Malgré toutes les vicissitudes de l’Histoire, cette civilisation restera l’indéracinable fondement de ce qu’il est convenu d’appeler l’Occident.Voici donc le peuple dont la destinée va être scellée sous les murs d’Alésia. Tous ses dieux nous crient : Lumière ! Pensée ! Parole ! Imagination ! Invention ! Liberté ! Enthousiasme ! Fierté ! Personnalité ! Passion ! Et le dernier pour tous les contenir et les sauvegarder : Patrie !
Aux lourdauds Janus, Mars et Jupiter, des Romains, la Celtie oppose Lug, artisan, poète et chercheur, créateur amoureux de la chose bien pensée, bien dite et bien faite ; puis Bélénos, son jeune frère en lumière, prince des esthètes et faiseur de santé, dispensateur d’harmonie, de beauté, de couleur et de fantaisie ; voire encore Teutatis, le Père de la Nation.
IV) RÉSISTANCES ET PERMANENCES DES DIEU-OU-DÉMONS CELTES.
Alésia, je le répète, écrit Pierre Lance, est un centre, un point critique, une minute de vérité. C’est une explosion révélatrice qui ne doit pas seulement nous permettre de juger des nombreux effets qu’elle a eus, et qu’elle a encore, mais aussi, et peut-être surtout, des erreurs accumulées qui l’ont rendue possible.
Et c’est pourquoi, au contraire des auteurs qui ont fait d’Alésia soit leur dernier, soit leur premier chapitre, j’en ai fait, moi, le milieu de mon livre. Car il faut disséquer l’avant comme l’après Alésia, et distinguer dans l’un ce qui annonce l’autre.
Le Celte doit se retrouver lui-même. Mais il serait bien fallacieux de croire que les Celtes d’Alésia ne s’étaient pas déjà perdus. Et le vilain Jules, si détestable qu’il soit réellement, ne pouvait apporter que la sanction du Destin à un peuple dont les vertus n’étaient déjà plus en très bonne santé.
La catastrophe d’Alésia ne saurait s’expliquer sans une certaine décadence de la société celte. Je dis de la société celte, et non du Celte lui-même, car je ne crois pas que le Celte – et c’est pourquoi j’espère en lui – ait jamais été un être décadent. Au contraire du Latin, par exemple, qui porte en lui la décadence comme une seconde nature. La société celtique pré-alésienne n’était déjà plus tout à fait le type de société qui convenait à l’éthique des Celtes ainsi qu’à leur psychologie profonde. Il manquait donc à ces hommes, lors de l’invasion romaine, la foi et l’enthousiasme qu’il faut pour défendre la communauté avec toute la vaillance nécessaire.
Les grands mythes celtiques, tous générateurs de progrès humain, ne fécondaient plus l’éthique des Celtes, et ne fournissaient plus à leur civilisation l’énergie psychologique nécessaire.
Dans le dernier siècle de l’ère préchrétienne, nous avons vu entrer en décadence et se détériorer peu à peu, ce qui avait fait la richesse spirituelle de la Celtie ou de toute l’Europe celte. Ce sens de la personnalité individuelle ou ethnique, que Rome allait achever de détruire radicalement, pour donner le jour au monstre matérialiste et collectiviste qui, sous des masques divers, allait régner sur nous jusqu’à ces jours-ci, inclusivement. Les druides, hélas, n’avaient pas tiré de l’éthique des Celtes toute la philosophie que leur logique peut en extraire. Ou s’ils l’avaient fait, ils ne surent pas la communiquer à leurs élèves. Or leur vocation, à ces druides, était de lui rester fidèles, d’en tracer les prolongements, d’en enseigner toutes les conséquences, et de transformer en conscience ce qui n’était qu’instinct. Si la société celte pré-alésienne avait réellement été bâtie sur ces fondements, elle n’aurait pu s’effondrer ainsi devant César ni accepter l’étatisme romain aussi aisément qu’elle le fit. Dans le dernier siècle de l’ère préchrétienne, la civilisation celtique n’était pas ou n’était plus, en accord, avec ses grands mythes. Elle était en rupture d’éthique, c’est-à-dire décadente. Bref, dirons-nous, le peuple celte a été vaincu et colonisé par les Romains. Car les Romains, remarque Pierre Lance, multinationaux et impérialistes, ignorent la Patrie. Au-dessus de la famille et de la Cité, ils ne connaissent que l’État, et c’est bien différent. Leur dieu [ou démon] supérieur est Janus, le gardien de toutes les portes, le détenteur de toutes les clés.
Qui n’a reconnu l’âme latine à travers ses amours ? Les trois premiers symboles de Rome ne sont-ils pas révélateurs ? Janus (l’État), Mars (la Guerre), et Jupiter (l’Autorité).
Rome fut une anti-nation, un anti-peuple, une anti-civilisation, le premier empire totalitaire, le père de tous les monstres politiques que l’Europe a connus.
Rome, la société la plus bassement matérialiste que l’Antiquité a connue (le prototype de la société de consommation). L’esprit, à Rome, ne monte pas plus haut que Mercure, et César n’a rien de mieux à offrir aux poètes, aux astronomes, et aux philosophes celtes ; dont la civilisation est tellement supérieure à celle des Latins, qu’ils ne peuvent pas la comprendre. Qu’ils ne peuvent même pas soupçonner qu’elle est une haute civilisation. C’est à peine si les universitaires d’aujourd’hui, enfants spirituels des Romains, commencent à l’apercevoir. L’extraordinaire vivacité ou résistance de la tradition druidique, a permis néanmoins aux Celtes, selon Pierre Lance, de construire leur civilisation, affublée il est vrai d’oripeaux latins, mais il vaut mieux sans doute être déguisé que n’être pas du tout […] Les Celtes ne se sont absolument pas résignés à la société romaine. Ils ont d’abord continué de