La fin du monde selon les druides n’étant pas un retour définitif au néant, et ne devant pas être comprise comme une destruction totale de toute matière ; une extinction totale ou un anéantissement, mais plutôt comme une libération universelle de toutes les énergies, on ne peut donc pas dire qu’à la fin de l’erdathe, la réalité ou bitos n’existe plus.On doit toujours la considérer comme existante, mais plus au sens habituel du terme. La réalité ou bitos continue à exister ou à posséder de l’être (de l’étant), mais cette réalité n’a plus de nature propre. La signification fondamentale de la notion druidique d’erdathe est plutôt celle d’un état final ou initial (comme l’on voudra) de chaque cycle, sans mort, sans souffrance, sans convoitise, sans haine ni aveuglement. Un état où ne sont plus applicables les formes de représentation et de pensée de notre existence, pas plus que l’alternative de l’existence ou de la non-existence. Il s’agit d’un état que nous sommes incapables de concevoir selon nos catégories de pensée ou de description habituelles.
De toute façon, les affirmations du druidisme sur l’erdathe ne pouvaient être que des images pour circonscrire le non représentable ou l’indicible, le caractère individuel, mais aussi supra-individuel de cet état initial (ou final) de tout cycle.
Tout ce que l’on peut en dire, c’est que le monde des fins ou débuts de cycle, au-delà de l’espace et du temps, échappe encore à toutes les limitations du fini.
Au début d’un cycle, qui est aussi retour au Tokad (au principe de causalité originel appelé Tynghed en gallois, Tonkadur ou Tonket en breton) n’existent ni volonté, ni désir, ni sensation… La préparation de ce nouveau départ du monde rappelle plutôt le Nirvana bouddhiste et notamment un texte du canon pâli qui dit en gros ce qui suit.
«« Il est un domaine où il n’y a ni terre, ni eau, ni feu, ni air, aucun espace infini, aucune conscience infinie, aucun néant, aucune perception ni non-perception, ni ce monde ni un autre monde, ni lune ni soleil. Là, ô moines, je dis qu’il n’y a ni venir, ni partir, ni persistance, ni disparition, ni renaissance. Il n’y a ni levier, ni mouvement, ni objet » (Udâna VIII, 3).
NB. On ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec la vision de Noïbo Adamnan. « C’est une terre sans orgueil, sans mépris, sans mensonge, sans blasphème, sans fraude, sans prétexte, sans honte, sans gêne, sans déshonneur, sans tromperie, sans envieux, sans arrogance, sans épidémie, sans maladie, sans pauvreté, sans dénuement, sans destruction, sans décès, sans salut, sans neige, sans vent, sans humidité, sans bruit, sans tonnerre, sans obscurité, sans froideur. Un noble Royaume, admirable, merveilleux, où règnent le savoir, la lumière, et les parfums d’une Terre abondante, un royaume où règnent les plaisirs de toute bonté ».
La position du vrai druidisme devait se situer entre les deux, voire plutôt du côté de la fin de la vision d’Adamnan.
Le monde nouveau sous des cieux nouveaux qu’implique la fin de l’erdathe, nous ramène en définitive aux toutes premières fractions de seconde du début de l’univers actuel. C’est-à-dire à une réalité défiant toutes les lois de la physique habituelle, puisque Temps et Causalité y sont transcendés.
Cette fin/début de monde ou plus exactement de cycle, que les très-sachants appelaient aredengto (erdathe en ancien irlandais ultérieur) ne semble vide qu’aux yeux de ceux qui ne savent pas. Pour ceux qui savent, et donc pour les druides authentiques, cette erdathe, par tri et sélection, en vue d’une régénération, ne signifie pas pour autant absence de toute sensation agréable.
Car il s’agit quand même du retour en ce monde de la réalité divine qui pénètre et vivifie tout, donc de la réalité la plus réelle : l’être qui habite notre être individuel, et qui constitue finalement tout autre étant.
Le mot apocatastase apparaît dans la Bible, aux Actes des Apôtres, où l’on peut lire : « Il enverra alors le Christ qui vous a été destiné, Jésus, celui que le ciel doit garder jusqu’au temps de l’apokatastasis pantôn dont Dieu a parlé par la bouche de ses saints prophètes » (Actes des Apôtres, 3, 21).
Dans la traduction qu’en donne la Bible de Jérusalem, les deux mots grecs apokatastasis pantôn sont traduits par restauration universelle. Ce choix de traduction efface, hélas ! les nuances de sens du grec sous une terminologie globalisante.
Le mot pantôn peut être assimilé à un « Tout » cosmologique avec une majuscule. Le mot apokatastasis peut être traduit soit en restauration, soit encore en établissement ou rétablissement.