux sources. Coutume qui subsistait en Galice il y a peu encore.
L’interprétation que donne ce taliban ou parabolan du christianisme sur l’origine du culte des eaux est intéressante. « Beaucoup de ces démons qui ont été chassés du Ciel, président aux fleuves, aux fontaines et aux forêts ; ceux qui sont aveugles au vrai dieu les adorent, et leur rendent un culte, comme s’il s’agissait d’authentiques divinités, en leur offrant des sacrifices » (De correctione rusticorum, VIII).
Notons au passage, ce qui est fréquent avec ces philosophes adeptes du dieu d’amour, contempteurs des superstitions en tout genre, que Martin de Braga ne nie en aucune façon l’existence des dieux du paganisme antique ; mais qu’il en fait seulement des démons expulsés du Ciel. Un tel traité ressemble d’ailleurs beaucoup aux diatribes de l’islam à ce sujet.
Les pratiques dénoncées l’étant aussi par plusieurs autres auteurs de l’époque (Césaire d’Arles, et ainsi de suite) la question qui se pose est de savoir s’il s’agit vraiment d’observations faites sur le terrain, par saint Martin de Dumio personnellement ; ou d’une mode chez les chrétiens de l’époque. La prédominance des éléments gréco-romains dans les condamnations au détriment des éléments pagano-celtiques (pourtant bien attestés par l’épigraphie…) fait pencher pour la deuxième hypothèse.
Le culte des eaux devait sans doute être beaucoup plus enraciné au nord des Pyrénées apparemment. Les conciles y lancent des anathèmes infiniment plus sévères contre ceux qui vénèrent les fontaines, que ne le font les conciles réunis dans la péninsule ibérique. Un catalogue aussi impressionnant que celui qui a été fait par A. Bertrand sur les canons des conciles, en commençant par celui d’Arles (452), condamnant le culte des fontaines, serait impossible à établir dans la péninsule ibérique.
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Il en existe néanmoins plusieurs dans lesquels on peut trouver des exhortations ou des anathèmes contre les malheureux qui vénéraient encore les fontaines, ce qui prouve bien l’enracinement de ce culte des eaux dans le pays.
Le premier concile de Braga mentionne les infidèles qui allument des cierges ou qui honorent d’un culte les arbres et les fontaines. Il y a dans les décisions du second Concile de Braga, en l’an 572, un canon (le canon 71) qui concerne ceux qui effectuent encore des lustrations (lustrationes paganorum faciant). Et le canon 11 du 12e concile de Tolède mentionne de nouveau ceux qui allument des flambeaux ou qui adorent les fontaines, voire les arbres (accensores faculorum et excolentes, sacra fontium vel arborum). Tout comme le canon 2 du 16e concile de Tolède, réuni en l’an 693.
Brève étude de quelques inscriptions.
AIRO DEO. A.
IRONI.
FECIT. FA
MILIA OC
VLES. VSE
C. IITINN
CRISPINV.
L’autel, qui est en pierre calcaire, fut trouvé au lieu-dit la Fontaine Ronde, près d’Uclés, endroit où se trouve une petite mare aux environs de laquelle s’élèvent des restes de constructions, probablement romaines. Non loin de la fontaine où le Bedija prend sa source s’étend un cimetière romain dont on a conservé un grand nombre d’urnes. L’adjectif géographique oculensis correspond à la forme la plus ancienne qui soit connue, dans les documents du Moyen-âge, pour désigner le village d’Uclés. L’autel est consacré au génie protecteur de la fontaine. Dans différentes localités d’Espagne, on donne le nom d’Airon à un puits ; exemple le puits Airon, aux confins de Garci Muñoz (Cuenca). Un autre puits appelé Airon se trouve à Hontoria del Pinar (Burgos). II existe aussi à Grenade une petite place de ce nom.
ABIA. FELAESVRAECO.
SACRVM
POSITVM CVRA VICCISIONIS.
Le Corpus Inscriptionum Latinarum a proposé la lecture suivante pour cette pierre, qui provient de S. Juan de Camba.
NABIA ELAESVRRAEGA.
Le nom du dieu-ou-démon en question serait donc Abiafelaesuraecus ; et c’est sous cette dénomination que Leite de Vasconcelos la mentionne dans le second volume des Religions de Lusitanie.
Dans le troisième volume, Leite a en revanche suivi la lecture proposée par Vázquez Núñez, la jugeant beaucoup plus sûre.
[N] ABIAE ELAESVRRAEC
SACRVM
POSITVM CVRA VICCION.
Les lettres du commencement de la première et de la troisième ligne sont restituées d’une manière très heureuse par Vázquez Núñez. Dans la Péninsule, les inscriptions dédiées au fleuve ou à la rivière Nabia, découvertes jusqu’à présent, sont au nombre de sept. Dans la première ligne, ELAESVRRAEC est mis pour ELAESVRRAEC (AE), datif féminin de ELAESVRRAECUS. Nom composé du thème Elaesus que l’on rencontre dans diverses inscriptions hispaniques (CIL II, 2633, 2688, 5034), dans des toponymes (CIL II, 5034, 5763) ; et du suffixe – aecus, suffixe typique du nord-ouest de l’Espagne, qui apparaît très couramment sous des variantes distinctes. ELAESVRRAECAE dans ce cas est exactement le même type de mot que Cariocieco, composé du suffixe – aecus, précédé du toponyme.
GENIVS FONTIS AGINEESIS
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FONTI SAGINEES GENIO
BROC CI L VIPST
ALEXIS AQVEEGVS
V. S. L. M.
Une partie de l’inscription est aujourd’hui illisible, car elle est cachée par un édifice construit à l’endroit où fut découvert l’autel. D’après Gómez Moreno, dont nous donnons la lecture, les lettres sont bien formées, quoiqu’inégales. L’autel se trouve à Bonar, au-dessus d’une source aux vertus curatives, que l’on appelle actuellement « La Chaude » à cause de sa température. La roche, sur laquelle est gravée l’inscription, est un quartzite ardoisier ; on n’a pas trouvé de vestiges romains dans les alentours immédiats de la source. L’inscription a été dédiée au génie de la source, par un dagolitos ou un fidèle qui avait bénéficié des vertus bienfaisantes de son eau.
NYMPHAE FONTIS AMEVCNAE
NYMPHIS
FONTIS. AMEV
CN. L. TERENTIVS
L. F. HOMVLLVS
IVNIOR. LEG
LEG. VII. G. F.
L.V.M.V.
La pierre a été découverte à León, et dédiée par un légat de la VIIe légion. Le nom de la fontaine était probablement Ameucna. Elle a sûrement dû posséder des vertus thérapeutiques. Le dédicant est inconnu. Les lettres sont bien écrites, comme il sied à un haut fonctionnaire de l’Empire romain.
CASTAECAE
REBVR
RINVS
LAPIDA
RIVS. CA
STAECIS
V. L. S
M.
L’autel, actuellement disparu, provient de Santa Eulalia-de-Barrosa, une commune de Lousada (Oporto). Hübner, Mario Cardozo et Leite, croient que les divinités vénérées sur cet autel sont des élémentals désignés par le suffixe – aecus uni à un toponyme, comme il est fréquent d’en trouver dans la formation des noms de dieu-ou-démons.
CELIBORCA
BAEDIVS
RIBVRRVS.
CELIBORCAE
SACRVM
V.S.L.M.
L’inscription est probablement consacrée à une nymphe protectrice des eaux thermales. Dans l’Itinéraire d’Antonin, apparaît sur le chemin de Bracara à Asturica un lieu-dit Celenae Aquae, aujourd’hui Caldas de Reyes. Le second élément, du nom de la divinité, a peut-être un rapport avec borm « bouillonner », qui apparaît dans Bormanicus.
DVRBEDIGVS
CELEA
CLOVTI
DEO D
VRDEB
ICO EX V
OTO AN.
Les deux étymologies que l’on peut donner pour ce nom confirment l’hypothèse selon laquelle DVRBEDICO serait un dieu-ou-démon des eaux. Le nom se termine par le suffixe – ecus, très
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répandu dans la toponymie. Durb aurait un rapport avec l’irlandais drucht « brouillard », ou avec derb « clair, cristallin », idée qui s’accorde bien avec une divinité aquatique ; – ed est le suffixe que l’on rencontre dans beaucoup de mots celtiques.
DVRVS
DVRI
C. IVLIVS
PYLACES.
L’inscription, découverte aux environs d’Oporto, est dédiée au génie du Doero/Duero ; le nom a la terminaison du datif celtique – i.
EDOVIVS
EDOVIO
ADALVS. CLO
VTAI. V.S.L.M.
Le nom du dédicant ADALVS apparaît pour la seule et unique fois dans la Péninsule. L’autel fut trouvé près de Caldas de Reis, à Pontevedra, aux environs d’une ancienne fontaine thermale ; il est consacré au génie de cette fontaine.
FROVIDA
SACRVM
MATERNVS
FLACCI
EX VISV
V.S.L.M.
Frovida est la nymphe de l’un des fleuves qui coulent dans la commune de Braga, lieu où fut découvert l’autel.
Le nom de la divinité se rattache à la racine indo-européenne *sreu « courir », Frudis, Froutis, Combo-frutis, Can-fruth, « rivière » en vieux gallois, gallois moderne ffrwd, breton froud « ruisseau, torrent, l’eau qui court en général » (cf. Holder, op. cit. I, 1500 ; Walde-Pokorny, Vergleichendes Wörterbuch der indogermanischen Sprachen, II, 7025). Leite de Vasconcelos rattache Frovida au nom de la déesse ou démone, ou fée, de type allégorique, Providentia ; rapport qui paraît très douteux et beaucoup moins sûr que le précédent. Hübner se demande si cela ne viendrait pas de [Fortunae] Providia (e) sacrum ; il s’agirait dans ce cas d’une simple divinité romaine. L’interprétation de Frovida comme étant une des déesse-ou-démones, ou fée, des eaux, pourrait être acceptable ; car dans la Péninsule, le culte des eaux est très courant.
LACVBERGVS
COLEY. TE
SPHOROS
ET FESTA
ET TELESI
NVS. LACV
BEGI. EX
VOTO.
L’autel a été trouvé à Ujué. Il porte une tête de taureau en relief sur l’un des côtés. Lacu, élément que l’on trouve dans des toponymes modernes = « eau ». Lacubegus devait être une divinité aquatique. Le nom de la divinité en question est au datif celtique en – i.
LVPIANAE
ANTONIA
RVFINA
VOTO NYM
HIS LVPIA
NIS LIBENS
ANIMO
POSVIT.
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Cet autel fut découvert en 1887, dans la commune de Guimarães. Il est actuellement au musée de la Société Martins Sarmento. Il fut trouvé sur les rives du Vizella, et Lupia désigne une rivière de Germanie (Real Encyclopädie, s.v. col. 842) ; Lupia, Lupius, Lupia, Lupianus, sont des noms qui apparaissent dans les inscriptions hispaniques et en dehors de la Péninsule (CIL, II, 2793, 6257, 4970). À Huesca, il y a un toponyme, Lupinen, qui s’apparente à ce mot (R. Menéndez Pidal, op. cit. p. 135).
MATRES
MATRIBVS
TER
MEGISTE
V.S.L.
L’autel fut découvert sur la rive du Durato. Dans cette inscription, les Matres ont vraisemblablement un caractère de divinités aquatiques ; caractère sous lequel elles apparaissent dans beaucoup d’autres inscriptions (Toutain, Les Cultes païens dans l’Empire romain, 1920, tome III, p. 243), car l’autel a été trouvé près de la rivière.
NABIA
CICERO
MANCI
NABIAE
L.V.S.
L’autel fut découvert à S. Joao Baptista de Pedregao Pequeno. L’autel est consacré au ou à la Nabia, rivière à laquelle sont dédiées huit inscriptions dans la Péninsule. L’autel est en granit, dimensions 0,70 x 0,28 x 0,20 m ; la hauteur des lettres varie entre 0,06 et 0,07 m.
CATVRO
PINTAMI
NABIAE
IBENS.
L’autel a été trouvé à Monte Maltar ; le nom du fleuve auquel l’inscription est dédiée, se trouve orthographié de la même manière que dans les inscriptions trouvées à S. Joao Baptista de Pedregao ainsi qu’à San Juan de Camba. II y a une variante entre b et v dans l’orthographe du nom de cette divinité.
NABICCA.
López Cuevillas a lu le nom de cette déesse ou démone, ou fée, qui est sans doute une variante de NABIA, sur une pierre découverte à Marecos.
NAVIA
NAVIA (E)
ANCETOLV (S)
ARI. EXS G
SESM
VOTVM
POSSIT
Q.E.C.I.
Le G du terme latin « gens » est à l’envers, phénomène que l’on observe dans d’autres inscriptions recueillies en Espagne (CIL II, 5739) ; cette dernière a été trouvée dans les Asturies. Hübner propose pour ce sigle la lecture Gens ou Conventus, car on ne voit pas clairement si la lettre est G ou C. Cette inscription prouve que le ou la Nabia en tant qu’élémental de rivière a reçu un culte de la part de la gens Sesmaca, sans pouvoir préciser la localisation de cette gens ou de ce conventus, qui devait être en Galice. Sur la localisation de la Navia et le problème des deux Navia, voir J. González, El litoral asturiano en la época romana, Oviedo 1954, pages 84-86).
REVA
PEREGRINV
APRIFREVE
EIS VOTO.
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L’autel a été trouvé à Mosteiro da Ribeira. Reua (Reue, datif vulgaire pour Reuae) apparemment est une personnification divinisée de Diua. L’autel par conséquent est dédié à une divinité aquatique, personnification de l’eau courante, exactement comme le dieu-ou-démon, ou la déesse-ou-démone, ou fée, du nom de Nabia. Il passe à Ruanes une rivière qui s’appelle Deva ; et dans le territoire des Arévaques celtibères, il en passe une autre nommée Areva, qui a peut-être un rapport avec Reva, même en admettant que ce mot soit une personnification indigène de Diva. De toute façon, il paraît admissible que les divinités dans le nom desquelles entre en composition le mot deva, soient des divinités aquatiques.
REVELANGANICAEIGVS
RECTVS
RVFI F
REVE
LANGA
NIDAEI
GVI. V. S.
Cet autel fut découvert à Idanha, et se trouve actuellement au musée Ethnologique. Il mesure 0,68 x 0,21 ; il est en granite et brisé en deux moitiés. Le nom du dédicant se rencontre fréquemment dans l’onomastique indigène. Le nom de la divinité en question est Rave, au datif vulgaire, E pour AE, comme il est fréquent dans les inscriptions hispaniques, suivi d’une épithète qui le spécifie ; celle-ci se termine en – aeigus, forme sonore avec développement de i devant ae finale de base, et le suffixe – ko. Dans une autre inscription de Proença, dédiée aussi à Reua, l’épithète se termine par la forme sourde – aecus, sans développement de i devant – ko. On observe cette variante entre forme sourde et sonore du suffixe final dans une autre épithète : à Idanha, il y a Langanid-- et à Proença, Langanit-- conformément au phénomène que l’on remarque pour Adaegina et Ataecina.
SALVS BIDIENSIS
CATVRO
SA. BIDIE
SIV. A.L.S.
Les Romains considéraient cette divinité sous deux aspects différents : d’un côté, elle signifiait le bien public en général, Salus Populi Romani, Salus humani generis, de l’autre la santé corporelle ; dans ce cas, salus alternait avec valetudo. Ce second aspect de la divinité en question est la signification de Salus dans l’inscription dont nous parlons. Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir plus haut, à Pico del Castillo, près d’Otañes, dans la province de Santander, il y a une inscription analogue sur une patère d’argent du Ier siècle, qui porte en relief une fontaine, probablement d’eaux thermales, et une charrette avec un tonneau pour le transport de son eau. L’inscription a une dédicace Salus Umeritana (A. García y Bellido, Esculturas romanas de España y Portugal, Madrid, 1949 pages. 467-470). C’est aux environs de Montánchez que devait se trouver la fontaine de Bidia, dont le génie ou le principe curatif pourrait être identifié à la SALVS BIDIENSIS.
SILONSACLVS
NIMPHIS SILONSACLO
VIANA EX VOTO F. C.
L’inscription en question est apparue sur le territoire de la localité d’Alongos, près du Mino, parmi les pierres qui obstruaient une source. Hübner croit que le nom indigène (au datif singulier, alors que nymphes est au pluriel) se rattache au nom de la rivière Sil. Le nom de Silo, élément qui apparaît dans la forme Silonsaclus, se rencontre à plusieurs reprises dans la péninsule, comme nom de personne (CIL II, 2633, 2947, 5649 ; Hübner, Eph. Ep. VIII, 416) chez les Zoelas, dans un bratou decantem (ex-voto) de Zamora, San Esteban-de-Gormaz, Alebniz. On peut le lire sur deux des 62 inscriptions inédites publiées dernièrement par F. Santos, et originaires de Zamora (F. Santos, dans le Boletín del Instituto de Estudios Asturianos, 23, 1954, 15, 25). Le Sil reçut un culte, au même titre que la Tamise, le Rhin, le Danube, la Seine… (Cuevillas, dans Zephyrus, VI, 1955, 233).
TAMEOBRIGVS
TAMEOBRIG
POTITVS
CVMELI
VOTVM
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PATRIS
S.L.M.
Le nom du dieu-ou-démon est composé de la désinence – briga et du nom de rivière Tamega ; la pierre votive est précisément apparue au confluent du Douro/Duero et de la Tamega. Dans une inscription figure un village du nom de Tamagani (CIL II, 2477). La divinité en question est aquatique, et de même qu’au dieu-ou-démon Aturro, également divinité fluviale, on lui a consacré un autel dont le caractère funéraire est marqué.
Actuellement, l’autel est conservé au musée de la Société Martins Sarmento de Guimarães. II est en granite. Les dimensions sont de 0,74 x 0,39 x 0,27 m (Rel. II, 319 – 321).
TANITACVS
AVRELIVS
FLAVS
TAIT.T. ACVARV
NYMPHIS
EX VOTO.
Cet autel a été découvert aux Bains de Molgas, province d’Orense. II est dédié probablement aux élémentals d’une source thermale.
TONGVS NABIAGVS
À Braga au Portugal, à la Fonte do idolo (en portugais la fontaine de l’idole), a été trouvé un très curieux monument quadrangulaire, taillé à même le roc, avec des inscriptions latines et des sculptures. Au pied se trouve une fontaine avec un bassin. Monument et fontaine sont en granite. Si nous commençons la description par l’angle gauche supérieur, nous trouvons l’inscription suivante.
CAELIVS FRONTO
ARCOBRIGENSIS
AMBIMOGIDVS
FECIT.
Les lettres sont du Ier siècle ; leur hauteur varie entre 0,06 et 0,065 m. Arcobriga, mot dont dérive l’adjectif Arcobrigensis, est peut-être l’Adobrica que cite Pomponius Mela (III, 1, 9), nom que lui ont donné les Galiciens ; Ptolémée parle d’une Arcobriga chez les Celtibères (II, 659) près de Bilbilis, ville également citée dans l’Itinéraire d’Antonin (1, 438, 13). À Coria, on a découvert une pierre avec ce même adjectif arcobricense (CIL II, 765).
Ensuite, est sculptée dans le roc une figure humaine, de 1 m 10 de haut, qui représente un élémental debout, vêtu d’une tunique, à longue barbe, et qui tient sur son flanc droit un objet volumineux difficile à identifier (une corne d’abondance remplie de fruits ?) Leite de Vasconcelos croit que cette figure représente le dédicant, opinion peu fondée, car cette sculpture est la représentation du Nabia. Les rivières sont représentées fréquemment dans l’art romain de ce pays par des hommes barbus avec une corne d’abondance ; la présence de cette dernière oblige à écarter l’hypothèse de Leite.
Dans une seconde inscription, on peut lire le nom de la divinité à laquelle est consacré le monument :
TONGOE
NABIAGO.
Ce nom est un composé impropre, car il donne une flexion aux deux éléments ; le premier est le mot tong – qui revient, très fréquemment dans les noms péninsulaires ; et dans l’onomastique de la divinité apparaît le datif celtique – oe ; dans le second élément du nom entre en composition le mot NABIA, rivière asturienne, avec le suffixe – acus sous la forme – agus.
Le nom de la divinité signifiait « le Nabia par lequel on jure ». Ce nom révèle un aspect ignoré du culte des rivières dans la Péninsule : on prêtait serment sur elles. Cette coutume de jurer par les rivières et par l’eau en général était fréquente aussi bien dans le monde grec que dans le monde romain.
La hauteur des lettres composant le nom de la divinité varie entre 0,09 et 0,10 m.
À l’angle droit inférieur se trouve une niche de 0,50 x 0,12 m, surmontée d’un fronton, sur lequel on peut voir une colombe et un marteau. Un buste d’homme est placé dans la niche. Sous l’angle gauche, on peut lire CAELIVS FECIT, et sous la niche : FRONT. Ce personnage est sans doute le dédicant, qui est en même temps l’auteur du monument.
REMARQUES RETROUVÉES SUR UNE FEUILLE VOLANTE PAR LES HÉRITIERS DE PIERRE DE LA CRAU.
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José María Blázquez Martínez (le culte des eaux dans la péninsule ibérique) note de nombreuses similitudes avec ce que l’on peut savoir de la religion en Afrique du Nord. Pourquoi pas ? Il est certain en effet que l’homme, où qu’il puisse être, a toujours été fasciné par les sources et les points d’eau ; si indispensables à la vie et pourtant apparemment si capricieux (sources qui se tarissent ou qui réapparaissent, sans explication logique, à l’époque du moins).
II n’est pas rare de découvrir dans toute l’Afrique berbère, sous des formes romaines, le culte de l’eau ; les nombreux sanctuaires, comme celui construit près de Zaghouan ou celui d’Aïn Tébournouk (Tubernuc Grombalia), sont fréquemment accompagnés de sources. Ces sanctuaires sont consacrés à des élémentals de l’eau. Ils comprennent généralement un édifice, à l’intérieur duquel se trouve la source, dont on recueille le précieux liquide dans une piscine. G. Picard croit que les sanctuaires dédiés à Neptune ou aux Élémentals cachent de vieux sanctuaires ruraux berbères, dans lesquels le culte, sous l’Empire romain, avait gardé sa forme primitive.
G. Picard, qui a fait des fouilles en 1939 et en 1941 à Castellum Dimmidi (Messad Algérie), a découvert une construction qui a l’aspect d’un petit temple, entouré de grottes. II y avait sur l’un de ses flancs un puits séparé du reste de l’édifice par un mur. Cette disposition indique clairement que le puits avait une valeur sacrée : une inscription est consacrée au dieu-ou-démon Apollon, Esculape et Hygie. L’archéologue a déduit de cette découverte que l’élémental berbère qui présidait à ces eaux fut confondu par les Romains avec leur dieu-ou-démon de la médecine. À Timgad, devant le sanctuaire, il y a une grande piscine. Le dieu-ou-démon patron du temple, à en juger par les fragments de statues recueillis, était Sérapis ou Esculape ; la piscine porte le nom d'« Eau Septimienne » (Aqua Septimiana).
Ogam. Tradition celtique 9, Fasc. 3, 1957, 209-233 (= El culto a las aguas en la Península Ibérica, en J. M. Blázquez, Imagen y Mito. Estudios sobre religiones mediterráneas e ibéricas, Madrid 1977, 307-331).
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PREMIER CAHIER DE NOTES
RETROUVÉ PAR LES HÉRITIERS DE PIERRE DE LA CRAU.
Dès la préhistoire, le bouillonnement et les vapeurs de la source d’eau chaude ont fasciné les humains, qui se sont souvent établis à proximité. Les élémentales ou duses de l’eau sont en général vus comme étant féminins en terre celte. Ces âme/esprits de l’élément aquatique sont devenues les matres, nymphes, sirènes ou nixes, de nos légendes germaniques. Leurs pouvoirs sont liés à la fécondité, à la séduction, à l’érotisme et à la passion. Les duses ou élémentals vus comme étant de sexe masculin sont une toute petite minorité, mais ces exceptions existent.
Dernier point de cette introduction. Nous avons vu que certains élementals de genre incertain en réalité ; seront considérés comme de sexe masculin par les Romains, peuple machiste s’il en fut.
Notons enfin une petite difficulté technique. Ainsi que nous l’avons vu plus haut, on appelle sainteté (sanctitas) dans le monde britto-romain et gallo-romain, en Narbonnaise notamment, la relation charismatique (le patronage divin) pouvant exister entre le dieu-ou-démon souverain (Taran/Toran/Tuireann = Jupiter) et les rois ou les chefs. Cette notion de patronage divin rendue par le terme latin de sanctitas, est un concept religieux à la fois latin et celte.
Les Celtes connaissaient en effet une forme particulière de rapports entre leurs dieu-ou-démons et leurs dirigeants, bien rendue par le fait qu’ils se pensaient d’origine divine (descendants d’Ogmios, ou d’Héraklès pour les Grecs, voire descendants de Belin/Belen/Belenos, dit Apollon en interpretatio graeca). Il leur a donc été relativement aisé d’interpréter à leur manière la « sanctitas » : la force divine descendant des dieu-ou-démons jusqu’aux grands chefs politiques ou guerriers.
Le panégyrique de Maximien par Mamertin, texte particulièrement important parce qu’exprimant les idées des rhéteurs celtes de l’époque, commence par la formule suivante « ille siquidem Diocletiani auctor deus… » Ce qui signifie : « le dieu-ou-démon, patron de la lignée de Dioclétien… » Nous avons donc affaire dans ce cas précis à un exemple de syncrétisme celto-romain. Le nom latin de sanctitas étant utilisé pour exprimer une idée druidique : une certaine forme de descendance mythique, ou de patronage divin, des grands dieu-ou-démons celtes, et principalement de Taran/Toran/Tuireann.
Pour ce qui est des inscriptions en latin nous traduirons néanmoins systématiquement la notion bien romaine et uniquement romaine de numen de tel ou tel empereur par « empereur divinisé » faute de mieux. Les druides en effet ont bien admis que certains êtres humains pouvaient avoir gardé des dons plus ou moins préternaturels ; mais ils n’en ont jamais systématiquement associé un tel charisme à la puissance politique et du seul fait qu’elle est la puissance étatique.
SENUA. Élémentale des eaux mentionnées dans la cosmographie du géographe anonyme de Ravenne (dans le sud de la Grande-Bretagne). Et localisée en 2002, lorsque l’on a découvert, près de Baldock dans le Hertfordshire, un trésor composé de 26 atebertas ou offrandes dédiées à cette déesse-ou-démone, ou fée, qui ressemble beaucoup à la déesse ou démone, ou fée, de Bath (Sul). Thomas G. Ikins suggère de l’identifier au fleuve Alde. Le temple de Senua, qui s’élevait à cet endroit, devait être un grand temple de source tout à fait comparable à celui de Sulis, avec bâtiments pour les pèlerins, ateliers, boutiques, et ainsi de suite. Ces atebertas ou offrandes semblent avoir été enterrées, sans doute afin de les protéger, au IIIe ou au IVe siècle. Il y avait des plaques d’argent rehaussées d’or, sept plaques d’or et des bijoux, dont une broche, un camée, ainsi que des fibules pour manteau, etc.
Une des inscriptions se lit comme suit.
DEAE SENVA [… / FIRMANVS [……/ V [SLM]
« À la déesse Senua […] Firmanus […]
Une autre inscription, sur un bijou, précise que l’ateberta (l’offrande) a été faite par un dénommé Servandus d’Espagne.
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La petite figurine en argent qui a été découverte représente l’élémental de cette source sous la forme d’une gracieuse jeune femme aux cheveux coiffés en chignon.
12 des plaques votives la représentent à la façon d’une Minerve romaine classique, mais les cinq qui ont une inscription l’invoquent sous le nom de Senua, Senuna, ou Sena.
SIANNON, SINNAN ou SIONNA. Élémentale du fleuve Shannon. Ce fleuve a sa source au Shannon Pot, un karst des pentes du mont Cuilcagh, au nord-est du lac Allen (à quelques kilomètres de Dowra). Sionnan était censée être une fille de Lodan et, donc, une petite fille de Lero/Lir. Elle serait venue à cet endroit pour manger du fruit de l’arbre de la connaissance. Mais dès qu’elle eut commencé à en absorber, la fontaine déborda, la recouvrit de ses eaux, et l’entraîna tout au long du pays, ce qui donna naissance au fleuve portant son nom.
TAMESIA. Élémentale de la Tamise. Du moyen anglais Temese, c’est un nom dérivé de l’appellation celtique du fleuve, Tamesia/Temesia transcrit en latin Tamesis et en gallois Tafwys. Ce nom se retrouve à Anvers en Belgique et à Saint-Marcel-lès-Châlon en France, sous le nom de Temusio. Il signifie probablement « sombre, foncé ». La lettre « h » a été rajoutée à la Renaissance. Contrairement à l’habitude dans les pays celtes, le fleuve a été représenté en homme en 1854, sous le nom de « Grand-père Tamise ». La statue, d’abord érigée à Thames Head, fut ensuite déplacée à Saint John’s Lock (Lechlade). Une sculpture représentant la déesse ou démone ou la fée Tamesis, œuvre d’Anne Seymour Damer, par contre, a été installée à Henley-on-Thames, près d’Oxford, sur le pont situé en aval. Mais, contrairement à ce que représente le groupe, l’élémentale de cette rivière n’a rien à voir avec la déesse Isis.
SABRINA. En gallois Afon Hafren. Élémental de la Severn, fleuve né au Pays de Galles et traversant l’Angleterre occidentale. D’une longueur de 354 kilomètres, c’est le plus long fleuve du Royaume-Uni. Sabrina est un nom qui apparaît à la fois dans les sources classiques et dans l’historia regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth. Il s’agirait d’une princesse appelée Sabrena ou Sabrina, noyée dans le fleuve d’où son nom. Sans doute une évolution de la légende concernant initialement la déesse-ou-démone, ou fée, du fleuve. On trouve exactement le même genre de légende, mais au masculin, sur le Continent, avec l’Arar. Pseudo Plutarque, Des noms des fleuves et des montagnes, et des objets que l’on y trouve. VI. L’Arar.
L’Arar est un fleuve de la Celtique qui… s’appelait auparavant Brigule ; il a changé de nom, voici comment. Arar, étant à la chasse, il entra dans une forêt. Il y trouva son frère Celtibère que des bêtes sauvages avaient tué. Dans l’excès de son chagrin, il se porta un coup mortel et se jeta dans le Brigule. Ce fleuve prit de lui, au lieu de son nom, celui d’Arar.
RENUS. L’élémental du Rhin. Rare exception à la règle de la féminité des divinités de cours d’eau. Son culte était certainement d’origine protohistorique. En 1970, furent découverts à Strasbourg ; dans un puits déjà comblé à l’époque romaine, au-dessous d’un chapiteau corinthien provenant d’un édifice voisin, anéanti puis dépecé après l’incendie de l’an 235 ; la plupart des fragments d’un autel dédié au Père Rhin par Oppius Severus, légat d’Auguste. Cette découverte est importante, aussi bien pour le nom attribué au fleuve divinisé que pour celui du donateur.
En effet, si le titre de Père, ajouté au nom du fleuve, apparaît pour la première fois sur une inscription romaine, l’identification de la personnalité du dédicant nous apporte des données importantes sur ce duse.
L’autel est décoré, sur l’une de ses faces, d’une cruche à libations et d’une patère, de l’autre côté, d’une hache double, ainsi que d’un étui triangulaire contenant trois couteaux de sacrifice. Au sommet de l’autel, entre les deux volutes, un tympan ogival est gravé de deux séries de deux traits aux extrémités spiralées, encadrant une haste verticale surmontée d’un bouclier d’amazone.
Sur la face supérieure de l’autel, des deux côtés de la patère destinée aux libations, des chaînes auxquelles sont attachées des cordes symbolisent la navigation rhénane. À ces ornements purement romains, le décor du tympan sommital associe donc des signes religieux celtiques, encore en usage à cette époque dans l’armée rhénane.
Pour revenir à l’expression Rhenus Pater, quelle en était donc la signification exacte, héritée sans nul doute de la période celtique ? Deux textes nous renseignent sur ce point.
— Ascendance mythique d’un guerrier. Voir l’Épigramme de Properce : « Claude refoula les ennemis au-delà du Rhin, qu’ils avaient traversé. On lui attribua le bouclier belge d’un grand chef, Viridomar.
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Celui-ci se vantait de descendre du Rhin lui-même. Il était habile à lancer ses traits du haut de son char ».
Cette épigramme concerne l’exploit d’un général romain qui, en l’an 16, avait repoussé les Germains ayant passé le Rhin. Pour le remercier ou le féliciter de cette victoire, Rome lui avait attribué un souvenir des guerres passées survenues entre les Celtes et les Romains ; le bouclier de Viridomar, pris par les Romains au cours des combats contre les Celtes au IIe siècle avant notre ère. Ce bouclier se rattachait au Rhin, ancêtre du guerrier.
— Manifestation de la paternité. Le Rhin juge de la légitimité des enfants nouveau-nés.
Une épigramme plus ancienne que celle de Properce, appartenant à l’anthologie grecque, et remontant vraisemblablement à la fin du IIIe ou au début du IIe siècle avant notre ère, se fait l’écho d’une ordalie, en usage chez les riverains du Rhin. « Les valeureux Celtes confient au fleuve Rhin le soin d’éprouver la légitimité de leurs enfants et ne les reconnaissent pas sans les avoir vus baigner dans l’eau sacrée. En effet ; immédiatement après qu’étant sorti du sein de sa mère, le nouveau-né a poussé son premier cri ; le père le place lui-même sur un bouclier puis, sans inquiétude, le voit soumis au verdict des eaux du fleuve qui éprouvent la fidélité conjugale. Quant à la mère, après les douleurs de l’enfantement, elle souffre encore, même en sachant que la naissance est légitime et, tremblante, redoute les caprices de l’onde incertaine ».
Il est possible que l’adjectif appliqué aux Celtes par le poète, « valeureux », comporte une nuance restrictive : ce seraient les hommes de valeur, c’est-à-dire seulement ceux qui appartiennent à l’aristocratie.
Quoi qu’il en soit, il paraît certain que cette ordalie est à mettre en liaison avec la paternité mythique du dieu-ou-démon Rhin. Cette ascendance affirmée par certains chefs expliquait la confiance qu’ils mettaient dans le fleuve pour reconnaître la légitimité de leurs propres descendants.
Cette épithète de Père, attribuée encore au Rhin à l’époque romaine, et remontant probablement aux origines du peuplement celtique de la vallée rhénane, nous plonge donc dans le passé le plus lointain.
CONTEXTE HISTORIQUE.
La dédicace au Père Rhin apparaît au premier tiers du IIe siècle, durant une période au cours de laquelle les cadres mêmes de l’armée se lient ouvertement avec certaines formes de la religion druidique, chère à leurs soldats d’origine celtique ; particulièrement nombreux dans les légions et les corps de troupe rhénans.
La dédicace à Rhenus Pater d’Argentorate, au début du IIe siècle, se trouve donc dans un contexte particulièrement favorable à l’expression des croyances druidiques subsistantes.
Les autres dédicaces au fleuve, celles qui ont été trouvées en Allemagne.
Une seule dédicace au fleuve provient de Germanie supérieure : CIL XIII 5255, Stein am Rhein. Au fleuve Rhin, pour le salut de Quintus Spicius.
Les autres dédicaces proviennent toutes des deux extrémités de la Germanie inférieure.
— CIL XIII 790, Remagen : À Jupiter très bon, très grand, au génie du lieu et au Rhin, Cl. Marcellinus, bénéficiaire consulaire, sous l’empereur Commode à son cinquième consulat (190).
— CIL XIII 7791, Remagen : À Jupiter, au génie du lieu et au fleuve Rhin, Flavius Stilo, bénéficiaire consulaire du consul Salvius Justinianus, a consacré ce vœu, librement et à juste titre.
— CIL XIII 8810, Wittenberg (Vechten) : Aux dieux de nos ancêtres qui règnent sur ces lieux, à l’Océan, au Rhin, Quintus Marcus Gallianus légat de la XXXe légion Victrix, pour son salut et celui des siens, a consacré un vœu à juste titre.
— CIL XIII 8811, Wittenberg : En l’honneur de la maison divine, à Jupiter, Junon Reine et Minerve la sainte, au génie de ce lieu, à l’Océan, au Rhin, à tous les dieux et déesses. Pour le salut de notre souverain Marc-Aurèle Antonin, fils du pieux auguste et divin Antonin le grand (Caracalla), petit-fils du divin Sévère (Septime Sévère), le légat d’Auguste, de la 1re légion antoninienne, pieuse et fidèle, a consacré cet autel.
Observons que ces cinq dédicaces proviennent toutes de localités importantes pour la navigation sur le Rhin et son organisation sur le plan commercial, civil et militaire. À l’exception de l’inscription de Stein am Rhein, qui contient une invocation pour le salut d’une personne prise individuellement, les autres inscriptions présentent toutes un caractère officiel et administratif, tout comme celle de Strasbourg. Il faut également remarquer que les dédicaces de Remagen ne concernent que le Rhin, associé à Jupiter et au génie du lieu ; tandis que celles de Vechten-Fectio comportent une liste beaucoup plus ample de divinités, comprenant dieu-ou-démons ancestraux, l’Océan, le Rhin, Jupiter-Junon-Minerve. Il est sûr que le centre de Vechten-Fectio était le plus important, et que la
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responsabilité des légats qui le dirigeaient était beaucoup plus diversifiée. Elle s’exerçait à la fois sur le trafic fluvial et maritime, sur les entrepôts et le péage, sur la sécurité civile et militaire.
Représentations du fleuve divinisé.
Il ne faut pas conclure de ces inscriptions particulièrement importantes et suggestives que le culte du Père Rhin était réservé au pouvoir militaire et administratif. Quelques représentations figurées prouvent le contraire.
— Germanie supérieure : une statuette du Musée de Haguenau, trouvée à Seltz, nous fournit une bonne image du dieu-ou-démon fluvial. Il est représenté debout, sous l’aspect d’un homme vigoureux dans la force de l’âge, entièrement nu, portant une barbe abondante et une chevelure frisée. Il s’appuyait à l’origine de la main gauche sur un sceptre, et tenait de la main droite un dauphin. La statuette peut être datée de la fin du IIe siècle.
— Germanie inférieure : les représentations du fleuve divinisé y sont relativement nombreuses et variées. Esp. VIII 6233, Bonn : stèle découverte à proximité du camp romain. Le dieu-ou-démon y est figuré assis, le torse nu, les jambes couvertes d’un manteau porté sur l’épaule droite. Il s’appuie de la main gauche sur un dauphin, la main droite reposant sur le genou. Art militaire maladroit du début du IIIe siècle.
Esp. VIII 6258, Bonn : acrotère d’un fronton de temple, décoré d’une tête cornue de divinité fluviale, inspirée de l’art grec. Début du IIe siècle.
Esp. VIII 6333, Bonn : ornement probable de fronton trouvé à Bandorf dans les ruines d’un temple. Cette pièce, conservée au musée de Bonn, sculptée en grès, a une hauteur de 0,36 m sur 0,50 m de longueur. Dieu-ou-démon fluvial barbu, à demi couché, la jambe gauche allongée, la jambe droite pliée, le coude gauche appuyé sur un manteau reposant sur le sol. Le même manteau passe derrière le dos et recouvre le bras droit, le coude étant appuyé sur la cuisse et tenant de la main droite la queue d’un dauphin. La main gauche paraît avoir tenu apparemment une urne fluente, qui a été arrachée. Art provincial du IIIe siècle, dont le canon très allongé rappelle celui des fées de type matrones à Bonn.
Esp. VIII 7432, Cologne : fronton triangulaire, encastré longtemps dans une maison. Au centre, Mercure assis, tenant le caducée de la main droite, et à gauche une bourse reposant sur une colonnette. À droite et à gauche du dieu-ou-démon, deux divinités debout et drapées. Celle qui est à gauche du dieu-ou-démon tient une rame de la main droite, ainsi qu’une corne d’abondance de la main gauche. Celle qui est à sa droite tient de la main droite une torche. Ce groupe ternaire central est encadré, à droite et à gauche, par deux divinités des eaux à demi couchées, s’appuyant chacune sur une urne fluente. La divinité de gauche, symbolisant une rivière, est de sexe féminin, et celle de droite le Rhin divinisé.
La triade centrale, composée de Mercure, la Terre mère et l’Abondance, est encadrée à sa droite par la personnification féminine des sources et des rivières, à sa gauche par Rhenus Pater. Ce groupe de cinq divinités décorait une fontaine municipale. Au centre, Mercure représentait le dieu-ou-démon de l’abondance par le commerce et l’artisanat. À sa droite, la Terre mère, en rapport avec les activités agricoles, favorisées par l’eau fertilisante des sources et des rivières, ces dernières étant symbolisées par la déesse ou démone, ou fée, des sources. À sa gauche, la Fortune, en rapport avec la navigation sur le Rhin (la rame), ce dernier lui-même étant présent (Jean-Jacques Hatt, Mythes et Dieux).
N.B. Le fleuve devait sans doute jouer un rôle dans les mythes des riverains sur le voyage des âme/esprits vers le monde parallèle au nôtre que l’on appelle l’au-delà. Sur les rivages de la côte hollandaise, proches du Rhin, le dagolitos païen se mettait sous la protection des divinités capables d’assurer à la fois son salut dans la vie et dans la mort. Et pensait à l’ultime voyage vers un au-delà situé dans l’espace mythique bordant l’Océan.
C’est certainement là le sens des bratou decantem ou ex-voto à « Nehalennia », protectrice de la navigation, mais aussi du voyage des morts vers l’univers parallèle au nôtre que l’on appelle Paradis, comme le prouve cette inscription.
« À Jupiter très bon, très grand, aux dieux de nos pères, et à ceux qui président à ce lieu et à l’Océan, ainsi qu’au Rhin divinisé, Q. Marc. Gallianus légat de la XXXe légion Ulpia Victrix, pour son salut et celui des siens, a consacré ce vœu ».
Sans oublier l’invective de Claudien contre Rufin : « Il y a un endroit là où la Celtique déroule ses plus lointains rivages devant les vagues de l’Océan, Où il est dit qu’Ulysse appela par des libations de sang les ombres silencieuses des morts. On peut y entendre les gémissements de ces ombres quand elles se meuvent dans un faible bruissement d’ailes Et les paysans habitants ces lieux peuvent apercevoir les pâles fantômes qui passent lentement
Ainsi que les ombres des défunts (Livre I. Vers 129-134).
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NISINA ET NISINCIOS. Élémental de la source de Saint-Honoré-les-Bains (Aquae Nisinciis ou Nisinaei) près d’Autun. Ce Nisincios était apparemment le gardien d’une substance connue comme « le feu dans l’eau » sur la nature exacte de laquelle on se perd en conjecture (voir Apam Napat dans l’hindouisme). Les eaux, arsenicales et sulfurées, sont anti-inflammatoires, antiseptiques, antispasmodiques, et anti-anaphylactiques. Elles sont connues depuis la plus haute antiquité. En 50 avant notre ère, les troupes de Jules César traversant le massif du Morvan les découvriront à leur tour, et les Romains y construiront des thermes qui fonctionneront jusqu’au IVe siècle. Le village change de nom et devient alors Aquae Nisinaei ou Aquae Nisinciis (une datation précise a pu être réalisée à partir des pièces romaines découvertes dans les puits lors des fouilles de 1830).
Panégyrique ou discours d’Eumène en l’honneur de l’empereur Constantin, année 310.
« C’est avec raison que tu as honoré ces temples augustes de dotations, si riches qu’ils ne regrettent plus les anciennes offrandes, et que tous les temples déjà semblent t’appeler de leurs vœux ; en particulier celui de notre Apollon ; dont les eaux brûlantes punissent les parjures que tu dois plus que personne détester. Dieux immortels, quand nous accorderez-vous donc ce jour béni où cette divinité si bienfaisante, après avoir partout rétabli la paix, viendra là aussi visiter les bois sacrés d’Apollon, son temple vénéré ; ainsi que les bouches fumantes de ses fontaines, dont les eaux jaillissantes, couvertes de buée, par leur douce tiédeur sembleront sourire à tes yeux, Constantin, et s’offrir d’elles-mêmes à tes lèvres. Tu admireras là aussi le sanctuaire de ta divinité protectrice, et ces eaux chaudes issues d’un sol qui ne porte pas la moindre trace de feu. Rien n’est désagréable dans leur saveur ou leurs émanations, mais au goût et à l’odorat, elles rappellent la pureté des sources froides. Là encore, tu feras des présents, tu établiras des privilèges, bref tu rendras tout son prestige à ma patrie, en multipliant les marques de vénération pour le lieu ».
LA SEGAIS et LA BOYNE. La Boyne (en irlandais Abhainn na Bóinne) a sa source à Trinity Well (Tiobar na Trianaide), Newbury Hall, près de Carbury, dans le Comté de Kildare. Son nom provient de celui de la déesse ou démone, ou fée, Boand (mythologie d’Irlande). Le gardien de la source était une divinité appelée Nechtan. C’était l’un des frères du Dagda, le dieu-ou-démon le plus important de la hiérarchie locale, après Lug et le fils de Collbran. La Segais était une source magique qui lui appartenait. La déesse ou démone, ou fée si l’on préfère ce terme, Boann, s’y baigna un jour afin de se laver ou de se purifier d’une relation adultère, mais elle y fut atrocement brûlée par le pouvoir de son eau magique.
Voir ci-dessus la même légende sur le continent à propos de la source thermale appelée Aquae Nisinciis ou Nisinaei par les Romains, non loin d’Autun, et dont les eaux brûlantes étaient censées punir les parjures.
Boann y perd un bras, une jambe et un œil, puis devient la rivière Boyne en fuyant vers l’océan. Selon les récits, Nechtan est soit son père soit son époux. La Tobar Segais était gardée par trois échansons, Flesc, Lâm et Luam, car neuf noisetiers magiques poussant tout autour donnaient des fruits pouvant procurer connaissance et sagesse. La source est également connue sous le nom de fontaine de Conla. Elle faisait l’objet d’un culte chaque 1er novembre. Une légende veut que saint Patrice en route vers Tara ait bu de son eau.
La damona Vinda/Bovinda/Boann était apparemment aussi connue à Utrecht aux Pays-Bas, sous le nom de Boenda (que l’on retrouve associée au dieu-ou-démon celtique appelé Borbo. cf. l’inscription Borvoboenda).
SEQUANA. La déesse ou démone de la Seine : Sequana (« la déversante »). En tout cas, ce qui est certain, c’est que l’élémental de la Seine était considéré, à sa source, comme une divinité de la santé ou du salut ; ainsi qu’en témoignent les très nombreux bratou decantem ou ex-voto en pierre, en bois, et en métal. Elle était considérée comme capable, par ses eaux, de guérir un grand nombre de maladies et d’infirmités. Les dagolitoi (fidèles) du sanctuaire appartenaient, pour la plupart, au milieu populaire, comme on peut en juger d’après la rareté des inscriptions et l’irrégularité de l’orthographe de certaines. Toutefois, l’inscription honorifique dont des fragments ont été conservés dans CIL XIII 2870, prouve que des personnalités provinciales s’intéressaient aussi au sanctuaire, et le faisaient bénéficier de leurs largesses.
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On ne possède de l’élémental de la Seine que trois représentations : une stèle sculptée en haut-relief, une statue assise incomplète, une statuette de bronze debout sur un bateau.
Le haut-relief (Esp. 2845 = CIL XIII 2859-2860) est le seul qui porte une inscription, d’ailleurs partielle. L’élémentale de la Seine y est figurée sous la forme d’une femme drapée, tenant de la main droite une cruche à deux anses : simple figuration de divinité de source. La statue incomplète, Esp. 2405, la montre assise sur un siège, comme une fée de type matrone. Mais la représentation la plus remarquable de l’élémentale de la Seine est la statue de bronze de 0,80 m de haut, découverte en 1933 par Henri Corot dans une cachette, qui contenait aussi une statue de jeune satyre. La statue de la divinité porte le nº 7676 dans le recueil d’Espérandieu, et celle du jeune satyre le n° 7677.
La déesse ou démone, ou fée, a été représentée debout sur une barque, vêtue d’une tunique talaire et d’un manteau. Ses cheveux sont partagés en deux par une raie au milieu de la tête. Ils sont coupés ras sur la nuque. Mais sur le devant, ils pendent sur les épaules en deux torsades. Ce type de coiffure ressemble à celui de la déesse-ou-démone-mère occupant le centre du groupe des trois fées de type matrones à Bonn (Esp. 7761). La tunique, sans couture, était fixée au-dessus de l’épaule et du bras droit par des boutons. Les deux avant-bras pliés vers l’avant, le geste des deux mains, l’attitude même de la déesse ou démone, ou fée, légèrement penchée en arrière, la tête penchée vers l’avant ; permettent de supposer qu’elle tenait des deux mains les deux anses d’un panier plat rempli de fruits et de gâteaux.
Elle était donc représentée comme une déesse ou démone mère distributrice. Elle porte sur la tête une couronne ornée de six grosses perles, fortement posée en arrière. La tête très petite par rapport à l’ensemble, les plis raides, hiératiques, du vêtement, schématisés de façon décorative, tous ces traits rappellent les déesse-ou-démones-mères et matrones de Germanie inférieure. Toutefois, le style de la statue paraît nettement plus ancien (période claudienne ou néronienne). Il se peut qu’elle soit inspirée de modèles encore plus anciens, en bois.
La couronne que la déesse ou démone ou fée porte sur la tête permet de penser qu’elle avait été quelque peu contaminée par la divinité souveraine des Celtes, et qu’elle était, elle aussi, considérée comme Reine, au moins dans son sanctuaire et sur ses terres.
La statue ne figurait pas, selon toute vraisemblance, debout sur la barque, à l’origine. Elle y a été soudée à l’étain. Il ne s’agit pas d’une barque réelle, mais de la reproduction, à échelle réduite, d’un objet de culte, représentant probablement une barque processionnelle en bois. Cette barque se termine par une tête de cygne, tenant dans son bec une baie. Le cygne est un oiseau aquatique. Mais il est aussi, depuis la Protohistoire, un symbole solaire et funéraire.
Le rôle et les attributs de cette divinité apparaissent donc ici comme étant particulièrement complexes. Elle est à la fois considérée comme souveraine, comme distributrice, et comme psychopompe, ouvrant aux morts les chemins menant à l’univers parallèle au nôtre, mais de nature paradisiaque, par la voie des eaux supérieures.
En ce qui concerne la barque elle-même, faut-il penser à quelque chose d’analogue au char de la déesse ou démone, ou fée, germanique, Nerthus ? (Tacite, Germanie, 9, 2). Quoi qu’il en soit, il est difficile de ne pas reconnaître qu’il y a dans cette représentation exceptionnelle de l’élémental de la Seine, beaucoup plus que la banale figuration d’une simple divinité de source.
La déesse ou démone, ou fée, aquatique et nautique, du mont Auxois.
Un récent examen du groupe des trois fées de type matrones, découvert au mont Auxois en 1924 (Esp. 7107) a montré que le quatrième personnage à la gauche des trois Mères, n’était pas un enfant, mais une jeune femme nue, représentée à petite échelle, portant un manteau flottant derrière elle. Elle est assise sur une barque, un cygne placé devant elle pose sa tête sur son genou. Il y a donc là une association entre les trois Mères, nourrices et distributrices, et la déesse ou démone, ou fée, Seine, au cygne. Les migrations du cygne vers le nord, le mythe de son chant au moment de sa mort, lui avaient conféré aux yeux des Anciens un rôle de conducteur des âme/esprits.
Nous retrouvons donc sur ce groupe du mont Auxois les mêmes idées que celles qui accompagnent la déesse ou démone ou fée de la source de la Seine, debout sur une nef représentant à sa proue la tête d’un cygne.
La déesse ou démone, ou fée si l’on préfère ce terme, Seine, et les monnaies des Parisi.
Est-il possible d’établir un rapport entre cette dea Sequana romaine, et la déesse-ou-démone, ou fée, dont la tête décore l’avers des monnaies d’or des Parisii ? Nous avons vu plus haut que la tête de cette déesse ou démone, ou fée, dominait parfois la figuration schématique d’un vaisseau (ALT, planche XXXI, 7796). Il est vraisemblable que le rapprochement de la déesse ou démone souveraine des monnaies avec la déesse ou démone, ou fée, Seine, s’est produit dès la période de l’indépendance. On peut penser que tout au long du cours du fleuve, était présente aux yeux des
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Celtes et des Romains, une grande divinité des eaux ; alliée à la Reine des Cieux et de la Terre, et lui empruntant certaines de ses attributions, notamment dans le domaine funéraire.
La déesse ou démone de Vertault.
Nous avons également observé qu’une déesse-ou-démone-mère assise, provenant des ruines de Vertault, avait le pied gauche posé sur une proue de bateau (Esp. 3376).
Il est probable que c’est là également une image de la déesse ou démone, ou fée si l’on préfère, Seine, adorée à Vertault comme elle l’était dans le temple d’Alise-Sainte-Reine. On peut remarquer que Vertault n’est qu’à 15 km à l’ouest de la Seine. Le vicus (village) de Vertillum a pu compter, parmi ses habitants, des marchands pratiquant le trafic fluvial sur ce fleuve.
La Seine prend sa source sur le plateau de Langres, à 471 mètres d’altitude, non loin de Saint-Seine l’Abbaye à 30 km environ au nord-ouest de Dijon. Entourées d’un bois aux arbres feuillus, de petites sources se rassemblent dans un étang. La ville de Paris acheta l’enclos en 1864 et y édifia une grotte où trône la statue d’une jeune naïade réalisée à la demande de Napoléon III. Elle rappelle la statue de la déesse-ou-démone, ou fée Séquana, retrouvée lors de fouilles entreprises dans les alentours, dès 1836, auprès des ruines d’un temple antique. Les Romains avaient construit à cet endroit des thermes et les pèlerins y venaient de toute l’Europe, car ils pensaient que l’eau de la Seine possédait des vertus curatives. Et il devait y avoir des cas de guérison effectivement, vu le nombre des bratou decantem (ex-voto) découverts.
Laisser entendre que les malades qui visitaient la source de la Seine, avaient été victimes d’une hallucination collective, quand ils rendaient grâce à la déesse ou démone, ou fée Sequana, est une manière simpliste de traiter cette question. Les analyses chimiques ont-elles été assez poussées ? L’analyse chimique suffit-elle à discerner si telle eau de source est curative ou non ?
L’Église récupéra pour un de ses saints la magie du site et les processions se multiplièrent, surtout les années de sécheresse. Le village devint le siège d’une abbaye bénédictine fondée au VIe siècle par un certain… Sequanus (Seine), fils du comte de Mesmont. Seine… Qui songerait, de nos jours, à baptiser ainsi son enfant ? Il a pourtant bel et bien existé ce Seine qui a donné son nom au village (Saint-Seine-sur-Vingeanne). Il s’appelait, originellement, « Sigo », s’était fait moine au VIe siècle à Moutiers-Saint-Jean, avant de s’installer dans la forêt de Cestres, aujourd’hui un modeste hameau du canton. C’est lui qui fut l’initiateur de ce qui allait devenir l’une des plus puissantes abbayes bourguignonnes, son patronyme évoluant au fil du temps et des circonstances en « Soigne », puis en « Seigne ». Une appellation qu’il fut facile d’assimiler à la Seine toute proche, et que les scribes latinisèrent en « sanctus Sequanus » lors de sa canonisation. Ce qui lui conféra son nom définitif de saint Seine. Joli détour de l’étymologie. Certaines légendes affirment que Sequanus était le descendant d’un des prêtres de la déesse ou démone, ou fée, Sequana. En tout cas, il ne fut pas son fils spirituel puisqu’il entreprit de construire les bâtiments primitifs du premier monastère de la région, en défrichant plusieurs des terrains alentour et en multipliant les guérisons ou miracles (comme la déesse ou démone, ou fée, Sequana). Sigo mourut en 581.
DANUBIA/DANUBIUS. Élémental du Danube. Féminin dans les langues germaniques (die Donau) masculin pour les Romains.
Le Danube est le deuxième plus long cours d’eau d’Europe (après la Volga) et le plus long parcourant l’Union européenne. Il prend sa source dans la Forêt-Noire en Allemagne, lorsque deux petits cours d’eau, le Brigach et le Breg, se rencontrent à Donaueschingen ; c’est à partir de ce point que le cours d’eau prend son nom de Danube. Cette situation peu commune a depuis longtemps attiré l’attention des observateurs.
Voici ce qu’en dit un dictionnaire du XIXe siècle. « On a fait l’honneur à une très belle source, enfermée aujourd’hui dans la cour du château de Donaueschingen, d’être considérée comme étant à l’origine du Danube ; et le faible courant qui en sort porte le nom du fleuve, reçoit comme simples affluents deux rivières qui viennent s’y joindre et perdre leur nom. Ce privilège accordé à la faiblesse contre les droits de la force, si rarement contestés, remonte sans doute à une très haute antiquité ; il est probable que son origine fut mythologique ; la beauté de la source et des sites qui l’environnent put faire croire que le dieu-ou-démon du fleuve avait choisi ce lieu pour sa demeure. Un prince de Furstemberg, propriétaire de ce charmant pays, eut l’ambition de se mettre à la place de ce dieu-ou-démon, de tenir à son tour l’urne inclinée dont les eaux vont se répandre jusque dans le Pont-Euxin ; il fit construire le château dont ce réservoir naturel et le ruisseau qu’il alimente, sont la plus intéressante décoration ».
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Les paroles originelles de la célèbre valse de Strauss du même nom sont infiniment moins connues que sa musique.
Donau so blau,
So schon und blau,
Durch Tal und Au
Wogst ruhig du hin,
Dich gruss unser Wien,
Dein silbernes Band
Knupft Land an Land,
Und frohliche Herzen schlagen
An deinem schonen Strand.
Weit vom Schwarzwald her
Eilst du hin zum Meer,
Spendest Segen
Allerwegen,
Ostwarts geht dein Lauf,
Nimmst viel Bruder auf :
Bild der Einigkeit
Fur alle Zeit !
Alte Burgen seh'n
Nieder von den Hoh'n,
Grussen gerne
Dich von ferne
Und der Berge Kranz,
Hell vom Morgenglanz,
Spiegelt sich in deiner Wellen Tanz.
Die Nixen auf dem Grund,
die geben's flusternd kund,
was Alles du erschaut,
seit dem uber dir der Himmel blaut.
Drum schon in alter Zeit
ward dir manch' Lied geweiht ;
und mit dem hellsten Klang
preist immer auf's Neu' dich unser Sang.
……
Du kennst wohl gut deinen Bruder, den Rhein,
an seinen Ufern wachst herrlicher Wein,
dort auch steht bei Tag und bei Nacht
die feste treue Wacht.
Doch neid' ihm nicht jene himmlische Gab',
bei dir auch stramt reicher Segen herab,
und es schutzt die tapfere Hand
auch unser Heimatland !
…………
Das Schifflein fahrt auf den Wellen so sacht,
still ist die Nacht,
die Liebe nur wacht,
der Schiffer flustert der Liebsten ins Ohr,
dass langst schon sein Herz sie erkor.
O Himmel, sei gnadig dem liebenden Paar,
schutz' vor Gefahr es immerdar !
Nun fahren dahin sie in seliger Ruh',
Schifflein, far' immer nur zu !
Ce qui signifie (en gros, car mes 4 ans d’allemand sont loin)
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Mon beau Danube bleu,
Si beau et si bleu,
Dans la vallée au milieu des champs
Tu coules paisiblement,
Notre Vienne te salue,
Ton ruban d’argent
Relie tous nos pays,
Et tes rives admirables.
Font battre nos cœurs à l’unisson.
Loin de ta Forêt-Noire
Tu roules vers la mer
En répandant tes bénédictions
En tous lieux où tu passes
Tu cours vers l’est
Entraînant tes frères au passage
Vivante image d’unité
Pour toujours !
Nos vieux castels te contemplent
De haut en bas
Et te saluent bien
De leurs sommets lointains ;
Et le cirque des montagnes,
Avec la lumière du matin
Se mire dans la danse de tes vagues.
Les nixes sorties de terre
Font entendre des chuchotements familiers
Ce que l’on peut voir dans le ciel
Donne à tes ondes une couleur bleue.
…………
Tu connais bien ton frère le Rhin,
Sur ses rives naît un vin divin,
On y monte également jour et nuit
La plus ferme et la plus fidèle des gardes.
Mais ne lui envie pas ses dons du Ciel
Tu prodigues maints bienfaits toi aussi
Et la main d’un brave
Protège cette patrie.
………
La barque vogue doucement sur les flots,
Aucun bruit ne trouble la nuit,
Seul l’amour veille encore,
Le batelier murmure dans l’oreille de sa bien-aimée
Que depuis longtemps son cœur lui appartient.
Ô Ciel, aie pitié de ce couple d’amoureux,
Protège les bien toujours !
Et mène-les dans un havre de paix ;
O frêle esquif, continue toujours d’avancer.
Ainsi que nous l’avons dit, l’élémental du Danube semble avoir été féminin pour les Celtes et les Germains (Donau), mais masculin (Danuvius) pour les Romains. En tout cas, il est indéniable qu’élémental ou entité divine, il y avait, puisque les Romains l’ont représenté sur la colonne Trajane.
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La scène représente Danubius (en buste) regardant les légions de Trajan traversant le fleuve sur un pont de bateaux. Une pièce émise à l’époque (un denier) nous représente également l’élémental du fleuve, de façon plus complète cette fois-ci. Allongé sur une banquette à la mode romaine, et prenant appui sur le coude gauche. Plusieurs inscriptions en latin ont été trouvées à Menagen et Rissitissen, en Allemagne, associant le Danube au dieu-ou-démon romain Jupiter. Il est également mentionné à Vienne, où il est invoqué avec les divinités romaines Jupiter (IOM) Neptune, les nymphes, mais aussi en compagnie des divinités celtiques Agaunus et Salacea. En Hongrie (dans le vieux Buda-Pest et à Ténnye), il est assimilé à l’élémental appelé Dravus.
N.B. EN IRLANDE ; SANS DOUTE À LA SUITE D’UN PROCESSUS SIMILAIRE DONT LA NATURE EXACTE NOUS ÉCHAPPE ; LE SOUVENIR DE CETTE ELEMENTALE DU DANUBE A JOUÉ UN RÔLE SI IMPORTANT PARMI LES PEUPLES IVERNIENS OU ERAINN D’O’RAHILLY ; QU’ELLE A FINI PAR TENIR CHEZ EUX LA PLACE DE LA GRANDE DÉESSE MÈRE COSMIQUE SANS NOM. MAIS NOUS REVIENDRONS DANS UNE AUTRE ÉTUDE SUR CE COUP D’ÉTAT OU SUR LA RÉVOLUTION DE PALAIS QUI, EN IRLANDE, A DÉTRÔNÉ TARAN/TORAN/TUIREAN ET LA GDMC DE LA PREMIÈRE PLACE DU DODÉCAÈDRE SACRÉ OU PANTHÉON CELTO-DRUIDIQUE.
* Grande Déesse mère Cosmique en style épigraphique latin de l’époque c’est-à-dire en écriture scripte avec beaucoup d’abréviations (un peu d’humour pour se détendre !)
PADUS. Cette personnification du Pô ne nous est connue que par une seule inscription trouvée à Pegognaga, Montava, Lombardie (en Italie). La ville s’est construite près de la station romaine de Flesso où l’inscription a été trouvée. Toutes deux se trouvent dans la vallée du Pô. Padus étant l’appellation romaine de la rivière, il semble donc bien qu’il s’agisse là de la déité personnifiant le fleuve. Le Pô est sans doute l’Éridan des auteurs antiques, et cette assimilation nous vaut donc de précieux renseignements supplémentaires à son sujet. Dans la mythologie grecque, l’ambre jaune est lié à l’histoire de Phaéton qui, conduisant le char de son père Hélios, s’est approché trop près de la Terre et y a provoqué un incendie. Pour l’éteindre, Zeus fit tomber Phaéton du ciel dans le fleuve Éridan. Les sœurs de Phaéton, les Héliades, pleurèrent désespérément la mort de leur frère, au point que les dieu-ou-démons changèrent les nymphes en peupliers. Leurs larmes dorées qui tombèrent dans l’Éridan, sont à l’origine de l’ambre, qui fut alors appelé « larmes des dieux ». On retrouve là le thème druidique du feu dans l’eau (« un jour régneront seuls le feu et l’eau ». Strabon IV, 4). La légende tout entière semble d’ailleurs d’origine celto-druidique.
«… Ces Galates habitent les extrémités de l’Europe, vers une mer immense dont on ne connaît pas les extrémités, qui est sujette au flux et au reflux, semée d’écueils et remplie de monstres qui ne ressemblent en rien à ceux de nos mers. Le pays de ces Celtes est traversé par l’Éridan, fleuve sur les bords duquel les filles du Soleil pleurent, dit-on, la mort de Phaéton leur frère. Le nom qu’on leur donne aujourd’hui n’a prévalu que très tard ; ils prenaient anciennement celui de Celtes ; nom que les autres peuples leur donnaient aussi » (Pausanias. Description de la Grèce. L’Attique. Livre I chapitre III).
Des larmes de peupliers tombées dans l’Éridan à la suite de ce drame seraient donc à l’origine de l’ambre.
Virgile, dont le grand-père était druide, parle ainsi de ce fleuve.
«… et, portant des cornes d’or sur un front de taureau,
Les flots de l’Éridan, le plus fougueux des fleuves
Qui, roulant à travers de fécondes cultures,
Vont déverser leurs eaux dans la mer violette ».
(Virgile, Géorgiques, IV, 360-384).
N.B. Virgile connaît l’existence du mont Viso, et même sa végétation (pins et mélèzes sur les versants méridionaux), dans l’Énéide (livre X).
Selon Pline enfin, l’Éridan, non loin de sa source, disparaissait ou coulait sous terre : on croyait qu’il arrosait alors les Enfers. Ce qui associe donc clairement ce fleuve à l’autre monde, et à un autre monde souterrain.
La bonne localisation de la source du Pô, sur le mont Viso, conduit Pline l’Ancien à préciser le nom de ce sommet des Alpes, ce que Strabon n’a pas su faire. Strabon parle en effet en détail des affluents
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du Pô, mais ne situe jamais précisément sa source (IV, 6, 5). Il ne parle pas du mont Viso, parce que, de fait, il n’y a pas encore lieu d’en parler en tant que source, et, par conséquent, il n’intéresse pas encore les Anciens en tant que montagne. Avec Pline, par contre, on a l’indice d’un progrès dans la connaissance de la source du Pô et donc de l’individualisation du mont Viso. « Le Pô sort du sein du mont Viso, un des sommets les plus élevés de la chaîne des Alpes, sur le territoire des Ligures Vagiennes ; la source en est digne d’être visitée » (III, 20,16). Pline met ici l’accent sur la source du Pô qui justifierait une visite du sommet. Remarque exceptionnelle quand on connaît l’aspect répulsif qu’ont les montagnes dans l’imaginaire romain, et la répugnance qu’ont les Romains à gravir une montagne dans un intérêt purement géographique.
La présence de la source est donc bien la seule raison pour laquelle cette montagne a été « découverte » et reconnue nominativement par les Anciens comme un sujet d’intérêt ou de prospection. Pomponius Méla reprend la localisation de la source au mont Viso, mais corrige avec raison sa situation exacte par rapport au texte de Pline. Elle est « au pied » de la montagne, et non « en son sein » (II, 62) « Le Pô… naît tout au pied du mont Vésule ».
SOUCONNA. La Saône doit son nom actuel à une Souconna, petite source honorée à Chalon-sur-Saône. Du celtique *sou – (démonstratif)- et *kan (u)- (chant). On estime que cette appellation, d’abord usitée à Chalon, a été par la suite étendue à l’ensemble du cours d’eau par les légionnaires romains, en éliminant le nom employé par César, qui connaît seulement Arar.
Pseudo-Plutarque. Des noms des fleuves et des montagnes, et des objets que l’on y trouve. VI. L’Arar.
« L’Arar est un fleuve de la Celtique qui… s’appelait auparavant Brigule ; il a changé de nom, voici comment. Arar, étant à la chasse, il entra dans une forêt. Il y trouva son frère Celtibère que des bêtes sauvages avaient tué. Dans l’excès de son chagrin, il se porta un coup mortel et se jeta dans le Brigule. Ce fleuve prit de lui, au lieu de son nom, celui d’Arar ».
On trouve exactement le même type de légende, mais au féminin, en Grande-Bretagne, dans le cas de la Severn.
Le nom de Souconna évoluera par la suite en Sagonna puis Saône.
Waltzing 314. Aug. Sacrum deae Souconna, oppidani Cabillanenses ponendum curaverunt : consacré à Auguste et à la déesse Saône, les habitants de l’oppidum de Cabillon ont pris soin de faire placer…
CIL XIII 11162 = Esp. 6968. Numini Augustarum deae Soucannae divixtus Silani filius. Aux Augustes divinisés ainsi qu’à la déesse Souconna, Divixtus fils de Silan.
La déesse-ou-démone, ou fée, Souconna, est représentée d’autre part sur une stèle découverte près de Seurre, Esp. 3584, sous la forme d’une femme debout, couronnée d’une tour, tenant de la main droite une coupe pleine de fruits. À sa gauche, une barque au-dessus d’une urne fluente, puis un trident placé verticalement. La divinité fluviale, ici, fait figure de distributrice, et de protectrice de la pêche ou de la navigation. Il est curieux qu’elle soit également adorée à Sagonne, dans le département du Cher.
L’inscription CIL XIII 11162 = Esp. 6968, a été gravée sur un socle, sur lequel sont conservés les deux pieds de la déesse ou démone, ou fée. À proximité de la trouvaille jaillit la source du Sagonin.
ICAUNA/ICAUNIS.
L’élémental de l’Yonne en tant que rivière et pas seulement en tant que source, est également adoré à Auxerre sous le nom d’Icauna : XXI XIII 2921. Aug. Sacr. Deae lcauni T. Tetricius Africanus de suo dono dedit… consacré à Auguste et à la déesse Icauna T. Tetricius Africanus a offert en don, de ses propres deniers.
Il faut remarquer que, à chaque fois, le nom de l’empereur ou l’empereur divinisé (numen) est associé dans la dédicace à la déesse ou démone ou fée de la rivière, qu’il s’agisse d’Icauna ou de Souconna. Exactement comme pour les grands dieu-ou-démons, tel Jupiter Optimus Maximus. Le culte de la divinité fluviale fait apparemment figure de culte officiel, et l’élémental aquatique lui-même y gagne une importance et une distinction particulières. Remarquons en outre que c’est le datif celtique en i qui est employé.
Il semble donc que, dans la région qui nous intéresse ; et qui comprend outre les tribus-états des Lingons, des Héduens et des Sénons, la partie nord-orientale des Bituriges ; les divinités fluviales féminines ont vu leurs attributions s’étendre de la navigation, à la distribution des biens. Voire même à la tutelle des morts, par une sorte de contamination de la Rigani celtique. Sans doute faut-il voir là dans ce cas, la manière dont les riverains exprimaient leur confiance et leur reconnaissance à l’égard
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des fleuves et des rivières ; voies d’eaux naturelles auxquelles ils devaient une grande part de leur prospérité, ainsi que de leur enrichissement dans le domaine matériel et culturel.
NECHTAN (latin Neptune ??) est le dieu-ou-démon irlandais de l’Autre Monde (side). C’est l’un des frères du Suqellos Dagda Gargant, le dieu-ou-démon le plus important de la hiérarchie, après Lug. Il possède la Segais, la source magique de la Boyne, dans laquelle voudra se baigner la Damona/Bovinda/Boann, afin de se purifier de son adultère. Ainsi que nous l’avons déjà vu, elle y perdra un bras, une jambe et un œil, puis deviendra la rivière Boyne justement. Suivant les récits, en Irlande du moins, Nechtan est, soit son père soit son époux. La source de la Segais est gardée par trois échansons, Flesc, Lâm et Luam, et neuf noisetiers magiques y laissent tomber des fruits de la connaissance ainsi que de la sagesse. Son nom est peut-être, hélas, une adaptation gaélique du latin Neptune. Ce qui est un peu dommage !
BORVO-BORMO-BORMANO-BORMANICUS (mais aussi Bormanus, Borbanus, Boruoboendua Vabusoa Labbonus, Borus) était peut-être à l’origine un dieu-ou-démon panceltique, mais doté d’une fonction spécifique en relation avec les eaux thermales. On en trouve des traces aux Pays-Bas, à Utrecht, où il est appelé Boruoboendua Vabusoa Labbonus. Et au Portugal, dans les localités d’Idanha a Velha, où il est appelé Borus et assimilé à Mars, et de Caldas de Vizella, où il est appelé Bormanicus.
BORMANICVS
MEDAM
VS CAMAL
BORMANI
CO. VS.L.M.
Bormanicus est une variante attestée uniquement dans la péninsule ibérique. L’association avec Apollon ne s’est pas produite dans le cas de Bormanicus. Ce qui permet de supposer un développement indépendant à partir d’un certain moment (avant l’arrivée des Romains) de la divinité connue au nord des Pyrénées sous le nom de Borvo. Le syncrétisme entre les élémentals des sources thermales indigènes et les divinités romaines s’est opéré alors de deux façons différentes. Les élémentals ont été assimilés à des nymphes dans la zone occidentale et au dieu-ou-démon Apollon sous son aspect guérisseur, dans la zone orientale de la Tarraconaise.
Supposer que le culte de Bormanicus a été introduit dans la péninsule ibérique à une date relativement récente est une hypothèse qui se heurte à quelques difficultés, notamment le nom des dédicants. À Caldas de Vizela, Medamus Camalus est un indigène dont le second nom est purement hispanique. Quant à C. Pompeius Caturonis, visiblement un étranger à Caldas de Vizela, il aurait choisi une autre divinité si le culte de Bormanicus n’avait pas été solidement implanté dans la région.
En outre, il est évident que le syncrétisme d’alors consistait surtout en l’adoption d’un nom romain pour la divinité, même si sa réalité demeurait inchangée en l’occurrence ; et que le choix d’un nom du nord des Pyrénées, surtout sans sa référence au dieu-ou-démon Apollon, pour désigner une divinité ibérique, est peu probable. Et suppose en tout cas qu’il n’y ait pas encore eu de différenciation trop importante entre les populations celtiques de part et d’autre des Pyrénées.
Bormanicus est donc l’unique dieu-ou-démon hispanique dont on puisse affirmer avec certitude qu’il appartient, du moins sous cette forme, au substrat celtibère. Tout en n’écartant pas la possibilité que le dédicant ait pu ne pas être originaire de la Péninsule.
En France et sous d’autres formes, il a été particulièrement vénéré à Bourbonne-les-Bains, où dix inscriptions le concernant ont été découvertes. L’existence de tablettes votives invoquant cet élémental (Borvo) montre que les dédicants se préoccupaient alors de leur santé ou de celle d’autres personnes. Des inscriptions lui ayant été dédiées ont été découvertes à Aix-en-Diois, Aix-les-Bains, Aix-en-Provence (où il est appelé Borbanus voire Bormanus) Auch, Entrains, et Bourbon-Lancy.
À quelques exceptions près (voir le cas d’Idanha a Velha au Portugal), Borvo, Bormo, ou encore Bormanus, Bormanicus, est connu en tant que surnom d’Apollon par une dizaine d’inscriptions gallo-romaines et des toponymes divers. Borvo-ialum, La Bourboule (Puy-de-Dôme) ; Borvo-cetum, Burtscheid (près d’Aix-la-Chapelle en Allemagne) ; Bormenacum, Wormerich (près de Trèves en Allemagne) ; Borbona, Bourbonne-les-Bains (Haute-Saône) ; Borbone, Bourbon-L’Archambault
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(Allier) ; Burburinum, Bourberain (département français de la Côte-d’Or) ; Borbeto, Worms en Allemagne, etc.
Il ressemble beaucoup à la déesse ou démone, ou fée si l’on préfère ce terme, Sirona, qui était aussi une déesse ou démone ou fée, guérisseuse, liée au culte des sources, par application du principe druidique bien connu du feu dans l’eau. « Un jour régneront seuls le feu et l’eau » (Strabon IV, 4). Mais il en diffère néanmoins sur d’autres points.
Sa véritable parèdre (shakti disent les hindous) est Damona Vinda, dont le nom signifie « grande vache blanche » ce qui n’est pas sans rapport avec la Boand (vieux celtique Bo Vinda) de la mythologie irlandaise. Huit des inscriptions en question la mentionnent. En voici une.
Deo Apol/lini Borvoni/et Damonae/C (aius) Daminius/Ferox civis/Lingonus ex/voto.
Dans certaines régions néanmoins, il semble bien avoir pour compagne une déesse ou démone, ou fée si l’on préfère user de ce vocable, appelée Bormana (par exemple à Die), qui est parfois vénérée pour elle-même, et sans son compagnon (par exemple à Saint-Vulbas).
Bormona et Damona sont peut-être synonymes.
Menéndez i Pidal a jadis étudié ce toponyme, commun à l’Espagne, à la Ligurie, à l’Illyrie et à la Gaule (R. Menéndez Pidal, Toponimia prerománica hispana, Madrid 1952, p. 91-98).
Les variantes Borus/Borvo/Bormo/Bormanus, semblent venir d’une racine *boru/beru signifiant « bouillonner, bouillir » d’après Kretschmer. En protoceltique *Boru-s, *Borwon-, *Borumâno-s et *Borumân-iko-s. Signification qui cadre parfaitement avec une divinité des fontaines et des sources thermales.
Le nom de la rivière irlandaise appelée « Barrow », en gaélique Bearú, en est sans doute issu. Et il faut également rappeler que dans la mythologie d’Irlande, c’est le dieu-ou-démon guérisseur et rebouteux Dian Cecht, qui est censé l’avoir fait bouillir pour la toute première fois.
EN RÉSUMÉ, QUE CONCLURE SUR LES DIVINITÉS DE TYPE BORBO, BORVO, BORMO ou BORMANOS ?
Borbo était, lui aussi, le gardien de la substance connue comme « le feu dans l’eau » et sur la nature exacte de laquelle on se perd en conjectures (voir Apam Napat dans l’hindouisme), mais que l’on peut résumer ainsi. Ce feu ne brûle pas, épargne ou même au contraire soigne, celui qui n’a rien à se reprocher, mais brûle celui ou celle qui a commis une faute. La légende du puits de la Segais et de la malheureuse Boenda en Irlande, étant un exemple de cette deuxième possibilité.
Le culte de Borbo/Borvo/Bormo est répandu sur une aire assez vaste, sous sa forme simple et sous la forme de dérivés latinisés en Borbanus, Bormanus, et Bormanicus. Il est en effet attesté depuis les Pays-Bas jusqu’en Espagne occidentale (Galice), en passant par Bourbonne-les-Bains, les vallées de la Loire et du Rhône, les Alpes et la Provence. C’est sur les fleuves, au bord des lacs, auprès des sources où les nymphes l’accompagnent, qu’on le rencontre.
Borbo était aussi un dieu-ou-démon solaire et lumineux puisqu’il était parfois qualifié d’Albius (à Aignay-le-Duc notamment), ce qui signifie à peu près « le blanc, le lumineux ». Il est d’ailleurs également qualifié de Vindonnus, ce qui signifie grosso modo la même chose.
La tête du fronton triangulaire trouvé à Essarois en France, et portant l’inscription « À Vindonnus et aux fontaines », confirme bien la relation qui a toujours existé entre le feu et l’eau dans la pensée druidique antique. L’inscription « à Vindonnus et aux fontaines » est l’exact équivalent de la tête de méduse ou de gorgone solaire, figurant sur le fronton du temple romain de Sul à Bath.
Le vocable évoque le plus souvent des sources chaudes ; il s’applique également à des sources dénuées de toute thermalité, mais où l’on constate une forte émission de gaz.
Le caractère essentiel pourrait être le bouillonnement, plutôt que la température. De toute manière, la relation avec l’eau est constante.
En Europe, certaines villes d’eau ont gardé comme nom celui de cette divinité tutélaire. Citons par exemple Worms en Allemagne, dont le nom actuel vient de Borbetomagos, ce qui signifie « le marché de Borbo ». Ainsi que nous l’avons vu, Bourbonne-les-Bains, Bourbon-Lancy, Bourbon-l’Archambault, Aix-en-Diois, Aix-en-Provence, Aix-les-Bains, comptent parmi les lieux de culte les plus représentatifs.
À Aix-les-Bains, on a emprunté les traits d’Hercule combattant pour figurer Borbo : le choix peut s’expliquer par le fait qu’Hercule en personne se trouve bien souvent mis en rapport avec les sources guérisseuses. Est-ce à dire que, dans la pensée des dagolitoi ou fidèles, Borbo doit mener, pour le rétablissement de la santé, une véritable lutte contre des puissances malignes, qui seraient à l’origine des maladies ? L’intervention des divinités salutaires constituerait alors un épisode de l’éternel conflit entre le Bien et le Mal. D’après l’historien français Émile Thèvenot, à qui nous laissons la responsabilité de cette hypothèse.
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Au pays des Lingons, les inscriptions portent, à côté de son nom, celui de la déesse ou démone, ou fée si l’on préfère, Damona, dont la nature est mal connue. Tout ce que l’on sait d’elle, c’est que le radical de son nom, dam, est celui que l’on retrouve dans le vieil irlandais dam (bœuf, cerf) et le mot français « daim » est généralement considéré comme un emprunt à ce radical celtique. Borbo a donc pour compagne la nymphe ou la fée Viviane/Coventina, déesse ou démone, ou fée, des lacs et des étangs (Damona Vinda/Bo Vinda/Boann en Irlande). Borbo est par conséquent le maître des sources « magiques » dont l’eau guérit, mais peut aussi parfois brûler ou mutiler. Ne nous privons pas ici de citer de nouveau cet extrait du panégyrique de Constantin par Eumène.
« C’est avec raison que tu as honoré ces temples augustes de dotations si riches qu’ils ne regrettent plus les anciennes offrandes, et que tous les temples déjà semblent t’appeler de leurs vœux. En particulier celui de notre Apollon [le temple d’Aquae Nisinciis, aujourd’hui Saint-Honoré près d’Autun], dont les eaux brûlantes punissent les parjures que tu dois plus que personne détester. Dieux immortels, quand nous accorderez-vous ce jour où cette divinité si bienfaisante, après avoir partout rétabli la paix, viendra là-bas aussi visiter les bois sacrés d’Apollon ; son temple vénéré ainsi que les bouches fumantes de ses fontaines, dont les eaux jaillissantes couvertes de buée, par leur douce tiédeur sembleront sourire à tes yeux, Constantin, et s’offrir d’elles-mêmes à tes lèvres. Tu admireras sûrement là-bas aussi le sanctuaire de ta divinité protectrice, et ces eaux chaudes issues d’un sol qui ne porte pas la moindre trace de feu. Rien n’est désagréable dans leur saveur ou leurs émanations, mais au goût et à l’odorat, elles rappellent la pureté des sources froides. Là encore, tu feras des présents, tu établiras des privilèges, bref tu rendras son prestige à ma [petite] patrie en multipliant les marques de vénération pour le lieu »
cf. le cas de Damona Vinda ou Bo Vinda/Boand en gaélique. Sous le nom, d’origine latine, de Nechtan, les Irlandais ont, par contre, fait de Borbo, un véritable Neptune, frère du Suqellos Dagda Gargant, comme dans le récit où les trois échansons, Flesc, Lam et Luam, y gardent sa source.
BORMANNA. Déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, de la vapeur, parèdre (shakti disent les hindous) de Borvo ou Bormo. Sans doute un synonyme de Damona. Des inscriptions concernant cette déesse-ou-démone, ou fée, ont été trouvées à Saint-Vulbas, dans l’Ain, et à Aix-en-Diois, dans la Drôme (France). Du celtique *berw – (bouillonner, bouillir) et *anna – (âme, souffle).
NERIOS. Élémental de la source thermale ayant donné son nom à la ville de Néris-les-Bains en France. Son nom vient probablement de la racine celtique nero (héros) ou naro (noble). Sans doute encore un cas d’application du principe druidique du feu dans l’eau.
Le village fondé à cet endroit fut appelé Neriomagos, ce qui signifie « le marché de Nerios », et devint une bourgade au commerce florissant, bien située, au carrefour de deux grands axes de passage. Avec la colonisation romaine, la bourgade s’urbanise. Nérios est latinisé en Nérius, Nériomagos devient Aquae Nerii (les eaux de Nérius). Les eaux sont utilisées à dessein thérapeutique, et deux établissements thermaux luxueux sont créés. De nombreux monuments sont construits : temples, thermes, villas… La VIIIe légion Augusta y est stationnée vers la fin du Ier siècle, et un théâtre amphithéâtre est construit pour offrir aux soldats et aux habitants, jeux du cirque et représentations théâtrales. De nombreux vestiges témoignent encore de cette époque. Cet âge d’or se termine en l’an 275, avec les invasions germaniques qui détruisent une partie de la ville et provoquent la disparition de la population, ainsi que l’attestent les trésors monétaires non récupérés par leurs possesseurs. Ce qui complique tout, c’est que cet élémental a été aussi vénéré en compagnie de Bugius à Haegen, dans le Bas-Rhin. Seule hypothèse possible : un dieu-ou-démon local a été assimilé à Nerius par un habitant du lieu ayant assez voyagé pour faire le rapprochement avec l’élémental de Néris-les-Bains.
GLANIS. Élémental du site antique de Saint-Rémy-de-Provence, dans le sud de la France. S’il y a une source à Glanum, c’est grâce à l’écoulement des eaux de pluie, absorbée par le massif calcaire, débouchant au pied du massif. Cadre particulièrement propice, écrit le célèbre fouilleur de Glanum, H. Rolland, à l’évocation des forces mystérieuses.
Comme à Nîmes, c’est une source qui a donné naissance à la ville. Réputée curative, elle est fréquentée dès la protohistoire par les Ligures, puis par les Celtes, qui la divinisent sous le nom de Glan ; ce radical qui s’applique aux eaux pures, vives, nous le retrouvons dans nombre de noms de rivières du Massif central ou des Ardennes belges sous les formes Glain, Glane, etc.
Un escalier monumental de vingt-deux marches, taillé dès une antiquité reculée sur une haute paroi rocheuse, conduit à la source depuis l’anfractuosité rocheuse où trône le dieu-ou-démon ; dieu-ou-démon dont l’antique statue, en pose héroïque, nous est parvenue par les fragments de sculpture recueillis sur place.
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Vers le IIIe ou IIe siècle, la source sera ensuite aménagée sous la forme grecque, et plus exactement hellénistique, d’un nymphée assorti de diverses salles, qui en font un véritable sanctuaire, édifié à l’aide de moellons régulièrement appareillés.
En même temps que le dieu-ou-démon Glan, sont révérées, comme souvent dans le monde celte, des déesse-ou-démones-mères auxiliaires ; ce sont les mères Glaniques, qui ajoutent à la physionomie sans doute un peu altière de Glan, un élément féminin, à la fois guérisseur et compatissant : leur association est connue par une dédicace d’époque romaine. Ainsi, Glanum s’hellénise-t-il au point de ressembler à la Délos des IIIe ou IIe siècles ; elle frappe monnaie, à l’imitation des pièces massaliotes, adoptant même le grec comme langue officielle, et empruntant à Marseille son alphabet ; on y a trouvé des sculptures d’une pureté de style telle qu’elle a conduit l’une d’elles à la célèbre Glyptothèque de Munich.
Mais les dieu-ou-démons continuent d’y être révérés dans la vieille langue nationale, et c’est ce qui nous vaut de posséder quelques bratou decantem (ex-voto) mis au jour à proximité du sanctuaire, et gravés en langue celtique. Le nom du premier groupe des compagnes de Glan, s’explique aisément comme épiclèse ou épithète ethnique, comme il arrive pour d’autres déesse-ou-démones-mères celtiques (on connaît des matres Treuerae à Trèves, etc.) ; en revanche le nom de Rocloisiabo, qui désigne un autre groupe, renvoie sans doute à la notion d’écoute, d’autant plus qu’un autel votif romain provenant d’une maison proche des thermes est dédié « aux oreilles de Bona Dea » ; or cette déesse ou démone, ou fée si l’on préfère, était vénérée entre autres pour sa qualité d’écoute bienfaisante, ce que le décor sculpté du petit monument indique d’ailleurs de façon très explicite par deux oreilles entourées d’une couronne de chêne ; nul doute qu’il s’agit là des organes auditifs de la divinité, non d’une quelconque ateberta ou offrande symbolique. Le datif auribus, qui figure ici comme sur une inscription d’Aquilée [auribus B (onae) D [eae], semble à cet égard décisif. Ajoutons qu’à Glanum, la même déité bienfaisante est clairement désignée sur un autre cippe retrouvé à côté.
Constatons que c’est une Celte romanisée, Cornélia, qui était commanditaire de l’un de ces cippes votifs ; elle n’a pas seulement adopté le culte local, mais aussi, comme on le voit, la langue celtique dans laquelle il était pratiqué. Tout cela participe d’une culture mixte celto-grecque, dont témoigne clairement, par ailleurs, la sculpture votive ou architectonique, et qui survit à la conquête romaine pendant quelque temps. Les effets de la romanisation se font sentir à Glanum dès la seconde moitié du Ier siècle avant notre ère, alors que Marseille a perdu l’autonomie que Rome lui avait laissée jusqu’aux Guerres civiles. On assiste alors, vers les années – 30, à une transformation de son urbanisme, due à l’action personnelle d’Agrippa. On édifie au-dessus de la source un petit temple à Valetudo (la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, « Santé »), supplantée elle-même plus tard par Salus, souvent invoquée comme protectrice de la santé de l’Empereur. Ces deux abstractions personnifiées, de conception toute romaine, coexistent avec les « mères » Glaniques traditionnelles, et se substitueront progressivement à elles. De la même façon, le culte d’Apollon guérisseur est présent lui aussi, avec celui d’Hercule, autre patron des sources, autour du même sanctuaire ainsi réaménagé. Certes, Glan et les Glaniques ne sont pas oubliés, mais à l’époque romaine, ils demeurent sans iconographie connue, sans culte officiel ; et, dans une dédicace où ils sont associés, c’est désormais en latin qu’ils sont honorés (Glani et Glanicabus). Enfin, c’est à présent, nous venons de le voir, aux oreilles de Bona Dea, et non plus aux « Écoutantes » locales, que vont désormais prières et bratou decantem (ex-voto).
Ainsi, de Glan au dieu-ou-démon Apollon et à Hercule, des « mères » Glaniques à Valetudo, puis à Salus, des « mères qui exaucent » à Bona Dea puis à Cybèle ; les dieu-ou-démons se répondent-ils, en fonction d’attributions communes, et sous l’effet des mêmes aspirations humaines ; comme en un dialogue poursuivi à travers le temps et les vicissitudes de l’Histoire (Jean Loicq, professeur à l’Université de Liège, Belgique).
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LES ÉLÉMENTALS DES EAUX : SUITE 2.
DEUXIÈME CAHIER DE NOTES RETROUVÉ PAR LES ENFANTS DE PIERRE DE LA CRAU.
ABANDINUS. Elémental des eaux connu par une inscription trouvée à Dvrovigvtvm (Godmanchester Cambridgeshire) : DEO ABANDINO VATIAVCVS D S D. Ou alors un dieu-ou-démon topique, génie d’un lieu bien précis ???
ABIANIUS. Élémental des eaux, connu par trois inscriptions trouvées en France. À Roussillon, dans le Vaucluse [CIL XII 6034] ; à Castelnau-du-Lez, dans l’Hérault [ILGN 666] et à Saint-Rémy-de-Provence dans les Bouches-du-Rhône [AE 1937,143]. Du celtique abon-, rivière.
L’inscription trouvée à Roussillon provient d’un petit autel votif en pierre blanche avec moulures en haut et en bas, ornée sur le dessus de deux volutes sculptées ; ainsi que d’un cercle en relief de 0m10 environ de diamètre, formant une patère pour les atebertas ou offrandes. Ce cercle n’a pas de bouton au centre comme cela existe fréquemment sur ces monuments ; son état de conservation est excellent ; ses dimensions sont : hauteur 0 m 43, largeur 0 m 19, épaisseur : 0 m 15.
L’inscription, qu’on peut lire sans aucune hésitation, est en caractères quelque peu irréguliers, tracés cependant avec l’aide d’un réglage encore très apparent ; le cas est fréquent dans la région. La hauteur des lettres est de 0 m 03 aux deux premières lignes, 0 m 025 à la troisième et 0 m 04 à la dernière.
DEO A BIA
NIO
VVII.
À la dernière ligne, faut-il lire Vivixi ou Vivii, signifiant quelque chose comme vivant, existant, vigoureux, fort, puissant…, qualificatif s’appliquant au dieu-ou-démon Abian ; ou bien sommes-nous là en présence du nom abrégé du dédicant de l’autel ? Il est difficile de se prononcer.
ABINIUS. Idem. Nice. France. Inscription trouvée à Cimiez où il est invoqué en tant que deo Abinio [CIL V 7856].
ACIONNA. Élémental des eaux attesté en France. En 1822, un dénommé Jean-Baptiste Jollois réalisa des sondages sur l’emplacement de la « fontaine de l’Étuvée », une ancienne source artificiellement tarie qu’il était alors question de redécouvrir pour alimenter en eau les fontaines publiques de la ville d’Orléans.
Il mit au jour, dans ce qui lui paraissait être un ancien puisard, une stèle approximativement carrée (0,60 x 0,55 m) portant une inscription votive. D’après son style, elle pourrait dater du IIe siècle. La gravure en est soignée, la lecture ne présente aucune difficulté.
AUG (ustae) ACIONNAE
SACRUM
CAPILLUS ILLIO
MARI F (ilius) PORTICUM
CUM SUIS ORNA
MENTIS V (otum) S (olvit) L (ibens) M (erito).
« Consacré à Augusta Acionna, Capillus fils d’Illiomarus (a offert) ce portique avec ses ornements. Il s’est acquitté de son vœu de bon gré, comme il est juste de le faire ».
On notera aussi que Capillus – nom latin – est le fils d’un Illiomarus, au nom nettement celtique. Ce Capillus est sans doute un représentant de la seconde génération d’une lignée de notables locaux romanisés, mais qui n’a pas oublié, en cas de nécessité, le recours aux divinités traditionnelles.
Acionna est inconnue par ailleurs, mais la finale en – onna indique indiscutablement un nom celte latinisé. La découverte de sa stèle dans une ancienne fontaine suggère une divinité liée aux eaux.
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Son nom peut être rapproché du nom de l’Essonne – Axiona, Exona, dans les textes médiévaux – qui prend sa source dans la déclivité nord de la forêt d’Orléans. Le cours supérieur de cette rivière s’appelle aujourd’hui « l’Œuf » et ne prend le nom d' « Essonne » qu’après sa jonction avec la Rimarde. Une autre rivière de la forêt d’Orléans, l'« Esse » ou « Ruisseau des Esses » qui, elle, s’écoule vers le sud, porte peut-être le même nom. L’Esse se jette dans la Bionne, au nom certainement celtique.
Acionna par conséquent avait probablement son sanctuaire à la Fontaine de l’Étuvée sur la commune d’Orléans. Les vestiges d’un temple gallo-romain, et un tronçon d’aqueduc, ont été mis au jour en 2007, lors de fouilles archéologiques.
ADSULLATA. Connue par une inscription trouvée à Saudörfel en Autriche, où elle est associée au dieu-ou-démon éponyme Savus (vallée de la Save en Slovénie). Il s’agit peut-être à l’origine d’une déesse ou démone, ou fée si l’on préfère ce terme, solaire et guérisseuse, ensuite associée à une rivière.
AGAUNUS. Élémental (de l’eau ?) connu par une inscription trouvée à Vienne en Autriche. Il y est associé aux dieu-ou-démons celtes Danubius et Salacea ainsi qu’aux dieu-ou-démons romains Jupiter IOM [Jupiter Optimus Maximus], Neptune, et les nymphes. Son association avec l’élémental du Danube (Danubius) tend à montrer qu’il devait là aussi s’agir d’un dieu-ou-démon des eaux. De *ag-e/o – (aller, sortir, avancer) la particule – un/on et le suffixe masculin – us.
AGRONA. Déesse-ou-démone celte qui a laissé son nom à la rivière Aeron, au pays de Galles. Étymologiquement, Agrona signifie carnage en proto-celte, mais une autre étymologie est toujours possible. Aron est un nom de rivière très répandu : l’Arun dans le Lancashire, l’Aron en France (département de la Mayenne), écrit Aroena en 615, l’Aron rivière de la Nièvre, Arrone en Italie, Arroyo en Espagne… Les spécialistes des hydronymes (noms de rivières, lacs, et ainsi de suite) y voient un composé d’une racine préceltique ar, désignant l’eau courante, très fréquent dans toute l’Europe. Citons juste l’Aar en Suisse, l’Ahr près de Coblence en Allemagne, ou l’Ara en Aragon (Espagne). À leur arrivée sur place, les premières populations celtiques y ont simplement rajouté le terme on (na) qui signifie cours d’eau ou rivière.
AIRO. En Espagne, on donne le nom d’Airon à divers puits ; notamment aux confins de Garci Muñoz (Cuenca) ; et à Hontoria del Pinar (Burgos). II existe d’ailleurs à Grenade une petite place portant ce nom.
ALAUNA/ALAUNIA. Alauna est le nom antique de la ville de Maryport dans le comté de Cumberland, ville située à l’embouchure de la rivière Ellen. Le nom signifie « la poissonneuse ». On retrouve ce nom dans le nom de la place forte romaine d’Alauna (aujourd’hui Watercrook dans le Lancashire), Alauna devenu Learchild, dans le Northumberland, la rivière Alaunus (originellement sans doute Alaunia, aujourd’hui Aln). On retrouve également ce nom dans celui des localités françaises de Valognes et Allones. À Chieming et Seeon en Bavière, elle est invoquée sous le nom d’Alouna [inscription : Alounis sacr (um)], et dans l’ancienne Norique (actuelle Autriche), vivait une tribu d’Alauni vénérant des déesse-ou-démones ou fées, appelées Alaunae. Cet élémental des eaux est aussi connu par une inscription trouvée à Pantenburg en Allemagne, où il est associé à Boudina et Voroius.
AMEIPICER. Élémental de source dont l’autel a été découvert à Bracara Augusta, en Espagne.
AMEIPICER
AMEIPICRI
SACRVM
AGRASSICIVS
PATERNVS
V.S.L.L.
La divinité en question est assurément la nymphe d’une fontaine, car le début du mot est le même que AMEVCN, divinité aquatique.
L’autel a été découvert dans la ferme d’Avellar, à l’extrémité sud de la ville. Il a un petit foyer à sa partie supérieure pour brûler des atebertas (des offrandes). La corniche se termine en un fronton
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élégant, avec des volutes de rosaces à cinq feuilles ; au centre se trouve un emblème que l’on distingue mal. L’écriture est typique du IIe siècle.
ANCAMNA. *Ancambona. Élémentale de l’eau. Connues par des inscriptions de la vallée de la Moselle près de Trèves, mais aussi par des inscriptions découvertes à Möhn et à Ripsdorf en Allemagne.
Chez les Trévires, elle est associée au culte de Lenus Mars. Idem dans l’inscription de Ripsdorf. Dans l’inscription de Möhn par contre, elle est associée au culte de Smertrios Mars.
D’un vieux celtique *an-kambo-abon-a (la très tortueuse, celle qui a beaucoup de méandres).
ANCASTA. Élémentale de l’eau connue par une seule inscription, gravée sur un autel, découverte à Clavsentvm (Bitterne) dans le Hampshire. DEAE ANCASTAE GEMINVS MANI : à la déesse Ancasta, Geminus Mani [lius]. Du celtique *an-kast-a « la rapide ».
APADEVA. Élémental mentionné sur un autel trouvé à Cologne en Allemagne. Deae/Apadevae/T (itus) * Ver (inius ?) * Sene (cio ?) l (ibens) * m (erito). À la déesse Apadeva, Titus Verinius Senecio.
Le lieu de la découverte correspond peut-être à une ancienne source. Apa est vraisemblablement un terme celte pour désigner l’eau, et le mot deva, lui, ne peut qu’avoir le sens de « déesse ».
APONUS. Élémental des eaux d’Abano Terme, en Italie (à dix kilomètres au sud-ouest de Padoue). La racine du nom « ap » signifie « eau ». La longue histoire des Thermes d’Abano et Montegrotto, est fondée sur l’antique culte d’Aponus, dieu-ou-démon de l’eau thermale et des vertus curatives.
Son sanctuaire principal devait être dans la bourgade qui lui prit son nom, Aponus, une localité thermale correspondant à l’actuelle Abano Terme, dans la province de Padoue. Sur le mont Montirone d’Abano, les fouilles archéologiques ont mis en évidence un temple remontant au premier siècle, mais auparavant il était consulté dans la localité voisine de Montegrotto depuis le IXe siècle avant notre ère. Selon certains mythes, c’est là que Phaéton serait tombé avec le chariot d’Hélios (voir la légende celtodruidique de l’ambre jaune).
Toujours l’antique principe druidique du feu dans l’eau (« Un jour régneront seuls le feu et l’eau » Strabon IV, 4). L’eau jaillit en effet à une température d’environ 90°. Elle contient du chlore et du sodium. Elle vient des Alpes et a un parcours souterrain à partir de Poggio di Montirone.
La légende raconte que ce fut Hercule qui, en passant par la terre d’Aponus, fonda le culte de Géryon. Ce dieu-ou-démon mystérieux, emprisonné dans les entrailles de la terre, prédisait par le truchement d’un prêtre ou d’une prêtresse, gardiens du temple, qui interprétaient les prophéties du dieu-ou-démon en utilisant les eaux thermales.
À partir de 49 avant notre ère, date à laquelle Padoue (Patavium en latin) et les terres voisines devinrent « municipium », la haute bourgeoisie des Patavini romanisés imita les classes les plus aisées de Rome, en donnant une grande importance aux thermes. Ce qui favorisa l’institution de bains publics et d’établissements thermaux. L’antique sanctuaire lacustre se transforma en une riche localité thermale bien organisée, où l’on se rendait pour fortifier le corps et l’âme/esprit.
Suétone raconte que même le jeune Tibère consulta la source thermale sacrée dans laquelle, sur demande de l’oracle, il jeta des dés en or pour savoir si le destin lui serait favorable dans la bataille contre les Pannons ; la victoire étant pour lui fondamentale pour devenir empereur.
« Il consulta l’oracle de Géryon, qui lui dit de jeter les dés d’or dans la fontaine d’Aponus, pour apprendre ce qu’il voulait savoir. Il le fit, et du coup, il amena le nombre le plus élevé. On voit encore aujourd’hui ces dés dans l’eau ». (Suétone, Vie des douze César, 3, Vie de Tibère.)
ARAUSIO. Élémental des eaux (aar) ayant donné son nom à la ville d’Orange dans le sud de la France. D’après l’historien français Jean-Paul Clébert (Provence antique), il y eut même vraisemblablement des thermes dans la cité.
AVICANTUS. Élémental des eaux connu par une inscription trouvée à Nîmes en France, où il est honoré avec Minerve, Nemausus et Urnia. Sans doute en relation avec le nom du Vigan dans les Cévennes. Du celtique *awo-/*awâ (rivière) et *cantlo – (chant).
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BRIXIA ou BRICIA. Divinité locale (département français de la Haute-Saône), peut-être une source divinisée, la Brêche. Cette déesse-ou-démone ou fée si l’on préfère, est associée au dieu-ou-démon Luxovius.
CLOTA/CLUTOIDA. Élémental de la Clyde, la célèbre rivière de Glasgow (Abhainn Chluaidh en gaélique) et donc de la région à qui elle a donné son nom, le Strathclyde. Le Strathclyde (écossais : Strathalcluith, puis Strathcluaide : « au-delà de la Clyde ») est l’un des royaumes celtes brittoniques qui résista aux Anglo-Saxons, aux Pictes, aux Scots et aux Vikings, durant le haut Moyen-âge ; avant d’être réuni au royaume des Pictes et des Scots vers le milieu du XIe siècle. Sa formation, mal connue, eut lieu durant la période romaine de l’île de Bretagne (avant 410). Durant la période anglo-saxonne, le Strathclyde eut comme voisins le Dal Riada et la Calédonie au nord, le Gododdin et la Bernicie à l’est, le Rheged du nord et le Galwyddel (Galloway) au sud (de 450 à 600) ; puis, la Cumbrie au sud et la Northumbrie à l’est (à partir de 650) avant de se fondre dans l’Écosse médiévale.
Le nom de cet élémental des eaux est également connu en France sous la forme plurielle deae Cluto [i] dae (CIL XIII 02895) à Mesves-sur-Loire, et dea (e) Clutieae (CIL XIII 02082) à Étang-sur-Arroux. Ce qui semblerait donc en faire des fées de type matronae. Cette déesse ou démone ou fée apparaît peut-être aussi dans le mabinogi de Pwyll Pendefig Dyfed, en tant que mère du rival de Pwyll/Pellès (ou Pellehan, voire Pellinor) appelé Gwawl ap Clud.
COMEDOVA. Inscription découverte à Aix-les-Bains en Savoie. L’inscription mentionne cet élémental des eaux sous une triple forme : matres comedovae. Il doit donc s’agir d’une déesse ou démone, ou fée, guérisseuse, ce qui n’est pas incompatible avec des fonctions protectrices en général, et donc finalement guerrières également.
DIVONA. Source divinisée située à Cahors en France. Les très nombreuses pièces de monnaie qui ont été trouvées en 1989 sur le site naturel remarquable de la fontaine des Chartreux, prouvent qu’il s’agissait bien de la source à l’origine de la ville. Coincée entre les coteaux et la rivière, l’eau jaillit des entrailles de la terre par un gouffre profond de plus de 140 mètres. Cette splendide résurgence vauclusienne, vénérée dans l’Antiquité, comme l’attestent les nombreuses monnaies découvertes dans sa vasque, a même donné son nom, dès le début du premier siècle, à la ville romaine, Divona Cadurcorum, qui se transforma en Cahors au Moyen-âge. Captée par pompage, l’eau de la fontaine des Chartreux, alimente en eau potable toute l’agglomération de Cahors et ses environs.
DRAVUS. Élémental d’une rivière surgissant dans le Pusterthal (Tyrol) près d’Innichen, et qui sépare la Croatie de la Hongrie puis se jette dans le Danube.
DURUS. L’élémental du Douro/Duero, inscription découverte à Oporto. Le Douro (nom portugais) ou Duero (nom espagnol) est un fleuve qui prend sa source en Espagne puis traverse le Portugal où il se jette dans l’océan Atlantique près de Porto. Son nom, Durius en Latin, dérive de la racine hydronymique dur-.
DURBEDICUS. Inscription découverte à Ronfe au Portugal. Il est possible qu’il s’agisse du dieu-ou-démon de la source ou de la rivière de l’Ave, hypothèse confortée par l’existence de sources thermales à Ronfe ainsi que par la personnalité du dédicant, une femme appelée Celea Clouti.
EDOVIUS. Élémental d’une source thermale près de Caldas de Reis, Pontevedra, en Espagne. L’établissement thermal moderne semble se situer sur les restes d’une précédente construction, probablement romaine.
ELETESES. Élémental de la rivière appelée Yeltes en Espagne, conceptualisée sous une forme féminine par les habitants de la région. Inscription découverte à Retortillo.
C. ACCVS
ALBANI. F
AQVIS. EL
ETESIBVS
VOTO.
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Dans le lit du fleuve, on a découvert une source d’eau thermale, d’une température de 40°. En construisant les bains actuels, on a mis au jour un dallage, sous lequel apparurent six monnaies d’or et quelques-unes de cuivre, ainsi que l’autel votif avec le nom des nymphes de la fontaine. L’autel mesure 0,80 x 0,40 m. Une des monnaies datait du règne de Vespasien. La coutume de jeter des pièces de monnaie dans les sources thermales pour en obtenir la guérison était très répandue à l’époque.
GRASELOS. Élémental de la source du Grozeau à Malaucène en France, au pied du mont Ventoux. En témoigne une stèle avec une inscription grecque dans la chapelle du Groseau, construite par les Bénédictins au XIe siècle, sur les ruines d’un temple romain, et seul vestige de la résidence d’été du pape Clément V. Cette source est du type résurgence vauclusienne, comme la Fontaine-de-Vaucluse donc, mais dans une bien moindre mesure. On y vint pendant longtemps, de l’Antiquité au Moyen-âge, pour y soigner ses douleurs.
N.B. Ce nom, tout comme le suivant, évoque irrésistiblement le nom de la célèbre fontaine du village natal de Jeanne d’Arc, les Groseilliers.
GRISELICAE. Eaux thermales divinisées (Gréoulx en Provence). Un fragment d’autel antique en calcaire gris, portant une dédicace aux nymphes de la source, a été découvert dans l’église Saint-Pierre-hors-les-murs (aujourd’hui disparue), qui était située dans le quartier des thermes antiques. En 1806 ont été retrouvés des fragments venus compléter l’inscription initiale, qui peut donc se lire ainsi désormais.
FIL. FAVSTlNl
T. VITRASI. POLL
[I] ONIS. COS. II. PRAE
[TORIS] II. IMP. PONTI [F]
[PROC] OS. ASIAE VXOR NYMPHIS GRISELICIS.
Il s’agit d’un témoignage de reconnaissance envers les nymphes de cette station thermale, érigé par une matrone romaine de la bonne société, épouse de Vitrasius Pollio, consul pour la deuxième fois.
ICOVELLAUNA. Élémental de source connu en trois endroits différents. À Trèves en Allemagne, à Malzéville ainsi qu’à Metz (Le Sablon) en France. L’étymologie d’Icovellauna est incertaine. Ico est certainement un mot celte signifiant « eau » et vellauna un terme signifiant bon ou bénéfique.
Son temple a été découvert en 1879. cf. la dédicace C.I.L., 4294 :
DEAE ICOVELLAV NAE SANCTISSIMO NVMINI GENIA LIS SATVNINVS V S L M.
C’est un puits circulaire entouré d’une construction octogonale de 6 m de diamètre. Le puits a une profondeur de 6,5 m environ, il atteignait une source, actuellement tarie, qui coulait dans un petit bassin octogonal de 1,5 m de diamètre. Un escalier tournant y descendait d’une galerie située au niveau du sol extérieur et permettait de voir la source. Sur la paroi, tout le long de l’escalier de pierre, étaient fixées des plaques de bronzes, offertes en tant que bratou decantem ou ex-voto à la déesse ou démone, ou fée, dont une au moins a été trouvée intacte. L’édifice d’Icovellauna semble avoir fait partie d’un sanctuaire voué à des divinités salutaires. Ont été recueillis dans les environs une stèle représentant une femme debout, vêtue d’une tunique tombant au-dessus du genou, et qui sacrifie sur un autel, avec une dédicace à Mercure guérisseur (Esp. V, 4343 ; l’inscription est répertoriée au C.I.L. XIII, 4306) ; des fragments d’une stèle qui devait représenter Mercure avec une dédicace (Esp. V, 4401 ; C.I.L., XIII, 4309), un relief représentant sur l’une de ses faces Mercure et Rosemartha, et sur l’autre Apollon (Esp. V, 4346), une dédicace à Mercure (C.I.L. 4305) et un petit autel portant la dédicace d’un messager impérial à la déesse ou démone ou fée Mogontia (C.I.L., 4313).
À noter. Il existait aussi à Metz un nymphée dédié à une déesse ou démone ou fée des eaux, inconnue si ce n’est pas Icovellauna. Ce nymphée se trouvait près de l’arrivée de l’eau dans la ville. C’était un petit temple en l’honneur, soit d’une nymphe, soit d’une des déesse-ou-démones ou fées, de la nature. Chaque élément naturel possède une nymphe que l’on pourrait qualifier de représentante divinisée dudit élément. Les plus connues sont celles de l’eau dont le nymphée de Divodurum (Metz) est un lieu de culte. Ce nymphée a été décoré par les quatre membres du collège responsable du culte, ayant financé la construction de l’aqueduc.
ILLIXO. Élémental de la source thermale de Bagnères-de-Luchon dans les Pyrénées.
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La présence de population est attestée depuis le néolithique au moins, à la grotte de Saint-Mamet.
Strabon. Géographie. Livre IV, 2.
« L’intérieur et la zone montagneuse ont cependant un sol plus fertile, et notamment dans le voisinage du mont Pyréné, chez les Convènes, ou, comme nous dirions en grec, les tout venant réunis), peuple dont la capitale se nomme Lugdunum, et qui possède les Thermes onésiens, sources magnifiques donnant une eau excellente à boire. Le territoire des Auscii est également d’une grande fertilité ».
La date du texte (premier quart du Ier siècle de notre ère) témoigne de la précocité de leur utilisation. L’observation de Strabon peut même s’entendre comme une allusion à une exploitation préromaine, par les Onesii, habitants de la région de Luchon, des bienfaits du thermalisme.
Une preuve indirecte du phénomène peut être tirée de la divinisation de la source, dont le nom Ilixo a donné le toponyme de Luchon. Certes, les inscriptions votives des dagolitoi (fidèles) guéris par les eaux miraculeuses sont des inscriptions latines des premiers siècles de notre ère. Mais le nom d’Ilixo appartient à la langue aquitaine, antérieure même au celte et au latin dans la région, et le dieu-ou-démon éponyme de la source appartenait donc au panth-éon ou plérôme des anciens dieu-ou-démons pyrénéens. Ce qui laisse imaginer que les vertus attribuées aux eaux chaudes de Luchon ont été reconnues à une époque antérieure à la présence des Romains voire même des Celtes.
N.B. Toute la question est de savoir si les Onesii et les Convènes étaient des Celtes ou des non-Celtes (Ibères, ou Basques).
Du IIIe siècle avant notre ère à l’arrivée des Romains, il y avait de vrais Aquitains, des Celtes aquitanisés, mais aussi des Aquitains celtisés. De manière suffisamment floue pour que non seulement César, Strabon et Pline, y voient des peuples homogènes, mais aussi pour que soit créée une province particulière. Certains de ces peuples étaient indubitablement d’origine celte (les Tarbelles et les Tarusates, racine « tarv- » = le taureau) ainsi que les Boïates. Les Convènes étaient aussi des Celtes à en juger par le nom de leur cité Lugdunum Convenarum, mais les stèles funéraires de la ville comportent toute une variété de surnoms qualifiés par les linguistes de proto-basques.
Flavius Josèphe, l’historien des Antiquités juives, rapporte que Caligula – empereur de 37 à 41 – a exilé Hérode Antipas, le tétrarque de Galilée, sa compagne Hérodiade et Salomé, à Lugdunum. D’après certains enthousiastes, ils auraient ramené avec eux de Palestine de lourds secrets sur Jésus, à l’origine du mouvement cathare.
À la fin du Haut Empire (probablement dès le IIe siècle en fait), ces peuples demandent encore, et obtiennent, d’être séparés des autres « Galli ». Inscription de la stèle conservée dans l’église d’Hasparren :
Flamen item du(u)muir quaestor pagiq. magister
Verus ad Augustum legato munere functus
pro novem optinuit populis seiungere Gallos
Urbe redux genio pagi hanc dedicat aram.
« Flamine, duumvir, questeur ainsi que chef du pagus, Verus fut envoyé en mission auprès de l’Empereur. S’étant acquitté de sa mission, il obtint pour les neuf peuples de se séparer des Galli. De retour de Rome, il dédie cet autel au dieu-ou-démon de son pagus (comté) ».
À Bagnères-de-Luchon, plusieurs dédicaces aux Nymphes et à Ilixo, découvertes dans les mêmes circonstances, illustrent la foi des dagolitoi et des fidèles venus se faire soigner par ces eaux bienfaisantes aux propriétés divines. Certains venaient de loin, comme Manutia Sacra, originaire de la région de Rodez, ou Cassia Touta, venue de la région de Lyon.
Illixo est également connu par des inscriptions trouvées à Montauban-de-Luchon, en Haute-Garonne.
IVAVOS. Dieu-ou-démon des sources guérisseuses d’Évaux (département français de la Creuse). L’eau thermale d’Évaux-les-Bains est reconnue pour ses propriétés régénératrices et anti-inflammatoires, mais le nom de cet élémental est peut-être en rapport avec celui de l’if.
LETINNO. Letinnoni. Ledinnoni. Élémental de source ou déesse-ou-démone ou fée tutélaire de Lédenon près de Nîmes, en France. L’installation des hommes sur ce site est due à la présence d’une
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source pérenne, mais aussi d’abris naturels, de territoires de chasse et de cueillette. Une inscription sur un petit autel de pierre rectangulaire se lit ainsi :
LETINNONI B OPI IMPER PONI NEMAUSENSES.
À Letinno, bonne et enrichissante divinité, de la part des habitants de Nîmes reconnaissants.
LARRASO. Dieu-ou-démon connu par trois inscriptions trouvées dans le département français de l’Aude. À Moux. Fontaine de Santé ou de Comigne. La fontaine tire son nom du chemin qui conduit à Comigne. Il s’agit d’une fontaine couverte, très grossière, édifiée en 1869. Sur ce site furent trouvées diverses pierres votives qui ont accrédité la présence en cet endroit d’un « fanum » où l’on honorait le dieu-ou-démon local, Larraso.
Une première trouvaille, en 1837, faite par Dominique Belly, se trouve actuellement au musée lapidaire du Château comtal de Carcassonne.
Cette inscription porte le texte suivant : P. Cornelius Phileros Larrasoni V.S.M.L.M. Publius Cornelius Phileros au dieu Larraso. Il s’est acquitté de son vœu de bon gré, comme il est juste de le faire.
Une deuxième trouvaille fut faite en 1849, sur le même site.
T (itus) Valerius C (ai) f (ilius) Senecio,
P (ublius) Usulenus Veientonis l (ibertus) Phileros,
T (itus) Alfidius M (arci) l (ibertus) Stabilio,
M (arcus) Usulenus M (arci) l (ibertus) Charito,
Magistri pagi, ex reditu fani Larrasoni cellas faciund (um) curaverunt idemque probaverunt (Maîtres du canton, avec les revenus du fanum de Larraso, ils ont trouvé bon et ont pris soin de faire construire des cellas).
Une troisième inscription fut mise à jour lors des travaux de captage et de curage de la source en 1868, nécessités par une sécheresse alarmante pour la commune. Celle-ci, en caractères grecs, était encore une dédicace à Larraso.
LUXOVIUS. Élémental des sources thermales de Luxeuil (département français de la Haute-Saône). Une dizaine de sources jaillissent dans le parc et sous les bâtiments des thermes. Les unes sont chaudes, entre 43° et 63°, chargées de chlorure, de sulfate et de sodium. D’autres, plus tempérées, renferment du fer et du magnésium. Six statuettes en bois (des bratou decantem ou ex-voto) attestent les vertus de ces eaux. Parèdre (shakti en Inde) : Bricta. Le nom de Luxovius étant en rapport avec celui de Lug, de la lumière ou de la foudre, on peut penser qu’il s’agit là encore une fois, de l’idée druidique bien connue du feu dans l’eau.
MATRONA. Déesse-ou-démone ou fée de la source de la Marne (département français de la Haute-Marne). Connue par une inscription trouvée à Balesmes. Son nom vient de matra, mère, et de la racine hydronymique très courante : onna. La source de la Marne se situe à 419 m d’altitude, au cirque de la Marnotte, non loin de la ville de Langres. Sa course se poursuit sur près de 525 kilomètres. C’est en ce lieu que fut fondée l’Église druidique des Gaules le 2 novembre 1985 par Ronan ab Lug et Gal Crae. On a mis au jour, à la source de cet important cours d’eau, les vestiges d’un temple, qui n’a pratiquement pas été fouillé. On sait en effet peu de choses du sanctuaire qui s’élevait à la source de la Marne. Un texte nous apprend néanmoins qu’un notable y a un jour offert « un mur cimenté autour du temple ». Il s’agit, cette fois encore, d’un temple indigène et d’une divinité des eaux.
La Meyronne (Var), la Maronne (Seine-Maritime, Aisne, Haute-Marne), sont des aboutissements modernes de Matrona, et Matrona est aussi un ancien nom de la Durance.
MATTIACA. Élémental des eaux. La forme au pluriel de son nom montre qu’il s’agissait d’une triple déesse ou démone ou fée à la fois élémentale des eaux associées à son culte, et déesse-ou-démone ou fée tutélaire, de la tribu locale des Mattiaci. On retrouve son nom dans celui des villes de Marburg (Mattium) et Wiesbaden (Mattiacum/Aquae Mattiacae) en Allemagne. Son nom est néanmoins en rapport avec celui de l’ours : matus.
MIROBIEUS. Élémental de la rivière appelée Mira au Portugal. Il a également donné son nom à la cité de Mirobriga, actuellement Santiago do Cacém.
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MOGONTIA. Élémentale de la rivière coulant à Mayence en Allemagne, et appelée aujourd’hui Main. Connue par une inscription trouvée à Metz, dans le temple d’Icovellauna. Dédicace d’un tabellarius (courrier ou messager) à la déesse ou démone ou fée Mogontia (C.I.L., 4313). Semble être une contrepartie féminine du dieu-ou-démon Mogons.
NABIA. Élémental des rivières appelées Navia en Espagne ou Neiva au Portugal. On a découvert sept inscriptions vouées à cet élémental des eaux dans la péninsule ibérique, dont une à Braga. Pour la localisation de la Navia et le problème des deux Navia, voir J. González, El litoral asturiano en la epoca romana.
NASSANIA. Élémentale des eaux, connue par une inscription trouvée dans la tour de Nassogne, en Belgique. La source coulant à ses pieds s’avère encore connue sous le nom de Nassania fons, en 690.
Sur ses bords, vinrent se dresser quelques habitations, dont l’ensemble s’appela Nassonia, Nassoigne, Nassonacum, et plus tard, Nassogne.
Tout cela nous reporte aux tout premiers siècles de notre ère, époque à laquelle on trouve, en 372 plusieurs édits de l’empereur Valentinien, signés à Nassogne, localité en bordure de la chaussée Bavay-Trèves. Ensuite, pendant plus de deux cents ans, Nassogne tombera dans l’oubli. Aux alentours de l’an 600, un moine écossais du nom de Monon ou Muno (en Écosse, son culte de dulie existe encore, et l’on connaît même, près de la ville de Saint – Andrew, une petite agglomération appelée Monon’s Kirk) ; vint se retirer dans la région. La légende raconte qu’un jour, devant lui, un porc déterra une clochette des temps jadis (vraisemblablement perdue par un des convois qui parcouraient la chaussée de Trèves à Bavay) dont Monon se servit pour appeler à la prière. Ce saint est donc toujours représenté avec un cochon et une clochette, et il est sollicité par les éleveurs et les cultivateurs pour la protection du bétail. L’histoire raconte que le missionnaire fut battu à mort par des habitants d’un village voisin (excités par les tenants du druidisme local?) en 645. N.B. Dans la vie de saint Columba d’Iona, une rivière portant un nom similaire est mentionnée : Nesa ; et la source de cette rivière est appelée ad lacum fluminis Nisae (le Loch Ness ??)
NEMAUSOS. Élémental des eaux qui était honoré par la tribu des Volques Arecomiques à Nîmes en France (jardin de la fontaine). Du celtique *nemos.
Plusieurs inscriptions le mentionnant ont été trouvées bien entendu à Nîmes, mais aussi à Lansargues, dans l’Hérault. À Nîmes, il est honoré avec un certain nombre d’autres divinités : Jupiter, Minerve, Urnia et Avicantus. Une autre inscription le relie assez curieusement à l’Égypte. IOM HELIOPOLIAN ET NEMAVSO. À Jupiter Optimus Maximus d’Heliopolis, et Nemasus.
NISKAE. Nisca étant un nom commun pour désigner l’élémentale d’une source, on ne connaît donc pas, en fait, le nom propre de la fontaine divinisée d’Amélie-les-Bains (département français des Pyrénées-Orientales). Le lieu était connu dès l’Antiquité, on en trouve de nombreuses traces, les plus importantes étant bien sûr ce qui reste des thermes romains (en partie détruits ou remodelés au XIXe siècle). On a trouvé aussi au XIXe siècle, dans la partie dite Lo Gros Escalador, des tablettes de plomb gravées (des defixiones) qui ont fait couler beaucoup d’encre (« KANTAS NISKAS ROGAMOS ET DEPRECAMUS »), etc. Etc.
NONISSUS. Dieu-ou-démon de la source de l’Armançon (Essey, département français de la Côte-d’Or).
SAMARA. Élémentale de la Sambre, et de la rivière appelée aujourd’hui la Somme, en France. Du celtique *samo – (repos, calme, paisible, lente).
SAVUS. Élémental de la Save dans les Balkans, connu par une inscription trouvée à Saudöfel en Autriche, où il est honoré en compagnie de la déesse ou démone ou fée Adsullata. En Slovénie cet élémental est connu à Abbruch (parèdre Atsalut). Il est également honoré à Scitarjevo et à Sisak en Croatie.
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SEGETA. Élémentale de source thermale connue par des inscriptions trouvées à Bussy-Albieux, Feurs, et Roanne, dans le département de la Loire, ainsi qu’à Sceaux-en-Gâtinais, dans le Loiret (France), dans un temple dédié à cette élémentale.
AVG (uste) DEAE SEGETAE. T MARIVS PRISCINVS V S L M EFFICIENDVM CVRAVT.
À l’auguste déesse Segeta. T Marius Priscinus s’est acquitté de son vœu rendu mérité par une cure efficace.
Une autre inscription a été trouvée à Moingt (Montbrison).
Les thermes qui constituaient le centre d’Aquae Segetae se trouvaient à l’intérieur du Clos Sainte-Eugénie, et ils se composaient d’un vaste bâtiment rectangulaire, de plus de 80 mètres de long.
SIANNUS/STIANNUS. Élémental des sources thermales des bains du Mont-Dore en France. La ville du Mont-Dore (ou Mont-d’Or jusqu’au XIXe siècle) s’est développée au début du XIXe siècle à partir du petit village de Bains, situé à proximité de sources thermales connues depuis l’Antiquité, au pied du Puy de Sancy. Deux inscriptions. L’une trouvée à Lyon, où Siannus est assimilé au dieu-ou-démon Apollon, l’autre découverte à Mont-Dore justement. Les thermes du Mont-Dore sont adaptés au traitement des affections rhumatismales et des pathologies des voies respiratoires.
SILGINA. Élémentale des eaux. Connue par une inscription trouvée à Sainte-Mesme, dans les Yvelines, en France. Le sanctuaire est associé à une source.
SIOIO. Source divinisée qui a donné son nom au village de Soyons, en France. Son nom signifie « celle qui fait des méandres ».
STANNA. Celle qui se tient fermement. Du celtique *sta-ne/o- ;*stam – (se tenir debout). Connue par une inscription découverte à Périgueux en Dordogne, France, où elle est associée à un dieu-ou-démon nommé Télo. L’inscription peut être lue comme suit. [Deo Teloni] et deae Stanna [e] solo A (uli) Pomp (eii) Antiqui perm [issuque eius]/[Silvani f (ilius) Quir (ina) Ba] ssus c (urator) c (ivium) R (omanorum) consa [ep] tum omne circa templum/[basilicas du] as cum ceteris o [r] namentis ac muniment [is faciendum curavit].
TELO. Élémental de source connu par deux inscriptions en France. Une à Périgueux l’autre à Toulon. À Toulon cette source, toujours exploitée par les services municipaux, est à l’origine du nom de la ville et correspond au captage de la source Saint-Antoine. L’inscription de Périgueux associe ce dieu-ou-démon de la source de Toulon à la déesse ou démone ou fée Stanna, qui serait donc sa parèdre (ce que l’on appelle une shakti dans l’hindouisme).
TEMUSIO. Du celtique *temeno (sombre) et *si-e/o – (flot). Élémental des eaux, connu par une inscription trouvée à Saint-Marcel-lès-Châlon, en Saône-et-Loire (France) : deae Temusioni. Même nom que la Tamise.
TEURNIA. Élémentale de rivière connue par une inscription trouvée à Lendorf et à Sankt Peter in Holz, en Autriche.
TREBARUNA (ou Trebarunis) est une déesse ou démone ou fée celtique très présente aux confins des pays lusitanien et vetton. Tant en Espagne (Coria, Cáparra, peut-être Talavera la Vieja) qu’au Portugal (Fundão, Cabeço das Fráguas, Castelo Branco, Vale Feitoso, Cabeço dos Tiros). Quant à l’identité de Trebaruna ; l’étymologie celte du radical TREB (thème en relation avec l’idée d’habitat ou de village) et celle du second élément du nom, ARUNA (dérivé d’Arunis, lui-même lié au nom d’un cours d’eau) ; nous permettent de supposer que Trebaruna était une divinité féminine liée au monde aquatique. Une sorte de nymphe locale selon F. Villar (1995, pages 355-388 ; Prósper, 1994, pages 187-195).
Selon S. Lambrino, ce serait non pas une divinité assimilée à la victoire, comme le pensait Leite de Vasconcelos, mais la déesse-ou-démone ou fée tutélaire d’une communauté humaine comprenant au moins les habitants d’Igaeditania et ceux de Caurium (Lambrino, 1957, pages 87-109). Mais l’autel votif de Coria fut érigé par un individu originaire d’Aebosocelum. Une origine que l’on retrouve mentionnée à Orense aussi et qui fait référence à un site non localisé (CIL II 2527 ; ILER 619 ; Tranoy, 1981, page 254, numéro 434 ; Salinas, 2001, pages 193-194). Il se pourrait donc que l’aire d’expansion du culte de Trebaruna soit plus étendue que le pays lusitanien. Mais on peut également penser que cet individu originaire d’Aebosocelum a érigé un autel à une divinité locale adorée par les Lusitaniens et les Vettons.
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UMERITANA. Élémentale de source thermale. Otanes. Espagne. Ainsi que nous avons pu le voir précédemment, l’iconographie de la Salus Umeritana est révélatrice. La déesse ou démone ou fée s’avère tout simplement être la personnification de la source donneuse de santé. Sans l’inscription de la patère, on aurait pu croire qu’il s’agissait de la représentation d’une nymphe en général.
URA. Élémentale de la source (la fontaine de l’Eure) qui alimente l’aqueduc de Nîmes en France, et dont le pont du Gard transportait les eaux. Connue par une inscription trouvée à Nîmes : Urae fontis [CIL XIII 3076].
URNIA. Élémentale de la rivière Ourne, connue par une inscription à Nîmes : Urniae [CIL XIII 3077].
VARGILENA. Élémental (aquatique) de Varciles en Espagne (Valtierra, localité située à 20 km d’Alcalá de Henares).
VERBEIA. Élémental de la rivière appelée Wharfe en Grande-Bretagne.
VESUNNA. Élémental de la Vésonne, source située à Périgueux en France. Actuellement la fontaine Sainte-Sabine. La première des inscriptions [CIL XIII 00949] invoque la déesse ou démone ou fée, en tant que Vesunnae Tutelae, la seconde [CIL XIII 00956] l’invoque sous une forme plurielle : Vesunniae. On retrouve son nom en Allemagne à Zülpich et à Vettweis. 4 des inscriptions de Vettweis [NL 192 ; CIL XIII 07851 ; CIL XIII 07852 ; CIL XIII 07854] sont dédiées aux Matronis Vesunia (h) eni [s], une [CIL XIII 07850] est dédiée à Vesuniahe [nis] tout court. L’inscription de Zülpich [CIL XIII 07854] est également dédiée aux Matronis Vesuniahenis.
Le temple de la Tour de Vésonne est le modèle même de temple de tradition indigène celte. Cette tour de 17,10 m de diamètre et de 24,50 m de haut, était en fait le cœur (la cella) d’un temple circulaire construit au IIe siècle, et dédié à la déesse ou démone Vesunna. Elle était entourée d’un péristyle de 23 colonnes. La partie effondrée comportait une porte monumentale. La légende veut que ce soit saint Front lui-même, apôtre du Périgord qui, le frappant de son bâton, ait créé cette brèche. Cela est complètement faux, bien sûr, et le christianisme nous a plus qu’habitués à ce genre de fraude, puisqu’il n’a jamais été fondé sur des vérités. Mais cette légende a néanmoins l’avantage de bien rendre l’aspect taliban chrétien (parabolanus) de cet envoyé de saint Pierre.
Il existe d’ailleurs d’autres impostures chrétiennes de ce genre, comme celle de saints Valère à Trèves en Allemagne, ou Trophime à Arles, Martial à Limoges, Austremoine (Stremonius) à Clermont, Gatien ou Gratien à Tours, Saturnin à Toulouse ; sans oublier saints Lazare et Maximin en Provence, ou Marie-Madeleine et Marthe.
FIN DU 2e CAHIER DE NOTES RETROUVÉ PAR LES ENFANTS DE PIERRE DE LA CRAU.
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Notes sur feuilles volantes retrouvées par les héritiers de Pierre de La Crau et insérées par eux à cet endroit.
AUTRES ÉLÉMENTALS DES EAUX.
PRITONA/PRITONIA/RITONA. Élémentale des gués connue par une inscription trouvée à Pachten, en Allemagne, où elle est associée à Bormo. La déesse-ou-démone ou fée si l’on préfère ce terme, est aussi honorée sous le nom de Pritonia dans la cité de Trèves, toujours en Allemagne. Il s’agit peut-être aussi d’une gardienne de l’autre monde ou d’une déesse ou démone, ou fée, psychopompe, voire d’une déesse ou démone, ou fée, des eaux guérisseuses. Le nom de Ritona, anciennement Pritona, évoque celui du passage, du gué (p) riton, apparenté au latin portus : l’importance du passage est bien connue dans les religions antiques. Celle du pont également (Briva). L’invocation à la déesse ou démone, ou à la fée si l’on préfère ce terme, Ritona, était en elle-même parlante (des têtes de mort… comme dans les exploits de Cuchulainn défendant un gué servant de frontière à son pays. Cette légende a peut-être été suscitée par une telle pratique). On retrouve la déesse ou démone ou fée Ritona sous une forme masculine cette fois-ci, dans un épisode du cycle arthurien (le chevalier aux deux épées). Arthur doit en effet y partir en guerre contre un gardien des « gués » de la mort appelé… Rion.
CONDATIS. Élémental des confluents de rivières. Connu par plusieurs inscriptions trouvées en Grande-Bretagne et une trouvée sur la commune d’Alonnes, dans la Sarthe, en France. En Grande-Bretagne, la plupart des inscriptions proviennent de la région située entre la Tyne et le bassin de la Tees. Une nouvelle inscription mentionnant Condatis a été découverte à Cramond en Écosse. Condate était l’ancien nom de Northwich in Cheshire, et en France, Condate était l’ancien nom de la ville de Rennes. Si l’homme éprouve le besoin d’invoquer la divinité quand il franchit une rivière, à plus forte raison doit-il prêter attention aux confluents. Nous n’irons pas jusqu’à prétendre que, dans cet accident géographique, la largeur et le volume des rivières qui mêlent leurs eaux sont dénués d’importance. Ces considérations, qui seraient primordiales pour le stratège ou l’hydraulicien, passent malgré tout au second plan, si l’on veut bien examiner le caractère sacré de la chose. Un confluent, si minime soit-il, est la somme de deux éléments, dont chacun est chargé de sens religieux ; c’est un redoublement d’intensité aménagé par la nature.
AUTRES ÉLÉMENTALS DES EAUX.
ENTARABUS/INTARABUS/INTERABUS. Élémental des terres situées entre deux rivières. Du celtique enter – (entre) et ab – (rivière). Connu par une inscription et une statue trouvées en 1862 à Noville-lez-Bastogne en Belgique (où il est associé à Ollodagus) ; par une inscription trouvée à Ernzen en Allemagne ; et par d’autres trouvées à Feyen, Niersbach et Trèves (où il est assimilé à Mars par interpretatio romana). Au Luxembourg des inscriptions le mentionnant ont été trouvées à Dalheim et à Echternach. À Mackwiller, département du Bas-Rhin, il est assimilé au dieu-ou-démon Narius.
ÉLÉMENTALS DES MARAIS.
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À l’époque préhistorique, après la dernière période glaciaire, la formation de tourbe commença. Au fil du temps, de vastes étendues furent couvertes de tourbières. Les peuples d’alors vivaient sur les terres hautes et plus sèches, entre les tourbières. Endroits dangereux et souvent brumeux où l’on risquait facilement de s’égarer voire de se noyer, les tourbières étaient enveloppées de mystère. On comprend facilement pourquoi les gens croyaient ces lieux habités par des dieu-ou-démons ou des âme/esprits régnant sur la vie et la mort, la santé, les récoltes, le bétail et même la destinée des êtres humains.
Il était donc essentiel d’entretenir des rapports harmonieux avec ces êtres puissants, notamment par des atebertas (des offrandes) déposées au seuil de la demeure de ces divinités. Des biens précieux comme des céréales, des cornes d’animaux, des objets de poterie, des roues, des armes et des bijoux furent ainsi abandonnés dans les marécages, qui devinrent d’immenses réservoirs de ces dons. Tout ce qui avait de la valeur pouvait servir d’offrande. Cela pouvait même aller jusqu’aux sacrifices humains. On a retrouvé dans certaines tourbières des cadavres évoquant les sacrifices humains en l’honneur de la déesse ou démone, ou fée si l’on préfère, Domna/Nerthus.
L’Homme de Lindow est une momie préservée dans une tourbière naturelle, découverte le 1er août 1984 dans la tourbière de Lindow Moss (Wilmslow), dans le Cheshire, par des exploitants de tourbe.
La datation au carbone 14 de l’Homme de Lindow a permis de situer la date de sa mort entre – 2 et + 119 de notre ère. Il avait environ vingt-cinq ans, mesurait 1,68 m et pesait entre 60 et 65 kg. Ce qui est remarquable chez cet homme des tourbières, c’est l’acharnement avec lequel il a été mis à mort. On considère que son exécution a commencé par les trois coups portés à la tête que l’on a relevés sur le crâne, suivis d’une incision à la gorge. Enfin, on a trouvé autour de son cou une cordelette fortement serrée. Le cadavre a été retrouvé le visage ramené sur le buste dans une tourbière de Lindow Moss. Ces caractéristiques, notamment le triple mode d’exécution, évoquent un « meurtre rituel », dans la mesure où les triades sont des attributs de la religion druidique. Quant à savoir s’il s’agissait d’un sacrifice humain, d’une exécution, ou des deux à la fois, les spécialistes sont partagés. Comme les récits de sacrifices humains chez les Celtes sont le fait d’historiens étrangers à cette civilisation, les détails qu’on y trouve sont toujours a priori suspects.
L’acidité de la tourbière a conservé le contenu de l’estomac : le dernier repas de cet homme consistait en grande partie de céréales cuites (blé, son et orge), ce qui correspond davantage à une offrande sacrificielle qu’à un repas ordinaire. La présence de pollen de gui dans l’estomac de la victime a d’abord paru très suggestive, compte tenu de la place qu’a cette plante dans la tradition druidique. Le gui est une plante vénéneuse connue pour provoquer des convulsions, de sorte qu’il est peu probable qu’un homme l’ait ingéré accidentellement ; et en outre, ce mode d’empoisonnement est bien attesté dans la littérature celtique postérieure à l’occupation romaine. Mais Gordon Hillman (1986) a justement attiré l’attention sur le fait que le pollen retrouvé dans les intestins est plus vraisemblablement du pollen qui s’est déposé sur les stigmates des fleurs de céréales, ingéré ensuite avec les graines.
L’archéologue Anne Ross, s’appuyant sur le fait que cet homme n’exécutait pas de tâches manuelles, estime que l’Homme de Lindow était un druide. Elle suggère qu’il s’est prêté à un sacrifice, peut-être à Beltène, après un repas de pain de graines symboliquement brûlées. L’écrivain John Grigsby, lui, croit voir dans la mort de l’Homme de Lindow une expérience mimétique de renaissance et de mort, apparentée aux rites de Nerthus et d’Attis ; théorie soutenue par le fait que l’analyse chimique de la peau semble montrer que l’Homme de Lindow avait recouvert son corps d’un pigment vert végétal.
N.D.L.R. S’il s’agit bien d’un sacrifice, l’Homme de Lindow ne peut pas être un druide, puisque celui-ci est un membre de la classe sacerdotale, et qu’il est justement chargé de procéder aux sacrifices. En revanche, il existe dans la mythologie celtique irlandaise des cas de mises à mort de druides despotiques. D’une manière générale, les sacrifices humains étaient relativement rares chez les Celtes, les animaux et les objets étaient plus couramment utilisés. Il y a en outre contradiction dans les modes d’exécution : la strangulation (la cordelette) évoque un sacrifice de première fonction sans effusion de sang, alors que l’incision à la gorge fait penser à un sacrifice de deuxième fonction avec effusion de sang. Il s’agit néanmoins d’un genre de mort que l’on retrouve dans les légendes de Lleu Llaw Gyffes et de Laïloken.
GENAVA. Les très-sachants de la druidiaction (druidecht) avaient aussi divinisé l’embouchure des fleuves, sous le nom de Genava. Ce qui a donné le nom de la ville de Genève en Suisse.
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Notes sur feuille volante retrouvées par les héritiers de Pierre de La Crau et insérées par eux à cet endroit.
UN CAS SPÉCIAL : DAMONA.
L’élémentale des eaux courantes en général (ruisseaux petites rivières).
Déesse-ou-démone ou fée si l’on préfère, connue par de nombreuses inscriptions, où elle figure en général en compagnie de Borvo (ou d’Apollon dans l’interpretatio romana) en France. Il s’agit sans doute, non pas de la déesse-ou-démone ou fée de tel ou tel lieu précis, mais de la déesse ou démone ou fée des eaux plus ou moins vives et non des eaux dormantes comme la célèbre Dame du Lac marraine de Lancelot, la déesse-ou-démone ou fée des eaux douces en général ; car elle est souvent associée à Borbo, et qualifiée alors de Bormana. Bormana, réplique féminine de Bormanos, donc de Borbo, semble bien en effet, être un autre nom de cette mystérieuse Damona.
Dans la cité d’Alise-Sainte-Reine, elle est associée au dieu ou démon Apollo Moritasgus (Borbo), à Bourbonne-les-Bains, elle est associée à Borvo et au dieu Apollo, tandis qu’à Bourbon-Lancy, elle est associée à Borvo et à Bormo.
À Bourbon-Lancy, l’inscription évoque un rituel d’incubation pendant lequel le pèlerin, venu chercher la guérison, pouvait voir la déesse ou démone ou la fée lui apparaître en rêve, et lui suggérer des remèdes.
Borvo/Bormo étant, comme le Nechtan irlandais, un dieu ou démon attaché aux sources guérisseuses, par application du principe druidique bien connu dit « du feu dans l’eau » (un jour régneront seuls le feu et l’eau. Strabon IV, 4) ; la Damona Vinda fut donc sans doute une déesse ou démone ou fée des eaux analogue à la Boann irlandaise, une sorte de dame blanche, déesse ou démone ou fée des eaux thermales.
Un de ses principaux sanctuaires, celui retrouvé dans le village d’Alise-Sainte-Reine, comprenait un temple octogonal, plusieurs chapelles, des bassins, des thermes, ainsi qu’un complexe réseau de canalisations, destiné notamment au captage d’une source. Du verre à vitre est présent dans les différents niveaux du temple octogonal (y compris dans le plus ancien, datant, selon Espérandieu, « du temps des premiers empereurs »), de la chapelle carrée ; mais aussi, en grandes quantités, dans les différentes canalisations.
Le rôle majeur joué par l’eau dans le sanctuaire, impliquant peut-être la dénudation partielle ou totale des dagolitoi (des fidèles), l’absorption du liquide ; explique l’importance du vitrage, qui protège les eaux des pollutions (feuilles, intrusions animales, débris divers) et assure une protection thermique. Cet élément de confort ou de luxe est à mettre en parallèle avec le décor architectural et sculpté, de qualité, ainsi que les mosaïques.
La statue de Damona qu’on y a trouvée avait une tête couronnée d’épis et tenait un serpent dans une main. Le nom même de Damona, ainsi que son association à des épis de blé, en font donc une déesse ou démone ou fée, si l’on préfère ce terme, de la fertilité. Quant au serpent, il symbolise sans doute sa fonction de guérisseuse.
Dans le puits où l’on a retrouvé l’inscription votive d’Aignay-le-Duc, il y avait aussi un fragment de sculpture représentant la tête d’un serpent comme enlacé autour d’un bras humain.
Damona jouit d’une véritable personnalité, car un bratou decantem (ex-voto) lui est dédié en propre à Saint-Vulbas, sans qu’il soit fait mention ni de Bormanos, ni de Bormo. La dédicace, longtemps restée
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à l’abandon, près d’une fontaine, a maintenant été recueillie en lieu sûr. La source elle-même ne présente aucune thermalité. Le nom du village paraît en rapport avec celui de la déesse ou démone ou fée (Burbaz en patois. N.D.L.R).
Dans l’inscription trouvée à Rivières en Charente (France), Damona est qualifiée de matuberginnis.
IVLIA•MALLA•MALLVRONIS
FIL•NVMINIBVS•AVGUSTORVM•ET
DEAE•DAMONAE•MATVBERGIN
NI•OB•MEMORIAM•SVLPICIAE
SILVANAE•FI […] AE•DE•SVO
POSVIT•
Traduction : « Julia Malla, fille de Malluron, a élevé (ou dédié ?), à ses frais (ce monument) à la force divine des augustes et à la déesse Damona Matuberginnis, en mémoire de Sulpicia Silvana, sa fille ».
Cette inscription entre dans le cadre général des dédicaces faites aux divinités. Elle mentionne le nom de la déesse-ou-démone, ou fée, associée aux numina des empereurs, le nom de la dédicante, Julia Malla, le motif en vue duquel la dédicace a été faite, honorer la mémoire de la fille de la dédicante, Sulpicia Silvana.
Matuberginnis pouvant se traduire par « colline de l’Ours », deux questions viennent immédiatement à l’esprit. Ce surnom, cette épithète, qui caractérise si fortement Damona, l’identifie-t-elle à un lieu précis appelé « la colline de l’Ours » ? Ou faut-il penser qu’en la désignant ainsi, on cherchait à la dissocier d’une autre Damona, connue par ailleurs ? On connaît une Damona Augusta, mais le nom de la déesse ou démone ou fée ainsi invoquée, Damona Augusta, montre d’abord qu’à travers elle les dédicants honoraient l’empereur, et que la protection de la déesse ou démone ou de la bonne fée s’étendait sur sa personne.
L’expression numinibus augustorum, rencontrée dans l’inscription de Rivières, qui renvoie donc au culte impérial. Le numen de l’empereur, c’est sa puissance intérieure, quasi divine, qui l’aide à décider puis agir, dans la bonne direction, sa sanctitas. Cette force impersonnelle est indispensable au bon empereur pour présider aux destinées de l’Empire.
Située sur une pente, à environ 100 mètres de l’endroit où l’inscription latine fut découverte, il y avait sur place une source appelée « la fontaine de l’Ours » et ce point d’eau passait pour avoir des vertus guérisseuses. On venait des fermes environnantes y tremper les bonnets des nouveau-nés pour les protéger des maladies convulsives. Cette source a l’aspect d’une petite mare mesurant plusieurs mètres de circonférence. Le phénomène bien connu d’appropriation des lieux de cultes païens (et notamment des sources), par le christianisme, n’a pas fonctionné dans le cas présent, car aucun saint chrétien ne semble avoir été substitué à Damona.
Le nom de Damona est un mot de la même famille que le mot italien « daino » ou le mot français « daim ». Damona est donc une daine, et vraisemblablement blanche. Mais la biche, à l’origine, c’est toute femelle de cervidé de l’époque, et non pas seulement celle du cerf. Damona est associée à la notion de vitesse (elle a les pieds inusables, comme s’ils étaient d’airain) et à la divination. Du moins si l’on en croit l’histoire de la biche blanche des Lusitaniens et de Sertorius.
Plutarque, Vie de Sertorius, 11.
« La plupart des peuples se rallièrent volontairement à lui, attirés par sa douceur et son activité ; parfois aussi, Sertorius imaginait d’ingénieux moyens pour les tromper ou les séduire. Et d’abord ce fut l’histoire de la biche, que voici. Un Lusitanien, homme du peuple qui vivait à la campagne, aperçut un jour une biche qui venait de mettre bas, et qui était poursuivie par des chasseurs ; il ne put l’atteindre, mais, frappé par la couleur extraordinaire de son faon, une biche toute blanche, il lui donna la chasse et s’en empara. Il se trouva que Sertorius campait dans ces parages. Comme il recevait avec plaisir tous les présents, gibier ou produits du sol, que l’on venait lui apporter, en récompensant généreusement ceux qui usaient de tels bons procédés à son égard, cet homme s’empressa de lui offrir la biche. Ce cadeau ne lui causa sur le moment qu’une joie modérée. Mais lorsqu’avec le temps il eut si bien apprivoisé cette biche, et l’eut rendue si familière, qu’elle l’entendait quand il l’appelait, puis l’accompagnait partout où il allait, sans se laisser effaroucher par la foule ou le tapage des soldats ; alors il se mit peu à peu à lui attribuer un caractère divin, en prétendant qu’elle était un présent d’Artémis. Et il répandit le bruit qu’elle lui révélait beaucoup de choses cachées. Il savait que
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les barbares se laissent aisément prendre à la superstition. Voici donc ce qu’il imagina. Si on l’avertissait en secret que les ennemis avaient fait une incursion en quelque point du pays qui lui était soumis, ou qu’ils essayaient de soulever une ville ; Sertorius prétendait que la biche s’était entretenue avec lui pendant son sommeil, et lui avait recommandé de mettre ses troupes en état d’alerte. S’il apprenait qu’un de ses généraux avait remporté une victoire, il dissimulait le messager, mais faisait sortir la biche avec une couronne sur la tête en signe de bonnes nouvelles. Et il engageait les soldats de son armée à garder confiance puis à sacrifier aux dieux dans l’attente d’un succès ».
Sacrifier des biches était une pratique courante chez les Celtes, comme le prouvent les préliminaires de la bataille de Sentinum (Tite-Live, Histoire romaine, X, 27).
« Les deux armées s’étaient rangées l’une en face de l’autre, prêtes à engager le combat, une biche poursuivie par un loup se mit à courir dans l’espace laissé libre entre elles. Puis les deux animaux infléchirent leur course. La biche vers les Celtes, le loup vers les Romains. Au loup fut laissée libre la voie entre les lignes des soldats romains, quant à la biche, elle fut percée de traits par les guerriers celtes ». À partir de ce moment-là, chacun des deux camps fut persuadé de la victoire, les Romains parce que le loup Quirinus était des leurs et dans leurs rangs, les Celtes parce qu’ils avaient pu sacrifier la biche. Et s’ils l’avaient tuée à coups de javelots, cela ne peut être que pour deux raisons. La première afin de l’offrir en sacrifice à la déesse ou démone de la chasse, ce sacrifice leur assurant la protection de la déesse ou démone et la certitude de la vie éternelle. La seconde afin d’empêcher que la biche soit dévorée par le loup, symbole de l’anéantissement dans la mort.
SURVIVANCES MÉDIÉVALES (et modernes ?).
Le conte de fées intitulé « la biche au bois » est l’ultime avatar de ce mythe qui met en scène la déesse ou démone ou fée Damona. Ce récit est vraiment fascinant, car, que ce soit involontairement, par exemple en s’inspirant de son époque, ou pas 1), Mme d’Aulnoy, peut-être sans le vouloir effectivement, a retrouvé là d’un seul coup tous les éléments du mythe celte originel (les fées, le culte de la fécondité, le rôle du soleil, et ainsi de suite).
Il était une fois un roi et une reine dont l’union était parfaite, ils s’aimaient tendrement, et leurs sujets les adoraient ; mais il manquait à la satisfaction des uns et des autres, de leur voir un héritier. La reine qui était persuadée que le roi l’aimerait encore davantage si elle en avait un, ne manquait pas au printemps d’aller boire des eaux qui étaient réputées pour cela. L’on y venait en foule, et le nombre d’étrangers était si grand qu’il s’en trouvait là de toutes les parties du monde.
Il y avait plusieurs fontaines dans un grand bois où l’on allait boire, elles étaient entourées de marbre et de porphyre, car chacun se plaisait à les embellir. Un jour que la reine était assise au bord de la fontaine… elle remarqua que l’eau s’agitait, puis une grosse écrevisse parut, et lui dit : grande reine, vous aurez enfin ce que vous désirez. Je vous avertis qu’il y a ici juste à côté un superbe palais que les fées ont bâti, mais il est impossible de le trouver, parce qu’il est environné de nuées fort épaisses, que l’œil d’une personne mortelle ne peut pénétrer. Cependant comme je suis votre très humble servante, si vous voulez vous fier à la conduite d’une pauvre écrevisse, je me propose de vous y mener.
La reine l’écoutait sans l’interrompre, la nouveauté de voir parler une écrevisse l’ayant fort surprise : elle lui répondit qu’elle accepterait avec plaisir son offre, mais qu’elle ne savait nullement aller en reculant comme elle. L’Écrevisse sourit, et sur-le-champ prit la figure d’une belle petite vieille. Hé bien Madame, lui dit-elle, n’allons pas à reculons, j’y consens ; et considérez-moi comme une de vos amies, car je ne souhaite que ce qui peut vous être avantageux.
Elle sortit de la fontaine sans être mouillée, ses habits étaient blancs doublés de cramoisi, et ses cheveux gris noués de rubans verts…
Les portes du palais s’ouvrirent, il en sortit six fées ; mais quelles fées ! Les plus belles et les plus magnifiques qui aient jamais paru dans leur empire. Elles vinrent toutes faire une profonde révérence à la reine, et chacune lui présenta une fleur de pierreries pour lui en faire un bouquet ; il y avait une rose, une tulipe, une anémone, un œillet, une ancolie, et une grenade.
Madame, lui dirent-elles… nous sommes heureuses de vous annoncer que vous aurez une belle princesse, que vous nommerez Désirée… ne manquez pas, aussitôt qu’elle sera au monde, de nous appeler, parce que nous voulons la douer de toutes sortes de qualités : vous n’aurez qu’à prendre le bouquet que nous vous donnons et nommer chaque fleur en pensant à nous, soyez certaine qu’aussitôt nous serons alors dans votre chambre… Après cela elles prièrent la reine d’entrer dans leur palais, dont on ne peut faire une assez belle description ; elles avaient pris pour le bâtir
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l’architecte du Soleil. Il avait fait en petit ce que celui du Soleil est en grand 1) ; la reine qui n’en soutenait l’éclat qu’avec peine, fermait à tout moment les yeux. Elles la conduisirent dans leur jardin ; il n’a jamais été de si beaux fruits…
La reine partit : elle devint grosse, et mit au monde une princesse qu’elle appela Désirée. Aussitôt elle prit le bouquet qu’elle avait reçu, nomma toutes les fleurs l’une après l’autre, et sur-le-champ elle vit arriver les fées…
La reine ravie, les remerciait mille et mille fois des faveurs qu’elles venaient de faire à la petite princesse, lorsque l’on vit entrer dans la chambre une écrevisse si grosse, que la porte fut à peine assez large pour la laisser passer.
Ha ! ingrate, dit l’Écrevisse, vous n’avez donc pas daigné vous souvenir de moi ? Est-il possible que vous ayez déjà oublié la fée de la Fontaine, et les bons offices que je vous ai rendus en vous menant chez mes sœurs ?
J’ai déjà dit que la fée de la Fontaine était assez coquette, les louanges que ses sœurs lui adressèrent l’adoucirent quelque peu.
Hé bien ! dit-elle, je ne ferai donc pas dans ces conditions, à Désirée, tout le mal que j’avais résolu de lui faire ; car assurément j’avais envie de la perdre, et rien n’aurait pu m’en empêcher. Cependant, je vous avertis que si elle voit la lumière du jour avant l’âge de quinze ans, elle aura lieu de s’en repentir, il lui en coûtera peut-être même la vie…
Comme sa chère fille approchait du temps où elle pourrait sortir de ce château, la reine la fit peindre, et son portrait fut porté dans les plus grandes cours de l’univers. À sa vue, il n’y eut aucun prince qui refusât de l’admirer ; mais il y en eut un qui en fut si touché, qu’il ne pouvait plus s’en séparer. Il s’enfermait avec lui, et lui parlait comme s’il eût pu l’entendre…
Lorsque la reine envoya sa chère enfant à la cour de ce prince, elle la recommanda au-delà de tout ce que l’on peut dire à cette mauvaise femme [Longue Épine] : quel précieux dépôt ne vous ai-je pas confié là ? lui dit-elle. C’est plus que ma vie. Prenez soin de la santé de ma fille ; mais surtout, surtout, prenez bien soin d’empêcher qu’elle ne voie le jour, car alors tout serait perdu : vous savez de quels maux elle est menacée, donc j’ai décidé avec l’ambassadeur du prince Guerrier, que jusqu’à ce qu’elle ait quinze ans, on la mettra dans un château où elle ne verra aucune lumière autre que celle des bougies…
Longue Épine qui apprenait tous les soirs, par les officiers de la princesse qui ouvraient le carrosse pour lui servir à souper, que l’on approchait de la ville où elles étaient attendues, pressait sa mère d’exécuter son dessein, craignant que le roi ou le prince ne vînt au-devant d’elle, et qu’il ne fût plus temps ; de sorte qu’aux environs de midi, à l’heure où le soleil darde ses rayons avec force, elle creva tout d’un coup le toit du carrosse où elles étaient assises avec un grand couteau fait exprès, qu’elle avait apporté. Alors, pour la première fois, la princesse Désirée vit le jour.
À peine l’eut-elle regardé en poussant un profond soupir, qu’elle se précipita du carrosse sous la forme d’une biche blanche, et se mit à courir jusqu’à la forêt toute proche, où elle s’enfonça. La fée de la Fontaine, qui conduisait cette étrange aventure, voyant que tous ceux qui accompagnaient la princesse se mettaient en devoir, les uns de courir à sa suite et les autres d’aller à la ville, pour avertir le prince Guerrier du malheur qui venait d’arriver, sembla aussitôt bouleverser la nature ; les éclairs et le tonnerre effrayèrent les plus assurés…
L’incomparable princesse pleura lorsqu’elle vit sa figure dans une fontaine qui lui servit de miroir :
C’est aujourd’hui que je me trouve réduite à subir la plus étrange aventure qui puisse arriver à une princesse ; combien de temps durera ma métamorphose ? Où me retirer, pour que les lions, les ours et les loups, ne me dévorent point ? Comment pourrai-je manger de l’herbe ? Enfin, elle se posait mille questions, et ressentait la plus cruelle douleur qui soit. Il est vrai que si quelque chose pouvait la consoler, c’est qu’elle était aussi belle biche, qu’elle avait été belle princesse.
La faim pressant Désirée, elle brouta l’herbe de bon appétit, et demeura surprise que cela pût être. Ensuite elle se coucha sur la mousse. La nuit la surprit en ce lieu, et elle la passa dans des frayeurs
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inconcevables. Elle entendait les bêtes féroces tout autour d’elle, et souvent, oubliant qu’elle était biche, elle essayait de grimper sur un arbre.
La clarté du jour la rassura un peu ; elle admirait sa beauté. Le soleil lui paraissait quelque chose de si merveilleux qu’elle ne se lassait pas de le regarder ; tout ce qu’elle en avait entendu dire lui semblait fort au-dessous de ce qu’elle voyait ; mais c’était l’unique consolation qu’elle pouvait trouver en un lieu si désert ; elle y resta toute seule pendant plusieurs jours…
J’ai déjà dit que le prince Guerrier s’était arrêté dans la forêt. Becafigue son homme de confiance, la parcourait pour y trouver quelques fruits à manger. Il était assez tard lorsqu’il se rendit à la maisonnette de la bonne vieille dont j’ai parlé. Il lui parla fort civilement, et lui demanda les choses dont il avait besoin pour son maître. Elle se hâta d’emplir une corbeille et lui donna. Ensuite il sut si bien persuader le prince, que ce dernier se laissa conduire chez cette vieille femme. Elle était encore à sa porte, et sans faire aucun bruit, elle les mena dans une chambre semblable à celle que la princesse occupait, si proche l’une de l’autre, qu’elles n’étaient séparées que par une cloison.
Le prince passa la nuit tourmentée par ses inquiétudes ordinaires : dès que les premiers rayons du soleil eurent brillé à ses fenêtres, il se leva, et pour divertir sa tristesse, sortit seul dans la forêt. Il marcha longtemps sans but précis et arriva dans un lieu assez spacieux, couvert d’arbres et de mousses, une biche en partit aussitôt. Il ne put s’empêcher de la suivre, son penchant dominant était pour la chasse : mais il n’était plus si vif depuis lors. Malgré cela il poursuivit la pauvre biche, et de temps en temps, lui décochait des traits qui la faisaient mourir de peur, quoiqu’elle n’en fût pas blessée : car son amie la fée Tulipe la protégeait constamment, mais il ne fallait pas moins que la main secourable d’une fée, pour l’empêcher de périr sous des coups si bien ajustés. On n’a jamais été aussi lasse que l’était la princesse des biches, car l’exercice qu’elle faisait lui était bien nouveau. Mais elle réussit à emprunter un sentier bien dissimulé, si heureusement que le dangereux chasseur la perdant de vue, et se trouvant lui-même extrêmement fatigué, ne s’obstina pas à la suivre.
Le jour s’étant passé de cette manière, la Biche vit avec joie l’heure de se retirer, elle tourna donc ses pas vers la maison où Giroflée l’attendait impatiemment. Dès qu’elle fut dans sa chambre, elle se jeta sur le lit, haletante et tout en nage. La belle princesse reprit sa forme ordinaire, et jeta les bras au cou de sa favorite.
Hélas ! lui dit-elle, je croyais n’avoir à craindre que la fée de la Fontaine, et les cruels hôtes des forêts ; mais j’ai aussi été poursuivie aujourd’hui par un jeune chasseur, que j’ai vu à peine, tant j’étais pressée de fuir, car mille traits décochés après moi me menaçaient d’une mort inévitable. J’ignore encore par quel bonheur j’ai pu m’en sauver……
Le prince de son côté aussi était venu sur le soir rejoindre son favori. J’ai passé toute la journée, lui dit-il, à courir après la plus belle biche que j’aie jamais vue, elle m’a trompé cent fois et avec une adresse merveilleuse, pourtant j’ai tiré si juste, que je ne comprends pas comment elle a pu éviter mes coups. Aussitôt qu’il fera jour, j’irai la rechercher encore une fois, et cette fois-ci je ne la manquerai pas.
Le jeune prince, qui n’était pas fâché que la passion de la chasse l’occupât, se rendit de bonne heure à l’endroit où il avait trouvé la biche, mais elle se garda bien, elle, d’y retourner, car elle redoutait de vivre, en ce qui la concernait, une aventure semblable à celle de la veille…
Après avoir fait tout le tour de la forêt, notre Biche ne pouvant plus courir ralentit ses pas, et le prince redoublant les siens, la rattrapa enfin avec une joie dont il ne croyait plus être capable. Elle avait perdu toutes ses forces, et elle était couchée comme une pauvre petite bête n’attendant que de voir finir sa vie entre les mains de son vainqueur, mais au lieu de se comporter cruellement avec elle, il se mit au contraire à la caresser :
Jolie biche, lui disait-il, n’aie pas peur, je veux seulement t’emmener avec moi, et que tu me suives partout.
Ensuite il coupa exprès des branches d’arbre pour elle, les plia fort adroitement, et les couvrit de feuilles, d’herbes et de mousses, il y jeta des roses dont quelques buissons étaient chargés ; ensuite il prit la biche entre ses bras, il appuya sa tête sur son cou et vint la coucher doucement sur ce lit de feuillage, puis il s’assit auprès d’elle, en cherchant de temps en temps des herbes fines qu’il lui présentait afin qu’elle en mange dans sa main.
Le prince continuait de lui parler, quoiqu’il fût persuadé qu’elle ne l’entendait pas ; quant à elle, quelque plaisir qu’elle eût de le voir, elle s’inquiétait parce que la nuit s’approchait.
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Que se passera-t-il, se disait-elle en elle-même, s’il me voit changer tout d’un coup de forme ? Il sera effrayé par un tel spectacle et me fuira, ou s’il ne me fuit pas, que n’aurais-je pas à craindre seule avec lui dans une forêt ?
Elle ne faisait donc que penser à la façon dont elle pourrait se sauver, lorsqu’il lui en fournit involontairement le moyen. Ayant peur qu’elle n’eût besoin de boire, il alla voir où il pourrait trouver quelque ruisseau afin de l’y conduire, et pendant qu’il cherchait ainsi à boire pour elle, la princesse se déroba promptement et revint à la maisonnette où Giroflée sa suivante l’attendait. Elle se jeta sur son lit, la nuit vint, sa métamorphose cessa…
Le jour revint, et avec lui la princesse reprit sa figure de Biche Blanche. Elle ne savait à quoi se résoudre, ou aller dans les mêmes lieux que le prince parcourait ordinairement, ou prendre une route à l’opposé pour l’éviter. Elle choisit ce dernier parti, et s’en alla très loin : mais le jeune prince, qui était aussi fin qu’elle, fit de même, de sorte qu’il finit quand même par la retrouver dans le plus épais de la forêt. Elle s’y croyait en sûreté, mais lorsqu’elle l’aperçut ; elle bondit aussitôt, sauta par-dessus les buissons, et détala, plus légèrement que le vent ; mais alors qu’elle traversait un sentier dans la forêt, il la visa si bien qu’il lui décocha une flèche dans la jambe. Elle ressentit alors une violente douleur, et n’ayant plus assez de force pour fuir, se laissa tomber à terre.
Cruel et barbare Cupidon, où étais-tu donc à ce moment-là ? Quoi ! Tu laisses blesser une fille admirable par celui qui l’aime déjà de tout son cœur ? Le prince s’approcha, il regretta de voir ainsi couler le sang de la biche. Il prit des herbes, les lia sur sa jambe pour la soulager, puis lui prépara un nouveau lit de feuillage.
Que t’avais-je fait hier pour que tu m’abandonnes ? Il n’en sera pas de même aujourd’hui, car je t’emporterai avec moi ! Comme je souffre de t’avoir blessée ainsi ; tu vas me haïr et je veux que tu m’aimes.
Il semblait à l’entendre qu’un secret génie lui inspirait tout ce qu’il disait. Comme l’heure de revenir chez sa vieille hôtesse approchait, il se chargea du produit de sa chasse, et n’était pas médiocrement embarrassé de la porter ou de la traîner.
Quant à la biche, elle n’avait nulle envie d’aller avec lui. Que vais-je devenir ? se disait-elle. Me retrouver toute seule avec ce prince ? Plutôt mourir !
… Cependant sa passion flattait notre prince, on a un penchant naturel à se persuader de ce que l’on souhaite, et en une telle occasion, il fallait ou mourir d’impatience ou éclaircir ce mystère. Il alla sans différer, frapper doucement à la porte de la chambre où était la princesse. Giroflée croyant que c’était la bonne vieille, ayant même besoin de son secours pour l’aider à bander le bras de sa maîtresse, se hâta d’ouvrir, et demeura bien surprise de voir le prince, qui alla se jeter aux pieds de Désirée. Les transports de joie qui l’animaient lui permirent si peu de faire un discours suivi, que quelque soin que j’aie pu mettre à m’informer de ce qu’il lui avait dit alors exactement, je n’ai trouvé personne pour m’éclairer à ce sujet. La princesse ne s’embarrassa pas moins dans ses réponses : mais l’Amour, qui sert souvent d’interprète aux muets, intervint dans l’affaire et persuada l’un comme l’autre qu’il ne s’était jamais rien dit de plus spirituel. Les larmes, les soupirs, les serments, et même quelques sourires, tout y passa.
Le jour parut et Désirée ne redevint plus biche. Elle s’en aperçut et rien ne put égaler sa joie. Ensuite elle commença le récit de son histoire, qu’elle fit avec une grâce et une éloquence naturelle, qui surpassait celle des plus habiles.
Quoi ! s’écria ensuite le prince, ma si charmante princesse, c’est donc vous que j’ai blessée sous la forme d’une biche blanche ! Que pourrai-je faire pour expier un si grand crime, suffira-t-il d’en mourir de douleur sous vos yeux ?
Désirée en souffrit plus que de sa propre blessure, et l’assura que ce n’était rien, qu’elle ne pouvait s’empêcher d’aimer un mal qui lui procurait tant de bien…
Le prince monta donc à cheval pour accompagner sa belle princesse, on les reçut dans la capitale avec mille cris de joie ; on prépara tout pour le jour des noces, qui fut rendu inoubliable par la présence des six bonnes fées qui aimaient la princesse. Elles lui firent les plus riches présents que l’on n’ait jamais pu imaginer : entre autres, ce magnifique palais où la reine avait été les voir. Il parut tout d’un coup en l’air, porté par cinquante mille Cupidons, qui le déposèrent dans une belle plaine au bord de la rivière.
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1. Le récit, par l’intermédiaire de la description du palais, fait incontestablement l’éloge du pouvoir en place. On assiste en l’occurrence à une sorte de mise en abyme de l’histoire du règne du roi soleil. Le château est décoré par les fées, lesquelles avaient, en guise de décoration, retracé sur leurs tentures les actions du plus grand des rois.
« Elles avaient pris pour le bâtir l’architecte du Soleil. Il avait fait en petit ce que celui du Soleil est en grand ». Cette appellation et cette référence à l’astre solaire évoquent bien entendu Louis XIV en personne, et l’on trouve ensuite inséré dans le conte, sans autre préambule et sans lien narratif direct, sinon descriptif, l’éloge en vers du monarque qui se présente comme ci-après.
Ici du démon de la Thrace
Il a le port victorieux.
Les éclairs redoublés qui partent de ses yeux
Marquent sa belliqueuse audace.
Là, plus tranquille et plus serein,
Il gouverne la France en une paix profonde,
Il fait voir par ses lois que le reste du monde
Lui doit envier son destin.
Par les peintres les plus habiles
Il y paraissait peint avec ses divers traits,
Redoutable en prenant des villes,
Généreux en faisant la paix.
Dans l’histoire du prince charmant, cette mystérieuse Damona Vinda est psychopompe, elle conduit les âme/esprits à un autre monde (Vraie Gloire.).
Mais attention, nous ne prétendons pas quand même que l’histoire du prince charmant est un mythe celtodruidique. Nous disons seulement qu’il y a dedans des éléments qui évoquent fortement certains mythes celtes mettant en scène un prince passant dans l’autre monde à l’appel d’une fée comme Niamh ou Liban ou qui évoquent le thème de la chasse au blanc cerf d’Arthur dans l’Érec et Énide de Chrétien de Troyes ; car il va de soi que la mystérieuse biche de ce conte est un substitut de la fée Vraie-Gloire. L’apport personnel de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont (ou de son prédécesseur) a consisté uniquement à dédoubler le personnage du prince (Absolu) et celui de la fée (Fausse Gloire) pour en faire un conte moralisateur pour enfants de 7 ans loin de tout machiavélisme et un peu manichéen.
« Il était une fois un prince, qui perdit son père, quand il n’avait que seize ans. D’abord il fut un peu triste ; puis le plaisir d’être roi le consola bientôt. Ce prince, qui se nommait Charmant, n’avait pas un mauvais cœur ; mais il avait été élevé en prince, c’est-à-dire habitué à faire sa volonté. Cette mauvaise habitude l’aurait sans doute rendu méchant par la suite. Il commençait déjà même à se fâcher, quand on lui faisait voir qu’il s’était trompé. Il négligeait ses affaires pour se divertir, et surtout, il aimait si passionnément la chasse, qu’il y passait presque toutes ses journées. On l’avait gâté, comme on fait pour tous les princes. Il avait pourtant un bon gouverneur, et il l’aimait beaucoup, quand il était jeune ; mais, lorsqu’il fut devenu roi, il pensa que ce gouverneur était trop vertueux.
« Je n’oserai jamais suivre mes fantaisies devant lui, se disait-il en lui-même ; il dit qu’un prince doit donner tout son temps aux affaires de son royaume, et j’aime mes plaisirs. Quand même il ne me dirait rien, il serait triste ; et je connaîtrais à son visage, qu’il est mécontent de moi : il me faut donc l’éloigner, car il me gênerait ».
Le lendemain, Charmant réunit son conseil, adressa de grandes louanges à son gouverneur, et proclama que pour le récompenser du soin qu’il avait eu de son éducation, il lui confiait le gouvernement d’une province… qui était fort éloignée de la cour. Quand son gouverneur fut parti, le prince se livra tout entier aux plaisirs, et surtout à la chasse, qu’il aimait passionnément.
Un jour que Charmant était dans une grande forêt, il vit passer une biche, blanche comme la neige ; elle avait un collier d’or au cou, et lorsqu’elle fut proche du prince, elle le regarda fixement, puis s’éloigna.
« Je ne veux pas qu’on la tue », s’écria Charmant. Il commanda donc à ses gens de rester avec ses chiens, et il suivit la biche. Il semblait qu’elle l’attendait : mais lorsqu’il était proche d’elle, elle s’éloignait en sautant et gambadant. Il avait si grande envie de la prendre, qu’en la suivant il parcourut beaucoup de chemin, sans s’en apercevoir. La nuit vint, et il perdit la biche de vue.
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Il fut bien embarrassé ; car il ne savait pas où il était. Tout d’un coup, il entendit des instruments ; mais ils paraissaient être bien loin. Il suivit ce bruit agréable, et arriva enfin à un grand château. Le portier lui demanda ce qu’il voulait, le prince lui conta son aventure.
« Soyez le bienvenu, lui dit cet homme. On vous attend pour souper ; car la biche blanche appartient à ma maîtresse ; et toutes les fois qu’elle la fait sortir, c’est pour lui ramener de la compagnie ».
Le portier siffla, et plusieurs domestiques parurent avec des flambeaux, ils conduisirent le prince dans un appartement bien éclairé. Les meubles de cet appartement n’étaient point magnifiques ; mais tout était propre et si bien arrangé que cela faisait plaisir à voir. Aussitôt, il vit paraître la maîtresse de la maison. Le prince fut ébloui par sa beauté, s’étant jeté à ses pieds, il ne pouvait parler, tant il était occupé à la regarder.
« Levez-vous, mon prince, lui dit-elle, en lui donnant la main. Je suis charmée de l’admiration que je vous cause : vous paraissez si aimable, que je souhaite de tout mon cœur que vous soyez celui qui doit me tirer de ma solitude. Je m’appelle Vraie-Gloire, et je suis immortelle. Je vis dans ce château, depuis le commencement du monde, en attendant un mari et… »
La suite de ce conte de fées continue comme ci-après. Vraie-Gloire étant également courtisée par beaucoup d’autres prétendants, le prince charmant doit réussir diverses épreuves, et surtout ne pas tomber dans le piège tendu par Fausse-Gloire, son aguichante sœur, pour gagner son cœur. Au bout de trois années d’efforts, le prince Charmant deviendra un vrai grand roi, et il épouse donc Vraie-Gloire.
N.B. Il y a sans doute eu aussi dans ce cas, contamination du thème du cerf au collier d’or.
La célèbre chanson de la Blanche biche nous ramène à une autre symbolique, les amours impossibles entre le corps et l’âme. Dans cette histoire le roi Renaud symbolise l’amour physique et particulièrement le désir de jouissance immédiate. La Blanche Biche symbolise l’âme. À moins bien sûr qu’il ne s’agisse de cannibalisme rituel. Ou une façon très druidique d’exprimer la solidarité/fraternité quasiment totémique pouvant exister entre hommes et animaux. En tout cas c’est une bien étrange histoire.
La complainte de la blanche biche (Bretagne16ème siècle).
1. Celles qui vont au bois
C’est la mère et la fille ;
La mère va chantant
Et la fille soupire.
2. Qu’avez-vous à soupirer,
Ma fille Marguerite ?
J’ai grande colère en moi
Mais n’ose vous le dire.
3. Je suis fille le jour
Mais blanche biche la nuit.
Etc.
Il existe d’autres variantes, mais toutes ont une fin tragique que l’on pourrait résumer ainsi.
Chassaient après moi les barons et le prince
Et mon frère Renaud, qui est le pire de tous.
Allez, ma mère, allez, bien promptement lui dire
Qu’il retienne ses chiens jusqu’à demain midi ! "
" Où sont tes chiens, Renaud, et ta noble chasse ? "
" Ils sont dedans le bois, à courir la Blanche Biche. "
" Arrête-les, Renaud, arrête-les, je t’en prie ! "
Trois fois les a cornés de son cornet de cuivre,
À la troisième fois, la blanche biche est prise.
" Mandons le dépouilleur qu’il dépouille la biche ! "
Celui qui la dépouille dit : " Je ne sais que dire !
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Elle a le cheveu blond et les seins d’une fille ! "
A tiré son couteau, en quartiers il l’a mis.
" Mandons faire un dîner aux barons et au prince !
Nous voici tous assis excepté ma sœur Marguerite. "
" Vous n’avez qu’à manger suis la première assise,
Ma tête est dans le plat et mon cœur accroché.
Mon sang est répandu par toute la cuisine
Et sur vos noirs charbons, mes pauvres os grillent. "
Celles qui vont au bois…
Bref, le conte de la Blanche Biche est une fascinante légende en chansons, où les éléments fantastiques créent un monde de sang et de mystères, à ce jour encore non résolus.
Voir aussi les admirables lais médiévaux suivants.
Le lai de Graelent.
La reine aime Graelent, mais il la repousse pour rester fidèle à son roi. Elle le prend donc en grippe. Malheureux, il poursuit une biche dans la forêt, voit une femme nue près d’une source, la poursuit, la force et s’en fait donc aimer. Elle le comble de bienfaits, en Bonne Mère des eaux qu’elle est. Mais il ne doit pas en parler. Or dans un concours de beauté, il affirme qu’une femme est plus belle que la reine. La fée se précipite pour le sauver puis ils disparaissent tous deux sous les eaux.
Le lai de Guiguemar.
Certains ont voulu voir également la divine Vinda Damona dans le personnage médiéval de la Dame à la Fontaine, appelée Laudine, la châtelaine qui règne sur Barenton et qui épousera le preux Yvain, du moins selon Chrétien de Troyes et son célèbre « chevalier au lion ».
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UN AUTRE CAS SPÉCIAL : LA DAME DES LACS, COVENTINA.
La dame des Lacs. Déesse-ou-démone ou fée, panceltique, des eaux douces. Également connue sous le nom de Covventina/Covontina/Countina/Covvintina. Cohvetene ou Cuhve dans la péninsule ibérique (région de Lugo). Élémental des eaux. Là également il est peu vraisemblable qu’il s’agisse d’une importation de son culte en Espagne. L’orthographe Cohvetene ou Cuhve correspond plutôt à une transcription latinisée locale (et maladroite) de son nom.
Nous avons vu qu’il y avait un élemental des eaux terrestres en général et pas seulement marines, comme le Neptune latin, appelé Léro/Lir/Lear. Et bien il y avait aussi dans l’ancien druidisme un élémental des lacs en particulier, de sexe féminin cette fois-ci, la fameuse dame des lacs (à moins que ce ne soit la déesse Nerthus ?) intervenant dans les Romans de la Table Ronde.
N.B. Il va de soi que c’est tout à fait artificiellement que sa mythologie a été rattachée par les conteurs gallois à celui du personnage historique d’Arthur, chef de guerre romain ayant vécu en Grande-Bretagne au Ve ou VIe siècle (Artorius Castus, Riothamus ?).
Coventina en tout cas est connue par des dédicaces trouvées à Carrawburgh, dans le Northumberland. Son sanctuaire était construit à côté d’un puits alimenté par une source sacrée, associée au fort romain de Brocolitia. Beaucoup d’atebertas ou offrandes ont été trouvées dans ce puits sacré, des aiguilles, plus de 400 pièces, la plupart datant du règne de Gratien, des perles votives, du verre, des poteries, des cloches, un crâne humain. De grands autels gravés de l’inscription « AUGUSTA COVENTINA » et quelques dédicaces ont aussi été trouvés. Les douze inscriptions de Brocolitia (Carrawburg) dédiées à Coventina (nommée Nympha dans quelques-unes d’entre elles) ont été publiées par R. G. Collingwood et R. P. Wright dans leurs Inscriptions Romaines de Grande-Bretagne, numéros 1523-1535.
Cette dame des lacs est représentée tantôt sous la forme d’une déesse ou démone, ou fée, tantôt sous la forme d’une triade de déesse-ou-démones (ou fées).
Les fouilles ont dégagé plusieurs autels ornés de représentations de cet élémental des eaux, sous la forme d’une nymphe. Sur l’un d’entre eux, elle est figurée en tant que triple déesse ou démone, ou fée, ou en tant que déesse ou démone ou fée, flanquée de deux assistantes, chacune des trois femmes tenant une cruche ou un vase dont sort de l’eau (ce que les archéologues ou historiens appellent une urne fluente si ma mémoire est bonne) ; sur un autre, trouvé au fond de la source, elle est représentée seule, et semble flotter sur ce qui peut être une feuille de chêne. Elle tient une urne dans une main, et une fleur dans l’autre.
L’ambiance de son culte est clairement celle d’une déesse ou démone, ou fée, des eaux douces, mais aussi d’une déesse ou démone, ou fée, de la fertilité, ainsi que de l’accouchement. Les Romains l’avaient associée au culte de Mnémosyne, ou Mnémé, d’où Nimue, un des deux noms de la dame du lac des légendes arthuriennes. D’autres auteurs pensent que Nimue vient du nom latin nympha. Quant au nom même de Coventina, il a donné « Co-Vianna » puis Vi-Vianna. Certains spécialistes font dériver le nom de Coventina d’un protoceltique*kom-men – (mémoire) et *ti-ni, disparaître, s’évanouir. Cette association de la déesse ou démone ou de la fée, avec les fontaines, explique en tout cas pourquoi Merlin est censé l’avoir rencontrée à la fontaine de Barenton. D’aucuns pensent que Coventina aurait donné Gw-end (-ol)-oena pour des Romains puis Gwendoloena, nom de la première âme-sœur de Merlin.
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Ainsi que nous avons pu le voir, des dédicaces à Coventina et des dépôts votifs ont été trouvés dans un petit réservoir destiné à retenir l’eau d’une source appelée « puits de Coventina » ; située dans les environs du fort romain de Procolita, Brocolitia, ou Brocolita, le long du mur d’Hadrien. Le sanctuaire a vraisemblablement été détruit ou abandonné vers 388, à la suite des persécutions anti-païennes lancées par le taliban ou parabolan chrétien nommé Théodose.
Le bassin sacré de Coventina était le cœur de ce temple.
Un second bassin à côté semble avoir été consacré au génie du lieu (genius loci) et aux élémentales des eaux appelées nymphes en interpretatio romana.
Comme indiqué plus haut, les atebertas ou offrandes qui étaient apportées à Coventina, étaient surtout des pièces de monnaie (407, de l’époque augustéenne : Trajan, Hadrien et Antonin le Pieux) des broches, des anneaux, des épingles de nourrice, des perles de verroterie ainsi que de la poterie. On a également découvert un crâne dont on ne sait trop que penser ainsi que signalé plus haut.
L’inscription (RIB 1534) gravée en dessous de la représentation de Coventina en tant que déesse ou démone ou fée, unique ou isolée, peut se lire comme suit.
DEAE COVVENTINAE.T.D. COSCONIANVS PR (aefectus) COH (ortis) I. BAT (avorum) L (ibens) M (erito).
Ce qui signifie : à la déesse Coventina, Titus D..? Cosconianus, Préfet de la première cohorte des Bataves. Librement et à juste titre.
Un certain nombre d’inscriptions la mentionnent au pluriel.
DEAE COVENTINE COH I CVBERNORVM AVR CAMPESTER V P L A.
Les inscriptions MATRIBVS ALBINIVS QVART MIL D (aux mères, le soldat Albinus Quartus offre ceci) et MATRIBVS COMMVN (aux mères du camp) se réfèrent donc peut-être aussi à Coventina.
Autre inscription.
GABIVNS IF EL CSI SATVRNI COVETINA AGVSTA VOTV MANIBVS SVIS SATVRNINVS FECIT GABINIVS.
De ce côté-ci de l’Enfer et des Champs Élysées, Gabinius et Saturninus, à l’auguste Coventina, et en offrande aux mânes de ses ancêtres de la part de Saturninus et Gabinius…
La présence sur le site de têtes en bronze ou de plaques de bronze représentant des têtes, ainsi que de poterie ayant la forme d’une tête humaine, dont une tête féminine très réussie (celle de Coventina elle-même peut-être ?) ; tout comme la découverte du crâne ; font penser à un culte des têtes coupées. D’autres éléments suggèrent une fonction thérapeutique un peu analogue à celle des sources thermales. Les épingles de nourrice évoquent vraisemblablement un culte de la fertilité ou de la maternité.
Une inscription mentionnant, sous le nom de Cuhvetena, la dame des lacs, a été découverte à Santa Cruz de Loyo 1), à Guittiriz 2), et Guntín 3) en Espagne.
L’inscription qui contient le nom de cette élémentale a été étudiée par L. Monteagudo et récemment par Scarlat Lambrino. Il s’agit d’un autel de granite, d’un mètre de haut, avec un petit foyer à la face supérieure et deux volutes, dont l’une manque. L’état de conservation de la pierre est presque parfait, seule manque la volute de la face supérieure gauche. La pierre a été découverte au début du XXe siècle par un paysan d’Os Curveiro, près de la station de Guitiriz. On trouva en même temps un petit fût de colonne, sans moulure, au bord d’un ruisseau et au pied d’une chute d’eau. Qui dut avoir une certaine importance dans l’Antiquité, si l’on en juge par les restes d’un canal et les fissures artificielles des roches par lesquelles l’eau s’écoule ; c’est peut-être une ancienne construction romaine, car aux environs du ruisseau, on a trouvé, à même la terre, des pierres taillées.
Voici l’inscription.
CONVE
TENE
E.R.N.
L. Monteagudo soutient que la présence d’un élémental de Grande-Bretagne dans les terres galiciennes, est due au fait que la septième légion Gemina ; celle qui resta le plus longtemps au N.O. de la Péninsule, sous Hadrien ; envoya une vexillatio de mille hommes en Grande-Bretagne.
L. Monteagudo en déduit qu’il est très probable qu’un soldat de cette VIIe légion, ayant servi avant 119 dans les terres galiciennes, et revenant sain et sauf de Grande-Bretagne ; consacra cet autel à une nymphe dont il était un dagolitos ou fidèle attitré. La pierre a été trouvée à un kilomètre environ de
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la station d’eaux sulfhydriques de Guiteriz. Dans la Péninsule, comme à Procolitia, la nymphe est la déesse ou démone ou fée, d’une fontaine aux eaux bienfaisantes.
Ce qui est un obstacle à la lecture CONVETENE, dans l’inscription galicienne, c’est le H qui se trouve intercalé, en petit, entre le O et le V. Monteagudo explique ce fait, rare, par l’influence de l’écriture cursive manuscrite sur la capitale épigraphique, car les lettres étaient d’abord dessinées au charbon sur la pierre.
La présence du H est sûrement due à une convention, destinée à exprimer un son étranger au donateur de l’autel, ce qui confirmerait l’hypothèse que le culte de cette nymphe n’est pas indigène.
Une autre pierre consacrée probablement à la même divinité a été découverte à Santa Cruz de Loyo, et voici ce que l’on peut y lire.
CVHVE
BERRAL
OCECV
FLAVIVS
VALERIANVS
NVS.
S. Lambrino lit la dernière ligne de la première pierre : E (x) R (esponso) N (uminis) ; il s’agirait par conséquent d’une divinité souterraine. Pour Lambrino, il n’est pas nécessaire, du moment que l’on trouve à Procolitia plusieurs dédicaces à Conventina ; de recourir à l’hypothèse selon laquelle ces inscriptions seraient dues à des dagolitoi (fidèles) étant partis en Grande-Bretagne, et en ayant ramené ce culte en Galice. Ce serait tout simplement une divinité locale, protectrice des sources de Guitiriz, et très probablement celtique.
Prolongement médiéval.
Ainsi que nous l’avons déjà mentionné plus haut, la fée Viviane ou Dame du Lac est le nom d’un personnage des légendes arthuriennes. Ce personnage joue plusieurs rôles. La fée Viviane est une déesse ou démone, ou fée, de l’Autre-Monde (une devona) et c’est cette mystérieuse dame du lac qui fournit au jeune Arthur sa célèbre épée du nom d’Excalibur, avant de la reprendre, pour la cacher, après la bataille de Camlann.
Les différents auteurs et copistes ont donné à la Dame du Lac divers noms : Viviane, Vivienne, Niniane, Nimue, Nyneve…
Viviane demeurant dans la forêt, recueille le jeune Lancelot, encore enfant, après la mort de son père, le roi Ban de Bénoïc (mort de tristesse en apprenant que son royaume avait été brûlé par son ennemi Claudas de la Terre déserte). Elle l’emmène au plus profond d’un très grand lac, dont il crut ne jamais pouvoir ressortir, ignorant qu’il s’agissait là d’un « passage » obligé pour rejoindre le royaume merveilleux et caché d’Avallon. Dans d’autres textes, il ne s’agit pas d’Avallon, mais du lac de Diane (cf. Le Merlin du manuscrit Huth, un roman du XIIIe siècle). Viviane enseigne les arts et les lettres à Lancelot, lui insufflant sagesse et courage, faisant ainsi de lui un chevalier accompli. Elle le mène ensuite à la cour d’Arthur, à Camelot, pour y être adoubé, puis le présente aux chevaliers de la Table ronde, dont il devient le plus célèbre représentant.
Ses rapports avec Merlin sont pour le moins complexes. Dans le seul but de la conquérir, Merlin accepte, tout en sachant (grâce à son don de divination) qu’elle causera sa perte. Viviane l’enferme vivant dans une tombe grâce à un enchantement qu’il lui a lui-même appris (cf. Le Lancelot en prose ou sa suite, le Merlin de Huth, des romans du XIIIe siècle, par exemple). Après la mort de sa mère Ygraine, Viviane prit soin de Morgane, en faisant d’elle une magicienne, tandis que Merlin l’enchanteur prenait soin de l’éducation de son demi-frère, le futur roi des Bretons : Arthur. Selon d’autres textes, Morgane n’est pas la demi-sœur d’Arthur, mais sa sœur, et celle-ci ne fut pas élevée par Viviane, mais aurait appris, elle aussi, sa magie, de Merlin.
Toutes deux s’affrontent. Viviane protège Arthur, sa cour et l’idéal courtois ou chevaleresque qu’il incarne, tandis que Morgane veut la perte de son frère et de sa belle-sœur, la reine Guenièvre (cf. Le Lancelot en prose, le Merlin du manuscrit Huth et La Mort du roi Artus de Malory, par exemple).
Certains auteurs la rapprochent de l’Irlandaise Béfinn/Bebhinn/Bebhionn/Bebinn/Befind/Beibhinn/Bevin/Vevina. De nombreuses héroïnes de légende portent ce nom en Irlande. L’une d’elles est dite femme du dieu-ou-démon Áed Alainn ou du simple mortel Idath. Son nom signifie « la belle » ou « la douce ». Déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, des naissances, sœur de la déesse ou démone ou fée irlandaise Damona Vinda/Boann, qui personnifie la Boyne. Dans certaines légendes concernant les Fénianes, elle est décrite comme une femme de très grande taille et d’allure aristocratique, poursuivie par un horrible géant, et venant
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chercher refuge ou protection parmi eux. D’autres sources littéraires mentionnent une Bébinn fille d’Elcmar.
Notes.
1) GUITIRIZ (Lugo, Espagne). En relation avec l’établissement thermal romain a été découverte une inscription dédiée à la déesse ou démone, ou fée, Coventina.
2) SANTA CRUZ DE LOYO, Paradela (Lugo, Espagne). L’apparition d’une inscription dédiée à Coventina permet de proposer l’existence hypothétique dans le secteur d’un établissement thermal romain.
3) BAÑOS DE GUNTIN, Guntín (Lugo, Espagne). Le nom ancien était Aquae Quintiae (It. Ast. II). Udata Kouíntina (Ptol. II, 6,27). Quintia/Kouíntina peut être mis en relation avec le théonyme Coventina.
LE CULTE DES LACS par José María Blázquez.
RAPPEL. CETTE HISTOIRE D’ÉPÉE CONFIÉE À LA FÉE VIVIANE N’EST PAS SANS RAPPELER LES PRATIQUES CULTUELLES AYANT EU LIEU A LA TENE EN SUISSE IL Y A 2500 ANS.
Grâce à Suétone, on connaît en effet l’existence d’un culte des lacs : il consistait à y jeter des haches.
Non multo post in Cantabriae lacum fulmen decidit, repertaeque sunt duodecim secures, haud ambiguum summi Imperii signum (Galba, VIII, 3).
Peu de temps après, la foudre tomba dans un lac chez les Cantabres, et l’on y trouva douze haches qui désignaient clairement la puissance souveraine.
Les eaux dormantes, lacs, bassins de source, mares, étangs, étaient donc, elles aussi, divinisées, ainsi que nous avons pu le voir.
Une précieuse inscription a été découverte dans la commune de Villa Real de Tras-os-Montes, en un lieu où existaient un temple et un lac sacré, que Gaius Caius Calpurnius Rufinus consacra aux dieux et déesses.
LAPITEAAE DIIS DEABVSQVE AE TERNVM LACVM OMNI BVSQVE NVMINIBVS ET LAPITEARVM CVM HOC TEMPLO SACRAVIT G. C. CALP. RVFINVS IN QVO HOSTIAE VOTO CREMANTVR.
On a découvert au même endroit quatre autres inscriptions, dont une en grec que nous ne reproduirons pas ici, car elle ne contient le nom d’aucune divinité indigène. Sur les quatre inscriptions se trouve le nom de Calpurnius Rufinus.
Le nom LAPITEARVM se réfère à des divinités qui sont probablement les élémentals du lac sacré que l’on cite dans l’inscription ; il est formé sur un toponyme Lapitea, qui, selon Ptolémée, serait un cap chez les Galiciens (II, 6, 4). F. Russell Cortez a défendu l’hypothèse selon laquelle le nom de Lapiteae désigne un village, et dans ce cas l’autel serait dédié aux déesse-ou-démones, ou fées, des Lapites, hypothèse déjà émise par Leite de Vasconcelos. Le nom des divinités indigènes a une forme que l’on connaît déjà grâce à une autre inscription (CIL II, 5607). En l’honneur de ces divinités indigènes et romaines, on brûlait des victimes, comme le précise l’inscription.
Une autre des inscriptions découvertes parle des victimes que l’on sacrifiait, que l’on immolait à l’intérieur et en dehors de l’enceinte carrée ; qui devait être le lieu proprement religieux. Et qui était peut-être le lac sur lequel on répandait le sang. À moins qu’il ne se soit agi d’une installation sacrificielle un peu analogue à celle de La Tène en Suisse : des ponts ou pontons s’avançant sur les eaux (enjambant la rivière appelée la Thielle pour ce qui est du site suisse).
Mommsen lisait, au lieu de LAPITEARVM, AMPHITEATRVM, lecture rejetée par Hübner et Leite.
Ce culte des lacs est confirmé par les découvertes faites au nord des Pyrénées ou ailleurs (Toutain, III, pages 367, 379).
On trouve un peu partout des lacs abritant des fées, des ondines, des dames blanches, mystérieux êtres magiques, dont Viviane reste le plus beau symbole. Toutes ces nymphes au corps vaporeux aiment les eaux calmes et leurs nappes de brouillard.
Les mares au diable citées par George Sand sont, elles aussi, nombreuses et considérées comme des portes de l’enfer.
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Fréquentes sont les légendes portant sur des trésors et des villes englouties dans de mystérieux lacs, dont les fonds s’ouvriraient sur d’autres mondes. Nombre d’entre eux semblaient cacher, sous leur surface où se mire le ciel, une divinité que respectaient les populations environnantes. Et à qui elles sacrifiaient, en leur faisant des offrandes de pièces de monnaie, mais aussi de linges, vêtements, aliments divers, parfois même bijoux et objets précieux. Voire même, ainsi que nous avons eu l’occasion de le dire à maintes reprises, une petite amphore de vin, symbolisant du sang, que l’on abandonne en l’état ou dont on verse le contenu en un lieu approprié après l’avoir débouchée ou en avoir brisé rituellement le col. Peut-être par un geste analogue à celui qui consiste à « sabrer » une bouteille de champagne, de nos jours. C’est le fameux « dadami se dehi me » sanscrit : je te donne afin que tu donnes (la divinité ensuite est en quelque sorte obligée de rendre la pareille). Formule grossièrement traduite par les Latins avec leur « do ut des ».
Citons parmi les plus remarquables d’entre eux.
Le lac Pavin. En Auvergne, dans un paysage impressionnant dominé par un volcan, le Puy de Montchal. Des murailles de basalte se reflètent dans des eaux si noires que, dit-on, les poissons ne peuvent y vivre. Ce lac splendide fut toujours considéré comme un lac sacré, béni des dieu-ou-démons. Une antique légende dit qu’il ne faut pas jeter de pierre dedans sous peine de déclencher un ouragan et de se trouver englouti. À proximité, le Creux de Soucy, curieux puits naturel qui s’ouvre à quatre-vingts mètres au-dessus du lac, dans la coulée basaltique du volcan, se présente sous la forme d’un entonnoir large de vingt-cinq mètres. Il s’ouvre une douzaine de mètres plus bas sur un trou béant, véritable bouche de l’abîme, qui donne sur une vaste caverne en forme de coupole avec, au centre, un autre petit lac. Gare à celui qui s’y engage : une couche de gaz carbonique, épaisse de plusieurs mètres, plane au-dessus des eaux, interdisant toute vie. La réputation infernale de ce lieu était donc bien fondée sur un danger réel qui terrorisait les populations primitives.
Le lac d’Antre. Ce lac est mystérieusement alimenté par une rivière souterraine qui surgit avec impétuosité, puis se jette dans le lac dont l’eau disparaît sur l’autre versant, dans un gouffre ouvert au pied d’une falaise, pour reparaître cent mètres plus bas. Mais après avoir franchi une succession de siphons, qu’elle met douze heures à parcourir. Ce lieu fut protégé par la déesse ou démone, ou fée, Bellona, puis par le dieu-ou-démon romain Mars. Dans les sanctuaires dont il ne reste rien, sinon un pont, dit Pont des Arches, des inscriptions et fragments de calendriers ont prouvé que l’on y adorait les monts environnants, le lac et le soleil.
Citons pour finir un lac sacré disparu : celui de Toulouse, où un trésor aurait été précipité afin de conjurer la peste, un mal venu d’Orient comme cet or maudit. Sur son emplacement se trouve construite l’église Saint-Sernin.
C’est Strabon, dans une longue dissertation sur les Tectosages (Géographie IV, 1, 13) qui nous transmet la fabuleuse histoire des « lacs » ou des « étangs sacrés » (limnai) de Toulouse, où était déposée, avant leur pillage par Cépion, une partie des trésors des Toulousains. Il affirme, à la suite de Posidonius d’Apamée, que « les richesses trouvées à Toulouse faisaient quelque 15 000 talents, déposées en partie dans des étangs sacrés (limnai) ; il s’agissait d’or et d’argent non travaillé, mais à l’état brut ». Plus loin, Strabon revient sur ce sujet si exotique pour lui : « […] il y avait en maint endroit de la Celtique des dépôts sacrés. C’étaient surtout les lacs (limnai) qui leur assuraient l’inviolabilité, on y jetait de grandes masses d’argent et d’or ». Maîtres du pays, les Romains mirent en vente les lacs au bénéfice de l’État, et nombre des acquéreurs y trouvèrent des meules d’argent martelé. À Toulouse aussi, le sanctuaire était sacro-saint pour les habitants.
Strabon est le seul auteur grec de l’Antiquité à faire mention de ces limnai, sans équivalent par ailleurs. Les autres auteurs anciens qui ont traité du pillage des trésors des Tectosages par Cépion en 106 avant notre ère (Aulu-Gelle, Dion Cassius, Orose) ne mentionnent pas ces « étangs sacrés ». Seul Justin – d’après Trogue-Pompée – parle d’un tolosensem lacum, lieu où avait jadis été placé le trésor sacré issu du pillage de Delphes par les Tectosages. Il faut attendre Nicolas Bertrand (1515) pour voir ressurgir le souvenir des « lacs » des Tectosages : l’auteur, qui cite les sources antiques (Posidonius et Timagène, donc Strabon), parle de consecratis lacubus. Bertrand se fait par ailleurs l’écho d’une tradition situant un lac sous Saint-Sernin, alors qu’à cette époque le « temple d’Apollon » des Tectosages était le plus souvent identifié à l’église de la Daurade. Ces différentes légendes et traditions s’entremêlent rapidement, et dès le milieu du XVIe siècle, on situe le « lac au trésor » des Tectosages (parfois associé à un « gouffre » ou à un « abîme »), soit sous Saint-Sernin, soit sous la Daurade.
Ces « lacs », à bien lire Strabon, ne sont pas l’apanage de la ville de Toulouse, mais bien du territoire des Tectosages, voire même de la « Celtique ». Il n’est donc pas déraisonnable d’envisager un « culte
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des lacs » généralisé qui traduirait une singulière volonté d’immerger des métaux précieux appartenant aux dieux et/ou au trésor public.
En 106 avant notre ère, le général romain Cépion s’empare de la ville de Toulouse qui s’était révoltée contre Rome, la pille, et met la main sur de fabuleuses richesses, 100 000 livres d’argent, 100 000 livres d’or. Ce trésor, le consul l’envoie ensuite à Rome, mais il n’y arrivera jamais. Cépion fut attaqué en cours de route, volé puis à son tour soupçonné de vol, il fut emprisonné à Rome. En représailles ses filles furent livrées à la prostitution.
Mais laissons là « mon païs, ô Toulouse, et son capitole ».
Autre témoignage de ce genre de culte au nord des Pyrénées : Grégoire de Tours, Liber in gloria confessorum, 2.
« Sur une hauteur du territoire de Javols que l’on appelle Helarius, se trouve un grand lac. À certains moments de l’année, les paysans y jettent, en guise de libations, du linge et des étoffes ; d’autres offrent des toisons, des fromages, de la cire, du pain, et toutes sortes de choses trop longues à énumérer. Ils s’y rendent en chariots, apportent de la boisson et de la nourriture, immolent des animaux, et festoient trois jours durant. Le quatrième jour, au moment de partir, une violente tempête les devance, accompagnée de tonnerre et d’une pluie diluvienne, qui les met en péril. Il en fut ainsi plusieurs années de suite, ce qui conforta ce peuple inculte dans son erreur. L’évêque de la ville se rendit un jour sur les lieux et prêcha donc à la foule, mais ces paysans grossiers ne reçurent pas sa parole comme il fallait. Alors, sous le coup de l’inspiration, l’homme de Dieu fit élever, à quelque distance de l’entrée du lac, une basilique en l’honneur de saint Hilaire de Poitiers ; il y plaça des reliques du saint, puis dit au peuple : « Mes enfants, ne péchez pas contre Dieu. Vénérez Saint-Hilaire, confesseur, dont les reliques reposent ici ! » Le cœur de ces hommes fut touché ; ils se convertirent et abandonnèrent le lac, mais apportèrent à la basilique tout ce qu’ils avaient coutume d’y jeter ».
Il s’agirait du lac de Saint-Andéol (Lozère), près duquel l’on a observé des ruines de temple romain.
Notons au passage que cet évêque a fait ainsi d’une pierre deux coups. Il a mis fin au culte de l’élémental de ce lac, et a détourné vers son église les dons des pauvres malheureux, qui ne furent donc pas perdus pour tout le monde.
Survivance médiévale. Le kelpie est une créature du folklore gaélique ayant une tête et des jambes de cheval, avec une crinière de joncs. En gaélique, les kelpies sont appelés « each Uisge », ce qui signifie « cheval des eaux », ou « tarbh uisge », ce qui signifie « taureau des eaux ». Ils vivent dans les lacs et les rivières, et lorsqu’ils en sortent, c’est pour attirer quelqu’un, au fond de l’étang et l’y noyer.
On reconnaît toujours un kelpie au premier coup d’œil, mais la beauté surnaturelle de ce cheval marin l’emporte parfois sur sa prudence, et l’homme capture la créature, qui se laisse généralement faire. On peut même parvenir à le dresser. Mais dès que le kelpie est en contact avec l’eau, il y traînera son maître et le noiera. Le seul moyen de garder un kelpie est de lui passer un licol en écorce de bouleau, et de ne jamais le laisser boire. Certaines légendes racontent que ce sont les kelpies qui fabriquent les coquillages.
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LES FORCES CHTONIENNES ET SOUTERRAINES OU LES PRINCIPAUX ÉLÉMENTALS DE LA TERRE.
Beaucoup de dieu-ou-démons ne se sont pas laissés romaniser autrement que par la rédaction en latin des dédicaces, et l’association occasionnelle à un dieu-ou-démon romain. Leurs noms, souvent plus anciens que l’occupation celtique, ne sont attestés généralement qu’en un seul endroit. Il s’agit de cultes locaux, soit d’un dieu-ou-démon que nous ne connaissons qu’en ce lieu, mais qui pouvait aussi exister ailleurs, soit d’un dieu-ou-démon local au sens fort du terme. C’est-à-dire d’un lieu divinisé, souvent sous la forme d’un trait marquant de la topographie (par exemple, la manifestation d’une force naturelle). D’où l’expression de dieu-ou-démons « topiques » (du grec topos) que l’on emploie généralement à leur propos et le caractère naturiste d’un certain nombre d’entre eux. Sur plusieurs centaines de noms connus, beaucoup ne nous livrent rien des divinités qui les portent : on en trouvera des listes régionales dans les ouvrages spécialisés ; leur quantité seule impressionne. Un certain nombre, en revanche, peuvent s’expliquer par l’étymologie ou autrement ; ils nous révèlent notamment des cultes naturistes extrêmement vivaces.
Les dieu-ou-démons chtoniens sont des dieu-ou-démons de la terre, des dieux souterrains. La terre joue auprès des hommes un double rôle. Par sa fertilité d’abord, elle les nourrit. Elle les reçoit ensuite dans son sein quand ils sont morts.
Ces dieu-ou-démons souterrains ont donc deux fonctions qui les font intervenir dans la vie des hommes : ils assurent la richesse du sol et ils règnent sur le Royaume des morts.
Ces Andernas furent appelés Fomore en Irlande, et représentés sous la forme de vouivres anguipèdes sur le Continent.
Ils sont étroitement localisés mais aussi très nombreux. Leur chef de file est une divinité féminine : la Terre-Mère. La principale fonction de ces dieu-ou-démons inférieurs est la fécondité. La Terre-Mère des Celtes antiques, symbolisée par le losange : lausinca… cette image de la terre qui n’est autre que le schéma simplifié des organes génitaux féminins.
À un second niveau de cultes et de croyances correspondent des divinités archaïques et syncrétiques, plurifonctionnelles également.
La conception religieuse qui a laissé les traces les plus anciennes paraît même d’ailleurs, très antérieure aux Celtes proprement dits et à leur arrivée. Elle remonte à l’époque néolithique ; elle appartient par conséquent aux populations qui occupaient primitivement le sol du pays. Les monuments de cette époque nous permettent de reconnaître un culte de la Terre-Mère, divinité à la fois de la vie et de la mort. De la matrice féconde de la Terre divine sort la race des hommes, des animaux et des plantes. La Terre est la mère commune de tout ce qui vit et tout ce qui vit revient finalement se confondre en elle. Après avoir enfanté tous les êtres, elle accueille et protège leur dernier sommeil. Mère de la vie, elle est aussi maîtresse des morts… idée d’une poésie grandiose.
Les indices les plus anciens, sinon d’un culte, à coup sûr d’une attention prêtée aux Forces de renouvellement, peuvent être observés dès l’époque de la pierre taillée.
On rapporte à l’Aurignacien les statues féminines en ivoire (dites « Vénus ») de Brassempouy, de Lespugue, et similaires, toutes caractérisées par la petitesse de la tête et par le développement des hanches. L’époque magdalénienne est moins riche en images.
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Toutefois, la découverte en 1927, près d’Angles-sur-l’Anglin (dans le département français de la Vienne) de l’abri du « Roc aux sorciers » fit connaître un document significatif. Un panneau de la « frise sculptée » décoré de trois formes féminines sans tête ni pied. L’artiste a mis l’accent sur les organes de la génération. Il est notable, ajouterons-nous, de rencontrer, à une aussi haute antiquité, la triple répétition d’une image, principe qui trouvera chez les Celtes une application systématique.
Aux temps néolithiques, la Terre-Mère apparaît, toujours sous forme féminine, dans le rôle de protectrice des morts. Telles sont les idoles, figurées de manière schématique, dans plusieurs grottes sépulcrales de la vallée du Petit-Morin. Dans un visage sans bouche, les seuls traits saillants sont le nez ainsi que les yeux ; le cou est paré d’un collier, la taille est parfois ceinte d’une sorte d’étoffe à franges. Un nouvel enrichissement du dessin conduit aux « statues-menhirs » du Tarn, de l’Aveyron, et des départements français voisins, personnifications des forces créatrices de la Nature.
Les prétendues Vénus de l’interpretatio romana ne sont le plus souvent que des déesse-ou-démones-mères druidiques.
Les divers noms sous lesquels la déesse-ou-démone-mère est connue, témoignent seulement de la multiplicité de ses aspects ou de ses fonctions. Et cela, les catholiques devraient le comprendre sans peine, car, de nos jours encore ; des noms aussi différents que Notre-Dame du Bon-Secours, Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, Notre-Dame des Victoires, Notre Dame Étoile des Mers, Notre-Dame des Neiges, Notre-Dame-du-Rosaire, Notre-Dame de Lourdes ; désignent une même mère céleste, envisagée dans ses diverses relations avec l’Humanité.
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DOMNU/DOMNA/NERTHUS.
Le nom de cette très ancienne déesse ou démone, ou fée, de la terre, apparaît dans deux séries de témoignages différents.
Assurément dans certains patronymes ou dans certaines généalogies, voir le cas par exemple en Irlande, du prince des andernas ou fomore appelé Indicios fils de la déesse-ou-démone, ou fée, appelé Domnu (Indech mac De Domnann). Et peut-être aussi dans le nom des Gaulois Fir Domnan, une des races mythiques ayant peuplé l’Irlande préhistorique. À moins que, dans ce dernier cas, le nom ne signifie tout simplement « Domnonéens » « hommes originaires de Domnonée », région du sud-ouest de la Grande-Bretagne, correspondant à l’actuel Devon et qui avait été jadis peuplé par une tribu celtique appelée les Dumnonii. Leur territoire se composait approximativement de l’actuel Devonshire et des Cornouailles. Leurs voisins étaient les Durotriges et les Dobunni. Au Moyen-âge, une partie de ce peuple passa sur le Continent pour fonder la Domnonée (Armorique, Ve siècle).
On retrouve le terme dans la désignation latine d’Exeter : Isca Dumnoniorum, ou Isca serait apparenté au gaélique Uisge (qui signifie de l' « eau », et qui a donné le mot whisky).
La Terre-Mère des anciens très-sachants de la druidiaction (druidecht), Domna Nerthus, est presque toujours désignée sous les noms de Gaïa ou Gé en Grèce, de Tellus ou de Terra-Mater chez les Romains, termes tous considérés comme des traductions littérales du mot « Terre ». Mais pour les anciens très-sachants de la druidiaction (druidecht) le nom semble basé sur la racine « dumno, dubno », qui signifie profond.
Voici ce qu’en dit le grand linguiste français Xavier Delamarre.
Dubnos, dumnos, 1° « Profond, d’en bas », ténébreux, noir. 2° « Le monde d’en bas ». La coexistence des sens « profond » et « monde » peut s’expliquer par une cosmologie qui divise l’univers en trois zones. Un monde supérieur céleste, lumineux et divin, albio (voir à ce mot), un monde intermédiaire des humains et des êtres vivants, bitu – (racine *gwei : vivre) et un monde d’en bas, profond, sombre et infernal, dubno – (= « Tenebrae », « Les Ténèbres ») ; cette conception verticale des trois mondes se retrouve chez d’autres peuples (Germains, Grecs, Hittites) et elle est donc probablement indo-européenne commune. Le sens de dubno-/dumno – dans les noms propres, doit faire référence à cette représentation et par conséquent être traduit plus sûrement par « Ténébreux, Sombre » (> « Noir ») que par « profond ». Le celtique insulaire, qui a évacué les connotations mythiques du mot avec la christianisation, en a gardé les sens concrets de « profond » et « monde » (« profondeur ») : vieil irlandais domun « monde » (*dubnos), domain « profond » (*dubnis), gallois dwfn (*dubnos), dofn (*dubna) « profond », comique down, breton doun. Cf aussi le nom propre irlandais Domnall > Donald, gaIlois Dyfnwal, de *Dumno-ualos « qui règne sur le monde ».
Voir aussi grec buthos « fond » (*thubos), etc., mais il y a là sans doute un vieux doublet d’époque indo-européenne *dhub (h)-no-/*bhudh-no, servant à désigner les profondeurs ténébreuses où règne le Serpent Primordial.
Domnu ou Domna Nerthus est donc une déesse ou démone, ou fée, primordiale, identifiée à la « Terre-Mère ». Elle est l’ancêtre maternelle de différentes races « divines » ou humaines. Elle
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apparaît en outre comme une divinité souterraine que l’on invoquait ou à laquelle on sacrifiait des victimes de couleur sombre, en même temps qu’aux autres puissances « infernales », telles Crom Cruach. Les anciens druides ou plus exactement prédécesseurs des druides ont sans doute voulu représenter ainsi les deux aspects de la nature : capable de créer de la beauté ou de l’harmonie, mais aussi des moments où le chaos des origines ressurgit.
Les théocraties ne vont pas sans sacrifices humains, et il n’a pas toujours fait bon de vivre aux anciennes époques, parmi les anthropophages. Du moins, ce reproche est-il adressé aux Bretons et aux Irlandais par les historiens grecs et latins (la nature n’est ni parfaite ni imparfaite elle est ce qu’elle est et il n’y a qu’elle).
En tant que divinité première, Domna Nerthus est, d’une certaine manière, la gardienne du pouvoir divin. C’est elle qui, dans la variante irlandaise du mythe, soutient la rébellion des gigantesques vouivres anguipèdes contre les dieu-ou-démons de la déesse ou démone, ou fée si l’on préfère utiliser ce terme, Danu (bia) : les Tuatha Dé Danann.
Domna était particulièrement honorée par certains peuples qui, sous le nom de Nerthus, en faisaient même leur principale divinité si l’on en croit Tacite. Sa Germanie (en latin De Origine et Situ Germanorum) est un traité d’ethnographie écrit aux alentours de l’an 98, et consacré aux peuplades vivant au-delà des frontières de l’Empire romain.
Tacite est le seul à mentionner Nerthus. L’historien y fait le récit (de seconde main) d’un sacrifice humain lui ayant été offert sur les bords d’un lac, souvent identifié comme une métaphore désignant l’île de Fionie ou Seeland (actuel Danemark) voire l’île allemande de Rügen.
Il est presque certain que le rôle de célébrant et de serviteur de la déesse-ou-démone, ou de la fée si l’on préfère, était réservé aux principaux personnages du peuple des marais, notamment à celui que l’on a désigné sous le nom d’Homme de Tollund (Jutland central). Il était nu, à l’exception d’un chapeau de cuir qui lui recouvrait la tête, d’une ceinture de cuir autour de la taille, et d’une corde de cuir serrée autour du cou ; sans doute le lacet avec lequel il fut pendu ou étranglé. Il gisait en position accroupie, recroquevillé, les jambes sous lui et les bras croisés, reposant sur le flanc comme s’il dormait. En raison de ses traits délicats magnifiquement conservés, mais aussi de ses mains, qui étaient très fines, on pense qu’il s’agissait d’un prêtre ou d’un chef de village. Car on choisissait parfois, comme victimes de sacrifices, des individus de rang social élevé, dans l’espoir que le défunt continuerait à faire bénéficier le village de ses pouvoirs particuliers. L’autopsie révéla qu’il avait mangé un repas spécial, 12 à 24 heures avant de mourir : une sorte de gruau à base de céréales et de grains, les uns d’origine sauvage, les autres cultivés.
Ces mêmes graines devaient germer, pousser puis mûrir, durant le voyage de la déesse ou démone, ou de la fée, à travers le paysage de printemps. De ces indices, on déduit que l’homme de Tollund a peut-être été l’un des prêtres qui guidaient ou accompagnaient la déesse ou démone, ou fée, au cours des fêtes des semailles du printemps. Après avoir escorté le char sacro-saint, et absorbé le repas rituel, il joua son rôle jusqu’au bout et fut sacrifié afin que la terre puisse faire jaillir une nouvelle vie.
La brève description que Tacite donne de ce culte évoque celui de Cybèle et celui de la Magna Mater à Rome. Cette divinité demeure difficile à situer dans le panth-éon ou plérôme germanique, mais l’archéologie confirme bien l’existence de chars cultuels dans cette région du monde. Ils sont par exemple évoqués, du moins d’après John Rhys, dans une inscription trouvée à Vaison département français du Vaucluse (Anoniredi. CIL XII 1285 : Ioventius Daveri f (ilius) s (olvit) v (otum) l (ibens) m (erito) Anoniredi.
Le texte de Tacite.
40. Puis viennent les… [suit une longue liste de peuples habitant la partie de l’Allemagne du Nord donnant sur la Baltique]… qui sont protégés par des cours d’eau et des forêts. Il n’y a rien de bien particulier à signaler pour eux, excepté le culte qu’ils rendent en commun à Nerthus, autrement dit à la Terre-Mère. Ils croient qu’elle intervient dans les affaires humaines et qu’elle se fait conduire auprès de leurs peuples.
Dans une île de l’Océan [l’île de Fionie ou Seeland au Danemark ? Le pays du chaudron de Gundestrup ? Ou l’île allemande de Rügen ?] s’étend une forêt sainte. Elle abrite un char consacré, que dissimule un voile. Seul un prêtre est autorisé à le toucher. Il prend conscience de la présence de la déesse ou démone, ou de la fée, dans le sanctuaire, fait atteler le char par des génisses et le suit avec grande vénération. Viennent alors des jours de liesse. C’est la fête dans les endroits que la déesse ou démone, ou fée, juge dignes de l’accueillir et de l’héberger. On n’entame pas de guerre, on ne prend pas les armes. Tout fer est enfermé. Ce n’est qu’alors que l’on connaît le calme de la paix,
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ce n’est qu’alors qu’on l’apprécie. Et il en est ainsi jusqu’à ce que le même prêtre rende à son temple la déesse ou démone, ou fée, comblée par son séjour chez les mortels.
Ensuite le char et le drap et, si on le trouve crédible, la divinité elle-même, sont immergés dans un lac à l’abri des regards. Ce rite est accompli par des esclaves que ce même lac engloutit aussitôt. De là, la peur du mystère et l’inviolable ignorance de ce que seuls voient des êtres qui vont mourir.
La région de la Germanie occupée par des Suèves dont je vais vous parler maintenant est la plus reculée. Le peuple le plus proche – je ne suis plus le cours du Rhin, comme tout à l’heure, mais celui du Danube – est celui des Hermundures, qui sont fidèles aux Romains. C’est pourquoi ils sont les seuls parmi les Germains à faire du commerce non pas sur les rives, mais bien au-delà, et jusque dans la brillante colonie de la province de Rhétie. Ces Hermundures traversent le fleuve un peu partout et sans contrôle. Alors que nous ne montrons aux autres peuples que nos camps et nos armes, à ceux-ci nous ouvrons nos maisons et nos domaines sans éveiller leur envie.
C’est dans le territoire des Hermundures que naît l’Elbe, fleuve qui fut à la pointe de l’actualité… autrefois. Aujourd’hui, c’est à peine si l’on en parle encore.
À côté des Hermundures, vivent les Naristes et, à leur suite, les Marcomans et les Quades. La gloire et la puissance des Marcomans font leur supériorité, tout comme leur territoire, qu’ils ont acquis par leur bravoure en expulsant naguère les Boïens de ces terres. Les Naristes et les Quades les valent bien. Ils forment en quelque sorte le front de la Germanie sur toute la rive du Danube.
Jusqu’à il y a peu, Marcomans et Quades eurent pour rois, issus de leur propre peuple, les nobles descendants de Maroboduus et de Tuder. Maintenant, ils en accueillent qui viennent de l’extérieur. Or ces rois se voient octroyer force et pouvoir par l’autorité romaine. Ils ne se font que rarement soutenir par nos armes, mais le plus souvent par notre argent, ce qui n’est pas plus mal.
À l’arrière, les Marsignes, les Cotins, les Oses, les Bures, contiennent les Marcomans et les Quades. La langue des Marsignes et des Bures et leur mode de vie les apparentent aux Suèves. Les Cotins parlent celte, les Oses pannonien. Voilà qui prouve bien qu’ils ne sont pas des Germains, tout comme le fait qu’ils se laissent, en tant qu’étrangers, imposer des tributs, par les Sarmates d’une part, par les Quades d’autre part. Les Cotins pour se déshonorer plus encore (?????) extraient le fer.
Tous ces peuples n’occupent que peu de régions de plaine, mais ils se sont plutôt installés dans des forêts, sur des sommets ou des crêtes. Une chaîne montagneuse continue divise de part en part la Suévie en effet.
Au-delà vivent de très nombreux peuples, dont les Lygiens, qui se dispersent en diverses tribus sur de très vastes étendues. Je me contenterai d’en citer les plus puissantes : les Haries, les Helvécons, les Manimes, les Élisiens et les Nahanarvales.
On montre chez les Naharvales un bois sacré, siège d’un antique rituel auquel est préposé un prêtre qui porte une robe [comme les druides ?] Toutefois, selon l’interprétation romaine, il s’agit de dieu-ou-démons identifiables à Castor et à Pollux. Cette entité divine présente leurs caractéristiques et s’appelle les Alci. Aucune représentation n’en existe et rien n’atteste que leur culte soit d’origine étrangère. Pourtant ils sont vénérés comme des frères, comme des jeunes gens.
Quant aux Haries, s’ils dépassent en force physique les tribus que je viens d’énumérer, ce sont avant tout des sauvages, qui se complaisent dans leur cruauté innée en recourant à des artifices et en choisissant leur moment. Ils se couvrent de boucliers noirs, et se teignent la peau pour attaquer au cours de nuits enténébrées. L’effroi même que suscite cette funèbre armée d’ombres répand la terreur. Aucun ennemi ne résiste à leur aspect insolite et en quelque sorte infernal. Car en tous combats, les yeux sont les premiers à se laisser vaincre.
Au-delà des Lygiens, les Gotons sont régis par un pouvoir royal un peu plus contraignant que pour toutes les autres nations, mais pas encore au point de mettre en jeu leur liberté. Ensuite, en continuant du côté de l’Océan, on trouve les Ruges et les Lémoviens. Tous ces peuples se caractérisent par leurs boucliers ronds, leurs glaives courts et leur soumission à des rois.
Au-delà des Suiones, s’étend une autre mer, dormante et pratiquement inerte. On est porté à croire qu’à partir de là, elle entoure et limite la terre, du fait que le dernier éclat du soleil couchant se prolonge jusqu’à son lever le lendemain et que sa clarté noie celle des étoiles. S’ajoute à cela l’idée reçue selon laquelle on entend le bruit que fait le soleil en émergeant et que l’on discerne les silhouettes de ses chevaux, ainsi que les rayons jaillissant de sa tête.
Ce n’est que jusque-là, si ce que l’on en dit est vrai, que s’étend le monde des vivants.
Les peuplades Estes sont baignées par la mer de Suévie sur son rivage droit. Leurs rites religieux et leur mode de vie les rapprochent des Suèbes, mais leur langue est apparentée au breton. Ils honorent la mère des Dieux. Ils brandissent comme signes de leur croyance des totems de sangliers : ces amulettes protègent, bien mieux que les armes et toute forme de défense, le fidèle de la déesse ; même des ennemis.
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L’usage d’armes de fer est rare chez eux, plus fréquent celui de gourdins. Ils se donnent bien du mal pour faire pousser du blé ainsi que d’autres productions, étant donné la paresse généralisée des Germains.
Mais ils fouillent la mer et, seuls d’entre tous, ils recueillent sur les gués ou le rivage de la mer, l’ambre qu’ils appellent glesum. En bons Barbares, ils ne se sont pas posé de questions et ne savent rien de sa nature ni pour quelle raison il se forme.
Mieux encore, cet ambre restait parmi les rejets de la mer jusqu’au jour où notre goût du luxe lui a donné un nom. Eux-mêmes n’en tirent aucun usage : ils le recueillent brut, le livrent tel quel, et s’étonnent du prix qu’ils en reçoivent.
On pourrait penser que c’est de la résine d’arbres, car on y voit la plupart du temps briller au-dedans certains insectes rampants ou ailés. Enrobés de matière liquide, ils y seraient restés enfermés après qu’elle ait durci.
Or on sait qu’en Orient des régions retirées portent des bois et des forêts assez fertiles où les arbres exsudent de l’encens et des baumes. De même, je croirais donc volontiers que les îles et les terres du Couchant produisent des substances qui apparaissent et se liquéfient sous l’action des rayons du soleil avoisinant. Elles s’abîment dans la mer toute proche pour échouer ensuite par la force des tempêtes sur les rivages opposés. Si on teste sa nature en l’approchant d’une flamme, l’ambre prend feu comme une torche et nourrit une flamme grasse et odorante. Ensuite il devient visqueux comme la poix ou la résine.
46. Je ne sais pas si je dois rattacher les tribus des Peucins, Vénèthes et Fennes, aux Germains ou aux Sarmates. Toutefois les Peucins, que certains appellent Bastarnes, parlent, vivent et sont sédentaires comme des Germains. Tous vivent dans la saleté, leurs chefs sont apathiques. Du fait de nombreux mariages mixtes, ils se sont quelque peu avilis en adoptant le mode de vie des Sarmates.
Les Vénèthes ont adopté en grande partie le comportement de ces derniers : ils parcourent en effet toutes les forêts ou les hauteurs qui les séparent des Peucins et des Fennes en se livrant au brigandage. Ils sont néanmoins à classer plutôt parmi les Germains, parce qu’ils portent des boucliers, construisent des maisons, et aiment se déplacer très vite à pied. Tout cela les différencie des Sarmates qui vivent dans des chariots et à cheval.
Notes de la rédaction à propos du texte de Tacite.
L’ambre. L’archéologie a révélé que l’ambre travaillé, contrairement à ce qu’affirme Tacite, était aussi répandu parmi les peuples du nord de l’Europe que dans ceux de l’Empire. Tacite veut donc insister sur les excès d’une société civilisée à la romaine, qui paie très cher des objets dont la valeur est surfaite. Encore un vice dont, selon l’auteur, les sociétés barbares du nord de l’Europe sont exemptes.
Résine d’arbres. Cette théorie est très ancienne. Elle apparaît dans le mythe des Héliades, sœurs de Phaéton, transformées après la mort de celui-ci en arbres pleureurs, dont les larmes se durcissent en ambre. Faut-il voir un lien dans le texte de Tacite avec le mythe du char du soleil levant ? Cela expliquerait, dans la suite immédiate de son exposé, la rupture que constitue la présentation des Sithons après les Estes. Chez Martial l’ambre était désigné par l’expression « Phaethontide… gutta » (IV 32, 1) et, dans un contexte semblable, le peuplier par « Flentibus Heliadum ramis » (IV 59, 1).
Les Gotins ou Cotins étaient un peuple celte qui occupait le nord de la cuvette carpatique (au sud de la Slovaquie et au nord-est de la Hongrie actuelles). Ils sont nommés par Tacite, Dion Cassius et Ptolémée. Dernier peuple celtique autonome d’Europe continentale (ils le resteront jusqu’au IIe siècle). La civilisation laténienne tardive dite de « Puchov » leur est attribuée. Leur oppidum de « Liptovska Mara » est l’un des principaux sites archéologiques de la région.
Les Bastarnes ou les Peucins.
C’est un peuple situé près de l’embouchure du Danube. Mais leur celticité n’est que partielle puisqu’il s’agissait vraisemblablement, comme les Cimbres ou les Teutons, de peuples d’origine germanique en voie de celtisation. Au moins en ce qui concerne leur noblesse. Polybe et Plutarque les donnent pour Galates, d’autres auteurs les assimilent à des Germains. Tite-Live est le seul auteur à donner quelques arguments permettant d’assimiler les Bastarnes à des Celtes. Il nous indique en effet que les Bastarnes partagent avec les Scordisques une langue à peu près similaire et de mêmes coutumes.
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Tite-Live, Histoire Romaine, XL, 57 : « Il y trouvait un double avantage : d’abord, il se débarrassait d’une nation qui avait été de tout temps ennemie des Macédoniens, et qui avait toujours cherché à profiter des revers de leurs rois ; d’un autre côté, il pourrait engager les Bastarnes à laisser leurs femmes et leurs enfants en Dardanie pour aller dévaster l’Italie. Par le pays des Scordisques, pensait-il, on arrivait à la mer Adriatique et à l’Italie : c’était la seule route praticable pour une armée. Les Scordisques livreraient facilement passage aux Bastarnes qui avaient à peu près le même langage et les mêmes coutumes ; ils se joindraient même volontiers à eux, lorsqu’ils les verraient marcher au pillage d’une si riche contrée ».
Il s’agit probablement des Galates, qui vers 230 avant notre ère, prennent la cité grecque d’Olbia. En 182 avant notre ère, sous la direction de Cotto, ils servirent Philippe V de Macédoine pour attaquer les Romains et les Dardaniens, mais quelques années plus tard nous les retrouvons en lutte contre les Macédoniens. Ils furent probablement soumis par Burebistas, après la prise d’Olbia. Les Peucins étaient l’une de leurs factions, ces dernières étant apparemment au nombre de cinq.
Plutarque, Vies parallèles, Paul-Émile, VIII : « Il [Persée] remuait, de plus, les Celtes établis sur les bords de l’Ister [Danube] et que l’on appelle Bastarnes, un peuple de cavaliers ou de soldats ».
Quant aux Cimbres, ils habitaient le Jutland dans le Danemark actuel. Leurs origines sont sujettes à polémique, certains les disent Celtes comme les Ambrons, ainsi que les Teutons, d’autres les qualifient de Germains.
Le Himmerland pourrait être leur région d’origine ; c’est d’ailleurs le pays où fut trouvé le chaudron de Gundestrup, mais cela ne correspond aucunement à la description de leur région d’origine faite par les auteurs romains. Leur nom se rapproche aussi du germanique Kimme, qui signifie « le rivage », « le bord ». Néanmoins, les règles de mutation phonétiques des langues germaniques invalident cette hypothèse. Le sacrifice de nombreuses femmes lors de leur défaite face à Rome en – 102 rappelle le sacrifice germanique du Blót. Leur roi, durant leurs tribulations, a pris le nom de Boiorix, un nom celtique. Aussi ont-ils peut-être des origines mixtes, ou alors ce sont des Germains celtisés. Idem pour les Ambrons.
La tribu des Ambrons apparaît brièvement au IIe siècle, alors qu’ils migrent en même temps que les Cimbres et les Teutons au cours de ce que l’on appellera la guerre des Cimbres. Ils disparaissent des chroniques après avoir été vaincus avec leurs compagnons de route en – 102. Ils ont été estimés à 30 000 parmi une vague migratoire comprenant de 100 000 à 300 000 personnes. Ils pourraient être originaires des côtes nordiques de l’Europe, des îles frisonnes, ou du Jutland. Dans ce cas, ils auraient été les voisins des Cimbres et des Teutons. Comme eux, ils pourraient avoir fui la région à cause de la famine. Si leur origine exacte est inconnue, on peut néanmoins les supposer Celtes comme les Cimbres, et ce, pour deux raisons principales. Le nom de leur tribu est relativement proche de celui de nombreuses autres tribus celtes (Ambr…) Les Ambrones suivent la coutume celte qui consiste à crier le nom de leur tribu dans la bataille. Cependant les Romains les considéraient comme Germains. Cela suggère une origine peut-être mixte ou des Germains celtisés.
Le déroulement du combat, au cours duquel fut arrêtée l’avancée des Cimbres et des Teutons vers Rome, à l’extrême fin du IIe siècle avant notre ère, a donné lieu à bien des débats entre spécialistes.
L’écrivain grec Plutarque a consacré à ce sujet environ sept pages de livre de type actuel, dans son ouvrage intitulé
« Les vies parallèles », plus précisément dans le chapitre sur la vie de Marius.
Plutarque a vécu de 50 à 125 et a par conséquent relaté des faits qui dataient déjà environ de deux cents ans auparavant ! La majorité de ceux-ci lui ont donc été très probablement communiqués par ouï-dire, avec tout ce que cela suppose comme légendes et approximations. Malgré ses insuffisances chronologiques et surtout topographiques, causes des divergences d’interprétation ultérieures, il représente pourtant la base essentielle, presque unique, à laquelle on a recours pour cet épisode de la campagne militaire des Romains contre les Teutons, en 102 avant notre ère.
Les restes du monument dit « de Marius », une pyramide édifiée près de la grande Pégière, sur la rive gauche de l’Arc, à 100 m du pont franchissant la rivière toute proche de la Route nationale 7 (carrefour) ; correspondent plus à un tombeau qu’à un édifice du genre triomphal.
En fait, de l’aveu même de la plupart des historiens, il est très difficile, là encore, de déterminer de manière exacte la position des Romains et l’emplacement précis du camp des Teutons. Les données fournies par les historiens anciens étant insuffisantes. Toutefois, il est maintenant généralement admis qu’il a bien dû y avoir deux affrontements successifs distincts, l’un près d’Aix, l’autre entre Trets et
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Pourrières, et non une bataille unique. Mais bien des obscurités subsistent encore, notamment dans l’enchaînement des événements et dans leur localisation…
LA TRIADE LITAVIS ROSEMARTHA ET TALANTIO.
Litavis : terre mère en tant qu’étendue de terre ferme, ou dans son aspect royaume des morts.
Rosemartha : terre mère en tant que nature sauvage ou cultivée (forêts champs, etc.) pourvoyeuse d’abondance, de gibiers ou de récoltes. Nous mentionnons ici également la forêt, car nos ancêtres en tiraient aussi beaucoup de ressources pour eux-mêmes ou leurs animaux et notamment les porcs.
Talantio : terre mère en tant que terre ou plaine cultivée.
LITAVIS.
Vieux gallois Lettau, moyen gallois Llydaw, irlandais Letha, mais aussi Litaui, Litauia, Letavia. Élémental de la terre en tant que sol ou surface et non en tant que profondeur ou sous-sol, domaine de Domna/Nerthus.
Dans les textes latins, l’Armorique ou Bretagne continentale est parfois également appelée Letavia, Llydaw en gallois. Llydaw est aussi le nom d’un lac du mont Snowdon. Le nom de Litavis en tout cas est apparenté à celui de la déesse ou démone, ou fée, indienne, de la terre, prthvi, prthivi, et peut être issu d’un terme comme *leito/leto signifiant « gris » ou *lâto signifiant « large » et du suffixe *-auâ. Litavis serait donc « la plate, la vaste, l’étendue ».
La déesse ou démone Litavis ou Grande Terre, équivalent celtique de l’Europa des Grecs, est aussi connue par des inscriptions trouvées à Mâlain et à Aignay-le-Duc en France ; où elle est invoquée avec le prince des Andernas ou Fomore nommé Cichol/Cicolluis, dont elle est visiblement la parèdre (shakti dit-on dans l’hindouisme). Une autre inscription trouvée à Narbonne dans le sud de la France porte le texte suivant : « MARTI CICOLLUI ET LITAVI » (« à Mars Cicolluis et à Litavis »). Enfin, elle est aussi mentionnée dans le texte appelé « le testament du Lingon ». Longtemps considéré, à tort, semble-t-il, aujourd’hui, comme le texte d’une inscription, ce document n’est connu que par une copie sur parchemin du Xe siècle, conservée à la bibliothèque universitaire de Bâle. L’original remonterait au IIe siècle. L’auteur de ce texte y énonce en détail ses dernières volontés concernant l’architecture de son monument funéraire, l’entretien du domaine qui l’entoure, les repas rituels qui devront être célébrés à sa mémoire ; sans oublier la liste des objets qui devront être incinérés avec lui.
« Je confie la responsabilité de la cérémonie de mes funérailles ainsi que de mes édifices et monuments, à mon petit-fils Sextus Julius Aquila, à Macrinus, fils de Reginus, à Sabinus, fils de Dumnédorix, et à mon affranchi et mandataire Priscus. Je leur demande d’assumer la charge de toutes ces choses, et qu’ils aient pouvoir de décision pour tout ce que j’ai ordonné que l’on fasse après ma mort.
De plus, je veux que tout l’équipement que je me suis constitué pour chasser le gibier, pour capturer des oiseaux, soit brûlé avec moi. Y compris mes épieux, mes glaives, mes coutelas, mes rets, mes filets, mes lacets, mes gluaux, mes tentes, mes épouvantails, mes affaires de bain, mes litières… ma chaise à porteurs et tout autre équipement concernant ce sport, ainsi que mon canot en jonc. De telle façon que rien n’en soit soustrait. De même mes vêtements damassés ou brodés […] tout ce que j’en aurai laissé…
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Que tous ceux que j’ai affranchis de mon vivant, ou par testament apportent annuellement et individuellement une quote-part d’un sesterce. Que mon petit-fils Aquila et son héritier fournissent chaque année la somme de… Pour que chacun prépare des aliments et des boissons destinés à être exposés en dessous, et sur le devant du tombeau qui est du domaine de Litavis [Litavicrari, dans le texte]. Qu’ils mangent là, et qu’ils y demeurent jusqu’à ce qu’ils aient consommé l’ensemble, etc. etc. ».
Un texte de Strabon associe peut-être également cette déesse ou démone, ou fée, à l’autre monde druidique. Le voici !
« Les derniers peuples de la Lusitanie sont les Artabres, qui habitent près du cap Nerium. Dans le voisinage du même cap, qui forme l’extrémité à la fois du côté occidental et du côté septentrional de l’Ibérie, habitent les Celtici, proches parents de ceux des bords de l’Anas. On raconte en effet qu’une bande de ces derniers, qui avait entrepris naguère une expédition en compagnie des Turdules contre les peuples de cette partie de l’Ibérie, s’étant brouillée avec ses alliés dès la rive ultérieure du Limaeas ; et, en même temps ayant perdu, pour comble de malheur, le chef qui la commandait ; se répandit dans le pays et décida d’y demeurer. Ce qui fit donner au Limaeas cette dénomination de fleuve du Léthé » (Strabon, Géographie, Livre III, 3, 5). Léthé pour Letavia ???
Pour certains auteurs, Litavis serait le nom donné à la Terre, par les Celtes antiques, donc, du nom de leur berceau d’origine en quelque sorte. En tout cas le culte de Litavis semble bien associé, en l’occurrence, à celui de l’eau, ou du moins à une traversée, si courte soit-elle.
ROSEMARTHA.
Élémentale des terres cultivées ainsi que des forêts. Déesse-ou-démone, ou fée, si l’on préfère ce terme, de la fortune, de la prospérité, de la beauté, mère adoptive ou associée de Lug. Cette déesse ou démone, ou fée, nous est connue par un grand nombre de sculptures ou d’inscriptions. Une statue trouvée à Gloucester représente par exemple vraisemblablement Rosemartha, et l’interprétation romaine de Lug connue sous le nom de Mercure. Le principe qui permet à une famille, une société, une nation, etc. de préserver son unité, c’est la prospérité, dont Rosemartha est maîtresse et garante. C’est pour cela qu’au même titre que Lug elle est vénérée par les commerçants et les familles.
Pour ce qui est des inscriptions la mentionnant, nous en avons actuellement 27.
En Allemagne on en a trouvé à Neuenstadt, Niedaldorf, Niederemmel, Reinsport, Spechbach, Trèves, Alzey, Cologne et Worms, où elle est invoquée en compagnie du dieu-ou-démon romain Mars. Une inscription trouvée à Eisenberg se lit ainsi : DEO MERCU (rio) ET ROSMER (tae) M (arcus) ADITORIUS MEM (m) OR D (ecurio) C (ivitatis) ST () [PO] S (uit) l (ibens) M (erito). Au dieu Lug (Mercure en interpretatio romana) et à Rosemartha, Marcus Aditorius, en mémoire du décurion de la ville.
L’inscription est accompagnée d’un bas-relief représentant l’interprétation romaine de Lug à droite et Rosemartha, elle, à gauche. La Déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère user de ce terme, tient une bourse dans la main droite et une patère dans la main gauche.
L’inscription trouvée à Wasserbilig, toujours en Allemagne, associe de nouveau Rosemartha au dieu-ou-démon Lug ou du moins à son interpretatio romana, Mercure, et la rattache à la construction d’une sorte d’hôtel.
DEO MERCURIO [ET DEAE ROS] MERTIAE AEDEM C [UM SIGNIS ORNA] MENTISQUE OMN [IBUS FECIT] ACCEPTUS TABUL [ARIUS VIVIR] AUGUSTAL [IS DONAVIT ?] ITEM HOSPITALIA [SACOR (um) CELE] BRANDORUM GR [ATIA PRO SE LIBE] RISQUE SUIS DED [ICAVIT 3] IULIAS LUPO [ET MAXIMO CO (n) S (ulibus)]
L’inscription d’Andernach au Luxembourg l’associe à Mars. À Sarmizegetusa en Roumanie, elle est associée à Mercure, Mars, Mithra, et Camulus.
Dans d’autres inscriptions, toutes trouvées en France, elle est seule. Il s’agit de celles qui furent trouvées à Champoulet dans le département du Loiret, Alise-Sainte-Reine dans la Côte-d’Or, Vézelise en Meurthe-et-Moselle, Escolives-Sainte-Camille dans l’Yonne. À Lezoux dans le département du Puy-de-Dôme, elle est mentionnée avec Rigani.
Les autres inscriptions, celles qui ont été trouvées à Grand, Morelmaison, et Soulosse, dans le département des Vosges, Sion en Meurthe-et-Moselle, Langres en Haute-Marne, Magny-Lambert en Côte-d’Or, et Metz ; l’associent à un dieu-ou-démon celte assimilé à Mars par les Romains.
L’inscription de Metz se lit comme suit DEO MERCURIO ET ROSMERTAE MUSICUS LILLUTI FIL (ius) ET SUI (s) EX VOTO : à Lug et à Rosemartha, Musicus fils de Lillutius, offre ceci en bratou decantem (ex-voto).
Deux autres inscriptions se référant probablement à elle ont été trouvées à Genainville, dans le département du Val-d’Oise, et à Aix-en-Provence. À Aix l’inscription invoque aussi l’interprétation
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romaine de Lug (Mercure) et associe Rosemartha, par assimilation, à une autre déité, probablement Ussia (Rosemartha Ussia ?).
Un couple de statues trouvées à Paris représente Lug (Mercure) et Rosemartha tenant une corne d’abondance ainsi qu’un panier de fruits.
Une statue de bronze représentant Rosemartha seule a également été trouvée aux Fins d’Annecy. La déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, est assise sur un rocher apparemment, elle tient une bourse, et son association à Lug est évoquée par le casque ailé qu’elle porte sur sa tête. Une statue similaire également trouvée en France à Clermont-Ferrand nous montre aussi Rosemartha coiffée du casque ailé de Lug.
Rosemartha est par conséquent une déesse ou démone, ou fée, de la souveraineté, ainsi que de l’abondance qui va de pair avec, dispensatrice de la boisson sacrée qu’est l’hydromel (medus), équivalent du soma védique.
Son nom vient du préfixe augmentatif « ro » et du radical « smert » signifiant « fournir, approvisionner ». Rosemartha est donc une grande pourvoyeuse, associée à l’hydromel symbolisé par la patère qu’elle tient souvent dans son iconographie.
La fête de Rosemartha en principe a lieu à la nouvelle lune d’Elembivos, vers la mi-août, jour de la fin des festivités de Lugnasade. Car c’est en effet chez cette mère divine (et non à une simple princesse gauloise Fir Bolg, donc humaine, contrairement à ce qu’affirment les légendes irlandaises) que Lug au long bras fut, après sa naissance, mis « en pension ». Et c’est donc elle qui assura son éducation jusqu’à ce qu’il soit en âge de porter les armes, comme nous l’avons vu.
La grande fête en l’honneur de cette mopatis (théotoktos), instituée par Lug, à Lyon, et transformée plus tard par les Romains en Concilium Galliarum, avait lieu chaque 1er août ; mais ses jeux commençaient 15 jours avant et se terminaient 15 jours après, donc vers le 15 août. Du moins si l’on en croit certains textes du Livre des Conquêtes irlandais : « Les jeux ont été organisés chaque année par Lug, quinze jours avant Lugnasade et quinze jours après ».
N.D.L.R. Cette Lugi Naissatis avait lieu plus exactement à la pleine lune d’Elembivos en calendrier de Coligny ; et la fête de notre mopatis (théotoktos) à l’issue de la première moitié d’Elembivos, advenait la nuit d’Atenoux (lors de la nouvelle lune) donc grosso modo vers la mi-août.
TALANTIO/TAILTIU.
Tailltiu, Tailte, Tailtinn, Tailtenn. Une princesse gauloise Fir Bolg bien mystérieuse. Magmor signifie « la grande plaine ». Son nom est donc une des désignations de la terre. Sans doute la terre cultivée après défrichage d’une plaine (Mag-Mor). La mention de l’Espagne est bien entendu dans ce cas une aberration à moins que son auteur n’ait voulu par là en faire un roi de l’autre monde. Talantio/Tailtiu serait dans ce cas une des déesses adorées par les Gaulois Fir Bolg et avec laquelle il y avait chaque année une hiérogamie rituelle de la part des rois ayant historiquement existé. Équivalent continental : Rosemartha. Rosemartha qui est donc l’élémentale de la terre cultivée ou de la campagne par rapport à la nature sauvage constituée par les forêts ou les montagnes incultes.
Notons néanmoins que le culte de cette Talantio/Tailtiu semble nettement plus localisé que celui de Rosemartha qui est d’un emploi plus général. Talantio/Tailtiu ce n’est pas la campagne ou la terre cultivée en général, MAIS UN TERROIR BEAUCOUP PLUS LOCAL (un pays un peu au sens de terroir).
Le nom de Tailtiu lui-même suffit à prouver que c’est une déesse ou démone, ou fée si l’on préfère ce terme, de la terre, puisque la forme de départ est * talantiu ; de la famille du mot talam, qui signifie « terre » dans les langues de l’Inde.
Les Irlandais ont évhémérisé le mythe panceltique originel qui la concerne, en le situant à Teltown, une petite ville de la province de Meath (entre Navan et Kells) qui devint rapidement le principal lieu de rassemblement de la dynastie des Uí Néill. La déesse ou démone, ou fée, Rosemartha, chez eux, y est dite fille de Mag Mor, nom gaélique qui signifie « la grande plaine ». L’étymologie de son nom gaélique nous renvoie en définitive à celui de la terre, et l’épopée irlandaise en fait une des incarnations du pays : elle aurait défriché la forêt primordiale pour en faire une plaine cultivable. Sur le Continent, la déesse ou démone ou la fée si l’on veut, est une parèdre (shakti disent les hindous) de Lug ; les Irlandais, eux, en ont fait une princesse épouse du dernier roi des Gaulois Fir Bolg, Eochaid Mac Eirc, dont le règne était réputé pour sa justice et sa prospérité. Son peuple, les Fir Bolg, ayant été vaincu, elle est prise pour femme par un des vainqueurs et devient la mère nourricière du dieu-ou-
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démon Lug. Elle entreprendra de défricher la forêt de Breg pour en faire une plaine cultivable et en mourra d’épuisement. À sa mort, Lug organisera de grandes cérémonies en son honneur (oenach tailteann) lors de la fête de Lugnasade. Quant à la forêt de Breg, elle fera place à un champ de trèfle, plante désormais emblématique de cette déesse ou démone, ou fée si l’on préfère, et donc vraisemblablement de son équivalent continental Rosemartha. Fête de Rosemartha le 15 août ou pas le 15 août, ce qui est sûr en tout cas, d’après le Français J. Loth, commenté par Christian-Joseph Guyonvarc’h ; c’est que Tailtiu n’est probablement qu’un synonyme de Trogan qui a donné son nom au mois d’août. Trogan est un des noms de la terre au sens très précis de « productrice », et le lien est évident avec le verbe trogaim « produire, donner naissance », connu en Moyen irlandais. Trogan est donc la productrice, la terre féconde, tandis que talamh est le sol, la face de la terre. Il ne fait donc aucun doute que le mois d’août a été, chez les anciens Irlandais, le mois consacré à la Terre-Mère.
Et tant pis pour le culte marial du catholicisme !
La Lugi Naissatis du I Elembivi était par conséquent exactement à mi-parcours entre deux fêtes de déesse ou démone ou de fée. La première vers la mi-juillet, Atenoux Equi – Equi, mot de la même famille qu’Epona justement, le mois d’Equi étant le mois des chevaux – et la seconde vers Atenoux Elembivi à la mi-août donc, ainsi que nous venons de le voir. Ce que confirme à sa manière, et pour l’Irlande, Jan De Vries : les jeux institués en l’honneur de la Terre-Mère se célébraient à Tara, dans le comté de Meath. On y organisait tous les trois ans une grande fête entre le 15 juillet et le 15 août, qui durait sept jours ou plus. Cette fête a survécu un siècle environ après la christianisation : elle est attestée pour la dernière fois en 558,560, ou 569.
Bref ! Litavis est la terre mère en tant qu’étendue, ou dans son aspect royaume des morts.
Rosemartha la terre mère en tant que nature sauvage ou cultivée (forêts, champs, etc.) pourvoyeuse d’abondance, de gibiers ou de récoltes.
Talantio la terre mère en tant que terre ou plaine cultivée. Les Irlandais en ont fait une princesse du peuple humain des Gaulois Fir Bolg, en quelque sorte par évhémérisation, mais il est évident que c’est une déesse ou démone, ou fée, appartenant de plein droit au panth-éon (plérôme) ou à la mythologie, tout comme Litavis. En faire une princesse gauloise Fir Bolg fut une erreur.
À moins de vouloir dire par là que le développement de l’agriculture en Irlande fut le fait d’immigrés gaulois ; et il est vrai que les Gaulois furent de très bons agriculteurs ; inventeurs de nombreuses techniques ayant longtemps constitué des progrès décisifs (charrue, marnage des sols, tonneaux).
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SURVIVANCES MÉDIÉVALES.
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LA MÉLUSINE DES PLANTAGENÊT.
Cette princesse du peuple des Andernas (fomore ou fir bolg, diraient nos frères irlandais) apparaît dans un ouvrage critiquant la cour d’Henri II d’Angleterre, intitulé De nugis curialium ; dans lequel Gautier Map raconte l’histoire d’un jeune seigneur répondant au nom de Henno aux grandes dents, qui épouse une femme-dragon.
Dans un autre ouvrage bien connu de l’époque, les Récréations Impériales (Otia imperalia), écrit au début du XIIIe siècle par Gervais de Tilbury, Raymond seigneur de Rousset, près d’Aix-en-Provence, épouse une femme qu’il ne doit jamais voir nue. Un jour, il transgresse l’interdiction, et son épouse se transforme en serpent : elle disparaît dans l’eau du bain. Le mariage sous condition, le pacte conjugal violé ainsi que la disparition définitive de l’épouse, sont un thème qui se rencontre dans la mythologie indo-européenne, en la personne de la nymphe Urvaçi. Outre le symbolisme de la trahison, particulièrement sensible dans une société féodale fondée sur la fidélité, l’histoire de Mélusine porte en elle un caractère nettement diabolique, femme-serpent ou femme-dragon, devenue épouse et mère. Au XIVe siècle, la structure de l’histoire de Mélusine est bien arrêtée : une fée accepte d’épouser un mortel, mais en lui imposant le respect d’un interdit ; le couple jouit d’une éclatante prospérité aussi longtemps que l’époux humain tient sa parole ; lorsque le pacte est violé, la fée disparaît aussitôt et avec elle la prospérité qu’elle avait apportée en dot. On a un peu la même histoire avec le Comte de Desmond appelé Gérald, en Irlande, au XIVe siècle.
Mélusine est une des princesses du peuple des Andernas, Fomore ou Fir Bolg donc, les plus connues sur le Continent. Le Français Henri Dontenville considère cette vouivre comme souterraine, et non comme les sirènes à queue de poisson, rattachée à la mer : « Mélusine […] est souterraine, elle n’appartient pas au peuple de la mer, elle sort des entrailles de la Terre comme les vouivres ».
Mélusine est également très connue au Luxembourg, où la légende est très voisine, et date au plus tard de la fin du XIIIe siècle (cf. un sceau armorié daté de 1297).
À la fin du XIVe siècle, deux romans sont consacrés à Mélusine : celui de l’écrivain Jean d’Arras, biographe de Mélusine pour le duc Jean de Berry et sa sœur Marie, duchesse de Bar, en prose ; et un autre ouvrage en vers, composé par un libraire de Paris appelé Coudrette.
Le roi Elinas d’Albanie (c’est-à-dire d’Écosse) a épousé une belle inconnue rencontrée dans la forêt, Présine ; contre la promesse de ne jamais la voir pendant qu’elle accouche ou baigne ses enfants. Il a trahi son serment et Présine regagne l’île d’Avallon (l’Autre Monde celtique) avec ses trois filles nouveau-nées, Mélusine, Mélior et Palatine. En grandissant, les trois sœurs apprennent la faute de leur père et, pour le châtier, l’enferment au cœur de la montagne magique de Brandebois dans le Northumberland. Elles sont punies à leur tour par leur mère. Mélusine se transforme tous les samedis en serpente de la taille aux pieds. En outre elle ne pourra échapper à la malédiction que si un homme accepte de l’épouser sans jamais chercher à la voir le samedi.
Mélusine rencontre Raimondin, fils du comte de Forez et neveu du comte de Poitiers : le jeune homme promet à la fée de ne jamais la trahir ; ils se marient. La prospérité comble le couple : Mélusine bâtit villes et châteaux et donne à Raimondin huit fils, tous marqués au visage par des tares qui viennent rappeler leur origine surnaturelle. Le dénouement tragique du roman est provoqué par le frère de Raimondin : il l’incite à espionner sa femme le samedi. Cette rupture du pacte qui conditionnait son union avec un mortel provoque la disparition de Mélusine : elle s’envole par une fenêtre du château de Lusignan.
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En 1456, un diplomate suisse, Thuring de Ringoltingen, traduisit son histoire en langue allemande. C’est cette version de l’histoire qui fut la première à être imprimée, dès 1474, par Jean Bamier, et qui sera connue en Allemagne ainsi que dans le Nord et l’est de l’Europe jusqu’au XIXe siècle. Le texte de Coudrette est également traduit et imprimé en flamand (1491), mais c’est le récit en prose de Jean d’Arras qui fait l’objet d’une édition en espagnol en 1489. La première édition de l’œuvre de Jean d’Arras en langue française est imprimée par Adam Steinschaber à Genève en 1478.
Dans ces premières éditions, la fonction des images est essentiellement narrative : elles constituent des séries qui vont illustrer les différents épisodes du roman, mais leur seule lecture permet de suivre l’intrigue. Pourtant, elles peuvent occasionnellement s’écarter du texte, essentiellement dans la représentation du merveilleux : la Mélusine du roman est un être ambigu, sur lequel le lecteur doit se faire sa propre idée. Les images des incunables ne rendent pas cette ambiguïté, car elles sont moins équivoques et, ainsi, tempèrent le récit. Elles imposent aux lecteurs une représentation de Mélusine, celle d’une belle jeune femme, d’une épouse et d’une mère, et en aucun cas celle d’un être démoniaque : Mélusine, même métamorphosée en serpente, n’est guère effrayante. De même, les tares qui marquent le visage de ses fils sont atténuées : les gravures montrent de valeureux chevaliers, tout juste caractérisés, pour certains d’entre eux, par de légères particularités physiques qui rappellent leur origine merveilleuse.
Jean d’Arras faisait alterner dans son roman les aventures de Raimondin et de Mélusine avec celles de leurs fils, en particulier de Geoffroy à la Grande Dent. En 1517, l’imprimeur parisien Michel Le Noir dénouera cet entrelacement, dégageant ainsi deux nouveaux romans. L’œuvre de Jean d’Arras ne sera plus publiée désormais que sous cette forme, divisée en deux récits distincts dont le lien de parenté, progressivement, aura tendance à s’effacer.
On connaît quinze éditions parisiennes, lyonnaises et rouennaises de ce nouveau roman de Mélusine jusqu’au début du XVIIe siècle et neuf du roman de Geoffroy à la grande dent. Dans la première moitié du XVIe siècle, toutes les éditions présentent d’évidentes analogies ; certaines toutefois, comme celles qui furent imprimées à Lyon par Olivier Arnoullet, apparaissent plus soignées que d’autres. À la fin du siècle, plusieurs évolutions se font jour à Paris ainsi qu’à Lyon : quelques imprimeurs abandonnent la bâtarde gothique au profit du caractère romain, les textes sont réécrits et leur orthographe modernisée. La plupart de ces modifications ne sont cependant ni générales ni systématiques, et les éditions normandes du début du XVIIe siècle présentent des traits particulièrement archaïques. La conservation fréquente de ces archaïsmes est d’ailleurs un des facteurs qui peuvent expliquer le discrédit croissant qui finira par frapper les romans médiévaux ; ces textes devenant peu à peu, du moins dans l’esprit des lettrés, la lecture exclusive des femmes, des enfants ou du petit peuple des villes.
L’alchimiste Paracelse, au XVIe siècle, a légué à la postérité une image diabolisée de Mélusine qui a fait beaucoup de dégât dans notre imaginaire collectif. : « Les Mélusines sont des filles de roi désespérées à cause de leurs péchés. Satan les enleva et les transforma en spectres ».
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AUTRES ÉLÉMENTALS DE LA TERRE, PARTICULIERS.
ABNOBA/ABNOVA/ABNA. Élémentale de la Forêt-Noire en Allemagne. Peut-être aussi une élémentale des eaux.
La première série d’explications étymologiques découpe en effet son nom en ab = eau et noba = humidité. Ce qui est un peu redondant. Mais noba peut signifier aussi « brouillard, nuage, brume », ce qui a plus de sens. Abnoba serait alors « celle qui est dans les brouillards, celle qui suscite du brouillard ».
Une autre étymologie rapproche le nom d’Abnoba du nom de la rivière appelée Avon en Grande-Bretagne et segmente ainsi le nom : Abn signifiant eau, et oba.
Bref, Abnoba est en fait un élémental du sol des eaux et du manteau végétal (forêt) qui recouvre cette région d’Allemagne. On a retrouvé neuf inscriptions la concernant.
Abnoba est aussi honorée à Badenweiler en Allemagne où l’on a trouvé la mention Dianae Abnobae. Le pluriel suggère qu’il s’agissait peut-être d’une triade. L’inscription trouvée à Mühlenbach l’assimile à la Diane romaine.
Pline mentionne ce massif montagneux comme étant celui où le Danube prend sa source.
« L’Ister. Ce fleuve, né en Germanie dans les sommités du mont Abnoba, en face de Rauricum… traverse bien des milles au-delà des Alpes et d’innombrables stations, sous le nom de Danube ».
Tacite, dans sa Germanie, reprend l’information, mais utilise le nom de Danuuius. Ce qui prouve que l’assimilation est vraiment faite entre les deux noms, quel que soit l’endroit du fleuve dont on parle (Germ., I, 3) : « Le Danube, qui coule des pentes douces et faiblement inclinées du col du mont Abnoba ».
La géographie de Ptolémée (2.10) mentionne également la montagne comme source du Danube. Cette chaîne montagneuse est appelée Abnobaia ora au nominatif, latinisé en Abnobaei montes.
Les monts Abnoba seraient même plus précisément le plateau de la Baar, un bassin fertile entre la Forêt-Noire et le Jura Souabe.
N.B. Pour les géographes, et contrairement à ce que l’on croit généralement, le Danube ne naît pas à Donaueschingen, mais à la source de la plus longue des deux rivières, la Breg ; qui sort du massif de la Forêt-Noire au-dessus de la petite ville de Furtwangen, à 1100 m d’altitude.
CARMENTIS (Carman), princesse Belg d’une grande beauté, dont le sacrifice assurera pour longtemps à ses trois fils (Calmios/Calma : Habile, Dubios/Dubh : Noir, Olcos/Olc : Mauvais) la vie et la liberté, face aux peuples de la Grande Déesse-ou-démone, ou fée (les Tuatha Dé). Carmentis était donc peut-être une déesse ou démone de la guerre des Gaulois Fir Bolg, évhémérisée par les légendes médiévales irlandaises, qui les font venir d’Athènes (n’importe quoi !) Carmentis ayant le pouvoir de détruire les récoltes, Lug, Aoi Mac Ollamain, Crichinbel et Bé Chuille, seront chargés de l’arrêter, mais seule cette dernière sera en mesure de le faire. Carmentis/Carman est donc faite prisonnière, tandis que ses fils sont expulsés d’Irlande. Elle finira par mourir de chagrin et c’est Bregsos/Bres qui creusera sa tombe dans une chênaie, à Wexford. Des fêtes seront organisées autour de son tumulus funéraire tous les trois ans. Lors des fouilles du tumulus du Curragh (Comté de Kildare) en 1944, on a trouvé le cadavre d’une femme morte entre vingt et trente ans : il semble même qu’elle ait été enterrée vive. L’enterrée vivante de Kildare était-elle une vierge personnifiant Carmentis ?? Cela est difficile à dire, les mythes locaux parlant plutôt, ainsi que nous avons pu le voir,
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d’une grande magicienne. Tous ces renseignements figurent dans un des poèmes du Dindshenchas métrique, qui précise qu’elle mourut en 600 avant notre ère, ce qui correspond plutôt alors au peuplement picte de l’Irlande, et non au peuplement builg ou hibernien. La seule chose de sûre, c’est qu’à sa mort Carmentis est censée avoir été enterrée à Wexford dans un tumulus, et que l’on institua ensuite des courses de chevaux en son honneur…
LES PERCERNES. À Vaison-la-Romaine a été trouvée une inscription dédiée aux percernes. NIMPHIS AVG PERCERNIBUS T. GENGETIUS DIONYSIVS EX VOTO. Aux nymphes percernes, T. Gengetius reconnaissant.
On se perd en conjecture sur le sens du mot percernae. Certains le rapprochent d’un nom ancien du chêne (percunia) ou de la forêt dite hercynienne, d’autres font de ces nymphes des oréades, c’est-à-dire des nymphes des hauteurs.
ARDUINNA/ARDUNNA/ARDBINNA. Sorte de Flidais continentale.
Élémentale des sommets ou des hauteurs, boisées, notamment des Ardennes, connue par une inscription trouvée à Rome, où elle figure en compagnie du dieu-ou-démon celte Camulus, mais aussi des dieu-ou-démons romains Jupiter, Mercure, Hercule. Du vieux celtique *arduo – (hauteur) avec un suffixe en – inn et une finale féminine.
Cette Arduinna qu’une statuette nous représente sous les traits de la Diane romaine, chevauche un sanglier : celui-ci n’est donc pas victime, mais plutôt animal familier d’une chasseresse dompteuse.
La même entité divine est honorée sous le nom d’Ardbinna en Allemagne à Düren.
Le culte de cette élémentale semble avoir survécu jusqu’au VIe siècle dans la région de Villers-devant-Orval en Belgique, si l’on peut en croire la légende de saint Walfroy ou Wulfilaic. Il éleva une colonne non loin du temple de cette déesse ou démone de la chasse et vécut à son sommet de nombreuses années, sans rien pour se protéger des rigueurs de l’hiver, au point que les gelées lui faisaient tomber les ongles eux-mêmes. Jusqu’au jour où l’évêque du lieu lui déclara : « La voie que tu suis n’est pas la bonne. Il n’y a pas lieu de te comparer à Siméon d’Antioche [que l’on appelle actuellement saint Syméon le Stylite]. La rigueur du climat ne te le permet pas ».
Selon l’historien saint Grégoire de Tours, Walfroy rejoignit alors le monastère le plus proche : « Puisque désobéir à l’évêque est un crime ». Ensuite l’évêque fit détruire la colonne. « Je pleurai amèrement, dit saint Walfroy devenu moine, à Grégoire de Tours venu le visiter. Mais je ne voulus pas relever ce qu’ils avaient démoli, de peur de désobéir aux évêques. Depuis lors j’habite ici et je suis heureux d’être avec mes frères » (Vie de saint Walfroy).
L’animal associé à la déesse ou démone, ou fée, Arduinna, était le sanglier. Les Romains en ont fait une Diane chasseresse. On la représentait aussi armée d’une cuirasse ou d’un corselet, un arc à la main, et accompagnée d’un chien.
VOSEGOS/VOSEGUS. La stèle de Zinswiller nous permet de voir en Vosegus/Vosagos un dieu-ou-démon de la forêt, de la montagne, des eaux, chasseur, portant le nom même de la forêt vosgienne. Il est parfois représenté accompagné d’un chien ou d’un cerf. C’est l’élémental du massif vosgien et de la forêt qui le recouvre, dans l’est de la France, et notamment du Donon, qui constituait son haut lieu religieux. Au sommet du mont Donon (département français du Bas-Rhin) a été retrouvée en effet une statue représentant un dieu-ou-démon barbu et nu, accompagné d’un cerf. Il a des bottes, un épieu, un coutelas et une sorte de hachette à crochet ; il tient des fruits dans une peau de loup jetée autour de son cou.
Le même lieu a livré la dédicace au dieu-ou-démon Vosegus (Vosagos, d’où vient le nom des Vosges), armé d’un arc. L’hypothèse la plus vraisemblable est que ce dieu-ou-démon était primitivement anonyme, et qu’il aurait donc été le dieu-ou-démon topique, primitif, des sanctuaires du Donon et de la Wasenbourg, remontant aux premiers temps préceltiques et protoceltiques. Les premiers Celtes parvenus dans la région à l’âge du Bronze moyen lui auraient donné son nom.
Cet élémental (ou Teutatis ?) a été par la suite interprété en Silvain par les Romains, comme le prouvent les inscriptions suivantes.
Zinswiller, CIL XIII 6027 : « Vosego Sil (vano) s (acrum). Adnamus. Nertomari fil (ius) v.s.l.m.
Dédié à Vosegus Silvain. Adnamus fils de Nertomarus a consacré ce vœu librement et à juste titre.
Goersdorf, CIL XIII 6059 : « Vosego Sil (vano), Car (antus) Vin (dilli) v.s.l.m.
À Vosegus Silvain, Carantus fils de Vindillus a consacré ce vœu librement et à juste titre.
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La chaîne des Vosges couvertes de forêts profondes, loin d’être hostile, offrait à la population locale un refuge où abondaient toutes sortes de nourritures, et les druides locaux ont donc fait de l’élémental de ce lieu le premier de leurs dieu-ou-démon. Vosegos y est par conséquent considéré comme protecteur de la population, pourvoyeur d’abondance et de richesse.
SEARBHANN. Searbhán Lochlannach dans la légende de Diarmat et Grannia. Élémental de la forêt de Dubhros en Irlande, autrement dit la forêt noire du district de Hy Fiachrach dans le Comté de Sligo. Son nom signifie « amer ou revêche ». C’était un géant qui habitait dans une cabane aménagée dans les hautes branches d’un sorbier magique. Il avait des dents très longues et n’avait qu’un œil au milieu du front. Une sorte de cyclope donc ! Il était quasiment indestructible, ne pouvant être ni brûlé, ni noyé, ni blessé, par des armes quelconques. Il ne pouvait être tué en fait que par trois coups de sa propre massue, attachée à sa ceinture par une solide chaîne en fer. Ce qui fut le cas justement avec Diarmat (cf. l’histoire de Diarmat et Grannia). Ce cyclope avait pour mission de veiller sur le sorbier magique poussant au milieu de la forêt. Il était sorti d’une baie tombée par accident du sac d’un des enfants de la déesse ou démone, ou fée si l’on préfère, Danu (bia). Le malheureux avait d’ailleurs été sévèrement puni pour cela, puisqu’il fut exilé du monde paradisiaque des enfants de la déesse ou démone, ou fée, Danu (bia), et se retrouva dans le pays des géants. Avec l’interdiction absolue de revenir tant qu’il n’aurait pas trouvé quelqu’un pour empêcher que l’on abuse du pouvoir des sorbes de cet arbre magique.
Toute personne âgée qui mangeait de ses fruits retrouvait instantanément sa jeunesse, toute fille au corps difforme qui mangeait trois de ces sorbes devenait aussitôt la plus belle femme du monde. Mais Searbhan accepta justement, après avoir goûté des fruits de ce mystérieux sorbier, qui étaient plus doux que du miel. Les femmes de son pays le regrettèrent beaucoup, car malgré les apparences, c’était un musicien aux doigts très délicats et qui savait jouer de la harpe comme personne.
Au Pays de Galles, on retrouve peut-être cette figure mythique dans le conte de la dame à la fontaine (Iarlles y Ffynon) qui figure dans le mabinogi d’Owein.
Un dénommé Kynon ap Clydno raconte au roi breton Arthur ainsi qu’à ses hommes, l’étrange aventure qu’il a vécue un jour. Un noble seigneur qui l’avait reçu chez lui pour la nuit lui déclara ce qui suit.
« Reste dormir ici ce soir, tu te lèveras tôt demain matin, tu prendras la route que tu as suivie le long de la rivière là-haut, jusqu’à ce que tu arrives au bois que tu as traversé. À peu de distances du bois, tu trouveras une autre route partant sur la droite. Tu la suivras jusqu’à une grande clairière occupée par un champ, au milieu duquel se trouve un tertre. Au sommet du tertre, tu verras un homme noir, aussi grand que deux hommes de ce monde. Il n’a qu’un seul pied, ainsi qu’un seul œil au centre du front. Il a une massue de fer, et tu peux être sûr qu’elle pèse autant que ce que peuvent porter deux hommes de ce monde, quels qu’ils soient. Il est le garde de cette forêt. Tu verras mille animaux sauvages en train de paître autour. Demande-lui le chemin pour sortir de la clairière : il sera brusque envers toi, mais il te montrera tout de même la voie pour trouver ce que tu cherches ».
La nuit me parut longue. Le lendemain matin, je me levai, m’habillai, montai sur mon cheval, et suivis le chemin qui longe la rivière jusqu’au bois, puis la route de côté dont l’homme m’avait parlé, jusqu’à la clairière. Quand j’y fus, le nombre d’animaux sauvages que je vis me parut au moins trois fois plus grand que ce qu’avait dit mon hôte. L’homme noir était là, assis au sommet du tertre. Mon hôte m’avait signalé qu’il était grand : il était encore bien plus grand qu’il n’avait dit. Et la massue de fer que le noble seigneur disait peser la charge de deux hommes, et bien il m’apparut de façon évidente, Kei, qu’elle n’aurait pu être soulevée que par quatre hommes. Cette massue était dans la main de l’homme noir.
« Je le saluai, mais il me répondit de façon brusque. Je lui demandai quel pouvoir il avait sur tous ces animaux. « Je vais te le montrer, petit homme », dit-il. Et il prit sa massue à la main puis en asséna un grand coup sur un cerf, qui brama de toutes ses forces. Répondant à cet appel arrivèrent aussitôt une multitude de bêtes sauvages, aussi nombreuses que les étoiles du ciel, si bien que j’avais à peine la place de rester dans la clairière avec eux ; c’étaient des serpents, des vipères, et toutes sortes d’animaux. Puis il leur jeta un regard et leur ordonna d’aller paître. Ils inclinèrent alors la tête devant lui comme des hommes obéissants le feraient à l’égard de leur seigneur. Et alors il me demanda : « Est-ce que tu vois maintenant, petit homme, le pouvoir que j’ai sur ces animaux-là ? »
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NOREIA. Très très ancienne déesse-ou-démone-mère des Celtes. Connue par des inscriptions trouvées en Autriche, à Pulst, Kershbach (où elle est associée à Mars et à Britannia) ainsi qu’à Hohenstein et Feistritz, où elle est assimilée à Isis par interpretatio romana. On en trouve également des traces à Belgrade, en Serbie, à Trojana et à Celje en Slovénie, où elle est honorée avec Jupiter et Celeia. Une inscription mentionnant cette déesse ou-démone, ou fée si l’on préfère, a également été découverte à Cherchell en Algérie. Elle a donné son nom à la province romaine du Noricum en Autriche, qui correspond approximativement aujourd’hui à la Styrie, à la Carinthie, à des parties de la Bavière ainsi qu’aux régions de Vienne et de Salzbourg. Capitale l’actuel Neumarkt.
La Norique fut pendant longtemps l’avant-poste sud des peuples celtes, et donc le point de départ de leurs attaques sur l’Italie. C’est d’ailleurs à propos de la Norique que sont évoqués pour la première fois des envahisseurs celtiques. Des recherches menées notamment dans les cimetières de Hallstatt, à moins de 70 km de Noreia, ont montré qu’il y eut là une civilisation protohistorique florissante. Ces cimetières contenaient des armes et des ornements allant de l’âge du bronze jusqu’à l’âge du fer. Il y avait aussi d’importantes mines d’or et de sel ; la plante rare appelée saliunca, valériane, ou nard celtique, y poussait en abondance, et elle était utilisée comme parfum. Elle pousse à partir de 1800 mètres là où la lumière intense et l’air pur lui confèrent force et fraîcheur. Les huiles essentielles de sa racine ont un parfum amer épicé, unique et très caractéristique. Le nom de Noreia signifie « la Noble » et c’est donc en quelque sorte l’élémentale de la région des Alpes.
MOR MUMAN. Élémentale du Munster. Son nom signifie d’ailleurs justement « la grande, – sous entendu déesse ou-démone, ou fée – du Munster ». Il s’agit vraisemblablement d’une divinité du peuple celte primitif ayant donné son nom à l’Irlande, les Hiberniens ou Erainn, qui habitaient le pays avant la montée en puissance des Gaëls. Elle a certaines caractéristiques appartenant à la catégorie des déesse-ou-démones, ou fées, solaires, voire de la souveraineté ; mais semble aussi avoir quelque rapport avec la triple Morrigan irlandaise. Les Gaëls du Moyen-âge ont brodé beaucoup d’histoires à son sujet. On la retrouve notamment dans le récit intitulé en irlandais MÓR MUMAN ocus AIDED CÚANACH maic CAILCHÉNI : La Grande du Munster et la mort tragique de Cuan, fils de Cailchéne.
VINDOBARROS/FINNBHEARA/FINNVARR.
L’élémental du Galway en Irlande.
Sur cette divinité, on n’en sait guère plus que ce que nous en rapporte la légende irlandaise intitulée « La nourriture de la maison des deux seaux à lait (version V) ». C’est un frère de Mabon/Maponos/Oengus et il se comportera de façon odieuse avec la belle et malheureuse Etanna.
Finvarra, également appelé Finvara, Finn Bheara, Finbeara ou Fionnbharr, est le haut roi des Daoine Sidhe ou gens du Sidhe dans le folklore irlandais. Dans quelques légendes, il est également considéré comme étant le roi des morts. Vindobarros/Finvarra est une figure bienveillante qui assure de bonnes moissons, des chevaux en bonne santé, ainsi qu’une grande richesse à ceux qui croient en lui.
Il vit sous Cnoc Meadha (Knockmaa) une colline située au nord de la ville de Galway.
L’hérésie gaélique, et par hérésie, nous voulons seulement dire la déviation qui est allée un peu trop loin, par rapport aux grandes lignes du druidisme continental antique, qui est le druidisme de référence ; en fait le dernier roi des dieu-ou-démons. Vindobarros/Finvarra aurait négocié un arrangement avec les êtres humains les ayant vaincus (bataille pour la Talantio et bataille de Druim Lighean) ; afin d’être autorisé à rester sur place, avec tous ceux qui n’accepteraient pas d’être exilés ou occultés dans l’autre monde.
Ils auraient donc continué à vivre dans de grandes cités ou palais féeriques creusés sous terre, tout en persistant à intervenir de façon notable dans les affaires des êtres humains vivant à la surface du sol. Cette race fut crainte et respectée jusqu’à l’époque moderne, et personne en Irlande ne construisait quoi que ce soit sans avoir auparavant sollicité leur approbation.
Vindobarros/Finvarra aimait aussi beaucoup les chevaux. Il invitait donc parfois les jeunes gens à venir faire du cheval avec lui et on le voyait souvent sur un fringant destrier noir aux naseaux rouges.
Bien que marié à Oonagh (Onaugh, Una, Oona, Oonagy) la plus belle fée du monde, il avait aussi la réputation d’être un séducteur ou un homme à femmes. Il attirait les jeunes filles en les invitant à danser avec lui toute la nuit, et au petit matin on les retrouvait toujours dans son lit. Une des nombreuses légendes le concernant assure qu’un mari jaloux aurait réussi, après deux tentatives infructueuses, à l’obliger à lui rendre sa femme ; en le menaçant de creuser un puits dans la colline sous laquelle il demeurait, afin de l’exposer à la lumière du soleil, en répandant du sel sur la colline, et en l’entourant d’un cercle de feu.
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LA TRIADE DES FÉES DE TYPE MATRES, PATRONNES DE L’IRLANDE.
Rappel.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le voir, mais repetere = ars docendi ; les bonnes fées du Celte moyen de l’Antiquité semblent avoir été invoquées en Narbonnaise et en Lyonnaise sous le nom de Matres et dans les provinces rhénanes sous le nom de Matronae. Il y a néanmoins entre les fées de type matres et les fées de type matronae, la même différence qu’entre un père et un patron. Dans le premier cas il y a filiation biologique, dans le second cas il n’y a qu’une filiation ou une subordination spirituelle, voire sociale. L’historien français Camille Jullian les classe en quatre grandes catégories.
A) Celles qui sont affectées à un détail de la nature, qui peut être une montagne ou une forêt, voire des arbres, mais surtout des sources. La terminaison nehae indique la nature aquatique des fées en question. Nous pouvons ainsi considérer comme fées de sources les Matronae Cuchaeneae (C. I. L., XIII, 7923, 24), Rumanehae (C. I. L., XIII, 7869-8027, 28), Vesuniahenae (C. I. L., XIII, 7850, 54, 7925), Albiahenae (C. I. L., XIII, 7933-36) en pays rhénans ; les Matres Gerudatiae (C. I. L., XII, 505), Almahae (C. I. L., XII, 330), Ubelnae (C. I. L., XII, 333) en Narbonnaise ; les Matres Augustae Eburnicae, en Lyonnaise (Revue Épigraphique, III, page 49, n° 1220).
B) Celles qui protègent les lieux habités, villages ou villes. Leur universalité recouvre l’intégralité du monde celtique, voire indo-européen. C’est pour cette raison qu’elles sont régionalisées en zone romaine : Matres Traverae : pays des Trévires ; Matres Vediantia : pays des Vediontes de Nice. Elles ont par la suite été christianisées en Notre-Dame.
C) Celles qui constituent les génies de la famille, les fées de type matres mopates ou nedsamae, qui sont en quelque sorte des vierges à l’enfant, et dont le rapport avec la fertilité, la fécondité, ou la famille, est évident.
D) Celles qui président à certains faits de la vie humaine. Originellement, d’ailleurs il s’agissait d’une personnification, du destin, neutre. Mais la plénitude même de la grande loi cosmique dont elles sont la représentation, empêchera, par la suite, que l’on continue à les identifier à l’Englobant Universel personnifié des cultes populaires. Les fées de type matres étaient trop une limitation par rapport à l’infini, en dépit de cette personnalisation sous forme d’une triade « passé-présent-avenir », dont on retrouve trace presque partout.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, une fée de type matra ou matrona était rarement isolée, le plus souvent elle est représentée avec deux compagnes, l’une à sa droite, l’autre à sa gauche, mais chacune devait avoir sa personnalité et pouvait avoir son propre culte. Une inscription trouvée à Carnoules et à Pierrefeu dans le département français du Var, a même été dédiée à la troisième des fées de la triade locale, Trittia.
EN IRLANDE VOICI CE QUE CELA NOUS A DONNÉ, CAR EN IRLANDE NOMBRE DE CES FÉES DE TYPE MATRES SONT DEVENUES LES PROTECTRICES OU LES SAINTES PATRONNES DE CERTAINS CLANS.
ERIU (ou Erin, Eri, Eire, en latin Hibernia) est une déesse ou démone ; ou fée, souveraine de l’Irlande. Fille de Delbaeth, et d’Ernmas, épouse de Cetturo/Cethor dit Mac Greine, fils de Cermat, petit-fils du Suqellos Dagda Gargant. Le nom vient du proto-celtique iwerion/iweriu, un des noms de la terre. Elle faisait partie des Tuatha Dé Danann.
C’est la déesse ou démone, ou bonne fée, sainte patronne de l’Irlande, tout comme ses sœurs Banuta/Banba/Banva et Votala/Fotla.
Elle deviendra la personnification de cette île qui prendra son nom : Eire (le nom actuel du pays vient d’Ériu et du norse ou de l’anglo-saxon land).
Avec ses sœurs Banuta/Banba/Banva et Votala/Fodla, Ériu faisait partie de la triade de matres ou de fées régnant sur le pays et quelque peu analogues à celles que l’on voit représentées par trois sur le continent.
Lors de l’arrivée des êtres humains appelés fils de Mile ou Gaëls par les légendes, chacune des trois sœurs de cette triade de fées de type matres, aurait demandé que son nom soit donné au pays. C’est Ériu qui apparemment fut la plus convaincante. Elle sollicitera des nouveaux venus arrivant sur la colline d’Uisnech, qu’ils lui promettent, s’ils réussissaient à s’y établir, de donner son nom à l’île tout entière. Leur « sage » nommé Amorgen assura donc à Ériu que la terre en question porterait bien son nom, et celle-ci prophétisa en retour que le pays tout entier appartiendrait désormais aux Gaëls ou Milésiens.
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Le seul problème est que cette légende milésienne, sur l’origine des Gaëls, est sans fondement sérieux. Elle n’est conforme ni à l’Histoire ni au cadre mythique habituel du monde celtique, et ressemble plutôt à ce que l’on appelait alors « evocatio » chez les Romains : une prière afin de corrompre les dieu-ou-démons de l’ennemi. Les Romains pensaient en effet, comme la plupart des peuples de l’époque d’ailleurs, que les dieu-ou-démons également ont des points faibles, à l’image de l’homme, en d’autres termes, et que les dieux ne sont donc pas parfaits…
Dictionnaire des religions. « L’evocatio est un rituel du droit religieux romain qui se présente comme un contrat passé entre le représentant de Rome, et les dieu-ou-démons de l’ennemi ; auxquels il offre de meilleures conditions de séjour et d’entretien, s’ils consentent à quitter le sol de l’adversaire et à venir s’installer à Rome ».
N.B. Le résultat de cette étrange attitude des Romains fut d’ailleurs que leur panth-éon finit par compter un certain nombre de dieu-ou-démons empruntés aux autres peuples, importés, en quelque sorte d’occasion.
(Macrobe, Saturnales, III, 9,6.) « S’il y a une divinité, que ce soit un dieu ou une déesse, gardien tutélaire de l’État de Carthage, je conjure cette divinité, je la prie et je la supplie, qu’elle veuille bien abandonner ce peuple perfide. N’honore plus de ta présence leurs temples, leurs cérémonies, ni leur cité ; inspire-leur la peur l’infamie et l’oubli. Viens à Rome où, au cœur de mon pays et parmi les miens, tu auras de plus nobles temples, et des sacrifices plus acceptables ; tu seras la divinité tutélaire de cette armée, ainsi que de l’État romain. Si tu fais ça, je te promets de construire des temples et d’instituer des jeux en ton honneur ».
N.B. Rappelons que même Bonaparte eut recours à ce genre de tactique psychologique puisque, pendant la campagne d’Égypte, il faillit se convertir à l’islam.
Il est vrai que se convertir à l’islam n’est pas une preuve d’intelligence, sauf si c’est sous la contrainte comme dans le cas des Toulaqa (le cinquième calife son père, etc.). Tout comme persister en toute connaissance de cause à demeurer chrétien d’ailleurs ! Demeurés chrétiens et convertis à l’Islam se situent toujours sur le même plan au niveau intellectuel, c’est-à-dire à l’étiage de la foi et non au niveau de la raison, grande absente, avec l’athéisme MILITANT, des plateaux de télévision.
Le mot « version » étymologiquement parlant signifie « tourner » « changer de direction ». Mais son sens le plus clair, celui où cela tourne bien est celui de la manœuvre militaire connue consistant s’il s’agit d’une armée à pivoter, une de ses extrémités restant fixe. Comme cela se fait généralement en ordre serré cela implique beaucoup de professionnalisme pour ne pas dire d’entraînement, même si le résultat final n’est pas toujours au rendez-vous, ce qui ne fut pas le cas pour les compagnons d’Alexandre lors la bataille de Gaugamélés. La volte-face de la cavalerie lourde menée par Alexandre fut en effet décisive.
Comme exemple inverse on peut citer les changements d’orientation religieuse, le changement de religion en effet n’étant jamais un domaine où les choses sont aussi claires et où les gens tournent aussi bien que les compagnons d’Alexandre habitués à ce genre de manœuvre. On peut mal tourner. Ou tourner mal !
Suivant les cas ! Et n’oublions pas que dans converti il y a « con » ! Latin cum ! Tout un monde ! Ce préfixe entre en effet dans la composition de nombreux termes.
Les musulmans parlent d’ailleurs d’apostasie quand ça ne tourne pas en leur faveur.
Plus prosaïquement, il semble bien qu’Ériu soit la déesse ou démone, ou fée si l’on préfère utiliser ce terme, éponyme, du premier peuplement irlandais, les Hiberniens ou Erainn, tribu du Sud de l’île, mais l’ayant dominée un temps. Ériu apparaît aussi en reine, épouse d’Elatha et mère du roi déchu Bregsos/Bres.
D’après Seathrún Céitinn (Keating), elle aurait adoré la Bodua/Badb qui est, elle aussi, dite fille d’Ernmas. Certains en déduisent, un peu hâtivement peut-être, qu’il s’agirait d’un seul et même personnage. Ce qui est possible par contre, c’est que la corneille soit un animal associé à Ériu, comme tendraient à la prouver certaines légendes la concernant.
Elle avait en effet la réputation de passer en un instant de l’état de belle princesse aux grands yeux à celui de corneille grise au bec pointu.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de l’écrire plus haut, Ériu affrontera les êtres humains appelés Milésiens ou Gaëls par les légendes, mais fut vaincue par eux à la bataille d’Uisnech, une colline située dans le Westmeath, traditionnellement considérée comme le centre de l’Irlande et marquée d’une pierre sacrée (point de jonction des frontières des quatre provinces) ainsi que par des feux rituels.
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VOTALA/FODLA/FODHLA/FOLA. Son nom signifie sous (vo) terre (tala). Une des trois matres ou bonnes fées veillant sur l’Irlande. C’est une des reines des Tuatha Dé. Elle est fille d’Ermas et de Delbáeth, et femme de Tetturo/Tethor dit Mac Cecht, fils de Cermat, petit-fils du Suqellos Dagda Gargant. Lorsque les premiers êtres véritablement humains, les pseudo-milésiens, appelés aussi Gaëls, débarqueront, chacune des trois sœurs leur demandera de donner son nom à l’île ; c’est le nom d’Ériu qui sera préféré, mais celui de Votala/Fodla sera aussi utilisé comme allégorie, comme dans le cas du nom d’Albion pour désigner la Grande-Bretagne.
Votala/Fodla devra aussi affronter les humains lors de la bataille de Sliab Eibhline, après y avoir rencontré le « sage » Amorgen, et y sera vaincue. Elle mourra un peu plus tard lors de la bataille finale menée pour la possession de Tailtiu Taillten ou Tailtin (en vieux celtique Talantio, un des noms de la terre, tout un programme) aujourd’hui Telltown dans le comté de Meath.
BANUTA/BANVA/BANBA (graphie moderne Banbha). Banuta, Banbha, Banva, forme, avec Ériu et Votala/Fodla, la triade de bonnes fées veillant sur l’Irlande, la triade de fées s’étant penchées sur son berceau en quelque sorte.
Si son nom signifie « qui a des cornes » ; quelle que soit son interprétation : la cornue au sens de « qui a des cornes poussant sur le front » ou « qui a une corne d’abondance à la main » ; cela en fait clairement une déesse ou démone, ou bonne fée, de l’abondance et de la fertilité. Banuta figure alors sans doute aussi dans la statuaire gallo-romaine, par exemple dans le cas de la statuette découverte à Broye-les-Pesmes en France, et conservée aujourd’hui au British Museum. Ce qui dans cette hypothèse, en ferait la parèdre (shakti dans l’hindouisme) du nemet Cornunnos. Dans la légende de Cessair, Banuta/Banba/Banva est la première reine ou maîtresse de l’île d’Irlande.
Une autre étymologie de son nom l’associe au sanglier ou au porc comme Arduinna la déesse ou démone, ou fée, des Ardennes belges.
Cette divinité irlandaise étant traditionnellement associée à la famille de dieu-ou-démons connue sous le nom de peuple de la déesse ou démone, ou fée si l’on préfère, Danu (bia), ou Tuatha Dé Danann en gaélique ; tout cela ne colle pas très bien avec les récits nous montrant les dieu-ou-démons débarquant plus tard, bien plus tard. À moins que Banuta n’ait été rattachée qu’ultérieurement par les légendes, et de façon un peu artificielle, aux gens de la déesse ou démone, ou fée, Danu (bia).
Elle est fille d’Ernmas, et de Delbáeth, et l’épouse de Setros/Sethor dit Mac Cuill, fils de Cermat, petit-fils du Suqellos Dagda Gargant. Banuta/Banbha elle aussi affrontera les humains, lors de la bataille de Sliab Mis dans le Kerry, après y avoir rencontré le « sage » Amorgen, et y sera vaincue. Elle mourra un peu plus tard lors de la bataille finale menée pour la possession de Tailtiu, Taillten, ou Tailtin (en vieux celtique Talantio) de nos jours Telltown dans le comté de Meath.
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RAPPEL HISTORIQUE SUR LE VRAI PEUPLEMENT DE L’IRLANDE.
Nous avons signalé ci-dessus le caractère faussement historique de l’invasion milésienne ou gaélique en Irlande, et donc par là même de la plupart des événements qui s’y rapportent dans l’hérésie médiévale irlandaise. Arrivé à ce point de notre exposé un bref rappel des faits s’impose.
L’Âge du bronze (2500 avant notre ère – 700 avant notre ère).
L’Âge du bronze commence véritablement lorsque du cuivre est allié avec de l’étain pour produire des objets en bronze. En Irlande, cela se passa vers 2000 avant notre ère, lorsque quelques haches plates et des objets semblables furent fabriqués à Ballybeg.
La période précédente s’appelle le Chalcolithique ou Âge du cuivre, la plupart des haches de Ballybeg et de Lough Ravel furent produites à cette époque. Le bronze a été utilisé pour fabriquer à la fois des armes et des outils. Épées, haches, dagues, hallebardes, alènes, gobelets, trompettes, figurent parmi les objets découverts dans les sites de l’âge du bronze. Les artisans irlandais devinrent particulièrement réputés pour leurs trompettes en forme de cor, fabriquées par la méthode de la cire perdue. On en retrouve dans toute l’Europe, et l’on peut en voir une représentation auprès du Gaulois mourant, sculpture grecque attribuée à Épigone.
Le cuivre, nécessaire à la fabrication du bronze, était extrait sur place, principalement dans le sud-est du pays, tandis que l’étain était importé de Cornouailles en Grande-Bretagne. La plus ancienne mine de cuivre connue dans ces îles est située dans la péninsule de Ross Island dans le comté de Kerry. L’exploitation minière et la métallurgie s’effectuèrent sur place entre 2400 et 1800 avant notre ère. Une autre des mines de cuivre les mieux préservées d’Europe a été découverte au mont Gabriel dans le comté de Cork. Elle fonctionna pendant plusieurs siècles au milieu du second millénaire. On estime que les mines de Cork et du Kerry ont produit pas moins de 370 tonnes de cuivre durant l’âge du bronze. Comme les objets mis à jour ne représentent que 0,2 % à peu près de cette production de cuivre, on peut supposer que l’Irlande a été un des principaux exportateurs de cette période.
L’Irlande était également riche en or à l’état natif, et l’âge du bronze vit la première exploitation importante de ce métal précieux par des artisans irlandais. De toute l’Europe, c’est en Irlande qu’a été découvert le plus grand nombre de trésors en or de l’âge du bronze. Des ornements fabriqués en Irlande ont été retrouvés jusqu’en Allemagne et en Scandinavie. Aux premières époques de l’âge du bronze, ces ornements consistaient en de simples croissants ou disques faits avec de minces feuilles d’or. Plus tard, le torque irlandais bien connu fit son apparition. C’était un collier fait d’une tige ou d’un ruban de métal torsadé, formé en boucle. Des boucles d’oreilles en or, des disques solaires et des lunules (croissants lunaires portés autour du cou), furent aussi fabriqués en Irlande durant l’âge du bronze.
Un des types de poterie les plus distinctifs, la céramique en forme de cloche, fit son apparition dans l’île à cette époque. Elle différait beaucoup de la poterie fine à fond rond du néolithique. On a pensé un moment que cette poterie était associée à un peuple particulier, la population campaniforme, dont
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l’arrivée aurait coïncidé avec l’introduction de la métallurgie. Mais cette théorie n’est maintenant plus guère défendue : il n’y a pas eu de population campaniforme, et la métallurgie s’était établie en Irlande bien avant l’apparition de la céramique à fond rond. La variante irlandaise de cette poterie est d’origine locale, et son apparition est la preuve d’une influence étrangère plus que d’une invasion massive.
De petits dolmens en coin continuèrent à être bâtis pendant l’âge du bronze, mais les grandioses tombes à passage du néolithique furent abandonnées pour toujours.
Vers la fin de l’âge du bronze apparurent les premières tombes à ciste : elles consistaient en un petit coffre en pierre rectangulaire, couvert d’une dalle, enfoui à faible profondeur. De nombreux cercles de pierres furent érigés à cette période, en Ulster et au Munster notamment.
Durant l’âge du bronze, le climat de l’Irlande se détériora, et des déforestations massives furent effectuées. À la fin de cette ère, la population comptait probablement plus de 100 000 personnes, atteignant peut-être même les 200 000 individus, soit guère plus qu’à l’apogée du néolithique.
L’Âge du fer correspond à la présence d’une population celte. Selon T. F. O’Rahilly, cette population se distinguait de ses prédécesseurs par l’usage du fer, et partageait un certain nombre de traits civilisationnels communs avec les autres peuples du Centre et de l’ouest de l’Europe. L’importance relative des invasions massives et des diffusions civilisationnelles lentes dans l’apparition de ces similitudes fait encore débat. On pensait traditionnellement que ce furent les envahisseurs celtes qui amenèrent avec eux en Irlande la langue celtique ; mais de récentes études génétiques et archéologiques suggèrent maintenant que l’adoption de la langue et de la civilisation celtiques fut un processus beaucoup plus progressif ; animé par des échanges culturels avec des groupes celtes de l’intérieur du pays.
Ce domaine souffre du fait qu’il appartient en commun à plusieurs disciplines universitaires, et que les tentatives de synthèses donnent souvent lieu à des controverses. Les synthèses historiques réalisées il y a plusieurs siècles, et fondées principalement sur des études mythologiques et linguistiques, sont encore fréquemment citées comme des références ; alors que des analyses plus modernes des mêmes matériaux aboutissent à des interprétations plus générales. Ou que des preuves archéologiques voire génétiques, suggèrent d’autres conclusions. Ce qui complique encore davantage les choses, ce sont les liens complexes qui existent entre l’interprétation de la préhistoire irlandaise, et la conception de l’identité nationale.
Les langues celtiques de Grande-Bretagne et d’Irlande peuvent être divisées en deux groupes : le groupe gaélique ou goïdélique et le groupe brittonique. L’apparition des premiers écrits au Ve siècle révéla l’usage du gaélique en Irlande, et du brittonique en Grande-Bretagne. Il fut donc naturel de supposer tout d’abord que l’Irlande avait été envahie par des Celtes gaéliques, pendant que la Grande-Bretagne l’avait été par des Celtes brittoniques. Aujourd’hui encore, il n’est pas rare d’entendre soutenir qu’il n’y a eu qu’une seule vraie invasion celtique dans l’histoire irlandaise, celle des Gaëls. Selon cette théorie, en 350 avant notre ère, un groupe de personnes, appelé Fils de Mile ou Milésiens, aurait introduit la langue irlandaise en Irlande, et soumis les populations préceltiques, grâce à son armement supérieur et à ses cheveux roux. Mais cela relève davantage de l’idée reçue ou de l’acte de foi.
La vérité comme toujours est plus complexe. Le spécialiste du celte, T. F. O’Rahilly, a proposé un modèle pour la préhistoire irlandaise, fondé sur son étude des influences sur la langue, et une analyse critique de la mythologie ainsi que de la pseudohistoire. Ses idées, bien qu’encore extrêmement influentes, ne sont plus acceptées sans nuances. T. F. O’Rahilly distingue quatre vagues successives d’envahisseurs celtes.
— Les Cruithne ou les Priteni (de – 700 à – 500).
— Les Builg ou les Iverni : Érainn (vers – 500).
— Les Lagin, les Domnainn et les Gálioin (vers – 300).
— Les Goidels ou les Gaëls (vers – 100).
Les écrits connus aujourd’hui en Irlande ne remontent pas au-delà de 431. Le roi gaélique de Tara, connu sous le nom de Niall Noigiallach ou « Niall aux neuf otages », est la plus ancienne figure historique, dont l’existence n’est contestée par personne, et sur laquelle nous avons quelques connaissances. Selon les archives existantes, son père, Eochaid Mugmedon, était roi de Tara, et dirigeait le royaume de Mide.
Niall succéda vraisemblablement à son père vers l’an 400, et il aurait régné pendant vingt-sept ans. Son règne consacra l’avènement de Tara comme puissance dominante du pays. À l’origine de ce pouvoir, il y avait eu la conquête de l’Ulster : aboutissement de siècles de conflit entre les Gaëls de Tara et les Ulaid d’Emain Macha. Ce conflit est évoqué dans le cycle de légendes connu sous le nom
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de Cycle d’Ulster, qui inclut l’épopée nationale irlandaise : la Táin Bó Cúailnge ou Enlèvement des bovins de Cooley.
N.B. La conquête gaélique de l’Ulster fut entreprise principalement par trois des fils de Niall, Eógan, Enda et Conall Gulban, qui furent récompensés par la constitution de trois sous-royaumes dans l’ouest de la province nouvellement conquise.
Après la mort de Niall, son fils, Lóegaire mac Néill, lui succéda comme roi de Tara. C’est durant son règne que le christianisme fut officiellement introduit dans le pays.
AUTRES ÉLÉMENTALS DE LA TERRE, PARTICULIERS : SUITE.
AGNA/AINE. Ainsi que nous avons pu le voir, en Irlande, nombre de fées de type matres, sont devenues les protectrices ou les saintes patronnes de certaines familles. Aine était la sœur ou la fille d’Eogabail, lui-même fils adoptif de Belenos Barinthus dit Manannan Mac Lir. Cette déesse ou démone, ou fée, a des liens avec Omagh dans le comté de Tyrone et avec le Derry où il y a des puits qui lui sont consacrés (Tobar Aine). Dans ce comté, les légendes locales racontent d’ailleurs que c’était une simple mortelle enlevée par des gens de l’autre monde, et que la famille des O’Corra en serait issue.
Une autre de ses demeures est située à Dunany point (Dun Aine) dans le comté de Louth, il y a d’ailleurs une pierre appelée Cathair Áine non loin. Trois jours de l’année lui sont consacrés, les premiers vendredis, samedis et dimanches, qui suivent la Lugnasade (1er août), et elle réclame une vie humaine à ce moment-là.
Aine en l’occurrence est surtout connue comme reine des fées du Comté de Limerick. Un cairn et trois cercles de pierres appelés Mullach an Triuir sur le sommet de la colline de Cnoc Áine, non loin du village de Knockainy (Cnoc Áine ou Knockainy signifie d’ailleurs tout simplement « colline d’Aine ») à quelques kilomètres au sud-ouest du lac de Lough Gur ; passent pour être sa demeure ou son palais. Non loin de là s’élève aussi Cnoc Finnine, la colline de la sœur d’Aine, associée au fenouil par jeu de mots. Au XIXe siècle encore, lors du solstice d’été, on brûlait de la paille ou du foin en son honneur, au sommet de la colline (certains affirment même avoir vu la déesse ou démone, ou la fée, participer à la fête). Et l’on en répandait ensuite la cendre sur les champs ou sur le bétail.
Les guérisseurs de l’époque la considéraient comme maîtresse de l’étincelle de vie animant les corps, et aucune saignée n’était pratiquée ce jour-là, de peur de tuer le patient. Elle était donc censée pouvoir guérir les maladies, ce qui la rapproche beaucoup des matres continentales effectivement. Son symbole n’était pas le trèfle, mais la reine-des-prés ou spirée ulmaire. Une plante herbacée vivace de la famille des rosacées, anti-inflammatoire, diurétique, sudorifique, astringente, tonique, antispasmodique, cicatrisante, antalgique, qui possède aussi des propriétés digestives.
SURVIVANCES MÉDIÉVALES.
La légende veut qu’Aine ait été enlevée par le premier roi du Munster, Ailill Olom et qu’elle soit devenue ainsi l’ancêtre des rois de cette province, mais Ailill Olom dut en subir les conséquences. Il eut l’oreille déchirée, en outre Aine le fit assassiner. Elle était aussi la protectrice ou la sainte patronne attitrée des Eoghanacht.
Au XIVe siècle Maurice Fitzgerald, premier comte de Desmond, est dit l’avoir épousée ou avoir eu avec elle un enfant appelé Geroid ou Gearóid. Le comte l’avait aperçue en train de se peigner ou de se brosser les cheveux au bord de la rivière, et avait réussi à saisir son manteau. D’autres variantes de la même légende racontent qu’Aine se baignait bien à ce moment-là et que le comte n’accepta de
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lui rendre son manteau que si elle acceptait de l’épouser. D’autres versions nous montrent Aine prenant l’initiative de séduire volontairement le comte. Toutes ces histoires s’accordent néanmoins à raconter ce qui suit à propos de Geroid Iarla, à propos du comte Gérald, dit le magicien. Maurice Fitzgerald, son père, avait promis à la fée Aine de ne jamais s’étonner de ce que pourrait faire leur fils, quoi que cela puisse être. Mais ce dernier, lors d’un banquet, défié par une jeune magicienne, ayant sauté dans une bouteille puis ayant pu en ressortir sans dommage, afin de prouver que c’était bien lui le plus fort ; Maurice Fitzgerald ne put s’empêcher de laisser paraître sa surprise. Une bise froide et glaciale se mit alors à souffler dans la grande salle des fêtes, Geroid s’en alla et marcha un instant le long du lac. Puis, après s’être retourné pour faire un geste d’adieu à son père, il entra dans l’eau et se transforma en oie sauvage. Son père, le cœur brisé, le vit partir vers l’île de Garrett où il disparut peu à peu dans le lointain. Certains disent que l’on peut l’apercevoir dans les profondeurs, attendant l’occasion de revenir dans le monde des hommes, quand les eaux du lac de Lough Gur sont calmes et tranquilles. On raconte aussi que son fantôme émerge du lac tous les sept ans, chevauchant un cheval blanc aux sabots d’argent, lors des nuits de pleine lune, avant d’y retourner après en avoir fait le tour.
Quant à la déesse ou démone, ou fée, Aine, rendue furieuse par cette trahison de la promesse qui lui avait été faite, comme dans le cas de la Française Mélusine, elle repartit vivre à Knockainy.
OÏBELA/AOÏBHEALL/AOÏBHELL/AOÏBHIL/AEBIL/AEVAL/EEVELL/IBHELL/AIBINN/EEVIN.
Ainsi que rappelé précédemment, nombre de fées de type matres, en Irlande, sont devenues les protectrices ou les saintes patronnes d’un certain nombre de clans. Aoïbheall est un élémental du nord du Munster. Son nom vient du protoceltique Oïbela, qui signifie littéralement « feu brûlant ». À Trèves en Allemagne, une inscription mentionne une « Obela », et à Spring en Autriche une Obila est associée à Hercule. En France, sur la Table de Peutinger, une station alpine est appelée Obilonna (l’actuel hameau d’Arbine sur la commune de La Bâthie en Savoie) et en Espagne enfin, on trouve Obila, Bilus, Obiledus, Obellianus.
De nombreuses légendes ont été rapportées à son sujet. À en croire Donal O’Sullivan (1893-1973) et ses « Chansons d’Irlande », c’était la reine des fées du comté de Thomond, patronne ou protectrice des O’Brien. Et sa demeure, Carraig Liath (Craigeevil) ou La Roche Grise, est une colline surplombant le Shannon à environ deux kilomètres et demi au-dessus de Killaloe, du côté de Clare.
Dans une des chansons recueillies par Seán Ó Seanacháin et intitulée en gaélique Buachaill Caol Dubh, Aoïbheal apparaît à un jeune couple et offre à l’homme de mettre cent fées à sa disposition comme domestiques ; s’il accepte de renoncer à sa jeune épouse pour venir dans son lit. Mais il refuse, à la plus grande joie de la jeune mariée bien entendu, et Aoïbeal disparaît aussitôt.
D’autres légendes nous la montrent accompagnant Brian Bórama (Borou) à la bataille de Clontarf en 1014, et tombant amoureuse d’un des hommes de Brian Borou, Dubhlaing ua Artigan. Il avait été exilé par le roi, mais avait rallié le camp Gaël et rejoint les hommes de son fils aîné. Oïbela/Aoïbheall n’ayant pu le dissuader de participer au combat, elle jeta sur lui un charme qui le rendit invisible. Mais en vain. Le jeune homme rejeta cette facilité, qu’il trouvait déshonorante, et Dubhlaing ua Artigan fut tué en compagnie du fils aîné du roi. Oïbela/Aoïbheall donna aussitôt une harpe magique, celle par laquelle le hésus Cuchulainn avait entendu annoncer sa propre fin, au fils d’un dénommé Meardha, pour que ce dernier informe le roi Brian de la mort héroïque de son fils. C’est une fée de la même catégorie qu’Aine ou Cliodna, sa grande rivale, qui finira par la métamorphoser en chatte blanche.
Note de la rédaction.
La fée Aoïbheal, Aoïbhioll, Aeval, est mentionnée dans la parodie de l’Énéide écrite par Donnchadh Ruadh Mac Conmara (MacNamara. 1715-1810).
Elle a aussi été mise en scène par le grand poète irlandais Brian Merriman (1747 – 1805), dans un étonnant poème intitulé « Le Tribunal de Minuit », en gaélique Cúirt An Mheán Oíche
Il s’agit bien entendu d’une œuvre de pure fiction n’ayant rien à voir avec une mythologie, un panth-éon (plérôme), ou une spiritualité au sens supérieur du terme. Mais il n’en demeure pas moins que ce texte est remarquable à plus d’un titre et nous en conseillons vivement la lecture.
En voici le résumé.
Le poème commence en utilisant les conventions de l’Aisling, ou du poème de vision. Le poète, au cours d’une promenade, se couche sur la bruyère et s’endort. Une fée lui apparaît en songe et lui demande de la suivre jusqu’à Feckle, où la reine des fées, Aoïbhioll, tient sa cour de justice.
Se déroule alors un procès, dans lequel une jeune femme fait appel à la fée Aoïbheall afin qu’elle prenne des mesures contre les jeunes gens d’Irlande qui refusent de se marier. Un vieil homme lui
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répond. Il se lamente tout d’abord sur l’infidélité de sa jeune femme, et, de façon plus générale, sur la vie dissolue des jeunes femmes. Il en appelle à la reine pour mettre un terme définitif à l’institution du mariage, et pour la remplacer par un système d’amour libre. La jeune femme répond en se moquant de l’incapacité du vieil homme à satisfaire les besoins de sa jeune femme. La jeune femme demande qu’un terme soit mis au célibat du clergé, afin d’élargir le champ des époux potentiels.
Après l’audition de ces plaidoyers pour et contre le féminisme, la reine rend son arrêt. Tout homme d’âge viril qui n’est pas marié devra être puni. Quant à ceux qui sont égoïstes et durs avec les femmes, la décision les concernant est réservée pour la prochaine session. Le poète qui n’est pas encore marié bien qu’ayant trente ans, est aussitôt amené pour subir, le premier, les effets de la nouvelle loi. C’est la jeune femme qui, avec l’aide de ses amies, est chargée de lui donner la bastonnade. On l’étend sur la table ; mais au moment où son supplice va commencer, la jeune femme juge à propos de noter la date de la loi. Et, pendant qu’elle écrit, le poète, au comble de l’angoisse, se réveille pour s’apercevoir qu’il s’agissait seulement d’un cauchemar.
CLIODHNA.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le souligner, en Irlande nombre de fées de type matres sont devenues les protectrices ou les saintes patronnes de certains clans. Cliodhna est par exemple une fée du genre matra (pluriel matres) ou une déesse ou-démone reine des fées du Munster. Elle possède trois oiseaux magiques (des grues ou des corneilles, selon les versions de la légende), qui se nourrissent exclusivement de pommes enchantées ou magiques, et dont les chants ont le pouvoir de guérir les malades, ou de procurer le sommeil éternel.
Cliodhna est dite avoir quitté sa résidence de « Tir Tairngire » (Terre des Promesses – autre nom du Sidh), par amour pour Ciabhán ; un simple mortel qui périra, noyé par une gigantesque vague envoyée par le dieu-ou-démon Barinthus Manannan Mac Lir, dans le port de Glandore. Quant à Cliodhna, qui avait alors été plongée dans un profond sommeil, elle sera ramenée dans la Terre des Promesses par la vague en question.
La marée porte désormais à cet endroit le nom de « Tonn Chlíodhna » : la vague de Cliodhna.
Cette histoire n’est pas sans rappeler celle de Conle, le fils du roi Conn Cetchathach, dont une femme de l’autre monde était tombée amoureuse ; et qui parviendra donc à l’entraîner dans l’univers parallèle au nôtre que nous désignons sous le nom d’au-delà, en dépit des efforts du druide Corann.
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ÉLÉMENTALS DES HAUTEURS OU DES SOMMETS.
Le culte des hauteurs, comme celui des eaux, n’a pas été inventé par les très-sachants de la druidiaction (druidecht). On l’observe chez beaucoup de peuples anciens. Le culte des montagnes est par exemple prépondérant dans les Pyrénées, où l’on rencontre des pics sacrés, des inscriptions dédiées à la montagne anonyme (« aux montagnes divines », donc considérées comme animées par un élémental. N.D.L.R.). À l’inverse des basses terres, animées par l’activité fébrile des hommes, la montagne dresse les pentes stériles et désertiques d’un monde intermédiaire entre l’Homme et l’Être supérieur.
Toute montagne est un exhaussement vers le soleil et vers le ciel, où trônent les dieu-ou-démons aériens. Les nuées qui flottent autour d’elle se déchirent et se reforment sans cesse, les éclairs qui la frappent, ces jeux alternés de l’ombre et de la lumière, entretiennent une atmosphère de fantasmagorie inquiétante. Toute hauteur est un lieu de dynamisme terrien, étant un point du sol soulevé par une puissance interne. Les hauteurs sont les colonnes du ciel (ou les arbres soutenant le ciel) ; elles sont plus près des dieu-ou-démons, qui s’y manifestent souvent par la foudre. On y grave des effigies et des messages. On y élève de petits autels de pierre (les « autarets » dans les Alpes), on y érige des statues.
POENINUS (Poeninus, Poininus, Pyninus, Penninos). Du celtique penno « tête ». Élémental des hauteurs ou des sommets. Ou alors simple attribut divin de Taran/Toran/Tuireann. On retrouve ce nom dans celui de la chaîne montagneuse des Pennines – dite « colonne vertébrale de l’Angleterre » – et qui s’étend du Peak District dans les Midlands, jusqu’aux Cheviot Hills à la frontière de l’Écosse. Connu également en Italie du Nord par les écrits de Tite-Live et ceux de Maurus Honoratus Servius, qui situe son temple au col du Grand-Saint-Bernard, et l’assimile à Jupiter. Et par des plaques votives trouvées dans un de ses temples situé dans le Val d’Aoste. Le sommet le dominant de sa hauteur était appelé Summus Poeninus. Pyninus est la variante mentionnée sur une inscription du Grand-Saint-Bernard, Poinnius dans une inscription trouvée à Tirnovo, en Bulgarie, où il est assimilé au dieu-ou-démon Sylvain, par interpretatio romana.
ALISANOS. Alisanus. Connu par trois inscriptions, à Couchey en Côte-d’Or, ainsi qu’à Viévy, mais aussi à Aix-en-Provence (France).
Inscription de la patère de Couchey.
DOIROS SEGOMARI
IEVRV ALISANV
Doiros fils de Segomaros
a consacré ceci à Alisanos.
Inscription de Viévy.
DEO•ALISANO•PAVLLINVS ?
PRO•CONTEDIO•FIL•SVO ?
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V•S•L•M•
Au dieu Alisanos, Paullinus
pour Contedius son fils,
a consacré ce vœu librement et à juste titre.
Peut-être un élémental des falaises ou des rochers en général (anciennement Palisanos). Certains chercheurs en font un élémental des alisiers.
ALAMBRINA. Élémentale du mont Alambre (Hautes-Alpes, France).
BAGINUS. Élémental du mont Vanige, près de Bésignan (Drôme, France).
BAGINA. Forme féminine de la même divinité.
BERGIMUS. Élémental des sommets, connu par des inscriptions trouvées à Brescia et Arco dans le nord de l’Italie. Comme Brixianus et Brixia, il s’agit d’une divinité des hauteurs, et donc vraisemblablement le dieu-ou-démon tutélaire de Bergame (toujours en Italie).
GARRA. Élémental du Pic du Gar (Haute-Garonne, France).
VINTUR. Élémental attesté par trois inscriptions, découvertes dans la Drôme et le Vaucluse en France. Élémental des sommets. C’est lui qui donne son nom au Mont-Ventoux (à moins que ce ne soit le contraire).
GENITI GLINNE. Esprits des vallées qui, maléfiques dans un épisode du Fled Bricrend ou « Festin de Bricriu », s’en prendront à trois de nos plus valeureux héros : Loegaire, Conall Cernach et le hésus Cuchulainn. Seul Cuchulainn en viendra à bout et finira par les tuer (ils sont au nombre de trois fois neuf), sans dommage pour lui.
AMBIRENAE. Des élémentales connues par deux inscriptions découvertes à Deutz en Allemagne. La première est une inscription dédiée à toute une série de divinités parmi lesquelles on relève le nom d’Ambiorenesibus (les Ambiorenses). C’est-à-dire celles qui vivent de part et d’autre du Rhin. Il s’agirait par conséquent d’une triade de fées. La seconde est une pierre votive s’adressant à Hercule Magusanus, mais sa lecture est plus incertaine, matronis Abirenibus ???
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LES ÉLÉMENTALS DE LIEUX AMÉNAGÉS PAR L’HOMME.
Autrement dit les dieu-ou-démons ou les déesse-ou-démones, ou fées ; tutélaires, protecteurs de village ou de forteresse ; les dieu-ou-démons ou les déesse-ou-démones, ou fées, protégeant les chemins et les routes.
NEMETONA. Élémentale des clairières sacrées. Du celtique *nemeto – (sanctuaire à ciel ouvert). Connue par plusieurs inscriptions découvertes à Klein Winternheim, Altripp (où elle est citée avec Mercure), Trèves (où elle est aussi mentionnée avec Mercure) et Eisenberg (où elle est citée avec Mars loucetios), en Allemagne. Une inscription la concernant a été découverte à Bath : PEREGRINVS SECVNDI FIL CIVIS TREVER LOVCETIO MARTI ET NEMETONA. Peregrinus, fils de Secundus, citoyen trévire, à Loucetius Mars et Nemetona.
On retrouve également son nom dans celui de la tribu germanique des Nemetes.
NEMETIALES (élémentales des clairières sacrées ou temples). Les fées de type matres nemetiales ne sont connues que par une seule inscription (CIL XIII 2221) trouvée à Grenoble en France [matris nemetialis].
NEMETIALIS. Une de ces trois matres nemetiales. Tous ces noms viennent du vieux celtique nemeto désignant une clairière dans la forêt, aménagée en lieu de culte.
ARNEMETIA. Élémentale de l’entrée des temples. Du celtique ar (devant) et nemeton (temple dans les bois). Elle était notamment honorée dans la station thermale d’Aquae Arnemetiae (Buxton dans le Derbyshire).
IALONOS. Élémental protecteur de la clairière (de la clairière cultivée, non de la clairière sacrée), mais donc aussi par extension du village (vicos). La parèdre (shakti dans l’hindouisme) qui accompagnait cet élémental, était appelée IALONA évidemment. Tout autour s’étendait le domaine des autres élémentals du bois et de la forêt.
CAGIRIS. Élémental des champs clôturés. Connu par une inscription trouvée à Saint-Béat, dans la Haute-Garonne, en France. Du celtique *kagyô – (muret, clôture) et rix (roi).
AGANNTO. L’élémental des frontières ou des limites. Cette divinisation des frontières est prouvée par l’inscription de Plumergat (canton d’Auray, Morbihan, France) qui est dédiée aux Pères-Frontières : ATREBO AGANNTOBO.
CONAN. Dans les documents que nous a légués l’hérésie gaélique ; et par ce terme nous entendons seulement signifier une déviation qui a été un peu trop loin par rapport au druidisme continental antique, qui est le druidisme de référence ; Conan, Conann, Conand, ou Conaing, est un prince des
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vouivres anguipèdes gigantesques, vivant dans une tour construite sur l’île de Tory au large de l’Irlande. Il opprime le peuple du nemet Cornunnos, et il exige d’eux un tribut insupportable. D’où leur révolte et la destruction de sa tour.
RATIS. Élémentale des lieux fortifiés. Technique des forteresses connue par des inscriptions trouvées dans les forts du Mur d’Hadrien.
La première, trouvée à Birdoswald, Cumbrie [RIB 1903].
DEA RATI VOTVM IN PERPETVO.
À la déesse Ratis, pour toujours.
La seconde, trouvée à Chesters, dans le Northumberland [RIB 1454].
DEA RAT.
À la déesse Rat [is].
Du celtique *rati, barrière, rempart.
Pèlerinage attesté par exemple aux Saintes-Maries-de-la-Mer en France les 24 et 25 mai, ensuite récupéré, bien sûr, par la religion chrétienne.
DUNATIS. Élémental d’une hauteur fortifiée.
LA TRIADE, VILLE, ROUTES, CARREFOURS.
Les lieux marqués de façon stable par l’occupation humaine étaient honorés d’un véritable culte. Faut-il voir ici une influence de la civilisation classique, où à l’instar de Rome divinisée, les villes étaient adorées sous la forme de la Tutèle ou du Génie du lieu ? C’est possible, bien que les Celtes aient eu depuis longtemps des villes. Or c’est précisément des plus anciennes d’entre elles que le dieu-ou-démon éponyme reçoit un culte.
Plusieurs inscriptions au moins témoignent du culte rendu à une ville « divinisée ».
BIBRAX ou BIBRACTE, déesse ou démone, ou bien fée, si l’on préfère, éponyme, de la ville de Bibracte, jadis située sur le mont Beuvray, originairement peut-être déesse ou-démone, ou fée, Castor (Bebros), ou une source divinisée du mont Beuvray. Ce fut un temps la capitale du peuple des Éduens. (Département français de la Saône-et-Loire.).
VASIO, divinité locale (Vaison-la-Romaine en France). Les inscriptions romaines dans lesquelles on rencontre le nom de la ville ou des habitants de Vaison étaient assez nombreuses : nous en connaissons déjà sept. Sous ce rapport, il y a bien peu de villes antiques en France qui soient aussi favorisées que Vaison. Ci-dessous la huitième.
… NAE N…
FIL. FLAMINIC
VAS. VOC. HERE
DES. CALLISTI
LIB. EIVS. PONEN
DAM. CVRAVER.
« (Dis manibus)… nae N… filiae flaminicae Vasionis Vocontiorum, heredes Callisti, liberti ejus, ponendam curaverunt ».
« Aux dieux mânes de… fille de N. prêtresse de Vaison des Voconces, les héritiers de Calliste, son affranchi, ont pris soin d’élever cette pierre ».
Cette inscription révèle un fait remarquable, l’existence d’une flamine de la ville de Vaison. Les Anciens avaient coutume de personnifier ou de déifier la plupart des villes, ou du moins de les placer sous la protection particulière d’une divinité topique. Un pareil usage n’était point étranger aux très-sachants de la druidiaction (druidecht). Pour ne pas sortir de la province qui nous occupe, nous citerons à l’appui de cette affirmation les monnaies autonomes de Cavaillon, où figurent deux têtes, dont l’une, coiffée, sur quelques pièces, d’une couronne murale, représente la cité elle-même. On remarque aussi la tête d’une femme couronnée de tours, sur une médaille d’Avignon en petit bronze. Il est donc naturel que les villes ainsi déifiées eussent des prêtres et des prêtresses, de même que les autres dieu-ou-démons ou les grands héros qui avaient reçu après leur mort le privilège de l’apothéose. Le recueil épigraphique de Gruter fournit plusieurs exemples de provinces et de villes ayant des flamines qui leur étaient propres. Telles étaient, entre autres, la Narbonnaise (CCCXXII, 9), Aix-en-Provence (CCCIII, 5), Nîmes (CCCXXI, 9), Apt (CCCXXIII, 6), Vienne (XCVIII, 8, et CCLXXXIII,
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6 et 7), et enfin Die. Vaison jouissait donc de la même prérogative ; et sa déesse ou démone, ou fée, topique, était sans doute distincte de celle qui protégeait la nation des Voconces en tant que telle, ainsi que semble l’indiquer l’une des inscriptions. La déesse ou démone, ou fée, si l’on préfère recourir à ce terme, de Vaison, figure à côté de Mars dans une inscription votive conçue en ces termes : MARTI | ET VASIONI | TACITVS [Offert par Tacite à Mars et à Vaison].
AXIMA. Aujourd’hui Aime-en-Tarentaise, ou la Côte-d’Aime dans les Alpes. Située à 680 mètres d’altitude au cœur de la Tarentaise, entre Bourg-Saint-Maurice et Moutiers. La partie de cette vallée située en amont de l’Étroit du Siaix et de celui de Villette, doublement favorisée par son climat et son relief, appelé le Berceau Tarin, a depuis très longtemps attiré les hommes. Des fouilles archéologiques ont mis à jour une zone d’habitat du néolithique final et un cimetière vieux de 5000 ans. La région est envahie par les Romains en – 24. Rebaptisée Axima – du nom du dieu-ou-démon Aximus – la bourgade devient la capitale de la Province des Alpes grecques grées ou graies. Un procurateur, représentant de l’empereur romain s’y installe, avec une garnison de 2000 soldats. Aximus était associé au culte des fées de type Matrones.
SAMAROBRIVA (Amiens, France). Le nom signifie : pont sur la rivière Sambre.
GISACUM. Commune du Vieil-Évreux en Normandie. Le nom de Gisacum a été donné au XIXe siècle suite à la découverte d’une inscription mentionnant le dieu-ou-démon Gisacus. Un érudit local fit alors le rapprochement avec un toponyme mentionné dans la vie de saint Taurin, premier évêque d’Évreux. Selon cette vie, écrite au IXe siècle, le préfet romain local Licinius résidait dans sa villa de Gisai (Gisiaco villa), qui symbolisait alors le paganisme. Hormis les thermes, la cité de Gisacum comprenait des fana, un théâtre de 106 mètres de diamètre et pouvant accueillir au moins 7 000 personnes, un forum et un portique. Avec une superficie de 230 à 250 hectares, elle était l’une des plus grandes du pays.
SENTONA. Élémentale des routes en général ou déesse ou-démone, ou fée si l’on préfère, du voyage. Du celtique *sentu – (sentier, chemin, voie).
L’homme d’autrefois divinisait volontiers les cols, lieux de passage à travers les massifs. On y plaçait de simples autels de pierre, encore entretenus jusqu’à une époque récente dans les cols des Alpes, les « montjoies », souvent baptisés d’une croix. Mais les puissances protectrices de la route étaient aussi particulièrement honorées en ce qui concerne les carrefours : c’étaient des déesse-ou-démones, ou fées, appelées en latin Biviae, Triviae, Quadriviae, suivant le nombre des chemins qui se croisaient là.
On y voyait généralement un autel avec une image de la déesse ou démone, ou de la fée si l’on préfère, parfois un petit laraire avec sa statue, parfois un temple de dimension modeste. Ces lieux furent ensuite christianisés par la construction d’une chapelle ou l’érection d’une croix. Quand elle est accompagnée d’un oratoire, on devine qu’il s’est substitué à un petit sanctuaire païen en l’honneur de ces modestes déesse-ou-démones ou fées, anges gardiens des voyageurs.
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BIVIAE. Fées ou élémentales issues du croisement de deux voies ou chemins.
TRIVIAE. Fées ou élémentales issues du croisement de trois voies ou chemins.
QUADRIVIAE. Fées ou élémentales issues du croisement de quatre voies ou chemins.
Il est difficile de rattacher aux fées de type Matres ces anges gardiens celtes des carrefours appelés en latin Biviae, Triviae, ou Quadriviae, que l’on voit figurées sur les vases romains, à autant d’exemplaires que les routes dont elles assurent la sécurité ou la protection ; et accompagnées du serpent. Mais cela correspond pourtant bien à un concept druidique. Le nom ancien de la ville suisse de Carouge est par exemple lié à cette antique notion.
Les vestiges de deux ponts successifs et parallèles sur l’Arve (vers 100 avant notre ère) attestent en effet une occupation ancienne du site, et doivent être mis en relation avec l’essor de l’oppidum celte de Genua, puis de la cité romaine de Genava. Le pont sur l’Arve, où aboutissent les routes de Seyssel et d’Annecy, vers lequel convergent d’autres routes secondaires, confère à Carouge sa fonction routière qui sera déterminante pour son histoire. Des vestiges archéologiques témoignent de l’existence de deux villae, la plus ancienne datant de la seconde moitié du Ier siècle. La présence d’un sanctuaire et d’ateliers confirme l’implantation d’un vicus ou village qui ne cessera de se développer jusqu’à l’époque burgonde.
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Les traces de deux enceintes successives, antérieures à l’époque burgonde, protégeant une vaste superficie, semblent confirmer la présence d’une importante garnison. Les pieux du mur extérieur, plus anciens que les vestiges du fossé intérieur, datent, selon la dendrochronologie, de – 14 et confirment l’importance stratégique du site dès le Ier siècle avant notre ère.
Bien que Genève fût alors un des centres de la Sapaudia, c’est à la villa Quadruvio que Sigismond sera couronné roi des Burgondes en 516, et non à la cathédrale. Ceci peut-être pour ne pas heurter ceux de ses sujets non encore convertis au catholicisme, et pour perpétuer la tradition du roi élu par acclamation de ses soldats. La position militaire de Carouge semblait donc encore d’actualité alors, et l’on ignore à quelle époque la place forte fut démantelée.
LES ÉLÉMENTALS DE LA VÉGÉTATION.
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LES DUSES (singulier dusios).
Il y avait aussi dans le druidisme antique des faunes ou des satyres. Ou un concept quelque peu analogue. Les duses sont en effet une catégorie d’élémentals dont le plus connu est le célèbre Puck ou Robin Goodfellow (gallois pwca, irlandais puca). Leur caractère sexuellement très libre, du moins dans les fantasmes masculins, ou féminins, a fait que les chrétiens les ont diabolisés à outrance. Les propos des auteurs chrétiens sont sans équivoque à ce sujet. Saint Augustin. La cité de Dieu (de Dieu ou du Diable oui !) Livre XV. Chapitre XXIII.
DEVONS-NOUS CROIRE QUE LES ANGES QUI SONT DE NATURE SPIRITUELLE SONT TOMBÉS AMOUREUX DE BEAUTÉS FÉMININES ET LES ONT DEMANDÉES EN MARIAGE ET QUE DE CETTE UNION SONT NÉS DES GÉANTS ?
Nous avons abordé, sans la résoudre, au troisième livre de cet ouvrage, la question de savoir si les anges, en tant qu’esprits, peuvent avoir des relations avec les femmes… l’Écriture témoigne que les anges ont apparu aux hommes dans des corps tels que, non seulement, ils pouvaient être vus, mais touchés. Il y a plus : comme il est de notoriété publique, parce que maintes personnes l’ont vécu elles-mêmes ou l’ont appris de témoins fiables ; que les sylvains et les faunes, appelés ordinairement incubes, ont souvent tourmenté les femmes et contenté leur instinct sexuel avec elles ; et comme beaucoup de gens respectables assurent que certains démons, à qui les Celtes donnent le nom de duses, tentent et exécutent journellement toutes ces impuretés ; de sorte qu’il y aurait comme de l’impudence à nier leur existence ; je n’oserais me prononcer là-dessus ni dire s’il y a quelque âme/esprit revêtue d’un corps aérien qui soit capable ou non (car l’air, simplement agité par un éventail, excite la sensibilité des organes) ; d’avoir eu des relations charnelles avec des femmes. Je ne pense pas néanmoins que les saints anges de Dieu aient pu alors tomber dans ces faiblesses ; et que ce soit d’eux dont parle saint Pierre, quand il dit : « Car Dieu n’a pas épargné les anges qui ont péché, mais il les a précipités dans les cachots obscurs de l’enfer, etc. »
Isidore de Séville. Étymologies. Livre VIII. Ceux qui sont velus sont appelés en grec pans et incubes en latin… les Celtes appellent ces démons Dusii, car ils commettent ces saletés continuellement.
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J’entends d’ici les critiques. Oui, mais saint Augustin n’est pas une référence, il ne connaissait rien à rien, cet auteur a l’habitude de raconter n’importe quoi ! Très bien ! Tentons alors une autre approche, car moi aussi, comme saint Augustin, j’ai des doutes sur certains des « exploits » prêtés à ces entités dont parle aussi la Bible, sans en remettre en cause l’existence même bien entendu, trop respectueux que je suis des Saintes Écritures. Les Saintes Écritures ne font que dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ! La croyance en l’existence d’entités non humaines pouvant féconder des femmes est donc apparemment universelle, mais de là à en faire des démons lubriques obsédés comme saint Augustin, il y a un pas que nous ne franchirons pas.
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Au XIIIe siècle, Gervais de Tilbury, dans ses Récréations Impériales (Otia imperialia, III, 86) fait encore allusion aux croyances selon lesquelles des êtres sauvages hantent certaines contrées. « Multi…… se vidisse Sylvanos et Panes, quos incubos nominant, Celti vero dusios dicunt ». « Nombreux sont…… qui ont vu des sylvains et des pans, qu’ils qualifient d’incubes, et que les Celtes appellent en réalité duses ». L’auteur précise que ces « démons » peuvent s’accoupler avec des humains.
Bref, on croirait entendre certains théologiens musulmans traitant des djinns ou des goules.
Le célèbre « Marteau des sorcières » de 1486 reprend ce thème et la première partie du livre traite de la nature de la sorcellerie. Une bonne partie de cette section explique pourquoi les femmes, à cause de leur faiblesse et de l’infériorité de leur intelligence, sont par nature prédisposées à céder aux tentations de Satan.
Le cartésien Nicolas Malebranche, au XVIIe siècle, dans son célèbre ouvrage « De la recherche de la vérité », proposa une analyse rationnelle de la sorcellerie. Même s’il avoue encore que de très rares cas de sorcellerie sont possibles, il pensait que l’immense majorité des cas évoqués alors étaient de purs produits d’une imagination « contagieuse ». Il utilise pour cela trois arguments, de trois types différents.
— Théologique : Satan a été vaincu par Dieu, et relégué dans les abîmes du monde, d’où il ne peut rien sur les hommes. Les sorciers ne peuvent donc user de pouvoirs qu’il ne peut leur donner.
— Rationnel : ceux qui témoignent (en toute sincérité) avoir participé au sabbat, ne le font que parce qu’ils confondent la veille avec les rêves qu’ils ont eus en dormant chez eux. En le racontant, ils font que d’autres en rêvent à leur tour la nuit, qui confondront également la veille avec le sommeil, et ainsi de suite. De plus, une telle histoire extraordinaire captive les oreilles et donne un certain prestige à qui la raconte, et s’en prévaut, ne fût-ce même que pour celui qui prétend connaître un vrai sorcier.
— Pragmatique : à supposer même qu’il existe quelques cas de sorcellerie véritable, les traquer si impitoyablement ne fait qu’en multiplier les signalements. Non seulement par les dénonciations mesquines, ou sous l’effet du complexe d’Erostrate ; qui fait que, n’étant doué en rien qui puisse nous valoir la gloire, nous la cherchons dans la nuisance et la destruction ; mais encore parce que ceux que leur imaginaire emporte, et qui ne distinguent pas la veille d’avec le sommeil, trouvent confirmation de la possibilité de la sorcellerie dans sa reconnaissance institutionnelle. Aussi Malebranche en tirait-il la conclusion qu’il valait mieux ne pas juger les prétendus sorciers dans l’enceinte des parlements (les tribunaux de l’époque).
Le nœud du problème pour les chrétiens semble être, en fait, la sexualité, masculine ou féminine, et la liberté ou le plaisir des femmes en ce domaine. Notamment quand c’est le partenaire féminin qui chevauche son partenaire masculin (equus eroticus), ou pratique d’autres positions différentes de celle qui est dite « du missionnaire ».
Et puisque duses il y a, répétons ici la position que nous avons déjà développée à propos de la liberté sexuelle de la femme de Partholon, ou des femmes namnètes selon Strabon. La sexualité ainsi que son usage est aussi légitime que la respiration ou l’eau fraîche (pour désaltérer une soif légitime). Le mal ne vient pas du fait qu’une femme soit nue et ou chevauche fougueusement un homme, mais des regards que l’on peut jeter à une femme nue. Et en ce domaine donc, entre adultes consentants, tous les verres d’eau quelle que soit leur forme, sont légitimes.
Revenons à nos moutons. De toute façon, il ne faut pas oublier que ces duses sont en réalité au départ de simples âmes/esprits de la nature (dont la sexualité fait partie certes, mais sans en constituer la totalité ou l’essentiel). Et à cet égard, au « marteau des sorcières », nous préférons encore ce magnifique poème du grand poète français que fut Rimbaud.
Dans la feuillée, écrin vert taché d’or
Dans la feuillée incertaine et fleurie
De fleurs splendides où le baiser dort,
Vif et crevant l’exquise broderie,
Un faune effaré montre ses deux yeux
Et mord les fleurs rouges de ses dents blanches
Brunie et sanglante ainsi qu’un vin vieux
Sa lèvre éclate en rires sous les branches.
Et quand il a fui, tel un écureuil
Son rire tremble encore à chaque feuille
Et l’on voit effrayé par un bouvreuil
Le Baiser d’or du bois, qui se recueille.
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Un texte ancien, attribué à Porphyre par Papus, met en garde contre la fréquentation de tels êtres.
S’il s’agit du Porphyre que nous connaissons, nous sommes très déçus. Il a manqué de nuances. La réalité, c’est que les élémentals n’ont pas un comportement humain, et peuvent donc se comporter aussi parfois de façon animale ou incompréhensible. Porphyre a dû être influencé par la conception indienne des élémentals (les devas).
Il est souvent question des élémentals dans la littérature de nos amis de Findhorn, pas sous le nom de « duses », mais sous le nom de « dévas ». Ces duses sont sur l’arc descendant de l’évolution et se répartissent dans un des quatre règnes, le règne végétal (pour ce qui est du règne animal ou du règne humain, on parle plutôt d’égrégore). S’éloignant graduellement du pôle spirituel de l’univers, ils vivent donc des milieux de plus en plus matériels. En entrant dans le règne végétal, leur faible conscience, étouffée par la pesante matière physique, sombre provisoirement dans une profonde léthargie. L’aspect spirituel de leur nature est éclipsé par son aspect matériel. D’où le concept de duses (sylvains chez les Romains).
Les duses sont des êtres embryonnaires. Ce serait par conséquent une erreur de les considérer comme doués d’une âme/ esprit semblable au nôtre, voire même à celui d’un animal. En réalité ils ne sont que des centres de forces. Par eux-mêmes ils sont sans caractère moral. Leur vie n’est pas suffisamment différenciée pour qu’ils aient de telles propriétés ou dispositions. Un duse est seulement susceptible d’être dirigé, dans ses mouvements, par des pensées humaines, qui peuvent, consciemment ou non, lui donner une forme et jusqu’à un certain point, de l’intelligence.
Nous baignons dans un océan d’élémentals. Leur monde et le nôtre s’interpénètrent, et par conséquent, le monde élémental est éternellement présent dans le système humain. Les élémentals se meuvent avec la vitesse de la pensée. Par notre activité mentale, nous en attirons constamment en nombre d’autant plus grand que notre pensée est plus forte.
Leur conscience, épanouie et galvanisée pour ainsi dire par notre pensée, la reflète et tend à intensifier sa puissance. Chaque élémental a des affinités avec les pensées d’une certaine nature. Lorsqu’un être humain a de telles pensées, l’élémental peut être attiré par lui. C’est là peut-être tout simplement ce que voulait dire saint Augustin en assimilant les duses à des démons incubes.
Cette incessante irruption en nous d’êtres rudimentaires, dont la conscience est mise en mouvement par la nôtre, a pour nous d’énormes conséquences. Le monde élémental se mêle alors étroitement à notre vie émotionnelle et mentale. En réagissant sur nous, il nous influence constamment, nous rendant ainsi exactement ce que nous lui avons donné dans un premier temps, et que nous avons imprimé en lui, avec ou sans la connaissance de ce processus.
Aussi longtemps que l’Humanité n’aura pas une attitude plus noble, tant que la majorité des hommes sera encore animée de sentiments grossiers, les élémentals appelés duses resteront une force dans son ensemble hostile à l’espèce humaine. Cependant, quand certains hommes développent des sentiments plus nobles ou des liens d’amitié envers tous les êtres vivants ; ces élémentals ou duses, selon Paracelse 1) adoptent alors vis-à-vis d’eux une attitude favorable, en leur retournant les ondes positives qu’ils répandent autour d’eux. Et c’est là peut-être tout simplement ce que voulait dire saint Augustin en définitive.
En dehors des formes pensées où ils logent parfois, les élémentals ont, évidemment, une enveloppe matérielle qui leur est propre, puisqu’aucune entité ne saurait, dans ce monde, exister sans être dotée d’un corps. Il n’y a pas, dans l’univers, de pur esprit, c’est-à-dire d’être seulement constitué de conscience. Ces âme/esprits ne sont pas invisibles, mais comme ils ont un corps fait de pure énergie, d’une quintessence très proche de celle de la lumière ; ils sont capables de se fondre dans leur environnement naturel, dont ils adoptent les formes et les couleurs. Voilà pourquoi il est si difficile de les voir.
Les élémentaIs de type « duse » n’ont donc pas de forme propre et, pour essayer de décrire ce qu’ils sont, il est préférable de dire que ce sont des centres de forces ayant des désirs instinctifs, mais pas de conscience telle que nous la comprenons. D’où il s’ensuit que leurs actes peuvent être indifféremment bons ou mauvais.
1) Théophraste Bombast de Hohenheim, dit Paracelse, qui était médecin et alchimiste, a publié au début du XVIe siècle la première tentative de classification des âmes/esprits de la nature. C’est donc par lui que nous a été transmise la notion d’esprits élémentaires ou « élémentals », c’est-à-dire d’âme/esprits présidant aux divers phénomènes naturels, vivant d’ailleurs en eux, et les gouvernant
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(eau, terre, air, végétaux, mais aussi lune, étoile, etc.). Paracelse a, par la suite, amplifié considérablement les fantasmes de tout poil à leur sujet (gnomes, kobolds, elfes, nixes).
Pour les Celtisants de base, cette forme pouvait être soit gigantesque soit minuscule.
Rappel.
Nom générique des géants dans la mythologie celtique antique populaire : cavaroï. Nom générique de leur contraire dans la mythologie celtique antique populaire : corroï (breton korriganed), lutoi, lutocorpanoi, (irlandais leprechaun. Littéralement « petits corps »). Tous sont étroitement apparentés aux tylwyth teg ou « gentil peuple » gallois.
Les géants sont des créatures généralement anthropomorphes et de très grande taille. Les croyances indo-européennes en font souvent des êtres primordiaux, associés à la cosmogonie et aux forces de la nature. Ces géants caractérisés par leur force et brutalité sont fréquemment d’ailleurs en conflit avec les dieux, notamment dans les mythologies grecque, nordique, et ossète.
Ils sont connus des légendes du monde entier puisqu’on en trouve même dans la Bible ce qui ne fait pas très sérieux d’ailleurs dans un livre qui se veut absolument divin.
Outre les deux Goliaths (celui tué par David et celui tué par Elhanan le fils de Jaaré-Oreghim en 2 Samuel 21,19), il y a aussi les Néphilim.
Genèse VI, 4 : « Les géants (Néphilim) étaient sur la terre en ces temps-là, après que les fils de Dieu (des Élohim) furent venus vers les filles des hommes, et qu’elles leur eurent donné des enfants : ce sont ces héros qui furent fameux dans l’antiquité ».
En fait, les fils qui sortirent de cette union ne furent pas des Néphilim comme leurs ancêtres, mais seulement des gibborim, « des forts ». Ces derniers se firent un nom. Les auteurs des textes bibliques ne nous disent pas à quel titre.
Les géants non divins et purement humains, côtoyant peu (pas jamais, mais peu) le monde des hommes ordinaires dans le folklore celtique, et vivant plutôt à l’écart, dans des îles lointaines par exemple, on peut supposer que ceux que nous trouvons dans ces légendes sont en réalité des allégories ou des personnifications de forces cosmiques, sorties de leur contexte (de la pédagogie druidique, un effort d’interprétation des phénomènes caractérisant ce monde) par les bardes désireux de donner du piment à leurs contes. Dans l’histoire humaine en effet les mythes fondamentaux se déclinent en légendes, et les légendes se déclinent en contes, jamais l’inverse.
Condla Coel Corbac se trouvait dans l’île, la tête appuyée contre une haute pierre à l’ouest, les pieds contre une autre pierre aussi haute à l’est ? et sa femme ? lui peignait les cheveux. Lorsqu’il entendit le bruit de l’embarcation qui arrivait, il se releva, respira profondément et souffla devant lui avec tant de violence qu’une vague rejeta le bateau à la mer. Immasai a anail arisi……
Là-dessus notre héros lui adressa la parole et le géant lui répondit : « si forte que puisse être ta colère, grand guerrier qui vient de loin, nous ne te craignons pas ; nos prophètes n’ont jamais dit que cette île devait être ravagée par toi. Aussi mets donc pied à terre et tu seras le bienvenu ! » (L’exil des fils de Doel Dermat : longes mac n-Duil Dermait).
N’ayant pas rien, mais que très peu de choses, à dire sur le rôle des géants dans la mythologie celtique, regardons par conséquent un peu du côté de nos cousins germains ce qui s’y passe.
Les Jotunn sont les géants de la mythologie nordique. Ils ont un rôle important dans la cosmogonie puisque la première créature vivante, Ymir, est un géant créé du mélange de la glace de Niflheim et du feu de Muspellheim. Ymir a engendré toute la race des géants, dont certains se sont unis avec des dieux. Odin et ses frères tuent ensuite le géant primordial Ymir et créent la terre (Midgard) avec sa dépouille.
Certains géants se lient avec les dieux au point de rejoindre le panthéon divin nordique (Loki, Skadi…), d’autres sont des amis des dieux et ont une fonction quasi divine (Aegir est le géant des mers). Néanmoins, les géants sont en général les ennemis jurés des dieux, ils se caractérisent par leur force brute, mais certains sont également sages ou rusés. Comme certains dieux, ils sont souvent capables de métamorphose. Le pire ennemi des géants est le dieu nordique Thor, qui défend le monde des dieux (Asgard) contre leurs attaques, et livre régulièrement contre eux des batailles victorieuses.
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Dans l’eschatologie nordique, une grande bataille est annoncée par les prophètes, le Ragnarok, où les géants et les autres forces du chaos se battront contre les dieux et les hommes. Ne survivront à ce conflit que quelques dieux et un couple d’humains. Assez pour construire un nouveau monde.
VIRIDIOS/VIRIDIUS.
Viridios est un dieu-ou-démon celte connu par deux inscriptions trouvées à Ancaster dans le Lincolnshire.
La première [RIB 245 a] provient d’une pierre réemployée pour construire une église, et le texte de cette inscription peut être lu comme suit.
DEO VIRIDIO TRENICO ARCVM FECIT DE SVO DON (pour le dieu-ou-démon Viridius, Trenico a fait cette arche, de ses propres deniers).
La deuxième inscription a également été découverte à Ancaster, sur le montant d’une ciste en pierre, autrement dit d’une tombe destinée à protéger le dernier sommeil d’un chrétien.
Le texte de cette deuxième inscription se lit pourtant comme suit.
DEO VRIDI […] SANCTO […] Au saint dieu Viridius…
Le nom de Viridios est issu du protoceltique vird, vert, un mot qui a donné le gallois gwyrddni.
Cette conception druidique assez animiste (ou écologiste avant la lettre), de la nature, est sans doute à l’origine de la tradition iconographique de l’Homme Vert (Viridius) sous nos latitudes.
On appelle « Homme Vert », dans l’ornementation des frises et des colonnades antiques ou médiévales, cette figure multiforme qui apparaît comme une tête ou un masque de feuilles ; que l’on retrouve sur d’innombrables monuments, colonnes ou sarcophages romains, jusqu’au temple de Sulis Minerva à Bath. On l’associe au culte bachique et dionysiaque dans les régions vinicoles du Rhin et de la Moselle, mais aussi au culte de l’océan. L’Homme Vert est un symbole que l’on trouve dans des sculptures et des dessins. Le motif de l’Homme Vert consiste en un visage ou un masque, le plus souvent d’homme, foliacé. C’est-à-dire formé ou entouré de feuilles, voire de branches et de vignes, qui peuvent sortir de la bouche, des oreilles ou des narines. Ces pousses peuvent porter des fleurs et des fruits.
L’Homme Vert est une figure complexe, aux facettes très diversifiées, pense Kathleen Basford, et sa présence est l’indice d’une immense et indéracinable contradiction dans l’histoire religieuse de l’Europe.
Le thème de l’Homme Vert a survécu à l’effondrement du paganisme antique, et a même refait son apparition sur les colonnes et les tympans, ou sous les statues, des églises chrétiennes d’Occident. Même genre de transmission dans l’Hortus deliciarum d’Herrade de Landsberg.
Pour Hraban Maur, ces feuilles symbolisaient les péchés de la chair, et les représentations d’hommes verts dans les églises étaient par conséquent celles d’hommes ou de femmes voués à la damnation éternelle, à cause de leur luxure.
Bernard de Clairvaux déplorera l’usage de ces représentations grotesques dans l’ornementation des monastères dépendant de Cluny.
Ce qui est intéressant à noter chez ces deux grandes personnalités du christianisme, c’est l’association explicite entre nature et péché.
Pourtant, au treizième siècle, Villard de Honnecourt, dans son célèbre traité d’architecture, dessinera beaucoup de têtes et de masques foliacés ou herbus, et en recommandera la représentation sur les éléments architecturaux des édifices religieux. Cet exemple sera rapidement suivi par les Allemands,
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qui feront graver quantité de têtes feuillues dans la pierre à Mayence, Maria Laach, Aschaffenburg, etc.
Dans la cathédrale de Bamberg, un masque feuillu majestueux et particulièrement énigmatique, figure par exemple au bas d’une célèbre statue, baptisée le Chevalier. Ce masque serait la part cachée, la face sombre du chevalier en question. Pour Kathleen Basford, ce reliquat de l’ornementation païenne rappelle les rois de mai, et l’idée d’une renaissance de la nature après la fête celtique de Beltene, voire l’éternité luxuriante de la nature féconde. Mais il est aussi l’expression imagée du silva daemonium, en dépit de son usage fréquent dans l’architecture chrétienne.
Indubitablement, il y a en effet ambivalence : les hommes verts sont tantôt beaux, lumineux et printaniers, tantôt tordus, grimaçants et laids. Le choix d’une laideur soigneusement étudiée finira d’ailleurs par l’emporter petit à petit et l’on verra, au fil du temps, les grimaces et les distorsions augmenter, puis des vierges foulant aux pieds ces masques feuillus comme elles piétinaient jadis le serpent. Kathleen Basford voit dans cette apparition des vierges foulant aux pieds l’Homme Vert, la figure du tentateur, issu de l’Arbre de Vie, écrasé par la lumière de la foi. Et le masque feuillu représente la nature, placée donc bien en dessous du chevalier porteur de la lumière chrétienne. L’Église a donc déployé beaucoup d’efforts pour effacer ce souvenir des cultes de jadis. Mais les dessins et les explications de Villard de Honnecourt, les belles représentations de masques feuillus d’Aschaffenburg, d’Ebrach, de Mayence, de Marbourg, de Bristol, de Southwell… prouvent que cet Homme Vert avait toujours une grande place dans l’Europe du Moyen-âge.
Au quatorzième siècle, quand il devient plus grimaçant, plus effrayant pour l’imagination des dévots naïfs, ou quand il tire la langue, comme à Ely (près de Cambridge), à South Tawton, à Norwich, à Queen Camel ; il témoigne des progrès de l’Inquisition et atteste une offensive délibérée contre les religiosités ancestrales teintées de naturalisme ou de panthéisme, car on trouve généralement des représentations de l’Homme Vert dans des églises ou dans d’autres bâtiments ecclésiastiques de ce type.
En Grande-Bretagne les têtes ou les masques foliacés sont redevenus à la mode au XIXe siècle (c’est un motif courant qui orne autant des églises que des enseignes de pubs). Et ce motif décoratif a de nouveau fait son apparition sur de nombreux bâtiments tant religieux que civils. Il était aussi en vogue chez les tailleurs de pierre australiens et on en trouve beaucoup d’exemplaires sur les bâtiments religieux ou laïcs. Les architectes américains ont fait de même à l’époque.
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ÉLÉMENTALS DES HERBES MÉDICINALES.
Chaque plante « magique » (sic) ou médicinale avait son élémental. Que les très-sachants de la druidiaction (druidecht) aient cru en l’existence de ces âme/esprits de la nature, se déduit des citations de Pline concernant la façon dont ils cueillaient certaines plantes.
« La plante appelée selago ressemble à cette sabine. On la cueille sans se servir du fer, avec la main droite, à travers la tunique, à l’endroit où l’on passe la gauche, comme pour voler. Il faut être vêtu de blanc, avoir les pieds nus bien propres, et avoir, avant la cueillette, fait une offrande de pain et de vin. On l’emporte dans une serviette neuve. Les druides ont répandu l’idée qu’il faut en avoir sur soi comme protection contre tous les malheurs, et que sa fumée en plus est utile contre les maladies des yeux. Ces mêmes druides ont donné le nom de samolus à une plante qui pousse dans les lieux humides. Elle doit être cueillie de la main gauche, à jeun, pour préserver de la maladie les porcs et les bœufs. Celui qui la cueille ne doit ni la regarder ni la mettre ailleurs que dans l’auge, où on la broie pour faire boire à ces animaux » (Pline, Histoire naturelle, XXIV, 103-104).
Chez les Romains, il n’y a pas de plante jouissant d’un plus grand renom que l’hiérabotane connue de certaines personnes comme « péristéréos », mais chez nous plus généralement sous le nom de « verveine »… Il y en a deux variétés : l’une qui est très feuillée passe pour être la plante femelle, l’autre qui n’a que quelques feuilles la plante mâle… Les habitants des provinces de la Celtique continentale se servent des deux à des fins divinatoires et pour prédire les événements ; mais ce sont les mages plus particulièrement qui débitent le plus de folies ridicules à propos de cette plante. Les gens, affirment-ils, qui se frottent avec, seront sûrs d’obtenir ce qu’ils désirent, et ils assurent également qu’elle préserve des fièvres, attache des amitiés, voire constitue un remède contre tous les maux ; ils disent également qu’elle doit être cueillie vers le lever de l’étoile du Chien – mais sans être éclairé par le moindre rayon de soleil ni de lune – et que des rayons de cire ainsi que du miel doivent d’abord avoir été offerts en présent à la Terre pour s’en faire pardonner à l’avance. Ils racontent également qu’un cercle doit d’abord être tracé autour avec un fer * ; après quoi elle doit être cueillie de la main gauche, élevée en l’air, puis on doit en faire soigneusement sécher les feuilles, la tige et la racine, de façon séparée, sans les exposer au soleil. À ces considérations, ils ajoutent que si les salles à manger [latin triclinium] sont aspergées d’eau dans laquelle la plante a trempé **, cela favorise grandement la joie et la bonne humeur du banquet. Pour soigner les morsures de serpent, cette plante doit être écrasée dans du vin (Histoire naturelle, XXV chapitre LIX).
Signalons à cette occasion l’admiration dont font preuve les Celtes du Continent à l’égard de cette plante. Les druides – puisque tel est le nom qu’ils donnent à leurs magiciens – n’ont rien de plus sacré que le gui, et l’arbre qui le porte, à supposer que ce soit un [chêne de l’espèce quercus] rouvre. Le [quercus ou chêne] rouvre est l’arbre qui constitue leurs bois sacrés, ils n’accomplissent aucun de leurs rites religieux sans employer quelques-unes de ses branches ; de telle sorte qu’il est très probable que ces prêtres eux-mêmes ont reçu leur nom du mot grec utilisé pour désigner cet arbre. En fait, il s’agit chez eux de l’idée selon laquelle tout ce qui pousse dessus procède directement du
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ciel, et que le gui sur cet arbre est donc la preuve qu’il a été choisi par le dieu lui-même, en tant qu’objet de sa faveur insigne. Le gui justement est très rarement trouvé sur le chêne quercus robur, et quand on en découvre, il est cueilli avec des rites empreints d’une crainte religieuse. Ceci est accompli particulièrement le jour précédant toute sixième lune [en latin ante omnia sexta luna] jour qui constitue le début de leurs mois et de leurs années, ainsi que de leurs siècles qui, chez eux, sont de trente ans. Ils choisissent tout particulièrement ce jour-là parce que la lune, bien que pas encore arrivée à l’apogée de sa course, a déjà une puissance et une influence considérables ; et ils l’appellent d’un nom qui signifie, dans leur langue, le « guérit-tout ». Après avoir fait tous les préparatifs nécessaires au sacrifice et à un banquet sous les arbres, ils conduisent là deux taureaux blancs, dont les cornes sont liées pour la première fois. Vêtu d’une robe blanche le prêtre monte dans l’arbre, et coupe le gui avec un vouge [en latin falx] en or, il est recueilli par les autres dans un manteau blanc [latin sagum]. Ensuite ils immolent les victimes en priant afin que le dieu transforme ce don de sa part en porte-bonheur pour ceux qui l’ont reçu. Ils croient chez eux que le gui, pris en boisson, apporte la fécondité aux animaux qui sont stériles, et que c’est un antidote à tous les poisons. Tels sont les sentiments religieux que nous trouvons parmi presque toutes les nations, même envers les choses les plus insignifiantes (Histoire naturelle, XVI, chapitre XCV).
Commentaire.
L’esprit de l’homme est mobile, mais pas celui des plantes. Si vous arrivez à entrer en relation avec une plante et à vous en servir, alors elle peut vous accorder la permission de prendre sur elle un peu de « vivant ». Si l’on arrache brutalement une plante, elle retire son âme/esprit de la partie que l’on a retranchée ainsi et l’on n’a plus alors que du bois mort entre les mains. Pour en obtenir du vivant, il faut donc la permission de la plante en question, qui abandonne alors un peu de son âme/esprit dans le fragment d’elle que l’on prélève. C’est du moins ce que l’on peut déduire a contrario de cette citation de Pline concernant la cueillette des plantes appelées samolus et selago.
La magie n’a pas d’effets antinaturels ou contraires à l’ordre de la nature, car elle n’est jamais qu’une utilisation de forces élémentaires ou élémentales, commandant à la nature ou en dépendant.
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LES ÉLÉMENTALS DES ARBRES.
« Merci Dieu tout puissant, l’arbre vieux de plus de 150 ans que les gens adoraient à la place de Dieu a été enlevé » (déclaration d’un djihadiste syrien ou étranger de l’EIIL, en tout cas lié à Al Quaïda, le 21 novembre 21013, après avoir abattu à la tronçonneuse un magnifique chêne plus que centenaire qui poussait là fièrement à Atmeh, une bourgade du nord de la Syrie à la frontière turque (compte twitter « Notre vocation est le Djihad »).
Effaré par le manque d’intelligence ou de compréhension de notre commune nature humaine, que révèle un tel méfait, par l’incroyable et haineuse stupidité au nom d’Allah des fous de Dieu * (qui n’est pas sans rappeler la destruction des célèbres bouddhas de pierre géants, de Bamiyan, effectuée par les taliban afghans en 2001), quelques précisions à propos du point de vue druidique sur la question, car, sans aller jusqu’à épouser toutes les thèses de nos amis de Findhorn, nous pouvons quand même dire ceci.
Arbre et forêt ont été les premiers enfants issus de l’union du Feu Céleste et de la Matière première universelle. La Terre leur doit beaucoup puisqu’ils absorbent le dioxyde de carbone et rejettent l’oxygène nécessaire à la vie évoluée que nous connaissons. Sans compter leur rôle de nourriture indispensable pour les hommes comme pour les animaux, ainsi que leur importance dans la phytothérapie.
Auparavant l’arbre était un symbole de connexion entre le monde physique dans lequel s’enfoncent ses racines, et le monde spirituel (symbolisé par le ciel) vers lequel montent ses branches. Les druides antiques connaissaient les arbres au sens le plus profond du terme, et leur vouaient un véritable culte en tant qu’intermédiaires avec le monde céleste. Avant que notre civilisation ne déboise massivement le continent européen, ils reconnaissaient à chaque essence d’arbre des propriétés ou qualités propres.
L’arbre est la manifestation d’une certaine forme de vie. Son apparition et sa croissance, favorisées par l’eau, le renouvellement annuel ou continu de son feuillage, la persistance prolongée de certaines essences, sont autant de phénomènes chargés de mystère. Les arbres, les forêts, tout comme les plantes magiques (sic) demeurèrent longtemps à l’honneur chez les Celtes. En Irlande, chaque tribu a son « arbre du monde », planté en son centre, où l’ennemi vainqueur s’empressera de venir l’abattre. Est-ce cet arbre que l’on voit, couché, sur la plaque des guerriers du chaudron de Gundestrup ?
À Lutèce, on aperçoit sur un monument public un arbre aux branches duquel des têtes coupées sont suspendues. Ces cultes naturistes se révélèrent fort vivaces. Sulpice Sévère, dans sa Vie de saint Martin, rapporte un miracle accompli à l’occasion de l’abattage d’un pin contigu à un temple païen. De même, on peut lire dans la Vie de saint Amator, évêque d’Auxerre, que le futur saint Germain suspendait à un pin d’une grande beauté les têtes des animaux qu’il avait tués à la chasse.
Voici les textes en question.
Vie de saint Martin de Tours (seconde moitié du IVe siècle).
« Et de même, après avoir fait démolir un très ancien temple dans un village, il s’apprêtait à faire abattre un pin juste à côté, quand le grand prêtre du lieu, ainsi qu’une foule d’autres païens, voulut s’y opposer. Tous ces gens, qui grâce à Dieu s’étaient tenus tranquilles lors de la destruction du temple, par contre ne voulaient pas que l’on touche à cet arbre. Martin essaya de leur faire comprendre qu’il ne pouvait y avoir quoi que ce soit de sacré dans un tronc d’arbre, et qu’ils feraient mieux de rendre
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un culte au dieu qu’il servait. Il ajouta même qu’il était moralement nécessaire que cet arbre soit abattu, car il avait été consacré à un démon, mais en vain ! L’un d’entre eux, qui était plus hardi que les autres [un druide ?], lui dit, « si tu as vraiment confiance en ce dieu que tu dis adorer, nous abattrons nous-mêmes cet arbre, mais toi tu devras te tenir à l’endroit où il tombera, car si, comme tu le dis, ton Seigneur est avec toi, et bien tu t’en sortiras sain et sauf. Martin fit courageusement confiance au Seigneur et promit de faire ce qui lui avait été demandé. La foule des païens accepta ces conditions, car ils estimèrent que la perte de l’arbre sacré serait un moindre mal si sa chute devait entraîner la mort d’un ennemi juré de leur religion, écrasé par son tronc ou sous ses branches. Et puisque le pin penchait déjà dans une direction bien précise, ce qui ne laissait subsister aucun doute sur l’emplacement où il allait tomber après avoir été coupé, Martin, conformément aux vœux de ces païens, fut donc attaché, solidement, exactement là où personne ne doutait que l’arbre allait s’abattre. Ils commencèrent ensuite l’abattage de leur propre pin sacré en faisant preuve de beaucoup d’ardeur et même d’allégresse, sous les yeux d’une multitude de spectateurs se tenant à bonne distance. Peu à peu le pin se mit à vaciller voire à menacer de tomber sous son propre poids. Les moines qui se tenaient à quelque distance pâlirent en voyant le péril se rapprocher dangereusement, et commencèrent à perdre tout espoir, n’ayant plus confiance en rien, et s’attendant au contraire à tout instant à voir Martin mourir. Mais lui, confiant dans le Seigneur, attendait courageusement ; et quand le pin en basculant fit entendre un grand craquement ; devant cet arbre qui s’abattait donc, et qui était même en train tout simplement de s’écraser sur lui, Martin leva simplement la main et lui opposa le signe du salut. Alors, un peu comme s’il rebondissait sur quelque chose (on pourrait même dire comme s’il était ramené en arrière) l’arbre s’abattit du côté opposé, en manquant de peu d’écraser les paysans qui s’étaient massés là en croyant bien être en lieu sûr. Une grande clameur s’éleva jusqu’au ciel ! Les païens furent stupéfaits par un tel miracle et les moines se mirent à pleurer de joie, le saint nom du Christ fut repris en chœur par tout le monde. Le résultat de tout cela fut que cette contrée fut désormais touchée par la grâce du salut. Et de toute cette multitude de païens il n’y en eut presque aucun pour ne pas exprimer un ardent désir de se voir imposer les mains, ensuite, abandonnant leur erreur impie, tous firent profession de foi en notre seigneur Jésus. Le fait est qu’avant Martin, dans cette région, très peu de gens, pour ne pas dire personne, avaient été baptisés au nom du Christ ; mais grâce à ses vertus et à son exemple, ce nom s’y répandit à un point tel qu’il n’y a plus maintenant un seul endroit qui ne soit couvert d’églises ou de monastères. Car en tous lieux où il renversait des temples, il avait l’habitude de bâtir soit des églises soit des monastères » (Sulpice Sévère, Vie de saint Martin, 13 ; repris en vers par Paulin de Périgueux et par Fortunat).
On peut évidemment rester fort sceptique à propos de ce miracle qui a tout l’air d’être « arrangé ». N’oublions pas qu’à l’époque le christianisme étant devenu religion d’État, Martin se faisait donc souvent « aider » par les légionnaires du préfet romain de la province en question. Tout cela ressemble plutôt à une des innombrables agressions des talibans chrétiens (parabolans) contre tous ceux qui ne pensaient pas comme eux. La religion d’amour a quand même ses limites ! En tout cas, une chose est sûre, l’écologie n’était pas le point fort de saint Martin, la tolérance non plus ! Idem pour le futur saint Amatre d’Auxerre.
« Il y avait un grand et splendide pin au beau milieu de la cité, aux branches duquel Germain se plaisait à suspendre les trophées ou les têtes du gibier qu’il avait ramené afin que tout le monde puisse admirer les produits de sa chasse.
Amator, le célèbre évêque de la cité, l’interpellait donc souvent et en ces termes : « Arrête, je t’en prie, illustre homme de bien, de faire ces plaisanteries qui offensent les chrétiens, et qui constituent vraiment un mauvais exemple pour les païens. C’est là l’œuvre d’un culte idolâtre indigne de la pure discipline chrétienne. Ce saint homme digne de Dieu avait beau le harceler sans relâche, jamais Germain en aucune façon n’acceptait de lui dire oui ni de lui obéir. Cet homme du Seigneur l’exhortait encore et encore non seulement à mettre fin à cette habitude digne du Malin, mais aussi à l’arbre lui-même, en l’extirpant jusqu’à la racine, afin qu’il n’offense plus les chrétiens. Mais ce dernier ne prêtait jamais une oreille attentive à cette admonestation. Un jour pourtant, le préfet Germain dut s’absenter de la ville pour se rendre sur les domaines lui appartenant. Alors saint Amator, qui guettait cette occasion depuis longtemps, fit arracher cet arbre sacrilège y compris avec ses racines, et, afin que rien n’en subsiste dans la mémoire des incroyants, ordonna qu’il soit jeté immédiatement au feu. Quant à ce qui pendait ou était accroché pour lui servir de trophée de chasse tout autant que de souvenir de ses exploits, il demanda qu’on le jette loin des limites de la ville (Étienne l’Africain, Vita Sancti Amatoris episcopi Altisiodorensis, Vie de saint Amateur, IV, 24).
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Encore une fois, même agression intolérante de la part de la secte chrétienne dont l’amour tous azimuts ne supporte pas vraiment grand-chose ; et qui se sent offensée par la simple continuation d’habitudes ou coutumes des chasseurs de l’époque (accrocher ses trophées à un arbre devant sa maison au lieu de les exhiber dans son salon).
Il est vrai qu’il n’en faut pas beaucoup pour que les chrétiens de ce temps-là, comme les musulmans d’aujourd’hui, se sentent « offensés » (sic).
Et les malheureux paysans agressés par saint Martin à qui vraisemblablement ils n’avaient rien fait, mais venant quand même détruire leur temple ; de quel genre « d’offense » (re-sic) auraient-ils dû se plaindre, eux ? L’évêque de la secte chrétienne d’Auxerre n’a fait que déployer la même intolérance, l’obséquieuse flagornerie chrétienne envers les puissants de ce monde en plus, puisque le futur saint Germain était alors gouverneur de la ville : « Ô illustre homme de bien, etc. » disait-il alors en s’adressant à Germain.
* Abou Ala al Marari : « Les habitants de la terre se divisent en deux, ceux qui ont un cerveau et pas de religion, et ceux qui ont une religion, mais pas de cerveau. » Pour mémoire les druidisants ne sont pas des hommes d’un seul livre, mais de 33 comme les Fénianes. Ils ont donc un cerveau et une spiritualité, chez eux la foi est éclairée par la raison (John Toland).
NOTES DE PIERRE DE LA CRAU RETROUVÉES SUR UNE FEUILLE VOLANTE PAR SES ENFANTS.
Plusieurs noms de peuples celtes sont dérivés d’une racine désignant un végétal : les noms des Éburons et des Eburovices (Évreux) contiennent celui de l’if, arbre toujours vert [même en hiver, ils prouvent que l’épanouissement de la Nature est invincible] ; celui des Lémovices (cité de Limoges) se rattache au nom de l’orme.
L’Irlande ne manque pas de noms propres du même type : Fils du Bois, de l’Aulne, du Sorbier, du Coudrier, de l’Épine ou du Houx.
Des couronnes en feuilles de chêne en tout cas accompagnent souvent les figurations ou les dédicaces aux « Mars » celtes c’est-à-dire aux teutatès des tribus.
L’élémental des bois en général est souvent assimilé au dieu-ou-démon latin Silvanus (Sylvain).
À Saint-Béat en France (département de la Haute-Garonne) ce dieu-ou-démon est figuré âgé, trapu, barbu et moustachu, vêtu d’une double tunique à manches courtes ; et tenant d’une main une serpe, de l’autre un pot ou une bourse. Ce n’est point là l’aspect du Silvanus classique. La figure qui est ici donnée à Silvain est celle du Celte moyen.
— Bilios. Bile en gaélique est le terme irlandais désignant un arbre sacré, mais aussi par extension un grand guerrier. Il s’agit aussi de l’arbre/axe du (des) monde (s) comme Irminsul chez les Saxons. Irminsul était, soit un arbre, sans doute un chêne, soit un tronc totémique ébranché – voir français « bille et habiller » – ou sculpté ; analogue aux simulacra ou arcana (mot sanscrit signifiant statue) de la mystérieuse forêt décrite par Lucain dans les environs de Marseille (sans doute aujourd’hui la forêt de la Sainte Baume). Le Bilios est l’arbre du monde, qui s’élève vers le ciel et danse dans le vent, tout en plongeant ses racines dans la chair de la terre et en s’y abreuvant de son eau.
Rodolphe de Fulda (mort en 865), à qui l’on doit la description la plus complète d’Irminsul, rapporte au chapitre III de son hagiographie intitulée « De miraculis sancti Alexandri », ce qui suit à son propos. Il y avait aussi un tronc d’arbre d’une taille peu commune, dressé verticalement, qu’ils vénéraient en plein air, et qu’ils appelaient dans leur langue « Irminsul » ; ce que l’on peut rendre en latin par « pilier du monde », comme s’il soutenait toutes choses. Il est souvent rapporté d’ailleurs que Charlemagne se moquait de la croyance selon laquelle Irminsul empêchait le ciel de tomber et qu’il vit ainsi une raison de s’y attaquer.
— Cranus. Élémental des bois, connu par une inscription trouvée à Thetford (Norfolk) qui en fait un faune : Faunus Cranus. Peut-être également doué de pouvoirs divinatoires.
— Naria. La Dame. Une élémentale des forêts. En fait, une triade. Connue par deux inscriptions. La première trouvée à Muri en Suisse, où une statuette de la déesse ou démone, ou fée si l’on préfère user de ce vocable, en bronze, a été découverte ; la deuxième à La Neuveville, toujours en Suisse, où elle est associée à la déesse ou démone ou fée, Nousantia.
NORIAE NOVSANTIAE T FRONTIN HIBERNVS : Aux déesses Norias Nousantias. Titus Frontinus Hibernius.
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Nousantia était donc une des déesse-ou-démones de cette triade, un des trois aspects de la déesse ou démone, ou fée, Naria, et elle avait sans doute des capacités divinatoires ou oraculaires, elle aussi. Du celtique *novio – (nouveau), et *sanesso – (conseil secret).
— Narius. Le Seigneur. Un élémental des forêts. Connu par une inscription trouvée à Thetford in Norfolk. 33 cuillères en argent y ont été aussi découvertes. Nombre de ces cuillères étaient dédiées au dieu-ou-démon romain Faunus, mais trois l’étaient au dieu-ou-démon Faunus Narius. Il apparaît aussi à Mackwiller, dans le département du Bas-Rhin, en France où il est associé au dieu-ou-démon Intarabus. L’assimilation de ce Narius au Faune latin par interpretatio romana, en fait un élémental des forêts, doté de capacités oraculaires. Du celtique *nârio – (seigneur).
— Perta. Élémentale des taillis (un bosquet sacré ?) connue par une inscription découverte à Uchaud dans le département du Gard. Du vieux celtique en – qu : kwert. Son nom se retrouve dans celui de Perth en Écosse (un temple a dû lui être consacré à North Inch).
Les élémentals plus particuliers.
— L’élémental de telle ou telle forêt. Il y a bien sûr souvent eu confusion entre l’élémental du terrain en question (massif montagneux, ou autre) et l’élémental du manteau forestier le recouvrant. Par exemple dans le cas du dieu-ou-démon Vosegus/Vosagos. Les inscriptions gallo-romaines nous apprennent que le dieu-ou-démon Vosegus représente aussi bien la forêt vosgienne que le relief du massif.
— L’élémental du bosquet sacré.
Un bosquet sacré peut être divinisé sous l’appellation littérale de « dieu Six-arbres ». En latin sexarbores, suexprennes en vieux celtique.
— L’élémental du peuplier. Une curieuse légende que nous ont rapportée les Grecs évoque les fées ou les nymphes des peupliers.
Variante de l’expédition des Argonautes selon Apollonius de Rhodes (chant quatrième).
« L’Argo toujours emporté au loin par le vent se retrouva rapidement au milieu des flots de l’Éridan, en ce lieu où jadis, touché en plein cœur par la foudre Phaëton très gravement brûlé tomba du char du Soleil dans un grand et profond lac qui crache encore maintenant de sa blessure toujours fumante de lourds nuages de vapeur.
Aucun oiseau ne peut survoler ses eaux, sans se brûler les ailes à mi-course et se retrouver à flotter sur ses eaux.
Et tout autour les vierges, filles du soleil enfermées dans de grands peupliers font entendre des plaintes pitoyables en se lamentant, de leurs yeux qui pleurent tombent de grosses gouttes d’ambre.
Ces larmes sèchent ensuite sur le sable au soleil, mais quand les eaux de ce sombre lac recouvrent son rivage sous l’action du vent éploré lui aussi, alors, elles roulent en grand nombre dans l’Éridan à chaque montée de ses eaux.
Les Celtes y ont attaché cette histoire que ce sont les larmes du fils de Leto, Apollon, qui sont transportées par les remous, les larmes innombrables qu’il versa jadis quand il vint se réfugier auprès de la race sacrée des Hyperboréens après avoir quitté le ciel lumineux devant les reproches de son père, en colère à cause du fils que la divine Coronis lui avait donné dans la lumineuse Lacérie près de l’Amyros.
Nos héros ne pensaient plus à manger ni à boire, ils n’avaient pas le cœur à faire la fête.
Toute la journée ils furent douloureusement affectés, le cœur lourd et faible à la fois, par la puanteur infecte et très difficile à supporter, qui montait des flots de l’Éridan, depuis que Phaëton achève de s’y consumer. La nuit venue, ils entendirent les gémissements perçants des filles du soleil pleurant d’une voix aiguë, et comme elles se lamentaient, leurs larmes tombaient puis flottaient sur l’eau ainsi que des gouttes d’huile ».
C’est bien entendu complètement faux ! L’ambre n’est pas un produit du peuplier. Mais cela n’en demeure pas moins une belle histoire.
— L’élémental du chêne.
Dervonnai, Cassanai ou Caxsanai (il s’agit de féminins pluriels). cf. les inscriptions comme Fatis ou Matribus dervonibus [ou caxsanibus. N.D.L.R.]. Les dervones [fatae] ou les dervonnae [matronae] sont des sortes de nymphes des arbres en Italie du Nord. La manducation de glands pour être inspiré lors des rêves qui suivent va dans ce sens (Lucain : Dryadae glandibus comestis divinare fuerant consueti). On sait combien les arbres – et notamment le chêne – étaient révérés chez les Celtes. Le
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célèbre récit que Pline fait de la cueillette du gui par les druides précise que les Celtes sont d’avis que la présence du gui révèle celle du dieu sur l’arbre qui le porte (Histoire naturelle, XVI, 249).
— L’élémental du chêne rouvre (Rouos).
On connaît près d’Angoulême en France l’existence d’un culte du chêne rouvre, sous le nom latin de « deus Robur ».
— L’élémental du hêtre : Bagos.
Mais on a aussi le féminin pluriel Baginatiai > Baginaiiai. D’où le nom de la ville de Bavay : Bagacon, latin Bagacum, littéralement « la hêtraie ». L’expression exacte est « matres baginatae ». En nous rapprochant des Pyrénées, nous trouvons par contre plusieurs dédicaces à un dieu Hêtre (« Fago Deo » en latin).
— L’élémental de l’if : Eburnicai (il s’agit d’un féminin pluriel) matres (l’inscription précise : matres augustae eburnicae). À noter. Le folklore irlandais mentionne un Fer Í ou Homme de l’If. Un harpiste divin, demeurant dans un arbre (un if ?) près ou au-dessus d’une chute d’eau. Frère (ou probablement fils) d’Eogabal, et oncle (ou probablement père) de Grian et d’Aine. Sa musique avait le pouvoir de faire rire, pleurer, ou dormir, selon ce qu’il voulait.
— L’élémental de l’alisier ? Alisanos/Alisaunus. Élémental de l’alisier, mais pas élémental de la falaise pour certains auteurs. Alisanos est connu par trois inscriptions trouvées en France. La première à Couchey dans la Côte-d’Or, la seconde à Viévy toujours dans le département français de la Côte-d’Or, la troisième à Aix-en-Provence.
— L’élémental du coudrier ou noisetier. Callirius (coll en gaélique). Élémental des bois, connu par une inscription trouvée à Camulodunum (Colchester). DEO SILVANO CALLIRIO D CINTVSMVS AERARIVS (au dieu Silvanus Callirius, Decimus Cintusmus, bronzier). La découverte d’un cerf en bronze dans les environs, incite à penser qu’il devait aussi s’agir d’un élémental protecteur des cerfs et des chasseurs de cerfs.
— L’élémental du pommier. Abellio/Abelio. C’est un dieu-ou-démon quelque peu solitaire : on ne lui connaît ni compagne ni compagnon. César n’a pas connu son nom. Nombreuses inscriptions le concernant trouvées dans la haute vallée de la Garonne. Avec assez de vraisemblance, Dyfed Lloyd Evans suggère que le nom d’Abellio est à mettre en relation avec la pomme, et qu’il s’agirait donc d’un dieu-ou-démon du type « Seigneur de l’été » associé à la maturité des pommes. Abalo signifiant « la pomme » et aballo « le pommier ». Il est par conséquent possible de le considérer comme le Seigneur de l’île d’Avallon, dont on sait que le nom signifie « La pommeraie », donc d’en faire un des nombreux rois de l’autre monde celte. Abellio est un dieu-ou-démon de l’harmonie au sens large du terme, apparenté au dénommé Afallach.
— L’élémental du saule : Salacea. Élémental du saule ou des eaux connu par une inscription trouvée à Vienne en Autriche, où il est honoré en compagnie de Jupiter, Neptune, les nymphes, Danuvius et Agaunus. Du celtique *salik-o.
— L’élémental du buis. Buxenus. Connu par une inscription trouvée à Velleron dans le département français du Vaucluse : de [o] Marti Buxeno (au dieu Mars Buxenus). Devait avoir également des aspects guerriers ou du moins en rapport avec la guerre, puisqu’il a été assimilé à Mars par interpretatio romana.
— L’élémental de la bruyère. Vroica/Uroica. Le mot évoluera ensuite à l’époque romaine en *bruca, et donnera le terme *brucaria (champ de bruyères). C’est d’ailleurs ce dernier mot qui donnera le français : bruyère (le lieu donnant son nom à la plante). Les matres Vroicae/Uroicae sont par conséquent une manière de personnifier l’âme/esprit de cette plante, à la façon de nos amis de Findhorn (qui parleraient plutôt de deva dans ce cas, il est vrai).
— L’élémental du malt pour faire la bière. Braciaca. Bêtement associé au dieu-ou-démon Mars par les Romains. Connu par une inscription trouvée au château d’Haddon Hall, à Derby, dans le Derbyshire : DEO MARTI BRACIACAE Q. SITTIUS CAECILIANUS… Au dieu-ou-démon Mars Braciaca, Quintus Sittius Caecilianus…
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L’association au dieu-ou-démon Mars, par l’interpretatio romana, découle des pratiques de l’époque (ivresse du combat, fureur guerrière, etc.) : on buvait beaucoup avant de partir à la bataille.
RAPPORT D’ÉTAPE DANS L’ASCENSION DE NOTRE MONTAGNE DE SACRÉ.
Ce que nous venons de dire des élémentals évoqués ci-dessus montre donc qu’ils sont originellement et tout simplement, si l’on peut dire, des expressions de Domna Litavis, la Terre-Mère. Mais le courant de l’Histoire, selon un mécanisme ascensionnel bien connu, les a fait peu à peu monter du fond de la terre à sa surface, ils sont devenus les âmes/esprits des eaux et de la végétation. Les lieux de leurs épiphanies trahissent en général clairement leur origine. Ils apparaissent en effet le plus souvent sur des montagnes près des crevasses et des torrents, sur les innombrables tables de fées ou dans le plus profond des forêts, au bord d’une grotte, d’un abîme, d’une cheminée des fées. Ou encore près d’un fleuve mugissant ou au bord d’une source, voire d’une fontaine.
Bien évidemment, cet amour de la nature, des rivières, et des arbres, les chrétiens, eux, ça les ennuyait, ils ont donc tout fait pour le déraciner sous nos latitudes. Exemple : Concile d’Arles, 451 ou 452.
« Un évêque ne doit pas permettre que dans son diocèse, les infidèles allument des torches ou bien vénèrent les arbres, les fontaines ou les rochers. S’il néglige de détruire ces habitudes, il sera rendu coupable de sacrilèges. Le maître du lieu ou le régisseur, s’il se refuse, après avertissement, à remédier à cet état de choses, sera excommunié ». Jusqu’où la religion ne va-t-elle pas se nicher ???
Si l’on examine de très près contes et légendes relatifs aux fées, il apparaît bien que cette créature participe du surnaturel, parce que sa vie est continue ; et non discontinue comme la nôtre, ou comme celle de toute chose vivante en ce monde. Voilà la raison pour laquelle Mélusine, le samedi, quitte son époux humain et lui demande de ne pas chercher à la voir, de respecter son secret. Il lui faut en effet, quitter l’apparence humaine pour prendre celle d’un serpent, symbole animal de la vie éternelle. Mélusine est alternativement femme et serpent, de la même façon que le serpent change de peau pour se renouveler indéfiniment. Aussi les fées ne se montrent-elles jamais que de façon intermittente, comme par éclipses, bien qu’elles subsistent en elles-mêmes de façon permanente.
Repetere = ars docendi. Comme le disait Napoléon, la répétition est la plus forte des figures de rhétorique. Puisque le Coran lui aussi se répète souvent, n’hésitons point à redonner ici ce que nous avons déjà dit plus haut des fées de l’ancien druidisme.
Ces bonnes fées du Celte moyen de l’Antiquité semblent avoir été invoquées dans les provinces rhénanes sous le nom de Matronae, en Narbonnaise et en Lyonnaise sous le nom de Matres. Il y a néanmoins entre les fées de type matres et les fées de type matronae la même différence qu’entre un père et un patron. Dans le premier cas il y a filiation biologique, dans le second cas il n’y a qu’une filiation ou une subordination spirituelle, voire sociale.
Le Français Camille Jullian classe toutes ces fées en quatre grandes catégories.
A) Celles qui sont affectées à un détail de la nature, qui peut être une montagne ou une forêt, voire des arbres, mais surtout des sources. La terminaison nehae indique la nature aquatique des fées en
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question. Nous pouvons ainsi considérer comme fées de sources les Matronae Cuchaeneae (C. I. L., XIII, 7923, 24), Rumanehae (C. I. L., XIII, 7869-8027, 28), Vesuniahenae (C. I. L., XIII, 7850, 54, 7925), Albiahenae (C. I. L., XIII, 7933-36) en pays rhénans ; les Matres Gerudatiae (C. I. L., XII, 505), Almahae (C. I. L., XII, 330), Ubelnae (C. I. L., XII, 333) en Narbonnaise ; les Matres Augustae Eburnicae, en Lyonnaise (Revue Épigraphique, III, page 49, n° 1220).
B) Celles qui protègent les lieux occupés, villages ou villes. Leur universalité recouvre l’intégralité du monde celtique, voire indo-européen. C’est pour cette raison qu’elles sont régionalisées en zone romaine : Matres Traverae, pays des Trévires, Matres Vediantia : pays des Vediontes de Nice. Elles ont par la suite été christianisées en Notre-Dame.
C) Celles qui constituent les génies de la famille, les fées de type matres mopates ou nedsamae, qui sont en quelque sorte des vierges à l’enfant, et dont le rapport avec la fertilité, la fécondité, ou la famille, est évident.
D) Celles qui président à certains faits de la vie humaine. Originellement, d’ailleurs il s’agissait d’une personnification, du destin, neutre. Mais la plénitude même de la grande loi cosmique dont elles sont la représentation, empêchera, par la suite, que l’on continue à les identifier à l’Englobant Universel personnifié des cultes populaires. Les fées de type matres étaient trop une limitation par rapport à l’infini, en dépit de cette personnalisation sous forme d’une triade « passé-présent-avenir », dont on retrouve trace presque partout.
Enfin une fée de type matra ou matrona était rarement isolée, le plus souvent elle est représentée avec deux compagnes, l’une à sa droite, l’autre à sa gauche, mais chacune devait avoir sa personnalité et pouvait avoir son culte. Une inscription trouvée à Carnoules et à Pierrefeu dans le Var en France a même été dédiée à la troisième des fées de la triade locale, Trittia.
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LES ÂME/ESPRITS ANIMALES OU HUMAINES (ÉGRÉGORES) DITES TEUTATÈS.
Toutatis ou teutates est un mot d’origine celte, mais ce n’est nullement le cas du terme moderne d’égrégore qui lui a succédé, bien entendu : il a une étymologie latine ou grecque.
Ex = sortant de, gregs, gregis = le troupeau, la foule, avec désinence – or. L’égrégore est donc le fruit actif, ou la chose née, de l’action, d’une foule. Étymologie alternative : le grec : « égrêgorein/egregoros » qui signifie veiller/veilleur a deux sens. Il s’agit d’une part du nom d’anges tombés sur le mont Hermon dans les légendes juives, et d’autre part d’un concept occultiste dont la définition approximative est celle d' « être collectif ».
Le terme renvoyait alors à une « personnification » de forces physiques ou psychophysiques non surnaturelles. Le mot est souvent également synonyme de forme/pensée. L’égrégore est une émanation psychique très proche de la matière où l’individu peut puiser une certaine force. C’est une mise en vibration avec un diapason, toujours le même. Toute assemblée d’individus forme un égrégore. Qu’elle soit humaine ou non-humaine ! Et l’égrégore est une réalité qu’on le veuille ou non ! C’est une entité qui existe vraiment, mais très difficile à visualiser.
N.B. Nous utiliserons ici le même terme, teutatès, et pour l’animal et pour l’homme, car l’homme est AUSSI un animal (ce que Le Bon constate de la barbarie des foules le montre amplement).
Et de toute façon les Celtes vu le petit côté totémiste ou écologiste de leur spiritualité, voyaient les animaux simplement comme des frères inférieurs. De l’animal à l’homme il y avait pour leurs druides un continuum, et non une coupure épistémologique comme dans le cas du judéo islamo christianisme.
Le Français Gustave Le Bon a défini dans son ouvrage intitulé « Psychologie des foules », ce qu’il faut entendre par égrégore.
« Au sens ordinaire, le mot foule représente une réunion d’individus quelconques, quels que soient leur nationalité, leur profession ou leur sexe, quels que soient aussi les hasards qui les rassemblent. Du point de vue de la psychologie, l’expression foule prend une signification tout autre. Dans certaines circonstances données, mais seulement dans ces circonstances, une agglomération d’hommes possède des caractères nouveaux, fort différents de ceux de chaque individu qui la compose. La personnalité consciente s’évanouit, les sentiments et les idées de toutes les unités sont orientés dans une même direction. Il se forme une âme/esprit collective, transitoire sans doute, mais présentant des caractères très nets. La collectivité devient alors ce que, faute d’une expression meilleure, j’appellerai une foule organisée, ou, si l’on préfère, une foule psychologique. Elle forme un seul être, et se trouve soumise à la loi de l’unité mentale des foules ».
La « foule psychologique » peut n’être constituée que de quelques personnes réunies ou d’un peuple tout entier, mentalement soudé par un événement national de première importance. Ce qui fait la « foule psychologique », c’est un choc psychique qui transforme les individus en un être collectif doté d’une unité mentale. Le substrat de cette unité, c’est la « constitution mentale » du peuple, « l’âme de la race » dont la foule est issue ; mais « l’âme des foules » varie aussi « suivant la nature et le degré des excitants qu’elles subissent ». Ces excitants sont le nombre, la contagion mentale, et enfin la
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suggestion. Le nombre donne à l’individu en foule un sentiment de « puissance invincible lui permettant de céder à des instincts, que, seul, il eût nécessairement refrénés » ; d’autant plus que, « la foule étant anonyme, et par conséquent irresponsable, le sens des responsabilités, qui retient toujours les individus, disparaît entièrement ».
La contagion mentale est ce qui pousse l’individu à faire comme les autres, même si ce comportement est manifestement contraire à son intérêt personnel. La suggestion relève du phénomène hypnotique. « La personnalité consciente est évanouie, la volonté tout comme le discernement, abolis. Sentiments et pensées sont alors orientés dans le sens déterminé par l’hypnotiseur ». L’influence d’une suggestion peut lancer l’individu en foule « avec une irrésistible impétuosité, vers l’accomplissement de certains actes ».
L’individu en foule « n’est plus lui-même, mais un automate que sa volonté propre est devenue impuissante à guider ». « Isolé, c’était peut-être un individu cultivé ; en foule c’est un instinctif, et donc un barbare. Il a la spontanéité, la violence, la férocité, mais aussi les enthousiasmes et les héroïsmes des êtres primitifs ».
La « foule psychologique » est crédule. Comme les femmes [sic, il s’agit de l’opinion de Le Bon] et les enfants, la « foule psychologique » croit les choses les plus invraisemblables, c’est qu’elle pense par images et que donc c’est son imagination qu’il faut impressionner. « Voilà pourquoi ce sont toujours les côtés merveilleux et légendaires des événements, qui frappent le plus les foules. Le merveilleux et le légendaire sont, en réalité, les vrais supports d’une civilisation. Dans l’Histoire, l’apparence a toujours joué un rôle beaucoup plus important que la réalité. L’irréel y prédomine sur le réel ».
Les images les plus susceptibles d’impressionner les foules sont les images simples et fortes. « Tout ce qui frappe l’imagination des foules se présente sous forme d’une image saisissante et nette, dégagée d’interprétation accessoire, ou n’ayant d’autre accompagnement que quelques faits merveilleux : une grande victoire, un grand miracle, un grand crime, un grand espoir. Il importe de présenter les choses en bloc, et sans jamais en indiquer la genèse. Cent petits crimes ou cent petits accidents ne frapperont aucunement l’imagination des foules ; tandis qu’un seul crime considérable, une seule catastrophe, les frappera profondément, même avec des résultats infiniment moins meurtriers que les cent petits accidents réunis ».
C’est pourquoi « la foule n’étant impressionnée que par des sentiments excessifs, l’orateur qui veut la séduire doit donc abuser des affirmations violentes ». « Connaître l’art d’impressionner l’imagination des foules, c’est connaître l’art de les gouverner ».
Il faut procéder par affirmation, utiliser la répétition, et jouer de son prestige personnel.
Il faut distinguer les foules homogènes des foules hétérogènes, les foules anonymes et non anonymes, ainsi que les foules électorales.
Les clients d’un grand magasin qui se ruent vers la sortie lors du déclenchement d’un incendie constituent par exemple une foule hétérogène anonyme ; un jury d’assises une foule hétérogène non anonyme ; les sectes religieuses ou politiques des foules homogènes, anonymes ou non anonymes ; les foules électorales, qui sont hétérogènes et anonymes, se distinguant par le fait qu’elles ne sont pas nécessairement composées d’individus réunis physiquement dans un même endroit.
Les réalités politiques.
« Il était invraisemblable qu’un charpentier de Galilée ignorant pût devenir pendant deux mille ans un Dieu tout-puissant, au nom duquel furent fondées les plus importantes civilisations. Invraisemblable aussi que quelques bandes d’Arabes sorties de leurs déserts pussent conquérir la plus grande partie du vieux monde gréco-romain, et fonder un empire plus grand que celui d’Alexandre ; invraisemblable encore que, dans une Europe très vieille et très hiérarchisée, un simple lieutenant d’artillerie (Bonaparte) réussît à régner sur une foule de peuples et de rois ».
Laissons donc la raison aux philosophes, mais ne lui demandons pas trop d’intervenir dans le gouvernement des hommes. Ce n’est jamais avec la raison, et c’est souvent malgré elle, que se sont forgés des sentiments tels que l’honneur, l’abnégation, la foi religieuse, l’amour de la gloire et de la patrie ; qui ont été jusqu’ici les grands ressorts de toutes les civilisations ».
Note de la rédaction. On a beaucoup critiqué cet auteur en en faisant un précurseur du nazisme. Il est certes vrai qu’il partageait les préjugés de son temps et de beaucoup encore de nos jours, y compris dans les rangs de l’antiracisme, sur les races.
Ce qui conditionne la structure de l’inconscient collectif d’un peuple, sa « constitution mentale », c’est la « race historique » à laquelle il appartient.
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Mais pour Le Bon, selon lequel il n’y a plus de races pures dans les pays civilisés, il faut entendre par race une « culture et des traditions communes fondées sur des « accumulations héréditaires ».
Et « malgré toutes les difficultés de leur fonctionnement, les assemblées parlementaires représentent la meilleure méthode que les peuples ont trouvée pour se gouverner eux-mêmes et surtout se soustraire le plus possible au joug des tyrannies personnelles ».
« Le régime parlementaire synthétise l’idéal de tous les peuples civilisés modernes. Il traduit cette idée, psychologiquement erronée, mais généralement admise, que beaucoup d’hommes réunis sont bien plus capables qu’un petit nombre, d’une décision sage et indépendante, sur un sujet donné ».
Le Bon n’est donc pas hostile au suffrage universel, et donne même aux candidats des conseils.
« La première des qualités à posséder pour le candidat est le prestige. Le prestige personnel ne peut être remplacé que par celui de la fortune. Le talent, le génie même, ne sont pas des éléments de succès. Cette nécessité pour le candidat d’être revêtu de prestige, de pouvoir par conséquent s’imposer sans discussion, est capitale ».
Il est aisé de comprendre qu’il existe des égrégores de toutes sortes (égrégores ou âme/esprits animales, égrégore ou âme/esprit d’une meute de loups, égrégore d’un groupe d’êtres humains en prière, égrégore d’une foule pakistanaise manifestant contre un blasphème, et ainsi de suite…), mais un égrégore n’est ni bon ni mauvais, c’est une énergie de pensée ou de sentiment, un point c’est tout.
Voir un égrégore demande une grande capacité à visualiser… La visualisation peut se faire de deux manières ; ou en groupe, ou bien seul. Si elle se fait à plusieurs, le groupe doit être très uni, tout le monde doit se connaître, et avoir parfaitement confiance en l’autre. Il doit y avoir des liens d’amitié assez forts. L’entente est très importante dans la visualisation en groupe, il faut vraiment être sur « la même longueur d’onde » pour pouvoir arriver à faire quelque chose.
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LES TEUTATÈS OU ÉGRÉGORES ANIMAUX.
Ainsi que nous venons de le voir, un égrégore ou âme/esprit animal est la présence d’une force puissante, suscitée puis maintenue par la pensée, les désirs, et les émotions, de nombreux individus, réunis dans un dessein commun. Cette force vivante possède alors une certaine forme d’autonomie et de conscience. Il s’agit d’un champ d’énergie à la fois mentale, émotionnelle, et instinctive. Les membres du groupe engendrent l’âme/esprit animale dans laquelle ils se fondent, à mesure qu’il se constitue. Le Bon a très bien démontré le phénomène pour ce qui est de l’être humain. L’action est dès lors réciproque : les individus alimentent l’âme/esprit animale en question et cette dernière agit sur eux. La puissance de cette âme/esprit animale est fonction du nombre d’individus qui la maintiennent en vie ainsi que de l’intensité de leur engagement dans le projet commun. Par exemple la traque d’une proie, ou la fuite pour survivre. Les égrégores humains n’étant d’ailleurs, dans cette optique, qu’une variété d’âme/esprit animale.
Généralités sur les teutatès animaux des Celtes.
César a écrit une bien curieuse chose à propos des Bretons : « Ils regardent comme défendu de manger du lièvre, de la poule ou de l’oie ; ils en élèvent cependant par goût et par plaisir » (B. G. Livre V, 12).
Au commencement, le totémisme était un ensemble d’interdits concernant les animaux et les plantes. Les clans pouvaient avoir des totems différents, auxquels ils s’identifiaient pleinement. Un tabou violé pouvait déclencher une guerre sans merci. Certes, les tabous s’appliquaient aux objets qui devenaient alors intouchables, mais c’est envers les animaux qu’ils devaient sans nul doute être observés avec la plus grande rigueur. Dans la cosmogonie des peuples de la forêt, les animaux (le règne animal) étaient la progéniture issue du mariage ou de l’union de l’arbre du monde et de la terre. Donc des frères des êtres humains. Des frères inférieurs certes, mais des frères tout de même.
Les interdits primordiaux du totémisme n’ont reçu que postérieurement leurs charges mystiques. Les interdits rigoureux comme la défense de détruire, ou de manger, furent renforcés par des mythes de justification qui eurent pour but de les intégrer à une réalité tangible, comme les invocations d’aides et de secours adressées aux ancêtres. Le culte des ancêtres se mélange donc parfois aux cultes totémiques, et ce, en parfaite harmonie. Le très-sachant de la druidiaction (druidecht) veille au respect des interdits et à l’accomplissement des rituels. Mais le culte des ancêtres et le totémisme sont à distinguer complètement du culte des dieu-ou-démons, qu’ils soient solaires, lunaires, ou terrestres…
Les liens du clan se manifestaient par l’idée d’une punition divine qui frapperait ceux qui osaient braver les interdits.
La réaction judéo-islamo-chrétienne la plus commune à cet égard fut toujours empreinte de condescendance, de mépris, voire de haine. Le totémisme a été considéré comme un fatras de superstitions barbares, bien dignes de l’incapacité intellectuelle du Primitif. Les Églises puisèrent là d’excellents prétextes à la destruction ou à l’asservissement des peuples qui se réclamaient de leurs liens avec la nature.
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Mais ceux qui se riaient ou se rient encore des tabous totémiques et des fétiches, oublient l’agenouillement, les prosternations, et la vénération, des chrétiens devant la croix, elle aussi fétiche ; et leur croyance aveugle en la présence de leur dieu-ou-démon dans le repas de commensalité appelé Eucharistie (une des raisons pour lesquelles le christianisme s’est si facilement répandu hors du monde juif est que l’hostie est un exemple parfait de la présence de forces occultes dans un fétiche).
Une telle attitude de refus et de moquerie envers le druidisme est d’autant plus aberrante que baptiser un enfant pour le laver du prétendu péché originel n’est ni plus ni moins qu’un acte de pure magie ; voire une superstition ! Tout comme dans le cas de la véritable idolâtrie dont l’islam entoure la personne de Mahomet (isma) ainsi que le recueil de feuilles de papier appelé « Coran ».
Il existe trois catégories d’égrégores ou âme/esprits animaux.
— Les animaux qui apportent ou symbolisent un pouvoir surhumain (ours, taureau, et autres). Tous les animaux ont des pouvoirs, mais ceux qui reviennent le plus souvent dans l’imaginaire humain sont ceux qui semblent en avoir le plus pour l’époque : animaux dangereux pour l’homme ou capables de vivre dans des conditions très dures, etc.
— Les animaux qui sont des intermédiaires entre les mondes surnaturels et le monde naturel.
— Les animaux psychopompes. Le cerf est par exemple un passeur d’âme/esprits. C’est un psychopompe, un conducteur mystique. Certes, le cerf impressionnait beaucoup nos ancêtres, mais en même temps, il symbolisait l’osmose ou l’accord avec la nature… Le cerf est, par sa ramure qui repousse chaque année, le symbole du renouveau de la nature. Pourquoi ne pas en faire une divinité, un mythe fondateur ?
L’animal sauvage inspire aux hommes répulsion ou peur panique, mais aussi une attirance certaine et un très profond respect parfois. On sait que les premières manifestations culturelles et cultuelles de l’homme préhistorique furent dédiées à l’animal. Les plus vieilles sépultures comme les plus anciennes peintures pariétales ainsi que les pictogrammes, font référence aux animaux comme accompagnateurs sacrés entre notre monde et le monde parallèle au nôtre, que nous désignons sous le nom d’au-delà. Les animaux ont une conscience claire de leur place dans le monde, ainsi que de leur mission, et l’instinct qui les guide de façon sûre n’est pas perturbé par l’intellect. Ils sont plus près de la nature, dont nous nous sommes éloignés.
On parle souvent de « divinités animales » à propos du druidisme : c’est une notion trop générale, qui recouvre des faits assez divers.
On peut adorer un animal en tant que symbole ou enveloppe temporaire de la divinité (thériolâtrie/zoolâtrie), ou comme la réincarnation d’un ancêtre (métempsychose), ou comme un ancêtre ou un parent du groupe auquel on appartient (totémisme).
Chez les Romains, l’animal ne paraît pas vraiment avoir reçu un culte à proprement parler : la louve de Romulus, les oies du Capitole, sont des animaux sacrés, l’une légendaire, les autres toujours renaissantes ; ce ne sont pas des divinités.
Chez les Celtes, le Taureau aux trois grues (Tarvos trigaranos) mis à part, il semble bien que l’adoration d’un animal normal ait été chose rare. Il faut se défaire d’une idée trop simple des Celtes qui, « primitifs » et barbares, auraient adoré à l’origine des animaux, puis des démons mi-animaux, mi-humains, enfin des dieu-ou-démons semblables aux hommes.
En réalité, au second âge du fer, les Celtes ont depuis longtemps des dieu-ou-démons individualisés, vivant comme nous en société ; car le mot indo-européen deiwos, qui qualifie ces êtres surhumains, existe en celtique sous la forme devo-, équivalent du latin divus « lumineux, céleste, divin ».
Inversement, les démons animaux, loin d’avoir cédé la place aux divinités plus anthropomorphes, sont encore vivants à côté d’elles dans la Celtie protohistorique, et ne cesseront de proliférer même à l’époque romaine. Il faut bien alors expliquer leur vitalité autrement que par leur appartenance à un peuple « primitif ».
L’un et l’autre attestent en fait la coexistence, plutôt que la succession, de formes inférieures et d’aspects plus évolués du sens de la divinité chez les très-sachants de la druidiaction (druidecht). La raison de ces cultes naturistes nous paraît simple : l’Homme redoute, révère et implore, les forces extérieures à lui, qui le dépassent, et dont dépend sa vie. Supériorités physiques diverses, instinct, fécondité ou flair des animaux. Ces derniers fascinent l’être humain dès l’enfance par leur présence vivante, la sûreté mystérieuse de leur conduite, leur ruse, leur prudence, ou leur ingéniosité. Avec l’Égypte, dont les divinités zoomorphes étonnaient les Grecs, les pays celtiques sont les seuls du monde antique qui aient fait aux bêtes une telle place dans leur dévotion. Pour les très-sachants de la druidiaction (druidecht), c’étaient, à n’en point douter, des frères supérieurs et même davantage. Un
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certain nombre de faits, que ce soit des noms d’hommes ou de tribus : Tarbelli (les taurillons ou les taureaux), Matugenos (le fils de l’ours), Boduognatos (le fils de la corneille) ; Brannogenos (le fils du corbeau), et autres ; ou des monnaies : celles qui représentent un cheval androcéphale casqué, ou un sanglier pareillement traité (avec une tête humaine) prouvent à l’évidence les liens étroits qui unissaient l’homme aux animaux en ce temps-là.
Selon certains anthropologues, ces êtres doubles de l’imagerie celtique (androcéphales) incarnent plutôt les ancêtres mythiques dont les chamans revêtent le rôle lors de cérémonies où ils apparaissent masqués pour leur ressembler.
Ce qui est certain, c’est que ce sont des puissances occultes, qui étaient vues ainsi et honorées ; des puissances anonymes puisqu’elles n’étaient connues que par le comportement d’êtres muets, dépourvus de raison, mais des puissances supérieures à nous, en ce que, tantôt, nous pouvons en tirer des bénéfices appréciables, tantôt le plus souvent nous avons à nous en défendre.
Deux séries de monnaies des pays de la Seine montrent, l’une, un édifice à fronton – un temple évidemment – dont un grand cheval de profil occupe toute la façade ; l’autre, le même monument et un grand aigle de face, ailes déployées, qui le masque en partie.
Le lien entre l’animal et un local cultuel est donc dans ce cas évident.
L’animal ainsi déifié ne représente pas un animal particulier, mais l’ensemble de l’espèce, d’où sa force (chacun des animaux de cette espèce nourrissant de son énergie, l’égrégore, ou plus exactement l’âme/esprit qui constitue l’animal totem). Les âme/esprits animales peuvent aider l’homme de bien des façons : en lui fournissant de l’énergie psychique et physique, en augmentant sa force, en accroissant sa vivacité mentale.
Ces animaux ne sont donc que la représentation, sous une forme animale, d’une force ou énergie. La forme animale choisie reflétant les caractéristiques de ladite énergie. Ces caractéristiques sont celles de l’âme/esprit collective de l’espèce animale représentée.
D’après le néo-chaman français Jean-Paul Bourre, divers rituels permettaient d’ailleurs à l’homme de capter à son profit un peu de l’énergie de ces teutatès animaux. Ce rapport entre l’homme et l’animal augmentait la puissance magique (sic) de l’homme, puisqu’il était soutenu par l’âme/esprit de la bête qui s’éveillait en lui. Exemples avec les loups (uolcogenoi : les fils du loup) avec les ours (matugenoi : les fils de l’ours), etc.
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A. LE DRAGON TAURISCUS/TARASKOS.
TARASKOS. Inscription trouvée à Tarascon, département français des Bouches-du-Rhône.
« Les populations habitant les bords du Rhône, dans le sud de la France, subissaient alors les fureurs d’un monstre qui désolait les campagnes et dévorait hommes et bétail en aval d’Avignon. C’était un dragon à longue queue, dont la gueule rappelait celle du taureau et dont le dos était protégé par des poils qui le rendaient invulnérable. On l’appelait Tauriscus, et il était censé venir de la mer, ou des eaux du fleuve peut-être. Les habitants du pays, terrorisés, n’osaient plus approcher du repaire de ce tauriscus, et rendaient même au monstre un culte apeuré, lorsque le bruit des miracles accomplis par le héros appelé Hercule chez les Grecs, parvint à leurs oreilles. Ils implorèrent aussitôt cet Hercule celte, Camulos Smertrios, qui accepta de les délivrer, marcha vers le monstre, le terrassa aussitôt à coups de massue, et ramena sa dépouille en ville. Le Tauriscus devint alors le symbole de la ville de Tarascon ; son image figure sur les armes de la cité ; elle est sculptée sur la façade de son hôtel de ville, gravée sur ses sceaux et ses monnaies anciennes ».
Une trace de cet exploit méconnu de l’Hercule celte nous a été conservée par une brève allusion de Timagène d’Alexandrie, in Ammien Marcellin, Histoires, XV, 9-12.
« Les habitants de ces contrées affirment – ce que nous voyons aussi gravé sur leurs monuments – qu’Hercule, fils d’Amphitryon, s’empressa d’aller détruire Géryon et Tauriscus, cruels tyrans dont l’un désolait les Hispanies, et l’autre les Gaules ; que, les ayant vaincus tous les deux, il s’unit avec des femmes de race noble, et en eut plusieurs enfants qui donnèrent ensuite leurs noms aux contrées sur lesquelles ils régnaient ».
Telle est, en bref, la légende. Elle ne pouvait manquer de piquer la curiosité des érudits et de susciter des interprétations variées. Les uns en acceptent la lettre et la tiennent pour vérité historique. Les rationalistes comme nous cherchent, avec plus ou moins de vraisemblance, l’origine de ce récit, dans la déformation d’événements historiques.
Sans entrer dans la controverse, nous remarquerons que la réalité du combat de cet Hercule celte (Camulos Smertrios) et de Tauriscus paraît fort peu plausible. Et, surtout, que des légendes analogues, ne se différenciant que par le cadre historique, le nom des acteurs ou les circonstances du combat, se retrouvent ailleurs.
Nous sommes en présence des formes multiples d’un mythe analogue à celui de saint Georges (Taranis terrassant les anguipèdes géants). L’imagination populaire attribue à tous les grands héros ainsi qu’à tous les saints, la même victoire sur le dragon, et ce pouvoir de dominer les monstres devient donc un attribut normal de l’héroïsme ou de la sainteté. Il faut y voir une allégorie ou un symbole sans prendre à la lettre les détails merveilleux de la légende. Nous n’entendons point dire par là que ces récits sont de pures fictions et des contes bons à endormir les petits enfants. Un symbole est l’expression physique d’une réalité métaphysique, comme les figures géométriques sont l’expression visible d’idées abstraites.
Quant au monstre, sa queue de dragon et sa gueule de taureau dévorant indiquent assez sa nature ignée ainsi que son mode d’action ; sa cuirasse signifie qu’il ne peut subir aucune atteinte des armes humaines ou des forces du monde physique. Les philosophes reconnaîtront en lui la puissance aveugle qui meut tous les ressorts du monde physique, soit vers le bien, soit vers le mal.
Lorsque l’homme est associé à la bête, celle-ci prend souvent une apparence monstrueuse, et figure clairement les forces du mal auxquelles il faut livrer bataille. Le monstre est la terre nourricière, il dévore hommes et bêtes après leur mort, la terre s’enrichit ainsi de la substance des cadavres. Le
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fauve absorbe ses victimes pour acquérir de la force comme la terre se nourrit de la putréfaction des corps pour se reconstituer. Ce mythe est à rapprocher de la pratique qui consistait à nourrir les dieu-ou-démons souterrains avec les corps de victimes animales ou humaines.
Le mythe du sauroctone est un des grands thèmes de la mythologie universelle. Le sauroctone est littéralement, un « tueur de lézards, de sauriens » en grec. Autrement dit un exterminateur de dragons.
En terre celte, Camulos Smertrios, en terrassant le serpent (à tête de bélier ?) supplante les forces obscures et fait triompher le culte de la lumière. Cet Hercule celte est le type même du sauroctone. Ces vénérables héros ont un aspect farouche et guerrier, ils combattent les ennemis de notre quête du bonheur et de l’équilibre, et chassent nos mauvais instincts. On les reconnaît à leurs signes distinctifs, torques, armes, peaux de bête. Smetrtrios, représenté avec la massue, est un dieu-ou-démon de l’énergie (son équivalent est le dieu-ou-démon bouddhiste tibétain Vajrapani, porteur du vajra).
Ce mythe symbolise les forces obscures, brutales, souterraines, maîtrisées par le progrès de la civilisation. Il peut aussi, et en même temps, symboliser le combat contre les menaces naturelles (inondations, épidémies…), qui mettent en danger la communauté. Il y a lieu néanmoins de souligner qu’il s’agit moins de tuer, d’éliminer la bête, que de la maîtriser. Lui passer l’étole au cou et rendre le dragon doux et obéissant comme un agneau, le forcer à plonger au fond de la mer ou à demeurer enfoui sous un rocher. Car les forces qu’il représente, pour négatives qu’elles soient, participent de l’économie du monde. Et elles ont un rôle à y jouer, pourvu qu’elles demeurent à leur juste place, dans les obscures profondeurs telluriques, en équilibre dynamique avec les forces ascensionnelles et célestes.
Certains thèmes se retrouvent régulièrement associés aux récits concernant les monstres androphages ou les dragons du type tarasque : la bête gîte dans des zones sauvages, marécageuses, inondables, au pied d’une éminence où elle trouve un refuge souterrain ; le héros qui en triomphe est secondé par un larron ou un condamné qui, représentant le peuple, gagne ainsi à ses côtés sa grâce et son salut ; la bête, plutôt qu’être abattue, est souvent renvoyée dans le domaine qui lui est réservé : dans l’au-delà, sous la terre ou sous les eaux, avec injonction de n’en plus sortir. Il y a là comme la nécessité de marquer ses limites, tout en reconnaissant que l’animal détient des forces, terribles sans doute, mais qui peuvent s’avérer utiles, et que son énergie peut être mise à contribution.
Les traditions populaires ou littéraires nous ont transmis quelques figures de tueurs de monstres, à commencer par le roi breton Arthur lui-même. Tristan abat le Morholt, et c’est en annihilant le dragon d’une île volcanique que le magicien Maugis, en France, conquiert le cheval Bayard. En Grèce, Hercule en est un autre exemple : en venant à bout de l’Hydre de Lerne aux multiples têtes. Le dieu-ou-démon d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob (Yahwé), lui-même, n’échappe pas au genre, si l’on en croit Ésaïe (27, 1). « Ce jour-là, l’Éternel frappera de sa dure, grande et forte épée, le Léviathan, serpent fuyard, le Léviathan, serpent tortueux ; et il tuera ce monstre qui vit dans la mer ».
Plusieurs chapiteaux romans développeront d’ailleurs le même thème en France : la tête d’un personnage disparaît dans la gueule d’une bête à Lubersac ; dans l’église d’Arnac, la bouche grande ouverte du monstre contient un homme qui semble vouloir en sortir ; à Beaulieu et Allassac, un chapiteau similaire montre la torture d’un homme, allongé en travers de la corbeille, en proie aux morsures de bêtes infernales.
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SURVIVANCES MÉDIÉVALES.
Rappel.
Notre conviction à nous néanmoins, très sachants de la druidiaction d’aujourd’hui, c’est que le dragon « cracheur de feu par l’anus » dont il va être question n’a jamais été un monstre ayant réellement existé (une sorte de moufette géante hybride ?), mais un symbole représentant ou synthétisant les peurs ancestrales de l’Humanité. D’où le mythe celte de Camulos Smertrios terrassant Tauriscus, le serpent à tête de taureau cracheur de feu (son venin)
Quant au Nerluc des légendes (dorées) chrétiennes, c’est certainement plus un « Bois Noir » qu’un « Lac Noir », un « Bois Noir » sans doute analogue à la mystérieuse forêt des environs de Marseille décrite par Lucain. Cette forêt aussi hantée par des dragons cracheurs de feu ayant été aussi par la suite de la même façon associée à Marthe (la Sainte Baume) il ne sera donc pas sans intérêt d’en dire deux mots également.
« Non, loin de la ville, il y avait un bois sacré.
Que, depuis les temps les plus anciens
Aucune main humaine n’avait osé violer ;
Il s’étendait dans l’ombre d’un ubac
Et retenait dans ses branches entrelacées
Les ténèbres ainsi que les ombres glacées.
En ce lieu ne demeuraient ni Pans paysans
Ni Sylvains ni même des Nymphes
Mais des rites sauvages et des cultes barbares,
D’horribles autels érigés sur des tertres sinistres ;
Chaque arbre y dégouttait de sang humain.
S’il est possible d’accorder quelque crédit à la crédule Antiquité
Aucun oiseau ne s’est jamais posé sur ses branches
Et aucune bête sauvage n’y a jamais aménagé de tanière,
Le vent ne s’abat jamais dans ce bois
Ni la foudre jaillissant des nues.
L’air y est lourd, stagnant, immobile,
Mais les feuilles frissonnent quand même mystérieusement ;
L’eau s’écoule de sombres fontaines ;
De sinistres effigies [latin simulacra] des dieux, grossièrement façonnées,
Figurent sur des troncs d’arbre tombés,
La pâleur même du bois vermoulu
Ainsi que la décomposition de leurs formes,
Répandent la terreur
Car les hommes craignent moins les divinités
Dont les représentations leur sont familières
Tant ajoute à la terreur le fait de ne pas connaître les dieux.
On disait déjà que des tremblements de terre faisaient mugir certaines cavernes,
Que des ifs qui n’avaient pas poussé droit se redressaient ;
Que des langues de feu ardent avaient été vues dans les profondeurs de la forêt,
Mais que les arbres n’y brûlaient pas pour autant,
Et que des dragons s’enroulaient autour de ses troncs en de multiples anneaux.
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Les hommes fuient ce lieu
Et ne s’en approchent pas pour célébrer leur culte,
Même le prêtre
Que Phébus soit à son zénith
Ou que la nuit noire obscurcisse le ciel,
N’approche de ce bois sacré qu’avec crainte
Et redoute d’y surprendre son seigneur » (Lucain).
À se demander donc si, dans cette légende de la tarasque, sainte Marthe ne figure pas le christianisme triomphant du paganisme et cette légende dorée chrétienne n’est peut-être qu’une adaptation locale d’un tel mythe (nos ancêtres avaient beaucoup d’imagination).
Il existe néanmoins des auteurs convaincus qu’il y a bien eu à l’origine de cette histoire un monstre ayant réellement existé.
Laissons-leur la parole.
« Pseudo-Marcelle », « Speculum Historiae » ainsi que « Légende Dorée », sont les principaux textes médiévaux traitant du sujet. Nos trois textes sont conformes quant à la pseudo-généalogie de la Bête. La Tarasque, selon eux, serait née de l’accouplement du Léviathan et d’un (ou d’une) Bonachus, un monstre propre à la Galatie, appelé aussi Bonachos ou Onachum ; ce que, dans son « Bestiaire fantastique du Sud » (Privat – 1990), André Rimailho traduit naïvement par « Onagre ».
Le héros sauroctone est cette fois-ci une femme, sainte Marthe, dont Jacques de Voragine nous vante la douceur, le charme et la beauté.
Accompagnée de sa sœur, Marie de Béthanie, de son frère, Lazare, des gens de leur maison (parmi lesquels peut-être une servante du nom de Martilla ou de Marcelle) et sans doute de quelques disciples du Christ ; sainte Marthe arriva en Provence probablement aux alentours de l’an 40. Soit environ vingt-cinq ans avant que Joseph d’Arimathie, dépositaire du Saint-Graal, et ses compagnons, débarquent en Grande-Bretagne. Tel est du moins ce que les chrétiens essaient de nous faire accroire.
Dès que se répandit la nouvelle de l’arrivée de la sainte, les riverains du Rhône coururent à sa rencontre pour lui demander de les libérer de la Bête qui dévorait gens et bétail.
Vie de sainte Marie-Madeleine et de sainte Marthe, sa sœur (texte attribué à Raban Maur).
« Il était une fois sur les bords du Rhône, dans un bois situé entre Arles et Avignon, un grand dragon, à moitié bête et à moitié poisson, plus gros qu’un bœuf, plus grand qu’un cheval, ayant des crocs acérés comme une épée, des cornes de chaque côté, une tête semblable à celle d’un lion, et une queue de serpent, ainsi que des ailes pour le protéger de chaque côté ; de sorte qu’on ne pouvait l’atteindre ni avec des pierres ni avec d’autres traits ; il était aussi fort que douze lions ou douze ours ; ce dragon était tapi dans les profondeurs du fleuve et il causait la mort de ceux qui passaient à proximité en faisant sombrer leur bateau. Il était venu de Galatie et avait été engendré par le Léviathan qui est un serpent de mer terrifiant et par un monstre de Galatie appelé Bonachus. Quand il est traqué, il expulse ses excréments à cent pieds à la ronde sur ceux qui le poursuivent ; c’est brillant comme du verre et tout ce que ça touche est alors brûlé. Marthe, à la demande générale, pénétra dans ce bois et le trouva en train de manger un homme. Elle l’aspergea d’eau bénite et lui présenta la croix, devant laquelle il s’inclina aussitôt, et comme il était devenu doux comme un agneau elle l’attacha avec sa ceinture ; ensuite il fut transpercé par les lances ou les glaives de la foule. Ce dragon fut appelé du nom des habitants du pays, Tarasconus, et en souvenir de ce monstre le nom de Tarascon fut donné à ce lieu qui s’appelait autrefois Nerluc c’est-à-dire lac Noir ; car il y a là des bois sombres et obscurs ».
C’est évidemment trop beau pour être vrai comme d’habitude, et le christianisme nous a, hélas, habitués à ce genre de contre-vérités ; le texte en question est un apocryphe datant du XIIe siècle, attribué à un certain Syntique et connu des exégètes sous le titre de « Pseudo-Marcelle ».
« Pseudo-Marcelle », « Speculum Historiae » ainsi que « Légende Dorée », donnent tous trois une description minutieuse de la Tarasque ; avec une variante toutefois, les deux premiers parlent de six
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pattes pour ce monstre. Mais le passage « Senos pedes et ungens ursinas » (six pattes et des griffes d’ours), identique chez Syntique et Vincent de Beauvais, ne figure pas chez Jacques de Voragine.
Les trois textes indiqués ci-dessus rapportent des faits censés avoir eu lieu dans la première moitié du premier siècle, et qui, jusque-là, n’avaient donc été rapportés que par la tradition orale.
Or douze siècles de tradition orale sont largement suffisants pour enjoliver un événement ; voire même pour faire pousser une troisième paire de pattes à un Dragon, par nature tétrapode.
Certes, que l’un de ses géniteurs soit le Léviathan, roi incontesté de tous les dragons marins, et l’autre le Bonachus, monstre de caractère tellurien (voire igné), pouvait simplement vouloir symboliser la nature amphibie de la Bête.
Mais, au fait, pourquoi le Bonachus ? Pourquoi être allé chercher dans la lointaine Galatie l’un des géniteurs d’un dragon du sud de la France ? On pourrait d’ailleurs se poser la même question à propos de Léviathan ; car donner pour géniteur à la Tarasque le plus illustre des monstres océaniques équivaut à peu près à reconnaître au calmar géant la paternité d’un tigre mangeur d’hommes.
Sur le plan purement animalier, sans doute. Mais il convient de ne pas perdre de vue que la Tarasque appartient au Bestiaire fabuleux des chrétiens, que c’est par une sainte qui avait côtoyé le Christ qu’elle fut domptée ainsi que nous l’avons vu ; et que, lorsque cet événement fut fixé par écrit, des siècles plus tard, il le fut par des auteurs pétris de culture chrétienne.
On ne peut en douter en ce qui concerne celui du « Pseudo-Marcelle », puisqu’il alla jusqu’à s’effacer derrière une hypothétique servante de sainte Marthe.
Quant à Vincent de Beauvais ou Jacques de Voragine, ils appartenaient tous deux à l’ordre des Dominicains ; le second fut d’ailleurs béatifié en 1816.
Donner à la Tarasque pour géniteur le Léviathan, contribuait à souligner la malignité foncière de la Bête, car dans la Bible le nom de Léviathan ne désigne pas uniquement le monstre marin. Il désigne aussi une incarnation du Mal et, en tant que tel, est cité dans une autre partie du « Livre de Job » (III, 7-8), dans le « Livre d’Isaïe » (XXVII, 1) et dans les « Psaumes » (LXXIV, 4).
Débarrassons-nous tout de suite de la part inévitable de l’exagération et du besoin de merveilleux propre à la religion chrétienne ; ce merveilleux fût-il scatologique.
Ce n’étaient sûrement pas ses excréments que la Bête galate propulsait avec un effet si dévastateur ; mais plus probablement le contenu de ses glandes anales.
Présentes dans plusieurs groupes de mammifères, et en particulier chez la plupart des carnivores terrestres, les glandes anales sont généralement utilisées à des fins d’informations territoriales et sexuelles.
Elles atteignent leur plus grand développement chez les moufettes, qui en usent également comme armes.
Une moufette est capable de projeter, avec une étonnante précision, le contenu de ses glandes anales, jusqu’à une distance de quatre mètres.
Un homme, atteint par cette sécrétion, en dépit de bains répétés, mettra plusieurs jours à se débarrasser de la puanteur dont il sera imprégné, qui peut même occasionner des céphalées très douloureuses ainsi que de violentes nausées.
La sécrétion, qui reste sans effet sur une peau saine, peut se révéler très nocive si elle atteint une blessure et, si elle touche les yeux, provoquer une douleur intense avec cécité temporaire.
Il n’est donc pas excessif de parler d’armes ; les effets de la sécrétion des glandes anales des moufettes étant comparables à ceux du venin des serpents cracheurs.
Plusieurs herpétologues, manipulant des serpents cracheurs sans prendre de précautions suffisantes, ont été atteints aux yeux par un jet de venin. Certains ont été frappés de cécité temporaire, mais tous ont déclaré avoir ressenti une douleur intense, comparable à une brûlure.
C’était donc du venin que sécrétaient les glandes anales du Bonachus ; venin qui devait avoir des propriétés analogues à celles du venin des serpents cracheurs. Et la sensation de brûlure, décrite sans doute par des gens ayant eu la malchance d’être atteints aux yeux, est probablement à l’origine de la fable de la Bête galate projetant des excréments qui enflammaient tout ce qu’ils touchaient.
En outre, ne perdons pas de vue que la puissance et l’abondance du jet devaient être proportionnelles à la stature de l’animal.
Et, si une moufette, ayant à peu près la taille d’un chat, est dotée de glandes anales du volume d’un œuf de pigeon, dont il peut projeter la sécrétion à une distance de quatre mètres ; quelles performances devait réaliser une bête de la taille d’un grand rhinocéros, dont les glandes anales, dotées de de puissants muscles « expulseurs », atteignaient sans doute les proportions d’un œuf d’autruche ?
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Les moufettes se répartissent en neuf espèces. Et chacune d’entre elles adopte des postures qui lui sont propres, lors de l’expulsion de ses sécrétions ; les moufettes tachetées allant même jusqu’à se dresser à la verticale sur leurs membres antérieurs.
Bien qu’on ne puisse envisager pareille acrobatie chez un Bonachus, dont le poids devait avoisiner les deux tonnes, il semble hors de doute qu’il devait, lui aussi, adopter une posture particulière lorsqu’il projetait son venin.
Au terme de ce périple qui nous a conduits de la ville natale de Tartarin (Tarascon) au royaume galate d’Asie Mineure, et du Légendaire chrétien à la mythologie celte, revenons à notre point de départ : la Tarasque provençale.
Un prédateur de grande taille, au corps couvert d’une cuirasse écailleuse, semi-aquatique, qui s’attaque aux hommes et au bétail ; et dont le biotope s’étendait sur les zones littorales du nord de la Méditerranée (avec une pénétration non négligeable à l’intérieur des terres) depuis la côte orientale de l’Espagne jusqu’à la Grèce.
L’historien français Louis Dumont, dans le chapitre II de la deuxième partie de sa monographie consacrée à ce sujet, a noté : « Beaucoup plus que face à un dragon, nous sommes en présence d’une sorte de carnassier géant, à tête de lion, au corps massif… ». Ce qui évidemment dans ce cas ferait de la Tarasque, non un dragon, mais un monstre quelque peu analogue à celui de Noves. La Bête de Noves, monstre hideux aux griffes plantées sur deux têtes humaines dégoulinantes de sang (musée Calvet d’Avignon) peut-elle être considérée comme l’ancêtre du monstre rhodanien ? (Noves est une localité située au bord de la Durance, pas très loin du confluent de celle-ci avec le Rhône, et de Tarascon qui tient son nom de cet animal fantastique). Louis Dumont pourtant ne le pense pas, et considère plutôt que le mythe de la tarasque de Tarascon ne remonte pas au-delà du XIIe siècle.
Que peut bien signifier enfin le geste accompli à l’aide de la ceinture et que cache-t-il ?
La liste est longue des saints et des saintes qui subjuguèrent un dragon en lui posant sur le front ou l’encolure une pièce de vêtement ; ceinture, écharpe ou étole, lorsqu’il s’agissait d’un membre du clergé.
Margaret Murray a vu dans les mythes de ce type (Le Dieu des sorcières) l’affrontement de la religion ancienne des peuples vaincus avec celle des peuples envahisseurs ; et les auteurs de son École ont cru déceler dans ces traditions l’allégorie du christianisme triomphant du paganisme, symbolisé par la Bête écailleuse, dévoratrice, anthropophage et parfois cracheuse de feu.
Et, pour faire bonne mesure, nombre de versions ajoutent qu’avant d’être dompté par une pièce de vêtement nouée à son encolure, le dragon avait préalablement été aspergé d’eau bénite.
Cette interprétation pourrait être acceptable, si ceux qui ont un jour accompli cet exploit (de dompter un dragon) avaient tous été chrétiens. Or c’est loin d’être le cas. Voir par exemple la légende de Smertrios en terre celte. Le mythe du sauroctone va donc plus loin que cette tentative de manipulation des esprits par réécriture de l’Histoire.
Les enchanteresses du monde celtique passaient aussi pour détenir le pouvoir de rendre les monstres inoffensifs, en effleurant de leurs lèvres leur mufle rocailleux. Ce geste, d’une bravoure insensée, dans le langage poétique des légendes médiévales, porte d’ailleurs un nom magnifique ; il s’appelait « Le Fier Baiser ». C’est donc sans doute de ce côté-ci qu’il faut chercher.
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B LE SERPENT À TÊTE DE BÉLIER.
(Même idée chez les Égyptiens sous le nom d’Apophis).
Passons maintenant à un autre monstre de la mythologie celtique (SI CE N’EST PAS LE MÊME… Le serpent à tête de bélier ou plus exactement le serpent criocéphale et à queue de poisson…
Le seul énoncé d’un pareil titre souligne là aussi l’étrangeté du monstre que nous allons étudier ci-dessous.
Le serpent cornu que l’on voit sur certaines monnaies, comme sur le bassin de Gundestrup (Danemark), étant un monstre imaginaire, a plus de chances que les autres animaux représentés sur les monnaies, d’être lui aussi, de nature sacrée, voire semi-divine. Cet animal composite, qu’on ne connaît nulle part ailleurs que chez les Celtes (les Scythes ont imaginé, toutefois, un poisson à tête et queue de bélier) accompagne tantôt le grand dieu-ou-démon aux cornes de cerf (Cornunnos) tantôt le dieu-ou-démon de la guerre. Il n’est pas sûr qu’il soit, plutôt qu’un démon [sic] une divinité animale indépendante. Le serpent est l’animal le plus terrien, le plus souterrain qui soit. Non seulement il touche la terre de tout son corps, vivant ainsi en contact presque incessant avec le sol, mais il pénètre aussi dans ses cavités, s’enfonce dans ses boues, dans ses sables, et dans ses eaux. Sa peau meurt et renaît tous les ans, comme les bois de cerf. Il est redoutable par son venin mortel, et s’il a de la taille, par sa force même.
À vrai dire, nous ne possédons que trois documents, tous romains, qui réunissent cette triple nature : corps de serpent, tête de bélier, queue de poisson. La queue de poisson traduit un rapport indéniable avec les eaux. Une dizaine d’autres présentent le corps de serpent et la tête de bélier, mais non la queue de poisson.
Les Celtes ont donc représenté l’égrégore ou âme/esprit de l’animal dans son ensemble par un serpent à tête de bélier (figurant sur certaines monnaies séquanes en tout cas, et boïennes). Mais la plus ancienne figuration connue du serpent à tête de bélier demeure celle du val Camonica dans les Alpes italiennes (– Ve siècle).
La tête de bélier décore souvent les chenets qui entourent le foyer ; cet usage est très répandu au dernier siècle avant notre ère, et se perpétue au temps romain. Le même objet, réalisé dans des proportions réduites, et par conséquent purement symbolique, était aussi volontiers déposé dans les sépultures.
Le monstre à corps de serpent et à tête de bélier, fort de sa ruse, de ses anneaux, et de ses cornes, à la fois souple et capable de frapper de front ; est donc symbole de force doublement agressive, de fécondité reproductrice, et de prospérité terrienne. Il paraît conduire le défilé des guerriers ou servir le dieu-ou-démon aux cornes de cerf, sur le chaudron de Gundestrup. Il se dresse à côté du dieu-ou-démon de la guerre sur le pilier de Mavilly (sans doute un tronc d’arbre primitivement). Il figure au revers de plusieurs types de monnaies celtiques en Europe centrale.
Ce serpent à tête de bélier dans certains cas est une personnification du chaos et de l’ensemble des forces obscures et négatives cherchant à anéantir le monde. Quotidiennement, il sort des ténèbres afin d’essayer de faire dérailler l’ordre d’un monde qu’il a pourtant contribué à établir. Plusieurs divinités sont donc chargées de repousser ses agressions : Camulos Smertrios et Cornunnos. Il symbolise l’Antéchrist dans certains manuscrits notamment de l’Apocalypse.
Notes de la rédaction : la sculpture Nº 22, du musée de Meigle en Écosse, représente un dieu-ou-démon avec une tête de taureau, des jambes serpentiformes se terminant aussi en queue de poisson. Voilà encore une belle énigme.
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À noter aussi. Le serpent géant de la mythologie germanique appelé Jörmungand a lui aussi un rapport certain avec le bélier puisque c’est avec une tête de cet animal que Thor l’appâte pour essayer de le pêcher.
C LE TERMAGANT/TERVAGANT/TERMAGAUNT.
L’égrégore du gros bétail ou des animaux les plus puissants.
La Tain Bo Cuailnge (ou enlèvement des bovins de Cooley) ne nous dit pas précisément pour commencer à quelle race bovine le Brun de Cooley appartenait. On ne saura que plus tard de quoi il s’agit : un taureau magique ou surnaturel, autrement dit un termagant. Termagant est un adjectif archaïque signifiant au départ quelque chose comme puissant, fort, violent, agressif, combatif. Au Moyen-âge cet adjectif était couramment attribué à un dieu païen. Ou musulman (difficile d’être plus ignorant du véritable islam, cette dernière idéologie (religieuse) porte en elle-même assez d’éléments négatifs ou dangereux pour ne pas lui en inventer d’autres).
Dans les célèbres contes de Canterbury de Geoffrey Chaucer, et plus précisément dans l’histoire de Sire Thopas, un chevalier géant appelé Sire Oliphant est également censé prêter serment sur Termagant.
Dans le roman du XVe siècle intitulé “Sire Guy de Warwick”, où il est question d’une vache brune géante justement, un sultan est par exemple censé jurer ainsi :
« Que me vienne en aide Mahoume le puissant
Et Termagant, mon dieu si éclatant ».
D’agressif et de combatif cet adjectif, par glissement de sens, a fini par désigner une femme acariâtre, par exemple du temps de Shakespeare dont le Henri IV fait référence à un Termagant écossais.
N.B. Mes correspondants parisiens me font remarquer que l’on trouve également la même chose dans la chanson de Roland où Tervagant forme avec Abellio et Mahomet (sic) une sorte de trinité impie (une triade ?) et conformément à leur demande donc ci-dessous leur point de vue sur le tervagant.
Vieux français tervagan, celtique tarvos trigaranos. Le taureau aux trois grues. Du celtique *taruo – (taureau), *trîs (trois) et *garanu – (grue).
Ce « Termagant/Tervagan » est sans aucun doute une des plus mystérieuses âme/esprit animales de notre antique religion nationale. Une statuette représentant un taureau à trois cornes a été découverte à Maiden Castle dans le Dorset et une autre à Autun en France.
Deux monuments romains nous renseignent à son sujet. Le pilier des nautes parisiens trouvé en 1711, et le monument découvert à Trèves en Allemagne, représentant Ésus abattant un arbre, dans lequel il y a un taureau et trois grues.
Le mythe réunit donc les éléments suivants. Un taureau. Des oiseaux (des hérons, des grues, des aigrettes ?? Les aigrettes vivent parfois en symbiose avec le bétail. Les grues sont des oiseaux de mauvais augure associés à la mort). Un arbre (un saule ??)
Le taureau représente la terre, la grue les airs, le saule représente l’eau, et l’arbre représente la vie, la vie, la mort… et la renaissance (de la souche d’un saule abattu sortent toujours de nouvelles pousses) l’hiver et le printemps.
Termagant/Tervagan apparaît notamment dans diverses chansons de geste, en tant que divinité adorée par les Sarrasins (sic) avec Apollin (Belin ?) et Mahomet (re-sic). Il s’agit de la chanson d’Antioche.
Il est aussi mentionné 4 fois dans la chanson de Roland, sous le nom de Termagant (Tervagan), le plus souvent associé à notre seigneur Belin. Exemple : le vers 2712 : Tervagan et Apollin (Belin), notre seigneur.
Autre exemple : « Ils courent dans une crypte où se trouve leur dieu Apollyn. Ils le conspuent, le couvrent de violentes injures : Ah ! Méchant dieu, pourquoi nous infliger une telle honte ? Pourquoi donc as-tu laissé terrasser notre prince ? À celui qui te sert bien tu verses en retour un mauvais salaire. Ensuite ils lui arrachent son sceptre et sa couronne, le pendent par les pieds à un pilier, le précipitent à terre à leurs pieds, le battent et le mettent en pièces à grands coups de bâton.
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À Termagant, ils arrachent aussi son escarboucle, quant à Mahomet, ils le jettent dans un fossé où porcs et chiens le mordent et le piétinent » (cf. les vers 2578 à 2591).
Point n’est besoin de diffamer une religion afin d’en délivrer ou d’en préserver les hommes de ses aspects les plus aliénants. La vérité à son sujet suffit. Notre religion à nous étant une religion de la vérité, les druides d’aujourd’hui reconnaissent bien volontiers que les 4003 vers de la Chanson de Roland sont bien évidemment un monument de christianisme militant ; mais que cette sous-culture chrétienne, disons « de base », est fondée sur beaucoup d’ignorance (tout comme certaines légendes irlandaises concernant le hésus Cuchulainn, il est vrai).
Les chrétiens basques ? victimes des troupes de Charlemagne, y sont assimilés à une immense armée de Sarrasins.
Il est vrai que rien n’est clair en ce qui concerne cette obscure bataille de Roncevaux.
Et les vrais Sarrasins ne sont peut-être en réalité, dans ce cas, que des païens pas encore baptisés, bien sûr. Le prophète Mahomet se retrouve assimilé à une statue de pierre (parce qu’il a su réinterpréter certains rites païens arabes concernant le pèlerinage à La Mecque ?) Et ainsi de suite…
On se perd en conjecture sur la signification exacte de ce Termagant/Tervagan. Il s’agit peut-être d’un teutatis (d’un égrégore ou plus exactement d’une âme/esprit) d’animal puissant et combatif, aux charges redoutables, violentes et impétueuses. Une chose reste cependant certaine et quelle que soit l’origine du terme (une épithète du Taureau divin ou de Lug) : ce qu’impliquait mille ans avant ou mille cinq cents ans avant la notion de Termagant ou Tervagan (ce symbole de force brute, mais encadrée, encore mentionnée par la chanson de Roland donc) ; cela ne pouvait être qu’une allégorie de la fureur guerrière. Le taureau à trois cornes était probablement un symbole guerrier incompris. La troisième corne doit représenter ce qu’en Irlande on appelle la lon laith ou luan laith, cette espèce d’aura de lumière qui jaillit du sommet du crâne du héros au comble de l’excitation guerrière.
Opinion individuelle du druide Jean-Pierre MARTIN.
On peut saisir dans des mythes indo-européens lointains le contour de silhouettes divines qui ressemblent à celles des îles celtiques et du continent. Le cas du Taureau aux Trois Grues ouvre même d’étranges horizons. Le très beau bronze grandeur nature de Martigny, en Suisse, atteste sa nature divine.
Au début du Ier siècle, le pilier offert à Jupiter par les nautes parisiens, sous le règne de Tibère (14-37) comporte deux représentations tirées de la mythologie druidique. Smert [rios] tueur de serpents, tout d’abord : c’est évidemment l’un des travaux de ce parallèle celtique d’Hercule.
Et, s’étalant sur deux panneaux voisins, Esus abattant un arbre, le Taureau-aux-Trois-Grues derrière un autre arbre : qu’il s’agisse de la même forêt, la stèle de Trèves l’atteste.
Le mythe se dessine grâce à des éléments parallèles fournis par la littérature insulaire : poursuite d’un énorme taureau légendaire que guident dans les bois protecteurs des oiseaux amis.
Légende suffisamment représentative de la mythologie celtique pour que le taureau et ses grues soient cités dans une comédie attique, peu après le passage en Grèce des Celtes qui devaient menacer le sanctuaire de Delphes : celle d’un auteur appelé Philémon.
Le Taureau a une épithète qui, avec sa désinence en – os, appartient également à la langue celte (tri-trois, garan = grue) et a suscité de multiples interprétations. L’épithète « aux trois grues » se trouverait donc déjà sous la forme grécisée trigeranon (variante trugeranon) chez cet auteur comique d’Athènes, dans sa pièce écrite peu après la prise de Delphes par les Celtes de Brennos (– 279).
Le roi séleucide avait envoyé aux Athéniens d’alors un tigre : le poète propose de lui envoyer en échange un trigeranon, animal aux trois grues, dont la présence chez les envahisseurs celtes, était sans doute parvenue aux oreilles des Athéniens ; facétie d’autant plus piquante que le Séleucide s’était vu infliger peu auparavant un cuisant échec par les troupes galates.
Le taureau, la forêt qui le soustrait à son persécuteur, les trois oiseaux qui l’avertissent successivement du danger, appartiennent au vieux fonds de la mythologie celtique la plus ancienne ; puisque le héros connu sous le nom de Cuchulainn en Irlande, dans sa quête des Vaches de Cooley, poursuit un taureau divin.
Hesus jouerait ici le rôle de Cuchulainn ; et les grues celui des corneilles à cause de leur vigilance, de leur combativité, de leur cri perçant. À Lutèce, il s’agit bien de grues, nommément désignées par l’inscription, et cet échassier, symbole de vigilance, trouve parfaitement sa place dans une poursuite légendaire. Il est naturellement exclu que la troisième corne soit un simple élément de technique artistique. Nous avons si souvent rencontré le nombre trois que nous ne pouvons douter qu’il ait, ici aussi, une signification religieuse. En elle-même, la corne est certainement le symbole de la violence
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du taureau, une triple corne exalte donc cette force, et peut-être aussi sa combativité. Sous la plume de Shakespeare (Hamlet, Henri V), le terme a fini par désigner un caractère agressif ou querelleur.
D. Le toutatis ou âme/esprit animale des bovins.
FLIDAIS. Originellement un égrégore du bétail domestique. Confondue à tort avec un élémental des bois et du gibier.
C’est un personnage mythique de la première littérature irlandaise, figurant y compris dans le livre les Conquêtes, le Dindsenchas métrique et le cycle d’Ulster. C’est une déesse protéiforme (une super héroïne ayant le don de se métamorphoser pourrions-nous dire), membre du clan des enfants de la déesse Danu désignée par l’épithète de Foltchain (beaux cheveux).
Dans le livre des invasions elle est dite mère des agricultrices nommées Arden, Bé Chuille, Dinand et Bé Teithe.
Lug est dit avoir porté leur manteau lors du retour d’expédition des enfants de Toran/Taran/Tuireann. Ses deux bœufs étaient appelés Fea et Femen, d’où d’ailleurs les noms de Plaine de Fea et Plaine de Femen.
Dans le glossaire de Moyen-irlandais connu sous le nom de Coir Anman (convenance des noms) elle est dite avoir été la femme du légendaire roi des rois Adamair et mère de Niad Segamain qui, grâce aux pouvoirs de sa mère, était capable de tirer du lait des biches tout comme des vaches. « Niad-Segamain lasa mbligtis diabulbuar.i. baî 7 elti. Flidais Foltchaîn a mâthair diambtar bâe elti ».
Selon le Dindsenchas métrique, elle aurait été mère de Fand.
Flidais est l’héroïne centrale de la Tain Bo Flidhais ou Enlèvement du bétail de Flidais, une pièce du cycle d’Ulster où elle apparaît comme la propriétaire d’un troupeau de bêtes magique, maîtresse de Fergus mac Roich. Dans ce récit elle est dite avoir une vache favorite connue sous le nom de « Maol » qui peut nourrir 300 hommes rien qu’avec le lait de sa traite du soir. L’histoire qui se déroule dans la baronnie d’Erris (dans le comté de Mayo), nous raconte comment Fergus l’enleva elle et son bétail à son mari Ailill Finn.
7 doberat Flidais assin dún, 7 dobreth a m-bái di chethrai and.i. cét lulgach 7 secht fichit dam, 7 tricha cét di chethrai olchena.
7 toberat Flidais leo assin dun […] 7 oberat a m-bái di cethrib and.i. cet lulgach, 7 da fichit arc et do damaib, 7 tricho cet di mincethri olchenae […] Ba sé sin búar Flidais.
Une autre légende du cycle d’Ulster raconte qu’il fallait sept femmes pour satisfaire l’appétit sexuel de Fergus « à moins qu’il ne puisse avoir Flidais ». Ses relations avec Fergus ont fait l’objet de diverses traditions orales dans le comté de Mayo.
À l’occasion de la Tain Bo Cuailnge (L’enlèvement du bétail de Cooley) elle partage la tente d’Ailill mac Mata le roi du Connaught et chaque semaine son troupeau lui donne assez de lait pour toute son armée.
Thurneysen en fait une déesse-cerf des régions boisées, Flid Ois, patronne des animaux sauvages des forêts ou de la chasse, raison pour laquelle on la compare généralement aussi en Irlande à la déesse Artémis des Grecs mentionnée par Arrien ou à la romaine Diane, voire à la continentale Arduinna (ou Abnoba ?).
Quant à la grande spécialiste française Marie-Louise Sjoestedt elle en fait, dans son « Dieu et héros des Celtes », de façon purement gratuite, une déesse des forêts régnant sur les animaux des bois et voyageant sur un char tiré par des cerfs (sic).
Tout cela ne résiste pas à l’examen objectif et scientifique des divers textes.
Son nom n’a rien à voir avec celui du faon, c’est une invention médiévale. Quant au nom de Niad Segamain il a certes une très ancienne origine (Nerto Segomo), mais n’a rien à voir avec une histoire de traite des biches. Il s’agit là encore d’une de ces étymologies fantaisistes fréquentes sous la plume des lettrés irlandais du Moyen-âge.
Dans le livre des conquêtes, elle est simplement présentée comme étant fille d’Adamair. Adamair Flidais de Mumain.i. mac Fhir Chorb. Mais dans la phrase en question Flidais n’est qu’une épithète d’Adamair.
Il s’agit donc simplement d’une déesse patronne des animaux domestiques que la littérature médiévale irlandaise associe aux vaches et au bétail. Et le bétail dont cet égrégore est la patronne ce sont uniquement les vaches et en aucune façon les cerfs et les biches.
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DONNOTAURUS. Le taureau brun. Donn Cuailnge en Irlande. Voir le nom propre cité par César. Les deux fils du prince helvien (région du Vivarais en France) Caburus, portaient en effet le prénom et le gentilice du bienfaiteur de leur famille : Caïus Valerius, auquel fut ajouté un surnom, Donnotaurus pour l’un, Procillus pour l’autre.
Le taureau ne semble pas vraiment avoir eu alors une valeur symbolique associée uniquement à la virilité : il n’est pas certain que sa signification première soit à rechercher dans la dualité ou dans l’opposition sexuelle avec la vache. Le taureau est en effet, en Irlande, l’objet de métaphores surtout guerrières. C’est sans doute l’habitude qu’a le taureau de charger avec impétuosité qui a inspiré un symbolisme de ce genre. Un héros ou un roi de grande valeur militaire est souvent appelé « taureau du combat ». En outre, le taureau est la victime de ce que l’on appelle en Irlande le festin du taureau, première partie du rituel de l’élection royale, telle que la raconte le texte de la Maladie de Cuchulainn. On sacrifie l’animal, un voyant mange de sa viande, boit du bouillon à satiété, s’endort et, dans son rêve, voit le candidat qui doit être choisi par l’assemblée des nobles. La seconde partie du rituel (qui concerne le roi élu) a pour victime le cheval, mais il est tout aussi guerrier que lui, et le sacrifice des taureaux blancs raconté par Pline (Hist. Nat. 16, 249) à propos de la cueillette du gui, est sans doute un ancien rituel royal, ayant perdu toute raison d’être par suite de la conquête romaine ou de la disparition de toute vie politique indépendante. Car le taureau est, comme le cheval, un animal royal : Deiotaros = taureau divin. Cette connotation renvoie directement au binôme cheval-taureau de l’art paléolithique (le couple taureau-cheval occupe toujours la place centrale des représentations pariétales animales).
Le taureau est un animal primordial. Dans le récit de l’enlèvement des vaches de Cooley, où un taureau brun et un taureau blanc se combattent à mort, l’un représente l’Ulster et l’autre le Connaught. Les posséder signifie posséder la souveraineté guerrière, d’autant plus que l’un et l’autre ont une intelligence et une voix humaines. Ils sont nés de la métamorphose des deux porchers des rois du Sud et du nord de l’Irlande et ils sont passés par divers états du règne animal.
Le vol de bovins était probablement au cœur de nombreux conflits entre différents groupes, et il joue un rôle important lors des fêtes. Un sacrifice de taureau est d’ailleurs représenté sur le célèbre chaudron de Gundestrup. En terre celte, le taureau est important dans la mythologie et la vie quotidienne (cf. l’enlèvement des vaches de Cooley).
Pour les très-sachants de la druidiaction (druidecht), le taureau était sacré, autant et peut-être plus que le cerf. Bien entendu, ce mot se retrouve dans des noms propres, par exemple Deiotaros (taureau divin) et Donnotaurus, dans le premier membre duquel on croit reconnaître * dom-no-s (juge, noble).
Cette racine se retrouve également dans des noms géographiques ; en Grande-Bretagne, il y a Tarvedunum et Tarodunum. De même pour les cours d’eau : en Écosse, par exemple, le fleuve Tarf, en France citons Tarva (l’actuelle Tarbes), et Tarvanna (aujourd’hui Thérouanne).
Le Termagant brun de Cooley pouvait couvrir 50 génisses par jour. Elles mettaient bas dans la nuit et celles qui ne vêlaient pas au moins avant le lever du soleil, éclataient sous la pression de leur veau, tant était forte la semence de ce taureau.
Un des pouvoirs du Termagant brun de Cooley tenait au mugissement qu’il poussait chaque soir en regagnant son étable et sa cour. Il était si puissant, mais si mélodieux, qu’il apaisait ou rassurait tout le monde dans le canton de Cooley, du nord au sud et de l’est à l’ouest en passant par le centre. Un autre des pouvoirs du Termagant brun était que les bananaig, les bocanaig, et les esprits des vallées, n’osaient jamais se montrer là où il se trouvait. 50 enfants pouvaient jouer sur son dos.
E. L’âme/esprit ou égrégore animal du bison : Visontius. Assimilé à Mars par les Romains de la ville de Besançon en France (sans doute à cause de la vigueur de ses charges).
F. Le dieu-cheval (le toutatis des chevaux) : Rudiobos.
« Il est particulier à ce peuple de chercher des présages et des prémonitions chez les chevaux. Nourris aux frais de la tribu dans ces mêmes bois, clairières, ou bosquets sacrés, il y a des chevaux blancs, purs de toute souillure apportée par le travail de la terre, ils sont attelés à un char sacré, et accompagnés par le prêtre et le roi, ou le chef de la tribu, qui note leurs hennissements et leurs éternuements. Aucune espèce d’augure n’a plus de crédit, non seulement auprès du peuple et de la noblesse, mais aussi pour les prêtres, qui se regardent comme les ministres des dieux, et les chevaux comme des confidents au courant de leur volonté » (Tacite. Germania. Chapitre X).
La représentation de têtes de cheval sur quelques menhirs du tumulus de Mané-Lud en France donne à penser qu’elles étaient censées avoir un pouvoir tutélaire, en particulier celui de repousser les démons (sic).
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Ainsi que nous avons eu l’occasion de le rappeler, une série de monnaies des pays de la Seine en France affiche un édifice à fronton – un temple évidemment – dont un grand cheval de profil occupe toute la façade, ce qui montre bien qu’il est objet de culte.
L’âme/esprit des chevaux est représentée sur certaines monnaies sous forme d’un cheval à tête humaine.
À une période relativement haute, peut-être dès la fin du IIIe siècle avant notre ère, apparaît en effet sur des statères trévires ; assez fidèles, à l’avers, aux prototypes des monnaies de Philippe de Macédoine ; au revers un cheval à tête humaine galopant vers la gauche, au-dessus d’une figure ailée couchée sur le ventre. C’est également chez les Trévires, en Allemagne, qu’est apparu, au Ve siècle avant notre ère, le cheval androcéphale de Reinheim.
Le type du cheval androcéphale galopant vers la droite est très répandu sur les monnaies celtiques de l’Ouest. Celles qui sont d’un style plus décadent présentent au revers le même motif de l’androcéphale, mais cette fois galopant à l’envers du premier. Au revers d’une monnaie encore de très bon style (début du IIe siècle ?), nous voyons derrière le cheval androcéphale galopant, un conducteur lançant, au bout d’un trait ondulé, un pavillon carré traversé de ses diagonales ; symbole du pouvoir fulgurant de Taranis (un labarum ou labaron. Récupération chrétienne : la croix de saint André en Écosse ou de saint Patrice en Irlande, symbolisant la voix ou le verbe du Destin. Toute action manifestée, le frémissement d’une branche, la chute d’une feuille, le mouvement des nuages peut être en effet un message du Destin ou Tokad. Étudier puis interpréter ces messages était la grande affaire des anciens druides).
Plus ambigus sont les chevaux votifs en bronze, en pierre et même en terre cuite, qui ne portent pas de cavalier. Une statue de cheval en bronze, découverte avec d’autres objets, à Neuvy-en-Sullias (département français du Loiret) était assortie d’une dédicace à un dieu-ou-démon Rudiobus.
Les uns se sont empressés de déduire que ce cheval était la représentation de Rudiobus, et que nous avions là un exemple de cheval dieu. Les autres, moins nombreux, ont fait observer que le cheval pouvait être une simple offrande, choisie comme agréable à Rudiobus, divinité équestre, mais non pas divinité de forme animale.
G. La déesse ou-démone-ourse (le toutatis des ours) : Artio ou Andarta.
Solitaire, prudent, rusé, ce carnassier friand de fruits et de miel, terrifiant par sa force, mais capable d’être dressé par l’homme, est l’objet d’une des associations les plus originales entre animaux et divinités.
Le toutatis des ours est représenté par une déesse ou démone, la fée Andarta (ce qui signifie « super ourse »). Andarta, chez les Voconces, est donc une déesse ou démone, ou bonne fée, des ours, mais son nom rappelle celui de la déesse ou démone, ou fée, Andrasta, dont la reine Boadicée (Bouddica) demandait la protection, en l’an 61 de notre ère ; avant d’engager le combat contre les Romains dans la plaine de Londres.
L’égrégore ou plus exactement l’âme/esprit de l’ours est en effet lui aussi, comme le « termagant ou tervagan », doué d’une grande puissance de combat ou d’attaque. Artaius était un attribut divin de Lug, symbolisant sa force ou sa fureur guerrière, et cela devint le nom du roi des Bretons : Arthur. Chez les Germains, berserkr signifie d’ailleurs littéralement « à peau d’ours » et se disait de l’état de fureur des guerriers. Il est donc tout à fait normal que les hommes en aient fait ici ou là une sorte de déesse ou démone de la guerre. Le teutatis des ours ne nous apparaît pas toujours sous une forme aussi cruellement guerrière.
En 1832, on a trouvé à Muri, près de Berne, en Suisse, deux statuettes de bronze appartenant à un ensemble qui, reconstitué, se présente ainsi : un socle portant l’inscription deae Licinia Sabinilla ; une femme assise et vêtue à la romaine qui tient une coupe dans la main droite, et au côté gauche de laquelle se dresse une sorte d’autel couronné d’une corbeille de fruits, peut-être destinés à l’animal ; en face, un chêne aux branches courtes (que peut bien signifier ce chêne ? L’arbre du monde ?) duquel semble être descendu un gros ours à la gueule ouverte, qui s’approche de la femme-déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, relativement petite. La trouvaille doit être rapprochée du fait que Berne est la ville de l’ours et des ours, et qu’il y a là plus qu’une coïncidence fortuite…
Le seul savant qui se soit sérieusement et largement occupé de la signification du monument celto-romain de cette « Ursine » ou dame à l’ours est le Bâlois J.J. Bachofen.
Le groupe de Muri représente la suite celtique d’une très archaïque tradition européenne de chasseurs, où l’ours jouait un rôle prépondérant, peut-être en tant qu’animal totémique. Dans les prières chamaniques et les mythes cosmologiques sibériens, l’âme/esprit souterrain Erlik, lui-même représenté comme un ours, est en effet à l’origine de tous les animaux de cette espèce, ayant jadis transformé en ours un homme. Selon les mythes de ces tribus, Erlik est considéré comme le premier
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homme transformé en âme/esprit du monde souterrain, et dans les prières, il est souvent appelé Ada, autrement dit « père »… Plusieurs savants confirment cette observation de Dyrenkova, que l’ours est le représentant ou le messager, du monde inférieur.
Willy Borgeaud et Raymond Christinger proposent une interprétation différente en ce qui concerne le personnage féminin, et n’y voient pas un égrégore des ours, une déesse ou-démone ourse, mais une jeune fille. Ils rapprochent cette scène des cérémonies qui semblent pouvoir être comparées, directement ou indirectement, à la scène proposée par le monument de Muri. Ainsi dans les Pyrénées-Orientales (Arles-sur-Tech en Catalogne Nord), un ours, à vrai dire un simulacre d’ours, tente de s’emparer, ou s’empare, malgré les chasseurs, d’une figure féminine appelée la Rosetta. Ces deux auteurs ont donc quelque difficulté à voir dans l’ours du monument de Muri une femelle, une représentante animale de la déesse ou démone, ou fée, Artio. Eux y voient un vrai ours mâle, un ravisseur.
Ci-dessous deux remarques extrêmement importantes du grand folkloriste français Van Gennep.
« Il y a deux thèmes de contes merveilleux qui ont joui dans toutes nos provinces ou presque, d’un grand succès. Celui de la Belle et de la Bête, qui est toujours un ours, non un loup ni un cheval ; et celui de Jean de l’Ours, d’une force prodigieuse, parce qu’il est le fils d’un ours et d’une femme, qu’il a emportée dans son antre. Exactement comme l’ours des Pyrénées s’empare, ou tente de s’emparer, de Rosetta ».
Le monument romain de Berne (Muri) nous paraît maintenant révéler toute sa signification. Bien plus gros que la déesse ou démone, ou que la fée, l’animal marche vers elle, descendu d’un chêne. Il a l’air d’être le patron, le mâle. Il ne vient pas uniquement manger des pommes tout de même ! Toutatis artaios l’égrégore des ours (âme/esprit des ours appelé Mercure artaios dans l’interprétation romaine) descendu du chêne cosmique, va consommer son union avec une Rosetta.
Le chêne du monument de Berne, si l’on se permet de l’assimiler à l’Arbre du monde, ne paraît donc pas déplacé dans un contexte indo-européen ; puisque, dans un hymne védique (un chant de mariage) on prie les Gandharvas et les Apsaras qui vivent dans les arbres, de se montrer favorables aux fiancés.
Si Artio n’est pas l’âme/esprit animale de l’ours alors il doit s’agir de Matunus. Le dieu-ou-démon Matunus est en effet connu par une inscription trouvée dans le temple de Bremenium, à High Rochester, dans le Northumberland. DEO MATVNO PRO SALVTE M AVRELI… BONO GENERIS HVMANI IMPERANTE G IVLIVS MARCVS] LEG AVG PR PR POSVIT AC DEDICAVIT C A CAECIL OPTATO TRIB.
Son nom se retrouve également dans l’appellation romaine de la ville de Langres, en France : Ande-matunum. Andematunos signifie « grand ours » et Andematunum était donc la forteresse de l’âme/esprit de l’ours. À noter : non loin se trouve la source de la grande rivière qu’est la Marne, divinisée sous le nom de Matrona/Modron.
* On retrouve une légende similaire chez les Indiens d’Amérique et notamment les Assiniboines.
H. Le toutatis ou âme/esprit animale du sanglier : il existe plusieurs noms possibles, à moins bien sûr qu’il y ait des nuances entre ces trois termes : trouyth, moccos, baco.
Le toutatis des sangliers se trouve représenté sur une pièce attribuée aux Petrocorii de Périgueux.
La pierre d’Euffigneix (département français de la Haute-Marne) représentant un homme à la poitrine couverte par l’image d’un sanglier, semble aussi une figuration de ce teutatis des sangliers.
Cette pierre représente un personnage dont on ne possède que la tête et le torse ; l’œil gauche est singulièrement saillant, le cou paré du collier appelé torque, et, sur la poitrine, s’étale une ample figuration de sanglier, avec des défenses très marquées. Dans la même cité, un dieu-ou-démon Moccus (d’où le toponyme de mont de Moque), c’est-à-dire le pourceau ou mieux, le sanglier, a été interprété comme étant un Mercure par les Romains. Mais ce Mercure des sangliers en question est sans doute l’âme/esprit ou égrégore de l’espèce. L’âme/esprit ou égrégore animal du sanglier, s’avère douée d’une grande puissance d’attaque ou de charge lui aussi, un peu comme le « termagant ou tervagan » étudié plus haut. Et il est donc tout à fait normal que certains hommes aient songé à y puiser des forces.
Moccos symbolise la rage de vaincre, et c’est pourquoi il figure souvent sur les enseignes guerrières (les fameuses enseignes « au sanglier »). À l’instar du taureau, le sanglier lui aussi est un animal combatif, prompt à charger contre un ennemi. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on a utilisé le
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sanglier comme enseigne (penser aux sculptures de l’arc d’Orange en Provence), tandis que ses défenses sont devenues des amulettes.
On le retrouve au Pays de Galles sous le nom de Trouyth (Twrch Trwyth). Ce sanglier magique était, dans la mythologie galloise, un roi ayant été transformé en sanglier blanc, à cause de ses péchés. Entre ses oreilles, il gardait un peigne, un rasoir et des ciseaux. La récupération de ces objets fut une des tâches les plus difficiles infligées par Yspaddaden à Coulouch, afin qu’il consente à son mariage avec sa fille Olwen. On ne pouvait chasser le porc Trouyth sans Drutouyn, le chien de Greit ab Eri ; qu’on ne pouvait tenir sans la laisse de Kours Kant Ewi ; qui ne pouvait être accrochée qu’au collier de Kanhastyr Kanllaw ; qu’on ne pouvait relier qu’à la chaîne de Kilydd Kanhastyr. De plus, Drutouyn ne pouvait chasser qu’avec Mabon/Maponos/Oengus, fils de Modron, qui avait été enlevé très tôt à sa mère, et avait donc disparu, en outre on ne pouvait chasser le porc Trouyth sans Gwynn, fils de Nudd. Enfin cette chasse devait être conduite par le prince Arthur en personne. Ajoutons pour clore ce chapitre que seul le géant appelé Gournach possédait une épée capable de tuer l’animal. La quête dura neuf jours et neuf nuits, et fut finalement victorieuse, mais le sanglier néanmoins échappa au dernier moment au roi de Bretagne en plongeant dans l’océan. Certaines variantes de la légende font de ce tourch trouyth une laie accompagnée de sept marcassins que le prince Arthur pourchasse sans cesse, mais qu’il ne peut ni capturer, ni tuer, puisqu’elle est immortelle.
On le retrouve en Irlande sous le nom de Triath (Torc Triath/Triath-ri-thorc) ; ainsi que dans le mythe du sanglier sans oreille et sans queue, du Pic de Bulben (Benbulben ou Benbulbin, gaélique Binn Ghulbain, dans le comté de Sligo) à l’origine de la mort de Diarmat (cf. le roman de Diarmat et Grannia).
Torc ou Orc Triath (Turcos tretios), mais aussi Triath-ri-thorc (Troitos Rix Turcon) était, à en croire le livre des conquêtes d’Irlande, le roi des sangliers, d’où le toponyme de Mag Treitherne (Magos Tretion).
I. Le toutatis du loup : Volcos ou Blidios. Airitech en Irlande. Une créature du monde souterrain dont les trois filles prirent la forme de loup, mais furent vaincues par le guerrier appelé Cas Corach.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le voir ; sur une stèle découverte en Belgique, et conservée au musée luxembourgeois, dans la partie supérieure, dans un fronton triangulaire entre deux masques de personnages barbus représentant les vents (donc les espaces célestes) ; figure une louve dévorant un petit personnage. L’animal est en effet disproportionné par rapport au corps de sa victime. Du côté opposé, des feuilles imbriquées. Sur la face latérale gauche, un lion accroupi, tourné vers la droite. La pierre est brisée du côté droit. Au-dessus de chaque face, d’autres feuilles imbriquées forment une toiture. Sur les monuments funéraires, la louve symbolise généralement l’animal nourricier ou protecteur. Mais l’animal est mortel en même temps que nourricier. Il donne la vie et peut la reprendre. L’artisan belge, bien que travaillant à l’écart de tout modèle iconographique adéquat, a réussi à exprimer, à l’aide d’éléments disparates, et non sans une certaine gaucherie, le symbolisme de l’esprit du loup.
[À moins bien sûr qu’il ne s’agisse d’un mythe cosmogonique sur la fin du monde comme le pensent certains auteurs, qui voient dans cette louve une créature à la fois dévoreuse et dispensatrice, à la fois tombeau et génitrice du genre humain. Tout en résorbant l’être qui a vécu, elle porte des mamelles gonflées de lait pour ceux qui vont naître. Mais ceci est une autre histoire].
La célèbre « Tarasque » (sic) de Noves (actuellement au musée d’Avignon en France) est peut-être aussi évidemment une représentation de cet égrégore, ou plus exactement âme/esprit du loup, appelé soit Volcos, soit Blidios.
Cette sculpture, que l’on attribue à la Tène II, représente un énorme carnassier androphage, tenant à la fois du loup… mais aussi du lion.
L’animal, assis sur l’arrière-train, dévore sa victime dont subsiste le bras. On notera les traits frappants : gueule à dents surdimensionnées, sexe dressé en signe de vie, rehauts de rouge soulignant l’expression. Ses pattes de devant sont appuyées sur deux têtes barbues aux yeux fermés, donc, sans doute, des morts.
Cette sculpture, ornement aristocratique, « ostentatoire » a-t-on pu dire, d’un monument funéraire disparu, n’est que l’une des interprétations d’un même thème général : celui du fauve carnassier,
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symbole de mort. Elle combine en fait deux variantes que l’on trouve ailleurs traitées séparément. L’animal est représenté soit en train d’engloutir un être humain, soit, le plus souvent, imposant sur des têtes coupées, mais aussi masquées, en signe de domination, les griffes de ses pattes antérieures. Ainsi le lion des Baux-de-Provence, conservé dans ce même musée d’Avignon, et saisi dans la même posture que le monument de Noves. On peut d’ailleurs voir dans les musées d’Avignon et d’Arles d’autres représentations analogues, plus ou moins fragmentaires, qui toutes nous renvoient, semble-t-il, au début de l’époque romaine.
Cette statue montre combien les Celtes étaient hantés par le sentiment de la puissance des égrégores animaux. De ce sentiment, ils ont donné ici une expression tout à la fois fantastique et horrible : tête plate du monstre, avec la gueule largement ouverte et garnie de dents triangulaires, têtes de mort barbues aux yeux clos.
[À moins bien sûr, comme dit précédemment, qu’il ne s’agisse d’un mythe cosmogonique sur la fin du monde comme le pensent divers auteurs, qui estiment que certains détails, entre autres le bracelet en forme de torque, témoignent de l’adaptation aux conceptions celtiques relatives au cycle de la vie et de la mort. Le message eschatologique leur paraît clair. Si le trépas est inexorable, le sexe très apparent est symbole de renouveau et de résurrection : synthèse, en somme, du cycle éternel de la vie et de la mort. Mais ceci est une autre histoire].
N.B. La technique particulière de la crinière, dont les touffes de poils ont été séparées en masses délimitées par des courbes, les lignes profondément incisées qui sillonnent les flancs et les pattes de l’animal et qui évoquent les os et les tendons ; sont autant de traits de stylisation caractéristiques de l’art animalier.
Le monstre androphage trouvé en 1969 à Vienne-en-Val en France est mutilé, il y manque surtout la victime (seules subsistent les marques de ses deux pieds appuyés sur le poitrail du fauve). Il rassemble les caractères d’un chien, encolure massive, oreilles courtes dressées, mais aussi ceux d’un félin : pattes griffues, longue queue (disparue). Il porte au cou le torque caractéristique des Celtes (ce qui lui donne un caractère divin).
De petits bronzes provenant d’Angleterre (Oxford) et de Charente-Maritime en France prêtent le même rôle à des loups.
Ainsi que déjà envisagé plus haut, pour certains auteurs, il s’agit peut-être tout simplement d’allégories de la Mort, mais d’une mort régénératrice d’autres vies. L’idée générale serait que la Terre, symbolisée par un animal, fauve réel ou fantastique, mais de caractère souterrain, en qui se résorbe toute vie accomplie, est en même temps porteuse et nourricière d’une vie nouvelle. Ce qui n’est pas faux non plus !
J. Le toutatis ou âme/esprit animale, du chien. Cunomaglus le grand chien. Un compagnon surnaturel de Mabon/Maponos/Oengus, connu par une inscription trouvée à Nettleton Shrub, dans le Wiltshire. DEO APOLLINI CVNOMAGLO COROTICA IVTI [F]. Au dieu Apollon Cunomaglus, Corotica fils d’Iutus. De cuno chien et magalo grand. Son association par interpretatio romana, au dieu-ou-démon Apollon, fait néanmoins problème. Il s’agit soit d’un chien de chasse, soit d’un chien gardien de l’autre monde (ou les deux à la fois évidemment). Connu en Irlande sous le nom de « tête de chien » : cunobennos.
K. Le toutatis du bouc et des chèvres : Gabrus, Gebrus, Gebrinnius, Gebrinus. Âme/esprit des caprins connus par une inscription trouvée à Strasbourg, en France où il est associé au dieu-ou-démon romain Mercure. Cette âme/esprit animale est aussi connue à Bonn, en Allemagne, où il est appelé Gebrinnius, et de nouveau associé au dieu-ou-démon romain Mercure. Sur une autre pierre d’autel découverte à Bonn, son nom est écrit Gebrinius. La nature caprine de cet égrégore ou plus exactement de cette âme/esprit, est évidente dans ce cas, puisque le dieu-ou-démon a la main posée sur la tête d’un tel animal. Connu en Irlande sous le nom de goborchind ou tête de chèvre (gabropennos). De vilains cousins des leprechaun.
L’âme/esprit ou égrégore animal du bouc : Bugios. Connu par une inscription trouvée à Tarquimpol en Moselle ainsi qu’à Haegen dans le Bas-Rhin (France), où il est honoré en compagnie de Nerius, divinité des eaux thermales. En Irlande Bocanaig ou Boccanach (petits boucs).
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Puca. Pooka en Irlande et pwcca au Pays de Galles. Puck chez Shakespeare. Âme/esprit du bouc ou de la chèvre.
Sorte de lutin ou farfadet malin et espiègle que l’on appelait aussi Robin Gai Luron (or Robin Goodfellow) ou « diablotin » (hobgoblin). Il joue des tours aux voyageurs, se transforme, effraie les jeunes filles et bouscule les vieilles dames.
Shakespeare en fait un personnage du Songe d’une nuit d’été. Puck y est au service d’Obéron, roi des fées. Obéron l’envoie chercher la fleur d’amour en oisiveté : Puck doit en déposer le suc sur les yeux d’un jeune homme « en costume athénien ». Par erreur il administre ce charme à Lysandre endormi. Il afflige Nick Bottom d’une tête d’âne, si bien que Titania, reine des fées, tombera donc amoureuse d’une bête et oubliera ses sentiments pour le petit Indien. Puck s’amuse de la confusion qu’entraînent ses bévues. Plus tard il reçoit d’Obéron l’ordre de créer un épais brouillard et d’y égarer les amants rivaux en imitant leur voix, puis d’appliquer un antidote aux paupières de Lysandre. À la fin de la pièce, il explique ses actes dans un discours qui sert à banaliser la pièce elle-même, pour le cas où elle aurait offensé les spectateurs.
« Ombres que nous sommes, si nous avons déplu,
Figurez-vous seulement (et tout sera réparé),
Que vous n’avez fait ici que rêver,
Tandis que ces visions apparaissaient ».
La foire de Puck, qui se tient chaque année à Killorglin, dans le comté de Kerry, durant la Lugnasade (le 10 août), commémore la victoire remportée par nos cousins irlandais sur les troupes de Cromwell au XVIIe siècle. La légende veut en effet que la bourgade ait été sauvée par une chèvre sauvage venue alerter les villageois qui, dès lors, eurent le temps de se préparer, donc de repousser l’ennemi. La foire existait pourtant déjà en 1603…
En Irlande, diverses légendes mentionnent également des puca ayant l’apparence d’un cheval ou d’un taureau, mais est-ce bien logique ??
L. Le toutatis ou égrégore animal du mouton : moltinus. Inscription trouvée à Wilten en Autriche, où il est invoqué avec Mercure et Cacus. En France à Mâcon, il est associé à Mars. Le bélier possède, comme le taureau, la puissance reproductrice et la force combative du mâle, richesse du troupeau. Dans le livre des conquêtes irlandais, nous trouvons également Cirb (Cirpios), le roi des béliers, d’où le toponyme de Mag Cirb (Cirpiomagos).
M. Le toutatis des bêtes de somme (des mules ??) : Mullo. Connu par plusieurs inscriptions. La plus importante a été trouvée sur le territoire d’Allonnes en France où un temple consacré à cette âme/esprit animale, ou égrégore, a été découvert. À Nantes, on a trouvé une plaque portant l’inscription : AVC MARTI MULIO TAVRICVS TAVRIF VSLM. À Mars Mullio Tauricus Taurif… Une autre inscription, trouvée à Rennes, invoque Mars Mullo et Mercure Atepomarus. À Mayenne, toujours en France, il est connu sous son nom seul, sans être assimilé à Mars.
Attention important ! Certains auteurs en font un dieu de la guerre n’ayant rien à voir avec les mules, mais plutôt en rapport avec un vieux terme celte signifiant tas (sous-entendu : de butin). cf. le vieux français « mulon ».
N. Le toutatis des oiseaux : Pipius
Il existe une série de monnaies des pays de la Seine montrant un grand aigle de face, ailes déployées, qui attrape ou lâche un serpent, devant ou dans un édifice à fronton – un temple évidemment. Le lien entre l’animal et un local cultuel est donc dans ce cas évident. De tous les animaux l’oiseau est peut-être le plus proche des qualités prestigieuses des êtres surnaturels : il voit de haut et de loin, le jour et la nuit, et il domine, rapide comme la pensée. L’importance des oiseaux est, comme dans d’autres religions antiques, de tout premier plan. Habitants du ciel, proches des astres et des dieu-ou-démons aériens, doués d’une rapidité de déplacement qui fait rêver les hommes, effectuant des traversées maritimes qui tiennent du prodige, ainsi que des migrations lointaines et mystérieuses, guides légendaires d’expéditions victorieuses [la légende veut que Bellovèse et Sigovèse aient remporté leurs victoires grâce à des corbeaux] ; capables d’émettre des cris effrayants ou des chants fascinants ; voire d’imiter la parole humaine ; à leur aise la nuit comme le jour ; dotés enfin d’une force agressive, parfois redoutables ; ils étaient les messagers presque naturels des dieu-ou-démons.
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En plusieurs endroits une divinité, tantôt mâle tantôt féminine, est représentée en compagnie de deux oiseaux ; les sites sont Alésia, Nevers, Compiègne, le Mont-Auxois, en France, et Luxembourg. Sur les monuments de Nevers, ce personnage est associé au dieu-ou-démon au maillet. Comme à Compiègne, Alésia, et Beaune, les oiseaux sont au-dessus de l’épaule de la divinité, vers laquelle ils tournent leur bec.
Sur la statue de Compiègne, il y a, outre les deux oiseaux qui tendent le bec vers l’oreille du dieu-ou-démon, deux autres qui sont à la hauteur de sa poitrine. Sur la statue d’Alésia, il y a un personnage masculin entre deux oiseaux ; à ses pieds se trouve assis un chien. La même image se trouve aussi en Suisse sur des chapiteaux : à Martigny le personnage est masculin, dans le cas d’Avenches il est féminin. En 1932, le terroir de « la Fandrolle », en France a produit une image plus complète : le dieu-ou-démon, debout, est adossé à des branchages de chêne enrichis de nombreux glands ; sa tête barbue est coiffée d’un boisseau.
Il est souvent difficile de dire quel oiseau l’artisan a voulu représenter. Le plus souvent les sculptures sont trop grossières pour cela. Les traits de la divinité sont tout aussi vagues ; c’est en général un dieu-ou-démon, mais qui est soit vieux, soit jeune. W. Deonna rappelle le monument de Sarrebourg, où la déesse ou démone, ou fée si l’on veut, Nantosuelta, tient dans la main gauche une maison miniature sur laquelle perche un corbeau. Certes, il n’est pas légitime de tirer de cette image des conclusions sur la nature du dieu-ou-démon aux deux oiseaux ; mais il est hors de doute que le corbeau également était, pour les très-sachants de la druidiaction (druidecht), un animal sacré.
Les deux oiseaux semblent chuchoter quelque chose dans l’oreille du dieu-ou-démon, et l’on ne peut s’empêcher de penser à l’idée scandinave que les deux corbeaux d’Odin parcourent, quotidiennement, le monde, et se posent le soir sur ses épaules pour lui dire ce qu’ils ont appris dans la journée.
Le corbeau, capable de parole, avait donc sa part dans les oracles, des corbeaux ont participé à la fondation légendaire de Lugdunum ; et ce rapace figure au bas d’une stèle dédiée Suqellos et Nantosuelta. Un échassier parle à l’oreille d’un être humain sur un bas-relief de Narbonne ; des hérons figurent sur les boucliers celtes de l’arc d’Orange.
La gent ailée de l’époque était nombreuse et variée dans les forêts ou sur les côtes de l’Occident celtique. Dans les légendes insulaires, le cygne jouait un rôle important, où la métamorphose avait sa place (enchaîné il symbolisait un être divin métamorphosé). En France on le retrouve, menaçant, sur le casque à la chouette de la déesse ou démone, ou fée, romaine, de Kerguilly-en-Dinéault.
Certaines monnaies armoricaines (vénètes ou namnètes) représentent un cheval (conduit par un aurige) surmontant un « ange » couché. Comment ne pas ranger aussi au nombre des êtres surnaturels, sinon divins, les génies échevelés qui paraissent voler au-dessus du cheval dont ils tiennent les rênes, ces fantômes familiers que les Celtes ont bientôt substitués à l’aurige du char macédonien, ces « conducteurs monstrueux » d’une fantastique chevauchée ? Il s’agit là clairement d’une allusion à un mythe, hélas, définitivement perdu pour nous.
Le nom de cet égrégore nous est connu par une inscription trouvée à Vallauris, dans les Alpes-Maritimes, en France : Pipius. Ou alors etnosus, celui qui a des ailes. Inscription découverte à Bourges (département français du Cher). Mais il s’agit là peut-être dans ce dernier cas, de la représentation d’une sorte d’ange celte (un dieu ou une déesse provisoirement métamorphosé en oiseau) et pas d’un égrégore. N.B. L’Homme-oiseau figure également sur une des gravures de la Vallée des Merveilles, selon Émilia Masson.
O. L’âme/esprit ou égrégore animal du saumon : orcia. L’égrégore du saumon (ou du porc ???), connu par une inscription trouvée à Zmov, en Serbie. Du celtique *orco (porc ou saumon).
Il existe bien d’autres teutatès ou âme/esprits animales, mais nous arrêterons là cette liste, afin de simplifier quelque peu cette étude.
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LES TEUTATÈS OU FÉES DE TYPE MATRES (ÉGRÉGORES HUMAINS).
Les monolâtries de masse que sont le judaïsme le christianisme ou l’islam se gaussent en général de la multitude d’êtres intermédiaires que le druidisme croit déceler entre l’être supérieur par définition, l’être des êtres, et les simples mortels.
De même ils considèrent comme du paganisme au sens bestial du terme selon eux le fait de reconnaître que les peuples ou les constructions politiques ont une âme (l’âme slave, l’âme germanique, l’âme de l’Irlande) et que c’est faire une bien mauvaise politique que de l’ignorer.
Or que trouvons-nous par exemple dans le livre sacré par excellence des religions de masse que sont le judaïsme et le christianisme ?
Livre de Daniel * chapitre 10.
« Durant la troisième année du règne de Cyrus, roi de Perse, un message fut révélé à Daniel.
Le vingt-quatrième jour du premier mois, je me trouvai sur la rive du grand fleuve, le Tigre.
Je levai les yeux, et j’aperçus un homme vêtu d’habits de lin qui portait une ceinture d’or d’Ouphaz autour des reins.
Son corps luisait comme de la topaze, son visage flamboyait comme l’éclair, ses yeux étaient pareils à des flammes ardentes, ses bras et ses pieds avaient l’éclat du bronze poli. Quand il parlait, le son de sa voix retentissait comme le bruit d’une grande foule.
Moi, Daniel, je fus seul à voir cette apparition, les gens qui étaient avec moi ne la virent pas, ils furent soudain saisis d’une grande frayeur et coururent se cacher…… Sois sans crainte, Daniel ; car, dès le premier jour où tu as appliqué ton cœur à comprendre et à t’humilier devant ton Dieu, ta prière a été entendue ; et je suis venu vers toi, en réponse à tes paroles.
Mais le prince du royaume de Perse s’est opposé à moi durant vingt et un jours. Alors Michel, l’un des grands princes, est venu à mon aide et je suis resté là auprès du roi de Perse… Sais-tu pourquoi je suis venu vers toi ? Je suis sur le point de m’en retourner pour combattre contre le prince de Perse, et quand je partirai, le prince de Grèce apparaîtra ». (Livre de Daniel, chapitre 10, 1-21)
Passons sur l’aberration intellectuelle, non de la transfiguration des corps par la lumière des héros (Gaélique luan laith, Avestique xvarnah avec comme résultat des corps bellissamos bellissama) dans l’autre monde, mais de la résurrection des morts sur cette terre pour y être jugés.
Ce qui nous intrigue nous autres druides qui fondons notre spiritualité sur la réflexion et non sur des révélations (sur une foi éclairée par la raison) ; c’est cette mention des princes de Perse et Grèce.
Que désigne exactement le vocable de « sar = prince » dans ce cas ?
Des élémentals de la Perse et de la Grèce en tant qu’entité géographique ??
Les égrégores du peuple perse et du peuple grec en tant que nation parlant un même langage ?
L’égrégore de l’Empire perse et l’élémental de l’ensemble géographique connu sous le nom de Grèce, c’est-à-dire une péninsule et des îles ?
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Le moins que l’on puisse dire c’est que cette vision de Daniel n’est pas très claire et que l’on y décèle surtout un parti pris ethnicopolitique évident, une assimilation évidente aux forces du mal au sens manichéen du terme de la Perse et de la Grèce en tant qu’ensembles ethnico socio politiques ; assimilation malveillante et pour tout dire raciste confortée par la mention ultérieure des rois du Nord et du Midi.
Note à propos des entités intermédiaires entre l’être des êtres et les hommes selon le Judaïsme. Maïmonide enseigne qu’il y a deux classes d’anges, les « permanents » et les « périssables ». Idem pour Juda Halevi (1085-1140), fameux poète et théologien juif du XIIe siècle, qui différencie les anges « éternels » et les anges créés à un moment donné. Il enseigne en effet dans son œuvre intitulée Le Kuzari (livre IV) qu’il y avait deux classes ou espèces d’anges. « Certains anges sont créés pour l’occasion à partir d’éléments de matière subtile, d’autres sont plus durables et ce sont peut-être les êtres spirituels dont parlent les prophètes ».
Et il poursuit…
« Il n’est pas certain que les Anges vus par Isaïe, Ezéchiel et Daniel appartiennent à la classe d’anges créés à un moment donné, ou à la classe d’essences spirituelles qui sont éternelles ». Qu’étaient-ils alors ? Saadia ben Joseph pensait que c’était uniquement des visions ».
* Il va de soi que ce Daniel est un personnage artificiel et que ses prophéties sont des prophéties faites après coup (vaticinium ex eventu). Donc que de ce point de vue le livre de Daniel tout entier est une imposture, une pseudépigraphie si l’on veut user de cet euphémisme guère utilisé quand il s’agit de paganisme, datant du IIe siècle avant notre ère.
LE LIVRE DE DANIEL NE POUVANT DONC RIEN NOUS APPORTER DE BIEN UTILE POUR COMPRENDRE LA NOTION D’ESPRIT DES LIEUX, NI MÊME LA NOTION D’ÂME D’UN PEUPLE, REPRENONS TOUT À ZÉRO DANS CE DOMAINE.
La notion d’égrégore est connue depuis la plus haute antiquité et n’est pas une invention du monde moderne. Elle était jadis traduite, fort imparfaitement il est vrai, par les termes grecs ou latins conventus, amphictyonie, koïnon. Le cas du culte voué à Lenus Mars en Allemagne (Trèves et Cité des Trévires), ainsi que celui du sanctuaire fédéral des 60 Cités à Lyon, montre très bien, comme nous allons le voir, que la notion de « koinon » était aussi connue des Celtes.
Le mot conventus a quatre sens différents dans la langue latine : 1° une grande affluence d’hommes réunis dans un lieu pour y faire des prières ou rendre des Actions de grâces aux dieux. 2 ° conventus désigne une multitude d’hommes de toutes classes sociales réunis en un même lieu ; 3 ° il signifie l’assemblée du peuple convoqué par les magistrats pour rendre la justice ; 4 ° pour exprimer qu’un homme a reçu la visite de quelqu’un, on utilise l’expression ab aliquo conventus est.
Amphictyonie. Le mot se rattache à une racine verbale qui signifie fonder puis habiter. Le préfixe signifie dans ce cas « autour ». Le mot amphictyons veut donc dire « qui habitent autour, voisins ».
Le terme amphictyonie a pris anciennement un sens religieux et politique pour désigner des peuples ou des cités qui, vivant dans le voisinage les uns des autres, se regroupent autour d’un sanctuaire ; et forment une association religieuse qui joue de plus, souvent, un rôle politique. Le terme amphictyons désigne les députés qu’envoient les cités pour former une assemblée appelée à traiter des affaires communes.
L’amphictyonie la plus importante était celle de Delphes et des Thermopyles, regroupant douze peuples de la Grèce centrale et de la Grèce du Nord. Elle administrait les affaires des temples d’Apollon à Delphes, de Déméter aux Thermopyles. Elle contrôlait l’organisation des jeux Pythiques en l’honneur d’Apollon. La violation des lois amphictyoniques par certains a provoqué des guerres.
Le mot koïnon a un sens assez vague. Mais le caractère essentiel de ces réunions apparaîtra mieux encore si l’on remonte à leurs origines. Les groupements de populations, dans un intérêt commun, essentiellement religieux, existèrent en Asie, comme dans la Grèce proprement dite, de très bonne heure.
Le koïnon était en fait une union de cités qui avait des racines beaucoup plus anciennes que la conquête romaine. À l’époque hellénistique, le koïnon définissait un véritable état fédéral, les Romains
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en firent quelque chose d’un peu différent par la suite, car les cités cédèrent une partie de leur souveraineté à un état central. Même s’il n’y a pas eu de rupture nette, on n’a plus affaire à un état fédéral à l’époque impériale, car Rome n’aurait pas accepté d’avoir un véritable État parmi ses provinces. Les koïna étaient donc des associations de cités ayant un caractère régional, voire ethnique, selon un schéma librement institué par les intéressés, non par les Romains.
Exemple : À l’intérieur de la province d’Asie, on connaît le koïnon des 13 cités de l’Ionie. Ce koïnon a un caractère traditionnel, il est attesté à l’époque d’Hérodote. Au début il ne comprenait que 12 cités, par la suite la ville de Smyrne y adhéra. Ce koïnon existait encore à l’époque romaine.
L’historien français Paul Monceaux, dans son livre écrit en 1885, a examiné toutes les manifestations de la vie du koïnon, et il a rencontré presque uniquement, dans son étude, des questions religieuses. Il a tenté de reconstituer une des séances en groupant tous les documents qui nous rapportent quelque écho de son activité.
L’assemblée provinciale ne prend pas de décisions importantes, parce que le gouvernement ne l’eût pas permis et que les délégués des villes ne se seraient vraisemblablement pas mis d’accord. Ces décrets concernent donc uniquement « les honneurs à rendre, les statues à élever, les cérémonies à célébrer ».
Quelquefois pourtant, le koïnon délibère sur l’administration du proconsul, à l’expiration de son gouvernement, ou celle des légats, du questeur, des procurateurs. C’est le seul cas peut-être où les occupations de l’assemblée perdent leur caractère purement religieux.
Promotions aux grands sacerdoces, décrets honorifiques, votes d’hommages à rendre au souverain, constituent le fond essentiel des attributions du Koinon et, comme on le voit, procèdent du sentiment religieux ou y confine ; et surtout, l’assemblée provinciale a du retentissement par ce qui se fait en dehors d’elle, mais à son occasion, les sacrifices, cérémonies et jeux, qui accompagnent les sessions.
Risquons-nous maintenant à proposer une autre définition. Ainsi que nous l’avons vu avec les travaux de Gustave Le Bon, dans l’invisible, hors de la perception physique de l’homme, existent des êtres artificiels, engendrés par la dévotion, l’enthousiasme, le fanatisme ; que cet auteur appelle des foules psychologiques, et que l’on nomme plutôt aujourd’hui des égrégores.
Un égrégore est une forme pensée ou idée-force neutre, qui se colore, pour le meilleur ou pour le pire, des intentions du groupe. Selon la qualité vibratoire des membres, l’égrégore enchaînera ces derniers à leurs croyances limitatives, ou dynamisera leur potentiel créateur et les déliera de toutes influences extérieures.
C’est comme l’accumulateur d’une énergie possédant ses propres caractéristiques, et motivé par la foi ou la concentration de plusieurs personnes en même temps. Un égrégore est une forme de pensée provoquée par les désirs, les aspirations, les rêves, les décisions, les engagements, les idées, la volonté, d’un ou de plusieurs êtres humains. En se focalisant sur un objectif et en agissant pour lui donner vie, une personne est en mesure de créer un égrégore susceptible de se développer pendant un temps indéterminé. Suivant l’intensité de l’idée émise et le nombre de personnes qui adhéreront à ce projet, ce temps peut durer de quelques jours à plusieurs millénaires.
Les druides antiques assimilaient ces égrégores à des dieu-ou-démons. C’étaient des âme/esprits motrices et créatrices de formes.
Ce que l’on peut retirer de cette interprétation métaphorique des très-sachants de la druidiaction (druidecht) antiques, c’est que l’égrégore a une vie propre, capable d’influencer les humains et la marche de l’Histoire. Il tire sa force de l’énergie psychique de chacun des membres de l’association qui l’alimente. Il est partout présent, il flotte au-dessus des têtes, et dans les cœurs. Il s’agit de s’y connecter par une simple ouverture d’esprit : une pensée, une méditation, un symbole, une émotion, une coïncidence, un élan de créativité… L’égrégore procure de la paix intérieure, de l’aide et de l’amour inconditionnel, la force et le courage, l’union et la solidarité, la foi. L’égrégore révèle la réalité de l’âme/esprit de chacun et propulse vers l’action et la décision.
Les actes, les émotions, les pensées, ainsi que les idéaux, de chaque individu, constituant le groupe, fusionnent, pour édifier un tout cohérent, une forme dont les composants sont de nature énergétique ou métaphysique. L’égrégore est aussi pénétrant, voire enveloppant et perceptible, qu’une sensation matérielle. Plus il est alimenté, plus son rayonnement s’étend.
Plus l’égrégore rayonne intensément et plus les possibilités du groupe vont s’en trouver accrues. L’égrégore attire à lui les personnes pouvant répondre à sa note vibratoire.
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Si certains hommes (voyants professionnels ou prêtres de tel ou tel dieu-ou-démon) semblent plus clairvoyants que d’autres, c’est parce qu’ils sont en liaison avec l’égrégore en question, ils en font partie. La pensée, la volonté, de ces derniers donc, s’inscrit aussi, se dessine aussi, sur la trame qui renforce l’égrégore du groupe.
La transmission de l’acquis sera enrichie, mémorisée, puis véhiculée par l’égrégore. Le prêtre vit avec l’égrégore, il a beaucoup réfléchi à la chose, il n’est pas seul, des énergies se concentrent sur lui.
L’énergie rendue disponible par telle ou telle méthode dépend de la qualité d’intégration de l’individu à l’égrégore présidant à cette voie. Mais toute médaille a son revers : ce qui relie est aussi ce qui enchaîne. Ce qui peut être une aide dans une voie particulière, est également une entrave pour tous ceux qui veulent s’en écarter.
Exemple d’égrégore humain : une religion… ces hommes et ces femmes qui se réunissent, qui prient, qui ont foi en leur dieu-ou-démiurge, développent inconsciemment une gigantesque énergie. Et les manifestations de cet égrégore peuvent être très nombreuses… On peut citer aussi dans le même ordre d’idées la communion des saints des chrétiens.
La communauté musulmane est également un excellent exemple de ces égrégores. La foi de centaines de millions d’individus (deux milliards ?) en ses dogmes, canalisée par ses imams ou ses théologiens, forme un des plus puissants égrégores connus au monde, très prisé par les politiciens. Ces politiciens sont des manipulateurs d’énergie tout à fait conscients de ce qu’ils font, ils se « branchent » sur l’égrégore de la communauté musulmane afin de profiter de son énergie, de ses votes, donc pour agir selon leurs besoins !
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Ainsi que le dit Francisco Marco Simón, de l’Université de Saragosse en Espagne, il pouvait arriver que les théonymes ne se rapportent pas au lieu où vivait la communauté qui lui vouait un culte, mais à l’unité sociale elle-même. Que ce soit un « ethnos », un groupe familial, ou un simple individu (Guerra 2002). Deux exemples d’une telle association ethnique nous sont fournis ; par une inscription trouvée dans le sanctuaire de Panóias (Vila Real, la mention « Omnibusque numinibus Lapitearum », que l’on peut traduire par « à l’âme/esprit (numen) des Lapites » ; et la référence à Igaedus en tant que dieu des Igeditains.
À la différence de ce qui précède, il ne s’agit donc pas, dans ce cas, de lieux ou d’une fondation de ville, placée sous les auspices de telle ou divinité. L’idée sous-jacente est qu’il s’agit en quelque sorte de la bonne fée de tel ou tel groupe humain, de son âme ou de son génie national peut-être ; en bref une entité attachée au groupe lui-même en tant que tel, et non au lieu.
Les anciens très-sachants de la druidiaction (druidecht) croyaient que tout homme avait un génie propre dès le moment de sa naissance. Cucullatus pour les hommes, sulevia pour les femmes. Selon les croyances de l’époque, chaque famille et chaque peuple avaient aussi son propre génie. Les premiers alors étaient qualifiés de fées de type matres lubicae, ou nessamae (proxumae en latin) ; les seconds de fées de types matres mais aussi de toutatis.
Attention néanmoins ! L’interprétatio romana qui a suivi la conquête a entraîné un certain nombre de confusions. Le genius lugduni ou génie de Lyon, n’appartient en aucune façon à cette catégorie d’égrégores, puisque le genius lugduni en question, est bien évidemment le grand dieu-ou-démon Lug.
Les Celtes avaient coutume de prêter serment (oito) sur les déesse-ou-démones, ou fées, des eaux et des sources, mais également sur le génie national, le toutatis, de leur tribu. Et la violation de ces serments était considérée comme le pire des crimes, puni avec la plus grande sévérité, par les dieu-ou-démons eux-mêmes d’abord.
Ces génies ou égrégores sont mentionnés dans différentes inscriptions, la plupart en latin, hélas ! Dans ses observations sur les génies tels qu’ils apparaissent, Eckhel (1737-1798) nous dit qu’ils viennent après les dieu-ou-démons et déesse ou-démones, ou fées.
Tite-Live nous a conservé le souvenir d’un empereur des Celtes nommés Ambigatus ou Ambicatus ; qui a réuni sous sa domination, vers la fin du cinquième siècle avant notre ère, une grande partie de l’Allemagne actuelle et de l’Autriche, la France moins le bassin du Rhône, et près des deux tiers de la péninsule ibérique. Il est possible que l’unité politique ait alors été complétée chez les Celtes par une sorte d’amphictyonie religieuse, et que les diverses nations celtiques aient reconnu un dieu-ou-démon supérieur protecteur de toute la race. Mais quand l’empire d’Ambicatus vola en éclats et que le lien qui unissait les tribus fut relâché ; les dieu-ou-démons locaux, dont le prestige avait dû céder à l’autorité
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des dieu-ou-démons panceltiques, furent de nouveau l’objet de bratou decantem (d’ex-votos), et de dédicaces.
Ce qui a surtout popularisé le culte des fées de type matres, et des teutates, autrement dit des égrégores, dans toutes les parties de la Litavia celtica ; c’est que, d’une part c’étaient des divinités toutes trouvées pour les collectivités de tous ordres ; et que d’autre part il devint une des formes du culte des tribus État.
Il n’y a pas de réunion, pas d’ensemble politique, pas de corporation, pas de classe ni de communauté, qui ne se soit placée sous la protection d’un égrégore particulier ; à défaut d’un dieu-ou-démon, et même de préférence à un dieu-ou-démon. Car ce dernier appartenait à tout le monde, l’égrégore de type matra ou toutatis avait le grand avantage de se plier à tous les cas particuliers.
Comme les anges dans le christianisme, dont il a été dit qu’ils sont répartis sur les nations et les cités, les égrégores du polythéisme druidique appelés matres, ou teutates, sont partout ; nous en avons pour les villages (vici), pour les pays (pagi), à plus forte raison pour les villes et pour les peuples.
Dernier point enfin. Les anciens très-sachants de la druidiaction (druidecht) distinguaient bien le génie (élémental) d’un lieu, du génie d’une collectivité humaine (égrégore).
Tout comme les anciens Romains d’ailleurs, qui distinguaient bien le Genius Publicus Populi Romani, du Genius Urbis Romae, à qui un bouclier fut d’ailleurs consacré au Capitole ; avec cette mention, qui rappelle les plus vieux cultes de l’Italie : « sive deus, sive dea, sive mas sive femina ». Mais dans les pratiques de la dévotion populaire, ces deux notions étaient quelque peu confondues.
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ÉTAT DE LA QUESTION
LAISSÉE PAR L’INTERPRETATIO ROMANA.
Vocabulaire.
Matres totales : égrégores (anges gardiens) de la tribu ou de la nation. Équivalents des princes de Perse ou de Grèce du livre de Daniel.
Matres veniales : égrégores (anges gardiens) de la famille au sens large du terme.
Matres lubicae, matres nessamae : égrégores de la famille nucléaire.
Cucullati (hommes) matres suleviae (femmes) : anges gardiens individuels.
Il ne faut pas confondre les anges gardiens individuels du paganisme que sont les genii cucullati pour les hommes et les matres suleviae pour les femmes À TITRE INDIVIDUEL ; et qui sont souvent triples dans leur représentation, afin de bien montrer qu’ils agissent sur les trois plans : le salut du corps, le salut de l’âme, et celui l’esprit ; avec les fées de type Matres lubicae ou nessamae (« proxumae » en latin) qui sont des anges gardiens DE LA FAMILLE ; les fées de type Matres veniales qui sont les anges gardiens de la famille élargie = le clan ; et les fées de type Matres Totales = déesse-ou-démones de la Tribu, ou les Matrones qui sont les anges gardiens d’un groupe humain étroitement uni, mais pas nécessairement par les liens du sang.
Notons également que certains égrégores de groupe ni masculin ni féminin, car incluant des individus des deux sexes, sont néanmoins, comme les rivières d’ailleurs, vus et sentis par les populations locales comme étant pourtant de sexe féminin ou de sexe masculin. Dieu seul sait pourquoi, je laisse aux spécialistes le soin de trouver une explication psychologique satisfaisante à cette attribution d’un sexe aux égrégores. Cela dépendait peut-être du sexe des fidèles à l’origine de ces manifestations de leur culte. Les hommes le voyaient plutôt comme un mâle, les femmes comme une mère.
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I TEUTATÈS OU MATRES TOTALES DONC (ANGES GARDIENS DES NATIONS).
L’erreur majeure des historiens jusqu’à présent, a été de croire qu’il y avait un dieu (et un seul) appelé Teutatis chez les Celtes. Or ce Teutatis n’est pas un nom propre, mais un nom commun ayant à peu près la même signification que le terme à l’origine du substantif égrégore, c’est-à-dire « groupe, troupe, troupeau, horde, etc. »
Il n’y a donc pas UN teutatis mais DES teutatès. Le teutatis de telle ou telle tribu, le teutatis de tel ou tel clan, le teutatis de telle ou telle corporation ou confrérie, le teutatis des sangliers, voire même de telle harde précise de sangliers, le teutatis des ours et ainsi de suite. Que le Teutatis ne soit pas un dieu-ou-démon unique et bien défini est d’ailleurs prouvé par le texte de Lucain et de ses commentateurs. Tandis que César (sans aucun doute intentionnellement) a donné aux dieu-ou-démons celtes des noms latins, Lucain juge à propos de montrer qu’il connaît quelques noms celtes : Esus, Teutatès et Taranis. En eux-mêmes, ces noms ne disent pas grand-chose. Des commentaires anonymes ultérieurs, les Commenta Bernensia ou scolies bernoises, ont tenté de les expliquer ; malheureusement, ils se contredisent complètement : ils identifient, en effet, ces teutatès, à un endroit avec Mercure, mais à un autre endroit avec Mars. Certains en ont conclu que cette hésitation entre Mars et Mercure prouvait chez ces « Teutatès » l’absence d’une personnalité bien définie ; une telle incertitude, a-t-on dit, était précisément la caractéristique des dieu-ou-démons primitifs.
Il s’est trouvé au moins une soixantaine de divinités ayant pu offrir assez de traits communs pour se fondre sous le vocable du dieu-ou-démon latin, Mars. Cherchons donc ensemble quels sont les traits communs à toutes ces entités.
Initialement, les Mars (sic) indigènes préceltiques, étaient des divinités attachées à des sites et à des collectivités humaines restreintes. Elles étaient probablement d’abord aniconiques et anonymes.
Certaines d’entre elles devaient bientôt connaître, par suite de circonstances diverses, religieuses, ou politiques, un rayonnement dépassant leurs limites territoriales. C’est probablement au cours des périodes du Hallstatt et de la Tène, qu’avec les progrès de la celtisation, des noms furent donnés à ces dieu-ou-démons préceltiques.
Autrement dit, les teutatès étaient à l’origine des dieu-ou-démons anonymes, patrons de petits groupes humains, ensuite avec les très-sachants de la druidiaction (druidecht) il y a eu regroupement, sous un nom celte, en divinités tribales, de tous ces microégrégores. L’appellation de Teutatès a pour racine le nom de « tribu » (teuta, puis touta et tota). Teutatis est donc étymologiquement le « dieu de la tribu », c’est-à-dire le protecteur de la tribu. Le vocable apparaît comme un terme général, et, plutôt qu’un nom propre, comme un nom commun ou un adjectif substantivé : « le (dieu) tribal ». Chaque peuple conserve la possibilité de le désigner par une qualification particulière, tirée de ses multiples aptitudes, ou de quelque particularité physique du paysage où la nation réside. Il n’en demeure pas moins que chaque nation a son âme/esprit collective, son génie qui, en tant que dieu-ou-démon protecteur spirituel la représente et la défend.
Auxiliaires du Destin unis aux êtres collectifs, ces teutatès défendent et gouvernent en sous-main les hommes, les cités, les nations, ou les sociétés les plus diverses (corporations, collèges, et ainsi de suite). Chez les Celtes en effet, ces dieu-ou-démons appelés « teutatès » étaient les régisseurs
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invisibles des communautés humaines. Ces teutatès des nations, des peuples ou des cités, sont la personnification d’une volonté propre, autonome, agissant dans la durée. Bien qu’immatérielle, cette réalité s’avère assez facilement compréhensible. Ce concept de nation ou de tribu comme personnalité ou âme/esprit collective, renvoyant à une énergie figurée par les teutatès ; conduisait les druides antiques à une vision universaliste bien comprise, excluant non pas tout conflit, mais tout racisme de type monothéiste, de type chrétien, musulman, ou autre.
Il existe des âme/esprits gouvernant et régissant les collectivités les plus diverses, au moins dans les espèces supérieures.
Le polythéisme druidique légitimait la pluralité des personnalités collectives et des dieu-ou-démons devant le Tokad (en tant qu’auxiliaires du Destin), jetant ainsi les bases d’un véritable œcuménisme des religions. Le christianisme, lui, n’a pas médité ou approfondi suffisamment cette notion d’âme/esprit collective, d’où l’asservissement et l’anéantissement des nations qui a suivi.
N.B. La fin du Moyen-âge est peut-être le seul moment où le thème de l’âme/esprit des nations retrouva quelque relief ; avec la vénération de saint Georges protecteur du royaume d’Angleterre, ou de saint Michel protecteur du royaume de France (voir le cas Jeanne d’Arc). Hélas trop tard !
Mais laissons là les moutons de Jeanne et revenons à nos moutons à nous ! Les Teutatès sont des égrégores avons-nous dit. Mais qu’est-ce qu’un égrégore dans ce cas ? Il importe ici de le rappeler afin de bien nous faire comprendre à ce propos.
Chaque groupe d’êtres vivants agissant dans un but commun génère une âme/esprit collective que les druides d’aujourd’hui nomment « égrégore » (phénomène observé chez les animaux, notamment la meute de loups en chasse). Mais comme nous allons le voir, un clan, une tribu, et même une nation, émettent également un égrégore. Car une communauté n’est pas seulement une somme d’individus, mais un ensemble de valeurs, d’expériences, de souvenirs, longuement bâti, qui génère de génération en génération une identité.
Les égrégores (du latin grex : troupeau) ce sont les âme/esprits ou les génies collectifs des différentes communautés humaines, voire animales. L’égrégore le plus puissant pour les humains est celui qui est engendré par un groupe de religieux en méditation ou en prière pensent nos amis bouddhistes. Celui engendré par une foule haranguée par un politicien parlant au nom de Dieu ou d’un de ses substituts fournis par l’idéologie dit Gustave Le Bon. Exemple une foule pakistanaise en colère contre un « blasphème » dit Pierre de La Crau.
Avec un nom (teutates) appartenant au groupe restreint des trois grands dieu-ou-démons cités par Lucain comme faisant partie du panth-éon ou plérôme celtique, tel qu’il avait été constitué par les druides au Vle-Ve siècle avant notre ère ; ce type de divinités druidiques était largement plurifonctionnel, et réunissant les fonctions de dieu-ou-démon de la tribu, en temps de guerre comme en temps de paix. Il était sans doute étroitement lié, par des mythes, au dieu-ou-démon de la Nature et des Morts.
Il s’agit de divinités principalement masculines, souvent associées à des parèdres féminines (appelées, comme eux-mêmes, tantôt d’un nom indigène, tantôt d’un nom romain), présentant les caractères suivants. Elles sont plurifonctionnelles, correspondent à un groupe humain socialement organisé, elles sont fortement implantées dans le sol et dans le milieu social. Ces divinités, remontant à la révolution technologique et sociologique du Bronze final (entre 1000 et 800 avant notre ère) ont survécu avec leurs caractères dominants au cours des périodes suivantes. Grâce au cloisonnement des civilisations et à la longue survivance, dans certaines régions, des traditions du Bronze final. Ces dieu-ou-démons à l’époque romaine seront l’objet d’un culte de dulie sous le nom générique de Mars. Comme le Mars préceltique était largement plurifonctionnel, le Mars britto – ou gallo-romain cumulera par conséquent sur sa tête un grand nombre de fonctions très diverses, que l’interprétation romaine en Mars classique sera loin d’épuiser. Nous utiliserons donc, pour plus de facilité, les noms romains (Mars, etc.) ou britto – voire gallo-romains, de ces dieu-ou-démons. Mais, ainsi que nous venons de le voir, l’avis maintenant unanime des historiens de la religion druidique est que ces importations ne sont que des habillages de divinités locales. Et c’est bien ce qui transparaît dans notre catalogue.
Tertullien (Apologeticum 24,7) nous rappelle bien d’ailleurs que chaque région avait son dieu-ou-démon. Mars a donc, surtout, recouvert de nombreux parallèles indigènes ou, tout au moins, a reçu en beaucoup d’endroits un surnom que les très-sachants de la druidiaction (druidecht) donnaient volontiers à la divinité. Ces noms ne sont pas toujours d’allure si guerrière ; et leur grand nombre confirme bien l’impression que ce mars « romain » a remplacé en maint endroit le dieu-ou-démon local de la tribu, chef de l’armée en temps de guerre et gardien du territoire en temps de paix. Le mars
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romain a endossé l’habit d’un grand nombre de teutatès locaux, soit que, désignés nommément, ceux-ci lui aient cédé leur nom comme surnom ; soit encore que, désignés par ce seul nom commun « dieu de la tribu » (toutatis), ils n’aient même pas eu à lui transmettre un surnom indigène. Mars Toutatis, « Mars tribal, Mars de la Tribu ». Seuls ses surnoms et le contenu des dédicaces nous renseignent sur leur nature propre, car leur aspect figuré demeure toujours celui du dieu-ou-démon romain. Il n’existe pas d’image dont nous puissions dire avec certitude qu’elle est celle d’un toutatis. La colonne de Mavilly, proposée par le grand historien français Paul-Marie Duval, sur laquelle on voit un guerrier armé d’une lance et d’un bouclier, ainsi qu’une femme et le serpent à tête de bélier ; ne peut sans autres indications être attribuée à un Toutatis. D’autres identifications (un guerrier armé d’une lance, un dieu-ou-démon accompagné d’un chien) sont tout aussi arbitraires. La réalité, c’est que nous ignorons comment ces « teutatès » ont été représentés. L’assimilation des égrégores tribaux appelés teutatès en celte, à Mars, est maintes fois confirmée, de la façon la plus claire, par les inscriptions. Ce rapprochement se présente de plusieurs manières. Tantôt le dieu-ou-démon apparaît comme la divinité d’une peuplade, qui lui rend un hommage global : c’est le cas de Mars Camulus chez les Rèmes (Reims), de Mars Segomo chez les Séquanes (Jura) ; tantôt, et plus souvent, ce sont les habitants d’une subdivision de la tribu (pagus) qui se réunissent pour lui vouer un véritable culte de dulie et Mars devient alors, au sens strict du mot, le protecteur de la tribu. Il en est de même en pays rhénan, où les dédicaces sont expressives au plus haut degré (voir plus loin ce qui sera dit de Lenus Mars). Ajoutons que, fort souvent, les signataires de dédicaces sont désignés comme étant les magistrats suprêmes de la cité, agissant, selon toute apparence, au nom de leurs concitoyens. Est-ce le dieu-ou-démon qui a donné son nom à la bourgade ou plutôt les gens de la bourgade qui se sont placés sous la protection d’un dieu-ou-démon éponyme ? Ce qui importe c’est de prendre acte de cette communauté mystique établie entre la population de la bourgade et la divinité.
Ainsi que nous venons de le dire, les teutatès ou égrégores humains ont donc été généralement traduits en « Mars » par les Romains. Il existe néanmoins quelques exceptions à cette règle. Dans certains cas les Romains, qui n’y comprenaient rien, ont assimilé les teutatès à leur Mercure.
Un texte de Pline l’Ancien passe en revue divers colosses du monde antique. À cette occasion, nous apprenons que la cité des Arvernes avait fait jadis exécuter une statue géante de Mercure, dont les proportions dépassaient tout ce qui s’était vu jusqu’alors ; ce chef-d’œuvre était dû au Grec Zénodore, qui avait mis dix ans à la faire et avait réclamé un salaire de 40 millions de sesterces pour cela. Pline ne donne aucune précision sur le lieu où était dressée ladite statue. Beaucoup d’historiens pensent qu’elle trônait au sommet du Puy-de-Dôme.
D’autres sont allés plus loin ; ils prétendent que la statue mesurait de 100 à 120 pieds, soit une quarantaine de mètres ; certains vont même jusqu’à estimer que le dieu-ou-démon était représenté dans la posture accroupie, les jambes repliées « en tailleur » (pose dite « bouddhique »), comme si une représentation du dieu debout de pareille taille n’eût pas encore été assez imposante !
La meilleure preuve de l’incroyable importance accordée par les très-sachants de la druidiaction (druidecht) aux âme/esprits nationales divinisées, demeure donc encore cette statue érigée par les Arvernes au sommet du Puy-de-Dôme.
Elle a été attribuée à Mercure par l’interpretatio romana, mais il est évident qu’il s’agissait là en réalité du dieu-ou-démon, tribal ou national, des Arvernes, de leur égrégore, et non de Lug ou du vrai Mercure romain.
La liste des personnalités ou de notables ayant manifesté, semble-t-il avec éclat, leur dévotion à l’égard du culte de Mars indigène ; leurs titres militaires et civils, le fait que plusieurs d’entre eux se proclament flamines de Mars, et un, gutuatre de Mars, titre sacerdotal druidique équivalent à celui de flamine ; tout suffit à prouver le caractère officiel de ce culte de dulie, qui a évidemment été la raison principale du droit de tester en faveur de ses sanctuaires (Ulpien, Digeste, XXII, 6).
N.B. Mais ce Mars indigène n’a peut-être pas été le seul dieu druidique, à qui on pouvait léguer certains biens.
On chercherait en vain un dieu-ou-démon dont les dédicaces seraient signées aussi souvent par des hommes politiques d’une envergure équivalente : décurion chez les Éduens, duovir et quattuorvir chez les Allobroges et chez les Séquanes. Les chefs religieux (des druides ?) ne sont pas moins empressés.
Dans les Trois Provinces, le sacerdoce le plus en vue est la prêtrise de l’autel de Rome et d’Auguste, au confluent du Rhône et de la Saône.
Or, à cinq reprises au moins, nous voyons le grand-prêtre rendre hommage à Mars [c’est-à-dire en fait à un Teutatis. N.D.L.R.] en faisant état de son titre. Le nom d’un notable Sénon se lit sur une dédicace
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monumentale, à Sens, et le même personnage élève un autel à Mars (c’est-à-dire, encore une fois, répétons-le, à un Teutatis) au confluent sacré de Lyon.
Un grand-prêtre d’origine éduenne a longuement fréquenté les sanctuaires martiens d’Antre, à Villards d’Héria (Jura). Un Séquane sacrifie à Mars Segomo sur l’autel érigé au confluent de Lyon. Deux grands prêtres d’origine armoricaine sont les signataires d’une dédicace à Rennes. Dans la Narbonnaise, le titre de flamine de Mars est répandu, tandis que, dans la Celtie « chevelue » survit le titre indigène de « gutuater » de Mars (intercesseur ?). Il n’est pas moins remarquable d’observer que le culte de dulie rendu à ces Mars indigènes, a presque toujours un caractère public. Tantôt les dagolitoi ou fidèles ont le sentiment de former une confrérie, tantôt ce sont des collèges civils qui se réunissent pour un hommage collectif. Mais le cas le plus répandu est celui des groupements politiques. Nous avons cité quelques exemples, entre beaucoup d’autres, de districts administratifs, correspondant aux territoires des anciennes tribus, qui se placent sous la protection de Mars. Le cas des cités britto-romaines, qui adorent un « Mars » déterminé, n’est pas différent, car les « Cités » presque toujours sont des fédérations de tribus, qui se sont associées pour constituer un État. Cette prérogative de dieu-ou-démon tribal, reconnue à « Mars » est sans doute la raison pour laquelle les sanctuaires de ce dieu-ou-démon jouissaient du privilège unique d’avoir la personnalité juridique ; et d’être habilités à recevoir des héritages [souvenir du temps où la terre était propriété collective de la tribu. N.D.L.R].
« Nous ne pouvons instituer comme héritiers que les dieux qui ont été admis par sénatus-consulte et des décisions impériales, par exemple le Jupiter Tarpéien, l’Apollon de Didyme à Milet, le Mars de Gaule, la Minerve de Troie, l’Hercule de Cadix, la Diane d’Éphèse, la mère des Dieux du mont Sipyle, la Némésis honorée à Smyrne, et la céleste Salinienne à Carthage ».
« Deos heredes instituere non possumus praeter eos, quos senatus consulto constitutionibusque principum instituere concessum est, sicuti Iovem Tarpeium, Apollinem Didymaeum Mileti, Martem in Gallia, Minervam Iliensem, Herculem Gaditanum, Dianam Efesiam, Matrem deorum Sipylenen, Nemesim, quae Smyrnae colitur, et Caelestem Salinensem Carthagini ». Fragment extrait des Tituli ex corpore Ulpiani, qui n’est sans doute pas d’Ulpien malgré son intitulé, mais qui date de la même époque. XXII.6.
C’est donc bien dans cette affectation que réside l’originalité foncière du « Mars » celte. Patron de la tribu, il répond strictement à la signification du celtique Teutatis. Certes, quand la tribu était engagée dans une lutte armée défensive ou offensive, et que la liberté se trouvait en péril, des supplications montaient à l’adresse du Teutatis, pour obtenir la victoire ou du moins la sauvegarde de la souveraineté. En cas de succès, la consécration d’une partie du butin à la divinité s’avérait chose normale. Le culte des teutatès nationaux était dans ce cas étroitement associé au culte des héros, en quelque sorte « morts pour la patrie ».
Le sanctuaire de Dhronecken en Allemagne, est intéressant à double titre : il montre le lien entre le culte de Mars protecteur de la collectivité, et celui des guerriers morts particulièrement distingués. Mais cela ne saurait en aucun cas faire de ces teutatès de simples dieu-ou-démons de la guerre, de la guerre et d’elle seule, car ils avaient aussi le pouvoir de guérir. Un texte gréco-latin dédié à Lenus, l’égrégore de la cité des Trévires, le prouve.
[C]orporis adque animi diros / sufferre labores // Dum nequeo mortis pro/pe limina saepe vagando // servatus Tychicus divino / Martis amore // hoc munus parvom pr[o] / magna dedico cura.
En voici la traduction.
« Hors d’état de supporter les cruels tourments du corps et de l’âme, moi qui hantais souvent les frontières de la mort, Tychicus, gardé en vie par la divine bienveillance de Mars (autrement dit du teutatis appelé Lenus) ; je lui consacre cette humble offrande. En reconnaissance de sa grande sollicitude ».
On ne saurait souhaiter document plus explicite. Le bratou decantem ou ex-voto que l’on vient de lire est celui d’un grand malade qui a beaucoup souffert, physiquement et moralement, et qui a recouvré la santé en invoquant Lenus Mars, le dieu-ou-démon national des Trévires. On comprend aisément le raisonnement du malade. Le rayonnement de la tribu ne pouvait résulter que d’un surcroît de vitalité émanant du dieu. Le secours primordial, permanent, que l’on attendait du teutatis, était donc l’octroi d’un peu de cette vitalité.
Les armes traduisent en images naïves le pouvoir d’un dieu-ou-démon invincible. La surpuissance qui est celle de « Mars » lui permet de contenir l’action des Forces malignes, qui, sans relâche, guettent le moment de perturber l’harmonie établie dans le monde. L’épée du Mars celte, la lance, le casque, et
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la cuirasse, évoquent un duel supra-terrestre, celui de la Lumière contre les Ténèbres, de l’Ordre contre le Désordre, du Bien contre le Mal. Bien entendu, ces teutatès pouvaient naturellement être aussi connus en dehors de leur terroir d’origine, par le biais de diverses émigrations/immigrations : marchands, mercenaires, et autres, comme le prouve l’inscription de Behrens nº 11 (CIL XIII, 11818). L’inscription Marti Camulo sacrum Fronto T… oni d. d… prouve une fois de plus la tendance de certains Mars régionaux (Camulos est le surnom du Mars indigène des Rèmes), à déborder de leur région d’origine. Le prouve aussi l’inscription suivante trouvée en Grande-Bretagne, mais concernant l’égrégore national des Trévires, Lenus : « Deo Marti Leno Ocelo Vellauno ».
Si les Mars indigènes sont attachés à un sanctuaire et enracinés dans leur groupement humain d’origine ; un certain nombre d’entre eux, probablement par suite du rayonnement du sanctuaire d’origine, sont donc devenus des divinités abstraites, invoquées pour leurs pouvoirs généraux et en dehors de leur cadre initial.
II TEUTATÈS OU MATRES VÉNIALES.
Les égrégores de pagus (de petite tribu ou de clan, bref, de « pays de la taille d’un comté »).
Il arrive que le dieu-ou-démon tribal soit désigné par une appellation de même racine que le nom du peuple visé, comme si les habitants reconnaissaient en lui une sorte de père commun. Mars Caturix est littéralement « le roi des Caturiges », un peuple de la vallée de la Durance en Provence. cf. l’ancien nom de Chorges dans les Alpes : Caturimagos. Cette parenté entre le dieu-ou-démon tribal et la tribu, a été si intime que la toponymie moderne en a gardé le souvenir. En France toujours, le nom de l’ancien « pays ou comté » de Royans est dérivé de Mars Rudianus (cf. par exemple le déterminatif des villages de Pont-en-Royans et Saint-Jean-en-Royans).
De même, le pays ou comté d’Albion (ancien pagus Albionensis, en 960) ; dont le souvenir se perpétue, dans le nom des villages du Revest-d’Albion et de Saint Christophe d’Albion ; doit probablement son appellation à ce Mars Albiorix (« roi d’Albion »), protecteur des Albiovicoi, l’ancienne confédération alliée de Massilia (Marseille) dissoute par les Romains. Le nom ne fut plus dès lors porté que par la petite tribu des Albiovicoi, latinisés en Albici, localisée au nord d’Apt.
Quant à Corsolt, lui (Coriosolitis en vieux celtique), il s’agit du teutatis de la tribu des Coriosolites, dont le nom subsiste dans celui de la ville de Corseul, près de Dinan (en Bretagne). On a d’ailleurs retrouvé dans l’antique Corseul les traces du temple dédié à ce teutatis (Fanum Martis). Il apparaît encore au Moyen-âge, dans les chansons de geste du cycle de Guillaume d’Orange (sous la forme d’un géant roi des Sarrasins).
Ces égrégores tribaux (teutatès) interprétés en Mars Rudianus par les Romains et en saint Michel par les chrétiens, à Saint-Michel de Valbonne dans la Drôme et à Aignay-le-Duc en Côte-d’Or ; symbolisent les Forces irrésistibles du Bien, qui engagent la lutte contre les Forces du Mal ; et dont le triomphe renouvelé assure à la fois le maintien de l’ordre divin et le bonheur de l’Humanité.
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III CAS MIXTES.
Un égrégore ou koïnon de grande tribu (ou de petite nation) : Lenus Mars. Nous avons déjà parlé de cet égrégore, mais à titre d’exemple destiné à illustrer nos généralités sur le sujet.
Lenus est le Teutatis, le dieu-ou-démon protecteur de la tribu ainsi que de la fédération des tribus qui constituent la Cité des Trévires. Et c’est dans la capitale des Trévires, en Allemagne, en effet, que Lenus Mars avait son temple principal. Nous disons bien Lenus Mars et non Mars Lenus comme l’écrivent certains savants. La nuance est d’importance, car la primauté invariablement maintenue à Lenus traduit la force de la résistance de la dénomination indigène.
Selon cette formule, utilisée dans la dizaine d’inscriptions connues, sans qu’il soit question une seule fois de Mars Lenus, ce n’est donc pas Lenus qui se trouve être le « surnom », comme on dit parfois un peu à la légère ; c’est le vocable latin, qui n’a pas réussi à rejeter au second rang l’appellation indigène.
Au milieu du IIe siècle, et partiellement construit sur l’emplacement des précédents sanctuaires fut édifié le grand temple de Lenus Mars, qui offre, du point de vue architectural, une synthèse entre le temple de type impérial et les temples indigènes à colonnades.
Ce temple s’ouvrait sur une vaste cour et sur une large avenue conduisant à la Moselle. En bordure de cette voie, on trouvait plusieurs ensembles de trois bancs de pierre, disposés en niches qui regardaient l’avenue. En face de chaque niche et dans l’axe de celle-ci se dressait un autel avec statue, en sorte que les personnages assis sur les bancs avaient donc sous les yeux l’image de leur divinité nationale.
La destination de ces niches est clairement indiquée par les inscriptions gravées sur le pourtour supérieur des bancs.
Chacun des trois ensembles porte une dédicace à « Lenus Mars et Ancamma », ou, ce qui revient au même, à « Lenus et Ancamma » ; de plus chaque inscription fait état d’un « pays ou comté » différent de la cité des Trévires. Il résulte de cette disposition que nous avons affaire à des sièges réservés, destinés aux notables de chaque district, qui devaient les occuper à l’occasion de réunions solennelles. Dans la vie de la cité, c’était assurément un très grand jour, celui où les délégués, affluant de leurs districts respectifs, venaient prendre place dans leurs fauteuils, pour délibérer des intérêts supérieurs de la Tribu-État. Face à la statue du dieu-ou-démon sauveur, ils communiaient alors dans le sentiment d’une sorte de solidarité nationale.
Nous avons donc là une réplique en plein air de ce que Rudolf Egger a fort justement appelé « la chambre des représentants », du sanctuaire du Magdalensberg en Autriche. Une série de trouvailles, provenant de Carinthie, précise en effet la valeur de ces déductions. Au sanctuaire du Magdalensberg, les dernières fouilles effectuées par M. Egger ou sous sa direction du moins, ont révélé que le temple était en rapport avec une source vraisemblablement tenue pour divine. Et que le sanctuaire était flanqué à l’ouest d’un bâtiment servant de lieu de réunion aux délégués des cités noriques.
Dans la salle principale, que Rudolf Egger appelle donc « chambre des représentants », on a retrouvé, sur un fauteuil à dossier, une mosaïque figurant un cheval sur un bateau. Le cheval est le « signe sauveur » du dieu-ou-démon guerrier tutélaire. Ce signe, dont M. Egger établit l’origine nordique (?), constitue à lui seul une protection efficace. L’interprétation (romaine) en Mars (classique) est impuissante à expliquer la nature exacte de la divinité indigène en question.
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A) BRITANNIA. Vers – 340 – 325, l’explorateur marseillais Pythéas a transcrit en grec sous la forme Prettanike le nom de cette terre, que Diodore de Sicile transforma par la suite en Pretannia. Ce qui semble indiquer que les habitants de cette île s’appelaient eux-mêmes les Pretani ou Priteni. Britannia était donc une déesse ou démone, ou fée, tutélaire, britto-romaine. Les noms propres Bretannos, Britus, Britto, Brutus/Britan, Brython, Prydain, voire Cruithne, y sont peut-être apparentés.
Sous l’empereur Hadrien, un temple a été construit en l’honneur de la déesse ou démone, ou bonne fée, Britannia, dans la ville d’York. Des inscriptions dédiées à cet égrégore ont également été trouvées à Londres et à Balimundy, dans le Strathclyde, un fort romain du Mur Antonin. Une inscription à Winchester, dans le Hampshire [RIB 88] MATRIB ITALIS GERMANIS GAL (lia) BRIT (tannia) ANTONIVS LVCRETIANVS BF COS REST, la mentionne aussi, en compagnie de quelques autres fées de type matres totales. L’inscription peut se traduire ainsi : aux mères italiques, germaniques, gauloises, britanniques, le bénéficiaire consulaire, Antonius Lucretianus, a restauré ce temple.
De nombreuses pièces de monnaie ou de médailles frappées sous l’empereur Hadrien, mentionnent également cet égrégore. Et notamment plusieurs pièces représentant une figure féminine, personnifiant la (Grande) Bretagne portant la légende « Britannia ». Elle est habituellement assise sur un rocher, tenant une lance à la main, avec un bouclier à côté d’elle. Sur d’autres pièces, elle est représentée assise sur un globe au-dessus des vagues. Ce qui ne voulait nullement dire, n’en déplaise aux modernes Anglais d’aujourd’hui, que Britannia dominait les mers, mais que Britannia était située à l’extrémité du monde connu. Des pièces similaires furent émises par Antonin le Pieux (138-161) et Commode (177-192).
B) GALLIA. L’explorateur marseillais Pythéas est sans doute un des premiers navigateurs ayant fait le tour de cette terre vers – 340 – 325. Certains auteurs affirment qu’il n’est jamais passé par les Colonnes d’Hercule. Les colonnes d’Hercule étaient alors aux mains des Carthaginois. Pythéas aurait donc pris un bateau jusqu’à Narbonne ou Agde dans le sud de la France, puis se serait engagé sur la route de l’étain. Par les rives de l’Aude, il serait parvenu à Carcaso (Carcassonne), puis plus loin, Tolosa (Toulouse).
Ensuite, en descendant le cours de la Garonne, il aurait atteint en deux semaines la ville de Burdigala (Bordeaux) et de là il aurait organisé la suite de son voyage en bateau. La seule chose dont nous soyons sûrs est la suivante : Pythéas a décrit le cap Kabaion (la pointe du Raz), et Uxisama « située à trois jours de voyage », ainsi que les Ostimiens. Tous les historiens reconnaissent la presqu’île armoricaine dans le cap Kabaion, mais faut-il vraiment trois jours de navigation après pour arriver dans les parages d’Ouessant, si cette île est bien Uxisama, puisque c’est d’elle dont on parle ?
Assez curieusement, cette déesse ou-démone, ou fée si l’on préfère, a été adorée jusqu’en Grande-Bretagne, puisque l’on a retrouvé un autel lui étant dédié à Vindolanda, et portant l’inscription suivante.
CIVES GALLI
DE GALLIAE
CONCORDES
QUE BRITANNI.
Ce que l’on peut traduire ainsi : les citoyens celtes du Continent, à la déesse ou démone ou fée, Gallia, en plein accord avec les Britanniques.
Autre exemple « d’entente cordiale » avant la lettre, l’inscription de Winchester, dans le Hampshire [RIB 88].
Nous l’avons déjà examinée plus haut, mais ne nous privons pas du plaisir de la redonner ci-dessous.
MATRIB ITALIS GERMANIS GAL (lia) BRIT (tannia) ANTONIVS LVCRETIANVS BF COS REST, qui la mentionne en compagnie de quelques autres fées de type matres totales. L’inscription peut se traduire ainsi : aux mères italiques, germaniques, gauloises, britanniques, le bénéficiaire consulaire Antonius Lucretianus a restauré ce temple.
C) ALLOBROX. Toutatis de la tribu des Allobroges. Connu par une inscription (CIL XII, 1531) trouvée à Montsaléon (Hautes-Alpes, France). Pompeia Lucilla Allobrog (i) v (otum) s (olvit) l (ibens) m (erito). Pompeia Lucilla, pour Allobrogis, a consacré ce vœu librement et à juste titre. Égrégore des Allobroges ou des immigrés ? À chacun de voir !
D) TRICORIA. Toutatis de la tribu des Tricorii. Connu par une inscription (CIL XII 4225) trouvée à Béziers (département français de l’Hérault).
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E) VEDIANTIAE. Toutatis de la tribu des Vediantii. Riviera française. Connu par deux inscriptions (CIL, V, 7872 et 7873) dédiées aux matronis Vediantiabus de la région de Nice. Cet égrégore fait peut-être partie des matres véniales vu la taille du groupe humain concerné.
F) Quelques autres exemples d’égrégores (teutates ou matres) reconnus par les anciens très-sachants de la druidiaction (druidecht).
— L’égrégore des Tournaisiens en Belgique. Le Musée du Louvre possède en effet un vase des premiers temps de l’ère chrétienne, dédié au génie des Tournaisiens (genio Turnacensium).
— L’égrégore des habitants de Tongobriga (genio Toncobricensium). Inscription du Ier siècle découverte à Freixo, Marco de Canaveses (Portugal).
— L’égrégore des habitants du Châtelet de Gourzon, département français de la Haute-Marne : Ouniorix. Mentionné en tant que « deus » dans une inscription du premier ou deuxième siècle (CIL XIII 11399).
— L’égrégore de la tribu belge installée dans le nord de l’Espagne près de Ponferrada. Inscription trouvée à Cacabelos. L’égrégore de cette tribu y est assimilé à une « tutèle » (tutela) par les Romains : Tutela Bolgensis.
— L’égrégore du peuple des Baniensis (Genius Civitatis Baniensium : Mesquita Moncorvo, Portugal).
— L’égrégore des Laquiniensis. Inscription découverte à São Miguel das Caldas de Vizela au Portugal. Assimilé par les Romains à un « genius ».
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G) REMARQUES DIVERSES SUR LES MÈRES.
Ces fées de type Matrae ou Matronae se ressemblent et sont des personnifications à peine nuancées de l’antique Terre-Mère, mais chaque groupe social prétendait s’adresser à des Bonnes Mères définies, plus aptes que toutes autres à répondre aux aspirations de leurs fidèles.
Fusion ou hiérogamie, de type feu dans l’eau (« un jour régneront seuls le feu et l’eau ». Strabon IV, 4), symbolisée par différents types de couples divins unissant teutatès et fées de type matres, comme dans le cas du couple Lenus et Ancamma chez les Trévires d’Allemagne.
La même conclusion s’impose à propos des génies protecteurs d’un groupe, le pagus (qui, sous un nom latin, désigne le canton ou comté celte) ou la tribu elle-même. Chez les Helvètes en Suisse, les Tarbelles, Leuques ou Arvernes, en France, on connaît des cultes honorant ces génies nationaux. Il faut bien les mettre sur le même plan, dans la dévotion indigène, que les fées de type Matres assurément nationales des Trévires en Allemagne, ou d’autres « cités ». On peut leur adjoindre les Nervinae des Nerviens (peut-être, d’ailleurs, des fées de type matres elles aussi) en Belgique.
Ces déesse-ou-démones collectives [N. D L. R : ou seules] et variées, fréquentes dans le monde antique, sont quelque chose de très celtique, de germanique aussi, à moins qu’en Germanie même, elles n’aient constitué un apport des Celtes. Leur nom, en effet, s’avère celte autant que latin, sous ses formes diverses : mater est un terme latin, mais son emploi au pluriel pour désigner des déesse-ou-démones, ou des fées, n’est pas romain ; matrae (surtout en Narbonnaise), matronae (surtout ailleurs) sont des formes celtiques latinisées, issues du nom indo-européen de la « mère ». [N.D.L.R. Il semble y avoir des nuances entre ces deux termes, matres, matrae, ou matronae, qui n’étaient donc pas rigoureusement synonymes.]
Les surnoms que portent ces déesse-ou-démones, ou fées si l’on préfère ce terme, sont indigènes pour la plupart. Celtique enfin est, leur groupement par deux, et surtout par trois, sur les bas-reliefs, où chacune, d’ailleurs, a son attitude et son costume personnels [symbole donc de l’unité dans la diversité. N. D L. R].
Cette pluralité caractérise moins que la présence du nourrisson le culte de la Bonne Mère. Qu’est-ce, ici, que la « mère » ? La Terre ou la Nature, force créatrice de toute vie ; la Femme en tant que mère des hommes ; bref l’idée de maternité dans toute son ampleur. Tantôt ces déesse-ou-démones, ou fées, portent les symboles de la prospérité terrienne, corbeilles de fruits, corne d’abondance, ou patère nourricière ; tantôt elles sont représentées en fonction strictement maternelle, comme sur le bas-relief de Vertault (département français de la Côte-d’Or), où l’une pouponne sur ses genoux un nourrisson emmailloté, la seconde déplie un lange (? voir notes), la troisième tient un récipient et une éponge. Représentée seule, la mère a souvent dans ses bras un enfant au sein, à moins qu’il ne repose dans un berceau sur ses genoux : ce n’est ni la Terra Mater romaine, ni la Cybèle phrygienne. Ces Bonnes Mères portent généralement un surnom, le plus souvent local, parfois plus ancien que l’occupation celtique. De même que l’on invoquait le génie anonyme du lieu (genius loci) sur les inscriptions, de même on se plaçait sous la protection des Bonnes Mères qui veillaient sur la région. Fées de type Matres dites Namausicae à Nîmes, Glanicae à Glanum (Saint-Rémy-de-Provence), Treverae chez les Trévires, en Allemagne, Vediantae chez les Vediantii de Nice et ainsi de suite…
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La nymphe de la source souterraine et de la rivière, la Dame de la forêt, maîtresse des arbres et du gibier, Arduinna dans les Ardennes en Belgique, Abnoba dans la Forêt-Noire en Allemagne, la Fée favorable ou méchante des hauts lieux déserts ; ne sont que des hypostases diverses de la grande divinité maternelle primitive, la Terre.
Certains élémentals étaient vus comme des entités masculines et non comme des déesse-ou-démones, ou des fées, par les très-sachants de la druidiaction (druidecht), ainsi que le prouve l’inscription de Plumergat en France, dédiée « aux Pères-Frontières » : Atrebo Aganntobo.
Corroï ou corrigans (nains), leprechaun, gnomes ou géants (cavaroi), sont les élémentals de la terre, des grottes, des sanctuaires. Ils sont l’archétype des serviteurs (des forces) de la Terre-Mère et de ses richesses, d’où leur rôle dans le travail des métaux, ou de l’agriculture. Leurs noms celtes : corroï, lutoi, lutocorpanoi (leprechaun en irlandais) signifient en gros « âmes/esprits de la terre ».
De nombreux toponymes sont aussi des théonymes dans l’univers panthéiste des druides. Nemausos, Boruo, sont à la fois des noms de sources, des noms de dieu-ou-démons, et des noms d’agglomérations. La plupart du temps néanmoins, les très-sachants de la druidiaction associaient plutôt toutes ces idées à la notion de féminité.
Ces divinités féminines multiples, attachées au sol, au cours d’eau, à des structures sociales élémentaires [le clan par exemple dans le cas des fées de type Matres Lubicae, ou Nessamae, appelées Proxumae en latin. N.D.L.R.] doivent remonter à un passé préhistorique indistinct, antérieur à l’âge du Bronze.
Leur origine se perd dans la nuit des temps ; leur niveau est difficile à préciser, mais correspond certainement à une période de sédentarisation définitive, qui a pu varier suivant les lieux.
Il n’est d’ailleurs pas impossible que certaines d’entre elles aient fait leur apparition au cours d’époques diverses, certaines même tardivement, suivant un processus inné à l’âme humaine.
Les inscriptions présentent deux formes remarquables : celle de Matra dans le sud de la France, qui remonte à un celtique Matra (Matris ou Matrabus au datif pluriel). Celle de Mairae, connue surtout chez les Lingons (Mairabus) et encore mal expliquée, ne peut être qu’un synonyme de la précédente. La cinquième zone de grande densité en témoignages est la vallée du Rhin en Allemagne, riche aussi bien en figurations qu’en inscriptions. Bien avant l’arrivée de Bérécynthia ou de Cybèle, on invoquait les Mères pour obtenir la fertilité des champs.
Les Mères sont désignées généralement sous le terme de Matrones (Matronae), terme qu’il faut considérer non pas comme un emprunt au latin, mais comme un dérivé de la forme celtique Matra.
Parfois les Mères forment un groupe de deux déesse-ou-démones. Ou de deux fées si l’on préfère utiliser ce terme.
Ce type est largement représenté chez les Santons (Ouest de la France). Il existe en Bourgogne un second type des deux déesse-ou-démones-mères, beaucoup plus rare. Il s’agit de déesse-ou-démones, ou fées, assises sur un char traîné par deux chevaux.
Un exemplaire fait invinciblement songer au texte bien connu de la « Passion » de saint Symphorien, celui qui relate une fête païenne, célébrée sous les murs d’Autun en l’honneur de « Bérécynthia » ; déesse ou démone ou fée qui apparaît comme un travestissement (une interpretatio romana ou graeca) de la mère des temps celtiques et préceltiques. Les deux mères de la source de l’Armançon, trônant dans leur char, préfigurent en effet cette procession.
En plus d’une corbeille ou d’une corne d’abondance lourdement chargée, ces fées de type matres déversent fréquemment vers le sol le contenu d’une patère à libations. Cette coupe, d’où s’écoule la part des bienfaits terrestres qui revient aux dieu-ou-démons pour retourner à l’homme ; à moins qu’il ne s’agisse d’un hydromel sacré quelque peu analogue à l’Haoma ou Soma des Indo-Iraniens.
À Vertault, toujours en France, elles se montrent très visiblement prêtes à accomplir les gestes intimes et quotidiens que réclame un nouveau-né : le laver puis changer son lange. Et le sein dénudé que chacune d’elles présente indique bien leur qualité de nourrice. Mais ce sont des déesse-ou-démones ou des fées si l’on préfère, et elles portent un diadème sur leur chevelure. Dans cette série de triades, les visages ont des âges individualisés : âge moyen ou mûr pour celle qui, placée toujours au centre, déploie le volumen (rouleau de papyrus), tandis que celle qui tient le nourrisson est toujours plus jeune. Ce n’est pas le fait du hasard. Vieillesse, maturité, adolescence, ne semblent-elles pas désigner les trois temps forts de la vie de la femme et, par extension, trois grandes périodes de la vie terrestre de l’enfant ?
Celles de Naix montrent des objets, comme pour indiquer qu’elles sont là pour desservir la chapelle consacrée à la déesse ou démone ou à la fée (cruche et vase à deux anses) ou plus prosaïquement pour entretenir l’édifice (un anneau à quatre clefs pour ouvrir et fermer la porte du temple). Quant à la jeune fille légèrement placée en retrait à la gauche de la déesse ou démone ou fée de Chatonrupt, son geste reste bien éloigné de toute solennité ou de tout symbolisme. Elle passe son bras droit sous
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le poignet de la déesse ou démone ou de la fée, pour s’emparer furtivement d’un fruit posé sur les genoux de la divinité.
Ainsi que nous l’avons vu, il y a entre Épona et les Mères une étroite ressemblance. La raison en est très simple. Les Mères sont aussi des applications locales et particulières du même concept druidique que celui d’Épona, c’est-à-dire en définitive de la notion de Terre-Mère.
On retrouve les innombrables déesse-ou-démones-mères, Matrones, Tutèles, Proxumes, Fées, du monde celto-romain, britto-romain ou gallo-romain, figurées parfois sous les traits, familiers encore aujourd’hui au culte catholique, de la mère dorlotant son poupon. Seules ou, plus souvent, groupées par trois, elles tiennent dans leur giron des enfants ou de petits des animaux, ou des fleurs et des fruits. On a des raisons de penser qu’elles étaient aussi des déesse-ou-démones funéraires et psychopompes ; on a, parfois, retrouvé des exemplaires de leurs statuettes à l’intérieur des tombes.
En Irlande les mères sont Ériu (l’Irlande, nom dérivé d’Iveriu) Banuta ou Banba/Banva (la laie ou la cornue) Votala (la souterraine. Fotla en gaélique). Elles personnifient ce pays, et notamment Ériu évidemment, mais aussi Banuta/Banba/Banva dans une certaine mesure, un peu comme Albion symbolise la Grande-Bretagne.
Il existe en résumé quatre grandes catégories de fées de type matres.
A) Celles qui protègent les lieux occupés, villages ou villes. Leur universalité recouvre l’intégralité du monde celtique, voire indo-européen. C’est pour cette raison qu’elles sont régionalisées en zone romaine : Matres Treverae : pays des Trévires ; Matres Vediantiae : pays des Vediantes de Nice. Elles ont par la suite été christianisées en Notre-Dame.
B) Celles qui constituent les génies de la famille, les fées de type matres mopates ou nedsamae, qui sont en quelque sorte des vierges à l’enfant, et dont le rapport avec la fertilité la fécondité ou la famille est évident.
C) Celles qui président à certains faits de la vie humaine. Originellement, d’ailleurs il s’agissait d’une personnification, du destin, neutre. Mais la plénitude même de la grande loi cosmique dont elles sont la représentation, empêchera, par la suite, que l’on continue à les identifier à l’Englobant Universel personnifié des cultes populaires. Les fées de type matres étaient trop une limitation par rapport à l’infini, en dépit de cette personnalisation sous forme d’une triade « passé-présent-avenir », dont on retrouve traces presque partout.
D) Celles qui sont affectées à un détail de la nature, qui peut être une montagne ou une forêt, voire des arbres, mais surtout des sources.
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En réalité ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, ces différentes classes d’élémentals ont des frontières assez floues, assez vagues ; et ne représentent pas grand-chose à part la forme que prend toute âme/esprit quand elle est invoquée, ce qui est par définition son caractère.
Pour Jung l’existence d’un « tout autre » n’est pas définie comme celle d’un Dieu transcendant, car ce tout autre échappe à toute saisie par définition. Le « tout autre » dont les hommes ont le sentiment de dépendre c’est ce qu’Émile Durkheim a mis en évidence dans son célèbre essai de 1912 intitulé « les formes élémentaires de la vie religieuse » à savoir les éléments basiques de la religion que notre ami Jung a repris sous le nom de « numineux » tout en l’associant à sa notion d’archétypes (les dieux ?).
« Pour pouvoir rechercher quelle est la religion la plus primitive et la plus simple que nous fasse connaître l’observation, il nous faut tout d’abord définir ce qu’il convient d’entendre par une religion ; sans quoi, nous nous exposerions soit à appeler religion un système d’idées et de pratiques qui n’aurait rien de religieux [comme l’Islam], soit à passer à côté de faits religieux sans en apercevoir la véritable nature……
Ces définitions écartées, mettons-nous nous-même en face du problème. Remarquons tout d’abord que, dans toutes ces formules, c’est la nature de la religion dans son ensemble que l’on essaie d’exprimer directement. On procède comme si la religion formait une sorte d’entité indivisible, alors qu’elle est un tout formé de parties ; c’est un système plus ou moins complexe de mythes, de dogmes, de rites, de cérémonies. Or un tout ne peut être défini que par rapport aux parties qui le forment. Il est donc plus méthodique de chercher à caractériser les phénomènes élémentaires dont toute religion résulte, avant le système produit par leur union. Cette méthode s’impose d’autant plus qu’il existe des phénomènes religieux qui ne ressortissent à aucune religion déterminée. Tels sont ceux qui constituent la matière du folklore. Ce sont, en général, des débris de religions disparues, des
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survivances inorganisées ; mais il en est aussi qui se sont formés spontanément sous l’influence de causes locales [????]
… Toutes les croyances religieuses connues, qu’elles soient simples ou complexes, présentent un même caractère commun : elles supposent une classification des choses, réelles ou idéales, que se représentent les hommes, en deux classes, en deux genres opposés, désignés généralement par deux termes distincts que traduisent assez bien les mots de profane et de sacré. La division du monde en deux domaines comprenant, l’un tout ce qui est sacré., l’autre tout ce qui est profane, tel est le trait distinctif de la pensée religieuse ».
On peut néanmoins considérer qu’il existe une autre catégorie d’entités divines, à la fois élémental, mais aussi égrégore ou plus exactement âme/esprit animale, les dieu-ou-démons ou déesse-ou-démones (ou fées) tutélaires, protecteurs, ou mères de certains lieux ; sans que l’on puisse distinguer vraiment si cette entité s’avère uniquement attachée à l’endroit en question (comme les fées des sources ou des rivières par exemple) ; ou liée au groupe humain qui s’y est installé (son âme ou son génie national en quelque sorte).
Note à propos du mystérieux lange tenu par de telles déesse-ou-démones-mères (les grands historiens français que sont Émile Thévenot et Paul-Marie Duval ne sont pas du même avis à ce sujet).
La mère elle aussi, confère la chance, la richesse et le bonheur. Toutefois, ses bienfaits ne sont pas entachés d’arbitraire ; ils sont octroyés avec une bienveillance consciente. Un relief exhumé des terres des Bolards en 1965, confirme ce rapport iconographique entre la mère et la Fortune : il exhibe le même globe, gisant sur le sol, entre une déesse ou démone, ou fée, à la corne d’abondance, et un dieu-ou-démon au maillet.
Bien souvent on constate une répartition des rôles. L’une des déesse-ou-démones tient par exemple la patère et la corne d’abondance, symboles de richesse et de bonheur, une autre déploie sur ses genoux quelque étoffe ou parchemin, une autre porte dans ses bras un nourrisson. La position des trois déesse-ou-démones, ou fées si l’on préfère ce terme, n’est pas immuable. On a reconnu généralement dans ces triades des Mères « mopates » ou pouponnières, voire des déesse-ou-démones, ou fées, de la maternité. L’attribut déroulé sur les genoux a été identifié à un « lange ». Mais l’identification d’un lange est difficilement plausible en ce qui concerne les deux groupes découverts à la station des Bolards, près de Nuits-Saint-Georges (département français de la Côte-d’Or), et dont l’iconographie complémentaire est instructive. Dans la triade la plus significative, c’est la mère centrale qui étale sur ses genoux cet énigmatique attribut. L’assimilation partielle des Mères aux Parques (ou aux Nornes. N.D.L.R.) incite à reconnaître, dans les mains de la divinité centrale, le livre de la destinée, représenté, comme à l’ordinaire, sous la forme d’un rouleau (volumen), où se trouve écrit le sort du nouveau-né.
Voici donc le petit être humain qui ouvre les yeux sur le monde. Il est aussitôt l’objet de soins empressés. La corne d’abondance symbolise les chances de bonheur qui lui sont offertes. Cependant, cette vie est limitée dans le temps ; à peine est-il né que l’homme s’engage sur un chemin dont le terme est prévu. Parchemin en main, la puissante mère veille à l’irréversible déroulement des jours et des ans. Quand le rouleau fatal viendra un jour à épuisement, alors sonnera l’heure ultime, alors commencera la navigation vers l’au-delà, que nous laisse prévoir le bateau déjà glissé sous le pied de la déesse ou démone, ou de la fée. Si l’on préfère ce terme. En un raccourci saisissant, c’est donc tout le mystère de la naissance de l’homme, de son bref passage en ce monde, et de sa survie dans l’autre monde parallèle au nôtre que l’on appelle l’au-delà ; que nous proposent les triades des Bolards.
Ces Mères sont à l’origine de la notion médiévale de « fées » ou de « bonnes fées », se penchant sur le berceau des enfants, ou des trois Bethen en pays germaniques, mais cette croyance aux fées de type matres sera ensuite altérée par 2000 ans de mélanges de souvenirs sous la houlette du christianisme triomphant : à l’image des Mères de la nature, se sont ajoutées celles des Teutatès, humains ou animaux.
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IV LES TEUTATÈS OU MATRES VENIALES (PLUS LIMITÉS).
Les fées du type matres ou matrones sont des divinités ou des égrégores qui ont fait l’objet d’un véritable culte chez les Celtes romanisés et les Germains au contact de l’Empire romain. Il est attesté par l’existence de plus d’un millier de pierres votives ou d’autels qui leur sont dédiés, allant du Ier au Ve siècle ; et situés sur le Rhin inférieur, dans le nord de l’Italie, en Angleterre, et bien sûr en Gaule.
Ces fées de type matres ou matrones peuvent être représentées seules, par deux ou, le plus souvent, par trois. Il est alors possible d’y voir une représentation de la fille, de la mère et de la grand-mère (qui se distinguent non seulement par leur apparence physique, mais aussi par le fait que les vierges portent les cheveux dénoués). Les fées de type matrones portent des cornes d’abondance, des corbeilles de fruits ou de céréales. Elles tiennent ou allaitent parfois un enfant (matres mopates).
Elles sont donc non seulement dispensatrices de la fertilité du sol, mais aussi protectrices du mariage et de la maternité.
Plus de cent noms ou surnoms de ces fées de type matrones sont recensés. Ceux qui peuvent être interprétés renvoient tantôt à une tribu ou à un territoire (suebae : « suèves »), tantôt à leurs fonctions (nombreux noms dérivés de *gebô : « donner », tel que gabiae : « celles qui donnent »).
Ces bonnes fées du Celte moyen de l’Antiquité semblent avoir été invoquées dans les provinces rhénanes sous le nom de matronae, en Narbonnaise ou en Lyonnaise sous le nom de matres. Il y a néanmoins entre les fées de type matres et les fées de type matronae, ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, la même différence qu’entre un père et un patron. Dans le premier cas il y a filiation biologique, dans le second cas il n’y a qu’une filiation ou une subordination, spirituelle, voire sociale.
Une fée de type matra ou matrona était rarement isolée, le plus souvent on la voit représentée avec deux compagnes, l’une à sa droite, l’autre à sa gauche, mais chacune devait avoir sa personnalité, donc pouvait avoir son propre culte. Dans le domaine de la micro-toponymie (au niveau du lieu-dit ou du simple domaine), les fées de type « Bonnes Mères » se confondent donc tout naturellement avec l’échelon de base des teutatès.
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V LES TEUTATÈS OU MATRONAE SOCIOPROFESSIONNELS.
Les égrégores de catégories socioprofessionnelles.
Les teutates peuvent aussi être ceux de divers groupes non tribaux, non ethniques, non claniques. L’appellation romaine de « Mars » est chargée d’équivoque, aussi bien que sont trompeuses les figurations de ces « Mars » casqués, cuirassés, qui évoquent instinctivement l’idée de guerre ; alors que ce n’est nullement ce qui caractérise essentiellement le teutatis. On connaît en effet des « collèges » gallo-romains qui invoquent sous le nom de Mars le secours de leur génie collectif ; leur saint patron disent les chrétiens (si notre mémoire est bonne) ou lui rendant grâce pour des bienfaits accordés.
— Ulatis (en grec Oulatias) est un égrégore connu par une inscription (écrite en caractères grecs) trouvée à Collorgues en France (RIG I, G-184). Il semble s’agir de la déesse-ou-démone, ou fée, des Ulates ou Ulatti des Alpes, un anthroponyme comparable à celui des Ulates d’Irlande, et qui signifie « les seigneurs, les princes, ceux qui détiennent le pouvoir et la souveraineté ». Ulatis est donc l’égrégore de la classe des seigneurs.
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VI LES ANGES GARDIENS FAMILIAUX DU PAGANISME : LES MATRES LUBICAE OU MATRES NESSAMAE.
(Les fées de type matrae, matrai, mairae, matres, et autres matronae non spécifiques d’une profession.)
De ce mariage des teutatès (égrégores) et des fées de type matres est sortie l’idée des fées de type matres lubicae ou nessamae (proxumae en latin), gardiennes de la famille, voire de l’individu.
Autrement dit l’exact équivalent des Pénates ou des Lares latins. Ce genre d’égrégores est rarement l’objet d’un culte collectif dans des sanctuaires qui leur sont propres. La place de la déesse ou démone, ou fée si l’on préfère, était au contraire dans tous les foyers, car c’est une divinité domestique (« Mères domestiques », disent précisément certaines inscriptions), à laquelle on demande une protection de tous les instants.
On aurait pu dire « teutates nessami » au lieu de « matres nessamae », mais c’est sous l’appellation de « matres nessamae » et non sous celle de « teutates nessami » que les Celtes ont rendu hommage à cette notion druidique de base.
La fée de type matra lubica ou nessama (latin proxuma) aide en quelque sorte l’être humain à l’accomplissement de sa destinée ultime. Les rapports entre les fées nessamae domestiques et les hommes sont théophaniques et personnels, ou tout au plus familiaux. Dans la spiritualité druidique, l’individu n’est jamais seul. Il a une famille et donc outre ses ancêtres (principe de la communion des morts et des vivants *) un dieu ou âme/esprit protecteur du groupe, féminin, appelé matra lubica ou nessama (proxuma en latin).
Par des prières et des sacrifices renouvelés, l’être humain doit entretenir cette présence familière auprès de lui, car elle le protège.
Nos ancêtres appelèrent donc, comme nous venons de le voir, matrai lubicai ou nessamai puis matrae proxumae, ces sortes d’anges gardiens des familles. La fée de type matra nessama c’est l’énergie qui assure la cohésion de la famille, son feu vital, son destin. Bref sa bonne fée !
NB. Les Celtes antiques confiaient souvent leurs prières à ces fées de type matres nessamae qui les aidaient dans leur vie quotidienne. Sorte de conscience familiale, de personnalité spirituelle façonnée par les pensées, les paroles et les actes, la matra « nessama » guide et accompagne aussi l’âme/esprit du membre de la famille qui vient de mourir ; et la mène dans l’Autre-Monde ainsi que toute bonne fée qui se respecte.
Les sulèves sont une entité connue par des inscriptions découvertes à Rome, à Trèves et Alzey en Allemagne, ainsi qu’à Vienne-en-Val, dans le Loiret, en France. À Collias dans le Gard, la sulève est associée à Minerve et à l’élémentale de rivière, nommée Idennica (l’Eyssène) : Suleviae Idenniace Minervae. À Marquise, toujours en France, on la retrouve sous la forme Sulevis Junonibus, Sulevis Domesticus à Cologne en Allemagne et Sulevis Montanis sur une autre inscription.
Cette entité sera aussi honorée sous la forme d’une triade de fées (Matres Suleviae) à Bingen en Allemagne ; Budapest en Hongrie, Carlsburg en Roumanie, Ladenburg en Allemagne, Nassenfels en Allemagne, Nimègue aux Pays-Bas, Strasbourg et Lyon, Velleron et Venasque, en France.
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En Grande-Bretagne des inscriptions mentionnant ces anges gardiens du paganisme ont été trouvées dans le temple de Colchester : MATRIBVS SVLEVIS SIMILIS ATTI F CI CANT. Aux fées sulèves, Similis fils d’Attius, de la Cité des Cantiacorum.
Inscription trouvée à Bath [RIB 192] : SVLEVIS SVLINVS SCVLTOR BRVCETI F. Aux Sulèves, Sulinus Scultor, fils de Brucetus. Nom peut-être en rapport avec celui de la grande déesse ou démone, ou fée, de Bath : Sul ou Sulis. Ou alors du celtique *su – (bon, très) et *loudia – (conduire).
Elles ont parfois été assimilées à Junon, Diane, Cérès ou Cybèle, Vénus ou Minerve, mais elles ne ressemblent pas vraiment aux déesse-ou-démones ou fées, classiques, du monde gréco-romain, correspondantes.
Malgré donc cet incroyable colonialisme culturel, littéralement sans précédent, rendu possible par le total manque de fierté, de dignité, ou d’honneur, de beaucoup trop de Celtes de l’époque, le culte des mères a survécu ; ainsi que le prouvent les nombreuses figurines en terre cuite découvertes ici ou là.
On a découvert dans l’oppidum d’Argentomagus en France de nombreuses figurines permettant de constater qu’à l’époque romaine, beaucoup des Celtes d’alors gardaient encore de fortes attaches envers leurs divinités ancestrales, et notamment au culte des mères.
Elles sont de deux types. Soit en pierre, assises dans un fauteuil et tenant une corne d’abondance pleine de fruits (déesse-ou-démones ou fées, de la fécondité) ; soit en terre cuite, assises dans un fauteuil et allaitant leurs bébés au sein (déesse-ou-démones ou fées, nourricières, protectrices des enfants). Ces figurines de déesse-ou-démones-mères en terre cuite blanche se retrouvent partout, et témoignent donc de l’importance accordée, par les très-sachants de la druidiaction (druidecht), à la maternité, à la famille et au foyer.
On a également retrouvé dans les fouilles d’Argentomagus, d’innombrables statuettes en terre blanche représentant une pseudo-Vénus, une pseudo-Vénus protégeant avec son manteau 5 enfants d’âges différents, ce qui atteste la popularité de ce type de déesse ou démone, ou de bonne fée si l’on veut, dans les familles. Ces figurines en argile témoignent donc de conceptions ou de visions de la présence du divin encore largement répandues à l’époque romaine.
Dans l’Europe du Moyen-âge, ce culte du féminin sacré a perduré sous la forme des Vierges noires, ou par exemple sous la forme de diverses saintes. Comme celles vénérées à Worms en Allemagne (les trois Bethen), dont l’iconographie est identique à celle des fées de type matronae du temps de l’Empire romain les ayant précédés.
Leur souvenir fut également conservé sous la forme d’une cérémonie annuelle, encore en usage en Rhénanie et en Angleterre durant le haut Moyen-âge. La nuit des Mères, ou Modranecht, Mutternacht, qui avait lieu dans la nuit du 24 au 25 décembre. Voir à ce sujet le témoignage de Bède le vénérable.
« Ils commençaient leur nouvelle année le 8e jour des calendes de janvier [le 25 décembre] quand nous célébrons la naissance du Seigneur. Cette nuit par excellence, que nous jugeons si sacrée, ils avaient l’habitude de l’appeler du nom païen de Modranecht, c’est-à-dire « nuit des mères » à cause (du moins c’est ce que nous soupçonnons) des cérémonies qu’ils accomplissaient durant toute cette nuit-là ».
On dressait une table, on y laissait trois places vides pour les mères, et l’on festoyait la nuit durant. Ce qui était ainsi célébré, c’était le passage des mères de ce monde dans l’autre, et l’on pensait les accueillir au passage, leur offrir à boire et à manger pour les réconforter. C’est d’ailleurs là l’origine de notre Réveillon.
* Surtout évident le jour de Samonios, dont les chrétiens ont fait leur Toussaint.
Note de Pierre de La Crau retrouvée par ses héritiers dans un carton.
Ce concept se déclinait aussi au niveau strictement individuel cette fois-ci, sous les appellations de « genius cucullatus » ou de « matra sulevia ».
Les chrétiens se représentent leurs anges gardiens comme de simples serviteurs de Dieu, strictement individuels et restant extérieurs à leur personne. Les genii cucullati ou les matrae lubicae ou
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nessamae celtiques apparaissent plutôt à la fois comme la bonne fée de l’être humain, son prototype, son pôle céleste, son maître spirituel ou son ami de l’âme (anamocaros).
Cet être de lumière (au corps rendu bellissamos ou bellissama par la luan laith appelée xvarnah en Avestique) préfigure en quelque sorte l’être humain de l’au-delà. Le cucullatus ou la sulève n’est pas seulement la part de divinité qui accompagne l’âme/esprit dans son passage en ce monde ici-bas, elle est aussi le pôle céleste ou psychique de chacun des membres de la famille.
Ce double céleste qu’est le cucullatus ou la sulevia, est à la fois un modèle, une puissance protectrice et intermédiaire, et un psychopompe comme nous l’avons vu. Les cucullati ou suleviae permettent rendre visible à l’âme/esprit des membres de la famille ce que l’opacité du monde sensible leur rend invisible. La dualité du cucullatus ou de la sulevia et de l’âme, résulte de cette relation personnelle. L’être de lumière qu’est le génie du genre cucullatus ou sulevia en l’occurrence, accepte de se priver d’une partie de sa lon laith ou xvarnah, afin de guider l’homme en cette vie, pour qu’il devienne lui-même, intégralement.
La présence, imperceptible et continue, en chacun, du cucullatus ou de la sulevia, se manifeste dans toute action qui engage l’homme ou la femme dans le droit chemin. Honorer les dieux, être courageux et ne rien faire de bas. Les génies ou les êtres de lumière au corps bellissimos de type cucullatus ou sulevia peuvent agir sur l’imagination de l’homme, notamment pour lui apparaître en une sorte de théophanie domestique évidemment, un peu comme la Dame du lac apparaissant au roi des Bretons (Arthur).
Ces génies ou ces déesse-ou-démones, intérieurs, doivent être comme des familiers ou des bonnes fées se penchant sur notre berceau, qu’il faut apprendre à fréquenter. Il faut s’efforcer de les sentir invisiblement présents à notre vie, et de les aimer.
Le fin mot de cette notion druidique de base réside sans doute dans ce rapport intime entre les génies cucullati ou les bonnes fées de type sulevia et celui ou celle dont ils sont les véritables bonnes fées ou bon génie : l’être humain.
Les cucullati ou suleviae sont les prototypes spirituels des êtres humains définis ainsi, leur personnalité transcendante dont l’individualité humaine est provisoirement dissociée, mais qui s’efforce de la secourir durant son voyage sur cette terre. Trouver le Graal, c’est d’abord intérioriser son genius cucullatus ou sa sulevia, savoir reconnaître en soi la personnalité immanente transcendante de cette bonne fée ou de ce bon génie, l’actualiser, mais aussi la faire rayonner.
Cette notion de génies de type « cucullatus » ou de fées de type « sulevia », en tant que pôle céleste des familles ou prototype parfait des membres individuels de la famille, est également commune au mazdéisme et au chamanisme.
Elle peut donc servir à un début d’œcuménisme spirituel puisque judéo-chrétiens et judéo-musulmans l’ont reprise. NB. Sur l’interpretatio druidica ou graeca d’ailleurs voir notre analyse de la parabole d’Ogmios rapportée par Lucien de Samosate.
Les génies de type « cucullatus » et les bonnes fées de type « sulevia » sont des « divinités » très répandues. Un peu secondaires, certes, et très basiques, mais comme l’a dit le poète, les grandes divinités de la Celtie indépendante ce sont peut-être ces divinités à la fois anonymes et myrionymes, qu’on ne nommait pas, et qui avaient cent épithètes, comme Isis.
Ce concept druidique de base voire même prédruidique a longtemps survécu au sein du petit peuple malgré la romanisation et l’incroyable colonialisme culturel mondial qui en résulta. Un colonialisme culturel fondé d’une part sur un invraisemblable mépris du droit inné à la différence ; et d’autre part sur une non moins grande servilité de la part de beaucoup, à l’égard des puissances d’argent. Tout à fait analogue à la situation que les Anglais ainsi que les Français sans oublier les Espagnols et les Portugais, ont imposée dans leurs colonies au XIXe siècle d’ailleurs. La servilité des hommes et des femmes à l’égard des puissances (d’argent) dominantes ne cessera jamais d’étonner. Il n’a donc jamais manqué de notables ayant accepté, à l’époque, en terre celte, de vendre leur âme, ainsi que l’âme de leur pays ou de leur civilisation ; en échange de quelques miettes de pouvoir ou de trente deniers.
Fin de la note de Pierre de La Crau retrouvée par ses enfants.
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DOLB ET INDOLB.
L’idée que l’être humain est accompagné toute sa vie par un gardien est très ancienne. Notre gentil seigneur de Muirthemné, le hésus Cuchulainn, défendit un jour un gué avec l’aide de deux alter ego invisibles, Dolb et Indolb, contre un ancien compagnon d’armes nommé Ferdiad (Tain bo Cuailnge).
Notre ami Rodney C. Mackay note à ce sujet que les personnages extrêmement importants pouvaient avoir jusqu’à trois de ces gardiens invisibles.
Auquel cas on pourrait évidemment penser que le commun des mortels n’en avait qu’un.
Notre correspondant canadien pense que Dolb et Indolb étaient les équivalents des Nornes nordiques : « certains sont de la race des dieux, mais d’autres sont de la race des elfes ; et les troisièmes de la race des nains » (d’après les Eddas). Ils aidaient à la mise au monde des personnages éminents, en leur octroyant des talents bénéfiques ou néfastes, voire en prédisant parfois le futur du nouveau-né ».
Nous ne sommes pas tout à fait d’accord avec cette assimilation, qui nous semble être une confusion avec le rôle des matres ou des fées, se penchant sur le berceau des nouveau-nés.
Plus intéressant par contre nous semble la remarque du néo-druide qui observe que le mot « elfe », figure sous la forme « alp » dans beaucoup de noms propres germaniques tels Alphart ou Alprich, mais a été remplacé après la christianisation par le mot engel (« ange ») par exemple dans les cas d’Engel-hart ou Engel-rich.
Notre avis est que peu importe le nom que l’on donne à ces entités (elfe, génie, ou cucullatus) ainsi que leur nombre (1,2, ou 3). Ce qui compte c’est de savoir s’il s’agit au départ d’une entité extérieure ou intérieure à l’être humain.
Selon Rodney C. Mackay les chrétiens et les hommes du Nord pensaient que de telles entités venaient de l’extérieur de l’être humain. Les Irlandais christianisés aussi apparemment.
Mais notre conviction à nous est qu’il s’agissait dans tous ces mythes de forces venant du plus profond de l’homme, et qu’elles étaient représentées parfois sous une forme triple correspondant aux trois âges de l’être humain : enfant adulte et vieil homme.
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DU GÉNIE OU DE LA BONNE FÉE DE LA FAMILLE… AU GÉNIE OU À LA BONNE FÉE DE L’INDIVIDU.
CUCULLATI OU MATRES SULEVIAE
(ANGES GARDIENS INDIVIDUELS DU PAGANISME).
Il existe bien d’autres égrégores humains, y compris conçus sous une forme masculine par les très-sachants de la druidiaction (druidecht) et notamment ce véritable ange gardien de l’individu qu’est le genius cucullatus ou télésphore celte.
Plus logique que les judéo-islamo-chrétiens, les Celtes, eux, avaient en effet des anges gardiens de sexe masculin pour les hommes (le cucullatus) et des anges gardiens de sexe féminin pour les femmes (la sulevia). Mais les Celtes avaient une curieuse conception de cet ange gardien personnel ou individuel des hommes. Pour eux, un tel ange gardien pouvait parfois être triple, sans doute pour convenir aux trois grands âges de la vie de tout homme : le jeune garçon, l’adulte, et le vieil homme.
Et les anciens druides avaient aussi une curieuse conception de cet ange gardien personnel ou individuel des femmes. Pour eux, un tel ange gardien pouvait parfois être triple, sans doute pour convenir aux trois grands âges de la vie de toute femme : la jeune fille, la mère, et la vieille femme.
On trouve donc cet ange gardien des femmes selon le druidisme, mentionné soit au singulier (sulevia) soit au pluriel (suleviae).
L’étymologie du nom (–su-levia) fait penser à une signification du genre « celle qui guide – levia – bien – su –. Mais sans doute pas au sens militaire guerrier ou politique du terme. Ce qui est certain en tout cas c’est que ce vocable est fréquemment associé à des naissances ou à des nouveau-nés. Comme il s’agit d’anges gardiens des femmes, les temples dédiés à ces suleviae se trouvent en effet souvent à proximité de fontaines ou de sources thermales.
La forme plurielle (quand on s’adresse à ces anges gardiens des femmes, de façon collective, par exemple dans une prière aux anges gardiens, du sexe féminin) est attestée à Rome (au Capitole) sous la forme de dédicaces aux matribus sulevis (plusieurs inscriptions : au moins 9).
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le préciser ci-dessus, mais il n’est pas inutile de le rappeler, plus de 40 inscriptions mentionnant un ou plusieurs de ces anges gardiens des femmes, exact équivalent donc de la « juno » romaine, ont été trouvées en Roumanie (Alba Iulia), en Hongrie (Budapest), aux Pays-Bas (Nimègue), en Suisse, en Italie, et ainsi de suite.
À Marquise (département français du Pas-de-Calais. CIL XIII, 3561) ces anges gardiens sont invoqués sous l’appellation Sulevis Iunonibus.
Sulevis Iunonibus sacr(um) L(ucius) Cas(sius) Nigrin[.
À Cologne en Allemagne (CIL XIII, 12056) ils sont désignés sous l’appellation Domesticae, ce qui les rapproche incontestablement des bonnes fées protectrices de la famille du type matres proxumae ou autres.
Sule[v]is Domest[i]cis suis Fab[i] Ianarius [et] Bellator [et] Iullus l[l]m.
À Collias (département français du Gard), un tel ange gardien est associé à Minerve et à l’élémental de rivière, nommé Idennica (l’Eyssène).
Mais cela nous l’avons déjà vu.
Que nous apprend maintenant le Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines de Daremberg et Saglio à propos de ce concept religieux dans le monde romain (sous la plume de J. A. Hild) ?
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[PREMIER POINT DE CONTACT AVEC LA RELIGION DRUIDIQUE.]
Dans la vieille langue latine, le même génie servait à expliquer tous les accidents de la vie, on l’avait tour à tour bon ou mauvais : propitium, iratum, sinistrum habere. Il naissait avec chaque homme, il mourait avec lui, c’est-à-dire qu’il rentrait au sein de l’âme universelle dont il était l’émanation. C’est la doctrine qu’Horace exprime dans les vers ci-dessous :
Scit Genius, natale comes qui temperat astrum.
Naturae deus humanae, mortalis in unum
Quodque caput, voltu mutabilis, albus et ater.
Le genius est en définitive la personnification religieuse de la puissance secrète et mystérieuse (vis abdita quaedam) qui tient lieu de divinité à l’épicurisme de Lucrèce ; dans la littérature, qui s’est nécessairement imprégnée de beaucoup de philosophie, ce genius joue le même rôle que le daemon des Grecs : il exprime ce qu’il y a de plus subtil dans la conception de l’être divin. Pour la foi populaire, il sert à rendre l’être divin présent à tous les degrés de la réalité, avec la double qualité de producteur et de conservateur ; la conservation n’étant qu’une création successive, comme l’action dans les individus n’est que la manifestation de leur force intime.
Les premiers témoignages relatifs au culte du Genius dans la religion romaine ne remontent pas au-delà de la Seconde Guerre punique ; et il n’en est point où l’on ne sente l’influence des idées grecques sur le daemon et bientôt celle des doctrines stoïciennes. Il n’en est pas moins certain que le Genius a fait partie, avec les Lares, les Pénates et les Mânes, des plus anciennes divinités du Latium. Souvent confondu avec ces âme/esprits d’essence latine et romaine, il semble désigner un genre dont ils sont les espèces, la notion générale dont ils détaillent les aspects divers. Étymologiquement, les anciens ont rattaché le nom de genius à gens, geno ou gigno quelquefois (par une erreur de linguistique qui n’est pas sans intérêt pour l’explication du rôle du genius) à gero. C’est la force qui engendre au point de départ et qui conserve dans leur individualité propre jusqu’à leur destruction, et l’être de l’homme et les êtres de raison que l’homme s’est forgés à sa propre image (les dieux)…
Le genius est avant tout la force divine qui engendre : genius nominatur qui me genuit ; il est l’auteur de la race des hommes, generis nostri parens. La première manifestation de son action date de l’union des sexes ; le lit nuptial est sous sa protection spéciale, c’est pour cela qu’il est appelé genialis. Toute atteinte portée à la sainteté du mariage est un crime contre le génie…
Par cette identification du genius avec tout acte bon et agréable, on explique l’emploi du mot genius chez les comiques, qui en associent la mention à celle d’une rencontre heureuse ; d’un ami par exemple que l’on retrouve d’une façon imprévue. Il y a là comme un hommage à l’adresse de l’influence qui procure de la bonne humeur, à l’instant même où on l’éprouve ; dans ces cas-là, l’intervention du Genius est semblable à celle de Fortuna.
Après s’être appliqué d’abord à la couche nuptiale, aux idées ainsi qu’aux personnes dont cette couche suggère l’idée ; l’adjectif genialis s’applique aux dieu-ou-démons qui signifient abondance, joie, prospérité ; à Bacchus, à Cérès, à Saturne, aux saisons où l’homme goûte en paix les fruits de son travail, à tout ce qui dans la vie est heureux, fécond. C’est par là que dès l’Antiquité, genius, tout comme l’adjectif genialis, et même, en certains cas, ingenium, en sont venus à signifier la plénitude des facultés intellectuelles, l’heureuse facilité de l’esprit à enfanter des conceptions belles et originales.
Le genius, qui a présidé à l’acte de la génération, se manifeste surtout le jour de la naissance. C’est lui qui détermine le caractère individuel de l’être qui vient à la lumière ; qui va être à la fois le principe directeur de ses actes, le gardien de son existence, et l’explication idéale de ce qui lui est réservé d’heureux ou de contraire.
À ces divers titres, le genius natalis rappelle, trait pour trait, le daemon des Grecs. Il est difficile de dire, dans le plus grand nombre des cas, si les auteurs qui le font intervenir puisent à la source des croyances purement romaines ; ou s’ils accommodent, suivant les idées grecques, une notion beaucoup plus vague de la vieille religion populaire. Il semble ; par l’emploi que l’ont fait du genius les comiques, et plus particulièrement Plaute, le plus latin d’entre eux, pour qui le génie est simple et un ;
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que la multiplication des génies individuels, variant d’un homme à l’autre, et double chez chacun d’eux, soit due à l’influence de la littérature et de la philosophie grecques.
Lucilius le premier, suivant donc en cela les idées d’Euclide le socratique, admit pour chaque homme deux génies, l’un bon, l’autre mauvais ; qui expliquent, chacun pour sa part, ce qu’il y a d’heureux ou de malheureux, de vertueux ou de coupable dans les existences.
À plus forte raison n’est-ce plus le même genius qui répand sur tous les hommes une influence égale ; le genius se fait individuel, et variant aussi en énergie ou en qualité morale ; il y a des génies plus puissants les uns que les autres et, dans la lutte des ambitions rivales, c’est leur force respective qui explique le résultat ; ainsi un prêtre égyptien apprend-il à Antoine que c’est son génie qui cède devant celui d’Octave. Les deux génies apparaissent à l’empereur Julien, l’un, expression de sa bonne fortune, avant son élévation au trône ; l’autre, d’allure désespérée, voire à l’aspect terrifiant, après son expédition contre les Perses. Brutus et Cassius ont reçu tous les deux, avant leur chute, la visite du mauvais génie en qui s’incarnait leur funeste destinée.
Note de Pierre de La Crau. La religion perse antique (zoroastrisme mazdéisme) connaissait déjà la notion d’ange gardien (fravashi). Nous sommes plus étonnés par contre par la notion de démons gardiens qui ne semble pas de Zoroastre, mais grecque et romaine apparemment. Et donc peut-être également druidique. Mais dans ce cas et contrairement au zoroastrisme il devait s’agir d’un dualisme très relatif. Reste évidemment l’hypothèse que ce soit un énième délire verbal du christianisme qui a la fâcheuse manie d’appeler démon au sens très péjoratif du terme toute puissance surhumaine qui ne vient pas de son petit dieu tribal (ou plus exactement de douze tribus, le dieu d’Abraham d’Isaac et de Jacob. Même chose d’ailleurs avec le Allah de Mahomet qui au départ n’était que le dieu principal de La Mecque).
[DEUXIÈME POINT DE CONTACT AVEC LA SPIRITUALITÉ DRUIDIQUE.]
Le genius est une âme/esprit de nature mâle, il ne figure que dans l’existence des hommes, ce qui prouve une fois de plus qu’il fut originairement le principe divin de la génération : tutela generandi. Le rôle qu’il remplit vis-à-vis de l’homme, est exercé auprès de la femme par la Juno individuelle, laquelle doit être tenue pour la tutela pariendi ; ce n’est en somme qu’une application à tous les cas particuliers, de l’idée de Juno Lucina, qui préside à l’enfantement. Pour tout le reste, les Genii et les Junones sont semblables. La Juno était appelée natalis comme le Genius, et une femme expliquait les malheurs de son existence en se référant à sa Juno irritée (Junonem iratam habere).
Ce génie individuel était l’objet d’un culte très simple qui a laissé de nombreuses traces, grâce aux inscriptions votives érigées en son honneur. Il était d’usage de lui sacrifier, au jour anniversaire de la naissance ; les offrandes qui lui étaient destinées avaient les caractéristiques d’une pieuse simplicité ; puisqu’elles ne comportaient aucune effusion de sang.
Elles consistaient surtout en vin, symbole de gaieté de joie et de vigueur, en fleurs, image de la beauté qui passe, en gâteaux ; le sacrifice était suivi de danses. Horace associe le culte du genius aux réjouissances champêtres par lesquelles les anciens laboureurs du Latium célébraient la fin des travaux ainsi que le repos hivernal ; tandis que Tellus reçoit le sacrifice d’un porc, et Silvanus celui du lait, Genius, qui sait combien la vie est courte, est honoré par des fleurs. Ailleurs cependant, il est question du sacrifice d’un chevreau ou d’un porc, en son honneur : il est évident que ces deux victimes rappellent sa qualité de dieu-ou-démon de la génération.
On signale aussi le recours à de petites amphores de vin, symbolisant du sang, que l’on abandonnait en l’état, ou dont on versait le contenu en un lieu approprié, après les avoir débouchées, ou en avoir brisé rituellement le col. Peut-être par un geste analogue à celui qui consiste à « sabrer » une bouteille de champagne, de nos jours.
Dans la vie ordinaire, on jurait par le génie, soit par le sien propre, soit par celui d’un ami ou d’une maîtresse. Le serment par le genius se faisait en se touchant le front, siège de la force intelligente qui préside à la vie……
La Juno de la femme est peinte avec le Genius du mari dans le laraire d’une maison de Pompéi. C’est dans la vague notion de la survivance de la personnalité humaine après la mort que le genius confine à des âme/esprits généralement considérées comme distinctes de lui ; aux mânes, aux lares et aux pénates, qui ont sur lui l’avantage de représenter des personnifications plus précises…
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On signale aussi des inscriptions tombales où l’idée de Genius redouble celle des Mânes : Genio et Manibus. Aux Parentalia on honorait le genius des ancêtres, tout comme Énée vénère celui de son père Anchise, en leur offrant des guirlandes de fleurs, des graines infusées dans du vin, du sel et des violettes. Ovide, parlant des Larentinalia, dit que ces fêtes sont les bienvenues pour les génies : geniis accepta. Sur une lampe sépulcrale, un personnage voue son génie aux dieu-ou-démons souterrains : Helenius suom geniom dis in feris mandat. Dans les calendriers de la fin de l’Empire, les Feralia sont appelés Genialia, et les jeux célébrés en l’honneur des morts, genialici…
Au sein de la famille romaine, le lar demeure plus spécialement l’âme/esprit divine où s’incarne une race ; le genius est le gardien particulier des individus qui la renouvellent. Quant aux Pénates, il semble que ce mot ne soit qu’une simple épithète désignant tantôt les Lares, tantôt les Génies, dans leur fonction de pourvoyeurs du garde-manger. Les inscriptions en l’honneur du Genius domus, domus suae sont à l’intention même des Pénates. Il arrive cependant qu’on les distingue, comme dans le vers où Horace les prend à témoin : Quod te per Genium dextramque deosque Penates obsecro et obtestor.
Nous avons déjà dit que le genius des Latins a toute la variété des aspects du daemon des Grecs ; cette identité de nature contribua sans doute beaucoup à introduire dans la littérature, et par elle dans la pratique de la vie, des usages et des croyances qui n’étaient pas indigènes en Italie. Chose assez singulière ! Cicéron, à qui s’était offerte mainte occasion de parler du genius, n’en prononce même pas le nom ; quand il doit traduire le mot grec daïmôn, il se sert du mot lar ; mais, après lui, c’est bien genius qui sert à cela. De même que daïmôn n’est pas seulement associé dans le langage à tychê, mais que, souvent, il se substitue à elle, ainsi Genius est-il parfois identique à Fortuna : on a pu dire que la tychè de chaque homme est son génie. Dans certaines inscriptions Genius joue auprès de Fortuna le rôle du dieu mâle auprès de la divinité femelle, comme le bon Daemon à côté d’Agathè Tychè.
Une particularité qui distingue le genius des Latins du daemon des Grecs, c’est qu’il est mis par la piété au rang des dieu-ou-démons personnels ; il en représente, par une sorte de raffinement, la divinité idéale, par opposition avec leur expression anthropomorphique. Cette forme du culte des génies est même assez ancienne en Italie, témoin l’inscription de l’an 38 avant notre ère du temple de Jupiter Liber, à Furfo ; le génie de Jupiter y est distingué de Jupiter lui-même. Arnobe nous cite le passage d’un ancien érudit, probablement Caecina, l’ami de Cicéron, où le génie de Jupiter, Genius Jovialis, est cité parmi les quatre Pénates d’Étrurie ; c’est là un des documents sur la foi desquels on a cru pertinent d’attribuer à la civilisation étrusque, la croyance aux génies, que l’on retrouve chez les Latins ; pourtant le genius des dieu-ou-démons est d’un usage courant et vraiment populaire chez ces derniers. Des inscriptions et des textes mentionnent les génies de Jupiter, de Juno Sospita, d’Apollon, de Mars, d’Esculape, de Priape, du Sommeil et même de personnifications morales comme Fama, Virtus et Virtutes.
Cette distinction du genius d’un dieu-ou-démon et de sa personnalité s’avérait surtout commode pour les Romains en pays étranger ; elle leur servait à préparer l’identification des divinités exotiques avec celles de la religion nationale, à concilier, dans la pratique, le culte romain rendu au genius, avec l’hommage qu’ils tenaient à rendre aux dieu-ou-démons des vaincus. C’est ainsi que nous avons des inscriptions en l’honneur du génie de Mercurius Alaunus, ou de Jupiter Dolichenus, qui sont des divinités celtiques. Une inscription trouvée dans le département français de l’Indre, et que l’on doit faire remonter au règne d’Auguste, est en l’honneur de la divinité impériale et du génie d’Apollon Atepomarus. NUM AU (g) ET GENIO APOLLINIS ATEPOMARI.
Cette inscription est intéressante à double titre ; en ce que l’épithète donnée au dieu-ou-démon romain est encore nouvelle ; et en ce que l’hommage, rendu à la fois à la divinité d’Auguste et au génie d’Apollon, rappelle la légende de l’empereur issu du serpent mystérieux qui aurait eu des relations avec Atia.
Il apparaît bien, par ces divers témoignages, que les génies des grands dieu-ou-démons sont autre chose qu’une émanation affaiblie de leur divinité ; autre chose que des messagers ou des serviteurs, chargés d’exécuter parmi les mortels les œuvres où ne devait point se commettre leur majesté ; ce que sont les daimones propoloi des Grecs. Cette dernière opinion se heurte à ce fait caractéristique que, même dans le cas où les divinités personnifiées sont prises au pluriel comme les Forinae ou les
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Virtutes, le genius est toujours au singulier. On ne saurait admettre davantage que le genius des dieu-ou-démons ne soit jamais que leur numen localisé, grâce à une sorte d’extension de la notion de genius loci. Le genius des dieu-ou-démons a été conçu, absolument comme celui des hommes, pour exprimer, sous une forme plus liée à leur personnalité anthropomorphique que le numen, leur action morale ; il est leur ingenium. Tel est le sens du génie de Priape chez Pétrone, de celui de Fama chez Martial.
On ne saurait nier toutefois, que les procédés de localisation n’aient joué un certain rôle, lorsque la piété, toujours en quête d’aliments nouveaux, s’ingénia ensuite à séparer le genius du dieu-ou-démon lui-même…
Avant les temps mêmes du syncrétisme religieux, le genius en vint de la sorte à servir de trait d’union entre le monde des dieu-ou-démons, et la nature des humains. Aufustius, un archéologue contemporain de Cicéron, l’appelait : deorum filius et parens hominum. Mais c’est là un point de vue où la spéculation religieuse tombe dans la pure philosophie.
Celle-ci, du reste, ne pouvait manquer d’exploiter l’idée du genius, tout comme les Grecs se servaient du daemon, pour se donner un air d’orthodoxie, et soumettre à l’interprétation rationaliste les idées populaires sur les dieu-ou-démons. Varron, après avoir placé le genius parmi les dei selecti, entre Saturne et Mercure, fait de lui l’âme raisonnable de l’homme (son esprit), par opposition avec les facultés inférieures et les passions…
Au-dessus de tous ces génies particuliers, souvent nommés avec eux, plane le génie des empereurs, associé depuis Auguste au culte des Lares public. Lorsqu’il remit en honneur la fête des Compitalia, il fit placer dans chacune des chapelles de quartier (il y en avait 265), entre les deux Lares, l’image de son propre génie ; et le Sénat décréta que dans toutes les maisons, au début de chaque repas, on ferait des libations au génie de l’Empereur, comme les Grecs en faisaient au bon daemon. Alors aussi commença l’usage de jurer par la divinité (numen) ou par le génie du souverain, ce que les Grecs traduisaient par sa tychè ; ce fut en vain que Tibère préféra se raidir contre cette forme d’apothéose. La pratique de ce serment et l’hommage au génie impérial devinrent obligatoires ; ceux qui contrevenaient à cet usage étaient punis par la bastonnade. J. A. Hild.
Voici maintenant ce que nous dit ce même Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines de Daremberg et Saglio du cucullatus, ou plus exactement de son équivalent gréco-romain, Telesphorus.
I MYTHOLOGIE. Divinité d’importance secondaire de l’entourage d’Asklépios et d’Hygie, n’apparaissant qu’à la fin de l’époque hellénistique. Les sources littéraires, épigraphiques, et les monuments figurés de Télesphore, datent, dans leur ensemble, du temps de l’Empire romain. Les rares auteurs anciens qui parlent de Télesphore ne nous disent ni à quelle époque, ni dans quel pays, ni à la suite de quelles circonstances, s’est constitué le culte de Télesphore ; ni pour quels motifs on l’associa si étroitement à celui d’Asklépios et d’Hygie. Les savants modernes ne semblent pas avoir réussi à expliquer d’une manière satisfaisante le nom de Télesphore par l’étymologie grecque. Pour les uns, c’est le génie de la convalescence, conception que partagent encore plusieurs savants. Pour d’autres, c’est une divinité qui donne la santé ou qui la préserve des maladies qui la menacent. On le considère aussi comme un génie de la médecine magique, un démon des rêves guérisseurs, ou un dieu du sommeil, analogue à l’Hypnos gréco-romain [somnus]. Certains critiques, s’autorisant de l’opinion d’Aristide le rhéteur, et de Pausanias, considèrent Télesphore comme un dieu-ou-démon de Pergame, ou comme l’Akésis d’Épidaure ; d’autres, comme originaire d’Asie Mineure ; d’autres encore le croient de provenance celtique. Salomon Reinach, se fondant sur le caractère trompeur de l’étymologie grecque de Télesphore, sur la provenance septentrionale de son costume, et sur une ingénieuse interprétation d’un texte de Pausanias ; qui indique, selon lui, l’adoption d’un culte étranger à Pergame, sur l’ordre d’un oracle ; estime que Télesphore est une divinité d’origine barbare qui, venue peut-être de la Thrace ou de l’Illyrie, s’est introduite à une époque récente dans le Panth-éon gréco-romain. Quoi qu’il en soit, c’est à Pergame que le culte de cette divinité prit, au IIIe siècle de notre ère, une importance considérable. C’est aussi de cette ville que provient le texte le plus ancien qui la mentionne. Le rhéteur Aelius Aristide, dans ses discours sacrés, considère Télesphore comme
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le collaborateur d’Asklépios. Il se révèle en songe aux malades, en compagnie du dieu-ou-démon de la médecine. Le gouverneur d’Aristide, Nérite, a vu deux fois, dit-il, Asklépios, accompagné de Télesphore, lui apparaître en songe. Il a reçu un baume avec des instructions sur la manière de l’employer. Télesphore ne se borne pas néanmoins à jouer ce rôle de collaborateur d’Asklépios ; il exerce lui aussi, en songe, une influence personnelle sur les malades. Lors d’une autre vision, il apparaît seul audit Aristide lui-même, en projetant devant lui une lueur comparable à la lumière du soleil. Le philosophe Proclus a une apparition analogue. Ces diverses apparitions présentent les caractères principaux des visions de l’incubatio. Les divinités apparaissent aux malades sous une apparence belle et juvénile, entourées d’une lueur mystique, et disparaissent d’une manière subite…
III REPRÉSENTATIONS FIGURÉES. La plus ancienne représentation de Télesphore serait celle qui figure au revers d’une monnaie des Ségusiaves (58 à 27 avant notre ère) où l’on croit le reconnaître en compagnie d’Hercule, s’il était certain que ce soit là son image. Il s’agit d’un homme portant une longue tunique, mais sans capuchon et les pieds nus.
Le revers d’une monnaie de Nicée (Bithynie), frappée sous Antonin le pieux, nous montre Télesphore sous l’aspect d’un petit personnage debout, vêtu d’un ample manteau à capuchon relevé sur la tête. Sa figure reste seule visible, ses bras sont dissimulés sous le manteau. Le revers d’un petit bronze d’Aegae en Cilicie, datant du règne de Philippe le père, d’Otacilie et de son fils, nous présente Télesphore entre Asklépios et Hygie, groupés sur la façade d’un temple hexastyle. On a proposé plusieurs hypothèses pour déterminer l’origine du manteau à capuchon de Télesphore. Les uns le croient venu d’Asie Mineure, d’autres de pays celtes ou thraces [cucullus]. Il passe aussi pour un vêtement de convalescent, ou un symbole des mystères de la médecine magiques, voire un vêtement de nuit. Sur un diptyque d’ivoire du British Museum, on remarque à gauche d’Asklépios un Télesphore lisant un rouleau développé. Le Télesphore du groupe de l’ancienne collection Strangford, au British Museum, porte à son cou une sorte de boîte pouvant contenir un charme ou une amulette. Sur une monnaie de bronze de Pergame, Télesphore tient une branche d’arbre. La belle statue de marbre de Télesphore de l’ancienne collection Foucault, ainsi que celle de marbre rouge du musée Torlonia (Rome) le montrent enveloppé dans son manteau jusqu’à mi-jambe ; le capuchon ne laisse à découvert que le visage. M. D. Vaglieri a découvert tout récemment, à Ostie, une statuette de terre cuite de Télesphore assis sur un socle. De chaque côté, on remarque une sorte d’autel ; sur l’un est un cochon ; on croit distinguer sur l’autre des épis de blé, sans doute symboles du culte de Déméter, dont on constate les relations étroites avec les cultes d’Asklépios et de Télesphore. On désigne peut-être à tort sous le nom de Télesphore des statuettes gallo-romaines de bronze trouvées en diverses localités françaises. GASTON DARIER.
Ci-dessous ce que nous rappelle Dyfed Lloyd Evans à propos du Genius Cucullatus ou des Genii Cucullati (génies encapuchonnés).
On désigne sous ce nom toute une série d’images connues dans les anciennes provinces celtes de l’Empire romain. Le nom vient d’une découverte effectuée dans les ruines d’un temple situé à Wabelsdorf en Autriche, et fouillé par Rudolf Egger. Deux grands autels y avaient été installés, qui représentaient une figure portant un manteau à capuchon, avec une inscription latine « genio cucullato » (= au génie encapuchonné). Nom faisant visiblement allusion au vêtement porté par ce personnage (cucullus). De semblables représentations trouvées en Grande-Bretagne et en Gaule ont donc été appelées ainsi.
Elles semblent figurer soit des géants (cavaroï) soit des nains (corroï) et quelques-unes arborent un phallus sortant du manteau ouvert.
En Grande-Bretagne, les cucullati sont toujours de petites statures, et vont par trois. Ils sont tous pareillement recouverts d’un même manteau. Ils ont des symboles sexuels évidents : des œufs ou des bourses. Pour autant, de tels symboles ne sont pas inconnus du Continent, puisque l’on retrouve les œufs sur une sculpture en bois trouvée à Genève, et les bourses sur une représentation trouvée dans le temple des Xsulsigiae à Trèves.
En Grande-Bretagne comme sur le Continent, ces déités sont souvent représentées tenant des parchemins ou des livres en rouleau, sans doute pour évoquer la science médicale (voir l’exemplaire trouvé à Reculver dans le Kent) ou une quelconque comptabilité.
Ils ont en général une indéniable apparence phallique, bien que le genre de ces génies (masculin ou féminin) soit dans certains cas peu évident. Certains spécialistes affirment qu’ils sont tous de sexe masculin, mais dans le cas des exemplaires trouvés à Housesteads, seule la figure centrale est
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indubitablement masculine. Les deux autres étant plus ou moins féminines. Peut-être s’agit-il, comme dans les cas des triades de fées de type matres, de représenter les différents âges de la vie. La figure centrale représente un homme d’âge mûr et les deux autres figures de jeunes adolescents.
Une des différences notables entre Télesphore et le genius cucullatus, est le fait que, dans la plupart des cas, le télesphore n’a pas de chaussures. Pour ce qui est de la Grande-Bretagne, l’origine celtique de ces triples représentations est incontestable. Il n’en va pas de même sur le Continent où les genii cucullati, sous une triple forme, n’ont été trouvés que dans un seul cas : une tablette d’argile découverte à Kärlich en Allemagne.
Toutes les autres trouvailles ou découvertes concernent, non des genii cucullati sous une triple forme, mais des individus isolés.
Waldemar Deonna dans son essai intitulé : De Télesphore au « moine bourru », soutient la thèse qu’il y a eu interpretatio romana et rapprochement donc entre un concept druidique et un dieu-ou-démon romain ou grec. Un cas exemplaire de ce rapprochement est la représentation trouvée à Nîmes en France. Le genius cucullatus a les pieds nus comme Télesphore, mais le reste de l’iconographie est clairement celte, et tout à fait comparable au genius cucullatus trouvé à Netherby dans le Cumberland, le long du Mur d’Hadrien.
Les dépôts de petits cucullati gravés dans les tombes signifient peut-être que cette déité avait un rôle psychopompe, en plus de ses liens avec la fertilité ou la santé. Et que c’était un protecteur de l’être humain, de la conception jusqu’à la mort.
N.B. Il ne faut pas confondre les anges gardiens quasiment individuels, du paganisme, que sont les genii cucullati, pour les hommes et les fées de type matres suleviae pour les femmes ; avec les fées de type Matres lubicae ou nessamae (« proxumae » en latin) qui sont des anges gardiens de la famille ; les fées de type Matres veniales qui sont les anges gardiens de la famille élargie (= le clan) ; et les fées de type Matres Totales (= déesse ou-démones, ou bonnes fées, de la Tribu) ; ou les Matrones qui sont les anges gardiens d’un groupe humain étroitement uni, mais pas nécessairement par les liens du sang.
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ANNEXE 1.
L’ÂME DE L’HUMANITÉ ?
Psyché est un personnage mythologique qui apparaît dans le roman d’Apulée, les Métamorphoses, épisode probablement inspiré d’un original grec. Personnification de l’âme, elle est représentée sous sa forme d’humaine cherchant à retrouver l’amour d’Éros, ou alors sous sa forme de déesse, avec des ailes de papillon, l’allégorie de l’âme.
Et bien nous avons la même chose en Irlande avec l’histoire de la belle et malheureuse Etain/Etanna.
Etanna est un personnage mythologique qui apparaît dans plusieurs légendes irlandaises, dont le Tochmarc Étaine (la Courtise d’Étaine), le Fled Bricrend (le Festin de Bricriu) et le Lebor Gabála Érenn (le Livre des conquêtes de l’Irlande) ; probablement inspirées d’un mythe panceltique antérieur. Personnification de l’âme, elle est représentée sous sa forme d’humaine cherchant à retrouver l’amour de Mabon/Maponos/Oengus, ou alors sous sa forme de déesse, avec des ailes de papillon, l’allégorie de l’âme.
Note de Pierre de La Crau sur feuille volante et insérée par ses héritiers à cet endroit du manuscrit sous le titre de leur choix.
Étanna, dans les légendes irlandaises, est une déesse ou démone, ou fée, primordiale, dont le nom signifie « poésie ». Connue aussi sous les noms d’Étan et Étaine, elle apparaît dans plusieurs récits mythiques, dont un fortement christianisé où elle figure l’âme de l’Irlande tiraillée entre le paganisme et le christianisme, et intitulé « la nourriture de la maison des deux seaux à lait » (Altrom Tige Da Medar).
Elle est la fille de Diancecht (ou de Riangabair selon certaines sources), l’épouse du roi Eochaid Airem sur terre, et du dieu-ou-démon Medros/Midir dans le sidh (l’Autre Monde des Celtes). Par jalousie, Vocusmnaca/Fuamnach, la première épouse de Medros/Midir, la transforme en mare d’eau en la touchant avec une branche de sorbier (une baguette magique), puis en mouche, qu’un vent magique emporte dans les airs pendant sept ans. Elle devient enfin un moucheron minuscule et tombe dans une coupe de bière. Sous cette forme, elle est avalée puis « re-mise au monde » par l’épouse du roi d’Ulster, Etar.
Étanna épouse Eochaid Airem, le roi des rois d’Irlande, mais Medros/Midir, qui veut la récupérer, propose au roi une partie d’échecs, ou plus exactement de tablut, dont l’enjeu est sa propre femme. Eochaid perd, mais ne tient pas parole et chasse le dieu-ou-démon de sa capitale, Tara. Medros/Midir parvient néanmoins à revenir dans la ville et dans le palais, puis rejoint Étanna. Tous les deux se transforment en cygnes et s’envolent. Le roi les poursuit dans tous les sides du pays, mais le dieu-ou-démon usera de sa magie pour le berner : il transforme cinquante jeunes filles en sosies d’Étanna, et demande à Eochaid d’en choisir une, une seule. Le roi s’exécute et, sûr de son choix, couche avec la fille, qui s’avère être son propre enfant, Étain Óg. De cette relation incestueuse, naîtra une fille, Mes Buachalla, origine de toute une dynastie de rois, et notamment de Conaire Mor.
Dans l’admirable récit gaélique intitulé « la nourriture de la maison des deux seaux à lait » (Altrom Tige Dá Medar) Etanna symbolise l’âme/esprit humaine ou plus exactement l’âme/esprit de l’Humanité, écartelée entre le christianisme et le paganisme. Dans la légende irlandaise, la victoire appartiendra à saint Patrice, mais ce sera une bien étrange victoire puisque la malheureuse en mourra presque aussitôt, et ce au grand dam de tous ceux qui l’aimaient, qu’ils soient païens ou chrétiens.
L’âme/esprit de l’Humanité semble donc bien personnifiée par Etanna en Irlande. Mais c’est sans aucun doute le plus désespéré des cas de la littérature irlandaise primitive. De quoi damner le plus
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compétent des très-sachants de la druidiaction (druidecht). En ce qui nous concerne, nous n’avons pu lui trouver une explication à peu près cohérente qu’en nous référant aux travaux de C. G. Jung (Les Métamorphoses de l’âme et ses symboles).
Etanna est donc un symbole de l’âme/esprit. Ou une déesse/démone de l’âme/esprit ? Mais qu’est-ce donc que l’âme ou l’esprit ? Et d’ailleurs que nous dit Jung sur l’âme ?
L’âme est une voyageuse entre deux mondes : le sujet, mais aussi le monde des esprits, le terrestre et le surnaturel, le Moi et le Soi. L’âme, pour Jung……………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………………………………………………
Les définitions limitent et divisent. Préférons-leur les amplifications qui élargissent et relient. L’âme/esprit, dit-on de diverses sources ; a quelque chose à voir avec le cœur, la conscience, le mystère, la pensée, le secret, le souffle, la spiritualité, la transcendance, la vie, l’essence de l’être, le compagnon intérieur, la sagesse, l’amitié, la mère divine… Dans certaines traditions, elle est représentée par un oiseau, un ruban, une corde, quelquefois une flamme. Chez les Égyptiens, lors de la pesée des âmes/esprits (anaon), elle doit être aussi légère qu’une plume… Dans certaines histoires, elle est possédée par le Diable ou vendue à celui-ci… Pour d’autres, l’âme est en quelque sorte la face féminine de Dieu. On parle aujourd’hui, dans les milieux à la pointe de la mode intellectuelle, de noosphère internet. Nos ancêtres n’en étaient pas là, et ils personnifiaient l’égrégore ou âme/esprit de l’Humanité à leur façon.
Fin de la note de Pierre de La Crau sur feuille volante et insérée par ses héritiers à cet endroit du manuscrit.
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ANNEXE N° 2.
DU CULTE DES GRANDS ANCÊTRES À CELUI DES ESPRITS.
Bien que fort répandu à travers le monde, et présent dans de nombreuses civilisations, le culte des ancêtres, des grands héros ou des anatiomaroi (grands initiés), MORTS, en bref des grandes âme/esprits (puisque tel est en définitive le sens du mot anatiomaroi) DU PASSÉ, n’est pas un phénomène universel. Le judaïsme et l’islam sont par exemple résolument contre. Le christianisme, avec son Purgatoire, sa Toussaint, et ses innombrables saints, ayant une position plus nuancée en ce domaine.
Un tel culte existe chez plusieurs peuples indo-européens de l’Antiquité, en particulier chez les Celtes, les Germains, et les Scandinaves. Le culte des ancêtres est présent, également dans le monde romain, où les mânes, représentations particulièrement redoutées des ancêtres défunts, font partie des divinités vénérées au sein de chaque foyer. On le retrouve également en Asie, surtout en Chine et au Viêt-Nam et, dans une moindre mesure, au Japon, au travers de la religion shinto.
Le culte des ancêtres ou des grands héros DÉFUNTS s’appuie sur une croyance partagée par de nombreux peuples, selon laquelle l’enveloppe corporelle de tout individu abrite une âme immortelle. Après le décès, cette âme/esprit continue de mener son existence dans un univers parallèle au monde réel. On attribue à ces êtres invisibles que sont les âme/esprits des morts (anaon) des pouvoirs surnaturels, comme celui d’agir sur la vie quotidienne des hommes, de manière positive ou négative, ou de prédire.
Le comportement de l’ancêtre, durant son existence terrestre, a valeur d’exemple pour ses descendants ou ses héritiers spirituels, qui ne se considèrent pas comme des individus isolés, mais possèdent au contraire un très fort sentiment d’appartenance à une lignée.
Les ancêtres vénérés sont la plupart du temps des membres de la famille. Il arrive cependant que l’on rende également un culte à de grandes figures du passé (par exemple, un héros ou un anatiomaros = grand initié de la région, le fondateur du village ou du clan). Cette vénération s’accompagne couramment de louanges adressées au défunt et du récit de sa vie, voire de ses exploits, que la tradition orale fait perdurer au fil des générations.
Dans le monde celte, les bardes qui entourent les chefs de clans ou de tribus ont ainsi la fonction de rappeler leur généalogie, car elle atteste leur légitimité. La mise par écrit jusqu’à notre époque des épopées irlandaises montre la place éminente que tenaient les récits héroïques dans la mythologie des Celtes. Ces héros sont des ancêtres, chefs de clans ou de tribus, qui se sont illustrés par leurs exploits guerriers ou par leur sagesse. Entrés vivants dans la légende, ces héros furent même divinisés après leur mort.
Ce système d’organisation sociale va de pair avec la piété filiale, ainsi qu’avec un grand respect ou une large place accordée aux personnes âgées dans la vie quotidienne. Les paroles et la volonté des anciens sont considérées comme des exemples de sagesse, et ne peuvent pas être discutées par les plus jeunes.
Au quotidien, l’homme doit toujours agir dans le respect de la mémoire de ses ancêtres, et se soucier d’être digne de la droiture et de la valeur qu’ils incarnent. Un comportement mauvais en effet aurait pour conséquence de ternir l’image de la famille tout entière, et donc celle des générations à venir. Le culte des ancêtres, joue donc en un sens, un rôle de régulateur social. Les ancêtres représentent les gardiens d’une certaine éthique ou des règles qui structurent une société donnée.
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Pour entrer en contact et communiquer avec les vivants, les ancêtres peuvent leur apparaître en rêve.
D’après Régis Boyer chez les descendants des Cimbres et des Teutons le hamr désigne aussi le génie tutélaire d’un clan, hamingja, lié à son chef et à ses successeurs mais ce hamr est susceptible de s’évader de son enveloppe corporelle pour défier les catégories spatio-temporelles habituelles afin d’exécuter les désirs de son possesseur précise Régis Boyer qui mentionne même le cas d’un futur évêque d’Islande (Gudmundar mort en 1237). Néanmoins dans de nombreuses sociétés, ce sont des chamans qui permettent aux vivants de dialoguer avec les morts. Ce contact se réalise parfois au moyen de la transe dans laquelle entrent ces personnages, initiés au dialogue avec le monde des âme/esprits. D’autres fois, ceux-ci pratiquent des rituels divinatoires, dont les signes apparaissent comme autant de messages adressés aux vivants par les défunts.
Dans de nombreuses civilisations, l’autel domestique est aussi un autel élevé en l’honneur des ancêtres au sein de chaque habitation, et des prières leur sont fréquemment adressées, en même temps qu’aux divinités familiales (en Celte matres veniales). Des sanctuaires ou des temples sont même parfois élevés en leur honneur. Il s’agit alors de héros ou d’anatiomaroi ayant marqué le groupe.
D’où le concept inévitable d’une certaine communion des vivants et des morts en une même solidarité ou union mystique dont le point d’orgue est la fête de Samonios le 1er novembre. Les prières des vivants, l’attention portée à leurs morts par les vivants, peuvent influencer leur sort après la mort, notamment en accélérant leur retour au grand tout, par usure de tout ce qui les individualise. En un circuit des âmes n’ayant rien à voir avec celui qu’imagine Lucain, le plus mauvais des interprètes du druidisme qui ait jamais existé.
Quant à l’intervention en retour des morts dans le monde des vivants, Régis Boyer à propos des Vikings n’a fait que redécouvrir ce qui était connu des Celtes bien avant eux, bien avant eux, et notamment des Irlandais.
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La vie est une vibration immense qui emplit l’univers ou bitos et dont l’épicentre se trouve en l’Être Dieu. Chaque âme ou larme de feu détachée du foyer divin devient, à son tour, un épicentre de vibrations qui varieront, ou augmenteront d’amplitude et d’intensité, suivant le degré d’élévation de l’être. Toute âme/esprit a donc sa vibration particulière et différente. Son mouvement, son rythme, sont la représentation de sa puissance dynamique, de sa valeur intellectuelle, de son élévation morale.
Lorsqu’une personne meurt, il faut tout d’abord lui permettre d’accéder au monde des morts en accomplissant scrupuleusement les rituels funéraires. Ce qui était le rôle des vates et de leurs chants jadis pour l’âme des guerriers morts au combat si l’on en croit Lucain *.
Le statut d’ancêtre n’est officialisé qu’une fois effectués ces rites de passage vers le monde parallèle au nôtre que l’on appelle l’au-delà. Ils sont de durée ainsi que de forme, très variables selon les civilisations. Une fois que le défunt a ainsi gagné ce statut d’ancêtre, il fait l’objet d’un large éventail de pratiques rituelles : rituels propitiatoires, supplications, offrandes (en particulier de nourritures et de boissons), sacrifices, danses… La prière joue également un grand rôle. Dans de nombreuses croyances, par exemple chez les hindous, l’observation des rituels en l’honneur des ancêtres garantit également le bon accueil des vivants dans le pays des morts le jour où ils mourront.
Dans toutes les civilisations qui leur vouent un culte, les ancêtres apparaissent comme des figures craintes et respectées. On leur prête communément une grande autorité, on les dote de nombreux pouvoirs, comme celui d’infléchir le cours des événements ou celui d’assurer le bien-être de leurs descendants. La protection de la famille est l’une de leurs principales attributions et on les considère souvent aussi, comme des intermédiaires entre les divinités, adorées parallèlement, et les hommes (du groupe). Dans ce système de pensée, il convient de ne jamais offenser les ancêtres, de ne pas négliger leur mémoire, de leur rendre hommage et de les vénérer.
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Le culte des ancêtres est particulièrement révélateur de la très grande valeur accordée à la famille dans de nombreuses sociétés. Il souligne également l’importance des ponts entre présent et passé, qui s’établissent au quotidien dans un grand nombre de civilisations. Les croyances et les pratiques attachées à ce culte permettent de garder une place de premier ordre à l’entité familiale, de faire perdurer les structures sociales et politiques traditionnelles, et d’encourager le respect des anciens.
Selon les régions et les époques, le culte des ancêtres revêt deux aspects différents, suivant qu’il s’adresse à l’ensemble des ancêtres ou à un héros en particulier : ancêtre mythique, dispensateur des éléments d’une civilisation (héros civilisateur), organisateur des institutions sociales. Se rattachant à un culte encore plus répandu, celui des morts, le culte des grands ancêtres a pour objet de faire du défunt (et, souvent, de l’ensemble des morts) l’intercesseur (ou les intercesseurs) des vivants auprès de la divinité ; voire de rapprocher les uns et les autres, comme si la mort n’avait pas causé la moindre fracture. Sur la fête de Samon (ios) chez les Celtes voir notre livret sur les rituels.
Une tombe occupant le centre d’un sanctuaire ne peut être que celle d’un chef dont l’histoire ou la légende se trouve liée au lieu saint. Le héros dont la sépulture se confond avec un sanctuaire ou un temple des dieu-ou-démons, reçoit sa part d’hommages ; et la différence qui sépare à l’origine le héros du dieu-ou-démon, s’estompe avec le temps.
* Vous, les vates, dont les poèmes guerriers jadis immortalisaient les puissantes âmes/esprits [en latin animas] de ceux qui étaient morts à la guerre.
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ANNEXE N° 3.
LES SEMNOTHÉES OU HOMMES-DIEUX.
Opinion individuelle du druide Jean-Pierre Martin.
Certains dieu-ou-démons du druidisme ne sont pas des immortels, mais de simples êtres humains défunts, même s’ils sont aujourd’hui libérés des contingences existentielles ou terrestres.
On a sans doute un ultime écho de cette antique conception druidique dans la légende irlandaise de la navigation de Snedgus et de Mac Riagla.
Des bannis condamnés à l’exil pour s’être révoltés contre leur roi, se retrouvent en compagnie d’Élie et d’Enoch, ces deux prophètes de l’Ancien Testament, montés aux cieux sans avoir connu la mort. Honorius d’Autun a ainsi évoqué cette île dans un de ses livres. « Il y a dans l’océan une île plus agréable et plus fertile que toutes les autres, inconnue des hommes, mais découverte par hasard et depuis lors recherchée en vain. On l’appelle l’île perdue. D’après eux c’est l’île sur laquelle saint Brendan aurait débarqué ».
Pour différentes raisons (variant suivant les Écoles) ces anatiomaroi ou grands initiés défunts ne sont plus, ou pas encore, fondus dans le grand tout appelé Pariollon (Parinirvana dans le bouddhisme) et ont conservé une individualité ou une personnalité.
Leur rôle dans l’autre monde est d’aider les pauvres humains que nous sommes (dotés de sensation donc ayant ainsi la possibilité de souffrir) ; à surmonter les obstacles nous empêchant de faire à notre tour notre erdathe individuelle (Retour au GRAND TOUT appelé PARIOLLON). On peut les comparer à des professeurs qui, ayant acquis et parfaitement maîtrisé tous leurs enseignements, décident de ne pas prendre leur retraite, mais de consacrer leur temps à diffuser leur savoir. Certaines de ces grandes âme/esprits sont de type « héros guerrier » comme Setanta Cuchulainn, d’autres de type « anatiomaros » (« grand sage ou grand initié ») à la Plutarque.
L’anatiomaros ou grand initié (semnothée en grec) de son vivant était celui qui s’était libéré de toute espèce de désir, de toute espèce de peine. Libéré de tout par une profonde méditation sur la destinée de l’Humanité, il avait conquis de haute lutte sur lui-même, la grande science qui illumine (imbas forosnai) ; il savait tout et pouvait tout, il avait déjà un pied dans l’autre monde des dieu-ou-démons (Sedodumno). Il s’agissait donc d’un état mental atteint sur cette terre par un être vivant. Il pouvait continuer à se mouvoir parmi les hommes, mais il n’appartenait déjà plus au monde de l’illusion ou du relatif, règne de la Fata Morgana, il avait déjà un pied dans l’Éternité.
À sa mort, il est donc entré directement dans le Grand Tout qui est au-delà du séjour des dieu-ou-démons, ou si l’on préfère, le séjour des dieu-ou-démons achevé (le Sedodumnon à la puissance 10). Sans passer par la case « réincarnation dans un autre monde parallèle de nature paradisiaque ».
N.B. Assez curieusement c’est un auteur musulman qui a encore le mieux décrit le processus psychologique aboutissant à la divinisation de certains êtres humains morts depuis longtemps.
Hisham Ibn Al Kalbi, Kitab al-Asnam 45 e ; 46 a-c ; 46 e ; 47 b.
Ouadd, Souwa, Yaghout, Yaouq et Nasr, étaient des hommes justes qui sont tous morts en l’espace d’un mois. Leurs familles furent affligées de cette perte. L’un des fils de Caïn leur demanda :
— Voulez-vous que je sculpte cinq statues à l’image de vos défunts ? Mais je ne pourrai pas pour autant leur redonner vie. Il fit donc cinq statues à l’image des défunts, ensuite il les érigea sur leurs tombes. Les gens se rendaient ainsi en ce lieu, qui auprès de son frère, qui auprès de son oncle ou de son cousin, les honoraient puis accomplissaient autour d’elles une circumambulation. Cette pratique se perpétua jusqu’à la disparition de la première génération. Les statues furent érigées au
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temps de Jared, fils de Maléléel fils de Kaïnan fils d’Enoch fils de Seth fils d’Adam. Vint ensuite une autre génération : elle honora les statues bien plus que ne l’avait fait la première. Les hommes et les femmes de la troisième génération finirent par se dire : « Nos ancêtres ont honoré ces statues dans l’espoir qu’elles intercéderaient pour eux auprès d’Allah. Adorons-les donc ! » Et c’est ainsi qu’ils s’enfoncèrent dans l’impiété (ceci était donc le point de vue musulman sur la question).
ANNEXE N° 4.
SEMNOTHÉES OU THEIOS ANER ?
Un des termes parfois utilisés par les auteurs grecs pour parler des druides était « semnothée » (voir le cas d’Abaris par exemple). Le mot étant sans doute plus ou moins synonyme de théios aner, ci-dessous ce que l’on peut en dire.
Le terme theios implique non seulement que cet individu possède des pouvoirs préternaturels, mais aussi qu’il n’est pas soumis à la mort comme tout un chacun (ce qui nous ramène d’ailleurs à la notion également appliquée à certains druides, de semnothée).
Toute société comprend un certain nombre de ces hommes, ou de ces femmes, passés maîtres dans la connaissance des choses matérielles ou immatérielles et vénérés pour leur grande sagesse. On les appelle voyants, chamanes, magiciens, sorciers, ou saints. Ils agissent sur le cours des choses, contrôlent les éléments, récitent le passé oublié, parlent du voyage des âmes après la mort, décrivent le futur, modifient la forme des objets grâce à la sympathie universelle qui unit les choses. Leur esprit est ainsi riche d’une « science » complexe qui fait douter de leur statut d’homme.
L’expression theios aner est communément utilisée par les auteurs de l’Antiquité, relayés ensuite par les chercheurs (philologues et historiens qui essaient de reconstituer le profil de ces hommes divins à partir d’un matériau majoritairement livresque), pour désigner un type de personnage, ayant vécu en des contrées et en des époques différentes, auquel on pourrait attribuer les noms de mage, philosophe, prophète, homme inspiré, devin, individu doué d’un certain charisme…
Précisons tout de suite qu’à notre sens dans le monde grec cette qualification de theios aner s’applique d’abord et avant tout à des chamanes du genre Abarix ou Olenos dont nous reparlerons. Ainsi peut-être qu’à des personnages de légende comme le Nemet Cornunnos en Irlande.
Nous allons aussi beaucoup utiliser dans cet opuscule consacré au Plérome druidique, le terme « Hésus » (vieux celtique « vesus »).
Sa meilleure traduction en Grec en est le terme « théios aner », mais à cette remarque près qu’il s’agirait d’un théios aner… martial. Un theios aner chevaleresque et spécialiste ès arts martiaux. Un peu comme le Mahomet cher à nos amis musulmans. Car il a fallu en effet après 6 siècles de christianisme attendre l’engagement public de Mahomet pour redécouvrir ce que les druides avaient toujours su, à savoir que vie guerrière et spiritualité pouvaient très bien aller ensemble.
Encore que, comme le lui avait appris son maître Sencha (un grand peuple ne viole jamais les règles du fir fer avec un inconnu) Setanta Cuchulainn avait comme devise ou marque de fabrique « Nád bia etir, ar ní gonaim aradu nó echlachu nó áes gan armu dáig níbá miad nó níba maiss leiss echrad nó fuidb nó airm do brith óna corpaib no marbad ». (Voir non pas la sourate du Coran consacrée au butin, mais le récit de l’enlèvement des bœufs de Cooley).
Sans doute – ce que ne niera pas notre rapide panorama – le theios aner est-il, pour une part, et en ce qui concerne le monde grec, une sorte de construction abstraite, élaborée par les modernes à partir de textes composés principalement entre le IIe et le Ve siècle de notre ère, qui cependant se rattachent à une très ancienne tradition.
On ne niera pas non plus qu’un certain nombre de récits à caractère biographique mettant en œuvre de nombreux procédés présents dans la littérature de l’Antiquité tardive dépeignent des hommes divins. L’homme divin ne nous semble donc pas être une “invention” moderne. S’il n’est pas est abusif de le voir aussi à l’œuvre dans la tradition chrétienne, rien n’interdit de nous demander s’il ne joue pas
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joue un rôle dans les Vies de philosophes, ouvrages issus de cercles intellectuels nourris par le spiritualisme hellénistique ambiant.
La Vie d’Apollonios nous offre par exemple une belle illustration d’un de ces personnages hauts en couleur. Philostrate en effet ne s’est-il pas inspiré de ces figures emblématiques de la sagesse pour brosser le portrait de son héros en homme divin, le mettant ainsi à l’abri des ambiguïtés de la magie ?
Cette « expérience druidique des limites », plusieurs générations d’êtres inspirés (semnothées) l’ont vécue aussi dans le monde grec apparemment (cf. les cas d’Abaris et Olenos) ; puisque certains en ont effectué la narration directe (dont nous avons conservé quelques fragments issus des œuvres de Parménide et Empédocle), d’autres n’ayant laissé quelques traces diffuses que dans la mémoire de leurs disciples, qui se sont chargés de colporter la parole, les faits et gestes du maître. Ces souvenirs lointains ont à leur tour pu être rassemblés par des biographes enthousiastes au cours de l’Antiquité tardive. Des sectes philosophiques se réclamant des enseignements de ces « pères de la sagesse » ont ainsi été constituées autour de leur personnalité.
Malgré de nombreuses difficultés liées au laconisme de nos sources – laconisme volontaire de la part des auteurs qui empruntent souvent les chemins de l’ésotérisme afin d’entourer leur héros d’un voile de mystère –, relevant d’une tradition littéraire plus ou moins mythique, il nous est possible d’identifier ces représentants du merveilleux (exemple Abaris, Olenos) de cerner leur personnalité, de brosser un portrait du philosophe en mage, car d’une figure à l’autre leurs traits se recouvrent ou se complètent.
Les caractéristiques communes à ces individus, relevées par les exégètes, nous autorisent à les rassembler en une catégorie intermédiaire entre les hommes et les dieux, sorte de confrérie d’élus que J.-P. Vernant décrit de la manière suivante : « ce sont des hommes divins, des theioi andres qui de leur vivant s’élèvent de la condition mortelle jusqu’au statut d’êtres impérissables ».
Abarix et Olenos, auréolés qu’ils sont par leur légende, sont considérés comme les chefs de file de ces individus hors du commun qui se font reconnaître par deux éléments essentiels : une pratique de l’ascèse et le thème de l’âme itinérante (voyages extatiques et réincarnations ?) Ainsi que nous avons eu l’occasion de le dire, le Nemet Cornunnos en Irlande en faisait sans doute partie.
Le vocable theios aner, appliqué au monde païen, mais aussi chrétien, a donc connu un grand succès. Un certain nombre d’auteurs ont même critiqué l’usage inflationniste qui en est fait, tout particulièrement dans le cas du Nazoréen Yeoshua bar Yosef dit le Christ (par certains de nos congénères humains).
Les auteurs anciens étant singulièrement prolixes sur le sujet, nous pouvons mettre en évidence un certain nombre de traits descriptifs permettant de dégager un profil type de l’homme divin selon les Grecs, c’est-à-dire le petit côté « Mahomet » en moins.
* Il va de soi néanmoins que nous ne sommes nullement des adeptes du dogme musulman de l’isma qui fait tant de ravages dans les esprits de nos frères musulmans.
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ANNEXE N° 5.
LES GRANDS INITIÉS OU ANATIOMAROI.
Le nom de l’Homme dans les langues celtes (gdonios, donios) est de la même famille linguistique que le grec « chtonien » et renvoie à la notion de creux ou de trou (dumnos). Le donios c’est l’être divin tombé au fond du trou par définition. Celui qui est dans la terre jusqu’au cou. C’est donc par lui que nous commencerons ce bref exposé.
Lorsque le Grand initié ou anatiomaros a réussi à se débarrasser définitivement de ses obsessions dévoreuses d’énergie, mais qu’il continue à vivre, il peut alors accéder directement de son vivant, mais par intermittence au monde des dieu-ou-démons. L’anatiomaros ou grand initié du type Abarix, Olenos, Fintan ou Tuan Mac Cairill en Irlande (ou bodhisattva 1) dans le bouddhisme tantrique mahayana, voir Vajrapani ou Hercule, ou Zeus **) est un homme qui, ayant atteint les plus hauts sommets que l’âme/esprit peut envisager ; sacrifie néanmoins son bien-être à celui des autres et préfère rester en ce monde afin de transmettre ses connaissances ; plutôt que de se fondre avec les autres âmes dans le Grand Tout.
Le terme anatiomaros (grec semnothéos) désigne donc des personnes ayant pu accéder à l’autre monde, mais qui ont refusé d’y rester pour venir en aide aux autres. Pour aider l’ensemble des hommes à épanouir leur âme. En ce sens, les semnothées, ou anatiomaroi, êtres purement altruistes, et qui ne pensent qu’aux autres, s’opposent aux combennones de la troisième ou quatrième fonction, qui n’aspirent qu’à leur propre salut.
Étant parvenus à un niveau supérieur à celui des simples mortels, ils ont donc une puissance plus grande qu’eux et beaucoup plus de possibilités, mais à strictement parler ils ne sont pas d’une autre nature.
Et puisqu’ils jouissent de pouvoirs surpassant de loin ceux des hommes, il est logique de recourir à leur aide pour tout ce qui concerne justement… la vie en ce monde (chance, etc.).
Et en cela, le bouddhisme rejoint le druidisme. De nombreux passages du canon bouddhiste pâli demandent d’ailleurs de les honorer. Ils peuvent par conséquent faire l’objet de toutes les quêtes de toutes les recherches ou de tous les voyages possibles et imaginables (dans des îles lointaines, des châteaux perdus, etc.).
Le texte le plus clair les concernant est encore celui de Plutarque :
« D’après Démétrios parmi ces îles, quelques-unes tirent leurs noms de démons ou de héros. Naviguant dans ces régions sur ordre du roi pour en ramener des informations, il aborda dans la plus proche de ces îles désertes. Elle n’avait pas beaucoup d’habitants, mais ils étaient sacrés aux yeux des Bretons et à l’abri de toute injure de leur part. À son arrivée, un grand trouble venait de se manifester dans l’air, accompagné de nombreux signes célestes. Les vents soufflaient avec fracas et la foudre tomba en plusieurs endroits. Puis le calme s’étant rétabli, les insulaires lui expliquèrent qu’il s’était produit une éclipse de quelque être supérieur. Car, ajoutaient-ils, une lampe que l’on allume ne représente rien de fâcheux, mais si on l’éteint, elle est cause de peine pour maintes personnes. Ainsi, dans tout leur éclat, les grandes âme/esprits font-elles du bien et ne font jamais de mal, mais quand elles viennent à s’éteindre ou à périr, fréquemment comme aujourd’hui elles suscitent alors du vent et de la grêle voire même souvent des odeurs pestilentielles **» (Plutarque. De defectu oraculorum 18).
Ce détail fourni par le texte de Plutarque ne concerne vraisemblablement que la mort à ce monde, définitive, des anatiomaroi, et non leurs premières désincarnations provisoires. Ce détail fourni par le texte de Plutarque ne concerne pas le simple décès des anatiomaroi, mais leur disparition/fusion définitive dans le Pariollon ou Grand Tout appelé Parinirvana par les bouddhistes. Quand ces grands
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initiés (anatiomaroi, ou semnothées en grec) quittent définitivement ce monde au bout d’un certain temps (100 ans 1000 ans 10 000 ans ??) alors là, leur désintégration déclenche effectivement des catastrophes. Cette 2e étape du processus de réintégration dans le grand tout du grand initié est plus radicale encore que la mort, c’est l’extinction complète de son individualité dans le Pariollon 1) ou grand tout appelé Parinirvana en Extrême-Orient : iI ne se réincarnera plus jamais. C’est ce que l’on appelle l’erdathe individuelle.
* Hercule, Zeus. Soyons clairs. Nous ne disons pas que ce sont des bodhisattvas. Nous rappelons seulement qu’il y a eu une interpretatio bouddhista de ces dieux grecs dans l’art gréco-bactrien en Asie centrale et au Gandhara (Afghanistan Pakistan) de – 300 à + 400. Du moins si l’on en croit Richard Foltz et son livre sur les religions de la route de la soie (New York 2010). Les premières représentations iconiques du Bouddha apparaissent en effet au Ier siècle au Gandhara et à Mathura. Le Bouddha y porte un pallium comme devaient en porter les philosophes grecs, et certaines de ses représentations ressemblent à des statues d’Apollon, dieu-soleil associé à la royauté dans les poèmes homériques. En outre Vajrapani y est représenté en Hercule. Mais il y a eu également influence grecque dans le nord-ouest de l’Inde avec les conquêtes de Démétrios I en – 200. Sous l’empire Kouchan, on observera un véritable syncrétisme entre les divinités grecques et celles des Yuezhi.
** Le christianisme variante catholique romaine connait la notion inverse, mais toujours fondée sur le même principe, quoiqu’inversé : l’odeur (de sainteté).
Mais revenons à nos bodhisattvas druidiques ou grands initiés. Avalokitesvara, Manjousri, Maitreya, Lokesvara, Amitabha, sont leurs noms dans le bouddhisme. Sans oublier Vajrapani ou Hercule voire Zeus dans l’interpretatio graeca qui s’est répandue dans l’art gréco-bouddhique après la mort d’Alexandre le Grand ou dans l’Empire Kouchan si l’on en croit Richard Foltz et son livre sur les religions de la route de la soie (New York 2010).
Pour ce qui est du druidisme il s’agit d’Uiscias, d’Esras, de Surias, d’Abarix, d’Olenos, mais aussi de Fintan ou Tuan Mac Cairill en Irlande.
Les Îles hyperboréennes au nord du Monde sont, dans la mythologie druidique, des lieux sacrés ou mythiques, d’où sont originaires les dieu-ou-démons avant leur débarquement, le jour de la fête de Beltène. Au nombre de trois (mais cette triade est élargie à quatre en Irlande), elles sont dirigées chacune par un druide primordial. C’est là que les « gens de la tribu de Danu (bia) » c’est-à-dire les dieu-ou-démons de la mythologie druidique, ont été initiés au druidisme (spiritualité, droit, sagesse, poésie…). Un véritable culte était donc rendu aux principaux anatiomaroi dont liste ci-dessous.
UISCIAS. Uiscias était le maître de l’île d’Abalum (Findias dans la tradition irlandaise). C’est de là que venait l’épée du roi Noadatus/Nuada/Nodons/Lludd. Personne ne pouvait lui échapper ou lui résister quand on la tirait du fourreau de la Bodua (de la Bodb), et celui qu’elle avait rougi de sang, ne serait-ce que d’une goutte, ne pouvait plus fuir après cela.
ESRAS. Esras était le maître de l’île de Gorre (Gorias dans la tradition irlandaise). C’est de là que venait la lance empoisonnée qui appartenait à Lug. Aucune bataille ne pouvait être gagnée contre celui qui l’avait en main.
SURIAS. Surias était le maître d’Ogygie l’île verte (Murias dans la tradition irlandaise). C’est de cette île que provenaient les talismans du Suqellos Dagda Gargant : le chaudron représenté par une olla sur le Continent. On ne les quittait que rassasié ou le ventre plein. Et la massue.
Note de la rédaction. Les Irlandais ont transformé cette triade en tétrade et ont rangé dans cette catégorie le personnage de Morfessa (Marovesus en vieux celtique) et l’île de Thulé (Falias). À l’exception d’Ogygie, assimilée par Rodrigue O’Flaherty (Ruaidhrí Ó Flaithbheartaigh) à l’Irlande, toutes ces îles sont évidemment imaginaires et les personnages qui en étaient les grands maîtres ne devaient faire l’objet que d’un culte de dulie dans l’ancien druidisme.
ABARIX. De prime abord, Abarix fait plus chaman grec que celte, en particulier aux yeux du profane, mais c’est, en fait, un anatiomaros devenu symbole de l’énergie de l’âme/esprit (anaon) pleinement épanouie. Abarix est représenté chevauchant une flèche qui symbolise peut-être le soleil, et qui montre avec quelle force il tranche dans l’obscurité de l’illusion.
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OLENOS. Délos avait aussi, comme Delphes, ses chantres religieux. Olen, le plus célèbre, était, suivant la légende, Hyperboréen (ou Lycien ?), c’est-à-dire né dans un pays où Apollon aimait séjourner. Olenos passait pour l’auteur de l’hymne en l’honneur des vierges Opis et Argé, compagnes d’Apollon et de Diane. Il était venu, disait-on, d’Hyperborée, ou de Lycie, à Délos, et c’est lui qui avait composé la plupart des anciens hymnes qui se chantaient dans cette île. On lui attribuait aussi des nomes. C’était probablement, une sorte de stances très simples, combinées avec certains airs fixes, et propres à être chantée dans les rondes d’un chœur. Enfin, c’est à Olenos que quelques-uns rapportent l’invention du vers épique, ou dactylique hexamètre. Si cette opinion a quelque fondement, Olenos serait alors même antérieur aux aèdes thraces dont nous avons parlé plus haut ; car les vers qui ont circulé sous leur nom sont précisément des hexamètres, et prouvent, authentiques ou non, que c’était une métrique dont ils avaient dû se servir. Mais il ne semble guère permis d’établir une chronologie sur des paroles aussi vagues que celles de la prêtresse Boeo, citées par Pausanias. Si Olenos a existé, il doit donc être placé vers le VIIIe siècle avant notre ère. Quelques auteurs prétendent qu’il fut l’un des Hyperboréens qui fondèrent l’oracle de Delphes, et qu’il y exerça le premier la fonction de prêtre d’Apollon ; c’est-à-dire celle de rendre réponse à ceux qui venaient le consulter, en vers hexamètres.
Mais au fait qui sont ces Hyperboréens ?
Pour beaucoup d’auteurs, ce sont des personnages merveilleux. Ils vivent jusqu’à mille ans, sans travail, sans guerre, dans l’euphorie la plus totale. Pindare ne leur enlève rien de ces caractères simples. Hérodote est plus précis. Les Hyperboréens, depuis le fin fond des âges, envoyaient chaque année des offrandes à Délos. Ces offrandes, ils les avaient d’abord confiées à des jeunes filles ; mais un jour deux de ces jeunes filles moururent à Délos dans des conditions restées assez mystérieuses. Hérodote prétend avoir vu leur tombe. Depuis ce jour-là, les Hyperboréens gardaient leurs jeunes filles et faisaient parvenir leurs offrandes par des intermédiaires. Le plus incroyable, c’est que l’on a retrouvé les deux tombes. Elles étaient crétoises !
Les Hyperboréens restent encore pour nous des personnages difficilement saisissables. Les historiens et les archéologues se demandent s’il faut faire des Hyperboréens des gens d’au-delà de Borée/Bora/Gora = montagne, des gens d’au-delà des montagnes ; ou des célestes, tout simplement. Borée/pherô = je porte, des gens qui font porter des présents au dieu-ou-démon Apollon (cf. le récit d’Hérodote). Où habitaient-ils alors ? On se perd en conjectures.
Ce qui est certain, c’est qu’Apollon n’était sans doute pas d’origine grecque. On n’a pas trouvé à son nom d’étymologie convenable. Les Grecs eux-mêmes d’ailleurs, considéraient Apollon comme une divinité récente.
Apollon est un dieu-ou-démon aérien. C’est le dieu-ou-démon des troupeaux, des pasteurs nomades venus du Nord. Le cygne est aussi un attribut d’Apollon. C’est un oiseau septentrional. Autre symbole d’Apollon, l’ambre. Cette hypothèse s’appuie sur la tradition qui rattache Apollon aux Hyperboréens et le fait venir d’un endroit quelconque du Nord, où il avait été trouvé. Rien de simple donc dans ce dieu-ou-démon : il a une personnalité contradictoire.
Daniel E. Gershenson voit en Apollon un dieu-ou-démon d’origine indo-européenne, dont les attributs principaux seraient résumés dans l’expression Apollon Lykeios : « Apollon dieu loup ». Par-là, il faut entendre, non pas le culte de l’animal en lui-même, mais de son symbolisme de loup mythique, lequel ne serait autre que le vent, considéré autant dans ses vertus bénéfiques que destructrices. Les vents, comme le Zéphyr, peuvent être favorables aux semences, mais sont aussi tenus pour issus de la caverne d’Éole, et cette origine souterraine les met en relation avec les Enfers. Le vent est ainsi comme un passage entre le chaos et le cosmos.
Cela explique le rôle de cette divinité comme tuteur des éphèbes, ces jeunes guerriers qui accomplissent leur initiation d’adultes ; sa fonction de protecteur du grain semé ; enfin sa qualité de dieu-ou-démon de la prophétie, qui révèle les mystères et initie les musiciens ou les poètes. Apollon Lykeios, le dieu-loup, serait le maître des rites de passage, le dieu-ou-démon qui transforme les forces chaotiques des confréries de loups-garous de l’adolescence en les menant à l’âge adulte ; qui dévoile par la prophétie de la Pythie le monde caché.
Gershenson présente de nombreux témoignages dans le monde européen qui pourraient montrer que ce dieu-loup et dieu-vent remonte à une période antérieure à la séparation des peuples qui ont pénétré en Europe centrale et méridionale. Ses déductions ont été confirmées plus tard par un spécialiste français, Bernard Sergent, qui a souligné le lien d’Apollon avec les loups et son rôle joué dans les initiations, ainsi que son origine indo-européenne. Apollon est particulièrement associé à Borée, le Vent du Nord. Lug, son équivalent celtique, est d’ailleurs un « chevaucheur de tempêtes ».
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Le grand spécialiste français en mythologies comparées pense qu’il s’agit d’un dieu-ou-démon en fait gréco-celtique. Il remonterait au moins à la séparation des ancêtres des Celtes et des Grecs, au IVe millénaire avant notre ère, et il serait arrivé « tout d’un bloc » en Grèce : ce n’est donc pas une divinité composite. Il possède des homologues en domaine germanique (Wotan) ou indien (Varuna).
B. Sergent compare une à une toutes les caractéristiques connues de Lug et d’Apollon et relève de nombreux points communs. Un peu trop peut-être d’ailleurs, selon nous, mais enfin…
Ce sont tous les deux des dieu-ou-démons lumineux, jeunes, beaux, grands, mais parfois polycéphales et hermaphrodites, pratiquant des épiphanies, des dieux rapides disposant d’une puissance foudroyante, de très grands « druides », des guerriers, des protecteurs des troupeaux, des maîtres des moissons, associés aux arbres, des maîtres du temps, des médecins, les maîtres des fondations, les responsables des défrichements et des chemins, les protecteurs des assemblées, les maîtres des initiations, des méchants, des rusés, des maîtres des techniques, des maîtres tout court, des dieu-ou-démons des hauts lieux et des grosses pierres.
Leurs attributs communs sont l’arme de jet, l’instrument à cordes, le corbeau, le roitelet, « le chêne à l’aigle pourrissant », le cygne, le coq, le héron et la grue, le chien et le loup, le cerf, le sanglier, le serpent et la tortue, l’ours, le dauphin, le phoque, le poisson, le cheval, la pomme et la branche nourricière, les nombres trois, sept et neuf, la danse en rond sur un pied, la pourriture ??????
Ils sont également rattachés à des mythes communs, comme la naissance, le meurtre des géants borgnes, la succession de la Terre (Gaia ou Thémis en Grèce, Tailtiu en Irlande) ou la fondation de jeux.
Par ailleurs, selon B. Sergent, les Grecs ont pu faire des « jeux de mots » entre le nom de la Lycie (Lukia en grec) et les épithètes Lukeios, Lukios, Lukêgenès d’Apollon, qui se rapportent au loup (lukos), l’un des attributs d’Apollon, ou à la lumière (lukê). Il serait Lukê-genès, comme le dit l’Iliade, parce qu’il serait « né de la lumière » et non pas « né en Lycie ».
C’est surtout à Delphes que le caractère complexe de ce dieu-ou-démon se révèle, dans son rôle d’inspirateur de la Pythie et des hommes.
Apollon est aussi un dieu-ou-démon terrien et agraire. C’est un aspect sous lequel il peut revêtir des formes extérieures primitives. Son attribut est l’arc, arme par excellence d’un dieu-ou-démon chasseur, du dieu-ou-démon d’une tribu qui vit de la chasse. Plus tard, on le retrouve dieu-ou-démon des bois et des grottes. C’est à cet aspect que se rapporte la légende d’un Apollon dieu-loup. On voit par là le passage d’un genre de vie de type chasseur à un mode de vie pastoral. Apollon protège les troupeaux et les bergers. Il est adoré avec Pan et les nymphes.
Dieu-ou-démon des troupeaux, de la musique et de la médecine : les trois choses sont étroitement liées. La houlette et la lyre vont toujours de pair. Le berger se révèle aussi guérisseur et musicien. Dieu-ou-démon des arbres, dieu-ou-démon des fleuves, Apollon devient également un dieu-ou-démon franchement agricole, un dieu-ou-démon de la culture, avec la sédentarisation des peuples qui l’adorent. C’est lui qui fait germer puis fructifier les moissons. À Delphes, à Délos, il reçoit les prémices des récoltes. Plusieurs cités lui offrent des épis d’or. Cette récolte, tandis qu’elle mûrit, est menacée d’ennemis divers : rouille, mulots, sauterelles. Tous ces maux sont conjurés par le purificateur supérieur. Apollon reçoit dans ce cas le qualificatif de sminthios, celui qui conjure le rat des champs. On célèbre des fêtes en son honneur avant la moisson. À Delphes, il devient également celui qui s’occupe de la nourriture.
L’Hyperborée, c’est aussi peut-être Thulé. Cette terre nous est décrite comme une île située au nord de la Grande-Bretagne à 6 jours de navigation, aux abords de la mer gelée. Strabon est encore là pour nous donner un indice : « Pythéas ajoute là son histoire sur Thulé ainsi que sur ces régions dans lesquelles il n’y a plus de terre à proprement parler, ni de mer, ni d’air ; mais une sorte de substance formée de ces trois éléments, ressemblants à un poumon marin [en grec plumon thalattíōi] ; une chose dans laquelle, écrit-il, la terre, la mer, et tous les éléments, sont en suspension ; et qui est sorte de liant les faisant tous tenir ensemble, mais sur laquelle on ne peut ni marcher ni naviguer. Cette chose qui ressemble à des poumons marins, il dit qu’il l’a vu lui-même personnellement, mais que pour tout le reste, il en parle par ouï-dire ».
Un autre passage de Strabon nous donne des informations astronomiques : « Le Massaliote Pythéas dit que Thulé, la plus septentrionale des îles britanniques, est située à l’extrême nord, et que là le tropique d’été s’y confond avec le cercle arctique ».
Mais il ajoute aussi que Pythéas était un fieffé menteur.
Un texte de Geminos de Rhodes, dans son traité d’astronomie, Introduction aux phénomènes célestes, s’avère très intéressant pour nous à cet égard : « Il semble que Pythéas le Massaliote soit, en fait, allé dans ces régions. Il dit dans son traité consacré à l’océan : les barbares nous ont désigné
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en plusieurs occasions l’endroit où le soleil disparaît. À cet endroit, la nuit est extrêmement courte : deux heures pour les uns, ou trois pour d’autres, et juste après, le soleil se lève à nouveau ».
Thulé donc est une île située à six jours de navigation de la Grande-Bretagne. Mais de quel endroit de Grande-Bretagne ? Est-ce le cap Orcas ou bien les îles Shetland ? Certains auteurs comme Geminos pensent que Pythéas est bien allé jusqu’au cercle polaire. Or en allant vers le Nord-Est, on rencontre la Norvège.
Bref, Pythéas a donc abordé les rivages de l’île de Thulé après six jours de navigation vers le nord ; une île qui, normalement, devait être trop froide pour y vivre. Et, pourtant, un peuple y habite, à son grand étonnement.
Ce qu’il ne pouvait savoir, c’est l’existence du Gulf Stream, ce courant chaud qui procure ses bienfaits au-delà du cercle polaire. À Thulé, Pythéas est confronté à un problème. La journée traditionnellement est partagée en deux parties égales de douze heures chacune. Mais, depuis qu’il monte vers le nord, il remarque que les douze heures de la nuit sont bien différentes et bien plus courtes. Et comble de tout, à Thulé, il n’y a plus de nuit du tout, donc vingt-quatre heures durent douze heures ? Difficile de l’admettre. N’est-il pas plus logique de considérer que les heures ont une durée fixe ? Ainsi à Thulé les jours d’été ont-ils une durée de vingt-quatre heures, mais il n’y a pas de nuit. Le problème est réglé !
En tout cas si l’on en croit la tradition irlandaise, c’est de cette cité de Thulé (Falias) que fut apporté un célèbre linga, la pierre de Falias (Lia Fail). Ce sont les dieux-ou démons eux-mêmes qui ont amené avec eux cette pierre, de connaissance et de souveraineté, cette terre en tire son troisième nom, c’est-à-dire Valimagosia : la Plaine de Fal. Celui sous qui elle criait, lorsqu’il s’asseyait dessus, était roi ; jusqu’à ce que le meilleur ami de l’Homme, le grand et fidèle chien de Culann (le hésus Cuchulainn), la frappe ; parce qu’elle ne criait ni sous lui ni sous son fils adoptif, Lugaïd/Lugidos, fils des trois Vindas d’Emania – des trois Find d’Emain —. Depuis, elle est restée muette.
Ce n’est pourtant pas le Destin qui est la cause de tout cela, mais la naissance du Christ (qui a brisé le pouvoir des idoles).
D’autres disent que ce qui restait de la Pierre a été transporté en Irlande, puis en Écosse, à Scone, et enfin en Angleterre. D’autres encore disent que la pierre de Fal est toujours à Tara mais cachée.
Voici le couplet qu’un barde a composé à son sujet :
« Inicia Valios a été appelée ainsi
À cause de la pierre qui est sous nos pieds.
Pierre de Fal est son nom
Mais son autre appellation est
Pierre de la Destinée » [saxum fatale en latin].
1) Le terme sanscrit bodhisattva désigne des êtres (sattva), humains ou divins, qui ont atteint l’état d’éveil (bodhi). Ils devraient donc porter logiquement le nom de bouddha (« éveillé ») et se révéler à jamais libérés des contingences existentielles. Le bouddhisme cependant, spécialement sous sa forme « Grand Véhicule » (Mahayana), enseigne que certains bouddhas suspendent, par compassion pour leurs semblables, leur entrée dans le « nirvana » et veillent sur les hommes un peu à la façon des anges gardiens. Il n’y a lieu néanmoins dans ce cas de ne le gratifier que d’un culte de dulie.
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ANNEXE N° 6.
HÉROS DE TYPE VERCINGET KINGES OU DEMI-DIEUX *
* Guerriers souvent haussés au rang de dieux ou assimilés.
La foi druidique en la survie de l’âme « inférieure » (localisée dans le crâne) a favorisé le développement, au cours de l’âge du Fer méridional, de manifestations cultuelles autour de reliques des ancêtres. La valorisation des plus remarquables d’entre eux a conduit à en faire une véritable interface entre les hommes et le monde divin.
Les grands héros ou les héroïnes ne sont pas vraiment des dieu-ou-démons (ni des déesse-ou-démones, ni des fées). Au départ, ce ne sont que de simples êtres humains, mais le fait que ces simples humains aient accompli des exploits extraordinaires leur a valu un véritable culte d’hyperdulie ; un peu comme dans le cas des saints du christianisme d’ailleurs, voire plus. Les très-sachants de la druidiaction (druidecht) les honorent comme des divinités après leur mort. Divers mythes élaborés pour les peuples (au niveau simplifié de la religion genre christianisme ou islam populaire par exemple) en font même des avatars de dieu-ou-démon panceltique plus important. Tels sont par exemple les cas du hésus Cuchulainn, avatar ou fils de Lug, en Irlande, mais aussi de Vindos/Finn, avatar ou fils de l’Hercule celte appelé Camulos, toujours en Irlande. Certains de ces hommes ou femmes exceptionnels sont censés être nés de l’union entre un dieu-ou-démon et une mortelle, ce qui en fait donc des demi-dieu-ou-démons (ou demi-déesse-ou-démones, ou fées) dans l’imagination populaire, ce qu’ils sont d’ailleurs bien, en un sens.
L’idée suggérée ainsi par les bardes auteurs de ces récits étant qu’il s’agissait vraiment là d’hommes ou de femmes à l’âme/esprit exceptionnelle. Mais dans le cas de l’hérésie irlandaise, on a peut-être été un peu trop loin en ce sens.
N.B. Par hérésie, nous voulons seulement dire : une déviation un peu trop poussée par rapport aux grandes lignes du druidisme continental antique.
Il y a deux sortes de héros, d’héroïnes, ou de demi-dieu-ou-démons, voire de demi-déesse-ou-démones. Ou de fées si l’on préfère ce terme.
— Les grands héros d’origine panceltique, communs à tous les Celtes.
— Les divers héros propres à certaines corporations ou groupes particuliers, par exemple, l’avatar du dieu-ou-démon panceltique Camulos, appelé Vindos en Irlande (Finn et les Fénianes).
— Les héroïnes ayant accompli des hauts faits mémorables. Exemple Talantio/Tailtiu en Irlande, au départ une simple princesse du peuple gaulois des Fir Bolg.
N.B. Que l’on permette au druide d’aujourd’hui que je suis de penser que, dans ce cas, il y a eu quand même amalgame entre une authentique héroïne au départ, et une élémentale de la grande plaine cultivée de ce lieu, en Irlande.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le noter en préambule, sur le plan proprement religieux, les grands ancêtres remplissent des fonctions nettement différentes d’une culture à l’autre selon la place qui leur est attribuée dans la hiérarchie des êtres spirituels. La communauté des ancêtres apparaît comme une sorte de conscience collective transcendée, hypostasiée ; elle forme l’univers invisible de la communauté des vivants. Liés à la terre par le tombeau, les morts ont donc du pouvoir sur la fécondité du sol ; des animaux et des hommes. Cela est particulièrement évident dans la tradition celtique où culte et demeure des dieu-ou-démons sont souvent associés à des tumuli préhistoriques comme Newgrange en Irlande, ou Hochmichele en Allemagne. Il existe une deuxième catégorie
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d’anatiomaroi (de grands initiés), ceux de type vercinget ou kinges (les guerriers qui ont réussi, en se faisant violence à eux-mêmes, à obtenir des pouvoirs exceptionnels, grâce à leur entraînement quotidien, des sortes de berserkr celtes en un sens). Ces anatiomaroi ou grands initiés de type Vercinget ou Kinges, sont souvent représentés en posture dite bouddhique (ou de yoga), c’est-à-dire assise en tailleur. Cas par exemple en France de la statue de Bouray (la sculpture était faite de six pièces de métal ajustées). On trouve aussi des représentations en pierre d’anatiomaroi ou grands initiés du type vercinget ou kinges dans le sud de la France (Roquepertuse, Velaux et Entremont, Glanum), associées parfois au culte des têtes coupées (notamment à Entremont, dernier bastion de la résistance des Salyens contre les Romains).
La destruction des têtes et des mains de ces représentations de Kinges, évoque évidemment le sort réservé à notre malheureux Cuchulainn dans la légende irlandaise.
Une des caractéristiques de ces vercingets ou kinges, de ces berserkr celtes, est la lon laith ou luan laith, l’aura émise par la tête du héros quand son âme/esprit (anaon) s’épanche un instant, révélant ainsi toute la lumière (xvarnah en avestique) qui est en lui. Notons néanmoins que dans ce cas leur corps n’est pas « bellissimos/bellissama mais horriblement déformé (cf. Cuchulain et ses riastrades).
Comment ces héroïnes ou ces valeureux héros sont-ils honorés ?
Le culte de ces héroïnes (ou de ces héros) est lié au départ à l’existence du tombeau qui devient l’objet du culte d’hyperdulie. On honore ces hommes ou ces femmes comme des divinités, avec quelques petites différences. Les offrandes et les prières sont adressées le soir parce qu’ils appartiennent au monde des humains défunts (pour les dieu-ou-démons, c’est le matin). Pour les héros la victime est sacrifiée sur un foyer bas, la tête courbée vers le sol, afin que le sang s’écoule goutte à goutte dans une fosse ; les chairs doivent être entièrement consumées par le feu (pour les dieu-ou-démons par contre, on brûle seulement la graisse et les os, la viande étant consommée par les dagolitoi – fidèles – lors de banquets de commensalité avec les dieu-ou-démons).
En ce qui concerne ces sacrifices animaux dans la partie Ancien Testament de la Bible, voir le chapitre VII du lévitique.
Prescriptions pour les prêtres : le sacrifice de réparation.
« Règles concernant le sacrifice de réparation. On doit égorger l’animal à l’endroit où l’on égorge les animaux que l’on offre en sacrifices complets, puis l’on asperge de son sang les côtés de l’autel. On présente au Seigneur les morceaux gras suivant : la queue, la graisse qui recouvre les entrailles, les deux rognons avec la graisse qui adhère à cet organe ainsi qu’aux flancs, et le lobe du foie que l’on détache en même temps que les rognons. Le prêtre brûle le tout sur l’autel. C’est un sacrifice de réparation, consumé pour le Seigneur. Seuls les hommes des familles sacerdotales peuvent manger de la viande de cet animal ; ils la consommeront dans un endroit réservé du sanctuaire, puisqu’elle est strictement réservée à Dieu. Ces règles concernant le sacrifice de réparation sont identiques à celles qui concernent le sacrifice pour obtenir le pardon. La viande de l’animal revient au prêtre qui a présidé la cérémonie de pardon » (sic).
On peut aussi célébrer des fêtes pour les morts célèbres ou pour les héroïnes les plus importantes (cas de celle qui fut instituée par Lug en mémoire de sa mère adoptive Talantio/Tailtiu par exemple, ou Rosemartha suivant d’autres versions du mythe panceltique originel). Dans la déviation irlandaise, elle est la fille de Mag Mor, ce qui signifie grande plaine certes, mais souvent aussi « autre monde » (ce qui en ferait un élémental donc ???) ; ainsi que l’épouse du dernier roi des Gaulois Fir Bolg, Eochaid Mac Eirc, dont le règne était réputé pour sa justice et sa prospérité. Elle est présente dans le texte mythique du Lebor Gabála Érenn (Livre des Conquêtes d’Irlande) où, ayant survécu à la « Première bataille de la plaine aux piliers » ; qui voit la défaite des êtres humains Fir Bolg (des Gaulois), vaincus par la tribu de la déesse ou démone, ou fée, Danu (bia) ??? Elle deviendra la mère adoptive du dieu-ou-démon Lug. Elle défriche la forêt de Breg, pour en faire une plaine cultivable, ce qui la fait mourir d’épuisement. En guise de cérémonie funèbre, Lug organisera des cérémonies en son honneur (Oenach Tailteann) chaque 1er août.
Voici ce que nous dit le site internet du gouvernement français à propos de la petite ville provençale d’Entremont.
La nature humaine du héros le rend plus proche des vivants de sa communauté d’origine que ne le sont les divinités locales, toujours lointaines et imprévisibles.
Les premières expressions sculptées de l’âge du Fer seront consacrées à ces individus honorés, d’autant plus que la représentation des dieu-ou-démons, sous une forme anthropomorphe, n’a pas encore de sens dans la spiritualité des Celtes.
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À la fin du premier âge du fer, nos héros assis en position de Bouddha, hiératiques, en prière, et aux vêtements chamarrés ; sont disposés dans un environnement d’expressions symboliques du monde et des puissances du monde parallèle au nôtre que l’on appelle l’Au-delà. Dans les Bouches-du-Rhône, à Roquepertuse, les statues sont complétées par un bestiaire naturaliste ou fantastique, qui participe du discours cosmologique ou eschatologique druidique. Au centre de cet enseignement visuel doit culminer la notion de survie de l’âme inférieure, celle qui résidait dans les crânes des ancêtres, présents sous la forme de reliques. De tels sanctuaires avaient certainement valeur de lieux oraculaires, ainsi que le suggèrent les pratiques rapportées par Nicandre de Colophon vers 150 avant notre ère (cité par Tertullien, De anima, 57).
« À propos des visions nocturnes, on expose souvent que les morts ne sont pas vus en vain – car, ainsi que l’affirme Nicandre, les Nassamons prennent des oracles particuliers en restant près des tombes de leurs parents… Et les Celtes pour la même raison passent la nuit près des tombeaux de leurs héros… »
L’Irlande connaissait d’ailleurs aussi la chose si l’on en croit le récit nous relatant dans quelles conditions fut retrouvée la légende de l’enlèvement des bœufs de Cooley.
« Les vellèdes d’Irlande furent convoqués par Senchan Torpeist pour savoir s’ils connaissaient la totalité du récit de l’enlèvement des vaches de Cooley (la Tain Bo Cualnge). Ils répondirent qu’ils n’en connaissaient plus que des fragments. Senchan demanda ensuite à ses élèves lequel d’entre eux irait, afin d’avoir sa bénédiction, en terre de Letha (??) pour apprendre la Tain que le sage avait emportée vers l’est pour son Cuilmen (grand parchemin). Emire, petit-fils de Ninene, et Muirgen, fils de Senchan, partirent donc dans cette direction. Ils se dirigèrent vers la tombe de Fergus mac Roig et arrivèrent devant sa stèle funéraire à Enloch, dans le Connaught. Muirgen s’assit sur sa tombe et chacun le quitta ensuite afin de trouver une maison où passer la nuit. Muirgen récita une incantation sur la pierre tombale comme s’il s’adressait à Fergus en personne… et il y eut soudain comme un grand brouillard autour de lui. Ses compagnons disparurent pendant trois jours et trois nuits. Fergus vint alors à lui, en grande tenue, avec un manteau vert, une tunique à capuchon aux broderies rouges, une épée à pommeau en or ; et il lui fit savoir le contenu de la Tain tout entière, telle qu’elle avait été composée, du commencement jusqu’à la fin ».
À Entremont, les grands héros, guerriers en armes, entourés de leurs trophées, sont au centre ou à proximité de la représentation des membres de leur lignage aristocratique, des petits seigneurs accompagnés de leurs familles. Le réalisme dans l’expression va jusqu’aux détails des bijoux, des torques à tampons et des bottines en cuir lacées. Les personnages ne sont plus liés au socle de présentation comme auparavant, ce qui laisse supposer l’usage de supports spécifiques (des piliers massifs ?) pour les exposer en position surélevée. Autour de nos héros, réels ou mythiques, les têtes reliques des ancêtres ont disparu, pour faire place à la figuration des familles vivantes ou à leurs proches ancêtres.
L’atmosphère spiritualiste antérieure des sanctuaires s’est muée en une expression moins intemporelle et plus réaliste (Site archéologique de l’oppidum d’Entremont).
Note à propos du culte des morts chez les Hébreux de la Bible retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau.
La Rochelle le 2 mai 2009.
Teraphim, quelquefois orthographié Terapim est un mot hébreu tiré de la Bible, qu’on ne trouve que sous forme plurielle, et dont l’étymologie reste inconnue. Certains affirment que les Teraphim seraient des sortes de crânes humains momifiés, mais les fouilles de Jéricho n’ont pas révélé l’usage de ce type de reliques. Les découvertes des archéologues en Mésopotamie – à Nouzi, ville antique à l’est du Tigre et au sud-est de Ninive qui a été fouillée de 1925 à 1931 – indiquent que la possession des teraphim avait une incidence sur les droits concernant l’héritage familial. Selon une tablette trouvée à Nouzi, la possession des dieu-ou-démons domestiques pouvait, en certaines circonstances, autoriser un gendre à comparaître devant un tribunal pour réclamer les biens de son beau-père décédé. Il se peut donc que Rachel, ayant eu cela à l’esprit, se soit dit qu’elle était en droit de prendre les teraphim puisque son père avait usé de tromperie envers son mari Jacob (voir Genèse 31, 14-16). L’importance des teraphim en matière d’héritage pourrait aussi expliquer pourquoi Laban se soucia tant de les récupérer, au point de prendre ses frères avec lui et de poursuivre Jacob sur une distance équivalant
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à sept jours de marche (Genèse 31, 19-30). Selon la Bible, les teraphim disparurent lorsque Jacob enterra sous le grand arbre qui était près de Sichem, les dieu-ou-démons étrangers que lui avaient remis les membres de sa maisonnée (Genèse 35, 1-4). Dans le livre de Samuel, Michal trompe les hommes de Saül en leur faisant croire qu’un Teraph dans son lit est David. Dans le même récit, on apprend également que dans chaque foyer, il y avait une place réservée pour les Teraphim.
ANNEXE N° 7.
MARICCOS LE HÉROS PROPHÈTE ET DEMI-DIEU (+ 69).
La lecture du fascicule d’Auguste Dupont sur le sujet, paru sous le titre « Essai sur la Révolution religieuse tentée par le Boïen Mariccus au pays entre Loire et Allier évangélisé par saint Patrice » (en 1870) nous a laissés songeurs…
Il est vrai que d’aucuns ont fait de ce héros de l’indépendance celtique une sorte de saint ; car on appelle sainteté (sanctitas) dans le monde britto-romain et gallo-romain, en Narbonnaise notamment, la relation charismatique (le patronage divin) pouvant exister entre le dieu-ou-démon souverain (Taran/Toran/Tuireann = Jupiter) et les rois ou les chefs. Cette notion de patronage divin rendue par le terme latin de sanctitas, est un concept religieux à la fois latin et celtique. Notre ami Régis Boyer ajouterait Cimbrique ou Teuton également puisque selon lui la hamingja était (je cite) : « une énergie abstraite qui apporte le pouvoir et la force de vivre, semblable au chi oriental, au mana océanien ou au prana hindou. Une combinaison de la force de la vie et de pouvoir magique ou spirituel, un condensé énergétique de chaque personne. En tant que double de nous-même, la hamingja prend généralement la forme d’un halo lumineux ou d’un animal. Ce concept est similaire à celui des animaux de pouvoirs des autochtones d’Amérique : l’animal de pouvoir abandonne l’individu lorsque celui-ci va à l’encontre de son destin, provoquant ainsi maladies et malchance.
Il s’agit en tout cas d’une entité qui n’est pas extérieure à nous, elle est notre extension. La hamingja nous accompagne lors de voyages astraux ou chamanistes. Contrairement à la fylgja qui nous quitte à notre mort, la hamingja ne disparaît pas, mais se transmet de génération en génération.La deuxième définition rattache la hamingja directement à une famille entière (ou un clan, un groupe, etc.), on peut la considérer comme une réputation familiale. Dans ce cas, elle n’a pas tendance à se présenter sous une forme particulière. D’un point de vue mystique la hamingja peut être considérée comme un amalgame d’âmes, les âmes de la famille. Toutes les âmes influencent par leur conduite le noyau central. On considère que chaque famille est descendante d’une divinité et que chaque individu est une extension de cette divinité. Si les enfants d’une famille n’avaient pas eux-mêmes d’enfants et que la famille venait à s’éteindre, la hamingja prenait fin également.
Dans les deux cas, hamingja se traduit souvent par « chance » ou « fortune » voire « destin ». La chance ou malchance qui anime l’individu ou la famille. Les valeurs, le mode de vie et la conduite de l’individu ou des individus affectent la hamingja pour le meilleur comme pour le pire. Une bonne ou mauvaise action influence cette réputation pour plusieurs générations ».
Les Celtes connaissaient eux aussi une forme particulière de rapports entre leurs dieu-ou-démons et leurs dirigeants, bien rendue par le fait qu’ils se pensaient d’origine divine (descendants d’Ogmios, ou d’Héraklès pour les Grecs, voire descendants de Belin/Belen/Belenos, dit Apollon en interpretatio graeca). Il leur a donc été relativement aisé de penser que cette « sanctitas » ou « hamingja » ou force divine descendant des dieu-ou-démons jusqu’aux grands chefs politiques et guerriers, était transposable au cas de Mariccus.
Le panégyrique de Maximien par Mamertin, texte particulièrement important parce qu’exprimant les idées des rhéteurs celtes de l’époque, commence par la formule suivante « ille siquidem Diocletiani auctor deus… » Ce qui signifie : « le dieu-ou-démon, patron de la lignée de Dioclétien… » Nous avons donc affaire dans ce cas précis à un exemple de syncrétisme celto-romain. Le nom latin de sanctitas étant utilisé pour exprimer une idée druidique : une certaine forme de descendance mythique, ou de patronage divin, des grands dieu-ou-démons celtes, et principalement de Taran/Toran/Tuireann.
Le même processus a eu lieu avec saint Céneri et Saint-Léonard des Bois, des chefs de bagaude opérant aux confins des futurs départements français de la Sarthe et de l’Orne, au IIIe siècle, selon Maurice Bouvier (Les empereurs…)
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N.B. La thèse de cet historien français est acceptable à condition de bien préciser qu’il y aurait eu ensuite fusion ou confusion de ces légendes avec des personnages historiques ultérieurs portant des noms semblables aux VIe et VIIe siècles.
On retrouve d’ailleurs cette notion druidique dans l’utilisation de l’expression numinibus augustorum, rencontrée dans plusieurs inscriptions, et qui renvoie donc au culte impérial. Le numen de l’empereur, c’est sa puissance intérieure, quasi divine, qui l’aide à décider puis agir, dans la bonne direction, sa sanctitas. Cette force impersonnelle est indispensable au bon empereur pour présider aux destinées de l’Empire.
Les très-sachants de la druidiaction (druidecht) d’aujourd’hui ne tiennent pas que de la seule mythologie leur savoir. Les fidèles du malheureux Mariccos ayant survécu ont transmis aux générations suivantes, soit ce qu’ils ont appris de sa bouche, en vivant avec lui, et en le voyant agir, soit ce qu’ils ont compris ensuite à la lumière de son malheureux exemple. Car le malheureux exemple de Mariccos nous montre comment l’homme divinisé peut faire la paix avec les animaux et la nature, par l’émission de vibrations positives. Mais aussi que la politique est une chose (qui peut être recommandable) et la spiritualité une autre (son royaume n’était pas destiné à être de ce monde). Il faut donc là aussi rendre à César ce qui est à César (la vie en société, le conformisme social, la vie de tous les jours) et réserver aux dieux ce qui appartient aux dieux (la spiritualité, la vie privée, la liberté d’opinion).
Le druide Mariccos fut donc PEUT-ÊTRE, la dernière réincarnation (ou avatar ou envoyé) connue, d’un dieu-ou-démon celte.
Avec lui nous avons affaire à une personnalité de type Mahomet, c’est-à-dire une extraordinaire combinaison de spiritualité alliée à un puissant effort de libération nationale (ver sacrum ambicatusien). Mariccos fut lui aussi et tout comme Mahomet entouré de son vivant de toute une isma confinant à l’idolâtrie. Mais attention, dans son cas ce ver sacrum façon Ambicatus (qui combat des deux côtés) est à rapprocher du petit djihad des musulmans et non de leur Grand djihad (la lutte… contre soi-même). Et l’isma qui doit être vouée à Mariccus doit être une isma de type dulie voire hyperdulie, mais certainement pas un culte de lâtrie.
Notes de lecture sur la vie et la mort du grand prophète, que les nouvelles générations vendirent aux occupants (sans cette trahison, ils n’auraient pu le capturer). Certains auteurs ont été jusqu’à penser que ce sont les chrétiens qui le livrèrent aux Romains. À en croire les chrétiens eux-mêmes, le christianisme avait en effet pu gagner ces contrées dès le Ier siècle, avec différents missionnaires envoyés par les apôtres eux-mêmes, et notamment saint Pierre.
« Les Apôtres auraient envoyé sept de leurs disciples, ou même un bien plus grand nombre, fonder les Églises de Gaule et du Rhin. Valère à Trèves, Martial à Limoges, Austremoine (Stremonius) à Clermont, Gatien ou Gratien à Tours. On cite de même pour les pays rhénans, à Trèves, Euchaire, dont Valère semble n’avoir été que le successeur, Crescent à Mayence (ou à Vienne en France), Maternus à Cologne, Clément à Metz. On fait aussi remonter à l’âge apostolique l’Église d’Auxerre, ainsi que celle de Périgueux, avec l’évêque saint Front.
Sur l’apostolat de saint Lazare [à Marseille et à Autun. N.D.L.R.] de sainte Madeleine, et de sainte Marthe en Provence [à Tarascon plus précisément pour sainte Marthe. N.D.L.R.] voir Lehrbuch der Kirchengeschichte fur Studierende. Franz-Xaver Kraus. Tome I. (Traduction sous toutes réserves, mes 4 ans d’allemand sont loin.)
Duchesne dans ses Origines chrétiennes, chap. XXVI remarque d’ailleurs fort judicieusement : « Saint Pothin est le premier évêque gallo-romain dont le nom se soit conservé. Cela ne signifie pas pour autant qu’il soit le plus ancien évêque ou que ce pays n’ait pas reçu la lumière de l’Évangile dès le temps des apôtres. Les faits connus sont une chose, autre chose les faits réels. Le Christianisme doit être aussi ancien dans ce pays que dans les pays de situation géographique analogue, l’Afrique par exemple ». Si nous comprenons bien les diverses traditions à ce sujet (notamment le traité sur la Trinité, De mysterio sanctae trinitatis, attribué aujourd’hui à saint Césaire d’Arles), il y aurait donc eu des chrétiens sur place dès la fin du 1er siècle de notre ère. « Civitas Arelatensis discipulum apostolorum sanctum Trophimum habuit fundatorem, Narbonensis sanctum Paulum, Tolosana sanctum Saturninum, Vasensis sanctum Daphnum. Per istos enim quatuor apostolorum discipulos, in universa Gallia ita sunt ecclesiae constitutae, ut eas per tot annorum spatia numquam permiserit Christus ab adversari occupari. La cité d’Arles a eu saint Trophime, un disciple des apôtres, pour fondateur, celle de Narbonne saint Paul, celle de Toulouse saint Saturnin, celle de Vaison saint Daphnus. Ces quatre disciples des apôtres ont fondé des Églises dans tout le pays, si bien que leur siège n’a jamais été occupé par des hérétiques ».
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Mais comme toujours avec les chrétiens, la vérité se trouve ailleurs ! À travers la carence des textes, il est plus vraisemblable de supposer que le christianisme a été introduit dans le pays par des Orientaux et des Grecs. Il a pénétré dans la région en remontant le Rhône. Mais le caractère complètement étranger de ces premiers prosélytes, et notamment le fait qu’ils parlaient plutôt la langue grecque, ont freiné sa diffusion. Cette dernière ne s’accéléra vraiment qu’au début du IVe siècle, avec l’appui de l’empereur Constantin…
Il semble donc peu vraisemblable que les chrétiens d’Autun aient pu jouer un rôle actif dans l’arrestation finale de Mariccos, même avec l’aide de ceux de Lyon.
Ce qui est vraisemblable par contre, c’est que les premiers chrétiens n’ont rien fait pour s’y opposer, n’ont rien fait pour dénoncer ce scandale, même entre eux. Ils se sont d’emblée retrouvés dans le camp romain, au lieu d’être du côté de cette malheureuse bagaude.
L’empereur Claude avait voulu « romaniser » l’aristocratie celte du territoire. Il tenta de le faire en interdisant l’exercice du culte druidique. Des résistances naquirent, des soulèvements se produisirent, tandis qu’à Rome même, après l’assassinat de Néron, les généraux se disputaient le pouvoir.
Voici comment l’historien français Maurice Bouvier (oui, oui, comme Jacqueline Kennedy) présente les choses dans son livre spécialement consacré aux empereurs.
Le druidisme était en pleine renaissance au moment où le Capitole romain flamba, funeste présage pour l’Empire.
Druides et bardes qui avaient survécu aux persécutions, commencèrent d’appeler à la résistance, en exaltant Mariccos, l’homme prédestiné choisi par les dieu-ou-démons, descendu du ciel pour délivrer le pays du joug étranger. Rome a été prise par les Celtes, mais, le temple de Jupiter étant demeuré intact, l’Empire romain a subsisté. Le feu – qui la ravage maintenant – est le signe de la colère céleste. L’Empire des choses terrestres va maintenant passer aux peuples transalpins. Voilà ce que les druides – et donc Mariccos – chantaient (sic) à l’époque.
Bref, les très-sachants de la druidiaction (druidecht), s’appuyant sur diverses croyances populaires, préparent le soulèvement du peuple vers + 69 ; regroupant de huit à dix mille hommes autour de Mariccos qui, pour assurer son recrutement, promettait l’affranchissement des esclaves et le droit de vivre à l’abri des exactions romaines.
Bientôt il contrôla une partie des terres et surtout des forêts, occupant la moitié de l’actuel département français de l’Allier. [Il s’agissait donc d’une des toutes premières bagaudes. N.D.L.R.]
Pour que la rébellion s’étende et s’affirme irrévocablement, il eût fallu que les Éduens se joignent à Mariccos, mais en un siècle, l’influence romaine avait déjà profondément modifié le comportement de leur jeunesse, surtout vu les précédentes répressions. En outre, des intérêts les rattachaient à Rome. Aussi, soit par combat, soit par traîtrise, Mariccos tomba entre leurs mains. Ils le livrèrent à l’empereur Vitellius qui le condamna sur le champ à être livré aux fauves. Au milieu de l’arène, Mariccos, le Boïen, regarda les fauves affamés bondir vers lui, puis s’arrêter, lever la tête, flairer l’air, et enfin reculer puis venir se coucher à ses pieds. Cet homme au regard fascinant, était-il un dompteur né ? Sur les gradins le peuple s’apprêtait à l’applaudir, étonné ou heureux de voir Mariccos démontrer que son invulnérabilité n’était pas une légende.
Un tel rebondissement évoquait en effet, pour la foule présente sur les lieux, le vieux mythe druidique de la divinité domptant les animaux. C’est elle que l’on voit, sur le chaudron de Gundestrup, tenir en respect les éléphants et réduire à l’impuissance le carnassier dévorateur.
Mais l’empereur Vitellius comprit aussitôt le danger et donna l’ordre à ses soldats d’égorger Mariccos qui, frappé à mort, s’écroula dans l’arène où son sang se répandit. Cette exécution fut plus que la mort d’un homme : la fin d’un idéal [celui de la Bagaude de ce temps-là. N.D.L.R].
Les Éduens et les troupes de Vitellius dispersèrent les Boïens et rayèrent de l’Histoire leur cité, la Gergovie « Boïorum », la Gergovie des Boïens, dont l’emplacement reste encore aujourd’hui du domaine de la conjecture.
Ci-dessous le texte exact de Tacite (Hist. II, LXI).
« Parmi toutes ces aventures d’hommes illustres, on éprouvera quelque honte à relater comment un certain Mariccos, un Boïen de basse extraction, prétendant être inspiré par les dieux, tenta de s’immiscer dans le jeu de la Fortune, et de défier Rome par les armes. Se décernant lui-même les
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titres de champion de la Celtique et de dieu (car il assumait cette appellation), il avait déjà réuni huit mille hommes, et prenait possession des villages voisins des Éduens, quand cette formidable tribu-état le fit attaquer par les meilleurs de ses jeunes gens, épaulés par des cohortes de Vitellius, et dispersa cette foule de fanatiques. Mariccus fut capturé dans cet engagement, et fut vite jeté aux bêtes après, mais comme il n’avait pas été d’emblée mis en pièces par elles, il fut un moment considéré comme invulnérable par la foule des insensés, jusqu’à ce qu’il soit exécuté en présence de Vitellius ».
CONCLUSION. Mariccos était donc une sorte d’Orphée celte et il fascinait parce qu’on voyait bien qu’un dieu-ou-démon l’habitait. Il était l’auteur d’hymnes sacrés ou d’incantations magiques. La nature entière semblait réagir à sa voix, il avait toujours une bonne explication à fournir au frémissement des arbres et en l’entendant même les animaux féroces se couchaient à ses pieds.
NOTES ET REMARQUES.
Rappel du point de vue des druides d’aujourd’hui sur certains points particuliers de la croyance des druides de jadis : les signes du destin (ancien druidisme).
Les élémentals étant responsables de chaque phénomène (vent, pluie, monde minéral, monde végétal…) ils étaient donc assimilés à des divinités par les druides antiques. Les arbres de la forêt apportent la sérénité, les eaux de l’Océan la patience et la vérité de ce monde, puisque l’Océan est la mémoire de toute chose. Les vents eux-mêmes peuvent apporter des informations si on les interroge de façon adéquate. Allez dans les bois et parlez au ciel, à la terre, aux rochers, aux rivières et aux ruisseaux. Tous ensemble, ils forment les âme/esprits de la nature. Et la nature n’est ni bonne ni mauvaise, elle est ce qu’elle est et il n’y a qu’elle.
Ceci dit les coïncidences font partie de la vie. Les êtres humains ont une compréhension et une connaissance en général assez limitées des probabilités, nous ne comprenons pas les lois relatives aux grands nombres, et nous succombons facilement à la mémoire sélective et à la validation subjective : cette tendance à se souvenir des corrélations positives et à oublier le plus grand nombre de cas où rien ne se passe de significatif. Le seul point commun en réalité de toutes ces coïncidences est notre désir de les expliquer. Or les coïncidences, aussi remarquables qu’elles puissent parfois paraître, ne sont aucunement surprenantes. En fait, la plupart ne sont que des événements sans aucune signification. Des événements inhabituels deviennent hautement probables lorsqu’assez d’individus sont impliqués. Ceci lève la chape de mystère entourant certains phénomènes et conduit tout simplement vers la réflexion scientifique.
La signification réelle de coïncidences bizarres peut être comprise et expliquée par ce qu’on appelle la loi des très grands nombres. Cette loi statistique établit qu’avec un échantillon suffisamment large, même le plus improbable devient probable, et donc devient « surnaturel ».
1. Mariccos druide et même « grand druide » ?
Rien ne le prouve et rien ne le dément. Le seul historien qui le mentionne le dit « sorti de la plèbe des Boïens », donc de la 3e fonction, mais il pourrait très bien avoir été un druide clandestin. De toute façon, vu le ton du texte de Tacite (dénigrement raciste systématique) tout est possible.
2. Les chrétiens ont influencé les Éduens qui l’ont vendu aux Romains ? L’envoi de missionnaires en Gaule par les Apôtres n’est guère vraisemblable. Les premiers missionnaires chrétiens sont sans doute arrivés cinquante ans plus tard, vers la fin du premier siècle. La communauté chrétienne d’Autun n’est pas connue avant le IIe siècle (mission d’Andoche et de Thyrse chez les Éduens).
3. Souvenir de Mariccos en Bourbonnais, car natif de Neris ? Neris faisait partie de la cité des Bituriges, assez loin de la zone d’implantation boïenne. Neriomagos fut chef-lieu d’un « pagus minor » des Bituriges Cubi, dont le nom fut conservé comme Narzenne < Nericiana, couvrant grosso modo la pointe sud du département actuel du Cher et les zones ouest et sud de l’arrondissement de Montluçon ; loin donc de l’aire boïenne dans la mouvance éduenne (entre Loire et Allier dans la Nièvre, et entre Allier et Aubois dans le Cher). La Guerche sur l’Aubois n’est probablement pas la Gergobia des Boïens : son nom vient du germanique wirkia > guircia. Saint Parize est plus probable, mais pas certain non plus.
4. Mariccos « homme de l’inextricable Pontiniacensis Sylva » (sic) ? Faux, c’est trop loin de l’aire boïenne !
5. Les vraies raisons du non-soutien des Éduens à la cause de Mariccos. Elles sont, au fond, aisées à deviner compte tenu de l’Histoire. Les Éduens s’étaient depuis près d’un siècle, targués d’être « amis du Peuple Romain », même au détriment des intérêts de leurs compatriotes. On retrouve la même mentalité cosmopolite et mercantile, antinationale, aujourd’hui dans ce malheureux pays, car si les Français sont connus pour leur gauche en politique, ils sont également connus pour avoir deux types de droite : la droite nationale et la droite d’affaires, les deux n’ayant pas grand-chose à voir. Leur
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droite nationale vola au secours de la victoire de Vercingétorix à Gergovie en – 51 (avant notre ère) et soutint la révolte de Sacrovir en 21. Ce qui leur avait valu d’ailleurs une féroce répression dans le deuxième cas.
Quarante-huit ans après, ils n’étaient guère pressés de recommencer, d’autant que le mouvement populaire de Mariccos préfigurait les Bagaudes : à la fois maquis de résistants et jacquerie paysanne. Ce second aspect n’était pas fait pour rallier la classe possédante dont les rejetons comme saint Symphorien constituaient la jeunesse dorée d’Augustodunum (Autun) devenue capitale des Éduens à la place de Bibracte.
6. La divinité attestée de l’Entre-Loire et Allier, pays des Ambivaritoi où les Boïens avaient trouvé refuge, était Sinquatis, éponyme de l’actuelle ville de Saincaize.
ANNEXE N° 8.
DE QUELQUES DEMI-DIEUX DRUIDIQUES.
La Bible et le christianisme condamnent nettement l’idée même d’union des dieux (des anges) avec des filles des hommes (Genèse, 6,1-4 ; I Corinthiens 11, 2-16), etc.
Leurs fruits sont toujours monstrueux : des géants vecteurs de mort appelés néphilim.
Genèse chapitre VI. Lorsque les hommes eurent commencé à se multiplier sur la face de la terre, et que des filles leur furent nées, les fils de Dieu virent que les filles des hommes étaient belles, et ils en prirent pour femmes parmi toutes celles qu’ils choisirent… Les Néphilim se trouvaient sur la terre en ces jours-là, et aussi après cela, quand les fils du vrai Dieu continuèrent d’avoir des rapports avec les filles des hommes et qu’elles leur donnèrent des fils : ils furent les hommes forts du temps jadis, les hommes de renom, les Gibborim.
Il en va de même chez les Aryens qui ont toujours bien admis le degré d’être correspondant au demi-dieu-ou-démon.
Chez les Celtes, il est néanmoins difficile de parler de demi-dieu-ou-démons au même sens que dans la mythologie judéo-chrétienne ou grecque. Du reste, en Irlande, dès qu’il s’agit de personnages d’une certaine dimension, légendaires ou pseudo-historiques, tout se passe sur le plan du mythe, et la distinction entre l’humain et le divin perd de son intérêt. Pourtant ce ne sont pas des dieu-ou-démons, car ils n’ont pas de place dans le panth-éon, et la légende assigne en général une chronologie relative à leur existence, avec une naissance, une jeunesse, une vie bien remplie et une mort héroïque et violente. Mais ce ne sont pas non plus des hommes ordinaires, puisqu’ils ont accès à l’Autre Monde, et que le moindre de leurs exploits est hors de portée pour un être humain normal.
Tout se passe à l’inverse de la Judée ou de la Grèce, non pas comme si les dieu-ou-démons descendaient sur terre engendrer des demi-dieu-ou-démons en aimant d’heureuses mortelles ; mais au contraire comme si une fraction appréciable de la société humaine, sacerdotale, royale et militaire, avait brusquement été transportée à l’étage des dieu-ou-démons et de leurs possibilités.
Une autre distinction entre le « dieu-ou-démon » et le « héros » se situe au niveau fonctionnel. Sa qualité guerrière active empêche le héros de prendre une part quelconque à l’exercice de la souveraineté. Les relations du hésus Cuchulainn et de la Morrigu, déesse ou démone de la guerre irlandaise, mais aussi déesse ou démone souveraine, sont par exemple difficiles et tendues (dit autrement, son royaume n’est pas de ce monde).
Un certain nombre des dieu-ou-démons du panth-éon ou plérôme druidique, ne sont en réalité que des anatiomaroi (des grands initiés) défunts, ayant atteint ce que nos amis bouddhistes appellent le statut de bodhisattva. Il est évident par exemple que Vindosenos/Fintan et Tuan Mac Cairill sont des anatiomaroi ou grands initiés de type bodhisattva. Les progrès de la recherche en font peu à peu sortir d’autres de l’ombre. Le semnothée dans ce cas est l’exact opposé du bacuceos, du bacuceos ou du seibaros = fantôme (siabair/siabhradh en gaélique), échappé des glaces de l’avant-paradis (andumno ou anwn) ; illustrées par l’imagerie populaire attachée aux royaumes de Tethra ou de Donn (Donnotegia). C’est volontairement qu’il se maintient dans les premiers degrés de l’autre monde ou qu’il se réincarne sur terre afin de venir en aide aux autres (comme le nemet Cornunnos par exemple).
Le problème est que ce que nous a conservé l’hérésie irlandaise à propos de Vindosenos/Fintan et Tuan Mac Cairill, est si confus, qu’il est bien difficile d’y voir clair.
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N.B. Par hérésie, nous voulons seulement dire : une déviation un peu trop poussée par rapport aux grandes lignes du druidisme antique.
ANNEXE N° 9.
VINDO-SENOS/FINTAN (BLANC-ANCIEN).
Culte de dulie.
En gaélique, Fintan mac Bochra, ou encore Ruanus sous la plume de Giraud de Cambrie (Topographia hibernica, Distinctio III, Cap. III). Deux thèses s’affrontent à son sujet.
Pour les uns il ne s’agit que d’un personnage de fiction, en bref un artifice littéraire conforme aux traditions artistiques des bardes. Vindosenos s’est donc dédoublé ou démultiplié en Irlande, ce qui donne, selon les manuscrits, Fintan, ou Ruan (us), etc.
Pour les autres il s’agit d’un semnothée ou grand initié en quelque sorte avant l’heure, ayant vraiment passé par toutes ces métamorphoses, mais trop prématuré pour avoir exercé une influence comparable à celle de Cornunnos.
Le moins que l’on puisse dire néanmoins est que la transmission orale du mythe de Fintan a été fortement christianisée, lors de sa retranscription, par des clercs au Moyen-âge. On y a notamment ajouté la référence au Déluge et la parenté de Cessair avec Noé, car Fintan mac Bóchra, dans la mythologie irlandaise, est théoriquement associé à l’épopée du peuple de Cessair et au Déluge. Ce qui est historiquement impossible évidemment, ou du moins témoigne de la profonde désorganisation du schéma mythique induite par la christianisation.
Alors que Noé prépare l’Arche avant que le Déluge submerge la terre, Cessair prend le commandement d’une troupe de cinquante femmes, accompagnées de trois hommes : son père Bith, Ladra et Fintan. Ils embarquent pour une navigation de sept ans qui va les mener en Irlande. Les trois hommes épousent toutes les femmes, dix-sept pour Bith, seize pour Ladra. Les dix-sept femmes de Fintan sont Cessair, Lot, Luam, Mall, Mar, Froechar, Femar, Faiblé, Foroll, Cipir, Torrian, Tamall, Tam, Abba, Alla, Baichne, Ebliu et Sille. De toutes ces unions, il n’a qu’un fils, Illann. À la mort de Ladra, puis de Bith, il épouse leurs veuves.
Les membres du peuple de Cessair périssent tous noyés, à l’exception de Fintan, qui se transforme en saumon. Il reste ainsi une année entière sous l’eau, ayant établi sa résidence dans une grotte. Il survit pendant 5 500 années, en se transformant tour à tour en aigle, en faucon, pour finalement reprendre forme humaine.
Lors de la Cath Maighe Tuireadh (première Bataille de la plaine aux tumuli), il sera aux côtés du roi des Gaulois Fir Bolg, Eochaid Mac Eirc, lors de l’invasion des dieu-ou-démons de la déesse ou démone, ou fée, Danu (bia). Dans le récit intitulé Suidigud Tellach Temra (Fondation du Domaine de Tara), c’est lui qui défend l’organisation du pays en quatre provinces ou royaumes, avec une cinquième au centre : Meath, dont la capitale est Tara, résidence du roi des rois ou empereur. Ce qui est une conception druidique traditionnelle que l’on retrouve même en Turquie dans la constitution galate (tétrarchie et drunemeton).
Il est censé avoir quitté la vie terrestre au Ve siècle, une fois l’Irlande convertie au christianisme.
L’invention ne date pas de l’époque de Keating, ni de celle de Giraud de Cambrie : elle était intégrée à l’Histoire bien avant la première transcription légendaire. Nous nous abstiendrons donc de toute initiative dans le démontage ou l’analyse des procédés littéraires de l’invention mythologique irlandaise, dans la mesure où il y a « invention », et nous ne prétendrons pas davantage fonder ou
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rétablir une vérité historique. Il n’est que de relire ou de méditer les hésitations et les prudences de Keating.
L’histoire est, dans le domaine celtique médiéval, un accident, parfois un déguisement de la mythologie, elle n’en est jamais l’essence. Il faut chaque fois bien analyser une donnée en fonction de son contexte, et comprendre chaque récit dans le sens de sa cohérence et de sa signification propres.
Nous avons affaire à un corpus mythologique qui, d’un texte à l’autre, subit des modifications, des retouches de détail ; mais dont la structure demeure immuable à travers toutes les analyses possibles et derrière tous les échafaudages ou les rhabillages chrétiens, dont les Irlandais eux-mêmes l’ont généreusement surchargée. Vu tous ces échafaudages et ces rhabillages, chacun de ces doublets de la littérature irlandaise médiévale a fini par acquérir une originalité propre. Les légendes concernant Fintan ont été, par exemple, beaucoup plus christianisées que celles qui parlent de Tuan (d’où la totale disparition des faits de métempsychose dans les récits le concernant alors que ces phénomènes sont encore mentionnés dans les histoires concernant Tuan Mac Cairell). Un des passages de la légende de la fondation du domaine de Tara, légende qui met en scène Fintan, y fait néanmoins encore discrètement allusion, quand il évoque la mort « sans plus aucun changement de forme » de notre héros ; ce qui prouve bien qu’il y avait aussi, au départ, avant la christianisation, des métempsychoses ou métamorphoses dans la vie de Fintan.
En outre, dans tout ce fatras de légendes, l’un a vécu 430 ans et l’autre 5000. La légende irlandaise de la fondation de Tara, malgré son extrême intérêt, ne nous donne néanmoins qu’une vue très partielle de la personnalité de Vindosenos (Fintan), celle qui justifie l’existence de la royauté suprême. Et s’il est le personnage principal de cet apocryphe, il ne l’est en quelque sorte que par délégation du dieu-ou-démon appelé Trefuilngid dans le texte (Suqellos ??? Taran/Toran/Tuireann ?? L’identification est difficile). En Irlande en tout cas, c’est surtout la nature de leurs missions qui sépare nos personnages. Tuan transmet le souvenir de tous les événements auxquels il a pu assister, alors que Fintan, qui a été témoin de tous ces événements, rappelle en outre l’organisation traditionnelle. L’un fréquente les saints et l’autre conseille le roi des rois, dans la défense et le maintien de la plus illustre institution.
La finalité chrétienne de Fintan rejoint, à l’échelle de l’Irlande, celle de Tuan Mac Cairill pour ce qui est de l’Ulster [la célébrité de Fintan est en effet nationale, alors que celle de Tuan n’est que provinciale]. Mais, à la différence de l’histoire de Tuan, le récit de la fondation du domaine de Tara ne justifie pas les événements passés de l’histoire d’Irlande par le christianisme ; il affirme la légitimité de la royauté de Tara, laquelle reste intacte, à travers et malgré le christianisme. En dépit de toutes les couches de vernis chrétien qui la recouvrent, cette royauté demeure donc celle du dieu-ou-démon surnommé Trefuilngid. Identifier avec certitude le dieu-ou-démon en question est difficile, mais une chose est sûre cependant : Vindosenos (Fintan), lui, n’était pas divin, mais humain. Vindosenos était un semnothée (un grand initié ou anatiomaros de son vivant) certes, mais pas un dieu-ou-démon : les Tuan et Fintan irlandais en effet rendent leur âme à Dieu en odeur de sainteté ou presque, tous les deux.
La légende irlandaise intitulée « la veillée de Fingen » (Airne Fingein) nous donne des précisions sur l’arbre de Fintan. Il est à la fois l’arbre de Vie, l’arbre de l’Autre Monde, et le premier arbre d’Irlande.
Dans le processus de christianisation, il est devenu l’Arbre du Paradis, nourrissant et protégeant son peuple. Il en a déjà été question à propos de Fintan.
Dans les énumérations complètes, les arbres merveilleux sont au nombre de cinq, à raison d’un par province ; mais les textes décrivant les plus célèbres réduisent ce nombre à trois, sans que l’on sache toujours exactement de quelle essence d’arbre il s’agit : chêne, frêne ou if ; mais les fruits produits sont toujours, indépendamment de l’essence d’arbre en question : des glands, des noisettes, des pommes ou des prunelles. D’où l’on peut conclure évidemment que ces arbres sacrés sont des chênes, des noisetiers, des pommiers ou des prunelliers.
Le plus vraisemblable est que chaque arbre considéré isolément est la projection ou la répétition de l’arbre unique, sans âge, à l’essence imprécise ; et qui, pour cette raison, ne peut être décrit que comme étant pourvu de qualités ou de dimensions confinant au grandiose voire au fantastique.
La destinée de l’arbre est liée aussi à celui de Fintan : caché depuis le déluge, il est révélé aux hommes d’Irlande la même nuit où Fintan se réveille de son long sommeil. Fintan cautionne par son réveil la destinée royale de Conn, tout comme il a déjà garanti, dans le récit précédent (la fondation du domaine de Tara), par son enseignement et ses décisions, l’ancienneté, la légitimité ainsi que la pérennité de la royauté de Tara. La christianisation, très peu évangélique du reste, a été menée à son terme ultime et, ici comme dans le récit de la fondation du domaine de Tara, les faits de métempsychose sont passés sous silence. La censure monastique n’a cependant été, ni assez efficace, ni assez poussée, pour que nous ne sachions pas, au travers de textes annexes (le dialogue
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avec le faucon d’Aichill) ; que Fintan a été soumis à des transformations animales comme Tuan Mac Cairill ; et qu’il a été antérieurement un druide de haut rang.
Le grand mot est lâché : un druide de haut rang. Donc un semnothée (un grand initié ou anatiomaros de son vivant), sans doute spécialement attaché au culte d’Ogmios vu son nom en vieux celtique (Vindosenos) et les circonstances dans lesquelles il retrouve toute son éloquence, du moins dans le récit apocryphe irlandais en question.
Le nom de Vindo-senos signifie en effet « vieillard aux cheveux blancs » ; et l’éloquence retrouvée de Fintan, grâce aux rayons solaires de l’envoyé du dieu-ou-démon en question (un bien drôle d’ange effectivement) est assimilée à sept chaînes partant du bout de sa langue. Comme dans le cas de l’Ogmios décrit par Lucien de Samosate.
Le rapport a été dégradé par un long et intensif processus d’absorption chrétienne. Toutefois, il est encore discernable et, tel quel, cet embryon de dossier mérite d’être transmis à nos lecteurs.
ANNEXE N°10.
TUNOS CARILLIGENOS/TUAN MAC CAIRILL.
Culte de dulie.
Tuan Mac Cairill représente la préservation du savoir par transmission de génération en génération.
Dans la mythologie gaélique, Tunos Carilligenos ou Tuan Mac Cairill (Tuan fils de Cairill, son nom signifie « silencieux »), est le seul rescapé du cataclysme qui décime le peuple des Partholoniens, autre peuplement irlandais qui fait problème. Il est le neveu de Partholon.
Selon le Lebor Gabála Érenn (Livre des Conquêtes d’Irlande), les Partholoniens (du nom de leur chef Partholon) arrivèrent en Irlande, 312 années après le Déluge (ce qui est déjà évidemment une donnée dont l’aberration est due au christianisme) ; le jour de la fête de Beltene (1er mai). Leur règne va durer 5000 ans, la légende leur attribue l’invention du druidisme, de l’agriculture, de l’élevage, de la métallurgie. Parallèlement, ils doivent lutter contre les vouivres anguipèdes gigantesques, que la tradition irlandaise appelle Fomoires (Andernas sur le Continent).
Tuan est à la fois l’Homme et le Druide primordial. Il ne doit sa survie qu’à des métamorphoses animales successives, pour finalement revenir à l’état humain, afin de transmettre sa science. Sous Partholon, il est homme durant cent ans ; puis à l’époque du Nemet Cornunnos, cerf pendant trois cents ans ; il est sanglier (ou bouc) sous Semion pendant deux cents ans ; il est rapace sous Beothach durant trois cents ans. Enfin, pendant cent ans sous le règne de Mile (ce qui est totalement impossible, l’invasion milésienne étant une invention des bardes du Moyen-âge), il aura la forme d’un saumon. Sous cette forme, il est attrapé par un pêcheur qui l’offre à la reine Cairill, femme de Muiredach Muinderg. Elle le mange et il redevient humain sous le nom de Tuan Mac Cairill.
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ANNEXE N° 11.
VINDOS/FINN.
Culte de dulie encore.
Vindos Camulogenos. Fingal, Finn, Finn mac Cool, Finn mac Coul, Finn mac Cumhail, Finn mac Cumhal, Finn McCool, Fionn, Fionn mac Cool, Fionn mac Cumhail, Fionn mac Cumhal. Héros guerrier très connu en Irlande, en Écosse et dans l’île de Man. Les aventures de Vindos/Finn et de ses compagnons, les Fénianes, constituent le cycle ossianique ou Cycle des Fénianes. Elles sont censées être principalement rapportées par le fils de Vindos/Finn, le célèbre poète guerrier appelé Ossian. La Fraternité des Fénianes tire son nom de ce mythe.
Le nom de Vindos (Fionn ou Finn) est en fait un pseudonyme qui signifie « blond (par référence à la couleur de ses cheveux), blanc, beau, ou de bonne race ». Son prénom d’enfance était Demne, ce qui signifie le daim, et plusieurs légendes content comment il changea de nom lorsque ses cheveux devinrent précocement blancs.
Vindos/Finn est le fils de Camulos/Cumhal, chef fondateur des Fénianes, et de Miren/Muirne, fille du druide Tadg mac Nuadat (qui vivait sous la colline d’Almu dans le Comté de Kildare, du moins d’après la tradition irlandaise). Camulos/Cumhal enleva Miren/Muirne après que son père lui eut refusé sa main. Tadg en appela au roi des rois, l’empereur Conn aux Cent Batailles, qui le déclara hors-la-loi. La bataille de Cnucha opposa Conn et Camulos/Cumhal. Ce dernier fut tué par Goll mac Morna, qui prit la tête des Fénianes.
Miren/Muirne étant déjà enceinte, son père la rejette et ordonne à ses gens de la brûler ; mais Conn ne put l’accepter. Il la plaça sous la protection de Fiacal mac Conchinn, dont la femme, la « druidesse » Bodhmall était la propre sœur de Camulos/Cumhal. Dans la maison de Fiacal, elle donna le jour à un fils, qu’elle appela Demne.
Miren/Muirne laissa l’enfant sous la protection de Bodhmall et d’une fée guerrière, Liath Luachra, qui l’élevèrent toutes deux en secret au cœur de la forêt de Sliab Bladma, tout en lui enseignant l’art de la guerre et de la chasse.
Le jeune homme fit la connaissance, un jour, du poète appelé Finegas, près de la Boyne, et ce dernier devint son tuteur. Finegas – aussi appelé Finneces – avait pendant sept ans essayés, mais en vain, de capturer le Saumon de la sagesse. Celui qui mangerait en premier de ce poisson devait entrer en possession de toutes les connaissances possibles. Et Finegas finira effectivement par l’attraper, mais ce fut Finn qui avala en premier un morceau de sa chair, par accident, juste en suçant son pouce brûlé par l’eau de la cuisson. Il découvrit alors comment se venger de Goll, et fut par la suite capable d’accéder chaque fois au savoir du saumon magique, rien qu’en suçant son pouce, ou plus exactement rien qu’en plaçant son pouce sous sa dent de sagesse (N.B. Cette histoire ressemble beaucoup au conte gallois de Gwion Bach).
Chaque année depuis près d’un quart de siècle à Samon (ios), l’esprit malin appelé Aillen se jouait des hommes de Tara, en les endormant au moyen d’une mystérieuse musique, avant de réduire leur palais en cendre. Les Fénianes, dirigés alors par Goll mac Morna, étaient incapables de l’en empêcher. Vindos/Finn se rendit à Tara, muni du sac en peau de grue contenant les armes magiques de son père. Il se maintint éveillé en se piquant avec la pointe de sa propre lance, et tua ensuite Aillen avec. Après cela, il fut reconnu chef des Fénianes, et Goll, quelque peu contraint et forcé par les événements, lui jura obéissance et fidélité.
Vindos/Finn demanda ensuite des dommages et intérêts pour la mort de son père – imputable à Tadg son grand-père – en menaçant de lui faire la guerre ou de l’affronter en combat singulier s’il refusait. Tadg lui céda donc la colline d’Almu, sa demeure, en guise de dédommagement.
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Finn rencontra sa femme, Sadbh ou Sadv, transformée en biche, alors qu’il chassait. Elle avait été métamorphosée de la sorte par un « druide » appelé Fer Doirich. Les chiens de chasse de Finn, Bran et Sceolang, qui avaient aussi été des hommes auparavant, sentirent aussitôt qu’elle était humaine, et Finn l’épargna. Elle se retransforma ensuite en une magnifique jeune femme. Après leur mariage, elle tomba rapidement enceinte. Mais Fer Doirich refit surface et la métamorphosa de nouveau en biche. Sadbh disparut.
Sept années passèrent avant que Finn ne finisse par trouver dans les bois leur fils, Ossian, qui devint plus tard lui aussi un des Fénianes.
Dans l’une des plus tragiques histoires d’amour de tous les temps, Cormac Mac Airt, Ard ri Érenn (empereur ou roi des rois d’Irlande), promet à Finn, devenu veuf, sa fille, Grannia. Mais la belle s’éprend d’un autre féniane, Diarmat Ua Duibhne. Le couple s’enfuit avec l’aide de Mabon/Maponos/Oengus, le père adoptif de Diarmat. Vindos/Finn finit par pardonner aux deux amants, mais quelques années plus tard néanmoins, se vengera de ce dernier à la suite d’un malheureux accident de chasse : Diarmat y est grièvement blessé par un sanglier diabolique, à Ben Gulban. Vindos/Finn avait le pouvoir de guérir toute personne buvant de l’eau dans ses mains, mais il fit exprès de la laisser s’échapper avant que la moindre goutte atteigne les lèvres de Diarmat.
Le récit de la mort de Vindos/Finn varie. À en croire certaines versions d’ailleurs, il ne serait pas mort, mais dormirait dans une grotte, prêt à se réveiller pour défendre son pays en cas de besoin. Ce qui ressemble beaucoup à la dormition du roi Arthur dans l’île d’Avallon. Une autre légende prétend que Vindos/Finn, sa femme et son fils, ont été transformés en piliers de pierre, dans la crypte de la cathédrale de Lund, en Suède.
En Irlande, on attribue à Vindos/Finn de nombreuses particularités géographiques. C’est lui par exemple qui aurait construit la Chaussée des géants pour aller en Écosse à pied sec. Vindos/Finn a également donné son nom à la grotte de Fingal, en Écosse, qui laisse voir le même basalte hexagonal caractéristique que la Chaussée des Géants. Il aurait, en une autre occasion, arraché une partie de l’Irlande pour la lancer sur un rival. Le morceau de rocher ainsi propulsé aurait atterri dans la Mer d’Irlande, d’où l’île de Man ; le trou béant laissé derrière en Irlande devenant le Lough Neagh.
En 1761, un précepteur écossais nommé James Macpherson s’inspira de ces aventures pour composer divers poèmes qui n’étaient pourtant que des contrefaçons. Ces supercheries un peu analogues à celles du Gallois Iolo Morgannwg eurent néanmoins une influence considérable sur des hommes comme Goethe, Bonaparte, ou le jeune Walter Scott.
Finn Mac Cumaill est encore très présent dans la littérature irlandaise moderne. Il y apparaît à plusieurs reprises, et même dans une chanson des Dropkick Murphys, éditée dans leur album Sing Loud Sing Proud.
Il est possible que Vindos/Finn ait un équivalent au Pays de Galles dans le personnage de Gwynn ap Nudd, Nudd correspondant au grand-père de Vindos/Finn, Nuada dans la tradition irlandaise.
Gwynn ap Nudd est un des souverains de l’Anwyn, l’autre antichambre du paradis, des légendes galloises. Il est le fils de Nudd et le frère d’Yder et de Bebhinn.
Il a un rôle psychopompe puisque l’une de ses fonctions est de rabattre les âme/esprits des morts vers l’Anwyn, accompagné d’une meute de chiens surnaturels, les Cwn Annwn.
Dans le conte arthurien Kulhwch et Olwen, Creiddylad, fille de Lludd Llaw Ereint, la plus belle fille de tout le pays, s’enfuit avec un dénommé Gwythyr, fils de Creidawl. Mais avant qu’ils n’aient pu consommer leur union, Gwynn enlève la jeune fille. L’amant lève une armée, mais le ravisseur est victorieux et fait prisonnier de nombreux guerriers. Tous ces nobles seigneurs ne seront libérés que sur intervention du roi de Bretagne (Arthur), qui décide que Creiddylad demeurera chez son père, sans que ni l’un ni l’autre ne puisse l’approcher. Depuis lors, tous les ans, aux calendes de mai, Gwynn et Gwythyr se battent pour Creiddylad, et il en sera ainsi jusqu’au jour du Jugement dernier.
Gwynn ap Nudd participe également à la chasse mythique d’Arthur contre le sanglier appelé Troït/Trwyth. Ce qui n’est pas sans rappeler le tragique épisode de la mort de Dermot, tué par le sanglier de Ben Gulban, dans la version irlandaise des aventures de Vindos/Finn ou Fingal.
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ANNEXE N° 12.
MONGAN.
Culte de dulie toujours.
Le roi Mongan est en principe un personnage historique signalé par les Annales et dont la mort est située par Tigernach en 625, lors d’une bataille contre les Gallois : « tué d’une pierre lancée par Artur ».
Mais cette date n’a rien de certain, car le Chronicon Scottorum fait de lui un contemporain d’événements qui se sont produits en 544. Le livre de Leinster nous donne quelques détails historiques de plus sur Dublacha et sa mère Cuman Dub.
Le roi Mongan est, en dépit de ses quelques faiblesses humaines, engagé à coup sûr dans le mythe. Nous avons avec lui un exemple supplémentaire de ce à quoi les Irlandais faisaient servir leur Histoire. L’Histoire s’évanouit, remplacée par le Mythe, qui dépeint et qui règle, qui coordonne et hiérarchise, les relations des dieu-ou-démons, et des hommes ; ou bien encore des hommes entre eux sous la houlette des dieu-ou-démons. À l’inverse des Romains, qui plaçaient la légende dans le cadre de l’Histoire, les conteurs celtes ont placé l’Histoire dans le cadre de la légende.
Les quelques commentateurs contemporains qui se sont penchés sur son cas ont cherché sa trace à la fois dans l’Histoire et dans le Mythe, sans toujours bien marquer la ligne de séparation entre les deux domaines ; ligne de séparation qui, en chronologie simple, est la conversion de l’Irlande au christianisme, mais qui, dans les faits, est rendue indistincte ou discontinue par l’adaptation des mythes aux normes évangéliques ou bibliques. Mongan a été ou est devenu un grand roi et il est normal que lui et son épouse aient bénéficié d’une place dans les longues listes généalogiques et les poèmes didactiques. Il n’est pas anormal non plus qu’on l’ait fait s’entretenir avec saint Colomba d’Iona. Ces faits sont des épiphénomènes de la transmission écrite d’une tradition orale, et ils dépendent de l’historicisation d’un roi ou d’un héros légendaire. Conchobar, roi mythique d’Ulster, et Cûchulainn, guerrier mythique de la même province, n’ont pas été traités autrement.
Dans la légende de Mongan l’événement principal ce n’est pas la bataille de Degsastan contre les Saxons ou la bataille contre les guerriers du roi de Scandinavie, c’est la conception et la naissance de Mongan. La naissance de Mongan appartient au thème classique, et presque usé, des amours d’un dieu-ou-démon et d’une mortelle. Dans le cas de Mongan, l’union de la reine et du dieu-ou-démon est le prix ou la condition d’une aide militaire. Transaction, marché ou convention, qui, si elle est bien dans l’esprit juridique de l’Irlande, est incompatible avec la morale chrétienne du mariage. Et l’incompatibilité sera encore aggravée par l’attitude du mari qui, non seulement ne se sent pas outragé, mais accepte l’intervention sans rien voir de répréhensible dans la conduite de son épouse. Les circonstances mêmes de la conception et de la naissance de Mongan le prémunissent et l’immunisent donc contre toute approche du christianisme. Le propos du récit étant d’affirmer clairement, sans ambiguïté ni équivoque, la filiation divine de l’enfant ; l’origine divine de Mongan, futur roi d’Ulster, sera rendue patente par la décision de Belenos Barinthus Manannan, de l’emmener, dès le troisième jour de sa vie, dans l’Autre Monde, pour y faire son éducation. Fiachna n’est qu’un père putatif et le cas est similaire à celui de Cuchulainn qui, fils putatif de Sualtam, si ce n’est du roi Conchobar, est en fait un fils du dieu-ou-démon Lug.
Certaines légendes irlandaises font de Mongan une réincarnation de Vindos Camulos. Il s’agit là d’une belle hérésie. Par hérésie, nous voulons seulement dire une déviation insigne par rapport aux grandes lignes du druidisme continental et même centre-européen, antique.
Dans cette légende, de toute façon apocryphe, le nom de Mongan apparaît une fois, et seulement une fois, en formation complète : Mongân Find mac Fiachna Finn : « Mongan le Beau, fils de Fiachna le
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beau » ; le surnom adjectival Find ou Finn (en graphie plus récente) signifie également « blanc ». Un seul fragment de cette histoire, en tout et pour tout, nous dit que Mongan est Find, fils de Cumall. C’est le deuxième, dans son titre et dans le seul paragraphe 6, sans clarté excessive. Cailté, le revenant parle pour contredire Forgoll.
Bâmârni latsu la Find ol in t-oclach (J’étais alors avec toi, c’est-à-dire avec Find, dit le guerrier) et Bâmârni la Find trâ ol se dulodmar di Albae (j’étais avec Find et nous revenions d’Écosse). Cela peut se comprendre comme une allusion sans équivoque à l’expédition de Fiachna Find en Écosse.
Puis, au paragraphe 7, nous lisons « ba hé Find dano inti Mongân acht nad leic a forndisse… » (C’était alors Find qui était ce Mongan, bien qu’il ne permît pas qu’on le dît).
N’y aurait-il pas eu confusion du surnom de Fiachna Find et de Mongan Find avec le nom de Find mac Camulos ?
ANNEXE N° 13.
TERMES ET LIMITES DE CETTE ÉTUDE.
En Irlande et en Grande-Bretagne, les légendes concernant certains personnages historiques contiennent aussi de nombreux éléments relevant de la mythologie. Mais ces personnages n’étant nullement surhumains (ni grands initiés ni demi-dieu-ou-démons) et les exploits qu’on leur a généreusement attribués s’avérant de façon évidente empruntés à des mythologies extérieures, non à une biographie strictement historique ; nous n’en parlerons pas dans cet essai, mais dans un autre livre. Quelques exemples cependant pour illustrer notre propos.
Le roi irlandais Conn Cetchathach (aux cent batailles), fils de Deiflimid Rechtmar, fils de Tuathal Techtmar, fils de Feradach Findfechtnach, fils de Crimthan Nia Nair, fils de Lugaïd Riabh nDerg… on ne saurait mieux rattacher les origines d’un souverain ou d’un prince à la mythologie traditionnelle. La royauté de Tara ne s’explique et ne se justifie pas en dehors de cette mythologie.
La vie de ce roi est littéralement truffée de prodiges plus mythiques les uns que les autres, mais il n’en demeure pas moins qu’il s’agit bel et bien au départ d’un personnage historique. Le manuscrit gaélique intitulé Airne Fingen (la veillée de Fingen) a pour objet d’énumérer ou de célébrer les prodiges qui accompagnèrent, selon la tradition, la naissance de Conn.
Ces prodiges sont désignés ici du nom de buaid, pluriel buada, mot qui signifie proprement « victoire, succès, triomphe », et s’emploie souvent au sens quasi mystique d’exploit extraordinaire et merveilleux.
Cet extrait de la légende du grand roi Conn, telle qu’elle se présente à nous, est beaucoup plus proche de la mythologie que du folklore, mais elle est assez typiquement irlandaise pour ne plus être universelle. Une telle légende illustre une conception celtique et indo-européenne de la royauté idéale, plutôt qu’un fait ou une série de superstitions populaires. Et parce qu’elle est idéale, cette royauté de Conn plonge sans transition dans la mythologie, selon une méthode bien irlandaise. L’homme historique qu’est Conn, même si les Annales des Quatre Maîtres le font régner de 122 à 157 de notre ère n’est, en tant que tel, qu’un maigre prétexte. La précision doit être apportée d’emblée, sans quoi on court le risque de se méprendre gravement sur le fond du récit. Car il y a beaucoup plus de mythologie réelle dans l’histoire d’Irlande quand elle se rapporte aux origines, que de traces tangibles d’histoire dans le mythe.
Conn n’est pas un dieu-ou-démon, pas même un demi-dieu-ou-démon, mais il est situé par le récit sur le même plan que les dieu-ou-démons devenus rois d’Irlande, par l’intermédiaire d’une évhémérisation tardive, chrétienne et superficielle. C’est donc à ce titre que les merveilles de la nuit de sa naissance nous intéressent.
Même chose pour Art et Conle le rouge (son frère) ou pour Cormac Mac Art. Aucun souverain irlandais, pour historique qu’il soit – et ils le sont tous généralement très peu dans les textes mythologiques ou épiques – n’échappe à l’emprise des dieu-ou-démons de l’Autre Monde.
Certains ont également pensé que le souverain du Munster appelé Cûroi Mac Daire, fut lui aussi peu ou prou, un dieu-ou-démon, à l’origine, à cause de sa taille gigantesque et de son opposition farouche au Hesus Cuchulainn.
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N’oublions pas non plus Ailill et la reine Medb, vu leur rôle dans le rêve d’Oengus (Aislinge Oengusso).
Voire même Ossian, Oscar, Caletios/Cailte, Diarmat (Dermot) et Grannia. Ce sont tous des personnages mi-historiques mi-légendaires, et leurs légendes (les aventures de Cormac, etc.) contiennent de nombreux éléments relevant de la mythologie druidique.
Idem pour les aislingi (visions) comme celle de Tondale (Tungdal) et celle d’Adamnan ou le Purgatoire de saint Patrice, sans oublier l’Elucidarium du moine irlandais Honorius Augustodunensis (XIIe siècle), qui contiennent, elles aussi, de nombreux éléments eschatologiques. Considérablement déformés il est vrai, par l’ignorance du contexte originel dont ils ont été malheureusement abstraits.
Un ouvrage à part leur sera donc ultérieurement consacré vu leur importance dans l’élaboration des idées chrétiennes sur l’enfer.
POSTFACE À LA JOHN TOLAND.
Les pseudodruides à la filiation initiatique mirobolante (la fameuse et inénarrable tradition primordiale) s’étant multipliés depuis quelque temps ; il nous a paru nécessaire de mettre à la disposition de tout un chacun ces quelques notes, hâtivement rédigées un soir de novembre, afin de donner à nos lecteurs envie d’en savoir plus sur le vrai druidisme. Ce travail se veut honnête, mais en aucune façon neutre. Il s’est donné pour objectif de défendre ou de réhabiliter la cluto (renommée) de cette antique religion.
Rien ne remplace la méditation personnelle y compris sur les lais obscurs ou incompréhensibles parsemant ces livres et qui ont été insérés à dessein afin de vous obliger à réfléchir pour trouver votre propre voie. Ces livres ne sont pas des dogmes à suivre aveuglément et à la lettre. Ainsi que vous le savez sans doute, il faut se méfier comme de la peste de la lettre. La lettre tue, seul l’esprit vivifie. Rien ne remplace non plus l’expérience personnelle et c’est en cheminant que l’on trouve le chemin. Ne comptez donc que sur vos propres forces pour cette quête du Graal. Ce qui compte c’est l’attitude à adopter dans la vie et non les détails du dogme. Le druidisme a moins d’importance que la druidiaction. (Jean-Pierre Martin).
Ces quelques feuillets griffonnés à la va-vite ne sont néanmoins en aucune façon LES LIVRES À LIRE SUR LE SUJET, ils n’en sont qu’un pâle reflet. La seule bibliothèque druidique digne de ce nom n’est pas en effet composée de seulement 12 (ou 27) livres, mais de plusieurs centaines.
Les quelques opuscules constituant cette mini-bibliothèque ne constituent pas un approfondissement et ne sont que quelques manuels destinés aux écoliers du druidisme. Ces résumés simplifiés destinés aux cours primaires de druidisme seront remplacés par des cours d’un niveau quelque peu supérieur, pour ceux qui voudront vraiment l’étudier de façon plus pertinente.
Cette petite bibliothèque est par conséquent un premier essai d’adaptation (destinée aux jeunes adultes) des diverses réflexions sur le savoir et la vérité druidiques, auxquelles ont abouti les premiers résultats de la nouvelle laïcité positive et ouverte, mondiale, en train de s’instaurer.
À la différence du judaïsme, du christianisme, et de l’islam, qui fourmillent littéralement, à propos de l’Être supérieur, d’anthropomorphismes puérils pris au pied de la lettre (fondamentalisme) ; notre druidisme, lui, n’en utilisera que très peu, et s’en tiendra, en ce domaine, au minimum absolu.
Mais pour parler de Dieu-ou-Diable nous allons bien être obligés, nous aussi, d’utiliser un langage, et donc un certain nombre de ces anthropomorphismes. Ou alors il faudrait totalement renoncer à en discuter.
Ce premier rayon de notre future bibliothèque consacrée au sujet a pour objet de montrer avec précision l’harmonieuse authenticité de la volonté et du savoir néo-druidiques. De montrer à quel point ses grandes thèses actuelles ont des racines anciennes, car la Mythologie, c’est notre Bible à nous. Les adaptations de ce bref exposé, exigées par les différences de culture, d’âge, de maturité spirituelle, de situation sociale, etc. seront à faire par les druides concernés (les vellèdes et les autres ?).
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À noter cependant. Important ! Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, ne sont pas (en vrac).
Une révélation divine. Une loi (toujours aussi divine). Une loi (profane ou laïque). Une loi (scientifique). Un dogme. Un Ordre ? Ce que je cherche surtout à faire partager c’est un état d’esprit, rien de plus. Ainsi que l’a très bien dit un jour notre vieux maître :
« NOTRE CIVILISATION N’A PAS LE CHOIX : CE SERA LE CELTISME OU CE SERA LA MORT » (P. Lance).
Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, sont. Du rêve. Une aventure. Un voyage. Une évasion. Un cri de révolte contre la laideur morale et matérielle de cette société.
Une tentative d’atteindre à l’universel en partant du particulier. Un défi. Un obstacle fécond à surmonter. Une incitation à la réflexion. Un guide pour l’action. Une carte. Un plan. Une boussole. Une étoile polaire ou l’étoile du berger là-haut dans la montagne. Un feu la nuit dans une clairière ?
Ce que le rassembleur de ce noyau de bibliothèque, Pierre de La Crau, n’est pas.
— Un dieu.
— Un demi-dieu.
— Un quart de dieu.
— Un petit saint.
— Un philosophe (reconnu, officiel, et breveté ou patenté, comme ceux qui passent à la télévision. Sauf évidemment à prendre le terme en son sens originel, qui est celui d’amateur de sagesse et de savoir).
Ce qu’il est : un homme, et rien de ce qui est humain ne lui est donc étranger. Pierre de la Crau n’a aucun pouvoir surhumain ou exceptionnel. Rien de ce qu’il a dit écrit ou fait ne saurait avoir de valeur intemporelle. Tout au plus espère-t-il que son extrême lucidité à propos de notre société et de son idéologie dominante (voir ses philosophes officiels, ses journalistes, ses masses médias et le politiquement correct des bien-pensants) ; ainsi que son non-conformisme, et son franc-parler, alliés à un solide esprit de contradiction (qui lui ont d’ailleurs valu pas mal de déboires ou d’avanies) ; pourront être utiles.
La présente petite bibliothèque pour débutant « contient la dose d’humanité exigée par l’état actuel de la civilisation » (Henri Lizeray). Elle n’est d’ailleurs qu’un rassemblement de matériau attendant l’architecte ou le maçon ad hoc.
Prochainement paraîtra toute une série de fascicules approfondissant ces éléments de base. Cette présentation différente du savoir druidique préservera néanmoins l’unité et la profonde harmonie entre ces divers exposés d’un seul et même paganisme philosophique et réfléchi : une spiritualité digne de notre époque, une spiritualité pour notre époque.
Cas des traductions dans une langue étrangère (espagnol, allemand, italien, polonais, etc.)
Les fautes d’orthographe de grammaire de style, ainsi que l’écriture des noms propres, pourront être corrigées. Toute autre amélioration du texte pourra également être apportée si nécessaire (par ajout suppression ou modification, de détails) ; Pierre de La Crau ayant toujours regretté de ne pouvoir atteindre à la perfection en ce domaine. Mais à condition de n’altérer ni trahir en rien la pensée de l’auteur de cette compilation raisonnée. Toute illustration sans légende peut être changée. De nouvelles illustrations peuvent être apportées. Mais les illustrations ayant une légende ne devront être qu’améliorées (par substitution d’une bonne photo à un mauvais croquis par exemple ?)
Il va de soi que le coordonnateur de cette rapide et sommaire compilation raisonnée, Pierre de La Crau, ne prétend nullement avoir inventé (ou découvert) lui-même, tout ceci ; qu’il ne prétend en aucune façon que ceci est le fruit de ses recherches personnelles (sur le terrain ou en bibliothèque) ! Ce qui suit est en effet essentiellement issu des excellents ouvrages ou sites internet référencés en bibliographie et dont la consultation directe est fortement recommandée. Nous n’insisterons jamais assez sur notre volonté de ne pas être les hommes d’un livre (du Livre), mais d’au moins douze, comme les Fénianes d’Irlande, pour d’évidentes raisons d’ouverture d’esprit, la vérité étant notre seule religion.
Encore une fois, répétons-le ; le coordonnateur de la mise par écrit de ces quelques notes hâtivement jetées sur le papier ne prétend nullement avoir passé sa vie dans la poussière des bibliothèques ; ou
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sur le terrain, dans la boue des fouilles archéologiques de sauvetage ; afin d’exhumer des témoignages inédits sur le passé de l’Irlande (ou du Pays de Galles ou des Indes ou de la Chine ?)
PIERRE DE LA CRAU NE SE VEUT DONC EN AUCUNE FAÇON L’AUTEUR DES TEXTES QUI PRÉCÈDENT.
IL N’ESSAIE NULLEMENT DE S’EN ATTRIBUER LES MÉRITES. Il n’en est que l’éditeur ou le compilateur. Il s’agit pour la plupart de documents diffusés sur internet à quelques exceptions près. IL EN REVENDIQUE PAR CONTRE TOUS LES DÉFAUTS ET TOUTES LES INSUFFISANCES. Pierre de La Crau ne revendique qu’une chose, les fautes erreurs ou imperfections diverses de ce livre. Lui seul est à blâmer dans ce cas. Mais il fait confiance à ses contemporains (la nature humaine étant ce qu’elle est) pour les lui signaler avec vigueur.
Note retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau et insérée par eux à cet endroit.
J’avoue tout de suite afin de faciliter le travail de mes juges que les hommes comme moi étaient chrétiens à Rome sous Néron, païens à Jérusalem, sorciers à Salem, hérétiques anglais, catholiques irlandais, et aujourd’hui racistes, sexistes, homophobes, islamophobes, en attendant d’être demain koufar ou de nouveau chrétien l’antéchrist le plus bestial de toutes les apocalypses, etc. Bref ainsi qu’on l’aura compris je suis pour le néant la mort la maladie la souffrance……
Par respect pour l’Humanité, afin de gagner du temps, et ne pas lui en faire perdre, je vais faciliter le travail de ceux qui tiennent absolument à être du bon côté de la barrière en combattant (héroïquement bien sûr) afin de sauver le monde de mes griffes (mes idées ou mes penchants, mes tendances).
À ces courageux et implacables détracteurs, dont la profondeur de réflexion digne d’un marquis de Vauvenargues n’a d’égale que l’ampleur de la culture générale d’un Pic de la Mirandole, je dis…
Prenez une feuille de papier, un traitement de texte si vous préférez, mettez-y par ordre d’importance les 20 caractéristiques qui vous semblent les plus graves, les plus odieuses, les plus haïssables, dans l’histoire de l’Humanité, depuis les hommes préhistoriques et Nabuchodonosor, selon vous… ET DITES-VOUS BIEN QUE JE SUIS TOUT LE CONTRAIRE DE VOUS, CAR JE LES AI TOUTES !
On a toujours besoin de boucs émissaires ! Hérétique au Moyen-âge, sorcière à Salem au 17siècle, raciste au 20e siècle, lézard extraterrestre au 21e, je suis l’homme que vous aimerez haïr pour vous sentir meilleur (gentils et intelligents).
Je suis au choix et dans l’ordre d’importance que vous voulez : athée, sataniste, stupide, mongolien, bestial, homosexuel, pervers, homophobe, communiste, nazi, sexiste, philatéliste, menteur pathologique, voleur, suffisant, psychopathe, un monstre d’orgueil faussement modeste, et que sais-je encore, à vous de voir suivant la mode du moment.
Voilà, je ne peux pas faire mieux (pour vous aider à sauver le monde).
[À la différence de mes contempteurs qui sont tous des gens bien, c’est-à-dire jeunes ou modernes et dynamiques, courageux, positifs, gentils, intelligents, instruits, ou du moins qui savent ; faisant preuve de beaucoup de recul dans leur méditation en profondeur sur les tendances lourdes de l’Histoire ; et sur le plan moral ou éthique : généreux, altruistes, mais pauvres évidemment (c’est là leur seul défaut), car donnant tout aux autres ; en outre profondément respectueux de la volonté de Dieu et de la Constitution…
Moi je suis un vieux réactionnaire ankylosé, conformiste, déconnecté de son temps, parano, schizophrène, incohérent, capricieux, jamais content, méchant, bête, n’ayant fait aucune étude ou du moins ignorant tout sur le sujet en question ; coutumier des jugements à l’emporte-pièce fondés sur des préjugés dénués de toute réflexion ; égoïste et riche ; suppôt de Satan et nazo-bolchevick ou stalino-hitlérien de nature. On disait hitléro-trotskiste quand j’étais jeune. En bref un criminel psychopathe dès le petit-déjeuner… ce qui me permet donc de penser ce que je veux, mes critiques aussi d’ailleurs, et d’essayer de le faire savoir à la cantonade].
Signé : le coordonnateur des travaux, Pierre de la Crau dit Hésunertus, chercheur en druidisme. Un homme à qui rien de ce qui est humain ne fut étranger. Chômeur, facteur, divorcé, sans domicile fixe, vagabond, contribuable, justiciable, et électeur cocufié… bref un des neuf milliards d’êtres humains ayant transité sur ce vaisseau spatial donc. Né sur la planète Terre le 13 janvier 1952.
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BIBLIOGRAPHIE DES GRANDES LIGNES.
Pour ce qui est de la bibliographie des détails voir annexe de la dernière leçon, car, comme le dit si bien Henri Lizeray, les traditions, ça doit s’interpréter. C’est là toute la différence qu’il peut y avoir entre ancien druidisme et néo-druidisme.
Le Lebar gabala ou Livre des invasions. Paris 1884 (William O’Dwyer)
Base de l’église druidique. Le druidisme restauré. Henri Lizeray, Paris, 1885.
Les traditions nationales retrouvées. Paris 1892.
Aesus ou la doctrine secrète des druides. Paris 1902.
Ogmios ou Orphée. Paris 1903.
TABLE DES MATIÈRES.
Prédestination.
LA MAGIE DE LA VIE.
De la nature des dieux du druidisme
Le trèfle à cinq feuilles des dieux
Le plérôme druidique
L’interpretatio celtica
L’interpretatio romana
Limites et problèmes de l’interpretatio romana
Cueillette du gui des principes (extension).
LES DIEUX OU DÉMONS (SOUTERRAINS OU AÉRIENS) INFÉRIEURS (CHTONIENS)
L’autre magie de la vie
Du naturel au surnaturel en passant par le préternaturel
Défense et réhabilitation de l’animisme
Les talismans
La magie des lieux : les élémentals (opinion individuelle du druide Jean-Pierre MARTIN)
Balaros ou Toutadis Ater ?
Ariomanos/Arawn Page 050
Donnos/Donn
Les élémentals appelés Andernas sur le Continent, Fomoire en Irlande
Les fées de type Bonnes Mères, maires, ou matres
Survivances médiévales
Les survivances médiévales et contemporaines
Notre Dame de la Vie
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Notre Dame de Lourdes
La première des deux grandes familles de dieu-ou-démons :
Les élémentals (rappel de la thèse du druide Léonorios sur le sujet)
Les élémentals des saisons
Les élémentals du vent
Le soleil la lune et les étoiles
Le feu dans l’eau
Sulis
Grannos
LE CLANN LIR
Lero/Lir/Llyr
Les élémentals de l’eau par José Maria Blasquez
Les élémentals de l’eau : suite 1
Les élémentals de l’eau : suite 2
Autres élémentals des eaux
Un cas spécial : Damona
Un autre cas spécial : la Dame des lacs
Le culte des lacs par José Maria Blasquez
Les forces chtoniennes et souterraines ou les principaux élémentals de la terre
Domnu/Domna/Nerthus
La triade Litavis, Rosemartha, et Talantio
Survivances médiévales : Mélusine
Autres élémentals de la terre, particuliers
Rappel historique sur le vrai peuplement de l’Irlande
Autres élémentals de la terre, particuliers : suite.
Élémentals des hauteurs et des sommets
Élémentals de lieux aménagés par l’Homme
La triade villes-routes-carrefours
Les élémentals de la végétation ou duses
Viridios/Viridus
Les élémentals des herbes médicinales
Les élémentals des arbres
Conclusion
Les âmes/esprits animales ou humaines (égrégores) dites teutatès
Les teutatès ou égrégores animaux
A. Le dragon Tauriscus/Taraskos
Survivances médiévales
B. Le serpent à tête de bélier
C. Le Termagant/Tervagant/Termagaunt
D. L’égrégore des bovidés (Flidais et Donnotaurus)
E. L’égrégore du bison
F. L’égrégore des chevaux
G. L’égrégore des ours
H. L’égrégore des sangliers
I. L’égrégore du loup
J. L’égrégore du chien
K. L’égrégore des caprins
L. L’égrégore du mouton
M. L’égrégore des bêtes de somme
N. L’égrégore des oiseaux
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O. L’égrégore du saumon
Les teutatès ou fées de type matres (égrégores humains)
État de la question laissée par l’interpretatio romana.
I Teutatès ou matres totales (anges gardiens des nations)
II Teutatès ou matres véniales (anges gardiens des petites nations ou tribus)
III Cas mixtes (exemple).
Remarques diverses sur les mères.
IV Les teutatès ou matres véniales (plus limités)
V) Les égrégores de groupes socioprofessionnels
VI) Les anges gardiens familiaux du paganisme
Dolb et Indolb
Du génie ou de la bonne fée de la famille… au génie ou à la bonne fée
de l’individu
ANNEXES.
1 Etanna ou l’âme de l’Humanité
2 Du culte des ancêtres à celui des esprits
3 Les semnothées ou hommes-dieux
4 Semnothée ou theios aner
5 Les grands initiés ou anatiomaroi
6 Héros de type vercinget, kinges, ou demi-dieux
7 Mariccos le héros prophète et demi-dieu
8 De quelques demi-dieux druidiques
9 Vindo-Senos/Fintan (Blanc-Ancien)
10 Carilligenos/Tuan Mac Cairill
11 Vindos/Finn
12 Mongan
13 Termes et limites de cette étude
Postface à la John Toland
Bibliographie des grandes lignes
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DU MÊME AUTEUR.
1. Citations des auteurs antiques parlant des Celtes ou des druides.
2. Généralités liminaires diverses sur les Celtes.
3. Histoire du pacte avec les dieux tome 1.
4. La Bible du druidisme : histoire du pacte avec les dieux tome 2.
5. Histoire du pacte avec les dieux tome 3.
6. Histoire de la paix avec les dieux tome 4.
7. Histoire de la paix avec les dieux tome 5.
8. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande science qui illumine » tome 1.
9. Textes apocryphes irlandais.
10. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande science qui illumine » tome 2.
11. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande Science qui illumine » tome 3.
12. Les cent voies du paganisme. Science et philosophie tome 1 (mythologie druidique).
13. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 2 (mythologie druidique).
14. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 3 (mythologie druidique).
15. Le grand Camminus : éléments de théologie druidique tome 1.
16. Le grand catéchisme : éléments de théologie druidique tome 2.
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17. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 1.
18. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 2.
19. Mystagogie ou théâtre sacré des Celtes antiques.
20. Poèmes celtes.
21. Le génie du paganisme celte tome 1.
22. Le complexe de Roland.
23. Au pied de la lanterne des morts.
24. Les secrets du vieux druide de la forêt ménapienne.
25. Le génie du paganisme celte tome 2 (liberté réciprocité simplicité).
26. Rhétorique : la trahison des clercs).
27. Petit dictionnaire de théologie druidique tome 1.
28. Des philosophes antiques au druide irlandais.
29. Judaïsme christianisme et islam : première partie.
30. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 1.
31. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome2.
32. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 3.
33. Troisième partie tome 1 : Qu’est-ce que l’Islam ? Bref historique de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
34. Troisième partie tome 2 : Qu’est-ce que l’Islam ? Premières approches de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
35. Troisième partie tome 3 : Qu’est-ce que l’Islam ? Les 5 vrais piliers de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
36. Troisième partie tome 4 : Qu’est-ce que l’Islam ? Coups de sonde dans l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
37. Couiro anmenion ou Petit dictionnaire de théologie druidique tome 2.
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