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LES CENT CHEMINS (cantamantalo) DU PAGANISME
ou
SCIENCE ET PHILOSOPHIE
ÉLÉMENTS DE MYTHOLOGIE DRUIDIQUE.
Tome III.
Pierre de la Crau se considère comme l’éditeur ou comme le coordonnateur de ces textes, et non comme leur auteur. Il s’agit en réalité d’un travail collectif.
Les ouvrages mentionnés dans la bibliographie sont utilisés sans note et sans mention en bas de page, afin de ne pas gêner inutilement la lecture d’un livre destiné au public le plus large, et pas seulement universitaire.
Bien que n’étant pas l’auteur ayant écrit ce livre, Pierre de La Crau accepte néanmoins d’en assumer tous les défauts. Remarques et suggestions pourront donc lui être envoyées.
Cet opuscule a pour objet de montrer avec précision l’harmonieuse authenticité de la volonté ainsi que du savoir des très-sachants d’aujourd’hui. De montrer à quel point ses grandes thèses actuelles ont des racines anciennes, car la Mythologie, c’est notre Bible à nous. Les adaptations de ce bref exposé mythologique, exigées par les différences de culture, d’âge, de maturité spirituelle, de situation sociale, et autres, seront à faire par les très-sachants concernés (les vellèdes, etc.).
Les Celtes sont en effet un peuple destiné à sauver le monde, par la contamination de son exemple en matière d’écologie (Pierre de La Crau. Paris. Janvier 1993).
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LES CENT CHEMINS (cantamantalo) DU PAGANISME.
ou
SCIENCE ET PHILOSOPHIE :
ÉLÉMENTS DE MYTHOLOGIE DRUIDIQUE
Tome III.
« Les Celtes sont en effet un peuple destiné à sauver le monde, par la contamination de son exemple en matière d’écologie » (Pierre de La Crau. Paris. Janvier 1993).
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REGAIN, RÉSURGENCE ET RENAISSANCE, OUI !
RÉSURRECTION À l’IDENTIQUE, NON !
« C’est en suivant le cheminant que l’on trouve le chemin ».
La comparaison est un processus mental fondamental : regrouper certains faits dans des catégories communes, mais aussi observer les différences. De tels liens et relations sont à la base de la pensée et de la science. Sans cela il n’y a que des faits isolés sans liens entre eux. C’est donc sur la base de la comparaison que naissent les généralisations, les interprétations et les théories. La comparaison crée de nouvelles façons de voir et d’organiser le monde.
Le comparatisme religieux est donc vieux comme le monde. Hérodote en faisait déjà. En ce qui concerne les religions antiques, cette démarche intellectuelle a produit de nombreux ouvrages rangés dans les rayonnages « mythologie comparée » depuis Max Muller (1823-1900).
En ce qui concerne les religions non antiques il en va tout autrement.
Chaque religion s’est bien entendu comparée à celles avec lesquelles elle était en concurrence, mais d’abord pour les dénigrer ou affirmer sa supériorité.
Les premiers éléments d’un début de comparatisme religieux plus objectif se trouvent actuellement éparpillés sous l’étiquette « dialogue religieux » et proviennent généralement des religions se définissant elles-mêmes comme monothéistes vu leur extension de par le monde. Le tout dans un but apologétique ou missionnaire évidemment. D’où problème.
Nous trouvons également des réflexions utiles dans les cercles relevant plus ou moins de l’athéisme, mais elles sont…
— soit détaillées, mais focalisées sur une religion particulière.
— soit plus générales, mais assez sommaires.
Et relèvent d’ailleurs aussi le plus souvent de l’histoire des religions, mais le tout dans une optique non croyante.
De grands noms jalonnent cette histoire depuis William Robertson Smith (religion des Sémites) jusqu’à Mircea Eliade en passant par Émile Durkheim.
D’autres auteurs ont ouvert de nombreuses pistes en ce domaine.
Notre idée est D’EN PROLONGER UN CERTAIN NOMBRE EN ALLANT ENCORE PLUS LOIN DANS CE COMPARATISME RELIGIEUX (élargissement du champ des recherches anthropologiques, approfondissement des soubassements psychologiques, fin des survalorisations, décolonisation, antiracisme nouvelles hypothèses…) ET EN REPRENANT LE FIL INTERROMPU DE LEUR PASSIONNANTE QUÊTE DU GRAAL INACHEVÉE CAR l’ancien druidisme est un peu comme le célèbre conte du Graal de Perceval et de Gauvain.
C’est une histoire inachevée, qui s’interrompt brutalement après les 9000 premiers vers. Notre projet est d’en écrire la suite. Une continuation disait-on à l’époque. Ces petits cahiers destinés aux futurs très-sachants, se veulent à la fois une continuation et une mise en garde. Une continuation ou un ultime prolongement, car ils ont été composés à la manière des théologiens (chrétiens, bouddhistes, hindouistes, musulmans, etc.) du moins dans ce qu’ils avaient, tous, de meilleur (des éléments souvent d’origine païenne en fait). Une des fonctions de l’imitation a toujours été, en effet, dans les littératures orales populaires, de répondre à l’attente du public, frustré par l’interruption de la création originelle [en l’occurrence la philosophie druidique]. À cette attente a répondu au Moyen-âge, la technique narrative cyclique de la poésie épique des chansons de geste ou celle des Romans de la Table ronde.
La voie du pastiche est celle qui consiste à enrichir l’original en le complétant par des touches successives, en développant des détails à peine esquissés, ou en interprétant ses ombres. Et ça, la pensée de nos ancêtres en avait bien besoin !
Mais cette compilation raisonnée, due à la plume de Pierre de La Crau, est aussi en un sens une mise en garde, car il ne fut jamais question, néanmoins, pour le maître d’œuvre de ce travail collectif, d’avaliser tel quel et sans réserve aucune, l’ensemble de ces doctrines. Il a au contraire souhaité, par toutes sortes de moyens littéraires (retournement des arguments, contre-pied, ou autres…) en faire ressortir les aspects souvent négatifs, néfastes, aliénants ou obscurantistes ; et si ce texte peut sembler parfois, rendre indirectement hommage à la capacité de réflexion des diverses Écoles théologiques actuelles, chrétiennes, musulmanes, juives, ou autres, c’est involontairement ; car son but est bien de tout faire, pour leur arracher, des mains, le monopole du discours sur le divin (voir à ce sujet les propos d’Albert Bayet), quitte à achever de les discréditer définitivement aux yeux du public. Sauf en ce qui concerne ce qu’elles ont emprunté de mieux au paganisme, évidemment, et qui est
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énorme ; car dans ce dernier cas, il s’agit, rappelons-le encore une fois, de la part du maître d’œuvre de cette compilation, d’une réadaptation à notre monde, des réflexions de ces apprentis théologiens (le dieu des philosophes, l’Ahoura Mazda, l’immortalité de l’âme, les hommes-dieux, les fils de dieu, le messie Saoshyant, la trinité, le taouaf, les sacrifices, la vie après la mort, sans compter les chérubins le paradis, etc.)
En d’autres termes non pas de l’Histoire, mais une fiction historique, d’après les œuvres de… voir la bibliographie à la fin. En ce sens, notre « imitation » n’est qu’un retour aux sources. En bref un hommage.
« Le Druidisme » est une revue indépendante (indépendante de toute association religieuse ou politique) et qui n’a qu’un seul but : la recherche théorique ou fondamentale en matière de néopaganisme. Car ainsi que l’a très bien vu Carl Gustave Jung la religion n’est jamais que « l’observation attentive de forces tenues pour des ‘puissances’ : les esprits, les démons, les dieux, les lois, les idées, les idéaux, ou autres, suivant le nom qu’on leur a donné et que l’homme a considéré comme étant assez puissantes, dangereuses, ou utiles pour être soigneusement prises en compte ; ou assez grandes, belles et porteuses de sens pour être pieusement adorées voire aimées » (Psychologie et Religion 1937).
La double question à laquelle essaie de répondre cette revue d’études théoriques pourrait se résumer ainsi : « Que pourrait être ou que devrait être, un néo-druidisme actuel, moderne et contemporain ? »
Le « Druidisme » est une revue néopaïenne, strictement néopaïenne, héritière de tous les mouvements authentiques (c’est-à-dire non chrétiens) qui se sont succédé depuis deux mille ans, l’héritière indirecte, mais l’héritière, quand même !
À propos de notre tradition de référence ou de notre filiation intellectuelle soulignons que si les « poètes » du royaume de Domnall mac Muirchertach Ua Néill avaient toujours les imbas forosnai, les teimn laegda ainsi que les dichetal do chennaib 1) à leur répertoire (cf. la conclusion de l’histoire du pillage du château de Maelmilscothach, d’Urard Mac Coisé, un poète mort au Xe siècle), ils étaient peut-être déjà chrétiens quand même depuis plusieurs générations. Il est vrai que ces pratiques (imbas forosnai, teimn…) étaient formellement interdites par l’Église, mais qui sait, il y a eu peut-être des accommodements analogues à ceux des astrologues ou alchimistes du Moyen-Âge.
Quoi qu’il en soit notre « Druidisme » est aussi une volonté, la volonté de se rapprocher, au maximum, du druidisme antique, tel qu’il fut (scientifiquement parlant). La volonté aussi néanmoins de moderniser ce druidisme, un retour total au druidisme antique étant exclu (il serait de toute façon impossible).
Exemples de modernisation de ce druidisme païen.
— Abandon aux associations laïques du côté culturel (médecine, poésie, mathématique, etc.). Principe de séparation de l’Église et de l’État.
— Spécialisation par contre dans la spiritualité celtique, ou païenne en général, l’histoire de la religion, la philosophie et la métapsychique (dite aujourd’hui parapsychologie).
— Utilisation dans certains cas du vocabulaire actuel (Église, religion, baptême, et ainsi de suite).
Un juste milieu est évidemment à trouver entre un retour total au druidisme antique (fondamentalisme ou intégrisme) et une modernisation radicale trop révolutionnaire (plus de saie).
L’AAP (athée agnostique panthéiste) celte ayant accepté de cosigner cette petite bibliothèque *, dont il n’est que le rassembleur, le druide Hesunertus (Pierre de La Crau), ne se considère pas comme l’auteur de cet ouvrage collectif. Mais comme le simple porte-parole de l’équipe l’ayant composé. Pour ce qui est des autres sources de cet essai sur le druidisme, voir les remerciements de la bibliographie.
* Ce petit camminus est néanmoins important aussi pour les jeunes… de 7 à 77 ans ! Mantalon siron esi.
1) Do ratath tra do Mael Milscothach iartain cech ni dobrethaigsid suide sin etir ecnaide 7 fileda 7 brithemna la taeb ogaisic a crech 7 is amlaidsin ro ordaigset do tabairt a cach ollamain ina einech 7 ina sa[ru]gad acht cotissad de imus forosnad [di]chetal do chollaib cend 7 tenm laida .i. comenclainn fri rig Temrach do acht co ti de intreide sin FINIT.
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PROLOGUE.
« Niall mon père ne m’a pas permis de croire *, et m’a demandé d’être enterré sur les hauteurs de Tara. Comme les guerriers, parce que les païens ont coutume d’être armés dans leurs tombes, les armes et le visage tournés vers l’ennemi. Jusqu’au jour d’erdathe qui est le jour du jugement du Seigneur selon les druides » (Mémoires de saint Patrice par Tirechan).
* N’importe quoi ?
Un jour qu’au lever du soleil Patrice se trouvait près d’une source appelée Clibech sur les pentes de Cruachan, les filles du roi Loégaire, la blanche Ethne ainsi que la rousse Fedelm, vinrent de bonne heure à la fontaine pour se laver, comme elles en avaient l’habitude. En voyant tous ces clercs en vêtements blancs, elles furent surprises, crurent que c’étaient des gens du sid ou des fantômes, et interrogèrent Patrice : « D’où êtes-vous, d’où venez-vous ? Êtes-vous vous du sid ? Êtes-vous des dieux ? »
Et Patrice de leur répondre : « Il vaut mieux croire en Dieu que nous demander quelle est notre race ».
Alors l’aînée des filles demanda : « Qui est Dieu ? Où est-il ? Où habite-t-il ? Où est sa demeure ? Est-il au ciel ou sur la terre, dans la mer, dans les fleuves, dans les montagnes ou dans les vallées ? A-t-il des fils et des filles, de l’or et de l’argent ? Y a-t-il beaucoup de richesses dans son royaume ? Comment l’aime-t-on ? Comment le trouve-t-on ? Est-il jeune, est-il vieux ? Est-il toujours vivant ? Est-il beau ? Y eut-il beaucoup de gens pour élever son fils ? Ses filles sont-elles belles et chères aux hommes de ce monde ? »
Patrice, rempli du Grand Esprit Sacré, répondit ce qui suit. « Notre Dieu est le Dieu de tous les hommes, le Dieu du ciel et de la terre, de la mer et des fleuves, du soleil et de la lune, de toutes les planètes, le Dieu des hautes montagnes et des basses vallées. Dieu a sa demeure sur le ciel, dans le ciel et sous le ciel, sur la terre et la mer et tout ce qui est en elles. Il inspire tout, il vivifie tout, il surpasse tout, il soutient tout. Il fait jaillir la lumière du soleil et la lumière de la nuit ; il fait jaillir des sources dans les terres arides et des îles dans l’Océan, il a fait les étoiles pour servir de lumières.
Il a un Fils coéternel à lui et entièrement semblable à lui, et le Fils n’est pas plus jeune que le Père, le Père n’est pas plus vieux que le Fils. L’Esprit sacré demeure en eux, et le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ne sont pas séparés.
Quant à moi, je veux vous unir au roi céleste, car vous êtes filles d’un roi terrestre, etc. ».
Elles reçurent l’eucharistie de Dieu et s’endormirent dans la mort ; on les plaça sur un lit, couvertes de leurs vêtements. Leurs amis les pleurèrent à grands cris, et les druides qui les avaient aussi élevées vinrent pleurer sur elles, Patrice les prêcha. (Vie tripartite de saint Patrice, deuxième partie).
La faible lumière de la raison est toujours éclipsée par les sombres nuages des passions et des convoitises. Comment distinguer ce qui est juste de ce qui est faux dans un tel récit, ce qui est pertinent de ce qui ne l’est pas ?
Car l’esprit d’une part nous conduit à la connaissance spirituelle certes, mais de l’autre il nous détourne vers les préoccupations de ce monde (Mediomagos).
« Quand les caprices arrêteront-ils de me piquer afin que je puisse me concentrer sur la Vérité ? Quand mon angoisse se calmera-t-elle ? Quand mes inquiétudes prendront-elles fin ? Quand mon âme s’épanouira-t-elle dans la plénitude du grand tout (pariollon) ? Quand mon âme sera-t-elle absorbée dans l’Âme universelle comme une vague agitée s’apaisant dans le sein d’une mer calme ? Quand la lumière de la raison dissipera-t-elle le sombre nuage d’ignorance qui enveloppe mon Essence divine sous le voile de cette forme pitoyable ? »
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PREMIÈRE PARTIE.
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RÉFLEXIONS SUR LA MYTHOLOGIE.
Analyse du livre de Jean Pépin, Mythe et Allégorie, par Thomas Labeye. Étudiant en langues et littératures classiques à l’université de Louvain (Belgique).
Nous n’insisterons pas ici sur les différentes classes de mythes, nous voulons seulement marquer leur place dans l’ensemble des phénomènes religieux et préciser leur fonction. La mythologie, c’est pour nos ancêtres à la fois la théologie, la métaphysique, et la science. À la conscience encore pure et naïve de l’Homme primitif, toute explication apparaît sous forme de récit ; puisque les agents qui produisent les phénomènes de la nature, et les êtres qui en constituent la trame, sont des vivants, pareils en leur essence à l’homme lui-même et aux animaux. Et ces récits seront nécessairement merveilleux, puisque leurs héros sont investis de pouvoirs que nous qualifierions de surnaturels.
Un mythe, c’est donc essentiellement un récit merveilleux, explicatif des événements de la nature ou de la nature des dieu-ou-démons. À l’imitation de ces mythes fondamentaux, d’autres mythes sont apparus, qui n’expliquent rien, mais où apparaissent les héros habituels de ces histoires surhumaines, mêlés à la vie des sociétés ou des individus, intervenant sans cesse dans leur existence quotidienne. Et en ces mythes de seconde formation, qu’il vaudrait mieux appeler légendes, prennent place, à côté des dieu-ou-démons naturistes, les ancêtres divinisés. Ils ont les mêmes capacités, les mêmes aptitudes, et les mêmes aventures leur sont prêtées ; il y a souvent une sorte d’identification partielle entre eux, et graduellement ces hommes magnifiés sont exaltés au rang des dieu-ou-démons, entraînant ainsi derrière eux dans le panth-éon céleste ou chthonien (plérôme), tous les souvenirs de leur existence terrestre.
Le double caractère des dieu-ou-démons explique le double caractère des mythes où sont racontés les multiples incidents de leur existence surhumaine. Les dieu-ou-démons sont des phénomènes naturels et ce sont aussi des hommes. Tous les événements de la nature où ils sont mêlés se transforment donc en aventures humaines ; et d’autre part, hommes surhumains, en relation avec les hommes de la terre, ils ont une existence pareille à celle des rois les plus puissants ou des plus habiles magiciens. Il serait vain de vouloir en expliquer tous les épisodes par des allusions très précises à un quelconque phénomène météorologique ou cosmique. Mais au cours même de toutes les bizarres, romanesques, ou tragiques intrigues, où les a engagés l’imagination féconde de nos lointains ancêtres, ils ne se dépouillent jamais de leur caractère primitif. Ils demeurent, si anthropomorphisés qu’ils nous apparaissent, le soleil, la lune, le vent du nord, la mer, l’étoile du matin, la nuée d’orage, l’aurore ou la nuit ; et, sinon les détails, la couleur du moins de leurs aventures résulte, dans une large mesure, de ce caractère originel.
Dans les croyances des non civilisés, dans les formes anciennes et primitives des grandes religions naturistes, il n’y a nulle place pour l’allégorie ni pour le symbole : il ne faut pas chercher derrière les rituels les mots de sens caché ni des mystères ; tout doit être pris au pied de la lettre, et il faut se garder d’interprétations qui altèrent le sens des cérémonies et des légendes.
Mais peu à peu la réflexion ; en s’exerçant sur les mythes, qui reflétaient les manières de penser ou de croire des âges antérieurs ; a tendu dès les premières périodes de la spéculation philosophique ; à les transformer en symboles. Parce qu’en leur sens littéral, ils ne satisfaisaient plus ni les exigences scientifiques ni les besoins religieux, d’une civilisation avancée. Et cependant, ils faisaient corps si complètement avec les émotions pieuses, qui avaient trouvé en eux leur forme, qu’il semblait qu’on ne pouvait leur refuser toute place dans la conscience et dans la vie ; sans en bannir en même temps ces émotions. Graduellement, bien que la forme extérieure du mythe subsiste, des forces abstraites, immatérielles et impersonnelles, se substituent dans la pensée de ceux qui continuent de les raconter aux esprits de la nature ou aux âme/esprits des morts, comme principe d’explication.
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Mythes et rituels exercent les uns sur les autres une profonde et réciproque influence. D’une part, il est certains mythes, et en beaucoup plus grand nombre que l’ont admis les mythologues d’autrefois, qui ont pour véritable origine la nécessité de fournir l’explication d’une cérémonie, dont le sens premier s’est effacé des esprits [même phénomène avec le rattachement à Abraham de maints usages des cérémonies musulmans] ; d’autre part, il est nombre de rituels qui consistent en une représentation mimée des actes du dieu-ou-démon, et des multiples aventures où il s’est trouvé
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engagé ; ici le culte n’est point autre chose que la mise en scène d’une légende, qu’un mythe en action. Ces représentations à l’origine, ont une valeur efficace et se rattachent très étroitement aux pratiques de magie sympathique auxquelles nous avons déjà fait allusion [baptêmes et croix dans le christianisme par exemple] ; plus tard, elles n’ont plus qu’une signification à demi commémorative, à demi mystique, et deviennent essentiellement des instruments ou moyens d’édification. Il est à peine nécessaire de rappeler la place prépondérante qu’elles occupent dans le rituel de la plupart des religions de masse historiques. La liturgie juive chrétienne ou musulmane consiste, d’ailleurs, pour une large part, en récits plus ou moins dramatisés, d’apparence souvent lyrique, qui commentent ces cérémonies et racontent, soit avec quelque détail, soit seulement par allusion, les événements que miment les gestes sacrés.
Les mythes n’ont donc pas créé le sentiment religieux. Ils ont seulement permis à l’Homme de se représenter en une forme sensible et concrète, seule intelligible pour lui à une certaine phase de son évolution, les objets de ses émotions religieuses, et des croyances confuses qu’elles impliquaient. En même temps qu’ils satisfaisaient à la nécessité qui s’impose à tout esprit pensant, de s’expliquer à lui-même le monde où il vit ; et qu’ils fournissaient la théorie de ce vaste ensemble de pratiques, que nous avons évoqué sous le nom de magie. La durée de leurs fonctions explicatives est essentiellement limitée à celle de la longue période où l’esprit des hommes, incapable d’abstractions, ne pouvait encore substituer aux multiples volontés, dont il peuplait le monde, des forces et des lois. Mais la durée de leur fonction proprement religieuse est bien plus considérable. Elle est sans doute coextensive à celle de l’émotion pieuse elle-même. Elle semble destinée à ne jamais devenir sans objet apparemment, et peut-être l’avenir lui réserve-t-elle un rôle plus important que celui qui paraît lui appartenir dans les formes les plus récentes et les plus évoluées des religions de masse historiques. Mais désormais les mythes ne peuvent plus être que des symboles à l’aide desquels on tente d’obtenir une représentation, que l’on sait inadéquate, du divin ; nous ne saurions plus leur attribuer la signification historique et réaliste qu’ils avaient pour nos ancêtres.
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MYTHE ET ALLÉGORIE.
Le problème que nous pose la mythologie, c’est qu’elle se place surtout sur le plan des images, et que son langage est propre à une culture donnée. Le philosophe voudrait, lui, entendre le langage de la raison plus que celui du mythe. Mais l’intelligence peut-elle, par le seul moyen de la spéculation, réussir à comprendre la relation de l’éternité au temps (aiu en celte) ?
Le domaine des dieu-ou-démons est par exemple le plan de l’intelligence éternelle des choses (le Monde intelligible). Les dieu-ou-démons symbolisent les Perfections et les Personnalités du Divin s’exprimant sur la Terre et dans la Création. Se situant hors du temps, ils ne communiquent pas directement avec les hommes. Ils passent par l’intermédiaire des demi-dieu-ou-démons, tels Hésus ou l’Hercule celte appelé Ogmios (à ne pas confondre avec le symbole de la force physique qu’est Camulos Smertrios).
Hésus fait le lien entre le monde des dieu-ou-démons et des humains, entre le monde éternel, le monde céleste, et le monde temporel (le monde sensible), le monde terrestre, la terre sur laquelle l’homme marche, mange, vit et meurt.
Les forces que l’on appelle dieu-ou-démons s’adressent aux hommes à travers les druides qui en sont des interprètes.
Les dieu-ou-démons choisissent parfois de s’incarner parmi les hommes, mais ils ne renoncent pas pour autant à leur condition qui les rendait immortels. Il y a ainsi une distinction entre le plan céleste et le plan humain, et un passage de l’un à l’autre. L’éternel, dans le mythe, n’est pas une abstraction ; il a un visage, il a même une multitude de visages. Les visages de l’éternel sont figurés par les personnalités différentes des dieu-ou-démons.
Le terme de mythologie présente au moins deux sens. Il s’applique non seulement à la simple collection des mythes d’une civilisation, mais aussi à la science et l’explication des mythes. La seconde acception du mot désigne en quelque sorte la « philosophie » de la première. Dans leurs réflexions sur les mythes, les philosophes adoptèrent des attitudes très diverses.
La mythologie condamnée comme une erreur.
Dans cette perspective, la mythologie correspondrait à la première explication des phénomènes naturels dont les hommes des temps originels auraient attribué la production à des êtres supérieurs, conçus naturellement comme des êtres humains, présentant tous les caractères humains, mais dotés de plus de puissance. Les récits véhiculant cette mythologie auraient rapidement été perçus comme faux. Toutefois, cette explication fausse et anthropomorphique se serait maintenue par le goût des fables et l’attachement à l’Antiquité.
Des savants comme Herder, Humboldt et Max Müller, proposèrent une deuxième théorie, celle du malentendu linguistique. Selon eux, les hommes des premiers temps ont élaboré des conceptions scientifiques valables, mais, par manque de termes techniques appropriés, auraient dû les exprimer par des noms d’allure personnelle. Les théories scientifiques auraient été dramatisées. On ne perçut plus par la suite le caractère scientifique de ces récits, on les interpréta au premier degré puis les bardes les amplifièrent.
D’autres enfin considèrent la mythologie comme une invention poétique gratuite, simplement destinée à satisfaire l’instinct créateur de ses auteurs, et le goût d’un public amateur de merveilleux.
La reconnaissance d’une vérité indirecte de la mythologie. L’hypothèse allégoriste.
Schelling refuse de considérer le paganisme comme une dégradation, car si l’Humanité avait commencé par connaître la vérité sur Dieu ou le Démiurge, elle n’aurait pu la désapprendre. Selon lui, la mythologie précède la Révélation comme son fondement et sa matière indispensable. De même, selon Schelling, la mythologie ne peut être tenue pour une invention. On ne peut concevoir un peuple privé de sa mythologie, qui est la vision du monde dans laquelle il se rassemble. Il faut par conséquent admettre que la naissance de la mythologie est concomitante à celle du peuple lui-même. Les poètes se révèlent par conséquent être des ordonnateurs plutôt que des créateurs de la mythologie. La mythologie aurait une certaine valeur de vérité que la théorie de l’allégorie s’efforce de comprendre.
L’explication allégoriste suppose dans la mythologie une structure ambivalente, la dualité d’un sens courant et d’un sens caché. Les hommes, par les mythes, travestirent la simple vérité pour être plus
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persuasifs. Il faut donc distinguer l’expression allégorique de l’auteur et l’interprétation allégorique du lecteur, pour découvrir la vérité. Cette conception allégoriste de la mythologie connut un vif succès dans le romantisme allemand.
La théorie allégoriste de la mythologie revêt diverses spécifications, selon la nature de la vérité que l’on suppose exprimée par l’apparence imagée ou narrative. Elle peut ainsi être historique (Évhémère), physique (stoïciens), morale (Bacon), métaphysique (néoplatoniciens), psychologique (Jung, Freud) ou religieuse (Bultmann).
La découverte de la vérité immédiate de la mythologie
La thèse allégoriste, sous ses différentes formes, reconnaît donc une certaine valeur de vérité à la mythologie. Mais il s’agit d’une vérité extrinsèque, en ce sens que ce n’est pas la mythologie elle-même qui est vraie, mais une signification qui s’en écarte souvent à l’extrême. On ne peut dès lors pénétrer la nature même de l’image. En effet, dès que l’on définit le mythe comme un signe, l’intérêt l’abandonne pour se porter sur la signification. De même, le recours systématique à l’allégorie suppose une philosophie théorique antérieure à la mythologie. Or cette hypothèse est fausse, car les mêmes hommes furent mythologues et philosophes à la fois.
L’histoire ancienne de la philosophie de la mythologie est précisément l’objectif de l’ouvrage de Jean Pépin.
Tous les auteurs s’accordent pour définir l’allêgoria comme la figure de rhétorique qui consiste à dire une chose pour en faire comprendre une autre. Ce n’est pas une figure primaire, elle apparaît dès que l’on prolonge un certain temps un autre procédé de rhétorique, la métaphore. L’allêgoria nécessite donc une interprétation de la part du lecteur.
Un tel excès d’allégorie appelait une réaction : elle vint avec Platon. Toutefois, cette condamnation de la valeur expressive du mythe, étonne de la part de Platon qui, c’est notoire, y a si souvent recouru. Sans doute Platon tient-il l’opinion pour inférieure à la science ; mais il sait distinguer, à côté de l’opinion fausse, une opinion vraie. La science, dont il se fait une idée très haute, est la connaissance de l’immuable ; son domaine est donc restreint. Dès lors, le mythe, qui n’est pas une fiction gratuite, mais un récit lourd de signification, s’apparente à l’opinion vraie, il procure le meilleur mode d’expression du probable. Platon condamne donc l’interprétation allégorique d’Homère, pour la seule raison qu’elle ne saurait découvrir, dans ses poèmes, un message doctrinal, qui en est absent par définition ; mais il admet voire pratique lui-même, l’allégorie, comme moyen d’expression, à condition que l’on ait quelque chose à exprimer par elle.
Malgré son goût de l’exposé clair, Aristote apprécia le mythe. On sait qu’il voyait dans l’« étonnement » l’origine de la curiosité philosophique ; or le mythe, par son allure prodigieuse, provoque précisément l’étonnement ; il s’ensuit qu’aimer les mythes est une façon indirecte de devenir philosophe. Pour Aristote, le mythe n’est pas une fiction insignifiante ; il véhicule un enseignement, qu’il eût peut-être mieux valu exprimer en clair, mais qu’il ne faut pas pour autant mépriser. Pour profiter pleinement de la leçon de ces mythes, il faut les dépouiller des affabulations anthropocentriques dont on les a déformés par la suite. Ramenés à leur pureté originelle, ils sont porteurs d’un enseignement divin sur la nature des éléments. À l’inverse de Platon, Aristote ne voit donc pas dans le mythe une fiction purement arbitraire, et dépourvue de toute portée didactique. Le mythe est pour lui l’expression allégorique d’un enseignement rationnel.
Les dieu-ou-démons populaires ne doivent pas être pris à la lettre, mais leur personne et leur histoire sont porteuses d’une signification, qu’il faut retrouver derrière des descriptions et des récits qui seraient grotesques si l’on s’y arrêtait ; ils représentent parfois des dispositions de l’âme (allégorie morale), mais le plus souvent des forces élémentaires de la nature (allégorie physique). On discerne le vrai sens de ces dieu-ou-démons essentiellement par l’observation étymologique de leurs noms, qui sont en règle générale, en rapport étroit avec la réalité psychologique ou cosmique qu’ils désignent. Cette rationalisation des mythes sauve d’ailleurs leur valeur religieuse : on renonce bien aux cultes populaires, mais c’est pour retrouver dans les forces physiques qu’ils incarnent autant de spécifications de la véritable divinité, la seule qui appelle la vénération.
* La première et plus forte des figures de rhétorique est la répétition.
L’allégorie réaliste.
On peut considérer que l’initiateur de l’allégorie réaliste fut Évhémère, un Sicilien du milieu du IIIe siècle avant notre ère. Son point départ fut incontestablement un aspect de la théologie stoïcienne, selon lequel plusieurs dieu-ou-démons ne seraient autres que des hommes, que l’on aurait divinisés
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en récompense de services marquants rendus à la société. Il étendit cette explication à la totalité du panth-éon ou plérôme populaire. Il assigne ainsi au culte des dieu-ou-démons une double origine : d’une part, avant les temps civilisés, les plus puissants et les plus rusés des chefs s’attribuèrent indûment une dignité divine ; d’autre part, la divinité fut décernée volontairement par les peuples, après leur mort, aux rois les plus valeureux ainsi qu’aux inventeurs qui avaient amélioré leurs conditions de vie.
Plotin et les mythes.
La philosophie de Plotin accorde la première place à une réalité ineffable et innommable. Une telle philosophie de l’indicible, dès qu’elle veut se codifier ou se transmettre, est réduite à user d’un langage approchant, d’une expression symbolique. Plotin sait que la formulation mythique est nécessairement inadéquate. Il signale ainsi que le mythe, qui est par sa nature un récit déroulé dans le temps, décrit comme successifs des êtres en réalité synchroniques, et que seule une distinction de valeur caractérise. Mais cette infidélité du mythe a une contrepartie utile : en dédoublant dans le temps des êtres qui, à vrai dire sont compacts et ramassés, il constitue un instrument d’analyse et d’enseignement. Il suffit de ne pas oublier que cette séparation est purement conceptuelle. Le mythe a donc une valeur analytique et didactique qui, dans l’esprit de Plotin, est solidaire d’une théorie de l’image. Le mythe est une image et, à ce titre, reflète la vérité. Mais il n’est pas lui-même la vérité, d’où la nécessité, pour parvenir jusqu’à elle, de dépasser le mythe.
Macrobe et la classification des mythes.
Au début du Ve siècle, Macrobe, compilateur latin nourri de néoplatonisme grec, consacre plusieurs pages de son Commentaire du Songe de Scipion, à la défense du mythe comme technique d’expression philosophique. D’après lui, l’erreur, en philosophie, serait aussi grande de condamner tous les mythes en bloc, que de les admettre tous indistinctement. Il faut donc opérer un tri. Dans l’ensemble des fables, Macrobe distingue les récits dont le but est simplement de charmer l’oreille (par exemple, la comédie populaire) et ceux dont l’objectif est d’exhorter à la vertu.
Dans cette deuxième catégorie, Macrobe fait également la part entre les mythes dont le sujet ainsi que le développement sont purement fictifs, et les autres dont le sujet reste vrai, bien que le développement soit fictif. Enfin, parmi ces derniers, il faut distinguer ceux dont le récit est indécent de ceux dont le récit est honnête.
Conclusion : mythologie de la philosophie, utilité philosophique de la mythologie.
À l’origine, la mythologie apparaît comme un premier, mais aussi naïf, essai d’explication de l’univers. On peut donc voir en elle l’enfance de la philosophie. Mais les progrès de cette dernière l’ont rapidement conduite à renier son origine mythique, à se définir même comme l’antithèse de ce qui fut son point de départ. Néanmoins, la raison a parfois besoin de retrouver ses origines, et ce retour aux sources survient souvent après une période de rationalisme intransigeant. Or si la raison fait ainsi retour au mythe, c’est qu’elle y trouve son compte. Jean Pépin reprend donc ici, d’une manière très schématique, les différents avantages de l’expression mythique pour la formulation de vérités philosophiques.
MYTHES ET INTERPRÉTATION.
L’opposition d’un sens littéral et de diverses interprétations possibles n’est pas liée uniquement aux mythes ou aux Écritures, mais il est propre à toute forme d’expression. La preuve, les diverses interprétations possibles d’une même pièce de théâtre, d’un même film, d’un même roman, d’un tableau (voir par exemple le célèbre dessin représentant une femme exécuté par William Hill en 1915, ou la Gestaltpsychologie)… On peut dès lors estimer que, depuis que l’homme communique, ce phénomène a toujours existé.
L’étude de phénomènes semblables, mais plus proches de nous dans le temps, pourrait jeter une lumière nouvelle sur la question. Prenons un exemple : les fables d’Ésope. Tout le monde s’accorde aujourd’hui à dire que ces fables présentent un sens second, caché sous le sens littéral. Mais lorsqu’il s’agit d’interpréter ces fables, d’en dégager le sens second, la tâche, pour nous, est loin d’être simple. En effet, d’une part, l’interprétation de ces fables est tributaire du contexte historique et politique d’un siècle dans lequel nous ne vivons plus. Et que nous ne pouvons plus connaître que par l’intermédiaire d’œuvres historiques ou de cours d’histoire. Mais, d’autre part, l’ignorance ou la méconnaissance de ce contexte n’interdit pas de proposer de ces fables des interprétations nouvelles en rapport avec
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notre époque. De plus, que faut-il penser de ces fables et de leurs interprétations lorsqu’on sait que l’auteur s’inspira, pour leur rédaction, d’apologues plus anciens restés anonymes ? Il ne paraît pas improbable, dès lors, que les mythes aient subi un traitement assez semblable. Et si l’on se rappelle que les mythes étaient considérés comme une parole sans auteur, venue du fond des âges ; qu’ils informaient les hommes de l’Antiquité, qui en avaient une connaissance certainement plus étendue que la nôtre, qui pouvaient en voir des adaptations dans les tragédies ; on ne s’étonnera plus guère de l’ampleur qu’a connue ce traitement allégorique des mythes.
Thomas Labeye. Étudiant en langues et littératures classiques à l’université de Louvain-la-Neuve, Belgique.
NOTE DE LA RÉDACTION DE CETTE COMPILATION.
Nous avons écarté d’emblée les explications de type judéo-chrétien ou musulman, vu leur totale mauvaise foi. Au XVIIe siècle, une autre hypothèse a été en effet avancée : la mythologie devrait être tenue pour un plagiat des vérités de la Révélation juive. Les tenants de cette théorie (Grotius par exemple) entendaient affermir les positions chrétiennes en travaillant à établir que les formes religieuses qui en paraissent les plus éloignées procèdent en réalité du même point de départ, altéré par une interprétation insensée. Cette théorie s’inscrit dans le cadre d’un débat beaucoup plus vaste, celui de l’antériorité supposée du monothéisme sur le polythéisme en matière de religion. L’Humanité aurait reçu le monothéisme en dépôt, mais, incapable de le garder dans sa pureté originelle, l’aurait laissé se déformer. Cf la théologie musulmane à ce sujet. Ce point de vue fut adopté également par le courant traditionaliste qui considère que, dans le domaine de la religion, du langage et du droit constitutionnel, la Révélation donnée en dépôt à l’Humanité primitive contenait la vérité à l’état pur.
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INTRODUCTION À LA MYTHOLOGIE DRUIDIQUE.
Le but du présent ouvrage est de rendre intelligibles aux jeunes écoliers du druidisme, ces légendes étranges qui composent le panth-éon ou plérôme du druidisme. Mythologie tuée par la Lettre, mais que l’Esprit peut ressusciter.
Le but du présent opuscule est de nous faire comprendre les mythes druidiques DE L’INTÉRIEUR, via les différentes Écoles de pensée de la Celtica Litavia (de la Grande Celtie) libre et indépendante. Celle d’Ambicatus, celle dont la devise était : « La vérité dans le cœur, la force dans le bras, l’accomplissement dans le discours. » Autrement dit « argute loqui » dans la bouche de Caton.
Ce que tente de susciter ce fascicule ce n’est pas tant des « raisonnements » nouveaux que des sentiments nouveaux, des réminiscences, des éclairs d’intuition, capables de faire pressentir le secret désir de ces peuples antiques, nos lointains ancêtres (spirituels). C’est pourquoi il nous faudra laisser plafonner sur place par moments la simple raison scientiste et raisonnante qui, comme la plus belle fille du monde, ne peut donner que ce qu’elle a ; et bien distinguer la mythologie druidique vue de l’extérieur, de la mythologie druidique vue de l’intérieur. Car en ce qui concerne la mythologie celtique, ce n’est pas à un, mais à deux points de vue différents que nous avons affaire, celui de l’extérieur (celui par exemple des écrits des auteurs grecs ou latins. Ils nous présentent des contes et légendes à canevas spirituel que nous nous obstinons à transformer en Histoire parce que la science profane ne veut plus entendre parler de religion). Et celui de l’intérieur (celui du druide de Lucien parlant d’Hercule et d’Ogmios, par exemple).
Encore une mythologie celtique de plus, diront certains ! Il le fallait bien puisque, de toutes celles qui ont été publiées jusqu’ici, à part la profonde érudition de certaines, à laquelle nous rendons volontiers hommage (voir les remerciements et la bibliographie figurant à la fin de cet opuscule) ; aucune ne s’était véritablement « glissée dans la peau » du druide de Lucien, dans sa parabole sur Ogmios pourrait-on dire, afin d’en pénétrer l’âme.
Or comment faire partager aux hommes d’aujourd’hui ce qui était la lumineuse certitude des druides antiques ? Car eux au moins, avaient encore vraiment la certitude que Dieu est en nous (que + est en nous !).
On nous présente toujours aujourd’hui leur mythologie d’un point de vue « extérieur », comme un fossile curieux et déroutant, à la fois incongru et immoral. Mais comment pourrions-nous la juger ou la comprendre, nous qui sommes plongés dans l’obscurantisme scientiste, aboutissement ultime, mais logique et inévitable, d’un christianisme affadi dans un monde désenchanté ? Car en ce domaine le christianisme, en combattant de façon inconsidérée toute autre spiritualité que la sienne sous prétexte d’idolâtrie, a littéralement scié la branche sur laquelle il était assis.
Voilà bien la cause du malentendu entre les anciens Celtes et nous : nous, nous raisonnons… eux, ils sentaient, ils flairaient, comme des chiens de chasse dont la sensibilité à cet égard était entretenue par des hommes, les druides, qui, eux, raisonnaient, mais aussi sentaient à la fois. L’enseignement des druides antiques était en effet fort éclectique. Il comprenait avant tout une théologie, une métaphysique et des éthiques, mais aussi l’astronomie, la physique, et l’histoire naturelle.
Il y a une grande différence entre les philosophes actuels et les druides antiques. Eux avaient en effet personnellement vécu et même expérimenté tout cela, et ils étaient la preuve vivante de la véracité de leurs postulats métaphysiques. Les druides de la Grande Ourse étaient souvent aussi de véritables chamans. Ils parlaient donc de dieu-ou-démons qu’ils avaient vus face à face (de forces qu’ils avaient appris à manipuler), des attributs ainsi que des pouvoirs divins qu’ils possédaient réellement, à la suite d’un long entraînement.
Il y a eu beaucoup de grands philosophes précurseurs des nôtres dans la Celtie antique, mais il y a eu aussi beaucoup de chamanes anonymes, dont l’humble mystique de tous les jours dépassait en profondeur celle des philosophes en vue. C’est de la coopération des deux que sont sortis les grands mythes celtes.
Les peuples de la Grande Ourse (les peuples de la Celtica Litavia c’est-à-dire de la Grande Celtie libre et indépendante du temps d’Ambicatus) ne comprenaient pas ces légendes et ces généalogies divines, de la même manière que nous. Nous qui ne fréquentons plus les dieu-ou-démons (depuis la coupure du christianisme, même si celle-ci fut étalée dans le temps et mit plusieurs siècles à s’imposer dans les esprits) ; nous qui n’avons plus l’enseignement des druides pour épauler dès l’enfance un idéal surhumain. Nous les étudions toujours de l’extérieur aujourd’hui, alors qu’ils requièrent d’être appréhendés DE L’INTÉRIEUR (voir la parabole du druide de Lucien à propos d’Ogmios et d’Héraclès).
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Si nous n’examinons que la poussière morte d’un passé mort et bien mort, la Vie et la secrète pensée de cette grande civilisation, qui fut la première Europe, nous échapperont toujours. De la même manière qu’une coupe histologique de tissu mort, ne nous fera jamais connaître la vie qui l’animait autrefois.
« Admodum dedita religionibus » en masse comme le ramadan. César (B. G. VI, XVI)
Un exemple va nous permettre d’illustrer ce propos ; celui des Jeux olympiques modernes et celui des jeux « funèbres » en quelque sorte, institués par Lug en l’honneur de sa mère (adoptive), le 1er Elembivi de chaque année (autour du 1er août) : la Lugnasade.
D’Arbois de Jubainville, dans un passage important et oublié, a signalé l’épisode des Celtibères, nouveaux alliés des Romains qui, en 206 avant notre ère, fournirent gratuitement à Scipion, installé à Carthagène ; autant de combattants qu’il en fallait pour célébrer des jeux funèbres en l’honneur de son père.
La gratuité est secondaire par rapport à l’importance du fait religieux tel qu’il est décrit. Le nom des andabates ou « gladiateurs aveugles » confirme au besoin cette importance. Il va de soi aussi, que les jeux funèbres étaient réservés à de grands personnages, puisqu’ils avaient pour conséquence le passage dans l’Autre Monde de la totalité ou d’une partie des antagonistes de ces combats singuliers ; qui avaient ainsi l’honneur (et cela explique la « gratuité » si appréciée des Romains !) d’accompagner ou de rejoindre le défunt. Nous sommes dès lors très proches des sacrifices humains, et, pourtant, il ne s’agit pas de sacrifices humains !
Le but des jeux funèbres de la célèbre Lugnasade celte n’était donc pas du tout vraisemblablement et tout pareillement, la course à la performance ou le sport. Les jeux funèbres de la Lugnasade étaient une ordalie physico-spirituelle.
« Mon fils, mon fils, Symphorien, ne perdez pas de vue le dieu * pour qui vous mourez, ayez-le toujours dans votre pensée. Mon cher fils, ayez courage, la mort n’est pas à craindre lorsqu’elle ne fait que nous conduire à la vie. Regardez le Ciel, et que votre cœur suive vos yeux, jetez-les sur celui qui y règne. Aujourd’hui on ne t’enlève pas la vie ; on te la change en une meilleure. Aujourd’hui, mon fils, par un heureux échange, tu vas passer à la vie céleste » (Actes de saint Symphorien d’Autun).
* « Nate, nate, Synforiane, memento beto to divo » ou « Nati, nati, Synforiane, mentem obeto dotiuo » d’après certaines variantes des actes du martyre de saint Symphorien (cf. par exemple le codex de Turin).
Le but des jeux de ces Lugnasades résidait donc dans une réalisation humaine (le duel, l’affrontement, le sport) en vue d’une réalisation spirituelle (le passage dans l’Autre Monde).
La première journée de ces festivités de la Lugnasade était d’ailleurs réservée à la purification des participants. On sacrifiait aux dieu-ou-démons (suivant des rituels sur lesquels veillaient jalousement les druides). Mais mourir en luttant pour la plus grande gloire de la princesse gauloise (Fir Bolg) mère adoptive de Lug, devenait un véritable titre posthume pour tous ces gladiateurs celtes.
« Admodum dedita religionibus » à titre individuel ou personnel. César (B.G. VI, XVI)
La beauté des corps et des armes devait alors égaler celle que l’on prête aux dieu-ou-démons comme nous l’avons vu, mais c’est ce sacrifice librement consenti qui devait faire le reste. C’est-à-dire transformer le Moi humain jusqu’au moment où il atteindrait la pureté du Moi divin, sa supérieure beauté.
Ce qui vient d’être dit sur les jeux de ces Lugnasades primitives, suffit à nous permettre d’imaginer jusqu’où les Celtes poussaient la ferveur religieuse et la nostalgie de l’Autre Monde, leur désir de renouer avec les dieu-ou-démons.
Le vrai Celte [le Celte de cœur et d’esprit] plaçait tous ses actes, tous ses biens, sous la sauvegarde d’un dieu-ou-démon. Du berceau à la tombe, chaque instant de sa vie s’écoulait sous le regard de telle ou telle divinité ou fée, qu’il jugeait à propos d’invoquer.
Du temps de la Celtica Litavia c’est-à-dire de la grande Celtie libre et indépendante, celle du temps du roi des rois nommé Ambicatus, tout tournait donc autour de la religion : la famille, les mœurs, les lois, les rituels, etc.
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Les manifestations religieuses entretenaient un climat de ferveur que nous ne pouvons plus imaginer (admodum dedita religionibus, écrit César dans son B. G. VI, XVI). Car les Celtes, grâce aux druides, savaient ce qu’ils venaient faire sur cette Terre, et quel était le véritable but de leur vie. Même le menu peuple savait que derrière les légendes apparemment fantaisistes, liées au panth-éon ou plérôme druidique se cachaient des solutions vraies, que les clés se trouvaient dans les différentes Écoles de pensée se disputant la primauté dans la « Celtica Litavia ».
Il pouvait y rencontrer des hommes « inspirés » de type auentieticos (awenydd au Pays de Galles) qui, bien qu’encore de ce monde, avaient déjà un pied dans l’autre. La mythologie celtique est une affaire purement religieuse ainsi que nous avons pu le voir, mais il n’est quand même pas interdit au laïc, évidemment, de la commenter « avec les moyens du bord », au contraire ! Il est toujours avantageux de confronter différents points de vue.
Mais revenons à nos moutons ! À en croire certains, les Celtes n’auraient laissé aucun message de valeur à transmettre. Ce peuple, dont l’éthique peut se mesurer à celle du christianisme, où dieu-ou-démons et déesse-ou-démones, ou fées, se mêlaient si intimement à la vie de tous les jours ; ne nous aurait légué qu’une sorte de catalogue d’images naïves, accompagnées d’un brouillon de littérature orale, dans lequel le sublime le disputerait au sacrilège, l’adultère à la pureté, la beauté à la laideur ? Comment ce grand peuple si intelligent, si subtil, si sensible (son droit et sa poésie le prouvent) si mystique, guidé par toute une pléiade de penseurs connus de tout le monde antique (les druides) ; et dont nous n’avons pas fini d’épuiser les trésors littéraires ou culturels (même la légende de Robin des Bois serait d’origine celtique – voir les Fénianes irlandais –) ; aurait-il pu dans ces conditions, produire une telle quantité de récits extravagants et fous, appréciés de tous, y compris de ses plus grands juristes ? Afin de calmer les terreurs d’une humanité encore infantile ? Il est temps de se rendre compte que la Celtie antique fut un des plus purs phares de la spiritualité humaine et qu’elle soutient la comparaison avec le bouddhisme.
Mythologie et panth-éon ou plérôme druidiques, sont en réalité des domaines encore inexplorés parce qu’interdits à ceux qui ne peuvent comprendre ce que représentent véritablement ces légendes ; où la vérité se dissimule tour à tour sous le masque de l’orgueil, du ridicule, de la colère, de l’adultère, de l’inceste, ou bien alors du romantisme le plus échevelé. Or le passe-partout qui ouvre toutes ces serrures existe : il s’agit, de la mythologie juive à la mythologie chrétienne en passant par la mythologie bouddhiste : du comparatisme religieux.
En Occident la Bible sert de référence de base aux masses, même non pratiquantes. C’est pourquoi il sera utile, par moments, de comparer la mythologie druidique, à cette Bible judéo-chrétienne.
La Celtica Litavia (La Grande Celtie libre et indépendante du temps du roi des rois nommé Ambicatus) possédait d’ailleurs toute une littérature sacrée, car la mythologie celtique EST la Bible de cette époque, malgré son apparente naïveté.
Cette façon de voir les choses va évidemment chagriner les historiens attachés à la « lettre » de ces mythes et de ce panth-éon (plérôme). Mythes et Panth-éon ou Plérôme druidiques, ne retrouvent pourtant leur véritable signification qu’à la lumière d’un comparatisme religieux, objectif, et sans parti pris aucun. Il est vrai que de prime abord, la Bible judéo-chrétienne « fait plus sérieux ». Les caractères de Yahweh et de Moïse, même si ce dernier fut égyptien de culture, ne se prêtent guère à la fantaisie.
À la différence de ceux des Celtes, dont la verve imaginative rapprochait les entités divines des hommes, au point d’en faire descendre une presque dans chaque foyer (fées de type matres, élémentals et autres génies des lieux). Cette promiscuité sacrée antique explique d’ailleurs la haute spiritualité des druides.
Tous les hommes sont fils ou frères des dieu-ou-démons. Quelques rares individus s’en souviennent, d’autres l’ont oublié, et d’autres encore, bien que le sachant, n’y croient plus.
L’Homme d’aujourd’hui a perdu son âme.
La chute de l’esprit mystique et de l’éthique, alors qu’il est au contraire nécessaire à ces vertus de plafonner à leur summum, a marqué de son sceau d’infamie notre civilisation. Chute vertigineuse de la dignité humaine que l’on a compensée (du moins croit-on) par la sensiblerie et la veulerie ou l’indulgence coupable. L’ignorance prend le visage de la sagesse, comme l’avait prévu la Morrigan à la fin de la bataille de la Plaine des menhirs ou des tumulus (voir les livres de notre bibliothèque intitulés « Histoire de la paix avec les dieux »).
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Triste civilisation que celle où l’on empoisonne Litavia, la Terre nourricière qui nous porte, car la Terre est aussi un être vivant. En attendant il est une voie royale, une voie magnifique, une voie donc, à laquelle tout homme peut consacrer sa vie, ses efforts, ses espoirs, et qui tient en 11 mots : « honorer les dieux, être brave et ne rien faire de mal ». C’est à quoi se consacrait l’élite du peuple celte, c’est à quoi nous allons désormais nous attacher, car les véritables Barbares finalement, c’est nous aujourd’hui !
Les druides antiques, eux, parlaient inlassablement de vie « intérieure » et nous nous obstinons à comprendre « vie extérieure ».
La question est : pourquoi donc les druides antiques étaient-ils si « admodum dediti religionibus » (B. G. VI. XVI) ?
Ce n’est nullement, comme on nous le répète depuis si longtemps, parce que c’étaient des Barbares.
On a dit un jour, pour se moquer, que les Druides avaient réussi à faire descendre les dieu-ou-démons jusque dans leurs fontaines ou dans leurs chaumières. Ce qui est certain, c’est que les concepts divins étaient infiniment plus familiers aux hommes de cette terre qu’ils ne le sont de nos jours. Chaque foyer avait son dieu-ou-démon ou ses déesse-ou-démones, ou fées si l’on préfère, tutélaires. Le chrétien bon teint d’aujourd’hui ferait figure d’athée dans la Celto-Galatia du temps du roi des rois Ambicatus, où l’éthique spirituelle prenait naissance dans des forêts impénétrables. En ce temps-là on ne badinait pas comme de nos jours avec le sacré. Dieu-ou-démons et coutumes étaient respectés. Des lois sévères punissaient durement le sacrilège. César mentionne brièvement la mise à mort dans les plus cruelles souffrances de celui qui osait voler du butin consacré aux dieux (Livre VI, 17).
On peut, certes, se moquer des hommes voyant du merveilleux partout, mais de nos jours nous exagérons dans l’autre sens, et notre matérialisme athée stérilise toute ouverture sur l’infini.
Ces Barbares de Celtes étaient peut-être trop près des dieu-ou-démons, mais ce qui est sûr, c’est que nous, nous nous en sommes trop « éloignés ». Sur le désenchantement du Monde, voir les travaux de Max Weber et notamment son éthique (protestante).
Or la morale athée AU SENS MATÉRIALISTE DU TERME est un leurre.
Elle n’a aucune racine possible dans le cœur de l’homme pour s’y fixer solidement. Il n’existe d’ailleurs pas de vraie morale matérialiste athée au sens strict du terme, et les athées qui possèdent une éthique supérieure sont aussi en fait des esprits religieux à leur manière, mais inconscients de l’être. D’après Strabon, certains Celtes, et notamment les Galiciens d’Espagne, étaient athées. Mais est-ce possible ou s’agit-il plutôt d’un manque de nuance de la pensée de Strabon, incapable de comprendre les subtilités de certaines Écoles druidiques ? En tout cas voici la citation de son texte : « Certains auteurs affirment que les Gallaeci sont athées, tandis que les Celtibères et leurs voisins au nord sacrifient à un dieu sans nom, la nuit, à chaque retour de la pleine lune, devant les portes de leurs bourgades ; se livrant alors, durant toute la nuit avec leur maisonnée, à des rites divers agrémentés de danses » (Strabon, Géographie, III, 4, 16).
Les laïcs qui ont une éthique élevée sont ceux qui écoutent sans le savoir leurs « dieu-ou-démons intérieurs ». Les véritables athées sont surtout des anticléricaux.
L’homme a la religion qui convient à sa mentalité, de même qu’il a toujours le gouvernement qu’il mérite. Si les Français depuis 2007 ont à leur tête un parvenu vulgaire et prêt à tout pour réussir ostensiblement dans la vie, c’est peut-être parce qu’ils ne forment plus la grande nation de jadis (depuis 1914 ? Depuis 1939 ? Depuis 1962 ?) Si de nos jours ce sont les plus cyniques des histrions qui nous gouvernent et nous grugent en prêchant aux peuples les efforts et les sacrifices, alors qu’eux se gobergent sur notre dos ; il faut bien reconnaître que, dans le cas des démocraties parlementaires, c’est nous qui les avons envoyés au pouvoir. Librement et spontanément, dans le secret des urnes, sans qu’aucun pistolet ne soit braqué sur notre tête. Un peuple majoritairement composé de citoyens égoïstes et d’ignorants jusque dans ses pseudo-élites ne peut que reconduire au pouvoir, indéfiniment, de tels dirigeants ! Où sont les femmes et les hommes éclairés, votant pour un grand projet socialement juste et réaliste du point de vue de l’écologie (décroissance) ???
Le christianisme cherche à procurer à l’homme un bonheur social (collectif). Les druides antiques savaient, eux, comme Bouddha, mais en plus viril que le bonheur n’est qu’un état d’esprit purement individuel, et qu’il ne découle pas de la croissance à l’infini, mais du détachement. Il ne s’agit pas d’un amour sensiblerie à la chrétienne, mais d’un attrait pour le divin. Au Moyen-âge la chevalerie de la Table Ronde en fut d’ailleurs l’ultime écho. Le vrai chevalier devait être puissant, résistant, dur pour lui-même, mais secourable aux faibles.
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Les druides antiques, eux, s’adressaient à tous ceux qui étaient prêts à conquérir le divin y compris par la violence. Mais cette violence, il fallait l’utiliser contre soi évidemment, contre ses passions (voir la notion de grand djihad en terre d’islam) et à chaque passion détruite, on le verra, correspondait la mort d’un géant ou d’un monstre dans la mythologie.
Les voies de la Science moderne sont différentes de celles des druides antiques. Pourtant, l’âme est un instrument bien aussi puissant que la Raison, sa puissance est « illimitée ».
La Raison n’est pas le seul domaine de l’activité psychique. Pourquoi donc laisser retomber en friche ce domaine aux possibilités si surprenantes, le domaine de la métapsychique ?
Pour cela l’homme doit d’abord reprendre conscience, évidemment, de la présence en lui de cette larme de feu divine que symbolisent l’ambre et son mystérieux pouvoir magnétique.
Il faut donc attirer l’Homme vers le haut et non vers le bas, l’inciter à se surpasser, à devenir un surhomme. Ce qu’il faut c’est sauver le surhomme, ce frère ennemi des dieu-ou-démons, qui est en nous.
Les mythes druidiques du Livre des Conquêtes d’Irlande et de la Bataille de la Plaine des menhirs ou des tumuli, voire de celle qui fut livrée pour la possession de la Talantio (la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Tailtiu, appelée Rosemartha sur le Continent) ; nous donnent de nombreux détails sur ces démêlés avec les dieu-ou-démons. Combats épiques, traités de paix…
N’est-il pas important, dans ces conditions, pour chacun, d’étudier à fond les différentes techniques spirituelles de nos ancêtres, afin de choisir celle qui lui convient le mieux ? En un mot de repérer les différents chemins possibles de l’épanouissement des âmes.
« Mythologie druidique » venons-nous d’écrire. Ce n’est pas un lapsus : par là nous entendons la mythologie celtique antique telle que les Druides y faisaient allusion, par symboles et paraboles. Autrement dit, la mythologie celtique retrouvée, par synthèse, et aussi par filtrage, de la masse de données plus ou moins éparses et déformées, y compris par bon nombre des pseudo-druides actuels. C’est en suivant le cheminant (Setanta) que l’on trouve le chemin. Les druides antiques étaient parfaitement conscients de l’importance de la vie sur terre, phase inéluctable du développement du Moi humain. Ils connaissaient même les meilleurs moyens de s’adresser aux âmes. Les anciens Celtes allaient dans leurs écoles apprendre ces lois de la nature humaine ou divine.
Est-il logique et sage de rejeter les leçons d’hommes qui ont mieux que quiconque scruté les mystères de l’âme humaine et de son corps ? Les leçons d’hommes qui étaient capables de dompter les corps (voir les riastrades du hésus Setanta Cuchulainn) ? Mais arrêtons-nous là, nous aurons l’occasion de reparler de ce que savaient faire les druides antiques (voir le forbhais droma damghaire), et surtout pourquoi ils pouvaient le faire et nous autres non.
Gardons-nous de rejeter l’héritage spiritualiste de la mythologie druidique ; cet héritage est pour nous, hommes du XXIe siècle, le dernier pont jeté sur l’abîme suscité par la perversion de notre société (le désenchantement). La primauté absolue de l’économique et du marché, l’absence d’idéal surhumain, privent la jeunesse d’aspirations nobles, de directives transcendantes. Ne pas se vouer à un idéal surhumain constitue pour les enfants bien nés, une véritable négation de la vie. La jeunesse trouvera dans les mythes héroïques du druidisme antique un idéal sans limites, une raison de vivre et d’espérer en une destinée à construire (gaefa *, pas gaesa), à la mesure de son ambition, qui est toujours immense. Et les hommes les plus éloignés de leur source spirituelle pourront alors, eux aussi, communier avec le divin immanent. Ce que cet opuscule destiné aux jeunes écoliers du druidisme propose donc aujourd’hui, c’est un retour aux sources pour le saumon de leur sagesse. Un retour au temps où les hommes savaient encore discerner ce qui venait du Ciel ou de la Terre, parce qu’ils sentaient les dieu-ou-démons [les pouvoirs préternaturels de l’homme] présents dans l’Univers et en eux.
* Note sur la Destinée chez les Vikings [MAIS ON PEUT EN DIRE AUTANT DES ANCIENS CELTES]
On a longtemps cru que les Scandinaves, dans les siècles qui précédèrent leur conversion au christianisme – VIIIe et IXe siècles –, avaient atteint une sorte d’irréligion, de scepticisme ou d’indifférence. Cela tenait à une phrase qui se rencontre souvent dans leurs textes : Hann blôtadi ekki, hann tradi à sinn eiginn màtt ok megin (Il ne sacrifiait pas aux dieux, il croyait en sa propre force et en sa chance). Les recherches récentes de savants suédois comme Folke Ström et Henrik Ljungberg en particulier, ont établi qu’une telle interprétation ne reposait sur rien. Elle soulignait au contraire la participation au sacré qui expliquait qu’un homme se sentît fondé à dépasser des dieux anecdotiques, si l’on peut dire, et à ne croire qu’en lui-même, c’est-à-dire en sa propre chance et en sa capacité à réussir puisque celles-ci lui venaient des puissances divines. La formule en question (Hann blôtadi
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ekki, hann tradi à sinn eiginn màtt ok megin) loin d’être une profession de scepticisme, était au contraire un acte d’adoration implicite ! [Du moins telle est l’opinion de Régis Boyer sur cette notion de gaefa].
Les Vikings ne croyaient pas en un destin immuable. Quels que soient les projets de leurs dieux à leur sujet, les anciens Scandinaves et Germains demeurent libres du détail de leur vie et croient en leur capacité de forcer sa chance, pour en modifier le cours (gaefa), à leurs talents, à leur force et à leur volonté, à leur capacité de réussir, et aussi à l’appui de leurs ancêtres : ce qu’ils appellent « eiginn mattr ok megin ». Pragmatiques, ils ne sont en aucun cas des fatalistes subissant un destin. Ce sont avant tout des combattants et des hommes libres qui décident de leur sort au risque de déplaire aux dieux. Ils croient en la magie ou plutôt à la présence constante du surnaturel ou préternaturel et à la divination pour percer les projets de leurs ennemis, des dieux et des forces tutélaires, afin de changer le cours des événements, et d’anticiper sur le destin, donc de le modifier, car rien n’est mektoub, rien n’est écrit définitivement. EN CELA ILS SONT EXACTEMENT COMME LES CELTES.
Il n’y a pas de destinée que leur volonté ou l’aide de leurs dieux ou de leurs ancêtres ne puisse modifier, car les Scandinaves étaient des hommes d’action prisant les valeurs d’action. Ils sollicitent donc les forces, les dieux et leurs ancêtres, qui répondent dans leurs songes « mik dreymdi, at Freyja » (exemple : Freyja m’a fait rêver que…).
Les questions de base ne sont pas celles évoquées par Saint Patrice pour les filles du roi, ce sont les suivantes : d’où venons-nous ? Pourquoi sommes-nous sur Terre ? Où allons-nous et que devenons-nous après la mort ?
Nous ne sommes pas des orphelins spirituels voués à devenir des « spirituellement sémites » par adoption, comme l’a dit je ne sais plus quel évêque (de Rome). La Celtie antique vit toujours, certes plus d’une vie physique comme jadis, mais d’une vie spirituelle, animée par l’éternelle jouvence (jovinca) de ses dieu-ou-démons, et par l’éternelle jouvence des sources de son esprit.
Elle assure à ceux qui en assimilent l’essence impérissable, à ceux qui peuvent sonder l’abîme de réflexion de ses différentes Écoles de pensée, qu’elle peut être encore pour aujourd’hui comme une cure de jouvence (jovinca). La possibilité de remonter un jour nous asseoir dans le monde secret des dieu-ou-démons, existe toujours. La possibilité de nous asseoir autour des dieu-ou-démons comme le fit autrefois le hésus surnommé « le Chien de Culann » : le modèle humain qui remonta comme un saumon aux sources mêmes de la vraie vie.
La Celtica Litavia (la grande Celtie libre et indépendante) attend le retour de ses bannis, et seule la pollution de nos esprits par les miasmes de la civilisation moderne, nous empêche de voir que ce mouvement est d’ailleurs déjà en partie amorcé. La mystique de cette race de poètes « qui parlent la langue même des dieux » attire toujours les âmes et les envoûte.
L’Occident robotisé contemplera un jour de nouveau, les yeux dans les yeux, la fascinante litanie de ses dieu-ou-démons et de ses déesse-ou-démones, ou de ses fées.
Notre cécité spirituelle est néanmoins telle, qu’elle nous empêche de remarquer, dans la foule humaine, ceux qui ont réussi à faire croître en eux « l’impossible idéal », qui hantait le cœur des héros celtiques antiques du temps d’Ambicatus. Et qui ont réussi comme eux, après maints et maints affrontements intérieurs, « à voir les dieu-ou-démons en face ».
Ces surhommes du XXIe siècle, dont le privilège, chèrement payé, permet d’avoir un pied dans chaque monde, le vrai ainsi que le nôtre, ne sont point grisés par leurs succès. Comme le hésus appelé Cuchulainn dans les légendes irlandaises, ils se retournent fréquemment, et le cœur angoissé, afin de voir si, dans le troupeau des hommes, quelques-uns ne quittent pas tout pour venir les secourir ou les seconder dans leur ultime combat. Ces nouveaux héros, s’ils livrent toujours de furieuses batailles, ne le font plus dans le fracas des chars et les vociférations des combattants. Ce sont des batailles secrètes, longues, épuisantes, silencieuses, où l’homme n’a d’autre but que de se vaincre lui-même (grand djihad disent les musulmans).
C’est aussi ce que voulaient nous faire comprendre les anciens druides avec leurs légendes épiques : il n’est pas de victoire plus difficile et méritoire que celle que l’on remporte sur soi-même.
Mythes et panth-éon ou plérôme druidiques sont autant de « bibles » scellées, attendant que les vraies élites de l’Humanité, qui ne sont nullement ses hiérarchies sociales, bien au contraire, soient capables d’en déchiffrer les énigmes. Et que la conscience humaine, écœurée par la bêtise (l’ignorance ou le manque d’intelligence) et la haine, aspire enfin à retrouver le souffle vivifiant de l’Esprit.
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En tant que mythes issus de l’imaginaire des archétypes fondamentaux, toutes les mythologies viennent de l’Esprit, mais le malheur vient de la lettre. Le mythe s’adresse au divin que nous portons en nous, et n’a que faire de la lettre. Il cherche à déclencher en nous des résonances, il essaie de faire ressurgir dans notre esprit des images, des sons, des sentiments, des affinités, en secouant la poussière de nos peurs ancestrales.
De là le charme incomparable et la profondeur de sa mythologie dont les fables grandioses enveloppent en se jouant les plus transparentes vérités.
Car les druides antiques ont été en quelque sorte les propres prestidigitateurs de leur pensée. Leur imagination s’est jouée des sacrilèges possibles, mais elle sut également mettre en valeur l’âme/esprit, tout entière faite de nuances, de la Celtica Litavia (la Grande Celtie). Et inversement ! Le génie du paganisme celtique a trouvé dans sa mythologie un moyen d’expression raffiné, digne de sa civilisation. C’est pourquoi le contenu de son panth-éon ou plérôme et de ses mythes a quand même pu parvenir jusqu’à nous, dans toute sa fraîcheur.
Nous ne pouvons que regretter ou envier cette flambée mystique du génie du paganisme, cette promiscuité confiante et familière avec les dieu-ou-démons, génératrice de la haute éthique que l’on connaît, celle des chevaliers de la Table Ronde.
À cet égard l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD. est doublement inférieur au druidisme voire au christianisme ! Il n’existe pas, par exemple, dans l’idéologie musulmane (Coran hadiths et madhahib) ; d’équivalent des paraboles de la femme adultère (christianisme-évangile) ou de la femme de Partholon (druidisme : livre des conquêtes irlandais). Ni d’équivalent de la loi réprimant plus durement le meurtre d’un étranger donc quelqu’un ayant d’autres dieux, que celui qui est perpétré contre des compatriotes (ou coreligionnaire donc par définition à l’époque, cf. le druidisme selon Nicolas de Damas : recueil des coutumes extraordinaires) ; voire encore de la parabole du bon Samaritain (christianisme-évangile). Sans compter que les druides antiques également (ils étaient homophonon selon Diodore de Sicile, livre V, 31) parlaient, eux aussi, la langue divine par excellence (kalâm nafsî. Mais il est vrai que les moutazilites reconnurent que le Coran n’était pas incréé. Dont acte !)
Heureuse donc fut la civilisation qui possédait des Écoles de pensée où les hommes pouvaient trouver un réel espoir de remonter à la source comme un saumon retournant dans la rivière l’ayant vu naître. Où les gestes de l’existence quotidienne avaient encore une signification sacrée, où l’on discutait des dieu-ou-démons et de leurs pouvoirs.
« Ils discutent et transmettent à la jeunesse beaucoup d’éléments concernant les étoiles et leurs mouvements, l’étendue de ce monde et de notre terre, la nature des choses, le pouvoir et la majesté des dieux immortels » (César VI, 14).
Où lutte et combat étaient des catharsis, des prières, comme l’étaient le travail et les fêtes religieuses génératrices d’espoir. Si les Celtes ne furent pas tous des esprits forts comme l’Indutiomaros de Cicéron, la faute n’en incomba nullement à leurs druides, mais à leur évolution insuffisante.
Tout n’a pas été dit sur cette spiritualité que l’Occident considère à juste titre comme une des sources de sa mystique. Une des sources de sa mystique, mais dont la clé serait restée au fond d’un autre âge, au fond d’un autre monde.
Combien de décennies de travail, de patience, d’accumulation de connaissances, faudra-t-il dans l’étude de la religion des Celtes, avant de retrouver le fil conducteur, permettant de comprendre enfin, le panth-éon ou plérôme druidique et ses mythes ?
Quelle témérité ne faut-il pas pour s’aventurer dans une interprétation exégétique correcte de ces contes et légendes déroutants ?
Car tout est fiction symbolique (réalité objective et vraie, mais traduite en un langage humain imagé, voire anthropomorphe) dans la mythologie druidique. Géants, monstres, colère des dieu-ou-démons, crimes, incestes et adultères, et même les batailles rangées où chaque héros par ses hauts faits tente de s’élever plus haut que son ami, ou son valeureux ennemi. Cas du grand Chien cheminant dit Setanta Cuchulainn, en Irlande par exemple.
Le mythe n’est pas, chez les Celtes, le résultat, l’émanation, ou la création, d’une imagination et d’une affabulation humaine. Il est l’expression d’une vérité d’ordre supérieur, révélée sous une forme susceptible d’être comprise par ceux qui sont aptes à la comprendre. Ce que les hindous appellent vyuha et les musulmans du chirk (pour le condamner).
La philosophie druidique se présente avant tout comme l’œuvre de penseurs appartenant à une communauté religieuse caractérisée par des mythes, appartenant à un peuple dont la religion est fondée sur des mythes, et un panth-éon ou plus exactement Plérôme de dieux ou démons (Albiobitos + Anderodubno = Annouim).
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Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le noter, panth-éon ou plérôme druidique et mythes ne sont pas des récits d’exploits glorieux et passés (même s’ils sont parfois présentés ainsi), mais une tentative d’explication métahistorique. Les événements qui sont relatés dans ses récits sont les symboles des processus qui ont eu lieu à la verticale, événements théogoniques primordiaux, mais aussi modèles éternels.
Mythes et panth-éon ou plérôme druidique permettent de simplifier des concepts difficiles à faire comprendre à des néophytes.
Le mythe est une méta ou une hiéro-histoire n’ayant aucune réalité, mais dotée néanmoins d’un grand pouvoir explicatif, tout se passant « comme si… »
Exemple de méta-histoire. Les pouvoirs préternaturels d’Adam et Ève dans le judéo-islamo-christianisme.
Chacun sait, ou du moins devrait savoir, qu’Adam et Ève n’ont jamais existé (ce qui a existé, c’est une petite population de quelques dizaines d’individus). Et qu’il s’agit d’un mythe mésopotamien révélé par Dieu (ou le Saint-Esprit suivant les Écoles) aux intellectuels sumériens de l’époque, afin d’expliquer aux hommes pourquoi ils avaient donc été créés, par Dieu ou le Démiurge (pour l’honorer, le vénérer. Ou par amour suivant les Écoles, ce qui est bien peu vraisemblable et de toute façon inexplicable et illogique, alors…).
Par contre pour les judéo-islamo-chrétiens tout se passe comme si Adam et Ève avaient alors été gratifiés par les Élohim (les dieu-ou-démons ou Dieu, ou le Démiurge, au choix) de dons préternaturels comme l’immortalité corporelle, le contrôle parfait de la nature par la raison, ou l’absence de désirs négatifs, comme la concupiscence. Sans oublier l’absence de souffrance et une connaissance des vérités naturelles et surnaturelles. Les quelques milliards de judéo-islamo-chrétiens peuplant notre planète affirment qu’Adam et Ève reçurent ces dons, non seulement pour eux-mêmes, mais pour leur postérité.
Voici ce que l’on appelle de la méta-histoire. Rien dans la Science, l’Histoire, ou la Paléontologie, voire la Philosophie, ne justifie un tel mythe, mais pour les croyants judéo-islamo-chrétiens, tout se déroule comme si les choses s’étaient passées de la sorte. Il n’y a pas d’autre explication possible à ce qu’ils croient déceler aujourd’hui de la nature humaine. Et il est vrai que si l’on adopte leurs différents points de vue sur le sujet, on ne peut en effet qu’arriver à cette conclusion.
La bataille de la plaine aux menhirs ou tumulus relève, elle, de la métahistoire chère aux druides. La chute des hommes hors des temps hyperboréens également. Contrairement au christianisme qui, lui, a tout récemment réaffirmé le caractère historique et non méta-historique ou mythique, de la chute d’Adam et Ève, rapportée par l’Ancien Testament
Les différentes Écoles de pensée du druidisme ont donc reçu en partage un problème posé par le phénomène religieux qui leur est commun : le phénomène du mythe, règle de vie en ce monde, ou guide au-delà de ce monde. La tâche première et dernière de tout druidisant, est de comprendre le vrai sens de ces mythes, et de ne pas en rester à l’apparence littérale. Mais le mode de compréhension est évidemment conditionné par le mode de vie de celui qui comprend, et réciproquement, le comportement intérieur du druidisant dérive de son mode de compréhension.
La situation vécue est essentiellement une situation herméneutique, autrement dit une situation où, pour le druidisant, éclot le vrai sens de ces mythes et de ce panth-éon, lequel du même coup rend également vraie son existence.
Cette vérité du sens, corrélative de la vérité de l’être, vérité qui est réelle, réalité qui est authentique, tel est le but de toute recherche druidique en matière de mythologie ou de panth-éon (plérôme).
La véritable exégèse druidique doit transcender les données de fait des mythes pour remonter à leur origine.
Il s’agit de découvrir le sens originel profond de ces mythes, c’est-à-dire le sens qui, en étant la vérité, en est l’essence, et, par conséquent, le sens spirituel.
La mythologie celtique implique une cosmogonie et une anthropologie déterminée (par conséquent une civilisation et une philosophie). N.B. Reconnaître que le but à poursuivre est le sens spirituel des mythes signifie donc qu’il peut aussi exister, pour ces mêmes mythes, des sens non spirituels. Et qu’entre ces sens spirituels et ceux qui ne le sont pas, il peut y avoir toute une série de gradations conduisant à une pluralité de significations.
On retrouve là par conséquent la définition même de tout paganisme ou polythéisme.
Le mythe présuppose une perception des événements à un niveau autre que celui du monde empirique.
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Cette métahistoire suit à la trace les énergies spirituelles et les univers supérieurs qui ont imprimé leur marque dans notre monde. Le mythe fait descendre la lumière sur terre.
Être druide, c’est occulter l’apparent et manifester l’occulté, autrement dit remonter jusqu’au sens originel et vrai du mythe, du mythe ou du panth-éon (plérôme).
Partir à la recherche du « Graal » dans ce cas, c’est donc détourner l’énoncé du mythe de son aspect extérieur ou exotérique pour le faire retourner à sa vérité profonde. Un tel travail d’exégèse spirituelle est comme une nouvelle naissance (voir la notion d’ategnatus), car l’exégèse des mythes ou du panth-éon celtes, ne va pas sans exégèse de l’âme et de l’esprit.
Les faits métaphysiques au sens strict du terme (par exemple l’union intime et métamorphique de l’âme et de la matière dans le grand chaudron de vie cosmique, ou le pacte conclu entre les dieu-ou-démons et les hommes, etc.) ; s’accomplissent dans cette métahistoire extériorisée par les mythes, et ne font que transparaître dans le cours des choses de ce monde, en y constituant l’invisible des événements, échappant à la perception empirique profane. Parce que présupposant justement cette perception des théophanies que seul peut saisir un druidisant.
Les dieu-ou-démons et les demi-dieu-ou-démons, ne sont perçus comme tels que sur le plan de cette métahistoire, qui nous décrit les différentes étapes de la descente ou de la remontée en ce monde, de la lumière du monde ; l’eschatologie druidique, plus philosophique, en décrit donc la remontée pour clore le cycle.
C’est cette métahistoire qui donne un sens à l’Histoire.
Sans métahistoire c’est-à-dire sans antériorité « en Hyperborée ou dans le Ciel » et sans eschatologie, alors il n’y a guère de sens de l’Histoire. C’est à cette réalité suprasensible du sens de l’Histoire que se rapporte la notion de cycle.
La perception plénière de la réalité des mythes et des dieu-ou-démons, présuppose évidemment l’accès à cette intériorité de la métahistoire ainsi qu’aux événements qui s’y passent. Et c’est tout autre chose que ce que la perception empirique atteint dans les faits de l’Histoire extérieure. Les mythes celtes recèlent un sens caché, un sens spirituel, nécessitant exégèse et initiation spirituelle.
Sens restant même parfois encore à (re ?) découvrir, faute d’évolution suffisante de l’Humanité actuelle. Les dieu-ou-démons celtiques et leurs légendes sont toujours vivants et ils continueront de vivre. Tant que dureront les Cieux et la Terre. Parce qu’ils recèlent des signes ou des guides pour chaque personne ou groupe de personnes, présents ou à venir.
Il ne faut pas confondre cette métahistoire qui relève du temps qualitatif pur, du temps intérieur de l’âme, et l’Histoire au sens strict du terme, l’Histoire extérieure qui est le temps du monde objectif et quantitatif, homogène et continu.
Les notions habituelles n’ont pas la même signification, selon que l’on se réfère à l’un ou à l’autre de ces temps, selon que l’on se réfère à l’Histoire ou à cette Métahistoire racontée par les mythes.
Il y a des événements qui ont été parfaitement réels, sans pour autant avoir la réalité des événements de l’Histoire empirique au sens strict du terme.
Exemple, l’union intime de l’âme et de la matière au sein du grand chaudron de vie cosmique. Le pacte conclu entre les dieu-ou-démons et les hommes après le combat pour la possession de la terre cultivée : la Talantio (Tailtiu en irlandais, cf. Rosemartha sur le Continent) dit aussi 3e Bataille de la Plaine des menhirs ou des tumuli. L’exil dans l’autre monde des dieu-ou-démons, grâce à l’aide de Belin/Belen/Barinthus (l’avatar de Taran/Toran/Tuireann appelé Manannan Mac Lir en irlandais, Manawyddan ap Llyr en gallois, particulièrement honoré dans l’île de Man). Et ainsi de suite. Aucune chronologie réelle vraiment historique ne peut donner la date de ces événements, présumés conclus avant que l’Humanité ait été fixée sur terre (ils se sont passés dans le temps de la préexistence des hommes). Les druides ont donc reconnu très tôt, par-delà l’existence pressentie des dieu-ou-démons, la source de vie et d’abondance cosmique d’où ils sont issus. D’où sont également issus l’âme du monde et ce monde des 5 sens (celui de la Grande déesse-ou-démone mère cosmique) auquel les âmes individuelles sont associées. Mais dont elles doivent se délivrer par la connaissance ou les exercices spirituels (pour arriver à la réunification avec l’Un Divin).
Le principal élément qui différenciait l’ancien druidisme des autres religions préchrétiennes était en effet sa croyance en un Être supérieur, véritable chaudron de vie et d’abondance cosmique, symbolisé plus tard par la notion de « Graal ».
D’après les druides primordiaux, cet Être supérieur régnait sur l’univers au moyen de nombreuses divinités subordonnées ; les différentes facettes du diamant de sa personnalité (subordonnées, mais non égales à lui, en pouvoir ou en statut) agissant donc en tant que causes secondes ou intermédiaires ; occupant et contrôlant les corps matériels auxquels elles avaient été assignées.
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C’est pourquoi, quand un druide gutuatre ou une prêtresse gutumatre invoquait un fleuve par exemple, cette invocation n’était pas en fait destinée au fleuve lui-même, mais à la divinité qui résidait en lui.
Cela bien sûr, avait conduit les druides primordiaux à considérer que toute action manifestée, le frémissement d’une branche, la chute d’une feuille, le mouvement des nuages… était l’action d’une intelligence ou d’une volonté : une divinité avec un message du Destin ou Tokad. Étudier puis interpréter ces messages (labarum) était la grande affaire des anciens druides.
Le chaudron cosmique (le dieu-par) n’avait pas seulement les traditionnels pouvoirs d’un dieu-ou-démon, il contribuait aussi concrètement à la vie ainsi qu’un inépuisable réservoir d’énergie…… Les éléments fondamentaux de toute vie sont l’énergie symbolisée par le feu et l’eau. Avant que ce monde ne naisse, le feu existait à l’état pur (aedus). Après la naissance du monde, il y eut mélange avec les autres éléments, notamment l’eau, donc dégradation, et c’est dans cette « soupe cosmique » qu’apparurent les premières formes de vie.
C’est de là qu’est issue l’âme, l’anamone, comme une bulle d’air remontant à la surface. Ensuite elle cherche sa voie au travers des différents stades végétaux ou animaux, jusqu’à la forme humaine. Ce faisant elle obtient son premier degré d’autonomie : la capacité de juger du vrai et du faux, du juste et de l’injuste.
La plus petite sphère de l’existence – la vie physique – contient autant de vrais que de faux, et l’Homme est plus ou moins libre de choisir la façon dont il balancera sa vie entre les deux. Au fur et à mesure que l’Homme traverse les différents stades de son existence, il s’éloigne graduellement de la sphère en question, et pénètre peu à peu dans les sphères de plus en plus lumineuses. Autrement dit, va vers une union de plus en plus grande avec la source de vie et d’énergie cosmique qu’est le Grand Tout. Son progrès en ce sens est fonction de ses actions.
En gros, en très gros, une action sur-spiritualisante ou sur-hominisante, constitue un pas vers ce chaudron cosmique (un regressus uterum) et une action contraire un pas en arrière, vers l’Andumnon ou Non-Monde.
Quand un très grand pécheur (c’est-à-dire pour reprendre la terminologie druidique antique, quelqu’un ayant vraiment toujours fait le contraire de la maxime de base : « honorer les dieux, être courageux et ne rien faire de bas ») meurt ; il retourne dans ce monde ici-bas, qui est celui de la grande déesse-ou-démone mère cosmique ; après un bref séjour dans le non-monde de l’andumnon ou anderodumnon, à un stade en relation avec son comportement dans sa vie antérieure.
Les druides en effet croyaient qu’un homme se réincarne dans le corps ressemblant le plus à sa personnalité passée. En cas de réincarnation sur cette terre et non dans l’autre monde, évidemment, ce qui n’était pas toujours le cas, loin de là.
Cette réincarnation due au poids de son bran éventuellement se renouvelait jusqu’à ce qu’il finisse par atteindre la sphère du Vindomagos ou de Mag-Meld, où il pouvait achever tranquillement de se purifier. Avant de progressivement s’élever dans les cieux et parmi les étoiles pour se fondre dans le chaudron d’énergie cosmique au bout d’un certain temps. Symboliquement ces trois sphères étaient assimilées à la terre, aux nuages et au soleil. Le chaudron de vie et d’abondance était représenté par le soleil.
L’Homme vit sur terre, mais atteint constamment aux marches du Ciel. Durant son existence, l’Homme doit donc aspirer à rejoindre les cieux. À sa mort, il allait dans les nuages. Les nuages ou la brume à l’horizon sur la mer, c’étaient les âmes/esprits des morts qui, à cause de leurs imperfections, n’avaient pu aller au-delà, et atteindre le soleil ou les étoiles.
Vindomagos, Mag Meld, Aballomagos, et autres étaient les noms donnés à cet autre monde.
Cet autre monde était une étape ou un relais pour les mortels ayant à parachever, leur purification.
L’univers était une gigantesque marelle cosmique où l’homme montait de case en case, pour atteindre son but, la réintégration dans le chaudron cosmique originel (en quelque sorte un regressus uterum). Son progrès pouvait être accéléré, ou au contraire retardé, suivant les cas (car à la différence des théories chrétiennes sur l’âme, les druides croyaient, en effet, que l’homme peut parfois, mais de façon exceptionnelle, quelques cas par siècle, retomber à un niveau inférieur de développement).
Il faut à cet égard se méfier de l’interprétation qu’ont faite de ce voyage des âmes après la mort les scholiastes de Lucain qui n’y ont rien compris.
Ci-dessous.
ORBE ALIO : apud antipodas. Hi de metapsihei (sic) senserunt, et euntem ad corpus in tribus elementis purgari dixerunt. In igne in perusta, in aere in temperata, in aqua in frigida. Vel alium orbem vocat alia corpora digniora vel indigne apud nos. Fuit enim sentencia, animas in comparibus stellis positas. Et descensus per cancrum. In planetis vero pro diversitate eorum hauriebant diversa. In corporibus tandem pro merito quedam cicius celum petebant, quedam de corpore in corpus transeunt, donec firmamento consecuti resipiscant.
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ORBE ALIO : aux antipodes. Voilà ce qu’ils pensaient à propos de la métempsychose, et ils disaient que l’on doit être triplement purifié avant d’entrer dans un (nouveau) corps. Quant à son ardeur par la combustion, quant à son air par une chaleur tempérée, quant à son eau par le froid. Ou alors ils appellent autre monde le fait d’entrer dans des corps plus dignes ou moins dignes que les nôtres ici-bas.
Cette sentence impliquait peut-être que les âmes se reposaient alors dans des étoiles de même nature qu’elles. Puis redescendaient par le Signe du Cancer. En s’enrichissant par l’intermédiaire de ces planètes de divers éléments suivant leurs besoins et leur nature. À la fin après être entrées dans de nouveaux corps certaines accédaient plus rapidement au ciel en fonction de leurs mérites tandis que d’autres continuaient de passer de corps en corps jusqu’à ce qu’elles atteignent elles aussi le firmament.
N.B. Pour Henri Lizeray commentant les sacrifices dédiés à Crom et Bel ce serait le soleil qui jouerait le rôle des planètes évoquées par le scholiaste de Lucain.
Il serait la bouche béante vers laquelle se précipitent, après plus ou moins de durée, tous les êtres animés, pour être rénovés et refaits sous une forme plus pure.
Le Crom de nos frères irlandais c’est Cronos, c’est-à-dire le Temps avons-nous dit. Comme les religions ne sont que des symboles, on sacrifia des victimes à Crom par analogie avec le Temps qui consomme tout, edax rerum. On reconnaissait les mêmes dispositions à Bel, le soleil du printemps, car le mot bel signifie bouche [erreur d’Henri Lizeray].
Ce qu’il faut plutôt supposer donc c’est que, des nuages, l’homme atteignait donc éventuellement le soleil ou les étoiles. Soleil ou étoiles n’étaient pas le terme ultime de son voyage. Il passait à travers eux pour atteindre une sphère encore plus profonde, profonde comme un trou noir dans l’espace, le chaudron cosmique.
Soleil ou étoiles étaient des points de passage à sens unique. Derrière le soleil l’homme ne pouvait plus régresser, sa destinée, du coup, s’en trouvait devenir celle de ce fantastique chaudron d’abondance et d’énergie.
Les comètes et les étoiles filantes étaient considérées par les druides antiques comme des âmes d’êtres exceptionnels (d’auentieticoi ou d’awenyddion) en route vers les astres (montant au Paradis).
Cette ancienne conception druidique était pluridimensionnelle, et il était possible de l’interpréter en fonction d’autres possibilités de voyage pour les âme/esprits. Ce voyage des âme/esprits était alors représenté non plus selon un axe vertical, mais horizontal.
Dans cette antique conception du monde, l’homme, à sa mort, passait sous les vagues de l’océan pour y gagner les îles à l’ouest du Monde. Ou bien alors retournait sur la terre ferme drossé au rivage pour y vivre une autre existence. Jusqu’à ce qu’il arrive à gagner le large au-delà de la 3e vague (nombre symbolique bien évidemment). Le point de passage à sens unique, au-delà duquel il pouvait voguer tranquillement vers le Vindo-Magos, l’Aballomagos, ou le Mag Meld, le pays de la joie et de la paix, ou aux bagarres spectaculaires, mais inoffensives comme dans les films avec John Wayne, au bar ou dans le salon. Où il achevait de préparer son retour au sein du chaudron cosmique pour s’y fondre dans son énergie cosmique et vitale en ébullition.
Cette conception horizontale ou latérale du progrès des âmes se trouvait surtout répandue chez les druides des pays celtiques situés à l’ouest ; cette façon de concevoir les choses étant due certainement à leur situation face à l’immensité de l’Océan qui borde les côtes de l’Europe de l’Ouest. Dans les deux cas, les druides de ce temps-là ne se penchaient guère sur la possibilité d’un mouvement descendant des âmes (régression). Ils ne se préoccupaient surtout que de l’ascension (atteindre ou dépasser restaient leurs maîtres mots).
Le chaudron d’abondance et de vie cosmiques qu’était pour eux le Grand Tout, était à la fois au-dessus ou derrière, mais jamais en dessous. Il n’y avait pas d’enfer au sens strict du terme dans cette religion. La quantité de négativité (de forces négatives) cumulée par l’homme dans sa vie (bran) étant limitée, elle ne pouvait être sanctionnée par un châtiment illimité comme l’enfer du dieu d’amour des chrétiens à la « saint » Augustin… L’homme devait, à certains moments de son processus d’incarnation s’acquitter de ses dettes, un point c’est tout !
La beauté du druidisme, c’est que, selon lui, chaque homme, quel que soit le mal qu’il peut avoir fait à première vue, pourra aussi réintégrer le Grand Tout ; que chaque renaissance en l’autre monde ou dans celui-ci, est un pas de plus vers ce regressus uterum.
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Le Dieu-ou-démon hénothéiste des druides (de dhruadh, mu dhe tar gac nde, en gaélique) est donc d’une part le Tout Englobant Universel symbolisé par le chaudron d’abondance et de vie, appelé plus tard Graal ; dont l’anamone individuelle humaine n’est qu’une larme de feu divine.
D’autre part les dieux ou démons qui se sont fait connaître à leur peuple (leur peuple de frères parce qu’issus, eux aussi, pour la plupart du peuple du grand sorcier primordial et chef de clan, le Nemet Cornunnos d’après les légendes irlandaises, et parlant bien la même langue qu’eux d’après Diodore de Sicile). En faisant la paix avec lui et en leur abandonnant la jouissance de la terre.
Le Dieu-ou-démon celtique est donc un dieu-ou-démon polymorphe, mais aussi un Dieu-ou-démon de paix qui a laissé les hommes libres (autonomes) sur terre.
Cette notion de dieu-ou-démon que l’on ne nomme pas (Strabon, Geographia III, 4,16) strictement analogue au El Elyon de la Bible était propre au monde païen évidemment. Il y a donc lieu maintenant d’approfondir un peu plus cette notion et notamment l’histoire de cette incarnation sur terre des différents avatars du Divin.
Cette histoire est faite à la fois d’événements et de paroles intimement unis entre eux.
N.B. Les bardes médiévaux irlandais ont noirci à plaisir la mort de notre grand héros national, le hésus Cuchulain, en en faisant un drame sombre et glauque à souhait, ce que sa légende primitive n’était certainement pas.
Les vrais Celtes d’esprit avec leurs gaesa font en réalité preuve du même fatalisme OPTIMISTE ET ACTIF QUE CELUI QUI A CARACTERISÉ LES VIKINGS AVEC LEURS GAEFA.
Les grandes lignes de notre destinée sont globalement immuables, mais les détails (notre façon de mourir, la vitesse de notre accession au paradis, etc.) peuvent varier, car les dieux qui sont les auxiliaires du Destin, sont des causes secondes virotutis, anextiomarus, iovantucarus, contrebis, dunatis, toutatis, et autres.
De la naissance de ce monde à cette nouvelle (pro) création incessante qu’est le salut en ce monde et dans l’autre, la même solidarité de l’Être supérieur se déploie et a pour effet de faire partager aux hommes sa vie et sa souveraineté.
L’incarnation de ce message divin a eu lieu au sens propre du mot (avatar en sanscrit) au sein de l’histoire des hommes et les très sachants ont la charge de faire connaître le plan de masse divin en ce qui concerne ce monde (et sa totale solidarité intrinsèque avec le divin).
Seul le comportement authentique des druides historiques ou mythiques (la druidiactio) est enseignement sacré, c’est-à-dire à méditer. Le comportement des druides historiques, ou mythiques, en tant que tels, remplit, dans et pour la tradition, une fonction tout à fait spécifique. Le druidisme se perpétue dans sa doctrine, sa vie et ses cultes, et il transmet du coup à chaque génération, tout ce qu’il est lui-même, tout ce qu’il sait.
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Depuis quelque temps, des écrits ont été divulgués, qui se réclament souvent de l’autorité de telle ou telle tradition celte (galloise ou bretonne) ; mais véhiculent en fait des spéculations ou un imaginaire très éloigné de l’esprit et de la simplicité de la seule vraie grande tradition primordiale qu’est l’indo-européanisme, ou du nouveau druidisme.
Ces mystères ou ces secrets, qui se disent même parfois « traditionnels », ou « druidiques » (exemple : les fausses triades) sont en fait apocryphes. Ils piquent la curiosité d’un certain nombre de nos contemporains, toujours épris de sensationnel. Connues généralement depuis longtemps, mais tombées en désuétude en raison de leur médiocre intérêt, ces triades de Bretagne sont souvent présentées au public comme de véritables découvertes (la découverte d’un Gallois nommé Iolo Morgannwg).
Or c’est par référence à l’histoire authentique que le néo-druidisme doit sans cesse vérifier la rectitude de ses convictions. Cette histoire authentique demeure ainsi la source de sa permanente jeunesse. Le néo-druidisme a toujours eu et a encore pour règle supérieure, le respect de la vérité historique, conjointement à celui de la Tradition. L’expérience montre notamment ce qui peut être fait de la tradition lorsqu’elle est détachée de la réalité historique, qu’elle contribue à nourrir et à faire comprendre. En France, à partir et au nom de cette tradition, n’ont cessé de se multiplier les escroqueries mercantiles ou intellectuelles type Goursez ou Gorsedd bretonne, collège druidique des Gaules (bulletin Ar Gaël), groupe druidique des Gaules (bulletin Message), École druidique des Gaules, etc.
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Le druidisme ne doit pas être n’importe quoi. Et surtout pas une nouvelle superstition de plus. Les druides d’aujourd’hui ont le devoir de veiller à la rectitude de l’interprétation de l’action ou de la parole des dieux ou démons, telle qu’elle apparaît dans tous ces faits de civilisation celte, dans l’Histoire et dans la tradition.
Pour cela, ils bénéficient non seulement du travail des exégètes et des historiens des religions, mais aussi de ce que l’étude attentive des dagolitoi (fidèles) a perçu de cette parole ou de cette geste des dieu-ou-démons, qui leur a été transmise en Irlande.
Puisque ces faits de civilisation celtique doivent être lus et interprétés à la lumière de l’esprit qui les a fait naître ; il ne faut pas, pour découvrir exactement le sens de ces faits, porter une moindre attention au contenu et à la profonde unité de toute l’histoire celte ; eu égard à la tradition vivante du druidisme et à l’analogie des autres spiritualités païennes.
Il appartient aux exégètes de s’efforcer, suivant ces règles, de pénétrer puis d’exposer toujours plus profondément le sens de ces témoignages historiques, afin que, par leurs études en quelque sorte préparatoires, mûrisse le jugement des druides actuels.
Cela est particulièrement vrai pour l’exercice ordinaire et habituel de la magistrature morale exercée par les druides.
Magistère dans lequel est décliné le savoir druidique à tous les niveaux de responsabilité (théologie, déontologie, et ainsi de suite).
À cet enseignement courant, pour ce qui est de la foi et de la déontologie (l’éthique), qu’expose la druidiactio, les fidèles doivent apporter l’assentiment de leur esprit, mais en leur âme et conscience, et en toute autonomie, évidemment. Après mûre réflexion et non par la contrainte
Contrairement à ce qui se passe en terre d’Islam où l’apostasie est sévèrement réprimée (il est vrai que le verset mecquois initial isolé spécifiant qu’il ne doit y avoir nulle contrainte en matière de religion (2, 256) a vite été abrogé par maints versets médinois stipulant exactement le contraire et notamment celui dit « de l’épée » : 9,29) qui en abroge d’un seul coup 122 disons plus tolérants.
Sans prétendre à l’exhaustivité dans un domaine qui est en soi immense, nous voulons seulement tenter de circonscrire quelques-unes des opérations au moyen desquelles on s’attache à découvrir dans un texte, un sens non accessible à une lecture immédiate et naïve. Sens que l’on qualifie, selon les époques et les auteurs, de « caché », de « latent », de « vrai », de « profond ».
Cette quête d’un sens autre que le sens apparent est-elle fondée ? Si l’on s’en tient à notre expérience, il semble bien que oui. Tous, nous avons conscience qu’il peut exister dans le langage un autre plan de signification que le plan immédiat.
Dès l’Antiquité, on voit apparaître des grilles de lecture qui permettent de comprendre autrement, des légendes qui étaient pourtant parfaitement lisibles sans cela. Il s’agit du mode de lecture que l’on a qualifié d’allégorique ou encore d’exégèse. L’intérêt de ce système est de fournir une grille dont l’application à un texte donné permet de découvrir un plan de cohérence supérieur, qui en renouvelle la compréhension. Un peu à la manière de ces dessins popularisés par la psychologie de la forme (Gestaltpsychologie en allemand), où l’image apparente au premier regard peut soudain basculer, pour en faire apparaître une autre (exemple du célèbre vase de Rubin) ; ou comme un message écrit à l’encre sympathique peut se révéler dans les marges du texte.
Attestée dès le VIe siècle avant notre ère, la lecture allégorique a connu des formes variées. Les classifications traditionnelles en distinguent quatre types, selon le mode de référence choisi pour interpréter les récits mythologiques.
On parle ainsi d’abord d’exégèse de type physique. Celle-ci consiste à voir dans les dieu-ou-démons des forces de la nature.
Une autre forme d’interprétation est l’exégèse morale ou psychologique, qui consiste à voir dans les dieu-ou-démons des symboles des vertus et des vices. Allégories transparentes, évidemment, et qui ne demandent pas un effort de lecture particulier.
L’exégèse historique, parfois appelée aussi exégèse réaliste, est plus subtile. Elle cherche l’origine des mythes dans des événements humains déformés par la tradition. Cette forme de lecture atteindra son épanouissement avec le Grec Évhémère, vers le IIIe siècle avant notre ère. Pour ce dernier, les dieu-ou-démons ne seraient que des êtres humains divinisés.
L’approche exégétique repose sur le postulat que le texte renvoie véritablement à une réalité antérieure dont l’écrivain n’aurait été que l’historien plus ou moins fidèle. Ce type de lecture a suscité des réactions négatives chez Socrate et Platon, qui estiment que l’on a mieux à faire que de chercher des explications de type rationaliste à des histoires mythiques. Une telle réaction était néanmoins exagérée, car elle revient à jeter l’enfant avec l’eau du bain.
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D’autres modes de lecture allégorique se développeront. L’exégèse métaphysique et religieuse. Mais on pourrait en identifier d’autres. Le principe, en fait, est toujours le même. Il s’agit de poser un contexte de lecture, susceptible d’entraîner une traduction du sens premier dans un autre domaine de référence, et d’instituer une récurrence de sens, différente de la signification donnée par le sens immédiat. Mais c’est surtout la psychanalyse qui, à notre époque, a donné un nouvel élan à la recherche du sens caché sous le sens apparent. Par l’ambition qu’elle affiche, de se poser en système interprétatif global, elle s’est affirmée comme un druidisme moderne, et a pris le relais, dans une certaine mesure, des systèmes religieux de masse. À l’instar de ceux-ci, elle tire son efficacité de la réputation que sa vulgarisation a entraînée dans notre civilisation, et à l’intérieur de laquelle ses concepts tendent à passer pour absolument vrais. Ce qui lui permet de guérir les maux que sa propre connaissance a engendrés (un peu comme l’exorciste réussit effectivement à expulser les démons des malades qui croient en cela).
Dans ces divers types d’exégèse ou d’explication allégorique, le signifié premier du texte est vu comme un écran ; qui dissimule un autre signifié, plus vrai, plus conforme au réel.
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SOURCES, MÉTHODES, ET PROBLÈMES.
Dans ce domaine (la religion des Celtes), on trouve des opinions diamétralement opposées. On parlera ici d’une série de grands dieu-ou-démons personnels, panceltiques, et là d’une foule innombrable de divinités locales sans un certain nombre de grands dieu-ou-démons communs à tous les peuples celtes pour résumer toutes ces divinités.
Il existe même l’opinion selon laquelle les Celtes n’auraient en réalité adorée qu’un seul grand Dieu ou Démiurge, mais de contour et d’attributs très vagues, dont la personne et les fonctions se seraient ensuite émiettées au contact du polythéisme romain.
Il est donc indispensable de nous entendre ici sur les questions de méthode, ces questions, nous ne les éluderons pas.
Les principales sources de notre aperçu sur la religion druidique destiné aux jeunes écoliers du druidisme (pour les étudiants il existe d’autres sujets de méditation) ne sont, surtout pas, les fausses triades de la littérature galloise médiévale ou de Iolo Morgannwg ; et encore moins une quelconque Atlantide. Mais des renseignements fournis par les auteurs classiques, grecs et romains en particulier. Voire aussi des récits héroïques traités comme des légendes ayant trait à l’époque mythique originelle, donc fortement déformés, dans lesquels, sur bien des points, on devine des allégories [les contes et légendes insulaires, surtout irlandais d’ailleurs. N. D L. R].
Nous possédons également un certain nombre de documents archéologiques, qui nous renseignent quelque peu sur le culte druidique, mais surtout une grande quantité d’inscriptions et d’images, de l’époque britto-romaine (ou gallo-romaine). Cette source d’informations est néanmoins d’une utilisation malaisée. Les monuments de l’époque britto-romaine reflètent une double interprétation. Interprétation romaine, qui a prêté les apparences des dieu-ou-démons gréco-romains, aux divinités indigènes ; interprétation celto-druidique, moins remarquée, mais beaucoup plus importante. C’est la démarche par laquelle les vaincus reconnaissent, confusément, dans l’imagerie apportée par les vainqueurs, une représentation anthropomorphique de leurs propres dieu-ou-démons à eux. Le problème est alors de retrouver, sous le masque des figurations britto-romaines, la part des survivances celtiques.
La religion des Celtes, quelles que soient les modifications, voire déformations, qu’elle a subies, a des racines essentiellement indo-européennes. Il faut donc toujours se demander si la comparaison avec les croyances des peuples apparentés, ne pourrait pas jeter quelque lumière, sur des phénomènes religieux qui manquent de clarté dans la tradition druidique, et nous semblent parfois incompréhensibles. C’est là un point de méthode qui, semble-t-il, a bien souvent été négligé. Ainsi s’expliquent plusieurs échecs d’auteurs qui n’entendaient s’appuyer que sur les seules sources celtiques. Il faut se rappeler que nous sommes sur un champ de ruines. On ne peut espérer apercevoir nettement quelques contours, qu’en tentant de voir l’ensemble depuis un point élevé. Ajoutons le comparatisme religieux, y compris avec des religions non indo-européennes (sans tomber pour autant dans les fables sur la prétendue Grande Tradition Primordiale Universelle) et la linguistique. Sans oublier l’art celtique lui-même (monnaies, ou autres), car il est temps de rompre enfin avec une tradition d’hypercritique et d’agnosticisme, qui a longtemps amené les commentateurs à minimiser la portée de ces sources essentielles. Il ne faut pas oublier que les monuments celtiques et britto-romains, présentent, par rapport à la littérature celtique insulaire, une incontestable antériorité, une indubitable priorité. Mais cela dit, et pour ce qui est de la période britto-romaine, il est indispensable de tenir compte du milieu des dagolitoi (fidèles), qui ont fait alors élever ces monuments. Aux yeux des Britto-romains d’Arthur, pour la population des vici des Champs Décumates en Allemagne (Agri decumati), pour les paysans de l’Ouest ou du Centre de la Celtie continentale, les petits propriétaires de fermes rurales, des Médiomatriques, des Trévires et des Triboques ; la signification métaphysique ainsi qu’eschatologique de ces représentations avait certainement cédé la place à des préoccupations beaucoup plus terre-à-terre. La sécurité du domaine et de la collectivité rurale, l’abondance des récoltes.
En des temps plus anciens, les Celtes avaient exprimé sur leurs œuvres d’art et leurs monnaies, tout un cycle de légendes.
Mais l’effacement forcé des druides, la disparition de leur enseignement ; car il y a bien eu solution de continuité dans la transmission malgré une longue agonie, cela est indéniable en dépit de ce que prétendent la plupart des néo-druides actuels ; l’invasion de l’utilitarisme et du conformisme, résultant
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de la paix ou de la prospérité ; avaient obnubilé pour un temps ces perspectives. Toutefois, l’analyse de monuments aussi romanisés que le pilier de Mavilly et la colonne de Mayence en Allemagne * ; si on les replace dans leur milieu, et si on les compare à d’autres monuments similaires ; nous a appris que la sélection et le groupement volontaire d’images gréco-romaines, associées pour exprimer des idées, des conceptions, et des mythes indigènes, n’a jamais cessé. Cette interprétation celtique servait désormais à déguiser les vraies survivances druidiques. Car nous pouvons supposer par d’autres preuves ; notamment les textes d’Ausone invoqués dans le chapitre précédent ; que les sanctuaires de sources, servant à la prophétie et à la médecine, placés sous la protection d’Apollon du moins en apparence, ont longtemps servi d’asiles aux druides et de paravent au druidisme.
* Colonnes et piliers de cette nature étaient sans doute des arbres du temps de l’indépendance.
L’ART.
L’art décoratif celtique ne doit rien aux modèles végétaux. Il est d’ailleurs fondamentalement éloigné de tout réalisme. La base de son inspiration est d’ordre religieux. Fondé sur un répertoire relativement restreint de motifs ; dont les uns remontent à la préhistoire et à la protohistoire européennes occidentales ou alpines, les autres au décor de la céramique grecque ou étrusque ; il a su développer en quatre siècles, un style décoratif exubérant et varié, dont l’apparente fantaisie recouvre une rigoureuse structure conventionnelle. Cette dernière procède d’un véritable code de signes et de symboles, destiné à répandre, par le biais des figurations artistiques, des croyances religieuses. Celles-ci constituaient dans leur ensemble une religion mixte et une théologie de compromis et de synthèse. Nous avons affaire à une personnalité collective naissante, qui se dégage de façon indépendante, et tend par elle-même à unifier les cultures régionales, dans un dynamisme qui lui est propre, et tend à prendre, dans une certaine mesure, un caractère interrégional, voire national. Le caractère symbolique et religieux de l’art celtique est évident. Voir les œnochoés de Reinheim ou de Waldalgesheim en Allemagne. Les Celtes ont, et notamment avec l’aide de leurs monnaies, constitué un code de signes qui leur a permis d’exprimer leurs croyances et leurs idées religieuses. Dès son origine, l’art laténien dépasse souvent l’intention magique, et se révèle l’expression plastique d’une mythologie propre aux populations celtiques. Le message exprimé ainsi était certainement aussi explicite pour les usagers celtes, que l’est pour nous la représentation de l’Enfant couché entre le bœuf et l’âne.
Les losanges qui apparaissent sur le décor des fibules du IVe siècle, semblent représenter le schéma des organes sexuels féminins, symbolisant la Terre Mère, divinité distincte de la déesse-ou-démone, ou fée, souveraine, des Celtes et plus ancienne. Losange est d’ailleurs un mot celte (lausinca).
Selon l’archéologue français Jean-Jacques Hatt, l’offrande du pain par Rosemartha, et de l’œuf ou du coq par Mercure (Lug ?), sur la colonne de Mayence ; symboliserait l’échange et la conjonction entre les forces fécondantes du Ciel et celles de la Terre.
LES MONNAIES.
La frappe des monnaies relevait bien évidemment des rois et des seigneurs, mais ce sont les druides locaux ou régionaux qui en avaient en charge le symbolisme, d’où l’intérêt de ce champ d’études.
Certes, on le sait bien, ce champ est aussi vaste que restreint : les images sont très nombreuses, mais elles restent par définition statiques, et ne livrent qu’exceptionnellement le mythe qu’elles sous-entendent. Il n’en demeure pas moins que c’est toujours l’expression qui demeure la plus spontanée, dans un pays où la langue n’était pas écrite. Les monnaies d’or des Parisii présentent une importance particulière. À partir d’une certaine époque (IIe siècle avant notre ère ?) après l’apparition des nouveaux symboles de la roue, du sanglier, du lion ; les monnaies celtes expriment surtout l’espoir de l’accord des divinités célestes et souterraines, pour l’accès des défunts à l’univers parallèle au nôtre que l’on appelle communément Paradis. Les mêmes conceptions sont perceptibles dans les images figurant sur les monnaies des IIe ou Ier siècles avant notre ère : alliance et concertation souhaitée entre les dieu-ou-démons pour l’équilibre et l’harmonie du cosmos, et le salut des âmes après la mort. Les monnaies de l’Empire étudié par Maurice Bouvier (de la famille de Jacqueline Kennedy ??) Ajam, témoignent que cette période a été particulièrement favorable à ce genre de survivances. On peut aussi observer l’apparition, à la place de l’autel de consécration sur les monnaies de Tetricus II, du signe en X terminé par quatre points, dans un carré ; (le labarum, voix ou verbe du Destin ou Tokade symbolisé par la croix de saint André en Écosse ou de saint Patrice en Irlande) ; fréquent sur les monnaies donc, et symbolisant la puissance de Taran/Toran/Tuireann.
Compagne d’été de Taran/Toran/Tuireann, partageant avec son époux saisonnier la roue (dite aussi labarum) et le foudre, ainsi que le pouvoir sur les éléments ; la représentation de la divinité sidérale à la roue existe aussi sur les monnaies celtes et les sculptures britto-romaines ou gallo-romaines.
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La monnaie la plus représentative à cet égard est une monnaie des Ambiens (ALT 10379), où elle figure au revers. Elle est représentée nue, à cheval, tenant de la main gauche un torque et de la main droite une roue autour de laquelle s’enroule une guirlande de feuillage, qui tombe ensuite vers la terre. Derrière ce cheval, un globe se prolongeant par une flamme ondulée frappe le sol. Sans doute s’agit-il de la foudre.
N’oublions pas enfin que figurent vraisemblablement sur certaines monnaies d’or ou d’argent du type BN 7229 des représentations très stylisées de la fin de ce cycle selon les druides, à savoir un loup géant avalant la lune ou le soleil (symbolisé par une roue voire un cheval) puis rejetant de la végétation autrement dit une nouvelle terre. Une eschatologie plus complète que celle décrite dans le célèbre poème de l’Edda poétique intitulé « la Voluspa », mais sans la guerre des dieux les uns contre les autres.
LE CHAUDRON DE GUNDESTRUP.
D’après le grand archéologue français J. J. Hatt qui l’a longuement étudié ; cette œuvre d’art assez mystérieuse, retrouvée en 1891 au fond d’une tourbière au Danemark, et donc vraisemblablement d’origine cimbre ; a pour leitmotiv la lutte cosmique que se livrent éternellement les dieu-ou-démons aériens et souterrains, la lutte cosmique entre les divinités de la terre et du ciel.
Il s’agit du thème de la lutte entre dieu-ou-démon aérien et divinités souterraines, qui fait partie du fond mythologique indo-européen ; et que l’on retrouve en mythologie grecque dans le combat des divinités de l’Olympe contre les Titans, ou en mythologie germanique, dans la lutte des Ases et des Vanes.
Sur l’une des plaques du chaudron, nous voyons en effet Taran/Toran/Tuireann, assisté par le Mars indigène, ce dernier représenté sous les traits d’un guerrier celte [d’autres y voient Cuchulainn. N.D.L.R] en train de lancer la roue de la foudre vers la terre, afin de produire la pluie et de faire jaillir les sources. Le chaudron de Gundestrup apparaît comme le témoin d’une remise en ordre du panth-éon ou plérôme celtique dans le sens indo-européen. Taran/Toran/Tuireann étant désormais limité à son rôle de souverain du Ciel et de Maître de la foudre. De ce point de vue, le chaudron de Gundestrup semble être comme un monument d’orthodoxie druidique, manifestant un retour au celtisme indo-européen.
L’origine des cultes abelliniens associant l’adoration du Soleil au culte des sources et des eaux salutaires, plonge dans le passé protohistorique. Leurs premiers symboles remontent à l’âge du Bronze. Sur l’une des plaques du chaudron de Gundestrup, cet Apollon indigène (Abellio) apparaît dans ses fonctions de médiateur entre Taran/Toran/Tuireann et la Déesse-ou-démone-mère au cours des conflits mythiques entre divinités du Ciel et de la Terre. Il semble bien que les combats cosmiques de Jupiter/Taranis, contre les puissances souterraines, avaient dans l’esprit des Celtes un double effet. La fertilisation du sol par la foudre, la délivrance des morts *, et leur accès vers l’univers parallèle au nôtre que l’on appelle « le Paradis ».
Le dauphin symbolise le voyage du défunt vers cet univers parallèle de nature paradisiaque (situé au-delà de l’Océan par les images ou représentations de l’époque), c’est du moins ce que pense J. J. Hatt.
« Un petit personnage représentant l’âme/esprit humaine, à califourchon sur un dauphin, échappe aux monstres dévorants pour voguer vers le Paradis celtique ».
Le chaudron de Gundestrup prouve que les druides concevaient eux aussi le monde comme étant partagé en deux hémisphères : hémisphère supérieur et hémisphère inférieur, séparés par la ligne horizontale du sol. Désormais les problèmes majeurs posés par les rapports entre les deux hémisphères ; le sous-sol étant à la fois le lieu d’origine de la fertilité du sol, de la richesse, et le séjour des morts ; dominent le rituel, les cérémonies et les mythes, de la religion druidique.
Le changement d’hémisphère par les dieu-ou-démons et les déesses-ou-démones, ainsi que les pérégrinations de l’un à l’autre, seront mis en rapport avec les changements de saison. Le calendrier sera jalonné par ces changements, et les héros intégrés dans les mythes et dans les cérémonies annuelles.
Ce qui nous donnerait donc, en calendrier luni-solaire de Coligny et si nous comprenons bien cet auteur.
1. Descente du grand sorcier primordial Cornunnos aux enfers : I. Samoni (en octobre-novembre, donc à la Toussaint) ?
2. Descente aux enfers de notre grande reine Épona et fête des fées de type matres ou mères : I Riuri (Noël) ?
3. Sacrifice du cerf : I Anaganti (en février, lors du carnaval) ?
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4. Assomption/Apothéose de la rigantona Épona : I Atenoux Elembivi (15 août) ?
* Ce serait donc là les circonstances (imagées) permettant aux âmes/esprits des défunts coincées dans l’antichambre du paradis par le poids de leur bran, sous la houlette des divinités repoussantes comme Gwynn, ou Donn, de s’en échapper, non vers le bas (la réincarnation sur terre), MAIS VERS LE HAUT.
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LE PROBLÈME DES INTERPRÉTATIONS
(à faire).
On appelle du terme latin interpretatio, pluriel interpretationes, la façon que chacun a de réagir FACE À UN MÊME FAIT DE CIVILISATION ÉTRANGÈRE : statue, image, symbole, mythe.
Le Celte romanisé, le Britto-romain, qui élève un monument au maître du ciel, figuré sous les traits du dieu-ou-démon celtique à la roue, mais dénommé sur la pierre Jupiter, qu’avait-il dans la tête et dans le cœur ? *
Le nom de Taran/Toran/Tuireann n’a-t-il pas disparu depuis longtemps de sa mémoire ? Son cas doit-il être versé au dossier de la survivance des dieu-ou-démons celtiques, à celui de la diffusion triomphante des dieu-ou-démons romains, ou bien aux deux ?
La recherche est particulièrement captivante dans le cas du dieu-ou-démon romain et du dieu-ou-démon celte présentant quelque ressemblance partielle. Et par conséquent assimilés l’un à l’autre par une opération qu’il est convenu d’appeler, avec Tacite, « interprétation », et qui recouvre une réalité complexe.
L’inscription la plus sèche, la figuration la plus banale, peuvent, sous des conditions définies, être l’occasion d’une recherche fructueuse. Ce qui compte, ce n’est pas tellement de placer sous une statue [en tout état de cause, l’énorme documentation britto-ou gallo-romaine reste notre source la plus explicite] une étiquette telle que « Apollon », « Minerve », ou « Hygie » ; c’est de reconstituer la pensée du fidèle indigène en présence de ces figurations.
L’homme du peuple de ces pays n’était pas un familier des lettres classiques ; il évoquait les divinités de toujours. Ces images copiées sur les modèles antiques, s’il les nommait dans son cœur, pouvaient devenir, nous le verrons dans ces pages, notre grande reine Épona, Noadatus/Nodens, Camulos. Avons-nous la possibilité de remonter jusqu’à la pensée du paysan indigène, c’est-à-dire en somme de supprimer la déformation apportée par l’interprétation romaine ? Pas toujours, mais souvent.
Il existe des cas désespérés ; par exemple celui d’un document dont le lieu d’origine reste inconnu. La première démarche à faire dans ce cas est de localiser, aussi exactement que possible, le point de trouvaille. Il convient ensuite d’examiner le milieu physique, géographique. Il n’est pas indifférent qu’un document ait été retrouvé dans les ruines d’une villa ou d’un temple, le long d’une route, sur le faîte d’une montagne, aux abords d’une source.
La deuxième démarche consiste à interroger le contexte, le milieu archéologique.
Les résultats auxquels peuvent conduire ces analyses sont de nature à rendre toute sa valeur à l’irremplaçable documentation britto-ou gallo-romaine, si injustement décriée, si aisément attribuée à une basse époque, dans une intention inavouée de dénigrement.
Les appellations divines britto-romaines (ou gallo-romaines) se présentent sous quatre formes.
1. Ou bien la divinité se trouve désignée sous une appellation indigène, sans plus.
2. Ou bien l’appellation indigène est suivie d’une appellation romaine désignant une divinité parallèle**.
3. Ou bien l’appellation romaine précède l’appellation indigène.
4. Ou enfin l’inscription ne fournit que l’appellation romaine.
Certains savants considèrent que les types 2 et 3 traduisent une contamination profonde entre la divinité druidique et la divinité romaine. Quant aux dédicaces du quatrième type, elles concerneraient des dieu-ou-démons purement romains, et consacreraient l’effacement total des dieu-ou-démons druidiques.
D’autres savants vont plus loin. Ils estiment que la suppression du clergé ainsi que l’attrait de la civilisation romaine, ont ébranlé dans ses fondements la religion indigène, et l’ont tellement altérée, qu’il est vain d’en chercher le souvenir dans l’épigraphie britto – (ou gallo-) romaine. Même les textes où l’on peut lire une appellation indigène isolée seraient impropres à nous apporter une information de qualité, dès l’instant qu’ils ont été gravés après la conquête.
D’autres historiens expriment un avis opposé.
Les cultes officiels, tels que celui de Rome et d’Auguste, celui de la triade capitoline, ont pénétré dans les villes, mais les sanctuaires ruraux restituent l’atmosphère des croyances indigènes. Les changements signalés dans les appellations divines affectent la forme extérieure des cultes ** ; est-il sûr qu’ils en modifient l’esprit ?
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Le fait qu’il s’agit d’une appellation purement romaine ne constitue aucunement, à lui seul, un critère de romanisation. À Bath, certaines dédicaces s’adressent à Sulis, d’autres à la Minerve romaine. Allons-nous soutenir que les dernières concerneraient une déesse-ou-démone, romaine, les autres une déesse-ou-démone, ou fée, celte romanisée ? Sul et Minerve ne désignent dans ce cas qu’une seule et même divinité.
[Même phénomène sur le continent. À Bourbon-Lancy certaines dédicaces s’adressent au dieu-ou-démon Apollon, d’autres, plus nombreuses au dieu-ou-démon Apollo Borbo. Allons-nous soutenir que les premières concerneraient un dieu-ou-démon romain, les autres un dieu-ou-démon celte romanisé ? Apollon et Apollon Borbo ne désignent dans ce cas qu’une seule et même divinité **].
Il tombe sous le sens que les Celtes ; n’ayant pas éprouvé le besoin, ou n’ayant pas eu le temps, d’élaborer une imagerie de leurs propres dieu-ou-démons ; devaient être fascinés par le brusque face-à-face avec les types gréco-romains apportés par les vainqueurs. À la suite de quoi, ils ont eu tendance à retenir les thèmes plastiques des conquérants, afin de figurer leurs divinités indigènes. Toute la question est de savoir si, en optant pour la forme extérieure, ils ont également accepté le fond, c’est-à-dire l’esprit de la religion romaine.
*Même problématique d’ailleurs dans l’islam. Qu’y avait-il dans la tête des tout premiers musulmans et donc de Mahomet lui-même quand ils adoraient Allah (la lune ?) qui au départ n’était avec Houbal (le soleil ?) que le premier ou le plus important des dieux du panthéon de la Kaaba : de l’hénothéisme ?? De la monolâtrie ?? Du monothéisme philosophique et réfléchi ??
** Même problématique d’ailleurs dans l’islam quand au nom d’Allah est accolé un attribut désignant surtout un autre dieu arabe (Ar Rahman par exemple).
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L’INTERPRETATIO CELTICA OU DRUIDICA (l’interprétation celtique ou druidique).
De l’attitude précédente, il convient de distinguer soigneusement l’attitude inverse, celle dont les druides ont pris l’initiative. Ayant pris connaissance des noms et des images du panth-éon gréco-romain, ils ont cru reconnaître en tel ou tel dieu-ou-démon classique, dont l’image et le nom leur étaient simultanément proposés, leurs divinités longtemps abstraites, impersonnelles, ou faiblement personnelles. Le problème est alors de retrouver, sous le masque des figurations britto – (ou gallo-) romaines, et qui reflètent donc une double interprétation, la part des survivances celtiques. Car ce qui est certain, c’est qu’il y a eu, selon toute vraisemblance, dans le choix des œuvres une préférence délibérée guidée par les croyances des indigènes. Ces œuvres constituaient à leurs yeux un moyen de mieux exprimer leurs idées religieuses. Le processus est sans doute à l’origine de l’interprétation celtique des œuvres d’art grecques, qui commence très tôt, dès le Ve siècle avant notre ère.
Les Celtes, d’avant la conquête romaine, puis les Gallo-romains, et ensuite les Britto-romains, ont assimilé, en les détournant de leur signification première, images et concepts helléniques, italiques et orientaux, à seule fin de mieux exprimer leurs propres croyances. Cette donnée s’avère primordiale et de la plus grande importance.
On a parlé d’abord d’interprétation romaine, mais l’interprétation celtique des images et même des concepts venus de Grèce, d’Italie, d’Orient, a été beaucoup plus ancienne et plus largement répandue. C’est en partant de là qu’il est possible de saisir le Celtique à travers le Grec ou le Latin plus ou moins déformé ou adapté.
Cette seconde initiative, qui intervient après coup (elle est postérieure à César), est d’une application beaucoup plus générale que la première. Pour la simple raison que les indigènes l’emportaient en nombre d’une manière écrasante sur les immigrés, surtout au siècle qui suivit la conquête. Si l’on tient à éviter toute équivoque, il convient d’appliquer à cette deuxième initiative une qualification particulière, par exemple celle « d’interprétation druidique ». Car ce ne sont pas les dieu-ou-démons celtes qui sont devenus romains, ce sont les dieu-ou-démons romains qui sont devenus celtes et ce sont les druides qui ont fait l’assimilation.
Sans doute, la formule est-elle trop absolue, comme tout principe général, mais elle correspond au moins à la réalité courante. Les Celtes romanisés de l’époque étaient eux-mêmes très conscients, parfois, de ces interprétations, puisqu’à trois reprises, sur le continent, le Jupiter indigène est qualifié de « fils de Taran/Toran/Tuirean » : Taranucnus (inscription de Scardonne, Bockingen et Godramstein).
L’interprétation celtique consiste dans l’utilisation par les Celtes, pour leur propre usage, d’images et même de concepts ou de termes gréco-romains, pour exprimer leurs propres idées religieuses. Ce genre de transposition est à la fois le plus ancien et le plus répandu. Il est aussi le plus précieux pour notre compréhension, car il constitue un véritable pont.
Les mythes et les croyances celtiques n’ont donc pas disparu. Au début du IVe siècle, leur figuration est seulement hellénisée. L’association sur un vase d’Alésia, de scènes du thiase bachique, et d’une chasse au cerf, montre que les paysans du canton assimilaient aux bacchanales les cérémonies de leur Carnaval celtique. Faut-il voir dans ce fait le résultat de l’influence de milieux druidiques ouverts à la culture grecque, mais fidèles aux traditions religieuses celtiques ?
Le fait est que nous verrons réapparaître les druides à la fin du IIIe siècle et au début du IVe. Et comme nous le verrons à propos d’un texte d’Ausone, les druides du temps de la Tétrarchie et de Constantin semblent bien avoir été très ouverts sur le Monde, et avoir su le grec. Voir l’anecdote de Lucien de Samosate sur Hercule/Ogmios.
Symphorien, dont le nom signifie « qui accompagne » c’est-à-dire « seyant » ou « utile », était fils des dénommés Faustus et Augusta, et faisait partie des premiers chrétiens de la ville d’Autun. Il aurait été martyr sous Marc-Aurèle, autour de l’an 180. On notera que les premiers martyrs de Lyon ont péri en 177. Cette histoire n’est donc pas sans poser de nombreux problèmes de crédibilité comme d’habitude, les chrétiens n’ayant jamais été très préoccupés par la vérité factuelle des choses.
Voici en résumé ce que nous dit sa légende.
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Symphorien croise un cortège promenant une statue de Cybèle. Le jeune homme de bonne famille se moque du cortège populaire de paysans escortant la Vierge mère des dieu-ou-démons ; il est aussitôt arrêté *.
C’est le juge Héraclius qui mène l’interrogatoire.
— Je m’appelle Symphorien. Je suis chrétien.
— Les chrétiens sont rares par ici. Et c’est cela qui te donne le droit d’attenter à la liberté de culte des autres ?
— Je suis chrétien. J’adore le vrai Dieu qui est dans les cieux, pas les statues de démon. Celles-là, je les brise à coups de marteau.
— Tu n’es pas seulement sacrilège, mais aussi intolérant. De quelle ville es-tu ?
Un officier répond : « d’ici même et de famille noble ».
— C’est cela qui te rend si arrogant ? Tu es coupable de deux crimes : blasphème envers les dieu-ou-démons et mépris des lois.
— Jamais je ne considérerai cette image autrement que comme un piège du démon.
Symphorien est condamné à mort, traîné en dehors de la ville, et décapité *. Du haut des remparts, sa mère l’exhorte en celte : « Mon fils, pense toujours à ton dieu. Aujourd’hui, par un heureux échange, tu vas passer à la vie céleste ».
N.B. « Nate, nate, Synforiane, memento beto to divo » ou « Nati, nati, Synforiane, mentem obeto dotiuo » d’après certaines variantes des actes du martyre de saint Symphorien (cf. par exemple le légendier conservé à la bibliothèque nationale universitaire de Turin en Italie sous le numéro 517 (D.V.3)
Une des raisons de l’implantation du prétendu culte de Cybèle jusqu’au fin fond des campagnes était l’existence antérieure d’un culte rendu aux déesse-ou-démones mères topiques, et d’une dévotion plus générale à la grande déesse-ou-démone mère indigène. Cette divinité celte d’apparence complexe était assimilée tantôt à l’une tantôt à l’autre des divinités gréco-romaines, et a pu, de la sorte s’introduire facilement dans les vêtements de cette grande déesse-ou-démone orientale **.
Il est vraisemblable que Cybèle n’a pas supplanté la divinité ou la déesse tutélaire des Celtes en question, à la fois souveraine, céleste, belliqueuse, mais qu’elle l’a fait revivre, dans son unité, mais aussi dans toute sa souveraineté.
Tout concourt également à démontrer que l’égrégore du peuple arverne, le teutatis des Arvernes, a pris la figure de Mercure après la conquête. Le sculpteur grec Zénodore en élabora une statue monumentale, destinée au grand temple de la Cité. Cette œuvre colossale, coulée en bronze, coûta quarante millions de sesterces, et témoigne de la puissance économique des Arvernes qui ont commandé semblable statue, et fait venir de l’étranger un sculpteur dont ils ont financé le travail durant dix ans.
L’interprétation celte a connu quelques hésitations avant de désigner finalement par un dieu-ou-démon romain le teutatis primitif. S’il est vrai que, d’une manière très générale, Mars a été choisi, un nombre appréciable de nations ou de tribus ont opté en faveur de Mercure. Dans une certaine mesure, Mercure est une alternance régionale de Mars. Par là se vérifie l’observation du « commentateur de Berne » lorsque, glosant le texte de Lucain, il nous dit en substance : « Pour les uns Teutatès est Mars, pour les autres il est Mercure ». De telles particularités donnent à entendre que, sous l’étiquette du Mercure, nos ancêtres ont prêté à ce dieu-ou-démon des attributions complexes. Dont les unes s’accordent avec certaines fonctions du Mercure romain, tandis que les autres relèvent d’anciennes croyances sans rapport avec la religion romaine. L’originalité du Mercure celte se précise encore à la lumière de divers symboles qui accompagnent, de manière inattendue, quelques-unes de ses figurations.
En premier lieu, il faut noter la présence du serpent à tête de bélier, ou du serpent ordinaire qui en est la simplification.
Un relief de Néris-les-Bains montre un Mercure assis, tenant de la main droite la bourse et, de la main gauche, soutenant le plus tranquillement du monde un énorme serpent à tête de bélier. La queue du monstre paraît engagée dans la terre, tandis que la tête est curieusement dirigée vers… la bourse de Mercure.
On aurait tort de considérer le monstre comme un ennemi du dieu ou démon ; les circonstances des figurations invitent au contraire à reconnaître dans le serpent un ami et un être bienfaisant.
Issu des profondeurs humides du sol, le serpent est en relation avec l’eau : le monument de Néris a précisément été retiré d’un puits thermal, près duquel la statue pourrait avoir été installée à l’origine. Le serpent est en même temps symbole de fécondité : apparemment né de la terre, qui lui fournit le
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gîte et lui sert de refuge, il participe de la nature et à la qualité essentielle de la terre. À ce titre, sa présence au côté de Mercure, dispensateur de l’abondance, est aisément concevable. C’est justement la signification prêtée au serpent par les populations indigènes qui a entraîné une adaptation du type classique de Mercure dans l’art populaire britto – ou gallo-romain. Cette conception, familière aux druides, se traduit par la mise en relief du caducée ainsi que des deux serpents qui en sont le spectaculaire ornement.
Minerve, Vénus, la Fortune, la Victoire, ne sont rien d’autre que des compagnes occasionnelles, inspirées de l’imagerie gréco-latine. Sous leurs traits se dissimule, de façon plus ou moins voilée, la vraie, la seule compagne celte de Mercure. Les dimensions insolites de la corne d’abondance, sculptée au centre du bas-relief, mettent l’accent sur l’ampleur des dons que la déesse-ou-démone, ou la bonne fée si l’on préfère, est prête à octroyer, cependant que le gouvernail imposé sur le globe, rappelle son rôle de conductrice de la destinée. Cette « Fortune » est très proche de la déesse-ou-démone-mère celte en général, et de la compagne habituelle de Mercure.
Derrière l’appellation romaine de « nymphes », ce sont encore et toujours les Mères qui se dissimulent : elles apparaissent en triade caractéristique.
L’insistance avec laquelle les scènes bachiques sont figurées sur les tombeaux n’indique-t-elle pas que les adeptes se représentaient la vie de l’au-delà comme un banquet sans fin ? Où l’on dégusterait le divin breuvage, tandis que le spectacle gracieux des pas de danse et l’audition d’une musique entraînante, viendraient charmer les sens des élus et leur procurer une béatitude supérieure ? [N. D. L. R. Voir la conception irlandaise de l’Autre Monde, de la musique du Side, etc., et la décisive phrase de Lucain sur le petit côté charnel de la vie après la mort. Les termes employés par lui sont en effet très clairs : « regit idem spiritus artus ». On voit mal comment cette phrase, « un même esprit régit les membres » pourrait faire allusion à une existence incorporelle. L’âme/esprit réapparaît, certes, dans un autre monde, mais toujours unie à un corps].
Le grand archéologue français qu’est J.-J. Hatt a également fait le rapprochement, non pas entre Ogmios et Orphée, comme Henri Lizeray, mais entre Hésus et Orphée. Parce que la légende d’Orphée comportait la survie de sa tête, après son assassinat. Virgile, Géorgiques, IV, 523-527 [Virgile qui était d’ailleurs, rappelons-le, d’origine celte et dont le grand-père qui était druide, parlait encore le Celte]. « Alors qu’arrachée de son cou marmoréen sa tête emportée au milieu du gouffre par le fleuve Oeagrius Hebrus roulait, sa voix même et sa langue glacée appelaient Eurydice, en expirant, ah ! Malheureuse Eurydice ; Eurydice répétait tout au long du fleuve, l’écho des rives ».
Il s’agirait ici de l’interprétation celtique de la légende d’Orphée, le dieu-ou-démon-tête Ésus étant assimilé à la tête d’Orphée criant le nom d’Eurydice. Il est probable que le singulier bas-relief (Espérandieu I, 36), découvert à Montsalier, et actuellement exposé au Musée de Marseille, représente un épisode de la légende d’Ésus. En effet, nous y voyons, à droite, une tête humaine posée sur un socle, tandis qu’à gauche une femme est encadrée, portée par deux guerriers.
Il existait aussi une interprétation dionysiaque des mythes chthoniens des Celtes, et cela depuis le Ve siècle avant notre ère. Hesus a peut-être été parfois interprété en Dionysos par les Grecs, pour deux raisons.
La première à cause de la double naissance de Dionysos (triple pour le Hesus Setanta dit Cuchulainn chez les Irlandais).
La seconde parce que Dionysos est le seul grand dieu-ou-démon gréco-romain, qui soit couramment représenté à tous les âges de la vie : tantôt enfant, tantôt jeune homme, tantôt adulte, tantôt vieillard. Or Hesus est la réincarnation d’un bien plus vieux Cornunnos, notre grand chaman primordial. Du moins toujours si nous avons bien compris ce chercheur qui ajoute :
« Il est actuellement difficile de préciser ce que signifiait, à côté de Taran/Toran/Tuireann, la présence de Mithra. Une interprétation indigène de ce dernier, comme dieu-ou-démon médiateur, et sauveur, est vraisemblable. Cette interprétation celtique a également joué vis-à-vis du christianisme naissant, vis-à-vis de la Bible et de l’Ancien Testament, du moins dans leur vulgarisation chrétienne.
Et ce, dans tous les domaines. Un exemple : la fameuse pomme d’Adam et Ève. Dans le mythe vétérotestamentaire, rien, mais alors absolument rien, ne nous dit que le fruit en question était une pomme. L’équation « fruit de l’arbre de la connaissance = pomme » a été faite en Occident, et constitue visiblement une des nombreuses influences païennes s’étant exercées sur le christianisme originel.
* En 1766 toujours dans le pays de Voltaire le chevalier de La Barre fut supplicié jusqu’à ce que mort s’ensuive pour cause un motif semblable (blasphème) par les lointains successeurs de Symphorien arrivés au pouvoir.
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** Qu’y a-t-il dans la tête du paysan mexicain qui adore d’un culte d’hyperdulie Notre Dame de Guadalupe ??
Dieu seul le sait. Mais s’il est vraiment notre père à tous et le seul vrai dieu de l’univers, alors il ne saurait être jaloux et ne peut que toujours aimer ses enfants quelles que soient leurs erreurs (Allah Jéhovah Bouddha ou Vichnou
L’INTERPRETATIO GRAECA.
Pour mémoire, nous mentionnerons aussi cette variante, souvent confondue avec l’interprétation romaine. Le cas le plus typique d’une rencontre, ou plus exactement d’une fausse rencontre, entre interprétation celtique et interprétation grecque, est celui du fameux passage de Lucien à propos d’Ogmios. Le druide inconnu lui explique que chez les Celtes Héraklès est appelé Ogmios et que…, etc. Mais il y en a d’autres.
Une antique légende marseillaise, destinée à maquiller une défaite infligée à la ville par les tribus celtes alentour, est en effet le premier témoignage de l’interprétation en Athéna (Minerve), de l’aspect guerrier (Catubodua) de la grande déesse-ou-démone mère cosmique des druides.
«… Mais après un certain temps, quand Massilia [aujourd’hui Marseille] fut au faîte de la distinction, aussi bien à cause de la renommée de ses exploits que de l’abondance de ses richesses, voire de l’excellente réputation de ses forces, les peuples alentour conspirèrent soudainement pour détruire jusqu’à son nom, comme s’il s’agissait d’éteindre un incendie qui les menaçait tous. Catumanduos, un de leurs petits princes, fut alors unanimement reconnu comme leur général, et il assiégeait la ville ennemie avec une grande armée de soldats d’élite quand il fut effrayé durant son sommeil par la vision d’une femme à l’air menaçant, qui lui expliqua qu’elle était déesse : il en eut si peur qu’il fit la paix avec les Massaliotes. Ayant après cela demandé la permission d’entrer dans la cité afin de rendre hommage à leurs dieux, après avoir pénétré dans le temple de Minerve, et vu sous le portique la statue de la déesse qu’il avait aperçue dans son sommeil, il s’exclama soudain que c’était elle qui lui avait fait peur cette nuit-là ; que c’était elle qui lui avait ordonné de lever le siège ; ensuite, après avoir félicité les Massaliotes de s’être placés sous la protection, ainsi qu’il s’en était lui-même rendu compte, des dieux immortels, et après avoir offert un collier [en latin torquis, un torque] en or, à la déesse, il s’allia donc avec eux en toute amitié, pour toujours…».
(Justin, épitome des Philippiques de Trogue Pompée, XLIII, 5,4 et suivantes.)
Un peu plus loin il est raconté que les citoyens de Marseille ; apprenant la nouvelle de la prise de Rome par les Celtes ; auraient donné tout l’or et tout l’argent du trésor public aussi bien que des particuliers ; pour aider les Romains à payer la rançon exigée par les Celtes de Brennus (Justin, 43). Admirable générosité !
Le plus vraisemblable est que, si Catumanduos est entré dans Marseille, ce fut à la tête de ses troupes, et que si les Marseillais livrèrent tout ce qu’ils possédaient, ce fut pour le payer lui, et non pour payer la rançon de Rome.
La phrase « Ayant après cela demandé la permission d’entrer dans la cité afin de rendre hommage à leurs dieu-ou-démons… » est évidemment un peu curieuse, mais le témoignage n’en demeure pas moins capital à ce sujet.
Reste à savoir quel a été le résultat de toutes ces interprétations, et s’il est possible, dans certains cas, de remonter de la pensée chrétienne et médiévale romaine du Bas-Empire, à la pensée druidique antique.
Nous verrons que OUI, dans de nombreux cas, mais il nous faudra procéder alors à tout un travail de réappropriation (voir ce mot) de nos idées.
Dans la mythologie, le Destin ou Tocade s’adresse aux hommes à la manière des hommes. Afin de bien interpréter ces mythes, il faut donc être attentif à ce que les transcripteurs humains ont vraiment voulu affirmer, ainsi qu’à ce que le Destin a bien voulu nous manifester, par la parole de ses dieu-ou-démons (labarum).
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Il faut tenir compte, pour découvrir l’intention des druides ayant codifié tout ceci ; des conditions de leur temps et de leur culture, des genres littéraires en usage à l’époque (courtises, razzias, généalogies, étymologies, élégies funèbres, etc.) des manières de sentir, de parler ou de raconter ; courantes en ce temps-là.
Car c’est de façon bien différente que la vérité apparaît dans des textes historiques ou méta-historiques, dans des textes prophétiques ou poétiques, voire en d’autres modes d’expression. Dans
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tous ces textes ou ces genres littéraires se trouvent de sublimes enseignements sur le Destin, ou une bienfaisante sagesse sur la vie humaine.
Ces textes mythologiques doivent donc être lus et interprétés à la lumière de l’esprit qui a présidé à leur composition. Il faut également toujours tenir compte des différents sens que peut revêtir un même mythe. Un mythe peut avoir un sens moral, constituer une allégorie, ou avoir un sens anagogique.
Bref, il faut toujours tenir compte des autres textes ou traces mythologiques, pour en interpréter un.
N.B. Le dépôt métahistorique est terminé depuis l’occultation des dieu-ou-démons frères des hommes (puisque issus, eux également, du Nemet Cornunnos notre grand sorcier primordial), mais il n’a pas encore été totalement explicité. Il reste aux druides d’aujourd’hui à en développer encore plus toute la portée.
Dans ce dépôt mythologique, les druides d’aujourd’hui aussi trouvent leur nourriture spirituelle et leur force. Car ils n’y voient pas seulement la parole humaine, mais aussi la voix du Destin ou Tocad. Son verbe, symbolisé par le labarum, christianisé plus tard en croix de saint André en Écosse ou en croix de saint Patrice en Irlande.
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L’INTERPRETATIO ROMANA.
Les Romains sont partis de l’idée préconçue que les dieu-ou-démons des Barbares correspondaient à ceux de leur propre panth-éon, et ils ont donné le branle à la recherche de « parallélismes » préétablis. « L’interprétation romaine » consiste à traduire en mots ou en images gréco-romaines, à l’usage des dagolitoi (fidèles) romains, ou romanisés, les conceptions religieuses celtiques. Elle n’est pas toujours très heureuse d’ailleurs. L’exemple est venu de César lui-même, qui nous a laissé une esquisse très incomplète de la religion celtique, en donnant seulement les noms de quelques divinités romaines.
Tacite a observé la même attitude à l’égard du panth-éon des Germains. Mais, en procédant de la sorte, il a reconnu que les Romains « font de l’interprétation ». C’est-à-dire qu’ils désignent et conçoivent chacun des dieu-ou-démons, d’après le dieu-ou-démon romain qui leur semble offrir la plus grande affinité avec le dieu-ou-démon étranger considéré. L’interpretatio romana faite par les commentateurs des textes de Lucain (les scholies bernoises) est (hélas !) assez contradictoire.
Selon les uns les Teutatès y sont des Mercure, selon les autres des Mars. Hesus y est tantôt interprété en Mars, tantôt en Mercure et Taran/Toran/Tuireann y est présenté comme un Dis Pater ayant les fonctions de Mars.
Le Mars de Grande-Bretagne n’était pas le Mars romain simplement transplanté en Grande-Bretagne. Son existence correspondait à l’appellation commune donnée à de nombreuses divinités indigènes locales et régionales, présentant des identités de fonctions et une réelle communauté de caractères, toutes fortement implantées dans leur milieu. Ce Mars est appelé « deus patrius Mars conservator », dieu-ou-démon national sauveur, dans une inscription provenant d’Osterburken, en Allemagne, dans la zone du Limes (frontière). Ce Mars patrius conservator est, à n’en pas douter, le « Mars » pré-romain. Il est considéré comme patrius, dieu-ou-démon de ses pères, par C. Securius Domitianus, vraisemblablement d’origine trévire.
En désignant le Jupiter celte comme le recteur des choses du ciel, César a employé, par chance, une expression assez heureuse, puisqu’elle traduit le caractère primordial de cette divinité.
Il n’en va pas de même lorsqu’il a traité du « Mars » indigène, où le conquérant n’a reconnu rien d’autre que le dieu-ou-démon de la guerre. Mais une analyse, même rapide, de notre documentation, nous fait découvrir chez le Mars celte, aux appellations si multiples, non seulement le patronage de la guerre, mais aussi des aptitudes variées, sans rapport avec les combats. Le problème posé en l’occurrence est donc le suivant : discerner la qualité essentielle, en vertu de laquelle ce dieu-ou-démon pouvait être invoqué pour des raisons apparemment différentes, c’est-à-dire justifier cette variété de fonctions, et lui trouver une explication claire et raisonnable.
La définition qui confine le « Mars » celte dans ce rôle particulier, laisse échapper une part importante de la réalité.
Cette position intellectuelle, qui est le fait des officiers, des voyageurs, des historiens, ou des simples immigrés romains, est la seule qui mérite vraiment le nom d’interprétation romaine.
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L’INTERPRETATIO CHRISTIANA (l’interprétation chrétienne).
Particulièrement importante en Irlande (voir les manuscrits irlandais), mais aussi sur le continent.
Les élites chrétiennes ont d’ailleurs sciemment procédé, elles aussi, à de telles interprétations, afin de christianiser au maximum les dieu-ou-démons et les lieux, les fêtes et les coutumes.
Il est particulièrement intéressant à cet égard d’étudier la vie des saints plus ou moins légendaires, car cela nous apporte de précieuses indications sur la personnalité ou l’ambiance cultuelle des dieu-ou-démons celtes, et donc druidiques, les ayant précédés.
Un exemple, le cas du dieu-ou-démon druidique qualifié de « roudianos ». Devenu Mars Rudianus en latin dans l’interpretatio romana, et qui a subi encore après, si l’on peut dire, une deuxième interprétation, chrétienne celle-là, qui l’a rapproché de l’archange Michel. Pour comprendre le sens profond de cette adaptation, il faut bannir de notre esprit la pensée, couramment exprimée, que l’Église aurait voulu « substituer » purement et simplement un culte chrétien à un culte païen. L’intention de l’Église, bien précisée par l’édit de 435, était d’abord d’assurer la destruction des temples païens. Puis de mettre en place le culte chrétien, afin de laver de toute souillure les lieux profanés par la présence des idoles (sic).
Pour atteindre pleinement ce but, il convenait que le nouveau sanctuaire s’élevât sur l’emplacement exact de l’ancien (ce que vérifie l’archéologie). Et il était adroit, d’autre part, de choisir parmi les saints chrétiens, l’un de ceux dont les « aptitudes » se trouvaient plus ou moins en harmonie avec le culte païen.
Dans une certaine mesure, la personnalité du saint honoré d’un culte de dulie dans le nouveau sanctuaire chrétien apporte donc une indication sur celle du dieu-ou-démon païen qui l’a précédé en ce lieu et pour lequel il s’agissait plutôt d’hyperdulie dans ce cas.
Les roues et les disques enflammés dits « de saint Pantaléon » (roues entourées de paille enflammée) ne sont jamais aussi que la christianisation de cet antique rite païen. Tout comme celles des Hauts du Marcusberg, près de Trèves, celles de Sierck, celles de Thionville, celles du Poitou, d’Alsace ou de la Forêt Noire en Allemagne, à l’occasion de la saint Jean.
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LES MANUSCRITS DU GRAAL.
Nous regrouperons sous cette appellation, afin de mieux les analyser, les légendes médiévales traitant de la quête du Graal proprement dite, mais aussi tout ce qu’il est convenu d’appeler « Matière de Bretagne », « Cycle arthurien », etc., etc. Nous avons vu Zeus avec la mythologie grecque, susciter puis protéger l’initiation des héros, parce que les hommes étaient nécessaires à la conservation de son empire ; écoutons maintenant la légende celtique nous parler de la finalité de l’Homme. Car les légendes de la Table Ronde (du nom de la table occupant le centre de leur celicnon) constituent en réalité une mythologie mise en accord avec le christianisme ésotérique ; le tout conclu par le mythe de la rédemption avec la Queste du Saint Graal.
Voyez la dame du Lac conduire Lancelot à la cour du célèbre Arthur afin de le faire sacrer chevalier, il n’a pas de nom, il faudra même attendre son initiation avant qu’on l’appelle Lancelot du Lac ; il est pur, tout est blanc, armures, plumes, palefroi, écu, son costume et celui de ses serviteurs. La dame du Lac (… une prêtresse de l’eau ?) l’amène à la cour du roi. Mais c’est la reine Guenièvre qui devient son point de mire, et qui attendra la fin des épreuves.
Ce sera d’abord le chevalier noir qui défend le gué (un gardien du seuil), puis nous aurons les dix chevaliers interchangeables qui défendent l’entrée du château de la Douloureuse Garde. Là encore, une néréide, Saraide, aide le héros à vaincre ses ennemis qui, comme les têtes de l’Hydre de Lerne, se remplaçaient dès qu’un des leurs tombait ! La fusion des deux Moi, l’humain et le divin, nous est contée dans la légende de l’épée miraculeuse brisée en deux tronçons et dont la pointe laisse sourdre des gouttes de sang. Comme par hasard, le porteur de l’épée se nomme Héliéser, nom qui évoque celui du soleil, Hélios. Gauvain et ses amis essaient tour à tour de ressouder les deux morceaux de l’épée sans y parvenir, ce qui amène cette réflexion désabusée d’Hector des Mares : « Cil sont decheus ki a preudoume nous tiennent ». Traduction personnelle (je ne suis quand même pas un spécialiste du vieux français) « Ils seront bien déçus ceux qui nous tiennent pour de preux chevaliers ». À quoi Héli [éz] er répond : « Preudoume iestes vous tous, mais uous ne uous iestes mi si bien gardes comme uous deussies en totes coses ». « Prud’hommes, vous êtes, mais vous ne vous êtes pas si bien gardé que vous eussiez dû le faire en toutes choses ? ».
N.B. Galaat le pur, recollera les deux morceaux de l’épée sans difficulté majeure et passera victorieusement cette épreuve.
Bien que très fortement christianisées, ces légendes constituent néanmoins une source d’informations de la plus grande importance sur notre mythologie et notre panth-éon ou plérôme.
Posons ici au lecteur la question qu’il doit poser, tel Perceval devant la procession sacrée : pourquoi la littérature celtique, si elle retrace vraiment les rites d’une société foncièrement « païenne », n’a-t-elle pas été, elle aussi, persécutée ?
La réponse a été donnée par l’Église elle-même : elle a écarté ces « livres vains et frivoles » de ses maisons, mais les a récupérés en douceur, grâce à un vernis chrétien, plutôt transparent, mais suffisant dans une époque d’ignorance généralisée… Voire même après, puisque de graves docteurs s’y sont laissés prendre. D’ailleurs, tout ce monde allait à la messe et ne cherchait à modifier ni la structure de la société ni celle de l’Église. C’est ainsi que les religieuses voluptueuses, les prêtres qui chuchotent les secrets divins dans le fracas du tonnerre, les rois pêcheurs à la castration sanglante, sont arrivés jusqu’à nous sans encombre.
Prétendre que la « Quête du Graal » n’est pas celtique, mais chrétienne, ne résiste guère à la lecture la plus rapide ni aux comparaisons avec les autres quêtes de la tradition celtique.
Ce ne sont que « moines » dont l’occupation principale est de lire l’avenir, quand ils ne sont pas « faux » ou « apparence, ressemblance ». Dames tout occupées à faire prendre un bain à nos héros et à se glisser « entre les draps ». « Calice » gardé par une religieuse violée qui engendre le parfait (Galaat… cela rejoint un détail historique : dans la Grande-Bretagne du Vle siècle, certains groupes chrétiens faisaient porter le calice par des femmes, les conhospitae). Animal mystérieux à tête d’argent, belles jeunes filles, porteuses d’objets sacrés (par exemple le Graal), que les héros convoitent les yeux exorbités, chapelles aux murs couverts d’inscriptions incompréhensibles au profane, cadavres voilés au torse nu sur des tables d’argent. Dieu-ou-démon qui s’intitule « Haut Maître » et rappelle beaucoup l’initiateur de Taliesin… Ne parlons pas d’une chasteté qui ressemble fort à une castration, de ces aspirants à une vie pieuse qui doivent ramper dans des grottes, soulever des pierres tombales, ou grandir à vue d’œil. Enfin et surtout, pourquoi y aurait-il le moindre secret autour d’une relique ? Autant que l’on sache, les reliques étaient vénérées très publiquement, comme
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le bois ou les clous de la croix, le saint suaire, et n’aveuglaient pas les fidèles qui n’étaient pas contraints aux exploits les plus surhumains avant de les contempler. Quant à la mort par ingestion d’hostie, elle dépasse les bornes des extases mystiques les plus poussées.
Au demeurant, le placage chrétien, une fois découvert, n’est pas l’un des moindres charmes de cette œuvre à laquelle il ajoute de l’étrange et de l’énigmatique. Un autre point très intéressant pour nous, curieux d’antiquités tardives, est représenté par les archaïsmes extraordinaires, que l’auteur (ou les auteurs) cite naïvement, ou avec une explication qu’il croit rationnelle.
Nos auteurs du XIIe siècle n’avaient que la culture moyenne de leur temps : ils ne pouvaient donc en aucun cas connaître des détails que seule l’archéologie moderne a permis de retrouver, sauf s’ils avaient auparavant été conservés par une tradition populaire. Or ces détails abondent dans nos récits (et encore une fois ne sont pas tous présents dans les plus vieux textes irlandais). Citons, au hasard des pages. Les allées de têtes coupées, les torques d’or, le sacrifice du taureau, le festin rituel du couronnement, le vin signalé comme rare, le serment par les dieu-ou-démons, les géants au maillet ou à la hache, les palais sans étage, le baptême de Tristan, les sacrifices dans une cuve. Citons, ce qui est encore plus extraordinaire : ces noms de dieu-ou-démons, de personnes, de lieux, qui surgissent au détour d’une page : Mabon = Maponos, Modron = Matrona, Grain = Grannios, Mabonagrain = Maponogrannios, Nimiane/Viviane, etc.
Malgré l’excellence de la thèse des Français Pauphilet, Farel, et Marx, le lecteur jugera par la lecture des œuvres que nous avons étudiées, s’il s’agit vraiment (selon les Écoles) d’une « somme éducative ou pédagogique », d’une « quête d’objets nourriciers », d’une « exégèse chrétienne ou cistercienne ». Il y a du vrai dans tout cela, mais le regard le plus rapide laisse rêveur, sur ces dames « nues » qui craignent la lumière, sur ces « géants » à la hache, ces « semblants d’hostie » qui procurent des visions psychédéliques, ces « vierges » allongées sur des tables d’argent, ces « calices » dont sort un homme une épée enfoncée « dans le flanc » ou un enfant « au visage vermeil », ces « blancs cerfs » qui bondissent sur des autels pour s’y transformer en dieu-ou-démon. Il est difficile de croire à la naïveté des auteurs ! Chrétien ou l’hypothétique H. de Massey font des clins d’œil appuyés au lecteur : Morgane est « une déesse », Guenièvre est « la mère de tout bien », les dialogues des héros sont « ceux du soleil et de la lune » ; la « Quête » mentionne d’ailleurs expressément que son accoutrement chrétien n’est que « ressemblance ou apparence ».
Il n’y a rien de mystérieux dans la littérature arthurienne ou dans le cycle du Graal, il n’y a que beaucoup de travail à y faire pour en retrouver le sens.
L’Irlande qui n’a connu aucune invasion idéologique avant le Ve siècle contient dans ses textes les plus anciens (datables dans leur fixation orale, du VIIe siècle) l’essentiel. La quête et les épreuves, le drame sacré, le chaudron, la lance et l’épée, la boisson et la nourriture sacrées, les promesses d’immortalité, les formules rituelles.
Tout comme la procession du Graal avec ses « entrées ou sorties » réglées comme un ballet ; la fête chez Bertilac du Haut-Désert (le chevalier vert), avec ses rires que l’on dirait de nos jours « pré-enregistrés », aux bons endroits ; le cortège funéraire de Lancelot, vu « d’une haute fenêtre » ; la barque mortuaire d’Arthur, vue de si loin qu’on n’en distingue pas d’abord les personnes qui s’y trouvent. Sans oublier le « lai du trot » où l’auteur reconnaît carrément que son héros n’est qu’un spectateur à qui l’on explique les ficelles à la fin du drame.
Il faut donc, à titre d’hypothèse, envisager une triade : textes anciens + tradition orale + appartenance de certains auteurs à des corporations ou à des cercles culturels marginaux… Pour le cycle de la Table Ronde, on peut supposer l’existence d’un courant littéraire (d’une mode) inspiré par une sorte d’académie. Encore assez puissante pour avoir gardé par écrit (ou oralement) dans ses archives, l’essentiel de la littérature mythologique celtique antique 1).
Reproduction de la quête et du voyage du dieu-ou-démon, à l’origine réservée aux prêtres ; le voyage et les épreuves font arriver à la connaissance du secret des dieu-ou-démons ; et à l’identification du comrunos (de l’initié) à son âme immortelle. Pour le reste, lire la littérature celtique, c’est assurément suivre les rituels druidiques dans la forêt ou les sanctuaires d’il y a deux mille et quelques années.
Exemples plus précis, glanés au hasard des textes.
La Quête du Saint Graal proprement dite, où notre héros, Galaat subit l’ordalie de l’eau bouillante et de la tombe ardente, puis voit l’ostension.
La force du vieux rituel s’impose à l’auteur, comme dans « Perceval » la nuit vient soudain, le vent druidique se met à souffler, la chaleur devient atroce, une voix tombe du ciel, et neuf chevaliers ou gardes apparaissent. Trois d’Irlande, trois de Gaule, trois du Danemark (?) Le lit du dieu-ou-démon mort où gît un homme qui fait semblant d’être mutilé (semblant malade écrit l’auteur, en vieux français. Tout est désormais semblance en effet, ce qui indique que l’auteur se méfie de son propre récit) arrive porté par quatre vierges en pleurs. La table d’argent est en place ; on apporte le voile vermeil, les
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lumières éclatantes, la lance qui saigne dans le Graal. Cette époptie se termine par une vision : du Graal sort un homme nu et sanglant (le Christ ?).
Le roi est guéri et Galaat est admis au grade supérieur par excellence ; il peut contempler l’intérieur du Graal après avoir avalé la « haute viande » un semblant d’hostie qui donne des visions hallucinatoires. Son âme et son corps se séparent (vieux français « l’ame li ert partie del cors »), et il tombe prostré au pied de la table. Il est désormais immortel. L’auteur, qui n’a pas compris cette théurgie, nous décrit Perceval et Bohort le croyant mort. Désormais la Quête est finie. Nul ne verra plus jamais le Graal emporté au ciel. (« On ne le reverra plus jamais dans le royaume de Logres où il n’a pas été honoré comme il fallait ». Cette indication est probablement prise dans les manuscrits qui ont inspiré l’auteur).
N.B. Pour plus de détails sur cette invraisemblable histoire de Graal et sur toutes ces « semblances », voir l’édition qu’en a donnée Oskar Sommer d’après les manuscrits du British Museum (publication de l’Institut Carnegie de Washington).
Jaufré. Il s’agit d’un roman de la Table Ronde écrit en langue d’oc (la langue des trouvères du Sud). Des aventures qui n’ont d’intérêt que romanesque autour de la fin du drame sacré : l’enchantement est levé sur la Terre Gaste grâce à Jaufré qui triomphe du chevalier aux grues, Trigaranos réincarné à notre grande stupeur. L’affaire finit par un mariage et le sacrifice de cinq bœufs pour sauver Arthur.
Arthur. La succession d’Uther se fait à Noël, version chrétienne des trinouxtion samoni (fête des Morts) où les dieu-ou-démons meurent. Arthur, au milieu des barons qui échouent tous à le faire, arrive par hasard à tirer l’épée royale fichée dans la pierre-enclume. Les barons grondent. Il ne sera sacré qu’à la Pentecôte. Il choisit ses conseillers. Il engendre Mordred (de sa demi-sœur non reconnue). Merlin lui révèle, ainsi qu’au peuple, sa naissance, et lui prédit toutes les catastrophes à venir, destinée que nul ne pourra changer ; la cause ultime en sera celui qui naîtra le 1er mai, autre fête sacrée druidique, le nouveau soleil qu’il a eu l’imprudence d’engendrer.
1° Ce qui ne valide pas pour autant l’escroquerie intellectuelle des prétendues sources de la supercherie du Gallois Iolo Morganwg.
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DEUXIÈME PARTIE.
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GÉNÉALOGIES ET ENFANCE DES DIEU-OU-DÉMONS.
(Les mabinogion, ou maponiaca en vieux celtique).
Qui sont-ils au regard du Destin (du Tocade) avant leur manifestation dans le monde des hommes, en quoi sont-ils différents du Destin leur père qui est inaccessible ? Il était inévitable qu’un jour ou l’autre ces questions se posent à propos de Taran/Toran/Tuireann, la G. D. M. C. (Dana) Lug, Brenos, Ogmios, Abellio, Noadatus/Nodons/Nuada/Llud, Medros, Belin/Belen, la bélisama Brigindo, et les autres entités surnaturelles ou préternaturelles de ce genre.
À toutes ces questions, les druides ont une réponse, claire et nette. Avec les dieu-ou-démons, le Destin ne s’est pas seulement donné des auxiliaires, il nous les a donnés aussi, comme puissances tutélaires ou régulatrices, auxiliaires de la mise en œuvre de sa justice immanente.
Le grand enseignement du druidisme, c’est que le Destin s’est fait chair, pour aider l’Humanité dont il est intrinsèquement solidaire, à s’élever de nouveau, encore une fois, au-dessus de son origine animale. Cette réponse s’exprime évidemment avec un certain nombre de variantes, suivant les paganismes considérés.
Dans ces conceptions divines, le rôle du Destin n’est pas créateur, mais procréateur. Il intervient dans la Matière pour mettre de l’ordre dans le chaos.
La figure de la G. D. M. C. psychopompe et théotokos (mopatis), complète ce processus de sur-spiritualisation de la Matière, cette Danu (bia) est en effet la mère de tous ces dieu-ou-démons.
Nous devons renoncer à nous représenter de façon exacte et scientifique l’union de Taran/Toran/Tuireann et de la Grande déesse-ou-démone mère cosmique Danu(bia), les anciens bardes en ayant fait aussi, parfois, une fille ou une épouse de dieu-ou-démon subalterne.
Résumons-nous.
Lorsque les temps furent venus en ce monde, le Destin ou Tokad, source de vie et d’abondance, envoya ses enfants ; les gens de la grande déesse-ou-démone mère cosmique Danu-bia (Taran/Toran/Tuireann, Lug, Brenos, Abellio, Belin/Belen, la bélisama Brigindo, Medros, Ogmios, le Suqellos Dagda Gargan, etc.). Cet envoi s’inscrit dans une perspective cyclique de remontée de l’esprit dans la matière. Les dieu-ou-démons comme Lug, Brenos, le grand Hesus (Morfessa en Irlande), Abellio, Noadatus/Nodons/Nuada/Lludd, Ogmios et les autres, sont de la même nature que le Destin suprême. Mais ils sont devenus semblables aux hommes (leurs frères) dans le chaudron cosmique (le dieu-par ou Pariolllon) afin de pouvoir leur servir d’exemples ou d’interlocuteurs voire de maître ou d’instructeurs. En bref de labarum de la volonté du Destin.*
L’être supérieur que l’on ne nomme pas (cf. le El Elyon de la Bible), personne ne l’a jamais vu, les dieu-ou-démons, eux, qui étaient, sont, et seront, éternellement au sein de son chaudron magique, si ! Ces fils du Destin peuvent donc nous aider à l’approcher. Ce sont des dieu-ou-démons personnels, issus d’un dieu-ou-démon, impersonnel (une source d’énergie cosmique). Ces dieux ou démons donc ont la forme d’une personne bien définie et ils s’occupent de chacun de nous personnellement. Ils sont personnels.
Le grand mot est lâché ! Les dieu-ou-démons du druidisme (du paganisme celtique) sont des dieu-ou-démons personnels. Leur destinée se déroule entre une origine et une fin à venir, par retour au sein du chaudron cosmique à la fin des temps.
La mythologie celtique ne fait jamais que chanter, sur tous les tons, les exploits de ces multiples facettes du dieu-ou-démon que l’on ne nomme pas, nées avant toutes autres procréatures, car ce sont les causes secondes du monde, les agents de la Loi des mondes (le Destin) qui ont mis en ordre le chaos primordial ou Tohu-Bohu.
Les réponses que font en général les dieu-ou-démons eux-mêmes sur leur identité, leur origine (leur généalogie), du moins selon Allan Kardec, sont là en définitive pour nous inviter à regarder plus loin, plus haut.
Taran/Toran/Tuireann, Lug, Brenos, le grand Hesus maître de Falias, devenu Cuchulainn plus tard en Irlande, le Suqellos Dagda Gargant, et les autres, sont issus du dieu-ou-démon que l’on ne nomme
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pas et qui est la loi des mondes (cf. encore une fois le El Elyon de la Bible). Ils retourneront à lui une fois ce monde accompli (erdathe globale ou aredengto).
Les dieu-ou-démons par conséquent, ont comme grand-père, source ou origine, pour ce qui est de leur corps, le Chaudron Cosmique de vie et de résurrection permanente (Bitos) et lui seul. Les dieu-ou-démons en général ont des naissances quelque peu surnaturelles (les bardes leur trouvent des généalogies très longues). Ce que les poètes qui ont transmis ces vieux mythes ont voulu dire par là, c’est que les dieu-ou-démons, dans ce cas, ont une double origine, et l’on y revient :
— Ils sont issus à la fois de la substance énergétique même de l’âme universelle (awenyddia) et du ventre de la matière via le chaudron cosmique. Un chaudron d’abondance soigneusement gardé par le Suqellos Dagda Gargant (assimilé à Dispater par César).
L’histoire des naissances extraordinaires est là pour nous rappeler que les dieu-ou-démons n’ont pas été choisis ni adoptés comme enfants par l’Être supérieur cosmique, mais qu’ils en sont réellement les enfants ; par émanation.
Ce paradoxe des dieu-ou-démons personnels, car c’en est un, est la clé du druidisme. La succession en génération des ancêtres de Lug, Brenos, le grand Hesus de Falias, Abellio, Medros, Noadatus/Nuada/Nodons/Lludd et le Suqellos Dagda Gargant, etc. dans toutes ces généalogies, exprime de façon poétique leur enracinement dans l’humain et son histoire.
Le nom qu’on leur donne est le signe même de cette fonction (Hesus = qui sait, Belisama = la très brillante, etc.)
Les maponiaca, mabinogion ou enfances, de ces dieux ou démons, sont riches d’enseignements à méditer pour nous. Elles mettent bien en évidence leur double origine, relevant de l’Être supérieur, mais issue également du ventre matériel de la terre.
Les récits nous les présentent en général comme les véritables forces de la nature, humaine ou extérieure à l’homme, que les païens doivent se concilier.
Lug est d’ailleurs un nom en rapport avec le terme signifiant lumière et son arme favorite (la bolga) porte un nom évoquant celui de la foudre (latin fulgur).
Les romans de ces enfances ou mabinogion sont une inépuisable source de méditation pour les vrais druidisants, avons-nous déjà remarqué. Ils donnent des exemples précis au thème bien connu des « dieu-ou-démons avec nous » (contrebis).
Mythologie est le nom moderne attribué à ces scènes de la vie quotidienne au travers desquelles les dieu-ou-démons se livrent à nous, habillés de détails familiers, mais aussi d’inépuisable profondeur à la Jung.
Ces mythes ont longtemps constitué la trame de toute légende digne de ce nom. Ils constituaient avec la vie et les exploits des grands héros, les principaux thèmes des toutes premières littératures.
Les maponiaca ou enfances des dieu-ou-démons, sont par conséquent chargées d’un important contenu théologique. Elles ne sont pas à lire comme de simples romans, mais à méditer.
* Disons plus justement que les dieux sont des attributs du Destin, des auxiliaires du Destin, agissant en tant que causes secondes démultipliant cette loi des mondes (comme dans le cas de la justice immanente).
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GÉNÉALOGIES ET AMBIVALENCES DIVINES.
Il existe en fait trois grandes opinions à propos des généalogies divines, assez embrouillées, il est vrai, des dieu-ou-démons celtes, car ceux-ci ont souvent plusieurs noms, ce qui n’arrange pas les choses. Exemple Belin/Belen l’avatar de Taran/Toran/Tuireann particulièrement honoré dans l’île de Man, Manannan en Irlande. On l’appelait aussi Orbsiu ou Gaer en gaélique, et même Barinthus au Moyen-âge.
Première opinion : les anciens druides ont essayé de traduire en langage imagé un certain nombre de notions philosophiques. Exemple : l’essence précède l’existence peut devenir, en langage imagé, l’essence est mère (ou père) de l’existence.
Le nom gaélique de Neto/Neith/Neit, qui signifie à l’origine, non pas combat, mais quelque chose comme « force, vigueur ou énergie », ancêtre primordial des dieu-ou-démons et des vouivres anguipèdes gigantesques telles Balaros (Balor), va dans ce sens. Car il s’agit là d’une incontestable allusion à un principe primordial, et ce principe, on peut bien le dire « père » de toutes les formes, autrement dit père de Delbaeth puisqu’en vieux celtique Deluato signifie « forme indifférenciée ou vague silhouette ».
Deluato fils de Neto, en gaélique Delbaeth fils de Neit, cela veut donc dire en définitive « Forme (indifférenciée) fille (ou fils) de Combativité ou d’Énergie (cosmique) ».
De telles généalogies n’ont donc pas pour but de fournir un état civil complet, mais d’indiquer un enchaînement de principes ou de causes à effets. En tout cas, voici ce que pense le grand spécialiste français Christian-Joseph Guyonvarc’h à ce sujet. « Neto est, en Irlande, un théonyme archaïque attribué à une divinité qui, dans le mythe, se situe au-delà de la distinction entre les Andernas ou Fomoire et le clan de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia). Neto est le grand-père de Balor, lui-même grand-père de Lug ».
Les généalogies divines n’ont pas de valeur chronologique accessible à notre entendement, mais elles ont une signification de principe. Par rapport à Lug, Neto est un peu ce qu’est Ouranos à Zeus, en Grèce.
Et il n’apparaît pas en dehors des listes ou des mentions généalogiques, car le mythe irlandais des origines s’est cristallisé autour du nom des Tuatha Dé Danann.
Mais son antériorité, qui est celle du chaos primordial, explique à la fois que ce dieu-ou-démon, sombre par définition puisqu’il est guerrier, soit aussi un Mars « solaire ».
Dans la tradition celtique antique, en dépit des relations « familiales » qui remontent au chaos initial, les dieu-ou-démons se sont peu à peu démarqués des entités souterraines ou des éléments naturels ; les vouivres ou anguipèdes gigantesques (andernas), qui ont été peu à peu rejetés dans le non-monde (l’andumnon) de la laideur physique et morale, surtout en Irlande (les Fomore : première hérésie !).
Il en est resté néanmoins une certaine ambivalence quant à leurs actions. Ogmios est aussi un dieu-ou-démon redoutable, ayant le pouvoir, quand il se fâche, d’entraîner dans la mort, ou d’infliger la stérilité ; si l’on en croit les deux tablettes de défixion déchiffrées par le professeur Egger de Vienne, en Autriche.
Ces curieux documents, gravés en écriture cursive, proviennent de Bregenz, sur le lac de Constance. Le plus explicite, découvert en 1930, réclame l’intervention d’Ogmios, à l’encontre d’une femme « pour qu’elle ne puisse pas se marier » (parce que devenue stérile). Ogmios apparaît ici comme une divinité redoutable, ayant le pouvoir d’entraîner dans la mort ou d’infliger la stérilité.
Cette pratique des envoûtements (sorcellerie), par écriture sur une tablette de plomb, les Celtes ne l’ont pas inventée. Ils n’ont fait que l’emprunter.
« Defixio » est un mot latin désignant, à l’origine, le fait de planter un clou, puis l’opération magique par laquelle on torture ainsi un substitut (par exemple une plaque de plomb) en espérant provoquer les mêmes désagréments chez l’ennemi auquel on pense, fortement. Cette procédure magique, telle que nous la percevons en Grèce et à Rome, inclut la mise par écrit, sur la tablette, du nom de l’ennemi visé. Le texte inscrit peut d’ailleurs être développé par une invocation de puissances surnaturelles, censées mettre en œuvre ce charme maléfique, et par diverses stipulations portant sur les motifs de la condamnation, ou les divers tourments qui serviront de punition. Il s’agit d’un type de
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procédure magique qui est attesté à travers tout le bassin méditerranéen, dans l’Antiquité. Si dans certains cas (en France à Chamalières par exemple) les druides ont cru devoir employer la langue celtique dans ce dessein, c’est peut-être parce qu’ils adressaient leur message magique à des entités surnaturelles celtes, sur des sites celtes.
Même chose pour Lug qui est de race « céleste » par son ascendance paternelle et de race « infernale » du côté maternel. Et c’est bien cela le caractère spécifique de Lug : il est tout à la fois. Il réalise en sa personne l’union des deux mondes, celui d’en haut et celui d’en bas, l’union de l’esprit et de la matière, de la vie et de la mort, de la pensée, mais aussi de l’action. Avec lui disparaissent toutes les oppositions, il réconcilie les contraires.
Le fait que certains dieu-ou-démons comme Lug, soient à moitié vouivre ou anguipède (à moitié fomore diraient les Irlandais), signifie qu’ils ne sont donc pas « bons » à la mode chrétienne (dagos ne signifie d’ailleurs nullement « bon » au sens moral, dagos signifie seulement « efficace », efficace en ce qui concerne son domaine) ; mais que les voies des dieu-ou-démons peuvent parfois être impénétrables. Ou incompréhensibles, pour leurs frères humains. Et d’ailleurs, l’histoire que nous raconte le mabinogi de Branwen fille de Llyr, au Pays de Galles, symbolise bien l’action incessante du Mal – le facteur négatif, mais nécessaire de l’existence – pour contrarier la Vie. À laquelle, néanmoins, il apporte en dernier ressort son concours.
En tant que forces de la nature humaine ou extérieure à l’Homme, les dieu-ou-démons ne sont donc pas toujours « bons » au sens moral et chrétien du terme avons-nous dit. Contrairement à ce qu’affirment, assez bizarrement d’ailleurs, et de façon quelque peu contradictoire, les monolâtres d’un seul Livre (Matthieu 6, 31-33, et Luc 12, 22-31) ; la sollicitude du Destin et de ses dieu-ou-démons, n’est pas toujours concrète et immédiate, mais prend souvent la forme d’une sorte de justice immanente. Le Destin et ses dieu-ou-démons ne prennent pas toujours soin de tout, des grandes choses ou des petites. On l’a bien vu lors des différentes batailles métahistoriques ayant secoué la terre aux temps hyperboréens (la première bataille de la Plaine des menhirs ou des tumuli, et la bataille pour la Tailtiu/Talantio appelée Rosemartha sur le Continent). C’est donc à l’Homme lui-même, encore une fois, répétons-le, de s’occuper de ce qu’il va manger, ou boire, de se vêtir ou de se loger.
Bref, le culte des dieu-ou-démons, fondé sur une cosmogonie qui voit le monde résulter d’une fécondation divine, adore diverses forces personnifiées : guerre, intelligence, fortune, etc.
Deuxième opinion : les généalogies que l’on a jadis attribuées aux dieu-ou-démons, sont le résultat du goût très prononcé des Celtes pour ce genre littéraire, et sont aussi le résultat de l’évhémérisation ultérieure des concepts divins, transformés en rois ou héros humains. Le caractère mortel des dieu-ou-démons irlandais, tout comme leur place dans diverses généalogies, n’est que le résultat d’un long processus d’évhémérisation (des dieu-ou-démons), ayant commencé dès leur occultation. Au début du druidisme, il n’était pas question de strates d’âges dans la génération des dieu-ou-démons.
Troisième opinion : les généalogies divines sont en fait la résultante de ces deux processus, explication imagée au départ, mais peu à peu incomprise, et dégénérant par la suite en glorioles bien humaines.
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NOTE À PROPOS DE LA VIE «PUBLIQUE» (connue)
DES DIEU-OU-DÉMONS, AUX TEMPS HYPERBORÉENS.
La mythologie druidique la plus ancienne et la croyance en ces îles au nord du monde, sont avant tout un acte de foi évidemment, et non pas de l’histoire ou de la biographie au sens moderne du terme. Rien de moins non plus, d’ailleurs.
La mythologie nous transmet ces vies d’hommes de nos dieu-ou-démons, en lesquels le dieu-ou-démon que l’on ne nomme pas (cf. pour comparaison le El Elyon et les élohim de la Bible) s’est fait connaître. Lug, Brenos, Abellio, la Bélisama Brigindo, le Suqellos Dagda Gargant, etc. sont fils de Dieu ou du Démiurge, dieu-ou-démons eux-mêmes, et ne font qu’un avec ce Destin supérieur. Au sein de notre peuple, leur peuple, aux temps hyperboréens, les dieu-ou-démons nos frères, ont vécu comme des hommes, soumis à toutes les lois de la condition humaine. Les dieu-ou-démons dorment, ils ont faim, et soif, ils se fatiguent, ils sont joyeux ou tristes, ils sont capables d’amitié ou d’affection voire de colère, en bref ils sont pleinement hommes et assument totalement, mais librement, leur condition. Nos bardes les ont fait débarquer en un temps et un lieu assez mythiques, il est vrai, venant des îles d’Hyperborée au nord du monde. Ils parleront la langue celte ancienne, le berla féné ou iarn belre, partageront les coutumes et les traditions de nos ancêtres, partageront leurs angoisses et leurs espérances. Leur mort même dans certains cas, qu’ils affrontaient en hommes accomplissant leur destinée personnelle individuelle, est aussi un témoignage de leur condition humaine. Rien de feint ni d’artificiel dans l’angoisse qui précède le dernier combat du Hesus Cuchulainn, rien d’invraisemblable dans le récit de ses tourments. Bref ce sont aussi vraiment des hommes et ils sont susceptibles par conséquent, comme nous, d’être broyés par la souffrance. Nos dieux ou démons ne sont donc pas incapables de comprendre nos faiblesses, hélas, trop humaines, en toutes choses, ils ont connu, eux aussi, les épreuves. Voir à ce sujet la célèbre légende irlandaise de la neuvaine des Ulates.
Mais attention, quand les bardes et vellèdes racontent que les dieu-ou-démons vécurent comme des hommes, aux temps hyperboréens, cela ne signifie pas pour autant, naturellement, qu’ils n’ont été que des hommes (comme les autres). Leur comportement, leurs relations, le rayonnement de leur personnalité manifestaient qu’ils étaient hommes, mais d’une manière bien particulière.
Qui sont-ils, d’où viennent-ils ? Ils sont en définitive l’Homme préternaturel par excellence, ils représentent et récapitulent en eux le destin de l’Humanité.
PREMIÈRE NOTE À PROPOS DE L’OCCULTATION DES DIEU-OU-DÉMONS.
On ne méditera jamais assez ce fait de la bataille de la Plaine des menhirs ou des tumuli ou de la bataille pour la Talantio/Tailtiu (Rosemartha sur le Continent). Des dieu-ou-démons battus, vaincus, et apparemment humiliés par les hommes, en bref crucifiés par leurs petits frères, et qui néanmoins acceptent de faire la paix avec eux.
Il s’agit là d’une singularité unique et révolutionnaire de la religion druidique. Aucune autre religion au monde n’a été aussi loin dans l’incarnation des dieu-ou-démons. Jamais les dieu-ou-démons n’ont été aussi hommes que lors de ces batailles des temps hyperboréens.
Au Xle siècle ; comme le montre le poème ci-dessous, extrait du Livre des Conquêtes (du Lebor Gabala Erenn) et dû à la plume de Flann Mainistrech (mort en 1056) ; cette importante notion théologique commençait déjà en fait à ne plus être très bien comprise des érudits. Qui préféraient l’historiciser ou en faire de l’évhémérisme à l’envers (en imaginant une mort bien humaine pour chacun de ces dieu-ou-démons).
Date de cette occultation selon Flann Mainistrech : lors de la venue du christianisme en Irlande c’est-à-dire vers le Ve ou Vle siècle.
Ci-après donc, cet important extrait qui se greffe sur le cycle du Livre des Conquêtes (appelé Lebor Gabala Erenn en Irlande) à propos de nos anciens dieu-ou-démons.
Ce texte a été publié avec traduction en allemand par Rudolf Thurneysen sous le titre « Tuirill Bicrenn und seine Kinder ».
* À part peut-être le détail de la lumière du héros ou luan laith qui émanera de son front au moment où il rendra l’âme.
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LE GRAND PAN EST MORT (DE LA MORT DES DIEUX).
Répétons-le encore une fois. Il va de soi que les dieux pas plus que les anges ou les djinns ne sauraient mourir. S’ils meurent dans nos légendes ce n’est que suite à une convention littéraire accentuée par la christianisation qui a encouragé les populations à ne voir en eux que des hommes, certes sortant de l’ordinaire, mais rien que des hommes néanmoins. D’ailleurs on les voit souvent réapparaître aussitôt dans d’autres légendes. Les dieux par définition ne peuvent pas mourir, sauf peut-être avec le présent cycle. Mais ils réapparaîtront alors sous d’autres noms dans le cycle suivant, car ce sont essentiellement des forces de la nature ou de l’âme humaine.
On trouve néanmoins de bien étranges choses sous la plume de nos bardes irlandais devenus chrétiens.
Certains disent que c’étaient des démons, d’autres qu’ils étaient revêtus de corps humains [ce qui est déjà plus vrai]. Ils existaient encore lors de la venue de la vraie Foi. Leurs généalogies ont été bien établies maintenant et c’est pour témoigner de leurs morts que Flann Mainistrech a composé le poème ci-dessous.
Texte en vers de la section VII consacrée aux Tuatha De Danann (poème N° LVI)
Flann Mainistrech cecinit
Oyez, oyez vous tous les sages si tel est votre bon plaisir
Si telle est bien votre volonté
Que je vous narre minutieusement les morts
De la fine fleur des enfants de la tribu de la déesse Danu (bia).
Edleo fils d’Alldai, en ce temps-là
Fut le premier des dieux
À tomber sur la terre vierge de cette île,
Sous les coups de Nerchon petit-fils de Semeon.
Ernmas, grande fut sa bravoure, est tombé,
Tout comme Fiachra, Echtach, Etargal,
Tuirill Picreo de Baile Breg
Lors de la première bataille de Mag Tured.
Allod est mort les armes à la main
Le grand et rugueux père de Manannan
Ainsi que la belle et parfaite Dona
Sous les coups de la déesse Domnu des Fomores [les vouivres et les anguipèdes]
Cethen et Cu moururent de peur
À Aircheltra ;
Et Cian loin de sa maison, par Brian
Iucharba et Iuchar, fut massacré.
D’un coup de pur soleil ?
Mourut Cairpre le grand, fils d’Etan :
Etan mourut au-dessus d’un étang,
De chagrin pour Cairpre à la tête blanche.
À Mag Tured, ce fut en pleine bataille
Que moururent Nuadu au bras d’argent ainsi que Macha
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C’était après la fête Samon [trinouxtion samoni = la fête des Morts]
De la main de Balor le cogneur.
Ogma est tombé, sans avoir faibli un seul instant
Sous les coups d’Indech fils de la déesse Domnu [une vouivre ou un anguipède] :
Cashmaol au puissant thorax est tombé
Sous les coups d’Oichtriallach fils d’Indech.
Ensuite d’une pénible peste moururent
Dian Cecht et Goibniu le forgeron :
Luchtaine le charpentier tomba de tout son long
Avec eux abattu par un dard de feu ardent.
Creidne l'agréable artisan
Se noya dans le golfe, la sinistre baie,
En ramenant des trésors d’or fin.
D’Espagne
Bress est mort à Carn ui Neit victime d’une ruse de Lug,
Sans qu’il y ait pour autant complet mensonge de sa part :
Ce fut une cause de querelle pour lui en effet
Que de boire de la tourbe en guise de lait.
Be Chuille et la belle Diana,
Leurs deux prêtresses moururent,
Un soir de druiderie,
Devant de gris démons aériens.
Il est tombé sur la grève située à l’est dans les fossés de Rath Ailig,
Indui le grand,
Fils de l’aimable Delbaeth
Des mains de Gann un audacieux jeune homme au poing blanc.
Fea, grande était sa renommée,
Mourut un mois jour pour jour
Après son trépas dans cette même forteresse
De chagrin pour Indui aux cheveux blancs.
Boand mourut en combattant
A la source du fils de Nechtan le noble :
Aine la fille du Dagda
Mourut de l’amour qu’elle donnait à Banba ????.
Cairpre mourut, souviens-t’en !
Sous les coups de Nechtan le fils de Nama :
Nechtan mourut empoisonné
Par Sigmall, petit-fils du libre Mider.
Abcan fils du froid Bic-Felmais,
Le barde de Lug aux innombrables victoires,
Fut abattu par Oengus sans reproche
Devant Mider aux puissants exploits.
Mider fils d’Indui en ce temps-là
Est tombé de la main même d’Elcmar :
Elcmar fut abattu à la loyale,
Par la main d’Oengus le parfait.
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Brian, Iucharba, et Iuchar,
Les trois dieux du peuple de la déesse Danu (bia)
Furent tués à Mana sur la mer lumineuse
Par Lug fils d’Ethliu.
Cermat fils du divin Dagda
Lug le blessa
Pénible douleur dans la plaine
Sous le règne d’Eochu Ollathair.
Cermat à la bouche de miel le puissant tomba
Sous les coups du redoutable Lug fils d’Ethliu,
Fou de jalousie en ce qui concerne son épouse,
À propos de laquelle le druide lui avait menti.
Sous les coups de Mac Cecht
Sans pitié le harpiste est tombé :
En outre Lug est tombé sur la vague,
Des mains de Mac Cuill fils de Cermat.
Aed le fils du Dagda est tombé sous les coups
Du beau Corrchend, son égal pour ce qui est de la valeur ;
À vrai dire par vengeance
Après qu’il ait commis l’adultère avec son épouse.
Corrcend, de Cruach, est tombé
Lui le rapide et dur champion,
Écrasé par la pierre qu’il érigeait sur la grève
Sur la tombe d’Aed le concupiscent ?
Cridinbel le tordu est tombé
Lui le jeteur de sort en chef du peuple de la déesse Danu (bia)
De l’or qu’il trouva dans Bann le paresseux,
Des mains du Dagda, petit-fils de Delbaeth.
C’est en arrivant de la froide Écosse,
Que lui Oengus le fils du rougeaud Dagda,
Ici à l’embouchure de la Boinne,
Il se noya.
Le fils unique de Manannan le marin
Le premier amour de la vieille femme,
Ce tendre jeune homme, tomba dans la plaine
Sous les coups de Bennan le paresseux, dans la plaine de Breg.
Net le fils d’Indui et ses deux épouses,
Badb et Neman, sans mentir
Ont été massacrés dans Ailech, sans peur et sans reproche
Par Nemtur le rouge, des fomores [des andernas vouivres ou anguipèdes].
Fuamnach la blanche épouse de Midir,
Sigmall et Bri qui n’avaient rien à se reprocher,
Dans Bri Leith,
Furent brûlés vifs par Manannan.
Le fils d’Allod est mort courageusement,
Le précieux Manannan,
Lors de la bataille de l’impitoyable Cuillenn
Sous les coups d’Uillend aux sourcils rouges.
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Uillend est tombé fièrement
Sous les coups de Mac Greine à l’incontestable victoire :
L’épouse du brun Dagda
Mourut de la peste sur les pentes de Liathdruim.
Le Dagda mourut dans le Brug des suites d’un coup de dard empoisonné
C’est absolument vrai,
Dont la dénommée Cethlenn l’avait mortellement frappé,
À l’occasion de la grande bataille de Mag Tured.
Delbaeth et son fils sont tombés
Sous les coups de Caicher, le noble fils de Nama :
Caicher fut abattu avec Boinn la paresseuse,
Par Fiachna le fils de Delbaeth.
Fiacha et la noble Ai sont tombés
Devant Eogan de l’estuaire :
Eogan de la froide embouchure fut abattu
Par Eochaid le savant, solide comme un roc.
Eochaid le savant tomba ensuite
Sous les coups d’Aed et de Labraid :
Labraid, Oengus, Aed furent abattus
Par Cermat à la magnifique silhouette.
Eriu et Fotla fièrement,
Mac Greine et Banba victorieusement,
Mac Cuill, Mac Cecht en toute pureté
Tombèrent lors de la bataille de Temair.
Mac Cecht tomba devant Eremon le noble :
Mac Cuill devant Eber le parfait :
Eriu ensuite devant Suirge
Enfin Mac Greine devant Amorgen.
Fotla tomba fièrement devant Etan,
Devant Caicher avec panache ce fut Banba,
Quel que soit l’endroit où ils reposent désormais,
Telles furent les morts de ces guerriers, oyez !
Le peuple des enfants de la déesse Danu (bia), compagnie semblable à du cristal,
Bien que de faux savants disent
Que ce peuple des barques et des coupes à boire
Est passé dans la Terre Promise (Tir Tairngire)
La seule Terre promise dont on peut parler ici
Et que possède le peuple des enfants de la déesse Danu (bia)
C’est la prison où ils sont jugés ;
À savoir le fin fond de l’enfer.
Bien qu’ils chantent sur tous les tons,
Ces faux historiens,
Que les gens de cette maudite race étaient du side *,
Cette croyance est contraire au Christianisme.
Celui qui en son âme et conscience croit
Qu’ils sont ainsi cachés sous les tertres à side *
N’ira pas au ciel avec les anges,
Car il n’y a rien de vrai dans ce qu’il aura entendu.
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* Nom chrétien tardif. Il s’agit du Sedodumnon.
N. D. L. R. Pour les besoins de la rime, il y a beaucoup de chevilles poétiques dans tout cela, voire de contradiction avec d’autres textes (ce sont là les inévitables conséquences de siècles et de siècles de transmission orale). Flann Mainistrech étant chrétien, il s’élève évidemment dans sa péroraison contre cette vieille croyance druidique (des êtres surnaturels, seulement revêtus de corps d’apparence humaine, qui ne sont pas vraiment morts, mais habitent encore l’Autre Monde celtique, et ainsi de suite).
Il prétend qu’elle est anti-chrétienne (ce qui est parfaitement exact évidemment), mais aussi grossièrement erronée ou mensongère (ce qui est beaucoup moins vrai. Pourquoi serait-ce moins historique que la résurrection et la montée au ciel au milieu des anges ou des saints de toutes sortes, du grand rabbi Jésus le nazoréen ?)
La vérité c’est que les héritiers médiévaux des druides, déjà esclaves des impératifs d’un mythe transcrit en pseudo-histoire, n’étaient plus à même d’exprimer, encore moins de comprendre, la notion d’Autre Monde.
Notons aussi que la décantation morale entre les forces positives (tribu de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu) et les forces négatives (tribu de la déesse-ou-démone, ou fée elle aussi, Domnu) n’était pas aussi manichéenne sur le Continent.
On trouve des ancêtres communs aux divinités des deux camps, des mariages, des alliances bancales contre des humains devenus un peu trop entreprenants : Gaulois Fir Domnain, Fir Gallioin, Fir Belg (Viroi Dumnionoi, Viroi Galloi, Viroi Volcai).
Concurremment avec l’évhémérisation mythologique, s’est progressivement installée en Irlande une sorte d’antinomie quasi manichéenne, qui n’existait nullement à l’origine. Certains « Fomoréens » apparaissent en théonymie continentale sous un jour moins négatif, exemple Cicolluis. Le terme gaélique qui lui est associé généralement est gricenchos < cribos cen coxsas : farouche sans pieds (Cichol).
Les bardes du druidisme (les vellèdes) ont eu recours eux aussi à l’image, un peu naïve, d’un partage du monde ou du cosmos entre les hommes, les (Fir) Domnain (Gallioin ou Belg, etc.) et les dieu-ou-démons. Les premiers à la surface du sol, et les seconds dans un Autre Monde, souterrain, céleste, ou insulaire, très loin à l’ouest, suivant les peuples (le Sedodumnon). Mais cet Autre Monde qu’est le Sedodumnon étant doué d’ubiquité, les contacts occasionnels de l’humain et du divin se font toujours dans le sens de l’irruption du divin dans le monde humain. Parce que notre monde baigne littéralement dans le monde divin (sans le voir !) Le temps étant suspendu dans un tel cas, c’est l’homme qui a l’impression contraire de pénétrer dans le monde des dieu-ou-démons, et c’est la raison de l’éternelle jeunesse. Identiquement, le retour dans ce monde ci, cause de vieillesse subite, de maladie et de mort par accélération multipliée du temps humain pour ceux qui ont l’imprudence d’y revenir ; est moins en fait un retour qu’un évanouissement ou un retrait de l’Autre Monde.
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DEUXIÈME NOTE À PROPOS DE L’OCCULTATION DES DIEU-OU-DÉMONS
ET DE LEUR RETOUR.
La première occultation des dieu-ou-démons, dite occultation mineure (autrement dit le commencement de leur disparition progressive) a donc eu lieu avec la 3e bataille de la plaine des menhirs ou des tumulI ; la bataille pour la Talantio symbolisée par la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère ce vocable, Rosemartha, sur le Continent. C’est-à-dire il y a quatre mille six cents ans au moins. Si l’on en croit certains érudits. Il s’agit des événements auxquels font maladroitement allusion les vers de Flann Mainistrech. Mais cette date de – 2500 avant Jules César, appartient plus à la métahistoire ou à l’hiérohistoire, qu’à la réalité objective. Elle est donc surtout symbolique.
Le vegtos vidtovos ou feth fiada en gaélique est le don d’invisibilité des dieu-ou-démons de l’Autre Monde ; en ce sens qu’il ne les empêche pas de se voir entre eux ni de voir les gens de ce monde ci, mais que les humains ne les aperçoivent pas contre leur gré. C’est le cas notamment de Lug qui, venant guérir Cuchulainn de ses blessures, ne se rend visible que pour lui.
Ce feth fiada est une invention ou une création d’un avatar de Belin/Belen/Barinthus, appelé Manannan mac Lir par les Irlandais.
« Dergos Boduos et Belinos Barinthus Manannan se partagèrent la souveraineté puis Belinos Barinthus (Manannan) procéda au partage des terres entre les nobles.
Dergos Boduos s’installa donc à Sidh Buibh au-dessus du Loch Dergert, Medros l’orgueilleux dans le sedos de Truim, Tadicos le grand, fils de Noadatus/Nuada/Nodons/Lludd, dans le sedos de Droma Dean… Et à chacun des Toutioi Devas à qui par conséquent il fallait un fief et un trône, Belinos Barinthus (Manannan) assigna un fief et une seigneurie. Puis il fit le vegtos vidtouos (feth fiada), le festin de Gobannos, et des porcs, pour les guerriers.
Grâce au vegtos vidtouos (feth fiada), les dieu-ou-démons devinrent invisibles, et grâce au festin de Gobannos ils échappèrent à l’âge et au déclin. Quant aux porcs, chaque fois qu’on en tuait un, on le retrouvait de nouveau bien vivant le lendemain ».
Le sens de l’expression demeure obscur, non pas que nous ignorions le sens de ces mots, mais feth présente cinq ou six possibilités de significations, et fiad (a) trois ou quatre.
Le plus vraisemblable est « brouillard ou voile de science » (vegtos vidtovos).
Ce feth fiada ou don magique d’invisibilité resta évidemment un privilège des dieu-ou-démons, un monopole et un secret. Seuls quelques mortels ont pu en profiter, eux aussi, au cours des âges.
Exemple le Setanta Vesus Cuchulainn, que l’on tient pour une réincarnation du grand Hesus déjà mentionné sous le nom de Morvesus ou Morfessa, dans le livre des Conquêtes (c’était lui le maître du monde souterrain de Fo-alias, autrement dit Thulé).
« Tes amis du Side ([du Sedodumnon. NDLR] ont volé à ton secours, et tu ne me les as pas fait voir » dit Fer Diad. « Ce n’était pas une chose facile pour moi », répondit le hésus Cuchulainn ; « car si le feth fiada est dévoilé ne serait-ce qu’une fois devant un humain, plus aucun des gens de la déesse Danu (bia) ne pourra pratiquer cette magie ».
Si l’on en croit la mésaventure arrivée à Etain dans le récit apocryphe gaélique de la « Nourriture de la Maison aux deux seaux à lait » (elle perd son don d’invisibilité en se baignant) ; cette situation aurait cessé avec la venue du christianisme en Irlande c’est-à-dire vers le Ve siècle.
Cette deuxième occultation des dieux ou démons nos frères (puisqu’eux aussi sont issus du Nemet Cornunnos) a entraîné leur disparition quasi définitive, mais elle s’est produite à une date en réalité plus difficile à cerner. Certains textes suggèrent le Ve siècle avec le christianisme, mais d’autres parlent de l’An Mil pour ce qui est des fées.
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LES SYZYGIES OU ASSOCIATIONS DE DIEU-OU-DÉMONS.
A) L’HIÉROGAMIE COSMIQUE.
La bipolarité ou dualisme relatif esprit/matière, feu ou eau, mâle ou femelle, masculin ou féminin, symbolisée par le torque (collier à deux tampons).
Sur quelques reliefs de dimensions moyennes (trente à cinquante centimètres de hauteur), le dieu-ou-démon semble communiquer avec sa compagne en tenant, soit le même symbole d’abondance qu’elle, soit un autre de même sens. Le groupe d’Alésia, conservé au Palais du Roure, dans la cité d’Avignon, est significatif à cet égard. Les époux sont tournés l’un vers l’autre, au lieu d’être de tous les deux de face, et le dieu-ou-démon pose sa main droite sur le haut de la corne d’abondance portée par sa compagne.
Des gestes de tendre complicité, on en retrouve ailleurs, à Solutré ou à Nevers ; où le dieu-ou-démon présente les mêmes objets que sa compagne : la corne d’abondance – qu’il porte souvent par le haut, était-ce un mouvement plus viril aux yeux des sculpteurs ? – Et la patère. Les époux, à n’en pas douter, partagent les mêmes fonctions et veillent, de leur tendre affection mutuelle, sur la prospérité des humains.
La bipolarité, nous le savons, est une des premières caractéristiques de la Nature. La vie est l’étincelle qui en jaillit en permanence.
Un des grands principes de base de la théologie druidique est donc que la Nature est comme sexuée. Et comme les anges de la Bible capables de faire des enfants aux filles des hommes (Genèse 6, 2 : les anges virent que les filles d’hommes étaient belles et ils prirent pour femmes celles de leur choix… ils eurent d’elles des enfants, ce sont les grands héros d’autrefois, les hommes de renom) ; les dieu-ou-démons eux-mêmes ont par conséquent un sexe. Celui du Suqellos Dagda Gargant est d’ailleurs resté célèbre, tout comme celui de la Sheela na Gig irlandaise.
D’où la notion de couples divins. Une particularité de la religion des druides est en effet le culte rendu à des divinités en couple. C’est là une forme singulièrement développée de l’anthropomorphisme, envisagé sous l’angle de la fertilité ou de la prospérité. Les dyades ou groupes de deux divinités abondent.
Sur le continent notamment, il y a des couples purement indigènes : Suqellos et Nantosuelta, Bormo ou Albius et Damona, Bormanus et Bormana, Ucuetis et Bergusia, Cicolluis et Litavis, Telo et Stanna. Maints cultes locaux sont ainsi placés sous l’invocation d’un dieu-ou-démon et d’une déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère. Damona et Bormo à Bourbon-Lancy, Brixia et Luxovius à Luxeuil, Sirona et Grannos à Grand, et ainsi de suite.
B) L’HIÉROGAMIE DU FEU DANS L’EAU.
« Le Ciel est mon père, il m’a engendré. J’ai pour famille tout cet entourage céleste. Ma mère, c’est la grande terre. Je suis né entre ces deux moitiés du monde dépliées ; là le Père féconde le sein de celle qui est à la fois son épouse et sa fille ».
Voilà ce que chantait, il y a quatre ou cinq mille ans, devant un autel de terre où flambait un feu d’herbes sèches, un poète védique (Rig Veda. Livre I. Hymne CLXIV. Viswadévas).
Une divination profonde, une conscience grandiose, respirent dans ces paroles étranges. Elles renferment le secret de la double origine de l’Humanité. Céleste est l’origine de son âme, mais son corps est le produit des éléments terrestres fécondés par une essence cosmique » (Édouard Schuré. Les Grands Initiés).
Le lieu entre deux mondes auquel fait allusion le poète védique désigne sans aucun doute la Grande déesse-ou-démone mère cosmique Danu (en Irlande). Taran/Toran/Tuireann (Varuna chez les hindous) représente l’ordre invisible, hyperphysique, éternel et intellectuel, il embrasse l’infini de l’espace et du temps.
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Les plus anciennes figurations du couple, sans que l’on sache si la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, était alors appelée Maïa ou Rosemartha sur le Continent, sont celles de Paris, sur le pilier des Nautes (Espérandieu. IV 3135), et Trèves en Allemagne, stèle du Médiomatrique Indus (Espérandieu. VI 4929).
Cette dernière présente sur sa face principale la dédicace au seul Mercure, surmontée des images en bas-relief du dieu-ou-démon et de la déesse-ou-démone, ou de la fée. Sur l’un des côtés adjacents, Esus est occupé à faire tomber le chêne aux trois grues et aux trois têtes de taureau.
Sur le troisième côté est figurée une divinité féminine, probablement (Mor) Rigani. [Rigani est un datif. N.D.L.R].
Les textes aussi bien que l’archéologie et le folklore laissent transparaître une connexion intime, constante, entre le culte solaire et le culte de l’eau. Le bilan religieux de maintes stations britto – ou gallo-romaines réunit des divinités lumineuses et des divinités dispensatrices de l’eau. À Lhuis, en France, une précieuse inscription, découverte il y a quelques décennies, vient de révéler l’existence d’un temple dédié aux Mères guérisseuses, qui personnifiaient un ruisseau voisin. Or, il se trouve que, du même emplacement, avait été jadis exhumé, un autel du dieu-ou-démon à la roue, c’est-à-dire du dieu-ou-démon solaire.
On ne répétera jamais assez la double attestation, l’une écrite, l’autre figurée, que nous apporte la tête de Gorgone qui orne le fronton du temple d’Aquae Sulis à Bath : elle évoque clairement le soleil. Cas de figure identique avec le dieu-ou-démon d’Essarois (France) à propos de la relation entre le soleil et la source. Le même fronton qui présente l’image du dieu-ou-démon, la tête entourée de rayons, porte aussi la dédicace à Vindonnus (Apollon) et aux Fontaines. Il serait difficile d’avoir une confirmation plus éloquente.
Si l’on se rappelle que l’ancien nom d’Aix-la-Chapelle était Aquae Granni, c’est-à-dire « les eaux de Grannus », on en conclura que Grannus, dieu-ou-démon solaire, était aussi et sûrement une divinité des eaux.
Un récit légendaire que le grand archéologue Jean-Jacques Hatt a eu le mérite de découvrir dans les Actes du martyre de saint Vincent d’Agen vaut la peine d’être relaté.
Texte le plus ancien.
In Aginnensis quondam urbis territorio, regione Metensium *, quæ una est de nobilioribus civitatibus Galliæ, sacrilega Paganorum turba solito more convenerat, [Præstigias dæmonis ** in rota ignea, deorsum & sursum voluta,] ceremonias non veræ religionis, sed falsæ seductionis exercere in templo, diis suis consecrato. Quo videlicet inhabitantes dæmones, fallacia sua, convenientis ibidem vulgi mentes oculorumque acies fallebant ; ut putaret se plebs illa miserabilis aliquid operis divini in simultatibus ludentis diaboli intueri. Nam per ejusdem templi fores, quasi ad nutum alicujus inibi constituti numinis, aut ut verum dixerim, inhabitantis dæmonis, rota flammis circumsepta, solita erat prorumpere ; & a summo collis vertice in præterfluentis amnis gurgitem, in præceps deorsum propere devoluta, percurrere ; rursusque a flumine ad ædem templi devio rotatu, vana vomens incendia, remeare. Hæc autem omnia fallacissimus ille & invidus bonorum omnium diabolus ideo faciebat, ut persuaderet miseris hujusmodi phantasmate, quatenus crederent eum esse quod non erat. Ad memoratum itaque delubrum, uti jam enarrare cœpimus, [S. Vincentius signo Crucis evertit:] Præses antedictæ urbis cum multa plebium turba convenerat, & ad progredientis rotæ igneum gyrum ingentis populi solicitudo pendebat. Inter quas populorum catervas S. Vincentius, decus Martyrum mox futurus, ut credendum est, miseratione Dei, ne populi diutius illuderentur, exhibitus, & nulli antea incolarum cognitus, celeri, quantum rei exitus docet, martyrio coronandus advenit ; & quænam hæc populi esset celebritas, solicitus Dei cultor agnovit. Nec eum doli latere diaboli potuere ; qui erat verus Dei famulus & fidelis cultor Domini nostri Jesu Christi. Prorumpenti ergo de templo huic fraudulento diabolicæ machinationis operi, Athleta Christi elevata sursum dextera signum Crucis opposuit ; atque illico omnis diabolici phantasmatis illusio, facto signaculo veræ Dietatis evanuit, & numquam inibi fallacia nequissimi deceptoris mentes hominum in posterum seducere tentavit.
« Sur le territoire anciennement rattaché à la ville d’Agen, dans la région des Metenses, qui est une des plus connues des cités, la foule sacrilège des païens avait coutume de se rassembler, pour célébrer des cérémonies. Non de la vraie religion, mais d’une illusoire séduction, dans un sanctuaire consacré à ses dieu-ou-démons.
Les démons qui hantaient ce lieu abusaient par leurs manœuvres trompeuses, les yeux et l’esprit de la foule qui s’y trouvait rassemblée. De telle sorte que ce malheureux peuple croyait assister à quelque miracle divin, là où il n’y avait qu’artifices diaboliques.
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En effet, franchissant la porte de ce même temple, comme si elle avait été poussée par quelque volonté divine, ou plutôt à dire vrai par celle d’un démon demeurant dans ce lieu ; une roue entourée de flammes avait l’habitude d’en sortir, et de dévaler depuis le sommet de la colline jusqu’au gouffre d’un ruisseau qui coulait en contrebas. Elle remontait ensuite la pente, jusqu’au temple du sanctuaire, par un mouvement inverse, en vomissant de vaines flammes. Cette illusion disparut devant un signe de croix. La foule des païens furieux mit à mort le saint ».
Variante.
Beatissimus Vincentius, Levita Agennensis ; ut a Patribus traditur reique declarat eventus ; quadam die, dum pro more suo intentus esset in cælum, confestim Angelicam promeruit admonitionem, quatenus ad martyrii palmam festinaret intrepidus. [Angelico monitu] Itaque non immemor factus tantæ admonitionis, munitus undique vexillo sanctæ Crucis, velut alter. Elias quo vocat eum Spiritus, adire deliberat quantocius. Tandem solicitus adeo suæ vocationis, ut erat totus in Deo positus, non longo post temporis intervallo, quoddam Agennensium oppidum invisit festinus, quod a Velanum agris Reonemensis * ruris dicebat antiquitas. [Christum prædicans] Cumque ibi in Sancto prædicationis munere consisteret. idolorumque cultores avariis superstitionibus retraheret ; tentus ab apparitoribus, quasi auctor sceleris, catenarum vinculis atrociter implicatur : atque ad Præsidis audientiam innocens suppliciis mancipandus adductus, [Præsidi sistitur:] tribunali ejus satellitibus undique septus statuitur. Quem videns Præses, confestim eum verbis compellat amaris. Tune es, inquiens, ille scelestissimus, qui nostrorum deorum culturam abominaris, etc.etc. Ce qu’Auguste-François Lièvre résume ainsi.
« Autrefois dans le pays d’Agen, suivant un antique rituel, les païens, pour célébrer une cérémonie de leur culte, s’assemblaient en foule dans un nemeton situé sur un lieu élevé, appelé Velanum. Et à un moment donné les portes du sanctuaire s’ouvraient puis une roue entourée de flammes apparaissait, qui, précipitée sur la pente, roulait jusque dans la rivière au pied du coteau. Ramenée au temple en cachette ** * et lancée de nouveau, des flammes recommençaient à en jaillir ».
* Sans doute une altération de Nemetensium.
** Donc, pour l’auteur chrétien, de ce récit, et conformément à une longue tradition depuis Tertullien et saint Augustin, les dieux en question existaient vraiment. La seule chose, c’est que pour lui c’étaient des démons et non des dieux. N. D. L. R.
*** Note de la rédaction. Ou alors il s’agissait d’une autre roue. En tout cas aux yeux des druides antiques il ne s’agissait que d’une cérémonie du culte. Il a fallu toute la stupide intolérance de saint Vincent pour y voir une magie diabolique ou une intervention des démons et vouloir y mettre fin. Comme les talibans chrétiens d’Orient appelés parabolans et saint Symphorien quelques décennies plus tôt. Ah religion d’amour toujours, quand tu nous tiens ! Comme quoi Foi et Raison font rarement bon ménage. Le Judéo-Christianisme, quelle régression intellectuelle ! L’islam quelle régression intellectuelle !
Çà et là, sont attestés des usages analogues. Les rituels observés font donc ressortir une connexion entre le feu et l’eau, dont nous aurons à chercher l’explication.
Sur l’inscription de Clarensac, Jupiter-Taranis est associé à la Déesse-ou-démone Mère. Le célèbre archéologue français y voit une allusion au combat cosmique de Taran/Toran/Tuireann et à la fertilisation du sol par la foudre. Les Celtes puis les Britto – ou Gallo-Romains, avaient en effet le souci de réaliser cette liaison : le contact tant désiré entre le principe de fécondité céleste, issu de Taran/Toran/Tuireann, et le principe de fécondité souterrain issu de la Terre.
Ils tenaient cette idée dominante d’une conception cosmologique populaire de l’Univers partagé entre deux hémisphères : le monde d’en-haut étant le domaine des dieu-ou-démons aériens ; le monde d’en bas celui des divinités souterraines.
Brèves notes de lecture suggérées par l’excellent livre de Claude Sterckx : « Éléments de cosmogonie celtique », paru aux éditions de l’université à Bruxelles.
Macrocosme et microcosme sont issus de l’union du principe mâle spirituel de nature ignée (le roi Taran/Toran/Tuireann) et du principe féminin matériel de nature aquatique, la grande déesse-ou-démone mère cosmique).
Tel est l’enseignement fondamental des anciens druides : le feu et l’eau. Une de leurs prophéties, rapportée par Strabon, affirme d’ailleurs qu’un jour, seuls régneront le feu et l’eau, en d’autres termes la matière et l’esprit.
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Dit autrement : chez les druides, la divinité supérieure, le Dieu-Par qui est un gigantesque chaudron cosmique nous englobant tous, est assimilée à une source d’énergie universelle. Ce bouillonnement d’énergie cosmique (Bitos) est produit surtout par l’interaction de deux principes fondamentaux qui sont en quelque sorte ses enfants.
— L’un féminin est unique (bien que multiforme), mobile, mais non moteur, agissant mais non actif. Il s’agit de la grande déesse-ou-démone cosmique, l’eau-matière primordiale. Son nom Morrigani signifie d’ailleurs « Reine de la mer ».
— L’autre, masculin, est multiple, moteur, mais immobile, actif, mais non agissant sauf par exception. Il s’agit de Taran/Toran/Tuireann le feu-esprit.
On retrouve là l’un des thèmes de base de la théologie indo-européenne, celui du feu dans l’eau. Le Rig Veda par exemple, le plus vénérable des textes aryens cite en effet comme l’un des dieu-ou-démons « Feu » : Apam Napat « le descendant des eaux ». Les exégètes indiens expliquent ce paradoxe apparent par l’exemple de l’éclair sortant des nuées d’orage, exotérisant ainsi, pour mieux le faire comprendre des masses, le concept fondamental et universel de la « coïncidentia oppositorum » (de la coïncidence des contraires).
Chez les druides, cette opposition était nuancée, car il y avait d’après eux opposition relative et non absolue, entre l’Esprit et la Matière. Le cas de Sul Minerve à Bath, en Angleterre, est la parfaite illustration de cette conception druidique du feu dans l’eau.
I. L’ESPRIT.
On peut en gros, en très gros, résumer ainsi la doctrine druidique sur ce point, grâce au précieux mythe consigné dans un des panégyriques de Constantin.
« C’est avec raison que tu as honoré ces temples augustes de dotations, si riches qu’ils ne regrettent plus les anciennes offrandes, et que tous les temples déjà semblent t’appeler de leurs vœux ; en particulier celui de notre Apollon [le temple d’Aquae Nisinciis, aujourd’hui Saint-Honoré près d’Autun en Bourgogne] ; dont les eaux brûlantes punissent les parjures que tu dois plus que personne détester. Dieux immortels, quand nous accorderez-vous donc ce jour béni où cette divinité si bienfaisante, après avoir partout rétabli la paix, viendra là aussi visiter les bois sacrés d’Apollon, son temple vénéré ; ainsi que les bouches fumantes de ses fontaines, dont les eaux jaillissantes, couvertes de buée, par leur douce tiédeur sembleront sourire à tes yeux, Constantin, et s’offrir d’elles-mêmes à tes lèvres. Tu admireras là aussi le sanctuaire de ta divinité protectrice, et ces eaux chaudes issues d’un sol qui ne porte pas la moindre trace de feu. Rien n’est désagréable dans leur saveur ou leurs émanations, mais au goût et à l’odorat, elles rappellent la pureté des sources froides. Là encore, tu feras des présents, tu établiras des privilèges, bref tu rendras tout son prestige à ma patrie, en multipliant les marques de vénération pour le lieu ». (Panégyrique de Constantin, XXI-XXII).
Un texte que l’on peut mettre en parallèle avec celui de la légende de la damona vinda nommée Boann en Irlande. La reine, afin de se purifier d’un adultère, veut se baigner dans une rivière nommée Segisa (Seaghais). Elle tente d’accéder à la source par une sinistratio (mouvement vers la gauche), mais la rivière la brûle, déborde, et se lance à sa poursuite jusqu’à la mer où elle se noie.
On peut déduire de ce mythe très instructif les éléments suivants.
1. Il y a dans les eaux une puissance mystérieuse de nature ignée.
2. Pour pouvoir l’utiliser il faut d’abord avant tout savoir se la rendre propice.
3. Sinon les eaux enflent dramatiquement (dans la variante irlandaise).
4. Et lancent jusqu’à la mer une rivière furieuse.
Les Celtes, comme la plupart des peuples indo-européens, ont conçu la vie, la vraie vie, comme un feu ou une étincelle vitale, décelable à travers la chaleur, qui distingue les êtres vivants des cadavres froids. Ainsi que l’écrit justement le grand historien belge qu’est Claude Sterckx, un reste de cette croyance se retrouve dans le rejet, par les Celtes, de l’idée chrétienne que l’enfer est une géhenne de feu. Longtemps après leur conversion au christianisme, l’enfer des Celtes en effet, restera glacé.
La vie supérieure était donc assimilée par les anciens druides, au niveau du macrocosme, à la chaleur vitale (que l’homme peut transmettre aussi par son sperme, où réside une partie de cette chaleur. La femme reçoit le germe de vie qu’est le sperme mâle et elle le nourrit jusqu’à l’incarnation placentaire).
Dans la symbolique druidique, le Grand Esprit est par conséquent représenté de façon allégorique par un dieu-ou-démon puissant, de nature ignée, capable de féconder la matière. Sur le continent, c’était Taranis, le Jupiter indigène, sous ses divers surnoms.
Rudiobos ou Rudianos est représenté parfois comme un cheval divin. Il évoque Taranis sous son aspect hippomorphe. Le grand dieu-ou-démon hippomorphe ou à cheval, des anciens druides, se
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retrouve d’ailleurs aussi, sous le nom d’Atepomaros le grand cavalier, dans le célèbre mythe de la fondation de Lyon, la ville sainte du druidisme occidental : Lugdunon.
Taranis possède des foudres capables de tuer les vivants et de ressusciter les morts, symboles tonnants bien sûr, mais phalliques aussi, symboles de la puissance de l’esprit.
II LA MATIÈRE.
Dans la mythologie druidique, le principe féminin est aussi assimilé à la matière en vertu d’une équivalence sémantique bien connue (matra mère, materia matière) dans la cabale phonétique indo-européenne. Matir-mère, mater-matériau (bois entre autres) chez les Celtes.
Et cette déesse-ou-démone mère de la mythologie druidique, est appelée « Rigani » (sic).
La grande déesse-ou-démone mère cosmique appelée Rigani, a la capacité de régler les passages de la Virtualité à l’existence (par la fécondation) ou inversement, le retour au non-être, quand l’étincelle divine abandonne le corps. Cette Rigani est la matrice universelle et cosmique (au niveau du macrocosme) qui assume les passages et les retours périodiques des étincelles de vie, qui animent le monde ; les passages de l’essence à l’existence ou inversement, de l’existence à l’essence, selon le grand cycle des naissances et des morts, quand l’esprit se désincarne. Pour reprendre un mot de Claude Sterckx, on pourrait dire que cette Rigani est en quelque sorte un générateur cosmique assurant l’actualisation de toutes les existences, et leur retour cyclique vers la virtualité. À travers la chaîne sans fin des incarnations et des morts. Telle est la signification de la célèbre roue de Taranis dite aussi « labarum » : la matière fécondée par l’esprit. À noter : le christianisme l’a récupérée sous le nom de croix de saint André ou de croix de saint Patrice.
Dans la mythologie druidique, un lien tout particulier unit, comme nous l’avons vu, le thème de la mer et de l’eau, à celui des origines. L’idée de l’eau et de l’océan primordiaux apparaît par exemple dans la théogonie gaélique d’Irlande, avec le nom du célèbre chaudron du Suqellos Dagda Gargant, le Morios, apparenté à celui de la mer (Mori > Muir en gaélique). Telle est donc en définitive la signification du célèbre chaudron inépuisable du Graal : une hiérogamie cosmique (la matière fécondée par l’esprit, par le feu, et, donc, l’infinie potentialité de la vie).
La vie actuelle, la vie de ce monde, est générée par des eaux du monde, féminines, comme les eaux de la femme dans lesquelles s’incarnent les nouvelles vies humaines. Ce n’est pas un hasard si tant de textes, depuis l’antique defixio retrouvée à Bath, représentent la mort comme un retour à l’état aquatique. Ce n’est pas un hasard non plus si les déesse-ou-démones, ou fées si l’on préfère, de toutes les terres celtes, sont systématiquement identifiées à des rivières (la Clyde en Écosse par exemple, la Marne en France).
NOTES SUR LA MYSTIQUE DES SOURCES.
Autrement dit le « thème majeur qu’est la naissance de la source, assurant le passage du monde souterrain au monde aérien, et par là même pourvue d’un pouvoir salutaire et d’une vertu curative ».
Ces mythes font partie d’un syncrétisme druidique qui n’est pas antérieur aux deux derniers siècles de l’indépendance.
Les sources chaudes de Bath sont connues depuis au moins le IXe siècle avant notre ère. Il existe même une légende à son propos. Elles auraient été découvertes par un prince celte nommé Bladud. Bladud, ayant attrapé la lèpre, est banni de la cour du roi son père. Il se cache dans la campagne, où il est employé dans une ferme. Un jour qu’il promène ses cochons, atteints eux aussi par la maladie en question, il découvre des sources chaudes, près de la rivière Avon. Miracle… les cochons qui s’y sont plongés ne montrent plus de signe de lèpre. Il se baigne à son tour et en sort guéri. Devenu roi, il fondera la ville de Bath autour de ces sources miraculeuses et aura un fils, le roi Lir immortalisé par Shakespeare. D’après cette légende, issue de l’Histoire des rois d’Angleterre (Historia regum Britanniae) datant du XIIe siècle, c’est donc le père du roi Lear de Shakespeare qui aurait découvert les sources. Le hasard fait vraiment bien les choses, puisque Lear est un nom se référant à la notion d’élément liquide primordial.
N.B. L’Histoire des Rois de [Grande] Bretagne relate la vie des premiers souverains de l’île depuis Brutus, arrière-petit-fils d’Énée, jusqu’à Cadvalladr ou Caedwalla, roi du nord du Pays de Galles (VIIe siècle). L’auteur prétend faire œuvre d’historien, mais son livre est en grande partie une œuvre de fiction, mêlant une multitude de fables à des traditions nationales comme celle du grand roi breton Arthur. Il jouira toutefois d’un grand crédit auprès des écrivains postérieurs, y compris Shakespeare (pour son roi Lear). Autrement dit, beaucoup de légendes et bien peu d’histoire, au sens scientifique du terme ! Enfin bref, passons ! Les pèlerins affluent et se concilient les bonnes grâces de la déesse-
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ou-démone, ou de la bonne fée, par l’intermédiaire des druides locaux, en leur offrant des pièces de monnaie à jeter dans la source.
Ce culte n’a pourtant pas été introduit par les populations celtiques. Nous possédons la preuve que certaines sources ont été fréquentées, pour des raisons religieuses, par les hommes de l’Âge de la pierre polie. La plupart de nos stations thermales à valeur médicale reconnue, comme Bath, ont fait l’objet d’un premier aménagement bien avant l’époque romaine.
La pratique des bratou decantem ou ex-voto, remonte souvent jusqu’au néolithique. Des captages en bois de chêne, cuvelages et canalisations réalisées dans le même matériau, sont parfois antérieurs à l’arrivée des Celtes. Les puits en bois des Fontaines salées près de Vézelay, en France, dateraient d’un millier d’années avant notre ère. Un autre exemple frappant de l’ancienneté ainsi que de la continuité d’un culte attaché à une fontaine, est celui de la source, aujourd’hui bien oubliée, de Grisy, à Saint-Symphorien-de-Marmagne. Des sondages, pratiqués au début du XXe siècle, ont révélé une série de trouvailles, qui s’échelonnent de façon à peu près continue, depuis les temps néolithiques jusqu’à la fin de l’époque romaine.
Nous nous étonnons de constater la présence d’ex-voto (de bratou decantem) auprès de sources qui paraissent dénuées de qualités particulières. Laisser entendre que les malades qui visitaient ces sources étaient victimes d’une hallucination collective, quand ils rendaient grâce à la déesse-ou-démone, ou fée, des eaux, en question ; est une manière simpliste de traiter du problème. Les analyses chimiques ont-elles été assez poussées ? L’analyse chimique suffit-elle à discerner si telle eau de source est curative ou non ?
Les qualités curatives attribuées à l’eau sont à l’origine d’une tendance généralisée à visiter les sources et à supplier les divinités qui les patronnent. Toute amélioration de la santé, toute guérison, est dans ce cas considérée comme le don gracieux d’un dieu-ou-démon, par exemple d’une déesse-ou-démone ou d’une bonne fée (ou d’un couple divin), qui intervient par l’intermédiaire de l’eau, élément sacré. Il suffisait en l’occurrence de plonger le linge des petits malades dans l’eau pour obtenir leur guérison.
L’eau de la source est pure de nature. Elle conserve ses qualités ainsi que son efficacité au plus haut degré, à condition d’être préservée contre tout apport de souillure. L’habitude britto – ou gallo-romaine [d’abriter le bassin d’une source par une coupole de pierre] prolonge la tradition celte ; puisque l’existence d’une toiture, à très haute époque, a été soupçonnée ou constatée plusieurs fois, au-dessus de divers bassins sacrés.
Cette mode s’est maintenue au Moyen-âge, où l’archéologie et la toponymie s’accordent si souvent à déceler des fontaines qui ne sont jamais de banales sources.
Les eaux de résurgence, c’est-à-dire les sources, ont acquis l’aptitude à conférer ou à répandre la vie. Aux qualités qu’elles tiraient de leur origine solaire, elles joignent un enrichissement venu de leur séjour au sein de la terre : elles sont devenues fécondantes. L’eau possède les aspects manifestement essentiels de la vie : elle est douée de mouvement, quand elle jaillit en fontaine, puis s’écoule en ruisseau paisible ou en torrent fougueux ; elle est en même temps parole, car elle murmure, ou chante joyeusement [d’où la notion de Visucia, de Minerve prophétique associée au dieu-ou-démon des sanctuaires de source, comme à Bath. N. D L. R] ou bien se déchaîne en bruyants tourbillons, en cascades frémissantes. Bien plus, elle est créatrice de vie, en ce sens qu’elle engendre la fertilité puis la transporte sur son passage tout au long de ses rives. De plus, en tant qu’élément pur, elle efface toute souillure et guérit les maladies. Ces propriétés merveilleuses tiennent à l’origine doublement divine de l’eau. Les hommes d’autrefois ont donc placé les eaux sous le patronage d’une divinité céleste et de la Terre-Mère. Les sources, dont la venue au jour et l’épanchement mystérieux, sont le bienfait octroyé par deux puissances divines. De bonne heure, ces deux forces ont été conçues comme un couple. Le partenaire masculin, élément moteur, est le Soleil, tenu pour le régulateur supérieur de toutes les manifestations dont le ciel est le théâtre ; le partenaire féminin n’est autre que la Terre, dont la force génératrice a été pleinement comprise dès que l’agriculture a commencé à se développer. La pluie sous toutes ses formes, pluie régulière et prolongée, averse violente, orage fulgurant, est la voie par laquelle s’accomplit la conjonction sacrée du Ciel et de la Terre. La glèbe, alors fécondée, se couvre d’un manteau végétal et porte ses fruits. Le plus souvent les deux divinités sont invoquées simultanément. Il arrive aussi que l’on s’adresse isolément soit au dieu-ou-démon, soit, plus souvent peut-être, à la déesse-ou-démone mère, qui personnifie la Terre féconde.
Cette notion de couple divin est d’ailleurs en l’occurrence à prendre au sens large (ménage à 4 ?). Dans de nombreux cas, l’on a effectivement un dieu-ou-démon mâle (celui de la source), mais associé
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à plusieurs déesse-ou-démones, ou fées si l’on préfère (trois : les Mères du cours d’eau découlant de cette source).
Quelques exemples sur le continent.
Glanis et les Mères glaniques. Glani et Glanicabus sur une inscription latine (Glanum/Glanon près de Saint-Rémy de Provence).
Nemausos et les Mères nîmoises, etc., etc.
Le pilier de Mavilly. Le registre supérieur exprime l’origine sidérale de la source, jaillissant par l’effet du maillet lancé du haut du ciel. Sur le registre inférieur, Vénus-Rigani (sic), transférée du ciel sous la terre pour devenir déesse-ou-démone, ou fée, aquatique, préside à la naissance de la source. Esus lui-même participe à ce miracle divin, en lançant son serpent à tête de bélier, chargé de frapper le sol de sa tête pour frayer le passage à l’onde salvatrice.
Il s’agit donc sur ce deuxième tableau du mythe de la source, une combinaison de légendes bien ajustées au sanctuaire aquatique. Dans cette ingénieuse adaptation des mythes et de la théologie traditionnelle, il y avait certainement des druides, fidèles à leurs idées, mais largement ouverts à la civilisation gréco-latine (ils ont remplacé l’arbre ou poteau sacré par une colonne de pierre).
C) Outre les associations de dieu-ou-démons fondées sur le principe de l’interaction du feu et de l’eau (dieu-ou-démons solaires et dieu-ou-démons des sources) ; il existe aussi des associations de dieu-ou-démons qui reposent sur des similitudes de fonction (teutatès de tribu et dieu-ou-démons guérisseurs, ou déesse-ou-démones, ou fées si l’on préfère, des sources, par exemple)…
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LE TRINITARISME PRIMORDIAL.
La distinction entre triade de dieu-ou-démons ou triplement d’intensité, n’est pas toujours facile à faire.
Les druides se sont plu à envisager des divinités associées par trois. Le monothéisme philosophique et réfléchi des druides pouvait se présenter sous la forme d’une trinité, autrement dit d’une unité en trois personnes si nous comprenons bien.
Les auteurs sont unanimes à noter la tendance de l’iconographie britto – ou gallo-romaine à grouper les images par trois, ou à la triple répétition de certains symboles. On pense aussitôt aux triades de Mères.
Cette triplicité n’est pas détruite par la variété des attitudes ; ce qui le prouve bien, c’est que certains exemplaires, comme l’une des triades de Vertault, montrent les trois Mères dans une pose absolument identique (debout et tenant une corne d’abondance).
C’est donc trois fois la même déesse-ou-démone-mère qui est ainsi figurée.
Le fidèle estime qu’en offrant une triple image, il augmente ses chances d’être exaucé ou la qualité de sa reconnaissance.
Un sentiment analogue est à l’origine des dieu-ou-démons à trois têtes ou à trois visages, de la triple bélisama Brigindo Brigantia Brigitte, de la triple Morrigan, de la triple Épona, de la triple « Nehalennia » et de tant d’autres figures « trinitaires ».
Le dieu-ou-démon à trois têtes voit tout, la triple corne exprime la puissance portée au degré maximum. Trois… superlatif absolu.
La répétition multiplie la puissance de celui ou de ce qui en est l’objet, mais seule la triple répétition hausse cette puissance à son degré suprême.
Il est attesté qu’existait chez tous les Celtes, aussi bien du Continent que de [Grande] Bretagne et d’Irlande, un culte de la Grande Mère qui était indissociable de celui d’une ou de plusieurs trinités de « matrones ». Banuta, Ériu et Votala, en Irlande, par exemple.
Si l’on parle, d’une part, de la Déesse-ou-démone-Mère et, d’autre part, des divers groupes trinitaires de matrones, il ne faut pas croire pour autant qu’il s’agisse de divinités distinctes. On est en présence d’une seule déesse-ou-démone, ou fée, envisagée tantôt dans son unicité, tantôt en trois personnes, sans qu’il y ait là rien de contradictoire. N’importe quel chrétien le comprendra aisément, puisque lui aussi parle tantôt de Dieu, tantôt de la Sainte Trinité.
Il existe un sanglier à trois cornes et le Termagant ou Tervagant (le tarvos trigaranos) est le monstre aux trois cornes ou aux trois grues. Ainsi multiplié, le dieu-ou-démon est capable de regarder dans toutes les directions, de surveiller l’univers. Ce procédé, destiné à augmenter la puissance, est celui que les Indiens, à l’autre bout du monde indo-européen, appliquent à leurs divinités (Brahma-Vishnou-Shiva) ; il existait chez les Grecs (Géryon, Cerbère, Hécate). Les Thraces (héros morts à trois têtes) et les Slaves, le connaîtront (Triglav).
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LES SYNCRÉTISMES DIVINS.
À propos de l’aniconisme (absence d’images ou de statues) de la plus ancienne tradition artistique de la Tène.
Autre grand principe de théologie, ou de catéchèse, ou de pédagogie, druidique.
Dans la conception druidique première, les dieu-ou-démons, en tant que « principes » métaphysiques (éons) appartiennent au domaine de l’infini, et ne sont donc pas réductibles à la finitude. Les ramener à l’état humain revient à les atrophier.
Mais les druides ont aussi toujours personnalisé leurs concepts divins, y compris ceux qui n’étaient pas topiques ou géographiques, mais qui relevaient plutôt du domaine de l’allégorie sociale à usage humain, strictement humain (la Sagesse, la Justice, et ainsi de suite).
Une fonction ou une personnalité divine se fragmente, s’émiette en une trinité ou une infinité de personnages qui, pour les besoins de la cause, deviennent frères et sœurs. Et selon tel ou tel récit, la même aventure est attribuée à l’un ou à l’autre. La Tradition celtique, par définition, tend * au monothéisme philosophique ou réfléchi. Les dieu-ou-démons du panth-éon ou plérôme sont des agents auxiliaires du Destin, des causes secondes, les aspects divers de la grande divinité supérieure, hors classement et hors fonction, parce qu’elle transcende toutes les classes et assume toutes les fonctions.
En matière de conception divine, il y a donc dans le druidisme équilibre entre la tendance centrifuge (le polythéisme à l’infini) et la tendance centripète (le monothéisme dogmatique).
Afin d’éviter les doublons inutiles, les druides antiques ont entrepris, et ce, dès la plus haute époque, de regrouper sous une même appellation des fonctions divines, dont la multiplication n’était pas vraiment nécessaire à la compréhension du monde, même pour le peuple.
Les dieu-ou-démons indigènes étaient déjà beaucoup plus nombreux que ne l’a dit César, mais quantité d’entre eux étaient des parallèles.
Chaque tribu, chaque village peut-être, avait un dieu-ou-démon ** du commerce, que l’on évitait sans doute de nommer autrement que par une épithète flatteuse. Cela prouve, non que l’on ait affaire à plusieurs dieu-ou-démons de nature différente, mais plutôt que le particularisme local continuait de s’exprimer dans le domaine religieux. Une étude serrée des noms divins indigènes réduirait sans doute assez fortement le nombre de ceux qui nous révèlent, avec certitude, l’existence d’un dieu-ou-démon nettement individualisé. Certains sont des noms communs, d’autres sont des épithètes qui désignent une qualité générale, d’autres enfin ne sont que des adjectifs géographiques.
C’est pourquoi nous allons nous efforcer, dans ce modeste essai, de dégager les parallèles en question, afin de retrouver les vrais dieu-ou-démons du druidisme, et d’éviter les doublons.
Ce travail de synthèse divine était d’ailleurs une des grandes recherches de la théologie druidique.
Lug était par exemple le regroupement de plusieurs « lugoues ». Ce qui suffit à expliquer le pluriel (lugoues) dans une inscription d’Avenches en Suisse, et le datif pluriel lugovibus dans deux autres inscriptions, à Osma en Espagne Tarraconaise ainsi qu’à Bonn (en Allemagne). Les lug (oues) sont tous les dieu-ou-démons de type Lug rassemblés ou concentrés sous une seule et même étiquette, exprimés en un seul théonyme.
Il semble bien aussi qu’il y ait eu pareillement plusieurs Éponas. Certains documents nous font d’ailleurs clairement pressentir qu’il existe une pluralité d’Éponas. Sans parler d’une dédicace de Roumanie (Sarmizegetusa, aujourd’hui Varhely) qui s’adresse « aux Éponas », on peut voir, sur la stèle d’Hagondange, en France, deux écuyères figurées à droite et à gauche d’une déesse-ou-démone centrale assise dans un fauteuil. Un bloc de Strasbourg montre Mercure encadré de deux Éponas qui se dirigent en sens contraire.
Tout ce que les druides primordiaux avaient cherché dans les multiples Lug ou Épona, et autres, se trouvait ainsi ressaisi par la croyance en un unique Lug, en une unique Épona, et ainsi de suite.
Le même phénomène a sans doute existé en terre d’Islam avec Allah (synthèse d’Houbal, Al Rahman, Manat, etc.)
* N. D. L. R. Nous soulignons le mot « tend » parce qu’il dit bien ce qu’il veut dire. Le monothéisme du druidisme est un monothéisme d’aboutissement, philosophique et réfléchi, et non un monothéisme dogmatique ou de révélation (sic). En bref un monisme !
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** Son saint diraient nos amis chrétiens.
TROISIÈME PARTIE.
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BREF HISTORIQUE DES IDÉES DRUIDIQUES.
— 4 000 ou – 3 000 avant notre ère : invasion des « Cavaliers des steppes » (Indo-Européens) dans l’ouest de l’Europe. Par acculturation des populations préhistoriques locales, ils donnent les Celtes (d’autres thèses font des Celtes les premiers agriculteurs remontant la vallée du Danube).
Caractéristiques communes : sacrifices végétaux, animaux ou humains, pour maintenir l’ordre cosmique. Doctrine du salut individuel se traduisant par la réincarnation, non dans ce monde, mais dans l’autre. Profonde croyance, formidable évidence religieuse, qui domine la société tout comme la philosophie (druidique).
Reconnaissance d’un Être supérieur immanent, transcendant les différents dieu-ou-démons (appelé Tokad dans le druidisme médiéval). Autrement dit le Destin, qu’il soit universel ou individuel (destinée).
Au moment où s’est opéré chez certains peuples « aryens » au sens linguistique du terme, un véritable passage de la pensée mythique à la pensée proprement matérialiste et à la philosophie scientiste, des choix décisifs ont eu lieu, qui commandent encore aujourd’hui toutes nos façons de penser.
Les druides primordiaux eux, semblent toujours évoquer nos états d’esprit inconscients, et tout ce qui échappe à notre action.
On ne peut sortir de ce monde qu’en s’évadant soi-même par libre choix de la divinité, ou par un combat contre soi-même (exercices spirituels, méditations, extase hypnotique, arts martiaux comme la lutte celtique ; les riastrades, l’archerie, etc.). Bref, ce que les défenseurs plus ou moins sincères de l’islam appellent « le grand djihad » !
Cette évasion que l’homme cherche de tout son être, et que tente le guerrier, les vrais druides l’ont découverte spontanément : ici éclate tout le génie abstrait du celtisme. Privé de ces images trop précises que l’action fournit aux guerriers, l’élan des druides primordiaux reste spontané, informulé, inconscient presque, selon notre langage. Et cependant, ses affirmations instinctives sont une véritable montée vers l’inconnu : elles pénètrent l’âme des choses, séparent l’être de ses apparences, scrutent ses profondeurs. La confiance innée du druide affirme d’abord l’efficacité sans pareille de son acte religieux. Elle concentre sur la parole quasi magique, ou à tout le moins rituelle, du sacrifice, toute la valeur de l’existence : la notion de divinité jaillit de cette condensation psychique. Le druide accède au divin par un acte instinctif d’abstraction où s’affirme sa volonté de souveraineté. Mais le combat contre soi-même aussi possède ce redoutable pouvoir. Les druides font appel à notre lucidité intérieure ; à notre volonté, à l’expérience de l’activité corporelle. C’est au fond de nous-mêmes que les uns et les autres trouveront cette unité de principe du bitos ou de l’univers, sa substance unique et totale.
L’âme pour eux n’était d’abord que le souffle vital (l’anatla) ; ils y verront bientôt l’intimité de chacun, de chaque chose, le même principe universel et divin de tout être et de l’univers (l’anamone).
Cette confiance, cet élan vers l’être, vers l’englobant universel, est le sentiment de plénitude divine qui pénètre l’élite religieuse dominatrice DE CE TEMPS.
Les fondements de cette évolution apparaissent dès le début du Ier millénaire avant notre ère. Les prêtres « aryens » d’Europe centrale se sont engagés à cette époque dans une entreprise grandiose : par l’intermédiaire de rituels sacrificiels, ils entendaient harmoniser l’Homme et le Monde, le microcosme et le macrocosme.
À cet effet les druides développèrent une pensée d’un type nouveau, faite de symboles et d’abstractions.
Les jalons se trouvaient posés pour une philosophie débutante, d’abord tâtonnante, mais qui influencera de façon décisive toute la pensée religieuse ultérieure en Europe (y compris le christianisme populaire). La quête de l’unité par-delà la multiplicité des apparences, la conception d’un Tout Englobant Universel, la doctrine des renaissances dans l’autre monde ou Vindomagos (Mag Meld, etc.), la notion d’épanouissement par le savoir, l’approche moniste du polythéisme des chamanes préhistoriques (les dieu-ou-démons furent conçus autrement, comme des forces, mais aussi des valeurs. Certains jadis importants furent relativisés). La question de l’immortalité de l’âme, de l’anamone, et de sa survie après la mort, ainsi que celle des voies de fusion définitive dans le Grand Tout ; se plaça au cœur des préoccupations de la classe supérieure instruite des populations (les druides et certains princes ou grands seigneurs).
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La doctrine moniste des états multiples de l’être (c’est-à-dire de l’unité entre l’être individuel – l’anamone – et l’être immanent absolu) qui a émergé de ce bouillonnement intellectuel ; et les expériences individuelles d’une telle union mystique dans les initiations chamaniques ; se sont combinées au cours du Ier millénaire avant notre ère pour donner l’un des fondements majeurs de la religion druidique. Le druidisme est donc sorti de la lente fusion des chamanes néolithiques et des prêtres aryens. Les cultes issus de cette fusion n’ont cessé d’évoluer pour donner naissance à différentes écoles philosophiques qui, ensemble, constituent le druidisme. Les druides se mirent à rechercher une forme d’expression religieuse accessible à tous les hommes, aux rois et aux guerriers, aux artisans, aux éleveurs et aux agriculteurs, etc. Plusieurs tendances se faisaient jour en effet dans la société. Le druidisme s’étend aux 2/3 de l’Europe et à une partie de l’Asie Mineure (les dikastes galates) en s’adaptant avec souplesse à toute une mosaïque d’ethnies et de cultures. Le tout forma un système religieux ouvert, ne cessant de croître au fur et à mesure des conquêtes dues aux ambicatus (aux ver sacrum ambicatusiens) voire des bagaudes si l’on en croit l’historien Maurice Bouvier-Ajam. À côté des monolâtries tribales primitives, des dualismes simplistes (Dieu/Diable) et des rituels de fécondité, du culte de la Grande Déesse-ou-Démone, ou de la Grande fée si l’on préfère ; une philosophie hautement abstraite, et des exercices spirituels extrêmes (yoga druidique à la Cornunnos, puisque c’était un grand chaman, riastrade, arts martiaux, lutte celtique, contemplation de l’arbre de vie, etc.) ; quelles possibilités n’offrait pas cette ouverture apparemment illimitée à la quête d’infini et au développement sans fin ?
L’expérience immédiate et intuitive d’unité qu’est l’expérience mystique, cette intuition de la grande unité qui supprime la coupure sujet/objet, fut même alors obtenue ; par diverses drogues héritées du soma des Aryens permettant de « voir » les dieu-ou-démons.
L’alcool des boissons ou la décoction de certaines amanites furent deux d’entre elles, et permirent à tous de vivre des modifications ou des élargissements de la conscience, un sentiment diffus de sortie de soi, tel que l’a décrit Huxley sous mescaline.
Unité du moi avec la nature, avec le cosmos, avec la substance de ce monde, avec la « vie » dans une perspective pulsionnelle vitaliste ou visionnaire cosmique (le Bitos).
Les païens ou les pagani c’étaient aussi tous ceux qui sont enracinés dans leur terroir, dans leur tribu ou dans leur nation, ou qui accordent une grande importance à cette notion de « vie nationale » (ethno-différencialisme et natio-ethnisme).
Sur les bancs de pierre ou exèdres du sanctuaire de Lenus Mars, à Trèves, en Allemagne, avaient été gravées des inscriptions, du côté intérieur, et au sommet des dossiers de bancs.
« In honorem domus divinae marti et ancamnae et genio paganorum pagi teucoriatis securus illius pagi libertus et secundius primulus antistes donum dederunt ».
« En l’honneur de la maison divine, à Mars et Ancama, et au génie des pagani du pagus Teucoriatis, Securus, affranchi… et Secundius Primulus prêtres, ont fait ce don ».
« En l’honneur de la maison divine, à Mars et Ancamma, et au génie des pagani du pagus Vilciatis, C. S. a fait poser ceci à la suite d’un vœu ».
Ces exèdres et leurs inscriptions (traduction sous toutes réserves, mes 7 ans de latin sont loin) démontrent l’intégration du culte d’un égrégore national indigène dans la religion (romaine) officielle de la ville de Trèves.
Dédicaces offertes par T.F.I. Postuminus et plaçant différents pagi (micro-régions) sous la protection du Mars local. La date du décret des décurions est 135 de notre ère, d’après les Consuls cités. « Des statues honorifiques ont été élevées avec leurs ornements, par reconnaissance à l’égard de T. F. I. Postuminus. Ce dernier a en effet, avec générosité, promis de faire élever des statues de Mars Mullo et des divinités des pagi, dans la basilique du sanctuaire de Mars Mullo ».
L’inscription CIL XIII, 3148 est une dédicace en l’honneur de la Maison Divine et du pagus (pays) de Matans, à Mars Mullo. Elle émane de L. Campanius Priscus et de Virilis son fils, prêtres de Rome et d’Auguste, qui ont fait placer à leurs frais une statue du dieu-ou-démon Mullo, avec tous ses ornements.
L’inscription CIL XIII, 3149 comporte la même dédicace au même Mars Mullo, émanant des mêmes personnages, en l’honneur du pagus Sextanmanducus.
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L’inscription CIL XIII, 3150 contient une dédicace à Mars Vicinnus, en l’honneur du pagus Carnutenus, émanant du même personnage.
Les trois inscriptions précédentes permettent de restituer, mais aussi de donner tout son sens à l’inscription CIL XIII, 3151, qui contenait une dédicace en l’honneur de la Maison Divine et d’un pagus, à Mars… par le même personnage.
Quand l’attache émotionnelle passait au premier plan, cela donnait l’hénothéisme à la façon de Mog Ruith : « de druadh, mu dhe tar gac nde » (en gros : « il y a de nombreux dieu-ou-démons, mais mon dieu-ou-démon est le plus important »).
Les druides en vinrent à penser que tous ces dieu-ou-démons n’étaient peut-être que les différentes composantes d’une même réalité supérieure, l’englobant ultime innommé (Bitos) symbolisé par la suite par le chaudron cosmique (Pariollon). Les différentes composantes d’une même réalité supérieure en ce sens qu’il s’agissait de causes secondes par rapport à la cause première, ou d’auxiliaires du destin. L’idée centrale était que la cause seconde n’agit que mue par la Cause première. Celle-ci est cause de ce que la vertu opérative de la cause seconde est appliquée à l’action. C’est donc l’infinie efficacité de la Cause première qui donne sa signification dernière à pareille métaphysique. Cette efficacité rayonne à travers chaque être. C’est l’effet papillon de la justice immanente, car tout se tient dans l’univers.
Les riches et les puissants, les chefs de tribu, les grands seigneurs, continuent néanmoins à sacrifier régulièrement aux dieu-ou-démons des êtres humains eux-mêmes en certaines circonstances bien délimitées par les druides, du type Iphigénie à Aulis ou exécution retardée de condamnés à mort pour crime très grave, tel le meurtre d’un étranger par exemple ; plus couramment des bovins ou d’autres animaux, et offrent des banquets de plus ou moins grande importance à leurs proches. Des libations de bière sont alors effectuées au profit des divinités souterraines, les vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appellera plus tard fomore en Irlande (andernas sur le Continent). Quant aux dieux célestes eux la fumée de certaines crémations leur est réservée (Genèse 4,4. Dieu n’est pas végétarien *).
Le cœur du sanctuaire, la cella en latin, est le siège occasionnel de la divinité, invisible de l’extérieur et néanmoins proche de tous les hommes. Teuo xtonion dit précisément l’inscription de Verceil en Italie…
La divinité se manifeste à l’intérieur des sanctuaires ou des temples sur des murs portant autant de fresques (comme celle qui représentait Ogmios dans la région de Marseille au dire du témoignage de Lucien de Samosate. Discours, Hercule 1-7) ou dans diverses niches abritant les simulacra ou arcana (terme sanscrit) des dieu-ou-démons (des statuettes), ce qui permet de rendre présent leur agir. Car les mythes prennent vie dans les représentations que l’on rencontre en faisant le tour de la cella du temple dans le sens des aiguilles d’une montre. Le Celte non-druide ne s’avance le plus souvent que jusque là. Il y obtient ce pour quoi il est généralement venu, la faveur d’une aisling (vision : exemple Constantin à Andesina – aujourd’hui grand – le plus beau temple du monde, en 309).
Il peut contempler la diversité et la profonde unité centrale qui la transcende. Il dépose une ateberta ou offrande dans ou près de la fontaine source puits ou bassin sacrés : quelques fruits, de l’ambre jaune, des produits de son travail, quelques pièces de monnaie quand il s’agit d’une source ou d’une fontaine, un cierge. Voire même une petite amphore de vin, symbolisant du sang, que l’on abandonne en l’état, ou dont on verse le contenu en un lieu approprié, après l’avoir débouchée ou en avoir brisé rituellement le col. Peut-être par un geste analogue à celui qui consiste à « sabrer » une bouteille de champagne, de nos jours.
Quant aux animaux de sa ferme, il les enferme en un lieu réservé à cet effet non loin de la cella du temple : le sacrarium. **
Pour le petit peuple, pour les pauvres ou les simples dagolitoi (fidèles), prendre et donner, ont ici valeur symbolique. Il s’agit dans ce cas le plus souvent de petites atebertas, rarement d’offrandes importantes. On ne vient pas devant le dieu-ou-démon les mains vides, c’est tout. C’est le fameux « dadami se dehi me » sanscrit : je te donne afin que tu me donnes (la divinité est ensuite en quelque sorte obligée de rendre la pareille). Formule grossièrement traduite par les Latins avec leur « do ut des ».
L’ateberta ou offrande n’est en effet qu’un signe : le véritable sacrifice, sous-jacent, c’est le cœur pur prêt à se donner, voire à se dévouer jusqu’au sacrifice suprême.
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Ensuite le visiteur quittera les lieux. La cella du temple d’un sanctuaire n’est pas un endroit où l’on s’attarde. Elle est le lieu de l’invocation, de l’offrande et de la vision. Un point, c’est tout !
On peut par contre s’attarder plus longtemps dans la cour du sanctuaire entourant la cella. On s’y assoit dans le déambulatoire ou à l’ombre des arbres tutélaires (un chêne ?) poussant à côté, afin d’y réfléchir en paix.
N.B. Tout le domaine du sanctuaire est en réalité un espace sacral. On procède à des ablutions rituelles (source sacrée, piscine, etc.) avant d’approcher de sa cella. S’il s’agit d’un temple richement décoré, sur l’enceinte qui délimite son espace sacré figurent divers symboles (têtes, crânes, armes, boucliers, etc.) Les totems de bois délimitant son entrée sont sculptés : ornements, plantes, animaux, hommes, génies aériens et autres dieu-ou-démons et forment même parfois comme un véritable portail ***.
* Il va de soi que l’explication traditionnelle de cet épisode par le Judéo-Islamo-Christianisme…… ne repose sur rien, sur rien de présent dans notre texte en tout cas. De pures spéculations !
** Il va de soi que tout ce qui est vivant est ensuite récupéré par les gutuatres ou gutumatres affectés à ce sanctuaire afin d’ y être ensuite rituellement consommé ou partagé avec les dieux.
*** Ensuite, ensuite, et bien décadence et déclin rapide au début de notre ère. Le druidisme frôle l’extinction complète ET PLONGE DANS LE COMA (perte de conscience, éclatement, de la tradition, qui se disperse un peu partout, disparition des derniers druides conscients de l’être, etc.)
Les derniers irréductibles sont signalés non pas dans le village gaulois d’Astérix, mais en Irlande à la Cour du prince Domnall mac Muirchertach Ua Néill (O’Neill) roi d’Ailech de 943 à 980 et Ard ri Érenn de 956 à 980. Du moins c’est ce que l’on peut déduire de l’existence encore à l’époque, dans le répertoire des grands « poètes » irlandais, de l’imbas forosnai du teinm loida et du dichetal do chennaib, pourtant interdits par saint Patrice (cf. l’histoire du pillage du château de Maelmilscothach par Errard Mac Coisé, un poète ayant vécu au Xe siècle).
Do ratath tra do Mael Milscothach iartain cech ni dobrethaigsid suide sin etir ecnaide 7 fileda 7 brithemna la taeb ogaisic a crech 7 is amlaidsin ro ordaigset do tabairt a cach ollamain ina einech 7 ina sa[ru]gad acht cotissad de imus forosnad [di]chetal do chollaib cend 7 tenm laida .i. comenclainn fri rig Temrach do acht co ti de intreide sin FINIT.
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LA PRÉHISTOIRE DU DRUIDISME ET, DONC, DU NÉOPAGANISME CELTIQUE.
Néo-paganisme est le nom souvent donné à une telle résurgence, en particulier lorsqu’elle se manifeste dans les cultures dominantes d’Europe ou d’Amérique.
Le mot « païen » vient du latin « paganus » et signifie littéralement « paysan ». Au début de notre ère, quand le christianisme était encore surtout une religion des villes, les ruraux, pas encore chrétiens, étaient appelés « pagani » (= paysans).
Un fait linguistique strictement analogue à celui du mot « heathen » (mot à mot « habitant de la lande ») utilisé en Grande-Bretagne pour désigner les hommes ou les femmes habitant ces milieux hostiles et pauvres (heath dans la langue de Shakespeare).
Dans les régions d’Europe de l’Ouest ou d’Europe du Nord, faisant partie de l’Empire romain, en voie de christianisation, la plupart de ces « heathen » ou « pagani » pratiquaient une religion ; issue par évolution due aux conquêtes celtes, des cultes néolithiques ; étroitement liée aux cycles agricoles. C’était une religion « à déesse-ou-démone » ou « fée » en ceci que l’aspect le plus éminent du divin était chez eux représenté sous une forme féminine (caractéristique qu’elle partageait d’ailleurs avec les toutes premières formes de religion gréco-romaine). Chez les Celtes par exemple la déesse Danu (bia). Tout en ayant aussi un aspect masculin du divin, représenté sous la forme d’un dieu-ou-démon [Taran/Toran/Tuireann ?????]. Dont le cycle de vie était achevé, mais aussi renouvelé chaque année, en liaison avec les mouvements du soleil et les cycles de la végétation. Cette religion de la terre dans sa globalité (de la Litavis) ou de la terre de la clairière cultivée (Talantio/Tailtiu, appelée Rosemartha sur le Continent) était caractérisée par l’accent qu’elle mettait sur l’expérience, l’immanence, la transcendance. Du point de vue de la doctrine, on peut relever qu’elle pouvait, donc en fait devait, être une des multiples voies d’accès au divin.
N.B. Le phénomène de l’indo-européanisation induite par la celtisation a eu pour résultat d’accroître l’importance du partenaire masculin de cette déesse (Taran/Toran/Tuirean) voire d’inverser un peu partout leur primitive hiérarchie (celle du mont Bégo et de la vallée des merveilles dans les Alpes) ; sauf dans certaines régions reculées (des îles comme celle des Namnètes de Strabon par exemple).
REMONTONS EN EFFET ENCORE PLUS LOIN ET DONC BIEN AVANT LES DRUIDES PROPREMENT DITS.
Il est prouvé que l’Homme de Néandertal enterrait ses morts. Deux séries de vestiges témoignent d’ailleurs que depuis environ 20 000 ans au moins, les hommes ont eu des activités ou des pensées tournées vers l’au-delà : ce sont les images et les statuettes, les sépultures et les monuments funéraires.
On connaît une bonne quarantaine de sépultures faites par les hommes de la civilisation moustérienne, du Moyen-Orient à l’Europe.
On a retrouvé à peu près deux fois plus de squelettes enterrés pendant la dernière période glaciaire en Europe, entre 4000 et 10 000 avant notre ère, par des hommes préhistoriques très semblables à nous, les hommes de Cro-Magnon. Certaines grottes sont ornées de peintures et gravures préhistoriques comme celles de Lascaux, qui remontent à 17 000 ans. Ces animaux silencieux ; puissants comme les bisons, rapides comme les chevaux, craints comme les ours et les félins, peut-être admirés, voire convoités, comme les mammouths et les rhinocéros laineux, pourchassés comme les rennes en troupeaux ; voisinent avec d’étranges figures humaines : des chamans ou des chasseurs déguisés. L’animal, source de vie pour l’Homme, paraît dominer son monde, ses rêves et ses croyances.
Il y a 6 000 à 8 000 ans, d’énormes blocs de pierre, appelés mégalithes, ont été dressés ou aménagés les uns sur les autres par les premières sociétés rurales. Ils constituaient des sanctuaires où étaient déposés pour y être honorés, les personnes vénérables, ou les ancêtres, des premiers villages sédentaires. On compte encore de nos jours plusieurs centaines de ces pierres. C’est en Europe de l’Ouest que l’on trouve les plus anciens de ces monuments et probablement les plus
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spectaculaires : dans la péninsule ibérique, en France, dans les Îles Britanniques, en Allemagne du Nord et au Danemark.
Certaines de ces pierres, disposées en tables ou dolmens, sont des tombeaux, protégés par une masse de pierraille appelée tumulus, entourée de murs (par exemple Newgrange). La chambre funéraire est parfois décorée de figures de déesse-ou-démones mères, images de la fertilité ainsi que de dessins de haches polies, d’arcs, de crosses, symboles du pouvoir masculin.
D’autres motifs semblent désigner les forces naturelles : la lune, l’eau, le vent, la terre, le soleil. Très anciennes en effet sont également les manifestations du culte solaire. En témoignent les innombrables figurations de la roue, de la croix gammée qui en est la simplification, toutes figurations retenues par les Celtes et répétées à l’infini sur les objets les plus variés.
Les pierres dressées appelées menhirs sont contemporaines des dolmens. Les unes et les autres présentant des motifs identiques, en particulier la hache et la crosse, nous supposons que les menhirs jouaient un rôle dans diverses cérémonies de la religion mégalithique.
Le plus grand se trouvait à Loc Mariaquer, en France, et pesait 350 tonnes. On peut imaginer les cérémonies grandioses qui devaient avoir lieu dans des cadres monumentaux comme les alignements de Carnac.
A donné, dans le druidisme, les pierres comme la pierre de Scone ou de Fal (Lia Fail), appelées linga en Inde.
Les prêtres pré-indo-européens (Cornunnos était un chaman ou un grand sorcier) ont très tôt senti que tout était parti d’une union intime de l’âme et de la matière ; conçue par eux (avant que le druidisme n’apparaisse) comme une union du Ciel et de la Terre.
Lorsque les dieux ou démons, de qui tout dépend, décident de provoquer, dans le cours des choses, un événement inattendu hors norme (naissance d’un monstre, rêve particulier, disposition insolite des entrailles d’un animal sacrifié…) ; c’est qu’ils entendent attirer l’attention sur une décision prise par eux, cachée, mais visible dans cet événement.
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LES DIEU-OU-DÉMONS PANCELTIQUES ET MÉTAPHYSIQUES.
On entend par dieu-ou-démons métaphysiques ou panceltiques, ceux dont l’action et la renommée dépassent la région et le sanctuaire, pour devenir plus générales. Le culte de Belin/Belen s’est par exemple peu à peu implanté là où existaient des dieu-ou-démons topiques, dotés d’un fort pouvoir guérisseur. Lorsque la spiritualité pré-celtique a bien résisté, le culte est resté celui des [Mères ou des] teutatès locaux, mais là où le druidisme l’a emporté, le culte de Belin/Belen s’est développé.
« À vous seuls [les druides] il est donné de connaître les dieu-ou-démons et les puissances du ciel, ou de les ignorer ». (Lucain, Pharsale/Guerre Civile, 1, 450.)
Cela fait un peu penser à ce que disait Jung de la religion en 1937. « L’observation attentive de forces tenues pour des ‘puissances’ : les esprits, les démons, les dieux, les lois, les idées, les idéaux, ou autres, suivant le nom qu’on leur donnait et que l’homme considéra comme étant assez puissantes, dangereuses, ou utiles pour être soigneusement prises en compte ; ou assez grandes, belles et porteuses de sens pour être pieusement adorées ou aimées » (Carl Gustave Jung Psychologie et Religion 1937).
César ajoute : « Ils discutent beaucoup […] de la nature des choses, de la puissance et du pouvoir des dieu-ou-démons immortels, et ils transmettent ces spéculations à la jeunesse » (César. B. G. VI, 13).
Mais qu’avons-nous aujourd’hui à retirer de la lecture des aventures, apparemment cohérentes, logiques et complètes, de ces dieu-ou-démons étrangers que sont le dieu-ou-démon d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob (ouf !) ; le petit Jésus, le Saint-Esprit, Marie, Adam et Ève, et ainsi de suite. La Bible des juifs n’insiste même pas sur l’immortalité de l’âme.
Nous avons par contre un immense profit à retirer de l’étude et de la méditation des mythes où s’alimentait la spiritualité des anciens druides.
Dieu sans majuscule est, dans de nombreuses langues, un mot d’origine indo-européenne (deivos ou devos, dia en Irlande) signifiant « être surhumain lumineux ».
Chez les druides, ce mot ne désignait pas du tout l’Être supérieur. C’est à la suite d’une erreur de traduction de la Bible des Septante (on a traduit par le mot grec théos = dieu, ce qu’il fallait traduire par Destin) ; que les premiers chrétiens ont aussi employé ce terme, pour rendre la notion d’Être supérieur.
L’erreur des traducteurs en question s’explique par le fait que leur dieu-ou-démon supérieur avait plutôt effectivement les dimensions d’un petit dieu-ou-démon tribal, et non celles d’un Tout Englobant Universel. D’où, dans leur esprit, vu leur sentiment de supériorité par rapport aux goim/païens, la confusion avec la notion aryenne de deiwos.
Les dieu-ou-démons sont conçus comme des êtres personnels, mais dont on ne peut davantage préciser la nature : selon les peuples et selon les époques, elle est plus ou moins proche de celle de l’Homme.
Causes secondes, enfants ou auxiliaires du Tokad ou Destin, seigneur des forêts, rois célestes, amis des hommes, esprit de vérité ! Quels que soient leurs noms dirait Jung, les dieu-ou-démons symbolisent à la fois la force créatrice et le pouvoir de destruction, et s’incarnent dans le soleil ou la lune, revêtent des formes animales, ou bien encore celle de phénomènes naturels.
Les dieu-ou-démons du druidisme n’étant qu’une lointaine évolution des dieu-ou-démons indo-européens, ils ont donc au moins 4000 ans, voire même plus pour certains. La figure de la grande déesse-ou-démone centrale féminine remonte vraisemblablement plus loin encore dans le temps, et la figure de Cornunnos [le grand sorcier primordial chef de clan. N. D. L. R] apparaît vraisemblablement dès le Néolithique (Grotte des Trois Frères).
Ce sont les héros des contes et légendes transmis par les bardes et les vellèdes (plus on connaissait d’histoires, plus on montait en quelque sorte en grade. Pour devenir ollamos, il fallait par exemple connaître au moins 350 histoires : 7 fois 50).
Ces récits mythologiques ont été peu à peu couchés par écrit à partir du Vlle siècle en Irlande par les moines.
Il n’en demeure pas moins quasiment impossible d’obtenir une représentation définitive et péremptoire de ce panth-éon druidique, dont le caractère principal est l’ambiguïté ou le flou en ce qui concerne son caractère trifonctionnel.
L’idée d’un panth-éon celte, analogue au panth-éon gréco-romain, ne trouve guère confirmation en effet. Le tableau esquissé par César, douteux dans son exactitude se révèle au surplus très incomplet
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quand on le confronte avec les documents archéologiques. Les dieu-ou-démons celtes apparaissent beaucoup moins caractérisés par des fonctions spécialisées, que par l’extension de leur culte. Presque toutes les divinités indigènes sont, à des degrés divers, des divinités protectrices. Cette polyvalence prêtée par les fidèles à la plupart des divinités disséminées à travers le territoire suggère invinciblement que le monothéisme philosophique et réfléchi, originel, des druides (re-sic), monothéisme philosophique et réfléchi pouvant se présenter sous la forme d’une trinité ; répugnait par essence au polythéisme de type gréco-romain.
De là le caractère superficiel des correspondances établies en premier lieu par César. De là aussi l’échec partiel auquel est vouée toute tentative de poser de strictes équivalences fonctionnelles entre dieu-ou-démons celtes, et dieu-ou-démons gréco-romains [ou germains. N. D. L. R]. La fonction guérisseuse par exemple, n’est pas l’apanage de telle série de divinités, qui correspondraient au dieu-ou-démon grec Apollon ; car on trouverait aussi souvent dans ce rôle, des dieu-ou-démons qui ont été assimilés à Mars. Inversement, tel dieu-ou-démon assimilé à notre cher Apollon, se voit invoqué par les guerriers. Les dieu-ou-démons celtes, nominalement rapprochés de Mars, ont les rôles les plus variés. Gardien du temps et du mouvement des astres, « Mars » préside à des sources, lacs, ruisseaux et confluents sacrés ; tour à tour guérisseur et garant de survie, ce Mars druidique est protecteur des groupes sociaux tout comme du simple particulier ! Autre exemple : Hercule-Ogmios est aussi un dieu-ou-démon guérisseur.
La conclusion à retenir de ces constatations est donc celle de l’absence de parallélisme réel entre la religion gréco-romaine [et germanique. N. D. L. R.] et celle des druides de l’époque finale de l’indépendance.
Et tant pis pour les partisans de l’aryanisme ou de l’indo-européanisme dumézilien, purs et durs, qu’ils soient d’ancienne droite ou de nouvelle droite, de droite extrême ou de droite libérale, OU D’AILLEURS ! Voir les tentatives des historiens soviétiques en la matière ! Les dieu-ou-démons celtes, revus et corrigés par les druides, sont très différents des dieu-ou-démons germains, grecs, romains ou indiens ! Qu’on se le dise une bonne fois pour toutes !
Dumézil l’a d’ailleurs suffisamment déploré en son temps. Les structures du panth-éon trifonctionnel ont été gravement et durablement perturbées à la suite des échanges entre les Celtes conquérants et les populations qui les ont précédés. C’est le moins que l’on puisse dire en effet.
Certains auteurs vont même jusqu’à parler d’un animisme diffus. Avec des dieu-ou-démons peu individualisés, dotés de fonctions multiples, puissances abstraites, pour ainsi dire, manifestées par les phénomènes physiques ; et des génies protecteurs des groupes sociaux, sans personnalité marquée.
Ceci prouve que l’important, pour les druides, a toujours été le Un immanent, transcendant et synthétisant toutes ces divinités (le Destin ?? Le Dieu-Par ??), d’où la véritable dissolution par eux de la trifonctionnalité aryenne, dont ils avaient commencé par hériter au début de leur histoire.
Que le lecteur me permette d’insister en soulignant ! Si les dieu-ou-démons panceltiques sont en règle générale polyvalents, et si la trifonctionnalité y est moins évidente qu’ailleurs ; c’est parce que les druides ont toujours su qu’en dernière analyse, et en définitive, toutes ces divinités renvoyaient au dieu-ou-démon supérieur. Au dieu-ou-démon des dieu-ou-démons, au dieu-ou-démon des druides que l’on ne nomme pas (Mogh Ruith : « de druadh, mu dhe tar gac nde »), bref à l’Être supérieur (cf. le El Elyon de la Bible).
Comme le remarque Henri Lizeray lui-même dans sa D. S. D. D., cet éternel problème des rapports de l’unité avec le nombre est, bien entendu, celui qui a de tout temps défié l’intelligence humaine ; puisque ce qui est Un nous paraît quelques fois multiple. Le jour qui éclaire la terre est par exemple perpétuel et unique, mais sur notre planète, ce que les hommes voient, c’est tantôt la nuit, tantôt le jour, ce qui n’est pas la même chose.
De toute façon, le panth-éon ou plérôme druidique est un gigantesque casse-tête, un jeu de patience dont manquent plus de la moitié des pièces, et celles que nous avons sont dans le désordre. La chose a été voulue par les anciens druides eux-mêmes (voir leur tabou sur l’écriture). Car cela nous oblige ainsi à faire un effort de reconstitution et de pénétration, beaucoup plus profitable que ne le serait la contemplation passive d’un ensemble complet déjà assemblé.
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PIERRE LANCE ET LE MESSIANISME CELTIQUE.
Avertissement préliminaire.
Nous avons vu précédemment avec le cas de Fénius Farsaid ce qu’il fallait penser de la notion de prédestination des communautés de peuples d’esprit celte, fondée sur la langue, sur la supériorité des langues d’origine celte, sur le fait que les druides parlent la langue même des dieux, selon Diodore de Sicile (ils sont homophonon). Les Celtes ne constituent pas un peuple élu, mais leur langue, elle, est une langue incontestablement élue selon eux (cas classique d’ethnocentrisme donc qui aide à vivre).
L’étude qui suit est essentiellement tirée d’un livre du grand celtisant français Pierre Lance, « la défaite d’Alésia », paru aux éditions la 7e Aurore, B.P. 253. 75 024 Paris cedex 01.
Cette étude ne prétend pas pour autant être le reflet fidèle et complet des conceptions générales de Pierre Lance, que Pierre de la Crau a découvert en débarquant à Paris en 1977. Mais vise seulement, citations à l’appui, à jeter une lumière nouvelle sur certains aspects de la pensée de cet exemple du celtisme contemporain. Sauf indications contraires, toute citation sera donc extraite de cette Défaite d’Alésia de Pierre Lance. N.B. Pierre Lance écrivait en un français admirable, ce qui n’est évidemment pas le cas de Pierre de La Crau. Il espère donc avoir bien tout compris. Titres et intertitres sont de la Rédaction.
I) IMPORTANCE DES DIFFÉRENCES ENTRE PEUPLES EN MATIÈRE DE SPIRITUALITÉ.
Pour Pierre Lance, un peuple ne saurait se réduire à la simple collection, addition ou multiplication, des individus habitant un territoire donné. L’idée de patrie ne saurait en effet reposer seulement sur le lieu géographique de notre naissance. La notion de patrie s’appuie sur une langue, une culture, un milieu humain, fondé sur les affinités, par conséquent sur une structure sociale, en accord avec nos tendances profondes, au moins relativement.
En outre, ajoute Pierre Lance, « une nation ne se forme pas seulement sur une simple union des corps. Pour que des hommes s’unissent, il faut qu’ils adoptent en commun certaines idées. On s’unit sur quelque chose (sur un programme dirions-nous aujourd’hui). Et ces idées n’apparaissent pas au hasard.
Elles naissent des tempéraments, et supposent donc des affinités, des « atomes crochus » entre les hommes qui s’associent autour d’elles. Car ce qui compte, c’est qu’un peuple historique donné, quels que soient les éléments raciaux qui le constituèrent, ait, à une époque donnée, créé une certaine structure sociale et morale ; une éthique et un type de civilisation, en conformité avec nos propres aspirations ».
Pour Pierre Lance la mythologie ainsi définie, est une des structures de base de toute histoire. « Les historiens modernes ont commencé d’apercevoir qu’il n’était rien de plus instructif, pour comprendre la destinée d’un peuple, que l’étude de sa mythologie. Et je dirai mieux : sans la mythologie, l’Histoire n’a aucun sens ; elle n’est plus qu’une froide nomenclature d’accidents sans signification réelle quant à la destinée des hommes. Car les âmes comptent plus que les faits. Un historien qui ne veut être ni un mythologue, ni un psychologue, est tout juste un collectionneur de fossiles. La puissance de la mythologie qui anime un peuple, détermine donc son existence historique ». Selon Pierre Lance, chaque peuple a donc des prédispositions naturelles, le portant dans telle ou telle direction, plutôt que dans telle ou telle autre. Une ethnie, comme un individu, manifeste un tempérament, qui la prédispose plus particulièrement à certaines fonctions. Tant que cette ethnie est homogène, il lui faut évidemment assurer seule, et plus ou moins bien, les diverses activités qu’exige le développement d’une société. Elle le fera sans doute, mais en privilégiant nécessairement, les fonctions pour lesquelles elle est la mieux douée, et en ne remplissant que très imparfaitement et « au minimum » celles dont elle n’a point la vocation.
Bref, si un homme vit solitaire, il lui faudra bien tout à la fois labourer son champ, bâtir sa maison, tisser ses vêtements, et il sera sans doute meilleur dans telle activité que dans telle autre. Qu’il s’associe alors à deux autres de goûts différents, et je gage que l’on verra bientôt un trio formé d’un laboureur d’un maçon et d’un tisserand, au moins pour l’essentiel de leurs travaux. Il en est schématiquement de même pour les peuples, et cette constante psychologique aura, en cas de mélange, d’énormes conséquences poussant à la spécialisation. À partir de l’instant où se constitue, au moyen de la guerre [NDLR ou de tout autre phénomène humain], une société non homogène aux composantes diverses, chacun suivra plus radicalement sa pente et sa préférence. Le choix de la facilité demeure une loi biologique.
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Celui qui a l’occasion d’accomplir son « plus » ne se mettra certainement pas en peine d’essayer son « moins » et le laissera volontiers à d’autres. Cela est vrai dans le domaine professionnel.
La regrettée Léone Bourdel était l’animatrice d’un laboratoire d’orientation professionnelle auquel cette psychologue consacra des années de recherches et d’études (assistées de son collaborateur Jacques Gennevay) ; portant sur les aptitudes professionnelles inhérentes aux quatre principaux groupes sanguins (A, B, AB, O). Si nous opérons maintenant avec ces quelques données une petite synthèse ethno-professionnelle, nous serons amenés à constater que, par exemple, une forte proportion des ancêtres des Prussiens (Allemands de Berlin) avait une vocation innée pour la carrière des armes et de la police. Et que, par exemple, une forte proportion des ancêtres des Italiens d’Apulie (partie orientale de l’ancien royaume de Naples) avait une vocation innée pour la bureaucratie, le juridisme et le jeu politique […] Cela est vrai aussi dans le domaine de la spiritualité qui est intemporelle, et traduit la permanence d’un tempérament à travers les âges, la constance d’une certaine attitude psychologique […]
L’Homme fait ses dieux [ou-démons] à son image, à l’image du fond de lui-même. Les grands héros qu’il révère et prend pour modèle, en disent plus long sur sa nature que tous les examens d’autrui, et les vieilles légendes dont il s’émerveille comptent plus pour son avenir que toutes les lois de ses docteurs. Chaque être, chaque nation, a sa propre logique.
Tout peuple est à la recherche d’une conception de la divinité qui lui soit propre, et génère ses dieu-ou-démons particuliers, qu’il considère naturellement comme les plus intéressants. Les seuls véridiques et justes, dans son cas ».
Pour Pierre Lance les peuples sont donc les seules réalités comptant dans l’élaboration des figures divines. Le peuple est toujours le support matériel, l’enveloppe corporelle, des éthiques et des philosophies. Chaque peuple par exemple a ses propres conceptions du bien et du mal.
Une éthique ne s’impose pas : elle naît du tempérament ; elle est le fruit d’un certain métabolisme, d’une évolution bio – psychologique particulière. Les druides n’ont pas inventé l’individualisme celtique : il était chair et peuple, et ils ne sont pas nés de lui 1).
Cela est vrai aussi pour les conceptions de la divinité.
Chaque peuple est toujours le corps d’une certaine idée de Dieu, qui est source d’autant de tensions vitales. Ces ambitions, ces tensions, ces imaginations, qui sont le fondement du paganisme. Diviniser ses propres ambitions et ses volontés, en les personnifiant, ou en les projetant sur des êtres surnaturels capables de franchir, tous les obstacles de l’espace et du temps ; c’était le moyen pour l’Homme d’élever à l’infini ses propres virtualités, le moyen de se tendre lui-même comme la corde d’un arc, afin de viser les buts les plus hauts. Et en ce sens, la science-fiction d’aujourd’hui, qui nous emporte dans des univers fabuleux, en nous dotant d’immenses pouvoirs, est aussi une résurgence du paganisme. Une réaction contre le rapetissement de l’individu et la médiocrité qu’engendre la société moderne. Ces ambitions, ces tensions, ces imaginations, qui sont le fondement du paganisme, sont aussi le fondement de l’art, d’où il résulte qu’il n’y a pas d’art sans paganisme, ni de paganisme sans art 2).
La divinité, dans ce cas, n’est que la projection d’un groupe d’hommes déterminé, l’extériorisation d’une collectivité humaine particulière, et cette conception de la divinité, en retour, anime et valorise les individus en question. La puissance de la mythologie qui anime et sous-tend un peuple et constitue l’expression de son moi profond, détermine son existence historique.
De quoi se compose une mythologie ? De plusieurs éléments visibles, que nous définirons ainsi : a) un panth-éon, b) une symbolique c) une série de héros-modèles d) un corps de récits légendaires e) un sous-panth-éon assorti de superstitions populaires et d’un culte déformant. Cette dernière catégorie, qui occupe le plus de monde et laisse le plus de traces, est évidemment la moins signifiante.
Outre les éléments visibles qui viennent d’être énumérés, une mythologie comprend trois éléments invisibles, sous-jacents, et qui en sont en quelque sorte la racine : a) une certaine conception du monde, b) une doctrine philosophique, c) une morale et un comportement social. Ces éléments sont essentiels et supportent l’ensemble, sont rarement définis de façon explicite, et doivent être devinés à travers les éléments visibles des mythologies.
La mythologie est pour chaque peuple une force affirmative d’être, niant la mort. Puissance religieuse au sens strict du terme, véritable esprit divin, cette mythologie s’exprime dans l’esthétique, l’art, l’éthique.
On sait depuis Jung que les mythes sont la représentation des rêves, des craintes et des désirs de l’inconscient collectif. Et que cette expression du tempérament ethnique – exagérant celui-ci encore par la répétition populaire au cours des générations – explique le comportement de ce peuple dans les diverses circonstances qu’il traversera. Voilà qui redonne à la mythologie son véritable rôle. Elle
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n’est point à proprement parler « de l’Histoire », mais elle traduit les réactions intimes d’un peuple aux événements historiques, elle montre le retentissement qu’obtiennent les faits au fond des âmes, ce qu’ils y suscitent, y provoquent, y déclenchent. La mythologie est donc infiniment plus que de l’Histoire. Tout peuple se doit de continuer à vénérer ses dieux particuliers, à rester fidèle à sa mythologie, sous peine de décrépitude, et bientôt d’anéantissement. Un homme qui renie sa vocation première, qui oublie son idéal et ses rêves d’adolescent, prépare lui-même sa déchéance. Une nation qui ne vit plus en harmonie avec ses mythes originels, glisse sur la voie de la défaite, du désordre, et de la décadence. Et naturellement cela est vrai aussi d’une civilisation.
Autrement dit, quand un peuple perd la certitude d’avoir la seule mythologie valable au monde, ou quand il commence à penser qu’elle n’est peut-être pas la plus valable, alors il dégénère. Ce qui est arrivé aux Indo-Européens de type germanique ou latin, etc. Tant qu’un peuple par contre, continue à rester imperméable aux autres dieu-ou-démons, à rejeter implacablement les autres conceptions de la divinité, il demeure et survit. Car il s’agit toujours de types humains permanents, que quelques siècles d’histoire ne sauraient modifier. Répétons-le encore une fois : non seulement le mélange des types dans un même creuset national ne les conduit jamais à fusionner, mais tout au contraire, la spécialisation par affinité les sépare toujours davantage en milieux fermés imperméables les uns aux autres. Et donc chacun finit par regrouper inconsciemment les descendants du même clan. Contrairement à ce que répètent les irréfléchis, soit pour le déplorer, soit pour s’en réjouir, non seulement les types ethniques ne disparaissent pas, mais ils ne cessent de s’accentuer ou de se différencier au sein même de nos sociétés modernes hétérogènes. Les Indo-Européens n’ont fondé des civilisations ascendantes que là où le système tripartite a été mis en échec, et celui-ci n’est caractéristique de la société indo-européenne que lorsque celle-ci est décadente. Il ne saurait d’ailleurs en être autrement. L’agriculteur et l’artisan, qui sont les pères spirituels et les précurseurs du scientifique et de l’artiste, sont les seuls créateurs de civilisation.
Ce que je voudrais surtout mettre en lumière, c’est que le système triparti, soit la division de la société en trois classes relativement fermées ; prêtres, guerriers, agriculteurs artisans, avec suprématie économique et politique des deux premières, et réduction de la troisième en semi-esclavage ; est un syndrome de décadence. Comme tel il ne peut apparaître à l’origine d’une civilisation ascendante, puisqu’il en est au contraire un signe de vieillissement et de sclérose. Les sociétés qu’ont étudiées Georges Dumézil et son École ne sont pas des sociétés « dans l’enfance », mais au contraire des sociétés mourantes.
Des peuples différents ne peuvent donc avoir la même conception de la divinité, car les dieu-ou-démons sont l’esprit d’un peuple, son âme.
Si ces peuples avaient précisément la même conception de la divinité, alors c’est qu’en fait, ils seraient devenus un seul et même peuple. Or ce résultat ne peut jamais être obtenu par la force, même quand il y a colonisation par un dieu-ou-démon étranger.
Lorsqu’on me dit que Germains, Romains et Celtes, n’étaient pas si différents après tout ; qu’ils avaient une origine raciale commune, qu’ils ont tous été plus ou moins guerriers, plus ou moins paysans, plus ou moins clercs ; je réponds que ce « plus ou moins » est capital. Si nous dégageons de l’ensemble des activités communes à tous les peuples considérés, celles où se manifestent les tendances préférentielles de chacun ; nul ne pourra nier que le Latin est d’abord un clerc, le Germain d’abord un soldat et le Celte d’abord un « bricoleur ». Cela n’est pas seulement inscrit avec une irréfutable évidence dans vingt-cinq siècles d’histoire européenne, mais c’est aussi la revendication des intéressés eux-mêmes, le point où ils mettent leur orgueil, l’endroit où ils veulent qu’on les admire. Un Latin sera toujours fier de ses codicilles, un Germain de sa discipline, un Celte de son système de débrouille, et les siècles des siècles n’y changeront rien. Les catégories sociologiques ainsi constituées par des hommes de souches différentes ne feront qu’accentuer, au cours du temps, la disharmonie de la société, ainsi que la rigueur des antagonismes ; pour déboucher périodiquement sur la guerre civile et la révolution. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, les « guerres civiles » n’existent pas. Ce sont toujours des guerres étrangères entre des gens qui se croient du même peuple et ne le sont point.
En effet, toute catégorie de pouvoir ayant pour fondement un groupe ethnique allogène, revêtira un caractère totalement inacceptable pour l’ensemble de la population. Des Celtes indépendants auraient sans doute eu aussi leurs prêtres et leurs aristocrates (ils les avaient d’ailleurs avant la conquête) ; mais, quelque tort que ceux-ci puissent leur faire, jamais ils ne fussent devenus ces odieux inquisiteurs et ces despotes pillards que furent pour eux les Romains et les Germains. Les phénomènes de « collaboration » avec l’occupant ne sont pas toujours dus, contrairement à ce que croient souvent les résistants et les irréductibles, à la lâcheté ou à l’opportunisme ; mais plus généralement à une attirance par affinités qui a ses racines dans une hérédité inconnue. Lorsqu’il y a conquête, le drame de l’allogène qui s’ignore, c’est de n’avoir le choix qu’entre deux trahisons, celle
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de la patrie officielle et visible ou celle de la patrie intérieure et ancestrale. Augustin Thierry met ici le doigt, sans le savoir, sur le phénomène essentiel de la ségrégation sélective des tempéraments psycho-ethniques. Ainsi, lorsqu’il parle des « transfuges » qui sont sortis du clan des vainqueurs, pour épouser la cause des vaincus, et dont le mouvement est inverse de celui des « collaborateurs » qui s’efforcent au contraire de passer dans la caste dominante. Le plus étrange est que ce double mouvement est le fait sur lequel on s’appuie généralement pour dire qu’il y a fusion des ethnies et mélange complet d’hommes d’origines diverses. Les peuples restent donc porteurs de dieu-ou-démons, même colonisés, même vaincus par la force des armes. Si l’on écarte la brume des discours et la fumée des « bonnes intentions » pour se pencher sur les faits réels ; on constatera que chaque peuple de la Terre tend aujourd’hui à une réaffirmation de sa propre culture, à une recherche passionnée des sources de son histoire, à une remise en valeur de sa langue originelle. La disparition des empires coloniaux, le recul général de l’analphabétisme et le développement considérable de la télévision ne peuvent qu’accroître, dans chaque pays, la pratique de plus en plus précise et complète de la langue dudit pays. Tous les instruments du progrès technique, dont on veut nous persuader qu’ils préparent l’unité du monde, travaillent en fait à sa disparité. Il est vrai que les moyens de communication et de diffusion permettront aux peuples de mieux s’informer les uns des autres. Mais ceci, bien loin de les amener à fusionner, les conduira tout au contraire à se distinguer voire à se séparer les uns des autres, seul moyen qu’ils auront d’affirmer leur être propre 3). N’en déplaise aux fanatiques du « tous ensemble », le personnalisme ethnique et national est un facteur de paix infiniment plus prometteur, que les diverses théories du nivellement.
II) MU DHE TAR GAC NDE : SUPÉRIORITÉ DU « DIEU-OU-DÉMON » DES DRUIDES, SUPÉRIORITÉ DU « DIEU-OU-DÉMON » CELTIQUE.
La religion druidique est donc, comme nous l’avons vu, la sublimation de l’esprit du peuple celte, et de nul autre.
Il convient de noter que l’institution druidique semble avoir eu pour but d’amener les Celtes à formuler clairement et à vivre consciemment, les implications philosophiques et morales de leur mythologie. Le druidisme n’en était pas moins le dépositaire d’une haute philosophie, et il était surtout le lien fédérateur des tribus. Son caractère original ne lui permettait pas d’être accepté par l’Empire romain.
D’après Pierre Lance donc la philosophie druidique de personnalisation progressive de l’individu, qui faisait de l’être humain une sorte d’apprenti-dieu-ou-démon, était meilleure. Disons quelques mots rapides sur « les grands modèles psychologiques de sa mythologie ». Quelques mots extraits naturellement de l’œuvre de Pierre Lance intitulée « La Défaite d’Alésia ».
La déformation des mythes, si elle se fait toujours dans le même sens, trahit une dominante du caractère. Au contraire de ce qui peut être fait avec les panth-éons de nombreux peuples (et particulièrement avec les panth-éons gréco-romain et germano-scandinave, qui furent voisins des Celtes) ; il est malaisé de dresser une liste hiérarchisée des dieu-ou-démons celtes. Mais cette difficulté, à elle seule, ne nous apporte-t-elle pas une leçon capitale : la mise en évidence de l’individualisme celtique ? Ce caractère indiscipliné de la mythologie celtique est à lui seul fort instructif. Et s’il faut traduire en termes sociopolitiques cette attitude spirituelle, je dirai qu’elle implique le respect de la hiérarchie des valeurs, en même temps que le refus de la hiérarchie des autorités. Nous verrons d’ailleurs comment le caractère propre des grandes déités celtiques confirme ce point.
Lug est la représentation de la lumière physique des étoiles de notre galaxie autant que de la lumière de l’intelligence, de la raison et du langage, qui l’exprime. Voici donc le symbole que nos aïeux avaient mis au-dessus de tous les autres : ni l’autorité, ni la force, ni la richesse, mais la raison, la réflexion, la création et l’expression. Patron de tous les arts, de toutes les inventions, et de tous les métiers créateurs, Lug est le symbole même de la civilisation.
Sa présence aux premiers rangs du panth-éon druidique prouve à elle seule que les Celtes antiques n’étaient ni des Barbares ni des primitifs, mais bien les premiers vrais civilisateurs de l’Europe. L’importance de Lug était telle pour les Celtes, qui occupaient alors la majeure partie de l’Europe [les 2/3 ?], que ce symbole ne pouvait que rester partout présent dans la métaphysique occidentale, pour de très longs siècles. Parce qu’il symbolise celui qui est logique et lucide, qui discerne les conséquences de tous les actes ; il est un critique intransigeant qui dénonce les fautes, les excès, les abus, et qui, lorsqu’il le faut, se dresse contre la coutume et l’autorité, pour mettre la société en garde. Car Lug ne garde pas de secrets. Il dit toutes les vérités qu’il voit, il est celui qui parle. Et c’est pourquoi il va devenir Lucifer dans la mythologie chrétienne, le porte-lumière, l’ange rebelle qui se dresse contre l’omnipotence de Jéhovah.
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Le second « dieu-ou-démon » va montrer encore cet abîme qui sépare la mentalité celtique de la mentalité romaine.
Il a pour nom Bélénos et César en fait Apollon. Bélénos est le symbole de la lumière solaire (non du soleil lui-même) et apparaît bien de la sorte comme le compagnon et le complément de Lug, la lumière stellaire. Symbole d’harmonie et de beauté, il est le maître des beaux-arts et de la guérison.
Venant immédiatement après Lug-Mercure dans le panth-éon, il met encore l’accent sur l’attrait que la pensée avait sur ce peuple. Par Lug et par Bélénos, il veut démontrer la primauté de la méditation, de l’intuition, de l’invention, du raisonnement, et de l’esthétique, sur toutes les autres préoccupations humaines. Message qui est assurément d’une grande hauteur de vues, et d’une vraie puissance civilisatrice.
Troisième dieu-ou-démon de leur panth-éon, Mars le guerrier apporte son soutien. Encore ce Mars ne ressemble-t-il que de loin à celui des Romains. C’est en réalité plusieurs symboles celtiques que cette déité intègre. En premier lieu le Teutatis. Son nom comporte la racine tuat ou touta, qui signifie peuple, tribu.
Teutatis est le père de la tribu, c’est-à-dire la Nation, la Patrie. On voit déjà toute la différence avec le Mars latin. Teutatis est un fait historique, une réalité humaine : le pays de nos pères. Il faut mesurer toute la profondeur de cet enseignement. Alors que le Mars latin exige que l’on admire le soldat par principe, qu’on se batte n’importe où et pour n’importe quoi, et se montre ainsi un dieu-ou-démon de mercenaires bons à tout ; Teutatis au contraire ne légitime et n’ennoblit que la guerre patriotique. Celle que nécessite la protection.
Selon Pierre Lance, dans la civilisation classique (occidentale judéo-chrétienne) ou musulmane, Dieu désigne ce qui ne peut être ni compris, ni jugé, ni égalé, c’est-à-dire ce qui, en définitive, humilie, abaisse, et décourage, l’esprit de l’Homme. Ce qui est tout le contraire de ces grandes figures symboliques dans lesquelles se projetaient les Celtes antiques. Car ces idéaux personnalisés, que nos rationalistes modernes s’entêtent à désigner par le vocable « dieux », n’étaient, pour les Anciens, que des modèles éducatifs, des types humains supérieurs, purifiés, voire grandis, proposés à l’admiration et à l’imitation des générations montantes. La Celtie avait les dieu-ou-démons – idéaux les plus intelligents de l’Europe.
Je veux dire les plus propres à exalter la puissance créatrice de l’esprit humain, à développer la personnalité, à lui donner les moyens moraux de résister à toutes les pesanteurs et à tous les obscurantismes. La vocation de la Celtie était de faire la société pour l’Homme, et non pas l’Homme pour la société. Nous avons vu que la mythologie des Celtes et les caractères des grandes déités de leur panth-éon, révélaient une éthique particulière et incontestablement originale, comparée à celle que traduisent les autres panth-éons indo-européens. Cette éthique, dont les mots-clés sont : liberté, fierté, individualisme ; modèle un comportement principalement axé sur le raisonnement et le discours. De cette éthique et de ce comportement découlait une certaine conception de la vie, une philosophie ».
III) PRÉDESTINATION OU DESTINÉE DES PEUPLES CELTES.
Les Celtes sont donc le peuple prédestiné détenteur de la spiritualité la meilleure qui soit pour l’Homme. Il s’agit du vrai peuple « porteur de Dieu » au sens noble du terme.
« Tout nom de peuple correspond à une idée ou à une certaine attitude psychologique, philosophique, ou politique, que ledit peuple se reconnaît ou adopte, ou que les peuples étrangers lui confèrent. Par exemple à l’époque moderne le nom de Soviet, né d’une certaine conception politique, devenu le nom usuel d’un peuple qui, dira l’Histoire, fut un temps aux portes de la conquête du monde […]
Le nom des Celtes a pour origine la syllabe Kal ou Gal, qui évoque ce qui est dur 4). Chaque peuple tend à honorer dans son propre nom sa plus éminente qualité. Un même mot peut très bien avoir signifié pour les uns « Les Solides » et pour les autres « Les Brillants ». Ce que nous avons à retenir, c’est que les hommes qui ont créé ensemble l’ancienne civilisation se voulaient à la fois brillants et solides, c’est-à-dire purs et durs.
C’est cette noble ambition qui allait présider à la naissance de l’Europe, un panth-éon exaltant, une haute métaphysique.
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Malgré toutes les vicissitudes de l’Histoire, cette civilisation restera l’indéracinable fondement de ce qu’il est convenu d’appeler l’Occident.
Voici donc le peuple dont la destinée va être scellée sous les murs d’Alésia. Tous ses dieux nous crient : Lumière ! Pensée ! Parole ! Imagination ! Invention ! Liberté ! Enthousiasme ! Fierté ! Personnalité ! Passion ! Et le dernier pour tous les contenir et les sauvegarder : Patrie !
Aux lourdauds Janus, Mars et Jupiter, des Romains, la Celtie oppose Lug, artisan, poète et chercheur, créateur amoureux de la chose bien pensée, bien dite et bien faite ; puis Bélénos, son jeune frère en lumière, prince des esthètes et faiseur de santé, dispensateur d’harmonie, de beauté, de couleur et de fantaisie ; voire encore Teutatis, le Père de la Nation.
IV) RÉSISTANCES ET PERMANENCES DES DIEU-OU-DÉMONS CELTES.
Alésia, je le répète, écrit Pierre Lance, est un centre, un point critique, une minute de vérité. C’est une explosion révélatrice qui ne doit pas seulement nous permettre de juger des nombreux effets qu’elle a eus, et qu’elle a encore, mais aussi, et peut-être surtout, des erreurs accumulées qui l’ont rendue possible.
Et c’est pourquoi, au contraire des auteurs qui ont fait d’Alésia soit leur dernier, soit leur premier chapitre, j’en ai fait, moi, le milieu de mon livre. Car il faut disséquer l’avant comme l’après Alésia, et distinguer dans l’un ce qui annonce l’autre.
Le Celte doit se retrouver lui-même. Mais il serait bien fallacieux de croire que les Celtes d’Alésia ne s’étaient pas déjà perdus. Et le vilain Jules, si détestable qu’il soit réellement, ne pouvait apporter que la sanction du Destin à un peuple dont les vertus n’étaient déjà plus en très bonne santé.
La catastrophe d’Alésia ne saurait s’expliquer sans une certaine décadence de la société celte. Je dis de la société celte, et non du Celte lui-même, car je ne crois pas que le Celte – et c’est pourquoi j’espère en lui – ait jamais été un être décadent. Au contraire du Latin, par exemple, qui porte en lui la décadence comme une seconde nature. La société celtique pré-alésienne n’était déjà plus tout à fait le type de société qui convenait à l’éthique des Celtes ainsi qu’à leur psychologie profonde. Il manquait donc à ces hommes, lors de l’invasion romaine, la foi et l’enthousiasme qu’il faut pour défendre la communauté avec toute la vaillance nécessaire.
Les grands mythes celtiques, tous générateurs de progrès humain, ne fécondaient plus l’éthique des Celtes, et ne fournissaient plus à leur civilisation l’énergie psychologique nécessaire.
Dans le dernier siècle de l’ère préchrétienne, nous avons vu entrer en décadence et se détériorer peu à peu, ce qui avait fait la richesse spirituelle de la Celtie ou de toute l’Europe celte. Ce sens de la personnalité individuelle ou ethnique, que Rome allait achever de détruire radicalement, pour donner le jour au monstre matérialiste et collectiviste qui, sous des masques divers, allait régner sur nous jusqu’à ces jours-ci, inclusivement. Les druides, hélas, n’avaient pas tiré de l’éthique des Celtes toute la philosophie que leur logique peut en extraire. Ou s’ils l’avaient fait, ils ne surent pas la communiquer à leurs élèves. Or leur vocation, à ces druides, était de lui rester fidèles, d’en tracer les prolongements, d’en enseigner toutes les conséquences, et de transformer en conscience ce qui n’était qu’instinct. Si la société celte pré-alésienne avait réellement été bâtie sur ces fondements, elle n’aurait pu s’effondrer ainsi devant César ni accepter l’étatisme romain aussi aisément qu’elle le fit. Dans le dernier siècle de l’ère préchrétienne, la civilisation celtique n’était pas ou n’était plus, en accord, avec ses grands mythes. Elle était en rupture d’éthique, c’est-à-dire décadente. Bref, dirons-nous, le peuple celte a été vaincu et colonisé par les Romains. Car les Romains, remarque Pierre Lance, multinationaux et impérialistes, ignorent la Patrie. Au-dessus de la famille et de la Cité, ils ne connaissent que l’État, et c’est bien différent. Leur dieu [ou démon] supérieur est Janus, le gardien de toutes les portes, le détenteur de toutes les clés.
Qui n’a reconnu l’âme latine à travers ses amours ? Les trois premiers symboles de Rome ne sont-ils pas révélateurs ? Janus (l’État), Mars (la Guerre), et Jupiter (l’Autorité).
Rome fut une anti-nation, un anti-peuple, une anti-civilisation, le premier empire totalitaire, le père de tous les monstres politiques que l’Europe a connus.
Rome, la société la plus bassement matérialiste que l’Antiquité a connue (le prototype de la société de consommation). L’esprit, à Rome, ne monte pas plus haut que Mercure, et César n’a rien de mieux à offrir aux poètes, aux astronomes, et aux philosophes celtes ; dont la civilisation est tellement supérieure à celle des Latins, qu’ils ne peuvent pas la comprendre. Qu’ils ne peuvent même pas soupçonner qu’elle est une haute civilisation. C’est à peine si les universitaires d’aujourd’hui, enfants spirituels des Romains, commencent à l’apercevoir. L’extraordinaire vivacité ou résistance de la tradition druidique, a permis néanmoins aux Celtes, selon Pierre Lance, de construire leur civilisation, affublée il est vrai d’oripeaux latins, mais il vaut mieux sans doute être déguisé que n’être pas du tout […] Les Celtes ne se sont absolument pas résignés à la société romaine. Ils ont d’abord continué de
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lui résister militairement, puis ils l’ont utilisée au mieux de leurs intérêts, enfin ils l’ont corrigée, ou transformée le plus possible selon leur génie propre.
Non sans se révolter contre elle chaque fois qu’il était nécessaire, et ce, jusqu’à la chute de l’Empire romain. Non seulement les Celtes se sont relevés, mais ils édifièrent la nation la plus prospère du monde romain, et plus tard l’une des plus influentes de l’Europe moderne. Cela seul suffit à prouver que l’événement d’Alésia n’a pas changé le fond des Celtes, mais qu’il a seulement perturbé leurs modes d’expression ainsi que leurs structures sociales. Au point non d’arrêter leur activité, mais de détruire son harmonie pour les siècles des siècles.
En ce qui concerne la mythologie celtique, nous avons déjà vu qu’elle avait parfaitement survécu sous les assimilations sommaires du polythéisme latin. Camille Jullian, cité par Pierre Lance, nous le confirme ainsi : « Mais ces dieux et ces figures ne sont qu’une partie de la religion. Nous les rencontrons surtout dans la vie publique des cités ou de leurs tribus : les monuments élevés par la piété populaire témoignent de plus de résistance à la poussée des dieux vainqueurs, d’une fidélité plus grande aux croyances et aux habitudes du pays. C’est une déesse-ou-démone, ou une fée si l’on préfère, la grande reine Épona, qui a fourni le plus bel exemple de vitalité dans le monde divin de l’Occident. Sous ce nom celtique, en l’étrange et gracieuse attitude que lui prêtent ses images, assise sur un cheval, un poulain et un chien courant à ses côtés, elle continua durant tout l’Empire à régenter les écuries et les cirques. Non seulement elle ne perdit aucun de ses adorateurs nationaux, mais la nature de ses fonctions la fit connaître à l’Italie ainsi qu’à l’univers entier ».
Ici Jullian ne voit pas seulement la survivance de la mythologie des Celtes, mais sa persistance. À tel point que l’on peut se demander si elle n’allait pas vers une résurgence, que le christianisme seul devait arrêter (non sans d’ailleurs en être pénétré à son tour). C’est ce que confirme Jean-Jacques Hatt : « À partir du IIIe siècle, et même avant la période d’anarchie militaire, les Celtes semblent revenir à leurs croyances primitives. Les dieu-ou-démons indigènes, et notamment l’antique Teutatis, qui avaient été bannis par les Romains, reparaissent dans les inscriptions et sur les monuments figurés ; il en est de même de l’archaïque Taranis, dieu-ou-démon à la roue, qui reparaît dans les inscriptions et dans l’iconographie. Ce rythme d’évolution se retrouve en ce qui concerne le sacerdoce. En effet, si nous passons en revue les témoignages historiques concernant les druides, nous arrivons aux conclusions suivantes. Ils ont fait une réapparition lors de la crise de l’Empire romain en 70. Certains d’entre eux ont alors prophétisé, après l’incendie du Capitole, la chute de Rome, et le transfert de la puissance aux nations transalpines (Tacite. Histoire, IV, 54).
Il n’est plus question des druides au cours du IIe siècle, mais on les retrouve au IIIe siècle. Ce sont d’abord les prophéties contre Alexandre-Sévère et Maximin (ces dernières paraissant issues des druides de Belenus-Apollon, officiant dans la cité d’Aquilée). À la même époque, les empereurs romains eux-mêmes adressent leurs dévotions aux dieu-ou-démons celtes : Caracalla au dieu-ou-démon des sources de Grand ou de Baden-Baden en Allemagne. Dioclétien et Maximien au dieu-ou-démon Belenus d’Aquilée.
Les druides reparaissent officiellement au IVe siècle. Ausone cite, dans sa Commemoratio professorum Burdigalensium, deux druides célèbres. Si les druides surgissent de nouveau en pleine lumière, à partir du IIIe et IVe siècle, c’est parce qu’ils ont pu maintenir les traditions druidiques à l’ombre des grands sanctuaires.
En substituant bon gré mal gré, au culte des grands héros, le culte des saints, le christianisme « moralisa » le paganisme, c’est-à-dire que, faute de pouvoir le tuer, il le rendit infirme. Le paganisme celte poursuivit ainsi une existence diminuée, mais opiniâtre, qui lui permit à tout le moins d’engendrer l’art médiéval, en attendant la Renaissance. Le paganisme fut une crypto-civilisation, qui continua son évolution souterraine dans le subconscient occidental, en attendant l’heure de sa résurgence au grand jour. Une conscience culturelle nationale qui surgira plus tard, magnifiquement, dans les cathédrales superficiellement chrétiennes, prétendues « gothiques » ou « romanes », mais avant tout celtiques.
Il existait, comme nous venons de le voir, une continuité de l’enseignement druidique, qui préparait les esprits à des conceptions plus philosophiques, au moins en apparence, que celles du polythéisme officiel décadent, gréco-latin. Ce qui manqua en effet à celui-ci, c’est de donner une réponse au sujet de la vie après la mort. La mythologie latine n’est pas une métaphysique. Et si elle offre, dans les meilleurs cas, d’excellents modèles de vie, car les dieu-ou-démons et les grands héros ne sont autre chose que des « surhumains », des êtres ultra-vivants ; elle n’a rien à dire sur ce qui n’est plus la vie.
Cependant, la mort reste, pour les hommes de tous les pays et de toutes les époques ; l’énigme entre toutes, effrayante pour la plupart, à tout le moins irritante, pour les plus courageux. À cette question de toujours se confrontent les philosophies et les religions.
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Finalement, ce n’est pas une société romaine que rencontreront les envahisseurs visigoths, burgondes et francs. C’est une société certes, ayant subi l’influence romaine, mais qui avait eu son évolution propre, et présentant des caractères économiques et sociaux différents, profondément différents, de ceux de Rome. Cette continuité de la civilisation celtique est également attestée en Grande-Bretagne. À l’avènement de Clovis, il se produira un phénomène inexorable, qui remettra toute la force militaire aux mains des éléments germaniques, tout le pouvoir clérical et administratif aux mains des éléments latins, et toute la puissance productrice aux mains des éléments celtiques. Toutes ces puissances se transmettront héréditairement, ou par affinité (ce qui revient au même) avec une remarquable constance.
L’écrasement des Celtes par l’effort conjugué des Germains et des Latins (Lug étant alors pris comme le représentant même de la race celtique) fut aussi philosophique ; en ce qu’il montrait le refus de l’éthique de Lug et de son comportement par ces mêmes Latins et Germains ; qui allaient les uns après les autres, de Constantin à Charlemagne, devenir les empereurs très chrétiens (et anti lugiens) de l’Occident. Qu’est-ce que toute l’histoire romaine ? Sinon la plus longue tentative connue de faire régner l’autorité sur tous les peuples ? Qu’est-ce qui tisse toute la trame de l’histoire germanique, sinon le recours périodique à la ruée furieuse ?
Qu’on ne vienne pas nous dire après cela, que Lug est « l’équivalent » de ce que Wotan est aux Germains, ou de ce que Zeus est aux Grecs. Jupiter est avant tout le symbole de l’autorité, Wotan celui de la colère (allemand wuten « faire rage »).
De la chute d’Alésia jusqu’à la fin du Moyen-âge, le pouvoir politique, administratif et clérical est tombé, puis est resté, en quasi-totalité dans les mains des descendants des Romains et des Germains d’exportation conquérante. Qu’il faut évidemment distinguer des populations restées à leur place. Bien entendu, ceux des Celtes qui ressemblaient psychologiquement à ces Romains ou à ces Germains, se joignirent à eux.
Mon lecteur comprendra qu’en fin de compte par « Romain », « Germain », ou « Celte », je désigne ici des types psychologiques, qui peuvent se trouver, donc se trouvent effectivement, partout ; mais qui doivent leur nom à ce qu’ils figurent en proportion plus forte dans telle ou telle ethnie historique.
Pierre Lance, pour qui cette hétérogénéité de la population, c’est-à-dire cette coexistence sur un même sol de peuples divers toujours non mélangés, s’est maintenue jusqu’à la Renaissance.
« Peu à peu les Celtes ont édifié la prospérité d’un pays qui, après avoir été le plus industrieux de l’Europe « barbare », fut le plus riche de l’Empire romain, le plus brillant de l’Europe du XVIe au XVIIIe siècle. Enfin, la bourgeoisie réussit la révolution communale, qui lui rendit la plus grande part du pouvoir politique local, et lui permit de se préparer à reprendre le pouvoir politique national ».
Cette hétérogénéité viscérale de la population, et cette lente reconquête du pouvoir par les Celtes, se sont poursuivies même jusque dans la Révolution française en un sens. Du moins toujours d’après Pierre Lance.
Au reste, on trouve hors de nos frontières des confirmations inattendues de ce caractère de la Révolution, par les influences privilégiées qu’elle exerça en Irlande et au Pays de Galles, où les affinités nationales jouèrent un grand rôle.
Mais, note Pierre Lance, la romanisation de l’Histoire a eu des conséquences psychologiques dont l’importance ne doit pas être sous-estimée. Les Celtes sont restés des Celtes, mais on a tout fait pour les persuader qu’ils étaient devenus Romains, et le drame est que la plupart l’ont cru. Or si notre peuple était mieux au fait de son passé, il comprendrait pourquoi la société actuelle ne peut le satisfaire, car elle reste dans toutes ses structures, ses idéologies, ses oppositions mêmes, romaine et germanique. Il comprendrait que toutes les erreurs de l’Occident moderne sont dues à une méconnaissance de l’éthique des Celtes, vrais fondateurs de l’Europe.
Notre civilisation actuelle remontant au XVIe ou au XVIIIe siècle, elle est donc née tout récemment poursuit Pierre Lance : « Renouant d’un seul coup avec les plus belles forces de vie de l’Antiquité, notre civilisation est donc bien loin d’être adulte. Elle est au contraire dans sa prime jeunesse. Les hommes lucides qui s’efforcent de la juger, donc qui voient en elle des faiblesses, ou des symptômes de décadence, ne doivent pas les mettre sur le compte de la sénilité. Mais la question qu’ils doivent se poser, et qui est grave, est celle-ci : ces faiblesses sont-elles inhérentes à la jeunesse d’un être encore insuffisamment formé, ou bien sont-elles des signes de dégénérescence, voire des tares héréditaires ? Répondre à cette question, puis agir en conséquence, est le seul moyen de résoudre la « crise de civilisation ». La conscience s’est éveillée lentement au cours des XVIe et XVIIe siècles pour atteindre au XVIIIe siècle le premier stade de sa maturation avec le succès des encyclopédistes. Ce fut alors la Révolution française, dont les promoteurs espéraient rétablir – consciemment ou non – l’individualisme, le fédéralisme et la royauté élective de l’ancienne civilisation celtique. Mais l’hérédité des nations, comme celle des individus, porte dans sa complexité toutes les traces de ce qui fut. Il n’y
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a pas de table rase, il n’y a pas de naissance totale. Le nouvel être, sans doute, s’efforce de mieux choisir ses voies, mais il ne saurait d’un seul coup se purifier de toutes les erreurs du passé.
La Révolution fut dévoyée, corrompue, et la nouvelle civilisation européenne retomba dans une grotesque caricature. Le nationalisme – pris dans son sens propre, et non dans le sens d’impérialisme que l’on tend à lui prêter pour le discréditer – n’est autre que l’exaltation de la personnalité ethnique (ce qui le fait anti-impérialiste en son essence). Il ne peut que concourir à l’épanouissement de la personnalité individuelle.
Tout cela s’est corrompu, notamment sous l’action dissolvante d’aventures colonialistes insensées dans lesquelles les peuples européens furent entraînés par des minorités impérialistes. La guerre de 14-18 a été l’aboutissement de cette déchéance, en même temps que le signal de la ruée vers le collectivisme d’extrême droite ou d’extrême gauche, dont la Germanie fut le berceau commun. Durant toute cette période qui va de 1930 à 1960, on a vu s’effondrer la nation en même temps que la personne, la première allant se diluer dans de monstrueux blocs totalitaires et cosmopolites, la deuxième dans le nivellement des foules robotisées. La société dans laquelle nous vivons est un amalgame de conséquences historiques dont nous supportons tous le poids. Mon but est de montrer que le peuple de ce pays vit dans une structure sociale inadaptée, qu’il n’a pas lui-même construite ; et que, pour cette raison, il ne peut pas tirer le meilleur parti de ses potentialités. Ce dont tout le monde pâtit, à commencer par les descendants de ceux qui l’en empêchent.
L’harmonie d’une société a besoin de différents tempéraments ethniques ou psychobiologiques, à la condition qu’ils s’y trouvent dans des proportions équilibrées. Or ce déséquilibre ne naît pas seulement des modifications ethnologiques apportées par les conquêtes, et qui sont généralement minimes, mais aussi et surtout de l’organisation politique inadéquate, instaurée par ces mêmes conquêtes ; et qui concentre et privilégie l’influence de tel ou tel groupe. Il ne suffit donc pas de comparer des équations nationales pour calculer le poids relatif de telle ou telle tendance ; mais il faut encore tenir compte de la structure sociopolitique qui augmente ou diminue, dans des proportions considérables, l’importance réelle de telle ou telle catégorie.
Les formules sanguines des nations européennes occidentales diffèrent assez peu entre elles en chiffres absolus, mais ces différences peuvent être accentuées par la diversité des structures. Une nation à système centraliste multiplie par deux, par cinq ou par dix, l’influence des vocations administratives et bureaucratiques ; une nation à système fédéral ramène cette influence à des proportions naturelles, qui deviennent alors bénéfiques. Prenons quelques exemples : entre 1936 et 1970, les Allemands n’ont pas changé ou si peu, ethniquement parlant. Mais le système centraliste nazi ne pouvait que décupler le poids social des Allemands à vocation bureaucratique et militariste, alors que le système fédéral actuel a ramené ce poids au niveau d’une capacité d’organisation correcte. La toute-puissance exceptionnelle de la bureaucratie soviétique multiplia par vingt ou par trente l’influence réelle des hommes qui la constituaient, cela donc explique la rigidité du carcan qui est alors tombé sur le peuple russe. Pour apprécier en l’occurrence le poids réel des influences psycho-ethnologiques, il faut bien comprendre ceci. La France est un pays à prépondérance celtique qui compte 20 % de Germains et l’Allemagne est un pays à prépondérance germanique qui compte environ 30 % de Celtes. Si l’on admet que le jacobinisme centralisateur multiplie par 5 l’influence du « style » germanique, et que le fédéralisme multiplie également par 5 l’influence du « style » celtique ; on doit en conclure que la France actuelle est administrativement beaucoup plus germanique que l’Allemagne, et inversement, que cette dernière est administrativement plus celtique que la France. Cela explique l’apparence d’illogisme de mon propos, auquel je me tiens cependant sans fléchir, à savoir que les Celtes sont nativement mieux adaptés au fédéralisme que les Germains. Ce sont les monarchies germaniques, héritières de Rome, qui ont créé le centralisme, ce sont les guerres franco-allemandes qui l’ont perpétué. Pouvons-nous imaginer le type de société que ces hommes auraient produit ? Essayons.
Sur le plan politique, une monarchie constitutionnelle dont le dernier Capétien aurait dû s’accommoder, mais qui n’aurait pas suscité la coalition européenne contre la France. Il est probable que l’on serait passé peu à peu, soit à une démocratie de type britannique, soit plus vraisemblablement à une élection royale de type celtique, aboutissant au régime présidentiel en fait. Sur le plan religieux, la séparation de l’Église et de l’État, et le rejet de la mainmise catholique sur l’esprit de l’enfant ; suivis d’un formidable développement de l’athéisme et de la libre-pensée ; n’auraient laissé au christianisme qu’une emprise dérisoire sur la partie la plus arriérée de la population. L’essor de la réflexion et de la recherche philosophique aurait permis à la France, et en fin de compte à toute l’Europe ; de se doter d’une éthique adaptée à l’évolution scientifique et technique en cours, autant qu’à l’Homme-même ; et l’aurait préservé de ce dramatique divorce d’avec la nature qui a été son lot. Le naturalisme celtique aurait repris tous ses droits, et l’écologisme se serait développé, de pair avec la révolution industrielle, évitant les abus que nous avons connus. Mais, je
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crois que ces suppositions sont, à vrai dire, encore trop timides, et que nous avons peine à nous faire une idée de la révolution intellectuelle et morale qui se serait produite. Même les plus mécréants d’entre nous imaginent difficilement à quel point le rétablissement du monothéisme, après 1793, et du catholicisme après le 18 Brumaire an VIII (9 novembre 1799), ont déséquilibré la civilisation moderne. Une conscience philosophique de très haut niveau, une claire compréhension de la place de l’Homme au sein de la nature et du cosmos, de ses rapports intimes avec l’environnement minéral, végétal, animal, océanique, tellurique et astral ; telles que les anciens Celtes les avaient approchées ; mais fortifiées voire affinées par les découvertes scientifiques de l’époque ; lui eurent donné une spiritualité authentique, participant du Bitos ou de l’Univers. Au lieu de cela nous ne disposâmes toujours que d’un Jéhovah supposé avoir tout prévu, et dirigeant nos pas mal assurés à son gré ; assorti d’une métaphysique délirante, faisant de l’Homme un être créé tout d’une pièce, et totalement étranger à l’évolution biologique. Rien d’autre finalement qu’un matérialisme à courte vue, ne voyant qu’objets dans le monde, et d’esprit nulle part ailleurs que dans le monopole du despote céleste ou dans son savoir-faire infernal. Une éducation propre à « ensauvager l’homme ». Aussi est-ce dans une dramatique inadéquation au réel que l’Occidental allait bouleverser la planète et multiplier les catastrophes. Le chrétien d’avant 1789 est un aveugle sur un mulet, mais le chrétien d’après 1789 est un aveugle sur une moto.
Et qu’on ne vienne pas nous dire, surtout, que tout cela serait venu trop tôt, et que le pays n’était pas mûr pour une telle mutation. Non seulement il l’était, mais il portait en lui, depuis Alésia, la nostalgie de cette Renaissance ; et de plus il en avait, comme toute l’Europe, un besoin pressant. Car c’est parce que la révolution morale n’a pas suivi la révolution industrielle et scientifique que nos mentalités sont aujourd’hui en retard, dramatiquement, sur nos pouvoirs techniques. Et que nous ne sommes pas capables de maîtriser les énergies matérielles et humaines que nous mettons en œuvre.
Notre civilisation moderne n’est pas plus rationnelle (et l’est peut-être moins) que celles de l’Antiquité. D’ailleurs ; si elle l’était, elle ne nous montrerait pas les désordres et les excès dont nous sommes témoins et victimes : pollutions, gaspillages, révolutions, terreur atomique, etc. auxquels une vraie rationalité n’aurait jamais laissé prendre cette ampleur. Ses dieu-ou-démons et ses déesse-ou-démones, voire ses fées, se nomment la Science, la Technique, l’État, le Libéralisme, et, pris dans leur sens absolu, ils sont aussi porteurs d’illusions que les dieu-ou-démons de jadis. Ou plutôt ils le sont davantage, précisément parce que l’on ne les tient pas pour des dieu-ou-démons, mais pour des conceptions parfaitement réalistes (déviation typiquement romaine N. D. L. R). Or nous avons vu que les dieu-ou-démons de jadis étaient en fait beaucoup moins abstraits que les nôtres, mais n’offraient si belle carrière à l’anthropomorphisme que parce qu’ils étaient de simples transpositions idéalisées du psychisme humain.
Alésia doit être effacée. Car le Celte est toujours là, mais il porte un carcan qui fait de lui un étranger dans son propre pays. Et ce carcan, toute l’Europe le porte. Car les disharmonies de la société française, et les secousses qui en résultent, se sont répercutées dans l’ensemble de l’Occident depuis 1789. Et je suis pour ma part tout à fait persuadé que « la crise de la civilisation » qui fait trembler sur ses bases le monde moderne ne trouvera pas de solution tant que l’on n’aura pas effacé Alésia. Tant que l’on n’aura pas pris soin de « rendre à César » tout ce qui lui appartient.
Ce livre n’est pas celui d’un homme tourné vers le passé, mais celui d’un homme qui cherche les voies de l’avenir, ausculte le présent et s’inquiète des cicatrices, des antécédents, des hérédités. Comme tout bon médecin doit le faire. Je défie quiconque d’améliorer quoi que ce soit dans la vie, s’il ne fait pas l’effort de remonter aux causes les plus lointaines, à la source même des maux. La défaite d’Alésia est une allégorie qui restitue l’image de toutes les défaites celtes, tant militaires qu’idéologiques, jusqu’à 1940 inclusivement. Mais qui, plus encore, symbolise toutes les défaites du Celte de toujours, devant une « civilisation de l’artifice », et une « religion du système » qui, depuis plus de vingt siècles, trahissent toute espèce de nature et de réalité.
C’est la défaite du régionaliste devant le centralisme, du panthéiste devant le monothéisme, de l’Occidental devant l’orientalisme, du villageois devant l’urbanisme, de l’artisan devant la robotisation, du créateur devant le technocrate, de la maison individuelle devant le grand ensemble. Et que sais-je encore ? Bref, c’est la défaite de l’homme libre devant toutes les formes de tyrannie : politique, économique, spirituelle. En un mot, c’est la défaite de l’Esprit ! Cette défaite est celle de tous les hommes.
Et c’est pourquoi elle exige la revanche sans laquelle on pourrait désespérer de l’avenir de l’Humanité. Sous les murs d’Alésia, c’est une certaine conception de la vie qui a tout à coup sombré. La civilisation occidentale est promise à la confusion, au désarroi, et à l’anxiété, bientôt à la panique et à l’effondrement, si elle ne sait pas retrouver son éthique.
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Et je veux convier tous mes lecteurs à la nouvelle Renaissance. Car le temps est venu de refaire l’Histoire. La civilisation occidentale est à son aurore. Elle ne peut pas être décadente du fait de la sénilité ; elle ne peut l’être que du fait de la maladie. Elle peut donc, elle doit donc, guérir.
Il suffit pour cela qu’elle recherche dans son passé, dans l’histoire des civilisations mortes qui l’ont enfantée, les signes de santé ainsi que les signes de faiblesse, qui lui permettront d’établir son diagnostic et de retrouver la vigueur de son génie.
Selon Pierre Lance donc, c’est clair et net, la solution à la crise mondiale qui abâtardit le monde ne peut venir que des descendants des Celtes, ces géants paralysés dont l’art païen était indiscutablement riche de possibilités originales, mais avortées.
« Les structures de notre pays sont de source étrangère et sont inadaptées au tempérament profond de notre peuple. De là sa démarche hésitante qui finit toujours par décevoir ceux qui voudraient l’aimer, y compris ses propres enfants.
S’il arrive que la médiocrité l’emporte dans les faits et gestes de notre nation, celle-ci est imputable à l’inadéquation de ses structures, non au caractère de nos concitoyens ».
Pierre Lance qui ajoute « notre organisation jacobine ligote les potentialités de notre nation. Cela est d’autant plus dramatique que les descendants des Celtes sont les plus inventifs, les plus créatifs, les plus astucieux, des Occidentaux. Et que si notre peuple disposait d’une structure adaptée à son tempérament profond, je ne doute pas qu’il soit en mesure d’émerveiller le monde ».
Les tenants de ce jacobinisme philosophique sont les héritiers spirituels des Romains et des Germains, selon notre auteur, qui poursuit ainsi le fil de sa démonstration à leur propos.
« Souvent passés du blanc au rouge, du christianisme au communisme, du Yogi au Commissaire, et du règne du Seigneur au culte de l’État ; ils s’efforcent de prolonger dans le corps de notre nouveau monde, au besoin sous des appellations nouvelles, tous les vices et tous les excès de l’ancien.
[Note de Pierre de La Crau. Le mouvement contraire existe aussi de plus en plus maintenant. Des socialistes révolutionnaires qui finissent dans la peau de défenseurs du capitalisme sans la moindre régulation. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent jamais d’avis dit-on. Certes ! Mais bien réfléchir avant de s’engager ou d’ouvrir la bouche n’est pas interdit non plus. Ce qui a l’avantage de ne nécessiter par la suite que de légères évolutions correctives ! Et surtout pas des reniements pour être à la mode, ou baigner dans le conformisme ambiant ! Les vrais Celtes d’esprit se retrouvent plutôt dans Commios l’atrébate, dans le Belge Ambiorix, voire dans la personne de saint Colman. Des hommes qui préfèrent s’exiler dans une lointaine Inishbofin, plutôt que de renoncer à leurs idéaux de jeunesse et à leurs valeurs (Sinn Fein !). Bref tout le contraire de nos élites d’aujourd’hui : journalistes, hommes politiques, curés, pasteurs, rabbins, etc. ! Qui se caractérisent surtout par leur conformisme et leur obséquiosité vis-à-vis des puissances, d’argent ou d’autre chose (idéologie dominante, hommes politiques au pouvoir et ainsi de suite). Il y a par exemple plus d’anticommunistes aujourd’hui au XXIe siècle, maintenant que l’URSS s’est effondrée, qu’en 1950.
D’ailleurs, c’est bien simple, être anticommuniste à l’époque, c’était quasiment être automatiquement considéré comme étant d’extrême droite ou fasciste (nazi, etc.). Que de courage donc pour un média que d’être farouchement anticommuniste… trente ans après sa mort ou son irrémédiable déclin en tant qu’idée ! Mais revenons à notre ami Pierre Lance].
Malgré eux pourtant, malgré les mauvaises fièvres qu’en nous tous ils entretiennent, l’Occident poursuit sa marche en puissance. Et, par exemple, quand l’un de nos pays occidentaux détruit le régime d’Assemblée au profit du régime présidentiel, il ne fait pas autre chose que restaurer l’antique royauté de type électif au détriment des « sénats » de notables partisans et querelleurs. Il revient à Vercingétorix, à Celtill, à Orgétorix, aux rois patriarches de la vieille Irlande ; il revient à la jeunesse de ses pères, il revient à la vie. Au fait, qui s’est aperçu que, lorsque la République française a changé son « Ministère de la guerre » en « Ministère de la Défense Nationale », elle a enfin évincé le Mars latin pour redonner la primauté au Teutatis celtique ?
Si l’on en croit les historiens, les Celtes, depuis environ 200 ans avant notre ère, ont été partout vaincus. Et il est de fait qu’ils ont physiquement succombé aux agressions, conjuguées puis successives, des Latins, et des Germains. Mais parce qu’ils n’ont, au fond, jamais cru à leur défaite ; parce qu’ils ont toujours gardé au fond d’eux-mêmes cette inébranlable confiance en son étoile qui est la marque des caractères forts, ils sont restés présents et puissamment présents dans l’évolution de la société occidentale. Et les phénomènes de renaissance ou de résurgence qu’ils ont été, voire sont encore capables de susciter ; n’ont pas fini d’étonner le monde. Cet « esprit de renaissance » est caractéristique de la race celtique et a déjà produit, à l’époque moderne, la belle légende du roi Arthur, dont la résurrection est toujours attendue. Car Arthur n’est pas vraiment mort. Il a été emporté dans l’île d’Avallon pour y être soigné par sa sœur la fée Morgane. Par-delà son personnage, c’est la
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lumière du héros qui a été occultée : non seulement le dieu lui-même, non seulement la notion de divinité, mais encore la civilisation celtique tout entière, qui n’a plus sa place dans le monde actuel. C’est cette civilisation qui reviendra un jour à la surface de la Terre ; c’est cette civilisation qui, occultée délibérément par les derniers druides, n’attend que l’occasion favorable pour envahir le monde occidental. Voici la leçon de la bataille de Camlann. Le mythe d’Arthur se confond avec l’univers celtique tout entier.
En résumé donc. Comme on peut le voir au travers de cette brève analyse, pour Pierre Lance, le peuple celte, longtemps demeuré à l’écart de l’Histoire, ne peut que prochainement faire irruption sur le théâtre mondial, pour y promouvoir une véritable renaissance ; une autre culture face à la culture « classique », judéo-gréco-latine et germanique, atteinte aujourd’hui de sénilité. La tradition celtique reprend aujourd’hui la force d’une culture jeune et montante. Mais il reste encore des barrages à franchir pour notre peuple dans cette aventure spirituelle, dans cette démarche tâtonnante et maladroite comme dit Pierre Lance « qui lui serait grandement facilitée s’il pouvait d’emblée renouer avec l’éthique druidique. Renouant avec l’éthique ancienne, mais appuyés sur les moyens du monde moderne, ils élèveront l’individualisme ancestral à la hauteur d’une philosophie personnaliste, qui fera de chaque homme son propre souverain. Et ils édifieront cette société dont la devise « Tous pour un et un pour tous » pourra seule préserver l’être humain des dangers que ses propres pouvoirs accumulent sur sa tête.
Ce que sera cette société ?? Ce n’est pas ici le lieu de le dire et c’est le sujet d’un autre livre. Mais ceux qui auront lu attentivement les pages précédentes, et auront ressenti en eux-mêmes ce que j’y exprime, auront déjà quelque idée de l’avenir.
La civilisation celtique pouvait, par son seul exemple, éveiller le monde endormi, pense donc Pierre Lance. Cet auteur était en effet convaincu, en rédigeant ces quelques lignes, que la destinée bien particulière de son pays « est de créer un nouveau type d’homme, le « mutant » dont l’Occident, depuis la chute d’Alésia, garde l’inconsolable nostalgie ».
Ce néopaganisme celte inaugurera donc une ère nouvelle, enfin débarrassée de tous les miasmes malsains que véhicule encore la civilisation classique moribonde (judéo-gréco-latine).
La société celte du 1er siècle avant notre ère avait perdu depuis longtemps sa jeunesse politique. L’aristocratie avait ruiné tout espoir de royauté démocratique, et le pays allait rendre dans Alésia le dernier soupir d’une société à bout de forces. Ne commettons pas l’erreur de juger notre « mère » sur ces derniers moments, appliquons à la Celtique d’avant César, ce que Nietzsche disait si pertinemment de la Grèce (« Le livre du philosophe » 5)…
La fatalité voulut que l’Hellénisme le plus récent et le plus dégénéré fût celui qui devait montrer le plus de force historique… Les Grecs ont découvert d’autres possibilités qu’ils ont plus tard recouvertes. Les Celtes firent de même. Mais sachons redécouvrir leurs premières trouvailles (Pierre Lance. La défaite d’Alésia. Janvier 1972 à janvier 1977).
1. L’individualisme celtique, l’individualisme celtique. Les Celtes étaient-ils si individualistes que cela ??
2. Cette remarque vaut pour l’islam.
3. Les signes du mouvement contraire se multiplient néanmoins depuis quelque temps, et vont dans le sens d’une uniformisation croissante. L’action (ou l’inaction ??) des plus antiracistes défenseurs du droit à la différence renforce à chaque fois le rouleau compresseur qui lamine les langues (aujourd’hui la langue de l’Empire c’est le globish), les peuples, et les cultures. Cherchez l’erreur.
4. Pierre Lance note néanmoins ailleurs que ce radical peut signifier aussi : « ce qui brille ».
5. Das Philosophenbuch. Livre inachevé traitant de la philosophie et de la vérité.
6. Le néo-druidisme de Pierre Lance. Tous les hommes seront un jour des hommes-dieux dans 100 ans ou 20 000 ans. Le druidisme antique. Plus d’un homme-dieu-ou-démon. 10 ? 20 ? ?? En fait tous les héros d’épopée comme Mariccos ou Cuchulainn. Christianisme (et islam ?). Un homme-dieu et un seul : Jésus-Christ. Judaïsme. Pas d’homme-dieu. C’est même interdit par la Bible. Voir le serpent et la tentation d’Adam et Ève à propos de l’Arbre de la connaissance (vous serez comme des dieux).
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UNIVERSALISME ET ENRACINEMENT DANS LE DRUIDISME.
Il n’est d’universel que l’enracinement. Plus nous rentrons en nous-mêmes, plus nous creusons en nous-mêmes, plus nous avons des chances d’atteindre à l’universel.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, il est évident que les dieu-ou-démons qui, par définition, échappent au temps et à la dimension, ne sont localisables qu’en vertu d’une convention, parce qu’il faut les réduire à des normes accessibles à l’entendement humain. Cette réflexion a dû constituer une grande partie de l’activité intellectuelle des druides. Il faut cependant souligner que toutes ces « traductions » sont d’abord et avant tout des opérations intellectuelles. Elles ne sont pas imposées par les autorités religieuses et ne modifient pas le culte. Les dieu-ou-démons sont conçus comme étant potentiellement présents partout et identifiables.
Le jeu des équivalences entre divinités (les élohim les djinns les anges, etc.) implique en effet que l’on conçoive une certaine permanence des caractéristiques divines par-delà les différences ethniques. Ce qui change d’un peuple à l’autre, c’est le nombre des dieu-ou-démons identifiés, ainsi que la forme linguistique de leur dénomination. Ce qui passe éventuellement d’un peuple à l’autre, par contre, c’est la capacité à identifier un dieu-ou-démon déjà potentiellement présent. Un exemple de cette universalité du druidisme.
Lucien de Samosate. Discours, Hercule 1-7.
« Notre Héraklès est connu chez les Celtes du Continent sous le nom local d’Ogmios ; et l’apparence qu’il a dans leurs fresques est vraiment grotesque. Ils l’ont représenté en vieillard aussi vieux qu’il est possible, les quelques cheveux qui lui restent (il est presque complètement chauve sur le devant) sont totalement blancs, et sa peau est ridée, mais aussi tannée, comme brûlée par le soleil. On le prendrait presque pour quelque déité infernale, pour Charon ou Japet, enfin pour n’importe qui plutôt qu’Héraklès. Tel qu’il est néanmoins, il a tous les attributs particuliers de ce dieu : la peau de lion pend sur ses épaules, sa main droite tient la massue, sa main gauche l’arc tendu, et un carquois est accroché à son côté ; rien ne manque de l’équipement d’Héraklès. Au début je crus que c’était par haine des dieux grecs ; qu’en prenant de telles libertés avec l’apparence personnelle d’Héraklès, les Celtes ne faisaient que se venger sur le plan pictural pour son invasion de leur territoire ; quand dans sa quête des troupeaux de Géryon, il avait parcouru et pillé la plupart des peuples d’Occident. Je dois néanmoins, maintenant, mentionner le trait le plus remarquable de ce portrait. Cet antique Héraklès entraîne derrière lui une grande foule d’hommes, tous sont attachés par les oreilles au moyen de chaînes faites d’or et d’ambre, ressemblant beaucoup plus à de très beaux colliers qu’à n’importe quoi d’autre. Et malgré ce lien assez ténu, ils ne faisaient aucun effort pour s’échapper, bien qu’il leur soit très facile de le faire. Il n’y a pas le plus petit signe de résistance : au lieu de planter leurs talons dans le sol et de se jeter en arrière, ils suivent au contraire avec une joyeuse alacrité, en chantant les louanges de leur ravisseur ; et vu l’ardeur avec laquelle ils se hâtent derrière lui pour éviter que les chaînes ne se tendent, on pourrait dire que s’enfuir est bien la dernière chose qu’ils désirent. Mais je ne vous cacherai pas plus longtemps le très curieux détail qui m’a le plus frappé. La main droite d’Héraklès étant occupée par la massue, et la gauche par l’arc, comment lui faire solidement tenir l’autre extrémité des chaînes ? Le peintre a résolu le problème en faisant un trou au bout de la langue du dieu, et en faisant le point d’attache desdites chaînes ; sa tête est donc tournée vers eux, et il regarde ceux qui le suivent ainsi l’air souriant. Je dus rester longtemps stupéfait à contempler ainsi un tel tableau, je ne savais que penser de tout cela et je commençais même à m’en irriter quand je fus abordé en un grec admirable par un Celte qui se tenait à côté de moi, et qui en plus d’avoir des connaissances très précises dans leur science nationale, s’avéra ne pas être complètement ignorant de la nôtre. « Noble étranger, je vois que cette fresque vous laisse perplexe », me dit-il, « laissez-moi donc vous en donner la clé. Nous autres Celtes, nous n’associons pas l’éloquence à Hermès, comme vous, mais au puissant Héraklès.
Ne soyez pas non plus surpris de le voir ainsi représenté en vieil homme. Car la prérogative de l’éloquence est d’atteindre la perfection avec l’âge ; du moins si nous pouvons en croire vos propres poètes, qui nous disent que…
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« La jeunesse a l’esprit qui erre,
Alors que la vieillesse s’exprime plus sagement que la jeunesse ».
C’est pourquoi nous trouvons dans leurs poèmes que du miel coule des lèvres de Nestor ; et que les discours des conseillers de Troie sont semblables à des lis, qui, si ma mémoire est bonne, sont des fleurs de chez vous.
En conséquence de quoi, si vous voulez bien considérer la relation qui existe entre la langue et l’oreille, vous ne trouverez rien de plus naturel que la façon dont notre Héraklès, qui est l’éloquence personnifiée, mène les hommes, les oreilles enchaînées à sa langue. Et ce n’est pas pour lui faire affront que le bout de sa langue a été percé, car je me souviens aussi des vers d’un de vos poètes comiques disant que…
Il y a toujours un trou dans la langue du bavard.
Bref, nous nous attribuons tous les exploits de l’Héraklès initial, du premier au dernier, à sa sagesse, ainsi qu’à la force de persuasion de son éloquence. Ses traits ne sont rien d’autre que ses paroles : rapides, acérées, propres à toucher les âmes et à les émouvoir ». Pour conclure, il me rappela notre propre image : « Les paroles ont des ailes ».
L’explication qui trahit une grande finesse d’intelligence devait pour le moins émaner d’un bon connaisseur en théologie. Pour désigner son interlocuteur, Lucien utilise en effet le terme de philosophos. Philosophos n’est employé dans la phrase que comme adjectif ; mais comme substantif c’est le mot usité généralement par les écrivains grecs pour désigner les druides. L’interpretatio graeca a d’ailleurs dû être faite par les druides eux-mêmes. Dans le cas d’Ogmios, tout se passe comme si une divinité celtique, à double ou triple visage, s’était vue affecter une interpretatio graeca, créée à toutes fins utiles, par les druides eux-mêmes »…
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La géographie des mythes irlandais évidemment est assez « mythique », au mauvais sens du terme : localisations en Méditerranée ou en Scandinavie, etc.
Ces libertés géographiques expriment, en termes connus de tous à époque en Irlande, l’infini de l’Autre Monde. Et en même temps elles suivent la mode d’érudits qui se croyaient sincèrement d’origine grecque ou égyptienne. Comme quoi l’idéologie dominante, ça ne date pas d’hier ; ni le thème de l’immigration et ni la mode du métissage non plus !
Comme beaucoup de mythes, ces histoires sont donc à la fois enracinées, mais aussi universelles. Ou universelles et enracinées si l’on veut.
Quand l’incendie a ravagé Rome (sous le règne de Néron), Mariccus avant de mourir dans l’arène, sur sa croix en forme de tau, a déclaré que l’empire des choses terrestres devait désormais passer aux peuples transalpins. « Rome a été jadis prise par les Celtes, mais comme le temple de son Jupiter au Capitole est resté intact, miraculeusement sauvé par les oies sacrées, cet empire a pu subsister encore quelque temps. Le feu qui l’a ravagée en la purifiant est le signe que les dieux ont abandonné cette capitale et que l’empire du monde va désormais passer aux peuples transalpins ».
Ces paroles maladroites ont fait le jeu des historiens comme Tacite (IV, 54) qui n’a rien compris à l’intime conviction du druide Mariccus. Ce dont Mariccus était convaincu, c’est tout simplement de ceci.
Au sein de l’histoire des hommes, le Destin ou Tokad lui-même agit et parle par la bouche des dieu-ou-démons. Ce sont eux qui choisissent leur peuple pour lui confier la mission d’être comme un oracle ou un exemple (éthique des chevaliers du Graal, etc.) face aux peuples préférant le légalisme à la spiritualité, la lettre à l’esprit. Le choix d’un peuple particulier, destiné à être en premier, le relais de ce message divin, manifeste que si ce message a valeur universelle, il n’en est pas pour autant abstrait, ou purement intellectuel. Il doit frayer son chemin au cœur de l’histoire des hommes et des peuples, dans leur infinie diversité, afin de les rejoindre chacun dans la particularité de leur tempérament, de leur culture, et de leur histoire. Autrement dit, dans tout ce qui fait leur humanité concrète. Pour plus de détails à ce propos voir la parabole de l’Hercule celte chez Lucien de Samosate. L’histoire très singulière de la race celtique, son extraordinaire destinée, tissée d’épreuves tout au long de plus de
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deux millénaires, représente en quelque sorte celle de l’Humanité dans ses différentes situations ou expériences. Révolte contre les dieu-ou-démons, exode et nostalgie des paradis perdus d’Hyperborée (les îles au nord du monde), grandeur (prise de Rome et des trésors de Delphes voire Crixus et Spartacus) et décadence (Alésia). Elle a donc une valeur universelle. C’est une métaphore de l’Humanité.
La « matière de Bretagne » a même trouvé des écrivains originaux en langue d’oc ou en dialecte provençal. On n’a conservé que deux textes : le roman de Jaufré ainsi que « Blandin de Cornouailles », mais du reste perdu ou encore caché, surnage le nom de Kyot/Guyot, dont Wolfram d’Eschenbach s’est inspiré pour son « Parzifal ». L’influence de la langue d’oc et du provençal sur la poésie française et européenne (en particulier sur l’École italienne) est bien connue, moins peut-être que celle qu’elle a exercée sur la littérature romanesque. Chrétien de Troyes, son fondateur, la trahit en maint endroit, dans ses dialogues amoureux, dans toute sa dialectique du « fin amor ». L’ésotérisme, l’hermétisme, voulus et raffinés, le « trobar clus », qui atteint son sommet avec Raimbaut d’Orange, autre grand seigneur, rappellent sans erreur le voile secret dont certains druides couvraient leurs œuvres. Mais se retrouvent constamment dans la poésie galloise la plus archaïque, celle de Taliesin, ainsi que dans les « énigmes » irlandaises. Les thèmes sont souvent proches : amour d’une princesse lointaine, un des favoris des troubadours comme des poètes irlandais, générosité des rois, amour de la nature. Cela va encore plus loin, et l’on est surpris de trouver des notions purement celtes, comme les sacrifices, les interdits (gessa), et les chars de guerre dans des vers de troubadours, comme ceux-ci de Raimbaut de Vaqueiras :
La ciutatz se vueia
E movon lur carros.
La cité se vide
Et ils sortent leurs chars.
On croirait lire un épisode de l’enlèvement des bœufs de Cooley, ou le festin de Bricriu.
Mais tout ceci n’est peut-être qu’une coïncidence due à l’imitation des auteurs antiques.
Il est pourtant des livres bien plus humbles qui ont eu des succès internationaux surprenants. « Le bel inconnu » de Renaut de Beaujeu, donne Li Biaus Descouneüs, au XIIIe siècle ; le roman de Jaufré devient au XVIe siècle, « Tablante de Ricamonte y Jofre » en Espagne. La version espagnole traduite en tagalog, aboutira même aux Philippines, en 1902.
Ossian a fait pleurer Napoléon et a inspiré toute une partie de la poésie allemande. Et n’oublions pas non plus les différentes versions de Tristan et Iseult, celle de Gottfried, celle de Wagner, et la version scandinave. Quant à Perceval, adapté en allemand par Wolfram d’Eschenbach, il devait connaître une destinée encore plus glorieuse, grâce à Richard Wagner.
Il suffit de lire un roman de Chrétien de Troyes pour y trouver du roman tout court, du roman d’aventures, du roman noir, du mélodrame, du lyrisme et même une Carte du Tendre des plus subtiles. Cet homme de génie a su conserver puis transmettre un énorme héritage, celui de nos ancêtres, que nous devrions mieux connaître. Si la résurrection des lettres en pays d’oc ou de dialecte provençal, est la glorieuse revanche de la nation gallo-romaine sur la rusticité franque, celle de la veine celtique en pays d’oïl ou de langue française marque le triomphe des anciens occupants.
Belle revanche, puisque de cette exhumation, naîtra la prose européenne, puisque les héros et les dieu-ou-démons des Celtes, vont entrer, grâce à elle, dans le patrimoine national de leurs vainqueurs germano-saxons.
Note retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau à cet endroit.
Mais l’Histoire celte ne se réduit pas pour autant à être un condensé de l’histoire de l’Humanité tout entière.
Elle est annonce et préparation de ce qui, à terme, va réellement s’accomplir (le Graal), et cette histoire s’ouvrira en quelque sorte sur un au-delà d’elle-même. En effet, entre la fin de la dernière bataille de la Plaine des menhirs ou des tumuli, et l’erdathe, va se déployer, ainsi que nous l’avons vu et que nous allons encore le voir, le temps du druidisme.
L’ancien druidisme témoigne de l’expérience que firent les premiers les Celtes, des différents ponts ou gués qui mènent à l’autre monde. La vie, la mort, et la montée au ciel, d’Hesus, l’effusion de la lumière des grands héros (luan laith en gaélique, xvarnah en avestique, bellissamos bellissama en vieux celtique).
L’Histoire a trouvé un nouveau départ avec l’apparition du peuple celte et sa mise au ban des nations civilisées en tant que barbares ou en tant que peuple de rustres plus tard (en fait il s’agissait d’une civilisation différente). Dès ce moment les Celtes sont devenus admodum dedita religionibus : une nation sainte, une nation de chamanes, autrement dit de mystiques, qui parlent la même langue que
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les dieux (qui sont homophonon, en grec). Ce choix divin fut confirmé en la personne d’Ambicatus, l’Asoka d’extrême Occident dont le nom signifie « qui combat des deux côtés » (aussi bien sur le plan spirituel que sur le plan temporel).
Chez les Celtes antiques, il y avait un réel équilibre entre le pouvoir temporel (le roi) et l’autorité spirituelle (le druide) qui n’empiétait jamais (comme aujourd’hui) quotidiennement sur le domaine de la politique ou du social ; mais restait du domaine de la spiritualité individuelle ou privée, au mieux familiale, à part en de rares ou exceptionnelles occasions (la grande fête annuelle de Samon, ou en cas de graves crises politiques engageant le pronostic vital de la nation : guerres, etc.).
Le pouvoir régalien équilibre la société humaine par les impôts ou tributs (boroma) des atectoi (dhimmis) qui montent vers lui et les largesses qu’il prodigue en contrepartie à ses sujets. Il rend la justice, protège les faibles, condamne les usurpateurs, et récompense les bons. Le mauvais roi est celui qui ne fait pas de cadeau, ne s’occupe pas de la prospérité du pays, augmente les impôts.
Ces principes éthiques pour les rois et leurs barons (leur déontologie) sont d’ailleurs constamment rappelés par tous les moyens, y compris par les satires des vellèdes qui dénoncent sans cesse les fautes des rois et des princes qui nous gouvernent ; l’injustice étant assimilée au mensonge et à l’ignorance (cas par exemple du mythique Bres/Bregsos).
La satire n’est pas une calomnie gratuite ou, comme à notre époque – ce qui revient presque au même – un genre poétique ou littéraire spécial. Elle est uniquement la constatation d’une vérité, la recherche d’une justice. Et, pour cette raison, elle ne doit ni ne peut être récitée ou chantée sans la double présence de celui qui l’a faite et de celui à qui elle s’adresse. Ce qui n’était pas toujours le cas des prophètes juifs s’adressant souvent à leur roi par opinion publique interposée (manque de courage ?).
Ces contrats ou pactes divins successifs ne s’annulent pas, mais témoignent plutôt de la solidarité unissant inextricablement le Divin et l’Homme, une alliance soulignée encore au moment de la vocation d’Ogmios par Keltiné.
Dans la mémoire collective des Celtes flottaient en effet des souvenirs encore plus anciens que colorait naturellement leur propre expérience, tous marqués par cet esprit de paix avec les dieu-ou-démons justement : le pacte entre Ogmios et Keltos par exemple, dont la descendance devait être aussi nombreuse que les brins d’herbe dans la prairie sous les sabots de chevaux ou que les flocons de neige.
Mais l’Élu par excellence fut le hésus Cuchulainn, le dernier petit-fils du Destin-Père, le dernier avatar envoyé sur Terre. Par lui, avec lui et en lui, ses dagolitoi (fidèles) vont perpétuer la nation hyperboréenne ou sainte, admodum dedita religionibus, le peuple qui s’adonne tout entier aux dieu-ou-démons. Un véritable sacerdoce. Royal !
Les vrais Celtes de cœur ou d’esprit ont la lourde charge d’être en marge des nations athées ou monolâtres (c’est si simple n’est-ce pas) les témoins d’un autre monde. Mais cet autre monde ne leur appartient pas.
Les Celtes d’esprit ne cessent de commémorer la paix qu’ils ont faite avec les dieux ou démons (mais ces retours en arrière les projettent aussi en avant).
Si les Celtes de ces mythes sont évidemment quelque part des métaphores de l’Humanité, l’histoire de ce pacte de non-agression avec les dieu-ou-démons, racontée par la Tradition celtique, est évidemment aussi, pour une bonne part, celle de ses échecs. C’est une histoire en bien des points dramatiques. Là aussi la loi d’airain du Destin ou Tokad a joué ! Des Héduens à Vortigern, la quasi-disparition physique de certains peuples celtes s’explique par le poids des fautes de leurs élites, ou plus exactement de leurs hiérarchies sociales, aveuglées par leur égoïsme, leur autisme, leur conformisme, leur servilité, leur obséquiosité, ainsi que leur appât du gain.
Pour ce qui est de la France de ce siècle et en ce qui concerne ses élites (hommes politiques, gens des médias, intellectuels, etc.) pour ce qui est de leur intelligence, de leur culture générale, ou de leur morale, on peut hasarder la satire suivante. Ces prétendues, soi-disant, ou pseudo élites, ne font montre d’aucune réflexion politique, sociale, ou philosophique, en profondeur, ni d’aucune vision à long terme. Pour ce qui est du caractère, les cinq mots qui les caractérisent sont surtout : le mensonge (par omission ou par euphémisme), le manque d’intégrité intellectuelle, le manque de franchise, la lâcheté, la servilité (envers les hommes de pouvoir). Sans oublier un orgueil à toute épreuve.
Ils ne pensent qu’à leur intérêt personnel et rarement à l’intérêt général ou aux plus pauvres. Ou alors, s’ils le font, c’est avec la naïveté confondante du benêt qui obtient à chaque fois un résultat rigoureusement inverse à celui qu’il prétend rechercher. Tant de saints et si peu de résultat ! En
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définitive, il vaut mieux les considérer plutôt comme des femmes ou des hommes cyniques, mentant comme ils respirent, dont le mensonge est une seconde nature. Ce qui caractérise l’intellectuel français d’aujourd’hui, c’est cette surprenante maladie de l’œil qui fait que l’on est capable d’écraser une mouche à trois lieues, mais que l’on ne voit pas la vache ou l’éléphant qui est sous son nez. L’arbre cache la forêt surtout aux yeux de nos élites (journalistes des médias, curés, pasteurs, rabbins, philosophes officiels, hommes politiques)… fin de la note de Pierre de La Crau.
Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée. Les druides et notamment les vellèdes, grâce aux satires plus ou moins cruelles qu’ils lanceront contre les rois, maintiendront intacte l’éthique et la spiritualité de l’homme-dieu que d’aucuns évidemment, qualifieront de diabolique ou sataniste. Notons néanmoins, dans le cas de satires abusives, que les druides coupables étaient alors punis par le Destin (Tokad). Cas par exemple d’Athirne Ailgesach en Ulster. Il finira par être tué avec toute sa famille dans l’incendie de leur maison).
Ce pacte de non-agression avec les dieu-ou-démons : aux dieu-ou-démons l’autre monde souterrain ou céleste (le sedo-dumnon) aux hommes la terre du milieu (le dumnon ou mediomagos), sera scellé par l’avatar sur terre du dernier des fils de Lug, Setanta, le grand hésus tant attendu (Morfessa en irlandais). Confirmé par sa montée au ciel sur un char féerique (voir le récit du siaburcharpat Conculaind). Malgré l’intrusion de saint Patrice dans ce mythe typiquement celtique (la montée au ciel sur leur char, des âme/esprits des grands héros morts). Cette partie de l’histoire des peuples celtes est d’ailleurs le patrimoine commun de beaucoup de peuples européens. Voir le chaudron retrouvé à Gundestrup au Danemark.
La vérité contenue dans cet ancien druidisme n’est en rien diminuée par l’accomplissement de cette histoire dans le nouveau druidisme qui en dévoile aujourd’hui le sens. Ancien et nouveau druidisme, dans leur distinction, tout comme dans leur unité, constituent le druidisme en quelque sorte éternel.
La civilisation celtique est l’histoire de l’épanouissement et de la sur-hominisation, avons-nous dit. Mais elle s’exprime en des textes diversement historiques, en des textes ou mythologiques ou poétiques, ou même en d’autres genres littéraires. Chaque texte, chaque témoignage, est à lire dans la perspective où il a été rédigé.
Comme l’a dit lui-même l’érudit qui nous a retranscrit le récit de la Tain Bo Cualnge, Senchan Torpeist : « Bendacht ar cech óen mebraigfes go hindraic taín amlaidseo & na tuillfe cruth aile furri ». « Bénédiction sur quiconque gardera fidèlement ces histoires en mémoire et ne leur ajoutera rien d’autre ».
Mais moi, qui ai recopié cette histoire, ou plutôt cette fable, ajoute Senchan Torpeist, je n’accorde aucun crédit à certains de ses éléments. Certaines choses sont là pour le plaisir des sots, d’autres sont des allégories poétiques.
Le Destin ou Tocad, par l’intermédiaire des dieu-ou-démons, ne cesse de parler aux hommes. Le Destin et ses fils parlent donc celte depuis au moins 4000 ans. Le mythe garde, certes, la trace du processus de transmission du nouvel enseignement, mais le savoir lui-même remonte à la nuit des temps. Et il est insensé de vouloir, comme les juifs et les chrétiens ou les musulmans, lui assigner une date précise.
Ce qui compte c’est le message et non l’homme qui le reconnaît et le transmet à ceux qui viennent après lui. La doctrine de l’isma n’existe pas dans le druidisme.
La tradition nous a, certes, conservé les noms des poètes ayant consigné ces récits, mais les druides d’aujourd’hui y voient aussi des vérités éternelles, sans commencement ni fin, que les poètes n’ont fait que transmettre par transcription des données orales.
N.B. Les formules rituelles sont des instruments de la pensée ou de la méditation, mais elles ont aussi une puissance créatrice propre, en raison de leur possibilité (inspiration, élément déclencheur, enrichissement spirituel). La parole sacrée a toujours des effets immédiats, que ce soit une formule sacrificielle ou une formule ayant pour but de calmer les forces mauvaises (ou de renforcer les forces positives).
C’est pourquoi, par exemple, les centaines de vers de la Tain Bo Cuailnge, la plus importante et la plus longue saga du cycle d’Ulster, ont été conservées, alors même que l’on ne savait plus guère que faire du contenu. Senchan Torpeist en 647 nous en a transmis avec une précision et un archaïsme incroyables, syllabe par syllabe, les sonorités propres, les accents, les intonations. Tout avait été transmis oralement de maître à disciple, de bouche à oreille. Alors même que l’écriture existait depuis longtemps, on ne lui confiait le savoir-faire sacré qu’à contrecœur. Bien connaître le vieux celtique est néanmoins indispensable pour comprendre le message du Destin ou Tokad et pour rechercher la vérité (donc pour faire son salut). Ainsi que l’a dit assez justement Camille Jullian : « Ce qui a été,
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c’est, je le répète, que la moitié de l’Europe, au moins, entre 400 et 150 avant notre ère, a parlé le celte. Le celte se rattache étroitement à la forme la plus ancienne de l’unité linguistique de l’Europe. Connaître le Celte, c’est donc se rapprocher davantage de la connaissance des origines européennes, de la solution de ce problème qui est le plus passionnant peut-être de l’histoire de l’Humanité. Si cela m’était ici permis, je montrerais que cette idée, que cette hypothèse, à laquelle peut-être certains linguistes feraient des objections, trouve sa confirmation, non pas seulement dans des faits linguistiques, mais dans des faits archéologiques de tous ordres. Institutions, religions, manières de combattre et de gouverner.
J’aperçois en effet à chaque instant dans le monde celtique avant notre ère, des vestiges qui me rappellent la plus ancienne Italie, et des vestiges qui me font songer à l’Indo-Européen primitif. Je ne dis pas que le Celte soit pareil à ce dernier loin de là. Mais entre tous les hommes du passé, il est encore celui qui diffère le moins du grand aïeul, ancêtre et fondateur des âmes souveraines de l’Humanité » (Camille Jullian).
L’Histoire et les mythes se rapportant au grand hésus (Marovesus ou Morfessa en gaélique) appelé Setanta Cuchulainn en Irlande, maintiennent vivantes la figure et la parole de ce dernier avatar en qui se révèle la vérité du Tout Englobant Universel. C’est pourquoi la vraie foi druidique est aussi méditation de la vie et de la mort du grand hesus (Morfessa ou Marovesus) appelé Cuchulainn. Mais ces mythes sont pourtant inséparables des autres témoignages de la civilisation celtique. Leur contenu est éclairé par les autres faits de civilisation celtique. C’est, en effet, toute la vie et l’œuvre du grand Hesus Cuchulainn qui ; selon des circonstances et des points de vue divers ; témoignent de l’accomplissement des promesses de sur-hominisation ; contenues dans les dieu-ou-démons de l’ancien druidisme, et rappelées en la personne du maître (du hésus).
On peut même dire aussi que c’est toute l’histoire de la civilisation celtique qui, étudiée en sa totalité par l’exégèse néo-druidique, peut devenir Vie et Vérité, parole vivante des dieu-ou-démons, malgré leur occultation ; transformant toujours les esprits et les ouvrant à la lumière divine symbolisée par le luan laith (xvarnah en avestique bellissama bellissamos en vieux celtique). La civilisation celtique tout entière est lumineuse puissance du Graal pour l’épanouissement de tout homme ayant pris conscience de son existence. Mais l’étude de la civilisation celtique n’est pas uniquement porteuse d’idées ou de discours. Elle témoigne d’événements (l’exode des dieu-ou-démons hors d’Hyperborée, l’exil des dieu-ou-démons dans l’Autre Monde, plus précisément même dans le Sedodumnon, etc.).
C’est cette paix (Djahiliya ou laïcité) avec les dieu-ou-démons que les nouveaux druides sont chargés de rappeler, avec la suscetla, la bonne nouvelle qui en découle, à tous les peuples de la terre, jusqu’à la fin de ce cycle : l’enfer n’existe pas !
La quantité de mal que peut faire un homme étant limitée sa damnation (en tant que bacuceus obligé de se réincarner à cause de son trop grand poids de bran) ne peut être, elle aussi, que limitée et non éternelle. En tant que bacuceus ou en tant que seibaros (siabair/siabhradh en irlandais) échappé des glaces de l’avant-paradis, l’andumnon ou anwn illustré par l’imagerie du royaume de Tethra ou de Donn (Donnotegia).
De la vie même, quotidienne et concrète, des druides historiques, on peut tirer une foule de choses. C’est la clé de voûte du néo-druidisme. Cette expérience et cette pratique druidique ont laissé dans l’Histoire de multiples traces. Dans l’ensemble de ces expressions, un discernement est bien sûr à opérer. Ainsi convient-il de distinguer la tradition qui vient des tout premiers druides des traditions ultérieures qui se sont multipliées au cours des temps et notamment à partir du Moyen-âge (cf. l’hérésie des supercheries galloises d’Iolo Morganwg).
Au discernement contribue le recours constant aux faits authentiques de civilisation celtique. La tradition primordiale vient moins ajouter à cette petite histoire des vérités qui n’y seraient contenues en aucune manière, que replacer ces faits dans leur contexte.
Affirmer que l’Être seul est sacré, c’est affirmer qu’il est au-delà de tout. C’est donc dire l’impossibilité pour les Hommes de l’enfermer dans les idées qu’ils se forgent de lui (ce qu’essaient pourtant toujours de faire les judéo-islamo-chrétiens, avec leurs conceptions très anthropomorphiques de l’Être supérieur).
L’Être supérieur, personne ne l’a jamais vu, aucune parole ne l’exprime, il dépasse toute intelligence. Le mystère le plus tenace continue de l’envelopper comme une brume alors même qu’il se fait connaître des hommes.
Les anciens Celtes avaient une idée si grande du caractère sacro-saint de l’Être supérieur qu’ils s’interdisaient même de le nommer.
« Les Celtibères et leurs voisins se trouvant plus au nord [adorent] un dieu qu’ils ne nomment pas… » (Strabon, Geographia III, 4,16.) Un peu comme dans le cas du El Elyon de la Bible.
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Bien que toujours rebelles à toute profanation des « noms ou attributs » de l’Être supérieur, les druides actuels admettent très bien cependant que l’on puisse lui donner aussi d’autres appellations, ou lui vouer d’autres cultes.
Si des fidèles d’autres noms de Dieu ou du Démiurge les honorent par des sacrifices différents, mais en toute sincérité ; alors c’est le même Être supérieur qu’eux aussi en réalité honorent ainsi par ces sacrifices. Bien que ce ne soit pas comme il faut. L’Être supérieur n’a pas de rivaux en la personne des autres « dieu-ou-démons ». Les « dieu-ou-démons » n’existent que par lui, et ils tiennent leurs pouvoirs de lui, ce sont les manifestations partielles et partiales (particulières et subjectives, personnalisées en quelque sorte) de son Être.
Comment donc pourrait-il être jaloux d’eux ? La notion de Dieu-ou-démon jaloux est un anthropomorphisme judéo-islamo-chrétien puéril et dangereux (attention aux chasses aux sorcières).
Le Destin ou Tokad est d’abord le Père des dieu-ou-démons ses fils, ou plus exactement leur ancêtre, par voie d’émanations successives ou en cascade. Car c’est en le désignant comme le Père de nos frères les dieu-ou-démons, que le néo-druidisme dit le mieux sa vérité. Ce que les hindous appellent vyuha et les musulmans chirk (pour le condamner).
Quand les druides invoquent le Destin ou Tokad en tant que Père, ils ne se réfèrent pas en cela, bien évidemment, à la réalité terrestre de la paternité humaine. L’affirmation que le Destin est père ne nous enferme pas non plus dans une conception exclusivement mâle et masculine de Dieu ou le Démiurge propre à légitimer un système machiste de vie familiale ou sociale. Il en existe même une expression féminine : la Tocade (humour !) Le Destin ou Tocade est en réalité neutre, ni masculin, ni féminin, car situé au-delà de toutes ces contingences terrestres.
Si les druides parlent du Destin ou Tokade comme d’un Père, c’est uniquement pour dire que c’est lui qui nous tient à bout de bras au-dessus du néant.
La toute-puissance de ce Destin Père exprimée par les mots dagodevos (dagda en irlandais), ollater (ollatir en irlandais), virotutis, iovantucaros, toutatis, dunatis, et ainsi de suite, n’est pas domination arbitraire, mais souveraineté à laquelle rien n’est impossible.
La toute-puissance de cet ollater dagodevos virotutis iovantucaros, ne vient pas écraser, mais, tout au contraire, porter les hommes, les aider (comme le gaefa des Vikings). On peut être en même temps fils et adultes. Les Celtes sont des hommes libres, libérés de toutes les monolâtries, qui asservissent le monde d’aujourd’hui, pour hériter des biens divins que recèle le Destin (Tokad).
Tout est permis aux Celtes, ils ne doivent cependant se laisser asservir par rien.
Car si tout est permis aux Celtes, tout ne leur convient pas
Cette liberté est donc tout autre chose que la licence.
La liberté du Celte est celle d’un frère ou fils de dieu-ou-démon.
Mais commençons donc par le commencement, c’est-à-dire par la naissance de ce énième monde.
La philosophie druidique peut apporter un commencement de réponse à cette question avec l’image de l’œuf de serpent.
Symbole, certes, très visuel, mais exactement similaire à celui du serpent d’Éternité à l’origine de chaque grande ère cosmique quand il crache le feu, et appelé Ananta, dans la mythologie hindoue. Ananta est le serpent qui porte Vishnou et c’est lui qui fait surgir l’œuf cosmique ou Brahmanda par barattage des eaux cosmiques primordiales (le néant ou vide quantique ?).
Il est clair qu’il ne peut pas y avoir d’incompatibilité majeure entre la doctrine druidique et les découvertes scientifiques sur l’évolution. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas eu création ex nihilo à partir de rien par un démiurge aux goûts assez étranges (amour sadique ?) ainsi que le répètent encore les religions judéo-islamo-chrétiennes. En outre, ce monde n’a pas été créé une fois pour toutes, comme si le Destin ou la Tokad, après la naissance du monde, n’avait plus qu’à s’en retirer totalement, déçu.
Le Destin ou Tokad ne cesse en fait d’assurer l’existence des mondes qui se succèdent éternellement.
La conception cyclique de l’Histoire chez les Celtes (la notion de longue vie) atteste le caractère multiple de toute naissance de monde. La naissance de notre monde n’est que le maillon d’une longue chaîne, sa mort ne sera que le milieu (et même un point seulement) d’une longue vie. L’acte (pro) créateur se renouvelle à chaque instant pour maintenir l’existence du monde. Sans cette action incessante du Destin (Tokad), tout retomberait dans le néant.
Le Destin ou Tokade, en tant que cause première de tout ce qui existe, ne supprime pas les causes secondes, celles qui permettent de rendre compte de l’enchaînement des phénomènes. La genèse celtique nous a été rapportée par le livre des Conquêtes irlandais (Lebar na Gabala en gaélique) et
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quelques autres manuscrits ou témoignages d’auteurs antiques. Même si de nombreux épisodes n’ayant rien à y faire initialement ont fini par y être rajoutés ; les invasions milésiennes ancêtres des Gaëls, car si les Gaëls existent bien, leur véritable origine n’a rien à voir avec ces fils de Mile d’Espagne ; le peuplement de Banuta/Cessair…
Le but de ces récits légendaires n’est pas de brosser un tableau objectif des commencements et des premiers jours du monde. La leçon de ces légendes est tout autre. Elle va beaucoup plus loin, elle va beaucoup plus profond. Elle ne dit pas comment concrètement cela s’est passé. Les sciences de la nature sont là pour cela, pour nous aider à comprendre les origines et les évolutions, l’histoire des différentes formes de vie ou d’espèces vivantes. Les récits légendaires du Livre des Conquêtes nous disent par contre pourquoi et pour quelle destinée (divine) s’ordonnent l’Univers et l’Humanité. Cette genèse est évidemment formulée avec les ressources linguistiques disponibles chez les Celtes en ce temps-là. On ne s’y étonnera pas d’y trouver une foule de symboles.
On reconnaît d’ailleurs aujourd’hui que les mythes sont à distinguer soigneusement des fables. Les mythes sont tous porteurs d’expériences humaines et de vérités profondes : de celles qui précisément ne se laissent pas enserrer dans les filets de la simple raison. C’est notamment le cas de tout ce qui concerne les origines : ce qu’il s’agit de connaître est fondateur des connaissances ultérieures. Dans un langage qui n’est pas encore celui de la science ; les récits légendaires des débuts du monde ou de l’Humanité selon les druides antiques ouvrent sur une histoire appelée à parler de lieux (à peu près) connus (les îles au nord du Monde) et de dates repérables. Voir les travaux de certains spécialistes à propos de la submersion partielle de l’Hyperborée, des travaux qui corroborent d’ailleurs ceux de Jürgen Spanuth sur les Peuples de la Mer.
Dans les récits concernant la naissance de ce monde apparaissent certains éléments des lois cosmiques universelles appelées aussi lois de la nature ou ordre des choses (Destin chez les Grecs, Dharma chez les Indiens, etc.)
Dans la tradition celtique, il n’est jamais question d’androgyne primitif ou de femme tirée d’une côte du premier Homme.
Dès les premiers récits du Livre des Conquêtes, l’Être humain est établi dans ses différences sexuelles d’homme ou de femme.
Ainsi que l’aurait dit le chef indien Seattle en 1854 : « Les fleurs parfumées sont nos sœurs. Le cerf, le cheval, le grand aigle, sont nos frères. Les crêtes rocheuses, les sucs dans la prairie, la chaleur du cheval et l’homme : tous appartiennent à la même famille. Tout se tient » (il s’agit d’un résumé tardif de diverses traductions de son discours).
Si l’Homme s’est hissé au-dessus des autres animaux ; c’est-à-dire juste en dessous des dieu-ou-démons ses frères (puisqu’issus, eux aussi, du grand sorcier Nemet Cornunnos) ; et s’il est appelé, en un certain sens, à en être maintenant « le dieu-ou-démon régnant sur la terre » (depuis l’exil en l’Autre Monde des enfants de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu (bia) ; c’est pour les conduire avec lui à leur fin.
Ce n’est pas pour les écraser. Le monde lui a été abandonné par les dieu-ou-démons ses frères, pour être cultivé par lui comme une clairière dans la forêt.
C’est d’ailleurs cette destinée, ce statut tout à fait particulier, de l’Homme, qu’essaie de comprendre la doctrine druidique de l’anamone (de l’âme). L’anamone de chacun d’entre nous n’est en réalité qu’une participation à la gigantesque âme universelle qu’est l’auentia ou awenyddia. Pour les anciens druides, l’anamone de l’Homme, bien que larme de feu issue de l’awenyddio, était cependant aussi par elle-même, partie intégrante du corps humain. Ce qui revient à dire, dans un langage qui n’est plus le nôtre, que l’âme/esprit est, par rapport au corps, un peu comme la pensée par rapport aux mots qui l’expriment. Corps et âme, mais vraiment un, l’Homme est, dans sa condition corporelle même, comme un résumé de l’univers ou bitos. « Divinis humana componere licet », a écrit Ausone (dans son églogue consacrée au mot libra).
L’homme fait souvent, à des degrés divers, l’expérience de réussites inattendues ou inespérées.
Il fait aussi, plus simplement, l’expérience de situations qu’il sait être à risque, même si, sur l’instant, elles ne lui posent pas de problème.
L’homme fait également souvent, à des degrés divers, l’expérience de situations ou d’événements (telle maladie, tel décès, tel revers de fortune…) dont le sens semble radicalement lui échapper.
Derrière ces expériences des forces négatives, certains se contentent de voir la main d’un Dieu [ou Diable] jaloux et tout puissant, d’un dieu [ou diable] sabaoth, punissant les méchants et récompensant les bons. D’autres parlent de chance ou de malchance (gaefa disent les Vikings). D’autres encore, comme à toutes les époques, pensent trouver dans les astres la clé de ce sort heureux ou
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malheureux. En réalité tout ceci s’explique par la destinée de l’Humanité en ce monde et très rarement (une dizaine de cas dans une génération) par une vie antérieure.
La tradition celtique pour traduire cette réalité utilise l’image de la pomme (aballo), fruit de la connaissance de la vraie vie. Chez les Fir Bolg ou les Gallioin ; mais les Gaulois Fir Bolg ou Gallioin du Livre des Conquêtes ne sont qu’une métaphore de l’Humanité ; le pommier (Aballos) était un arbre de l’Autre Monde faisant des hommes… des frères des dieu-ou-démons. Le serpent à tête de bélier, dans ces légendes, représente la puissance souterraine et fécondante du feu dans l’eau, de l’âme dans la matière. Le premier « Homme » ayant mangé de ce fruit du savoir de la vraie vie, en Hyperborée, a été notre ancêtre spirituel à tous, le nemet Cornunnos, puisqu’il fut le premier sorcier ou chaman. Les futurs hommes ayant ainsi goûté du fruit de la connaissance de la vraie vie ont, à leurs souffrances purement animales (car l’homme est aussi un animal), ajouté une autre douleur, purement humaine cette fois-ci, la souffrance métaphysique. C’est donc, hélas, aussi par le nemet Cornunnos, le grand chaman, que la nostalgie du paradis perdu est entrée en ce monde, et avec cette nostalgie la souffrance et l’angoisse, le faux et le mensonge. En faisant goûter à tous de cette pomme de l’autre monde, le grand sorcier Cornunnos a perverti notre innocence animale primitive, l’harmonie avec le monde et donc avec nous-mêmes. C’est ainsi que l’animal est devenu homme.
Cette souffrance métaphysique est le signe d’un monde brisé, fracturé, depuis la fin de l’Hyperborée, en bref le signe de notre humanité.
En mangeant de cette pomme, les premiers hominidés d’Hyperborée ont pris conscience de leur séparation d’avec le divin.
Dans le Lebor na Gabala Erenn, cette Humanité sera finalement évoquée par métaphore sous les noms ethniques gaulois devenus en irlandais : Fir Bolg, Gallioin, Fir Domnain. Même s’ils évoquent les noms historiques des Volcai, Galloi ou Dumnonioi (Volques, Gaulois, ou Dumnoniens), nous sommes en pleine méta-histoire, et c’est d’ailleurs cette conversion métaphorique, qui explique les inversions chronologiques assez flagrantes du récit des Irlandais.
L’image du Destin en ses dieu-ou-démons ; brouillée en l’Homme par cette faiblesse (voir la célèbre fièvre neuvaine des Ulates) et par cet exil, originels ; sera récapitulée dans sa totalité par la vie et l’œuvre de celui qui est, par nature, la parfaite image de la destinée surhumaine : le hésus Setanta, nommé Cuchulainn par les Irlandais. C’est sur cette image que les hommes sont appelés à prendre modèle par le don de soi, qui comme toute souffrance a une valeur rédemptrice. Le petit-fils du Destin fils dernier-né de Lug deviendra ainsi l’aîné d’une multitude de nouveaux frères.
La « fin de l’Hyperborée » peut avoir la vie… dure. L’histoire des Celtes ne cesse d’exalter la grandeur de l’Homme, cette grandeur de l’Homme qui a vu conçu et fait les dieu-ou-démons à son image et à sa ressemblance, et qui est donc, par le fait même, appelé à la divinisation.
Comme cette conscience de l’Homme coïncide avec son arrivée dans l’Histoire aurait pu dire Teilhard de Chardin, les prémices de son épanouissement ne seront donc nullement à chercher en dehors de l’Histoire, mais plutôt en son sein.
Cette leçon demeure plus que jamais d’actualité à une époque soumise aux séductions trompeuses de toutes sortes d’ésotérismes ou d’occultismes pseudo-druidiques. Voir par exemple les escroqueries intellectuelles du collège druidique des Gaules, autrefois dirigé par M. Paul Bouchet puis par Mme Huguette Cochinal ; l’incroyable salmigondis moitié celtique, moitié germanique du groupe druidique des Gaules dirigé en 1993 par M. Pierre Petitjean et Mme Renée Camou. La décadence et la fuite en avant à la vitesse de l’éclair de l’Église druidique des Gaules, réduite à l’état de simple fraternité druidique depuis la démission, quelque peu forcée, de son Primat, en 1993, etc.).
L’allégorie druidique de la faiblesse originelle (encore une fois voir la célèbre fièvre neuvaine des Ulates) n’est pas celle d’un quelconque « péché originel » devant culpabiliser la descendance tout entière d’un hypothétique premier couple humain.
L’hérésie gaélique d’Irlande (et par hérésie, nous voulons seulement dire une déviation un peu trop poussée par rapport aux grandes lignes du druidisme antique) a symbolisé cette faiblesse comme un mal :
— n’affectant que les hommes ulates (ulate veut dire « seigneur ») ;
— pendant une durée déterminée (quatre jours et cinq nuits) ;
— mais toujours au moment crucial, hélas ! (Heureusement, il y a Cuchulainn, car il n’est pas ulate, lui !).
Là où la faiblesse s’est multipliée à l’infini, la souveraineté divine du destin l’a compensée par l’envoi du hésus Cuchulainn. D’où son initiation, pendu à un arbre (thème repris dans le mabinogi de Math, fils de Mathonwy, à propos de Lleu Llaw Gyffes ; et par les Eddas aussi. Voir les souffrances d’Odin se sacrifiant à lui-même).
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Nous sommes en quelque sorte précédés comme une ombre par cette faiblesse de la chair (la légende de la neuvaine des Ulates est très claire à ce sujet) ; du seul fait de notre appartenance à l’espèce animale, symbolisée dans son origine par notre Toutadis Pater national, le grand chaman primordial Cornunnos.
N.B. À propos du célèbre Dispater de César (Suqellos chez les Celtes)… il s’agit là, non de la paternité de l’Homme, mais de la paternité DES CORPS PHYSIQUES.
Le prouve le fait que, pour César, ce dieu-ou-démon est associé, non à la richesse spirituelle, mais à la richesse… matérielle…
Note de la rédaction. Les trois phrases précédentes sont barrées dans le manuscrit original sur feuille volante.
Tout homme (puisque les Gaulois Fir Bolg ou les Gallioin du mythe ne sont qu’une métaphore de l’Humanité) qui vient au monde hérite du même coup d’une personnalité divisée.
Notons néanmoins que le machisme de l’époque a fait que les femmes ont été exclues du champ d’application de cette « malédiction », car considérées comme des acteurs sans importance de la vie sociale.
N.B. L’enfant n’est pas pécheur personnellement. Mais du fait de son appartenance au genre humain, il est marqué par cette faiblesse initiale (même s’il y a des exceptions, voir le texte complet de la légende de la fièvre neuvaine des Ulates). L’esprit est prompt, mais la chair est faible.
C’est en suivant le cheminant que l’on trouve le chemin : l’exemple de notre grand hésus Cuchulainn (mentionné sous le nom de Morvesus ou Morfessa dans le livre des conquêtes irlandais).
En suivant sa voie, le druidisant est introduit dans la souveraineté divine, dans cette vie nouvelle rendue possible par le pacte avec les dieu-ou-démons, et par l’exemple du hésus Cuchulainn. L’épanouissement de l’âme est ainsi offert à tous. L’allégorie druidique de la faiblesse initiale est une invitation à s’arracher à cette faiblesse originelle, à ne plus être entièrement sous sa loi. Sans cependant et pour autant tomber dans le travers typiquement chrétien consistant à toujours se complaire dans un sentiment malsain de culpabilité. Car c’est une attitude qui enferme l’homme sur lui-même et qui est véritablement semence de décomposition cadavérique au sens strict du terme (n’est-ce pas d’ailleurs la signification précise de la notion chrétienne de mort-ification ?).
Dans l’ancien druidisme, c’est en général aux vellèdes qu’il revenait de dévoiler ces faiblesses contraires à toute déontologie aristocratique. Voici, d’après le récit de la bataille de la plaine aux tumuli, en quelle occasion fut prononcée la première satire dénonçant le manque de générosité d’un des grands du monde d’alors (tout le monde ne s’appelle pas Ariamnès ou Luernios !
« Un poète vint dans la maison de Bregsos/Brès pour y recevoir l’hospitalité. Il n’eut droit qu’à une petite maison étroite et sombre, dans laquelle il ne trouva ni feu, ni service, ni lit. On ne lui apporta que trois petits pains et ils étaient secs. Quand il se leva, le lendemain matin, il n’était pas content et en traversant la cour, il s’exclama : sans nourriture rapidement servie sur un plat, sans lait de vache qui fait grandir les veaux, sans abri humain dans l’obscurité de la nuit, sans pouvoir payer de conteurs, qu’être ainsi soit désormais toute la prospérité de Bres ! Il n’y a pas de richesse chez Bres ».
Dire et faire advenir la vérité au service de la générosité, telles sont en effet les plus belles œuvres de l’esprit.
Mais l’esprit peut être perverti par la faiblesse initiale mise en scène par la légende de la fièvre neuvaine des Ulates et déboucher sur le mensonge (un mensonge très différent de la simple erreur, car perversion de la vérité), la violence, et ainsi de suite.
Le vrai druidisant ne doit pas recourir à des pratiques de type magique comme le baptême ou le signe de croix pour échapper à tout ceci, mais le savoir druidique nous permet cependant de ne pas nous laisser abattre par de telles faiblesses.
La doctrine druidique nous montre bien que le mal est un effet direct et pour ainsi dire mécanique des erreurs personnelles ou collectives parfois commises dans notre passé, beaucoup plus rarement voire même exceptionnellement, dans des vies antérieures.
Certains tenants de l’hindouisme ou de la monolâtrie pure et dure vont jusqu’à dire que la cécité d’un aveugle de naissance peut, par exemple, être la conséquence de très graves fautes commises par lui dans une vie antérieure. Et que la Shoah que les socialistes nationaux d’Allemagne ont infligée aux
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Tsiganes en 1942 a peut-être été la conséquence directe des péchés commis par ce peuple dans une vie antérieure. Car c’étaient, eux aussi, des Aryens parlant une langue indo-européenne…
Plus raisonnablement, le druidisme nous enseigne que si ces scandales résultant de l’action du Destin ou Tokad font partie des questions qui hantent l’esprit et le cœur des hommes ; il ne prétend pas pour autant dissiper toutes les obscurités liées à la question de la souffrance et du mal.
Ce que le druidisme prétend seulement, c’est que le Destin ou Tokad nous a donné trois moyens différents, trois voies, trois ponts, pour en réchapper. Le Destin ne veut nullement le malheur des hommes, le Destin ne se réjouit pas de voir souffrir des êtres vivants, torturés par la douleur et la mort. Le destin celte tout comme la gaefa des Vikings, et malgré la trompeuse ressemblance phonétique avec le terme gaesa, est positif, il est à voir uniquement comme un capital de bonne fortune ou de chance accordé à tout être humain dès sa naissance. L’homme fait ce qu’il veut de ce capital, il peut le dilapider, mais gare alors à la justice immanente.
La mort, tout ce qui nous sépare des dieu-ou-démons. C’est pourquoi la réflexion a inspiré aux druides primordiaux les trois ponts ou les trois gués qui permettent d’échapper à cette fatalité.
Les druides en effet ont reçu du Tokad la mission et les moyens de combattre la fatalité du malheur et de la souffrance, afin que soit résorbée leur apparente victoire en ce monde. À la lumière du combat mené par les dieu-ou-démons contre cette fatalité, le savoir druidique nous indique la voie pour y échapper. Méditons bien ce qu’a fait l’avatar de Taran/Toran/Tuireann, Belenos, appelé Manannan mac Lir dans l’île de Man, pour protéger ou régénérer les dieu-ou-démons.
La mythologie entourant la vie, la mort, et la montée au ciel sur son char glorieux, du grand Hesus (Morfessa en irlandais), nouveau Cornunnos, nouvel Homme primordial, roi-prêtre de Thulé (Falias en gaélique) ; nous invite à croire en une possible victoire sur la souffrance, la détresse, l’angoisse, le supplice, la persécution, la faim, le danger.
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OPINION INDIVIDUELLE DU DRUIDE JEAN-PIERRE MARTIN
À PROPOS DE LA MYTHOLOGIE DRUIDIQUE.
Voilà ce qu’il faut comprendre de toutes les « descentes du feu dans l’eau », qu’évoque la mythologie druidique. Il faut saisir l’harmonieuse fusion des deux principes attirés par un « amour » ; qui n’est pas encore « érotique », dans les plans inférieurs de notre monde, puisqu’il n’y est pas encore question d’hommes et de femmes ; mais « attractif » comme la force qui invite les atomes à se combiner entre eux (la gravitation). D’où, dans la mythologie celtique, et conformément au calendrier luni-solaire qu’est le calendrier de Coligny, le fait que les dieu-ou-démons donc, ont presque tous une parèdre, une compagne ou une épouse (une shakti disent les hindous). Et vont par couples, un peu comme Ashera et Yahweh dans la Bible par exemple.
Pour qui étudie panth-éon ou plérôme et mythologie druidiques, une autre chose importante est également à retenir : les dieu-ou-démons de l’ancien druidisme s’occupent des pays celtes, fondent leurs cités, parlent celte, leurs noms sont celtes… Un peu comme Allah vis-à-vis des Arabes, Yahweh pour les juifs, etc.
— Les héros.
Dans la mythologie druidique, les dieu-ou-démons peuvent aimer des mortels, ils ne pensent d’ailleurs qu’à ça, ils n’existent que pour cela. Comme le dit très bien la Bible, Genèse 6, 1-4 :
« Lorsque les hommes eurent commencé à se multiplier sur la face de la terre, et que des filles leur furent nées, les fils de Dieu (les anges) virent que les filles des hommes étaient belles, et ils en prirent pour femmes parmi toutes celles qu’ils choisirent.… Les géants étaient sur la terre en ces temps-là, après que les fils de Dieu (les anges) furent venus vers les filles des hommes, et qu’elles leur eurent donné des enfants : ce sont ces héros qui furent fameux dans l’Antiquité ».
Les amours platoniques ou réelles des dieu-ou-démons et des mortels, dans la mythologie celtique, ne sont donc que prétexte à mettre au monde de grands héros. Le Sedodumnon celtique (le Side) tout entier « pêche les hommes » comme le roi pêcheur des romans de la Table Ronde. Surtout en se servant de splendides messagères ou anges de sexe féminin, comme appât. Les dieu-ou-démons suscitent les héros, ou même les font carrément naître, Taran/Toran/Tuireann et Lug en tête (voir son rôle dans la naissance du hésus Setanta avant qu’il ne devienne le Chien de Culann – Cuchulainn en irlandais –).
Le Sedodumnon (le Side) tout entier les aide, leur donne des armes, leur sauve la vie.
Les héros celtes sont des êtres supérieurs d’une nature intermédiaire entre les demi-dieu-ou-démons et les hommes, des saints « guerriers » à l’opposé des saints « passifs » du christianisme.
Il est curieux de constater qu’aucun des héros celtiques n’est vraiment d’origine plébéienne. Il s’agit toujours de fils de dieu-ou-démon ou de déesse-ou-démone, ou de fée, de fils de prince ou de princesse, mais jamais de simples roturiers sans nom. Ce que les druides antiques ont voulu nous faire comprendre par le moyen de ces généalogies peu ordinaires, c’est qu’il doit toujours s’agir d’une élite. C’est qu’il s’agit toujours d’hommes aspirant à l’immortalité donc se montrant dignes d’être des fils de dieu-ou-démon, ou de roi.
Tous les héros doivent tuer, extirper, trancher, ce qui les retient prisonniers, et ce sont leurs combats imagés par les diverses catégories de druides d’alors (les bardes) qui nous sont relatés dans certaines légendes de la mythologie celtique. Les druides antiques ne s’occupaient guère du confort futile et superflu, mais ils avaient un but surhumain, sans aucune mesure avec nos préoccupations actuelles, dirigées vers une vie facile, sans luttes vivifiantes, ou vers une vie grégaire pour homme robotisé. La lutte est pourtant une des formes de base de la vie et d’abord la lutte contre nous-mêmes afin de nous réaliser pleinement (grand djihad).
La lutte est génératrice de forces puissantes et bénéfiques, qui permettent à l’Homme de laisser sa marque dans l’univers.
L’ago ou nécessité de lutter (voir le cas de l’éon appelé Neto ou Neth/Neith) était un des paradigmes du druidisme. Le Sedodumnon tout entier, dieu-ou-démons et déesse-ou-démones, ou fées, confondus, fournira les armes nécessaires, ainsi que nous venons de le voir, et même la protection divine, aux héros qui le mériteront. Mais ce sont surtout des armes symboliques ou morales, car les furieux combats de ces héros sont d’abord et avant tout des combats intérieurs (grand djihad).
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Ne nous laissons pas prendre par le feu de l’action, par l’odeur de la sueur et du sang, par le flux et le reflux des armées survoltées, par le cri de nos héros, par les cris des blessés ! Voir les batailles de la plaine aux tumuli ou de Tailtiu dans les manuscrits irlandais.
Ce ne sont pas des guerres réelles du passé, contrairement à ce qu’affirment certains historiens, vu les vagues traditions historiques dont ils empruntent certains détails par moments. Tout cela peut se comparer aux mains des prestidigitateurs. L’une s’agite dans la lumière pendant que l’autre s’occupe de l’essentiel. Les plus grandes victoires des héros sont celles qui sont remportées sur eux-mêmes (toujours ce que l’on appelle grand djihad en terre d’islam).
On ne peut vaincre les monstres qui nous habitent qu’avec l’accord et la protection des dieu-ou-démons (exemple Lug intervenant pour sauver le hesus appelé Cuchulainn en Irlande). Ceux qui se sont laissés prendre à l’enchantement de la grande période d’expansion du monde celtique en seront peut-être marris, mais ces dures batailles intérieures, sans avoir le panache de celles qui sont rapportées par les historiens, n’en sont pas moins redoutables. Et se vaincre soi-même est une tâche surhumaine, si l’on en juge par le très petit nombre d’hommes qui ont réussi l’épreuve supérieure par excellence. Mais c’est bien là que réside l’âme/esprit véritable du peuple celte si l’on en croit Henri Chédorge, une âme/esprit encore pleine d’un enthousiasme sacré, dont nous n’avons plus (hélas !) aucune idée.
Les Hommes ont besoin du « feu universel » et le « feu universel » a besoin des Hommes. La quête de l’Esprit est pour eux la quête de leur véritable origine. Toute âme bien née en effet n’aspire qu’au retour au « feu universel ». Afin de rapporter avec fierté une grande flamme pure au (feu) Père (aedus) qui lui a confié au départ de son pèlerinage terrestre, la petite larme de feu divin que peut supporter sa frêle constitution. Cette grande flamme rapportée par l’Homme en échange de la petite larme de feu, voilà le but de toute vie humaine sur terre.
La flamme perpétuelle du sanctuaire des chênes cher à noïba Brigitte avait cette signification. Elle rappelait la petite larme de feu divin que les hommes devaient rapporter au grand feu père (aedus) après l’avoir transformée en flamme.
L’Homme, le dieu-ou-démon d’en bas, doit retrouver son âme et la ramener avec lui à la source éternelle. C’est pourquoi l’Être supérieur (À VENIR) a besoin des hommes, puisque les dieu-ou-démons sont en nous, plus près de nous que le bout de notre nez, afin que ses étincelles remontent toutes un jour à leur source.
Qu’ont donc voulu faire les druides antiques avec ces mythes et ce panth-éon ? Tout simplement accélérer ce processus de réintégration, trop long à leurs yeux, mais en ouvrant un éventail de recrutement considérable, sans limitation de caste ni de rang, aux âmes bien nées, capables de parcourir ce dur chemin dans leur vie.
Dans la mythologie druidique, les dieu-ou-démons sont faits pour l’éducation de l’Homme, chaque force divine s’efforce de descendre toujours plus bas, toujours plus à la portée de l’Homme, dans toutes les circonstances de la vie. Dans la mythologie druidique, chaque dieu-ou-démon, chaque force divine, nous tend une main secourable, juste à la hauteur voulue pour que nous puissions la saisir. D’où les épithètes divines si souvent rencontrées : mopatis, virotutis, iovantucaros, anextiomaros.
L’Homme peut dès lors écouter le labarum (le Verbe du Destin ou Tokad symbolisé par la croix de saint André en Écosse et par la croix de saint Patrice en Irlande) et remonter jusqu’à sa source sans attendre la fin des temps (erdathe). Les druides antiques, grâce à leur haute spiritualité, à leurs mythes et aux panth-éons ou plérômes qu’ils intégraient ; savaient canaliser les forces puissantes de leur jeunesse vers une sublimation de l’Homme ; vers un idéal surhumain capable de faire de l’Homme un dieu-ou-démon. Ce processus d’épanouissement occupe une bonne part de la mythologie druidique, cette Bible celtique qui, d’un homme, pouvait faire un dieu-ou-démon, et réciproquement. Les druides antiques, eux, ne l’oubliaient pas, ils savaient que l’Homme est un dieu-ou-démon qui s’ignore.
Quels étaient les moyens employés par eux pour guérir les misères de l’Homme en ce temps-là ? Ils étaient de deux sortes.
Premièrement par l’action d’une force immense dont nous ne connaissons plus les énormes possibilités… la Foi. Mais si la Foi seule permet d’obtenir bien des résultats, la foi éclairée par la Science en donne encore de meilleurs. C’est pourquoi le deuxième de ces moyens, c’étaient les remèdes fournis par la Nature, car les dieu-ou-démons miséricordieux (virotutis, anextiomarus mopatis iovantucarus dunatis et ainsi de suite) ne pouvaient que mettre à notre portée tout ce qu’il faut à la guérison du corps.
Cela aussi nous l’avons oublié. Les malades se présentaient au sanctuaire du dieu-ou-démon le plus propice à leur guérison, et la première chose que les druides leur demandaient, c’était de prendre un bain purificateur (suivi d’un long sommeil) ; qui ne pouvait qu’introduire les malades dans un climat propice à la communication avec le dieu-ou-démon guérisseur.
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Abordons maintenant la question des adultères (comme celui de la femme de Partholon) et des incestes (Etanna/Etain) dans la mythologie celtique.
La mythologie druidique peut paraître à beaucoup pleine d’extravagances, d’inventions gratuites, voire d’immoralité : des crimes, des adultères, des passions et des faiblesses humaines sont attribués aux dieu-ou-démons. Les chrétiens ont bien attribué à leur dieu vivant (Jésus) des coups de colère (contre les marchands du temple : Jean 2, 13-21) ou à la vue d’un malheureux lépreux (Marc 1, 40-45). Voire un moment de désespoir à Gethsemani (Mt 26, 36-46).
Cela tient au paradoxe même de l’incarnation dans le monde des hommes d’une force divine. Il y a toujours deux natures dans les dieux, une nature divine et une nature plus ou moins humaine.
Bref, tout cela serait en effet immoral et révoltant, si les druides antiques avaient été comme nous attachés à la lettre. Mais ils n’étaient ni dupes ni prisonniers des affabulations, et savaient à quoi s’en tenir sur le contenu de cette littérature orale sacrée. Tout cela était en réalité la plupart du temps symbolique, car dieu-ou-démons et déesse-ou-démones, ou fées, ne sont pas des êtres humains par définition, mais des forces cosmiques, des forces de la nature, ou des allégories du genre : la vengeance poursuivant le crime. Des forces constructrices ou destructrices donc, des forces qui « s’accouplent » dans un but créateur, ou qui se repoussent et se détruisent dans un but destructeur.
Les actions des dieu-ou-démons celtes n’étaient pas en réalité immorales, bien au contraire. Les dieu-ou-démons du druidisme punissent l’iniquité, les parjures… et veillent eux-mêmes à l’honneur et à la justice en respectant les grandes lois du monde. Les faux serments étaient par exemple punis dans la vie par une sorte de justice immanente.
La mythologie druidique regorge également de vengeances, divines ou pas, de toutes sortes. Vengeances fictives qui ne trompaient personne à l’époque, car il ne s’agit pas évidemment de morts physiques dans ce cas-là. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il s’agit simplement d’un obstacle de franchi par le héros en question. Ces étapes correspondent seulement à des états de conscience. Car ce sont les états de conscience qui sont en cause, et non les faits.
Quelques mots maintenant sur deux exemples de grand mythe druidique. Celui du hésus appelé Cuchulainn en Irlande (de son vrai nom Setanta, ce qui signifie « le cheminant et donc par extension la sente ou le sentier tracé par celui qui chemine ») ; et celui des débuts de l’Humanité. Comme le dit la sagesse populaire, c’est en suivant le cheminant que l’on trouve le sentier.
I) Premier exemple de mythe de base : la métahistoire.
Les débuts, selon les druides antiques, de l’Humanité. Phase appelée « hyperboréenne » par les auteurs grecs.
Si l’on en croit le livre des Conquêtes d’Irlande (Lebar Na Gabala Erenn), hommes et dieu-ou-démons sont apparus sur terre de façon bien modeste. Pouvait-on d’ailleurs déjà véritablement les qualifier d’hommes ? Ou de dieu-ou-démons ? La légende gaélique a bien sûr placé en Irlande ces débuts de l’Humanité en évhémérisant ou en historicisant ainsi localement le mythe panceltique originel.
N.B. Nous verrons à propos de l’islam que l’ethnocentrisme est un égoïsme naturel aussi vieux que l’Humanité, consubstantiel de l’Humanité (voir notre chapitre sur l’islamocentrisme).
En ce qui concerne les êtres humains, il s’agissait encore à ce moment-là d’hommes-animaux. Il faudra donc attendre le Nemet Cornunnos (le grand sorcier primordial et chef de clan appelé Nemed en Irlande) pour que l’on puisse enfin parler d’humains, l’enfance animale cédant le pas en l’occurrence à l’adolescence humaine.
Le Destin, le Tokad, a certes besoin des dieu-ou-démons (des forces constructrices qui sont les causes secondes), mais il lui fallait aussi les « mater » pour pouvoir se retirer un jour en lui-même, et devenir un « deus otiosus » comme on dit en latin. D’où le rôle des hommes et leurs démêlés avec les dieu-ou-démons.
Si l’on en croit le livre des Conquêtes de l’Irlande toujours, les dieux-ou-démons, eux, apparaissent ou sont nommés pour la première fois en tant qu’habitant les îles au nord du monde qui constituent l’Hyperborée au sens strict du terme. Les bardes irlandais, en ce qui concerne les dieu-ou-démons, n’ont pas osé les délocaliser pour ce qui est de leur origine et ils sont, en cela, restés fidèles au mythe panceltique originel métahistorique, la localisation dans l’extrême nord.
La civilisation « hyperboréenne » évoquée par la bataille de la Plaine des menhirs ou des tumuli, et par la bataille livrée pour la possession de la Talantio (Tailtiu en irlandais, Rosemartha sur le Continent) est le fait d’hommes semi-divins ; car vivant – et combattant même – avec les dieu-ou-démons.
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Ce qui est remarquable en effet, dans la mythologie druidique, c’est que les hommes ont pu jadis défier les dieu-ou-démons eux-mêmes.
Ce qui signifie bien que l’on peut atteindre le même plan qu’eux. Ils étaient semblables en fait à ces dieu-ou-démons qu’ils combattaient.
Au début donc, l’homme est aussi divin, ou le dieu-ou-démon est aussi humain. Il vit avec ou contre les dieux ou démons, mais son bonheur n’est pas sans limites. Vint en effet rapidement le temps du déclin de la divinité de l’Homme [dans la version irlandaise de cette métahistoire druidique, il s’agit en fait d’une séparation en deux branches distinctes, les Gaulois Fir Bolg et les enfants de la déesse ou démone ou fée, Danu (bia). Autrement dit entre les hommes et les dieux], le développement de son individualité ainsi que les déboires causés par la naissance de son libre arbitre (de son autonomie morale).
À part une allusion aux fruits de la terre assez curieusement la première abondance évoquée par nos textes est liée à la mer (un peuple de pêcheurs ?)
Mer poissonneuse !
Terre fertile !
Profusion de poissons
Poissons sous la vague,
Dans les rivières…
Une mer rude !
Des oiseaux,
Une grêle blanche
Faite de centaines de saumons,
De grandes baleines !
la chanson des ports
Une profusion de poissons,
Une mer poissonneuse !
Le partage de la terre cultivée ou Talantio (symbolisée par la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Rosemartha sur le continent européen) en différents royaumes aux frontières bien bornées, c’est le cas de dire, l’uxonabelcon d’Uisnech étant justement une borne frontière ; c’était en fait le commencement de l’égoïsme. La terre cultivée ou Talantio est donc partagée en domaines, les contestations s’élèvent, les produits de la terre se raréfient, c’est le début de la lutte pour la vie.
Après la bataille pour la possession de la Talantio /Tailtiu appelée Rosemartha, les frontières n’arrêteront plus de se dresser, la ruse et la méchanceté des hommes déchireront l’Humanité. Les lois cosmiques seront bafouées, oubliées. Il ne faut néanmoins pas se tromper dans l’interprétation de ce mythe druidique antique concernant la métahistoire. Non seulement l’Homme n’a pas péché ni fauté dans cette affaire, mais il a au contraire fait ce que sa destinée lui imposait de faire. L’expulsion des dieu-ou-démons hors de de la surface de cette Talantio « hyperboréenne » était nécessaire, car il fallait couper ce contact permanent avec le monde divin, afin que les hommes prennent enfin à cœur la conquête du monde matériel. La conquête de la matière rétive, les incommensurables erreurs humaines, doivent affiner l’intelligence créatrice, former sa personnalité ainsi que sa conscience. L’esprit a en réserve mille et une astuces pour réveiller le dieu-ou-démon intérieur qui sommeille en nous.
À en croire les Grecs qui ont beaucoup écrit à son sujet, l’Homme des temps hyperboréens était encore en contact permanent et trop étroit avec le ciel. Le démontre la mésaventure arrivée à leurs envoyées ou à leurs messagers partis à Délos selon Hérodote (les vierges Hypéroché et Laodicé, etc.).
Or la conquête de la matière est nécessaire à l’accomplissement de notre cycle.
Y compris avec tout ce qu’elle peut comporter de dangereux.
Le nouvel Être supérieur en gestation a, certes, besoin de savants, mais il a aussi besoin de « bricoleurs » aux mains adroites et agiles, de « prestidigitateurs » de la matière.
II) Second exemple de mythe de base.
Le hésus Setanta nommé « Chien de Culann » (Cuchulainn en irlandais) appelé aussi le Grand Hesus (Morfessa en gaélique) Maître de Thulé.
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C’est une sorte de Bouddha, mais ACTIF, DYNAMIQUE, ET VIRIL, dont l’exemple doit entraîner la jeunesse tout entière. Car le Chien de Culann fut un héros, apparemment non pour lui-même, mais pour que son héroïsme bénéficie à toute la société (voir son éducation trifonctionnelle).
Bref, le hésus Setanta dit Cuchulainn, si l’on en croit ce mythe, a donc eu en son temps une vie tout axée sur la vertu et le sens du sacrifice.
Voici en résumé l’histoire devenue mythe du plus grand des grands héros de la Celtie ancienne. Il s’agit de l’initiation d’un homme venu d’en haut (theios aner) et pris comme modèle, un peu à la façon de Mahomet. Initiation un peu touffue et un peu trop poussée dans ses moindres détails pour notre sensibilité moderne (voir les précisions fournies par la variante irlandaise) ; mais les bardes antiques avaient sans doute leurs raisons de faire bon poids (leur rétribution en dépendait, un peu comme les journalistes d’aujourd’hui qui sont payés à la ligne). D’autant plus que l’élite de la Celtie de ce temps-là, était alors habituée à ces énigmes religieuses par la fréquentation des diverses Écoles de pensée où l’on discutait ferme de tout cet enseignement. Car c’est en effet un véritable monument qu’ont construit les druides antiques, en parlant ainsi de la personne du Chien de Culann (Cuchulainn) ; non seulement pour la jeunesse celte comme nous l’avons vu, mais en fait pour le plus grand profit de la jeunesse de tous les temps !
À la jeunesse de tous les pays de choisir en effet, comme le grand Morfessa maître de Thulé, ce demi-dieu-ou-démon, l’héroïsme et non la sensiblerie ; de préférer la lumineuse gloire des cimes aux ténèbres anonymes de la facilité. Pour enfin, après avoir beaucoup peiné, beaucoup souffert, avoir la joie inexprimable de découvrir dans cette carcasse humaine qu’ils croyaient faible, la lumière du héros (luan laith en gaélique, xvarnah en avestique).
Mais la jeunesse d’aujourd’hui peut-elle encore comprendre la leçon de cette victoire ? Ceci est une autre histoire.
Le hésus incarné en Setanta (Cuchulainn) n’est pas le premier ancêtre de l’Homme, bien que maître de Thulé sous le nom de Morfessa. Mais il est la promesse et le moyen de se hisser jusqu’aux dieu-ou-démons, en gravissant l’échelle du chaudron sacrificiel. Le Chien de Culann (Cuchulainn) est le premier homme qui se soit divinisé à nouveau. Il faisait fonction de trait d’union entre le ciel et la terre. Il était le theios aner, l’homme qui connaissait à la fois les secrets du ciel et de la terre, et en tant que theios aner il était capable de se servir des forces d’en haut comme de celles d’en bas. Mais si le hésus incarné en Setanta/Cuchulainn est ainsi parvenu à la plus haute initiation, c’est parce qu’il avait rejeté, dès le début, la volupté ou la mollesse, et choisi une vie glorieuse, bien que courte, ne l’oublions pas.
Avec le hésus appelé Cuchulainn en Irlande, des hommes auront donc pu, pour la première fois, contempler l’homme-dieu-ou-démon (theios aner en grec) dans toute sa lumineuse splendeur, et cette vision laissera une trace indélébile dans le cœur des druides de ce temps-là.
Les hommes à la quête du Graal sont tous des Cuchulainn en puissance.
S’il nous fallait tirer une morale de la vie de Setanta/Cuchulainn, ce serait bien celle-ci. Un être humain, si chétif soit-il physiquement parlant, est à même de réussir les mêmes exploits que le Chien de Culann, à condition que son âme/esprit, sa volonté, sa soif d’infini, soient au diapason de celles de ce Maître de Thulé.
N.B. Sur la « descente aux enfers » du grand Morfessa. Cuchulainn, devenu l’égal du soleil.
Il descendra, lui aussi, au plus bas de la vie, apporter la suscetla (la bonne nouvelle) à ceux qui doutaient que cette merveilleuse destinée fût possible à l’Homme : les peines de « l’enfer » celte ne sont jamais éternelles.
Ce ne sont que des antichambres du paradis. Le ou la Tocad y laisse aux hommes exceptionnellement criminels (quelques cas par siècle peut-être) une chance de se racheter (ericfine en Irlande ou galanas au Pays de Galles) dans une nouvelle vie.
Le grand Morfessa Cuchulainn sera donc bien, en tant que maître de Thulé, un flambeau de l’Humanité-Divinité, un théios aner, exemple vivant de la réussite et de l’espoir. Il sera désormais pour tous les druides l’homme-dieu-ou-démon par excellence, celui qui peut vaincre la mort.
Cette course à l’Infini est ouverte depuis que les hommes possèdent en eux l’étincelle divine. Mais l’Homme, avec son libre arbitre plus ou moins autonome, est évidemment libre de croire, de suivre ou de rejeter, ce modèle divin, cet exemple lumineux, jalonnant la route ascendante de l’évolution humaine. On retrouve assez curieusement d’ailleurs la même idée dans l’islam avec l’isma entourant la personne même de Mahomet et qui voit en lui également un parfait exemple de spiritualité
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guerrière. Régis Boyer a parlé du Christ des Barbares. Pourrait-on, à propos du theios aner Cuchulainn, parler de Mahomet des barbares celtes???
Si nous n’étions pas limités par la taille de ce fascicule, nous pourrions ajouter mille autres exemples, et faire apparaître l’éternelle vérité qui se cache sous les multiples habits d’Arlequin, dont les druides antiques l’ont habillée.
Des livres et des livres seraient nécessaires pour commenter ou transposer tous ces mythes celtiques dans leurs multiples variantes ; mais, ainsi que nous l’avons vu, le but de ce petit livre est plus modeste. Il se limitera en fait à donner aux jeunes écoliers du druidisme, une idée plus juste de la ferveur spirituelle de ce grand peuple, et du génie du paganisme de ce temps-là.
Nous tenterons notamment de faire comprendre qu’au temps de la Grande Celtie libre et indépendante (la Celtica Litavia d’Ambicatus) la religion des dieu-ou-démons faisait partie intégrante de la vie quotidienne (la nation tout entière est « admodum dedita religionibus » écrira César B. G. VI, XVI). Et que les préoccupations des druides d’alors, étaient tout autres que celles des prêtres monolâtres d’aujourd’hui. Les druides antiques essayaient de canaliser vers le haut toutes les passions, mais le sacré alors était partout présent. Exemple la prostitution sacrée des prêtresses Namnètes dans leur mystérieuse île près de l’embouchure de la Loire. Une fois par an, elles tentaient de hausser les passions physiques au niveau du désir créateur des dieu-ou-démons. Voir aussi à ce sujet le légendaire épisode de l’adultère de la femme de Partholon.
Ces exemples suffisent à réfuter l’idée si répandue que les mythes druidiques seraient nés seulement de l’imagination populaire. Leur interprétation n’était pas destinée au troupeau amorphe, mais à l’élite de toutes les classes de la société, chacun y trouvait la nourriture spirituelle qu’il était capable d’assimiler suivant son degré d’évolution.
Il existe, certes, des mythes mineurs, des légendes décadentes ou devenues anecdotiques, œuvre de poètes ou de bardes sans profondeur philosophique, mais nous ne nous appesantirons pas dessus.
Ce qu’il importe de comprendre, c’est que le panth-éon ou plérôme druidique d’alors est très bien organisé, très bien imaginé ou articulé. Il était destiné aux hommes qui font l’effort de quitter le troupeau à la recherche de la connaissance. Le mythe druidique a pour but, comme nous l’avons vu, de faire (re) s-sentir quelque chose d’inexprimable par la transposition d’un récit banal dans la langue de l’Esprit. De déclencher en nous les forces de compréhension de l’âme, capables de faire jaillir la vérité. La caractéristique du mythe druidique est de faire aller de pair des allégories qui se situent aussi bien dans la durée et dans le temps, que dans l’intemporel où le passé archaïque se mélange intimement au présent et au futur. Les mythes celtes enjambent allègrement d’effarants gouffres de temps.
La mythologie druidique antique apportait aux hommes le souffle pur du Sedodumnon (du Side), la vigilante sollicitude de ses dieu-ou-démons (qui étaient iovantucarus, anextlomarus, virotutis, dunatis, contrebis, etc.), la grâce active de ses déesses-ou-démones (qui étaient mopates), le courage, la force et la ténacité de ses grands héros. Créer des liens avec la famille des dieu-ou-démons. Voilà ce que recherchaient les druides antiques et leur admirable culture, leurs arts, leur haute éthique.
À ceux dont l’âme/esprit s’est épanouie, aux fils de roi voire de dieu-ou-démon, les runes lépontiques majeures de la rédemption (certains dieu-ou-démons sont psychopompes, attirants ou repoussants, pacifiques ou courroucés disent nos amis tibétains), au peuple les runes lépontiques mineures de la vie éthiquement droite (reda). Et cet échange incessant avec les dieu-ou-démons, se révélait payant dans tous les domaines. Les druides antiques recherchaient l’harmonie entre le dieu-ou-démon intérieur, et le corps physique. Les druides antiques avaient une très bonne connaissance des corps et des âmes.
L’ascèse n’est pas toujours indispensable à une telle rédemption si l’on ne s’attache pas trop aux choses et si l’on est toujours prêt à les abandonner sur un signe de l’Esprit, pour partir à la quête du Graal. Car seul l’Âme ou Esprit, forme d’énergie la plus haute qui soit, existe éternellement, la matière n’étant que cette énergie… condensée.
Du temps d’Ambicatus (celui qui combat des deux côtés), monde spirituel et monde matériel s’interpénétraient encore de façon notable, chacun bien à sa place néanmoins, l’un épaulant l’autre, l’un permettant de comprendre l’autre. Les hommes passaient encore facilement de l’un à l’autre, notamment dans leur sommeil, et des rapports existaient encore entre eux et les dieu-ou-démons.
Ce privilège, les druides antiques le possédaient au plus haut point, ce qui explique que la civilisation celtique première était tout entière axée sur les phénomènes religieux, bien plus que sur le monde matériel. La vie était simple et droite et l’argent n’y avait pas encore fait de ravages comme aujourd’hui.
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Cette union intime de la beauté du corps et de l’âme, ainsi que la profondeur ou l’envoûtement de ses fêtes religieuses, faisait du Celticum d’Ambicatus un pôle spirituel et initiatique, fascinant les peuples du sud. Les Grecs l’appelaient d’ailleurs « Hyperborée ». En ce temps-là, les prêtres étaient aussi médecins, astronomes, architectes, juristes, poètes, historiens et scientifiques.
Ce qui est en bas doit un jour remonter à sa source comme le saumon, en couronnant l’évolution. Fusionner avec l’esprit solaire, se fondre dans le (feu) Père (Aedus) dont ils étaient le reflet était leur but sur cette terre. La mort est un inestimable don des dieu-ou-démons. Si la mort n’existait pas, il n’y aurait pas d’évolution possible. L’élite de la Grande Celtie libre et indépendante des temps hallstattiens puis laténiens (druides, princes et autres fils de roi de la Celtica Litavia) n’avait qu’un but, sa conquête, gage certain de la maturité de ces prétendus Barbares. Et voilà le lien entre les hommes et les dieu-ou-démons de ce temps. C’est ce lien qui permettra d’une manière effective, bien qu’invisible, la transsubstantiation de l’Humanité. Cette force ne saurait en aucun cas être assimilée à de l’amour, mais à une pesanteur. Il s’agit d’une force d’attraction capable de combiner les éléments.
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L’ART DU CONTRE-LAI.
« En outre ils discutent et transmettent à la jeunesse beaucoup d’éléments concernant les étoiles et leurs mouvements, l’étendue de ce monde et de notre terre, la nature des choses, le pouvoir et la majesté des dieux immortels » (César. B.G. VI, XIV).
« Si tu assistes à une réunion des incroyants et que tu les trouves en train de critiquer les versets du Coran ou de s’en moquer, éloigne-toi d’eux jusqu’à ce qu’ils changent de sujet » (Mahomet. Coran. VI, 68).
EXEMPLE DE MYTHE DRUIDIQUE SUR L’AUTRE MONDE OU SUR CET ÉTAT DE L’ÊTRE APRÈS LA MORT QUE L’ON PEUT QUALIFIER DE PARADISIAQUE.
Veux-tu venir avec moi
Dans le pays merveilleux où il y a de la musique
Les cheveux y sont comme la corolle des primevères
Et le corps lisse et blanc comme la neige.
Là il n’y a plus rien qui soit mien ou tien
Les dents sont blanches là-bas, et les sourcils bruns.
La foule des nôtres y est un délice pour les yeux
Les joues de tout le monde y sont de la couleur de la digitale.
Le cou de chacun est rouge comme la giroflée
Les œufs des merles y sont un délice pour les yeux
Bien qu’agréable soit la vue de la plaine de Fal (la terre ?)
Elle n’est que désolation à côté de la Grande Plaine.
Aussi bonne que puisse être la bière de l’île de Fal
Plus enivrante encore est la bière de la Grande Terre.
C’est un pays merveilleux que celui dont je te parle
La jeunesse ne s’y enfuit jamais devant la vieillesse.
Des cours d’eau tiède coulent à travers le pays
Il y a de l’hydromel et du vin de choix
Des gens majestueux et sans tare
Conception sans faute, sans concupiscence.
Nous voyons tout le monde partout
Et personne ne nous voit
C’est l’ombre du péché d’Adam
Qui nous a empêchés d’être comptés ??
Si tu viens rejoindre mon noble peuple
Tu auras une couronne d’or sur la tête
Tu auras du miel, du vin, de la bière, du lait frais, de la boisson.
EXEMPLE DE CONTRE-LAI MAINTENANT.
Le bon réflexe c’est de se montrer quelque peu critique vis-à-vis de ce genre de textes et de ne pas tout « gober » sans se poser un minimum de questions. Si je n’avais qu’un conseil à donner, ce serait celui-là : toujours faire fonctionner ce que Dame nature nous a donné entre les deux oreilles, un cerveau et pas du fromage ! Ne laissons personne penser à notre place, même pas Dieu (aurait pu dire Jean Jaurès). Ceci vaut également pour les mythes bibliques et coraniques ad usum delphini pour cause de taqiya. Il faut donc savoir décrypter. Décrypter toujours et encore, telle pourrait être la conclusion de notre étude sur la mythologie druidique.
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Mais revenons à nos moutons : l’art du contre-lai.
L’ombre du péché d’Adam ???
Il s’agit bien évidemment d’une interpolation chrétienne (un trucage du texte initial opéré par des moines copistes chrétiens). Il ne faut pas oublier en effet que nombre des thèmes littéraires celtiques sont passés dans le christianisme celtique et par là donc dans le christianisme mondial (le purgatoire la Toussaint, etc.) Mais truffés de détails empruntés à la monolâtrie chrétienne.
Certains de nos textes gaéliques se réfèrent aussi par exemple à la notion de jugement dernier. Le terme gaélique employé signifie simplement jugement (bratha), mais il y a gros à parier en effet qu’il s’agit bien de la notion typiquement judéo-islamo-chrétienne de jour du Jugement dernier.
Comme si Dieu pouvait juger ses enfants ! Ainsi que nous l’avons vu, les très-sachant des Celtes connaissaient la notion de fin du monde (ou plus exactement d’un cycle, cosmique), mais ils n’imaginaient nullement un jugement final post mortem manichéen répartissant in fine les âmes ou esprits des défunts en deux camps, les heureux élus destinés à connaître une existence paradisiaque pour toujours, et les réprouvés destinés à subir les tourments de l’enfer pour l’éternité. Pour les Celtes antiques en effet tout le monde allait au Paradis. Même les Hitler ou les Staline ? Pour les Hitler ou les Staline les très sachant de la druidiaction antique avaient pensé à une solution intermédiaire : la réincarnation SUR TERRE après passage dans une sorte d’antichambre du Paradis (ou d’antichambre de l’Enfer dans l’optique islamo-chrétienne). Antichambre du Paradis ou de l’Enfer portant un nom différent selon les pays et le degré de christianisation : Andumno= Annwvyn ou Annwfn, parfois Annwn, le royaume ou la maison de Donn le sombre (Tech Duinn), etc.
Et maintenant pourquoi donc me direz-vous, tant de noms ou d’images différents pour désigner un même état d’être de l’âme/esprit de certains défunts, entre leur mort et leur réincarnation, SUR TERRE ? Parce que ce qui comptait le plus pour les très sachant de la druidiaction antiques ; c’était moins de savoir précisément où les âmes/esprits allaient après la mort pour y vivre « définitivement » (disons jusqu’à la fin de ce cycle cosmique) ; car pour eux il devait s’agir du même endroit pour tout le monde (en fait un état de l’être) ; que d’avoir une petite idée de l’endroit où elles allaient précisément donc, et de façon par définition localisée, réapparaître sur Terre (c’est nous avec notre mentalité moderne qui prenons le problème à l’envers). En clair pour les âmes/esprits des défunts il y a un seul point de concentration après la mort, mais plusieurs voire une infinité de points de dispersion en cas (rarissimes) de retour sur Terre.
De-ci, de-là inversement des détails authentiquement païens ont pu survivre.
Dans la légende irlandaise des aventures de Cormac dans la terre de promesse nous trouvons par exemple le détail ou la mention d’un toit déjà fait pour moitié d’oiseau blanc.
Toit déjà fait pour moitié d’ailes d’oiseau blanc. Toit en plumes d’oiseau blanc, etc. Que signifie cette description ?
Un sacrifice de cygnes ? Une variante du récit de Strabon racontant que les prêtresses namnètes refont chaque année le toit de leur sanctuaire ? (Strabon. Géographie. Livre IV, chapitre IV, 6).
Il s’agit de détails isolés ou sortis de leur contexte d’un récit légendaire plus important. Comme dans le cas des romans de la Table ronde, la censure chrétienne a fait disparaitre toute la cohérence initiale de ces mythes. Par contre le christianisme s’est certainement servi de tels récits déformés et sortis de leur contexte pour ses visions du paradis de l’enfer ou du purgatoire, comme celles d’Adamnan, Drythelm, Tnugdal, Laisren, saint Fursy et saint Patrice.
Conclusion.
Ce texte est donc sans aucun doute à l’origine une description du paradis selon les druides.
Quelques rappels à ce sujet néanmoins.
Pour les druides il n’y a que le paradis après la mort, à quelques exceptions près : de rarissimes cas de bacucaeaction ou réincarnation pénalisante, du genre quelques dizaines par génération. Tout comme il peut y avoir quelques dizaines de cas par génération de réincarnation volontaire afin de venir en aide aux autres humains restés sur terre (grands initiés ou semnothées appelés bodhisattvas dans le bouddhisme).
Semnothée en fait est un terme grec signifiant quelque chose comme vénérable et dieu, désignant certains grands initiés druidiques dans quelques-uns de leurs textes.
Se reporter à nos contre-lais précédents sur ces questions.
Cet autre monde paradisiaque n’est pas un lieu, mais un état de l’être.
Il est traditionnellement composé de plusieurs parties ou états de l’être qui s’interpénètrent : le monde des morts et le monde des dieux. D’où la possibilité pour les défunts d’y voir les dieux.
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L’âme et l’esprit des morts, toujours unis dans un premier temps, s’y réincarnent dans un autre corps, qui est celui d’avant leur mort, mais régénéré (pas de survie éthérée ou à l’état d’ombre fantomatique dans la spiritualité druidique : le tandem âme/esprit survit à la mort, mais dans un corps idéal, bellissamos ou bellissama, entièrement fait de luan laith diraient les Irlandais, de xvarnah diraient les mazdéens perses, de gloire diraient les chrétiens). D’où toutes ces descriptions.
Là il n’existe plus de propriété privée puisque l’abondance règne. La plupart des fragments de légende ayant survécu jusqu’à nous ayant été des textes de littérature orale destinés à la classe guerrière, les êtres humains de tempérament bagarreur, ne rêvant que de plaies ou de bosses (il y en a) y sont servis (mais la mort bien entendu n’y existe plus, ou du moins si l’on y meurt c’est pour revenir à la vie aussitôt après. Exemple les porcs magiques de Belin/Belen/Barinthus fils de Lero/Lir, dit le mannois (Manannan).
On a aussi des fragments de toute cette florissante littérature orale de jadis visiblement destinés aux êtres humains de tempérament disons plus druidique (études méditations adoration des dieux : voir les récits de Plutarque sur diverses îles). NB. Jung aurait parlé d’archétype (du druide).
Devaient aussi exister dans ce cas des descriptions (des prêches ?) destinées aux êtres humains relevant plutôt de la troisième fonction ou aux fonctions assimilées (les peuples vaincus, atectai), mais là on n’a plus rien.
Dans cet autre monde parallèle de type paradisiaque (Mag Mar, Mag Mell, Tir na n’Og, etc.), l’esprit des défunts (menman) va peu à peu s’estomper (première phase de l’aredengto individuelle, erdathe en gaélique).
Ensuite ce sera au tour de l’âme ou anamone proprement dite, qui, après son complet épanouissement dans cet autre monde de type paradisiaque (bouddhakshetra disent les bouddhistes), se dissoudra dans le grand tout de l’âme cosmique universelle (deuxième phase de l’aredengto individuelle appelée moksha dans l’hindouisme).
Pour plus de détails, se reporter à nos leçons sur le sujet.
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ANNEXE N° 1.
RAPPEL SUR LA NOTION DE MÉTAHISTOIRE.
La révolte des anges contre Dieu ou le Démiurge et la chute de Lucifer, dans le judéo-islamo-christianisme, constituent un bon exemple de Métahistoire.
Son livre sacré nous présente les Élohim (terme traduit mensongèrement par Dieu) créant le Monde qui est le nôtre en organisant le Tohu-Bohu préexistant. Mais ce texte ne nous montre nulle part leur dieu supérieur créant les anges, à commencer par Lucifer. Or cette notion (la révolte de certains anges) est pourtant indispensable à sa conception du Monde. On ne peut rien comprendre à la conception de l’Histoire vue par le judéo-islamo-christianisme, si l’on n’admet pas antérieurement à la création de ce monde, la création d’un monde angélique et donc purement spirituel ou presque (des traces infimes de matière), ayant vu la révolte contre Dieu d’un certain nombre d’entre eux, ainsi que la déchéance du premier homme perdant ses pouvoirs préternaturels. C’est ce que l’on appelle de la Métahistoire.
Une de ses meilleures illustrations est encore celle que nous a fournie John Milton dans son poème sur le paradis perdu ; un poème relatant le péché originel, la guerre entre les anges « loyalistes » et les anges « rebelles », et présentant les différents protagonistes de façon fort bien renseignée.
Lucifer, l’ange déchu, vient d’être vaincu par les armées divines. Avec son armée, il s’apprête à relancer une attaque contre le Ciel lorsqu’il entend parler d’une prophétie : une nouvelle espèce de créatures doit être formée par le Ciel. Il décide alors de partir seul en expédition. Sorti de l’enfer, il s’aventure dans le paradis, et trouve le nouveau monde en train d’être créé par Dieu. Après avoir facilement dupé un ange en changeant d’apparence, il s’introduit dans le paradis terrestre et découvre Adam et Ève. Dieu l’apprend, mais décide de ne rien faire : il a créé l’homme libre, et lui accordera sa grâce quoi qu’il arrive… si toutefois il respecte la justice divine. Son Fils, trouvant le jugement sévère, supplie son Père de prendre sur lui les péchés des hommes, ce à quoi celui-ci consent. Après quelques doutes, Satan élabore un plan pour nuire à Dieu et à l’Homme : ayant appris que Dieu interdisait aux humains de manger les fruits de l’Arbre de science, il essaie, en songe, de tenter Ève. Mais sans le vouloir, il réveille aussi Adam, qui le chasse. Dieu alors envoie un ange pour les mettre en garde, et les informer sur leur ennemi, afin qu’ils n’aient aucune excuse. Plus tard, Satan revient à la charge : il profite du fait qu’Ève se soit éloignée d’Adam pour récolter quelque chose, et, prenant la forme d’un serpent, il la tente à nouveau et lui propose le fruit de l’Arbre défendu, avec succès. Ève va ensuite raconter son aventure au malheureux Adam, et lui propose d’y goûter, lui aussi, ce à quoi celui-ci finit par céder, par amour.
Sitôt Dieu informé, il envoie son Fils prononcer la sentence : ils seront chassés du Paradis, et Satan ainsi que ses compagnons, transformés en serpents. Le Fils, les prenant alors en pitié, les recouvre de sa puissance. Néanmoins Adam réalise ce qu’il a perdu, et sombre dans le désespoir. Dieu envoie alors à nouveau un ange pour montrer au premier homme (Adam) l’avenir de sa descendance jusqu’au déluge. Ce dernier, rassuré, se laisse alors conduire par l’ange Michel avec Ève hors du Paradis. L’épée flamboyante tombe derrière eux, et les chérubins y prennent place pour garder le lieu désormais interdit.
Commentaire. Une telle explication de la condition humaine et de nos faiblesses est puérile et donc infantilisante. En outre on ne comprend pas vraiment la raison de cette interdiction de consommer du fruit de l’arbre de la connaissance. Un fragment du mythe sumérien originel a donc dû être oublié ou occulté en l’occurrence, un fragment crucial pourtant et qui devait être absolument nécessaire à une bonne compréhension de ce mythe.
On attribue parfois au Diable le nom de Lucifer ou de Samael. Cela vient de l’époque où il ne s’était pas encore rebellé, avec l’aide des anges déchus, contre Dieu. Samael est donc son nom d’ange signifiant « Celui qui porte la lumière » nom étrange pour un Seigneur des Ténèbres. L’explication à cette tradition se trouve dans la Bible et plus précisément dans le livre d’Isaïe (XIV, 12-17).
Te voilà tombé du ciel,
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Astre brillant, fils de l’aurore !
Tu t’es abattu à terre,
Toi, le vainqueur des nations !
Tu disais en ton cœur :
Je monterai au ciel,
J’élèverai mon trône au-dessus des étoiles de Dieu ;
Je m’assiérai sur la montagne de l’assemblée,
À l’extrémité du septentrion ;
Je monterai sur le sommet des nues,
Je serai semblable au Très Haut.
Mais tu as été précipité dans le Shéol,
Dans les profondeurs de la fosse.
Ceux qui te voient fixent sur toi leurs regards,
Ils te considèrent attentivement :
Est-ce là cet homme qui faisait trembler la terre,
Qui ébranlait les royaumes,
Qui réduisait le monde en désert,
Qui ravageait les villes,
Et ne relâchait point ses prisonniers ?
Il est généralement admis que Lucifer s’est rebellé contre son créateur poussé par son arrogance et sa superbe. Mais les premiers théologiens n’étaient pas tous convaincus qu’il s’agissait d’orgueil. Selon la majorité d’entre eux, la chute de Lucifer serait plutôt due à sa jalousie envers l’Homme.
D’après saint Grégoire de Nysse (Discours catéchétique), le monde intelligible existait avant l’autre, et chacune des puissances angéliques avait reçu de l’autorité qui dirige toutes choses, sa propre part du gouvernement de l’univers. À l’une de ces puissances avait été confiée la charge de régir et de gouverner la sphère terrestre. Puis fut modelée, avec de la terre, une image qui reproduisait celle de la puissance supérieure, et cet être fut l’homme. Il avait en lui la divine beauté de la nature intelligible, mêlée à une certaine force secrète. Voilà pourquoi celui auquel avait été confié le gouvernement de la terre, trouva étrange et intolérable que, de la nature qui dépendait de lui, on ait tiré ou mis au monde un être fait à l’image de l’être supérieur.
Ce n’est qu’avec Origène que l’on voit poindre et se confirmer la théorie qui l’emporte aujourd’hui ; celle de l’orgueil, l’idée de la jalousie et de l’envie ne réapparaîtra qu’au XVIe siècle. Mais inutile de rappeler qu’un grand nombre d’écrivains chrétiens, sauf Tertullien, plaçaient dans la jalousie la vraie cause de cette rébellion. La jalousie et l’envie sont des sentiments indignes d’une créature angélique ; chez Lucifer, ils deviennent tellement ardents et puissants qu’ils le poussèrent à la révolte contre le Créateur.
Mais il faut dire que la jalousie de Lucifer envers l’homme est moins absurde et sacrilège que celle qu’il aurait alors éprouvée envers Dieu. Adam, bien que doté de grâces préternaturelles insignes, était cependant une créature, un être que l’on pouvait considérer de la même race que les anges. Vouloir se rendre indépendant de Dieu, s’opposer à Dieu, était la marque d’une frénésie absurde, une preuve de démence, tandis que la jalousie envers une créature est plus naturelle et vraisemblable. La différence entre Dieu et ses fils * est incommensurable et non évaluable, tandis que la différence entre les anges et les hommes n’existe que dans le degré de leurs perfections respectives **. La jalousie a conduit Satan à la rébellion, qui est une faute inexcusable, mais le premier moteur de cette rébellion est beaucoup moins grave que celui qu’enseigne notre intolérance.
Si l’on tient pour vraie l’hypothèse de Dante, Lucifer a péché deux fois : par orgueil et par impatience. Mais ce dernier péché se trouve être le premier, voire le plus grave, puisqu’il a suscité l’autre ; si Lucifer avait été capable d’attendre, il se serait avisé que son orgueil n’était que pure folie.
NON SERVIAM : On reproche à Lucifer cette fameuse parole ! Mais cette parole fut-elle vraiment prononcée par le prince des anges ? Dieu n’a-t-il pas concédé à ses créatures et particulièrement aux anges, une libre volonté ? Dieu n’a-t-il pas dit aux hommes : « La vérité vous rendra libres ! » Et Lucifer, déjà favorisé par la grâce de Dieu, n’était-il pas entièrement libre ? Car s’il n’était pas libre, comment aurait-il pu se révolter contre le Créateur ? Le désir de ne pas servir, c’est-à-dire la liberté, n’a-t-il pas toujours été l’une des marques des esprits fiers et généreux ?
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Si Dieu sait tout, voit tout, prévoit toute chose, il devait donc savoir que Lucifer, en raison de sa supériorité même, était enclin à tomber, donc qu’il tomberait. Ce don de libre volonté devait donner à Lucifer la possibilité de pécher, donc de tomber. Sa supériorité fut ce qui déclencha l’orgueil, et la liberté fut ce qui rendit sa chute possible. Dieu a créé un monde où le péché demeure possible, la révolte possible, le mal possible, la perdition possible. S’il n’existait pas au monde la possibilité du mal, la liberté angélique et la liberté humaine auraient pu exercer un choix libre entre les différents ordres du bien, des bonnes œuvres, et des actions justes. Ce n’est pas Lucifer qui a créé le monde, il ne s’est pas créé tout seul, ce n’est donc pas sa faute si l’ordre du monde permet ou tolère le péché. Si Dieu est l’auteur et le législateur universel, si rien n’est possible ni concevable sans sa volonté ou contre sa loi, on peut en conclure qu’il a sa part de responsabilité dans ce qui est advenu à ses créatures. Il les a fabriquées de cette façon, placées dans une réalité qui est aussi sa création, et où tout est possible ! C’est donc en lui seul que toute chose admirable ou terrible a sa cause et son principe.
Dieu désirait seulement élever ou exalter, faire monter les créatures jusqu’à la cime où le non-être peut atteindre l’être, et il dut assister aux abandons, aux révoltes, aux désertions, aux chutes. Il avait créé un ange plus parfait que les autres, plus proche de lui, plus semblable à lui, et cet ange tomba. Il avait créé un être miraculeux, modelé de ses mains, animé de son souffle, pourvu de conscience et de science, et l’homme aussi tomba. La plus divine des créatures célestes se leva contre Dieu. La plus divine des créatures terrestres désobéit à Dieu. Ni l’une ni l’autre n’ont pu refuser les privilèges de la liberté. Le châtiment de Lucifer n’est-il pas également le châtiment de Dieu ?
* Les fils de Dieu. Si l’on en croit les versets sataniques Allah avait trois « filles » Manat, Uzza, Al’lat. Et pourquoi ne pas aussi considérer comme fils de Dieu Taranis Belenos et tous les autres ?
** On peut en dire autant des dieux et des hommes.
LA MÉTAHISTOIRE SELON LES DRUIDES.
Les Celtes, eux, ont fait exactement le contraire. Ils n’ont même jamais nettement distingué Histoire et Fiction. Pour eux tout était récit (scèl). Ce que l’on appelle à proprement parler aujourd’hui le Mythe pour ne pas dire l’Histoire. Il suffit d’ailleurs de se pencher un peu sur la multitude des légendes irlandaises pour s’apercevoir que, en Irlande du moins, le monde divin est loin d’être immobile et immuable. Il est au contraire débordant de batailles, de coups d’État, ou d’affrontements, ne serait-ce que celui des deux batailles de la plaine aux tumuli. La vie des dieu-ou-démons celtes n’est pas un long fleuve tranquille, et elle est autrement plus mouvementée que celle des anges de Yahweh (qui n’ont jamais connu qu’un seul mouvement de rébellion ; celui qui fut mené par l’archange déchu que les chrétiens appellent Lugifer). Il existe en effet des traces d’une autre révolte de dieu-ou-démons celtes, celle que l’on devine dans les écrits de Plutarque parlant de l’île du mystérieux Cronos celte. À en croire cet auteur en effet, le Destin ou Tokad (Kronos en interpretatio graeca) avait été en effet victime d’une tentative de coup d’État qui l’aurait transformé en un véritable deus otiosus ; relégué dans une des îles au large de la Grande-Bretagne.
Ah cette maudite hérésie gaélique : une cinquième île fabuleuse au centre d’un carré formé par les îles des enfants de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), au nord du monde, Falias, Findias, Gorias, et Murias ? Encore qu’un deus otiosus, cela puisse se réveiller de temps en autre.
Ce qui suit est donc de la méta-histoire, pas plus illégitime que celle de la Bible ou Plutarque ; mais inspirée de quelques réflexions sur ce que l’on apprend des rivalités familiales entre dieu-ou-démons dans la légende irlandaise intitulée « la mort tragique des enfants de Tuireann ». Il est évident à lire ce texte en effet, qu’il existe deux branches antagonistes de la tribu de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu (bia), les enfants de Cainte (Cu, Ceitheann et Cian, donc Lug) et les enfants de Tuireann, Brian, Iuchar, Iucharba, sans oublier leur sœur Eithne.
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Un des scénarios proposés par le druidisme, avec des variantes suivant les Écoles, est celui du retrait des dieu-ou-démons hors de ce monde : le monde ayant été organisé, les dieu-ou-démons cessent d’être actifs, et le laissent poursuivre son évolution selon ses propres lois.
Dans la mythologie druidique, l’Homme est capable de vaincre les dieu-ou-démons.
« Les autres peuples soutiennent des guerres pour leur religion, eux, ils le font contre les religions de tous les autres hommes. Les autres hommes conduisent des guerres pour obtenir la paix ainsi que les faveurs des dieu-ou-démons immortels, eux, c’est aux dieux immortels eux-mêmes qu’ils s’attaquent » (Cicéron. Pro M. Fonteio oratio, XIII-XIV, 30-31).
« Brennos victorieux tourna ses pensées vers les temples des dieux immortels, et plaisanta de façon blasphématoire en disant que « les dieux, étant riches, doivent être généreux envers les hommes ». Ensuite et soudainement il dirigea sa marche sur Delphes, considérant plus les richesses que la religion, se préoccupant davantage de l’or que de la colère des dieux, « qui », disait-il, « n’ont pas besoin de richesses, accoutumés qu’ils sont à plutôt les prodiguer aux mortels »…(Trogue Pompée, Histoires philippiques, XXIV, 6, d’après Justin, Epitoma historiarum philippicarum).
D’où la prophétie de Callimaque à ce sujet. « Un jour, de l’extrême Occident, les derniers des Titans, race en délire, levant contre l’Hellade l’épée barbare et l’Arès celte, tomberont comme des flocons de neige » (Hymnes, IV, 170-185).
Voici ce que cette importante notion druidique a donné dans les légendes irlandaises après historicisation ou évhémérisme à rebours, du mythe originel. La première bataille entre humains et dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu ; a lieu à Sliab Mis, et se solde par une nette victoire des humains sur les troupes de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Banuta/Banba/Banva.
Finalement, après de nouveaux et sanglants combats, dans le dernier desquels intervient Belinos Barinthus Manannan, fils de Lir (Dieu-ou-démon de l’océan) ; pour la possession de la Talantio (Tailtiu/Teltown. La déesse ou démone ou fée, en question, a pour équivalent continental Rosemartha) ; la bataille de Druim Lighean (ou Druim Ligen aujourd’hui Drumleene près de Raphoe, dans le Comté du Donegal) ; Loch Feabhail Mhic-Lodain (ce qui signifie le lac de Feval, fils de Lodan aujourd’hui Lough Foyle) ou Glenn Faisi suivant les variantes ; un pacte de paix sera conclu. Il est convenu de partager le pays en deux parts égales. Un dénommé Amairgin (un nom inventé par les bardes irlandais) fit le partage : les hommes de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), reçurent la moitié inférieure de la terre, le sous-sol ; les humains emmenés par Ariomanos (Eremon) reçurent la moitié supérieure, la surface.
Les dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), cèdent donc la surface de la Terre aux nouveaux venus, et se retirent dans les pays de l’Au-delà, ou se réfugient sous les tertres ; en n’exigeant pour compensation qu’un culte et des sacrifices célébrés en leur souvenir. Lors de Samon (ios), les dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), autorisent les mortels à en franchir le seuil. C’est ainsi que débutera la religion. Après une victoire des hommes sur les dieu-ou-démons, assez curieusement.
À chacun sa place. Les hommes sur terre et les dieu-ou-démons dans l’au-delà.
Certains des dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu (bia), se sont retirés dans une contrée lointaine, « Au-delà » des mers d’Occident, nommée Mag Meld (la plaine de la joie) ou Tir na n’Og (terre de la jeunesse). Là les siècles sont des minutes ; ceux qui habitent là ne vieillissent plus ; les prés sont couverts de fleurs éternelles ; de l’hydromel emplit le lit des fleuves. Festins et batailles sont les passe-temps favoris : les guerriers mangent et boivent mets et breuvages féeriques ; ils ont pour compagnes des femmes d’une beauté ravissante.
Le restant des dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu, a trouvé un refuge dans de magnifiques demeures souterraines, que des monticules signalent au regard des humains. À ces habitations nouvelles, les dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), désormais invisibles, doivent leur nom irlandais : aes sidhe (gens du side).
C’est en effet par cette appellation, abrégée en sidhe ou shee, que le peuple irlandais continue de désigner le peuple invisible des fées : les ban shees (littéralement : les femmes des tertres) des croyances populaires, dont l’apparition est parfois présage de mort.
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ANNEXE N°2.
L’ÉVHÉMÉRISME À REBOURS OU HISTORICISATION.
L’exact inverse de l’évhémérisme est en effet l’historicisation (du mythe).
Quelques exemples.
Le cas romain.
George Dumézil, élargissant aux deux premiers siècles de la République une enquête naguère circonscrite (exception faite du Borgne et du Manchot) aux origines et à la Rome royale, a également montré que l’histoire de cette période relativement récente relève elle aussi et pour une large part de l’historicisation d’une matière mythique : le matériau qui fondamentalement a servi à la fabrication de ladite histoire n’est rien d’autre que de la « mythologie perdue comme mythologie », un folklore, des légendes, des… histoires. Les mythes ont été ramenés du grand monde à ce monde ci et les héros n’en sont plus les dieux, mais de grands hommes de Rome, qui ont pris leur place. Cette absence de mythe n’a pas valeur de défaut (comme si la religion romaine demeurait au-dessous du seuil de l’élaboration mythique), mais témoigne d’une démythification rapide, par effacement et oubli, chez un peuple dont l’esprit à la fois empirique et légaliste est surtout attentif à la stricte observance.
Exemplaire est, de ce point de vue, le fameux débordement du lac Albain survenant dans la dernière des dix années de guerre contre Véies. La comparaison des données romaines relatives à ce prodige avec le rituel védique d’Apâm Napât et le dieu avestique du même nom d’une part, et d’autre part la légende irlandaise du puits de Nechtan, oblige à reconnaître dans ce prétendu « événement historique » l’historicisation d’un mythe indo-européen racontant comment un lac ou une fontaine dont l’eau contient une certaine force, généralement conçue comme ayant la nature du feu, déborde soudainement par la volonté d’un ou de plusieurs dieux pour punir un sacrilège ou un profane, et donne ainsi naissance à une rivière merveilleuse.
Le cas chrétien.
L’ascension du Nazoréen Jésus est également un mythe historicisé.
Historiquement, la fête de l’Ascension n’est apparue dans l’Église que vers la fin du IIIe siècle et elle s’est généralisée dans le dernier quart du IVe siècle. Les récits canoniques de « l’ascension » ne sont donc pas des « faits historiques », mais un mythe « historicisé », car ils relèvent de l’imagination et de la représentation des premiers chrétiens.
Les récits de « l’ascension » sont des mythes auxquels les premiers chrétiens ont donné une « allure historique » par comparaison implicite avec l’apothéose des empereurs romains.
Ils sont établis sur trois éléments : la structure de l’univers selon les anciens Grecs ; l’élévation du grand rabbi nazoréen au ciel et son « siège à la droite de Dieu ».
Pour les anciens Grecs en effet, l’univers était composé de trois parties : d’abord, la terre conçue comme un disque plat immobile autour duquel le soleil se lève à l’est et se couche à l’ouest ; ensuite, le ciel au-dessus de la terre, puis la demeure de Dieu ; et enfin, sous la terre, l’enfer, le domaine des damnés.
Il est remarquable de constater que le mythe opère sur le personnage héros de ce roman métaphysique ou de ce plaidoyer d’avocat (Yehoshua Bar Yosef) un transfert du pouvoir « impérial ».
La « séance à la droite de Dieu » symbolise une délégation du pouvoir suprême sur « la terre habitée » (l' « oikouméné »), qui recouvrait alors l’espace de l’Empire romain ou grec ! Il s’agit donc, à l’évidence, d’une mise en scène l’opposition des « deux règnes » : celui de « César » (l’Empereur) et celui du Nazoréen appelé Jésus (« kurios Kaisar » et « kurios Iesous »).
Le cas des bardes irlandais chrétiens ou des moines copistes.
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Nous trouvons dans le récit gaélique intitulé l’exil des fils de Doel Dermott mention d’un mystérieux personnage nommé Eochu.
Tout comme le mystérieux Condla le mince également cité dans cette légende, l’Eochu de cette île mystérieuse (Eochu Glass) est apparemment une sorte d’Éole capable de déchaîner les vents. Et dire que certains font encore de tous ces personnages du Cycle d’Ulster des hommes ou des femmes ayant vraiment historiquement existé.
Répétons-le encore une fois, car repetere = ars docendi, il y a au minimum dans tous ces récits pour caractériser nos héros de nombreux traits ne relevant pas de la réalité vraie même exagérée, mais du mythe tout simplement. Il s’agit soit de personnages ayant vraiment existé, mais qui se sont vus peu à peu doter par nos célèbres bardes de pouvoirs ou de caractéristique surhumaines, non humaines (évhémérisme normal). Soit de figures mythiques, dieux ou démons, que certains chrétiens irlandais du haut Moyen-âge (des moines ?) ont préféré transformer en hommes certes peu ordinaires, mais bien humains, en chair et en os (historicisation ou évhémérisme à l’envers).
Le cas de Labraid.
Le Labraid le plus connu est celui qui s’appelle en gaélique Loingsech (l’exilé, l’ultra-marin). C’est a priori un personnage historique, haut-roi d’Irlande, ancêtre des Laginiens du Leinster. Assurément un aventurier venu pour s’installer ici à la tête d’une puissante troupe de guerriers venue du continent, et plus précisément d’Armorique selon T.F.O Rahilly.
Láithe gaile Galián
gabsit inna lamaib laigne
Lagin de sin
slóg Galain glonnach
Mais certains documents irlandais nous présentent néanmoins ce Labraid « historique » comme un véritable dieu régnant sur les hommes (et les dieux).
Ór ós gréin glemair
gabais for doine domnaib sceo déib
dia oín as Moín
macc Áine oen-ríg.
Labraid étant un adjectif signifiant quelque chose comme éloquent ou bavard, ce doit être une épithète indiquant un dieu plus connu sous un autre nom et notre auteur a donc réutilisé là (pour sa biographie du Labraid historique) des détails tirés par les bardes de la mythologie ou du culte de cette figure divine.
Un des lais qui suivent ressemble beaucoup par exemple au genre de prières que l’on pourrait adresser à une divinité en même temps dieu de l’éloquence et de la guerre comme Ogma en Irlande Ogmios sur le continent. Sauf que le détail du char correspond plus à Taran/Toran/Tuireann qu’Ogmios.
Le cas du roi Arthur.
Rappelons tout d’abord que, malgré toute l’imagerie hollywoodienne à ce sujet, le cadre historique de l’action initiale du roi Arthur n’est pas le XIIe siècle, mais l’Empire romain finissant c’est-à-dire la fin du Ve siècle.
Ancré dans une histoire nationale complexe, porté par plusieurs types de supports (chroniques, poèmes, chansons, annales), le mythe du roi Arthur a pu évoluer en s’adaptant aux circonstances et en répondant, toujours plus précisément, aux besoins paradigmatiques et identitaires du groupe social. Fluide, mouvante, riche, cette matière de Bretagne prégalfridienne nous est parvenue comme l’un des grands mythes de l’Histoire occidentale (les prétentions de la dynastie des Plantagenêt n’y sont pas pour rien : la Bretagne d’Arthur englobant grosso modo le tiers sud de l’actuelle Écosse).
En situant les principaux événements de la vie d’Arthur là où la population locale reconnaissait les ruines d’une splendeur passée et en s’inscrivant dans une toponymie liée à la fois à l’Empire romain et
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aux exploits guerriers d’autrefois, les diffuseurs du mythe firent en sorte qu’il participe à la fois au réel et au vrai.
Geoffroy de Monmouth assura sa crédibilité en prétendant s’inspirer d’un mystérieux livre écrit dans la langue brittonique (librum vetustissimum). En procédant ainsi, il reportait la responsabilité de dire la vérité sur une source anonyme et invérifiable.
RETOUR SUR TITE-LIVE.
Revenons sur le cas de Tite-Live, car plusieurs des faits relatés par lui sont en réalité des mythes celtes.
Nous avons déjà parlé plus haut des études de G. Dumézil sur l’attitude des Romains à l’égard du mythe : bien que leur culture soit fondée sur les mêmes mythes que ceux des autres peuples indo-européens, les Romains ont historicisé ce fond commun, en un processus de démythisation qui transféra sur le plan factuel et historique ce qui chez les autres appartenait au domaine de la mythologie.
Ce procédé (d’historicisation de mythes, de transposition de fables en événements) a notamment été très employé par les annalistes ou leurs prédécesseurs. Employé à ce point, il est même caractéristique de Rome.
Nec adfirmare nec refellere.
« Quant aux événements qui ont précédé immédiatement la fondation de Rome ou ont devancé la pensée même de sa fondation, à ces traditions embellies par des légendes poétiques plutôt que fondées sur des documents authentiques, je n’ai l’intention ni de les garantir ni de les démentir. On accorde aux anciens la permission de mêler le merveilleux aux actions humaines pour rendre l’origine des villes plus vénérable ; et d’ailleurs, si jamais on doit reconnaître à une nation le droit de sanctifier son origine et de la rattacher à une intervention des dieux, la gloire militaire de Rome est assez grande pour que, quand elle attribue sa naissance et celle de son fondateur au dieu Mars de préférence à tout autre, le genre humain accepte cette prétention sans difficulté, tour comme il accepte son autorité. Mais ces faits et ceux du même ordre, de quelque façon qu’on les envisage ou qu’on les juge, n’ont pas, à mes yeux, une grande importance. Ce qu’il faut, selon moi, étudier avec toute l’ardeur et l’attention donc on est capable, c’est la vie et les mœurs d’autrefois, ce sont les grands hommes et la politique, intérieure et extérieure, qui ont créé et agrandi l’empire… Mais, dans des faits si anciens, je serais satisfait si le vraisemblable était tenu pour vrai : quant à ces contes plus conformes à la mise en scène théâtrale, amie du merveilleux, qu’à la vérité historique, ils ne valent la peine d’être ni soutenus ni critiqués » (Tite-Live Histoire de Rome Livre I, 1).
« Sed in rebus tam antiquis si quae similia ueri sint pro ueris accipiantur, satis habeam : haec ad ostentationem scenae gaudentis miraculis aptiora quam ad fidem neque adfirmare neque refellere est operae pretium ».
S’agit-il d’un refus de trancher dicté par un souci de facilité ? Il faut sans doute chercher l’explication plus avant. Comme le remarque Mario Mazza (Storia e ideologia in Livio), « se Livio, con un procedimento di derivazione stoica, sospende il giudizio teoretico intorno alla « storicità » dei fatti raccontati nelle « poeticae fabulae », è perchè un giudizio di tale tipo è per lui non necessario a questo riguardo : il problema deve risolversi su un piano diverso : sul piano di quel pragmatismo moralistico (…). Il procedimento ha pero un preciso significato ed un preciso scopo, che si chiarisce non con una critica – “razionalistica” direbbe lo studioso moderno – bensi considerando il valore pragmatico, strumentale, di un tradizione, nell'ambito stesso della comunità cui essa è appunto sorta : poichè essa tradizione, Livio asserisce, ha sempre in sè una verità, oggettivamente « simbolica » (e quindi soggetivamente « pragmatica »)
« Si Tite-Live, par un procédé typiquement stoïcien, suspend tout jugement théorique sur « l’historicité » des faits relatés dans les « poeticae fabulae » , car un jugement de ce genre n’est aucunement nécessaire pour lui à cet égard : le problème trouve sa solution à un autre niveau, sur le plan de ce pragmatisme moral (…) Le procédé, cependant, a un sens précis et un but qui ne l’est pas moins, et qui ne se réduit pas à une critique – « rationaliste » diraient nos modernes étudiants-, mais plutôt à une prise en compte de la valeur pragmatique, et utilitaire, de la tradition, au sein de la
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communauté dont il est membre justement : car la tradition, affirme Tite-Live, a toujours une vérité en soi, objectivement « symbolique » (et donc subjectivement « pragmatique »).
Si les Romains ont fait passer leur mythologie dans leur histoire, ce n’est donc pas seulement par souci d’intelligibilité, pour répondre à un besoin de rationalisation. C’est aussi par une exigence de réalisme moral qu’on retrouvera plus tard dans l’utilisation qu’ils feront du cadeau que leur apporteront les Grecs en leur donnant l’historiographie ».
Mais ce qui disparait dans la démythification ne renaît-il pas ailleurs, sous une autre forme, avec un schéma, ou des modalités, différents ?
N.B. Nous reviendrons donc dans ces quelques opuscules sur le cas de Tite-Live, car cet historien romain a historicisé plusieurs mythes celtes y compris après la date de la fondation de Rome.
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ANNEXE N° 3.
L’ÉVHÉMÉRISME.
L’évhémérisme est une théorie selon laquelle les dieux sont des personnages réels qui auraient été divinisés après leur mort, leur légende étant simplifiée et embellie au cours des âges jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’une sorte de symbolisme absolu et universel. Elle tire son nom du mythographe grec Évhémère.
Principes.
Ce courant de pensée postule donc que les personnages mythologiques étaient des êtres humains normaux, dont le souvenir aurait été divinisé par la crainte ou l’admiration de la population. Une telle théorie survint à point nommé pour satisfaire les esprits cultivés de l’Antiquité qui ne pouvaient plus prendre les mythes pour argent comptant. Bien que l’évhémérisme eût été employé, aux débuts de l’ère chrétienne, comme une arme contre le paganisme et le polythéisme (cf. Tertullien Saint Augustin, etc.), le Moyen-âge se servit de ces théories pour finalement préserver les mythes païens dans leur dimension métaphorique en leur ôtant leur dimension surnaturelle – dans le cadre de l’étude.
L’évhémérisme s’inscrit donc dans la tradition médiévale d’exégèse des textes antiques qui considérait que les mythes, contenus dans la poésie d’Ovide et de Virgile – dont le grand-père était druide) notamment, comprenaient des sens métaphoriques cachés, et que l’on pouvait y découvrir des préceptes chrétiens. Ce vaste projet de rationalisation des mythes a, entre autres, permis la conservation d’importants textes antiques, qui sans cela auraient certainement disparu (les Pères de l’Église accordant une supériorité morale à leurs textes sacrés et condamnant la lecture des poètes ou philosophes de l’ère païenne. La censure impitoyable de ces talibans du christianisme explique que beaucoup de livres antiques ne nous sont parvenus qu’à l’état d’allusion – généralement négative – ou de fragments tronqués).
Ce processus est sans doute à l’œuvre dans bon nombre de légendes de rois fondateurs des cités antiques (comme Romulus et Rémus ou Hercules). Il fut même activement détourné par la propagande des pharaons, désireux d’apporter une aura divine au moindre de leurs gestes. Ainsi, sur les monuments commémorant des victoires militaires, les pharaons étaient régulièrement représentés massacrant tout seuls des armées entières à mains nues.
Aux XIIe-XIIIe siècles encore, le mythographe chrétien islandais Snorri Sturluson rédige une Edda, qui présente les divinités nordiques comme des personnages historiques, dont la légende aurait été embellie par la tradition païenne (oui, ce qui est gênant pour nos frères en paganisme Odinistes et Godis, c’est que leurs textes sacrés sont encore plus truffés d’influences chrétiennes que les nôtres).
Salomon Reinach a même qualifié la vie de Jésus d’Ernest Renan (1863) « d’évhémérisme naïf », ce qui est peut-être exagéré.
N.B. Le sociologue Jean-Bruno Renard a créé le terme « néo-évhémérisme » pour qualifier la théorie des anciens spationautes. Selon Eric Von Däniken par exemple la pierre du sarcophage du roi maya Pacal découverte à Palenque au Mexique représenterait un de ces anciens spationautes s’élevant dans les étoiles à bord de son vaisseau spatial. Les élohim de la Bible seraient des extra-terrestres et on trouverait aussi trace de leurs « machines » volantes dans le Ramayana (les vimanas).
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ANNEXE N° 4.
TYPOLOGIE DES DIEUX OU DÉMONS.
Il existe trois grandes catégories de dieux dans notre monde, le monde des hommes d’aujourd’hui.
Les dieux de type laercien (sébein theoùs Dogène Laërce 3e siècle) ou de la religion dominante officielle, comme Allah Jéhovah ou le dieu d’Abraham d’Isaac et de Jacob si ce n’est pas le même.
Les dieux correspondant à des forces de la nature physique environnante.
Les forces de la nature humaine mises en scène par les poètes ou les écrivains (bref par les bardes).
Nous savons de source sûre qu’il y avait dans la région de Marseille des druides capables de converser en grec avec Lucien de Samosate (oui, le grec jouait un peu à l’époque le rôle du globish de nos jours, il abâtardit notre langue en la simplifiant à outrance et en lui faisant perdre toute sa saveur, toute son âme, mais il met aussi à la disposition de chacun tout le savoir du monde grâce à internet).
Permettez à un druide d’aujourd’hui c’est-à-dire essentiellement à un commentateur de se référer maintenant au théologien romain Varron et ses prédécesseurs grecs.
Pourquoi Varron me direz-vous ?? Parce que de l’aveu même de ses détracteurs son œuvre manquait d’originalité, car très représentative des idées répandues à l’époque chez les penseurs de tous bords de la Méditerranée [donc vraisemblablement également parmi nos chers druides de la région de Marseille], y compris grecs d’ailleurs.
Ce qui nous permettra aussi a contrario de faire ressortir la profonde bêtise ou malhonnêteté intellectuelle (tout à fait comparable à celles des journalistes français d’aujourd’hui combattant ou soutenant telle ou telle politique au lieu d’informer le public) des auteurs chrétiens l’ayant injustement présentée pour les besoins de leur cause.
Notons également que Varron est l’inventeur de la notion de théologie laercienne (sébein theoùs) ou dominante quand il parle de théologie civile. Car qu’est-ce que la théologie civile de Varron sinon la théologie dominante de son temps, l’équivalent de notre actuel islam ? Ou du Judéo-christianisme ?
Il résulte donc du fructueux dialogue avec les philosophes grecs que tout être humain qui réfléchit un tant soit peu à ces questions peut distinguer trois catégories différentes bien qu’ayant de nombreux rapports entre elles, ou quatre, de dieux, de spiritualités, de cultes, de religions, et donc en définitive de théologies.
Les voici (dans l’ordre ou dans le désordre suivant les points de vue).
Les dieux spiritualités cultes religions et théologie NATURELS, DE LA NATURE PHYSIQUE, ETC.
Les dieux spiritualités cultes religions et théologies des bardes poètes et conteurs et des mythologies.
Les dieux spiritualités cultes religions et théologies de type disons « laërcien » c’est-à-dire correspondant à cette triade rapportée par Diogène Laërce
« Sébein theoùs kaì mēdèn kakòn drãn kaì andreían askeĩn » « Honorer les dieux, ne rien faire de mal, et être un homme, un vrai ».
Ou les dieux cultes religions et théologies dominantes qui sont plus ou moins des religions d’État. Cas de Mahomet vu l’isma dont il est entouré (une véritable idolâtrie), voire de l’islam en France aujourd’hui par exemple : on ne peut critiquer l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD., en souligner les manques de fondements objectifs les non-vérités les dangers qu’ils font courir aux droits de l’Homme… sans assister à une véritable levée de boucliers (d’ailleurs en France il est même
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carrément interdit par l’application que l’on fait de la loi Gayssot de 1990 de critiquer cette religion et de rappeler certaines vérités à son sujet).
Mais revenons à nos moutons !
D’après Jean Pépin (philosophe et théologien français, 1924- 2005).
Tertullien et Augustin sont bien les seuls auteurs de l’Antiquité à traiter de la théologie tripartite en l’attribuant expressément à Varron ou Scaevola. Mais on rencontre sous la plume de divers autres écrivains l’expression d’une doctrine analogue, sans qu’ils l’attribuent nommément à qui que ce soit.
Aétius. – Nous trouvons une trace de cette tripartition dans les Placita Philosophorum d’Aétius, doxographe qui appartient vraisemblablement à la fin du Ier siècle ou au début du IIe. Comme le Discours de Dion Chrysostome, le chapitre d’Aétius recherche d’où les hommes ont tiré la notion de dieux ; il expose que, selon les stoïciens, l’origine principale de cette notion dans l’esprit humain réside dans le spectacle de la beauté de l’univers ; aussi est-ce à bon droit que les théologiens, distinguant trois formes dans la vénération des dieux, mettent au premier rang la piété physique des philosophes, après laquelle viennent la piété mythique des poètes et la piété légale ordonnée par la cité (Sébein theoùs).
Ce texte s’accorde à ceux du Pseudo Plutarque, de Dion et d’Eusèbe, qui d’ailleurs lui sont postérieurs et s’en inspirent probablement ; comme eux, il reproduit l’essentiel de la tripartition de Varron. L’ordre d’énumération des trois théologies n’y est pas l’ordre habituel mythique-physique-légale ; mais le fait qu’Aétius commence par la théologie physique s’explique suffisamment par son dessein d’invoquer la tripartition à l’appui de l’origine cosmique de la notion de Dieu. Plus intéressantes sont ses notations sur la provenance de la théologie tripartite ; il la présente, non comme sa découverte personnelle, mais comme l’objet d’une tradition ; de plus, tout le chapitre étant consacré à exposer l’origine de la notion de Dieu selon le stoïcisme, le développement sur la tripartition qui s’y insère paraît être donné pour une doctrine stoïcienne.
Plutarque, en un passage de son Dialogue sur l’Amour, s’interroge sur l’origine de nos idées ; il découvre que, exception faite pour celles qui se glissent dans notre esprit à la suite d’une sensation, elles nous parviennent de trois façons, selon qu’elles sont apportées par une fable, imposées par une loi, ou élaborées par la raison ; nos idées sur les dieux vérifient cette théorie : comme la sensation ne saurait jouer un rôle dans leur genèse, leur présence en nous résulte de l’action des poètes, des législateurs, ou des philosophes. « S’il est vrai, mon ami, écrit Plutarque, que tout ce qui pénètre dans notre esprit par une voie autre que celle des sens a une triple origine et emprunte son autorité soit à la fable, soit à la loi, soit à la raison, l’opinion que nous nous faisons des dieux est donc formée et déterminée par ce que disent les poètes, les législateurs et, en troisième lieu, les philosophes » (Plutarque De l’amour 18).
Ces trois groupes de personnages, continue Plutarque, sont d’accord pour affirmer l’existence des dieux ; mais sur leur nombre, leur hiérarchie, leurs attributions respectives, des divergences apparaissent d’un groupe à l’autre : les philosophes s’opposent aux poètes et aux législateurs, et les poètes et les législateurs aux philosophes ; mais, de même qu’autrefois, à Athènes, la personne de Solon rallia le parti de la côte, celui de la montagne et celui de la plaine, il est un dieu sur lequel poètes, philosophes et législateurs sont unanimes c’est le dieu de l’Amour, dont la suprématie est admise par Hésiode, Platon et Solon, cités comme représentants de chacun des trois groupes.
Rien dans ce texte n’indique que Plutarque ne tire pas de son propre fonds cette distinction entre les trois sources de nos idées sur les dieux ; il insinuerait plutôt qu’il en est lui-même l’auteur, puisqu’il la présente, non pas comme un fait ; mais comme l’application, au cas particulier de la théologie, d’une théorie générale sur l’origine de nos connaissances : d’un principe connu, il aurait tiré une conclusion inédite. Mais sa distinction des philosophes, des poètes et des législateurs comme responsables de nos conceptions théologiques est trop proche de la tripartition de Scaevola et de Varron pour autoriser cette vue des choses ; car la tripartition varronienne n’intervenait pas seulement entre les théologies ou entre les dieux, mais entre les introducteurs des dieux, insinuatores deorum, ou plus exactement entre les dieux distingués selon leurs introducteurs ; et ceux-ci, chez Plutarque comme chez Varron – Scaevola, sont répartis en trois groupes identiques ; sans doute les deux théologiens latins ne parlaient pas des « législateurs », mais leurs « peuples » et « hommes d’État » étaient considérés
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dans leur activité de nomothètes, ce qui revient au même. On ne saurait donc contester que Plutarque et ses deux prédécesseurs traitent de la même tripartition.
Enfin, il n’est pas indifférent pour la suite de ce débat de remarquer que cet éloge de l’Amour est imprégné de réminiscences stoïciennes, auxquelles Plutarque ne « répugnait » pas autant qu’il le dit ; par exemple, il cite quelques pages plus loin un mot de Chrysippe (qui n’est pas nommé) sur la beauté considérée comme « la fleur de la vertu » ; de plus, vers la fin du Dialogue, il oppose l' union intégrale des époux dans le mariage au mélange fortuit et extérieur des atomes d’Épicure ; or cette description de l’amour conjugal par comparaison avec les divers mélanges est traitée avec les mêmes termes par le stoïcien Antipater de Tarse dans un de ses traités. Retenons donc pour l’instant que la tripartition invoquée par Plutarque apparaît dans un contexte pour une part stoïcien.
À l’époque même de Plutarque, c’est-à-dire aux confins du Ier et du IIe siècle de notre ère, Dion Chrysostome consacre le XIIe de ses Discours à disserter sur les premières conceptions de Dieu chez l’Homme. Il distingue entre une origine première et absolue, et des sources ultérieures et complémentaires.
La source fondamentale en est l’idée même de Dieu, universelle, intemporelle, antérieure à toute expérience, inséparable de l’esprit humain ; cette notion a priori constitue le terrain indispensable sur lequel peut devenir féconde une source secondaire qui, au moyen de traditions orales ou de documents écrits, introduit de l’extérieur dans la pensée de l’homme une idée de Dieu adventice et acquise ; cette deuxième notion revêt elle-même deux formes, selon qu’elle est proposée comme une invite par les poètes, et librement accueillie, ou bien qu’elle est imposée comme une obligation par les lois :
« La source vraiment première de nos croyances et représentations relatives à la divinité en est, disions-nous, la pensée innée chez tous les hommes ; elle provient de la réalité même et de la vérité, elle ne se constitue pas à l’aventure ni au hasard ; mais, puissamment solide et immuable, elle a commencé à l’origine des temps, elle se maintient chez tous les peuples, elle est le bien commun et en quelque sorte public de l’espèce raisonnable. La deuxième source, disons-nous, est une notion acquise, elle survient dans les âmes par une intervention étrangère, au moyen de raisons, de récits et d’usages dont les uns sont anonymes et oraux, mais les autres écrits et dus à des auteurs parfaitement connus. À l’intérieur même de cette notion du deuxième genre, disons qu’une espèce en est librement acceptée et proposée comme une exhortation, une autre espèce contraignante et impérative. Je déclare que celle qui ressortit au libre arbitre et à l’exhortation est le fait des poètes, que celle qui relève de la contrainte et de l’injonction est le fait des législateurs [on pourrait dire aujourd’hui de la classe médiatique et de ses fatouas]. Aucune de ces deux dernières notions ne peut s’imposer sans le substrat de la première, grâce à laquelle les injonctions comme les exhortations parviennent à ceux qui s’y prêtent et en quelque sorte les prévoient ; certains des poètes et des législateurs s’expriment de façon correcte, conforme à la vérité et aux premières notions, les autres s’égarent par quelque côté ».
Il en résulte une triple origine de notre connaissance de Dieu, selon que nous la tirons de notre propre fonds, de la poésie ou de la loi ; à ce répertoire des sources de l’idée de Dieu, Dion Chrysostome propose d’en ajouter une quatrième, tenant compte de ce que suggère en ce domaine la considération des images divines dues au talent des artistes. « À ces trois origines reconnues de la notion de divinité chez les hommes, laquelle est innée, poétique ou légale, ajoutons comme une quatrième la source plastique et artistique, je veux dire celle des peintres, sculpteurs, et statuaires, spécialisés dans les images et figures divines ».
À la différence de Plutarque, Dion signale que cette tripartition théologique n’est pas le fruit de son invention personnelle, mais qu’elle lui est proposée par ses devanciers ; sa seule originalité serait de la trouver insuffisante, et de lui adjoindre une quatrième source de la théologie, d’ordre artistique. La tripartition que Dion présente comme un schéma usuel est-elle celle de Scaevola et de Varron ? Elle en est en tout cas parente ; elle prétend pareillement distribuer la théologie selon sa provenance, et insiste clairement sur cette ratio diuisionis ; deux de ses trois classes ont leur homologue dans les tripartitions latines, qui comptaient les poètes et les législateurs (populaires ou aristocrates) au nombre des introducteurs des dieux (Augustin parlait, à propos de Scaevola, de poeticum genus) ; quant à la notion innée de Dieu, elle cadrerait sans difficulté avec la théologie des philosophes, qui est plus qu’aucune autre le produit d’une réflexion tout intérieure. À bien l’examiner, le texte de Dion
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mentionne d’ailleurs une double tripartition théologique, opérée à deux niveaux différents : d’une part, comme nous venons de le voir, la notion de Dieu peut être innée, poétique ou légale ; d’autre part, ces deux dernières catégories, considérées comme un ensemble, sont redevables aux raisons, aux récits et aux usages. Il est remarquable que cette dernière répartition reproduise presque exactement celle de Plutarque ; elle répondrait mieux encore que la précédente à la distinction varronienne entre la théologie des philosophes, des poètes et des peuples, et nous éviterions avec elle la difficulté surgie du fait que la théologie philosophique n’est pas totalement innée. De toute façon, quelque tripartition que nous choisissions de retenir chez Dion (et sans doute faut-il retenir l’une et l’autre), elle présente une parenté indéniable avec la division de Varron, tout en se rapprochant davantage des termes mêmes de celle de Plutarque, ce qui ne saurait nous étonner.
Cette théologie tripartite affleure plus encore au début du IVe livre de la Préparation évangélique d’Eusèbe de Césarée. Dès la fin du livre III ; Eusèbe fait le point de son développement : il en a terminé avec certaines questions, d’autres sont encore à aborder ; il a rapporté un grand nombre de mythes propres à la religion des Égyptiens et des Grecs ; il a montré, en les critiquant, les interprétations philosophiques qu’avait permis d’en tirer l’usage de la méthode allégorique ; il s’apprête maintenant à examiner les structures religieuses païennes telles qu’elles sont effectivement pratiquées dans les cités. Selon lui, les démons sont les artisans du succès des mythes et de leur interprétation rationnelle ; jouent-ils le même rôle funeste dans la théologie des cités ?
« Les ministres des oracles, à dire vrai, sont de mauvais démons, qui s’amusent à tromper le genre humain de deux façons : tantôt ils se prêtent aux suppositions les plus fabuleuses sur eux-mêmes, pour induire le public en erreur ; tantôt ils confirment les enseignements du charlatanisme des philosophes, pour les exciter et les gonfler d’orgueil ;
il est de toute façon prouvé qu’ils ne disent en rien la vérité. Après avoir exposé tous ces points, il est temps maintenant que nous changions de sujet, pour en venir à la troisième forme de la théologie des Grecs, à celle qu’ils appellent politique et légale ».
Il n’est pas douteux que ce passage contienne une nette allusion à la théologie tripartite : il y est question, en matière religieuse, de deux manœuvres démoniaques pour propager l’erreur, par les fables et par l’enseignement des philosophes ; après quoi vient la mention très explicite de la troisième théologie, dite politique ou légale. Ce texte d’Eusèbe pourrait porter la signature d’Augustin, voire celle de Scaevola.
Mais le début du livre IV est plus formel encore. Les Grecs introduisent dans leur théologie une triple division : la première est la théologie mythique, qu’Eusèbe préférerait nommer « historique », et que les poètes inventent au gré de leur imagination ; ensuite vient la théologie physique ou spéculative, objet de la recherche des philosophes, qui la raccordent à la précédente en la présentant comme le résultat d’une interprétation allégorique des mythes ; la troisième place appartient à la théologie politique, qui a force de loi dans chaque cité et s’impose rigoureusement au nom de la tradition.
Voici comment s’exprime précisément Eusèbe « Ils divisent en effet l’ensemble de leur système de théologie en trois titres assez généraux, à savoir la théologie mythique traitée par les poètes tragiques, la théologie physique découverte par les philosophes, celle enfin qui est garantie par les lois et observée dans chacune des cités et des régions […] La théologie historique est appelée par eux mythique, et celle qui transcende les mythes, ils la nomment physique, ou spéculative, ou de tout autre nom qu’il leur plaît […] La troisième, à savoir celle qui est établie dans les différentes cités et régions, est appelée par eux politique […]
Pour la première forme de leur théologie, celle qui est historique ou mythique, que le premier poète venu la dispose à son gré, et qu’un philosophe fasse de même pour la deuxième forme, qui nous a été livrée par l’interprétation allégorique des mythes dans un sens plus physique ; quant à la troisième forme, – que leurs magistrats, en raison de son caractère à la fois ancien et politique, ont prescrit par des lois d’honorer et d’observer, – que nul poète, disent-ils, que nul philosophe n’y touche ; mais que chacun, aussi bien dans les campagnes que dans les cités, continue à s’aligner sur les coutumes qui ont prévalu depuis l’Antiquité, et obéisse aux lois de ses pères ».
Aucun des textes grecs cités jusqu’ici sur la tripartition de la théologie n’est plus riche que celui d’Eusèbe, ni plus proche des exposés de Scaevola et de Varron. Comme chez Varron, la division
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n’intervient pas seulement ici entre les dieux ou les différentes sources de leur culte, mais à l’intérieur de la « théologie » elle-même. Les adjectifs caractéristiques de chacun des groupes sont les mêmes de part et d’autre ; Augustin citant Varron (bien plutôt, nous l’avons vu, que d’hypothétiques « Grecs ») parlait de theologian mythicen, physicen, politicen ; Eusèbe restitue les adjectifs grecs, ceux-là mêmes qui devaient se trouver sous la plume de Varron.
Les auteurs de chacune de ces théologies n’ont pas varié : pour Eusèbe comme pour Scaevola, Varron, Plutarque et Dion Chrysostome, ce sont toujours les poètes, les philosophes et les législateurs ; dans la dernière catégorie, les archontes d’Eusèbe rejoignent les principes ciuitatis de Scaevola, de même que sa notation sur les poètes tragiques cadre avec la relation que Varron établissait entre la théologie mythique et le théâtre. Il est donc à croire que, après Plutarque et Dion, mais plus clairement qu’eux, Eusèbe rapporte la tripartition théologique même à laquelle s’étaient intéressés Scaevola et Varron. La similitude des termes employés de part et d’autre conduit même à se demander si la Préparation évangélique ne pourrait pas être l’une des sources des développements d’Augustin sur la théologie tripartite de Varron, singulièrement si les « Grecs » de la Cité de Dieu, VI, 12 ne renverraient pas au personnage d’Eusèbe.
À vrai dire, ce dernier n’est pas un inconnu pour Augustin, qui en avait lu l’Histoire ecclésiastique dans la traduction de Rufin et la Chronique dans le remaniement de Jérôme. Mais la bonne règle en ce domaine est de n’admettre comme utilisés par Augustin que les textes grecs auxquels il pouvait accéder en traduction latine ; or on ne connaît aucune trace d’une telle traduction de la Préparation évangélique ; le seul argument que l’on pourrait avancer en faveur d’une connaissance par Augustin de la Préparation se fonde sur l’exploitation, dans la Cité de Dieu, X, 11, d’un passage de la Lettre à Anébon, de Porphyre, également rapporté dans la Préparation, V, 10 ; mais cet argument même perd toute portée dès lors que l’on admet, comme il faut probablement le faire, qu’Augustin avait en main une traduction latine de cet opuscule de Porphyre, qui le dispensait évidemment d’avoir recours à l’hypothétique intermédiaire d’Eusèbe. Dans ces conditions, pour en revenir à la théologie tripartite, il faut penser que les « Grecs » auxquels semble se référer Augustin ne désignent pas une autre source que Varron lui-même employant des mots grecs.
Non seulement le témoignage d’Eusèbe se rencontre avec les indications de Plutarque et de Dion, et, au delà, avec les exposés de Scaevola et de Varron ; il présente encore l’intérêt de les compléter sur quelques points.
Il note le caractère arbitraire de la théologie mythique, et même de la théologie physique ; mais celle de la cité est intangible et garantie par les lois, à cause de son ancienneté et pour sauvegarder la continuité des traditions.
Eusèbe ajoute à ses prédécesseurs d’intéressantes précisions de vocabulaire, la théologie mythique est également dite « historique », sans doute à cause de sa nature concrète ou de sa prétention à l’historicité ; celles des philosophes est appelée « spéculative », par suite de l’effort rationnel qu’elle met en œuvre.
Comme le fera Augustin, Eusèbe attribue la théologie physique à l’intervention de démons trompeurs ; mais il étend leur rôle à celle des poètes. Toutefois son principal apport consiste à relier la théologie mythique à la théologie physique, en présentant celle-ci comme le résultat de l’application à celle-là de l’interprétation allégorique ; la théologie physique n’est pas une construction gratuite des philosophes, mais le fruit de leur effort en vue de sauver la théologie des poètes (et aussi celle de la cité) par une exégèse rationnelle des mythes et des cultes ; c’est assurément la raison pour laquelle elle peut être dite « spéculative » , tandis que la théologie mythique, dénuée d’exégèse et laissée à son seul sens littéral, aurait une allure « historique » ; cette conception de la théologie des philosophes comme constituée par un essai d’interprétation des deux autres se trouve développée par Varron, et Augustin en fera un aliment de sa polémique.
On peut donc tenir pour acquis que ces quatre témoignages grecs concernent la théologie tripartite dont s’occupaient Scaevola et Varron. La question se pose maintenant de savoir s’ils dépendent des exposés mêmes des deux théologiens romains. Une telle filiation serait possible chronologiquement, puisque le plus ancien d’entre eux, Aétius, est largement postérieur à Varron ; de plus, l’auteur des Antiquités divines est bien connu de Plutarque, qui le cite plusieurs fois dans ses Quaestiones romanae ; un passage de la Vie de Numa, 8, montrerait même que Plutarque connaissait les développements de Varron sur la religion romaine primitivement dénuée de représentations
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anthropomorphiques des dieux ; il pourrait donc se faire que, tout comme Plutarque, Aétius, Dion et Eusèbe aient eu communication des idées de Varron sur la division de la théologie, et qu’ils s’en soient inspirés. Mais cette vue des choses, théoriquement possible, a peu de chances d’être fondée, et pour plusieurs raisons.
D’une part, les textes grecs qui viennent d’être cités, tout en traitant évidemment du même sujet, ne reproduisent pas la doctrine de Varron telle que la rapporte Augustin avec une fidélité d’ensemble qui ne peut être mise en doute ; parfois ils y ajoutent, tel Dion qui introduit la distinction non varronienne de l’inné et de l’acquis, tel encore Eusèbe qui innove en matière de vocabulaire technique ; plus souvent ils omettent des éléments varroniens essentiels ; ainsi l’estimation comparée de chacune des trois théologies, qui faisait le fond de l’exposé de Varron, est passée sous silence ; la condamnation par Eusèbe des théologies mythique et physique ne saurait en effet en être une trace, tant elle est loin de la recouvrir, et procède d’un jugement de valeur spécifiquement chrétien. D’autre part, Aétius et les autres n’indiquent aucune origine romaine de la tripartition ; tout au contraire, Eusèbe lui assigne formellement une source grecque.
Comme il reste que c’est bien la même tripartition dont il s’agit d’un côté et de l’autre, l’hypothèse s’impose d’une commune source grecque à laquelle seraient redevables d’une part Scaevola et Varron, d’autre part Aétius, Plutarque, Dion Chrysostome et Eusèbe, soit que les trois derniers remontent directement à cette source, soit qu’ils s’y rattachent par l’intermédiaire d’Aétius.
La théologie tripartite de Varron procéderait donc d’une source grecque. À vrai dire, divers indices le laissaient prévoir dans les témoignages chrétiens relatifs à cet auteur. Lorsque Tertullien déclare qu’il choisit pour cible la classification de Varron parce qu’elle offre l’avantage de récapituler toutes les classifications antérieures, n’est-ce pas que la tripartition varronienne continue une tradition que Scaevola ne saurait constituer à lui seul ? Sans doute Tertullien, s’il mentionne clairement l’existence de prédécesseurs de Varron, n’indique pas qu’il s’agisse de Grecs. Mais cette précision est fournie par Augustin lorsqu’il affirme que deux au moins des trois théologies étaient, chez Varron, désignées par des adjectifs grecs, et nous avons vu que les théologiens « grecs » donnés dans la Cité de Dieu comme des partisans de la tripartition se réduisaient probablement à Varron parlant grec ou invoquant des autorités grecques.
On voit bien à partir de quels thèmes généraux la théologie tripartite a pu apparaître en Grèce. Deux distinctions au moins, très répandues, ont pu lui donner naissance. D’abord l’opposition entre physis et nomos, classique au moins depuis Les sophistes ; dans le Gorgias de Platon, Calliclès reproche à Socrate d’invoquer des sophismes de tribune en disant que le plus souvent « la Nature et la Loi se contredisent » ; transportée dans le domaine religieux, cette antithèse donne facilement lieu à la distinction entre la théologie « physique » et la théologie « légale », qui ne vont pas toujours de pair. Une autre opposition familière aux Grecs était celle de la Vérité et de l’Opinion ; outre la place qu’elle occupe dans la pensée de Platon, cette distinction explique toute une tendance exégétique parmi les commentateurs d’Homère : le cynique Antisthène, imité et amplifié par le stoïcien Zénon, tenait que les poèmes homériques étaient écrits tantôt selon l’opinion, tantôt selon la vérité, c’est-à-dire qu’ils devaient être compris tantôt comme de purs récits, tantôt comme l’indication d’un enseignement théorique caché, d’ordre essentiellement physique. Selon qu’ils autorisaient l’une ou l’autre interprétation, les vers d’Homère passaient donc, soit pour simplement narratifs ou « mythiques », soit pour chargés d’une signification scientifique profonde, c’est-à-dire pour « physiques » ; et l’un des arguments de la critique chrétienne, pour discréditer la théologie homérique, sera de montrer qu’elle reste vaine dans un cas comme dans l’autre ; si les récits d’Homère relatifs aux dieux sont « mythiques », dira par exemple l’apologiste Aristide, ils ne sont pas autre chose que des mots ; mais s’ils sont « physiques », ils cessent de concerner les dieux. On comprend ainsi comment, introduite en matière religieuse, la vieille distinction de la doxa et de l’aletheia a pu engendrer la séparation de la théologie « mythique » et de la théologie « physique » ; si nous lui ajoutons les virtualités de l’opposition physis-nomos, nous voilà à peu près en possession de la tripartition théologique de Varron.
Cette dernière remarque présente l’avantage d’indiquer dans quelle direction plus précise il convient de rechercher les sources grecques de la tripartition varronienne.
Car l’application à la théologie d’Homère de l’antithèse Doxa-Aletheia est caractéristique du stoïcisme. Or, s’il est vrai que cette antithèse peut être regardée théoriquement comme le fondement de la distinction entre théologie mythique et théologie physique, c’est du côté stoïcien qu’il faudrait chercher
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l’origine de la tripartition tout entière. Cette direction de recherche se trouve confirmée par plusieurs indices. L’un d’eux réside dans la sympathie de Varron pour la philosophie stoïcienne : c’est en son nom, nous l’avons vu, que, tout en empruntant à Scaevola le principe même de la tripartition, il défend contre lui la théologie physique, tient pour l’origine humaine des héros divinisés, et bannit de la vraie religion selon lui [nous disons bien « selon lui »] les représentations anthropomorphiques des dieux. Un autre indice est plus formel en faveur de la provenance stoïcienne des trois théologies : lorsque Varron, au témoignage de Tertullien, cite une tripartition des dieux qui rappelle fort la sienne propre, l’auteur en est le stoïcien Dionysius, maître de Posidonius. Et Aétius ne va pas dans un sens différent quand il fait mention de la théologie tripartite, ainsi que nous l’avons vu, dans un contexte nommément stoïcien. Pas davantage Plutarque, qui invoque la même tripartition à l’appui d’un éloge de l’Amour dont il emprunte plusieurs matériaux au stoïcisme.
Une dernière preuve, plus indirecte, de l’origine stoïcienne de la tripartition peut être demandée à un passage du1er livre du De natura deorum de Cicéron ; l’académicien Cotta y critique la théologie épicurienne qui vient d’être défendue par Velléius, et selon laquelle les dieux ont une figure humaine (humanas esse formas deorum) ; pour combattre cette conception, Cotta emprunte des arguments, non point à son maître Carnéade, mais à la doctrine stoïcienne qui, on l’a vu, rejetait toute représentation anthropomorphique des dieux ; sa conclusion n’est certes pas stoïcienne, mais pénétrée d’athéisme : « Si donc les dieux sont dépourvus de corps humain, comme je l’ai montré, s’ils n’ont pas davantage de corps (astral), comme tu en es bien persuadé, pourquoi hésiter à nier leur existence ? » ; mais le raisonnement par lequel il arrive à la première prémisse de cette conclusion porte la marque du Portique. Or, dans le développement de ce raisonnement, Cotta est amené à introduire des distinctions qui rappellent celles de la théologie tripartite ; voici comment il explique que l’on ait pu en venir à rendre un culte aux images anthropomorphiques des dieux : « Qui a jamais été assez aveugle dans l’examen de ces questions pour ne pas voir que, si l’on a conféré aux dieux ces formes humaines, c’est ou bien par un calcul d’hommes sages (consilio quodam sapientium), pour amener plus facilement les esprits mal dégrossis à renoncer à leur vie dépravée et à honorer les dieux, ou bien par superstition, pour qu’il y eût des effigies dont la vénération pût passer pour donner accès aux dieux eux-mêmes. L’usage de ces figures fut développé par les poètes, les peintres, les artistes ; car il n’était pas facile de reproduire sous une autre forme que l’humaine des dieux qui agissent, qui s’appliquent à quelque entreprise » ; dans ces conditions, on comprend que, « dès l’enfance, nous nous représentions Jupiter, Junon, Minerve, Neptune, Vulcain, Apollon et les autres dieux sous les traits que peintres et sculpteurs ont voulu leur donner, et cela n’est pas seulement vrai pour leurs traits, mais pour leurs attributs, leur âge, leur vêtement ».
Point n’est besoin de forcer ces textes pour voir que les sages qui ont instauré le culte des images divines comme un moyen de toucher les masses fermées à une religion plus spirituelle sont apparentés aux fondateurs de la théologie politique ; de même les poètes qui, comme les autres artistes, favorisent la superstition et l’erreur en représentant les dieux comme des hommes aux prises avec la vie, en leur prêtant une silhouette concrète et individualisée, sont bien les promoteurs de la théologie mythique. Mais, continue Cotta, les images des dieux ne feront pas illusion au vrai philosophe : « N’est-il pas honteux pour un physicien, qui doit explorer la nature et la traquer comme un gibier (physicum, id est speculatorem uenatoremque naturae), de demander un témoignage véridique à des esprits adonnés à la coutume ? » ; il devrait comprendre au contraire que, par un décret de la nature, aucun animal ne conçoit de beauté parfaite hors de sa propre espèce, et que c’est la raison pour laquelle l’homme se représente les dieux à son image « Quoi d’étonnant dès lors, si la même loi enjoint (si natura praescripsit) à l’homme de ne rien concevoir de plus beau que l’homme, que, pour cette raison, nous concevions les dieux semblables aux hommes ? ». On n’aura pas manqué de reconnaître, dans ces « physiciens »… des druides qui recherchent et discernent la « nature » des choses, sans s’arrêter aux coutumes ni aux mythes, l’indication des adeptes de la théologie physique, qui ne soumettent leurs dieux ni aux fables des poètes ni aux impératifs de la cité.
Lucain, la Pharsale livre I : « à vous seuls druides il est donné de connaître, comme de les ignorer, les dieux et les puissances célestes ; les grands arbres des bosquets reculés sont vos demeures, etc. ».
Il y aurait ainsi, dans ces quelques pages de Cicéron faisant discourir Cotta, une mention déguisée, mais perceptible, des trois divisions de la théologie ; or Cotta, dans son effort pour dépouiller les dieux de toute altération anthropomorphique, exprime moins la position de la nouvelle Académie que celle du Portique ; plusieurs de ses formules (mais non sa conclusion dernière, sceptique et athée) auraient pu être signées de Zénon ou de Chrysippe, telle celle-ci : « Mais qu’en sera-t-il Velleius s’il est entièrement faux que nous ne puissions concevoir les dieux qu’en leur attribuant une forme humaine ? » ; et le fait qu’un rappel de la théologie tripartite soit introduit à la faveur d’un tel développement donne à penser qu’elle en est solidaire, et stoïcienne comme lui. Ce dernier argument,
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à lui seul, serait insuffisant ; mais, ajouté aux autres, il établit fortement que Scaevola et Varron doivent leur tripartition à la philosophie stoïcienne.
Mais est-il possible de préciser cette origine stoïcienne, de la désigner d’un nom, ou du moins de lui assigner une époque ? On l’a cru, on a parlé du moyen stoïcisme et cité le personnage de Panétius. Examinons brièvement les preuves que l’on a produites, à l’appui de cette attribution. C’est d’abord la présence, dans le premier livre du De republica de Cicéron, d’une nouvelle allusion à la tripartition de la théologie ; Scipion et Lélius, discutant de la meilleure forme de l’autorité dans l’État, recherchent l’origine de la croyance unanime à Jupiter roi des dieux et des hommes ; Scipion en discerne une triple provenance : ou bien elle a été établie par des hommes d’État (a principibus rerum publicarum) qui l’ont jugée utile à la vie (ad utilitatem uitae), et ont voulu suggérer par là que la monarchie est le meilleur régime politique ; ou bien elle constitue une histoire fabuleuse (fabularum similia) et erronée, répandue par des ignorants ; ou bien enfin elle émane de savants universellement réputés (communes doctores) à qui une étude approfondie de la nature de toutes choses (natura omnium rerum peruestiganda) a appris qu’une intelligence gouverne l’univers. Il est vraisemblable que ces lignes contiennent une référence à la théologie tripartite des stoïciens ; or, l’autorité de Panétius est souvent invoquée par Cicéron tout au long du Ier livre du De republica ; en rapprochant ces deux constatations, on peut conclure que la tripartition elle-même a eu pour promoteur Panétius.
D’autres indices inclinent plutôt vers Posidonius, d’ailleurs contemporain et élève de Panétius ; car Posidonius serait à l’origine d’une troisième allusion à la théologie tripartite que l’on peut découvrir sous la plume de Cicéron. Il s’agit encore du Ier livre du De natura deorum, mais cette fois de l’argumentation de l’épicurien Velléius ; venant d’exposer la théologie physique de Chrysippe et les artifices dont il use pour la retrouver chez les plus anciens poètes, Velléius déclare qu’il ne s’agit pas là de jugements philosophiques, mais de rêves délirants (non philosophorum iudicia, sed delirantium somnia), aussi absurdes que les récits des poètes à la douceur traîtresse, que les prodiges des mages et que les opinions inconsistantes de la foule ; toujours selon Velléius, bien autrement fondée serait l’affirmation d’Épicure que la nature même (ipsa natura) a imprimé dans tous les esprits la notion des dieux, que, de par sa nature (omnium natura), tout homme reconnaît leur existence ; telle serait l’origine de la croyance aux dieux, et non point dans une institution, dans une coutume ni dans une loi (non instituto aliquo aut more aut lege).
On reconnaît facilement dans ce texte un recours voilé à la tripartition théologique : c’est la théologie mythique des poètes dont Velléius récuse l’absurdité chez les stoïciens ; l’attitude qu’il exalte chez Épicure, et qui consiste à faire fonds sur l’étude de la nature, correspond à la théologie physique des philosophes ; enfin, quand il nie l’origine institutionnelle ou légale de la croyance aux dieux, c’est la théologie politique de la cité qu’il écarte. Mais, dit-on, ce passage de Cicéron reflète l’enseignement de Posidonius, à qui il reviendrait par conséquent d’avoir instauré la tripartition de la théologie et de l’avoir transmise à Varron. Cette filiation de détail ne serait d’ailleurs qu’un exemple précis d’une dépendance plus générale, par laquelle Varron, pour l’ensemble de sa théologie, serait tributaire de Posidonius ; telle est la conclusion qui a été tirée de la constatation d’un certain nombre de ressemblances doctrinales entre les fragments de Varron et le De natura deorum de Cicéron, qui aurait fait de larges emprunts, spécialement visibles dans la première partie du livre II, au traité de Posidonius sur le sujet.
Non seulement Varron devrait à Posidonius de connaître le fait même, de la tripartition ; mais il lui aurait encore emprunté ses vues sur la communication qui s’établit entre les trois théologies ainsi distinguées.
Nous avons vu en effet que, à la différence de Scaevola qui élevait des cloisons infranchissables entre la théologie civile (la théologie dominante) et les deux autres, Varron lui assigne une situation intermédiaire qui lui permet de profiter des acquisitions de la théologie fabuleuse et de la théologie naturelle. Or, une idée analogue s’observe dans le plaidoyer stoïcien de Balbus au II° livre du De natura deorum : la théologie que Balbus tient pour véritable est la théologie physique, qui accorde aux astres la nature divine ; mais il admet la validité d’une autre conception, rapportée aux sages grecs et aux anciens Romains, selon laquelle la dignité divine est attribuée à des produits de la nature plus humbles, mais fort utiles, et même à des hommes qui ont été des bienfaiteurs sociaux : « Beaucoup d’autres réalités naturelles, par suite de leurs grands bienfaits, ont reçu non sans raison, des plus sages Grecs et de nos propres ancêtres, le rang et le nom de dieux » ; de même, « la vie courante et la coutume générale ont entrepris de porter au ciel, aussi bien par le bruit de leur renommée qu’en
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faisant intervenir une décision, les hommes qui ont rendu d’insignes services » ; on voit que ces pratiques anciennes, entérinant des coutumes et sanctionnées par des dispositions législatives, entrent dans la théologie civile (la théologie dominante) ; celle-ci sortirait donc de la théologie physique, par une extension aux produits naturels et aux grands hommes de la nature divine, jusque- là réservée aux astres pour leur rôle bienfaisant.
La même théologie physique, continue Balbus, se prête à une autre transformation, quand elle donne lieu, sous la plume des poètes, à une multitude de dieux anthropomorphes dont se nourrit la superstition : « Pour une autre raison encore, d’ordre physique, s’est répandue une multitude innombrable de dieux qui, revêtus d’une forme humaine, ont approvisionné les fables des poètes et rempli la vie des hommes de toute sorte de superstitions » ; c’est précisément l’origine physique de ces mythes qui permet à l’exégèse d’y retrouver, malgré leur immoralité, un enseignement authentique, et que la mythologie est fille de la physique : « Ne voyez-vous donc pas que c’est une connaissance exacte et profitable des réalités physiques qui a amené la raison à imaginer des dieux fictifs ? Tel est le processus qui engendra ces croyances fausses, ces erreurs brouillonnes, ces superstitions tout juste bonnes pour de vieilles femmes ».
Balbus entend par là que la théologie fabuleuse des poètes découle de la théologie physique, qu’elle en est une adultération propre à flatter le goût populaire du merveilleux, mais qu’il y subsiste, déguisée, une conception valable des dieux ; ce glissement du physique au mythique constitue d’ailleurs un cas particulier de la perversion corruptrice que les stoïciens observaient dans l’humanité tout entière.
À vrai dire, ces vues de Balbus ne recouvrent pas exactement celles de Varron sur l’influence réciproque des diverses théologies ; l’un et l’autre admettent que la théologie physique débouche dans la théologie civile (dominante) ; mais Varron ne dit pas, comme fait Balbus, que la théologie fabuleuse soit redevable à la théologie physique ; et Balbus ne dit pas davantage, comme fait Varron, qu’elle inspire la théologie civile. Il reste qu’ils s’accordent, non seulement sur l’existence des trois théologies (que Balbus ne nomme pas, mais distingue clairement), mais sur le fait
de leur interaction. Cicéron, nous dit-on, aurait construit le discours de Balbus à l’aide de matériaux fournis par Posidonius, nouvelle preuve que celui-ci aurait élaboré à la fois la division des trois théologies et la théorie de leurs rapports mutuels.
Un dernier argument en faveur de l’origine posidonienne de la tripartition se laisse tirer du témoignage dont nous avons signalé la présence dans les Placita d’Aétius ; Diels a en effet démontré que ce recueil doxographique relativement récent puisait dans les Vetusta placita réunis par un disciple de Posidonius ; par conséquent la tripartition, qu’Aétius semble mettre à l’actif de stoïciens non précisés, pourrait bien émaner de Posidonius lui-même. Est-ce à dire que la candidature de Panétius soit définitivement écartée par les auteurs de cette « recherche en paternité » ? Il conserve en sa faveur le fait que Scaevola a joué un rôle d’intermédiaire dans le cheminement de la tripartition jusqu’à Varron, même si celui-ci ne l’a pas entièrement suivi ; or, l’on sait que Panétius jouissait d’une grande autorité dans le milieu de Cicéron et de son ami le pontife Scaevola, lequel est même présenté parfois comme le disciple de Panétius ; ce serait une raison de penser que la théologie tripartite, dont historiquement la première mention expresse se rencontre chez Scaevola, est une création de Panétius. La dualité Panétius-Posidonius revêt d’ailleurs une médiocre importance ; l’essentiel est de retenir que, de l’avis de toute une école d’historiens, la tripartition de la théologie représenterait un acquis du moyen stoïcisme.
En réalité, s’il semble acquis que les différents textes de Cicéron qui viennent d’être cités (et bien d’autres) portent la trace de la tripartition de la théologie, il est impossible d’en attribuer avec certitude la substance à l’enseignement de Posidonius ou de Panétius ; le fait que tel dialogue cicéronien cite plusieurs fois leur nom ne permet pas de conclure qu’ils en inspirent une page où ils ne sont pas mentionnés. L’affirmation d’une influence générale de Posidonius sur la théologie de Varron est elle-même sujette à caution, et la formation de l’auteur des Antiquités divines relève bien davantage du moyen platonisme de Xénocrate et d’Antiochus d’Ascalon. On peut à la rigueur admettre que la tripartition, dans sa formulation précise, ait été agencée par le moyen stoïcisme ; mais il faut reconnaître que, dans ce cas, Panétius et Posidonius n’ont fait que mettre au point une distinction plus ancienne ; car le fond même de la théologie tripartite, à savoir la confrontation de la théologie physique et de la théologie mythique, et la récupération de celle-ci par celle-là, remonte bien plus haut. Dès son origine, avec Théagène et Métrodore, l’interprétation allégorique des poètes s’est assigné pour but de découvrir, sous l’écorce du mythe, un enseignement physique profond, qui avait donné lieu à l’affabulation poétique des bardes ou des aèdes et pouvait être retrouvé derrière elle ; à
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cette exégèse allégorique des mythes correspond une allégorie, parallèle des pratiques religieuses, qui apparaissent comme l’expression dramatisée d’un message d’ordre théorique.
Mais qui ne voit que cette double interprétation allégorique, amplifiée et généralisée par les premiers stoïciens, est à la base de la distinction entre la théologie physique et les théologies mythique et politique, comme de l’effort pour sauver celles-ci en les rattachant à celle-là ? Varron ne s’est pas donné grand mal pour réhabiliter la théologie des poètes ; mais, dans son application à maintenir la théologie de la cité en la présentant comme l’émanation populaire de la théologie des philosophes, il rejoint, non pas le moyen, mais au bas mot le premier stoïcisme. Dans cette perspective, la tripartition théologique ne remonte pas seulement à Panétius et à Posidonius, mais pour le moins à Zénon et à Chrysippe. Scaevola et Varron conservent néanmoins une certaine originalité, non point dans l’invention de la tripartition, mais dans son maniement et dans son usage ; car les stoïciens classiques, dans leur distinction des trois théologies, se bornaient à une simple constatation objective et se gardaient d’y introduire aucune hiérarchie ; spécialement, ils s’abstenaient de toute condamnation des théologies civile (la théologie dominante) et mythique, que l’interprétation allégorique sauvait du discrédit ; Scaevola et Varron se livrent au contraire à une appréciation comparée des diverses théologies ; ils privilégient l’un la théologie civile (la théologie dominante), l’autre la théologie physique, ils disqualifient tous deux la théologie des poètes ; ce faisant, ils utilisent la tripartition stoïcienne à des fins qu’aucun stoïcien, fût-ce l’éclectique Panétius, n’aurait pu ratifier.
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Quand le sage montre la lune du doigt le journaliste français…… regarde le doigt. On l’a encore une fois bien vu lors de l’affaire dite du « halal » intervenue lors de la campagne électorale des présidentielles de 2012 que nous résumerons ainsi à l’intention de nos lecteurs.
T = 0 : des journalistes montrent dans un reportage qu’une grande partie des animaux de boucherie est abattue en suivant le rite musulman, contrairement aux dispositions législatives sur la souffrance animale, une partie de la viande ainsi obtenue se retrouvant par la suite dans le circuit « normal » à l’insu du consommateur puisque toutes les parties de l’animal ne peuvent être consommées par un musulman pieux. Ce qui fait que les non-musulmans mangent littéralement les restes non retenus par les musulmans pieux.
T= O, 1 : aucune réaction ou presque, un reportage parmi tant d’autres.
T= 1 : un homme politique ou plus exactement une femme politique, située disons parmi les républicains les plus durs, reprend le sujet.
T= 2 : tollé général, levée de boucliers, les responsables économiques démentent cette situation, les responsables politiques démentent cette situation, les journalistes (à ma connaissance je n’ai pas vu à l’époque d’opinion dissidente) démentent la situation. Et donc tous traitent la femme politique en question au minimum de menteuse, voire de femme incitant à la haine, etc., etc. Haro général sur le baudet.
T= 3 : certains journalistes commencent à reconnaître que la situation réelle sur le terrain n’est pas celle que les démentis officiels mettent en avant, mais que la femme politique en question a quand même tort pour telle ou telle raison, et reste donc une menteuse incitant à la haine, etc.
T= 4 : certains journalistes admettent que la situation est bien à peu près telle que celle dénoncée initialement, mais soulignent bien qu’ils ne voient pas où se trouve le problème et que la femme politique en question a tort de se préoccuper de problèmes qui ne font que toucher au « vivre ensemble ».
T= 5 : certains journalistes se concentrent sur la situation (non-respect des lois sur la souffrance animale, manque de transparence dans les circuits de distribution de la viande, etc.) les responsables politiques du pays annoncent qu’ils vont accélérer l’encadrement réglementaire et législatif de l’abattage rituel halal.
Premier des « journalistes » de l’époque donc, Tertullien.
Le premier texte où il soit fait état nommément de la théologie tripartite de Varron, est le début du IIe livre du pamphlet de Tertullien Ad nationes, écrit en 197.
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Le voici : « J’ai choisi pour mon résumé, dit Tertullien, les œuvres de Varron, qui, pour avoir assimilé tous les classements antérieurs relatifs aux Choses divines, s’offre à nous comme une excellente cible.
Si je lui demande quels sont les fourriers des dieux, il indique soit les philosophes, soit les peuples, soit les poètes. Car il distribue le recensement des dieux en trois catégories (triplici genere), dont l’une est physique (physicum), reprise sans cesse par les philosophes, l’autre mythique (mythicum), agitée chez les poètes, la troisième nationale (gentile), choisie par chaque peuple pour son usage. Mais alors, si les philosophes ont agencé par leurs conjectures la théologie physique, si les poètes ont extrait des fables la théologie mythique, si les peuples ont de leur propre mouvement projeté la théologie nationale, où donc faut-il placer la vérité ? »
Réponse. La vérité cher Tertullien, elle est dans les trois catégories à la fois, car elle les transcende, la vérité mon cher Tertullien, elle est ailleurs, et certainement pas dans votre haine de tout ce qui existe.
Que nous apprend ce texte de Tertullien, dont le mauvais état a d’ailleurs nécessité plusieurs restitutions conjecturales, et dont la traduction ne se trouve pas pour autant facilitée ? D’abord, que l’apologiste chrétien utilise la doctrine de Varron à des fins polémiques, au début d’un développement consacré à l’attaque de la théologie païenne, et dont le programme se définit de deis uestris […] congredi ; voilà qui n’est pas de nature à garantir l’objectivité du témoignage.
Nous lisons ensuite que la classification de Varron n’est pas originale, puisqu’il a récapitulé les distinctions théologiques antérieures, et que c’est précisément la raison pour laquelle Tertullien le choisit comme adversaire. Cette classification semble concerner un double objet : d’une part, elle distingue trois espèces parmi ceux qui ont accrédité les dieux, insinuatores deorum, et ce sont les philosophes, les poètes et les peuples ; d’autre part, elle répartit les dieux eux-mêmes, deorum censum, en trois classes qui correspondent à celles de leurs introducteurs, à savoir les dieux physiques, les dieux mythiques, les dieux nationaux.
Enfin, ces trois genres de dieux sont présentés par Tertullien comme des éventualités qui s’excluent mutuellement, et entre lesquelles il faut choisir, puisque Tertullien, dans sa dernière phrase, demande où se situe la vérité. Alors que la vérité, cher Tertullien, pour parodier une célèbre série télévisée, elle est ailleurs.
Deuxième des journalistes de l’époque : Saint Augustin.
Autrement plus riches et plus clairs que le témoignage de Tertullien sont en effet les renseignements qu’Augustin prodigue, nommément lui aussi, sur la théologie tripartite de Varron dans les livres IV, VI et VIII de la Cité de Dieu. Non d’ailleurs qu’ait disparu le problème de l’objectivité de l’auteur chrétien, car Augustin, tout comme Tertullien, exhume les idées de Varron dans un dessein polémique, et il n’est pas toujours facile de discerner si tel passage de la Cité relate fidèlement l’une des critiques que Varron lui-même adressait à certaines formes de la religion romaine, ou s’il y mêle une attaque qu’Augustin aurait ajoutée de son propre chef. Ce qui est sûr, c’est qu’Augustin a laissé une double description de la théologie tripartite, selon qu’il la rapporte au seul Varron, ou que, sur le témoignage de Varron lui-même, il la fait remonter plus haut que lui, et l’attribue au pontife Scaevola.
Le livre IV de la Cité de Dieu réforme l’idée que l’on pouvait se faire de la théologie tripartite de Varron à lire Tertullien et l’exposé sur Scaevola : nous voulons parler des relations que les trois théologies entretiennent entre elles. À vrai dire, ces relations étaient inexistantes selon Tertullien et chez Scaevola ; celui-ci récusait sans appel la théologie des poètes et celle des philosophes au profit de la seule théologie des cités, qui ne leur était donc en rien redevable ; pour celui-là, on s’en souvient, les trois théologies de Varron s’excluaient mutuellement, et l’on devait se borner à choisir l’une d’elles. La situation apparaît maintenant toute différente : les trois théologies se présentent comme solidaires, et c’est la théologie civile (dominante) qui fait le lien entre les deux autres dont elle participe ; à elle seule, la théologie des poètes est trop peu édifiante pour régulariser la conduite, mais elle bénéficie, surtout aux yeux du peuple, d’une puissance de séduction que rien ne remplace ; d’autre part, la théologie des philosophes est propre à inspirer la vertu, mais son accès difficile est malaisé à la
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masse ; par conséquent, pour être à la fois respectable et efficace, la théologie civile ou théologie dominante devra emprunter le sérieux de l’une et le charme de l’autre, avec toutefois une préférence pour celle des philosophes, à cause de son utilité morale :
« Enfin, notre auteur, cherchant à distinguer la théologie civile de la fabuleuse et de la naturelle, a voulu la présenter comme un mélange de l’une et de l’autre, plutôt que véritablement distincte de l’une et de l’autre. Il déclare, en effet, que ce qu’écrivent les poètes est trop médiocre pour que les peuples doivent s’en servir comme modèle ; et que ce qu’écrivent les philosophes est trop élevé pour que le vulgaire trouve profit à en faire son étude. Ces deux théologies, écrit-il, ont beau être en désaccord, cependant bien des éléments ont été pris à l’une et à l’autre pour composer la théologie civile (ou théologie dominante). Voilà pourquoi, en traitant de celle-ci, nous indiquerons ce qu’elle a de commun avec l’une ou avec l’autre ; mais elle devra nous mettre en rapports plus suivis avec les philosophes qu’avec les poètes. Elle ne tourne donc pas absolument le dos aux poètes. Et d’ailleurs, dans un autre passage sur les généalogies des dieux, il remarque que les peuples en croient plus volontiers les poètes que les physiciens […]. Des physiciens, il dit qu’ils ont écrit pour être utiles, des poètes, qu’ils ont écrit pour amuser ».
Cette conception de la confluence de la théologie des poètes et de celle des philosophes pour construire la théologie civile (dominante donc) commande naturellement le jugement que Varron porte sur chacune d’elles. Rien ne subsiste chez lui de l’exécution sommaire que Scaevola infligeait aux deux premières, pas plus que de l’approbation inconditionnelle qu’il décernait à la troisième. Sans doute la théologie fabuleuse est-elle encore critiquée sans ménagements, et accusée de méconnaître la nature divine comme de trahir l’honneur des dieux :
« Elle admet beaucoup de fictions contraires à la dignité et à l’essence des immortels […]. Enfin on leur attribue tous les désordres non seulement des hommes, mais des hommes les plus méprisés. Quand, ajoute Augustin, il a pu et osé dire, pensant que c’était impunément, quel opprobre ces fables mensongères ont jeté sur la nature des dieux, Varron se dégage de toute obscurité et de toute équivoque ».
En revanche, c’est la théologie naturelle des philosophes, condamnée par Scaevola, qui obtient la préférence de Varron ; elle est pour lui la seule véritable, qui disserte à loisir sur la nature des dieux, sur leur lieu, sur leur rapport avec le temps ; questions difficiles, qui exigent le calme de l’école et ne s’accommodent pas du brouhaha des places publiques.
L’admiration de Varron ne s’assortit que d’une réserve, suscitée par le spectacle des controverses entre philosophes et de la diversité des tendances :
« La seconde variété que j’ai déterminée, dit-il, est celle sur laquelle les philosophes ont laissé un grand nombre d’écrits dans lesquels ils recherchent ce que sont les dieux, le lieu où ils résident, leur espèce, leur essence, depuis quel temps ils sont nés ou s’ils ont toujours existé […] et autres questions qu’il est plus aisé de traiter entre les murs d’une école que dehors, sur le Forum. Il ne trouve, continue Augustin, rien à censurer dans cette théologie dite ' naturelle ' qui est propre aux philosophes, si ce n’est qu’il fait allusion à leurs controverses qui ont engendré une multitude de sectes dissidentes ».
Comme on pouvait l’attendre, cette adhésion de Varron à la théologie philosophique lui épargne la double critique que Scaevola adressait à cette façon de concevoir les dieux. Scaevola, on s’en souvient, récusait la doctrine stoïcienne qui assigne aux héros une origine humaine ; Varron n’a aucune raison de le suivre dans cette voie ; de fait, comme le rapporte déjà Tertullien, il admet que les héros, sinon les dieux, ont été jadis des hommes ; il approuve, comme on l’a vu, l’opinion du stoïcien Dionysius, pour qui l’une des trois catégories divines (elles-mêmes proches de la tripartition varronienne) regroupait les hommes divinisés, tels Hercule et Amphiaraos. Bien plus, la raison qui, semble-t-il, contribuait surtout à détourner Scaevola d’admettre l’origine humaine des héros, à savoir la crainte que ce précédent n’incitât les contemporains à briguer la divinisation, n’effraye plus Varron ; non seulement il souscrit à l’héroïsation des hommes illustres du passé, mais il concède que, aujourd’hui encore, la perspective de la divinisation, même illusoire, peut susciter, dans les cœurs épris de gloire, une ambition bienfaisante : « Il prétend qu’il est utile aux États que les grands hommes se croient fils de dieux, même si c’est faux ; car de cette façon, le cœur de l’homme, aidé par sa
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confiance en une divine origine, se porte d’un élan plus hardi vers les grandes entreprises, agit avec plus de vigueur, et obtient grâce à cette sécurité même plus de succès ».
Varron ne reprend pas davantage à son compte la deuxième critique que Scaevola objectait à la théologie des philosophes, à savoir qu’elle ruinait le crédit des vénérables images divines ; il tient, selon la perspective stoïcienne que la religion la plus pure est celle qui, telle la religion romaine primitive [et telle la religion druidique encore plus primitive pourrions nous ajouter, se passe de statues anthropomorphiques. Il accuse ceux qui ont malencontreusement instauré l’usage des figures sacrées de s’être trompés sur la nature des dieux et d’avoir sapé leur prestige :
« Il dit encore que, pendant plus de cent soixante-dix ans, les anciens Romains adorèrent les dieux sans représentations figurées. Si cet usage s’était maintenu, ajoute-t-il, plus pur serait le culte des dieux. Et dans sa conclusion il n’hésite pas à affirmer que ceux qui, les premiers, ont dressé pour le peuple des images des dieux, ont aboli la crainte chez leurs concitoyens et ajouté une erreur. Il a ce bon sens de juger que la sottise de ces statues amène aisément le mépris des dieux […] Il juge plus pures les observances religieuses sans représentations figurées » [nous verrons que la religion druidique était plus nuancée et n’était en aucune façon iconoclaste mais admettait toutes les tentatives artistiques en ce domaine].
Faut-il voir, dans le début de ce dernier texte, un argument en faveur de l' « aniconisme » de la plus ancienne religion ? Il ne semble pas ; car ce témoignage de Varron a contre lui la presque unanimité des écrivains latins, comme le montreraient bien des exemples ; en réalité, plus que comme l’attestation historique d’un fait objectif, il apparaît comme une reconstruction idéale du passé que Varron invoque à l’appui de ses convictions stoïciennes.
Mais l’exemple de Scaevola avait montré qu’il est difficile de servir à la fois la théologie des philosophes et celle de la cité. Le pontife surmontait le problème en sacrifiant sommairement la première. Comment Varron, plus nuancé, va-t-il concilier sa philosophie et son attachement à la religion de Rome ? Le divorce entre la théologie naturelle et la théologie civile (dominante) ne pouvait manquer de se faire jour chez lui d’une façon assez dramatique. Son aspiration intime le porte vers une théologie épurée, dans laquelle le seul Dieu est l’âme du monde et, s’il avait à bâtir lui-même la religion de la cité, c’est dans ce sens qu’il le ferait ; autant dire qu’il la souhaiterait différente de ce qu’elle est en réalité ; mais, bon citoyen, il se croit tenu de se plier à la théologie civile ou théologie dominante telle qu’elle existe effectivement et à en prescrire l’observance :
« Quand Varron exhorte en maint endroit à honorer les dieux, en se donnant un accent de piété, ne confesse-t-il pas du même coup que ce n’est pas son jugement propre qui l’induit à se conformer à des institutions créées, ainsi qu’il le rappelle, par la cité romaine ? Il n’hésite pas à avouer que, s’il pouvait constituer à nouveau la cité, c’est d’après les normes de la nature qu’il consacrerait les dieux et leurs noms. Mais, faisant partie d’un peuple ancien, il considère comme son devoir, déclare-t-il, de conserver l’histoire des noms et des surnoms, telle qu’elle a été admise par ceux d’autrefois ».
Sur ce sujet, Augustin rapporte les propos mêmes de Scaevola, tels du moins qu’il les lisait chez Varron : « C’est, explique Scaevola, qu’Hercule, Esculape, Castor, Pollux ne sont pas des dieux. Les savants nous apprennent qu’ils furent des hommes et que, selon la condition humaine, la mort les a atteints. Et quoi d’autre encore ? Quant à ceux qui sont réellement des dieux, les cités n’en auraient aucune image véritable, car le vrai Dieu n’a ni sexe, ni âge, ni forme physique définie ».
On imagine aisément le parti qu’Augustin a pu tirer, pour sa polémique, de ce désaccord entre l’attitude intérieure et la fidélité civique de ce païen éclairé et sincère, et sa satisfaction d’enregistrer que Varron, tout comme Scaevola, conclut à la nécessité de laisser le peuple dans l’ignorance de la valeur médiocre de sa religion :
« Parlant des formes du culte, Varron déclare ouvertement dans un autre passage qu’il y a maintes vérités dont il n’est pas utile que le peuple soit instruit, et des mensonges dont il est avantageux que le peuple ne se doute pas ».
Augustin ajoute donc là perfidement (et de façon gratuite : car rien ne prouve que le pontife adhérât intérieurement à cette double théorie des théologiens philosophes ; il pouvait fort bien la tenir pour fausse, et néanmoins, redoutant sa séduction auprès du peuple, vouloir la lui laisser ignorer) une accusation de machiavélisme et d’insincérité à l’adresse de Scaevola : « Voilà ce que le pontife ne
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veut pas que sache le peuple, car il tient cette conclusion pour exacte. Il estime donc qu’il est avantageux que les cités soient trompées en matière de religion ».
Dès lors qu’il croit avoir convaincu Varron de duplicité, Augustin épie ses plus innocentes déclarations pour le prendre en défaut, et c’est ici qu’il devient malaisé de démêler les véritables critiques adressées par le premier à la théologie civile (dominante) de ses compatriotes, de l’interprétation amplifiante et tendancieuse du second. Lorsque Varron déclare innocemment que les problèmes philosophiques sont plus faciles à résoudre entre les murs d’une école que sur le Forum, Augustin traduit : il cache au peuple la théologie qu’il tient pour vraie. On dirait un journaliste actuel cherchant à combattre ou défendre telle ou telle politique.
Augustin doit reconnaître que Varron ne formule jamais de réserve expresse à l’encontre de la théologie civile (dominante), qu’il fait à tout citoyen l’obligation de la connaître et de la vivre : « Considérons donc la théologie civile. La troisième variété, écrit-il, est celle que dans les villes les citoyens, surtout les prêtres, doivent connaître et pratiquer. Elle enseigne quels dieux honorer officiellement, de quelles cérémonies et de quels sacrifices chacun doit s’acquitter ».
Mais l’ensemble de sa doctrine, spécialement son admiration pour la théologie naturelle et sa défiance vis-à-vis de la théologie fabuleuse, pourrait entraîner implicitement, malgré son patriotisme, des conséquences défavorables à l’endroit de la théologie civile dominante ; sans doute ne les exprime-t-il pas, mais Augustin les déduit avec habileté, grâce à un double raisonnement. D’une part, lorsque Varron accorde son assentiment absolu à la théologie naturelle, et maintient néanmoins sa distinction d’avec la théologie civile, ne voit-il pas qu’il condamne celle-ci ? En effet, ou bien la seconde est vraie, et elle se confond alors avec la première ; ou bien elle en est distincte, et par conséquent fausse : « Je vois bien pourquoi il faut en séparer la théologie fabuleuse : c’est que celle-ci est fausse, qu’elle est honteuse, qu’elle est indigne. Mais vouloir séparer la théologie naturelle de la théologie civile ou dominante, est-ce autre chose qu’avouer que la civile ou dominante même, est erronée ? En effet, si elle est naturelle, que lui reproche-t-on pour la mettre à part ? Et si elle n’est pas naturelle, quels titres a-t-elle pour se faire admettre ? » Varron d’autre part, assigne à chacune des trois théologies le lieu de son exercice : « La première théologie est appropriée surtout au théâtre, la seconde au monde, la troisième à la cité » ; il décerne évidemment la palme à la théologie naturelle : elle se rapporte au monde, et, toujours en philosophie stoïcienne, rien n’est plus excellent que le monde ; or la cité n’est pas toujours solidaire du monde, ni par conséquent la théologie civile inséparable de la théologie naturelle ; en revanche, le théâtre ne peut s’abstraire de la cité qui l’a institué, ni la théologie fabuleuse de la théologie civile dominante ; mais Varron a sévèrement jugé celle-là ; comment alors, conclut Augustin, pourrait-il épargner celle-ci, qui fait corps avec elle ? On sent le sophisme affleurer à plusieurs moments de cette double démonstration ; il reste que, à supposer même qu’Augustin ait outré leur incompatibilité, la conciliation à laquelle s’efforçait Varron entre la théologie des philosophes et la religion de la cité était difficilement tenable.
Augustin connaissait-il les développements que son compatriote Tertullien avait consacrés à exposer la théologie tripartite de Varron ? Assurément ; car le livre VII de la Cité de Dieu cite nommément une boutade anti-varronienne de l’Ad nationes : « Je ne veux pas m’approprier le mot plus piquant peut-être qu’exact de Tertullien : Si l’on, choisit les dieux comme les oignons, c’est donc que tous les autres sont jugés ne rien valoir ».
En tout cas, on a pu constater que l’information fournie par Augustin, même s’il l’a parfois gauchie pour les besoins de la cause, est incomparablement plus riche que celle de son prédécesseur ; dans la traduction même des termes grecs techniques de Varron, il apporte un soin et une conscience dont on peut augurer qu’il n’a rien omis d’essentiel dans la relation de la doctrine. Il faut enfin lui savoir un gré particulier d’avoir pensé à exposer séparément la tripartition proprement varronienne et celle de Scaevola ; cette heureuse initiative nous a permis de comprendre comment, en présence d’un même schème de pensée, l’attitude de deux théologiens pouvait être presque diamétralement opposée.
D’après Jean Pépin (philosophe et théologien français, 1924- 2005).
* Nous appelons « laercien » du nom du célèbre philosophe grec en ayant parlé le premier, la théologie civile (dominante) quand elle n’est pas trop négative, quand elle n’est pas trop imposée.
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ANNEXE N° 5.
LA POSITION DES VRAIS DRUIDES VIS-À-VIS DE LA MYTHOLOGIE.
Nous avons eu l’occasion de voir à maintes reprises le sérieux et la cohérence de la pensée druidique, sans hiatus entre cosmogonie, philosophie, métaphysique, éthique et religion. Ceci nous les fait apparaître d’ailleurs comme singulièrement modernes à cet égard, en tout cas, bien plus que la plupart de leurs émules d’antan. On pourrait presque les dire « rationalistes spiritualistes » puisque, comme nous venons de le voir, ces deux qualificatifs ne sont pas en réalité antinomiques.
La question qui se pose est alors celle-ci : comment ces philosophes évolués voyaient-ils la pléthorique mythologie celtique et son plérôme de dieux célestes ou démons chthoniens, de dieux paisibles ou courroucés diraient nos amis tibétains ?
— Tout d’abord, il est évident qu’ils ne pouvaient pas « la prendre au pied de la lettre ». Ils étaient trop évolués pour cela. Les contemporains hellénistiques des druides, les tenaient pour comparables aux philosophes grecs, et en tout cas pas en reste sur ceux-ci. Ceci veut dire que, comme lesdits philosophes, ils étaient assez agnostiques vis-à-vis de toute cette armée de divinités vénérées par les peuples celtes ou celtisés ; des indices comme le « cognoscere aut ignorare » de Lucain le prouvent.
Les druides antiques procédaient dans certains cas vraisemblablement à des regroupements de divinités sous un même nom. Exemple les Lugoves devenus Lug. Ils ne pouvaient pas prendre au pied de la lettre ce bon millier de dieu-ou-démons et de demi dieu-ou-démons que nous livre la recherche en matière de théonymes, et encore moins certaines des invraisemblables péripéties de leurs légendes.
— Mais il est non moins évident que sans eux [les druides] ce corpus mythologique ne se serait pas autant perpétué : sa transmission orale fut le fait des vellèdes, un ordre mineur, mais faisant partie quand même de la confrérie druidique. Si les druides de haut niveau avaient été rigoureusement contre toute mythologie, elle se serait finalement éteinte, ou à tout le moins se serait réduite à quelques bribes éparses.
Les mythologies celtiques ne nous sont parvenues que parce que les vellèdes, membres de l’Ordre druidique, en ont maintenu le souvenir jusqu’à leur transcription (à l’évidence sabotée) par les clercs médiévaux. Une telle transmission orale n’aurait pu se faire à l’intérieur de l’Ordre si les druides proprement dits avaient fait opposition à un tel processus. Donc, ils n’étaient pas contre. Certains celtologues et archéologues vont même plus loin et pensent que les Druides ont influencé directement le développement évolutif de cette mythologie ainsi que nous l’avons vu.
En fait, il n’y a de paradoxe que pour nous. Pour comprendre les anciens druides, il faut les laisser dans leur cadre de référence, celui de l’antiquité celtique : autrement dit, essayer de nous mettre dans leur peau.
Ils n’auraient pas été « druides » s’ils avaient tout gobé, avalé, ou cru à la lettre, de façon bien peu réfléchie et fort peu philosophe. Mais ils n’auraient pas été Celtes s’ils avaient totalement rejeté ou ignoré les traditions celtiques, et en avaient par exemple méprisé la puissance poétique.
La brève étude que nous venons d’esquisser montre au contraire qu’ils ne se sont pas du tout désintéressés de cette mythologie populaire celtique et qu’ils lui ont donné de nombreux « coups de pouce » pour en faire un tout cohérent.
C’est du moins ce que montrent archéologie et décorticage des textes. La mythologie des prêtres indo-européens et des Shamans néolithiques a été prise en compte et améliorée à des fins didactiques, d’abord par les vellèdes, auxiliaires des druides, puis par les druides druides eux-mêmes. Les druides antiques, bien loin de négliger la mythologie populaire, l’orientèrent et y puisèrent de nombreux éléments didactiques.
Dans les textes grecs pour élèves de 4e ou de 3e, on trouve maintes fois la phrase « o muthos dèloi oti… » (le mythe montre que…) introduisant toujours un commentaire philosophique d’une fable d’Ésope ou d’un mythe utilisé comme une parabole… pratique grecque, mais les druides faisaient aussi sans doute parfois de même.
Un exemple indirect de l’usage de la mythologie figure dans la fameuse parabole de « Lucien » : l’explication donnée par un druide à propos de l’image d’Ogmios (Héraklès 1 à 6).
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Un peu en désordre, en ratissant les livres de Piggott, Sharkey, De Vries, Sjoestedt, d’Arbois de Jubainville, Le Roux & Guyonvarc’h… on perçoit dans les références faites à tel ou tel point de mythologie, que les druides avaient là matière à paraboles.
Notamment dans les domaines suivants :
— Règles d’éthique centrées sur l’honneur et la générosité.
— Psychologie humaine : illustration de cas de relations humaines, car les divinités mythologiques ont pas mal de travers typiquement humains. Avec possibilité de distinction entre psychologie masculine et psychologie féminine. Voir les multiples anecdotes mythologiques sur le sujet, à commencer par l’histoire de l’adultère de la femme de Partholon.
— Idées sur l’Autre Monde (ou les Autres Mondes), l’interpénétration des mondes et la diversité des équations spatio-temporelles : mythes divers des visites en d’Autres Mondes (infernaux ou pas) et des retours en celui-ci.
— Humanisation et relativisation des dieu-ou-démons qui ne sont que des causes secondes ou des forces auxiliaires du Destin. Les défaites infligées par des peuples humains à des tribus de dieu-ou-démons. Comme dans la bataille de la plaine aux tumuli ou la bataille pour la possession de la Talantio/Tailtiu dans les légendes irlandaises (symbolisée par la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Rosemartha, sur le Continent).
En avoir permis le récit, au lieu de l’interdire pour cause de sacrilège, montre bien que les druides, maîtres à penser des Celtes, n’y attachaient aucune valeur historique (il ne s’agissait que de méta-histoire) ; le symbolisme seul étant intéressant pour amener à discuter encore davantage du potentiel de surhumanisation de l’humain ; le rendant à même de se mesurer à des dieu-ou-démons incarnés. Par ricochet ouverture aussi de discussion sur le relativisme.
— Sur-humanisation possible de l’Homme : cas mythologiques où tel héros (ou héroïne) se comporte d’égal à égal avec telle ou telle divinité. Voir la surabondante geste du héros par excellence qu’est le hésus Cuchulainn.
Il s’agissait là des deux faces d’une pensée pourtant une et homogène. Pour les druides de jadis, ainsi que nous avons pu le voir, l’âme ou anamone avait plusieurs potentiels à développer ou, si l’on préfère, plusieurs outils à cultiver, par l’intermédiaire de son esprit ou menman.
— Le raisonnement, la raison raisonnante, livrant du rationnel.
— Mais aussi la spiritualité transcendante immanente, développée par des méthodes affinées à partir du chamanisme originel (ce que l’on pourrait appeler maintenant sophrologie), autrement dit une spiritualité ouverte au métapsychique.
Pour les druides antiques, ces deux potentiels étaient complémentaires et pas du tout antinomiques : de leur mise en œuvre conjuguée résultait une synergie mentale.
Somme toute, cette notion de complémentarité de concepts en apparence antinomiques, était analogue à celle du calendrier de Coligny, qui était LUNI-SOLAIRE, ne l’oublions pas.
Ce qui gêne nos contemporains, pour admettre cet aspect paradoxal pour eux de la pensée druidique, c’est la programmation mentale issue de notre civilisation actuelle. Autrement dit la tendance du rationalisme à mépriser le spirituel et vice-versa, la tendance du spiritualisme à se considérer comme quelque part supérieur au rationalisme scientifique. Monisme et relativisme étaient les deux fils conducteurs de la pensée druidique, comme nous l’avons vu. Dès lors, tout s’explique aisément. Nous nous sommes suffisamment étendus dans les chapitres précédents sur le raisonnement théologique du druidisme et sur les options nuancées de ses Écoles quant aux « dieu-ou-démons » celtes. Dans ce fascicule, il sera donc surtout question de l’attitude des druides vis-à-vis de la mythologie en tant que discours assignant un rôle à ces entités que sont Épona, Belin/Belen/Belenos/Manannan, Taran/Toran/Tuireann, Cornunnos, etc.
C’est en suivant le cheminant que l’on trouve le chemin.
Développement de la mythologie celtique antique. En voici les grandes lignes.
1. L’héritage des populations néolithiques. Les données des préhistoriens permettent de l’entrevoir, et le comparatisme religieux permet de l’identifier.
2. Le fond commun indo-européen, identifiable par maintes analogies et aussi un certain nombre de théonymes, découlant d’une origine commune « aryenne », au sens le plus large du terme. Voie ouverte par Dumézil.
3. Légendes locales, enchevêtrées avec les croyances naturalistes, présentant maintes similitudes, et dénotant donc une même attitude mentale.
4. Transformation en mythes de faits protohistoriques, en même temps que son contraire, la divinisation des grands héros (évhémérisme). Les Celtes mythifiaient l’Histoire et historicisaient leurs mythes. Il est donc vain de chercher à tout prix des faits réels derrière chaque épisode mythologique,
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mais inversement, il est tout aussi arbitraire de croire que la mythologie celte a pu rester préservée de toute influence historique. Deux phénomènes connexes ont été l’inversion chronologique et l’insertion anachronique. Ces intrusions de l’Histoire dans le Mythe sont flagrantes dans les littératures celtiques insulaires, tant irlandaises que galloises, même si celles-ci ont leur source dans les traditions orales d’une vaste mythologie commune antérieure.
5. Intégration de la divinisation d’allégories, par personnalisation et amalgame avec des entités imputables à des croyances antérieures. Le brassage continu de ces divers substrats et superstrats culturels a produit de redoutables enchevêtrements. Il a entraîné aussi des rétrogradations dans l’échelle hiérarchique des divinités ou inversement la montée en puissance d’autres, les remplaçant peu à peu.
6. Un autre phénomène a été l’ajout continuel de « merveilleux » par les bardes qui narraient tout cela. Enfin, lors de la tardive mise par écrit en Irlande, il y a eu de nombreuses suppressions ou de nombreuses interpolations, soit bibliques, soit gréco-latines, afin de faire le lien avec d’autres traditions que la tradition celte. À une époque où les druides druides n’étaient plus là pour veiller au maintien de l’identité culturelle *. Ce sont ces dernières distorsions qu’il a été indispensable de repérer puis d’éliminer pour arriver à reconstituer le corpus antique authentique.
Après avoir examiné en détail les diverses options du druidisme vis-à-vis des croyances culturelles successives, fondues en une communauté mentale bien constatée ; nous pouvons maintenant affirmer que les deux moteurs de cette mise en œuvre furent les druides et la langue celtique. Elle même maîtrisée ou maintenue dans toute sa cohésion, par les druides.
Comme nous avons pu le voir, le druidisme est issu du polythéisme résultant de ces diverses superpositions ethnoculturelles, il l’a même sublimé, grâce à sa propre dialectique, fondée sur le monisme et le relativisme.
Ce relativisme religieux est l’une des clés fondamentales du druidisme. Ce polythéisme richissime – quasi panthéiste – est apparu en effet comme partout présent dans la communauté celtophone antique « admodum dedita religionibus », à en croire la remarque de César (B. G. VI, XVI). Ce dernier se fondait à la fois sur des constatations et sur des lectures (descriptions faites par les voyageurs grecs informateurs aussi de ses contemporains Diodore et Timagène). Ce polythéisme était alors étoffé par une immense mythologie où la fantastique imagination des bardes s’était donné libre cours. Comme nous avons pu le constater aussi, bien des choses ont été souvent écrites sur cette mythologie, le plus souvent jusqu’au Moyen-âge et jusqu’au cycle arthurien. Arrivé à ce point, il sera difficile au lecteur non celtologue de distinguer l’antique du plus récent. À la lumière du comparatisme interceltique, en mettant aussi en œuvre l’interface entre l’apport de l’archéologie antique, d’une part, et le contenu à retenir des transcriptions de traditions orales dans la littérature celtique médiévale, d’autre part ; et en tirant parti, en outre, de l’analyse étymologique d’une masse onomastique considérable, il a été possible de livrer de l’inédit.
* Les derniers druides en activité en Irlande dans le royaume de Domnall mac Muirchertach Ua Néill (Xe siècle) étaient sans doute déjà chrétiens quand même. Ils étaient chrétiens, mais un peu à la façon des sorciers ou mages du Moyen-âge façon Nostradamus, continuaient à pratiquer certains rites ancestraux à la demande de leurs clients (imbas forosnai, teinm loida, dichetal do chennaib selon Errard Mac Coisé).
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ANNEXE N° 6.
APERÇU GÉNÉRAL SUR LE PLÉRÔME (PANTH-ÉON) DRUIDIQUE.
Contrairement à ce qu’affirment certains néo-druides d’aujourd’hui, se tourner vers les déités divinités virotutis, anextiomarus, iovantucarus, dunatis, toutatis contrebis, etc.bref secourables ou apaisantes, voire psychopompes, fait bien partie du druidisme.
Ce sont les personnifications de tous les sentiments humains positifs, altruistes, esthétiques et pacifiques, contenus dans le cœur. Elles peuvent se manifester dans notre dimension, ce qui peut surprendre si on n’y est pas préparé.
Se servir d’une de leurs images comme aide à la méditation ou à la concentration fait également bien partie du druidisme et ça peut aider à mourir, donc à vivre. C’est du druidisme populaire par excellence. Le dernier refuge du soldat broyé dans une tranchée.
Les écoles callaïque ou « lucanienne » du druidisme [Lucain. Livre I. 452. À vous seuls il est donné de connaître, comme de les ignorer, les dieux et les puissances célestes. Strabon. Livre III Chapitre IV, 16. Certains disent que les Galiciens n’ont pas de dieu, mais que les Celtibères et leurs voisins au nord offrent des sacrifices à un dieu sans nom, chaque pleine, lune, la nuit, devant les portes de leurs demeures, et que toute leur maisonnée danse alors en chœur la nuit entière] n’en font pas tant des divinités extérieures aux êtres humains, mais plutôt des personnifications des qualités intrinsèques ou préternaturelles de l’être humain favorisant une heureuse réincarnation dans l’au-delà.
Un équivalent celtique du bouddhisme se doit donc, par compassion, d’inclure des cultes de dulie ou d’hyperdulie centrés sur différentes déités dans les soubassements de sa philosophie. Le contraire serait une bien inutile iconoclastie.
Tout comme le bouddhisme des origines a su trouver aux déités locales d’avant lui une place acceptable et un rôle utile dans sa pratique au niveau populaire et quotidien (l’antique dieu de la mort Mara y symbolise par exemple la tentation et y est devenu un esprit maléfique, la déesse Tara une bodhisattva, etc.) l’important demeure de rejeter philosophiquement parlant le mythe du dieu personnel créateur tout puissant et censé être éternel, qui est effectivement incompatible avec notre triangle philosophique dont les trois extrêmes sont l’athéisme l’agnosticisme et le panthéisme (AAP).
Dieu est « mort », mais avant sa « mort », il a voulu que nous ayons tous les atouts en main, pour nous sortir avec honneur du grand pèlerinage à travers la Manifestation de la vie cosmique. C’est à ces lointaines origines, où se dérobent le sens et la portée des mythes, que l’historien des religions, honnête, essaie de remonter aujourd’hui.
Celui qui, aujourd’hui, se mettrait subitement à parler de fées, cachées près d’une source, ou d’arbres qui parlent, serait immédiatement conduit à l’asile d’aliénés.
Ce qui nous sépare aujourd’hui des druides antiques, ce qui nous rend leur comportement incompréhensible, ce qui nous les fait paraître arriérés, dans l’enfance, c’est leur vision ambicatus c’est-à-dire « à cheval sur les deux mondes », le nôtre et l’autre.
Ce qu’il faut bien comprendre également, c’est que certains états de conscience étaient jadis beaucoup plus courants que maintenant.
Ne nous hâtons pas de traiter les druides antiques de barbares ou de primitifs. Les cures de sommeil, provoqué ou entretenu à coups de narcotiques, ainsi que la psychanalyse de leurs rêves, n’avaient déjà plus de secrets pour eux, et depuis longtemps, quand César vient les « civiliser ».
Qui veut ressentir ce que les mythes druidiques signifiaient réellement et comprendre l’admirable enseignement des Écoles de pensée du temps de la Celtica Litavia (de la Grande Celtie libre et indépendante) dans la plénitude de leur message ; doit se mettre dans la peau des druides antiques, et apprendre à connaître leurs états d’esprit, leurs aspirations, leurs enthousiasmes.
Ceux que certains appellent, bien à tort, des « Mages de Barbares » étaient des hommes qui se rapprochaient bien plus que nous ne pourrions le faire actuellement, de l’Homme divin (Theios aner). Car beaucoup possédaient encore des sens très développés (les dons en quelque sorte animaux, de l’Homme) et pour eux, les mondes invisibles étaient une réalité. La perte de ce sixième sens (la perte du préternaturel) caractérise en fait, l’abîme qui nous sépare de tous ces prétendus « Barbares ». Si
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nous nions aujourd’hui la réalité des élémentals (des esprits de la nature comme les dieu-ou-démons arbres ou rochers…), c’est parce que nous ne pouvons plus les voir à l’œuvre. Mais les Barbares de l’Antiquité, eux, en sentaient la présence, et en parlaient.
Toute action manifestée, le frémissement d’une branche, la chute d’une feuille, le mouvement des nuages peut être en effet un message du Destin ou Tokad. Étudier puis interpréter ces messages (labarum) était la grande affaire des anciens druides.
Et cela dura jusqu’à Jeanne d’Arc. À moins, bien entendu, c’est le cas de dire, de n’y voir qu’une manifestation d’acouphène comme dans le cas d’Abraham.
Les druides antiques croyaient aux dieu-ou-démons de la nature (élémentals, génies, esprits), car ils entendaient des voix là où, pour nous, tout est simplement bruit de fond de la nature (celui d’une source par exemple, ou le bruissement du vent dans les feuilles). Les hommes de ce temps-là, en effet, n’avaient pas besoin d’aller au catéchisme, car ils vivaient de jour comme de nuit en contact avec les « dieu-ou-démons ». Crainte ou amour des dieux coulaient donc de source pour eux.
Les Celtes du temps d’Ambicatus vivaient pour ainsi dire de plain-pied avec les dieu-ou-démons, et ils n’avaient pas besoin de la pseudo-révélation intéressée d’un peuple orgueilleux ou dominateur et conquérant, pour y croire. Les druides n’avaient pas attendu César et le syncrétisme romain avec son cortège de « deus, sanctus ou sacrus ».
Les esprits de la nature étaient tangibles et perceptibles, et personne ne se serait avisé de les nier, sauf à passer pour un fou (de nos jours c’est exactement le contraire et voilà ce qui nous sépare des druides de jadis).
La Science spirituelle druidique, vulgarisée ou illustrée par sa mythologie, nous fait sortir du monde des effets pour remonter à celui des causes produisant ces effets. Le panth-éon ou plérôme celtique (Albiobitos + Anderodubno), repris par les druides, nous fait comprendre la descente des forces créatrices dans le monde matériel, et leur retour à la source première au fur et à mesure de l’évolution. L’Unité devient la multiplicité, Dieu ou le Démiurge s’écartèle dans la matière, ses « membres » se dispersent aux quatre vents. Les vouivres anguipèdes que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomoré en Irlande travaillent l’obscure nébuleuse de la « pré-création », car il n’y a pas création vraiment ex nihilo, mais organisation du chaos sous l’impulsion des forces divines.
Les druides antiques étaient des scientifiques à leur manière, les lecteurs vont s’en apercevoir, et ils pourront alors constater que mythes et panth-éon ou plérôme celtes, ne sont pas l’œuvre naïve d’une Humanité encore dans l’enfance.
Mythes et panth-éon ou plérôme druidiques, relatent et analysent les opérations des forces cosmiques (les vouivres anguipèdes gigantesques ou les dieu-ou-démons) dans la nature et la vie (Bitos). C’est une transposition du divin immortel dans le temporel, ils reflètent donc l’ordre cosmique, et montrent en action les principes créateurs de la dynamique ou de la convergence, universelle.
Forces divines cachées derrière les manifestations de la vie, forces nécessaires à l’entretien de la vie dans l’Univers visible et invisible (le Bitos)… quel que soit le nom qu’on leur donne (dieu-ou-démons, rois mythiques, anges, élohim, etc.), ces forces sont chargées de condenser le plan spirituel, de le matérialiser. Surviennent ensuite de nouvelles phases de l’évolution. Les forces divines s’intègrent de plus en plus dans la nature et dans l’homme, et c’est alors que les dieu-ou-démons commencent à ne plus être ressentis de la même façon. L’Homme qui perd de vue ce processus de l’évolution des civilisations et des mentalités, qui ne suit pas de près cette descente des forces créatrices, ne les reconnaît plus. D’où par conséquent apparition de nouveaux noms (et d’où aussi l’importance de la communication des véritables noms divins dans l’enseignement final).
Bien fou serait celui qui voudrait assigner un ordre chronologique parfait à tous ces mythes, dans un monde en perpétuelle gestation, où les forces divines se mêlent en un fantastique ballet ; où les émanations successives du Très Haut, du Dieu ou Démiurge que l’on ne nomme pas, descendent en cascade susciter ou procréer ce monde. Ce que les hindous appellent vyuha et les musulmans chirk (mais pour le condamner). Il était hors de question pour les druides antiques d’adorer à l’instar de l’Être supérieur que l’on ne nomme pas (comme le El Elyon de la Bible) l’orage, la foudre, les fleuves, les forêts, les rochers… Les druides antiques ne voyaient dans ces phénomènes « que des forces », mais ils les personnifiaient pour en parler, car orage, foudre, éclair, arbres et eaux, restent néanmoins, pour ceux qui savent, le symbole terrestre d’une immense réalité cosmique. Ces lois cosmiques inexorables (le Tokad) étaient bien comprises des druides de l’époque.
Il y a, certes, une grande part d’imagination populaire dans ces mythes, mais tout y est cependant bien à sa place, pesé, mesuré, calculé. Il s’agit de la chute dans la matière de l’esprit, et ce, jusqu’à la densité maximale, et puis sa lente remontée via la surhumanisation de notre espèce, le tout en définitive devant faire retour à sa source première.
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Ainsi que l’a dit le poète, la dernière race humaine, celle qui appartiendra presque à une autre espèce que la nôtre, verra s’épanouir l’Homme-Esprit. Celui qui saura manier le Feu principe et qui rejoindra la grande flamme du Père, celle qui a donné la vie à toutes les autres.
Le mythe celtique, comme toute image, est vivant, aucune borne ne peut le limiter dans le temps. C’est pourquoi le mythe de base vit un certain temps, puis évolue selon la sagesse des hommes qui l’utilisent à des fins didactiques précises (les druides).
Chaque dieu-ou-démon, bien que représentatif de l’impulsion initiale, est conçu de façon à s’adapter au mieux au milieu pour lequel il est fait. Il faut remarquer par exemple que ce sont souvent les « derniers-nés » des dieu-ou-démons (Lug évinçant Noadatus/Nuada par exemple) qui sont appelés à jouer les premiers rôles : ils sont plus évolués.
De plus, il y a au cours de ces évolutions bien des additions venant se greffer sur les mythes primitifs. Additions d’ailleurs la plupart du temps parfaitement justifiées ; sauf évidemment pour le rattachement à des données bibliques ou gréco-latines lors du Moyen-âge.
Les mythes ne peuvent demeurer statiques, il est nécessaire qu’ils évoluent ou suivent l’évolution, pas à pas. Il ne s’agit pas cependant d’altération, mais simplement d’enrichissement, suivant les progrès de la société (ou alors il s’agit de véritables bouleversements, dus à des causes externes, comme dans le cas des fameuses triades galloises, du Barddas qui ne sont qu’une supercherie).
Ce qui était vrai du temps des druides primordiaux, reste vrai, même des siècles plus tard, mais sur cette vérité « tronc » viennent se greffer de nombreux rameaux ayant également leur intérêt. Voilà tout ! D’où l’impossibilité de superposer précisément les dieu-ou-démons celtiques et ceux du monde indo-européen primitif. Le « moment » celte n’est pas le « moment » indo-européen. Des siècles les séparent et pendant ce temps-là la vie, et donc ses conceptions, n’ont pas cessé d’évoluer. Des détails ont été ajoutés de-ci de-là et les versions divergèrent bien que restant toutes également vraies.
Le druidisme antique n’avait pas l’intransigeance hargneuse qu’eurent ensuite les religions monolâtres. On respectait les dieu-ou-démons d’autrui, voire on les honorait aussi ; on les assimilait, parce que l’on savait qu’il s’agissait des mêmes « Étants » conçus autrement, et que ces concepts étrangers contenaient, eux aussi, des choses fort intéressantes, parfois.
Ce qui complique aussi les choses, c’est que dans le celticum (empire) d’Ambicatus, chaque tribu, chaque pays, adaptait le mythe selon son génie propre (se gouverner soi-même était aussi un des enseignements du druidisme antique).
Les nombreuses variantes avaient cependant toutes une trame semblable, un même but, et une même finalité, comme nous allons le voir.
Nulle contradiction dans tout ceci. Comprenons bien une chose : les dieu-ou-démons ne peuvent pas mourir. Ils existent d’une vie continue, ils se transforment et changent de nom jusqu’au moment où, sous des masques nouveaux l’Homme reconnaît les antiques concepts qu’il avait cru renier. De même que l’évolution devient plus minutieuse, change la face du monde, et qu’elle transforme les hommes, les mythes évoluent vers la complexité.
Au temps d’Ambicatus existaient déjà un certain nombre de variantes des mythes théogoniques, cosmogoniques, éthiques, et enfin « rédempteurs », illustrés par l’action de héros légendaires. Quand on a compris cela, il devient facile alors de déjouer les multiples pièges pullulant dans ces mythes. Par exemple le décalage des faits dans le temps, les multiples noms de la même force en plusieurs personnages, les combats et les itinéraires fictifs, le travail des dieu-ou-démons dans ce monde, en vue de l’évolution future, etc.
Voici quelles sont les grandes caractéristiques de la mythologie celtique dans sa version druidique, ses lois en quelque sorte.
— Loi de polarité.
L’Univers ou Bitos s’est construit sur l’opposition de deux forces qui se sont équilibrées réciproquement : âme et matière, feu et eau, masculin et féminin, soleil et lune, et ainsi de suite.
— Loi de la coïncidence des contraires. Il existe un point de vue de l’esprit, d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé comme le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas, cessent d’être perçus contradictoirement. Voilà ce que l’on peut comprendre du calendrier luni-solaire de Coligny qui est typique de la pensée des druides.
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POSTFACE À LA JOHN TOLAND.
Les pseudo-druides à la filiation initiatique mirobolante (la fameuse et inénarrable tradition primordiale) s’étant multipliés depuis quelque temps ; il nous a paru nécessaire de mettre à la disposition de tout un chacun ces quelques notes, hâtivement rédigées un soir de novembre, afin de donner à nos lecteurs envie d’en savoir plus sur le vrai druidisme. Ce travail se veut honnête, mais en aucune façon neutre. Il s’est donné pour objectif de défendre ou de réhabiliter la cluto (renommée) de cette antique religion.
Rien ne remplace la méditation personnelle y compris sur les lais obscurs ou incompréhensibles parsemant ces livres et qui ont été insérés à dessein afin de vous obliger à réfléchir pour trouver votre propre voie. Ces livres ne sont pas des dogmes à suivre aveuglément et à la lettre. Ainsi que vous le savez sans doute, il faut se méfier comme de la peste de la lettre. La lettre tue, seul l’esprit vivifie. Rien ne remplace non plus l’expérience personnelle et c’est en cheminant que l’on trouve le chemin. Ne comptez donc que sur vos propres forces pour cette quête du Graal. Ce qui compte c’est l’attitude à adopter dans la vie et non les détails du dogme. Le druidisme a moins d’importance que la druidiaction (Jean-Pierre Martin).
Ces quelques feuillets griffonnés à la va-vite ne sont néanmoins en aucune façon LES LIVRES À LIRE SUR LE SUJET, ils n’en sont qu’un pâle reflet. La seule bibliothèque druidique digne de ce nom n’est pas en effet composée de seulement 12 (ou 27) livres, mais de plusieurs centaines.
Les quelques opuscules constituant cette mini-bibliothèque ne constituent pas un approfondissement et ne sont que quelques manuels destinés aux écoliers du druidisme. Ces résumés simplifiés destinés aux cours primaires de druidisme seront remplacés par des cours d’un niveau quelque peu supérieur, pour ceux qui voudront vraiment l’étudier de façon plus pertinente.
Cette petite bibliothèque est par conséquent un premier essai d’adaptation (destinée aux jeunes adultes) des diverses réflexions sur le savoir et la vérité druidiques, auxquelles ont abouti les premiers résultats de la nouvelle laïcité positive et ouverte, mondiale, en train de s’instaurer.
À la différence du judaïsme, du christianisme, et de l’islam, qui fourmillent littéralement, à propos de l’Être supérieur, d’anthropomorphismes puérils pris au pied de la lettre (fondamentalisme) ; notre druidisme, lui, n’en utilisera que très peu, et s’en tiendra, en ce domaine, au minimum absolu.
Mais pour parler de Dieu-ou-Diable nous allons bien être obligés, nous aussi, d’utiliser un langage, et donc un certain nombre de ces anthropomorphismes. Ou alors il faudrait totalement renoncer à en discuter.
Ce premier rayon de notre future bibliothèque consacrée au sujet a pour objet de montrer avec précision l’harmonieuse authenticité de la volonté et du savoir néo-druidiques. De montrer à quel point ses grandes thèses actuelles ont des racines anciennes, car la Mythologie, c’est notre Bible à nous. Les adaptations de ce bref exposé, exigées par les différences de culture, d’âge, de maturité spirituelle, de situation sociale, etc. seront à faire par les druides concernés (les vellèdes et les autres ?).
À noter cependant. Important ! Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, ne sont pas (en vrac).
Une révélation divine. Une loi (toujours aussi divine). Une loi (profane ou laïque). Une loi (scientifique). Un dogme. Un Ordre ? Ce que je cherche surtout à faire partager c’est un état d’esprit, rien de plus. Ainsi que l’a très bien dit un jour notre vieux maître :
« NOTRE CIVILISATION N’A PAS LE CHOIX : CE SERA LE CELTISME OU CE SERA LA MORT » (P. Lance).
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Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, sont. Du rêve. Une aventure. Un voyage. Une évasion. Un cri de révolte contre la laideur morale et matérielle de cette société.
Une tentative d’atteindre à l’universel en partant du particulier. Un défi. Un obstacle fécond à surmonter. Une incitation à la réflexion. Un guide pour l’action. Une carte. Un plan. Une boussole. Une étoile polaire ou l’étoile du berger là-haut dans la montagne. Un feu la nuit dans une clairière ?
Ce que le rassembleur de ce noyau de bibliothèque, Pierre de La Crau, n’est pas.
— Un dieu.
— Un demi-dieu.
— Un quart de dieu.
— Un petit saint.
— Un philosophe (reconnu, officiel, et breveté ou patenté, comme ceux qui passent à la télévision. Sauf évidemment à prendre le terme en son sens originel, qui est celui d’amateur de sagesse et de savoir).
Ce qu’il est : un homme, et rien de ce qui est humain ne lui est donc étranger. Pierre de La Crau n’a aucun pouvoir surhumain ou exceptionnel. Rien de ce qu’il a dit écrit ou fait ne saurait avoir de valeur intemporelle. Tout au plus espère-t-il que son extrême lucidité à propos de notre société et de son idéologie dominante (voir ses philosophes officiels, ses journalistes, ses masses médias et le politiquement correct des bien-pensants) ; ainsi que son non-conformisme, et son franc-parler, alliés à un solide esprit de contradiction (qui lui ont d’ailleurs valu pas mal de déboires ou d’avanies) ; pourront être utiles.
La présente petite bibliothèque pour débutant « contient la dose d’humanité exigée par l’état actuel de la civilisation » (Henri Lizeray). Elle n’est d’ailleurs qu’un rassemblement de matériau attendant l’architecte ou le maçon ad hoc.
Prochainement paraîtra toute une série de fascicules approfondissant ces éléments de base. Cette présentation différente du savoir druidique préservera néanmoins l’unité et la profonde harmonie entre ces divers exposés d’un seul et même paganisme philosophique et réfléchi : une spiritualité digne de notre époque, une spiritualité pour notre époque.
Cas des traductions dans une langue étrangère (espagnol, allemand, italien, polonais, etc.)
Les fautes d’orthographe de grammaire de style, ainsi que l’écriture des noms propres, pourront être corrigées. Toute autre amélioration du texte pourra également être apportée si nécessaire (par ajout suppression ou modification, de détails) ; Pierre de La Crau ayant toujours regretté de ne pouvoir atteindre à la perfection en ce domaine. Mais à condition de n’altérer ni trahir en rien la pensée de l’auteur de cette compilation raisonnée. Toute illustration sans légende peut être changée. De nouvelles illustrations peuvent être apportées. Mais les illustrations ayant une légende ne devront être qu’améliorées (par substitution d’une bonne photo à un mauvais croquis par exemple ?)
Il va de soi que le coordonnateur de cette rapide et sommaire compilation raisonnée, Pierre de La Crau, ne prétend nullement avoir inventé (ou découvert) lui-même, tout ceci ; qu’il ne prétend en aucune façon que ceci est le fruit de ses recherches personnelles (sur le terrain ou en bibliothèque). Ce qui suit est en effet essentiellement issu des excellents ouvrages ou sites internet référencés en bibliographie et dont la consultation directe est fortement recommandée. Nous n’insisterons jamais assez sur notre volonté de ne pas être les hommes d’un livre (du Livre), mais d’au moins douze, comme les Fénianes d’Irlande, pour d’évidentes raisons d’ouverture d’esprit, la vérité étant notre seule religion.
Encore une fois, répétons-le ; le coordonnateur de la mise par écrit de ces quelques notes hâtivement jetées sur le papier ne prétend nullement avoir passé sa vie dans la poussière des bibliothèques ; ou sur le terrain, dans la boue des fouilles archéologiques de sauvetage ; afin d’exhumer des témoignages inédits sur le passé de l’Irlande (ou du Pays de Galles ou des Indes ou de la Chine ?)
PIERRE DE LA CRAU NE SE VEUT DONC EN AUCUNE FAÇON L’AUTEUR DES TEXTES QUI PRÉCÈDENT.
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IL N’ESSAIE NULLEMENT DE S’EN ATTRIBUER LES MÉRITES. Il n’en est que l’éditeur ou le compilateur. Il s’agit pour la plupart de documents diffusés sur internet à quelques exceptions près. IL EN REVENDIQUE PAR CONTRE TOUS LES DÉFAUTS ET TOUTES LES INSUFFISANCES. Pierre de La Crau ne revendique qu’une chose, les fautes erreurs ou imperfections diverses de ce livre. Lui seul est à blâmer dans ce cas. Mais il fait confiance à ses contemporains (la nature humaine étant ce qu’elle est) pour les lui signaler avec vigueur.
Note retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau et insérée par eux à cet endroit.
J’avoue tout de suite afin de faciliter le travail de mes juges que les hommes comme moi étaient chrétiens à Rome sous Néron, païens à Jérusalem, sorciers à Salem, hérétiques anglais, catholiques irlandais, et aujourd’hui racistes, sexistes, homophobes, islamophobes, en attendant d’être demain koufar ou de nouveau chrétien l’antéchrist le plus bestial de toutes les apocalypses, etc. Bref ainsi qu’on l’aura compris je suis pour le néant la mort la maladie la souffrance……
Par respect pour l’Humanité, afin de gagner du temps, et ne pas lui en faire perdre, je vais faciliter le travail de ceux qui tiennent absolument à être du bon côté de la barrière en combattant (héroïquement bien sûr) afin de sauver le monde de mes griffes (mes idées ou mes penchants, mes tendances).
À ces courageux et implacables détracteurs, dont la profondeur de réflexion digne d’un marquis de Vauvenargues n’a d’égale que l’ampleur de la culture générale d’un Pic de la Mirandole, je dis…
Prenez une feuille de papier, un traitement de texte si vous préférez, mettez-y par ordre d’importance les 20 caractéristiques qui vous semblent les plus graves, les plus odieuses, les plus haïssables, dans l’histoire de l’Humanité, depuis les hommes préhistoriques et Nabuchodonosor, selon vous… ET DITES-VOUS BIEN QUE JE SUIS TOUT LE CONTRAIRE DE VOUS, CAR JE LES AI TOUTES !
On a toujours besoin de boucs émissaires ! Hérétique au Moyen-âge, sorcière à Salem au 17siècle, raciste au 20e siècle, lézard extraterrestre au 21e, je suis l’homme que vous aimerez haïr pour vous sentir meilleur (gentils et intelligents).
Je suis au choix et dans l’ordre d’importance que vous voulez : athée, sataniste, stupide, mongolien, bestial, homosexuel, pervers, homophobe, communiste, nazi, sexiste, philatéliste, menteur pathologique, voleur, suffisant, psychopathe, un monstre d’orgueil faussement modeste, et que sais-je encore, à vous de voir suivant la mode du moment.
Voilà, je ne peux pas faire mieux (pour vous aider à sauver le monde).
[À la différence de mes contempteurs qui sont tous des gens bien, c’est-à-dire jeunes ou modernes et dynamiques, courageux, positifs, gentils, intelligents, instruits, ou du moins qui savent ; faisant preuve de beaucoup de recul dans leur méditation en profondeur sur les tendances lourdes de l’Histoire ; et sur le plan moral ou éthique : généreux, altruistes, mais pauvres évidemment (c’est là leur seul défaut), car donnant tout aux autres ; en outre profondément respectueux de la volonté de Dieu et de la Constitution…
Moi je suis un vieux réactionnaire ankylosé, conformiste, déconnecté de son temps, parano, schizophrène, incohérent, capricieux, jamais content, méchant, bête, n’ayant fait aucune étude ou du moins ignorant tout sur le sujet en question ; coutumier des jugements à l’emporte-pièce fondés sur des préjugés dénués de toute réflexion ; égoïste et riche ; suppôt de Satan et nazo-bolchevick ou stalino-hitlérien de nature. On disait hitléro-trotskiste quand j’étais jeune. En bref un criminel psychopathe dès le petit-déjeuner… ce qui me permet donc de penser ce que je veux, mes critiques aussi d’ailleurs, et d’essayer de le faire savoir à la cantonade].
Signé : le coordonnateur des travaux, Pierre de la Crau dit Hésunertus, chercheur en druidisme. Un homme à qui rien de ce qui est humain ne fut étranger. Chômeur, facteur, divorcé, sans domicile fixe, vagabond, contribuable, justiciable, et électeur cocufié… bref un des neuf milliards d’êtres humains ayant transité sur ce vaisseau spatial donc. Né sur la planète Terre le 13 janvier 1952.
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BIBLIOGRAPHIE DES GRANDES LIGNES.
Pour ce qui est de la bibliographie des détails, voir annexe de la dernière leçon, car, comme le dit si bien Henri Lizeray, les traditions, ça doit s’interpréter. C’est là toute la différence qu’il peut y avoir entre ancien druidisme et néo-druidisme.
Le Lebar gabala ou Livre des invasions. Paris 1884 (William O’Dwyer)
Base de l’église druidique. Le druidisme restauré. Henri Lizeray, Paris, 1885.
Les traditions nationales retrouvées. Paris 1892.
Aesus ou la doctrine secrète des druides. Paris 1902.
Ogmios ou Orphée. Paris 1903.
TABLE DES MATIÈRES.
Prologue
Première partie.
Réflexions sur la mythologie
Mythe et allégorie
Introduction à la mythologie druidique
Sources, méthodes, et problèmes
Le problème des interprétations (à faire)
L’interpretatio celtica ou druidica
L’interpretatio graeca
L’interpretatio romana
L’interpretatio christiana
Les manuscrits du Graal
Deuxième partie.
Généalogies et enfances des dieu-ou-démons
Généalogies et ambivalences divines
Note sur la vie publique des dieu-ou-démons aux temps hyperboréens
De la mort des dieux
Note à propos de l’occultation des dieu-ou-démons et de leur retour
Les associations de dieu-ou-démons
Le trinitarisme primordial
Les syncrétismes divins
Troisième partie.
Bref historique des idées druidiques
La préhistoire du druidisme et donc du néo-paganisme celtique
Les dieux ou démons panceltiques et métaphysiques
Pierre Lance et le messianisme celtique
Universalisme et enracinement dans le druidisme
L’opinion du druide Jean-Pierre Martin sur la mythologie druidique
L’art du contrelai.
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ANNEXES.
1. Rappel sur la notion de métahistoire
2. Historicisation
3. Évhémérisme
4. Typologie des dieux ou démons gréco-romains
5. La position des vrais druides vis-à-vis de la mythologie
6. Aperçu général sur le plérôme druidique
Postface à la John Toland.
Bibliographie des grandes lignes
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DU MÊME AUTEUR.
1. Citations des auteurs antiques parlant des Celtes ou des druides.
2. Généralités liminaires diverses sur les Celtes.
3. Histoire du pacte avec les dieux tome 1.
4. La Bible du druidisme : histoire du pacte avec les dieux tome 2.
5. Histoire du pacte avec les dieux tome 3.
6. Histoire de la paix avec les dieux tome 4.
7. Histoire de la paix avec les dieux tome 5.
8. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande science qui illumine » tome 1.
9. Textes apocryphes irlandais.
10. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande science qui illumine » tome 2.
11. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande Science qui illumine » tome 3.
12. Les cent voies du paganisme. Science et philosophie tome 1 (mythologie druidique).
13. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 2 (mythologie druidique).
14. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 3 (mythologie druidique).
15. Le grand Camminus : éléments de théologie druidique tome 1.
16. Le grand catéchisme : éléments de théologie druidique tome 2.
17. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 1.
18. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 2.
19. Mystagogie ou théâtre sacré des Celtes antiques.
20. Poèmes celtes.
21. Le génie du paganisme celte tome 1.
22. Le complexe de Roland.
23. Au pied de la lanterne des morts.
24. Les secrets du vieux druide de la forêt ménapienne.
25. Le génie du paganisme celte tome 2 (liberté réciprocité simplicité).
26. Rhétorique : la trahison des clercs).
27. Petit dictionnaire de théologie druidique tome 1.
28. Des philosophes antiques au druide irlandais.
29. Judaïsme christianisme et islam : première partie.
30. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 1.
31. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome2.
32. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 3.
33. Troisième partie tome 1 : Qu’est-ce que l’Islam ? Bref historique de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
34. Troisième partie tome 2 : Qu’est-ce que l’Islam ? Premières approches de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
35. Troisième partie tome 3 : Qu’est-ce que l’Islam ? Les 5 vrais piliers de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
36. Troisième partie tome 4 : Qu’est-ce que l’Islam ? Coups de sonde dans l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
37. Couiro anmenion ou Petit dictionnaire de théologie druidique tome 2.
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