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LE GRAND CAMMINUS
SCIENCE ET PHILOSOPHIE :
ÉLÉMENTS DE THÉOLOGIE DRUIDIQUE.
Tome I
« Les Celtes sont donc un peuple destiné à sauver le monde, par la contamination de son exemple en matière d’écologie » (Pierre de La Crau. Paris. Janvier 1993).
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ODE AUX TRÈS-SACHANTS.
La moitié du malheur de l’Humanité vient du fait que, il y a plusieurs milliers d’années, quelque part au Moyen-Orient, des peuples de par leur langue ont conçu la spiritualité ou la mystique…
— Non comme une quête de sens, d’espoir ou de libération avec les concepts qui s’y rattachent (distinction opposition ou différence entre matière et esprit, éthique, discipline personnelle, philanthropie, vie après la vie, méditation, quête du Graal, pratiques…).
— Mais comme une loi (DIN) gigantesque et protéiforme devant régir la vie quotidienne des hommes avec tout ce que cela implique.
Des obligations ou des interdits que tout un chacun doit respecter jour et nuit.
Des infractions ou des contraventions à cette multitude d’interdits quand ils ne sont pas suivis à la lettre.
Des jugements quand une ou plusieurs de ces lois sont violées.
Des condamnations. Pour les coupables.
Des non-lieux ou des relaxes pour les innocents APPELÉS JUSTES…
CETTE CONFUSION ENTRE LE NUMINEUX ET LE RELIGIEUX PUIS ENTRE LE SACRÉ ET LE PROFANE NOUS POURRIT LA VIE DEPUIS 4000 ANS VIA ISRAËL ET SURTOUT LES NOUVEAUX ISRAËL QUE VEULENT ÊTRE LE CHRISTIANISME ET L’ISLAM.
Le principe de base de notre Ollotouta nous a été donné, il y a longtemps déjà, par notre maître à tous en ce domaine ; le grand barde gaélique fondateur de la Libre-pensée moderne, que l’on évoque habituellement sous le nom anglicisé de John Toland. Il ne peut pas y avoir par définition de choses contraires à la Raison dans de Saintes Écritures émanant vraiment du Divin.
S’il y en a, il s’agit alors, soit d’erreurs, soit de mensonges !
Ou il n’y a aucun mystère, ou alors il ne s’agit en aucune façon d’une révélation divine !
Il n’y a aucun moyen terme…
Nous ne reconnaissons pas d’autre orthodoxie que celle de la Vérité, car, où qu’elle soit en ce monde, doit également se tenir, nous en sommes totalement convaincus, l’Église de Dieu, et pas celle de telle ou telle faction humaine… Nous sommes par conséquent partisans de ne faire aucun quartier à l’erreur sous quelque prétexte que ce soit, chaque fois que nous aurons la possibilité ou l’occasion de l’exposer sous ses vraies couleurs.
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1696. Le christianisme sans mystère.
1702. Vindicius Liberus. Réponse de John Toland aux détracteurs de son « christianisme sans mystère ».
1704. Lettres à Serena contenant l’origine de l’idolâtrie et les raisons du paganisme, l’histoire de la doctrine de l’immortalité de l’âme chez les païens, etc. (Version baron d’Holbach, un philosophe allemand.)
1705. Le vrai socinianisme * en tant qu’exemple de débat courtois en matière de théologie *.
Précédé de l’Indifférence dans les disputes, recommandée par un panthéiste à un ami orthodoxe.
1709. Adeisidaemon ou l’homme sans superstition. Les origines juives.
1712. Lettre contre le papisme, et en particulier contre le fait d’admettre l’autorité des Pères ou des Conciles dans les controverses religieuses, par Sophie Charlotte de Prusse.
1714. Défense des juifs, victimes des préjugés antisémites, et plaidoyer pour leur naturalisation.
1718. Le destin de Rome, des papes, et la fameuse prophétie de saint Malachie, archevêque d’Armagh au treizième siècle.
Nazarenus ou le christianisme juif, goï, et mahométan (version d’Holbach), contenant :
I.L’histoire de l’ancien évangile de Barnabé, ainsi que le moderne évangile apocryphe des mahométans, attribué à ce même apôtre.
II. Le projet original du christianisme expliqué par l’histoire des Nazaréens, résolvant du même coup diverses polémiques à propos de cette divine (mais si hautement pervertie) institution.
III. L’analyse d’un manuscrit des quatre Évangiles irlandais avec un résumé de l’ancien christianisme d’Irlande et de ce que fut la réalité des culdées (un ordre mi-laïc, mi-religieux opposé aux deux derniers évêques de Worcester).
1720. Pantheisticon, sive formula celebrandae sodalitatis socraticae.
Tetradymus.
I. Hodegus. La colonne de feu et de nuée qui a guidé les israélites dans le désert n’était pas un miracle, mais, comme le relate précisément l’Exode, une pratique également connue des autres nations ; et dans ces contrées non seulement utile, mais même nécessaire.
Il. Clidophorus.
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III. Hypatie ou l’histoire de la plus belle, de la plus vertueuse, de la plus instruite, de la plus accomplie des femmes ; qui fut lapidée par le clergé d’Alexandrie, afin de satisfaire l’orgueil, l’ambition, voire la cruauté, de l’archevêque Cyrille, communément, mais très improprement, appelé saint Cyrille.
1726. Histoire critique de la religion celte, contenant un aperçu sur les druides, ou les prêtres et les juges, sur les vates, ou les devins et médecins, et enfin sur les bardes, ou les poètes ; des anciens Bretons, Irlandais ou Écossais. Avec en plus l’histoire d’Abaris l’Hyperboréen, prêtre du soleil.
Un spécimen de la langue armoricaine (dictionnaire breton, irlandais, latin).
1726. Compte-rendu du livre de Giordano Bruno, sur l’infini de l’univers et la pluralité des mondes, traduit de l’édition italienne.
1751. Le Panthéisticon ou le mode de célébration de la société socratique. S. Paterson Londres. Traduction du livre publié en 1720.
« Le Druidisme » est une revue indépendante (indépendante de toute association religieuse ou politique) et qui n’a qu’un seul but : la recherche théorique ou fondamentale en matière de néopaganisme. La double question à laquelle essaie de répondre cette revue d’études théoriques pourrait se résumer ainsi :
« Que pourrait être ou que devrait être, un néo-druidisme actuel, moderne et contemporain ? »
Le « Druidisme » est une revue néopaïenne, strictement néopaïenne, héritière de tous les mouvements authentiques (c’est-à-dire non chrétiens) qui se sont succédé depuis deux mille ans, l’héritière indirecte, mais l’héritière, quand même !
À propos de notre tradition de référence ou de notre filiation intellectuelle soulignons que si les « poètes » du royaume de Domnall mac Muirchertach Ua Néill avaient toujours les imbas forosnai, les teimn laegda ainsi que les dichetal do chennaib 1) à leur répertoire (cf. la conclusion de l’histoire du pillage du château de Maelmilscothach, d’Urard Mac Coisé, un poète mort au XIe siècle), ils étaient peut-être déjà chrétiens quand même depuis plusieurs générations. Il est vrai que ces pratiques (imbas forosnai, teimn…) étaient formellement interdites par l’Église, mais qui sait, il y a eu peut-être des accommodements analogues à ceux des astrologues ou alchimistes du Moyen-âge.
Quoi qu’il en soit notre « Druidisme » est aussi une volonté, la volonté de se rapprocher, au maximum, du druidisme antique, tel qu’il fut (scientifiquement parlant). La volonté aussi néanmoins de moderniser ce druidisme, un retour total au druidisme antique étant exclu (il serait de toute façon impossible).
Exemples de modernisation de ce druidisme païen.
— Abandon aux associations laïques du côté culturel (médecine, poésie, mathématique, etc.). Principe de séparation de l’Église et de l’État.
— Spécialisation par contre dans la spiritualité celtique, ou païenne en général, l’histoire de la religion, la philosophie et la métapsychique (dite aujourd’hui parapsychologie).
— Utilisation dans certains cas du vocabulaire actuel (Église, religion, baptême, et ainsi de suite).
Un juste milieu est évidemment à trouver entre un retour total au druidisme antique (fondamentalisme ou intégrisme) et une modernisation radicale trop révolutionnaire (plus de saie).
L’AAP (athée agnostique panthéiste) celte ayant accepté de cosigner cette petite bibliothèque **, dont il n’est que le rassembleur, le druide Hesunertus (Pierre de La Crau), ne se considère pas comme l’auteur de cet ouvrage collectif. Mais comme le simple porte-parole de l’équipe l’ayant composé. Pour ce qui est des autres sources de cet essai sur le druidisme, voir les remerciements de la bibliographie.
* Les sociniens, puisque c’est ainsi qu’ils furent appelés par la suite, désiraient plus que tout restaurer le vrai christianisme qu’enseigne la Bible. Ils considéraient que la Réforme n’avait fait disparaître qu’une partie de la corruption et du formalisme, présents dans les Églises, tout en laissant subsister le mauvais fond : les enseignements non bibliques (ce qui est très discutable d’ailleurs).
** Ce petit camminus est néanmoins important aussi pour les jeunes… de 7 à 77 ans ! Mantalon siron esi.
1) Do ratath tra do Mael Milscothach iartain cech ni dobrethaigsid suide sin etir ecnaide 7 fileda 7 brithemna la taeb ogaisic a crech 7 is amlaidsin ro ordaigset do tabairt a cach ollamain ina einech 7 ina sa[ru]gad acht cotissad de imus forosnad [di]chetal do chollaib cend 7 tenm laida .i. comenclainn fri rig Temrach do acht co ti de intreide sin FINIT.
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PROLOGUE : LA RELIGION DES DRUIDES DRUIDES.
Si l’on en croit les experts de l’antiquité en ce domaine, Mucius Scaevola (-140 -82) * Varron (-116 + 27) les stoïciens ; il y aurait trois grands types de religion ou de théologie.
— La religion des poètes ou des mystiques qui regorge de contradiction d’anthropomorphismes ou de fantaisie, mais qui séduit beaucoup les peuples et les esprits faibles.
— La religion des « philosophes » la plus dangereuse aux yeux de Scaevola, car elle semble scientifique. Pour Mucius Scaevola les dieux en effet ne sauraient avoir de particularités humaines et ne sauraient donc être représentés (d’où iconoclastie anti christianisme, etc.) et le vrai dieu n’a ni sexe ni âge ni forme physique définie.
— Et la religion des états ou des politiques les plus avisés, la plus décriée apparemment par les premiers chrétiens (Tertullien Ad Nationes, saint Augustin la Cité de Dieu, etc. qui la taxent d’hypocrisie ou lui reprochent de ne pas relever de l’éthique de conviction, mais de l’éthique de responsabilité).
Le druidisme antique lui, connaissait une tripartition théologique différente de celle de Varron et cette théologie tripartite était si tranchée, si marquée, que les noms de ses spécialistes étaient même différents.
Pour la théologie des poètes, c’étaient les bardes, pour la philosophie ou l’étude des forces de la nature, les vates.
Ammien Marcellin Histoire de Rome livre XV chapitre 9.
« Partout dans ces provinces les peuples se civilisant peu à peu, l’étude des sciences nobles put par conséquent s’épanouir, ayant d’abord été initiée par les bardes, les vates [en latin euhagis, les eubages] et les druides… Les vates étudiaient la nature et ses sublimes secrets, en essayant de les expliquer ensuite à leurs disciples. Parmi eux il y avait les druides des hommes qui, etc. »
Au niveau politique les druides druides en tant que conseillers des rois étaient plutôt polythéistes, ce qui correspond donc à la théologie civile de Varron.
Mais Varron ne pensait guère de bien de cette théologie civile qu’il accusait d’hypocrisie en la personne de Mucius Scaevola (-140 -82) tout comme les premiers chrétiens d’ailleurs (Tertullien saint Augustin…), car il n’avait aucune idée de ce que l’on appelle aujourd’hui la laïcité.
Seule l’évolution des sociétés modernes permet aujourd’hui de mieux apprécier la sagesse de ce que fut alors la théologie civile ou politique des druides druides, à savoir non pas l’hypocrisie, mais le polythéisme ou la laïcité pour ce qui est des états. Leur logique n’était pas en effet celle du tiers exclu, elle était plutôt quantique dirions-nous aujourd’hui.
Plus pragmatiques et respectueux des traditions religieuses d’autrui, les druides druides eux admettaient donc sans problème les incarnations, sous réserve de kénose adaptée.
Les trois théologies celle des bardes celle des vates et celle des druides druides étaient en effet solidaires et c’est celle des druides druides qui faisait le lien entre les deux autres, donnant ainsi paradoxalement raison à Scaevola.
*Mucius Scaevola critique la théologie des poètes, mais aussi celle des philosophes, ce qui n’étonnera pas vu sa fonction. Les récits des poètes sont faux et immoraux. Les religions des philosophes droits de l’hommistes **ou individualistes sont plus complexes, mais cela revient au même, car elles sont à comparer aux éthiques de conviction de Max Weber. Leur théologie ne convient pas au politique parce qu’elle comporte des choses dont la pratique ou l’absolutisation nuit à la concorde civile.
**La notion de droits minimaux dus à la seule qualité d’être humain, ou « droits naturels » (recht aicnid en gaélique) est à la fois ancienne et générale. Des droits naturels ou intrinsèques à l’homme sont déjà explicitement mentionnés dans des textes littéraires, comme l’Antigone de Sophocle ou purement philosophiques, comme dans les textes de l’école de pensée des stoïciens.
Dans l’Éthique à Nicomaque, où Aristote évoque le principe de dignité et le respect que l’individu doit porter à autrui.
Dans les Pensées de Marc Aurèle et les Tusculanes de Cicéron (la notion de jus hominum ou « droit des hommes ») qui doivent beaucoup à Platon.
La pensée druidique est plutôt à rechercher du côté du cylindre de Cyrus découvert à Babylone en 1879.
Au début était le mythe avons-nous dit. Certes certes ! Et les druides ont très tôt commencé à raisonner sur tous ces mythes et à réfléchir à leur sujet. À coups de commentaires oraux (libres) sur les lais ou vers de leurs prédécesseurs.
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César. B.G. Livre VI, XIV. « Ils discutent et transmettent à la jeunesse beaucoup d’éléments concernant les étoiles et leurs mouvements, l’étendue de ce monde et de notre terre, la nature des choses, le pouvoir et la majesté des dieux immortels ».
Lucain. La Pharsale. Livre I. « À vous seuls il est donné de connaître, comme de les ignorer, les dieux et les puissances célestes ».
Voici en quelque sorte les différentes conclusions de leurs réflexions à ce sujet.
On peut considérer que l’homme fait de la théologie * quand il s’intéresse à Dieu ou aux dieux, comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir.
La théologie, littéralement « discours sur la divinité ou le divin », est l’étude, qui se veut rationnelle, des réalités relatives au divin, même si d’autres disciplines, en particulier la philosophie, la psychologie ou la sociologie, la philologie, rendent compte de l’être des êtres, des croyances et du « fait religieux ».
Le peuple de l’empire celtique d’Ambicatus ne faisait pas de théologie avons-nous dit. N’ayant pas de dogmes, mais des rites, le peuple ne se souciait pas de raisonner ni de systématiser à propos de(s) Dieu(x), un tel souci ne traversait guère l’esprit des bardes. Mais les druides si ! Et les bardes furent sommés de réfléchir ou raisonner quelque peu pour s’élever dans la hiérarchie druidique. Sous la plume des poètes de la vie, les forces parfois antagonistes à l’œuvre dans le cosmos devinrent donc des “dieux”. Dans la bouche des philosophes et théologiens que furent les anciens druides, les dieux à l’œuvre dans le cycle en cours devinrent des principes.
La théologie est donc une première rationalisation des mythes.
La méthode qui connut le plus vif et le plus durable succès fut l’allégorie.
Si par théologie on entend tout discours sur dieu(x) et la religion alors le concept s’élargit, les mythes et la science des religions devenant de la théologie. La preuve, il peut également exister une théologie dite « athéologique ». Il s’agit de la réflexion philosophique qui tente de prouver par le raisonnement l’inexistence ou la non-attribution de certaines caractéristiques à Dieu ou aux Dieux. Bien que les penseurs matérialistes ou athées préfèrent s’éloigner tout simplement de la métaphysique, certains penseurs, comme Épicure, font de la théologie « athéologique » (dite aussi « minimaliste »). Dans le cas d’Épicure, ce philosophe tentera de démontrer l’impossibilité du providentialisme des Dieux grecs par des raisonnements logiques. En fait, au sens le plus strict du terme on ne peut parler de théologie que pour le paganisme druidique ou le paganisme classique (les chrétiens ne réfléchissent pas et préfèrent se réfugier derrière la notion de Révélation). Les philosophes-théologiens classiques en effet font place au mythe. Soit que comme Varron, ils fassent du mythe une forme inférieure de théologie, soit qu’ils l’interprètent au gré de leur système.
N.B. Les juifs pieux prétendent que l’essentiel (pour qui ?) du message divin a été révélé à l’Humanité (moins les goïm c’est-à-dire moins 99 % des êtres humains actuels) par le truchement d’un homme appelé Abraham ou Moïse.
Les musulmans prétendent que l’essentiel (pour qui ?) du message divin a été révélé à l’Humanité par le truchement d’un homme appelé Mahomet durant une vingtaine d’années, de 570 à 632.
Les chrétiens idem avec cette « nuance » (qui change tout en fait) qu’un codicille a été apporté par un dénommé Jésus qui vivait en Palestine occupée par les Romains au tout début de notre ère.
En ce qui nous concerne nous autres très sachants de la druidiaction de notre temps, vu les nombreuses contradictions de nos mythes et légendes, nous avons l’honnêteté ainsi que le courage, intellectuel, de reconnaître les dérives bien humaines ayant affecté nos réflexions (nos réflexions et non pas nos révélations) sur le divin (sur le divin et non d’origine divine).
Repetere = ars docendi. Répétons-le donc encore une fois : le message des très sachants de la druidiaction sur le divin n’est pas issu d’une pseudo révélation divine, mais d’une réflexion philosophique. Le vrai druidisant doit être (comme tout bon féniane qui se respecte) non pas l’homme d’un seul livre, mais de trente-trois. Le vrai druidisme est en effet une école de réflexion. Une école du penser. Libre par définition comme aurait pu dire le grand druide John Toland. Si le druidisme peut servir à quelque chose dans le monde d’aujourd’hui c’est bien à cela : être une école de réflexion.
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* Il a existé marginalement une vraie théologie juive et musulmane, au sens de rencontre entre les doctrines de ces religions et la philosophie (antique), mais la voie a été vite coupée. L’emploi fréquent du terme théologie dans la philosophie classique a, dans les premiers siècles, suscité une vive méfiance de la part des auteurs chrétiens. Les termes « théologie » et « théologiens » restèrent en effet longtemps associés à la mythologie païenne. Ce qui caractérisait alors la mentalité chrétienne ce n’était pas la « théologie », mais la « révélation divine ».
Clément d’Alexandrie opère néanmoins une distinction entre la « théologie du Verbe éternel » et la « mythologie de Dionysos ». Et peu à peu, le terme ne fut plus employé que pour la nouvelle religion. Toutefois, son sens précis n’était pas toujours le même. Pour certains théologiens, la théologie était le discours sur la divinité en général, pour d’autres sur la seule divinité du Christ. À partir du XVIe siècle, le mot théologie redevient plus général. Il est en effet utilisé dans l’expression théologie naturelle, qui désigne la connaissance de Dieu d’une manière considérée comme « naturelle ». Dès lors, il est également utilisé pour d’autres religions que le christianisme, notamment dans l’étude comparée des religions. La théologie désigne alors l’image de Dieu et du divin dans les différentes religions, ainsi que leurs doctrines.
L’hagiographie irlandaise nous a laissé une très intéressante liste des questions que se posaient en matière de théologie, les très-sachants (gnostiques d’Occident).
Il s’agit du récit de la conversion au christianisme par saint Patrice des filles du roi Loégaire répondant au nom d’Ethne ou Fedem. Si tout cela est bien vrai, car on trouve la même histoire dans le texte intitulé en gaélique « la Nourriture de la Maison des deux seaux à lait », ce qui est pour le moins curieux.
« Niall mon père ne m’a pas permis de croire *, et m’a demandé d’être enterré sur les hauteurs de Tara. Comme les guerriers, parce que les païens ont coutume d’être armés dans leurs tombes, les armes et le visage tournés vers l’ennemi. Jusqu’au jour d’erdathe qui est le jour du jugement du Seigneur selon les druides » (Mémoires de saint Patrice par Tirechan).
* N’importe quoi ?
Un jour qu’au lever du soleil Patrice était près d’une source appelée Clibech sous les pentes de Cruachan, les filles du roi Loégaire, la blanche Ethne ainsi que la rousse Fedelm, vinrent de bonne heure à la fontaine pour se laver, comme elles en avaient l’habitude. En voyant tous ces clercs en vêtements blancs, elles furent surprises, crurent que c’étaient des gens du sid ou des fantômes, et interrogèrent Patrice : « D’où êtes-vous, d’où venez-vous ? Êtes-vous vous du sid ? Êtes-vous des dieux ? »
Ensuite vient toute la série de questions – en forme d’objections implicites – préparées par les druides du roi Loégaire, déjà au courant des principaux arguments utilisés par saint Patrice.
QUESTIONS PRÉPARÉES PAR LES DRUIDES AYANT ÉLEVÉ LES JEUNES FILLES.
Alors l’aînée des filles demanda : « Qui est Dieu ? Où est-il ? Où habite-t-il ? Où est sa demeure ? Est-il au ciel ou sur la terre, dans la mer, dans les fleuves, dans les montagnes dans les vallées ? A-t-il des fils et des filles, de l’or et de l’argent ? Y a-t-il beaucoup de richesses dans son royaume ? Comment l’aime-t-on ? Comment le trouve-t-on ? Est-il jeune, est-il vieux ? Est-il toujours vivant ? Est-il beau ? Y eut-il beaucoup de gens pour élever son fils ? [Sans doute une allusion à l’éducation trifonctionnelle du petit Hesus = Cuchulainn. N.D.L.R.]. Ses filles sont-elles belles et chères aux hommes de ce monde ? »
RÉPONSES PRÉPARÉES, NON PAR LE SAINT-ESPRIT ÉVIDEMMENT, MAIS PAR LES APPRENTIS DRUIDES OU LES DRUIDES DE RANG INFÉRIEUR (VELLÈDES/FILI) RALLIÉS À SAINT PATRICE ; ET DESTINÉES À PERSUADER EN SE POSITIONNANT DANS LE DROIT FIL DE LA SEULE THÉOLOGIE CONNUE À CE MOMENT-LÀ PAR LES FILLES DU ROI.
« Notre Dieu est le Dieu de tous les hommes, le Dieu du ciel et de la terre, de la mer et des fleuves, du soleil et de la lune, de toutes les planètes, le Dieu des hautes montagnes et des basses vallées. Dieu a sa demeure sur le ciel, dans le ciel et sous le ciel, sur la terre et la mer et tout ce qui est en elles. Il inspire tout, il vivifie tout, il surpasse tout, il soutient tout. Il fait jaillir la lumière du soleil et la
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lumière de la nuit ; il fait jaillir des sources dans la terre aride et des îles sèches dans la mer, il a fait les étoiles pour servir de lumières.
EXTRAITS DE CATÉCHISME INSÉRÉS ENSUITE DANS LE TEXTE.
Il a un Fils coéternel à lui et tout semblable à lui, et le Fils n’est pas plus jeune que le Père, et le Père n’est pas plus vieux que le Fils. L’Esprit sacré en eux, et le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas séparés.
Bref, se reporter au catéchisme catholique classique dont ce passage n’est qu’un prototype.
Ce qui est sûr, c’est que la légende sur cette conversion est étrange, car elle se conclut…
PAR LA MORT DES DEUX MALHEUREUSES JEUNES FILLES EN QUESTION.
Il ne resta plus ensuite aux druides ayant élevé ces deux pauvres filles que les yeux pour pleurer.
Quant à moi, je veux vous unir au roi céleste, car vous êtes filles d’un roi terrestre… ».
Elles reçurent l’eucharistie de Dieu et s’endormirent dans la mort ; on les plaça sur un lit, couvertes de leurs vêtements. Leurs amis les pleurèrent à grands cris, et les druides qui les avaient aussi élevées vinrent pleurer sur elles, Patrice les prêcha. (Vie tripartite de Saint Patrice, deuxième section).
Laissons donc là ce catéchisme chrétien et cette lamentable hagiographie à leur triste sort, un peu comme l’a fait le roi Mongan, et revenons plutôt aux fondamentales questions soulevées avant par les druides de l’entourage du roi Loégaire : « Qui est Dieu ? Où est-il ? Où habite-t-il ? Où est sa demeure ?
A-t-il des fils et des filles ? Est-il toujours vivant ? Est-il beau ? Ses filles sont-elles belles et chères aux hommes de ce monde ? Y eut-il beaucoup de gens pour élever son fils ?
Est-il au ciel ou sur la terre, dans la mer, dans les fleuves, dans les montagnes ?
Comment l’aime-t-on ? Comment le trouve-t-on ? Est-il jeune, est-il vieux ? Etc. »
La confusion que notre époque entretient au sujet de l’idée de Dieu est telle, que la plupart des penseurs de notre temps hésitent à se servir du mot. Dieu est un terme dont la charge émotionnelle est puissante. Il condense les rivalités ou les divisions des religions, qui en revendiquent une révélation exclusive. Il est le drapeau que l’on brandit dans toutes les guerres pour justifier des atrocités. Il est le symbole supérieur de l’argument d’autorité (John Toland). D’un côté, on s’en sert pour interdire par avance toute réflexion. De l’autre, on a prêté à Dieu tant d’intentions malignes et revanchardes, que le bon sens lui-même exige que l’on se détourne d’une idée aussi confuse.
Cependant, il reste que les mythes culturels qui lui sont rattachés continuent de nourrir des croyances qui, elles, ont encore une redoutable efficacité. On ne peut donc pas échapper à toute interrogation sur la notion de Dieu. Et cette question de Dieu concerne même l’incroyant (kafir) qui se détourne de la religion, car le monde en tant que tel reste gouverné par des principes tirés de la religion. Nous devons donc revenir sur la notion de Dieu. Pour l’examiner de plus près, voir ce que la religion en a fait ; nous demander si une bonne part des problèmes que nous rencontrons aujourd’hui ne sont pas intrinsèquement liés à cette représentation de Dieu que nous nous faisons. Une représentation qui continue de déterminer de manière souterraine nos croyances actuelles.
Si certains hommes, si beaucoup d’hommes, si la majorité des hommes, ont besoin de croire à des fables pour supporter notre condition, hé bien qu’ils y croient ! S’ils ont besoin de proclamer leur croyance, une croyance qui ne fait pourtant guère honneur à leur intelligence, hé bien, qu’ils la proclament, pourvu bien sûr qu’ils respectent la liberté des autres. S’ils ont besoin non seulement de penser que les incroyants (koufar) sont des imbéciles, mais aussi de le dire, comme le font les musulmans d’aujourd’hui, hé bien qu’ils le disent ! Si cela peut les soulager de traiter les incroyants de tous les noms, hé bien qu’ils le fassent ! Dans l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD. Où l’homme à qui le message d’un prophète qui lui était destiné par Dieu, est parvenu, et qui a choisi de ne pas y adhérer néanmoins, est dit « kafir » autrement dit « dans le koufr ». Mais qu’ils ne prétendent pas exiger que les incroyants respectent leurs croyances, plus qu’eux-mêmes ne respectent la non-croyance des non-croyants *qu’ils n’essaient pas de les obliger à s’autocensurer ni à restreindre, si peu que ce soit, leur liberté de pensée ou d’expression ! Messieurs les croyants, un peu de décence s’il vous plaît ! (René Pommier, qui a enseigné la littérature française du XVIIe siècle à la Sorbonne.
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Les hommes ont des préjugés sur la nature de Dieu dont il convient de faire un examen. Selon Spinoza, tous ces préjugés concernant Dieu dépendent d’ailleurs d’un seul, le fait que les hommes supposent communément que toutes les choses de la Nature agissent, comme eux-mêmes. Il y en a donc qui se forgent un Dieu composé comme un homme d’un corps, d’une âme et d’un esprit, et soumis aux mêmes passions ; combien ceux-là sont éloignés de la vraie connaissance de Dieu, les démonstrations qui suivent suffiront à l’établir (citation de mémoire).
Chez les très-sachants (gnostiques d’Occident) par contre, nulle trace d’une telle référence à des besoins humains permettant de dessiner un Être supérieur (Bitos) sur commande comme avec une imprimante 3 D. L’accent est plutôt mis sur le Vaste et l’Infini, joint à l’expansion éternelle et sans limites de l’Être. L’Englobant universel est impersonnel, et il ne doit pas être regardé par la lorgnette de la personne humaine… Les notions les plus fréquemment évoquées sont l’Essence, l’Être, la Substance, l’Infini (Aiu) l’Éternité… Dieu ou le Démiurge n’est pas une chose, mais ce par quoi et en quoi les choses existent et se laissent comprendre. Il est nécessairement au-delà du personnel, mais aussi au-delà de son contraire, l’impersonnel. Par contre, au niveau humain, bien sûr, cet être supérieur au-delà de tout ce qui est connu peut être personnellement ressenti.
La pensée peut projeter tout ce qu’elle veut. Elle peut créer Dieu ou Diable aussi bien que le nier. Chacun peut inventer Dieu ou le Démiurge ou le détruire en fonction de ses inclinations, de ses plaisirs et de ses douleurs.
Y a-t-il moyen d’éviter la surimposition, c’est-à-dire de donner de Dieu ou du Diable (le démiurge pour les gnostiques d’Orient) une représentation anthropomorphique ?
Oui ! Dès l’instant où la réflexion intervient, la Raison devient alors sa propre lumière et sa propre autorité, il n’est pas nécessaire de faire intervenir l’appui d’une révélation quelconque (cf. John Toland).
Nous allons donc essayer de répondre aux questions évoquées par les filles ru roi. Même si elles ont le don de faire tomber l’Humanité dans lesdites failles de l’intelligence, et notamment la question du néant. Car nous ne sortons du néant que pour y retourner sans avoir jamais pu ne serait-ce qu’entrevoir ce pour quoi nous en sommes sortis quelque temps. Essayons de répondre à ces questions, tant que nous le pouvons, tant que nous ne vivons pas en dar al islam, mais au Kafiristan notre patrie, car c’est là que se trouveront vraiment l’abondance et la résurrection (du chaudron du Suqellos = Dagda = Gargant, ou du Graal dans la littérature médiévale).
* Notre position à nous est très claire : nous respectons les musulmans DANS L’EXACTE MESURE OÙ CES MUSULMANS NOUS RESPECTENT NOUS AUTRES QUI SOMMES DES KOUFAR AURAIT PU DIRE JOHN TOLAND, FAROUCHES PARTISANS D’UN CHIRK PHILOSOPHIQUE POURRIONS NOUS AJOUTER. C’EST-CE QUE L’ON APPELLE EN ÉTHIQUE LE PRINCIPE DE RÉCIPROCITÉ.
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NON LE GRAND PAN N’EST PAS MORT!
Pas plus que les autres dieux-par, pariollon, ou point ogham de l’espace-temps (en fait la lettre éabadh)…
Le langage humain est incapable de rendre compte comme il faudrait des états de conscience altérés que sont les états mystiques. Les anciens druides avaient beau se vanter de parler la langue même des dieux si l’on en croit Diodore de Sicile (être homophonon) avoir un langage suffisamment précis pour être admis dans les testaments par Ulpien voire être qualifié d’argute loqui par Caton l’Ancien, il n’en demeure pas moins qu’ils ne pouvaient traiter des questions de mystique avec toute la rigueur scientifique du langage mathématique d’aujourd’hui quand il traite des sciences exactes par opposition aux sciences humaines ou sociales voire littéraires. D’OÙ BEAUCOUP D’APPROXIMATIONS D’IMAGES OU DE SYNONYMES DANS LEUR BOUCHE QUAND ILS EN PARLAIENT D’OÙ BEAUCOUP D’APPROXIMATIONS D’IMAGES OU D’ALLÉGORIES DONC ENCORE DANS LA NÔTRE POUR TRAITER DU MÊME SUJET. Y COMPRIS PRESQUE DU POLYGLOTTISME (outre les mots empruntés aux langues celtes beaucoup de termes arabes latins, ou grecs évidemment pour ce qui est de la philosophie).
Deux petits rappels à ce sujet pour illustrer plus légèrement notre propos et nous détendre.
— La lettre éabadh de l’alphabet oghamique est le point déterminé par l’intersection de troiS lignes droites (une croix tracée sur une ligne ou un axe imaginaire).
— Grand Tout est la traduction littérale du grec Grand Pan. Une des plus mystérieuses et archaïques divinités indo-européennes dont la mort avait été très prématurément annoncée du temps de l’empereur Tibère afin de laisser la voie libre à un nouveau venu en ce domaine.
Eusèbe de Césarée Préparation évangélique V 17.
« Quant à la mort des démons, je me souviens d’avoir entendu sur ce sujet un homme rempli de science et exempt de toute arrogance dans ses opinions ; c’est Epitherse, le père du rhéteur Émilien, dont plusieurs d’entre nous ont suivi les leçons. Or, Epitherse, qui était mon compatriote et qui fut mon professeur de belles-lettres, nous raconta le fait suivant. Comme il passait en Italie sur un vaisseau chargé d’une cargaison considérable et d’un grand nombre de passagers, un soir, vers les îles Echinades, le vent tomba tout à coup, et le vaisseau se trouva porté assez près de l’île de Paxos. Tous les gens du vaisseau étaient bien éveillés : la plupart même passaient le temps à boire les uns avec les autres, lorsqu’un entendit tout à coup une voix qui venait de l’île de Paxos, et qui appelait Thamnus. Tout le monde fut dans l’étonnement ; car Thamnus était le nom du pilote, et était un Égyptien inconnu de la plupart des passagers. Thamnus se laissa appeler deux fois sans répondre ; mais à la troisième il répondit. Alors la voix lui commanda que quand il serait en face de Palos, il criât que le grand Pan était mort. Il n’y eut personne dans le navire qui ne fut saisi de frayeur : on délibérait si Thamnus devait obéir à la voix ; mais Thamnus conclut que quand ils seraient arrivés au lieu marqué, s’il faisait assez de vent pour passer outre, il ne fallait rien dire ; mais que si un calme les arrêtait là, il fallait s’acquitter de l’ordre qu’il avait reçu. Il ne manqua point d’être surpris d’un calme en cet endroit-là, et aussitôt il se mit à crier que le grand Pan était mort. À peine avait-il cessé de parler, que l’on entendit de tous côtés des plaintes et des gémissements, comme d’un grand nombre de personnes surprises et affligées de cette nouvelle. Tous ceux qui étaient dans le vaisseau furent témoins de l’aventure. Le bruit s’en répandit en peu de temps jusqu’à Rome ; et l’empereur Tibère, ayant voulu voir Thamnus lui-même, assembla des gens savants dans la théologie païenne, pour apprendre d’eux qui était ce grand Pan, et il fut conclu que c’était le fils de Mercure et de Pénélope. Philippe invoqua en faveur de ce récit plusieurs de ceux qui étaient présents et qui l’avaient entendu de la bouche même d’Émilien, dans sa vieillesse. Alors Démétrius raconta un autre fait. Il dit qu’il y a autour de la Grande-Bretagne un grand nombre de petites îles désertes, dont quelques-unes portent le nom d’îles des démons ou des héros. Or, par l’ordre du roi, il entreprit, pour connaître ces îles et leur histoire, un voyage dans celle qui était la plus rapprochée. Elle comptait un petit nombre d’habitants ; mais aux yeux des Bretons, c’étaient des hommes sacrés et contre lesquels ils ne se seraient pas permis une incursion. Aussitôt que le vaisseau eut abordé, il se fit tout à coup une grande confusion dans l’air ; on vit une multitude de signes prodigieux : les vents se déchaînèrent ; il tomba sur la terre des globes de feu. Enfin cette horrible tempête s’étant apaisée, les insulaires dirent qu’un de leurs héros venait de mourir : car de même, dirent-ils, qu’un flambeau ne nuit jamais tant qu’il est allumé, mais devient insupportable lorsqu’il vient à s’éteindre, de même les grandes âmes, tant qu’elles brillent, répandent une lumière douce et bienfaisante ; mais viennent-elles à s’éteindre et à
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périr, souvent elles font naître des vents et des tempêtes, et infectent l’air de vapeurs pestilentielles. Or il est ici une île dans laquelle Briarée garde Saturne plongé dans un profond sommeil ; car c’est là le lien par lequel on a imaginé de le retenir. Une multitude de démons l’entourent et le servent, etc., etc. »
Rappelons plus sérieusement que cette partie du témoignage de Plutarque est un fragment incompris de mythologie celtique (ou d’initiation druidique) au plus haut point intéressant et qu’en ce qui concerne Pan Salomon Reinach a démontré qu’il s’agissait en réalité du dieu Tanmouz.
« L’enquête de Tibère et de ses conseillers ne semble avoir porté que sur deux points : l’identité et la bonne foi de Thamous, que l’empereur fit comparaître devant lui ; la nouvelle, à lui donnée, de la mort du grand Pan. Ce sont là les éléments essentiels de l’affaire et les seuls que l’histoire, à l’exemple de Tibère, puisse retenir. Mais ces éléments s’offrent à notre étude avec des garanties qui manquent généralement à tous les récits de miracles. D’abord, on ne voit pas qu’aucun intérêt soit en jeu ; il ne s’agit, ni pour Thamous ni pour les passagers ses témoins, de confirmer une doctrine, de grandir la réputation de quelque sanctuaire ; en second lieu, l’enquête de Tibère, également désintéressée et sans autre mobile que la curiosité impériale, semble certifier la concordance des témoignages ; enfin, ces témoignages ne sont pas seulement ceux de matelots ou d’hommes sans instruction, l’un des témoins étant professeur de grammaire. Assurément, ce n’est pas encore l’idéal d’Ernest Renan, le miracle soumis au contrôle de l’Académie des sciences ; mais c’est quelque chose de plus sérieux que les récits ordinaires de faits inexplicables et la science moderne, pas plus que Tibère, ne peut dédaigner cela comme une hallucination d’ignorants ou d’illuminés.
Personne, sans doute, n’admet aujourd’hui l’assertion si positive de Tertullien, répétée d’après lui par Eusèbe, suivant laquelle Tibère, informé par un rapport de Ponce Pilate, aurait vainement demandé au sénat d’admettre Jésus au rang des dieux ; mais si cette histoire a pu trouver crédit dès le second siècle, c’est qu’elle n’était pas en contradiction avec ce que l’on savait alors, avec plus de précision que nous, sur la curiosité, les préoccupations mystiques et les tendances syncrétistes de cet empereur.
En l’espèce, Tibère fut rassuré par les philologues grecs de son entourage ; on lui dit que le dieu Pan, dont la voix avait annoncé la mort, était le fils d’une mortelle, Pénélope ; ce n’était donc pas un grand dieu, malgré l’épithète que la voix lui avait donnée, mais un héros ; il pouvait mourir sans que l’ordre du monde fût menacé.
Revenons à l’anecdote de Plutarque. Nous avons montré que le fond de l’histoire se réduit à ceci : la claire perception d’un nom répété trois fois – celui du pilote – et l’annonce de la mort du grand Pan. Or, le nom du pilote, donné par Plutarque, était Thamous ; donc, les mots entendus par lui et les passagers ont pu être à peu près ceux-ci : Thamous, Thamous, Thamous, le très-grand est mort.
Cela posé, le problème est résolu ; car Thamous est le nom syrien d’Adonis et Panmegas, le « très grand », peut être une épithète de ce dieu. Comme le pilote portait par hasard le nom de Thamous, assez fréquent en Égypte, il a cru et les passagers ont cru avec lui qu’on l’appelait ; on l’a cru d’autant plus volontiers que le nom syrien d’Adonis, qui ne paraît jamais dans la littérature grecque païenne, devait être ignoré de cet Égyptien et de ces Grecs. Une fois que le Thamous de l’appel mystérieux était interprété comme le nom du pilote, le verbe […] réclamait un sujet ; quoi de plus naturel que de trouver ce sujet dans […] et de comprendre « le grand Pan » au lieu de « le très grand » Thamous ? Au mois de juin, époque où, suivant saint Jérôme, la mort d’Adonis-Thamous était pleurée en Syrie, dans la saison la plus propice aux voyages en mer, le navire approche, pendant la nuit, d’un rivage où des Syriens – il y en avait un peu sur tous les rivages – célèbrent par des lamentations et des cris la mort de leur dieu Thamous ; la circonstance fortuite que le pilote portait le même nom explique la confusion et met fin à toutes les interprétations mystiques d’une histoire qui nous a été transmise avec des attestations peu communes de véracité ».
Il n’en demeure pas moins que TO PAN signifie LE TOUT en grec et que le calembour a fait de ce dieu des bergers et des troupeaux UN SYMBOLE DE L’UNIVERS.
Que nos lecteurs veuillent donc bien nous pardonner cette longue digression destinée à prouver si besoin était que religion spiritualité et mystique NE SONT PAS DES SCIENCES EXACTES.
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UNE NOUVELLE MÉTHODE D’INTROSPECTION RELIGIEUSE APPLIQUÉE AU DRUIDISME:L’INTERPRETATIO BOUDDHISTA
Et s’il y avait une création sans créateur ? Non pas un commencement et une fin absolus mais des commencements et des fins relatives en vertu du grand principe de conservation de l’énergie attribué à Lavoisier : « rien ne se perd rien ne se crée tout se transforme » ?
Les Celtes ne pensaient-ils pas que l’Humanité était issue d’un existant appelé Dis pater par les Romains et les druides ne disaient-ils pas contrairement à la Bible que le jour vient de la nuit ?
Je dis contrairement à la Bible car si j’en crois son mythe de la création avant que la lumière soit il avait non pas la nuit MAIS RIEN !
Cette notion de création absolue de notre univers par un Dieu tout puissant soulève deux problèmes qui sont autant d’apories que traînent comme des boulets les théologie juive chrétienne et musulmane.
La première est « Pourquoi Dieu a-t-il créé le monde ? »
Les Sumériens répondaient (au pluriel) que c’était pour être adoré prié et se voir offrir des sacrifices.
Les chrétiens répondent plus hypocritement « par amour ».
Et la deuxième aporie est, puisque ces religions de masse monolâtres ont une telle eschatologie, pourquoi Dieu mettra-t-il fin à ce monde un jour ?
En résumé : « pourquoi faire surgir le monde du néant pour l’y renvoyer presque aussitôt (aussitôt car comparée à l’éternité la durée de vie de notre univers selon leurs premières générations... devait être relativement courte) » ?
Laissons donc l'anthropomorphisme à nos ancêtres biologiques ou spirituels ! L'être des êtres est indifférent à tout ça, IL EST un point c'est tout !
Et telle était peut-être en définitive la substance ou la quintessence de la philosophie de Diviciacos de Bibracte ainsi résumée par Strabon (qui n’y a visiblement rien compris): « les âmes et l'univers sont indestructibles, mais un jour le feu et l'eau prévaudront ».
L’idée de Dieu que se font les religions de masse, monolâtres (judaïsme christianisme et islam) est en tout cas le plus grand commun diviseur de l’Humanité, évitons par conséquent de le mêler à nos affaires d’hommes ;
Dieu est en effet une inconnue qui rend toute équation impossible à résoudre
Les maîtres mots du vieux druide de la forêt marseillaise étaient peut-être mais avant la lettre évidemment, panenthéisme panthéisme athéisme agnosticisme (dixit le vieux druide de la forêt des environs de Marseille d’après Lucain de La Pharsale….ou Lucien….de Samosate) car il faut savoir parler aux Grecs en grec. Mais qu'est-ce que la Vérité ? La sincérité est peut-être plus à notre portée.
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CITATIONS ÉTONNANTES (BOUDDHISME OU HINDOUISME ?)
César BG Livre VI Chapitre XVIII.
Les Celtes affirment qu’ils descendent de Dis Pater, et disent que cette tradition leur vient des druides. Pour cette raison ils établissent les divisions de chaque saison, non en jours, mais en nuits ; et ils calculent les anniversaires ainsi que les commencements de mois ou d’année en suivant un ordre tel que le jour y suit la nuit.
— Création donc, mais sans créateur puisque la vie vient de la mort et le jour de la nuit !
Strabon Livre IV chapitre IV 4.
Non seulement les druides, mais aussi tous les autres, disent que les âmes humaines [psychas en grec], ainsi que l’univers, sont indestructibles, mais qu’un jour le feu et l’eau prévaudront sur eux.
— Eau et feu sont donc les deux constituants primitifs de la matière.
Pline Histoire naturelle Livre XXIX chapitre XII.
Il y a une autre sorte d’œuf, tenu en très haute estime par les habitants des provinces celtes du Continent, mais totalement omise par les écrivains grecs. En été, d’innombrables serpents s’enroulent sur eux-mêmes et s’enlacent en se servant de la salive visqueuse qui sort de leur gueule, ainsi que de l’écume qu’ils secrètent hors de leur corps : il en résulte une sorte de boule qu’ils appellent un « œuf de serpent » [latin anguinum sous-entendu ovum]. Les druides racontent que les serpents projettent ces œufs dans les airs grâce à leur sifflement et que quelqu’un doit se tenir prêt à les recevoir dans un manteau avant qu’ils touchent le sol ; ils racontent également qu’il faut alors prendre la fuite aussitôt à dos de cheval, car les serpents le poursuivront à toute allure jusqu’à ce qu’une rivière leur barre la route. La preuve que c’en est un vrai, disent-ils, c’est que cet œuf flotte sur l’eau, même serti dans de l’or. Mais, comme les mages ont l’habitude d’être très ingénieux et très habiles pour ce qui est de jeter un voile sur leurs fraudes, ils prétendent que ces œufs ne peuvent être recueillis que lors de certaines lunes ; comme si assurément il pouvait dépendre de la volonté humaine que lune et serpent s’accordent sur le moment d’une telle opération.
— Question. Les druides druides antiques (nous ne parlons pas ici des bardes) prenaient-ils ce conte invraisemblable au pied de la lettre, au sens littéral, ou au sens symbolique comme dans le cas de l’œuf cosmique évoqué par beaucoup de philosophies antiques de type Brahmanda ou Hirayagarbha ?
— Les trois autres questions que l’on peut se poser à ce sujet sont.
Peut-on penser que l’eau symbolise la matière et le feu l’esprit ?
Peut-on penser que cette naissance et cette fin sont et seront uniques ou absolues ?
Ou peut-on penser que de cette eau et de ce feu primordiaux un autre univers (bitos) renaîtra ?
Fin de notre résumé de la quintessence du druidisme.
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ÉLÉMENTS DE COSMOGONIE DRUIDIQUE.
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L’ÊTRE ET LE NÉANT
(néant conçu en tant que non-existence et non en tant que vide ou rien).
César. B.G. Livre VI. Chapitre XVIII. Strabon. Géographie. Livre IV. Chapitre IV.
Ces deux citations de la philosophie druidique concernant l’ontologie ne sont pas très claires. Strabon et César ont-ils bien tout compris de la pensée paradoxale des druides antiques ? N’ont-ils rien omis ?? Car de deux choses l’une, ou « l’être est et le non-être n’est pas » ou « le non être est, et l’être n’est pas encore » (Parménide).
Si l’on penche pour le constat : « l’être est et le non être n’est plus » alors on peut reconnaître à cet être des êtres primordial postulé par le druidisme primordial 5 attributs consubstantiels.
L’existence. Nous parlons là de l’être par excellence, de l’être par définition, incluant tous les passés ou tous les futurs possibles.
L’immortalité (car maintenant qu’il est venu à l’être il ne fera plus que se transformer, son retour au néant étant impossible).
L’infini (Il est infini).
La non-finitude (Il est indéfini). Ici on retrouve le numineux de Jung. Ou Durkheim.
L’omnipotence (il est tout, matière esprit passé présent futur, etc.).
Les penseurs musulmans croient nécessaire d’ajouter à cette liste d’attributs divins l’unicité du Taouhid, et de faire découler leur notion de Coran incréé du fait que l’être des êtres inclut tous les présents passés ou futurs possibles.
Les penseurs hindous ont une définition non anthropomorphique de cette unicité (l’être des êtres n’est pas un Dieu jaloux, etc.)
Bhagavad Gita 9, 23-29. « Toute oblation qu’avec foi l’homme sacrifie aux dieux est en fait destinée à moi seul, ô fils de Kounti, mais offerte sans le savoir, car je suis l’unique bénéficiaire et l’unique objet des sacrifices. Que l’on m’offre, avec amour et dévotion, une feuille, une fleur, un fruit, de l’eau, cette offrande, je l’accepte. Je n’envie, je ne favorise personne, envers tous je suis impartial. Mais quiconque me sert avec dévotion vit en moi et je suis son ami ».
Bref, ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, le chaos initial ou Tohu-Bohu ou atome initial de la théorie du Big Bang (l’être), qui a servi de matière première à la mise en ordre du cosmos par les dieux (appelés élohim dans la Bible, principes par les philosophes grecs, éons par d’autres) n’a pu sortir initialement… QUE DU NÉANT.
Ce postulat de départ est certes une aporie * de la pensée druidique, mais c’est ça… ou admettre que la matière est éternelle **.
Cette aporie druidique ne répond donc pas à toutes les questions, mais elle a au moins l’avantage de soulever moins de problèmes insolubles que le créationnisme des monolâtres judéo-islamo-chrétiens.
*On nomme aporie (en grec aporia = absence de passage, encombrement, embarras) une difficulté à résoudre un problème. Pour Aristote, c’est une question qui plonge le lecteur ou l’auditeur dans le doute tout en le poussant à trancher entre deux affirmations d’où « contradiction, embarras ».
N.B. Le sens actuel d’aporie est plus fort et concerne tout problème insoluble et inévitable. Pour prendre une image en relation avec l’étymologie du mot, on peut dire aussi que l’aporie est une impasse dans un raisonnement procédant d’une incompatibilité logique.
** Les judéo-chrétiens s’en sortent en se servant du sophisme suivant. Dieu est éternel. Un jour il a créé le monde. Et il le détruira aussi un jour. Pour telle ou telle raison. Les raisons avancées par les monolâtres pour expliquer non pas le comment, mais le pourquoi de cette création du monde par Dieu sont en général risiblement puériles et constituent autant d’anthropomorphismes enfantins.
« Par amour » disent par exemple les chrétiens, mais on pourrait tout aussi bien dire « par orgueil ».
En outre tout cela n’explique pas vraiment pourquoi Dieu après avoir fait sortir le monde du néant, l’y renvoie « presque aussitôt » après pour l’éternité. Tout au moins dans le cadre de l’Histoire linéaire et
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non cyclique, qui est leur marque de fabrique. Décidément mieux vaut l’aporie druidique de l’être surgissant un jour du néant POUR NE PLUS JAMAIS Y RETOURNER. Cette aporie druidique ne répond pas à toutes les questions, mais soulève moins de problèmes insolubles que le créationnisme des monolâtres judéo-islamo-chrétiens.
EN RÉSUMÉ.
Qu’est-ce qui était au commencement ? (tout un poème).
AU DÉBUT ÉTAIT LE NÉANT.
AU DÉBUT ÉTAIT LA NUIT.
AU DÉBUT ÉTAIT LA MORT.
AU DÉBUT ÉTAIT LE VIDE. *
L’ÊTRE SORTIT DU NÉANT
ET IL ÉTAIT DEUX
IL ÉTAIT ÂME ET MATIÈRE.
Au commencement était endormi le Néant. Il était le Silence ; il était l’Abîme (Bythos). Le néant est
impérissable, sans acte, sans commencement, ni fin ; il est seul, omniprésent, indéfini, imperceptible.
Il est inexprimable, il n’a pas d’attribut. Il est présent dans ses manifestations ; il est en dehors d’elles ;
il est le moteur immuable ; il ne connaît ni le plaisir ni la douleur, mais il les suscite. Il est le zéro et
l’infini ; il est au centre. Il est le Silence et les Abysses. Tel est le commencement absolu, le
commencement de tous les commencements. Mais le propre du néant est de manquer de tout. Une
racine de désir germe donc au fond du néant, racine qui aspire à être. Une racine de désir qui
s’allume comme une étincelle et fait jaillir l’être du non-être, et la lumière des ténèbres.
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ONTOLOGIE.
Sous ce titre, nous nous en tiendrons à la définition la plus stricte du terme, c’est-à-dire à l’étude de l’être en tant qu’être. Et pour ce faire, par pure logique, nous commencerons par dire quelques mots du néant.
« Les Celtes affirment qu’ils descendent de Dis Pater, et disent que cette tradition leur vient des druides. Pour cette raison ils établissent les divisions de chaque saison, non en jours, mais en nuits ; et ils calculent les anniversaires ainsi que les commencements de mois ou d’année en suivant un ordre tel que le jour y suit la nuit » (César. B.G. VI, 18).
Cette pensée paradoxale des très-sachants de la druidiaction (druidecht), antiques, a imaginé une sorte de « néant par excès », contenant tout et son contraire en quelque sorte, à connotation surtout temporelle, auquel ils ont attribué la fonction de Principe absolu de l’être.
Le principe fondamental du néant tel qu’il était conçu par les druides n’est pas un rien ou un vide, comme dans le cas de Parménide. Il s’agit d’une énergie de procréation, il est cause du soi et principe de tout, il est l’origine de tout ce qui retourne à lui après avoir existé.
Il s’agit, contrairement au néant d’impossibilité de Parménide, horizon au-delà duquel rien n’existe, d’une origine temporelle, d’un mouvement d’énergie créatrice, à l’œuvre au sein même des origines de l’être.
L’œuvre d’art est un bon exemple de cette conception du néant selon les druides, qui ne doit pas être confondu avec le chaos comme l’on fait certains penseurs grecs.
Le fait que l’œuvre d’art n’existe pas ne signifie pas que rien n’existe ou qu’il s’agit d’un vide. Prenons l’exemple d’un tableau : avant d’être œuvre d’art, la toile existe, la peinture servant à créer images et motifs existe, les pinceaux existent, la matière qui composera la future œuvre existe. En revanche, ce qui n’existe pas, c’est l’œuvre finie. L’avant-existence de l’œuvre d’art s’arrête lorsque l’artiste créateur authentifie son œuvre comme achevée. L’après-existence de l’œuvre d’art commence lorsque l’œuvre est détruite (par un incendie par exemple, dans le cas du tableau).
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, la doctrine du philosophe grec Parménide est que l’être ne peut surgir du néant. Parménide pose comme vérité première le fait que ce qui est, l’être, est, qu’il est sans négation (le non-être n’est pas) et sans altération. Parménide oppose à l’être la doxa, l’opinion changeante ou confuse, qui nous écarte de la vérité.
Ce n’était pas là le point de vue des très-sachants de la druidiaction (druidecht), qui admettaient par principe que l’être ne peut surgir que du néant : la théologie druidique était une théologie non parménidienne. Les druides antiques n’ont jamais été aussi loin dans la négation du monde que certains philosophes grecs de type Parménide ou Zénon d’Élée, ou que les bouddhistes de la plus ancienne École.
Pour les éléates en effet, tout est illusoire et nous trompe en ce bas monde : notre langage, nos symboles, et même notre bon sens. cf. les paradoxes de Zénon d’Élée.
Ces paradoxes forment un ensemble imaginé pour soutenir la doctrine de Parménide, selon laquelle toute évidence des sens est fallacieuse, et le mouvement impossible.
Plusieurs des huit paradoxes de Zénon ont traversé le temps (rapportés par Aristote dans la Physique ou par Simplicius de Cilicie dans un commentaire à ce propos) et sont fondamentalement équivalents l’un à l’autre. Certains ont été considérés, même dans des périodes antiques, comme très faciles à réfuter. Deux des plus célèbres sont le paradoxe d’Achille et la tortue, et celui de la dichotomie.
Dans le paradoxe d’Achille et de la tortue, il est dit qu’un jour, le héros grec Achille disputa une course à pied avec une tortue.
Achille accorde par exemple à la tortue une avance de cent mètres, car il a la réputation d’être un champion en ce domaine. Supposons que chacun des concurrents court à une vitesse constante (l’un très rapidement, l’autre très lentement), alors au bout d’un certain temps, Achille aura parcouru les
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100 mètres le séparant du point de départ de la tortue. Mais durant ce temps la tortue aura parcouru elle aussi une certaine distance, disons 10 mètres (pour simplifier). Il faudra donc un certain temps à Achille pour à son tour parcourir cette distance, mais pendant ce temps-là la tortue aura elle aussi avancé (d’un mètre) ; il faudra donc à Achille encore un certain pour parvenir jusqu’à ce troisième point atteint par la tortue. Donc chaque fois qu’Achille atteint l’endroit où s’était trouvée précédemment la tortue, il lui reste encore une certaine distance à parcourir. Par conséquent comme il existe une infinité de points qu’Achille doit ainsi atteindre pour parvenir à l’endroit où se trouvait précédemment la tortue, il ne pourra donc jamais la rattraper.
Le paradoxe qui suit est une variante du précédent. Supposons que le Cuchulain grec, Achille, veuille monter dans un char à l’arrêt. Avant de pouvoir y arriver, il doit parcourir la moitié du chemin. Avant d’arriver à mi-chemin il doit faire un quart du chemin en question. Avant de parcourir ce quart du chemin à faire, il doit en faire un huitième ; avant d’en faire un huitième, il doit en parcourir un seizième, et ainsi de suite. Achille ne pourra donc jamais monter dans son char.
Même si leur pensée s’avérait elle aussi quelque peu paradoxale, les gnostiques d’Occident, les très-sachants de la druidiaction, qui n’étaient pas que des philosophes, mais qui étaient aussi des paysans observateurs attentifs de la nature, ne se sont jamais perdus ainsi dans les méandres de tels raisonnements.
Entre cette pure exigence logique et les suggestions concrètes, dispersées, contradictoires, de l’expérience humaine, auxquelles l’Homme ne peut échapper, l’intervalle était trop vertigineux.
Les gnostiques d’Occident qu’étaient les druides n’ont donc jamais été parménidiens, ils ont seulement essayé de percer les paradoxes de la nature, en organisant méthodiquement la synthèse des connaissances sur l’Homme et son environnement, jusque-là isolées.
Pour l’auteur du Periphyseon à propos des Divisions de la nature (Scot Erigène) avant d’apparaître, et de se manifester à travers son acte procréateur, Dieu subsistait dans son retrait comme Néant divin ou comme Non-être par excellence, car il demeurait invisible et inconnaissable en soi. Dieu accède à l’Être seulement dans son apparition et dans sa manifestation, où il se rend alors visible et connaissable. Car la naissance du monde n’est rien d’autre qu’une apparition et un déploiement de Dieu, c’est-à-dire une théophanie. Toute « créature » devient par conséquent elle aussi une théophanie, c’est-à-dire une manifestation ou une apparition de celui qui est en soi le Dieu non manifesté ou non apparent, le Dieu caché dans le secret que l’on ne peut scruter, de sa transcendance/immanence. Mais ce processus théogonique et théophanique présuppose aussi une sorte d’inversion, par laquelle le Rien divin se fait tout, puisque Dieu à la fois s’affirme et se nie lui-même en un processus dialectique incessant. La Bonté divine passe ainsi de la négation de toutes les essences à l’affirmation de toutes les essences, en passant elle-même du Non-Être à l’Être, ou de la non-essentialité à l’essentialité.
Le philosophe irlandais entendait ainsi souligner que Dieu lui-même est ce Néant à partir duquel a été suscité ou porté à l’être tout ce qui existe, en tant que Bonté divine. Érigène recourt ici à une dialectique typiquement druidique, afin de démontrer que la « création ex nihilo » équivaut à une autocréation du Principe, qui passe de la négation absolue de l’Être à l’affirmation absolue de l’Être ; de la non-manifestation à la manifestation. Car le processus créateur doit partir du zéro absolu, c’est-à-dire de la Bonté divine qui excède l’Être.
N.B. Ceci était le point de vue de Jean Scot Érigène qui fut certes déclaré hérétique par le pape Nicolas I, mais qui n’était pas druide non plus !
Le néant selon les druides n’est pas un néant parménidien c’est une sorte de mémoire de tout ce qui fut, de tout ce qui n’est plus et, de même, il est l’origine de ce qui n’est pas encore, de ce qui sera. Autrement dit, ce point ogham
(la lettre eabad de l’alphabet oghamique) n’est pas, il fait être, il est le « faire être ». Au-delà de l’Être, comme du Super-Être, la source de l’Être. Ce principe et source de l’Être reste immanent et transcendant à l’Être, même supérieur. On ne peut le cerner que de loin, par voie de négation, c’est-à-dire par la théologie apophatique. Ce principe des principes qu’on ne peut nommer, rien n’est semblable à lui, et il n’est ni corps, ni individu, ni substance, ni accident. Il est au-delà du temps.
Il ne peut pas habiter dans un lieu ou dans un être, il n’est l’objet en druidisme d’aucun des attributs ni d’aucune des qualifications pouvant être attribués à un quelconque « étant ». Il n’est ni conditionné ni déterminé. Il est au-delà de la perception des sens. Les yeux ne le voient pas, le regard ne l’atteint pas, les imaginations ne le comprennent pas. Simplicité absolue donc… de cet abîme.
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Il faut admettre que la seule connaissance du Néant que nous puissions atteindre est celle que possède, de par son existence même, le premier Être immédiatement situé en dessous, l’Être supérieur. Seul « Dieu » peut concevoir le Néant.
Le seul révélateur possible, à la fois voile et support de cet Abîme (Bythos, rien à voir avec le Bitos de la tradition celte, ou pro-père, existant avant le père, dans la terminologie gnostique) ; est donc le super-être, l’au-delà de l’être ; dont l’être n’est qu’une hypostase (vyouha dans l’hindouisme).
Mais cette connaissance est elle-même une inconnaissance : l’intelligence humaine doit reconnaître qu’elle ne pourra jamais atteindre le fond essentiel de ce « Néant » originel évoqué à mots couverts justement par les gnostiques d’Occident. À ce niveau, il n’y a aucun sens à parler de l’existence ou de l’absence d’une réalité divine supérieure ; car ce principe des principes n’est ni de l’être, dont on puisse affirmer ce qu’il est, ni du non-être dont on puisse énoncer qu’il n’est pas. Du moins dans une certaine mesure. Certaines Écoles de pensée druidiques estiment possible de le cerner quand même, bien que de très loin, per viam negationis comme nous l’avons vu plus haut.
« Certains disent que les Galiciens n’ont pas de dieu, mais que les Celtibères et leurs voisins au nord offrent des sacrifices à un dieu-ou-démon sans nom, à chaque retour de la pleine lune, devant les portes de leurs bourgades ; se livrant alors avec toute leur maisonnée à des rites divers agrémentés de danses durant toute la nuit » (Strabon, Géographie, III, 4, 16).
Car ce principe des principes est celui que ne peut atteindre la pensée même la plus téméraire. Il est le Mystère des mystères. On ne peut lui attribuer ni noms, ni épithètes, ni qualifications.
Certaines Écoles de pensée druidiques, rejetant la notion même qui a fait la fortune du monolâtrie (je suis celui qui suis, sans doute une épithète du grand dieu Cananéen El au départ) ont insisté sur le fait qu’on ne peut même pas en fait, attribuer à cet Abîme insondable, l’être ou le non-être ; le principe des principes étant super être.
Ce que certains judéo-islamo-chrétiens écrivent à propos de l’Être nécessaire à l’origine de tout (le Premier Être ou Bitos en celte) est vrai, mais à condition de descendre d’un cran plus en aval. La métaphysique druidique de cet abîme, elle, se hisse au niveau du « faire être », antérieur à l’être (la mise de l’Être à l’impératif : ison son bissiet).
Au-delà du Un, il y a en effet ce qui unifie. La philosophie druidique dégage « ce qui unifie » de tous les uns qu’il unifie et l’affirme « en eux et par eux ».
Cette affirmation évite le double piège de l’agnosticisme ou du matérialisme athée (assimilation du manifesté à sa manifestation). D’où la druidique dialectique de la double négativité. L’Abîme originel appelé point ogham * est « non-être » et « non non-être », « non-dans-le-temps » et « non non-dans-le-temps »…
Toute négation concernant ce « Néant » est vraie si elle est en même temps niée elle-même. La vérité des principes est dans la simultanéité de cette double négation.
* Note : certains druides appelaient « point ogham » ou « eabhadh » du nom d’une lettre de l’alphabet oghamique, ce principe des principes, cet abîme des abîmes, ce « Néant » lle bo cydbwys pob gwrth en gallois.
La pensée druidique a toujours été une pensée paradoxale, mais pas de façon aussi négative que celle des philosophes grecs de l’École d’Élée. Les druides antiques avaient en quelque sorte une conception plus positive du néant : lle bo cydbwys pob gwrth.
Et certes pas un créationnisme (des 4 éléments) analogue à celui prôné par Taliésin dans la « Vie de Merlin » écrite par Geoffroy de Monmouth !
Remarque à propos du verbe correspondant au vieux celtique « bitos » par J. Mascitelli (décembre 2000).
Es, esti : être. Bitus « ce qui est ». Deux vocables différents.
Il y aura donc désormais constamment dans ce qui suit distinction voire opposition entre deux sens différents du verbe être.
L’être au sens de « action d’être », latin philosophique « esse » (infinitif du verbe être)
Et l’étant ou résultat de « l’action d’être », latin philosophique « ens » (participe présent du verbe « être). Vieux celtique « bitus ».
Une distinction un peu analogue à celle que l’on peut faire entre une ampoule ou une bougie et la lumière qui en sort.
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NOTE SUR LES PARADOXES DU MONOTHÉISME.
On a écrit beaucoup de bêtises sur le monothéisme. Le mot est employé de façon aussi absurde que le mot « manichéisme » par des gens qui en ignorent complètement le sens, mais lorsque l’on parle des religions monothéistes, on vise en général les trois religions de masse abrahamiques : judaïsme, christianisme, islam.
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LE PARADOXE DU MONOTHÉISME DANS LA PHILOSOPHIE GRECQUE.
Le monde existe, mais Dieu étant par définition parfait, pour les Grecs il ne pouvait être question qu’il se soit en quelque sorte « sali les mains » en le créant.
Aristote dira que la pensée divine, ayant besoin d’un objet digne de sa perfection, ne le trouve qu’en elle-même, et dédaigne de s’abaisser jusqu’à des choses imparfaites ; et les épicuriens ajouteront que rien ne serait plus contraire à la béatitude des dieux que de s’occuper de la nature et de l’humain. Toutefois, comme la divinité doit être considérée non seulement en elle-même, mais dans ses rapports avec les choses, cette seconde considération amena certains penseurs à l’idée d’une sorte de dédoublement de Dieu qui, comme un ouvrier ou un artisan, se charge de cette tâche.
C’est dans la philosophie platonicienne qu’on voit apparaître pour la première fois le mot démiurge signifiant ouvrier, artisan ou architecte (de l’univers) qui agit après avoir réfléchi.
CE QUI EST BIEN ENTENDU UN ANTHROPOMORPHISME !
Dans le Timée Platon distingue néanmoins deux démiurgies : celle du démiurge proprement dit et celle de ses assistants, les jeunes dieux.
PLOTIN adopte la division platonicienne entre monde sensible et monde intelligible (ou immatériel), et dans ce dernier il fait intervenir trois hypostases, mais il utilise ce terme dans son acception courante à l’époque qui est « existence ».
L’Un ou le Bien (hen en grec ancien), l’Intelligence (l’Intellect, le noûs) et l’Âme (psukhé) sont les trois principes dont tout le reste dépend dans le monde sensible, ils ne forment aucune succession ni dans le temps ni dans l’espace, et fonctionnent comme trois niveaux de réalité distincts.
— L’Un est le principe suprême pour Plotin : il est sa propre cause et la cause de l’existence de toutes les autres choses de l’univers. Il n’a besoin d’aucun autre principe d’ordre supérieur pour « exister ». Assimilé au Bien par Plotin qui reprend, pour expliquer sa fonction, l’image du Soleil dans l’allégorie de la caverne de La République de Platon, il ne contient en lui aucune multiplicité, aucune altérité, aucune division et il n’est pas sujet au changement ; il est entièrement Un.
— L’Intellect, lui, dérive de l’Un qui est son principe. Il contient en lui tout le pensable, c’est-à-dire l’ensemble des idées ou des intelligibles ou des Formes au sens de Platon. À ce titre, l’Intellect est le lieu par excellence de la réalité et de la vérité. Il est l’Être véritable. Il contient en lui la multiplicité des Formes.
— L’Âme. Plotin distingue trois sortes d’âme : l’Âme hypostase, l’Âme du monde et les âmes des individus.
En plus d’être constitué par ces trois principes fondamentaux, comme trois couches géologiques superposées, le monde, l’ensemble de ce qui existe, selon Plotin, obéit à une logique très spécifique. Il émane de l’Un dans un mouvement qu’on appelle la « procession » et qui, dans son sens logique, ressemble beaucoup au concept platonicien de participation.
Ce qui nous donne selon PROCLUS.
— 1. Le Un (to hen en grec).
Le Un ne contient ni division, ni multiplicité, ni distinction, ni changement. Dès lors, aucun attribut ne peut lui être assigné, pas plus que la pensée, car elle implique une distinction entre le penseur et l’objet de sa pensée. De même, ni la volonté ni l’activité ne peuvent lui être imputées, car cela impliquerait aussi une distinction entre un « agent » de volonté ou d’action, et son objet. Cette unicité de Dieu ou du Démiurge signifie également qu’il est le préexistant primordial… en ce sens qu’il est la cause première du monde de manière absolue.
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C’est cet « Un » qui est la source du monde, mais pas au moyen d’un acte de création, volontaire ou non, car la volition et l’activité ne peuvent être appliquées à cet « Un » immuable, donc immobile.
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LES DIEUX TRANSCENDANTS
2… Les dieux intelligibles, l’Être.
2.1. Première triade des dieux intelligibles.
2.2. Deuxième triade des dieux intelligibles.
2.3. Troisième triade des dieux intelligibles.
3… Les dieux intelligibles-intellectifs, la Vie.
3.1. Première triade des dieux intelligibles-intellectifs.
3.2. Deuxième triade des dieux intelligibles-intellectifs.
3.3. Troisième triade des dieux intelligibles-intellectifs.
4… Les dieux intellectifs, l’Intellect.
4.1. Première triade des dieux intellectifs.
4.1.1. Kronos.
4.1.2. Rhéa.
4.1.3. Zeus (le démiurge universel).
4.2. Deuxième triade des dieux intellectifs.
4.3. ????
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5… Les dieux hypercosmiques (dieux-chefs, assimilateurs).
5.1. Première triade des dieux hypercosmiques (= Zeus).
5.1.1. Zeus.
5.1.2. Poséidon.
5.1.3. Pluton.
5.2. Deuxième triade des dieux hypercosmiques (= Koré).
5.2.1. Artémis.
5.2.2. Koré.
5.2.3. Athéna.
5.3. Troisième triade des dieux hypercosmiques (= Apollon/Hélios).
5.4. Quatrième triade des dieux hypercosmiques (= Korybantes).
6… Les dieux hypercosmiques-encosmiques (les dieux séparés du monde).
6.1. Première triade des dieux hypercosmiques-encosmiques (triade démiurgique).
6.1.1. Zeus.
6.1.2. Poséidon.
6.1.3. Héphaïstos.
6.2. Deuxième triade des dieux hypercosmiques-encosmiques.
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6.3. Troisième triade des dieux hypercosmiques-encosmiques.
6.4. Quatrième triade des dieux hypercosmiques-encosmiques.
7. Les dieux encosmiques.
Les dieux célestes.
Les dieux sublunaires.
8. Les âmes universelles.
9. Les Êtres supérieurs (anges, démons, héros).
Tout être fini emporte néanmoins avec lui la puissance de l’illimité. L’illimité est par définition inhérent au limité. A contrario en quelque sorte. La philosophie grecque appelle hénade (hen = un) cet attelage. Les hénades existent en parallèle avec les différents êtres (à chaque niveau d’êtres correspond une classe d’hénades, et les deux séries sont totalement coextensives). Les Grecs n’ont pas mieux à offrir apparemment.
Les hénades de Proclus sont nées d’un problème capital du néoplatonisme. Si chaque principe agit par son être, comment, de l’absolue simplicité, l’extrême complexité du réel peut-elle procéder ? En d’autres termes, les hénades sont la solution de Proclus au problème qui « hante » la pensée grecque antique : comment expliquer la naissance, la dérivation de la multiplicité à partir du Un, du Un absolu considéré comme une pure unité ? Si Plotin ne pose que trois hypostases, il n’en est pas de même pour Proclus. Le reproche que Proclus adresse à Plotin est en effet d’avoir placé la multiplicité trop « près » du Un.
Ainsi que nous avons pu le voir avec l’œuvre de Proclus, et de l’École d’Athènes, le Un est la cause des hénades ; plus précisément, il est la cause de la multiplicité des hénades, ces dernières étant la cause de la multiplicité des êtres. Ce qui permet de dire que le Un est la cause de la multiplicité, sans toutefois en être trop « proche », ou sans avoir besoin de poser en lui une certaine « préexistence » de la multiplicité.
Chez Plotin, la multiplicité se rencontre dès le second principe, car c’est en l’intellect que sont contenues les Formes ou Idées intelligibles. Proclus va donc introduire une « distance » plus grande entre le Un et la multiplicité.
Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer ces divergences.
Tout d’abord, l’abandon de la coïncidence plotinienne entre l’intellect et l’intelligible, et l’accord entre le platonisme et la théologie orphique.
Ensuite, le réalisme logique qui domine la position de Jamblique, et qui impose de distinguer en deux hypostases distinctes le noüs ou noos (l’intellect) et le noeton (l’intelligible). Enfin, l’apologie du polythéisme, grâce à laquelle la multiplicité des hypostases (vyouha dans l’hindouisme) peut correspondre à la multiplicité des dieu-ou-démons.
Hypostase vient du grec hypostasis et signifie à l’origine « support », « fondement ». Ce terme est généralement traduit par substance (ce qui se tient sous). Ce concept ; qui joue un si grand rôle dans les écoles d’Alexandrie et d’Athènes, depuis Plotin jusqu’à Proclus ; est l’indication d’une doctrine supposant un Dieu ou Démiurge qui, sans sortir de lui-même, se transforme éternellement en une essence d’un ordre inférieur dans l’échelle ontologique des êtres.
Le système de Proclus va donc comporter un nombre d’hypostases beaucoup plus important que celui de Plotin. Pour Proclus, une procession de dérivés n’est pas possible sans des médiations entre un degré de la réalité et un autre degré.
Entre le Un et la multiplicité, Proclus pose deux « types » d’intermédiaires : les hénades et des couples de principes appelés dyades. Bien que certains commentateurs aient affirmé que Jamblique était l’inventeur des hénades, il semble bien aujourd’hui que l’on doive attribuer ce concept à Syrianus, le maître de Proclus. Proclus augmente la « distance » qui sépare le Un ineffable et la multiplicité des Idées ou des Formes. Les hénades sont l’un des éléments qui contribuent à augmenter cette distance. La théorie des hénades est donc très importante dans la pensée de Proclus.
Cette nécessité des hénades est affirmée pour au moins deux raisons. D’une part en raison de la loi générale des intermédiaires, et d’autre part à cause du cas particulier du passage du Un à l’être participé, c’est-à-dire de la dialectique de l’être et de l’avoir, des attributs. Les hénades sont juste « en
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dessous » du Un, elles représentent le premier niveau de réalité entre le Un et la multiplicité. Elles dérivent directement du Un. Ce qu’il importe de retenir, c’est que Proclus place les hénades entre le Un et la multiplicité, ce qui signifie que le Un n’a pas un « contact » direct avec la multiplicité, les hénades sont des intermédiaires. Elles sont des produits directs du Un, mais ce sont elles qui vont continuer la procession. Ainsi les hénades sont-elles les dépositaires du caractère divin le plus important et le plus précieux : l’unitaire. Comme l’explique cet auteur, il y a autant d’hénades que d’êtres.
Note de la rédaction. L’empereur chrétien Justinien dont la devise était en quelque sorte « Un État, une religion, une loi », ordonna en 529 de fermer cette École d’Athènes, dernier asile des lettres et de la philosophie. Ce qui obligea les maîtres qui enseignaient dans cet établissement, à partir chercher asile chez le roi perse Chosroès.
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LE PARADOXE DU MONOTHÉISME DANS LE JUDÉO-CHRISTIANISME.
Pour réaliser qu’il y a bien en effet paradoxe, il est indiqué de s’attacher à certains aspects de la pensée judéo-chrétienne. Il y aura lieu notamment de préciser la portée d’expressions telles que « Dieu des dieux ou Seigneur des seigneurs » (Deutéronome 10, 17). Il y aura lieu aussi d’insister sur l’angélologie des esséniens et l’ensemble des livres d’Hénoch ; sur l’Ange de YHWH, sur les Chérubins, sur le Trône, l’Archange Métatron, l’Ange de la Face, les Séphirot, la Cabbale ancienne et la tardive, etc. On se rappelle comment certains traduisent le nom d’Élohim, au début de la Genèse : « Lui-les-Dieux, l’Être des êtres ». Mais il y a aussi à rappeler les vastes systèmes de la Gnose, depuis la Gnose primitive jusqu’aux cabbalistes chrétiens. Sans oublier, en passant, l’opinion de certains Pères grecs du passé, pour qui le christianisme trinitaire était à égale distance du monothéisme et du polythéisme. Pour le reste, voir le discours de Jean Jaurès en date du 15 janvier 1888 sur l’enseignement de la philosophie ou des faits religieux à l’école et leur rôle crucial dans l’éducation ou la formation de la jeunesse. « Vous tenez en vos mains l’intelligence et l’âme des enfants ; vous êtes responsables de la patrie. Les enfants qui vous sont confiés n’auront pas seulement à écrire et à déchiffrer une lettre, à lire une enseigne au coin d’une rue, à faire une addition et une multiplication. Ils sont [mettre ici l’ethnonyme convenant à la situation] et ils doivent connaître leur pays, sa géographie et son histoire : son corps et son âme. Ils seront citoyens et ils doivent savoir ce qu’est une démocratie libre, quels droits leur confère, quels devoirs leur impose la souveraineté de la nation. Enfin ils seront hommes, et il faut qu’ils aient une idée de l’homme, il faut qu’ils sachent quelle est la racine de toutes nos misères : l’égoïsme aux formes multiples ; quel est le principe de notre grandeur : la fierté unie à la tendresse. Il faut qu’ils puissent se représenter à grands traits l’espèce humaine domptant peu à peu les brutalités de la nature et les brutalités de l’instinct, et qu’ils démêlent les éléments principaux de cette œuvre extraordinaire qui s’appelle la civilisation. Il faut leur montrer la grandeur de la pensée ; il faut leur enseigner le respect et le culte de l’âme en éveillant en eux le sentiment de l’infini qui est notre joie, et aussi notre force, car c’est par lui que nous triompherons du mal, de l’obscurité et de la mort. Eh quoi ! Tout cela à des enfants ! – Oui, tout cela, si vous ne voulez pas fabriquer simplement des machines à épeler. Je sais quelles sont les difficultés de la tâche…
Il faut d’abord que vous appreniez aux enfants à lire avec une facilité absolue, de telle sorte qu’ils ne puissent plus l’oublier de la vie et que, dans n’importe quel livre, leur œil ne s’arrête à aucun obstacle. Savoir lire vraiment sans hésitation, comme nous lisons vous et moi, c’est la clef de tout… Sachant bien lire, l’écolier, qui est très curieux, aurait bien vite, avec sept ou huit livres choisis, une idée, très générale, il est vrai, mais très haute de l’histoire de l’espèce humaine, de la structure du monde, de l’histoire propre de la terre dans le monde, du rôle propre de leur nation dans l’humanité. Le maître doit intervenir pour aider ce premier travail de l’esprit ; il n’est pas nécessaire qu’il dise beaucoup, qu’il fasse de longues leçons ; il suffit que tous les détails qu’il leur donnera concourent nettement à un tableau d’ensemble. De ce que l’on sait de l’homme primitif à l’homme d’aujourd’hui, quelle prodigieuse transformation ! et comme il est aisé à l’instituteur, en quelques traits, de faire sentir à l’enfant l’effort inouï de la pensée humaine ! Seulement, pour cela, il faut que le maître lui-même soit tout pénétré de ce qu’il enseigne. Il ne faut pas qu’il récite le soir ce qu’il a appris le matin ; il faut, par exemple, qu’il se soit fait en silence une idée claire du ciel, du mouvement des astres ; il faut qu’il se soit émerveillé tout bas de l’esprit humain, qui, trompé par les yeux, a pris tout d’abord le ciel pour une voûte solide et basse, puis a deviné l’infini de l’espace et a suivi dans cet infini la route précise des planètes et des soleils ; alors, et alors seulement, lorsque, par la lecture solitaire et la méditation, il sera tout plein d’une grande idée et tout éclairé intérieurement, il communiquera sans peine aux enfants, à la première occasion, la lumière et l’émotion de son esprit…… Dans chaque intelligence il y aura un sommet, et, ce jour-là, bien des choses changeront » (Jean Jaurès. La Dépêche de Toulouse, 15 janvier 1888).
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AL KINDIS D’OCCIDENT.
Il ne faut pas confondre la théosophie musulmane et la philosophie musulmane c’est-à-dire la pensée issue de l’enseignement du Coran et de la Sounna ou la pensée développée par certains traducteurs d’ouvrages grecs, la falsafa (guère en odeur de sainteté chez les religieux).
La falsafa est la branche de la pensée d’expression arabe qui se réfère par priorité à l’héritage intellectuel hellénique. L’apparition même de la falsafa constitue une prise de position humaniste, puisqu’elle privilégie une élaboration humaine, et qui plus est réalisée par des païens.
Al Kindi. « Parmi les devoirs les plus nécessairement imposés par la vérité, il y a ceci : que nous ne blâmions pas ceux qui sont, pour nous, cause d’utilité, même si cette utilité est de faible importance. Quant à ceux qui sont la cause majeure d’une utilité réelle et de sérieuse importance, c’est a fortiori qu’il ne faut pas les blâmer. En effet, même si ces derniers n’ont pas atteint une part de la vérité, ils ont été pour nous des parents et des associés en nous communiquant les résultats de leur réflexion, car ces premiers résultats sont devenus des voies et des instruments qui nous ont permis d’atteindre ces vérités nombreuses en deçà desquelles ils s’étaient maintenus. Pour nous, comme pour les plus éminents de ceux qui, avant nous et sans être de notre langue, se sont adonnés à la philosophie, il est en effet particulièrement évident que pas un homme seul n’a atteint la vérité, comme elle mérite d’être atteinte, par le seul effort de sa quête personnelle ; mais les hommes tous ensemble n’ont pas non plus connu parfaitement la vérité ; par contre, chacun pris individuellement a pu, ou bien ne rien atteindre de la vérité, ou bien en atteindre un peu, toujours par rapport à ce que mérite la vérité. Mais si l’on rassemble la petite quantité de vérité atteinte par chacun de ceux qui en ont atteint une part, alors on rassemblera une quantité considérable de vérité.
Il faut donc que notre reconnaissance soit immense pour ceux qui ont apporté un peu de vérité et a fortiori pour ceux qui en ont apporté beaucoup, car ils nous ont fait participer aux résultats de leur réflexion : ils ont facilité pour nous des problèmes véritables, mais cachés, en nous enseignant les prémisses qui ont aplani pour nous les chemins de la vérité. En effet, si ces gens n’avaient pas existé, ces vérités premières, que nous avons prises pour point de départ vers les ultimes problèmes plus cachés, n’auraient pas été rassemblées pour nous. […] Aristote, le plus éminent des philosophes grecs, a dit : « il faut que nous soyons reconnaissants envers les pères de ceux qui ont découvert quelque chose de la vérité, car ils ont été la cause de leur existence, et remercier aussi ces derniers ; les pères ont produit les fils et ces derniers nous ont permis d’accéder à la vérité ».
Il faut donc que nous n’ayons honte ni de trouver belle la vérité ni de l’acquérir, d’où qu’elle vienne, même si la vérité vient de races très éloignées de la nôtre et de communautés qui se distinguent nettement de nous. En effet rien n’est plus digne d’attention que la vérité pour celui qui la cherche. Il ne faut donc pas déprécier la vérité ni mépriser ceux qui la déclarent ou la transmettent. Personne n’est déprécié par la vérité, au contraire, la vérité fait honneur à tous » (Sur la philosophie première. Rasa'il al-Kindi al-Falsafiyya).
Le premier grand nom de la falsafa andalouse, Ibn Bâjja (1080- 1138), renouera avec le Persan al-Fârâbî (872-950) en se référant très peu au Coran dans ses écrits, et en menant par ailleurs la lutte contre les hommes de religion. L’attitude du célèbre Ibn Rushd (Averroès, 1126 – 1198) est comparable pour l’essentiel, si ce n’est que, tant dans sa vie que dans ses écrits, il privilégie le point de vue collectif. Il est un homme de religion dont la disponibilité à tous et à toutes les classes sociales est reconnue ; il réfléchit sur le langage qui doit être employé envers la masse et il replace le penseur dans le vaste courant de l’humanité tout entière. Mais il ne faut pas lui prêter plus. Une exploitation cinématographique récente a voulu en faire un homme tolérant, ouvert aux minoritaires comme les Juifs, juge compréhensif, quasi féministe, etc. En réalité c’était un homme rigoureux qui affirmait qu’on ne peut discuter avec ceux qui « nient les principes » et qu’il faut donc les éliminer, dont les seules marques que nous possédons de son activité comme juge religieux le montrent optant pour la solution la plus dure, qui n’a eu de contact avec les Juifs que contraint en exil par disgrâce politique, et qui n’a soutenu l’égalité entre hommes et femmes que pour suivre l’exemple de Platon dont il commentait la partie politique de la République.
Si humanisme il y a chez Ibn Bâjja et Ibn Rushd, c’est dans la réceptivité au savoir transmis par l’Antiquité païenne et dans la volonté de comprendre le réel – tout le réel – par la seule force de la raison. C’est beaucoup, mais c’est tout. (Dominique Urvoy, « Falsafa : ses aspects humanistes », in Houari Touati, Encyclopédie de l’humanisme méditerranéen, printemps 2014).
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La théosophie musulmane a plus à voir avec la notion d’illumination (gallois awenyddion) qu’avec cette philosophie musulmane au sens strict du terme.
Elle est essentiellement iranienne donc perse et non arabe.
La traduction de certains dialogues de Platon et surtout des œuvres d’Aristote a eu certes un rôle essentiel dans la constitution de la philosophie musulmane notamment chez Abou Youssef Ya’ghoub Al – Kindi et Abou Nasr Fârâbi, mais la falsafa s’est très tôt divisée en deux tendances principales – quoique non exclusives l’une de l’autre : celle de pensée péripatéticienne arabe inspirée d’Aristote, dont le dernier grand nom fut Averroès, et l’illuminisme néoplatonicien notamment avec l’école de l’ishrâq. Cependant, très tôt, les penseurs musulmans ont commencé à accorder une grande place à l’ascèse et à la purification intérieure comme accompagnement de la pensée purement spéculative, ce qui a conduit à parler davantage de théosophie (hikma) que de pure philosophie.
La pensée musulmane s’est donc enrichie en Iran sous la forme d’une théosophie élargissant les frontières du raisonnement philosophique, en prenant en compte la dimension imaginale et intérieure de la pensée.
Ses grands noms furent Shahâbeddin Sohraouardi (1155-1191) et Molla Sadra (1560-1640).
La théosophie de l’ishrâq a ouvert de nouveaux horizons à la pensée musulmane.
Le mot « ishrâq » signifie illuminer. Dans le langage théosophique, « ishrâq » signifie « dévoilement intuitif » ou l’« illumination de l’âme par les Intelligences ». Dans la théosophie de l’ishrâq, cette « illumination » et ce « dévoilement intuitif » des vérités du monde ne sont possibles que dans le cadre d’une purification intérieure constante de son âme. Il ne s’agit pourtant pas d’une doctrine mystique, mais bien d’une école philosophique, utilisant l’argumentation spéculative et le raisonnement discursif.
La relation entre la philosophie de l’ishrâq et la mystique islamique est si forte qu’on peut dire que cette philosophie a pour but de déboucher sur une certaine forme de mystique. Avec cette différence qu’en mystique, seul le cheminement intérieur sans l’apport de la raison compte, alors que dans cette pensée, le raisonnement discursif et l’argumentation logique ont une importance fondamentale.
Dans l’introduction de son important ouvrage Hikmât al-Ishrâq (la Sagesse de la Lumière) Sohraouardi écrit : « Avant ce livre, j’ai déjà rédigé d’autres ouvrages selon la méthode des péripatéticiens et j’ai résumé leurs règles. Mais ce livre est d’un autre genre. L’ordonnance et le contenu de cet ouvrage m’ont été inspirés, non par la voie de la raison et de l’intellect, mais par une autre voie, et ce n’est qu’ensuite que j’ai cherché à argumenter. »
Sohraouardi s’inspire certes parfois de certains versets coraniques ou de certains enseignements de l’islam et notamment du Droit musulman sinon évidemment ce ne serait pas un penseur musulman, mais le Sheikh de l’Ishraq développe aussi une méthode mystique-argumentative, c’est-à-dire une méthode autant basée sur la purification de l’âme, l’ascèse, l’illumination et la révélation intérieure, que sur l’argumentation et la spéculation purement rationnelles. Sohraouardi disait que sa philosophie s’adressait aux adeptes de la sagesse spéculative, mais aussi aux tenants de la sagesse née d’une expérience directe, vécue et sapientiale. Et la condition de compréhension de cette pensée était l’illumination divine du cœur du philosophe. À la fin de son livre, Sohraouardi écrit d’ailleurs : « Ne donnez ce livre qu’à ceux qui ont bien connu la voie péripatéticienne et qui cherchent la lumière divine. Avant d’étudier ce livre, il faut suivre quarante jours d’ascèse… »
Sohraouardi s’intéressait vivement à la théosophie antique iranienne qu’il tenta de ressusciter dans sa pensée. C’est pour cela qu’il a utilisé et codifié les concepts de cette pensée, qu’il a alliés aux concepts théologiques du zoroastrisme.
La relation entre la philosophie de l’ishrâq et la mystique islamique est si forte qu’on peut dire que cette philosophie a pour but de déboucher sur une certaine forme de mystique. Avec cette différence qu’en mystique, seul le cheminement intérieur sans l’apport de la raison compte, alors que dans cette pensée, le raisonnement discursif et l’argumentation logique ont une importance fondamentale.
Au XVe siècle, avec l’officialisation du chiisme et le développement des infrastructures sociales et économiques, ainsi que la sécurisation de la vie, résultats d’une réelle stabilité politique, une ère faste s’ouvrit pour le développement des sciences rationnelles et la théosophie atteignit un nouveau seuil. Le premier grand penseur de cette époque fut Mir Mohammad Bâgher Dâmâd qui allia la philosophie et la religion et qui écrivit des ouvrages tels que le Qabassât al Ilahiyah la Sirât al-Mostaqim ou le
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Taqouim al Iman. Il donna une teinte ishrâqi à la philosophie avicennienne et la développa en tenant compte des enseignements et de la pensée proprement chiite, en reformulant dans une nouvelle optique certaines questions de la philosophie islamique. On peut citer également son contemporain philosophe, Mir Fendereski, qui voyagea en Inde et commenta la pensée hindoue, ou le Sheikh Bahâeddin Ameli, philosophe, poète, mathématicien, et mystique contemporain de Shâh Abbâs 1er.
Le plus grand théosophe musulman de cette époque et de l’avis de beaucoup, de toute la théosophie islamique, Sadreddin Shirâzi ou « Mollâ Sadrâ » vit le jour à la même époque. Né en 1560, il mourut sous le règne de Shâh Abbâs le Second en 1640 après avoir enseigné la philosophie pendant plus de trente ans. Il laissa plus de quarante ouvrages de philosophie. Certains de ses ouvrages présentent sa propre pensée, d’autres sont des commentaires et certains débattent d’autres branches des sciences rationnelles. Au niveau de sa propre pensée, son livre le plus important est le Al-Asfâr al-Arba’a (Les quatre voyages), considéré comme le plus grand livre de philosophie islamique, qu’on ne peut aborder qu’après avoir acquis une connaissance approfondie de l’ensemble des courants de la philosophie islamique. Ses autres livres philosophiques tels que Al-Mabdâ’ oua al-Ma’âd, Al-Mashâ’ir oua al-Hikmat al-’Arshia, Al-Shaouâhid al-Roboubiyya, ses commentaires sur le Hikmat al-Ishrâq de Sohraouardi, son commentaire du Hidâya, ou ses annotations sur les Ilahiyât du Shifâ’ d’Avicenne sont tous d’importants chefs-d’œuvre philosophiques. La pensée de Mollâ Sadrâ a eu également une forte influence sur la théologie chiite.
Avec Mollâ Sadrâ, neuf siècles de pensée islamique atteignirent leur apogée et les méthodes et assertions de la philosophie argumentative ainsi que la dimension « imaginale » de la connaissance et la mystique furent alliées dans un système philosophique intégral et logique. Mollâ Sadrâ fonda l’ensemble de sa théosophie sur le principe de l’authenticité de l’être (isâlat al-woujoud), duquel il déduit d’autres aspects de sa pensée tels que l’unicité de l’être (ouahdat al-woujoud) ainsi que sa dimension graduée (tashkik), le mouvement transsubtantiel (al-harikat al-jowhariyya), l’union de l’intellect et de l’objet intelligé (ittihâd al-’aqil wa al-ma’qoul), etc. Il intégra à sa philosophie des concepts et les raisonnements des écoles philosophiques précédentes tout en leur donnant une tout autre portée. L’effort de Mollâ Sadrâ résidait avant tout dans la réconciliation totale de la religion, en particulier du chiisme, de la philosophie et de la mystique, et il réussit finalement, après neuf siècles, à achever un effort commencé avec Al-Kindi en montrant comment la méthode argumentative et spéculative alliée à la méthode intuitive et ishrâqi c’est-à-dire à la dimension « révélée » du savoir peut conduire à une même vérité.
Arefeh Hedjazi. Aperçu sur l’histoire de la philosophie islamique in La Revue de Téhéran N° 60, novembre 2010.
Les contempteurs de mon travail souffriront que je paraphrase Al Kindi en concluant ainsi cette digression sur les ishraqiyoun.
« Parmi les devoirs les plus nécessairement imposés par la vérité, il y a que nous ne blâmions pas ceux qui sont, pour nous, cause d’utilité, même si cette utilité est de faible importance. Quant à ceux qui sont cause d’une utilité réelle et de sérieuse importance, c’est à plus forte raison qu’il ne faut pas les blâmer. Car si certains druides n’ont pas atteint une quelconque part de la vérité, ils ont néanmoins été pour nous des parents et des associés en nous communiquant les résultats de leur réflexion, puisque ces premiers résultats sont devenus des voies et des instruments nous ayant permis d’atteindre les vérités en deçà desquelles ils s’étaient maintenus. Il est évident qu’aucun druide n’a atteint la vérité, comme elle mérite d’être atteinte, par le seul effort de sa quête personnelle ; mais si l’on rassemble la petite quantité de vérité atteinte par chacun de ceux qui en ont atteint une part, alors on en rassemblera une quantité considérable.
Il nous faut donc être reconnaissants envers ceux qui ont apporté un peu de vérité et a fortiori pour ceux qui en ont apporté beaucoup, car ils nous ont fait participer aux résultats de leur réflexion : ils ont facilité pour nous la résolution de certains problèmes, en nous enseignant les prémisses ayant aplani pour nous les chemins de la vérité. Si ces druides n’avaient pas existé, ces vérités premières, que nous avons prises pour comme points de départ n’auraient pas été rassemblées. Nous nous devons d’être reconnaissants envers les pères de ceux qui ont découvert quelques bribes de la vérité l’enfer n’existe pas, la mort n’est que le milieu d’une longue vie, réincarnation en corps bellissamos dans un
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autre monde, etc.], car ils ont été la cause de leur existence, et par conséquent remercier aussi ces derniers ; les pères ont produit les fils et ces derniers nous ont permis d’accéder à la vérité.
Il faut donc que nous n’ayons honte ni de trouver belle la vérité ni de l’acquérir, d’où qu’elle vienne, même si la vérité vient d’époques très éloignées de la nôtre et de civilisations qui se distinguent nettement de la nôtre. En effet rien n’est plus digne d’attention que la vérité pour celui qui la cherche. Il ne faut jamais déprécier les vérités ni mépriser ceux qui les découvrent ou les transmettent. Personne n’est déprécié par la vérité, au contraire, la vérité fait honneur à tous.
Il est donc bon pour nous – puisque nous sommes désireux de construire un homme nouveau avec le meilleur de l’ancien – que nous nous attachions, dans le présent traité, conformément au choix qui a été le nôtre, à présenter de manière exhaustive et objective ce qu’ont dit les anciens druides sur ces questions, en trouvant les explications les plus directes et les plus faciles pour nos contemporains, ou en complétant leurs dires, tout en nous conformant, dans la mesure de nos possibilités, aux normes de notre culture et aux impératifs de notre époque. Ainsi que l’a fait le druide de Lucien de Samosate, le plus éminent des philosophes celtes de Massilia, en répondant à ses interrogations (sur la philosophie première). Signé « l’Al Kindi d’Occident ».
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LE PARADOXE DU MONOTHÉISME DANS L’ISLAM.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, il importe donc, en matière d’islam, de distinguer aussi entre religion et philosophie. La philosophie musulmane n’est pas la religion musulmane.
La distinction étant extrêmement importante, il ne sera pas inutile d’y revenir encore une fois ici. Les théosophes et mystiques de l’islam ont médité ou réfléchi jusqu’au vertige sur le taouid. Il ne faut donc pas pour négliger l’enseignement des gnostiques et théosophes de l’islam, tout particulièrement l’École du grand théosophe visionnaire gréco-arabe Moheïddine Ibn Arabi (mort vers 1240) ; et notamment Sayyed Haïdar Amoli (mort vers 1385), qui fut à la fois le critique et le plus grand des disciples chiites d’Ibn Arabi.
Le terme taouid désigne couramment la profession de foi monolâtre, proclamant qu’il n’y a pas de Dieu ou de Démiurge hormis Dieu ou le Démiurge. Ce que Haïdar Amoli, disciple d’Ibn Arabi, désigne comme le taouid théologique est quelque peu différent. Les théologiens débattent du concept de Dieu. Le taouid théologique, lui, pose et présuppose Dieu comme étant d’ores et déjà un étant, un Ens supremum. Or, le mot taouid est un causatif ; il signifie faire-un, faire devenir un, unifier. Il va de soi que pour le monothéisme philosophique et réfléchi, qui traite du concept de Dieu ou de Démiurge, l’unité de celui-ci ne peut être envisagée comme résultant ontologiquement du taouid du croyant. Le taouid du croyant n’est qu’une attestation de l’Unité, non pas l’acte de l’Unifiant se faisant lui-même Un dans chaque Un.
Cette conception du divin quelque peu analogue à celle des moutazilites « musulmans » suppose la non-existence d’attributs dans l’essence divine. Dieu ou le Démiurge est inaccessible et immanent-transcendant (Taouid). « Dieu ou le Démiurge est unique, nul n’est semblable à lui ; Dieu ou le Démiurge n’est ni corps, ni individu, ni substance, ni accident. Il est au-delà du temps. Il ne peut habiter dans un lieu ou dans un être ; il n’est l’objet d’aucun attribut ou qualificatif s’appliquant à des créatures. Il n’est ni conditionné, ni déterminé, ni engendrant, ni engendré. Il est au-delà de la perception des sens. Les yeux ne le voient pas, le regard ne l’atteint pas, les imaginations ne le comprennent pas. Il est une chose, mais non comme les autres choses ; il est omniscient, tout puissant, mais son omniscience et sa toute-puissance ne sont comparables à rien de créé.
Les trois moments du paradoxe monothéiste musulman sont les suivants.
1. Sous sa forme la plus simple, celle de la profession de foi musulmane qui énonce Lâ Ilâha illâ Allâh, il n’y a de Dieu que Dieu, le monothéisme périt dans son triomphe, et se détruit lui-même en devenant à son insu, bon gré mal gré, une idolâtrie métaphysique.
2. Le monothéisme ne trouve son salut et sa vérité qu’en atteignant à sa forme philosophique et réfléchie. Celle-là même qui, pour les gens simples, semble le nier (être du chirk), et dont le symbole de foi s’énonce sous cette forme : « Laïsa fî’l-wojoûd siwâ Allâh ; il n’y a dans l’être que Dieu ».
3. On sort de cette impasse intellectuelle au niveau ontologique en concevant bien qu’il y a deux niveaux de l’être ainsi que l’a mis en évidence Proclus, dans son commentaire du Parménide. L’harmonie parfaite du Dieu ou du Démiurge-Un et des dieu-ou-démons multiples. Paradoxe difficile à percevoir pour la conscience naïve, étrangère à la méditation philosophique, et confondant tous les niveaux de signification. Puisqu’elle n’y voit que du taghout !
« Il n’y a dans l’être que Dieu », ce qui est la formule même de l’unité immanente et transcendante de l’être, en arabe ouahdat al-woujoûd. La catastrophe se produit lorsque des esprits débiles ou inexpérimentés en philosophie, confondent cette unité de l’être (woujoûd, esse, das Sein) avec une prétendue ou supposée unité de l’étant (mawjoûd, ens, das Seiende). Il est même arrivé que des orientalistes tombent dans le piège et parlent de « monisme existentiel ». Autrement dit d’un monisme au niveau de l’étant ou existant, qui est le niveau même du multiple, le niveau justement auquel le théo-monisme lui-même admet le pluralisme des êtres (des étants). C’est le péril qu’a dénoncé avec vigueur un des grands théologiens philosophes de l’École d’Ispahan, au XVIIe siècle, Sayyed Ahmad Alavi, qui reprocha notamment à un certain nombre de soufis d’être tombés dans cette erreur. « Que personne ne vienne à penser, dit-il, que ce que professent les vrais théosophes mystiques est
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quelque chose de ce genre. Non pas, ils professent tous que l’affirmation du Un est au niveau de l’être, et l’affirmation du multiple est au niveau de l’étant ».
La confusion aboutit à professer une unité de l’étant ou existant, s’exprimant dans de pseudo-ésotérismes, par les affirmations d’une illusoire identité ; dont la répétition monotone provoque une exaspération bien compréhensible chez un autre grand personnage de l’École d’Ispahan au XVIIe siècle, Hosaïn Tonkaboni. Au début de son traité sur l’unité de l’être, il écrit en effet : « J’étais préoccupé par le souci d’écrire quelque chose sur l’unité de l’être ; laquelle va de pair avec la multiplicité de ses épiphanies (tajalliyât) et les ramifications de ses descentes sur terre. Sans que ces existences concrètes soient des choses illusoires, sans consistance ni permanence, comme le voudraient les propos que l’on rapporte de certains soufis ».
L’Être divin n’est pas le seul étant, mais le Un-être par définition, et c’est précisément cet absolu de l’être qui fonde et rend possible la multitude de ses épiphanies que sont les étants. Autrement dit, le Un-être est la source de la multitude des théophanies. L’erreur, c’est de faire de Dieu ou du Démiurge, non pas l’Acte pur d’être, le Un-être, mais un ens, un étant (mawjoûd), fût-il infiniment au-dessus des autres étants. Parce qu’il est d’ores et déjà constitué comme étant, la distance que l’on essaie d’instituer entre l’Ens supremum et les entia creata ne fait que rétrograder sa condition d’Ens supremum à celle d’un simple étant. Car dès lors qu’on l’a investi de tous les attributs positifs concevables, portés à leur degré suréminent, il n’est plus possible à l’esprit de remonter au-delà. L’ascension de l’esprit bute sur cette absence d’au-delà d’un ens, d’un étant. Et c’est cela l’idolâtrie métaphysique, laquelle contredit au statut de l’étant, car il est impossible à un étant, un ens, d’être supremum. L’ens, l’étant, renvoie en effet par essence au-delà de lui-même, à l’acte d’être qui le transcende et le constitue comme étant.
Ce passage de l’être (esse) à l’étant (ens), les théosophes musulmans le conçoivent comme la mise de l’être à l’impératif (esto). C’est par l’impératif esto que l’étant est investi de l’acte d’être. C’est pourquoi, l’étant, ens, est par essence créature (il est l’aspect passif de l’impératif esto). Ce qui est Source et Principe ne peut donc être un ens, un étant. Et c’est ce qu’ont fort bien vu les théosophes mystiques, notamment les théosophes ismaéliens et ceux de l’École du grand penseur gréco-arabe Ibn Arabi.
Nous discernons d’autant mieux avec eux le péril, ou le paradoxe par lequel le monothéisme simpliste périt dans son triomphe, dans le commentaire que Proclus a écrit sur le Parménide de Platon. Le Parménide est pour lui la Théogonie, dont sa propre « Théologie platonicienne » amplifie encore le commentaire. Le Parménide de Platon est en quelque sorte la Bible, l’Écriture sainte de la théologie négative, apophatique, éminemment néoplatonicienne. La théologie négative, via negationis (en arabe tanzîh) est celle qui rejette la cause au-delà de tous les causés, le Un absolu au-delà de tous les Uns, l’être au-delà de tous les étants, et ainsi de suite. La théologie négative est présupposée justement par l’investissement de l’être dans tous les étants, du Un dans tous les multiples… C’est elle qui, tout en semblant ruiner la théologie affirmative de la conscience dogmatique, est la sauvegarde de la vérité qu’elle contient, et c’est là le second moment du « paradoxe du monothéisme ». Il est commun aux néoplatoniciens de langue grecque comme aux néoplatoniciens de langue arabe. Il se résout de part et d’autre dans la simultanéité, la co-présence du Dieu ou du Démiurge-Un et des Figures divines multiples.
Dans le système de Proclus, il y a le Dieu ou le Démiurge-Un et il y a les dieu-ou-démons multiples. Le Dieu ou le Démiurge Un est l’hénade des hénades. Le mot « Un » ne désigne pas ce qu’il est, mais symbolise l’absolument ineffable. Le un n’est pas Un, il ne possède pas l’attribut Un. Il est par définition l’unifiant, constitutif de tous les Uns, de tous les êtres qui ne peuvent être étant qu’en étant chaque fois un étant ; autrement dit unifiés, constitués en unités précisément par l’Un, qui s’attache chez Proclus au mot hénade. Chez Proclus, lorsque ce mot est employé au pluriel, il désigne non pas des productions du Un, mais des manifestations du Un, des « hénophanies ». Les caractères attribués en plus de l’Unité sont les Noms divins, et ces Noms commandent la diversité des êtres. C’est à partir des êtres qui leur sont conjoints qu’il est possible de connaître les substances divines, c’est-à-dire les dieu-ou-démons qui en eux-mêmes sont inconcevables.
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Il resterait beaucoup à dire d’une comparaison approfondie avec la théorie des Noms divins et des théophanies que sont les Seigneurs divins mentionnés par certains textes. Autrement dit du parallélisme entre ; d’une part chez le fils spirituel de Platon que fut Ibn Arabi, le caractère ineffable du Dieu ou du Démiurge qui est le Seigneur des Seigneurs et les théophanies multiples que constitue la hiérarchie des Noms divins ; et d’autre part chez Proclus, la hiérarchie prenant son origine en l’hénade exprimée ou manifestée par ces hénades mêmes, puis se propageant par tous les degrés des hiérarchies de l’être. Il y a les dieu-ou-démons immanents transcendants ; les dieu-ou-démons intelligibles (sur le plan de l’être) ; les dieu-ou-démons hypercosmiques (chefs et assimilateurs) ; les dieu-ou-démons intracosmiques (célestes et sublunaires) ; il y a les êtres supérieurs : archanges, anges, héros, démons. Mais ces multiples hiérarchies présupposent l’Un-Unique qui transcende les Uns, parce qu’il les unifie ; l’être qui transcende les étants, la vie qui transcende les vivants, parce qu’elle les vivifie.
Dans l’École d’Ibn Arabi, l’harmonie résulte de la confrontation entre le monothéisme de la conscience simpliste ou dogmatique, et du théo-monisme, bref de l’exhaussement du taouid théologique (taouhîd ouloûhî) au niveau du taouid ontologique (taouhîd woujoûdi). Telle est la forme que prend donc en théosophie musulmane, le paradoxe du Un et du Multiple.
Ce qu’il faut alors se représenter, c’est le rapport de l’être avec l’étant. Deux hypothèses se dégagent : le Un absolument Un transcende-t-il l’Être même ? Ou bien est-il concomitant de l’Être, de l’Acte-être qui transcende les étants ?
— La première interprétation est l’interprétation de Platon, telle que la défendait Proclus. Nous la retrouvons chez les théosophes de l’ismaélisme, dans l’École de Rajab Ali Tabrizi, chez les Shaïkhis. La source de l’être est elle-même super-être, au-delà de l’être, hyperousion. Ce que l’on appelle le Premier Être est en fait le Premier fait-être, une émanation. Avant l’être, au-dessus même de l’être, il y a le Un (nous voilà bien proches du néant créateur des druides, conçu en tant que non-existence et non en tant que vide ou rien) et symbolisé par la lettre oghamique éabadh (un point).
— La seconde interprétation est celle des Ishraqiyoun (orientalistes ou adorateurs de l’illumination censée être causée par le soleil levant) du Kurde Sohraouardi (exécuté comme hérétique le 29 juillet 1191) et de l’École d’Ibn Arabi le fils spirituel de Platon.
Le Un immanent transcendant et l’Être immanent transcendant se retrouvent dans le concept même de Lumière des Lumières, origine des origines, etc. Mais dans l’un et l’autre cas, la procession de l’être est essentiellement théophanie. C’est l’idée que l’on retrouve en Occident chez Jean Scot Érigène. C’est exactement aussi celle de l’Arabo-Grec Ibn Arabi. Malheureusement, on n’a encore jamais comparé.
Note de la rédaction. Le druidisme relève des deux hypothèses puisque les gnostiques d’Occident admettaient l’existence d’un super-être au-delà de l’être, le néant conçu positivement (à savoir juste comme un avant être). Ce qui ne peut que nous renvoyer aussi par définition à la notion de concomitance entre le Un et l’Être.
Pour se faire comprendre, ces philosophes mystiques iraniens recouraient aux comparaisons, par exemple celle typiquement druidique des arbres et de la forêt.
La forêt par définition est une, mais les arbres sont multiples. Il serait ridicule de prétendre, sous prétexte qu’il n’y a qu’une seule forêt, que les arbres n’existent pas. C’est la terrible confusion entre woujoûd et mawjoûd, et c’est être incapable de voir simultanément le Un et le Multiple.
Celui qui contemple le Divin (al-Haqq) en même temps que le Multiple, et réciproquement, sans qu’aucun des deux ne lui voile l’autre, est un théomoniste, au sens vrai du terme (mouwahhid haqîqî), c’est-à-dire un druidisant. En revanche, quiconque contemple le Divin sans contempler ce qui relève de l’ordre de la pro-création, l’Unique sans le Multiple ; celui-là témoigne peut-être de l’unité de l’Essence sans plus, mais n’est pas quelqu’un qui intègre la totalité, quelqu’un en qui s’accomplit cette intégration.
1. Il y a celui qui possède l’intellect (dhoû’l-aql, l’homme du ilm al-yaqîn) ; c’est celui qui voit ce qui relève de la procréation du monde comme étant ce qui est manifesté, exprimé, apparent, exotérique, et le Divin comme étant ce qui est occulté, celé, caché, ou ésotérique. Pour celui-là, le Divin est le miroir montrant la créature, mais il ne voit pas le miroir, il ne voit que la forme qui s’y manifeste.
2. Il y a celui qui possède la vision (dhoû’l-aïn, l’homme du aïn al-yaqîn). Celui-là, à l’inverse du premier, voit le Divin comme ce qui est manifesté, exprimé, visible, et ce qui relève de la pro-création du monde comme étant ce qui est celé, occulté, caché, non apparent. Alors, pour celui-là, c’est le
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monde qui est le miroir montrant la divinité, mais lui non plus ne voit pas le miroir, il ne voit que la forme qui s’y manifeste.
3. Enfin il y a celui qui, à l’instar des druides antiques, possède à la fois l’intellect et la vision (l’homme du haqq al-yaqîn). C’est le hakîm mota’allih, le théosophe mystique, le « hiératique » au sens néoplatonicien du terme. Celui-là voit simultanément la divinité dans la créature, le Un dans le multiple, et ce qui est de l’ordre de la procréation du monde dans la divinité, la multiplicité des théophanies dans l’Unité qui se « théophanise ».
Il voit l’identité de l’Acte-être unitif dans tous les êtres actualisés en autant de monades ou d’unités. L’unité hénadique, qui monadise toutes les monades et constitue en unités multiples tous les êtres, ne le rend nullement aveugle à la multiplicité des formes épiphaniques (mazâhir) dans lesquelles cette Unité du Un primordial s’épiphanise. Ici les deux miroirs se réfléchissent l’un dans l’autre.
Celui-là, disciple du Kurde Sohraouardi et du Gréco-Arabe Ibn Arabi ; même s’il n’a jamais lu le Parménide de Platon et son interprétation par Proclus ; se retrouve au point même où l’enseignement initiatique de Proclus, dévoilant le secret de la théogonie du Parménide, voulait conduire.
Examinons maintenant comment s’accomplit cette intégration, ou plus exactement comment se déploie l’idée d’une ontologie que certains auteurs tels l’orientaliste français Henry Corbin, caractérisent comme une ontologie intégrale, et qui correspond au processus même de la naissance du monde comme théophanie. Et alors nous pourrons apprécier comment les diagrammes d’Haïdar Amoli illustrent ce rapport entre le Un et le Multiple d’une manière tout à fait conforme au rapport du Un unifiant et du Un unifié ; du pur Acte-être (woujoûd, esse) ainsi que de son résultat, ce que l’on pourrait en quelque sorte appeler l’être-étant (mawjoûd, ens) ; tel que nous venons de le caractériser.
L’ontologie intégrale et les théophanies.
L’avènement de l’ontologie intégrale comporte trois moments. Jusqu’au moment où l’on s’avise, comme le dit si bien le fils spirituel de Platon (Ibn Arabi), que « c’est le monde qui est occulté ou n’apparaît jamais, tandis que l’Être Divin est le manifesté ou exprimé jamais occulté, jamais celé ». J’ignorais, dit-il, qu’il y eût de l’Autre que Dieu ou le Démiurge. Telle pourrait être la formule de l’ontologie intégrale.
On distingue.
1. Le point de vue (maqâm) que l’on appelle différenciation ou discrimination (iftirâq, farq). C’est celui de la conscience simpliste distanciant les choses à l’extérieur d’elle-même et argumentant sur leur notion. C’est la « position » du monothéisme théologique (taouid ouloûhîyya : taouid théologique), proclamant l’unité divine comme étant celle de l’Ens supremum, l’Étant qui domine tous les autres étants, sans entrevoir la question que pose l’acte d’être de ces étants. Pour employer une image familière à nos latitudes et déjà mentionnée plus haut, disons que c’est le point de vue de celui qui ne voit que les arbres, sans voir la forêt.
2. Il y a le point de vue que l’on appelle intégration (jam’). Les unités dispersées sont rassemblées dans un tout unique. Le danger latent ici est la confusion commise par certains soufis entre unité de l’être et unité de l’étant. À ce niveau en effet, il n’y a plus d’arbres ; il n’y a plus que la forêt. Tout ce qui est autre que l’étant unique, tout ce qui est « plusieurs », est réputé illusoire, voire inexistant. C’est aussi la position bouddhiste classique.
3. Il faut atteindre au niveau qui est appelé intégration de l’intégration (jam’al-jam’), c’est-à-dire passer du Tout indifférencié au Tout différencié de nouveau. Après l’intégration de la diversité à l’unité, doit venir l’intégration de l’unité à la diversité reconquise. C’est la différenciation seconde (farq thânî) succédant à la première intégration. C’est la vision intégrale que possède le druide (le Sage) : la vision à la fois du Dieu ou du Démiurge-Un et des formes divines multiples. Alors les arbres réapparaissent. On voit et la forêt et les arbres. L’uni-totalité intégrée elle-même est alors intégrée dans la diversité de ses parties composantes. Les mathématiciens parlent de fonctions. Ici nous avons la mazharîya, la fonction épiphanique, qui exprime le rapport entre le Un-être et ses théophanies. C’est donc le passage de l’unité monolithique excluant le « plusieurs », et par là excluant toute idée de fonction épiphanique, à l’unité de type hénadique qui, elle, est l’explication du « plusieurs » dont elle fonde les fonctions épiphaniques.
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Certes, il y a eu de nombreuses discussions chez les maîtres spirituels de la théosophie musulmane et du soufisme concernant le rapport entre le taouid simple (sirf) et le taouid intégral. La marche conduisant à l’intégration de l’intégration, c’est-à-dire à la seconde différenciation, celle qui, succédant à la première intégration, instaure enfin en sa vérité le pluralisme métaphysique ; cette marche comporte des variantes sur lesquelles nous n’insisterons pas ici. Cela d’autant plus que ces variantes apparaissent plutôt comme se procurant réciproquement un complément nécessaire. Pour les uns, l’intégration de l’intégration, c’est la vision simultanée de l’Essence Une et des Noms et Attributs divins multiples. C’est la vision de la multiplicité dans l’unité. Pour d’autres, c’est la vision de l’Être Divin dans les théophanies (mazâhir) multiples, dans la multitude des Figures que revêtent les Noms divins en se manifestant. C’est la vision de l’unité dans la multiplicité. Ces deux interprétations sont le complément nécessaire l’une de l’autre ; l’ontologie intégrale présuppose chez le Sage la vision simultanée de l’unité dans la pluralité, mais aussi de la pluralité dans l’unité. C’est par cette simultanéité que s’effectue la « différenciation seconde », celle-là même par laquelle le pluralisme métaphysique se trouve fondé à partir du Un, sans lequel il n’y aurait pas le « plusieurs », mais chaos et indifférenciation. C’est là le creuset où se résout et sans lequel ne pourrait se résoudre, le paradoxe du monothéisme musulman.
Notes de la rédaction.
Rappelons néanmoins aux amis d’Henry Corbin que tout ça, les druides antiques l’avaient déjà découvert depuis 3000 ans (quelque part en Europe centrale, au deuxième millénaire avant notre ère). D’où, quelques siècles plus tard encore, les traces écrites suivantes.
« Ils discutent et transmettent à la jeunesse beaucoup d’éléments concernant les étoiles et leurs mouvements, l’étendue de ce monde et de notre terre, la nature des choses, le pouvoir et la majesté des dieux immortels » (César. B.G. Livre VI, chapitre XIV).
« À vous seuls il est donné de connaître, comme de les ignorer
Les dieux et les puissances célestes » (Lucain, La Pharsale, livre I).
« Les Celtes affirment qu’ils descendent de Dis Pater, et disent que cette tradition leur vient des druides. Pour cette raison ils établissent les divisions de chaque saison, non en jours, mais en nuits ; et ils calculent les anniversaires ainsi que les commencements de mois ou d’année en suivant un ordre tel que le jour y suit la nuit » César BG Livre VI Chapitre XVIII).
« Non seulement les druides, mais aussi tous les autres, disent que les âmes humaines [psychas en grec], ainsi que l’univers, sont indestructibles, mais qu’un jour le feu et l’eau prévaudront sur eux » (Strabon Livre IV chapitre IV 4).
Rappelons enfin que, sauf erreur de notre part, l’authentique islam des cinq piliers c’est
— le Coran
— les hadiths
— la vie de Mahomet TOUTE LA VIE DE MAHOMET en tant qu’exemple à suivre en tout.
— les déductions de tout cela qu’en ont tiré certains individus : la charia.
— la jurisprudence (le fiqh).
Hors de ces cinq piliers de l’islam point de salut ! Le soufisme n’est pas plus l’islam que les mormons ou les témoins de Jéhovah sont représentatifs du christianisme.
Notons en outre que chez nous au Kafiristan, c’est-à-dire en terres de koufr, car nous sommes koufar et fiers de l’être, aucun desdits druides n’a été inquiété ou arrêté comme hérétique pour avoir dit des choses semblables à celles de ces sages de l’autre pays des Aryens, l’Iran.
Mansour al Hallâdj. Ce qui frappe à propos de Hallâdj, ce sont autant ses poèmes extatiques que sa vie et surtout sa mort, puisqu’il fut crucifié. L’expérience spirituelle de Hallâdj s’est fondée au départ sur la foi monothéiste classique, qui est « de n’adorer que Dieu seul » et « d’obéir à Dieu à tout prix ». C’est ainsi qu’il a brisé les idoles du culte exotérique – « détruire mentalement à l’intérieur de soi la Kaaba, pour entrer en présence directe de son Fondateur » – et qu’il est allé jusqu’à désirer mourir anathème. On connaît de lui le fameux poème suivant : « Tuez-moi donc, mes fidèles, c’est dans mon meurtre que sera ma Vie ».
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Hallâdj a aussi laissé ce distique : « Ton esprit s’est mêlé au mien petit à petit, par maintes et successives unions et trahisons. Et maintenant je suis toi-même, ton existence est mienne, et telle est aussi ma volonté ». Crucifié à Bagdad le 27 mars 922.
Ibn Arabi. Ibn Arabi est né en 1165, à Murcie en Espagne. Il assista aux funérailles d’Averroès à Cordoue, en 1198. Dans sa philosophie, Averroès allie aux doctrines d’Aristote celles de l’École d’Alexandrie sur l’émanation. Et enseigne qu’il existe une âme universelle à laquelle tous les hommes participent, que cette âme est immortelle ; mais que les âmes particulières sont périssables (ce qui était aussi le point de vue des très-sachants de la druidiaction, à condition d’ajouter : au terme d’un plus ou moins long séjour dans l’autre monde).
Deux ans plus tard, Ibn Arabi quitte définitivement l’Andalousie, pour l’Orient. Il sera arrêté au Caire en 1206. Il sera relâché de justesse et retournera à La Mecque puis poursuivra son périple jusqu’en Anatolie, avant son installation définitive en Syrie, en 1223. Il y est mort le huit novembre 1240.
Djalal ad Din Roûmi. Mystique persan (1207-1273) fondateur de l’ordre des derviches tourneurs.
« J’ai cherché Dieu dans le christianisme et sur la croix et je ne l’y ai pas trouvé. Je suis allée dans les temples antiques de l’idolâtrie, et n’en ai trouvé aucune trace. Je suis entré dans la grotte de la montagne d’Hira [où Mahomet eut ses premières hallucinations] et je suis allé ensuite jusqu’à Kandahar, mais je n’y ai pas trouvé Dieu. Dans le même but, je me suis rendu au sommet du Caucase et n’y ai trouvé que la demeure d’un aigle géant ?? Ensuite j’ai dirigé mes recherches vers la Kaaba, dernier recours des vieux et des jeunes ; Dieu n’y était pas non plus. Me tournant alors vers la philosophie je me suis enquis de Dieu chez Avicenne, mais je ne l’ai pas trouvé auprès de lui. Finalement j’ai regardé dans mon propre cœur et là je l’y ai vu ; Il n’était nulle part ailleurs ».
Haïdar Amoli. Philosophe chiite du XIVe siècle, mort en 1385. Il fut à la fois le critique et le plus grand des disciples chiites d’Ibn Arabi. En tant que chiite ou soufi est bien sûr considéré comme hérétique par l’immense majorité des musulmans qui sont sunnites (voir Ibn Taïmiyyah).
Se convertir « à l’islam » comme l’a fait le célèbre « intellectuel » français chantre de la tradition primordiale, Henri Guénon, n’est pas néanmoins une preuve d’intelligence si nous comprenons bien le grand poète arabe Aboul Ala Al Maari. (973-1057.) Désolé pour les intellectuels français admirateurs de Guénon, mais il y a plus de vérité sous la plume de ce John Toland arabe du XIe siècle.
Ô imbéciles, réveillez-vous ! Les rites que vous tenez pour sacrés
Ne sont que des impostures dues à des anciens
En quête de richesses et qui les ont obtenues
Puis sont morts dans l’ignominie, leur loi n’est que poussière.
Les musulmans [hanifs] ont trébuché, les chrétiens sont dans l’erreur
Les juifs perplexes, les mages [zoroastriens] encore plus loin dans l’erreur
Nous autres mortels sommes partagés entre deux grandes écoles
Les escrocs habiles ou les religieux imbéciles.
Mahomet ou le messie, écoutez-moi,
La vérité entière ne saurait tenir uniquement ici ou là.
Comment le Dieu qui a fait le soleil et la lune
Peut conférer sa lumière au Un, je ne peux pas le savoir.
Ils récitent leurs livres sacrés, alors que les faits me montrent
Que c’est une fiction du début à la fin !
O Raison, toi seule dit la vérité.
Ensuite périssent les imbéciles qui ont forgé de toutes pièces ces traditions religieuses et les ont interprétées.
Musulmans, Juifs,
Chrétiens et Zoroastriens
Tous sont dans l’erreur
Les habitants de la planète Terre sont de deux sortes
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Ceux avec un cerveau, mais qui n’ont pas de religion
Ceux qui ont une religion, mais pas de cerveau.
(Aboul Ala Al Maari.)
Mais là on sort peut-être de l’islam, même hérétique, pour entrer dans le domaine de l’athéisme cher aux Galiciens d’Espagne selon Strabon.
« Certains disent que les Galiciens n’ont pas de dieu, mais que les Celtibères et leurs voisins au nord offrent des sacrifices à un dieu sans nom, chaque pleine, lune, la nuit, devant les portes de leurs demeures, et que toute leur maisonnée danse alors en chœur la nuit entière » (Livre III, chapitre IV).
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LE PARADOXE DE L’ÊTRE-UN
ET DES DIEU-OU-DÉMONS MULTIPLES.
Mais quel paradoxe malgré tout de dire qu’il n’y a pas de degrés de l’être ! Que c’est le même être qui se communique au tout et à la partie ; à l’âme et au corps, au songe et à un fait, à l’idée ou à la chose, à l’action spirituelle la plus pure et à la vapeur la plus fugitive ! Cependant, outre que le paradoxe serait peut-être d’introduire le plus et le moins au cœur de l’être lui-même, et non pas seulement dans ses déterminations ; il importe de remarquer que l’échelle de l’être serait toujours une échelle entre l’être et le néant, alors qu’entre ces deux termes il n’y a point d’intermédiaire. C’est un infini qui les sépare : aussi de chaque chose faut-il dire qu’elle est ou qu’elle n’est pas ; et encore, dire qu’elle n’est pas, c’est dire qu’elle n’est pas ce que l’on croit qu’elle était, mais qu’elle est autre chose. Car l’être, c’est toujours l’être absolu ; il n’y a rien au-dessous de lui, et il n’y a rien au-dessus. Il n’y a pas en particulier derrière lui de principe plus haut qui le fonde.
Ainsi, nous sommes astreints à considérer toute raison d’être comme intérieure à l’être, ou bien encore, dès que nous cherchons à justifier l’être comme nous justifions les existences particulières, à dire qu’il est lui-même sa propre justification. On comprend dès lors comment la notion d’être est antérieure, pas seulement à la distinction du sujet et de l’objet, mais encore à la distinction de l’essence et de l’existence, et contient en elle ces deux couples d’opposés.
Le Bitos ou Étant universel est en réalité le seul vrai mystère de ce monde. Omniprésent, indicible, mystère de l’origine de son être, de son devenir, de son but, car l’Homme et le monde n’existent pas indépendamment de lui. C’est un dieu-ou-démiurge qui se dérobe constamment, il est numineux dirait Jung, mais il est l’Être même (Bitos).
« Cette force, enfin, cette énergie créatrice et ordonnatrice de toutes choses, tendant toujours à la fin la meilleure, c’est Dieu. Tu l’appelleras, si tu veux Âme de l’Univers. Les Compagnons de Socrate méritent donc bien l’épithète de panthéistes que j’ai citée plus haut, car, cette force, ce n’est que par une vue de l’esprit que l’on peut la séparer de l’Univers. Grégoire d’Arimini, Occam, Cajetan, et Thomas d’Aquin enfin, cité parmi les hommes de Dieu (pour ne pas parler des autres) ; ont toujours proclamé que les conceptions mosaïques ne nous contredisent pas (ce qui n’est pas mon avis) lorsqu’elles enseignent que Dieu est la cause éternelle du Monde éternel. Et que toutes choses sont nées de toute éternité de ce Dieu, sans intermédiaire. Mais c’est assurément Jérôme qui a le mieux démontré que Dieu intrinsèquement et même extrinsèquement, pénètre et entoure le Monde. Cette formule est celle des anciens philosophes : dans le Monde, rien ne se crée, il n’y a que des changements de position, d’où l’origine et la fin de toutes choses : génération, accroissement, altération et autres mouvements similaires » (John Toland. Le Pantheisticon).
Dimitri Sergueïevitch Merejkovski, né à Saint-Pétersbourg en 1866, mort à Paris en 1941, est le premier écrivain à avoir abordé ce thème à notre époque. Sa seconde trilogie, « Le Christ et l’Antéchrist » (1895-1904), comporte « La Mort des Dieux », qui fait revivre la figure de l’empereur Julien, dit « l’Apostat » par les chrétiens ; alors qu’il n’avait en fait tout simplement jamais accepté la nouvelle religion, à laquelle il n’avait feint de croire que sous la contrainte. Et enfin la Résurrection des Dieux, qui relate la vie de Léonard de Vinci.
Mais comme le fait remarquer notre ami Gary C. Moore, que fallait-il attendre de la Renaissance ? Avait-elle le pouvoir de démentir la conclusion de la célèbre prière de Renan évoquant les Dieu-ou-démons morts, ensevelis dans leur linceul de pourpre et que l’on a bien fait d’abandonner ?
« Je suis né, déesse aux yeux bleus, de parents barbares, chez les Cimmériens, bons et vertueux, qui habitent au bord d’une mer sombre, hérissée de rochers, toujours battus par les orages. On y connaît à peine le soleil ; les fleurs sont les mousses marines, les algues et les coquillages coloriés que l’on trouve au fond des baies solitaires. Les nuages y paraissent sans couleur, et la joie même y est un peu triste ; mais des fontaines d’eau froide y sortent du roc, et les yeux des jeunes filles y sont comme ces vertes fontaines où, sur des fonds d’herbes ondulées, se mire le ciel.
Mes pères, aussi loin que nous pouvons remonter dans le temps, étaient voués aux navigations lointaines, dans des mers que tes Argonautes ne connurent pas. J’entendis, quand j’étais jeune, les chansons des voyages polaires ; je fus bercé au souvenir des glaces flottantes, des mers brumeuses
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semblables à du lait, des îles peuplées d’oiseaux qui chantent à leurs heures et qui, prenant leur volée tous ensemble, obscurcissent le ciel.
Des prêtres d’un culte étranger, venu des Syriens de Palestine, prirent soin de m’élever. Ces prêtres étaient sages et saints. Ils m’apprirent les longues histoires de Cronos, qui a créé le monde, et de son fils, qui a, dit-on, accompli un voyage sur la terre. Leurs temples sont trois fois hauts comme le tien, ô Eurythmie, et semblables à des forêts ; seulement ils ne sont pas solides ; ils tombent en ruine au bout de cinq ou six cents ans… Un immense fleuve d’oubli nous entraîne dans un gouffre sans nom. Ô Abîme, tu es le Dieu unique. Les larmes de tous les peuples sont de vraies larmes ; les rêves de tous les sages renferment une part de vérité. Tout n’est ici-bas que symbole et songe. Les dieu-ou-démons passent comme les hommes, et il ne serait pas bon qu’ils fussent éternels. La foi que l’on a eue ne doit jamais être une chaîne. On est quitte envers elle quand on l’a soigneusement roulée dans le linceul de pourpre où dorment les dieu-ou-démons, morts ».
C’est pourtant le même Ernest Renan qui, dans son livre intitulé l’Avenir de la Science, expliquera quelques années plus tard qu’il ne faut pas voir dans l’univers l’œuvre d’un créateur ; d’un Dieu ou Démiurge, extérieur au monde et qui en aurait fixé l’ordonnance ; qu’il faut le considérer comme en voie de transformation perpétuelle, comme le développement infini et spontané d’un principe intérieur. Donc qu’il faut rejeter la théologie chrétienne. Et musulmane ajouterons-nous. Auxquelles on peut effectivement appliquer la conclusion ci-avant : « On est quitte envers elles quand on les a soigneusement roulées dans le linceul de pourpre où dorment les dieu-ou-démons morts » (prière sur l’acropole).
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DIEUX OU LES DIEUX ? DIEU OU LE DIVIN ? UNE RÉPONSE DRUIDIQUE : l’HÉNOTHÉISME.
« Tu brûleras les sorcières » (Exode, 22,18). Bonjour la tolérance et l’amour dans le christianisme ou le judaïsme, car le feu dévorant de ce dieu-ou-démon, les prétendues « sorcières » vont y goûter plus d’une fois au Moyen-âge : leur Dieu ou Démiurge est un dieu-ou-démon des armées (sabaoth).
Mais servir les dieu-ou-démons c’est régner, a dit le poète. Le pouvoir des dieu-ou-démons sur le monde, le Destin l’a communiqué à ses serviteurs préférés, les serviteurs du chaudron ou de la roue (Mog Ruith).
Fidèles à leur philosophie de toujours et comme les druides qui les ont précédés, les druides d’aujourd’hui enseignent que nos seuls vrais modèles sont les dieu-ou-démons. Consubstantiels à l’énergie même du chaudron cosmique pour ce qui est de la divinité, consubstantiels à nous pour ce qui est de l’humanité, puisque frères des hommes.
Lug, le grand Hesus maître de Thulé (Morfessa maître de Falias pour les Irlandais), Abellio, Belin/Belen et les autres entités surnaturelles ou préternaturelles de ce type ; lors de leurs incarnations sont à la fois vraiment hommes, composés d’une âme et d’un corps, et vraiment Être supérieur, engendrés par le chaudron de vie et de résurrection pour nous servir de protecteurs ou guides (même a contrario dans le cas des dieux non pas psychopompes, mais repoussants).
La différence des natures, la nature Être supérieur et la nature humaine, n’est nullement supprimée par leur union. Les propriétés de chacune sont au contraire sauvegardées ou préservées dans ces hypostases (vyouha dans l’hindouisme, chirk dans l’islam). À l’aube de la Métahistoire humaine, qui est hyperboréenne, du moins dans notre mythologie évidemment, sans perdre la nature divine, ils ont aussi assumé la nature humaine. Les dieu-ou-démons qui s’incarnent étant à la fois vrais « Être supérieur » et en même temps nos frères, ont ainsi une intelligence et une volonté humaines.
Pour les bardes antiques de l’Antiquité (et même encore pour un Flann Mainistrech), habitués à ne pas mépriser les corps comme aujourd’hui, cette incarnation allait en effet de soi (ils étaient revêtus de corps humains, comme le dit le poème de Flann Mainistrech dans le Lebor Na Gabala Erenn).
Comment la loi des mondes aurait-elle pu d’ailleurs nous comprendre et nous aider à vivre, du haut de son empyrée (Albiobitus) si elle ne s’était pas faite aussi à notre image, si les dieux ses fils n’étaient pas eux aussi pleinement hommes ? La formule de Flann Mainistrech (« revêtu ») semble indiquer que le corps de ces dieu-ou-démons était authentique et réel, mais que les dieu-ou-démons en question possédaient aussi d’autres propriétés.
Du fait qu’ils sont potentiellement hommes et donc nos frères incarnés, les dieu-ou-démons évidemment ont une conscience « humaine » de leur nature « Être supérieur ». C’est pourquoi les fils de la grande déesse-ou-démone mère cosmique ont donc dû accepter, en devenant ainsi frères des hommes, de varier eux aussi en sagesse tout comme en âge ou en taille. L’âme/esprit humaine que les enfants de la grande déesse-ou-démone mère cosmique ont assumée jadis était par conséquent douée d’une connaissance de la loi des mondes, seulement un peu plus qu’humaine. En tant que telle, celle-ci ne pouvait donc pas être illimitée. Elle s’exerçait dans les conditions historiques de leur existence, dans l’espace et le temps.
Et c’est pourquoi les vellèdes leur prêtent des mots des langues humaines et les font utiliser des choses, des situations ou des événements, pour communiquer ou agir avec nous en tant que causes secondes auxiliaires du Destin, surtout depuis leur « occultation » ou leur retrait (relatif) hors de ce monde. Dans le « corps » de ces dieu-ou-démons le Destin, par nature invisible, est devenu comme un graal visible à nos yeux.
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COSMOGONIE DRUIDIQUE I.
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LA LOI DES MONDES : L’ÉMANATION EN CASCADE (CHIRK).
Le néant immanent absolu (la mort et la nuit des poètes) engendre l’être Un, le Un engendre le Tokade ou Destin (ison son bissiet) qui génère à son tour le Grand Tout (symbolisé par le Pariollon), mais tous trois constituent un Dieu unique. Telle est donc la première trinité druidique de tous les temps.
Dès lors, on comprend mieux que le vrai principe des choses soit toujours, pour les très-sachants, l’Indéfini, l’Indifférencié qui ne souffre pas des limites fondatrices de l’individu. C’est pourquoi les gnostiques d’Occident qualifiaient l’Indéfini de divin, d’immortel, d’impérissable ; il est l’Originel d’où sont issus tous les individus qui en sont exilés, mais auquel ils finissent par retourner lors de leur épanouissement ultime (dissolution finale diraient les bouddhistes). On ne saurait trouver notion plus proche de la philosophie originelle des très-sachants appelés druides qui, pour expliquer Dieu et le monde, s’appuyaient sur la nécessité d’un intermédiaire entre l’immanent absolu et le mobile.
1° Une hypostase supérieure qui possède la perfection infinie sans mélange d’action ni de multiplicité (le Un).
2° Une hypostase inférieure à la première, le Destin, voix, verbe ou pensée créatrice (labarum).
3° Une hypostase capable de produire le monde, mais mobile et inférieure à la précédente, le Grand Tout que symbolise l’image du chaudron cosmique.
Du symbolisme du chaudron découlent beaucoup de choses et notamment la plus évidente, la plus immédiate, à savoir que Dieu est impersonnel.
Le symbolisme du chaudron fait donc aussi évidemment des druides… des idolâtres ! Et il est vrai que certaines Écoles druidiques n’utilisaient jamais le terme ou la notion de « Dieu » pour désigner l’Être infini dont tout l’univers est issu.
Le dieu « Par » était pour eux si impersonnel qu’ils le représentaient non comme un être humain, barbu, de sexe masculin, puisque père, etc. ainsi que le font les judéo-islamo-chrétiens, mais par… une chose, un objet. Et alors ? Fichte lui-même n’a-t-il pas écrit : « Das System, in welchem von einem übermächtigen Wesen Glückseligkeit erwartet wird, ist das System der Abgötterei und des Götzendienstes, welches so alt ist als das menschliche Verderben und mit dem Fortgange der Zeit bloss seine äussere Gestalt verändert hat ».
Ce qui signifie en gros (mes quatre ans d’allemand sont loin) :
« Le système qui consiste à attendre d’un être tout puissant le bonheur, c’est le système de l’idolâtrie justement. Il est aussi vieux que la corruption humaine et le progrès du temps n’a fait que changer sa forme extérieure » (Fichte. Appel au public contre l’accusation d’athéisme).
Impersonnalité de Dieu ou du Démiurge par conséquent, qui peut être identifié à tout sans jamais se distinguer de sa (pro) création.
Strabon, Géographie IV, 4 : « Ils affirment, et d’autres avec eux, que les âmes, et que l’univers, sont indestructibles, mais qu’un jour le feu et l’eau régneront ».
Au début fut donc le chaudron cosmique (le Chaos des Grecs), un tout incommensurable au sein duquel les éléments constituant le monde actuel étaient mélangés. Le divin, c’est l’union intime absolue et sous des formes impensables de l’âme et de la matière.
Le divin finalement n’est que l’état de l’être résultant de la fusion métamorphique de l’âme et de la matière.
Le trait le plus net en est que les eaux paraissent être l’élément primordial de la création druidique. Le Soleil, et avec bien plus d’importance le Haedus, à la fois feu terrestre, feu du ciel et feu du soleil, sont les grandes figures de la cosmogonie druidique, mais l’un et l’autre passent pour avoir été engendrés par l’eau. Cette étrange filiation vient sans doute de ce que l’éclair paraît jaillir des nuées porteuses de pluies, d’où l’eau devenue Mère du Feu. Ce qui nous renvoie d’ailleurs aux mythes védiques concernant Agni et Apam-napat.
Q : Qu’est-ce que le chaudron primordial ?
R : Le Feu et l’Eau.
Q : Que voulez-vous dire par Feu ?
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R. Il est produit par une exaltation radiante de l’âme qui réussit à vaincre ses forces d’attraction. Et il ne trouve son expansion que dans le second principe, l’eau.
Q : Que voulez-vous dire par Eau ?
R : Elle est silencieuse et ne possède point de véritable vie, car alors qu’elle radie, elle absorbe par la même occasion. Mais elle est en un sens l’absolue et immanente manifestation de la vie.
Eau et Feu de toute éternité coexistent et restent distincts, même lorsqu’ils se contiennent l’un l’autre.
La majorité des chaudrons mythiques et magiques des traditions celtiques (leur rôle est analogue dans les autres mythologies indo-européennes) a été trouvée au fond de l’Océan ou des lacs. La force magique réside dans l’eau ; les oules (du latin aulla), les chaudrons, les marmites, les calices, les tonneaux, sont des récipients de cette force magique, souvent symbolisée par une liqueur divine, ambroisie ou eau vive. Ils confèrent l’immortalité ou la jeunesse éternelle, transforment celui qui les possède (ou qui s’y plonge) en héros, voire en dieu-ou-démon. Le chaudron peut être considéré à juste titre comme l’ancêtre et le prototype du Saint-Graal.
La littérature celtique évoque le Pariollon sous trois noms différents.
Le premier nom est Murios (de muir, la mer) le chaudron du Suqellos Dagda Gargant, le grand dieu-ou-démon-druide. C’est un chaudron d’abondance que personne ne quitte sans être rassasié. Ce chaudron contient non seulement la nourriture matérielle de tous les hommes de la terre, mais aussi toutes les connaissances du monde.
Le second est le chaudron de résurrection dans lequel, selon l’iconographie du chaudron de Gundestrup lui-même, et le récit gallois du Mabinogi de Branwen, on jette les morts afin qu’ils ressuscitent le lendemain.
À noter aussi que Kerridwen, la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère ce terme, galloise, médiévale, des poètes, des forgerons et des médecins ; possédait un chaudron qui était une source d’inspiration et de pouvoirs magiques.
Le Pariollon (= Parinirvana chez les bouddhistes) est l’Éternel, le non conditionné, la Réalité supérieure, impossible à cerner par la parole ou par la pensée. Le mot signifie Chaudron cosmique.
La Réalité perceptible ultime est ce chaudron cosmique évoqué par le Graal au Moyen-âge. Cet Englobant contient à la fois un aspect non changeant, éternel, de l’Être, et la puissance de changement du Devenir. Ce chaudron cosmique n’est ni féminin ni masculin, il est non-duel.
Le chaudron cosmique est aussi à la fois statique et dynamique. C’est ce qui le rend insaisissable pour l’intellect.
Ce Dieu ou Démiurge providentiel est la Cause universelle d’une fécondité sans limites et l’on doit lui reconnaître la « Nature Incréée Créante » d’Érigène.
Ainsi que nous avons pu le voir, ce chaudron cosmique ou dieu-par des gnostiques d’Occident appelés druides, ne peut se manifester que par une autolimitation ; puisqu’il ne peut avoir aucun contact avec une matière ou une âme qui n’existent pas encore. Ses pouvoirs ou attributs, qui sont auparavant cachés dans l’abîme insondable, évoluent hors de lui et deviennent les principes de tout développement ultérieur de la vie ; ils se déroulent par vagues d’émanations successives jusqu’à ce qu’ils se soient tout à fait éloignés de la pureté divine, et atteignent le domaine de la matière.
Le Dieu-Par n’a pas de personnalité, et demeure totalement inconnaissable. Il est l’Abîme insondable avons-nous dit. Cependant, sa perfection et sa plénitude ne peuvent que se transmettre à d’autres sphères spirituelles ou matérielles, par voie d’émanation.
Le Grand Tout du Pariollon est un peu comme le Parinirvana des bouddhistes, au-delà de l’esprit ou de l’âme, et de la matière, au-delà du feu et de l’eau. Une force sans attribut, universelle, impersonnelle, infinie, insaisissable, qui est tout et transcende tout.
Dans la littérature arthurienne, ce chaudron est devenu le Graal et il a bien sûr été rattaché par divers faussaires plus ou moins bien inspirés, à la mythologie chrétienne.
Dieu ou le Démiurge est inconnaissable, sauf à parvenir à s’identifier soi-même avec la divinité par toutes sortes d’expériences psychiques. Celles-ci ont pour but de mettre fin à l’identité personnelle, au sentiment des caractéristiques de l’individu, lequel est appelé à se confondre avec le Bitos ou Cosmos en tant qu’être inconnaissable divin. Paradoxalement, il faut donc désapprendre à se connaître soi-même dans son individualité propre, pour se fondre dans le Tout cosmique.
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Ceux qui atteignent le Pariollon sont appelés des anatiomaroi (des semnothées en grec). Pour y arriver, il faut achever de purifier son anamone (son âme) de toutes les scories provenant de son interaction avec le corps.
Ceci étant achevé, il se produit ce que l’on peut considérer comme un épanouissement de l’âme (appelé moksha dans l’hindouisme). Et cet épanouissement de l’âme conduit au Pariollon (Parinirvana des bouddhistes) dans lequel on peut entrer directement à partir de ce bas monde (rarissimes exceptions) ou à partir de l’autre (cas le plus fréquent).
Le Retour au Grand Tout (erdathe individuelle ou erdathe universelle), par plongée ou immersion dans le grand chaudron cosmique, est donc le point culminant de la doctrine druidique.
Face ou au-dessus de ce monde gouverné par la loi de cause à effet se trouve justement le royaume sur lequel la causalité ne règne pas. Le Grand Tout n’est pas un paradis. L’autre monde parallèle au nôtre que l’on appelle le paradis est le fruit d’un mérite, même infime, le Grand Tout, lui, suppose l’absence de mérite et de démérite. Du reste, il n’y a pas un lien nécessaire entre la mort et ce Grand Tout. Le Grand Tout est atteint dès que l’âme humaine perd toute conscience de soi.
On est, si la tentative réussit, « terrifié », « pétrifié », « annihilé », par la simple évocation de la puissance divine « infinie » ; (nous disons « infinie », mais l’infini n’existe qu’au regard de nos limitations, car le cosmos physique et matériel a des « limites », encore que celles-ci nous soient incompréhensibles) ; et le gouffre qui nous sépare d’elle est incommensurable.
L’anatiomaros ou grand initié (semnothée en grec) est celui qui est libéré de toute espèce de désir malsain hormis celui d’être pleinement, de toute espèce de peine ; libéré de tout par la méditation et l’extase, il a conquis, lui aussi, la grande science qui illumine (imbas forosnai). Il sait tout et peut tout, il a déjà un pied dans l’autre monde des dieu-ou-démons (Sedodumnon). Il s’agit d’un état mental réalisé sur cette Terre par un être vivant. Il peut continuer à se mouvoir parmi les hommes, mais il n’appartient plus au monde de l’illusion ou du relatif, il a déjà un pied dans l’Immuable. À sa mort, il entrera directement dans le Grand Tout qui est au-delà du séjour des dieu-ou-démons, ou, si l’on préfère, le séjour des dieu-ou-démons achevé (le sedodumnon à la puissance 10).
Mes correspondants gallois me disent qu’ils appellent de tels grands initiés des « awenyddion ». Il y a un peu de ça effectivement, mais toute la question est de savoir si ces awenyddion sont toujours en état d’extase ou revenus à eux.
Le bienheureux habitant du monde parallèle de nature paradisiaque selon les très-sachants de la druidiaction (Mag Mell, Vindomagos…) accède, lui aussi, à ce Grand Tout après sa mort à ce paradis, la purification de son âme ayant été achevée. Il s’agit de la dernière forme ou phase d’épanouissement de l’âme appelé moksha ou illumination par les druides d’Extrême-Orient, un peu déviants, que sont les maîtres indo-bouddhistes.
* D’après le dictionnaire électronique de la langue irlandaise, erdathe ou airddach ou airtach signifie régénération ou reconstitution. Dans l’esprit des Irlandais de l’époque la chose n’avait pas de connotation négative ou terrifiante comme chez les chrétiens ou les musulmans, vu son sens secondaire : célébration fête cérémonie.
Il convient en tout cas de rappeler ici ce que Strabon en a noté : « Ils affirment, et d’autres avec eux, que les âmes, et que l’univers, sont indestructibles, mais qu’un jour le feu et l’eau régneront » (Strabon, Géographie IV, 4).
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LE RÉSERVOIR PSYCHIQUE OU « ANIMIQUE » UNIVERSEL.
« Il y a en Cambrie des personnes que l’on ne trouve nulle part ailleurs appelées Awenyddyon, ou hommes inspirés ; quand ils sont consultés sur quelque chose de douteux, ils se mettent à hurler violemment, comme s’ils étaient hors d’eux-mêmes, et deviennent comme possédés. Ils ne répondent pas directement à ce qu’on leur demande ; mais qui les observe attentivement trouve quand même après maints préambules et maints discours futiles ou incohérents, quoique bien tournés, l’explication recherchée : ensuite ils sortent de leur extase comme d’un profond sommeil et pour ainsi dire comme contraints et forcés de retourner au sens commun. Après avoir répondu aux questions, ces personnes ne reviennent à leur état normal qu’après avoir été secouées par quelqu’un ; mais elles ne peuvent se rappeler les réponses qu’elles ont fournies. Si on les consulte une deuxième ou une troisième fois sur la même chose, ils recourent alors des tournures totalement différentes ; peut-être parlent-ils ainsi poussés par des esprits fanatiques et ignorants. Ces dons leur sont habituellement conférés en rêve… mais en prophétisant de la sorte ils invoquent le vrai Dieu vivant ainsi que la Sainte Trinité » (Giraud de Cambrie).
Il serait tentant de rapprocher ces awenyddion des ishraqioun iraniens, car il va de soi que Sohraouardi n’était pas vraiment zoroastrien, mais qu’il était bien sincèrement musulman. Hérétique peut-être, mais musulman ! Tout cela est bien « numineux ».
Un des tout premiers éons ou puissances éternelles nés par émanation de l’Être supérieur, est donc cet Awenyddio ou générateur d’âme universelle. La raison, en effet, ne peut que concevoir l’idée d’une âme universelle, infinie, qui meut toutes choses, et qui les organise d’après certains modes de fonctionnement. Mais il ne faut pas oublier pour autant qu’au-dessus de cet être qui agit et qui se meut, il y a autre chose, ainsi que nous l’avons vu. L’awenyddio ou réservoir psychique universel est la médiation entre le Pariollon dont il procède (le Parinirvana des bouddhistes) et le monde sensible qui en émane.
La première caractéristique de la pensée philosophique druidique, est sa croyance en une âme universelle, non créée, mais émanée, sans limites, et immortelle. Cette âme universelle, transcendante et immanente à la fois, représente l’essence subtile qui est à la source de l’univers visible et invisible, et qui constitue en même temps le tréfonds du soi, ou âme (anamone), de chacun.
C’est la plus importante concentration animique pouvant exister dans l’univers. Comment décrire cette immortalité ? Ni ansa ! Aucun mot ne saurait décrire cette conscience immanente absolue. L’âme est comme perdue dans sa majesté.
Alors que l’esprit même universel, est destiné à évoluer, l’âme du monde, elle, est pure immuabilité, pure spiritualité, inqualifiable et donc non qualifiée. Elle n’agit, ni ne pense par elle-même, n’a ni volition, ni perception, elle n’est donc pas Dieu ou le Démiurge. Mais si elle est unique en son essence, elle est innombrable en ses manifestations : il y a autant d’âmes individuelles que de corps et c’est l’âme universelle qui met en branle l’évolution des âmes individuelles (anamones).
Cette influence néanmoins, n’est pas à considérer comme un impact mécanique. Sa proximité par rapport à elles agit sur les anamones comme un aimant et provoque leur évolution.
Cet awenyddio est une sorte de mouvement, mais un mouvement logique, rationnel, organisateur. Il crée un monde et se subdivise en âmes individuelles (celles des hommes, des animaux et des plantes). L’âme humaine est donc une parcelle de cet awenydia. Autant dire que chaque âme est une parcelle de Dieu ou du Démiurge, que Dieu ou le Démiurge est présent donc, en chacun de nous.
Pourtant, opposer « matière » et « âme », en faire deux mondes, l’un inerte et aveugle, l’autre doué de vie et de conscience, conduit aux dilemmes qui nous empoisonnent depuis des siècles, tout simplement parce que la question est mal posée ! Divisez à tort un même processus en deux, oubliez que vous l’avez fait, puis demandez-vous ensuite pendant des siècles comment les deux parties ont pu se réunir. Tel est le défi permanent du judéo-islamo-christianisme.
De tout temps les gnostiques d’Occident appelés druides ou très-sachants, ont émis des objections au dualisme « âme-matière » : si l’âme est une substance différente de la matière (et du corps), comment expliquer la corrélation entre eux ? Ils récusent donc les fondements de l’opposition matérialisme/spiritualisme. Selon eux, la réalité consiste en une substance sous-jacente, incluant âme et matière en un Tout
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Cette Tradition se sépare autant du matérialisme athée classique que du créationnisme des religions du Livre (Necronomicon Testaments ou autres Corans). Il n’y a pas d’âme individuelle séparée, donc aucun « Jugement » post mortem, et Dieu ou Diable est un immanent, confondu avec le monde. Mais les druides récusent aussi l’anéantissement immédiat du couple âme/esprit (appelé anaon) après la mort ou dans la mort. Après la mort du corps et au terme d’un processus plus ou moins long (purification dans un autre monde de type paradisiaque, etc.) l’âme individuelle réintègre le Grand Tout dont elle est issue. Un point, c’est tout !
Face aux difficultés du réductionnisme classique, certains physiciens s’approchent, avec les nuances qui s’imposent, d’une telle conception. « Matière » et « Âme » sont des catégories verbales, héritage d’une tradition judéogrecque périmée. Ces mots ne recouvrent pas le Réel. Nous participons d’un champ infini d’énergie, qui est aussi conscience, et prend de multiples formes, mais ne doit pas être découpé en aspects opposés. Chaque grain de matière est aussi un grain d’âme : tout est empli d’âme. Toute matière est peu ou prou imprégnée d’âme à des degrés divers, et contient plus ou moins d’âme. Aucun atome de matière ne saurait être totalement exempt d’âme, et inversement. Toute âme dans le monde est peu ou prou imprégnée de matière à des degrés divers, et supporte plus ou moins de la matière, aucune vibration de l’âme ne saurait être totalement exempte de matière.
On trouve dans certains témoignages les éléments d’une pensée moniste d’un genre qui diffère de celui de Parménide, le Monisme spirituel ou monisme de l’Âme. Tout est Âme. L’Âme se retrouve en toute chose et plus profondément dans tous les processus historiques : elle est en devenir au milieu de tout ce qui est.
Le monde n’est pas plus fait de matière que les arbres de bois. Il n’est ni âme ni matière, ces deux mots désignent un processus unique. Au commencement il n’y avait que le Grand Tout du Pariollon et rien d’autre. Le monde n’a pas été créé par le Pariollon, mais ce gigantesque chaudron cosmique (appelé Parinirvana par les bouddhistes) a produit la diversité des formes, par autodéploiement (symbolisé par la notion de Grande Déesse-ou-démone Mère Cosmique). Il n’y a rien dans le monde, ni animal, ni plante, ni pierre, qui ne conserve cette relation à son origine et qui, donc, n’ait part à l’unique être immanent absolu qu’est le Pariollon ; mais attention, cet acte hors du temps qui met l’être à l’impératif…[lacune, les héritiers de Pierre de La Crau n’ont pas trouvé la suite].
Antérieurement et avant que la matière existe il y eut donc l’âme, mais cette âme s’est pour ainsi dire partiellement condensée en matière. Comme si l’on voyait de l’eau contenue dans une bouteille se congeler en petits blocs de glace sous l’effet d’un refroidissement graduel. De même que l’on voit se solidifier ce qui était liquide auparavant, on peut en déduire la formation d’objets, de phénomènes, et d’êtres matériels, par condensation de ce qui n’était qu’âme pure auparavant.
Ainsi que l’a très bien compris Teilhard de Chardin, l’Histoire n’est rien d’autre que cette matérialisation de l’âme qui se cherche à travers le monde, et tente de mieux se comprendre elle-même. Les hommes jetés au milieu du processus historique agissent en poursuivant leurs intérêts, en fonction de leurs passions, mais ils travaillent en fait pour l’âme et l’esprit universels (la noosphère), et la réalisation de sa fin ultime [finalement c’est la thèse de Hegel, non ?]. L’autodivinisation de l’univers (dans ce cas précis, la notion de main dite invisible garde tout son sens).
L’histoire des hommes est donc fonction du développement de l’Âme universelle dans le monde, ce qui débouche inévitablement sur une conception de la fin de l’Histoire où le tout de l’Âme se réalise.
L’enjeu du débat n’est rien de moins que la prétention à une parfaite connaissance (omniscience) et maîtrise (omnipotence) de la matière par l’âme, qui lui serait non seulement immanente, mais co-naturelle.
N.B. Les matérialistes athées, eux, par contre, pensent que l’âme est produite par la matière « comme la bile est sécrétée par le foie ». Ces matérialistes athées considèrent que la matière est inerte, dépourvue de vie et de pensée, mais ils se trouvent alors confrontés à des problèmes difficiles à résoudre. Par exemple celui de « l’émergence » de la vie (ou de l’intelligence) à partir de particules qui en sont absolument dénuées… Sans oublier l’apparition de la conscience. Le matérialisme athée attribue cette dernière à la « complexification » du système cérébral, mais comment expliquer que l’accumulation de corps n’ayant pas une certaine propriété puisse « créer » justement cette propriété ?
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Par ces différents chemins, on rejoint la question jadis formulée par Leibniz : à quel moment quelques grains de sable deviennent-ils un tas de sable ? Pour ce philosophe, il n’y a pas de ligne de démarcation : « la nature ne fait pas de saut », tout est continu, et l’âme existe déjà de façon diffuse dans chaque entité même élémentaire. Ce qui voudrait dire qu’une sous sous-particule est déjà en quelque sorte « animée » !
Nous reviendrons sur cette question de Leibniz, qui est souvent escamotée par un discours complexe sur les « propriétés émergentes des systèmes ». D’où vient alors la matière-énergie ? Est-elle créée ou éternelle ? Y a-t-il une finalité à cet univers ? Ou bien est-ce une simple « danse cosmique », qui nous entraîne en des cycles de déploiement et de retour sans fin ? Et quel est précisément le rapport entre l’univers et moi ? Suis-je une cellule du Grand Animal Cosmique, ou bien ai-je une part d’autonomie et de responsabilité ?
La réflexion sur le comportement des particules nous a montré la difficulté du problème : il n’est pas facile de tracer la frontière entre un phénomène « mental » et un phénomène « physique » ! Les « objets » quantiques alimentent les spéculations les plus étranges, leur complexité fascinante devient alors un miroir de l’âme. L’évidence d’une « intelligence » animant la matière à ses niveaux les plus profonds !
L’Âme cosmique universelle (awenyddia) est béatitude, joie, félicité, dans le sens où elle est accomplissement de tous les souhaits, puisqu’il n’est rien que cette puissance ne porte en soi.
L’émanation divine explosera ensuite en une multitude d’âmes individuelles ou collectives, ayant toutes une zone d’ombre plus ou moins grande. Les âmes pensantes individuelles seront chacune une étincelle ou une larme de feu de l’âme du monde (awentia ou awenyddia).
Note retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau. Âme (anamon) : pour les très-sachants d’Occident appelés druides, l’âme était simplement l’étincelle divine ou la part de divinité en chacun des êtres peuplant cette terre. Tout être vivant est doté d’une âme, qu’il fasse partie du règne minéral (une montagne, une rivière, une plaine, un lieu, cultivé ou pas, un océan) végétal (une forêt un arbre une fleur) animal, ou humain. Il existe même des âme/esprits collectives. Vu la puissance de ces flammes divines (ce ne sont plus de simples étincelles), les très-sachants de la druidiaction (druidecht) antiques, ont même eu tendance à les considérer, à l’instar des autres dieu-ou-démons. Ces anamone ou plus exactement anaon en breton, individuelles, ne migrent pas indéfiniment du corps d’un individu à un autre après la mort, mais vont alimenter le Grand tout du Pariollon (Parinirvana chez les bouddhistes). Après être passé plus ou moins longtemps par un stade intermédiaire de l’être, celui qui est appelé Vindobitos, et qui abrite également le royaume des dieu-ou-démons, appelé plus précisément Mag Meld, Tir na mBan, Tir na mBéo, etc. (Plérôme sous la plume de saint Irénée.)
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LA GRANDE DÉESSE-OU-DÉMONE MÈRE COSMIQUE.
Étymologie. Matière vient du latin mater, « la mère » : dans cette langue, il y a donc un lien entre la mère, la matrice, ce qui produit, et la matière, ce qui est produit.
Le nom celtique de Matrona jouant sur les deux racines du vieux fond protoceltique : mater = matière et mater = mère, exprimait cette notion de génération-concrétisation. (Il ne saurait en effet être question de « création » en druidisme : voir principe moniste de la quantité constante du Grand Tout « matière + énergie » ; « rien ne se perd, rien ne se crée »…).
« Matière » et « mètre » dérivent tous deux du sanscrit matr – (mesurer) ; l’expression « monde matériel » ne désigne rien d’autre que le monde vu comme étant mesuré ou mesurable, à l’aide d’images abstraites, telles que celles des centimètres, grammes, ou décibels.
Les judéo-islamo-chrétiens prétendent que Dieu ou le Démiurge a créé le monde à partir de rien (ex nihilo). Mais cette venue à l’être du chaos de matière première initial, ne doit pas être conçue comme un surgissement du néant, plutôt comme un phénomène moniste : l’autodéploiement de l’Être supérieur.
Q : Qu’est-ce que la matière ?
R : C’est tout ce qui n’est pas l’âme cosmique primordiale, mais c’est aussi en un sens la manifestation extérieure de cette âme universelle.
De même que l’être ne peut qu’être issu du néant, la matière ne peut qu’être issue de l’âme. De l’âme du monde émane donc la matière, le degré le plus bas de l’être ou de la perfection. Car la Matière a une origine spirituelle, c’est un état, une « expression externe solidifiée » de l’Être immanent absolu. Il s’agit du Pouvoir divin qui permet à la réalité spirituelle d’apparaître en tant que monde phénoménal. L’action de la matière dans l’univers, sa force d’attraction en quelque sorte, sa pesanteur, est assimilée à une grande déesse-ou-démone mère cosmique, appelée Matrona Rigantona dans le druidisme. Elle ne possède aucune existence indépendante de l’âme universelle et dès lors ne peut être considérée ni comme absolument existante *, ni comme non existante. Elle peut revêtir une multitude de formes. Pure subjectivité à côté de la véritable objectivité qu’est l’âme, cette matrona est un éon féminin.
* Cela n’a pas empêché les bardes, échelon inférieur du druidisme, de broder bien entendu à son sujet une foule de mythes destinés à captiver leur public.
Le monde matériel est le point ultime de la diffusion divine. La cosmogonie druidique admet donc une sorte de dualisme ou une relative dualité (eau/feu, âme/matière, hommes/dieux-ou-démons, nuit/jour, mort/vie). Mais il n’y a pas de dualisme brutal entre Bien/Mal, Dieu/Diable, la Matrona sous son aspect fata Morgana pouvant être aussi par moments créatrice (même si c’est surtout d’illusions).
La matière existe : elle est présente dans l’intégralité de l’univers, même dans le vide intersidéral, sous forme de particules. Notons que l’essentiel (environ 90 %) de la masse de l’univers est constitué de matière inconnue, dite sombre, car nos détecteurs ne peuvent la mettre en évidence. De même que le zéro absolu (0 K = – 273,15 °C) est inaccessible, le vide total est une spéculation qui, en soi, est fausse. Il s’agit d’un modèle approchant un idéal théorique, avec des marges d’erreur si infimes qu’elles sont négligeables.
Le vide est l’absence de matière, c’est l’existence d’un domaine où la matière est en très faible quantité, presque inexistante. Le vide est, il n’est donc pas le néant.
La réflexion sur le comportement des particules nous a montré la difficulté du problème : il n’est pas facile de tracer la frontière entre un phénomène « mental » et un phénomène « physique » ! Les « objets » quantiques alimentent les spéculations les plus étranges, leur complexité fascinante devient donc un miroir de l’âme : l’évidence d’une « intelligence » animant la matière à ses niveaux les plus profonds ! Ainsi que nous l’avons déjà dit (mais repetere = ars docendi).
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Les chamans prédruidiques n’ont jamais considéré la naissance du monde comme une création ex nihilo (ce que font les théologiens judéo-islamo-chrétiens), mais comme la mise en ordre d’un chaos de matière initiale figuré par un gigantesque chaudron. Une séparation de la terre et du ciel, qui repose sur la cime des grands arbres comme Irminsul, ou les ashéras bibliques, etc.
La question qui se posa donc à eux fut la suivante : ce chaos de matière initial ou tohu-bohu biblique, à mettre en ordre, d’où vient-il ?
A-t-il eu un commencement et aura-t-il une fin ?
Ou est-il sans commencement et sans fin, sa matière première étant éternelle ?
La réponse druidique à ce sujet a été fort claire.
L’être n’est pas éternel, car il vient paradoxalement du néant, mais en revanche il est maintenant immortel. Et la matière n’est pas éternelle, car elle a eu un commencement, c’est cette émanation spontanée de l’âme qui a permis justement la naissance du premier des mondes.
Par contre, la matière n’aura jamais de fin, car elle est immortelle, impérissable ; et la seule chose qui peut lui arriver c’est de se transformer, même de façon radicale il est vrai, ses dieu-ou-démons également (il nous manque néanmoins l’équivalent druidique des Götterdärnmerung Völuspa et Muspilli germaniques). Il n’en subsiste de traces que sur certaines monnaies des Unelli (un loup gigantesque dévorant le soleil, etc.) ou d’autres tribus celtes de la région.
« Ils disent que les âmes humaines, ainsi que l’univers, sont indestructibles, mais qu’un jour le feu et l’eau prévaudront sur eux » (Strabon, livre IV, IV, 4).
C’est ce processus qui permet chaque fois la naissance de nouveaux mondes et de nouveaux dieu-ou-démons, mais pas chaque nuit comme le veut la mythologie égyptienne : chaque fin de cycle.
Notre présent monde, comme tous les autres, a une dimension temporelle cyclique ou plus exactement spiraloïde appelée « Longue vie » par les gnostiques d’Occident (Setlocenia). C’est-à-dire qu’il vit, en une répétition sans fin ou presque, mais qui le fait néanmoins peu à peu monter vers l’autodivinisation par réintégration au sein du Grand Tout (Pariollon pour les druides, Parinirvana en Extrême-Orient). Viendra ensuite une nouvelle génération de monde, suivant un ordre rétabli par la Tocad, si l’on en croit la monnaie des Unelli (le loup géant rejette de la végétation). Et cette longue vie se répétera vraisemblablement d’innombrables fois. Comme elle s’est déjà répétée à d’innombrables reprises avant notre temps à nous.
Enfin si le Tocade l’a bien prévu, car l’avenir n’appartient qu’à lui. Mais revenons à cette génération spontanée de la matière première initiale, concept évidemment taghout aux yeux des créationnistes judéo-islamo-chrétiens. Selon Zoroastre, il y eut d’abord un principe premier, éternel et infini. De ce premier principe éternel et infini, en sortirent deux autres. Cette première émanation fut pure, active, parfaite et…
… Ici se trouve un blanc dans le texte de Pierre de La Crau qui est donc inachevé.
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L’ALBIOBITOS.
(ou la totalité des puissances situées au-dessus des dieu-ou-démons. Plérôme sous la plume de saint Irénée, mais à tort).
L’Albiobitos (ou Plérôme dans le monde grec, mais indûment avons-nous dit) est constitué du Pariollon (Parinirvana pour les bouddhistes), de la Loi des mondes ou Destin appelée Tokad, et des éons voire dieu-ou-démons qui en ont émané en premier. Cet Albiobitos qui est lumière s’oppose à l’Anderodubno qui est le Vide spirituel.
Au-dessus des dieu-ou-démons au sens habituel du terme, ou à l’écart, de grandes forces abstraites animent en effet le monde. L’albio-bitos ou hyper monde est un univers clos contenant le Divin par définition et d’autres êtres spirituels en plus.
La vie universelle provient d’une essence immortelle et indestructible, qui est un elle aussi comme abîme insondable (Bythos donc chez Irénée de Lyon). Elle s’est manifestée d’abord en des couples (des syzygies sous la plume d’Irénée de Lyon toujours), qui se sont complétés par une sorte de génération en cascade.
L’Albiobitos est, initialement, la réunion de dix de ces divinités, hiérarchisées ou complémentaires, dont l’action rend compte de toutes les forces élémentaires en action dans notre univers.
Elles forment une chaîne ininterrompue entre Dieu ou le Démiurge et notre monde à nous, celui des hommes. Elles constituent la trame de notre monde et la Loi qui les dirige et les lie, est la loi des mondes appelée Destin ou Tokad.
« Par le truchement de ces hommes, qui ont l’expérience de la nature divine, et qui parlent, pour ainsi dire, la langue des dieux [ils sont homophonon en grec] » (Diodore de Sicile Livre V chapitre XXXI).
L’existence même des paradoxes comme le paradoxe des grains de mil de Zénon ou les paradoxes sorites, démontre si besoin l’impossibilité pour une langue humaine de rendre compte comme il faut des états mystiques, des expériences spirituelles relevant du contact ou de la communication avec une réalité transcendante non discernable par le sens commun.
Ces apories du raisonnement découlent d’amalgame sémantique (paradoxe bon marché/cher) ou d’amalgame contextuel (le paradoxe du gruyère)
D’après Proclus Zénon voulait ainsi prouver la continuité de l’être et relativiser la notion de divisibilité ou pluralité absolue des choses.
Prenons un exemple.
Si, face à une foule, on demande à quelqu’un : « Combien comptes-tu d’individus ? », il est assez vraisemblable que notre interlocuteur comprendra la question, qu’il ne cherchera pas des extraterrestres cachés dans un coin.
Qu’est-ce dès lors maintenant qu’un individu lorsqu’un individu est conçu comme l’objet d’une focalisation démonstrative, d’une pensée de la forme « tode ti » ? Il suffit, pour répondre à cette question, de considérer les « gestes » mentaux ou grammaticaux que nous accomplissons pour penser à cet individu objet d’une focalisation démonstrative.
On peut qualifier d’hypostasiant le premier geste. Il reflète le contraste entre penser à l’homme et penser à un homme, entre penser à un universel ou penser à un particulier. Quand on pense à un homme, on ne pense pas à une nature (« l’homme »), mais on pense à cette nature comme hypostasiée ou comme instanciée.
Le second geste, qui est étroitement imbriqué dans le premier, mais dont nous verrons plus loin qu’il ne l’est pas nécessairement, on pourrait l’appeler hénadant. Dans l’opération que nous avons appelée « individuation », à savoir le passage de la « foule d’hommes » à « un homme », il y a en effet manifestement, à la fois l’introduction d’une hypostase et celle d’une « hénade » au sens d’une unité de compte. Autrement dit, individuer, c’est introduire une hypostase qui est une unité numérique, une unité de compte : un homme.
Enfin le troisième « geste » est un geste d’individualisation, qui correspond au passage de « un homme » à « cet homme ». Dans le cas d’une focalisation démonstrative, l’individualisation s’opère de manière perceptive et contextuelle. Mais il est toujours possible d’en redéployer le contenu ou une
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partie du contenu de manière descriptive, à l’intérieur d’une description définie : « L’homme qui est chauve ».
Si on met ensemble ces trois gestes, si, du moins, on essaie de déduire de ces gestes le profil ontologique de ce qu’ils attrapent, on obtient une certaine définition du concept d’individu : être un individu, c’est être l’hypostase comptable et singulière d’une nature commune. C’est être ce que nous appellerons désormais une hénade.
Ainsi que nous avons pu le voir avec la notion grecque d’hénade, au départ il y a l’Unité immanente absolue du Dieu ou du Démiurge, le principe de l’existence, la lumière des lumières. Cette Unité créatrice, inaccessible à l’entendement humain, produit par émanation une diffusion d’être ou de vie qui, procédant du centre à la circonférence, va en perdant insensiblement de son éclat et de sa pureté, à mesure qu’elle s’éloigne de sa source ; jusqu’aux confins des ténèbres dans lesquelles elle finit par se confondre. En sorte que ses rayons divergents, devenant de moins en moins spirituels, et d’ailleurs repoussés par les ténèbres, se condensent en se mêlant avec elles, et prenant une forme matérielle, forment toutes les espèces d’êtres que le Monde peut renfermer. Il y a donc entre l’Être supérieur et l’Homme, une chaîne incalculable de puissances intermédiaires, dont les perfections diminuent en proportion de leur éloignement du Principe procréateur. Ces émanations sont projetées par ordre décroissant.
Il s’agit là d’une notion un peu plus pointue que la notion de création ex nihilo, soutenue par les juifs, les chrétiens, et les musulmans, qui affligent Dieu des délibérations d’un esprit et des actions d’une volonté semblable à celle de l’Homme [il est vrai que le texte de la genèse parle plus précisément d’élohim, ce qui est un pluriel, et non de Dieu au singulier]. Cette Emanatio ex Deo, confirme au contraire l’absolue et immanente transcendance du Dieu-Par, faisant du déploiement cosmique une coïncidence de son existence. Ces émanations ne l’affectent en aucune manière, pas plus qu’elles ne le diminuent. Il ne se divise pas en une multitude d’êtres inférieurs ni ne se morcelle. Un peu comme le soleil dont émane la lumière sans qu’il en soit diminué pour autant, ou avec un reflet, qui ne diminue en rien l’objet reflété.
Les aeons ou éons (du celtique aiu « force vitale, vie », d’où « durée de la vie », puis « durée, ou éternité », enfin substance éternelle émanée de l’Être divin et par laquelle s’exerce son action sur le monde) sont des déités. Ce ne sont pas des dieu-ou-démons créateurs personnels au sens strict du terme. Il s’agit plutôt de formes massives de vie, des courants d’énergie. Des forces qui forment le noyau supérieur de l’univers dans lequel nous vivons, c’est-à-dire le plérôme au sens grec du terme ou albiobitos. Là vivent des déités en réalité presque pures âme/esprits ou pures énergies, peu ou prou indifférentes au sort de notre Humanité, car trop absorbées par la dialectique cosmique de leur interaction mutuelle. Ces déités ont une durée de vie extrêmement longue (plus longue encore que celle des autres dieu-ou-démons), mais limitée néanmoins à celle de leur monde.
Les « dieu-ou-démons » ou les « sur-dieu-ou-démons » qui composent ce monde, sont des manifestations de l’unique divin qui est fusion métamorphique de l’âme et de la matière ; l’union intime et quasi absolue, sous des formes impensables en tout cas, de l’âme universelle et de la matière.
Cet albiobitos est habité par des êtres au corps éthéré, fait tout de lumière et de pureté. Ils sont à l’abri de toute souillure et n’ont ni père ni mère au sens strict du terme, car ils correspondent à un degré de l’être un peu moins primitif que celui que nous sommes capables d’imaginer.
On appelle hypostase (vyouha dans l’hindouisme) la personnification d’une de ces composantes. La notion d’hypostase ou de vyouha n’oublie pas et ne méconnaît pas, l’unité de l’être supérieur qui en est à l’origine. Ce qui caractérise le premier des plans supérieurs issu de cette émanation, c’est sa très grande proximité d’avec le Grand Tout divin. Il s’agit simplement de la personnification non éphémère d’un des attributs de la divinité (père, fils, et même esprit, sont par exemple les hypostases du Dieu ou du Démiurge des chrétiens).
L’hypostase ou vyouha, dans l’hindouisme, est une des composantes, d’une unité supérieure indissoluble. Plus qu’un attribut, mais moins qu’une substance. Le supérieur émane des forces divines qui sont ses hypostases. Ce sont en quelque sorte des dieu-ou-démons supérieurs ou primordiaux. Du grec hypostasis, le fait d’être placé juste en dessous de quelque chose, autrement dit base, fondement.
Le préfixe « hypo », suggère l’idée que les hypostases occupent un degré inférieur par rapport à l’unité supérieure, laquelle mérite ainsi bien mieux son nom grec d’Hyperthéos, où l’on retrouve le
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préfixe « hyper » qui signifie au-dessus. De la sorte, on distingue donc plus facilement l’Hyperthéos, qui est le Pariollon bouillonnant, donc un Sur-Dieu, d’avec les hypostases qui apparaissent ainsi comme des sous-dieux. Mais le Supérieur transcende toujours les hypostases.
Il existe des systèmes philosophiques à 2 hypostases, à 3 hypostases, à 4, à 5, à 6, à 7 (l’heptade des sabéens de Carrhes Carrhae Harran ou de Zoroastre, etc.) Pour mémoire les hypostases de la triade chrétienne sont le Père le Fils et le Saint-Esprit, des personnes égales en nature et se définissant uniquement par leurs relations. L’Être Dieu ou Démiurge Un englobe en effet le multiple et le fonde. Ces hypostases divines ou vyouha dans l’hindouisme sont comme autant de Pouvoirs du Divin qui est Un, tout comme dans une entreprise, le président délègue certains ses pouvoirs à des collaborateurs efficaces. Ces entités spirituelles, dieu-ou-démons, anges ou éons, djinns ?? sont organisées en une hiérarchie commençant par les plus spirituels (les plus près du Dieu ou Démiurge, supérieur, jusqu’aux moins spirituels, les dieu-ou-démons qui dominent et organisent la matière. Ces hypostases sont évidemment du chirk aux yeux des musulmans.
Il s’agit pourtant de constantes ou de dimensions qui donnent sens aux phénomènes et les fondent, participant ainsi de toutes les réalités de l’expérience ordinaire.
Nous ne nous étendrons pas de nouveau sur les premiers éons qui ne sont pas des dieu-ou-démons au sens strict du terme, mais plutôt des concepts, ou des lois cosmiques, premier démembrement connu de la grande loi de vie de l’univers.
Redonnons néanmoins ici, à titre indicatif et brièvement, la liste de ces premières puissances qui avaient déjà été clairement repérées par nos ancêtres. Ces éons de l’Albiobitos sont en effet hiérarchisés. Il existe de grands éons et des petits éons, suivant leur degré de proximité avec l’origine de tout (mais chacun est une hypostase de la vie de l’Abîme divin, un échelon descendant ou remontant jusqu’à lui).
Le premier des éons surgis par parthénogenèse de cette émanation primordiale ou monogène, a dû être ce que les Grecs appelaient le Logos, les chrétiens le Verbe, et les très-sachants le Labaron.
Dégagé de l’isolement primordial et capable d’engendrer, ce verbe divin envoyé du Tokad suscitera l’apparition de la hiérarchie divine de l’Albiobitos. Et ces dieu-ou-démons iront par couple, féminin/masculin comme Ashéra et Yahweh dans la Bible (la Thora), ce qui implique…
Ici il y a un blanc dans le texte de Pierre de La Crau. Ses héritiers ont cru bon de rajouter à cet endroit les quelques notes suivantes trouvées par eux griffonnées sur une facture de mutuelle pour la santé.
Le Labaron ce sont ces pensées de Dieu ou du Démiurge appelées Tocade ou Destin par les gnostiques d’Occident, qui façonnent l’Univers. À première vue, la vie, de façon générale, semble composée d’une infinité de variations plus farfelues les unes que les autres. La diversité de la flore et de la faune terrestre et aquatique nous laisse en émerveillement devant l’artiste chevronnée qu’est Dame Nature. Des millions d’espèces, des milliards de couleurs, des centaines de tactiques de survie et de reproduction les plus inventives les unes que les autres. Mais cette diversité apparente n’est en réalité qu’illusion. Ce ne sont que des variations sur un nombre de thèmes très restreint. Parmi les formes visibles, la nature a ses préférées, dont les spirales, les méandres, les ramifications et les raccords à 120 degrés. Ces structures se répètent sans cesse.
La pensée de Dieu ou du Démiurge, son Tokade ou Destin (le labarum est son messager), est une puissance agissante, un intermédiaire entre l’être supérieur et le monde. Dieu ou le Démiurge se révèle donc au travers de ce premier-né. Le monogène ou premier des éons, est une puissance immortelle émanant de l’Être des êtres, supérieur, et rendant possible son action dans le monde. De cette unité primitive du monogène émane donc une première syzygie (du grec syzygia, réunion), conjonction ou opposition de la Lune avec le Soleil (nouvelle ou pleine lune).
— L’âme universelle, le grand réservoir psychique universel, appelé awenyddio (pour reprendre un terme gallois). Essentiellement vue comme une flamme primordiale ou un feu cosmique. Son origine, ou son principe, en était le feu intellectuel. Un feu parfait et absolument pur. Source de tous les êtres, immatériels et matériels.
Les êtres immatériels forment un monde. Les matériels en forment un autre.
Le premier a conservé la pure lumière de son origine ; le second l’a perdue. Il est dans les ténèbres, et ces ténèbres s’accroissent à mesure que la distance du premier principe devient plus grande.
— La matière. Matrona. Essentiellement vue comme une eau primordiale.
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Le feu et la lumière vont toujours en s’affaiblissant. Où cessent la chaleur et la lumière, commencent la matière, les ténèbres et le mal, dont Zoroastre fait le monde d’une entité qu’il appelle Ahriman.
Le monde de la lumière et du bien étant attribué par lui à une entité appelée Ahoura Mazda.
[Le druidisme ne va pas jusque là et laisse ce dualisme aux judéo-islamo-chrétiens].
La matière est en mouvement perpétuel et tend sans cesse à se spiritualiser, à devenir lumineuse et active.
Devenue plus spirituelle, active et lumineuse, elle retourne à sa source, au feu pur, à Mithra, où disparaît son imperfection et où elle jouit d’une félicité supérieure.
Dans ce système, l’homme ainsi que tous les autres êtres du monde visible, sont désignés sous le nom commun de matière.
Cette idée a été générale ; elle a été celle de maints philosophes anciens ; et ce qui est très remarquable, c’est qu’elle fut adoptée par les théosophes chrétiens. Les disciples de Basilide, ceux de Valentin et tous les autres chrétiens gnostiques, y ont puisé leur système des émanations, qui a joui d’une grande célébrité dans l’école d’Alexandrie.
Les mages des Perses, qui voyaient en ces éons des génies plus ou moins parfaits, leur donnaient des noms relatifs à leurs perfections, et se servaient de ces noms mêmes pour les évoquer. De là vint la magie des Persans, que les juifs l’ayant reçue par influence culturelle, durant leur captivité à Babylone, appelèrent caballe.
Platon qui considéra, quelques siècles après, ces mêmes êtres, comme des idées, cherchait à pénétrer leur nature, à les soumettre, par la dialectique et la force de la pensée. Synésius, qui réunissait la doctrine de Pythagore à celle de Platon, appelait Dieu tantôt le Nombre des nombres, et tantôt l’Idée des idées. Mais, non contents d’assimiler les êtres de la hiérarchie céleste à des idées, à des nombres ou à des principes de volonté, il y eut des philosophes qui préférèrent les désigner par le nom de Verbes [labarum chez les druides]. Plutarque écrit par exemple quelque part que les verbes, les idées, ainsi que les émanations divines, résident dans le ciel et dans les astres. Philon donne en maint endroit le nom de verbe aux anges ; et Clément d’Alexandrie rapporte que les Valentiniens appelaient souvent ainsi leurs éons.
Mais revenons aux très-sachants d’Occident.
L’Être supérieur n’a pas de personnalité, et demeure toujours totalement inconnaissable. Il est un abîme insondable. Sa perfection et sa plénitude ne peuvent néanmoins que se transmettre à d’autres étants, par voie d’émanation. Ces entités, ces hypostases ou ces éons (que les judéo-islamo-chrétiens appellent anges ou djinns et les hindous vyouha) s’étagent en une hiérarchie allant des plus spirituels (les plus proches du dieu-ou-démon supérieur) jusqu’aux plus dilués ; l’esprit universel justement. Voire encore moins.
Ainsi que nous avons pu le voir, arrivé à ce stade de la (pro) création du monde il n’y avait que le chaos, ou grand chaudron de la soupe cosmique universelle (le tohu-bohu dit la Bible).
Les pouvoirs ou attributs de l’Être des êtres qui étaient auparavant cachés dans l’abîme insondable, évoluent hors de lui et deviennent les principes de tout développement ultérieur de l’existence ; ils se déroulent par vagues d’émanations successives jusqu’à ce qu’ils se soient tout à fait éloignés de la pureté divine initiale, et peu ou prou imprégnés de matière.
Expérimentalement nous les appréhendons surtout d’abord par notre connaissance de nous-mêmes : l’Albiobitos (plérôme mais à tort sous la plume de saint Irénée) se décrit donc lui-même à nous-mêmes par nous-mêmes.
Autrement dit, un peu comme dans la mécanique quantique, les éons dépendent des êtres qui les nomment, tels que ces êtres les découvrent et les éprouvent dans et par leur propre mode d’être. C’est pourquoi ces attributs ou épithètes divins constituent les différents niveaux ou plans de l’être.
Assez curieusement (il est difficile de se dépeindre objectivement soi-même), ce sont les musulmans qui ont le mieux décrit cette principale caractéristique de notre druidisme ancestral : le Chirk (al moushrikîn). Autrement dit l’émanation des éons des dieu-ou-démons ou des hypostases divines (vyouha dans l’hindouisme) à partir du UN originel via le passage obligé du Grand Tout.
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LE PREMIER DES ÉONS DE LA PIMPETIA ORIGINELLE : SAITLO (le temps).
L’Aiu (l’Éternité supporte le temps). Le Grand Tout non limité par le temps et l’espace, se donne à lui-même, de par sa propre volonté, en vertu de sa toute-puissance, les formes limitées du temps et de l’espace.
La durée ou le temps est ce, tout au long de quoi, expie l’ex-istence sortie de l’être. Pour Plotin, le temps est produit par l’Âme, et pour Proclus, le Temps est une hypostase supérieure à l’Âme.
L’émanation se déroule en effet suivant les rythmes en spirale du Temps, de révolution cosmique en révolution cosmique. Le Principe ultime à partir duquel naissent toutes choses reste transcendant ou immanent à cette manifestation, situé dans l’immortel. De ce point de vue, il est possible de dire que toute existence se trouve dans le Temps, mais que le Temps lui-même est la fluctuation d’une Réalité qui ne change pas et dans laquelle toute existence reste située. Telle est, rapidement tracée, la représentation mythique des rapports du temps et de l’aiu (de l’éternité) dans la pensée druidique.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le dire, les légendes s’astreignent à cerner de proche en proche la réalité la plus haute, dans un cadre d’équivalences ou d’identifications entre microcosme et macrocosme. « Divinis humana licet componere ». « Aux choses divines, on peut comparer les choses humaines » Ausone (dans son petit poème sur l’emploi du mot libra).
Les légendes druidiques ont donc abordé le thème du temps qui passe, voire ont essayé de le figurer, de le représenter, au moyen de diverses allégories. En voici quelques exemples.
Immram Brain Maic Febail ocus a echtra andso sis (la navigation de Bran, fils de Fébal et ses aventures).
Bran est le fils de Febal, son nom signifie « corbeau ». Alors qu’il se repose à l’extérieur de son château, il entend un chant étrange ; dont la voix lui vante les délices d’Emain Ablach, la Terre des Pommiers (symbole d’aiu c’est-à-dire d’éternité), une île au milieu de l’océan. Bien qu’il soit entouré de nombreuses personnes, il est le seul à entendre l’appel de la messagère de l’Autre Monde. Ne pouvant résister à l’invitation, il se procure un bateau et part avec « trois fois neuf » compagnons de voyage. Sur la mer, il est accueilli par Belinos Barinthus Manannan Mac Lir, le dieu-ou-démon souverain du Side. La première île qu’ils abordent est occupée par des gens qui ne font que rire, et ne leur prêtent aucune attention. Un des marins débarque, il est aussitôt pris d’un rire frénétique, et refuse de remonter à bord. Enfin, ils approchent de l’Île des Femmes (Tir na mBân), la reine lance un fil à Bran de façon à tirer le bateau, et tous débarquent. Les femmes sont toutes jeunes et magnifiques, chaque compagnon en choisit une, la reine se réserve Bran. Ils vivent là plusieurs « mois » dans une totale félicité.
Mais la nostalgie du pays natal commence à saisir les hommes et Nechtan, fils de Collbran, décide Bran à rentrer. La reine leur adresse une sévère mise en garde : ils passent outre. Mais une fois parvenus à bon port, personne ne les reconnaîtra, et eux-mêmes ne reconnaissent plus personne. Nechtan descend à terre, mais se transforme aussitôt en un tas de cendres. Bran qui a compris, reprendra donc la mer pour une navigation sans fin.
Le récit de cette navigation est typique d’un voyage dans le Side : au départ il y a l’invitation de la fée, puis le séjour merveilleux dans l’Île des Femmes, qui ne sont autres que des déesse-ou-démones, ou des fées si l’on préfère. Sur l’île, le temps n’existe pas, ou du moins, l’île est hors du temps pour ceux qui séjournent là. Si Bran et ses compagnons ne sont pas reconnus à leur retour, et que Nechtan tombe en poussière en mettant le pied à terre (c’était la mise en garde de la reine) ; c’est que leur séjour a duré plusieurs siècles, et qu’ils sont morts depuis longtemps. Le retour dans le monde des hommes s’accompagne de l’emprise du temps auquel ils avaient provisoirement échappé.
Il n’est pas certain que les clercs qui ont retranscrit cette tradition, transmise oralement pendant des siècles, aient réellement compris de quoi il s’agissait. Le mythe druidique est une figuration dans laquelle prennent place les forces de la Nature, dans leur déploiement à partir de l’Origine de la procréation du monde. Le mythe druidique raconte l’expression de l’aiu (de l’éternité) dans le temps. Bien sûr, le problème que nous pose cette mythologie, c’est qu’elle se place surtout sur le plan des images et que son langage est propre à une culture donnée. Le philosophe voudrait, lui, entendre le langage de la raison plus que celui du mythe. Mais l’intelligence peut-elle, par la seule voie de la spéculation, tenter de comprendre la relation de l’aiu (de l’éternité) au temps ?
C’est peut-être dans cette direction qu’il faut chercher pour comprendre les paroles de Spinoza dans son livre intitulé « L’Éthique » : « nous sentons et nous savons par expérience que nous sommes
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éternels ». Certains spécialistes ont avoué eux-mêmes leur perplexité devant une telle affirmation ! Pourtant, le texte est assez clair, à condition de retrouver le sentiment panthéiste qui le porte. Spinoza présente la Réalité ultime sous le nom de Substance de laquelle il dérive les attributs de l’étendue (la matière matrona) et de la pensée. Des attributs découlent des modes spécifiques et l’Homme y participe par le corps et par l’esprit, de manière nécessaire.
Si la Substance qui est Dieu ou le Démiurge, ou la Nature, enveloppe la totalité de ce qui est, elle enveloppe à la fois la durée, tout en demeurant elle-même en deçà du temps. Par le corps, l’Homme est saisi dans la durée. Par la pensée l’Homme s’élève à l’ordre des essences, qui résident dans la Pensée de Dieu ou du Démiurge, ce qui veut dire que l’Homme, dans la rencontre de la vérité de ce qui est, connaît l’ordre éternel des choses. Il est dans la nature même de la raison de connaître sous l’angle de l’aiu (de l’éternité), car connaître, c’est connaître ce qui est, tel qu’il est de toute éternité. Notre esprit, en connaissant dans l’ordre éternel des choses, éprouve, dans son élévation au-dessus du temps, sa participation à l’aiu (à l’éternité). Nous « sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels », à chaque fois qu’abandonnant à elle-même la fuite du temps, nous nous élevons à la vérité éternelle des choses. Nous sentons alors que nous participons de cette éternité qui nous est ouverte, parce que nous ne sommes pas seulement un corps périssable, mais aussi une essence dans l’entendement infini de la Substance divine.
Un tel éon, ou hypostase, ou vyouha (dans l’hindouisme), a dû exister dans la théologie druidique, puisque Plutarque le mentionne à plusieurs reprises sous son nom grec de Kronos.
« Il existe une île, Ogygie, située loin au-delà des mers ! À cinq jours au large de la [Grande] Bretagne en naviguant vers l’ouest, il y a aussi une île. Et trois autres, à égale distance de cette dernière, mais aussi de chacune des autres, sont situées au-delà en allant dans la direction du couchant d’été.
Dans l’une d’entre elles, d’après les histoires racontées par les barbares du pays, Cronos [ou plus exactement l’éon celte ainsi appelé par les Grecs] est retenu prisonnier par Zeus [?], mais, flanqué d’un fils [Briarée en interpretation graeca?] comme geôlier, on lui a laissé la souveraineté sur ces îles et de cette mer, qu’ils appellent golfe cronien. Ils ajoutent que le grand continent, par lequel cet océan est entouré, bien que situé un peu moins loin des autres îles, est à environ cinq mille stades d’Ogygie ; le voyage devant se faire à la rame, car la mer est difficile à traverser : elle est envasée par une multitude de rivières… Quand après avoir accompli une révolution de trente ans, l’étoile de Cronos que nous appelons Phénon, mais eux, dit notre auteur, Nycturus, entre dans le signe du Taureau ; après s’être longuement préparés à ce sacrifice et à cette traversée, ils choisissent par tirage au sort et font partir là-bas un nombre suffisant d’envoyés, sur la quantité de navires qu’il faut, en prenant à bord tous les compagnons et toutes les provisions nécessaires à des hommes qui vont traverser tant de mers à la rame, et vivre si longtemps sur une terre étrangère. Ensuite, après qu’ils ont pris la mer, tous ces voyageurs rencontrent des fortunes diverses comme on pouvait s’y attendre ; mais ceux qui survivent à cette traversée abordent en premier les îles opposées, qui sont habitées par des Grecs (sic) ; le soleil y disparaît pendant moins d’une heure, et ce pendant trente jours, telle est la durée de leur nuit là-bas ; mais il y règne une obscurité peu profonde, comme une sorte de crépuscule miroitant à l’ouest. Là ils passent quatre-vingt-dix jours considérés avec honneur et amitié comme des saints, et bien traités ; ensuite les vents les ramènent dans leur île. Personne d’autre n’y habite à part eux-mêmes et ceux qui ont été envoyés en ce lieu avant eux. Ceux qui ont servi le dieu pendant au moins trente ans sont autorisés à rentrer chez eux, mais la plupart d’entre eux choisissent habituellement de rester, certains à cause des habitudes qu’ils y ont contractées, d’autres parce qu’ils ont tout en abondance, sans labeur ni contrariété, alors qu’ils emploient toutes leurs journées en sacrifices et en célébrations, ou à discourir sur divers sujets ainsi qu’à philosopher ; car la nature de cette île est merveilleuse, et notamment la douceur de son climat. Ceux d’entre eux qui conçoivent le dessein de quitter les lieux en sont empêchés par la divinité, qui leur apparaît alors comme à des intimes ou à des amis, et non pas en rêve seulement ou de façon symbolique, car beaucoup également voient et entendent des esprits [ou démons en grec] se manifester. Cronos lui-même dort dans la profonde grotte d’un rocher qui brille comme de l’or – le sommeil étant le seul moyen que Zeus a trouvé pour lui servir de lien – et des oiseaux volant au-dessus de ce rocher lui apportent de l’ambroisie ; toute l’île est embaumée par ce parfum qui semble sourdre de ce rocher comme d’une fontaine ; et les esprits [ou démons en grec] mentionnés plus haut soignent et servent Cronos, ayant été ses courtisans et ses amis [hetaerous en grec] du temps où il régnait sur les dieux et les hommes. Beaucoup des prédictions qu’ils font ne viennent que d’eux-mêmes, car ce sont de bons oracles, mais les prophéties qui sont les plus importantes et portent sur les plus grands sujets, ils les délivrent en rendant compte de songes faits par Cronos, car tout ce que Zeus prémédite, Cronos le voit dans ses rêves. Les passions et les émotions titanesques qui affectent son âme font qu’il est toujours sur le
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point de rompre ses liens, jusqu’à ce que le sommeil restaure ses forces et que sa nature royale et divine retrouve ainsi toute sa pureté originelle » (Plutarque. De facie in orbe lunae, 26).
« Parmi les îles situées à côté de la [Grande] Bretagne, beaucoup sont isolées, à peine habitées voire désertes. Certaines portent le nom d’une divinité ou d’un grand héros. Lui-même, sur ordre de l’empereur, a fait là-bas un voyage à des fins d’enquête et d’observation, afin de se rendre dans la plus proche de ces îles qui n’a que quelques habitants, de saints hommes qui sont tenus pour intouchables par les [Grands] Bretons. Peu de temps après son arrivée, il se produisit un grand tumulte dans les airs, accompagné de divers signes annonciateurs ; des vents violents se mirent soudainement à balayer la terre et la foudre s’abattit à plusieurs reprises. Quand le calme fut quelque peu revenu, les gens de cette île lui expliquèrent que venait de trépasser un homme doté d’une âme/esprit à l’exceptionnelle puissance [en grec megalai psychai]. « Car », disaient-ils, « une lampe que l’on allume n’inspire aucune crainte, mais son extinction plonge dans les ténèbres ; de même les grandes âmes/esprits [grec megalai psychai] ont une flamme ainsi qu’une lumière, bienfaisante et inoffensive, mais leur extinction souvent, comme tout à l’heure, donne lieu à des tempêtes et à des orages, voire même infecte fréquemment l’air de souffles pestilentiels ». Ils ajoutent en outre qu’il y a dans cette partie du monde une île où Cronos [ou plus exactement le dieu-ou-démon celte ainsi appelé par les Grecs] est tenu confiné, gardé pendant qu’il dort par Briarée ; car le sommeil est le lien qui le retient enchaîné en ce lieu, et que tout autour sont de nombreux démons qui lui servent de valets ou de serviteurs… » (Plutarque. Sur l’échec, la fin, ou l’obsolescence, des oracles].
Des citations de Plutarque, assez obscures, on peut néanmoins en déduire le schéma suivant.
Il existe loin à l’ouest du monde une ou plusieurs îles merveilleuses et paradisiaques.
Le premier roi de ce domaine, Kronos dans l’interprétation grecque, a été détrôné par le nouveau maître de cet archipel, un dieu-ou-démon celte assimilé à Zeus/Jupiter par Plutarque. Le cas étant clair en ce qui le concerne, il doit donc s’agir du dieu-ou-démon celte Taran/Toran/Tuireann. Qui est l’entité celto-druidique assimilée au géant grec Briarée, cela, par contre, reste plus conjectural.
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LE DEUXIÈME DES ÉONS DE CETTE TÉTRADE : L’AGO
(vieil irlandais ag, génitif aig) ou tension universelle.
Bref, la guerre des opposés (NETO/NEITH/NEIT/NET ?)
Éon considéré ou vu comme un simple dieu-ou-démon de la guerre, ancêtre des enfants de la Déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), et des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Fomore dans la déviation irlandaise.
La mythologie irlandaise lui attribue en effet une très nombreuse progéniture, mais assez curieusement on sait très peu de choses à son sujet. L’hérésie irlandaise (nous voulons dire par là que c’est une déviation un peu poussée par rapport au druidisme continental antique) ; lui attribue comme parèdre ou shakti (Catu) Bodua (Bodb), Nemetona (Nemain en Irlande), et Féa, voire la triple Morrigan elle-même (autrement dit la Fata Morgana). Il s’agit évidemment d’une erreur due à la dégénérescence du druidisme local. Ou alors cela signifierait que cet éon était capable de former des paires avec des émanations divines de rang inférieur comme chez les gnostiques… d’Orient.
Il était aussi connu des Celtibères puisqu’une ville de la Lusitanie espagnole (dans la région de Cadix) lui était vouée (Netobriga).
« Les Accitains, nation espagnole, honorent très religieusement, sous le nom de Néton, un simulacre de Mars orné de rayons » (Macrobe. Sat. I, 19).
Mais peut-on faire confiance à l’interprétation romaine des faits de civilisation celtique ?
Concluons qu’il s’agit, soit d’un éon, soit d’une divinité primordiale à l’origine à la fois des dieu-ou-démons aériens et des dieu-ou-démons souterrains du monde celte (Tribu de Danu-bia et Fomoire en Irlande).
Konrad Lorenz, homme pacifique s’il en fut, a réfléchi à l’apport de l’agressivité tout au long de la lente évolution qui a conduit aux espèces actuelles, spécialement au cas de l’Homme. Il estime que l’agressivité a été un facteur fondamental de la survie et du développement des espèces à travers l’évolution.
Par la sélection sexuelle : le plus fort, agressif (et intelligent, chez l’hominien), a le plus de chances de procréer. À noter que, dans certaines espèces, ce comportement s’étend aux femelles, entre elles ; par exemple chez le loup. Plus cruelle que le mâle, la louve dominante tue la jeune rivale qui recherche les faveurs de son conjoint.
Pour la défense du groupe, spécialement des jeunes, contre les prédateurs.
Pour la conquête de l’alimentation du groupe face à la concurrence des autres espèces du même biotope ; les carnivores dans le cas de l’homme.
Des études récentes, au microscope, de dents fossiles, ont montré que la base de l’alimentation de l’Homme a été, en moyenne, de plus en plus carnée jusqu’au Néolithique. Ce qui constitue donc une différence radicale avec les grands primates, encore que le chimpanzé puisse, à l’occasion, être carnivore. Ceci, avec une prédominance marquée pour l’homme-mâle chasseur-pourvoyeur, par rapport à la femme qui, plus contrainte à la sédentarité par ses charges maternelles, trouvait plus souvent un complément par la cueillette de végétaux. Conséquence millénaire, ou meilleure adaptabilité de la femme, les restrictions du dernier conflit ont montré qu’elle s’accommode plus facilement que l’homme d’une alimentation surtout végétale.
Or les capacités physiques de nos ancêtres hominiens – dentition, musculature, ongles, rapidité à la course, etc. – étaient bien médiocres pour assurer la pérennité d’une espèce à la fois prédatrice et proie ; vivant dans une zone, la savane, où, si le gibier s’avère abondant, les grands carnassiers ne le sont pas moins, et les refuges rares. Très tôt il a fallu suppléer aux déficiences physiques par des moyens artificiels, les armes de chasse, et par l’intelligence. Par ailleurs, que cela nous plaise ou non, descendants de ceux qui n’ont pu nous transmettre la vie que parce qu’ils étaient parmi les plus forts, les plus rusés, les plus agressifs surtout, nous portons leur héritage biologique. Par nature l’être humain est agressif. La civilisation, la conscience individuelle, peuvent et doivent canaliser cet instinct, voire le sublimer. Pour certains philosophes, l’instinct de curiosité ou de recherche, qui nous a donné l’énergie nucléaire, l’informatique ainsi que le laser, et conduits sur la Lune, serait un substitut à l’agressivité ; de même, naturellement, que la plupart des sports où la chose est plus évidente. Reculer les bornes du savoir serait une sorte « d’action-réaction » au défi lancé par notre ignorance.
Mais nier ou ignorer cet héritage est une dangereuse ineptie, même si elle domine de façon écrasante chez les journalistes intellectuels ou gens de média, de notre époque. Évidemment puisqu’ils ne donnent pas aux esprits plus lucides qu’eux l’occasion de s’exprimer. Il suffit de regarder les débats
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télévisés en France *. Oh certes, les intervenants s’expriment tous très bien, mais quelle médiocrité dans la réflexion, quelle superficialité de la part de gens ayant en principe pour vocation d’éclairer l’opinion publique. Tout cela est certes brillant, mais guère profond. Que de lâchetés ! Trop de conformisme et pas assez d’indépendance intellectuelle peut-être. On est entre gens bien, gentils intelligents et qui n’ont qu’un seul défaut (ils sont pauvres puisqu’ils donnent tout aux plus pauvres qu’eux). Comme le dit le vieil adage « chez nous on met en prison ceux qui sonnent le tocsin et on encense les pyromanes ».
Peu avant sa mort, le polémologue français Gaston Bouthoul notait, avec tristesse, mais sans surprise, qu’ayant souvent eu à parler du racisme devant des auditoires se réclamant de l’antiracisme le plus intégral, il y avait toujours senti les réactions haineuses d’une idéologie combative (l’intelligence en effet s’éclipse devant les réactions passionnelles dès qu’on aborde la question). Les pacifistes se croient pacifiques, mais leur subconscient ne l’est pas. Le langage courant actuel échange souvent, et abusivement, les termes pacifique et pacifiste, qui ont pourtant des significations très différentes.
* Le manque d’empathie de ces médiocres élites autoproclamées (ce sont incontestablement des natiopathes), qui s’explique sans doute par un orgueil inversement proportionnel à leur intelligence PROFONDE des situations, est assez effarant.
Précisons que chez les peuples dits primitifs, les femmes, si elles ne participent pas aux opérations d’agression, contribuent cependant énergiquement à la défense du groupe. Au XXe siècle par exemple, dans les tribus Hmongs des hauts plateaux (avant leur extermination par armes chimiques à la fin des années 1970), face à leur ennemi démocrate (viet-minh, puis viêt-cong) l’attaque – embuscades essentiellement – était l’affaire des hommes. Mais pour la défense du village assailli par les Bodoï de la très populeuse démocratie vietnamienne, les femmes adultes se battaient avec le même acharnement que les hommes, voire avec férocité pour celles qui avaient des enfants. Ce constat peut surprendre, mais c’est là pourtant un réflexe très commun dans les espèces animales supérieures : la mère défend ses petits avec une ténacité inflexible ; et que nous le voulions ou non, l’évolution du mammifère à l’homme ne représente qu’une très faible partie de la durée de la vie sur Terre. (K. Lorenz. Das sogenannte Böse. Zur Naturgeschichte der Aggression. Chapitre III).
La première opposition utile (oxymore ou gwenn ha du) pour exprimer le sentiment d’humanité a sans doute été ami/ennemi ; mais il est nécessaire en théologie druidique de bien faire la distinction entre la guerre sans haine (ago, vieil irlandais ag, génitif aig) et l’attirance ou l’attachement sans amour de nature humaine (oxymore). Il n’y a jamais eu chez les très-sachants de la druidiaction (druidecht) de dualisme brut entre Âme/Matière, Bien/Mal, Dieu/Diable, la matière (matrona) pouvant être aussi par moments matrice créatrice (même si c’est surtout d’illusions).
L’esprit de la prière typiquement celtique appelée « lorica » est tout entier fondé sur ce goût qu’avaient les druides d’achever ou de clore une liste. En effet, si l’on évoque le noir, pourquoi ne pas évoquer le blanc, le mouvement ne va-t-il pas aussi avec l’arrêt, le nord et le sud avec l’est et l’ouest ? Tout cela suggère l’idée de totalité que rien n’a été oublié ni ne peut l’être, que tout est pris en compte.
Le système de nomination celte est aussi largement organisé en paires d’antonymes. Cette structuration binaire permet souvent de mieux cerner le sens des éléments des noms propres composés. On a regroupé ci-dessous quelques exemples, d’après Xavier Delamarre (Approche linguistique du vieux celtique continental).
Bon/Mauvais.
Su-carus « Bien-Aimé ». Du-carus « Mal-aimé ».
Su-ratus « Bonne-Grâce ». Du-ratus « Mauvaise-Grâce ».
Daco-uir (os) « Bon-Homme ». Doiros (*Du-uiros) « Mauvais-Homme ».
Su-leuia « Bonne-Conductrice ». Du-louius « Mauvais-Guide ? »
Su-melo « Bonne-Douceur ». Du-melus « Mauvaise-Douceur » (« Hypocrite » ?)
Daco-toutus « Bonne-Gauche ? ». Du-teutos « Mauvaise-Gauche ».
Su-caelus « Bon-signe ». Dus-celinatia « Mauvais présage ».
Susus. Dusius ?
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Blanc/Noir (Clair/Sombre).
Uindo-ridio – « Chevalier-Blanc » (« Coursier »). Dobno-redo « Chevalier-Noir. »
Uindio-rix, Albio-rix « Roi-Céleste ». Dubno-rix « Roi-des-Ténèbres ».
Argio-talus « Front-Lumineux ». Dubno-talus « Front-Sombre ».
Uindiacos. Dumnacos.
Uindedo. Dumnedo.
Haut/Bas.
Uxo-unna « Eaux-d’en-Haut ». Ando-unna « Eaux-d’en-Bas ».
Uxsa-canus « Roseau-Haut ». Ande-canus « Roseau-Bas ».
D’ici/d’ailleurs.
Nitio-broges « Du-Pays ». Allo-broges « Étrangers ».
Eni-genos, Enignus « Indigène ». Egenus, eskenino – (celtib.) « Allogène, étranger ».
Errants, Nomades/sédentaires.
Alauni « Errants, Nomades ». Anauni « Qui restent, Sédentaires ».
Jeune/Vieux.
Iouinco-rix « Jeune-Roi ». Seno-rix « Vieux – Roi ».
Humainement parlant et d’un point de vue strictement humain (est-il possible d’en avoir un autre ??) une chose ne peut exister que par son opposé. Le Un non encore différencié se divise, pour donner naissance à deux forces opposées, mais complémentaires.
Des forces opposées, mais complémentaires, lesquelles expriment la dichotomie fondamentale APPARENTE du monde, et son équilibre (du moins d’un point de vue strictement humain). Le feu et l’eau, le jour et la nuit, l’ombre et la lumière, le masculin et le féminin, le chaud et le froid, le positif et le négatif.
Malgré son apparente complexité, le monde qui nous entoure est en réalité animé seulement par deux forces, ou plutôt par une force unique, mais ayant une double polarité, comme l’électricité.
Tout, dans l’univers, est mû par cette force fondamentale, cette énergie, qui fait circuler les électrons dans les atomes, se multiplier les cellules, croître les plantes et les êtres vivants ; qui anime le mouvement du vent et des astres. On ne peut la voir ou la toucher ; tout comme pour l’électricité, on ne peut que percevoir ses effets. Chez l’humain, cette force soutient aussi bien les fonctions du corps que celles de l’esprit.
Ces lois universelles sont immanentes, absolues et intangibles, elles ne se laissent pas travestir au gré de nos fantaisies, quelles qu’en soient les motivations. Toute médaille a son revers, qu’on le veuille ou non.
L’équilibre n’est jamais statique, mais en mouvement toujours, entre ces deux forces opposées, complémentaires et interdépendantes, représentées dans le symbole du « s » (les esses de l’art celtique). Une des spirales représente les forces de type passif : ombre, froid, profondeur, humidité, et ainsi de suite ; alors que l’autre représente celles de type actif : lumière, chaud, surface, sécheresse… Tout a besoin de ces deux forces. Elles sont toujours en relation dynamique : lorsque l’une croît, l’autre décroît (principe des vases communicants).
C’est la bataille éternelle entre néguentropie et entropie, « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». L’ordonné ne peut exister sans le désordre, toute « structure » (néguentropie) nécessite
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un immense gaspillage d’énergie (entropie). C’est ainsi que le soleil est la source (il la permet sans en être l’origine) de la vie terrestre.
Expansion, structuration, transformation, tout est vibration dans le Bitos ou cosmos, « rien n’existe en soi », tout dépend de tout…
Depuis des lustres on se bat pour savoir si notre univers est en expansion indéfinie ou s’il se repliera sur lui-même à la fin de son « expansion ». En fait, cela n’a aucune importance pour ce qui nous préoccupe, selon les théories « physiques » actuelles. Dans un cas il se vide de sa « substance » par évaporation, dans l’autre il devient de nouveau un point « singulier ».
On parle dans l’étude des systèmes dynamiques de dysentropie. Dans un tel système, une néguentropie partielle mène à un état d’auto-organisation de niveau supérieur par un phénomène de percolation.
L’entropie est considérée dans le second principe de la thermodynamique comme étant spontanément croissante en système fermé. Sous cette condition, la notion de néguentropie est donc nécessairement limitée dans le temps ou l’espace ou ne peut s’appliquer qu’à un système ouvert.
Dans tous les cycles naturels, chaque force succède à l’autre comme le jour succède à la nuit, l’action au repos, l’inspiration à l’expiration. L’équilibre n’est jamais statique, mais dynamique.
Rien n’est donc plutôt ceci que cela, mais tout le devient. Les choses ne sont jamais achevées, mais sont continuellement suscitées par les forces qui s’écoulent dans les phénomènes. Le devenir sert de lien entre les phénomènes.
Différentes cosmogonies mentionnent la genèse du monde comme résultant d’un long et difficile partage entre deux entités, ou deux forces antagonistes, qui s’attirent et qui se repoussent. C’est grâce à la présence de ces deux forces, de ces deux pulsions, que la vie est appelée à l’être. Deux forces totalement opposées, mais complémentaires et fondamentales, qui s’affrontent en permanence, et engendrent ainsi l’équilibre de l’univers. Un équilibre, certes précaire, mais sans lequel il n’y aurait ni vie, ni mort, ni action, ni passivité. Il n’y aurait rien. L’univers serait immobile, pour ne pas dire cataleptique.
Les mythes montrent comment tout monde dépend de l’interaction de forces et polarités variées, dont l’équilibre ou l’union maintient la vie. Ces forces ou « polarités » sont décrites de différentes manières – feu et eau, ombre et lumière, masculin et féminin, force (répulsion) et sensation (attraction) – et, combinées, elles forment le Tout.
Cas par exemple de la cosmogonie de nos cousins germains du nord avec leur notion de Ginnungagap, et par les impressions de chaud et de froid qui se répartissent autour de ce vide. À l’ouest se trouve Niflheim, monde du froid, de la glace, des ténèbres et des brumes, et à l’est se trouve Muspellheim, monde de la chaleur, de la lumière et des flammes. Ces deux mondes sont séparés par la crevasse géante que forme le Ginnungagap. Le monde de glace et le monde de lave en fusion agissent l’un sur l’autre et tout fond pour donner le monde.
On retrouve la même idée chez les philosophes grecs. Fragments d’Héraclite, conservés par Hippolyte de Rome, Réfutation de toutes les hérésies, Livre IX.
Que les hommes aient tout ce qu’ils souhaitent ne serait pas une bonne chose. La maladie rend agréable et bonne la santé ; la faim la satiété ; la lassitude le repos. Pour Dieu tout est beau bon et bien, même si les hommes pensent que certaines choses sont bien et d’autres mal. Car tout est régi par le Destin. Ce monde est le même pour tout le monde, aucun des dieux ni des hommes ne l’a fait, mais il a toujours été, est et sera, un feu toujours vivant. La guerre est la mère et la reine de tout, elle a fait de certains des dieux, d’autres des hommes, et elle en a fait quelques-uns esclaves et d’autres des hommes libres. L’harmonie du monde est une harmonie des contraires, comme dans le cas de l’arc et de la lyre. Les contraires ne forment qu’un, des différences résulte l’harmonie la plus belle qui soit, tout naît de ces différends. Tout se tient. S’il n’y avait pas de soleil, il n’y aurait que la nuit. Le jour et la nuit, l’hiver et l’été, la guerre et la paix, l’abondance et le besoin ne font qu’un. Tout et partie, accord et désaccord, concorde et discorde, l’individu vient de l’ensemble et l’ensemble vient de l’individu. Les aller et retour de la carde des artisans ne forment qu’un seul et même mouvement. Descendre et monter sont une seule et même chose. Commencement et fin ne font qu’un. Le bien et le mal sont identiques. La rivière dans laquelle nous descendons est à la fois la même et une autre. Le froid devient chaud, le chaud, froid ; l’humide devient sec, et le sec, humide. Être vivant ou mort, éveillé ou endormi, jeune ou vieux, c’est la même chose. Ces différents états ne sont que des métamorphoses l’un de l’autre. Les Immortels sont mortels, les mortels immortels, vivant dans leur
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mort et mourant dans leur vie. Toute émulsion se décompose si elle n’est plus agitée. C’est dans le changement qu’est le repos.
L’originalité d’Héraclite, par rapport aux autres physiciens, réside dans le fait qu’il cherche, derrière les modifications des apparences naturelles, à saisir l’unité cosmique résultant de leur contradiction. En témoigne notamment le célèbre fragment : « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». Un autre fragment est également significatif : « L’opposé s’avère utile, et des choses différentes naît la plus belle harmonie (ou toutes choses sont engendrées par la discorde) ». Héraclite affirme les aspects ou qualités des choses qui évoluent entre leurs contraires ; car la loi du remplacement des contraires est la condition du devenir des choses. Entre contraires, il y a une lutte aboutissant à la création.
Dire que toute chose passe ainsi continuellement d’un contraire à l’autre, c’est dire que l’ago ou guerre (vieil irlandais ag, génitif aig) est en quelque sorte la mère et la souveraine de l’univers ; elle est la logique des choses. Ce qui se sépare s’unit : partout il y a des tensions opposées, comme dans l’arc et la lyre.
Le questionnement et les observations empiriques des anciens très-sachants de la druidiaction (druidecht) sur le monde lui-même ; leur ont permis de poser, comme fondement de ce monde, l’opposition des contraires, le mouvement universel et l’éternel recommencement des choses, selon un cycle. Si tout s’oppose, l’amour et la haine, la guerre et la paix, le silence et la parole… les contraires, dans leur opposition même, sont néanmoins embrassés par l’unité : sur l’échiquier, les blancs et les noirs jouent la même partie.
Ce qui est contraire a aussi son utilité, la mer est à la fois l’eau la plus pure et la plus souillée ; potable et salutaire aux poissons, elle est non potable et funeste pour les hommes. Bien et Mal sont tout un.
Bien qu’ils soient trop souvent présentés comme des apologistes de la « guerre universelle », les très-sachants de la druidiaction (druidecht) privilégient au contraire l’unité résultant des contraires, au détriment de leur lutte. Dieu ou le Démiurge est jour et nuit, printemps et automne, surabondance et famine : il prend des formes variées, voire contraires. Ce qui est en nous est toujours la même chose : vie et mort, veille et sommeil, jeunesse et vieillesse ; car le changement de l’un donne l’autre, et réciproquement.
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LE TROISIÈME DES ÉONS DE LA TÉTRADE : L’OXYMORE OU GWENN HA DU.
La scission initiale à l’origine de toutes choses apparaît dans les couples de contraires : positif-négatif, vie-mort, chaud-froid, féminin-masculin, etc. Cela se retrouve également dans les phénomènes d’alternance : le jour et la nuit,
le mouvement et le repos, le flux et le reflux…
Mais les contraires se réunissent aussi dans l’unité, puisqu’ils proviennent tous d’un seul et même être, qui en se séparant de lui-même, s’unit avec lui-même. De toutes ces oppositions, naît l’harmonie du monde, qui éclate à nos yeux. Il existe un état de conscience dans lequel où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le futur et le passé, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas, cessent d’être perçus contradictoirement. D’où d’ailleurs le calendrier luni-solaire des très-sachants appelés druides et trouvé à Coligny, qui est typique de leur pensée.
Voici en effet ce que l’on peut comprendre du calendrier luni-solaire de Coligny. Voici ce qu’il faut comprendre de toutes les descentes du feu dans l’eau qu’évoque la mythologie druidique. Il faut saisir l’harmonieuse fusion des deux principes attirés par un « amour » ; qui n’est pas encore « érotique », dans les plans inférieurs de notre monde, puisqu’il n’y est pas encore question d’hommes et de femmes ; mais « attractif » comme la force qui invite les atomes à se combiner entre eux.
D’où dans la mythologie celtique, et conformément au comput luni-solaire qu’est le calendrier de Coligny donc, le fait que les dieu-ou-démons en ce qui la concerne, ont presque tous une parèdre, une compagne ou une épouse ; et vont donc par couples, comme Jéhovah et son Ashera dans la Torah biblique par exemple. L’Univers s’est construit sur l’opposition de forces qui se sont équilibrées réciproquement : âme et matière, feu et eau, masculin et féminin, soleil et lune…
Les choses sont des assemblages de forces contraires, et le monde est un mélange qui doit sans cesse être remué pour qu’elles y apparaissent. Est-ce dû au fait que les Celtes étaient des rhéteurs redoutables et cultivant plus que quiconque l’art de bien parler ? Toujours est-il qu’une de leurs façons de penser était l’oxymore, c’est-à-dire la possibilité de lier ou de coupler des contraires. Exemple le Gwenn ha Du (drapeau breton), le clair-obscur (de l’italien chiaro oscuro) ou aigre-doux, etc.
En linguistique, l’oxymore est une figure de style où deux mots désignant des réalités contradictoires, ou fortement contrastées, sont néanmoins associés par la syntaxe. En exprimant ce qui est inconcevable, le poète crée ainsi une nouvelle réalité qui suscite un effet de surprise.
Si certains oxymores ont été imaginés pour attirer l’attention du lecteur ou de l’auditeur, d’autres ont été mis au point par les druides pour créer une catégorie verbale décrivant une réalité difficile à concevoir.
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Cet adiantu (mot celtique signifiant désir) est une force fondamentale issue du chaudron ou chaos primitif ; qui domine le monde avant même l’apparition des dieu-ou-démons et des hommes ; et qui, en assurant l’union et la complémentarité des parties dissemblables, permet à l’univers de prendre forme.
Son pouvoir de cohésion s’étend à tout ce qui peut exister : aux dieu-ou-démons, aux humains, aux animaux, aux plantes, aux roches, etc. En cela, il est assez proche des forces physiques qui régissent le cosmos, et n’a pas de représentation anthropomorphique.
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DOCUMENT DE TRAVAIL N° 1
LA VOIE DES NAMNÈTES.
(La plus ancienne des lois de la nature).
L’essence même divine est une chose, son activité concrète et quotidienne en est une autre. La personnalisation du concept abstrait passe très souvent par l’attribution d’un genre. Masculin féminin ou neutre. On peut ainsi parler de deux états complémentaires, sexuellement opposés, mais tous deux nécessaires à l’apparition du mouvement ou de l’énergie. Or, donner un caractère sexué au Principe d’animation de la matière par l’âme, c’est déjà anthropomorphiser, donc donner un caractère terrestre permettant le culte.
Les dagolitoi ou fidèles de ce genre de culte conçoivent donc la divinité comme polarisée en deux aspects, masculin et féminin. Le Bitos ou Cosmos y est perçu comme le déploiement de l’énergie masculine de l’âme (l’esprit) dans la matière et le culte consiste à utiliser cette puissance. Ce type de druidiaction (cette voie druidique) vise à l’unification des polarités sur tous les plans et dans tous les domaines. Il s’agit ainsi, dans les rites, de réaliser, d’éprouver ou de ressentir, les vérités abstraites, métaphysiques et cosmologiques : l’acteur met en jeu ces concepts pour les réaliser dans le plan physique. Il faut réunir les deux pôles, l’âme et la matière qui demeurent indissolublement unis dans le Tout Englobant Universel.
Pour Jung l’existence de ce « tout autre » n’est pas définie comme étant le Dieu transcendant, car il échappe à toute saisie. Le « tout autre » dont les hommes ont le sentiment de dépendre c’est ce qu’Émile Durkheim a mis en évidence dans son célèbre essai de 1912 intitulé « les formes élémentaires de la vie religieuse » à savoir les éléments basiques de la religion que notre ami Jung a repris sous le nom de « numineux » tout en l’associant à sa notion d’archétypes (les dieux ?).
« Pour pouvoir rechercher quelle est la religion la plus primitive et la plus simple que nous fasse connaître l’observation, il nous faut tout d’abord définir ce qu’il convient d’entendre par une religion ; sans quoi, nous nous exposerions soit à appeler religion un système d’idées et de pratiques qui n’aurait rien de religieux [comme l’Islam], soit à passer à côté de faits religieux sans en apercevoir la véritable nature……
Ces définitions écartées, mettons-nous nous-même en face du problème. Remarquons tout d’abord que, dans toutes ces formules, c’est la nature de la religion dans son ensemble que l’on essaie d’exprimer directement. On procède comme si la religion formait une sorte d’entité indivisible, alors qu’elle est un tout formé de parties ; c’est un système plus ou moins complexe de mythes, de dogmes, de rites, de cérémonies. Or un tout ne peut être défini que par rapport aux parties qui le forment. Il est donc plus méthodique de chercher à caractériser les phénomènes élémentaires dont toute religion résulte, avant le système produit par leur union. Cette méthode s’impose d’autant plus qu’il existe des phénomènes religieux qui ne ressortissent à aucune religion déterminée. Tels sont ceux qui constituent la matière du folklore. Ce sont, en général, des débris de religions disparues, des survivances inorganisées ; mais il en est aussi qui se sont formés spontanément sous l’influence de causes locales [????]
Toutes les croyances religieuses connues, qu’elles soient simples ou complexes, présentent un même caractère commun : elles supposent une classification des choses, réelles ou idéales, que se représentent les hommes, en deux classes, en deux genres opposés, désignés généralement par deux termes distincts que traduisent assez bien les mots de profane et de sacré. La division du monde en deux domaines comprenant., l’un tout ce qui est sacré., l’autre tout ce qui est profane, tel est le trait distinctif de la pensée religieuse ».
S’il est légitime de privilégier l’un de ces deux pôles, il ne faut jamais aller jusqu’à ignorer l’autre, qui a toujours sa place dans le Grand tout. Dans sa conception la plus élevée, ce type de druidisme transcende, lui aussi, les oppositions superficielles entre contemplation et action, repos et mouvement, ascèse et jouissance.
Il existe des rites et des pratiques qui visent à réaliser concrètement cette unification par l’accomplissement codifié de l’acte sexuel (car bien sûr dans le paganisme celtique ou en matière de druiderie aucune connotation de péché ne pèse sur la sexualité).
Strabon, Géographie, Livre IV, Chapitre IV. 6. « Il y a une petite île, pas très loin en pleine mer, située au large de l’embouchure de la Loire, et que cette île est habitée par des femmes Namnètes [en grec Samnitôn]. Elles sont possédées par l’esprit de Dionysos et se rendent ce dieu propice en l’apaisant
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par de mystérieuses initiations aussi bien que par d’autres cérémonies sacrées ; aucun homme ne met le pied sur cette île, bien que ces femmes la quittent parfois en se servant d’un bateau. Elles ont alors des relations avec des hommes, et ensuite y retournent de nouveau ».
Paraphrase de Denys le Périégète.
« À proximité se trouve une autre trainée d’ilots, en ce lieu les femmes des nobles Amnites qui demeurent en face célèbrent avec des transports d’enthousiasme les fêtes en l’honneur de Bacchus couronnées de grappes de lierre aux feuilles noires et le bruit de leur tumulte s’élève distinctement dans la nuit.
Sur les bords de la rivière des Absinthes en Thrace les Bistonides invoquent le retentissant Iraphiotès, avec leurs enfants le long du Gange aux sombres tourbillons les Indiens mènent leurs joyeux cortèges en l’honneur du bruyant Dionysos : Mais c’est avec beaucoup plus d’ardeur que les femmes en ce lieu crient « Évohé ! »
L’union sexuelle, qui transcende les corps physiques pour rappeler l’union primordiale de l’âme/esprit dans la matière, est symbolisée par le foudre de Taran/Toran/Tuireann. Voir aussi à ce sujet l’épisode, plus anecdotique il est vrai, de l’adultère de la femme de Partholon.
Cet aspect de notre druiderie, bien que rare, a fortement marqué les Grecs et les Latins, notamment Strabon. Il a donné lieu à de multiples spéculations, dues à l’imagination fertile des hommes dès qu’il est question de mystère et de secret.
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LE QUATRIÈME DES ÉONS DE LA PIMPETIA ORIGINELLE : BIUITONA la vie.
Tout ce que nous savons vraiment sur la vie, c’est qu’elle existe et se manifeste en tant qu’énergie. Nous savons que l’énergie ne peut être ni créée ni détruite, seulement transformée. La science n’a pas dévoilé suffisamment ses mystères pour être en mesure de nous dire ce qu’elle est. Les savants ne peuvent même pas s’accorder pour savoir si des entités comme les virus, qui se multiplient et mutent, sont vivants ou non.
Tout ce que nous savons vraiment sur la vie, c’est qu’elle a commencé un jour et qu’elle se poursuit. La vie de la Terre, la vie sur Terre, a débuté il y a des milliards d’années. Tout ce que nous observons de vivant est la continuation de la vie qui se multiplie et se divise en permanence dans de nouvelles expressions. Par exemple, quand un spermatozoïde vivant s’unit avec un ovule vivant, ils cessent tous deux d’exister en tant qu’entités indépendantes. Ils deviennent un zygote ; une nouvelle expression de la continuation de la vie. Ce n’est pas une nouvelle vie, c’est une fusion et une continuation de la vie, qui existait dans le spermatozoïde et dans l’ovule ; qui existait dans les organismes qui ont produit ces gamètes ; et ainsi de suite, depuis des milliards d’années.
La Terre est vivante. Nous, les êtres qui sommes nés d’Elle et marchons sur Elle, sommes une part d’Elle et de Sa vie. Nos corps sont composés des mêmes minéraux qui constituent Son corps. De même, notre esprit et notre âme sont une part de Son esprit et de Son âme. La terre est un être vivant total, et nous sommes une part de Son être vivant total, de même que les cellules de nos corps sont des parties vivantes de notre être vivant. Son corps est vivant de la même façon que nos corps le sont. Même les pierres sont vivantes de la même façon que les os de nos corps le sont.
Lorsque nos corps cessent de fonctionner puis commencent à se décomposer, alors c’est que nous sommes morts. La décomposition est le moyen utilisé pour réabsorber les minéraux de nos corps, afin qu’ils puissent être réutilisés par d’autres formes de vie : comme nourriture pour les bactéries, les vers, les insectes, les animaux, les plantes, et ainsi de suite. L’énergie vitale du corps est ainsi « réincarnée » ou transformée en l’énergie vitale d’autres êtres.
N.B. En Europe du Nord les druides semblent avoir personnifié cette terre-mère sous le nom de Nerthus, mais aussi avoir dédoublé cette Nerthus en diverses hypostases toutes de nature féminine (l’image était évidente) : Rose-Martha la terre cultivée (Tailtiu en Irlande), mais aussi des triades, des fées des bois et des forêts, des rivières, etc.
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LE CINQUIÈME ÉLÉMENT DE CETTE PIMPETIA :
LE BRIO OU LA BRIGO DES DIEUX (BRICHT EN GAÉLIQUE).
Autre concept essentiel du druidisme. Le brio ou la brigo (bricht en irlandais) correspond à l’énergie potentielle ou virtuelle que les hindouistes appellent shakti et les philosophes grecs essence. Le brio ou la brigo est la contrepartie « féminine » d’un dieu (sa parèdre), en fait son pouvoir de transformation/création, sans lequel il ne peut agir.
Derrière chaque homme qui réussit, dit-on, il y a une femme. On peut aujourd’hui interpréter de diverses façons cette boutade. L’interprétation la plus courante est celle qui consiste à y voir une évocation du fait que, traditionnellement, dans un couple, c’est la femme, et en premier lieu la femme au foyer, qui se sacrifie le plus, du moins qui fait le plus de sacrifices, en se consacrant à son mari et à ses enfants. D’autres voient dans cette formule une allusion à la part féminine qui peut exister en tout homme.
Le vocable irlandais bricht, briocht, est une formation de nom verbal sur le thème brig – « montrer, manifester », qui se rattache à la racine *bherek – ou *bh(e)regh – « briller, ou éclairer ».
Le terme musicologique italien « brio » (du provençal briu), et désignant le caractère brillant et résolu d’une composition, ou d’une exécution, musicale, est sans doute aussi un lointain écho de cette notion linguistique. Si un homme a du brio, alors cherchez la femme qui est derrière lui et qui s’en occupe, qui se charge de ses problèmes d’intendance, qui le conseille ou qui le pousse. Enfin peut-être.
Quoi qu’il en soit, les druides, apparemment, avaient fait leur cet adage puisqu’une des particularités de la religion des Celtes est le culte rendu à des divinités semblant vivre en couple. C’est là une forme singulièrement développée de l’humanisation du divin…
Il y a des couples purement indigènes : Suqellos et Nantosuelta, Bormo ou Albius et Damona, Bormanus et Bormana, Ucuetis et Bergusia, Cicolluis et Litavis, Telo et Stanna, Luxovius et Bricta…
Comment faut-il expliquer ces couples ? Il n’est absolument pas sûr que ce soient toujours des époux. Comme dans le cas de Jéhovah et de son Ashéra dans la Torah biblique par exemple. Il est plus vraisemblable que les deux divinités soient de même nature, donc relevant du même domaine.
Quoi qu’il en soit, cette parité hommes/femmes n’était sans doute que l’application au monde des dieu-ou-démons, d’un principe philosophique druidique beaucoup plus général, celui de l’attirance ou de la coïncidence des contraires.
La conjonction des contraires (eau/feu, vide/plein, etc.), était, selon les anciens très-sachants de la druidiaction (druidecht), nécessaire à la vie ou au mouvement. Et ceci, sans aucun manichéisme, puisque, dans leur conception de ce dualisme relatif, il n’était nullement question qu’un des contraires finisse un jour par l’emporter sur l’autre.
La preuve, leur fin du monde à eux, les gnostiques d’Occident appelés druides ne la voyaient pas comme résultant de l’action d’un seul élément, mais comme résultat de l’action conjuguée de deux éléments traditionnellement contraires, le feu et l’eau. « Ils affirment que les âmes et l’univers sont indestructibles, mais qu’un jour seuls le feu et l’eau régneront » (Strabon Géographie IV, 4).
La Nature a ses lois, et ces lois sont donc son destin (son dharma diraient les bouddhistes). Héraclite était d’ailleurs du même avis.
La différenciation en pôles opposés, mais complémentaires, concourant à une œuvre commune, en bref à la vie (feu et eau, âme et matière, masculin et féminin, etc.) du Un atomique originel (du point oghamique éabadh dirait Henri Lizeray, ce qui veut dire en gallois lle bo cydbwys pob gwrth) ; semble donc être la plus ancienne découverte du druidisme. Mais sur le plan moral, encore une fois, répétons-le, cela n’aboutissait en aucune façon à un dualisme absolu (manichéisme). Cela se traduisait par un dualisme relatif et modéré, compatible avec le monisme le plus pur sur le plan philosophique (de la coïncidence des contraires).
L’Awenyddio est une entité unique, un éon ou une hypostase de première génération, suscitant toute existence et animant tous les êtres vivants. Cette âme universelle est de même nature que l’anamone individuelle de chaque être humain. L’Awenyddio, c’est la puissance de l’âme résidant à la fois dans l’infini de l’Univers, et dans la finitude de l’Humanité ; tout en restant inaccessible, elle fait partie intégrante du quotidien : force active, conscience manifestée du Grand Tout elle est présente en toutes choses et en chacun de nous, elle est le lien entre le macrocosme et le microcosme. « Divinis humana licet componere ». « Aux choses divines on peut comparer les choses humaines ». Ausone (églogue sur l’emploi du mot libra). Et c’est là évidemment un système de pensée considéré comme complètement taghout par les monolâtres créationnistes.
Vision très féministe des choses : l’homme ne peut rien sans la femme qui est plus que son repos du guerrier, qui est sa force ou son soutien quotidien, sans lequel il ne serait rien, ou du moins pas grand-
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chose et pas longtemps. Ce qu’avaient bien pressenti à leur façon certains auteurs de l’Antiquité parlant de la femme chez les Celtes.
Ammien Marcellin (Histoires. Livre XV, chapitre XII, 1) : « Une troupe entière d’étrangers ne serait pas capable de tenir tête à un seul de ces hommes s’il appelle sa femme à la rescousse, car elle est généralement très forte quand elle est folle de rage, et spécialement quand, le cou gonflé, les dents serrées, ses énormes bras blanchâtres brandis en avant, elle commence d’asséner des coups, y compris avec les pieds, comme autant de traits envoyés par une catapulte ».
L’existence est empirique et ne permet pas de connaître les êtres : c’est le domaine de l’accidentel et du contingent, du multiple et de l’altérité irréductible. L’apparence apparaît comme le contraire de la réalité.
Or, si une telle explication répond aux questions que peut se poser la métaphysique, elle ne satisfait pas la conscience religieuse qui s’émerveille devant l’harmonie et la beauté de l’ordre universel. L’Homme a donc besoin d’une figure personnalisée à qui adresser ses louanges, son émerveillement et sa reconnaissance.
Afin de répondre à cette exigence, la cosmologie druidique fait appel à deux idées fondamentales : l’Essence (brigo) et l’Existence manifestée (les dieu-ou-démons masculins). D’un être, on peut dire qu’il est (l’âme), ou ce qu’il a. Ce qui nous renvoie aux deux corrélatifs, l’essence ou l’être profond, la brigo, et l’existence ou l’avoir, le pôle masculin.
La Brigo est le concept druidique qui désigne la réalité persistante d’un être à travers les modifications de ses accidents représentés par le dieu-ou-démon de type masculin. La synthèse druidique a par conséquent pourvu chaque dieu-ou-démon d’une figure féminine qui symbolise l’essence ou la puissance virtuelle de ce dieu-ou-démon.
Cet aspect féminin, cette énergie créatrice c’est la Brigo, la forme (conceptuelle) qui permet à l’être de se manifester, de se matérialiser.
Même si c’est généralement l’aspect masculin qui est au centre des mythes relatifs à la cosmogonie druidique, il en existe qui semblent « oublier » le rôle du père qui engendre, au seul profit de la mère. La Brigo est en quelque sorte la grande déesse-ou-démone de l’énergie omniprésente, qui donne la vie et le mouvement. La Brigo est en quelque sorte la Mère Divine qui enfante le monde ; et toutes les déesse-ou-démones, ou fées, sont des filles de cette Brigo.
La Brigo, l’énergie cosmique, l’énergie créatrice, réside à la fois dans l’infini de l’univers et dans la finitude de l’Humanité ; tout en restant inaccessible, elle fait partie intégrante du quotidien : force active, conscience manifestée, Nature Primordiale, elle est présente en toutes choses et en chacune de nous, elle est le lien entre le macrocosme et le microcosme. Nous l’avons déjà dit, mais il importe de le répéter (repetere = ars docendi).
Les épouses des dieu-ou-démons du panth-éon ou plérôme druidique, sont des personnifications de cette Énergie primordiale représentée dans ses différents pouvoirs.
La différence entre un Dieu ou le Démiurge et sa brigo est la même qu’entre un feu et son pouvoir de brûler, un mot et sa faculté de donner du sens. L’union des dieu-ou-démons mâles (mise en œuvre, extériorisation) et de cette Brigo universelle et multiforme (l’essence, l’énergie potentielle ou virtuelle) est le fondement de la vie de notre univers. Dans le druidisme antique, la caractéristique du binôme Brigo et dieu-ou-démons masculins est d’être une dualité s’épousant pour ne former qu’une seule entité, l’être conscient de lui-même. Cette entité possède deux modalités complémentaires.
Ce qui caractérise la Brigo, c’est en effet d’une part le mouvement d’intériorisation, afin d’accéder à la connaissance la plus intime, la plus sensible des êtres, à la prise en compte de tout le potentiel contenu dans l’ombre. D’autre part un mouvement d’extériorisation pour signer sa présence et faire valoir sa personne, pour resplendir et s’illuminer, pour manifester sa nature dans la lumière, dans la connaissance de soi en tant qu’objet. C’est la divinité masculine qui se charge de ce rôle.
Quand le binôme Brigo/dieu, donne dans l’introversion, c’est pour manifester à sa propre mémoire ce qu’il est (le verbe Être) à savoir un Étant, doué de modalités. Quand il donne dans l’extraversion, c’est pour manifester à ses propres yeux tout ce qu’il possède (le verbe avoir), c’est-à-dire un Étant, doué de puissance, le Dieu ou le Démiurge. Le reflet de ces deux tendances (l’Être et l’Avoir, la brigo et le dieu-ou-démon) se retrouve dans les couples divins celtiques que l’on connaît.
Pour mieux comprendre de quoi il s’agit, revenons sur la façon dont le druidisme conçoit la vie du monde.
L’univers tel que nous le percevons s’inscrit à la fois dans l’espace et dans le temps. Or, dans la conception du monde druidique, le temps n’est pas conçu de façon linéaire comme dans la pensée judéo-islamo-chrétienne, mais de façon cyclique. On peut ainsi distinguer deux phases qui se succèdent alternativement : un temps de venue à l’être et un temps de destruction. Lorsque la venue
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à l’être se matérialise, l’univers se déploie dans toute sa majesté à partir d’une masse de matière et d’énergie (Brigo) qui n’est autre que le reste d’un univers précédent. À la fin des temps, lorsque la roue du destin suprême a fait un tour complet, l’univers se résorbe peu à peu ; en concentrant tous ses éléments dans un nouveau reste, qui à son tour servira de base à la procréation d’un autre univers ; et ainsi de suite. Dans ce mouvement cyclique à deux temps, l’univers, bien qu’il change de forme, perdure. Il n’y a ni véritable commencement ni fin absolue ; la création, tout comme la destruction, est relative, et d’un point de vue supérieur, il n’y a ni création ni anéantissement. On rejoint ici Héraclite.
Le culte de la Mère Divine.
La Brigo joue un rôle tout à fait central dans les mythes de création de l’univers. Tantôt primordial, tantôt secondaire, son rôle est indispensable : elle permet le passage de l’essence à l’être, de l’être à l’avoir, du concept à la matérialisation.
Dans certains mythes en effet, la puissance originelle est plutôt appelée Brigo que Pariollon ; utilisant ainsi un vocabulaire féminin et non neutre, et par voie de conséquence, rendant possible l’assimilation de cette puissance à une déesse-ou-démone, ou à une fée si l’on préfère ce terme, et non à un dieu-ou-démon. Ce culte fait écho à la maternité de la matière/énergie, la Mère universelle dont tous les êtres et tous les phénomènes matériels sont les enfants. Cette vision de la Brigo fait référence aux mythes fondateurs dans lesquels la Brigo est vue comme la partie véritablement essentielle et indispensable, primordiale, la seule entité réellement digne de culte, parce que c’est elle qui engendre le monde.
Si la Brigo incarne l’énergie maternelle, tendre, protectrice et aimante de la Mère divine, elle en incarne également l’aspect inverse. Car la Brigo est une totalité, une plénitude possédant elle-même à ce titre, des polarités qui, si elles semblent s’opposer, sont en réalité tout à fait complémentaires. Elle possède donc une face sombre mystérieuse et terrifiante qu’il nous faut reconnaître et accepter, voire aimer au même titre que ses aspects lumineux : la Morrigani sous son aspect Catubodua ou Sheela na gig.
En effet, puisque tout ce qui naît doit mourir, et que la Brigo symbolise la matière/énergie créatrice, l’impulsion qui permet à la vie de se manifester ; il est logique que son rôle soit également associé, de près ou de loin, à la cessation de cette manifestation, à la mort. La Brigo prend alors la forme d’une déesse-ou-démone cruelle, sanglante et sans merci : la Morrigani, ou la Catubodua (dont l’animal est la corneille… ou le corbeau). Bien qu’effrayant, nous avons pu constater que cet aspect demeure très présent dans les légendes irlandaises. Ces aspects de l’énergie féminine, qui peuvent paraître monstrueux pour des non avertis, sont pour les très-sachants appelés druides matière à symboles salvateurs, dépourvus de toute agressivité personnelle. On ne peut en effet dissocier les aspects maternels, doux et lumineux, de la Brigo, de ses aspects plus redoutables. La matière/énergie créatrice est tout à la fois la vie et la mort, et l’Homme doit apprendre à l’honorer ou l’aimer dans ces deux cas.
Tous les grands mystiques celtes insistent sur le fait qu’on ne peut finalement connaître la Brigo qu’en en faisant l’expérience… Or, si la Brigo a bien des manières de se manifester en ce monde, elle en est la seule maîtresse : sa caractéristique est de déborder l’individu qui s’est enfermé dans des repères mentaux, pour le surprendre là où il ne s’y attend pas. Le temps de la Brigo ne peut se réduire à des événements plus ou moins extraordinaires comme des visions, des extases. Il conduit à bien plus : l’émergence d’un nouvel état de conscience, comme si l’on voyait le monde pour la toute première fois. Il est très difficile de parler de l’état de fusion des âmes individuelles avec la Brigo, car il s’agit d’une expérience qui va bien au-delà des mots et des concepts descriptifs que peut fournir une personne. Parler de la Brigo dans ces conditions, sans en avoir fait l’expérience, est comme parler d’un choc électrique à des personnes… qui ne connaissent pas l’électricité… Dans cet état, l’observateur objectif ne peut que constater les choses, sans pouvoir ni vouloir les qualifier. « La merveilleuse effervescence de la matière/énergie universelle ne doit être troublée par aucune évaluation, par aucun préjugé ».
La Brigo est vénérée sous des formes paisibles tout comme dans des visions plus destructrices ou effrayantes… Car les aspects de la Brigo sont complémentaires : elle englobe toutes les réalités et toutes les abstractions. À la fois puissance et conscience, force et sens qui oriente cette force, elle est une médiatrice, un relais entre le corps et l’âme, entre l’homme et le divin. L’âme ne peut régir le corps qu’avec l’assistance de la Brigo qui l’habite ».
Dans cette médiation entre l’Homme et ce qui le transcende, on peut distinguer trois manières d’être par lesquelles la Brigo se manifeste selon les plans.
— Universelle : la brigo cosmique, qui anime et qui dirige les forces et les processus du monde phénoménal. Dans son aspect externe, elle se manifeste alors dans la Nature de toute chose. La
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Brigo primordiale qui se tient au-dessus des mondes et sert de trait d’union entre l’homme et le mystère non manifesté de l’Être supérieur. Au niveau cosmique la Brigo c’est l’énergie, ce qui fait bouger les choses dans la nature.
— Individuelle : dans le gnosticisme, cette essence est rattachée à l’âme/esprit, que possèdent psychiques et pneumatiques.
— Transcendante ou immanente : dans ce monde d’ignorance et de brutes, le monde de la vie et du corps, la Brigo nous soutient et nous conduit à travers l’obscurité vers notre but. Subjectivement, au niveau microcosmique, la Brigo c’est l’énergie en nous, sous son double aspect : activité, mais aussi souffrances.
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La réunion de cette tétrade et de cette pimpetia ou groupe de cinq, manifestant par degrés successifs et descendants, l’Être supérieur, constitue la partie la plus élevée de l’Albiobitos, dite Ennéade. Seul cet hypermonde a été organisé par des entités assez indépendantes pour être libres (ce qui n’est pas le cas de notre monde à nous).
On appelle ennéade l’association de ces neuf entités divines représentant les forces nécessaires à la formation du monde organisé qui a jailli des flots du chaudron primordial ayant précédé l’existence de ce premier monde.
Le druidisme représente de façon symbolique chacune des grandes énergies causales et immanentes ou transcendantes à l’œuvre dans notre univers. Toutes ces énergies (conçues dès lors tels des dieu-ou-démons) sont aussi des aspects divers d’une substance universelle.
Pour Zoroastre les éons affectés à cet univers étaient une heptade représentant Ahoura-Mazda, le « Seigneur Sagesse ». Chacun de ses sept éons avait une fonction bien définie dans la mécanique divine. En dessous de cette heptade d’éons se déployait toute une hiérarchie de dieu-ou-démons, voire d’anges, aux missions positives ou négatives bien réparties. Même chose chez les sabéens de Carrhes (Carrhae aujourd’hui Harran). Mais pourquoi une heptade de dieu-ou-démons et pas neuf comme dans le petit catéchisme ci-dessous. À nos lecteurs de voir.
En résumé, nous avons donc à la naissance de ce premier monde supérieur les hypostases (vyouha dans l’hindouisme) ou les éons, suivants, une grande ennéade formée par…
1 Le Tokad.
2 Le Pariollon ou chaudron cosmique (Parinirvana dans le bouddhisme).
3 L’Awenyddio ou réservoir animique universel.
4 La Matrona ou matière (représentée par la Grande déesse-ou-démone mère cosmique).
Cette première « tétrade » constitue le préalable à toute vie.
5 Saitlo (le temps).
6 L’Ago ou Neto (la guerre des contraires).
7 L’Adiantu (l’oxymore).
8 La Biuitona (la vie).
9 Le Brio ou la Brigo (l’énergie invisible).
L’ennéade est l’ensemble formé par ces éons qui ont jailli des flots glacés de l’océan primordial précédant l’existence du monde tel que nous le connaissons. Ces neuf divinités de l’Albiobitos ne sont pas préexistantes, mais elles ne sont pas créées non plus. L’Être supérieur les anime ou leur donne vie par le verbe ou la parole (labarum *). Inclus initialement dans ce non-monde, informe et désincarné, ces éons ou divinités de l’Albiobitos sont la personnification des éléments du chaudron ou chaos cosmique qui a précédé l’organisation de notre monde. Ces neuf éons ou hypostases (qui se trouvent en haut de la hiérarchie spirituelle : vyouha dans l’hindouisme) peuvent faire l’objet d’un culte de latrie (c’est-à-dire qu’ils peuvent être adorés) ; les entités divines situées en dessous ne devant être qu’objets d’une certaine hyperdulie (être honorées).
N.B. La dulie n’est qu’une simple vénération comme dans le culte des saints chrétien, de Mahomet ou des marabouts musulmans.
* Le labarum est donc en quelque sorte le messager du Destin. Pas simple tout ça !
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AUTRES ÉONS DE L’ALBIOBITOS.
Par rapport à Lug, Neto, Neith, Neit est un peu ce qu’est, en Grèce, Ouranos à Zeus. Il n’apparaît pas en dehors des listes ou des mentions généalogiques (le mythe irlandais des origines s’est cristallisé autour du nom des dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu-bia). Mais son antériorité, qui est celle du chaos-chaudron originel, explique que ce dieu-ou-démon, lumineux par définition, soit aussi guerrier.
Les généalogies sans valeur ou très embrouillées (quelque peu analogues à celles de Jésus dans Matthieu et Luc), fournies par Seathrún Céitinn (Geoffrey Keating), le Livre des conquêtes de l’Irlande (Lebor Gabala Erenn) et quelques notations extraites du manuscrit de la bataille de la plaine aux tumulus (Cath Maige Tuireadh) nous disent à propos de ce dieu-ou-démon de la guerre, qu’il était fils d’Andedeiwos, fils d’Ollodeiwos, fils de Tatos. Autrement dit fils d’Indui fils d’Alldui fils de Tat : mac Indui/maic Alldui/maic Thait.
— Indui. Le premier terme, in, est un préfixe intensif signifiant quelque chose comme grand ou supérieur. Dui est un terme issu du brittonique (ivernien selon O’Rahilly) deiwos = dieu-ou-démon. En gaélique on aurait eu dia. Voir vieux celtique andedeiwos.
— Alldui. Le premier terme, all, oll, exprime la notion de totalité. Alldui est donc la divinité dans sa totalité. Dui est aussi un terme issu du brittonique (ivernien selon O’Rahilly) deiwos = dieu-ou-démon.
— Tat. Tat (en gaélique on aurait eu atir. Il s’agit d’un terme brittonique, ivernien selon O’Rahilly) qui signifie « papa ». Voir vieux celtique tatos. Tat est donc une déité primordiale analogue au Pro-père des gnostiques orientaux. Elle doit par conséquent être un synonyme d’éon primordial.
L’homme et le monde ne surgissent pas de façon absurde et sans explication du néant, ex nihilo disent les chrétiens (afin d’y retourner un jour ?), car ils sont porteurs de sens. Les généalogies divines, assez embrouillées il est vrai, ainsi que nous avons pu le voir, du Livre des Conquêtes irlandais, sont la déformation d’une explication détaillée, par les très-sachants de la druidiaction (druidecht), primordiaux ; du processus cosmique ayant abouti à l’apparition de la vie telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Prenons le cas de la suite généalogique irlandaise Ogma fils d’Elatha fils de Delbaeth fils de Neth.
Les Elatha et Delbaeth de nos manuscrits font problème. Delbaeth (vieux celtique Deluato) est un qualificatif souvent associé à Taran/Toran/Tuireann. Mais il s’agit, soit de personnages différents portant le même nom, soit de traditions différentes concernant les mêmes personnages.
Quant à Neth, ainsi que nous l’avons vu ci-dessus, il s’agit d’une entité considérée comme un simple dieu-ou-démon de la guerre ; ancêtre des enfants de la Déesse-ou-démone, ou fée, Dana ou Danu (bia) et des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Fomore dans l’hérésie (déviation par rapport au druidisme de référence) irlandaise.
Ce fragment de généalogie signifie peut-être simplement à l’origine : Guerre et Magie (Ogmios) sont issues du pouvoir scientifique et technique (Elatio), né de la forme indifférenciée (Deluato), elle-même issue de l’explosion des contraires. Ou, en sens inverse : Neth (dont le nom signifie confrontation des contraires) donne naissance à Deluato (la forme indifférenciée) ; qui donne naissance à Elatio le savoir-faire (très exactement l’art, la capacité, le savoir ou la technique) ; qui donne naissance ensuite à Ogmios le dieu-ou-démon de la guerre et de la magie, et ainsi de suite.
Cette explication en vaut une autre ! (Le plus troublant dans l’affaire, c’est que delbaeth ou deluato est une épithète souvent associée à Taran/Toran/Tuireann.)
Ce raisonnement de type généalogique (anthropomorphique certes, mais de façon nettement moins poussée que dans le christianisme) était en effet courant chez les très-sachants appelés druides.
Rien ne le prouve mieux que cette réponse du jeune Nede à son aîné Ferchertne, dans le dialogue des deux sages.
Poésie fille de réflexion
Réflexion fille de méditation
Méditation fille de Connaissance
Connaissance fille d’enquête
Enquête fille d’Étude
Étude fille de Grande Science
Grande Science fille de Grande Intelligence
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Grande Intelligence fille de Compréhension
Compréhension fille de Sagesse
Sagesse fille des dieux de Dana.
Il serait aussi enfantin [ce qu’ont pourtant fait les Irlandais devenus chrétiens. N.D.L.R.] de prendre tout cela au pied de la lettre, que de méconnaître la pensée profonde qui s’exprime sous ces fantaisies.
Tout homme un tant soit peu cultivé (comme le célèbre philosophe rencontré par Lucien de Samosate dans les environs de Massilia par exemple) sait ce qui est arrivé à Ouranos et à Kronos (émasculation et ensuite exil).
Ce qu’il faut penser des dieu-ou-démons irlandais comme Ceno/Cian (le lointain. Voir la relégation de Kronos par Zeus) Neth, Delbaeth, et ainsi de suite, EST ENCORE PLUS RADICAL.
Ces dieu-ou-démons ne sont pas de vrais dieu-ou-démons, ce ne sont que des instants ou des étapes du processus de procréation du monde actuel.
Contrairement à ce qu’ont fini par écrire les Irlandais devenus chrétiens, les vrais dieu-ou-démons, au sens strict du terme, commencent aux niveaux en dessous.
De toute façon, les généalogies de ces dieu-ou-démons, complexes et souvent contradictoires, sont uniquement un moyen de les expliquer, de telle sorte que le fait de leur naissance soit concevable par l’intelligence humaine. Nous renvoyons, pour comparaison, à l’explication que l’on propose souvent des Aditya védiques. Avec, en outre, le rappel de la situation paradoxale de la Vierge Marie, mère de celui qui l’a faite, dans le christianisme.
Après la christianisation, ces images ou ces comparaisons, mises au point pour rendre compte de façon très philosophique, du processus de développement cosmique ayant donné naissance au monde actuel, ont été victimes de deux phénomènes très différents, mais tous les deux redoutables.
1) Elles ont été prises au pied de la lettre, et l’anthropomorphisme grossier inhérent à la sous-culture chrétienne a évhémérisé tous azimuts ces allégories cosmogoniques de haut niveau (les Irlandais du Moyen-âge en ont fait des dieu-ou-démons ou des hommes).
2) Elles ont perdu leur cohérence originelle à force d’être copiées et recopiées, et ont été situées à des niveaux ontologiques erronés.
Il est donc vain de vouloir les reconstituer dans le détail ! Ce qui nous en reste dans les manuscrits est beaucoup trop incohérent ! Ce qui précède (la séquence généalogique : Ogmios fils d’Elatio fils de Deluato = Taranis, fils de Neto) n’est par exemple qu’une hypothèse de travail, et en aucune façon une certitude.
Tout ce que l’on peut faire donc, c’est au moins essayer d’en retrouver l’esprit, afin de le restituer aux hommes d’aujourd’hui.
1. L’univers tout entier oscille entre deux pôles opposés. Les êtres et les phénomènes qui se reproduisent dans l’univers sont des agrégats multiples et complexes de ces manifestations contraires.
2. Les êtres et les phénomènes sont des équilibres dynamiques divers ; rien n’est stable ni fini dans l’univers, tout est en mouvement incessant, parce que la polarisation, la source des êtres, est sans commencement ni fin.
3. Les pôles opposés s’attirent l’un l’autre.
4. Rien n’est totalement d’un pôle, tout est agrégat des deux en proportion variable.
5. Rien n’est neutre. La polarisation est incessante et universelle.
6. La force d’attraction entre deux êtres est fonction de la différence entre leurs charges d’actions opposées (oxymore).
7. La répulsion entre deux êtres de même charge est d’autant plus grande qu’ils sont plus proches (Neto).
8. Les contraires engendrent leurs contraires. La vie vient de la mort, le jour vient de la nuit.
« Les Celtes affirment qu’ils descendent de Dis Pater, et disent que cette tradition leur vient des druides. Pour cette raison ils établissent les divisions de chaque saison, non en jours, mais en nuits ;
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et ils calculent les anniversaires ainsi que les commencements de mois ou d’année en suivant un ordre tel que le jour y suit la nuit » (César. B.G. Livre VI, XVIII).
À noter enfin ! Les gnostiques d’Orient ne connaissaient à ce niveau que les couples, ou syzygies dans la gnose d’origine iranienne (chaque dieu-ou-démon a sa parèdre) ; et ces couples de dieu-ou-démons et de déesse-ou-démones, ou fées, primordiales, constituent, l’Albio-bitos (plérôme à tort chez saint Irénée).
Sans ignorer la chose, les gnostiques d’Occident, ou druides, eux, qui étaient de meilleurs astronomes, connaissaient aussi la syzygie à trois ou triade. Car en astronomie, une syzygie (du grec suzugia, réunion, puis bas latin syzygia) est une situation où trois corps sont alignés. Ce terme est généralement utilisé pour le Soleil, la Terre et la Lune ou une planète. Par exemple, les éclipses de lune ou de soleil sont des syzygies ; mais on parle aussi de syzygie pour désigner les nouvelles et pleines lunes, lorsque le Soleil et la Lune sont en conjonction et en opposition, bien qu’ils ne soient pas parfaitement alignés avec la Terre.
Ainsi que nous pouvons le voir, l’observation de la nature a joué un grand rôle dans l’élaboration des premiers concepts théologiques druidiques. Une autre des caractéristiques de la pensée druidique est en effet sa tendance, non à dédoubler, mais à carrément détripler les choses. Sur le Continent, cette façon de voir est illustrée par le nombre impressionnant de corps à trois têtes que l’on a retrouvés ici et là. Les personnages de ces triades ne sont pas fixés pour ce qui est des détails, et la composition varie constamment ; le dieu-ou-démon tricéphale lui-même qui apparaît sous un certain aspect sur un monument, est figuré d’une façon différente dans une autre localité.
Les monuments à trois visages présentent tantôt trois faces complètes autour d’un même bloc, tantôt une face centrale à laquelle sont juxtaposées deux moitiés de faces, chacun des deux yeux centraux faisant paire avec un autre œil situé sur le côté. Ce qui est le cas du monument retrouvé à Reims par exemple.
Les monuments à trois têtes se subdivisent en deux séries. La première figure une divinité à trois visages partant d’un même cou et la seconde une divinité dont la tête centrale est figurée avec deux plus petites têtes collées à la hauteur des oreilles, à niveau égal ou différent.
Il ne semble pas qu’il y ait de différence entre les représentations dans leur conception mythique, tout au plus une approche différente dans l’exécution du monument.
Il est impossible de dire si la figure tricéphale représente une même divinité ou si plusieurs dieu-ou-démons différents se cachent sous une même représentation, car la figure est tantôt imberbe, tantôt barbue.
Ces éléments que nous venons de survoler permettent de croire ; que ce soit au travers des représentations figurées ou au travers des textes irlandais ; à l’existence, chez les très-sachants de la druidiaction (druidecht), d’une conception suivant laquelle un même être divin pouvait unir en sa propre personne trois entités différentes. Cas par exemple des trois fils de Tuireann (Brian, Iuchar et Iucharba) dits aussi les trois dieu-ou-démons de Dana.
Pour la petite histoire, rappelons que le dieu-ou-démon tricéphale se retrouve aussi dans l’Inde védique, ainsi que dans l’art chrétien. La collégiale Notre-Dame-en-Vaux, à Châlons-sur-Marne, possède une des plus belles figures tricéphales, sur le mur intérieur de la chapelle nord, près du chœur. Pour la voir il faut, après avoir longé le déambulatoire, prendre un petit passage privé de lumière et, avant de déboucher sur la chapelle, lever la tête vers la droite. Le visage triple est là, quatre yeux, trois nez, trois bouches. La cathédrale de Bayeux, en Normandie, possède, elle aussi, une très belle représentation tricéphale visible par tous, pour peu qu’on lève les yeux vers le triforium.
Le dieu-ou-démon tricéphale lui-même semble une représentation réduite de la triade. Mais que dire lorsque l’on voit sur les monuments figurés le tricéphale encadré de deux autres dieu-ou-démons ? On ne peut plus parler ici de triade, car la triplicité n’est plus respectée. Bref, c’est du chirk, du chirk tous azimuts…
Ce que nous venons d’exposer de la philosophie des druides y laisse encore beaucoup d’obscurité. Comment apprécier la juste valeur de leurs métaphores ? Comment interpréter leurs symboles ? Comment suivre le fil de leurs abstractions ? Comment exalter notre imagination au point d’atteindre à la leur ?
Contentons-nous donc du peu que nous en savons, et jugeons sainement de ce que nous avons, pour ne pas regretter ce qui nous manque.
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NOTE SUR LA DYADE ÉLÉMENTAIRE EAU/FEU SURGIE DU NÉANT (conçu en tant que non-existence et non en tant que vide ou rien).
Strabon, Géographie IV, 4 : « Ils affirment, et d’autres avec eux, que les âmes, et que l’univers, sont indestructibles, mais qu’un jour le feu et l’eau régneront ».
Rappel préliminaire.
Pour les gnostiques d’Occident appelés druides, il existe un « Être-Un », supérieur, totalement immanent-transcendant, ineffable, au-delà du langage. L’être, ou l’existence, est un attribut, et le Un se trouve au-delà de ces attributs, puisqu’il est à leur source. Le Un n’est pas « n’importe quel existant » ni la somme de ceux-là, mais précède tous les existants.
Du Un a émané le reste de l’univers en tant que séquence d’êtres inférieurs. Si certaines Écoles druidiques ont pu voir à partir de là des centaines d’êtres intermédiaires comme émanations situées entre le Un et l’Humanité, la doctrine d’autres Écoles, elle, est beaucoup plus simple au départ.
Tout ce que l’on appelle improprement la Création, le Macrocosme comme le Microcosme, « le Grand Univers » et « le Petit Univers », résulte de l’action des Éléments. Tout Élément recèle deux polarités, l’une de nature active et l’autre de nature passive. La polarité positive est toujours constructive, créatrice et productive ; la polarité négative est, au contraire, déstructurante et destructrice. Il faut donc perpétuellement tenir compte de ces deux propriétés fondamentales. Certaines religions apparemment ont d’ailleurs attribué à la polarité positive le bien ou l’âme et à la polarité négative le mal ou la matière. En vérité, le bien et le mal, comme les humains les conçoivent, n’existent pas. Dans l’Univers, il n’y a pas de bonnes ni de mauvaises choses, car tout a été procréé selon des Lois immuables, celles de la Tocade ou Destin. L’Univers est semblable au rouage d’une horloge dont les parties sont interdépendantes. En celles-ci se reflète la parole ou voix Divine (Labaron) et c’est seulement donc en les connaissant que nous pouvons nous approcher de Dieu ou du Démiurge. Mais même la notion de « Divinité », cette dernière étant conçue comme étant un Être sublime, implique une vision fragmentée de ce qu’elle est en réalité.
Tout comme le bouddhisme et le brahmanisme, certains très-sachants de la druidiaction (druidecht), antiques, affirmaient en effet l’éternité ou l’indestructibilité des matières élémentaires, le feu et l’eau (symboles sans doute de l’âme et de la matière) ; sans intervention de la volonté et de la puissance d’un dieu-ou-démon créateur personnel en même temps amour justice et ainsi de suite… Parmi tous les couples d’opposés possibles, la syzygie feu et eau semble avoir particulièrement retenu l’attention des gnostiques d’Occident. Les anciens très-sachants de la druidiaction (druidecht) paraissent en effet avoir distingué cette dyade (Feu/Eau) des autres éons ou hypostases (vyouha dans l’hindouisme) évoqués ci-dessus.
Sans doute parce que, pour eux, ces deux hypostases de l’Être des êtres faisaient déjà partie du monde d’en dessous, le monde des hommes. La citation de Strabon à ce sujet de toute façon est ambiguë. « Les âmes et l’univers sont indestructibles, mais un jour seuls le feu et l’eau régneront » (Géographie IV, 4. Idée taghout par excellence pour nos frères musulmans évidemment !)
Pour certains druides donc, le monde intelligible ou perceptible n’était formé que des deux hypostases ou substances suivantes.
Le Feu (Aedos). Chez les Celtes en effet, les druides croyaient que tout feu particulier (c’est-à-dire ayant une forme unique conditionnée par son support) n’était que la manifestation d’un feu primordial. Celui dont parle la fameuse remarque de Strabon : « Les âmes et l’univers sont indestructibles, mais un jour seuls le feu et l’eau régneront » (Géographie IV, 4). Quand un feu donné s’éteint, par exemple celui des trinouxtion Samoni (os), il n’est donc pas détruit, mais retourne à un état non manifesté. Le feu ne se manifeste pas seulement sur notre plan matériel, mais dans tout ce qui fut suscité. Les propriétés fondamentales du Feu sont la Chaleur et l’Expansion. Le Feu est à l’évidence l’origine de la Lumière. C’est pourquoi, au commencement du monde, le Feu et la Lumière furent parmi les premiers à venir à l’existence. Le Feu est actif et latent dans tout ce qui a été (pro) créé.
Du Feu, à l’instar de l’eau, réside dans tout l’Univers, aussi bien le plus petit grain de sable que l’immensité visible, mais infiniment lointaine ; et l’un ne pourrait subsister sans l’autre, son contraire. Ces deux Éléments, le Feu et l’Eau sont les Énergies fondamentales créatrices de toute chose. Par
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conséquent, dans tous les cas qui se présentent à nous, nous devons toujours considérer ces deux Éléments et leur manifestation respective, ainsi que leurs polarités internes et opposées.
L’eau. L’élément primordial associé à la matière est en général l’eau. Voilà pourquoi on a jadis prétendu que la terre ferme flottait sur de l’eau. La conception des gnostiques d’Occident appelés druides : une terre flottant, comme un disque, sur l’eau ; et un univers sphérique (cruinne *) rempli de matière originelle, c’est-à-dire envisagée comme une masse liquide, s’accorde avec la notion d’eau primordiale, divisée en deux masses séparées : des eaux supérieures d’où viennent les pluies, et des eaux inférieures sur lesquelles flotte la terre ferme, ainsi qu’une île gigantesque.
Les très-sachants de l’ancien druidisme ont été amenés à partager cette idée, parce qu’ils avaient observé que l’humide est l’aliment de tous les êtres vivants, et que la chaleur elle-même vient de l’humide, ou en vit (l’activité microbiologique dégage de la chaleur lorsqu’elle se produit dans un endroit isolé, comme dans un amas de compost). Or, ce dont viennent les choses est leur principe. C’est donc de là que les gnostiques d’Occident tirèrent cette doctrine, et aussi du fait que les germes des plantes ou des végétaux sont par nature humides. Telle était d’ailleurs aussi l’idée des Égyptiens (Noun) et des Babyloniens.
N.B. La raison de cette préférence pour l’eau provient par conséquent de l’importance de celle-ci dans la croissance et la nutrition des choses vivantes.
*Cruinne. Cruind. Crudnios. Le terme évoque la notion de rondeur ou de sphère, mais il est difficile de dire s’il faut le traduire vraiment par « globe terrestre ». Le sens de « globe » prêté à ce mot (pluriel cruinnean) dans l’expression « tous les musiciens du cruinne » n’est peut-être qu’une interprétation du Xe siècle ; date du manuscrit portant ce mot.
Il ne faut pas demander une parfaite logique à la cosmogonie celtique, ni sans doute à aucune cosmogonie.
Une cosmogonie beaucoup plus vraisemblable nous est en effet fournie par ce que les bardes médiévaux irlandais racontaient à propos des trois vagues d’Ochain et des boucliers. Pour répondre à la question que se posait à ce sujet le père Edmond Hogan en 1892, indiquons qu’à notre avis ceci est une lointaine réminiscence de l’antique conception druidique selon laquelle la terre était analogue à un bouclier bombé flottant sur un océan primordial : les trois ou neuf vagues (d’où l’image du serpent géant cornu à tête de bélier enserrant la terre de ses anneaux). Ce qui affecte les vagues (le serpent à tête de bélier) affecte la terre (le bouclier bombé). Ensuite par glissement de sens « affecte tous les boucliers ulates ». Image sans doute utilisée pour suggérer un cataclysme extraordinaire.
On objectera peut-être aussi que ce qui est certain, c’est que pour Dicuil en tout cas la terre était ronde ainsi que l’atteste le titre même du livre de Dicuil consacré à ce sujet vers 825 : De mensura orbis terrae.
Peut-être ! Mais ne serait-ce pas un peu trop beau pour être vrai ? Il est vrai que la découverte de la machine d’Anticythère en 1900 montre bien que certains milieux païens de l’Antiquité étaient arrivés à un degré de connaissance stupéfiant avant que ne s’abattent sur l’Occident les ténèbres du christianisme médiéval.
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DE LA LUMIÈRE DE L’ALBIOBITOS (plérôme sous la plume de saint Irénée) AUX TÉNÈBRES DU NON-MONDE (Mediomagos et Andumnon).
RAPPEL.
Dans un espace dont on ne peut dire s’il est fini ou infini, de la première intelligence procède l’être, le monde manifesté, sur lequel rayonne la Première émanation, puis les diverses hypostases se propagent de proche en proche au travers de la multiplication desdites émanations ; et plus elles descendent, plus elles s’affaiblissent, d’où divers mondes emboîtés ou étagés. La même idée a été d’ailleurs reprise par le grand penseur musulman il est vrai quelque peu hérétique, Sohraouardi. Sohraouardi interprète le dualisme mazdéen en termes d’être et de non-être, de positivité ou de négativité. Il connaît parfaitement la cosmologie mazdéenne, répartissant le monde de l’être en menok, ou état subtil, et getik, ou état matériel, manifesté. Il connaît nommément les éons zoroastriens, et c’est en termes d’angélologie zoroastrienne qu’il donne son interprétation des Idées platoniciennes. Pour Sohraouardi donc, il y avait dix hypostases, une de plus que dans la grande ennéade druidique. La dixième, la plus basse de la hiérarchie, ne constituant pas une sphère particulière, mais un ensemble, les âmes humaines selon Sohraouardi.
L’Albiobitos ou partie supérieure du plérôme sous la plume de saint Irénée se trouve au sommet de cette manifestation et les êtres, tous les êtres, constituant cette Manifestation, sont liés intrinsèquement, du Principe des principes ou plus exactement de l’Être supérieur à la matière inanimée.
Cette notion de degré ou de niveau de manifestation de l’Être supérieur (descente de sa lumière) aboutit évidemment à toute une hiérarchisation des êtres. La clé de voûte du système si l’on peut dire, restant le Principe des Principes, inconnaissable, indicible, ineffable (voir plus haut).
Les premiers des êtres procédant de ce principe primordial (les premières puissances) sont ses émanations. Le Mal n’existe pas en elles, par définition. Ce qui existe ce sont des zones continuant à échapper à cette explosion de lumière, des zones restées opaques. Le Mal, c’est cette force de résistance ou d’occultation (toute provisoire d’ailleurs) de la lumière. Il est intéressant de rappeler ici que, dans la théosophie zervanite de l’ancien Iran, les Ténèbres (Ahriman) sont issues d’un doute éclos dans la pensée de Zervân, la divinité supérieure. Mais bien que le monde matériel soit au plus bas de cette « émanation », les très-sachants de la druidiaction (druidecht) n’acceptent pas le dédain professé par les judéo-islamo-chrétiens ou gnostiques pour la matière. Ils font remarquer qu’elle est aussi de nature divine, puisqu’émanant de l’Âme du monde.
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COMPARAISON AVEC LES COSMOGONIES DE TYPE CRÉATIONNISTE.
La première cosmogonie que nous évoquerons sera celle des Indiens mayas Quichés.
Ci-dessous l’origine de l’antique histoire du pays appelé Quiché.
Nous écrirons et nous commencerons ici l’histoire de jadis, l’origine et le commencement de tout ce qui fut accompli dans la cité des Quichés ; dans les tribus du peuple quiché.
Tout était en suspens, tout était plongé dans le calme absolu, dans le silence ; tout était immobile, vide était l’étendue du ciel. Voilà ce que nous dit le premier compte-rendu, le premier récit.
Il n’y avait encore ni homme, ni animal, ni oiseau, ni poissons, ni crabes, ni arbres, ni pierres, ni grottes, ni ravins, ni herbe, ni forêts ; il n’y avait que le ciel. La surface de la Terre n’était pas encore apparue. Il y avait seulement la mer unie et l’immense étendue du ciel.
Il n’y avait encore rien d’assemblé, rien qui puisse faire du bruit, rien qui puisse se mouvoir, ou bouger, ou puisse faire du bruit dans le ciel.
Il n’y avait rien qui se tienne debout ; il n’y avait que l’eau immobile, la mer unie, sans rien, sans mouvement. Rien n’existait. Il n’y avait que l’immobilité et le silence dans les ténèbres, dans la nuit.
Seuls le Créateur, le démiurge, Tepeu Gucumatz, les grands ancêtres, se tenaient sur l’eau environnés de lumière. Ils étaient couverts de plumes vertes et bleues, et c’est donc pourquoi on les appelait Gucumatz. De par leur nature même c’étaient de grands sages et de grands penseurs.
C’est ainsi que le ciel exista tout comme le Cœur des cieux, car tel était le nom de ce dieu puisque c’est ainsi qu’il fut appelé.
Ensuite il y eut le son d’une parole. Tepeu et Gucumatz étaient ensemble au cœur de l’obscurité, de la nuit, et se parlaient.
Ils tinrent conseil, discutèrent et délibérèrent ; ils se mirent d’accord et harmonisèrent leurs paroles et leurs pensées. Il devint alors clair que quand l’aube apparaîtrait l’homme devrait apparaître lui aussi.
Ensuite ils réfléchirent à la création, à la croissance des arbres et des fourrés ainsi qu’à la naissance de la vie ou à la création de l’homme. Cela fut accompli dans les ténèbres et dans la nuit par le Cœur des cieux appelé Hourakan (Ouragan).
Le premier signe d’Hourakan s’appelle Caculhá Huracán, le tonnerre de Hourakan. Le deuxième signe est ChipiCaculhá, l’éclair. Le troisième est Raxa-Caculhá, la foudre. Ces trois-là ensemble forment le cœur des cieux.
Ensuite vinrent Tepeu et Gucumatz ; ils tinrent conseil à propos de la vie et de la lumière, ce qu’il fallait faire afin qu’apparaissent la vie et la lumière, et qui devrait leur fournir de la nourriture ainsi que de quoi se sustenter.
Qu’il en soit fait ainsi ! (dirent-ils). Que le vide se remplisse ! Que l’eau se retire et laisse un espace vide, que la terre y apparaisse et devienne ferme ; qu’il en soit fait ainsi ! Qu’il y ait la lumière et que l’aube se lève dans le ciel ainsi que sur la terre ! Mais il n’y aura ni gloire ni grandeur dans notre création et dans notre mise en forme tant que nous n’aurons pas fabriqué ou formé l’être humain. C’est ainsi qu’ils parlèrent.
Alors la terre fut créée par eux. Et ce fut ainsi en vérité qu’ils créèrent la terre. Que la terre soit ! dirent-ils, et il en fut ainsi instantanément. Comme de la brume comme des nuées ou comme un nuage de poussière était la création quand les montagnes surgirent de la mer ; mais aussitôt ces montagnes s’élevèrent dans le ciel…
Ensuite ils firent les petits animaux sauvages, les gardiens des bois, les esprits des montagnes, les cerfs, les oiseaux, les pumas, les jaguars, les serpents, les vipères, les gardiens des fourrés.
Ils assignèrent après cela des demeures aux grands et petits oiseaux [en leur disant] : « Vous vivrez dans les arbres. C’est là que vous nicherez ; c’est là que vous vous multiplierez ; c’est là que vous croîtrez, dans les branches des arbres. Ils parlèrent ainsi aux oiseaux comme aux cerfs ; ils accomplirent sur le champ leur devoir et tous se mirent en quête de leurs demeures et de leurs nids.
La création des animaux à quatre pieds ainsi que des oiseaux étant terminée, le Créateur le Démiurge et les Grands Ancêtres leur dirent : « Et maintenant, parlez, pleurez, gazouillez, appelez, parlez tous
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selon votre espèce, selon votre genre ». Tel est ce qui fut dit aux cerfs aux oiseaux aux pumas aux jaguars ainsi qu’aux serpents. « Invoquez maintenant nos noms, récitez nos louanges, honorez votre mère et votre père. Invoquez aussi Hourakan, Chipi-Caculhá, Raxa-Caculhá, le Cœur des Cieux, Le Cœur de la terre, le Créateur, le Démiurge, les grands ancêtres ; parlez, invoquez-nous, rendez-vous un culte ». Tel est ce qui leur fut demandé.
Mais ils ne purent réussir à les faire parler comme des hommes ; ils ne purent que siffler crier ou caqueter ; ils furent incapables d’articuler le moindre mot, mais chacun cria de façon différente.
Quand le Créateur et le démiurge virent qu’il était impossible à ces créatures de parler, ils se dirent : « Il leur est impossible d’articuler nos noms, les noms qui sont les nôtres, nous leurs créateurs et leurs fabricants. Ça ne va pas ». Tel est ce que se dirent entre eux les grands ancêtres.
Pour cette raison il y eut donc de la part du Créateur du Démiurge et des Grands ancêtres, un autre essai de création des hommes.
« Essayons encore une fois ! L’aube approche : fabriquons celui qui nous nourrira et nous sustentera ! Que devons-nous faire pour être invoqués, afin de ne pas être oubliés sur terre ? Nous avons déjà essayé avec nos premières créations, nos premières créatures ; mais nous n’avons pas réussi à obtenir qu’elles chantent nos louanges et nous vénèrent. Essayons donc encore une fois de fabriquer des êtres vivants qui soient obéissants et respectueux envers nous, qui nous nourriront et nous entretiendront ». Tel est ce qu’ils se dirent entre eux.
Il y eut alors la création et la fabrication de l’Homme. Ils firent la chair [de l’homme] avec de la terre et de la boue.
La ressemblance avec la Bible s’arrête là, car pour le Popol Vuh ce premier essai se révélera totalement infructueux.
Une seconde tentative sera effectuée à partir de bois, mais ces hommes de bois se révélèrent frivoles, vaniteux et paresseux. Les Dieu-ou-démons les firent donc tous périr au moyen d’un premier déluge.
À la fin, une ultime tentative leur permit de façonner les hommes à partir de maïs, l’espèce humaine trouvant là sa substance définitive. Mais ils craignirent, en voyant les pouvoirs qu’ils avaient conférés à ces nouvelles créatures, que les humains cherchent à les supplanter. C’est pourquoi ils décidèrent de restreindre leur sens, et de limiter leur vue et leur intelligence.
Ces huit premiers hommes seront à l’origine de toute l’espèce humaine, qui va ensuite se diviser puis perdre la capacité de parler un seul et même langage, dans un épisode similaire à celui de la Tour de Babel.
Il est évident, vu les conditions ayant présidé à la mise par écrit de cet ouvrage, que des rapprochements ont été opérés avec la création du monde selon la Bible.
« Au commencement Dieu 1) ou le Démiurge créa le ciel et la terre. La terre était informe et vide et les ténèbres à la surface de l’abîme. L’esprit de Dieu 1) ou du Démiurge planait à la surface des eaux. Dieu 1) ou le Démiurge dit, que la lumière soit, etc. »
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COMMENTAIRE (CONTRE-LAI).
Une telle conception de la naissance du monde, dangereuse, malgré sa grande force poétique (souffle de Dieu = vaisseau spatial extraterrestre) conduit à un dualisme redoutable entre âme et matière.
Le Dieu, ou Démiurge, ou Diable, des juifs, des chrétiens, et des musulmans, est celui de l’Ancien Testament vivant sur une montagne (le Sinaï). Il est le fabricant de tout l’univers et de toutes les créatures. C’est un dieu-ou-démon jaloux, vengeur et sanguinaire, ainsi que l’ont très bien vu les gnostiques d’Orient. Dit autrement, ce n’est pas un Dieu bon et tout puissant, omniscient, qui ne serait qu’amour, mais un démiurge ayant joué aux apprentis sorciers.
Et pour ce qui est des Celtes maintenant, que trouve-t-on dans leurs archives ?
— Rien, ou alors un folklore très dégradé (Gurgunt = Gargantua, Mélusine, etc.) sur le Continent (la romanisation est passée par là !)
— Seulement des traces en Irlande (la christianisation est passée par là !)
L’idée générale demeure bien, là aussi, d’attribuer nombre des noms de lieux ou des caractéristiques géographiques locales à des entités visiblement non humaines, ou surhumaines, à tout le moins fabuleuses, en des temps très reculés ; le plus souvent d’ailleurs en recourant pour ceci à force jeux de mots, pris au premier degré, donc n’ayant aucune valeur scientifique pour ce qui est de l’étymologie.
Il existe donc de nombreuses légendes attribuant tel ou tel lac, telle ou telle plaine (cultivée) à l’action d’entités surhumaines légendaires disparues depuis longtemps. Mais ces explications, et c’est là une différence fondamentale avec les cosmogonies qui précèdent, ne sont pas regroupées en un ou plusieurs textes. Elles sont disséminées sur une infinité d’acteurs, qui plus est répartis en plusieurs vagues successives d’occupation des terres, dont tous ne sont pas des dieux ou des démons d’ailleurs, même si leur caractère fabuleux ou légendaire n’en est pas moins patent.
En fait tout se passe comme si les très-sachants de la druidiaction (druidecht), eux, avaient opté en faveur d’une autre conception cosmogonique, plus subtile.
Le druidisme de la Haute Époque nous offre l’exemple unique d’un dieu-ou-démon supérieur, le Pariollon ou Grand tout (Parinirvana pour les bouddhistes), devenu substance de l’univers ; en qui les autres dieu-ou-démons, tout comme les âmes des hommes, doivent un jour s’absorber.
Ainsi que nous avons pu le voir, le Grand Tout dit Pariollon par les très-sachants de la druidiaction, Parinirvana par les bouddhistes, est l’objet de toutes les pensées et aussi de toutes les aspirations des gnostiques d’Occident appelés druides.
« Ils discutent et transmettent à la jeunesse beaucoup d’éléments concernant les étoiles et leurs mouvements, l’étendue de ce monde et de notre terre, la nature des choses, le pouvoir et la majesté des dieux immortels » (César. B.G. Livre VI. Chapitre XIV).
« Les druides, mais aussi tous les autres, disent que les âmes humaines [psychas en grec], ainsi que l’univers, sont indestructibles, mais qu’un jour le feu et l’eau prévaudront sur eux » (Strabon. Livre IV. Chapitre IV).
L’Être supérieur que les druides d’alors conçoivent est à la fois un et triple, il est unité, mais aussi âme, matière, et même esprit. Âme et matière ne sont pas deux dieu-ou-démons au sens habituel du terme ; ce ne sont pas non plus de simples attributs, mais deux hypostases (vyouha dans l’hindouisme) d’un même Étant, supérieur. Cette dyade correspond aussi partiellement aux trois aspects fondamentaux que sont dans l’hindouisme la procréation de l’univers (matériel) par l’âme, son maintien, et sa dissolution (la matière étant double et ayant aussi un aspect destructeur : la Catubodua ou Sheela na gig).
Pour certaines Écoles druidiques, tout l’Univers manifesté procède des interactions entre l’Âme universelle et la Matière. Dieu ou le Démiurge n’a pas sa place dans cette approche dualiste relative, mais le réservoir animique universel appelé Awenyddio et la Matière Primordiale, antérieure à la procréation de ce monde. L’awentia ou awenyddia joue un rôle tout à fait central dans ce système de pensée. Tantôt primordial, tantôt secondaire, son rôle est indispensable : il permet le passage du concept à la matérialisation, du Créateur à sa Création.
L’âme universelle y est perçue comme l’énergie cosmique concrète de tous les jours, seule garante effective de la conservation et de l’harmonie universelles. C’est cette énergie qui anime et préside à la mise en ordre de l’univers.
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Elle contient tout ce qui est latent, mais non encore exprimé. C’est là la base de la Manifestation. Âme et Matière sont donc deux entités irréductibles et cette École druidique ne se pose pas la question du pourquoi de cette dualité. Cette École de pensée voit la naissance du Monde à partir de l’interaction entre les deux sous l’action d’agents de différentiation qualifiante, assimilables à des éons et qui ne sont perçus que par leurs qualités. Le déploiement de la Manifestation se poursuit alors par différentes étapes que décrit cette École, mais leur énumération sortirait du cadre de ce très bref aperçu sur le druidisme.
Ce système diffère complètement de celui qui est appelé Sâmkhya aux Indes. Car l’évolution, pour l’Inde, n’est pas un passage du Tout à une partie, mais le passage de quelque chose de relativement moins différencié, à quelque chose de plus différencié, c’est-à-dire plus grossier. Du pourousha à la prakriti par le truchement des gunas.
Le sâmkhya est une doctrine évolutionniste. Son but est de montrer comment l’on est passé de l’indifférencié au différencié, de l’incohérent au cohérent, du chaos-chaudron cosmique au cosmos, du fin au grossier, du subtil au matériel. Sa théorie, ainsi que nous l’avons vu, repose sur deux concepts fondamentaux : le Pourousha et la Prakriti. Le Pourousha est l’esprit (passif, il observe et jouit du monde). La Prakriti est la nature, le monde matériel (actif, en perpétuel mouvement et changement, il agit a priori pour le Purusha).
Ce système diffère aussi complètement de celui qui est appelé Jaïnisme aux Indes. Le Jaïnisme enseigne que la réalité s’avère composée de deux principes éternels, jîva et ajîva. Le jîva est constitué d’un nombre infini d’entités spirituelles ou âmes ; l’ajîva (c’est-à-dire, « non-jîva » ou poudgala) désigne la matière sous toutes ses formes : kâla (le temps), âkâsa (l’espace), dharma (le principe du mouvement) et adharma (le principe du repos).
Et c’est là évidemment un système de pensée considéré comme complètement taghout par les monolâtres créationnistes.
1) La terminaison en im d’Élohim, qui en hébreu s’applique généralement à un nom pluriel, a été sujette à de nombreuses interprétations. Les théologiens judéo-chrétiens considèrent, dans la théologie « traditionnelle » (pour utiliser cet euphémisme), qu’il s’agit d’un pluriel de majesté (pluralis majestatis) ou pluriel d’excellence (pluralis excellentiæ), plutôt que d’un pluriel numérique. Mais cette notion est ignorée de la grammaire hébraïque tant biblique que moderne.
Comme ni le grec ni le latin n’utilisent de pluriel de majesté pour les noms seuls, les traductions de la Septante puis la Vulgate rendent par un singulier le texte original au pluriel.
Genèse, 1,1 : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre ».
Mais cette pluralité se retrouve en plusieurs endroits :
Genèse, 1, 26 : « Les Élohim dirent : Faisons l’homme à notre image, à notre ressemblance… »
Genèse, 3, 22 : « Les Élohim dirent : Voici que l’homme est devenu comme l’un de nous… »
De nombreuses théories ont été avancées pour expliquer ce pluriel. La théologie judéo-chrétienne « traditionnelle », toujours pour utiliser cet euphémisme, affirme qu’il ne peut grammaticalement pas venir de El (forme singulière du mot traduit par « Dieu ») ou de Eloah (forme utilisée en composition, à morphologie grammaticale féminine). Elle affirme que cette forme, Élohim, serait donc le pluriel d’un nom qui n’existe pas au singulier (en dépit de l’usage attesté de ces singuliers dans la Bible même).
Et quand ce sont les dieux païens qui sont désignés, Élohim renvoie bien à un pluriel numérique : « dieux » (exemple Exode 20, 3).
Certains auteurs et nouveaux mouvements religieux voient dans le pluriel du terme Élohim le signe de la pluralité du divin ou du moins de la pluralité de ses formes et en concluent à l’existence d’êtres portant en eux une part de ce divin, souvent nommés les « êtres de lumière ».
Élohim est le nom donné aux extraterrestres que Claude Vorilhon (dit Raël) affirme avoir rencontrés en 1973 ou 1975, et qui sont à la base des préceptes du Mouvement qu’il a créé. D’après lui, Élohim
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se traduirait par « ceux qui sont venus du ciel » et désignerait, dans la Bible, les extraterrestres avec qui les Hébreux seraient entrés en contact dès l’Antiquité. Selon cette croyance, c’est grâce à une technologie ultra-développée que les Élohim auraient conçu l’Humanité en laboratoire.
Toutes ces polémiques, à vrai dire, intéressent assez peu les druides que nous sommes, et nous les laissons bien volontiers aux gens d’un seul livre. Pour faire partie des Fénianes, il faut en avoir lu au moins douze.
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COSMOGONIE DRUIDIQUE II
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AU-DELÀ DU PARIOLLON ET MÊME DU BITOS.
Sur une stèle découverte en Belgique, et conservée au musée luxembourgeois, dans la partie supérieure, dans un fronton triangulaire entre deux masques de personnages barbus représentant les vents (donc les espaces célestes), figure une louve dévorant un petit personnage. L’animal est en effet disproportionné par rapport au corps de sa victime. Du côté opposé, il y a des feuilles imbriquées. Sur la face latérale gauche, figure un lion accroupi, tourné vers la droite. La pierre est brisée du côté droit. Au-dessus de chaque face, d’autres feuilles imbriquées forment une toiture. Sur les monuments funéraires, la louve symbolise généralement l’animal nourricier ou protecteur. Mais l’animal est mortel en même temps que nourricier. Il donne la vie et peut la reprendre. L’artisan belge, bien que travaillant à l’écart de tout modèle iconographique adéquat, a réussi à exprimer, à l’aide d’éléments disparates, et non sans une certaine gaucherie, le double symbolisme de la Terre ; à la fois dévoreuse et dispensatrice, à la fois tombeau et génitrice du genre humain. Tout en absorbant l’être qui a vécu, elle porte des mamelles gonflées de lait pour ceux qui vont naître.
La célèbre « Tarasque » (sic) de Noves (actuellement au musée d’Avignon en France) est peut-être aussi évidemment une représentation de ce loup cosmique appelé Volcos ou Blidios.
Cette sculpture, que l’on attribue à la Tène II, représente un énorme carnassier androphage, tenant à la fois du loup… mais aussi du lion. L’animal, assis sur l’arrière-train, dévore sa victime dont subsiste le bras. On notera les traits frappants : gueule à dents surdimensionnées, sexe dressé en signe de vie, du rouge pour souligner l’expression. Ses pattes de devant sont appuyées sur deux têtes barbues aux yeux fermés, donc sans doute des morts. Quelques détails, entre autres le torque, témoignent de l’adaptation aux conceptions celtiques relatives au cycle de la vie et de la mort. Le message eschatologique paraît clair. Si le trépas est inexorable, le sexe très apparent est symbole de renouveau et de résurrection : synthèse, en somme, du cycle éternel de la vie et de la mort.
Cette sculpture, ornement aristocratique, « ostentatoire » d’un monument funéraire disparu, n’est que l’une des interprétations d’un même thème général : celui du fauve carnassier, symbole de mort. Elle combine en fait deux variantes que l’on trouve ailleurs traitées séparément. L’animal est représenté soit en train d’engloutir un être humain, soit, le plus souvent, imposant sur des têtes coupées, mais aussi masquées, en signe de domination, les griffes de ses pattes antérieures. Voir le lion des Baux-de-Provence, conservé au même musée, représenté dans la même posture que le monument de Noves. On peut voir dans les musées d’Avignon et d’Arles en Provence d’autres représentations analogues, plus ou moins fragmentaires, qui toutes renvoient, semble-t-il, au début de l’époque romaine.
Cette statue montre combien les Celtes étaient hantés par le sentiment de la puissance irrémédiable de l’au-delà. De ce sentiment, ils ont donné ici une expression tout à la fois fantastique et horrible : tête plate du monstre, avec la gueule largement ouverte et garnie de dents triangulaires, têtes de mort barbues aux yeux clos. La technique particulière de la crinière, dont les touffes de poils ont été séparées en masses délimitées par des courbes, les lignes profondément incisées qui sillonnent les flancs et les pattes de l’animal, et qui évoquent les os et les tendons ; sont autant de traits de stylisation caractéristiques de l’art animalier.
Le monstre androphage trouvé en 1969 à Vienne-en-Val est mutilé, il y manque surtout la victime. Il combine les caractères d’un chien : encolure massive, oreilles courtes dressées, mais aussi ceux d’un félin : pattes griffues, longue queue (disparue). Il porte au cou le torque caractéristique des Celtes (ce qui lui confère un caractère divin).
De petits bronzes provenant d’Angleterre (Oxford) et de Charente-Maritime attribuent le même rôle à des loups.
Il s’agit peut-être aussi tout simplement d’allégories de la Mort, mais d’une mort régénératrice d’autres vies. L’idée générale est que la Terre ; symbolisée par un animal, fauve réel ou fantastique, mais de caractère chtonien, en qui se résorbe toute vie accomplie ; est en même temps porteuse et nourricière d’une vie nouvelle.
À la question : « Pourquoi y a-t-il quelque chose au lieu de rien ? » le druidisme répond ce qui suit.
Le NÉANT est la seule nécessité absolue, la seule chose qui se justifie d’elle-même.
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On appelle « nécessité du néant » le fait que seul le néant se justifie de lui-même, et qu’il est le seul à n’avoir besoin d’aucune cause pour être.
La caractéristique de la conception druidique du néant est donc qu’elle est nettement plus positive que celle des éléates grecs. Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, le néant pour les druides ce n’est pas le vide absolu et total de tout comme pour Parménide, mais plutôt un infini de virtualités, un infini de virtualités, PAS ENCORE PARVENUES AU STADE DE L’ÊTRE, PAS ENCORE EXISTANTES. Au-delà du Pariollon et même du Bitos.
Les gnostiques d’Occident (les druides) l’ont toujours pensé, la cause première éternelle de l’Être ne peut être que le non-Être. À la différence des philosophes grecs, les très-sachants de la druidiaction (druidecht), eux, ne dissertaient point à perte de vue sur le néant. Ils concédaient seulement que la vie ne peut venir que de la mort et que le jour ne peut sortir que de la nuit, faisant donc en cela peut-être, preuve de bien plus de sagesse que Parménide. Les éléates ont eu tort de séparer l’espace du temps alors que l’espace-temps est un continuum. La science moderne, avec sa théorie quantique et la relativité, corrobore plutôt cette notion où la science entière forme un domaine unique.
Assez curieusement donc, le druidisme anticipait sur diverses idées modernes relevant de ce système. Dès la haute époque, on pressent des spéculations sur le principe unique, neutre, qui est à l’origine du monde, et qui rend compte de la pluralité des choses. Ce principe, dégagé de toute contingence mythique et rituelle, fournira aux très-sachants de la druidiaction (druidecht), la notion d’âme universelle (awen en gallois), et/ou d’englobant universel. Ce type de spéculations trouve son apogée dans les légendes qui, sans abolir pour autant la pensée génératrice de mythes des âges plus anciens, s’astreignent à la resserrer de proche en proche ; dans tout un cadre assez complexe d’ailleurs, d’équivalences ou d’identifications entre microcosme et macrocosme. « Divinis humana componere licet », a écrit Ausone (églogue sur l’emploi du mot libra). Aux choses divines on peut comparer les choses humaines.
La cause de toutes nos illusions en ce domaine vient de notre méconnaissance de la nécessité du néant, à laquelle n’est opposable aucune autre nécessité rationnelle (ni « Dieu », ni l’Homme, ni l’Univers, ni l’Être n’apparaissent comme des nécessités logiques).
Cette nécessité du néant se démontre aussi par l’interrogation même constituant le fondement du « i-mi je suis ». Être pose problème, ce qui signifie que l’absence d’être est une solution plus « logique » que l’être. Le fait que seul le néant soit possible dans ce genre de problématique est donc cohérent avec la vérité intemporelle. La notion de néant s’impose.
Le fait de postuler au contraire qu’il peut exister une réalité (Dieu) n’ayant ni cause, ni commencement, ni fin est une position déiste qui s’oppose à toute logique. Les druides eux n’ont jamais postulé qu’il existait une réalité sans cause ou commencement ni fin, mais qu’il existait une réalité…
AYANT EU UN COMMENCEMENT (SORTIE DU NÉANT)…
ET QUI NE CONNAÎTRA PAS DE FIN.
Plus prosaïquement l’important est que l’on admette bien et que l’on intériorise bien l’idée qu’il y a une explication rationnelle à l’origine de l’être et qu’elle permet d’appréhender parfaitement l’univers.
La notion de néant est en effet directement et indissociablement liée à la notion d’existence. Évoquer le néant revient à révoquer l’existence et réciproquement. Le néant est la non-existence, c’est-à-dire le non-être. Il s’agit d’un état d’inexistence.
Il ne faut pas confondre comme le font les éléates grecs le néant et le vide qui sont deux notions complètement différentes. Le néant n’est pas le vide et réciproquement. Les physiciens parlent notamment de l’énergie du vide, que l’on explique par le principe d’incertitude d’Heisenberg. Il est à cet égard intéressant de faire un parallèle avec le concept de vacuité développé dans le Bouddhisme. La notion de néant est indissociable de celle d’existence.
Le néant pour un sujet déterminé c’est le domaine d’inexistence de ce sujet. Il s’agit d’une du néant vu comme un état de non-existence, et non du néant rien ou vide, à la Parménide.
Le néant donc, en tant qu’état de non-existence, est une notion temporelle.
Pour tout sujet, il est possible de définir trois périodes.
L’avant-existence.
L’existence.
L’après-existence.
Les périodes d’avant et d’après-existences représentent le néant du sujet : il n’existait pas, il n’existe plus. L’existence représente la période pendant laquelle le sujet par contre… existe !
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Il est donc possible d’imaginer le néant comme une dimension de non-existence où tout sujet trouve sa place à un instant donné. Chaque sujet vient du néant ; il le quitte lorsqu’il est, puis retourne au néant.
D’après les lois de la physique, un corps humain mort met un certain temps avant de se décomposer entièrement et, de même, la gestation correspond à un certain temps avant l’élaboration complète du nouveau-né. Si l’on s’en tient à la seule existence physique, l’être existe tant qu’il existe encore des traces de la matière qui le composait.
Mais le domaine du non-être physique pour un sujet demeure borné de manière moins large.
L’être humain est réduit à néant un certain temps après sa mort.
L’être humain est sorti du néant après la gestation lors de l’accouchement.
Cette analyse se heurte cependant à une autre notion. Le fait que nos connaissances limitent notre savoir engendre des lacunes, inéluctables. Ce n’est pas parce que l’on croit savoir que quelque chose n’existe pas, que c’est le cas. Peut-être n’est-elle pas encore découverte, peut-être n’existe-t-elle réellement pas, ou qu’elle existe sous une autre forme, ou expression, que celle qui est attendue, voire imaginée. Cela met en valeur l’état subjectivement temporel de la dimension du néant. Rien n’y est stable, fixe, universel et certain. La découverte est l’instant à partir duquel le sujet en question est défini comme existant et donc, a fortiori, tiré du néant. La notion de néant peut par conséquent parfaitement être comparée, par analogie, avec la notion de Dieu, dans le sens où s’il est toujours possible de prouver l’existence de quelque chose, il est fondamentalement impossible de prouver son inexistence.
Cela ne remet pas en doute l’état de non-existence, mais cela met bel et bien en doute la certitude de la non-existence d’un sujet.
Si le sujet existe, alors il est possible de borner les domaines de non-existence antérieure et postérieure pour ce sujet.
Si le sujet n’existe pas, on croit qu’il n’existe pas et il est alors impossible de certifier qu’il appartient à la dimension du néant. La découverte de ce sujet, son existence, seules, permettront de certifier qu’il appartenait au néant et qu’il y appartiendra.
Les choses, quelles qu’elles soient, suivent un éternel cycle, tourbillonnant et se répétant à l’infini. Elles passent ainsi d’un état d’avant existence à un état d’existence puis à un état d’après-existence, qui lui-même passe à un état d’avant existence, et ainsi de suite.
Le caractère de non-être est par conséquent temporel et mouvant, il est cyclique c’est-à-dire que les choses alternent entre la non-existence et l’existence. Dans ce cycle, le caractère dominant est le néant, c’est-à-dire que les choses passent, généralement, plus de temps caractérisées par leur non-existence que par leur existence.
L’existence de toutes choses dépendant de nos sens, la durée de cette existence dépend directement de nos perceptions. Nos connaissances et la perception qu’elles nous procurent, nous permettent de dater, avec des marges d’erreur relativement infimes, l’âge de la Terre, c’est-à-dire sa durée d’existence jusqu’à nos jours. De la même manière, nous savons dater, avec, certes, moins de précision, l’âge de certaines galaxies ou étoiles et, par comparaison avec l’âge de notre planète, nous pouvons, nous rendre compte que notre système solaire est très, très jeune. Cela tend à prouver que le caractère de non-existence est majoritaire dans la durée, ou/et que le caractère d’existence est, lui, minoritaire. Même ce que nous imaginons avoir toujours existé n’est finalement qu’un ersatz d’existence en comparaison avec l’infini du néant.
Le cycle du retour au néant est d’autant plus court que les choses sont simples et pauvres, et d’autant plus long que les choses sont complexes et riches. Ainsi, pour la planète Terre, la durée de son existence est estimée à dix milliards d’années, ce qui, pour nous humains, représente déjà un laps de temps insaisissable. Il est alors effectivement difficile d’imaginer ou de saisir la période de non-existence de notre planète, c’est-à-dire l’éternité moins dix milliards d’années !
Il est impossible de définir un point de départ au cycle du retour au néant. Nous ne savons pas, car nous ne connaissons quasiment rien des origines de l’univers ; et nous ne connaissons quasiment rien non plus de l’univers en lui-même, d’ailleurs. De plus, chaque « quelque chose » est une future autre chose et inversement, chaque chose était auparavant autre chose.
Ce mouvement perpétuel, cet imbroglio dynamique hypercomplexe d’état des choses et cette divisibilité fractale de la dimension du néant font de lui une sorte de zone tampon parallèle à ce qui existe, sans début ni fin, sans taille ni format ; et dans laquelle vont et viennent en permanence une quantité indéfinissable (égale, en fait, au complément de la quantité d’existence), puisque toujours en évolution, de choses.
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Note de la Rédaction : en Inde, ce néant originel est appelé Brahmanaspati. Les textes sacrés de ce pays nous disent qu’il naquit avant l’être et le non-être – sat et asat –, avant l’espace et le firmament, avant la nuit et le jour, alors que les ténèbres recouvraient l’onde indistincte (cf. Rig Véda, X, 72). Il est dit également ineffable ou indicible, celui devant qui les mots reculent et aussi advaïta (non-dualité).
On trouve un concept similaire, quoique très imagé ou beaucoup moins réfléchi (beaucoup moins philosophique) chez les Germains, sous le nom de Ginnungagap. Au début il y avait le Ginnungagap, c’est-à-dire le Vide, le vide béant, avec au sud le monde du feu (Muspellsheim) et au nord celui de l’eau, du froid, et des ténèbres.
On retrouve une telle idée chez les gnostiques d’Orient sous le nom de Bythos. Le Néant (Bythos), s’enveloppant ainsi lui-même, se contemplait avec sa coéternelle épouse, le Un. Le Néant voulut se répandre et avec le Un il donna naissance à l’Être. Note de la rédaction : la problématique indienne apparaît quand même plus séduisante, plus fouillée, plus philosophique.
Pour conclure sur ce point, rappelons encore une fois comment les très-sachants de la druidiaction (druidecht) voyaient la réponse à la question.
César. B. G. Livre VI, 18. « Les Celtes se prétendent issus de Dis Pater [autrement dit du dieu-ou-démon de la mort] : c’est, disent-ils, une tradition des druides. En raison de cette croyance, ils mesurent la durée, non pas d’après le nombre des jours, mais d’après celui des nuits ; les anniversaires de naissance, les débuts de mois et d’années, sont comptés en faisant commencer la journée avec la nuit ».
Que chacun en déduise ce qu’il veut ! Pour nous cette citation de César tend bien à montrer que les très-sachants de la druidiaction (druidecht) n’avaient pas sur la question de l’être et du néant les mêmes vues que le philosophe grec appelé Parménide.
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L’ÊTRE SUPÉRIEUR OU ÊTRE DES ÊTRES OU ÊTRE « UN ».
Le jour où l’être naquit du néant. L’Être et ses propriétés. L’Être conjoint au non-être et l’Être pur qui est l’Être divin. Les grandes catégories de l’Être. L’Être nécessaire. La théorie du Un où le Un-principe est défini comme le sans nom, l’inexprimable et l’indicible impensé radical, origine de tout.
Il importe pour commencer de distinguer l’être de « l’étant ». L’être (es, esti, immi…) correspond à une action, « l’étant » (bitos)est le résultat de ladite action.
Dans un texte très ancien du Rig Veda traitant du véritable monothéisme (du véritable monothéisme et non de la monolâtrie judéo-chrétienne ou musulmane), il est dit qu’à l’origine, « l’Être Dieu » ou le Démiurge Unique et indifférencié contenait toutes choses dans l’indistinction. Le Un était seul et la Manifestation était repliée en lui, le temps dormant dans l’aiu (dans l’éternité). Le monde sensible qui est le nôtre n’est qu’une des manifestations de cet être englobant universel ou Bitos, son épiphanie en quelque sorte. Ce phénomène d’émanations en chaîne est évidemment ce que les musulmans appellent du chirk (de l’arabe shirk, croyance des moushrikoun) tous azimuts. On est très loin dans ce cas en effet, du monothéisme dogmatique et révélé (monolâtrie) professé par les religions d’un seul livre, quel que soit son nom (Testament, Necronomicon, Coran…).
Le terme arabe Taouhid est souvent traduit par « monothéisme », mais c’est une erreur. Le terme arabe et le terme grec ne se recouvrent pas complètement.
Le mot arabe comporte une autre connotation. Il est le nom verbal de la 2e forme de la racine WHD dont le sens fondamental est « être un, unique ».
Le terme monothéisme, lui, vient du grec « monos theos » et signifie simplement « croyance en un seul Dieu-ou-Démiurge ».
Ainsi que nous avons pu le voir, le philosophe grec Parménide a élaboré un type particulier de monisme, le monisme de l’Être. Il postule en effet que dans le monde, il n’y a rien d’autre que l’être et que le non-être ou néant n’existe pas. Pour lui en effet le non-être ne peut pas être puisque par définition il n’est pas. Et de même il ne peut y avoir rien d’autre que l’être, car sinon l’être serait autre que lui-même, ce qui est contradictoire. Par conséquent, il faut reconnaître qu’il n’y a qu’une seule substance et que cette substance est l’être supérieur. Cette réalité, qui est la plus haute au niveau cosmique, n’est que le point ancré sur les indéfinies possibilités du non-être. L’être est donc un point dans l’infini du non-être (ou du supra-cosmique, ou du supra-être ou de l’Abîme des gnostiques d’Orient, vraiment inconditionné) et, inversement, le non-être est un point présent dans tout ce qui est.
Sous le nom de « Bitos », les druides ou gnostiques d’Occident avaient la même position à une nuance près.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir, ils postulaient néanmoins, afin de pousser jusqu’au bout le raisonnement, que l’être ne pouvait qu’être issu (un jour) du néant, au début absolu de tous les temps, mais qu’il n’y retournerait plus. Et cette réalité première et ultime à la fois, consiste en une substance incluant âme et matière en un Tout harmonieux, car le mouvement ontologique qui amène le néant à l’être, donne aussi en même temps le Tout.
Les très-sachants de la druidiaction (druidecht) n’ont jamais été les seuls à penser ainsi.
Le Un : c’est la réalité supérieure, le Dieu-ou-Démiurge par excellence de certaines Écoles druidiques.
On ne peut rien dire du Un (sinon qu’il est Un) et surtout pas qu’il est Bon, Amour, ou Clément et Miséricordieux. Tout au plus peut-on dire ce qu’il n’est pas. Il est pourtant ce qui assure la cohésion de toutes choses. Il est source de tout. Il ne désire rien (car le désir est un manque et il est plénitude), mais tend à engendrer d’autres êtres qui sont ses émanations. L’Être ne peut pas… ne pas se manifester. Et comme, en l’Être supérieur, l’existence même est une nécessité, a donc eu lieu un jour, la naissance du monde.
L’épiphanie de l’être… révèle le non-être, et la théophanie manifeste l’Être-Un-Supérieur. Cet Être pur ne se revêt d’attributs qu’au cours de sa théophanie. Être pur et théophanie sont un peu comme l’eau
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et la glace. Le monde théophanique est en fait un degré du monde de l’Être supérieur. Ce n’est donc pas une illusion, il existe vraiment.
Mais alors, se pose le problème : à partir de quand, après le Super-Être en question, y a-t-il le premier être constitutif ou partie intégrante de la procréation du monde ? Autrement dit à partir de quand y a-t-il mise en liberté de l’être, de l’être affranchi du non-être, affranchi du grand abîme ?
Toute la difficulté consiste à clairement reconnaître et identifier les divers niveaux ontologiques en question. Car cette conception de l’Être supérieur et de son unité, bien sûr, est très étroitement limitée au niveau ontologique. Elle ne concerne que le plan inférieur au Principe des principes.
Et attention, cet acte hors du temps qui met l’être à l’impératif (ison son bissiet) n’est ni ex nihilo ni « à partir de quelque chose ».
La communication plénière du Un, capable de se différencier puis de s’exprimer selon la loi qu’il s’est donnée (le Destin ou Tokad), est appelée aussi l’hénade (du grec hen, un) chez certains philosophes. Opposée à la monade complexe et fermée, l’hénade évoque l’unité comme principe d’une succession.
L’hénade est un terme dérivé des conceptions de Syrianus et de Proclus. Proclus (412-486) est le plus célèbre des philosophes de l’école néoplatonicienne. Presque toutes ses œuvres nous sont parvenues, dont le Commentaire sur le premier livre des Éléments d’Euclide, son chef-d’œuvre. À l’âge de vingt ans, il se rendit dans Athènes pour assister aux cours des philosophes platoniciens, essentiellement Syrianus et Plutarque d’Athènes. Il y étudie Aristote, Platon, et les écrits orphiques. À la mort de ce dernier, il le remplaça (437). Il entreprend alors la plus vaste synthèse philosophique de toute la fin de l’Antiquité grecque. Sa lutte contre le christianisme devenu dominant lui valut l’exil (un an). Néanmoins, Proclus – qui légua ensuite à la postérité une œuvre considérable – exerça une profonde influence, d’abord sur la pensée arabe, souvent teintée de néoplatonisme, ensuite sur le Moyen-âge chrétien, durant la Renaissance, et jusqu’aux temps modernes.
À l’autre bout du monde aryen, et en Perse notamment, ou dans la zone d’influence de l’empire sassanide, de semblables idées avaient cours, et ont même failli (failli seulement) infiltrer l’islam, du moins sa « philosophie ». De la même façon d’ailleurs qu’elles avaient déjà influencé ou pénétré la pensée sémite avec le règne de Cyrus à Babylone, et l’envoi par lui, en Palestine, de juifs en exil dans son empire, afin d’y reconstruire Jérusalem.
Un extrait des Éléments de théologie de Proclus fut très tôt rédigé dans les milieux arabes sous le nom de Livre sur le Bien pur, que Gérard de Crémone traduira en latin au XIIe siècle. Diffusé sous le nom de Liber de causis, les grands maîtres de l’époque – y compris Albert le Grand – le prirent pour un traité d’Aristote. Jusqu’à ce que saint Thomas d’Aquin découvre l’identité doctrinale unissant ce traité à la Stoicheiosis theologiké de Proclus, récemment traduite par Guillaume de Moerbeke.
Les éléments les moins bornés de l’islam, des soufis comme Ibn Arabi et Sayyed Haïdar Amoli, ont donc eu sur le sujet des conceptions très proches de celles du druidisme antique. Ils furent d’ailleurs considérés par beaucoup de musulmans pieux comme des hérétiques.
Du point de vue de la « créature », l’univers est multiple. Or la « Création » est Une. Au regard de l’Essence, l’univers ou Bitos est comme un seul être. Il n’y a de Dieu ou de Démiurge que l’Être. La notion de wahdat al-woujoûd est l’affirmation que la Création est en Dieu ou le Démiurge et que Dieu ou le Démiurge est dans sa création. Cette notion est donc en totale opposition avec le dogme judéo-islamo-chrétien orthodoxe, qui considère que Dieu est trop noble pour être dans sa création, et que celle-ci est trop vile pour être en Dieu.
Ibn Arabi n’a pas employé expressément cette formule. La théorie du Wahdat al-Woujoud (Unicité de l’Être) a été systématisée pour la première fois par son disciple et beau-fils Sadr al-Din al-Qounaoui. Mais il a laissé entendre dans plusieurs textes de son œuvre, notamment le « Foutoûhât » et le « Fousoûs al-Hikam » que « la réalité de l’Être est unique » (Haqiqat al-Woujoûd wâhida). Et que Dieu ou le Démiurge est l’Être au sens absolu, le véritable Être, l’Être nécessaire qui conditionne tous les êtres subordonnés ou contingents, et n’est conditionné par aucun autre. La notion de « Wahdat al-Woujoûd » chez Ibn Arabi est une interprétation emphatique et hyperbolique de l’unicité (taouid). En écrivant que Dieu ou le Démiurge est Unique (Wâhid) et qu’il n’est pas autre chose que l’Être dans son aspect inconditionné, on a voulu, à tort ou à raison, rapprocher cette théorie du panthéisme de Spinoza. Or, la conception de ce dernier s’éloigne sensiblement de celle d’Ibn Arabi dans la mesure où le panthéisme suppose l’unité de Dieu ou du Démiurge et de la Nature (Dieu ou le Démiurge est la Nature). Alors que chez Ibn Arabi, Dieu ou le Démiurge n’est pas connu dans sa Réalité essentielle (Huwa, Allah), mais connu par le biais de ses attributs [divins], multiples et opposés, qui gèrent l’univers de sa naissance à sa déchéance.
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Mais si ces noms divins ou attributs se reflètent dans notre monde, ils ne s’y incorporent pas. La thématique du miroir dans lequel Dieu ou le Démiurge se reflète par l’intermédiaire de ses attributs divins n’est pas le fruit du hasard, elle intervient pour interdire toute assimilation de l’essence divine à la substance de sa procréation. Le Français Henri Corbin parle à ce propos de théo-monisme. On pourrait dire que, contrairement au panthéisme qui naturalise Dieu ou le Démiurge et l’absorbe dans l’immanence, le théo-monisme d’Ibn Arabi divinise la nature tout en préservant la transcendance de Dieu ou du Démiurge et son unicité.
La doctrine de l’unicité de l’Être (Wahdat al-woujoud) d’Ibn Arabi, rappelle que, du point de vue de la réalité, en ce qui concerne l’essence, l’existence n’appartient qu’à Dieu ou au Démiurge, et donc que les natures humaine et divine sont profondément unies. Dieu ou le Démiurge ne faisant qu’un avec la création, la réalité de cette dernière ne peut être que relative. Et procède de la propagation de la lumière divine à travers des enveloppes plus ou moins opaques, à l’image des ondes circulaires produites par la chute d’un objet dans l’eau. La similitude de Dieu ou du Démiurge et des créatures s’explique par le fait que ces créatures sont les reflets de sa lumière. L’homme ordinaire ne perçoit de l’univers que sa multiplicité, tandis que le saint, le soufi, le perçoit dans son unicité, en étant devenu lui-même Un.
Même s’il est indéniable que son œuvre constitue ainsi une somme d’une importance considérable, on a tort de croire que le soufisme antérieur devait aboutir à lui, et qu’après lui il n’eut plus de raison d’être. C’est encore une fois l’histoire de l’arbre qui cache la forêt. Mais cela n’empêche pas qu’Ibn Arabi reste une des plus importantes figures du soufisme, et le principal représentant de la voie de « l’unicité de l’être » (wahdat al-woujoûd).
On doit par contre au non moins célèbre Haïdar, la notion de « Taouid ontologique ». Inspiré de la métaphysique d’Ibn Arabi, le Taouid ontologique s’énonce ainsi : « Laysa fî l’woujoûd siwâ Llah » ; « Il n’y a dans l’être que Dieu ». C’est la thèse des théosophes mystiques de l’islam, qui fonde l’Unité/Unicité (Taouid) dans l’être (divin), établissant ainsi l’équation : l’Un = l’Être. Elle a toujours été combattue par les musulmans orthodoxes (sunnites) qui en font évidemment du panthéisme pur et dur, et par conséquent une variété de koufr (bien entendu). cf. Cheikh Muhammad ibn Rabi’Ibn Hadi Al-Madkhali : « La réalité du soufisme à la lumière du Coran et de la Sunna ».
Il s’agit dans la pensée d’Haïdar Amoli de donner un fondement ontologique au pluralisme métaphysique des étants, des existants. Si Dieu ou le Démiurge est l’Acte d’être en soi, le Seul Être fait être, il met en existence les existants multiples, car en dehors de l’être, il n’y a que le néant. Selon Haïdar, l’acte d’être en soi signifie que Dieu ou le Démiurge en tant que pro-créateur est « l’Agent actif absolu » et que l’Univers est le « réceptacle absolu » du résultat de son existence. Ce que l’univers reçoit, et qui est en lui l’agent, c’est la multiplicité des noms (des attributs divins), qui mettent en forme le monde. Autrement dit, toute multiplicité se révèle toujours nécessairement théophanique à des degrés divers. La consistance ontologique de la multiplicité se trouve fondée puis assurée. L’illusion qui consiste à croire que tout est illusion (un peu comme dans le cas du bouddhisme d’ailleurs) est dénoncée comme la dernière et la pire de toutes. Haïdar vise ici l’attitude et les doctrines de certains soufis, obsédés par le néant divin qui fait de l’univers un néant, et détruit les bases de toute religion (puisque selon eux, la création, le paradis, l’enfer, la résurrection, sont des illusions). Finalement, l’ontologie intégrale d’Haïdar Amoli renvoie dos à dos les théologiens dogmatiques, idolâtrant Dieu ou le Démiurge sans le connaître, et les mystiques qui (quelle folie !) veulent s’anéantir en lui. En synthétisant la théosophie d’Ibn Arabi et celle du chiisme duodécimain, l’œuvre d’Haïdar a exercé une influence féconde sur ces deux courants, en en montrant la profonde concordance interne.
N’oublions pas ainsi que nous l’avons vu, néanmoins que ces deux auteurs ne sont pas vraiment représentatifs des cinq piliers de l’islam que sont le Coran, les hadiths, l’imitation de Mahomet, la charia, le Fiqh ; et qu’ils ont été considérés comme hérétiques par Ibn Taïmiyya ou par le Ouahhabisme séoudien, voire chiite pour le dernier, et que laisser croire le contraire comme le font nombre des journalistes français d’aujourd’hui ne contribue en aucune façon à éclairer les citoyens.
En résumé. Il existe un « Un », supérieur, totalement immanent et transcendant, y compris les concepts d’être et non-être à la Parménide. Ces notions parménidiennes (« être » et « non-être ») sont dérivées des objets de notre expérience humaine, mais le « Un » immanent-transcendant et infini, est au-delà de ces objets, donc au-delà des considérations et catégorisations qui en sont dérivées. L’être, ou l’existence, est un attribut, et le Un se trouve au-delà de ces attributs, puisqu’Il est à leur source.
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Le Un n’est pas « n’importe quel existant » ni la somme des existants, mais précède tous les existants.
De cet Un émane le reste de l’univers, en tant que séquence d’êtres subsidiaires (les grands théologiens musulmans sont encore ceux qui ont le mieux compris cette philosophie ou cette conception du Monde, en la qualifiant de chirk).
Le Un ne contient ni division, ni multiplicité, ni distinction, ni changement. Dès lors, aucun attribut ne peut lui être assigné, pas plus que la pensée, car elle implique une distinction entre le penseur et l’objet de sa pensée. De même, ni la volonté ni l’activité ne peuvent lui être imputées, car cela impliquerait aussi une distinction entre un « agent » de volonté ou d’action, et son objet. Cette unicité de Dieu ou du Démiurge signifie également qu’il est le préexistant primordial… en ce sens qu’il est la cause première du monde de manière absolue.
Le « moins parfait » doit, nécessairement, émaner d’un « parfait » ou d’un « plus parfait ». Donc, toute « pro-création » émane du Un par étapes successives.
C’est cet « Un » qui est la source du monde, mais pas au moyen d’un acte de création, volontaire ou non, car, ainsi que nous l’avons vu, la volition et l’activité ne peuvent être appliquées à cet « Un » immuable, donc immobile.
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NAISSANCE ET VIE DES MONDES.
Dès le IVe siècle avant notre ère, nos recherches attestent une nouvelle conviction : celle qui se rapporte aux créations et aux destructions cosmiques alternées de l’univers ou bitos. Le mécanisme de ces apparitions et disparitions a sans doute fait l’objet de beaucoup de spéculations. Quand Diviciacos indiquait à Cicéron qu’il pratiquait la « physiologie », c’est sans doute à de telles recherches sur les éléments fondamentaux du monde qu’il faisait allusion.
Seules des bribes nous en sont parvenues, et il n’est malheureusement explicité dans aucun des témoignages en notre possession. Hormis celui du général d’Alexandre le Grand appelé Ptolémée : « Ils lui répondirent qu’ils n’avaient peur de personne et que la chose au monde qu’ils craignaient le plus était que le ciel ne tombât un jour sur leur tête… hóti oudéna, plèn ei ára me ho ouranòs autois epipésoi ». Arrien (Anabase ou Expéditions d’Alexandre. Livre I, chapitre I)
Strabon nous en a cependant gardé un autre fragment, la notion de résorption universelle par le feu et par l’eau (« Ils affirment que les âmes et l’univers sont immortels, mais qu’un jour seuls le feu et l’eau régneront ». Géographie. Livre IV, 4 à 6) ; ce qui correspond à ce que l’on appelle Pralaya dans la cosmogonie indienne, ou à la notion indo-iranienne d’Apam Napat (le feu dans l’eau).
Q : Qu’y a-t-il au commencement de chaque monde ?
R : Le Feu et l’Eau. Feu et eau ont existé de toute éternité, ils restent distincts même lorsqu’ils se contiennent l’un l’autre.
Q : Que voulez-vous dire par Eau ?
R : Elle est l’absolue et immanente manifestation de la vie. Elle est produite par une exaltation radiante du Feu qui réussit à vaincre ses forces d’attraction.
Q : Que pouvons-nous conclure de cela ?
R : Ce Feu, qui est très différent de l’élément feu, qui n’est qu’un symbole, a une nature mystérieuse. Intelligence et Sensibilité, Puissance et Action. L’Âme est la manifestation intérieure de ce feu primordial. Le Feu est le centre qui se déploie dans la circonférence. Il est silencieux et ne possède pas de véritable vie, car quand il irradie, alors il absorbe par la même occasion. Et il ne trouve son expansion que dans le second principe, l’eau.
Puis le processus recommence et un nouvel univers ou un nouveau bitos apparaît. Le fait n’a rien d’une création ex nihilo, mais se produit par étapes, à partir d’un principe primordial mû par une loi universelle : le Tokad. Le Tokad assure la conservation de l’univers ou bitos quand celui-ci se manifeste ; quand celui-ci implose, il conserve en sa pensée (labarum) le destin ou schéma du monde, prêt à reparaître lors d’une nouvelle création.
À ce stade le Divin ne peut être dissocié du processus de l’évolution de l’univers appelé bitos. Il est l’une des composantes de la bonne marche de cet univers ou bitos. Mais le pouvoir créateur du Destin est de rendre le monde auto-créateur. Tel un chef d’orchestre, il ne crée qu’en insufflant un dynamisme à l’orchestre de l’évolution auto-transformatrice du monde. Le destin ou Tokad ne crée pas. Il ne gouverne pas. Il est une sorte de « main invisible » qui, à l’intérieur de l’univers ou bitos, est à la fois un fil conducteur, une promesse et une incitation. Il propulse et accompagne ainsi le « processus » de l’évolution du monde. À la fin de chaque cycle, le monde implose et se ramène à ses composants de base, au début de chaque période d’expansion, il se réorganise en suivant des règles immuables.
Réversibilité tout comme irréversibilité, sont des concepts importants pour ce qui est de la physique et tout particulièrement de la thermodynamique. Tout le monde a au moins une fois fait l’expérience suivante : un morceau de verre se brise sur le sol et ne se reconstitue pas de lui-même. En revanche, on peut tirer sur un élastique, le déformer, ensuite, dans une certaine limite, quand on le relâche, il retrouve exactement son état initial. La première expérience est typique d’une transformation irréversible, la seconde est ce qui s’approche le plus d’une transformation réversible.
Aussi simples qu’ils puissent paraître, ces deux exemples illustrent la possibilité ou l’impossibilité pour un système de retrouver spontanément, et de manière exacte son état antérieur immédiatement. La mécanique classique suppose la réversibilité des phénomènes de manière implicite. En effet, dans toutes les équations fondamentales, il est possible de renverser le cours du temps, c’est-à-dire que le changement de la variable temps « t » en « – t » laisse les équations fondamentales invariantes. Les
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conditions théoriques d’une transformation réversible sont les suivantes : continuité des grandeurs intensives, lenteur (transformations quasi statiques), absence de phénomènes dissipatifs.
De manière plus précise, on peut dire qu’une transformation réversible est un modèle idéal pour lequel les échanges de grandeurs extensives sont quasi statiques ; c’est-à-dire effectués en un grand nombre d’étapes pour que le déséquilibre des grandeurs intensives conjuguées soit réalisé par de très faibles variations, et en l’absence de phénomènes dissipatifs. Il est très souvent possible, dans des conditions expérimentales adéquates, de se rapprocher de ce modèle.
Certains phénomènes sont a priori réversibles : imaginez un sac rempli de billes et secouez-le. Passer le film à l’envers ne donnera rien de surprenant… les billes remuent, mais rien n’est contraire au sens commun.
EH BIEN LE DRUIDISME POSTULE QUE, DE LA MÊME FAÇON QUE TOUT ÉLÉMENT DIVIN OU TOUTE ÉTINCELLE DIVINE, RETOURNERA UN JOUR TÔT OU TARD DANS LE SAC DE BILLES DU GRAND TOUT. C’est la loi de réversibilité du Bituitos ou loi de réversibilité de la procréation du monde. C’est ainsi que le grand savant que fut Laplace, n’hésita pas un jour à prédire, non seulement un déterminisme total des lois de la physique, mais également la possibilité, à partir d’un état donné, de décrire le passé ou le futur d’un système mécanique. Le temps n’a pas de sens d’écoulement.
La roue de Toran/Taran/Tuireann (tarabara en breton) et son labarum sont un symbole clé du druidisme. La roue de Toran/Taran/Tuireann représente le cours du temps, elle incarne les cycles cosmiques de la naissance et de la mort, de la petite enfance, de l’enfance, de la jeunesse, de l’âge adulte, de la maturité, de la dégradation ou de la déliquescence.
« Divinis humana componere licet », a écrit Ausone (dans son petit poème sur l’emploi du mot libra). « Aux choses divines, on peut comparer les choses humaines ».
Les très-sachants irlandais distinguaient plusieurs âges dans la vie d’un être humain.
1 * Noidenotaxeto > Nàidendacht : la prime enfance.
2 * Mapotaxeto > Macdacht : l’enfance.
3 * Geistlaxeto > Gillacht : l’adolescence.
4 * Ogiolagiato > Hoclachus : la jeunesse (l’âge adulte jeune).
5 * Senodageto > Sendacht : l’âge mûr.
6 * Diexbliniceto > Diblidecht : la vieillesse.
On peut donc présumer qu’il en allait de même pour la vie d’un monde ou d’un univers (bitos), d’un cycle.
Le monde dans lequel nous vivons n’est que le stade plus ou moins avancé d’un cycle cosmique que l’on nomme Aiu, qui est « le développement total d’un monde », et qui représente un « état ou degré » de l’Existence universelle (Bitos).
Chaque Aiu est divisé en cycles, appelés setlocenia.
Chaque setlocenia en l’occurrence a une durée de 59 049 années (durée du monde dans la tradition galloise d’après Jan De Vries et son étude sur la religion des Celtes).
Il est divisé lui-même en six colonnes (colomna ais en gaélique) que l’on peut assimiler aux six âges de la vie. Ces âges, qui se succèdent au sein d’un bituitos, sont marqués par une « croissance » et « dégénérescence » les uns par rapport aux autres.
La petite enfance du monde.
L’enfance du monde.
La jeunesse du monde.
L’âge adulte du monde.
L’âge mûr du monde.
La sénilité du monde.
Note de la rédaction. Les chiffres indiqués dans divers textes néo-druidiques pour la durée d’un bituitos, et par suite pour celle des colonnes d’âges correspondantes, ne doivent nullement être regardés comme constituant une « chronologie » au sens ordinaire de ce mot ; c’est-à-dire exprimant des nombres d’années devant être pris à la lettre. La science a depuis considérablement augmenté
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ces chiffres. La même tradition galloise citée par Jan de Vries donne d’ailleurs 19 683 années de vie à l’if, ce qui est beaucoup (à moins qu’il ne s’agisse d’un arbre cosmique).
La notion fondamentale à prendre en considération dans le calcul de la durée de ces cycles ou cycle de cycles est plutôt la période astronomique de la précession des équinoxes appelée « grande année » ; dont la durée s’élève à 25 920 ans, de telle sorte que le déplacement des points équinoxiaux est d’un degré en soixante-douze ans. Ce nombre 72 est précisément un sous-multiple de 4 320 = 72 x 60, et 4 320 est à son tour un sous-multiple de 25 920 = 4 320 X 6. Le fait que l’on retrouve pour la précession des équinoxes les nombres liés à la division du cercle est d’ailleurs encore une preuve du caractère véritablement naturel de cette dernière ; mais la question qui se pose est maintenant celle-ci : quel multiple ou sous-multiple de la période astronomique dont il s’agit correspondait à la durée d’un bituitos chez les gnostiques d’Occident ?
En Mésopotamie puis en Grèce, la notion de « grande année » s’appliquait à environ la moitié de cette période évaluée souvent par approximation à 12 000 ou 13 000 ans, sa durée précise étant de 12 960 ans.
Étant donné l’importance toute particulière qui est ainsi attribuée à cette période, il est à présumer que le bituitos druidique devait comprendre un nombre entier de ces « grandes années » ; mais lequel ???
Bref ! Pour les druides de l’Antiquité, le temps n’était pas conçu de façon linéaire comme c’est le cas dans la pensée juive, mais de façon cyclique : il y avait toujours un pré univers. Pour certains peuples et notamment par exemple les Aztèques ou les Mayas, il y aurait eu aussi d’autres terres avant la nôtre, et notre terre d’aujourd’hui ne serait que la dernière en cours, la cinquième, celle de notre ère actuelle. Quatre fois détruite ainsi que la vie qui la hantait, mais quatre fois sauvée par le sacrifice des dieu-ou-démons qui se sont littéralement jetés à l’eau ou dans le feu pour obtenir sa résurrection.
Le problème de la sortie du néant ayant été résolu comme vu précédemment, trois grandes phases se succèdent toujours alternativement : un temps d’apparition un temps de conservation et un temps de destruction. Lorsque la création se matérialise, l’univers ou bitos se déploie dans toute sa majesté à partir d’un point d’âme et de matière (le feu dans l’eau * des explications druidiques simplifiant la question) ; qui n’est autre que le reste d’un bitos ou univers précédent. À la fin des temps, lorsque la roue de Taranis ou Tarabara en breton a fait un tour complet, l’univers ou bitos se résorbe peu à peu ; concentrant tous les éléments de celui qui a précédé en un nouveau reste qui à son tour servira de pré univers ou de point de départ à la formation du suivant. Dans ce mouvement cyclique à trois temps, la « création », bien qu’elle change de forme, perdure. Il n’y a plus ni véritable commencement ni véritable fin du monde, tout se transforme : la création, tout comme la destruction, est relative. Bref à chaque nouvelle naissance du monde, celui-ci se réorganise suivant des règles immuables (le Destin ou Tokade) ; à la fin de cycle, quand le monde implose, le Tokad ou Destin a déjà en sa pensée le schéma général de l’univers ou bitos prêt à reparaître lors d’une re-naissance dans l’espace. À chaque âge du monde, le Tokad enserrant de ses anneaux l’œuf de serpent, réenclenche le processus évolutif. Mais il est vrai que le Tokad ou Destin ne reçoit plus guère d’adorations particulières aujourd’hui. On ne lui construit plus de temples. Il est quelque peu oublié.
* Apam napat dans la tradition indo-iranienne.
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LA PROCRÉATION DU MONDE SELON SCOT ÉRIGÈNE.
Ses deux principaux ouvrages sont le « De divina praedestinatione » (De la prédestination divine), écrit en 851, et le « periphyseon » ou « De divisio naturae » (Des divisions de la Nature), écrit en 865.
La théorie de la prédestination était celle qu’Augustin avait soutenue à la fin de sa vie : la volonté de Dieu ou du Démiurge a décidé depuis toujours si tel homme ira au royaume de Dieu ou dans celui de Satan. L’Homme ne peut rien faire pour infléchir sa destinée, certains sont voués au mal et au péché. Le Christ n’est pas mort pour tous les hommes, mais seulement pour quelques élus.
L’évêque Hincmar de Reims avait demandé à Jean Scot Erigène un rapport sur la question. La thèse d’Erigène fut simple : Dieu est unique, intemporel, infiniment bon. Il ne saurait donc prédestiner les hommes au Mal. Le Mal, d’ailleurs, n’existe pas vraiment, il n’est qu’un manque d’être, l’incomplétude d’un être qui n’est pas parfait. L’enfer doit par conséquent être compris au sens figuré, il signifie le remords du pécheur, il n’existe qu’en imagination. Érigène s’appuie, tout comme Godescalc… sur Augustin, mais sur des textes plus anciens, où l’influence de Platon est encore forte chez cet auteur. Bref, Dieu étant âme pure, il ne se soucie pas des choses et ne connaît ni le monde, ni l’avenir, ni lui-même. Dieu ne prévoit ni peines ni péchés : ce sont des fictions ! L’enfer n’existe pas, ou alors son nom est le remords [ce qui était déjà la position des très sachants de la druidiaction, antique, si l’on en croit certaine scholies de Lucain].
Ce rapport fit scandale, et il fut condamné pour avoir défendu dans son ouvrage, que Dieu ne pouvait vouloir la prédestination des humains.
Pour son traité intitulé le « Periphyseon » ou « de divisio naturae », Erigène a effectué une compilation et une synthèse de tout ce que disait la culture latine à ce propos. C’est incontestablement l’œuvre maîtresse d’Erigène. Ce « sur la division de la nature » se voulait une clarification du dogme.
Cet ouvrage capital se compose de cinq livres de dialogues entre un disciple et un maître. L’unité de la philosophie et de la religion y est affirmée [comme chez les druides antiques] : L’une et l’autre ont le même objet, qui est Dieu, cause première de toutes choses. La philosophie le cherche par la réflexion, la religion l’adore avec humilité. La première suit la raison, la seconde est guidée par l’autorité de l’Église [quelle illusion !] La raison et l’autorité de l’Église ne peuvent se contredire, car elles dérivent pareillement de Dieu (ce sera d’ailleurs aussi en quelque sorte le point de vue de John Toland dans son christianisme sans mystère). Lors même que l’une semble contraire à l’autre, le conflit n’existe qu’en apparence.
Toutes les aspirations humaines au savoir ont pour point de départ la question de la croyance en la révélation. C’est à la raison qu’incombe néanmoins le devoir d’expliquer le sens de la révélation. Aucune contradiction ne peut surgir entre foi et raison authentique. On doit suivre l’autorité des Pères de l’Église aussi longtemps que celle-ci est en accord avec la révélation. Mais dans le cas d’une contradiction entre l’autorité de l’Église ou la raison, c’est la raison qui doit l’emporter (encore une fois on croirait entendre le néo-druide John Toland…).
L’idée du devenir de Dieu est l’idée fondamentale de son « De La Division de la Nature ».
La « Nature » dont il est question, est la Nature divine, et ses « divisions » correspondent aux différents moments du devenir divin. Le système exposé dans ces dialogues nous semble pouvoir être ainsi résumé.
La nature, c’est-à-dire l’ensemble de l’univers, présente, à première vue, deux grandes catégories. Les choses qui sont, et celles qui ne sont pas, l’être et le non-être, Dieu et les phénomènes. Érigène y distingue ensuite une nouvelle division, opposant l’immobilité au mouvement, l’immuabilité au changement. Et en combinant ces diverses catégories, on trouve quatre formes générales, que Scot Érigène appelle natures.
1° La nature incréée, mais qui crée : Dieu comme origine de tout, comme celui dont tout est issu.
2° La nature créée, qui crée elle-même : les causes primordiales. Les éons auraient dit les gnostiques. Les dieu-ou-démons, pourraient ajouter d’autres.
3° La nature créée, mais qui ne crée pas : l’univers visible.
4° La nature incréée, qui ne crée pas non plus : Dieu comme fin de tout, comme celui vers qui tout retourne.
Dans l’onto-théologie judéo-islamo-chrétienne traditionnelle, Dieu ou le Démiurge est l’Être premier, immuable, soustrait au devenir, et inconnaissable en lui-même. Tout en étant présent à sa création, il ne pénètre pas en elle, il reste extérieur au Tout. Dieu ou le Démiurge agit par sa puissance procréatrice – les théologiens et les philosophes parlent de « création continuée » – mais l’essence divine n’est pas impliquée dans cet acte créateur.
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Jean Scot Érigène sera le premier à reprendre une autre tradition. Voici comment cet auteur décrit le premier moment du devenir divin : « Descendant d’abord depuis le Suressentiel de sa Nature, où il mérite le nom de Non-Être, Dieu se crée à partir de lui-même dans les causes primordiales ». La création du monde est donc tout d’abord une auto-création de Dieu par lui-même. La création des choses « visibles », finies, n’est que le dernier moment, l’étape ultime du devenir et de la manifestation divine. Depuis les causes primordiales, qui assurent une médiation entre Dieu et la créature (finie), Dieu descend dans les effets de ces causes, et il se révèle dans ses théophanies ouvertement. Il procède à travers les multiples formes, jusqu’au dernier ordre hiérarchique de toute la Nature, qui est celui des corps. Et, progressant ainsi dans toutes choses en un déploiement ordonné, Dieu crée toutes choses, et devient tout en tous. Mais, alors même qu’il est créé ainsi en toutes choses, il ne cesse pas d’être au-dessus de tout. Dieu est donc, en tant qu’Un ineffable et suressentiel, transcendant à la création, et, en tant qu’Essence unique de toutes choses, totalement immanent.
Mais si Dieu est Tout, il ne cesse aucunement d’être ce qu’il était : le Un suressentiel. S’il devient, s’il « se perd » dans les choses, c’est pour se retrouver. Dieu se vide de lui-même par amour (reste de christianisme), et il demeure, paradoxalement, « le même », celui qu’il « était » avant de descendre dans la création – pour faire retour, à la fin, à lui, en y ramenant toutes choses.
Dieu ne « sort » donc de lui-même que pour faire retour et pour ramener toutes choses en lui, suivant un mouvement circulaire dont les très-sachants de la druidiaction (druidecht), antiques, avaient eu l’intuition. « Les âmes sont impérissables, un jour pourtant régneront seuls le feu et l’eau » (Strabon IV, 4).
Mais revenons à Érigène.
Il y a ainsi un cercle d’évolutions partant de Dieu et revenant à lui, Dieu constitue le commencement, le milieu et la fin, de tout l’univers. Dieu est supérieur à tous ses attributs, parce que les attributs sont limités, on peut opposer à chacun de leurs termes un terme contraire. Il est au-dessus de l’être, « exalté super essentiellement au-delà de tout ce qui est ». Inaccessible et incompréhensible en-soi, il se manifeste dans les créatures, qui deviennent ainsi des théophanies. La plus haute de ces théophanies, c’est l’intelligence humaine. Plus elle se reconnaît, plus elle connaît Dieu. Les deux connaissances se fondent en une seule, l’intelligence vertitur in Deum. Elle est capable de cette transformation, parce qu’elle porte en elle une empreinte de la Trinité.
Mais la manière dont Scot Érigène conçoit la Trinité se retrouve très éloignée de la doctrine catholique la plus orthodoxe. Le Père est la première cause créatrice ; le Fils ou le Verbe [labarum pour les druides] est l’organe de cette procréation du monde, laquelle existe en lui à l’état d’idée ; le Saint-Esprit en est l’ordonnateur. C’est lui qui diversifie les effets ou les phénomènes. Mais les trois personnes ne sont pas des réalités, elles ne sont que des noms donnés à des relations divines.
« Dieu est plus qu’unité, plus que trinité. L’essence universelle est l’être unique ».
N.D.L.R. On croirait entendre le taouhid des musulmans.
Cet Être supérieur a évolué de manière à produire le monde. Le monde existait dans le Verbe, à l’état d’idée avons-nous dit : cette idée a été concrétisée par les causes primordiales, contenues dans le Verbe [les divers destins de chacun de chaque être], et qui sortent de lui comme théophanies. Rien n’a une existence réelle en dehors de Dieu, et rien n’est en dedans de Dieu, qui ne soit Dieu lui-même. Dieu est donc tout en tout. La religion enseigne que le monde a été tiré du néant, ex nihilo factum est. Ce nihil, c’est Dieu. En procréant le monde, Dieu sort du néant de son absolu ; il apparaît dans toute sa splendeur, et le monde fini manifeste la forme de l’infini. C’est pourquoi Dieu et le monde sont une seule et même nature : Dieu est tout, et tout est Dieu.
Comme l’intelligence humaine porte en elle l’image de la Trinité, elle devient le sujet d’une évolution analogue. Elle crée les choses, en les concevant. Et en les rapportant à Dieu ; elle rentre elle-même en Dieu. Dieu est Dieu par l’excellence de sa nature ; l’Humain devient Dieu par un effet de la souveraineté divine. La grâce est nécessaire à cause de la chute [concept étranger au druidisme antique]. L’humain déchu n’a pas cessé d’être un résumé de la procréation du monde ; seulement, il n’en a plus conscience. Il ne peut plus remplir sa fonction, qui est de tout rapporter à Dieu. Pour le ramener au bien, le Verbe ou labarum est apparu sous une forme humaine ; il est l’Humain idéal, éternel, l’Humain Dieu. En lui nous pouvons contempler l’unité du fini et de l’infini. Cette contemplation nous délivre du Mal, elle nous apprend à supprimer les différences. Nous devenons un avec Dieu, par l’efficacité de la contemplation. Le terme de l’univers sera une absorption de tout en Dieu ; le Mal se consumera dans le Bien éternel, la misère dans la béatitude, la mort dans la vie [on croirait entendre le jésuite français Teilhard de Chardin].
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Pour Érigène, le Christ possède donc comme nous un corps et des sens, une âme et un esprit. La nature humaine, elle, est constituée de ces composantes comme de quatre parties, que le Christ en tant qu’homme véritable, assuma et unifia en lui. Car le Christ s’est fait homme… parfait.
Restauré dans sa nature originelle, authentique, l’Homme joue un rôle fondamental dans le processus du retour de toutes choses en Dieu. Ce retour consiste dans le « rassemblement » et l’unification « de toutes les créatures » dans la nature humaine. L’Homme a été rangé parmi les causes primordiales, à l’image de Dieu, afin qu’en lui toutes les créatures [par émanation ?] intelligibles et sensibles, dont il est composé à titre d’extrêmes opposés, deviennent une indivisible unité ; pour qu’il soit la médiation et le rassemblement de toutes les « créatures ». Il n’est en effet aucune « créature » qui ne puisse être comprise dans l’Homme, c’est pourquoi dans les Saintes Écritures l’Homme est appelé « toute créature » (omnis creatura). Or l’essence de l’Homme – l’Homme tel qu’il a été procréé à l’origine en Dieu, « parmi les Causes primordiales » – est l’intellect. Si l’homme peut réunir toutes choses en lui-même, c’est par l’activité de l’intellect, par la pensée. Il devient de la sorte… le Tout, il se spiritualise en faisant éclater les étroites limites de son moi, bref il devient alors un pur intellect capable de contempler Dieu. La nature humaine tout entière doit être refondue dans le seul intellect, en sorte que rien ne demeure en elle que cet intellect pur, par lequel alors elle contemplera son procréateur. Cette affirmation doit être comprise dans un sens ontologique. Le corps n’a pas à disparaître pour ne plus faire écran. Lorsque toutes choses auront été soumises à l’intellect, ce dernier, après avoir intégré puis éclairé l’univers, pourra contempler Dieu.
Pourra contempler DIEU et même… ÊTRE DIEU, pourrions-nous ajouter avec Teilhard de Chardin.
Le panthéisme de Scot Érigène (le plus célèbre des druides de type philosophe en quelque sorte) consiste donc en une omniprésence temporelle et spatiale de l’Être ou Bitos. Cet Incréé produisant toute chose est une présence à la fois suprasensible et sensible. Il est à la fois hors du monde et dans le monde. Scot Erigène a bien expliqué tout ceci dans son « De divisione naturae ».
Pour lui, la « créature » subsiste en Dieu, et, en la créant, Dieu se crée : d’incompréhensible, il se fait compréhensible ; d’invisible, visible ; d’essentiel existentiel. L’homme est un microcosme que la présence divine identifie au macrocosme. Ce qu’avait déjà souligné en son temps et à sa manière le petit-fils de druide nommé Ausone (« aux choses divines on peut comparer les choses humaines »).
Les hommes font partie du corps de cet Être divin (Bitos) et comme l’omniprésence de Dieu-ou-du Démiurge s’y est incarnée, chacun participe donc du souffle divin. Dieu ou le Démiurge est tout et partout. L’Homme qui pense et réfléchit n’est rien d’autre que Dieu ou le Démiurge se créant à chaque instant.
Dieu ou le Démiurge est la totalité de ce qui est, c’est une materia prima (substance universelle) particularisée dans les âmes les corps et les esprits.
Ces idées druidiques furent reprises au XIVe siècle par Guillaume d’Ockham et au XVIe par le malheureux Giordano Bruno.
Tout est Dieu ou le Démiurge. Le monde est Dieu ou le Démiurge. Le devenir du monde est le devenir de Dieu ou du Démiurge. En lui nous avons la vie, le mouvement, et l’être. Le monde est le jeu d’une « materia prima » immortelle et impérissable, souvent assimilée, de façon quelque peu imagée, à une grande divinité cosmique. Car ce Bitos ou être supérieur n’abandonne pas son émanation à elle-même. Il ne lui donne pas seulement d’être et d’exister, il la maintient dans l’être à chaque instant, lui donne de l’agir, et la porte à son terme.
Absolu est l’être par excellence ou Bitos (un pur être subsistant éternellement) au-delà de la personnalité que lui attribuent les gens d’un seul livre, quel que soit son nom, Testament, Necronomicon, Coran, ou de l’impersonnalité des bouddhistes.
Ce premier être est le fondement, le support, le but de toute réalité. En tant que tel, il est au-delà de toutes catégories, n’est ni masculin, ni féminin, ni personnel, ni impersonnel… IL EST tout simplement. Réalité invisible, insaisissable, non disponible, cachée derrière le visible, au-dessus du visible, mais aussi dans le visible, tangible, disponible.
Ce premier des êtres, quel que soit son nom (Allah, Jéhovah, dieu-ou-démon d’Abraham, etc.) porte le terrestre et même le cosmos matériel, le pénètre de part en part, et l’explique. Les religions se disputent sur la façon dont ce Dieu ou Démiurge Un se manifeste dans le multiple, les judéo-islamo-chrétiens affirmant par exemple qu’il ne se manifeste que dans l’Homme ou en paroles ; les païens affirmant qu’il peut aussi se manifester indépendamment de tout homme ou de toute parole (dieu-ou-démon aussi impersonnel qu’une éruption volcanique).
La forme personnelle est celle qui convient au cheminement libérateur des individus. À partir du moment où l’être, dans son autodéploiement, dirige la lumière de sa conscience cosmique sur lui-
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même, il devient sujet, ensuite, à partir de là évidemment, une perspective personnelle peut traverser tout cet autodéploiement de l’Être supérieur (Bitos). Le druidisme, lui, a toujours vu l’être du Grand Tout, aussi bien de façon personnelle que de façon abstraite. La forme abstraite est celle qui convient à la réflexion ontologique sur l’être de Dieu ou du Démiurge, la forme personnelle et concrète est celle qui aide à vivre voire à survivre.
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LA PROCRÉATION DU MONDE SELON LES DRUIDES.
« Système en œuf de serpent » ou « œuf de serpent » est l’appellation (littérale, par métonymie, traduction sous toutes réserves) du système dans lequel on suppose que tous les êtres sortent, par des émanations successives, du Un qui est Dieu, de façon nécessaire, et sans qu’il y ait création. Un peu comme le soleil dont sortent de nombreux rayons de lumière, sans qu’il en soit pour autant affecté, avons-nous déjà dit. Ce système, appelé ouroboros par les Grecs, œuf cosmique par d’autres , et qualifié de chirk par les musulmans, soulève moins de problèmes que la notion de création soutenue par les juifs, les chrétiens, et les musulmans ; qui suppose inévitablement une volonté de l’Être supérieur et des actions de sa volonté. Voltaire s’en est assez moqué.
Les vrais très-sachants de la druidiaction (druidecht) croient dans leur grande majorité en l’existence du Divin ; unique, ineffable, infini, transcendant, immanent, préexistant à la naissance de la matière, du temps et de l’espace, cause première, origine et fin du monde sensible, présent dans toutes choses, en tous lieux, et en tout temps.
Quelques-uns ne le nomment pas (par respect, crainte, ou parce qu’ils le jugent « trop au-dessus » des affaires de ce monde) ; et ne conçoivent son action en ce monde que par l’intermédiaire d’émanations ou de forces divines diverses (éons, dieu-ou-démons, génies, anges, djinns, etc.). Notion évidemment considérée comme totalement « taghout » par nos « amis » musulmans.
« Certains disent que les Galiciens n’ont pas de dieu, mais que les Celtibères et leurs voisins au nord offrent des sacrifices à un dieu sans nom, chaque pleine, lune, la nuit, devant les portes de leurs demeures, et que toute leur maisonnée danse alors en chœur la nuit entière » (Strabon, livre III, chapitre IV).
L’Être supérieur, primordial et initial, quel que soit le « Nom » (Bitos, Dieu, Diable, Démiurge, etc.) ou le symbole qu’on lui attribue, ne peut être appréhendé par l’esprit et les sens restreints de l’être humain. Par conséquent il ne peut être ni nommé, ni représenté en image, ni expliqué, ni même compris. Seules l’intuition et la volonté personnelles peuvent nous le faire « rencontrer », ou « ressentir », et c’est donc en ce sens qu’il est aussi personnel.
Mais il va de soi qu’il ne saurait choisir un peuple particulier pour être le sien, et c’est vraiment faire preuve d’un orgueil insensé que de répandre une telle ineptie. Nous sommes tous ses enfants à égalité, et la seule chose que l’on peut dire c’est que chaque peuple a les dieux qu’il mérite puisqu’il se les est donnés, les hommes orgueilleux et vengeurs ou justiciers ont des dieux orgueilleux et vengeurs, chefs des armées, etc. les hommes littéralement obsédés par la vie dans l’autre monde ont des dieux psychopompes comme notre gente Dame des Cieux Épona, etc. les hommes ont des dieux qui leur ressemblent, car bien évidemment ce sont les hommes qui font les dieux à leur image et non le contraire qui est une bouffonnerie, donc tout peuple est élu par ses dieux et réciproquement, et ceux qui ont plusieurs « dieux » sont donc tout simplement des hommes et des femmes partagés entre ces diverses valeurs qui les habitent successivement ou simultanément, un point c’est tout (cf. Pierre Lance).
Avec le druidisme nous sommes très loin du schéma auquel nous sommes aujourd’hui habitués ; c’est-à-dire celui d’un Dieu ou Démiurge transcendant et tout puissant, qui fabrique ex nihilo, d’un coup de baguette magique, un monde (bon et parfait, mais ensuite ayant chuté…). On peut même dire en un sens que la pensée druidique s’oppose (ou part dans un sens diamétralement opposé) à la pensée judéo-islamo-chrétienne ; où Dieu coexiste avec le néant et fait surgir le monde de ce néant on se demande bien pourquoi puisque c’est pour l’y renvoyer au bout d’un certain temps (le fameux concept de création ex nihilo : il va de soi que la réponse « par amour » est puérile, pour être servi et adoré serait une réponse plus conforme au mythe originel qui est sumérien, oui !).
Les religions « modernes » (judéo-christianisme, islam, et autres) ne répondent pas aux questions que le gnostique d’Occident ou druide antique avait coutume de poser. Ce que se demandait le très-sachant de la druidiaction (druidecht), antique, en effet c’est : Est-ce que le Bitos ou univers a eu un commencement ? Qu’est-ce qu’il y avait avant ce commencement ? Qu’est-ce qu’il y avait quand il n’y avait rien ? Et de quelle manière est-on passé de ce « rien » à « quelque chose », c’est-à-dire un Bitos ou univers ?
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Pour les hommes d’aujourd’hui, totalement imprégnés de judéo-christianisme, y compris les musulmans, « Dieu » est le mot qui répond à toutes ces questions. C’est lui qui a créé notre univers, à partir de rien.
N.B. En fait, pour les religions anciennes, il n’y avait pas de « rien ». Et il n’y avait pas création à partir de rien. Sauf au premier des commencements, au commencement absolu, puisqu’ils avaient une conception cyclique du temps et du Bitos. L’univers et les dieu-ou-démons, naissaient parallèlement, et de façon corollaire.
Le problème du surgissement de l’être hors du néant ayant été résolu ainsi que nous l’avons vu plus haut (néant conçu en tant que non-existence et non en tant que vide ou rien) ; le druidisme répond à la question « D’où vient le monde ? » sous deux modes différents.
Soit notre monde est présenté comme une création à partir d’un chaos primitif (c’est la métaphore de l’œuf de serpent) voire comme une organisation de ce chaos primitif (Première École) ; soit comme un processus évolutif au sein d’un univers ou Bitos qui a toujours été là (Deuxième École).
Les différents mythes druidiques parvenus à notre connaissance se réfèrent en réalité, non point à une création à proprement parler, mais à un dynamisme incessant, qui toujours bouleverse l’étape précédente. Et c’est pourquoi, dans ce dynamisme autotransformateur, se manifestent à la fois ce que nous appelons « le bien » et « le mal ».
Il n’y a pas au fond, à proprement parler, de création du Bitos ou de l’univers, mais bien plutôt un processus de « génération du réel », c’est-à-dire à la fois de la terre, du ciel, et bien souvent des dieu-ou-démons eux-mêmes.
L’être Un Supérieur ne crée pas le monde selon un acte de volonté particulier. Il n’y a pas de « coup d’État » dans l’aiu (dans l’éternité), mais une série de conséquences nécessaires et donc éternelles, de la pensée divine, se pensant elle-même. Le monde émane de Dieu ou du Démiurge, du fait de la surabondance de sa bonté, suivant une causalité immatérielle et sans contact. L’univers ou Bitos est un écoulement obligé de la substance divine. Ce caractère obligé de l’émanation divine, ne fait que confirmer la souveraine transcendance-immanence du divin, en faisant du déploiement cosmique ou Bitos, une coïncidence de son existence. Ces émanations ne l’affectent en aucune manière, pas plus qu’elles ne le diminuent. Il ne se divise pas en une multitude d’êtres inférieurs ni ne se morcelle. Tout comme le soleil dont émane la lumière sans qu’il en soit diminué, ou comme dans le cas d’un reflet, qui ne diminue en rien l’objet reflété. Il n’y a donc pas dans cette conception du monde (weltanschauung) qui est celle du druidisme, de création au sens strict du terme.
Mais pour les judéo-islamo-chrétiens, il y a distinction radicale entre l’être de Dieu ou du Démiurge et celui de sa créature. Les deux doctrines, la doctrine judéo-islamo-chrétienne de la création par un dieu-ou-démiurge préexistant ; et la « doctrine » druidique de l’émanation ; s’excluent l’une l’autre. Dans le créationnisme, l’Homme est séparé de Dieu ou du Démiurge. Dans l’émanationisme, il y a continuité ontologique entre le Divin et l’Homme. D’où la possibilité de découvrir Dieu ou le Démiurge en soi-même, et non en dehors de soi.
Shankara en Inde, et Aristote en Grèce ont, eux aussi, sévèrement critiqué le concept de création, qui est pourtant central dans les religions du Livre, quel que soit son nom (Testament, Necronomicon, Coran). Cette idée de Créateur suppose en effet nécessairement, pour être défendue sérieusement, une Révélation, un Livre, pour figurer Dieu ou le Démiurge sous une forme personnelle, la Révélation étant la « parole de Dieu » adressée aux hommes. Et cette représentation de Dieu ou du Démiurge sous la forme d’un Créateur, que l’on trouve dans les religions sémites, ne peut pas être soutenue par une métaphysique de la Nature.
Le druidisme, qui est non parménidien, afin de ne pas tomber dans les contradictions anthropomorphiques inhérentes à toute notion de Dieu-ou-démon créateur, a un point de vue différent, mais arrivant néanmoins au même résultat. Le druidisme est une doctrine concevant un Dieu qui, sans sortir de lui-même, se transforme de façon continue en une essence d’un rang inférieur *.
EN RÉSUMÉ. Quelles sont les qualités de l’Être ?
L’être est en quelque sorte l’unique résultat de toute réflexion sur le néant. Plus poétiquement l’être est le Fils Unique du Néant. Il était le premier dans l’Abysse. « Il est Dieu », c’est pourquoi il existe par lui-même. Le Très-Haut est l’Être immanent et transcendant par excellence, infini, incréé, il a été
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nécessairement et sera toujours. Tout être tient de Lui son existence, car l’Être supérieur ou Bitos peut sortir de lui-même pour surexister.
Cette opération de Dieu ou du Démiurge hors de lui-même est la première des puissances pouvant exister entre l’Être supérieur et le monde, le plus primordial des éons, des dieu-ou-démons. Enfin, « toutes les créatures sont générées par lui par voie d’émanation, et rien de ce qui a été procréé n’a été fait sans lui », car il est immuable. Si l’influx vital qui émane continuellement de cet être supérieur, tant dans le monde naturel que surnaturel, cessait un seul instant, tout retomberait dans le néant. Dit autrement, il y a unité transcendante immanente de l’Être englobant l’incréé et le créé. Il y a unité transcendante immanente de l’Être dont les degrés d’intensification ou d’affaiblissement déterminent la vie en ce monde. Le Un pénètre tous les êtres, en est la véritable essence ainsi que la fin ultime. Il n’y a de Dieu (ou Diable dirait Aboul Ala Al Maari) que l’Être.
D’après Spinoza, ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire d’ailleurs, mais il n’est pas inutile de le souligner, tous les préjugés concernant l’Être supérieur « dépendent en fait d’un seul, à savoir que les hommes supposent communément que toutes les choses de la Nature agissent, comme eux-mêmes ». Ce qui veut dire qu’il n’y a pas d’abord à différencier Dieu de la Nature. Les mots sont synonymes : Dieu ou la Nature. La Nature est Dieu-ou-Diable manifesté. Dieu est la puissance infinie de la Manifestation. Or la logique du fini ne s’applique pas à l’Infini.
Cette puissance ne saurait donc se comprendre en surimposant aux phénomènes les modes d’action, les motivations, les tendances, les craintes, ou les désirs simplement humains [anthropomorphismes]. Ce que les religions [d’un Livre] font pourtant constamment.
* Jusqu’au chaos et à la mise en ordre du chaos par des émanations divines, mais néanmoins d’ordre inférieur.
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NOUVELLES CONSIDÉRATIONS SUR LES DIFFÉRENTS TYPES DE VISION DE LA NAISSANCE DU MONDE.
Les différentes Écoles du druidisme vont donc de l’abstraction absolue (« Les Celtibères et leurs voisins se trouvant plus au nord adorent un dieu-ou-démon sans nom ». Strabon. Géographie III, 4,16) ; au matérialisme le plus strict. « D’après certains les Callaïques (les Galiciens d’Espagne) sont athées » (Strabon, Livre III, 4, 16). En passant par l’humanisation l’anthropomorphisation ou la personnalisation maximale du divin comme chez les Égyptiens. Mais attention, dieu-ou-démons personnels ne signifient pas toujours anthropomorphisme naïf ; comme dans le cas du judéo-islamo-christianisme et de son dieu-ou-démiurge suprême, de sexe masculin, barbu, siégeant sur une montagne (le Sinaï) ou sur un trône, pouvant se mettre en colère ou se laisser fléchir par des prières, etc.
Certains druides aux vues larges (amarcolitanos justement, c’est-à-dire pouvant saisir beaucoup de choses d’un seul regard) étaient capables évidemment de concevoir à la fois les deux. En tenant « dans la même main » les deux extrémités de cet arc théologique particulier un peu semblable à un torque, allant du zéro à l’infini.
Confondre le niveau de « l’être » et le niveau de l’étant, est une erreur stérilisante. Les grands philosophes iraniens s’accordent ici avec la métaphysique de « l’être » du néoplatonicien Proclus. Le principe d’individuation est un état ou une situation de l’étant donc, en tant que résultat de l’action d’être. D’où le rapport entre l’hénade des hénades, et les hénades unifiantes des Uns multiples qu’elles posent dans l’acte d’être, en faisant de chacun alors, un étant, car l’Être ne peut être « étant » que dans la multiplicité des « étants » individuels. Affirmer la réalité des formes individuelles n’équivaut donc nullement à une mutilation de « l’Être », mais tout au contraire à sa révélation et à son plein épanouissement.
Le monisme est une notion métaphysique très ancienne qui veut que le monde ne soit formé que d’une seule réalité ou substrat fondamental. Il s’oppose aux philosophies dualistes, qui séparent le monde matériel et le monde spirituel (l’au-delà).
Il existe des monismes idéalistes et des monismes matérialistes.
Le monisme matérialiste s’oppose à l’idée d’un Dieu (ou de plusieurs dieu-ou-démons) transcendant (s). Il suppose qu’il n’y a rien d’extérieur à ce qui existe dans notre monde.
Le monisme idéaliste suppose que la réalité perceptible n’est formée que d’aspects du divin, exemple l’hindouisme.
Le druidisme antique était une synthèse des deux, car dans sa notion de Bitos il tient compte de l’univers visible ET INVISIBLE. Le Bitos c’est l’univers visible ET INVISIBLE. La philosophie druidique est donc par définition elle aussi un monisme : un Principe supérieur unique est la source et la réalité du monde que nous percevons, il est aussi l’essence de notre être. Il n’y a rien d’extérieur à ce qui existe dans notre monde, mais la réalité perceptible est aussi un aspect du divin (possibilité de manifestations de son omniprésence par des « hypostases », vyouha dans l’hindouisme). Ce monisme absolu n’exclut pas un certain dualisme. Certes, tout est Un, ou destiné à rejoindre le Un, mais la résistance rencontrée à l’encontre du mouvement ascensionnel unificateur est le fait d’une scission tournant à l’affrontement, parfois, entre âme et matière, symbolisés de façon ultime dans la cosmogonie druidique par le feu et l’eau (Strabon : un jour ne régneront que le feu et l’eau).
Certains monismes s’apparentent donc au panthéisme, dans le sens où, ce qui existe par nature, ne peut pas en l’occurrence avoir été créé, le monde est donc son propre « Dieu ou Démiurge », une idée largement développée par Spinoza ainsi que nous avons pu le voir.
Le monisme de la Nature = Dieu ou panthéisme naturaliste, ne se réduit pas nécessairement à une pensée de l’être ou à une ontologie générale comme dans le cas d’Ibn Arabi ou de Spinoza. Il peut également se manifester dans une conception de la Nature et du monde identifiés à Dieu, et compris comme étant un univers infini.
Spinoza, lui, allait jusqu’à postuler qu’il n’y a qu’une seule substance dans le monde et que cette substance est Dieu ou la Nature (« deus sive natura »). La Nature comprise comme substance productrice et cause unique de soi, univers infini, éternel, n’a pu être créée par rien d’autre qu’elle-
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même, puisque rien d’autre qu’elle n’existe. Elle est l’ensemble de toutes les choses qui sont aussi bien les objets empiriques (les fleurs, les tables et les chaises) que les éléments qui constituent l’essence de la substance ; « l’étendue géométrique » et « la pensée » (que Spinoza considère comme étant les « attributs » de l’essence).
Entre le fils spirituel de Platon que fut Ibn Arabi et Spinoza, il existe une troisième voie, celle du druidisme. Le druidisme a toujours été d’accord avec cette conception du monde, de l’Être, et de Dieu, à condition d’ajouter qu’il s’agit de l’univers visible ET INVISIBLE, en bref du Bitos des druides. Le Bitos (dont notre Monde visible n’est qu’une infime partie) est infini en étendue comme en puissance ; par la contiguïté des parties et la continuité du tout, il est Un, il est immobile à l’égard du tout, car, en dehors de lui-même, il n’y a pas d’étendue ; si l’on considère ses parties maintenant, il est mobile ; il est incorruptible et en même temps indispensable à tout point de vue, car il est comme éternel de par son existence et sa durée. Quant à son intelligence, l’intelligence cosmique qui anime l’ensemble, les druides, quant à eux, préféraient la voir comme une Loi de la nature suprême après le surgissement de l’être hors du néant, en bref le Destin (Breton tonket « destiné », gallois tynghed, ancien irlandais toicthech « destin ». Tocade si on veut absolument le mettre au féminin).
Assez curieusement (il est difficile de se dépeindre objectivement soi-même), ce sont donc les musulmans qui ont le mieux décrit les principales caractéristiques de notre druidisme ancestral : le Chirk (al mushrikîn). Autrement dit l’émanation des hypostases * divines (vyouha dans l’hindouisme) à partir du UN Originel, les plus célèbres d’entre elles dans le Coran étant celles mentionnées par les fameux versets sataniques du livre saint à savoir la triade de fées ou déesses ou djinnesses appelées Al-Lat, Uzza et Manat **.
Le terme émanation (du latin emanare, « s’écouler de »), en philosophie et en théologie, signifie écoulement du principe immanent ou transcendant, divin, qui est tenu pour l’origine de l’Univers, et non issu d’une volition ou acte de volonté de ladite origine du monde, mais intrinsèquement lié à son existence même. C’est donc tout le contraire d’une création parce que Dieu l’a voulu. L’être absolu ne peut s’empêcher de rayonner au travers de ses émanations. C’est là une des caractéristiques de son être même. Sinon il ne serait pas !
Toutes les théories de la perception des matérialistes de l’Antiquité font appel au concept d’émanation : Démocrite et Lucrèce parlent de l’émanation de particules qui se détachent des objets pour venir frapper les sens. Puis l’émanation fut évoquée pour décrire la procréation divine du monde dans les ouvrages juifs hellénistiques des IIe et Ier siècles avant notre ère, en particulier la Sagesse de Salomon dans les Apocryphes. Ainsi, le Livre de la sagesse (VII, 25) affirme-t-il : « La sagesse est une émanation de la puissance de Dieu, une pure irradiation de la gloire du Tout-Puissant ».
Les tenants du gnosticisme et du néoplatonisme ont employé de façon systématique le concept d’émanation dans l’explication des origines de l’Univers. Dans les œuvres des gnostiques, le processus est interprété comme l’écoulement de la surabondante grandeur de la déité supérieure. Dans la succession des émanations, comme l’Âme universelle, la matière, le Destin… l’essence divine va diminuant. Sous l’influence d’œuvres néoplatoniciennes, des théories de l’émanation seront élaborées par des philosophes chrétiens, musulmans et juifs, du Moyen-âge. La notion d’émanation est centrale chez certains penseurs « musulmans », qui la conçoivent comme un moyen par lequel Dieu ou le Diable ? a suscité le monde. Enfin, on retrouve le même concept chez le philosophe rationaliste Leibniz, qui affirme dans son Discours de métaphysique (1686) que « les substances créées dépendent de Dieu […] qui les produit continuellement par une sorte d’émanation, comme nous produisons nos pensées ». Les théologies chrétienne et juive orthodoxes ont cependant surtout mis l’accent sur la distinction entre les sphères divine et terrestre dans le processus d’apparition du monde, par opposition à ce processus d’émanation justement.
* Hypostase vient du grec hypostasis et signifie à l’origine « support », « fondement ». Ce terme est généralement traduit par substance (ce qui se tient sous). Ce concept ; qui joue un si grand rôle dans les écoles d’Alexandrie et d’Athènes, depuis Plotin jusqu’à Proclus ; est l’indication d’une doctrine supposant un Dieu ou Démiurge qui, sans sortir de lui-même, se transforme éternellement en une essence d’un ordre inférieur dans l’échelle ontologique des êtres.
** Les versets 19 à 23 du chapitre 53, An Najm (l’étoile).
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LE MONOGÈNE OU PREMIER ÉON (ISON SON BISSIET).
Monogenos/Monogenes. De monos et ginomai. Terme grec signifiant seul de son genre, unique.
En langage mathématique se dit d’un groupe algébrique engendré par un seul élément.
Les chrétiens en ont également fait un synonyme de « premier-né ». En ce qui nous concerne, la singularité mathématique nous suffira en plus du vieux celtique.
Car ce qui ressort tout particulièrement de nos textes c’est la toute-puissance du Destin mise en œuvre par des malédictions appelées geis/gessa en gaélique, ou tynghed en gallois si l’on en croit John Rhys dans le deuxième volume de son livre sur le folklore celtique gallois et manx. À propos du mot gallois « tynghed ».
« Je citerai ici un passage du début de l’un des plus celtes des contes gallois, celui de Kulhwch et Olwen. Le père de Kulhwch, après avoir été veuf quelque temps, se remaria, mais n’informa pas sa seconde épouse le fait qu’il avait un fils. Elle le découvrit néanmoins et le fit savoir à son mari ; aussi fit-il venir son fils Kulhwch, et ce qui suit est le compte-rendu de l’entretien qu’aura son fils avec sa belle-mère.
Sa belle-mère lui dit alors : « Il serait bien pour toi d’avoir une femme, et justement j’ai une fille qui est recherchée en mariage par tous les hommes de renom de ce monde ! »
« Je ne suis pas en âge de me marier », répondit le jeune homme. Alors elle lui répondit : « alors je te déclare que ton destin sera de ne pas trouver de femme qui te convienne tant que tu n’auras pas épousé Olwen, la fille d’Yspaddaden Penkawr ! »
Le jeune homme se mit à rougir et l’amour de cette jeune fille se diffusa de lui-même dans tout son corps, bien qu’il ne l’ait jamais vue. Et son père lui demanda donc : « Qu’est-ce qui t’est arrivé, mon fils, et de quoi souffres-tu ? »
« Ma belle-mère m’a dit que je n’aurai jamais d’autre femme tant que je n’aurai pas épousé Olwen, la fille d’Yspaddaden Penkawr ».
« Cela ne te sera pas difficile » répondit son père. « Arthur est ton cousin. Va donc chez Arthur lui couper les cheveux, et demande-lui ça comme récompense ! »
… Le mot dans le texte gallois pour Destin est tynghet (anciennement tuncet), et le terme irlandais correspondant est attesté sous la forme Tocad. Ces deux mots ont tendance, comme celui de « sort » à être utilisé surtout en mauvaise part. Antérieurement, ils ont dû être aussi utilisés dans un sens plus propice, comme dans le cas du nom de femme Tunccetace, sur une des premières pierres gravées du Pembrokeshire. Si son nom avait été rendu en latin on l’aurait probablement appelée Fortunata, c’est-à-dire bonne fortune… Dans la partie méridionale de mon comté natal de Cardigan, la phrase en question était encore d’usage courant ces trente dernières années encore, et les pratiques qu’elle dénote sont toujours suffisamment connues pour alimenter des histoires locales…
La formule tyngu tynghed, toujours parfaitement compréhensible au Pays de Galles, rappelle un autre exemple de l’importance de ce genre de malédiction, à savoir le latin fatum… Je précise ici que les Romains avaient une pluralité de fata ; mais… que l’on ignore si les Gallois de l’Antiquité avaient eux aussi plus d’une tynghed. Dans le cas de l’ancienne littérature nordique en tout cas, il apparaît que le Destin y porte un nom peut-être apparenté avec le gallois tynghed. Je fais allusion ici au personnage féminin appelé Thokk, qui apparaît dans l’émouvant mythe relatif à la mort de Balder…
Dans cette ogresse (Thokk), sourde aux appels des sentiments d’affection, nous avons peut-être la contrepartie de nos celtiques tocad et tynghed, et le nom de cette dernière en tant que partie intégrante d’une des formules de l’histoire galloise, tout en nous fournissant la clé du mythe, nous montre comme les premiers Aryens ne connaissaient rien de plus contraignant que la force magique d’un serment. Cette conception de la destinée porte certes avec elle la marque de son humble origine, et l’on souscrit volontiers au mot de Cicéron (De Divinatione II, 7) quand il écrit : « Anile sane et plenum superstitionis fati nomen ipsum ». Mais d’un autre côté elle a aussi la sinistre dignité de conférer un nom au sombre et inexorable pouvoir auquel l’univers dans son ensemble est censé obéir, un pouvoir devant lequel le grand et resplendissant Zeus de la race aryenne n’est qu’une vulgaire marionnette ».
Ar ro fedatar is vadh bodesin nobíad a athcin
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ou
Ar rofetatár is úad fessin no bíad a athgein.
Malédiction n’est d’ailleurs pas tout à fait le mot de notre langue qui convient le mieux pour traduire cette situation, car ce n’est ni une vengeance ni une punition et les effets n’en sont pas toujours immédiats. La caractéristique principale de ces geis/gessa est en effet qu’elles sont le plus souvent conditionnelles, et qu’elles sont en outre d’ailleurs le plus souvent négatives. Il est demandé à quelqu’un de faire ou plus fréquemment de ne pas faire, telle ou telle chose.
Le drame se noue quand le héros, pris entre deux gessa contradictoires, se trouve dans la nécessité de violer un de ces interdits pour respecter l’autre. Nous y reviendrons.
Ce qu’aucun homme ni aucune religion ne peuvent nier c’est l’existence d’un principe ou d’un immanent absolu originel strictement indifférencié, quel que soit son nom. Pro-père ou Avant-père, Hyperthéos, au-delà des dieu-ou-démons, Bythos… ; et c’est sur ce principe commun que les très-sachants de la druidiaction (druidecht) ont construit leur philosophie, qui est une sorte de chirk tous azimuts. Ce qui est odieux (taghout) aux yeux des nouvelles religions comme l’islam, évidemment.
Au commencement fut ensuite le Un, l’unique (principe du taouid), l’invisible silence, l’innommé, l’ineffable, que nos frères du nord appellent Ginnungagap et que la langue vulgaire appelle Dieu ou le Démiurge. Cet Être supérieur n’est ni le Un, ni le Multiple ; il est le Un dans et au-delà du Multiple.
Principe et cause, infini, enveloppé de lui-même, il n’agissait pas, mais, dans le silence inviolé de son abîme, il sortit de lui-même pour se mettre en œuvre. Cette opération de Dieu hors de lui-même est la première des puissances pouvant exister entre l’Être supérieur (Bitos) et le monde. La première émanation ou hypostase (vyouha dans l’hindouisme) du Un est la Loi des mondes connue sous le nom de Tokad chez les Celtes.
À l’origine de tout donc, un Être Absolu, immanent, transcendant, immuable, replié sur lui-même, coexistant avec sa pensée (le Tokad). Un être parfait, invisible, inconcevable, éternel.
Mais l’Être supérieur peut sortir de lui-même pour œuvrer ou se mettre en œuvre. Cette première émanation est dégagée de l’isolement primordial, et elle est capable d’engendrer.
Ainsi que nous l’avons dit, les très-sachants de la druidiaction (druidecht) l’appelaient Tokad. Le Tokad ou Destin est le plus ancien des dieu-ou-démons, celui qui embrasse tout ce qui est né.
Le Tokad, ou idée des choses, est le principe immanent à la réalité à laquelle il donne forme et signification aux yeux des hommes. Si la réalité divine est accessible aux hommes, c’est que ce Tokad ou Destin est présent dans les choses : il leur donne le principe d’être et leur sens. Le Tokad est dans un rapport de proximité avec le Dieu des chrétiens tout particulier, il descend, à la manière d’un fleuve, de l’Être. Le Tokad est Pensée ou Idée de Dieu à la façon de Platon. Le Tokad nous donne d’ailleurs une idée de Dieu ou du Démiurge. En tant que premier-né (monogène) de l’Être des êtres supérieur, le Tokad est en effet apte à comprendre la grandeur de son rêve, de son dessein.
Le Tokad ou Destin, est le seul vrai Fils du Père au sens strict du terme. Il était le premier dans l’Abîme sans fond de l’Être Un Éternel. « Il était en Dieu » diraient les chrétiens et c’est pourquoi il n’a pas d’âge, « il est Dieu ou le Démiurge » diraient les Grecs, c’est pourquoi il existe par lui-même ; enfin, « toutes les existences subséquentes sont générées par lui, et rien de ce qui a été fait, n’a été fait sans lui », diraient les mathématiciens.
Cette manifestation de l’être s’accomplit, ainsi que nous avons pu le voir au moyen de toute une succession de théophanies.
1) Le Dieu ou Démiurge diraient les Gnostiques, créé ou plus exactement suscité, apparu, dont est procréé toute créature, le créateur créature, le caché manifesté, le Premier Dernier…
2) L’épiphanie de l’essence de l’être, dont il n’est possible de parler que par allusion. Cette épiphanie constituant l’ensemble des théophanies dans lesquelles et par lesquelles le Tokad ou la Tocade ou « ison son bissiet » se révèle à lui-même ; sous la forme de certains éons ou dieu-ou-démons, primordiaux (le dieu-par, le réservoir psychique ou animique universel, Taran/Toran/Tuireann, etc.) C’est-à-dire dans la forme des êtres quant à leur existence dans le monde céleste supérieur.
3) La théophanie sous forme d’entités individuelles donnant existence concrète et manifestée aux épithètes ou noms divins. Depuis toujours existent dans l’essence même du Destin ou Tocad, ces épithètes ou ces noms qui constituent son essence, parce que les attributs qu’ils désignent, sans être
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identiques à son essence, y renvoient cependant. Ce sont les dieu-ou-démons comme Lug, Ogmios, Abellio, et ainsi de suite.
Il importe de ne pas attribuer au Principe originel ces noms et ces phénomènes, mais de les reporter aux différents degrés célestes ou terrestres de sa Manifestation (le dieu Pariollon, le Vindobitos ou Albiobitus, les dieu-ou-démons, les hommes, les sous-dieux, etc.)
Ces formes (les dieu-ou-démons) supports des noms divins, ont toujours existé au sein du Bitos ou être supérieur. Ce sont ces individualités latentes qui aspirent à être révélées. D’où le mouvement qui amène à l’être les attributs divins encore inconnus et les existences par lesquelles et pour lesquelles ces attributs divins sont manifestés en acte. Un dieu-ou-démon c’est le grand Tout du Destin, personnifié ou particularisé sous l’un de ses noms ou attributs. C’est d’ailleurs là le seul secret des attributs ou épithètes du Tokad/Tocade : le Dieu ou le Démiurge qui se crée lui-même dans la conscience des hommes, dans les croyances. Et c’est pourquoi la connaissance de Dieu ou du Démiurge est sans limites, puisque la récurrence de la procréation du monde ou de l’univers, les métamorphoses des théophanies, les métamorphoses de l’être, sont la loi même de l’Être.
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Note retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau.
LE TOKAD OU TOCADE (LE DESTIN).
La deuxième de toutes ces hypostases (vyouha dans l’hindouisme) suscitées par le processus de l’émanation a sans doute été le Tokad ou la Tocade, quand l’Être des êtres Supérieur ou Bitos a débordé du cadre du Un.
Que signifie concrètement cette loi des mondes ?
Projeté dans un espace informe, sans réalité, le Tokad en fait un univers réel et rationnel. Le Tocad ou Destin est donc l’intermédiaire par lequel Dieu ou le Diable, suivant les points de vue auxquels on se place, gouverne le monde ; il est « le capitaine et le pilote de l’univers ». De telles réflexions chez les gnostiques d’Occident (chez les druides antiques) aboutirent à la croyance en une loi universelle.
Sous le nom de Tokad, le druidisme de type amarcolitanos (voir et savoir) a par conséquent très tôt cherché à connaître les causes secondes et les principes seconds, qui président à la construction des mondes.
Ainsi que le disait un célèbre astronome : il y a quelque chose de mystérieux à voir des corps si différents de grandeur (les planètes) suivre mathématiquement les mêmes lois, obéir tous aux mêmes forces.
La notion de Tokad s’apparente à celle de l’ordre « véritable » ou « justice immanente » qu’elle a remplacée. À la base de la notion de Tokad ou Destin, il y a probablement l’idée du retour régulier des phénomènes cosmiques, leur caractère immuable et toujours conforme à eux-mêmes.
Si les fleuves coulent normalement, c’est qu’ils coulent selon le Tokad. Dans la sphère cosmique, si les choses se déroulent comme il faut, elles se déroulent conformément au Tokad. Si l’aurore luit normalement tous les matins, on dit que c’est à cause du Tokad.
Dans le concept de Tokad, il y a la notion d’harmonie également : il s’agit pour l’homme de vivre conformément au Destin ou à sa Destinée, c’est-à-dire en harmonie avec les rythmes cosmiques.
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NATURE DU MONDE ET DU TOKAD ET DÉFINITION DE LEURS RAPPORTS.
[DÉTERMINISME = DIEU OU DIABLE EXPLICABLE].
— Le premier stade de réalisation est le SUR-ÊTRE. C’est l’unité totalement indifférenciée.
— Le second stade est l’ÊTRE. C’est le niveau de la « possibilité universelle » ou Bitos, siège virtuel d’une différenciation indéfinie.
— Le troisième stade est l’EXISTENCE qui correspond à l’état créé.
À ce niveau il n’est d’autre Dieu ou Démiurge que le Destin ou Tocad, tel qu’il s’est progressivement dévoilé aux hommes de bonne volonté par l’intermédiaire des gnostiques d’Occident appelés druides. C’est sans aucun doute la conception la plus abstraite du divin jamais conçue. Elle est totalement libre de toute imagerie naïvement anthropomorphique ou de toute conception bassement utilitaire.
N.B. Mais en dépit de son appartenance à une triade ou trinité dont on retrouve trace presque partout, la Tocade ou Destin ne reçoit plus d’adorations particulières depuis longtemps. La dévotion populaire ne s’intéresse pas à lui, mais aux deux autres éléments de cette sainte poly-unité, le labaron, en tant que messager du Destin, ou le chaudron d’abondance (cosmique). On ne lui construit plus guère de sanctuaires ; et rares d’ailleurs sont ceux qui lui sont consacrés. Ne demeurent plus en présence, sur le même plan, le plan humain, que les deux autres grands dieu-ou-démons, même si cela fait aussi longtemps que l’on ne danse plus autour d’un chaudron (ou d’un tonneau), ce qui avait beaucoup irrité saint Colomban lors de son séjour en Autriche.
« Ils finirent par arriver à l’endroit indiqué [Bregenz] qui déplut fortement à Colomban, mais il décida d’y rester afin de répandre la foi parmi les Suèves. Un jour qu’il traversait leur pays, Colomban s’aperçut que les habitants s’apprêtaient à offrir un sacrifice à la façon des païens. Il y avait un grand tonneau qu’ils appelaient un fût, contenant vingt-six mesures de cervoise environ, installé en plein milieu de leur assemblée. Colomban leur ayant demandé ce qu’ils avaient l’intention de faire avec, ils lui répondirent qu’ils allaient en faire une offrande à leur Dieu nommé Wotan (que d’autres appellent Mercure). Après avoir entendu cette abomination, Colomban souffla donc sur le tonneau, et ne voilà-t-il pas que ce dernier se brisa et tomba en morceaux, en laissant la cervoise couler par terre. Ce qui prouva bien que le démon était caché dans ce récipient et qu’il escomptait piéger ainsi les âme/esprits des participants. Les païens ayant assisté à la scène en furent très surpris, et rapportèrent partout que Colomban avait un souffle capable de faire éclater à lui seul un tonneau cerclé de fer ».
Le tonneau est une invention celte destinée à l’origine à conserver la bière. Wotan est un dieu-ou-démon germanique, mais Mercure est un dieu-ou-démon romain. Correspondant au Lug celtique. Les Suèves étaient à l’origine un peuple mixte, mi-germain, mi-celte. Le plus célèbre de leurs rois, le dénommé Arioviste, était par exemple bilingue, et même bigame : une épouse germanique une épouse celtique. Les païens en question étaient donc diablement métissés, voire adeptes de la diversité culturelle, et avant même que cela soit devenu comme aujourd’hui un conformisme politique incontournable à la mode et dépendant de l’idéologie dominante.
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« À vous seuls il est donné, druides, de connaître, COMME DE LES IGNORER, les dieu-ou-les démons et les puissances célestes » (la Pharsale, I, 444-462).
Les dieu-ou-démons, ça existe ! Mais il ne faut pas en voir partout non plus ! La nature obéit à des lois, bien précises, et les dieu-ou-démons n’y sont pas toujours à l’œuvre ; contrairement à l’illusion dont se bercent les chrétiens (oui, n’hésitons pas à être un peu monganiens en parlant de cette ahurissante méthode Coué).
Luc 12, 22-32 ; Mathieu 6, 25-34 et 10, 29-31.
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Même nos cheveux seraient comptés par Dieu !
Une telle irresponsabilité peut être criminelle !
Notre religion étant une religion de la vérité il fallait que cette chose-là soit dite. L’éthique druidique est en l’occurrence celle d’Arrien, fidèle observateur de la religion galate de son temps. Autrement dit : « Entreprends et les dieu-ou-démons t’aideront, mais commence sans les attendre, car leur aide te sera donnée de surcroît ! La Fortune sourit toujours aux audacieux ».
Bref, il appartient donc aux vrais très-sachants de la druidiaction (druidecht) de bien voir quand quelque chose est imputable aux dieu-ou-démons, ou quand cela peut s’expliquer tout simplement par une des lois régissant la matière.
Il faut rendre aux dieu-ou-démons ce qui appartient aux dieu-ou-démons et aux lois de la nature ce qui appartient aux lois de la nature.
Il faut rendre à César ce qui est à César et aux gnostiques d’Occident ce qui appartient aux druides.
Croire est une chose, savoir en est une autre, comme l’avait très bien vu le chef celte mis en cause par Cicéron dans son Pro M. Fonteio Oratio.
Le monde des phénomènes est issu de la combinaison de réalités déterminées, déterminées par un ensemble de lois : le Destin ou Tokad.
Le Destin ou la Tokade existait avant même la naissance de ce monde.
La notion de Tokad ou de déterminisme explicable implique la priorité des lois sur les phénomènes et donc des concepts ou des idées sur les choses, comme aussi une certaine continuité de l’âme. Alors même que les mondes naissent ou disparaissent dans le déroulement cyclique de leur longue vie.
L’impulsion initiale tendant à la procréation des mondes n’a évidemment pu venir que d’un mouvement de réflexion de l’Être supérieur, l’Être Un a pensé devenir multiple. Mais une telle réflexion n’a pu à son tour venir que d’une réflexion antérieure, car sans réflexion il ne saurait y avoir de mouvement intérieur.
Dans le cas de l’Être supérieur, cette réflexion n’a pu être qu’une réflexion sur lui-même. Cette réflexion de l’Être supérieur sur lui-même est le seul vrai mystère de la religion druidique.
Derrière le nom de Tocade, le druidisme de type amarcolitanos (voir et savoir) a donc très tôt cherché à connaître les causes secondes et les principes seconds, qui président à la construction des mondes ; les composantes physiques de la matière et les lois qui la régissent. À remonter la chaîne évolutive et à parvenir à la connaissance, libératrice par définition, de la différence existentielle pouvant exister entre matière et âme (prakriti et pourousha pour les brahmanes).
Cette réflexion sur le Destin des êtres a débouché sur une conception dialectique des rapports entre la matière et l’âme (dualisme relatif à l’intérieur d’un cadre moniste).
Le monde n’a pas été créé, mais il a évolué et évolue encore d’ailleurs. Il fonctionne selon une loi, mais pas selon la volonté d’un Dieu ou Démiurge. Le Destin ou Tocade (moyen gallois tynghed, breton tonket, destiné, vieil irlandais tocad, destin, toicthech « fortunatus », tonquedec en breton, le labarum est son messager) constitue la plus implacable des lois de cause à effet, la seule qui puisse nous influencer. L’Homme et les manifestations auxquelles son activité donne lieu ne sont que des résultats. Cette loi de la nature suffit à expliquer l’univers. Dieu ou le Démiurge ne figure à aucun titre, ni comme cause première, ni comme providence, ni comme base et sanction de la loi morale, ni comme fin dernière de toute créature.
Le druidisme ne connaît ni créateur ni juge, mais une justice immanente et souveraine, encore que mécanique, le Destin ou Tokad. Mais ce destin pour les gnostiques d’Occident appelés druides n’est pas un mécanisme aveugle pour autant, c’est une puissance qui tend à devenir éthique, sans toutefois cesser d’être encore mécanique : la rétribution des œuvres est en effet rigoureuse et inéluctable ; entre la cause et l’effet, il y a un lien intime et constant, la même cause produit mécaniquement le même effet.
Il n’y a pas d’effet sans cause, toute manifestation dans le domaine physique ou mental procède d’actions antérieures et est elle-même l’origine de manifestations ultérieures ; chaque existence individuelle a pour cause et pour explication une incroyable somme de faits ou d’actes antérieurs.
Les conséquences des erreurs commises finissent toujours par atteindre le ou les coupables. On peut résumer cela par la phrase : « On récolte uniquement ce que l’on sème ». La justice immanente –
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immanente et non pas imminente – est inhérente à la nature même des personnes et des choses. Le Tokad (Tokade au féminin) rend la réalité cohérente et harmonieuse.
LA VOIX DU DESTIN (LE LABARUM).
Toute action manifestée, le frémissement d’une branche, la chute d’une feuille, le mouvement des nuages peut être en effet un message du Destin ou Tokad. Étudier puis interpréter ces messages (labarum) était d’ailleurs déjà la grande affaire des anciens druides.
L’acte qui fait apparaître le Destin ou Tocade, fait apparaître en même temps son petit frère, sa sœur, sa compagne, ou son parent : la destinée humaine. Le labarum est un agent des destinées humaines. La voix du destin, ou des dieu-ou-démons en quelque sorte. Du celte labaron (l’intelligence, la pensée, la voix, le verbe). cf. gallois llafar (loquace) vieil irlandais labraid (il parle), etc. Symbolisé plus tard en Irlande par la croix dite de saint Patrice et en Écosse par la croix dite de saint André. Cette déclinaison du Tokad au niveau inférieur ou humain, qu’est le labaron, voix ou verbe du Destin, est le principe même de toute justice immanente, de toute vertu, de toute beauté.
Il faut en effet distinguer, comme le fait d’ailleurs Scot Erigène, la « Déité insondable » et le « Dieu ou Démiurge providentiel ». La Déité insondable est la « Nature Incréée Incréante ». C’est « Le Principe qui est au-delà de tout Principe ».
Le Labaron (latinisé en labarum) est l’agent du Destin dans la procréation du monde, mais il est aussi le moyen par lequel l’esprit humain appréhende la divinité. En étudiant le Labaron = Voix, Verbe ou Parole absolue du Destin, on peut donc parvenir à connaître Dieu ou le Démiurge. Le Labaron visite les sages ou les inspirés.
Ainsi que nous l’avons déjà dit (on ne saurait faire plus chirk), Dieu ou le Démiurge est en quelque sorte mort, mais le Destin est comme son Testament, une lumière noire (oxymore) qui nous parvient des années après son implosion/explosion…
Chaque être ou objet, au sens large, possède un destin propre, celui de chaque homme étant appelé destinée.
Permettons-nous ici une petite incursion dans un univers culturel très proche, puisque les Cimbres et les Teutons du Danemark étaient en voie de celtisation : celui des Vikings selon l’historien français Régis Boyer.
Il nous faut partir de la conception que ces hommes avaient du destin, de leur destin. Nous l’avons ramené au sacré, lui-même relevant du culte des morts et des dieu-ou-démons. Ramenons-le à l’humain et revenons sur l’un des nombreux termes qui signifient destin, et que l’on a déjà cité, gaefa [note de l’auteur : rien à voir avec les gaesa irlandaises]. Autrement dit, ce que les puissances ont donné à un homme pour qu’il fasse de sa vie quelque chose de recevable à ses propres yeux, et donc aux yeux de la collectivité, d’abord familiale, sans laquelle il ne se conçoit pas. La gaefa, c’est le destin en quelque sorte individualisé ou pris en charge : la destinée. Celui qui a su faire fructifier ce don est un gaefumathr : un homme de gaefa… La notion peut être étendue au clan. Nous savons qu’une famille donnée bénéficie d’un destin, d’une part de chance propre, l’haminggja… Et les rêves, qui jouent un rôle si important dans les sagas et les poèmes, sont toujours d’une manière ou d’une autre, l’expression de ce destin. Le but de ces divers truchements est de favoriser la lucidité d’un homme à l’égard de ses possibilités. Son second effort sera de s’accepter. Le troisième temps, le plus difficile, sera de manifester, par des actes, ce dont il est capable, c’est-à-dire la façon dont le destin sacré a choisi de s’intéresser à lui. Nous dirions : d’affirmer sa personnalité.
Ce qui saute immédiatement aux yeux dans les contes et légendes irlandais c’est l’omniprésence déterminante de ce que l’on appelle au singulier geis, au pluriel gaesa ou aurgarta ; équilibré positivement par des buadha ou ada.
Qu’est-ce qu’une geis ? Nous avons vu à plusieurs reprises que la geis fonctionne aussi bien dans le sens de l’obligation que de l’interdiction. Elle est presque invariablement individuelle, mais elle peut être aussi collective comme dans le cas des Ulates *. Malheureusement, nous n’avons aucun moyen de déterminer ou d’expliquer comment et pourquoi telle ou telle geis est imposée à tel ou tel individu. Et nous ne savons pas davantage comment fonctionne le mécanisme de son application. Nous assistons simplement aux catastrophes et aux accidents que provoquent ses violations.
La traduction du mot par « tabou » n’est qu’une approximation, faute de mieux. Le tabou n’est pas une notion indo-européenne et son aspect uniquement négatif est en contradiction avec le sens souvent
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positif qu’a ce mot dans les contes et légendes irlandais. Vu l’importance de la notion mise en jeu, la christianisation a évidemment réussi à faire disparaître toute idée s’y rapportant, que ce soit en Grande-Bretagne ou sur le Continent.
Nous ne disposons donc plus d’un traité qui, quels que soient ses défauts éventuels, pourrait servir de base à cet exposé. En dehors du texte publié en 1951, dans les Actes de l’Académie royale d’Irlande, par Myles Dillon ; et qui commence de la sorte ou à peu près : les interdits du roi de Tara, que le soleil se lève pendant qu’il est encore couché, sur la plaine de Tara [c’est-à-dire qu’il doit être debout dès avant l’aube], descendre de son char dans Mag Breg le mercredi, etc., etc. (Suit une longue énumération en prose et en vers, pays par pays, et royaume par royaume…)
À l’exception de ce document donc, il n’existe en effet rien qui puisse être considéré comme un catalogue de gaesa. Nous en connaissons quelques-unes qui concernent des rois, mais c’est au hasard des récits, suivant la bonne volonté des narrateurs. Et tout le reste ou presque est réservé à des guerriers – qui s’en passeraient bien, mais s’en accommodent – dont la célébrité ne le cède qu’à la hardiesse ou à l’extraordinaire force physique. Le plus souvent, si ce n’est presque toujours, la geis n’est saisissable, ou n’est vraiment expliquée, qu’au moment de sa violation, quand elle devient brutalement efficace et qu’elle cause la mort du héros. Et si toutes les gaesa ne sont pas immanquablement mortelles, la plupart le sont, sans aucune rémission. Il existe donc, plus encore qu’un réseau, un système de gaesa – et autant de systèmes que d’individus – qui rendent tout roi ou guerrier de haut rang prisonnier de son destin……
La geis est évidemment adaptée à la fonction de celui qui la subit, et revêt, de ce fait, de très nombreux aspects. La geis garde cependant partout un aspect de fatalité, on y a vu surtout une sorte de résultat du hasard. Mais il ne faut pas croire au hasard : le hasard n’est jamais que la somme des raisons que nous ne connaissons pas. Le hasard est une contingence qui n’existe pas. Précisons bien en outre que si une femme peut être, en l’occurrence, la cause fortuite de la violation d’une geis, elle n’y est généralement pour rien, parce qu’aucune femme n’a le pouvoir d’en imposer une. Quand par exemple la jeune Deirdre contraint Noïsé à l’enlever, c’est par défi ou provocation, à la fois juridique et amoureuse, cela ne ressemble en rien à une geis.
* Ulates ou Voluntii. Nom de la tribu du demi-dieu Cuchulainn (Irlande du Nord).
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DOCUMENT DE TRAVAIL N° 2 : L’EXIL DES FILS D’USNECH OU UISLIU (Longes mac nUislenn).
Un druide a reçu l’hospitalité d’un vieux couple auquel il prédit, contre toute vraisemblance, la naissance d’une fille ; et cette fille « sera la cause de la mort de beaucoup d’hommes ». Le vieil homme, comme Abraham en semblables circonstances, commence par se montrer incrédule. Il chasse le druide. Mais le druide parti, la femme effectivement se trouve enceinte. Alors le vieil homme s’afflige et pleure « de ne pas en avoir demandé davantage ». Seulement dans son cas, la prédiction n’est pas une prédiction de bonheur. C’est une prédiction de mauvais augure qui n’apportera que la ruine et le désastre. Pour détourner le destin, il fait donc élever la fille loin des hommes, en confiant son éducation à une vieille femme. Pour être plus précis, elle est élevée dans un tertre sous la terre, autrement dit « dans un Sid ». Si nous hésitions à en faire une fée, que ceci nous serve de signe. Elle a dû être renvoyée, une fois née, sous la terre.
On ne parle à Deirdre, naturellement ni des garçons ni de l’amour. Mais une nuit, un jeune chasseur s’endort sur le tertre : il rêve de fées, il appelle. Elle, de dessous la terre, entend l’homme, pressent l’amour ; et fait rentrer le chasseur dans sa maison…
Le reste de la légende est plus connu. Le roi Conchobar veut se réserver Deirdre, mais la belle tombe amoureuse de Noïsé. Alors Noïsé ainsi que ses deux frères, enlèvent Deirdre puis s’enfuient avec elle au-delà de la mer où ils vivront heureux dans la nature sauvage pendant quelques années. Mais Conchobar arrive à faire revenir les trois frères, en promettant de leur pardonner. La malheureuse Deirdre en vain essaiera de s’y opposer. Elle pleure, elle prophétise. Les trois frères sont aveuglés par la nostalgie (de leur patrie). Ce n’est pas d’ailleurs la seule fois dans ces légendes que la nostalgie détourne les héros de leur route ou précipite leur destin. Et ce qui devait arriver arrive : Conchobar fait assassiner les trois frères dès leur retour. Une dramatique bataille à multiples épisodes a lieu, où nos héros s’entre-tuent, et les palais s’embrasent. Ce sera un vrai désastre pour le royaume des Ulates, qui plongera dans la guerre civile, l’élite de son armée partira en exil à la cour du roi voisin, ravi de profiter de cette aubaine. La malheureuse Deirdre survit au désastre, mais se laisse dépérir à petit feu avant de suicider pour fuir l’épouvantable et ricanant cynisme du roi Conchobar.
Quand Cunocavaros/Conchobar cherchait à l’amadouer, alors elle lui répétait ce qui suit :
Ah Cunocavaros/Conchobar, que me veux-tu encore ?
Tu ne m’as valu que chagrin et larmes
Quant à moi tant que je resterai en vie
Ton amour n’aura aucune importance pour moi.
L’homme pour moi le plus beau sur terre
L’homme qui m’était si cher,
Tu me l’as enlevé, quel crime horrible
Je ne le verrai plus qu’après ma mort.
Disparue à jamais, quelle douleur pour moi
Est la silhouette sous laquelle paraissait le fils d’Uisnig
Un tertre noir de jais sur un magnifique corps blanc
Qui était bien connu de toutes les femmes.
Deux joues de pourpre plus belle qu’une prairie
Des lèvres rouges, des sourcils de la couleur du scarabée.
Des dents brillantes comme des perles
De la noble couleur de la neige.
Son brillant équipement était reconnaissable
Entre tous les guerriers d’Alba
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Son manteau d’apparat pourpre lui allait bien
Avec sa bordure d’or rouge.
Sa tunique de soie, précieux trésor
Avait cent lam??? (une belle quantité)
Pour la faire il est clair
Qu’il avait fallu cinquante onces de bronze blanc (laiton?)
Un glaive à poignée d’or à la main
Deux javelots verts à fer de lance
Un bouclier avec une bordure en or jaune
Et un umbo d’argent.
Le beau Fergus a causé notre ruine
En nous faisant franchir la mer
Il a vendu son honneur pour de la bière
Ses hauts faits ne sont plus qu’un lointain souvenir.
Et même si sur la plaine se trouvaient rassemblés
Tous les Ulates et Cunocavaros/Conchobar
Je les abandonnerai tous sans combattre
Pour la compagnie de Noïsé fils d’Uisnig.
Ne me brise pas le cœur aujourd’hui
J’irai bientôt rejoindre ma tombe
Is tressiu cuma inda muir,
Madda eola a Chonchobuir
Le chagrin est plus fort que la mer
Le sais-tu O Conchobar.
De tous ceux que tu vois maintenant, qui hais-tu le plus demanda Cunocavaros/Conchobar ?
Toi-même, répondit-elle, et avec toi Eogan le fils de Durthacht.
Alors répliqua Cunocavaros/Conchobar, tu resteras un an avec Eogan, et il la remit entre les mains d’Eogan. Le lendemain ils se rendirent à l’oenach (assemblée, rassemblement) de Murthemné Buisi derrière Eogan, dans son char. Dorarngertsi nach facfed a da céili for talmain i n-oenfecht. Elle s’était promis qu’elle n’aurait jamais deux hommes en même temps sur cette terre. Eh bien Deirdre dit Cunocavaros/Conchobar, tu as le regard d’une brebis entre deux béliers, entre Eogan et moi !
Il y avait un grand bloc de rocher devant elle. Alors elle se jeta la tête en avant contre cette pierre et s’y fracassa le crâne de sorte qu’elle en mourut. Elle avait juré qu’elle n’aurait jamais deux compagnons différents sur cette terre.
Il s’agit donc de l’histoire classique d’une guerre provoquée par une rivalité d’hommes autour d’une femme. Avec, il faut bien le dire, un peu plus de classe, de romantisme, ou d’élégance, que les histoires de fesses d’Hélène de Troie et de la vengeance de son mari trompé, mais il y a plus. Deirdre incontestablement est un agent du destin. Elle accomplit un ordre prévu. Les fées dans la légende irlandaise jouent toujours le rôle d’agents du Destin ou Tokade (moyen gallois tynghed, breton tonket, destiné, vieil irlandais tocad, destin, toicthech « fortunatus », tonquedec en breton, le labarum est son messager). Elles déterminent des catastrophes. Les autres le font par leur malignité. Celle-ci le fait par sa grâce. Mais au fond le résultat est le même. Les hommes se précipitent à cause d’elle les uns sur les autres. Il est rare de trouver un drame humain capable d’éveiller de telles résonances religieuses. Cette légende compte parmi les plus grandes, de celles qui méritent de porter un message aux hommes de tous les temps.
Mais elle intéresse encore pour une autre raison les chercheurs et les érudits. C’est que l’on y saisit en acte deux métamorphoses : la transmutation d’une déesse-ou-démone ou fée, en héroïne de roman ; la transmutation du mythe en histoire de guerre et d’amour. Il s’agit donc d’évhémérisme à rebours. Il est presque trop facile de débusquer la déesse-ou-démone ou la fée si l’on préfère, sous le masque humain de Deirdre. Il est plus difficile et plus aventureux par contre, de percevoir, par-delà la fureur de nos héros et les palais en feu d’Emain Macha, le fracas d’un écroulement cosmique. Cela
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reste une hypothèse. Si elle est vraie, il se serait produit dans ce cas, comme dans beaucoup d’autres, une descente de plan, avec condensation à l’étage inférieur, et déformation proportionnée.
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Le destin ou Tokade (moyen gallois tynghed, breton tonket, destiné, vieil irlandais tocad, destin, toicthech « fortunatus », tonquedec en breton) se retrouve parfois personnifié ou symbolisé dans les légendes druidiques, par un vieux roi vivant retiré hors du monde dans une île mystérieuse correspondant sans aucun doute à la technique dite des imrama ou navigations. Bêtement assimilé à Saturne ou Cronos par les Gréco-Romains. En tant que messager du Destin bien sûr, c’est lui qui connaît l’avenir, et c’est lui que l’on va consulter pour le connaître.
« La nature de cette île est merveilleuse, et notamment la douceur de son climat. Ceux d’entre eux qui conçoivent le dessein de quitter les lieux en sont empêchés par la divinité, qui leur apparaît alors comme à des intimes ou à des amis, et non pas en rêve seulement ou de façon symbolique, car beaucoup également voient et entendent des esprits [ou démons en grec] se manifester. Cronos lui-même [le Destin ????] dort dans la profonde grotte d’un rocher qui brille comme de l’or – le sommeil étant le seul moyen que Zeus [Taran/Toran/Tuireann ???] a trouvé pour lui servir de lien – et des oiseaux volant au-dessus de ce rocher lui apportent de l’ambroisie ; toute l’île est embaumée par ce parfum qui semble sourdre de ce rocher comme d’une fontaine ; et les esprits [ou démons en grec] mentionnés plus haut soignent et servent Cronos [le Destin ?], ayant été ses courtisans et ses amis [hetaerous en grec] du temps où il régnait sur les dieux et les hommes. Beaucoup des prédictions qu’ils font ne viennent que d’eux-mêmes, car ce sont de bons oracles, mais les prophéties qui sont les plus importantes et portent sur les plus grands sujets, ils les délivrent en rendant compte de songes faits par Cronos, car tout ce que Zeus prémédite, Cronos le voit dans ses rêves » (Plutarque. De facie in orbe Lunae, 26).
Au niveau populaire, le Destin est aussi fréquemment représenté par une triade comme celle qui a été découverte à Vertault (département français de la Côte-d’Or) ou celle qui est constituée par Banuta, Ériu, et Votala, en Irlande. Ces triades féminines appartiennent à un type répandu dans la statuaire britto ou gallo-romaine. Un groupe similaire de trois femmes avec des fruits dans leur giron porte d’ailleurs une inscription les désignant comme des fées de type matres, des déesse-ou-démones-mères, garantes de l’abondance et de la prospérité familiale. Ces statues étaient sans doute placées dans ou devant l’autel familial de la maison.
Le groupe sculpté en calcaire de Vertault figure trois femmes assises sur un siège à dossier. Ces vierges mopates portent sur leurs genoux, l’une le nourrisson, la deuxième le linge, la dernière l’éponge et la cuvette. Ces attributs, ainsi que leur poitrine à demi dénudée, suggèrent qu’elles sont intimement associées aux soins du nouveau-né. La triade de Vertault a une signification symbolique. Le linge peut évoquer un parchemin déroulé, la cuvette une patère à libation. Ces bonnes fées qui se penchent sur le berceau de l’enfant correspondent aux Moires, aux Parques, ou aux Nornes, des autres traditions du monde antique.
Dans la triade des Bolards (Musée de Dijon), une déesse-ou-démone, ou une fée si l’on veut, tient d’ailleurs une balance. Ce sont aussi en réalité des hypostases du Destin (vyouha dans l’hindouisme) représentant l’une le passé, l’autre le présent, la troisième le futur. Note du Français Régis Boyer à propos des Nornes germaniques : Comme le dit un proverbe viking, « on ne survit pas un soir à la sentence des Nornes ». Snorri Sturluson, visiblement à l’école des Grecs (voir les trois Parques) veut qu’elles soient trois, auxquelles il donne des noms, dont deux au moins (Skuld, avenir ; et Verdandi, présent), sont fabriqués pour les besoins de la cause, la 3e, Urdr paraissant seule d’origine antique. En fait, il semble que les nornes soient aussi nombreuses que les êtres humains (Régis Boyer). Les nornes germaniques correspondent donc aux fées de type Matres celtiques qui elles aussi sont symboliquement trois, et plus précisément aux matres nessamae. On ne survit pas un soir à la sentence des matres nessamae, devaient par conséquent dire les très-sachants de la druidiaction (druidecht), de ce temps-là.
Le tout sous l’égide d’une loi mécanique fatale qui agrège et combine ses éléments de façon à produire tout ce qui existe dans l’univers.
La triade irlandaise Banuta, Ériu et Votala, joue un peu le même rôle dans la tradition irlandaise.
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Banuta (graphie moderne Banbha) est une reine des dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone Danu (bia), son nom signifie « truie », « laie », ou « cornue ». Elle est la fille d’Ernmas, et avec ses sœurs Votala/Fodla ainsi qu’Ériu, elle forme une triade, véritable personnification de l’Irlande. Dans l’incroyable méli-mélo légendaire ou mythique, au très mauvais sens du terme, que les bardes irlandais ont consacré à ce sujet, lorsque les Milésiens ou Gaëls débarquent, chacune des trois sœurs leur demande de donner son nom à l’île ; c’est celui d’Ériu qui sera choisi, néanmoins celui de Banbha sera également utilisé (comme allégorie du pays).
Mais, au-dessus de ces déesses-ou-démones qui agissent et qui se meuvent, la Raison ne peut que concevoir un autre stade de l’être. Le destin ou l’intelligence supérieurs (hypertheos), qui n’agit pas, qui est immobile, qui contient en lui et contemple les idées de ces types éternels que les hypostases comme l’âme ou la matière réalisent dans le monde. Le temps n’est par exemple que l’image, l’émanation, ou le rayonnement de ce destin.
Chez les Celtes le terme celte Tokad désigne la « disposition » normale de toutes choses (de la racine tonk – « jeter un sort, prédestiner »), ou l’Ordre, la Norme. Le Tokad ou Destin est l’émanation divine qui fait passer l’inarticulé au stade articulé (rta en Inde).
Toutes les multiples destinées sont régies par le Tocade, la grande Loi universelle. Le Destin est donc aussi un ensemble de résignations ou d’acceptations gouvernant de façon purement extrinsèque la société idéale. La notion de bien ou mal n’y a pas de place au niveau individuel, il s’agit d’une logique et d’une déontologie de groupe fonctionnel.
Les destinées individuelles peuvent être très différentes selon le métier exercé. Tuer un autre homme est par exemple interdit, mais il va de soi que tuer d’autres êtres humains ou être soi-même tué fait partie de la vocation des militaires.
Dans la sphère humaine, agir selon son destin, c’est agir selon la déontologie de son état. On parlera dans ce cas de destinée propre à chaque classe, et finalement à chaque individu.
Dans la sphère cultuelle, agir selon le Tokad, c’est d’abord accomplir les rites correctement selon les règles. Mieux, dans l’ancien druidisme prévaut l’idée que l’acte sacrificiel reflète la norme de l’univers tout entier. Il y a syntonie entre le tokad cultuel et le tokad cosmique. Le sacrifice maintient le Tokad.
Le lien entre le Tokad et le sacrifice est parfaitement illustré par l’idée que si le soleil se lève tous les matins, c’est certes, conformément au Tokad ; mais c’est aussi parce que tous les matins au lever du soleil il y a dans chaque foyer ou dans chaque maison allumage du feu avec éventuellement une libation ou une petite ateberta (offrande).
C’est du moins l’idée qui ressort a contrario de ce curieux passage du Senchus Mor nous parlant d’un certain Connla Cainbrethach.
« Après elle vint Connla Cainbrethach, chef des sages du Connaught. Il dépassait les hommes d’Irlande en sagesse, car il était rempli de la grâce de l’Esprit-Saint. Il argumentait contre les druides qui disaient que c’était eux qui avaient fait le ciel, la terre, et la mer… et le soleil et la lune, etc. C’était lui qui leur disait… ne vous vantez pas de vos pouvoirs, puisque vous n’êtes pas capables de changer l’ordre d’un seul jour et d’une seule nuit, dont le déroulement est le même dans les éléments selon ce que Dieu a établi » (Anciennes lois d’Irlande, tome I, page 22).
La réfutation chrétienne est évidemment aussi ridicule que sa croyance en un miracle le jour de la bataille de Gabaon (le soleil arrêtant sa course pour laisser à Josué le temps de parachever sa victoire). cf. Josué (10,1-15).
Si le soleil, la lune ou n’importe quelle autre planète s’arrêtait un instant, cela provoquerait un tel cataclysme que le système solaire volerait en éclats. D’autre part, si le soleil s’était arrêté aussi longtemps que le prétend cette théorie, les autres peuples, éclairés par le même soleil, auraient dû le constater. Or aucun n’a conservé le souvenir d’un tel phénomène.
Ce que voulaient simplement dire les druides dont se moque Connla Cainbrethach, c’est que c’est grâce aux sacrifices quotidiens ou aux prières quotidiennes des humains que le monde se maintient. Ce qui est, certes, faux d’un point de vue objectif et matériel, mais qui ne fait que traduire le fait que les druides de cette époque accordaient autant d’importance à leur culte que les chrétiens pour ce qui est de la messe. Pour eux c’était le culte qui entretient le monde en ordre de marche, et sans culte, sans croyance, le monde ne peut que replonger dans le chaos. Même idée en Inde d’ailleurs.
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COSMOGONIE DRUIDIQUE III.
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RETOUR SUR LA COSMOGONIE DRUIDIQUE.
Opinion individuelle du druide Leonorios sur la cosmogonie druidique.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le remarquer, les judéo-islamo-chrétiens prétendent que Dieu (ou le Démiurge ?) a créé le monde à partir de rien (ex nihilo). Or, comme le remarque si bien H. von Stietencron, à côté du Un immanent absolu, peut-il y avoir un rien, c’est-à-dire un domaine que ne pénétrerait pas sa plénitude qui englobe tout ? Ce serait une limitation, une restriction » (Hans Küng et H. Von Stietencron. Christentum und Weltreligionen. Traduction Pierre de La Crau).
Cette venue à l’être du chaos de matière première initiale (le Pariollon) ne doit donc pas être conçue comme un surgissement du néant, mais comme un phénomène moniste : l’autodéploiement de l’Être supérieur. Car le monde n’est pas créé par le UN, mais le Un a produit la diversité par autodéploiement. Il n’y a rien dans le monde, ni animal, ni plante, ni pierre, qui ne conserve cette relation à son origine et qui, donc, n’ait pas sa part à l’unique être immanent absolu. Dit autrement, il y a plus qu’une simple participation du monde et de toutes les créatures à la nature de Dieu (comme dans les variantes les plus éclairées du judéo-islamo-christianisme). Il y a identité entre Dieu et le Monde.
Ou plus exactement entre Dieu ou le Démiurge et les Mondes, car le Destin supérieur a suscité non seulement notre terre, notre soleil, notre lune et nos étoiles, mais aussi d’innombrables mondes parallèles. Ces mondes flottent dans l’espace comme des feuilles de chêne flottant dans la brise. Comme des feuilles de chêne, ils s’ouvrent et se ferment, naissent et meurent. Et leurs dieu-ou-démons également, car les dieu-ou-démons naissent et disparaissent avec eux.
Un jour Dieu Allah ou Yahweh disparaîtront eux aussi, avec ce monde qui est le nôtre et qu’ils prétendent (ruse suprême dans la bouche de leurs thuriféraires) avoir créé.
(mais l’équivalent druidique de la Götterdernmerung germanique ne nous est pas néanmoins parvenu, sauf sur des pièces de monnaie des Unelles ou des Veliocasses représentant un loup monstrueux dévorant la lune et mordant les pattes d’un cheval solaire, mais laissant derrière lui un coin de verdure).
Revenons à cette génération spontanée de la matière première initiale.
Les hommes ont toujours été partagés sur la question de l’éternité du monde, mais jamais sur l’éternité de la matière : Ex nihilo nihil, in nihilum posse reverti. Voilà l’opinion de toute l’Antiquité classique. Voltaire cite là un vers du poète latin Lucrèce, dans lequel il résume le système d’Épicure : aucune chose ne peut venir de rien ni retourner à rien, c’est-à-dire que rien ne peut être créé ni anéanti. Tout se transforme ajoutera Lavoisier.
Il n’existe donc pas et n’existera jamais de Dieu ou de Démiurge éternel créateur, omnipotent, source de salut, et ainsi de suite. Et le druidisme est athée en ce sens que, comme le bouddhisme, il nie formellement l’existence d’un tel dieu-ou-démon supérieur anthropomorphe, omnipotent, omniscient, en même temps pur amour, créateur de l’univers, etc., etc. Le vrai druidisme ne postule pas l’existence d’un créateur, mais n’admet que la réalité d’un processus de création (pro-création).
Répétons-le encore une fois ! Il n’y a pas de créateur, les choses dépendent simplement de leurs propres causes : il n’y a pas de commencement. Tout change constamment. De nouvelles circonstances produisent des faits nouveaux qui agiront à leur tour comme cause et produiront à nouveau quelque chose de différent. Ne demeurent invariantes que quelques grandes lois cosmiques que d’aucuns appellent le Destin. C’est la notion d’interdépendance généralisée. Toute chose dépend également de ses parties ou de ses composants.
Les chamans primordiaux recouraient à différentes images, assez naïves d’ailleurs, pour parler de l’origine de ce monde. Ils voyaient généralement cela comme une séparation entre le ciel et la terre voire comme un sacrifice.
Mais la question qui se posait alors était la suivante : d’où vient le matériau utilisé par le grand architecte ou le grand horloger de l’Univers ? Était-il déjà présent à ses côtés ? Y avait-il par exemple déjà une matière originelle également sans commencement, à partir de laquelle le monde pouvait être façonné ? Ou bien n’y avait-il, au commencement, que le Un du Néant, et rien d’autre à côté ?
Sous le nom de Tokad ou Tocade le druidisme de type amarcolitanos (voir et savoir) a donc très tôt cherché à connaître les causes secondes et les principes seconds, qui président à la construction des mondes ; les composantes physiques de la matière et les lois qui la régissent. À remonter la chaîne
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évolutive et à parvenir à la connaissance, libératrice, par reconnaissance de la différence existentielle entre matière et âme (prakriti et pourousha pour les brahmanes).
Cette réflexion sur le Destin des êtres a débouché sur une conception dialectique des rapports entre la matière et l’âme (dualisme relatif à l’intérieur d’un cadre moniste).
Voir, à l’autre bout du monde indo-européen, la doctrine moniste – advaita – du philosophe hindou Shankara, au VIIe siècle ou le dualisme relatif – vishishtâdvaita – du célèbre Râmânouja (1017-1137).
Les druides antiques n’ont jamais été aussi loin dans la négation du monde que les bouddhistes de la plus ancienne École, ou que les philosophes grecs de type Parménide ou Zénon d’Élée. Pour les éléates en effet, tout est illusoire et nous trompe en ce bas monde : notre langage, nos symboles et même notre bon sens. Mais entre cette pure exigence logique, et toutes les suggestions concrètes, dispersées, contradictoires, de la science ou de l’expérience humaine, auxquelles l’homme ne peut échapper, l’intervalle est trop vertigineux. Les druides essaieront donc de percer le secret de la Nature des Choses en commençant à organiser méthodiquement la synthèse des connaissances sur l’Homme et l’environnement, jusque-là isolées.
Les druides primordiaux (du IIe millénaire avant notre ère) étaient d’excellents observateurs du ciel. Ils ont réalisé très tôt que temps et espace étaient immenses et ils ont tenu compte dans leurs réflexions de cette formidable immensité.
Si l’on en croit Celse (Discours vrai contre les chrétiens – 178), la notion de cycles bien plus longs que ceux de la Bible (Celse se moque d’ailleurs de l’étroitesse des conceptions de Moïse * en matière de chronologie) ; était déjà couramment admise dans l’Antiquité.
Fragment numéro 5.
« La cosmogonie de Moïse est d’une puérilité qui dépasse les bornes. Le monde est autrement vieux qu’il ne le croit ; et des diverses révolutions qui l’ont bouleversé, soit des conflagrations, soit des déluges, il n’a entendu parler que de la dernière, le déluge de Deucalion ».
Fragment numéro 42.
« Après un cycle d’un certain nombre de siècles, au retour de certaines conjonctions des astres, des conflagrations et des déluges se produisent. Or, comme le dernier cataclysme qui ait eu lieu au temps de Deucalion est un déluge, l’ordre des choses devant amener une conflagration ; ils se sont fondés là-dessus pour affirmer que Dieu devait descendre ici-bas tout armé de feu comme pour appliquer une torture ».
Les gnostiques d’Occident semblent cependant avoir été beaucoup plus loin ; et avoir admis l’existence de supercycles, encore plus grandioses, et bouclés non plus par l’action du feu ou de l’eau, alternativement, mais par l’action CONJOINTE de ces deux éléments. Puisque tel est peut-être en définitive le seul sens possible de cette remarque de Strabon à leur sujet :
« Ils affirment que les âmes et l’univers sont indestructibles, mais qu’un jour seuls le feu et l’eau régneront » (Strabon. Géographie IV, 4 à 6).
Les cycles cosmiques envisagés par les druides se terminent donc, non pas comme ceux qui sont envisagés en ce temps-là, c’est-à-dire par l’action de l’eau OU du feu, suivant le cas, mais par l’action des deux RÉUNIS. Ces supercycles « druidiques » englobant ou dépassant, et de loin, les autres, ont beaucoup surpris évidemment Strabon, qui n’était guère habitué à des durées aussi importantes en matière de cosmogonie.
Les nombres avec lesquels jonglent les sciences actuelles (20 milliards d’années d’âge pour le présent cycle) rendent absurdes les données chiffrées de la Bible, puériles même en comparaison (six petits milliers d’années pour cette Terre).
Les données druidiques, elles, avec leurs ordres de grandeur qui faisaient ricaner les Grecs, les Romains, voire les juifs, étaient déjà moins éloignées de la réalité.
La cosmologie druidique est caractérisée par la reconnaissance de la formidable immensité de l’espace et du temps.
Dans le livre de Lismore ((fo.151, b 2) on trouve en effet le passage suivant.
« Trois ans pour le champ (assolement triennal ?).
Trois durées de vie du champ pour le chien.
Trois vies de chien pour le cheval.
Trois vies de cheval pour l’être humain.
Trois vies d’être humain pour le cerf.
Trois vies de cerf pour le merle.
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Trois vies de merle pour l’aigle.
Trois vies d’aigle pour le saumon.
Trois vies de saumon pour l’if.
Trois vies d’if pour le monde du début à la fin ».
Que notre auteure préférée [Éléonore Hull, « Le faucon d’Achill ou la légende des plus vieux animaux du monde », Folklore, Tome. 43, No.4 (1932) : pp. 376–409] commente ainsi.
« Nous arrivons ainsi à 59 050 ans, soit deux multiples de trois en plus que le calcul de Westminster, qui nous donne 6561 ans ; c’est-à-dire la durée de vie d’un saumon dans la liste irlandaise ».
Ce qui avait déjà de quoi surprendre les peuples mentionnés ci-dessus puisque leur tradition à eux ne faisait remonter la naissance du monde qu’à quelques milliers d’années. Certaines Écoles druidiques (les plus spiritualistes) semblent avoir vu les choses ainsi.
Le monde matériel est le point ultime de la diffusion divine. Le monde « émane » « découle » comme d’une source, de Dieu, et il n’est pas nécessaire que sa Volonté intervienne dans la formation du monde. Cela signifie d’une part que Dieu ne pouvait pas faire autrement que de créer, d’autre part qu’il y a une continuité d’émanation entre le monde et Dieu.
Tout ce qui existe doit nécessairement exister, puisqu’il existe. Car s’il y a aujourd’hui une raison à l’existence des choses, alors il y en a eu aussi une hier, il y en a même eu de tous les temps ; et cette cause doit toujours avoir eu un effet, sans quoi elle aurait été à jamais ou pour l’éternité, une cause inutile.
Toutes les choses qui existent sont donc des émanations éternelles de ce premier moteur.
Mais comment imaginer que de la pierre et de la fange soient des émanations de l’Être éternel, intelligent et tout-puissant ?
Il n’y a que deux partis à prendre : ou admettre que la matière éternelle est par elle-même, ou que la matière sort éternellement d’un Être puissant, intelligent, éternel.
Mais, ou subsistante par sa propre nature, ou émanée de l’Être producteur, cette matière existe de toute éternité, puisqu’elle existe, et qu’il n’y a aucune raison pour laquelle elle aurait pu ne pas exister auparavant.
Si la matière est par conséquent éternellement nécessaire, il est donc impossible, il est donc contradictoire, qu’elle ne soit pas. Dire que cet Être éternel, ce Dieu tout-puissant, a de tout temps rempli nécessairement l’univers de ses productions, ce n’est pas lui ôter sa liberté ; bien au contraire, car la liberté n’est que le pouvoir d’agir. Dieu a toujours pleinement agi ; donc Dieu a toujours usé de la plénitude de sa liberté.
Il est par conséquent aussi impossible que le monde soit sans Dieu, que Dieu soit sans le monde.
Ce monde est rempli d’êtres qui se succèdent ; donc Dieu a toujours produit des êtres qui se sont succédé. Si l’influx vital qui émane continuellement de cet être supérieur, tant dans le monde naturel que surnaturel, cessait un instant, tout retomberait dans le néant (Voltaire. Dictionnaire philosophique).
* Moïse. Ou plutôt le scribe qui a mis ces idées dans sa bouche, l’existence historique de Moïse étant très controversée tout comme l’exode (nous y reviendrons).
** Estimation des « druides » actuels : âge de la Terre 5 milliards d’années, âge de l’univers (ce qui s’est passé après l’apparition du Grand Tout) : 15 milliards d’années
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LE PARIOLLON OU DIEU PAR (le taghout dit-on en terre d’islam).
La source d’énergie cosmique par excellence, le Pariollon des druides correspond au Chaos des Grecs.
Le mythe grec avait lui dissocié chronologiquement le chaos initial, sorte de pré-univers ou Tohu-Bohu monstrueux dans lequel Ouranos copule avec sa mère Gaïa et détruit ses enfants, du cosmos en tant qu’univers organisé où règnent la règle et l’ordre. Le Chaos désigne donc, dans la pensée grecque classique, la confusion originelle, le mélange primordial d’ordre et de désordre, qui précède l’apparition du Cosmos, c’est-à-dire de l’Univers conçu comme un tout ordonné, une totalité organisée. Le chaos est l’arrière univers où ordre et désordre sont indistinctement mêlés. Ou encore la confusion qui précède la procréation ou la formation de l’Univers.
La pensée grecque classique opposait logiquement « Hubris », c’est-à-dire la démesure forcenée, à « Diké », la loi, l’équilibre parfait.
Le Chaos est donc en quelque sorte « Hubris » et « Diké » confondus. C’est la notion d’indistinction entre puissance destructrice et puissance créatrice, entre ordre et désordre, entre désintégration et organisation.
Les druides avaient grosso modo la même idée, mais figurée par un gigantesque chaudron de sorcière.
Selon la théorie classique de Poincaré (conférence de Saint-Louis du Missouri du 24 septembre 1904), l’univers est né d’un point (ou singularité, gallois lle bo cydbwys pob gwrth), où tout ce qu’il contient était condensé dans un volume nul.
Il n’y a pas de place dans cette vision du monde pour un quelconque dualisme (= séparation âme/corps, l’âme étant procréée spécialement par Dieu ; tandis que le corps ne serait qu’une forme de la matière, lieu de la souffrance et du mal). Car il n’y a pas de corps possible séparé de l’âme, qui en tient unies toutes les parties.
L’univers très primitif (juste après sa naissance) possédait un certain nombre de caractéristiques frappantes, voire étonnantes.
Ses dimensions : pourquoi trois dimensions d’espace et une dimension de temps ?
Son taux d’expansion, quasiment égal à celui qu’il faudrait pour que son expansion continue indéfiniment.
Sa courbure (même si l’on ne sait pas si elle est négative, positive ou nulle, la courbure est quelque chose qui reste constant, une des caractéristiques intrinsèques de l’univers). Encore que, il se pourrait bien qu’il y ait de fortes variations de courbure locales, et même des variations rapides avec le temps…
La valeur de certaines constantes physiques (exemple le rapport entre la masse de l’électron et celle du proton, ou le taux d’expansion cité précédemment) ; si elles avaient été différentes, ne serait-ce que d’un milliardième, n’auraient pas rendu la vie possible. L’univers se serait recontracté après moins d’un million d’années, ou bien la création de molécules complexes aurait été impossible.
Peter Atkins justifie ces questions par le principe anthropique : si ces constantes ont la valeur que nous observons, c’est précisément parce que ces valeurs sont celles qui permettent la présence d’observateurs !
Il existe donc peut-être une infinité d’univers avec des lois d’univers différentes, mais nous ne vivons pas dans ces autres univers parce que ces « autres univers » ne permettent pas la présence d’observateurs intelligents.
Ce principe soulève des problèmes philosophiques considérables, en effet, car il s’oppose violemment à toute la démarche des scientifiques depuis Galilée. Admettre que l’univers est ce qu’il est parce que les êtres humains sont dedans, n’est-ce pas un retour à des âges préhistoriques et superstitieux ?
Pourtant, si cette idée que l’univers pourrait avoir été très différent, et qu’il existe donc peut-être des univers avec deux dimensions d’espace seulement (ou deux de temps ! On pourrait par exemple tourner en rond dans le temps et le principe de causalité serait battu en brèche) ; ou dotés d’une vitesse de la lumière égale à trois mètres par seconde ; est vraie, alors ces univers, si variés, si différents, seraient bien issus de quelque chose ! Il nous faut donc imaginer une sorte de marmite cosmique, un chaudron géant situé hors du temps et de l’espace dans lequel des univers « bouillonnent » ; des lambeaux d’univers ayant peut-être une dimension d’espace, ou dix, qui apparaissent et s’attachent entre eux, ou s’annihilent peut-être…
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Le Dieu Pariollon (chaos chez les Grecs, Parinirvana en Extrême-Orient), ainsi désigné parce qu’il n’est rien dans l’univers, passé, présent ou futur, qui ne soit en rapport avec lui ; c’est l’Univers comme élément unique, global et constant. Une valeur universelle dans le domaine de la Nature comme dans celui de l’âme.
« Ils discutent et transmettent à la jeunesse beaucoup d’éléments concernant les étoiles et leurs mouvements, l’étendue de ce monde et de notre terre, la nature des choses, le pouvoir et la majesté des dieux immortels » (César, B.G. Livre VI, XIV).
Dès la haute époque, on trouve trace de spéculations sur le principe unique, neutre, qui est à l’origine du monde et qui rend compte de la pluralité des choses. Ce principe, dégagé de toute contingence mythique et rituelle, fournira, dès la plus haute antiquité, la notion d’énergie universelle ou vitalisme. L’existence est une perte, comme l’abandon d’une source primitive. Elle est une ex-istence, une sortie de l’Être originel immuable. En naissant, les choses se détachent de l’unité primitive.
Ce type de spéculations trouve son apogée dans les légendes irlandaises (voir par exemple la navigation de Bran fils de Fébal) qui ; sans abolir pour autant la pensée génératrice de mythes des âges plus anciens ; s’astreignent à la resserrer de proche en proche dans le cadre d’équivalences, ou d’identifications entre microcosme et macrocosme (aux choses humaines, on peut comparer les divines. Ausone).
Pour les doctrines mécanistes, la vie n’a aucune spécificité, le monde organique étant réductible entièrement aux lois de la matière.
Le vitalisme, lui, par contre, est une conception philosophique définissant l’énergie comme de la matière dans laquelle se trouve un principe ou une force vitale. Selon cette conception, c’est cette force ou énergie qui insufflerait la vie à la matière. Le vitalisme a été petit à petit remplacé par une conception matérialiste de la vie, où les règles physico-chimiques des êtres vivants sont les mêmes que ceux qui régissent la matière inanimée.
S’il ne peut être confondu avec le mécanisme, le vitalisme ne doit pas davantage être identifié à l’animisme : l’animiste ne se contente pas de subordonner la matière à la vie, mais, qui plus est, il soumet la vie à la pensée. Les philosophes d’inspiration vitaliste considèrent au contraire l’activité intellectuelle comme fondamentalement subordonnée à la « vie ».
L’apparition du christianisme coïncide avec un premier abandon du vitalisme. La science et la philosophie sont dépossédées de leurs fonctions explicatives et justificatives. Le sens de la vie et la fin dernière de l’Homme deviennent des préoccupations purement théologiques, et le vitalisme s’efface donc devant l’idée dominatrice de la toute-puissance divine.
À l’origine, cette théorie est surtout une réfutation de la conception aristotélicienne de la vie, c’est-à-dire une vie divisible selon ses attributs : croissance, sensibilité, locomotion et intelligence. Contre Aristote, on suppose donc l’existence d’un principe vital supérieur englobant toutes ces subdivisions, ce qui donnera naissance au vitalisme. « J’appelle principe vital de l’Homme la cause qui produit tous les phénomènes de la vie dans le corps humain. Le nom de cette cause est assez indifférent et peut être celui que l’on veut. Si je préfère celui de principe vital, c’est qu’il implique une idée moins limitée que le nom d’impetum faciens, que lui donnait Hippocrate, ou que d’autres noms par lesquels on a désigné la cause des fonctions de la vie ».
« Les Celtes affirment qu’ils descendent de Dis Pater, et disent que cette tradition leur vient des druides. Pour cette raison ils établissent les divisions de chaque saison, non en jours, mais en nuits ; et ils calculent les anniversaires ainsi que les commencements de mois ou d’année en suivant un ordre tel que le jour y suit la nuit » (César. B.G. Livre VI, XVIII).
Cette théorie sera reprise par le médecin français Bichat (1771-1801) qui enracine le vitalisme dans une authentique démarche scientifique. Il considère la vie comme « l’ensemble des fonctions qui s’opposent à la mort ». Et sur la base d’une fine analyse de ces fonctions, il postule que le principe vital, qui sous-tend toutes les manifestations de la vie, est une résistance à la mort, entendue comme une altération des objets physiques.
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Il y aurait donc une contradiction manifeste, un conflit pourrait-on dire, entre les dynamiques de la matière (qui vont dans le sens de la dégradation) et celles de la vie (qui vont dans le sens de la conservation). Cette cohérence théorique appuiera le succès du vitalisme dans l’opinion.
Le vitalisme a évidemment été condamné par le pape Pie X dans son encyclique Pascendi.
Le regard de la science actuelle sur le vitalisme est sévère et, pourtant, il est en tant que position de principe quasiment irréfutable. Il incarne par définition la confiance dans la vie.
Tout observateur suffisamment informé constate sans peine, un décalage entre ; d’une part, les connaissances acquises par les sciences génétiques et médicales, les expériences vécues par les hommes et les femmes, grâce aux perspectives nouvelles que la technique leur offre quant à la sexualité et à la procréation ; et, d’autre part, la vision normative que les religions proposent de la vie et de son origine. Or cette morale est le plus souvent fondée sur une Révélation contenue dans des Écritures sacrées, entre les lignes desquelles est affirmé quel est le dessein de Dieu ou du Démiurge dans le domaine de la vie.
Encore convient-il de se garder de toute généralisation. En fait, qu’entendons-nous par « vie » ? Est-ce la vie biologique individuelle qui s’écoule d’une naissance à une mort ? Ce qui est avant n’appartient pas à cette existence ; ce qui vient après ne peut être qu’affaire de croyance, et se distingue nécessairement de ce qu’a été la vie vécue. Ou bien la vie est-elle une donnée de la nature ; elle vient, elle est là, elle existe sans autre raison que d’être le fruit d’une énergie cosmique ? En ce sens, elle est « un principe transcendant ou immanent à la matière, indivisible, insaisissable ».
La vie apparaît comme un processus biologique dont l’énergie se renouvelle sans cesse, et à partir duquel une existence individuelle peut advenir. La vie existe déjà dans le spermatozoïde et dans l’ovule ; elle est donc un continuum qui se transmet de génération en génération. Or cette vie qui vient d’ailleurs est perçue comme une puissance étrangère à l’être humain, qui ne peut ni la provoquer ni la refuser, car il n’est jamais son propre auteur. L’Homme est toujours second. Tout le problème est donc de savoir distinguer entre origine et commencement de la vie. Qui est premier ? La vie comme force de la nature, comme énergie qui dépasse le moi individuel et qui lui est extérieure ? Ou, comme l’affirment les religions monolâtres, la vie n’est pas la force d’un courant immergé dans la nature, mais le don d’un Dieu-ou-Démon, créateur tout-puissant.
C’est certainement avec l’avènement du sujet dans la conscience occidentale ; et sous l’influence, en partie, des monolâtries juive, chrétienne, et musulmane, affirmant que Dieu ou le Démiurge a créé l’homme à son image et à sa ressemblance (à notre image et à notre ressemblance dit précisément ce mythe biblique d’origine sumérienne mettant en scène DES dieux ou Élohim) ; que s’est focalisé sur l’être humain le débat génétique. Mais pour d’autres cultures et d’autres systèmes religieux, la vie est un tout inséparable du Bitos ou Cosmos. Elle anime toutes choses ; elle est une force qui unit les vivants actuels, les morts, et les êtres à venir, dans un courant irrépressible et continu. À tel point que la mort biologique n’est vécue que comme un passage, un trépas, dans ce flux qui unit les dieu-ou-démons, les ancêtres, et les vivants, dans un perpétuel recommencement. On peut donc comprendre que dans notre monde occidental ; toujours plus ou moins marqué par la tradition judéo-chrétienne, et où l’importance de l’islam ne cesse de croître, les religions monolâtres exaltant la transcendance d’un Dieu-ou-Démiurge créateur, cause première et source de toute vie ; la sexualité ne puisse avoir d’autre but que la procréation : les dieux sumériens ont fabriqué l’Homme afin qu’il serve les dieux, l’esprit originel de cette légende est très clair.
Et dans cette perspective, l’homme et la femme ne sont que des serviteurs d’un Dieu-ou-Diable seul créateur. Il s’ensuit que nul ne peut toucher à cette vie sans attenter à Dieu lui-même. Mais le judéo-islamo-christianisme n’est pas le monde entier. Il paraît donc nécessaire de prendre aussi en compte d’autres visions que celles des monolâtries, pour relativiser leur prétention à détenir l’unique vérité dans le domaine de la vie.
La vie est-elle un simple processus biologique ? A-t-elle un quelconque rapport avec une « âme », une psyché ? Dans une perspective religieuse créationniste, l’embryon peut être considéré comme « un projet de support pour une âme » inscrit dans une économie divine globale. Mais dans d’autres systèmes religieux, il en va tout autrement. On saisit mieux alors combien la réponse des morales religieuses aux nouvelles conditions dues aux progrès scientifiques a des limites strictes. Ce sont
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celles d’une anthropologie sous-jacente qui part d’un Dieu-ou-Démon source première de tout être vivant, et non pas d’abord de l’Homme.
L’histoire des religions et l’anthropologie religieuse attestent à l’évidence que toutes les civilisations traditionnelles se sont préoccupées de l’origine de la vie. Elles se sont interrogées sur la relation entre vie individuelle et vie cosmique : des mythes racontent l’émergence de la vie humaine et lui confèrent un sens précis. Des rites particuliers encadrent la grossesse, la naissance, l’imposition du nom, et marquent l’accession progressive du petit d’homme au statut d’adulte, à travers toute une initiation. Bref, dès que l’homme apparaît, il se pose la question de savoir d’où vient sa propre vie et vers quoi il s’achemine. Or l’examen de ces croyances et de ces pratiques montre que ; dans le cadre de ces religions traditionnelles et polythéistes ; ce n’est pas l’ignorance plus ou moins relative de l’embryogenèse qui est la cause de la sacralisation de l’origine de la vie. C’est la croyance religieuse qui détermine la qualité intrinsèque de l’embryon, et d’une âme que l’on ne peut appréhender le plus souvent comme principe vital qu’à travers les rituels funéraires.
Celles-ci posent, en effet, une interrogation capitale : la finalité de la puissance auto-transformatrice de l’Homme peut-elle constituer le dernier mot du destin même de l’être humain ? À cette question les monolâtries répondent en affirmant que la vie est un don, qu’elle est reçue de Dieu ou du Démiurge, et que même si la femme donne la vie, elle ne la crée pas, elle la transmet simplement.
Pensée de la vie et « coïncidentia oppositorum », voilà bien les fondements d’une vitalité ne tolérant pas d’être amputée d’un seul de ses éléments. Car elle « sait » que c’est cette coïncidence des choses opposées qui est le moteur même de l’expansion, de la multiplication, de la dynamique existentielle.
Ce qui est clair, dans le vitalisme, c’est que l’être ne se réduit pas à la pensée. C’est l’entièreté de l’Homme qui est impliquée. Sa respiration. Son ventre également. Il n’y a pas d’intentionnalité non plus, mais, reconnue ou pas, une sorte de jouissance du monde tel qu’il est avec ses contraintes, ses limitations, ses enracinements, mais sans oublier ses ouvertures, ses mises en perspective, et ses multiples efflorescences bigarrées.
J. M. Guyau, qui était tout à la fois poète, sociologue, philosophe, considérait la vie comme un tout. Et opposait la fausseté d’une conception abstraite du monde au vrai en ce qu’il a de pluriel, d’ambivalent, de contradictoire aussi : « Le vouloir-vivre, tantôt favorisé, tantôt contrarié, apporte pourtant le germe du plaisir et de la souffrance ». On ne saurait mieux dire la structure ambiguë de tout vouloir-vivre. Vie et Mort inextricablement mêlées en une union de type oxymore, donnant tout son poids, tout son prix, à l’existence. Ainsi la fleur, en son destin fragile, dont l’épanouissement est le signe fatal de la fin. Fleur si belle et pourtant si douloureuse qui, avant de s’éteindre, sourit.
Certes, à l’image de la doctrine de la Mâyâ propre au Vedânta, une telle ambiguïté structurelle accentue bien l’aspect illusoire des données de ce monde. Mais cela ne l’invalide pas pour autant. Tout autres sont ces philosophies orientales, le tantrisme par exemple, qui considèrent que l’âme et le corps forment un tout qu’il est vain de vouloir distinguer. Leur synergie étant des plus fécondes pour vivre ici et maintenant. Mais il est bien évident que, dans ce dernier exemple, l’aiu (l’éternité) n’est pas à venir. Et si tant est qu’elle ait un sens, c’est celui d’être vécu au présent.
Souligner la coïncidence de la mort et de la vie, du corps et de l’âme, de la nature et de la culture – laissons la liste ouverte – voilà bien la caractéristique essentielle…
C’est ce que l’on peut, en un sens, appeler une « pensée du ventre ». Sagesse de cet « utérus » qui, sous ses diverses formes naturelles, culturelles, écologiques, est fécond, mais aussi sagesse engendrant les diverses formes de socialité effervescente dont l’actualité n’est pas avare. Dans tous les cas cette sagesse « démoniaque » rappelle que la pure âme/esprit n’est qu’une illusion. Ce qui, de fait, conduit à mettre l’accent sur une vie moins tronquée, dont on ne postule pas l’aiu (l’éternité), mais que l’on vit, au travers même de son caractère éphémère, avec intensité. « Tout ce qui existe est incurablement existant ».
Ce vitalisme sauvage était monnaie courante dans les diverses sociétés antiques, et notamment dans leurs rapports avec les animaux (choquants pour des esprits civilisés). Dans ces célébrations animalières, telle celle du taureau par exemple, ce qui est en cause est bien la force du biologique, la puissance reproductrice, en bref l’aspect créateur et créatif de la vie, en tant que puissance irrépressible.
Le vitalisme propre à ces penseurs est l’intuition du sentiment cosmique reliant l’Humanité, en tant que créature, à la « terre-mère » lui servant de matrice. En règle générale, d’ailleurs, tous les penseurs de la vitalité mettent l’accent sur l’intuition de l’entièreté. Entièreté plutôt que totalité en ce que celle-là possède un aspect dynamique, ouvert et labile, à l’image de la nature en son perpétuel
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recommencement. C’est l’esprit de l’harmonie qui anime leur démarche et leur permet de dépasser le mécanisme et le positivisme ambiant au XIXe siècle, et dominant durant toute une bonne partie du XXe siècle.
Quelle est la « glutinum mundi », cette colle du monde faisant que tiennent ensemble des choses et des gens bien disparates ? Aussi nébuleux soit-il, le concept de vie est le seul qui permette de comprendre. C’est bien cela la « vie immédiate » du poète : la conscience vient de surcroît. La volonté, ou le principe vital se suffisent à eux-mêmes. La vie avant les concepts. Ceux-ci « perdent pied » lorsqu’ils sont confrontés à l’aspect empirique et concret de l’existence. L’expérience est déterminante en ce domaine, en ce qu’elle met en jeu l’entièreté de l’Homme.
Le vitalisme peut nous aider à penser l’expérience et le qualitatif. Son fondement est bien une grande confiance en la vie, en ses équilibres régulateurs, ses ajustements successifs, l’acceptation des excès, en bref ces anomies en ce qu’elles préfigurent l’ordre de demain. Elle est, de nos jours, une des données de base de la socialité postmoderne. Les hordes de « barbares » qui à toutes occasions, « défilé techno » ou autres, déferlent dans les rues de nos mégalopoles n’en sont que les expressions les plus voyantes. Ils expriment sur un mode majeur le désir anomique d’une vitalité ne reconnaissant plus et, donc, n’acceptant plus, les diverses contraintes : sexuelles, philosophiques, économiques, imposées par les institutions modernes.
Pour le dire en d’autres termes, la conscience est, stricto sensu ou lato sensu, monothéiste. Elle ne se réfère qu’à une seule valeur : Dieu ou le Démiurge unique, la Raison, l’État ou les autres entités du même genre. En revanche le sensible (« ventre ») est structurellement pluriel ; d’où le polythéisme des valeurs prédominant lorsqu’il y a retour du sensible sur la scène sociale. Une expression de ce polythéisme est, par exemple, la relativisation de la conscience par l’inconscient, et pour ce qui nous concerne par l’inconscient collectif bien entendu. Nous avons bien dit relativisation et non négation. La Raison, en la matière, n’est plus la seule déesse-ou-démone que l’on doit célébrer ; mais doit aussi accepter de composer, dans le panth-éon du social avec d’autres entités : corps, imagination, rêve, activité ludique ; que l’on vénère aussi et qui, surtout, ont une efficacité concrète existentielle dont on ne peut plus nier l’importance. Le tragique et la vie sont intimement liés. La force intérieure dont il a été question se nourrit des faiblesses momentanées, tout comme la vie est la résultante d’une existence de tous les jours intégrant la mort.
Les judéo-islamo-chrétiens prétendent que l’Être Un Divin supérieur a créé le monde à partir de rien (ex nihilo). Or la venue à l’être du chaos de matière première initial ne doit pas être conçue comme un surgissement du néant, mais comme un phénomène moniste. L’autodéploiement de l’Être supérieur, car le monde n’est pas créé par le Un, mais le Un a produit la diversité par autodéploiement. Il n’y a rien dans le monde, ni animal, ni plante, ni pierre, qui ne conserve cette relation à son origine et qui, donc, n’ait pas sa part à l’unique être englobant universel.
Appelé Monas par Henri Lizeray (« le monas primitif c’est… la conscience se méditant, se réfléchissant, se distinguant aussi en intelligence et en corps ») ; le monas à l’origine de tout se meut de lui-même, c’est-à-dire possède les mouvements de dilatation et de contraction changés en ceux de rotation et de translation dans le monde des relatifs. C’est ce point primitif, cette lumière pure, qui contient en elle-même sa propre raison. Car la raison, comme on dit en langage mystique, possède l’essence sempiternellement permanente et contractée sur elle-même, constante et immuable […] si l’on considère ce Monas à l’origine de tout, en fonction, on retrouve les trois puissances : active… passive… et animée… Bélisama en celte (Henri Lizeray. La Doctrine Secrète des Druides).
Nous sommes néanmoins et pour une fois en complet désaccord avec ce grand celtisant de la fin du XIXe siècle (et du début du XXe) né en Russie et plus précisément à Saint-Pétersbourg le 14 avril 1844).
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AUTRES FRAGMENTS SUR LE DIEU-PAR.
D’après John Toland et son panthéisticon, les panthéistes sont justement ceux qui croient en un Être sans mort possible ; mais origine et cause de toute chose. Et leur certitude, ils la fondent sur la science la plus profonde, sur cette conception : tout vient du Tout et le Tout est fait de tout. Le plus souvent, on les appelle panthéistes à cause de leur conception particulière de Dieu ou du Démiurge et de l’Univers. Cette thèse est aussi celle du monisme. Tout se tient dans l’univers. Ce qui nous donne en langage plus imagé, ou disons poétique : le soleil est mon père, la terre est ma mère, le monde est ma patrie, et tous les hommes sont mes frères. Le Un ne vit que par et pour le Grand Tout, et le Tout pour le Un. En d’autres termes : Un pour tous et tous pour Un et… [PARAGRAPHE INACHEVÉ].
À partir de quand ou de quoi le Pariollon que les bouddhistes appellent Parinirvana et les Grecs Chaos, sort-il de son abîme inconnaissable pour se dévoiler progressivement ? Puisque la procréation de l’univers ne commence concrètement qu’à partir du Pariollon (du Chaos dans la tradition grecque) ?
À partir de quel degré peut-il y avoir relation personnelle de connaissance du Pariollon, autrement dit : à partir de quel degré dans la hiérarchie de l’être du Grand Tout peut-il apparaître comme une personne ? Répondre à cette double question, c’est répondre en fait aussi à celle-ci : « Comment et à la suite de quelle primordiale épiphanie du non-être, éclosent tous ces degrés ou tous ces niveaux de l’être ? » Autrement dit : « Comment se sont accomplies cette différenciation, cette structuration, et cette hiérarchisation, de l’être ? » De l’union du premier et du deuxième des éons, c’est-à-dire de l’union de l’Être ou plus exactement du résultat de l’action d’Être (le Bitos) et du Destin (Tokad), est sorti le Grand Tout de l’Univers.
Le Pariollon est le véritable seigneur des êtres, il est l’acte d’être englobant, il est le seul qui ressuscite vraiment. Le Pariollon des druides (Chaos des Grecs, Parinirvana des bouddhistes) auquel se rapportent en dernière analyse tous ces noms et attributs ou épithètes divins présente deux faces principales.
La notion de Pariollon ou de Chaos chez les très-sachants ne signifie pas nécessairement un lieu précis, dans l’espace, mais un état d’être, et sa présence au cœur du monde. Le Pariollon que les bouddhistes appellent Parinirvana, cela peut très bien être le moment ou l’occasion de la fusion de l’être et du monde, la lumière divine où fusionnent les grandes âmes, etc.
Immanent au Monde et à l’Homme, le Pariollon appelé Parinirvana en Extrême-Orient constitue leur être englobant universel. Pas un super-être comme le voudraient les monolâtres ! Mais ce qui, paradoxalement, fait l’unité de tous les étants, l’être même comme fondement de toute chose, milieu et fin de tout étant et de tout être, tout à la fois immanent et transcendant. Un immanent au monde sans toutefois s’y fondre, qui l’englobe sans s’y identifier au sens strict du terme. Le Pariollon est, mais il est plus qu’un simple étant, il est le paradoxe même de l’être.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, mais repetere = ars docendi, les gnostiques d’Occident appelés druides (très-sachant) se sont toujours penchés sur les composantes physiques de la matière, et les lois qui la régissent. Se sont toujours efforcés de remonter la chaîne évolutive et de parvenir à la connaissance, libératrice par définition, de la différence existentielle entre matière et âme (prakriti et pourousha pour les brahmanes).
Cette réflexion sur le Destin des êtres a débouché sur une conception dialectique des rapports entre la matière et l’âme (dualisme relatif à l’intérieur d’un cadre moniste).
Voir, à l’autre bout du monde indo-européen, la doctrine moniste – advaita – du philosophe hindou Shankara, au VIIe siècle ou le dualisme relatif – vishishtâdvaita – du non moins célèbre Râmânouja (1017-1137).
Les anciens très-sachants (druides) avaient une conception fort avancée de l’énergie dont les échanges assurent la perpétuation de la vie, qu’il s’agisse de celle des étoiles ou de celle de l’homme. Ils imaginaient que notre Terre est environnée d’un océan de vibrations, où prennent forme les puissances (pro) créatrices, ils voyaient chaque être comme un faisceau d’ondes renouvelées perpétuellement et interagissant aussi entre elles. La science moderne, avec sa théorie quantique et la relativité, corrobore plutôt ce système où la science entière forme un domaine unique. Assez curieusement donc, le druidisme anticipait sur diverses idées modernes relevant de ce système.
La Réalité perceptible ultime est le chaudron cosmique du Grand Tout, symbolisé par le Graal au Moyen-âge, cet Englobant contient à la fois un aspect non changeant, éternel, de l’Être mais aussi la
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puissance du changement du Devenir. Le chaudron cosmique est à la fois statique et dynamique. C’est ce qui le rend insaisissable pour l’intellect. Et il n’est ni féminin ni masculin, il est non-duel.
Il suscite l’apparition d’entités hiérarchisées en un panth-éon ou plérôme appelé Vindobitos ou Albiobitos en langue celtique.
Ces divinités vont par couple, féminin/masculin, et chaque dieu-ou-démon a sa parèdre (syzygie dans la gnose d’origine iranienne).
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LE PARIOLLON DANS LES THÉOLOGIES CHRÉTIENNE ET MUSULMANE ??
Dans la religion catholique, les limbes (du latin limbus, « marge, frange ») correspondent à deux espaces de l’au-delà situés à la limite de l’enfer.
Le mot n’apparaît ni dans la Bible ni chez les Pères de l’Église. Il émerge au XIIIe siècle dans la pensée scolastique, qui distingue deux limbes. Le limbus patrum (limbe des patriarches) reçoit les âme/esprits des justes morts avant la résurrection de Jésus-Christ. Il correspond au « sein d’Abraham » mentionné dans l’Évangile selon Luc (16, 22). Ces âme/esprits, qui ne pouvaient entrer au paradis, scellé depuis la faute d’Adam, sont libérées par Jésus lors de sa descente aux enfers entre le Vendredi saint et le jour de Pâques. La tradition scolastique se fonde ici sur la première épître de Pierre, laquelle indique que Jésus « est allé prêcher aux esprits en prison » (3,19).
Le limbus puerorum (limbe des enfants) reçoit les âme/esprits des enfants morts avant d’avoir reçu le baptême. Il constitue donc une réponse théologique à la question du devenir de ces âme/esprits qui, sans avoir mérité l’enfer, sont néanmoins exclues du paradis à cause du péché originel. Cette question, qui remonte aux premiers temps du christianisme, reçoit une réponse relativement floue de la part des premiers Pères de l’Église. Grégoire de Nysse (Sur les enfants morts prématurément) comme Grégoire de Nazianze (Discours, XL, 23) affirme que ces âme/esprits ne sont pas destinées à souffrir dans l’au-delà, mais ne fournit pas d’autre précision.
Saint Augustin par contre, a fait condamner au concile de Carthage (418) l’idée d’un lieu intermédiaire accueillant les enfants morts sans baptême (sans doute afin de contrer, bêtement, le pélagianisme). Pour Augustin il n’existe donc aucune possibilité de destin post mortem intermédiaire entre le paradis et l’enfer. Les âme/esprits des enfants non baptisés sont vouées à l’enfer, d’où l’insistance d’Augustin en faveur d’un baptême immédiat des nouveau-nés. Si Augustin précise que ces âme/esprits ne souffrent en enfer que de la « peine la plus douce » (Enchiridion, 103), sa rigueur explique le revirement des théologiens du bas Moyen-âge.
Dans le limbe des enfants, les âme/esprits se trouvent dans un état intermédiaire : elles n’encourent pas les souffrances de l’enfer, mais sont privées de la béatitude du paradis. La nature précise de cet état fait l’objet d’une controverse scolastique ; la question est de savoir si ces âme/esprits souffrent de la privation de cette béatitude. Thomas d’Aquin estime d’abord, dans le Scriptum super sententias qu’elles s’y résignent, puis, dans le De malo, argumente en faveur de leur ignorance radicale de cette privation. De même que l’Homme ne souffre pas de ne pouvoir voler Comme un oiseau ; de même les âme/esprits de ces enfants ne souffrent pas de ne pouvoir contempler Dieu. Pour Thomas, les âme/esprits de ces enfants jouissent donc d’un bonheur naturel : toute douleur est exclue de leur peine.
Voici pourtant ce qu’en pense John Toland (John Toland avec qui nous ne sommes pas toujours d’accord, est-il besoin de la préciser ?).
« La première chose sur laquelle je me permettrai d’insister, c’est que s’il y a vraiment des doctrines du Nouveau Testament contraires à la Raison, alors nous ne pourrons jamais nous en faire une idée. Soutenir par exemple qu’une chose est blanche et noire à la fois, revient en effet à ne rien énoncer de positif à son sujet. Ces couleurs sur un même objet sont si incompatibles que cela exclut toute possibilité d’avoir une idée ou une conception positive de ce que cela pourrait donner.
De la même façon, soutenir, comme le font les papistes, que les enfants morts avant d’avoir été baptisés, sont damnés, mais sans qu’ils aient à en souffrir, ne veut rien dire du tout.
S’ils doivent continuer à exister en tant que créatures intelligentes dans l’autre monde, tout en étant éternellement privés de la présence de Dieu ou de la communion des saints, cela ne pourra que leur causer d’indicibles tourments.
Quand ils réfléchissent un peu au fait que ces enfants n’étaient pas encore doués de raison, donc qu’ils ne pouvaient être damnés au sens strict du terme, par conséquent que l’on ne peut pas dire qu’ils vont dans les oubliettes des limbes ; ils répondent alors tout simplement qu’ils n’avaient pas d’âme/esprit ou que leur âme/esprit a disparu dans le néant ; ce qui (si c’est bien vrai, car ils n’ont jamais pu le démontrer) semble plus raisonnable et plus facile à concevoir » (Jean Toland. Le christianisme sans mystère).
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La vérité, c’est que les limbes, en particulier les limbes des enfants, n’ont jamais été définis comme dogme de l’Église catholique au sens strict du terme. Ils ont toutefois fait partie pendant longtemps de la doctrine catholique officielle, et en particulier de son enseignement.
La notion de limbes a initialement émergé dans la pensée théologique comme conséquence inévitable (quelle impasse !) de l’existence du péché originel et du baptême en tant qu’unique instrument de salut. Dante, dans sa Divine Comédie, peuplera ce lieu intermédiaire des âme/esprits des enfants et de tous ceux qui n’avaient pas péché, mais qui ne pouvaient connaître Dieu faute de baptême. Les poètes Homère, Virgile ou Ovide, ainsi que César, Aristote et Platon, morts avant la naissance du Christ, mais aussi les musulmans, Averroès et Saladin, par exemple. Alors pourquoi pas le grand roi que fut Conchobar évidemment ?
L’existence des limbes, selon le Dictionnaire de théologie catholique, se déduit logiquement d’un principe dogmatique dégagé lors du premier concile du Vatican. Le principe, selon lequel ceux qui meurent avec le seul péché originel sont privés de la vision béatifique de Dieu après leur mort, tandis que ceux qui ont commis personnellement des péchés, graves, subiront en plus les châtiments de l’enfer. Cette position, par rapport à l’affirmation d’Innocent III, intègre l’apport de Thomas d’Aquin : la privation de la vision béatifique n’est pas explicitement désignée comme une souffrance (et il a fallu tant de conciles de sages docteurs de la Loi chrétienne pour arriver enfin à une manifestation de bon sens ? Ça fait rétrospectivement froid dans le dos ! Et le Saint-Esprit dans tout ça, il sert à quoi ? Les druides avaient déjà en leur temps compris que l’enfer n’existe pas hormis sur terre bien évidemment dans certains cas).
La réflexion théologique moderne, mettant plus volontiers en avant l’idée de divine miséricorde, a poursuivi l’évolution vers un probable salut des enfants morts sans baptême. Et le Catéchisme de l’Église catholique n’utilise plus le terme de « limbes » quand il évoque le sort des enfants morts sans baptême.
Dès 1984, le cardinal Ratzinger (futur Benoît XVI) alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, considérait déjà, mais à titre personnel que la notion de limbes n’était qu’une hypothèse, et que cette hypothèse pouvait être abandonnée. En 2004, la Commission théologique internationale a entamé une réflexion sur ce sujet. Lors de son assemblée plénière d’octobre 2006, elle a déclaré que l’idée des limbes, comme lieu auquel sont destinées les âme/esprits des enfants morts sans baptême, peut être abandonnée sans problème de foi. Cette conclusion sur les limbes des enfants fut confirmée en 2007.
Le 20 avril 2007, la commission théologique internationale de l’Église catholique romaine a en effet déclaré que la notion de limbes reflétait une vue indûment restrictive du Salut, et ne pouvait donc pas être considérée comme une « vérité divine ». [N. D L. R : On attend avec impatience de semblables conclusions à propos de l’enfer…] D’après ce document, la privation de la vision de Dieu, pour ceux qui sont marqués par le péché originel, ainsi que l’avait affirmé Innocent III, demeure un article de foi. Mais la Commission estime toutefois que si la privation de la vision de Dieu pour les enfants morts sans baptême et l’existence des limbes, sont des « thèses théologiques » ou des « enseignements courants », elles n’ont pas la valeur d’un article de foi. Il y a lieu de croire que « Dieu pourvoit au salut de ces enfants, précisément parce qu’il n’a pas été possible de les baptiser ». L’existence des limbes n’est pas complètement écartée, mais demeure une possibilité parmi d’autres.
Jusqu’à la décision de Benoît XVI, le cas de ces enfants morts sans baptême était resté de la part de cette religion d’amour toujours, une véritable torture pour les malheureux parents. La dévotion populaire avait mis en place ce que l’on appelait des « sanctuaires de répit » en réutilisant d’anciens sanctuaires païens : on considérait en effet généralement que les enfants y ressuscitaient miraculeusement le temps nécessaire pour recevoir le baptême. Cas par exemple de la chapelle Notre-Dame de la Vie à Saint-Martin de Belleville, en Savoie. Voir notre essai sur le panth-éon.
Les limbes dans le druidisme il y a 2000 ans déjà au moins.
Scholies sur le vers 454 de la Pharsale de Lucain.
Adnotationes super Lucanum.
Hoc enim disputant animas ad inferos non ire.
Ils contestent en effet que les âmes puissent aller en enfer.
Glosule super Lucanum.
Id est sicut uos dicitis anime ad inferos non descendunt.
C’est-à-dire que selon vous les âmes ne descendent pas dans les enfers.
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Commenta Bernensia ad Lucanum.
Manes esse non dicunt.
Ils ne pensent pas que les mânes existent.
Les Limbes dans le Coran ?
Chapitre 7, Al-Araf (« Les limbes »), versets 46-51.
Al-Araf vient du mot Araf en arabe qui signifie voir ou connaître. C’est la même logique étymologique qu’apocalypse = ce qui est dévoilé.
Alif, Lam, Mim, Çad…*
« Des hommes, se reconnaissant les uns les autres, d’après leurs signes distinctifs, seront sur les « Araf ». Ils crieront à ceux qui sont au paradis : « Que le salut soit sur vous », mais ils ne pourront pas (y entrer) bien qu’ils le veuillent.
Lorsque leurs regards se porteront sur ceux qui sont en enfer, ils diront : ne nous précipite pas, Seigneur, avec ceux qui ont mal agi ».
Les habitants des Araf crieront à ceux qu’ils reconnaîtront à leurs signes distinctifs (en disant) : ce que vous avez accumulé de façon égoïste et ce qui faisait votre orgueil ne vous a servi à rien… »
Les autres ne sont-ils pas ceux à propos desquels vous juriez que Dieu ne leur accorderait pas sa miséricorde ?
Venez au Paradis, vous n’aurez plus rien à y craindre et vous ne serez plus affligés ».
La caractéristique principale de ces limbes musulmans est donc, comme le purgatoire chrétien (si ce n’est pas exactement la même chose, cela y ressemble beaucoup) de n’être qu’un lieu de passage temporaire sur lequel les penseurs musulmans ne se sont guère appesantis d’ailleurs.
* Quelques chapitres du Coran commencent en effet par des lettres n’ayant aucune signification précise. Traces sans doute d’un ancien classement de ces feuillets vraisemblablement extraits d’une collection plus vaste dont l’essentiel a disparu.
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RAPPEL DE QUELQUES AUTRES THÈSES
À PROPOS DE L’ÊTRE SUPÉRIEUR
APPELÉ PARIOLLON (druidisme philosophique de type Scot Érigène).
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FRAGMENTS DE NOTES RETROUVÉS PAR LES HÉRITIERS DE PIERRE DE LA CRAU.
Grâce à la réceptivité de sa parfaite passivité, le Pariollon (appelé Parinirvana par les bouddhistes) contraint en quelque sorte l’Esprit pro (créateur) à répandre son flux porteur d’existence dans l’indéfini cosmique des Eaux primordiales ; afin qu’y naissent les « archétypes ou les idées » de toutes les « créatures ». Il s’agit donc là d’une véritable alchimie cosmique.
Dans son « Periphyseon », rédigé entre 864 et 866, Jean Scot Érigène considère la naissance de l’univers comme un processus à la fois théogonique et cosmogonique, par lequel Dieu procrée tout ce qui existe, et devient lui-même dans tout ce qui existe. La (pro) création de la totalité des existants par Dieu coïncide donc avec l’autocréation de Dieu dans la totalité des existants.
Jean Scot se situe encore clairement dans la ligne judéo-chrétienne de la création ex nihilo, par Dieu ou le Démiurge, mais il se rapproche du druidisme en retirant à ce processus son caractère unilatéral.
L’auteur du « Periphyseon » souscrit toujours à la classique problématique judéo-islamo-chrétienne de la création, qui postule que Dieu-ou-le Diable crée tous les existants à partir du néant, autrement dit en les faisant passer du non-être à l’être. Mais il ajoute que Dieu lui-même devient créé dans tous les existants qu’il crée, que Dieu devient essence même de tous les existants et ça, c’est typiquement druidique.
À travers son acte générateur, le Dieu-ou-Démon suressentiel, qui subsistait au-delà de toute essence, devient l’essence même de tout ce qu’il amène à l’être. Mais ce double processus théogonique et cosmogonique, par lequel Dieu à la fois crée ou se crée, traduit surtout un processus théophanique.
« Un monde sans orgueil, sans vanité, sans fausseté, sans blasphème, sans fraude, sans prétexte, sans honte, sans gêne, sans déshonneur, sans outrage, sans envieux, sans arrogance, sans épidémie, sans maladie, sans pauvreté, sans dénuement, sans destruction, sans décès, sans grêle, sans neige, sans vent, sans pluie, sans bruit, sans tonnerre, sans obscurité, sans froidure » (Finit Fis Adamnain).
N.B. En ce qui nous concerne nous préférons la description que nous en donne l’echtra Condla du 8e siècle.
Là où tout est beau, attirant et pur
Là où n’existent ni faute, ni maladie, ni temps
Ni frontière, ni guerre, ni souffrance, ni peine, ni esclavage.
La musique y est merveilleuse,
Il y coule des ruisseaux d’hydromel
Et la paix y est partout éternelle.
L’Être des êtres supérieur ne peut se manifester que par une autolimitation de sa part, puisqu’il ne peut avoir aucun contact avec une matière encore inexistante. L’existence a pris naissance, non à partir d’une émanation divine, mais au contraire, par un acte de retrait originaire de l’Être Un primordial. Ainsi retiré en soi, l’Être Un, partout présent sauf dans le point central de son infinitude, symbolisé par la lettre eabadh de l’alphabet oghamique, y laisse un vide qui doit servir de matrice à la naissance du monde.
Tout cercle se compose d’un centre et d’une périphérie. Alors que le pourtour est perceptible par les sens, et se définit dans le temps et l’espace, le milieu, le centre, reste un mystère intemporel, sans espace, échappant à toute représentation.
Dans le druidisme, ce centre ou milieu mystérieux représente le commencement et la fin de tout ce qui est. Ce point central est symbolisé par le Pariollon, en lui se réconcilient les opposés, en lui les contraires sont abolis. Ce que nos amis du Pays de Galles appellent lle bo cydbwys pob gwrth. NB. La faculté de comprendre n’existe pas au centre du Pariollon ; mais hors du centre, les choses deviennent intelligibles.
Les très-sachants ont opté en faveur de la conception, plus subtile, consistant à comprendre qu’au commencement du perceptible il n’y avait que le Grand Tout du Pariollon (ce que les bouddhistes appellent le Parinirvana) et rien d’autre. Principe et cause, infini, enveloppé de soi-même, il n’agissait pas. Mais dans son silence inviolé, deux « générateurs », le principe spirituel et le principe matériel, le feu et l’eau, le mâle et la femelle, la droite et la gauche, le haut et le bas, et ainsi de suite. Le monde
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n’a pas été créé par le Pariollon, mais ce gigantesque chaudron cosmique a produit la diversité des formes par autodéploiement (symbolisé par la notion de Grande Déesse-ou-Démone Mère Cosmique). Et il n’y a rien dans le monde, ni animal, ni plante, ni pierre, qui ne conserve cette relation à son origine et qui, donc, n’ait part à l’unique être immanent absolu qu’est le Pariollon.
D’où deux écoles druidiques différentes. Deux et pas une car, répétons-le encore une fois, il n’a jamais existé UN druidisme, mais DES druidismes. Le druidisme admet même sans problème qu’il y a aussi dans les autres cultes ou religions, un embryon de quête du Graal, même si elle est encore dans l’ombre ou sous les nuages.
Un des concepts clés du druidisme est celui de « puissance » expansive, génératrice d’évolution, qui se concrétise comme développement, transformation, ou émergence d’individualités enfin.
N’oublions pas cependant que la Grande déesse-ou-démone mère cosmique, à titre de partie (les chrétiens diraient « personne ») du Grand Tout, participe, elle aussi, de sa réalité.
Pour comprendre, il faut essayer de se représenter la Force Divine comme étant ce qui assure la cohésion et le mouvement de l’univers dans son ensemble.
Le Pariollon (Parinirvana chez les bouddhistes) ou être supérieur vit avec la grande déesse-ou-démone mère cosmique en son sein et cette vie est le devenir du monde.
Dans la mesure où y paraît voilée la réalité même du Pariollon, le monde de la grande déesse-ou-démone mère cosmique est néanmoins, lui aussi, apparence. Et dans le monde de l’éphémère, en tant qu’éphémères, les êtres sont distincts et différenciés. On peut certes, appeler Fata Morgana ou illusion cet aspect de la grande déesse-ou-démone mère cosmique, mais elle procède, elle aussi, du Pariollon, et son caractère éphémère fait aussi partie de sa permanence.
Toute la réalité du monde, la réalité physique et la réalité psychique, proviennent des diverses combinaisons des qualités du Pariollon. Le Pariollon est ce monde.
La problématique soulevée par ces très-sachants est la suivante. Le monde des phénomènes qui est celui de la grande déesse-ou-démone mère cosmique, est bien issu de la combinaison de réalités déterminées. Qui existent vraiment, mais qui sont précaires, sans substance, et ne durent que le temps d’un clin d’œil du résultat de l’être immanent absolu universel (Bitos). Ou n’existent que la durée d’un atome de temps.
Le Pariollon que les bouddhistes appellent Parinirvana, n’est cependant pas coupé du monde et de l’Homme. Il n’est pas hors de tout ce qui est, comme le voudraient les gens d’un seul livre et non de douze, que sont les judéo-islamo-chrétiens.
Fondamentalement le monde perceptible et lui ne font qu’un. L’identité entre l’âme individuelle, l’anamone, et l’âme immanente absolue (l’awentia ou awenyddia), étant seulement cachée, obscurcie par l’ignorance, et défigurée par la convoitise humaine, qui accorde trop d’importance aux apparences du monde.
Au lieu de voir le Pariollon (le Parinirvana en Extrême-Orient), les mortels ne voient que la multiplicité des choses auxquelles ils s’accrochent. La Grande déesse-ou-démone mère cosmique leur fait miroiter une réalité qu’ils poursuivent, mais qu’ils ne peuvent pourtant jamais atteindre, ou qu’ils ne peuvent pas retenir quand ils croient l’avoir saisie, parce qu’elle est par définition éphémère.
À peine l’Homme espère-t-il la saisir, qu’elle lui échappe déjà, elle a disparu, elle s’est évanouie, elle s’est dissipée comme un rêve. Et l’Homme se retrouve seul. Ce qu’il aimait lui a glissé des mains. Il n’a pas trouvé l’appui qu’il cherchait. Il ne lui est resté que la nostalgie de cette béatitude perdue, et pour l’oublier il se cramponne à nouveau à un produit de l’aspect Fata Morgana de la Grande Déesse-ou-démone Mère Cosmique, autrement dit à une nouvelle illusion. Néanmoins, dans leur principe, au niveau de l’immanent absolu, ils sont tous identiques. Il y a totale identité entre cet Être supérieur (le Pariollon) et le Monde.
Les puissances émanées ainsi de l’Innommé/Incréé (du Bitos ou Pariollon donc) se déployant dans tous les sens, ont été jadis, pour simplifier, personnifiées par les Celtes : ils les imputaient à une Grande déesse-ou-démone Mère Cosmique.
Sans ces puissances (personnalisées comme puissances de la Grande Déesse-ou-démone Mère Cosmique) la divinité serait incapable d’engendrer : Sans cette puissance émanée de lui, et dont il dispose, le chaudron cosmique universel serait incapable de générer. Si l’image n’était pas
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irrévérencieuse, on pourrait le comparer à un corps inerte, un cadavre qui n’aurait pas eu les mains sales, car il n’aurait pas de mains du tout.
Tel fut le grand message des gnostiques d’Occident successeurs des chamanes. Étonnante actualité de la pensée druidique. Non pas identité, mais unité d’essence entre l’Homme et le Bitos ou Cosmos : « Divinis humana licet componere ». « Aux choses divines on peut comparer les choses humaines ». Ausone (églogue sur l’emploi du mot libra). Et cette pensée présente des affinités manifestes avec la science actuelle.
La problématique soulevée par ces très-sachants est néanmoins la suivante. Y a-t-il encore place en fait dans ces conditions pour la réalité cachée du monde dont nous affirmons l’existence par-delà les apparences, qui serait à comprendre comme substrat ou chose en soi ? Ou bien n’y a-t-il place que pour des structures et processus subatomiques indescriptibles ? Y a-t-il même une place pour cette âme individuelle, ce moi nommé anamone, ou menman ; par nos ancêtres (cf. sanscrit manman = esprit), sujet permanent de toutes les perceptions, représentations, pensées, de tous les sentiments et de tous les actes ?
Que faire d’autre, hormis s’approcher à tâtons de la réalité, avec des concepts interprétatifs, des symboles, des formules et des modèles, étant bien entendu que ce faisant nous n’allons nullement au fond des choses.
Cette pensée druidique, à l’inverse de la pensée substantialiste statique des juifs ou des Grecs, garde à cet égard une signification particulière dans ses principes fondamentaux ; par rapport à l’unité fondamentale comme à la dynamique interne de la nature dans le macrocosme et le microcosme ; par rapport à cette interdépendance et cette interaction universelle de toutes choses, de tous les événements et de tous les phénomènes, tels que les explore la physique moderne dans la sphère subatomique. Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, la science moderne, avec sa théorie quantique, et la relativité, corrobore en effet cette conception du monde où la science entière forme un domaine unique.
La physique des particules élémentaires ne voit pas dans la réalité un assemblage d’objets physiques en principe équivalent, mais un réseau complexe et dynamique de relations sans fin, et indissociables. Un système hautement dynamique qui, dès la sphère subatomique, englobe toutes les différences, tous les contrastes et oppositions possibles dans une unité complémentarité qui n’est toutefois pas connaissable par observation objective, mais seulement par participation objective subjective.
À l’Homme et au monde ne revient qu’une réalité relative et conditionnée de toute part. Partout dans ce monde, il n’y a que du conditionné ou du relatif.
Tout naît un jour et passe, rien n’existe éternellement par soi, ce qui existe certes, n’est pas totalement sans réalité, n’est pas totalement illusoire, mais n’a qu’une existence relative, dans une interdépendance mutuelle, quelle que soit l’explication dernière que l’on en donne. Le monde tel qu’il nous apparaît, le monde des apparences ou phénomènes, a pour caractéristique, la contingence, la non-permanence, la précarité.
Les phénomènes corporels et spirituels qui constituent l’être individuel sont déterminés. L’homme, sur le plan des particules subatomiques élémentaires, comme celui des processus cérébraux diversifiés, ne peut être compris adéquatement que comme un être fugitif ou évanescent.
« Nous sommes tous issus du dieu de la mort, et la mort n’est que le milieu d’une longue vie, pourquoi ménager une vie qui doit revenir, toujours semblable, mais aussi différente à la fois, et un jour régneront seuls le feu et l’eau », auraient pu dire en résumé les druides antiques.
Il n’y a pas totale identité entre le Pariollon (appelé Parinirvana en Extrême-Orient) et le Monde ; mais simplement participation du monde et de toutes les créatures à la nature du Pariollon. Le monde visible qui est partiellement illusoire provient d’une « descente » d’être, ou d’êtres, s’éloignant de plus en plus de ceux qui sont situés « plus haut ». Une image encore, car l’espace-temps n’a ni haut ni bas.
11 06 2009. Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, mais il importe de le souligner, l’existence a pris naissance non à partir d’une émanation divine, mais au contraire, par un acte de retrait originaire de l’Être Un primordial. Ainsi retiré en soi, l’Être Un, partout présent sauf dans le point central de son infinitude, y laisse un vide qui doit servir de matrice à la naissance du monde. C’est dans ce vide-matrice que le Néant (c’est-à-dire ce qui précède même l’Être Un qui se retire) suscite le monde. Très bien, mais ce premier monde, ce monde immanent absolu, est un domaine où il n’y a : ni
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terre ni vent, ni soleil ni lune ni perception ni absence de perception, ni conscience, ni ce monde-ci ni l’autre monde, ni infini de l’espace ; ni durée, ni décès, ni renaissance, car il est dépourvu de point d’application, de progression, et de support. En ce point ogham de l’espace-temps (lle bo cydbwys pob gwrth en Gallois) règnent uniquement le feu et l’eau, en d’autres termes l’âme et la matière.
03 08 2010. La notion druidique de Pariollon (Parinirvana dans le bouddhisme) s’avère difficile à expliquer, seuls ceux qui ont rejoint ses rives, comme les grandes âme/esprits ou anatiomaroi (semnothées en grec) peuvent en parler avec plus de précision. Ce Grand Tout n’est ni le Connaissant, ni le Connu. La traduction de ce mot signifie quelque chose comme « chaudron du tout » voire « chaudron cosmique ».
Pour commencer, ce n’est pas un état de l’être après la mort, comme dans l’autre monde dont il va être question. C’est plutôt simplement un état dans lequel il n’y a plus de souffrance. Le Grand Tout est, dans son essence, permanent, stable, impérissable, immuable, et ne connaît pas la mort. Il est absence de douleur… Il est cessation de la faim, du froid, et de la douleur, car au sein du dieu-par, tout s’équilibre, les contraires s’annihilent (lle bo cydbwys pob gwrth) et constituent un gigantesque oxymore. Il s’agit d’un monde « sans orgueil, sans vanité, sans fausseté, sans blasphème, sans fraude, sans prétexte, sans honte, sans gêne, sans déshonneur, sans outrage, sans envieux, sans arrogance, sans épidémie, sans maladie, sans pauvreté, sans dénuement, sans destruction, sans décès, sans grêle, sans neige, sans vent, sans pluie, sans bruit, sans tonnerre, sans obscurité, sans froidure » (Finit Fis Adamnain).
27 08 2010. L’existence étant une relativité soumise à des conditions, l’évasion hors de cette relativité qui est notre condition est comme l’atteinte d’un Englobant Universel. Ainsi que l’a bien vu Adomnan le grand tout est le repos infini, c’est une félicité parce que le Grand Tout, c’est aussi l’absence de sensation ; or la sensation suppose la dualité, donc la limitation, donc la souffrance. Le Pariollon de notre druidisme diffère profondément du Pari-Nirvana (bouddhiste toujours) en ce sens qu’il n’est pas une destruction totale ou un anéantissement. Il échappe, par sa nature, à toute définition devant emprunter ses expressions à un langage fait pour parler du relatif ou de l’illusoire.
L’Immensité non duelle que les très-sachants appellent Pariollon, et les bouddhistes Parinirvâna, ne peut jamais être identifiée au Un ou à un Dieu-ou-Diable unique. Elle ne peut être appréhendée par l’Homme qu’à la façon d’une limite inaccessible, et au travers d’une théologie négative (apophatique), se refusant à l’assimiler à quoi que ce soit de perceptible ou de concevable. cf. le célèbre « ni-ni » d’un grand président français de la fin du XXe siècle, pour lequel je n’ai pas voté bien entendu, mais dont la venue au pouvoir m’a réjoui, avant de finir par me décevoir. On ne peut que dire ce qu’il n’est pas.
Variante de certaines traditions.
À l’origine, avant même la naissance du monde, seules sont les eaux primordiales. Mais elles n’existent pas au sens strict du terme, c’est un océan inerte sans limites, qui est entouré d’une obscurité absolue (qui n’est pas la nuit, car cette dernière n’a pas encore été pro-créée). Puis dans ces eaux primordiales apparaît spontanément le feu (le feu dans l’eau) et par conséquent la lumière.
Aucun temple n’a été construit pour honorer ce type de dieu-ou-démon, mais il est présent dans de nombreux lieux de culte sous la forme du lac sacré, qui symbolise la non-existence d’avant la pro-création du monde. Après la « création » en question, cette vaste étendue d’eau morte ne cesse pas d’exister pour autant : elle entoure le firmament, devient la gardienne du soleil, de la lune, des étoiles, de la terre, et des frontières de l’autre monde.
07 11 2009. Ce qu’il importe de noter c’est que ce chaudron cosmique contient en lui le pouvoir de création des éons et, conformément à son Destin (ou Tocad) ; le pouvoir d’animation et de préservation de Taran/Toran/Tuireann ; mais aussi le pouvoir de destruction de la Grande Déesse-ou-démone Mère Cosmique (sous sa forme Catubodua ou Sheela na nig), etc. C’est l’immanent absolu, à la fois vide de manifestation et plein de possibilité qui contient tout en puissance. Cet état primordial, omnipotent, omniprésent, omniscient, n’est perceptible qu’au point de séparation d’où émergent les deux forces qui peuvent être symbolisées par le feu et l’eau.
Cet Être supérieur (le Pariollon appelé Parinirvana par les bouddhistes) ne se définit pas par la simple fonction de procréateur, sa problématique renvoie bien au-delà, car l’Un Extrême du Grand Tout
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existait bien avant ce que l’on appelle communément la création. Avant ce monde, et il était déjà nécessairement complet.
L’existence de cet Être nécessaire qu’est le Pariollon est identique à son essence même. L’être non nécessaire (le monde) n’est donc pas indépendant de cet Être nécessaire qu’est le Pariollon, et ne peut lui être extrinsèque. Le même « exister » unique appartient, de par lui-même, à l’Être nécessaire, et il appartient par l’Être nécessaire à l’être non nécessaire.
Chez le premier, il est inconditionné, unique, chez le second il est conditionné. Parce qu’il est l’Être Supérieur qui « contient » toutes choses, le Pariollon ou Parinirvana des bouddhistes, est l’unique nécessaire, et de ce point de vue l’univers est donc dépendant.
Ce premier effet (unique donc), de l’énergie créatrice, identique à la pensée divine, assure la transition du Un au Multiple.
Pour tenter de saisir quelques-uns des aspects de sa réalité (le Pariollon est une émeraude aux multiples facettes), notre druidisme utilise toutes sortes de comparaisons, de métaphores, d’images, comme l’esprit, la lumière, le soleil, et ainsi de suite. Ou de symboles voire de personnifications au sens strict du terme (les dieu-ou-démons, l’Eochaid Ollatir – le Père tout puissant –, et bien d’autres).
Mais dire qu’il est à la fois le Père des dieu-ou-démons et des hommes (ollatir) est évidemment un langage symbolique unilatéral. Le mot Père, dans ce cas, dans la bouche des très-sachants, ne renvoie nullement à une pseudo-masculinité de l’Être englobant universel, mais à son caractère de puissance à la proximité rassurante, solidaire, exactement comme dans le cas de la maternité.
Si les très-sachants utilisent un tel symbole (l’ollatir, c’est-à-dire le Grand Tout père des dieu-ou-démons et des hommes) ; c’est en quelque sorte par naïveté seconde, ou par « docte » ignorance du type « je ne sais rien, mais je sais que je ne sais rien ».
Le Pariollon est à la fois masculin et féminin, en même temps qu’il n’est ni l’un ni l’autre, ni masculin ni féminin.
L’Homme a besoin, pour en parler, d’un langage qui prenne vie dans les images et l’expérience des uns ou des autres. Cette caractéristique de son langage ne doit pas conduire à une plus grande abstraction, mais elle suppose le recours à des métaphores féminines à côté des métaphores masculines pour en discourir.
Cet Englobant universel des très-sachants est cependant un Englobant universel non anthropomorphique, qui échappe au faux problème du personnel ou de l’impersonnel à la mode chrétienne, qui transcende toute représentation humaine. Et passe bien au-delà de tous les polythéismes, de tous les dualismes, ou de toutes les monolâtries.
Pascal a jadis établi une distinction entre le Dieu-ou-Démon d’Abraham, d’Isaac et de Jacob (un petit dieu-ou-démon tribal anthropomorphique) et le dieu-ou-démon supérieur des philosophes ; autrement dit l’Innommé des très-sachants de l’Antiquité.
Dieu-ou-Démon supérieur auquel les très-sachants reconnaissent quelques attributs qui, s’ils sont anthropomorphiques, peuvent évidemment faire problème. C’est pourquoi la théologie druidique s’en tient le plus souvent à un strict « non non-licet » très négatif en ce domaine, à la différence des juifs, des chrétiens, et des musulmans.
Dire par exemple que Dieu est amour est une évidente absurdité ! L’amour est aveugle, il est passion, il est beaucoup trop humain pour être un attribut sérieux de cet englobant cosmique qu’est le Grand Tout, quel que soit son nom (Pariollon, Dieu Par). Répétons-le encore une fois : le dieu-ou-démiurge universel n’est pas un Dieu ou Démiurge personnel, prenant soin des hommes. Il ne veille pas sur l’Homme à chaque instant, contrairement à ce qu’affirme la méthode Coué des judéo-islamo-chrétiens, ou des gens d’un Livre. Par contre il en est par définition solidaire, puisque nous sommes en lui (panenthéisme), et qu’il demeure aussi en nous.
Le grand horloger de l’univers ne tient pas volontairement et consciemment à chaque instant le sort du monde entre ses mains. L’englobant universel du Pariollon (ce que les bouddhistes appellent Parinirvana) ne détermine pas tout ce qui advient dans l’instant même : il y a des causes secondes pour cela (le destin ou la destinée). Le monde a son ordre propre, un peu comme une horloge. Les hommes y sont aussi livrés à leur destinée, mais cet ordre ne lie pas évidemment celui qui le sous-tend, et qui peut toujours susciter des prodiges voire des miracles si on y croit, en certaines occasions *.
Le Pariollon (= Parinirvana dans le bouddhisme) n’est cependant pas un dieu-ou-démon ou une déesse-ou-démone, ou fée, parmi d’autres, ni même au-dessus des autres. Ce n’est pas une personne, individuelle, parmi d’autres personnes, ce n’est pas un surhomme ou un sur-moi. Le concept de personne lui-même, les’appellations de père ou de mère, ne sont qu’approches simplifiées, faute de mieux, de sa réalité la plus haute, qui est la non-dualité.
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Contrairement à ce qu’affirment les juifs, la secte des Nazôréens, autrement dit les chrétiens (Acte des Apôtres, 24, 5), ou les musulmans, cet Être supérieur (Pariollon pour les très-sachants de la druidiaction, Parinirvana chez les bouddhistes) n’est pas masculin. Il n’est pas féminin non plus d’ailleurs. Il n’est pas personnel à la façon dont l’homme est personne.
Il n’est pas, comme le Nirvana des bouddhistes, pure apathie et morne absence de tout souhait, mais, tout comme la conscience immanente absolue est lumière rayonnante de la connaissance ; joie rayonnante. Voir à ce sujet les descriptions enthousiastes de la littérature irlandaise d’origine druidique sur ce thème, y compris le traité intitulé « la langue toujours nouvelle » ou « Tenga Bithnua » en gaélique, car il n’est que superficiellement recouvert d’un vernis judéo-chrétien.
Qu’y a-t-il de plus merveilleux en effet pour un homme que ce royaume…
104. Où l’on entend ni cri de colère ni de jalousie ni de chagrin ni de peine.
105. Heureux donc sont ceux qui ont leur place dans ce royaume… qui n’a besoin ni de la lumière du soleil, ni de celle de la lune, ni de celle des étoiles… un lieu où il n’y aura personne ayant besoin de nourriture ou de vêtement (Tenga Bithnua recension 2, manuscrit de Rennes).
N.B. En ce qui nous concerne nous préférons la description que nous en donne l’echtra Condla du 8e siècle.
Là où tout est beau, attirant et pur
Là où n’existent ni faute, ni maladie, ni temps
Ni frontière, ni guerre, ni souffrance, ni peine, ni esclavage.
La musique y est merveilleuse,
Il y coule des ruisseaux d’hydromel
Et la paix y est partout éternelle.
Être, Conscience, et Béatitude, sont donc trois des attributs majeurs de cet Être supérieur.
Si ce gigantesque chaudron cosmique est l’être supérieur, ou l’étant suprême, comme nous allons le voir, on peut alors penser que le dieu-ou-démon créateur, c’est lui, disent les Gens du Livre, disent les Gens d’un livre. En réalité il n’en est rien ! Le problème se pose autrement, n’en déplaise aux judéo-islamo-chrétiens, il va bien au-delà du rattachement de la création à un créateur.
Le Pariollon que les bouddhistes appellent Parinirvana, est donc et sera donc, toujours, l’insaisissable, l’indéfinissable, le paradoxe même de la vie. Et il transcende tous les étants.
La pensée humaine débouche ici sur un domaine où les énoncés positifs (par exemple « Dieu est Bon ») se révèlent insuffisants. Pour être vrais, ils requièrent aussi leur négation (Dieu n’est pas spécialement bon).
Les énoncés négatifs sur le Pariollon (le Grand Tout n’est pas fini) peuvent exprimer quelque chose d’éminemment positif à son propos (dire que l’Être supérieur n’est pas fini revient à dire qu’il est infini).
Résumons-nous.
Le Pariollon est un Dieu (le dieu par) qu’on ne nomme pas. Toute théologie purement affirmative (le Pariollon est amour, justice, etc.) sans théologie négative, fait de ce Dieu ou Démiurge une projection de notre imagination, en bref de l’anthropomorphisme. L’adoration de ce principe divin devient alors une monolâtrie puérile et infantilisante, voire fait de ce chaudron cosmique universel une idole monothéiste.
En ce Pariollon que les bouddhistes appellent Parinirvana, les contraires coïncident. Il n’est qu’infini. En raison de cette infinitude, il n’est jamais complètement connaissable en ce monde.
À son sujet, les énoncés négatifs sont toujours vrais, dans la mesure où ils écartent des imperfections, mais les énoncés positifs sont eux, toujours insuffisants.
On ne peut à son sujet que travailler sur des concepts limites, donc limités, qui n’enferment pas son immanent absolu, mais qui n’entendent pas non plus en rester au simple silence. C’est la docte ignorance druidique, autre nom de la sagesse (je ne sais rien, mais je sais que je ne sais rien).
« Ils discutent et transmettent à la jeunesse beaucoup d’éléments concernant les étoiles et leurs mouvements, l’étendue de ce monde et de notre terre, la nature des choses, le pouvoir et la majesté des dieux immortels » (César. B.G. Livre VI, XIV).
Cette notion inclut donc tous les contraires qu’elle transcende. L’Être supérieur appelé Pariollon ou Grand tout par les très-sachants primordiaux (Parinirvana par les bouddhistes), est à la fois le plus grand et le plus petit, le centre et la périphérie, l’avenir et le passé, la lumière et les ténèbres.
Ces contraires sont dans le Pariollon (ce que les bouddhistes appellent Parinirvana), mais se disjoignent dans le monde où nous vivons (phénomène symbolisé ou personnifié par la notion de Grande Déesse-ou-démone Mère cosmique chez les Celtes).
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L’infini ne peut se ramener à un être fini, même conçu comme une sorte de personnalité métaphysique.
L’Englobant Universel ne peut pas être compris à l’aide d’un concept anthropomorphique aux contours trop précis, comme si c’était une personne.
Il faut être aussi simpliste qu’un israélite, qu’un chrétien, ou qu’un musulman, tous gens d’un seul livre et non de douze comme les Fénianes ; pour s’imaginer que le tout englobant et tout pénétrant est un objet sur lequel l’Homme a prise, qu’il peut saisir dans des mots.
Le Pariollon ne saurait être un fini, à côté ou même au-dessus du fini. Le premier ainsi que le dernier des êtres perceptibles, est le Pariollon ou Grand Tout. Le Pariollon ou Grand Tout est le plérôme de l’être, immortel et sans fin. Lui seul est son être même, et constitue de lui-même tout ce qu’il est. Le Pariollon est lumière, en lui point de ténèbres. Nous ne pouvons guère saisir du Pariollon (que les bouddhistes appellent Parinirvana, rappelons-le) ce qu’il est, nous pouvons surtout saisir ce qu’il n’est pas. Le Pariollon n’est aucunement à l’image de l’homme. Il n’est ni homme ni femme. Ce Dieu ou Démiurge est pure âme et pure matière. Materia prima, et ultima, où il n’y a pas encore de place pour la différence des sexes.
* Le prodige ne s’oppose pas aux lois de la nature. Il ne fait que les appliquer de manière curieuse, et invite plutôt à la recherche. Exemple de prodiges : lévitation, télépathie, rêve prémonitoire peu précis, guérison surprenante, mais explicable par la force d’une psychologie, stigmates.
Le miracle s’oppose plus fortement que le prodige aux lois de la nature. Un cadavre décomposé ne ressuscite pas (Lazare), un organe ne repousse pas, une moelle épinière sectionnée ne se ressoude pas, etc. D’où le fait que certains croyants attribuent cette catégorie de prodiges à une puissance infinie qu’ils appellent Dieu.
N.B. Le signe une série de coïncidences trop frappantes pour être dues au simple hasard. Le signe est plus subjectif, mais il est aussi très personnel. Il peut donc toucher la personne davantage qu’un miracle scientifiquement vérifiable, mais plus lointain. La personne se sent soudain entourée d’un autre monde invisible. Par contre, le signe ne prouve rien pour celui qui ne l’a pas reçu personnellement.
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LES UNIVERS PARALLÈLES OU LE ROYAUME (RÉPUBLIQUE)
DES SIDES.
Une des lois fondamentales de la mécanique quantique est que les mêmes causes ne produisent pas nécessairement les mêmes effets, c’est l’indéterminisme. Dans certaines expériences de physique quantique, une particule (exemple électron, photon) peut « décider » d’aller à gauche ou à droite. Or, même si les conditions initiales sont absolument identiques, il est impossible de prédire de quel côté elle va se diriger, ce choix dépend du hasard. C’est ce qui a été appelé la « réduction du paquet d’ondes » et plusieurs physiciens ont avancé des théories pour tenter d’expliquer ou d’éliminer cet élément de hasard.
En 1957, le physicien Hugues Everett affirme qu’il n’y a pas de hasard, car la particule a pris les deux directions. Dans « notre » univers, elle est allée vers la gauche et dans un « autre » univers vers la droite. Il y aurait donc une multiplication d’univers parallèles, formant de nouvelles branches à l’infini, à chaque fois qu’une particule quantique doit choisir entre différentes options.
Selon la théorie classique de l’explosion initiale, l’univers est né d’un point (ou singularité) où tout ce qu’il contient était condensé dans un volume nul. Mais qu’y avait-il donc avant cette explosion initiale ? Selon l’explication classique, il n’y avait rien : que le vide. Même l’espace et le temps n’existaient pas. Ils sont apparus en même temps que l’univers. Dans ces conditions, la question de savoir dans quoi se gonfle l’univers ne se pose même pas.
Certains astrophysiciens ont formulé l’hypothèse que l’explosion initiale serait peut-être celle d’une « bulle » née dans une sorte de « mousse cosmique ». Notre Univers ne serait donc pas unique. D’autres univers, où les lois de la physique sont peut-être très différentes des nôtres, ont pu également surgir de cette mousse.
La Science et les scientifiques affirment qu’il est totalement impossible de détecter ou d’obtenir quelque information que ce soit sur ces présumés univers parallèles.
Les grands initiés, qu’ils soient d’hier ou d’aujourd’hui, affirment avoir ou détecter des informations sur certains de ces univers parallèles (autre monde, paradis, royaume des morts, des dieu-ou-démons, etc.).
Bouddhakshetra, terre de bouddha ou champ de bouddha, est un terme bouddhiste qui désigne un domaine de l’univers dans lequel un bouddha donné exerce son activité ou son influence. Si l’on en croit le Mahavastu, il y a trois sortes de Bouddha-khetta, ou sphère de Bouddhas.
Le Jatikkheta : le type d’univers dans lequel un Bouddha peut apparaître. Il ne peut y apparaître qu’un seul bouddha à la fois. Aucun Bouddha ne peut y surgir tant que n’a pas complètement disparu de ce monde l’ordre instauré par le Bouddha précédent. Quand un Boddhisattva est conçu dans le sein de sa mère pour une dernière réincarnation, après avoir quitté une demeure divine (divya loka), une merveilleuse lumière illumine alors tous ces mondes, et les dix mille univers en sont ébranlés.
L’Anakkheta : la sphère d’influence dominante du Bouddha.
Le Visayakkhetta : la sphère jusqu’où peuvent s’étendre la sagesse et le pouvoir du Bouddha. En principe illimitée.
Les deux derniers domaines sont des terres pures résultant de ses réalisations et manifestant ses qualités ; ceux qui ont des affinités avec y renaissent après leur mort. Toujours selon le Mahavamsa, un Bouddhakshetra équivaut à 61 milliards d’univers. Le concept est particulièrement développé dans le mahayana, dans les soutras du Lotus et de Vimalakirti ainsi que dans ceux qui sont consacrés à certains bouddhas comme Amitabha, dont la terre pure est de loin la plus connue. Elle est en effet au cœur des croyances et pratiques du courant de la Terre pure, l’un des plus importants du bouddhisme.
Bien que certains textes décrivent les terres pures comme des domaines éloignés de notre monde, le Lotus et le Vimalakirti affirment qu’elles naissent dans le monde impur, mais autour d’un bodhisattva, en vertu de la pureté de son esprit ; elles sont composées des êtres qui s’élèvent spirituellement grâce à son enseignement. Selon ces soutras, il existe une différence de qualité entre les terres pures des différents bouddhas. La terre pure d’Amitabha elle-même cède le pas selon certains à celle de Bhaisajyagourou. Les courants Tiantai et Tendai, fortement influencés par le Soutra du Lotus,
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envisagent quatre terres pures auxquelles on accède selon son degré de conscience : la terre de la Résidence commune, accessible à tous ; la terre des Moyens habiles et des Résidus, accessible aux auditeurs, aux pratyekabouddhas et aux bodhisattvas de rang inférieur ; la terre de la Rétribution vraie où vivent les bodhisattvas les plus avancés ; la terre de la Lumière paisible éternelle accessible aux dharmakayas.
Alors pourquoi pas la Terre pure (au-delà celtique) du bouddha Cornunnos ?
N.B. Nous ne sommes pas racistes comme le sont les judéo-islamo-chrétiens, nous n’avons aucun problème à reconnaître du beau du bon et du bien dans les autres religions (voir la parabole d’Ogmios racontée par Lucien de Samosate), mais revenons quand même à nos moutons.
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MONDES PARALLÈLES ET BOUDDHAKSHETRAS DRUIDIQUES, SUITE.
Résumé succinct de ce que pensait le professeur Jan De Vries à propos de la religion des Celtes (d’après la traduction en français, car j’ai toujours été très mauvais en allemand, et de toute façon ces quatre années d’allemand sont loin).
Rappelons pour mémoire que les sides sont un peu comme les alvéoles de la gigantesque ruche qu’est l’autre monde des dieux, constamment occupés à intervenir dans les affaires humaines.
En Irlande, on croyait que les morts habitaient dans les tumulus appelés sides. Mais ils n’étaient pas seuls à y habiter. Les légendes rapportent que les anciens dieu-ou-démons, les hommes de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère ce terme, Danu (bia), s’étaient, eux aussi, retirés dans les sides, après avoir été vaincus par les hommes. Ainsi que l’a très bien dit Marie-Louise Sjœstedt elle-même en commentant ce que cette notion a donné en Irlande. Après les célèbres batailles livrées pour la possession de la plaine de Talantio (gaélique Tailtiu, autre personnification : la déesse-ou-démone, ou fée si l’on veut, Rosemartha, sur le Continent) ou à Druim Lighean (voir notre fascicule sur les grandes batailles de la métahistoire selon les druides), il fut convenu de partager le pays en deux parts égales. Les Tuatha Dé Danu (bia) reçurent la moitié inférieure, c’est-à-dire le sous-sol. C’est donc ainsi que les dieu-ou-démons jusque-là aériens ou célestes *, en rentrant sous terre, prirent possession des tertres, tumulus préhistoriques ou monticules naturels (en lesquels le paysan irlandais reconnaît encore aujourd’hui la résidence des fées) ; que le roi des dieux d’alors avait partagés entre les siens, en adjugeant tel side, à Lug, tel autre à Ogmios, et ainsi de suite. Non seulement les terres et les grottes, mais aussi les eaux des profondeurs, revinrent aux dieu-ou-démons : le Lac de l’Oiseau, dans le Connaught, abrite par exemple lui aussi un side.
Du moins d’après les bardes irlandais qui confondirent ainsi les trois niveaux de tout plérôme païen qui se respecte : aérien, « céleste » ou humain, chtonien.
C’était fatal ; puisque le christianisme avait rabaissé tous ces personnages surnaturels au rang de fantômes ou de démons ; les Irlandais confondirent donc sous l’appellation d’aes side, des êtres très différents ; qui constituèrent désormais pour eux une inquiétante armée d’esprits plus ou moins maléfiques. Au Moyen-âge, dans les pays celtes, les anciens dieu-ou-démons, les fées, les spectres, et les âme/esprits des morts, s’équivalent presque ; à eux tous, ils forment le monde fantastique des aes side.
En Irlande le peuple des aes side en question est composé d’êtres féminins ou masculins vivant sous, mais aussi sur, la terre, sans appartenir pourtant à l’Humanité proprement dite. Mais ce n’est là qu’une définition minimale. Elle englobe les genres d’êtres surnaturels les plus variés. Les uns (fées) sont bien disposés envers les hommes, les autres (démons) plutôt mal.
Mais cette vision de la spiritualité païenne n’est valable que pour l’ère chrétienne, quand les distinctions entre tous ces êtres (aériens célestes ou chtoniens) furent abolies. Pour l’ère païenne, une telle définition du peuple des aes side néanmoins, est inexacte. Les dieu-ou-démons vivaient alors dans les différentes parties du monde, dans le ciel et la mer. Les esprits de la nature étaient présents dans les phénomènes les plus divers : montagnes et collines, sources et fleuves. Il y avait enfin, mais dans un monde à part, les âme/esprits des morts, qui habitaient les tumuli.
N.B. La meilleure preuve de l’importance du culte des morts chez les Celtes est d’ailleurs peut-être que, pour finir, dieux et démons en Irlande sont aussi allés habiter sous leurs collines.
Les légendes y dépeignaient la vie sous les couleurs les plus chatoyantes. Bien entendu, il y avait là aussi de grands trésors. Nous avons dit combien magnifique était l’équipement des tombes de La Tène. Le souvenir s’en est donc conservé longtemps dans les légendes.
On a l’impression aujourd’hui que Mag Meld est une forme développée du monde des tumulus. Mais, même si ces conceptions sont issues d’une même source conceptuelle, elles ont tellement divergé qu’il faut radicalement les distinguer.
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Mag MeId n’est pas au départ un pays des morts, mais un pays merveilleux dans l’Océan, où des êtres surnaturels jouissent d’une éternelle félicité. Cette vision du monde des dieu-ou-démons était sans doute parvenue à son apogée quand le christianisme se répandit, et il lui apporta donc, lui aussi, sa nuance.
Essayons d’y voir plus clair.
Les anciens druides ou très-sachants d’Occident considéraient la multiplicité des mondes et des phénomènes comme procédant du Pariollon (ou Parinirvana chez les bouddhistes) : une application concrète de la célèbre doctrine des états multiples de l’Être.
Durant le premier âge du bronze, les sides ont donc été très probablement conçus comme des sortes de « poches » ou d’enclaves de l’au-delà. Il s’agissait d’unités isolées, n’ayant pas de relations entre elles, c’est-à-dire n’ayant pas encore été fondues ou réunifiées dans l’image d’un autre monde inférieur unique et général s’étendant sous la terre des vivants. Autrement dit, chaque dieu-ou-démon avait son domaine bien particulier, totalement séparé de celui des autres dieu-ou-démons.
En Irlande au Moyen-âge sous l’influence du christianisme, une évolution des idées a fait que les sides ne furent plus compris seulement comme des résidences locales de défunts, de héros divinisés, voire de dieu-ou-démons souterrains ; mais comme des portes d’entrée vers un empire souterrain plus ou moins fédéral : les sides-unis en quelque sorte. Si au début de l’âge du bronze, les tombes héritées de la civilisation néolithique étaient, selon toute probabilité, vues comme des mondes ou des enclaves isolés ; à la fin du Moyen-âge en Irlande, sous l’influence des idées chrétiennes, elles finissent par se rejoindre et tisser un véritable espace « infernal » situé sous la surface de la Terre. Le grand royaume des dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), est un miroir ou un double souterrain du royaume des hommes.
Il n’en demeure pas moins que la plupart des légendes évoquant ces sides ou demeures des dieu-ou-démons irlandais, témoignent de leur totale autonomie les uns envers les autres.
Il en va d’ailleurs de même des terres de bouddhas en Extrême-Orient, les fameux Bouddhakshetra. Selon les soutras, cette Terre de la béatitude parfaite est souvent appelée « Terre pure » ou « Paradis occidental ». Le Soutra Muryoju la décrit en détail. Sur cette terre-là, on n’éprouve aucune souffrance, mais seulement de la joie, d’où son nom. On nous dit que tout y est très beau. Sans entrer dans les détails, Soukhavati, la terre heureuse, la terre de la félicité du bouddha Amitabha, nous est décrite comme entièrement faite de joyaux étincelants, de lumière, de fleurs de lotus, de musique et de parfum. On peut trouver plus de détails dans les trois soûtras de la « Terre pure ». Le bouddha que l’on appelle Amitabha, entouré de ses deux bodhisattvas principaux, y est assis sur un trône magnifique.
cf. pour mémoire comment la vision d’Adamnan et le texte irlandais appelé « la langue toujours renouvelée » nous décrivent cet autre monde.
« Un monde sans orgueil, sans vanité, sans fausseté, sans blasphème, sans fraude, sans prétexte, sans honte, sans gêne, sans déshonneur, sans outrage, sans envieux, sans arrogance, sans épidémie, sans maladie, sans pauvreté, sans dénuement, sans destruction, sans décès, sans grêle, sans neige, sans vent, sans pluie, sans bruit, sans tonnerre, sans obscurité, sans froidure » (Finit Fis Adamnain).
Qu’y a-t-il de plus merveilleux en effet pour un homme que ce royaume…
104. Où l’on n’entend ni cri de colère ni de jalousie ni de chagrin ni de peine.
105. Heureux donc sont ceux qui ont leur place dans ce royaume… qui n’a besoin ni de la lumière du soleil, ni de celle de la lune, ni de celle des étoiles… un lieu où il n’y aura personne ayant besoin de nourriture ou de vêtement (Tenga Bithnua recension 2, manuscrit de Rennes).
N.B. En ce qui nous concerne nous préférons la description que nous en donne l’echtra Condla du 8e siècle.
Là où tout est beau, attirant et pur
Là où n’existent ni faute, ni maladie, ni temps
Ni frontière, ni guerre, ni souffrance, ni peine, ni esclavage.
La musique y est merveilleuse,
Il y coule des ruisseaux d’hydromel
Et la paix y est partout éternelle.
Ci-dessous quelques autres noms de terres pures, puisque c’est ainsi que nos frères en paganisme de cette région du Monde appellent leurs univers parallèles.
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La Terre de la Joie (Abhirati) du bouddha Akshobhya, située à l’est de notre monde.
La Terre d’Émeraude du bouddha Bhaisajyagourou ; décrite dans le Soutra Bhaisajyagourou, elle serait située à l’est de notre monde.
La Terre de la grandeur secrète du bouddha Vairocana, décrite dans le Mitsugon kyo.
La Terre pure du Pic du Vautour, où règne l’enseignement du Bouddha Çakyamouni.
La Terre pure du Mont Potakala, du bodhisattva Avalokiteshvara.
Notes.
* Les dieux ou démons aériens des légendes celtes sont des personnifications des forces atmosphériques comme le vent (le Santa Ana, le Circius dans la vieille Europe, la Galerne en France, etc.) les éclairs le tonnerre.
Les dieux célestes ne sont « aériens » que par convention, mais ils sont surtout actifs dans le monde des hommes (le mythe druidique originel les localise d’ailleurs souvent sur le même plan que les humains, mais dans des îles lointaines).
Et il y a bien sûr le cas des dieux ou démons comme le dieu de la foudre ou du tonnerre (Taran/Toran/Tuireann) qui sont à la fois aériens et célestes.
Dieux-ou démons aériens, célestes, et chtoniens, forment un gigantesque panthéon, plus qu’un panthéon ordinaire à la grecque, un plérôme.
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Les sides (vieux celtique « Sedos ») sont des portes d’entrée ou de sortie de l’autre monde. Chaque dieu-ou-démon possède une ou plusieurs de ces portes et y habite (demeure derrière). Mais il n’y a pas qu’en Irlande qu’il y a des sides, il y en a dans le monde entier. En Allemagne et Tchéquie en Grande-Bretagne, etc. et même Delphes en un sens, qui est un side appartenant à Belenos/Abellio appelé Apollon par les Grecs. Voire Lourdes en France pour les catholiques. Lourdes est le side d’une déesse ou d’une superhéroïne appelée Marie.
Et tous ces sids communiquent entre eux.
N.B. Malgré la mention de rois des Sides différant suivant les époques ou les textes, il serait plus juste à cet égard de considérer qu’il s’agit d’une sorte de république, les Sides Unis, dirigée par un président élu et doté de pouvoirs forts.
Ci-dessous une première liste de quelques-uns des mondes parallèles connus des Irlandais sous le nom de Side.
Brugh na Boinne, dans le Comté de Meath, aujourd’hui Newgrange. C’est évidemment le plus connu de ces mondes parallèles ou de ces entrées dans un monde parallèle. Il est censé avoir abrité Lug, le Suqellos Dagda Gargant, et Mabon/Maponos/Oengus.
Brí Léith dans le comté de Westmeath. Medros/Midir en était le seigneur. Vocusmnaca/Fuamnach et Etanna/Etain y vécurent.
Slieve Gullion, près d’Armagh (la demeure de Cuillen ou Culann le forgeron. Son chien fut tué par le hésus Cuchulainn).
Rath Cruachan, (appelé aussi Cruachain, ou Rathcroghan). Comté de Roscommon, dans le Connaught. C’est de ce side que vint la prophétesse Videlma pour mettre en garde la reine Medb contre les risques encourus par l’expédition qu’elle projetait de lancer pour s’emparer du taureau de Cooley. D’après les légendes locales, le passage vers l’autre monde serait situé dans la grotte des chats.
Sidhe Finnachaidh (aujourd’hui Sliabh Fuaid) près de Tara, dans le Comté de Meath. Le dieu ou démon appelé Aillen Mac Midhna, selon diverses légendes, avait l’habitude de sortir de cet endroit, chaque année, lors de la fête de Samon, afin de semer le trouble à Tara, en incendiant les maisons, ou en jetant des sorts. Il faudra la lance magique de Finn pour arriver à s’en débarrasser. Lero/Lir aurait aussi un moment séjourné dans ce side selon certaines légendes.
Sidh-ar-Femhin, dans la plaine de Cashel. Le dieu-ou-démon qui en devint le seigneur était Bob le rouge (Bodb Derg). Le harpiste nommé Cliach pouvait faire s’ouvrir sa porte, rien qu’en jouant de la musique devant.
La colline d’Allen, la colline de Grange et Rathangan dans le comté de Kildare. Ces collines forment un chemin ou une ligne magique qui porte malheur si on l’emprunte la nuit. C’est sur cette colline d’Allen qu’Ossian commença par s’arrêter lors de son retour de la terre d’éternelle jeunesse (Tír na nÓg). De nombreuses légendes sont attachées à ces trois hauteurs.
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Cnoc Firinn ou Knockfierna, dans le comté de Limerick. Est la demeure du dieu-ou-démon appelé Donn.
Síd Uamuin, dans le Connaught. Ethal Anbuail, père de Caer Ibormeith, était le seigneur de ce side. Sa fille (Caer Ibormeith) épousera Mabon/Maponos/Oengus. cf. le récit intitulé en gaélique Aislinge Oengusso : le rêve d’Oengus.
Sidhe Findabrach, au nord du Brugh na Boinne (Newgrange). Domaine de la tribu de Derc. Les fils de Derc ayant un jour enlevé Enghi, la fille d’Elcmar, le lieu fut dès lors appelé Cnoguba (aujourd’hui Knowth) ce qui signifie « la lamentation des noisettes ».
Cleitech, près du Brugh na Boinne (Newgrange) où se sont installés la damona Bovinda/Boand et Elcmar après avoir quitté le Brugh.
Mullachshee, près de Ballyshannon, dans le comté du Donegall, connu également sous le nom d’Ess Ruadh. Domaine d’Ilbhreac, fils de Bélénos Barinthus (Manannan Mac Lír).
Druim Nemed, à Luigne, dans le Connaught. Caoilte et Cascorach s’y arrêtèrent en allant à Ess Ruadh.
Cnoc Meadha (Knockmaa) près de Tuam, dans le comté de Galway. Domaine de Finnbheara, roi des fées de la région ou dernier roi des aes side selon nos homologues irlandais (quelle hérésie !)
Beaucoup d’autres existent. Pour plus de détails, voir l’Onomasticon Goedelicum ; locorum et tribuum Hiberniae et Scotiae du Père Edmond Hogan.
Une évolution analogue a dû se produire pour ce qui est des dieu-ou-démons aériens. À cette importante différence près qu’il ne fut nullement question pour les transcripteurs chrétiens de laisser croire un seul instant que ces demeures célestes des dieu-ou-démons ; dont nous avons pourtant la trace dans la mythologie galloise (caer Arianrod = la constellation Corona Borealis, caer Gwyddion = la Voie lactée, etc.) ; pouvaient constituer un royaume céleste au sens de « paradisiaque ».
Voici par exemple comment le barde Flann Mainistrech a vu les choses à son époque.
« Les falsificateurs de l’Histoire
Affirment que le peuple des barques et des tertres
Étant du Sidhe, y est retourné.
Ce n’est pas ce qu’un bon chrétien doit croire.
Ni maith la Crist in creideam.
Gebe creidis co n-anmain
A mbeadli a sidhaibh samlaigh,
Ni aitreabha neam na neart,
Domnai nadh fir nos-eisteadh.
Quiconque croit vraiment et en toute honnêteté
Qu’ils sont maintenant dans les sidhe
N’ira jamais au ciel
Car il n’y a rien de vrai dans tout cela.
Ces charlatans disent
Que le peuple des barques et des gobelets
Demeure aujourd’hui dans la terre de Promesse.
Mais la seule Terre Promise
À laquelle ont eu droit les Toutai Deuas
C’est l’enfer, oui ! »
Littéralement
Baile bith-sheang a mbi breth ;
Ai is e in t-ifearnn lchtarach.
Voilà au moins qui a le mérite d’être clair de la part de cet adepte de la religion d’amour.
L’évolution générale des idées fut d’abord de localiser toutes ces divinités célestes dans des îles lointaines au nord ou à l’ouest du monde, puis sous l’influence du christianisme de les rejeter aussi sous terre finalement. Le cas irlandais est particulièrement flagrant à cet égard.
Il est fastidieux de citer toutes les légendes qui nous content comment des hommes sont allés dans un autre monde merveilleux, tantôt volontairement, tantôt enlevés par des âmes/esprits. Cette
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aventure a toujours été réservée aux plus grands héros ; on connaît celles de Cuchulaïnn, de Loégaïre mac Crimthan, et d’Ossian. Mais il est dangereux de séjourner dans ces autres mondes ; le rythme du temps n’y est pas le même, ou plutôt le temps y est presque immobile. Un jour passé là-bas est comme cent ans sur terre. Il peut donc arriver qu’à son retour au pays, notre héros, quand il met pied-à-terre ou touche le sol, tombe en poussière. C’est ce qui arrive à Loégaïre et à Ossian. L’autre monde est aussi une sorte de Walhalla. Comment des guerriers enterrés en armes pourraient-ils ne pas désirer poursuivre le combat dans ce monde parallèle ?
Par-delà l’Océan, il y a aussi un ou plusieurs autres pays que l’on situait loin derrière l’horizon, peut-être même au fond des eaux. Car les vagues de la mer elles-mêmes couvrent une province de ce monde caché, Tir-fo-Tuinn « le Pays sous les vagues » ; et qu’il vaut mieux comparer aux Champs Élysées grecs plutôt qu’à une île des morts. Elle porte dans nos textes de nombreux noms, entre autres ceux de Tir na n-ôg, « pays des jeunes gens », Tir na m-béo, « pays des vivants », Tir na sorcha, « pays brillant », Mag Mell, « plaine de la joie ». Mais on trouve aussi Tir Tairngire, « Terre promise ». Ce dernier nom est bien évidemment dû à l’influence du christianisme. De telles îles enchanteresses de l’Océan furent le but de nombreuses expéditions aventureuses qui nous sont relatées dans les célèbres Imrama. La plus fameuse, celle de saint Brendan, prouve que le thème a subsisté jusqu’à l’époque chrétienne, même si ce fut avec une intention tout autre. Les anachorètes irlandais, qui aimaient tant à se confier à la mer, dans leurs petits coracles, ne chérissaient-ils pas, eux aussi, l’espoir secret d’aborder, guidés par la main de Dieu ou du Démiurge, à l’une de ces îles ?
Les visions du Moyen-âge continuèrent de broder sur le sujet. Cela rend d’autant plus difficile de dégager des textes conservés les idées fondamentalement païennes, car il s’y est sans doute mêlé, non seulement des idées chrétiennes sur le paradis, mais aussi des souvenirs de la légende classique (gréco-latine) des Hespérides. Le cas le plus complexe étant sans doute celui du texte du 9e siècle intitulé en gaélique « tenga Bithnua » et qui assaisonne allégrement un schéma judéo-chrétien de type apocalypse, de détails typiquement irlandais, ou du moins de phénomènes naturels reflétant la culture des Iles britanniques des 7e et 8e siècle.
Il faut donc reconnaître qu’il règne dans nos textes une relative incertitude quant à ce que l’on entend exactement par ce pays des bienheureux agréables à fréquenter (Meldi). Une chose du moins est très claire : il nous est interdit de parler d’un « Royaume des Morts » au sens propre, bien que cette idée puisse toujours s’y mêler quelque peu.
Le roi des andernas ou fomore nommé Tethra, est dit seigneur de Mag MeId dans le récit ayant pour titre Echtra Condla Chaim meic Cuind Chétchathaig. Mention qui ne manque pas de laisser perplexe.
Il est évident que, si les anciens dieu-ou-démons et les âme/esprits des morts cohabitent dans le side sur terre, ou plus exactement sous terre, tel est aussi le cas dans cette lointaine île des bienheureux. La croyance populaire irlandaise ne fait pas ici de distinction très nette.
De grands héros peuvent y être enlevés pour un temps, ou y demeurer définitivement après leur mort. Voir le cas de l’Avallon ou de l’Insula Pomorum de la Vie de Merlin (Vita Merlini), où le roi Arthur aurait été « exfiltré ». Il s’agit d’un véritable Mag Meld, où, sans être cultivé, le sol produit d’abondantes récoltes. Là vivent neuf sœurs sous la direction de Morgane ; elles peuvent se métamorphoser en oiseaux. Il y règne une paix ainsi qu’un printemps éternels. Les habitants ignorent l’âge, la maladie et les soucis. On reconnaît là sans conteste la Tir na n-og irlandaise.
Ces conceptions reflètent les rêves de l’Humanité. On peut parler de paradis, voire de pays de Cocagne. Mais anciennes, ces idées le sont certainement ; ne trouvons-nous pas chez les Grecs eux-mêmes la croyance aux îles des Bienheureux, les Hespérides, qu’ils cherchaient au large du lointain rivage occidental de l’Océan ? Il n’est donné qu’à quelques privilégiés d’y parvenir et d’y vivre un aiu (une éternité) de béatitude. C’est le sujet du conte irlandais intitulé Echtra Condla Chaim meic Cuind Chétchathaig, qui peut remonter au VIIIe siècle. Ce Condla était le fils du célèbre roi Conn aux cent batailles. Un jour qu’il était avec son père sur la colline d’Uisnech, une femme à l’allure étrange leur apparut soudainement. Elle déclara qu’elle venait de Tir na m-Béo, du pays des vivants, où il n’y a ni mort, ni péché. Une joie perpétuelle y règne. Mais seul Connla pouvait voir cette femme ; elle restait invisible à son père par exemple. Celui-ci, entendant son fils parler comme à un interlocuteur imaginaire, lui demande ce qui se passe. La femme répond qu’elle aime son fils et qu’elle l’invite à venir à Mag Meld, où règne éternellement le roi Buadach (le victorieux). Le roi Conn demande à son druide Corann, d’empêcher par ses formules magiques que son fils soit subjugué. La femme recule
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dans un premier temps devant le pouvoir du druide, mais elle jette une pomme à Connla. Il s’en nourrira pendant un mois, sans qu’il lui soit nécessaire de prendre aucune autre nourriture ni boisson. Pourtant, la pomme ne diminue pas. Mais il est pris d’une violente nostalgie pour l’inconnue.
Elle revient une seconde fois tandis que le père et le fils se trouvent à Mag Archommin. Le fils avoue à Conn qu’il ne peut renoncer à l’amour de cette femme, bien qu’il aime beaucoup sa famille. La femme renouvelle son invitation et Connla bondit dans la barque de cristal de la fée. On le vit s’éloigner, depuis personne n’a revu Connla ni ne sait où il a pu aborder.
Quelques passages de ce texte trahissent la main d’un copiste chrétien. C’est ainsi que la femme dit au père, quand celui-ci, lors de leur deuxième rencontre, veut invoquer à nouveau le secours de son druide : « Garde-toi de la sorcellerie des druides. Il viendra dans peu de temps un Juste qui a de nombreux et merveilleux compagnons. Bientôt sa condamnation te frappera ; il anéantira les formules magiques du druide à la face du démon de la magie noire ».
Allusion sans doute rétrospective (après coup, c’est toujours plus facile) à la venue de saint Patrice.
C’est sans doute aussi ce même moine copiste chrétien qui a pris sur lui d’accentuer la ressemblance entre Mag MeId et le paradis céleste selon les chrétiens : le péché y est inconnu.
Il ressort de toutes ces légendes que les habitants de Tir na n-og sont systématiquement confondus avec le peuple des aes side ; or il semble que, du temps du paganisme, il y ait eu alors une nette distinction entre les deux mondes. On retrouve là le « confusionnisme » dont on parle si souvent à propos du panth-éon ou plérôme celte. Dans le cas qui nous intéresse, la raison en est l’effondrement des doctrines druidiques, après que le christianisme les eut stigmatisées comme inventions diaboliques (fin de notre citation entrecoupée de commentaires, du livre de Jan De Vries sur la religion des Celtes).
Ce qui est certain du point de vue du druidisme par contre, c’est qu’une vie entière passée dans la volupté amoureuse et les festins n’était pas considérée comme une vie de péché.
Dit autrement, il y a plus qu’une simple participation du monde et de toutes les créatures à la nature de Dieu ou du Démiurge (comme dans les variantes les plus éclairées du judéo-islamo-christianisme). Il y a identité entre Dieu ou le Démiurge, et le Monde. Ou plus exactement entre Dieu ou le Démiurge et les Mondes, car l’Être supérieur a suscité non seulement notre terre, notre soleil, notre lune, et nos étoiles, mais aussi d’innombrables mondes parallèles. Ces mondes flottent dans l’espace comme des feuilles de chêne flottant dans la brise. Comme des feuilles de chêne, ils s’ouvrent et se ferment, naissent et meurent. Et leurs dieu-ou-démons également, car les dieu-ou-démons naissent et disparaissent avec. L’équivalent druidique de la Götterdernmerung germanique ne nous est pas néanmoins parvenu ; hormis peut-être sur certaines monnaies des tribus Véliocasses ou Unelles représentant un loup attaquant un char solaire ou dévorant la lune pour en rejeter de la verdure.
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LA SYNTHÈSE ENTRE SCIENCE ET RELIGION TENTÉE PAR LES DRUIDES ANTIQUES.
Genèse en trois temps (conception non parménidienne).
Dans le néant absolu et incompréhensible (« Avant » est insaisissable pour l’esprit humain) une impulsion…(une impulsion, pas un acte de volonté, ni une décision, semblable aux nôtres, il vaut mieux rester très prudent donc plus vague).
Premier temps : donne l’Être Un Divin, ineffable, infini, transcendant, immanent, préexistant à la naissance de la matière, du temps et de l’espace.
Deuxième temps : comme par retrait sur lui-même cet Être Un Divin ou Bitos génère le « point central indéfini » contenant exhaustif des formes indifférenciées, cause première, origine et fin du monde tangible. L’origine immanente absolue du premier des mondes ou du premier des univers ne peut être une explosion de matière (ou d’énergie) à partir d’un centre créant l’espace, puisqu’il n’y a pas encore « d’extérieur » ; mais une implosion logique et inévitable, à l’intérieur de ce premier être, de cet être immanent absolu, l’Être Un Divin, donnant les prémisses de l’espace, du temps et de la multiplicité. Ainsi naîtront l’âme, puis la matière, puis l’énergie. Non par multiplication, mais par division.
Troisième temps : de ce noyau divin, sphère infinitésimale contenant la « force/solidarité » infinie de l’énergie, naît le Pariollon (le Chaos chez les Grecs), en une gigantesque explosion d’âme et de matière, bref de tout, présent en toutes choses, en tous lieux, en tout temps, par émanation.
Monde matériel et monde spirituel sont intimement mêlés (un peu comme la trame et la chaîne d’un tissu, la teinture représentant l’échange entre les deux), on peut dire qu’ils sont « consubstantiels ».
Leur « croissance/développement » est concomitante. Chaque particule infinitésimale (infra-sub-atomique) de « matière » est le « reflet perceptible », la « condensation » (en quelque sorte, mais c’est un raccourci), dans le monde sensible, d’une dose « similaire » (disons l’essence) d’énergie spirituelle.
N.B. Ne pas confondre l’énergie spirituelle et l’énergie matérielle. L’énergie matérielle est une oxydation, une fusion atomique ou une combinaison chimique, l’énergie spirituelle est une émanation directe du divin ; alors que l’oxydation « transforme », l’énergie spirituelle « transmute ». Ces particules se constituent, se fondent, en particules « élémentaires » (subatomiques), qui elles-mêmes se fondent en « atomes », eux-mêmes agrégés en « matière solide ». Cela étant rendu possible grâce aux trois « forces physiques » : atomique, électromagnétique, gravitationnelle, résultant de la « première force » (soupçonnée, mais toujours inconnue de la physique actuelle) de l’expansion/explosion initiale ayant donné le Pariollon (Chaos chez les Grecs).
Dans le monde spirituel, tout est « lié », interconnecté, rien n’est « séparé ». Chaque « grain » « connaît/comprend » tous les autres. Il n’y a ni « espace » ni « temps », pas de « dimensions », du moins au sens où on l’entend dans le monde matériel, tout est « immédiat » (au sens de « instantané ou sans médiateur/intermédiaire »). C’est ce qui le distingue du monde sensible où espace et temps (les médias) autorisent « l’évolution » de la matière (au moyen de la combustion/oxydation/transformation = entropie/néguentropie). C’est également ce qui nous empêche de le pénétrer avec nos « sens » physiques (absolument dépendants de la matière, du temps, et des « ondes vibrations » lumineuses/soniques).
On ne peut « percevoir » le monde spirituel qu’en « temps arrêté », ce qui peut être provoqué par la méditation ou par le « passage » d’une « singularité » du temps.
De fait, alors que le monde matériel est la conséquence d’un mode vibratoire « extérieur/perceptible » ou « exotérique/sensible transformant » ; le monde spirituel qui en est le support est la conséquence d’un mode vibratoire « intérieur/mystique transmuant ». Il n’y a pas de changement de phase pour les « ondes » spirituelles, les phases « +/- » coexistent, un peu comme pour les particules à propos desquelles le principe d’incertitude d’Eisenberg montre que l’on ne peut définir à la fois la vitesse et la position.
La force/solidarité divine partout présente dans le noyau central de sa vacuité, a permis aux formes de vie de se différencier de la matière inerte et de prendre leur essor vers le Divin.
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L’espace spirituel est comme un lac parcouru de « courants de vie » formant des ondes qui se croisent et interfèrent entre elles (en surface et en profondeur). Au gré des vagues formées par les interférences, provoquant une concentration d’ondes spirituelles plus ou moins fortes, les particules correspondantes dans le monde sensible s’agrègent les unes aux autres et forment des « êtres », matières, végétaux, animaux.
Lorsque se défait une vague, lorsque la vague meurt, ou retourne au lac, l’être disparaît, mais les « ondes » qui l’ont formé continuent leur chemin, elles changent seulement de fréquence. L’onde est en quelque sorte l’âme/esprit individuelle, la vague l’être ou la matière (l’être « vivant » est de la matière « animée »). C’est la fréquence vibratoire/force/solidarité/émanation divine, qui anime les courants et provoque les ondes, origine de la force vitale des êtres.
Le monde spirituel et le monde matériel sont tous deux inclus dans la « pensée – intelligence – conscience » immanente divine qui demeure ainsi présente en tout temps et en tous lieux, aussi bien dans un monde que dans l’autre.
N.B. Il n’y a pas de « monde » divin, on ne peut dire que le Divin « existe ou habite » quelque part, il est seulement essence subtile des différentes manifestations spirituelles ou matérielles des divers mondes et objets de ces mondes.
Le monde n’est composé que d’une seule substance, cette substance se trouve en toutes choses et même « est » toutes choses. Quelle que soit donc la nature de cette substance, qu’elle soit matérielle (concrète) ou spirituelle (abstraite), il n’y a rien d’autre dans le monde qu’elle, et toute idée de quelque chose qui lui serait donc extérieur est à exclure.
Les gnostiques d’Occident que sont les druides, n’emploient pas le terme « dieu ou Dieu » pour désigner l’Être Un dont le monde est émané, plutôt celui de Bitos. Mais il est vrai que c’est bien à ce niveau ontologique que de nombreuses traditions, et notamment la tradition judéo-islamo-chrétienne, situent ce concept (Dieu ou le Démiurge).
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le dire, déjà, mais repetere = ars docendi, les vrais très-sachants de la druidiaction (druidecht) croyaient dans leur grande majorité en l’existence du Divin ; unique, ineffable, infini, transcendant, immanent, préexistant à la naissance de la matière, du temps et de l’espace, cause première, origine et fin du monde sensible, présent dans toutes choses, en tous lieux, et en tout temps.
« Certains auteurs affirment que les Galiciens sont athées, tandis que les Celtibères et leurs voisins au nord sacrifient à un dieu-ou-démon sans nom, la nuit, à chaque retour de la pleine lune, devant les portes de leurs bourgades ; en se livrant alors avec toute leur maisonnée à des rites agrémentés de danses » (Strabon, Géographie, III, 4, 16). Un Dieu-ou-démon qu’on ne nomme pas… Même réflexe intellectuel qu’avec l’El Elyon de la Torah biblique.
Quelques-uns donc ne le nomment pas (par respect, crainte, ou parce qu’ils le jugent « trop au-dessus » des affaires de ce monde) ; et ne conçoivent son action en ce monde que par l’intermédiaire d’émanations ou de forces divines diverses (éons, dieu-ou-démons, génies, anges, djinns, etc.).
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, encore une fois, mais la répétition n’est-elle pas la plus forte des figures de rhétorique, quelques-uns donc ne nomment pas cet Être supérieur (Bitos), par respect, crainte ou parce qu’ils le jugent « trop au-dessus » des affaires de ce monde ; et ne conçoivent son action ici-bas que par l’intermédiaire d’émanations ou de forces divines diverses (éons, dieu-ou-démons, génies, anges, djinns, etc.).
Les Incas avaient des conceptions semblables. Dans son « Histoire naturelle et morale des Indes occidentales »
(Livre V, chapitre 3), le Père Joseph d’Acosta se scandalise, de ce que les indigènes, bien qu’ayant connaissance de l’existence d’un Être supérieur, n’aient pas eu pour lui un nom spécifique.
« On voit combien courte et maigre nouvelle ils possédaient de Dieu puisqu’ils ne savaient même pas le nommer ».
Ils le désignaient en effet par le biais de diverses divinités intermédiaires.
Tout en remarquant combien étaient impressionnants les temples et les rites ainsi que la « religiosité » de ces hommes. À propos de leur cosmogonie, le Père d’Acosta ira même jusqu’à noter : « Il semble qu’ils tendaient au dogme des idées de Platon ».
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Les Indiens soumis à l’Empire inca désignaient par le nom de huaca la présence du sacré ou du magique-tellurique sous n’importe laquelle de ses multiples formes et manifestations (pierres, montagnes, rivières, astres, phénomènes célestes et terrestres, croisées des chemins, cultes des morts, etc.) ; qui se trouvait bien entendu partout dans un monde et un espace mental sacralisé. Ils révéraient comme autant d’hiérophanies les innombrables états d’un Être universel.
Les Iroquois et d’autres Indiens d’Amérique du Nord, eux, nommaient cette présence Orenda. Elle était aussi incarnée par Manitou, le Grand Esprit que les Sioux appelaient Ouakan-Tanka, Ouakan étant, dans leur langue, le mot générique pour désigner tout le sacré ; c’est-à-dire pour tout ce qui objet, phénomène, ou être, possédait le pouvoir de transmettre l’énergie divine, en particulier la nature en tant qu’image ou trace du surnaturel. L’on remarquera que les termes wakan et huaca sont pratiquement identiques, mais ce n’est peut-être là qu’une coïncidence. Aux experts en linguistique amérindienne, ce que nous ne sommes pas, de se prononcer sur la question.
N’en déplaise au Père Joseph, il n’y a rien d’étrange au fait de ne pas nommer directement la déité. L’Être des êtres, supérieur, ne peut être nommé en raison de sa propre essence supra cosmique, non assujettie à une détermination, donc au nom, qui s’exprime au moyen de ses attributs, c’est-à-dire les noms divins.
Répétons-le encore une fois ! L’Être supérieur, primordial et initial, quel que soit le « Nom » ou le symbole qu’on lui attribue, ne peut être appréhendé par l’esprit et les sens restreints de l’être humain. Par conséquent il ne peut être ni nommé, ni représenté en image, ni expliqué, ni même compris.
Seules l’intuition et la volonté personnelles peuvent nous le faire « rencontrer », ou « ressentir », et c’est donc en ce sens qu’il est personnel. Par la compréhension de l’identité qui existe entre cet être universel, le tout, et le soi, la manifestation des principes apparaît comme une extase. On parvient alors à connaître l’unité de l’être, qui est égal à soi-même, sans division ni extension d’aucune sorte, raison pour laquelle il ne peut avoir son pareil et…
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ANTHROPOLOGIE DRUIDIQUE SUPÉRIEURE.
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ÉNIÈMES NOTES SUR LE DESTIN CHEZ LES CELTES.
Athéisme, trithéisme, polythéisme des valeurs, hénothéisme, panenthéisme, panthéisme, agnosticisme ???
Jean Edouard Gwynn a publié en 1910 un très intéressant article sur la notion de destin ou de destinée dans la littérature irlandaise.
D’où il ressort que le Destin en tant que notion vague, impersonnelle (les formes passives pour reprendre la terminologie de Gwynn) est partout présent dans la littérature irlandaise la plus ancienne. Cette idée sous-jacente qu’il existe un ordre du monde prédéterminé correspondait bien en effet aux concepts religieux des auteurs d’alors, en ce sens qu’elle exprimait bien l’idée que le cours des choses est déterminé par un élément surnaturel extérieur à l’être humain ; mais tout en restant assez vague sur l’identité ou les contours exacts dudit facteur, ce qui permettait donc à tout chrétien d’y voir en fait derrière, la main de son Dieu tout puissant, ou de croire (comme les anciens druides) en l’existence d’une grande loi cosmique régissant et le monde des dieux et celui des hommes. Ce que certains appellent aussi la justice immanente et d’autres encore le Dharma.
L’idée plus précise d’une entité divine extérieure à l’être humain, mais intervenant, dans le cours de sa vie, se trouve plus rarement dans les textes irlandais, car elle figure surtout en fait dans les traductions ou adaptations, en Moyen irlandais, de textes appartenant à la littérature classique, notamment latine. Elle prend la forme allégorique bien connue des déesses Parques Moires ou Nornes filant la destinée humaine. Et alors elle est souvent attribuée à des païens, mais non irlandais, comme si les peuples préchrétiens d’Irlande n’avaient jamais eu, eux aussi, l’impression que leur vie était prédéterminée par un ordre cosmique quelconque, déterminée par une force surnaturelle extérieure et quelque peu mystérieuse, régnant au-delà même des dieux.
N.B. Sur le même sujet voir A.G. Van Hamel, « la notion de destin dans la religion teutonne ou celte primitive », Tom Sjöblom, les tabous irlandais anciens, ainsi que Jacqueline Borsje : du chaos à l’ennemi, l’affrontement des monstres dans les textes irlandais anciens (enquêtes sur le processus de christianisation).
Pour en revenir à Jean-Edouard Gwynn, ce dernier distingue donc deux catégories ou deux types différents de « destin » dans la littérature irlandaise ancienne : le Destin en tant que notion vague, impersonnelle, exprimée par des formes passives, bien rendu par le terme destinée en fait, et le destin en tant qu’entité surnaturelle déterminant par exemple le cours de sa vie et son terme.
Gwynn était apparemment surtout intéressé par cette deuxième manière de concevoir le destin, même si la première implique bien entendu elle aussi un certain type de conceptions religieuses ou morales.
La notion de destin couvre un vaste champ sémantique allant de l’idée de hasard à celle de prédestination. La croyance au destin peut donc se traduire de différentes façons, de l’impression la plus instinctive au plus élaboré des systèmes philosophiques.
Un des meilleurs moyens d’appréhender cette notion de destin est donc encore effectivement d’étudier quelque peu comment les individus censés avoir eu des prémonitions ou des visions du futur (tels que les druides antiques) sont présentés dans la littérature irlandaise ancienne, et quelles sont précisément les techniques qui leur sont attribuées.
Gwynn a commencé sa première étude de la notion de destin par une approche purement lexicale qu’il a ensuite apparemment abandonnée, car les termes irlandais renvoyant à la notion destin qu’il trouvait dans les dictionnaires d’alors ne rendaient guère sa notion d’élément surnaturel extérieur à l’être humain, ou alors étaient des termes tardifs, voire ne traduisant pas vraiment cette notion de Destin en tant que puissance agissante. Gwynn ne trouva en effet comme terme ayant vraiment un rapport que le mot « tru » qui désigne un malheureux, un homme maudit (vieux celtique trougo, vieux français truand vieil anglais truant).
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Il en existait pourtant d’autres qui permettent de bien cerner la conception irlandaise du destin, ou du moins celle que s’en faisaient les auteurs de la première littérature irlandaise.
I LE DESTIN EN TANT QUE NOTION VAGUE ET IMPERSONNELLE.
Le premier groupe de références à la notion de destin est constitué par les formes verbales tocaid ou cinnid.
Le premier exemple figure dans une incantation en vieil irlandais, figurant dans le codex de Saint Paul (Carinthie), un manuscrit datant du neuvième siècle (Thesaurus Palaeohibernicus).
Adgúisiu fid nallabrach 7 arggathbrain etir tenid 7 fraig.
Adgúisiu na tri turcu tercu. tairi siabair mochondáil [con]ith 7 mlicht neich arindchuiriur.
ma rom thoicthersa inso rop ith 7 mlicht adcear manim rothcaither ropat choin altai 7 ois 7 imthecht slebe 7 oaic féne adcear.
Adgúisiu fid.. Adgúisiu na tri turcu tercu.
Adguisiu est la forme passive du présent du subjonctif (troisième personne du singulier) de * tocaid et se réfère en l’occurrence à une divination sur la technique de laquelle nous reviendrons ultérieurement.
Le second exemple est extrait du texte en vieil irlandais intitulé « le rêve d’Oengus » et date du VIIIe siècle.
Rotogad duit cairdes frie. Ton destin (rotogad) était de l’aimer.
Le troisième exemple est tiré de la seconde des trois histoires composant la Tochmarc Etaine, un manuscrit datant du IXe siècle.
Is suachnid ni rodchadh mo iccsa. Il est évident qu’il ne m’était pas destiné de guérir.
Le contexte semble indiquer que tout ceci (l’oubli du rendez-vous qui devait guérir l’amoureux transi) est le fait du dieu Medros/Midir.
L’exemple suivant figure dans le texte intitulé Baile in scail, un récit dont le fond est du vieil irlandais remontant au IXe siècle, mais réécrit au XIe.
Ni dam rothocad a rad fritt, ol in drui. Ce n’est pas à moi qu’il appartient de te les énumérer, dit le druide.
N.B. Ce texte est un bon exemple de la façon dont la notion de destin a été reçue par les auteurs de cette première littérature irlandaise. Le récit étant censé se dérouler du temps de l’Irlande préchrétienne, les différents protagonistes de cette histoire ne peuvent donc par définition adhérer à la vision du monde chrétienne. Il y a eu néanmoins un ajout visible, une interpolation due aux moines copistes, afin de le christianiser quelque peu (une prophétie annonçant la venue de saint Patrice).
Un autre exemple de cette conception impersonnelle et vague du destin figure dans le texte en vieil irlandais tardif intitulé Scéla cano meic Gartnain. Dont Binchy fait remonter le substrat initial à la seconde moitié du IXe siècle, avec réécriture au temps du Moyen irlandais.
Ma ra-tocad dam-sa, as mé do-méla(d) a n(d)-argat-sa. Si cela m’a été destiné, alors je saurai utiliser cet argent.
Dieu comme cause et origine de l’ordre cosmique est incontestablement le sens profond du texte intitulé In tenga bithnua. Dans ce texte en vieil irlandais datant du IXe siècle nous trouvons également une telle conception impersonnelle du destin (une forme passive dirait Gwynn).
Tipra Shion i tirib Ebra sund nocon rodcad ar in da fogbad nach baeth. La source de Sion dans le pays des Hébreux n’est pas faite pour que n’importe quel imbécile la trouve.
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Figure dans la suite de la même histoire un exemple d’utilisation du verbe cinnid.
Bés is ed ro-c[h]indead dun ar an oic. Mais bien sûr, c’est ce qui nous était destiné, dirent les guerriers.
À noter : la forme verbale cinnid est remplacée par la forme tocaid dans certains manuscrits.
Dans la seconde version de la Compert Conchobuir, datée du Xe ou XIe siècle, le druide Catubatuos/Conchobar conclut sa demande auprès de la reine Ness par la formule suivante (il s’agit du premier de ses trois vœux) :
Ar ris ed ro cinded dam, inillius frim. Car c’est ce qui m’a été destiné (te protéger ???).
On retrouve là le même cas de figure qu’avec le texte intitulé Baile in Scail. Le fond est indubitablement païen, mais des considérations typiquement chrétiennes y sont insérées. Il prédit la naissance et la mort de Cunocavaros/Conchobar, mais précise également qu’elles concorderont avec la naissance et la mort du Christ.
N.B. Il va de soi que nul ne peut dire avec certitude si le druide Catubatuos/Cathbad était bien capable de prédire l’avenir, mais apparemment les premiers chrétiens de ce pays, eux, le croyaient dur comme fer.
La vague notion de destin, telle qu’elle est exprimée dans ces formes passives du verbe, laisse donc place sans problème aux conceptions chrétiennes.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir avec les textes intitulés In tenga Bithnua et Scéla Cano meic Gartnain, cette conception païenne du Destin pouvait aussi se retrouver dans des textes plus chrétiens ou du moins plus christianisés.
Une autre occurrence nous en est par exemple fournie par la vie d’Adamnan, un texte en moyen irlandais (début de période puisque datant des années 956 à 964).
Ma ro-m-thoiccthi écc i n(dh)I. Si mon destin est de mourir à Iona.
L’entité qui a décidé de cette mort n’est pas mentionnée, mais un croyant chrétien de l’époque pouvait supposer qu’il s’agissait de Dieu.
Notre dernier exemple sera une exception à la règle évoquée plus haut, il s’agit d’une forme verbale active de cinnid, dans une anecdote concernant saint Ciaran.
Rucad in dichennach la Ciarem co Cluain iar sain dia lessugud airet no chindfed dia a bethu. L’homme sans tête fut alors emmené par Ciaran à Clonmacnoise afin d’y être nourri aussi longtemps que Dieu n’aurait pas décidé de mettre fin à sa vie (sic). Thème bien connu des saints céphalophores.
C’est d’ailleurs le seul exemple d’une forme verbale active de cinnid dont le sujet s’avère être explicitement Dieu.
Dans tous les autres exemples en vieil irlandais ou en moyen irlandais que nous avons il s’agit de forme verbale impersonnelle.
Une autre façon d’exprimer la notion de destin en gaélique est la préposition i suivie soit de la forme substantivée de cinnid, soit de la forme substantivée de tocaid, dan, tairngire ou scoth, avec souvent la préposition do, ce que l’on peut traduire par « il m’est destiné de », « il m’est réservé de » et ainsi de suite.
Un exemple avec le verbe cinniud nous est fourni par un poème du texte en Moyen irlandais tardif intitulé Acallam na Senorach. Ata i cinnedh dhamh dhul ann. Il m’était destiné d’aller là-bas.
On trouve un exemple de la forme substantivée du verbe tocaid dans le Moyen irlandais du Dindshenchas (XIIe siècle).
Innocht, ar Assal, mu brath, ità i tucthin mo marbath. Cette nuit, dit Assal, sera celle de ma trahison. Ma mort est écrite.
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Deux autres expressions synonymes figurent dans le texte en Moyen irlandais de la Tochmarc Luaine 7 aided Athairne.
Ro bai i ndan 7 i tairngiri in aided ud diar mbreith do réir fhaistine in druad. Que cette mort-là nous emporterait était écrit et décidé, conformément à la prophétie du druide.
N.B. Le sens quelque peu extensif du terme tairngire fait qu’il peut impliquer tout aussi bien, qu’il existe des individus capables de lire dans l’avenir, que la croyance au pouvoir magique du verbe (ce qui est dit se réalise, tôt ou tard : même principe que celui du Coran incréé en terre d’islam).
Scoth n’est utilisé que dans des narrations. Par exemple dans la Scel Baili Binnbérlaig où un mystérieux personnage joue le rôle de messager ou d’auxiliaire surnaturel du destin, empêchant ainsi deux amoureux de se retrouver.
Ar ni fuil a scoth doib coristais a m-bethatd no nech dib d’faircsin aroili ina m-biu. Car il n’était pas dans leur destin de se trouver réunis dans cette vie ni même que l’un d’entre eux puisse revoir l’autre vivant.
N.B. Cette construction : in = cinniud/tocad/dan/tairngire/scoth (+do) correspondait à la notion impersonnelle du destin (selon Gwynn).
II PRONOMS POSSESSIFS, ADJECTIFS, ADVERBES ET NOMS COMBINÉS AVEC DES TERMES SIGNIFIANTS DESTIN.
Cette seconde catégorie rassemble les expressions signifiant destin, combinées avec un adjectif un adverbe un pronom possessif, un nom au génitif ou précédé de la préposition do.
Dans la sous-catégorie comprenant les adjectifs, nous trouvons des expressions telles que « truag in garg-dil rognid and for ingin ard-rig hErend. Triste fut le sort qui fut ensuite réservé à la fille du roi des rois d’Irlande ».
Cet exemple tiré des Dindshenchas montre que la notion de destin peut être exprimée par des euphémismes voire des litotes. Ce type d’expression relève de la catégorie des conceptions impersonnelles du destin : ce qui attend quelqu’un, sa destinée, le tout qualifié par un adjectif.
Très similaires sont les formulations dans lesquelles un pronom possessif ou un nom au génitif est combiné avec un terme signifiant destin. Exemple tiré du texte en Moyen irlandais (première période) intitulé Togail na Tebe is.
Is truag am linde, ar se, an toicthi (in toicthe) Thiabanda. Le sort des Thébains dit-il, nous attriste en effet.
Un exemple de pronom possessif avec la forme substantivée de tocaid nous est donné dans l’adaptation en Moyen irlandais de la Pharsale de Lucain.
Tallsat muinter Césair a céill annsin do conach catha tire, 7 is i comairle doronsat, a toicthi mara do innsaigid. Les gens de César perdirent ensuite tout espoir de l’emporter dans les combats sur terre, et voici donc le plan qu’ils échafaudèrent pour tenter leur chance sur mer.
Le terme latin traduit ainsi est Fortuna, mais il y a lieu de noter que l’auteur de ce texte (In cath catharda) utilise la même forme substantivée de tocaid pour rendre à la fois Fortuna et Fatum malgré la différence de signification. Le terme Fortune équivaut à la notion de pur hasard (donc tout le contraire d’un destin écrit d’avance) alors qu’avec le Fatum tout est écrit d’avance au contraire. Du moins en latin.
N.B. Il découle d’une variante de cette idée que non seulement le destin peut déterminer ce qui arrive à quelqu’un, mais que les dieux également influent sur le cours de sa vie. De façon assez curieuse, cette idée s’avère attribuée à des païens non irlandais, qui apparemment étaient donc considérés par les auteurs de ces textes comme encore plus païens au mauvais sens du terme que les Irlandais placés dans la même situation, c’est-à-dire préchrétiens.
Un chef danois dit en effet dans les fragments d’annales d’Irlande (Moyen irlandais) :
biaidh do berad ar ndee 7 ar dtoicthe duin. Nous aurons ce que nous accorderons nos dieux et notre destin.
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De la même façon, selon le texte en Moyen irlandais intitulé « Histoire de Philippe et d’Alexandre » l’empereur perse Darius doit sa défaite à la décision des dieux ainsi qu’à son propre destin.
III LE DESTIN EN TANT QUE SUJET AGISSANT.
Ainsi que nous venons de le voir donc, la plupart des exemples se référant à la notion de destin dans les textes en vieil irlandais ou en moyen irlandais, sont des exemples de conception impersonnelle du destin (des formes passives dirait Gwynn).
Mais il existe aussi quelques cas de références au destin sous une forme plus active, avec un sujet. Le destin avec un D majuscule en quelque sorte.
La première catégorie d’exemples nous est fournie par les traductions ou les adaptations en gaélique de la littérature latine. Nous pouvons lire par exemple dans la Togail na Tebe :
Acht chena is dimain duit-si sin, uair tainic crich tsaogail an gille sin, 7 ni fetann tiachtain ri toicthi. Pourtant cela ne te sert à rien, car la fin de la vie de cet homme est venue et il ne peut pas lutter contre son destin.
Cette phrase est un très bon exemple du destin conçu comme une force surnaturelle extérieure à l’homme et que l’on ne peut fuir, mais placée dans la bouche de païens non irlandais. Le texte originel, la Thébaide de Stace utilise d’ailleurs les deux notions, le Fatum impersonnel et neutre et l’image des déesses de la destinée (latin Fata) qui en est bien évidemment une personnification.
Second type d’allusion à une notion plus personnelle et plus active du destin. Dans le texte en vieil irlandais de la prière pour une longue vie (Cétnad n-aise), qui date du VIIIe siècle, il est fait référence aux 7 filles de la mer qui mettent en forme le fil de la vie.
N.B. Cette allégorie du destin représenté sous forme de déesses fileuses a de nombreux parallèles dans le monde indo-européen.
IV L’ACTION DIVINE DU DESTIN PAR L’INTERMÉDIAIRE DES CAUSES SECONDES QUE SONT LES ÉLÉMENTS.
Ceux qui plus tard, ont appelé « jugement de Dieu » différents duels judiciaires croyaient à la justice d’un être supérieur unique ayant créé le monde, etc., etc., et comptaient trouver, dans le résultat de ces duels une manifestation de cette justice aussi infaillible et toute puissante qu’indirecte.
Les druides antiques n’ignoraient pas cette idée, mais ils croyaient aussi que les éléments pouvaient concourir à cette justice divine ou immanente.
Exemple le roi des rois d’Irlande, contemporain de saint Patrice, au cinquième siècle de notre ère, Loégairé. Il prit un jour l’engagement de ne plus exiger le Boromé, l’impôt prélevé sur les atectai (sur les dhimmi diraient les théologiens musulmans). Il donna comme garants de sa parole tous les éléments : le soleil et la lune, l’eau et l’air, le jour et la nuit, la mer et la terre. Si l’on en croit nos antiques légendes, il viola ce serment et en subit les conséquences funestes suivantes : la terre l’engloutit, le soleil le brûla, le vent lui refusa l’air respirable ; le parjure du roi Loégairé fut donc puni de la plus atroce des morts.
N.B. Le texte légendaire qui nous rapporte ces prodiges ne les explique pas encore par la justice divine, dont la notion n’avait pas encore pénétré dans la littérature profane de l’Irlande quand ce récit fut rédigé pour la première fois. Il présente le châtiment de Loégairé comme le résultat de l’action directe des forces de la nature auxquelles le roi parjure avait fait appel par un serment solennellement prêté d’abord, puis enfin violé.
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Pour les druides primordiaux, les forces de la nature ne sont donc pas transformées, comme déjà la plupart du temps dans la Grèce homérique, en personnages à forme humaine qui des hommes ont les idées et les passions ; témoins : Zeus, le ciel ; Poséidon, la mer ; Aidôneus, le monde souterrain. Dans la croyance druidique primordiale (de l’époque), chacun des éléments constitutifs du monde matériel que nous voyons est encore un être mystérieux qui entend nos invocations et qui voit nos actes, c’est d’eux que dès cette vie, quand on a provoqué leur intervention, on reçoit la punition méritée par ceux qui n’observent pas leurs engagements. Le soleil, pris à témoin par Loégairé, le brûle quand le serment est violé. Car le soleil a entendu le serment et en a vu la violation. La terre, le vent, l’eau, ne sont ni plus sourds ni plus aveugles que le soleil. Quand celui qui conclut un contrat leur demande de le garantir, ils entendent sa voix, et, si le contrat n’est pas exécuté, ils infligent le châtiment qui est dans leurs attributions ; voilà pourquoi la terre a englouti Loégairé, pourquoi le vent lui a refusé l’air nécessaire à la respiration.
N.B. L’eau a les mêmes facultés puissantes, sans distinction entre l’eau de la mer, l’eau des fleuves et l’eau contenue dans un chaudron. C’est un des éléments visibles de ce monde, à la vengeance desquels, en Irlande, au cinquième siècle, le roi païen Loégairé s’est soumis d’avance pour le cas où il violerait son serment.
Le serment celtique nous transporte en effet dans un milieu bien différent du milieu chrétien et antérieur même à celui de la Grèce épique où, dans le serment, on invoquait le couple divin qui, aux enfers, punit les parjures. À l’époque primitive, où une des formules du serment celtique nous fait remonter, il y a trois puissances que l’homme redoute surtout ; ce sont : le ciel, la terre et l’eau. Mais l’eau ne se trouve pas seulement dans la mer, elle coule dans les fleuves ; on peut aussi en mettre sur le feu, dans un chaudron.
Au quatrième siècle de notre ère, chez les Celtes riverains du Rhin, quand un mari doutait de la fidélité de sa femme, il mettait l’enfant nouveau-né sur un bouclier et posait le tout sur le fleuve ; si le fleuve engloutissait le frêle esquif, l’enfant était convaincu de bâtardise et la mère d’adultère ; le Rhin, pensait-on, avait vu cet adultère et il avait entendu l’appel fait à sa justice par le mari outragé.
L’empereur Julien parle de cet usage dans une lettre au philosophe Maxime. Dans son second discours à l’empereur Constance, il revient même sur cette coutume.
L’usage celtique dont parle Julien a d’ailleurs fourni le sujet d’une pièce de vers anonyme recueillie dans l’anthologie grecque.
Ces trois textes sont d’accord pour constater qu’aux yeux des Celtes le Rhin était un juge en dernier ressort ; chez eux existait donc la notion d’une puissance supérieure (Tocad au masculin, Tocade au féminin) dont le fleuve, par une sorte de manifestation surnaturelle, exprimait la décision.
Le premier de ces documents est formel sur un autre point, sur lequel il est d’accord avec la formule du serment : « Que la mer en débordant nous submerge. » Le Rhin prononçait la condamnation en submergeant, l’acquittement en faisant surnager.
Il est plus que vraisemblable qu’en 336 avant notre ère, les Celtes faisaient usage d’une formule de serment que nous retrouverons encore en Irlande au Moyen-âge.
En 336 avant notre ère, des ambassadeurs celtes (donc des druides si l’on en croit Christian J. Guyonvarc’h) vinrent en effet trouver Alexandre le Grand, alors au début de son règne. Ils firent alliance avec lui. Ils confirmèrent le traité par un serment : « Si nous n’observons pas nos engagements, » dirent-ils, « que le ciel en tombant sur nous, nous écrase, que la terre en s’entrouvrant nous engloutisse, que la mer en débordant nous submerge ».
De deux textes d’auteurs grecs contemporains d’Alexandre le Grand, on doit conclure que cette formule a bien été employée par les Celtes à la date que nous indiquons, à savoir – 336.
Après avoir fait boire les ambassadeurs, Alexandre leur demanda : « Que craignez-vous le plus ? »
Au lieu de lui répondre : « C’est vous » comme l’espérait très certainement Alexandre, les Celtes, après s’être concertés, répondirent :
Nous ne craignons personne ; nous ne redoutons qu’une chose, c’est que le ciel tombe sur nous ».
Cette réponse nous a été conservée parmi les fragments qui subsistent d’un livre écrit par un des plus célèbres généraux d’Alexandre, Ptolémée, mort roi d’Égypte en 283.
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Alexandre considéra la réponse des Celtes comme une insolence. Son maître, Aristote, fit sans doute une observation différente si l’on en croit son livre intitulé l’éthique à Nicomaque. Les Celtes, remarqua-t-il, ne craignent qu’une chose, c’est que le ciel tombe sur eux, s’ils n’exécutent pas leur traité d’alliance ; ils croient donc n’avoir pas à se préoccuper des deux derniers articles de leur serment. Par conséquent, ils n’ont peur ni des tremblements de terre ni des flots ; donc ils sont fous ou insensibles à la douleur. Tel fut le raisonnement d’Aristote, mort en 322, quatorze ans après l’entrevue d’Alexandre avec les ambassadeurs celtes.
Complètement idiot bien entendu !
V L’ACTION DIVINE DU DESTIN PAR L’INTERMÉDIAIRE DES CAUSES SECONDES QUE SONT LES ÉTENDARDS OU LES ÉPÉES.
L’épée chez les Celtes, tout comme chez les Germains d’ailleurs, paraît avoir été considérée comme la plus importante manifestation de la puissance du dieu terrible qu’invoquaient les guerriers.
D’après un scholiaste de Lucain, le dieu druidique Hesus était assimilé à Mars.
Vers 445 : TEUTATES id est Mercurius, unde Teutonici. ESUS id est Mars.
Les Quades, peuple germain, ayant à conclure un traité, tirent leurs épées, dit Ammien Marcellin, et jurent sur elles, car ils les considèrent comme des dieux.
Les Celtes du Continent réunis contre Rome jurent sur leurs étendards militaires réunis en faisceaux (César. B.G. VII. 2).
Les Anglais après Culloden font jurer sur leur dague les Écossais.
Une description de l’Irlande, écrite en 1600 et publiée en 1887 par le Père Hogan, constate que la coutume du serment par l’épée était encore usitée en Irlande à la fin du seizième siècle (1598), et qu’alors on attribuait à l’épée fichée en terre une sorte de caractère divin.
L’antiquité du serment par l’épée, en Irlande, est prouvée par un passage du texte épique intitulé Serglige Conculain, où l’on voit Cuchulainn retenu au lit par une maladie. Cette maladie le prit à l’assemblée des guerriers qui se tenait à Murthemné du 29 octobre au 3 novembre. Les guerriers venaient s’y vanter de leurs succès à la guerre, et, comme pièces justificatives, y apportaient les langues des ennemis qu’ils avaient tués. Quelques-uns de ces guerriers étaient de mauvaise foi et présentaient des langues d’animaux au lieu de langues d’hommes. Mais pour savoir la vérité et confondre les menteurs, on avait trouvé un moyen infaillible. Les guerriers, avant de parler et de montrer leurs trophées, devaient jurer sur l’épée d’être véridiques, et s’ils manquaient à leur serment, leur épée, replacée sur leur cuisse, prenait la parole pour les confondre. L’auteur chrétien de la rédaction qui nous est parvenue, et qui écrivait probablement au onzième siècle, ajoute une glose à ce récit antique. La raison d’une telle habitude était que les démons avaient coutume de se manifester à partir de leurs armes ; et c’est d’ailleurs pour cela que leurs armes étaient sacrées (comarchi).
L’épée du guerrier, aux yeux du Celte comme du Germain, a donc quelque chose de divin ; c’est elle qui décide du sort des guerriers dans le duel judiciaire, ainsi qu’à la guerre ; elle a été considérée comme l’image même du dieu de la guerre.
Il devait en être de même pour les étendards représentant qui un sanglier qui une alouette qui un cheval qui un coq qui un labarum…(fétichisme ?)
CONCLUSION.
Ce qui ressort tout particulièrement de ces textes c’est la toute-puissance du Destin mise en œuvre par des malédictions appelées geis/gessa en gaélique, ou tynghed en gallois si l’on en croit John Rhys dans le deuxième volume de son livre sur le folklore celtique gallois et manx. À propos du mot gallois « tynghed ».
« Je citerai ici un passage du début de l’un des plus celtes des contes gallois, celui de Kulhwch et Olwen. Le père de Kulhwch, après avoir été veuf quelque temps, se remaria, mais n’informa pas sa seconde épouse le fait qu’il avait un fils. Elle le découvrit néanmoins et le fit savoir à son mari ; aussi
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fit-il venir son fils Kulhwch, et ce qui suit est le compte-rendu de l’entretien qu’aura son fils avec sa belle-mère.
Sa belle-mère lui dit alors : « Il serait bien pour toi d’avoir une femme, et justement j’ai une fille qui est recherchée en mariage par tous les hommes de renom de ce monde ! »
« Je ne suis pas en âge de me marier », répondit le jeune homme. Alors elle lui répondit : « alors je te déclare que ton destin sera de ne pas trouver de femme qui te convienne tant que tu n’auras pas épousé Olwen, la fille d’Yspaddaden Penkawr ! »
Le jeune homme se mit à rougir et l’amour de cette jeune fille se diffusa de lui-même dans tout son corps, bien qu’il ne l’ait jamais vue. Et son père lui demanda donc : « Qu’est-ce qui t’est arrivé, mon fils, et de quoi souffres-tu ? »
« Ma belle-mère m’a dit que je n’aurai jamais d’autre femme tant que je n’aurai pas épousé Olwen, la fille d’Yspaddaden Penkawr ».
« Cela ne te sera pas difficile », répondit son père. « Arthur est ton cousin. Va donc chez Arthur lui couper les cheveux, et demande-lui ça comme récompense ! »
… Le mot dans le texte gallois pour Destin est tynghet (anciennement tuncet), et le terme irlandais correspondant est attesté sous la forme Tocad. Ces deux mots ont tendance, comme celui de « sort » à être utilisé surtout en mauvaise part. Antérieurement, ils ont dû être aussi utilisés dans un sens plus propice, comme dans le cas du nom de femme Tunccetace, sur une des premières pierres gravées du Pembrokeshire. Si son nom avait été rendu en latin on l’aurait probablement appelée Fortunata, c’est-à-dire bonne fortune… Dans la partie méridionale de mon comté natal de Cardigan, la phrase en question était encore d’usage courant ces trente dernières années encore, et les pratiques qu’elle dénote sont toujours suffisamment connues pour alimenter des histoires locales…
La formule tyngu tynghed, toujours parfaitement compréhensible au Pays de Galles, rappelle un autre exemple de l’importance de ce genre de malédiction, à savoir le latin fatum… Je précise ici que les Romains avaient une pluralité de fata ; mais… que l’on ignore si les Gallois de l’Antiquité avaient eux aussi plus d’une tynghed. Dans le cas de l’ancienne littérature nordique en tout cas, il apparaît que le Destin y porte un nom peut-être apparenté avec le gallois tynghed. Je fais allusion ici au personnage féminin appelé Thokk, qui apparaît dans l’émouvant mythe relatif à la mort de Balder…
Dans cette ogresse (Thokk), sourde aux appels des sentiments d’affection, nous avons peut-être la contrepartie de nos celtiques tocad et tynghed, et le nom de cette dernière en tant que partie intégrante d’une des formules de l’histoire galloise, tout en nous fournissant la clé du mythe, nous montre comme les premiers Aryens ne connaissaient rien de plus contraignant que la force magique d’un serment. Cette conception de la destinée porte certes avec elle la marque de son humble origine, et l’on souscrit volontiers au mot de Cicéron (De Divinatione II, 7) quand il écrit : « Anile sane et plenum superstitionis fati nomen ipsum ». Mais d’un autre côté elle a aussi la sinistre dignité de conférer un nom au sombre et inexorable pouvoir auquel l’univers dans son ensemble est censé obéir, un pouvoir devant lequel le grand et resplendissant Zeus de la race aryenne n’est qu’une vulgaire marionnette ».
Ar ro fedatar is vadh bodesin nobíad a athcin
or
Ar rofetatár is úad fessin no bíad a athgein.
Malédiction n’est d’ailleurs pas tout à fait le mot de notre langue qui convient le mieux pour traduire cette situation, car ce n’est ni une vengeance ni une punition et les effets n’en sont pas toujours immédiats. La caractéristique principale de ces geis/gessa * est en effet qu’elles sont le plus souvent conditionnelles, et qu’elles sont en outre d’ailleurs le plus souvent négatives. Il est demandé à quelqu’un de faire ou plus fréquemment de ne pas faire, telle ou telle chose.
Le drame se noue quand le héros, pris entre deux gessa contradictoires, se trouve dans la nécessité de violer un de ces interdits pour respecter l’autre. Nous y reviendrons.
Le destin, nécessité ou divine providence, est donc un réservoir méta-divin de puissances impersonnelles auxquelles même les dieux sont soumis.
* Il y a lieu d’ailleurs de noter que la contrepartie positive des gessa ce sont les boudismes (de boudi butin/victoire) c’est-à-dire les dons ou charismes conférés à tout un chacun par les dieux, ce que les Vikings désignaient sous le nom de gaefa. Autrement dit le capital « chance » de chacun. Le monde est bien fait. Enfin, disons plutôt qu’il a un équilibre général, d’où sa justice immanente.
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LE POINT DE VUE DE L’ANTIQUITÉ PAÏENNE CLASSIQUE.
Lettre de Maxime de Madaure à saint Augustin.
Comme j’aimerais recevoir fréquemment de vos lettres et que j’ai récemment senti tout le sel de vos paroles sans que l’amitié en fût blessée ; je persiste à vouloir vous rendre la pareille, de peur que vous ne preniez mon silence pour un dépit. Mais si mon langage vous semble trahir trop visiblement ma vieillesse, je vous demanderais de me prêter une oreille indulgente.
Quand la Grèce nous conte que le mont Olympe est la demeure des dieux, on n’est pas obligé de la croire. Par contre nous voyons et nous croyons que la place publique de notre ville est habitée par des divinités bienfaisantes. Qui serait assez insensé, assez dépourvu d’esprit, pour nier l’existence d’un Dieu unique, d’un Dieu sans commencement et sans lignée, père puissant et magnifique de tous ? Nous adorons sous des noms différents ses perfections répandues dans le monde qui est son ouvrage, car son nom véritable nous est inconnu, à tous tant que nous sommes ; Dieu est un nom commun à toutes les religions ; et tandis que la diversité de nos prières s’adresse en quelque sorte à chacun de ses membres en particulier, il semble que notre adoration le comprenne tout entier.
Mais je ne vous cacherai pas qu’il est de grandes erreurs que je ne saurais supporter. Comment tolérer que l’on préfère un Mygdon à Jupiter qui lance le tonnerre, une Sanaë à Junon, à Minerve, à Vénus, à Vesta, et l’Archimartyr Namphamon 1) (quel crime !) à tous les dieux immortels. Parmi ces nouveaux et étranges personnages, Lucitas 2) n’est pas en petit honneur. Que d’autres dont on ne pourrait pas dire le nombre, et qui, portant des noms en horreur aux dieux et aux hommes, chargés de crimes, et voulant donc en ajouter encore un sur leurs têtes ; ont trouvé une mort digne de leur vie avec les apparences d’une mort glorieuse ! Des fous, si tant est qu’on daigne le rappeler, visitent leurs tombeaux, en délaissant les temples, en négligeant les mânes de leurs ancêtres. Ainsi s’accomplit le vers prophétique du poète indigné : « Rome, invoquant Dieu dans ses temples, a juré par des ombres » 3).
Quant à moi, il me semble retrouver cette bataille d’Actium où les monstres d’Égypte osaient lancer contre les dieux des Romains des traits peu redoutables.
Mais je vous demande, ô vous, homme si sage, de mettre de côté cette vigoureuse éloquence qui vous place au-dessus de tous ; ces raisonnements dont vous vous armez à la manière de Chrysippe, et cette dialectique dont les nerveux efforts ne laissent à personne rien de certain ; pour me dire quel est ce Dieu que vous autres, chrétiens, vous déclarez être le vôtre, et que vous dites voir présent dans des lieux cachés. Car c’est en plein jour que nous autres nous adorons nos dieux ; lorsque nous leur adressons nos prières, les oreilles de tous les mortels peuvent les entendre ; nous nous les rendons propices par de doux sacrifices, et nous voulons que cela soit vu et approuvé de tous.
Faible vieillard, je ne peux pousser plus loin cette lutte, et je me range volontiers à cette pensée du rhéteur de Mantoue : « Chacun suit son bon plaisir 4).
Je ne doute point, distingué confrère qui vous êtes séparé de ma religion [saint Augustin], que cette lettre, si elle vient à être dérobée, ne périsse dans les flammes ou de toute autre manière. Si cela devait arriver, seule la copie écrite en serait perdue, car l’original figure dans l’âme de tout homme vraiment religieux. Que les dieux vous conservent, ces dieux par lesquels, nous tous qui sommes sur la terre, nous honorons et nous adorons de mille manières différentes, mais dans un même accord, le père commun des dieux et de tous les mortels.
1) Un des martyrs de Madaure selon saint Augustin. Tout ce passage est une critique de la folie du martyre chez les premiers chrétiens.
2) Autre martyr de Madaure.
3) Lucain.
4) Virgile, Églogue III. Virgile était petit-fils de druide.
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LE POINT DE VUE DE L’ANTIQUITÉ PAÏENNE CELTIQUE.
L’Ancien druidisme ne traitait jamais de la notion de Poly-unité 1) comme d’une vérité abstraite, mais la voyait dans ses diverses relations comme une réalité en rapport avec l’origine du monde, l’extension du Bitos ou Univers, voire le Destin. Sa révélation était alors donnée plus par les faits que par les mots.
Les très-sachants de la druidiaction (druidecht) ne confessent pas plusieurs dieu-ou-démons comme dans le polythéisme grec, mais un seul Être divin en plusieurs personnes. Ces personnes divines désignent des modalités différentes de l’être divin. Elles sont relatives les unes aux autres et relatives au monde. Elles ne divisent pas l’unité divine, et la distinction à faire entre ces personnes réside uniquement dans les relations qui les renvoient les unes aux autres ou au monde. Ce en quoi les anciens druides croyaient c’étaient en un « être divin ensemble » pouvant être ressenti personnellement c’est-à-dire sous une forme plus ou moins anthropomorphique et assez égoïstement d’ailleurs comme toute prière en réalité bénéficiant surtout à l’orant concerné : ça l’aide à vivre. Et dans une telle optique, les dieux (ou démons) ne sont que des auxiliaires du destin, des causes secondes en quelque sorte.
Dans la Bible elle-même, Dieu ou le Démiurge est aussi une pluralité. En témoignent le mot Élohim, qui est un pluriel ; de même que le verbe en Genèse 1, 26 (« Faisons l’homme à notre image ») ; la distinction entre l’ange de YHWH et YHWH lui-même (Genèse 16, 7) ; la théophanie des chênes de Mambré où Abraham a vu « trois hommes » (Genèse 18, 2) ; ainsi que la personnification de la Sagesse (Proverbes 8).
Le pasteur Friedrich Daniel Ernst Schleiermacher (1768-1834) considéra d’ailleurs lui aussi Dieu ou le Démiurge simplement comme la causalité supérieure, se manifestant de toute éternité dans la procréation du Monde comme Père, ou dans l’Église comme Esprit.
Le lecteur, dans les textes qui suivent, pourra donc rapidement constater que les termes Bitos ou Être supérieur, Pariollon ou chaudron cosmique, voire Tokad/Tocade ou Destin, semblent avoir le même sens ou presque pour nous les hommes. C’est qu’il s’agit en fait de la même réalité, mais vue sous des angles différents, ou engagée dans des rapports différents.
Monsieur X peut par exemple être à la fois un père, un fils et un frère, tout en demeurant une seule personne, et non pas trois.
Le Bitos, le Pariollon, et le Tokad ou Tocad, (l’Être supérieur, l’Englobant universel et le Destin) sont différents modes ou aspects du « être divin ensemble » dans ses relations avec le monde.
En tant qu’Univers au sens large du terme, c’est-à-dire englobant les réalités visibles et invisibles, on parlera plutôt de Bitos ou Être supérieur.
En tant que Loi universelle régissant la vie des mondes ou intervenant, pour le pire comme pour le meilleur, dans la vie humaine, on parlera de Tokad ou Destin (symbole : certaines triades de fées).
En tant qu’origine ou principe de toute existence, on parlera surtout de Pariollon ou Grand Tout (Parinirvana en Extrême-Orient, symbole : le chaudron).
N.B. Certaines Écoles druidiques utilisent cette notion de Grand Tout également pour qualifier le Bitos ou être supérieur. Pas facile tout ça !
Ce qui distinguera ces trois personnes entre elles, outre leur rapport différent au monde, ce sera les attributs que nous serons amenés à leur reconnaître.
Mais revenons à nos moutons. Concept druidique appelé aussi hénothéisme dans la langue d’aujourd’hui, chaque divinité représente un aspect de l’Être supérieur. Ce qui est sûr en effet c’est que certains membres de la société celtique antique avaient des liens plus étroits ou plus directs avec certains dieu-ou-démons, qu’avec d’autres. Les cordonniers par exemple avaient pour saint patron
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(diraient les chrétiens) le dieu-ou-démon Lug lui-même. Le prouve l’inscription découverte à Osma en Espagne et qui se lit comme suit.
LVGOVIBUS
SACRVM
L.L. VRCI
CO. COLLE
GIO SVTORV
M D.D.
Lugovibus sacrum L.L. Urico collegio sutorum d [ono] d [edit],
Ce qui signifie :
L.L. Urico a offert ceci au triple Lug de la part de la corporation des cordonniers (collegio sutorum).
Au Pays de Galles, Lug, sous le nom de Llew, est d’ailleurs carrément connu comme étant aussi cordonnier (Histoire de Math fils de Mathonwy, 4e branche du Mabinogi).
Mais le Lug des Arvernes – voir la statue géante que lui avait sculptée Zénodore – n’est pas le Lug du village de Canetonnum (canetonnensis), n’est pas le Lug des légendes irlandaises, et pourtant tous ont en commun nombre de caractéristiques remarquables.
Même situation d’ailleurs avec le christianisme actuel et ses innombrables saints plus ou moins fantaisistes, sans compter la Vierge Marie pour les catholiques (Notre-Dame de Fatima au Portugal, de Lorette en Italie, de Lourdes, etc.)
Car ce sont toujours les traits originaux de la forme divine élue, retenue, qui captent le plus souvent la dévotion des dagolitoi (fidèles), même si, théoriquement, ils la considèrent comme la simple manifestation relative d’une divinité plus généraliste. Et il y a toujours eu des communautés restreintes se consacrant au culte d’une forme divine considérée comme la plus importante pour eux ; bien qu’en réalité cette forme de la divinité ne soit qu’une manifestation secondaire.
L’Être Dieu ou le Démiurge Un, englobe le multiple et le fonde tout comme l’aiu (l’éternité) supporte le temps. Les déités sont comme autant de Pouvoirs du Divin qui est Un, tout comme dans une entreprise le président délègue de ses pouvoirs à des collaborateurs efficaces. Mais pour beaucoup, dont l’attention et la ferveur sont polarisées par cette forme particulière de la divinité, ce rattachement paraît secondaire.
Les différents cultes locaux ou particuliers, à tel ou tel groupe, ne rejettent rien de cette conception du Bitos ou de l’Univers visible et invisible, mais opèrent un choix parmi les éléments adoptés.
Les traits originaux de la forme divine élue, exemple les talents de cordonnier de Lug, polarisent l’attention des dagolitoi (fidèles) ; bien qu’ils ne soient qu’une simple manifestation relative du Tout Englobant Personnel. On a l’exact équivalent de ce polythéisme druidique sous le nom d’istadevata en Inde.
Un culte particulier ne rejette donc rien de l’apport panceltique ; simplement, on opère un choix parmi les éléments adoptés. On admet toujours néanmoins l’ensemble des principes de la religion druidique.
Le culte druidique traditionnel, même s’il se consacre souvent à Lug, n’a aucun caractère sectaire. Les honneurs décernés se répartissent entre les différents dieu-ou-démons. La voie de la troisième fonction (celle des cordonniers par exemple) pour accéder plus facilement à l’autre monde paradisiaque des dieu-ou-démons, n’y est pas privilégiée. En outre il est fréquemment rappelé qu’elle est, certes, plus facile, mais souvent plus longue que les deux autres.
Les très-sachants de la druidiaction (druidecht) veillaient en effet à l’unité ou l’harmonie de leur religion de deux façons différentes.
En tenant chaque année, en un lieu consacré, de grands conciles nationaux ou internationaux, destinés à régler ces questions, voire à trancher les différents problèmes agitant la société laïque (guerre entre clans, etc.) ; mais aussi en entretenant de grands centres de formation internationaux (comme celui de l’île de Mona en Grande-Bretagne).
Il pouvait néanmoins exister, cela était toléré, des communautés plus restreintes se consacrant au culte d’une forme divine retenant toute leur attention.
— Soit localement (cas par exemple des divinités protectrices de tel ou tel lieu, du plus petit au plus grand, ce que nos amis chinois désignent sous le nom de Tudi Gong). Déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, des forêts, dieu-ou-démon de telle ou telle montagne, génie d’une ville comme Lugdunum, triade de fées symbolisant l’Irlande…
— Soit racialement ou ethniquement parlant : dieu-ou-démon de tel ou tel groupe familial, clanique, tribal. Des Matres lubicae ou nessamae (proxumae en latin) véritables anges gardiens ou bonnes fées des familles, bonnes mères dit-on à Marseille, aux innombrables teutates de clans ou de tribus.
— Soit socialement. Exemple, la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère ce terme, qu’honorent tout particulièrement les militaires, le dieu-ou-démon qu’honorent les forgerons dans le bourg d’Alésia
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(GOBEDBI DUGIIONTIIO UCUETIN IN ALISIIA) le dieu-ou-démon qu’honorent les cordonniers à Osma (Lug), etc.
La piété individuelle peut être entièrement mobilisée par ces manifestations particulières d’une divinité plus générale, mais les druides druides (de haut niveau) relient néanmoins toujours ces divinités particulières, aux figures majeures de leur panth-éon ou plérôme, voire plus.
Le dieu-ou-démon ou la déesse-ou-démone, ou fée, des forgerons, est certes le dieu-ou-démon ou la déesse-ou-démone élu (e) par les forgerons ; mais il ou elle n’en reste pas moins une expression de la totalité divine, dont il ou elle peut à tout moment assumer les autres aspects ; tout comme le christ, le saint esprit, ou dieu le père.
Il va de soi que dans le cadre socioprofessionnel de la forge, cette divinité particulière est surtout évoquée/invoquée dans des circonstances en rapport avec ce métier, mais ses capacités ne se limitent nullement à ce domaine. En tant qu’hypostase (vyouha dans l’hindouisme) du divin, elle est apte à assumer toutes ses autres fonctions, comme dans le cas des personnes composant la sainte triade chrétienne, puisqu’il s’agit d’une sainte poly-unité.
La grande reine Épona par exemple est la sainte patronne du monde des écuries et des chevaux, mais elle est aussi apte à assumer toutes les autres fonctions du divin si nécessaire.
La spécialisation des dieu-ou-démons ou des déesse-ou-démones, ou fées si l’on préfère, celtes, ne vient pas de leur nature intrinsèque, mais de la nature humaine, qui préfère tel ou tel aspect du divin, suivant les circonstances.
Note de la rédaction.
On retrouve ce concept druidique (l’idée que les déités sont des passerelles pour la foi et des représentations de la vérité) sous le nom d’ishta devata, ou déité personnelle choisie, en Inde.
1) Il va de soi que, tout comme le mot religion, et même le terme druidisme, le substantif « Poly-unité » n’appartient pas au vocabulaire de l’Ancien druidisme, ni par conséquent au camminus originel des premières communautés celtiques. C’est seulement un résumé moderne, de nature théologique, destiné à traduire le cœur de la foi druidique.
2) Au féminin Tocade si l’on veut féminiser ce terme.
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RÔLE DES FORCES COSMIQUES (DIVINITÉS) : PSYCHOPOMPES OU ACCUEILLANTES.
Les premières forces cosmiques de l’au-delà, ou métaphysiques, à se manifester sont celles que nos amis bouddhistes appellent les divinités apaisantes ou paisibles, en raison de leur rôle dans ce processus, à ce stade du voyage de l’âme/esprit. Ce sont les personnifications de tous les sentiments humains positifs, altruistes, esthétiques et pacifiques, contenus dans le cœur. Elles se manifestent cependant dans notre dimension, ce qui peut effrayer de prime abord si on ne les reconnaît pas. Ces personnifications divines ont souvent une forme animale, car il existe en effet des animaux dits PSYCHOPOMPES. Du grec « pompos », qui conduit et « psukhê », l’âme.
Le cheval était souvent associé au royaume des morts, auxquels on le sacrifiait. Il jouait un rôle de « psychopompe » dans de nombreuses cultures asiatiques, voire dans la Grèce mycénienne ; où des chevaux étaient sacrifiés aux grands héros morts, afin qu’ils les emmènent dans les champs de l’Au-delà. Le cheval devient même la seule monture de l’autre monde dans certaines cultures, brésilienne et vaudoue.
Dans le druidisme, une des divinités psychopompes apaisantes ayant pour vocation d’accompagner le voyage de l’âme/esprit dans l’au-delà, et donc à visualiser pour réussir sa réincarnation dans l’autre monde paradisiaque, est notre grande reine Épona. Toute personne suffisamment avancée sur le plan spirituel, c’est-à-dire instruite dans notre religion, la reconnaît immédiatement dans les fractions de seconde qui suivent sa mort, et sait se fondre avec elle, par exemple dans les plis de son manteau, pour ainsi éviter de retomber sur terre. Ce qui suffit à échapper définitivement au cycle infernal et sans fin, des renaissances ou réincarnations en bacuceos ou seibaros.
On en a une illustration dans la légende d’Ossian en Irlande.
Dans la mythologie gaélique, Épona la psychopompe apparaît en effet sous la forme d’une gracieuse cavalière appelée Niamh (équivalent zoroastrien : la daena). La légende la plus connue la concernant est celle qui nous décrit sa rencontre avec le célèbre féniane nommé Ossian.
Ossian rencontre Niamh alors qu’il chasse près des rives d’un lac. Elle lui apparaît brusquement sur un cheval aux sabots d’argent et à la crinière d’or, appelé Enbarr (dont le nom signifie en irlandais « imagination ». Tout un programme !) Niamh lui explique qu’elle vient de très loin spécialement pour lui, afin de l’inviter à venir dans le royaume de son père, dans l’autre monde, le Pays d’éternelle jeunesse. Il monte sans hésiter sur le coursier et son père ne le revit plus jamais. Après diverses aventures dans l’autre monde (il se bat contre un géant sous-marin), Ossian commença d’éprouver de la nostalgie pour son pays natal. Niamh lui confia donc son cheval magique pour qu’il puisse visiter son pays, mais le prévint également de ne jamais mettre pied à terre sous peine de ne plus pouvoir revenir. À son retour l’Irlande lui sembla un pays étranger, car tous ceux qu’il avait connus étaient morts depuis longtemps. Les gens lui semblèrent beaucoup plus pauvres, misérables ou petits, que les héros avec qui naguère encore il avait grandi. Ayant rencontré par hasard des hommes vêtus de haillons qui essayaient de pousser un rocher, il le souleva d’une main, mais sa selle glissa et il tomba au sol. Alors son beau cheval magique s’évanouit aussitôt et le vaillant et jeune guerrier qu’il était se transforma en un vieillard aveugle et frêle. Un moine copiste chrétien a introduit saint Patrice dans ce mythe. Comme tout le monde semble le prendre pour fou, on amène Ossian au saint homme qui écoute son histoire et lui explique tous les changements survenus en Irlande depuis l’avènement du christianisme et s’efforce de le convertir. Mais Ossian lui répondit qu’il ne concevait pas un Paradis qui ne tiendrait pas en honneur les Fénianes désireux d’y entrer, ni un Dieu ou Démiurge qui ne serait pas fier de compter Vindos/Finn parmi ses amis. À quoi ressemblerait une vie éternelle où l’on ne pourrait ni chasser ni faire la cour aux belles dames ? Il préféra donc cet Enfer dont ses compagnons les Fénianes, d’après saint Patrice, subissaient les pires tourments, et mourir comme il avait toujours vécu, afin de les rejoindre.
Le royaume d’Épona étant, comme il se doit, le royaume des morts, nombreux sont les monuments et les statuettes qui la représentent sous la forme d’une jeune femme assise le plus souvent à droite sur une jument marchant au pas, et parfois même accompagnée de son poulain. Il lui est fréquemment associé (par exemple, tenu dans sa main droite), un oiseau, un petit chien (entre les pattes de la jument ou sur ses genoux) ainsi qu’un enfant (le hésus Cuchulainn petit?) Épona fait en effet partie des matres mopates.
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Sur une inscription de Diocléa (Dalmatie), elle est qualifiée de Regina, et sur une autre d’Apulum (Alba Iulia en Roumanie) de Regina Sancta, ce qui montre bien qu’elle ne faisait qu’une avec la Rigantona devenue en gallois Rhiannon la Grande Reine. Déesse-ou-démone, ou fée, de la terre mère, ou mère du Grand Hesus (Morfessa en irlandais, maître de Thulé-Falias ou Fo-Alias), en ce qui concerne le hésus Cuchulainn Épona mérite donc vraiment le nom de « théotokos » (mopas).
Elle symbolise l’énergie enfermée dans la terre, dans la matière. Épona est la source primordiale, chtonienne, de toute fécondité. Elle trône parfois sur un char traîné par deux chevaux, comme Cuchulainn d’ailleurs, ce qui signifie qu’elle maîtrise, ordonne et dirige, la puissance vitale ainsi que les cycles de l’évolution biologique terrestre.
C’est d’abord gravée dans la pierre qu’elle fut représentée, car la pierre contient la substance qui lui permet de faire croître les moissons et les arbres chargés de fruits. Ou de fournir également aux espèces sauvages errant sur les montagnes, des cours d’eau, des frondaisons et de verts pâturages. Aussi lui a-t-on donné aussi parfois, le nom de patronne des espèces sauvages, ou de mère des hommes. Épona est une déesse-ou-démone, ou une fée si l’on préfère, dont le culte se confond, dans les temps les plus anciens et dans toutes les régions du monde antique, avec celui de la fécondité. Elle est tantôt chevauchante, tantôt assise entre deux chevaux, parfois dotée d’une corne d’abondance, parfois aussi, comme signalé plus haut, accompagnée d’un jeune chien.
Il est tout à fait logique de l’associer au culte du Grand Hesus (puisque celui-ci porte en Irlande un nom totémique signifiant « le chien de Culann » : Cu Chulainn).
Épona finira par symboliser les rythmes de la mort et de la fécondité, les rythmes de la fécondité par la mort. Ses apparitions et disparitions, inattendues, reflètent l’alternance de la vie et de la mort, et, en fin de compte, leur unité. Par ses apparitions ou ses occultations, Épona révèle le mystère et la sacralité de la conjugaison de la vie et de la mort (aurait pu dire Mircea Eliade). Le culte d’Épona est un culte dominé par l’amour et le sacrifice des juments.
On retrouve dans ce symbole de la mère la même ambivalence que ceux de la mer et de la terre. La vie et la mort sont liées. Naître c’est sortir du ventre de la mère, mourir c’est retourner à la terre. La mère, c’est la sécurité de l’abri, de la chaleur, de la tendresse et de la nourriture.
Cette mère divine appelée chez nous Épona symbolise donc la sublimation la plus parfaite de l’instinct, et l’harmonie la plus profonde de l’amour. Par son état paradoxal de mère et de vierge, la triple Épona représente à la fois la potentialité du monde et la béatitude divine. Parler de druidisme, c’est donc parler d’Épona, et parler d’Épona, c’est donc parler de druidisme.
Ainsi que l’a très bien vu le celtologue Henri Lizeray, la femme joue un grand rôle dans les conceptions religieuses celtiques ; tant par son rôle de messagère de l’Autre Monde (voir les anges du christianisme médiéval) que par celui de divinité maîtresse de la mort et des animaux.
Épona est celle qui occupe dans la druidiactio la place la plus élevée, juste en dessous de Lug et du grand Hésus, Maître de Thulé/Falias sous le nom de Morvessus ou Morvesos ou Morfessa dans la tradition apocryphe irlandaise. Celle qui est la plus proche de nous également, car sa maternité adoptive divine s’étend aussi aux humains. Elle est enfin psychopompe et anextlomara en plus d’être mopas.
Aussi est-il normal de se pencher un peu sur le rôle de cette bienheureuse vierge sans parèdre du moins dans l’iconographie.
Métahistoire.
Ce glorieux destin a été comme l’anticipation de la résurrection des corps de type xvarnah (bellissamos bellissama en vieux celtique) qui nous attend dans l’autre monde paradisiaque et pur qu’Amithaba appelait Soukhavati, et les druides Mag Meld. C’est d’ailleurs à ce titre qu’elle intervient en tant que divinité apaisante ou guide spirituel au sens strict dans les instants qui suivent la mort.
Épona n’est pourtant pas complètement hors de notre monde, car elle accompagne de ses prières nos âme/esprits dans leur chemin vers l’autre monde. Par son aide constamment renouvelée, elle continue à nous secourir jusqu’au bout et c’est pourquoi cette bienheureuse vierge sans pareil et sans parèdre dans l’iconographie, est toujours invoquée en tant qu’aide, auxiliaire, médiatrice, etc. Épona qui, comme une mère adoptive, porte le celtisant convaincu tout au long de son voyage terrestre l’accompagne donc aussi au terme de cette première moitié de sa vie. Afin de le remettre entre les mains du maître qui habite à l’ouest du monde là où le soleil se couche (Cornunnos).
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Comme le renne et le chevreuil, le cerf semble avoir joué un rôle de psychopompe (qui conduit les âme/esprits des morts) : le Morholt d’Irlande, oncle d’Yseult, tué par Tristan en combat singulier, est dépeint par Joseph Bédier comme gisant mort, cousu dans une peau de cerf.
Le cerf est par sa ramure qui repousse chaque année le symbole du renouveau de la nature. Dans la mythologie celtique, le cerf par exemple incarne souvent celui qui fait passer les âme/esprits vers le monde des morts, le pays divin ou encore le « pays des fées ». On retrouve d’ailleurs ce schéma dans le conte gallois « Pwyll Prince de Dyved » dans Les Quatre Branches du Mabinogi, où Pwyll chasse un cerf à la lisière d’une clairière dans un bois, et rencontre ainsi Arawn, roi d’Annwn (ou Annfwn, « l’Autre Monde »). On pourrait ajouter à ces exemples la biche du « Lai de Guigemar » chez Marie de France, ou encore le cerf vainement poursuivi par Gauvain dans Le Conte du Graal de Chrétien de Troyes ; qui sont aussi des signes de frontières entre l’Autre Monde et la « réalité » de la Cour. Encore qu’ils se doublent là d’une symbolique sexuelle. On trouve un symbolisme similaire dans d’autres mythologies (cf. chez les Grecs, Actéon déchiqueté par Diane et sa meute ; ou encore le grand cerf Eikthyrnir dans les Eddas, etc.), mais la fonction psychopompe et initiatique du cerf, messager de l’autre monde, est particulièrement importante dans la littérature celtique.
Un signe incontestable de l’importance du cerf dans la symbolique druidique est la fréquence relative de son apparition dans l’iconographie ou la légende. Une divinité bien connue des druides porte le nom de Cornunnos, « celui qui a le sommet du crâne comme un cerf ». Elle est représentée sur le chaudron d’argent de Gundestrup, assise dans la position bouddhique, tenant un torque dans une main et un serpent dans l’autre, entourée d’animaux les plus divers, et notamment d’un cerf. Peut-être faut-il voir dans ces bois de cerf surmontant la tête du dieu-ou-démon, un rayonnement de lumière céleste. Un autre monument remarquable est celui de Reims où Cornunnos est représenté en dieu-ou-démon de l’abondance. On en connaît plusieurs autres. Cependant, il semble bien que ce dieu-ou-démon doive être compris comme un maître des animaux. En Irlande, le fils du grand héros du cycle ossianique, Finn, s’appelle Ossian (« faon »), tandis que saint Patrice se métamorphose et transforme ses compagnons en cerfs (ou en « daims ») pour échapper aux embuscades du roi Loegaire. Il agit ainsi en vertu de l’incantation ou procédé magique appelé feth fiada, lequel procurait en principe l’invisibilité.
Le symbolisme du cerf dans le monde celtique est donc très vaste et il a trait certainement aux états primordiaux. Faute d’une étude d’ensemble, on devra provisoirement se borner à relever aussi le symbolisme d’abondance et de longévité. Les Celtes employaient de nombreux talismans, faits en bois de cerf, et l’on a noté, en Suisse, dans des tombes alémaniques, des ensevelissements de cerfs à côté de chevaux ou d’hommes. On a rapproché ce fait, des masques de cerf dont étaient munis des chevaux sacrifiés dans des kourganes de l’Altaï aux Ve et VIe siècles avant notre ère. En Bretagne armoricaine, saint Edern est représenté chevauchant un cerf. Les légendes irlandaises nous narrent que Sadv, la mère d’Ossian (fils de Finn et célèbre poète guerrier du IIIe siècle) fut transformée en biche par un druide.
On raconte également que Dahud, la princesse d’Ys, traquée en vain par le roi Marc’h, aimait courir les bois sous la forme d’une biche blanche.
Le corbeau la corneille ou le vautour.
«… Pour eux [les Celtes dont le nom est associé aux Ibères], il est glorieux de mourir au combat, et il est sacrilège de brûler le corps de celui qui a connu une telle mort. Ils croient que leurs âmes/esprits seront transportées au ciel auprès des dieux si le corbeau * affamé déchire leur dépouille gisante » (Silius italicus. La guerre punique. Livre III. Vers 340-343).
* Le texte en fait parle de vautours, mais nous avons remplacé ce mot par celui de corbeau (ou de corneille) plus connu. Cela ne change rien au principe !
De grandes civilisations, de l’Asie à l’Europe centrale, confiaient aux vautours le soin de faire disparaître les cadavres humains, plutôt que de polluer directement la nature en se débarrassant des morts par enterrement, incinération, immersion, ou décomposition à l’air libre. On connaît encore quelques groupes comme nos frères Parsis, qui pratiquent ces funérailles « astrales » où les vautours sont chargés d’engouffrer proprement les corps qui leur sont livrés en pâture, et de ne laisser au sol que des os purs et nets. On touche ici l’un des domaines où s’expriment les convictions les plus profondes d’un peuple, et son rapport au monde visible et invisible. Pour un Grec du temps d’Homère, la mort sans sépulture ni stèle représentait le dernier outrage. Abandonner sur le champ de bataille le corps des combattants à la diligence des charognards déshonorait un chef à jamais. Il va sans dire, que cette attention ne portait que sur les dépouilles des citoyens, la piétaille n’entrait pas en ligne de compte.
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C’était donc les Barbares qui avaient recours aux vautours pour faire disparaître les corps, les Galates, les Mèdes, les Mages, les Bactriens, bref les « Autres » vus par les auteurs helléniques, qui demeurent nos rares sources en la matière.
Le dauphin
Dernier scénario insulaire ou maritime (les régions jouxtant une mer quelconque) : l’âme/esprit part sur un dauphin. Le dauphin accompagnait les défunts dans les « Îles des Bienheureux au bout du Monde », en les portant sur son dos. Le diadème de Mones, trouvé en Espagne (Asturies) et datant d’environ 125 avant notre ère, a beaucoup de points communs avec le chaudron de Gundestrup trouvé au pays des Cimbres (le Danemark). On y voit des cavaliers semblables à ceux de certaines statues de la région et correspondant bien aux descriptions que nous ont laissées les textes traitant du sujet, ou des personnages manipulant des chaudrons. La scène est complétée par un certain nombre d’animaux marins remplissant les vides laissés entre ces cavaliers. Francisco Marco Simón pense qu’il s’agit là d’une scène évoquant l’au-delà, et les animaux marins en question seraient des dauphins accompagnant l’âme/esprit des chevaliers ou des cavaliers dans l’au-delà.
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Une des divinités apaisantes que l’on peut visualiser à ce moment de la mort est Belenos Barinthus ou Belenos Barinthius Manannan mac Lir. Ce Barinthus est mentionné dans la Vie de Merlin selon Geoffroy de Monmouth. C’est lui le passeur ou le pilote qui conduira Merlin et le roi Arthur mortellement blessé dans l’île d’Avallon. Il est aussi mentionné plus longuement dans la Navigation de saint Brendan, sous le nom de saint Barrind. C’est lui qui, le premier, parlera de la terre promise aux saints (version christianisée de Vindomagos ou Mag Meld) à saint Brendan, et d’ailleurs l’y accompagnera. Il s’agit en quelque sorte d’un avatar de Manannan Mac Lir qu’une bien curieuse prière encore connue des pêcheurs de l’île de Man au XIXe siècle évoquait ainsi.
Petit Manannan, fils de Leirr,
Toi qui as béni notre île
Protège-nous ainsi que notre navire
Qui s’apprête à partir
Pour rentrer plein d’êtres vivants et de morts.
Les spécialistes du folklore mannois expliquent que ces morts en question sont des poissons, mais tout cela est bien curieux, et ce saint Barrind n’est pas très catholique.
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Après la mort le kicos (le corps) reste ici-bas, enterré ou parti en fumée, mais anamone et menman encore unis se réincarnent dans l’autre monde. En revêtant un autre corps très proche du précédent (le kicos laissé sur terre) quoique différent sur certains points néanmoins (xvarnah = corps idéalisé ou corps de rêve, bellissamos ou bellissama en vieux celtique). Cette réincarnation dans l’autre monde parallèle de nature paradisiaque appelé Mag Meld, ou Vindo Magos, a lieu peu de temps après le décès. Du moins d’après la croyance populaire générale à ce sujet.
Au bout d’un certain temps, l’âme et l’esprit se sépareront définitivement, l’esprit s’effacera peu à peu, et l’âme individuelle et personnelle enfin dégagée pourra se fondre dans l’âme universelle.
On peut aussi renaître dans le monde des dieu-ou-démons, puisqu’ils sont mortels bien qu’ayant une vie infiniment plus longue que celles des humains.
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RÔLE DES FORCES DE L’AU-DELÀ : (DIVINITÉS) REPOUSSANTES.
La deuxième étape pouvant survenir après la mort est celle que nos amis tibétains appellent chonyid bardo. La conscience visualise alors un certain nombre de forces métaphysiques (divinités) d’apparence un peu moins séduisante ou affable que notre lumineuse et radieuse Épona (voir la légende de Niamh en Irlande) ou que Belin/Belen/Belenos/Barinthus/Manannan, et fait au contraire l’expérience de divinités plus repoussantes.
Ces divinités repoussantes ou guerrières constituent d’ailleurs un motif classique de l’art celtique. L’énergie étant ici activée par la crainte, la passion, ou l’intellect, les divinités paraissent irritées, voire hostiles. Ces visions expriment le contenu énergétique de la conscience appréhendé sous la pression de la peur, car tous les poisons et toutes les émotions ressenties dans la vie vont resurgir à ce moment-là. Les désirs de la conscience vont se manifester au mort en prenant « corps » sous forme d’hallucinations répétées, qui vont tenter d’accaparer son esprit.
La légende de la mort selon les très-sachants de l’époque, en cas d’échec de la première phase (suivre les divinités psychopompes apaisantes ou pacifiques comme Épona ou Belin/Belen/Belenos/Barinthus/Manannan, enseigne donc à ne pas se laisser piéger par ces représentations fantastiques, terrifiantes, qui prennent l’aspect de véritables démons, de nos humaines, trop humaines, faiblesses.
L’imagination des bardes ou des conteurs a représenté ces phénomènes hallucinatoires comme autant de divinités aux symboles bien précis. Mais il ne faut pas s’y tromper. En fait, ces apparitions ne sont que des projections nées de la conscience même du mort. Elles n’ont de réalité qu’en son esprit. Il convient de les reconnaître pour s’en libérer sans crainte, comme n’étant qu’une émanation de l’ego.
Si l’âme/esprit du défunt les reconnaît à temps dans leur réalité (et c’est d’ailleurs le cas normal ou habituel), en comprenant qu’elles ne sont que des projections de ses mauvais penchants, de tout ce qu’il y a de négatif en elle, et s’en éloigne [Dindsenchas métrique, tome IV, poème 113. « Mais les âmes des justes, elles, peuvent apercevoir de loin cet endroit et, donc, l’éviter à temps. Voilà ce que croient les païens à propos de Tech Duin] alors elle évitera de s’écarter du droit chemin et de bifurquer vers la renaissance en bacuceos ou en seibaros sur terre. Il se préparera aussi à la meilleure de toutes les renaissances, la réincarnation dans l’au-delà paradisiaque de la tradition celtique. Une fois réincarné dans cet autre monde que l’on dit meilleur appelé Mag Meld ou Vindobitos peu importe (et si l’on veut l’appeler Deouatchène comme nos amis bouddhistes, pourquoi pas ?) il n’y a plus de retour possible ici-bas sur terre. Et il devient plus rapide et plus facile d’achever ou de parachever l’épanouissement de son âme.
Ces divinités repoussantes sont par exemple Tethra le roi des vouivres anguipèdes gigantesques, Arawn ou Gwynn dans la tradition galloise, la Catubodua ou la Sheela na gig et même l’Ankou dans l’ouest de la France.
Ces divinités repoussantes ont pour mission ou pour rôle de remettre l’âme/esprit du défunt dans le droit chemin qui conduit au paradis celtique. Il ne faut donc pas en avoir peur, ou plus exactement il ne faut pas s’en inquiéter, car plus elles sont effrayantes, moins on a envie de s’en approcher, et mieux cela vaut donc pour nous.
Il n’en va pas de même dans le cas du maître de l’antichambre du Paradis celtique qu’est Donn. Se laisser attirer par ses séductions vous vaut un long séjour en son royaume (Donnotegia) sous forme de fantôme ou d’âme/esprit en peine (seibaros). Voire une réincarnation sur terre en tant que bacuceos. Mais dieux merci, de tels cas sont rarissimes. Trois ou quatre par siècle.
Nos frères en la croyance, de l’autre bout du monde, ont une formule qui revient à cela : « Même les bons se réincarnent en Soukhavati alors pourquoi pas les mauvais ? » (Shinran 1173-1263)
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Et à ceux qui penseraient immédiatement à une erreur de cette imbécile de petit tondu, nous autres gnostiques d’Extrême Occident nous comprenons bien que tout repose sur la réalité ou pas du transfert de mérites (éko) issu du pouvoir des Vœux Primordiaux du bouddha Amithaba.
Croire que le nemboutsou (récitation de la formule Namo Amida butsu) est indispensable revient à ne pas avoir confiance en Amithaba et à compter sur ses propres pouvoirs, d’homme (jiriki) plutôt que sur les pouvoirs (tariki) du Bouddha Amida.
Or pour Shinran ce transfert de mérites n’est pas réalisé par le pratiquant récitant le Namo Amida butsu mais par le Bouddha Amida lui-même (qui transfère ses propres mérites à tous les êtres). Pour les croyants en l’existence de Soukhavati le transfert en question a deux sens possibles : le premier est de nous faire quitter ce monde pour nous faire entrer dans celui de la Terre Pure (ōsō-ekō)…
Ce que Shinran veut donc dire en ayant recours à cette formule choc c’est que les vœux du bouddha Amithaba nous ont définitivement rachetés malgré toutes nos Ces Noinden et que à la différence du sacrifice du Christ ce rachat n’a pas besoin d’être finalisé.
Pour Shinran avoir foi dans la grâce du vœu primordial du Bouddha Amida, tariki, est l’unique condition de la renaissance dans la Terre pure (gokuraku).
NDLR. Le raisonnement se tient si l’on croit en l’existence d’un tel au-delà ET EN AMITHABA.
La plupart des penseurs de l’école de la Terre Pure sont des adeptes du concept de Shinjin c’est-à-dire pensent que les vœux primordiaux du bouddha Amithaba ont bien eu le pouvoir d’opérer des transferts de type oso-eko et qu’ils sont donc assurés de renaître en Sukhavati.
Pour certains membres de l’école Jôdo Shinshû, cette foi ( Shinjin) doit inclure nécessairement au moins la foi en une renaissance dans la Terre Pure après la mort. Mais pour d’autres, les deux ne sont pas liés. Pour ces derniers, il est donc impossible de se prononcer à ce sujet, car nous n’avons aucune preuve concrète de ce qui se passe après la mort. Kiyozawa Manshi (1863-1903) a même écrit « En ce qui concerne la joie dans le monde après la mort, je ne peux me prononcer, car je n’ai pas eu l’occasion d’en faire l’expérience ».
Résumons-nous.
Les druidisants se sentent solidaires de toutes les formes d’espérance sans lesquelles l’Humanité ne pourrait pas survivre. Ils y discernent aussi quelque chose de la présence mystérieuse de l’Être supérieur dans le monde qu’il anime. Ils ont néanmoins l’ardente obligation de réaffirmer un certain nombre de vérités malgré le caractère poétique et non mathématique de leur langue qui n’a pas la rigueur d’une langue artificielle comme l’espéranto ni a fortiori d’une langue comme celle envisagée par Leibniz en 1666 dans sa Dissertatio de arte combinatoria et inspirée des idéogrammes chinois : la caractéristique universelle. Spécieuse générale dans ses textes écrits du temps où La France était une grande nation. La grammaire de cette « Spécieuse générale » devait rendre impossibles les raisonnements invalides.
« Alors, il ne sera plus besoin entre deux philosophes de discussions plus longues qu’entre deux mathématiciens, puisqu’il suffira qu’ils saisissent leur plume, qu’ils s’asseyent à leur table de calcul (en faisant appel, s’ils le souhaitent, à un ami) et qu’ils se disent l’un à l’autre : « Calculons ! » (Gottfried Wilhelm Leibniz, « Nova methodus pro maximis et minimis » in Acta Eruditorum, 1684. Quo facto, quando orientur controversiae, non magis disputatione opus erit inter duos philosophos, quam inter duos Computistas. Sufficiet enim calamos in manus sumere sedereque ad abacos, et sibi mutuo dicere : Calculemus !).
Soulignons qu’une telle langue artificielle bien que sans commune mesure avec notre globish suppose néanmoins d’abandonner la logique aristotélicienne ou formelle (les syllogismes) et de procéder à un recensement des connaissances humaines faisant problème (le nombre des combinaisons étant infini).
Remettons donc maintenant un peu de poésie luni-solaire * dans nos vies.
Tout ce qui vit, tout ce qui est, à terme ne fera plus qu’un avec l’Englobant universel, un jour ou l’autre. Seul varie le moment de cette réintégration dans l’Être supérieur que l’on appelle Pariollon.
Chaque âme individuelle (anamone) est une partie de l’Être des êtres (le Pariollon ou Bitos), tire de lui sa force vitale, et porte en elle sa nature englobante de façon quasi invisible. Cet Être des êtres immanent absolu est un neutre, ni dieu-ou-démon, ni déesse-ou-démone, ni fée, sans attribut, sans forme, sans tâche à remplir, partout présent et néanmoins difficilement connaissable. C’est un être transcendant immanent qui pénètre le monde, lui infuse vie, et le porte. Un principe qui ne passe pas,
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au cœur et au-delà des mondes et des cycles qui, eux, passent. La larme de feu cosmique qu’est notre âme s’identifie donc avec ce grand tout universel originel.
Ainsi que nous l’a bien montré la voie des druides de type amarcolitanos, il suffit de reconnaître cette unité. Une telle connaissance conduit alors tôt ou tard à la fusion entre l’anamone et l’awentia ou awenyddia, et à la disparition du soi individuel appelé esprit ou menman, donc au dépassement de la séparation entre l’individu et son origine (cosmique). C’est une libération par la connaissance.
Le druidisme est certainement la conception la plus abstraite du divin que l’on ait pu jamais imaginer. D’où d’ailleurs l’accusation d’athéisme rapportée par Strabon.
« Certains auteurs affirment que les Galiciens sont athées, tandis que les Celtibères et leurs voisins plus au nord sacrifient à un dieu sans nom, la nuit, à chaque retour de la pleine lune, devant les portes de leurs bourgades ; se livrant alors durant toute la nuit, avec leur maisonnée, à des rites divers agrémentés de danses » (Strabon, Géographie, III, 4, 16). Un Dieu ou Démiurge qu’on ne nomme pas…
Attitude donc aux antipodes de l’imagerie d’Épinal simpliste et anthropomorphique de la Bible (du judaïsme au christianisme).
Doté d’une âme quasiment immortelle, l’homme peut par conséquent, dès sa mort, soit fusionner avec son principe, soit continuer à exister en tant que « moi » humain ; en tant qu’élément spirituel doué de conscience et de volonté (séjour dans le Vindomagos ou réincarnation, pour le pire comme pour le meilleur).
Il existe quatre moyens de réintégrer plus ou moins rapidement l’Être des êtres par fusion métamorphique au sein du Pariollon.
Le premier de ces moyens est le fait d’être appelé par les dieu-ou-démons pour devenir druide c’est-à-dire chercheur de Graal (vocation d’amarcolitanus). Les druides de type amarcolitanos n’ont jamais constitué une caste comme les Lévites chez les juifs. « Ces gens-là cherchèrent leurs titres généalogiques, mais ils ne les trouvèrent point. Alors, on les déclara souillés, bannis du sacerdoce » (Esdras, 2, 61 à 63).
Beaucoup de druides étaient évidemment fils de druides ou de chevaliers, mais leur enseignement était ouvert à tout le monde et il est évident qu’ils devaient aussi s’occuper des enfants doués qu’ils pouvaient repérer ici ou là dans la population.
Avoir la vocation d’amarcolitanos et se consacrer au savoir que ce soit sur le plan personnel (quête du Graal) ou afin d’élever le niveau intellectuel et donc aussi également de l’Humanité tout entière est un des moyens de sauver son âme du cycle infernal des réincarnations sans fin en bacuceos ou seibaros, dans cette vallée de larmes qu’est le dumnon. Devenir amarcolitanos fait du druide un awenydd en puissance. C’est-à-dire un éveillé ou un illuminé, au bon sens du terme, qui peut entrevoir le Pariollon par moments et léviter de précieuses secondes en quelque sorte en état de fusion métamorphique avec lui ou en lui.
Le deuxième de ces moyens est la voie du combat contre soi-même, réservée à ceux qui ont une psychologie plus active, réservée à ceux qui ont un tempérament de battant. Ce que l’on appelle grand djihad chez nos frères ennemis musulmans (le petit djihad renvoyant à la notion de guerre sainte ou sacrée de type croisade destinée à défendre OU ÉTENDRE l’islam, les musulmans et les terres d’islam * (dar al islam). Mais attention à la taqiyya qui justifie de faire passer l’un pour l’autre. Les journalistes n’y voient toujours que du feu. Ce qui s’est passé en Syrie à partir de 2012 c’était bien un djihad au sens de « petit djihad » et ce que l’on entend généralement par djihadiste c’est le mercenaire croisé de l’islam politique armé le plus barbare.
Seule l’abyssale médiocrité intellectuelle et morale de la classe médiatico-politique occidentale et notamment française depuis l’affaire des charniers roumains de Timisoara en 1989, peut expliquer cette tentative de nous faire prendre la vessie en question pour une lanterne alors que dans l’ombre les pétrodollars des uns ou les armes et la technologie des autres (missiles antichars Milan par exemple) finissaient toujours, directement ou indirectement, dans les mains de ces islamistes présentés par les journalistes comme des gentils rebelles laïcs et démocratiques ou féministes (Note des héritiers de Pierre de La Crau, notre père a toujours précisé qu’il ne parlait pas là des Kurdes). La chance a voulu que l’armée syrienne le dos au mur réussisse à déjouer toutes ces manœuvres, seule ou presque face aux plus grandes puissances mondiales de l’époque (États-Unis France Royaume-Uni, etc.) Et heureusement, car comment réussir à terrasser l’islam politique d’une part si on explique partout d’autre part que l’islam des Cor. Had. Sir. c’est vachement chouette, que l’islam des Char. Fiq. Mad. c’est un progrès indépassable une religion d’amour toujours ; et que ne pas être séduit par l’islam, ne pas vouloir être musulman, voire ne le souhaiter à personne, est suspect, à tout le moins mérite des explications. Comme celles-ci !
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Pour en revenir aux Celtes d’esprit on appelle Kinges celui qui se livre à de tels exercices à la fois spirituels et physiques, lui permettant lui aussi de devenir awenydd, c’est-à-dire d’accéder au monde divin.
Bien que beaucoup plus lente que la voie du druide awenydd en fait, vu l’incertitude de ses résultats, cette voie peut être néanmoins assez brève (quelques années ???) d’où son nom de voie royale. La souffrance et la mort sont dans ce monde du fait de notre origine animale (c’est là notre faiblesse originelle de type Ulate). C’est donc aussi par la souffrance et la mortification que l’on peut accéder à la rencontre définitive avec le monde divin (Sedodumnon ou Albiobitos).
Hesus, le dernier avatar de Lug petit-fils de Balaros le roi des vouivres anguipèdes gigantesques, est venu nous montrer que tel était le sens de la souffrance.
Le néo-druidisme parle aujourd’hui dans ce cas de vie éternelle, mais c’est bien sûr faute de terme adéquat. Prenons une lampe allumée pour la nuit comme dans l’histoire de Plutarque. La flamme du début de la nuit sera-t-elle toujours exactement identique à celle de la mi-nuit, exactement identique à celle de la fin, quand l’aurore aux doigts de rose commence à faire son apparition ? Ou bien s’agit-il de flammes complètement différentes ? ?
La mort d’un homme ou d’un monde n’est que le milieu d’une longue vie. L’un naît, l’autre disparaît, mais cet enchaînement n’a ni commencement ni fin. Pourtant, ce n’est ni le même être ni un être différent qui renaît. Tout dépend du point de vue auquel on se place.
En réalité cette vie, continuité, mais aussi épanouissement de notre état d’union avec l’Être supérieur ou Bitos dès ce bas monde (dumnon) est dans sa plénitude même un objet d’attente pour tout un chacun. Cette vie future consiste à pouvoir contempler le rocher d’or où repose le divin au milieu de la blanche plaine immortelle de Vindomagos (pour les Meldi) et à jouir d’un corps de rêve ou idéal (xvarnah en avestique bellissama bellissamos en vieux celtique). Un tel destin est vie intense, ainsi que l’est la vie même du Bitos, anticipation de la flamboyante fin du cycle en cours, où le divin sera tout en tous après la désoccultation ou parousie (retour) des dieu-ou-démons 1).
Mais en réalité, rappelons-le, nous possédons déjà en nous voire autour de nous, les prémices de cette vie, dont la plénitude nous attend au-delà de la mort.
Dans cette existence de chaque jour, la vie éternelle est déjà commencée. Nous avons reçu les dons de l’esprit par qui le Destin a ressuscité les dieu-ou-démons d’entre les morts (voir le cas de certains d’entre eux lors de la bataille de la Plaine des menhirs ou des piliers. Ils meurent, mais réapparaissent aussitôt) et nous vivons au milieu des preuves que s’accomplira aussi en nous ce mystère.
La vie n’est jamais détruite, elle se transforme seulement : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Lorsque prend fin leur séjour sur terre, les anamones vont renaître dans la plaine éternelle du Vindomagos afin de pouvoir désormais y contempler le rocher d’or où repose le Graal. Pendant que les anamones des awenyddion, ategnati ou kingetes, se réunissent, elles, au Pariollon, par fusion métamorphique directe, opérée au cœur de cette super « centrale nucléaire » cosmique. Cette certitude permet donc au païen d’obédience (ou d’option) celtisante de transformer sa propre mort en un passage, en un changement d’état, à l’instar de notre fascinant Hesus Setanta. Mourir ainsi, pour celui qui sait, constitue un accomplissement. Voici ce qu’en dit, ainsi que nous l’avons vu, la légende de la mort de l’ancien druidisme (parlant de la désincarnation des awenyddion ou des semnothées, ou des anatiomaroi, il est vrai chez les Celtes).
« À son arrivée un grand trouble venait de se manifester dans l’air, accompagné de nombreux signes célestes : les vents se déchaînèrent, et la foudre tomba en plusieurs endroits. Quand le calme fut revenu, les habitants de l’île lui dirent que c’était un des êtres supérieurs qui venait de trépasser. Car, ajoutèrent-ils, de même qu’une lampe allumée n’a rien de fâcheux, mais qu’en s’éteignant, elle est désagréable pour maintes personnes, de même les grandes âme/esprits, lorsqu’elles brillent de tout leur éclat, sont bienveillantes, loin d’être funestes à qui que ce soit ; mais quand elles s’éteignent et s’anéantissent, souvent elles provoquent, comme cela venait d’arriver, des tourbillons et des orages de grêle, souvent aussi dans ce cas, elles empoisonnent l’air de souffles pestilentiels »(Plutarque. Sur les sanctuaires dont les oracles ont cessé. 18).
L’Être supérieur (Bitos) étant solidaire de ceux qui l’honorent sur cette terre, il ne peut pas, par définition, les abandonner au néant. Le salut procuré aux druides ou aux kingetes, après la mort, prend la forme d’une union béatifique avec le dieu-ou-démon régnant sur l’autre monde du haut de son rocher d’or. Union où peut être vécue la vie même de l’Être des êtres. Cette union béatifique de l’anamone de chacun (et de son moi que l’on appelle menman) avec le divin, comble l’être (humain) d’une joie parfaite.
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Une telle issue favorable est accordée aux druides amarcolitanoi par pure et libre solidarité souveraine du Destin, envers eux et ce qu’ils représentent. Car les dieu-ou-démons en sont également solidaires. Mais elle peut être aussi conquise de haute lutte par toute personne se livrant aux exercices spirituels et physiques appropriés (les kingetes).
Seule une minorité d’individus parvient, dès ce monde, à l’état d’awenydd. Mais après la mort, au Vindomagos, il y a peu à peu fusion progressive entre l’âme individuelle (l’anamone) et l’âme cosmique universelle (l’awentia ou awenyddia) et dépérissement de l’esprit (du menman). Le défunt devient peu à peu comme translucide, diaphane, éthéré.
Pour découvrir que d’autres personnes que les awenyddion peuvent être sauvées en accédant à cette contemplation directe du rocher d’or où repose le dieu-ou-démon ; il a fallu réaliser, bien sûr, que les relations avec lui ne peuvent jamais être purement et simplement anéanties, pour ceux qui ont tenté au moins, une fois dans leur vie, de le trouver (même principe que le nemboutsou du bouddhisme amidiste).
« Une odeur délicieuse s’exhale de ce rocher comme d’une source, parfume l’île entière. Les Démons dont nous avons parlé entourent Cronos (le bouddha Amitabha ? Le Graal ? Le destin ????), et lui prodiguent leurs soins. Ils faisaient partie de sa cour quand il régnait sur les dieu-ou-démons et les hommes. Possédant eux-mêmes le don de divination, ils font un grand nombre de prédictions et, sur les événements les plus importants, font des révélations précieuses dont ils assurent qu’elles sont les songes du dieu » (Plutarque. De facie in orbe Lunae, 26).
Même principe que le nemboutsou avons-nous dit plus haut. On se croirait dans le bouddhakshetra d’Amitabha ! Vu l’importance du sujet, il ne sera pas déplacé ici de redonner à nos fidèles (lecteurs), en quelques mots, ce que nous avons déjà noté à ce propos. Bouddhakshetra, terre de bouddha ou champ de bouddha, est un terme qui désigne un domaine de l’univers dans lequel un bouddha donné exerce son activité ou son influence. Selon le Mahavamsa, le domaine de sa vie terrestre est le jâtikkheta, qui peut être impur ou mixte, comme notre monde qui est le jâtikkheta du bouddha Çakyamouni. Le domaine dans lequel s’étend son enseignement est l’ânâkkheta. Le domaine dans lequel s’étendent sa sagesse et sa connaissance est le visayakkhetta, considéré comme illimité. Les deux derniers sont des terres pures résultant de ses réalisations et manifestant ses qualités ; ceux qui ont une affinité pour elles y renaissent. Toujours selon le Mahavamsa, un Bouddhakshetra équivaut à 61 milliards d’univers. Le concept est particulièrement développé dans le Mahayana, dans les soutras du Lotus et dans le Vimalakirti ainsi que dans ceux qui sont consacrés à certains bouddhas comme Amitabha, dont la terre pure est de loin la plus connue. Elle est en effet au centre des croyances et pratiques du courant dit de la Terre pure, l’un des plus importants du bouddhisme.
* Coligny 2e siècle
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ANTHROPOLOGIE DRUIDIQUE INFÉRIEURE.
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MONISME.
Il ne peut pas exister d’esprits « purs » sans aucune substance comme support… sans ce support l’esprit ne serait rien… Mais il faut ajouter aussi qu’un corps sans esprit n’est plus qu’un tas de viande, que l’essentiel n’est pas que la matière existe, mais bien que notre esprit a conscience de son existence. Essayons d’imaginer un univers sans conscience ; aussitôt nous y introduisons la nôtre.
S’il y a une hiérarchie chronologique, en ce sens que la matière en s’organisant de plus en plus, engendre de plus en plus de consciences ; il y a aussi une hiérarchie de valeurs, en ce sens que ce qui compte d’abord pour nous, c’est d’être conscient, afin de pouvoir constater, avec notre propre existence, celle du monde qui nous entoure…
Nous autres druides sommes plutôt enclins à rejeter le mot « spiritualisme ». Mais aussi le terme « matérialisme », qui a deux inconvénients : d’abord, il suggère une supériorité de la matière sur l’esprit, ce qui n’est pas le cas dans la hiérarchie des valeurs citées plus haut. Ensuite il possède un deuxième sens ; il désigne également un état d’esprit orienté vers la recherche des choses matérielles, physiques et grossières (argent, sexe, table… et autre).
La matière sans esprit existerait apparemment partout ? C’est vrai si l’on donne au mot esprit le sens de conscience ou psychisme évolué. Mais rien ne permet d’affirmer, au nom de la science, qu’il puisse exister une matière dénuée TOTALEMENT de psychisme, celui-ci n’étant pas mesurable, puisque non observable de l’extérieur. Nous ne pouvons observer que notre propre conscience, et constater ainsi qu’il y a un rapport entre son caractère et le degré de complexité de notre comportement.
Or la physique moderne nous montre que les éléments ultimes de la matière ne sont pas inertes, qu’ils sont doués d’énergie et de tendance attractives ou répulsives : ÉNERGIE + TENDANCES = COMPORTEMENT.
Il n’y a pas de frontière définissable sur la trajectoire évolutive allant du simple au complexe, entre matière supposée totalement et arbitrairement dénuée de psychisme, et matière dite vivante. Il existe un infiniment petit dans le domaine des dimensions, des masses, des mesures du temps… Pourquoi pas dans celui de l’intensité psychique, puisque celle-ci peut varier ?
Il peut sembler dérisoire de supposer a priori qu’il existe un psychisme infime dans une particule atomique, puisque la différence entre l’infime et le zéro est bien négligeable ! Sur le plan pratique, c’est vrai, mais cela par contre a une grande importance philosophique. Ne pas admettre un soupçon de psychisme initial, inséparable de toute matière, ce serait d’une part se mettre dans l’incapacité de situer l’endroit où devrait apparaître subitement, miraculeusement, le psychisme ; ce serait d’autre part établir une coupure radicale entre une matière « inerte » et la matière vivante, en aboutissant ainsi au DUALISME : d’un côté la matière, de l’autre l’esprit.
Dualisme sur lequel s’appuient les religions judéo-chrétiennes et islamiques. À l’opposé du dualisme, nous sommes, nous autres druides, pour le MONISME. Un monisme ni matérialiste ni spiritualiste, mais les deux à la fois ! Un monisme tout simplement naturel, qui nous permet de concevoir l’évolution du niveau de la conscience, sans être obligés comme Teilhard de Chardin de faire appel au miracle, à partir d’un certain degré d’organisation de la substance cosmique, impossible à situer.
La vision druidique du monde est « organiciste » et non « mécaniste » comme aujourd’hui, après 2000 ans de civilisation judéo-chrétienne.
Les choses, les phénomènes perçus par nos sens, sont interdépendants, reliés entre eux, et ne sont que des aspects différents, ou manifestations, d’une même réalité ultime.
Notre tendance à diviser le monde perçu en objets individuels, séparés, ainsi qu’à nous percevoir nous-mêmes comme des « ego » isolés en ce monde ; est la plus dangereuse des illusions. Car tout se tient dans le bitos ou l’univers (ce qui est la définition même de toute pensée authentiquement païenne).
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LA MISE EN ORDRE DU CHAOS INITIAL : LA TERRAFORMATION.
En ce qui concerne la forme de la Terre, une des images les plus couramment utilisées par les très sachant de la druidiaction antiques, était celle du bouclier. La Terre ferme était pour eux comme un bouclier, rond, très convexe, flottant sur les eaux. Des eaux entourant le disque de la terre constituées de 9 zones différentes (9 vagues) dont trois d’entre elles avaient assez de caractéristiques différentes (enfin du moins selon eux) pour recevoir un nom propre : Vague du Nord, etc. (Thuaithe, Clidna, Rugraide). L’association de l’Océan ainsi conçu et d’un bouclier plutôt extraordinaire est un motif que l’on retrouvera donc dans de très nombreuses légendes. Quand le Hésus Cuchulainn heurte de son épée le bouclier qui est le sien par exemple, les trois premières vagues se soulèvent aussi pour lui répondre. Le disque de la Terre ou plus exactement de la Terre du milieu (Mediomagos) en forme de bouclier rond flottant sur les eaux* était surmonté de la voûte céleste (le tout ayant une forme globalement sphérique ou ovoïde : un gigantesque œuf cosmique en quelque sorte).
Quant aux neuf vagues, elles ont évidemment été assimilées à un serpent géant enserrant la terre ferme de ses anneaux par les bardes (d’où l’image du serpent à tête de bélier sur le Continent ?)
Clidna, Thuaithe, Rugraide. Il s’agit-là d’un thème récurrent dans tous nos contes et légendes. Sans doute le souvenir d’un très ancien symbole lié à la notion de triple enceinte (triple carré ou triple cercle en l’occurrence) et figurant un peu partout, y compris sur le plan cosmique. Le disque de la terre ou terre du milieu (Mediomagos) en forme de bouclier rond flottant sur les eaux et surmontée de la voûte céleste (le tout ayant une forme globalement sphérique ou ovoïde : un gigantesque œuf cosmique en quelque sorte).
L’erreur du folklore irlandais a été d’en faire trois vagues différentes et localisées en des lieux différents alors qu’il s’agit bien entendu à l’origine d’une même et unique vague, entourant la terre du milieu, bien que détriplée.
Le prouve la signification du nom de Tuad (Tuaithe) où l’on retrouve clairement le nom du Nord, mais aussi par jeu de mots celui des Tuatha Dé Danann bien entendu (qui viennent du nord).
La première vague, Tonn Clidna ou Cliodhna, a ensuite été personnifiée par le folklore, toujours à l’affût de belles histoires d’amour un peu tristes.
La troisième vague est associée par la mythologie d’Irlande apocryphe à un des fils (hypothétique), de Partholon : Rudraidhe. Son nom aurait été donné à la vague l’ayant noyé.
Ce qui demeure constant dans toutes ces légendes irlandaises c’est le lien entre certains boucliers hors pair et l’Océan, 3 vagues de l’Océan. Quand le bouclier crie, les vagues lui font écho. Quand Cuchulainn frappe de son épée le bouclier qui est le sien, les trois vagues se soulèvent aussi pour lui répondre.
Il s’agit donc sans doute du souvenir d’une ancienne notion cosmogonique druidique, assimilant l’océan à trois bandes ou bordures circulaires entourant la terre ferme (figurée comme un bouclier, rond, et flottant sur l’eau). Une image reprise ensuite par les bardes, afin de donner quelque ampleur à leurs descriptions. Ce qui faisait partie de leur métier, en quelque sorte.
Ochain et les boucliers. Pour répondre à la question que se posait à ce sujet le père Edmond Hogan en 1892, indiquons qu’à notre avis ceci est une lointaine réminiscence de l’antique conception druidique selon laquelle la terre était analogue à un bouclier bombé flottant sur un océan primordial : les trois ou neuf vagues. Ce qui affecte les vagues (le serpent à tête de bélier) touche aussi la terre ferme (le bouclier bombé). Ensuite par glissement de sens « affecte tous les boucliers ulates ». Image sans doute utilisée pour suggérer un cataclysme extraordinaire.
* Et après cette évocation de l’image druidique de la Terre ferme comparée à un bouclier rond flottant sur l’eau, peut-être n’est-il pas inutile de rappeler que la devise des fabricants de bateaux (nautes) parisiens au Ier siècle était (en latin) « fluctuat nec mergitur » : il est secoué par les flots, mais ne sombre pas. Une allusion à la stabilité de la Terre ??
P.S. On objectera peut-être à cette hypothèse que les druides irlandais ont toujours considéré que la terre était ronde comme l’atteste l’usage du terme cruind (crundnios) pour désigner la terre et le titre même du livre de Dicuil consacré à ce sujet vers 825 : De mensura orbis terrae.
Peut-être ! Mais ne serait-ce pas un peu trop beau pour être vrai ? Il est vrai que la découverte de la machine d’Anticythère en 1900 montre bien que certains milieux païens de l’Antiquité étaient arrivés à un degré de connaissance stupéfiant avant que ne s’abattent sur l’Occident les ténèbres du christianisme médiéval.
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LE TOTÉMISME.
Le monde n’a pas été créé, mais il a évolué. D’ailleurs il évolue encore. Il fonctionne selon une Loi (le Tokad/Tocade), mais pas selon la volonté d’un dieu-ou-démon, sauf pour ce qui est des détails (de l’Histoire).
La sélection naturelle s’opère par élimination systématique à chaque génération des plus faibles par les plus forts de leur espèce. Cet écrasement se fait dans une totale indifférence (ce qui terrifiait Darwin et lui avait fait perdre sa foi chrétienne). La cruauté de nature est pourtant connue depuis la nuit des temps. Le bonheur des successeurs est préparé par la souffrance des prédécesseurs.
La première théorie de l’évolution authentique est due au Français Jean-Baptiste de Lamarck, qui publie en 1809 sa Philosophie zoologique. En résumé, il soutenait l’idée de l’hérédité des caractères acquis. Lamarck avait globalement tort, mais il a eu le mérite d’avoir fondé l’évolutionnisme moderne. En outre, au début du XXIe siècle, de nouvelles études plus fines sur le génome et sur les populations ont donné un regain de vitalité à son hypothèse, pour certains caractères particuliers. On lui doit également une des premières formulations des relations de parenté au sein de grands groupes d’organismes.
En 1859, Charles Darwin publie « De l’origine des espèces ». Il y reprend les idées de Lamarck tout en les critiquant et en les modifiant. Darwin ajoute surtout une foule de preuves en faveur de l’idée d’évolution (par transformation graduelle) et propose pour la première fois le mécanisme de sélection naturelle comme explication ; mais il n’y remet pas en cause l’idée de conservation héréditaire des caractères acquis, même si elle ne tient pas de place importante dans sa théorie de l’évolution.
À la fin du XIXe siècle, le moine autrichien Gregor Mendel découvre les lois de la génétique avec ses célèbres expériences sur les petits pois.
Comment expliquer l’accroissement de la complexité de la bactérie à l’Homme ?
L’accroissement de la complexité demeure un phénomène très marginal et plutôt exceptionnel dans l’évolution : toutes les espèces ont commencé au stade unicellulaire, et la plupart d’entre elles y sont encore (plus de 99 % des êtres vivants sont des bactéries). Certains sont encore plus simples (virus, viroïdes), ils sont obligés de parasiter d’autres organismes pour pouvoir survivre. D’autres, plus rares, se sont complexifiés. Mais l’accroissement de la complexité, s’il s’est produit occasionnellement dans certaines lignées apparemment, n’est pas une loi de l’évolution : en fait, il constitue plutôt une exception.
Dans certains cas, cependant, la sélection naturelle a pu favoriser les organismes les plus complexes. Chez les mammifères, on observe une tendance à l’accroissement de la taille du cerveau : on l’explique généralement par une sorte de « course aux armements » qui serait livrée entre proies et prédateurs. Dans les deux cas, un système nerveux central plus performant peut sauver la vie à l’animal. De même, des « fédérations de cellules », ébauches d’organismes pluricellulaires, ont pu, dans certaines circonstances, être plus efficaces que les bactéries jusque-là isolées pour leur permettre de survivre.
Enfin, il est possible que l’accroissement de la complexité ait pu, dans certains cas, correspondre à un caractère neutre et être fixé par la dérive génétique.
Lamarck et Teilhard de Chardin pensaient que l’évolution subissait une « force de complexification » : ce point de vue est appelé orthogenèse. L’évolution buissonnante de la plupart des lignées, comme l’arbre de la vie dans son ensemble, montre que la transformation des êtres vivants ressemble peu à une marche linéaire et orientée vers le progrès ; (quel que soit le sens que l’on donne à celui-ci) ; ni même vers un « optimum » quelconque. Elle nous fait plutôt penser à l’expansion d’un gaz qui occupe tous les emplacements qui lui sont possibles (remarquons toutefois que cette pression se comporte bien en effet comme une sorte de force d’expansion). Dans certains cas, la sélection naturelle a pu canaliser des tendances, mais cela ne correspond nullement à un principe général. En revanche, comme dans beaucoup de systèmes chaotiques, il peut exister des bassins d’attraction, et c’est sans doute dans cette nouvelle optique qu’il faut repenser les deux écrivains cités.
Si la théorie moderne permet d’expliquer la plupart des observations, il reste probable qu’elle devra sans doute être retouchée, voire surtout complétée à l’avenir, comme toute théorie scientifique.
Il convient de se rappeler aussi que dans le cas de l’Homme, les facteurs de survie ne sont pas seulement génétiques, mais aussi culturels.
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L’APPARITION DE L’HOMME (LE GDONIOS).
L’être humain arrive relativement tard dans le processus de venue à l’existence de notre univers. Son existence semble presque secondaire, comparée aux événements majeurs que sont la formation de l’Univers, l’apparition des grandes forces cosmiques régissant l’univers, la loi des mondes (Tocade/Tokad ou Destin) et la naissance des dieu-ou-démons, le tout par émanation en cascade du chaudron cosmique (le dieu-par).
L’image qui prévaut apparemment au Moyen-Orient est celle d’un démiurge créant l’homme à partir d’argile (afin d’avoir des esclaves pour faire son travail : lui offrir des sacrifices, etc. les mythes sumériens repris par la Bible sont très clairs à cet égard : l’Homme doit adorer Dieu, il a été fait pour ça).
Un certain nombre de mythologies ou de religions ont par contre souvent situé l’origine des hommes dans le monde animal. Ce n’est donc pas par hasard si l’on peut déduire de la mythologie irlandaise et notamment de l’histoire de Tuan fils de Cairell (en gaélique Scel Tuain Maic Cairill) que le deuxième peuplement de cette terre, celui de Nemet, était un peuple de cerfs ou plus exactement une tribu d’hommes ayant le cerf comme totem.
Certaines civilisations ont établi en effet des relations d’analogie entre les groupes humains et divers animaux. On trouve par exemple dans le monde celte de nombreux noms d’individus ou de tribu se référant au monde animal. Tarbelli les taurillons, Matugenos le fils de l’ours, Boduognatos le fils de la corneille, Brannogenos le fils du corbeau… et ainsi de suite.
Bref, l’homme n’est pas qu’un animal, MAIS IL EST AUSSI UN ANIMAL. IL N’A PAS UN CORPS, MAIS IL EST UN CORPS !
Que dans la religion des chamans ayant précédé les très-sachants de la druidiaction (druidecht), il y ait eu alors une composante totémiste, ou mieux animiste, est indéniable. L’animal est comme le double ou le jumeau de l’homme, et c’est de lui dont se servait l’ancêtre pour se faire connaître des vivants qu’il voulait aider : chaque famille d’hommes vient en tête d’une classe entière d’animaux. L’animal peut apparaître comme un alter ego, un double cosmique de l’homme ; il peut être lié à un clan ou un peuple, par un pacte mythique datant de la métahistoire exigeant respect et protection réciproques. L’animal fait parfois fonction de support passager de l’âme/esprit humaine lors de son voyage vers l’au-delà, l’homme peut aussi revêtir sa forme dans ses métamorphoses. Il est toujours l’objet privilégié des sacrifices. L’animal peut enfin être en relation de filiation avec l’homme, ce qui caractérise le totémisme proprement dit.
Par contre, ainsi que nous l’avons dit plus haut, à en croire le judéo-islamo-christianisme, les Élohim (Dieu-x) ont en effet créé l’homme (le gdonios) avec de la matière, de la terre en l’occurrence, pour être adorés ou servis par ce dernier, puis lui ont interdit la connaissance. L’homme a été ensuite exilé sur une terre ingrate (l’expulsion hors du paradis terrestre originel) et maintenant il doit faire pénitence pour mériter le ciel.
Conclusion : iI y avait plus de vérité ou d’intuition préscientifique dans le totémisme. Le totémisme de nos ancêtres est d’abord la projection, hors de notre univers, et comme par une sorte d’exorcisme, d’attitudes mentales évidemment incompatibles avec l’exigence de discontinuité entre l’homme et la nature, que la pensée judéo-islamo-chrétienne tient pour essentielle.
La création de l’homme est, en général, dans toutes les mythologies proche-orientales, un acte accompli délibérément par les dieu-ou-démons, et souvent décrit comme une activité humaine familière (le travail d’un potier par exemple).
La mythologie sumérienne reprise par la Bible nous décrit par exemple les dieu-ou-démons (les Élohim) façonnant le premier homme (Adam) avec de l’argile et ensuite le chargeant de toutes sortes d’interdits alimentaires (histoire de lui simplifier la vie sans doute).
L’Éternel adressa la parole à Moïse et Aaron, et leur ordonna ceci « Parlez aux enfants d’Israël, et dites : Voici les animaux dont vous mangerez parmi toutes les bêtes qui sont sur la Terre. Vous mangerez de tout animal qui a la corne fendue, le pied fourchu et qui rumine. Mais, vous ne mangerez
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pas de ceux qui ruminent seulement, ou qui ont la corne fendue seulement. Ainsi vous ne mangerez pas de chameau, vous ne mangerez pas de daman, de lièvre… de porc… vous les regarderez comme impurs.
Voici les animaux dont vous mangerez parmi ceux qui sont dans les eaux. Vous mangerez de tous ceux qui ont des nageoires et des écailles. Vous aurez en abomination ceux qui n’ont pas de nageoires et d’écailles. Vous aurez en abomination tout reptile qui vole et qui marche sur quatre pieds. Vous mangerez ceux qui ont des jambes au-dessus de leurs pieds : sauterelle, solham, hargol…
Voici, parmi les animaux qui rampent sur la terre, ceux que vous regarderez comme impurs : la taupe, la souris, le lézard, le hérisson, la grenouille, la tortue, le caméléon… Quiconque les touchera morts sera impur jusqu’au soir (Lévitique, XI, 1-30).
N.B. Bizarre quand même un tel Dieu ! Que peut-il avoir contre (ou pour ???) les grenouilles ? Leurs cuisses sont excellentes pour les Français, le hérisson cuit sous la cendre est également très bon, quant au lièvre… Qu’a donc fait à Dieu ce pauvre animal si craintif ? En tout cas depuis l’histoire d’Abel et Caïn, on sait que Dieu (le dieu ou démon d’Abraham d’Isaac et de Jacob) n’est quand même pas végétarien.
La mythologie druidique est moins grossière sur le sujet, car elle se contente de suggérer seulement que le gdonios, (l’être humain), est bien, sémantiquement parlant, lui également, issu des profondeurs de la terre (chton-). Pour elle, l’Homme n’est pas une créature comme dans la mythologie suméro-judéo-chrétienne et bien entendu également musulmane. Il y a en effet (aux yeux des druides) continuité ontologique entre l’Homme et Dieu ou le Démiurge, voire certains dieu-ou-démons ou demi-dieu-ou-démons (Suqellos ? ou Cornunnos ? appelé Dispater par César, Ogmios appelé Héraklès par les Grecs, etc.)
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LE MONDE DES HOMMES (MEDIO MAGOS).
« À vous seuls il est donné [druides] de connaître, COMME DE LES IGNORER, les dieu-ou-démons et les puissances célestes » (Lucain, la Pharsale, I, 444-462).
Les trois caractéristiques de l’existence en ce monde avons-nous-dit (il n’est pas inutile de les soumettre de nouveau à la sagacité de nos lecteurs, qui sont des gens de 33 livres comme les Fénianes, et non des gens d’un seul livre comme les juifs les chrétiens ou les musulmans, quel que soit le nom de ce grimoire : Testament, Necronomicon, Coran).
L’univers est comme un champ de forces avec lesquelles l’Homme doit composer. Les êtres sont tous, mais inégalement, doués de puissance : l’Homme peut capter celles-ci et les utiliser à son profit, ou au contraire se laisser entamer, voire affaiblir, par elles.
Tout se tient, de l’atome à l’univers – en passant par les êtres humains et leurs états d’esprit – donc, il n’y a rien qui ait une existence réellement indépendante en définitive. D’où l’effet papillon. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme (Loi de Lavoisier). Dit autrement : tout se transforme en permanence : tout est constamment changeant, tout est flux, rien n’est figé une fois pour toutes.
Notre monde n’est pas si différent du Paradis qu’il pourrait être s’il n’y avait sur terre que des hommes de bonne volonté (ça, c’est le côté optimiste du druidisme). Mais l’Homme n’est jamais satisfait de ce qu’il est ou de ce qu’il a, et en veut toujours plus, à cause de son incapacité à percevoir pleinement la réalité. La mythologie d’Irlande des différents peuplements de cette terre, quoique déviante, est très suggestive à cet égard.
Toutes les traditions reconnaissent en effet que ce monde des hommes, medio bitus ou medio magos, est imparfait. Elles diffèrent seulement sur le point de savoir comment un tel état de choses a pu survenir, et comment y remédier. Les très-sachants appelés druides, quant à eux, considèrent que le monde n’a pas été vicié à cause du péché humain ; mais parce qu’il a été d’emblée construit ou organisé par des dieu-ou-démons de type inférieur, que ce soient des deiwi uxedioï ou des deiwi andedioï. Démiurges sous la plume des Gnostiques juifs.
Expliquons-nous !
Et pour cela, commençons tout d’abord par un peu de terminologie (la langue actuelle ayant perdu la précision du Iarnberle ou Berla Féné de nos ancêtres et n’ayant pas encore acquis celle de Leibniz).
Le Gdonios (l’Homme est triple), anamone, menman et kicos (ou quadruple si l’on ajoute l’anatlo).
Anamone se dit de l’âme à l’état pur, par opposition à la matière. Une telle âme est presque immortelle.
Anatlo, c’est le nom du souffle de vie inclus dans chaque être humain.
Menman (cf. sanscrit manman) désigne plutôt l’ensemble des facultés intellectuelles mentales et psychiques de l’Homme. Autrement dit l’esprit.
Le Kicos, c’est le corps.
Un nouveau-né a donc une anamone (une âme), mais il n’a pas encore de menman. L’esprit (le menman donc) ne viendra qu’ensuite et sera inclus ou associé à son âme (son anamone). Cet esprit montera au ciel avec l’âme qui le contient, mais il y dépérira peu à peu.
Au niveau cosmique, Esprit universel et Âme universelle (awentia ou awenyddia) sont par contre à peu près synonymes.
Tout être humain (gdonios) est composé des 3 éléments différents que sont le corps, l’esprit, et enfin l’âme, ou la larme de feu divin qui nous anime. Quelque part en effet, nous sommes tous de petites
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larmes de feu, issues d’une grande flamme, et ce plérôme ou réservoir psychique universel, est la source de tout ce qui a été, ou sera.
Les deux premiers éléments sont des agrégats de constituants divers. Le corps : les sensations, les perceptions. L’esprit : des formations mentales et la conscience. Le troisième est difficilement mesurable.
À eux trois, ils composent ce que l’on appelle le Gdonios ou Homme, pris dans sa globalité.
Depuis des milliers d’années, il y a eu des hommes ou des femmes pour observer la relation pouvant exister entre l’âme et le corps dans le comportement humain. Ces chercheurs en spiritualité venant de toutes les civilisations ont été connus sous différents noms. Des chamans hyperboréens comme Abarix et Olenos par exemple (voir plus haut).,
De la même manière que les scientifiques ont observé l’univers extérieur, ces êtres humains ont observé et décrit leur univers intérieur d’homme ; et ont fait passer leurs découvertes à travers les âges, le plus souvent à leurs disciples à travers la sagesse ou la pertinence de leurs réflexions. Le nemet Cornunnos en est un très bon exemple. Ou plus exactement Tuan fils de Cairell, même si les bardes irlandais n’en ont retenu que le côté le plus spectaculaire.
Alors me poussèrent sur le front
Deux merrains avec trois vingtaines d’andouillers
Qui me donnèrent une apparence grise et rugueuse.
Après ça puisque j’avais la forme d’un cerf je devins le chef de file des hardes de cerfs en Irlande, partout là où j’allais j’étais entouré par une multitude de cerfs autour de moi. C’est ainsi que s’écoula ma vie à l’époque de Nemed et de ses enfants.
Que disent tous ces chercheurs en spiritualité authentique ? Un être humain vient à l’existence lorsque l’âme et le corps sont ensemble, au moment de la conception. La venue conjointe de l’âme et du corps donne l’esprit. Donc, la nature humaine est faite de l’âme, du corps et de l’esprit (conscience, mental), l’esprit étant le lien de connexion entre l’âme et le corps. L’âme n’est pas matérielle. Le corps est matériel. L’esprit humain est l’interface entre le monde matériel et le monde de l’âme. Le Gdonios (l’Homme) est donc un être triple. Par son corps, il est engagé dans le faire, par son âme, il est engagé dans l’Être, par son esprit enfin, il est engagé dans la pensée.
Cette triade n’a de sens que comme une totalité indivise, il n’est pas possible d’y pratiquer une séparation sans immédiatement causer une mutilation. Tout comme pour faire tenir un tabouret en équilibre, nous avons besoin de trois pieds : avec deux pieds seulement, il tombe. La pensée duelle du judéo-islamo-christianisme est en déséquilibre constant. Elle rabat une dimension vers l’autre, et du même coup, occulte la complexité du réel, mais perd aussi l’équilibre de la structure ternaire. La dualité invite la pensée à raisonner dans des oppositions fictives, et à leur donner une solution réductrice. Une anthropologie matérialiste place l’unique réalité dans le corps, et y ramène l’âme et l’esprit. Une anthropologie seulement idéaliste pose la réalité uniquement dans l’âme, et relativise l’importance du corps ainsi que l’envergure mentale de l’être humain.
L’Esprit n’est pas le paquet ficelé des besoins arrimés au corps. Et pourtant sans le corps, sans l’incarnation, l’âme n’aurait pas l’expérience d’elle-même. L’esprit n’est pas davantage le sujet qui, ombrageusement, tient le corps en mépris et se pose en pur adorateur de l’âme.
À en croire la conception populaire, l’Homme s’imagine toute sa vie être un corps, à certains moments découvre qu’il est esprit (dans le cas des maladies mentales notamment), mais en définitive ne peut savoir qu’il est avant tout une âme… qu’après la mort.
La nature tripartite de l’homme implique surtout trois polarités différentes en réalité.
Le vitaliste place ses valeurs dans le corps, et, en conséquence, se bâtit une existence matérielle qui délaisse l’esprit et l’âme. Ce type d’homme extrême, Aurobindo le désignait sous le nom de « barbare vitaliste » et les gnostiques d’Orient sous le nom de « hylique ou somatique ». Il correspond en gros à ce que la société aryenne antique désignait sous le nom de « Troisième fonction ». C’est le modèle
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proposé par l’idéologie dominante de notre « civilisation » à sa jeunesse, et même à ses vieux (mercantilisme sans vergogne, vedettes du sport protège-slip et soins anti-âge).
L’intellectuel (le psychique chez les gnostiques d’Orient) a placé ses valeurs dans l’esprit, et place sur un plan élevé la valeur de la culture, le savoir, la réflexion et les œuvres de l’intelligence. Il peut délaisser largement le soin apporté au corps et n’avoir que fort peu de souci de l’âme, auquel cas il devient alors un pur intellectuel. Nous connaissons bien en Occident ce type humain dont la contrefaçon, l’ersatz, l’apparence ou l’illusion ont souvent les faveurs de nos médias (voir la position de 99 % des intellectuels français lors de la guerre ayant éclaté en Syrie en 2011 : soutien moral et même matériel aux mercenaires croisés de l’islamisme radical armé, mensonges omissions ou indignations sélectives à l’appui, toujours selon la bonne vieille méthode du « deux poids deux mesures », etc.). Nous verrons bien ce que la Postérité retiendra des soi-disant ou des prétendus intellectuels d’aujourd’hui (gens des médias, hommes politiques, vedettes du monde du spectacle, économistes, évêques rabbins ou imams…) et de leur part de responsabilité dans les drames de notre époque.
Le spiritualiste (le pneumatique chez les gnostiques d’Orient), lui, se tourne entièrement vers l’âme. Il peut se détourner de tout l’attrait de ce qui se rapporte au corps et même de la culture de l’esprit pour l’esprit. Et il devient alors en ce cas un ascète religieux, uniquement consumé par le désir de trouver son Graal, son Dieu-ou-démon, la fusion métamorphique dans le réservoir psychique universel (awenyddio).
N.B. Les druides antiques relevaient un peu de ces deux dernières fonctions de la société d’ailleurs. Ils étaient à la fois des intellectuels et des mystiques.
Car la troisième naissance du sujet à lui-même est sa découverte de l’âme. L’âme n’a pas sa place dans les tréfonds du subconscient, ni dans le monde bruyant et coloré du conscient, mais dans le foyer vivant, surconscient, de la Présence à lui-même… du soi.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le dire, cette triple polarité a de tout temps joué un rôle dans la constitution des valeurs d’une époque.
La Modernité s’était naguère affirmée dans des valeurs du second type ; mais la postmodernité en Occident est très nettement une civilisation du premier type. Elle privilégie à outrance le culte du corps ou du confort matériel (grosses voitures, montres en or, protège-slip, soins anti-âge, et tout cela parce que « nous le valons bien » évidemment – certains politiques ne font pas plus démagogique –). Voilà tout ce que nous avons à proposer : la civilisation du protège-slip ! Voilà pourquoi nous ne pourrons pas résister aux nouveaux barbares).
N.-B. Quant à nus amis hindous, ils sont encore très largement marqués par une civilisation du troisième type, le plus élevé, et ce jusqu’à la caricature presque.
La réalité, c’est que l’équilibre des trois dimensions du Gdonios (de l’humain) n’est pas plus facile à réaliser dans la société que dans l’individu.
Il n’est pas rare dans notre expérience que le corps veuille une chose, que l’esprit soit intéressé par une autre et qu’enfin les aspirations de l’âme se tournent plutôt vers une troisième. Quand l’âme, l’esprit et le corps, sont en conflit, la personnalité n’est pas intégrée, par définition, et les résultats obtenus dans l’action ne peuvent être que mitigés : la triade qui compose la nature humaine est bancale, et l’homme est dans l’ignorance de lui-même.
Sri Aurobindo appelle être spirituel l’Homme en devenir dans lequel s’effectuent l’intégration de la personnalité ; l’évolution spirituelle, le cheminement de la conscience. Une personnalité intégrée c’est celle pour qui un équilibre dynamique est établi entre le subconscient (le corps), le conscient (l’esprit), et le surconscient (l’âme).
Dans le contexte qui est le nôtre, largement marqué par le dualisme judéo-islamo-chrétien, le retour à une anthropologie trinitaire est devenu indispensable. La pensée dualiste a un penchant simplificateur, elle appelle d’elle-même à son dépassement. Ce n’est tout de même pas un hasard si, dans la pensée traditionnelle, le trois-en-un est tellement présent. Pourquoi ? Que signifie le trois-en-
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un ? A-t-il un rapport avec la conscience ? Faut-il penser que, dès lors que l’on dépasse le niveau de la représentation duelle – qui est notre mode de pensée immédiat – nous sommes amenés à nous rejoindre dans une logique trinitaire ?
L’introduction du trois-en-un nous invite à la reconnaissance de la complexité du réel et admet d’emblée un dynamisme créateur ou sa structuration en paliers d’équilibre.
N.B. Il ne faut pas confondre les anges gardiens individuels du paganisme que sont les genii cucullati pour les hommes et les matres suleviae pour les femmes À TITRE INDIVIDUEL ; et qui sont souvent triples dans leur représentation, afin de bien montrer qu’ils agissent sur les trois plans : le salut du corps, le salut de l’âme, et celui l’esprit ; avec les fées de type Matres lubicae ou nessamae (« proxumae » en latin) qui sont des anges gardiens DE LA FAMILLE ; les fées de type Matres veniales qui sont les anges gardiens de la famille élargie = le clan ; et les fées de type Matres Totales = déesse-ou-démones de la Tribu, ou les Matrones qui sont les anges gardiens d’un groupe humain étroitement uni, mais pas nécessairement par les liens du sang.
En résumé. D’après la tradition druidique, l’être humain est donc composite, à la fois terrestre et céleste. Comme le dit Pascal à sa façon, l’homme est mi-ange mi-bête *. Son enveloppe terrestre, kicos ou corps, est constituée de chair et de sang issu des profondeurs de la terre (d’où le nom de gdonios) et sa composante céleste est une larme de feu divin. Entre les deux il y a le domaine de l’esprit ou menman **.
Menma/Menman est un terme gaélique difficile à traduire également. Le dictionnaire électronique de la langue irlandaise (Deli) lui consacre presque une demi-page. Il signifie l’esprit au sens large. Mentionné comme équivalent à animus en latin par le Deli. Or les mots animus et anima, employés au sens strict, désignent deux choses différentes même si Lucrèce assez souvent les utilise l’un pour l’autre. Si tous les êtres vivants ont une âme, chez les hommes, les seuls êtres vivants capables de penser, l’âme, étincelle ou larme de feu divin, s’accompagne de l’esprit (animus). L’esprit est le principe de la pensée, le siège des opérations intellectuelles et de la volonté. Esprit et âme sont chez l’homme étroitement unis, mais au sein de cette union, c’est malgré tout l’esprit qui domine. L’animus ou esprit connaîtra, à la mort du corps, le même sort que l’âme végétative. N.B. L’âme au sens de souffle vital est appelée anatlo chez les druides.
* Et le malheur est que qui veut faire l’ange… FAIT LA BÊTE.
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POSTFACE À LA JOHN TOLAND.
Les pseudo-druides à la filiation initiatique mirobolante (la fameuse et inénarrable tradition primordiale) s’étant multipliés depuis quelque temps ; il nous a paru nécessaire de mettre à la disposition de tout un chacun ces quelques notes, hâtivement rédigées un soir de novembre, afin de donner à nos lecteurs envie d’en savoir plus sur le vrai druidisme. Ce travail se veut honnête, mais en aucune façon neutre. Il s’est donné pour objectif de défendre ou de réhabiliter la cluto (renommée) de cette antique religion.
Rien ne remplace la méditation personnelle y compris sur les lais obscurs ou incompréhensibles parsemant ces livres et qui ont été insérés à dessein afin de vous obliger à réfléchir pour trouver votre propre voie. Ces livres ne sont pas des dogmes à suivre aveuglément et à la lettre. Ainsi que vous le savez sans doute, il faut se méfier comme de la peste de la lettre. La lettre tue, seul l’esprit vivifie. Rien ne remplace non plus l’expérience personnelle et c’est en cheminant que l’on trouve le chemin. Ne comptez donc que sur vos propres forces pour cette quête du Graal. Ce qui compte c’est l’attitude à adopter dans la vie et non les détails du dogme. Le druidisme a moins d’importance que la druidiaction (Jean-Pierre Martin.)
Ces quelques feuillets griffonnés à la va-vite ne sont néanmoins en aucune façon LES LIVRES À LIRE SUR LE SUJET, ils n’en sont qu’un pâle reflet. La seule bibliothèque druidique digne de ce nom n’est pas en effet composée de seulement 12 (ou 27) livres, mais de plusieurs centaines.
Les quelques opuscules constituant cette mini-bibliothèque ne constituent pas un approfondissement et ne sont que quelques manuels destinés aux écoliers du druidisme. Ces résumés simplifiés destinés aux cours primaires de druidisme seront remplacés par des cours d’un niveau quelque peu supérieur, pour ceux qui voudront vraiment l’étudier de façon plus pertinente.
Cette petite bibliothèque est par conséquent un premier essai d’adaptation (destinée aux jeunes adultes) des diverses réflexions sur le savoir et la vérité druidiques, auxquelles ont abouti les premiers résultats de la nouvelle laïcité positive et ouverte, mondiale, en train de s’instaurer.
À la différence du judaïsme, du christianisme, et de l’islam, qui fourmillent littéralement, à propos de l’Être supérieur, d’anthropomorphismes puérils pris au pied de la lettre (fondamentalisme) ; notre druidisme, lui, n’en utilisera que très peu, et s’en tiendra, en ce domaine, au minimum absolu.
Mais pour parler de Dieu-ou-Diable nous allons bien être obligés, nous aussi, d’utiliser un langage, et donc un certain nombre de ces anthropomorphismes. Ou alors il faudrait totalement renoncer à en discuter.
Ce premier rayon de notre future bibliothèque consacrée au sujet a pour objet de montrer avec précision l’harmonieuse authenticité de la volonté et du savoir néo-druidiques. De montrer à quel point ses grandes thèses actuelles ont des racines anciennes, car la Mythologie, c’est notre Bible à nous. Les adaptations de ce bref exposé, exigées par les différences de culture, d’âge, de maturité spirituelle, de situation sociale, etc. seront à faire par les druides concernés (les vellèdes et les autres ?).
À noter cependant. Important ! Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, ne sont pas (en vrac).
Une révélation divine. Une loi (toujours aussi divine). Une loi (profane ou laïque). Une loi (scientifique). Un dogme. Un Ordre ? Ce que je cherche surtout à faire partager c’est un état d’esprit, rien de plus. Ainsi que l’a très bien dit un jour notre vieux maître :
« NOTRE CIVILISATION N’A PAS LE CHOIX : CE SERA LE CELTISME OU CE SERA LA MORT » (P. Lance).
Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, sont. Du rêve. Une aventure. Un voyage. Une évasion. Un cri de révolte contre la laideur morale et matérielle de cette société.
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Une tentative d’atteindre à l’universel en partant du particulier. Un défi. Un obstacle fécond à surmonter. Une incitation à la réflexion. Un guide pour l’action. Une carte. Un plan. Une boussole. Une étoile polaire ou l’étoile du berger là-haut dans la montagne. Un feu la nuit dans une clairière ?
Ce que le rassembleur de ce noyau de bibliothèque, Pierre de La Crau, n’est pas.
— Un dieu.
— Un demi-dieu.
— Un quart de dieu.
— Un petit saint.
— Un philosophe (reconnu, officiel, et breveté ou patenté, comme ceux qui passent à la télévision. Sauf évidemment à prendre le terme en son sens originel, qui est celui d’amateur de sagesse et de savoir).
Ce qu’il est : un homme, et rien de ce qui est humain ne lui est donc étranger. Pierre de la Crau n’a aucun pouvoir surhumain ou exceptionnel. Rien de ce qu’il a dit écrit ou fait ne saurait avoir de valeur intemporelle. Tout au plus espère-t-il que son extrême lucidité à propos de notre société et de son idéologie dominante (voir ses philosophes officiels, ses journalistes, ses masses médias et le politiquement correct des bien-pensants) ; ainsi que son non-conformisme, et son franc-parler, alliés à un solide esprit de contradiction (qui lui ont d’ailleurs valu pas mal de déboires ou d’avanies) ; pourront être utiles.
La présente petite bibliothèque pour débutant « contient la dose d’humanité exigée par l’état actuel de la civilisation » (Henri Lizeray). Elle n’est d’ailleurs qu’un rassemblement de matériau attendant l’architecte ou le maçon ? ad hoc.
Prochainement paraîtra toute une série de fascicules approfondissant ces éléments de base. Cette présentation différente du savoir druidique préservera néanmoins l’unité et la profonde harmonie entre ces divers exposés d’une seule et même philosophie.
Cas des traductions dans une langue étrangère (espagnol, allemand, italien, polonais, etc.)
Les fautes d’orthographe de grammaire de style, ainsi que l’écriture des noms propres, pourront être corrigées. Toute autre amélioration du texte pourra également être apportée si nécessaire (par ajout suppression ou modification, de détails) ; Pierre de la Crau ayant toujours regretté de ne pouvoir atteindre à la perfection en ce domaine. Mais à condition de n’altérer ni trahir en rien la pensée de l’auteur de cette compilation raisonnée. Toute illustration sans légende peut être changée. De nouvelles illustrations peuvent être apportées. Mais les illustrations ayant une légende ne devront être qu’améliorées (par substitution d’une bonne photo à un mauvais croquis par exemple ?)
Il va de soi que le coordonnateur de cette rapide et sommaire compilation raisonnée, Pierre de La Crau, ne prétend nullement avoir inventé (ou découvert) lui-même, tout ceci ; qu’il ne prétend en aucune façon que ceci est le fruit de ses recherches personnelles (sur le terrain ou en bibliothèque). Ce qui suit est en effet essentiellement issu des excellents ouvrages ou sites internet référencés en bibliographie et dont la consultation directe est fortement recommandée. Nous n’insisterons jamais assez sur notre volonté de ne pas être les hommes d’un livre (du Livre), mais d’au moins douze, comme les Fénianes d’Irlande, pour d’évidentes raisons d’ouverture d’esprit, la vérité étant notre seule religion.
Encore une fois, répétons-le ; le coordonnateur de la mise par écrit de ces quelques notes hâtivement jetées sur le papier ne prétend nullement avoir passé sa vie dans la poussière des bibliothèques ; ou sur le terrain, dans la boue des fouilles archéologiques de sauvetage ; afin d’exhumer des témoignages inédits sur le passé de l’Irlande (ou du Pays de Galles ou des Indes ou de la Chine ?)
PIERRE DE LA CRAU NE SE VEUT DONC EN AUCUNE FAÇON L’AUTEUR DES TEXTES QUI PRÉCÈDENT.
IL N’ESSAIE NULLEMENT DE S’EN ATTRIBUER LES MÉRITES. Il n’en est que l’éditeur ou le compilateur. Il s’agit pour la plupart de documents diffusés sur internet à quelques exceptions près. IL EN REVENDIQUE PAR CONTRE TOUS LES DÉFAUTS ET TOUTES LES INSUFFISANCES. Pierre de La Crau ne revendique qu’une chose, les fautes erreurs ou imperfections diverses de ce livre. Lui
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seul est à blâmer dans ce cas. Mais il fait confiance à ses contemporains (la nature humaine étant ce qu’elle est) pour les lui signaler avec vigueur.
Note retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau et insérée par eux à cet endroit.
J’avoue tout de suite afin de faciliter le travail de mes juges que les hommes comme moi étaient chrétiens à Rome sous Néron, païens à Jérusalem, sorciers à Salem, hérétiques anglais, catholiques irlandais, et aujourd’hui racistes, sexistes, homophobes, islamophobes, en attendant d’être demain koufar ou de nouveau chrétien l’antéchrist le plus bestial de toutes les apocalypses, etc. Bref ainsi qu’on l’aura compris je suis pour le néant la mort la maladie la souffrance……
Par respect pour l’Humanité, afin de gagner du temps, et ne pas lui en faire perdre, je vais faciliter le travail de ceux qui tiennent absolument à être du bon côté de la barrière en combattant (héroïquement bien sûr) afin de sauver le monde de mes griffes (mes idées ou mes penchants, mes tendances).
À ces courageux et implacables détracteurs, dont la profondeur de réflexion digne d’un marquis de Vauvenargues n’a d’égale que l’ampleur de la culture générale, digne d’un Pic de la Mirandole, je dis…
Prenez une feuille de papier, de traitement de texte si vous préférez, mettez-y par ordre d’importance les 20 caractéristiques qui vous semblent les plus grave, les plus odieuses, les plus haïssables, dans l’histoire de l’Humanité, depuis les hommes préhistoriques et Nabuchodonosor, selon vous… ET DITES-VOUS BIEN QUE JE SUIS TOUT LE CONTRAIRE DE VOUS, CAR JE LES AI TOUTES !
On a toujours besoin de boucs émissaires ! Hérétique au Moyen-âge, sorcière à Salem au 17siècle, raciste au 20e siècle, lézard extraterrestre au 21e, je suis l’homme que vous aimerez haïr pour vous sentir supérieur.
Je suis au choix et dans l’ordre d’importance que vous voulez : athée, sataniste, stupide, mongolien, raciste, bestial, homosexuel, pervers, communiste, nazi, menteur pathologique, voleur, suffisant, psychopathe, un monstre d’orgueil faussement modeste, et que sais-je encore, à vous de voir.
Voilà, je ne peux pas faire mieux (pour vous aider à sauver le monde).
[À la différence de mes contempteurs qui sont tous des gens bien, c’est-à-dire jeunes ou modernes et dynamiques, courageux, positifs, gentils, intelligents, instruits, ou du moins qui savent ; faisant preuve de beaucoup de recul dans leur méditation en profondeur sur les tendances lourdes de l’Histoire ; et sur le plan moral ou éthique : généreux, altruistes, mais pauvres évidemment, car donnant tout aux autres ; en outre profondément respectueux de la volonté de Dieu et de la Constitution…
Moi je suis un vieux réactionnaire ankylosé, conformiste, déconnecté de son temps, parano, schizophrène, incohérent, capricieux, jamais content, méchant, bête, n’ayant fait aucune étude ou du moins ignorant tout sur le sujet en question ; coutumier des jugements à l’emporte-pièce fondés sur des préjugés dénués de toute réflexion ; égoïste et riche ; suppôt de Satan et nazo-bolchévick ou stalino-hitlérien de nature. On disait hitléro-trotskiste quand j’étais jeune. En bref un criminel psychopathe dès le petit-déjeuner… ce qui me permet donc de penser ce que je veux, mes critiques aussi d’ailleurs, et d’essayer de le faire savoir à la cantonade].
Signé : le coordonnateur des travaux, Pierre de la Crau dit Hésunertus, chercheur en druidisme. Un homme à qui rien de ce qui est humain ne fut étranger. Chômeur, facteur, divorcé, sans domicile fixe, vagabond, contribuable, justiciable, électeur cocufié ? Un des huit milliards d’êtres humains ayant transité sur ce vaisseau spatial donc. Né sur la planète Terre le 13 janvier 1952.
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BIBLIOGRAPHIE DES GRANDES LIGNES.
Pour ce qui est de la bibliographie des détails voir annexe de la dernière leçon, car, comme le dit si bien Henri Lizeray, les traditions, ça doit s’interpréter. C’est là toute la différence qu’il peut y avoir entre ancien druidisme et néo-druidisme.
Le Lebar gabala ou Livre des invasions. Paris 1884 (William O’Dwyer)
Base de l’église druidique. Le druidisme restauré. Henri Lizeray, Paris, 1885.
Les traditions nationales retrouvées. Paris 1892.
Aesus ou la doctrine secrète des druides. Paris 1902.
Ogmios ou Orphée. Paris 1903.
TABLE DES MATIÈRES.
Prologue
Le grand Pan n’est pas mort
ÉLÉMENTS DE COSMOGONIE DRUIDIQUE
Une nouvelle méthode d’introspection religieuse appliquée au druidisme
l’interprétatio bouddhista
Citations étonnantes
L’être et le néant.
Poème
Ontologie.
Notes sur les paradoxes du monothéisme
— Chez les Grecs
— Chez les judéo-chrétiens
— Les Al Kindis d’Occident.
— Chez les musulmans
Le paradoxe de l’être un et des dieux ou démons multiples
Dieu ou les dieux ? La réponse druidique : l’hénothéisme.
COSMOGONIE DRUIDIQUE I.
La loi des mondes : l’émanation en cascade (chirk).
Le réservoir psychique ou « animique » universel
La grande déesse-ou-démone mère cosmique
L’Albiobitos
Le premier des éons de la Pimpetia : le temps
Le deuxième des éons de la Tétrade : la tension universelle
Le troisième des éons de la Tétrade : l’oxymore
DOCUMENT DE TRAVAIL N° 1 : la voie des Namnètes
Le quatrième des éons de la Pimpetia : la Vie
Le cinquième élément de la Pimpetia : le brio ou la brigo (des dieux).
Bricht en gaélique.
Autres éons de l’Albiobitos.
Note sur la dyade élémentaire : eau/feu
De la lumière de l’Albiobitos aux ténèbres du non-monde.
Comparaison avec les cosmogonies de type créationniste (Maya, Bible, etc.)
Commentaire (contre-lai)
COSMOGONIE DRUIDIQUE II
Au-delà du Pariollon et même du Bitos
L’être supérieur ou être des êtres ou être « Un »
Naissance et vie des mondes
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La procréation du monde selon Scot Erigène
La procréation du monde selon les druides
Nouvelles considérations sur les différents types de vision de la naissance
du monde.
Le monogenos ou premier éon
Le Tokad ou Tocade (le Destin)
Mondes et Loi des mondes (Tokad)
La voix du destin (le Labarum)
DOCUMENT DE TRAVAIL N° 2 : L’exil des fils d’Usnech
COSMOGONIE DRUIDIQUE III
Retour sur la cosmogonie druidique
Le Pariollon ou Dieu Par (le Taghout)
Autres fragments sur le Dieu Par
Le Pariollon dans les théologies chrétienne et musulmane
Rappel de quelques autres thèses à propos de l’être supérieur appelé Pariollon
Les univers parallèles ou le royaume (république) des sides
Mondes parallèles et bouddhakshetras druidiques (suite)
La synthèse entre science et religion tentée par les druides antiques
ANTHROPOLOGIE DRUIDIQUE SUPÉRIEURE.
Enièmes notes sur le Destin chez les Celtes
Le point de vue de l’Antiquité païenne classique
Le point de vue de l’Antiquité païenne celtique
Rôle des divinités : psychopompes ou accueillantes
Rôle des divinités : repoussantes
ANTHROPOLOGIE DRUIDIQUE INFÉRIEURE.
Monisme
La terra-formation
Le totémisme
L’apparition de l’Homme
Le monde des hommes (Médiomagos)
Postface à la John Toland.
Bibliographie des grandes lignes
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DU MÊME AUTEUR.
1. Citations des auteurs antiques parlant des Celtes ou des druides.
2. Généralités liminaires diverses sur les Celtes.
3. Histoire du pacte avec les dieux tome 1.
4. La Bible du druidisme : histoire du pacte avec les dieux tome 2.
5. Histoire du pacte avec les dieux tome 3.
6. Histoire de la paix avec les dieux tome 4.
7. Histoire de la paix avec les dieux tome 5.
8. Des Fénianes aux Culdées ou « la Grande science qui illumine » tome 1.
9. Textes apocryphes irlandais.
10. Des Fénianes aux Culdées ou « la Grande science qui illumine » tome 2.
11. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande Science qui illumine » tome 3.
12. Les cent voies du paganisme. Science et philosophie tome 1 (mythologie druidique).
13. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 2 (mythologie druidique).
14. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 3 (mythologie druidique).
15. Le grand Camminus : éléments de théologie druidique tome 1.
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16. Le grand catéchisme : éléments de théologie druidique tome 2.
17. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 1.
18. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 2.
19. Mystagogie ou théâtre sacré des Celtes antiques.
20. Poèmes celtes.
21. Le génie du paganisme celte tome 1.
22. Le complexe de Roland.
23. Au pied de la lanterne des morts.
24. Les secrets du vieux druide de la forêt ménapienne.
25. Le génie du paganisme celte tome 2 (liberté réciprocité simplicité).
26. Rhétorique : la trahison des clercs).
27. Petit dictionnaire de théologie druidique tome 1.
28. Des philosophes antiques au druide irlandais.
29. Judaïsme christianisme et islam : première partie.
30. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 1.
31. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome2.
32. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 3.
33. Troisième partie tome 1 : Qu’est-ce que l’Islam ? Bref historique de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
34. Troisième partie tome 2 : Qu’est-ce que l’Islam ? Premières approches de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
35. Troisième partie tome 3 : Qu’est-ce que l’Islam ? Les 5 vrais piliers de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
36. Troisième partie tome 4 : Qu’est-ce que l’Islam ? Coups de sonde dans l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
37. Couiro anmenion ou Petit dictionnaire de théologie druidique tome 2.
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